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Full text of "La philosophie moderne depuis Bacon jusqu'à Leibniz"

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in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/laphilosophiemod02sort 


LA 

PHILOSOPHIE 

MODERNE 

DEPUIS    BACON    JUSQU'A    LEIBNIZ 


ÉTUDES    HISTORIQUES 


Gaston     SORTAIS,     S.     J 

ANCIEN    l'ftOl'ESSEUn    DE    l'IllLOSOPHIE 


TOME    DEUXIÈME 


Livre  II  :  L'Empirisme  en  Angleterre  et  en  France 

Article  II  :  Pierbe  Gassendi(1592-]655) 
Article  TII  :  Thomas  Hobbes  (1583-1679). 


PARIS    (VI-) 
PAUL     LETHIELLEUX,     ÉDITEUR 

I  O  ,      U  U  E      CASSETTE,       I O 

1922 


L'auteur  et  l'éditeur    réservent    tous   droits   de    traduction   et   de  repro- 
duction. 

Cet  ouvrage,  conformément  à   la  loi,  a  été   déjwsé  en  Décembre  lOtt . 


NIHIL  OBSTAT. 

X.  MOISANT. 


IMPRIMATUR, 

Parisiis,  dio  18'  Junii  1920. 
E.  ADAM. 


V.  G. 


LTBRARY 

UNIVERSITY  OF  CALIFORNIA 

SANTA  BARBARA 


OUVRAGES   DU  MÊME  AUTEUR 


Librairie  P.  Lethielleux,  Paris,  10,  rue  Cassette. 

TuAiTÉ  DE  Philosophie,  conforme  au  dernier  programme  du  baccalauréat 
pour  la  classe  de    Philosophie-Lettres.   2  vol.   in-8°,  S'  édition  revue 
et  augmentée.  (Pour  paraître  en  1922). 
Tome  I.   —  Psychologie.  Logique. 

Tome  II.  —  Morale.  Esthétique.  Métaphysique.   Vocabulaire  philoso- 
phique. Histoire  de  la  Philosophie. 

Histoire  de  la  Philosophie  ancienne  (Antiquité,  Moyen  Age,  Renaissance), 
I  Yol.  in-S"  écu,  de  xyiii-627  pages.  10  fr. 

Histoire  de  la  Philosophie  moderne  (pour  paraître  en  1922).  Cf.  infra. 

Manuel  de  Philosophie.  Résumé  du  Traité  de  Philosophie.  1  vol.  in-8" 
de  xxxi-gSZi  pages.  Coédition.  18  fr. 

Précis  de  Philosophie  Scientifique  et  Morale,  conforme  au  dernier 
programme  du  baccalauréat  pour  la  classe  de  Mathématiques,  i  vol. 
in-8"  écu,  xvi-6o4  pages.  10  fr. 

Eléments  de  Philosophie.  Abrégé  du  Manuel,  plus  spécialement  destiné 
aux  jeunes  filles.  3  vol.  in-12,  de  xn-102,  277  et  4o3  pages.  Traduits 
en   Espagnol.    (Même  Librairie,  1920).  16  fr. 

Excursions  artistiques  et  littépaires,  2  séries  in-12,  de  xv-259  et  288 
pages.  Les  deux  séries  ensemhîle,  G  fr.  Séparément,  3  fr. 

La  Crise  du  Libéralisme  et  la  Liberté  d'Enseignement  (Questions 
actuelles  :  Le  Libéralisme  et  le  Syllabus.  L'Esprit  de  légalité.  Les 
droits  de  l'enfant.  L'unité  morale  de  la  France  et  le  monopole  univer- 
sitaire. L'Église  et  la  liberté  scientifique,  etc.).  i  vol.  in-13  de  222 
pages.  3  fr. 

Études  Philosophiques  et  Sociales  (Intolérance  de  l'Église.  Fonctions  de 
l'État  moderne.  Décentralisation  et  organisation  provinciale.  Exposé 
et  réfutation  du  Kantisme.  L'Art  et  la  Science,  etc.).  i  vol.  in-12  de 
vi-Zi3i  pages.  .     5  fr. 

Histoire    de    la    Philosophie    moderne    depuis    Bacon    jusqu'à    Leibniz  : 
Tome  1    :    Introduction  :     Questions    de  Méthode  et  d'Autorité  au 
XVr   siècle.  —  L'état  de  l'Europe  au  A' 17/'  siècle.  —  Livre  1  :  L'Em- 
pirisme en  Angleterre  et  en  France.  Article  1  :  François  Bacon.    25  fr. 
Tome   II  :   L'Empirisme  en  Angleterre  et   en   France.  Article  II: 
Pierre    Gassendi.    —    Article  111  :    Thomas   Hobbes.  20  fr. 


Librairie  P.  Lethielleux,  Paris,  10,  rue  Cassette  (Suite) 

HlSTOIUE    DE      LA     PHILOSOPHIE      MODERNE     DEPUIS      BaGO^Î     JUSQu'a      LeiIJNIZ     : 

Tome  III  :  Les  commencemenls  du  Déisme  en  Angleterre.  —  L'Ecole 
Platonicienne  de  Cambridge.  —  La  Philosophie  du  Droit.  —  La  Révo- 
lution Cartésienne.  -  -  Le  Cartésianisme  en  Belgique  ci  en  Hollande 
(En   préparation). 

Librairie  H.  Champion,  Paris,  5,  quai  Malaquais. 

Ilios  et  Iliade.  2"  édition,  i  vol.  in-8'.  \v-/ii7  pages,  avec  une  carte. 
(Les  ruines  de  Troie.  —  La  formation  de  riliade.  —  Essai  de  restaïi- 
ration  de  l'Iliade  primitive.  —  L'Olympe  et  Tari  homériques).  (Epuisé). 

Librairie  Désolée,  Paris,  30,  rue  Saint-Sulpiee. 

Le  Maître  et  l'Elève  :  Era  Angelico  et  Benozzo  Gotzoli,  édition  de  luxe 
ornée  de  47  gravures  hors  texte  et  de  5  cliromos.  i  beau  vol.  in-/|", 
de  276  pages.  i3  fr. 

4 

Librairie  Bloud  &  Gay,  Paris,  3,  rue  Garancière. 

Pourquoi  les  dogmes  ne  meurent  pas.  4*^  édition.  i  l'r." 

Valeur  apologétique  du  martyre.   4"   édition.  i   fr. 

(Traduit  en   Espagnol,   Madrid,  Gregorio  del  Almo,    191 2). 

Le    Procès   de, Galilée,  6'   édition.  i  fr. 

(Traduit  en  Italien,   Rome,   Desclée,  1907.   et  en   Espagnol.   Madrid, 
Gregorio  del  Almo,    1912). 

Librairie  Téqui,  Paris,  82,  rue  Bonaparte. 

Métaphysique  des  causes,  par  le  P.  de  Régnon,  avec  une  préface  de 
Gaston  Sortais.  1  vol.  in-8",  de  xviu-663  pages,  2'  édition.         11   fr.   25 

Librairie  G.  Beauchesne,  Paris,  li7,  rue  de  Rennes. 

Œuvres  oratoires  du  R.  P.  Chambellan,  S.  J.,  recueillies  et  publiées 
par. Gaston  Sortais.  2  vol.   de  582  et  727  pages.  T.  I,  8  fr.  T.  II,  10  fr. 

La  Providence  et  le  Miracle  devant  la  Science  moderne,  i  vol.  in- 12 
de   192  pages,  2'"  édition.  5  fr. 

Librairie  J.  de  Gigord,  Paris,  15,  rue  Cassette. 

L'Attitude  des  Catholiques  en  face  de  la  Démocratie  et  du  Droit 
commun.    1  vol.    in-18  Jésus,  de  \iii-3o9  pages.  3  fr.  60 


LA    PHILOSOPHIE    MODERNE 

DEPUIS  BACON  JUSQU'A  LEIBMZ 

ÉririEs    HiST0UK^>LEB    l'AR    GvsïON    SOIITALS,    S.    J. 


TABLE  SOMMAIRE  DU  TOME  DEUXIÈME 


LIVFIE     I 

L'EMPIRISME  EN  ANGLETERRE  ET  EN  FRANCE 

(Suite). 

ARTICLE  II.  —  PIERRE  GASSENDI  (1592-1655) •. .  -  1 

Chapitre  I*''".  —  Vie  et  Œuvres  de  Gassendi 1 

I.   —  Les  débuts  de  Gassendi 2 

II.   —  Travaux  scientifiques  et  ouvrages  philosophiques.  6 

III.  —  Les  derniers  jours.  Hommages  à  sa  mémoire.  ...  17 

IV.  —  Tableau  des  Œuvres  de  Gassendi 22 

Cha?itre  II.  —  Gassendi  Polémiste.  .  . *26 

§  A.  —  POLÉMIQUE  AVEC  LES  PÉRIPATÊTICIENS    "       26 

I.  —  Contenu  et  valeur  des  Exercitationes 27 

II.  —  La  condanmation  de  Bitaud   et  «  l'Arrêt    bur- 
lesque » 33 

III.  —  Attaques  dirigées  contre  les  Exercitationes 37 

§  B.  —   POLEMIQUE  A  VEC  FLUDD. 41 

I.  ' —  Lutte  entre  Mersenne  et  Fludd ... 41 

II.  —  Gassendi  i:)rend  la  défense  de  Mersenne. 42 

III.  —  Fludd  réplique  à  Gassendi 49 

§  C.  —  POLÉMIQUE  A  VEC  DESCARTES 51 

I.  —  Les  Objections  et  les  Instances  de  Gassendi 51 

II.  —  Valeur  de  cette  Polémique 55 


VIII  TABLE    SOMMAIRE 

Chapitre  III.  —  Gassendi  Restaurateur  de  l'Épicurîsme  . .  67 

I.  —  Les  Devanciers  de  Gassendi 67 

II.  ■ —  Caractères  de  cette  Restauration 76 

III.  —  Ressemblances   et   différences   entre   Epicure   et 

Gassendi 81 

IV.  —  Quelques  ajDpréciations  contemporaines  et  ulté- 

rieures   84 

C'hapitrb  IV.  — -  Le  Sy^itagma  philosophicum 88 

Introduction  :  l'ouvrage  est  divisé  en   trois  parties.  88 

l'-e  Partie  :  LOGIQUE.. , * 90 

'  I.  —  Question  préliminaire 90 

II.  —  Logiqiie  projarement  dite  : 93 

1°  De  l'Idée 94 

2°  De  la  Proposition 94 

3°  Du  Syllogisme 95 

40  De  la  Méthode 95 

Ilf"  Partie  :  PHYSIQUE.- 97 

I.  —  De  l'Esimce  et  du  Temps 97 

II.  —  De  la  Matière  première  des  choses 102 

III.  —  Du  Principe  efficient  des  choses 112 

IV.  —  Qualités  des  corps 118 

V.  —  Le  Monde  est-il  animé  ? 121 

VI.  —  De  l'Ame  animale  et  de  l'Ame  humaine 123 

VIL  —  De  la  Sensibilité 127 

VIII.  —  De  l'Imagination 129 

IX.  —  De  l'Intelligence... 135 

X.  —  De  l'Appétit  setisitif  et  de  l'Appétit  raisonnable.  141 

XI.  —  De  l'Immortalité  de  l'Ame 145 

Ille  PARTIE  :  ÉTHIQUE I47 

I.  —  Doctrine  morale  de  Gassendi 148 

II.  —  De  l'Acte  volontaire  et  libre 152 

Chapitre  V.  —  La  Valeur  du  Savant 161 

I.  —  Qualités  d'observateur 161 

II.  —  Discours  inaugural  de  son  Cours 162 

III.  —  Travaux  en  Physique 163 

IV.  —  Observations  astronomiques 164 

V.  —  Démêlés  avec  J.-B.  Morin -. 167 

VI.  —  Relations  avec  Galilée : . .  173 

VII.  —  La  circulation  du  sang 175 

VIII.  —  Rôle  scientifique  secondaire 177 

Chapitre  VI.  —  Influence  de  Gassendi 179 

§  A.  —  GASSENDI  N'EST  PAS   UN  CHEF  D'ÉCOLE.  179 


TABLE    SOMMAIRE  IX 

§  B.  —  LES  DISCIPLES  DE  GASSENDI  EN  FRANCE.         181 

I.  Gui  Patin  et  C.  de  La  Chambre,  181.  —  II.  Fraî^- 
çoisBernier,  183.  —  III.  Samuel  Sorbière,  192. 

—  IV.  Molière,  228.  —  V.  David  Derodon,  232. 

—  VI.  Géraud  de  Cordemoy.  233.  —  VII.  Les 
Libertins  et  l'Ecole  sensualiste,  234 

§  C.  —  SYMPATHIES  EN  ANGLETERRE 235 

I.    Walter  Charleton,  235.^ — ^11.  Robert  Boyle,  236. 

—  III.  IsAAC  Newton,  239.  —  IV.  Ralph  Cud- 

WORTH,    240 

§  D.  —  SYMPATHIES  EN  HOLLANDE  ET  EN  BEL- 
GIQUE  •. 241 

I.  Henri  Bornius,  242.  — II.  Les  Pères  Der-Kennis  et 
Tacquet,  244.  — ■  III.  Le  chanoiue  R.-Fr.  de 
Sluse,  246 

§  E.  —  OUBLI  IMMÉRITÉ,    SES  CAUSES 247 

Chapitre  VIL  —  Les  Mérites  du  Philosophe 252 

I.  —  Le  Scepticisme  de  Gassendi  ? 252 

II.  —  Le  Polémiste 257 

III.  —  L'Historien  des  Sciences  et  de  la  Philosoi^hie .  .  .  .  258 

IV.  —  Le  Penseur 260 

Bibliographie  relative   a  Gassendi 267 

ARTICLE  III.  —  THO^LIS  HOBBES  (1588-1679) 270 

Chapitre  1er,  —  Biographie  de  Hobbes 270 

I.  —  Premières    années    (1588-1608).    Préceptorat    et 

Voyages  (1608-1640) -.         272 

II.  —  L'exil  en  France  (1640-1651) 278 

III.  —  Dernières   amiées   (1651-1679).  Polémiques.  Tra- 

vaux historiques  et  littéraires 285 

IV.  —  Tableau  des  Œuvres  de  Hobbes 298 

Chapitre  IL  —  Controverse  avec  Descartes 302 

I.  —  Objections  de  Hobbes  contre  la  Dioptrique 302 

II.  —  Objections  de  Hobbes  contre  les  Méditations  et 

Réponses  de  Descartes 304 

III.  —  Admiiation  excessive  de  Mersenne  pour  Hobbes.  309 

Chapitre  III.  —  La  Trilogie  Hobbienne 312 

Section  I.  —  Le  Corps 313 

§  A.  —  LOGIQUE  OU  «  COMPUTATION  » 313 

I.  —  La  Philosophie 313 

IL  —  Noms,  Propositions,  Syllogisme 317 

III.  —  U Erreur  et  les  Sophismes 321 

IV.  —  La  Méthode 323 


:  l'AELE    SOMMAIRE 

§  B.  —  PHILOSOPHIE   PREMIÈRE 328 

§  C.  —  GÉOMÉTRIE  ET   PHYSIQUE 338 

Section  II.  —  L'Homme 339 

l  A.  —  LE  POUVOIR  COGNITIF  OU  CONCEPTIF ..  340 

I.  —  Ses  diverses  Opérations 340 

II.  —  L'Ame  humaine  et  VAme  animale 349 

.    ^B.  —  LE  POUVOIR  MOTEUR  VOLONTAIRE 351 

I.  —  Notions  'préliminaires ■ 351 

II.  —  Théorie  des  Passions 354 

III.  —  Volonté  et  Liberté 360 

§  C.  —  U HOMME  ET  LA  RELIGION 363 

Section  III.  —  Le  Citoyen 367 

I.  —  L'Etat  de  nature 367 

II.  —  Les  Lois  naturelles 373 

III.  —  Origine  de  la  Société  :  Pacte  ou  Sujétion 379 

IV.  —  Attributions  du  Souvei'ain 381 

V.  -;-  Nature  de  la  Souveraineté  et  Formes  diverses  de 

Gouvernement   392 

Chapitre  IV.  —  Critique  d\5  Hobbisme 401 

I.  —  Hobbes  n'a  j^as  réalisé  le  plan  annoncé. 401 

IL  —  Part  de  l'Empirisme  et  de  la  Déduction 405 

III.  —  Géométrie  et  Physique 406 

IV.  —  Psychologie 408 

V.  — -  Système  politique 412 

VI.  —  Hobbes  écrivain 422 

VII.  —  Hobbes  et  Bacon 424 

Chapitre  V.  —  Partisans  et  Adversaires  de  Hobbes 428 

Fortune  diverse  des  idées»de  Hobbes 428 

§  A.  —  INFLUENCE  DE  HOBBES  EN  ANGLETERRE.  430 

I.  —  Adversaires 430 

IL  —  Partisans .   ^ 442 

III.  —  Admirateurs  chaleureux. 445 

IV.,  —  Influence  sur  certaines  tendances  philosophiques .  446 

§  B.  —  INFLUENCE  DE  HOBBES  A  U  ET  RANGER.  454 

I.  —  L'Oj)position  :  454 

Témoignages  de  Rachel  et  de  Rôell 455 

II.  —  Les  Sympathies  : „ 456 

lo  En  Hollande  :    456 

a)  L.  Velthuysen,  456.  —  h)  A.  Houtuyn,  460. 
—  c)  Spinoza,  461 

2°  En  Allemagne  : 480 

a)  S.  PuFENDORF,  480.  —  h)  Leibniz,  489.  — 


TABLE    SOMMAIRE  XI 

c)  HocHEisEN,  494.  —  d)  G.  Aknold,  494.  — 
e)  J.-C.  BECiMAîfN,  495.  —  f)  J.-F.  Buddeus, 
496.  —  g) ,  N.- j.  GuNDLiNG,  499 

3"  En  France  : 505 

a)  xvn^  siècle  :  Sorbière,  506.  —  iVIERSE^^sE, 
506.  —  Gassendi,  506.  —  Descartes,  507.  — 
RÉGIS,  508 

h)  xvrae  siècle  :  Helvétius,  512.  —  d'Holbach, 
512.  —  Diderot,  513.  —  Montesquieu,  513. 
—  Rousseau,  514 

c)  xixe  siècle  :  Destutt  de  Tracy,  514.  — 
L'École  sociologique  de  Durkheim,  515.  — 
Jouffroy,  516 

Bibliographie  relative  a  Hobbes 517 

Index  des  Auteurs  cités 523 

Table  synthétique  des  Matières 529 

Table  analytique  des  Matières 553 

GRAVURES 

Portrait  de  Gassendi,  en  face  de  la  page  1 

Portrait  de  Sorbière,                 —                192 

portratt  de  hobbes,                   —               272 

Frontispice  du  Léviathan,          —                418 


-t-cn^-yyyJt, 


LIVRE    l 

L'KMPIRISME   EX   ANGLETERRE    ET   EX    FRANCE 

ARTICLE   II.    —   PIERRE    GASSENDI    (1592-1655) 


Le  premier  ^-olume  de  cette  Histoire  de  la  Philosophie  au  X  VIP  siècle 
a  été  consacré  principalement  à  l'Empirisme  en  Angleterre.  Poursui- 
vant notre  enquête,  il  nous  faut  étudier  maintenant  l'Empirisme  en 
Fi'ance,  où  Gassendi,  grand  admirateur  de  Bacon,  s'efforça  de  le  pro- 
pager. 


CHAPITRE  PREMIER 
Vie  et  Œuvties   de  Gassendi. 


L«i  carrière  philosophique  de  Bacon  fut  entravée  par  les  événements 
politiques  auxquels  il  prit  une  si  large  part.  Le  chancelier  fit  tort 
au  philosophe.  Quel  contraste  avec  la  \ie  du  chanoine  Gassendi, 
Pi'évôt  de  léglise-cathédrale  de  Digne  !  L'état  intérieur  de  la  France, 
à  son  époque,  est  loin  cependant  du  calme  parfait.  Richelieu  doit 
réprimer  l'audace  entreprenante  des  Protestants  et  réduire  l'oppo- 
sition factieuse  de  la  Noblesse.  8ous  le  nom  de  Fronde,  la  guerre  civile 
ensanglante  la  minorité  de  Louis  XIV.  Gassendi  reste  étranger  aux 
passions  qui  s'agitent  autour  de  lui.  L^n  travail  persévérant  lui  a 
servi  de  refuge  contre  les  tempêtes  de  la  politique.  Quand  sa  formation 
intellectuelle  sera  terminée,  il  se  consacrera  aux  observations  scien- 
tifiques et  à  la  composition  d'ouvrages  philosophiques.  Cette  exis- 
tence, partagée  entre  l'étude,  la  prière  et  les  fonctions  prévôtales, 
va  se  dérouler  sous  nos  yeux,  simple  et  unie,  suivant  sans  défaillance 
la  direction  tracée  par  le  devoir.  Ce  n'est  pas  la  marche  impétueuse 
d'im  grand  fleuve.  On  songe  à  une  rivière  Hmpide  qui,  d'une  allure 
tranquille  et  assurée,  s'écoule  sans  bruit  vers  la  mer. 

i 


1  ARTICLE  II.  CHAPITRE  I.  —  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

I.    —   LES    DÉBUTS    DE    GASSENDI 

Pierre  Gassend  ^  (l'usage  a  prévalu  de  dire  Gassendi)  ^  naquit, 
le  22  janvier  1592,  à  Champtercier,  village  provençal,  à  deux  lieues 
de  Digne.  Ses  parents,  modestes  cultivateurs,  recommandables 
par  leur  attachement  à  la  religion,  le  formèrent  soigneusement  à  la 
piété  et  aux  bonnes  mœurs.  Dès  l'âge  de  quatre  ans,  il  savait  lire  et 
commençait  à  écrire.  Cet  enfant  précoce  «  s'amuse  tousjours  à  Kre 
dans  toute  sorte  de  livres  qu'il  rencontre,  les  apprend  par  cœur,  puis 
les  récite  à  ses  compagnons  »  ^.  Sorbière  affirme  qu'il  aimait  à  contem- 
pler le  ciel  étoile  et  que  plus  d'une  fois  les  parents  inquiets  de  la  dispa- 
rition de  leur  fils  se  mirent  à  la  reclierche  du  petit  «  astrologue  »  *. 

A  l'âge  de  huit  ans  (1599),  le  petit  Pierre  est  envoyé  au  collège 
de  Digne  pour  y  apprendre  le  latin.  Ses  progrès  furent  rapides  sous  la 
direction  de  Godefroy  Wendehn  ^.  Quand  l'évêque  de  Digne,  Antoine 

1.  Voir  la  biographie,  que  Samttel  Sorbière.  disciple  et  ami  de  Gassea-di,  a  placée 
sous  forme  de  Prœfatio  en  tête  des  Opéra  omnia  du  philosophe  pro^-ençal,  6  vol.  in-folio, 
Lyon,  1658  :  De  ,Vita  et  Moribus  Pétri  Gassendi  (non  paginé).  Nous  renverrons  à  cette 
édition  par  ces  deux  lettres  :  O.  G.  —  Préface  de  François  BERNrER  en  tête  de  Y  Abrégé 
de  la  Philosophie  de  Gassendi,  Lyon,  1678,  t.  I.  —  Nicolas  Taxil,  Oraison  funèbre  du 
Philosophe  chrétien  Pierre  Gassendi,  Prévost  de  VEglise  de  Digne  et  Professeur  de  Mathé- 
matique au  Collège  Royal,  Lyon,  1656.  Réédité  par  Ph.  Tamizey  de  Larroqtje,  Bor- 
deaux, 1882.  —  J.  Botjgerel,  Vie  de  Pierre  Gassendi...,  Paris,  1737  ;  Bouillon,  1770. 
Cf.  DE  la  Varde,  Lettre  critique  et  historique  à  Vauteur  de  la  Vie  de  Gassendi,  Paris,  1737. 
—  A.  Martin,  Histoire  de  la  Vie  et  des  Ecrits  de  Gassendi,  Paris,  1853.  —  Mémoires 
de  La  Poterie  touchant  la  naissance,  vie  et  -mœurs  de  Monsieur  Gassendy  mon  oncle, 
publiés  par  Tamizey  de  Larroqtje  dans  Revue  des  Questions  historiques,  juillet  1877,' 
p.  211-240.  Publié  à  part  sous  ce  titre  :  Documents  inédits  sur  Gassendi,  Paris,  1877.  — 
Ces  Mémoires,  rédigés  par  Antoine  de  La  Poterie,  secrétaii-e  de  Gassendi,  furent 
revus  par  un  neveu  du  philosophe,  sans  doute  ce  Pierre  Gassendi  qui  était  son  filleul 
et  son  neveu  par  alliance. 

2.  «  Gassend  fut  son  véritable  nom.  Bouche  a  mis  à  la  tête  de  son  Histoire  de  Provence 
une  de  ses  lettres  où  il  signe  Gassend  ;  il  n'en  prend  point  d'autre  dans  ses  lettres 
françoises  manuscrites,  qui  sont  dans  la  bibliothèque  de  M.  le  Président  Thomassin  de 
Mazaugues.  Il  traduit  son  nom  par  Gassendus  ;  il  l'eût  traduit  Gassendius.  s'il  se  fût 
appelé  Gassendi.  »  (J.  Bougebel,  Vie  de  Pierre  Gassendi...,  Paris.  1737,  p.  2,  note).  Cf. 
Gallia  ckristiana,  t.  III,  col.  1139.  —  Honbtorat,  Documents  historiques  sur  Pierre 
Gassend,  ou  Gassendy  ou  Gassendi,  dans  Annales  des  Basses-Alpes,  1840,  t.  II,  p.  33-42. 
Mais,  l'emploi  de  la  forme  Gassendi  étant  contemporain  du  philosophe  lui-même, 
comame  on  le  voit,  par  exemple  dans  les  lettres  de  Descartes,  et,  de  plus,  son  intime  ami 
Bernier  et  son  secrétaire  A.  de  La  Poterie,  ayant  adopté  cette  forme  qui  s  prévalu, 
nous  suivrons  leur  exemple  consacré  par  l'usage. 

3.  A.  DE  La  Poterie,  Mémoires...  —  Les  citations  sans  références  qu'on  trouvera, 
au  cours  de  cette  biographie,  sont  empruntées  à  ces  Mémoires.  Nous  utiliserons  les 
notes  érudites  que  Tamizey  de  Larroque  a  jointes  à  son  édition  des  Mémoires. 

4.  S.  SoRBiÈRE,  Open-a  Gassendi,  t.  I,  Prsefat.,  p.  2. 

5.  Godefroy  Wendelin,  astronome  belge,  naquit,  en  1580,  à  Herck  dans  le  pays 
de  Liège.  En  revenant  de  faire  son  jubilé  à  Rome,  Wendelin  s'arrêta  à  Digne,  où  il 
professa  de  1601  à  1604.  Après  une  courte  apparition  en  Belgique,  il  retourna  en  Pro- 
vence. De  1604  à  1612  on  le  trouve,  comme  secrétaire  et  précepteur,  chez  André  Arnaud, 
lieutenant-général  de  Forcalquier.  Auteur  d'un  recueil  de  prose  et  de  vers  intitulé 
Joci.  Arnaud,  dans  la  4^  édition  de  cet  ouvrage  (Venise  1609)  parle  plusieurs  fois  de 
Wendelin  sous  le  nom  d'Irénée.  (Cf.  G.  Bigourdan,  Sur  Vastronome  oublié  Jean  de 
Ligmères...,  dans  Comptes  Rendus  de  V Académie  des  Sciences,  1915,  t.  161,  p.  714,  n.  3). 


I.    —   LES   DÉBUTS    DE   GASSENDI  3 

•de  Bologne,  vînt  faii-e  sa  visite  à  Champtercier,  le  jeune  écolier 
(il  avait  onze  ans)  «  luy  fit  une  petite  harangue  latine  dans  l'église 
dudit  lieu,  au  grand  estonnement  d'un  chacun  ».  Il  revint  dans  son 
village  en  1607  et  pendant  deux  ans  il  étudia  «  en  son  particuher  ». 
Puis,  en  1609,  il  suivit  à  Aix  le  cours  de  philosophie  professé  par  le 
Père  Philibert  Fesaye  i,  carme,  qui  lui  donna  également  des  leçons 
de  théologie.  Le  professeur  fut  tellement  ravi  du  mérite  de  l'étudiant 
qu'un  jour,  dit-on,  il  s'écria  :  «  Je  ne  sais  si  le  jeune  Gassend  est  mon 
écolier  ou  mon  maître.  » 

Le  brillant  élève  fut,  à  vingt-et-un  ans,  nommé  Principal  du  collège  de 
Digne  et  professeur  de  rhétorique.  Ayant  obtenu  le  grade  de  docteur  en 
théologie  (1614)  à  l'université  d'Avignon-,  en  présence  d'Etienne  Dulci, 
archevêque  de  cette  ville  et  nonce  du  pape,  il  fut  élu  chanoine  théologal 
de  l'égUse  de  Digne  ^.  Mgr.  J.  Turricella,  évêque  de  Marseille,  l'ordonna 
prêtre  en  1616.  C'est  à  cette  époque,  d'après  Sorbière  et  Bougerel  ^  qu'il 
se  ha  d'une  étroite  amitié  avec  Nicolas-Claude  Fabei  de  Peiresc  ^, 

Wendelin,  de  retour  en  Belgique,  entra  dans  les  ordres  et  devint  curé  de  Herck  et 
chanoine  de  Tournai.  Il  moiirut  en  1660  d'après  les  uns,  en  1667  d'après  d'autres. 
Cf.  J.  Fr.  Foppens,  Bibliotheca  lelyka,  t.  I,  p.  375-376,  Bruxelles,  1739.  —  Wendelin 
avait  acquis  la  réputation  d'un  bon  mathématicien,  car  Descartes,  dans  une  lettre 
du  3  octobre  1637  à  Pemplitjs  (Œuvres  de  Descartes,  édit.  Adam,  t.  I,  p.  411),  le  prie 
de  provoquer  les  remarques  de  "\^>ndelin  siu-  la  Géométrie  qu'il  venait  de  publier.  Cette 
démarche  resta  sans  résultat.  —  Dans  ime  lettre  à  Mersenne,  du  15  juin  1633  (Biblio- 
thèque  nationale,  fr.  n.  a.  6205,  p.  20),  Wendelin  déclare  qu'il  a  soutenu  l'opinion  de 
Copernic,  devant  Mgr  Guidi  di  Bagno,  nonce  du  pape  à  JParis  en  1628.  (Cf.  G.  Moy- 
CHAMP,  Galilée  et  la  Belgique,  p.  163  sq.,  Saint-Trond,  1892  —  Histoire  du  Cartésianiarrte 
en  Belgique,  p.  199,  dans  les  Mémoires  publiés  par  l'Académie  de  Bruxelles,  t.  XXXIX, 
Bruxelles,  novembre  1886).  —  Cf.  C.  Le  Paige,  Un  astronome  belge  du  XVI I^  siècle  : 

Godefroy  Wendelin,  dans  Ciel  et  Terre,   12e  année,   1891-1892,  p.   57-66;   81-90.  

L.  DE  Berluc-Perrussis,  Wendelin  en  Provence,  Digne,  1890. 

1.  Le  Père  Philibert  Fesaye,  né  à  Château-Renard,  prit  Ihabit  des  Carmes  à  Aix. 
n  fut  trois  fois  Provincial.  Docteur  de  l'Université  d'Aix,  il  y  enseigna  la  Philosophie 
et  la  Théologie.  Gassendi  fut  son  élève,  de  1605  à  1607.  Il  cultiva  les  Muses  latines  et 
a  laissé  quelques  ou\'Tages  théologiques,  par  exemple  un  Traité  sur  V Incarnation,  publié 
à  Aix  en  1644.  Sa  mort  survint  à  Aix  le  18  a\Til  1649.  Cf.  J.  Se.  Pitton,  Histoire  de  la 
ville  d'Aix,  1.  VI,  p.  615-616,  Aix,  1666.  —  Pierre- Joseph  de  Haitze,  Histoire  de  la 
Ville  d'Aix,  t.  IV,  1.  XIV,  §  xxiii,  p.  35-36,  Aix,  1889.  —  Bibliotheca  Cartnelitana , 
notis  criticia  et  dissertationibus  ilhistrata,  cura  et  labore  unius  e  Camielitia  provincia& 
Turoniœ  collecta,  t.  II,  col.  624-625,  Orléans,  1752.  L'auteur  se  nomme  Cosmas  de 
Vm.iEBS  A  Sancto  Stephano. 

2.  Gassendi  y  fait  allusion  dans  une  Lettre  à  Antoine -François  Payen,  jurisconsulte 
avignonais.  Cf.  O.  G.,  t.  VI,  p.  223. 

3.  Le  sieur  Péossier,  chanoine  de  Digne,  fît  opposition  à  ce  choix  auprès  du  Grand 
Conseil  ;  mais  il  fut  débouté  de  ses  prétentions. 

4.  Bougerel.  op.  cit.,  p.  8-9. 

6.  Nicolas-Claude  Fabri  de  Peiresc,  né  au  château  de  Beaugencier  (aujourd'hui 
dans  le  Var),  le  1er  déc.  1580,  et  mort  à  Aix  le  24  juin  1637,  entre  les  bras  de  Gassendi, 
fut  conseiller  au  Parlement  d'Aix.  Il  avait  beaucoup  voyagé,  réuni  un  grand  nombre  de 
livres  et  de  manuscrits,  formé  des  collections  de  médailles,  d'insectes,  etc.,  misea 
à  la  disposition  de  ses  correspondants  qui  étaient  nombreux  et  savants.  C'est  un 
esprit  scientifique  très  ouvert  :  il  fit  des  observations  astronomiques  avec  Gassendi, 
s'occupa  d'anatomie,  de  médecine  et  surtout  d'histoire  naturelle.  On  lui  doit  l'acclima- 
tation en  France  du  laurier-rose,  de  diverses  es2:;èces  de  vignes,  de  roses,  etc.  Il  n'a 
rien  publié  ;  mais  il  a  laissé  de  très  nombreux  manuscrits  qui  sont  restés  inédite. 
M.  Tamizey  de  Lareoque  (1828-1898)  a  commencé  la  publication  de  ses  Lettres,  inter- 


4  ARTICLE  II.  CHAPITRE  I.  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

que  Naudé  a  comblé  d'éloges^,  et  dont  il  devait  écrire  la  vie- 
Gassendi  préparait,  pour  l'enseigner  à  Aix,  un  traité  théologique  : 
De  jure  et  justitia.  Mais  la  chaire  de  philosophie  étant  devenue  vacante, 
il  l'emporta  au  concours  et  succéda  au  Père  Fesaie.  Notre  imberbe 
philosophe  (imberbis  philosophiae  professor)  ^  s'empressa  d'accepter. 
Il  occupa  cette  chaire  durant  six  années  (1617-1623),  jusqu'à  l'arrivée 
des  Jésuites,  qui  prirent  la  direction  du  collège.  Quelle  fut  alors^ 
l'attitude  du  jeune  professeur  ?  Lui-même  nous  a  fait  des  confidences 
intéressantes  sur  ce  point  ^. 

La  philosophie  de  l'École,  qu'il  avait  apprise  sur  les  bancs  du  col- 
lège, ne  l'avait  aucunement  satisfait.  Devenu  maître  de  lui-même, 
il  se  mit  à  examiner  la  chose  de  très  près  :  bien  vite  le  Péripatétisme 
lui  parut  vain  et  inutile  pour  obtenir  le  bonheur  *.  Il  hésitait  pourtant 
en  voyant  qu'Aristote  était  approuvé  partout.  Mais  la  lecture  de 
Vives  et  de  «  son  cher  Charron  »  (mei  Charronii)  lui  donna  du  courage 
et  dissipa  ses  craintes  ;  l'étude  de  Ramus  et  de  Pic  de  la  Mirandole 
ache\a  de  le  décider.  Il  se  mit  alors  à  explorer  les  doctrines  des  autres 
sectes  philosophiques  et  il  avoue  ingénument  que  rien  ne  lui  plut 
autant  que  l'attitude  expectante,  Vacatalepsie  des  Académiciens  et  des 
Pyi'rhoniens.  Ayant  acquis  l'évidence  que  les  causes  intimes  des  effets 
naturels  échappent  complètement  à  la  perspicacité  humaine,  il  com- 


rompua  par  la  mort  (7  vol.,  Paii.s,  1888-1898).  Gassendi  a  écrit  sur  son  illustre  ami 
un  livre  qui  est  un  modèle  de  biographie  scientifique  :  Viri  illustris  Nicolai  Clavdii 
Fabricii  de  Peiresc  Senàtoris  Aquisextiensis  vita,  Paris,  1641.  On  la  trouve  dans  ses 
Œuvres,  t.  IV,  p.  237-362.  Il  en  parut  une  traduction  anglaise,  dont  G.  S.  Brett  dit  : 
«  Had  considérable  vo^ue  ".  (Philosophy  of  Gassendi,  Introd.,  p.  XLiii,  Londres,  1908). 

—  Peiresc  légua  à  Gassendi  tous  ses  instrimients  astronomiques,  cent  livres  à  choisir 
dans  sa  bibliothèque  et  le  portrait  de  Wendelin,  leur  comnnin  ami. 

LÉOPOiiD  Delisle  a  dit  de  Peiresc  qu'il  fut  n  im  amateur  de  génie,  qui  a  longuement 
contribué  au  progrès  des  connaissances  humaines  et  qui  a  poussé  jusqu'aux  dernières 
limites  la  modestie,  le  désir  d'obliger,  la  curiosité,  le  goût  du  beau,  la  passion  de  la 
lecture  et  l'amour  désintéressé  de  la  science  »  (Un  grand  amateur  français  du  XVII^ 
siècle,  Fahri  de  Peiresc,  dans  Annales  du  Midi,  t.  I,  1889,  p.  34.) 

1.  G.  Naudé,  An  matutina  vespertinis  salubriora,  dans  Gabrielis  Naudaei  Parisini 
IlcVia;;    Qttœstionum    If  tro-philologicariim,    Quœst.    III,    pp.    51-52,     Genève,     1647. 

—  Gabriel  Naudé  (1601-1653).  érudit,  fut  bibliothécaire  des  cardinaux  Barberint,. 
do  Richelieu  et  Mazarin.  Grand  ami  de  Gassendi,  il  échangea  avec  lui  plusieurs 
lettres  intéressantes.  Cf.  O.  G.,  t.  VI,  table,  p.  5  et  10. 

2.  Sorbi^re,  Loco  citato,  p.  3. 

3.  Gassendi,  Exercitationes  paradoxicœ  adversus  Aristoteleos,  Prsefat.,  O.  G.,  t.  III,. 
p.  98-100, 

4.  Barneaud  a  eu  entre  les  mains  les  cahiers  d'un  élève  de  Gassendi  qui,  en  1619, 
transcrivait  les  cours  du  maître.  '  Or  il  est  impossible  de  reconnaître  dans  ces  pages, 
que  dictait  le  jeune  professeur,  le  futur  apologiste  d'Epicvu-e,  le  fondateur  de  la  philo- 
sophie expérimentale,  comme  1  "appelle  Brucker,  l'auteur  du  Syntagma  philosophicum, 
le  terrible  réformateur  qui,  cinq  ans  plus  tard,  devait  lancer  son  premier  ou\Tage  sous 
le  titre  de  Exercitationes  adversus  Aristotelicos.  «  (Barneaud,  Etudes  sur  Gassendi^ 
dans  NouvHles  Annales  de  Philosophie  catholique,  1881,  t.  III,  p.  25).  —  Gassendi 
dailleura  estimait  peu  lui-même  la  partie  de  son  cours  consacrée  à  l'exposition  de  la 
doctriae  aristotélicienne,  puisqu'il  ne  la  publia  point  mais  se  contenta  d'éditer  la  partie 
agressive  où,  il  combattait  les  Péripatétieiens.  Cf.  Prœf.  in  Exercitationes...,  Praefat, 
O.  G.,t  III,  p.  100.) 


,1.   —   LES    DEBUTS    DE    GASSENDI  5 

mença  de  prendre  en  pitié  la  légèreté  et  l'arrogance  des  Philosophes 
■dogmatiques  qui  se  glorifient  de  posséder  la  science  de  la  nature. 
Combien  plus  sages  lui  semblèrent  les  Philosophes  susnommés  qui, 
pour  démontrer  la  vanité  -et  l'incertitude  de  la  science  humaine,  se 
sentaient  prêts  à  soutenir  le  pour  et  le  contre  en  toute  chose  ^. 

Cet  état  d'esprit,  résultat  de  l'enquête  entreprise,  détermina  sa 
manière  d'enseigner,  quand  on  lui  confia  la  chaire  de  philosophie 
aristotéhcienne  à  l'Académie  cL'Aix.  D'une  part,  il  exposait  la  doctrine 
d'Aristote  de  façon  que  ses  auditeurs  pussent  convenablement  la 
soutenir  ;  d'autre  part,  au  lieu  d'appendice,  il  leur  fournissait  des 
arguments  qui  permettaient  de  la  combattre  à  fond.  De  la  sorte  les 
auditeurs  étaient  mis  en  garde  contre  la  tendance  à  se  prononcer 
témérairement,  puisqu'ils  voyaient  qu'à  aucune  proposition,  si  reçue 
et  si  spécieuse  fût-elîe,  il  n'était  impossible  d'en  opposer  une  autre, 
aus.si  probable  et  même  ordinairement  plus  probable  '^.  C'est  ainsi  que 
le  successeur  du  Père  Fesaie  fut  amené  à  composer  k  une  philosophie 
à  sa  mode  ». 

Pendant  son  séjour  à  Aix,  Gassendi  fit  la  connaissance  de  Joseph 
Gaultier,  prieur  de  la  Valette  ^  et  vicaire  général  d'Aix  sous  plusieurs 
archevêques  ^.  Mathématicien  et  astronome,  ce  fut  lui  qui  «  excita 
Gassendi  à  s'apphquer  à  l'ob.servation  des  choses  célestes,  persuadé 
que  nous  ne  pouvions  mieux  mériter  de  la  postérité  qu'en  lui  trans- 
mettant le  résultat  de  nos  travaux  »  ^.  De  fait,  les  deux  amis  obser- 
vèrent ensemble  une  comète,  une  éclipse  de  lune  et  une  échpse  de 
soleil  ^. 

De  retour  à  Digne,  Gassendi  k  prêcha  souvent  avec  grande  suite  ». 
Nombre  de  ses  amis  le  pressèrent  de  rédiger,  pour  les  Uvrer  à  1  impres- 
sion, les  cours  qu'il  avait  dictés  à  Aix.  Il  ne  se  laissa  point  toucher 
par  ces  prières.  Cependant  plusieurs  exemplaires  manuscrits  étaient 
mis  en  circulation.  David  Ta  van.  sieur  de  Lautaret,  médecin  distingué, 
menaça  Gassendi  de  faire  imprimer  tels  quels  ces  cahiers  d'élèves. 
Pour  éviter  de  paraître  en  public  sous  cette  forme  scolaire,  par  trop 

L  Gassendi,  Exercltaiiones,  Prsefat.,  p.  99-100. 

2.  Id  quidem  semper  pra?stiterim  fprofiteri  Philosophiam,  et  quidem  Aristoteleam], 
lit  possint  auditores  mei  probe  tiitari  Aristotelem  ;  at  appendicis  tamen  loco  placita 
etiam  tradiderim,  ex  quibw.s  Aristotelea  dogmata  prorsus  enervarentur...  Hac  ratione 
videlicet  auditores  admonebantur  ne  qviid  temere  pronunciarent  :  cum  nullam  esse 
adeo  receptam  speciosamque  propositionem  et  opinionem  vidèrent,  cnjue  non  posse 
opposita  ostendi  aeque  probabilis,  vel  ut  plurimum  etiam  probabilior  (Gassendi, 
Exercitationes,  Prœfat.,  p.  100). 

3.  Dans  l'arrondissement  de  Toulon. 

4.  Entré  tard  dans  les  ordres  sacrée,  Gaultier  avait  étudié  la  médecine  et  acquis  une 
■certaine  réputation  par  ses  plaidoiries  au  barreau. 

5.  Josephi  Galterii...  qui  me  etiam  exstimulavit  ut  has  in  cvu-as  incimiberem,  ratua 
.  posse  non  melius  de  conséquente  »vo  mereri  quam  si  quidpiam  hujusmodi  ad  ipsima 

transmiser imus  (Gassendi,  Comnxntarii  de  rcbue  cœlestibua,  Prœfat.,  OG.,  t.  IV,  p.  76. 
Cette  Préface  est  adressée  à  Gaultier. 

6.  Cf.  G.  Bigourdan,  Comptes  JRcndus  de  l'Académie  des  Sciences,  1916,  t.  CLXII, 
p.  809-815.  L'auteur  lui  attribue  la  découverte  de  la  visibilité  en  plein  jour.  Maie,  en 
réalité,  cette  découverte  revient  à  Pcire«c,  comme  M.  Bigourdan  le  dit  dans  un  autre 
article,  Ibidem,  p.  893-894. 


6  ARTICLE  II.  CHAPITRE  I.  —  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

imparfaite,  notre  philosophe  se  résigna  à  retoucher  ses  cours  ^.  Mais, 
trouvant  que  le  monde  est  déjà  rempli  de  livres  en  faveur  d'Aristote, 
il  laissa  de  côté  la  partie  de  son  enseignement  où  la  doctrine  péripaté- 
ticienne était  exposée  sous  un  jour  favorable,  pour  s'attacher  unique- 
ment à  faire  ressortir  les  objections  et  critiques  qu'il  lui  avait  opposées  ^. 
C'est  l'origine  de  son  premier  ouvrage  :  Exercitationes  paradoxicae 
adversus  Aristoteleos,  qu'il  fit  imprimer  et  paraître  (août  1624)  à  Gre- 
noble, où  il  était  venu  pour  ((  les  affaires  de  son  Chapitre  ». 


II.    —    TRAVAUX    SCIENTIFIQUES    ET    OUVRAGES 
PHILOSOPHIQUES 

Au  mois  de  septembre  de  la  même  année,  Gassendi  se  rend  à  Paris 
et,  en  mars  1625,  il  observe  une  éclipse  de  lune  avec  Claude  Mydorge^, 
trésorier  de  France,  l'un  des  bons  mathématiciens  de  l'époque.  Pen- 
dant ce  second  séjour  à  Paris  il  fit  connaissance  avec  La  Mothe  Le 
Vayer  *  et  le  Père  Mersenne  ^. 

C'est  de  la  capitale  qu'il  écrivit  une  longue  lettre  à  Willebrord 
Snell  ®,  professeur  de  Mathématiques  à  l'université  de  Leyde,  pour 
lui  annoncer  l'envoi  de  ses  Exercitationes  j^radoxicae  et  lui  communi- 
quer ses  observations  sur  la  latitude  et  la  hauteur  du  pôle  à  Digne, 
à  Aix  et  à  Grenoble  '. 

Après  être  retourné  en  Provence  (avril  1625),  où  il  continue  ses 
observations  astronomiques,  consignées  an  par  an  dans  ses  Commentarii 
de  rébus  caelestihus,  qui  vont  de  1618  à  1655,  Gassendi  revint  à  Paris 
(avril  1628).  M.  du  Périer,  l'ami  de  Malherbe,  lui  avait  donné  une  lettre 
d'introduction  auprès  de  François  LuilUer,   maître  des  comptes  et 

» 

1.  Cf.  Gassendi,  In  Exercitat.  paradoxicas  prœfat.,  O^ier,  t.  III,  p.  98-99. 

2.  Unum  in  confesso  est  non  debuisse  me  quidjDÏam  in  publicum  emittere  ex  iis 
quae  sunt  a  me  pro  Aristotele  disputata,  eum  ecce  Mundum  jam  compleant,  quae  ab 
Aristoteleis  proferuntm-  volumina.  Satis  ergo  visum  est  illis  permittere  lucem  qu£e 
edisserui  in  oppositum.  Neque  vero  propterea  erit  quod  me  quispiam  dogmaticum 
credafc,  cum,  etei  unam  dumtaxat  partem  dogmatico  more  hic  defendam,  praemonue- 
iim  tamen  alteram  idcirco  suppressam  a  me,  qviod  satis  superque  habeatur  ex  autho- 
ribus  Aristoteleis  (Gassendi,  Exercitationes,  Prœf.,  p.  100). 

3.  Cf.  Gassendi,  Commentarii  de  rehua  cœl&stibus,  O.  G.,  t.  IV,  p.  98. 

4.  La  Mothe  Le  Vayer  (1588-1672)  a  sa  place,  dans  l'Ecole  sceptique,à  côté  de 
HuET.  On  le  retrouvera  plus  tard. 

5.  Marin  Mersenne  (1588-1648),  de  l'Ordre  des  Minimes,  grand  ami  de  Gassendi 
'  et  de  Descartes,  correspondit  avec  les  principaux  savants  de  l'Europe. 

'  6.  WiLLEBRORDUs  Snellius  (Snell),  né  et  mort  à  Leyde  (1591-1626),  professa  les 
mathématiques  à  l'Université  de  cette  ville.  Il  découvrit  la  loi  de  la  réfraction.  Dans  son 
principal  ouvrage  :  Eratosthenes  Batavus  de  terrœ  ambitus  vera  quantitaie  (Leyde,  1617), 
il  rend  compte  des  opérations  géodésiques  qu'il  exécuta  pour  mesurer  l'arc  du  méridien 
terrestre  compris  entre  Leyde  et  Soeterwoode.  Gassendi  l'en  félicite  dans  la  lettre 
citée  infra,  note. 

7.  Oaasendi  à  Snellius,  Paria,  15  Calendes  de  mars  1625,  OG.,  t.  VI,  p.  3,  col.  1. 
Autre  lettre.  Ibidem,  p.  6-10.  —  Cf.  les  Réponses  de  Snelmus,  Ibidem,  p.  391-393  i 
393.  '  .  f  >^ 


II.   —  TRAVAUX   SCIENTIFIQUES   ET  PHILOSOPHIQUES  7 

conseiller  au  parlement  de  Metz  ^.  Celui-ci,  pour  mieux  jouir  de  la 
conversation  du  savant  provençal,  tint  absolument  à  lui  offi'ir  l'hos- 
pitaUté.  L'intimité  devint  si  grande  entre  eux  que  LuiUier  emmena 
son  hôte  avec  lui  en  Flandre  et  en  Hollande  ^.  Leur  voyage  dura  neuf 
mois,  jusqu'en  août  1629  ^.  Ce  fut  pour  Gassendi  Toccasion  de  se  Uer 
avec  des  personnages  de  marque,  notamment  avec  Henricus  Rexe- 
Rius  (Rexeri,  Régnier),  Erycius  Pute  anus  (Eerryk  de  Putte  *), 
Jean-Baptiste  Vax  Helmont  ^,  AtrBERTUs  Miraeus   (Aubert  Le 


1.  François  Ltjillieb  appartenait  à  uae  vieille  famille  parisienne.  Son  père,  Jérôme, 
était  maître  des  comptes.  Lui-même  devint  trésorier  de  France  à  Paris,  puis  maître  des 
comptes,  enfin  conseiller  au  Parlement  de  Metz,  qui  fut  transféré  à  Toul  en  1637.  C'était 
un  homme  d'esprit  cultivé  et  de  mœurs  déréglées.  En  1650  il  alla  voir  à  Toulon  son 
fils  Claude,  dit  Chapelle,  dont  Gassendi  faisait  l'éducation.  «  Par  son  crédit,  quoyque 
cet  enfant  fust  adultérin,  il  le  fit  légitimer...  Ce  garçon  luy  ressemble  fort  pour  l'humeiu- 
et  pour  l'esprit.  »  (Tallemaxt  des  Réaux,  Historiettes,  t.  IV,  p.  192  ;  194,  Paris, 
édit.  1855).  Luillier,  parti  pour  l'Italie  en  a\Til  1651,  tomba  malade  à  Gênes,  et  mourut 
à  Pise  au  commencement  de  janvier  1652,  ce  qui  inspira  cette  boutade  à  TaUemant  : 
t  II  n'y  a  jamais  eu  que  luy  au  monde  qui  se  soit  fait  conseiller  à  Toul  pour  aller  mourir 
à  Pise.  i  (Ibidem,  p.  195).  —  Dans  ses  lettres  à  Peiresc,  LuiUier  fait  les  plus  grands 
éloges  de  Gassendi.  Cf.  Tamizey  de  Labroqtje,  Les  Correspondants  de  Peiresc  :  XVI. 
J'rayiçois  LuiUier,  Paris,  1889.  —  De  son  côté  l'indulgent  Gassendi  célèbre  les  mérites 
de  Liiillier  dans  De  Vita  Peireskii,  Lib.  V,  à  l'année  1634,  Edit.  de  La  Haye,  1653, 
pp.  402-403  ;  daiis  OG.,  t.  V,  p.  315,  col.  2.. 

2.  Il  semble  certain  que  Gassendi  n'est  point  allé  en  Angleterre,  ni  à  Rome,  où  il 
aurait  entretenvi  le  célèbre  Père  Athan.%.se  Kercher,  professeur  de  mathématiques 
au  Collège  romain,  comme  certains  lont  affirmé  sans  preuve.  Sorbière  dit  formelle- 
ment que  ce  voyage  dans  les  Paj's-Bas  fut  l'unique  voyage  de  Gassendi  hors  du  royaume. 
Cf.  Loco  cit:tto,p.  4.  —  Gassendi  eut  dessein  d'accompagner  en  Orient  le  comte  de  Mar- 
cheville,  ambassadeiu'  de  France  près  de  la  Porte,  pour  faire  des  observations  à  Cons- 
tantinpple,  à  Alexandrie,  etc.  Dans  une  lettre  à  Schickard  (Paris,  6  kal.  sept.  1630. 
Cf.  OG.,  t.  VI,  p.  36,  col.  2),  il  lui  annonce  son  prochain  départ  et  le  prie  d'en  informer 
Kepler,  lem-  offrant  ses  services.  Ce  voyage,  on  ne  sait  pourquoi,  n'eut  pas  lieu.  — 
Gassendi  projeta  aussi  un  voyage  en  Italie  et  annonça  sa  venue  à  Galilée.  (Cf.  Lettre 
du  14  kal.  déc.  1636,  OG.,  t.  VI,  p.  92,  col.  1.)  Mais  ce  projet,  entravé  par  la  guerre 
que  la  France  faisait  alors  aux  Espagnols  en  Italie,  n'eut  pas  de  suite. 

3.  Gassendi  tint  Peiresc  au  courant  des  événements  de  son  voyage.  Cf.  Tamizey  de 
Labroque,  Lettres  de  Peiresc,  t.  IV. 

4.  Henri  Régnier,  connu  sous  le  nom  de  Reneri,  né  à  Huy  (1593)  et  mort  à  Utrecht 
(1639),  où  il  enseigna  la  philosophie.  Gassendi  rencontra  cet  ami  de  Descartes  à  Ams- 
terdam, —r-  On  retrouvera  Reneri  quand  il  sera  question  du  Cartésianisme  en  HoUande. 

5.  Erycius  Puteanxjs  est  le  nom  latinisé  de  Eerryk  de  Putte.  Né  à  Venlo  (le  4  no- 
vembre 1574)  et  mort  à  Louvain  (le  17  septembre  1646),  il  succéda  à  Juste  Lipsb 
dans  l'enseignement  de  la  langue  latine  à  l'Université  de  Louvain,  au  Collège  des 
Trois  Langues.  Voir  Lettres  de  Gassendi  à  Puteanus,  dans  OG.,  t.  VI,  p.  11  ;  16,  26,  27, 
39.  Lettre  de  Puteanus  à  Gassendi,  Ibidem^  p.  393.  —  Cf.  Paquot,  Mémoires...,  t.  XIII, 
pp.  373-428  :  il  énumère  121  ouvrages  de  Puteanus. 

5.  Né  à  Bruxelles  et  mort  à  Vilvorde  près  de  Bruxelles  (1577-1644),  J.-B.  van* 
Hfj.mont  fut  un  médecin  philosophe,  imbu  comme  Paracelse  de  doctrines  théosoplù- 
quea.  (Cf.  G.  Sortais,  Hist.  de  la  Philosophie  ancienne,  n.  73,  E,  Paris,  1912).  Il  professa 
quelque  temps  la  chirurgie  à  l'Université  de  Louvain.  En  1629,  il  s'éleva  entre  Van 
Helmont  et  Gassendi  xine  curieuse  discussion  sur  ce  sujet  :  L'homme  est-il  naturelle- 
ment Carnivore  ou  fructivore  ?  En  homme  du  Nord,  Van  Helmont  se  prononce  pour  la 
viande  ;  en  habitant  du  Midi,  Gassendi  tient  pour  les  fruits.  Cf.  Viro  Clarissimo,  et 
Philoeopho  ac  Medico  expertiaaimo  Joanni  Baptist.^  Helmontio,  amico  suo  singulari 
Petrus  Gassendus  S.  Lettre  écrite  d'Amsterdam,  le  15  juillet  1629.  Cf.  OQ.,  t.  VI, 
p.  19-24.  —  BouGEREL  (Vie  de  Gassendi,  p.  45-57),  donne  une  analj-se  de  la  disoua- 
eion. 


8  ARTICLE  II.  CHAPITRE  I.  —  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

Mire)  i,  Jean  Caramuel  y  LoBKo\aTz  ^,  Gerardus  Joaxnes 
Vossius  (Voss)  3,  Daniel  Heinsius  (Heinse)  ^,  Jacques  Golius  ^ 
Isaac  Beeckman  «,  qui,  dans  la  suite,  échangèrent  quelques  lettres 
avec  le  philosophe  provençal.  L'impression  produite  par  Gassendi 
en  Hollande  fut  profonde  et  durable.  Car,  bien  longtemps  après 
en  1642,  quand  Sorbière  visita  à  son  tour  ce  pays,  les  savants  hollan- 
dais mirent  beaucoup  d'empressement  à  s'enquérir  de  Gassendi  et 
des  travaux  qu'il  projetait'. 

L  Hubert  Le  Mjre,  né  à  Bruxelles  (1573)  et  mort  à  Anvers  (1640),  était  alors  doyen 
du  ChaiDitre  de  la  cathédrale  d'Anvers.  Cf.  Lettre  de  Gassendi  à  A.  Mlraus,  OG.,  t.  VI, 
p.  24.  —  Il  se  distingua  surtout  par  ses  travaux  érudits  sur  l'histoire  ecclésiastique! 
Son  tombeau  se  trouve  dans  le  chœur  de  la  cathédrale  d'Anvers.  —  Cf.  J.  Fb.  Foppens" 
Bihliotheca  helgica,  t.  t.  I,  p.  107-111.  ' 

2.  Jean  Caramuel  y  Lobkovitz,  né  à  Madrid  le  13  mai  1606,  entra  dans  l'ordre  de 
Citeaux  ;  il  fut  nommé  abbé  du  monastère  de  Dissembourg,  devint,  avec  le  titre  d'évê- 
que  de  Mysie,  sufïragant  de  l'évéque  de  Mayence  (1645)  et  mourut  (1682)  évêque  de 
Vigevano,  en  Lombardie.  Il  s'occupa  de  mathématiques  et  d'astronomie,  ce  qui  le  mit 
en  relations  avec  Gassendi.  Sa  production  fut  prodigieuse  :  Paquot  (Mémoires  pour 
servir  à  Vhistoire  littéraire  des  Pays-Bas...,  t.  VIII,  p.  262-286)  cite  62  ouvrages  de  lui 
Malheureusement  il  n'est  pas  aussi  sûr  que  fécond.  Il  a  émis,  au  point  de  vue  do^nna- 
tique,  des  propositions  téméraires.  En  morale,  S.  Alphonse  de  Liguori  le  donne 
comme  le  prince  des  laxistes.  Mais  ses  intentions  étaient  bonnes  et  son  zèle  apostolique 
très  ardent.  Cf.  Lettres  de  Gassendi  à  CaramueJ,  OG.,  t.  VT,  p.  190  ;  191  ;  206  •  223 
Lettres  de  Caramuel  à  Gassendi,  Ibidem,  p.  465  (il  le  consulte  .sur  l'opin'ion  dès  Docteurs 
de  Sorbonne  relative  à  l'infaiUibilité  du  Pape)  ;  476  ;  480  ;  487  ;  489.  On  n'y  trouve 
pas  reproduite  :  Epistola  ad  Gassendum  de  Germanorum  protestantium  conversione,  1644. 

3.  Gérard-Jean  Voss,  né  à  Heidelterg  en  1577  et  mort  à  Amsterdam  en' 1649 
enseignait  l'éloquence  et  la  chronologie  à  l'Université  de  Leyde,  quand  Gassendi  entra 
en  relations  avec  lui.  Cf.  Lettre  de  Gassendi  à  Vossius,  OG.,  t.  VI,  p.  24-25.  Voir  Lettre 
de  Sorbière  à  Gassendi,  infra,  n.  7. 

4.  Daniel  Heinse,  humaniste  et  historien,  né  à  Gand  (1580)  et  mort  à  Leyde  (1655) 
devint  professeur  de  latin  et  de  grec,  puis  d'histoire  à  l'Université  de  Leyde  en  1606  • 
il  fut  nommé  bibliothécaire  de  l'université.  Cf.  Lettre  de  Gassendi  à  Heinsius  OG  t  VI 
p.  25.  »        .    •       , 

5.  Jacques  Golius,  né  à  La  Haye  en  1596  et  mort  à  Leyde  en  1667,  accompagna  la 
duchesse  de  la  TrémoiUe  en  France,  enseigna  le  grec  à  La  Rochelle,  Aovagea  en  Orient 
d  ou  il  rapporta  des  manuscrits,  succéda  à  Erpenius  comme  professeur  de  langues 
orientales  et  à  Snellius  comme  professeur  de  mathématiques  dans  l'Université  de  Levde 
Cf.  LeUres  de  Gassendi  à  Golius,  OG,  t.  VI,  p.  25-26  ;  28  ;  31  ;  38  ;  46-47.  Lettres  de  Golius 
à  Gassendi,  Ibidem,  p.  394-396.  Golius  fut  également  l'ami  et  le  correspondant  de 
Descartes.  —  Son  frère  aîné,  le  Père  Célestin  de  Sainte  Lidwine,  Carme  déchaussé 
missionnaire  à  Alep,  était  correspondant  de  Peiresc  pour  les  observations  astronomie 
ques.  Cf.  BiGOURDAN,  Comptes  Bendiis  de  l'Académie  des  Sciences.  1915  t  CLXI 
p.  616,  n.  3.  '  » 

6.  Isaac  Beeckman,  né  le  10  décembre  1588  à  Middelbourg  et  mort  le  19  mai  1637 
a  Dordrecht,  fut  l'un  des  correspondants  de  Descartes  en  Hollande  et  devint  principal 
du  Collège  de  Dordrecht  (1627).  Il  avait  coutume  de  consigner  ses  pensées  dans  un 
Journal.  Apres  la  mort  d'Isaac,  un  de  ses  frères,  Abraham,  publia  de  courts  extraits 
de  ce  Journal  sous  ce  titre  :  D.  Isaaci  Beeckmanni,  Medici  et  Rectoris  apud 
Dordracenos,  Mathematico-Physicarum  Meditationum,  Quœstionum.,  Solutionum 
Centuria,  Utrecht,  1644.  Cf.  Paquot,  Mémoires  pour  servir  à  F  histoire  littéraire  des 
Pays-Bas...,  t.  XVII,  p.  401-403.  —  Nous  retrouverons  Beeckman  en  parlant  de 
Descartes. 

7.  Non  immemor  est  Vossius  ante  decennium  te  spem  ipsi  tune  fecisse  brevi  prodi- 
tura  m  lucem  commentaria  in  Epicuream  philosophiam.  Non  ignoro  [sic,  pour  ignorant! 
quid  praestiteris  aut  quid  pra^stare  possis  Rivetus,  Barlaeus,  Heinsius.  Regius  alii 
quos  omnes  audivi,  non  sine  magna  animi  voluptate,  de  te  ut  par  erat  \-erba  faci'entes' 
(Lettre  de  Sorbière  à  Gassendi,  Amsterdam,  8  juin  1642,  dans  OG,  t.  VI,  p.  447). 


II.    —  TRAVAUX  SCIENTIFIQUES  ET  PHILOSOPHIQUES  9 

Pendant  les  dix  années  qui  s'écoulent  de  1631  à  1641,  Gassendi 
■est  plongé  dans  Tétude  de  la  philosophie  épicurienne  et  prépare  la 
traduction  latine  du  X*"  Livre  de  Diogène  LAiÏECE.  Mais,  si  Ton  excepte 
l'opuscule  contre  Fludd  et  la  Vie  de  Peiresc,  il  ne  publia  que  quekjues 
mémoires  d'ordre  scientific^ue.  Sa  production  philosophique  ne  devient 
active  qu'à  partii-  des  Objections  (1642)  contre  Descartes,  pour  se 
continuer,  parallèlement  aux  recherches  astronomi<{ues  et  physic{ues, 
Jusqu'à  sa  mort  (1655),  avec  une  étonnante  fécondité  ^. 

Les  amis  et  admirateurs  de  notre  philosophe  cherchèrent  vaine- 
ment alors  à  l'attirer  à  Paris.  -L'un  d'eux,  qu'il  ne  nomme  pas,  pro- 
bablement M.  de  Montmor,  lui  offrait  le  vivre  et  le  couvert,  lui  assu- 
rant en  outre  une  pension  de  trois  mille  livres.  On  eut  beau  insister, 
Oassendi  refusa  cette  offre  généreuse,  préférant  garder  sa  condition 
modeste,  mais  indépendante.  Se  sentant  incapable  de  résister  en  face 
à  des  solUcitations  aussi  aimables,  il  s'abstint  de  tout  voyage  à  Paris  ^. 

En  dehors  du  labeur  intense  qui  rempHt  cette  période  décennale, 
peu  d'événements  apportent  quelque  variété  à  la  vie  toute  simple 
et  toute  unie  de  Gassendi.  En  1634,  la  veille  de  Noël,  il  fut  élu  Prévôt 
de  la  cathédrale  de  Digne  ^.  Le  chanoine  Péhssier,  >'  se  disant  pourvu 
■d'un  brevet  de  joyeux  advènement  à  la  couronne  par  le  Roy  »,  fit 
opposition  à  cette  élection  auprès  du  Grand  Conseil  à  Paris  ;  mais 
il  en  fut  cette  fois  encore  pour  ses  frais,  car  Gassendi  fut  maintenu 
en  posses.sion  de  sa  dignité. 

Louis-Emmanuel  de  Valois,  alors  comte  d'Alais,  plus  tard  duc 
■d'Angoulême,  était  gouverneur  de  la  Provence  (  GaUo-Provinciae 
Pro-Rex)  *  depuis  l'automne  de  1637.  Le  nouveau  gouverneur  pria 
Gas.sendi   de   l'accompagner    (1638)    dans   la   visite   de   sa   province, 


1.  Cf.  p.  22  le  Tableau  chronologique  des  ou\Tage6  de  Gassendi. 

2.  Prsesul  meus  [Raphaël  de  Bologxe],  qui  te  salutat,  discossurus  brevi  Parisios 
rediturus  est  ante  iiyemem.  Ego  cum  illo  non  discedo,  veritus  ne  quadam  ex  parte 
libertatis  jacturam  faciam.  Meniinisti,  opinor,  me  noluisse  alias  accedeie  ad  Eminentis- 
simum  Virum  [le  cardinal  Alphonse  Louis  de  Richelieu].  Cessante  hujus  prosequu- 
tione,  est  alius,  quem  tu  probe  nosti,  qui  mire  me  sollicitât  ut  fraternam,  individuam, 
perpetuam  societatem  voveam.  Spondet  ab  initio  nolle  se,  ut  prius  pedem  injiciam, 
quam  heneficium  pensionemve  librarum  ter  mille  fecerit  securam.  Is  ergo  est,  quem, 
si  Parisios  concessero,  effugiam  nunquam  ;  adeo  ille  me  suum  cupit  ;  adeo  ego  sum 
impotens  ut  denegem  aliquid  coram.  Continebo  itaque  me  in  casu  [sic,  sans  doute  pour 
casa]  hac,  hiunili  quidem,  sed  quse  mei  me  habeat  juris.  (Gassendi  à  Naitdé,  Digne, 
16  juillet  1633,  OG,  t.  VI,  p.  57,  col.  1). 

3.  Anno  aiitem  1634  in  Natalitio  um  ^  igilia  possessio  cm  adiit  prappoîiturse 
(Gall  a  Christiam,  t    III,  col.  1!40). 

4.  Né  à  Clermont-Ferrand,  en  1596,  il  était  fils  de  Charles  de  Valois,  comte  d'Au- 
vergne, puis  duc  d'Angoulême.  De  1612  à  1622  évéque  nommé  d'Agde,  il  ne  fut  point 
consacré.  Il  mourut  à  Paris  le  13  novembre  1653.  —  Au  tome  VI  des  Opéra  de  Gassendi, 
on  trouvera  les  nombreuses  lettres  échangées  entre  celui-ci  et  le  prince.  Gassendi  lui 
dédia  sa  Vie  de  Peiresc.  —  Cf.  François  d'Andréa,  Sieur  de  Xibles,  gentilhom>ie 
PROVENÇAL,  Discours  des  bons  Gouverneurs  ou  Table  te  du  Gouvernement  de  Louis- 
Emmanuel  de  Valois,  Comte  d'Alais,  Colonel- G  nu' rai  de  la  Cavalerie,  Paris,  1645.  — 
Bouche,  Histoire  de  Provence,  p.  912.  —  Le  comte  d'Alais  gouverna  la  Provence  à 
l'époque  des  troubles  de  la  Fronde.  Cf.  P.  Gaffarkl,  La  Fronde  en  Provence,  dans 
Revu&historique,  1876,  t.  II,  p.  60-103  ;  436-459. 


10  ARTICLE  n.  CHAPITRE  I.  —  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

car  il  l'avait  pris  en  amitié  et  s'éclairait  volontiers  de  ses  conseils. 

En  1641,  le  jjrévôt  de  Digne  eut  l'honneur  d^tre  élu  agent  général 
de  l'ordre  ecclésiastique  de  province  pour  l'assemblée  du  clergé  de 
France,  qui  se  tint  à  Paris.  Mais  un  abbé  d'Hugues,  neveu  et  grand 
vicaire  de  l'archevêque  d'Embrun,  lui  disputa  cette  charge.  C'était, 
d'après  Sorbière,  le  candidat  du  cardinal  Armand  de  Richelieu  ^. 
Gassendi,  qui  avait  en  horreur  les  chicanes,  accepta  la  transaction 
proposée  par  Mr.  de  Montchal,  archevêque  de  Toulouse,  et  les  autres 
arbitres  de  la  contestation.  Ceux-ci,  «  voyant  que  le  sieur  Gassendi, 
personnage  de  grande  littérature,  qui  avait  le  plus  de  voix  pour  être 
Agent,  aimait  mieux  manier  ses  livres,  qu'il  traite  si  dignement,  que 
les  sacs  des  procès  et  papiers  du  Clergé,  desquels  ledit  Sr.  d'Hugues 
avait  plus  de  connaissance,  contentèrent  l'inclination  des  deux  et 
firent  l'avantage  du  Clergé  en  les  disposant  à  partager  les  apointements 
de  la  charge  »  ^,  qui  étaient  de  4.000  livres  par  an. 

C'est  pendant  ce  séjour  à  Paris  que  Gassendi  enseigna  la  philoso- 
phie au  jeune  Poquelin  ^,  à  Bernier  et  à  Chapelle.  Ce  séjour  dans  la 
capitale  se  prolongea  jusqu'en  octobre  1648,  et  il  fut,  cette  fois  encore, 
l'hôte  de  Luillier. 

La  chaire  de  Mathématiques  au  Collège  royal  devint  vacante  (1645) 
par  la  mort  de  J.  Tileman  Stella.  Le^  cardinal  Alphonse  de  Richelieu, 
frère  aîné*  du  cardinal-ministre  ^,  alors  archevêque  de  Lyon  et  Grand 
Aumônier  de  France,  avait  connu  Gassendi,  quand  il  administrait 
l'archevêché  d'Aix-(  1626- 1628).  Appréciant  son  grand  mérite,  il  le 
pressa  de  prendre  la  succession  de  Stella  ^.  Les  instances  du  cardinal 
décidèrent  notre  mathématicien  à  accepter  une  charge  qui  devait 
être  trop  lourde  pour  sa  faible  santé.  UOratio  inauguralis,  dédiée 
comme  de  juste  à  l'Éminent  protecteur,  fut  prononcée  le  23  novembre  ^. 
Les  leçons  de  Gassendi  attirèrent  un  grand  concours  d'auditeurs, 
parmi  lesquels,  à  côté  des  étudiants,  on  remarqua  des  vieillards  en 
grand  nombre  et  des  personnages  très  instruits  (senes  quam.  plurimi 
et  viri  doctissimi)  '.  La  substance  de  son  enseignement  au  Collège  royal 
a  passé  dans  le  livre  intitulé  :  Institutio  astronomica...  (Paris,  1647). 

Les  nombreux  voyages  de  Gassendi  à  Paris  et  surtout  les  longs 

1.  Cf.  D.-L.  AvENEL,  Lettres,  Instructions  diplomatiques  et  Papiers  d'Etat  du  cardinal 
de  Richelieu,  t.  VI,  p.  862,  dans  les  Documents  inédits  sur  VHistoire  de  France,  Paris, 
1867. 

2.  Mémoires  de  Mr  de  Montchal,  t.  II,  p.  240,  Rotterdam,  1718.  M^  de  Montchal 
affirme,  à  l'encontre  de  Sorbière,  que  l'abbé  Hugues  «  était  suspect  au  cardinal.  » 

3.  Cf.  J.  LoiSELEUR,  Les  points  obscurs  de  la  vie  de  Molière  :  I''^  Partie,  Les  années 
d'études,  §  V,  dans  Le  Temps,  15  oct.  1876,  p.  3.  Cf.  infra,  p.  183-184  ;   228. 

4.  Sorbière  fait  ressortir  l'indifférence  (qu'il  trouve  étonnante  et  semble  vouloir 
excuser  plutôt  par  bon  esprit  qu'avec  conviction)  du  cai'dinal  ministre  à  l'égard  de 
Gassendi.  Cf.  Loco  citato,  p.  12-14. 

5.  Cf.  A.  Lefranc,  Histoire  du  Collège  de  France,  Paris,  1893,  Appendice  B,  p.  351. 
Cf.  ch.  VII,  p.  251-252. 

6.  Gassendi,  Oratio  inaugurcUis,  habita  in  Regio  CoUegio,  die  Novembris  23...,  Pari», 
1645, 

7.  SoBBiÊRE,  Loco  citato," p.  7.  • 


II.  —  TRAVAUX  SCIENTIFIQUES  ET  PHILOSOPHIQUES  11 

séjours  qu'il  y  fit  à  diverses  reprises  le  mirent  en  relations  avec  beau- 
coup de  personnages  marquants,  français,  ou  étrangers.  Citons,  sans 
compter  ses  amis  intimes,  Hugo  Geotius  (H.  de  Groot)  ^,  le  Père 
Mersenne,  de  l'Oratoire,  La  Mothe  Le  Vaybr,  Hobbes,  Descartes, 
Pascal,  le  chancelier  Pierre  Séguier,  William  Cavendish,  mar- 
quis de  Newcastle.  Ce  dernier,  qui  habita  Paris  de  1645  à  1648,  réunit 
un  jour  à  sa  table  les  trois  philosophes,  les  plus  en  vue  alors,  Gassendi, 
Descartes  et  Hobbes  ^. 

Ce  fut  pendant  le  second  voyage  de  Descartes  en  France  (1647)  ^^ 
qu'eut  heu  sa  réconciliation  avec  Gassendi.  Il  faut  indiquer  d'abord 
la  cause  de  leur  brouille.  Descartes  avait  prié  Mersenne  de  communi- 
quer ses  Méditations  aux  personnes  les  plus  capables  d'y  faù-e  des 
objections  utiles.  Mersenne  songea  naturellement  à  Gassendi.  Mais  le 
philosophe  provençal  se  récusa  tout  d'abord  à  cause  d'un  grief  per- 
sonnel dont  voici  l'origine. 

Le  Père  Christophe  Scheiner  (1595- 1650)-,  professem*  de  mathéma- 
tiques au  C^ollège  romam,  avait  observé  à  Frascati,  le  20  mars  1629, 
des  Parhéîies  ou  apparition  de  quatre  faux  soleils  autour  du  véritable. 
Le  cardinal  Barberini  fi.t  aussitôt  parvenu"  à  Peiresc  une  description 
de  ce  phénomène  rare.  Peiresc  en  tira  quelques  copies  et  envoya  l'une 
d'elles  à  son  ami  Gassendi,  qui  voyageait  dans  les  Pays-Bas  avec 
Luilher.  Notre  voyageur,  passant  par  Amsterdam,  avait  hé  connais- 
sance avec  Henri  Reneri  ^  ;  il  lui  adressa  d'Utrecht  la  description  du 
phénomène  ^.  Reneri  s'empressa  de  la  transmettre  à  Descartes. 
Celui-ci,  dans  son  livre  Les  Météores  ^,  en  parlant  des  parhéîies,  men- 
tionne mi  «  mathématicien  de  Tubingue  »  mais  ne  nomme  pas  Gassendi, 
qui  fut  froissé  de  cette  omission  '^.  Aussi,  quand  plus  tard,  en  1641, 
Mersenne  proposa  à  Gassendi  d'examiner  les  Méditations  cartésiennes. 


1.  Gkotius  s'était  réfugié  à  Paris  en  1621  et  c'est  là  que,  sur  la  demande  de  Peiresc, 
il  avait  composé  et  publié  son  De  Jure,  belli  et  pacis  (1625).  Il  ne  i-etoiu-na  en  Hollande 
qu'en  1631.  C'est  lors  de  son  passage  à  Paris,  en  1624  ou  1628,  que  Gassendi  dut  faire 
la  connaissance  de  Grotius.  Cf.  OG.,  t.  VI,  p.  47,  ime  lettre  de  Gassendi  à  Grotius,  et, 
p.  406,  une  lettre  de  Grotius  à  Gassendi. 

2.  I  hâve  heard  Mr  Edmund  Waller  say  tliat  W.  Lord  Marquis  of  Newcastle  was  a 
great  patron  to  D^  Gassendi  and  M.  Des  Cartes,  as  well  as  to  M^  Hobbes,  and  that  he 
had  dined  with  them  ail  three  at  tlie  Marquis's  table  at  Paris.  (Auhrey's  Letters,  t.  II, 
p.  602).  Cité  par  Adam  dans  Œuvres  de  Descartes,  t.  V,  p.  118.  Dans  une  lettre  à  Mer- 
Benne,  du  31  janvier  1648,  Descartes  parle  de  M^  de  Neucastel.  Ibidem,  p.  117. 

3.  Sur  la  date  de  ce  voyage,  cf.  Adam,  Vie  de  Descartes,  p.  448,  note  c. 

4.  Sur  Reneri,  cf.  supra,  p.  7,  n.  4.  —  Lettres  de  Gassendi  à  Eeneri,  OG,  t.  VI, 
p.  24  ;  29  ;  37  ;  41.  Lettres  de  Reneri  à  Gassendi,  Ibidem,  p.  395-396  ;  399-400. 

3.  Gassendi  publia  un  premier  opuscule,  où  il  décrit  et  explique  le  phénomène  des 
parhéîies,  sous  ce  titre  :  Phœnomenon  rarum  Romœ  observatum,  20  Martii  et  ejus  causa- 
rum  explicatio,  Amsterdam,  1629.  Comme  les  fautes  d'impression  abondaient  dans  cet 
opuacule,  Gassendi  en  publia  une  nouvelle  édition,  re\-ue  et  augmentée,  sous  ce  titre 
nouveau  :  Parhelia  seu  Soles  IV  spurii  qui  circa  verum  apparuerunt  Romœ  die  20  Martii 
1629  et  de  eisdem  epistola  ad  Henricum  Renerium,  Paris,  1630.  On  trouvera  cette  seconde 
édition  dans  OG,  t.  III,  p.  651  sqq. 

6.  Les  Météores,  Discours  dernier,  OD,  t.  VI,  p.  361-362.  Ce  mathématicien  s'appe- 
lait WlLHELM  SCHICKARD. 

7.  Cf.  Descartes  à  Mersenne,  Lettre  du  21  avril  16il,  Œuvres  de  Descartes  (Edit.  Adam: 
et  Tannery,  Paris,  1897  sqq),  t.  III,  p.  362-363. 


12  AETICLE  II.  CHAPITRE  I.   —  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

•celui-ci  accueillit  mal  cette  ouverture.  Cependant  Descartes,  prévenu 
aussitôt,  expliqua  à  Mersenne  ^  les  raisons  de  son  silence  ^.  Gassendi 
Xîonsentit  à  écrire  ses  objections,  et  le  Père  Mersenne  les  transmit 
-à  l'intéressé  (mai  1641).  ^ 

Les  Objections  .de  Gassendi  et  les  Réponses  de  Descartes  furent 
publiées  à  la  suite  de  la  première  édition  des  Méditations  (Paris, 
achevé  d'imprimer  le  28  août  1641).  Gassendi,  dans  ses  Objections, 
avait  lancé  contre  les  thèses  cartésiennes  quelques  traits  ironiques, 
mais  d'une  main  légère  et  courtoise.  Dans  ses  Réponses,  Descartes 
i^e  montra  hautain  et  méprisant  *.  Gassendi  termina,  le  15  mars  1642, 
une  longue  l'éplique  aux  Réponses  sous  forme  d^Instunces  ^.  Mais, 
pour  le  moment,  il  se  borna  à  les  communiquer  à  ses  amis.  Descartes, 
l'ayant  appris,  s'en  plaignit  publiquement  dans  sa  Lettre  au  Père 
Dinet  ®.  Sorbière,  qui  était  aloirs  en  Hollande,  demanda  à  Gassendi 
l'autorisation  d'éditer  ensemble  les  Objections,  les  Réponses  et  les 
Instances.  Notre  philosophe,  après  s'être  fait  prier,  finit  par  céder  '. 
Le  tout  parut,  à  la  fin  de  février  1644,  sous  ce  titre  complexe  :  Disqui- 
sitio  Metaphysica  seu  Dubitationes  et  Instantiae  adverêns  Renati  Car- 
tesii  Metaphysicam,  et  Responsa  (Amsterdam)  ^. 

Contrairement  à  l'attente  générale,  Descartes  ne  répondit  point 
aux  Instances  gassendistes  ;  il  affecta  même  de  dédaigner  l'ouvrage 
•et  fit  seulement  savoir  que  ses  Principes  de  la  Philosophie,  qui  allaient 
bientôt  paraître  (l'achevé  d'imprimer  est  du  10  juillet  1644),  en  don- 
neraient luie  très  brève  réfutation.  Avisé  de  cette  intention,  Gassendi 
s'empressa  de  chercher  dans  les  Principes  la  réfutation  annoncée, 
mais  il  ne  trouva  rien.  Ce  bon  procédé  le  toucha  :  aussi  malgré  les 

1.  Descentes  à  Mersenne,  mime  lettre,  Ih'.dem. 

2.  Baillkt,  La  vie  de  Monsieur  Des-Cartes,  t.  II,  1.  VI,  ch.  v,  pp.  132-134. 

3.  Voir  les  impressions  de  Descartes,  après  lecture  des  Objections  de  Gassendi,  dans 
sa  lettre  à  Mersenne  du  23  juin  1641,  OD,  t.  III,  p.  384.  ■ —  Voir  les  impressions  de 
'Gassendi,  aprè&  lecture  des  Réponses  de  Descartes,  dans  sa  lettre  à  Louis  de  Valois,  du 

19  juillet  1641,  OG,  t.  VI,  p.  111-112. 

4.  En  envoyant  ses  Réponses  à  Mersenne,  Descartes  lui  disait  :  «  Vous  verrez  que  j 'ay 
fait  tout  ce  que  j'ay  pu  pour  traiter  JM""  Gassendi  honorablement  et  doucement  ;  mais 
il  m'a  donné  tant  d'occasions  de  le  mespriser  et  de  faire  voir  qu'il  n'a  pas  le  sens  com- 
mun et  ne  sçait  en  aucime  façon  raisonner,  que  j'eusse  trop  laissé  aller  de  mon  droit, 
si  j'en  eusse  moins  dit  que  je  n'ay  fait...  »  (Lettre  du  23  juin  1641,  OD,  t.  VII,  p.  388- 
389.) 

5.  Files  se  termine:it  ainsi  :  Parisiis  Eidib.  Mart.  MDCXLII. 

6.  Epistola  ad  Patrem  Dinet,  imprimée  en  1642,  à  la  suite  des  septièmes  objections. 
-Cf.  l'allusion  à  Gassendi,  OD,  t.  VII,  p.  600,  ligiie  10  sqq. 

7.  Gassendi  à  Sorbière,  octobre  1643,  OG,  t.  VI,  p.  162-163.  ~  Cette  lettre  à  Sorbière 
■commence  ainsi  :  Facio  tandem  satis,  Sorberi  ;  mitto  scilicet,  quem  jamdudum  effla« 
gitasti,  Codicem  mearum  adversus  Cartesii  IMetaphysicam  Instantiaruin.  Gassendi 
l'a  mise  en  tête  de  sa  Disquisitio.  Cf.  OG,  t.  III,  p.  271 .  —  Sorbière  a  raconté  les  démêlés 
-de  Descartes  et  de  Gassendi  dans  sa  première  Lettre  à  M.  Petit.  Cf.  Lettres  et  Discours  sur 
diverses  matières  curieuses,  p.  685-686,  Paris,  1660. 

8.  Sorbière  s'acquitta  fort  bien  de  la  besogne.  Au  lieu  d'imprimer  à  la  suite  Objec- 
tions.  Réponses  et  Instances,  il  fit  suivre  chaque  objection  de  la  réponse  de  Descartes, 
et  chaque  réponse  de  l'instance  ou  des  instances  de  Gassendi.  Sorbière  a  reproduit  aussi 
les  Méditations  de  Descartes  avec  une  pagination  spéciale  (48  pp.).  Dans  le  titre  du 
livre  le  mot  Dubitationes  signifie  les  Objectiones  de  1641.  La  Disquisitio  metaphysica  se 
trouve  dans  OG.  t.  III,  p.  271-410. 


II.   TRAVAUX    SCIENTIFIQUES    ET   PHILOSOPHIQUES  13- 

sollicitations  de  Bornius  ^,  de  Soibière  -  et  de  Rivet  ^,  refusa-t-il  de 
passer  au  crible  de  sa  fine  critique  la  Physique  cartésienne  exposée 
dans  les  Principes,  comme  il  avait  fait  pour  les  Méditations.  La  lettre 
de  Bornius  et  la  réponse  de  Gassendi  sont  particulièrement  suggestives 
et  méritent  d'être  rapportées.  Voici  l'appel  du  jeune  érudit  :  k  Descartea- 
aura  beau  faire  et  dire,  il  ne  pourra  empêcher  les  gens  d'une  solide 
instruction  d'accueillir  sa  Métaphysique  par  des  sifflets  et  des  éclats 
de  rii-e.  Et  si  la  Physique,  qu'il  vient  d'éditer,  ne  répare  pas  le  dommage 
que  la  dite  Métaphysique  a  causée  à  sa  réputation,  il  perdra  sans  aucun 
doute,  dans  l'esprit  d"un  grand  nombre,  ses  titres  au  nom  de  Phi- 
losophe. C'est  assurément  à  vous,  le  meilleur  des  hommes,  qu'il  appar- 
tient d'en  faire  l'examen  et  de  mettre  sous  les  yeux  de  tous  les  erreurs 
que  peut-être  vous  y  trouverez.  Je  vous  le  demande  en  mon  nom  et 
au  nom  des  sommités  et  princes  intellectuels  de  notre  Hollande...  »  * 
Gassendi  déclina  modestement  cette  flatteuse  in\itation  :  «  Il  m'est 
impossible  de  répondre  à  la  Physique  cartésienne,  comme  vous  me- 
sollicitez  de  le  faù'e,  puisqu'il  ne  m'a  pas  encore  été  donné  de  la  voir... 
Je  ne  sais  d'ailleurs  s'il  ne  semblerait  pas  trop  discourtois  et  trop 
opposé  à  mon  caractère  de  réveiller  de  moi-même  un  dissentiment 
assoupi  et  d'examiner  un  ouvrage  qui  ne  me  concerne  pas  particu- 
hèrement,  quelles  que  soient  d'ailleurs  les  insultes  que  lui  se  permette 
non  dans  ses  écrits,  mais  dans  ses  conversations   ^.  » 

1.  Lettre  de  H.  Bornius  à  Ga/tHend>'.  La  Haye,  20  sept.  1644,  dans  OG..  t.  VI,  p.  480. 
Réponse  de  Gassendi,  Paris,  P""  oct.  1644.  Ibidem,  p.  202.  ■ —  Cf.  autre  lettre  de  Gas- 
sendi, Ibidem,  p.  211.  Lettres  de  Bornius,  Ibidem,  p.  482  ;  489-490  ;  498-499  ;  499. 

2.  Lettre  de  Sorbière  à  Gassendi,  La  U  ave.  1 8  avril  1 644,  OG,  t.  VI,  p.  469-470.  Pour  ame- 
ner Gassendi  à  prendre  l'offensive  contre  la  physique  cartésienne,  il  lui  demande  habile- 
ment ce  qu'on  pourrait  objecter  à  certaines  opinions  de  Descartes,  par  exemple  sur  le  vide, 

3.  Lettre  de  Rivet  à  Gassendi,  La  Haye.  30  décembre  1644,  dans  OG,  t.  VI.  p.  485. 
—  Gassendi  répondit  à  Rivet  :  Quod  scribis  judicium  censuramque  meam  in  opus 
Carte«ii  no\-um  exspectari,  verum  est  quidem  fuisse  me  sollicitatum  a  plurimis  ut 
aggiederer  Physices  illius,  quemadmodum  aggressus  fueram  [Metaphysices  discussio- 
nem.  Sed  ego  hanc  spem  feci  nemini,  neque  pollicitus  sum  quidquam  ;  quin  potius 
detrectavi  semper  ae  me  multis  nominibus  excusatum  constaiiter  feci.  Reponere 
niniirum  soleo,  non  ex  meq  e  se  genio  ut  in  aliéna  opéra,  nihil  provocatus,  inquiram. 
(Lettre  de  Gassendi  à  Rivet,  Paris,  28  janvier  1645,  OG.  t.  VI.  p.  217.  col.  l\  —  André' 
Rivet,  né  à  Saint-Maixent  (1573)  et  mort  à  Bréda  (1651),  fut  ministre  protestant  à 
Sedan,  puis  à  Thouars,  où  il  était  chapelain  du  duc  de  la  Trémoille.  Etant  liasse  en 
Hollande,  il  enseigna  la  théologie  à  l'Université  de  Leyde  (sa  leçon  d'ouverture  est  du 
12  oct.  1620),  devint  précepteur  du  prince  Guillaume  d'Orange,  et  enfin  directeur 
de  l'Université  de  Bréda  (Schola  illustris),  qiie  le  stathouder,  Frédéric-Henri,  avait 
fondée  en  1646.  En  collaboration  avec  trois  de  ses  collègues,  il  composa  :  Synopsis- 
jnirioris  theologiœ  disptitationibus  LU  comprehensa  ac  conscripta  per  J.  Polyandrum, 
A..  RivETUM,  Ant.  Valaeum  et  Ant.  Th ysiu-V.  Liège,  1 625. 

4.  Bornius  :  ...  Nuncjuam  tamen  efficiet  [Cartesius]  quominus  illius  Metaphysica 
inposterum  a  solide  eruditis  sibilis  et  cachinnis  non  excipiatur,  et  nuUus  dubito  quin, 
nisi  hac  nuper  édita  Physicac  parte,  damnum,  quod  ex  nominata  Metaphysica  passa 
est  ejus  fama,  re.sarciat,  Philosophi  nomine  apud  multos  excidat.  Tuanmi  sane  videtur 
esse  partium,  Virorum  optiine,  et  illam  examinare  et  quas  ibi  forte  an  repereris  errore» 
Mundi  oculis  subjicere  :  hoc  meciuu  a  te  flagitant  summi  et  principes  Bataviœ  nostrae- 
Viri...  (Lettre  à  Gassendi,  Ùtreeht,  20  sept.  1644,  OG,  t.  VI,  p.  480,  col.  2).  Bornius 
in  iste  en  disant   :  Ilhid  a  te  oro  pe'o:)i;c  arc'en'issimis  preib  s  (Ibidem). 

5.  G.'VSSENDi  :  ...  Quod  de  Physica  Cartesiana  rue  rogites,  nihil  esse  potest  quod  jan> 
respondeam,  cui  illam  viderem  nondum  contigit...  Xeseio  aliunde  annon  possit  videri 


14  ARTICLE  II.  CHAPITRE  I.  VIE  ET  ŒUATîES  DE  GASSENDI 

Pendant  ce  temps  Clerselier,  en  train  de  tradiiii-e  du  latin  en 
ïrançais  les  Méditations  de  Descartes,  en  était  arrivé  aux  quatrièmes 
Objections.  Descartes  lui  demanda  de  supprimer  les  cinquièmes 
(c'étaient  celles  de  Gassendi)  et  ses  réponses  i.  Cette  suppression 
pouvait  paraître  blessante.  Rivet,  qui  fut  mis  au  courant  du  projet 
de  Descartes,  en  jugeait  de  la  sorte  :  «  Je  suis  av.ec  vous,  écrit-il  à 
Mersenne,  que  Mons.  Gassend  est  un  vaillant  combattant.  Et  je  trouve 
son  Apologie  claii'e  et  bien  suivie.  Cependant  j'apprens  que  Mons. 
des  Cartes  en  faict  un  grand  mespris  et  dit,  que  pour  toute  response, 
en  faisant  imprimer  ses  Méditations,  il  en  ostera  tout  ce  qui  est  de 
Mons.  Gassend,  et  mettra  au  tittre  :  rejectis  ohjectionibus  inutilibns. 
J'estimay  qu'il  le  devoit  traicter  plus  respectueusement  «  "^.  Descartes 
eut  le  bon  goût  d'omettre  ce  titre  impertinent  ^. 

L'un  des  prétextes  *  qui  porta  Descartes  à  ne  point  répondre  «  au 
gros  livi-e  d'instances  »,  fut  sans  doute  qu'il  n'aimait  point  les  gros 
livres.  Mais  quelques-uns  de  ses  partisans,  que  son  silence  chagrinait, 
prirent  la  peine  de  lire  avec  soin  pom'  lui  les  Instances  de  Gassendi  et 
d'en  extraii^e  «  les  plus  fortes  raisoas  »  alléguées  par  ce  philosophe. 
Clerselier  envoya  ces  extraits  à  Descartes,  et  Descartes  fut  ainsi  mis 
en  demeure  de  s'exécuter.  Il  le  fit  dans  une  lettre  (12  janvier  1646) 
adressée  à  Clerselier  ^,  qui  la  pubHa  à  la  fin  de  la  traduction  française 
des  Méditations  parue  au  printemps  de  1647  ^. 

Cette  lettre,  dont  le  début  et  la  conclusion  sont  pleins  de  suffisance, 
est  cependant  d'une  modération  relative.  Descartes  tenait  à  ménager 
son  adversaire.  ClerseHer  obtint  en  effet  «  d'adoucir  dans  sa  traduction 
certains  termes  de  M.  Descartes,  qui,  bien  que  tolérables  en  latin, 
auraient  été  capables  de  choquer  en  notre  langue  M.  Gassendi,  qu'il 
voulait  raccommoder  pour  une  bonne  fois  avec  M.  Descartes  »  ^ 
De  son  côté,  Gassendi,  ((  qui  était  là  bonté  même,  et  d'une  candeur 
d'enfant  «  ^,  ne  semble  pas  s'être  offusqué  des  termes  un  peu  durs  de 

nimis  inurbauum  et  a  meo  genio  nimis  alienum,  pacatum  dissidium  ultro  renovare  et  in 
librum,  qui  me  specialiter  non  attineat,  inquirere.  Utcumque  ille  jam  in  me  non  scriptis 
Bed  verbis  insultet.  (  Gassendi  Epistola  H.  Bornio  perenidito  et  peramico  juveni,  Paris, 
1"  cet.  1644,  OG,  t.  VI,  p.  202,  col.  2). 

1.  Cf.  Œuvres  de  Dcscai-tes,  t.  IX,  p.  198-199  :  Avertissement  de  Vauteur. 

2.  Lettre  de  Rivet  à  Mersenne,  La  Haye,  28  mars  1644.  Citée  par  Adasi,  OD.  t.  IV. 
p.  110. 

3.  On  peut  y  voir  une  allusion  dans  les  derniers  mots  de  la  lettre  à  Clerselier,  où 
.Descartes  parle  de  «  questions  inutiles  ».  Cf.  OD,  t.  IX,  p.  217. 

4.  Deseartes  fit  la  réfutation  des  Instances,  «  non  pas  sur  le  livre  de  IM.  Gassendi 
qu'il  avait  lu  avec  trop  de  négligence,  et  dans  la  résolution  de  n'y  rien  trouver  qui  eût 
besoin  de  réponse,  mais  sur  des  extraits  fidelles  que  quelques  amis  communs  avaient 
faits  des  endroits  qui  méritaient  le  plus  d'être  réfutez.  )  (A.  Baillet,  La  vie  de  Monsieur 
Des-Cartes,  t.  II,  p.  279-280). 

5.  On  la  trouvera  dans  les  Œuvres  de  Descartes,  t.  IX,  p.  202-217. 

6.  Clerselier,  ayant  traduit  les  Objections  de  Gassendi  et  les  Réponses  de  Descartes, 
finit  par  obtenir  de  ce  dernier,  qui  en  avait  demandé  la  suppression,  la  permission  de  les 
imprimer  avec  les  autres.  Mais,  au  lieu  de  figurer  à  leiu-  rang,  après  les  quatrièmes 
Objections  et  Réponses,  elles  viennent  les  dernières  et  sont  suivies  de  la  Lettre  à  Cler- 
selier. Cf.  Avertissement  du  traducteur,  dans  OD,  t.  IX,  p.  200-201. 

7.  A.  Baillet,  La  Vie  de  Monsieur  Dès-Cartes,  t.  II,  ^.  280.  ' 

8.  Ada:\i,  Vie  et  Œuvres  de  Descartes,  p.  450. 


n.    —  TRAVAUX   SCIENTIFIQUES   ET   PHILOSOPHIQUES  15 

la  Lettre  à  Clerselier,  car  l'année  même  où  elle  fut  publiée,  il  se  prêta 
de  bonne  grâce  à  un  rapprochement  avec  Descartes,  de  passage  à 
Paris  (1647).  Ce  fut  le  jeune  abbé  César  d'Estrées  ^,  qui  servit  de  trait 
d'union  "-.  Pour  sceller  la  réconciliation  des  deux  adversaii'es,  il  les 
invita  à  dîner,  et  avec  eux  C(uelques-uns  de  leurs  amis  :  le  Père  Mer- 
senne,  le  mathématicien  Gilles  Roberval  ^,  l'abbé  Jean  de  Lau- 
NOY  *,  Michel  de  Marolles  ^,  abbé  de  Villeloin,  etc.  Pris  d'une 
subite  indisposition,  Gassendi  ne  put  assister  à  la  réunion.  Mais  le 
repas  fini,  les  convives  se  transportèrent  au  domicile  du  malade. 
Descartes  et  Gassendi  s'embrassèrent  amicalement.  Leur  réconcilia- 
tion avait  été  sincère  ;  elle  fut  durable. 

Nous  avons  laissé  Gassendi  faisant  son  cours  de  mathémathiques 
au  Collège  royal.  Une  fatigue  de  poitrine  l'obHgea  à  retourner  dans  le 
Midi  (octobre  1648).  Il  alla  «  tout  droit  à  Aix  près  M.  le  comte  d'Alais  », 
toujom'S  avide  de  mettre  à  profit  ses  lumières,  et  heureux  de  goûter 
le  charme  de  sa  compagnie.  Il  continua  à  mener  de  front  ses  obser- 

1.  CÉSAK  d'Estrées,  né  et  mort  à  Paris  (1628-1714),  fils  du  maréchal  François 
d'Estrées,  devint  évêque-duc  de  Laon  et  pair  de  France  (1653),  puis  cardinal  (1674). 
Potu-vu  de  l'abbaye  d«  Saint -Germain-des-Prés  (1703),  il  y  mourut  et  y  fut  enterré. 
L'Académie  française  l'avait  élu  es»i  1656. 

2.  Voir  le  récit  de  Sorbière,  Loco  citato.  p.  18-19. 

3.  Gilles  Roberval.  né  à  Roberval,  village  du  Beauvaisis,  en  1602,  et  mort  à  Paris 
en  1675,  s'appelait  Personne  ou  Personnier,  mais  en  venant  (1627)  dans  la  capitale, 
il  échangea  ce  nom  contre  celui  de  son  village.  Il  occupa,  au  Collège  royal,  la  chaire 
de  mathématiques  fondée  par  Ramus  et  fut  membre  de  l'Académie  des  sciences,  dès 
son  origine.  D'un  naturel  emporté,  il  eut  de  vives  discussions  avec  De^cartes. 

4.  Jean  de  Lattkoy,  né  au  Le  Valdecie,  près  Valognes  (1601),  fit  ses  études  littéraires 
à  Coutances,  sous  la  direction  de  son  oncle,  GuiUaiune  de  Launoy,  promoteur  du 
diocèse,  puis  sa  philosophie  et  théologie  au  collège  de  Xavarre,  à  Paris.  En  1636,  il 
reçut  le  bonnet  de  docteur  en  théologie  et  fut  ordonné  prêtre.  Ayant  refusé  de  souscrire 
à  la  condamnation  d'Antoine  Arnauld  (1656),  la  Sorbonne  l'exclut  de  son  sein.  Il  a 
beaucoup  écrit  sur  la  théologie,  la  discipline  et  l'histoire  ecclésiastique.  Son  érudition 
est  très  étendue  ;  mais  sa  doctrine  s'inspire  d'un  Gallicanisme  et  d'un  Régalisme  très 
accentués.  L'abbé  Graîœt  a  publié  ses  Œuvres  complètes  (J.  Lattnoii,  Constantiensis, 
Parisiensia  Theologi,  Socii  Navarrcfi  Opéra  omnia,  Genève,  1631-1632)  en  10  volumes 
in-folio.  Citons  rœu\Te  qui  nous  intéresse  au  point  de  \-ue  philosophique  :  De  varia 
Aristotelis  in  Academia  Parisiensi  fortuna,  extratieis  hinc  inde  adornata  prœsidiis  (Paris, 
I653-;  La  Haye,  1656  ;  Paris,  1662  ;  dans  ses  Opéra  omnia,  t.  IV,  P.  i,  p.  173-246). 
Les  hardiesses  de  sa  critique  hagiographique  le  firent  surnommer  le  «  dénicheiur  de 
Saints  ».  Bonaventtjre  d'Argonne  le  juge  ainsi  :  «  ...  Ou  peut  dii-e,  en  général,  que, 
dans  tout  ce  que  ce  Docteur  a  composé,  il  y  a  beaucoup  plus  d'érudition  que  de  juge- 
ment et  de  bonne  logique.  »  (Mélanges  d'Histoire  et  de  Littérattire.  p.  267,  Rouen,  1699). 
Il  mourut  à  Paris,  le  10  mars  1678,  dans  l'hôtel  du  cardinal  d'Estrées,  qui  l'hébergea 
•durant  vingt-trois  ans  et  dont  il  fut  le  théologien  f.9uus  theologus,  dit  Sorbière,  Loco 
cit.,  p.  19).  A  sa  demande,  on  l'enterra  dans  l'église  des  Minimes  de  la  Place  Royale,  où 
il  avait  l'habitude  de  dire  la  messe.  Cf.  Nicerox,  Mémoires  puor  servir  à  Vhistoire  des 
Ji<mmi€S  illustres...,  t.  XXXII,  p.  90  sqq.  —  P.  Féret,  La  Facidté  de  Théologie  de  Paria 
et  ses  Docteurs  les  plus  illustres, .époque  moderne,  t.  V,  1.  I,  ch.  i,  p.  1-35. 

5.  Michel  de  Marolles,  né  (1600)  à  Marolles  en  Touraine  et  mort  à  Paris  (1681), 
fut  nommé  abbé  de  Villeloin  en  1626.  Il  a  laissé  ('e  très  nombreux  ouvrages,  sans 
grande  valeur.  Citons  .ses  Mémoires,  Paris,  2  vol.  in-fol.,  1656-1657  ;  le  Livre  des  Peintres 
£t  des  Graveurs,  Paris.  —  Il  a  été   réédité   par    Georges    Duplessis,    Paris,    1855  : 

1872  2.  —  Catalogue  des  ouvrages  de  Marolles  dans  Xiceron,  Mémoires,  t.  XXXII, 
pp.  217-233. 


16  .        ARTICLE  ir.  CHAPITRE  I.  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

vations  astronoinic^ues  et  ses  recherches  philosophiques.  Coup  sur 
coup  on  vit  paraître  à  Lyon  (1647  et  1649)  ses  trois  ouvrages  si  éru- 
dits  sur  Épicure  ^. 

Ce  n'est  qu'en  a\'ril  1553  que  Gassendi  revint  à  Paris,  accompagné 
de  son  secrétaire.  Antoine  de  La  Poterie  -,  et  de  François  Bernier, 
médecin  originaire  de  l'Anjou.  Cette  fois  il  logea  chez  Henri-Louis^ 
Habert,  seigneur  de  Montmor,  <(  conseiller  du  Roy  en  ses  Conseils 
et  maistre  des  Requestes  ordinaires  de  son  hostel  »,  rue  Saint- Avoye  ^. 
Il  y  fut  entouré  de  soins  et  d'égards.  Dans  la  maison  de  ce  maître 
des  reciuêtes,  qui  par  surcroît  était  Tun  des  quarante  de  l'Académie 
française,  philosophe  et  poète  latin  ^,  se  tenait  chaque  semaine  une 
réunion  de  «  doctes  personnages  »  pour  disserter  sur  les  sciences  phy- 
siques. Gassendi  fut  l'ornement  de  ce  cénacle.  En  rapportant  ce  fait 
intéressant,  Daniel  Huet  ne  craint  pas  d'affirmer  que  le  mérite  de 
Gassendi  le  plaçait  au  rang  des  premiers  philosophes  de  son  temps. 
Puis,  se  faisant  l'écho  d'une  rumeur  plus  ou  moins  fondée,  il  ajoute 
ce  trait  piquant  :  M.  de  Montmor,  qui  feignait  d'approuver  la  doctrine 
épicurienne  de  Gassendi,  était  secrètement  favorable  à  Descartes 
et  ne  groupait  autour  de  lui  un  certain  nombre  de  philosophes  qu'avec 
r arrière-pensée    de    les    amener    insensiblement    au    Cartésianisme  ^. 


1.  De  Vita  et  Morihus  Epicuri  Libri  octo,  Lyon,  1647.  —  Animadrerslones  in  Decitnutn 
Lihrum  Dioyenis  Lierlii...,  Lyon,  l»î49.  —  Syntagma  Philosophiœ  Epicuri...,  Lyon, 
1 049. 

2.  On  a  sur  lui  deux  lettres  malveillantes  de  Gui  Patin,  qui  ne  sont  pas  exemptes  de- 
prévention  :  Lettres  à  S  pou  du  9  juin  1654,  p.  U3,  et  du  5  juillet  1658,  p.  403.  Edition 
J.-H    Réveillé-Paris'^,  t.  II    Pht.s.   184o. 

3.  Montmort  avait  un  cabinet  de  curiosités  où  l'on  admirait  siu-tout  des  ciselures. 
Cf.  DE  Marolles,  Mémoires,  t.  I,  p.  119. 

4.  Pellisson  et  d'OLiVET,  Histoire  de  V Académie  française  :  Catalogue  de  Measieur» 
de  r  Académie,  t.  I.  p.  159-161,  édit.  Ch.-L.  Livet,  Paris,  1858.  —  Montmor  (  ?  —  l"ô79), 
après  avoir  lu  les  Principes  de  Descartes,  les  mit  en  vers  dans  un  poème  :  De 
rerum  natur  i,  resté  inédit.  Sorbière  prétend  que  «  les  pensées  de  M.  Descartes  y  étaient 
plus  aisées  à  entendre  que  dans  les  écrits  de  leur  auteur.  »  (Lettres  et  Discours,  Paris^ 
1660,  p.  371). 

5.  P.-D.  Hi'ET.  Conimentarius  de  rébus  ad  eum  pertinent ibu»,  Amsterdam,  1718,. 
L.  III,  p.  166-167.  Voici  la  traduction  du  passage  :  «  C'est  ainsi  [giâce  à  la  recomman- 
dation de  Chapelain]  que  je  connus,  entre  autres,  Henri-Lol^s  Habert  de  Mont- 
mor, maître  des  requêtes,  ami  des  sciences,  des  lettres  et  de  la  philosophie.  11  réunissait 
chez  lui,  un  jour  par  semaine,  un  grand  nombre  de  savants  qui  se  communiquaient  les^ 
uns  aux  autres  leurs  doctes  et  utiles  remarques  sur  la  philosophie  naturelle  (de  rebua 
physicis)  ...  L'honneur  de  cette  assemblée  était  P.  Gassendi,  dont  j'ai  déjà  parlé,  sans^ 
contredit  un  des  premiers  philosophes  de  ce  siècle.  Quoiqu'il  demeurât  avec  Montmor, 
qui  paraissait  être  im  de  ses  partisans  et  qui  louait  la  doctrine  d'Epicure,  Montmor 
ne  laissait  pas  d'être  en  secret  favorable  à  Deseartes,  dont  Gassendi  était  l'adversaire 
déclaré,  et  on  croyait  quil  n'avait  fondé  chez  lui  cette  réunion  de  philosophes  que  pour 
familiariser  leur  esprit  avec  la  doctrine  de  Descartes  et  les  amener  peu  à  peu  à  la  par- 
tager >.  (Ch.  Nisard,  Mémoires  de  Daniel  Huet...,  L.  Ill,  p.  106-107,  Paris,  1853).  — 
J.  Chapelain  s'est  fait  l'écho  du  même  bruit.  Cf.  Mélanges  de  Littérature  tirez  des  lettres- 
manuscrites  de  M.  Chapelain,  Paris,  1720,  p.  260  (Publiés  par  Fr.-D.  Camusat).  — • 
Cf.  Lettre  de  S.  de  Sorbière  à  Hobbes,  (l'^''  févr.  1658)  sur  les  «  Reglemens  de  V Assemblée 
de  Physiciens  qui  se  fit  à  Paris  chez  M.  de  Montmor  l'an  1657  »,  dans  Lettres  et  Discour» 
de  M.  de  Sorbière  sur  diverses  Matil-res  curieuses,  Paris,  1660,  p.  631-636.  L'article  I 
du  règlement  porte  que  dans  ces  Conférences  «  on  se  proposera  toujours  la  plus  grande 
cognoissance  des  œu\ies  de  Dieu  et  radvancement  des  commodités  de  la  vie  dans  le» 


in.    —    LES    DERNIEES    JOURS.    —    HOMMAGES  17 

L'activité  intellectuelle  de  Gassendi  ne  connut  pas  de  déclin. 
En  1654,  il  publia  les  Vies  de  Tycho-Brahé.  de  Copernic,  de  Peurbach 
et  de  Begiomontamis  (Jean  Millier)  i,  ainsi  qu'une  Notice  historique 
sur  l'église  de  Digne  '^.  Mais  sa  principale  occupation  fut  de  terminer 
le  grand  ouvrage,  qui  est  comme  la  synthèse  de  ses  idées  philosophiques, 
le  Syntagma  philosophicum  ^,  imprimé  seulement  après  sa  mort. 


III.     —  LES    DERNIERS    JOURS.    HOMMAGES    A    SA    MÉMOIRE 

La  santé  de  Gassendi,  qui  avait  toujours  été  délicate,  ne  put  sou- 
tenir ce  labeur  exces.sif.  Il  tomba  malade  le  27  novembre  1654  et 
(c  garda  la  chambre  jusqu'au  6  janvier  »  de  l'année  suivante,  qui  devait 
être  sa  dernière.  Après  une  améhoration  passagère,  il  retomba  et  ne 
fit  plus  que  languir,  miné  par  une  <(  fièvre  continue  ».  Force  lui  fut 
de  renoncer  à  ses  chères  promenades  dans  le  jardin  de  M.  de  Mont- 
mor  et  aux  longues  conversations  avec  ses  amis  qui  faisaient  ses  déHces. 
Des  saignées  abondantes  et  répétées  (Sorbière  en  compte  treize)  *, 
selon  la  mode  meurtrière  du  temps,  achevèrent  de  l'affaibhr.  Sentant 
sa  fin  prochaine,  il  ne  songea  plus  qu'à  son  âme,  s'entretenant  de  pieuses 
pensées.  Lui-même  demanda  les  derniers  sacrements  et  les  reçut 
en  pleine  connaissance  :  il  redressa  une  erreur  du  prêtre  qui  se  trompait 
de  formule  en  lui  ad  ninistrant.rExtrême-Onction.  Sa  mort,  douce  et 
confiante,  arriva  le  24  octobre  1655,  à  trois  heures  de  l'après-midi^. 
Il  était  âgé  de  soixante-trois  ans  et  neuf  mois  ^. 

Il  n'y  a  qu'une  voix,  parmi  ses  contemporains,  pour  rendre  hom- 
mage aux  vertus  de  Gassendi.  A  Digne,  on  l'appelait  «  le  saint  prêtre  «, 
(  le  bon  prévôt  ».  Son  zèle  sacerdotal  le  porta  souvent  à  instruire  et 

Arts  et  les  Sciences  qui  servent  à  les  mieux  establir.  »  (Ibidem,  p.  633).  —  Du  temps  où 
Gassendi  assistait  à  ces  réunions  savantes,  ce  règlement  n'existait  pas,  mais  l'esprit 
qui  les  animait  était  le  même.  Fréquentaient  chez  M.  de  Montmor,  Roberval,  Mersenne 
'Clerselier,  Picot,  Sorbière,  Chauveau,  mathématicien,  qui  avait  été  condisciple  de 
Descartes  à  La  Flèche.  , 

1.  Gassendi  Opéra,  t.  V,  pp.  363-534.  Gassendi  a  dédié  la  Vie  de  Tycho-Brahé  à 
Habert  de  Montmor,  celles  de  Copernic,  de  Peurbach  et  de  Regiomontanus  à  Chapelain. 

2.  Gassendi  Opéra,  t.  V,  pp.  659-724. 

3.  Gassendi  Opéra,  t.  I  et  IL 

4.  Gui  Patin  soigna  Gassendi  dans  sa  dernière  maladie.  Il  ne  pardonna  p£is  à  Sor- 
"bière  d'avoir  mentionné  ces  13  saignées  dans  sa  Préface.  Aussi,  dans  une  lettre  à  Spon 
du  5  juillet  1658,  dénigre-t-il  cette  Préface.  Cf.  Lettres  de  G.  Patin,  opère  citato   t.  Il' 
p.  405.  Dans  une  lettre  antérieure,  du   10  avril   1654  (Ibidem,  p.    128),  Patin  parlé 
au  contraire,  avec  bienveillance  de  Sorbière. 

5.  G.  Patin,  Lettre  à  G.  Falconet,  l^r  nov.  1656.  Edition  Rkveillé-Pari.se  t.  III 
p.  65. 

6.  Sorbière  raconte  qu'après  la  mort  de  Gassendi  on  lui  trouva  la  main  droite  posée 
sur  le  cœur.  Il  ajoute  que  Gassendi  sentant  sa  lin  prochaine  avait  appliqué  sur  son 
cœur,  qui  ne  battait  plus  que  faiblement,  la  main  de  La  Poterie,  et  lui  avait  dit  : 
«  Tu  vois  ce  qu'est  la  vie  de  l'homme  !  »  (Loco  citato,  p.  9-10).  Tamizey  de  Larroque  fait 
justement  remarquer  que  «  les  novissima  vcrba  attribués  à  Gassendi  par  Deslandes 
(Réflexions  sur  les  grands  liommes  morts  en  plaisantant,  p.  147)  n'ont  aucuiie  authenti- 
cité et  ne  méritent  que  notre  dédain.  »  (Revue  des  Questions  historiques,  1877  t  II 
p.  233,  n.  6).  '    ■       ' 


18  ARTICLE  II.  CHAPITRE  I.  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

prêcher  le  peuple  :  il  ne  renonça  à  ce  ministère  évangélique  que  con- 
traint par  la  faiblesse  de  sa  poitrine.  Il  montra  toute  sa  vie  la  piété 
que  nous  avons  signalée  au  moment  de  sa  mort.  Sa  patience  dans  les 
épreuves  était  admirable  :  «  On  ne  luy  a  jamais  qu'ouy  dire  :  Mon 
Dieu,  je  veux  tout  ce  que  vous  voulez.  »  Il  avait  une  haute  idée  de  sa 
responsabilité  :  pendant  sa  dernière  maladie,  «  craignant  que  son  béné- 
fice ne  tombast  entre  les  mains  de  quelqu'un  incapable  de  faire  l'of- 
fice à  la  gloire  de  Dieu,  il  le  résigna  à  une  personne  capable  »  i.  Les 
honneurs,  auxquels  son  mérite  semblait  le  destiner,  ne  le  tentèrent 
point  :  au  rapport  de  Guy  Patin,  il  déclina  l'offre  de  la  dignité  épisco- 
pale.  Content  de  peu,  il  était  très  libéral  envers  les  pauvres  et  ne 
recherchait  point  la  richesse.  Sa  sobriété  fut  celle  d'un  anachorète  : 
il  ne  buyait  pas  de  vin  et  mangeait  rarement  de  la  viande.  En  fait  de 
débauche,  il  ne  connut  que  la  «  débauche  de  la  philosophie  »,  comme  le 
raconte  plaisamment  Guy  Patin  :  «  M.  Naudé,  bibliothécaire  de  M.  le 
cardinal  Mazarin,  intime  ami  de  M.  Gassendy,  comme  il  est  le  mien, 
nous  a  engagez  pour  dimanche  prochain  à  aller  souper  et  coucher 
nous  trois  en  sa  maison  de  Gentilly,  à  la  charge  que  nous  ne  serons  que 
nous  trois,  et  que  nous  y  ferons  la  débauche  ;  mais  Dieu  sait  quelle 
débauche  !  M.  Naudé  ne  boit  naturellement  que  de  l'eau  et  n'a  jamais 
goûté  vin.  Gassendy  est  si  déhcat  qu'il  n'en  oseroit  boire,  et  s'imagine 
que  son  corps  bruler-oit  s'il  en  avoit  bu...  Pour  moi,  je  ne  puis  que  jeter 
de  la  poudre  sur  l'écriture  de  ces  deux  grands  hommes  ;  j'en  bois  fort 
peu  ;  et  néanmoins  ce  sera  une  débauche,  mais  philosophique,  et  peut- 
être  quelque  chose  davantage,  pour  être  tous  trois,  guéris  du  loup- 
garou  et  délivrés  du  mal  des  scrupules,  qui  est  le  tjrran  des  consciences, 
nous  irons  peut-être  jusque  fort  près  du  sanctuaire  »  ^. 

C'était  un  travailleur  infatigable  ^.  Levé  de  très  bonne  heure, 
«  jamais  plus  tard  qu'à  quatre  »  *,  il  consacrait  ses  longues  journées 
à  la  lecture  et  à  la  composition.  Avec  de  telles  habitudes  matinales, 
on  conçoit  qu'il  ait  pu  acquérir  une  érudition  qui  passait  pour  pro- 
digieuse (stupendœ  eruditionis)  ^.  Il  avait  appris  par  cœur  une  grande 
quantité  de  vers  tirés  de  tous  les  poètes.  «  De  Latins  seuls,  sans  conter 
{sic)  Lucrèce  tout  entier,  il  en  sçavait  six  mille,  dont  il  récitait  regle- 

X.  NicoLAUS  Taxil,  canonicus  Diniensis,  Pétri  [Gassendi]  cessione  fit  prœjjositua 
(GaUia  Christiana,  t.  XIII,  col.  1140). 

2.  Lettre  de  G.  Patin  à  André  Falconnet,  médecin  à  Lyon,  27  août  1648.  Edit.  Paul 
Triaire,  1. 1,  p.  616-617,  Paris,  1907.  Edit.  ReveiUé-Parise,  t.  II,  p.  508.  Gassendi  aimait 
ces  réunions  champêtres  et  en  gardait  douce  souvenance.  Car,  dans  une  lettre  écrite 
à  Neuré  s\u-  la  mort  de  Naudé  en  1653,  il  rappelle  avec  comj^laisance  les  conversations 
à  ia  campagne  qu'il  eut  avant  1631  avec  Diodati,  La  IMothe  Le  Vayer  et  Naudé  (quihua- 
cutn  sœpe  et  congregari  et  rusticari  salitl  fuimus).  Naudé  s'est  fait  plusieurs  fois  l'écho 
de  ces  doctes  entretiens,  notamment  dans  son  Syntagma  de  militari  studio,  Rome,  1637. 
(Cf.  Gassendi  à  M.  Neuré,  Paris,  26  octobre  1653,  OG,  t.  VI,  p.  544,  col.  1). 

3.  On  trouve  ce  détail  piquant  dans  les  Mémoires  de  La  Poterie  :  «  Il  [Gassendi] 
aimoit  tant  l'estude  et  trouvoit  le  temps  si  cher  et  si  précieux  qu'il  ne  vouloit  point  le 
perdre  en  se  fesant  raser  le  poil.  Seulement  se  contentoit-il,  n'ayant  jamais  voulu  passer 
pour  joly,  de  se  le  couper  luy-mesme  avec  ses  petits  ciseaux  d'estuy,  quand  il  s'en  res- 
souvenoit,  et  cela  en  estudiant.  »  (Loco  cit.,  p.  239). 

4.  Bekniee,  Abrégé  de  la  Philosophie  de  Gassendi,  t.  I,  Préf.,  p.  4. 

5.  SoRBiÈEE,  Loco  citato,  p.  1. 


in.   —  LES   DERNIERS  JOURS.   —  HOMMAGES  19 

ment  trois  cent  tous  les  jours  »  i.  Ce  n'était  pas  seulement  pour  exercer 
.<^a  mémoii'e  et  l'empêcher  de  s'affaiblir  arec  1  âge.  C'était  encore, 
comme  il  aimait  à  le  dire,  parce  que  les  belles  Poésies  qu'on  apprend 
et  qu'on  récite  souvent  entretiennent  lesprit  dans  une  certaine  élé- 
vation qui  anoblit  le  style  de  ceux  qui  écrivent,  et  inspire  de  grands 
sentimens  )■  -.  A  cette  chère  habitude  il  resta  fidèle  presque  jusqu'à 
la  fin.  On  l'entendit,  au  début  de  sa  dernière  maladie,  redire  les  vers 
de  ses  poètes  latins  favoris  ;  mais,  dès  que  le  malade  comprit  la  gra- 
"\'ité  de  son  état,  il  dit  adieu  à  la  poésie  profane,  pour  réciter,  sous  forme 
de  prière,  les  versets  de  c?rtains  psaumes  ^. 

Ce  qui  frappait  sm"tout  dans  la  personne  de  Gassendi  et  lui  gagnait 
les  cœurs,  c'est  la  sincère  modestie,  dont  il  ne  se  déj)artit  jamais, 
malgré  les  marques  d'admiration  dont  ou  l'entourait.  Il  parlait  peu  de 
lui-même  et  de  ses  travaux,  ne  se  vantait  jamais.  Une  lui  coûtait  pas 
d'avouer  sa  propre  ignorance  et  de  proclamer,  en  face  des  mystères 
de  la  nature,  combien  l'esprit  humain  est  borné.  Dans  les  polémiques, 
si  l'on  excepte  son  réquisitoire  contre  les  Aristotéliciens,  péché  de 
jeunesse,  il  se  montra  modéré  et  courtois.  Cette  modération  n'allait 
pas  sans  mérite,  car  son  naturel  le  portait  à  l'ironie  (Erat  quippe 
tiatura  sua  ad  ironiarn  propensior)  *.  D'humeur  plaisante,  il  excellait 
à  conter  des  historiettes  facétieuses.  ^lais,  toujours  maître  de  lui- 
même,  c'est  unicpiement  en  présence  de  ses  plus  intimes  amis  qu'il  se 
donne  fibre  carrière  ^. 

Les  témoignages  du  temps  sont  très  favorables  à  Gassendi.  En  voici 
quelques-uns. 

Jean  Renaud  de  Segraisuous  a  laissé  sur  la  simpficité  de  ce  grand 
homme  un  souvenir  touchant  :  «  J'ai  connu  Gassendi  particuhèrement... 
Gassendi  étoit  doux,  facile  ;  il  s'amusoit  avec  les  petits  enfans  ;  il 
menoit  promener  au  jardin  ceux  de  M.  de  Montmor  ;  il  les  prenoit 
siu"  ses  genoux  et  les  faisoit  sauter  et  danser.  Il  ne  savoit  ce  que  c'étoit 
de  se  mettre  en  colère  et  il  faisoit  tout  ce  qu'on  vouloit  ^  » 

Gui  Patin,  qui  a  connu  de  près  Gassendi  et  n'était  point  un  dévot,  l'a- 
précie  en  ces  termes  :  «  J'ai  grand  regret,  écrit-il  à  son  confrère.  M.  Spon, 
médecin  à  Lyon,  que  vous  n'ayez  pas  veu  l'incomparable  M.  C4assendi  : 
c'est  un  digne  personnage,  es^  Sihnis  Alcihiadis.  Vous  eus.siez  veu 
un  grand  homme  en  petite  taille.  C'est  mi  abbregé  de  vertu  morale 
et  de  toutes  les  belles  sciences,  mais,  entre  autres,  d'une  grande  humi- 
hté  et  bonté,  et  d'une  connaissance  très  subHme  dans  les  mathéma- 
tiques »  '. 

Bernier,  qui  l'avait  beaucoup  fréquenté,  nous  fait  cette  confidence  : 


1-2.  Bekxier,  Opère-  citato.  Ibidem,  p.  i-ô  ;  ûi-^Cf.  La.  Voterie,  Mémoires,  Loco 
citato,  p.  237. 

3.  SoRBiÈRE,  Loco  citato,  p.  9. 

4-5.  SoKBiÈRE,  Loco  citato,  Praefat.,  p.  6. 

6.  Sbgrais,  Mémoires,  Anecdotes,  dans  Œuvres  choisies,  t.  I,  pp.  43-41,  Amsterdam. 
1723  ;  ou  bien  :  Segraisiana,  Mélange  d'Histoire  et  de  Littérature  recueilli  dans  les 
Entretiens  de  M.  de  Segrais,  pp.  35-36,  La  Haye,  1722. 

7.  Gui  Patin  à  Charles  Spon,  8  janvier  1649.  Edition  Trlaibe,  t.  I,  p.  627.  —  EJit. 
KE^-EILLÉ-PARISE,  t.  I,  p.  423. 


20  ARTICLE  II.  CHAPITRE  I.  —  VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 

«  11  n'estait  ni  glorieux,  ni  difficile  ;  c'étoit  une  douceur  et  une  huma- 
nité sans  pareille  ^.  « 

Charles  Perrault,  qui  l'a  placé  parmi  ((  les  hommes  illustres  », 
s'exprime  ainsi  :  «  Pierre  Gassendi  méritait  plutôt  le  nom  de  Sage 
que  celui  de  Philosophe,  parce  que  son  âme  estait  encore  plus  ornée 
de  vertus  que  son  esprit  ne  l'estoit  de  connaissances  ^.  » 

Le  PÈRE  Rapin  ne  lui  ménage  pas  l'éloge  :  «  Gassendi  est  un  auteur 
qu'on  ne  peut  assez  loiier.  On  ne  trouve  dans  toute  l'antiquité  aucun 
philosophe  qui  ait  mis  au  jour  six  gros  volumes  de  sa  force  ^.  » 

Citons  enfin  le  témoignage  très  autorisé  de  Hobbes  :  ((  Je  désire, 
écrivait-il  à  Gassendi  dans  une  lettre  intime,  non  seulement  que  vous 
vous  portiez  bien,  mais  savoir  qu'en  fait  vous  allez  bien,  vous  qui, 
autant-  ((ue  je  puis  pénétrer  dans  l'intérieur  d'un  homme,  surpassez 
tous  les  mortels  par  la  science,  et  dont  la  vertu  surpasse  la  science  *.  » 

]\I.  de  ^lontmor  avait  généreusement  donné  l'hospitalité  à  Gassendi 
pendant  les  dernières  années  de  sa  vie  :  il  voulut  la  lui  accorder  jusque 
dans  la  mort.  Il  fit  donc  enterrer  son  ami,  à  Saint-Nicolas-des-Champs, 
dans  le  caveau  de  ses  ancêtres,  auprès  de  Guillaume  Budé,  son  grand- 
oncle.  L'enterrement  eut  lieu  dans  la  matinée  du  26  octobre,  «  en  belle 
compagnie»,  selon  le  mot  de  G.  Patin  ^  qui  nomme  parmi  les  assis- 
tants, MM.  de  Sorbière,  Mbsnage,  Quillet,  Chapelain,  La  Mothe- 
le-Vayer,  de  Valois,  Padet,  l'abbé  Bourdelot,  etc. 

M,  de  Montmor  ne  s'en  tint  pas  là  :  par  ses  soins  pieux,  une  plaf^ue 
en  marbre  noir  et  blanc,  que  surmonte  le  buste  de  Gassendi  ^,  fut 
fixée  aux  murs  de  la  chapelle  funéraire.  On  pouvait  y  lire  ^  cette 
Dédicace  : 

HENRICUS    LUD.    HABERTUS    DE 

MONTMOR 

LIBELL.    SUPL.    MAGLSTER 

VIRO    PIO,    SAPIENTI,    DOCTO 

AMICO    SUO    ET  H08PITI 

POSUIT    . 

1.  Berxieh,  Opère  citato.  Préface,  p.  4. 

2.  Ch.  Pkrraxxlt,  Les  hommes  iUustrea  qui  otU  paru  en  France  pendant  le  XVII^  siècle, 
Paris,  1701,  3^  édit.,  t.  I,  p.  132. 

3.  Père  Rapin,  Réflexions  sur  la  Philosophie  ancienne  et  moderne  et  sur  Vusage  qu^on 
en  doit  faire  paur  la  Religion  :  IV^  Partie  ;  Réflexions  sur  la  Physique,  §  ix,  Edition  des 
Œuvres  du  Père  Rapin,  t.  II,  p.  451,  La  Haye,  1725.  —  Le  passage  cité  ne  se  trouve  pas 
dans  l'édition  prince ps,  qui  parut  anOnjTue,  en  1676,  à  Paris. 

4.  ...  Cupio  non  modo  ut  valeas,  sed  ut  id  ipsum  te  valere  sciam,  qui,  quantum  in 
hominem  inspicere  possum,  scientia  omnes  mortales  et  scientiam  virtute  superas 
(Hobbes  à  Gassendi,  Paris,  22  sept.  1649,  OG,  t.  VI,  p.  522,  col.  1). 

5.  G.  Patin  à  Spon,  26  oct.  1655,  t,  II,  p.  216. 

0.  Ce  buste  est  l'œuvre  de  Jean  Lenfant,  graveur  et  sculpteur,  né  à  AbbeWUe, 
vers  1615,  et  mort  à  Paris  en  1674.  On  cite  de  lui  les  portraits  de  François  de  Harlay, 
archevêque  de  Rouen,  d'après  Philippe  de  Champaigrie  (1664),  du  chancelier  Louis 
Boucherat  (1670). 

7.  Il  ne  reste  plus,  dans  l'église  Saint-Nicolas-des-Cliamps,  aucune  trace  du  monu- 
ment de  Gassendi. 


m.    —    LES    DERNIERS    JOURS.    —   HOMMAGES  21 

Quatre  disciples,  Abraham  du  Prat,  Thomas  de  3Iartel,  Samuel 
SoRBiÈRE  et  François  Bernier,  composèrent  une  épitaphe  latine 
très  élogieuse  en  l'honneur  du  Maître  ^. 

A  Digne,  l'oraison  funèbre  de  Gassendi  fut  prononcée  par  Nicolas 
Taxil,  qui  lui  avait  succédé  dans  la  charge  de  Prévôt  de  la  cathédrale. 
L'orateur  célébra  les  vertus  et  la  science  du  «  Philosophe  chrétien  ». 
La  foule,  qui  encombrait  l'égHse,  pleura  le  «  saint  prêtre  »,  le  «  bon 
prévôt  )'.  que  ses  prédications,  sa  douceur  et  ses  Hbéralités  avaient 
rendu  très  populaire.  Ce  fut  vraiment  un  jour  de  deuil  public  -.  Alors 
la  mode  n'était  pas  aux  statues.  La  viUe  de  Digne  n'en  a  élevé  une 
à  la.  mémoire  de  Pierre  Gassendi,  le  plus  illustre  de  ses  enfants, 
qu'en  1852.  Il  est  représenté  debout,  en  costume  de  chanoine,  ayant 
à  ses  pieds  des  livres  et  une  sphère  céleste  ^. 

Après  avoir  énuméré  les  ouvrages  de  Gassendi,  nous  étudierons 
successivement  le  polémiste,  l'apologiste  de  la  philosophie  d'Epicm^e, 
le  philosophe  exposant  la  synthèse  de  son  système,  enfin  le  savant. 
Le  terrain  ainsi  préparé,  un  jugement  d'ensemble  sur  l'œuvre  de  Gas- 
sendi pourra  être  équitablement  formulé.  Un  dernier  chapitre  sur  les 
disciples  du  philosophe  provençal  sera  le  complément  naturel  de  l'his- 
toire du  Maître. 

1.  On  trouvera  cette  épitaphe  dans  Bottgerel,  Vie...,  L.  VI,  pp.  458-460. 

2.  Atque  tanto  civium  omnis  aetatie  concursu,  tam  largo  autem  omnium  fletu,  ut 
non  meminerint  senes  publicum  luctum  huic  similem  extitisse.  (Sorbière,  Loco  citato, 
p.  10). 

3.  Cette  statue  de  bronze  a  été  fondue  par  Ramxjs  de  Marseille. 


IV.    —    TABLEAU    CHRONOLOGIQUE 
DES  QiUVRES  DE  GASSENDI 


ŒUVRES    SCIENTIFIQUES 


1618-1655. 


1630. 


1632. 


1636. 


1642. 


1642. 


1643. 


De  JRebus  cœlesfibus  Commentarii  seu  Observationes  ab 
anno  1618  ad  annvm  1655  habitœ.  ■ —  Ouvrage  postliume, 
qui  parut  dans  les  Opéra  Gassendi,  Lyon,  1658,  t.  IV,  pp.  75- 
498.  —  Nous  renverrons  à  cette  édition  pour  toutes  les  œuvres 
qu'elle  contient. 

Parhelia  sive  Soles  quatuor,  qtii  circa  verum  apparuerunt 
Bomœ,  die  XX  menais  Martii,  anno  1629,  et  de  eisdem  Pétri 
Gassendi  ad  Henricum  Renerium  Episiola,  Paris,  1630  ;• 
La  Haye,  1656.  —  Phœnomenon  rarum  et  illustre  Romœ 
observatum  20  Martii,  anno  1629.  Subjuncta  est  cau^aruni 
explicatio  brevis  Clarissimi  Philosophi  et  Bîathematici  D.  Pétri 
Gassendi  ad  lUustrissimum  Cardinalem  Barbarini  [sic], 
Amsterdam,  s.  d.,  Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  651-662. 

Mercurius  in  Sole  Visus  et  Venus  invisa  Parisiis  anno  1631. 

Pro  voto  et  admonitione  Klepperi  per  Petrum   Gassendum, 

■  cujus  heic  sunl  ea  de  re  Epistolœ  duœ  cum  observatis  quibusdam 

aliis,  Paris,  1632.  —  La  Haye,  1656.  —  Cf.  0.  G.,  t.  IV, 

pp.  499-510. 

Solstitialis  Altitudo  Massiliœ  seu  Proportio  Gnomoriis  ad 
solstitiam  umbram  observata  Massiliœ  anno  1636,  pro  Wen- 
delini  voto.  —  Cet  opuscule,  comjDosé  de  trois  Lettres  à 
Wendelin,  datées,  les  deux  premières,  de  1636,  et  la  troisième, 
de  1643,  fut  publié  à  La  Haye  en  1656.  —  Cf.  0.  G.,  t.  IV, 
pp.  523-536. 

De  Apparente  Magnitudine  Solis  humilis  et  sublimis  Epis- 
tolœ quatuor,  in  quibus  complura  physica  opticaque  Proble- 
mata  proponuntur  et  explicantur,  Paris,  1642.  Ces  quatre 
Lettres  sont  adressées  à  G.  Naudé,  F.  Liceti,  Is.  Boulliau 
et  J.  Chapelain.  —  Cf.  0.   G.,  t.  III,  pp.  420-477. 

De  Motu  impresso  a  Motore  translata.  Epistolœ  duœ,  in 
quibus  aliquot  prœcipuœ,  tum  de  motu  universe,  tum  specia- 
tim  de  motu  terrœ  attributo,  di/pcuUates  explicantur,  Paris, 
1642.  —  Ces  deux  Lettres  sont  adressées  à  Pierre  Dupuy. 
—  Cf.  0.,G.,  t.  III,  pp.  478-520. 

Novem  Stellœ  circa  Jovem  visœ  et  de  eisdem  Pétri  Gassendi 
Judicium.    Accessit    Observatio    geminatœ   in   singulos   dies 


IV. 


TABLEAU    CHRONOLOGIQUE    DES    ŒUVEES   DE    GASSENDI 


23 


(œstus  maris  instar)  reciprocationis  perpendiculorum,  Paris, 
1643.  —  Cf.  0.  G.,  t.  IV,  pp.  511-522.  C'est  sous  forme  de 
Lettre  adressée  à  G.  Xaudé. 

1645.  Oratio  inauguralis  habita  in  Begio  Collegio,  Anno  1645, 
(lie  Xovembris  XXIII,  a  Petro  Gassendo,  Begio  Matheseos 
Professore,  Paris,  1645.  —  Cf.  0.  G.,  t.  IV,  pp.  66-73. 

1646.  De  Profortione  qua  gravia  decidentia  accelerantur  Epîstolœ 
très,  quihus  ad  totidem  Epistolas  B.  P.  Cazraei,  Societatis 

I     Jesu,  respondetur,  Paris,  1646.  —  Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  564- 
j     650. 

1647.  Institutio  Astronomica  juxta  Hypotheseis  tam  Veterum 
quam  Copernici  et  Thychonis  dictata  a  Petro  Gassendo. 
Ejusdem  Oratio  inavguralis  iterato  (dita,  Paris,  1647  ;  Londres, 
1653;  La  Haye,  1656;  Londres.  1675;  Amsterdam,  1680; 

!     Londres,  1683.  —  Cf.  G.  0.,  t.  IV,  pp.  1-65. 

1649.  Pétri  Gassendi  Apologia  in  Jo.  Bap.  Morini  Lihrwm,  cui 

titnlus  «  Alœ  Telluris  fractœ  »  :  Epistola  IV  de  Motu  impresso 
a  Motore  translato.  Una  cutn  tribus  Galilœi  Epistolis  de  conci- 
liatione  Scripturœ  S.  cum  systemate  Telluris  mohilis,  quarum 
duœ  posteriores  nondum  editœ  nunc  primtcm  M.  îs^EURA^i 
cnra  prodeunt,  Lyon,  1649.  —  Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  520-563. 
C'e.st  par  erreur  que  cette  Lettre  est  appelée  la  4®  ;  en 
réalité  elle  n'est  que  la  3°.  Elle  est  adressée  à  Joseph  Gaul- 
tier, Prieur  de  la  Valette.  On  la  trouve,  à  la  suite  des  deux 
premières  publiées  d'abord  en  1642  (Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  478- 
520),  sous  ce  titre  :  Epistola,  III...  —  L'erreur,  qui  ne  peut 
venii'  de  Gassendi,  est  sans  doute  le  fait  de  celui  qui  s'est 
occupé  de  la  publication  de  cet  ouvrage  composite,  probable- 
ment- de  Xeuré,. 

1649.  De  Sestertiorum  moneta  nostra  expressornm  Abacus,  publié 

d'abord  dans  l'Appendice  I  aux  Ani madversiones  in  X  Librum 
Diogenis  Laertii,  t.  I,  pp.  x-xxvni,  Lyon,  1649.  —  Edition 
séparée,  Paris,  1654  ;  Lj^on,  1675.  —  Cf.  0.  G.,  t.  V,  pp.  535- 
542. 

1654.  Bomanum   Calendarinm  compcndiose  ezpositum.   Accessit 

Corollarium  de  Bomano  Martyrologio,  Paris,  1654. 

1654.  Tychonis  Brahei,  EquitisDani,AstronomorumCoi-yphœi... 

Xicolai  Copernici,  Georgii  Peurbachii  et  Joannis  Begiomon- 
tani,  Astronomorum  celebrium,  Vita,  Paris,  1654  ;  La  Haye, 
1655.  —  Cf.  0.  G.,  t.  V,  pp.  363-534. 

1654.  Manu-Ductio  ad  Theoriam  seu  Partent  Speculativam  Musi- 

cœ,  1654.  Cet  opuscule  est  dédié  à  César  d'Estrées.  évêque  de 
Laon,  duc  et  pair  de  France.  —  Cf.  0.  G.,  t.  V,  pp.  629-658. 


§    II. 


ŒUVRES    PHILOSOPHIQUES 


1624.  I  Exercitationes  paradoxicœ  adversus  Aristoteleos,  in  quibus 
!  prœcipua  totius  Peripateticœ  Doctrinœ^ atque  Dialecticœ  fun- 
damenta  excutiuntur  ;  opiniones  vero  aut  novœ  aut  ex  Vêtus- 
tioribns  obsoletœ  stabiliuntur  :  Lib.  I.  In  Doctrinam  Aristo- 
teleorum  universe.  —  Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  105-148.  —  Gre- 
noble, 1624;  Amsterdam,  1649;  La  Haye,  1656.  — Le  Livre  II: 
Di  Dialecticam  Aristoteleorum  ne  parut  que  dans  les  0.  G.^ 


24 


ARTICLE  II.  CHAPITRE  I. 


VIE  ET  ŒUVRES  DE  GASSENDI 


1630. 

1634. 
1641. 


1644. 

1647. 
1649. 

164». 


1658. 

1668. 

1718. 


à  la  suite  du  Livre  I.  —  Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  149-210.  — 
Exercitatiormm  paraàoxicarum  adversus  Aristoteleos  Liber 
aller,  in  quo  Dialecticœ  Aristoteleœ  fundamenta  exctitiuntur..., 
La  Haye,  1659. 

Epistolica  ExercitaUo,  in  qua  prœcipua  Principia  Philoso- 
phiœ  Roherti  Fliiddi  Medici  reteguntur  et  ad  récentes  illius 
Lihros  adversus  R.  P.  F.  Marinum  Mersennum...  scriptos 
respondetur.  Cum  Appendice  aliquot  Observationum  cœles- 
tium,  Paris,  1630.  —  Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  211-268. 

Ad  Librum  D.  Edoardi  Herberti  Angli  «  De  Veritate  « 
Epistola.  —  Composée  en  1634,  à  Aix,  cette  Lettre  ne  parut 
qu'après  la  mort  de  Gassendi.  —  Cf.  0.  G.,  t.  III,  pp.  411-419. 

Dans  la  première  édition  de  ses  Meditationes  de  Prima 
Philosophia  (Paris,  1641)  Descartes  publia  (pp.  355-492) 
les  Objectio7is  de  C4assendi  sous  ce  titre  :  Objectiones  Quintœ 
Pétri  Gassendi  Diniensis  Eccl^siœ  Prœpositi  et  acutissimi 
Philosophi.  —  Ces  Objectiones  de  Gassendi  ont  été  traduites 
en  français  par  Clerselier.  Cf.  Œuvres  de  Descartes,  Édit.  Cou- 
sin, t.  II,  pp.  89-240,  Paris,  1824. 

Disquisitio  Mctaphysica  '  seu  Dubitationes  et  Instantiœ 
adversus  Renaii  Cartesii  Metaphysicam,  et  ResjMnsa,  Amster- 
dam, 1644.  —  Cl.O.  G.,  t.  m,  pp.  269-410. 

De  Vita  et  Moribiis  Epicuri  Libri  octo,  Lyon,  1647  ;  La 
Haye,  1656.  —  Œ.  0.  G.,  t.  V,  pp.  167-236. 

Animadversiones  in  Decimum  Librum  Diogenis  Laertii, 
qui  est  de  Vita,  Moribiis  Placitisque  Epicuri.  Continent 
autem  Placita,  quas  ille  treis  statuit  Philosophiœ  parteis  : 
I.  Canonicam...  II.  Physicam...  III.  Ethicam,  Lyon,  1649; 
Amsterdam,  1659  ;  Lyon,  1675.  —  Cf.  0.  G.,  t.  V,  pp.  1-166. 

Syntagma  Philosophiœ  Epicuri,  cum  refutationibus  dog- 
matum,  quœ  contra  F  idem  Christianam  ab  eo  asserta  sunt, 
oppositis  per  Petkum  Gassenduini,  Lyon,  1649  ;  La  Haye, 
1659  ;  (Prœfigitur  Samuelis  Sorberii  Dissertatio  de  Vita 
ac  Moribus  Pétri  Gassendi)  ;  Londres,  1660  ;  Amsterdam, 
1684.  —  Qi.  0.  G.,  t.  III,  pp.  1-94. 

Syntagma  Philosophicum  complectens  Logicam,  Physicam 
et  Ethicam.  Ouvrage  posthume  paru  dans  les  Opéra  Gassendi, 
Lyon,  1658.  —  Qî.  0.  G.,  t.  I  et  II. 

Institutio  Logica  (in  quatuor  partes  distributa)  et  Philoso- 
phicum Epicuri  Syntagma,   Londres,  1668. 

Logica  in  quatuor  partes  distributa,  cui  prœmittuntur 
Libri  duo  :  I.  De  Origine  et  Varietate  Logicœ.  II.  De  Logicœ 
Fine,  Oxford,  1718. 


II!.  —    VARIA 


1630. 


1641. 


Catalogus  rarorum  Librorum,  quos  ex  Oriente  nuper  advexit 
et  in  publica  Bibliotheca  Inclytœ  Leydensis  Academiœ  deposuit 
Clarissimus  et  de  bonis  Artibus  meritiss.  Jacobus  Golius..., 
Paris,  1630. 

De  Nicolai  Claudii  Fabricii  de  Peiresc,  Senatoris  Aquisex- 
tiensis,  Vita,  Paris,  1641  ;  La  Haye,  1651,  1655^;  Quedlin- 
burg,  1706.  —  The  Life  oj  Lord  Peiresc,  translated  by  W.  Rand,. 
31.  D.,  Londres,  1657.  —  Cf.  0.  G.,  t.  Y,  pp.  237-350. 


IV. 


TABLEAU  CHEOXOLOGIQUE   DES    ŒUVRES    DE    GASSENDI 


25 


1654. 


165g. 


1887. 


Notitia  Ecclesiœ  Diniensis,  cui  accessit  Concilium  Avenio- 
nense  anni  MCCCXVI.  Ex  manuscripto  Codice  Statutorum 
ejusdem  Ecclesiœ,  Paris,  1654  ;  Digne,  1844.  —  Cf.  0.  O., 
t.  V,  pp.  659-740.  —  Notice  sur  V Eglise  de  Digne,  par  Pierre 
Gassendi.  Traduction  par  Firmin  Gutciiard,  Digne,  1845. 
Vita  Sancti  Domnini,  primi  Episcopi  D}niensis  in  Lectiones  2 
Nocturni  distrihuta,  auctore  Petro  Gassendo,  dans  les 
Acta  Sanctorum,  13  février,  t.  II,  p.  661,  col.  2.  Anvers,  1658. 

Pétri  Gassendi  Responsio  D.  Joanni  Caramueli  Lob- 
kouitzio,  Ahhati  Disemhergensi .  Cette  Eéponse,  où  Gas- 
sendi soutient  Topinion  gallicane  que  le  Pajie  n'est  pas  infail- 
lible indépendamment  du  Concile  œcuménique,  a  été  publiée 
à  la  suite  de  :  Joannis  Caramuelis  Lubovischi  ad  Petrum 
Gassendtim  Epistoki.  S.  1.  n.  d.  —  Ces  deux  Lettres  sont 
extraites  du  tome  VI  des  0.  G.  Cf.  Lettre  de  Caramuel, 
sans  date,  pji.  465-467.  —  Réponse  de  Gassendi,  datée  du 
25  juin  1644,  pp.  191-194. 

Impressions  de  voyage  de  Pierre  Gassendi  dans  la  Provence 
alpestre,  publiées,  avec  avertissement,  notes  et  appendice, 
par  Philippe  Tamizey  de  Larroque,  Digne,  1887. 


IV. 


LETTRES 


Le  tome  VI  des  0.  G.  contient  les  Lettres  de  Gassendi 
(pp.  1-332)  et  celles,  beaucoup  moins  nombreuses,  de  ses 
correspondants  (pp.  333-545).  t'es  Lettres  sont  en  latin. 

TAMiZiiY  de  Larroque  a  publié  59  Lettres  (25  avril  1626- 
30  avril  1637)  de  Gassendi  à  Peiresc  et  101  Lettres  de  Peiresc 
à  Gassendi,  dans  Lettres  de  Peiresc,  t.  IV,  pp.  177-611,  Paris, 
1893.  Ces  Lettres  sont  en  français. 


§    V.    —   MANUSCRITS 

Bibliothèque  de  Tours  :  5  volumes,  n^s  706  à  710. 
Le  texte  des  trois  premiers  volumes  semble  avoir  servi  .pour 
l'édition  des  Opéra  de  Gassendi  de  1658.  —  Bibliothèque 
NATIONALE  :  Fouds  français  :  Lettres  à  Peiresc,  9536-9537. 
—  Lettres  autographes  et  papiers,  12270.  —  Nouvelles 
acquisitions  :  Eclipse  solaire  du  12  août  1654,  5856. 


CHAPITRE    II 

Gassendi    Polémiste, 


Gassendi  n'était  point  d'une  humeur  batailleuse.  Et  pourtant  une 
partie  assez  notable  de  son  activité  fut  absorbée  par  des  polémiques. 
Nous  aUons  le  voir  successivement  aux  prises  avec  les  Péripatéti- 
ciENS,  Fludd  et  Descartes. 

§    A.   —    POLÉMIQUE    AVEC    LES    PÉRIPATÉTICIENS 

Au  début  du  xvii^  siècle,  Aristote  régnait  encore  souverainement 
dans  les  Écoles.  Les  nouveaux  statuts  qu'Henri  IV  imposa  à  l'Uni- 
versité de  Paris  ^  et  qui  furent  promulgués  le  18  septembre  1600, 
en  font  foi.  Le  cours  de  philosophie  dm'ait  deux  ar^s  :  si  l'on  excepte 
Y  Introduction  (E'-o-aytoY'/^)  de  Porphyre  et  quelques  livres  d'EucUde, 
il  était  exclusivement  consacré  à  l'explication  des  ouvrages  d' Aris- 
tote -.  Cependant,  aux  termes  des  statuts,  les  professeurs,  en  exami- 
nant les  objections  faites  par  Aristote  aux  philosophes  qui  l'ont  précédé, 
doivent  rejeter  les  questions  oiseuses,  introduites  autrefois  par  les 
barbares,  mais  réprouvées  par  un  siècle  plus  pohcé,  que  des  hommes 
âpres  et  durs  se  sont  efforcés,  il  n'y  a  pas  si  longtemps,  de  réintégrer  ^. 
Ils  leur  recommandent  en  outre  d'exposer  la  doctrine  d'Aristote 
non  en  grammaii'iens,  mais  en  philosophes,  afin  de  mettre  en  lumière 
le  fond  des  choses  plus  que  la  force  des  mots  *. 

Ces  textes  sont  assez  significatifs  :  les  livres  du  Stagirite  restent 
toujours  le  thème  des  coins  ;  mais  la  manière  de  les  exposer  doit  être 

1.  L'arrêt  est  daté  du  3  septembre  1598,  mais  ne  fut  promulgué  que  le  18  septem- 
bre  1600.  On  en  trouvera  le  texte  dans  Réformation  de  r  Université  île  Paris,  Paris,  1601  ; 
ou  dans  :  Charles  Jourdain,  Histoire  de  V Université  de  Paris  au  XVI I^  et  au  XVII I^ 
siècles.  Parie,  1862.  Pièces  justificatives,  I,  p.  3-15.  Un  arrêt  du  Parlement,  en  date 
du  25  septembre  1600,  ajouta  quelques  articles  à  l'arrêt  précédent.  Cf.  Ibidem,  p.  15-17. 
—  Voir  J.  DE  Latjnoy,  De  varia  Arislotelis  in  Academia  Parisiensi  Fortuna,  Paris, 
1662\  c.  XV,  p.  182. 

2.  Statuta  Facultatis  Artium,  Art.  XL,  Jourdain,  Loco  cit.,  p.  5. 

3.  Aristotelis  disputationes  adversus  veteres  physicos,  in  quibus  ingenii  summa  sub- 
tilitas  elucet,  accurate  examinentur,  rejectis  inanibus  quœstiunculis  quas  olim  bar- 
bari  invexerant,  et  ab  liumaniore  politioreque  sseeulo  explosas  asperi  durique  homines 
non  ita  pridem  refricare  et  redintegrare  conati  sunt.  (Statuta  Facultatis  Artium, 
Art.   XLI). 

4.  Arisitotelis  contextus,  philcscphorum,  non  giammaticoium  moi.'o  exponantur, 
ut  magj's  j  ateat  rei  scientia  quani  voeum  energia  (Ibid.  art  XLII). 


§   A.    —    POLEMIQUE    AVEC   LES   PERIPATETICIEXS  27 

modifiée.  Il  y  a  quelque  chose  de  changé..  Ce  changement  donnait 
satisfaction  à  des  réclamations  déjà  anciennes,  formulées  par  Ramus, 
qui  avait  notamment  demandé  qu'on  omît  les  discussions  inutiles 
et  que  renseignement  fût  moins  verbal.  On  est  même  surpris  de  la 
raidem'  dédaigneuse  de  certains  termes  :  harhari,  asperi  durique 
homines.  On  sent  déjà  percer,  à  travers  ces  statuts  de  la  Faculté  des 
Arts,  une  aspnation  confuse  vers  une  méthode  moins  artificielle. 
Cette  disposition,  qui  commence  à  se  faire  joiu*  même  chez  les  Péripa- 
téticiens.  exphque  l'accueil  empressé  que  nombre  d'esprits,  fatigués 
des  subtilités  de  la  Scolastique  décadente,  allaient  faire,  treize  ans 
plus  tard,  au  Discours  sur  la  Méthode  de  Descartes,  paru  en  1637. 

Cependant  les  esprits  audacieux  s'en  prenaient  à  la  doctrine  aris- 
totéhciemie  elle-même,  surtout  à  la  physique,  c'est-à-dire,  comme 
l'entendaient  les  Scolastiques,  à  la  philosophie  de  la  natm^e.  Beaucoup 
la  critiquaient  plus  ou  moins  vivement  en  paroles  échangées  entre 
amis  ;  mais,  depuis  Ramus,  on  ne  s'aventm-ait  pas  à  le  faire  sans 
précaution  par  écrit.  Ce  fut  un  docteur  médecin.  Sébastien  Basson  ^, 
qui  donna  le  signal  de  l'attaque  ouverte  en  pubhant  son  livre  contre 
la  «  Philosophie  naturelle  »  d'Aristote  '.  Cependant,  par  prudence, 
il  le  fît  paraître  hors  de  France,  à  Genève,  en  1621. 

P   —    COXTESU    ET    VALEUR    DES  EXERCIT ATIOXES 

Gassendi  fut  plus  hardi.  Trois  ans  après  il  lança  ses  Exercitationes 
paradoxicœ  adversus  Aristotehos.  Ce  livre,  ou  plutôt  ce  pamphlet, 
imprimé  en  France,  loin  de  Paris,  il  est  vrai,  à  Grenoble,  ne  visait 
pas  une  partie  spéciale  de  la  philosophie  aristotéhciemie,  mais  cette 
philosophie  tout  entière.  Gassendi  n'avait  que  32  ans. 

Xous  ayons  raconté  plus  haut  ^  la  genèse  de  cet  ouvrage.  Gassendi 

L  Cf.  J.  Beucker,  Historia  critdca  Phiîosophiae...,'t.  TV,  Part.  I,  p.  468,  Leipzig,  1766  : 
Quia  tamen  Peripatetica  Philosophia  publico  senatus  decreto  injuncta,  regia  auctori- 
tate  firmata,  Academiœ  Parisien?is  consensii  recepta  fuit,  nemo  fere  fuit  qui,  quse 
inter  amiccs  disserebat  aut  apud  juvenes  disceptabat,_publice  proloqui  auderet,  donec 
anno  1621  laudatus  Sebastianus  Baf?so,  vir.  ut  judicat  Launoius,  acerrimi  judicii  et 
fcientiœ  maximœ,  u\  libro  modo  adducto  sigimm  quasi  tqlleret  dassicumque  ad  debel- 
landam  Aristotelis  philosophiam  naturaleni  caneret. 

2.  Philosophiœ  naturalis  adversus  Aristotelem  lihrl  XII.  In  quibus  abstrusa  veterum 
phyeiologia  restauratur  et  Aristotelis  errores  solidis  rationibus  refeUiintur,  Rome,  1574, 
Genève,  1621  ;  Amsterdam,  1649.  Basson  traite  successivement  De  Materia  prima  et 
■mixto.  De  Forma,  De  Natvra  et  Anima  mindi.  De  Motu.De  Actione  et  quatuor  primis 
Qualitatihus,  De  Ccelo,  De  Visu,  De  Meteorologicis.  —  Après  avoir  cité  presqvie  toute  la 
Préface  de  Basson,  Lauaoy,  très  enclin  à  dénigrer  les  Péripatéticiens,  ajoute  :  Hœc  et 
alia  Basso,  vir  acerrimi  judicii  et  scientise  maximfe  ;  quibus  profecto  nihil  addi  potest, 
sive  ut  Aristotelicœ  Philosophiœ  obscuritas  et  cahgo,  ac  proinde  inutilités  ostendatur  ; 
sive  ut  Peripateticonim  Philosophorum  super  auctoris  sui  mente  lites  et  jurgia  demona- 
trentur  ;  sive  ut  recentiorum  modi;s  philosophandi  configatur,  immo  et  discutiatur 
vel  risu.  Praeterea  Baeso  qufritur  Aristotelis  doctriHani  in  Christianorum  scholas  et 
Thedogiam  errores  intulisse  ;  quod  et  priores  «aepe  questos  esse  jam  vidimus  :  ita  ut 
vere  dici  possit  inter  C'hristianos  querelam  esse  sfeculorum  psene  omnium.  (J.  db 
Latjnoy,  De  varia  Aristotelis...,  c.  XVI,  p.  200-201). 

3.  Cf.  supra,  ch.  i,  p.  5-6. 


28  ARTICLE    U.    CHAPITRE    II.    —    GASSENDI    POLÉMISTE 

avait  divisé  son  cours  de  philosophie  à  Aix  en  deux  parties  :  la  pre- 
mière exposait  la  doctrine  d'Aristote  avec  les  raisons  qu'on  apportait 
en  sa  faveur  ;  dans  l'autre,  par  manière  de  complément,  le  professeur 
mettait  en  relief  les  raisons  qu'on  pouvait  faire  valoir  contre  le  Péri- 
patétisme.  Bernier  affirme  même  que,  la  dernière  année  de  son  ensei- 
gnement, Gassendi  s'enhardit  jusqu'à  faire  soutenir  publiquement 
des  «  Thèses  pour  et  contre  «  ^  Aristote. 

L'ouvrage  devait  comprendre  sept  Livres  et  passer  en  revue  «  les 
fondements  principaux  de  toute  la  '  doctrine  péripatéticienne  et 
de  la  Dialectique  ».  A  la  place  des  opinions  renversées,  l'auteur 
promettait  d'établir  des  «  opinions  nouvelles  ou  renouvelées  des 
anciens   »  ^. 

Le  Livre  1*"^,  qui  a  pour  titre  :  In  doctrinam  Aristoteleorum  nniverse, 
parut  seul  ^,  en  1624.  Il  est  dédié  à  Maynier  de  Forbin,  comte  Palatin, 
baron  d'Oppède  et  président  du  Sénat  d'Aix.  La  Préface,  datée  de 
Grenoble,  est  adressée  ((  à  Joseph  Gaultier,  Docteur  es- Arts  et  en  sacrée 
Théologie,  prieur  de  La  Valette  et  ami  jusqu'à  l'autel  ». 

Ce  premier  Livre  est  une  critique  d'ensemble  :  Gassendi  blâme  vive- 
ment la  manière  de  philosopher  en  usage  chez  les  Aristotéliciens  ; 
il  réclame  avec  insistance  la  liberté  d'opiner  en  philosophie,  abdiquée 
par  eux  ;  il  déclare  enfin  que  la  doctrine  d'Aristote  ne  mérite  pas  la 
préférence,  pour  bien  des  raisons,  surtout  parce  que  le  texte,  qui 
sert  dans  les  Ecoles,  renferme  des  «  omissions  »,  des  «  super/luités  », 
des  ((  faussetés  )>  et  des  <(  contradictions  »  ^. 

Choqué  des  défauts  qui  déparaient  alors  la  Scolastique  décadente, 
Gassendi  partit  en  guerre  contre  les  Péripatéticiens,  avec  la  fougue 
de  la  jeunesse  qui  ne  sait  pas  mesurer  ses  coups.  Voici  les  principaux 
reproches  adressés  aux  fanatiques  disciples  d'Aristote. 

Méconnaissant  le  véritable  but  de  la  philosophie,  qui  est  la  recherche 
de  la  vérité  pour  y  conformer  sa  conduite  et  vivre  heureux,  ils  la 
réduisent  à  l'art  frivole  d'exceller  dans  la  discussion.  De  là  leur  pas- 
sion pour  ces  disputes  publiques  et  théâtrales,  où  se  donne  en  spectacle 
la  dextérité  des  jouteurs,  uniquement  dominés  par  l'ardeur  de  vaincre 
sans  jamais  s'avouer  vaincus  (utque  dominetur  ardor  unicus  vincendi 
et  nunquam  cedendi)  ^.  «  0  la  belle  comédie  !...  Au  bout  d'une  demi- 
heure,  vous  voyez  l'attaquant,  après  force  tours  et  détours,  arriver 


1.  Bernieb,  Abrégé...,  t.  I,  Préf.,  p.  3. 

2.  Ce  plan  ressort  du  titre  complet  de  l'ouvrage  :  Exercitationes  paradoxicœ  advereva 
Aristoteleos,  in  quihns  prœcipua  totius  peripateticœ  atque  Dialecticœ  fundamenta 
excutiuntur.  Opinionea  novœ  aut  ex  V etuatiorihua  ohaoletœ  atabiliuntur...  Gassendi 
indique,  dans  la  Préface,  les  sujets  qui  doivent  remplir  les  sept  Livres  de  l'ouvrage. 
Cf.  OG,  t.  III,  p.  102. 

3.  Cf.  OG,  t.  III,  pp.  105-148. 

4.  In  illo  [Libre  I]  nempe  et  ratio  philosophandi,  quœ  apud  ipsos  viget,  improbatur  ; 
et  ob  dejectam  ab  eisdem  philosophandi  libertatem  expostulatur  magnopere  ;  et 
Aristotelis  Secta  aut  doctrina  non  praeferenda  arguitur,  cum  alias  plurimas  ob  causïis, 
tum  maxime  ob  Omissa,  Superflua,  Falsa,  Pugnantia,  quse  in  textu  Aristotelis  vulgo 
prselecto  demonstrantur.  ^Gassendi,  Prœfat.  in  Exercitationes,  t.  Ill,  p.  102). 

6.  Gassendi,  Lib.  I,  Exercitat.,  I,  §  3,  t.  III,  p.  lOfi. 


§   A.    POLÉMIQUE    AVEC   LES   PÉRIPATÉTICIEXS  29 

enfin  à  la  difficulté,  qui  aurait  pu  être  proposée  claii'ement  dès  le  début 
et  d'un  seul  mot  »  ^. 

Ils  mettent  en  interdit  les  plus  illustres  penseurs,  Platon,  M.  Tul- 
lius,  Sénèque,  PHne,  Plutarque,  etc.,  pour  n'accorder  créance  qu'au 
seul  Aristote.  Et  encore  laissent-ils  de  côté  ceux  de  ses  ouvrages 
où  ce  philosophe  «  parle  plus  ouvertement  »,  comme  les  Economiques, 
la  Politique,  le  Traité  des  Animaux,  parce  qu'ils  sont  moins  propres 
à  nourrir*  les  discussions,  ne  se  prêtant  pas  aussi  aisément  que  les 
autres  à  des  interprétations  diverses  {in  qnibus,  lit  ipsi  fatentur, 
Aristoteles  habet  nasum  cereum)  -. 

Ils  négligent  l'étude  des  mathématiques,  parce  qu'elles  forment 
l'esprit  à  la  réflexion  et  le  rendent  difficile  sur  la  valeur  des  preuves. 
Ces  bonnes  gens  (boni  isti  viri)  ont  besoin  d'avoir  des  disciples  cré- 
dules ^.  En  Physique,  ils  se  désintéressent  des  recherches  précises 
et  utiles  pour  s'attarder  à  des  questions  ineptes  comme  celles-ci  : 
An  detur  forma  corporeitatis  ?  An  et  cujusmodi  habeat  proprietates 
illa  forma  quœ  cadaveris  dicitur  ?...  An  facultas  animalis  sit  a  subjecto 
sepfirabilis  re  vel  ratione  dumt^ixat  ?  An  proinde  facultas  visus  posita 
in  lapide  actum  visionis  eliceret  ?  Ut  alias  iîinumeras  nugas  ineptiasque 
prœteream.  Et,  cœteris  tamen  neglectis,  ista  curiose  lïrosequuntur  ut 
proprie  philosophica  *. 

Ils  parlent  une  langue  barbare,  et  certains  aflfeetent  même  de  regar- 
der les  solécismes  comme  les  perles  des  philosophes  :  Neque  vero 
necesse  est  commemorare  barbariem  illamque  sermonis  inruriam,  quam 
sic  affectasse  videntur  iit  jactare  non  erubescant  «  solœcismos  esse  laudes 
et  gemmas  philosophorum  »  ^. 

Quelle  est  la  racine  d'où  pullulent  tous  ces  défauts  des  Ai-istoté- 
liciens  ?  De  leur  complet  asservissement  à  la  parole  du  Maître  ;  et 
pourtant  ils  se  targuent  d'être  libres,  parce  qu'ils  peuvent  choisir 
entre  le  Nominalisme,  le  Thomisme  et  le  Scotisme.  c  La  belle  hberté  ! 
Ils  res.semblent  à  des  prisonniers  qui  «e  vantent  d'être  parfaitement 
libres,  parce  qu'ils  peuvent  courir  sans  contrainte  entre  les  murs  de 
leur  prison.  Telles  sont  les  geôles  de  la  prison  péripatéticienne.  Qu'ils 
soient  Scotistes  ou  Thomistes,  Aristote,  le  porte-clefs,  les  maintient 
toujours  sous  sa  férule  »  ^.  Ils  sont  tellement  enchns  à  juger  sur  la 


1.  Gassendi,  Lib.  I,  Exercitat.  I,  §  4,  t.  III,  p.  106.  Gassendi  recoimaît  d'ailleurs 
l'utilité  des  argumentations  privées,  parce  que  «  sic  placide  instituuntur  ut  purum  sit 
veritatis  studium  »  (Ibidem,  §  3,  t.  III,  p.  106). 

2.  Gassendi,  L.  I,  Exercitat.  I,  §.5,  t.  III,  p.  106-107.  —  Guj-  Patin  rapporte  cette 
parole  de  Gassendi  :  «  Il  [Gassendi]  m'a  dit  fort  souvent  en  plaisantant  que  ce  philo- 
sophe [Aristote]  avait  un  nez  de  cire,  qu'on  faisait  tourner  comme  on  voulait  avec  une 
chiquenaude.  »  (Naudceuna  et  Patiniana  ou  Singularités  remarquables  prises  des  con- 
versations de  Mess.  Natjdé  et  Patin  :  Patiniana,  p.  2,  Paris,  1701). 

3.  Gassendi,  L.  I,  Exercitat.'l,  §  6,  t.  III,  p.  107. 

4.  Gassendi,  L.  I,  E.vercitat.  I,  §  7,  t.  III,  pp.  107-108. 

5.  Gassendi,  L.  I,  Exercitat.  I,  §  13,  t.  III,  p.  110. 

6.  Gassendi  :  «  Quœ  precor  tamen  est  illa  libertés  ?  Seilicet  illis  simt  similes  qui, 
cum  utcumque  discurrere  per  carceres  possint,  jactant  sese  liberrimos.  Illa  quippe  sunt 
ergastula  tantum  periiiatetici  carceris.  Seu  Scotistas  enim,  seu  Thomistaa  Ai'istoteles 
claviger  detinet  semper  sub  ferula...  n  (L.  I,  E.vercitat.  II,  §  3,  t.  III,  p.  112). 


30  ARTICLE    II.    CHAPITRE    II.    GASSENDI   POLÉMISTE 

parole  d'un  maître,  qu'ils  montrent  un  attachement  servile,  même 
à  l'égard  d'auteurs  a  subalternes  ».  iVinsi,  «  dans  la  secte  thomiste, 
ceux-ci  adhèrent  mordicus  à  Cajétan  ;  ceux-là  à  Capréolus  »  ^.  Cette 
sujétion  plus  ou  moins  aveugle  révolte  la  fierté  de  Gassendi.  S'il  est 
parfaitement  juste  et  honorable  de  déférer  à  l'autorité  compétente 
en  matière  de  foi,  il  est  indigne  d'un  philosophe,  quand  il  s'agit  de 
spéculation  purement  philosophique,  de  captiver  son  intelligence 
en  la  soumettant  à  l'autorité  de  tel  ou  tel  homme,  comme  on  la  soumet 
à  l'autorité  de  Dieu.  Le  Philosophe  doit  tout  examiner  à  la  lumière 
de  la  raison.  Ceux  qui  ne  savent  que  suivre  les  autres,  sans  oser  jamais 
penser  par  eux-mêmes,  ne  méritent  pas  le  nom  de  philosophe  ^. 

Gassendi  prouve  enfin  qu'un  tel  assujettissement  est  la  mort  de 
tout  progrès  :  «  Périt  certe,  2Jerit  spes  optimoriun  inventorum,..  »  Est-ce 
qu'Ai'istote  aurait  surpassé  ses  prédécesseurs,  s'il  n'avait  osé  s'écarter 
en  rien  de  leur  enseignement  ?  Ce  n'est  pas,  poursuit  Gassendi,  que  je 
sois  le  détracteur  des  anciens.  Je  sais  les  estimer  à  leur  prix.  Mais 
je  ne  puis  m 'astreindre  à  mesurer  le  mérite  aux  années,  ni  croire 
que  les  choses,  vieilles  aujourd'hui,  n'ont  pas  été  nouvelles  autrefois. 
Les  connaissances  acquises  par  nos  devanciers  doivent  nous  servir, 
grâce  à  l'expérience  et  à  la  raison,  à  nous  élever  plus  haut  ^.  Ce  pas- 
sage de  Gass'endi  a  une  vigueur  éloquente,  dont  Pascal  s'est  peut-être 
inspiré  dans  son  opuscule  :  Fragment  de  Préface  sur  le  Traité  du  Vide. 
C'est  d'ailleurs  pour  l'ensemble  de  ces  critiques  que  Gassendi  a  été 
son  précurseur  ;  mais  Pascal  a  su  garder  la  mesure,  en  montrant  que, 
même  dans  les  questions  philosophiques,  le  rôle  de  l'autorité,  pour 
être  secondaire  et  subordonné,  est  cependant  réel  *. 

Si  l'on  s'en  tenait  au  titre,  choisi  peut-être  par  prudence  (adversus 
Aristoteleos),  on  serait  tenté  de  croire  que  Gassendi  n'en  veut  qu'aux 
Aristotéhciens  de  son  temps  et  à  leur  insupportable  pédantisme. 
Ce  serait  une  illusion,  car  à  travers  les  Aristotéliciens  il  vise  Aristote  ; 
il  ne  se  borne  pas  à  dire  que  les  disciples  ont  souvent  forcé  ou  dénaturé 
la  pensée  du  Maître  ;  il  finit  par  s'en  prendre  ouvertement  au  Maître 
lui-même.  Et  ce  n'est  pas  assez  pour  lui  de  reprocher  à  Aristote  d'in- 
nombrables lacunes  (quod  innumera  deficiant),  superfluités  f...  super- 
flua7it),  faussetés  (...  f allant)  et  contradictions  (...  coiitradicant )  ^, 
il  l'attaque  dans  sa  vie  privée  et  conteste  l'authenticité  de  ses  œuvres 
avec  plus  de  passion  que  de  succès  ". 

Restons-en  à  ces  indications  sommaires,  car  il  ne  serait  guère 
intéressant  ni  profitable  d'entrer  dans  les  détails,  Gassendi  n'étant, 
en  somme,  que  l'écho  des  accusations  qui  avaient  cours  alors  contre 
Aristote  et  les  Péripatéticiens. 

1.  Gassendi,  L.  I,  Exercitat.  II,  §  4,  t.  III,  p.  112,  col.  2. 

2.  Gassendi,  L.  I,  Exercitat.  II,  §  5,  t.  III,  p.  112. 

3.  Gassendi.  L.  I,  Exercitat.  II,  §  12-13,  t.  III,  pp.  115-116. 

4.  Cf.  G.  Sortais,  Traité  de  Philosophie,  t.  I,  Logique,  n.  122.  §  ii. 

5.  Gassendi,  L.  I,  Exercitat.  V,  VI,  VII,  VIII>  t.  III,  pp.  125-148. 

6.  Gassendi,  L.  I,  Exercitat.  IV,  t.  III,  pp.  121-125.  — ■  Cf.  J.-Ph.  Damirox,  Rapport 
s%ir  le  Concours  relatif  à  VOrganum  d' Aristote,  dans  Mémoires  de  L'AcAOÉiiiE  des- 
Sciences  morales  et  politiques,  Paris,  1S30,  jDp.  49-51. 


§   A.    —  POLÉinQUE   AVEC   LES   PÉRIPATÉTICIENS  31 

Après  cette  revue  générale.  Gassendi  se  proposait,  dans  les  six  Livres 
suivants,  d'examiner  à  fond  la  Dialectique  (L.  II),  la  Physique  (L.  III. 
IV,  V),  la  Métaphysique  (L.  VI)  et  la  Monde  (L.  VII)  des  Aristoté- 
liciens. Mais,  de  ce  vaste  plan,  ce  qui  regarde  la  Dialectique  a  seul  été. 
et  encore  partiellement,  exécuté  ^.  C'est  une  œuvre  de  critique  pas- 
sionnée et  téméraire  :  après  avoii'  contesté  Futilité  de  la  Dialectique 
péripatéticienne,  il  prend,  successivement  à  partie  les  U niversaux, 
les  Catégories,  les  Propositions,  la  Démonstration,  la  Science  elle-même. 
Rien  ne  trouve  grâce  devant  ses  yeux  prévenus. 

La  dernière  attaque  est  particulièrement  significative  :  Qiiod  iiullu 
sit  scientia  et  maxime  aristotelea  -.  Toute  connaissance  étant  sensible 
ou  nous  venant  par  les  sens  ^,  Gassendi  «  en  conclut  que  nous  ne  pou- 
vons connaître  aucune  chose  en  eUe-même,  mais  que  nous  savons  seu- 
lement comment  elle  apparaît  à  ceux-ci  ou  à  ceux-là  »  *.  Ne  pouvant 
rien  connaître  ex  natura  sua,  secundum  se  per  causas  intimas,  neces- 
sarias  infalUbilesque  ^,  aucune  science  n'est  possible  pour  nous. 
Aussi  la  Physique,  la  Métaphysique,  la  ^Morale,  la  Jurisprudence, 
la  Médecine,  les  Mathématiques  mêmes  ne  méritent  aucunement 
le  nom  de  sciences  qu'on  leur  donne  ^.  On  voit  déjà  pomdre,  dans  ce 
premier  essai  philosophique,  le  sensuahsme  de  Gassendi  et  sa  tendance 
au  scepticisme. 

Les  Exercitationes  ne  sont  pas  une  œuvre  de  critique  impartiale  ; 
c'est  inie  satire,  dont  le  ton  mordant  n'est  pas  en  harmonie  avec  la 
gravité  du  sujet.  Gassendi  en  a  conscience  et  s'en  défend  mollement  ; 
Quod  stylus  porro  videri  possit  interdum  paulo  mordacior  :  materies 
sane  id  exigit.  Hac  enim  prœcipue  in  parte  difficile  est  satyram  non 
scribere  '.  Il  a  beau  d'aillein-s  protester,  à  différentes  reprises  **,  qu'il 

1.  L.  II,  In  Dialecticam  Arlstoiphonan.  OG,  t.  III,  p.  UO-210.  —  On  voif  qtie 
^I.  Gl'YAU  a  eu  tort  de  diçe  :  «  Les  Exercitationes  parado.vicœ  étaient  tellement  auda- 
cieuses que  Gassendi,  après  les  avoir  imprimées  et  distribuées  à  ses  amis,  se  décida  sur 
leur  conseil  à  en  brûler  cinq  livres.  •'■  (La  Morale  d'Epiciire,  Paris,  1886^,  L.  IV,  ch.  i, 
p.  193).  Ces  cinq  Livres  ne  furent  jamais  composés. 

2.  (.;.\.ssEXDi,  L.  II,  Exerciiat.  VI.  t.  III,  pp.  192-210. 

3.  Im])rimis  igitur  cum  constet  notitiam  omnem,  quaî  in  nobis  est,  vel  sensiuim,  vel 
manare  a  sensibus...  (Gassendi,  L.  II,  Exercitat.  W,  §  2,  t.  III,  p.  192). 

4.  G.îsçEXDi  :  Quid  superest  nisi  concludamus  sciri  non  posse  cujusmodi  res  aliqua 
sit  secundum  se  vel  suapte  natura  ;  .«ed  dumtaxat  cujusmodi  his  aut  illis  appareat 
(L.  II,  Exercit.  VI,  §  6,  t.  III,  p.  2li3). 

•  5.  Gassendi,  L.  II,  Exercitat.  VI,  §  1,  col.  2,  t.  III,  p.  192. 

6.  Gassendi,  L.  II,  Exercitat.  VI,  §  8,  t.  III,  p.  207-209.  —  Concludo  ergo.  quae- 
cumque  est  certitude  et  evidentia  in  discipUnis  Mathematicis,  eam  pertinere  ad  appa- 
rentiam  ;  nullo  autem  modo  ad  causas  germana-s  vel  naturas  etiam  rerum  intimas 
(Ibidem,  p.  209,  col.  1). 

7.  Ga-Ssendi,  l'rœfui.  in  Exercit4it..  t.  III,  p.  103. 

8.  Dans  la  Préface,  il  explique  ainîsi  le  titre  de  son  livre.  Il  l'a  intitulé  :  Exercitationes, 
parce  que  ;  «  Imprimis  enim  videbafur  magno  mihi  opusesse  animo...  ad  excutienduir. 
ignobile  juguin  tam  inveteratse  hujus  quam  generalis  prseoccupationis...  — paradoxicœ  : 
«  Quod  paradoxa  contineant  seu  opiiiiones  contra  vulgi  captum  (Par  vulgus  il  entend  le 
gros,  le  commun  des  philosophes)  —  adversus  Aristoteleos,  et  non  pas  «  adversus  Aristo- 
telent,  cujus  tainen  doctrinam  vid 'or  e.v  professe  impugnare.  »  «  Primum  quod  opéra, 
illa,  quse  hic  persequor,  non  tam  ex  rei  veritate  credam  esse  Aristotelis  quani  ex 
opinione  Aristoteleorum.  Major  quip|je,  meo  judicio,  Aristoteles  vir  fuit  quam  ut 
ipsi  adscribi  debeant  tam  indigna  0|}era...  »  (t.^lll,  p.  101). 


32  ARTICLE  II.  CHAPITRE  II.  —  GASSENDI  POLÉMISTE 

vise  non  pas  Aristote  lui-même,  mais  ses  disciples  anciens,  qui  ont 
altéré  ses  ouvrages,  et  ses  disciples  modernes,  qui  en  faussent  l'in- 
terprétation ;  il  a  beau  emprunter  à  Aristote  quelques-unes  de  ses 
théories,  reste  néanmoins  que  prise  dans  son  ensemble  l'œuvre  pèche 
par  le  fond  et  par  la  forme.  Il  est  vrai  que  c'est  une  œuvre  de  jeunesse. 

La  forme,  on  l'a  noté,  n'a  pas  la  modération  qui  inspire  confiance  : 
Gassendi  a  déployé  une  verve  méridionale  qui  dégénère  parfois  en 
violence.  L'accusation  de  fond  est  injuste.  Gassendi  s'est  fait  grave- 
ment tort  à  lui-même  et  s'enlève  beaucoup  de  son  crédit  en  battant 
en  brèche  par  de  mauvais  arguments  l'authenticité  des  œuvres  d'Aris- 
tote.  De  plus,  au  lieu  d'englober  dans  une  commune  invective,  tous 
les  Péripatéticiens,  il  aurait  dû,'  faisant  dans  l'histoire  de  la  Scolas- 
tique  les  distinctions  nécessaires*,  rendre  hommage  aux  grands  com- 
mentateurs d'Aristote  et  réserver  ses  sévérités  aux  AristotéUciens 
dégénérés  i  qu'il  voyait  à  l'œuvre  et  dont  l'étroite  intransigeance 
l'avait  exaspéré.  Ses  attaques,  quoi  qu'il  en  dise,  rejailhssaient  sur 
Aristote  lui-même.  Si  l'admiration,  qu'il  semble  professer  pour  le 
fondateur  du  Lycée,  avait  été  plus  sincère,  Gassendi  n'aurait  pas 
manqué  de  prendre  pour  règle  de  sa  polémique  cette  parole  de  Vives, 
dont  il  invoque  l'exemple  dans  la  Préface  de  son  pamphlet  :  Aristotelem 
veneror  et  ah  eo  verecunde  dissentio. 

L'irritation  soulevée  dans  le  camp  des  Péripatéticiens  par  l'appari- 
tion du  Livre  l^^  des  Exer  citation  es  fut  si  vive  que  Gassendi,  sur  le 
conseil  de  ses  amis  Peù-esc  et  Gaultier  2,  suspendit  la  composition 
de  son  ouvrage  ^.  Le  Livre  II,  interrompu  vers  la  fin  de  la  6^  Exer- 
citatiç,  ne  vit  le  jour  qu'après  la  mort  de  l'auteur. 

Gassendi  apporte  une  seconde  raison  pour  justifier  cette  brusque 
interruption  :  le  travail  de  Francesco  Patrizzi  (Discussionum  Peri- 
%at2ticorum  TomilV  *,  Bâle,  1571),  qui  traite  à  peu  près  le  même  sujet, 
lui  étant  venu  entre  les  mains,  son  propre  travail  lui  parut  désormais 
inutile. 

Il  convient  d'ajouter  une  troisième  raison,  qui  n'était  pas  avouable 
publiquement  :  une  raison  de  prudence.  Mais,  dans  une  lettre  intime 
à  Guillaume  Schickard  ^  alors  professeur  d'hébreu  à  l'université 
de  Tubingue,  Gassendi  en  fait  l'aveu  candide  :  «  Vous  me  demandez, 
lui  dit-il,  pourquoi  mes  autres  Exercitationes  n'ont  pas  déjà  vu  le 

1.  Cf.  G.  Sortais,  Histoire  de  la  Philosophie  ancienne,  n°  92.  Décadence  de  la 

SCOLASTIQUE. 

2.  Cf.  S.  SoRBiÈRE,  Prsefat.,  OG,  t.  I,  p.  3. 

3.  Cf.  Note  (adressée  au  «  lecteur  bénévole  »  pour  lui  expliquer  l'interruption  du 
travail)  à  la  fin  du  L.  II,  t.  III,  p.  210  :  Bénévole  Lector...,  Scito  commonefactum  ab 
amicis  auctorem  stomachar;  non  parum  Peripateticos  propter  prioris  Libri  editionem..., 
hune  secundum  LibrUm  ulterius  prosequi  et  absolvere  noluisse,  ipsumque  (ne  delibatis 
quidem  aliis)  in  Musseoli  sui  recessum,  cum  blattis  ac  tineis  pugnantem,  ab  anno  1634, 
qualem  jara  habes,  abjecisse  atque  neglexisse. 

4.  Voici  le  titre  complet  :  Discussionum  Peripateticarum  Tomi  IV,  quibus  Aristote- 
licœ  Philosophiœ  universa  Historia  atque  Dogmata,  cum  Veterum  Placitis  collata,  eleganter 
et  eruîj'te  declarantur. 

5.  WiLHELM  ScHicKARD,  né  (1592)  à  Herrenberg,  dans  le  Wurtemberg,  et  mort 
(1635)  à  Tubingue,  professa  les  langues  orientales  et  les  mathématiques  à  l'Université 
de  Tubingue.  • 


§    A.    —   POLÉMIQUE    AVEC    LES    PÉRIPATÉTICIENS  33 

jour.  La  cause  en  est  au  temps  et  aux  mœurs.  Il  me  faudrait  une  liberté 
un  peu  plus  grande  que  ne  le  comporte  l'état  présent  des  choses. 
J'ai  eu  beau  y  mettre  tous  les  tempéraments  possibles  pour  prévenir 
les  calomnies,  je  n'ai  pas  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer  des  juges 
suffisamment  équitables.  Aussi  je  pourvois  à  ma  sécurité,  en  m'ap- 
pliquant  à  me  plier  aux  circonstances.  Le  Livre  Avant-Coureur 
|le  Livre  I^^"  des  Exercitationes\  ayant  paru  sans  être  muni  de  l'appro- 
bation accoutumée,  a  failli  provoquer  une  tragédie.  Je  vous  laisse 
à  penser  le  traitement  auquel  devait  s'attendre  le  reste  de  l'ouvrage  »  ^. 

2°   —   LA    CONDAMNATION    DE   BIT  AU  D 
ET  «    U ARRÊT   BURLESQUE    » 

Dans  le  mois  même,  où  s'achevait  à  Grenoble  l'impression  du 
Livre  I^^  des  Exercitationes,  éclatait,  à  Paris,  un  scandale  dans  le 
monde  philosophique.  Le  sieur  JeanBitaud  ^  avait  affiché  la  préten- 
tion de  soutenir  publiquement,  le  24  et  25  août  1624,  quatorze  thèses  ^ 
opposées  à  certaines  doctrines  de  la  Cabale,  de  Paracelse  et  surtout 
d'.Vristote,  sous  la  présidence  d' Antoine  de  Villon,  «  le  soldat 
philosophe  »,  et  avec  l'aide  d'ÉTiENNE  de  Clave  *,  «  médecin  chy- 
miste  )),  qui  devait  faire  les  expériences.  Les  invitations  avaient  été 

1.  Quod  de  reliquis  illis  meis  Exeicitationibus  rogas,  ciir  non  jani  in  lucem  prodierint, 
in  cansa  sunt  tempora  et  mores.  Libertas  in  illis  mihi  paulo  major  quam  ferat  rerum 
pra^sentiiim  conditio.  Tametsi  enim  .sic  tempère  omnia  lit  ealumnias  praeoccupem, 
nondum  tanien  sum  adeo  fœlix  ut  satis  aeqiios  judices  nanciscar  ;  quare  saluti  consulo, 
dvim  et  servire  tempori  studeo.  Parum  abfuit  qui  i  Prodromus  ille,  quod  soUta  approba- 
tione  non  prodiisset  prcemunitus,  excitaret  tragœdiam.  Quidnam  putas  sperari  debuit 
de  reliquo  illo  apparatii  ?  ( Gassendi  à  W.  Sckickard,  Paris,  27  août  1630,  OG,  t.  VI, 
p.  35,  col.  2,  à  la  fin). 

2.  Jean  Bitaud,  originaire  de  la  Saintonge,  était  l'éiève  en  Chiiïiie  du  Docteur 
Etienne  de  Clave. 

3.  Voici  en  quels  termes  la  si>utenance  des  thèses  est  annoncée,  d'après  rexempla.ire 
imprimé  qu'on  trouve  à  la  Bibl.  Xation.  Mss.  Fonds  Dupuy,  630  ;  Fol.  72. 

positiones  publics  contra  dogmat.a 
Aristotelica,  P.\racelsica  et  Cab.\listica. 
Immortautati  sacr.î:. 

Suit  l'énoncé  des  XIV  Thèses.  Au-dessous  on  lit  l'invitation  suivante  :  Harum  Posi- 
tionum  inexpugnabileni  veritatem  tuebitur,  Deo  dante,  Joannes  Bitaudus,  Xanc- 
tonensis  ;  Arbiter  et  Praeses  sedebit  Antonius  de  Villon,  Miles  Philosophus  et  in 
Universitate  Parisiensi  alias  Professer  Peripateticus. 

Die  Sabathi  proxima  et  Dominica,  XXIV  et  XXV  mensis  Augusti  1624,  toto  pome- 
ridiano  tempore,  Lutetite  Parisiorum.  in  Palatio  Reginae  Margaritœ. 

On  trouve  aussi  ce  texte,  mais  avec  quelques  inexactitudes,  dans  Launoy,  De  varia 
Aristotelis...,  c.  xvii,  p.  201-214. 

4.  Ouvrages  d'ETiENXE  de  Clave  :  Paradoxes  ou  Traitiez  philosophiques  des  pierres 
et  pierreries  contre  Vopinion  vulgaire.  Dédicace  à  Monseigneur  P.  de  Seguier,  Garde 
des  Sceaux  de  France,  Paris,  1635.  —  Nouvelle  Lumière  philosophique  des  vrais  prin- 
cipes et  élémens  de  nature,  et  qualités  d'iceux,  contre  Vopinion  conmune,  Paris,  1641.  — - 
Le  Cours  de  Chimie  d'Lstienne  de  Clave,  qui  est  le  second  Livre  des  Principes  de  nature, 
Paris,  1646.^ — -  Et.  de  Clave  cite  jianni  les  adversaires  d'Aristete  «  Patritius  [Pati'izzi], 
S.  Basson,  le  docte  Campanella  et  depuis  peu  le  Docteur  Gessendius  [c'est  évidemment 
notre  Gassendi  un  ))eu  écorché],  personnages  chrestiens  et  philosophes,  qui  ont  bien  osé 
oscrirc  contre  luy  lurt  dignement.  »  (Traitiez...,  L.  II,  Préface,  p.  186). 

3 


34  ARTICLE  II.   CHAPITRE  II.  —  GASSENDI  POLÉMISTE 

lancées,  et  près  d'un  millier  de  personnes  était  déjà  réuni,  dans  l'une 
des  plus  belles  salles  de  Paris  ^,  pour  assister  à  la  soutenance,  quand, 
sur  l'ordi'e  du  Premier  Président,  que  de  Clave  se  résigna  enfin  à  faire 
connaître,  la  salle  fut  évacuée.  Puis,  le  4  septembre  suivant,  à  la  requête 
de  la  Faculté  de  Théologie  ^,  le  Parlement  rendit  un  arrêt  ordonnant 
la  lacération  des  thèses  incriminées  et  le  bannissement  des  trois  anti- 
péripatéticiens  hors  des  viUes  et  bourgs  du  ressort  de  la  Cour  de  Paris. 
En  outre,  la  Cour  faisait  «  défenses  à  toutes  personnes,  à  peine  de  la 
vie,  tenir  ni  enseigner  aucunes  maximes  contre  les  Autheurs  anciens 
et  approuvez  »  ^. 

Cette  sentence  fut  trouvée  juste  par  des  savants  comme  Mersenne  ^ 

1.  «  ...  Au  logis  de  M.  de  Guerseran,  jadis  Hostel  de  la  Reyne  Marguerite.  »  (J.-B. 
MoRiN,  cf.  Opusc.  infra  citando  (p.  000),  oà  l'on  trouve,  p.  4-11,  le  récit  de  cette  aventure 
philosophique. 

2.  Bitau  l  attaquait  vivement  la  théorie  aristotélicienne  de  la  matière  et  de  la  forme 
(Thèses  I  et  II).  La  Faculté  les  censura  surtout,  comme  le  dit  Mersenne  (La  Vérité  des 
Sciences,  p.  83),  parce  qu'au  fond  il  ne  faisait  qu'une  exception  apparente  en  faveur  de 
l'âme  raisonnable.  Or  le  Concile  de  Vienne  a  défini  qu'e  l'âme  raisonnable  est  la  forme 
du  corps  humain,  c'est-à-dire  est  le  principe  qui  le  vivifie.  Mais  dans  la  Thèse  II  il  était 
dit  «  qu'en  ôtant  du  Composé  la  Matière,  il  fallait  de  nécessité  que  les  Formes  au  moins 
matérielles  en  fussent  ôtées.  Materia  enim  e  naturali  Gomposito  sublata,  et  Forinaa 
saUem  materiales  tolli  necesse  est.  Il  y  avait  du  venin  dans  ce  saltem,  parce  que  e'êtoit 
assurer  que  les  Formes  matérielles  ne  pouvoient  subsister  sans  la  matière,  et  laisser  en 
doute  si  les  non  matérielles  ne  périssoient  point  aussi  avec  elle.  C'est  ce  que  signifie  ce 
mot  de  saltem.  De  sorte  que  l'on  pouvoit  soupçonner  Bitau  l  de  n'avoir  mis  que  par 
forme  l'exception  de  l'Ame  raisonnable.  »  [For7nœ  item  omnes  substantiales,  excepta 
rationali,  non  minus  absurde  defenduntur  ab  Aristotelicis  quam  inateria'].  Ces  réflexiona 
sont  tirées  d'un  Mémoire  qu'on  attribue  à  «  quelqu'un  de  Port  Royal  ».  Cf.  Avertisse' 
ment  de  M.  de  Saint-Marc  au  sujet  de  V Arrêt  burlesque,  dans  son  édition  des  Œuvres 
de  Boileau  Despréaux,  Paris,  1747,  t.  III,  p.  124.  — ■  Cet  opuscule  est  intitulé  :  Mémoira 
aur  les  Sollicitations  que  fait  M.  Morel  et  quelques  autres  Docteurs  pour  obtenir  un  Arrêt 
qui  condamne  toute  autre  Philosophie  que  celle  d'Aristote.  Il  est  reproduit  Ibidem,  pp.  117- 
142. 

Ce  Mémoire  (§  rx,  pp.  137-141)  note  que  le  Père  Honoré  Fabri,  Jésuite,  a  com- 
battu la  doctrine  commune  des  Scolastiques  sur  les  Formes  substantielles  dans  les  Plantes 
&\i\eQ  Aià.ma,\ix  {Tractatus  duo,  quorum  prior  est  de  Plantis  et  de  Oeneratione  Aniituz- 
lium,  poster  vr  de  Homine,  Paris,  1666.  Cf.  Tractatus  de  Plfintis...,  L.  I,  Propos,  28  sqq, 
pp.  21  sqq.  L.  V,  Prop.  56  sqq.,  pp.  164  sqq.  De  même  le  Père  Emmanuel  Maignan, 
Minime,  dans  son  Cursus  philosophicus  concinnatus  ex  notissimis  cuique  Principiis..., 
t.  IV,  c.  XXII,  n.  18  et  19,  pp.  1981-1982,  Toulouse,  1653.  Cependant  ces  deux  philo- 
Bophes  ne  furent  as  censurés,  parce  que  l'un  et  l'autre  maintenaient  catégoriquement 
que  l'âme  raisonnable  est  la  forme  du  corps.  Fabri,  par  exemple,  résume  ainsi  sa  pensée  : 
Anima  rationalis  est  etiam  formaliter  sensitiva  et  vegetativa  ;  igitur  est  principium 
formale  totius  esse  hominis,  tum  per  se  ipsam  immédiate  [cognoscit  quidem  immédiate], 
tum  per  suas  potentias  distinctas  [potentiae  végétatives  et  aensitivse]  ad  usum  vitaa 
sentientis  et  vegetativae  (Tractatus  de  Homine,  L.  VII,  Prop.  IV,  pp.  67-68).  —  Cf. 
E.  Maignan,  Cursus...,  t.  IV,  c.  XXX,  pp.  2143  sqq. 

H  faut  remarquer  enfin  que  la  Faculté  de  Théologie  s'abstint,  au  contraire,  de  quali- 
fier les  quatre  Thèses  suivantes  de  Bitaud  sur  les  Eléments,  parce  qu'elles  sont  <>  pure- 
ment physiques  ou  chimiques.  »>  Cette  sage  réserve  montre  qu'elle  procéda  sans  passion. 

3.  Le  texte  de  l'Arrêt  est  reproduit  intégralement  par  Charles  Du  Plessis  d'Ar- 
GENTRÉ  dans  Collectio  Judiciorum  de  novis  erroribus,  qui  ab  initia  duodecimi  seculi... 
in  Ecclesia  proscripti  sunt  et  notati.  t.  II,  2^  Partie,  p.  147.  Paris,  1728.  —  On  le  trouve 
également  dans  Launoy,  op.  cit.,  c.  XVII,  dans  Œuvres  de  Boileau,  é:l.  Saint-Marc, 
t.  III.  p  <.  143-151. 

4.  M.  Mersenne,  La  Vérité  des  Sciences  contre  les  Septiques  ou  Pyrrhoniens,  L.  I, 
C.  VTI,  p.  78  sqq.  Paris,  1625. 


§   A.    —   POLÉMIQUE   AVEC   LES   PÊRIPATÉTICIENS  35 

•et  Jean-Baptiste  Moriii  V.  Docteur  en  Philosophie  et  en  Médecine. 
C'était  un  avertissement  dont  Gassendi  comprit  la  portée  et  dont  il 
tint  compte,  on  l'a  dit,  en  interrompant  ses  Exercitationes.  Cependant 
les  arrêts  du  Parlement  devaient  être  impuissants  à  relever  le  crédit 
d'Aristote,  que  l'intransigeance  et  l'étroitesse  de  certains  de  ses  dis- 
oiples  avaient  hrémédiablement  compromis  pour  plus  d'un  siècle. 
Les  critiques  de  Gassendi  firent  donc  leur  chemin  malgré  les  résis- 
tances des  Universités,  plus  lentes  à  accueiUir  les  méthodes  et  idées 
non  -elles  que  les  simples  particuHers.  On  le  vit  clairement  en  1671, 
quand  quelques  partisans  zélés  du  Péripatétisme,  notamment  le 
Dr  <  laude  Morel,  alors  Doyen  de  la  Faculté  de  Théologie,  firent  des 
démarches  auprès  du  Premier  Président  de  Lamoignon  pour  obtenii- 
une  sentence  du  Parlement,  qui  renouvelât  les  énergiques  défenses 
portées  contre  les  novateurs.  Mais  les  idées  avaient  marché  depuis  1624. 
«  L'Arrêt  burlesque  »  fut  la  seule  réplique  donnée  à  cette  requête. 

A  peine  Boileau,  Racine  et  Bernier,  le  «  bon  ami  »  de  Gassendi, 
eur(  it-ils  vent  de  la  plainte  des  Péripatéticiens  qu'ils  résolurent  de 
parei-  le  coup,  qui  menaçait  la  philosophie  de  Gassendi  et  de  Des- 
cart"s,  en  employant  l'arme  du  ridicule.  Ils  fabriquèrent  sur-le-champ 
et  mirent  en  circulation  une  facétie,  qui  avait  pour  titre  :  (  Arrêt  donné 
en  II  Grand'Chambre  du  Parnasse,  en  faveur  des  Maîtres  es- Arts, 
Médecins  et  Professeurs  de  l'Université  de  Stagi^Tc,  au  pays  des 
Chii  .ères,  pom-  le  maintien  de  la  doctrine  d'Aristote  ».  Le  bruit  courut 
a,ussi  que  l'Université  allait  présenter  officiellement  une  supphque 
au  Premier  Président  pour  appuyer  la  démarche  de  quelques-uns  de 
ses  iuembrea.  Bernier  s'empressa  de  rédiger  et  de  répandre  une  Requête 
à  «  Nos  Seigneurs  du  Mont-Parnasse  »  en  faveur  d'Aristote,  sur  le  ton 
plais  mt  de  1'  «  Arrêt  »,  déjà  lancé  dans  le  pubHc  ^.  Nous  détacherons 
de  e- s  deux  pièces  les  passages  relatifs  à  Gassendi  et  à  Descartes. 

L'  s  requérants  «  supplient  humblement...  disant  qu'il  est  de  noto- 
riété pubhque  que  c'est  le  sublime  et  incomparable  Aristote  qui  est 
sans  conteste  le  premier  fondateur  des  quatre  éléments,  le  feu,  l'air, 
Teait  et  la  terre;...  et  quoique  pendant  plusieurs  siècles  il  ait  été 
mail  tenu  d'un  commim  consentement  dans  une  paisible  possession 
de  t  >us  ces  droits,  néanmoins,  depuis  quelques  années  en-çà.  deux 
particulières,  nommées  la  Raison  et  l'Expérience,  se  sont  liguées 
ensi  ible...  pom  s'ériger  un  thrône  sur  les  ruines  de  son  autorité; 
et,  j.our  parvenir  plus  adroitement  à  leurs  fins,  ont  excité  certains 
esprits  factieux,  qui  sous  le  nom  de  Cartésiens.  Malebranchistes, 
Poiuchotistes  ^  et  Gassendistes  ont  commencé  de  secoiier  le  joug  du 

1.  Le  Mercure  français  (Paris,  1625,  t.  X,  pp.  506-512)  analyse  la  Réfutation  que  Morin 
fit  d-  ces  Thèses.  Voici  le  titre  de  l'opuscule  de  Morin  :  Refutaiion  des  Thèses  erronées 
(VArdlioine  Villon,  dit  h  soldat  Philosophe  et  Estienne  de  Claves,  Médecin  Chymisis, 
par  >  iix  affichées  publiqueiutnt  à  Paris  contre  la  doctrine  d'Aristote...,  ou  sont  doaem^nk 
trai<  ■  :  les  vrays  principes  des  corps  et  plusieurs  autres  beaux  poincts  de  la  Nature,  et 
proiiiie  la  solidité  de  la  Doctrine  d'Aristote,  par  J.-B.  Morin.  Beaujollois,  Docteur  en 
Phii'.sophie  et  en  Médecine,  Paris,  1624. 

2.  Lf.  Avertissement  de  M.  de  Saint-Marc...,  Œuvres  de  Boileau,  t.  III,  p.  110. 

3.  Kdmond  Potjrchot,  né  à  Poilly  (aujourd'hui  dans  l'Yonne),  le  7  septembre  1651, 
enseigna  avec   grand  succcs,   pendant  vingt -six  ans,  la  pliilosophie  au  Collège  dea 


36  ARTICLE    II.    CHAPITRE   II.   GA.S.SENDI  POLÉMISTE 

seigneur  Aristote....  Ce  considéré,  Nosseigneurs,  il  vous  plaise  ordonner 
...que  Gassendi,  Descartes,  Rohaut,  Malebranche,  Pourchot...  et 
leurs  adherans  seront  conduits  à  Athènes  et  condamnés  à  y  faire 
amendable  honorable  devant  toute  la  Grèce  ;...  que  Gassendi  sera  lui 
seul  condamné  en  pareille  somme  de  dix  mille  livres  pour  avoir  osé 
afficher  ces  placards  séditieux  :  Quod  immerito  Aristotelei  Uhertatem 
philosophandi  sibi  ademerint.  Quod  rationes  nullœ  sint  quihus  secta 
Aristotelis  videatur  prœferenda  ^  ;  quod  se,  etc.,  qu'on  a  voulu  ci-devant 
faire  passer  pour  de  grands  et  longs  chapitres  très  doctes  et  très  judi- 
cieux M  ^. 

L'Arrêt  débute  ainsi  :  «  Vu  par  la  Cour  la  requête  présentée  par  les 
Régens,  Maîtres-ès-Arts,  Docteurs  et  Professeurs  de  l'Université..., 
contenant  que  depuis  quelques  années,  une  inconnue,  nommée  la 
Raison,  aurait  entrepris  d'entrer  par  force  dans  les  Écoles  de  ladite 
Université,  et,  pour  cet  effet,  à  l'aide  de  certains  quidams  factieux, 
prenant  les  surnoms  de  Gassendistes,  Cartésiens,  Malebranchistes, 
Pourchotistes,  etc.,  gens  sans  aveu,  se  seroit  mise  en  état  d'en  expulser 
ledit  Aristote,  ancien  et  paisible  possesseur  desdites  Écoles...  ^  » 

Cette  Requête  et  cet  Arrêt  "  burlesque  »  *  ne  mirent  pas  les  rieurs 
du  côté  des  Péripatéticiens.  S'il  faut  en  croire  Boileaii  ^.  cette  médiocre 
plaisanterie,  en  rendant  impossible  l'arrêt  du  Parlement,  détourna 
l'Univei'sité  de  lui  présenter  la  supplique  qu'elle  projetait.  Boileau  a 
déclaré  en  effet  qu'il  composa  V Arrêt  burlesque  a  afin  de  prévenir 
un  Arrêt  très  sérieux,  que  l'Université  songeoit  à  obtenir  du  Parle- 
ment contre  ceux  qui  enseigneroient  dans  les  Écoles  de  Philosophie 
d'autres  principes  que  ceux  dAristote.  La  plaisanterie  y  descend  un 
peu  bas  ^,  et  est  toute  dans  les  termes  de  la  pratique  [judiciaire]. 
Mais  il  falloit  qu'elle  fût  ainsi  pour  faire  son  effet,  qui  fut  très  heureux, 
et  obhgea,  pour  ainsi  dire,  l'Université  à  supprimer  la  Requête  qu'elle 
alloit  présenter  »  ^. 

Grassins  d'abord,  puis  au  Collège  dev~  Quatre  Nations.  Il  avait  des  amis  illustres. 
Racine,  Boileau,  Mabillon,  Fénelon,  etc.  Son  enseignement  s'inspirait  de  Descartes  et 
de  la  Logique  de  Port -Royal.  Pourchot  a  pxiblié  (Paris,  1695)  des  Institntiones  ph-ilo' 
sophicœ  ad  faciliorem  Veterum  et  Recentiorum  inteUigentiam  comparatœ.  Elles  ont  été 
plusieurs  fois  réimprimées.  Eu  1734  parut  à  Lyon  Editio  qiiarta  prioribvs  locuplctior.  — 
Pourchot  fut  sept  fois  Rîcteur  de  l'Université  de  Paris.  Il  mourut  dans  cette  \-illeen  1634. 

1.  Ces  citations  sont  les  titres  mêmes  des  Exer citât ionea  II  et  III  du  Livre  I  de  Gas- 
sendi In  doctrinam  Aristoteleomm  universe. 

2.  On  trouvera  cette  «  Requête  »,  dans  Menagiana,  Paris,  1715,  t.  IV,  pp.  271-277. 

3.  L'  «  Arrêt  burlesque  »  mentionne  expresséinent  les  Exercitationes  adversus  Aristo- 
teleos  de  Gassendi.  • —  On  trouve  cet  arrêt  dans  Menagiana,  Ibidem,  pp.  278-282. 

4.  Le  mot  «  burlesc|ue  »  fut  ajouté  seulement  dans  l'édition  de  1713.  , 

5.  Des  copies  de  V Arrêt  burlesque  se  j-épandirent  vite  et  au  loin.  Madame  de  Sévigné, 
c^ui  en  avait  reçu  une,  écrivait  de  Bretagne  à  M'^  de  Grignan  :  «  Voilà  ime.  pièce  que 
M.  de  Chaulnes  vous  envoie  :  je  la  crois  de  Pellisson  ;  d'autres  disent  Despréaux  ; 
dites-m'en  votre  avis.  Pour  moi,  je  vous  avoue  que  je  la  trouve  parfaitement  belle  ; 
lisez-la  avec  attention  et  voyez  combien  il  y  a  d'esprit.  »  (A  Vitré,  6  septembre  1G71). 
La  spu'ituelle  marquise  se  montre  moins  difficile  que  l'auteur  qui  trouvait  «  la  plai- 
santerie im  peu  basse.  » 

6.  BoiLKAU,  Dernier  paragraphe  (ajoute  à  l'édition  de  1701)  du  Discours  sur  VOdc.  — 
Mais  le  succès  remporté  fut  de  coiu-te  durée,  car  im  ax'rêt  du  Grand  Conseil  (2  août  1775) 
interdit  l'enseignement  du  Cartésianisme. 


A.    POLÉMIQUE    AVEC    LES   rÉRIPATÉTICIENS  37 


50   —    ATTAQUES   DIRIGÉES   COXTRE    LES    EXERCITATIOXES 

Les  Exercitationes  Paradoxicœ  furent  vivement  critiquées  par  plu- 
sieurs professeurs  des  Universités  allemandes.  Jean  Jonsius  appelle 
-Gassendi  i<  un  très  violent  calomniateur  dAristote  »  ^.  Daniel  Georges 
MoRHOF  ■^,  qui  fut  quatre  fois  Rectem-  de  l'université  de  Kiel,  où  il 
enseigna  léloquence  et  la  poésie,  regrette  (c  qu'une  précipitation 
juvénile  ait  entraîné  Gassendi,  homme  d'un  très  grand  génie,  à  com- 
battre Aristote  avec  une  grande  impétuosité  )>,  car  «  on  ne  trouve  dans 
ses  Exercitationes  que  des  subtilités  sophistiques  »  ^. 

Ce  même  écrivain  nous  apprend  qu'un  de  ses  prédécesseur^,  à  l'Aca- 
démie de  Kiel,  Michel  Watson  *,  a,vait  composé  une  Apologie  cF Aris- 
tote, qui  est  restée  manuscrite  ^. 

Dans  l'université  du  Grand-Duché  de  Mecklembourg-Scln\erin, 
à  Rostoèk.  Henri-Ascagne  Engelke  mena  une  véritable  campagne 
contre  Gassendi  pour  venger  Aristote.  Lui-même  avait  dressé  le  plan 
de  cette  longue  résistance.  On  le  voit  en  effet,  comme  Président, 
diriger  successivement,  avec  approbation  de  la  Faculté  de  Philoso- 
phie, quatre  attaques  solennelles,  dans  la  Grande  Salle  destinée  aux 
Auditeurs.  Les  soutenances  de  ces  thèses  agressives,  commencées 
-en  1698,  ne  prirent  fin  qu'en  1702.  Nous  transcrirons  ici  le  titre  de  la 
première  en  date  :  Censor  censura  dignus,  h.e.  Dissertatio  ostendens 
quod  Petrus  Gassendus  scopum  suum,  per  argumenta  contra  Aristotelis 
Philosophiam  in  Exercitationibus  paradoxicis  prolata,  obtinere  nequeat... 
Pr-î;side  Henrico-Ascanio  Engelke  (16  avril  1698)  ^. 

Ajoutons,  pour  n'avoir  pas  à  y  revenir,  une  dernière  critique  d'En- 
gelke,  quoiqu'elle  ne  porte  pas  sur  les  Exercitationes. 

1.  In  liis  [Exercitationibus]  Epicurseum  se  graphice  admodum  ostendit  et  accrrimum 
Aristotelis  cahimniatorem,  quanquam  nihil  minus  se  factiiruna  in  prasfatione  polli- 
-citiis  est.  (JoANNES  JoxsitTS, Z)e  Scriptorihus  Historiée  Philosophicœ  Libri  /F,  Edit.  de 

Christ.  Dorx,  L.  III,  pp.  177-178,  léna,  1716.  —  Jonsius,  né  le  20  octobre  1621  à 
Rendsburg,  dans  le  Slesvig-Holstein,  fut  assesseur  à  la  Faculté  de  Philosophie  de 
Kônigsberg  et  devint  prorecteur  du  Collège  de  Francfort-sur-le-Mein,  où  il  moxu-ut  en 
avril  1659. 

2.  Né  à  Wismàr.  le  6  fé\Tier  1639,  dans  le  grand  Duché  de  Mecklembourg-Schvrerin, 
et  mort  à  Lubeck,  le  30  jviiUet  1691.  Cf.  Biographie  par  J.  ^Iôllek,  dans  Polyhistor, 
t.  II,  Prolegoniena  in  Polyhistorem  literarium,  §  v  sqq.,  p.  6  sqq.  Lubeck,  1708. 

3.  Magno  impetu  Aristotelem  adortus  est  Petrus  Gassendiis,  vir  maximi  ingenii,  sed 
juvenili  quadam  prsecipitantia  in  haec  consilia  adductus.  ...  Meras  sane  cavillationes 
in  Exercitationibus  illis  deprehendas,  dum  vel  Methodum  incusat,  vel  contradictiones 
aliquas  venatur,  qualia  sunt  repertu  facillima  in  omnibus  scriptoribus.  (Morhofius, 
Polyhistor  sive  de  Notitia  rerutn  et  auctorum  Commentarii,  t.  II,  Polyhistor  philosophicus, 
L.  I,  C.  XII,  §  3,  p.  68.  Edit  de  Moller,  Lubeck,  1708). 

4.  Né  le  17  août  1623  à  Stolpe,  en  Poméranie,  M.  Watson  enseigna  la  Philosophie  à 
Rostock,  et  l'Histoire  sainte  et  profane  à  Kiel,  où  il  mourut  le  7  décembre  1665. 

5.  In  ejus  [Gassendi]  Exercitationes  Apologeticum  pro  Aristotele  ecripsit  hujus 
olim  Academiae  Professor,  Michael  Watsonius,  qui  in  schedis  ejus  adhuc  delitescit  nec 
in  lucem  prodiit.  (Morhofitjs,  Opère  citato,  Ibidem,  t.  II,  p.  68). 

6.  La  deuxième  (Philosophvs  defenmis...)  est  du  6  mai  1698  ;  la  troisième  (Dissertatio 
ex  Philosophia  rationali...),  d'avril  1699;  la  quatrième  enfin  (Vsus  Logicœ...),  du 
29  avril  1702.  —  On  les  trouve  à  la  Bibliothèque  Nationale  :  R  2551. 


38  ARTICLE  II.   CHAPITRE  H.  —  GASSENDI  POLÉMISTE 

Il  avait  préludé  à  cette  série  d'attaques,  que  nous  venons  de  rap- 
peler, par  une  escarmouche,  où  il  s'efforça  de  montrer  l'insuffisance 
de  l'apologie  d'Épicure  présentée  par  Gassendi.  Détail  touchant, 
cette  fois  le  Président  avait  choisi  pour  soutenir  cette  thèse  son  propre 
frère,  alors  «  étudiant  en  Philosophie  et  en  Théologie  à  l'Illustre  Aca- 
démie érigée  sur  les  bords  de  la  Warnow  »,  c'est-à-dire  à  Rostock. 
Il  s'était,  sans  doute,  rappelé  le  texte  encourageant  de  la  Bible  : 
Frater  qui  adjuvaiur  a  fratre,  quasi  civitas  firma  (Prov.  XVIII,  19). 
«  Le  frère,  qui  est  aidé  par  son  frère,  est  comme  une  citadelle  inébran- 
lable ». 

Voici  en  quels  termes  pompeux,  selon  les  usages  académiques  du 
temps,  cet  «  Exercice  Antigassendiste  »  est  annoncé  : 

Exercitatio  Anti-GassendiaTia  minus  sufficientem  esse  in  multis 
illam,  quam  Petrus  Oassendus  in  se  suscepit,  Epicuri  defensionem, 
ostendens,  quam  consentiente  Amplissifna  Facultate  Philosophica  in 
Illustri  ad  Varnum  Academia  puhlicœ  disquisitioni  proponun^  Prises 
M.  Henricus  Ascanius  Engelke  Rostochiens.  MecUenb.'  et  Res- 
PONDENs  Hermannus  Christophorus  Engelke,  88.  Theol.  et 
PMI.  8tud.,  Fratres  germani.  In  Auditorio  Majori,  anno  1697,  d.  Ja- 
nuar  ^. 

Ces  adversaires  de  Gassendi  défenseur  d'Épicure  et  antagoniste 
d'Aristote  reconnaissent  d'ailleurs  sa  valeur  comme  mathématicien 
et  surtout  vantent  la  sohdité  de  sa  «  Disquisition  métaphysique  contre 
Descartes  »  ^. 

Comme  ces  professeurs  d'universités  allemandes,  un  Jésuite  fran- 
çais, le  PÈRE  Honoré  Fabri  »,  que  l'un  d'eux  quaUfie  de  «  philosophe 
très  pénétrant  de  notre  époque  »  *,  avait  vigoureusement  critiqué  ^ 

1.  Bibliothèque  Nationale  :  R  2599. 

2.  In  Mathesi  autem  illum  plane  excelluisse  Ricciolus  adserit  in  Cathalogo  Mathe- 
maticorum,  eum  Anialgestum  Matheseos  appelans...  Praestantia  viri  imprimis  ex  Dis- 
guisitione  metg,physlca  contra  Cartesium  patet,  quam  utique  solidissimam  esse  doctorum 
Buffragio  calculoque  comprobatur.  (Exercitatio  Anti-Gassendiana...  [non  paginée], 
à  la  fin  de  la  I''e  Section). 

3.  Né,  le  5  avril  1607,  au  Grand- Abergement,  dans  l'Ain,  il  entra  au  noviciat  d'Avi- 
gnon le  9  octobre  1626,  enseigna  avec  éclat  la  philosophie  et  les  mathématiques  au 
collège  de  Lyon,  fut  appelé,  comme  théologien  de  la  Sacrée  Pénitencerie,  à  Rome,  où 
il  mourut  le  8  mars  1688.  Il  a  laissé  un  grand  nombre  d'ouvrages.  Cf.  C.  Sommebvogel, 
BihUoth.  de  la  Compagnie  de-  Jésus,  I^e  P.,  T.  III,  col.  511-521,  Paris,  1892). 

4.  Honoratus  Fabri,  philosophus  nostri  temporis  acutissimus  et  qui  Aristotelem  ex 
Aristotele  interpretari  docuit...  (D.-G.  Mobhof,  Polyhistor...,  t.  II,  Polyhistor  philoso- 
phicus,  L.  I,  C.  XII,  §  3,  p.  68).  —  Le  P.  Fabri  note  en  effet  qu'il  interprète  Aristo1;e  : 
non  quidem  juxta  mentem  Arabum  et  Scholasticorum  aliquot,  sed  juxta  nativum  et 
proprium  literse,  textus  et  verborum  sensura  (Opère  in^ra  citando,  Epist.  II.  S  iv. 
p.  70).  '    '^     .       ■  '      ^  '    s      ' 

5.  HoNORATi  Fabri  Societatis  Jesu  ad  Patrem  Ignatium  Oastonem  Pardesium 
ejnadem  Societatis  Epistolœ  très  de  sua  Hypothesi  philosophica,  Mayence,  1674.  Ces 
Lettres  sont  écrites  de  Rome  en  1673.  —  Le  Père  Pabdies,  auquel  elles  sont  adressées, 
naquit  à  Pau  le  5  septembre  1636,  enseigna  la  philosophie  et  les  mathématiques  au 
collège  Louis-le-Grand,  à  Paris,  et  y  mourut  le  22  avril  1673.  Outre  des  œuvres  scienti- 
fiques, il  a  publié  :  Discours  de  la  connaissance  des  bestes,  Paris,  1672,  plusieurs  foig 
réimprini^  à  Paris  et  à  La  Haye.  Cf.  Sommebvogel,  Opère  citato,  t.  VI,  col.  199-206, 
P^ns,  1895.  —  Dans  ce  Discozirs  le  P.  Pardies  combat  l'automatisme  cartésien  avec 
beaucoup  de  logique  et  d'érudition. 


§   A.    —  POLÉMIQUE   AVEC   LES   PÉREPATÉTICIENS  39 

les  Exercitationes  paradoxicœ.  Mais  il  y  a  entre  eux  et  lui  cette  diffé- 
rence :  la  part  faite  à  l'éloge,  à  côté  du  blâme,  est  beaucoup  plus  large 
et  l'accent  en  est  beaucoup  plus  chaleureux.  Il  élève  d'ailleurs  une 
voix  autorisée,  car  il  est  l'auteur  d'une  Philosophie  en  neuf  volumes 
et  de  Dix  Dialogues  sur  la  Physique,  sans  compter  des  œuvres  polé- 
miques et  des  opuscules  sur  l'Optique,  l'Astronomie,  etc.  ^. 

Fabri  constate  d'abord  que  la  première  place,  parmi  les  atomistes 
du  xvii^  siècle,  revient  sans  conteste  à  Gassendi  (Democriticorum 
hujiis  temporis  facile  princeps)  '^.  Il  ne  cesse  d'admher  et  de  louer 
l'érudition  en  tout  genre,  l'incroyable  abondance  de  choses,  la  singu- 
hère  netteté  de  style  qu'on  remarque  dans  ses  énormes  volumes  ^. 
Il  s'honore  enfin  d'avoir  été  son  ami,  comme  en  témoigne  la  corres- 
pondance échangée  *. 

Fabri  est  un  admirateur  ardent  d'Aristote  :  jusqu'ici  il  n'a  rien 
trouvé  de  meilleur  que  ce  qu'il  a  rencontré  chez  le  Stagirite  (Cum 
autem  nihil  meliiis  hvciisque  mihi  occurrerit  ns  quœ  apud  Aristotelem 
inveni)  ^.  Aristote  est  sans  conteste,  à  ses  yeux,  le  prince  des  Philo- 
sophes. Aussi  la  philosophie  de  Fabri  est-elle  presque  partout  péri- 
patéticienne ®.  Mais  ce  n'est  point  un  admirateur  aveugle,  car  il  a 
pour  maxime  (maxime  qu'il  a  mise  en  pratique),  qu'on  doit  déser- 
ter l'École  péripatéticienne,  quand  Aristote  contredit  la  religion, 
certaines  démonstrations  ou  certaines  expériences  nouvelles  et 
BÛres  '.  . 

Aristotéhcien  fervent,  Fabri  reproche  à  Gassendi  d'avoir  attaqué 
Aristote  et  sa  doctrine  avec  une  âpreté  et  une  violence  qui  défie 


1.  Fabkt,  Opère  a'tato,  Epistola  I,  §  i,  pp.  8-9.  —  Cette  première  Lettre  réfute  l'accu- 
eation  de  Cartésianisme  qu'on  avait  lancée  contre  Fabri.  La  deuxième  réfute  l'accusa- 
tion de  Gassendisme.  La  troisième  a  pour  but  de  montrer  que  l'hypothèse  philosophique 
qu'il  défend  n'est  pas  en  opposition  avec  certaines  doctrines  soutenues  par  la  Com- 
pagnie de  Jésus. 

2.  Fabri,  Opère  citato,  Epist.  II,  §  i,  p.  63. 

3.  Petro  Gassendo  meciim  omnes  primas  facile  tribuen-t,  eu  jus  omnigenam  eruditionem 
ac  literatiu-am,  incredibilem  rertma  copiam,  singularem  styli  nitorem  aliaque  id  genus 
grandioribus  illis  ^  oluminibus  comprehensa  mirari  juxta  atque  laudare  non  cesso  ; 
addere  possem,  ad  cumulum,  hominem  illum,  dum  in  viris  esset,  dulcissimo  amicitise 
vinculo  mihi  conjuuctvim  fuisse.  (Fabri,  Opère  cit..  Epist.  II,  §  i,  pp.  63-64). 

4.  Dans  une  lettre  fort  élogieuse,  Gassendi  presse  le  Père  Fabri  de  continuer  la 
publication  de  ses  doctes  travaux  :  Perge  itaque  rem  factiu-us  dignam  praeclarissima 
indole...  ;  dignam  Societate,  quam  quidquid  est  rarum,  sublime,  magnifîcum  decet. 
Sic  vero  habe  me  ut  honori  sic  fœlicitati  magnse  vertere,  quod  fueris  non  modo 
cooptare  me,  sed  accersere  etiam  in  tui  amicitiam  dignatus  (Gassendi  à  Fabri,  20  août 
1643,  OG,  t.  VI,  p.  168,  col.  1).  C'est  l'unique  lettre  à  Fabri  que  l'on  trouve  au  tome  VI. 
- —  Une  lettre  en  latin  de  Fabri  à  Gassendi,  De  motv.  solis  circzdari,  datée  do  Lyon, 
9  août  1643,  est  conservée  à  la  Bibliothèque  Nationale,  Mss.  Fonds  lat.  600,  fol.  9-18. 

5.  Fabri,  Opère  cit.,  Epist.  II,  §  iv,  p.  71-72. 

6-7.  Totus  sum  in  commendando,  la  ;dando  et  praedicando  Aristotele,  omnium 
l^hilosophorum  facile  Principe...  Contendo  igitur  ac  denuntio  palam  meam  hypothesim 
^•ere  Aristotelicam  et  me  fere  in  omnibus  Peripateticum  esse...  Qusedam  enim  excipio, 
quae  tum  ad  religiônem,  tum  ad  corpora  cœlestia,  tum  ad  nova  quaedam  expérimenta 
Beu  phœnomena  pertinent  ;  nempe,  ut  dicere  soleo,  quivis  jure  ab  Aristotele  discedat,  si 
quando  vel  religio,  vel  demonstratio,  vel  novum  a-^  certum  experimeutum  euni 
desorere  cogat.  (Fabri,  Opère  cit.,  Epist.  II,  §  iv,  pp.  70-71). 


40  ARTICLE   II.   CHAPITRE   II.   GASSENDI  POLÉMISTE 

toute  comparaison  ^.  Mais,  Aristotélicien  indépendant,  esprit  large 
et  ouvert,  il  sait  rendre  pleine  justice  à  ceux  mêmes  dont  il  combat 
certaines  idées.  C'est  ainsi  qu'en  passant  il  ne  ménage  pas  les  éloges 
à  Bacon,  Descartes,  Hobbes,  Harvey  ^,  Gilbert,  Boyle,  Galilée, 
Gassendi. 

Quelques  critiques  qu'il  ne  nomme  pas  (sans  doute  des  Péripatéti- 
ciens  étroits  et  fanatiques  qui  le  considéraient  comme  un  déserteur)  ^, 
avaient  accusé  Fabri  de  verser  dans  le  Gassendisme.  Pour  repousser 
cette  accusation,  il  lui  suffit  de  montrer  qu'il  rejette  l'atomisme  et 
le  vide,  qu'il  ne  pense  point  comme  Gassendi  sur  le  mouvement, 
le  temps,  le  lieu,  la  lumière,  Tâme  des  bêtes,  lame  humaine,  la  li- 
berté, etc. 

En  terminant,  Fabri  ne  peut  s'empêcher  de  regretter  que  Gassendi, 
au  talent  duquel  il  rend  de  nouveau  un  magnifique  hommage  *, 
ait  patronné  les  théories  d'Épicure  et  de  Lucrèce.  Beaucoup  ont  cru 
que  cette  attitude  philosophique  a  été  gravement  dommageable  au 
Catholicisme,  parce  que  beaucoup  ont  pi'is  de  là  occasion  de  révoquer 
en  doute  un  très  grand  nombre  de  vérités  qu'un  catholique  ne  peut 
contester.  Mais  Fabri  s'empresse  d'ajouter  loyalement  :  Quoi  qu'il  en 
soit  d'ailleurs,  on  ne  peut  nier  que  personnellement,  au  moins  en  ce 
qui  regarde'  la  religion,  Gassendi  a  vigoureusenïent  défendu  contre 
Ëpicure  l'immortalité  de  l'àme,  l'existence  de  Dieu,  la  Providence,  etc. 
C'est  par  là  que  Gassendi  lui  paraît  très  recommandable  ^. 

1.  Gassendus  vero  non  modo  Aristot-eli  non  suffragatur,  sed  illum  ejusqvxe  doctrinam. 
tanto  animi  fervore  ac  studio,  et  tanta  styli  acerbitate  aggreditur,  ut  niliil  nnqiiain 
acerbius  vel  atrocius  in  stylo  excogitari  posse  videatur...  (Fabri,   Epistola   II,   §  xi, 
pp.   72-73). 

2.  Fabri  dit  à  propos  de  la  découverte  de  Harvpy  :  Hanc  de  circuitione  sauguinis 
eententiam  docueran  aliquot  annis  antequam  liber  Harvei  meas  in  manus  incideret, 
eamque  tum  ex  variis  experimentis,  tum  etiam  ratione  a  priori  demonstraram  (Epist,  II, 
§  XIX  p.  103).  Il  est  plus  explicite  encore  dans  un  ouvrage  antérieur  :  Ego  verissimam, 
[circulationem  sanguinis]  esse  semper  putavi  eamque,  antequam  libellus  Harvei  pro- 
diret,  publiée  docui  jam  ab  anno  1638,  qui  certe  longo  jîost  tempore  in  meas  manus 
venit  quod  ad  ostentationem  non  dico.  Sed  ut  ille  nonnulla  ex  eis  quae  prius  ediderani 
in  suis  exercitationibus  aliquot  post  annis  publicavit,  licet  forte  nunquam  mea  viderit; 
nihil  enim  vetat  quin  duobus  eadem  cogitatio  incidat  ;  ita  mihi  nonnulla  in  mentem 
vénérant  et  in  publicis  scholis  docueram.  quae  deinde,  tiun  apud  illum  atictorem,  tum 
apud  alios,  typis  mandata  inveni.  (H.  Fabri,  Tractât  un  de  Hontine,  L.  I,  Propos  II, 
§  2,  p.  204). 

3.  Est-ce  à  eux  que  songeait  Fabri  quand  il  reproche  à  certains  philosophes  de 
recourir  à  Dieu  pour  se  tirer  d'embarras,  dès  qu'ils  ne  peuvent  expliquer  les  effets  des 
causes  naturelles  ?  Il  constate  ironiquement  que  c'est  faire  œu\'re  pie,  mais  peu  i^hilo- 
sophique  (Ad  Deum  confugere  'in  naturalibus  effectibua  pixim  est  quidem,  sed  panim 
philosophicum.  Tractatus  de  Plantis...,  L.  V,  Prop.  LVT,  p.  165,  col.  1). 

4.  Fabri,  Epistola  II,  §  xviii,  pp.  99-100. 

5.  Et,  ut  sincère  dicam,  non  modicum  inde  rem  catholicam  detrimentum  accepisse 
multi  crediderunt  ;  non  quidem  quod  de  illo  maie  senserint,  sed  quod  multi  ex  ejua 
scriptis  occasionem  arripuerint  maie  sentiendi  et  plurima  in  dubium  revocandi,  quae 
in  religione  catholica  sarta  et  tecta  esse  oportet  ;  utut  eit,  negari  non  potest  quin  ipse 
ealtem  in  iis,  quae  ad  religionem  pertinent,  probe  ac  pie  se  gesserit  contra  Epicurum, 
quae  contra  illum  strenue  adstruxit  atque  défendit,  puta  animam  râtionaleni  eamque 
immortalem,  Deum  divinamque  Providentiam,  miuidumque  a  Deo  creatum  in  tem- 
pore..., aliaque  hujusmodi,  ob  quœ  profecto  est  quod  eum  summopere  commendem. 
(Fabri,  Epist.  II,  §  xviii,  pp.  100-101.) 


§    B.    —   POLÉMIQUE    AVEC    FLT'DD  -  41 

§    B.    —    POLÉMIQUE    AVEC    FLUDD 

10   _   LUTTE   ENTRE   FLUDD   ET   MERSEXXE 

Robert  Fludd  ^  (dont  le  nom  latinisé  est  Robertus  de  Fluctibus), 
après  avoir  étudié  la  philosophie,  la  théologie,  les  sciences  naturelles, 
la  magie,  la  cabale,  l'alchimie,  et  visité  l'Europe  pour,  s'instruire  dans 
le  commerce  des  savants  les  plus  distingués,  se  fit  recevoir  docteur 
en  médecine  à  l'université  d'Oxford  et  Adnt  s'établir  à  Londres  comme 
praticien.  Il  se  réclamait  de  la  confrérie  occulte  des  Rose-Croix  -  et 
prit  plusieurs  fois  la  défense  de  ses  confrères.  Cerceau  fumeux,  mais 
meublé  de  connaissances  variées,  s'inspirant  de  Paracelse  et  de  Cor- 
nélius Agrippa,  Fludd,  a\  ait  essayé  de  fondre,  dans  un  vaste  syncré- 
tisme, les  doctrines  néo-platoniciennes,  les  chimères  de  l'alchimie 
et  de  la  cabale,  les  idées  extravagantes  attribuées  aux  Frères  de  la 
Rose-Croix,  le  tout  assaisonné  de  textes  de  la  Sainte  Écriture  arbi- 
trairement interprétés.  Cet  amalgame  d'éléments  disparates  aboutit 
à  un  mysticisme  panthéistique  et  matérialiste  ^.  Comme  ces  élucu- 

1.  Robert  Fludd  naquit  (1574)  à  Milgate,  dans  le  Kent  et  mourut  (1637)  à  Londres. 
Après  avoir  étudié  à  Saint  John's  Collage,  à  Oxford,  il  voyagea  pendant  six  ans  en 
Europe,  d'où  il  revint  très  au  courant  des  œu\Tes  de  Paracelse.  De  retour  à  Oxford,  il 
devint  membre  de  Clu-ist  Church  Collège,  prit  ses  grades  en  médecine  et  finalement  fut 
élu  fellow  du  Collège  des  Jlédecins. 

2.  La  Fraternité  de  la  Rose-Croix  a  pour  origine  une  légende  que  M.  H.  Hermelink 
appelle  «  une  des  plus  grandes  mystifications  de  l'histoire  <i.  (Article  Rosenkreuzer, 
dans  Realencyklop^die  riiR  Protestantisc  he  Théologie,  t.  XVII,  1906^,  pp.  150- 
156.  —  Cf.  H.  Gruber,  Rosirrucians,  dans  The  Cathqlic  Encyclopedia,  t.  XIII 
1902,  pp.  193-194).  En  1614  parais.sait,  à  Cassel,  chez  l'éditeur  AV.  Wessel,  un  ouvrage 
anonyme  intitulé  :  Fama  Fraternitatis  Rosœ  Crucis.  Telle  est  la  première  mention  qu'on 
rencontre  de  la  Rose-Croix.  La  Fama  est  un  roman  d'aventures,  où  est  racontée  la 
fondation,  au  xiv^  siècle,  d'une  Fraternité  secrète  par  un  noble  allemand,  qui  n'est 
pas  nommé.  L'année  suivante,  le  même  éditeiu-  mettait  en  vente  un  nouveau  livre  : 
Confesaio  Fraternitatis  R-\-C.  Ad  Eruditos  Europœ.  On  y  révélait  le  nom  du  prétendu 
fondateur  :  Christian  Rozenkreutz,  né  en  1378.  C'est  G.  Arnold  qui  a  fini  par  dé- 
cou\Tir  l'auteiu"  de  ces  deux  ouvrages  :  Jean  ValentinAndre.ï;,  théologien  luthérien, 
né  à  Herrenberg,  dans  le  Wurtemberg  en  1586  et  mort  à  Stuttgart  en  1654.  Cf.  G.  Ar- 
nold, Unpartei  sche  Kirchen  und  Ketzerhistorie,  t.  II,  pp.  640  sqq,  Francfort  1699.  — 
Sous  le  couvert  d'œuvres  allégoriques,  satiriques,  moralisantes,  André»  voulait  pro- 
voquer une  réforme  à  l'intérieiu"  du  Protestantisme.  Grâce  au  goût  de  l'occultisme 
alors  très  prononcé,  la  Fama  et  la  Confeasio  eurent  un  succès  énorine.  Les  écrits  pour 
ou  contre  les  principes  et  les  règles  de  la  légendaire  Fraternité  se  multiplièrent,  sans  que 
partisans  ou  adversaires  songeassent  à  en  contester  la  réalité  historique.  Parmi  les 
champions  de  la  Rose-Croix  se  distinguent  Robert  Fludd  et  Michel  Maier,  médecin  de 
l'empereur  Rodolphe  II.  «  Peu  à  peu  l'attention  se  relâche  et  l'intérêt  se  ralentit.  Çà 
et  là,  quelques  groupes  d'occultistes  s'attribuent  un  nom  resté  en  déshérence.  C'est 
sevilement  au  xviii^  siècle  qu'un  cercle  de  francs-maçons  allemands,  en  quête  d'an- 
cêtres germaniques  distincts  des  Templiers,  firent  revivre  le  nom  et  les  symboles  rosi- 
cruciens  et  coulèrent  dans  ces  moules  complaisants  leurs  propres  idées  lumianitaristes 
et  réformatrices.  «  (L.  de  Grandmaison,  La  Nouvelle  Théoaophie,  dans  les  Etudes, 
t.  CXLIII,  p.   164). 

3.  Entre  les  pages  24  et  25  de  Sophiœ  cum  Moria  Certamen,  Fludd  a  placé  un  dessin 
qui  représente  la  façon  étrange  dont  il  conçoit  l'harmonie  du  Monde.  Or  on  lit,  en  tête, 
ces  mots  significatifs  :  Deus  est  omne  quod  est  :  ab  eo  procedunt  omnia  et  it- imn  nmnia 
in  eum  recedunt. 


42  ARTICLE  II.   CHAPITRE  H.  —  GASSENDI  POLÉMISTE 

brations,  contraires  à  la  raison  et  à  la  foi,  séduisaient  certains  esprits^ 
curieux  de  ce  qui  est  insolite  et  merveilleux,  elles  provoquèrent  plus 
d'une  attaque,  entre  autres  celle  du  Père  Marin  Mersenne,  de  l'Ordre 
des  IVIinimes,  ami  commun  de  Gassendi  et  de  Descartes.  Il  publia, 
en  1623,  un  énorme  et  savant  volume,  intitulé  :  Quœstiones  Celeber- 
rimœ  in  Genesiîn  ^,  où  Fludd  et  ses  doctrines  sont  pris  à  partie  en  termes 
vifs  et  indignés,  mais  incidemment  ^.  .     * 

Fludd  ne  connut  sans  doute  que  tardivement  cette  sortie  vigoureuse 
de  Mersenne,  car  sa  contre-attaque  est  postérieure  de  six  ans.  Mais, 
d'un  naturel  emporté,  dès  que  les  passages  qui  le  concernaient  vinrent 
à  sa  connaissance,  il  leur  opposa  coup  sur  coup,  dans  la  même  année 
1629,  deux  libelles,  où  les  violences  et  les  injures  tiennent  plus  de  place 
que  les  i\aisons.  Le  premier  affectait  un  titre  non  seulement  batailleur 
.  mais  insultant  :  Combat  de  la  Sagesse  contre  la  Folie  ^.  Dans  le  second, 
où  l'auteur  combat  sous  le  pseudonyme  de  Joachim  Frizius  ^,  le 
titre  est  moins  blessant  :  Le  Souverain  Bien  qui  est  le  vrai  sujet  de  la 
Magie,  de  la  Cabale,  de  V Alchimie  m'aies  et  des  Frères  de  la  Rose- 
Croix  vrais  ;  mais  sa  bizarre  disposition  matérielle  a  un  aspect  caba- 
listique ^. 

2°   —    GASSENDI   PREND   LA    DÉFENSE   DE  MERSENNE 

Mersenne,  auquel  les  polémiques  personnelles  répugnaient,  pria 
Gassendi  de  prendre  en  main  sa  défense  ^.  Ce  dernier  y  consentit 

1.  Cet  ouvrage,  qui  compte  près  de  2.000  colonues,  est  suivi  d'un  opuscule  intitulé  : 
Observationes  et  E inendationes  ad  Francisci  Georgii  Veneti  Problemata,  Paris,  1623. 
C'est  un  complément  de  l'ouvrage. 

2.  Cf.  Quœstiones...,  Colonnes  109-110;  671-672;  712;  714;  716-717;  1156;  1385; 
1451-1452  ;  1475  ;  1561  ;  1720  ;  1743-1744,  etc. 

3.  Sophiœ  cura  Moria  Certamen,  in  quo  lapis  lyditis  a  falso  structure  Fr.  Marina 
Mereenno,  Monadw,  reprobatus,  celeberrima  voluminis  sut  babylonici  (in  Oenesin) 
figmenta  accùrate  examinât,  authore  Roberto  Fludd...,  Anno  MDCXXIX  sans  indication 
de  lieu. 

4.  Gassendi  a  indiqué  lui-même  les  raisons  qui  autorisent  à  attribuer  ce  pamphlet 
à  Fludd.  Cf.  Examen  Philosophiœ  Roberti  Fluddi  Medici,  Praefat.,  dans  OG-,  t.  III, 
pp.   214-215. 

6.  Voici  la  disposition  de  ce  titre  bizarre  : 

SUMMUM  BONUM 

Quod  est 
j    Magiœ       1  \ 

V  Cabalœ       v    Verœ      1 
Verum  )  Alchimiœ   i  >  Subjectum. 

j  Fratrum  Roseœ-  \ 

\   Grucis  verorum  > 

In  dictarum,  scientiarum  laudem  et  insignis  calumniatoris  Fratris  Marini  Mersenni 
dedecus  publicatum  per  Joachimum  Friziitm.  Au-dessous  s'étale  une  rose  largement 
épanouie,  entourée  de  cette  devise  qui  fait  allusion  aux  Rose-Croix  :  Dat  Rosa  Mel 
Apibus. 

Enfin  :  Anno  MCXXIX,  sans  nom  d'éditeur. 

Les  quatre  subdivisions  placées  entre  l'accolade  indiquent  la  matière  des  autres 
Livres  du  Summum  Bontim, 

6.  «  Plusieurs  auteurs  avoient  pris  la  plume  pour  venger  le  P.  Mersenne,  entr'autres 
deux  religieux  de  son  ordre,  François  de  la  Noue,  qui  prit  le  nom  de  Flaminius,  et  Jean 


§  B.   —  POLÉMIQUE    AVEC   FLUDD  43 

et  composa  la  réponse  demandée  dm'ant  le  voyage  qu'il  fit  dans  les 
Pays-Bas  (1629)  en  compagnie  de  Luillier  ^.  Elle  parut  après  son  retour 
sous  ce  titre,  dont  la  longueur  a  du  moins  le  mérite  d'en  bien  indiquer 
l'objet  :  Pétri  Gassendi  TheolOgi  Epistoîica  Exercitatio,  in  qua 
Principia  Philosophiœ  Robekti  Fluddi  Medici  reteguntur  et  ad 
récentes  illiiis  Lihros  adversus  R.  P.  F .  Marlninn  Mersennum,  Ordinis 
Minimorum  Sancti  Francisci  de  Paula  scriptos  respondetur,  Parisiis- 
1630  2. 

Gassendi  ne  cache  pas,  dans  la  Préface  du  livre  adressée  à  Mersenne, 
les  difficultés  qu'il  a  eu  à  vaincre  pour  accomplir  convenablement 
sOn  œuvre.  Tout  d'abord,  il  est  malaisé  à  l'ami,  qui  assume  l'office  de 
juge,  de  se  dépouiller  de  ses  sentiments  amicaux.  Et  cependant 
^c'est  nécessaire  ^.  Ensuite  (et  ce  point  est  encore  plus  grave  à  ses 
yeux),  lui  qui  sait  combien  est  léger  son  bagage  intellectuel,  doit  être 
attentif  à  ne  point  poser  comme  arbitre  entre  des  personnages  si 
remarquables.  Est-ce  facile  ?  *  Mais,  enfin  et  sm'tout,  comment  saisir 
la  doctrine  d'un  philosophe  qui  cherche  sans  cesse  à  se  dérober  dans 
le  mystère  ?  Comment  fixer  les  traits  de  ce  Protée  au  visage  changeant  ? 
Comment  découvrii'  la  clef  des  perpétuelles  énigmes  dont  il  aime  à 
s'envelopper  ?  ^ 

Il  n'est  que  juste  de  le  recomiaître  :  Gassendi  a  surmonté  heureuse- 
ment tous  ces  obstacles,  car  il  fait  preuve,  dans  son  li-vi'e,  d'impartia- 
lité, de  coui'toisie  et  de  clarté  ^. 

Notre  polémiste,  en  effet,  n'hésite  pas  à  procLmer  le  mérite  de 
Eludd.  Après  l'avoir  classé,  avec  une  bienveillance  excessive,  parmi 
les  hommes  très  illustres  (clarissimos  inter  viros),  il  rend  un  juste 
hommage  à  sa  vaste  érudition  ''.  Mais,  d'autre  part,  il  ne  craint  pas 
de  dire  à  Mersenne  qu'en  employant  contre  Fludd  des  expressions 


Durel,  qui  prit  celui  de  S.  Just.  Le  P.  Mersenne  ne  se  croioit  pas  encore  assez  justifié  ; 
c'est  ce  qui  l'obligea  à  s'adresser  à  Gassendi...  »  (Bouqebel,  Vie  de  P.  Gassendi,  L.  I, 
p.  36). 

1.  Gassendi  fait  allusion  à  cette  circonstance  dans  la  Préface  de  l'ouvrage.  Il 
reçut,  in  itinere,  la  lettre  dans  laciuelle  Mersenne  le  priait  de  réioadie  pour  lui  à 
Fludd.  Cf.   Examen  Philonophlce  R.  Fluddi,  Praefat,  O  G,  t.  III,  p    213. 

2.  Cet  ou\Tage  a  été  reproduit  dans  les  Œuvres  coniflètes  sous  ce  titre  condensé  : 
Examen  Philosophiœ  Boberti  Fluddi  Medici,  t.  III,  pp.  211-268.  C'est  à  ce  texte 
que  se  rapportent  nos  citations. 

3.  Attf.men  quod  difticultatem  n  ihi  faciat,  illud  primum  est  quod  ex\iere  debeat 
«mici  personam,  qui  judicis  induit.  (Praefat.,   Ibidem,  p.   213). 

4.  Verum  succedit  causa  gi-avior  cjuod  \adelicet,  curtae  mese  suppellectilis  non  ignarus, 
attendere  debeam  ne  clarissimos  inter  viros  sedere  videar  quasi  arbiter  (Examen..., 
Praefat.,  t.  III,  p.  213). 

ô.  Cuni  philosophiam  enim  apertam  et  sensibilem  ipse  prosequaris,  ille  tamen  sic 
philosophatiir  ut  velit  semper  delitescere,  atramentiun  offundendo,  sub  quo  hamum 
efïugiat.  Ecquo  vero  nodo  continere  liceat  mutantem  vultum  Prothea  ?...  ^nigmata 
perpétua  sunt  quibus  te  alloquitur,  et  prsehabenda  clavis  est  qua  lateutem  ejus  senten- 
tiam  aperire  liceat.  (Examen...,  Praefat.,  t.  III,  p.  213  ;  215). 

6.  «  Son  li\Te  :  Exercitatio...  est  à  la  fois  un  modèle  d'exposition  et  de  critique  polie  ». 
(Ad.  Franck,  Dictionnaire  des  Scieyires  philosophiques.  Art.  Gassendi). 

7.  Quanquam  enim  longe  absim  ut  illum  tuum  antagonistam  ex  aequo  tecum  faciam, 
nihilominus  negari  non  potest  quin  ille  re\era  multiscius  sit,  quin  omnibus  viris  lit©- 
ratis  hoc  sœculo  innotuerit  .(Gassi:ndi,  E.xamen...,  Praefat.,  t.  III,  p.  213). 


44  ARTICLE   II.   CHAPITRE   II.   —  GASSENDI  POLÉMISTE 

trop  acres  ^,  il  a  fourni  quelque  motif  à  la  violence  de  ses  représailles  ^. 
Cependant  son  adversaire  a  pris  feu  et  a  dépassé  toute  mesure  : 
il  a  beau  se  donner  pour  lui  pacifique  ^,  comment  admettre  qu'une 
-colombe  puisse  déverser  tant  de  bile  ?  ^ 

Les  extravagances  et  les  impiétés  de  cet  adhérent  des  doctrines 
rosicruciennes  expliquent  suffisamment  les  vivacités  de  langage 
que  Gassendi  reproche  avec  douceur  à  son  ami.  Mais  Gassendi  eut 
le  bon  goût  de  ne  pas  le  suivre  dans  cette  A^oie.  Son  attitude  digne 
et  modérée  fut  une  force  pour  sa  cause.  Fludd,  touché  sans  doute  de 
ce  procédé  charitable,  énumère  dans  sa  réplique  les  qualités  intellec- 
tuelles et  morales  de  son  adversaire  ^.  Il  force  sans  doute  le  contraste 
<|u'il  établit  avec  complaisance  entre  la  manière  rude  de  Mersenne 
et  la  manière  civile  de  Gassendi  ^  ;  il  abuse  même  un  peu,  en  les 
accentuant,  des  reproches  discrets  que  notre  philosophe  avait  adressés 
■dans  la  Préface  à  son  ami.  Mais  après  tout  c'était  de  bonne  guerre. 

Pour  égayer  son  sujet  en  lui-même  très  austère,  Gassendi,  dont  l'hu- 
meur était  naturellement  joviale,  s'était  permis  de  mêler  à  la  trame 
•de  ses  raisonnements  quelques  pointes  ironiques  qui  piquent  sans 
blesser,  et  même  de  prendre  quelquefois  une  allure  doucement  comique. 
Loin  de  se  formaliser  du  ton  «  facétieux  »  et  des  traits  ingénieux  et 
brillants  de  son  antagoniste,  Fludd  eut  l'esprit  de  n'y  voir  qu'un 
moyen  de  reposer  le  lecteur  en  le  récréant  '^. 

IJ E pistolica  Exercitatio  est  précédée  d'une  longue  lettre  de  Mer- 
senne à  Nicolas  de  Baugy  ^  et  d'un  Jugement  de  François  de  La 
JNoue  sur  la  Philosophie  de  Fludd  ^.  Dans  sa  Lettre,  Mersenne,  après 


1.  Robertus  ille  Fhidd  hasreticomagiis  insanire  mihi  videtiir  (Mersenne,  Quœstlones..., 
col.  1743  (il  s'agit  de  la  chiromancie,  qvie  patronnait  Fludd).  — •  O  inirani  hominis 
csecitatem,  cj[ui  in  Europa,  C(ui  inter  Cluùstianos  tam  fœtidani  et  horrendam  naagiam 
non  solum  tractare,  sed  impudenter  in  lucem  emittere  ausus  est  !  (Observationes  et 
Emendationes...,  Problem.  XXA^III,  col.  40). 

2.  Negare  non  licet,  mi  Mersenne,  cjuin  tii  ipsi  ita  scribendi  ansam  aliquam  feceris. 
Rêvera  enim  dici  potest  paulo  acrins  illimi  t?tigisse  (Examen...,  Prsefat.,  t.  III,  p.  215). 

3.  On  lit,  an  bas  de  la  première  page  de  Sophice  cum  Moria  Certanien  :  Authore 
Robei-to  Fludd,  alias  de  Fluctibus,  Armigero  et  Doctore  Medico  Oxoniense,  qui  calum-' 
niis  et  convitiis  in  ipsum  a  sycophanta  Mei-senno  injeetis,  ad  hoc  opus,  contra  pacificam 
naturœ  suce  dispositionem,  excitatur.  —  C'est  moi  qui  souligne. 

4.  ...  Sic  tenuisse  modum  mihi  non  videtur,  cum  tam  ardenter  excanduit...  Ego,  ut 
sat  pacificum  credo,  ita  non  capio  ut  columba  jiossit  esse  tantœ  bilis  capax.  (Examen..., 
Prsefat.,  t.  III,  p.  215). 

5.  Clavis  Philosophiœ  et  Alchymiœ  Fluddanœ...,  Membro  III,  C.  II,  p.  25. 

6.  ...  Ita  quidem  Gassendum  longe  majori  moralitate  et  modestia  in  hac  sua  inquisi- 
tione  ornatum  esse  video  ;  cum  ab  ipso  neque  verba  incivilia  aut  convitiosa,  neque 
cavillationes  philosophias  leges  multirm  excedentes  afferantiu-,  sed  intra  honesti  scrip- 
toris  limites  se  contineat.  (R.  Fludd,  Clavis  Philosophice...,  Membr.  III,  C.  II,  p.  25). 

7.  Ingeniosis  pollere  videtiu-  fulgiu-ationibus  atque  facetiis,  quae  licet  ad  subjecti 
medullam  non  pertineant,  risum  tamen  et  jocum  lectoribus  spectatoribusve,  recreationis 
causa,  movere  soient.  (Clavis  Philosophiœ...,  Ibidem,  p.  26). 

8.  Nicolao  de  Baugy  a  satwtioribus  consiliis...  Epistola.  Cette  lettre  n'a  point  été 
reproduite  dans  les  Œuvres  complètes  de  Gassendi  avec  VEpistolica  Exercitatio. 

9.  Ad  Reverendum  Patron  Marinwn  Mersennum  Francisci  Lanouii  Jitdiciuyn  de 
jRoberto  Fluddo.  Ex  Musaeo  nostro  ad  muros  parisienses,  12  kal.  Dec.  [20  nov.],  1628. 
•Ce  jugement,  qu'avait  provoqué  Mersenne,  est  reproduit   à  la  suite  de  VEpistolica 


§   B.    —   POLÉMIQUE    AVEC    FLUDD  45- 

a.'oir  présenté  l'ouvrage  de  Gassendi  au  sieur  do  Baugy  et  ra-conté 
commoat  il  a  été  composé  au  milieu  des  embarras  d'un  voyage 
en  Hollande,  jette  un  coup  d'oeil  d'ensemble  sur  les  doctrines 
du  théosophe  anglais.  L'appréciation  formulée  par  La  Xoue  est 
l'œuvre  d'un  théologien  éclairé  :  elle  est  brè^  e  mais  justement  sévère. 

Le  plan  de  Gassendi  est  dune  lumineuse  simplicité  :  il  comprend 
trois  Parties  ^. 

Les  idées  .nuageuses  de  Fludd  sont  éparses  en  des  volumes  nom- 
breux 2.  Gassendi  s'imposa  d'abord  la  tâche  ingrate  et  compUquée 
de  les  étudier,  afin  de  faire  la  synthèse  de  la  philosophie  fluddienne 
et  d'introduire  l'ordre  et  la  lumière  dans  ce  chaos  ténébreux.  C'est 
l'objet  de  la  première  Partie  :  préambule  nécessaire  avant  d'aborder 
la  réfutation  des  deux  opuscules  dirigés  contre  Mersenne.  Autrement, 
sans  cette  initiation  préalable,  il  eût  été  impossible  de  bien  saisir  le 
sens  et  la  portée  des  attaques.  Gassendi  a  réussi  à  coordonner  en  un 
corps  de  doctrine  les  principes  qui  insphent  la  philosophie  de  Fludd. 
Après  cela,  il  lui  a  été  <'  très  facile  de  faire  la  chasse  »  à  la  pensée  fuyante 
du  théosophe  anglais  et  de  la  saisir  ^.  Cette  première  Partie,  \  rai  fil 
conducteur,  rendra  grand  ser%  ice  à  ceux  qui  oseront  se  risquer  dans 
ce  labyi'inthe  obsciu'  de  la  Magie,  de  l'Alchimie,  de  la  Cabale, 
dont  les  rêveries  s'entrecroisent  et  s'enche\'êtrent  dans  les  écrits  de 
Fludd. 

La  deuxième  Partie  est  employée  à  l'examen  critique  du  Sophiœ 
cinii  Moria  Certamen,  et  «la  troisième,  à  celui  du  Summum  Boniim^ 
11  serait  fastidieux  et  sans  profit,  au  temps  présent,  d'en  faire  une 
anahse.  Il  suffira  amplement  de  signaler  deux  ou  trois  passages. 


Exercitatio  dans  OG,  t.  III,  ]jp.  267-208.  ■ —  Ce  François  de  La  Noue  était  aussi  un 
religieux  IMininic.  On  cite  de  lui  :  De  Sanctis  Franciœ  Cancellariis  Syntagtna  Itistoricu?», 
Paris,  1H34.  —  Chronicon  générale  Ordinis  Minhnorum,  Paris,  1635. 

1.  Ces  trois  Parties  sont  ivécédées  d'une  Préface  adressée  à  Mersenne.  Tel  est  la 
plan  de  l'ouvrage  dans  les  Opéra  de  Gassendi,  auxquels  nous  renvoyons.  Dans  l'édition, 
de  1630,  l'ouvrage  est  divisé  en  quatre  Parties  .La  matière  de  cette  Préface  constitue 
la  première  Partie. 

2.  Voici  les  titres  de  quelques-ims  :  Trartatiis  theolofio-philosophicus,  in  Ubros  très 
(lifitribut'  Sy  qu.rinn  I.  de  vlta,  II.  de  morte,  III.  de  resurrectione...,  Oppenheim.  1617.  — 
l'triusqiif  Cosmi,  inajoris  scilicel  et  tninoris  metaphysica,  physica  (  tque  technica  historia..., 
t.  I,  Oppenheim,  1617-1618;  t.  II,  Oppenheim.  1619;  Francfort,  1621.  —  Tractatus 
apologeticus  integritatem  societatis  de  Rosea  Cruce  defendens...,  Leyde,  1617.  —  Veritatis 
proseeniuni,  in  quo  aiilfium  erroris  tragicuin  dimovetur...  seii  Demonstratio  quœdam 
analytica...,  Francfort.  1621.  —  Monochorditm  mundi  symphonia-um,  seu  Replicatio 
lioherti  Flud,  alias  de  Fluctibus...  ad  Apologiam  Joannis  Kepleri  adversvs  Demonstra- 
tionem  suam  analyticam  nuperrime  éditant...,  Francfort.  1622.  —  Anatomiœ  Amphi- 
theatrum  effigie  triplici,  more  et  conditione  varia  designatum,  Francfort,  1623.  —  Medi- 
cina  catholica  seu  Mysticum  artis  medendi  Sacrarium..,.  2  vol.  in-fol.,  Francfort,  1629- 
1631.  —  Philosophia  Moysaica,  in  qua  sapientia  et  scientia  creationis  et  creaturaruni 
sacra  vereque  chii  tiana...  ad  amissim  et  enucleate  explicatur.  Gouda,  1638. 

3.  ...  Quomodo  vero  ea  quse  dicit  [Fluddus]  subjici  valeant  examini,  nisi  prius 
intelligantur  ?  Patere  ergo  ut  jjrius  eliciam,  ex  variis  Fluddi  operibus,  qnx  ille  philo- 
sophie suse  principia  statuit  et  .sequitur.  Sic  enim  denumi  ipsius  mentem  venari  per- 
facile  erit,  facta  praesertim  methodo  qua,  quae  ille  tani  multa  sparsim  ac  \pluti  tinnul- 
tuarie  scripsit,  in  unum  quoddam  quasi  corpus  et  cousonautiam  redigantur.  (G.^ssendi,. 
Examen...,  Praefat.,  t.  III,  p.  215). 


46  ARTICLE  II.   CHAPITRE  II.  —  GASSENDI  POLÉMISTE 

L'une  des  thèses  favorites  de  Fludd  ^,  était  que  la  révélation  divine 
est  l'unique  source  de  la  sagesse  et  de  la  science  véritable.  Mer  senne  ■^ 
et  Gassendi  ^  après  lui  montrent  sans  peine  que  des  sciences  nobles 
ou  utiles  nous  sont  venues  par  le  canal  de  la  postérité  maudite  de 
Caïn  ou  de  la  GentiHté.  A  cette  preuve  historique  ajoutant  un  argument 
ad  hominem,  ils  rappellent  à  Fludd  que  ses  propres  ouvrages  renferment 
des  emprunts  faits  aux  philosophes  et  aux  médecins  païens.  Ces 
deux  hommes  soutenaient  ainsi  justement  les  droits  rie  la  raison 
humaine  dans  son  légitime  domaine  :  les  connaissances  de  Fordi'e 
naturel. 

La  question  de  l'âme  du  monde  est  une  question  capitale  dans  le 
système  fluddien  *.  Dieu  est  une  lumière  diffuse  qui  ne  pénètre  chaque 
chose  qu'après  s'être  revêtue  d'un  souffle  éthéré,  tel  que,  grâce  à 
l'alchimie,  on  peut  l'extraire  et  qu'on  appelle  la  cinquième  essence 
(quinta  essentia,  quintessence).  Ce  composé  de  Dieu  et  de  souffle 
éthéré  constitue  l'âme  du  monde.  Sa  résidence  principale  est  le  soleil, 
d'où  elle  vivifie  toute  chose  dans  l'univers.  La  partie  la  plus  pure  de 
cette  âme  forme  la  nature  angéUque  et  le  ciel  empyrée  ;  les  démons 
sont  des  particules  de  ce  composé,  mais  enchaînées  à  la  matière  ; 
les  âmes  des  brutes  et  des  hommes  en  émanent  également.  Cette  âme 
du  monde  est  enfin  le  Messie,  le  Christ,  la  Pierre  spirituelle,  fondement 
de  l'Éghse. 

C'est  assurément  une  âme  très  occupée  ^.  Si  ces  insanités,  envelop- 
pées de  mots  mystérieux  et  de  formules  étranges,  n'avaient  pas  hanté, 
à  leur  époque,  certains  esprits  passionnés  pour  les  sciences  secrètes, 
on  ne  s'expliquerait  pas  comment  des  hommes  graves  et  savants, 
comme  Mersenne  ^  et  Gassendi  ',  ont  daigné  leur  accorder  un  moment 
d'attention. 

Grand  admirateur  des  Rose-Croix,  dont  il  se  fait  l'apologiste  ^, 
Fludd  fut  très  sensible  à  l'accusation  d'impiété  que  Mersenne  leur 
lance  sans  ménagement  ®.  Tout  en  jetant  quelque  ridicule  sur  les 
rêveries  rosicruciennes  (c'est  le  traitement  qui  leur  convient  le  mieux), 
Gassendi  a  jugé  bon  de  nous  présenter  brièvement  la  synthèse  des 
opinions  ^^  que,  d'après  Fludd,  professent  «  les  fils  de  la  doctrine  ». 

Le  résumé  de  ces  divagations  offre  un  réel  intérêt  psychologique, 
car  il  montre  jusqu'à  quel  degré  d'aberration  peut  descendre  l'esprit 
humain,  quand,  sous  l'impulsion  d'un  orgueil  sans  frein,  il  se  laisse 

1.  Scripturœ  Sacrae  nos  docent  quod  nuUa  sit  vera  sapientia  et  scientia  prfêter  eam 
quse  data  est  a  Deo.  ^Fltjdd,  Sophiœ...,  L.  I,  pp.  35-39). 

2.  Mersenne,  Quœstiones...,  col.  1475. 

3.  Gassendi,  Examen...,  Part.  II,  §  xi,  t.  III,  pp.  235-236. 

4.  Fludd,  Sophiœ...,  L.  II,  pp.  41-59. 

5.  Mersenne,  Epistola  Nicolao  de  Baugy,  [non  paginée],  pp.  5-9. 

6.  Mersenne,  Quœstiones...,  col.  1451-1452  ;  1561  ;  1744. 

7.  Gassendi,  Examen...,  Part.  II,  §  xii-xiv,  pp.  236-237. 

8.  Fludd,  Sutnmum  Bonum,,  Lib.  IV. 

9.  Mersenne,  Quœstiones...,  col.  1452. 

10.   Gassendi,  Examen...,  Part.  III,  §  xv  et  xvi,  t.  III,  pp.  261-262.  —  Cf.  Mersenne, 
J<ficolao  de  Baugy...  Epistola,  [non  paginée],  pp.  5-9. 


§   B.    —  POLÉMIQUE   AVEC   FLUDD  47 

aller  à  la  dérive.  Le  voici  :  «  Il  y  a  un  esprit  éthéré,  âme  du  monde, 
pieiTe  philosophale,  Christ,  Messie,  f|ui  est  le  principe  de  la  vie  et 
par  lequel  existent  tant  le  monde  dans  son  ensemble  que  toutes  les 
choses  en  particulier,  spécialement  l'homme,  qui  est  le  microcosme. 
Cet  esprit  éthéré  est  une  chaleiu-  innée  dans  chaque  chose  vivante, 
et  un  humide  radical. 

u  Comme  on  l'inspire  avec  l'ah-,  qu'on  l'ingère  avec  les  aliments, 
que  la  vie  commence  à  son  entrée  dans  un  corps  et  cesse  quand  il 
abandonne  ce  corps,  la  principale  étude  des  Alchimistes  est  de  l'en- 
chaîner en .  quelque  sorte,  de  s'en  rencbe  maître  et  surtout  de  faire 
qu'il  soit  inséparable  du  corps  de  l'homme.  Si  on  pouvait  parvenir 
à  ce  grand  but,  alors  on  am-ait  trouvé  la  panacée  universelle. 

«  Maintenant,  l'or  est  la  seule  substance  qui  paraisse  susceptible 
de  retenir  l'esprit  éthéré,  parce  qu'il  .résulte  d'un  assemblage  de 
principes  très  parfaits,  et  qu'on  ne  peut  parvenu-  à  le  détruire  en  ayant 
recours  aux  dissolvants  ordinaii-es.  Les  sages  Alchimistes  ont  donc 
fait  choix  de  ce  métal  pour  essayer  de  le  porter  à  un  état  tel  que  les 
rayons  de  l'esprit  éthéré,  qui  émanent  du  soleil  et  qui  le  pénètrent, 
puissent  toucher  les  rayons  du  même  esprit  déjà  renfermés  insépara- 
blement en  lui  et  s'assimiler  à  eux,  afin  qu'il  en  résulte  la  plus  grande 
masse  possible  d'esprit  éthéré  et  qu'il  ne  reste  plus  que  la  quantité 
d'or  indispensable  pour  la  fixation. 

«  C'est  de  là  que  naissent  l'or  potable  et  la  pierre  philosophale. 
Cette  pierre  est  jaunâtre  à  cause  de  l'or  qu'elle  renferme  ;  mais  l'esprit 
éthéré  lui  communique  une  couleur  de  feu  extrêmement  intense.  • 
Fludd  prouve  cette  assertion  en  rapportant  que  l'esprit  éthéré,  extrait 
du  froment  et  exposé  aux  rayons  du  soleil  dans  une  petite  bouteille 
placée  à  la  pointe  d'un  clocher,  absorbe  une  si  grande  dose  de  l'esprit 
du  monde  ut  etiam  ruhini  pulcherrimi  speciem  indueret  et  tinctura 
sanguinis^  esset  infectus. 

«  Celui  qui  possède  la  pierre  philosophale,  outre  le  pouvoir  de  trans- 
muter les  métaux,  qui  n'était  qu'un  objet  accessou-e  pour  les  Alchi- 
mistes, peut  encore  se  garantir  du  besoin  de  boire  et  de  manger,  parce 
qu'elle  fixe  l'esprit  vital  qui  se  trouve  déjà  dans  l'homme  et  le  rend 
inséparable  du  corps,  de  sorte  qu'il  n'a  plus  besoin  d'être  réparé  par 
les  aUments  et  les  boissons. 

«  L'Alchimiste  peut  même  transformer  son  corps  en  celui  d'un  ange, 
parce  que  l'esprit  détruit  la  masse  grossière  et  convertit  le  corps  en 
une  essence  lumineuse  infiniment  mobile,  à  l'abri  de  toute  destruction 
de  la  part  des  substances  corporelles  extérieures,  mais  continuant 
cependant  toujours  de  conserver  la  figure  humaine. 

«  L'adepte  entre  ainsi  en  haison  des  plus  intimes  avec  l'âme  du 
monde  :  il  devient  véritablement  sage  et  prophète,  et  rien  ne  peut 
plus  lui  être  caché,  car  le  monde  corporel  ne  l'empêche  plus  de  porter 
son  regard  spirituel  et  pénétrant  sur  tout.  C'est  pourquoi  il  se  Uvre 
à  la  recherche  non  seulement  du  présent,  mais  encore  du  passé  et  de 
l'avenir  :  il  découvre  les  pensées  les  plus  secrètes  de  l'homme  et  les 
causes  les  plus  occultes  des  phénomènes  ;  il  possède  toutes  les  langues^ 
toutes  les  sciences  et  tous  les  arts  ;  il  se  trouve,  à  volonté,  en  tout  temps 


48  ARTICLE   II.   CHAPITRE  II.   GASSENDI  POLÉMISTE 

et  en  tout  lieu,  aupi'ès  de  la  personne  qui  lui  plaît  et  peut  instruire 
cette  personne,  quoique  les  individus,  qui  partagent  a\ec  lui  la  pos- 
session du  secret,  soient  à  proprement  parler  ses  frères  et  ses  amis 
intimes  »  ^. 

Après  ■Avoir  dessiné  ce  portrait  du  Frère  Rose-Croix  d'après  Fludd, 
Gassendi  demande  à  son  ami  Mersenne,  s'il  a  pu  garder  son  sérieux 
ou  sa  patience  jusqu'au  bout  en  lisant  l'exposé  d'un  système  où 
l'absurde  et  l'impie  se  mêlent  étrangement  '^. 

C'est  Mersenne  hd-même  qui  nous  apprend  que  Gassendi  lui  expédia, 
d'une  ville  des  Pays-Bas,  V E pistolica  Exercitatio  qu'il  avait  sollicitée 
de  son  savoir  et  de  son  affection  ^.  Laissant  de  côté  Fludd  et  ses  chi- 
mères, Gassendi,  par  manière  d'épilogue,  éprouve  le  besoin  de  rappeler 
à  Mersenne  les  circonstances  dans  lesquelles  cet  «  Exercice  épistolaire  » 
a  été  composé.  Malgré  les  répugnances  que  soulevait  en  lui  la  perspec- 
tive d'un  travail  aussi  fastidieux  (qu'à  l'avenir  Mersenne  le  provoque 
à  des  tâches  plus  attrayantes  !)  pas  un  instant  sa  bonne  volonté  n'a 
faibli.  Elle  a  surmonté  allègrement  et  les  difficultés  inhérentes  au  sujet, 
indiquées  dans  la  Préface,  et  les  obstacles  que  par  surcroît  les  condi- 
tions de  temps  et  de  lieux,  où  il  s'est  trouvé,  ont  fait  surgir.  Cet  ouvrage, 
il  l'a  écrit  loin  de  son  foyer  et  de  ses  livres,  sous  le  toit  d'une  hospitalité 
sans  cesse  changeante,  au  cours  d'un  voyage  à  l'étranger,  parmi  les 
neiges  et  la  froidure  d'un  climat  inclément  ^. 

Ces  détails  vécus  ont  leur  prix.  Ils  montrent  sans  doute  la  délica- 
tesse du  cœur  de  Gassendi  qui,  pour  rendre  service  à  un  ami,  se  chargea 
•volontiers  d'une  rude  corvée.  Ils  nous  révèlent  surtout  la  souplesse 
d'esprit  de  notre  philosophe.  N'est-il  pas  significatif  en  effet  qu'en  si 
peu  de  temps,  au  milieu  de  circonstances  si  défavorables,  il  ait  pu 
s'initier  à  des  matière;^  très  abstruses,  les  maîtriser  au  point  d'en 
pouvoir  offrir  au  public  savant  un  exposé  lucide  et  une  réfutation 
courtoise,  à  la  fois  enjouée  et  sérieuse  ? 

UE pistolica  Exercitatio  est  un  tour  de  force  ou  plutôt  d'agilité 
intellectuelle  ;  c'est  un  modèle  d'ironie  socratique  ^. 

1.  Ce  résumé,  fait  d'après  Gassendi,  -est  emprunté  à  J.-G.  Buhle,  Histoire  de  la 
Philosophie  moderne,  trad.  de  A.  J.  L.  Jourdan,  t.  III,  Sect.  III,  Ch.  ii,  Histoire  et 
Philosophie  de  Gassendi,  pp.  160-161,  en  note. 

2.  Deserii^si  hucusque  ex  Fluddi  sententia  Fratrem  Cruci-Roseum.  Tu  an  risum 
tenueris,  an  patientiani  nescio,  mira  etenim  hinc  absurditatis,  illinc  impietatis  species 
(Gassendi,  Examen...,  Part.  II,  §  xvi  et  xvii,  t.  III,  pp.  263-264). 

3.  ]\1ersenne,  Epistola  Nirolao  de  Bangy,  [non  paginée],  pp.  3-4.  —  Mersenne  dédie 
cette  Lettre-Préface  à  M.  de  Baugy  pour  le  remercier  d'avoir  si  bien  accueilli  Gassendi 
pendant  son  voyage  en  Hollande,  Ibidem,  p.  18. 

4.  Si  quid  ex  me  forte  requisieris,  quanto  spes  est  ut  me  provoces  ad  studia  qu3& 
magis  délectent...  Non  est  tamen  quod  putes  mihi  defuisse  promptum  animum,  quo 
-non  difRcultates  modo  initie  jam  propositas,  sed  et  angustias  temporum  et  locorun-k 
molestias  joeralacriter  superarem.  Videlicet  ita  conscripsi  non  solum  extra  proprios 
Lares,  sed  et  in  mutatis  subinde  hospitiis,  ut  viatorem  decuit,  et  inter  nives  ac  frigora 
cœli  hujusce  inclementiori.s.  (Examen...,  Conclus.,  t.  III,  p.  264). 

5.  C'est  un  excellent  spécimen  de  la  manière  de  Gassendi.  Brucker  lui  a  rendu  pleine^ 
justice  :  «  Cujus  spécimen  in  E.ra)nine  philosophiœ  Fluddanœ  dédit  [Gassendus] 
prorsus  egregiiun,  in  quo  Fluddi  systema  ex  propriis  principiis  evertit  et  methodo 
visus  Socratica,  quam  féliciter  adhibere  noverat,  omnem  Fluddanœ  ratiocinationis. 
nervum  succidit.  Y^^s/o/va  critiea  Philosophiœ...,  t.  IV,  Part.  I,  pp.  516-517). 


§   B.   —  POLÉMIQUE   AVEC    FLUDD  49 

30   _    FLUDD   RÉPLIQUE   A    GASSENDI 

On  comprend  que  Fliidd,  malgré  son  ardem-  combative,  soit  resté 
longtemps  étourdi  et  muet,  sous  le  coup  de  cette  réponse  asséné  de 
main  de  maître.  Après  trois  années  de  silence,  il  se  décida  à  répliquer. 
L'ouvrage  parut,  en  1633,  à  Francfort,  sous  ce  titre  :  Clavis  Philoso- 
fhiœ  et  Akhijmiœ  Fluddanœ,  sive  Roberti  Fluddi,  Armigeri  et  2Iedicinœ 
Doctoris  ad  EpistoJicam  Pétri  Gassendi  Theologi  Exercitationem  Res- 
ponsum...  Fludd  y  tient  tête  à  tous  ses  adversaires.  Pour  y  réussir 
il  a  divisé  sa  riposte  en  quatre  (;  Membres  ».  Il  répond  :  dans  le  premier, 
à  la  Lettre  de  ^Nlersenne  placée  en  tête  de  Y E pistolica  Exercitatio  : 
dans  le  second,  au  Jugement  rendu  par  de  La  Noue  contre  la  Philo- 
sophie fluddienne  ;  dans  le  troisième,  à  Gassendi  lui-même  ;  enfin, 
dans  le  quatrième,  aux  «  six  impiétés  que  Mer.senne  a  forgées  contre 
Fludd,  lequel  se  propose  de  les  laver  et  nettoyer  dans  les  flots  de  la 
sincère  vérité  »  ^. 

Signaler  cette  défense  suprême  de  Fludd.  c'était  justice.  Mais  ce 
serait  temps  perdu  que  de  s'attarder  à  la  critii^ue  d'un  Hvre,  où  l'au- 
teur ne  fait  guère  que  ressasser  les  mêmes  erreurs  ou  les  mêmes  extra- 
vagances. Je  noterai  seulement  qu'il  a  réservée  pour  Mersenne  ^  et  de 
La  Xoue  le  flot  de  ses  invectives  les  plus  violente.-^.  Gassendi,  en  com- 
paraison, a  le  privilège  d'un  traitement  de  faveur.  Il  y  a  là  un  phé- 
nomène psychologique,  tout  à  l'honneur  des  deux  antagonistes,  qui 
vaut  d'être  remarqué.  Ce  qui  a  porté  Fludd  à  modérer  l'intempérance 
de  sa  plume  facilement  outrageante,  ce  ne  sont  pas  les  mérites  intel- 
lectuels de  Gassendi  qu'il  rappelle,  ici  encore,  en  termes  très  élogieux  : 
«  Ni  la  profondeur  admirable  de  sa  Philosophie,  ni  la  nouveauté 
inouïe  de  ses  observations  célestes,  ni  la  façon  stupéfiante  dont  il 
réfute  parfois  Aristote,  ni  la  vigueur  redoutable  qu'il  a  déployée 
dans  VEpistolica  Exercitatio  n'ont  remporté  sur  Fludd  cette  belle 
victoire.  Non  ;  mais  la  modestie,  même  d'un  adrersaire,  lui  commande 
impérieusement   le  respect   »  ^. 

Nous  savons  par  Gassendi  lui-même  ce  qu'il  pensait  de  la  réponse 
de  Fludd.  Il  s'en  est  ouvert  dans  une  lettre  intime  à  l'un  de  ses  meil- 
leurs amis,  Gabi-iel  Naudé  *.  Voici  d'abord  comment  il  juge  la  forme  : 

1.  Sex  impietates,  quas  Mersenniis  in  Fluddum  est  machinâtes,  aincerœ  veritatis  fluc- 
tibtis  abluuntur  et  absterguntur.  (Tiré  du  titre  interminable  de  l'ouvrage). 

2.  Voici  la  dernière  aménité  de  Fludd,  et  l'une  de.s  plus  bénignes,  à  l'adresse  de  Mer- 
senne  :  ...  Nec  odio  nec  malevolentia  in  te  commoveor  .sed  potius  fraterna  pietate 
compulsus  mentem  tibi  saniorem  in  corpore  sano  ex  corde  jjrecor.  (Fludd,  Clavis, 
Membr.,  IV  p.  87,  à  la  fin). 

3.  Sed  tempero  mihi  a  pluribus  nec  quicquam  gi-aviii-s  in  Gasséndum  dicam,  propter 
ipsius  in  sujjerioribus  modestiam.  Haec  ipsa  igitur  e.st.  quas  ralaïuum  meiun  repressit  : 
non  iilla  in  ipsius  Philosophia  admirabilis  profunditas,  nec  inaudita  coîlestium  obser- 
vatio,  neque  stupenda  aliqua  in  Aristotele  confutando  formula  aut  tremeudum  aliquod 
in  ipsius  exercitationibus  in  Philosophiam  Fluddanam  robiu-.  Modestia  enim,  etiamsi 
adversarii,  semper  mihi  imperiiim  (R.  Fludd,  Clavis  Plulu.iripJùœ...,  Membr.  III, 
P.  II,  p.  50,  à  la  fin  du  Membr.).  *^ 

4.  Naudé,  étant  à  Rome,  avait  ^-u  sur  le  Catalogue  de  livres  de  la  foire  de  Francfort, 
que  lui  avait  communiqué  le  cardinal  Barberini,  l'annonce  de  1  "apparition  de  la  Clavis 


50  ARTICLE  II.   CHAPITRE  II.   —  GASSENDI  POLÉMISTE 

«  Pour  ce  qui  concerne  tant  Mersenne  que  de  La  Noue,  impossible  de 
dire  combien  vive  est  l'âpreté  avec  laquelle  il  les  poursuit,  combien 
grands  les  outrages  dont  il  les  assaille.  A  mon  égard,  il  s'est  montré 
uij.  peu  plus  modéré.  »  Suivent  de  nombreux  extraits  de  la  Clavis 
Fhilosoplnœ,  qui  attestent  en  effet  une  modération  relative,  Quapit 
au  fond,  Gassendi  s'exprime  ainsi  :  «  Pensez-vous  que  Fludd  nous  a 
donné  une  Clef  qui  permette  d'ouvrir  ou  de  comprendre  sa  Philosp- 
piiid  et  son  Alchimie  ?  Bien  au  contraire  ;  car,  comme  je  l'avais  con- 
jectiffé  d'après  des  indices  abondants,  ses  explications  sont  plus  obs- 
cures encore  que  les  obscurités  qu'il  cherche  à  dissiper...  De  plus, 
s'tî  répond  aux  objections  sans  grande  valeur,  il  laisse  intactes,  passant 
à  côté,  celles  dont  l'importance  est  majeure  i.  » 

Il  faut  donner  un  échantillon  de  la  manière  relativement  tempérée 
dont  l'auteur  de  la  Clavis  traite  Gassendi.  Après  avoir  affecté  un 
tranquille  dédain  à  l'égard  des  critiques  formulées  par  ce  dernier, 
FLudd  en  vient  aux  menaces  :  «  Que  Gassendi,  avec  ses  éclats  de  rire^ 
trioiiïiphant  et  gonflé  d'orgueil,  comprenne  que  Fludd,  en  définitive. 
provoqué  et  irrité,  reste  cependant  pacifique  et  peut  supporter  faci- 
lement ces  sarcasmes  et  ces  railleries  qui  viennent  d'un  homme  mon- 
dairi.  glorieux  et  fanfaron...  Mais,  si  à  l'avenh  il  essaie  encore  de  m'ac- 
cabler  sous  ses  sarcasmes,  lui-même  et  les  autres  oiseaux  de  même 
plumage  sentiront  quel  homme  je  suis.  Jusqu'à  présent  je  me  suis 
abstenu  d'examiner  son  opuscule  contre  Aristote  et  de  faire  une 
enquête  sur  ses  Observations  célestes  ;  mais  si  dorénavant  il  me  pro- 
voque, je  montrerai  t^ue  dans  les  arts  et  en  philosophie  ses  ressources 
sont  la  faiblesse  même,  comme  sa  façon  d'écrire  et  de  réfuter,  que  l'en- 
flure de  l'amour-propre  lui  fait  croire  toute  puissante  ^.  » 

La  sérénité,  dont  Fludd  se  vante,  est  factice.  En  réaUté,  il  a  senti 
qae  les  critiques  de  VEpistolim  Exercitatio,  ou  du  moins  certaines 
d  efîtie  elles,  ont  porté  juste,  et  il  ne  peut  ignorer  que  le  monde  sayant 

et  s'-etait  empressé  d'en  faire  part  à  Gassendi,  le  priant  de  lui  résumer  l'ouvrage.  Cf. 
Lettre  du  0  mars  1632,  dans  OG,  t.  VI,  p.  406,  col.  I.  —  Dans  une  Lettre  du  22  septem- 
bVe  1633,  Ibidem,  p.  416,  col.  1,  il  pria  de  nouveau  Gassendi  de  le  mettre  au  courant  de 
r'»u-v'rage  de  Fludd.  C'est  à  cette  lettre  que  Gassendi  répond  tardivement  le  8  sep- 
te.rabre  1034. 

1.  laui  quod  ad  ipsos,  tan  Mersennum  quam  Lanouium,attinet.dici  non  potest  quanta 
illM  acritudine  insectetur  quantisque  probris  impetat.  Ad  me  quod  spectat,  paulo 
se  modéra tioem  prœbuit  (Gassendi  à  Gabriel  Naudé,  Aix,  8  septembre  1634,  OG, 
t.  XI,  p.  73,  col.  1).  Voici  pour  le  fond  :  ...  An  putas  Fluddum  ejusmodi  Clavem  suœ 
PUiîosophiag  Alchymiœque  tradidisse,  qua  utramvis  aperire  seu  intelligere  liceat..  ? 
Ni}\il  feane  minus  ;  quia  semper,  quod  abunde  conjeceramus,  obscunmi  per  obscurius... 
Certe  cum  ad  alia  respondeat,  quse  ponderis  magni  non  sunt,  intacta  tamen  prœterit 
ea,  qu?e  prœcipui  erant  momenti.  (Ibidem,  p.  74,  col.  1). 

2.  Intelligat  ca^hinnis  ovans  ac  turgens  Gassendus  Fluddum  utcumque  provocatum 
irritatumque,  pacificum  tamen  esse  et  perfacile  posse  istiusmodi  a  viro  mundano, 
glorio&o  atque  Thrasonico  profecta  scommata  ac  irrisiones  ferre....  At  si  imposterum 
nr.e  scommatis  premere  tentarit,  sentiet  ipse,  et  reliquse  su»  plirniœ  aves,  qui  vir  siem. 
Aljftfciuui  enim  hactenus  ab  examine  libelli  sui  adversus  Aristotelem,  item  ab  inquisi- 
tiot'.e  o?wervationum  ipsius  cnelestium  ;  sed  si  me  porro  ineitarit,  ostendam  ipsius  in 
artif>Ms  pt  philosophia  vires,  necnon  in  phrasi  et  confutandi  ratione  (ut  ipse  Philautia 
mflatu.s  crédit)  omnipotentiam,  esse  ipsissimam  debilitatem...  (Fiudd,  CI  avis,  Membr. 
Iir,  Part.  II,  p.  48,  §  Intelligat  ;  et  p.  49,  §  Cœtcrum,  vers  la  fin). 


§(_.._  POLEMIQUE  AVEC  DESCARTES  5|; 

leur  a  fait  bon  accueil.  Aussi  l'on  dirait  que,  redoutant  une  réplique 
de  Gassendi  à  la  Clavis.  il  a,  pour  l'écarter,  brandi  comme  un  épou- 
vantail  la  menace  de  s'abandonner  sans  frein  à  son  penchant  pour 
l'invective,  si  à  l'avenir  le  philosophe  français  ose  encore  l'attaquer. 
Gassendi  garda  le  silence  et  fit  bien.  Ce  n'est  pas  que  la  perspective 
des  outrages  annoncés  Tait  intimidé,  car  il  sait  que  la  mentalité 
bizarre  de  Fludd  lui  enlève  tout  crédit  aux  yeux  des  gens  sensés. 
Mais  il  s"est  rendu  compte  que  l'illuminisme  extravagant  de  son 
adversaire  le  rend  imperméable  à  la  vérité.  Dès  lors,  à  quoi  bon  perdre 
un  temps  précieux  à  la  stérile  besogne  d'une  réfutation  sans  résultat  ? 


§    C.    —    POLÉMIQUE    AVEC    DESCARTES 

10   _   OBJECTIONS   ET  INSTANCES   DE    GASSENDI 

En  racontant  la  vie  de  Gassendi,  nous  avons  indiqué  les  cncon- 
îstances  qui  l'amenèrent  à  écrire  ses  Ohjections  contre  les  Méditations 
de  Descartes  ^.  La  polémique  de  Gassendi  est  agrémentée  d'une  ironie 
légère  qui  effleure  Tépiderme,  ]Mais  Descartes  avait  l'épiderme  très 
sensible  et  il  ne  put  supporter  ces  piqûres  superficielles.  Gassendi, 
par  exemple,  affirme  que  Descartes  n'a  pas  voulu  parler  sérieusement, 
quand  il  met  en  doute  l'existence  des  corps.  Ou  bien,  faisant  allusion 
à  cette  philosophie  dualiste  et  trop  éthérée,  qui  dans  l'homme  ne  voit 
guère  que  la  pensée,  il  apostrophe  ainsi  l'auteur  des  Méditations  : 
«  C'est  ici  que  vous  commencez  à  ne  plus  vous  considérer  comme  un 
homme  tout  entier,  mais  comme  cette  partie  la  plus  intime  et  la  plus 
cachée  de  vous-même,  telle  c^ue  vous  estimiez  ci-devant  qu'était 
l'âme.  Dites-moi.  Je  vous  prie,  ô  âme,  ou  qui  que  vous  soyez...  >' '^ 
Et  un  peu  plus  loin,  après  avoir  cité  ce  passage  des  Méditations  : 
«  Je  ne  suis  donc  précisément  qu'une  chose  qui  pense,  c'est-à-dire  un 
esprit...  »,  il  ajoute  :  «  Je  reconnais  ici  C|ue  je  me  suis  trompé,  car  je 
pensais  parler  à  une  âme  humaine,  ou  bien  à  ce  principe  interne  par 
lequel  l'homme  vit,  sent,  se  meut  et  entend,  et  néanmoins  je  ne  parlais 
<[u'à  un  pur  esprit,  car  je  vois  que  vous  ne  vous  êtes  pas  seulement 
(lépouillé  du  corps,  mais  aussi  d'une  partie  de  l'âme...  Je  veux  bien 
({ue  vous  soye^  dorénavant  appelé  un  esprit,  et  que  vous  ne  soyez 
précisément  qu'une  chose  qui  pense  «  ^.  La  gradation  est  piquante  : 
dîne  Immaine,  pur  esprit  !  Mais  cette  raillerie  est  au  fond  inofifensive, 
d'autant  qu'elle  a  f[uelque  chose  de  flatteur  et  que,  par  ailleurs,  la 
discussion  reiste  déférente,  sans  compter  qu'elle  débute  ^  et  s'achève  ^ 

1.  Cf.  supra,  p.  11-12. 

2.  Traduction  de  Clerselier,  daqs  Œuvres  de  Descartes,  Edit.  Cousin,  Paria,  1824, 
t.  II,  p.  95.  —  Cf.  texte  latin  dans  OG,  t.  III,  p.  290,  col.  2,  Dubit,  II.  M.  Adam,  dans 
son  édition  des  Œuvres  de  Descartes,  n'ayant  pas  jugé  bon  de  reproduire  la  traduction 
des  Objections  de  Gassendi  ni  des  Réponses  de  Descartes,  mais  seulement  leur  texte 
latin,  nous  renverrons  à  l'édition  Cousin. 

3.  Gassendi,  Objections,  Edition  Cousin,  t.  II,  p.  100  ;  101.  — Disquisitio  metaphy- 
sica.  OG,  t.  III,  pp.  297-298. 

•4-5.  GA.SSENDI,  Ibidem,  pp.  89-90  ;  239-240.  —  Disqtiisitio,  OG,  pp.  273  ;  409,  col.  I. 


52  ARTICLE  li.   CHAPITRE  II.   —  GASSENDI  POLEMISTE 

par  des  compliments  sincères,  bien  faits  pour  émousser  la  pointe  du 
trait.  Seulement,  Gassendi  eut  le  tort,  en  répétant  trop  sa  plaisanterie, 
d'en  faire  une  sorte  de  refrain  agaçant. 

Descartes  eut  le  tort  beaucoup  plus  grave  de  s'en  offusquer  et  de 
le  faire  durement  sentir.  Ses  Réponses  aux  Cinquièmes  Objections 
sont  tranchantes  et  comme  hérissées  de  réflexions  hautaines,  parfois 
même  insolentes.  Voici,  par  exemple,  en  quels  termes  il  retorque  le 
trait  qui  l'avait  blessé  :  «  ...  Ne  pensez  pas  que,  vous  répondant  ici, 
j'estime  répondre  à  un  parfait  et  subtil  philosophe,  tel  que  je  sais  que 
vous  êtes.  Mais,  comme  si  vous  étiez  du  nombre  de  ces  hommes  de 
chair  dont  vous  empruntez  le  visage,  je  vous  adresserai  seulement 
la  réponse  xpie  je  voudrais  leur  faire  »  ^.  «  Dites-moi  donc,  je  vous  prie, 
ô  chair,  ou  qui  que  vous  soyez,  et  quel  que  soit  le  nom  dont  vous 
vouliez  qu'on  vous  appelle,  avez-vous  si  peu  de  commerce  avec  l'esprit 
que. . .  »  ^  «  Il  ne  semble  pas,  ô  chair,  que  vous  sachiez  en  façon  quel- 
conque ce  que  c'est  que  d'user  de  raison...  )>  ^  «  ...  Vous  avez  seulement 
voulu  faire  voir  combien  d'absurdités  et  d'injustes  cavillations  sont 
capables  d'inventer  ceux  qui  ne  travaillent  pas  tant  à  bien  concevoir 
une  chose  qu'à  l'impugner  et  contredire  »  "*,  etc. 

Dans  sa  rép'onse  même,  par  ses  tendances  sensualistes  nettement 
accusées,  Gassendi  avait  fourni  à  Descartes  la  riposte  :  «  ô  chair  », 
qu'il  lui  lance  et  relance  en  l'envenimant  de  réflexions  désobligeantes. 
Il  n'est  pas  jusqu'aux  compliments,  par  où  Desca-rtes  termine  ses 
Réponses,  qui  ne  soient  gâtés  par  des  impertinences  :  «  Mais  surtout 
j'ai  été  ravi  qu'un  homme  de  son  mérite,  dans  un  discours  si  long 
et  si  soigneusement  recherché,  n'ait  apporté  aucune  raison  qui  ait 
pu  détruire  et  renverser  les  miennes,  et  qu'il  n'ait  aussi  rien  opposé 
contre  mes  conclusions  à  quoi  il  ne  m'ait  été  très  facile  de  répondre  ^.  » 
Nous  verrons  tout  à  l'heure  que  cette  belle  assurance  est  quelque  peu 
outrecuidante  ^. 

Gassendi  avait  le  droit  de  se  plaindre  du  ton  blessant  de  Descartes, 
et  il  s'en  plaignit  dans  son  entourage  et  cercle  d'amis.  Mais  il  est  bien 
probable,  étant  donné  son  naturel  pacifique,  que  sans  l'insistance  de 
quelques-uns  d'entre  eux,  il  n'eût  jamais  répliqué,  par  ses  Instances 
aux  Réponses  de  Descartes.  Sorbière  surtout  le  harcela  :  flatteries, 

1-2-3-4.  Descartss,  Rêpoii-^ra,  Edit.  Cousin,  pp.  242;  249;  251  ;  260.  —  Quintœ 
responsiones,  dans  OD,  t.  VII,  pp.  348,  1.  8  ;  352,  1.  23  ;  354,  1.  11.    360-361,  1.  27. 

6.  Descartes,  Réponses,  Edit.  Cousin,  p.  301.  —  Quintœ  Responsiones,  OD,  t.  VII, 
pp.  390-391.  Gassendi  ne  se  laissa  point  prendre  à  ce  jeu.  Après  avoir  remercié  Des- 
cartes de  ce  qu'il  y  a  de  bienveillant  dans  ses  paroles,  il  ajoute  :  quantum  vis  me  ut 
puerum  habueris  cui  poculum  circum  contingitur  melle,  ut  tetrum  absinthii  laticem 
perpotet.    (Disquisitio  metaphysica,...  OG,  t.  III,  p.  274,  col.  2). 

6.  Dans  l'intimité  Descartes  montre  encore  moins  de  retenue.  C'est  ainsi  qu'il  écrivait 
à  son  ami  Mersenne  :  «  Pour  M.  Gis[sendi],  il  me  semble  qu'il  seroit  fort  injuste  s'il 
s'offensoit  de  la  réponse  que  je  luy  ay  faite,  car  j'ay  eu  soin.de  ne  luy  rendre  que  la 
pareille,  tant  à  ses  complimens  qu'à  ses  attaques,  nonobstant  que  j'ay  toujours  ouy 
dire  que  le  premier  coup  en  vaut  deux  ;  en  sorte  que,  bien  que  je  luy  eusse  rendu  le 
double,  je  ne  l'aurois  que  justement  payé.  Miis  peut-estre  qu'il  est  touché  de  mes 
réponses,  à  cause  qu'il  y  recoanoist  de  la  vérité  ;  et  moy  je  ne  l'ay  point  esté  de  ses 
objections  pour  une  raison  toute  contraire  ;  si  cela  est,  ce  n'est  pas  ma  faute.  »  (Des- 
cartes  à  Mersenne,  22  juillet  1641  ?  OD,  t.  III,  p.  416, 1.  10  sqq.). 


§   C.    —  POLÉMIQUE    AVEC   DESCARTES  53 

insinuations  perfides,  méchants  propos  habilement  exploités,  il  mit 
tout  en  œuvre  pour  vaincre  ses  répugnances.  Après  avoir  déclaré, 
dans  une  lettre  écrite  de  Hollande,  que  volontiers  il  se  chargerait  de 
corriger  les  épreuves  typographic[ue8,  Sorbière  continue  en  parlant 
de  Descartes  :  «  La  bonne  opinion  qu'il  a  de  son  génie  a  tellement 
gonflé  cet  homme,  que  poin-  la  moindre  chose  il  vous  provoquerait. 
A^eillez  donc  bien  aux  termes  de  votre  réponse,  dont  j'ai  fait  pressentir 
l'apparition.  Vous  avez  peut-être  lu  ce  qu'il  dit,  dans  la  dernière 
édition  de  sa  Métaphysique,  sur  le  compte  de  ceux  qui  composent 
clandestinement  des  ouvrages  contre  lui  et  les  communiquent  à  ses 
ennemis.  Il  m'a  déclaré  que  ce  passage  s'appliquait  à  \ou.s  et  à  vos 
remarques  qui  ne  sont  pas  encore  imprimées.  Connaissant  votre  man- 
suétude, je  sais  que  vous  laisserez  de  côté  ce  qui  concerne  la  personne 
d'un  homme  combatif  (honiinem  militem),  incapable  de  céder,  pour 
aller  droit  au  point  où  le  vice  de  l'argumentation  se  cache.  Mais  que 
tout  cela  soit  dit  pour  vous  seul  ^.  »  Gassendi  se  laissa  enfin  convaincre  : 
un  an  après  la  réception  de  cette  lettre,  il  confia  à  Sorbière  le  soin  de 
faire  imprimer  les  Instances  avec  ses  premières  Objections  ou  Doutes 
et  les  Béporises  de  Descartes. 

Cette  réplique  ne  fait  guère  valoh'  d'arguments  nouveaux  ;  mais, 
comme  son  titre  l'indique  bien,  elle  insiste  sur  les  objections  antérieures, 
pour  leur  donner  plus  de  force  et  de  cohésion  en  les  groupant  dans  un 
ordre  plus  méthodique  ^,  ou  pour  fournir  quelques  éclakcissements 
supplémentaires. 

Dans  le  préambule,  Gassendi  se  plaint  que  Descartes,  sans  le  pré- 
venir (nihil  2)rivati)n  rescrihens  pugnam  public e  in stitaisti)  ^  a  porté 
le  différend  devant  l'opinion,  livrant  au  pubhc  les  «difficultés  »  que. 
à  la  prière  du  P.  Mersenne,  il  lui  avait  adressées  dans  une  lettre  privée  *. 
Son  but  était  d'exposer  ingénument  et  amicalement  les  scrupules 
que  lui  avait  suggérés  la  lecture  des  Méditations,  afin  que  Descartes, 
s'il  les  trouvait  fondés,  en  profitât  pour  parfaire  son  exposition,  ou 
les  plongeât  dans  l'oubU,  s'il  les  estimait  sans  valeur.  Il  proteste 
contre  le  travestissement  de  ses  intentions  :  en  transformant  sa  bien- 
veillance en  hostilité,  un.ami  en  adversaire,  Descartes  a  rendu  le  combat 
nécessaire.  Contrahit  par  cette  provocation  publique  de  descendre  dans 
l'arène  (visns  es  facere  nihil  aliud  quam  ex  amico  adversarium  et  nihil 

1.  Periculum  fac  vel  in  responsione  ad  Cartesiuni,  cujus  expectationem  feci,  illi 
ipsi  viro,  cum  viderem  scilicet  opinione  tanta  ingenii  sui  tumentem  ut  nTÎninio  te  pro- 
vôcaret.  Nam,  quod  in  postrema  jMetaphysicaj  suse  éditions  forte  legisti  de  iis,  qui 
scripta  in  ipsum  clanculum  legenda  tradunt  inimicis,  id  de  te  mihi  exposuit  ut  de  ani-  • 
madversionibus  tuis  nonduni  excusis,  quamquam  scie  ea  te  es.se  niansuetudine,  ut 
missa  sponte  facias  quœ  ad  hominem  militem,  cedere  nescium,  spectant,  dum  ad  rem 
ipsam  in  qua  latct  vitimn  properas.  Sed  haec  in  aurem  tibi  uni  dicta  velim.  (Sorbière  à 
Gassendi ,  Amsterdam,  8  juin  1642,  OG,  t.  VI,  p.  447,  col.  1). 

2.  Gassendi  à  Sorbière,  en  tête  de  la,  Disquisitio  metapJiysica,  OG,  t.  III,  p.  271. 

3.  Gassendi,  Disquisitio,  mvtwphysica  seu  Duhitationes  et  Instantiœ  adversité  Benati 
Cartesii  Metapliysicam,  OG.  t.  III,  p.  274,  §  i,  col.  1-2. 

4.  (I  Ego  certe  ad  te  non  ultro  sed  rogatus  perscripseram,  et,  dissentiendo  a  te,  diffi- 
cultates  non  piiblice.  sed  pri\'atim  significaram  »  (Disquisitio...,  OG,  t.  III,  p.  274, 
§i,col.  1). 


5é  ARTICLE   II.   CHAPITRE  II.  —  GASSENDI  POLÉMISTE 

tqle  cogitantem,  in  arenam  compellere)  ^,  il  ne  se  permettra  plus, 
puisque  Descartes  s'en  montre  offensé,  de  l'appeler  e.sp'it  ;  mais  il  le 
teaitera  comme  s'il  avait  affaire  à  quelqu'un  composé  de  corps  et 
d'âme  et  qui  parlât  comme  il  convient  à  un  homme  complet  (sed  te^ 
tametsi  non  loquentem  nisi  ut  ijartem  hominis,  alloquar  ut  hominem 
totum)  ■^. 

Gassendi  eut  l'esprit  de  ne  point  paraître  choqué  de  l'appellation.  : 
ô  chair  ^.  «  Pour  vous,  continue-t-il,  appelez-moi,  comme  vous  voudrez  : 
non  seulement  chair...,  mais  rocher,  mais  plomb,  ou  de  tout  autre 
npm  qui  vous  paraîtra  signifier  une  chose  plus  obtuse  encore...  Cav 
ç^  m'appelant  charnel,  vous  ne  me  rendez  pas  par  là  même  sans  âme  ; 
en  vous  comportant  comme  un  esprit,  vous  ne  devenez  pas  pom'  cela 
lin  être  sans  corps.  Il  faut  donc  vous  permettre  de  parler  selon  votre 
penchant  natm'el.  Il  suffit  en  effet  c[ue,  Dieu  aidant,  je  ne  sois  pas 
tellement  chair  que  je  ne  sois  encore  esprit,  et  que  vous  ne  soyez  pas 
tellement  esprit  que  vous  ne  soyez  encore  chair,  De  k  sorte,  ni  vous 
n'êtes  au-dessus,  ni  moi,  au-dessous  de  la  condition  humaine.  Cepen- 
dant, tandis  que  vous  repoussez  avec  mépris  l'élément  hiunain  de 
votre  nature,  moi,  je  l'accepte  volontiers  comme  mien  *.  » 

Descartes,  plus  dédaigneux  encore  que  dans  ses  Réponses,  affecta 
de  n'accorder  aux  instances  que  quelques  pages  de  réfutation  hautaine. 
Sa  Lettre  à  Clerselier,  qui  lui  avait  adressé  un  résumé  de  la  répHque  de 
Gassendi,  débute  ainsi  :  «  Vous  avez  eu  en  cela  plus  de  soin  de  ma 
réputation  que  moy-mesme  ;  car  je  vous  assure  qu'il  m'est  indifférent 
d'être  estimé  ou  méprisé  par  ceux  que  de  semblables  raisons  am'aient 
pu  persuader  »  ^.  Elle  se  termine  en  alléguant  un  motif  impertinent 
pour  justifier  l'étonnante  brièveté  de  sa  réphque  «  au  gros  ]i\'i'e  des 
Instances  »  :  «  ...  Bien  que  je  satisferais  da\'antage  aux  amis  de 
l'Auteur,  si  je  réfutais  toutes  les  Instances  Tune  après  l'autre,  je  croy 
que  je  ne  satisferais  pas  aux  miens,  lesquels  auraient  sujet  de  me  re- 
prendre d'avoù'  employé  du  temps  en  une  chose  si  peu  nécessaire, 
et  ainsi  de  rendre  maistres  de  mon  loisir  tous  ceux  qui  voudraient 
perdi'e  le  leur  à  me  proposer  des  questions  inutiles  »  ^. 

Les  amis  de  Gassendi  ne  furent  pas  contents  en  effet,  mais  ils  n« 
furent  point  dupes  de  ces  affirmations,  qui  sont  trop  affectées  pour  ne 

1-2.  Gassendi,  Disquisitio...,  OG,  t.  III,  p.  274,  §  i,  col.  2. 

3.  Cette  appellation,  à  la  différence  de  celle  que  se  permit  Gassendi  (ô  esprit)  n'avait 
pourtant  rien  de  flatteur.  Aussi  plus  d'un  témoin  de  la  lutte  en  fut  choqué,  tel  le  Père 
J.  Durel  (ou  Du  Eelle),  religieux  minime  de  la  Province  de  Lyon,  qiii  écrivait,  le  26  fé- 
vrier 1642,  au  Père  Mersenne  :  «  Gassen4us  a  raison  d'apologiser,  par  ce  que  Des  Cartes 
l'a  traicté  plus  nideinent  .que  les  autres,  le  lardant  en  gi^osse  beste  et  luy  faisant  jouer 
le  personnage  de  la  chair.  »  (Lettres  manuscrites  ù  Meraenne,  Bdbl.  nation.,  fr.  n.  a.  6204, 
f.  85,  p.  166). 

4.  Gassendi  :  Tu  me,  ut  voles  ;  nam,  per  me  quidem,  integruni  tibi  afïari  non  modo 
ut  Carnem...,  sed  etiam  ut  saxum,ut  plumbum  et  si  quid  putes  esse  obtusius...  Tametsi 
est  enim  carneum  me  dicas,  non  ideo  facis  exanimem  ;  ut  neqiie,  tametsi  inentalem  géras, 
te  idcireo  facis  excarnem.  Quare  et  permittendum  ut  pro  genio  loquaris  tuo,  sufïicitque 
ut,  Deo  propitio,  neque  ego  sini  plane  carc  sine  mente,  neque  tu  plane  mens  sine  came  ; 
et  neque  tu  supra,  neque  ego  infra  conditionem  hominis  simus  ;  quanivis  tu  quod  ent 
btjmanum  récuses,  ego  id  a  me  alienum  non  putem  (Disqnisitio...,  Ibidem,  pp.  274-276). 

5-6.  Descaetes,  Lettre  à  Clerselier,  OD,  t.  IX,  l^e  p.,  pp.  202-203  ;  216-217. 


§  C.  —  POLÉMIQUE  AVEC  DESCAETES  55 

pas  paraître  un  peu  fanfaronnes.  En  informant  Gassendi  de  Tajvpari- 
tion  de  cette  réponse  aux  Instances,  que  Descartes  fit  atten«lre  deiix 
ans,  Bornius  ajoute  :  «  Pour  vous  dire  sincèrement  mon  a^is  s\xi\  cette 
tentative  de  Descartes,  je  crois  qu'il  s'évertue  à  blanchii*  un.  Ethio- 
pien, car» il  n'arrivera  jamais  à  se  dégager  des  filets  dans  lesquels  ~vous 
le  tenez  enlacé  »  ^. 

La  polémique  en  resta  là.  Gassendi  et  Descartes  se  laissèrent  récçtti- 
cilier  par  les  soins  de  Tabbé  d'Estrées  ■^,  à  la  grande  joiedetoae  tes 
esprits  sages  et  modérés. 


2°  —  VALEUR   DE   CETTE   POLÉMIQUE 

Quel  jugement  porter  sur  la  forme  et  .sur  le  fond  de  cette  poleriiit^ae 
célèbre  entre  les  deux  plus  grands  philosophes  que  comptait  alor^  la 
Erance,  et  même  l'Europe,  car  Hobbes  ne  sa-urait  disputer  la  jifilme 
même  à  Gassendi  ? 

Sur  le  premier  point,  la  réponse  n'est  pas  douteuse.  Tous  les  eritïtjaes 
sont  d'accord  pour  proclamer  la  supériorité  de  Ga,ssendi.  ^'o]ontJe^s 
nous  souscrivons  à  ce  jugement  d'un  historien  peu  suspect  de  partialité 
pour  le  philosophe  provençal  :  «  Il  est  impossible  de  traiter  les  <:lisoiis- 
«ions  philosophiques  p,vec  plus  de  clarté,  d'agrément  et  de  naturel, 
et  la  polémique  de  Gassendi  mérite  encore  aujoiu'd'hui  d'être  projjosée 
comme  un  modèle  »  ^. 

Sm"  le  second  point,  au  contraire,  les  avis  sont  très  partagés.  Ejiten- 
dons  d'abord  les  voix  extrêmes  :  <(  Le  plus  gi'and  éloge  qu'on  puisse 
fah'e.  des  critiques  de  Gassendi,  c'est  que,  dans  les  études  qui  ont  été 
consacrées  à  Descartes  par  nos  philosophes  contemporains,  il  rie  se 
trouve  pas  une  objection  que  Gas.sendi  n'ait  déjà  faite,  fort  peu  <]ii'ils 
n'acceptent  comme  uréfutables  »  ■*.  ^"oici  la  contre-partie  :  Toujours 
placé  au  point  de  vue  du  sensualisme  et  du  matériahsme.  Gassendi 
n'a  raison,  et  encore  fort  incomplètement,  c^ue  sur  quelques  points 
particuliers...  »  ^ 

Après  avoir  achevé  la  lectm'e  des  Objections  renforcées  par  leô  in- 
stances et  celle  des  Réponses,  ces  jugements,  à  peu  près  contradictoires, 
nous  ont  paru  l'un  et  l'autre  exagérés.  Notre  appréciation  tient  en 
ces  trois  propositions  :  Sur  certains  points  Gassendi  a  complèteantent 
raison.  Sur  d'autres,  il  a  complètement  tort.  En  bien  des  cas  enfin, 
il  a  raison  en  ce  qu'il  nie  et  tort  en  ce  qu'il  affirme,  parce  cjuà  la  aoc- 
trine  cartésienne  il  en  substitue  une  autre  qui  n'est  pas  meilleure  ou 

1.  H.  BoBNius  :  Venim,  ut  sincère  tibi  meam  de  hoc  Cartesii  molimine  seftlentjain 
aperiam,  credo  ipsuni  .Ethiopem  dealbare  ;  nunquam  enim  se  ex  illis,  quibvis  ilJtiin 
irretitum  tenes,  laqueis  expediet  (Lettre  à  Gassendi,  Leyde,  9  juillet  1646,  dans  OO.  t.  VI 
p.  499,  col.  2). 

2.  Cf.  supra,  Ch.  I,  p.  14-15. 

3.  Fr.  BouiLLiER,  Histoire  de  la  Philosophie  cartésienne,  Paris,  «ISSé,  t.  I,  Oi.  XI, 
p.  216. 

4.  P.-F.  Thomas,  La  Philosophie  de  Gassendi,  Paris,  1889,  Introduct.,  p.  "21;  ri.  1. 
-5.  Fr.  Boxjixuer,  Opère  citato,  1. 1,  p.  221. 


56  ARTICLE  ir.   CHAPITRE  II.  —  GASSENDI  POLEMISTE 

parfois  même  est  pire.  Il  faut  justifier  cette  triple  assertion,  en  emprun- 
tant pour  chacune  d'elle  des  exemples  à  l'œuvre  de  Gassendi.  Et  l'on 
verra  que  c'est  une  œuvre  singulièrement  mêlée,  où  se  rencontrent 
le  bon  et  le  mauvais  :  Sunt  bona  mixta  malis.  Dans  ce  mélange  le 
mal  semble  même  l'emporter  sur  le  bien. 

Tout  d'abord  Gassendi  a  pleinement  raison  contre  Descartes,  quand 
il  s'attaque  au  fondement  de  tout  Cartésianisme,  à  ce  doute  métho- 
dique, qui  est  «  comme  le  cheval  de  Troie  »,  d'où  doivent  sortir  les 
démonstrations  inexpugnables  et  capables  de  tout  «  impugner  »  ^. 
Il  montre  que  Descartes  en  fait  vm  emploi  abusif  en  l'étendant  à 
toutes  nos  connaissances,  même  aux  axiomes  mathématiques,  et 
en  répudiant  tous  nos  jugements,  comme  s'ils  étaient  des  préjugés 
purs  et  simples.  Agir  ainsi  c'est  se  fermer  irrémédiablement  tout  accès 
à  la  certitude  et  à  la  vérité.  Car,  enfin,  quand  tout  sera  démoli,  quelle 
règle  infaillible  guidera  l'intelligence  dans  son  labeur  de  reconstruc- 
tion totale  ?  Descartes  répond  :  «  Toutes  les  choses  que  nous  concevons 
fort  clairement  et  fort  distinctement  sont  toutes  vrayes  »  -.  —  Mais 
c'est  la  formule  de  l'évidence  subjective.  Or  beaucoup  de  choses, 
qui  à  un  moment  donné  nous  paraissent  évidentes,  sont  en  réaUté 
fausses.  N'avouez-vous  pas  vous-même  que  »  vous  avez  reçu  autrefois 
plusieurs  choses  pour  très  certaines  et  très  évidentes,  que  vous  avez 
depuis  reconnues  être  douteuses  et  incertaines  »  ^.  Nous  avons  donc 
besoin  de  savon*  sûrement  à  quel  signe  on  peut  discerner  l'évidence 
réelle  de  l'évidence  apparente.  Vous  n'indiquez  nulle  part  ce  crité- 
rium. Il  est  vrai  que  finalement,  pour  garantir  votre  évidence,  vous 
recourez  à  la  véracité  divine.  Mais  comment  êtes- vous  certain  de 
l'existence  de  Dieu  et  de  sa  véracité  ?  —  Parce  que  c'est  une  connais- 
sance claire  et  distincte.  —  Pourquoi  est-ce  une  connaissance  -claire 
et  distincte  ?  Parce  que  Dieu  existe  et  qu'il  est  vérace.  —  Vous  tournez 
dans  un  cercle  vicieux  ■*. 

Gassendi  dissipe  encore  très  bien  la  confusion  étrange  faite  par 
Descartes  ^  entre  la  volonté  et  l'entendement  :  la  connaissance  et  le 
jugement  appartiennent  à  l'entendement,  tandis  que  l'appétition 
et  le  choix  sont  du  ressort  de  la  volonté  ®. 

Gassendi  proteste  justement  contre  la  proscription  dont  Descartes  ' 


1.  Gassendi  :  ...  Denioristrationuni  tuarum  ars  est  et  valut  equus  trojanu.s.  e  quo 
illse  prodeuntes  nvilliini  non  praesidium  quantumvis  munitum  expugnent  (Disquisitio..,, 
OG,  t.  III,  p.  279,  §  II.  ■ —  Le  mot  «  impugner  «  appartient  à  la  langue  du  xyn*?  siècle  : 
on  le  lit  dans  les  Réponses  de  Descartes  à  Gassendi,  Edit.  Cousin,  t.  II,  pp.  260  ;  263. 
Cf.  Bemarques  sur  les  7^  Ohject.,  p.  373. 

2.  Descartes,  Méditât ion>^,  Ille.  OD,  t.  IX,  I^e  p.,  p.  27.  Texte  latin.  Ibidem, 
t.  VII,  p.  35, 1.  14. 

3.  Cité  par  Gassendi.  Objections,  Œuvres  de  Descartes,  Edit.  Cousin,  t.  II,  p.  126. 
Cf.  Descartes,  Méditations,  Ille,  OD,  t.  IX,  I^e  P.,  p.  27   Cf.  t.  VII,  p.  35,  1.  16. 

4.  Gassendi,  Disqvisitio...,  OG.,  t.  III,  pp.  278-284  ;  315-317  ;  372-374. 

5.  On  sait  que  pour  Descartes  la  volonté  est  la  faculté  de  juger.  Cf.  Méditations,  IVV 
OD,  t.  IX,  1"  p.,  p.  45. 

6.  Gassendi,  Disquisitio...,  OG,  t.  III,  pp.  365-372. 

7.  Descartes,  Méditations,  IV,  OD,  t.  VII,  p.  55,  1.  14  sq.  —  Cf.  Ibidem,  pp.  374- 
375,  1.  20. 


§  C.  POLÉMIQUE  AVEC  DESCARTES  57 

frappe  l'usage  des  causes  finales  :  «  ...  Il  est  à  craindre  que  vous  ne 
rejetiez  le  principal  argument  par  lequel  la  sagesse  d'un  Dieu,  sa  puis- 
sance, sa  providence  et  même  son  existence  puissent  être  prou^'ée3 
par  raison  naturelle  »  ^. 

Sm  d'autres  points,  Deseartes  reprend  ^a^■antage.  Il  maintient 
énergiquement  contre  Gassendi  ^  la  différence  essentielle  qui  sépare 
l'intellection  de  l'imagination,  l'idée  de  l'image  :  par  exemple  l'idée 
d'un  chiliogone  est  très  claire,  tandis  que  Timage  en  est  très  confuse  ^. 

Descartes  ramène  à  des  proportions  plus  justes  la  dépendance  de 
l'esprit  à  l'égard  du  corps  pour  l'exercice  des  facultés  intellectuelles, 
•  dépendance  que  Gassendi  ^  exagère  dans  le  sens  du  matérialisme  : 
«  Je  remarquerai  ici  qu'on  ne  vous  croit  pas  quand  vous  avancez  si 
hardiment  et  sans  aucune  preuve  que  l'esprit  croît  et  s'affaiblit  avec 
le  corps.  Car,  de  ce  qu'il  n'agit  pas  si  parfaitement  dans  le  corps  d'un 
enfant  que  dans  celui  d'un  homme  parfait  et  que  souvent  ses  actions 
peuvent  être  empêchées  par  le  vin  et  par  d'autres  choses  corporelles, 
il  s'ensuit  seulement  que,  tandis  qu'il  est  uni  au  corps,  il  s'en  sert 
comme  d'un  instrument  pour  faire  ces  sortes  d'opérations  auxquelles 
il  est  pour  l'ordinaire  occupé  ;  mais  non  pas  que  le  corps  le  rende  plus 
ou  moins  parfait  qu"il  est  en  soi.  Et  la  conséquence  que  vous  tirez 
de  là  n'est  pas  meilleure  que  si,  de  ce  qu'un  artisan  ne  travaille  pas 
bien  toutes  les  fois  qu'il  se  sert  d'un  mauvais  outil,  vous  infériez 
qu'il  emprunte  son  adresse  et  la  science  de  son  art  de  la  bonté  de  son 
instrument  »  ^. 

Descartes  est  également  bien  inspiré  lorsqu'il  repousse  cette  asser- 
tion téméraire  de  Gassendi  rc  ...  L'esprit  humain,  n'étant  pas  capable 
de  concevoir  l'infinité,  ne  peut  pas  aussi  avoir  ni  se  figurer  une  idée 
qui  représente  une  chose  infinie.  Et  partant  celui  qui  dit  une  chose 
infinie  attribue  à  une  chose  qu'il  ne  comprend  point  un  nom  qu'il 
n'entend  pas  non  plus  ;  d'autant  que  comme  la  chose  s'étend  au  delà 
de  toute  sa  compréhension...  «  »  Descartes  lui  rappelle  à  propos  la 
distinction  entre  la  connaissance  imparfaite  et  la  connaissance  par- 
faite '^.  Une  idée  inadéquate  est  cependant  réelle.  Or  l'idée  de  lïnfini 
est  nécessairement  inadéquate.  «  ...  Il  répugne  que  je  comprenne 
quelque  chose  et  que  ce  que  je  comprends  soit  infini,  car  pour  avoir- 
une  idée  vraie  de  l'infini,  il  ne  doit  en  aucune  façon  être  compris, 
d  autant  que  l'incompréhensibihté  même  est  contenue  dans  la  raison 
formelle  de  l'infini  ^.  »  Sans  doute,  «un  esprit  fini  ne  sçaurait  comprendre 

1.  Gassendi,  Objections,  Ed.  Cousin,  t.  II,  pp.  177  sq.  —  Disquisitio...,  OG,  t.  III 
pp.  358-363. 

2.  Gassendi,  Disquisitio...,  OG.,  t.  III,  pp.  300-303. 

3.  Descartes,  Quintœ  Besponsiones,  OD,  t.  VII.  p.  384,  1.  22  sq. 

4.  Gassendi,  Objections,  Edit.  Cousin,  t.  II,  p.  97. 

5.  Descaetes,  Réponses  aux  cinqvièyms  Objections.  Edit.  Cousin,  t.  II,  pp.  250-251. 
—  Quintœ  Besponsiones,  OD,  t.  VII,  pp.  353-354.  1.  26. 

6.  Gassendi,  Objections,  Ed.  Cousin,  t.  II,  pp.  139-140.  — Disquisitio...,  OG,  t.  III. 
p.  323,  col.  2. 

7-8.  Descartes,  Réponses,  Edit.  Cousin,  t.  II,  pp.  266  ;  270.  Quintœ  ResponsioneSy 
OD,  t.  VII,  p.  364-365, 1.  25  ;  367-368, 1.  19. 


68  AETICLE  II.   CHAPITRE   II.  . —  GASSENDI  POLÉIVIISTE 

Dieu  qui  est  infini  ;  mais  cela  n'empesche  pas  qu'il  ne  l'aiperçoire, 
ainsi  qu'on  peut  bien  toucher  une  montagne,  encore  qu'on  ne  la  puisse 
embrasser  ^.  » 

Gassendi  prête  encore  le  flanc  à  la  critique  quand  il  déclare  incon- 
sidérément à  Descartes  qu'  «  il  semble  dur  »  d'admettre  après  lui 
«  quelque  nature  immuable  et  éternelle  autre  que  celle  d'un  Dieu 
souverain  »  ^.  «  Vous  direz  peut-être  que  i^ous  ne  dites  rien  que  ce  que 
l'on  enseigne  tous  les  jours  dans  les  Écoles,  à  savoir  que  les  natm'es 
ou  les  essences  des  choses  sont  éternelles,  et  que  les  propositions  que 
l'on  en  forme  sont  aussi  d'une  éternelle  vérité.  Mais  cela  même  est 
aussi  fort  dur  et  fort  difficile  à  se  persuader  ^.  »  Descartes  lui  répond  : 
«  Vous  auriez  raison  s'il  s'agissait  d'une  chose  existante  »  *,  et  il  con- 
clut cavahèrement  :  «  Or,  que  cela  vous  semble  dur  ou  mou,  il  m'importe 
fort  peu  ;  pour  moi,  il  me  suffit  que  cela  soit  véritable  «  ^. 

Da^is  beaucoup  de  questions  enfin  Gassendi  conteste  justement  la 
doctrine  de  Descartes,  mais,  en  voulant  la  rectifier,  il  tombe  en  des 
erreurs  aussi  ou  même  jjIus  profondes.  Du  point  de  vue  négatif,  il 
est  dans  le  vrai  ;  du  point  de  vue  positif,  il  se  trompe.  Exemples  : 

Gassendi  fait  avec  vigueur  le  procès  des  idées  innées  ^.  —  Fort  bien. 
Mais,  dans  le  cours  de  la  discussion,  s'adressant  à  Descartes,  il  pré- 
tend qu'il  est  vrai  de  dire,  ou  que  «  vous  n'avez  point  l'idée  de  vous- 
même,  ou  si  vous  en  avez  aucune,  qu'elle  est  fort  confuse  et  impar- 
faite^ »  '^.  Puis,  ne  s'apercevant  pas,  dans  son  ardeur  à  contredire  les 
autres,  qu'il  se  contredit  le  premier,  il  en  vient  à  soutenir  (ne  mention- 
nant plus  la  possibilité  d'une  idée  ((  confuse  »)  que  nous  ne  pouvons 
avoir  l'idée  de  nous-même...  «  Mais  que  direz-vous  si  je  montre  ici 
que,  n'étant  pas  possible  que  vous  ayez,  ni  même  que  vous  puissiez 
avon  l'idée  de  vous-même,  il  n'y  a  rien  que  vous  ne  connaissiez  plus 
facilement  et  plus  é\'idemment  que  vous  ou  que  votre  esprit  »  ^. 
Il  en  conclut  finalement  que  nous  pouvons  avoir  de  nous-mêmes 
non  une  «  connoissance  dii'ecte  »  mais  «  réfléchie  »  ^. 

1.  Descaktes,  Lettre  à  Clerselier,  OD,  t.  IX,  l^e  p.,  p.  210,  1.  11. 

2.  Descartes,  Mûlitat.,  V,  OD.,  t.  VII,  p.  64, 1.  11  sq. 

3.  Gassendi,  Objections,  Edit.  Cousin,  t.  II,  pp.  194-195.  — Disquisitio  metaphysica, 
OG,  t.  III,  p.  374,  col.  2. 

4-5.  Descartes,  Réponses,  Edit.  Cousin,  t.  II,  p.  287-288.  —  QuirUœ  reaponsiones, 
OD,  t.  VII,  p.  380,  1.  1-13.  —  Descartes,  après  ces  mots  :  «  Vous  aiiriez  raison  s'il  était 
question  d'une  chose  existante  »,  indique  une  autre  réponse  :  «  ou  bien  seulement  si 
j'établissais  qiielque  chose  de  tellement  immuable  que  son  immutabilité  ne  dépendit 
pas  de  Dieu  ».  Cette  seconde  réponse  est  de  trop,  parce  qu'elle  est  fausse  :  les  essences 
des  choses  ne  dépendent  point  de  la  volonté  de  Dieu,  mais  ont  leur-  fondement  néces- 
saire dans  l'essence  divine,  dont  elles  sont  une  expression  plus  ou  moins  parfaite. 

6.  Gassendi,  Objections,  Ed.  Cousin,  t.  II,  p.  127  ;  129  sq.  — Disquisitio  metaphysica, 
OG,  t.  III,  pp.  318-323. 

7-8.  Gassendi,  Objections,  Ed.  Cousin,  t.  II,  pp.  148.  —  Disquisitio  metaphysica, 
OG,  t.  III,  pp.  332-333. 

9.  «  ...  Je  vous  assure  que,  venant  à  réfléchir  et  renvoyer  contre  vous  votre  propre 
esjDèce,  vous  pourrez  alors  vous  voir  et  connoître  vous  même,  non  pas  à  la  vérité  par 
une  connoissance  directe,  mais  du  moins  par  une  connoissance  réfléchie  ;  autrement 
je  ne  vois  pas  que  vous  puissiez  avoir  aucune  notion  ou  idée  de  vous-même.  »  (Gas» 


§   C.   —   POLÉMIQUE   AVEC   DESCAETES  59 

Gassendi  combat  à  outrance  rautomatisme  des  bêtes  i.  —  Fort  bien. 
]^Iais,  s'il  refuse  de  les  regarder  comme  des  machines  perfectionnées, 
il  n'établit  entre  elles  et  l'homme  qu'une  différence  de  degré  et  non  de 
nature  :  «  Mais  vous-même,  dit-il  à  Descai-tes,  montrez-nous  que  vous 
êtes  autre  chose  dans  le  cerveau  de  l'homme  qu'une  fantaisie  ou 
imaginative  humaine...  Car,  que  vous  vous  appeUiez,  par  mie  spéciale 
dénomination,  un  esprit,  ce  peut  être  un  nom  d'une  nature  plus  noble, 
mais  non  pas  pom-  cela  diverse...  Vous  dites  qu'elles  (les  bêtes)  ne 
raisonnent  point  ;  mais  quoique  lem's  raisomiements  ne  soient  pas  si 
parfaits,  ni  d'une  si  grande  étendue  que  ceux  des  hommes,  si  est-ce 
néanmoins  qu'elles  raisonnent  et  qu'il  n'y  a  point  en  cela  de  différence 
entre  elles  et  vous  que  selon  le  plus  et  le  moins  »  ^. 

On  peut  reprocher  à  la  théorie  cartésienne  de  la  conservation  des 
êtres  par  Dieu  d'être  formulée  en  termes  équivoques.  Certains  Carté- 
siens, en  effet,  l'ont  comprise  non  seulement  comme  une  création 
continuée,  mai^  continue,  c'est-à-dii'e  comme  une  création  continuelle- 
ment renouvelée.  Gassendi  semble  insinuer  par  deux  fois  ce  reproche  ^. 
—  Fort  bien  ;  mais  il  n'évite  Charybde  que  pour  tomber  en  Scylla, 
car  il  laisse  entendre  C£ue  les  êtres,  une  fois  créés,  ont  en  eux-mêmes 
la  force  nécessaire  pour  subsister  sans  le  concours  de  lem"  Créateur  : 
«  C'est  pourquoi  ^'ous  ne  cesserez  point  d'être,  puisque  vous  avez  en 
vous  assez  de  vertu,  non  poiu'  vous  reproduire  de  nouveau,  mais  pour 
vous  fane  persévérer,  au  cas  que  quelque  cause  corruptive  ne  "sur- 
vienne »  *.  Descartes  a  du  moins  nettement  redi'essé  cette  erreur. 
Après  avoii"  reproché  à  Gassendi  de  conf ondi'e  «  les  causes  qu'on  appelle 
en  l'École  seciindum  fieri,  c'e^t-à-dh-e  de  qui  les  effets  dépendent 
quant  à  leur  production  »,  et  celles  qu'on  nomme  «  secundiim  esse, 
c'est-à-dire  de  qui  les  effets  dépendent  quant  à  leur  .subsistance  et 
continuation  dans  l'être  »,  il  appHque  ainsi  cette  lumineuse  distinc- 
tion :  a  Ainsi,  l'architecte  est  la  cause  de  la  maison  et  le  père  la  cause 
de  son  fils,  quant  à  la  production  seulement  ;  c'est  poui*quoi,  Fou- 
\Tage  étant  une  fois  achevé,  il  peut  subsister  et  demeiu'er  sans  cette 
cause.  ]Mais  le  soleil  est  la  cause  de  la  lumière  qui  procède  de  lui  et 

SENDi,  Objections,  Edit.  Cousin,  t.  II,  p.  149.  — Disqvisitio  metaphysîca,  OG,  t.  III, 
p.  333,  col.  1).  Tout  cela  semble  peu  cohérent,  car  après  avoir  concédé  la  possibilité 
d'arriver  à  une  idée  confuse  ou  connaissance  directe  de  nous-mêmes,  Gassendi  finit 
par  rejeter  toute  idée  ou  connaissance  de  ce  genre. 

1.  Gassendi,  Objections,  Ed.  CorsiN,  t.  II,  pp.  108-113.  — Disquisitio  metaphysica, 
OG,  t.  III,  pp.  303-307. 

2.  Gassendi,  Objections,  Ibidem,  pp.  110;  113;  —  Disquisitio  metaphyeica.  Ibidem, 
pp.  303  ;  304. 

3.  Sur  cette  proposition  émise  par  Deseartes  :  «  Mais,  direz-vous,  de  ce  que  j'ai  ci- 
devant  été,  il  ne  s'ensuit  pas  que  je  doive  être  maintenant  >,  Gassendi  fait  cette  remar- 
que :  «  Je  le  crois  bien  ;  non  que  poui-  cela  il  soit  besoin  d'une  cause  qui  vous  crée  inces- 
samment de  nouveau...  »  Plus  loin  il  dit  encore  :  «  Or  de  tout  votre  raisonnement  [de 
Descartes],  vous  concluez  fort  bieii  que  *  vous  dépendez  de  quelque  être  différent  de 
vous  »,  non  pas  toutefois  comme  étant  de  nouveau  par  lui  produit,  maie  comme  ayant 
été  autrefois  produit  par  lui.  »  (G.^sendi,  Objections,  Edit.  CorsiN,  t.  II,  p.  164  et  165. 
—  Disquisitio  metaphysica,  OG,  t.  III,  p.  344,  eol.  2.  Les  soulignements  sont  de  moi. 

4.  Gassendi,  Objections,  Ed.  CorsiN,  t.  II,  p.  165.  — L>isqui»itw  metaphysica,  OG, 
t.  III,  p.  344,  coL  2. 


60  ARTICLE  II.   CH.^ITKE  II.   —  GASSENDI  POLÉMISTE 

Dieu  est  la  cause  de  toutes  les  choses  créées,  non  seulement  en  leur 
production,  mais  même  en  ce  qui  concerne  leur  conserv^ation  ou  leur 
durée  dans  l'être  »  ^. 

Enfin,  Gassendi  rejette  le  dualisme  cartésien,  qui  sépare  tellement 
le  corps  (res  dxlensa)  et  l'âme  (res  cogitans),  sous  prétexte  de  ks 
mieux  distinguer,  qu'on  ne  voit  plus  comment  ils  peuvent  être  unis 
•et  communiquer  entre  eux.  —  Fort  bien.  Mais  Gassendi  ébauche  une 
théorie  qu'il  exposera  systématiquement  dans  son  Syntagma  philoso- 
phicîi'm.  Là,  il  divise  l'âme  en  deux  :  l'une  est  matière  (d'une  matière 
plus  déliée  que  le  corps),  en  tant  que  végétative,  sensitive  et  Imagina- 
tive ;  l'autre  est  esprit,  en  tant  que  raisonnable  et  libre. 

Ici,  après  avoir  déclaré  au  début.  :  «  Je  fais  profession  de  croire 
qu'il  y  a  un  Dieu  et  que  nos  âmes  sont  immortelles  »  ^,  il  parle,  dans 
toute  la  suite,  comme  si.  à  ses  yeux,  l'âme  matérielle  existait  seule- 
dans  l'homme.  Aussi  refuse-t-il  d'accorder  à  Descartes,  comme  on 
l'a  vu,  qu'il  y  a  une  distinction  essentielle  entre  l'imagination  et  l'in- 
tellection.  Aussi,  partant  de  son  sj^stème  sur  l'âme  étendue,  il  ressasse- 
cette  objection  :  «  Je  répète  encore  une  fois  que  la  difficulté  n'est  pas 
de  savoir  si  vous  êtes  séparable  (en  tant  que  res  cogitans)  ou  non 
de  ce  corps  massif  et  grossier...,  mais  bien  de  savoir  si  vous  n'êtes 
pas  vous  même  quelque  autre  corps,  pouvant  être  un  corps  plus  subtil 
et  plus  délié,  diffus  dedans  ce  corps  épais  et  massif,  ou  résidant  seu- 
lement dans  quelqu'une  de  ses  parties  «  ^.  Aussi,  devançant  Locke^ 
il  déclare  (comme  une  hypothèse  qui  ne  lui  paraît  pas  irrecevable) 
qu'il  n'est  pas  impossible  que  Dieu  donne  à  la  matière  la  faculté  de 
penser,  car  il  met  Descartes  en  demeure  de  lui  fournir  la  preuve 
du  contraire  :  «  ...  Il  vous  reste  toujours  à  prouver  que  la  faculté 
de  penser  est  tellement  au-dessus  de  la  nature  corporelle,  que  ni 
ces  esprits  qu'on  nomme  animaux,  ni  aucun  autre  corps,  pour  déUé^ 
subtil,  pur  et  agile  qu'il  puisse  être,  ne  saurait  être  si  bien  préparé 
ou  recevoir  de  telles  dispositions  que  de  pouvoh  être  rendu  capable 
de  la  pensée  »  *.  Aussi,  sous  l'empire  de  son  préjugé  matériahste^ 
il  ne  peut  comprendre  qu'une  âme  immatérielle,  «  une  chose  qui  n'est 
pas  étendue  »,  puisse  avou-  l'idée  du  corps,  ((  une  chose  qui  est  étendue  )>  : 
«  Car,  je  vous  prie  ^,    dites-nous  comment  vous  pensez  que  l'espèce 

1.  Descartes,  Réponses,  Ed.  Cousin,  t.  II,  pp.  272-273.  Cf.  pp.  273-274.  —  Quintœ 
Responsiones,  OD,  t.  VII,  p.  369, 1.  14  sq.  ;  p.  370, 1.  6  sq. 

2.  Gassendi,  Objections,  Edit.  Cousin,  t.  II,  p.  90.  —  Disquisitio  metaphysica,  OG 
t.  III,  p.  273,  col.  2. 

3.  Gassendi,  Objections,  Edit.  Cousin,  t.  II,  pp.  222-223.  —  Cf.  pp.  102-103.  —Dis- 
quisitio ?netaphysica,  OG,  t.  III,  p.  391,  col.  1,  Dubit.  III.  —  Cf.  p.  298,  col.  1. 

4.  Gassendi,  Objections,  Edit.  Cousin,  t.  II,  p.  99.  Cf.  p.  224.  —  Disquisitio  meta- 
physica, OG,  t.  III,  p.  293,  col.  2.  Cf.  ;,.  399,  col.  2. 

5.  Gassendi  :  Quaeso  te  enim,  quomodo  existimes  in  te  subjecto  inextenso  recipi 
posse  speciem  ideamve  corporis  quod  extensum  est  ?  Seu  enim  talis  species  procedit 
ex  corpore,  illa  haud  dubie  corporea  est  habetque  partes  extra  partes,  atque  adeo 
extensa  est  ;  seu  aliiinde  impressa  est  :  quia  necessarium  semper  est  ut  reprœsentet 
corpus  extensum,  oportet  adhuc  ut  habeat  partes  et  perinde  extensa  sit.  Alioquin  certe, 
SI  partibus  careat,  quomodo  partes  repraesentabit  ?  si  extensione,  quomodo  rem  exten- 
eara  ?  »i  figura,  quomodo  rem  fîguratam  ?  si  positione,  quomodo  rem  habentem  supe- 
noree,  i»fmores,  dextras,  sinistras,  obliquas  partes  ?  si  varietate,  quomodo   colores 


§  C.  —  POLÉMIQUE  AVEC  DESCARTES  61 

OU  l'idée  du  corps  qui  est  étendu  puisse  être  reçue  en  vous,  c'est-à-dire 
-en  une  substance  qui  n'est  point  étendue  ?  Car  ou  cette  espèce  procède 
■du  corps,  et  pour  lors  il  est  certain  qu'elle  est  corporelle  et  qu'elle 
a  ses  parties  les  unes  hors  des  autres  et  partant  qu'elle  est  étendue  ; 
ou  bien  elle  vient  d'ailleurs  et  se  fait  sentir  par  une  autre  voie  :  toute- 
fois, parce  qu'il  est  toujours  nécessaire  qu'elle  représente  le  corps  qui 
est  étendu,  il  faut  aussi  qu'elle  ait  des  parties,  et  partant  qu'elle  soit 
«tendue.  Autrement,  si  elle  n'a  point  de  parties,  comment  en  pourra-t- 
«lle  représenter  ?  si  elle  n'a  point  d'étendue,  comment  pourra-t-elle 
représenter  une  chose  qui  en  a  ?  si  elle  es't  sans  figure,  comment 
fera-t-elle  sentir  une  chose  figurée  ?  si  elle  n'a  point  de  situation, 
comment  nous  fera-t-elle  concevou-  une  chose  qui  a  des  parties,  les 
unes  hautes,  les  autres  basses,  les  unes  à  droite,  les  autres  à  gauche, 
les  unes  devant,  les  autres  derrière,  les  unes  courbées,  les  autres  droites  ? 
«i  elle  est  sans  variété,  comment  représentera-t-elle  la  variété  des 
couleurs  ?  etc.  Donc  l'idée  du  corps  n'est  pas  tout  à  fait  sans  exten- 
sion ;  à  moins  d'en  manquer,  comment  vous,  qui  n'en  avez  point, 
la  pourrez- vous  recevoir  ?  comment  l'ajuster  et  l'apphquer  ?  comment 
vous  en  servir  ?  Comment  enfin  la  sentirez-vous  peu  à  peu  s'effacer 
et  s'évanouir  ?  ^  » 

Cette  page  montre  bien  la  verve  dialectique  de  Gassendi,  mais  fait 
peu  d'honneur  à  sa  perspicacité  philosophique.  Après  la  lecture 
de  pareils  passages,  on  est  moins  étonné  d'entendre  Descartes  appeler 
Gassendi  :  ô  chair  !  et  l'on  s'explique  mieux  qu'il  ait  osé,  le  visant 
indirectement,  parler  de  «  ces  personnes,  de  qui  l'esprit  est  tellement 
plongé  et  attaché  aux  sens,  qu'ils  ne  peuvent  rien  concevoir  qu'en 
imaginant,  et  qui  partant  ne  sont  pas  propres  pour  les  spéculations 
métaphysiques...  ^  » 

Mais  il  ne  faudrait  pas  juger  de  la  valeur  de  Gassendi  par  la  pauvre 
argumentation  que  nous  venons  de  rapporter.  Il  est  équitable,  pour 
donner  un  échantillon  de  sa  manière  vive  et  pressante,  pour  faire 
connaître  son  style  philosophique  latin,  de  choisir  un  passage  moins 
contestable  et  plus  étendu.  Voici  comment  il  traite,  dans  ses  Instances, 
contre  Descartes,  la  délicate  question  du  temps  :  ^  ((  Vous  appuyez 

varios  ?  etc.  Non  ergo  videtur  idea  extensioue  prorsus  carere  :  uisi  v^ro  oaiea^.  quonam 
modo  tu,  si  inexteij.<3a  fueris,  illis  subjicieris  ?  quomodo  illam  tibi  aptabis  ?  quomodo 
usurpabis  ?  quomodo  sensim  obliterari  evanescereque  tandem  experieris  ?  (Diaquisitio 
tnetaphyaica,  OG,  t.  III,  p.  399,  col.  2).  L'expression  si.  inextensa  fueris  paraît  étrange 
à  première  vue.  La  surprise.cesse  si  l'on  sous-entend  res.  On  doit  le  faire,  car,  un  peu 
plus  haut,  dans  le  même  paragraphe,  Gassendi  dit  à  Descartes  :  si  inextensa  quidem 
res  sis.  , 

1.  Gassendi,  Objections,  Ed.  Cousin,  t.  II,  pp.  224-225. 

2.  Descartes,  Réponses,  Ed.  Cousin,  t.  II,  p.  242.  —  Quintœ  Responsiones,  OD, 
t.  VU,  p.  348,  1.  5. 

3.  Pergis /ioc  [concursus  divinus]  aperte  dcmonstrari  ex  eo  quod  explicuisti  de  partium 
temporis  independentia...  Perspicuam  suppoais  temporis  naturam,  qua  nihil  potest 
dici  obscurius...  Quam  obstringes  totam  Sapientum  nationem...,  si  explicueris  utrum 
sit  aliquid  reale,  annou  ?  qui  a  re  durante  différât,  aut  non  différât  ?  Qnid  in  illa  sit 
vel  non  sit  ?  Cieteraque  his  consimilia.  Quod  ad  me  spectat,  fateor  ingénue  ignorare  me 
temporis  naturam  ;  ac  tametsi  mihi  videar  intelligere  utcumque  quid  sit,  explicare 


<52  ARTICLE   II.   CHAPITRE  II.   GASSENDI  POLEMISTE 

ce  concours  perpétuel  de  la  cause  divine  sur  ce  que  les  parties  du 
temps,  dites-vous,  ne  dépendent  pas  les  unes  des  autres...  Mais  rien 
n'est  plus  obscur  que  la  nature  du  temps.  Commexit  supposez-vous 
cette  notion  assez  claire  pour  en  tù-er  une  démonstration  ! . . .   Quel 

tamwi  si  velim,  non  possum,  mihique  statim  prseclara  illa  D.  Augustin!  verba  succur- 
runt  :  Quid  est  ergo  tempus  ?  Si  nefno  ex  me  quœrat,  scio  ;  si  quœrenti  explicare  velim, 
nescio.  Quanquam  etiam  convinco  me  ideo  nescire  quid  sit  tempus,  quod  dicere  aliis 
non  possim  quid  sit.  Certe  pr.o  voto  satis  non  est,  ciun  dico  me  concipere  tempus  sive 
durationem  quasi  quemdam  fluxum,  qui  nunquam  cœperit,  qui  jam  perseveret,  qui 
numquam  desiturus  sit  ;  qui  neque  impediri,  neque  retardari,  neque  accelerari  possit  ; 
qui,  secundum  totam  suam  amplitudinem  acceptus,  et  quatenus  principio  et  fiie 
caret,  dici  potest  seternitas  seu  duratio  Dei,  ipsi  toti,  ob  suae  naturœ  immutabilitatem, 
coexietentis,  ut  coexistit  lupes  piieterlabenti  flumini  ;  acceptus  vero  secundum  partes, 
sit  duratio^  rerum  exortui  interituique  obnoxiarum,  cujusmodi  est  Mundus  totiis^ 
cujusmodi  sunt  omnes  jiartes  Mimdi,  sive  res  creatse,  quae  donec  simul  persévérant,  norî 
pluribus  temporibus  sed  uno  eodemque  tempore  durare  censea-itur  ;  cujus  deni'que, 
cum  sit  successivus,  homines  mensuram  adinvenerint,  motum  scilicet,  successi\axm 
ipsiim,  ac  cœlestem  poti.ssimum,  absque  eo  tamen  quod.  motu  velociore  aut  tardiore 
facto,  fluxus  temporis  ideo  liât  concitatior  aut  segnior  :  quippe  qui  uno  tenore,  quique, 
seu  quidpiam  moveatur  seu  nihil,  imo  et  Mundus  si  fiât  seu  destruatur,  et  seu  aliquid 
si.t,  seu  nihil  prorsus,  in\  ariabiliter  continuetur.  Id,  inquam,  non  mihi  satis  est  pro- 
voto  ;  sed,  utcumque  sit,  Imc  est  quo  respexi,  cum,  te  dicente  :  Tempus  in  jiartes  innu- 
meras  dividi,  quar,um  reliquœ  a  singulis  nullo  modo  dependeant,  ipse  objeci  instare  posse  : 
Quœnam  sit  excogitabilis  res,  cujus  partes  sint  a  se  invicem  inseparabiles  magis  ? 
inter  cujus  partes  sit  inviolabilior  séries  et  connexio?  cujus  quaesunt  partes  posteriores 
possmt  minus  averti,  magis  eoliserere,  magis  dependere  a  prioribus  ?  Quid  tu  ad 
hoc  ? 

Xempe  voluisse  me  «  eludefe,  proponendo  necessitatem  consecutionis  quœ  est  inter 
jjartes  temporis  in  abstracto  considerati  ;  de  quo  hic  non  est  quaîstio,  sed  de  tempore 
seu  duratione  rei  durantis,  cujus  non  negas  singula  momenta  a  vicinis  separari,  h'oc 
-^st  rem  durantem  singulis  momentis  desinere  esse.  »  (Descaetes,  Quint œ  Responsiones 
OD,  t.  VII,  pp.  369-370.  1.  26). 

...  At  quid  vocas  tempus  abstractum,  abstracteve  consideratum  ?  Ego  quidem  unicum 
agnosco,  quod  non  diffitebor  sane  dici  aut  considerari  pos.se  abstractum,  quatenus  non 
pendet  a  rébus,  cum  sive  res  sint.  sive  non  sint,  sive  moveantur,  sive  quiescant,  eodem 
se^nper  tenore  fluat  ac  in\ariabiliter  perseveret.  At  esse  aliud  prœter  istud,  quod  possit 
dici  aut  considerari  quasi  in  concreto,  quatenus  rébus  competit,  seu  quatenus  res  illo 
durant,  nullo  profecto  modo  agnosco...  -, 

Audivisti  vulgo  disting\ii  tempus  externum  et  internum.  At,  si  illud  quod  ego  dixi, 
externum  sit,  quodnam  erit  istud  internum  ?  Id  experiamur.  Ego,  verbi  causa,  sum  res 
a  quinquaginta  jam  annis  durans.  agnoscoque  me  durare  eadem  duratione  qua  omnes 
cosetaneos,  qui  omnes  simul  non  amplius  hactenus  duravimus  quam  unus  ;  neque 
emm  a  nostro  exortu  fluxere  tôt  illse  annorum  mja-iades,  quœ  supputari  possent,  si 
toties  seipsis  quinquaginta  adderentur,  quot  quinquagenarii  jam  sumus.  At  internum' 
tempus,  quod  mihi  peeuliai-e  sit.  et  quod,  praeter  externum  illud  tibi  vocatum  in  abs- 
tracto, mihi  in  concreto  conveniat,  neque  agnosco,  neque  a  te  addisco. 

Dicis  me  non  negare  singula  hujus  momenta  posse  a  vicinis  separari,  hoc  est  rem  duran- 
tem singulis  momentis  desinere  esse.  Quam  lepide  facis,  dum  id,  qilod  controvertituri 
pro  confesse  habes  !  Ego  certe  ne  agnosco  quidem  quœ  momenta  me  non  negare  didi«; 
Aam  fateor  quidem  rem  durantem  desinere  posse  singulis  momentis,  sed  momentis 
nempe  durationis  illius  communis,  quibus,  eisdem  et  non  aliis,  res  quoque  aUœ  simul 
durantes  possunt  desinere,  et  quœ  separari  a  se  mutuo,  propter  indissolubilem  concate- 
nationem,  non  possint.  Tu,  si  secus  capis,  quare  non  déclaras  ?  Nam  posse  rem  hoc  ' 
momento  desinere,  et  posse  sequente  desinere,  et  posse  alio  desinere,  estremhabere 
Ijotentiam  durandi  infii-mam  ;  sed  non  est  habere  momenta  sive  parteis  tempofis, 
quœ  m  momentis  sive  partîbns  temporis  alterius  desinere  possint.  Heine  est  ille  vul- 
garis  error,  quo  poetice  dicunt  Tempus  edax  rerum.  Sane  enim  tempus  nihil  deterit, 
Bed  phj'sicœ  sunt  causa?,  qua?  nisi  uno,  saltem  alio  tempore  deterunt  ac  destruunt^ 
(.Oassendi,  Disquisitio  metaphysica,  OG,  t.  III,  p.  346-347,  §  ii). 


§   C.    —  POLÉMIQUE   AVEC    DESC'AKTES  63 

service  vous  rendrez  à  toute  la  nation  des  Sages  en  leur  expliquant 
la  nature  du  temps  :  est-il  (quelque  chose  de  réel  ou  non  l  Diftere-t-il 
ou  non  de  l'objet  qui  dure  i  Qu'est-il  en  lui-même  ou  que  n'est-il  pas  i 
et  autres  questions  semblables.  Pour  moi,  j'avoue  ingénument 
que  j'ignore. la  nature  du  temps;  et,  quoiqu'il  me  semble  en  avoir 
quelque  idée,  veux- je  l'explicpier,  je  ne  le  puis  ;  et  aussitôt  les  célèbres 
paroles  de  saint  Augustin  me  reviennent  à  l'esprit  :  a  Qu'est-ce  donc 
({ue  le  temps  i  Si  personne  ne  me  le  demande,  je  le  sais  ;  si  je  veux 
l'expliquer  à  qui  me  le  demande,  je  ne  le  sais  plus.  »  Cependant, 
de  ce  que  je  suis  incapable  de  dii'e  aux  autres  ce  qu'est  le  temps,  je 
conclus  Cj^ue  je  l'ignore. 

Certes  je  ne  me  satisfais  pas  moi-même,  ([uand  je  conçois  le  temps 
ou  la  durée  comme  une  sorte  de  courant,  qui  n"a  jamais  commencé, 
qui  persist-e  et  qui  ne  cessera  jamais  ;  qui  ne  peut  être  ni  arrêté,  ni 
retardé,  ni  accéléré  ;  qui,  envisagé  dans  toute  son  ampleur,  et  en  tant 
qu'il  n'a  ni  commencement  ni  fin,  peut  être  appelé  l'éternité  ou  la 
durée  de  Dieu,  lequel,  à  cause  de  son  immuable  nature,  coexiste 
à  la  totalité  du  temps,  comme  le  rocher  au  fleuve  qui  le  baigne  ; 
qui,  considéré  dans  ses  })arties,  est  la  durée  des  choses  sujettes  à  naître 
et  à  mourir,  comme  le  blonde  entier  et  toutes  ses  parties,  ou  les  créa- 
tures contemporaines,  dont  la  durée  est  estimée  comprendre  un  seul 
et  même  temps  et  non  des  temps  divers  ;  qui,  enfin,  est  successif 
et  dont  le,"^  hommes  ont  inventé  un  moyen  de  le  mesurer,  à  savon*  le 
mouvement,  successif  lui-même,  et  particulièrement  le  mouvement 
des  astres,  sans  toutefois  qu'un  mouvement  plus  rapide  ou  plus  lent 
accélère  ou  ralentisse  le  cours  du  temps,  puisqu'il  marche  d'une  allure 
continue  et  invariable,  qu'il  y  ait  du  mouvement  ou  qu'il  n'y  en  ait 
pas  ;  bien  plus,  que  le  Monde  soit  créé  ou  qu'il  soit  détruit,  qu'il  existe 
quelque  chose  ou  que  absolument  rien  n'existe. 

Tout  cela,  dis-je.  ne  me  satisfait  point  ;  mais,  c'est  à  cette  idée 
telle  quelle  que  je  me  suis  reporté,  quand  vous  avez  dit  que  «  le  temps 
pçut  se  diviser  en  parties  innombrables,  tout  à  fait  indépendantes 
les  unes  des  autres  »,  et  je  vous  ai  objecté  cette  instance  :  Quelle 
chose  peut-on  concevoir  dont  les  parties  soient  plus  inséparables 
les  unes  des  autres  que  sont  celles  du  temps  ?  dont  la  haison  et  la 
suite  soient  plus  inviolables  ?  dont  les  parties  postérieures  se  pmssent 
moins  détacher  de  celles  qid  les  précèdent,  en  dépendre  plus  étroite- 
ment et  avoir  plus  de  cohésion  avec  elles  ?  A  cela  que  répondez- 
vous  ? 

Vous  prétendez  (^ue  j'ai  voulu  '■  éluder  vptre  argument,  en  pro- 
posant la  nécessité  de  la  suite  qui  est  entre  les  parties  du  temps  considéré 
dans  l'abstrait.  Or  il  n'est  pas  ici  question  du  temps  abstrait,  mais 
seulement  du  temps  ou  de  la  durée  de  la  chose  même.  \^ous  ne  niez 
pas. que  chacun  de  ses  moments  ne  puisse  être  séparé  de  leurs  voisins, 
c'est-à-dire  que  la  chose  elle-même  ne  puisse  cesser  d'être  à  chaque 
moment  de  sa  durée.  »  ...^lais  qu'appelez-vous  un  temps  abstrait  ou 
considéré  abstraitement  ?  Pour  moi,  je  ne  connais  qu'un  temps 
unique  qu'on  peut  dire  ou  considérer,  je  n'en  disconvienth-ai  pas  assu- 
réanent,  d'une  fa^on  abstraite,  en  tant  qu'il  ne  dépend  pas  des  choses. 


64  ARTICLE  II.   CHAPITRE  II.  —  GASSENDI  P0LÉ3IISTE 

puisque  lui,  que  les  choses  soient  ou  ne  soient  pas,  qu'elles  soient  au 
repos  ou  en  mouvement,  continue  son  cours  dont  la  fluidité  est  tou- 
jours la  même,  invariablement  persévérante.  Mais  qu'il  y  ait,  en  outre, 
un  temps  qu'on  puisse  appeler  concret  et  considérer  pour  ainsi  dire 
dans  le  concret,  en  tant  qu'il  conviendrait  aux  choses  ou  que  les  choses 
dureraient  par  lui,  je  ne  l'accorde  aucunement... 

«  Vous  avez  encore  entendu  communément  distinguer  le  temps  en 
externe  et  interne.  Mais,  si  celui  dont  j'ai  parlé  est  le  temps  externe, 
que  sera  le  temps  interne  ï  Examinons-le.  Je  suis,  par  exemple,  une 
chose  qui  dure  depuis  déjà  cinquante  ans  et  je  sais  que  j'ai  duré 
la  même  durée  que  tous  les  hommes  de  mon  âge  :  tous  ensemble 
jusqu'ici  nous  n'avons  pas  plus  duré  qu'un  seul,  car  il  ne  s'est  pas 
écoulé,  depuis  notre  naissance,  tant  de  myriades  d'années  qu'on  puisse, 
en  les  additionnant,  compter,  dans  le  total,  autant  de  fois  cinquante 
que  nous  sommes  maintenant  de  quinriuagénaires.  Mais  ce  temps 
interne,  qui  me  serait  particuher  et  me  conviendrait  d'une  manière 
concrète,  en  plus  du  temps  externe  que  vous  appelez  abstrait,  je  ne 
le  connais  pas  et  je  n'ai  point  appris  de  vous  à  le  connaître. 

«  Vous  dites  que  ((  je  ne  nie  pas  que  chacun  des  moments  de  la  chose 
qui  dure  puisse  être  séparé  de  ses  voisins,  c'est-à-dire  que  la  chose 
elle-même  ne  puisse  cesser  d'être  à  chaque  moment  de  sa  durée  ». 
Comme  vous  êtes  plaisant  de  prendre  pour  concédé  ce  qui  est  contro- 
versé !  Car  certes  je  ne  sais  même  pas  quels  sont  ces  moments  dont, 
selon  vous,  j'admets  l'existence.  J'avoue,  il  est  vrai,  qu'une  chose 
qui  dure  peut  cesser  d'être  à  chaque  moment  ;  mais  il  s'agit  de  ces 
moments  de  la  durée  commune,  qui  ne  diffèrent  aucunement  de  ceux 
où  les  autres  choses  contemporaines  peuvent  aussi  cesser  d'être, 
et  que  leur  enchaînement  indissoluble  rend  inséparables.  Si  vous 
comprenez  autrement,  que  ne  le  déclarez-vous  ?  Qu'mie  chose  puisse 
cesser  d'être  à  ce  moment-ci,  et  au  moment  qui  suit,  et  à  un  autre 
moment,  cela  prouve  qu'elle  a  une  puissance  de  durée  précaire,  mais 
non  pas  qu'elle  a  des  moments  ou  parties  du  temps  qui  puissent 
cesser  à  tel  moment  ou  telles  parties  d'un  autre  temps.  C'est  donc 
une  erreur  vulgaire  et  poétique  d'appeler  le  Temps  le  rongeur  des 
choses  :  Tempus  edax  rerum.  Assurément,  le  temps  ne  détériore  rien  ; 
mais  ce  sont  des  causes  physiques  qui,  si  ce  n'est  dans  un  temps,  du 
moins  dans  un  autre,  détériorent  et  détruisent  les  choses.  » 

C'est  avec  cette  verve,  parfois  caustique  mais  toujours  sans  fiel, 
avec  ce  brillant  entrain  que  Gassendi,  dans  ses  Objections  et  dans  ses 
Instances,  poursuit  Descartes,  de  paragraphe  en  paragraphe  et  de 
réponse  en  réponse,  jusque  dans  ses  derniers  retranchements.  Sans 
doute,  sur  nombre  de  points  Gassendi  se  trompe  lourdement  ;  sans 
doute  encore,  de  tous  ses  livres  la  Disquisitio  metaphysica  est  celui 
où  son  sensuahsme  excessif  est  le  plus  accentué.  Mais,  en  plusieurs 
rencontres,  il  combat  victorieusement  la  doctrine  cartésienne,  et  là, 
où  il  est  d'accord  avec  son  adversaire  pour  le  fond  des  choses,  avec 
quelle  perspicacité  impitoyable  il  découvre  et  met  en  évidence  les 
inexactitudes  et  les  contradictions  de  détail,  les  affirmations  gratuites, 
les  faux  supposés,   les  raisonnements  contestables   qui  déparent  çà 


§  C.  —  POLÉMIQUE  AVEC  DESCARTES  65 

et  là  les  Méditations  et  avaient  échappé  à  des  regards  moins  perçants  ! 
Aussi,  quoi  qu'en  dise  Descartes,  on  devine,  à  son  ton  arrogant  et 
dépité  qu'il  s'est  senti  gravement  atteint  par  les  coups  de  ce  rude 
jouteur  armé  d'une  dialectique  si  pénétrante.  Cette  remarque  nous 
semble  valoir  surtout  pour  les  Instances.  Les  Objections,  en  effet, 
ne  paraissent  pas  avoir  si  profondément  ému  ni  gêné  Descartes. 
Car  c'est  lui-même  qui  prit  l'initiative  de  leur  publication  sans  consulter 
Gassendi.  Tactique  habile,  dira-t-on.  pour  prouver  aux  spectateurs 
de  la  lutte,  par  cette  démarche  provocante,  qu'il  ne  redoutait  aucune- 
ment son  contradicteur.  Peut-être.  Cependant  n'est-il  pas  plus  pro- 
bable qu'isolé  au  fond  de  la  Hollande,  Descartes  se  soit  fait  d'abord 
illusion  sur  la  portée  des  attaques  gassendistes  ?  Les  Instances  lui 
dessillèrent •  sans  doute  les  yeux.  On  ne  s'exphque  guère  autrement 
son  attitude  étrange.  11  fait  courir  le  bruit  qu'il  répondra  en  quelques 
mots  dans  les  Principes.  Les  Principes  paraissent  ;  rien.  Cependant 
tion  aversion  pour  les  gros  livres  ne  l'avait  pas  empêché  de  lire  le 
«gros  hvre  d'Instances  »  ^.  Après  avoir,  pendant  deux  ans,  «  néghgé 
de  répondre  »  -,  cédant  enfin  à  la  pression  de  ses  amis,  il  écrivit  sa 
Lettre  à  Clerselier.  Comment  justifier  cette  négligence  prolongée  ? 
<(  ...  Je  vous  assure,  dit-il,  qu'il  m'est  indifférent  d'être  estimé  ou  mé- 
prisé par  ceux  ([ue  de  semblables  raisons  [celles  de  Gassendi]  auraient 
pu  persuader  »  ^.  Cette  indifférence  sent  l'affectation,  ainsi  que  la  fière 
assurance  qui  lui  fait  cortège  :  «  Mais  je  ne  laisse  pas  d'estre  bien  ayse 
du  recueil  que  vous  [M.  Clerselier]  m'avez  envoyé,  et  je  me  sens 
pbhgé  d'y  répondre,  plutost  pour  reconnaissance  du  travail  de  vos 
amis  que  par  la  nécessité  de  ma  défense  :  car  je  croy  que  ceux  qui  ont 
pris  la  peine  de  le  faire,  doivent  maintenant  juger,  comme  moy.  que 
toutes  les  objections  que  ce  livre  contient  ne  sont  fondées  que  sur  quelques 
mots  mal  entendus  ou  quelques  suppositions  qui  sont  fausses  *...  » 

C'est  vraiment  trop  dire  :  qui  dit  trop,  ne  dit  rien,  ou  plutôt  trahit 
son  embarras  secret.  La  maigreur  de  la  répli([ue  n'est  pas  faite  pour 
atténuer  l'impression  de  malaise,  qui  se  dégage  des  déclarations  pré- 
cédentes comme  aussi  de  l'insolente  conclusion  de  la  Lettre  à  Clerselier, 
que  nous  avons  rapportée  plus  haut. 

Quoi  qu'il  en  puisse  être  des  sentiments  intimes  de  Descartes, 
il  est  certain  du  moins  que  la  critique  de  Gassendi  n'a  pas  été  stérile  : 
<(  Elle  combattit  l'engouement  un  peu  irréfléchi  dont  fut  l'objet  la 
philosophie  cartésienne  ;  elle  amena  les  Cartésiens  et  Descartes  lui- 

1.  Comme  il  l'avoue  lui-même  :  «  ...  J'ay  à  l'avertirQe  lecteur]...  que  j'ay  leu  aussi 
t  '>ut«s  les  nouvelles  instances  du  gros  li\Te  qui  les  contient,  avec  intention  d'en  extraire 
tous  les  points  que  je  jugerois  avoir  besoin  de  réponse,  mais  que  je  n'en  aj*  sceu  remar- 
quer aucun,  auquel  il  ne  me  semble  que  ceux  qui  entendront  un  peu  le  sens  de  mes 
[Mtditations  pouront  aysement  réiDondre  sans  moy  ;  et  pour  ceux  qui  ne  jugent  des 
livres  que  par  la  grosseur  du  voliune  ou  par  le  titre,  mon  ambition  n'est  pas  de  reclier- 
clier  leur  approbation.  -  (Descajitesi.  Avertissement  de  V Auteur  toux^hant  les  cinquièmes 
Objections,  OD,  t.  IX,  l^e  p.,  p.  199,  1.  12  .sq.)  —  Les  Objections,  Réponses  et  Instances 
forment  en  etïet  un  :  gros  livre     in-4''  de  319  pages. 

2-3.  Descartks.  Lettre  à  Clerselier,  OD,  t.  IX,  1"  P.,  p.  203.  1.  10  ;  p.  203.  1.  1  sq. 

4.  Descartes,  Lettre  à  Clerselier,  OD,  t.  IX,  l^e  P.,  p.  203,  1.  12  sq.  C'est  nous  qui 
soulignons. 

5 


0@'  ARTICLE  II.  CHAPITRE  II.  —  GASSENDI  POLÉMISTE 

même  à  modifier  sur  plusieurs  points  importants  lem^  système  ^  ; 
elle  montra  enfin  la  nécessité  d'étudier  de  plus  près  la  nature  humaine 
et  les  dangers  des  constructions  a  priori  »  2. 

Sur  le  fond  du  débat  voici  le  jugement  qu'en  a  porté  Leibniz  : 
«  Pour  ce  qui  est  des  disputes  qui  ont  été  entre  M.  Gassendi  et  M.  des 
(.'artes,  j'ay  trouvé  que  M.  Gassendi'  a  raison  de  rejetter  quelques  pré- 
tendues démonstrations  de  M.  des  Cartes  touchant  Dieu  et  l'Ame  ; 
cependant  dans  le  fond  je  crois  que  les  sentimens  de  M.  des  Cartes 
ont  été  meilleurs,  quoyqu'ils  n'ayent  pas  été  assés  bien  demonstrés. 
Au  heu  que  M.  Gassendi  m'a  paru  trop  chancelant  sur  la  nature  de 
Ifame,  et  en  un  mot  sur  la  Théologie  naturelle  ^.  » 

1.  P. -F.  Thomas,  La  Philosophie  de  Gassendi,  p.  21,  note  2:  «Comparez  le  texte  des 
Méditations  et  du  Discours  de  la  Méthode  avec  celui  des  Principes  et  des  Béponses 
aux.  Objections.  » 

2.  P. -F.  Thomas,  Opère  citato,  p.  21. 

3.  Leibniz  à  Pémond,  juillet  1714,  Œttvree,  Edition  Gerhabdt,  t.  III,  p.  621. 


CHAPITRE    III 

Gassendi    Restaurateur    de    l'Épicurisme. 

I.   —   LES   DEVANCIERS   DE    GASSENDI 

L'Épicurisme,  comme  système  philosophique,  resta  debout,  plus 
ou  moins  ébranlé,  pendant  les  c^uatre  premiers  siècles  de  l'ère  chré- 
tiemie.  De  toutes  les  Ecoles  antiques  c'est  la  seule  qui  ait  professé 
une  incréduUté  radicale,  un  athéisme  formel,  qui  niait  le  mh'acle  et  le 
surnaturel,  partant  toute  rehgion.  C'est  pourquoi  l'Épicurisme,  dès 
l'antiquité,  était  synonyme  d'incréduhté  et  d'irréhgion.  Les  attaques 
des  Pères  de  l'ÉgUse  et  les  progrès  merveilleux  du  Christianisme 
finirent  par  abattre  cette  doctrine  désolante,  qui  donnait  à  l'humanité 
comme  terme  suprême  de  ses  espérances  l'anéantissement  final. 
«  Peu  à  peu  les  jardins  (TEpicure,  où  tant  de  sages  de  toutes  nations 
avaient  tranquillement  erré,  et  qu'avait  entourés  jusqu'alors  la  foule 
ignorante  et  séduite,  se  dépeuplèrent  pour  de  longs  siècles  ;  les  paroles 
du  maître  païen,  que  chaque  disciple  apprenait  par  cœur  et  gardait 
en  son  âme  comme  la  vérité  même,  sorth'ent  de  toutes  les  mémohes, 
efifacées  par  une  plus  puissante  parole,  et  l'humanité,  tournée  vers 
un  avenir  nouveau,  gravit  à  pas  pressés  la  montagne  où  prêchait  «  un 
Dieu  »  et  d'où  il  montrait  de  plus  près  le  ciel  »  ^. 

L'Épicurisme  était  détruit  comme  système  ;  mais  l'esprit,  c'est-à-dii"e 
l'esprit  d'incréduhté  et  d'irréhgion,  ne  devait  pas  périr  avec  lui. 
Au^sî,  très  logiquement,  dès  qu'un  souffle  d'hréhgion  commença 
de  se  répanch'e  en  Europe,  plus  d'un,  parmi  ces  nouveaux  incrédules, 
prhent  le  nom  d'Épicure  pour  signe  de  ralhement.  «  Dès  l'année  1115, 
lés  Épicuriens  étaient  assez  nombreux  à  Florence  pour  y  former  uiie 
faction  redoutée  et  pour  provoquer  des  querelles  sanglantes  »  ^. 
L'ami  de  Dante,  le  poète  Guido  Cavalcanti,  avait  pour  maxime  que 
la  mort  des  hommes  et  des  bêtes  est  identique  :  Unus  est  interitiis 
hùminnm  et  jumentorum.  On  le  regardait  comme'  un  épicurien  et  un 
athée.  Dante  n'a  pas  hésité  à  le  placer  ^  à  côté  de  Farinata,  dans  le 
sixième  cercle  de  son   Enfer  réservé  aux  incrédules,  habitant  des 

1.  M.  GtjYAU,  La  Morale  d'Epicure,  Introduct.,  pp.  11-12,  Paris,  1886^. 

2.  OzAXAM,  Dante  et  la  Philosophie  catholique  au  XIII^  siècle,  Paris,  1859*,  I  P., 
-Ch.  III,  pp.  98-99. 

3.  DAyxE,  La  Divina  Commedia,  Inferno,  Canto  X. 


68         ARTICLE   II.    CHAPITRE    III.   GASSENDI   RESTAURE   l'ÉPICURISME 

sépulcres  de  feu  :  c'est  «  le  quartier  d'Épicure  et  de  tous  ses  disciples^ 
qui  enseignèrent  que  Té  me  meurt  avec  le  corps  »  ^. 

Cependant  ((  l'hypothèse  corpusculaire  »,  en  tant  C{ue  théorie  phi- 
losophique, «  ne  s'est  guère  conservée  au  moyen  âge  que  chez  les  Alchi- 
mistes, auxquels  il  faut  rattacher,  aux  approches  de  la  Renaissance, 
Nicolas  de  Cuse,  Agrippa  de  Nettesheim,  Basile  ^\\lextin, 
Paracelse,  groupés  sous  une  rubrique  spéciale  par  M.  Lasswitz  »  '^. 

Parmi  les  philosophes  et  savants  de  la  Renaissance,  M.  Lassv  itz 
a  présenté  comme  atomistes  Frascator,  Cardano,  Telesio,  van 
Helmont,  Campanella,  Giordano  Bruno  ^.  Mais,  comme  le  remarque 
justement  M.  Mabilleau  :  «  Quoi  qu'en  dise  M.  Lasswitz,  ni  Frascator, 
ni  C'ardano,  ni  Telesio,  ne  sont  vraiment  des  atomistes.  Campanella 
et  van  Helmont  touchent,  il  est  vrai,  à  l'alchimie  par  certains  côtés 
hermétiques  de  leur  système,  et  l'espèce  de  monadologie  imaginée 
par  Giordano  Bruno  rappelle  d'assez  près  la  conception  épicurienne  ; 
mais  aucun  de  ces  philosophes  n'admet  le  principe  du  mécanisme,  qui 
est  la  base  même  de  l'atomistique  »  *. 

C'est  dans  les  rangs  des  médecins  qu'il  faut  chercher  alors  l'applica- 
tion de  la  théorie  corpusculaire  à  l'art  de  guérir.  Il  y  avait  en  effet, 
au  xvi<?  siècle,  deux  écoles  florissantes  de  médecine,  adversaii-es  irré- 
conciliables, que  Jean  Fernel  nous  a  brièvement  décrites.  L'une,  se 
réclamant  de  Démocrite,  embrasse  la  doctrine  atomistique  :  ses 
membres  s'appellent  fièrement  u  les  médecins  méthodiques  ».  Les  autres 
disciples  d'Hippocrate,  soutiennent  la  théorie  des  quatre  éléments  : 
terre,  eau,  air  et  feu  ;  ils  s'intitulent  ((  dogmatiques  ».  De  part  et  d'autre 
égale  étroitesse  à  défendre  leurs  principes  qu'ils  regardent  avec  assu- 
rance comme  aptes  à  expliquer  toute  chose  ^.  Quant  à  Fernel  lui- 
même  ®,  versé  à  la  fois  dans  la  médecine,  les  mathématiques  et  l'as- 
tronomie,   c'est   un   professeur   de   grande   réputation    qui   enseigne 

1.  Siio  cirnitero  da  questa  parte  hanno 
Con  Epicuro  tutti  i  suoi  seg\iaci, 
Che  l'anima  col  corpo  morta  fanno. 

(Dantk,  Inferno,  C.  X,  v.   13-15). 

2.  LÉopoLD  Mabilleau,  Histoire  de  la  Philosophie  atomistique,  L.  IV,  Ch.  I,  §  i,, 
pp.  397-398,  Paris,  1895.  —  Cf.  Kurd  Lasswitz,  Geschichte  der  Atomistil:  vom  Mittel- 
alter  bis  Nevton,  t.  I,  pp.  274-298,  Leipzig,  1890. 

3.  K.  Lasswitz,  Geschichte....  t.  I,  pp.  306-314  ;  340-351  ;  359-401. 

4.  L.  Mabilleau,  Histoire...,  Ibidem,  p.  398. 

5.  Atomos  amplexati  sunt  qui  se  methodicos  medicos  appellarunt  ;  terram,  aquam,. 
aerem  et  ignem  dogmatici.  L'trique  sua  principia  tani  arête  tenent  tamque  accurate 
defendunt,  nihil  ut  gigui  fierive  putent,  quod  non  statim  causis  illis  acceptum  ferant 
(J.  Fernel.  De  abditis  rerum  causis  Libri  di(o  ad  Henricutu  Franciœ  Regem  Christia- 
nisaiimim,  Paris,  1548,  L.  II,  Praefat.,  pp.  115-116). 

6.  Né  à  Montdidier,  dans  le  diocèse  d'Amiens,  en  1497  et  mort  à  Paris  le  26  avril 
1558.  Son  ouvrage  le  plus  célèbre  :  J.  Fernellii  Ambiant  Universa  Medicina  (Paris, 
1554)  fut  amélioré  dans  une  édition  idtérieure  par  le  Docteur  Guillaume  Plancy, 
son  nevtii,  du  Mans,  et  très  souvent  réédité  en  France  et  à  l'étranger.  Fernel  composa 
aussi  des  livres  de  mathématiques  et  d'astronomie  ;  vg.  De  Proportionibus  Libri  duo, 
Paris.  1528.  ■ —  Cosmotheoria,  Paris,  1528.  —  Guillaume  Paradin  a  traduit  en  français 
ea  Methudiis  seu  Ratio  coinpendiaria  cognoscendi  veram  solidamque  Medicinam...  (Paris, 
1550'^)  sous  ce  titre  :  Méthode  ou  briève  Introduction  pour  parvenir  à  la  cognoissance  de 
la  vraye  et  solide  Médecine,  par  Maistbe  Guillaume  Paradin  (Lyon,  1552). 


I.  —  LES  DEVANCIERS  DE  GASSENDI  69 

^  Paris.  Vis-à-vis  des  deux  Écoles  rivales  il  adopte  une  prudente 
attitude,  persuadé  que  les  discussions  sur  les  éléments  ou  causes 
premières  des  choses  ne  peuvent  aboutir-  qu'à  des  conclusions  douteuses. 
Donc,  en  pareille  matière,  rien  de  ferme  et  de  certain  ^. 

Lorsqu'il  consent  à  se  prononcer.  Fernel  se  range  avec  modération 
du  côté  des  <^  dogmatiques  ».  Il  distingue  dans  les  corps  leurs  principes 
et  leurs  éléments.  Les  principes  sont  la  matière  et  la  forme  péripatéti- 
ciennes. Les  éléments,  dont  les  conversions  et  changements  donnent 
naissaix-e  et  accroissement  à  tous  les  corps,  sont  la  terre,  l'eau,  l'air 
et  le  feu  ^.  Il  bannit  rh3-pothèse  des  atomes  immuables,  voltigeant 
dans  le  vide,  dont  le  concours  turbulent  lui  semble  incapable  de  former 
ce  monde  .si  bien  ordonné,  avec  les  choses  d'une  grandeur  immense 
ou  d'un  nombre  et  d'une  variété  infinie  qui  le  remplissent.  Mais,  s'il 
prend  parti  pour  la  doctrine  des  éléments,  il  tient  à  faire  remarquer 
que  c'est  une  opinion  simplement  probable  et  que  ses  partisans,  qui 
voient  dans  les  éléments  les  causes  nécessau'es  et  universelles  de  toutes 
choses,  sont  victimes  d'une  hallucination  ^. 

La  raison  principale  qui  l'éloigné  de  l'atomisme,  c'est  qu'il  ne  com- 
prend pas  comment  «  des  atomes  immuables  »  peuvent  rendre  compte 
H»  des  conversions  et  changements  "  qu'on  remarque  dans  les  corps. 

Parmi  les  partisans  de  la  théorie  corpusculaire,  entendue  dans  le 
^ens  d'éléments  simples,  on  peut  citer  le  Franciscain  François  Titel- 
:\IANS  (j  vers  1553)  *  et  Leonhard  Fuchs  '^,  qui  professa  aux  univer- 
sités d'Ingolstadt  et  de  Tubingue. 

1.  Quœ  quuin  ita  sint,  velim  unusquisqiie  ex  bono  et  cequo  ponderet  ac  judicet,  quam 
parum  firma  et  quantum  in  ojjinione  dubia  sint  quœcumque  de  primis  reruin  caiisis 
disputari  soient,  utque  de  his  nihil  certum,  nihil  cognitum  comprehensunique  animo 
haberi  possit.  (De  abditis....  Ibidem,  p.  116). 

2.  ...  Forma  et  ea  materies  quam  informem  nudanique  intelligimus...  Pi-incipia  enim 
sunt  quœ  singula  separatim  minime  subsistunt,  concursione  implexuque  suc  corpus 
eîïiciunt.  Compositis  corporibus  tum  principia,  tum  elementa  insunt...  Elementa  igitur 
ex  quorum  concursione  omnia  gignuntur  atque  concrescunt,  si  conversionibus  muta- 

tionibusque    sese   plurimum   exagitait Sunt  autem  ea  terra,    aqua,  aër  et  ignia 

(  J.  Fernel.  Universa  Medicina  :  Physiologiœ  Libri  scptcm,  L.  II,  C.  III  et  IV,  3^  Edit. 
Francfort,  1574,  p.  103  et  105). 

3.  His  argiuiientis  tanquam  fustibus  vis  illa  et  turbulenta  concursio  atonaorum  im- 
mutabilium,  per  inane  volitantium  in  exilium  relegata  et  de  natura  mundoque  depulsa 
videri  possit  (Ferxel,  Universa  Medica  :  Physiologiœ...,  L.  II.  C.  IV,  p.  104).  —  Qu£e 
equidem  hue  non  idcirco  afïero,  ut  quasi  armis  contendam  quatuor  elementonnn  mundi 
vires  nullas  esse,  sed  ut  clarum  perspicuumciue  fiât  eos,  qui  rerum  omniiun  efficientes 
causas  ab  his  elementis  necessario  petuut,  quce  duntaxat  probabili  ratione  stabilita 
ëunt,  plurimum  disputationibus  suis  hallucinari  muhorumque  eventorum  causas  alio 
pertinere  (Fernel,  De  Abditis...,  L.  II,  Pra?fat.,  p.  116). 

4.  TiTELMANS,  Çoynpendiwn  Natumlis  Pkilosopkiœ.  Libri  duodecim  de  Considéra- 
tione  rerum  naturalium  earumque  ad  suum  Crcatorem  Rcdiictione,  Paris,  1542^,  C.  X-XV, 
pp.  63  verso-68  recto.  Réédité  :  Lyon,  1545  ;  1551  :  1574  ;  1596.  —  L'auteui'  en  publia 
un  résumé  sous  ce  titre  :  Compendium  Physicœ  ad  Libros  Aristo.  de  Naturali  Philosophia 
utilissimum.  Cui  Libellus  accessit  de  Mineralibus,  Plantis  et  Animalibus  ad  absohitiorem 
rerum  tiaturalium  Scientiam  et  l'abula  uniixrsœ  Philosophiœ  Partitiancm  continens, 
Paris,  1545  ;  1552. 

François  Titelmans,  originaire  d'Hasselt  (Limbo  irg),  enseigna  l'Ecriture  Sainte  à 
Louvain. 

5.  L.  Fuchs,  né  (1501)  à  Wendigen,  en  Sotiabe,  et  mort  à  Tubingue  (1551).  —  Cf. 
Jnstitutionuj)i  Medirincr  ad  Hippo(rati.t,  O'alcni  aliorurnquc  veteium  stripla  reJe   intel- 


70        ARTICLE  n.  aEUJPITRE  III.  —  GASSENDI  RESTAURE  l'ÉPICUBISME 

Cependant  le  système  atomistique  ne  reprit  vraiment  figm'e  que 
dans  la  première  moitié  du  xvn^  siècle  (sans  parler  ici  de  Bacoî? 
qui,  de  tous  les  philosophes  anciens,  préfère  Démocrite  et  fait  une  part 
à  l'atomisme)  ^,  avec  Daniel  Sennert  (1618),  David  van  Goorle 
(1620),  SÉBASTIEN  Basson  (1621),  Etienne  de  Clave  (1624),  Claude 
BÉRiGARD  (1641),  Jean-Chrysostomë  Magnen  (1646)  et  surtout 
Pierre  Gassendi  (1647  et  1649)  '^  qui  écHpse  tous  ses  contemporains. 
La  plupart  de  ces  auteurs  se  trouvent  aussi  engagés  dans  la  lutte 
ardente  et  parfois  injuste  diiigée  contre  le  Péripatétisme.-Ce  sont 
d'aillem's  des  représentants  plus  ou  moins  fidèles  dePAtomisme  antique. 
On  remarquera  aussi  que  le  plus  grand  nombre  d'entre  eux  appar- 
tiennent à  la  France,  ce  qui  n'empêcha  point  Bérigard  et  Magnen 
d'enseigner  en  Italie. 

Daniel  Sennert  ^,  qui  professa  la  médecine  à  l'université  de  Wit- 
tenberg,  voulut,  tout  en  s'insph-ant  des  Hermétistes  de  la  Renais- 
sance, remonter  jusqu'à  la  source  de  l'atomisme.  Dans  ses  Remarques 
physiques  *,  il  consacre  un  chapitre  entier  aux  atomes  ;  mais  il  a  mal 
compris  Démocrite,  confondant  ses  atomes  avec  les  corpuscules  admis 
par  les  anciens  physiciens  grecs  ^. 

En  Hollande,  ce  fut  David  van  Goorle,  d'Utrecht,  qui  se  fit  le 
champion  de, la  théorie  atomistique.  Mais  les  Exercitationes  jyhiloso- 
phicœ  (1620),  où  il  en  parle,  ne  parurent  qu'après  sa  mort  ^.  Dans  le 
titre  même  il  affiche  la  prétention  de  «  démohr  les  principaux  dogmes 
péripatéticiens  ». 

L'année  suivante  (1621),  Sébastien  Basson,  Docteur  en  médecine, 
parti  de  son  côté  en  guerre  contre  Aristote,  se  flatte  aussi  de  restaurer 
la  théorie  des  atomes  sur  les  ruines  du  système  péripatéticien  '. 
On  ne  sait,  sur  son  compte  personnel,  que  ce  qu'il  nous  a  appris 

ligenda,  mire  utiles  Llhrl  quinque,  Bîla,  s.  d.  Mjis  l'E^^^ître  Diiicatoi.-é  est  datée  de 
Tubingue,  1565.  Par  élimants  corpasculiirei  Fuchi  eateni  des  élémeats  simples, 
et  non  des  atomes  comme  le  veut  Epicure.  Cf.  Ibidem,  L.  I,  Sect.  II,  C.  II, 
pp.  56-58. 

1.  Cf.  tomel,  p.  309-310. 

2.  Les  dates,  qui  suivent  les  noms  propres,  indiquent  l'apparition  des  ouvrages 
relatifs  à  la  tliéorie  corpusculaire. 

3.  Daniel  Sennert,  né  à  Breslau  en  1572  et  mort  à  Wifctenberg  en  1637. 

4.  Hyj>omnemata  Physica,  Hypomnema,  III,  C.  I,  pp.  86-117,  Wittenberg,  1618.  — 
Dans  un  autre  ouvrage  il  cherche  un  terrain  d'entente  entre  les  chimistes,  les  partisans 
d'Aristote  et  ceux  de  Galien  :  De  Ghymicorum  cum  Aristotelicis  et  Qalenicis  Coîiaensu 
et  Disaensu  Liber  I,  Gontroversias  pliirimas  tam  Philoaophis  quam  Medicis  cognitu 
utiles  œntinens,  Wittenberg,  1619  ;  1629',  Francfort,  1636  ;  Erfurt,  1655.  Cf.  Bruoekr, 
Hiatoria...,  t.  IV,  Part.  I,  pp.  758-760. 

5.  Cf.  Bruoker,  Historia...,  t.  IV,  Part.  I,  pp.  503-504.  —  K.  Lassvvitz,  Oeschichte 
der  Atomistik,  t.  I,  pp.  436-454.  Cf.  D.  Sexnert,  Epitome  NaturaUs  Scientiœ,  L.  II, 
C.  III,  pp.  218-236  ;  L.  III,  C.  I  et  II,  pp.  179-266,  Wittenberg,  1518. 

6.  Davidis  GrORLAEi  Ultrajectini  Exercîtotiorkes  Philosophicœ  quibua  univeraa 
fere  discutitur  Philosophia  theoretica  et  plurima  ac  prcecipiia  Peripateticorum  dogniata 
evertuntur.  Post  mortem  auctoris  editœ  cùm  gemino  Indice,  s.  1.,  1620,  Exercitatio  XIII, 
pp.  235-249.  Cf.  Idea  Phyaicœ,  Utreoht,  1651.  —  Cf.  Lasswitz,  Geschichte  der  Atomigtik, 
t.  I,  pp.  455-463. 

7.  Philosophiœ  naturalis  adveraus  Aristotelem  Libri  XII...,  Genève,  1621  ;  Amster-^ 
dam,  1649  2.  —  Cf.  Lasswitz,  QeacMchte...,  1. 1,  p.  467-481. 


I.    —  LES    DEV4i&îCIBRS   DE   GASSENDI  71 

lui-même  en  passant  :  «  Lorsque  notre  remarquable  professeur  de 
Philosophie,  à  l'université  de  Pont-à-Mousson,  Pieere  Sixson, 
rapportait  d'après  Aristote  l'opinion  d'Anaxagore,  je  me  souviens 
qu'il  se  moqua  de  la  bonne  foi  aristotélicienne  en  disant  :  «  Je  pense 
qu'Aiistote  a  dépouillé  de  leurs  armés  les  anciens  philosophes  pour 
combattre  plus  facilement  des  adversakes  désarmés  »  ^.  Cet  âpre  adver- 
saire d'x4ristote  ne  manque  pas  d'aiUeurs,  comme  fera  Gassendi, 
de  corriger  Tatomisme  antique  en  y  surajoutant  l'action  créatrice 
de  Dieu  ^.  Il  admet  pareillement  la  nécessité  «  du  vide  ou  du  moins 
d'une  substance  corporelle  tiès  ténue,  qui  sépare  les  unes  des  autres 
les  parties  de  rah,  du  feu,  de  l'eau,  etc.  »  ^. 

Parmi  les  quatorze  thèses  que  Jean  Bitaud,  élève  d'ÉTiENNE  de 
Clave,  «  le  médecin  chymiste  »,  se  proposait  de  soutenu*,  en  séance 
publique  à  Paris,  avec  l'assistance  de  son  maître,  les  2i  et  25  août  1624*, 
la  dernière  se  rapporte  à  la  théorie  corpusculahe.  EUe  est  ainsi  for- 
mulée :  «  Tout  est  en  tout,  et  tout  est  composé  d'atomes  ou  éléments 
indivisibles.  Ces  deux  affirmations  étant  conformes  rationnellement 
à  la  vraie  Philosophie  et  à  l'anatomie  des  corps,  nous  les  défendoixs 
mwdicus  et  les  soutenons  intrépidement  »  ^. 

De  Paris,  transportons-nous  à  Pise  pour  assister  «  au  Cercle  »  dirigé 
par  Claude  Gtjillermet,  seigneur  de  Béeigard  ou  Beauregard.  Il 
naquit  à  Mouhn  en  1578  au  dire  de  Niceron  ^,  mais  plus  probablement 
en  1591  selon  d'autres.  Après  avon  étudié  la  philosophie  et  la  méde- 
eine  à  Aix,  sans  néghger  les  belles-lettres,  la  langue  gi*ecque  et  les 
mathématiques,  i]  fut  reçu  en  1601  docteur  en  philosophie  et  en  méde- 

1.  Memini,  cum  Anaxagorse  sentent iam  ex  Aristotele  referret  doctissimus  prseceptor 
nostér,  Petms  Sinsonius.  in  Aoademia  Mussipontana,  philosophise  professer  egregiiis, 
ridendo  Aristotelicam  fidem  :  Puto,  inquit,  Aristotelem  hos  veteres  auis  armis  spoliasse, 
ut  inermes  facUiiis  debellaret  (S.  Basson,  PhUosophiœ  naturalis...,  L.  I,  Intent.  I,  Art.  v, 
p.  13,  Edit.  de  1621). 

2.  Cum  agimiis  de  atoniis  censemus  eas  a  Dec  creatas,  quod  fuit  prsemonendum 
(S.  Basson,  Opère  citato,  Ibidem,  Art.  ^^,  p.  14).  —  Descartes  cite  Basson  dans  une 
énumération  singulièrement  dédaigneruee  pour  les  Novateurs  :  Unum  dicit  Plato,  aliud 
Aristoteles,  aliud  Epicurus,  Telesius,  Campanella,  Brunus,  Basse,  Vaninus,  Novatores 
omnes,  quisque  aliud  dicunt...  (Descartes  à  Isaac  Beeckman,  Amsterdam,  17  octobre 
1630.  Edit.  Adam,  t.  I,  p.  158,  1.  19). 

3.  Ergo  \acuum  est  necessariinn,  aut  eane  aliqua  alia  substantia  intercedit,  qua 
ingrediente  fiât  ut  partes  vel  aëris  vel  ignis  vel  aquse  vel  cujusve  rei  alite  ab  aliis  drdti- 
cantur.  Haec  paucis.  Dantur  particulae  quse  non  extenduntur  i-arefactione  :  ex  his 
particulis  solis  fîunt  majores,  quas  proinde  minoribus  non  dilatât isimpossibile  est  ores- 
cere,  nisi  nova  accédât  substantia,  veldeturvacuum.  Habemusigiturilhidluculentissime 
demonstratum  atque  evictum,  nisi  concedamus  vaour.m  int«r  partes  a  quo  natura 
abhorret,  admittendam  esse  substantiam  aliquani  corpoream  tenuissimam  quideiii, 
quae  in  aëris,  v.  g.  rarefactione,  in  partes  aëris  sese  insinuans  alias  ab  aliis  diducat,  ut 
plus  loci  occupent,  tali  substantia  spatinm  quod  reHnquunt  adimplente,  quod  alioquin 
vacuum  reraaneret.  (S.  Basson,  Phnlosophiœ  naturalis...  Libr.  de  Natura  et  Anima 
Mundi,  Intent.  Il  et  III,  pp.  332-333). 

4.  Cf.  supra.  Chapitre  II,  p,  33-34. 

5.  ...  Omjoia  scilicet  e^se  in  omnibus,  et  orania  componi ex atomis  seuindivisibili bus. 
Quod  utmmque,  quia  rationi,  verse  Philosophise  et  corporum  anatomiœ  conforme  «st , 
mordicus  defendimus  et  intrepidi  sustinemus  (Prop€«.  XIV.  Of.  Launoty,  De  varia 
Ariétotelis..,,  C.  XVU,  p.  210). 

6.  NiCEKON,  Mémoires,  t.  XXXI,  p.  123. 


72         ARTICLE  II.  CHAPITRE  III.  —  GASSENDI  RESTAURE  l'ÉPICURISME 

cine.  Ce  qui  l'attirait  dès  lors  et  dans  la  suite  de  sa  carrière,  comme 
l'attestent  ses  écrits,  c'est  la  recherche  des  causes  physiques  à  la  lumière 
de  l'expérience.  Puis,  on  le  trouve  à  Avignon,  à  Lyon,  à  Paris.  Sa 
réputation  scientifique  allait  croissant  et  se  répandit  au  dehors.  Le 
grand-duc  de  Toscane,  de  préférence  à  plusieurs  autres  qui  faisaient 
alors  l'ornement  de  l'université  de  Paris,  lui  proposa  la  chaire  de  phi- 
losophie devenue  vacante  à  l'Académie  pisané,  avec  l'enseignement 
des  mathématiques  et  de  la  botanique.  C'étaient  les  sciences  de  pré- 
dilection de  Bérigard.  Aussi  s'empressa- t-il  de  répondre  à  une  invita- 
tion aussi  honorable.  Le  nouveau  titulaire,  ayant  dit  adieu  à  Paris  ^ 
et  à  la  France,  arriva  en  1628  à  Pise.  L'Italie  allait  devenir  sa  patrie 
d'adoption.  Il  enseigna  pendant  douze  ans  avec  éclat  à  l'université 
pisane,  entouré  de  l'estime  des  plus  grands  personnages,  comme  en 
témoignent  les  dédicaces  de  ses  ouvrages.  En  1640,  le  sénat  de  Venise 
lui  offrit  une  chaire,  copieusement  rentée,  à  la  célèbre  université  de 
Padoue.  Bérigard  ne  résista  point  à  cette  tentation  doublement 
séduisante.  Le  succès  de  ses  cours  fut  si  brillant  que  le  Sénat  vénitien 
fit  tout  pour  retenir  l'illustre  professeur.  Ayant  appris  qu'il  songeait 
à  retourner  en  France  (1646),  les  sénateurs  portèrent  son  traitement 
à  mille  florins.  En  1653,  la  place  si  enviée  de  «  premier  professeur  » 
( primariv.s  pfof essor ),  laissée  vide  par  la  mort  de  Fortunio  Liceti  ^, 
lui  fut  attribuée.  Tant  de  hens  le  rattachèrent  définitivement  à  l'Italie  : 
il  mourut  à  Padoue  vers  1668,  après  y  avoir  enseigné  la  philoso- 
phie pendant  24  ans  ^.  Son  tombeau  se  trouve  dans  l'éghse  Sainte- 
Sophie. 

Dans  son  premier  ouvrage  ou  plutôt  opuscule,  Bérigard  élève  des 
doutes  et  objections  contre  le  système  de  Galilée  :  Duhitationes  in 
Dialogum  Galilœi  Galilœi  Lyncei.  Auctore  Claudio  Berigardo  * 
(Florence,  1632).  Mais  son  œuvre  principale  est  un  savant  Commentaire 
de  différents  traités  d'Aristote.  On  y  trouve  l'écho  de  ces  disputes 
ardentes,  dont  le  «  Cercle  pisan  »  était  le  théâtre.  Les  professeurs, 
divisés  en  couples  de  gladiateurs,  descendaient  dans  l'arène  philoso- 
phique, non  pas,  comme  ailleurs,  pour  être  spectateurs  des  joutes 
de  leurs  élèves,  mais  pom*  se  livrer  eux-mêmes  à  des  discussions  achar- 

1.  Békigard,  Circulvs  Pisanus  de  vcteri  et  peripatetica  Philosophia  :  II  Part.  In 
ociavum  Librum  Physicorutn,  ProDemio,  p.  65,  Padoue,  1660. 

2.  Cf.  Brucker.  Historia  critica,  t.  IV,  Part.  I,  p.  464.  ]Mais,  d'après  Comne^;us  (Gym- 
nasiiitn  Patavinum,  t.  I,  L.  III,  Sect.  II,  C.  xxxii,  Venise,  1726)  le  professeur  primarius 
que  remplaça  Bérigard  s'appelait  Jean  Cottunius. 

3.  On  donne  généralement  1G63  comme  la  date  de  la  mort  de  Bérigard.  C'est  cer- 
tainement faux,  car,  d'après  son  propre  témoignage,  il  enseigna  24  ans  à  Padoue,  où 
il  arriva  en  1640.  Or  1640  +  24  =  1664.  Post  exactes  quinquaginta  annos,  nemjDS 
viginti  quatuor  Patavi,  duodeeim  Pisis,  reliques  in  patria,  quibus  Philosophise  operam 
dedi  fructusque  inde  reportâtes,  licet  parum  uberes,  publicse  utilitati  consecravi 
(BÉRIGARD,  C'ircidus  Pisanus,  I  P.  :  Proamio,  p  .7).  D'après  une  lettre  de  Welschius 
(Cf.  BRrrKER,  Op.  cit.,  p.  463,  note  /;,  et  pp.  464-465),  Bérigard  vivait  encore  en  1667. 

4.  Brucker  écrit  donc  à  tort  :  Edidit  [Berig ardus]  anno  1632  fîcto  Galilœi  Lyncei 
nomine  Dubitationes...  (Historia  critica,  t.  IV,  Part.  I,  p.  466).  Cette  erreur  a  été  repro- 
duite, après  lui  et  d'après  lui  sans  doute,  par  Ad.  Franck  dans  son  Dictionnaire  des 
sciences  philosophiques  :  (  Dubitationes...,  publié  sous  le  pseudonjane  de  Galilseus 
Lyncsus.  » 


I.    —   LES    DEVANCIERS    DE    GASSENDI  13 

nées  \  De  là  le  titre  de  «  Cercle  pisan  »  donné  à  son  livre.  11  hésita  long- 
temps à  le  publier,  à  cause  des  attaques  contre  Aristote  qui  le  rem- 
plissent. Ce  fut  seulement  sur  les  instances  de  ses  anciens  collègues 
de  Pise,  qu'étant  déjà  professeur  à  Padoue,  il  se  décida  enfin  à  le  faire 
paraître.  Sous  ce  titre  général  :  Circulus  Pisanus  de  veteri  et  peripa- 
tetica  Philosophia,  sont  classés  six  C^omraentaires  particuliers,  qui 
furent  imprimés  entre  1643  et  1647.  Nous  renverrons  à  la  seconde 
édition  ^,  que  l'auteur  nous  donne  comme  auctior  et  retractatior,  parue 
à  Padoue  (1660-1661). 

Bérigard  a  adopté,  à  l'instar  de  Platon,  la  forme  du  dialogue,  parce 
qu'elle  lui  semblait  «  plus  sûre  ».  On  peut  en  effet,  grâce  à  elle,  exposer 
le  pour  et  le  contre,  en  laissant  au  lecteur  le  soin  de  décider  ce  qui  est 
conforme  à  la  vérité  ^.  Procédé  habile  qui,  dans  un  temps  où  Aristote 
était  encore  presque  intangible,  lui  permettait  de  le  réfuter  sans  avoir 
l'ail*  de  le  combattre  directement.  Les  deux  interlocuteurs  qu'il  met 
en  scène  s'appellent  Charilaus  et  Arist.^us.  Le  choix  de  ces  noms 
fictifs  est  déjà  significatif  :  à  Charilaus  (yac'.;),  c'est-à-dire  à  celui 
qui  cherche  à  capter  les  bonnes  grâces  des  vulgâii'es  philosophes,  est 
dévolue  la  tâche  de  soutenir  la  cause  péripatéticienne  ;  à  Aristaeus 
est  réservé  le  meilleur  (àp'.iToç)  rôle,  ceiui  de  défendre  l'opinion 
des  anciens  physiciens,  qui  ont  précédé  l'époque  socratique.  Aristœus 
est  au  fond  le  porte-parole  de  Bérigard. 

Dans  la  suite  de  ses  Commentaires.  Bérigard  ne  cessa  d'opposer 
les  unes  aux  autres  les  opinions  de  ces  deux  Écoles,  notamment  en  ce 
qui  concerne  les  principes  premiers  des  choses.  Or  il  est  clair  qu'il 
n'hésite  pas  entre  «  la  matière  première  d'Aristote  »  et  «  les  corpuscules 
ténus  »  que  propose  l'École  ionienne.  ^lais  on  doit  noter  deux  choses. 
D'abord,  notre  philosophe  complète  Anaximandre  et  Anaxagore, 
grands  maîtres  de  la  philosophie  ionienne,  par  des  vues  empruntées 


1.  Quoniam  autem  pugnœ  cujusdam  hic  speciem  mduxi,  necesse  visuir.  est  ultro 
citroque  dimicantes  introducere...  Nec  vero  aliud  patiebatur  inscriptio  Ciiculi  Pisani, 
in  quo  doctores  collegse,  veluti  totidem  paria  nobiliuin  gladiatorum  descendunt  in 
arenam  philosophicam,  non  ut  alibi  conflictum  discipulofum  spectaturi,  st-d  ipsi  inter 
6e  alternis  invehendo  propugnandoque  acerrime  disceptant  de  rébus  suis...  (Circulus 
Pisanus  :  II  Part.  :  I?i  octavum  Librum  Physicorum,  Prooeniio.  p.  66).  —  Ce  nom  de 
«  Cercle  »  est  encore  usité,  dans  les  Universités  et  Séminaires  qui  enseignent  la  Philo- 
sophie scolastique,  pour  désigner  les  réunions  où  les  élèves  argumentent  en  forme  les 
uns  contre  les  autres  sous  la  direction  de  leurs  Professeurs. 

2.  Circulas  Pisanus  Claudii  Berigardi  Molixensis,  olim  in  Pisano,  jam  in  Lyceo 
Patavino  Philosophi  prim.  De  veteri  et  peripatetica  Philosophia  :  I  Part.  :  In  priores 
Libros  Physicorum.  —  P.  II  :  In  octavum  Librum  Phyaicorum.  —  P.  III  :  In  Libroa 
de  Cœlo.  —  P.  IV  :  In  Libros  de  Ortu  et  Interitu.  —  P.  V  :  in  Libros  Meteorologicos.  — 
P.  VI  :  In  Libros  de  Anima.  —  Opus  in  hac  secunda  editione  aiictius  et  retractatius, 
Padoue,  1660-1661. 

3.  Quoniam...  duodecim  illis  annis,  quibus  in  acenimis  illius  Circuli  Pisaui  discep- 
tationibus  mentem  exercui,  alium  non  vidi  modum  breviorem,"  faciliorem  ac  tutioreni 
manifestandae  veritatis  quam  qui  eo  génère  disputationis  conficitur...  Denique  tutio- 
rem,  quia  more  Platonico,  dum  in  utramque  partem  disputât ur,  non  caditur  in  offen- 
sionem  eorum,  quibus  integrum  relinquitur  ut  ipsi  statuant  et  amplectantiir  quod 
consentaneum  est  veritati.  {Bérigard,*  Circulus  Pi,sanuf;  I  Part.,  Pro*:nio  [uon 
paginé],  pp.  1-2). 


74        ARTICLE  II.  CHAPITRE  III.  —  GAS&ENDI  RESTAURE  l'ÉPICURISME 

à  Démocrite.  Ensuite,  rejetant  leurs  erreurs,  il  enseigne  que  ces  cor- 
puscules ne  sont  point  éternels,  mai?  créés  par  Dieu  ^. 

En  réalité,  Bérigard  regardait  Aristote  corame  un  impie,  parce  que 
ce  philosophe  trop  vanté  soutient  ces  thèses  erronées  :  le  monde  et 
sa  matière  première  sont  éternels  ;  le  premier  moteur  de  la  sphère 
suprême  n'est  pas  hbre,  il  ne  connaît  que  lui- même. et  ne  produit  que 
le  mouvement  éternel  ;  partant  il  ne  connaît  ni  le  monde  ni  quoi  que 
ce  soit  et  est  incapable  de  rien  créer  ex  nihilo  ;  Aristote  semble  bien 
admettre  qu'un  intellect  agent  unique  est  commun  à  toute  l'espèce 
humaine,  ce  qui  est  la  source  d'innombrables  erreurs  ^. 

La  conclusion  qui  se  dégage  n'a  rien  de  ferme.  Les  deux  systèmes 
présentent  de  graves  difficultés  et  de  grandes  erreurs  ^  ;  cependant 
le  système  ionien  lui  paraît  préférable.  Dans  l'investigation  des  choses 
naturelles  on  ne  peut  abouth  qu'à  un  doute  prudent  ;  il  faut  donc  savoir 
se  contenter    d'une    hypothèse  possible,  d'une  simple  probabilité  *. 

On  a  prétendu  que  le  scepticisme  de  Bérigard  s'étendait  aux  ques- 
tions religieuses  :  «  Il  ne  nous  accorde  pas  même  la  faculté  de  savoir 
par  nous-mêmes  s'il,  y  a  un  Dieu,  encore  moins  de  démontrer  son 
existence "*...  »  Il  y  a  là  une  erreur  formelle,  qui  a  sa  source  dans  la 
lecture  incomplète  d'un  psîssage  de  Bérigard.  L'un  des  interlocuteurs 
du  dialogue,  Aeist^us,  expose  et  soutient  cette  opinion  de  Zabarella 
(1532-1589),  une  glohe  de  l'université  de  Padoue  :  «  Si  l'on  rejette, 
comme  la  foi  chrétienne  nous  y  oblige,  le  mouvement  éternel  qu'admet 
Aristote,  il  ne  reste  plus  aucune  raison,  d'ordre  naturel,  capable  de 
prouver  l'existence  d'un  premier  moteur.  D'où  nécessité  de  recourir 
à  la  révélation  ».  Fort  bien  ;  mais  il  fallait  poursuivre  la  lecture. 
L'autre  interlocuteur,  qui  est  l'interprète  de  Bérigard  ^,  Charilaus, 
repousse  l'opinion  de  Zabarella  :  «  Peut-être  que  les  arguments 
rationnels,  apportés  plus  haut  ",  pour  démontrer  l'existence  de  Dieu 

1.  Quare  superest  ut,  eorum  [tum  Aristotelis,  tum  Veterum]  erroribus  amputatis, 
videant  Philosophi,  an  prinoipja  rerimi  naturalium  possint  esse  Corpusctda  tenuia  a 
Deo  creata,  quorum  sola  congre gatione  et  secretione  omnium  ortus  et  obitus,  ut  plerique 
ex  Sanctis  Patribus  eensuerunt,  perficiatiu-,  et  an  iUe  corporum  consensus  atque  dis- 
sensus,  niiiil  repugnans  Doctrinse  Sacrae,  prastabilior  sit  quavi  Materia  'prima  AriS' 
totelis.  (BÉBIGAK.D,  C'ircul.  Pisanus  :  I  Part.  :  Procem.  [non  paginé],  p.  4). 

2.  BÉRIGARD,  Circuhis  Pisanus  :  I  P.,  Prooeon.,  p.  3-4. 

3.  Hi  [Veteres]  perinde  atque  ille  [Aristoteles]  simt  reprehendendi,  quod  substantiaa 
simplices  corporeas  geternas  esse  docuerunt,  qxiantumvis  mentem  unam  aut  plures 
posuerint  univeisi  gubernatricem  (Circulus  Pisanus,  I  Part.  :  Prooemio,  p.  4). 

4.  Nam  ut  demus  liaud  aliud  haberi  ex  earuni  rerum  [id  est  naturalium]  ind?  gatione 
quam  dubitationem  :  est  tamen  viri  sapientis  prudenter  de  iis  dubitare,  ad  quorum 
intuitum  natura  erexit  hominem,  atque,  ut  ait  Aristoteles,  satis  est  ad  hypothesim 
possibilem  ca  reducere  et  rationis  aliquod  simulôcrum  adoriiare.  (Circulus  Pisanus  : 
V  Part.  :  In  Libres  Metereologicos,  Proœmio,  p.  541). 

5.  Ad.  Franck,  Dictionnaire  des  Sciences  philosophiques.  Art.  Bérigard.  —  Bayle, 
Dictionnaire  historique  et  critique,  art.  RuriN,  note  C  à  la  fin,  avait  déjà  attribué  à 
BÉRIGARD  l'opinion  de  Zabarella. 

6.  BÉRIGARD  l'a  déclaré  expressément  pour  la  question  présent©  :  ...  Bli  [Zabarella] 
oppono  Charilaum,  qui  contendit  Deum  verum  cognosci  posse  naturaKter...  (G'irculua 
Pisanus,  I  Part.,  Proœm.,  p.  6). 

7.  Cf.  Circulus  Pisanus,  I  Part.,  Inocta/vutn  Libr.  Physicorwm,  Œrc,  XVIII  :  AnDeu9 
verus  sola  fide  an  etiam  ratione  naturali  cognoacatur,  pp.  171-176.  —  Cf.  Cire.  II  :  De 
mediis  ad  primum  motorem  demonstrandum,  pp.  70-72. 


I.   -^  LES    DEVANCIEES    DE   GASSENDI  75 

ne  suffisent  pas  à  convaincre  un  païen,  si  on  les  prend  isolément  ; 
mais,  pris  ensemble,  ils  peuvent  conduire  une  intelligence  droite  à  la 
connaissance  de  Dieu  »  ^. 

Bérigard  a  eu  beau  déclarer  expressément  qu'il  faisait  sienne  cette 
réponse  deCharilaus  ;  il  a  eu  beau  reprocher  sévèrement  à  Aristote 
son  impiété  el  formuler  cette  profession  de  foi  :  «  Je  professe  clairement 
et  ingénument  que  je  ne  suis  attaché  à  aucune  doctrine  si  ce  n'est 
à  la  vérité  chrétienne  »  ^,  Samuel  Parker  et  d'autres  après  lui  ont 
cru  devoir  le  dénoncer  comme  un  adversaire  déguisé  de  la  Divinité  ^. 
Mais,  vraiment,  cette  accusation  d'athéisme  ne  semble  pas  fondée  ^. 

Quelques  années  après  la  pubUcation  de  la  première  partie  du 
Circuhis  Pisanus  (Udine,  1643),  un  autre  médecin-philosophe  s'effor- 
çait, dans  une  autre  université  italienne,  de  ressusciter  la  philosophie 
de  Démocrite.  C'était  un  Bourguignon  d'origine,  né  vers  le  début 
du  x\^I6  siècle  à  Luxeuil,  en  Franche-Comté,  Jean-Chrysostome 
Magnen.  iVprès  avok"  exercé  à  Paris  Fart  médical,  il  passa  en  Italie, 
où  on  le  chargea  d'enseigner  la  philosophie  et  la  médecine  à  l'univer- 
sité de  Pavie.  Ses  opuscules  De  Mauna  et  Exercitationes  de  Tahaco 
furent  publiés  en  1648  à  Pavie  ^.  Mais  ce  qui  attna  sm'  lui  l'attention, 
ce  fut  son  essai  de  restauration  de  l'atomisme,  qui  parut  sous  ce  titre  : 
Democritus  reviviscens  sive  de  Atomis,  Addita  est  Democriti  Vita  (Pavie, 
1646)  6.  L'édition  de  Leyde  (1648)  est  intitulée  :  Democritus  reviviscens 
sive  Vita  et  Philosojjhia  Democriti. 

Cet  ouvrage  était  le  fruit  de  son  enseignement  exotérique.  Car, 
dans  le  cours  qu'il  faisait  aux  élèves  de  l'université,  Magnen  professait 
la  doctrine  d' Aristote,  parce  que,  dit-il,  «  nous  n'avons  pas  de  meilleur 

1.  Aristjeus  :  «  Unde  pîiilosophus  noster  ethniciis  tôt  difficultatibus  oppressus,  nisi 
afflatu  divino  animetur,  ad  cognitionem  Dei  unius  supremi  ac  distinct!  ab  uiaiverso 
corporeo  nunquam  assiirget.  »  Puis,  il  ajoute  que  les  difficultés  qu'il  a  apportées  avaient 
pour  but  d'appuyer  l'opinion  de  Zababella  (Ad  tuendam  opinionem  Zabarellœ), 
qu'il  expose  ainsi  :  Nimiriun  sublato  motu  seterno,  quem  rejicit  Christiana  fîdes,  nul- 
lam  esse  rationeixi  tantse  efficacitatis,  qua  demonstrari  posait  naturaliter  dari  unum 
priinum  motorem,  ut  nos  credimus,  sed  ad  hoc  fide  divina  opus  esse  :  licet  prœstabiliua 
ait  tueri  contrariam  opinionem  ut  magis  piam  ;  atque  illud  unum  est  quod  studebatur. 

—  CnARiLATTS  :  Quod.  n.  jam  dixi,  puto  verissimum,  nempe,  licet  bis  rationibus  seorsim 
ftcceptis  convinci  forte  non  possit  ethnicus,  omnibus  tamen  simul  instructis,  intellectus 
recte  dispositus  potest  elevari  ad  hanc  cognitionem  naturalitar,  sed  absque  merito 
gratiœ  et  glorise,  quam  per  Christuiii  solum  habemus.  (Circulus  Pisanus,  II  Part.  :  In 
octavwn  Lihr.  Physic,  Cire.  XX,  pp.  202-203). 

2.  ...  Contentiis  claro  et  ingénue  profiteri  me  nuUi  doctrinse,  nisi  Christianse  verifcati 
addictum  esse  (Circulus  Pisanus,  I  Part,.  Proœmio,  p.  3). 

3.  Samuel  Parker,  Disputationes  de  Deo  et  Providentia  divina,  Disp.  I,  Sect.  XXIV, 
pp.  67-68.  Londres,  1678.  —  Pierre  Devillemandy,  Rectem-  du  collège  théologique^ 
gallo-belge  à  Leyde,  Scepticismus  debeUatus...,  C.  II,  p.  11,  Leyde,  1697.  —  Naudé  se 
montra  ai  ssi  mal  renseigné  quand  il  a  dit  :  «  Il  [Beauregard]  ne  croyait  qu'en  Aristote 
et  se  moqua  de  toute  la  religion  des  Italiens.  »  (Naudaana,  p.  111,  Amsterdam,  1715). 

4.  Cf.  Bruckjek,  Historia   critica   Philoaophiœ,  t.  IV,  Part.  I,  pp.  479-486,  §vi  et  vu. 

—  Sur  Bérigard,  voir  Brucker,  Opère  eitato.  Ibidem,  pp.  463-478.  —  Lasswitz,  Ojtere 
citato,  t.  I,  pp.  487-498. 

5.  Magnen  y  prend  dans  le  titre  les  qualités  de  Patritius,  Philosophus  et  Aledictis. 

6.  Cf.  Cap.  II.  Quod  omnia  ex  atomis  constent,  pp.  104-116.  —  Cf.  Lasswitz,  Op.  oit., 
pp.  498-512. 


76         ARTICLE  II.  CHAPITRE  III.  —  GASSENDI  RESTAFRE  L  EPICURISME 

philosophe  que  lui  »  et  qu'il  convient  de  ><  réserver  pour  l'étude  privée 
la  recherche  des  choses  originales  et  nouvelles  »  ^. 

L'ouvrage  de  Magnen  a  été  plusieurs  fois  réédité  ^.  Ce  succès  n'est 
pas  mérité,  parce,  malgré  sa  subtilité  d'esprit,  Fauteur  n'a  pas  fidè- 
lement restitué  le  système  de  Démocrite  ^.  * 

IL    —    CARACTÈRES   DE    CETTE    RESTAURATION 

Ce  qui  pi-écède  suffit  à  montrer  qu'il  ne  faut  pas  se  figurer  Gassendi 
comme  un  novateur  hardi,  ayant  eu  le  premier  l'audace  de  remettre 
Fatomisme  en  honneur,  dans  la  première  moitié  du  xvii'^  siècle. 
On  vient  d'assister  au  défilé  de  ses  nombreux  devanciers.  Ce  qui  est 
vrai,  c'est  que  Gassendi  ne  semble  pas  avoir  utilisé  leurs  travaux  *. 
En  tout  cas,  il  les  a  complètement  éclipsés,  parce  qu'il  a  apporté 
à  cette  œuvre  délicate  de  reconstitution  une  perspicacité,  une  droiture, 
inie  érudition  qui  défient  la  comparaison^ 

L'ensemble  des  études  de  Gassendi  sur  Épicure  l'emporte  aussi  par 
Fampleur.  Elles  comprennent  trois  ouvrages. 

Dans  le  premier  ^,  Gassendi  ne  se  boi'iie  pas  à  raconter  la  vie  d'Epi- 
cure,  il  s'attache  surtout  à  le  venger  des  reproches  accumulés  contre 
lui.  Tour  à  tour  il  signale  sans  réticence  et  réfute  avec  vigueur  les 
divers  chefs  d'accusations  :  Impiété,  Malignité,  Gourmandise,  Immo- 
ralité, Haine  des  sciences  libérales.  C^'est  mie  véritable  apologie.  Sur 
bien  des  points  ^,  il  a  réussi  à  blanchir  la  mémoire  d'Épicure  et  de  ses 
sectateurs  noircie  par  des  imputations  mensongères.  Cependant, 
«  emporté  par  l'ardeur  de  laver  son  maître  de  toutes  les  calomnies 
semées  contre  lui  »,  cet  honnête  homme,  que  la  moindre  injustice 
choquait,  ((  se  laisse  aller  à  des  affirmations  téméraires  et  perd  même 
de  vue  des  vérités  solidement  étabhes  »  ". 

1.  At  pro  juventutis  institutioiie,  satins  Aristoteleni  prœlegere,  quod  ejus  methodus 
et  sensa  omni  sint  exceptione  majora,  tiim  etiani  quia  nieliori  philosophe  caremus... 
Qiiare,  cuni  Demoeriti  philosophiam  a  me  restitui  debere  censui,  id  primo  veritatis 
desiderio  ingeniique  exercendi  causa  susceptum  a  me  est  opus  ;  deinde  cum  in  phloso- 
phicis  nulla  possit  esse  prsescriptio,  non  abs  re  fore  duxi  in  integrum  restituere  senten- 
tias  quse  primo  viguerunt...  Hsec  tamen  privato  studio  continebuntur  placita,  nec 
ahus  mecuin  e  philosophis  cathedram  ascendet  regiam  prœterquam  Aristoteles  ;  in 
piiblicis  enim  prœlectionibus,  juventutis  institut ioni,  non  autem  genio  novitative  est 
indulgendum  (Magnen,  Praefat.  ad  Lect.,  pp.  29-30). 

2.  A  Leyde  (1648),  à  Londres  (1658),  à  La  Haye  (1658). 

3.  Cf.  Brucker,  Historia  critica  Philosophiœ,  t.  IV,  Part.  I,  p.  509.  —  «  L'examen 
que  j'en  ai  fait  [du  livre  de  Magnen]  m'a  convaincu  qu'il  n'y  a  là  rien  de  nouveau, 
rien  d'intéressant  au  point  de  \\ie  théorique.  C'est  à  Gassendi  qu'il  faut  s'en  tenir  pour 
cette  période  «  [le  xvii«  siècle].  (L.  Mabilleau,  Histoire  de  la  Philosophie  atomistique, 
p.  401,  note  2). 

4.  Cependant,  au  dire  de  B.  Haveéau,  on  rencontre,  dans  le  traité  de  Magnen  «  plus 
d'un  théorème  dont  Gassendi  n'a  pas  dédaigné  de  faire  son  profit.  »  (Dictionnaire  des 
Sciences  philosophiques  (Franck),  Art.  Magnen.  C'est  une  affirmation  articulée  sans 
preuve. 

5.  De  Vita  et  Morihus  Epicuri  Lihri  octo,  Lvon,  1647.  —  Cf.  OG.,  t.  V,  pp.  167- 
236. 

6.  Par  exemple,  il  lave  Epicure  des  reproches  de  gourmandise  et  d'immoralité. 

7.  E.  Joyau,  Epicure,  Ch.  I,  p.  16-17,  Paris,  1910. 


II.  —  CARACTÈRES  DE  CETTE  RESTAURATION  77 

Dans  le  second/,  Gassendi  révise,  traduit  et  annote  copieusement 
le  texte  du  dixième  Livre  (consacré  à  Épicure)  des  Vies,  Doctrines  et 
Sentences  des  Philosophes  iUustres  ^  par  Diogène  Laërce.  Les  remarques 
dont  il  a  éclairé  sa  traduction  et  les  interprétations  qu'il  propose  des 
opuscules  d'Épicure  attestent  une  grande  science  et  une  pénétration 
remarquable.  On  a  pu  cependant  lui  reprocher  d'avoir  faussement 
interprété  certains  passages  ^. 

Dans  le  troisième  *,  Gassendi  nous  présente  la  synthèse  de  la  doc- 
trine épicurienne.  Le  De  Vita  et  les  Animadversiones  n'étaient  que  des 
travaux  d'approche  pour  la. préparer.  Gassendi  reconstitue  le  système 
d'Épicure  en  suivant  la  division  tripartite  que  ce  philosophe  a  donnée 
de  la  Philosophie  :  la  Caiionique  ou  Science  des  critères,  la  Physique 
et  V Ethique.  On  s'accorde  à  reconnaître  que  Gassendi  s'est  acquitté 
consciencieusement  de  cette  tâche  délicate  ^.  Le  Philosophiœ  Epicuri 
Syntagma  ne  fut  lui-même  qu'un  travail  préparatoire  du  Syntagma 
philosophicum,  l'œuvre  maîtresse  de  Gassendi.  Comme  la  substance 
de  l'Épicurisme  en  ce  qu'il  a  conciliable  avec  la  foi  catholique  est  entrée 
dans  la  composition  du  Syntagma  philosophie um  qui  nous  occupera 
longuement,  cela  nous  dispense  d'insister  sur  le  Syntagma  Philosophi(f 
Epicuri. 

Le  De  Vita  parut  en  1647.  les  Animadversioyies  et  le  Syntagma 
Philosophiœ  Epicuri  en  1649.  Ils  étaient  le  résultat  de  patientes  re- 
cherches et  le  fruit  d'une  lente  élaboration.  C'est  en  effet,  dès  1628, 
que  Gassendi  se  déclare  partisan  de  l'atomisme.  Son  Ami  Peiresc 
lui  communiqua  un  jour  l'opuscule  où  Erycius  Puteanus  (Eerryk 
De  Putte).  professeur  de  langue  et  de  littérature  latines  à  l'université 
de  Louvain,  où  il  succéda  à  Juste  Lipse,  reproduit  le  portrait  d'Épi- 
cure et  réunit  ses  principales  maximes  ^.  Gassendi  le  lut  avec  le  plus 
grand  soin,  et  cette  lecture  le  confirma  dans  le  desseyi  qu'il  avait 
déjà  conçu  de  réhabiliter  l'atomisme  épicurien  et  son  auteur.  Aussi 
s'empresse-t-il  de  féliciter  l'universitaire  Lovanien  et  de  lui  faire 
part  de  son  projet,  l'assurant  qu'il  était  charmé  au  plus  haut  point 


1.  Animadversiones  in  Libruin  Decimum  Diogenis  L-xërfii,  qui  est  de  Vita,  Moribiis 
l'Iacitisque  Epicuri.  Continent  autem  qiias  ille  très  statuit  Parteis  :  I.  Canonicani... 
II.  Physicaw...  III.  Ethicam....  Lyon.  1649.  —Cf.  OG.,  t.  V,  p.  1-166.  « 

2.  Ilîpl  Kùov,  l'rf'xi-M'/  xa'.  'Aro'^Oj-'aàrt-jv  Ttov  iv  ^''-XoTCiCiia:  £'j5oy.'.;j.r,7àv:(»v 
HioXia  Aixa. 

3.  Cf.  injra,  p.  87. 

4.  Syntagma  Philosophiœ  Epicuri  cum-  Refutationihus  dogmatum,  quce  contra  Fidem 
Christianam  ah  eo  asserta  sunt,  oppositis  per  Petrum  Gassendum,  Lyon,  1649.  —  Cf. 
OG.,  t.  III,  p.  1-94. 

5.  «  Ce  qu'on  fait  nos  savants  pour  nos  monuments  de  la  Grèce,  Gassendi  l'a  fait  seul 
pour  le  monument  non  moins  grandiose  de  la  philosophie  d'Epicure.  Lui  aussi,  il  fouille 
avec  une  ardeur  infatigable  partout  où  il  espère  retrouver  quelques  fragments  utiles  ; 
CCS  fragments  il  les  soumet  à  l'épreuve  d'une  critique  sévère  ;  puis,  avec  im  art  infini, 
les  rapprochant  entre  eux,  il  reconstruit  peu  à  peu  l'édifice  dont  ils  faisaient  partie, 
suppléant,  par  un  instinct  merveilleux,  aux  lacunes  que  ses  recherches  "n'ont  pu 
combler.  .  (P. -F.  Thomas,  La  Philosophie  de  Gassendi,  Introduction,  p.  22). 

6.  Epicuri  Sententiœ  aliquot  aculeatœ,  Louvain,  1609.  Cet  opuscule  est  reproduit  dans 
SOS  Œuvres. 

Il  a  laissé  en  manuscrit  :  Ivuo'.ïi  I^.-ol:  sive  Philosophia  Epicuri. 


78        ARTICLE  II.  CHAPITRE  III.  —  GASSENDI  RESTAURE  l'ÉPICURISME 

de  voir  qu'un  si  noble  sujet  avait  déjà  été  abordé  par  lui  ^.  Dans  une 
autre  lettre  ^,  Gassendi,  qui  avait  déjà  mis  la  main  à  l'œuvre,  consulte 
son  docte  correspondant,  sur  quelques  corrections  qu'il  propose 
au  texte  de  Diogène  Laërce.  Ravi  à  son  tour,  De  Putte  répond  par 
un  éloge  senti  d'Épicure  et  par  des  encouragements  à  son  futur  apolo- 
giste :  «  Louez,  mon  cher  Gassendi,  mon  Épicurisme.  Je  suis  la  doctrine 
d'un  homme  qui  crie  partout  :  Il  faut  vivre  honnêtement  ;  sous  sa  con- 
duite, j'aime  mieux  bien  agir  que  de  savoir  beaucoup.  Il  n'ignore  pas 
que  dans  l'action  on  doit  suivre  la  nature  et  la  raison.  Cela  suffit 
assurément,  on  voit  là  la  vraie  Philosophie.  Il  l'enseigna  autrefois 
«t  devint  très  illustre  ;  dans  la  suite,  on  a  commencé  à  le  déchirer 
comme  fauteur  d'une  philosophie  corrompue...  Vous  exécuterez 
ce  que,  plus  libre  de  soucis,  j'avais  autrefois  projeté  »  ^.  Après  avoir 
esquissé  une  apologie  d'Épicure,  de  sa  vie  et  de  sa  doctrine,  il  admire, 
avec  une  confiance  naïve,  comme  s'il  était  certain  de  son  authenti- 
cité, l'effigie  du  philosophe  qu'il  avait  mise  en  tête  de  VEulogium  t 
«  Mais  est-ce  que  l'image  elle-même  n'est  pas  parlante  ?  sèclie,  sévère, 
triste,  elle  a  été  façonnée  par  la  main  de  la  sagesse  »  *.  Il  termine  son 
épître  en  approuvant  les  heureuses  modifications  au  texte  de  Diogène 
Laërce,  que  Gassendi  lui  avait  soumises  ^. 

La  résolution  de  notre  philosophe  devait  être  inébranlable.  De  1628 
à  1649,  malgré  ses  autres  travaux  scientifiques  ou  philosophiques, 
il  en  poursuivit  persévéramment  l'exécution,  multiphant  les  recherches 
personnelles  et  faisant  appel  aux  lumières  des  autres  ^.  Rien  ne  put 

1.  ...  Tuum  illud  de  Epicuri  cum  e\ailgata  ipsius  effigie  pellegi  Evdogium...  Scilicet 
^t  ego  tanto  Viro  paravi  Apologiam,  destinato  ipsius  doctrinse  volumine  integro... 
Delectatus  summopere  sum  et  te  quoque  in  illustranda  materia  adeo  nobili  operam 
quandam  coUocasse.  (Gassendi  à  E.  Puteanus,  Aix,  23  avril  1628,  OG,  t.  VI,  p.  Il, 
col.  2). 

2.  Gassendi  à  Ptdeamts,  Paris,  14  sept.  1629,  OG,  t.  VI,  pp.  26-27. 

3.  Lauda,  mi  Gassende,  Epicui-eismum  meum.  Sequor  Virlim,  qui  ubique  clamât 
Jloneste  vivendum  esse  ;  et,  hoc  duce,  recte  agere  malo  quam  multa  scire.  Satis  profecto 
est  seipsumi  non  igAorare  ;  in  rébus  agundis  Naturam  et  Rationem  seqiii  ;  qiiœ  vera 
Philosophia  est,  et  ab  illo  olim  tradita,  qui,  cum  aliquando  clarissimus  esset,  postea 
tanquam  imp  :rus  lacerari  cœpit...  Tu  faciès,  quod  curis  solutior  aliquando  destinave- 
raiii...  {Puteanus  à  Gassendi,  Louvain,  5  nov.  1629,  OG,  t.  VI,  pp.  393-394). 

4.  Sed  imago  ipsa,  quam  dedi,  nonne  loqnitur  ?  Sicca,  severa,  tristis  est  sapienti^e 
manu  formata  (Puteanus  à  Gassendi,  Ibidem,  p.  394,  col.  1). 

5;  Les  travaux  de  Putè.vnus  ne  s'appliquèrent  pas  au  seul  Epicure.  On  a  de  lui, 
par  exemple  :  Enchiridiiun  ethicum  ex  Aristotele  olim  collectum,  nitnc  latine  versuni. 
(Louvain,  1620).  —  Doctrinœ  Aristotelicœ  Epitome  (Inédit). —  Vitœ  hiimanœ  Bivivcm, 
Virtutum  et  Vîtiorum  Linece  notis  ethicis  distinctœ.  Libri  très  ...e  Platone,  Aristotele 
alîisque  Philosophis  antiquis  (Louvain,  1645).  —  Civilis  Doctrinœ  Lineœ  quibus  Aristo- 
telis  PoUticorum  Libri  très  primi  ad  perpétuas  reducti  Aphorismos,  latine,  breviter  et 
diVucidereprœsentantur.  Alibi  rivi,  hic  fontes  (Louvain,  1645).  —  Cf.  Paquot,  Mémoires..., 
*•  Xni,  pp.  373-428.  — Puteanus  composa  un  très  grand  nombre  d'ouvrages  et  surtout 
d'opuscules  :  Paquot  (Loco  cit.)  consacre  121  numéros  à  leur  Bibliographie.  Puteanus 
commeriça  à  réunir  ses  opuscules,  mais  trois  volumes  seulement  parurent  :  t.  I,  Suada 
AÛica  sive  Oratiônum  selectarum  Syntagma,  Louvain,  1615.  —  T.  II,  Amœnitatvm 
humananmi  Diatribop  XII...,  Louvain,  1615.  —  T.  III,  Epistolarum  Atticarum  Promul- 
sis  in  Centurias  très  distributa,  Cologne,  1616. 

6.  Cf.  Lettres  (dans  OG,  t.  VI)  de  Gassendi  à  :  J.  G.  Vossius,  p.  24.  —  D.  Heixsics, 
p.  25.  —  Is.  Beeckman,  p.  26.  —  G.  Naudé,  p.  44.  —  Th.  Campanella,  p.  54.  — 
Galilée,  p.  92.  —  Louis  de  Valois,  pp.  117  ;  118  ;  122  ;  127  ;  143  ;  156. 


n.  —  CARACTÈRES  DE  CETTE  RESTAURATION  7^ 

le  détourner  du  but  :  ni  la  difficulté,  ni  Tinipopularité  de  l'entreprise. 
Pourtant,  dès  l'origine,  il  ne  se  fait  aucune  illusion  sur  les  critiques 
et  oppositions  qui  l'attendent.  Mais  il  s'en  console  en  songeant  que 
son  dessein  plaira  peut-être  à  quelques  natures  généreuses.  Si  rares 
que  soient  les  approbateurs,  ils  seront  assez  nombreux  s'ils  ressemblent 
au  savant  humaniste  de  Louvain  ^. 

A  première  vue,  en  effet,  on  n'est  pas  médiocrement  surpris  de  voii" 
un  chanoine,  prévôt  de  la  cathédrale  de  Digne,  prendre  en  main  la 
défense  d'un  système  aussi  décrié  que  TÉpieurisme.  Létonnement 
redouble  quand  on  constate  chez  Gassendi  un  respect  et  une  admiration 
d'Épicure,  qui  rappellent  l'amour  des  Épicuriens  antiques  pour  leur 
maître  vénéré.  Dans  la  Lettre,  où  il  dédie  à  Luilher  sa  Vie  d'Epicure, 
il  parle  avec  complaisance  des  deux  effigies  du  philosophe  possédées 
par  son  ami  :  l'une  est  une  copie  de  la  statue  qui  se  trouvait  à  Rome 
à  l'entrée  des  jardins  du  palais  Ludovisi  et  que  Naudé  avait  envoyée 
à  Gassendi  ;  l'autre  est  la  reproduction  d'un  camée  qu'Eerryk  De 
Putte  lui  avait  montré  lors  de  son  passage  à  Louvain.  Gassendi 
rapporte,  comme  toute  naturelle  et  bien  due,  cette  inscription  élo- 
gieuse  que  De. Putte  avait  composée  :  «  Contemple,  mon  ami,  l'âme 
dû  grand  homme  qui  respire  encore  dans  ces  traits.  C'est  Épicure, 
ce  sont  ses  yeux  et  son  visage.  Contemple  cette  image,  digne 
de  ces  traits,  de  ces  mains,  qui  méritent  enfin  d'attirer  tous  les 
regards  »  ^. 

L'étomiement,  causé  par  l'entreprise  assez  inattendue  de  Gassendi, 
diminuera  si  l'on  tient  compte  de  seâ  déclarations  préhniinakes. 
Lui-même  s'est  bien  avisé  de  la  surprise,  pour  ne  pas  dire  le  scandale, 
qu'il  allait  produke  en  voulant  résister  au  torrent  de  l'opinion  commu- 
nément accréditée  sur  Épicure  (tum  niti  adversus  torrentem  receptœ 
vulgo  opinionis)  ^  et  en  composant  un  ouvrage  qui  paraît  contraire 
aux  bonnes  mœm's  et  à  la  Rehgion  (tum  opus  moliri,  quod  vider i 
noxium,  tanqumn  et  bonis  morihus  et  Religioni  adversum,  possit)  *. 
Mais  il  ne  s'émeut  guère  de  la  première  objection,  parce  que  c'est  un 
fait  depuis  longtemps  manifeste,  que  la  multitude  doit  être  regardée 
comme  un  mauvais  juge  en  matière  de  vérité  (non  video  causam  subesse 
cur  valde  movear...,  quando  jampridem  perspectum  est  quam  malus 
verifatis  judex  censeri  debeat  rnultitudo)  ^.  Quant  au  chapitre  des  bonnes 


1.  Fortôssis  tamen  non  deerunt  generosa  ingénia,  quibus  hoc  meum  propositiim 
plaeeat.  Quamquam  vero  paucissinii  probent,  modo  tui  similes  sint,  factum  erit  satis 
ahnnde.^  Gassendi  à  Puteanus,  Varis,  14  décembre,  1629,  OG,  t.  VI,  p.  27,  col.  2,  vers 
la  fin). 

2.  Gassendi  :  Habes  ipse  jam  pênes  te  duplicem  illius  [Epicuri]  effigiem  :  alteram 
ex  gemma  expressam,  quam,  dum  Lovanio  facerem  iter,  communicavit  mecum  vir 
ille  eximius  Erycius  Puteanus,  quamque  etiam  suis  in  Epistulis  cum  hoc  Eulogio  evul- 
gavit  :  Inttiere,  mi  amice,  et  in  lineis  islis  spirantan  adhuc  mentem  magni  Viri.  Èpicurus 
est  :  sic  oculos,  sic  ora  ferebat.  Intuere  imaginera  dignam  istis  lineis,  istis  inanihus  et 
porrô  ocvlis  omnitim.  Alteram  ex  statua,  quae  Romae  ad  ingressum  est  interioris  Palatii 
ï.udo\-isianorum  Hortorum,  quam  ad  me  misit  Xaudseus  noster,  usus  opéra  Henrici 
Hovennii,  in  eadem  familia  cardinalitia  pictoris  (De  Vita  et  JMoribus  Epicuri,  Epistol» 
Dedicatoria  Francisco  Luillerio,  OG,  t.  V,  p.  172).  Il  s'agit  du  cardinal  Barberini. 

3--i-5.  Gassexdl  De  Vita...,  Epistola  Dedicat.,  OG,  t.  V,  p.  170. 


80         ARTICLE  II.   CHAPITRE  III.  GASSENDI  RESTAURE  l'ÉPICURISME 

mœurs,  il  se  flatte  de  pouvoir  facilement  (evincam  facile,  opînor)  ^ 
venger  la  mémoire  calomniée  d'Epicure  et  de  sa  secte,  laquelle  sur 
ce  point  n'a  pas  de  rivale  dans  l'antiquité  (Epicurmn  puta  maxime  et 
sobriuîH  et  continentem  exstitisse,  ac  Sectain  nullam  Philosophorum 
illius  Secta  fuisse  sanctiorem)  ^. 

Par  ailleurs,  Gassendi  reconnaît  que  plusieurs  opinions  d'Epicure, 
notamment  sur  la  Providence  de  Dieu  et  l'immortalité  de  l'âme, 
sont  diamétralement  opposées  aux  dogmes  de  la  Religion  (placita 
Epicuri  quœdam  e  diametro  cum  illis)  ^.  Mais,  est-ce  qu'Aristote  n'a 
pas  été  haï  des  anciens  Pères  de  l'Église  à  cause  de  ces  mêmes  erreurs 
et  de  plusieurs  autres  ?  Et  cependant,  dans  la  suite,  on  a  expliqué 
publiquement  les  livres  aristotéliciens.  Pourquoi  serait-il  interdit 
de  prendre  dans  Épicure  ce  qu'il  a  de  bon  ?  Faut-il  donc  détruire 
le  rosier,  parce  qu'il  porte  des  épines  mêlées  aux  roses  ?  (rosetum 
exscindere .  quod  spinas  rosis  intextas  ferat)  '*.  Au  surplus,  son  intention 
est  bien  de  réfuter,  avec  toute  la  rigueur  de  raisonnement  dont  il  est 
capable,  les  sentences  épicuriennes  qui  contrediront  tant  soit  peu  la 
foi  sacrée.  l<  Car,  de  même  que,  dans  les  questions  profanes,  je  suis  la 
raison  seule  (et  quand  Épicure  ne  l'écoute  pas,  son  autorité  ne  pèse 
pas  plus  à  mes  yeux  que  celiv>  de  n'importe  quel  philosophe)...,  ainsi 
en  religion,  je  suis  les  Ancêtres,  c'est-à-dire  l'Église  catholique,  apos- 
tolique et  romaine,  dont  j'ai  jusqu'ici  défendu  et  dont  je  défendrai 
à  l'avenir  les  Décrets,  sans  qu'aucun  discours  de  savant  ou  d'ignorant 
puisse  jamais  me  séparer  d'elle  »  ^. 

Cette  solennelle  déclaration,  que  Gassendi  a  d'ailleurs  plus  d'une 
fois  renouvelée,  nous  rassure  pleinement  sur  l'orthodoxie  de  ses  inten- 
tions. Mais  il  reste  toujours  à  expliquer  pourquoi  cet  excellent  cha- 
noine a  été  amené  à  se  faire  le  champion  de  l'Épicurisme.  Esprit 
positif,  grand  ami  de  l'expérience,  surtout  de  l'expérience  sensible, 
il  éprouva  comme  beaucoup  de  savants,  comme  quelques  philosophes  ®, 
ses  prédécesseurs,  une  véritable  aversion  pour  l'Aristotélisme  et  sur- 
tout pour  la  physique  aristotélicienne,  telle  que  les  Péripatéticiens 
d'alors  l'enseignaient,  faisant  fi  de  l'observation  et  recourant  sans  cesse 
à  des  principes  a  priori  pour  résoudre  des  questions  qui  réclament 
des  méthodes  a  }>osteriori  et  l'étude  attentive  des  faits.  Cette  tournure 
intellectuelle,  son  goût  prononcé  jîour  l'empirisme  l'inclinèrent 
logiquement  vers  Épicure.  iVussi  Lange  a-t-il  eu  raison  d'écrire  : 
«  Ce  ne  fut  ni  par  hasard  ni  par  une  simple  manie  d'opposition  que 
Gassendi  s'occupa  de  la  philosophie  et  de  la  personne  d'Epicure. 
Il  étudiait  la  nature  en  sa  qualité  de  physicien  et  d'empirique.  Or  déjà 
Bacon,  luttant  contre  Aristote,  avait  désigné  Démocrite  comme  le 

1-2.  Gassendi,  De  Vita...,  Loco  cit.,  p.  171. 

.3-4.  Gassendi.  De  Vita...,  Loco  cit.,  OG,  t.  V,  p.  171. 

5.  ...  Ut  in  aliis  rébus  rationem  solam  audio,  neque,  nisi  illam  adniittat,  magis  me 
niovet  Epiciirus  quani  qiiivis  aliiis  Philosophorum...  ;  sic  in  Religione  Majores,  hoc  est 
Eeclesiam  catholicain,  apostolicain  et  romanani  sequor,  cujus  hactenus  décréta  defendi 
ac  porro  defeudaiu,  nec  me  ab  ea  ullius  unquam  docti  aut  indocti  separabit  oratio- 
(De  Vita...,  Loco  cit.,  OG,  t.  V,  p.  171). 

6.  Cf.  Bruc'ker,  Historia....  t.  IV,  Part.  I,  p.  503,  §  i. 


III.    —   EPICURE   ET   GASSENDI  81 

plus  grand  philosophe  de  l'antiquité.  Gassendi,  versé  dans  l'histoire 
et  la  philosophie,  avait  étudié  tous  les  systèmes  philosophiques  de 
l'antiquité  ;  il  choisit,  parmi  tous  ces  systèmes,  avec  un  jugement 
sûr,  celui  qui  répondait  le  plus  complètement  aux  tendances  empi- 
riques des  temps  modernes.  L'atomistique,  empruntée  ainsi  par  Gas- 
sendi à  l'antiquité,  acquit  une  importance  durable,  malgré  les  trans- 
formations successives  qu'elle  subit  entre  les  mains  des  savants, 
aux  âges  qui  suivirent  »  ^. 

III.    —    ÉPICURE    ET    GASSENDI 

Comme  Démocrite  et  Épicure,  Gassendi  enseigne  que  les  atomes 
sont  les  premiers  éléments  des  choses  ;  comme  eux,  il  admet  l'exis- 
tence du  vide  et  reconnaît  aux  atomes  les  propriétés  suivantes  : 
identité  d'essence,  solidité,  impénétrabilité,  indivisibihté  2.  Il  se 
montre  original  en  faisant  de  la  sohdité  la  racine  d'où  sortent  les 
autres  propriétés  de  l'être,  et  par  là  même  il  se  sépare  de  Descartes 
qui.  préfère  l'étendue.  La  solidité  implique  le  pouvoir  de  résister, 
l'impénétrabilité   et   l'indivisibilité. 

Selon  Démocrite  et  Épicure  les  atomes  sont,  en  outre,  éternels, 
ingénérables,  incorruptibles.  —  Pour  Gassendi  ils  ont  été  créés  par 
Dieu  qui  pourrait  les  anéantir  ^.  Seulement  il  professe,  comme  eux, 
qu'aucune  force  naturelle  n'est  en  état  de  les  produire  ou  de  les  dé- 
truire. 

Epicure  soutient  que  le  mou.ement  est  inhérent  aux  atomes  et 
éternel  comme  eux.  Le  mouvement  primitif  et  naturel  des  atomes 

1.  F.-A.  Lange,  Histoire  du  Matérialisme...,  trad.  B.  Pommerol,  t.  I,  3^  Part.,  Ch.  I, 
p.  230.  —  Lange  enrôle  injustement  Gass  >ndi  dans  le  camp  des  matérialistes,  dont 
il  s'est  fait  le  sergent  recruteur.  «  Lange  exagère  le  matérialisme  de  Gassendi  ».  (P.  Ja- 
NET  et  G.  SÉAiLLES,  Histoire  de  In  Philosophie,  IJe  Partie,  Ch.  IX,  p.  1015,  Paris,  1887). 
Gassendi  mérite  le  reproche  de  matérialisme  en  tant  qu'il  fait  de  l'âme  sensitive  un 
composé  d'atomes.  —  Après  a\'oir  signalé  le  parti  pris  de  Lange,  «  %vho  seems  to  hâve  been 
more  anxious  to  hnd  a  materialist  in  Gassendi  than  to  find  out  whether  Gassendi 
was  a  materialist  »  (The  Philosophy  of  Gassendi,  P.  IV,  C.  I,  jj.  248).  IMr.  Brett  réfute 
l'accusation  de  matérialisme  portée  contre  Gassendi  (Ibidem,  pp.  248-249  ;  254-256). 
—  M.  Fernand  Papillon,  dans  son  étude  très  superficielle  sur  Gassendi,  a  écrit  cette 
plu-ase  regrettable  :  «  Le  hardi  philosophe  a  beaucoup  de  peine  à  comprendre  l'immatéria- 
rialité  de  l'âme,  et  sans  se  prononcer  nettement  à  ce  sujet,  il  laisse  entendre  qu'il  lui  est 
plus  aisé  d'en  adinettre  la  matérialité.  (Histoire  de  la  Philosophie  moderne  dans  ses 
rapports  avec  le  développement  des  Sciences  de  la  nature,  t.  I,  L.  I,  Ch.  IV,  p.  83,  Paris, 
1876).  Or  Gassendi  distingue  très  nettement,  nous  le  verrons,  entre  l'âme  sensitive 
qu'il  déclare  matérielle,  et  l'âme  raisonnable  dont  il  proclame  l'immatérialité.  En  lisant 
la  plirase  de  M.  Papillon,  je  me  disais  que,  sans  doute,  il  n'avait  pas  lu -Gassendi  ou  du 
moins  ne  l'avait  pas  compris.  En  effet,  j'ai  ensuite  constaté  qu'il  renvoie  en  note  à 
V Abrégé  que  Bernier  a  fait  de  la  Philosophie  de  Gassendi.  Mais  il  n'a  lu  Beruier  qu'à  la 
légère,  car  celui-ci,  abréviateur  fidèle  de  la  doctrine  de  son  maître  sur  ce  point,  a  tout 
un  chapitre  intitulé  :  Que  Ventendement  est  immatériel,  Abréf/é...,  t.  VI,  L.  IV,  Ch.  I, 
pp.  342  sqq.  Lyon,  Edition  de  1678.  —  Dans  l'édition  de  1684,  à  laquelle  se  réfère 
M.  Papillon,  le  dit  chapitre  est  au  tome  Vl,  pp.  280  sqq. 

2.  Gassendi,  Syntigma  Philosophicum  :  PriYSiCA,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V-VIII,  OG, 
t.  I,  pp.  256-282. 

3.  Gassendi,  Animadversiones...,  t.  I,  p.  030  sqq  ;  706  sqq. 

6 


82         ARTICLE  II.  CHAPITRE  III.  —  GASSENDI  RESTAURE  L  EPICURISME 

est  une  chute,  de  haut  en  bas,  dans  le  vide  mfini.  Pour  échapper  au 
fatalisme,  le  philosophe  grec  attribue  aux  atomes  le  pouvoir  de  s'écarter 
légèrement  de  la  ligne  droite,  en  vertu  d'une  énergie  interne  et  spon- 
tanée, par  conséquent  sans  l'intervention  d'une  cause  extérieure. 
C'est  la  déclinaison  (TîapÉyxX'.a-'.;,  le  dinamen  de  Lucrèce).  Epicure 
d'ailleurs  n'apporte  aucune  preuve  pour  en  justifier  l'existence  ;  il  y 
recourt  comme  à  l'unique  moyen  d'éviter  de  soumettre  le  monde 
à  une  nécessité  absolue.  Il  ne  s'aperçoit  pas  que  la  décHnaison  contredit 
tout  son  système.  Car  ce  système  est  mécaniste  :  «  Les  atomes  sont 
partout  ailleurs  représentés  comme  des  corpuscules  inertes  et  tous  les 
phénomènes  expliqués  par  des  mouvements  qui  se  transmettent 
passivement  de  proche  en  proche  «  ^.  Pour  Gassendi,  le  mouvement 
des  atomes  et  la  force  interne  qui  le  produit  viennent  de  Dieu.  Sous 
l'impulsion  de  sa  volonté  toute  sage  et  toute  puissante,  les  atomes 
évoluent  réalisant  le  plan  divin  :  Gassendi  se  montre  finaliste  déterminé 
à  rencontre  d'Êpicure  qui  rejette  et  la  finalité  et  la  Providence. 
Quant  à  la  déclinaison,  il  la  refuse  aux  atomes  comme  un  pouvoir 
chimérique  et,  du  reste,  inutile  dans  l'économie  de  son  système, 
puisque  la  motion  du  Créateur  imprime  au  mouvement  atomique 
la  marche  convenable  à  ses  desseins. 

C'est  ici  surtout  que  s'affirme  l'originalité  de  Gassendi.  L'atomisme 
antique,  se  sentant  incapable  d'expliquer  rationnellement  le  sens  de 
l'évolution  cosmique,  en  est  réduit,  une  fois  posée  l'éternité  de  la 
matière  atomistique,  à  recourir  à  l'hypothèse  arbitraire  du  dinamen 
et  à  s'en  remettre  ensuite  au  hasard.  Gassendi  est  persuadé  au  contraire 
qu'une  loi  interne  préside  au  développement  des  choses.  Mais,  comme 
toute  loi  rationnelle  suppose  un  esprit  qui  la  conçoit,  la  formule  et 
l'applique,  il  fut  logiquement  amené  à  faire  intei'venir  l'activité  de 
Dieu  Créateur  et  Providence.  En  même  temps  que  Dieu  octroyait 
aux  atomes,  à  l'instant  de  leur  création,  l'existence  et  le  mouvement, 
il  les  dotait  du  pouvoir  de  se  diriger  selon  une  loi  interne,  laissant  ensuite 
les  choses  suivre  leur  cours  normal.  L'intervention  divine  n'est  plus 
de  mise  :  les  combinaisons  diverses,  d'où  résulte  le  monde  ordonné 
où  nous  vivons,  dérivent  de  cette  capacité  primitive  que  les  atomes 
ont  reçue  de  se  diriger  d'après  la  loi  immanente  qui  constitue  leur 
nature  et  en  fait  des  causes  harmonieusement  réglées  une  fois  pour 
tcîutes  2.  On  doit  dire,  en  ce  sens,  «  que  les  atomes  sont  la  première 
cause  moti*ice  dans  les  choses  physiques  »  '.  Gassendi  a  vu  nettement 
la  nécessité  d'une  loi  interne,  c'est  sa  grande  supériorité  sur  tous  ses 
devanciers.  Mais  il  n'a  pas  su  en  dégager  la  formule.  C'est  une  lacune 
que  combleront  ses  successeurs. 

La  position  prise  par  Gassendi  a  provoqué  une  objection  radicale. 
A  entendi'e  les  opposants,  son  appel  à  l'intervention  d'un  Dieu  Créa- 

1.  E.  JoYATT.  Epicure,  ch.  V,  p.  104. 

2.  Nous  critiquerons  plus  bas  cette  quasi  indépendance  que  Gassendi  accorde  aux 
atomes  une  fois  créés  et  dotés  de  leurs  propriétés.  Cf.  infra.  Chapitre  IV.  p.  117. 

3.  Planius  ergo  dici  videtiu-...  primani  causam  moventem  in  rébus  physicis  esse  atomos 
(Gassendi,  Syntagma  philosophictim  :  Physica,  L.  I,  Sect.  IV,  C.  vii,  OG,  t.  I,  p.  336, 
-col.  1). 


ni.    —   EPICUKE   ET   GASSENDI  83 

teur  et  Providence  dénature  complètement  l'atomisme  antique  i. 
M.  Mabilleau  a  victorieusement,  ce  me  semble,  répondu  à  cette 
objection.  Voici  en  substance  sa  réponse.  Le  mécanisme  antique  n'a 
pu  déduire  de  ses  principes  la  loi  du  mouvement,  sans  laquelle  il  n'v 
a  pour  les  atomes  ni  groupements,  ni  combinaisons,  ni  coordination 
d'ensemble.  Finalement  tout  se  ramène  au  hasard.  «  Le  monothéisme, 
qui  est  sm-venu,  a  fourni  une  solution  de  la  difficulté  et  tiré  d'embarras 
tous  les  atomistes  futurs.  Tout  ce  qui  est  resté  inexpliqué  a  été  ren- 
voyé à  uft  Principe  supériem-...  »  Qua  fait  Gassendi  i  A  l'éternité 
des  atomes  et  au  hasard  il  a  substitué  Faction  de  Dieu  créant  les  atomes 
et  imprimant  une  dù'ection  à  leurs  mouvements.  Cette  substitution 
n'enlève  rien  à  ce  qui  fait  le  fond  de  l'atomisme  des  Anciens.  «  Le  sys- 
tème subsiste  en  son  entier,  étayé  à  sa  base  et  com'onné  au  sommet 
par  des  hypothèses  chargées  d'épargner  à  l'esprit  l'horreur  de  l'in- 
connu. Les  atomistes  ont  bien  été  obhgés  de  supposer  la  matière  anté- 
riem-e  au  monde  et  d'admettre  que  l'évolution  cosmique  suit  une 
marche  constante  susceptible  de  détermination  et  de  prévision. 
La  théologie  [c'est-à-dire  la  doctrine  d'un  Dieu  Créateur  et  Providence 
associée  par  Gassendi  à  l'atomisme]  ne  change  rien  à  ces  conditions, 
lorsqu'elle  prétend  en  rendre  raison  »  ~.  Or  n'est-il  pas  manifeste  que 
l'mtervention  créatrice  et  providentielle  de  l'Etre  souverainement 
parfait  rend  mieux  raison  de  ces  conditions  que  l'hv'pothèse  épicu-- 
rienne  d'atomes  éternels  Uvrés  au  hasard  de  leurs  combinaisons  ? 
^  Gassendi  a  eu  grand  tort  de  ne  pas  corriger  sur  un  autre  point 
Epicure  et  Lucrèce.  Pour  avoir  soutenu,  comme  eux,  que  l'âme  sen- 
sitive  est  matérielle,  il  se  heurte  à  des  difficultés  insolubles  et  se  voit 
contraint  d'avouer  que  l'esprit  ne  sam-ait  comprendre  ^  comment 
des  choses  insensibles,  comme  les  atomes,  peuvent,  étant  mêlés 
d'une  certaine  façon,  former  une  âme  sensible.  .Mais  il  se  console 
en  affirmant  que  les  mêmes  difficultés  se  rencontrent  dans  les  autres 
systèmes  *.  Il  y  a  là  une  illusion  assez  grossière.  Le  système  sphitua- 
hste,  pour  ne  parler  que  de  lui,  éprouve  de  l'embarras  k  rendre  compte 
de  la  possibihté  et  de  la  nature  de  la  sensation.  L'esprit  humain  est 
peut-être  ici  en  face  d'un  mystère  impénétrable  ;  mais,  du  moins, 
la  solution  spirituahste  n'offre  pas  de  contradiction  interne.  L'opinion 
de  Gassendi  est.  au  contraire,  non  seulement  incompréhensible,  mais 

1.  Dans  le  Dictionnaire  des  Sciences  philosophiques,  à  l'article  Atomisme,  Ad.  Franck 

prétend  que  Gas.sendi   (  na  pas  peu  contribué  à  amoindrir  »  l'atomisme  antique.  

D'après  F.  Pillox  (Uannte  philosophique,  1891,  p.  69,  Paris,  1892),  Gassendi  n'apa.s 
été,  comme  on  le  dit  sou\'ent,  «  le  restaurateur  de  l'atomisme  grec.  »  —  M.  Mabillkau 
juge  ainsi  cette  appréciation  :  «  M.  Pillon  n'en  a  compris  ni  le  sens  ni  la  portée  [de 
l'atomisme  de  Gas.'sendi]  ;  on  peut  affirmer  qu'il  ne  le  connaît  que  de  seconde  ou  troi- 
sième main,  par  un  article  de  dictionnaire,  r.  (Histoire...,  p.  420-421.) 

2.  Cf.  Mabilleau,  Histoire...,  pp.  405-410.  Et  plus  loin  :  «  L'addition  du  théisme  n'a 
ici  pour  but  que  de  donner  au  mouvement  la  loi  qui  lui  manquait  jusqu'alors...  » 
(Ibidem,  p.  421). 

3.  Sane  vero  fatendum  est  non  videri  esse  quamobrem  s^îeremus  posse  rem  mani- 
festam  fieri,  quando,  aut  longe  falliraur,  aut  fugit  omnino  humanam  solertiam... 
(Syntagma  :  Physka,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  VI,  C.  ra.  t.  II,  pp.  346-347,  col.  2-1). 

4.  Gassendl  Syntagma  :  Phyaica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VI,  C.  m,  p.  343. 


84         ARTICLE  II.   CHAPITRE  III.  GASSEXDI  RESTAURE  l"ÉPICURISME 

contradictoire,  car  la  sensation  exigeant,  pour  se  produire,  l'activité 
d'un  principe  simple  et  indivisible  ^  ne  peut  provenir  d'un  agrégat 
d'atomes  qui  est  étendu  et  divisible. 

Le  fond  de  la  Morale  gassendiste  est  épicurien.  Elle  se  ramène 
en  effet  à  ces  trois  points  essentiels  :  a)  Le  plaisir  est  le  primum  expe- 
tibile,  <(  le  premier  désirable  »,  le  Souverain  Bien.  —  b)  Toute  vertu, 
tout  ce  qui  est  utile  ou  honnête,  ne  sont  désirés,  ne  sont  des  biens 
que  par  rapport  à  la  volupté  qu'ils  procurent.  —  c)  La  félicité  par 
excellence,  la  véritable  volupté,  que  recherche  le  sage,  consiste  dans 
la  santé  du  corps  et  la  tranquillité  de  l'esprit,  l'indolence  (in  dolentia, 
l'absence  de  la  douleur)  et  l'ataraxie  (à-Tapào-a-to,  l'absence  de  trouble). 
Or  la  pratique  de  l'honnête,  la  vertu,  est  de  toutes  les  choses  utiles 
la  plus  utile,  parce  que  seule  elle  peut  nous  donner  un  bonheur  durable, 
exempt  d'inquiétude  et  d'angoisse.  Gassendi  met  les  biens  moraux 
au-dessus  des  biens  physiques,  les  plaisirs  de  l'esprit  au-dessus  des 
plaisirs  des  sens,  le  bonheur  que  cause  l'observation  de  la  vertu  au- 
dessus  du  bonheur  qu'apporte  la  satisfaction  des  appétits  inférieurs. 

Quand  il  traite  des  vertus  en  particulier,  fidèle  aux  principes  qu'il 
a  mis  à  la  ba-se  de  la  Morale  générale,  Gassendi  voit,  dans  celles  mêmes 
dont  la  notion  vulgaire  implique  le  désintéressement,  comme  la  piété, 
le  patriotisme,  l'amitié,  la  bienfaisance,  des  moyens  sûrs  d'arriver 
au  bonheur,  car,  par  la  pratique  des  vertus,  l'homme  entretient  sa 
santé  corporelle  et  acquiert  la  tranquillité  de  l'esprit. 

Notre  philosophe  étant  chrétien  relève  sans  doute  sa  doctrine  morale 
par  des  idées  et  des  sentiments  chrétiens  ;  néanmoins,  malgré  ces 
emprunts  qui  lui  donnent  un  certain  vernis,  elle  reste  foncièrement 
épicurienne,  c'est-à-dire  égoïste. 

((  Son  Épicurisme  était  d'un  type  élevé  :  l'aise  et  le  plaisir  ont  leurs 
droits  ;  mais  ils  ne  sont  qu'une  part  dans  la  vie  qui  est  unifiée  par  un 
grand  but  ;  ils  forment  comme  le  condiment  de  la  vie  ;  ce  ne  sont  pas 
les  choses  dont  nous  vivons,  mais  ils  se  mêlent  à  tous  nos  actes  comme 
un  levain  »  ^.  Cette  appréciation  est  trop  bienveillante,  car  «  le  grand 
but  »,  que  Gassendi  assigne  à  l'homme,  est  rabaissé  par  les  préoccupa- 
tions   utilitaires. 


IV.   —    QUELQUES    APPRÉCIATIONS    CONTEMPORAINES 
ET    ULTÉRIEURES 

Parmi  les  contemporains,  des  esprits  indépendants  et  tournés  vers 
le  progrès,  furent  péniblement  affectés  de  voir  Gassendi  se  faire  le 
disciple  d'Épicure.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple  significatif,  Tho- 

1.  Cf.  Pai,mieri,  Inst'tutiones  Philosophicie,  T.  II,  Anthropoloyla,  Thèse,  II.  p. 
282  sqq.  Rome,    1875. 

2.  His  Epicureani-^m  was  of  the  lofty  type  :  ease  and  pleasure  hâve  their  rights,  but 
they  exist  only  as  parts  in  a  Hve  that  is  unifiée!  by  a  great  f)ui'pose  ;  they  are  the  condi- 
mentum  vitse  ;  not  the  things  on  \vhich  we  hve,  but  the  temper  that  leavens  the  %vhole. 
(G.  S.  Brett.  The  Philosophy...,  Introduction,  pp.  xxxtx-xl). 


IV.    —  APPRÉCIATIONS    CONTEMPORAINES   ET   ULTÉRIEURES  85 

MAS  Campanella,  api'ès  lui  avoir  témoigné  une  grande  affection  et 
décerné  de  vifs  éloges,  dit  à  notre  philosophe,  vers  la  fin  de  sa  lettre  : 
«  Je  me  réjouis  de  nouveau  que  vous  ayez  dissipé  les  nuages  d'Aris- 
tote  ;  mais  il  me  plaît  moins  que  \'ous  ayez  accueilli  les  ténèbres  d'Épi- 
cure  »  ^.  Gassendi  rassura,  avec  une  parfaite  loyauté,  son  illustre 
correspondai\t  :  «  ^^ous  avez  paru  craindre  que  mes  Commentaires 
sur  Epicure  ne  contiennent  quelque  chose  qui  blesse  la  Rehgion. 
Dieu  me  préserve  de  laisser  échapper  de  ma  plume  quoi  que  ce  soit 
en  opposition  avec  la  Religion  !  Vous  alléguez  la  Providence  ;  mais 
moi-même  je  la  défends  contre  Epicure  ;  et  là  où  il  a  erré  je  ne  prends 
point  sa  cause  en  main...  Etant  philosophe,  je  ne  dois  rien  dissimuler 
de  ce  qui  concourt  à  élucider  la  pensée  de  celui  que  j'interprète.  Mais, 
étant  aussi  chrétien  et  théologien,  je  dois  me  souvenir  de  ce  qui  con- 
vient à  ce  double  "caractère  »  ^. 

Un  autre  contemporain  de  Gassendi,  qui  fut  ((  conseiller  et  substitut 
de  M.  le  Procureur  Général»^,  Jean-François  Le  Grand,  avait  eu, 
dans  un  cercle  d'amis,  de  doctes  colloques  où  la  Philosophie  d'Épicure 
fut  examinée.  Gassendi  assistait  à  ces  discussions  amicales,  défendant 
Epicure  attaqué  par  Le  Grand.  Celui-ci  crut  utile  d'en  faire  part  au 
public.  De  là  une  Dissertation  latine  sous  forme  de  Lettre  à  Gassendi  ^, 
dans  laquelle,  après  avoir  rappelé  les'  entretiens  d'antan  ^,  il  réfute, 
avec  courtoisie  mais  résolution,  dans  un  style  pénible  et  contourné, 
les  thèses  épicuriennes  sur  V Infini,  le  Vide  et  les  Atomes  ^. 

Quant  à  la  valeur  des  travaux  de  Gassendi  sur  Epicure,  on  pourra 
s'en  faire  une  idée  indirecte  en  lisant  c^uelques  témoignages  empruntés 
à  des  époques  postérieures  à  leur  apparition. 

Un  théologien  protestant,  Samuel  Parker,  archidiacre  de  Can- 
torbéiy,  écrivait  dans  la  seconde  moitié  du  xvii^  siècle  :  «  Personne 

L  Gaudeo  iteriim  qnod  nebulas  Aristotelis  excusseris  ;  sed  quod  Epicureas  veluti 
Csecias  ad  te  traxeris,  non  satis  placet  (Thomas  Campanella  à  Gassendi,  7  mai  1632, 
OG,  t.  VI,  p.  407,  col.  ]  ). 

2.  Ad  Commentationes  vero  Epicureas  quod  attinet,  subdubitare  visus  es  ne  quid  in 
Religionem  peccem.  Sed  absit  a  me  ut  excidat  quidpiam  quod  pugnare  cum  illa  posait. 
Inculcas  Providentiam  ;  ego  vero  eandem  adversus  Epicurum  tueor  ;  neque,  si  ille 
quicquam  erravit,  patrocinium  causiB  suscipio...  Quippe  quum  Pbilosophum  agani, 
dissimulare  non  debeo  quidquid  ad  opinionem  xït\,  quem  interpretor,  elucidationem 
conducit  ;  at,  quod  Christianus  etiam  et  Theologus  sim,  meminisse  debeo  quid  utram- 
que  personam  deceat  (Gassendi  à  Campanella,  Lyon,  2  novembre  1632,  OG,  t.  VI, 
p.  54,  col.  1-2). 

3.  Ces  titres  lui  sont  donnés  dans  l'extrait  du  Privilège  du  Roi  placé  en  tête  du 
volume  cité  infra,  note  4. 

4.  JoANNES  Franciscus  Gbandis,  Dissertatio  in  Epicuream  Philosophiam  ad  Petrum 
Gassendum,  dans  Dissertationes  philosophicœ  et  criticœ,  Paris,  1657. 

5.  Cum  hesterna  die,  coram  lUustrissimis  Viris  nec-non  sibi  invicem  charissimis 
Fratribus  Errico  ^lemmio  et  Comité  Avauxiano,  sermones  tecum  de  germana  Epicuri 
Philosophia  conseruissem.  Mi  Gassende,  in  solitum  JNIusarum  nostrarimi  Secessum  me 
recepi  ;  et  memoria  recolens  bas  omnes,  quibus  communem  Epicuri  Mentem  impugna- 
veram,  Demonstrationes,  taleis  enim  innueras,  ut  quœ  tuum  praecipue  affecerint  ani- 
mum,  mittendas  ad  te,  qui  eas  pri\-ato  expendas,  paucis  hisce  scriptis  perstringere  duxi 
necessarium  (J.-Fr.  Grandis,  Dissertatio  in  Epicuream  Philosophiam,  Opère  cit.,  p.  1). 

6.  Cf.  Dissertatio  in  Epicuream  Philosophiam...,  Opère  citato,  pp.  3-11  ;  11-79;  79- 
166. 


86        ARTICLE  II.  CHAPITRE  III.  —  GASSENDI  RESTAURE  l'ÉPICURISME     ' 

n'a  composé  une  apologie  d'Épicure  avec  plus  de  pénétration,  d'abon- 
dance ou  de  bonheur  que  PieiTe  Gassendi,  véritable  grand  homme, 
versé,  s'il  en  fut,  en  toute  sorte  de  connaissances,  dont  l'érudition 
est  aussi  recommandable  que  le  jugement  ou  la  sincérité  »  ^. 

Un  autre  théologien  protestant,  Jean-François  Buddeus,  qui 
enseigna  la  philosophie  à  Halle  et  la  théologie  à  léna,  se-  montre  aussi 
très  sympathique  au  restam'ateur  du  système  d'Épicure  :  ((  En  même 
temps  que  Descartes  s'efforçait  de  construire  un  nouvel  édifice  phi- 
losophique, la  philosophie  Démocrito-Épicurienne  était  rappelée  à  la 
vie  par  Pierre  Gassendi,  l'égal  de  Descartes  par  l'éclat  du  talent,  l'em- 
portant peut-être  sur  lui  par  la  science  »  ^. 

Jacques  Brucker,  l'estimable  auteur  de  VHisloire  critique  de  la 
Philosophie,  nous  apporte  un  témoignage  beau-coup  mieux  autorisé 
que  les  précédents.  Il  se  féhcite  d'avoû*  pris  Gassendi  comme  guide 
pour  raconter  l'histohe  d'Épicure,  car  pour  composer  ses  Animadver- 
siones  Gassendi  a  heureusement  mis  à  contribution  «  toutes  les  res- 
sources que  lui  fournissaient  sa  fréquentation  des  auteurs  anciens, 
sa  comiaissance  de  la  langue  grecque,  l'art  critique  et  la  philosophie. 
x\ussi  a-t-il  projeté  sur  toute  l'histoke  d'Épicure  une  lumière  écla- 
tante »  ^.  C'est  pourquoi  Bruçker  n'hésite  pas  à  s'approprier  cette 
Déclaration  que  Ménage  a  placée  en  tête  de  ses  Observations  sur  le 
X^  Livre  de  Diogène  Laërce  :  «  C'est  à  mon  instigation  que  ce  Dixième 
Livre,  qui  contient  la  Vie  d'Epicure,  a  été  traduit  en  latin  et  débrouillé 
au  moyen  de  Notes  soignées  et  de  Commentaires  lumineux  par  Pierre 
Gassendi,  homme  très  au  courant  de  toutes  les  sectes,  mais  surtout 
de  l'Épicurienne.  C'est  une  raison  pour  moi  d'être  plus  bref  dans  l'expo- 
sition de  ce  Livre.  Qui  donc  peut  avancer  quelque  chose  sur  les  prin- 
cipes d'Épicure  que  Gassendi  n'ait  déjà  vu  ?  Après  lui  la  modestie 
commanderait  de  se  tane,  si  ce  très  grand  ami,  dans  son  exphcation 
du  texte  Laërtien,  ne  m'avait  laissé  quelque  chose  à  dire  plutôt  qu'il 
ne  l'a  omis  par  négligence  »  *. 

1.  ...  Nemo  aiit  acrius,  aut  uberius,  aut  quidem  felicius  ejiis  [Epicuri]  apologiam 
confecit  quam  Petrus  Gassendiie,  vir  quidem  magnus  omniqiie,  si  qiiis  alius,  doctrina 
eruditus,  née  tamen  einiditione  quam  aut  jiidicio  aut  candore  nobilior.  (S.  Ï*arkeb, 
Diajnttationes  de  Deo  et  Providentia  divina,  Disput.  I,  Sect.  XII,  p.  30,  Londres,  1678). 

2.  Eodem,  quo  Cartesius  no\nim  illud  molitus  est  philosophise  aedificium,  tempore, 
Democrito-Epicuraem  [sic]  philœophandi  rationeni  iterum  revocavit  Petrtjs  Gas- 
SENDUS,  ingenii  laude  Cartesio  nihil  concedens,  doctrinœ  forte  superior.  (Johannes 
Frakcisctjs  Buddeus,  Isagoge  historico-theologica  ad  Theologiani  universam  singulae- 
que  ej-us  partes,  2  vol.,  Leipzig,  1727.  t.  I,  L.  I,  C.  iv,  §  29,  p.  268,  col.  1).  —  D'après 
Buddeus  (Ibidem,  col.  2)  Wolferdits  Sengxjerdus,  dans  sa  Philosophia  naturalis, 
(Leyde,  1681),  De  Stair,  dans  sa,  Phy»iologia  nova  experimentalia,  (Leyde,  1686),  Fbajst- 
ciscus  Bayxe,  daiis  ses  Institutiones  phyaicœ,  ad  usum  Scholarum  accomodatse  [sic], 
(Toulouse,  1700),  suivent  en  certains  points  Gassendi. 

3.  ...  Cuncta  in  ordinem  coegit  et,  ad  illustrandum  Lihrum  X  Diogenis  Laertii 
conversus,  quicquid  lectio  veterum  scriptorum,  quicquid  grascse  linguse  notitia,  quicquid 
ars  critica,  qtiicquid  philosophia  sxippeditabat  in  commentarium  contulit  et  totam 
Epicuream  historiam  insigni  luce  collustravit.  (Brtjcker,  Historia,  t.  TV,  P.  I,  pp.  524- 
526). 

4.  Decimum  hune  Laërtii  Librum,  hoc  est  \àtani  Epicuri,  mei  caussa  Latine  vertit 
et  Notis  accuratis  et  Commentariis  luculentis  iUustravit  Petrus  Gassendus,  vir  omnitun 
Bectarum,  Epicureœ  imprimis,  peritissimus.  Eo  brevior  ero  in  hujus  Libri  expositione. 


IV.    —  APPRÉCIATIONS   CONTEIVIPORAINES   ET   ULTÉRIEURES  87 

La  reconstitution  du  système  épicurien  (Sijntagma  Philosophiœ 
Epicuri)  ne  provoque  pas  chez  Brucker  une  moincli'e  estime  que  les 
Anijnadversiones  :  «  Gassendi,  dans  ce  travail,  a  exposé  les  opinions 
d'Épicure,  a  mis  de  l'ordre  où  régnait  la  confusion,  éclaii'ci  les  obscu- 
rités et  comblé  les  lacunes,  en  s'insprrant  heureusement  des  principes 
du  philosophe  grec,  avec  une  clarté  si  vive,  une  ordonnance  si  harmo- 
nieuse, une  façon  de  traiter  les  questions  si  élégante,  un  style  si  riche 
qu'il  aurait  mérité  le  caillou  d'Épicure  lui-même,  s'il  lui  eût  été  permis 
de  le  voh'  »  ^. 

Un  autre  écrivain  allemand,  qui  s'est  fait  une  spéciahté  des  «  études 
épicuriennes  )\  Hermaxn  Usener,  tout  en  reconnaissant  une  grande 
perspicacité  à  Gassendi,  s'est  montré,  de  nos  jom'S,  beaucoup  moins 
enthousiaste  :  «  Celui  qui  mérite  d'être  appelé  le  sauveur  d'Épicure, 
Pierre  Gassendi,  a  infhgé  de  très  graves  blessures  aux  opuscules 
épiciu'iens  par  sa  traduction  du  Dixième  Livre  de  Laërce  éclairée  de 
copieuses  remarques.  Beaucoup  plus  expert  dans  la  physique  d'Épi- 
cure que  dans  la  langue  grecque,  bien  que  son  interprétation  d'un  bon 
nombre  de  passages  soit  correcte  et  dénote  beaucoup  de  finesse,  cepen- 
dant il  s'est  attaqué  si  témérairement  aux  paroles  d'Épicure  qu'il 
semble,  non  pas  les  épuiser  mais  les  inventer  »  ^. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  réserves  sm*  la  A^aleiu'  philologique  des 
Anirnadvers iones ,  il  est  certain  qu'en  restaurant  la  philosophie  d'Épi- 
cure. Gassendi  a  produit,  comme  nous  le  verrons  ^,  une  impression 
plus  étendue  et  plus  pénétrante  qu'on  ne  le  croit  communément. 
C'est  la  juste  remarque  d'un  savant,  Paul  Tannery  :  «  Descartes, 
après  avoir  primitivement  admis  le  vide,  rejette  cette  hypothèse 
dès  ses  premiers  écrits  et  suppose  de  fait  trois  matières  élémentaires 
distinctes.  La  vieille  doctrine  de  Démocrite  et  d'Épicme  fut  au  con- 
traire renouvelée  par  Pierre  Gassendi  (1592-1655),  dont  les  ouvrages, 
pleins  de, bon  sens  et  de  froide  raison,  aussi  bien  que  d'une  érudition 
singuhère,  exercèrent  une  profonde  influence  «  *. 


Quid  enim  de  Epicuri  decretis  quisquam  proferre  possit,  quod  Geissendus  non  viderit  ? 
post  quem  tacere  modestissimum  foret,  nisi  quaedam  in  textus  Laèrtiani  enarratione 
vir  raihi  aniieissimus  non  tam  onîisisset,  quam  mihi  reliquisset,  (.<ÏGiDrus  Menagitjs, 
In  Diogenem  Laèrtium  Obsertationes  et  E7nendaiiones,  hac  Editione  plnrimum  auctce  ; 
Ad  Librum  Decimum,  p.  444,  Amsterdam,  ]fi92). 

1.  In  quo  [Syntag}»a  Philosophiœ  Epicuri]  tanta  pei-spicnitate,  tanta  ordinis  con- 
cinnitate,  tanta  tractationis  elegantia  et  dicendi  copia  Epicuri  placita  exposuit,  confuâa 
digessit  ,obscura  illustra\it,  qufeque  deticiebant  ejus  jîriucipiis  convenienter  enarravit, 
ut  ipsius  Epicuri  calculum,  si  videre  illi  licuisset,  meruisset.  (Bruckeh,  Historia, 
Ibidem,  p.  525). 

2.  His  pibelli  Epiciirei]  gravissima  idem  inflixit  volnera,  cjuem  merito  dixeris  sospi- 
tatoirem  Epicuri,  Petrtts  Gassendus  decimo  libre  La^rtii  cuni  versione  édite  et  animad- 
versionibus  eopiosis  inlustrato  (Lugduni,  1649).  Qui  ut  erat  physices  Epicureap  miJto 
quam  semionis  graeci  peritior,  etiamsi  haud  pauca  multo  cum  acumine  recte  intellexit, 
tamen  ea  temeritate  in  verba  Epicuri  grassatais  est,  ut  ea  non  purgare  sed  fingere  Jpee 
videatur  (Hermaxx  Usexer,  Epicurea,  Praefat.,  p.  xvu,  Leipizg,  1887). 

3.  Cf.  Chapitre  VII. 

4.  P.  Tanx-ery,  Les  Sciences  en  Etirope  (1599-1648),  dans  Histoire  générale,  sous  la 
direction  de  E.  La  visse  et  A.  Rambacd,  t.  V,  Ch.  XI,  p.  457,  Paris,  1896. 


CHAPITRE    IV 

Le    Syntagma    'philosophicum. 
INTRODUCTION 


«  La  Philosophie  est  l'amour,  le  zèle  et  l'exercice  de  la  Sagesse.  Or  la 
Sagesse  est  la  disposition  de  l'âme  à  connaître  correctement  les  choses 
et  à  agir  avec  droiture  dans  la  vie.  D'où  il  suit  que  la  Philosophie 
comprend  deux  parties  :  l'une  s'occupe  de  la  vérité  ;  l'autre  de  l'hon- 
nêteté. On  peut  appeler  la  première,  selon  la  coutume,  Philosophie 
2)hysique  ou  naturelle  ;  elle  recherche  la  vérité  dans  toute  la  nature 
ou  universalité  des  choses  ;  la  seconde,  Ethique  ou  Morale  ;  elle  s'ef- 
force de  faire  pénétrer  l'honnêteté  dans  les  mœurs  des  hommes  »  ^. 
Toutes  deux  prises  ensemble  constituent  la  Sagesse  ou  vertu,  puis- 
qu'elles perfectionnent  et  l'intelligence  et  la  volonté  ;  par  elles  l'homme 
atteint  le  maximum  de  félicité  que  les  forces  de  la  nature  puissent 
atteindre  ^.  La  Logique  leur  sert  naturellement  de  Préface,  puisqu'elle 
est  la  science  qui  indique  le  chemin  à  suivre  pour  arriver  au  vrai. 

De  là  trois  grandes  divisions  dans  le  Syntagma  philosophicum  : 
Logique,  Physique,  Éthique.  Selon  l'usage  des  Scolastiques,  Gas- 
sendi donne  à  la  Physique  un  objet  très  étendu  :  «  C'est  la  science  qui 
contemple  la  natm"e  des  choses  »  (Scientia  naturœ  rerum  contempla- 
trix)  ^.  Elle  les  considère  dans  leur  ensemble  et  isolément,  cherchant 
à  déterminer,  autant  qu'il  est  possible,  leurs  principes  constitutifs, 
leurs  causes  productrices,  leurs  fins,  leurs  forces,  leurs  propriétés, 
leurs  actions  et  leurs  effets  ^.  Sous  ce  terme  général  de  Physique 
sont  donc  englobées  des  sciences  nombreuses  et  diverses  :  Métaphy- 
sique, Théodicée,  Astronomie,  Cosmologie,  Psychologie.  Aussi  cette 
seconde  Partie  occupe-t-elle  presque  toute  la  place  dans  la  Philoso- 
phie de  Gassendi.  'UEthique,  très  peu  développée,  est  la  science  pra- 
tique qui  détermine  la  règle  des  actions  :  ad  recte  agendum,  in  vita  ^. 

1.  Philosophia  est  amor,  studium  et  exercitatio  Sapientise.  Sapientia  autem  nihil 
aliud  est  quam  diepositio  animi  ad  recte  sentiendum  de  rébus  et  recte  agendum  in  vita. 
Ex  hoc  intérim  esse  duœ  Philosophiae  partes  videntur,  quarum  altéra  circa  veritatem, 
circa  honestatem  altéra  occupetur.  Illam  dicere  physicam  sive  naturalem,  ut  moris  est, 
licet  ;  quando  veritatem  scrutatur  in  iis  omnibus,  quse  sunt  in  natura  seu  universitate 
rerum  ;  istam  ethicmp  seu  moralem  quando  satagit  in  hominum  mores  honestatem  indu- 
cere.  (Syntagtna  philosophicum,  Lib.  proœmial.,  OG,  t.  I,  p.  1,  col.  1).  Le  Syntagma 
philosophicu?n  remplit  les  deux  premiers  volumes  des  OG. 

2.  Syntagma,  Ibidem,  t.  I,  p.  1,  col.  1-2. 

3-4.  Syntagma  :  Part.  II  :  Physica,  Proœm.,  t.  I,  p.  125,  c.  2. 
5.  Syntagma  :  Lib.  proœmial.,  C.  I,  t.  I,  p.  1,  c.  I. 


INTRODUCTION  8& 

L'historien,  qui  veut  faire  la  s^^lthè,'«e  des  doctrines  d'un  philosophe, 
est  souvent  réduit  à  en  coordonner  les  idées  éparses  en  divers  ouvrages. 
Gassendi  nous  a  épargné  cette  besogne,  toujours  assez  hasardeuse, 
en  composant  lui-même  un  résumé  de  sa  Philosophie.  Sans  doute, 
il  est  impossible  de  donner  ici  une  analyse  détaillée  d'une  œuvre  qui 
comprend  deux  volumes  in-folio,  contenant  au  total  plus  de  1.600  pages 
en  double  colonne.  Nous  viserons  du  moins  à  faire  ressortir  les  côtés 
les  plus  personnels  et  les  plus  caractéristiques  qui  donnent  à  la  Phi- 
losophie gassendiste  une  physionomie  spéciale,  laissant  dans  l'ombre 
ce  qu'elle  a  de  commun  avec  la  Philosophie  traditioniielle.  Mais, 
avant  d'en  venir  aux  questions  particuhères,  il  convient  de  mettre, 
sous  les  yeux  du  lecteur,  une  vue  d'ensemble.  Nous  l'emprunterons 
à  C4assendi  lui-même. 


PREMIÈRE     PARTIE.  —  LOGIQUE. 

CHAPITRE    PRÉLIMINAIRE 

L.    I.  —  Origine  et  Variété  de  la  Logique. 
L.  II.  —  Fin  de  la  Logique. 

INSTITUTION    LOGIQUE 

Sections     I.  —  De  la  simple  Imagination  des  choses. 

—  II.  —  De  la  Proposition. 

—  III.  —  Du  Svllogisme. 

—  IV.  —  De  la  Méthode. 


Ile  PARTIE.  —  PHYSIQUE. 

SECTION  -I.    —    DES    CHOSES    DE    LA    NATURE    EN    GÉNÉRAL  : 

Livres.      I.  —  De  l'Univers  et  du  Monde  ou  de  la  Nature  des  choses. 

—  IL  —  Du  Lieu  et  du  Temps,  ou  de  l'Espace  et  de  la  Durée 

des  choses. 

—  III.  —  Du  Principe  matériel  ou  de  la  Matière  première  des 

choses. 

—  IV.  —  Du  Principe  efficient  ou  des  Causes  des  choses. 

—  y.  —  Du  Mouvement  et  du  Changement  des  choses. 

—  VI.  —  Des  Qualités  des  <"hoses. 

—  VIL  —  De  la  Génération  et  de  la  Corruption  des  choses. 

SECTION    II.    —    DES    CHOSES    CÉLESTES    : 

Li\-res.    I.  —  De  la  Substance  du  Ciel  et  des  Astres. 

—  IL  —  De  la  Variété,  Position  et  Grandeur  des  Astres. 


90  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

- —  III.  —  Des  Mouvements  des  Astres, 

—  IV.  —  De  la  Lumière  des  Astres. 

—  V.  —  Des  Comètes  et  des  Astres  nouveaux. 

—  VI.  —  Des  Effets  produits  par  les  Astres. 


SECTION    III.    —   DES    CHOSES    TERRESTRES    î 

§   I.    —   ÊTRES   INANIMÉS    : 

Livres     I.  ' —  Du  Globe  terrestre. 

.    —      IL  —  De  ce  qu'on  nomme  vulgairement  Météores. 

—  III.  —  Des  Pierres  et  des  Métaux. 

—  IV.  —  Des  Plantes. 

§    II.   —   ÊTRES    VIVANTS    OU    ANIMAUX    : 

Livres        I.  —  De  la  Variété  des  Animaux. 

—  IL  —  Des  Parties  des  Animaux. 

—  III.  —  De  l'Ame. 

IV.  —  De  la  Génération  des  Animaux. 

—  V.  —  De  la  Nutrition  et  de  la  Respiration  des  Animaux. 
.    —        VI.  —  Du  Sens  en  général. 

—  VIL  —  Des  Sens  en  particulier. 

—  VIIL  - —  De  la  Phantaisie  ou  Imagination. 

—  IX.  —  De  l'Intelligence  ou  Esprit. 

—  X.  —  De  l'Appétit  et  des  Affections  de  l'Ame. 

—  XL  —  De  la  Force  motrice  et  des  Motions  chez  les  Animaux. 

—  XII.  —  Du  tempérament  et  de  la  Santé  des  Animaux. 

—  XIII.  —  De  la  Vie  et  de  la  Mort  des  Animaux. 

—  XIV.  —  De  l'Immortalité  des  Ames. 

me  PARTIE.  —  ÉTHIQUE  *        '      . 

Livres     I.  —  De  la  Félicité. 

—  IL  —  Des  Vertus. 

—  III.  —  De  la  Liberté,  de  la  Fortune,  du  Destin  et  de  la  Divi- 

nation. 

PREMIÈRE    PARTIE.    —    LOGIQUE. 

I.    —    QUESTION    PRÉLIMINAIRE    :    DE    LA    CERTITUDE 

Dans  le  Chapitre  préhminaire,  Gassendi  aborde  le  délicat  problème 
de  la  certitude  :  Existe-t-il  un  critérium  qui  nous  permette  de  distin- 
guer sûrement  la  vérité  de  l'erreur  ? 

Parmi  les  choses  que  l'homme  désii'e  naturellement  connaître,  les 


I.    —   LOGIQUE    :    10   DE    LA    CERTITUDE  ,  91 

unes  sont  manifestes,  vg.  :  il  fait  jour  ;  les  autres  ne  le  sont  pas.  Les 
choses  cachées  pour  nous  peuvent  letre  de  trois  manières.  Ou  bien  elles 
sont  absolument  cachées  (penitus  occultœ)  :  vg.  les  étoiles  sont-elles 
en  nombre  pair  ou  impair  ?  Ou  bien  elles  sont  cachées  de  leur  nature 
(occultœ  natura),  mais  peuvent  être  révélées  par  quelque  intermédiah'e: 
vg.  la  sueur  atteste  l'existence  des  pores  de  la  peau.  Ou  enfin  elles  sont 
cachées  pour  un  temps  (occultœ  ad  tempus)  à  cause  d'un  obstacle 
interposé.  L'obstacle  enlevé,  elles  sont  naturellement  évidentes. 
La  discussion  ne  porte  pas  sur  les  choses  absolument  cachées,  mais  seu- 
lement sur  les  deux  autres  cas  ^. 

Pour  découvi'ir  la  vérité  accessible  mais  cachée,  nous  avons  besoin 
d'un  instrument  qui  serve  à  discerner  ( instrumentum  ad  judicandum)  -, 
et  cet  instrument  est  appelé  par  les  C4recs  un  critérium. 

Selon  les  Sceptiques,  l'esprit  atteint  les  apparences,  mais  ne  peut 
saisir  ce  que  sont  les  choses  en  elles-mêmes  ;  il  n'y  a  donc  pas  pour  eux 
de  critérium  ^.  D'après  les  Dogmatiques,  au  contraire,  la  vérité  des 
choses  est  accessible  en  elle-même  ^.  Gassendi  reproche  à  ces  derniers 
d'exagérer  la  puissance  de  l'esprit  humain  et  d'avoir  la  prétention 
de  tout  savoir.  Il  nous  est  aussi  impossible  de  pénétrer  tous  les  secrets 
de  la  nature,  que  de  voler  à  l'instar  des  oiseaux  ou  de  maintenir 
la  vie  dans  sa  fleur  (aut  avium  instar  volare,  aut  sistere  florem  œtatis)  ^. 

Gassendi  suivra  une  voie  intermédiaire  (média  quœdam  via)  entre 
pouvok  tout  connaître  et  ne  pouvoir  rien  connaître.  «  Nous  estimons 
comme  un  gain  considérable,  s'il  nous  est  donné,  malgré  la  grande  fai- 
blesse de  nos  forces,  d'attemdre  à  un  point  élevé,  d"où  nous  puissions 
contempler,  non  pas  la  vérité  tout  entière  et  comme  son  corps,  mais 
une  faible  image  d'elle-même  ou  plutôt  son  ombre  »  '^. 

Qui  peut  sérieusement  douter  que  quelque  chose  existe  ?  Le  pré- 
tendre avec  Gorgias  est  un  pur  sophisme.  «  Car,  certes,  si  rien  n'exis- 
tait, il  ne  lui  viendrait  pas  à  Tesprit  d'en  douter;  et  si  lui-même  n'était 
quelque  chose,  il  ne  raisonnerait  pas  ainsi  »  '^.  Les  Sceptiques,  d'ail- 
leurs, conviennent  eux-mêmes  que  nous  connaissons  les  apparences 
ou  phénomènes.  Mais  nous  pouvons  en  outre  connaître  quelque  chose 
de  la  réalité  cachée  et,  pour  en  juger,  un  critérium  nous  est  donné  *. 

Les  signes  (Tîxar.p'la),  qui  nous  font  connaître  les  choses  non  appa- 
rentes, sont  iiulicateurs  (svos'-x.T'.xà)  ou  avertisseurs  ('j-ouvca-T'.xà). 

1-2.  Syntagma  :  Logica,  C.  proœm..  L,  II,  C.  I,  pp.  68-69,  c.  2-1. 

3.  Syntagma  :  Logica,  C.  proœni.,  L.  II,  C.  II-III,  pp.  69-76. 

4.  Syntagma  :  LooiCA,  C.  proœm.,  L.  II,  C.  IV,  1. 1,  pp.  76-79. 

5.  Syntagma  :  Logica  C.  proœm.,  L.  II,  C.  V,  1. 1,  p.  79,  c.  2. 

6.  Existimamus  videlicet  magno  esse  deputandum  lucro,  si  in  liac  tanta  vùiiun 
imbecillitate  eo  possimus  assurgei-e,  unde  non  ipsam  quidem  (.seii  vcritatis  quasi  corpus) 
eed  vel  teniiem  quandam  ipsius  imaginera,  sive  potius  umbram  intueri  possimue. 
(Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  III,  C.  V,  t.  I,  p.  79,  c.  2). 

7.  Certe,  nisi  aliqtiid  foret,  non  veniret  illi  [Gorgias]  in  nientem  inficiari  aJiquid  esse  ; 
et,  nisi  ipse  aliqnid  esset,  non  ita  ratiocinaretur  (Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  II, 
C.  V,  t.  I,  p.  80,  c.  1). 

8.  Quod  autem  pleraque  ex  iis,  qua;  controvertunt  Sceptici,  reipsa  sciri  valeanf, 
fiicque  et  possit  veritas  aliqua  innotescere  et  ci-iterium  ad  hoc  dijndicandum  detur,  id 
pervidendum  paucis  jam  est.  (Syntagma  :  Logica.  C.  proœm.,  L.  Il,  C.  V,  t.  I,  p.  80, 
c.  1). 


92  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

Les  signes  indicateurs  n'ont  pas  été  perçus  avec  la  chose  cachée 
et  ne  la  manifestent  pas  elle-même  ;  mais  ils  sont  tels  que,  si  la  choss 
signifiée  n'existait  pas,  ils  n'existeraient  pas  non  plus  ;  d'où  il  suit  que, 
le  signe  étant,  la  chose  signifiée  est  nécessairement.  Exemples  :  la 
sueur  par  rappoit  aux  pores  de  la  peau,  l'action  vitale  par  rapport 
à  l'âme,  le  mouvement  par  rapport  au  vide  (du  moins  selon  Épicure). 

Les  signes  avertisseurs,  au  contraire,  ont  été  perçus  constamment 
unis  à  une  chose  manifeste  ;  aussi,  quand  la  chose  se  trouve  accidentel- 
lement cachée,  ils  la  rappellent.  Telle  est  la  fumée  par  rapport  au  feu. 
La  valeur,  au  moins  pour  la  vie  pratique,  des  signes  avertisseurs 
n'étant  pas  contestée  par  les  sceptiques,  la  controverse  porte  sur  les 
signes  indicateurs  ^. 

Pour  percevoir  et  interpréter  les  signes  indicateurs,  un  double  cri- 
térium est  nécessaire  :  d'abord,  les  sens  qui  font  connaître  le  signe  sen- 
sible ;  ensuite  l'intelligence,  qui,  par  le  raisonnement,  nous  fait  con- 
naître la  chose  cachée  elle-même  ".  Quelle  est  la  valeur  de  ce  double 
critérium  ? 

Les  sens  sans  doute  peuvent  être  quelquefois  une  occasion  d'erreur  -^ 
mais  l'intelligence  est  capable  d'amender  la  perception,  et,  une  fois 
que  le  signe  sensible  a  été  amendé,  elle  peut  raisonner  sur  la  chose 
cachée  et  porter  un  jugement  certain  ^. 

L'expérience  prouve  en  effet  que  l'esprit  a  la  capacité  d'accomphr 
ce  déhcat  travail.  Car  les  savants,  grâce  au  raisonnement,  avaient^ 
par  exemple,  affirmé  l'existence  des  pores  de  la  peau,  avant  que  le 
microscope  les  eût  révélés.  Démocrite,  sans  l'aide  du  télescope,  avait 
déduit  de  la  blancheur  ténue  de  la  voie  lactée  qu'elle  était  composée 
d'une  multitude  innombrable  de  petites  étoiles  *, 

Mais  les  Sceptiques  nient  la  valeur  du  raisonnement,  sous  prétexte 
que  les  principes  qui  le  fondent  ne  sont  pas  certains.  Car  ces  principes 
n'ont  de  valeur  que  s'ils  ont  été  démontrés  préalablement  par  des 
principes  antécédents,  ceux-ci  par  d'autres,  et  ainsi  indéfiniment, 
sans  qu'on  puisse  arriver  à  un  fondement  solidement  établi.  Gassendi 
répond  aux  Sceptiques  que  certaines  propositions  générales,  comme  les 

1.  Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  II,  C.  V,  t.  I,  p.  81,  c.  1-2. 

2.  Unde  et  fit  ut  duplex  in  nobis  possit  distingiii  critérium  :  unum,  quo  percipimus 
signum,  videlicet  sensus  ;  a,lterum.  quo  ipsani  rem  latentem  ratiocinando  intelligimus, 
mens  nempe,  intellectus  seu  ratio  (Synfygma  :  Logica,  C.  i^rooém.,  L.  II,  C.  V,  t.  I, 
p.  81,  c.  2). 

3.  Quippe  et  tametei  admittatm*  sensum  interdum  esse  fallacem  sicque  esse  posse 
signum  non  tutum,  attamen  quse  sensu  est  superior  ratio,  sensus  perceptionem  emendare 
sic  potest,  ut  signum  ab  eo  nisi  emendatum  non  accipiat,  ac  tum  demum  ratiocinetur 
sive  de  re  judicium  ferat.  (Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  II,  C.  V,  t.  I,  p.  81,  c.  2. 
Cf.  Ibidem,  p.  85,  c.  1).  —  Ailleurs  Gassendi  remarque  justement  que  l'erreur  jDropre- 
ment  dite  n'est  pas  dans  le  sens  qui  ne  rapporte  que  ce  qui  api^araît,  mais  dans  l'in- 
telligence qui  formule  une  opinion  :  Agnosco  proinde  sensuin  non  errare,  cujus  est  aola 
apparentia,  sed  mentetn,  cujus  est  opinio.  Gassendi,  De  apparente  Magnitudine  Solis 
hutnilis  et  sublimis  Epistolœ  quatuor,  Epistola  IV,  J.  Capellanio,  §  xv^,  p.  191,  Paris, 
1642.  Un  peu  plus  haut  il  dit  encore  :  Hinc  multiplex  quidem  fallacia  circa  objecta 
sensuum,  ac  potissimum  visus  ;  at,  si  falsitas  consequatur,  non  culpa  est  sensus,  sed 
solius  mentis.  —  On  trouvera  aussi  ces  passages  dans  OG.,  t.  III,  p.  472,  col.  1  et  col.  2. 

4.  Syntagma  :  Logica.  C.  proœm.,  L.  II,  C.  V,  1. 1,  p.  82.  col.  1. 


I.   —  LOGIQUE    :    2»  PROPREMENT   DITE  93 

axiomes  sur  lesquels  s'appuient  les  démonstrations  mathématiques, 
sont  si  évidentes  par  elles-mêmes  qu'elles  n'ont  pas  besoin  d'être 
prouvées  ^. 

II.    —    LOGIQUE    PROPREMENT    DITE 

La  Logique  est  l'art  de  bien  penser  (Ars  hene  cogitaîidi).  Cet  art  se 
ramène  à  quatre  opérations  :  Bien  imaginer  (Bene  imaginari).  —  Bien 
proposer  (Bone  proponere).  — -  Bien  conclure  (Bene  coUigere).  —  Bien 
ordonner  (Bene  ordinare)  ^.  Conséquemment  Gassendi  divise  la  Logique 
en  quatre  Parties  :  De  la  simple  Imagination  des  choses.  —  De  la  Pro- 
position. —  Du  Syllogisme.  —  De  la  Méthode.  Cette  division  a  été 
adoptée  depuis  par  Port-Royal  ^  et  beaucoup  d'autres  Logiciens 
postérieurs. 

Notre  philosophe  reconnaît  que  ley  règles  de  la  Logique  sont  pré- 
cieuses pour  bien  dh-iger  l'esprit  dans  la  recherche  de  la  vérité  *. 
Mais,  en  homme  pratique  et  ennemi  des  subtiHtés  péripatéticiennes, 
il  a  réduit  l'ancienne  Logique  aux  proportions  modestes  d'un  traité 
court  et  substantiel.  Les  superfluités  en  seront  bannies  ;  on  y  suppléera 
aux  déficits  des  cours  antérieurs  ;  enfin  une  sélection  sévère  en  éli- 
minera les  préceptes  qui  ne  sont  pas  utiles.  Entreprise  ardue,  qui  ne 
peut  sembler  facile  qu'à  des  gens  inexpérimentés  ^.  Il  utilisera  les 
travaux  de  ses  devanciers  :  les  Éléates.  les  Mégariques,  Platon,  Aris- 
tote,  les  Stoïciens,  Épicure,  Raymond  Lulle,  Ramus,  Bacon  et  Des- 
cartes, dont  il  résume,  dans  un  chapitre  préhminaire,  les  théories 
logiques  avec  une  clarté  servie  par  une  grande  érudition  *". 

Toute  la  Logique  de  Gassendi  est  formulée  en  Règles  (Canones) 
brèves.  C'est  une  sorte  de  Canonique,  imitée  de  celle  d'Épicure  ^ 
et  enrichie  des  découvertes  faites  par  les  anciens  et  les  modernes. 
Car  notre  logicien  fait  profession  ouverte  d'éclectisme  :  loin  d'être 
inféodé  à  aucune  secte  philosophique,  il  rend  à  toutes  l'honneur 
qu'elles  lui  semblent  mériter  ^. 

1.  Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  II,  C.  V,  t.  I.  p.  8fi,  c.  I. 

2.  Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  t.  I,  pp.  32  et  33.  —  Gassendi  a  tort  d'appeler  la 
première  opération  de  l'esprit  :  Bene  imaginari.  Elle  forme  les  concepts  et  doit  s'ap- 
peler conception  ou  appréhension. 

3.  Voici  la  divisioi  de  Port-Ro  al  :  Réflexions  sur  les  idées.  — Ré  fle.vions  sur  les  juge- 
ments. —  Dîi  raisonnement.  — De  la  Méthode. 

4.  Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  II,  C.  VI,  t.  I,  p.  86-90. 

5.  Cum  siibinde  vero  consentaneum  sit  seligere  ex  omnibus  quicquid  prn?sertim  utile 
est,  ac  simul,  si  quid  deficiat,  supplere,  si  qiiid  siiperfluat,  rescindere  ;  opus  est  sane 
magis  arduum,  quam  videri  inexperto  possit.  (Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  II, 
C.  VI,  T.  I,  p.  90,  c.  2). 

6.  Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  L.  I,  C.  II-XI,  t.  I,  pp.  38-60. 

7.  Voici  comment  Gassendi  caractérise  la  Canonique  d'Epicure  :  Inniii  jam  ante 
Epicurum,  cum  repudiaret  Dialecticam  seu  artem  illam  disputatricem,  substituisse 
Canonicam  continentem  canones  dijudicandîe  veritatis.  (Lettre  au  Prince  LoUis  de 
Valois,  Parisiis,  3  kal.  Julii  1642,  O.  G.,  t.  VI,  p.  144,  col.  1). 

8.  Id  satis  erit  quod  Logicam,  quia  ars  quaedam  sit.  explicemus  per  canones  regulasve 
argumento  congruas  ;  quanquam  et  in  ipsis  tradendis  non  Epicuri  modo,  sed  aliorum 
etiam  habituri  rationem  simus.  Occasione  hac  intérim  insinuo  (quod  et  nunquam  non 


94  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHIGUM 


10  __  De  la  simple  imagination  des  choses  ou  de  l'idée  i 

Les  idées  sont  singulières  ou  générales.  Les  unes  et  les  autres  sont 
vraies,  quand  elles  sont  conformes  à  leur  objet  ;  fausses,  dans  le  cas 
contraire.  Une  idée  singulière  est  (C  d'autant  plus  parfaite  qu'elle 
représente  un  plus  grand  nombre  de  parties  et  de  propriétés  de-  la 
chose  ))  ^  .qu'elle  reproduit.  Une  idée  générale  est  «  d'autant  plus  par- 
faite qu'elle  est  plus  complète  et  représente  plus  purement  ce  en  quoi 
les  choses  singulières  conviennent  »  ^. 

Pour  se  prémunir  contre  les  idées  fausses,  il  faut  surveiller  la  source 
d'où  elles  sortent.  Celles  qui  viennent  de  l'expérience  sensible  doivent 
être  soigneusement  contrôlées,  à  cause  des  illusions  dont  la  percep- 
tion des  sens  est  l'occasion  fréquente  :  une  tour,  réellement  carrée, 
vue  de  loin  paraît  ronde.  Pour  cela  il  faut  recourir  à  des  expériences 
nouvelles  et  ne  rien  affirmer,  selon  le  précepte  d'Épicure,  que  quand, 
tout  ayant  été  pesé,  aucune  contradiction  légitime  n'est  plus  pos- 
sible *.  Approchons-nous  de  la  tour  poiu^  nous  assurer  de  sa  forme 
véritable. 

Le  tempérament,  les  passions,  la  coutume,  les  préjugés  faussent 
facilement  les  idées.  Pour  se  préserver  de  leur  influence  troublante, 
il  faut  acquérir  une  grande  liberté  d'esprit  et  n'avoir  d'autre  souci 
que  celui  de  la  vérité  ^. 

Lorsque  nos  connaissances  sont  fondées  sur  l'autorité  des  autres, 
il  ne  faut  pas  accepter  leur  témoignage  à  la  légère.  Mais,  avant  d'y 
adhérer,  on  doit  se  rendre  compte  et  dé  leur  perspicacité  et  de  leur 
véracité.  C'est  l'excellent  conseil  d'Épicharme  :  Nervos  et  artus  sapien- 
tiœ,  nihil  temere  credere  ^. 

Il  importe  enfin  de  se  tenir  en  garde  contre  les  termes  ambigus  et 
les  locutions  figurées  '.  ' 

§  2.  — -  De  la  Proposition  8. 

Gassendi  s'attache  principalement  à  donner  des  règles  pour  recon- 
naître les  propositions  vraies,  fausses  ou  probables.  En  dernière  ana- 
lyse on  doit,  comme  pour  les  idées,  s'en  rapporter  à  l'évidence  des 
sens  et  de  la  raison.  C'est  pourquoi  il  ne  faut  affirmer  ou  nier  la  conve- 
nance ou  la  disconvenance  entre  le  sujet  et  l'attribut,  que  lorsque 
tout  doute  est  impossible. 

Notre  logicien  termine  cette  seconde  Partie  en  dressant  une  longue 
liste  de  propositions  logiques  qui  peuvent  servir  dans  les  recherches 

contes'atus  sum)  uulli  me  sectîe  nomen  dare,  qui  omnibus  honorem  habeo,  et  nunc 
liane,  nunc  illam,  si  quid  habere  prss  cseteris  probabile  videatur,  sequor.  (Syntagma^ 
Libro  proœmiali,  C.  IX,  t.  I,  p.  29,  c.  2). 

].  'Syntagma  :  Logica,  C.  proœm.,  Parte  1. 1.  I,  pp.  92-99. 

2-3.  Syntagma  :  Logica,  P.  I,  Canonibus  VII  et  VIII,  t.  I,  p.  95,  c.  1-2. 

4-5.  Syntagma  :  Logica,  P.  I,  Can.  XI  et  XI.  t.  I,  p.  96,  c.  1-2. 

H-7.  Syntagma  :  Logica.  P.  I,  Can.  XIII  et  XIV,  t.  I,  pp.  96-97,  c.  2-1. 

8.  Syntagma  :  Logica,  P.  II,  t.  I,  pp.  99-106. 


I.    —   LOGIQUE    :    2°   PROPREMENT   DITE  95 

et  les  argumentations.  Chaque  lieu  d'où  l'on  tire  les  arguments  :  le 
genre,  V espèce,  le  jyropre,  la  définition,  le  tout,  la  partie,  etc.,  fournit 
chacun  une  maxime  à  laquelle  l'argument  emprunte  sa  force  probante 
(cuique  loco  sno  est  aliqua  maxirna,  ex  qua  sinon  rohur  argumeïUum 
accipiat)  ^. 

§   3.    —   Du   SyUogisme. 

C'est  ici  surtout  que  GaSvsendi  s'est  efforcé  de  simplifier  l'ancienne 
Logique  et  de  s'en  tenir  au  strict  nécessaire,  laissant  de  côté  tout  c& 
qui  lui  paraît  superfluité  ou  pure  curiosité.  Ainsi,  il  ramène  les  trois 
figures  aristotéliciennes  à  deux  :  l'une  «  liée  ou  conjointe  et  affirma- 
tive »,  c'est-à-dire  dont  les  ternies  se  conviennent  ;  l'autre  "  déliée 
ou  disjointe  et  négative  »,  c'est-à-dii'e  dont  les  termes  se  repoussent  -. 
Ainsi  encore,  il  réduit  à  six  les  dix-neuf  modes  concluants  d'Aristote  : 
trois  pour  chaque  figure  ^. 

Comme  la  découverte  du  moyen  terme  présente  quelque  difficulté, 
Gassendi,  pour  la  faciliter,  énumère  différents  lieux,  d'où  l'on  peut 
tirer  le  moyen  terme  soit  pour  le  syllogisme  démonstratif  *,  soit  pour 
le  syllogisme  vraisemblable  ou  persuasif  ^. 

§   4.   —  De   la  Méthode  «. 

La  Méthode  est  «  un  ordre  et  une  direction  imposés  à  nos  pensées 
en  vue.  soit  de  rechercher  et  de  découvrir  avec  sagacité,  soit  d'exami- 
ner et  de  juger  avec  habileté  ce  qui  a  été  découvert,  soit  enfin  de  disposer 
convenablement  ce  qui  a  été  découvert  et  jugé,  de  telle  sorte  qu'on 
puisse  l'enseigner  aux  autres  »  ".  De  là  trois  espèces  de  méthode  :  la 
première,  d'invention  ;  la  seconde,  de  jugement  ou  d'e.ï«mew  ;  la  troi- 
sième, de  doctrine  ou  d'enseignement. 

La  Méthode  d'invention  sert  à  trouver  le  moyen  terme  qui  peimettra 
d'affirmer  ou  de  nier  la  connexion  entre  un  sujet  et  un  attribut.  Dans 
cette  chasse  au  moven  terme,  l'esprit  a  besoin  d'un  flair  délicat  pour 
en  '<  subodorer  »  la  trace,  soit  du  côté  du  sujet,  soit  du  côté  de  l'attribut, 
comme  le  hmier  suit  le  gibier  à  la  piste  ^.  Il  peut,  dans  cette  recherche, 
procéder  par  analyse  ou  résolution,  en  partant  du  sujet,  ou  bien  par 

1.  Syntagma  :  Logica,  P.  II,  Can.  XVI,  t.  I,  pp.  104-106. 

2.  Syntagma  :  Logica,  P.  III.  Can.  II.  III  et  IV,  t.  I,  pp.  108-109. 

3.  Syviagma  :  Logica,  P.  III,  Can.  V-VIIl,  t.  I.  pp.  109-112. 

4-5.  Syntagma  :  Logica,  P.  III,  Can.  XVII  et  XIX,  t.  I,  pp.  117  et  118-119. 

6.  Syntagyna  :  Logica.  P.  IV,  t.  I,  pp.  120-124. 

7.  ...  Videntur  posse  cogitationes  certa  ratione  ordinari,  procedere  ac  dirigi,  aut  ad 
disquirendum  inveniendumque  sagaciter  ;  aut  ad  examinandnm  judicandumqiie 
solerter  id  qiiod  inventuni  fuerit  ;  aut  ad  digerendum  apposite  quicquid  inventum  et 
judicatuin  fuerit,  ut  aliu.s  doceri  idem  possit.  (Syntagma  :  Logica,  P.  IV,  t.  I,  p.  120). 

8.  Quamobrem,  ut  caiiis,  nisi  ferain  videat,  eju.s  vestigium  arripit  subodorandoquo 
sectatiir,  quo\Ksque  fwani  detegat  ;  ita.  nisi  médium  prima  spocie  occurrat,  arripiendum 
quidpiam,  seu  ex  parte  subjecti,  sou  ex  parte  attributi,  est,  quod  sit  quasi  vestigium,^ 
cujus  ductu  eo  perveniatur  ut  detegatiu-  mediimi...  (Syntagma  :  Logica,  P.  IV,  Can. 
I,  t.  I,  p.  120,  c.  2). 


96  ARTICLE  II.   CHAPITRE  IV.   —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

synthèse  ou  composition,  en  partant  de  l'attribut.  Pour  établii",  par 
exemple,  une  généalogie,  on  peut  suivre  l'une  et  l'autre  voie.  Gassendi 
explique  aussi  en  quoi  consiste  l'analyse  et  la  synthèse  des  géomètres  ^ 

La  Méthode  de  Jugement  sert  à  examiner  la  valeur  des  résultats 
obtenus  par  l'analyse  et  la  synthèse.  A  l'imitation  du  mathématicien, 
qui  fait  la  preuve  de  l'addition  par  la  soustraction  et  celle  de  la  sous- 
traction par  l'addition,  il  faut  contrôler  l'un  par  l'autre  les  procédés 
employés,  c'est-à-dire  parcourir  le  même  chemin,  mais  en  sens  inverse. 
Si  l'on  a  découvert  le  moyen  terme  en  usant  de  la  synthèse,  qu'on 
recoure  ensuite  à  l'analyse,  et  réciproquement.  Cette  Méthode  est 
apphcable  à  tout  ce  qui  est  composé  de  plusieurs  parties.  Ainsi,  après 
avoir  démonté  tous  les  rouages  d'une  horloge,  on  les  rassemble  et 
rajuste  pour  reconstituer  l'horloge  '^. 

Ici  encore  Gassendi  recommande  de  faire  usage,  avant  de  porter 
un  jugement,  du  double  critérium  des  sens  et  de  la  raison.  S'agit-il 
de  choses  qui  tombent  sous  l'expérience  ?  C'est  le  témoignage  des 
sens  qu'il  faut  consulter  et  c'est  à  leur  évidence  qu'on  doit  s'en  rap- 
porter, après  avoir  écarté  l'obstacle  qui  peut  l'offusquer.  L'obstacle 
sera,  par  exemple,  la  distance  qui  fait  paraître  petit  un  objet  grand. 
S'agit-il  de  choses  que  seule  la  raison  est  capable  de  percevoir  ?  C'est 
à  la  lumière'  de  la  raison  qu'on  doit  s'en  rapporter.  Mais  que  faire, 
si  les  sens  et  la  raison  se  contredisent  ?  Ai'istote  déclare  excellemment 
que  le  conflit  doit  être  tranché  par  l'expérience.  Les  anciens  avaient 
cru  démontrer  par  le  raisonnement  l'impossibilité  des  Antipodes. 
Leur  raisonnement  a  croulé  le  jour  où  des  vo^^ageurs  en  ont  constaté 
de  visu  l'existence  ^. 

La  Méthode  d''Enseigneme7it  sert  à  transmettre  aux  autres  la  vérité 
qu'on  a  découverte  ou  qu'on  a  apprise.  Qu'il  soit  question  de  vérité 
spéculative  ou  pratique,  de  science  ou  d'art,  cette  méthode  consiste 
à  commencer  par  suivre  la  voie  résolutive  ou  analytique  et  à  continuer 
en  employant  la  synthèse  ou  composition.  Ainsi,  celui  qui  veut  ensei- 
gner l'art  de  bâtir,  expliquera  d'abord  de  quelles  parties  une  maison 
se  compose,  avec  quels  matériaux  on  la  construit,  où  l'on  peut  trouver 
ces  matériaux,  etc.  Ensuite  il  fera  voir  comment  on  les  rassemble  et 
dispose  en  vue  de  former  ce  tout  qui  s'appelle  une  maison.  Il  est  clak* 
qu'on  doit  procéder  de  la  même  manière  pour  l'enseignement  des 
sciences  *. 

A  cette  règle  fondamentale,  Gassendi  ajoute  neuf  règles  accessoires 
pleines  de  bon  sens  et  de  sagesse.  On  sent  qu'il  Tes  avait  pratiquées 
lui-même  et  en  avait  tiré  profit  ^. 


1.  Syntagma      Logica,  P.  IV,  Can.  II,  t.  I,  p.  121,  c.  1-2. 

2.  Syntagma  :  Logica,  P.  IV,  Can.  III,  t.  I,  pp.  121-122.       • 

3.  Syntagma  :  Logica,  P.  IV,  Can.  IV,  t.  I,  p.  122. 

4.  Syntagma  :  Logica,  P.  IV,  Can.  V,  t.  I,  pp.  122-123. 

5.  Syntagma  :  Logica,  P.  IV,  Can.  VI-XIV,  t.  I,  pp.  123-124. 


II.   —   PHYSIQUE    :    1°   ESPACE    ET   TEIVIPS  97 


DEUXIÈME    PARTIE.    —    PHYSIQUE. 

Ici,  plus  encore  que  pour  la  Logique  (car  la  matière  est  infinie), 
on  se  bornera  à  relater  les  opinions  et  les  doctrines  C£ui  impriment 
à  la  philosophie  gassendiste  un  cachet  spécial. 

§    I.    —    DE    L  ESPACE    ET    DU    TEMPS  i 

A.    —   DE   L'ESPACE 

Quand  on  cherche  à  se  figurer  l'univers,  il  nous  apparaît  situé 
dans  un  espace  immense  qui  le  contient  et  l'enveloppe  de  toute  part. 
L'espace  est  conçu  comme  nécessaire,  immense,  immobile  et  incorporel. 
Tels  sont  ses  caractères  ^.  Quelle  est  sa  nature  ?  L'espace  n'est  ni 
une  substance,  ni  le  mode  d'une  substance,  ni  une  simple  conception 
de  l'esprit,  ni  une  fiction  Imaginative  telle  qu'un  centaure.  L'espace 
est  «  une  chose  à  sa  manière  »  ;  c'est  avant  tout  «  une  capacité  de  rece- 
voir les  êtres  )>.  Il  faut  donc  élargir  l'ancienne  division  aristotélique 
qui  ramène  toutes  choses  à  deux  catégories  :  la  Substance  et  V Accident  ; 
il  faut  y  ajouter  y  le'Lieu,  dans  lequel  toutes  les  substances  et  tous  les 
accidents  sont  »,  et  k  le  Temps,  dans  lequel  toutes  les  substances  et 
accidents  durent  »  ^. 

Les  difficultés  soulevées  à  propos  du  Lieu  s'évanouissent  *,  si  Ton 
admet  que  le  lieu  n'est  pas  autre  chose  que  l'espace  décrit  ci-dessus. 
C'est  pourquoi  Ton  peut  remplacer  la  définition  du  heu  donnée  par 
Aristote  :  x  La  surface,  première  du  corps  ambiant  »,  par  cette  autre 
meilleure  :  «  C'est  la  portion  d'espace  qu'occupe  une  chose  )>.  De  même, 
on  comprend  pourquoi  l'on  affirme  que  les  corps  changent  de  lieu, 
que  le  heu  est  immobile  et  commensurable  au  corps  qui  l'occupe. 
On  comprend  encore  pourquoi  des  êtres  incorporels,  comme  Dieu  et 
les  anges,  sont  dits  quelquefois  être  dans  un  lieu  ;  pourquoi  Ton  peut 
définir,  après  Aristote.  le  vide  :  un  heu  sans  corps.  C'est  que  le  heu 
n'est  point  partie  intégrante  de  l'objet  lui-même  ou  l'une  de  ses  modi- 
fications ;  il  n'est  autre  chose  que  l'espace  même,  qui  est  appelée  vide 
quand  il  est  privé  de  corps,  et  lieu,  quand  il  est  occupé  par  un  corps  ^. 

1.  Syntagma  :  Physica,  Seet.  I,  L.  II,  t.  I,  pp.  179-228. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  I,  t.  I,  p.  183,  c.  1-2. 

3.  Unde  et  efficitur  ut  Eus  généralissime  acceptum  non  adaequate  dividatur  in 
Subetantiam  et  Accidens  ;  sed  adjici  Locus  et  Tempus,  iit  duo  qusedani  niembra  di\'i- 
sioni  debeant,  velut  si  quis  dicat  :  Omne  ens  aut  esse  Substafitiam,  aut  Accidens,  aut 
Locuni,  in  quo  onines  substantiae  omniaque  accidentia  sint  ;  aut  Tempus  in  que  omnes 
Bubstantiae  omniaque  accidentia  durent.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  I,  t.  I, 
p.  182,  c.  1). 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  VI,  T.  I,  pp.  217-218. 

5.  CXim  p  jrro,  ex  alibi  dictis  (Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  VI)  videatur  locus  nihil  esse 
aliud  quam  spatiiun.  qnod  si  occupatum  quidem  a  corpore  sit,  dicatur  plénum  ;  si 
inoccupatum,  dicatur  iuane.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  IV,  t.  I,  p.  304, 
c.   1). 


88  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

Gassendi  est  allé  au-devant  d'une  grave  difficulté  que  suggère 
inévitablement  cette  théorie  de  l'espace.  D'une  part,  «  de  la  descrip- 
tion donnée  ici  de  l'espace,  on  déduit  qu'il  est  et  incréé  et  indépendant 
de  Dieu  ;  d'autre  part,  on  a  dit  qu'il  était  quelque  chose  ;  il  semble 
donc  suivre  de  là  que  Dieu  n'est  point  l'auteur  de  toutes  choses  »  i. 
Voici  comment  il  répond  à  ce  «  scrupule  »  :  «  Par  espace  et  dimensions 
spatiales,  il  conste  que  nous  n'entendons  pas  autre  chose  que  ce  que 
l'on  nomme  vulgairement  les  espaces  imaginaires,  dont  la  plupart 
des  Docteurs  sacrés  admettent  l'existence  au  delà  du  monde  »  2. 
Or  il  n'y  a  pas  «  d'inconvénient  à  nommer  ces  espaces  incréés  et  indé- 
pendants de  Dieu,  parce  qu'ils  ne  sont  rien  de  positif,  c'est-à-dù*e 
qu'ils  ne  sont  ni  substance,  ni  accident,  termes  qui  comprennent  tout 
ce  qui  a  été  créé  par  Dieu  «  ^.  Gassendi  a  beau  dire  que  l'espace  n'est 
pas  quelque  chose  de  positif,  ne  peut  ni  agir,  ni  pâtir,  qu'il  laisse  seule- 
ment tout  le  reste  le  traverser  ou  l'occuper  *,  cependant,  il  affirme 
aussi  qu'il  est  quelque  chose  de  réel  ^.  Toute  cette  doctrine  est  obscure 
et  équivoque.  Si  l'espace  est  quelque  chose  et  s'il  est  en  même  temps 
incréé  et  indépendant,  on  ne  voit  pas  comment  il  n'est  pas  Dieu 
ou  son  attribut,  l'immensité.  L'obscmité  et  l'équivoque  viennent 
de  ce  que  Gassendi  n'a  pas  distingué  entre  l'espace  absolu  et  l'espace 

1.  Quo  nomine  etiam  eximendus  est  ille,  qui  cuipiam  fortassis  subnasci  posset  sci-u- 
pulus,  ex  eo  quod  spatium,  quatenus  heic  descriptum  est,  colligatur  et  improduetum 
et  independens  esse  a  Deo,  et  cum  dictum  sit  esse  qusepiam  res,  sequi  videatur  Deum 
igitur  non  fore  authorem  omnium  rerum.  (Syntagma  :  Physica.  Sect.  I,  L.  II  C  I 
t.  I,  p.  183,  c.  2).  ,  >  >  , 

2.  Etenim  constat,  nomine  spatii  dimensionumque  spatialium,  nilhil  intelligere  nos 
almd  quam  quae  spatia  vulgo  imaginaria  nominant,  qualiaque  Sacrorum  Doctorum 
maxima  pars  dari  admittit  ultra  mundum.  (Syntagma  :  Physipa,  Sect.  I  L.  II  C  I 
t.  I,  p.  183,  c.  2).  '     '    ' 

3.  Non  vertunt  autem  incommode  dici  ea  spatia  improducta  independentiaque  a  Deo, 
quoniam  positivum  nihil  sunt,  hoc  est,  neque  substantia,  neque  accidens,  qua  utraque 
voce  comprehenditur  quicquid  rerum  est  a  Deo  productum.  (Syntagma  :  Physica. 
Sect.  I,  L.  II,  C.  I,  t.  I,  pp.  183-184). 

4.  ...  Quippe  cum,  ex  superius  dictis,  spatium  neque  agere,  neque  pati  aliquid  posait, 
sed  Jiabeat  solam  repugnantiam  qua  ainat  caetera  trausire  per  se  aut  se  occupare. 
(Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  n,  C.  I,  t.  I,  p.  183,  c.  2). 

6.  Ex  hoc  vero  fît  ut  locus  et  tempus  haberi  res  verœ,  entia  realia  debeant  ;  quod 
licet  taie  quidpiam  non  sint  quale  vulgo  habetur  aut  substantia,  aut  accidens,  re\era 
sint  tamen,  neque  ab  intellectu,  ut  chimaerae,  dependeant,  cum,  seu  cogitet  intellectus, 
seu  non  cogitet,  et  locus  permaneat  et  tempus  procurrat  (Gassendi,  Syntagma  :  Phy- 
sica, Sect.  I,  L.  II,  C.  I,  T;  I,  p.  182,  c.  1).  Il  faut  remarquer  que  Gassendi  emploie  le 
mot  locus  comme  synonjmie  de  spatium  :  Itaque  dicendum  est  quidem  locum  esse  quan- 
titatem  extensionemve  quandam,  spatium  nempe  seu  intervallum  triplici  dimensione, 
longitudinis  et  profunditatis  constans,  in  quo  corpus  recipi,  aut  per  quod  transire 
corpus  possibile  sit  ;  at  simul  dicendum  ejus  dimensiones  esse  incorporeas  atque  adeo 
locum  ©sse  intervallum  spatiumveincorporeum,  seii  incorpoream  quantitatem  (Ibidem). 
Gassendi,  on  le  voit,  se  heurte  à  une  antinomie  qu'il  ne  peut  résoudre  :  l'espace,  tel 
qu'il  le  décrit,  est  à  la  fois  quelque  chose  de  réel  et  de  non  réel.  Pour  lever  cette  anti- 
nomie, il  faut  dire  que  l'espace,  dans  lequel  nous  existons,  est  une  relation,  mais  cette 
relation  a  un  fondement  réel  dans  les  corps  coexistants  qui  composent  l'unîvers.  — 
«  Pour  moi,  dit  Leibniz,  j'ay  marqué  plus  d'une  fois  que  je  tenois  l'Espace  pour  quelque 
chose  de  purement  relatif,  comme  le  Temps  ;  pour  un  ordre  des  coexistences,  comme  le 
temps  est  un  ordre  de  successions  »  (Réponse  à  la  seconde  Réplique  de  M.  Clarke,  §  4, 
Œuvres,  Ed.  Guerhahdt,  t.  VII,  p.  363). 


II.   —  PHYSIQUE    :    10   ESPACE   ET   TEMPS  99 

réel.  L'espace  absolu  ou  imaginaire,  est  la  possibilité  indéfinie  de 
l'extension  en  longueur,  largeur  et  profondeur.  A  cet  espace  con- 
viennent les  caractères,  énumérés  plus  haut,  de  nécessité,  à' immobilité, 
car  c'est  une  conception  de  notre  esprit  fondée  sur  la  nature  des  choses. 
L'espace  réel  est  la  relation  qui  résulte  actuellement  de  la  coexistence 
des  corps  :  il  est  contingent,  fini,  relatif^.  Leibniz  tient  «  l'espace... 
pour  un  ordre  des  coexistences,  comme  le  temps  est  un  ordre  des  suc- 
cessions »  ^.  Il  a  nettement  marqué  les  deux  aspects  de  la  question  •. 
«  Le  temps  et  l'espace  sont  de  la  natui'e  des  vérités  éternelles,  qui 
regardent  également  le  possible  et  l'existant  »  ^.  Il  dit  notamment 
de  l'espace  :  «  C'est  un  rapport,  un  ordre,  non  seiilement  entre  les 
existants,  mais  encore  entre  les  possibles  comme  s'ils  existaient. 
Mais  sa  vérité  et  sa  réalité  est  fondée  en  Dieu,  comme  toutes  les 
vérités  éternelles  «  *. 


B.   —   DU   TEMPS 

Saint  Augustin  a  eu  raison  de  dire  :  «  Si  personne  ne  me  demande 
ce  que  c'est  que  le  temps,  je  le  sais  ;  mais,  si  je  veux  l'expHquer  à  qui 
me  le  demande,  je  ne  le  sais  plus  »  ^.  Tout  le  monde  en  efîet  comprend 
quand  on  .dit  :  il  y  a  longtemps  ou  il  y  a  peu  de  temps  ;  mais  la  diffi- 
culté commence  quand  on  cherche  à  défink  le  temps  par  le  gem'e  pro- 
chain et  la  différence  spécifique  ^.  Cependant  la  notion  d'espace  va 
nous  aider  à  comprendre  la  notion  du  temps  ou  de  la  durée.  Le  temps, 
en  effet,  est  aux  choses  successives  ce  que  l'espace  est  aux  choses 
étendues  et  permanentes.  Ainsi  que  l'espace,  il  est  sans  Hmites,  incréé, 
incorporel,  indépendant  '.  «  C'est  pourquoi,  cornme  nous  imaginons 
les  choses  incorporelles  à  l'instar  des  choses  corporelles,  peut-être 
suffira-t-il  de  dire  :  de  même  que,  dans  les  choses  corporelles,  U  y  a 
deux  espèces  de  diffusion,  d'extension  ou  de  quantité,  l'une  permanente 
comme  la  grandeur,  l'autre  successive,  comme  le  mouvement  ;  ainsi 
il  y  a,  dans  les  choses  incorporelles,  deux  espèces  de  quantité,  l'une 
permanente,  le  heu  ou  espace  ;  l'autre  successive,  la  durée  ou  temps. 
En  sorte  que,  comme  l'espace  a  été  décrit  plus  haut  :  une  étend«e 
incorporelle  et  immobile,  dans  laquelle  il  est  loisible  de  désigner  Ion-, 
gueur,  largeur  et  profondeur,  de  telle  manière  qu'il  puisse  être  le  lieu 
de  chaque  chose  ;  ainsi,  la  durée  peut  être  décrite  :  une  étendue  incor- 
porelle et  fluente,  dans  laquelle  il  est  loisible  de  désigner  le  passé, 
le  présent  et  le  futur,  de  telle  façon  qu'elle  puisse  être  le  temps  de 


1.  Cf.  G.  Sortais,  Traité  de  'philosophie  :  T.  I,  Psychologie,  n.  192,  §  A,  V",  pp.  414- 
416,  4e  Edition,  Paris,  1911. 

2.  Leibniz,  Réponse  à  la  seconde  Réplique  de  M.  ClarJce,  §  4. 

3-4.  Leibniz,  Nouveaux  Essais  sur  VÈntendement  humain,  L.  H,  Ch.  XTV",  §  26.  — 
Cf.  Ch.  XIII,  §  17. 

6.  Si  nemo  ex  me  qiiaerat  qiiid  sit  tenipus,  scio  ;  si  quserenti  explicari  velim,  neecio. 
(S.  Augustin.  Confession.  L.  II,  C.  XIV). 

6.  Syntayma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  VII,  t.  I,  p.  220,  c.  1. 

7.  Syntagma  :  Phystca,  Sect.  I,  L,  II,  C.  VII,  t.  I,  p.  220,  c.  I,  et  pp.  224-225. 


100  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

chaque  chose  »  ^.  On  peut  comparer  le  temps  à  un  cours  d'eau  dont 
les  flots  se  succèdent  sans  interruption,  ou  mieux  encore  à  la  flamme 
d'une  lampe,  dont  l'essence  consiste  tellement  dans  la  mobilité  que 
cette  flamme  est  autre  à  chaque  moment  :  elle  n'est  jamais  plus  celle 
qui  a  été  auparavant,  et  n'est  pas  encore  celle  qui  sera  ensuite.  Car 
la  nature  du  temps  est  tellement  fluente  que  tout  ce  qui  s'en  est  écoulé 
n'est  plus  à  présent  et  que  tout  ce  qui  s'en  doit  écouler  n'est  pas  encore. 
Et  cependant,  comme  toute  la  flamme  ne  cesse  pas  d'être  quelque 
chose  de  corporel  et  de  continu,  quoique  chacune  de  ses  parties  soit 
momentanée,  de  même  le  temps  envisagé  dans  sa  totalité  ne  laisse 
pas  d'être  quelque  chose  d'incorporel  et  de  continu,  quoique  chacune 
de  ses  parties  soit  momentanée,  ou  plutôt  soit  le  moment  même,  le 
maintenant,  l'instant,  le  présent  ^. 

Le  temps,  comme  l'espace,  n'est  ni  une  substance,  ni  un  accident, 
ni  une  simple  conception  de  l'esprit,  mais  une  chose,  un  être  réel 
à  sa  manière,  qu'on  ne  doit  pas  confondre  avec  le  néant,  quoiqu'on 
le  nomme  imaginaire. 

Gassendi  repousse  ^  en  conséquence  la  célèbre  définition  qu'Aris- 
tote  a  donnée  du  temps  :  «  C'est  le  nombre  de  successions  de  l'avant 
et  de  l'après  dans  le  mouvement  »  *.  Sans  doute,  pour  mesurer  le  temps, 
les  hommes  utilisent  les  phases  de  quelque  mouvement,  et  princi- 
palement du  mouvement  céleste  ;  mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  le  temps 
soit  la  mesure  du  mouvement,  car,  quelle  que  soit  en  définitive  sa 

1.  Quamobrem  forte  suffecerit,  si,  cum  res  incorporeas  corporearum  instar  imagine- 
mur,  esse  dicamus,  ut  in  rébus  corporeis  diffusionem,  extensionem  quantitatemve 
duplicem,  unam  permanentem,  ut  magnitudinem  ;  aliam  successivanî,  ut  motum  ; 
sic  et  in  incorporais  duplicem,  unam  permanentem  quae  sit  locus  seu  spatium  ;  aliam 
successivam,  quse  duratio  seu  tempus  ;  adeo  ut  quemadmodum  spatium  descriptum 
superius  extensio  incorporea  ac  immobilis,  in  qua  designare  sic  liceat  longitudinem,. 
latitudinem  et  profunditatem  ut  cujusque  rei  esse  locus  valeat  ;  ita  et  duratio  jam' 
valeat  describi  extensio  incorporea,  fluens,  in  qua  sic  praeteritum,  praesens,  futurum.  . 
designare  liceat  ut  rei  cujusque  esse  tempus  possit.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I^ 
L.  II,  C.  VII,  T.  I,  p.  220,  c.  2). 

2.  Syntagina  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  VII,  T.  I,  p.  223,  c.  1  :  Quanquam  appositum 
est  magis  comparare  tempus  cum  lucernse  flamma,  cujus  esse  ita  in  fluxu  consistit,  ut 
quovis  momento  alia  ac  alia  sit,  et  nusquam  sit  amplius  quœcumque  ante  fuit,  nus- 
quam  adhuc  sit  quœcinnque  est  futura.  Eodem  nempe  modo  teinporis  natura  ita  ia 
fluxu  posita  est,  ut  quicquid  est  ex  eo  transactum,  jam  amplius  non  sit,  neque  adhuc  sit 
quicquid  superest"  ex  eo  transigendum.  Quare  et  exinde  efficitur  ut,  quemadmodum 
flamma  non  desinit  tota  esse  aliquid  corporeum  et  continuum,  licet  quselibet  ejus  pars- 
momentanea  sit,  sic  tempus  secundum  se  totum  non  desinat  esse  quidp'am  incorporeum 
et  continuum,  tametsi  quaevis  ejus  pars  momentanea  sit,  sive  potius  ipsum  momentum 
quod  et  nunc,  et  instans,  et  praesens  appellant.  Ut  enim  quaevis  flammula  praesens  cum 
mox  praecedente  et  cum  mox  sequente  est  connexa,  ac,  pari  ratione  omnium  exsistente, 
totius  continuatio  fit  ;  ita  quodlibet  temporis  momentum  cum  mox  praecedente  cumque 
rnox  sequente  connexionem  habet,  ac,  omnium  ratione  pari  exsistente,  continens 
totiue  successio   creatur. 

3.  Syntagma  :  Physica,,  Sect.  I,  L.  II,  C.  VII,  T.  I,  p.  221,  c.  1. 

4.  'ApiOijiô^  xtvr'.ffsoj-  xaTa  ~ô  ttoÔtï^ov  xaî  'Jttsoov  (Physique,  L.  IV,  C.  XI,  n.  5. 
Edit.  DiDOT.  T.  II,  p.  300,  ligne  4.  —  Aristote  a  raison  contre  Gassendi,  qui  ne  l'a  pas- 
compris.  Le  temps  et  le  mouvement  sont  deux  aspects  de  la  même  réalité.  Quand  nou» 
avons  l'idée  de  mouvement,  nous  concevons  le  passage  du  mobile  d'un  lieu  à  iin  attire  ; 
quand  nous  formons  l'idée  de  teinps,  ce  qui  vient  immédiatement  à  l'esprit  c'est  le- 
nomh-re  des  successions  de  l'avant  et  de  l'après  dans  le  mouvement. 


n.    —  PHYSIQUE    :    1^   ESPACE    ET   TEMPS  101 

nature,  qu'on  le  nombre  ou  qu'on  ne  le  nombre  pas,  il  ne  laisse  pas 
de  s'écouler  et  d'avoir  son  avant  et  son  après.  Il  dépend  si  peu  du 
mouvement  qu'il  a  existé  même  avant  le  mouvement  céleste  ;  et  si 
Dieu  créait  plusieurs  cieux  mobiles,  cette  création  ne  multiplierait  pas 
le  temps  ^, 

Ici,  comme  pour  l'espace,  Gassendi  a  commis  plusieurs  confusions. 
D'abord,  il  n'a  pas  distingué  entre  le  temps  proprement  dit  :  celui  qui 
passe,  qui  indique  les  situations  successives  du  devenir,  et  la  durée, 
c'est-à-dire  la  permanence  du  Hen  qui  unit  entre  eux  les  moments 
divers  du  devenir.  Ensuite  et  surtout,  il  n'a  pas  distingué  entre  le 
temps  absolu  ou  imaginaire  :  à  savoir,  la  possibilité  indéfinie  de  la 
succession  dans  le  passé  ou  dans  l'avenii".  et  le  temps  réel,  à  savoii' 
l'ordi'e  des  successions  actuelles  ^.  Les  caractères  qu'il  attribue  au 
temps  ne  conviennent  qu'au  temps  absolu  ou  imaginaire. 

Poiu"  nous  représenter  le  temps  et  le  mesurer,  on  a  recours  aux  choses 
extérieures,  dont  le  mouvement  est  le  plus  régulier,  c'est-à-dii'e  aux 
astres  et  spécialement  au  soleil.  «  Le  mouvement  solaire  est  comme  une 
horloge  générale  pour  mesurer  le  flux  du  temps  »  ^.  Si  l'esprit  est 
inattentif  à  ces  mouvements  extérieurs  ou  s'ils  lui  échappent,  comme 
dans  le  sommeil,  il  ne  se  rend  plus  compte  du  temps  écoulé.  Gassendi 
expHque  judicieusement  pourquoi,  pendant  un  songe  qui  n'a  duré 
qu'une  demi-heure,  nous  croyons  avoh"  assité  à  des  événements  ou 
accompli  des  actions  qui  nous  semblent  s'être  prolongés  durant  des 
mois  ou  des  années  *. 

«  Xewton,  rapporte  Voltaire,  a  dit  plusieurs  fois  à  quelques  Français, 
qui  vivent  encore,  qu'il  regardait  Gassendi  comme  un  esprit  très  juste 
et  très  sage,  et  qu'il  faisait  gloire  d'être  entièrement  de  son  avis 
dans  toutes  les  choses  dont  on  vient  de  parler  »  ^  [à  savon*  de  l'espace, 
de  la  durée,  des  bornes  du  monde].  Nous  verrons  que  Newton  a  même 
erré  plus  gravement  que  Gassendi  en  traitant  de  l'espace  et  de  la 
dm'ée,  dont  il  fait,  comme  Clarke,  des  attributs  de  Dieu. 

Gassendi,  après  avoir  disserté  sur  le  temps,  a  été  naturellement 
amené  à  le  comparer  à  l'éternité.  Il  n'accepte  pas  complètement 
la  belle  définition  que  Boèce  a  donnée  de  l'éternité  :  <(  C'est  la  posses- 
sion  parfaite   et   toute   simultanée   d'une   vie   sans   commencement 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  IV,  T.  I,  pp.  223-224. 

2.  Ci.  G,  Sortais,  Traité  de  Philosophie,  T.  I.  Psychologie,  n.  192,  §  A,  pp.  415-416  ; 
§B,  p.  417. 

3.  Et  quia  nullus  est  motus  generalior  constant i orque  et  notior  quani  solis,  ideo 
assuniamus  hujusmodi  motum,  quasi  générale  quoddam  horologium,  ad  mensurandum 
temporis  fluxum.   (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  \T:I,  T.  I,  p.  224,  c.  2). 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  VIII,  C.  VI,  T.  II,  p.  420,  c.  1-2. 
—  Causa  vero  est  quia  deest  sensus  functio,  qua  ad  motum  Solis  aut  alium  cura  eo 
comparatum  attendeie  liceat,  quseque  impressione  sui  vehementiore  evanescere  varia» 
illtis  imaginationes  sic  cogat,  ut  cogit  par  vigiliam,  dum  ut  cogitatis  continenter  rébus 
existentia  praesens  non  tribuitur,  ita  neque  cogitation!  rerura  duratio  imputatur  (Ibi- 
dem, p.  420,  c.  2). 

5.  Voltaire,  Eléments  de  la  Philosophie  de  Newton,  I'*  Partie,  Ch.  II,  (à  la  fin) 
Edit.  Garnier,  T.  XXII.  p.  410,  Paris,  1879. 


ÎO^' 


AETICLE  n.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 


ni  fin  »  ^.  Le  temps  est  successif,  il  est  dans  un  écoulement  perpétuel  ;: 
on  y  trouve  de  l'avant  et  de  l'après  ;  tandis  que  l'éternité  est  toute 
ensemble  ;  sans  passé  et  sans  futur  ;  elle  est  seulement  le  présent  ; 
c'est  un  maintenant  immobile  ^. 

Pom'  Gassendi  l'éternité  est  une  durée  perpétuelle,  c'est-à-dire  le 
temps  qu'il  a  décrit  plus  haut,  en  tant  qu'il  n'a  ni  commencement, 
ni  fin  ^.  Le  temps  et  l'éternité  diffèrent  seulement  en  ce  que  l'éternité 
est  une  durée  infinie  et  que  le  temps,  selon  le  sens  usuel,  est  une  partie 
déterminée  de  la  durée  *.  Aussi  Gassendi  afïirme-t-il  conséquemment 
que,  dans  cette  durée  perpétuelle,  il  y  a  de  multiples  maintenants  ou' 
instants  qui  se  suivent  l'un  l'autre,  de  façon  que  l'un  soit  avant  et 
que  l'autre  vienne  après  ^.  Mais  il  ne  voit  pas  qu'une  pareille  doctrine 
va  directement  contre  l'immutabilité  divine,  où  il  répugne  d'intro- 
duire une  succession  quelconque,  car  toute  succession  implique 
changement,  donc  imperfection, 

J§  II.   —  [DE    LA  >1VIATIÊRE    PREMIÈRE    DES    CHOSES  6 

A.   —  NATURE  IDEJ^LAJMATIÈBE 

Les  choses  naturelles  se  distinguent  les  unes  des  autres  par  leurs 
formes  ;  mais,  comme  ces  formes  ne  peuvent  subsister  par  elles- 
mêmes,  il  faut  qu'elles  existent  dans  quelque  matière.  Donc  nécessai- 
rement il  y  a  une  matière  qui  sert  de  sujet  commun  (quasi  commune 
subjectum),  de  substratum  à  toutes  les  formes  du  monde.  Quand  la 
matière  perd  une  forme  qu'elle  soutenait,  elle  en  reçoit  une  autre 
qu'elle  soutiendra  pareillement.  La  quantité  est  naturellement  (vi 
quidem  naturœ)  inséparable  de  la  matière  :  c'est  la  matière  considérée 
en  tant  qu'elle  est  diffuse  en  longueur,  largeur  et  profondeur.  Les  formes 
adviennent  et  s'en  vont,  naissent  et  périssent  ;  la  matière  est  «  ingéné- 
rable  »  et  incorruptible  ;  sa  quantité  est  invariable  (ac  tarifa  adhnc 
est  quanta  initio  fuit).  Comme  la  matière  est  préalable,  concomitante 
et  surexistante  à  toute  forme  (tanquam  prœvia,  soda  et  swperstes  cuilihet 
formœ),  on  a  été  amené  à  énoncer  cette  maxime  :  «  Rien  ne  peut  venir 
de  rien  et  rien  ne  peut  retourner  au  néant  ».  De  nikilo  nihil,  in  nihilum 
nil  posse  reverti  (Satybicus)  '. 

1.  BoÈCE,  De  Consolatione  Philosophice  Librl  V,  L.  V,  Prosa  6  :  luterminabilis  vitse 
tota  sirnvil  et  perfecta  possessio. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Seet.  I,  L.  II,  C.  VII,  T.  I,  p.  225,  c.  2. 

3-4-5.  ...  Videtur  primvun  seternitas  nihil  aliud  posse  intelligi  quani  duratio  perpétua 
seu  tempus  jam  ante  descriptum,  prout  principio  et  fine  caret...  Sed  responderi  forte 
posset,  et  brevius  et  planius,  temptis  et  seternitateni  non  alia  rations  differre  quani  quod 
seternitas  sit  infinita  duratio,  et  tempus,  ex  \ailgari  usu,  sit  certa  quidem  iïïius  pars... 
Facile  quidem  est  cogitatu  rem  ipsam  diu-antem  esse  totam  simul,  hoc  est,  euna  suis 
partibus  perfectionibusque  immutatam  perseverare  ;  at  in  hac  perseveratione  non  essd 
multiplex  nunc,  seu  multa  instantia,  ex  quibus  inter  se  collatis,  aliud  ait  prius,  aliud 
sit  posterius,  cadere  posse  in  mentem  non  video.  (3yntag>na  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II. 
C.  VII,  1. 1,  p.  225,  c.  1  ;  p.  226,  c.  2  ;  p.  227,  c.  1). 

6.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  De  Mater iali  Principio  sive  Maieriu  primm 
rerum,  T.  I,  pp.  229-282. 

7.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  I,  T.  î,  p.  232,  c.  1-2. 


n.  —  PHYSIQUE  :  20  matièee  première  des  choses  103 

Pour  sortir  de  ces  généralités  et  donner  une  idée  plus  XDrécise  de  la 
matière,  Gassendi,  selon  le  procédé  qui  lui  est  familier,  examine  les 
opinions  des  différents  philosophes.  Il  rejette  successivement  les 
doctrines  qui  admettent,  comme  principe  des  choses,  la  matière 
dotée  soit  de  quahtés  premières  ^,  soit  de  qualités  secondes  -  ou  la 
matière  dépouillée  de  toute  quaUté,  à-o'-ov  ^.  Après  avoir  passé  en 
revue,  avec  un  grand  luxe  d'érudition,  ces  deux  grands  systèmes 
et  leurs  ramifications  diverses,  notre  autem-  se  raUie  à  l'atomisme  de 
Démocrite,  perfectioimé  par  Épicure  et  Lucrèce  ;  mais  il  présente 
cette  théorie  seulement  comme  plus  probable  que  les  autres  (cmn 
frobahilis  prœ  cœteris  videatur  opinio)  *,  sans  se  départir,  même  sur 
cette  question  fondamentale  dans  sa  Philosophie,  de  la  modération 
qui  lui  est  habituelle,  "^ 

Avant  de  prouver  sa  thèse,  notre  atomiste  fait  deux  remare^ues 
préalables  pour  éclairer  le  chemin.  D'abord,  les  atomes,  comme  l'in- 
dique l'étymologie,  sont  insécables  ou  indivisibles.  Mais  indivi.sibiUté 
ne  veut  pas  dire  qu'ils  sont  dénués  de  grandeur  et  ressemblent  à  ce  des 
points  mathématiques  ».  Mais  cela  signifie  qu'ils  ont  une  telle  sohdité 
qu'aucime  force  naturelle  n'est  capable  de  les  rompre  ou  de  les  diviser. 
L'atome  est  donc  quelque  chose  de  sohde,  c'est-à-dire  de  plein,  d'im- 
pénétrable, de  continu  ou  sans  vide  ^. 

Ensuite,  parce  que  les  atomes  pris  séparément  échappent  à  la  vue 
la  plus  subtile,  ce  n'est  pas  un  motif  suffisant  pour  en  nier  l'existence  ^. 

Gassendi  apporte  deux  raisons  principales,  qui  n'ont  rien  d'apodic- 
tique,  pour  prouver  leitr  existence  ®. 

La  première  est  la  même  que  celle  par  laquelle  Aristote  démontre 
qu'il  doit  y  avoir  une  matière  première,  «  ingénérable  »  et  incorrup- 
tible. ]\Iais  Épicure  soutient  justement  que  cette  matière  première 
est  «  ingénérable  w  et  incorruptible  parce  qu'elle  est  sohde,  pleine,  con- 
tinue ou  sans  vide.  c'est-à-dii"e  parce  qu'elle  vérifie  la  définition 
qu'il  a  donnée  de  l'atome.  Il  y  a  seulement  cette  différence  qu 'Aris- 
tote n'exphque  pas  en  quoi  consiste  sa  matière,  tandis  qu'Epicure 
exphque  bien  la  nature  des  petits  corps  ou  atomes,  qui  selon  lui  con- 
stituent la  matière  première  ou  éléments  des  choses  ''. 

Voici  la  seconde  raison.  Il  est  manifeste  qu'il  y  a  dans  la  natm*e 
des  corps  durs  et  des  corps  mous.  Si  l'on  suppose  que  leurs  principes 
sont  sohdes,  il  en  pourra  résulter  non  seulement  des  corps  durs,  mais 
des  corjjs  mous,  parce  que  ce  qui  proviendra  de  la  combinaison  de  ces 
principes  pourra  s'amollir  grâce  aux  interstices  laissés  par  le  vide. 
Si  l'on  suppose,  au  contraire,  que  leurs  principes  sont  mous,  sans  résis- 
tance, il  en  poui-ra  résulter  des  choses  molles,  mais  non  des  choses 
dm'es,  parce  que  la  sohdité,  fondement  de  la  dureté,  fait  défaut  '. 

1-2-3.  SyrUagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.'III,  C.  II,  lU,  IV,  T.  I,  pp.  234-256. 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  p.  258,  c.  2.  Cf.   Ibidem,  C.  VT, 
p.  266,  c.  1  :  ProhahUi  utcumque  facta  atomorum  exstantia... 

5.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  p.  256,  c,  2  ;  p.  258,  c.  2. 

6.  Syntagnxa  :  Physica,  Sect.  I,  L.  ni,  C.  V,  T.  I,  p.  259,  cl. 

7.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  pp.  259-260. 

8.  Syntagma  :  Physica,  Seet.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  p.  261,  c.  1. 


104  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

Contre  ce  système  s'élèvent  tous  ceux  qui  admettent  la  divisibilité 
à  l'infini,  car  il  leur  semble  inconcevable  que  l'atome,  étant  une  chose 
étendue,  soit  indivisible. 

Cette  difficulté,  répond  Gassendi,  tient  à  ce  que  nos  sens  ne  per- 
çoivent que  des  choses  complexes  et  décomposables.  Nous  sommes 
portés  à  croire  que  les  atomes,  dont  la  petitesse  se  dérobe  à  nos  sens, 
sont  pareillement  un  amas  de  plusieurs  corps  ou  des  agrégats,  et, 
conséquemment,  sont  divisibles  comme  les  corps  que  nous  voyons,  . 
Mais,  si  l'on  se  représente  les  premiers  principes  comme  parfaitement 
solides,  durs  et  simples,  on  conçoit  qu'ils  ne  puissent  pas  être  divisés. 
La  raison  dernière  en  est  que  les  agrégats  que  nous  percevons  sont  des 
amas  de  parties  qui,  étant  simplement  contiguës,  sont  non  seulement 
distinctes  en  elles,  mais  actuellement  séparées.  Les  premiers  principes 
ou  atomes  sont,  au  contraire,  des  touts  continus,  conséquemment 
sans  vide.  La  contiguïté  des  parties  est  le  fondement  primitif  de  la 
divisibilité  des  agrégats,  et  non  la  présence  du  vide,  laquelle  résulte 
de  leur  discontinuité  et  ne  fait  que  faciliter  leur  division  ^. 

D'ailleurs,  l'hypothèse  de  la  divisibilité  à  l'infini  est.  d'après  Gas- 
sendi, écho  fidèle  de  Lucrèce,  absolument  inconcevable.  N'est-ce  pas, 
en  effet,  une  évidente  contradiction  qu'un  tout  soit  fini  et  borné  de 
tous  côtés,  et  que  cependant  il  contienne  des  parties  infinies  ?  Comme 
si  le  tout  était  autre  chose  que  l'agrégat  même  des  parties  ou  comme  si 
les  parties  toutes  ensemble  pouvaient  être  plus  grandes  que  le  tout  ! 
Qui  comprendra  que  l'extrémité  du  pied  de  ce  petit  insecte  qu'on 
nomme  ciron,  soit  tellement  féconde  en  parties  qu'elle  puisse  être 
divisé  en  mille  millions  de  parties,  dont  chacune  soit  ensuite  pareille- 
ment divisible,  et  ainsi  à  l'infini  ?  De  même,  qui  comprendra  que  le 
monde  entier  ne  soit  pas  divisible  en  plus  de  parties  qu'un  ciron  ? 
Car,  dans  l'hypothèse  de  la  divisibilité  à  l'infini,  après  avoir  divisé  le 
monde  en  parties,  aussi  petites  que  l'on  voudi'a,  l'on  pourra  en  prendre 
autant  dans  le  pied  d'un  ciron,  puisque,  comme  poui*  les  parties  du 
monde,  elles  ne  sauraient  être  épuisées  par  aucune  division  ^. 

Pour  énerver  la  force  de  cet  argument,  Aristote  raisonne  ainsi  : 
«  Ces  parties  ne  forment  pas  un  infini  actuel  :  en  effet,  n'étant  pas  en 
acte  mais  seulement  en  puissance,  elles  ne  forment  qu'un  infini  en 
puissance,  lequel  est  fini  en  acte  »  ^.  Mais  cette  distinction  n'est  qu'un 
échappatoire.  «  En  effet,  tout  continu  ou  n'a  actuellement  aucune  par- 
tie, ou  il  a  des  parties  actuellement  infinies.  Car,  si  vous  appelez 
parties  actuelles  celles  qui  sont  actuellement  divisées,  le  continu 
assurément  n'en  a  pas  même  deux  ou  trois,  puisqu'elles  sont  indivi- 
sées. S'il  en  a  deux  actuellement,  parce  qu'il  est  divisible  en  deux 
actuellement,  il  faut,  de  toute  nécessité,  dire  qu'il  en  a  actuellement 
d'infinies,  puisque,  d'après  vous,  il  est  pareillement  divisible  en  par- 
ties infinies  actuelles  »  *.  Gassendi  sous-entend  ici  le  principe  qui  fait 

1.  Syntagma  :  Thysica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  pp.  258-259. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  p.  262,  c.  1. 

3.  Aristote,  Physic,  L.  III,  C.  VII,  n.  3.  Edit.  Didot,  tome  II,  p.  283. 

4.  Attamen  quodlibet  continuum  vel  nuUas  actu  habet  partes,  vel  habet  actu  infînitas. 
Nam,  si  partes  actu  eas  voces  quss  divisse  actu  sint,  ne  duas  quideni  aut  très  habet. 


II.    —  PHYSIQUE    :    2°   MATIÈRE   PREMIÈRE    DES   CHOSES  105 

la  force  du  second  membre  de  la  disjonctive  :  à  savoir,  que  la  division 
ne  fait  pas  les  parties  mais  les  suppose  ^. 

Puis  Gassendi  continue  :  «  Ne  dites  pas  que  cette  division  ne  s'ac- 
complit ou  ne  s'achève  jamais  actuellement,  mais  qu'on  veut  seule- 
ment signifier  par  là  que  jamais  le  continu  n'est  divisé  en  tant  de 
parties  qu'il  ne  le  puisse  être  en  un  plus  grand  nombre.  Car,  de  même 
qu'on  ne  nie  pas  qu'il  y  ait  deux  parties  dans  le  continu,  quoiqu'il 
ne  sera  peut-être  jamais  divisé  en  ces  deux  parties  ;  de  même  aussi 
il  ne  faut  pas  nier  qu'il  en  contienne  une  infinité,  quoiqu'il  ne  doive 
jamais  être  divisé  en  un  nombre  infini  de  parties  ».  D'ailleurs,  puisque 
ces  divisions  et  subdivisions  font  découvrir  un  nombre  toujours  plus 
grand  de  parties  en  acte,  est-ce  que  je  vous  le  demande,  les  parties 
qu'on  peut  découvrir  forment  un  nombre  déterminé,  ou  non  ?  Si  vous 
répondez  :  oui,  elles  n'ont  pas  de  quoi  suffire  à  une  division  poussée 
à  l'infini  «;  si  vous  répondez  :  non.  elles  sont  donc  actuellement  infi- 
nies. Comment  en  effet  un  continu  ne  s'épuiserait-il  pas  enfin,  s'il 
ne  possédait  pas  actuellement  des  parties  infinies  ou  qui  par  leur 
infinité  ne  le  rendissent  inépuisable  ?  Car,  comme  les  parties  qu'on  en 
a  tirées  ont  dû  y  préexister  en  acte  (autrement  comment  aurait-on 
pu  les  en  tirer  ?)  ainsi,  celles  qui  sont  encore  à  dégager  doivent  y 
préexister  actuellement  (autrement  comment  les  en  dégager  ?)  Or  ce 
reste  est  infini,  puisque  l'on  concède  qu'on  peut  tirer  du  continu  des 
parties  de  plus  en  plus  nombreuses,  inépuisablement,   sans   fin  n  '^. 

cum  indivisas  habeat.  Sin  aiitem  \e\  diias  habet  actu,  quod  possit  in  diias  actu  dividi, 
necesse  est  dicas  habere  actu  infinitas,  quod  similiter  dividi  in  infînitas  actu  pcssit. 
(Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  p.  262,  c.  2). 

1.  Gassendi  l'indique  assez  clairement,  quoique  d'une  façon  implicite,  un  peu  plus 
loin  :  ...  Quœ  partes  ex  eo  [continue]  deducuntur,  prœesse  actu  in  eo  debuerunt  ;  alioquin 
enim  quomodo  deduci  ex  eo  potuissent  ?  —  Pour  réfxiter  le  continu  foi-mel  d'Aristote 
et  des  Scolastiques,  Paxiniieri  a  également  montré  que  ce  geni'e  de  continu  implique 
une  réelle  divisibilité  à  l'infini  ;  or  celle-ci  répugne,  parce  qu'elle  suppose  la  possibilité 
d'une  multitude  infinie  de  parties  actuelles.  Cf.  Institutiones  Philosophicœ,  T.  II, 
Cosmologia,  Thés.  III,  P.  II,  p.  25. —  Palmieri  s'appuie  sur  un  principe,  qui  est  au  fond  le 
même  que  celui  invoqué  par  Gassendi  :  « ....  Certum  est  indicium  esse  certissimum  realis 
distinctionis  mutuam  separabilitatem,  quod  et  omnes  generatim  concedunt.  Realis 
proinde  distinctio  existit  inter  ea  quae  sunt  separabilia  anterealem  separationem  ;  tiam 
hœc  non  jacit,  sed  supponit  distinctionem  realem.  »  Mais  Palmieri  ne  se  heurte  pas,  comme 
Gassendi,  aux  difficultés  insolubles  qui  sont  inhérentes  à  l'étendue  formelle  des  atomes, 
parce  qu'il  admet  comme  constitutifs  des  choses  matérielles,  au  lieu  d'atomes,  des 
éléments  ou  forces  simples  qui  n'exigent  qu'une  étendue  virtuelle. 

2.  Neque  dicas  hanc  divisionem  actu  peragi  aut  absolvi  nunquam  ;  ac  sensum  solum- 
modo  esse  qiiod  nunquam  continuum  sit  divisum  in  tôt  partes,  quin  possit  dividi  in 
plures.  Siquidem,  ut  in  continuo  non  negantur  esse  duae  partes,  tametsi  forte  futurum 
sit  ut  in  eas  nunquam  dividatur  ;  ita  nec  negandum  quin  sint  infinitae,  etsi  non  sit 
unquam  in  eas  dividendum.  Xam  et  alioquin  rogo  te,  cum  ex  illis  in  infinitum  divisio- 
nibus  subdivisionibusque  plures  pluresque  actu  partes  detegantur  ;  censesne  eas,  qufe 
detegi  possunt,  esse  alicujus  determinati  numeri,  annon  ?  Si  dicas  esse,  non  habebunt 
unde  divisioni  in  infinitum  sufficiant.  Si  non  esse  ;  igitur  illte  sunt  actu  infinité.  Et 
certe  quomodo  continuum  non  exhauriatur  denique,  nisi  actu  possideat  partes  infinitas, 
seu  quae  sua  infinitate  inexhaustum  illud  officiant  ':  Ut  enim  quae  partes  ex  eo  dedu- 
cuntur, praeesse  actu  in  eo  debuerunt  ;  alioquin  enim  quomodo  deduci  ex  eo  potuisent? 
Ita,  quae  deducendœ  supersiuit,  actu  esse  debent  ;  nam  alias  non  possent  deduci.  Porro 
illae  sunt  infinitae  quando  inexhauribiliter  seu  plures  phire.sque  absque  ullo  tennino 
deduci  posse  conceduntur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  p.  262,  c.  2). 


106  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV. LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

J'ai  tenu  à  citer  intégralement  ce  passage  malgré  sa  longueur, 
pour  montrer,  sur  un  sujet  délicat,  que  Gassendi  était  capable  de 
développer  vigoureusement  et  rigoureusement  un  argument  métaphy- 
sique, fût-ce  contre  un  adversaire  aussi  redoutable  qu'Aristote. 

Quant  aux  objections  tirées  des  Mathématiques  contre  Findi visibi- 
lité des  atomes,  Gassendi  lem-  oppose  une  fin  de  non-recevoir .  Les 
atomes,  étant  des  corps  étendus,  relèvent  de  la  Physique,  appar- 
tiennent à  l'ordre  des  choses  concrètes.  Les  Mathématiques,  au  con- 
traire, appartiennent  à  l'ordre  des  choses  abstraites.  Or  il  est  illégi- 
time de  conclure  de  l'abstrait  au  concret,  du  possible  au  réel  ^. 

B.   —   ESSENCE   ET  PROPRIÉTÉS   DES   ATOMES 

L'essence  des  atomes  ou  de  la  matière  ne  consiste  point  dans  l'éten- 
due 2,  comme  le  veut  Descartes,  mais  dans  la  soUdité  ou  dureté,  d'où 
résulte  la  force  de  résistance  ^  (àvT'-uTr-la).  Car,  si  nous  concevons 
que  deux  parties  demeurent  étendues  sans  se  compénétrer  et  con- 
fondre dans  le  même  heu,  c'est  parce  qu'elles  opposent  l'une  à  l'autre 
une  résistance  qui  les  rend  impénétrables,  et  elles  peuvent  s'opposer 
cette  mutuelle' résistance,  parce  qu'elles  sont  sohdes  et  dures.  A  cet 
élément  constitutif  et  essentiel  il  faut  ajouter  trois  propriétés  prin- 
cipales :  Etendue,  Figure,  Pesanteur  *. 

Les  atomes,  n'étant  pas  dçs  points  mathématiques,  ont  une  certaine 
étendue  ^.  Pour  s'en  fahe  quelque  idée,  il  faut  se  rappeler  ce  que  le 
microscope  nous  a  révélé  sur  les  êtres  les  plus  petits  que  nos  sens 
puissent  atteindre.  Dans  un  chon,  qui  n'est  pourtant  à  l'œil  nu  qu'un 
pomt  à  peine  perceptible  (quod  habetur  pro  pu7ictulo),  le  microscope 
nous  fait  découvrh  les  organes  essentiels  à  un  être  vivant.  On  y  aper- 
çoit des  vénules  et  des  artérioles,  des  nerfs  et  des  muscles  ^,  etc. 
Quelle  doit  donc  être  la  petitesse'  des  atomes  dont  cet  animalcule 
est  formé  !  Après  plusieurs  autres  ingénieuses  comparaisons,  Gassendi 
conclut  :  U  n'est  pas  absurde  de  dire  qu'il  y  a  des  myriades  innombrables 
d'atomes  dans  chaque  corpuscule  que  nous  voyons  voltiger  dans  un 
rayon  de  soleil  qui  traverse  un  appartement. 

La  forme  ou  figure  est  une  propriété  qui  suit  nécessahement  l'éten- 
due, puisqu'elle  la  détermine  et  la  modifie.  La  plus  grande  variété 
règne  dans  la  nature  :  sur  le  même  arbre  il  n'y  a  pas  deux  feuilles  qui 
se  ressemblent  ;  il  n'y  a  pas  deux  grains  absolument  pareils.  Pour 
exphquer,  en  partie  du  moins,  une   telle  variété,  il  faut  que  la  forme 


1.  Syntagma  :  Çhysica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,  pp.  263-266. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  I,pp.  257-258  ;  T.  III,  pp.  3743qq. 
Disputationes  et  Inatantiœ  ad  CartesU  Metaphyaicam...  In  Meditationem  V. 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  HI,  C.  VI,  T.  I,  p.  267,  c.  1. 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,     C.  VI,  et  VU  T.  I,  pp.  266-279. 

5.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  VI,  pp.  267-269. 

6.  Syntagma  i  Physica,  Sect.  I^  L.  III,  C.  VI,  p.  269,  c.  1-2.  —  On  dirait  que 
Pascal  (Pensées,  Edit.  Bbttnschvicg,  T.  I,  p.  74),  s'est  inspiré  de  ce  joli  passage  de 
Gassendi  sur  1©  ciron. 


n.  —  PHYSIQUE  :  2°  matière  première  des  choses  lOT 

des  atomes  soit  elle-même  très  diversifiée  ^.  De  même  qu'avec  les 
lettres  de  l'alphabet  diversement  assemblées  on  compose  des  poèmes, 
ainsi  avec  les  atomes  différemment  combinés  se  forment  les  êtres  qui 
remplissent  l'miivers. 

Enfin,  il  est  mie  troisième  propriété,  la  pesanteur,  sans  laquelle  les 
précédentes  seraient  insuffisantes  à  rendre  compte  des  choses.  La 
pesanteur  est  la  faculté  ou  force  interne  et  naturelle  qu'ont  les  atomes 
de  se  mouvoir  eux-mêmes  ;  ou,  si  vous  préférez,  c'est  une  tendance, 
une  propension  impétueuse,  innée  et  inamissible  qui  les  pousse  inté- 
ri^mement  à  l'action  -. 

Mais  ce  pouvoir  moteur  ne  saurait,  d'après  Gassendi,  s'exercer  si 
le  vide  n'existe  pas.  Aussi  s'est-il  efîorcé  de  prouver  l'existence  du 
vide  ^.  Ses  arguments  sont  tirés  de  la  raison  et  de  l'expérience. 

Le  mouvement  étant  le  passage  d'un  Heu  dans  un  autre,  il  est  clair 
que,  si  tout  est  plein,  rien  ne  peut  se  mouvok,  car,  dès  le  prmcipe,  le 
mouvement  serait  empêché  par  des  obstacles  insurmontables.  «  Pour 
mieux  saisir  cet  argument,  représentez-vous  le  monde  entier,  s'il  n'a 
aucun  vide  répandu  entre  ses  parties,  comme  une  masse  très  compacte, 
qui  ne  pourrait  par  conséquent  recevon*  aucun  nouveau  corpuscule, 
si  petit  soit-il,  parce  que,  tout  étant  plein,  aucun  heu  ne  reste  à  rem- 
plii'.  C'est  pourquoi,  ou  ce  corps  ne  sera  point  admis  ou  bien  il  trouvera 
place  dans  le  heu  déjà  occupé  par  un  autre  ;  alors  le  même  heu  con- 
tiench'a  deux  corps  se  compénétrant  de  toutes  parts,  ce  qui,  vous 
l'avouerez,  est  au-dessus  des  forces  de  la  nature.  Vous  comprendrez 
par  là  même  qu'aucun  des  corps  rangés  dans  cette  masse  n'est  capable 
de  quitter  son  heu  pour  envahir  le  heu  d'un  autre.  En  effet,  le  corps 
qui  doit  se  mouvou',  se  heurtant  à  un  heu  plem,  il  faudra  qu'il  en  chasse 
le  corps  qui  l'occupe  ;  mais  où  celui-ci  pourrait-il  se  retker,  si  tout 
le  reste  est  plein  ?  Est-ce  que  lui-même  expulsera  un  autre  corps  ? 
Mais  la  même  difficulté  reparaîtra,  et  amsi  toujours.  Concluons  donc 
que,  si  le  premier  corps  ne  peut  sorth-  de  son  heu,  aucun  mouvement 
ne  commencera  et  qu'ainsi  rien  ne  se  mouvra  »  *. 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  VI,  pp.  269-273." 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  III,  C.  VII,  T.  I,  p.  273,  c.  z. 

3.  Gassendi  consacre  trois  chapitres  à  la  question  du  Vide  (Syntagma  :  Physica, 
Sect.  I,  L.  Il,  C.  III,  IV,  V,  pp.  192-216).  A  l'exemple  de  Démocrite  et  d'Epicure,  il 
prouve  l'existence  du  vide  par  le  mouvement,  mais  il  sait  donner  à  ce  vieil  argument 
vjxe  aUure  nouvelle,  parce  qu'il  a  surtout  en  vue  de  réfuter  «  le  plein  »  de  Descartes. 
A  cet  argument  de  raison,  sa  qualité  de  physicien  lui  permet  d'ajouter  un  grand  nom- 
bre d'expériences  intéressantes. 

4.  Id  vero  quid  sit  ut  melius  percipias,  cogita  universum  muudum,  si  nihil  ioanis 
interspersum  hal:e<it,  confertissimam  esse  molem,  adeo  ut  corpusculum  ne  minimum 
quidem  valeat  de  novo  suscipere.  Quippe,  si  nihil  non  plénum  est,  lociis  nullus  restât 
complendus  ;  quare,  aut  corpus  non  admittetur,  aut  in  illo  loco  collocabitiu",  in  quo 
aliud  jam  situm  est  ;  sicque  idem  locus  duo  corpora  sese  undique  penetrantia  capiet  ; 
quod  sane  per  vires  natiu-as  fieri  jjosse  non  dixeris.  Deprehendes  autem  hac  ratione 
aliquod-ne  corpus  ex  ils,  quse  intra  hanc  molem  disposita  sunt,  moveri  e  sno  loco  possit, 
ut  invadat  alterius  loeum.  Sane,  cum  locum  plénum  offendat,  necesse  erit  ex  eo  pellat, 
quod  corpus  illum  occupât.  lUud  jjorro  quonam  concédât,  si  omnia  quidem  plena  sunt? 
An  ipsum  rursus  ©xpellet  aliud  ?  At  par  redibit  difficultas  continuabiturque  in  sevum. 
Quare,  si  primum  illud  corpus  cedere  loco  non  valeat,  nulltun  erit  principium  mottis 
sicque  nihil  movebitur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  III,  T.  I,  pp.  192-193). 


108  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

A  cet  argument  de  raison  Gassendi  en  ajoute  un  grand  nombre 
tirés  de  l'expérience.  Il  s'y  arrête  avec  complaisance,  pai'ce  que  plu- 
sieurs des  observations  qu'il  rapporte  étaient  alors  récentes.  Il  insiste 
particulièrement  sur  l'expérience  de  Torricelli,  renouvelée  par  les  soins 
de  Pascal,  ce  «  merveilleux  jeune  homme  »  (miri ficus  adolescens)  ^. 

C.   —   DÛ   MOUVEMENT 

L'existence  du  vide  étant  démontrée,  on  peut  aborder  la  question 
suivante  :  Comment  les  éléments  ou  atomes  agissent-ils  pour  former 
l'ensemble  varié  des  choses  qui  nous  entourent  ?  Cette  activité  se 
manifeste  surtout  par  le  mouvement  ^,  qu'on  peut  définir,  après 
Épicure  :  «  le  passage  d'un  corps  d'un  lieu  dans  un  autre  »  ^.  Définition 
que  Gassendi  préfère  à  celle  d'Aristote,  laquelle  est  aussi  obscure 
que  possible  (quo  projecto  dici  potest  nihil  ohscurius)  *.  La  définition 
aristotélicienne  n'est  pas  aussi  obscure,  comme  il  plaît  à  Gassendi 
de  le  dire  ;  elle  est  profonde  ^  et,  à  la  différence  de  la  définition  épi- 
curienne qui  ne  regarde  que  le  mouvement  local,  elle  à  l'avantage  de 
s'appliquer  au  mouvement  en  général. 

Gassendi,  après  avoir  rappelé  les  objections  de  Zenon  et  de  Sextus 
Empiricus  contre  la  possibilité  du  mouvement,  estime  que  la  meilleure 
réponse  à  leur  opposer  est  encore  celle  de  Diogène  qui  se  leva  et 
marcha  ^. 

La  cause  du  mouvement  est  dans  les  atomes  ;  par  conséquent  le 
principe  du  mouvement  est  matériel.  Autrement,  comment  expliquer 
les  actions  et  réactions  physiques  qui  se  produisent  dans  la  nature  ? 
C'est  un  axiome  que  le  corps  seul  peut  toucher  et  être  touché.  Car  on- 
ne  conçoit  pas  qu'un  principe  incorporel,  qui  est  sans  solidité  et  sans 
masse,  puisse  imprimer  une  impulsion  à  un  corps.  Dieu  seul  peut  le 
faire,  parce  qu'il  est  présent  partout  et  que  sa  puissance  est  infinie  '. 
«  Il  semble  donc  plus  convenable  d'admettre  que  le  principe  actif 
dans  les  causes  secondes  est  corporel  et,  par  conséquent,  que  la  matière 
n'est  pas  inerte,  mais  active  »  ®.  Comme  la  mobilité  des  atomes  leur 
vient  de  Dieu,  rien  n'empêche  de  supposer  que  Dieu  leur  a  commu- 
niqué une  mobilité  inégale  et  qu'il  en  a  créé  un  certain  nombre  inertes, 
ou  bien,  au  contraire,  qu'il  a  donné  à  tous  une  mobilité  égale,  car, 
même  dans  cette  seconde  hypothèse,  on  peut  s'expliquer  que  tous  les 
corps  ne  soient  pas  animés  de  la  même  vitesse.  En  effet,  les  atomes, 
ayant  des  formes  différentes,  s'entravent  mutuellement  :  de  ces  mou- 
vements contrariés  résulte  la  diversité  des  vitesses.  Mais  une  suppo- 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  V,  T.  I,  pp.  203-216. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  V,  T.  I,  pp.  338-371. 
3-4.  Sijntagnui  :  Physica,  Sect.  I,  L.  V,  C.  I,  T.  I,  p.  338. 

5.  Cf.  D.  Palmieri,  Institutiones...,  T.  II,  Cosmologia,  Thés.  XII,  p.  93  sqq. 

6.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  V,  C.  I,  T.  I,  pp.  339-342. 

7.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  VIII,  T.  I,  p.  334,  c.  2. 

S.  Fecisse  proinde  ii  melius  videntur,  qui  agendi  principium  fecere  corporeum  ac 
eensuere  adeo  materiam  non  inertem  sed  actuosam  esse.  (Syntagma:  Physica,  Sect.  I, 
L.  IV,  C.  VIII,  p.  335,  c.  2). 


II.    —   PHYSIQUE    :    2"   MATIÈRE    PREMIÈRE    DES    CHOSES  109' 

sition  s'irtipose  :  quelle  Cj^ue  grande  que  puisse  être  la  mobilité  naturelle 
des  atomes,  cette  mobilité  demeure  constante,  de  sorte  que,  malgré 
les  obstacles  qui  compriment  leur  mouvement,  ils  ne  cessent  de  faire 
effort  pour  se  dégager  et  se  mouvoir  librement  ^. 

L'espèce  de  tension  pour  se  libérer,  que  Gassendi  accorde  aux  atomes, 
rappelle  «  l'appétition  »  que  Leibniz  octroie  à  ses  monades.  De  même, 
quand  on  verra  bientôt  Gassendi  doter  les  éléments  premiers,  consti- 
tutifs des  êtres  inanimés,  d'une  vie  obscure  et  inconsciente,  d'un  sens 
de  perception  analogue  à  celui  de  l'animal,  on  songera  naturellement 
à  '(  la  perception  »>  dont  Leibniz  gratifie  ses  monades.  Ce  rapprochement 
montre  que  le  philosophe  allemand  est  tributaire  du  philosophe  fran- 
çais et  qu'il  n'est  pas  sur  ce  point  aussi  original  qu'on  le  croit  commu- 
nément. 

Cette  conception  du  mouvement  a  provoqué  quelques  objections. 
Tout  d'abord,  dit-on.  les  atomes  .sont  conçus  tous  ensemble  et  comme 
matière,  en  tant  qu'ils  sont  les  éléments  constitutifs  des  choses,  et 
comme  cause,  en  tant  qu'ils  sont  actifs  et  mobiles.  Or  confondre  en 
une  deux  choses  aussi  différentes  que  la  matière  et  la  cause,  c'est  aussi 
absurde  que  d'identifier  l'ouvrier  et  l'œuvre,  l'architecte  et  la  maison. 
Gassendi  répond  que  l'objection  repose  sur  une  assimilation  fausse 
des  choses  naturelles  aux  choses  artificielles.  11  est  clair  en  effet  que, 
dans  les  œuvres  artificielles,  l'agent  est  tout  à  fait  extérieur  à  la  ma- 
tière ;  dans  les  choses  naturelles,  au  contraire,  l'agent  est  un  principe 
intérieur  ^. 

On  peut  objecter  aussi  cet  adage,  et  autres  semblables  :  «  Il  est 
impossible  qu'une  même  chose  soit  en  même  temps  ce  qui  meut  et 
ce  qui  est  mû  ;  tout  ce  qui  est  mû  l'est  par  un  autre  »  ^.  Tout  cela  fait 
difficulté  dans  la  philosophie  d'Aristote,  mais  non  dans  la  philosophie 
des  Stoïciens  ou  de  Platon.  Comme  il  est  impossible,  dans  la  série  des 
êtres  qui  reçoivent  le  mouvement  l'un  de  l'autre,  de  remonter  à  l'in- 
fini, on  doit  s'arrêter  à  un  premier  moteur,  non  pas  immobile,  mais  se 
mouvant  lui-même.  Or  Aristote,  parvenu  à  son  premiei-  moteur 
immobile,  prétend  qu'il  meut  seulement  comme  cause  finale  :  le  monde 
serait  attiré  vers  Dieu  par  le  charme  qu'exercent  la  beauté  et  la  bonté 
divines.  Mais,  répond  Gassendi,  cette  doctrine  va  à  l'encontre  des  faits 
les  mieux  avérés.  Outre  le  moteur  moral  et  métaphysique,  on  cherche, 
dans  chaque  chose  naturelle,  qui  agit  par  elle-même,  quel  est  le  premier 
principe  de  son  action  ou  motion.  «  Quand  un  enfant  court  vers  le 
fruit  qu'on  lui  montre,  ce  n'est  pas  seulement  la  motion  métapho- 
ri(|ue,  par  laquelle  le  fruit  l'allèche,  qui  est  nécessaire,  c'est  encore 
et  surtout  la  force  physique  ou  naturelle  qui  existe  dans  cet  enfant 
et  qui  le  dirige  et  le  pousse  vers  le  fruit.  C'est  pourquoi,  dans  chaque 
chose,  le  principe  de  l'action  et  du  mouvement  étant  la  partie  la  plus 

1.  Ununi  omniiio  supponere  par  est,  nempe,  quantacumqiie  ftiit  atomis  mobilitas 
ingenita,  tantam  constanter  perseverare,  adeo  ut  inhiberi  quidem  atoini  ne  movêantur 
valeant  ;  at  non,  ne  perpetuo  qviasi  connitantur  conenturqne  se  expedire  motumque 
eiuini  in.staiirare.  fSyntagma  :  Physica,  Sect.  I.  L.  IV,  C.  VIII,  T.  I,  p.  330,  c.  1). 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  VIII,  T.  I,  p.  336,  c.  1. 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  VIII,  T.  I,  p.  336,  col.  2. 


110  ARTICLE  II.   CH-IPITRE  IV.  LE  SYNTAGMA  PHILO-SOPHICUiAI 

mobile  et  la  plus  active,  en  quelque  sorte  la  fleur  de  toute  la  matière, 
partie  qu'on  a  coutume  d'appeler  forme  et  qu'on  peut  concevoii- 
comme  une  contexture  très  déliée  d'atomes  très  subtils  et  très  mobiles, 
il  semble  plus  naturel  de  dire  que  la  première  cause  motrice  dans  les 
choses  physiques  sont  les  atomes.  Car,  tandis  qu'ils  se  meuvent 
eux-mêmes  en  vertu  de  la  force  qu'ils  ont  reçue,  dès  le  commencement, 
de  lem-  Auteur,  ils  donnent  le  mouvement  à  toutes  choses  et  sont  par 
conséquent  l'origine,  le  principe  et  la  cause  de  tous  les  mouvements 
qui  existent  dans  la  nature  »  i. 

Jusqu'ici  le  mouvement  a  été  étudié  en  lui-même  et  dans  sa  cause. 
Reste  à  le  considérer  dans  sa  dii'ection.  Comment  se  fait-il,  par 
exemple,  ^u'en  vertu  de  la  pesanteur  les  graves  tendent  vers  le  centre 
de  la  terre  ?  On  peut  donner  deux  réponses  à  cette  question.  La  pesan- 
teur est  une  quaUté  inhérente  à  tout  corps  grave,  par  exemple  à  la 
pierre,  afin  qu'elle  cherche  so7i  lieu,  précisément  en  tant  que  lieu  "^. 
C'est  la  solution  d'Aristote.  C'est  inadmissible,  parce  que,  en  quelque 
endroit  que  soit  la  pierre,  elle  a  son  lieu  et  n'en  peut  occuper  un  autre, 
ni  plus  grand,  ni  plus  petit.  La  pesanteur  (c'est  la  solution  de  Gassendi) 
est  plutôt  inhérente  à  la  pierre  afin  qu'elle  cherche  la  chose  qui  est 
dans  le  Ueu  vers  lequel  elle  tend  ^.  Ainsi,  la  pien-e  tend  vers  la  terre 
directement,  et  vers  le  Heu  de  la  terre  par  accident  ou  indkectement. 

Mais,  pourquoi  la  pierre  se  meut-elle  vers  la  terre  plutôt  que  vers 
le  ciel  ?  Il  faut  que  la  terre  transmette  quelque  chose  à  la  pierre, 
laquelle  ne  reçoit  rien  de  semblable  d'un  autre  endi-oit.  Certains  faits 
prouvent  que  les  choses  doivent  se  passer  ainsi.  Le  fer  tend  vers 
l'aimant,  non  pas  parce  que  l'aimant  occupe  un  certain  lieu,  mais 
parce  qu'il  est  aimant  ;  car  l'aimant,  en  quelque  heu  qu'il  soit,  attire 
le  fer.  Cette  force,  qui  atth-e  le  fer,  n'est  pas  tant  une  qualité  qui  soit 
■en  lui-rnême  qu'une  quaUté  qui  lui  est  imprimée  du  dehors.  De  même 
en  est-il  vraisemblablement  de  la  force  qui  porte  la  pierre  vers  la 
ten-e,  car  la  terre  peut  être  regardée  comme  un  aimant  considérable. 

Prenons  un  morceau  de  fer  pesant  une  Hvre  :  il  nous  paraîtra  plus 
lourd,  si  un  aimant  est  placé  sous  notre  main.  Pourquoi  n'en  irait-il 
pas  de  même  de  toute  pesanteur  ?  Pourquoi  ne  viendi-ait-il  pas  de  la 

1.  Neque  enim,  cum  puer  ostenso  porno  ad  ipsum  currit,  requiritur  solum  quse 
metaphorica  sit  motio,  qua  pomum  puerum  allicit,  sed  maxime  etiam  quœ  sit  intra 
ipsum  puerum  physica  seu  naturalis  vis,  qua  dirigitur  fertiirque  ad  pomum.  Planius 
ergo  dici  videtur,  cum  in  unaquaque  re  principium  actionis  et  motus  sit  pars  illa 
mobilissima  actuosissimaque  et  quasi  flos  totius  materise.  quœ  et  ipsa  sit,  quam 
f  ormam  soient  dicere,  et  haberi  possit  quasi  tenuissima  contextura  subtilissimarum 
mobilissimarumque  atomorum,  ideo  primam  causam  moventem  in  physicis  rébus 
esse  atomos  ;  quod,  dum  ipsse  per  se  et  juxta  vim  a  suo  Authore  ab  initio  usque 
acceptam  moventur,  motum  omnibus  rébus  prsebeant  ;  sintque  adeo  omnium,  qu» 
[sic]  m  natura  sunt,  motuum  origo,  principium  et  causa.  (Syntaqma  :  Physica, 
Sect.  I,  L.  IV,  C.  VIII,  T.  I,  p.  337,  e.  1).  (    ^       i/ 

2-3.  Adnoto  ergo  gravitatem  esse  non  posse  qualitatem  ipsi  lapidi  inditam  ad  quae- 
rendum  locum  prœcise,  seu  ut  locus  est  ;  et  enim  lapis  ubicumque  sit,  locum  habet,  et 
neque  ampliorem,  neque  angustiorem  occupaturus  alium  usquam  est...  Videtur  ergo 
gravitas  esse  lapidi  potius  indita  ut  rem  quaerat  inloco,  versus  quem  tendit,  existentem. 
(Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  V,  C.  I,  T.  I,  p.  346,  c.  1). 


n.  —  PHYSIQUE  :  20  matière  première  des  choses  111 

teiTe  une  attraction  qui  rende  les  corps  lourds  et  pesants,  semblable 
à  l'attraction  de  l'aimant  qui  rend  le  fer  plus  lom-d  et  plus  pesant  ?  ^ 

Bref,  la  pesanteur  est  une  tendance  innée  des  atomes,  en  tant  qu'elle 
les  porte  à  se  mouvoir  ;  en  tant  que  mouvement  dans  une  direction 
particulière,  elle  est  un  effet  de  l'attraction,  laquelle  s'exerce  du 
dehors  -. 

La  cause  du  mouvement  attractif  est  extériem'  à  la  pien-e  qui  se 
meut.  Voilà  le  fait.  Comment  l'expliquer  ?  Ce  mouvement  attractif 
supposée  que  la  terre  peut  agir  sur  un  objet  éloigné  d'elle.  Mais  l'action 
à  distance  répugne.  Sans  doute,  réplique  Gassendi,  il  faut  un  inter- 
médiaire. Or  cet  intermédiaire  existe,  car  tous  les  corps  doivent 
émettre  des  particules  qui  vont  de  l'un  à  l'autre.  De  même  qu'il  est 
probable  que  l'aimant  projette  des  corpuscules  insensibles  qui  attei- 
gnent et  attirent  le  fer  ;  pareillement,  de  la  terre  doivent  s'échapper 
des  particules  qui  atteignent  et  attirent  les  corps  graves  ^.  A  cela, 
aucune  répugnance*. 

Une  question  ultérieure  se  pose  :  Comment  se  comportent  ces 
effluves  corpusculaires  ?  Après  avoir  rapporté  plusieui's  hypothèses 
qu'il  juge  invi'aisemblables,  Gassendi  s'arrête  à  la  suivante  qui  lui 
paraît  la  plus  acceptable  :  «  Concevez  que  Dieu  ait  fait  et  placé  une 
pien-e,  à  des  myriades  de  milles  au  delà  des  extrémités  du  monde, 
avant  que  le  monde  fût  créé.  Le  monde  une  fois  créé,  pensez-vous 
qu'aussitôt  la  pierre  a  dû  accourir  vers  la  terre  ?  Si  vous  le  pensez 
conformément  aux  principes  et  suppositions  d'Aristote,  n'est-ce  pas 
parce  que  vous  reconnaîtrez  qu'il  y  a  en  elle  comme  un  sens  qui  lui 
a  fait  percevoir  l'existence  de  la  terre  ?  »  ^  Le  rôle  des  corpuscules 
émis  par  la  terre  a  été  d'exciter  ce  sens  endormi  pour  le  faire  passer 
de  la  puissance  à  l'acte.  «  Par  conséquent,  est-ce  qu'il  n'a  pas  fallu 
que  quelque  chose  émané  de  la  terre  parvînt  jusqu'à  la  pierre  pour 
lui  faire  sentir  l'existence  de  la  terre  ?»  * 

Nous  retrouverons  ailleurs  cette  théorie  singuhère  de  Gassendi, 
-qui  accorde  aux  éléments  premiers,  constituant  les  êtres  inanimés, 
une   certaine  vie   et   connaissance   obscure,   inconsciente,   rappelant 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  V,  C.  II,  T.  I,  pp.  346-347,  c.  2-1. 

2.  ...  Impressam  quoqne, non  insitam  videri  eam  vim  qua  lapis  in  terram,  ad  quam- 
cumque  partem  sit  posita,  fertur.  Nec  vero  ideo  minus  solemus  gravitatem  dicere  hanc 
vim  :  qualitatem  intelligentes  non  ab  intrinseco  pellentem,  sed  ab  extrinseco  trahentem. 
(Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  V,  C.  II,  T.  I,  p.  347,  cl). 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  V,  C.  II,  T.  I,  p.  347,  c.  2. 

4.  ...  Ideo  sufficere  videtiir,  si  dixerimiis  nihil  repugnare  qno  minus  motus  reruni 
gravium  sive  decidentium  sit  ex  attractione  subjectœ  telluris,  quatenus  ex  ipsa 
corpuscula  prodeunt  quasi  organ»  quaedam  attraKentia.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I, 
L.  V,  C.  n,  T.  I,  p.  348,  c.  1). 

6-6.  ...  Concipito  lapideni  multis  milliarium  mj-riadibus  ultra  hujus  mundi  extrema 
fuisse  a  Deo  factum  atque  constitutum,  priusquam  mundum  conderet.  An,  condito 
deinceps  mundo,  putcis  lapidem  fuisse  illico  versus  hanc  terram  convolaturum  ? 
Si  putes  fuisse,  ut  rem  conformem  Aristotelis  principiis  et  suppositionibus,  annon 
faciès,  quoniam  agnosces  quemdam  quasi  sensum  in  lapide  futurum  fuisse,  quo  terram 
lieic  esse  fuisset  percepturus  ?  Et  nonne  fuisse  proinde  uecesse  aliqiiid  ex  terra  ad  ipsum 
iisque  dimanare,  ut  terram  eo  faceret  exprimeretque  sui  sensum  ?  (Syntagma,  :  Phy- 
sica, Sect.  I,  L.  V,  C.  II,  T.  I,  p.  348,  c.  1). 


112  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

celle  que  nous  voyons  dans  l'animal.  «  Il  semble  qu'il  y  a  dans  l'aimant 
et  le  fer  une  force  analogue  au  sens  ;  et  cela  à  cause  de  l'attraction 
dont  on  a  parlé  et  qui  ressemble  à  celle  qu'éprouve  l'animal  >>  ^.  Et  un 
peu  plus  loin  :  «  Comme  l'objet  sensible,  par  l'espèce  ou  image  qu'il 
envoie,  tourne  vers  lui  et  attire  l'âme  qui  a  la  force  de  transporter 
vers  l'objet  sensible  le  corps  si  épais  soit-il  ;  ainsi  l'aimant,  au  moyen 
de  l'espèce  transmise,  semble  tourner  vers  lui  et  attirer  l'âme  du  fer... 
On  croirait  difficilement,  si  l'expérience  ne  le  certifiait,  qu'une  chose 
aussi  ténue  qu'est  l'âme  sensible  (qu'elle  soit  comnje  la  fleur  de  la 
substance  ou  un  souffle  très  délié,  ou  tout  ce  qui  vous  agréera)  soit 
capable  de  transporter  la  masse  si  pesante  et  si  inerte  du  corps.  Mais 
alors  comment  ne  pas  croire  qu'il  y  a  dans  le  fer  une  âme  ou  certaine- 
ment du  moins  quelque  chose  d'analogue  à  l'âme  ?  Ce  quelque  chose, 
quoique  très  ténu,  peut  cependant  transférer  jusqu'à  l'aimant  la 
masse  de  fer,  encore  qu'elle  soit  très  pesante  et  inerte  »  ^.  Inutile  de 
faire  remarquer  la  futilité  de  ces  analogies. 

En  manière  de  conclusion,  l'on  peut  se  demander  en  quoi  consiste 
l'essence  de  la  matière  selon  Gassendi.  L'étendue  n'est  que  la  matière 
même  en  tant  que,  ses  parties  s'opposant  l'une  à  l'autre,  chacune 
occupe  un  lieu  particulier  et  proportionné  à  sa  grandeur.  De  là 
résulte  une  certaine  disposition  et  diffusion  de  ces  parties  qu'on 
appelle  l'étendue  de  la  matière.  S'il  en  est  ainsi,  il  faut  conclure 
que  l'essence  de  la  matière  consiste  plutôt  dans  la  solidité  ou  dureté 
€£ue  dans  l'étendue'.  Car,  si  nous  concevons  d'abord  que  deux  parties 
ne  demeurent  étendues  sans  se  compénétrer  que  parce  qu'elles  s'op- 
posent une  mutuelle  résistance,  nous  concevons  ensuite  qu'ellesine 
peuvent  ainsi  résister  l'une  à  l'autre  que  parce  qu'elles  sont  solides 
et  dures.  Ainsi  la  solidité  doit  être  considérée  comme  ce  qui  est  pre- 
mier dans  la  matière  et,  conséquemment,  comme  le  fondement  et 
la  cause  primitive  de  l'étendue  ^.  . 

§    III.     —   DU    PRINCIPE    EFFICIENT    DES    CHOSES  * 

La  cause  efficiente  est  celle  qu'on  nomme  proprement  cause'  ^. 
On  la  divise  en  Cause  première  et  en  causes  secondes.  De  même  qu'il 

1-2.  Videri  esse  in  magnete  et  ferro  vim  quamdam  analogam  sensui  ;  id  nempe  propter 
attractionem  ha':d  absimilem  animali...  Et  ut  objectum  sensibile  par  immissam  spe- 
ciem  convertit  trahitque  ad  se  animani,  quae  vi  sua  corpus  quantumvis  crassum  una 
versus  objectum  transfert  ;  ita  et  magnes  per  transfusam  speciem  videtur  ad  se  con- 
vertere  trahereque  ipsam  quasi  animam  (seu  quasi  florem  substantise)  ferri....  Difficile 
creditu  foret  quemadmodum  res  adeo  tenuis  ac  est  anima  sentiens  (seu  flos  quidam 
substantise,  tenuissimusve  spiritus  sit,  seu  quicquid  demum  aliud  voles)  transferre 
possit  corporis  molem,  quœ  adeo  gravis  inersque  est,.nisi  experientia  nos  faceret  certes  ; 
quidni  ergo  credere  liceat  esse  in  ferre  nisi  animam,  aut  aliquid  certe  analogum  animae, 
quod,  tametsi  tenuissimum,  transferre  tamen  reliquam  massam,  licet  valde  gravem 
ac  inertem,  possit.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  Membr.  I,  L.  III,  C.  V,  T.  II,  p.  132, 
§  Duodecimd). 

3.  Cf.  Bernier,  Abrégr,  T.  I,  L.  I,  Ch.  IX,  p.  126-129. 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  T.  I,  pp.  283-337. 

5.  Gassendi  parle  brièvement  des  autres  causes  au  Ch.  I  du  Livre  IV,  Ibidem,  pp.  283-287. 


II.    —   PHYSIQUE    :    30   PRINCIPE    EFFICIENT   DES    CHOSES  113 

y  a  une  Matière  première  et  très  générale  des  choses,  ainsi  il  y  a  une 
•Cause  première  et  très  générale  que  Platon,  Ai'istote,  Pythagore 
et  les  Stoïciens  ont  appelé  Dieu  ^.  C'est  par  cette  Cause  première 
qu'il  convient  de  commencer  l'étude  des  causes.  On  voit  comment 
Gassendi,  après  nombre  de  Scolastiques,  est  amené  à  placer  en  Phy- 
sique la  Théologie  naturelle  ^. 

Cette  partie  est  la  moins  originale  et  la  plus  sûre  de  la  philosophie 
gassendiste,  car  ici  le  philosophe  s'est  laissé  plus  fidèlement  guider 
par  les  indications  que  lui  fournissait  le  théologien.  Comme,  dans  sa 
Théodicée,  il  s'éloigne  moins  des  positions  bien  connues  prises  par 
les  Scolastiques,  il  nous  sera  permis  d'être  bref. 

A.   —   EXISTENCE    DE   DIEU. 

Les  preuves  apportées  par  les  Philosophes  pour  démontrer  l'exis- 
tence de  Dieu  sont  nombreuses.  GassencU  croit  pouvoir  les  ramener 
utilement  à  deux  (cuni  et  cœterœ  ad  eas  possint  non  incommode  revo- 
cari)  ^.  «  La  première  se  tire  de  l'anticipation  générale  ;  la  seconde, 
de  la  contemplation  attentive  des  choses  de  la  nature  et  de  cet  effet 
si  grand  qui  est  le  monde  »  ^. 

La  première  preuve  n'est  au  fond  que  la  preuve  fondée  sur  le  consen- 
tement universel  :  tous  lés  peuples  ont  une  certaine  notion  de  la  Divi- 
nité. Gassendi  répond  avec  beaucoup  d'à-propos  et  de  bon  sens  aux 
objections  qui  ont  été  du'igées  contre  cette  démonstration  ^.  On 
objecte,  par  exemple,  l'existence  de  quelques  peuplades  privées  de 
cette  notion  et  l'exemple  de  quelques  athées.  Il  fait  remarquer  que 
ces  exceptions,  à  supposer  qu'elles  soient  vraies,  n'infirment  pas  la 
proposition  générale.  Elles  n'empêchent  pas  la  croyance  en  Dieu 
d'être  naturelle  à  l'humanité.  Autrement  on  devrait  conclui*e  que  la 
faculté  de  voir  n'est  pas  naturelle  à  l'homme,  parce  qu'il  existe  quelques 
aveugles.  «  D'où  l'on  peut  tirer  cette  inférence  :  de  même  qu'il  conste 
que  la  lumière  existe  ,en  tant  que  tous  les  hommes,  si  vous  exceptez 
quelcj[ues  aveugles,  ont  la  faculté  de  percevoir  la  lumière  et  affirment 
qu'elle  est  ;  ainsi,  il  conste  que  Dieu  existe,  en  tant  que  tous  les  hommes 
si  vous  exceptez  quelques  athées,  reconnaissent  et  proclament,  grâce 
à  l'anticipation,  que  Dieu  est  »  ^. 

La  seconde  preuve  repose  sur  ce  principe  qu'il  n'y  a  pas  d'ordre 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  I,  T.  I,  p.  287,  c.1-2. 

2.  C'est  donc  fausser  la  perspective  du  plan  de  Gassendi,  que  de  rejeter,  après  la 
Morale,  comme  couronnement  de  l'édifice,  l'exposé  de  la  Théologie  de  Gassendi,  comme 
le  font,  par  exemple,  MM.  Thomas  et  Brett.  C'est  moderniser  Gassendi. 

3-4.  Et  prior  quidem  ex  anticipatione  generali  deducitur  ;  posterior  ex  rerum  naturae 
tantique  effectus,  quantus  mundus  est,  accurata  contemplatione.  (Syntagma  :  Physica, 
Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,  T.  I,  p.  290,  c.  1). 

5,  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II.  T.  I,  pp.  290-292. 

0.  Ex  quo  proinde  infère  licet,  quemadmodum  constat  esse  lucem,  quatenua  omnes 
liomines,  si  paucos  csecos  exceperis,  pro  ea,  quamhabent,  facultate,  lucem  etpercipiunt 
et  esse  pron.inciant  ;  ita  constat  sane  Deum  esse,  quatenus,  omues  homines,  si  paucos 
athsoa  exceperis,  pro  ea,  quam  habent,  anticipatione,  Deum  esse  agnoscunt  et  prolî- 
tentur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,  T.  I,  pp.  290-291,  c.  2-1). 


114  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  ■ —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

san.s  ordonnateur  (non  esse  ordinem  sine  ardinante)  ^.  Mais,  pour 
donner  à  cet  argument  une  force  probante,  Gassendi  a  soin  d'établir 
que  le  monde  n'est  pas  de  lui-même  et  ne  tire  pas  de  lui-même  (a  seipso) 
Tarrangement  qu'on  remarque  en  lui  ^. 

Qu'entend  Gassendi  par  ancitipation  ?  Est-ce  que,  après  l'avoir 
reproché  à  Descartes,  il  enseignerait  à  son  tour  que  l'idée  de  Dieu 
esit  innée  en  nous  ?  Non  ;  car,  selon  lui,  l'anticipation  de  Dieu  est 
créée  en  nous  avec  l'esprit  lui-même,  en  tant  que  notre  esprit  possède 
naturellement  une  certaine  capacité  ou  aptitude  qui  le  porte  à  recon- 
naître Dieu  ou  l'existence  de  la  nature  divine  à  la  première  occasion  ^. 
Il  s'agit  donc,  non  d'une  idée,  mais  d'une  virtualité  ou  puissance  innée. 

Cette  occasion,  qui  fait  passer  l'intelligence  à  l'acte,  ou,  si  l'on  veut, 
qui  active  cette  virtualité,  est  aussi  nécessaire  que  l'aptitude  ou  vir- 
tualité elle-même.  Certaines  choses,  saisies  par  les  sens  de  l'ouïe  et  de 
la  vue,  sont  les  occasions  qui  mettent  en  éveil  et  en  mouvement  cette 
aptitude  ou  virtualité. 

En  entendant  parler  de  Dieu  comme  étant  le  Prince  du  monde, 
le  Créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  l'Etre  suprême,  etc.,  ces  expressions, 
dont  le  sens  nous  est  famiher  au  préalable,  sont  pour  l'esprit  l'occa- 
sion très  prochaine  de  se  représenter  une  nature  qui  est  dans  le  monde 
comme  un  prince  dans  son  royaume,  qui  a  créé  le  ciel  et  la  terre  comme 
un  architecte  a  bâti  une  maison  et  choses  semblables.  Cette  persua- 
sion que  Dieu  existe  a  donc  pour  fondement  une  certaine  anticipa- 
tion qui  nous  a  fait  préjuger  qu'on  doit  ajouter  créance  à  un  homme 
grave,  et  que  celui  qui  nous  parle  est  tel  *.    • 

Mais  lïdée  de  Dieu  peut  nous  venir  aussi  par  la  vue.  Car  l'esprit, 
sans  être  averti  par  personne,  peut,  à  l'occasion  des  perfections  qu'il 
voit  dans  l'univers,  se  former  le  concept  de  Dieu  ;  puis,  en  vertu  de 
cette  prénotion  qu'il  n'y  a  pas  d'ordre  sans  ordonnateur,  il  conclut 
que,  si  un  État,  une  armée,  un  navire  ne  peut  se  passer  de  prince, 
de  chef,  de  pilote,  le  monde  a  fortiori  suppose  un  ordonnateur  suprême  ^. 

Gassendi  réclame  donc  le  concours  de  la  raison  et  de  l'expérience 
pour  expliquer  l'origine  de  l'idée  de  Dieu. 

B.   —  PERFECTIONS    DE   DIEU  ' 

Après  avoir  démontré  l'existence  de  Dieu,  Gassendi  aborde  l'étude 
de  ses  perfections,  dont  il  esquisse  ce  tableau  d'ensemble  ^  :  «  Quant 

1.  Syntafima  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,  T.  I,  p.  293,  c.  1. 

2.  Syntaqma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,  T.  I,  pp.  294-295. 

3.  ...  Dici  potest  [aiiticijjatio]  tuni  ingenei-ari  cum  mens  genératiir  seii  fit,  quatenu& 
est  caijacitas  sive  aptitiido  in  mente  iit,  prima  quaqiie  oecasione,  ad  agnoscendum  Deum 
sive  existentiam  naturse  di^ànfe  feratiir.  (Syntagnia  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,. 
T.  ï,  p.  292,  cl). 

4.  Synta(/ma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,  T.  I,  pp.  292-293,  c.  2-1. 

5.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,  T.  I,  p.  293,  c.  1.  —  Gassendi  expose  ici 
le  raisonnement  instinctif  qni  nous  pousse,  en  face  de  l'ordre  et  perfection  d\i  monde, 
à  proclamer  la  nécessité  d'une  cause  intelligente  et  parfaite.  Mais  c'est  plus  loin  (Ibidem, 
p.  294-295,  c.  2-1)  qu'il  présente  l'argument  sous  une  forme  rigoureuse  et  apodictique. 

6.  Videmur  nos  saltem  posse  Deum  considerare,  tum  quatemiis  substantia  est,  tum 
quatenus  iuteUigens  est.  Et  qiiatenus  quideni  substantia  est,  \'idetur  posse  et  prout  in 


n.   —  PHYSIQUE    :    3^  PRIîrCIPE   BrriCIE2fT   DES   CHOSES  115 

à  nous,  nous  pouvons,  ce  semble,  considérer  Dieu  en  tant  qu'il  est 
substance  et  en  tant  qu'il  est  intelligent.  En  tant  que  substance, 
il  semble  pouvoir  être  envisagé  en  lui-même  et  dans  ses  rapports 
avec  le  lieu  et  le  temps,  dans  la  mesm^e  où  cela  est  pom.'  nous  saisis- 
sable.  D'où  l'on  comprend  qu'en  raison  de  lui-même,  il  ne  peut  être 
qu'un  ;  en  raison  du  lieu,  qu'immense  ;  en  raison  du  temps,  qu'éternel. 
En  tant  qu'intelligent,  il  semble  qu'on  peut  considérer  en  lui  Fintelli- 
gence  imiverselle  qu'il  a  des  choses,  la  puissance  qu'il  a  de  réaliser 
ce  qu'il  conçoit,  la  façon  dont  il  le  réalise  en  concevant,  le  bonheur 
enfin  qui  résulte  de  son  intellection  même.  De  là  vient  qu'on  se  le 
représente  d'abord  comme  omniscient  et  omnipotent  ;  puis,  comme 
très  bon.  très  libre  et  très  sage  :  enfin,  comme  très  heureux  »  ^. 

Gassendi  traite  succinctement  cette  question  des  attributs  divins  ^. 
Inutile  de  nous  y  ai'rêter,  puisqu'il  ne  s'éloigne  guère  de  la  philoso- 
phie scolastique.  Signalons  plutôt  quelques  écarts.  Nous  avons  déjà 
noté,  en  parlant  du  temps  ^,  que  notre  philosophe  se  fait  une  idée 
inexacte  de  léternité.  Or,  traitant  ici  de  cet  attribut  divin,  il  renvoie 
à  ce  qu'il  a  enseigné  plus  haut  en  comparant  le  temps  et  l'éternité  *. 
On  dirait  qu'en  décrivant  la  nature  de  l'omnipotence  de  Dieu,  il  a 
subi  l'influence  d'une  erreur  de  Descartes,  car  il  écrit  :  «  La  puissance 
divine  étant  infinie,  nous  ne  pouvons  même  pas  savoir  s'il  lui  est 
impossible  de  réahser  deux  contradictoires  »  ^. 

Gassendi  sattache  ensuite  à  montrer  que  Dieu  e.st  à  la  fois  l'au- 
tem'  et  la  providence  du  monde  ^.  Il  s'en  prend  surtout  à  son  cher 

se.et^rout  in  loco  et  prout  in  tempore  (quantum  capimus)  cohseret,  spectari.  Ex  hoc 
nempe  fit  ut  intelligatur  quomodo  cohaerens  per  se  seu  ratione  sui  non  posait  esse  nisi 
unus  ;  ratione  loci,  nisi  immensus  ;  ratione  temporis,  nisi  œternus.  Quatenus  vero 
intelligens  est,  videtur  posse  attendi  et  ratione  eorum  quae  univei-se  intelligit  ;  et  ration? 
eorum  quae  intellecta  facere  potest  ;  et  ratione  modi  quo  intelligendo  facit  ;  et  ratione 
voluptatis  qua?  ex  intelligentia  consequitur.  Ex  his  quippe  fit  ut  primuni  omniscius. 
tum  oninipotens  ;  ad  haec  optimus,  liberrimus,  sapientissimus  :  tandem  et  beatissimus 
concipiatur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  IV,  T.  I,  p.  303,  c.  2). 

1.  Dans  luie  Satire,  Voltaire  fait  comparaître  devant  le  i  trône  de  Dieu  »  les  princi- 
I^aux  philosophes  et  en  prend  occasion  pour  résumer  plus  ou  moins  fidèlement  leiirs 
systèmes.  (De  là  le  titre  de  la  Satire).  Après  Descartes,  il  introduit  Gassendi  : 

L'iuœrtain  Gassendi,  ce  bon  prêtre  de  Digne, 
N^e  pouvait  du  Breton  (a)  souffrir  Taudace  insigne 
Et  proposait  à  Dieu  ses  atomes  crochus, 
Quoique  passés  de  mode  et  dès  longtemps  déchus  ; 
Mais  il  ne  disait  rien  sur  l'essence  divine. 

(Le»  Systèmes) 

Ce  dernier  vers  montre  que  Voltaire  n'avait  pas  même  feuilleté  le  Syntagma  philoso- 
phicum, 

(a)  C'est  Descartes  qu'il  désigne  ainsi.  Dans  une  variante  il  était  plus  exact  : 
Du  noble  Tourangeau  blâmait  l'audace  insigne. 

Voici  ave3  quelle  outrecuidance  il  juge  Deacartes  lai-m"?me  ; 

Et  ce  maître  René,  qu'on  oublie  aujourd'hui, 
Grand  fou  persécuté  par  de  plus  fous  que  lui.... 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  IV,  T.-I,  pp.  303-310. 

3.  Cf.  supra,  p.   101-102. 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  IV,  T.  I,  p.  306,  c.  1. 

5.  ...  Siquidem,  cum  Dei  potentia  infinita  sit,  ne  hoc  quidem  poss  iinus  scire  anillius 
potentiam  fugiat  ut  duo  contradictoria  faciat.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV, 
C.  IV,  T.  I,  pp.  308-309). 

6.  Syntagma,:  Physica,  Sect.  I,  L.  II,  C.  V-VII,  T.  I,  pp.  311-333. 


116  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

Épicure  qui  veut  tout  expliquer  sans  recourir  à  aucune  cause  distincte 
des  atomes. 

Est-ce  que,  dit-on,  la  nature  ne  produit  pas  des  effets  admirables  ? 
Les  mouches,  par  exemple,  et  autres  insectes  de  ce  genre  ne  sont-ils 
pas  créés  spontanément  par  elle  ?  «  Mais,  réplique  Gassendi,  la  ques- 
tion porte  sur  la  nature  elle-même,  sur  la  force  que  possèdent  les  germes 
des  choses  ^.  Comment  cette  force  est-elle  en  eux  ?  Comment  sont-ils 
aptes  à  façonner  des  œuvres  si  admirables,  à  moins  d'admettre  que 
quelqu'un,  dès  l'origine  du  monde,  leur  a  infusé  cette  force  et  a  dis- 
posé toute  la  série  des  évolutions  »  ^. 

Gassendi  fait  valoir  un  autre  argument  ^  qu'il  emprunte  à  Cicéron 
et  que  Fénelon  et  Bossuet  ont  développé  à  leur  tour.  Si  le  monde 
a  pu  résulter  de  la  rencontre  fortuite  des  atomes,  d'où  vient  que  ces 
atomes  n'ont  jamais  formé  ni  un  portique,  ni  un  temple,  ni  une  maison, 
ni  une  ville  ?  Et  pourtant  ces  œuvres  sont  plus  faciles  à  réaliser  que 
la  création  du  monde.  Autre  exemple.  Si  le  concours  fortuit  des 
atomes  suffit  à  rendre  compte  de  la  formation  de  l'univers,  pourquoi 
ne  pas  dire  que  de  lettres  innombrables  jetées  à  terre  pêle-mêle  et 
secouées  au  hasard  sortirent  les  Annales  d'Ennius  ?  Le  hasard  réus- 
sirait-il à  produire  même  un  seul  vers  ? 

Gassendi  répond  fort  bien  aux  diverses  objections  que  les  philo- 
sophes anciens,  Épicure  spécialement,  ont  soulevées  contre  la  Pro- 
vidence. Ce  sont  là  choses  classiques.  Indiquons  donc  seulement  une 
difficulté  que  Gassendi  propose  lui-même. 

«  Si  le  monde  a  été  créé  par  Dieu,  comme  on  l'a  montré  plus  haut, 
il  ne  peut  assurément  être  abandonné  par  son  auteur...  Ne  dites  pas 
que  le  monde  a  pu  être  créé  si  parfait  par  Dieu  que,  consistant  par 
lui-même,  il  n'ait  plus  ensuite  besoin  de  curateur.  Car,  le  monde 
n'existant  pas  de  lui-même  et  n'étant  rien  en  dehors  de  Faction  du 
Créateur  qui  l'a  thé  du  néant,  il  ne  peut  manquer  de  retourner  au 
néant,  s'il  n'est  persévéramment  soutenu  par  la  force,  à  laquelle  il  a 
dû  une  première  fois  d'être  quelque  chose.  11  ne  dépend  pas  certes  moins 
de  son  auteur  que  la  lumière  ne  dépend  du  foyer  lumineux  :  aussi, 
de  même  que  la  lumière  ne  peut  se  conserver  sans  le  soleil  qui  la  pro- 
duit, de  même  le  monde  ne  saurait  subsister  sain  et  sauf  sans  Dieu 
qui  l'a  une  fois  créé.  Sans  doute,  il  y  a  des  choses  qui  continuent 
d'être  sans  leurs  causes  :  c'est  le  cas  de  celles  qui,  dans  une  certaine 

1.  Claude  Bernard  devait  faire  plus  tard  une  réponse  analogue  :  «  Quand  un  poulet  se 
développe  dans  un  œuf,  ce  n'est  point  la  formation  du  corps  animal,  en  tant  que  grou- 
pement d'éléments  chimiques  qui  caractérise  essentiellement  la  force  vitale.  Ce  grou» 
pement  ne  se  fait  que  par  suite  des  lois  qui  régissent  les  propriétés  physico-chimiques 
de  la  matière  ;  mais  ce  qui  est  essentiellement  du  domaine  de  la  vie  et  ce  qui  n'appar- 
tient ni  à  la  chimie,  ni  à  la  physique,  ni  à  rien  autre  chose,  c'est  Vidée  directrice  de  cette 
évolution  vitale.  »  (Introduction  à  Vétude  de  la  Médecine  expérimentale.  Partie  II,  Ch.  II, 
§  1,  p.  147.  Paris,  1896). 

2.  Vei'um  qusestio  est  de  ipsa  natura  seu  vi  indita  seminibus  rerum  ;  quomodo  nempe 
illis  insit  et  idonea  quidem  conformandis  rebiis  adeo  admirabilibus,  nisi  aliquis  fuerit, 
ipso  mundi  initio,  qui  talem  vim  indiderit  talem  que  seriem  ordinarit.  (Syntagma  : 
Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  V,  T.  I,  p.  315,  cl). 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  V,  T.  I,  pp.  316-317,  c.  2-1. 


II.   —  PHYSIQUE    :    3°   PRINCIPE    EFFICIENT   DES    CHOSES  117 

mesure,  sont  indépendantes  des  causes,  dont  le  rôle  se  borne  à  agir 
sur  une  matière  préexistante  et  à  en  régler  les  forces  de  façon  qu'une 
modification  nouvelle  apparaisse.  Mais  le  monde,  qui  sans  Dieu  fût 
resté  dans  le  néant,  qui  n'a  rien  de  lui-même,  comment  pourrait-il 
subsister  par  lui-même,  privé  de  Tassistance  divine  l  C'est  pourquoi 
Dieu  est  plutôt  cause  du  monde  comme  le  soleil  est  cause  de  la  lu- 
mière :  partant,  de  même  que  la  lumière  s'éteindrait  dans  l'atmos- 
phère si  le  soleil  retirait  son  influence,  ainsi  le  monde  s'abîmerait 
dans  le  néant,  si  la  main  salutaire  de  Dieu  cessait  de  le  soutenir  »  ^. 

C'est  fort  élégamment  dit.  Mais  on  peut  se  demander  si,  étant  don- 
née l'imprécision  des  formules,  Gassendi  n'entend  pas  limiter  l'ac- 
tion de  Dieu  sur  les  causes  secondes  à  la  simple  conservation  ^.  Ce  qui 
éveille  surtout  ce  doute,  c'est  que,  ultérieurement,  il  semble  accepter 
comme  plausible  cette  hypothèse,  qui  cependant  porte  atteinte  à 
l'infinie  puissance  de  Dieu.  Parlant  en  effet  de  la  sagesse  divine  qui, 
à  l'origine,  a  tout  disposé  de  façon  que  les  choses  marchent  bien 
dans  la  suite,  il  ajoute  :  «  Il  est  permis  d'entendre  par  là  que  Dieu, 
conservant  et  entretenant  les  choses  par  son  seul  concours  ordinaire, 
les  laisse  remplir  leur  rôle  et  suivre  le  cours  commencé  selon  les  motions 
qui  leur  ont  été  imprimées  et  qu'elles  ont  reçues  dès  le  commence- 
ment... ^  » 

Après  avoir  disserté  sur  la  Cause  première,  Gassendi  en  vient 
naturellement  aux  causes  secondes  *.  Les  atomes,  on  l'a  vu,  sont  des 
substances  corporelles,  très  subtiles  et  très  mobiles.  En  tant  qu'ils 
sont  les  éléments  constitutifs  des  choses,  on  peut  les  appeler  matière  ; 
en  tant  que  principes  de  mouvement,  causes  secondes.  Pour  ne  pas 
scinder  en  deux  la  théorie  des  atomes,  nous  avons  traité  en  même 
temps  de  la  matière  et  du  mouvement  ^, 

1.  Si  est  [mundus]  imprimis  a  Deo  conditus,  ut  prius  jam  ostensum  est,  profecto  ab 
authore  suo  derelictiis  esse  non  potest...  Neque  dicas  potuisse  mundum  adeo  perfectuni 
a  Deo  creai'i,  ut  deinceps  par  se  consistons  curatore  non  indigf^-et  ;  siquidem,  cum  mun- 
dus a  seipso  non  sit  et  dempta  opéra  Créât oris,  quae  ipsum  e  nihilo  eduxit,  nihil  sit, 
non  potest  sane  niliil  non  esse  nisi  persévérante  vi,  a  qua  semel  habuit  ut  aliquid  esset. 
Non  minus  certe  a  suo  authore  quam  lux  a  lucido  dependet  ;  quamobrem,  ut  lux  servari 
non  potest  absque  sole  a  quo  procreatur,  sic  incolumis  absque  Deo,  a  quo  productus 
semel  fuit,  perseverare  nuuidus  non  potest.  Et  quam  vis  aliqua?  sint  res  quîP  sine  suis 
causis  consistant,  ejusmodi  tamen  sunt  res  quae  absque  luijusmodi  causis  aliquid  sunt, 
cum  causae  nihil  aliud  quam  materiam  versent  et  vires  in  ipsa  existent  es  tempèrent  ita 
ut  novum  quidpiam  appareat.  At  mundus,  qui  nihil  absque  Deo  fuit,  nihil  habet  es  se, 
unde  subsistere  per  se  ac  Deo  non  adsistente  possit  ?  Est  igitur  potius  Deus  causa 
mundi  eo  modo  quo  sol  causa  lucis  ;  ac  proinde,  quemadmodum  lux  ex  aère  périt  si 
sol  cesset  influere.  ita  est  mundus  penitus  recasiu-us  in  nihilum  si  Deus  ipsi 
siipponere  desinat  salutarem  nianum.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  VI,  T.  I, 
p.  323,  c.   2). 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  VIII,  T.  I,  pp.  333-337. 

3.  Quia  porro  liane  totam  naturse  seu  eruditionem,  seu  necessitatem  referendo  ad 
eam  sapientiam,  qua  Deus  initio  providerit  institueritque  ut  res  deinceps  procédèrent, 
intelligere  licet  Deum  solo  ordinario  concursu  res  conservantem  foventemque  sinere 
ipsas  res  suas  agere  vices  ac  pro  institutis  inditisque  ab  initio  motionibus  cursum  tenere 
quem  cœperint...  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  L.  VII,  C.  VII,  T.  I,  pp.  493-494, 
c.  2-1). 

4.  Syntagma  :  Physica.  Set.  I,  L,  V,  VI,  VII  ;  Sect.  II  et  III. 

5.  Cf.  supra,  p.  102-112 


118  AETICXE  II.  CHAPITRE  IV,  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

§    iV.    —    DES    QUALITÉS   DES    CORPS  i. 

A.    —   QUALITÉS   SENSIBLES. 

S'il  n'y  avait  dans  les  choses  aucune  autre  qualité  que  la  couleur, 
l'esprit  n'aui'ait  pas  sujet  de  distinguer  la  couleur  d'avec  la  chose 
colorée.  Mais  parce  que,  après  avoir  perçu  la  couleur  par  les  yeux, 
on  sent,  en  approchant  la  main,  de  la  résistance  ou  dureté,  l'intelli- 
gence infère  qu'il  doit  y  avoir  un  sujet  commun  dans  lequel  soient 
et  la  couleur  et  la  dureté,  et  conséquemment  que  ce  sujet  est  coloré 
et  dur.  Ce  sujet  ou  substance  demeurant  toujours  caché,  nous  ne  pou- 
vons savon  quel  il  est  sinon  au  moyen  des  qualités  dont  il  est  affecté 
et  qui  sont  perceptibles  à  nos  sens  ^. 

Ainsi  tout  corps  peut  être  considéré  de  deux  manières,  seulement 
comme  corps  ou  comme  tel  corps.  Comme  corps,  en  tant  qu'il  est 
formé  d'atomes  ou  qu'il  est  partie  de  la  substance  ou  matière  com- 
mune de  toutes  les  choses  physiques.  Comme  tel  corps,  en  tant  qu'il  a 
une  contexture  particuhère  qui  le  distingue  de  tout  autre.  C'est  pour- 
quoi ce  qui  se  remarque  dans  le  corps,  outre  la  substance  ou  matière, 
nous  l'appelons  quahté.  On  peut  donc  définn  la  qualité  en  général  : 
«  La  manière  d'être  de  la  substance  ou  l'état  et  condition  des  prin- 
cipes matériels  dont  le  mélange  constitue  telle  substance  »  ^. 

Quelle  est  la  cause  des  quahtés  sensibles  qu'on  nomme  le  chaud 
et  le  froid  *,  la  saveur  ^,  l'odeur  ®,  le  son  '',  la  lumière  et  la  couleur  ?  ® 
Cette  cause  est  à  la  fois  et  dans  les  corps  et  dans  les  organes  des  sens. 
En  effet,  deux  choses  sont  nécessaires  pour  que  les  sensations  de  chaud, 
de  froid,  etc.,  se  produisent.  Il  faut  d'abord  que  les  objets  émettent 
des  pai'ticules.  Il  faut  ensuite  que  ces  pai'ticuîes  soient  d'une  natm*e 
spéciale  qui  coiTesponde  à  chaque  organe  des  sens.  On  comprend  alors 
pourquoi  certains  objets  agissent  sur  la  vue  et  non  sur  l'ouïe  ou  l'odo- 
rat, bien  que  les  corpuscules  qui  en  émanent  soient  en  contact  avec 
ces  trois  sens.  Donc,  quand  on  dit  qu'un  coi*ps  est  lumineux,  sonore, 
eapide,  odorant,  etc.,  on  veut  dii'e  uniquement  que  les  atomes  subtils 
qu'il  émet  déterminent,  en  agissant  sur  les  organes  sensoriels,  la  sen- 
sation de  lumière,  de  son,  de  savem,  d'odeur,  etc.  Par  conséquent 
ces  qualités  sensibles  n'existent  pas  formellement  dans  les  objets. 
Sm'  le  fait  Gassendi  est  d'accord  avec  Descai'tes  ;  mais  ils  diffèrent 
complètement  sur  la  nature  de  la  cause.  Gassendi  le  reconnaît  expressé- 
ment quand  il  traite  de  la  lumière  et  des  couleurs.  Pour  lui,  il  croit 
que  la  lumière  est  un  écoulement  de  corpuscules  qui  sortent  conti- 

1.  Syntagtna  :  Physica,  Seet,  I,  L.  VI,  T.  I,  pp.  372-457. 

2.  SyrOagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  I,  T.  I,  p.  372,  c.  1. 

3.  Modus  sese  habendi  substantiae  Beu  status  et  «onditio,  qua  materialia  principia 
inter  se  comiiiissa  se  habent.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VT,  C.  I,  T.  I,  p.  372, 
c.  2). 

4-6-6-7-8.  Syntagtna  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  VI,  IX,  X,  XI,  XII,  T.  I,  pp.  394- 
401  ;   409-441. 


n.  —  PHYSIQUE  :•  4°  qualités  des  corps  119 

nuellement  du  coi^s  lumineux.  Pour  Descaii/es,  c'est  un  mouvement 
mécanique. 

Pour  comprendre  l'impoi-tance  que  Gassendi  attache  à  la  théorie 
de  l'émission,  on  doit  se  rappeler  que  cette  thœrie  était  en  favem* 
parmi  les  physiciens.  L'autorité  de  Newton  devait  plus  tard  lui 
donner  une  grande  vogue.  Le  système  neAvtonien  a  fini  par  céder 
la  place  à  celui  des  ondulations.  Mais  voici  que,  de  nos  jours,  la  théorie 
de  l'émission  a  retrouvé  des  partisans.  N'oubHons  pas  cependant 
que  la  conclusion,  à  laquelle  Gassendi  s'est  rangé,  à  savon  que  les 
quahtés  sensibles  ne  sont  pas  des  qualités  formelles  existant  dans  les 
corps,  est,  en  soi,  indépendante  de  la  théorie  de  l'émission,  bien  que 
Gassendi  y  soit  arrivé  par  cette  voie. 

Gassendi  fait  dériver  de  la  pesanteur  la  force  motrice  et  les  autres 
facultés  qu'on  remarque  dans  les  corps  ^.  Chaque  atome  est  animé 
d'une  tendance  primitive  et  inamissible  au  mouvement.  Dans  les 
composés  les  mouvements  particuliers  des  divers  atomes  se  contra- 
rient ;  le  mouvement  général  du  tout  se  fait  dans  le  sens  où  tend  la 
majorité  des  éléments  composants.  Cette  tendance  prédominante 
détermine  par  là  même  la  direction  de  la  force  motrice,  qui  en  défini- 
tive n'est  que  la  résultante  de  l'ensemble  des  énergies  du  corps  composé. 

Gassendi  rattache  les  facultés  diverses  des  corps  à  la  force  motrice, 
car  chaque  chose  est  censée  active  et  puissante  dans  la  mesure  où 
elle  est  capable  de  se  mouvoir  elle-même  ou  de  mouvoir  d'auti'es 
choses  2.  D'où  il  suit  qu'à  vrai  dire  toute  faculté  est  active.  On  parle 
cependant  de  faculté  passive.  Mais  cela  indique  seulement  l'impuis- 
sance de  résister  à  une  force  supérieure  :  d'où  nécessité  de  lui  obéir, 
c'est-à-dire  de  subir  son  mouvement  ^. 

Il  faut  identifier  les  facultés  avec  les  atomes  ou  principes  des  corps 
qui  sont  les  plus  subtils,  les  plus  dégagés  et  les  plus  actifs  et  que  poiu' 
cela  on  appelle  des  esprits  *. 

De  l'étude  de  la  force  motrice  et  des  facultés  Gassendi  passe  natu- 
rellement à  l'étude  de  l'habitude  qu'il  définit  :  «  La  facilité  à  agir, 
c'est-à-dire  à  répéter  une  action  qui  a  été  déjà  répétée  quelquefois 
ou  souvent  «  ^.  Pour  acquérir  cette  facilité  qui  constitue  l'habitude, 
c'est  beaucoup  moins  la  faculté  que  l'organe  qu'il  faut  exercer,  paice 
que  l'organe,  dont  la  faculté  se  sert,  est  composé  d'atomes  plus  gros- 
siers et  plus  rigides,  par  conséquent  plus  rebelles  à  contracter  use 
souplesse  qui  corresponde  aux  mouvements  divers  de  la  faculté  *. 

1.  Syntagma  :  Physica.  Scct.  I,  L.  VI,  C.  IV,  T.  I,  p.  384,  c.  2. 

2-3.  Sciendum  itaque  faciiltatem  sive  naturalem  potentiam  ideo  videri  nihil  dis- 
tinctum  a  vi  motrice  exposita,  quia  res  quselibet  tantum  facere  ac  posBO  ceneetur,  quan- 
tum movere  eive  Beipsam  sive  rem  aliam  capax  eut.  Inde  sequitur  nullam  proprie  epse 
facultatem  nisi  aetivam,  quoniam,  tametsi  rerum  motus  idem  cum  actione  et  paBsione 
eit,  sui  tamen  principium  in  solo  movente  seu  agente  habet.  Xeque  obstat  qiiod  dicatur 
quoque  passif  a  facultas  seu  potentia  dari  :  siquidem  haec  proprie  nihil  aliud  est  quam 
resistendi  impotentia  si\M3  privatio  facultatis,  cujus  defeetu  obedire  seu  subire  motum 
eogatur.  (Syntagma  :  Phvsica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  IV,  T.  I,  p.  385,  e.  2). 

4.  Syniaijma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  IV,  T.  I,  p.  386,  c.  1. 

5-6.  ...  Constat  ipsum  [habituni]  nihil  aliud  esse  quam  facilitatem  agendi  repetendive 
illam  actionem,  quae  jam  aJiquoties  ssepixreve  repetita  sit.  Ac  ista  quidem  faedlitas  tenet 


120  ARTICLE  II.   CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

C'est  pareillement  dans  l'organisme  qu'il  faut  chercher  surtout  la 
cause  de  l'afifaiblissement  et  de  la  disparition  des  habitudes.  Les 
atomes  qui  forment  les  organes  sont  sans  cesse  renouvelés  par  la 
nutrition,  laquelle  introduit  des  éléments  nouveaux.  C'est  pourquoi, 
si  l'on  n'imprime  pas  à  ces  particules  nouvellement  incorporées  des 
flexions  et  des  plis,  peu  à  peu  l'organe  perdra  sa  souplesse  et,  consé- 
quemment,  l'habitude  ira  en  diminuant  et  finira  par  disparaître. 
Gassendi  explique  également  l'oubh  par  cette  théorie  physiologique. 
Le  cerveau,  ou  l'organe,  quel  qu'il  soit,  qui  garde  le  trésor  de  nos 
images,  est  modifié  par  l'apport  de  la  nutrition.  Les  traces  anciennes 
laissées  par  nos  souvenirs  s'effacent  insensiblement  ;  si  elles  ne  sont 
pas  souvent  renouvelées,  elles  s'oblitèrent  et  les  souvenhs  s'évanouis- 
sent avec  elles  ^. 

B.   —   QUALITÉS    OCCULTES. 

Aux  qualités  sensibles,  qui  sont  manifestes,  les  Scolastiques  opposent 
les  qualités  occultes,  celles  dont  les  causes  sont  encore  inconnues  ^. 
Dès  qu'ils  aperçoivent  un  effet  dont  le  principe  leur  échappe,  ils 
supposent,  pour  en  rendre  compte,  l'existence  d'une  qualité  ou  faculté 
spéciale.  Gassendi  remarque  judicieusement  qu'à  parler  en  rigueur 
il  n'y  a  pas  de  qualité  qui  ne  soit  occulte  pour  nous,  car  il  n'y  en  a 
aucune  dont  la  cause  nous  soit  connue  en  elle-même.  Le  procédé  des 
Scolastiques  n'est  que  l'emploi  très  naturel  du  principe  de  causalité. 
Mais  cet  emploi  est  inutile  et  puéril,  quand  il  n'en  résulte  qu'une 
explication  purement  verbale.  Lorsqu'on  a  dit  que  la  nature  a  horreur 
du  vide,  ou  qu'une  vertu  sympathique  fait  vibrer  à  l'unisson  les 
cordes  d'un  instrument,  est-on  plus  avancé  ?  On  a  constaté  un  fait 
et  l'on  a  mis  dessus  une  étiquette  nominale. 

Gassendi  fait  rentrer  l'exphcation  des  qualités  occultes,  qu'on 
ramène  communément  à  la  sympathie  et  à  l'anthipatie,  dans  la  loi 
générale  qu'il  a  précédemment  établie  :  «  La  sympathie  et  l'antipa- 
thie..., quoiqu'elles  nous  frappent  d'une  certaine  stupeur,  sont  sou- 
mises au  mode  ou  loi  générale  de  l'agir  et  du  pâtir  qui  régit  toutes 
les  choses  de  la  nature.  Ce  mode  consiste  en  ce  que  il  n'y  a  point 
d'effet  sans  cause,  qu'aucune  cause  n'agit  sans  mouvement,  qu'au- 
cune cause  n'agit  sur  un  objet  éloigné,  c'est-à-dire  auquel  elle  n'est 
présente  ni  par  soi  ni  par  quelque  organe  qui  leur  sert  de  conjonction 

se  nonnihil  ex  parte  ipsa  facultatis  seii  spirituuni,  qiiatenus  assuescunt  certa  aliqua 
ratione  moveri  ;  at  videtur  tamen  prsecipue  acquisitu  necessaria  in  organo  ipso,  quo 
facilitas  utitur.  Etenim  concipiendum  est  organum,  cum  sit  aliquid  compositius  et 
crassius,  esse  quoque  quidpiani  rigidius,  nec  facile  ad  omnem  motuuin,  qualem  prsestare 
facilitas  potest,  diversitatem  flexile.  ( Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  IV,  T.  I, 
p.  387,  c.  1-2). 

1.  Annon  verisimile  est  hanc  eandem  esse  oblivionis  causam  ?  Dum  cerebnim,  aut 
quisquis  sit  thésaurus  specierum  seu  imaginum,  quarum  ope  imaginamur,  recordamur, 
reminiseimur,  ita  nutriendo  immutatur  ut  nisi  species,  in  eo  impressae  et  tanquam  sigillo 
formatae,  sîepius  ssepiusque  instaurentur,  obliterentur  continuo  ac  tandem  prorsus 
evanescant  ?  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  IV,  T.  I,  p.  387,  c.  I). 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  XIV,  T.  I,  pp.  449-457. 


II.    —   PHYSIQUE    :    50   LE    MONDE    EST-IL   ANLMÉ   ?  121 

OU  qu'elle  lui  a  transmis,  que  rien  par  conséquent  ne  meut  quoi  que 
ce  soit  qu'en  le  touchant  ou  par  soi  ou  par  un  organe  corporel.  D'où 
il  suit  que,  quand  on  dit  c^ue  deux  choses  mutuellement  s'attnent 
et  s'embrassent  par  sympathie  ou  se  repoussent  et  se  séparent  par 
antipathie,  nous  devons  comprendre  que  les  choses  se  passent  comme 
dans  les  autres  corps,  sans  autre  différence  sensible  que  celle  qui  tient 
à  la  subtilité  et  à  la  gi'ossièreté  des  organes  )>  ^. 

On  trouvera  sans  doute  que  cette  explication  générale  est  elle- 
même  bien  superficielle  et  bien  artificielle.  Lorsque  Gassendi  en  vient 
aux  causes  occultes  spéciales,  ses  explications  particulières  devaient 
être  et  sont  plus  ou  moins  arbitraires. 

§    V.    —    LE    MONDE    EST-IL    ANIMÉ  ?  2 

Après  avoir  critiqué  la  manière  dont  P\^hagore,  Platon  et  les  Stoï- 
ciens comprennent  l'animation  du  monde  ^,  Gassendi  expose,  sous 
forme  d'hypothèse,  non  sans  quelque  hésitation  et  timidité,  sa  manière 
de  voh'. 

Que  le  monde  soit  un  tout  ordonné,  dont  les  diverses  parties  ont 
entre  elles  des  relations  de  dépendance  comme  on  en  remarque  dans 
une  armée  ou  dans  un  écUfice,  cela  ne  fait  pas  question.  Mais  on  se 
demande  s'il  est  un  tout  ordonné  à  la  manière  d'une  plante  ou  d'un 
animal. 

Dans  sa  réponse  Gassendi  procède  par  degré.  D'abord,  si  c^uelqu'un 
prétend  que  par  âme  du  monde  Ion  doive  entendre  Dieu  lui-même, 
en  ce  sens  que  Dieu,  étant  par  son  essence,  sa  présence  et  sa  puis- 
sance (comme  disent  les  Docteurs)  mtimement  répandu  en  toutes 
choses  (intime  in  omnia  illapsus),  les  entretient,  les  gouverne  et  ainsi 
les  anime  en  quelque  sorte,  rien  n'empêche  de  parler  ainsi.  A  la  condi- 
tion cependant  de  signifier  par  là  que  Dieu  est  une  âme  assistante 
et  non  informante,  c'est-à-dire  qu'il  est,  non  pas  une  partie  compo- 
sante, mais  le  gouverneur  du  monde,  à  la  façon  du  commandant  d'un 
navh'e,  qui  n'en  constitue  pas  une  partie,  mais  le  dii'ige  "*. 

L  Xam,  quod  siiiipathia  sit  quaedam  consensio,  antipathia  dissensio  inter  aliquas 
'  Tes,  in  quarum  altéra,  vel  utraque,  aut  etiam  in  tertia  exoritur  aliquid,  quod  nos  stupore 
quodam  percellit,  non  ideo  ipsis  non  competit  generalis  familiarisque  rébus  naturse 
omnibus  agendi  et  patiendi  modus.  Hic  vero  modus,  ut  ex  antedictis  elicitur,  in  eo 
est  ut  nullus  efitectus  sine  causa  sit  ;  ut  nuUa  causa  sine  motu  agat  ;  ut  nihil  agat  in  rena 
distantem,  seu  cui  non  sit  prsesens  vel  per  se,  vel  per  organuni  ar.t  conjunctum  aut 
transmissiun  ;  ut  nihil  proinde  moveat  aliud  nisi  contingendo  ifsuni  vel  per  se,  vel 
per  organum,  illudque  corporeum,  cseteraque  similia.  Ex  quo  sequittir  ut,  cum  duœ 
res  sese  mutuo  attrahere  complectique  per  s\-mpathiam,  aut  repellere  disjungique  per 
antipathiam  dicuntur,  id  intelligendum  sit  ea  ratione  fieri,  qua  fit  seiasibilius  in  cseteris 
corporibus,  nulle  alio  discrimine  quam  siibtilitatis  et  crassitudinis  organonmi.  (Syn-  * 
tagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  VI,  C.  XIV,  T.  I,  p.  450.  cl). 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  I,  C.  V,  T.  I,  pp.  155-162.  —  Cf.  Sect.  II,  L.  I, 
C.  V,  T.  I,  pp.  520-524.  —  Sect.  III,  Membr.  I,  L.  I,  C.  I,  T.  II,  p.  1  sqq.  — Sect.  III, 
Membro.  II,  L.  VI,  C.  I.  T.  II,  pp.  328-329. 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  I,  C.  V,  T.  I,  pp.  155-158. 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  I,  C.  V,  T,  I,  p.  158,  c.  2. 


122  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

Ensuite,  les  philosophes,  notamment  Démocrite,  Aristote,  Hippo- 
crate,  reconnaissant  qu'une  certaine  chaleur  est  diffuse  dans  tout 
l'univers,  rien  ne  s'oppose  non  plus  à  ce  qu'on  appelle  âme  cette  cha- 
leur interne  ^. 

Enfin,  s'il  est  permis  d'affirmer  que  le  monde  a  une  âme,  au  sens 
impropre  et  analogique  dont  on  vient  de  parler,  il  est  difficile  d'ad- 
mettre qu'il  ait  une  âme  proprement  dite,  à  savoir  végétative,  sensi- 
tive  ou  raisonnable.  Car  le  monde  ne  rempht  aucune  des  fonctions 
qui  décèlent  la  présence  d'une  âme  véritable.  Ce  monde,  en  efiet, 
n'engendre  point  un  être  semblable  à  lui  comme  font  les  animaux 
et  même  les  plantes  ;  il  ne  se  nourrit  pas  et  ne  croît  pas  comme  eux  ; 
enfin,  il  exerce  moins  encore  les  fonctions  visuelles,  auditives,  etc.  ^. 

Cependant  on  peut  attribuer  aux  globes  entiers  du  monde,  à  la 
terre  par  exemple,  une  autre  sorte  d'âme,  c'est-à-dire  une  certaine 
forme  qui  relie  entre  elles  les  diverses  parties  de  chaque  globe,  quoique 
hétérogènes  et  opposées,  et  les  fait  adhérer  au  tout.  C'est  à  cette  forme 
qu'on  peut  rapporter  les  générations  de  tant  d'êtres  vivants  qui 
naissent  spontanément  ;  de  plus,  les  âmes  spéciales  de  ces  êtres,  encore 
que  très  différentes  de  l'âme  de  la  terre,  peuvent  néanmoins  lui  devoir 
leur  origine,  comme  le  ciron  doit  son  âme  à  l'homme,  quoiqu'elle 
soit  toute  aiitre  que  celle  de  l'homme  ^. 

«  Si  la  coutume  qu'on  a  de  n'accorder  d'âme  qu'aux  plantes,  aux 
animaux  et  aux  hommes,  n'a  pas  empêché  d'en  attribuer  une  à  la 
plupart  des  métaux  et  des  pierres  pendant  qu'ils  sont  dans  leurs 
raines  et  matrices,  mais  une  âme  d'un  genre  particulier,  par  laquelle 
ils  sont  censés  vivre,  pourquoi  ne  pouiTait-on  pas  attribuer  à  la  terre 
une  âme  d'un  genre  spécial,  grâce  à  laquelle  elle  puisse  être  réputée 
vivante  ?  Eh  quoi  !  les  propriétés  et  les  fonctions  de  l'aimant,  même 
quand  il  est  hors  de  la  mine,  encore  qu'elles  ne  peuvent  pas  être  rap- 
portées à  la  végétation,  au  sentiment  et  au  raisonnement  tels  qu'ils 
existent  d'ordinaire,  sont  cependant  trop  relevées  pour  qu'on  doive 
les  rapporter  à  une  nature  inanimée  et  complètement  privée  de  tout 
sentiment,  même  d'un  sentiment  distinct  des  sentiments  ordinaires. 
S'il  en  est  ainsi,  pourquoi  la  terre  serait-elle  donc  destituée  de  toute 
animation  et  de  tout  sentiment,  du  moins  d'une  espèce  de  sentiment 
distinct  des  sentiments  ordinaires  ?...  Est-ce  qu'il  répugne  que  la 
ten-e  possède  un  genre  de  vie  et  de  connaissance  qui  échappe  à  la 
portée  de  notre  faible  intelligence  d'hommes  terrestres  ?  »  *  Nous  retrou- 

1-2.  Syntagma  ■.'PnYSïCA,  Sect.  I,  L.  I,  C.  V,  T.  I,  pp.  158-159. 

^'.  Syntagma  :  Physica.  Sect.  lil,  Membr.  I,  L.  I,  C.  I,  T.  II,  p.  3,  c.1-2. 

4.  Cseterum  autem,  si  cum  anima  tribuatur  viilgo  sohim  plantis,  et  brutis,  ac  hami- 
nibus,  id  non  obstat  quo  minus  videatur  plerisque  attribuenda  esse  metallis  et  lapidibus, 
duni  in  mineris  matrici busqué  suis  sunt,  sed  anima  nempe  sui  generis  qua  corpora  illa 
\-ivere  censeantur  ;  eur  non  possit  quoque  attribuenda  ^'ideri  terrae,  seilicet  specialis 
ac  sui  generis,  ob  quam  censeri  vivons  possit?  Quid,  quod  ipse  magnes,  etiam  a  minera 
sejunetus,  eas  functiones  obit,  quse  referri  qiiidem  ad  vegetationem,  sensum,  ratio- 
cinationem,  ut  vulgo  habentur,  non  possint,  sed  quse  sint  tamen  nobiliores  quam  ut 
referendae  videantur  ad  inanimem  et  omnis  plane  sensus  (etiam  ab  istie  vulgaribus 
-distincti)  expertem  naturam  ?  Id  autem  si  ita  se  habeat,  quidni  ten-£e  quoque  com- 
petere  possit  natura  non  inanimis,  neque  expers  omnis,  saltem  distincti  a  vulgaribus, 


n.  —  PHYSIQUE  :  6°  l'ame  animale  123 

verons  cette  étrange  doctrine  dans  le  chapitre  où  Gassendi  traite 
ex  professa  de  la  sensibilité. 


§   VI.    —   DE    L'AME  1. 

«  S'il  existe  quelque  part,  en  philosophie,  un  labyrinthe  d'opinions, 
c'est  ici  surtout  qu'on  le  rencontre  »  ^.  Les  uns  font  l'àme  incorporelle  ; 
les  autres,  corporelle.  Gassendi  expose  avec  érudition  les  opinions 
diverses  des  philosophes  anciens  ^.  Comme  on  ne  saurait  espérer  de 
percevon  la  natm'e  intime  de  Tâme,  il  s'estimera  abondamment  payé 
de  sa  peine  s'il  lui  est  donné,  en  présence  de  doctrines  si  divergentes, 
de  présenter  en  balbutiant,  à  la  lumière  obscure  de  la  seule  raison, 
une  solution  vraisemblable  *.  L'<âme  de  l'animal  et  l'âme  de  l'homme 
attnent  tour  à  tour  son  attention. 


A.   —  L'AME    ANIMALE. 

L'âme  nous  apparaît  tout  d'abord  comme  un  principe  dont  la  pré- 
sence exphque  la  vie,  et  dont  l'absence  exphque  la  mort  ^.  Les  sens 
ne  "peuvent  percevon  ce  principe,  mais  l'intelligence  en  démontre 
par  le  raisomiement  l'existence.  Car  la  nutrition,  la  sensation,  le  mou- 
vement et  autres  fonctions  ne  samaient  s'accomphr  sans  ce  principe 
\àtal  qu'on  nomme  l'âme. 

Quelle  est  sa  natme  ?  «  L'âme  semble  être  une  substance  très  ténue 
et  comme  la  fleur  de  la  matière,  dont  les  parties  ont  une  disposition 
et  sj^métrie  particulière  au-dedans  de  la  masse  plus  grossière  du 
corps  »  ®.  En  tant  que  substance  elle  peut  être,  grâce  à  sa  mobiUté, 
un  principe  d'action  ;  en  tant  que  disposée  et  ordonnée  de  telle  manière, 
elle  peut  agn  de  telle  façon  et  non  d'une  autre  ', 

Comme  on  constate  entre  l'âme  et  le  feu  des  rapports  nombreux 
et  fi'appants,  ces  ressemblances  autorisent  à  assimiler  l'âme  à  un  feu 


sensus  ?...  Ecquid  répugnât  esse  in  terra  genns  vitœ  et  cognitionis,  quœ  nobis  homim- 
cionibus  et  terrigenis  seu  pusillimis  particulis  terrœ  assequi  non  liceat  ?  (Syntagtna  : 
Physica,  Sect.  III,  Membr.  I,  L.  I,  C.  I,  T.  II,  p.  3,  c.  2). 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  T.  II,  pp.  237-259. 

2.  Si  uspisun  eerte  in  Philpeophia  labyrinthus  est  opiniouiim,  in  hoc  ipso  loco  prœser- 
tim  ocevuTit.  (SyrOagyrtn  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p,  237,  c.  1). 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  I  et  II,  T.  II,  pp.  237-250. 

4.  Cum  autem.  ut  initio  testati  sumus,  spes  non  ait  ut  intimius  perspicer©  animae 
naturam  possimus,  absit  recipiamus  quidpiam  attexturos,  ex  quo  liceat  qualis  ea  sit 
vel  eminus  conjieere  ;  abunde  erit  si,  ut  caligando,  ita  balbutiendo,  aliquid  tentemus, 
tinde  quid  inter  tôt  placita  videri  possit  habere  speeiem  probabilitatis  sequamur. 
(Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  JVL  II,  L.  lU,  C.  III,  T.  II,  p.  250,  c.  1.  —  Cf.  Ibidem, 
C.  I,  p.  237,  col.  1). 

5.  SyrOagma  :  Phy*ica,  Sect.  IH,  M.  Il,  L.  III,  C.  III,  T.  II,  p.  250,  c.  1-2. 

6-7.  Videri  ergo  potius  esse  animam  substantiam  quandaui  tenuissimsuu  ac  \eluti 
florem  materise,  cum  speciali  dispositione  hahitudine\-e  et  symmetria  partium  intra 
ipsïun  massam  crassiorem  corporis  degentium.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II, 
L.  III,  C.  III,  T.  II,  p.  250,  c.  2). 


124  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  '■ —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

très  subtil  et  très  actif  qui  entretient  dans  l'animal  et  dans  l'homme 
la  chaleur  et  la  vie  ^. 

Quelle  est  l'origine  de  cette  âme  ?  Comment  s'allume  cette  petite 
flamme  ?  (qua  ratione  accendatur  ista  animœ  fiammula  1)  ^  Elle  a  été 
ce  semble  allumée  dès  le  commencement  de  la  génération.  Car  il  faut 
concevoir  que  la  semence,  dont  Tanimal  doit  provenir,  est  animée, 
c'est-à-dire  contient  une  partie  de  l'âme  qui  est  répandue  dans  le 
corps  de  celui  qui  engendre.  Ainsi,  les  êtres  qui  sont  engendrés  par 
d'autres  êtres  reçoivent  de  leurs  ascendants  l'âme  en  même  temps 
que  la  vie  '.  Pour  les  êtres  qui  naissent  par  une  sorte  de  génération 
spontanée  (q^iorum  ortus  spontaneus  est)  *,  ils  viennent  d'une  semence 
ou  germe  préexistant,  que  Dieu  a  créé  et  répandu  partout  dès  le  com- 
mencement et  qui  possède  une  sorte  d'âme  en  puissance,  laquelle 
n'attend  pour  passer  en  acte  et  remplir  sa  fonction  que  des  conditions 
propices  ^. 

Gassendi  s'efforce  enfin  de  résoudre  cette  objection  :  Comment  cette 
âme  matérielle,  qui  est  composée  d'éléments  insensibles,  devient-elle 
capable  de  sentir  ?  ®  Cet  argument,  répond-il  d'abord,  suppose  comme 
vrai  ce  principe  :  Toutes  les  propriétés  qui  se  rencontrent  dans  le 
composé  doivent  exister  dans  les  éléments  composants.  Il  commence 
par  nier  la  vérité  de  ce  principe  et  appuie  sa  négation  par  un  exemple 
tiré  de  la  chimie.  Mais,  comme  il  se  rend  compte  au  fond  que  le  prin- 
cipe qu'on  lui  oppose  ne  peut  être  nié  purement  et  simplement  (car 
les  composants  doivent  évidemment  contenir  à  l'état  virtuel  les  pro- 
priétés que  leur  réunion  communique  au  composé),  il  finit  par  le 
reconnaître  implicitement  dans  son  explication  définitive  :  ((  Comme 
toute  semence  est  animée,  et  que  non  seulement  les  animaux  qui 
naissent  de  l'accouplement  mais  ceux  qui  s'engendrent  spontané- 
ment de  certaines  matières,  peuvent  être  regardés  comme  créés 
ou  formés  de  molécules  séminales  qui  ont  été  assemblées  dès  le  com- 
mencement du  monde  ou  depuis,  on  ne  peut  pas,  pour  ce  motif, 
dire  absolument  que  les  choses  sensibles  proviennent  d'éléments 
insensibles,  mais  plutôt  d'éléments  qui,  bien  qu'en  fait  ils  ne  sentent 
pas,  en  fait  du  moins  sont  ou  contiennent  les  principes  du  sentir,  de 
même  que  les  principes  du  feu  sont  contenus  et  cachés  dans  les  veines 
du  caillou  '^...  » 


1.  Cf.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  III,  T.  II,  pp.  251-252.  Il  est 
piquant  de  voir  à  quelles  .subtilités  et  suppositions  en  est  réduit  notre  philosophe 
pour  appliquer  aux  poissons  et  aux  animaux  exsangues  son  système  imaginaire  de 
l'âme-feu.  Cf.  Ibidem,  pp.  253-254. 

2-3-4-5.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  III,  T.  II,  pp.  252-254. 

6.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VI,  C.  III,  T.  II,  pp.  343-350. 

7.  Quod  semen  animatum  sit,  et  non  modo  quse  animalia  ex  coitu,  sed  etiam  quse 
aliunde  sponte  generantur,  dici  possunt  creari  formarive  ex  semineis  moleculis,  quSe, 
aut  ab  usque  rerum  initio,  aut  deinceps,  concreta?  fuerint,  ut  deducimus  alias  et  inferius 
quoque  attingetur,  ea  de  causa  non  posse  dici  absolute  res  sensibiles  fieri  ex  insensibili- 
bus,  sed  potius  ex  iis  quae,  licet  reipsa  non  sentiant,  reipsa  tamen  aint  contineantve  prin  - 
cipia  8en»us,  eo  modo  quo  ignis  semina  abstnisa  in  silicis  venis,  materiave  pinguiuscula, 
ex  antedictis,  continentur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VI,  C.  III,  T.  II, 
p.  347,  c.  2).  C'est  moi  qui  souligne. 


n.  —  PHYSIQUE  :  6°  l'ame  humaine  125 


B.    —   UAME   HUMAINE. 

L'âme  humaine  est  beaucoup  plus  complexe  que  Tàme  des  ani- 
maux. Elle  est  non  seulement  végétative  et  sensitive,  comme  l'âme 
des  bêtes  ;  mais  de  plus  elle  est  douée  d'intelligence,  ce  qui  l'en  dis- 
tingue. L'opposition  de  facultés  si  diverses  explique  la  variété  des 
opinions  émises  sur  sa  nature  ^. 

Pour  les  uns,  l'âme  humaine  est  une  substance  simple  et  incorpo- 
relle ;  mais,  quoique  incorporelle,  ayant  deux  sortes  de  facultés  : 
les  unes  inorganiques  ou  capables  d'agir  sans  organes,  à  savoir  l'en- 
tendement et  la  volonté  ;  les  autres  organiques  ou  assujetties  à  des 
organes,  telles  que  les  facultés  de  se  nourrir,  d'engendi'er,  d'imaginer, 
de  sentk  et  de  mouvok  les  membres.  Cette  âme  est  créée  par  Dieu  et 
infuse  dans  le  corps,  soit  dès  le  commencement  de  la  génération, 
soit  plus  tard.  Les  partisans  de  cette  dernière  hypothèse  croient 
à  l'existence  successive  d'une  âme  végétative  et  d'une  âme  sensitive, 
produites  par  les  parents  au  moyen  de  la  semence.  De  même  que 
l'âme  végétative  périt  à  la  venue  de  la  sensitive  qui  rempht  désormais 
ses  fonctions,  ainsi  l'âme  sensitive  disparaît  à  son  tour  et  est  remplacée 
par  la  raisonnable  qui  préside  seule  aux  fonctions  de  la  triple  vie, 
végétative,  sensitive  et  intellective. 

Pour  les  autres,  l'âme  humaine  n'est  pas  une  substance  simple, 
mais  composée  de  deux  parties.  Son  origine  et  sa  dualité  sont  diverse- 
ment comprises.  Voici  la  solution  à  laquelle  Gassendi  s'arrête  :  "  L'âme 
humaine  est  composée  de  deux  parties  :  l'une,  irraisonnable,  qui, 
réunissant  la  puissance  végétative  et  sensitive,  est  corporelle,  tire 
son  origine  des  parents  et,  comme  une  sorte  de  milieu  ou  de  lien, 
unit  l'âme  raisonnable  au  corps  ;  l'autre,  raisonnable  ou  intellectuelle, 
qui  est  incorporelle,  créée  par  Dieu,  infuse  et  unie  par  lui,  comme  une 
vraie  forme,  au  corps  par  l'intermédiaire  de  l'irraisonnable  »  ^. 

Gassendi  invoque  d'abord,  à  l'appui  de  cette  opinion,  qui  est  incom- 
patible avec  la  simplicité  de  l'âme,  l'autorité  de  quelques  rares  Sco- 
lastiques  peu  recommandables  ^. 

Puis,  il  apporte  des  arguments  moins  indirects  ^.  Une  chose  simple 
ne  peut  être  en  contradiction  avec  elle-même.  Les  sens  et  l'esprit 
sont  en  lutte  dans  l'homme  ;  les  sens  et  l'esprit,  c'est-à-dire  l'âme 
sensitive  et  l'âme  raisonnable,  doivent  donc  être  des  choses  réelle- 
ment distinctes.  Aussi  les  théologiens,  à  cause  de  cette  opposition 
«  entre  la  loi  des  membres  et  la  loi  de  l'esprit  »,  dont  parle  saint  Paul, 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  IV,  T.  II,  pp.  255-256. 

2.  Quare  adniitti  solum  potest  qii<e  restât  opinio  statuentiuin  animam  humanam 
compositain  esse  ex  duplici  parte,  nimiruni  ex  irrationali  quœ,  vegetati\am  et  sensiti- 
vam  complectens,  corporea  sit,  a  pareiitibiis  ortum  habeat  et  sit  quasi  médium  seu 
nexus  jungendœ  rationalis  cum  corpore  ;  et  ex  ipsa  rationali  seu  intellectiva,  quse  sit 
incorporea,  a  Deo  creetur  ac  infundatur  uniaturque  \it  vera  forma  corpori,  interce- 
dente  irrationali.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  IV,  T.  II,  p.  256, 
c.  1-2). 

3-4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  IV,  T.  II,  pp.  256,  c.  2  ;  257. 


126  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

distinguent  dans  notre  âme  la  partie  inférieure  et  la  partie  supérieure. 
Et  qu'on  ne  dise  pas  qu'une  même  âme  très  simple,  immatérielle, 
peut  très  bien  être  le  siège  de  deux  facultés  opposées  entre  elles.  Autre- 
ment, on  devrait  dire  aussi  qu'une  même  substance  simple  comme  le 
feu  peut  produire  la  chaleur  et  le  froid. 

Gassendi  sent  le  besoin  d'appuyer  cette  argumentation  si  faible 
par  une  raison  de  convenance.  Mais  cette  raison  n'a  rien  de  convain- 
cant. Ce  qui  confirme  cette  opinion,  dit-il,  c'est  qu'on  peut  commo- 
dément expliquer  par  là  comment  l'homme,  en  tant  qu'il  vit  ou  est 
animé,  se  trouve  par  une  de  ses  parties  fort  peu  au-dessous  des  anges 
et  capable  de  survivre,  et,  par  l'autre,  ne  diffère  en  rien  des  brutes 
et  partage  le  sort  et  la  destinée  finale  des  bêtes  de  somme.  C'est 
pourquoi  l'on  affirme  que,  selon  la  première,  l'homme  vit  une  vie 
intellectuelle  et  angélique  qui  le  fait  ressembler  à  Dieu,  et,  selon  la 
dernière,  une  vie  animale  et  bestiale,  qui  le  fait  comparer  aux  êtres 


est  purement  intellective. 

Mais  cela  ressort  aussi  bien  dans  le  système  qui  ne  reconnaît  dans 
l'homme  qu'une  âme,  mais  douée  de  facultés  sensitives  et  intellec- 
tives.  Pour  être  conséquent  avec  lui-même,  Gassendi  aurait  dû  ad-* 
mettre  trois  âmes  ;  végétative,  sensitive,  intellective.  Car,  en  vertu 
de  ses  principes,  on  ne  voit  pas  de  quel  droit  il  dote  l'âme  sensitive 
et  de  la  fonction  végétative  et  de  la  fonction  sensitive.  Il  y  a,  en  elïet, 
des  tendances  opposées  entre  ces  deux  sortes  de  fonctions. 

Gassendi,  qui  se  croit  en  règle  avec  l'orthodoxie  et  qui  assurément 
tenait  à  l'être  ^,  ne  s'est  pas  rendu  compte  que  son  opinion  dualiste 
allait  contre  la  définition  du  concile  de  Vienne,  d'après  laquelle  il 
n'y  a  dans  l'homme  qu'un  seul  principe  vital,  l'âme  raisonnable, 
qui  informe  immédiatement  le  corps,  c'est-à-dire  lui  est  substantielle- 
ment unie  comme  principe  de  la  vie  végétative  et  sensitive  -. 

Ce  duaUsme  est  aussi  en  désaccord  avec  la  philosophie  scolastique 
et  spiritualiste,  car  il  détruit  tout  ensemble  et  la  simplicité  de  l'âme 
et  l'unité  de  la  nature  humaine.  Gassendi  a  prévu  cette  objection  et 
s'évertue  à  y  répondre.  Mais  ses  réponses  sont  manifestement  insuffi- . 
santés. 

Il  est  vrai,  avoue-t-il,  que  nous  parlons  toujours  de  l'âme  comme 
d'une  seule  et  même  âme.  Mais,  réplique-t-il,  nous  parlons  aussi  de 
l'homme  comme  d'un  seul  et  même  être.  Donc,  comme  l'homme  devient 
un  par  suite  de  l'union  de  l'âme  avec  le  corps,  ainsi  l'âme  devient  une 

1.  Utcumque  porro  ipsa  [santentia]  nobis  defendi  videatur  tanquam  probabilior  ; 
si  quid  tamen  rêvera  obstet,  eam  abniiimus,  comparati  semper  ad  eam,  quse  Ecclesiae 
Sacrse  decretis  praecepta  fuerit,  annplectendam'.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II, 
L.  III,  C.  IV,  T.  II,  p.  258.  c.  2). 

2.  Sur  le  sens  de  cette  définition,  voir  D.  Palmieri,  Institutiones...,  T.  II,  Anthropo- 
logia,  C.  III,  Thés.  XIV,  §  ii,  pp.  396-398.  —  M.  Debièvee,  La  Définition  du  concile  de 
Vienne  sur  Vâme  (6  mai  1312)  ;  dans  Recherches  de  Science  religieuse,  1912,. 
pp.  321-344. 


II.   —  PHYSIQUE    :    7°   SENSIBILITÉ  127 

par    suite  de  l'union  de    l'âme    raisonnable   et   de  l'âme   sensitive. 

<(  Cependant  Gassendi  comprend  bien  que  cette  réponse  est  super- 
ficielle et  ne  va  pas  au  fond  de  la  difficulté.  Peu  importe,  en  effet, 
qu'on  parle  de  l'homme  et  de  l'âme  au  singulier  ou  au  pluriel,  l'homme 
ne  sera-t-il  pas  moins  double,  étant  -  composé  de  deux  âmes?  »  ^ 
Telle  est  en  effet  l'instance  que  lui  opposent  ses  adversaires  :  Ac  urgent 
quidem  non  fore  igitur  hominem  per  se  unurn,  sed  duo. 

Pour  résoudre  la  difficulté  et  sauver  l'unité  de  la  nature  humaine, 
il  avance  que  l'âme  sensitive  est  à  l'âme  raisonnable  ce  que  la  puis- 
sance est  à  l'acte,  et  ce  que  le  corps  est  à  l'âme  :  «  Si  l'homme,  encore 
que  composé  de  tant  de  parties...  et  spécialement  de  corps  et  d'âme, 
est  un  par  soi  (unmn  per  se),  en  tant  que.  comme  on  dit,  Tun  est' 
puissance,  et  l'autre  est  acte,  ou,  si  vous  préférez,  en  tant  que  l'un 
est,  de  sa  nature,  apte  à  recevoir,  et  l'autre  à  être  reçu,  pourquoi 
l'âme  humaine  ne  serait-elle  pas  aussi  une  par  soi  (quid  uwum  per  se), 
en  tant  que  la  sensitive  sera  comme  une  puissance  recevante  (ut 
potentia  excipiens),  et  la  rationnelle  comme  un  acte  reçu  (ut  actus 
receptvs),  de  telle  sorte  que  le  composé  de  l'une  et  de  l'autre  étant 
cohérent  devienne  ensuite  un  acte  propre  à  être  reçu  clans  le  corps 
et  à  former  avec  lui  un  être  un  par  soi  »  ^. 

«  '  Toute  la  question  est  de  savoir  si  Gassendi  enlève  ou  conserve 
à  cette  âme  sensitive  qui  reçoit  l'autre,  une  réalité  propre  ;  s'il  la  lui 
enlève,  ce  n'est  plus  une  âme  ;  s'il  la  lui  conserve,  il  ne  se  peut  pas 
qu'elle  ne  fasse  qu'un  seul  et  même  être  avec  l'âme  raisonnable  »  ^. 


§    VII.    —    DE    LA    SENSIBILITÉ  *. 

Après  avoir  examiné  C[uelles  sont  les  propriétés  naturelles  et  vitales 
des  êtres,  il  convient  d'étudier  leurs  facultés  de  sentir  et  de  connaître. 

A.   —   SENSIBILITÉ    AU   SENS   LARGE 

«  Sentù",  au  sens  le  plus  général  du  mot,  s'entend  de  n'importe 
quelle  faculté  naturelle  à  chaque  être  de  percevoir  quel({ue  chose, 
dont  la  perception  ou.  si  l'on  préfère,  l'appréhension  le  met  en  mouve- 
ment »  ^.  Gassendi  accorde    ce    genre    de    sensibihté  aux  minéraux 

1.  Fr.  Bouillier,  Lp  Principe  vital  et  VAme  pensante,  Ch.  X,  p.  183,  Paris,  1873-. 

2.  Verum,  si  constaiis  aliunde  homo  ex  tanta  partium  varietate  unum  esse  non 
desinit  ;  ...  ac  si  constans  specialiter  ex  corpore  et  anima  uniini  per  se  est,  qnatenus 
alteruni  potentia,  altenun  actus,  ut  aiunt,  est,  seu  mavis,  quatenus  alterum  ut  exci- 
piat,  alterum  ut  excipiatur  coliaereatque,  est  ex  sua  natura  idoneum  ;  erit  profecto 
anima  huniana  quid  imuni  per  se,  quatenus  sensitiva  erit  ut  potentia  excipiens,  et 
i-ationalis  ut  actus  excejjtus  ac  ita  cohaerens  ut  compositum  ex  utroque  fiât  deinceps 
idoneus  actus,  qui  recipiatur  in  corpore  et  quid  per  se  unum  cum  ipso  constituatur. 
(Syntagma  :  Physic.\,  Sect.  III,  M.  II,  L.  III,  C.  IV,  T.  II,  p.  258,  c.  1). 

3.  Fr.  Bottillibr,  Le  Principe  vital...,  Ch.  X,  p.  183,  Paris,  1873^. 

4.  Syntagtna  :  Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  VI,  C.  I,  T.  II,  pp.  328-352. 

5.  Primum  universe  [sonsuin  accipi]  pro  quacumque  facultate  rei  cuilibet  naturaliter 
insita  ad  percipiendum  alicjuid,  cujus  perceptione  seu  mavis  apprehensione  moveatur. 

■  (Syntagma  :  Physica,  Ssct.  III,  Membr.  II,  L.  VI,  C.  I,  T.  II,  p.  328,  c.  1). 


128  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHI€UM 

et  aux  plantes,  ou,  du  moins,  ne  désapprouve  pas  ceux  qui  sou- 
tiennent cette  opinion.  Elle  repose  sur  un  argument  analogique  très 
superficiel,  qui  n'a  rien  de  concluant.  Est-ce  que  le  fer  n'est  pas 
attiré  par  l'aimant  ?  Est-ce  que  les  plantes  ne  dirigent  pas  leurs  racines 
vers  l'aliment  approprié  à  leurs  besoins  ?  Comment  le  fer  et  les  plantes 
agiraient-ils  de  la  sorte,  s'ils  n'avaient  pas  la  faculté  de  percevoir  ce 
qui  leur  convient  ?  Qu'il  faille  appeler  cette  perception  une  connais- 
sance ou  non,  c'est  une  question  de  mot.  Toujours  est-il  que,  en  réa- 
lité, les  tendances  signalées  dans  le  fer  et  dans  les  plantes  ont  le  même 
rôle  que  l'amour  ou  la  haine  chez  les  animaux  ^. 

Bien  plus,  il  semble  que  toute  perception  sensible  est  une  connais- 
sance accompagnée  d'imagination.  Ainsi  le  fer,  par  suite  de  l'impres- 
sion qu'il  en  a  reçue,  imagine  l'aimant  comme  une  chose  qui  lui 
convient  et  où  il  trouvera  son  bien  et  son  repos;  On  objectera  sans 
doute  qu'on  n'aperçoit  pas  dans  le  fer  d'organe  propre  à  la  fonction 
imaginative.  —  Cette  objection  n'a  pas  de  valeur  si  l'on  n'attribue 
au  fer  qu'une  imagination  très  rudimentaire.  Il  suffit  pour  cela  de 
concevoir  qu'un  certain  esprit  est  diffus  dans  toute  la  substance 
métalHque,  analogue  à  celui  qui  est  dans  le  ver  dont  les  parties  coupées 
se  meuvent  encore.  A  cet  esprit  appartiendrait  une  imagination  très 
restreinte  qui  se  bornerait  à  représenter  au  fer  ce  qui  lui  est  utile  afin 
qu'il  puisse  se  porter  vers  l'aimant  -. 

Cette  conception  bizarre  fait  songer  k  la  théorie  anthropomorphique, 
relative  aux  qualités  occultes,  que  Gassendi  a  condamnée  chez  les 
Scolastiques. 

B.    —   SENSIBILITÉ    AU   SENS    STRICT 

Dans  le  sens  strict,  la  sensibilité  est  la  faculté,  devoir,  d'entendre,  de 
percevoir  les  odeurs,  de  goûter  et  de  toucher  ^.  Telle  est  la  différence 
spécifique  qui  distingue  l'animal  de  la  plante  et  du  minéral. 

La  sensibilité  peut  être  dite  passive,  en  tant  qu'elle  reçoit  les  espèces 
sensibles  dans  l'organe  sensoriel.  Mais,  sauf  cette  impression  subie  du 
dehors,  c'est  une  faculté  active,  car  elle  perçoit  et  connaît  les  objets. 
La  sensation  appartient  au  genre  d'actions  qu'on  nomme  immanentes 
par  opposition  à  celles  qu'on  appelle  transitives. 

Pour  qu'il  y  ait  sensation,  deux  conditions  sont  requises  :  qu'une 
impression  se  fasse,  d'une  manière  directe  ou  indk-ecte  sur  l'organe, 
et  que  cette  impression  reçue  par  l'organe  soit  transmise  au  cerveau 
par  les  nerfs. 

La  sensation  ne  résulte  «  ni  du  seul  organe,  ni  de  la  faculté  seule, 


1.  Quapropter  nisi  istam  quoque  perceptionem  apprehensionemque  appellare  sensum 
cognitionemque  placuerit,  re  tamen  ipsa  idem  fit  ac  in  aninialibus  amore  vel  odio,  efc 
dura  ad  cibum  congruum  moventur  illumque  usurpant,  atque,  ita  de  caeteris.  (Syn- 
tagma  :  Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  VI,  C.  I,  T.  II,  p.  328,  c.  2). 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  VI,  C.  I,  T.  II,  pp.  328-329,   c.  2-1. 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VI,  C.  I,  T.  II,  pp.  329-331. 


n.  —  PHYSIQUE  :  8°  imagination  ou  phantatsie  129 

mais  du  composé,  c'est-à-dii'e  et  du  corps  dont  l'organe  est  partie, 
et  de  l'âme  dont  la  faculté  est  partie  »  ^. 

Les  corpuscules  qui  constituent  les  sens  sont  un  tissu  (texhira) 
très  subtil,  distinct  de  l'organe  ;  car  l'organe  peut  être  affecté  d'une 
impression,  sans  que  connaissance  s'en  suive.  L'âme  sensitive  n'est 
pas  simple,  mais  composée  de  parties  ;  car  ce  qui  est  simple  ne  peut 
accomplir  que  des  actions  d'un  seul  geni'e  ;  or  Tâme  sensitive  en  accom- 
plit de  différentes.  Ce  tissu,  qui  constitue  les  sens,  n'est  pas  l'âme  sen- 
sitive, tout  entière  ;  c'en  est  plutôt  une  portion,  mais  la  principale 
et  la  dominante  ^. 

Le  siège  de  la  faculté  de  sentir  est  proprement  le  cerveau.  Cepen- 
dant nous  localisons  les  sensations  dans  les  organes  ou  parties  du  corps 
qui  ont  reçu  l'impression  envoyée  par  les  objets  extérieurs.  La  façon 
dont  notre  philosophe  cherche  à  exphquer  cette  locahsation,  est  vague 
et  confuse  ^. 

Gassendi  passe  en  revue  les  cinq  sens  ^  et,  à  propos  des  organes 
sensoriels  et  des  conditions  requises  pour  leur  exercice,  il  donne  de 
longs  détails  physiologiques  qui  n'ont  plus  aujourd'hui  qu'un  médiocre 
intérêt.  Son  explication  de  la  vision  binoculaire  vaut  cependant 
d'être  signalée  ^. 


§    VIII.    —    DE    L'IMAGINATION    OU    PHANTAISIE  «. 

Ayant  traité  des  cinq  sens  ou  facultés  connaissantes  externes, 
Gassendi  est  naturellement  conduit  à  parler  des  facultés  connaissantes 
internes. 

Celui  qui  admet  comme  probable  que  l'âme  humaine  est.  composée 
de  deux  parties,  l'une  incorporelle,  propre  à  l'homme,  l'autre  corpo- 
relle, qui  se  trouve  également  dans  les  brutes,  doit  conséquemment 
admettre  dans  l'homme  une  double  faculté,  l'une,  de  la  partie  incor- 
porelle, qu'on  appelle  esprit,  intelligence,  raison  suprême  ;  l'autre, 
de  la  partie  corporelle,  qu'on  nomme  imagination  ou  phantaisie.  Telle 

1.  ...  Ideo  fit  ut  non  raro  quoque  etiam  facnltatem,  etiam  organum  sentire  dicamus  ; 
videlicet  quia  paruni  interest,  dummodo  intelligatur  non  corpus  aut  organum  eoluin, 
non  animam  aut  facultatem  solam,  sed  composituni  ex  corpore,  cujus  pars  eat  organum, 
et  anima,  cujus  pars  facultas,  elicere  ipsani  sensationem.  (Syntagmu  :  Phvsica,  Sect. 
III,  M.  II,  L.  VI,  C.  I.  T.  II,  p.  331,  cl).  , 

2.  ...  Ita  [videtur  probabile)  texturam,  quœ  sensus  est,  esse  portionem  potiua  quam 
totam  substantiam  animaî  sentientis,  scilicet  quasi  hcec  anima  non  sit  simplex  qusedam 
iiniusmodique  substantia,  sed  contexta  ex  pluribus...,  quarumque  suprema  ao  veluti 
dominans  sit  ea  per  quam  animal  sentit.  ...  Quoniam  si  simplex  fuerit,  actiones  dun- 
taxât  generis  unius.  non  item  variorum  elicere  posait...  ( Syntagma  :  Physica,  Sect.  III, 
M.  II,  L.  VI,  C.  I,  T.  II,  p.  329,  c.  2). 

3.  Indeque  fit  ut  non  negemus  sentiri  dolorem  in  pede,  ut  sentiri  in  cerebro  cere- 
brumve  dolere  dicanius  ;  sed  dicanms  sentiri  in  pede  a  facultate,  quae  in  cerebro  sit, 
prout  in  pedem  intenta  est,  ex  quo  et  in  quo  continui  solutio  nunciatur.  (Syntagma  : 
PHY.SICA,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VI,  C.  I,  T.  II,  p.  336,  c.  1.  —  Cf.  Ibidem,  L.  X,  C.  I, 
T.  II,  p.  473,  cl). 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VII,  T.  II,  pp.  353-397. 

5.  Syntagma  :  Physic  a,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VII,  C.  VII,  T.  II,  pp.  390-397. 
e.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  VIII,  T.  II.  pp.  398-424. 


130  ARTICLE  n.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

est  la  double  faculté  connaissante  interne.  Il  convient  d'en  commencer 
l'étude  par  l'imagination,  parce  que  la  considération  préalable  de  son 
rôle  et  de  ses  fonctions  est  indispensable  pour  comprendre  le  rôle 
et  les  fonctions  de  l'intelligence  i. 

A.   —   L'IMAGINATION   EST  L'UNIQUE 
FACULTÉ  INTERNE   SENSIBLE. 

Les  disciples  d'Aristote  ont  multiplié  à  plaisir  les  facultés  internes 
sensibles  ^,  Gassendi  blâme  cette  prodigalité  et  se  prononce  catégori- 
quement pour  l'existence  d'une  faculté  unique  :  la  faculté  imagina- 
trice  :  «  Qu'on  tienne  donc  pour  constant  qu'à  la  réserve  de  l'intelli- 
gence qui  est  dans  l'homme  seul,  il  n'y  a,  soit  dans  l'homme,  soit  dans 
les  brutes,  qu'une  seule  faculté  connaissante  interne,  la  Phantaisie, 
laquelle  peut  en  outre  être  appelée  Estimatrice,  Cogitatrice,  Mémoire 
et  aussi  de  quelques  autres  noms,  mais  noms  signifiant  variété  de 
fonction  et  non  de  faculté  ;  de  même  que  les  mots  sauter,  marcher, 
frapper  du  pied  et  autres  semblables  ne  désignent  pas  des  facultés 
motrices  différentes,  mais  des  fonctions  différentes  d'une  seule  fa- 
culté »  ^.      ' 

En  conséquence,  Gassendi  s'efforce  d'abord  de  démontrer  que  le 
Sensus  communis  *  et  la  Mémoire,  où  se  conserve  le  trésor  des  espèces 
ou  images  impresses,  ne  sont  pas  des  facultés  distinctes  de  l'Imagina- 
tion ^.  Les  fonctions  diverses  que  remplit  l'imagination,  supposent 
que  les  impressions  venues  du  dehors  par  les  sens  laissent  en  nous  des 
traces.  L'existence  de  ces  traces  ne  saurait  être  révoquée  en  doute  ; 
mais  leur  nature  reste  très  obscure.  On  appelle  ces  traces  de  noms 
divers  :  phantasmes,  espèces,  types,  empreintes,  images,  simulacres. 

Mais  ces  noms  ne  doivent  pas  être  pris  au  sens  de  dessins  ou  figures 
imprimées  dans  le  cerveau.  Car,  si  ce  mode  de  conservation  peut 
sembler  convemr  aux  représentations  visuelles,  sous  quelles  images 
pourraient  être  conservées  les  sons,  les  odeurs,  les  saveurs  et  les  sen- 
sations du  toucher  ?  Ce  qui  persiste  ne  peut  donc  être  ni  coloré,  ni 
sonore,  ni  odorant,  ni  sapide,  etc.  Comment  le  cerveau  pourrait-il 
être  le  réceptacle  des  quafités  de  cette  sorte  ?  Mais  il  doit  persister 
quelque  chose  qui  meut  la  faculté  de  la  même  façon  qu'elle  a  été 
mue,   lorsqu'elle  sentait  la   chose   sensible  réellement  présente.   Ce 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  lO,  M.  II,  L.  VIII,  C.  I,  T.  II,  pp.  400-401,  c.  2-1. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  lU,  M.  II,  L.  VIII,  C.  I,  et  II,  T.  II,  pp.  401  et  402. 

3.  Maneat  igitux,  praeter  intellectum  qui  in  solo  est  homine,  esse  tam  in  homine  quam 
in  brutis  unicam  internam  cognoscentem  facultatem,  quse  sit  ipsa  phantasia,  quseque 
vocari  quidem  prseterea  ^stimatrix,  Cogitatrix,  Memoria  aliisque  nominibus  possit, 
sed  nominibus  nempe  siguificantibus  aliquam  functionis,  non  facultatis,  varietatem, 
ut  voees  saltandi,  ambulandi,  impingendi  calcem  et  similes,  non  facultates  motrices 
varias,  sed  varias  unius  functiones  désignant.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II, 
L.  VIII,  C.  II,  T.  II,  p.  402,  c.  2). 

4.  Aristote  et  les  Scolastiques  entendent  par  là  un  sens  interne  qui  centralise  les 
données  fournies  par  les  sens  externes  et  que  pour  cela  ils  appellent-  «  sens  commun  ». 
Cf.  BossTjET,  De  la  Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-inême,  Ch.  I,  §  4. 

5.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  II  et  III,  T.  II,  pp.  402-409. 


II.   —  PHYSIQUE    :    8°  IMAGINATION   OU   PHANTAISIE  131 

quelque  chose  est  une  espèce  de  pli  fait  dans  le  cerveau,  comme  une 
impression  sur  une  substance  molle.  De  la  sorte,  toutes  les  fois  que  les 
esprits,  qui  courent  à  travers  le  cerveau,  entreront  dans  ce  pli,  ils 
exciteront  de  nouveau  un  mouvement  semblable,  et  la  faculté  affectée 
de  même  sentira  de  même  ou  s'imaginera  sentii*.  Comme  le  cerveau 
est  animé  et  que  la  phantaisie  n'est  pas  distincte  de  l'âme  dont  elle 
est  une  faculté,  l'impression  de  ce  pli  se  fait  dans  le  composé,  c'est-à- 
dire  simultanément  dans  le  cerveau  et  dans  la  phantaisie  ^. 

Gassendi  tâche  ensuite  de  résoudre  les  objections  que  provoq\;e 
cette  explication  physiologique  de  la  mémoire,  ceUe-ci  notamment  : 
n'est-il  pas  étrange  que,  dans  un  espace  aussi  petit  que  l'espace  occupé 
par  la  Phantaisie  ou  Mémoke,  il  se  fasse  tant  d'impressions  et  que  tant 
d'espèces  différentes  puissent  s'y  conserver  sans  confusion  ? 

Si  l'on  se  figure  la  Mémoke  comme  une  sorte  de  vase  ou  une  tablette 
de  cire,  la  difficulté  paraît  insoluble.  Il  en  va  autrement  si  on  se  la 
représente  comme  une  feuille  de  papier  blanc.  Etant  donné,  en  effet, 
que  le  vestige  imprimé  dans  le  cerveau  ressemble  à  un  ph,  le  papier 
peut  être  considéré  comme  susceptible  de  recevoir  sans  confusion 
une  multitude  innombrable  de  phs,  qu'il  est  possible  de  multiplier 
en  sens  divers.  Les  pUeurs  habiles  rendent  la  chose  manifeste,  lors- 
qu'avec  une  simple  feuille  de  papier,  ils  représentent  mille  sortes  de 
choses,  selon  qu'ils  changent  en  un  moment  les  séries  de  pHs  qu'Us 
ont  faites  auparavant  ^. 

Gassendi  use  et  abuse  de  cette  comparaison  assez  grossière  pour 
expliquer  les  faits  divers  de  mémoire  si  déhcats  et  si  comphqués. 
Il  y  a  cependant,  dans  cet  essai  d'explication,  l'un  des  premiers  en 
date,  un  vrai  mérite,  et  l'on  y  peut  glaner  d'ingénieuses  observations. 
Il  reste  d'ailleurs  que  l'exphcation  proposée  ne  suffit  ni  à  résoudre  les 
objectionsni  à  re  ndre  compte  de  tous  les  phénomènes. 


1,  Itaqiie  videtur  imprimis  dicendum  remanere  necessario  aliquid  a  re  sensibili 
impressum...  Deinde  non  esse  id  quidem  coloratiim,  sonorum,  odorum,  sapidum,  etc., 
neque  enim  cerebrum  videri  refei'tum  hujuscemodi  qualitatibiis  ;  sed  esse  tamen  aliquid, 
quod  facultatem  eo  modo  nioveat  quo  mota  fuit,  cuni  rem  sensibilem  reapse  praesentem 
sen tiret...  Denique  haberi  id  posse  quasi  plicam  quandam  in  cerebro  factam  (nimirum 
impacto  in  rem  moUem  ictu)  ,  quippe  hac  ratione,  quoties  spiritus  discurrentes  per 
cerebrum  hanc  plicam  subibunt,  parem  iterum  excitabunt  motum,  et  facultae  perinde 
affecta  perinde  sentiet  aut  imaginabitur  se  sentire.  . . .  Quia  cerebrum  animatum  est  et 
phantasia  ab  anima,  cujus  est  facultas,  non  discernitur,  ideo  impressionem  fieri  in 
composito,  seu  in  cerebro  ac  phantasia  simul  ;  unde  et  vulgo  nunc  in  '11  >,  nunc  in  ista 
esse  dicitur  :  in  illo  quidem,  ut  in  commimi  tam  phantasiœ  quam  ipsius  subjecto  ;  in 
ista  vero,  ut  in  coexistente  et  quasi  in  agente,  quod  ait  ipsa  veluti  quodam  organo  ad 
agendum  instructum.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C,  II,  T.  II, 
p.  40r>,  col.  1  et  2). 

2 Quod,  cum  impressum  vestigium  quasi  plicam  habuerimus,  concipi  charta 

valeat  plicarum  iunumerabilium  inconfusariimque  et  juxta  suos  ordiues  suasque  séries 
repetendarum  capax...  Rem  j^erspicunm  faciunt  agyrtae,  dum  simplici  papyri  folio 
mille  rerum  exhibent  formas,  prout  momento  plicarum  séries,  quas  praeinduxerunt, 
commutant.  (Syntagma  :  Thysica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  III,  T.  II,  p.  40G, 
c.  2), 


132  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE   SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

B.   —   FONCTIONS   DE   L'IMAGINATION 

Notre  philosophe  ramène  à  trois  les  fonctions  de  la  phantaisie  : 
appréhender,  juger,  raisonner  ^. 

C'est  à  l'appréhension  que  convient  surtout  et  proprement  le  nom 
d'imagination.  La  simple  appréhension  est  l'imagination  nue  d'une 
chose;  sans  rien  affirmer  ou  nier  à  son  sujet.  L'âme  sensible,  étant 
d'une  nature  ignée,  est,  comme  le  feu,  dans  une  agitation  continuelle, 
et  les  esprits,  parcourant  sans  cesse  le  cerveau,  s'insinuent  tantôt 
dans  un  pli,  tantôt  dans  un  autre.  De  là  résultent  la  mobilité  et  la 
diversité  de  nos  appréhensions. 

Mais  alors,  dira-t-on,  l'imagination  devrait  se  représenter  plusieurs 
choses  ensemble,  et  non  une  seule  à  la  fois.  La  réponse  de  Gassendi 
est  hésitante  :  ((  L'imagination,  étant  une  faculté  une,  ne  peut  en  même 
temps  être  tournée  vers  plusieurs  motions  ou,  ce  qui  revient  au  même, 
être  attentive  à  plusieurs  choses,  à  moins  peut-être  que  ces  choses  ne 
soient  telles  qu'elles  puissent  être  appréhendées  comme  une,  de  sorte 
qu'il  n'y  ait  qu'une  appréhension  totale,  composée  de  plusieurs  ima- 
ginations partielles.  Or  son  attention  se  porte  toujours  sur  l'impression 
la  plus  forte  »  ^. 

Pourquoi  ne  demeurons-nous  pas  longtemps  attachés  à  la  même 
imagination  ?  La  cause  en  est  double.  C'est  que  les  mêmes  esprits 
n'ont  pas  une  action  durable  ;  mais,  passant  comme  un  flot,  après 
avoir  excité  une  motion  à  un  pli,  ils  s'en  vont  aussitôt  remuer  un  autre 
pli.  Ou  bien  surviennent  d'autres  esprits  qui  exercent  une  action  plus 
puissante  sur  une  autre  partie  et  conséquemment  attirent  de  ce  côté 
l'attention  '  de  la  phantaisie.  Voilà  ce  qui  fait  comprendre  pourquoi 
nos  imaginations  sont  tantôt  cohérentes,  tantôt  disparates.  Elles 
ont  de  la  suite,  tant  que  les  esprits  parcourent  une  série  de  plis  qui 
se  succèdent.  Elles  ont  de  l'incohérence,  lorsque  surgissent,  d'un  autre 
côté,  des  esprits  qui,  passant  par  des  plis  sans  liaison  entre  eux, 
remuent  plus  vivement  la  phantaisie  ^. 

La  direction  de  nos  imaginations  ne  dépend  pas  seulement  des  plis 
du  cerveau  et  des  mouvements  des  esprits  *.  La  perception  extérieure 

1.  Syntagma  :  Phvsica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  IV,  T.  II,  pp.  409-414. 

2.  Respondeo,  quia  facultas  est  iina,  non  posse  ipsam  simul  converti  ad  plures  mo- 
tiones,  seu,  quod  idem  est,  attendere  ad  plures  res,  nisi  eae  fortassis  hujusmodi  sint 
ut  per  modum  unius  et  partialibus  pluribus  imaginationibus  apprehendi  possint. 
Convertitur  auteni  seniper  ad  eam  motionem,  quae  est  prse  aliis  vehemens...  (Syntagma  : 
Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  IV,  T.  II,  p.  409,  e.  1-2). 

3.  Non  hseremus  vero  diii  adniodum  uni  eidemque  imaginationi,  quod  aut  idem 
spiritus  non  hœreat,  sed  fluctus  instar  transeat  ac,  post  motionem  ad  unam  plicam, 
statim  motionem  ad  aliam  creet  ;  aut,  vigore  ejus  languescente  neque  afïectionem- 
variante,  suboriatur  ad  aliam  partem  alius  spiiitus,  qui  vehementius  moveat  phanta- 
siamque  se  versum  convertat.  Hinc  esse  nimirum  videtur  cur  interdum  quidem  ima- 
ginationes  inter  se  cohaereant,  interdum  nihil  affine  habeant.  Cohserent  quippe,  donec 
spiritus  per  seriem  plicarum  succedentium  succedit.  Disparata  sunt,  cum  ad  aliam 
partem  suboritur  spiritus.  qui  per  plicas  incohaerentes  phantasiam  vehementius  mo- 
veat. (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  IV,  T.  II,  p.  400,  c.  2). 

4.  Nous  retrouverons  dans  Malebranche  cette  théorie  physiologique  des  plis  et  de» 
esprits  animaux. 


n.  —  PHYSIQUE  :  8°  imagination  ou  phantaisie  133 

et  la  volonté  peuvent  aussi  en  modifier  le  cours.  Ainsi,  la  phantaisie 
abandonne  l'imagination  qui  la  tenait  occupée,  dès  qu'une  chose 
nouvelle  se  présente,  parce  que,  d'ordinaire,  celle-ci  fait  sur  nous  une 
impression  plus  forte.  Il  en  irait  autrement  si  l'attention  de  la  phantai- 
sie était  absorbée  par  une  appréhension  d'une  véhémence  exception- 
nelle ^.  La  volonté  peut  aussi  influer  sur  la  marche  de  nos  imaginations, 
parce  qu'elle  est  capable  d'exercer  une  certaine  action  sur  les  esprits 
animaux  -. 

Enfin,  comment  se  fait-il  qu'il  y  ait  dans  la  phantaisie  la  représen- 
tation de  certaines  choses  qui  n'ont  jamais  frappé  nos  sens  et.  partant, 
n'ont  pu  imprimer  leur  vestige  dans  le  cerveau,  par  exemple,  l'Hippo- 
centam-e,  les  Chimères,  la  ville  de  Lacédémone  ?  Ces  choses,  sans 
doute,  n'ont  pas  impressionné  nos  sens  selon  leur  tout,  mais  selon 
leurs  parties  dont  les  vestiges  se  sont  assemblés  ou  transposés.  Ou  si 
elles  n'ont  pas  agi  par  elles-mêmes,  elles  l'ont  fait  du  moins  par  des 
choses  qui  leur  ressemblent  et  dont  les  vestiges  se  sont  accommodés 
selon  des  procédés  variés  de  déformation,  d'amplification  ou  de  con- 
traction ^.  Il  y  a  dans  ces  réflexions  une  ébauche  intéressante  de  ce 
que  l'on  nomme  aujourd'hui  les  lois  de  l'association  des  idées  et  de 
leur  rappel. 

La  seconde  opération  de  la  phantaisie  c'est  le  jugement  ^.  Gassendi 
le  considère  tel  qu'il  lui  semble  fonctionner  chez  l'animal  et  chez 
l'homme,  avant  que  l'intelhgence  intervienne.  Il  fait  de  même  pour  la 
troisième  opération,  qui  est  le  raisonnement  ''. 

Ici,  les  exphcations  de  notre  philosophe  sont  très  embrouillées 
et  inexactes.  Son  illusion  a  été  de  croire  qu'il  existe  des  jugements 
et  des  raisonnements  d'ordre  imaginatif  ®.  En  réalité,  il  n'y  a,  dans 
l'animal,  et  dans  l'homme  en  tant  qu'il  est  .sensitif,  que  des  associa- 
tions d'images,  qui  sont  une  contrejaçoji  des  jugements  et  des  raisonne- 
ments véritables,  c'est-à-dire  intellectuels.  Dans  le  prétendu  jugement 
imaginatif,  il  n'y  a  qu'une  simple  jurtaposition  d'images  ;  et,  dans  le 
prétendu  raisonnement  imaginatif.  il  n'y  a,  comme  devait  dire  plus 
tard  Leibniz,  qu'une  «  simple  consécution  ».  Pour  qu'il  y  ait,  au  con- 
traire, jugement  et  raisonnement  proprement  dits,  il  faut  que  l'esprit 
saisisse  le  rapport  logique  qui  unit  deux  termes  ou  deux  propositions. 
Gassendi  allègue,  entre  autres  exemples,  celui  du  chien  fuyant  à  la  vue 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  IV,  T.  II,  p.  409,  c.  2. 

2.  Cf.   infra,  p.  136  et  note  3. 

3.  Sed  constat,  juxta  alias  dicta,  nos  ita  [Hippocentaurum,  etc]  non  imaginari  quin 
prius  in  sensum  quadamtenua  incurrerint,  hoc  est,  nisi  secunduni  se  tota,  saltem  secun- 
dum  sui  partes,  qiiarum  vestigia  componantur  transponanturque  ;  aut  nisi  per  seipea, 
ealtem  per  quaedam  sibi  similia,  quorum  vestigia  ipsis  acconiniodentur,  ipsa  scilicet 
varie  deformando,  amplificando,  contrahendo,  etc.  {Syntayina  :  Physica,  Sect.  III, 
M.  II,  L.  VIII,  C.  IV,  T.  II,  p.  409,  c.  2). 

4-5.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  IV,  T.  II,  pp.  410-411  et  411- 
414. 

6.  ...  Suflficiat  videri  satis  manifestum  esse  speciem  quandam  rationis  in  brutis  ac 
ipsonun  phantasiam  suo  quodam  modo  ratiocinari.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III, 
M.  II,  L.  VIII,  C.  IV,  T.  II,  p.  413,  c.  2). 


134  ARTICLE  n.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

de  quelqu'un  qui  s'incline  pour  ramasser  une  pierre  ou  lève  son  bâton  *. 
Sans  doute,  le  chien,  qui  voit  lever  sur  lui  un  bâton,  dont  il  a  été  déjà 
frappé,  pressent  la  douleur  et  se  hâte  de  déguerpir.  Cette  attente  est 
due  au  rappel  d'une  association  d'images  entre  le  bâton  frappant  et 
la  douleur  qui  a  suivi.  Mais  l'animal  ne  perçoit  pas  la  liaison  logique 
et  causale  qui  unit  les  deux  phénomènes.  Il  n'y  a  là  qu'une  suc- 
cession d'images,  qui  peut  avoir  de  l'efficacité  pour  la  conduite 
(même  chez  l'homme,  lequel  est  souvent  purement  empirique,  comme 
dit  Leibniz)  2^;  mais  il  n'y  a  pas  trace  de  jugement  ni  de  raison- 
nement. 

Dans  cette  théorie,  encore  incertaine  et  confuse,  du  jugement  et  du 
raisonnement,  on  voit  poindre  certaines  idées  qui  auront  leur  plein 
épanouissement  dans  le  système  associationniste  de  Stuart  Mill  et 
autres  positivistes  modernes. 

Gassendi  termine  ce  qu'il  dit  sur  l'imagination  par  deux  chapitres. 
L'un  est  consacré  à  l'instinct  des  animaux.  L'auteur  ne  veut  voir 
dans  l'instinct  qu'une  application  de  sa  fausse  théorie  du  jugement 
et  du  raisonnement  Imaginatifs.  Après  avoir  cité  quelques  cas  où 
il  croit  prendre  les  animaux  en  train  de  raisonner,  il  conclut  ainsi  : 
«  Par  là  on  peut  comprendre  la  nature  de  ce  que  nous  appelons  l'in- 
stinct :  c'est  une  certaine  motion  non  pas  aveugle,  mais  dirigée  par  la 
phantaisie,  en  partie  au  moyen  de  la  simple  appréhension  du  bien  ou 
du  mal,  surtout  quand  il  est  présent  ;  en  partie  au  moyen  du  rai- 
sonnement, qui  nous  fait  connaître  et  en  quelque  sorte  pressenth'  le 
bien  ou  le  mal  qui   doit  arriver  »  ^. 

L'autre  chapitre,  qui  traite  des  rêves,  contient  au  contraire  nombre 
de  remarques  très  judicieuses.  Exemple  :  «  Je  note  seulement  que  les 
choses  qu'on  attribue  souvent  à  l'imagination  d'autrui,  doivent  être 
rapportées  à  notre  propre  imagination,  comme  il  arrive  quand  quel- 
qu'un s'évanouit  à  la  vue  d'un  aspect  terrible  ou  qu'il  se  ranime  à  la 
vue  d'un  aspect  bénin.  Car  la  commotion,  qui  se  fait  dans  le  corps, 
n'est  pas  produite  par  l'imagination  de  celui  qui  regarde,  mais  par 
l'imagination  de  celui  qui  est  regardé.  La  passion  de  l'appétit  est  en 
effet  excitée  par  les  choses  que  celui  qui  est  regardé  imagine  et  non 
par  celles  qu'imagine  celui  qui  regarde,  puisque  même  en  lançant 


1.  ...  Cum...  ratiocinari  nihil  aliiid  sit  quam  unum  ex  alio  cognoscendo  coUigere; 
nihil  est  observatu  facilius  quam  bruta  ex  alio  colligere  aliud,  seu,  quod  est  idem,  ratio- 
cinari ac  idée  ration©  pollere.  Quseso  te  enim,  dum  canis  videt  inclinari  hominem  dimit- 
tereque  manum  in  terram,  cur  fugit  ?...  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII, 
C.  IV,  T.  II,  p.  412,  c.  2.  —  Cf.  p.  413,  cl). 

2.  «  Les  eonsecutions  des  bestes  ne  sont  qu'une  ombre  du  raisonnement,  c'est-à-dire 
ne  sont  que  connexions  d'imagination  et  que  passages  d'une  image  à  une  autre...  » 
(Leibniz,  Nouveaux  Esama  sur  l'Entendement  humain.  Préface,  Œuvres,  Edit.  Okb- 
HARDT,  t.  V,  p.  44.  ) 

3.  Atque  éx  his  quidem  intelligi  potest  illum  c^uem  dicimus  instinctum  motionem 
quandam  esse,  non  csecam,  verum  directam  a  phantasia,  partim  quidenn,  simplici  qua- 
-dam  boni  aut  mali  apprehensione,  ac  potissimum  cum  id  prsesens  est  ;  partim  vero 
ratiocinatione,  et  qua  futunrm  potissimum  bonuiu  aut  malum  colligitur  quodam- 
modoque  praesentitur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  V,  T.  ïî, 
p.  415,  c.  2). 


n.   —  PHYSIQUE    :    90  INTELLIGENCE   OU  ENTENDEMENT  135 

■un  regard  menaçant,  il  peut  penser  des  choses  bonnes,  et  qu'en  regar- 
dant d'un  œil  doux  il  en  peut  penser  de  mauvaises  «  *. 


§    IX.    —   DE    L'INTELLIGENCE    OU    ENTENDEMENT  2. 

L'intelligence  ou  entendement  est  une  faculté  distincte  de  la  phan- 
taisie.  La  différence,  "  qui  les  sépare,  n'est  pas  seulement  de  degré, 
mais  de  nature.  Pom'  s'en  convaincre  il  suffit  d'étudier  les  fonctions 
propres  à  l'entendement  et  l'étendue  de  son  objet.  Nous  découvrons 
en  nous  un  certain  nombre  de  fonctions  que  seule  l'intelligence  peut 
remplir  :  Aperception  ou  Appi'éhension  de  choses  incorporelles,  Ré- 
flexion, Raisonnement  tious  faisant  connaitre  quelque  chose  dont  nxms 
n^ avons  aucune  image. 

A.   —   APPRÉHENSION   DE   CHOSES  INCORPORELLES 

Nous  connaissons  Dieu,  le  vide,  l'abstrait  et  l'universel,  le  bien  et  le 
mal  d'ordre  moral,  les  relations  de  paternité,  de  filiatimi,  de  maîtrise, 
de  servitude,  etc.  Or  toutes  ces  connaissances  sont  au-dessus  de  la 
portée  de  la  pliantaisie. 

^  Sans  doute,  «  en  parlant  de  Dieu  et  en  le  disant  incorporel,  nous 
imaginons  quelque  chose  de  corporel  ;  cependant  nous  appréhendons 
en  même  temps,  outre  l'espèce  sensible,  quelque  chose  qui  est  comme 
voilé  par  cette  espèce.  Or  cela  est  en  dehors  des  prises  de  la  phantaisie 
et  relève  de  Fintelhgence  seule  »  ^. 

La  phantaisie  est  incapable  de  saisir  les  notions  abstraites,  vg.  d'hu- 
manité, de  blancheur,  de  douceur,  etc.  «  Elle  peut,  à  la  vérité,  appré- 
hender l'homme,  parce  qu'elle  en  a  l'espèce  que  les  sens  lui  ont  trans- 
mise ;  mais  appréhender,  en  outre,  l'essence  (quod  quid  est  esse), 
ou  ce  qui  fait  que  l'homme  est  homme,  c'est  ce  qui  n'appartient  qu'à 
l'inteUigence  ))  *. 

-  Gassendi  a  eu  le  tort  d'admettre  que  la  phantaisie  est  capable  de 

1.  Adnoto  dumtaxat  ea,  quse  plerumque  alienae  imagination!  tribuuntur,  referenda 
esse  ad  propriam,  ut  dum  quis  ad  aspectum  tnicem  exanimatur,  aut  ad  benign-im 
reviviscit  ;  qiiae  enim  commotio  intra  corpus  fit,  ea  non  ab  imaginatione  aspicientis 
sed  a  propria  aspecti  fit  ;  quando  appetitus  passio  excitatur  ab  eo  quod  iste  imaginatur, 
non  ab  eo  quod  ille,  qui  etiam  torve  aspiciens  potest  bona,  et  leniter  intuens  mala 
cogitare.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  VIII,  C.  \a,  T.  II,  p.  424,  c.  2). 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  UI,  M.  II,  L.  IX,  T.  II,  pp.  424-468. 

3.  Etenim,  tanietsi  de  Deo  loquentes,  incorporeum  cum  dicimus,  eDrporeum  quid- 
piam  imaginanuu-,  apprehendimus  tamen  simul  aliquid,  prseter  speciem  corpoream, 
quod  sit  ipsa  quasi  velatiun.  Hoc  autem  est  praeter  phantasise  cancellos  intollectusque 
ipsius  proprium.  (Syntagma  :  Phy'Sica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  III,  T.  II,  p.  451, 

4.  Siquidem  potest  quideni  phantasia  apprehendere  hominem,  quoniam  illius  speciem 
ad  se  transmissam  per  sensum  habet  ;  at  apprehendere  prseterea  to  -.'.  ry  E^va- , 
quod  quid  est  esse,  seu  rationem  qua  homo  est,  proprium  est  munus  intellectus.  Quo  pact  o 
apprehendit  quidem  etiam  candidum,  v.  c.  lac,  et  dulce,  v.  c.  mel,  at  non  candorem 
rationemve  qua  lac  candidum,  neque  dulcorem  rationem ve  qira  mel  dulce  est.  (Syri' 
tagma  :  Physica,  Sect.  IH,  M.  II,  L.  IX,  C.  III,  T.  II,  p.  451,  c.  2). 


136  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

former  des  universaux  ou  notions  universelles  ;  mais  il  réserve  du 
moins  à  l'intelligence  le  pouvoir  de  connaître  la  raison  même 
ou  essence  de  l'universalité  (ratio  universitatis ) .  «  Comme,  par  nature, 
les  universaux  sont  dépouillés  de  toutes  les  conditions  matérielles 
et  différences  de  singularité  (comme  sont  la  grandeur,  la  figure,  la 
couleur  et  choses  semblables),  il  faut  assurément  que  l'intelligence, 
qui  opère  cette  précision  de  la  matière  et  la  considère,  soit  elle-même 
dégagée  de  la  matière  et  que  sa  condition  soit  supérieure  à  tout  ce 
qui  est  matériel  »  i. 

B.   —    RÉFLEXION 

Grâce  à  la  réflexion  ou  attention  à  ses  actes,  l'intelligence  connaît 
qu'elle  connaît  et  pense  qu'elle  pense.  C'est  une  opération  qui  dépasse 
les  forces  de  la  phantaisie.  Cette  faculté  est  incapable  d'imaginer 
qu'elle  imagine,  parce  qu'étant  corporelle  elle  ne  peut  agir  sur  elle- 
même.  Elle  peut,  il  est  vrai,  percevoir  une  chose  corporelle,  parce 
qu'elle  en  est  l'image  ;  mais,  comme  il  n'y  a  point  d'image  de  l'ima- 
gination même,  elle  ne  peut  pas  plus  la  percevoir  que  la  vue  ne  peut 
percevoh"  la  vision.  C'est  pourquoi  elle  est  aussi  incapable  d'affirmer  : 
j'imagine  que  j'imagine,  que  la  vue  de  dire  :  je  vois  que  je  vois  ^. 

L'empu-e  que  l'câme  raisonnable  exerce  sur  la  phantaisie  atteste 
aussi  la  supériorité  de  sa  nature.  La  phantaisie,  étant  conduite  par 
les  seules  images,  comme  elles  se  présentent,  qu'elles  proviennent 
(^u  dehors  ou  qu'elles  soient  excitées  par  l'agitation  fortuite  des  esprits 
courant  à  travers  le  cerveau,  ne  peut  commander  l'attention  ou  la 
modifier.  C'est  pourquoi  il  faut  qu'il  y  ait  une  faculté  supérieure 
qui  l'empêche  d'aller  au  gré  de  ses  caprices.  Autrement,  abandonnée 
à  elle-même,  elle  s'emballerait  comme  un  cheval  sans  conducteur, 
ou  suivrait  sa  pente  comme  une  eau  sans  barrage  ^. 

1.  Siquidem,  eum  univeisalia  hujusmodi  sint  ut  prsccidantm'  ab  omnibus  conditio- 
nibus  materialibus  discriminibusque  singiilaritatis,  ut  niagnitudine,  figura,  colore  et 
eimilibus,  oportet  sane  intellectum,  qui  hanc  praecisioneni  a  niateria  facit  et  considérât, 
absolutuni  esse  a  niateria  conditionisque  esse  omni  circumstantia  materiali  eminentioris. 
(Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  II,  T.  II,  p.  441,  c.  1-2.  Cf.  C.  III, 
p.  451,  c.  2). 

2.  Ad  secundani  vero  operationem  praesertim  spectat  ipsa  intellectus  ad  suam  opera- 
tionem  attentio,  leflexiove  illa  supra  actionem  propriam,  qua  se  intelligere  intelligit, 
cogitatve  se  cogitare.  Res  est  quoque  ante  deducta  esse  opus  nenipe  phantasia  niajus, 
quani  ut  imaginetur  se  imaginari  :  quod  existens  corporea  agei-e  in  seipsam  non  possit, 
et  rem  quidem  corpoream  imaginatione  percipere  valeat,  quoniam  illius  imago  sit  ;  at, 
quoniam  imaginationis  ipsius  imago  non  sit,  non  percipere  illam  magis  valeat  quam 
visus  visionem,  cujus  non  perinde  ac  rei  objectœ  speciem  visibilem  obtineat  ;  neque 
possit  adeo  magis  dicere  :  imaginer  me  imaginare,  quam  visus  :  videre  me  video. 
fSyntagwa  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II.  L.  IX,  C.  III,  T.  II,  p.  451,  c.  2.  Cf.  L.  VIII, 
C.II,  p.  402,  c.  1-2). 

3.  Spectat  proinde  hue  quoque  imperium  quo  jubétur  phantasia  ad  aliquid  attendere 
et  attentionem  commutare.  Nempe  hoc  habere  a  seipsa  non  potest,  quse  solis  imaginibus, 
prout  occumnit,  ducitur,  et  sic  illœ  externe  adveniant  seu  fortuita  spirituum  discur- 
rentium  per  cerebrmn  agitatione  excitentvir  ;  ac  necesse  proinde  est  ut  superior  facultas 
sit,  quœ  ipsam  alio  ituram  sistat,  et  quo  lubitiim  est  divertat...  Cum  alioquin  sibi  relicta, 
ut  eqûus  sine  ductore  excurrat,aut  aqua  sine  repagulis,  quo  déclive  vocat  labatur.  (Syn- 
tagma :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  III,  T.  II,  pp.  451-452). 


II.    —   PHYSIQUE    :    9°   INTELLIGENCE    OU    ENTENDEMENT  137 


C.   —   RAISONNEMENT 

Le  raisonnement  propre  à  l'intelligence  est  celui  qui  lui  permet 
de  connaître  des  choses  auxquelles  ne  correspond  aucune  espèce  ou 
image.  Ainsi,  il  n'y  a  en  nous  aucune  image  de  la  grandeur  que  par 
le  raisonnement  nous  attribuons  au  soleil  ^.  De  même  pour  les  espaces 
au  delà  du  monde  que  la  raison  nous  démontre  être  sans  fin  ;  de  même 
encore  pour  l'éternité  dont  la  raison  nous  prouve  la  durée  infinie,  etc. 
Car  l'imagination  est  impuissante  à  nous  représenter  cette  étendue 
sans  limite  et  cette  durée  sans  terme  ^, 

Bref,  le  domaine  de  la  phantaisie  est  borné  aux  espèces  corporelles 
et  aux  choses  concrètes,  tandis  que  Tobjet  de  l'intelligence  est  illi- 
mité :  il  s'étend  à  tout  ce  qui  est  vrai,  ou.  comme  on  dit,  à  tout  être 
en  tant  qu'être  ^.  Ayant  poiu'  objet  toute  chose,  l'inteUigence  doit 
conséquemment  être  affranchie  de  la  matière  *. 

D.   —   QUESTIONS   DIVERSES 

Gassendi  n'admet  pas,  comme  nombre  de  Scolastiques,  une  dis- 
tinction réelle  entre  l'âme  raisonnable  et  ses  facultés  :  pour  lui  «  la 
puissance  d'entendi'e  ne  se  distingue  pas  de  la  substance  même  de 
l'âme,  si  ce  n'est  par  une  considération  de  raison  »  ^. 

Il  rejette  également  l'existence  d'un  intellect  agent  et  d'un  intellect 
patient,  qu'Aristote  a  introduit  dans  l'entendement.  L'interprétation 
qu'en  donnent  ses  sectateiu's  est  inintelhgible.  «  Qui  peut  comprendre 
en  effet  que  cette  faculté  soit  coupée  en  deux  parties  :  l'une  toute 
lumière,  l'autre,  sans  la  première,  toute  ténèbres  ;  celle-là  faisant 
toutes  choses  et  ne  devenant  rien,  celle-ci  souffrant  et  devenant 
toutes  choses  ;  la  première  produisant,  mais  ne  recevant  pas  les  espèces 
intelligibles,  la  seconde  ne  les  produisant  pas.  mais  les  recevant  ;... 
l'une  enfin  ne  comprenant  pas  les  choses  elles-mêmes,  mais  en  formant 
les  espèces,  l'autre  incapable  de  former  les  espèces,  mais  comprenant 
par  elles  »  ^. 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  II,  T.  II,  p.  441,  c.  2. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  III,  T.  II,  pp.  452-453,  c.  2-1. 
3-4...  Objectum  intellectus  esse  illimitatum,  sive  omne  verum  ac,  ut  loquuntxir,  omne 

ens  ut  ens...  Solum  autem  esse  intellectuin  eujus  objectum  sint  res  oinnes,  quique  ideo 
arguatur  niateriae  non  mixtus,  sed  ab  ea  absohitus  atque  incorporeus,  adeo  esse  notum 
naturali  lumine,  ut,  ne  de  cseteris  philosophis  dicam.  viderimus  ante  et  edicere  Anaxa- 
goram  et  subscribere  Aristotelem...  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  II, 
T.  II,  p.  441,  c.  2  et  p.  442,  c.  1). 

5.  Quippe  potentia  intelligendi  ab  ipsa  substantia  non  distingiiitur,  ac  rationis 
solum  consideratio  est  qua  anima  intelligere  dicitur,  quoniam  intelligere  potest. 
(Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  III,  T.  II,  p.  440,  c.  2). 

6.  Ecquis  enim  capiat  ipsam  intellectus  faci.}ltatem  sic  bisecari  ut  pars  una  [intellectus 
agens]  sit  tota  lux,  alia  [intellectus  patiens]  citra  illustrationeni  ipsius  merae  tenebrae? 
ut  illa  omnia  agat  ac  nihil  rerum  fiât,  haec  oinnia  patiatur  evadatque  omnia  ?  ut  illa 
producat,  non  recipiat  species  intelligibiles,  ista  non  producat,  .sed  lecipiat...  Ut  illa, 
res  ipsas  non  intelligens,  species  tamen  illaruni  forniet.  ista,  foiinandi  incapax,  res  per 
species  int«lligat  ?  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  :M.  II,  L.  IX,  C.  III,  T.  II,  p.  446, 
c.  2). 


138  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

L'entendement,  étant  incorporel  et  contenant  d'une  façon  éminente 
les  perfections  des  choses  matérielles  ^,  semble  être,  de  sa  nature, 
purement  intelligent,  c'est-à-dire  connaissant  les  choses  par  une 
simple  intuition  et  non  par  raisonnement.  Tel  est  ^  l'entendement 
de  Dieu  ;  tel  aussi  l'entendement  des  esprits  séparés  dans  le  champ 
limité  de  leurs  comiaissances.  Mais  l'entendement  humain,  étant  atta- 
ché à  un  corps,  ne  peut  rien  comprendre  sans  l'aide  de  la  phantaisie 
et  des  espèces  qu'elle  lui  fournit  ;  il  acquiert  par  là  une  connaissance 
superficielle  des  choses  ;  mais,  pour  les  connaître  intimement,  il  lui 
faut,  de  toute  nécessité,  recourir  au  raisonnement  2. 

Comme  les  âmes  raisonnables  sont  incorporelles  et  ont  Dieu  seul 
pour  auteur,  il  est,  ce  semble,  plus  convenable  de  supposer  que  toutes 
sont  également  parfaites  par  natui'e.  La  diversité,  qu'on  y  remarque, 
provient  tout  entière  de  la  différence  des  organes,  principalement  du 
cerveau,  conséquemment  de  la  phantaisie,  sm'  laquelle  inique  le  cer- 
veau ^.  Descartes  *,  qui  soutient  aussi  que  les  âmes  sont  créées  égale- 
ment parfaites,  n'a  point  atténué  ce  paradoxe,  comme  le  fait  Gas- 
sendi en  indiquant  la  source  de  leurs  inégalités. 

E.   —    ORIGINE   DES  IDÉES 

Gassendi  a  esquissé  dans  sa  Logique  et  dans  sa  Physique  le  problème 
de  l'origine  des  idées  et  des  premiers  principes. 

Il  répudie  fortement,  dans  sa  polémique  contre  Descartes,  le  système 
de  l'innéité  ^. 

Il  accepte,  au  contraire,  le  principe  admis  par  Aristote,  Êpicure  et 
Zenon  :  Il  Ti'y  a  rien  dans  l'intelligence  qui  n^ait  été  d'abord  dans  le 
sens.  A  l'origine,  l'âme  est  comme  une  table  rase  :  aussi  toute  idée, 
qui  est  dans  l'esprit,  passe  par  les  sens  ou  est  formée  des  éléments 
qui  passent  par  les  sens  ^,  Voyons  comment  il  applique  le  principe. 

Les  idées  singuhères  viennent  directement  des  sens,  vg.  idées  du 
soleil,  des  nuages,  de  la  terre,  des  hommes,  etc.',  ou  résultent  de  la 
combinaison  d'éléments  divers  fournis  par  les  sens,  vg.  idées  d'mi 
centaure,  d'un  géant,  etc.  '. 

Les  idées  générales  se  forment  par  «  assemblage  »  et  ((  abstraction  » 
(aggregando,  abstrahendo).  Assemblant  plusieurs  idées  singuhères 
semblables,  l'intelligence  en  fait  une  idée  unique  qui  constitue  un 
genre.  Elle  arrive  au  même  résultat  en  mettant  à  part  les  caractères 
communs  aux  individus  et  en  laissant  de  côté  les  points  par  où  ils 
diffèrent.  On  obtient  ainsi,  vg.  l'idée  d'animal  ^. 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  II,   T.  H,  p.  442,  c.  1-2. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II.  L.  IX,  C.  IV,  T.  II,  pp.  456-457.  ' 

3.  Syntagma  :  Physica.  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  VI,  T.  II,  p.  465,  c.  2. 

4.  Descartes,  Discoxirs  de  la  Méthode;  I^e  P.  Œuvres,  Edit.  Adam,  T.  VI,  p.  2, 
ligne  3. 

5.  Dubîtationes  et  Instantiœ  ad  Cartesii  Metaphysicam  et  Responsa  :  In  Méditât.  III , 
Dubitat.  II,  III,  IV,  dans  O.  G.,  T.  III,  pp.  318-328. 

6.  Omnis  idea  aut  per  sensum  transit,  aut  ex  ils,  quœ  transeunt  per  sensum,  formatur 
(Syntagma  :  Logica,  Part.  I,  C.  III,  T.  I,  pp.  92-93). 

7-8.  Syntagma  :  Logica,  P.  I,  Can.  IV,  V,  T.  I,  pp.  93-94. 


II.    —   PHYSIQUE    :    90   INTELLIGENCE   OU   ENTENDEMENT  1S9 

Gassendi  fait  observer  fréquemment  r^iie,  dans  ce  travail  de  forma- 
tion des  idées,  les  sens  sont  sans  doute  nécessaires,  mais  que  l'intelli- 
gence surajoute  son  activité.  Ce  concours  des  sens  et  de  l'intelligence 
varie  de  nature  selon  les  cas. 

Pour  la  connaissance  des  choses  singulières,  les  sens  et  l'intelligence 
associent  leiu'  activité  ^  ;  pour  le  reste,  c'est-à-dire  pour  nous  comiaître 
nous-mêmes,  pour  former  des  idées  générales,  pour  appréhender  les 
choses  incorporelles  que  l'imagination  ne  peut  représenter,  les  sens 
et  l'imagination,  en  fournissant  leurs  données  sensibles,  ofïi'ent  à 
l'intelligence  Yoccasion  (c'est  le  mot  auquel  Gassendi  revient  sans  cesse) 
d'agir  et  de  s'élever  au-dessus.  Mais  cette  action  se  diversifie  d'après 
la  nature  des  connaissances  à  acquérir. 

Les  impressions  sensibles  sont  pour  l'esprit  l'occasion  qui  le  porte 
à  se  replier  sur  lui-même  et  à  se  considérer.  Ici  l'esprit  use  de  la  ré- 
flexion ^. 

Pour  la  formation  des  idées  générales,  l'intelligence,  on  l'a  vu,  se 
sert  de  l'assemblage  et  de  l'abstraction  ;  mais  ce  sont  encore  les  don- 
nées sensibles  qui  lui  permettent  d'aller  jusqu'à  l'universel  ^. 

Enfin,  pour  concevoir  les  choses  incorporelles,  comme  Dieu,  l'espace, 
le  temps,  l'être,  etc.,  l'intelligence,  prenant  toujours  son  point  d'appui 
dans  les  sens  et  l'imagination,  recourt  au  raisonnement  *.  La  connais- 
sance que  nous  avons  des  êtres  immatériels.  Dieu  ^,  les  intelligences 
pure-s  ®,  est  sans  doute  accompagnée  d'espèces  matérielles,  qui  appar- 


1.  Nam  ad  scientiana  reriim  singularium  participera  habet  [intellectus]  consortemque 
Bensixm...  (Synkigma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  V,  T.  II,  p.  462,  c.  1). 

2.  Gassendi  s'adi'esse  cette  objection  :  Pourquoi  l'intelligence,  qui  est  toujours 
présente  à  elle-même,  ne  se  considère -t-elle  pas  toujoiu-a  ?  Il  réj^ond  que  c'est  là  le 
propre  des  pures  intelligences  ;  inais  que  l'intelligence  humaine,  étant  unie  à  un  corps, 
a  besoin  pour  se  considérer  elle-même  d'y  être  excitée  par  les  impressions  sensibles  : 
Unde  et  est  ipsi  [intellectui  humano]  attentione  reflexioneque  speciali  opus  ut,  captata 
ex  ipsis  rébus  materialibus  occasione,  in  sui  ipsius  considerationem  et  veniat  et  quasi 
secedat.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  III,  t.  II,  p.  452,  c.  1-2). 
C'est  moi  qui  soiUigne  ici  et  soulignerai  plus  loin  le  mot  occasio. 

3.  DixT  nihilominus  intellectum  esse  potissiminn  ôcientem  ob  scientiam  rerum 
universalium,  quasi  ex  triplici  capite  :  ac  primum  quidem  quod  talis  scientia  opus 
ipsius  proprium  eit.  Nam  ad  scientiam  qvùdem  reriim  singularium  participe  m  habet 
consortemque  sensum  ;  at,  circa  scientiam  universalium,  peragit  per  se  negotiiim  ; 
sensus  autem,  quasi  contentus  occaaionem  ipsi  fecisse,  \\t  procédât  ulterius,  universale 
nihil  attingens,  in  singularibus  consistit.  (Syntagma  :  Phystca,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX, 
C.  V,  T.  II,  p.  462,  0,  1). 

4.  Nimiram,  licet  non  perspiciamus  qualis  sit  natm^  cujusque  rei  intima,  ratioci- 
nando  tamen  eo  nos  provehi  ut,  prseter  omnes  qualitates  accident  iaque  sensibilia,  quae 
in  imaginationem  cadunt,  intelligamus  quampiam  subesse  quas  imaginationem  fugiat... 
Siquidem  fatemur  animam  non  esse  ut  f ormam  mère  assistentem  omnimodeque  a 
corpore  sua  in  functione  independentem,  sed  informare  rêvera  corpus  ac  ideo  habere 
sensus  additos  asseclamque  phantasiam,  ut  intellectus  occaaionem  ratiocinandi  ex  iis 
accipiat,  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  II,  T.  II,  pp.  441-442,  et 
442,  c.  2). 

5-6.  ...  Potest  [intellectus]  illa  quoque  intelligere  quae  diximus  illum  fid  est  intellec- 
tum] vi  Bua  factaque  a  sensibus  speciebusque  in  phantasia  degentibus  occasione  deducere 
cujusmodi  esse  diximus  Deum,  Intelligentias  aliaque  heic  non  repetenda.  (Syntagma  : 
Physica,  Seot.  III^  M.  II,  L.  IX,  C.  V,  T.  II,  p.  463,  c.  1).  —  Ostensum  est  enim,  licet 
intellectus  occasionem  sumat,  ex  iis    qute  sunt  in  phantasia  imaginibus,  ratiocinandi 


140  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

tiennent  en  propre  à  la  phantaisie.  Mais  ces  espèces  sont  pour  ainsi 
dire  des  degrés  dont  use  l'intelligence  pour  s'élancer  au  delà  et  pour 
comprendre  qu'outre  les  corps  les  plus  ténus  qu'on  puisse  imaginer, 
il  y  a  une  substance  qui  n'a  rien  de  corporel  ^. 

F.   —    ORIGINE   DES   PRINCIPES   PREMIERS 

Nous  constatons  aussi  en  nous  la  présence  de  principes  qui  dirigent 
l'intelligence  :  c'est  ce  qu'on  appelle  l'habitude  des  premiers  prin- 
cipes (primorum  principiorimi  habitus).  «  Ce  sont  des  énoncés  géné- 
raux, d'une  exceptionnelle  importance,  qui,  dès  qu'ils  sont  perçus, 
obtiennent  une  adhésion  absolue  ;  ils  ne  se  prouvent  pas  par  d'autres 
énoncés,  mais  servent  à  accréditer  les  autres  ;  car  leur  certitude 
est  telle  qu'ils  n'ont  pas  besoin  de  démonstration  ;  ils  sont  connus 
de  prime  abord  ;  c'est  pourquoi  on  les  tient  pour  indémontrables  »  ^. 

Ainsi  qu'il  a  fait  pour  les  idées,  Gassendi  rejette  l'innéité  des  pre- 
miers principes  ;  comme  elles,  ils  dérivent  des  données  sensibles  inter- 
prétées par  l'intelligence.  Soit,  comme  exemple  :  Le  tout  est  plus  grand 
que  la  partie.  Pourquoi  lui  donnons-nous  un  assentiment  immédiat  ? 
Parce  que,  depuis  notre  naissance,  nous  avons  constaté  qu'il  en  était 
toujours  ainsi.  «  Quand  nous  entendons  cet  énoncé  pour  la  première  fois 
et  que  nous  comprenons  ce  qu'on  appelle  :  tout,  partie,  plus  grand, 
en  un  moment  s'offrent  à  nous  quelques  exemples  de  cette  sorte  : 
la  maison  est  plus  grande  que  le  toit,  l'homme  que  la  tête,  l'arbre  que 
la  branche,  le  cahier  qu'une  feuille,  et,  en  même  temps,  il  nous  vient 
confusément  en  pensée  que  tout  ce  que  nous  avons  jamais  vu  ou  qui 
peut  l'être  est  tel  ;  ce  qui  i ait  que  sans  hésiter  nous  tenons  cet  énoncé 
pour  vrai  »  ^. 

Ce  qui  vient  d'être  dit  de  l'axiome  :  Le  tout...,  doit  s'appliquer 
à  tous  les  autres.  Gassendi  en  donne  cette  raison  générale  :  ((  Tous  ces 
principes  sont  formulés  universellement  ;  or  notre  esprit  ne  peut  rien 
admettre  comme  universel  qu'il  ne  l'examine  partie  par  partie  ou 
qu'il  ne  se  souvienne  de  l'avoir  examiné  ainsi.  Car  quiconque  énonce 
une  proposition  universelle,  ne  le  peut  faire  qu'il  ne  la  tire  de  tous 
ou  du  moins  de  la  plupart  des  singuliers  observés  par  lui  ;  et  il  est 
certain  que  nous  ne  concevons  jamais  le  général  que  par  les  singuliers 

de  ipsis  rébus,  eo  tamen  ipsum  provehi  ut  illa  intelligat.  quorum  iniaginatio  in  homine 
sit  nulla.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  XIV,  C.  III,  T.  II,  p.  641,  c.  2). 
Cf.  Sect.  I,  L.  IV,  C.  II,  T.  I,  p.  292,  c.  2). 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  II,  T.  II,  p.  442,  c.  2. 

2.  Principia  ergo  hujusniodi  aliud  nihil  sunt  quam  effata  afiqua  generîilia  exceptio-' 
neque  omni  majora,  quae,  et  statim  ac  percipiuntur,  omnimodam  fidera  inveniunt, 
et  non  ex  aliis  probantur  sed  aliis  fidem  faciunt  ;  ut  puta  quod  sintita  eertaut  proba- 
tione  non  egeant  et  quasi  primo  cognita  sint  ;  unde  et  ducuntur  indemonstrabilia.  (Syn- 
tagma :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX,  C.  IV,  T.  II,  p.  457,  c.  2). 

3.  Inde  nempe  fit  ut,  cum  id  effatum  primum  inaudimus  et  quid  totum,  quid  pars, 
quid  majus  voeetur  intelligimus,  uno  quasi  momento  aliquot  nobis  exempla  hujusmodi 
occurrant  :  domus  est  major  tecto,  homo  capite,  arbor  ramo,  codex  folio,  ac  simul  con- 
fuse succurrat  quicquid  unqiiam  vidimus  aut  videri  potest  hujusmodi  esse  ;  unde  et 
incunctanter  esse  id  verum  admittimus.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  IX, 
C.  IV,  T.  II,  p.  458,  c.  1. 


II.    PHYSIQUE    :    10°   APPÉTIT  141 

préalablement  connus.  On  dit  que  ces  énoncés  ou  principes  sont  connus 
par  soi  et  naturellement,  parce  qu'ils  se  présentent  de  suite  à  l'esprit 
et  que  l'induction  des  singuliers  qui  nous  les  rend  dignes  de  confiance, 
est  comme  devant  les  yeux  »  ^. 

Voilà  comment  Gassendi  a  essayé  de  répondre  à  cette  difficile 
question  de  lorigine  des  idées  et  des  principes  premiers,  question  que 
(l'ailleurs  il  n'a  pas  traitée  ex  professa,  mais  incidemment  et  qui,  de 
son  temps,  n'était  pas  posée  avec  la  rigueur  de  précision  qu'on  y  a 
mise  plus  tard. 

Cependant  nombre  d'historiens  se  sont  crus  suffisamment  autorisés 
par  le  peu  qu'il  en  a  dit  à  le  ranger  parmi  les  sensualistes.  Ce  jugement 
peut  se  soutenir  en  ce  qui  concerne  l'explication  des  premiers  principes, 
car,  d'après  les  citations  qu'on  vient  de  lire,  les  premiers  principes 
semblent  être  simplement,  aux  yeux  de  Gassendi,  des  généralisations 
de  l'expérience,  mais  plus  primitives  et  plus  évidentes  que  les  autres. 
On  doit  lui  faire  par  conséquent  le  même  reproche  qu'à  Stuart  Mill 
et  aux  positivistes  modernes,  celui  de  dépouiller  les  premiers  principes 
de  la  nécessité  et  de  l'universalité  absolues  qui  les  caractérisent. 

Quant  à  l'origine  des  idées,  le  système  de  Gassendi  ne  mérite  pas 
répithète  sensualiste  qu'on  lui  a  trop  libéralement  accordée.  Quoiqu'il 
ne  se  soit  pas  nettement  expliqué  sur  la  façon  dont  se  forment  les 
idées  de  genre  et  surtout  les  idées  des  choses  incorporelles,  néanmoins 
il  a  répété  souvent,  et  en  terme.s  très  explicites,  nous  l'avons  vu,  que 
l'activité  intellectuelle  doit  se  superposer  aux  données  fournies  par 
les  sens  et  l'imagination,  c'est-à-dire  par  l'expérience  extérieure. 
On  peut  regretter  qu'il  n'ait  pas  faite  plus  large  la  part  de  l'expérience 
interne  ;  mais  l'on  ne  saurait  sans  injustice  le  classer  parmi  les  sen- 
sualistes et  le  donner  comme  un  précurseur  de  Locke  et  de  Condillac  ^. 

Sa  doctrine  pourrait  se  résumer  brièvement  ainsi  :  de  même  que 
Fimpression  physique  n'est  pour  la  phantaisie  que  l'occasion  de  former 
des  images,  ainsi  les  images  ne  sont  pour  l'intelligence  que  l'occasion 
de  former  des  idées. 

§    X.    —    DE    L  APPÉTIT  3 

A.    ~    DE   L- APPÉTIT    EN    GÉNÉRAL 

Jusqu'ici  Gassendi  a  disserté  sur  «  l'âme  connaissante  r,  c'est-à-dire 
sur  les  sens,  la  phantaisie  et  l'intelHgence  ;  il  va  parler  maintenant 

1.  Quod  de  hoc  ai»tem  effato  dico,  idem  dicendum  de  cœteris  ;  ratioque  generalis  est 
quod,  ciim  omne  hujusmodi  effatum  universim  pronuncietur,  non  possit  mens  nostra 
universim  quid  admittere  quin  id  singiilatim  exploret  vel  fuisse  a  se  exploratum  me- 
minerit.  Quippe  cimi  et  quisquis  universalem  propositionem  effert,  facere  non  possit 
quin  ipsam  ex  observatis  omnibus  aut  pluribus  certe  singularibus  colligat  ;  ac  certum- 
sit  nihil  a  nobis  generatim  intelligi  nisi  singularibus  prius  notis.  Dicuntiir  vero  hœo 
effata  seu  principia  per  se  ac  naturaliter  nota,  quod  illico  menti  occurrant  et  quasi 
coram  oculis  sit  singularium  inductio,  qua  illis  fîdes  concilietur...  (Syntayma  :  Physica 
Sect.  111,  M.  II,  L.  IX,  C.  IV,  T.  II,  p.  458,  c.  1). 

2.  Voir  dans  Logique  de  Port-Royal  (1^^  p.,  Ch.  I,  §  «  C'est  le  sentiment  d'un  philosophe 
qui  est  estimé  dans  le  monde...)  la  critique  du  système  de  Gassendi  sur  l'origine  des  idées. 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X,  T.  11,  pp.  469-504. 


142  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

de  l'âme  «  appétente,  qui  est  excitée  et  dii"igée  par  la  connaissante  ». 
On  l'appelle  communément  l'Appétit  et  on  peut  la  définir  :  «  cette 
faculté  qu'a  l'âme  d'être  émue  et  affectée  par  l'appréhension  ou 
connaissance  du  bien  ou  du  mal  »  ^.  Le  bien  est  ce  qui  convient  à  la 
nature  de  chacun  et  lui  plaît  ;  le  mal,  ce  qui  ne  lui  convient  pas  et  lui 
déplaît  2. 

L'appétit  diffère  surtout  de  la  faculté  connaissante  en  ce  que  ceUe-ci 
a  pour  objet  la  vérité  ou  existence  de  la  chose,  ce  que  la  chose  est 
ou  paraît  être,  tandis  que  l'appétit  tend  vers  la  bonté  ou  conve- 
nance de  la  chose,  vers  ce  qui  est  utile  ^. 

De  plus,  la  phantaisie  et  l'entendement  peuvent  agir  sanâ  que  l'ap- 
pétit soit  ému,  tandis  que  l'appétit  n'est  point  ému  si  quelque  connais- 
sance ne  précède  *. 

Enfin,  la  fonction  de  la  partie  connaissante  est  pom*  ainsi  dire 
confinée  dans  l'âme,  tandis  que  celle  de  l'appétit  rejaiUit  sur  le  corps  ; 
c'est  pourquoi  il  y  a  plus  de  calme  dans  un  cas  et  plus  de  trouble  dans 
l'autre  ^. 

Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  l'Appétit  est  divisé  en  sensitif  et  en 
raisonnable.  L'appétit  raisonnable  a  son  siège  dans  le  cerveau.  L'ap- 
pétit sensitif  e^ut  «  diffus  dans  tout  le  corps  ».  S'il  est  mû  par  une  image, 
il  semble  résider  dans  la  poitrine  ou  dans  le  cœur  ;  s'il  est  mû  par  le 
contact  d'une  chose  sensible,  il  semble  avoh*  pour  siège  la  partie  du 
corps  qui  a  été  affectée  en  bien  ou  en  mal  ^. 

B.   —    APPÉTIT   RAISONNABLE 

La  partie  raisonnable  de  l'ame,  considérée  dans  sa  nature,  est  faite 
seulement  pour  comprendre  ;  néanmoins,  comme  elle  ne  peut  saisk" 
son  objet  sans  plaisir,  on  ne  saurait  nier  que  quelques  passions  lui 
conviennent,  du  moins  par  analogie  à  celles  qu'on  accorde  à  l'appétit 
sensitif.  «  En  outre,  comme  c'est  elle  qui  discerne  le  bien  honnête 
et  juge  qu'il  est  préférable  et  doit  être  préféré,  il  est  impossible  qu'elle 
ne  l'aime  pas  et  n'ait  de  l'aversion  pour  ce  qui  lui  est  opposé  :  autre- 
ment, comment  pomrait-elle  le  choish  et  le  préférer  à  son  contrahe  ? 
Il  semble  donc  qu'il  y  ait,  dans  cette  partie  supérieure  de  l'âme,  quelque 
sorte  d'appétit  auquel  ces  choses  et  autres  semblables  doivent  se 
rapporter  »  '.  C'est  cette  sorte  d'appétit  qu'on  désigne  habituellement 
sous  le  nom  de  volonté.  Les  passions  qu'il  éprouve  :  l'amour  de  l'hon- 
nête, le  désir   de  faire  le  bien,  la  bienveillance,  etc.,  dérivant  de  la 

1-2  ...  Appetitus  est  seu  pars,  seu  facilitas  qua  anima  ex  apprehenso  cognitove 
bono  aut  malo  conimovetur  et  afficitur.  ( Syntayma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X, 
C.  I,  T.  II,  p.  469,  c.  1). 

3-4-5.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  in,  M.  II,  L.  X,  C.  I,  T.  II,  pp.  469-470,  c.  2-1. 

6.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X,  C.  I,  T.  II,  pp.  472-473,  c.  2-1. 

7.  Accedit  quod,  cum  ipsa  [rationalis  pars],  quae  bonum  hoiiestum  discemit  ac  novit, 
prseferendunique  esse  ut  judicat,  sic  imperat,  fieri  non  possit  quin  illud  amet  ac  id 
aversetur  quod  ipsi  opponitur  :  secus  enim  qui  id  eligere  ad  couimendandiuii  pro  opposi- 
toposset?  Esse  ergo  videtur  in  ea  appetitus  aliquis,ad  quem  ista  et  caetera,  quse  idgenus 
eunt,  referantur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  :M.  II,  L,  X,  C.  I,  T.  II,  p.  470,  c.  2) 


n.   —  PHYSIQUE    :    10^  APPÉTIT   RAISONNABLE,   SENSITIF  143 

partie  raisomiable  qui  est  immatérielle,  sont  si  pui'S  et  si  simples,  qu'à 
peine  ont-elles  quelque  ressemblance  avec  les  passions  vulgaires  qu'on 
rapporte  à  l'appétit  sensitif.  Mais,  tant  que  la  partie  raisonnable 
sera  jointe  au  corps,  il  est  presque  impossible  que  ces  passions  simples 
et  pures  ne  soient  pas  accompagnées  des  turbulentes  qui  proviemient 
de  l'appétit  infériem'  ^. 

C.   —   APPÉTIT   SENSITIF  :    LES   PASSIONS 

Les  effets  de  l'appétit  sensitif  sont  les  passions.  En  général,  «  la 
passion  ou  affection  est  une  émotion  de  l'âme  dans  la  poitrine  ou  dans 
quelque  autre  partie  du  corps,  excitée  par  l'attente  du  bien  ou  du 
mal  ou  par  la  sensation  »  -.  Il  faut  remarquer  le  dernier  membre  de 
cette  définition  .«  On  dit  :  par  Vopinion  du  bien  ou  du  mal,  pour 
marquer  la  %-raie  cause  des  passions,  principalement  de  celles  qui 
sont  excitées  dans  la  poitrine.  On  ajoute  :  ou  par  la  sensation,  à 
cause  des  passions  qui  naissent  plutôt  de  la^  sensation  que  de  l'opi- 
nion du  bien  ou  du  mal  »  ^.  Ici,  en  Physique,  on  n'examine  pas  si  la 
passion  s'écarte  de  la  raison  et  de  la  nature.  Cette  considération 
regarde  la  Morale. 

D'après  ces  causes,  on  peut  classer  les  passions  en  deux  grandes 
catégories  :  les  unes  se  rapportent  davantage  au  corps  et  résident 
dans  ses  différentes  parties  ;  les  autres  se  rapportent  davantage  à 
l'âme  et  résident  dans  la  poitrine  *. 

Il  y  a  trois  principales  passions  auxquelles  les  parties  du  corps 
sont  sujettes  :  le  plaisir,  la  douleur,  le  désir. 

Comme  il  n'est  aucune  partie  du  corps  qui  ne  puisse  être  affectée 
par  quelque  chose  de  commode  ou  d'incommode,  toutes  sont  suscep- 
tibles d'éprouver  du  plaisir  et  de  la  douleur.  Ce  sont  deux  passions 
primitives. 

«  Il  y  a  douleur,  lorsque  le  coi*ps  ou  quelqu'une  de  ses  parties  est 
dérangée  de  son  état  naturel  ;  plaisu-,  lorsque  l'état  naturel  est  rétabH. 
D'où  il  suit  que  le  plaisir  n'existe  pas  sans  quelque  douleiu*  précé- 
dente »  ^. 

Entre  ces  deux  extrêmes  se  place  une  troisième  passion  primitive  : 
le  désir.  La  série  des  passions  commençant  par  la  douleur,  l'état, 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X,  T.  II,  pp.  470-471,  c.  2-1. 

2-3.  ...  Constat...  affectuni  nilùl  esse  aliud  quam  commotionem  animse,  in  pectore 
parteve  alia,  ex  boni  vel  mali  opinione  aut  sensu  excitatam...  Dicitur  autem  in  pectore 
parteve  alia,  ut  comprehendantur  non  modo  affecttis  qui  sunt  cominotiones  sensibiles 
in  pectore,  sed  illi  etiam  qui  seutiuntur  in  partibus  affectis.  Dicitur  ex  boni  vel  mali 
opinione,  ut  vera  affectuum  causa  declaretur  ac  eoinim  prfesertim  qui  excitantur  in 
pectore.  Additiu-  aut  eensu,  ob  illos  affectus  qui  ex  sensu  potius  quam  ex  opinione  nas- 
cuntur.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III.  M.  II,  L.  X,  C.  II,  T.  n,  p.  475,  c.  1). 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  'SI.  II,  L.  X,  C.  II,  T.  II,  p.  477,  c.  1. 

5.  Est  vero  imprimis  ratio  sentiendi  dolorem  seu  molestiam  (inde  scilicet  incipiendum) 
Bbductio  corporis  pai'tisve  illius  a  naturali  constitutione...  Deinde  ratio  generalis  sen- 
tiendi voluptatem  est  restitutio  corporis  partisve  illius  in  naturalem  constitutionem... 
Ex  quo  proinde  sequitur  ut  voluptas  sine  prseeunte  dolore  non  sit.  (Syntagma  : 
Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X,  C.  II,  T.  Il;  p.  477,  c.  1-2). 


144  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

dans  lequel  l'animal  est  exempt  de  passions,  s'appelle  indolence 
(indolentia,  sans  doulem-).  Aussi,  dès  qu'une  douleur  vient  troubler 
cet  état  paisible  d'une  partie  du  corps,  il  surgit  dans  cette  même  partie 
le  désir  d'être  affranchie  de  la  douleur  et  conséquemment  d'être  réta- 
blie dans  son  premier  état  pour  re\  enir  à  1'  «  indolence  ».  En  tout  cela, 
le  but  principal  que  poursuit  la  nature  c'est  l'exemption  de  la  douleur  ; 
le  plaisir  n'est  qu'un  simple  accessoire,  un  (c  adjoint  »,  pour  disposer 
l'animal  à  rechercher  plus  allègrement  la  délivrance  de  son  m^l. 
L'indice  en  est  que,  la  délivrance  obtenue,  le  plaisir  s'évanouit  et 
r  ((  indolence  »  persiste  ^. 

Il  arrive  cependant  que  l'animal,  une  fois  qu'il  a  goûté  le  plaisir, 
se  propose  pour  but,  non  pas  l'affranchissement  de  la  douleur,  mais 
le  plaisir  lui-même.  C'est  qu'alors  le  désir  a  été  excité  par  l'attente 
et  la  prévision,  tandis  que,  dans  le  cas  précédent,  le  désir,  sans  être 
dirigé  par  aucune  connaissance,  est  provoqué  par  la  seule  présence 
de  la  douleur,  dont  l'être  veut  se  délivrer  2. 

Dans  la  seconde  classe  de  passions,  celles  qui  dépendent  de  l'at- 
tente du  bien  ou  du  mal,  on  doit  reconnaître,  comme  dans  la  pre- 
mière, deux  passions  générales  et  primitives  :  le  plaisir  ou  la  joie,  qui 
a  pour  cause  la  croyance  à  un  bien  présent  ;  la  douleur  ou  la  tristesse, 
qui  provient  de  la  croyance  à  un  mal  présent.  Toutes  les  autres 
passions,  qui  sont  suscitées  par  l'opinion  du  bien  ou  du  mal,  ont 
rapport  à  ces  deux  passions  «  dominantes  et  extrêmes  »  et  n'en  diffè- 
rent que  par  quelque  circonstance.  De  là  dérivent  d'abord  Vamour  et 
la  haine  :  ce  sont  les  plus  générales,  car  elles  s'appliquent  au  présent, 
au  passé  et  à  l'avenir,  et  s'étendent  non  seulement  au  plaisir  et  à  la 
douleur,  mais  encore  à  ce  qui  est  capable  de  les  produire.  S'agit-il  d'un 
bien  passé  ou  futur,  l'amour  devient  désir,  œnfiance,  audace  ?  S'agit-il 
d'un  mal  passé  ou  futur,  la  haine  se  transforme  en  aversion,  déses- 
poir, crainte,  pusillanimité  ?  Gassendi  ajoute,  comme  complément,  la 
douceur  et  la  colère,  passions  complexes,  qui  sont  comme  un  mélange 
des  précédentes  ^. 

Dans  cette  analyse  des  passions,  assurément  critiquable,  Gassendi 
se  montre  cependant  psychologue  avisé.  On  a  eu  tort  de  laisser  dans 
l'ombre  son  mérite  sur  ce  point,  pour  ne  mettre  en  lumière  que  les 
théories  de  Descartes,  de  Bossuet  et  de  Port-Royal.  Il  fut  pourtant 
le  précurseur  des  deux  derniers  ■*. 

Dans  sa  théorie  du  plaisir  et  de  la  douleur,  il  y  a  une  considération, 

1.  Scilicet,  quia  séries  affectuum  a  dolore  initiuni  ducit  atque  ideo  status,  in  quo 
animal  affectuum  expers  placideque  degit,  dicitur  indolentia,  ea  de  causa  statim  ac 
dolor  ad  aliquampartem  intervenions  hune  statum  conturbat,  suboritur  in  eadem  parte 
exemptionis  ab  hoc  dolore  ac  proinde  restitutionis  in  suum  statum  cupiditas,  quo  ad 
indolentiam  redeatur...  Ac  voluit  quidem  natura  cupiditatem  ita  explore  ut  voluptate  . 
ipsam  doloris  exemptionem  condierit  ;  at,  cum  doloris  exemptio  foret  quasi  finis 
prœcipuus,  adjuncta  solum  voluptas  fuit  ut  animal  sese  alacrius  ad  exemptionem  com- 
pararet  ;  indicioque  est  quod,  exemptione  facta,  voluptas  evanescat  , indolentia  super- 
sit.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X,  C.  II,  T.  II,  p.  479,  cl). 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  X,  C.  II,  T.  II,  p.  479,  c.  1. 

3.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X,  C.  II,  T.  II,  p.  480-481,  c.  2-1. 

4.  Le  Traité  des  Passions  de  Descartes  parut  en  1649. 


n.    —  PHYSIQUE    :    110   IMMORTALITÉ   DE   l'aME  145 

inexacte  ^  d'ailleurs,  sur  laquelle  Gassendi  insiste  avec  complaisance  '-. 
Il  l'a  empruntée  à  Épicure,  mais  développée  d'une  façon  originale! 
Elle  se  résume  ainsi  :  «  Le  plaisir  a  pour  antécédent  nécessaire  la  dou- 
lem-  ».  (Sequitur  ut  voluptas  sine  prœeunte  dolore  non  sit).  Il  l'applique 
non  seulement  aux  plaisirs  du  corjps,  mais  même  aux  plaisirs  de 
l'esprit,  ceux  qui  naissent  de  l'acquisition  de  la  richesse,  des  honneurs, 
de  la  science,  de  la  vertu.  Tous  résultent  d'une  douleur  apaisée.  Tous 
eri%ffet  sont  précédés  d'une  inclination  ou  désir  naturel  qu'il  compare 
à  la  faim  et  à  la  soif.  Or  la  faim  et  la  soif  sont  une  souffrance  qui  ne 
cesse  que  lorsqu'on  a  mangé  et  bu  à  sa  suffisance  ;  de  même,  les  désirs 
des  richesses,  des  honneurs,  etc.,  provoquent  des  états  pénibles  (inquié- 
tudes de  l'âme,  démarches  laborieuses  etc.)  qui  ne  prennent  lin 
^u'au  moment  où  la  possession  des  richesses,  des  honnem\s,  donne 
satisfaction  à  ces  désirs. 

Ce  principe  :  Le  plaisir  a  pour  condition  une  douleur  antécédente 
se  vérifie  dans  un  certain  nombre  de  cas.  L'erreur  de  Gassendi  est  de 
l'étendi-e,  sans  distinction,  à  tous  les  cas.  L'expérience  atteste  qu'il 
est  des  plaisirs  qui  ne  sont  conditionnés  par  aucune  douleur  nréa- 
lable^.  '         ^ 

^  En  Physique,  Gassendi  s'est  contenté  de  mentionner  en  passant 
l'appétit  raisonnable  ou  volonté,  parce  que  l'occasion  s'offrait  de  le 
distinguer  de  l'appétit  sensitif.  Mais  c'est  en  Morale  qu'il  en  traitera 
à  fond,  à  propos  de  la  responsabilité  qui  suppose  une  volonté  libre. 


§    XI.    —    DE    L'IMMORTALITÉ    DE    L'AME  4 

Gassendi  apporte,  en  faveur  de  l'immortalité  de  l'âme  raisonnable, 
une  preuve  «  physique  »  et  des  pi'euves  a  morales  ». 

La  preuve  physique  se  résume  en  cet  enthymème  :  ((  L'âme  raison- 
nable est  immatérielle  ;  donc  elle  est  immortelle  »  ^.  Notre  philosophe 
montre  bien  que  la  conséquence  découle  logiquement  de  l'antécédent. 

Les  preuves  morales  sont  tirées  du  consentement  général  des 
peuples,  du  désir  inné  que  l'homme  a  d'une  survie,  enfin  de  la  justice 
du  gouvernement  divin,  exigeant  que  la  vertu  et  le  vice,  qui  manquent 
ici-bas  d'une  sanction  suffisante,  la  trouvent  dans  un  autre  monde  ^. 

Gassendi  expose  convenablement  ces  différentes  preuves  ^  ;  mais  c'est 

1.  Cf.  G.  Sortais,  Traité  de  Philosophie  :  T.  I.  Psychologie,  n.  24,  pp.  ()8-70. 

2.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  X,  C.  III,  T.  II,  pp.  481-482,  c.  2-1. 

3.  Cf.  G.  Sortais,  Opère  citato.  Ibidem. 

4.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  XIV,  T.  II,  pp.  620-658. 

5.-  Prima  igitur  ratio,  eaque  prœcipua,  ijhy.sica  est  paueisqiie  institui  sic  potest  : 
Animal  rationalis  immaterialis  est  ;  igitui-  est  et  immo.talis.  (Sect.  III  M  II  L  XIV 
C.  II,  T.  II,  pp.  628-629).  '     " 

6.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  XIV,  C.  II,  T.  II,  pp.  629-632. 

7.  On  est  étonné  de  lire,  sous  la  plume  de  Racine,  ce  jugement  sur  Gassendi  ù  propos 
de  l'immortalité  de  l'âme  :  «  On  a  mis  à  llndex  la  Métaphysique  de  M^  Descartes  et 
sa  Réponse  à  Gas.sendi  pour  prouver  l'immortalité  de  l'ârne.  On  n'y  a  point  mis  la 
Philosophie  de  Ga.ssendi  ni  son  Traité  contre  Descart«s  où  il  donne  des  preuves  contre 

10 


146  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGBLA.  PHILOSOPHICUM 

dans  la  réfutation  des  objections  qu'on  leur  oppose  qu'il  se  montre 
plus  personnel.  On  objecte,  par  exemple,  que  les  âmes  des  animaux, 
qui  souffrent  parfois  injustement,  devraient  être  immortelles  comme 
les  nôtres.  Aux  yeux  de  Gassendi,  la  bête  n'est  point,  comme  elle 
l'est  pour  Descartes,  un  automate.  Il  reconnaît  qu'elle  est  douée  de 
sensibilité  et  d'imagination  ^.  Mais,  dépourvue  de  raison  et  de  liberté, 
elle  ne  connaît  pas  le  dçvoir  et  n'a  point  le  sentiment  de  l'obligation. 
Il  n'est  donc  pas  légitime  de  conclure  que  ce  qui  convient  à  l'homme 
raisonnable,  convient  également  à  la  brute  ^. 

On  dit  encore  que  la  vertu  est  à  elle-même  sa  récompense  et  que  le 
vice  porte  avec  lui  son  châtiment.  Après  avok  constaté  que  les  Stoï- 
ciens ont  magnifiquement  développé  ce  thème  (licet  Stoïci  ici  magni- 
fiée  dixerint),   notre   pliilosophe   montre   fort   bien   l'insuffisance   et. 
même  l'inanité  de  cette  sanction  ^. 

Gassendi  a  trouvé  des  termes  élevés  pour  répondre  à  cette  dernière 
objection  :  «  Une  action  humaine,  direz-vous  enfin,  encore  qu'elle 
soit  bonne  et  louable  parmi  les  hommes,  ne  paraît  pas  avob'  une  valeur 
telle  qu'elle  mérite  une  récompense  éternelle  ;  de  même,  une  action, 
quoique  nïauvaise  et  blâmable  parmi  les  hommes,  ne  semble  pas 
mériter  im'  éternel  châtiment  ;  l'une  et  l'autre  sont  chose  naturelle, 
caduque,  limitée  »  *. 

Voici  la  réponse  :  «  Sans  doute,  une  bonne  action,  la  vertu  même 
et  la  probité,  considérée  physiquement,  sont  quelque  chose  de  bien 

l'immortalité  de  l'âme.  »  (Cf.  Edition  des  Grands  Ecrivains  :  Œuvres  de  Racine,  t.  V, 
p.  218,  Paris,  1887).  Ce  jugement  injuste  est  le  résumé  de  l'opinion  qu'ANTOiNE  Ar- 
NAULD  a  formulée  dans  son  livre  :  Difficidtés  proposées  à  Mr  Steyaert  sur  VAvis  'par  lui 
donné  à  Mgr  Varchevéque  de  Cambrai...  Cet  ouvrage  parut  pour  la  première  foia  à 
Cologne  en  1691.  On  trouvera  le  passage  résumé  par  Racine  dans  les  Œuvres  de  Messire 
Antoine  Arnauld,  t.  IX,  pp.  306-307  (Lausanne,  1777).  Arnauld  ajoute  cette  pjrfide 
réflexion  :  «  N'est-ce  pas  permettre  d'avaler  le  poison  et  empêcher  qu'on  ne  prenne  l'anti- 
dote ?»  (Opère  citato,  p.  306).  Le  bon  apôtre  !  Racine  a  eu  tox-t  de  croire  sur  parole  cet  adver- 
saire passionné  du  Saint-Siège,  qui  l'attaque  per  fas  et  nef  as.  Arnauld  a  calomnié  Gassendi 
qui  défend  catégoriquement,  par  des  preuves  solides,  l'immortalité  de  l'âme.  Arnaidd 
est,  an  contraire,  trop  favorable  à  Descartes.  Cehii-ci  tout  d'abord  avoue  qu'il  n'a  pas 
traité  de  l'immort-alité  de  l'âme  dans  ses  Méditation^  :  «J'ai  donné  la  raison,'  dans  l'abrégé 
das  Méditations,  pourquoi  je  n'ai  rien  dit  ici  sur  l'immortalité  de  l'âme.  »  Cf.  Secundœ 
Responsiones,  Œuvres  de  Descartes,  Edit.  Adam,  t.  VII,  p.  153,  ligne  1).  Puis,  il  apporte 
alors  certaines  considérations,  d'où  il  conclut  que  «  l'âme  de  l'homme,  aiitant  que  cela 
peut  être  connu  par  la  philosophie  naturelle,  est  immortelle.  »  C'est  une  simple  possibi- 
lité. Mais,  pour  être  certain  qu'en  fait  Dieu  n'annihile  pas  l'âme  aii  moment  de  la 
destruction  du  corps,  il  faut  recom-ir  à  la  révélation  :  « ...  C'est  à  Dieu  seul  d'en  répondre. 
Et  puisqu'il  nous  a  maintenant  révélé  que  cela  n'arrivera  jDoint,  il  ne  nous  doit  plus 
rester  touchant  cela  aucun  doute.  >'  (Ibidem,  pp.  153-154)  ;  Gassendi  va  donc  plus  loin 
que  Descartes,  puisqu'il  prétend  (et  sa  prétention  est  juste)  qu'on  peut  démontrer  par 
la  raison  l'iinmortalité  de  l'âme.  De  plus,  dans  sa  Réponse  à  Descartes,  il  n'aborde  pas 
cette  question  de  l'immortalité,  parce  que  Descartes  ne  l'avait  point  traitée  dans  ses 
Méditations.  On  voit  jusqu'à  quel  point  porte  à  faux  l'odieuse  accusation  d'Arnauld. 

1.  Syntagma  :  Physica,  Sect.  III.  jM.  II,  L.  III,  C.  III,  T.  II,  pp.  250-254. 

2-3.  Syntagma  :  Phvsica,  Sect.  III,  M.  II,  L.  XIV,  C.  II,  T.  II,  pp.  632-633. 

4.  Dices  denique  actionem  humanain  non  videri  tanti  ut,  quamvis  sit  bona  et  apud 
homines  laudabilis,  mereatur  propterea  sempiternum  praemium,  et,  quamvis  mala 
-ac  apiid  homines  vituperabilis,  mereatur  propterea  seternum  supplicium  ;  videlicet 
cum  utraque  nihil  aliud  quam  res  natiu-alis,  caduea,  definita  sit.  (Syntagma  :  Physica, 
Seet.  III,  M.  II,  L.  XIV,  C.  II,  T.  II,  p.  633,  cl). 


II.   —  PHYSIQUE    .-110   i]MMORTAIJ:TÉ   de   LAilE  147 

ténu.  Mais  l'on  doit  mesurer  son  mérite  d'après  une  estimation  morale  : 
ce  qui  fait  Texcellence  et  la  noblesse  d'une  vie  vertueuse,  c'est  que, 
librement,  par  choix,  avec  ardeur,  elle  vise  à  réaliser  ce  qui  est  le  meil- 
leur et  à  se  conformer,  autant  qu'il  nous  est  permis,  aux  perfections 
divines.  C'est  pom*quoi  lui  est  due  une  récompense  insigne,  autant  que 
possible  divine  et  béatifiant  l'âme  ;  bref,  qui  réponde  aux  aspirations 
naturelles  et  spontanées  de  Fâme.  Or  une  récompense,  qui  ne  peut 
étJre  enlevée  ni  se  perdre,  éternelle  par  conséquent,  remplit  seule  ces 
conditions.  Autrement,  la  crainte  de  la  perdre  en  troublerait  la  jouis- 
sance, car  rien  de  périssable  ne  peut  être  excellent  »  ^. 

«  Quant  à  l'action  mauvaise  et  honteuse,  il  faut  en  dire  autant,  dans 
les  mêmes  proportions,  mais  pour  une  raison  opposée.  Car,  elle  aussi, 
si  peu  de  chose  soit-elle  au  point  de  vue  physique,  quand  on  l'envisage 
moralement,  en  tant  qu'elle  contredit  l'honnêteté  dont  le.  prix  est 
immense,  elle  mérite  un  ^immense  supplice.  Les  raisons  qui  régissent 
les  contraires  sont  d'égale  valeur.  Donc,  que  celui  qui,  sciemment  et 
volontairement,  a  déserté  la  vertu  pour  s'abandomier  au  vice,  soit 
soumis  à  une  peine  aussi  grande  que  la  récompense  à  laquelle  il 
aurait  été  élevé,  rien  de  plus  conforme  à  l'ordre.  Bien  plus,  comme 
il  se  montre  dans  la  ferme  disposition  d'adliérer  toujours  au 
même  vice,  si  cette  vie  était  éternelle  et  qu'il  lui  fût  possible  de  la 
passer  impunie,  rien  n'est  plus  conforme  à  l'ordre  c|ue  de  l'assujetth 
à  un  supplice  d'une  durée  éternelle,  puisque  le  mérite  et  la  culpa- 
bilité se  mesurent  sur  les  dispositions  intérieures  »  ^. 


ITI^    PARTIE.    —    ÉTHIQUE  ^ 

Nous  avons  vu,  au  seuil  de  cette  étude,  que  Gassendi  divise  la 
Philosophie  en  deux  parties  :  la  Physique  et  l'Éthique  ou  Morale.  La 
Logique  n'est  à  ses  yeux  qu'un  préambule.  Ces  deux  parties  se  com- 

1.  ...  Licet  bona  actio,  virtusqiie  adeo  ac  probitas  physice  spectata,  pertenue  quid 
Bit,  quia  meritiun  tamen  secundiim  moralem  aestimationem  attenditur,  idcirco  eam 
esse  ejus  excellentiam  ut  cum  ex  libertate-,  electione  ac  studio  se  componeudi  ad 
optiiua  confonnandique,  quantum  licet,  divinis  perfectionibus  nobilitetur,  ideo  prae- 
inium  ipsi  debeatur  illustre  et,  quantum  fieri  potest,  divinum  animuinque  beaios  :  taie 
scihcet  ad  quod  animus  ipse  naturae  sponte  adspirat.  Hujusmodi  vero  solum  praeiuiiim 
est  quod  eripi  ab  aninio  amittique  non  valeat  sempiternumque  ideo  sit  ;  alioquin  enim 
ejus  gratiam  amissionis  metus  turbaret,  neque  foret  quidquam  eximiiun  eo  ipso  quod 
foret  caducum.  (Syntagma  :  Physica,  Ibidem,  p.  633,  c.  1-2). 

2.  Quod  spectat  ad  malam  turpemque  actioneni,  idem  ratione  opposita  proportione- 
que  dicendum  est.  Etenim,  quanturavis  ea  quoque  physice  si>ectata  res  pusilla  sit, 
nihilominus  moraliter  et  quantum  ipsi  honestati,  cujus  est  immensum  pretium,  adver- 
satur,  rea  fit  supplicii  immensi.  Contrariorum  enim  par  ratio  niliilque  magis  congruum 
est  quam  ut  is,  qui  sciena  et  volens  virtute  derelicta  deflectit  in  vitium,  tantani  in 
poenam  incidat,  in  quantum  fuisset  praemium  evectus.  Quinetiam,  ciun  se  sic  affectiim 
probet  ut,  si  sempitema  isthaec  vita  foret  possetque  in  ea  degere  impunis,  inliéereret 
eidem  vitio  sempiterno  tempore,  ideo  nihil  est  magis  eongnmm  quam  ut.  cum  meritum 
reatusque  pênes  affectum  mensuretur,  tali  supplicio  obuoxius  sit,  cujus  duratio  est 
sempitema.  ( Syntagma  :  Physica,  Ibidem,  p.  633,  c.  2). 

3.  Cf.  Syntagma,  III  Part.  :  Ethica,  T.  II,  pp.  659-860. 


148  ARTICLE  II.   CHAPITRE  IV.  LE  SYNTAGMA  PHILOsbPHICUM 

plètent  et  forment  un  tout  harmonieux,  car,  «  réunies  elles  consti- 
tuent la  sagesse  accomplie  ou,  selon  le  mot  qui  est  dans  toutes  les 
bouches,  la  vertu,  cette  souveraine  perfection  de  l'âme,  qui  en  dispose 
les  deux  facultés,  l'intelligence  ou  esprit  et  la  volonté'  ou  appétit, 
de  telle  sorte  que  Tintelligence  se  tourne  tout  entière  vers  la  vérité 
et  que  la  volonté  tende  par  un  chemin  sans  détour  à  l'honnêteté  »  ^. 
La  Morale  n'est  pas  une  science  purement  spéculative,  mais  une 
science  active,  car  elle  vise  à  former  les  mœurs,  c'est-à-dire  à  les  impré- 
gner d'honnêteté  et  à  les  régler.  On  peut  donc  la  définir  :  «  La  science, 
ou  si  vous  aimez  mieux,  l'art  de  bien  faire  et  d'agir  conformément 
à  la  vertu  «  ^. 


§    I.    —    DOCTRINE    MORALE    DE    GASSENDI 

La  doctrine  morale  de  Gassendi  n'est  guère  en  somme  que  le  sys- 
tème d'Épicure  épuré  et  rectifié.  On  peut  la  réduire  à  deux  thèses 
principales  :  1°  Tout  plaisir,  considéré  en  lui-même,  est  un  bien.  — 
20  Toutes  les  choses,  envisagées  comme  bonnes,  tels  l'utile  et  l'hon- 
nête, ne  sojit  des  biens  que  par  rapport  au  plaisir  qu'elles  procurent. 

A.   —    TOUT   PLAISIR,    EN   LUI-MÊME,    EST    UN   BIEN 

L'expérience  et  la  raison  s'unissent  pour  prouver  que  le  plaisir 
est  un  bien  et  la  douleur,  un  mal.  C'est  un  fait  universel  que  tout 
être  vivant  recherche  d'instinct  le  plaisir  comme  un  bien  qui  lui  est 
naturel,  et  fuit,  de  même,  la  douleur  comme  un  mal  que  repousse  sa 
nature  ^.  Le  bien,  d'après  la  raison,  est  ce  qui  peut  provoquer  l'amour 
et  la  recherche  de  l'appétit.  S'il  en  est  ainsi,  pourquoi  tout  plaisir  ne 
serait-il  pas  de  soi  aimable  et  désirable,  puisqu'il  n'en  est  aucun  qui 
ne  plaise  et  n'attire  l'appétit  ?  ^. 

On  peut  objecter  cependant  qu'en  fait  il  y  a  des  plaisirs  qu'on 
repousse.  —  Ce  ne  sont  pas,  répond  Gassendi,  les  plaisirs  eux-mêmes 
qu'on  repousse,  mais  les  actes  pénibles  qui  les  procurent  ou  les  consé- 
quences fâcheuses  qu'ils  entraînent  :  circonstances  accidentelles  qui 
n'empêchent  pas  les  plaisirs  d'être  agréables  de  leur  nature.  Si  l'on 
présente  à  quelqu'un  du  miel  qu'il  sait  empoisonné,  il  n'y  goiitera 
pas.  Pourquoi  ?  Ce  n'est  pas  le  miel  qui  lui  répugne,  mais  le  poison 

qu'on  y  a  mêlé  ^. 

-» 

1.  Ex  II  traque  auteni  [Physica  et  Ethica]  consurgit  consumniata  sapientia  seu,  quae 
in  ore  est  omnium,  virtus  :  summa  nempe  animi  perfectio,  qua  duae  ejus  partes,  intel- 
lectus  seu  mens  et  voluntas  seu  appetitus  ita  comparantur  ut  intellectus,  ad  veritatem, 
quantum  quidem  fas  est,  collineet  ;  voluntas  vero  ad  honestatem  tramite  indeflexo 
tendat.  (Syntagma,  Libro  proœmiali,  C.  I,  T.  I,  p.  1,  c.  i-2). 

2.  Ex  hoc  intérim  intelligitiu- Tf//  y/)'.xt^v,  moralem  Philosophiœ  partem...  esse  reversk 
TxpaxT'.xV//,  ociiya/M,  seu  in  eo  sitam  ut  mores  formet,  honestateve  imbuat  et  regat  ; 
eitqtte  adeo  Scientia,  sive  inavis,  Ars  bene  et  ex  virtute  agendi.  (Syntagma  :  Ethica, 
Prœfat.,  T.  II,  p.  659,  c.  2). 

3-4.  Syntagma  :  Ethica,  L.  I.  C.  III,  T.  II,  p.  695,  c.  1. 
5.  Syntagma  :  Ethica,  L.  I,  C.  III,  T.  II,  p.  695,  c.  1. 


III.    —    ÉTHIQUE    :    1'^   DOCTRINE    MORALE    DE    GASSENDI  149 

Par  contre,  la  douleur  est  un  mal  ;  elle  ne  peut  être  clite  bonne  que 
si,  accidentellement,  quelque  bien  s'y  trouve  annexé  ^. 

B.   —   L'UTILE   ET   U HONNÊTE   RAMENÉS    AU   PLAISIR 

Après  avoir  établi  que  le  plaisir  est  «  le  premier  désii'able  »  (iwmiuvi 
expetibile),  Gassendi  enseigne  que  l'utile  et  l'honnête  ne  sont  choses 
bonnes  que  par  rapport  au  plaisir. 

On  distingue  ordinaii*ement  trois  sortes  de  biens  :  l'honnête,  Futile 
et  l'agréable  «  qui  est  ce  qu'on  appelle  plaisir  n.  L "agréable  est  mêlé 
de  telle  manière  aux  deux  premiers  qu'il  semble  ne  pas  constituer  une 
espèce  particulière  ;  c'est  plutôt  leur  genre  commun  ou  du  moins 
une  affection  commune  qui  fait  qu'ils  sont  biens  et  les  rend  désii'ables. 

Quant  à  l'utile,  il  n'est  pas  difficile  de  montrer  qu'il  se  rapporte 
au  bien  agréable  ou  plaisir,  car  il  est  constant  qu'on  ne  désh*e  pas 
l'utile  pour  lui-même,  mais  pour  autre  chose  qui  est  le  plaish'  qu'on 
en  doit  retirer,  ou  qui  a  quelque  relation  avec  le  plaisn  ^. 

La  démonstration  à  l'égard  de  l'honnête  paraît  moins  aisée,  parce 
que  ce  bien  est  censé  désnable  précisément,  comme  dit  Cicéron  ^, 
pour  lui-même.  Mais  il  faut  observer  que  le  rapport  au  plaish-  n'em- 
pêche pas  que  l'honnête  soit  désiré  pour  soi  ou  à  cause  de  soi,  en  tant 
qu'il  est  désiré,  sans  préoccupation  utilitane,  c'est-à-du'e  sans  qu'on 
recherche  une  récompense  ou  un  profit,  tel  que  l'argent  ou  ce  qui  est 
estimable  à  prix  d'argent.  Car  quelqu'un  peut  désirer  l'honneur,  la 
science,  toute  vertu  pour  jouù'  de  l'honneur,  pour  posséder  un  enten- 
dement éclairé,  pour  être  modéré  dans  ses  passions,  et  non  pas  pour 
en  retirer  quelque  gain  et  bénéfice,  ni  pour  s'enrichir  davantage  *. 

Dans  l'analyse  ^,  parfoi.?  d'une  grande  finesse  psychologique,  que 
Gassendi  fait  des  principales  vertus  (sagesse  ou  prudence,  force,  tem- 
pérance, justice)  et  des  sentiments  qu'on  regarde  comme  les  plus  désin- 
téressés (y amitié  ^,  V amour  de  la  patrie  "^ ,  la  piété  envers  Dieu  ^),  il 
en  revient  toujours  à  dire  qu'on  ne  peut  en  bannir,  pratiquement, 
la  considération  des  plaisirs  et  des  joies  que  ces  vertus  et  ces  sentiments 
procurent. 

Le  plaisir  est  donc  le  souverain  bien,  et  la  fin  dernière,  puisqu'il  est 
recherché  pour  lui-même  et  tout  le  reste  à  cause  de  lui. 


1.  Syntagma  :  Ethica,  L.  I,  C.  III,  T.  II,  p.  695,  c.  2. 

2.  Syntagma  :  Ethica,  L.  I,  C.  III,  T.  II,  pp.  703-704,  c.  2-1.  | 

3.  Id  quod  taie  est  ut,  detracta  omni  utilitate,  sive  ullis  praemiis  fructibusqixe,  per 
seipsuni  possit  jure  laudari  (Ibidem,  p.  704,  c.  2). 

4.  Quippe  potest  quis  appetere  honorem,  omnem  virtutem  eo  fine  ut  houore  fruatur. 
ut  eruditam  mentem  possideat,  ut  afîectu  bene  composite  sit  ;  non  ut  quaestuni  exindo 
faciat,  ut  lucrum  reportet,  ut  ditescat  niagis.  (Syntagma  :  Ethica.  L.  I,  C.  III,  T.  II, 
p.  705,  c.  2). 

5.  Syntagma  :  Ethica,  L.  II,  De  Virtutihua,  T.  II,  pp.  736-820. 
6-7.  Syntagma  :  Ethica,  L.  I,  C.  IV,  T.  II,  pp.  709-710. 

8.  Syntagma  •  Ethica,  L.  I,  C.  IV,  T.  II,  pp.  710-711. 


150  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 


C.    —   NATURE   DU  PLAISIR 

Le  plaisir,  que  Gassendi  assigne  à  l'homme  comme  sa  fin  naturelle, 
se  ramène  (c  à  la  santé  du  corps  et  à  la  tranquillité  de  l'esprit  »  ^. 
Ces  expressions  sont  empruntées  à  Épicure  lui-même.  Mais  il  ne  faut 
pas  entendre  cette  tranquillité  (aTapa^ia)  comme  l'état  d'un  homme 
endormi  ou  mort  ;  et  l'absence  de  doulem'  (aTtovla)  qu'elle  suppose  ne 
doit  pas  être  comprise  comme  un  engourdissement,  mais  comme  un 
état  où  toutes  les  actions  se  font  agréablement.  La  vie  du  sage  ne 
ressemble  ni  à  im  torrent  au  courant  rapide,  ni  à  une  mare  stagnante, 
mais  à  l'eau  d'un  fleuve  qui  coule  paisiblement.  Quand  on  est  parvenu 
à  cet  état  tranquille  et  exempt  de  douleur,  il  n'y  a  rien  de  comparable 
ou  de  plus  grand  à  rechercher.  Cependant  il  y  a,  en  surplus,  des  plaisirs 
pm's  qui  mettent  de  la  variété  dans  cet  état  sans  le  gâter  :  tel  un  champ 
qui,  devenu  fertile,  donne  des  fruits  divers  ou  une  prairie  qui  se  pare 
d'une  incroyable  diversité  de  flem's  agréables,  quand  le  sol  s'est  bonifié. 
Car  cet  état  est  comme  un  fonds,  d'où  se  tke  tout  ce  qui  est  volupté 
sans  mélange  :  cela  même  peut  le  faire  regarder  comme  le  plaish 
souverain,  étant  une  sorte  d'assaisonnement  général,  par  lequel  toutes 
les  actions  de  la  vie  sont  édulcorées  et  toute  volupté  agréablement 
tempérée  ;  bref,  sans  lui  nulle  volupté  n'est  volupté.  Car,  je  vous  le- 
demande,  quel  agrément  peut-on  goûter,  si  l'esprit  est  agité  par  le 
trouble  ou  le  corps  torturé  par  la  douleur  ?  ^ 

Pour  qu'on  ne  s'y  méprenne  pas,  Gassendi  insiste  sur  le  sens  du 
mot  tranqmllité.  Il  ne  veut  point  qu'on  entende  par  là  une  torpem* 
paresseuse  ou  un  repos  inerte  et  languissant.  Comme  un  navke  est 
réputé  jouir  de  la  tranquilHté,  non  seulement  quand  il  se  repose, 
immobile  au  milieu  de  la  mer,  mais  encore  et  surtout  lorsqu'un  vent 
favorable  le  fait  avancer  d'une  allure  rapide  et  cependant  paisible 

1.  Profitetur  quippe  [Epicurus]  beatae  vitae  finem  non  aliuna  esse  quam  ttjV  tou 
awfjiaTOî  ï*v£iav  xa~  -r»;  '^'y/-l\<;  àtoioactav.  (S>/ntagma  :  Ethica,  L.  II,  C.  II,  T.  II, 
p.  682,  e.  I). 

2.  Parum  curandum  intérim  est,  quod  CjTenaïci  apud  Laërtium  objiciunt  istam  Epicuri 
voluptateni  esse  xaTV-a-raar/  o'covcl  xaOcJOOvcr;;,  constitidionis  quasi  dormientis,  et, 
apud  Clementem,  vî/.poj,  mortui.  Quippe  non  piopterea  voluit  Epicurus 
tranquillitatem  et  indolentiam  esse  quasi  meruni  torporem  ;  sed  voluit  potiue 
esse  statum,  in  quo  onines  vitœ  actiones  placide  sinnil  et  jucunde  peragerentur.  Nam 
noluit  quidem  vitam  sapientis  esse  torrenteni  rapidumve  f lumen  ;  at  non  idcirco  tamen 
esse  voluit  quasi  aquam  lestagiaantem  etniortuam,  sed  potius  quasi  aquam  fluvii 
tacite  placideque  labentis.  Ratarum  certe  ejus  sententiarum  una  est  :  Non  augeri 
voluptatem  dolore  detracto,  sed  variari  solummodo.  Quasi  sensus  sit,  post  acquisitum 
tranquilluni  illum  dolorisque  expertem  statum,  non  posse  quidem  aliquid  majus  aut 
cum  eo  comparandum  requiri  ;  sed  intérim  tamen  sinceras  superesse  voluptates,  quibus 
status  hujusmodi  intemeratus  manens  varietur,  agri  nempe  instar,  ex  quo  feracitatem 
adepto  varietas  fn.igum  demetitur,  aut  prati  quod,  soli  bo'nitatem  assequutum,  incre- 
dibili  quadam  florum  amœnitate  variegatur.  Nempe  hic  status  est  quasi  fundus,  ex  quo 
omnis  sincera  voluptas  coUigitur  ;  unde  vel  ex  eo  censeri  potest  summa  voluptas,  quod 
sit  quasi  générale  condimentum,  quo  omnis  vitse  actio  dulcoratur,  quoque  adeo  omnis 
voluptas  temperatur  grataque  est  ;  ut  verbo  dicam,  sine  quo  nuUa  voluptas  est  voluptas. 
Ecquid  enim,  quaeso,  esse  gratum  valeat,  si  aut  turbulentus  sit  animus,  aut  corpus 
dolore  vexetur  ?  (Syntagma  :  Ethica,  L.  I,  C.  V,  T.  II,  pp.  716-717,  c.  2-1). 


I 

III.    —   ÉTHIQUE    :    1'^   DOCTRINE   MORALE   DE   GASSENDI  151 

«t  égale;  ainsi  un  esprit  est  dit  tranquille  non  seulement  lorsqu'il 
demeure  dans  le  repos,  mais  encore  et  surtout  quand  il  accomplit 
de  grandes  et  belles  choses,  sans  s'agiter  et  sans  perdre  son  égalité 
intériem'e  ^. 

En  parlant  ainsi,  notre  philosophe  ne  se  contente  pas  de  venger 
Épicnre  de  reproches  qui  lui  semblent  injustes  ;  il  fait  sienne  la  doc- 
trine qui  vient  d'être  exphquée.  Car,  après  avoir  dit  qu'il  faut  s'ef- 
forcer d'arriver,  autant  que  possible,  à  cet  état  de  tranquillité,  il 
ajoute  expressément  :  «  Autant  que  possible,  dis-je,  la  condition 
mortelle,  en  effet,  s'oppose  à  ce  qu'on  soit  complètement  heureux. 
Cette  souveraine  féhcité,  tout  à  fait  exempte  de  trouble  et  de  douleiu* 
et  comblée  de  plaisù's  en  tout  genre,  n'appartient  qu'à  Dieu  seul 
et  à  ceux  que  sa  bonté  immense  introduit  dans  une  vie  meilleure. 
C'est  pourquoi,  ici-bas,  quiconque  veut  devenir  sage,  doit  s'efforcer, 
autant  que  sa  natm'e  et  sa  faiblesse  le  comportent  ,de  se  mettre  en 
état  de  ressentir  le  moins  de  trouble  et  de  douleur  possible.  De  la 
sorte,  il  aura  en  partage  les  deux  biens  dont  se  compose  le  souverain 
bien,  comme  dit  Sénèque  d'après  Épicure,  et  qui  ont  toujours  été 
regardés  par  les  plus  sages  comme  les  seuls  biens  sohdes  et  souhaitables 
de  la  vie  :  Il  iaut  souhaiter  cV avoir  un  esprit  sain  dans  un  corps  sain  >  ^. 

D.   —   CRITIQUE 

Le  vice  originel  qui  gâte  cette  Morale  c'est  qu'elle  est  foncièrement 
et  exclusivement  égoïste,  utihtaii'e.  Gassendi  a  prévu  l'objection, 
mais  il  n'a  pas  réussi  à  la  résoudi'e  et  à  laver  sa  doctrine  de  ce  vice 
rédhibitoù'e.  La  réponse  revient  à  dii'e  qu'on  ne  ravale  pas  la  vertu 
en  la  plaçant  au  rang  des  choses  utiles,  car  il  y  a  utihté  et  utilité. 
Or  notre  philosophe  ne  la  rapporte  point  à  ce  genre  servile  dans  lequel 
l'argent  occupe  la  première  place,  mais  à  cette  utihté  hbérale  qui 
convient  à  l'honnête.  Cicéron  lui-même  et  d'autres  avec  lui  n'ont-ils 

1.  Ut  primis  autem  de  ipsa  tranquillitate  quidpiam  dicamtiB,  repetendum  est  non 
intelligi  hocce  nomine  torpentem  qiiamdam  socordiamseuotiixminers  etlanguidum,... 
Qiiemadmodum  navis  fnii  tranquillitate  dicitixr,  non  solum  quae  in  medio  mari 
immota  conquiescit,  sed  maxime  etiam  quae,  secundo  vento,  velociter  quidem,  sed 
placide  tamen  aequabiliterque  transfertnr  ;  ita  animus  dicatur  tranqiiillus,  non  solum 
qui  in  otio  degit,  sed  maxime  etiam  qui  magna  et  prseclara  quœdam  molitur  absque 
intostina  sui  agitatione  temerationeque  sequabilitatis.  fSyntagma  :  Ethtca,  L.  I,  C.  V, 
T.  II,  p.  718,  c.  1). 

2.  Syntagma -.  Ethica,  L.  I,  C.  V,  T.  II.  p.  7 17,  c.  1  :  Quantum îicet, inquam  ;  nam...  obstat 
conditio  mortalitatis  ne  ab  omni  parte  esse  beatis  liceat  ;  et  félicitas  illa  sxunma,  omnis 
omnino  perturbationis  dolorisque  expers,  omni  omnino  voluptatum  génère  cumuîatis- 
sima,  solius  Dei  est  eorumque  quos  transfert,  pro  sua  iUa  bonitate  immensa,  in  melioreiu 
\'itam.  Adeo  proinde  ut,  cum  in  hac  vita  alii  magis,  alii  minus  perturbentur  ac  doleant, 
id  cuique  sapere  volenti  enitendum  sit  ut,  quantum  per  iiatirram  ejusque  imbecillita- 
tem  fas  est,  in  eo  statu  se  coDocet,  in  quo  possit  quam  minimum  perturbationis  ac  dolo- 
ris  sentire.  Quippe  hac  ratione  duo  sortietur  bona,  ex  qviibus  illud  Summum  Beatumque, 
\it  ex  Epicuro  Seneca  inquit,  componitur  ;  qusequc  fuere  semper  a  sapientioribus- 
agnita  quasi  sola  vitse  bona  solida  et  optanda  : 

Optandum  (a)  est  ut  ait  mena  aana  in  corpore  sano 

f  (.JXTV-ÉNAL,  Sot.  X,  V.  366J. 

a)  Le  texte  de  Juvénal  porte  :  Orandum. 


152  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHLCUM 

pas  démontré  qu'il  n'y  a  de  vraiment  utile  que  ce  qui  est  honnête  ?  ^ 
Sans  doute,  en  dernière  analyse,  l'honnête  seul  est  définitivement 
utile,  c'est-à-dire  si  l'on  fait  entrer  en  ligne  de  compte  les  compensa- 
tions de  la  vie  future.  Sans  doute  encore,  l'amour  de  soi,  le  désir  de 
l'utile  et  du  bonhem*  sont  le  principe  spontané  de  nos  actions.  Mais 
ils  n'en  sont  pas  nécessairement  le  motif  et  la  raison  déterminante. 
La  preuve  en  est  que,  si  l'homme  ne  peut  exphcitement  renoncer 
à  l'amour  de  soi  et  au  bonheur,  il  peut,  au  moins  quelquefois,  en  faire 
abstraction,  agir  sans  y  penser,  sans  les  rechercher  expressément. 
Cette  manière  de  faire,  qui  donne  à  la  vertu  sa  perfection  la  plus  haute, 
le  désintéressement,  n'est  point  au-dessus  des  forces  naturelles  de 
l'homme.  Voilà  ce  que  Gassendi  n'a  pas  su  voir  et  comprendre.  A  ses 
yeux,  un  secours  surnaturel  est  nécessake  pour  aimer  Dieu  pour  lui- 
même,  à  cause  de  ses  infinies  perfections,  sans  aucune  considération 
d'utihté  personnelle.  Mais  tout  ce  que  l'homme  fait  par  vertu  naturelle, 
y  compris  les  actes  de  piété  envers  Dieu,  ce  n'est  pas  sans  un  retour 
sur  lui-même  qu'il  le  fait^. 

§    II.    —   DE    L'ACTE    VOLONTAIRE    ET    LIBRE  3 

La  volonté  ou  appétit  raisonnable  est  à  l'intelligence  ce  que  l'ap- 
pétit sensitif  est  à  la  phantaisie.  De-  même  que  l'appétit  sensitif  tend 
vers  ce  que  l'imagination  nous  représente  comme  bon,  et  fuit  ce  qu'elle 
nous  représente  comme  mauvais,  ainsi  la  volonté  tend  vers  ce  que 
FintelHgence  approuve  et  fuit  ce  qu'elle  réprouve.  En  outre,  de  même 
que  les  phantasmes  de  l'imagination  empêchent  la  plupart  du  temps 
l'inteUigence  de  juger  sainement  des  choses,  ainsi  les  mouvements 
de  l'appétit  sensitif  entraînent  la  volonté  et  souvent  avec  elle  le  juge- 
ment, ou  plutôt  triomphent  de  la  raison  et  de  la  volonté  elle-même  qui 
ou  n'agissent  pas  ou  agissent  mollement  *. 

1.  ...  Id  attingo  solum,  quod  reputant  multi  virtuti  niniium  detrahi,  dum  esse  dicitiir 
propter  aliud.  Inferunt  enim  exinde  sequi  ut  virtus  sit  in  génère  utilium,  quod  ab  hones- 
toruni  génère  est  diversum...  Verunitamen  ut  concedatur  quicquid  est  propter  aliud 
posse  quodammodo  dici  utile  ;  negatur  tamen  quicquid  est  utile  ad  illiberale  illud  genus 
spectare,  in  quo  pecunia  primas  tenet  et  honesto  opponitur  ;  quatenus  ipsuni  quoque 
honestum  Buam  utilitatem,  verum  liberalem,  sortitur  ;  cum  Cieero  etiam  aliique  de- 
monstrant  nihil  vere  utile  esse  nisi  id  quod  honestum  est.  (Syntagnia  :  Ethica,  L.  I, 
C.  IV,  T.  II,  p.  710,  c.  I). 

2.  Scilicet  hoc  divinum  donum  ac  supra  naturam  reputandum  est,  ut  quis  se  ad 
Deum  hac  ratione  [propter  seipsum]  amandum  colendumque  accingere  possit.  At  heic 
agitur  de  pieiate,  seu  universe  de  i  irtute,  quœ  secimdum  naturam  est,  -juxta  quam  quicquid 
liomo  agit,  quodam  cum  res'pectu  ad  seipsum  agit.  (Syntagma  :  Ethica,  L.  I,  C.  IV,  T.  II,, 
p.  710,  c.  1-2).  C'est  moi  qui  souligne. 

3.  Syntagma  :  Ethica,  L.  II,  C.  I,  T.  II,  pp.  821-827. 

4.  Hic  solum  concludo  esse  quidem  in  rationali  anima  ut  intellectuçn,  sic  voluntatera- 
rationalemve  appetitum,  qui,  ut  intellectus  a  phantasia,  sic  ipse  a  sentiente  appetitu 
différât  ;  sed  tamen,  donec  anima  alligata  est  corpori,  evenire  ut  quemadmodum  phan- 
tasmata  intellectum  plerumque  a  vero  de  rébus  judicio  abducunt,  ita  appetitus  commo- 
tiones  concitantes  phantasmata  voluntatem  saepe  una  cum  judicio  abripiunt  seu  potiua 
(ratione  ipsaque  voluntate  aut  nihil  aut  imbecillius  agentibus)  triumphent.  (Syntagma  : 
Physica,  Set.  III,  M.  II,  L.  XIV,  T.  II,  p.  471,  c.  2). 


ni.    —   ÉTHIQUE    :    20  ACTE   VOLONTAIRE   ET   LIBEE  153 


A.    —   ANALYSE   DE   L'ACTE    VOLONTAIRE   ET   LIBRE 

L'analyse  de  l'acte  volontaire  et  libre  va  mettre  en  lumière  ces  rela- 
tions des  facultés  entre  elles. 

On  attribue  le  libre  arbitre  à  l'intelligence,  parce  que,  en  présence 
de  deux  partis  à  prendre,  elle  se  comporte  comme  un  arbitre  ou  juge, 
qui  examine,  délibère  et  décide  enfin  ce  qui  est  juste  ou  injuste. 
Si  la  décision  porte  sur  une  chose  d'ordre  spéculatif,  on  l'appelle 
assentiment  ;  si  elle  porte  sur  une  chose  d'ordre  pratique,  on  l'appelle 
choix  ou  élection.  Dès  que  l'intelligence  a  clos  la  délibération  et  rendu 
son  jugement,  l'appétit  raisonnable  est  entraîné  vers  l'objet  que  l'in- 
telhgence  a  trouvé  meilleur  et  préférable  ^.  Enfin  l'action  de  la  faculté 
motrice,  c'est-à-du-e  la  poursuite  même  du  bien,  suit  l'appetition. 
Cette  .action,  faite  en  conséquence  d'une  déhbération,  est  dite  volon- 
taire. 

La  raison  libre  ou  Hbre  arbitre  est  réputée  appartenir  à  l'homme, 
parce  que,  en  présence  de  plusieurs  choses  mises  en  déhbération, 
il  n'en  choisit  pas  tellement  une  qu'il  ne  puisse  ou  la  laisser  de  côté 
ou  en  choisir  une  autre  ^. 

On  a  coutume,  il  est  viai,  d'attribuer  cette  liberté  à  la  volonté. 
JVIais  cela  revient  à  ce  qui  vient  d'être  dit,  parce  que  les  partisans  de 
cette  opinion  avouent  que  la  racine  de  la  liberté  est  dans  la  raison 
même  ou  intelligence,  c'est-à-dire  dans  la  faculté  connaissante.  Car 
ils  reconnaissent  que  la  volonté,  qui  est  une  faculté  aveugle,  ne  peut 
se  porter  nulle  part,  sans  que  l'entendement  précède,  tenant,  pour 
ainsi  dire,  le  flambeau  devant  elle.  Aussi,  comme  le  propre  de  l'enten- 
dement est  de  précéder  en  éclairant,  et  le  propre  de  la  volonté  de  suivre 
l'entendement  de  telle  sorte  qu'elle  ne  puisse  se  détourner  de  la  dii'ec- 
tion  prise,  à  moins  que  lui-même  n'aille  d'un  autre  côté  et  fasse  tourner 
la  lumière,  il  semble  bien  que  la  hberté  réside  premièrement  et  par 
soi  dans  l'intelligence,  secondairement  et  d'une  façon  dépendante 
dans  la  volonté  ^. 

La  hberté  ne  se  peut  concevok  sans  qu'il  y  ait  possibihté  de  choisir. 
Or  il  n'y  a  de  choix  possible  que  s'il  y  a  indifférence,  c'est-à-dire  si 
la  faculté,  qu'on  appelle  hbre,  peut  se  porter  ou  non  vers  quelque 
chose  (ce  qui  se  nomme  liberté  de  contradiction)  ou  !^e  porter  de  telle 
manière  vers  une  chose  qu'elle  se  puisse  porter  vers  la  contraire  (ce 
qui  se  nomme  hberté  de  contrariété).  Povu"  qu'il  y  ait  liberté,  il  faut 

1.  Porro  statim  ac  ipsa  ratio,  deliberatioue  peracta,  unum  delegit' seu  praetulit  ac 
prœ  reliqiiis  bonum  habuit,  sequitur  functio  appetitiis,  qua  in  bonum  ejusmodi  fertur... 
(Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  821-822). 

2.  Censetur  esse  in  homine  ratio  libéra  liberumve  arbitrium,  quateniis,  ex  pluribus 
rébus  in  deliberationem  cadentibiis,  non  ita  unam  eligit  qiiin  vel  ipsam  negligere,  vel 
eligere  aliam  possit.  (Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  822,  c.  2). 

3.  Quippe  admittunt  voluntatem  esse  facultatem  seu  potentiam  cîecam,  quœ,  nisi 
intellectu  praeeunte,  ut  facem  quasi  prseferente,  proeedere  quoquam  non  possit  ;  adeo 
proinde  ut  cum  proprium  intellectus  sit  lucendo  praeire,  et  voluntatis  sic  ipsum  sequi 
ut  deflecti  a  tramite  cœpto,  nisi  se  ille  alio  convertat  lucemque  ftectat,  potis  non  sit, 
idcirco  videatur  libertas  in  intellectu  quidem  primo  et  per  se,  in  voluntate  autem  eecuu- 
dario  ac  dependenter  esse.  (Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  822,  c:  2). 


154  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  LE  SY^'TAGMA  PHILOSOPHICUM 

donc  que  l'homme  soit  en  présence  de  deux  alternatives  et  qu'il  puisse 
sans  contrainte  se  porter  indifféremment  vers  l'une  ou  vers  l'autre  ^. 

Il  en  est  cependant  qui  tiennent  que  la  volonté  est  surtout  libre 
quand  elle  est  tellement  déterminée  dans  un  sens  (par  exemple  celui 
du  souverain  bien)  qu'elle  ne  puisse  se  diriger  dans  un  autre.  i\lors, 
en  effet,  l'amour,  la  poursuite,  la  jouissance  de  ce  bien  est  souveraine- 
ment volontaii'e  et  partant  souverainement  libre. 

Parler  ainsi  c'est  confondre  l'action  spontanée  et  l'action  libre. 
L'action  spontanée  est  une  impidsion  de  la  nature,  qui  peut  par  con- 
séquent devancer  tout  raisonnement  ;  tandis  que  l'action  libre  dépend 
de  quelque  raisonnement,  examen,  jugement  ou  choix  préalable. 
Ainsi,  l'appétit  étant  déterminé  au  bien  général  s'y  porte  spontané- 
ment, m-ais  non  pas  librement,  faute  d'indifférence  au  bien  et  au  mal. 
De  même,  la  volonté,  si  on  la  suppose  attirée  par  le  souverain  bien. 
Il  est  vrai  qu'elle  s'y  porte  volontiers  (volens)  ;  cette  tefidance 
de  la  volonté  n'implique  pas  liberté  (lihertas)  mais  complaisance 
(liheniia)  ^. 

Les  lumières,  que  l'entendement  projette  devant  la  volonté,  sont* 
les  jugements  qu'il  prononce,  disant  :  Ceci  est  bon,  cela  est  mauvais  ; 
de  ces  biens  ou  de  ces  maux,  celui-ci  est  le  plus  grand,  celui-là  le  moindre. 
C'est  pourquoi  quand  on  affirme  que  la  volonté  est  détournée  de  l'un 
et  tournée  vers  l'autre,  cela  signifie  que  le  jugement  est  tantôt  favo- 
rable à  une  chose  et  tantôt  à  une  autre.  Ainsi,  l'inflexion  de  la  volonté 
suit  l'inflexion  du  jugement  ^.  «  Chaque  fois  que  l'intelhgence  porte 
un  jugement  sur  quelque  bien,  comme  ce  bien  fa^it  partie  du  domaine 
objectif  de  la  volonté,  celle-ci  est  tellement  excitée  que  sa  fonction, 
c'est-à-dire  la  pom'suite  du  bien,  accompagne  le  jugement,  comme 
l'ombre  suit  le  corps  »  *.  • 

Il  résulte  d'abord  de  là  que,  l'intelligence  étant  d'ordinaire  incon- 
stante dans  ses  jugements,  la  volonté  est  de  même  vacillante  dans 
ses  appétitions.  Aussi,  comme  l'intelligence  juge  aujourd'hui  qu'une 
chose  est  bonne,  et  demain  qu'elle  est  mauvaise,  aujourd'hui  la 
volonté  a  de  l'amour  pour  cette  chose,  et  dema;in  de  l'aversion 
pour  elle  ^. 

En  outre,  parmi  les  biens  et  parmi  les  maux,  les  uns  sont  vrais 
et  authentiques,  les  autres  apparents  et  fardés,  car,  quelquefois,  le 
bien  étant  voilé  sous  les  dehors  du  mal  et  le  mal  sous  les  dehors 
du  bien,  ce   qui  est  vraiment   bon  paraît  alors  mauvais   ou  moins 

1.  Syntagma  î  Éthica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  822,  c.  2. 

2.  SyMagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  pp.  S22-823,  c.  2-1. 

3-4.  Constat  vero  liane  .seu  facem,  seu  lucem  non  esse  aliam  quani  judicium  quod  int^- 
iectus  fert  seu  statuit  de  bonis  ac  malis,  pronunciando  videlicet  iioc  esse  bonuin,  iilud 
unalutn;  vel  ex  bonis  ait  malis  hoc  majus,  illud  minus  esse  ;  adeo  iit,  cum  voluntas  averti 
ab  uno,  converti  ad  aliud  dicitur,  id  eateniis  fiât  quatenus  judicium  nune  pro  una  re, 
nunc  pro  alia  est,  et  voluntatis  inflexio  sit,  prout  inflexio  est  intellectus...  Itaque,  quo- 
ties  intellectus  judicium  aliquod  fert  de  bono,  quia  id  intra  fines  objecti  voluntatis 
facit,  ideirco  voluntas  ita  excitatur,  ut  illius  functio,  non  secus  judicium,  quam  veluti 
umbra  corpus,  coAitetur...  (Syntagma,  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  823,  c.  1-2,  et 
p.  824,  c.  1). 

5.  Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T,  II,  p.  824,  c.  1. 


m.   ETHIQUE    :    2»   ACTE    VOLONTAIRE    ET   LIBRE  155 

bon,  et,  pareillement,  ce  qui  est  vraiment  mauvais  paraît  bon  ou 
moins  mauvais.  Comme  l'intelligence  se  trompe  souvent  en  jugeant, 
sous  l'influence  d'un  bien  apparent,  qu'une  chose  mauvaise  est 
bonne,  et,  sous  l'influence  d'un  mal  apparent,  qu'une  chose  bomie 
est  mauvaise,  il  s'en  suit  que  la  volonté  manque  aussi  son  but,  car 
en  pom'suivant  le  bien  elle  atteint  le  mal,  et  en  fuyant  le  mal  elle  est 
frustrée  de  quelque  bien  ^. 

En  un  mot,  on  voit  que,  "  suivant  les  notions  que  l'inteUigence 
a  des  choses  ou  les  jugements  qu'elle  en  porte,  la  volonté  poursuit 
ces  choses  ou  s'en  éloigne...  Par  conséquent,  l'indifférence,  qui  se 
trouve  dans  la  volonté,  va  tout  à  fait  da  même  pas  que  l'indifférence 
de  l'entendement  »  ^.  Or  l'indifférence  de  l'entendement  semble  con- 
sister en  ce  qu'il  n'adhère  pas  tellement  à  un  jugement  rendu  sur  une 
chose  qui  lui  a  semblé  vraie,  qu'il  ne  puisse  l'abandonner  poiu:  en  for- 
muler un  autre  sur  le  même  objet,  si  mie  plus  grande  vraisemblance 
vient  à  se  présenter  d'aillems.  Car  l'entendement  n'est  pas  de  ces 
facultés,  qui  sont  déterminées  à  ime  seule  chose,  comme  la  pesanteur. 
Il  est,  au  contrane,  si  flexible  de  sa  nature  qu'ayant  le^-l•aipou^  objet, 
il  peut  juger  de  n'importe  quelle  chose,  tantôt  d'une  façon,  tantôt 
d'une  autre,  selon  qu'il  en  saisit  tel  ou  tel  aspect,  et  tenn  successive- 
ment pour  vrais  ces  jugements  divers.  C'est  pourquoi  l'entendement 
ressemble  à  une  balance  qui  penche  toujours  du  côté  où  l'on  met 
le  poids  le  plus  loiu'd  ^.  Cette  comparaison  tend  à  faire  comprendre 
que,  si  l'entendement  est  indifférent  à  suivre  un  jugement  ou  un  autre, 
son  indifférence  ne  va  pas  néanmoins  à  laisser  une  chose  claire  pour 
une  chose  moins  claire  ou  à  rejeter  un  jugement  plus  vraisemblable 
pour  un  jugement  qui  Test  moins.  Il  est  donc  impossible  qu'à  un 
assentiment  intellectuel,  motivé  par  la  clarté  d'une  expérience  ou 
d'une  raison  quelconque,  eu  succède  un  autre  dans  un  sens  opposé, 
si  ce  n'est  à  cause  d'un  plus  grand  poids,  c'est-à-dire  à  cause  d'une 
expérience  plus  remarquable  ou  d'une  raison  plus  claire. 

La  vérité  de  la  comparaison  est  surtout  manifeste  dans  le  cas  où 
nous  hésitons,  flottant  dans  le  doute  et  l'incertitude.  Cet  état  n'est 
possible  que  parce  qu'il  y  a,  de  part  et  d'autre,  des  motifs  pareils  de 
vérité,  dont  l'un  (comme  des  poids  égaux  dans  une  balance)  s'oppose 
si  bien  à  l'autre  que  l'entendement  n'est  attné  d'aucmi  côté.  Si, 
enfin,  l'entendement  penche  d'^jn  côté  plus  que  de  l'autre,  cela  doit 
nécessairement  tenu'  à  ce  que  c^uelque  chose  l'aura  mû  davantage 
de  ce  côté,  ou  même  seulement  à  ce  qu'une   attention  plus  soutenue 

1.  Si,ntagma  :  Ethk  a,  L.  III'  C.  I,  T.  II,  p.  834,  c.  1. 

2.  Uno  verbo,  iit  proiit  intellectus  notioues  de  rébus  habuerit  judiciave  de  iis  tulerit, 
voluntae  ipeas  easdem  res  aiit  prosequatur,  aut  aversetur...  Constat  profecto  indiffe- 
rentiam,  quae  in  voliintate  rept>ritur,  iisdeni  oninino  passibus,  quibus  intellectus, 
incedere  fSyntagma  iEthica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  824,  cl). 

3.  Scilicet  non  est  intellectus  ex  iis  facultatibus  quae  siuit  detemiinatae  ad  unum,  ut 
est  in  rébus  inanimis  gtavitas,  in  viventibus  generatrix  facultas  atque  ita  de  cœteria  ; 
eed  suapte  natura  ita  est  flexilis  ut,  Aeruni  pro  objecto  liabens, possit  nunc  unum,  nvmc, 
aliud  judicare  de  quapiam  re,  et  nunc  unum,  nunc  aliud  judiciuni  de  ipsa  pro  verô 
habere.  Quare  et  concipi  librse  instar  pot  est...  (  Syiitagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T,  II, 
p.  824,  c.  1-2). 


156  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

jointe  à  l'impatience  d'agir  a  été  de  quelque  influence.  C'est  ainsi  que 
le  poids  le  plus  léger,  ajouté  à  une  balance  en  équilibre,  la  fait  incliner  ^. 
Ici-bas,  nous  ne  pouvons  nous  promettre  une  constance  inébran- 
lable ni  de  jugement,  ni  de  résolution,  à  cause  de  l'indifférence  de 
l'intelligence  et  de  la  volonté,  qui  peuvent  passer  d'une  chose  vraie 
à  une  autre  paraissant  plus  vraie,  d'une  chose  bonne  à  une  autre 
paraissant  meilleure.  Il  faut  attendre  la  vie  future,  où  cette  indiffé- 
rence cessera,  parce  que,  là,  la  souveraine  Vérité  et  la  souveraine 
Bonté  y  sont  connues  si  clairement  que  rien  de  plus  vrai  ne  peut 
s'offrir  à  l'intelligence  et  rien  de  meilleur  à  la  volonté.  Fixées  désor- 
mais, elles  y  adhèrent  avec  une  nécessité  et  une  complaisance  souve- 
raines ^. 

B.    —    TOUT   PÉCHÉ  {EST   FRUIT   DE   UIGNORANCE 

Gassendi  conclut  en  s'appropriant  cette  citation  de  Platon  :  «  Per- 
sonne ne  se  porte  au  mal  le  voulant  :  il  n'est  pas  dans  la  nature  de 
l'homme  de  vouloir  se  détourner  du  bien  pour  aller  vers  ce  qu'il 
répute  être  un  mal  »  ^. 

Mais,  immédiatement,  surgit  l'objection  qu'Ovide  met  dans  la 
bouche  de  Médée  :  «  Je  vois  ce  qui  est  le  meilleur  et  je  l'approuve, 
cependant  je  fais  le  pire  ». 

On  peut  répondre  avec  Socrate  :  «  Il  est  impossible  que  celui  qui 
possède  la  science  soit  dominé  par  autre  chose  ;  donc,  celui  qui  juge 
droitement,  s'il  ne  fait  pas  ce  qu'il  y  a  de  meilleur,  n'agit  que  par 
ignorance.  )>  De  là  est  venu,  ce  semble,  cet  adage  vulgaire  :  «  On  ne 
pèche  que  par  ignorance  ».  (Omnis  jyeccans  est  ignorans). 

Pour  éclairer  ce  sujet,  Aristote  use  d'une  excellente  distinction  : 
On  peut  dire  que  quelqu'un  sait  quelque  chose  ou  par  manière. d'ha- 
bitude ou  actuellement  (aliquem  scire  aliquid  hahitu  aut  actu).  Or,  si 
quelqu'un  sait  actuellement  quelque  chose,  il  est  impossible  qu'il 
accomplisse  un  acte  qui  répugne  à  cette  science  :  s'il  voit,  par  exemple, 
la  beauté  de  la  vertu  et  la  turpitude  du  vice,  il  ne  peut  déserter  la 
première  et  suivre  le  second.  Mais,  s'il  ne  sait  que  par  habitude  ou  ne 
se  sert  pas  de  la  science  qu'il  possède  (c'est  comme  s'il  n'en  avait 
point  et  était  dans  l'ignorance),  dans  ce  cas  il  peut  poser  des  actes 

1.  ...  Adeo  ut,  si  intellectus  tandem  in  nnam  partem  potius  quam  in aliam deflexerit, 
id  factum  oporteat  quod  aliquid  magis  ex  illa  quam  exalia  permoverit,  et  val  sola 
attentio  constantior  adjuncta  impatientise  fa'cere  potuerit  momentum...  Ad  eum  modimi 
quo,  si  exsequatis  in  libra  ponderibus,  momentum  quoddam  leviculum  nunc  uni,  nunc 
alteri  addas  detrahasque.  (Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  824,  c.  2). 

2.  Gassendi,  Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  825,  c.  1. 

3.  Nempe  liber  [liomo]  est  :  Ut,  bono  ac  malo  sibi  ob  oculos  positis,  eligat  aut  bonum 
permotus  ejus  sj^ecie  ;  aut  malum,  si  illi  obtendatur  ea  boni  species  quse  elarius  appa- 
reat  et  vehementius  proinde  alliciat  moveatque  quam  species  ipsius  boni.  Ut,  propositis 
item  duobus  bonis,  sequatur  aut  majus  cujus  moveatur  specie,  aut  minus,  si  illius  spe- 
cies evidentior  fiât  et  attrahentior  sit  quam  majoris.  Ut,  propositis  demum  duobus 
malis,  aut  majus  réfugiât  abactus  ejus  specie,  aut  minus,  si  illius  species,  ut  visa  honi- 
bilior,  ita  fugantior  extiterit...  Adnotare  sufïieit  facere  hue  quod  Plato  ait  :  Volentem 
ad  malujn  ferri  neminem,  neque  esse  in  hominis  natura,  ut  velit  ad  ea,  quœ  reputat  mala, 
honorum  loco  deflertcre...  (Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  825,  c.  1-2). 


III.    ÉTHIQUE    :    20   ACTE    VOLONTAIRE    ET   LIBRE  157 

qui  répugnent  à  la  science  ;  par  conséquent,  quoiqu'il  sache  par  habi- 
tude combien  la  vertu  est  belle  et  le  vice  honteux,  il  peut  malgré  cela 
néghger  la  vertu  et  rechercher  le  vice  ^. 

Mais,  dira-t-on,  n'arrive-t-il  pas,  la  plupart  du  temps,  que  celui 
qui  pèche  voit  effectivement  et  considère  la  beauté  de  la  vertu  qu'il 
laisse  de  côté,  et  la  laideur  du  vice  auquel  il  s'adonne  ?  —  Aristote 
répond  qu'il  en  est  de  cet  homme  comme  de  gens  pris  de  vin  qui 
récitent  par  habitude  des  vers  d'Empédocle  sans  les  bien  comprendre. 
En  effet,  il  s'élève  toujours  dans  celui  qui  pèche  quelque  passion, 
comme  le  plaisir,  la  colère,  l'ambition,  Tavarice  qui  trouble  l'esprit 
et  la  science  au  point  d'obscurcir  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  dans  la  vertu 
et  tout  ce  qu'il  y  a  de  mauvais  dans  le  vice,  tandis  que  le  côté  pénible 
de  la  vertu  et  le  côté  agréable  du  vice  sont  à  découvert  et  comme  en 
plein  jour.  De  là  vient  que  le  bien,  qui  est  dans  la  vertu  attire  faible- 
ment en  comparaison  de  celui  qui  est  dans  le  vice,  et  que  le  mal, 
qui  est  dans  le  vice,  est  en  comparaison  de  celui  qui  est  dans  la  vertu, 
impuissant  à  détourner  de  le  suivre.  De  la  sorte,  celui  qui  pèche 
peut  vraiment  dire  qu'il  regarde  coinme  meilleures  les  choses  qu'il 
abandonne,  et  comme  pires  celles  qu'il  poursuit.  S'il  peut  sincèrement 
parler  ainsi,  c'est  pour  un  autre  temps,  en  vertu  de  l'habitude  qui  lui 
fait  souvenir,  d'une  façon  confuse  et  en  passant,  qu'il  a  autrefois 
jugé  de  la  sorte  ;  il  ne  peut  néanmoins  le  faù'e  pour  le  temps  même 
où  il  pèche,  car  alors  il  tient  pour  meilleur  ce  qu'il  poursuit,  et  pour 
pù'e  ce  qu'il  abandonne.  Si  bien  qu'en  disant  qu'il  approuve,  au  mo- 
ment d'agir,  comme  meilleures  les  mêmes  choses  qu'il  a  approuvées 
autrefois,  il  ment,  car  il  se  contredit  lui-même,  puisqu'il  approuve 
plutôt  ce  qu'il  poursuit  ^. 

Si  cette  façon  d'agh'  ne  va  pas  sans  un  certain  repentir  ou  douleur, 
c'est  que  le  pécheur  remarque  qu'il  perd  quelque  bien  et  s'atth'e 
quelque  mal.  Cependant,  comme  .  la  douleur  est  exiguë  en  compa- 
raison du  plaisir  qui  ne  laisse  pas  de  l'allécher,  c'est  déjà  une  preuve 
qu'il  n'envisage  pas  sérieusement,  mais  avec  négligence,  la  perte  du 
bien  et  l'atteinte  du  mal. 

L'observation  suivante  le  fait  également  comprendre  :  si  le  sup- 
plice, si  la  douleur,  si  l'ignominie  et  les  autres  maux,  qu'il  n'aperçoit 
et  ne  redoute  que  confusément  et  à  la  légère,  étaient  perçus  et  consi- 
dérés, d'une  faç.on  attentive  et  lumineuse,  non  comme  absents,  comme 
futurs,  comme  incertains,  mais  comme  suspendus  sur  sa  tête,  comme 
présents,  comme  certains  et  devant  suivre  l'accomplissement  de  l'acte 
vicieux,  assurément  il  en  serait  détourné  et  ne  se  précipiterait  pas 

1.  Syntagma  :  Ethtca,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  825,  c.  2. 

2.  Unde  et  fit  ut  bonum,  quod  est  in  virtute,  alliciat  imbeeilliter  ejus  respectu  quod 
est  in  vitio  ,  et  malum,  quod  in  vitio,  impotenter,  respectu  ejus  quod  est  in  virtute, 
avertat.  Sicque  is,  qui  peccat,  dicere  quidem  p  ssit  se  videre  ea,  quae  dimittit,  nieliora  ; 
ea,  quœ  sequitur,  détériora,  sed  pro  tempore  tamen  alio,  seu  ex  habitu,  quo  confuse 
obiterque  commeminit  ita  se  alias  judicasse  ;  at  non  possit  nihiloniinus  pro  eo,  quo 
peecat,  tempore  ;  tune  eniin  et  meliora  habet  qu£e  sequitur,  et  détériora,  quœ  dimittit. 
Adeo  proinde  iit,  dicens  se  eo  tempore  eadem  ut  meliora  probare  quse  alias  probarit, 
mentiatur  ;  utpote  qui  sibi  ipsi  contradicat,  cum  potius  idipsum,  quod  sequitur,  probet. 
(Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  II,  T.  II,  p.  826,  cl). 


158  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILOSOPHICUM 

dans  le  vice.  C'est  pourquoi,  encore  que  celui  qui  pèche  et  suit  le  pire, 
dise  qu'il  voit  et  approuve  le  meilleur,  néanmoins  Finconsidération 
ou  inadvertance,  qui  l'empêche  de  voir  et  d'envisager  toutes  les  cir- 
constances de  la  chose  ou  la  nature  et  la  grandeur  des  conséquences, 
cette  inconsidération  est  une  ignorance.  Voilà  pourquoi  l'on  dit  : 
Qui  pèche  est  ignorant,  car,  s'il  n'était  pas  dans  l'ignorance,  il  ne 
pécherait  aucunement  ^. 

Que  ce  pécheur  ne  cherche  pas  à  se  justifier  en  disant  qu'il' suit  le 
bien  tel  qu'il  lui  paraît,  prétextant  que  nous  ne  sommes  pas  maîtres 
de  ce  qu'une  chose  paraît  être.  Car  l'ignorance  dont  il  se  prévaut 
n'est  point  invincible.  Celui  qui  pèche,  en  effet,  ignore  ou  parce  qu'il 
a  été  lui-même  la  cause  de  son  ignorance,  ou  parce  qu'il  ne  se  met  pas 
en^ peine  de  savoir,  c'est-à-dire  j)arce  qu'il  ne  se  soucie  pas  de  prendre 
garde  et  de  considérer  comme  il  faut.  Cependant,  même  sous  l'influence 
et  la  poussée  de  la  passion,  il  est  en  son  pouvoir  de  considérer  avec  une 
sérieuse  attention  quels  et  combien  grands  seront  les  maux  qui  doivent 
suivre  sa  faute,  ce  que  faisant  il  ne  pécherait  point.  Ix-'esprit  attentif 
aux  lois,  aux  préceptes  et  aux  exhortations  peut  devenir  maître  des 
apparences  des  choses  comme  dit  Aristote  -. 

C.   —   CEI  TIQUE 

J'ai  tenu  à  donner  tout  au  long  cette  théorie  de  Gassendi,  parce 
qu'elle  dénote  une  véritable  originahté  et  une  grande  puissance  d'ana- 
lyse psychologique.  Mais  le  lecteur  a  dû  plus  d'une  fois  se  poser  cette 
question  :  Dans  ce  système  sur  la  liberté,  que  devient  la  hberté  ? 
En  effet,  si  la  volonté  suit  nécessairement  les  jugements  pratiques 
prononcés  par  l'intelligence,  et  si  Tintelligence  acquiesce  nécessaire- 
ment au  jugement  qui  lui  semble  le  plus  vrai,  comment  dans  ce  réseau 
serré  de  nécessités  trouvera-t-on  une  place  pour  la  liberté  ?  Car,  en  se 

1.  Quod  si  non  sine  pœnitentia  doloreve  quodam  id  faciat,  id  ex  eo  est  quidem  quod 
animadvertat  se  quandam  boni  jaeturam  pati,  quoddam  malum  accersere;  sed,  ciimsit 
tamen  dolor  exiguus,  comparatus  ad  voluptatem,  quae  nihiloniinus  ipsuni  pe.Uicit, 
ex  hoc  solum  ax-guitiir  quod  jaeturam  boni  et  incursionem  mali  perfunctorie  solum,  non 
autem  serio,  consideret  ;  potestque  res  etiam  intelligi  ex  eo  quod  si  supplicium,  si  dolor, 
si  ignominia  caeteraque  mala,  quse  ille  leviter  confuseque  solum  apprehendit  ac  metuit, 
non  absentia,  non  futura,  non  dubia,  sed  impendeiitia,  sed  prsesentia,  sed  certa  et  mox 
a  patrata  vitiosa  actione  incurrenda,  attente  ac  perspicue  considerarentiu*  ac  pervide- 
rentur,  absterreretur  haud  dubie  neque  se  in  vitium  prœcipitem  daret.  Itaque,  tâmetsi 
qui  peccat  ac  détériora  sequitm*,  dieat  se  videre  ac  probare  melioi-a,  quatenus  nihilo- 
minus  inconsiderantia  seu  non-advertentia,  ob  quam  ille  omnes  eircumstantias,  quse 
in  re  sunt,  aut  quales  quantœque  successuris  sunt,  minime  videt  attenditque,  ignorantia 
est.  Ea  de  causa  peccans  dicitur  ignorans,  qualis  si  non  foret,  minime  peccaret.  (Syn- 
tggma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  p.  826,  cl). 

2.  Nempe  is,  qui  peccat,  ignorât,  vel  quia  ipse  sibi  cur  ignoraret  causa  fuit,  vel  quia 
serre  non  satagit,  hoc  est  mentem  advertere  considerareve,  iit  par  est,  non  curât... 
Quippe  tune  quoque  [passione  ductus]  in  illius  potestate  est  attendere  serio  ad  mala, 
qualia  quantaque  sunt  sequutura,  et,  qualia  quantaque  si  attenderet,  non  peccaret... 
Et  nequicquam  non  sit  quod  leges,  prsecepta,  exhortationes  adliibentur,  ad  quas  licelf 
attendere,  et  in  quas  animus  attentus  possit  fieri  tt;;  cpavto^Tia;  xJoio;,  epis 
dominus  quod  res  esse  apparet.  (Syntagma  :  Ethica,  L.  III,  C.  I,  T.  II,  pp.  826,  c.  2,. 
et  826-827). 


ni.   —   ÉTHIQUE    :    20  ACTE    VOLONTAIEE    ET   LIBRE  159 

conformant  toujours  au  jugement  qui  semble  le  plus  vrai  à  l'intelli- 
gence, la  volonté  ne  fait  que  suivre  le  motif  le  plus  fort.  C'est  clone 
le  motif  le  plus  fort  qui  rem])orte  toujours.  Par  conséquent,  Gassendi 
doit  être  rangé  parmi  les  déterministes. 

Cependant  Gassendi  est  convaincu  que  son  système  fait  une  place 
à  la  liberté.  Xulle  part,  en  vérité,  il  n'a  montié  expressément  comment 
la  conciliation  est  possible.  Mais,  de  divers  passager  épars,  qu'on  a 
cités  plus  haut,  il  e^t  juste  de  reconnaître  qu'on  peut  dégager  ini  essai 
d'explication. 

Rappelons-nous  d'abord  l'état  de  la  question.  Il  s'agit  du  cas 
habituel,  où  l'homme  se  trouve  sollicité  à  Faction  par  des  motifs 
divers,  le  tirant  en  sens  contraires.  Or  voici  comment  Gassendi  com- 
prend le  jeu  de  la  liberté. 

La  volonté  suit  toujom'S  le  dernier  jugement  pratique  qui  paraît 
le  plus  vrai  à  rinielhgence.  Mais  l'intelUgence  n"est  nécessitée,  c'est-à- 
dire  déterminée  dans  un  sens  miique,  que  par  l'évidence  absolue, 
ce  qui  est  rare  dans  les  choses  morales  ;  par  conséquent,  en  face  de 
motifs  qui  lui  apparaissent  comme  plus  ou  moins  probables,  il  peut 
adhérer  tantôt  à  l'un,  tantôt  à  l'autre,  selon  que  la  probabilité  de 
l'un  ou  de  l'autre  augmente  ou  diminue  à  la  lumière  de  l'attention 
et  de  la  réflexion.  Or,  sauf  le  cas  exceptionnel  d'une  passion  absolu- 
ment tyi^annique  qui  enlève  la  liberté,  la  volonté  peut  commander 
cette  attention  à  l'intelligence  et  l'obUger  ainsi  à  mieux  connaître 
la  valeur  relative  des  motifs  en  lutte,  ou  \nême  à  en  trouver  de  nou- 
veaux. 

En  quoi  donc  réside  définitivement  la  liberté  aux  yeux  de  notre 
philosophe  ?  Dans  le  pouvoir  d'imposer  l'attention  et  la  réflexion 
à  l'intelligence,  ce  qui  retarde  la  décision.  L'expérience  atteste  que 
souvent  l'erreur  prend  l'apparence  du  vrai  et  revêt  des  couleurs 
séduisantes,  tancUs  que  le  bien  se  montre  hérissé  de  difficultés  répu- 
gnantes. Le  retard  imposé  donne  à  l'esprit  le  temps  de  dissiper  ces 
illusions  qui  auraient  vicié  sa  détermination.  Pour  y  réussk'  il  faut 
qu'il  soit  maître  de  porter  son  attention  ici  ou  là,  de  susciter  des  rai- 
sons nouvelles  d'agir,  de  refréner  l'élan  de  l'appétit  sensitif  entraînant 
la  volonté  dans  le  sens  du  plaisir  immédiat,  en  lui  opposant  des  motifs 
d'ordre  rationnel  et  idéal  qui  inehnent  au  contraire  la  volonté  dans  le 
sens  du  devon*  ^.  La  hberté  consiste  précisément  clans  ce  pouvoir 
intérieur,  lequel  par  son  intervention  opj)ortune  permet  à  l'intelU- 
gence de  formuler  mi  jugement-  pratic^ue,  conforme  à  l'ordre  moral. 

1.  Mgr  d'Hulst  a  dit  quelque  chose  d'analogue  :  «  On  abuse  de  la  comparaison 
de  la  balance  :  les  poids  ce  sont  les  motifs  ;  la  balance,  dit-on,  c'est  la  volonté.  Mais  non^ 
Messieiu-s,  la  volonté  n'est  pas  passive  ;  elle  ne  réagit  pas  seulement,  elle  agit.  Quand 
les  motifs  changent,  elle  est  pour  quelque  chose  dans  le  changement.  Les  motifs  se 
présentaient  avec  la  variété  de  leurs  attraits  :  la  volonté  en  choisit  un,  elle  le  préfère, 
elle  tire  d'elle-même  cette  préférence.  Voici  un  homme  violemment  tenté  .  le  plaisir  le 
sollicite,  les  sens  s'émeuvent,  la  passion  gronde  ;  il  va  succomber.  Tout  à  coup  la  volonté 
'se  ressaisit,  elle  domine  l'orage,  elle  donne  gain  de  cause  au  devoir.  —  C'est,  direz-vous, 
parce  que  l'idéal  moral  lui  est  apparu.  —  Et  moi,  je  réponds  :  il  lui  est  apparu  parce 
qu'elle  l'a  suscité.  »  (Conférences  de  Notre-Dame  de  Paris,  1891,  3«  Confér.,  pp.  110- 
111). 


160  ARTICLE  II.  CHAPITRE  IV.  —  LE  SYNTAGMA  PHILO SOPHICUM 

dont  la  clarté  et  parfois  l'évidence  amènent  naturellement  l'accepta- 
tion de  la  volonté,  parce  qu'elle  y  trouve  son  bien  véritable.  Comme 
cette  clarté  ou  cette  évidence  est  une  œuvre  voulue  de  l'homme, 
Gassendi  appelle  libres  les  déterminations  qui  en  sont  la  conséquence 
et  qui  ont  été  prises  à  la  lumière  de  motifs  provoqués  par  la  volonté. 
Tout  cela  paraît  bien  être  en  germe  dans  les  pages  de  Gassendi 
sur  la  liberté.  Toujours  est-il  que  Bernier,  le  confident  et  l'abréviateur 
de  notre  philosophe,  interprète  ainsi  sa  pensée  :  «...  Il  est  constant 
qu'encore  qu'on  s'en  voulust  tenir  à  l'opinion  de  Platon  et  d'Aris- 
tote  ^,  qui  est  celle  pour  laquelle  notre  autheur  semble  avoir  plus  de 
pente  ^,  ensorte  qu'on  fist  consister  primitivement  et  originairement 
la  Hberté.dans  l'indifférence  de  l'entendement,  il  est,  dis-je,  constant 
que  dans  cette  hypothèse  l'on  peut  toujours  très  bien  sauver  la  liberté, 
en  ce  que,  lorsque  nous  sommes  sur  le  poinct  et  en  estât  d'agir,  il  est 
toujours  en  nostre  pouvoir  de  suspendre  'l'action  et  cle  nous  arrester 
à  considérer  meurement  les  choses,  ensorte  que  distinguant  les  véri- 
tables biens  des  biens  appareils,  nous  fassions  changer  les  fausses 
connoissances  ou  opinions  qui  pourr oient  estre  dans  l'entendement, 
et  par  là  faire  changer  la  pente  que  la  volonté  pourroit  avoir  à  suivre 
les  biens  faujt  et  trompeurs  pour  les  véritables,  le  bien  deshonneste 
pour  l'honneste,  le  vice  pour  la  vertu  »  ^. 

1-2.  Il  est  certain  que  Gassendi  s'est  efforcé  de  mettre  cette  opinion  sous  le  patronage 
de  plusieurs  textes  de  Platon  et  surtout  d'Aristote.  —  Non  seulement  il  penche  vers  elle, 
mais  il  y  adhère  manifestement,  car  l'emploi  du  mot  videtur  (il  semble),  qui  revient 
assez  souvent,  n'est  que  l'indice  d'un  esprit  modéré,  lequel  évite  de  proposer,  d'un  ton 
tranchant,  un  système  dont  la  nouveauté  hardie  s'écarte  de  la  doctrine  traditionnelle. 

3.  F.  Bernier,  Abrégé  de  la  Philosophie  de  Gassendi,  T.  VII,  La  Morale,  L.  III,  De 
la  liberté... j  Ch.  I,  p.  624,  Lyon,  1684. 


CHAPITRE    V 
La   Valeur   du   Savant. 

I.    —    QUALITÉS    D  OBSERVATEUR 

De  très  bonne  heure  Gassendi  montra  les  qualités  qui  font  le  savant  : 
l'esprit  d'observation  et  la  sagacité.  «  A  peine  estait-il  parveiiu  à  l'âge 
de  sept  ans  qu'il  décida  la  question  qui  s'était  emeuë  entre  les  enfants 
de  son  village,  sçavoir  si  c'estait  la  lune  ou  les  nuées  qui  marchaient  ; 
car,  comme  il  soutenait  que  ce  n'était  pas  la  lune,  il  s'avisa  de  la  leur 
faire  regarder  au  travers  des  branches  d'un  arbre  et  de  leur  faire 
remarquer  comme  elle  estait  toujours  sur  la  même  feuille  »  ^. 

Le  temps  ne  fit  que  développer  et  porter  à  un  degré  éminent  ces 
qualités  précoces  qui  avaient  commencé  à  poindre  chez  Gassendi 
enfant.  La  Poterie  a  tracé  de  l'observateur  ce  portrait  authentique  : 
«  Dans  sa  jeunesse,  il  fut  fort  curieux  d'observer  les  choses  célestes. 
Il  prenoit  un  plaisir  très-particulier  d'observer  ;  il  oublioit  sa  santé, 
demeuroit  des  nuicts  entières  à  l'air,  au  froid,  au  serein,  et  je  luy 
ay  souvent  ouy  dire  qu'il  ne  pouvoit  point  s'en  empescher,  qu'il  estoit, 
comme  le  chat  après  la  souris,  que  lorsque  les  écUpses  arrivoient, 
il  falloit  qu'il  courut  après,  etc.  Durant  la  comète  dernière  ^,  je  l'ay 
veu  tous  les  soirs  et  les  matins  au  plus  grand  froid  de  l'hyver  y  passer 
deux  ou  trois  heures  à  l'observer,  pendant  mesme  qu'il  estoit  à  demy 
malade.  Il  estoit  si  exact  et  si  patient  dans  ce  travail  qu'on  n'y  sçauroit 
rien  adjouster  »  ^. 

On  retrouve  cet  esprit  de  curiosité  scientifique  et  de  patiente  obser- 
vation jusque  dans  ses  voyages  d'agrément.  Ce  qui  l'attire  et  retient 
son  attention,  ce  ne  sont  pas  les  beautés  du  paysage,  mais  les  phéno- 
mènes de  la  nature  dont  il  cherche  à  deviner  les  lois.  Il  alla  un  jour, 
en  compagnie  d'un  ecclésiastique,  visiter  la  cascade  de  SiUans  *, 
qui  est  dans  un  heu  «  fort  inabordable  «.  L'eau  tombe  d'une  hauteur 
de  «  quinze  toises  »  et  se  jette  dans  une  sorte  de  «  lac  ».  «  Le  brisement 
et  le  rejailUssement  de  l'eau  qui  se  précipite  d'une  telle  hauteur  dans 
ledit  lac,  joint  à  l'esparpillement  qui  est  faict  au  long  d'une  cheute 

1.  F.  Bernier,  Abrégé...,  T.  I,  Préf.,  p.  2.  —  La  Poterie  a  mentionné  au  «i  ce  petit 
événement,  mais  il  interrompt  son  récit  par  un  etc.,  qui  nous  laisse  en  suspens  sur 
le  dénouement  de  la  scène.  Le  dénouement  sous-entendu  peut  trèg  bien  concorder 
avec  la  version  de  Bernier.  Cf.  iV/emo ires...,  Revue  des  Quest.  histor.,  juillet  1877,  p.  214. 

2.  Il  s'agit  de  la  comète  observée  en  1652. 

8.  De-La  Poterie,  Mémoires...,  Loco  cit.,  pp.  239-240. 

4.  Aujourd'hui  dans  l'arrondissement  de  Brignoles,  à  28  kilomètres  de  Draguignan. 

11 


162       ARTICLE  II.  CHAPITRE  V.  —  LA  VALEUR  DU  SAVANT 

si  violente,  cause  comme  une  poussière  d'eau,  ou  comme  un  léger 
nuage  et  pluye  très  déliée,  dont  les  gouttelettes  imperceptibles  m'al- 
loient  mouiller  et  se  faisoient  après  voir,  en  les  regardant  du  costé  du 
soleil,  à  plus  de  dix  toises  loin  »  ^.  Quand  le  soleil  éclaira  «  une  partie 
de  la  face  du  rocher  »,  Gassendi  aperçut  «  une  portion  d'arc  en  ciel  par- 
faitement bien  peinte  ».  Il  se  mit  en  devoir  de  l'observer,  de  points 
de  vue  différents  :  «  Je  descendys  après  un  peu  plus  bas,  et  alors  cette 
portion  d'arc  s'abaissant  d'aultant,  et  estant  monté  plus  haut,  elle 
s'esleva  de  mesme.  Le  Bénéficié  qui  m'accompagnoit  grimpa  sur  un 
arbre...  ;  j'y  montay  aussy  pour  la  voir  de  mesme...  Je  retournay 
après  à  l'endroict  dont  je  l'avois  veue  la  première  foys  et  la  recogneus 
fort  sensiblement  plus  abaissée  qu'au  commencement,  non  pas  pour 
la  position  de  mon  œil,  mais  pour  l'eslèvement  du  soleil  qui  montoit 
encores  vers  le  Midy  »  2.  Le  docte  chanoine  avait  alors  quarante- 
trois  ans.  Il  n'hésite  pas,  malgré  son  âge  et  sa  dignité,  à  grimper  sur 
un  arbre  pour  mieux  observer  un  phénomène  de  la  nature.  Cette 
petite  scène,  prise  sur  le  vif,  n'est-elle  pas  caractéristique  de  l'homme 
et  du  savant  ? 

Aucune  grande  découverte  scientifique  ne  peut  être  mise  à  l'actif 
de  Gassendi.'  Ici,  d'ailleurs,  nous  avons  surtout  en  vue  le  philosophe. 
Il  est  convenable  néanmoins  d'indiquer  brièvement  la  part  qui  revient 
à  notre  auteur  dans  le  mouvement  scientifique  de  son  époque. 


II.    —   DISCOURS    INAUGURAL   DE    SON    COURS 

Lorsqu'il  fut  chargé  d'occuper,  au  Collège  royal,  la  chaire  de  Mathé- 
matiques, Gassendi,  dans  son  brillant  Discours  d'inauguration  ^, 
alla  au-devant  d'un  reproche.  Certains  ne  vont-ils  pas  s'étonner  en 
voyant  un  homme  voué  aux  fonctions  ecclésiastiques  se  tourner 
(quelle  déviation  !)  vers  des  études  profanes  ?  *  Sa  réponse  est  em- 
preinte d'une  grande  élévation  de  pensée  et  de  style. 

Interrogé  un  jour  sur  ce  que  Dieu  faisait,  Platon,  «  le  divin  philo- 
sophe »,  répondit  que  Dieu  faisait  de  la  géométrie.  Lui,  philosophe 


1.  Gassendi  à  Peiresc,  Digne,  20  mai  1635.  Lettre  publiée  avec  une  autre  du  25  mai 
■sous  ce  titre  :  Impressions  de  voyaffe  de  Pierre  Gassendi  dans  la  Provence  alpestre,  p.  10, 
Digne,  1887,  paï-  TamïZey  de  Labroqtje.  —  On  trouve  aussi  ces  deux  Lettres  dans  la 
{Jorrespondance  de  Peiresc  et  Gassendi,  publiée  par  le  même  auteur.  Cf.  G&lhction  de 
^Documents  inédits  sur  VHistoire  de  France,  Lettres  de  Peirese,  t.  IV,  pp.  484-501, 
Paris,  1893. 

2.  Gassendi  à  Peiresc,  Loco  cit.,  p.  11.  —  Lettres  de  Peiresc,  t.  IV,  pp.  489-490.  —  On 
sait  que  Gassendi  a  composé  ses  ouvrages  en  latin.  Il  n'a  employé  sa  langue  maternelle 
que  dans  un  certa-in  nombre  d©  lettres.  La  citation  que  nous  venons  de  faire  donnera 
un  s.pécimen  de  son  français.  Les  59  Lettres  d©  Gassendi  à  Peiresc,  puMées  (Loco  cit,  ) 
par  T.  DE  LAKRO<iXJE,  sont  en  français. 

3.  Oratio  inauguralis  habita  in  Pegio  Gollegio,  an-no  164ë,  ^die,  noixembris  XXIII 
a  Petro  Gassendo,  Regio  Matheseos  Professore.  P«.ris,  1646.  Cf.  OG,  t.  IV,  pp.  '66-73. 

4.  Demirabuntur,  si  qui  me  norunt,  «ddictum  divinis  .muneribas  virum  ad  irumana 
digredi  studia.  (Oratio...,,  p.  3).  Cf.  OG,  t.  IV,  p.  66,  col.  1). 


II.    —   DISCOURS   INAUGUEAL   DE   SON   COURS  163 

chrétien,  n'a,  ce  semble,  rien  de  mieux  à  répliquer  à  ceux  qui  s'étonnent 
de  voir  un  prêtre  enseigner  les  Mathématiques  ^. 

Il  parlera  un  langage  accommodé  à  notre  manière  de  concevoir 
les  choses,  car,  en  parlant  de  Dieu,  l'homme  ne  saui'ait  trouver  de 
termes  qui  correspondent  à  la  réalité.  (Nos  de  se  {Deus),  non  ut  in  se 
est,  sed  ut  nostro  captui  congruum  est,  loquenteis). 

Quand  Dieu  contemple  sa  nature,  nous  concevons  qu'il  se  la  repré- 
sente comme  une  sphère,  dont  le  centre  est  partout  et  la  circonférence 
nulle  part,  parce  qu'à  nos  yeux  il  n'est  point  de  figure  plus  parfaite 
que  la  sphère  2. 

Gassendi  découvre  également  dans  les  propriétés  de  la  Sphère 
tout  un  ensemble  'de  caractères  qui.  figurent  analogiquement  les  pro- 
cessions et  les  perfections  des  trois  Personnes  divines.  Ici  surtout 
il  s'élève  à  des  considérations  ingénieuses  qui  montrent  la  subtihté 
de  son  esprit  ^. 

III.    —    TRAVAUX    EN    PHYSIQUE 

Il  nous  faut  maintenant  descendre  à  des  considérations  d'un  ordre 
plus  positif,  mais  qui  mettront  dhectement  en  lumière  la  valeur  du 
savant.  On  a  remarqué,  du  temps  même  de  Gassendi,  qu'il  ne  fut  pas 
un  profond  mathématicien.  C'est  vrai.  Gassendi  était  avant  tout 
philosophe.  Devant  circonscrire  ses  efforts,  il  ne  poussa  pas  sa  pointe 
dans  le  sens  des  recherches  purement  spéculatives,  mais  il  s'appliqua 
aux  Mathématiques  dans  la  mesure  qui  pouvait  être  utile  à  son  but 
philosophique  "*. 

En  Physique,  Gassendi  admet  l'existence  d'atomes  et  de  molécules. 
Il  expliquait  la  lumière  par  le  mouvement  d'atomes  se  propageant 

1.  ...  Prselectiones  habiturus  cosmographicas  seu  de  Mundo,  ab  hymno  exordiar 
Conditoris  Mundi.  Siquidem,  cum  Plato,  qui  habitus  est  inter  philosophes  divinus, 
quœrenti  quid  agei-et  Deus,  célèbre  illud  responderit  :  Vim'xzzzz'.v  -ôv  Oiov.  Exer- 
cere  Geometriam  Deuni  ;  nihil  videor  facere  posse  a\it  argumente  accommodatius,  aut 
generi  vitae  nieœ  consonantius,  ...  quam  si,  cuni  ipse  quoque  personam  philosophi 
christiani  gerens,  haud  secus  quam  ille  fuer  »  responsurus,  dicere  adnitar  qui  Deum 
exercere  Gteometriam  putem  (Gassendi,  Oratio,  p.  6).  OG,  t.  IV,  p.  67,  col.  I). 

2.  Nam  imprimis  quidem  Naturam  contuetur  [Deus]  habetque  ut  Sphaeram,  cujus 
(Ethnico  etiam  definiente)  centrum  sit  ubique,  circumferentia  nusquam...  Igitur  conci- 
pimus  Deum,  dum  suam  speculatur  Naturam,  habere  ipsam  quasi  Sphaeram,  quatenus 
a  nobis  nulla  figura  capacior,  aequabilior,  perfectior  intelligitur...,  etc.  (Oratio...,  p.  7). 
OG,  t.  IV,  p.  67,  col.  1,  §  Done-c.) 

3.  Anne  proinde  hoc  adorandum  Trinitatis  mysterium  habebimiis  rursus  ut  Sphaeram, 
cujuB  quasi  centrum  sit  Pat«r  aeternus,  qui  totius  Trinitatis  fons,  origo,  principium 
accommodate  dieitur  ;  circumferentia  Filius,  in  quo  legitur  habitare  plenitudo  Divini- 
tatis  ;  et  radii  centro  circumferentiaeque  intercedentes  Spiritus  sanctus,  qui  est  Patris 
et  Filii  communis  et  quasi  intercedens  ardor,  ac  veluti  nexus  vinculumve  mutur.m  ?... 
ete.  (Gassendi,  Oratio  inaiiguralis...,  pp.  12  sqq.)  OG,  t.  IV,  p.  08,  col.  2,  §  Amw. 

4.  Desiderarunt  alii  nonnuUi  in  Philosophe  nostro  Mathesin  profundiorem,  quia  nihil, 
aiunt,  scriptis  protulit  unde  conjiciendum  praebeat  ulteriores  in  Geometria  et  Arith- 
metica  progressus...  Nimirum  satis  esse  duxit  [Gassendus],  vitae  hiunanae  brevitatein 
advert«ns  et  angustias  mentis  nostrse  dimetiens,  necessaria  tantum  comparare  et  ea 
sine  quibus  ad  philosophandum  se  accingere  non  poterat...  (Sorbière,  De  ViUt,..., 
Praefat.  Oper.  Gasaendi,  [non  paginée],  pp.  17-18). 


164       ARTICLE  n.  CHAPITRE  V.  —  LA  VALEUR  DU  SAVANT 

avec  une  grande  vitesse  et  en  ligne  droite  dans  toutes  les  directions. 
L'intensité  de  la  lumière  est  en  raison  inverse  du  carré  de  la  distance 
qui  sépare  le  spectateur  du  foyer  lumineux.  Il  avait  aussi  recours 
à  des  atomes,  mais  à  des  atomes  spéciaux,  pour  rendre  compte  du  chaud,^ 
du  froid,  de  l'odeur,  de  la  saveur  et  du  son. 

«  Les  atomes  de  l'ouïe  ne  l'empêchaient  cependant  pas  de  se  faire 
une  idée  exacte  du  mode  de  la  propagation  du  son,  et  de  la  cause  de  la 
hauteur  des  sons.  Il  admettait  qu'ils  arrivent  à  notre  oreille  par  les 
mouvements  ondulatoires  de  l'air  et  faisait  consister  leur  hauteur 
dans  le  nombre  d'impulsions  reçues  dans  un  temps  donné,  ou  dans  la 
longueur  des  ondes  sonores.  Aristote  représentait  la  chose  tout  autre- 
ment. Pour  lui  la  hauteur  des  sons  était  produite  par  leur  vitesse  de 
propagation.  Il  s'imaginait  que  les  sons  graves  se  propagent  plus  lente- 
ment dans  l'air  que  les  sons  aigUs.  Gassendi  prouva  l'inexactitude  de 
cette  opinion  par  une  expérience  décisive.  Il  fit  th'er  un  canon  et  un- 
fusil  à  une  assez  grande  distance  et  mesura  le  temps  qui  s'écoule 
entre  le  moment  où  l'on  voit  l'éclair  et  celui  où  on  entend  la  détonation. 
Comme  la  lumière  parcourt  en  un  temps  inappréciable  les  distances 
terrestres,  en  divisant  l'éloignement  par  l'intervalle  de  temps  qui 
s'écoule  entre  l'éclair  et  la  détonation,  il  obtenait  la  vitesse.  De  cette 
manière  il  donna  la  première  détermination  numérique,  à  savoir 
1.473  pieds  par  seconde,  valeur  en  réahté  beaucoup  trop  grande,  car, 
d'après  Moll  et  van  Beek,  elle  est  seulement  de  332  m.  25  ou  1022,8  pieds 
parisiens,  à  0».  Gassendi  acquit  en  même  temps  la  preuve  que  les 
vitesses  étaient  égales  pour  la  détonation  du  canon  et  pour  celle  du 
fusil,  par  conséquent  pour  les  sons  graves  et  pour  les  son  aigus  »  ^. 

Gassendi  réfuta  les  objections  et  les  expériences  que  le  Père  de  Cazré  - 
fit  valoir  en  1645  contre  les  lois  de  la  chute  des  corps  établies  par 
Galilée  et  contribua  ainsi  à  leur  diffusion  ^. 


IV.    —    OBSERVATIONS    ASTRONOMIQUES 

En  Astronomie  Gassendi  s'est  également  acquis  quelque  notoriété. 
On  lui  doit  des  observations  nombreuses  et  faites  soigneusement  *. 


1.  H.  PoGGENDORFF,  Histoire  de  la  Physique,  pp.  181-182.  Paris,  1883,  traduct.  de 

E.  BiBART  et   G.   DE  LA  QUESNERIE. 

2.  Pétri  Casraei  e  S.  J.  Physica  Demonstratio  qua  ratio,  mensura,  modus  ac  potentia 
accelerationis  inotus  in  naturali  descensu  graviutn  determinantur...  Ad  Clarissimum 
virum  P.  Gassendum...,  Paris,  1645.  Le  Père  de  Cazré  adressa  aussi  une  lettre  à  Gassendi, 
qui  est  reproduite  dans  OG,  t.  VI,  pp.  448-452.  —  Gassendi  répondit  au  P.  de  Cazré  : 
Petri  Gassendi  de  Proportione  qua  gravia  decidentia  accelerantur  epistolœ  très...  Paris, 
1646.  On  les  trouve  dans  OG,  t.  III,  pp.  564-650.  —  Le  P.  de  Cazré  opposa  :  Vindiciœ 
Demonstrationis  physicœ  de  Propo7-tione  qua  gravia  decidentia  accelerantur...,  Paris, 
1645.  On  la  trouve  dans  OG,  t.  III,  pp.  589-625. 

3.  J.  F.  MONTUCLA,  Histoire  des  Mathématiques,  Partie  IV,  L.  III,  §  m,  pp.  197-198, 
Paris,  An  VII. 

4.  Petrus  Gassendus  astronomicis  observationibus,  Parisiis,  Dinise,  Aquis  Sextiis, 
j\Iassilise  habitis,  insignis  et  yir  miri  candoris  in  stylo,  in  ingenio,  in  moribus...  (J.-B. 
RicciOLi,  Almagestum  novum  Astronotniam    veterem    novumque    complectens.,.,   t.  I. 


rV.   OBSERVATIONS    ASTRONOMIQUES  165 

dont  il  a  tenu  un  registre  fidèle  ^  :  elles  vont  de  1618  à  1655,  l'année 
même  de  sa  mort.  Signalons-en  quelques-unes  en  même  temps  que 
■certains  travaux  astronomqiues. 

En  1626,  il  obserA'a  les  taches  du  soleil-.  Le  phénomène  des  ParAe7te5 
ou  des  «  Quatre  faux  soleils  »  ^  qui  apparm-ent  à  Rome  le  30  mars  1629 
fut  de  sa  part  l'objet  d'un  sérieux  examen  *. 

Kepler  ayant  annoncé  les  passages  de  Mercm'e  et  de  Vénus  sur  le 
soleil  pom'  le  7  novembre  et  le  6  décembre  1631,  notre  astronome  se 

Chronicon  duplex  Astronomorum ,  Part.  II,  p.  xlii,  col.  1.  Bologne,  1651).  Almagestum 
peut  se  traduire  tractatus  maximus,  c'est  un  mot  composé  par  les  Alchimistes  de  l'ar- 
ticle arabe  al  et  de  \xz-^''.z-j^  (très  grand),  en  sous-entendant  ~'jrt."^u.i~i[%  (traité). 

1.  Commentarii  de  rébus  calestibus,  dans  OG,  t.  IV,  pp.  75-498.  —  G.  Bigoukdax 
a  résumé  les  observations  de  Gassendi  depviis  1632  à  1655,  dans  les  Comptes  Rendus  de 
V Académie  des  Sciences,  t.  CLXIII,  pp.  453-458. 

2.  Commentarii...,  OG,  t.  IV,  pp.  99-100. 

3.  Parhelia  sive  Soles  quatuor  spurii  qui  circa  verum  apparuerunt  Romce  Anna  1629, 
die  XX  Martis,  dans  OG,  t.  III,  p.  651-662.  —  Cette  observation  fut  publiée  à  Paria 
en  1630. 

4.  Dans  sa  jeunesse  Gassendi  s'était  laissé  séduire  par  les  théories  astrologiques, 
encore  très  en  vogue  alors.  Il  ne  fut  pas  longtemjjs  la  dupe  de  ce  mirage.  La  publication 
de  ses  Parhelies  lui  fournit  l'occasion  de  dire  ce  qu'il  pensait  de  cette  fausse  science. 
Cf.  Parhelia...,  OG,  t.  III,  pp.  659,  col.  2-662.  —  a  Peiresc  lui  ayant  marqué  que  quelques 
personnes  estimoient  que  ces  cinq  soleils  présageoient  un  changement  considérable 
dans  le  gouvernement  de  l'Eglise  pendant  les  cinq  années  prochaines.»  (Bougerel, 
Vie...,  L.  I,  pp.  61-62),  Gassendi  répliqua  :  «  C'est  une  chose  pitoyable  de  voir  que  la 
plupart  des  sçavans  se  laissent  ainsi  emporter  à  des  opinions  populaires,  et  que  ces 
phénomènes,  pour  arriver  rarement,  leur  jettent  de  la  poussière  aux  yeux,  comme  s'ils 
n'arrivoient  pas  naturellement  ;  il  est  vrai  que  nous  en  ignorons  les  causes,  aussi  bien 
que  la  manière  dont  ils  sont  produits.  Si  cette  ignorance  doit  nous  faire  craindre  quelque 
malheur,  appréhendons  aussi  tout  ce  que  la  nature  produit.  »  (Cité  par  Bougerel, 
Ibidem,  p.  62). 

Dans  une  lettre  adressée,  vingt  ans  plus  tard,  à  J.-B.  Morin,  qui  cultivait  avec  passion 
l'astrologie,  Gassendi  disait  :  « ...  Je  demande  en  mesme  temps  tres-humblement  pardon 
à  Dieu  de  n'avoir  autresfois  employé  que  trop  de  temps  après  ces  bagatelles.  Il  est  vray 
qu'il  m'en  demeure  au  moins  cette  satisfaction  que  j'en  ay  pour  une  bonne  fois  reconnu 
la  vanité...  ;  et  non  seulement  cela,  mais  encore  d'en  avoir  conceu  un  tel  mespris,  que 
j'ay  toujours  depuis  eu  en  horreur  de  passer  dans  le  Monde  pour  un  diseur  de  borme 
advantiure,  et  eu  pitié  de  moy-mesme,  de  ce  qu'en  ma  jeunesse  j'avois  été  si  sot  et  si 
foible  que  d'y  avoir  adjousté  quelque  foy.  »  (Gassendi  à  Morin,  septembre  1649,  dans 
Recueil  de  Lettres  des  Sieurs  Morin,  de  La  Roche,  de  Neuré  et  Gassend  en  suite  de  l'Apo- 
logie du  Sieur  Gassend  touchant  la  Question  De  Alotu  impresso  a  Motore  translate, 
p.  142,  au  milieu,  Paris,  1650).  Gassendi  ne  fut  pas  seul  à  protester  contre  l'étude  de 
l'Astrologie. 

La  magie  et  l'astrologie  exerçaient  encore,  au  xvii'=  siècle,  une  certaine  influence  sur 
les  esprits  même  indépendants  et  éclairés  comme  Campanella,  qui  publia,  en  1620  : 
De  Sensu  Rerum  et  Magia  Libri  quatuor,  et  tira  l'horoscope  de  Louis  XIV.  Mais  une 
forte  réaction  se  dessine.  Mersenne,  dans  ses  Quœstiones  celeberritnœ  in  Genesim,  Paris, 
1623,  (colonnes  975-1002)  critique  l'astrologie  vigoureusement.  —  Le  Père  Nicolas 
Caussin,  confesseur  de  Louis  XIII,  a  écrit  une  Lettre  sur  les  Horoscopes  (1649). 

Le  même  auteur,  dans  La  C'owr  Sainte,t. II,  135,  Paris,  1644,  dresse  un  long  réquisitoire 
contre  les  tireurs  d'horoscopes.  —  Descartes  est  très  catégorique  :  «  Rien  ne  me  semble 
plus  absurde  que  de  disputer  audacieusement  siu:  les  mystères  de  la  nature  [  =  alchimie], 
sur  l'influence  des  astres  par  rapport  au  monde  inférieur  [Astrologie],  sur  la  prédiction 
de  l'avenir  [Magie]  et  autres  choses  semblables,  comme  le  font  beaucoup  de  gens,  et 
de  n'avoir  pas  cherché  si  la  raison  humaine  peut  découvTir  de  pareilles  choses.  »  (Regulœ 
ad  Directionem  Lngenii,  Reg.  VIII,  OD,  édit.  Adam,  t.  X,  p.  398,  ligue  5).  Cf.  Discours 
de  la  Méthode,  I'^  Partie,  OD,  t.  VI,  p.  9, 1.  10). 


166  ARTICLE  II.  CHAPITRE  V.  —  LA  VALEUR  DU  SAVANT 

mit  en  mesure  de  les  observer.  L'observation  relative  à  Mercm-e  eut 
un  plein  succès.  Aussi,  dans  son  enthousiasme,  il  écrit  à  son  ami 
ScHiCKARD,  professeur  d'hébreu  et  d'astronomie  à  l'université  de 
Tubingue  :  «  Plus  heureux  que  tant  de  philosophes  hermétiques..., 
j'ai  trouvé  et  vu  Mercure  là  où  personne  ne  l'avait  encore  vu  »  ^. 
Le  Père  Cysat  ^  et  Quietanus  ^  vii-ent  aussi  le  passage  de  Mercure, 
le  premier  à  Inspruck  ;  le  second,  à  Rouô'ach  en  Alsace.  «  Mais  l'obser- 
vation de  Gassendi  est  la  seule  dont  on  ait  tiré  des  conséquences 
astronomiques  »  *.  Quant  au  passage  de  Vénus,  Gassendi  eut  beau 
l'attendre  durant  plusieurs  jours,  il  ne  se  produisit  point.  C'est  pour- 
quoi il  intitula  le  récit  de  ses  efforts  :  Mercurhis  in  Sole  visus  et  Venus 
invisa  Parisiis  anno  1631  ^. 

En  compagnie  de  son  ami  Peiresc,  il  observa,  en  1636,  à  Marseille, 
la  hauteur  solsticiale  du  soleil  d'été  ^.  Il  pubha  en  1643  une  étude 
motivée  (Judicium)  sur  les  neuf  satellites  de  Jupiter  qtti  fm'ent  obser- 
vés à  Cologne- en  1642  et  1643  '. 

Bref,  les  observations  astronomiques  de  Gassendi  «  sont  aussi 
variées  que  le  permettaient  l'état  de  la  Science  et  les  instruments  de 
l'époque.  Ce  sont  surtout  des  mesures  de  position,  mais  il  ne  néglige 
aucune  observation  physique  ou  météorologique.  Les  phénomènes 
d'optique  atmovsphérique  (halos,  couronnes,  etc.)  l'occupèrent  spécia- 
lement. Il  explora  beaucoup  le  Soleil  pour  en  sm-veiUer  les  taches, 
et  il  a  ainsi  contribué  à  la  détermination  de  leur  cycle.  Aucune  obser- 
vation accidentelle  (échpses,  passages,  occultations,  etc.)  ne  lui 
échappait,  et  sur  les  traces  de  J.  Gaultier,  il  fit  des  observations  de  la 
déxîlinaison  magnétique.  Il  fut  même  des  premiers  à  reconnaître  sa 
variation  séculaire,  sinon  à  l'annoncer.  Les  aurores  boréales  attirèrent 

1.  ...  Fœlieior  fui  qttgiin  tôt  illi  Hernaetiei  qui  fi-ustra  Mercvirium  in  Sole  requii-unt. 
E'!)pT,xa  xxt  èwpaxa  :  inveni,  inquam,  et  vidi  illum,  ubi  hactenus  nemo  viderat 
(Mercurnis  in  Sole  visita...,  OG,  t.  IV,  p.  4&9,  col.  2).  —  On  a  quelques  lettres  de  Gas- 
sendi à  Schickard  (OG,  t.  VI,  pp.  33  ;  35  ;  43  ;  45  ;  59  ;  66,  69  ;  75)  et  de  Schickard  à 
Gassendi  (Ibidem,  pp.  420  ;  433). 

2.  Le  P.  Jean -Baptiste  Cysat,  S.  J.,  né  et  mort  à  Lucerne  (1588-1657),  enseigna 
les  mathématiques  à  l'université  d'Ingolstadt  et  fut  recteur  du  collège  que  les  Jésuites 
avaient  à  Inspruck. 

3.  Mathématicien  de  L'empereur  Mathias. 

4.  Bailly,  Histoire  de  V Astrono-mie  moderne,   t.  II,  L.  III,  §  x,  p.  152.  Paris,  1779. 

5.  Cet  opuscule  parut  à  Paris,  en  1632,  sous  forme  de  Lettres  adressées  à  Schickard. 
On  le  trouve  dans  OG,  t.  IV,  pp.  499-510.  —  Schickard  répondit  :  W.  Shickardi 
Pars  Res'ponsi  ad  E'piatolas  P.  Gassendi  Insignis  Philoaophi  Galli..,  Tubingue,  août 
1632. 

6.  Proportio  Gnonionis  ad  solstitialeni  umhram  observaia  Massiliœ  anno  16S6  pro 
Wendelini  voto.  C©  sont  trois  Lettres  adressées  à  Godefroid  Wendelin,  «  chanoine  de 
Tournai  et  mathématicien  éminent  »,  dans  OG.,  t.  IV,  pp.  523-536.  Cf.  Bailly,  Histoire 
de  Vastronomie  moderne,  t.  II,  L.  III,  §  xxi,  pp.  171-172.  —  Ces  trois  Lettres  parurent 
d'abord  à  La  Haye  en  1656. —  Cette  observation  permit  de  déterminer  la  latitude  de 
Marseille,  pour  laquelle  on  trouva  41°  19'  9".  «  L'observation  est  remarquablement 
exacte.  »  (G.  Bigourdajst,  Sur  les  Travaux  astronomiqiues  de  Peiresc,  dans  Coni/ptea 
rendus  de  V  Académie  des  Sciences,  8  nov.  1915,  t.  CLXI,  pp.  543-545). 

7.  Novem  Stellœ  circa  Joverii  visœ  Coloniœ  exeunte  anno  1642  et  ineunte  anno  1643 
et  de  eisdem  P.  Gassendi  Judicium  epistola  singulari  contentum,  dans  OG,  t.  IV, 
pp.  511-522.  La  lettre  est  adressée  à  Gabriel  Naudé,  «  bibliothécaire  dii  Caa*dinal 
Mazarin  »  ;  elle  parut  à  Paris  en  1643. 


V.   —   DÉMÊLÉS   AVEC   J.-B.    MORIX  167 

aussi  son  attention,  et  c'est  liii  qui  leur  a  donné  ce  nom,  remplacé  aujour- 
d'hui par  celui  d'aurores  'polaires.  Il  fit  aussi  beaucoup  d'observations 
pour  la  réfraction  astronomique,  pour  la  libration  de  la  Lune,  et  il 
eut  grande  part  à  la  sélénographie  entreprise  par  Peii-esc...  Il  ne  rendit 
pas  moins  de  services  en  mettant  l'Astronomie  à  la  mode  par  son  cours 
du  CoUège  de  France,  et  en  achevant  la  déroute  de  l'Astrologie  »  ^. 

V.    —   DÉMÊLÉS    AVEC    JEAN-BAPTISTE    MORIN 

Les  démêlés  de  Galilée  avec  Morm  ^,  professeur  de  Mathématiques 
au  Collège  de  France,  fournit  à  Gassendi  l'occasion  de  dire  son  avis 
sui"  le  système  de  Copernic. 

Ayant  appris  que  Morin  avait  l'iiitention  de  lancer  dans  le  public 
un  «  U^^.•et  »  pom-  combattre  la  doctrine  du  mouvement  de  la  terre 
autour  du  soleil,  Gassendi  "  et  Mersenne  s'efforcèrent  en  vain  de  le 
faii'e  renoncer  à  ce  projet.  Le  «  hvret  »  parut  sous  ce  titre  pompeux 
et  alléchant  :  Famosi  et  antiqui  Prohlematis  de  Telluris  motu  vel  quiète 
hactenus  optata  Solutio  (Paris,  1631)  ^. 

Un  «  personnage  très  distingué  »  (Vir  clarissimus),  venant  d'Italie, 
avait  cependant  communiqué  à  Morin  en  1631,  comme  lui-même  le 
raconte  ^,  un  ouvrage  manuscrit  et  anonyme,  où  le  flux  et  le  reflux 
de  la  mer  étaient  savamment  expliqués  par  le  mouvement  de  la  terre. 
JX  lui  avait  même  révélé  le  nom  de  l'auteur  :  c'était  Gahlée.  Après 
l'apparition  de  l'ouvrage  à  Florence  en  1632  ^,  ]Morin  put  constater, 
sur  l'exemplah'e  dont  Galilée  avait  fait  hommage  à  Gassendi,  qu'on 
ne  l'avait  pas  induit  en  erreur.  Il  ajoute  avec  boime  grâce  que  le  Uvre 
renferme  «  beaucoup  de  choses  doctes  et  subtiles,  qui  sentent  le  génie 
de  Galilée  »  '. 

1.  G.  BiGOtTKDAN,  Note  sur  les  Travaux  de  Gassendi,  dans  Gomptes'rendus  de  V Académie 
des  Sciences,  13  juin  1916,  t.  CLXII,  pp.  897-898.    '  ' 

2.  Jean-Baptiste  Morin,  né  à  Villefranche  (Beaujolais)  en  1583  et  mort  à  Paria 
en  1656,  exerça  la  médecine,  s'adoima  à  l'astrologie  et  enseigna  les  Mathématiques 
au  CoUège  de  France. 

3.  Lettre  de  Gassendi  à  Gaultier,  Paris,  9  juillet  1631.  Cf.  Les  Correspondants  de 
Peiresc,  parTAMxzEY  de  Labroque  :  Gaultier,  prieur  de  La  Valette,  pp.  62-63.  Aix,  1881. 

4.  Gassendi,  dans  une  lettre  à  Galilée,  jugeait  ainsi  cet  ouvrage  de  Morin  :  Cum  meo- 
rum  amicorum  libres  adversus  Telluris  motum  perspectos  habueris,  non  erit,  opiner, 
-qucd  multiun  movearis.  Morinus  prsesertim  subtilis  ;  at  ipse  illi  satis  indicaram  quam 
et  rationes  claudicarent  et  solutiones  abluderent  (Gassendi  à  Galilée,  Paris,  mars, 
1632,  OG,  t.  VI,  pp.  45-46).  Cf.  Ibidem,  p  54,  col.  1,  au  haut. 

5.  J.  B.  Morin,  Responsio  pro  Telluris  quiète  ad  Jacobi  Lansbergii...  Apologiam  pro 
Telluris  7notu,  C.  VI,  p.  54.  Paris,  1634. 

6.  Dialogo  di  Galileo  Galilei...  sopra  i  due  maasimi  sist-emi  del  mondo,  tolemaico  e 
copernicano...  Firenze,  1632.  Ce  Dialogue  est  réparti  en  quatre  journées.  C'est  dans  la 
quatrième  qu'il  est  question  de  l'influence  du  mouvement  de  la  terre  sur  le  flux  et  le 
reflux  de  la  mer.  Cf.  Le  Opère  di  Galileo  Galilei,  Ediz.  naz.,  t.  VII,  pp.  442-444  ;  448- 
454,  Firenze,  1897.  —  Galilée  avait  déjà  soutenu  que  le  flux  et  le  reflux  dépendent  du 
mouvement  de  la  terre.  Cf.  Discorso  del  flusso  e  reflusso  del  m<xre,  adressé  au  cardinal 
Alexandre  Orsini,  Rome,  8  janvier  1616.  Cf.  Le  Opère...,  t.  V,  p.  381.  Firenze,  1895. 

7.  Galilaei  autem  libre  in  lucem  edito,  ab  eoque  ad  D.  Gassendum  hue  misse  et  mihi 
ostenso,  vidi  multa  docta  et  subtilia,  Galilaei  ingeniura  redolentia.  (Morin,  Responsio, 
C.  VI,  pp.  64-55). 


168  ARTICLE    II.    CHAPITRE    V.    —   LA    VALEUR    DU    SAVANT 

Mais  le  prestige  de  Galilée,  dont  les  objections  connues  de  Morin 
n'avaient  pas  suffi  à  empêcher  la  publication  d'un  premier  «  livret  », 
ne  devait  pas  calmer  l'ardeur  d'un  homme  aussi  combatif.  Il  rentra 
dans  la  lice  en  s'attaquant  à  Jacques  Van  Lansberge  ^,  Docteur- 
Médecin,  auteur  d'une  apologie  du  mouvement  de  la  Terre  :  Responsio 
pro  Telluris  quiète  ad  Jacobi  Lanshergii  Doctoris  Medici  Apologiam 
pro  Telluris  motu  (Paris,  1634).  Au  com's  de  ce  second  «  livret  »,  Morin 
raconte  qu'il  avait  envoyé  le  premier  à  Galilée  et  il  ajoute  naïvement  : 
«  GaUlée  montrait  son  étonnement  de  me  voii'  soutenn  le  système 
du  repos  de  la  terre  par  des  raisons  astrologiques  plus  obscures  que  le 
système  lui-même  »  ^. 

On  s'exphque  la  surprise  de  GaUlée.  Morin  avait  une  marotte  : 
il  croyait^  obstinément  à  l'astrologie.  Gassendi,  qui  a  si  bien  montré 
la  vanité  de  cette  prétendue  science  ^,  n'avait  pas  réussi  à  le  guérir 
d'une  illusion  aussi  grossière.  «  ...  Il  (Morin)  est  féru  de  cette  opinion 
(repos  de  la  terre),  comme  de  son  astrologie  et  croit  d'avoir  aussi 
clairement  démontré  Vimmohilité  de  la  terre  au  centre  du  monde,  que 
vous  savez  qu'il  est  persuadé  d'avoir  démontré  la  cabale  des  maisons 
astrologiques  et  autres  principes  de  cette  natiu*e  »  *. 

Malgré  ce  travers  d'esprit,  Morin  était  ((  un  homme  plein  de  savoir 
et  de  mérite  »  ^.  Gassendi  finit  ®  par  se  décider  à  le  contredire  en  prenant 
en  main  la  cause  du  mouvement  de  la  terre.  Mais,  pour  ménager  son 
susceptible  adversaire,  il  s'abstint  de  le  nommer,  se  bornant  à  réfuter 
en  termes  modérés  le  système  soutenu  par  lui.  L'opuscule  de  notre 
astronome  avait  pour  titre  :  De  Motu  impresso  a  Motore  translato  '. 

Dans  cet  opuscule  Gassendi  s'attache  principalement  à  résoudre 
les  difficultés   qu'opposent  les  anti-coperniciens.   Or  l'une  des  plus 

1.  Jacques  van  Lansberge,  médecin  et  mathématicien,  naquit  vers  1690  à  Goes  en 
Zélande  et  mourut  en  1667,  dans  le  comté  de  Hollande,  après  avoir  exercé  la  médecine 
à  Middelbourg,  dont  il  fut  nommé  bouigmestre  en*  1640.  Il  défendit  son  père,  Philippe 
VAN  Lansberge,  partisan  du  système  copernicien,  contre  les  attaques  de  Morin,  dans 
l'ouvrage  Apologia  pro  commentationibus  Philippi  Lanshergii  in  motum  terrœ  diurnum 
et  annuum,  Middelbourg,  1633. 

2.  Primum  exemplar  mei  libri  adversus  Terrse  motum  missum  fuit  D.  Galilseo,  illo 
nequidem  intègre  impresso...  Mirabattu  autem  quod  Tellvu-is  quietem  rationibus  astro- 
logicis,  ipsa  Telliu-is  quiète  obscurioribus,  astruendam  susciperem...  (Responsio...,  C.  IV, 
p.  54).  —  Morin  eut  le  bon  goût  de  ne  pas  utiliser  en  faveur  de  sa  thèse  la  récente 
condamnation  de  Galilée.  Il  déclare  en  effet  dans  sa  Dédicace  de  la  Responsio  à  Riche- 
lieu :  Omissis  enim  iis  quse  in  mese  causae  gratiam  acta  sunt  Romse  adversus  Gali- 
Iseum.,. 

3.  Gassendi,  Syntagma  :  Physica,  Sect.  II,  L.  VI,  T.  I,  pp.  713-762. 

4.  Lettre  de  Gassendi  à  Gaultier,  Opère  citato,  p.  61. 

5.  PoGGENDORFF,  Histoire...,  p.  182. 

6.  Le  dernier  ouATage  de  Morin  est  de  1634,  tandis  que  l'attaque  de  Gassendi  ne 
parut  qu'en  1642. 

7.  Pétri  Gassendi  De  Motu  impresso  a  Motore  translato  Epistolœ  duce  in  guibua 
aliguot  prœcipuœ,  tum  de  motu  universe,  tum  speciatim  de  motu  terrœ  attributo,  difficultatea 
expUcantur,  Paris,  1642.  On  trouve  ces  Lettres  dans  OG,  t.  III,  pp.  478-620.  Elles  sont 
adressées  à  Petrus  Puteanus  (en  français  :  Du  Puy).  Un  religieux  récollet,  le  Père 
Duliris  «  classait  Morin  parmi  l«s  astronomes  papyracés,  c'est-à-dire  qui  ne  font  d'as- 
tronomie que  sur  le  papier  ;  et  il  n'était  pas  le  seul  à  lui  reprocher  de  négliger 
l'observation  »  (G.  Bigourdan,  La  Conférence  des  Longitudes  de  1634,  dans  les 
Comptes  Rendus  de  l'Académie  des  Sciences,  1916,  t.  CLXIII,  p.  233). 


V.   —   DEMELES   AVEC   J.-B.   MORIN  169 

graves  est  celle  de  Tycho-Brahé,  «  à  savoir,  qu'une  pierre,  qu'on  laisse 
tomber  à  l'ouest  d'une  tour,  devrait  s'éloigner  de  la  tom",  parce  que, 
pendant  la  durée  de  la  chute,  la  tour  s'est  transportée  vers  l'est. 
Pour  réfuter  cette  objection,  Gassendi  fit  l'expérience  suivante.  Dans 
le  port  de  Marseille,  siur  une  galère  à  rames,  qui  faisait  quatre  milles 
à  l'heure,  il  laissa  tomber  des  pierres  le  long  du  mât  et  nota  les  endroits 
où  elles  an-ivaient  sm*  le  pont.  Il  trouva  que  les  pierres,  malgré  le 
mouvement  du  navire,  tombaient  toutes  parallèlement  au  mât. 
Il  donna  de  ce  résultat  ime  exphcation  très  juste,  tout  comme  du 
phénomène  analogue,  à  savoir  que  des  objets  lancés  verticalement 
par  un  homme  à  cheval  ou  en  voitm'e  lui  retombent  dans  la  main. 
Il  dit  que  le  mouvement  du  navire,  du  cavaHer  ou  de  l'homme  qui 
voyage  en  voiture  ne  peut  exercer  aucune  influence  sur.  le  corps  qui 
tombe  ou  qu'on  lance  verticalement  de  bas  en  haut,  parce  que  ce 
même  mouvement  est  également  communiqué  au  corps  lancé.  Gas- 
sendi considère  le  mouvement  de  la  terre  justifié  par  cette  expérience 
et  il  a,  sans  contredit,  convaincu  par  cet  argument  maint  esprit 
hésitant  »  i. 

Très  froissé  de  cette  réfutation,  pourtant  très  courtoise,  Morin  y 
répondit  immédiatement  avec  virulence  dans  un  opuscule,  dont  le 
titre  ferait  aujourd'hui  somire  :  Les  Ailes  de  la  Terre  brisées  -.  Gassendi 
crut  bon  de  répliquer  par  une  Apologie,  qu'il  adi'essa,  en  1643,  sous 
forme  de  Lettre,  à  son  vieil  ami,  Gaultier,  Prieur  de  la  Valette,  pas- 
sionné comme  lui  pour  les  recherches  astronomiques.  Le  manuscrit 
fut  expédié  en  Hollande  en  vue  de  l'impression.  Mais,  à  la  prière  d'amis 
communs  aux  deux  adversahes,  Gassendi  le  fit  revenir.  Cependant 
une  copie  de  cette  Apologie  avait  été  envoyée  à  Gaultier,  qui  la  com- 
muniqua à  Mathurin  Neuré,  grand  admirateur  de  notre  philosophe  ^. 

Profitant  d'un  voyage  (1646)  en  Provence,  Morin  alla  visiter  Gaul- 
tier et  Neuré  et  se  vanta,  auprès  d'eux,  d'avoir  si  bien  réfuté  Gassendi 
qu'il  l'avait  réduit  au  silence.  «  Ces  Messieurs  »  craignant  que  les  van- 
tardises colportées  par  Morin  ne  soient  dommageables  à  la  réputation 
de  leur  ami  résolurent  de  pubher,  à  son  insu,  VApologie  dont  il  avait 
arrêté  l'impression.  En  conséquence  Neiu-é  expédia  la  copie  de  Gaul- 
tier à  M.  de  Barancy,  avocat  au  Parlement  de  Lyon,  avec  prière  de  la 
faire  imprimer.  Un  ami  de  Morin  ayant  eu  vent  de  la  chose  s'empressa 
de  l'en  aviser.  Morin  s'en  plaignit  aussitôt  à  Gassendi.  Etonné,  celui-ci 

1.  PoGGENDOBFF,  Histoire..,  p.  183. 

?.  Alœ  Tilluria  fractœ,  curn  physica  Demonstratione  quod  opinîo  Copernicana  de  Tel- 
luris  7notu  ait  faisa,  et  novo  conceptun  de  Oceani  flluxu  atque  refluxu...  Paris,  1643.  — 
MONTUCLA  conclut  ainsi  la  relation  de  la  polémique  entre  Gassendi  et  Morin  sur  le 
mouvement  de  la  terre  :  «  Quant  aux  deux  ouvrages  de  Morin  [Famosi  et  antiqui  Pro- 
blematis  et  Alœ  TeUuris  fractœ],  ils  ne  sont,  aVi  jugement  du  P.  Dechàles,  jésuite,  et 
peu  favorable  au  sentiment  de  la  terre  mobile,  qu'un  tissu  de  mauvaise  Physique. 
On  peut  acquiescer  à  cette  décision  non  suspecte  ».  (Histoire..,  t.  II,  P.  IV,  L.  V,  §  v, 
pp.  297). 

3.  Cf.  Becueil  de  Lettres  des  Sieurs  Morin...,  Préface  [non  paginée],  où  la  suite 
des  faits  relatifs  à  la  publication  de  VApolog'e  est  détaillée  par  Neuré.  Son  témoi- 
gnage a  besoin  d'être  contrôlé  par  celui  de  Gassendi,  qu'on  trouvera  dans  la  lettre 
qu'il  écrivit  à  Morin,  cf.  Ibidem,  pp.  4-6.  —  Sur  NEtTRÉ  cf.  infra,  p.  171,  Note  4. 


170  ARTICLE    II.    CHAPITRE    V.    —    LA    VALEUR    DU    SAVANT 

demanda  des  explications  à  «  ces  Messieurs  »,  qui  lui  répondirent  que 
c'était  bien  leur  intention  d'éditer  V Apologie,  mais,  «  puisqu'ils  voyoient 
que  j'y  avois  tant  de  répugnance  et  que  je  leur  defendois  si  fort, 
ils  ne  le  feroient  point  »  \  Emportés  par  leur  zèle  intempérant,  ils  ne 
tim-ent  pas  parole.  La  «  pièce  »  fut  imprimée  secrètement  et  tenue 
cachée  pendant  plus  de  deux  ans.  Jugeant  le  moment  favorable 
ou  perdant  patience,  «  ces  Messiem-s  »  la  lancèrent  enfin  dans  le  public 
en  1649  ^.  Irritation  bien  naturelle  de  Morin,  qui  protesta  véhémente- 
ment dans  une  Lettre  au  neveu  du  Prieiu*  de  la  Valette,  Mr  Gaultier, 
Conseiller  au  Parlement  d'Aix  ^.  De  son  côté  Gassendi  envoya  à  Morin 
une  Lettre  adnfirable  *,  où  il  montre  à  nu  sa  belle  âme,  amie  de  la 
concorde  et  pleine  de  charité.  Tout  confus  de  la  conduite  de  ses  indis- 
crets amis  qui  semblent  l'associer  à  une  manœuvre  équivoque, 
il  déclare  au  plaignant  :  «  Je  n'ose  presque  vous  prier  de  m'adjouster 
foy,  quand  je  vous  proteste  de  n'en  avoù-  rien  du  tout  sceu  »  ^.  Il  est 
disposé,  en  réparation,  à  lui  donner  toute  satisfaction  qui  sera  en  son 
pouvoir  :  «  Et  pleust  à  Dieu  qu'en  tout  cecy  il  se  peust  trouver  quelque 
expédient  pour  vous  satisfaire  ;  pource  que  je  le  ferois  de  très-bon 
cœm-,  et  ne  me  contenterois  point  de  désavouer  simplement,  comme  je 
suis  prest  de  le  faire,  et  en  privé  et  pubhquement,  le  procédé  de  ces 
Messiem's  pour  avoir  publié  VApologie  au  préjudice  des  prières,  et, 
si  je  l'ose  dire,  des  défenses  tres-expresses  que  je  leur  en  avois  faites, 
et  de  la  parole  qu'ils  m'en  avoient  donnée  »  ^. 

Toujours  féru  de  ses  idées  astrologiques,  Morin  crut  se  venger 
savamment  de  Gassendi  en  annonçant  sa  mort.  Voici  comment  Ber- 
nier  nous  raconte  cette  prédiction  manquée,  qui  fit  rire  aux  dépens 
de  son  auteur  :  «  Je  diray  seulement,  pom-  une  éternelle 'honte  de  cet 
Astrologue  Morin,  que  voyant  que  M.  Gassendi,  qui  se  mocquoit  de 
son  Astrologie  judiciaire,  estait  infirme  et  atteint  d'une  fluxion  sur  la 
poitrine,  il  fut  assez  imprudent  pour  prédire  et  faire  sçavoir  à  tout  le 
monde  par  un  Imprimé  exprès,  qu'il  mourroit  sur  la  fin  de  Juillet  ou 
au  commencement  d'Aoust  de  l'amiée  1650,  prétendant  par  là  ériger 
mi  Trophée  à  son  Astrologie  ;  et  cependant  M.  Gassendi  ne  se  porta 
jamais  mieux  qu'en  ce  temps-là,  et  il  reprit  tellement  ses  forces  qu'il 
me  souvient  que  le  cmquieme  de  Février  de  l'année  suivante  nous 
montâmes  ensemble  la  Montagne  de  Toulon  pom-  faire  les  Expériences 
du  Vuide  »  '. 

1.  Lettre  de  Gassendi  à  Morin,  dans  Recueil..,,  p.  4. 

2.  Pétri  Gassendi  Apologia  in  Jo.  Bap.  Morini  Librum,  cui  titulus  Aise  Telluris 
fractae.  Epistola  IV  De  Motu  impresso  a  Motore  translata.  Una  cum  tribus  Galilœi 
Epiatolis  de  concilialÂone  Scripturœ  S.  cum  aystemate  Telluris  mobilis,  quarum  duœ 
posteriorea  nondum  editœ  nunc  prinium  M.  Neuk^i  cura  prodeunt,  Lyon,  1649,  — 
On  trouve  cet  opuscule  dans  OG,  t.  III,  pp.  520-563,  sous  ce  titre  :  Epistola  III  in 
Librum,..  Datée  de  Paris,  1643,  cette 'Lettre  est  adressée  à  Gaultier,  Prieur  de  la 
Valette. 

3.  Lettre  de  Morin  à  Mr  Gaultier,  dajas  Recueil,  pp.  1-20. 

4.  Morin  a  reproduit  la  Lettre  de  Gassendi  dans  sa  Lettre  à  Mr  Gaultier,  dans  RecueU, 
pp.  4-6. 

5-6.  Lettre  de  Gaasendd  à  Morin,  dans  Recueil,  pp.  5  et  6. 

7.  Bebnier,  Abrégé...,  t,  IV,  Part.  V,  C.  III,  p.  489,  Lyon,  1678.  —  Cf.  AnatomÂct 
ridiculi  Muria,..,  pp.  126-170.  —  Ce  sont  sans  doute  des  procédés  de  cette  sorte  qtii 


V.   —   DÉMÊLÉS   AVEC   J.-B.    MORIX  171 

Cette  prédiction  mallieureuse  fut  un  intermède  comique  qui  dérida 
un  moment  les  spectatem's  de  la  lutte.  Morin  allait  redisant  que, 
s'il  s'abstenait  de  répondre  à  V Apologie  de  Gassendi,  ce  n'est  point 
qu'il  fût  embarrassé  pour  le  faire  ;  mais  il  avait  donné  sa  parole  de 
garder  le  silence.  Gassendi,  dans  une  seconde  Lettre  à  Morin,  disait 
généreusement  à  son  adversaire,  pour  conclure  :  J'ai  fait  savoir  à  mes 
amis  «  que  je  vous  ay  rendu  la  parole  que  vous  avez  tant  repété  que 
vous  m'aviez  donnée,  et  tant  affecté  de  me  redonner,  et  qu'il  ne  tient 
qu'à  vous  de  faii'e  telle  response  que  bon  vous  semblera  à  mon  Apolo- 
gie ))  ^. 

Morin  n'était  pas  homme  à  se  le  faire  dire  deux  fois.  Il  lança  immé- 
diatement une  Dissertation  sur  les  Atomes  et  h  Vide  contre  la  Philosophie 
épicurienne  de  Pierre  Gassendi  ^.  L'opuscule  est  pompeusement  dédié 
au  prince  Henri  de  Bourbon,  évêque  de  Metz,  abbé  de  Saint-Germain- 
des-Prés,  etc.  Dans  cette  Dédicace,  l'auteur  remarcpie  avec  complai- 
sance que,  «  si  l'œuvre  est  très  petite  par  la  masse  »  (elle  ne  compte  en 
effet  que  32  pages),  «  elle  est  très  grande  par  l'importance  »  et  n'est 
inspirée  que  par  «  le  seul  amour  du  vrai  ».  Il  s'agit  de  «  combattre  la 
philosophie  d'Épicure  qui,  dans  ce  siècle  très  fertile  en  esprits  forts, 
a  osé  se  produire...  sous  le  patronage  de  Pierre  Gassendi,  Théologien 
et  Prévôt  de  l'ÉgUse  de  Digne  »  ^. 

Gassendi  ne  voulut  point  se  commettre  avec  un  homme  si  peu  maître 
de  lui-même.  Mais  ses  disciples,  moins  endm'ants,  tinrent  à  honneur 
de  soutenu-  sa  querelle.  Ce  fut  Bernier  qui  endossa  la  responsabihté 
des  répliques,   mais  il  eut  des  collaborateurs,  notamment  Neuré  *. 

valurent  à  Morin  d'être  appelé  par  Chapelain  «  l'impertinent  tiracleiir  »,  mot  familier 
qui  veut  dire,  paraît-il,  charlatan.  Cf.  Chapelain  à  Bernier,  Lettre  du  25  a\rril  1662. 
Cf.  Lettres  de  J.  Chapelain  (ijubliées  par  Ph.  Tamizey  de  Larkoqtje,  dans  Collection 
de  Documents  inédits  sur  l'Histoire  de  France,  2^  Série),  t.  II,  p.  226,  col.  2,  Paris,  1883. 

1.  Lettre  de  Gassendi  à  Morin,  septembre  1649,  dans  Recueil...,  p.  153. 

2.  Dissertatio  Jo.  Bapt.  Morini  de  Atomis  et  Vacuo  contra  Pétri  Gassendi  Philoao- 
pliiain  Epicureani,  Paris.   1650. 

3.  Equidem  Libellus  mole  perexiguus  est,  sed  mwaento  maximus,  quem  nec  invidia 
nec  vindictse  studhim,  at  solus  veritatis  amor  peperit  contra  Philosophiam  EpicuBÏ,  qui 
hoc  seculo,  fortium  (ut  vocantur)  ingeniorum  feracissimo,  adhuc  ambo  sua  ridicula 
vacui  et  Atomi  cornua  veteris  limacis  instar  promere  sub  Pétri  Gassendi  Ecclesi» 
Diniensis  Theologi  atque  Prsepositi  tutamine  ausus  est  adversus  A'eriorem  Philoso- 
phiam a  seculi  Sapientioribus  receptam  (J.-B.  Morin,  Disaeitatio...,  Dedic.  Serenia- 
simo  Principi  Henrico  Borbouio,  Metensimn  Episcopo,  [non  paginée],  p.  1). 

4.  Mathurïn  Nettré,  né  à  Loudim  (on  ne  sait  queU©  année)  et  mort  à  Paris  (1677), 
entra  chez  les  Chartreux  à  Bordeaux.  Mais  il  quitta,  l'habit  religieux  et  abandonna 
son  vrai  nom  :  Lauee2st  Mesme  pour  prendre  celui  de  Mathurin  Netxré.  Comme  il 
avait  des  dispositions  pour  les  sciences,  Gassendi  lui  procura  la  place  de  précepteur 
chez  M.  de  Champigny,  intendant  de  Provence  ;  puis  il  fut  chargé  de  l'éducation  des 
fils  de  Madame  de  Longuevillo  qui  lui  iit  une  pension.  Dans  un  moment  de  gène, 
M''^^  de  Longueville  dut  restreindre  la  pension  sur  laquelle  Neuré  vivait.  Outré  du 
procédé,  il  osa  lancer  une  satire  contre  sa  bienfaitrice.  Quoique  lié  avec  Morin,  il  n'hésita 
point  à  collaborer  aux  libelles  diffamatoires  de  Bernier  conti-e  lui.  En  somme,  c'est  un 
tiriste  personnage.  M.  de  Montmor  raconte  (Préface  aux  Œuvres  de  Gassendi,  t.  I, 
p.  4),  qu'il  avait  confié  «  à  Mathurin  Neuré,  homme  d'une  instruction  très  variée  * 
(Mathurino  Netjreo,  vira  omni  génère  doctrinœ  instructo)  le  soin  d'écrire  la  vie  de- 
Gassendi.  Il  est  heureux  que  ce  projet  n'ait  point  abouti  :  Neuré  eût-il  été  capable  de* 
comprendre  la  beauté  morale  de  son  héros  ?  —  Il  lisait  beaucoup,  mai»  il  n'écrivewt 


172       ARTICLE  II.  CHAPITRE  V.  —  LA  VALEUR  DU  SAVANT 

A  la  Dissertation  de  «  l'Astrologue  »  Morin  il  opposa  :  Anatomia  ricli- 
culi  Mûris,  hoc  est  Dissertatiunculœ  J.  B.  Morini,  Astrologi,  adversus 
expositam  a  P.  Gassendo  Epicuri  Philosophiam.  Itemque  obiter  pro- 
phetiœ  falsœ  a  Morino  ter  evulgatœ  de  morte  ejusde^n  Gassendi...  Accessit 
ode  et  palinodia  de  eo  Morino  per  Bellilocum  iterato  édita,  Paris,  1651, 
La  «  Défense  »  ne  se  fit  point  attendre  :  J.-B.  Morini,  Doctoris  Me- 
Dici...  Defensio  suce  Dissertationis  de  Atomis  et  Vacuo...  contra  Fran- 
cisci  Bernerii  Andegavi  Anatomiam  ridicuU  Mûris,  etc.  (Paris,  1651). 
Bernier,  cette  fois,  rumina  longtemps  sa  riposte,  car  elle  ne  parut  que 
dans  la  deuxième  année  qui  suivit  l'attaque  :  Favilla  ridiculi  Mûris, 
hoc  est  Dissertatiunculœ  ridicule  defensœ  a  Joan.  Baptist.  Morino, 
Astrologo,  adversus  expositam  a  Petro  Gassendo  Epicuri  Philosophiam... 
Paris,  1653.  Enfin,  prenant  comme  masque  le  nom  de  Vincentius 
Panurgus,  Morin  lança  une  dernière  contre-attaque  dont  le  titre 
même  était  une  insulte  :  Vincentii  Panurgi  Epistola  de  tribus 
Impostoribus  ad  Clarissimum  Virum  Joan.-Baptistam  Morinum  (Paris, 
1654).  Les  trois  imposteurs  visés  étaient  Gassendi,  Neuré  et  Bernier. 
Cette  polémique,  acerbe  et  outrageante  des  deux  côtés,  n'avait  duré 
que  trop  longtemps.  Neuré  passe  pour  avoir  fourni  Bernier  d'anecdotes 
scandaleuses  .plus  ou  moins  authentiques  à  l'adresse  du  pauvre  «  Astro- 
logue »,  qui,  d'ailleurs,  n'était  pas  en  reste  d'invectives.  Le  tranquille 
et  doux  Gassendi  vit  avec  peine  ses  amis  s'engager  dans  cette  alter- 
cation violente  qu'il  désapprouvait. 

Relevons,  en  teminant  le  récit  de  ces  démêlés,  une  accusation  per- 
fide de  Morin.  Il  prétend  que  Gassendi,  en  homme  prudent,  dissimulait 
sa  vraie  pensée,  suspecte  d'hétérodoxie,  redoutant  les  poursuites  de 
l'Inquisition,  ou,  comme  il  dit  dans  un  style  qui  veut  être  plaisant, 
«  par  crainte  des  atomes  du  feu  »  (metu  atomoriim  ignis)  ^.  Mais  cette 


point,  gardant  pour  lui  sa  science.  On  ne  cite  de  Neuré  qu'un  opuscule  anonyme,  adressé 
à  Gassendi,  dont  voici  le  titre  :  Querela  ad  Gassendum  de  fatum  christianis  Provincialium 
suorurn  ritihus  mininiwinque  sanis  eorumdeni  tnoribus,  ex  occasione  ludicrorum,  quœ 
Aquis  Sextiis  in  solemnitate  Corporis  Christi  ridicule  celehrantur,  Aix,  1645.  —  En 
réponse  à  la  lettre  (Cf.  Opéra  Gassendi,  t.  VI,  pp.  467-469),  où  Neuré  décrit  un  phoque 
pris  dans  la  Méditerranée,  Gassendi  lui  envoie  ses  félicitations  qui  semblent  excessives  : 
«  Pauca  pro  multis,  mi  Neursee  ;  sed  duo  nempe  verba  sufïiciunt,  admiratio  et  gratitude. 
Quippe  rapit  me  in  admirationem  tua  iUa  phocae  descriptio  adeo  accurata  atque  elegans 
ut  videre  rem  videar...  Optandum  ut  ssepiuscule  tibi  ingeratur  occasio  conscribendi 
similia,  quando  ea  tui  styli  fœlicitas  est  ut  niliil  non  graphice  exhibeas.  (Ibidem,  p.  181, 
c,  1),  Lettre  de  Gassendi,  Paris,  11  mars  1644).  —  Lettres  de  Gassendi  à  Neuré,  Ibidem, 
pp.  168  ;  172  ;  181  ;  220;  325.  —  Lettres  de  Neuré  à  Gassendi,  Ibidem,  p.  461  ;  467  ;  487. 
1.  Voici  le  passage  d'où  ces  mots  sont  extraits  :  Formas  vero  substantiales  dari  in 
Natura  Gassendus  cum  Epicuro  negant...,  ita  ut  in  universa  Natura  nulla  sit  forma 
substantialis  prœter  hominis  f  ormam  rationalem,  vel  animam,  quam  solam  Gassendus 
excipit,  metu  forsan  ignis  atomorum  (Dissertatio  Jo.  Bapt.  Mokini...  De  Atomis  et 
Vacuo....,  p.  8,  §  Porro,  vers  le  milieu).  —  Morin  fait  aUusion  à  la  définition  du  Concile 
de  Vienne  disant  que  l'âme  raisonnable  est  le  principe  vital  de  l'homme.  A  l'en  croire, 
Gassendi  ne  s'y  conformerait  qu'extérieurement,  pour  éviter  les  bûchers  de  l'Inqui- 
sition. —  Morin  aimait  sans  doute  à  répéter  cette  mauvaise  plaisanterie  dans  les  cercles 
où  il  fréquentait.  Elle  fit  quelque  bruit,  car  Segrais  nous  l'a  rapportée  :  «  On  lui  [Morin] 
objectoit  que  Gassendi  étoit  un  bon  Prêtre,  qu'il  vivoit  exemplairement  ;  et  qu'il  n'avoit 
pas  seulement  refuté  par  écrit  ce  qu'Epiciu-e  avoit  apris  et  annoncé  d'impie,  mais 
encore  qu'il  le  refutoit  de  vive-voix.  A  cela,  Morin,  qui  étoit  prévenu-  contre  Gassendi, 


VI.  —  RELATIONS  AVEC  GALILÉE  17Î 

accusation  ne  pouvait  trouver  crédit,  parce  que  la  sincérité  de  notre 
philosophe  était  suffisamment  connue  et  appréciée  de  tous  ceux  qui 
l'avaient  approché  ou  lu  ses  ouvrages. 

VI.    —    RELATIONS    AVEC    GALILÉE 

Gassendi  professa  toujours  pour  GaUlée  la  plus  vive  admiration. 
En  remerciant  l'illustre  florentin  de  l'envoi  de  son  Dialogo,  il  l'élève 
aux  nues  et  manifeste  pour  le  système  copernicien  la  plus  chaleureuse 
sympathie  :  tout  lui  a  plu,  au  plus  haut  degré,  dans  les  raisonnements 
par  lesquels  Gahlée  cherche  à  l'étabKr  ^.  Quand  le  bruit,  encore  incer- 
tain, de  la  condamnation  prononcée  par  la  Congrégation  du  Saint- 
Office  2,  parvint  aux  oreilles  de  Gassendi,  il  adressa  une  très  belle 
lettre  «  au  très  illustre  Galilée,  dont  le  nom  sera  éternel  ».  Il  lui  demande 
discrètement  si  la  rumeur  persistante  qui  court  à  son  sujet  est  fondée, 
ne  voulant  pas  y  croire  ^  avant  que  la  chose  ne  soit  complètement 
éclaircie.  «  Quoi  qu'il  en  puisse  être,  je  connais  assez  la  modération 
de  votre  esprit  pour  savou"  que  tout  événement,  favorable  ou  non 
à  vos  désirs,  vous  trouvera  prêt  à  le  recevoir...  Vivez  donc  semblable 
à  vous-même  afin  que  votre  existence  s'écoule  très  heureuse  et  ne 
permettez  pas  que  votre  vieillesse  vénérable  soit  découronnée  de  cette 
sagesse  qui  a  été  jusqu'ici  la  fidèle  compagne  de  votre  vie.  S'il  arrive 
que  le  Saint-Siège  porte  quelque  décret  contre  vous,  je  veux  dire, 
contre  vos  opinions,  soumettez-vous,  comme  il  convient  à  un  homme 
très  sage.  Qu'il  vous  suffise  de  penser  que  l'amour  seul  de  ce  qui  vous 

repondoit  :  Savez-vous  pourquoi  il  en  use  ainsi  ?  c'est  qu'il  dissimule  ynetu  atomoruni 
ignis.  »  (Jean  Renaud  de  Segrais,  Œuvres  diverses,  t.  I,  Mémoires,  Anecdotes,  p.  39, 
Amsterdam,  1723). 

1.  Assurgis  quo  Mortalium  nemo  subevectiis  est  hactenus Dicerem  plura,  sed,  si 

perspectus  tibi  utcumque  meus  est  Grenius,  divinabis  plane  nihil  esse  in  tuis  ratiociniis 
quod  siunmopere  mihi  non  arrideat.  (Gassendi  à  Galilée,  Lyon,  l*^"^  novembr.  1632, 
dans  OG,  t.  VI,  p.  53,  col.  2  vers  le  milieu).  L'en-tjte  porte  :  Viro  nunquam  satis  lau- 
dato  Galileo  Gauxei. 

2.  Sur  le  sens  et  la  portée  delà  condamnation  de  Galilée,  voir  :  G.  Sortais,  Histoire 
de  la  Philosophie  ancienne  :  Antiquité  classique.  Epoque  médiévale.  Renaissance,  n°  81, 
l)p.  377-386,  Paris,  1912  ;  ou  bien  :  Le  Procès  de  Galilée.  Etude  historique  et  doctrinale, 
Ch.  III,  pp.  31  sqq.,  Paris    1911*. 

3.  Galilée  lui-même  avait  informé  Gassendi  qu'il  était  cité  devant  le  tribunal  du 
Saint  Office.  En  l'annonçant  à  Campanella,  il  en  marque  n  son  étonnement,  parce  que 
Galilée  n'a  rien  publié  sans  approbation»  (...  Ex  amplis  nuper  a  Galilseo  epistolis  rescivi 
ipsum  brevi  Romse,  quo  citatus  est,  adfuturum.  Id  miratus  sum,  quoniam  nihil  non 
approbatum  edidit  ;  sed  nostrum  non  est  nosse  haec  momenta.  (Gassendi  à  Campanella, 
Aix,  10  Mai  1633,  OG,  t.  VI,  p.  56,  col.  2,  vers  le  haut).  L'étonnement  de  Gassendi  aurait 
cessé  s'il  avait  été  au  courant  de  la  conduite  de  Galilée.  Le  Père  Riccardi,  Maître  du 
Sacré-Palais,  avait  accordé  la  licence  d'imprimer  les  Dialogues  inoyennant  certaines 
corrections.  Galilée  obtint  à  Florence,  où  l'oux-rage  fut  édité,  un  permis  d'imprimer 
sans  restriction.  Il  commit  la  faute  de  mettre  en  tête  du  livre,  à  côté  de  VImprimutur 
florentin,  l'autorisation  du  Père  Riccardi,  sans  faire  les  modifications  imposées.  Ce 
procédé  peu  loj'al  fut  l'un  des  motifs  qui  provoquèrent  sa  citation.  —  Notons  en  passant 
que  B.  AuBÉ  a  fait  un  contresens  quand  il  traduit  nihil  non  approbatum  :  «  il  n'a  rien 
écrit  qui  ne  mérite  d'être  approuvé.  »  (Benjamin  Aube,  article  sur  Gassendi,  dans 
Nouvelle  biographie  générale,  col.  572,  Paris,  F.  Didot,  1857). 


174       ARTICLE  II.  CHAPITRE  V.  LA  VALEUR  DU  SAVANT 

a  paru  être  la  vérité  est  l'unique  sentiment  dont  vous  ayez  été  toujours 


anime  »  ^. 

Gassendi,  quand  il  connut  avec  certitude  l'existence  de  la  condam- 
nation, ne  s'en  exagéra  point  la  portée  :  «  Je  respecte,  écrit-il  en  1642, 
la  décision  par  laquelle  quelques  cardinaux  ont,  d'après  ce  que  l'on 
rapporte,  approuvé  l'opinion  de  l'immobilité  de  la  terre...  Je  n'estime 
pas  néanmoins  que  ce  soit  un  article  de  foi  ;...  mais  leur  décision  doit 
être  considérée  comme  un  préjugé  d'un  très  grand  poids  dans  l'esprit 
des  fidèles  »  ^.  Le  décret  du  Saint-Office  ne  tranchait  pas  la  question 
d'une  manière  péremptoire  et  laissait  la  porte  ouverte  à  des  recherches 
ultérieures  ^.  Les  savants,  qui  croyaient  avoir  de  bonnes  raisons  pour 
admettre  le  système  de  Copernic,  pouvaient  garder  leurs  préférences. 
C'est  l'attitude  prise  par  Gassendi  ;  mais  il  le  fit  avec  sa  modération 
habituelle.  Tout  d'abord  même  il  ne  manifesta  point  au  pubHc  de  quel 
côté  allaient  ses  sympathies.  Dans  le  cours  qu'il  professa  au  Collège 
de  France  et  qu'il  pubHa,  en  le  dédiant  au  cardinal  Alphonse  de 
Richeheu,  archevêque  de  Lyon,  sous  ce  titre  :  Institutio  astronoînica 
juxta  hypotheseis  tam  Veterum  quam  Copernici  et  Tychonis  dictata  a 
Petro  Gassendo  (Paris,  1647)  *,  il  se  contenta  d'exposer  successivement 
les  systèmes  -divers  de  Ptolémée,  de  Copernic  et  de  Tycho-Brahé, 
en  simple  et  fidèle  rapporteur  ^.  Plus  tard,  dans  l'œuvre  où  il  laissait 
pour  la  postérité  sa  pensée  définitive,  notre  astronome  montre  modes- 

1.  Clarissimo  ac  jeterni  nominis  viro  Galileo  Galilei.  ■ —  Magna  me  tenet  exspectatio 
(o  magnum  œvi  nostri  Decus)  qi:id  reiiim  tibi  con^igerit.  Tametsi  enim  rumore 
crebro  nescio  quid  divulgatum  est  ;  haud  fido  nihilomimis  donec  res  fuerit  plane 
perspecta.  Utcunque  sit,  eam  esse  novi  animi  tni  moderationem  ut,  seu  pro 
votis,  seu  praeter  vota,  aliquid  intervenerit,  paratissimus  fueris  ad  omnem  for- 
tunîe  e\'entum...  Vive,  e.go  similis  tui  ut  degas  fœlicissime,  neque  patere  ^it  hanc  adeo 
venerabilem  senectutem  sapientia,  quse  semper  tibi  cornes  individua,  destituât.  Si 
quid  fortassis  adversus  te,  hoc  est  adversus  placita  tua  Sanctissima  Sedes  definiit, 
îequo  animo  acquiesce,  ut  virum  decet  prudentissimum,  satisque  esse  reputa  quod 
animatus  non  fueris  nisi  in  gratiam  solius  semper  créditée  tibi  veritatis  (Digne,  19  jan- 
vier 1634,  OG,  t.  VI,  pp.  66-67). 

2.  . . .  In  eo  proinde  sum  ut  placitum  illud  reverear,  quo  Cardinales  aliquot  approbasse 
terrae  quietem  dicuntur...  Non  quod  propterea  existimem  articulum  tîdeiesse;  ...  sed 
quod  illorum  judicium  habendum  prsejudicium  sit,  quod  non  possit  apud  fidèles  non 
maximi  esse  momenti  (De  Motu  impresso  a  Motore  trandato...,  OG,  t.  III^  p.  519, 
§  xm). 

3.  En  1661,  le  Père  Honobé  Fabri,  jésuite,  disait  dans  un  livre  imprimé  à  Rome 
avec  le  visa  de  l'autorité  responsable  des  publications  :  «  On  a  souvent  demandé  à  vos 
corj'^phées  [il  «'adresse  à  un  partisan  de  Galilée],  s'ils  pouvaient  donner  tine  démons- 
tration du  moxiv-ement  de  la  terre  ;  ils  n'ont  jamais  osé  répondre  affirmativement. 
Rien  ne  s'oppose  donc  à  ce  que  l'TEglise  prenne  et  ordonne  de  prendre  dans  le  sens  littéral 
ces  passages  de  la  Sainte  Ecriture  [qui  parlent  du  mouvement  du  soleil],  jusqu'à  ce  que 
l'opinion  opposée  ait  été  démontrée.  Si  vous  trouvez  cette  démonstration,  chose  que 
j'ai  peine  à  croire,  alors  l'Eglise  ne  fera  aucune  difficulté  de  reconnaître  que  ces  passages 
doivent  être  entendus  dans  xin  sens  métaphorique  et  impropre,  comme  ces  mots  du 
poète  :  Terrœque  tirbesqm  recedunt.  «  (Ettstacfiius  de  Divinis  Septempedanus  pro  sua 
annotaiione  in  Systema  Satuminum  Christiani  Hugenii  adversus  ejusdem  assertionem, 
p.  49.  Rome,  1661). 

4.  Cet  ouvrage  a  eu  plusieurs  éditions  en  Erance  et  à  l'étranger. 

5.  Gassendi,  à  jn-opos  du  système  de  Copernic,  le  dit  formellement  :  Neque  enim 
nos  alioquin  eponsores  vadesque  ipsiias  prs^stamus.  (Institutio  astronomica...,  L.  III, 
C.  I,  dans  OG.,  t.  IV,  p.  47,  §  Cum  sit,  à  la  fin). 


VII.    —  LA    CIRCULATION    DU   SANG  175 

teonent,  mais  claii-emeiit,  qu'à  envisager  la  question  en  elle-même,  il 
incline  toujom's  vers  la  solution  de  Copernic  et  de  Galilée.  Cependant 
ceux  qui  ont  pom*  le  décret  du  Saint-Office  une  déférence  respec- 
tueuse, doivent  plutôt  suivre  et  défendre  Topinion  de  Tycho-Brahé, 
qui  suffit  à  expliquer  les  phénomènes  tels  qu'ils  nous  apparaissent  ^. 

VII.    —   LA    CIRCULATION   DU    SANG 

Il  est  une  autre  découverte,  celle  de  la  circulation  du  sang  par 
Harvey  ^,  pour  laquelle  Gassendi  montra  également  une  grande  sym- 
patliie.  Mais  son  esprit  pénétrant  lui  suggéra  des  objections  qui 
semblent  l'avoir  détoiu:né,  quoi  qu'en  ait  dit  Sorbière  ^,  d'y  adhérer 
jamais  pleinement,  sans  inquiétude  et  sans  réserve. 

En  1648,  Samuel  Sorbière  fit  paraître,  à  Leyde,  un  opuscule  inti- 
tulé :  Discours  sceptique  sur  le  passage  du  chyle  et  le  mouvement  du 
cœur,  où  sont  touchées  quelques  difficultés  sur  les  opinions  des  veines 
lactées  et  de  la  circulation  du  sang.  Ce  «  Discours  »,  ou  plutôt  cette 
Lettre,  qui  est  adressée  «  à  M.  du  Prat,  Docteur  en  Médecine  »  *,  n'est 
signée  que  des  initiales  de  l'autem"  :  S.  S,  Mais  ces  initiales  rendaient 
le  voile  transparent,  surtout  à  Leyde,  où  Sorbière  était  bien  connu. 
La  Lettre  porte,  en  queue,  la  date  du  15  octobre  1647. 

Le  correspondant  de  du  Prat  débute  ainsi  :  «  Vous  m'avés  souvent 
demandé  que  je  vous  fisse  sommaire  des  raisons  que  nostre  ami 
commun  apportoit  contre  le  passage  du  chyle  par  les  veines  lactées 
et  contre  la  circulation  du  sang  par  les  artères  »  (p.  3).  Il  se  domie 
comme  un  simple  écho  des  discours  de  cet  ami,  «  desquels  il  nous  entre- 
tint un  jour  que  M.  de  Martel  et  moi  le  visitasmes  »  (p.  4.)._ 

1.  ...  Videtur  qviidem  Copernicanum  [Systema]  planius  esse  atque  concinniua  ; 
verum  quia  Textus  Sacri  siint,  qui  terrae  quietem  et  soli  niotuni  tribuunt,  ac  exstare 
decretum  ferunt,  quo  Textus  Iiuju?cemodi  non  de  apparente  dunitaxat,  sed  de  vera 
etiam  qiriete  ac  motione  intelligenidi  esse  jubentvir  ;  ideo  superest  ut  taie  decretum  reve- 
rentibuB  Thyeomicinn  potiuB  Systema  et  probetiu"  et  defendatur.  fSyntagma  :  Physica, 
T.  I,  Sect.  I,  L.  I,  C.  in,  p.  149,  coL  1).  —  ...  [Cmn]  neque xiUa  alla  [hypothejsis]  eupei-Bit, 
quae  sahi^ndis  phsenomems  seque  ac  Thyeonica  idonea  sit,  ideo  ipsa  sit  quam  ftm.plecti 
paseim  ae  tueri  juvet  (Ibidem,  Sect.  II,  L.  III,  C  IV,  p.  615,  col.  1). 

2.  W.  BLa.ex'ey,  Exercitatio  anatomica  de  motu  cordis  et  eanguinis  in  animaMbue, 
Francfort,   1628. 

3.  Cf.  infra,  p.  177,  note  3. 

4.  Abeaham  du  Pbat,  Docteur  en  Médecine  et  Oonsoiller  du  Roi,  naquit -en  1620  efc 
mourut  eu  1660  ;  il  fut  cher  à  Gassendi.  Cf.  p.  212,  n.  6.  Sorhière  fait  de  lui  un  grand 
éloge  :  «  Il  ayma,  dit-il,  les  lix-res  et  les  sciences  plus  que  les  biens  de  la  fortune.  »  (Rela- 
tions, Lettres  et  Discours  sur  diverses  matiènree  curieuses.  Parie,  1660,  p.  312).  —  Du  Prat 
était  plutôt  cartésien  que  gassendiste  en  Physique  :  «  Nous  sui\nons  des  hj-pothèses 
diverses  en  Physique,  le  plein  et  la  fraction  indéfinie  de  la  mati^e  estant  plus  à  son 
usage  que  le  vuide  et  les  atomes,  que  je  trouvais  plus  commodes  pour  le  mouvement  et 
pour  la  composition  des  choses.  »  (Ibidem,  pp.  312-313).  Mais  cette  divergence  d'opi- 
nions n'empêcha  point  du  Prat  (Pratœus  noster,  comme  Sorbière  Tapiselle  quand  il 
en  pade  à  Gassenidi)  d'être  le  bon  ami  de  Sorbière  et  de  Gassendi.  —  On  trouvera  des 
lettres  de  Sorbière  à  du  Prat  et  de  du  Prai  à  Sorbière  dans  Epistolœ  Sorberii  et  ad  Sor- 
beriuni,  Bibl.  Nat.,  Mss.  Fonds  lat.  10352.  Cf.  Tables  :  T.  I,  p.  8  recto;  T.  II,  p.  1  6 
recto  à  17  recto.  —  Letùre  de  du  Prat  à  Gassendi  dans  OG,  t.  VI,  p.  481.  —  Béponse  de 
Gassendi  à  du  Prai,  OG,  t.  Vi,  pp.  203-204. 


176       ARTICLE  II.  CHAPITRE  V.  —  LA  VALEUR  DU  SAVANT 

«  L'ami  commun  »  n'est  autre,  on  l'a  deviné,  que  Gassendi  lui- 
même.  En  composant,  sans  1q  consulter,  cet  opuscule  scientifique, 
Sorbière  prit  une  de  ces  initiatives  peu  délicates,  dont  nous  le  verrons 
dans  la  suite  fournir  plus  d'un  exemple  fâcheux  ^.  Au  lieu  d'obtenir 
au  préalable  l'agrément  du  principal  intéressé,  il  commence  par  rédi- 
ger son  «  Discours  »  ;  puis  il  prévient  Gassendi  que  pressé  depuis 
longtemps  par  des  amis,  notamment  par  du  Prat,  il  s'est  enfin  décidé 
d'écrire  le  sommaire  sollicité  ^.  C'était  mettre  le  savant  chanoine, 
en  présence  d'un  fait  accompli.  Il  joua  si  bien  son  rôle  que  celui-ci 
crut  que  l'opuscule  était  déjà  sous  presse.  Avec  sa  condescendance 
habituelle  il  répondit  que,  Sorbière  étant  l'auteur  de  l'entreprise, 
il  ne  saurait  la  désapprouver,  car  Sorbière  a  plein  droit  sur  lui-même 
et  ses  cèuvres  ^.  Cependant,  après  cette  absolution  bénévole,  il  signale 
avec  beaucoup  de  discrétion  l'inconvénient  qui  pourrait  résulter  plus 
tard  pour  lui  de  cette  publication,  où  ses  idées  sont  exposées,  sans  que 
son  nom  soit  prononcé.  Mais  il  s'empresse  de  conclure  :  «  Quoi  qu'il  en 
soit,  ne  croyez  pas  cependant  m'avoir  fait  une  chose  peu  agréable...  *  » 

Gassendi  se  serait  sans  doute  montré  plus  exigeant,  s'il  avait  su 
qu'au  moment  où  Sorbière  lui  écrivait  (10  novembre  1647),  il  n'y 
avait  d'achevé  que  la  rédaction  du  «  Discours  »  qui  est  daté  du  15  oc- 
tobre. L'opuscule  imprimé  porte  le  millésime  de  1648.  Gassendi  aurait 
eu  le  temps  de  réclamer  et  de  revoir  le  manuscrit.  Mais,  comptant  sur 
la  débonnaireté  de  «  l'ami  commun  »,  l'entreprenant  Sorbière  préféra 
brusquer  la  solution. 

Pour  se  faire  pardonner  son  sans-gêne,  il  décerne  au  complaisant 
auteur  de  grands  éloges  et  fait  justement  remarquer  que  les  objec- 
tions mises  en  avant  n'ont  pas  pour  but  de  renverser  une  opinion 
très  vraisemblable,  mais  bien  de  fournir  l'occasion  d'une  enquête 
plus  approfondie  ^. 

1.  Cf.  infra,  Ch.  VI,  p.  217-220. 

2.  Saepius  a  me  petierunt  amici  ut  semel  narrarem,  rogavit  vero  Pratseus  noster  ut 
perscriberem,  Dubitationes  a  te  olim  institvitas  adversus  Chyli  trajectionem  per  venas 
lacteas  et  sanguinis  per  arterias  circulationem,  cum  scilicet  referrem  iis  de  rebus  me 
audivisse  te  aliquando  fuse  disserentem  atque  insuper  Commentationeni  quandami  tuam 
vidisse,  unde  prœclara  multaexcerpseram  (Sorbière  à  Gassendi,  Leyde,  10  novem- 
bre 1647,  Bibl.  Nat.,  Ms.  Fonds  lat.,  10352,  T.  I,  fol.  568  recto  et  v.).  On  trouve  cette 
lettre  imprimée  dans  OG,  t.  VII,  pp.  508-509. 

3.  Quod  meam  illam  de  trajectione  Chyli  deqvie  sanguinis  circulatione  Disputatio- 
nem  gallice  redditam  meoque  nomine  suppresso  commitendam  typis  censuisti  impro- 
bare  sane  non  possum,  neque  non  boni  consulere,  cura  ipse  sis  qui  feceris.  Tibi  siquidem 
plénum  in  me  jus  et,  si  quicquam  est  quod  proficisci  abs  me  possit,  id  totum  tui  est 
arbitrii.  (Gassendi  à  Sorbière,  Paris,  Id.  Decembr.  1647.  Ibidem,  t.  II,  fol.  93  recto). 
Cette  lettre  a  été  imprimée  dans  OG,  t.  VI,  p.  279,  c.  2. 

4.  Quidquid  sit,  non  ideo  putes  fecisse  te  rem  mihi  parum  gratam...  (Gassendi  à 
Sorbière,  Lettre  citée,  Ibidetn). 

5.  C'est  ce  dont  Sorbière  prévenait  Gassendi  dans  sa  lettre  :  Morem  tandem  gessi,  Vir 
maxime,  ratus  sequi  te  bonique  libertatem  nostram  consulturum,  prœsertim  cum  nomen 
tuum  vellitationi  isti  non  apposuerim  et  professus  fuerim  tamen  non  mihi  sed  Viro 
cuidam  magno,  cujus  se  -monibus  sapientissimis  interfueram,  acceptas  referri  debere 
objectiones  doctissimas,  quas  quidem  auctor  protulisset  ut  ansa  diligentiori  inquisi- 
tioni  praeberetur,  non  ut  opinionem  verisimillimam  inde  labefactatam  eversamque 
putaret  (Lettre  citée,  Ibidem,  fol.  568  verso).  —  Cf.  OG,  t.  VI,  p.  509,  col.  1. 


Vn.   —  LA  CmCULATIOX   DU   SAXG  177 

C4assendi  était  tout  disposé  à  se  rendi-e  à  ré\ddence  d'une  démons- 
tration basée  sur  les  faits.  C'est  une  découverte  d'un  physiologiste 
français,  Jean  Pecquet,  son  ami,  qui,  au  dii'e  de  Sorbière,  fit  cesser 
ses  hésitations.  Aselh,  de  Crémone,  avait  déjà  étudié,  au  début  du 
xvn"?  siècle,  les  ^  aisseaux  dits  lactés  ou  chyLifères,  dont  la  fonction 
est  de  recueilhr  dans  l'intestin  les  matières  grasses  digérées  (c'est 
ce  que  l'on  nomme  le  chyle)  et,  à  travers  le  mésentère,  de  les  conduire 
dans  le  sang.  Mais  on  croyait,  jusqu'à  Pecquet  ^,  que  ces  vaisseaux 
chylifères  aïjoutissaient  au  foie.  Il  décou\'rit  (1647),  en  disséquant 
des  chiens,  que  ces  vaisseaux  se  rendent  dans  un  canal  spécial,  le 
canal  thoracique,  qui  verse  ensuite  leur  contenu  dans  le  sang.  En 
compagnie  de  Sorbière,  Gassendi,  déjà  vieux,  assista  plus  d'mie  fois 
à  ces  dissections  ^.  Dès  lors,  nous  assm'e  son  biographe,  il  n'hésita 
plus  à  regarder  comme  rigoureusement  prouvée  la  circulation  du  sang  ^. 
Lui-même  ne  reculait  pas  devant  des  expériences  pénibles.  Sorbière 
nous  raconte  encore  qu'il  le  rencontra  quelquefois,  au  plus  fort  d'un 
hiver  rigoiu'eux,  se  rendant  à  l'endroit  où  l'on  avait  coutume  de  trans- 
porter les  ordm'es  de  la  voirie,  pom*  expérimenter  siu?  les  cadavres  des 
chevaux  qu'on  y  jetait  pêle-mêle  *. 

VIII.    —    ROLE    SCIENTIFIQUE    SECONDAIRE 

Les  travaux  personnels  de  Gassendi,  comme  il  ressort  de  l'exposé 
précédent,  n'ont  rien  ajouté  d'important  au  patrimoine  scientifique 
de  l'esprit  humain. 

1.  Jean  Pecquet,  médecin  et  anatomiste,  né  à  Dieppe  en  1622  et  mort  à  Paris 
en  1674,  devint  membre  de  l'Académie  des  Sciences  (1666).  Son  principal  ou\Tage  est 
intitulé  :  Expérimenta  nova  anatomica  quihus  incognitum  hactenua  chyli  receptaculum 
et  ab  eo  per  thoracem  in  ramos  usque  subclavios  vasa  la<:tea  deteguntur,  Paris,  1651  ; 
1654  2. 

2.  Adfui  non  semel  una  cum  Gassendo  canum  dissectionibus,  in  qiiibus  omnibus 
Pecquetus  noster  peculiari  solertia  rem  adeo  fecit  indubitatam  ut  gauderet  admoduni 
senex  curiosissimus...  (S.  Sorbière,  De  Vita,  G.  G,  Prsefat.  [non  paginée],  pp.  5-6). 

3.  Telle  est  la  version  de  Sorbière.  Mais  Gassendi  est  moins  affirmatif.  Dans  le  Syn- 
tagma  (Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  V,  C.  III,  T.  II,  pp.  314-319)  Gassendi  nous 
confie  que  depuis  longtemps  il  incline  fortement  du  côté  de  Harvey  ;  mais  que  jusqu'ici 
il  s'est  heurté  à  des  arguments  qui  l'ont  empêché  de  donner  un  assentiment  sans 
réserve  à  la  théorie  de  la  circulation  du  sang.  (Quippe  nos  quoque  ii  quidem  sumus,  qui 
in  eam  [Sanguinis  circulatio]  valde  propendeatmis,  ut  fiivhus  a  initio  usque,  dum  memorati 
Fluddi  doctrinam  expenderemus,  contestati  ;  verum  et  ex  eodem  usque  tempore  fuere 
<irgumenta  quœ  ad  assensuni  continendian  permoverint.  (Ibidem,  p.  314,  col.  1).  Après 
avoir  exposé  les  raisons  qui  l'arrêtent,  Gassendi  raconte  qu'il  a  assisté  à  Paris,  le 
19  octobre  et  le  2  novembre  1654,  aux  expériences  de  Pecquet.  Il  les  décrit  avec  soin  ; 
mais  il  n'en  tire  aucune  conclusion  ferme  (Ibidem,  pp.  318-319),  ce  qui  porte  à  croire 
que  ses  dernières  hésitations  n'étaient  pas  encore  tombées.  Or  on  sait  que  Gassendi 
momut  l'année  suivante.  Peut-être  qu'après  avoir  écrit  ce  récit  de  la  découverte  de 
Pecquet,  Gassendi,  en  y  réfléchissant,  a  fini  par  se  ranger,  saiis  restriction,  parmi  les 
partisans  de  la  circulation  du  sang.  On  s'expliquerait  alois  comment  Sorbière  a  pu 
se  montrer  si  catégorique. 

4.  Ut  suspicionem  autem  prorsus  amoliretur  qiiam  de  canali  Cholidocho  habuerat, 
quem  Chj-lodochum  dicere  maluerat,  equos,  inquibus  omnino  deficit,introspicerc  voluit. 
Et  memini  offendisse  me  aliquando  euntem  cum  Martello,  sœviente  admodum  hyeme, 
ad  loca  in  qute  deportari  soient  viarum  purgamenta  et  trahi  equorum  cadavera,  quoe 
plura  soluto  pretio  aperiri  jussit  (Sorbière,  Loco  citato,  p.  6). 

\2 


178       ARTICLE  II.  CHAPITRE  V,  • —  LA  VALEUR  DU  SAVANT 

L'activité  infatigable  de  sa  vive  intelligence  s'éparpilla  sur  trop 
de  sujets  divers,  pour  qu'elle  pût  tracer  un  sillon  très  profond  dans 
un  sens  déterminé.  Mais  on  ne  saurait  oublier  sans  ingratitude  que 
la  façon  lumineuse  ^  dont  il  traita  les  questions,  et  plus  encore  son 
zèle  à  promouvoir,  par  l'exemple  et  la  parole,  le  rôle  de  l'observation 
et  de  l'expérience,  en  un  temps  où  il  était  encore  trop  peu  prisé,  furent 
des  services  notables  rendus  à  la  science. 

En  dépouillant  les  atomes  de  l'éternité  que  leur  avaient  prêtée 
Épicure  et  I^ucrèce,  en  les  étudiant  surtout  comme  les  éléments  qui 
composent  les  corps,  Gassendi  s'est  plutôt  comporté  en  physicien 
qu'en  métaphysicien.  Depuis  lors,  l'Atomisme  a  quitté  à  peu  près 
complètement  le  domaine  de  la  Philosophie  pour  entrer  dans  celui 
de  la  Physique.  C'est  pourquoi  l'on  peut  souscrire  à  ce  jugement 
élogieux  que  Lange  a  formulé  :  «  La  réforme  de  la  Physique  et  de  la 
Philosophie  naturelle,  que  l'on  attribue  d'ordinaire  à  Descartes,  est 
pour  le  moins  autant  l'œuvre  de  Gassendi,  Bien  des  fois,  par  suite 
de  la  célébrité  que  Descartes  doit  à  sa  métaphysique,  on  lui  a  directe- 
ment attribué  ce  qui  appartient  avec  plus  de  justice  à  Gassendi  ; 
il  est  vrai  que  le  mélange  tout  particulier  d'opposition  et  d'accord, 
de  lutte  et  d'ahiance  entre  les  deux  systèmes  faisait  que  les  courants 
cartésien  et  gassendiste  se  confondaient  complètement.  Ainsi  Hobbes, 
le  matériahste  et  l'ami  de  Gassendi,  était  partisan  de  la  théorie  cor- 
pusculaire de  Descartes,  tandis  que  Newton  avait  sur  les  atomes 
l'opinion  de  Gassendi.  Les  découvertes  faites  plus  tard  amenèrent 
la  réunion  des  deux  théories  ;  on  laissa  subsister  côte  à  côte  atomes 
et  molécules,  après  que  les  deux  idées  eurent  reçu  les  développements 
qu'elles  comportaient  ;  incontestablement  l'atomistique  actuelle  s'est 
formée,  pas  à  pas,  des  théories  de  Gassendi  et  de  Descartes,  remontant 
ainsi  par  ses  origines  jusqu'à  Leucippe  et  Démocrite  »  ^. 

1.  <(  Ce  personnage  sçavant  entre  les  doctes...  avoit  l'esprit  agréable  et  doux  :  sa  con- 
versation estoit  aisée  et  rendoit  claires  les  choses  les  plus  obsciu-es,  non  tant  par  la 
netteté  qu'il  avoit  fort  belle,  que  par  la  force  et  la  solidité  de  ses  raisons,  qu'il  aocom- 
pagnoit  d'ordinaire  de  similitudes  très-propres,  qui  expliquoient  naïvement  sa  concep- 
tion. »  (M.  DE  Marolles,  Mémoires  divisez  en  trois  Parties,  11^  P.,  p.  273,  Paris,  1656). 

2.  F.-A.  Lange,  Histoire...,  t.  I,  P.  III,  Ch.  I,  p.  240. 


CHAPITRE    VI 
Influence   philosophique    de    Gassendi. 

§  a.  —  gassendi  ne  fut  pas  un  chef  d'école 

Damiron  a  pu  dii'e,  non  sans  une  forte  dose  d'exagération,  que 
Gassendi  «  fut,  à  un  autre  titre  et  dans  une  autre  direction,  avec  moins 
d'originalité  sans  doute  et  moins  de  génie  d'invention  que  Descartes 
qui  domine  tout,  mais  avec  de  belles  parties  encore  et  des  mérites 
éminents,  un  des  pères  de  la  philosophie  moderne  »  ^.  Assurément, 
Hobbes,  Locke  ^,  Condillac  et  l'École  sensualiste  du  xviii^  siècle 
relèvent  dans  une  certaine  mesure  de  Gassendi,  comme  aussi,  nous 
l'avons  vu,  de  Bacon.  On  peut  donc  lui  maintenu"  le  titre  glorieux 
que  lui  décerne  Damiron,  si  l'on  entend  par  là  que  le  caractère  empi- 
rique de  son  système  a  exercé  une  véritable  influence  sur  l'un  des 
grands  courants  de  la  pensée  moderne.  Mais  ces  penseurs,  négligeant 
de  suivre  le  spiritualisme  que  Gassendi  avait  associé  à  son  empirisme, 
ne  gardèrent  que  ce  dernier  et  le  poussèrent  jusqu'au  sensuaUsme, 
parfois  même  jusqu'au  matérialisme.  Il  est  permis  de  le  regretter 
pour  l'honnem*  de  Gassendi  lui-même,  car,  nous  l'avons  constaté  ^, 
son  système  offrait  quelque  prise  à  ces  interprétations  déplorables. 

1.  Damiron,  Essai  sur  F  Histoire  de  la  Philosophie  en  France  au  XV 11^  Siècle, 
t.  I,  p.  503. 

2.  «  Noua  noua  sommes  arrêtés  sur  les  écrits  de  Gassendi,  bien  moins  par  l'opinion 
que  nous  avons  de  leur  mérite  que  par  respect  poiu-  un  auteur  dont  Locke  a  fréquem- 
ment daigné  suivre  les  traces.  »  (Dugald  Stewart,  Histoire  abrégée  des  sciences  méta- 
physiques, morales  et  'politiques  depuis  la  Renaissance  des  Lettres.  Trad.  J.  A.  Buchon, 
ire  Pai-tie,  Ch.  II,  Sect.  II,  p.  234-235.  Paris,  1820).  Plus  loin,  Stewart,  après  avoir 
noté  que  Locke  n'a  pas  cité  Grassendi  dans  son  Essai  sur  r Entendement,  explique  ainsi 
cette  étonnante  omission  :  «  Il  est  probable  que,  quand  il  [Locke]  se  mit  sérieusement 
à  écrire,  le  résultat  des  lectures  de  sa  jeunesse  était  tellement  identifié  avec  celui  de 
ses  propres  réflexions,  qu'il  devenait  impossible  de  les  séparer  l'un  de  l'autre  ;  et  qu'il 
s'expose  ainsi  à  confondre  quelquefois  les  trésors  de  sa  mémoire  avec  ceux  de  son 
invention.  »  (D.  Stewart,  Histoire  abrégée...,  2^  P.,  Ch.  I,  Sect.  I,  p.  17  et  18.  Paris,  1823). 
■^Dansle Médical  common  place  book  (manuscrit  conservé  auBritish  Muséum,  n.  32554), 
où  Locke  donne  des  indications  sur  ses  études  en  1659-1660,  on  constate  qu'il  lisait, 
en  prenant  des  notes,  la  philosophie  de  Gassendi.  Dans  sa  bibliothèque,  à  Gates,  il 
avait,  auprès  du  Novimi  Organum,  les  œuvres  de  Gassendi.  (Cf.  Fraser,  Locke,  p.  221, 
Londres,  1899).  Or  il  n'a  cité  qvi'une  fois,  incidemment,  à  propos  du  mouvement  et  du 
vide,  le  philosophe  français  à  côté  de  Descartes,  de  Morin  et  de  Bernier,  pour  répondre 
à  une  objection  de  l'évèque  de  Worcester  (Cf.  Second  Reply,  Œuvres  de  Locke,  t.  I, 
p.  549,  Londres,  1759).  La  bienveillante  explication  de  Stewart  ne  suffit  pas  à  rendre 
compte  d'un  silence  qui  semble  sj'stématique. 

3.  Cf.  supra.  Chapitre  IV,  p.  125-126. 


180      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

Le  Gassendisme  eut,  par  là  même,  des  conséquences  fâcheuses,  que 
le  digne  chanoine  n'avait  évidemment  pas  prévues  et  qu'il  eût  été 
le  premier  à  désavouer. 

Quoi  qu'il  en  soit  d'ailleurs,  il  est  un  autre  titre  qu'on  doit  résolu- 
ment refuser  à  Gassendi.  Du  jugement  motivé,  qui  a  été  porté  plus 
haut  sur  l'ensemble  de  son  œuvre,  il  résulte  manifestement  qu'il 
n'y  avait  point  en  lui  l'étoffe  d'un  chef  d'École.  Son  génie  n'a  pas  eu, 
comme  celui  d'un  Platon  ou  d'un  Ai'istote,  d'un  Thomas  d'Aquin  ou 
d'un  Descartes,  une  puissance  assez  féconde  pour  produh'e  une  hgnée 
de  disciples  qui,  saluant  en  sa  personne  un  maître  incontesté,  aient 
continué  son  enseignement  et,  fidèles  à  l'esprit  qui  l'avait  animé, 
aient  fait  rayonner  au  loin,  durant  des  siècles,  l'éclat  de  sa  doctrine. 
Rien  de  pareil.  En  France,  on  aperçoit  seulement  quelques  disciples 
groupés  autour  de  sa  chère  mémoire  ;  ils  lui  rendent  un  sincère  tribut 
d'éloges  et  professent  plus  ou  moins,  pour  leur  compte  personnel, 
les  opinions  du  maître  qu'ils  ont  puisées  dans  ses  leçons  ou  dans  son 
ouvrage  posthume,  le  Syntagma  philosopkicum.  En  dehors  de  France, 
la  doctrine  de  Gassendi  provoqua  çà  et  là  une  véritable  sympathie. 

Cette  étude  sur  Gassendi  serait  donc  incomplète  si  elle  ne  s'achevait 
par  la  mention  des  principaux  admirateurs  du  philosophe  provençal. 
Parmi  nous  cette  galerie  comprend  les  noms  de  Gui  Patin,  de  Cureau 
DE  La  Chambre,  de  Bernier,  de  Sorbière,  de  Molière,  de  G.-B.  de 
Saint-Romain,  de  G.  de  Cordemoy  ;  à  l'étranger,  ceux  de  Walter 
Charleton,  de  R.  Cudworth,  de  R.  Boyle,  de  H.  Bornius,  de 
W.  Senguerdus,  du  Père  Der-Kennis  et  du  chanoine  de  Sluse  ^ 

On  a  quelquefois  appelés  Gassendistes  certains  philosophes  qui  ont 
admis  l'existence  des  atomes  et  du  vide  et  fait  opposition  à  la  philo- 
sophie cartésienne,  par  exemple,  Fr.  Lamy,  D.  Derodon,  Kenelme 
DiGBY.  C'est  excessif,  car  ils  n'ont  pas  suivi  de  près  la  voie  et  la  méthode 
tracées  par  Gassendi. 

Un  trait  commmi  à  tous  les  Gassendistes  c'est  leur  aversion  marquée 
pour  l'École  cartésienne  :  partant  du  principe  qu'il  n'y  a  rien  dans 
l'intelhgence  qui  n'ait  passé  par  le  sens,  et  le  portant  même  à  l'extrême, 
ils  ne  pouvaient  souffrir  le  spirituahsme  excessif  de  Descartes,  qui  ne 
se  contente  pas  de  distinguer  l'âme  du  corps,  mais  étabht  entre  eux 
une  telle  séparation  que  leurs  relations  mutuelles  deviennent  impos- 
sibles. Un  grand  nombre  d'entre  eux  était  médecins  :  c'est  le  cas  de 
Patin,  de  La  Chambre,  de  Bernier,  de  Sorbière,  de  Saint-Romain, 
de  Charleton. 


1.  Le  Docteur  Henri  Maius,  qui  enseigna  la  médecine  et  la  physique  successive- 
ment dans  les  Universités  de  Marbourg  et  de  Rinteln,  a  essayé,  dans  un  manuel  des- 
tiné aux  étudiants,  de  défendre  l'atomisme  des  anciens  en  s'inspirant  des  modernes. 
Ce  manuel  a  pour  titre  :  Physicœ  veteris  noviter  adornatœ,  ad  principia  Democriti  a 
Gassendo,  Vendamio,  Boylio,  Derodone,  Digbœo  aliisque  redintegratœ  Synopsis,  Franc- 
fort, 1689.  —  On  en  trouvera  une  brève  analyse  dans  J.  Leclerc,  Bibliothèque  univet' 
selle  et  historique,  t.  XIII,  p.  226-231,  Amsterdam,  1689. 


§  B.  DISCIPLES  EN  FRANCE  :  I.  —  GUI  PATIN  ET  DE  LA  CHAMBRE         181 

§   B.    —   LES    DISCIPLES   DE    GASSENDI    EN   FRANCE 

/.    —    OUI   PATIN   ET   DE   LA    CHAMBRE 

Gui  Patin  est  plus  célèbre  par  ses  Lettres  que  par  sa  science  médi- 
cale 1.  Très  partisan  de  la  saignée  ^,  peu  favorable  aux  méthodes  et 
aux  médicaments  nouveaux,  il  eut  avec  les  défenseurs  de  l'antimoine 
d'âpres  discussions.  Sa  verve  était  spirituelle  et  volontiers  frondeuse 
du  persomiel  ecclésiastique  comme  des  choses  de  la  religion.  Son  esprit 
caustique  ne  l'incHnait  à  la  bienveillance  envers  qui  que  ce  soit  ; 
à  l'égard  de  ceux  qui  l'avaient  blessé  il  se  montra  dur  jusqu'à  l'in- 
justice ^.  Cependant  il  n'eut  jamais  pour  «  le  bon  M.  Gassendi  »  que 
des  paroles  aimables,  louant  de  gi'and  cœur  sa  vertu  et  sa  science. 
Son  admiration  sincère  s'élève  parfois  jusqu'à  l'enthousiasme.  Il 
écrit  à  M.  Behn  :  «  M.  Gassendi  est  un  des  honnêtes  et  des  plus  savants 
hommes  qui  soient  aujourd'hui  en  France  »  *.  Dans  une  lettre  à  M.  Spon 
il  présente  «  l'incomparable  M.  Gassendi  »  comme  «  un  abbregé  de 
vertu  morale  et  de  toutes  les  belles  sciences  »  ^.  Il  a  encore  une  autre 
manière  de  recommander  la  philosophie  de  Gassendi,  manière  indi- 
recte mais  plus  mordante,  c'est  de  dénigrer  la  philosophie  rivale  de 
Descartes.  Il  en  a  usé  tout  à  son  aise.  Par  exemple,  il  déplore  en  ces 
termes  la  mort  d'un  soUde  adversaire  du  Cartésianisme,  Plempius  ^, 
professeur  de  médecine  à  l'université  de  Louvain  :  «  Adieu  la  bonne 
doctrine  en  ce  pays-là.  Descartes  et  les  chimistes  ignorants  tâchent  de 
tout  gâter,  tant  en  philosophie  qu'en  bonne  médecine  «  '. 

1.  Gui  Patin,  né  à  la  ferme  des  Préaux,  dans  la  commune  de  Hodenc-en-Bray 
(Oise),  en  1601,  et  mort  à  Paris  en  1672,  remplaça  Riolan  comme  professeur  au  Collège 
royal  et  devint  doyen  de  la  Faculté  de  Médecine  (1650).  —  On  ve.-ra  (Ch.  VI,  p.  195,  n.  2) 
qu'il  approuva  l'attaque  malheureuse  que  Riolan  lança  contre  la  découverte  de  Pecquet. 

2.  Patin  assista  Gassendi  dans  sa  dernière  maladie  ;  il  lui  infligea  treize  saignées, 
qui  sans  doute  le  tuèrent  ou  hâtèrent  sa  fin.  Il  ne  pardonna  point  à  Sorbière  d'avoir 
signalé  le  fait  et  le  nombre  de  ces  saignées  dans  la  Biographie  de  leur  ami  commun, 
car  il  dénigra  à  plaisir  cette  Biographie  dans  une  lettre  à  Spon,  1 8  juin  1655  :  «.  M.  Henry 
m'a  fait  voir  en  hâte  la  Préface  qui  touche  la  vie  de  M.  Gassendi.  Sorbière  n'est  qu'un 
sot  et  un  veau  avec  tout  son  fatras  de  latin  ;  il  parle  de  la  saignée,  sans  savoir  ce  qu'il 
dit,  comme  un  aveugle  des  couleurs  ;  il  est  fat  et  ignorant,  et,  s'il  en  valait  la  peine, 
je  l'étrillerais  bien  ;  il  n'est  qu'un  flatteur  et  un  menteur  et  un  impertinent  avec  sa 
bonne  mine.  »  (Lettres,  Edition  Reveillé -Parise,  t.  II,  p.  400).  —  Dans  La  Saignée 
réformée  (La  Flèche,  1656),  le  pamphlétaire  Binedeau  appelle  Patin  «  un  grand  Sai- 
gneiir  ».  —  Quand  Patin  n'avait  pas  de  rancune  personnelle  contre  Sorbière,  il  en  parlait 
tout  autrement  :  «  Je  suis  bien  aise,  écrit-il  au  même  M.  Spon,  que  vous  ayez  vu  M.  Sor- 
bière :  c'est  un  honnête  homme.  »  (Lettre  à  Spon,  Paris,  16  sept.  1650,  tome  II,  p.  44). 

3.  Par  exemple,  à  l'égard  de  Sorbière,  comme  on  vient  de  le  voir  (Cf.  supra,  note  2) 
-ou  de  La  Poterie.  (Cf.  «wpra,  Ch.  I,  p.   16,  n.  2). 

4.  Lettre  à  M.  Belin,  4  sept.  1641,  t.  I,  p.  83. 
6.  Lettre  à  Spon,  8  janv.  1649,  t.  I,  p.  423. 

6.  Cf.  G.  MoNCHAMP,  Histoire  du  Cartésianisme  en  Belgique,  dans  les  Méinoirea 
couronnés  et  autres  Mémoires  publiés  par  V Académie  royale  de  Belgique,  Bruxelles, 
nov.  18S6,  t.  XXXIX,  ch.  xiii,  §  1,  p.  246-253.  Ce  Plempius  était  un  fervent  péripaté- 
ticien,  que  nous  retrouverons  en  parlant  du  Cartésianisme. 

7.  Lettre  à  Falconet,  22  janvier  1672,  t.  III,  p.  795. 


182      ARTICLE  n.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

A  la  mort  de  Marin  Cureau  de  La  Chambre  i,  médecin  et  conseiller 
de  Louis  XIII  et  de  Louis  XIV,  le  même  G.  Patin  le  vante  comme 
«  un  des  premiers  et  des  plus  éminents  de  l'Académie  françoise,  tant 
à  raison  de  sa  doctrine,  qui  n'étoit  point  commune,  C|ue  pour  le  crédit 
qu'il  avoit  chez  M.  le  chancelier...  ^  »  La  Chambre  pubha  en  1634 
un  hvre  intitulé  :  Nouvelles  Pensées  sur  les  causes  de  la  lumière,  du 
débordement  du  Nil  et  de  Vamour  dHnclinaiion,  livre,  qui  fourmille 
d'hypothèses  extravagantes,  mais  écrit  en  français.  L'emploi  de  la 
langue  maternelle  en  matière  scientifique  était  alors  une  nouveauté, 
qui  attira  l'attention  du  cardinal  de  Richelieu  :  il  comprit  La  Chambre 
parmi  les  premiers  membres  de  l'Académie  française  (1635)  ^.  L'Aca- 
démie des  sciences  l'accueiUit  également  dans  son  sein  dès  sa  fonda- 
tion (1666). 

La  Chambre  pubha  un  grand,  nombre  d'ouvrages,  qui  avaient  de 
son  temps  le  mérite  de  vulgariser  certaines  questions  relatives  aux 
sciences  et  à  la  philosophie.  Ne  signalons  ici  que  les  suivants  :  Les 
CTiaractères  des  Passions  (Paris,  1640)  *.  —  L'Art  de  cmmoistre  les 
hommes.  (Première  Partie)  (Paris,  1659).  —  Le  Système  de  VAme 
(Paris,   1664)  ^.  —  Traité  de  la  connoissance  des  Animaux...   (Paris, 


1.  Marin  Cureau  de  La  Chambre  naquit  au  Mans  vers  1594  et  mourut  à  Paris  en  1669 

2.  Lettre  à  Falconnet,  13  décembre  1669,  t.  III,  p.  721-722. 

3.  La  Chambre  fut  chargé,  à  la  mort  du  cardinal,  de  faire  son  éloge  au  nom  de  l'Aca- 
démie. —  Il  est  étrange,  à  première  vue,  que  l'Académie  française  n'ait  pas  ouvert  ses 
portes  à  Gassendi  ,si  supérieur  à  La  Chambre.  La  raison  en  fut  sans  doute  que  Gassendi 
composa  toutes  ses  œuvres  en  latin. 

4.  Cet  ouvrage  est  dédié  au  chancelier  Séguier,  dont  La  Chambre  était  le  médecin. 
C'est  le  premier  volume,  qui  traite  des  Passions  ayant  le  bien  pour  objet  :  amour,  joye, 
riz,  désir  et  espérance.  — Le  deuxième,  paru  en  1645,  traite  des  Passions  courageuses.  — ■ 
Le  troisième,  paru  en  1659,  traite  de  la  haine  et  de  la  douleur.  —  Le  quatrième  et  der- 
nier, paru  en  1662,  traite  des  larmes,  de  la  crainte  et  du  désespoir.  —  C'est,  à  l'occasion 
du  volume  de  1 645.  que  Balzac  écrivit  à  l'auteur  une  lettre  où  on  lit  ces  éloges  hyper- 
boliques :  «  Aprez  avoir  considéré,  examiné,  estudié  vostre  Li^Te  quinze  joiu-s  entiers, 
je  conclus  que  jamais  l'homme  n'a  connu  l'homme  à  l'égal  de  vous.  Jamais  le  Dieu 
de  Delphes  n'a  esté  plus  noblement  ni  plus  ponctuellement  obeï  ;  non  pas  inesme  par 
eeluy  à  qui  il  rendit  tesmoignage  d'une  parfaite  sagesse  ;  ni  par  celuy  qu'on  appela 
autrefois  VEntendement  ;  ni  par  cet  autre  qu'on  appelle  encore  aujourd'huy  le  Démon 
de  la  Nature.  Ce  Démon  est  entré  à  la  vérité  dans  l'ame  de  l'homme  ;  mais  il  s'est 
arresté  à  la.  porte  :  il  n'a  fait  que  vous  ouvrir  et  \'Ous  faire  le  chemin  ;  et,  si  j'estois  assez 
hardi,  je  dirois  qu'il  n'est  que  de  la  basse  Cour  et  que  vous  estes  du  Cabinet.  Il  n'y  a 
coin  ni  cachette  de  l'esprit  humain  où  vous  n'ayez  pénétré  ;  il  ne  se  passe  rien  là 
dedans  de  si  viste  m  de  si  secret,  qui  eschape  à  la  subtilité  de  vostre  veuë...  »  (Lettre 
du  15  sept.  1645,  dans  Lee  Œuvres  de  Monsieur  de  Balzac,  Paris,  L.  BiUaine,  1665, 
T.  I,  L.  XII,  p.  539).  Il  est  probable  que  ce  Démon  de  la  Nature,  dont  Balzac  met  le 
mérite  bien  au-dessous  de  celui  de  La  Chambre,  n'est  autre  que  Descartes  lui-même, 
car  dans  une  Lettre  du  24  octobre  1644  à  Cliapelain,  Balzac  écrit  :  «  En  sçauroit-il 
plus  [le  frère  de  M'  du  Maurier]  que  M.  Des  Cartes,  qui  croit  en  plus  sçavoir  que  les 
grands  démons,  car  pour  les  petits  lutins  il  leur  fait  leçon  deux  fois  par  jour  ?  »  (dans 
Mélanges  historiques.  Choix  de  Documents,  Imprimerie  Nationale,  Paris,  1873,  t.  I, 
p.  859). 

6.  Le  Système  de  VAme  constitue  la  deuxième  partie  de  VArt  de  connoistre  les  Jiommes. 
La  troisième  partie  reprit  le  titre  de  la  première  :  L'Art  de  connoistre  les  hommes.  Partie 
tToiaièm,e,  qui  contient  la  deffense  de  V extension  et  des  parties  libres  de  l'Ame,  Paris,  1666. 
C'est  la  «  deffense  »  du  Livre  V  de  l'ouvrage  précédent  :  Le  Système  de  l'Ame,  contre  les 
attaques  d'un  «  Sieur  Petit,  médecin  dans  Paris  ».  —  L'absence  du  titre  général  de 


§  B.  DISCIPLES   EN  FRANCE  :  I.  —  GUI  PATIN  ET  DE  LA  CHAaiBRE  183 

1647).  — -  Discours  de  V amitié  et  de  la  haine  qui  se  trouvent  entre  les 
animaux  (Paris,  1667).  Ces  deux  derniers  ouvrages  sont  dirigés  contre 
Descartes  qui  ne  voyait  dans  les  animaux  que  des  machines  perfec- 
tionnées. 

Volontiers  La  Chambre  s'insph'e  des  principes  et  des  idées  de  Gas- 
sendi. Parfois  il  les  dépasse  ;  mais  cet  effort  d'originahté  est  loin 
d'être  heureux.  Ainsi,  et  c'est  une  thèse  qui  lui  est  particuHèrement 
chère,  l'âme  raisonnable  se  meut  localement,  a  une  extension  et  des 
parties  ^.  Il  ajoute,  à  la  vérité,  que  cette  extension  et  ces  parties  ne 
ressemblent  point  à  celles  des  corps.  Mais  il  ne  réussit  point  à  prouver 
cette  assertion  ni,  par  conséquent,  à  sortir  de  l'impasse  où  il  s'est 
témérairement  engagé  en  soutenant  que  l'âme  raisonnable  est  une 
substance  étendue  qui  se  meut,  sans  qu'elle  soit  cependant  maté- 
rielle et  divisible.  C'est  contradictoire  dans  les  termes.  Un  cartésien 
décidé,  GÉRAUD  de  Cordemoy,  dans  son  livre  sur  Le  Discernement 
du  corps  et  de  Tâme  en  six  Discours  pour  V  éclaircissement  de  la  Phy- 
sique (Paris,  1666),  sans  nommer  La  Chambre,  réfute  ses  opinions 
anticartésiennes  et  répudie  notamment  son  opinion  grossière  sur  la 
nature  de  l'âme. 

Gassendi  s'est  montré  justement  sévère  et  dédaigneux  à  l'égard 
des  prétendues  sciences  divinatoires.  De  La  Chambre  aurait  bien  dû 
l'imiter  fidèlement  en  ce  point,  au  lieu,  dans  son  h\Te  sm-  les  Prin^ 
cipes  de  la  Chiromance  (Paris,  1653),  de  prendre  au  sérieux  des  conjec- 
tm'es  vagues  ou  charlatanesques  et  de  les  couvrk  d'un  faux  vernis 
de  science. 

//.   —   FRANÇOIS   BERNIER 

François  Bernier  ^  eut  comme  condisciples  ^,  au  coUège  de  Cler- 
mont,  que  les  Jésuites  dnigeaient  à  Paris,  Jean-Baptiste  Poqueliî^, 
qui  devait  devenir  si  célèbre  sous  le  nom  de  Molière,  et  Claude- 

l'ouvrage  :  UArt  de  connoistre  les  Jwnimes,  en  tête  du  Système  de  l'Ame,  a  égaré  bien  des 
bibliographes  qui  ont  vainement  cherché,  dans  le  reste  de  l'œuvre  de  La  Chambre, 
la  DETJxrirME  Partie  de  VArt  de  connoistre  les  hommes. 

1.  CiJREATJ  DE  La  Chambre,  Système  de  l'âme.  Livre  V  et  L.  VI.  Cf.  L'Art  de  con- 
noistre les  hommes.  Troisième  Partie  qui  contient  la  deffense  de  l'extension  et  des  parties 
libres  de  l'âme,  Paris,  1666.  Il  y  répond  au  «  sieur  Petit,  Médecin  »,  qui  avait  attaqué  le 
livre  V«  du  Système  de  l'âme  et  s'était  permis  contre  «  M.  Gassendi  »  des  «  paroles  outra- 
geuses  ».  (Préface  de  cette  Troisième  Partie  [non  paginée],  p.  10), 

2.  Bernier  naquit  à  Joué,  en  Anjou,  le  25  ou  26  septembre  1620  et  mourut  à  Paris 
le  22  septembre  1688.  Il  commença  ses  études  chez  le  curé  de  Chanzeaux,  son  onole 
maternel.  C'est  sans  doute  Luillier,  qu'il  nomme  son  bienfaiteur,  qui  le  fit  entrer  au 
collège  de  Clermont.  Cf.  Article  biographique  sur  Bernier,  par  L.  de  Lens,  dans  le 
Dictionnaire  historique,  géographique  et  biographique  de  Maine-et-Loire,  par  Céle.stin 
Port,  t.  I,  p.  325-328,  Paris-Angers,  1878.  —  Bernier  écrivait,  de  Chiraz  en  Perse,  le 
10  juin  1668,  à  Chapelain  :  «  C'est  luy  [Chapelle]  qui  le  premier  m'a  procuré  cette 
famiUarité  avec  Monsieur  Gassendi,  votre  intime  et  illustre  amy,  qui  m'a  été  si  a\'B.nta- 
geuse  ;  ce  qui  fait  que  je  luy  suis  extrêmement  obligé...  »  (Lettre  à  Chapelain  sur  les 
Gentils  de  l'Hindoustan,  dans  Voyages  de  François  Bernier,  t.  II,  p.  167- 16S,  Amster- 
dam, 1699). 

3.  Saint-Marc,  Mémoires  pour  la  vie  de  Chapelle,  en  tête  des  Œuvres  de  Chapelle  et 
de  Bachamnont,  p.  xvii-xviii,  La  Haye  «t  Parie,  1755. 


184      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

Emmanuel  Luillier,  dit  Chapelle  ^,  le  futur  auteur  du  Voyage  dans 
le  Languedoc  en  collaboration  avec  Bacliaumont.  Ces  collégiens  allaient 
encore  en  classe,  quand  Gassendi  vint  s'établir  pour  quelques  années 
à  Paris  (1641).  Il  y  reçut  la  plus  aimable  hospitalité  chez  son  ami 
LuiUier,  Maître  des  comptes  et  Conseiller  au  Parlement  de  Metz. 
Voulant  sans  doute  reconnaître  cette  générosité,  il  s'offrit  pour  donner 
des  leçons  de  philosophie  au  jeune  Claude  LuiUier.  L'offre  fut  acceptée 
avec  empressement,  et  l'on  adjoignit  à  Claude  ses  condisciples  du  col- 
lège de  Clermont  ^.  Savinien  de  Cjn^ano  Bergerac  ^  compléta  ce  petit 
groupe  d'étudiants,  qui  se  réunissait  à  l'hôtel  du  Maîtr&  des  comptes. 
Gassendi  accomplit  sa  tâche  avec  la  bonne  grâce  et  le  dévouement 
qui  lui  étaient  habituels.  Mais  force  est  bien  d'avouer  que  l'influence 
de  ce  maître,  pourtant  si  pieux  et  si  distingué,  ne  semble  pas  avoir 
été  très  efficace.  Son  penchant  au  doute  et  son  indépendance  de  juge- 
ment, qui  n'avaient  pas  d'inconvénients  pour  cet  esprit  bien  pondéré, 
ont  laissé  une  fâcheuse  empreinte,  plus  ou  moins  marquée,  sur  ses 
élèves.  Sous  le  rapport  moral  ils  profitèrent  moins  encore  de  ses  leçons 
et  de  ses  exemples. 

1.  Né  à  la  Chapelle-Saint-Denis,  près  Paris,  en  1626,  et  mort  à  Paris  en  1686,  il  était 
fils  naturel  de  Luillier,  qui  le  fit  légitimer  en  1642.  Malgré  cette  reconnaissance  légale, 
on  continua  de  l'appeler  Chapelle.  Il  avait  beaucoup  d'esprit  et  d'entrain.  Boileau, 
Racine,  La  Fontaine  et  Molière  appréciaient  son  sens  littéraire  et  goûtaient  sa  verve 
primesautière  qui  égaj^ait  les  réunions  d'Auteuil.  Les  deux  premiers  perdirent  leur 
peine  à  lui  prêcher  la  morale.  Son  li\Tet  unique  :  Voiage  de  Chapelle  et  de  Bachaumont 
(Paris,  1656),  inaugura,  dans  le  récit  plaisant  d'un  voyage  en  Languedoc,  le  genre 
badin  en  prose  mêlée  de  vers. 

Le  l^r  janvier  1649,  Chapelle  envoie  de  INIontpellier  une  lettre  latine  à  son  ancien 
maître,  «  le  prince  des  philosophes  du  siècle  présent  ».  Il  lui  témoigne  son  admiration 
sous  la  forme  d'une  prière  en  vers  latins  adressée  à  Janus,  et  sa  reconnaissance  en  lui 
disant  en  prose  :  «  Continuez  d'aimer  celui  que  vous  avez  daigné  accabler  de  tant  de 
bienfaits.  »  (Et  amare  perge  queni  tôt  gravure  dignatus  es  beneficiis).  Cf.  Opéra  Gassendi, 
t.  VI,  p.  521,  col.  1-2). 

2.  Cf.  Geimabest,  La  Vie  de  M.  de  Molière,  p.  10-13,  Paris,  1705.  —  Bougerel, 
Vie  de  Pierre  Gassendi,  p.  89-90,  Paris,  1737.  —  On  a  ajouté  aux  noms  de  Molière  et  de 
Bernier  ceux  d'Hesnault  et  de  La  Mothe  Le  Vayer,  le  fils,  mais  sans  donner  de  preuves, 
Auger,  dans  son  édition  des  Œuvres  de  Molière,  en  1819,  est  le  premier  qui  ait  mis  en 
avant  Hesnault.  Cf.  P.  Mesnard,  Œuvres  de  Molière  :  Notice  biographique,  t.  X, 
p.  55,  Paris,  1889. 

3.  Né  le  6  mars  1619  et  mort  en  sejjtembre  1655  à  Paris,  Savinien  de  Cyrano 
Bergerac,  était  plus  âgé  que  ses  condisciples,  car  il  avait  quitté,  en  1637,1e  collège  de 
Beauvals  à  Paris  et  avait  déjà  tâté  de  la  vie  militaire.  Vite  dégoûté  du  métier  des 
armes  et  désireux  de  compléter  ses  études,  il  s'introduisit,  en  forçant  presque  la  porte, 
dans  le  cours  privé  de  Gassendi.  (Cf.  Niceron,  Mémoires,  t.  XXXVI,  p.  226).  C'est 
une  entrée  digne  de  celui  qui  contraignait  «  d'aller  sur  le  pré  »  quiconque  regardait 
son  nez  avec  trop  d'attention.  Ses  Lettres,  ses  pièces  de  théâtre  (le  Pédant  Joué,  la  Mort 
d'Agrippine),  quelques  poésies  lui  acquirent  un  certain  renom  littéraire.  Molière  n'a 
pas  dédaigné  de  transporter  dans  les  Fourberies  de  Scapin  deux  scènes  du  Pédant  joué. 
A  qui  s'en  étonnait,  Molière  répondit  avec  désinvolture  :  «  Je  prends  mon  bien  où  je  1© 
trouve.  »  Le  sonnet  à  M''^  d'Arpajon  eut  son  heure  de  célébrité.  Ses  Lettres,  malgré  la 
préciosit 3  qui  les  dépare,  ont  des  parties  remarquables  :  elles  sont  tantôt  des  polémiques 
virulentes  et  grossières  contre  Montfleury,  d'Assoucy,  Scarron  ;  tantôt  des  plaidoyers 
contre  quelqu'un  (Contre  les  Médecins,  Contre  les  Frondeurs,  Contre  les  Sorciers)  ;  tantôt 
de  simples  exercices  littéraires  (Lettres  à  Lebret  sur  les  quatre  saisons). 

Cyrano  ne  fut  ni  un  savant,  ni  un  philosophe  :  étant  mort  à  35  ans,  il  n'a  pu  donner 
sa  mesure.  Mais  il  eut  du  goût  pour  les  sciences  et  pour  la  philosophie.  Il  a  laissé. 


§  B.  DISCIPLES  E^'  FRANCE  :  II.  —  FRANÇOIS  BERNIER  185 

Bernier  avait  gardé  un  si  bon  souvenir  des  leçons  de  Gassendi 
qu'il  lui  resta  toujours  très  attaché.  Après  avoir  suivi  le  cours  d'As- 
tronomie que  son  maître  professa  au  Collège  de  France,  il  se  mit 
à  voyager  en  Europe  (1647-1650).  A  son  retour,  il  alla  en  Provence 
retrouver  Gassendi  qui-était  malade.  En  1652,  la  faculté  de  médecine 
de  Montpellier  lui  décerna  le  titre  de  Docteui*.  Ces  études  médicales 
ne  l'empêchèrent  point  de  prendre  très  et  même  trop  vivement  la 
défense  de  Gassendi  contre  ^Nlorin  ^.  Il  ramena  son  cher  maître  à  Paris 
en  1653,  l'assista  fidèlement  jusqu'à  la  fin  et  lui  ferma  les  yeux  (1655). 

Cette  mort  lui  permit  enfin  de  donner  libre  cours  à  sa  passion  pour 
les  voyages  lointains.  Dès  l'année  1656,  il  s'embarqua  pour  l'Orient, 
visita  la  Palestine  et  FÉgypte  ;  puis,  il  passa  jusqu'aux  Indes,  séjourna 
huit  ans  dans  (  l'Empire  Mogol  »,  où  l'empereur  Aurangzeb  le  prit 
comme  médecin  ;  enfin,  après  douze  ans  d'absence,  il  regagna  la  France 
en  passant  par  la  Perse  et  la  Turquie.  Le  résultat  de  ces  longues  péré- 
grinations fut  la  pubUcation  de  ses  Mémoires  sur  l'Empire  du  Grand 
Mogol  (4  vol.,  Paris,  1670-1671)  ^.  Cet  ouvrage,  riche  de  renseignements 
historiques  et  de  judicieuses   observations,   fut  alors  très   apprécié 


inachevé,  un  essai  de  vulgarisation  des  idées  scientifiques  de  Descartes,  sous  ce  titre  : 
Fragment  physique  ou  la  Science  des  choses  naturelles.  Dans  son  ou\Tage,  L'Autre  Monde, 
qui  est  un  voyage  imaginaire  dans  la  lune  (Les  Etats  et  Empires  de  la  Lune)  et  dans  le 
soleil  (Histoire  de  la  République  du  Soleil),  il  a  semé,  parmi  des  fictions  fantaisistes  ou 
bizarres,  quelques  \aies  philosophiques  et  scientifiques,  dont  certains  ont  singuhère- 
ment  exagéré  l'importance.  N'a-t-on  pas  voulu,  par  exemple,  voir  en  CjTano  un  pré- 
cur-seur  des  évolutionnistes,  à  cause  de  quelques  phrases,  sans  portée  réelle,  sur  les 
transformations  qu'on  remarque  dans  la  nature  ?  En  philosophie,  CjTano  est  éclecti- 
que :  il  s'inspire  à  la  fois  de  Campaxella,  de  GASSE>rDi  et  de  Descaetes,  dont  il  fait, 
dans  V Autre  Monde,  de  grands  éloges.  Dans  ce  mélange,  c'est  la  dose  de  Gassendisme 
qui  paraît  être  la  plus  forte. 

Pour  faire  de  CjTano  l'un  des  ancêtres  du  rationalisme,  on  se  pla"t  à  citer,  en  l'isolant, 
cette  plu-ase  devenue  célèbre  :  a  La  Raison  seule  est  ma  reine.  »  Mais,  replacée  dans  son 
contexte,  elle  offre  un  sens  très  acceptable.  «  Xon,  je  ne  eroy  point  de  sorciers,  encor 
que  plusieurs  grands  personnages  n'ayent  pas  esté  de  mon  advis,  et  je  ne  deffere  à 
l'authorité  de  personne,  si  elle  n'est  accompagnée  de  raison  ou  si  elle  ne  vient  de  Dieu, 
Dieu  qui  tout  seul  doit  estre  crû  de  ce  qu'il  dit  à  cause  qu'il  le  dit.  Ny  le  nom  d'Aristote 
plus  savant  qvie  moj-,  ny  celui  de  Platon,  ny  celuy  de  Socrate  ne  me  persuadent  point, 
si  mon  jugement  n'est  convaincu  par  raison  de  ce  qu'ils  disent.  La  Raison  seule  est  ma 
reine,  à  qui  je  donne  volontairement  les  mains.  »  (Deuxième  Lettre  contre  les  Sorciers, 
dans  Œuvres  diverses  de  M.  de  Cyrano  Bergerac,  p.  81,  Paris,  1654). 

Ses  qualités  d'esprit  et  de  cœur,  abondantes  mais  fougueuses,  auraient  eu  besoin, 
d'un  frein  pom-  en  coordonner  l'élan.  Par  malheur,  il  fréquenta  le  groupe  des  «  libertins  » 
de  la  première  moitié  du  x\^If  siècle,  et  comme  eux,  impatient  de  toute  règle,  il  ne  sut 
pas  cultiver  ses  riches  dons.  Après  une  vie  follement  dissipée,  les  souffrances  d'une 
longue  maladie  l'assagirent.  Par  sa  mort  chrétienne  il  fit  du  moins  honneur  à  son  maître 
Gassendi.  —  Cf.  Pierre- Aktonin  Brun,  Savinien  de  Cyrano  Bergerac.  Sa  Vie  et  ses 
Œuvres  d'après  des  documents  inédits,  Paris,  1893.  Cet  auteur  surfait  moins  que  d'autres, 
mais  surfait  encore,  la  valeur  scientifique  et  philosophique  de  Cj-rano.  Il  dit  que  Cyrano 
appelle  Gassendi  un  philosophe  divin.  Il  y  a  erreur.  C'est  Lebret  qui,  dans  la  Préfacô^ 
au  Voyage  de  la  Lune,  parle  ainsi  :  «  Enfin,  notre  divin  Gassendi,  si  sage,  si  modéré  et 
si  savant  en  toutes  ces  choses...  n 

1.  Cf.  supra,  Cliapilre  V,  p.  171-172. 

2.  Cet  ou\Tage  parut  plus  tard  sous  le  titre  de  :  Voyages  de  François  Bernier..., 
contenant  la  description  des  Etats  du  Grand  Mogol,  de  VHindoustan,  du  royaume  de 
Kachemire,...  etc.,  Amsterdam,  1699,  2  vol.  réédités  en  1709,  1711  et  1724. 


186      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  rNFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

€t  valut  à  l'auteur  une  grande  notoriété  :  on  ne  l'appelait  plus  que  le 
Mogol  1. 

Parfois,  Chapelle,  le  condisciple  de  Bernier,  las  de  courir  les  caba- 
rets, avait  des  velléités  de  se  ranger  et  de  s'adonner  au  travail.  Notre 
voyageur,  ayant  été  informé  que  les  bonnes  intentions  de  son  «  très 
cher  »  semblaient  sérieuses,  lui  adi'essa,  le  10  juin  1668,  de  Chiraz, 
en  Perse,  une  lettre  philosophique  ^,  où  il  s'efforce  d'affermir  en^  lui 
ces  désirs  encore  chancelants  et  de  l'arracher  aux  séductions  de  l'Epi- 
curisme  théorique  et  pratique.  Elle  débute  ainsi  : 

Très  cher, 

^fi  J'avois  toujours  bien  crû  ce  que  disoit  M.  Luillier,  que  ce  ne  seroit 
qu'un  emportement  de  jeunesse,  que  vous  laisseriez  cette  vie  qui 
deplaisoit  tant  à  vos  amis  et  que  vous  retourneriez  enfin  à  l'étude 
avec  plus  de  vigueur  que  jamais.  J'ay  appris  dès  l'Hindoustan,  par 
les  dernières  lettres  de  mes  amis,  que  c'est  à  présent  tout  de  bon 
et  qu'on  vous  va  voir  prendre  l'essor  avec  Démocrite  et  Epicure, 
bien  loin  au  delà  de  leurs  flamboyantes  muraiUes  du  monde,  dans  leurs 
espaces  infinis...  ^  » 

Bernier  ramène  toute  sa  lettre  à  cette  thèse  capitale  :  «  ...  Il  me 
semble  bien  raisonnable  de  croire"  qu'il  y  a  quelque  chose  en  nous  de 
plus  parfait  que  tout  ce  que  nous  appelons  corps  ou  matière  »  *. 

Il  admet  toujours  l'existence  d'atomes  indivisibles  et  il  reste  con- 
vaincu que  par  leur  concours  pourraient  se  constituer  des  composés 
admirables,  «  jusqu'au  corps  mesme  humain...,  pourvu  qu'il  intervint 
une  cause  directrice  assez  intelhgente  pour  cela  »  ^.  Mais  aucun  agen- 
cement d'atomes  ne  sera  jamais  capable  d'accomplir  les  opérations 
qu'on  remarque  dans  l'entendement  de  l'homme  ^. 

Pour  prouver  cette  thèse,  Bernier  apporte  une  série  d'observations, 
qui  témoignent  d'une  véritable  perspicacité  psychologique.  L'homme 
comiaît  le  passé  et  prévoit  l'avenir,  se  rephe  sur  ses  actes  au  moyen 
de  la  réflexion,  découvre  des  vérités  sublimes,  peut  commander  à  ses 
passions,  etc.,  toutes  opérations  qui  exigent  un  principe  incorporel  '. 
Ayant  pressé  son  «  très  cher  »  de  bien  examiner  «  ce  qui  se  passe  au 
dedans  de  nous  «,  il  ajoute,  avec  la  Uberté  d'un  intime  a-mi  qui  se 

1. Pendant  son  absence,  Bernier  fut  tenu  au  courant  des  affaires  d'Europe  par  ses 
amis,  notamment  par  Chapelain  (1661-1669).  Cf.  L.  de  Lens,  Les  Correspondants  de 
François  Bernier  pendant  son  voyage  dans  VInde.  Lettres  inédites  de  Chapelain,  Angers, 
1872).  —  Elles  ont  été  publiées  depuis,  avec  plus  de  soin,  par  Ph.  Tamizey  de  Lab- 
ROQUE  :  Lettres  de  Jean  Chapelain,  dans  les  Documents  inédits  sur  l'Histoire  de  France, 
2e  Série.  Cf.  Table,  au  mot  Bernier,  t.  II,  p.  901,  col.  1,  Paris,  1883. 

2.  Lettre  envoyée  de  Chiras  en  Perse,  le  10  juin  1668,  à  Monsieur  Chapelle,  sur  le 
dessein  qu'il  a  de  se  remettre  à  l'étude,  sur  quelques  points  qui  concernent  la  doctrine  des 
atomes  et  sur  la  nature  de  l'entendement  humain,  en  Appendice  à  Suite  des  Mémoires  du 
■si-eur  Bernier  sur  l'Empire  du  Grand  Mogol,  Paris,  1671.  —  On  la  trouve  aussi  dans 
Voyages  de  François  Bernier,  t.  II,  p.  169-205,  Amsterdam,  1699. 

3.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle,  Loco  cit.,  p.  1-2. 

4.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle,  Loco  cit.,  p.  14-15. 

5.  Bernier.  Lettre  à  Chapelle,  p.  24. 

6.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle^  p.  26-27. 

7.  Bernier,  L€<«re  d  O/iape^fe,  p.  32-51. 


§  B.  DISCIPLES  EN  FRANCE  :  n.  —  FRANÇOIS  BERNIER  187 

souvient  que  Chapelle  n'a  tous  ses  moyens  que  lorsqu'il  est  à  jeun  : 
«  Et  vous  ne  me  refuserez  pas,  dans  cette  netteté  d'esprit  et  humeur, 
où  vous  vous  trouvez  quelquefois  le  matin,  de  faire  réflexion  sur  trois 
ou  quatre  choses  (celles  qu'il  vient  d'énumérer)  qui  me  semblent 
très  dignes  d'un  philosophe  »  ^. 

Afin  de  stimuler  son  paresseux  ami  au  travail  pénible  de  la  réflexion, 
Bernier  flatte  adroitement  son  amour-propre  en  évoquant  un  passé 
plus  laborieux  :  «  Je  me  promets  que  vous  donnerez  bien  cecy  à  ma 
prière,  qui  est  de  repasser  un  moment  sur  ces  pensées  si  ingénieuses 
et  si  agréablement  tournées  qu'on  a  sceu  tirer  de  vos  Mémoires  ^  ; 
sur  tant  d'autres  fragmens  de  mesme  force  que  je  sçay  qui  y  ont 
resté  ^. . .  » 

En  terminant,  Bernier  met  son  correspondant  en  garde  contre  la 
prétention  illusoire  de  ceux  qui  cherchent,  en  pareille  matière,  une 
démonstration  géométrique.  «  Xe  prétendons  point  de  pouvou'  exph- 
quer  la  natm'e  du  principe  de  nos  raisoimemens  de  la  mesme  façon 
que  nous  pourrions  faù'e  les  autres  choses  qui  tombent  sous  les  sens, 
et  ne  faisons  point  les  géomètres  la-dessus  «  *. 

La  Lettre  s'achève  sm'  cette  déclaration  vigoureuse  à  l'adresse  des 
Épiciu'iens  matérialistes  :  «  ...  Nous  devons  prendre  une  plus  haute 
idée  de  nous-mesmes  et  ne  faire  pas  nostre  ame  de  si  basse  étoffe  que 
ces  grands  Philosophes  trop  corporels  en  ce  point.  Nous  devons  croire 
pour  certain  que  nous  sommes  infiniment  plus  nobles  et  plus  parfaits 
qu'ils  ne  veulent,  et  soustenir  hardiment  que,  si  bien  nous  ne  pouvons 
pas  sçavoh'  au  vray  ce  que  nous  sommes,  du  moins  sçavons-nous 
très-bien  et  tres-assurément  ce  que  nous  ne  sommes  pas  ;  que  nous  ne 
sommes  pas  ainsi  entièrement  de  la  boue  et  de  la  fange  comme  ils 
prétendent.  Adieu  ^.  » 

Cette  longue  Lettre  est  écrite  dans  im  style  enchevêtré  et  diffus, 
que  Bernier  quahfie  d'  «  asiatique  »  ^  ;  mais  le  fond  en  est  remar- 
quable. L'élève  de  C4assendi  se  montre  ici  digne  de  son  maître.  Cepen- 
dant il  ne  réussit  point  à  secouer  la  torpeur  du  pau^Te  Chapelle,  qui 
continua  de  mener  sa  vie  de  bohème.  Au  souvenu'  des  brillantes  qua- 
Utés  que  son  «  très  cher  »  avait  reçues  eu  partage  et  qu'il  gaspilla 
si  follement,  l'ami  fidèle,  dans  l'épitaphe  qu'il  lui  a  consacrée,  ne 
peut  se  défendre  d'adresser  à  celui  qui  passe  devant  la  tombe  de  Cha- 
pelle, cet  appel  mélancohque  à  la  pitié  :  «  Sçaches  seulement  qu'il 
estoit  homme,  qu'il  fut  extraordinaù'e  en  tout,  et  plains  son  sort.  » 

Cependant  l'amour  des  voyages  n'avait  point  émoussé  chez  Bernier 
le  goût  de  la  philosophie.  Pour  aider  à  la  diffusion  du  système  gassen- 

1.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle,  p.  32. 

2.  «  Ces  Mémoires  de  Chapelle  sembleraient  avoir  été  quelques  parties  des  leçoiîs  de 
Gassendi,  soit  recueillies  au  temps  où  il  les  avait  entendues,  soit  écrites  plus  tard  de 
souvenir.  »  (P.  Mesxard,  Notice  biographique  sur  Molière,  dans  Œuvres  de  Molière 
(Edit.  des  Grands  Ecrivains,  t.  X,  p.  42,  Paris,  1889). 

3.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle,  p.  31-32. 

4.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle,  p.  67-68. 

5.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle,  p.  68-69. 

6.  Bernier,  Lettre  à  Chapelle,  p.  28. 


188      ARTICLE  n.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

diste,  il  résolut  de  traduire,  en  l'abrégeant,  le  Syntagma  philosophicum. 
Après  avoir  publié  quelques  parties  séparées  ^,  il  donna  une  édition 
d'ensemble  sous  un  titre  qui  nous  est  devenu  familier  :  Abrégé  de  la 
Philosophie  de  Gassendi  •  (Lyon,  1678,  8  tomes  en  7  volumes)  2.  On 
aura  l'occasion  de  juger  son  rôle  d'abréviateur  ^. 

Le  Père  Le  Valois,  S.  J.,  sous  le  pseudonyme  de  M.  De  la  Ville, 
avait  lancé  contre  les  Cartésiens  une  attaque  qui  fit  sensation  dans  le 
temps,  sous  ce  titre  très  explicite  :  Sentimens  de  M.  Des  Cartes  touchant 
Vessence  et  les  projwietez  du  corps,  opposez  à  la  doctrine  de  VEglise  et 
conformes  aux  erreurs  de  Calvin,  sur  le  sujet  de  V Eucharistie  ;  avec 
une  Dissertation  sur  la  prétendue  possibilité  des  choses  impossibles 
(Paris,  1680)  ^.  L'auteur  ne  limitait  pas  son  agression  aux  Cartésiens, 
car  il  avait  cité  Bernier  parmi  les  philosophes  qui  contredisent  le  dogme 
de  la  transsubstantiation  en  faisant  consister  l'essence  de  la  matière 
dans  l'étendue,  ou,  selon  Gassendi  intei-prété  par  Bernier,  «  dans  la 
soUdité  ou  impénétrabihté  d'où  suit  nécessairement  l'étendue  »  ^. 
Après  avoir  rappelé  les  noms  de  certains  philosophes,  qui  sont  consi- 
dérés comme  les  tenants  de  l'opinion  qu'il  combat,  le  Père  Le  Valois 
continue  :  «  Et  moy  j'aurois  ajouté  à  tout  cela  M.  Bernier,  quoyqu'il 
fasse  profession  d'estre  tout  gassendiste  et  nullement  cartésien  »  ®. 
Puis,  ayant  rapporté  l'interprétation  que  Bernier  donne  du  sentiment 
de  Gassendi,  il  conclut  :  «  Il  est  vray  que  cette  opinion  est  un  peu  diffé- 
rente de  celle  de  M.  des  Cartes,  mais  elle  n'en  est  pas  moins  péril- 
leuse '^.  » 

Bernier  crut  devoir  répondre  au  Père  Le  Valois.  Il  «  fit  imprimer 
sourdement,  raconte  Bayle,  un  petit  Écrit  [Eclaircissement  sur  le 
livre  de  M.  de  La  Ville'],  dont  il  distribua  quelques  exemplaires  à  ses 
amis,  et  même  à  quelques  Prélats  »  ^.  Dans  cet  opuscule,  il  «  se  déclare 
fort  vertement  contre  quelques-mies  de  leurs  doctrines  »  ^  [des  Car- 
tésiens], afin  de  dégager  sa  cause  de  la  leur.  Sur  le  fond  même  de  la 
question,  il  propose  de  distinguer  «  deux  sortes  d'étendue,  l'une  réeUe 
et  véritable  et  qui  soit  le  corps  même  ;  l'autre  apparente  et  qui  ne 
soit  que  l'apparence  du  corps  pu  l'apparence  de  la  vraye  et  réelle 

1.  Elles  parurent  à  Paris  en  1674  et  en  1675,  et  à  Lyon  en  1676. 

2.  Une  autre  édition,  augmentée  de  trois  opuscules  de  Bernier,  reproduits  en  tout  ou 
en  partie,  parut  à  Lyon  en  1684,  7  tomes  en  6  volumes.  Dans  la  Préface  [non  paginée], 
p.  8,  Bernier  dit  qu'il  a  «  augmenté  de  quelques  chapitres  »  cette  2^  édition,  et  qu'il  a 
I  retranché  beaucoup  de  choses  qui  lui  paraissoient  superflues  >'. 

3.  Cf.  infra,  p.  249. 

4.  Cf.  C.  SoMMERVOGEL,  Bibliothèque  de  la  Compagnie  de  Jésus,  Y^^  P.,  T.  VIIT,  col. 
420-421,  Paris,  1898. 

5.  Cf.  supra.  Chapitre  IV,  p.   112. 

6-7.  L.  DE  La  Vitale,  Sentimens  de  M.  Des  Cartes...,  \^^  Partie,  Ch.  IV,  §  xlvii  et 
XLViiT,  p.  83  et  84. 

8-9.  Bayle,  Recueil  de  quelques  pièces  curieuses  concernant  la  Philosophie  de  Mr  Des- 
cartes (Amsterdam,  1684),  Avis  au  Lecteur  [non  paginé],  p.  8.  —  Bayle  a  reproduit, 
parmi  ces  pièces,  l'opuscule  de  Bernier,  p.  45-90.  —  U Eclaircissement  n'est  qu'une 
plaquette  de  14  pages  in-octavo.  On  en  trouve,  à  la  Bibliothèque  Nationale,  un  exem- 
plaire égaré  parmi  les  Mss  français,  15506,  fol.  151  sqq.  Il  est  sans  date  et  sans  nom 
d'aAiteur  et  d'édition.  Il  dut  paraître  vers  1680. 


§  B.  DISCIPLES  EN  FEANCE  :  II.  —  FÏIANÇOIS  BERXIER  189 

étendue  «  ^.  Selon,  liii,  après  la  transsubstantiation,  l'étendue  apparente 
persiste  seule.  Il  est  sûi'  que  le  Père  Le  Valois  dut  trouver  cette  solu- 
tion inacceptable. 

Quelques  années  plus  tard,  Bernier  composa  un  autre  opuscule 
philosophique  qui  est  intitulé  :  Traité  du  libre  et  du  volontaire  (Amster- 
dam, 1685).  Il  y  prétend  que  le  concom's  de  Dieu  avec  les  créatures 
est  simplement  général  et  médiat,  c'est-à-dii'e  que  Dieu,  après  avoh' 
doté  les  créatm'es  des  forces  qui  leur  sont  nécessaii'es,  les  conserve 
dans  l'existence,  mais  les  laisse  agk'  sans  concom^k  à  leurs  actions. 
Gassendi,  on  l'a  vu,  semble  pencher  de  ce  côté  ^  ;  Bernier  y  tombe  en 
plein.  Leibniz  lui  a  fait  l'honneur  de  le  mentionner  parmi  les  défenseurs 
de  cette  opinion  erronée,  quïl  réfute  péremptonement  ^. 

Faut-il  rappeler  en  com-ant  la  plaquette,  dans  le  gem-e  burlesque, 
qui  eut  un  si  vif  succès  d'hilarité  aux  dépens  des  Péripatéticiens  ? 
En  voici  l'en-tête  :  Bequeste  des  maistres  es  arts,  professeurs  et  régens 
de  V université  de  Paris,  présentée  à  la,  Cour  souveraine  de  Parnasse, 
ensemble  VArrest  intervenu  sur  ladite  requeste  contre  tous  ceux  qui 
prétendent  faire,  enseigner  ou  croire  de  nouvelles  découvertes  qui  ne 
soient  pas  dans  Aristote.  A  Delphe,  par  la  Société  des  imprimeurs 
ordinahes  de  la  Com'  de  Parnasse,  167L  La  Requeste  passe  pour  être 
l'œuvre  de  Bernier,  tandis  que  VArrest  est  le  fruit  collectif  de  la  colla- 
boration de  Boileau,  Racme  et  Bernier  ^. 

Au  dire  de  Sainte-Beuve,  Bernier  fut  «  cartésien  sans  le  vouloh'  »  ^. 
Ce  jugement  est  inexact.  Bernier  se  montra  sciemment  Gassendiste, 
mais  avec  une  sage  indépendance.  Fidèle  aristotéUcien  sur  ce  point, 
il  imita,  à  l'égard  de  Gassendi,  l'attitude  d'Ai'istote  à  l'égard  de  Pla- 
ton :  Amicus  GassendAis,  magis  arnica  veritas.  Après  de  longues  amiées 
de  réflexion,  il  en  vint  à  se  demander  si  certaines  opinions  de  son  maître 
étaient  bien  fondées  en  raison  ;  et,  honnêtement,  il  fit  part  au  pubhc 
de  ses  incertitudes  dans  un  opuscule  dont  le  titre  même  trahit  la  sin- 
cérité :  Doutes  sur  quelques-uns  des  principaux  Chapitres  de  Z' Abrégé 
DE  LA  PHILOSOPHIE  DE  Ga.ssendi  (Paris,   1682).  Ces  doutes  portent 

\.  Bernier,  Eclaircissement...,  Loco  citato,  p.  49. 
''     2.  Cf.  supra,  Chapitre  IV,  p.  117. 

3.  Leibn'iz,  Essais  de  Théodicée  sur  la  bonté  de  Dieu,  la  liberté  de  Vhomme  et  l'origine 
du  7nal,  pe  Partie,  §  27-32,  Œuvres,  Edit.  Gerhardt,  t.  Vl,  p.  118-122.  —  Janet, 
t.  II,  p.  100-104. 

4.  Cf.  supra  :  Polémique  contre  les  Péripatéticiens.  — «  On  en  [de  la  requête  de  l'Univer- 
sité en  faveur  d'Ai-istote]  parloit  chez  Monsieiu-  le  Premier  Président  de  Lamoignon, 
qui  dit  qu'on  ne  pourroit  se  dispenser  de  rendre  un  Arrêt  conforme  à  cette  Requête. 
Boileau  présent  à  cette  conversation  imagina  l'Arrêt  burlesque  qu'il  composa  avec  mon 
Père  et  Bernier,  le  fameux  voyageur,  leur  ami  commun.  »  (Louis  Racine,  Mémoires 
■sur  la  Vie  de  Jean  Racine,  II^  Partie,  p.  144,  Lausanne  et  Cienève,  1747). 

5.  Sainte-Beuve,  Causeries  du  Lundi  :  Œuvres  de  Chapelle  et  de  Bachaumont,  t.  XI, 
p.  38,  Paris,  1856.  Sainte-Beuve  a  lu,  d'un  façon  distraite,  la  Lettre  de  Bernier  à  Cha- 
pelle, dont  il  s'autorise  dans  cet  article,  car  Bernier  y  attaque  Descartes  en  passant. 
(Lettre  de  Bernier,  Loco  cit.,  p.  29).  Bernier  a  toujours  admis  les  thèses  suivantes  oppo- 
sées au  Cartésianisme  :  Existence  du  vide  et  des  atomes  —  Vanimal  n'est  pas  un  automate — 
Vâme  n'est  pas  plus  facile  à  conna'tre  que  le  corps  —  la  liberté  et  la  volonté  ne  doivent 
pas  être  confondues,  etc. 


190      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

«  non  pas  sur  le  fond  de  cette  philosophie  «  ^,  mais  seulement  «  sur  de 
certaines  matières  qui  ne  laissent  pas  d'estre  fort  considérables,  telles 
que  sont  l'espace,  le  lieu,  le  mouvement,  le  temps,  l'éternité  et  quelques 
autres  »  ^,  Si  l'on  veut  bien  se  rappeler  certaines  thèses  étranges  de 
Gassendi,  notamment  sur  l'espace,  le  temps  et  l'éternité  ^,  l'on  trou- 
vera très  naturels  et  les  doutes  et  les  critiques  du  disciple  enfin  troublé 
dans  sa  quiétude.  Malgré  ces  réserves  *,  il  reste  profondément  attaché 
à  la  philosophie  de  Gassendi,  laquelle,  «  après  tout  »,  lui  «  semble  la 
plus  raisonnable  de  toutes,  la  plus  simple,  la  plus  sensible  et  la  plus 
certaine  »  ^. 

L'amour  des  voyages  resta  toujom'S  vivace  chez  Bernier.  En  1685, 
c'est-à-dirç  peu  d'années  avant  sa  mort  (1688),  il  se  laissa  attirer 
en  Angleterre  par  Saint-Evremond  ®,  qui  le  présenta  dans  le  monde 

1-2.  Bebnier,  Doutes...,  Au  Lecteur  [Préface  non  paginée],  p.  1. 

3.  Cf.  supra,  Chapitre -IV,  p.  97-102. 

4.  Deux  ans  plus  tard,  en  publiant  la  seconde  édition  de  son  Abrégé  de  la  Philosophie 
de  Gassendi,  Bernier  reprit  et  compléta  l'exposition  de  ses  «  Doutes  »  (Cf.  Tome  II, 
p.  379-480,  Lyon,  16S4).  Dans  une  coui'te  Préface,  adressée  à  Madame  de  la  Sablière, 
il  fait  sa  confession  philosophique  :  «  Il  y  a  trente  à  quarante  ans  que  je  philosophe  fort 
persuadé  de  certaines  choses,  et  voilà  que  je  commence  à  en  douter  ;  c'est  bien  pis,  il 
y  en  a  dont  je  ne  doute  plus,  désespéré  de  pouvoir  jamais  y  rien  comprendre.  »  (Ibidem, 
p.  379).  Néanmoins  notre  philosophe  n'est  point  passé  dans  le  camp  des  Sceptiques. 
Après  avoir  énuméré  quelques  questions,  auxquelles  il  lui  paraît  impossible  de  donner 
une  réponse  satisfaisante,  il  ajoute,  en  bon  dogmatique  :  «  Cependant,  Madame,  cela 
ne  doit  pas  nous  rebuter,  et  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  toutes  les  choses  naturelles 
soient  d'une  pareille  obscurité  ;  la  Philosophie,  et  principalement  celle  de  Gassendi,  a 
toujours  cet  avantage  qu'elle  nous  en  découvre  un  très  grand  nombre,  qui  sstns  son 
secovu's  demeureroient  cachées...  »  (Ibidem,  p.  381). 

6.  Bernier,  Doutes...,  Ibidem,  p.  2. 

6.  Charles  de  Marguetel  de  Saint-Denis,  seigneur  de  Saint-Evremond  (né  à 
Saint-Denis-le-Guast,  dans  le  Cotentin  (janvier  1616)  (a)  et  mort  à  Londres  (9  septemb. 
1703),  après  avoir  fait  ses  études  au  collège  de  Clermont  à  Paris  et  suivi  les  cours  de 
droit  à  l'université  de  Caen,  se  lança  dans  la  carrière  des  armes.  Entre  temps,  il  em- 
ployait les  loisire,  que  lui  laissaient  les  exigences  de  la  vie  militaire,  à  cultiver  les  lettres 
et  à  fréquenter  les  salons  et  les  ruelles.  Il  fut  l'un  des  familiers  de  la  trop  fameuse 
Ninon  de  Lenclos.  Son  esprit  railleur,  qui  s'échappait  en  saillies  imprudentes,  finit 
par  le  compromettre.  On  trouva  dans  ses  paijiers,  au  moment  de  la  disgrâce  de  Fouquet, 
une  copie  de  la  lettre  à  François  de  Créqui,  alors  lieutenant-général,  où  il  critiquait 
le  traité  des  Pyrénées.  Pour  éviter  la  Bastille  qui  l'attendait,  il  s'enfuit  précipitamment 
en  Hollande  et  de  là  passa  en  Angleterre  (1661),  où  il  s'établit  pour  le  reste  de  ses 
jom-s.  L'amabilité  de  ses  manières  et  les  ressources  de  sa  fine  intelligence  lui  avaient 
créé  des  relations  sélect  si  agréables  qu'il  préféra  les  faveurs  de  Charles  II  et  de  ses 
successeurs  à  la  grâce  de  rappel  que  lui  octroya  Louis  XIV.  On  l'inhuma  à  West- 
miioster.  —  Cf.  'U'alter  Melville  Daniels,  Saint-Evremond  en  Angleterre,  Versailles, 
1907. 

Libertin  d'esprit  et  de  mœurs,  et  épicurien  de  bon  ton,  ce  gourmet,  qui  aimait  1» 
bon  vin, les  truffes  et  les  huîtres (b),  fut  en  somme  un  assez  triste  personnage.  L'écrivain 
vaut  mieux  que  l'homme.  Son  style,  clair  mais  sans  éclat,  coule  avec  une  aisance  un 
peu  nonchalante.  Critique  littéraire,  tout  en  reconnaissant  le  mérite  des  Anciens,  il 
déclare  «  qu*il  nous  faut  comme  un  nouvel  art  pour  bien  entrer  dans  le  goût  et  dans  ' 
le  génie  du  siècle  où  nous  sommes  (c)  ».  Historien,  il  fait  songer  à  Montesquieu  dans  ses 

(a)  La  date  de  sa  naissance  est  1616,  et  non  1610,  comme  on  dit  communément.  M.  Quénault  l'a 
constatée  sur  le  registre  des  Baptêmes  de  l'église  Saint-Denis-le-Guast,  piès  Coutances.  Cf.  Revue  de 
Normandie,  1869,  t.  IX,  p.  131. 

(b)  «  A  quatre-vingt-huit  ans,  je  mange  des  huîtres  tous  les  matins  ;  je  dîne  bien  ;  je  ne  soupe  pas 
mal  ;  on  fait  des  héros  pour  un  moindre  mérite  que  le  mien.  »  (Lettre  à  Ninon  de  Lenclos,  Londres, 
1698).  Saint-Evremond  avait  la  coquetterie  de  se  vieillir  :  il  n'avait  alors  que  82  ans. 

(c)  Saint-Evremond,  Fragmens  sur  les  Anciens,  dans  Œuvres  meslées,  Paris,  1692,  t.  II,  p.  226, 


k 


§  B.  DISCIPLES  EN  FRANCE  :  II.  —  FRANÇOIS  BERNIER  191 

aristocratique  de  Londi-es  et  dans  le  cercle  littéraire  formé  autour  de 
la  duchesse  de  Mazarin,  où  il  fréquentait  lui-même.  Ce  mondain  lettré 
écrivait  gentiment  sur  le  compte  de  notre  voyageur  :  «  Monsieur  Ber- 
nier,  le  plus  joli  philosophe  que  j'aye  connu  (joli  philosophe  ne  se  dit 
gueres  ;  mais  sa  figure  ,  sa  taille,  sa  manière,  sa  conversation  l'ont 
rendu  digne  de  cette  épithete-là),  Monsieur  Bernier,  en  parlant  de  la 
mortification  des  sens,  me  dit  un  jour  :  «  Je  vais  vous  faire  une  confi- 
dence que  je  ne  ferois  pas  à  Madame  de  la  Sablière,  à  Mademoiselle 
de  l'Enclos  même,  que  je  tiens  d'un  ordre  supérieur  ;  je  vous  dirai 
en  confidence  que  Vabstinence  des  jjlaisirs  me  paraît  U7i  grand  péché  ». 
Je  fus  surpris  de  la  nouveauté  du  système  ;  il  ne  laissa  pas  de  faire 
quelque  impression  sur  moi.  S'il  eût  continué  son  discoiu's,  peut-être 
m'auroit-il  fait  goûter  sa  doctrine  »  ^. 

A  cet  éloge,  qui  sent  quelque  peu  la  recherche  littéraire,  je  préfère 
le  témoignage,  plus  honorable  dans  sa  simphcité,  dont  Louis  Racine 
s'est  fait  l'écho  :  «  Comme  il  (Bernier)  étoit  d'un  commerce  fort  doux, 
sa  mort  fut  très  sensible  à  Boileau  et  à  mon  Père  »  ^.  Cette  aménité 
de  caractère,  la  variété  de  ses  connaissances,  le  piquant  des  souvenirs 
que  lui  fournissaient  ses  voyages  au  long  cours,  faisaient  apprécier 
sa  compagnie. 

On  prétend  qu'il  communiqua  à  Molière  quelques  anecdotes  sati- 
riques contre  les  médecins  et  indiqua  au  bonhomme  La  Fontaine  le 
sujet  de  quelques  fables.  Il  collabora  activement  aux  journaux  scien- 
tifiques et  Uttérak'es  de  son  temps  ^.  Mais  ce  qui  le  recommande 

Réflexions  sur  les  divers  génies  du  peuple  romain  dans  les  divers  temps  delà  République  (a). 
Philosophe,  il  ne  pousse  pas  le  scepticisme  jusqu'à  nier  Dieu,  car  nous  le  voyons  prouver 
son  existence  (b).  Saint-Evremond,  dans  une  Lettre  à  Ninon  de  Lenclos,  de  1685,  a 
rejeté  la  paternité  des  Réflexions  sur  la  doctrine  d' Epicure  {c)  où  vine  claire  allusion  est 
faite  aux  travaux  de  Gassendi.  Ces  Réflexions  sont  de  Jean-François  Sarrasin 
(1605-1654),  prosateur  et  poète  ;  on  les  trouve  dans  ses  Nouvelles  Œuvres,  Paris,  167i  : 
Discours  de  Morale,  1. 1,  p.  1-178.  Dans  cet  ouvrage  le  nom  de  l'auteur  est  écrit  :  Sarazin. 
Quant  à  Saint-Evremond,  il  livre  sa  pensée  sur  Epicure  dans  la  lettre  citée  ci-dessu3 
(Cf.  Œuvres,  Edition  Des  Maizeaitx,  Londres,  1714,  t.  IV,  p.  306-315),  Voici  la  con- 
clusion de  ce  jouisseur  élégant  :  «  Nous  vivons  au  milieu  d'une  infinité  de  biens  et  de 
maux  avec  des  sens  capables  d'être  touchés  des  uns  et  blessés  des  autres  :  sans  tant  de 
philosophie  un  peu  de  raispn  nous  fera  goûter  les  biens  aussi  délicieusement  qu'il  est 
possible,  et  nous  accommoder  aux  maux  aussi  patiemment  que  nous  pourrons.  » 
(p.  315). 

1.  Saint-Evremond,  Lettre  à  Ninon  de  Lenclos,  Londres,  1698,  dans  ses  Œuweâ, 
Edit.  Des  Maizeatjx,  t.  V,  p.  307,  Londres,  1714. 

2.  Louis  Racine,  Mémoires...,  II«  Partie,  p.  202.  L'auteur  se  fait  aussi  l'écho  d'un 
bruit  qui  courait  alors  :  a  Sa  mort  [de  Bernier]  eut  pour  cause  une  plaisanterie  qu'il 
essuya  de  la  part  de  M''  le  Premier  Président  de  Harlai  étant  à  sa  table.  Ce  Philosophe, 
que  ses  voyages  et  les  principes  de  Gassendi  avoient  mis  au-dessus  de  beaucoup  d'opi- 
nions communes,  n'eut  pas  la  fermeté  de  soutenir  une  raillerie  assez  froide.  »  (Ibidem, 
p.  202). 

3.  Bernier,  resté  vieux  garçon,  aimait  à  loger  chez  les  autres.  Il  fut  hébergé,  durant 
plusieurs  années,  par  Madame  de  la  Sablière.  En  retour,  il  tenait  son  hôt«sse  au  courant 

(a)  S.UNT-EVREMOND,  Œuvres  mesléei,  1. 1,  p.  1-134. 

(b)  Saint-Evremond,  De  l'usage  de  la  vie,  ch.  II,  daus  Œuvres  meslées,  t.  IV,  p.  96-105. 

(c)  Malgré  cette  répudiation,  elles  continuent  à  figurer  dans  plusieurs  éditions  de  ses  Œuvres.  — 
Saint-Evremond  fréciuentait  l'ambassade  de  France  à  Londres.  Il  y  rencontra,  au  temps  où  le  comte 
de  Cominges  était  ambassadeur,  Hobbes,  familier  de  la  maison,  qu'il  regardait  comme  «  le  plus  grand 

*  génie  de  l'Angleterre  depuis  Bacau.  » 


192      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

surtout  à  l'historien  de  la  Philosophie,  c'est  d'avoir  fait  connaître 
le  Syntagma  philosophicum  de  Gassendi.  Rôle  modeste  assurément  ; 
c'est  pourtant  quelque  chose  d'être  la  doublure  d'un  grand  homme  ^. 

///.    —   SAMUEL   SORBIÈRE 

Le  consciencieux  biographe  de  Sorbière,  Graverol  ^,  avocat  à  Nîmes, 
nous  a  conservé  ce  jugement  de  Bernier  :  «  ...  J'ai  souvent  ouï  dire 
à  M.  Bernier,  mon  bon  ami,  qu'il  ne  connaissoit  que  Sorbière  qui  eût 
été  meilleur  Gassendiste  que  lui  »  ^.  Il  poussa  même  plus  loin  que  Ber- 
nier son  admiration  pour  lem'  maître  commun,  car  Gassendi  le  pria 
de  tempérer  ses  éloges  et  de  lui  épargner  les  titres  pompeux  dont  il 
l'accablait  *. 

1°  VIE  DE  SAMUEL  SORBIÈRE 

Ayant  perdu  de  bonne  heure  sa  mère,  et  son  père  s'étant  remarié, 
Samuel  Sorbière  ^  fut  recueiUi  par  son  oncle  maternel,  Samuel  Petit  ^, 

du  mouvement  scientifique  et  lui  adressait,  chaque  année,  sous  le  nom  d'Etrennes 
quelques  courts  articles  traitant  de  questions  diverses,  qu'il  faisait  ensuite  insérer  dans 
quelque  journal.  Cf.,  par  exemple,  Le  Journal  des  Sçavans,  7  et  14  juin  1688,  p.  17-36  : 
Extrait  de  diverses  pièces  envoyées  à  M"  de  la  Sablière.  On.  trouve,  p.  35-36,  VEpitaphe 
qu'il  a  consacrée  à  son  ami  Chapelle. 

1.  La  Bruyère  dit,  au  Chapitre  des  Esprits  forts  :  «  Quelques-uns  achèvent  de  se  cor- 
jompre  par  de  longs  voyages  et  perdent  le  peu  de  religion  qui  leur  restait.  »  (Edition 
des  Grands  Ecrivains,  t.  II,  p.  238,  Paris,  1865).  L'éditeur,  M.  G.  Servois,  pose  cette 
question,  qu'il  laisse  sans  z'éponse  catégorique  :  «  La  Bruyère  ne  pensait-il  pas  à  Fran- 
çois Bernier  ?...  »  (Ibidetn,  p.  427).  Voltaire  (Catalogue  des  Ecrivains  français  du  siècle 
de  Louis  XIV)  s'est  chargé  de  donner  la  réjDonse  :  Bernief  «  mort  en  vrai  philosophe  ». 
Cette  affirmation  sans  preuve  est  suspecte. 

2.  Mémoires  pour  la  vie  de  Messieurs  Samuel  Sorbièke  et  J.-B.  Cotelier,  dans  une 
Lettre  écrite  par  M.  Graverol,  avocat  de  Nimes,  à  Messire  L.de  Rechignevoisin  de 
Garon,  evégue  de  Comengre.  Cette  Lettre  (a)  est  placée  en  tête  de:Sorberiana  siveExcerpta 
ex  ore  Samuelis  Sorbière  prodeunt  ex  musaeo  Francisci  Graverol  J.  V.  D.  et  Acade- 
mici  Regii  Nemaiisensis.  Editio  auctior  et  emendatior,  Tolosse,  1694.  Ce  genre  de  Recueils 
que  Graverol  définit  «un  agréable  mélange  de  bons  mots, faits  historiques  et  remarques 
sur  divers  sujets  »,  fut  quelque  temps  très  à  la  mode.  On  a  déjà  vu  Scaligerana  (Saumur, 
Rouen,  1667,  1669,  La  Haye,  1666).  Thuuna  (L.a,  Haye  et  Rouen,  1669). — Perroniana 
(La  Haye  et  Rouen,  1669).  —  On  aura  Naudœana  et  Patiniana,  Paris,  1701.  —  Mena- 
giana,  Paris,  1715. 

3.  Graverol,  Mémoires  [non  paginés],  p.  24.  Nous  renvoyons  à  l'édition  de  1694. 

4.  Non  potero,  sane  deinceps  tecum  agere,  mi  Sorberi,  nisi  opinionem  de  me  abs  te 
conceptam  tempères  ac  titulis  parcas  quibus  me  exornas,  etc.  (Gassendi  à  Sorbière, 
30  janvier  1651.  Bibl.  Nat„  Ms.  Fonds  lat.  10352,  t.  I,  fol.  65  recto). 

5.  Samuel  Joseph  Sorbière,  né  en  1610,  à  Saint-Ambroix,  dans  le  diocèse  d'Uzès, 
aujourd'hui  dans  celui  de  Nîmes,  et  mort  à  Paris  le  7  aviùl  1670.  —  Certains  auteurs  le 
font  naître  en  1615.  C'est  une  erreur,  car  le  portrait  de  Sorbière  porte  :  Obiit  anno  D. 
1670,  ^tatis  60,  comme  on  peut  le  voir,  placé  par  son  fils,  en  tête  du  Ms.  F.  lat.  10352. 

6.  Samuel  Petit  naquit  à  Saint-Ambroix  le  25  décembre  1594.  Il  étudia  à  l'Univer- 
sité de  Genève.  Les  langues  orientales  l'attirèrent  pax'ticulièi'ement.  On  lui  confia  une 
chaire  d'hébreu  à  Nîmes  et  il  y  devint  Principal  du  collège  en  1627.  Sur  sa  réputation 
d'érudit,  le  cai'dinal  de  Bagny  voulut  l'attirer  à  Rome  et  lui  confier  l'administi'ation  de 

(a)  Cette  Lattre,  publiéa  dins  la  l"  édition,  Toulouse,  1691,  des  Sorberiaiia,  est  datée  de  Nîme,?, 
5  janvier  1687. 


§  B.  —  DISCIPLES  EN  FRANCE  :  III.  SAMUEL  SORBIÈRE  193 

célèbre  ministre  protestant  à  Nîmes,  qui  commença  l'éducation  de 
l'orphelin.  Son  père  adoptif  le  destinait  à  remplir,  comme  lui,  les  fonc- 
tions de  pasteur  dans  l'Église  réformée.  Mais  le  jeune  homme,  envoyé 
à  Paris  (1639)  pour  y  achever  ses  études,  trompa  les  espérances  du 
trop  confiant  ministre  ^.  Au  lieu  de  s'adonner  à  la  théologie,  il  s'ap- 
pliqua à  la  médecine.  La  première  œuvre  sortie  de  sa  plume  fut  un 
modeste  essai  sur  le  Système  de  la  médecine  galénique  pour  le  soulage- 
ment de  la  mémoire  ^. 

Un  coup  d'œil  d'ensemble  sur  cette  existence  assez  singulière, 
qui  se  dépense  et  s'agite  en  sens  divers,  nous  aidera  à  mieux  comprendre 
le  rôle  de  philosophe  et  de  savant  que  Sorbière  s'efforça  de  jouer. 

De  1642  à  1645  nous  le  trouvons  en  Hollande,  où  il  s'empressa 
d'entrer  en  relations  avec  Descartes  ^.  Sous  le  pseudonyme  de  Cuth- 
BERTUS  HiGLANDUS,  il  adi'cssa  à  André  Rivet,  un  compatriote, 
directeur  de  l'Académie  protestante  de  Bréda,  une  lettre  latine  * 
pour  le  défendre  contre  le  Crurifragium.  Prodromi  Rivetayii,  œuvre 
de  La  Milletière  ^.  A  la  prière  du  comte  de  Rhingrave,  gouverneur 
de  la  ville  de  L'Écluse  (Sluys),  il  traduisit  V  Utopie  de  Thomas  Morus 
(Amsterdam,  1643). 

sa  bibliothèque,  tout  protestant  qu'il  était.  Petit  déclina  cette  ofEre  honorable.  Il 
mourut  en  décembre  1643,  âgé  de  49  ans,  près  de  Courbessac,  à  la  maison  de  campagne 
de  son  beau-frère.  Isaac  ChejTon.  Il  a  laissé  plusieurs  ouvrages  d'érudition  qui  ne 
rentrent  pas  dans  le  cadre  de  cette  histoire.  Citons  donc  seulement  son  ouvrage  principal 
dédié  à  Auguste  de  Thou,  Leges  atticœ,  Paris,  1635,  qui  lui  valurent  l'honneur  d'être 
invité  par  les  universités  de  Frise  et  d'Utrecht  à  faire  partie  de  leur  corps  professoral, 
honneur  qu'il  refusa.  —  Cf.  Tamizey  de  Larroque  :  Les  Corrres pondants  de  Peiresc  : 
XIV.  Samuel  Petit.  Nîmes,  1887.  En  tête.  Notice  biographique  par  Georges  Maurin. 
—  Il  y  a  une  lettre  ao  Gassendi  à  Petit  (O.  G.,  t.  VI,  p.  117)  et  une  de  Petit  à  Gassendi 
(Ibidem,  p.  439). 

1.  «  Sa  reconnaissance  [de  Sorbière  envers  Petit]  se  traduisit"  par  des  réclamations 
de  toute  sorte  et  lui  procès  qu'il  lui  intenta  devant  le  Présidial  de  Nîmes  en  restitution 
des  reprises  dotales  de  sa  mère.  »  (G.  Maurin,  Notice  citée,  p.  22,  note).  —  On  trouvera 
de  nombreuses  lettres  de  Sorbière  à  Petit  et  de  Petit  à  Sorbière,  dans  Epistolœ  Sorberii 
et  ad  Sorberitim,  Bibl.  Nat.,  Mss  Fonds  lat,  10362,  Cf.  Tables  :  T.  I,  p.  7  verso,  et  t.  II, 
p.  11. 

2.  Sorbière  «  a  fait  ce  Système  pour  son  usage  particulier  et  l'a  fait  imprimer  sur  une 
simple  feuille  de  papier.  «  (Niceron,  Mémoires...,  t,  IV,  p.  89.  Liste  des  ouvrages  de 
Sorbière  :  cf.  Ibidem,  t.  IV,  p.  89-98  et  t.  X,  p.  133-134). 

3.  Cf.  infra,  p.  1111. 

4.  La  Lettre  de  Sorbière  est  datée  de  Leyde,  l*'  nov.  1642.  Rivet  la  publia  à  la  fin 
de  son  Apologeticus  pro  suo  de  verœ  et  sincerœ  pacia  Ecclesiœ  proposito  contra  Hugonis 
Grotii  votum  (p.  312-321),  Leyde,  1643.  —  On  regrette  de  voir  Sorbière  prendre  le  parti 
du  sectaire  Rivet  contre  le  pacifique  Grotius  qui  travaillait  à  la  réunion  des  Eglises 
séparées.  Il  sera  parlé  de  Rivet  à  propos  des  démêlés  de  Descartes  avec  Voetius.  — 
L'ouvrage  auquel  répondait  V Apologeticus  de  Rivet  avait  pour  titre  :  Hugonis  Grotii 
Votum  pro  pace  ecclesiastica  contra  examen  Andreœ  Riveti  et  alios  irreconciliabiles,  1642 
(sans  nom  d'éditeur). 

5.  Théophile  Brachet,  sieur  de  La  Milletière,  né  vers  1596  et  mort  en  1665,  avait 
publié,  en  réponse  au  Prodromus  de  Rivet  :  Rivetani  Prodromi  Milleteriuni  turbarum  et 
calumniarut/i  inique  arcessentis  crurifragium  ,  Paris,  1642.  Il  avait  abjuré  le  Protes- 
tantisme le  2  a\Til  1645.  C'était  un  polémiste  peu  mesuré  qui,  avant  son  abjuration, 
batailla  vivement  contre  des  théologiens  protestants,  comme  André  Rivet,  qui  lui 
rendit  coup  pour  coup.  Cf.  Examen  aniinadversionuni  H .  Grotii  pro  suis  notis  ad  consul- 
tationem  Cassandri.  Arnssit  Prodromus  adversus  culumnias  Th.  Bracheti  Milleterii, 
Leyde,  1642. 

13 


194      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

Le  métier  d'éditeur  eut  dès  lors  un  attrait  tout  particulier  pour 
Sorbière.  Il  s'offrit  avec  insistance  à  Gassendi  pour  faire  imprimer  sa 
Disquisitio  metaphysica  contre  Descartes  (Amsterdam,  1644).  Ce 
fut  lui  encore  qui  se  chargea,  à  la  même  époque,  de  publier  les  Mémoires 
du  duc  Hemi  de  Rohan,  chef  du  parti  calviniste  sous  Louis  XIIL 
(Amsterdam,  1644  ;  2^  édition  en  2  vol.,  1646). 

Après  une  com'te  apparition  en  France  (1645),  Sorbière  revint  dans 
les  Pays-Bas  (1646).  Il  se  maria  à  La  Haye  avec  Judith  Renaud  ^  et 
s'étabht  à  Leyde  comme  praticien.  Ses  occupations  médicales  lui 
laissaient  des  loisirs,  qui  lui  permirent,  nous  le  verrons  avec  quelque 
détail,  de  rééditer  en  latin  le  De  Cive  de  Hobbes,  puis  de  le  traduire 
en  français. 

En  1648,  notre  Docteur-Médecin  fit  paraître,  à  Leyde,  un  opuscule 
intitulé  :  Discours  sceptique  sur  le  passage  du  chyle  et  le  mouvement  du 
cœur  2.  Cet  opuscule  n'a  rien  d'original  :  c'est  l'exposé  des  objections 
que  Gassendi  avait  fait  valoù'  contre  la  circulation  du  sang  dans  un 
entretien  avec  Sorbière  et  de  Martel.  Le  rédacteur  du  «  Discours  scep- 
tique ))  conclut  ainsi  pour  son  propre  compte,  en  parlant  à  M.  du 
Prat,  Docteur  en  Médecine,  auquel  le  Discours  est  adressé  :  «  Per- 
mettes moy  donc,  Monsieur...,  de  me  tenir  dans  l'Epoché  ^  en  ces 
matières  physiques.  Aux  autres,  que  la  révélation  divine  nous  per- 
suade ou  que  le  debvoir  nous  ordonne,  vous  me  trouvères  plus  afïirma- 
tif .  Ces  dernières  ne  sont  pas  du  ressort  ny  de  la  jurisdiction  de  ma 
Sceptique  «  *.  Quelques  années  plus  tard  Sorbière  ne  se  tint  plus 
«  dans  l'Epocbé  ».  Il  se  rendit  à  l'évidence  des  faits.  Il  avait  assisté, 
en  compagnie  de  du  Prat,  d'Auzout  ^  et  des  plus  remarquables  méde- 
cins d'Aix,  à  une  expérience  que  Pecquet  renouvela  devant  eux  pour 
démontrer  l'existence  des  veines  lactées  thoraciques.  L'expérience 
fut  trouvée  si  concluante  qu'il  déclara  qu'elle  ne  laissait  désormais 
place  à  aucun  doute  ®.  Il  fit  plus  encore  en  écrivant,  sous  le  pseudonyme 
de  Sébastien  Ami  de  la  Vérité  (Sebastianus  Alethophilus)  une  Lettre 

1.  C'est  Graverol  qui  nous  l'apprend  (Mémoires,  p.  5).  Elle  était  comme  Sorbier©, 
d'Ambroix.  Il  la  perdit,  après  seulenaent  quelques  années  de  mariage,  à  Orange,  le 
3  juillet  1653.  Jacques  Lanfrin,  Docteur  in  utroque  jure,  de  Carpentras,  envoya  à  l'occa- 
sion  de  cette  mort,  une  poésie  latine  qui  est  reproduite  dans  les  Lettres  de  Sorbière, 
Bibl.  Nation.,  Ms.  Fonds  lat.  10352,  t.  I,  entre  le  folio  l62  et  le  fol.  163. 

2.  Cf.  supra,  Chapiti-e  V.  p.   175. 

3.  Epoclié  est  la  transcription  française  du  mot  'ETto/vî  (suspension  du  jugement) 
employé  par  les  Sceptiques.  L'imprimé  porte  Epoche,  sans  acent  sur  l'e  ;  c'est  une  faute 
d'impression,  car  le  manuscrit  de  Sorbière  devait  évidemment  accentuer  l'e  ;  autre- 
ment le  mot  grec  n'aurait  pas  été  reproduit  à  la  française. 

4.  Sorbière,  Z)«scours  scepftgue...,  p.  153-154. 

5.  Adrien  Auzout,  né  à  Rouen  (1630)  et  mort  à  Paris  (1691)  se  distingua  comme 
mathématicien  et  physicien.  Il  fut  l'un  des  sept  premiers  membres  de  l'Académie  des 
Sciences.  Citons  son  Traité  du  micromètre  (Paris,  1667)j  ses  Lettres  sur  les  grandes  lunettes 
(dattes  de  1664)  et,  ce  qui  nous  intéresse  plus  particulièrement,  VEpistola  ad  Pecquetum, 
devasis  lacteiset  receptaculo  C'hyli,  Paris,  1651.  Pecquet  a  publié  cette  Lettre  d'Auzoui 
dans  ses  Expérimenta  nova  anatomica,  Paris,  1651,  p.  103-108. 

6.  Quod  nudius  tertius,  me  praesente,  Pratteo  nostro,  Auzotio  et  Aquinis  prEestan- 
tissimis  medicis  adst3,ntibus,  iterasti  experimentum  vasis  lacteis  thoracicis  demons- 
trandis,  rem  fecit  adeo  indubiam,  Pecquote  suavissime,  ut  nullus  deinceps  ambigendi 
locus  nec  mihi  nec  aliis  relinquatur  (Début  de  la  Lettre  citée  ci-dessous,  p.  196,  note  1). 


§  B.   DISCIPLES  EN  FRANCE   :   III.  —  SAMUEL  SORBIÈRE  195 

itine   à   l'illustre   expérimentateur  ^,    où   les   attaques    de   Riolan' 
outre  les  veines  lactées  sont  repoussées. 

L'année  1650  marqua  le  retom-  définitif  de  Sorbière  en  France 
1  avait  été  nommé  Principal  du  coUège  d'Orange  le  2  septembre, 
iudovic  de  Nassau,  gouverneur  de  la  Principauté,  avait  fondé  cet 
tabKssement  scolaii'e  en  1573.  D'après  les  statuts,  le  Principal  devait 
oujours  être  un  protestant  ;  sm'  les  quatre  régents,  deux  étaient 
atholiques,  et  deux  protestants.  Le  nouveau  Principal  inaugura  sa 
harge  par  un  discom's  prononcé  le  18  octobre  1650  ^,  Le  gouverneur 
Le  la  principauté  était  alors  le  comte  Ckristophe  de  Dohna,  qui, 
Lous  le  verrons,  mit  Sorbière  en  relations  avec  la  princesse  Elisabeth 
Le  Bohême. 

Non  loin  d'Orange,  il  y  avait  en  ce  temps-là,  à  Vaison,  un  évêque 
iiudit,  Joseph-Marie  Suarès  *,   qui  était  entouré  d'une  petite  cour 

1.  Viro  clarissimo  D.  Joanni  Pecqueto,  M  éd.  D.  eeleberrimo,  venarwn  lacteanrum  thora- 
icarum  invuntorl  sagacissinio  Sebastianus  Alethophilus.  On  lit  à  la  fin  de  la  Lettre  : 
jutetiae  Parisiorum.  Eid.  sectil.  1654.  —  Pecquet  reproduisit  cette  Lettre  de  Sorbière 
lans  la  2^  édition  de  ses  Expérimenta  (Paris,  1654),  p.  164-180. 

2.  Jean  Riolan,  né  en  1577,  et  mort  le  19févr.  1657  à  Paris,  devint  en  1613  profes- 
;eur  d'anatomie  et  de  botanique  à  la  Faculté  de  Médecine.  Son  principal  ouvrage  est 
ntitulé  Anatomia  seu  Anthropographia,  Paris,  1618,  1626  2,  16493.  La  Faculté  de  Méde- 
cine, dont  il  fut  le  Doyen  (1649-1657)  possède  son  portrait,  avec  une  inscription  très 
ouangeuse,  où  on  lit  :  Anatomicorum  sui  sœculi  princeps.  Il  eut  le  tort,  comme  son  suc- 
îesseur  dans  la  chaire  d'anatomie.  Gui  Patin,  de  s'opposer  aux  découvertes  de  Harvoy 
ît  de  Pecquet  ;  mais  il  eut  le  mérite  de  remettre  la  dissection  en  honneur.  —  Riolan  a 
îritiqué  les  idées  de  Gassendi  sur  la  circulation  du  sang  dans  ses  Notationes  in  tractatum 
'Jlarissimi  DD.  Pétri  Gassendi  de  circidatione  sanguinis,  qu'il  publia  dans  ses  Experi' 
menta  anatomica  varia  et  nova,  p.  95-115,  Paris,  1652.  —  Le  Traité,  auquel  s'attaque 
Riolan,  se  trouve  dans  Anitnadversiones  in  Lihrutn  Decimum  Diogenis  Laertii,  qui  est 
le  vlta,  inoribus  placitisque  Epicuri,  Lyon,  1649,  t.  I,  Appendice  I,  p.  lxiv-xcvi. 
Gassendi  dit  formellement  :  Nam  quod  prsesertim  quideni  spectat  ad  sanguinis  circu» 
lationem,  ea  milii  potius  sic  arridet  ut  perparum  absit  quin  habeam  indubiam.  Ftenim 
3st  aliquid  etiam  quod  ipse  mihi  ad  meas  difficultates  respondeo  ;  tametsi  non  ita  mihi 
satisfacio  quin  sperem  mihi  majorem  quandam  ab  aliquo  alio  affulsuram  lucem  (Appen- 
dice citata,  p.  m).  La  découvei-te  de  Pecquet  ne  semble  pas  avoir  dissipé  les  derniers 
scrupules  de  Gassendi.  Cf.  supra,  Chapitre  V.  p.    177,  n.  3. 

3.  Samuklis  Sorberii  Gymnasiakchiais  Arausensis  Oratio  inauguralia  habita 
XIV  Kalend.  A'ot>.  1650  (Orange,  1650).  —  Pendant  son  séjour  à  Orange,  il  publia 
encore  quelques  travaux,  vg.  Lettre  d\in  gentilho7nme  français  à  un  de  ses  amis  sur  les 
desseins  de  Crormoell  (Orange,  1050).  —  Les  vrayes  causes  des  derniers  troubles  en  Angle- 
terre.  Abrégé  dliistoire,  oii  les  droits  du  Roy,  du  Parlement  et  du  Peuple  sont  na.vevient 
représentés  (Orange,  1653).  — Lettre  à  M.  de  Courcelles, ministre  arminien  à  Amster- 
dam :  Quels  peuvent  être  les  desseins  des  Anglais  en  la  guerre  cantre  la  Hollande  1652 
(Orange,  IcrjuUleL  1652).  Sorbière  l'a  reproduite  dans  ses  Lettres  et  Discours,  p.  202-211. 
—  Etienne  de  Courcelles,  né  à  Genève  (2  maà  1586)  do  Firmin  de  Courcelles,  qui  était 
d'Aïuiens  et  quitta  la  Franco  après  la  Saint-Barthélémy.  Après  avoir  été  ministre  en 
France,  Etienne  le  devint  à  Amsterdam  où  il  mourut  le  22  mai  1659.  Ses  Opéra  theologica, 
parurent  à  Amsterdam  (1675). 

4.  Joseph-Marie  Suarès  i^aquit  à  Avignon,  le  5  juillet  1599.  Il  fut  d'abord  prévôt 
de  la  cathédrale  d'Avignon  et  caniérier  du  pape  Urbain  VIII.  Le  cardinal  Barberini 
le  prit  sous  sa  protection  et  en  fit  son  bibliothécaire.  En  1633,  il  fut  sacré  à  Rome  évèqiio 
de  Vaison.  S'éta:it  démis  de  sa  charge,  en  1666,  en  faveur  de  son  frère  Charles-Joseph, 
il  80  retira  à  Rotne  où  il  vaqua  à  ses  chères  études  historiques  et  archéologiques  et 
mourut  le  7  décembre  1677.  Oh  trouvera  dans  Niceron  (Mémoires...,  t.  XXIi,  p.  298- 
300)  la  liste  des  œuvres  de  Suar^^s.  —  Sorbière  a  publié  (dans  Virorun^  ilhistrium  et 


196      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSEND 

de  savants.  Sorbière  entra  en  rapports  avec  lui  à  propos  d'inscriptions 
latines.  Ce  fut  le  trait  d'union.  Mais  peu  à  peu  la  question  religieuse 
fut  abordée.  A  la  suite  de  doctes  conférences  le  neveu  du  célèbre 
ministre  Samuel  Petit  se  déclara  convaincu  de  la  vérité  du  Catholi- 
cisme. Il  prononça  son  abjuration,  dans  la  cathédrale  de  Vaison 
vers  la  fin  de  1653.  Pour  justifier  sa  conduite,  il  publia,  selon  un  usage 
alors  assez  fréquent,  un  Discours  sur  sa  conversion  à  l'Eglise  catho- 
lique (Paris,   1654),  dédié  au  cardinal  Mazarin. 

Son  passage  à  Orange  avait  fait  bonne  impression.  Quand  il  dut 
quitter  le  Principalat,  le  Parlement  le  remercia  «  affectueusemeni 
des  soins  et  peines  qu'il  a  employés  en  l'exercice  de  ladite  charge  ». 
et  le  Consistoire,  ayant  loué  aussi  «  ses  soins  assidus  et  eiihgents..., 
prie  Dieu  du  fond  du  cœur  qu'il  continue  à  bénir  ce  grand  homme, 
vraiment  remarquable  dans  la  république  des  lettres  »  ^. 

Mesurant  les  autres  à  son  aulne,  Gui  Patin  s'efforça  de  jeter  la 
suspicion  sur  la  conversion  de  Sorbière  :  «  J'ai  reçu,  écrit-il  à  Falconet, 
nouvelles  que  notre  ancien  ami  M.  Sorbière,  directeur  du  collège 
d'Orange,  a  tourné  sa  jaquette  en  se  faisant  catholique  romain... 
Voilà  des  miracles  de  nos  jours  ;  mais  qui  sont  plutôt  politiques  et 
économiques  que  métaphy siennes  »  ^.  Rien  n'autorise  à  suspecter  la 
sincérité  d'une  abjuration,  qui  faisait  perdre  à  l'intéressé  sa  situation 
honorable  et  rémunératrice  de  Principal  ^.  Que  pèsent  les  insinuations 
perfides  d'un  médisant  comme  Patin,  quand  on  peut  leur  opposer 
le  témoignage  d'hommes  aussi  probes  que  Gasseneii  ?  A  la  nouvelle 
de  la  détermination  prise  par  Sorbière,  le  chanoine  de  Digne,  qui  le 
connaissait  de  vieille  date,  lui  écrit  une  très  belle  lettre,  où  se  font  jour 
les  sentiments  les  plus  élevés  :  «  De  tout  cœur  je  vous  félicite  de  votre 
grand  et  généreux  acte  de  piété.  C'est  une  chose  d'une  gravité  incom- 
parable, car  c'est  du  salut  suprême  qu'il  s'agit...  Ce  changement  est 
l'œuvre  de  la  droite  du  Très  Haut  ;  comme  vous  avez  choisi  la  meilleure 
part,  jamais  vous  n'aurez  à  vous  repentir  de  votre  démarche  «  *. 
Le  même  jour,  il  écrit  également  à  Suarès  pour  «  le  féliciter,  comme  d'un 
action  d'éclat,  d'avoir  gagné  à  Dieu  et  à  FEgUse  l'éminent  Sorbière... 

cruditorum.  Epistolœ,  p.  444  sq.)  quatre  lettres  de  Suarès;  il  y  en  a  un  grand  nombre 
du  même  dans  Ms.  F.  lat.  10352,  tome  II,  Index,  fol.  20  recto  et  verso.  —  Pour  les 
Lettres  de  Sorbière  à  Suarès,  Ibidem,  t.  I,  Index,  fol.  11  verso,  f.  12  recto  et  v.). 

1.  Sorbière  cite  ces  témoigiiages  honorables  à  la  suite  de  son  Discours  sur  sa  conver' 
sion. 

2.  O.  Patin  àFMÎconet,  25  nov.  1653,  t.  III,  p.  17. 

3.  Voici  le  jugement  non  suspect  de  M.  André  Morize  :  «  Ce  fut  un  acte  réfléchi,- 
mesuré,  préparé.  Entre  Suarès  et  Sorbière,  il  y  eut  de  longues  conférences,  de  sérieuses 
discussions,  et,  s'il  faut  avouer  que  les  motifs  de  conscience  et  les  raisons  de  la  théologie- 
ne  furent  peut-être  pas  seules  à  peser  dans  la  balance,  elles  y  furent  cependant.  » 
(Bulletin  de  la  Société  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français,  1907,  p.  507-508  :  Sor^ 
bière  Principal  à  Orange.  Sa  conversion  (1650-1653).) 

4.  ...  Gratulor  tibi  pectore  pleno  ob  tuum  illud  tam  generosum  tantaeque  pietati» 
consilium.  Nempe  res  ejus  est  ponderis,  cui  sequiparari  nihil  possit.  De  sainte  enim 
summa  agitur,  pro  cujus  commutatione  non  tota  cum  auro  suo  Terra,  non  universus 
Mundus  sit  satis.  Fuit  hsec  mutatio  dextrse  Excelsi,  et,  optimam  partem  cum  elegeris, 
non  erit  profecto  cur  unquam  te  facti  pœniteat  (Gassendi  à  Sorbière,  23  janvier  1654, 
OG,  t.  VI,  p.  328,  col.  2). 


§  B.  —  DISCIPLES  EN  FRANCE  :  III.  —  SAMUEL  SORBIÊRE  197 

Il  méritait  de  tomber  sm*  un  tel  dii'ectem",  cet  homme  si  bon  et  si 
loyal,  d'une  érudition  singulière,  d'un  si  grand  charme  dans  le  com- 
merce de  la  vie  et  d'une  élégance  rare  de  style  »  ^.  Gassendi,  on  le  voit, 
se  porte  garant  de  la  loyauté  de  Sorbière  qu'il  connaissait  intimement. 

Slais,  après  avoir  admis  la  sincérité  de  cette  conversion,  force  est 
bien  de  reconnaître  que  le  nouveau  converti  ne  fut  point  pour  l'Église 
une  acquisition  bien  avantageuse.  Il  rechercha  avec  une  insistance 
choquante  les  bénéfices  ou  les  pensions  tant  à  Rome  qu'à  Paris. 
Dès  le  mois  de  janvier  1655,  il  part  pour  la  Ville  éternelle  muni  d'une 
Içttre  de  recommandation  de  l'évêque  de  Vaison.  AccueiUi  avec  bonté 
par  Alexandre  \'II,  il  solHcite  quelques  faveurs.  Le  pape  lui  demande 
un  mémoire  explicatif  de  la  requête.  Sorbière  se  hâte  d'envoyer 
le  mémoire  demandé,  avec  une  Lettre  latine  contre  ses  envieux  protes- 
tants. Il  avait  noué  des  relations  avec  le  cardinal  Jules  Rospigliosi, 
qui  devint  son  correspondant  fidèle.  Cette  correspondance  dura  jus- 
qu'au moment  où  le  cardinal  monta  sur  le  Siège  de  saint  Pierre  (1667), 
sous  le  nom  de  Clément  IX. 

Sorbière  avait,  dans  son  cabinet  de  travail,  le  portrait  du  cardmal 
Rospigliosi.  Le  sachant  «  papable  »,  dit  Graverol  •^,  il  fit  composer  et 
imprimer,  à  l'occasion  de  ce  portrait,  de  nombreuses  poésies  en  langues 
diverses  par  des  auteiu's  variés.  A  peine  eut-il  appris  l'élection  de 
son  cher  cardinal  qu'il  s'empressa  d'arriver  à  Rome  pour  assister  à  la 
cérémonie  de  «  l'exaltation  ».  De  la  Ville  éternelle  il  envoya  à  M.  de 
Montmor  une  longue  lettre  latine,  où  il  fait  l'éloge  du  nouveau  pape 
et  de  sa  famille  ^. 

Malgré  tant  de  zèle,  sa  chasse  aux  bénéfices  du  côté  de  Rome  ne 
Put  pas  fructueuse.  Il  se  plaignit  plus  tard  de  l'insuffisance  des  faveurs 
i-eçues  :  «  On  envoie,  dira-t-il,  des  manchettes  à  un  homme  qui  n'a  pas 
de  chemise  »  *. 

Sorbière  fut  plus  heureux  en  France,  sans  réussir  cependant  au  gré 
le  ses  désirs  et  en  proportion  de  la  peine  qu'il  se  donnait.  Par  des 

1.  Quam  vero  subinde,  pu  tas,  gratiilor  ob  tam  egregium  facinus,  quo  eximium  Sor- 
berivim  Deo  et  Ecclesise  quœsiisti...  Et  merebatur  ille  incidere  in  tantum  Patronum,  vir 
tam  bonus,  tam  candidus,  tam  singulariter.eruditus,  vir  tanta  in  conversando  gratia, 
in  scribendo  tanta  elegantia...  (Oassendi  à  Suarès,  23  janvier  1654,  OG.  t.  VI,  p.  328- 
329). 

2.  In  effigiem  Eminentissimi  Cardinalis  Juin  Rospigliosi.  Sorbière,  dans  une  Préface 
latine,  datée  de  Paris,  le  l^'  octobre  1666,  offre  «  ce  faisceavi  de  poésies  »  (omnium  faaci' 
culum  offero  tibi)  à  Rkné  François  Slusius  (De  Sluze),  chanoine  de  Saint-Lambert 
de  Liège  et  conseiller  de  l'électeur  de  Cologne,  l'un  de  ses  plus  assidus  correspondants. 
(Cf.  Lettres  de  Slusius  à  Sorbière,  Bibl.  Nat.,  Ms.  F.  lat.  10352,  tome  II,  Index,  fol.  18 
verso  à  20  recto.  —  Lettres  de  Sorbière  à  Shisius,  Ibidem,  1. 1,  fol.  10  verso  à  1 1  verso).  ■ — 
Parmi  les  signataires  de  ces  poésies,  généralement  très  courtes  (Epigramma),  j'ai 
remarqué  les  noms  du  chanoine  Slusius,  de  Cureau  de  La  Chambre,  du  Père  Rapin, 
de  l'abbé  Tallemant,  de  l'abbé  Cotin.  La  dernière  poésie  est  de  Sorbière. 

3.  démentis  IX  Pontifiais  Optimi  Maximi  Icon  ex  Epistola  Viri  C'iarissimi  Samuelis 
Sorberii  ad  Illustrissimum  Virum  D.  Henricum  Ludomcum  Habertum  Mommorium, 
Paris,  1667.  La  lettre  est  datée  de  Rome,  le  13  août  1667.  —  On  lit,  page  4  :  Ex  Icône 
in  Musaeo  meo  conspecta  et  ex  Epistolis  plurimis  pereruditis  de  virtute  Viri  [cardi- 
nalis Rospigliosi]  recte  judicans.  —  Sorbière  est  fier  de  pouvoir  faire  allusion  au  portrait 
iu  cardinal  et  aux  nombreuses  et  érudites  lettres  qu'il  en  avait  reçues. 

4.  Graverol,  Méinoires,  p.  23. 


198       ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

lettres  flatteuses  tantôt  il  sollicitait  directement  des  personnages 
puissants,  surtout  le  cardinal  Mazarin  ;  tantôt  il  mettait  en  mouve- 
ment des  intermédiaires  capables  d'avancer  sa  fortune.  Ce  rôle  humi- 
liant de  solliciteur  lui  semblait  si  naturel  qu'il  ne  rougit  point  de  publier 
quelques-unes  de  ses  suppliques  intéressées.  Elles  parurent,  en  même 
temps  que  d'autres  «  ie/fres  et  Discours  ))  fiiir  des  sujets  variés  et  «  cu- 
rieux )),  en  deux  recueils  édités  coup  sur  coup,  la  même  année  ^.  Le 
public  se  montra  moins  indulgent  envers  l'auteur  que  l'auteur  envers 
lui-même.  «  Je  ne  dois  pas  dissimuler,  écrit  l'honnête  Graverol,  que 
les  Lettres,  dont  je  viens  de  parler,  ont  fait  un  peu  de  tort  à  leiu"  auteur, 
quoique  fort  joMment  écrites,  en  ce  qu'elles  mai-quent  un  peu  trop 
ouver.tement  l'avidité  qu'il  avait  d'amasser  du  bien,  car  vous  diriez 
qu'il  y  tend  presc|[ue  toujours  la  main...  ^  » 

Sorbière  cependant  n'était  point  dans  la  misère.  On  a  calculé  que  ses 
bénéfices,  ses  pensions  et  sa  charge  d'historiographe  du  roi  formaient, 
vers  1665,  un  revenu  total  de  3.286  Hvres  ^.  Ces  rentes  fixes,  les  grati- 
fications accidentelles  *,  les  ressources  que  lui  procuraient  ses  livres, 
lui  auraient  permis  de  vivre  dans  une  honnête  aisance,  s'il  avait  sn 
modérer  ses  goûts  et  «  s'il  n'eût  pas  été  un  peu  trop  adonné  à  ses 
plaisirs  »  ^. 

De  bonne  heure  Sorbière  s'était  intéressé  aux  choses  de  l'Angleterre. 
Déjà,' au  temps  où  il  était  Principal  à  Orange,  il  avait  publié  quelques 
considérations  historiques  sur  ce  sujet  ®.  Il  était  en  correspondance 
avec  Hobbes,  Wallis  et  de  Montconis.  Naturellement  le  désir  lui  vint 
d'aller  étudier  les  Anglais  chez  eux.  Il  le  réalisa  au  cours  de  l'année  1663 
et,  à  son  retom%  il  fit  paraître  la  Relation  d'un  voyage  en  Angleterre, 
où  so7it  touchées  plusieurs  choses  qui  regardent  Vestat  des  Sciences  et 
de  la  Religion  et  autres  matières  curieuses  (Paris,  1664)  '.  Le  hvre  est 
dédié  au  Roi  et  le  récit  s'adresse  au  marquis  de  Vaubrun-Nogent. 
Notre  voyageur  y  a  noté,  sans  s'astreindre  à  un  ordi'e  rigoureux, 

1.  s.  Sorbière,  Lettres  et  Discours  sur  diverses  matières  curieuses,  Paris,  1660.  — 
Relations,  Lettres  et  Discours  sur  diverses  matières  curieuses,  Paris,  1660.  Les  deux 
ou\Tages  sont  dédiés  à  Mazarin  et  signés  :  Monsieur  de  Sorbière. 

2.  Graverol,  Mémoires...,  Loco  citato,  p.  10-11. 

3.  Pension  sur  la  cure  de  Viles  et  le  Canonicat  de  Saiiit-Symphorien,  286  li^Tes.  — 
Pension  de  MM.  du  Clergé,  800 1.  — Brevet  d'historiographe,  200 1.  —  Chapelle  de  Notre- 
Dame -la-Œsante,  500  1.  -^  Prieuré  de  Saint-Nicolas  de  la  Guierche,  500  1.  —  Cf.  Mo- 
RIZE,  Btdletin...,  p.  524. 

4.  Par  exemple,  gratification  de  Colbert  «  au  S""  Sorbière...  pour  lui  donner  moyen 
de  continuer  son  application  aux  Belles-Lettres  ».  Cette  gratification  lui  fut  octroyée 
pendant  5  ans,  de  1664  à  1667  et  en  1669.  Cf.  Morize,  Btdletin...,  p.  52. 

5.  GRA^-EROL,  Mémoires...,  p.  19.  —  «  On  peut  même  assurer  que  s'il  eût  eu  l'esprit 
un  peu  tourné  à  la  pieté  et  s'il  n'eût  pas  préféré  à  la  vie  d'un  véritable  Ecclésiastique 
celle  d'un  Philosophe  qui  aime  im  peu  trop  les  plaisirs,  il  auroit  été  infailliblement 
pourvu  d'autres  bénéfices  plus  considérables.  Car  au  fond,  il  étoit  honnête  homme,  il 
sçavoit  l'art  de  plaire  à  tout  le  monde,  il  a-\'oit  du  mérite  et  ne  manquoit  pas  de  Patron  . 
(NicERON,  Mémoires...,  t.  IV,  p.  87,  Paris,  1728).  Un  peu  plus  haut  (Ibidem,  p.  84). 
Nieeron  nous  apprend  que  Sorbière  avait  pris  «  le  petit  collet  dans  l'esiDoir  d'avoir 
quelques  bons  bénéfices.  » 

6.  Cf.  supra,  p.  195,  note  3. 

7.  Cf:  André  Morize  :  Samuel  Sorbière  (1610-1670)  et  son  Voyage  en  Angleterre  (1664), 
dans  Revue  d'Histoire  littéraire  de  la  France,  1907,  p.  231-275. 


§  B.   DISCIPLES  EX  FBANCE   :  III.  —  SAMUEL  SORBIÈRE  199 

{(  tout  ce  qui  lui  était  passé  par  l'esprit  dans  une  course'de  trois  mois  ». 
C'est  une  œu\Te  forcément  superficielle,  où  il  est  parlé  librement  du 
peuple  anglais,  mais  qui  n'a  rien  de  satii'ique.  Voltaire  sans  doute  ne 
l'avait  point  lue,  car  il  la  donne  poui*  une  «  Relation  qui  n'est  autre 
chose  qu'une  satire  plate  et  misérable  conti-e  une  nation  qu'il  (Sor- 
bière)  ne  connaissait  point  »  ^.  Mais  l'Angleterre  étant  encore,  pour  la 
plupart  des  Français,  presque  terra  incognita,  ^ou^Tage,  qui  pourtant 
ajoutait  peu  de  traits  nouveaux  aux  études  antériem'es,  rendit 
quelque  service.  Qu'il  suffise  de  relever  ici  certains  passages  ayant 
quelque  rapport  avec  les  sciences  et  la  philosophie. 

vSorbière  loua,  pour  un  écu  par  semaine,  une  chambre  au  premier 
étage,  aux  envii'ons  de  «  l'Hostel  de  SaUsbury  »,  parce  qu'il  était  «  bien 
aise  de  visiter  à  toute  heure  M.  Hobbes  qui  y  logeait  avec  M.  le  Comte 
de  Devonshire  son  patron  »  (p.  33).  I^e  visitem",  qui  n'avait  pas  vu 
Hobbes  depuis  quatorze  ans,  fut  charmé  de  retrouver,  dans  un  vieil- 
lard plus  que  septuagénaire,  cette  vivacité  de  mémoire,  cette  vigueur 
de  raisonnement  et  cette  franche  gaieté  qu'il  avait  autrefois  admirées 
en  lui.  Il  ne  manque  pas  de  noter  qu'ime  fois  par  semame  le  vieux  phi- 
losophe s'exerçait  au  jeu  de  paume. 

Les  jugements  pohtiques  portés  par  Sorbière  se  ressentent  çà  et  là 
de  Tinfluence  que  le  De  Cive  avait  eue  siu*  son  esprit.  Il  dit,  par  exemple: 
«  L'amour  de  la  hberté  ou  plutôt  la  férocité  naturelle  et  l'orgueil 
dont  l'homme  a  conservé  dans  le  cœm*  les  funestes  semences,  et  cet 
égal  droit  que  l'on  eût  eu  effectivement  sur  toutes  choses  en  Testât 
de  nature  ^,  joint  avec  le  principe  de  gloù'e  ^  qui  nous  empesche  de 
céder  volontiers  les  uns  aux  autres,  feront  un  éternel  divorce  entre 
les  hommes...  »  (p.  140-141). 

Sorbière,  qui  se  piquait  de  science,  assista  à  une  séance  de  la  Société 
Royale  de  Londres*.  C'était  le  17  juin  1663^.  Sa  réputation  l'avait 
précédé  et  sa  quahté  de  secrétaire  de  la  Société  des  Physiciens,  qui 
se  rémiit  chez  M.  de  Montmor  (il  remarque  en  passant  que  la  réimion 
scientifique  de  Paris  est  antérieure  à  celle  de  Londres),  l'avait  mis 
'^1  rapport  avec  Oldenburg,  secrétaire  de  la  Société  Ro^'^ale.  Il  fut 
agrégé,  comme  membre  étranger,  à  la  docte  Académie.  Les  impres- 
sions du  nouvel  académicien  furent  excellentes,  u  II  ne  se  peut  rien 
voù'  de  plus  civil,  de  plus  respectueux  et  de  mieux  conduit  que  cette 

1.  Voltaire  :  «  Je  me  suis  engagé  de  donner  uno  relation  de  mon  séjour  en  Angleterre 
[ce  fut  le  sujet  des  Lettres  philosophiqtie»  sur  les  Anglais],  et  je  n'ai  pas  envie  d'imiter 
Sorbières  qui,  n'ajrant  passé  que  trois  mois  en  ce  pays,  sans  y  rien  connaître  ni  des 
mœurs  ni  du  langage,  s'est  avisé  d'en  publier  une  relation  qui  n'est  autre  chose  qu'une 
satire  plate  et  misérable  contre  une  nation  qu'il  ne  connaissait  pas.  »  (Avertissement 
pour  l'Essai  sur  la  Poésie  épique.  Œuvrer,  t.  VIII,  p.  303,  Paris,  Garnier,  1877). 

2.  «  D'ailleurs  la  nature  a  donné  à  chactm  de  nous  égal  droit  sur  toutes  choses.  » 
Hobbes,  De  Cive,  Sect.  I,  Ch.  I,  §  x,  Treiduct.  de  Sorbière,  Edit.  de  Neuchatol,  t.  I, 
p.  14). 

3.  Hobbes,  De  Cive,  Ibidem,  §  ii.  Traduct.,  Ibidem,  p.  6-7. 

4.  Sorbière,  Relations  d'un  vo/age,...  p.  86-92. 

5.  Cette  date  est  fournie  par  une  Lettre  d'Oldenburg  à  R.  Boyle,  Londres,  22  juin 
1663,  dans  Œtii-res  complètes  de  Christiaan  Huygens  :  Correspondance,  t.  IV,  p.  366, 
La  Haye,   1891. 


200      ARTICLE  n.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

assemblée...  »  (p.  90),  Il  constate  avec  satisfaction  qu'elle  est  fidèle 
à  sa  devise  :  Nullius  in  verba  (Ne  jurer  sur  la  parole  de  personne). 
«En  effet  l'on  ne  remarque  point  qu'aucune  authorité  prévaille,  et, 
tandis  que  les  simples  mathématiciens  inclinent  plus  vers  Mr  Des- 
cartes que  vers  Mr  Gassendi,  d'autre  costé  les  litérateurs  semblent 
plus  portés  vers  celuy-ci  »  (p.  92). 

Une  visite  à  Oxford  s'imposait.  Il  s'y  entretint  avec  M.  WiUis, 
professeur  de  Médecine,  et  le  célèbre  Wallis,  qui  enseignait  les  Mathé- 
matiques. 

Ce  n'est  pas  assurément  le  contenu  superficiel  ni  le  style  incolore 
de  l'ouvrage  qui  peuvent  en  expKquer  le  vif  succès  ^.  Il  est  dû  surtout 
à  une  circonstance  pohtique  qui  piqua  la  curiosité  du  public  en  France 
et  à  l'étranger.  Un  arrêt  du  Conseil  d'État,  en  date  du  9  juillet  1664, 
enjoignit  la  saisie  et  la  mise  au  pilon  de  la  Relation.  Quelques  jours 
auparavant  une  ordonnance  royale  avait  relégué  l'auteur  à  Nantes  ^. 
Pourquoi  prit-on  ces  sanctions  rigoureuses  ?  Pour  donner  satisfaction 
aux  susceptibiUtés  des  cours  de  Londres  et  de  Copenhague  que 
Louis  XIV  tenait  à  ménager.  Sorbière  avait  commis  la  double  impru- 
dence d'apprécier  Ubrement  ((  Mylord  Hide  »,  chanceUer  d'Angleterre, 
et  de  louer  chaleureusement  les  qualités  de  Cornifitz  Ulfeldt,  ancien 
ambassadeur  de  Danemark  dans  les  Pays-Bas^,  que  Frédéric  III 
accusait  de  conspiration  et  qu'il  avait  fait  condamner  à  mort  par  con- 
tumace. Les  deux  princes  se  trouvèrent  suffisamment  vengés  par 
l'arrêt  et  l'ordonnance  portés  contre  l'étourdi  Sorbière.  Aussi  l'exilé 
fut-il  autorisé  à  revenir  à  Paris,  dès  le  mois  de  décembre  1664. 

Sorbière  ne  survécut  que  quelques  années  à  cette  disgrâce  passa- 

1.  L'ouvrage  fut  réimprimé  à  Cologne  en  1666  et  1669.  Il  y  eut  aussi  une  réimpression 
en  1667  sans  nom  d'éditeur.  «  Willems  l'attribue  à  l'imprimeiu-  Ph.  Veuglard  de  Bru- 
xelles. »  (MoRiZE,  Bulletin...,  p.  237).  Il  fut  même  traduit  en  allemand  (1667), en  italien 
(1670)  et  en  anglais  (1709).  —  La  Relation  ne  passa  point  inaperçue  en  Angleterre.  Signa- 
lons la  réponse  intitvilée  :  Observations  on  Monsieur  de  Sorbier^ s  Voyage  into  England, 
written  to  Z)*"  Wren,  profess.  of  Astronomy  in  Oxford,  by  Thomas  Sprat,  Fellow  in  the 
Royal  Society.  In  the  Savoy,  1668.  —  Sur  le  titre  on  lit  cette  épigraphe,  qui  est  une 
épigramme  :  Sed  poterat  tutior  esse  domi.  Cf.  Morize,  Bulletin,  p.  267-268.  —  Quelques 
membres  de  la  Société  Royale  de  Londres  se  disposaient  à  riposter  à  Sorbière.  Craignant 
que  l'affaire  ne  s'envenimât,  le  comte  de  Cominges  intervint  auprès  de  Charles  IL 
Il  l'annonce  à  de  Lionne  :  «  Sm*  l'avis  que  j'ai  eu  que  quelques  Messieurs  de  l'Académie 
[Royal  Society]  aussi  indiscrets  que  le  Sr.  de  Sorbières  aiguisoient  leur  plume  pour  faire 
réponse,  j'en  ai  parlé  au  Roi  de  la  Grande  Bretagne,  qui  m'a  promis  de  leur  faire 
commander  de  finir  leur  entreprise  et  de  lui  apporter  les  matériaux  qu'ils  avaient  pré- 
paré, sur  peine  de  punition.  Si  cette  escarmouche  commençoit,  elle  ne  finiroit  jamais 
et  ne  feroit  qu'irriter  les  deux  nations  qui  ne  s'aiment  déjà  pas  trop...  »  (Cominges  à 
Lionne,  21  juillet  1664.  Cf.  Jusseband,  A  French...,  p.  228,  n.  115). 

.  2.  Le  comte  de  Cominges,  alors  ambassadeur  en  Angleterre,  écrivait  au  Secrétaire 
d'Etat  pour  les  affaires  étrangères,  de  Lionne  :  «  La  rélégation  du  Sieur  Sorbière  en  Basse 
Bretagne  a  été  fort  bien  imaginée,  car  nous  n'en  avons  point  de  bonne  et  véritable 
relation  :  il  pourra  s'occuper  à  la  faire  et  même  à  en  apprendre  la  langue,  qui,  paraissant 
si  barbare,  ne  laisse  pas  d'avoir  des  beautés  particulières.  »  (Lettre  du  16  juillet  1664. 
Cf.  J.  J.  Jusserand,  a  French  Ambassador  at  the  Court  of  Charles  the  Second  .  Le  Comte 
de  Cominges  from  his  unpublished  Correspondance,  Londres,  1892,  Appendix,  p.  227, 
n.  13). 

3.  Sorbière  l'avait  connu  en  cette  qualité  à  La  Haye.  C'est  à  lui  qu'il  dédia  la  traduc- 
tion du  De  Cive  ;  mais  il  orthographie  son  nom  ainsi  :  Cornifidz  Wllefeldt. 


§  B.   DISCIPLES  EN  FRANCE   :   ni.  —  SAMUEL  SORBIÈRE  201 

gère.  Sa  vie  n'avait  point  été  exemplaire  ;  «  ses  héros  »  se  nommaient 
Rabelais  ^,  Charron  et  Montaigne  ^  ;  sa  fin  ne  fut  pas  rassm'ante. 
Graverol  nous  dit  qu'on  ne  peut  pas  «  dissimuler  qu'il  mourût  d'une 
manière  qui  tient  un  peu  trop  de  l'ancien  Pliilosophe.  et  qui  fait 
tort  à  sa  mémoh*e  »  ^.  La  traduction,  qu'il  avait  pubUée  quelques 
années  avant  sa  mort,  de  l'ouvrage  De  causis  mortis  Cl&isti  du  soci- 
nien  Crellius  *,  «  qu'il  estimait  infiniment  »  ^,  donna  lieu  de  craindi-e 
qu'il  gHssait  sm*  «  la  pante  du  Socinianisme,  si  tant  est  même  qu'il 
n'en  eut  pas  l'esprit  tout  à  fait  gâté  »  ^. 

20    RELATIONS   AVEC  LE   TRIUMVIRAT  PHILOSOPHIQUE 

Pour  connaître  le  philosophe  et  le  savant,  nous  n'avons  qu'à  suivre 
Sorbière  dans  ses  rapports  avec  Descartes,  Gassendi  et  Hobbes,  «  qui 
composent,  dit-il,  dans  l'estime  que  j'en  fais,  le  triumyirat  des  philo- 
sophes de  ce  siècle  '.  » 

Sorbière,  dès  qu'il  arriva  en  Hollande  au  commencement  de  1642 
(il  avait  à  peine  trente-deux  ans),  «  courut  »  ^  à  Endegeest,  à  une  demi- 
lieue  de  Leyde,  on  Descartes  s'était  «  retii'é  poiu"  travailler  plus  com- 
modément à  la  Philosophie  et  ensemble  aux  expériences  »  ®.  Il  a  tracé 
de  la  sohtude  du  philosophe  cette  johe  description  :  «...  Je  remarquay 
avec  beaucoup  de  joye  la  civihté  de  ce  Gentilhomme,  sa  retraite  et 
son  œconomie.  Il  estoit  dans  un  petit  Chasteau  en  très-belle  situation, 
aux  portes  d'une  grande  et  belle  Université,  à  trois  Heuës  de  la  Com' 
et  à  deux  petites  hem'es  de  la  Mer.  Il  avoit  un  nombre  suffisant  de 
domestiques,  personnes  choisies  et  bien  faites,  un  assés  beau  jardin, 
au  bout  duquel  estoit  un  verger,  et  tout  à  l'entour  des  prahies,  d'où 
l'on  voyoit  sortir  quantité  de  Clochers  plus  ou  moins  élevés,  jusques 

1.  Sorberiana,  cf.  p.  217-222  un  éloge  de  Rabelais. 

2.  «  Vous  dirai-je.  Monseigneur,  que  jamais  homme  n'a  mieu  seû  son  Rabelais,  dont 
il  rêverait  la  mémoire,  et  que  Charron  et  Montaigne,  à  qui  il  donna  la  préférence  sur 
Balzac,  étaient,  s'il  faut  ainsi  dire,  ses  héros  ?  »  (Gravebol,  Mémoires...,  en  tête  des 
Sorberiana,  p.  24-25). 

3.  Gkaverol,  Mémoires...,  p.  17.  —  Graverol  novis  apprend  aussi  qu'il  «  mourut  le 
neuvième  jour  d'avril  1670,  après  une  maladie  d'environ  trois  mois,  causée  par  une 
hidi'opisie  redoublée  »  ;  il  ajoute  :  n  et  si  ce  qu'un  de  ses  plus  proches  parens  m'a  dit 
est  véritable,  que  reconnoissant  qu'il  n'en  pouvoit  pas  échaper,  il  voulut  prendre 
quatre  grains  de  Laudanum,  pour  s'étourdir  et  pour  mourir  sans  avoir  aucun  senti- 
ment, afin  de  ne  soufrir  pas  à  l'agonie...  »  (Ibidem,  p.  16-17). 

4.  Jean  Crell  ou  Crellius,  né  à  Helmetzheim,  en  Franconie  (1590)  et  mortàRakov 
en  Pologne  (1633).  Il  s'établit  à  Rako.-,  après  avoir  embrassé  l'opinion  de  Socin,  qui 
rejetait  la  Trinité  ;  il  y  devint  régent  du  Collège  des  Unitaires,  puis  pasteiu-. 

6.  Sorbière  appelait  cet  ou\Tage  de  Crellius  une  «  pièce  inestimable  ».  Cf.  Sorberiana, 
p.  66.  Il  loue  aussi  avec  excès  ses  Commentaires,  encore  qu'inachevés,  sur  Saint  Matthieu 
et  BUT  l'Epître  aux  Romains,  Ibidem,  p.  65-66. 

6.  Graverol,  Mémoires...,  p.  19. 

7.  Sorbière,  Epître  dédicatoire  de  sa  traduction  du  De  Cive  de  Hobbes.  —  L'excès  de 
son  admiration  lui  fait  ajouter  :  «  Oui,  Hobbes,  Gassendi  et  Descartes,  sont  trois  per- 
sonnes que  nous  pouvons  opposer  à  tous  ceux  dont  l'Italie  et  la  Grèce  se  glorifient.  » 

8.  Voir  la  Lettre  de  Sorbière  citée  à  la  note  2  de  la  page  202. 

9.  Lettre  de  Descartes  à  Mersenne,  Endegeest,  31  mars  1641.  Edit.  Adam,  t.  III, 
p.  350,  ligne  26. 


202      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

à  ce  qu'au  bord  de  l'horison  il  n'en  paroissoit  plus  que  quelques 
pointes.  Il  aUoit  à  une  journée  de  là  par  canal  à  Utrect,  à  Delft,  à 
Roterdam,  à  Dordrecht,  à  Haeiiem  et  quelquesfois  à  Amsterdam 
où  il  avoit  deux  mille  livres  de  rentes  en  banque.  11  pouvoit  aller  passer 
la  moitié  du  jour  à  la  Haye  et  revenir  au  logis,  et  faire  ceste  promenade 
•par  le  plus  beau  chemin  du  monde,  par  des  prairies  et  des  maisons 
de  plaisance,  puis  dans  un  grand  bois  qui  touche  ce  Village  comparable 
aux  plus  belles  Villes  de  l'Europe  ^  et  superbe  en  ce  temps  là  par  la 
demeure  de  trois  Cours  ^...  » 

Les  Objections  de  Gassendi  aux  Méditations  de  Descartes  et  ses 
Instances  aux  Réponses  du  philosophe  avaient  paru,  conjointement 
avec  ces  Réponses,  par  les  soins  de  Sorbière,  à  Amsterdam,  sur  la  fin 
de  février  1644,  sous  le  titre  de  Disquisitio  metaphysica.  Quelque  temps 
après  l'apparition  de  ^ou^Tage,  Sorbière  écrivit,  de  la  Haye,  à  Gas- 
sendi, lui  demandant  des  armes  pom*  combattre  dignement  «  ce  dogme 
•cartésien  :  Il  n'y  a  aucun  vide,  mais  tout  est  plein,  parce  que  l'essence 
de  la  matière  consiste  dans  l'étendue  »  ^.  Gassendi  ne  se  fit  point  prier  : 
il  envoya  par  retom'  du  com-rier  les  arguments  demandés  *.  Au  reçu 
de  la  lettre,  Sorbière  tout  joyeux  s'empressa  d'aller  voir  Descartes 
qui  se  trouvait  alors  à  La  Haye.  Au  cours  de  l'entretien  il  opposa  au 
philosophe  partisan  du  plein  cette  objection  :  Supposez  que  toute  la 
matière  contenue  dans  une  chambre  soit  détruite,  l'espace  ne  sera 
point  détruit  pour  cela.  Preuve  qu'il  ne  dépend  pas  du  corps  qui 
l'occupe.  —  La  chambre,  répondit  catégoriquement  Descartes,  ne 
subsistera  plus  et  ses  murs  se  toucheront  ^.  —  Désespérant  de  vaincre 
sur  ce  terrain  son  adversaire  «  très  pointu  »  (vi7-  iïle  acutissimus ) , 
Sorbière  se  rejeta  sm'  cette  demande  captieuse  :  Est-ce  qu'avant  la 
création  du  monde  il  n'y  avait  pas  des  espaces  vides  de  corps  ?  —  Au- 
cun, répHqua  Descartes  ;  en  même  temps  que  les  corps,  ont  été  créés 
les  espaces,  qui  n'existaient  aucunement  auparavant  ^. 

1.  On  remarquera  que  Sorbière  a  devancé  Voltaire,  qui  a  qualifié  La  Haye  ainsi  : 
«  Cette  petite  ville,  ou  plutôt  ce  village,  le  plus  agréable  du  Nord  -^  (Histoire  de  VEmpira 
de  Russie  sous  Pierre  Le  Grand,  Ile  Part.,  Ch.  VII,  circa  finem,  Œuvres,  t.  XVI,  p.  562, 
Paris,  Garnier,  1878). 

2.  Lettre  de  Sorbière  «  à  M.  Petit,  Conseiller  du  Roy  et  Intendaiit  de  ses  fortifications  », 
Paris,  10  nov.  1657,  dans  Lettres  et  Discours  sur  diverses  matières  curieuses,  p.  679 
et  681-682. 

3.  ...  Utinam  audexem  et  alia  bene  multa  te  vindice  digna  proponere...  qualia  sunt 
quse  adversus  Cartesianum  illud  dogma  dici  possent  :  Nullum  dari  Vacuum,  sed  omnia 
esse  plena.  quia  essentia  materise  consistit  in  extensione,  adeo  ut,  ubicumque  erit 
spatium  aliq\iod  mensurabile,  ibi  sit  futurum  et  corpus,  proindeque  nec  concipi- quidem 
posse  vacuum  in  reruni  nattura,  cui  etiam  introducendo  par  aon  est  divina  potentia. 
(Sorbière  à  Gassendi,  La  Haye,  18  avril  1644,  dans  Oper.  Gassendi,  t.  VI,  p.  469,  c.  1). 

4.  Gassendi  à  Sorbière,  Paris,  30  avril  1644,  dans  OG.,  t.  VI,  p.  186-187. 

5.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  remarquer  en  passant  que  cette  réijonse  de  Descartes 
ne  satisfit  point  l'un  de  ses  disciples  les  plus  distingués,  Gékaud  de  Cobdemoy,  qui  la 
réfute  dans  Le  Discernement  du  Corps  et  de  l'Ame...,  1er  Discours,  p.  22.  Paris,  1666. 

6.  ...  Accepto  itaque  Epistolio  tuo,  tanto  libentius  incunctantiusque  adii.  Ad  ea 
autem  quae  objeci,  destructo  scilicet  quod  intra  cubiculum  est  corpore,  non  destrui 
tamen  spatium,  quod  proinde  arguitur  ab  occupante  corpore  non  pendere,  pernegavit 
ille  coïturosque  tune  pariâtes  praedixit.  Cum  lu'gerem  an  motu  aliquo  coïtio  illa  fieret, 
ita  ut  adinvicem  parietes  accédèrent,  medio  utrinque  superato  spatio  ;  respondit  vir 


§  B.   DISCIPLES -EN  FRAlsCE   :  HI.  —  SA3irEL  SORBIÈKE  203 

L'entente  était  évidemment  impossible  arec  mi  contradicteur  qui 
n'admettait  point  la  distinction  nécessaire  entre  l'espace  possible 
ou  imaginaire  et  l'espace  réel  \  Aussi,  laissant  là  toute  argumentation, 
Sorbière  sonda  Descartes  pour  savoii*  quelle  serait  son  attitude  ris-à- 
vis  de  la  Disquisiiion  métaphysique  de  Gassendi.  Le  philosophe  lui 
fit  connaître  son  intention  de  n'y  point  répondre  ^.  L'intermédiaire 
de  Gassendi  se  hâta  de  lui  enroyer  cette  bonne  nouvelle,  attribuant 
la  résolution  de  Descartes,  «  soit  à  la  conscience  de  sa  propre  insuffi- 
sance, soit  à  une  areugle  confiance  dans  ses  conceptions  qui  le  portait 
à  croiie  que  l'autorité  des  Méditations  n'arait  pas  été  le  moins  du 
monde  ébranlée  par  les  attaques  »  ^. 

Deux  ans  plus  tard.  Sorbière,  roulant  fake  sa  cour  à  Hobbes  (il 
était  alors  tout  entier  à  la  préparation  d'une  réédition  du  De  Cive), 
lui  envoyait  de  La  Haye  ces  flatteuses  nouvelles  :  k  Vous  ne  sauriez 
croire  (et  pom'tant  mon  récit  est  très  réridique)  quel  plaisir  j'ai  causé 
à  ces  hommes  éminents,  qui  pliilosophent  avec  sohdité,  Boswell  *, 
Johnson  ^  Bornius  6,  Regius ',  Heereboord  ^  etc.,  quand  je  lem-  ai 

ille  acutissimus  nullo  opus  motu  futurum,  sublato  nempe  cum  materia  spatio,  quo 
parietes,  dura  corpus  maneret,  divellebantur.  Venim  cum  non  satis  constringere 
hominem  nodo  illo  possem,  alia  via  institi  petiique  an  nulla  fuissent  spatia  corpore 
vacua  ante  Mundi  creationem,  quam  materise  ©  niliilo  eductionem  vxdgo  existimaraus  ? 
Rursum  pernegavit,  et  una  cum  corpore  assenait  creata  fuisse  spatia,  quœ  nulla  erant 
antea.  (Sorbière  à  Gassendi,  La  Haye,  10  mai  1644,  dans  OG,  t.  VI,  p.  469,  c.  2). 

1.  Cf.  supra,  p.  202.  n.  6. 

2.-  Sur  l'intem-ention  de  Sorbière  dans  la  publication  de  \&  Disquisitio  mdaphysica  et 
sur  l'attitude  définitive  de  Descai-t€s,  cf.  supra,  p.  12.  —  Voir  aussi  la  seconde  Lettre 
de  Sorbière  à  M.  Petit  (Lettres  et  Discours,  p.  685-686)  où  il  lui  raconte  son  intervention. 

3.  Habiti  deinde  sermones  de  te  et  de  Disquisitione  tua,  ex  quibus  cognovi  nihil  illum 
repositiunim,  seu  proprise  t«nuitatis  conscientia,  seu  excogitatorum  amore  deceptus 
putet  nullo  momento  infirmatum  fuisse  Meditationum  suarimi  pondus  (Même  lettre 
de  Sorbière,  OG,  t.  III,  p.  470,  c.  1). 

4.  Sir  William  Bosv^ell,  né  dans  le  comté  de  Sufifolk,  fit  ses  études  à  Cambridge  ; 
élève  de  Jésus  Collège,  il  en  fut  nommé  fellow  en  1606.  On  le  retrouve  à  La  Haye 
comme  ambassadeur  ou  Résident  du  roi  d'Angleterre  auprès  des  Etats  Généraux  des 
Pro\-inces-Unies.  Par  son  testament,  Bacon  liii  confia  la  plus  grande  partie  de  ses 
papiers.  Ce  n'était  pas  seulement  un  diplomate,  mais  im  linguiste  et  un  érudit,  qui 
s'intéressait  aux  controverses  philosophiques. 

5.  Samsox  Johnson,  ai^rès  avoir  été  le  prédicateur  de  la  reine  de  Bohême,  l'électrice 
Palatine,  veu\^e  de  Frédéric  V,  réfugiée  à  La  Haye,  devint  professeur  à  la  nouvelle 
Université  de  Bréda,  fondée  en  1646  parle  prince  d'Orange  D'après  Sorbière,  Johnson 
aurait  été  détaché  du  Cartésianisme  par  la  lectiu-e  de  la  Disquisitio  de  Gassendi  contre 
les  Méditations  de  Descartes.  (Sorbière  à  Gassendi,  La  Haye,  10  mai  1644,  dans  OG., 
t.  VI,  p.  470,  c.  1).  Dans  sa  lettre  à  Hobbes,  il  prétend  que  la  publication  des  Principia 
de  Descartes  a  confirmé  Johnson  dans  ses  convictions  anticartésiennes.  Mais,  au  dire 
de  Baillet  (V-ie  de  M.  Descartes,  t.  II,  p.  210),  Johr.sonne  t^rda  pas  à  revenir  au  Carté- 
sianisme. —  Dans  les  Lettres  manuscrites  de  Sorbière,  le  nom  de  Johnson  est  ortho- 
graphié de  diverses  façons  :  Jonshoniu.s,  Jonssonius  :  j'ai  adopté  Johnson,  parce  qu6 
une  lettre  de  ce  dernier  à  Sorbière  est  signée  :  Johnsonttts.  Cf.  B.  N.,  Ms.  F.  lat.  10362. 
t.  II,  fol.  68  %'erso.  Cf.  Ibidem,  Talles  t.  I,  fol.  5  verso.  —  T.  II,  fol.  15  recto. 

6.  Henri  Bornius.  Cf.  inira,  p.  242. 

7.  Henri  Regtos  (de  Roy),  né  (1598)  et  mort  (1679)  à  Uttecht,  enseigna  la  médecine 
à  l'Université  de  cette  ville.  D'abord  très  chaud  partisan  de  Descartes,  il  se  tourna 
ensuite  contre  lui  avec  animosité. 

8.  Adrien  Heeeeboord,  né  (1614)  et  mort  (1659)  à  Leyde,  enseigna  la  philosophie 
à  l'Université  de  cette  xdlle.  Tout  en  ayant  de  lasj-mpathie  pour  Gassendi,  il  se  montra 


204      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

donné  l'espérance  d'une  édition  nouvelle  de  votre  livre...  Car  ils  ne 
considèrent  que  vous  seul  et  Gassendi  ;  ils  ont  les  yeux  fixés  sur  vous, 
depuis  que  la  fameuse  montagne  a  accouché  d'une  ridicule  souris...  »  ^, 
c'est-à-dire,  délicate  allusion,  depuis  que  Descartes  a  publié  ses 
Princi'pia. 

Pendant  ce  séjour  en  Hollande  l'animosité  de  Sorbière  contre 
Descartes  se  traduisit  d'une  façon  si  violente  que  Mersenne  se  crut 
obligé  de  donner  au  détracteur  cette  vigoureuse  et  mordante  leçon  : 
(c  II  y  a  dans  votre  esprit  je  ne  sais  quelle  aversion  pour  Descartes, 
qui  décèle  l'action  d'un  venin  virulent  et  affreux.  C'est  au  point  que 
vous  pouvez  à  peine  vous  abstenir  de  ravaler,  suivant  vos  moyens, 
€t  l'homme  et  ses  œuvres.  Cependant  qu'il  soit  un  philosophe  plus 
savant  que  vous,  moi  et  presque  tous  les  autres,  je  le  sais  si  bien  que 
j'ose  le  confirmer  sous  la  foi  de  n'importe  quel  serment.  Peut-être 
vous  a-t-il  regardé  de  haut  ?  Et  alors  ?  Vous  estimez  que  sa  Méthode 
est  une  pure  folie.  Mais  peut-être  au  contraire  qu'elle  est  plus  proche 
de  la  sagesse,  et  que  votre  esprit  ne  s'étend  pas  plus  loin  qu'elle. 
Est-ce  donc  qu'un  si  grand  homme  ait  voulu  s'exposer  à  la  dérision 
du  monde  entier  ?  Qui  peut  le  penser  ?  S'est-il  si  honteusement 
trompé  en  Physique,  lui  dont  les  yeux  sont  si  perçants  en  Mathéma- 
tiques, partie  la  plus  certaine  de  la  Philosophie,  si  elle  n'en  est  pas  la 
plus  noble  ?  Attendez  l'avènement  du  siècle  futur,  où  vous  vivrez  : 
peut-être  tranchera-t-il  la  question.  Mais,  direz-vous,  cette  Philoso- 
phie me  semble  absurde  ainsi  qu'à  d'autres.  Signalez  les  absurdités, 
démontrez-en  une  seule,  et  je  vous  croirai.  Quelle  gloire  pour  vous, 
si  vous  tirez  la  plume  contre  un  tel  adversaire  !  Car  la  réponse  fera 
jailhr  la  vérité.  Rien  ne  vous  manque  :  vous  avez  l'esprit  et  la  plume 
très  faciles.  Si  vous  découvrez  quelque  fausseté  évidente,  tous  vous 
en  seront  obligés,  ou  du  moins  vous  contraindrez  l'auteur  à  exposer 
son  sujet  avec  plus  d'ampleur  et  de  clarté.  Vous  voulez  pousser 
Gassendi  à  la  lutte,  lui  qui  naguère  a  noué  une  sainte  amitié  aviec 
Descartes.  Voyez  vous-même,  qui  n'êtes  point  son  ami,  les  diverses 
difficultés  que  votre  esprit  rencontre  et,  fût-ce  par  une  expérience 
ou  un  raisonnement  unique,  montrez-nous  ou  plutôt  à  lui-même 
quelque  chose  d'absurde  dans  la  Physique  de  René,  ou  bien  désormais 
réprimez»  votre  ardeur  médisante.  Si  vous  n'osez  livrer  l'attaque  en 
votre  nom,  que  d'adversaires  ne  trouverez-vous  pas  enchantés  de 
prêter  le  leur  ?  ^  » 

plutôt  favorable  aux  idées  cartésiennes.  —  Il  sera  question  de  Regius  et  de  Heereboord 
à  propos  du  Cartésianisme  en  Hollande.  —  Lettres  de  Sorbière  à  Heereboord.  Cf.  Bibl. 
Nat.,  Ms.  F.  lat.  10352,  t.  I,  Table  fol.  5  recto.  —  Lettres  de  Heereboord  à  Sorbière, 
Ibidem,  t.  II,  Table,  fol.  14  verso. 

1.  Quam  gratum  fecerim  Viris  summis  solideque  philosophantibus  Boswellio, 
Jonshonio,  Bornio,  Regio,  Heereboordio,  cseteris,  ubi  de  libri  tui  nec  non  partium 
operis  priorum  editione  spem  dedi,  vix  credas,  quanquam  verissime  narranti.  Omnes 
enim  te  unum  Gassendumque  spectant,  in  te  oculos  habent,  ex  quo  mons  ille  parturiit 
ridiculum  murem  nosque  tanto  hiatu  vocatos  lusit.  (Sorbière  à  Hobbes,  La  Haye, 
21  mai  1646,  Epist.,  Sorberii,  B.  N,  Ms.  Fonds  lat.  10352,  t.  I,  fol.  98). 

2.  Est  autem  in  animo  tuo  nescio  quid  adversus  Cartesium,  quod  virulentiam  te- 
.trumque  venenum  portendat,  vix  ut  abstinere  possis  quin  eum  et  ejus  opéra  pro  virili 


§  B.    DISCIPLES   EN   FRANCE    :   III.   SAMUEL  SORBIÈRE  205 

L'allure  provocante  de  cette  chaleureuse  défense  de  Descartes  ne 
déconcerta   point    Sorbière.    L'attaque   est   du    5    novembi-e    1646  ^. 

parte  déprimas  ;  quem  tamen  te.  me  et  innumeri.s  propeinodum  doctiorem  Philosophum 
ita  scio  ut  quolibet  sacramento  firmare  audeam.  Te  forsan  despexit  ?  Quid  tum  ? 
Existimas  illius  Methodum  esse  meram  stultitiam  ;  sed  et  forte  magi.s  accedit  ad 
sapientiam,  nec  eâ  plura  animo  complecteris.  An  igitur  vir  tantus  se  toti  mundo 
deridendum  exhibera  voluit  ?  Quis  hoc  putet  ?  An  adeo  turpiter  in  Phj'sicis  aberravit, 
qui  adeo  Lyncaeus  in  Mathematicis,  quse  sunt  Philosophise  pars,  si  non  nobihssima, 
tutissima  tamen  ?  Ssecuhim  futumm  quo  victurus  es  exspecta,  quod  forte  negotium 
istud  dirimet.  At,  inquies,  hsec  Philosophia  mihi  et  aliis  videtur  absurda.  Prome  absur- 
ditates,  demonstra  vel  unam,  tibique  credidero.  Quam  tibi  gloriosum  si  calamum  adver- 
sus  stringas  !  Quippe  responsio  veritatem  eliciet.  Nil  tibi  deest,  cujus  animus  et  calamus 
promptissimus  ;  si  quid  falsum  evidenter  detegas,  omnes  tibi  obstringes,  saltem,  coges 
auctorena  ut  fusius  et  explicatius  materiam  promat.  Vis  Gassendum  provocare,  qui 
nuper  cum  Cartesio  sanctam  amicitiam  inivit.  Ipse,  qui  hac  cares  amicitia,  varias  animi 
tui  difficultates  urge,  et  vel  unica  experientia  vel  ratiocinatione  quidpiam  a^o-ov 
in  Renati  Physica,  nobis,  vel  illi  potius,  ostende,  vel  deinceps  a  maledicendi  studio 
desine.  Si  tuo  nomine  non  audeas  insurgere,  quot  inventurus  es  qui  nomen  suum  liben- 
ter  inscribant  1  (Mersenne  à  Sorbière,  Paris,  5  nov.  1646,  BN.  Ms.  Fonds  lat.  10352, 
t.  II,  fol.  86  verso  et  87  recto). 

1.  M.  Adam  propose  (Vie  et  Œuvres...,  L.  V,  Ch.  II,  p.  448,  note  c)  de  reporter  la 
date  de  cette  lettre  à  l'année  suivante,  1647.  Il  ne  l'aurait  pas  osé  s'il  avait  lu  le  post- 
scriptum  de  cette  lettre  :  Spero  futiirum,  vir  .(Esculapie,  ut  me  doceas  quandonam  per- 
fecta  erifc  Libri  Hobbii  editio  et  quid  sentias  de  libro  novo  Regii  Medici  quem  hic  non- 
dum  vidimus.  (Mersenne  à  Sorbière,  Epistolœ...,  T.  II,  fol.  87).  he  De  Cive  de  Hobbes 
avait  paru  au  commencement  de  1647,  et  dans  une  lettre  du  10  mars  1647  Sorbière 
écrit  à  Hobbes  qu'il  lui  en  a  envoyé  le  29  janvier  un  exemplaire.  Le  même  jour,  il 
écrit  la  même,  chose  à  Mersenne  {Épistolœ,..  T.  I,  fol.  105).  Comment  M.  Adam  peut-il 
supposer  que,  le  5  novembre  1()47.  Mersenne  prie  «  Sortièra  de  l'informer  de  l'époque 
à  laquelle  l'édition  du  livre  de  Hobbes  sera  achevée  ?  »  De  plus,  le  livre  de  Regius, 
auquel  Mersenne  fait  allusion,  est  intitulé  Fundanienta  Physices  et  parut  à  Amster- 
dam en  1646  ;  la  Dédicace  est  c'atc'e  du  10  août.  Ce  double  fait  prouve,  sans  contesta- 
tion possible,  que  la  lettre  en  question  est  bien  de  1646. 

Sur  quelles  preuves  M.  Adam  a;:puie-t-il  sa  conjecture  ?  Les  voici.  Dans  cette  même 
lettre,  Mersenne  parle  d'un  Tractatus  de  vacuo  efficiendo  de  Pascal,  puis  de  ses  Obser- 
vationes.  D'après*  lui,  Mersenne  affirmei-ait  qu'il  a  envoyé  à  Huygens  et  à  Rivet  un 
exemplaire  du  premier  ouvrage,  et  que  le  second  a  dû  déjà  parvenir  en  Hollande  par 
les  soins  de  son  libraire.  Or  ces  deux  publications  sont  de  1647  ;  donc  aussi  la  lettre  qui 
les  mentionne.  Cette  argumentation  serait  péremptoire  si  vraiment  Mersenne  disait 
ce  que  M.  Adam  lui  fait  dire.  Pour  les  deux  exemplaires  de  Pascal,  le  texte  porte  : 
cuni  ad  utrumque  [Huygens  et  Rivet]  libellum  miserim,  ce  qui  signifie  :  lorsque  j'aurai 
envoyé.  L'opuscule  de  Pascal  n'était  donc  pas  encore  prêt.  Mersenne,  qui  tient  Sorbière 
au  courant  de  toutes  les  nouvelles  scientifiques,  a  sans  doute  vu  le  travail  de  Pascal  et 
en  informe  son  correspondant.  Pascal  devait  le  tenir  au  courant  de  ses  études  sur  le 
vide,  puisque  c'est  par  Mersenne  qu'on  connut  en  France  les  expériences  de  Torricelli, 
comme  Pascal  le  reconnaît  dans  son  opuscule  :  «  Cette  expérience  ayant  été  mandée  de 
Rome  au  R.  P.  Mersenne,  Minime  à  Paris,  il  la  divulgua  en  France  en  l'année  1644, 
non  sans  l'admiration  de  tous  les  sçavants  et  curieux.  »  (Préface  :  a  Au  Lecteur  »  [non 
jjaginée],  p.  2).  S'il  s'était  agi,  dans  la  lettre  de  Mersenne,  de  l'opuscule  imprimé  de 
Pascal,  au  lieu  de  l'annoncer  ainsi  :  Tractatus  Paschalii  de  Vacuo  efficiendo,  est-ce  qu'il 
n'aurait  pas  transcrit  littéralement  le  titre  vrai,  à  savoir  :  Expériences  nouvelles  touchant 
le  vuide  Y  —  Pour  le  propre  livre  de  Mersenne,  celui-ci  déclare  formellement  qu'il 
n'est  pas  encore  terminé  :  Qua  de  re  [sur  le  Vide]  plurima  quoque  in  meis  Observatio- 
nibus  non  vulgaria  produxi  expérimenta,  donec  tria  vel  quatuor  perficiam,  omnium  meo 
judicio  pulcherrima,  quœ  iu  Prœfatione  légère  poteris,  si  quod  exemplar  ad  tuas  manus 
perveniat.  L'achevé  d'imprimer  est  du  l^r  octobre  1647.  Si  la  lettre  de  Mersenne  était, 
comme  le  veut  M.  Adam,  du  5  nov.  1647,  il  faudrait  en  conclure  qu'à  cette  date  l'im- 
pression ne  sei-ait  pas  terminée,  puisque  l'auteur  n'a  pas  encore  «  parfait  »  les  trois  ou 
quatre  expériences  qu'il  compte  indiquer  dans  sa  Préface  :  donec  tria  velquatuor  perficiam.... 


206      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

Mersenne  revint  plusieurs  fois  à  la  charge  i.  Parmi  les  réponses  de 
Sorbière,  ne  pouvant  les  citer  toutes,  je  choisis  celle  qui  me  semble 
la  plus  complète  et  la  meilleure. 

Après  avoir  souhaité  à  Gassendi  et  à  Hobbes,  «  cette  paire  incompa- 
rable d'hommes,  une  bonne  santé  et  d'abondants  loisirs  »,  Sorbière 
poursuit  en  ces  termes  :  «  Je  fais  les  mêmes  vœux  pour  votre  grand 
et  cher  Descartes,  le  troisième  triumvir  ;  je  l'aime  et  le  considère 
au  point  de  le  placer  avant  tout  le  reste  des  philosophes  que  je  con- 
nais... Mais  vous  voulez  que  je  lui  accorde  la  première  place  et  vous 
pensez  qu'on  le  méprise  si  l'on  ne  reconnaît  pas  qu'il  est  le  roi  de  tous. 
Pardonnez,  je  vous  en  prie,  Très  Révérend,  à  mon  affection  pom-  des 
hommes,  auxquels  m'unit  une  étroite  amitié,  si  vous  ne  pouvez  obte- 
nir de  moi  cet  aveu.  Il  n'est  pas  en  mon  pouvoir  de  lui  conférer  d'hon- 
neur plus  grand  que  de  le  mettre  immédiatement  à  la  suite  de  si 
grands  hommes  2.  C'est  sans  raison  que  vous  me  dites  poussé  par  l'envie 
et  la  passion  du  dénigrement  pour  avoir  fait  cette  confession  ingénue  : 
parmi  les  très  nombx'eux  passages  remarquables  qui  sont  sortis  de  la 
plume  de  Descartes,  j'en  ai  découvert  quelques-uns  qui  ont  moins  de 
saveur  pour  mon  palais.  Car  loin  de  m'estimer  plus  perspicace  qu'un 
Lyncée,  mathématicien,  j'accuse  mon  épaisseur  d'esprit  et  m'indigne 
contre  moi-même,  parce  que,  dans  les  raisonnements  humains,  je 
n'aperçois  rien  d'autre  qu'une  apparente  probabilité  »  *. 

Après  cette  défense  courtoise  et  modeste,  Sorbière  prend  résolument 
l'offensive.  «  Vous  m'exhortez,  poursuit-il,  à  me  rendre  à.  discrétion, 
ou,  si  certains  points  me  semblent  moins  vrais,  à  les  attaquer.  Combien 
je  souhaiterais,  Révérend,  que  Dieu  m'eût  fait  les  loisirs  nécessaires  ! 
Je  pourrais  peut-être  alors  rassembler  quelques  ol)jections,  qui  four- 
niraient aussi  à  d'autres  l'occasion  de  douter,  surtout  à  propos  du 
Vide,  de  l'Extension,  du  Mouvement,  de  la  Rareté  et  de  la  Densité, 
sujets  où  mes  opinions  sont  très  éloignées  des  siennes.  Que  M.  Des- 
cartes y  puisse  répondre  très  facilement,  ce  n'est  pas  moi  qui  le  nierai, 
car  ni  les  paroles  ni  les  raisons  ne  sauraient  faire  défaut  à  un  habile 
homme  très  versé  dans  un  système.  Je  recevais  dernièrement  un 
alchimiste  qui  avait  la  prétention  de  démontrer  que  le  secret  de  la 
pierre  philosophale  est  évidemment  contenu  dans  Virgile  et  dans  les 

1.  Mersenne  revient  sur  le  même  gi'ief  dans  deux  lettres  de  1647.  Cf.  Ibidem,  t.  II, 
fol.  90  verso  et  91  recto  —  fol.  92  r.  et  v. 

2.  Plus  tard  Sorbière  dira  en  parlant  de  Gaussendi  et  de  Descartes,  «  les  deux  plus 
gi-ands  philosophes  de  ce  siècle  ».  Cf.  infra,  p.  210. 

3.  Utinam  illi  virorum  [Gassendus  et  Hobbitjs]  incomparabili  pari  otimn,  valetiulo 
contingat  abunde,  et  mundus  victua  non  déficiente  eruniena.  Qmd  etiam  voveo  magno 
illi  Cartesio  tuo,  Triumvirorum  tertio,  quem  amo  ita  et  suspicio  ut  cseteris  omnibus 
pliilosophantibus  quos  novi,  prœponam.  At  primumi  tu  vis  locum  illi  tribuam,  et, 
uisi  regnet  solus,  contemni  putis.  Parce,  quaeso,  Vir  Reverendissime,  afïectui  meo 
erga  viros  jure  anîicitise  mihi  conjunctos,  nisi  a  me  id  irapetres.  Quid  majus  illi  conferam 
quam  ut  immédiate  Viros  tantos  seqtiatur,  non  habeo  ;  neque  est  quod  me  livore  et 
detrectandi  studio  ductura  dicas,  si  fassus  ingénue  fuerim  inter  egregia  plurima  qufe 
scripsit,  n^nnuUa  comperisse  me  quse  palato  meo  minus  sapiant  ;  quippe  nequaquam 
me  LyncEeo  Mathematico  perspicatiorem  existinio,  qui  hebetudinem  meam  incuso  et 
mihi  sœpe  succenseo  cum  praeter  probabilitatis  speciem  in  humania  ratiociniis  nihil 
aliud  cerno. 


§  B.   DISCIPLES  EN  FRANCE  :  lU.  —  SAMUEL  SORBIÈEE  207 

fables  d'Ovide.  Aussi  aucune  raison  n'a  pu  lui  faii'e  lâcher  prise; 
bien  plus,  à  tous  mes  arguments  il  avait  une  solution  toute  prête.. 
Que  pescartes  en  puisse  faire  autant  pom'  ses  trois  éléments  et  l'agi- 
tation de  la  matière  subtile,  je  n'en  doute  aucunement  i.  » 

Quittant  ces  généralités,  l'adversaire  de  Descartes  en  vient  à  des 
détails  précis  ^  :  <(  Ce  très  savant  homme,  avec  un  art  merveilleux, 
a  puisé  ses  Principes  très  ingénieux  à  une  triple  source.  Il  a  mêlé 
en  e£Eet  aux  arguties  des  Scolastiques  d'autres  vues  qui  ont  de  l'affi- 
nité avec  les  sornettes  de  Fludd,  et  je  distingue  aussi  des  fleurs  remar- 
quables empruntées  aux  JarcUns  d'Épicure.  De  là  vient  qu'il  plaît 
pareillement  et  à  moi  porté  davantage  vers  la  secte  épicm-ienne  et 
aux  autres  qui  inclinent  plutôt  vers  des  sectes  différentes.  De  fait, 
il  a  horreui'  du  vide,  il  regarde  l'étendue  comme  matérielle,  il  ne  définit 
pas  le  mouvement  par  le  changement  dans  l'espace,  il  déclare 
la  teri'e  imiiiobile,  il  distingue  l'imagination  de  l'intellection, 
et  son  langage  est. métaphysique,  voHà  qui  nest  point  pour  déplahe 
aux  Péripatéticiens.  Quand  il  étabht  l'existence  de  ses  trois  éléments, 
de  la  matière  striée  et  d'un  certain  esprit  éthéré,  il  semble  soutenu* 
les  opinions  déhrantes  des  alchimistes.  Mais  lorsqu'il  traite  des  parti- 
cules de  la  matière  et  ramène  toute  chose  au  mouvement  et  à  des 
figui'es,  il  pense  comme  Lucrèce  et  favorise  Fatomisme  de  Démocrite. 
Il  a  donc  tout  ce  qu'il  faut  pom  obtenu"  quelquefois  l'approbation  de 
chacun.  La  plupart  d'ailleurs,  ayant  remarqué  quelques  idées  conformes 
à  leiu-  manière  de  voh,  jugent  par  là  du  reste  qu'ils  n'examinent  pas 
suffisamment  ou  sur  lequel  ils  passent  condamnation,  » 

Sorbière  reproche  enfin  à  Descartes  d'employer  des  exemples  et 
comparaisons  qui  sont  de  nature  à  induire  en  erreur,  et  il  en  cite  un 
spécimen.  «  Beaucoup  se  laissent  prendre  à  l'appareil  de  figures  qu'il 
emploie,  aux  simihtudes  vulgahes,  qui  sont  à  la  portée  de  l'inteUi- 

1.  Hortaris  nie  ut  vel  dedam  manus,  vel,  si  minus  vera  quaedani  videntur,  accingar 
contra.  Quara  optarein,  Vir  Re .erende,  ut  Deus  nobis  hsec  otia  fecisset.  Possem f ortasae 
nonnuUa  congerere,  quae  dubitandi  et  aliie  quoque  occa^oneni  prseberent,  praesertim 
ubi  aggreditur  quae  circa  Vacuum,  Extensionem,  Motum,  Raritatem  Densitat«mque 
valde  a  mais  opinionibus  dissentanea  dissent.  Non  eo  inficias  quin  responsurus  esset 
D.  Cartesius  quani  facillime  objectionibus  meis  ;  neque  enim  déesse  unquam  possunt 
verba  et  rationes  solerti  V^iro  in  systemate  aliquo  optime  versato.  Xuper  aderat  mihi. 
Alohimista  quidam,  qui  ev-identer  in  Virgilio  et  in  fabulis  Ovidii  arcanum  lapidis  Pliilo- 
eophici  contineri  demonstrabat,  ut  dimoveri  nullis  rationibus  potuerit,  imo  nostria 
nullis  non  habuerit  in  promptu  solutionem.  Quin  idem  pra3Stare  valeat  D.  Cartesius 
non  dubito  per  tria  Elementa  sua,  et  materiae  subtilis  agitationem. 

2.  Nempe  vir  doctissimus  ex  tripliei  fonte  naira  arte  hausit  ingeniosissima  Principia 
sua  ;  immiscuit  enim  Scholasticorum  argutiis  alia  quaedem  Fliiddanis  nseniis  affinia, 
quae  inter  agnosco  ex  Hortis  Epicuri  flores  egregios.  unde  est  qtiod  mihi  in  Sectam  ietam 
proniori,  et  caeteris  in  alias  proclivioribus  pariter  arrideat.  Nam  quod  Vacuum  fugit, 
Extensionem  materialem  facit,  Motum  ex  mutatione  spatii  non  définit.  Terrain  dicit 
immobilem,  Imaginationem  ab  Int«llectione  distinguit  et  Metaphysice  loquitur,  id 
sane  ne  Peripateticis  displiceret  ;  cum  vero  tria  Elementa  sua,  Materiam  striatam, 
spiritum  quemdan  aethereum  statuit,  Chimicorum  deliria  fulcire  videtur  ;  at  de  paiti- 
culis  verba  faciens,  motui  ot  figurfe  omnia  referens,  cum  Lucretio  nostro  sentit  Ato- 
misque  favet  Democriteis.  Habet  igitur  unde  singulis*  aliquando  probetur.  Plerique 
autem  ex  npunullis  animadversis  sibi  consentaneis  judicium  de  caeteris  ferunt,  quae  vel 
non  satis  expendunt,  vel  quibus  condonant. 


208      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

gencé  populaire,  mais  renferment  souvent  une  pétition  de  principe, 
comme  on  peut  le  voir  dans  les  circuits  du  second  élément  et  la  flexibi- 
lité de  la  matière  première  pour  produire  le  mouvement  sans  le  secours 
du  vide.  Il  apporte  comme  exemple  l'eau  qui,  de  cette  façon,  permet 
aux  poissons  de  se  mouvoir.  Mais  ce  qui  est  en  question  c'est  précisé- 
ment de  savoir  s'il  y  a,  dans  cette  eau  elle-même,  de  petits  intervalles 
vides,  qui  fournissent  au  mouvement  l'occasion  de  se,  déployer  et 
s'opposent  à  cette  rigidité  insurmontable  que  doit  présenter  tout  solide. 
Or  ces  figures-là  éblouissent  les  yeux  des  semiphilosophes,  parce  que, 
ayant  ouï  dire  que  les  Mathématiciens  se  servent  de  démonstrations 
incontestables,  qu'ils  expriment  par  des  figures,  ils  supposent  que 
l'image  des  tourbillons  une  fois  examinée  a  la  même  valeur  démonstra- 
tive, et  alors  ils  ne  s'inquiètent  plus  de  passer  chaque  chose  au  crible 
d'un  jugement  subtil  ^.  » 

Dans  cette  critique,  où  l'on  a  pu  remarquer  plus  d'une  réflexion 
judicieuse,  Sorbière  attaque  la  Physique  de  Descartes,  qui  est  le  côté 
vulnérable  de  son  système.  C'était  de  bonne  guerre.  Mais  il  laisse 
injustement  dans  l'ombre  la  méthode  psychologique  et  la  Métaphy- 
sique du  philosophe  français,  qui  ont  eu  sur  la  philosophie  ultérieure 
une  influence  profonde  et  durable. 

Dans  ses  Ejntres  ^  à  M.  Petit,  que  Sorbière  lui  adi'essa,  en  1657, 
à  l'occasion  du  premier  volume  des  Lettres  de  M.  Descartes  précédé 
d'une  Préface  de  Clerselier,  il  se  montra  beaucoup  plus  équitable. 
S'il  garde  ses  préférences  pour  Gassendi,  il  tempère  cependant  ses 
réserves  à  l'égard  de  Descartes  par  de  grands  éloges  décernés  à  la 
pénétration  du  penseur  et  au  talent  de  l'écrivain.  11  se  résume  ainsi  : 
«  ...  La  philosophie  de  M.  Descartes  a  bien  plus  de  droits  qu'aucune 
autre  de  s'insinuer  dans  les  esprits  des  personnes  curieuses,  parce 
qu'elle  est  pleine  d'excellentes  choses  puisées  dans  toutes  les  bonnes 


1.  Multos  capiunt  figiirae  apposita  et  exempla  similitudinesque  vulgares,  quae  ad 
plebis  captum  mentemque  écconiodatse  petitionem  principii  ssepe  tamen  invohiint, 
ut  videre  est  in  gyris  iÛis  secundi  Elenienti  et  Materiae  flexibilitate  ad  Motuin  sine 
Vacuo  efficiendum  ;  afïert  enim  aquani  in  exemplum,  quae  piscibus  viam  hac  ratione 
concedit.  Veruni  hoc  ipsum  quaeritur  an  in  ista  ipsa  aqua  minima  intervallula  sint 
vacua,  quae  motus  occasionem  prsebeant  et  rigiditatem  insuperabilem  in  omnimoda. 
soliditate  necessariam  prohibeant.  Figurse  autem  illae  oculos  semiphilosophantium 
perstringunt,  quippe  cum  inaudierint  Mathematicos  demonstrationibus  uti  àvav- 
T'.ppï,-:o'.;,  quas  figuris  exprimunt,  suspicantur  icône  vorticum  semel  inspecta  vina 
similem  contineri,  neque  amplius  acri  judicio  perpendunt  singula.  (Sorhièrg.  à  Mer- 
senne,  Leyde,  23  décembre,  1647,  Bib.  Nat.,  JMs.  Fonds  lat.,  10352,  t.  I,  fol.  116  recto  et 
verso,  fol.  117  verso).  Sorbière  répond  encore  aux  reproches  de  Mersenne,  blâmant 
son  hostilité  à  la  philosophie  cartésienne,  dans  d'autres  lettres  de  1647.  Cf.  Ibidem^ 
t.  I,  fol.  105  recto  —  fol.  110  r.  et  v.  —  Dans  la  lettre  citée,  Sorbière  dit  que  Descartes 
s'est  inspiré  des  «  arguties  de  la  Scolastique  ».  Pour  se  convaincre  qu'il  parle  de  la 
Scolastique  comme  un  aveugle  ferait  des  couleurs,  il  suffit  de  lire  ce  qu'il  disait  de 
SuAREZ.  Cf.  Sorheriana,  p.  241.  —  Plus  tard,  dans  une  lettre  écrite  à  Saumaise,  1© 
10  mars  1650,  après  la  mort  de  Descartes,  Sorbière  juge  ce  dernier  très  sévèrement 
comme  philosophe  et  physicien.  Il  n'admire  que  le  mathématicien.  Cf.  Lettres  et 
Discoure,  p.  534  537. 

2.  SoRBiÊRE,  Lettres  et  Discours...,  Lettres  87  et  88,  Paris,  10  nov.  1657  et  20  fév. 
1658,  p.  667  et  684. 


§  B.   DISCIPLES  EX  FRANCE   :  HI.  —  SAMUEL  SORBIÊRE  209 

sources,  et  que  le  mélange  de  ce  qui  est  moins  solide  y  est  fait  avec 
beaucoup  d'addresse  ^.  » 

Après  avoir  rapporté  quelques  louanges  de  Sorbière  en  Fhoimeur 
de  Descartes,  l'excellent  Baillet  ajoute  :  «  Il  faut  tenii'  compte  à  M.  de 
Sorbière  du  peu  de  bien  qu'il  a  dit  de  M.  Descartes  en  toute  sa  vie... 
Il  s'étoit  déjà  donné  tout  entier  [à  Gassendi]  avant  que  d'avoir  vu  M. 
Descartes  ;  il  en  était  le  panégyi-iste  perpétuel  ;  il  fut  depuis  le  pré- 
dicateur de  sa  Philosophie. . .  Il  fut  aussi  l'espion  continuel  de  M.  Gas- 
sendi auprès  de  M.  Descartes  pendant  tout  le  tems  qu'il  fut  en  HoUande  ; 
et  il  n'oubUa  rien  pour  détruue  celui-ci  dans  l'es^Drit  de  l'autre  jDar  des 
rapports  desobhgeans  2.  »  Il  y  a,  ce  semble,  quelque  outrance  dans  ce 
jugement.  En  tout  cas,  ce  n'est  pas  Gassendi,  si  simple  et  si  droit, 
qui  a  organisé  cet  espionnage. 

Passons  au  second  «  triumvir  ».  Moins  d'un  mois  après  la  mort  de 
Gassendi,  Sorbière  écrivait  au  Père  Bertet,  S.  J.  une  lettre  ou  plutôt 
un  panégyrique,  où  il  exaltait  les  quaHtés  intellectuelles  et  morales 
du  défunt.  ((  Aussi,  concluait-il,  je  le  considérois  comme  mon  père 
et  me  sentois  redevable  a  sa  bonté  de  tout  ce  que  j'avois  de  cognois- 
sance  du  bel  air  des  Lettres  et  de  la  plus  saine  Philosophie  »  2.  Il  annon- 
çait le  pieux  dessein  de  retracer  la  vie  de  son  maître  :  c  Je  l'entrepren- 
ckay  autant  pom"  ma  consolation  et  pom-  me  donner  courage  d'imiter 
sa  vertu. . .  ■*  » 

Si  Sorbière,  on  l'a  vu,  n'a  suivi  que  de  très  loin  les  exemples  ver- 
tueux de  Gassendi,  on  ne  peut  nier  cependant  qu'il  ait  témoigné  à  son 
maître,  vivant  ou  mort,  une  reconnaissance  qui  ne  s'est  pas  seulement 
affirmée  en  belles  paroles,  mais  par  des  actes  et  des  initiatives. 

Inutile  de  revenir  sur  les  bons  offices  qu'il  déploya  pour  mener  h 
terme  la  publication  de  la  Disquisition  métaphysique  et  en  célébrer  les 
mérites. 

Une  autre  intervention  de  Sorbière,  moins  connue  et  plus  piquante, 
mérite  d'être  contée.  On  sait  en  quelle  haute  estime  la  princesse 
EUsabeth  de  Bohême  avait  la  philosophie  de  Descartes.  Sorbière 
(sans  d'ailleurs  mettre  Gassendi  dans  la  confidence  du  projet)  trouva 
plaisant  et  sans  doute  habile  de  susciter  un  rival  à  Descartes  près  de 
la  docte  princesse.  Il  résolut  d'utihser  dans  ce  but  sa  traduction  du 

1.  Sorbière,  Lettre  à  M.  Petit,  Lettres  et  Discours...,  p.  679.  —  On  trouvera  daiis  les 
Sorberiana  un  jugement  de  Sorbière  sur  Descartes  où  il  s'efforce  aussi  d'amalgamer 
la  louange  et  le  blâme.  «  L'auteur  [du  Discours  de  la  Méthode]  passera  toujours  pour  un 
grand  homme,  et  sa  Physique  vérifiera  un  jour  s'il  a  mieux  raisonné  que  nos  Philoso- 
phes péripatéticiens,  ou  s'il  y  a  eu  de  l'extravagance  dans  cet  esprit.  Jusques-là  on  doit 
suspendre  son  jugement,  n'y  aiant  rien  en  ses  Discours  de  Dioptrique,  de  Géométrie 
et  des  Météores  qui  ne  soit  plein  de  bon  sens  et  de  profonde  mathématique.  »  (Sorbe- 
riana, p.  92-93)  .«  J'admire  l'esprit  de  M.  Descartes  de  la  même  façon  que  j'admire 
ceux  qui  voltigent  sur  im  cheval  de  bois.  Leur  force  et  leur  souplesse  est  grande,  mais 
elle  est  inutilement  emploiée...  »  (p.  93).  «  Au  reste  c'est  un  des  plus  grands  homme*  de 
notre  siècle.  S'il  extravague,  c'est  ingénieusement.  Son  galimatias  vaut  toujours  mieux 
que  celui  des  Scolastic{ues.  »  (p.  94). 

2.  Baillet,  La  Vie...,  Ile  Partie,  L.  VI,  Ch.  IX,  p.  169  et  170. 

3-4.  Lettre  de  Sorbière  au  Père  Bertet,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  Paris,  13  nov.  1655, 
Lettres  et  Discours...,  p.  363  et  365. 

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210      ARTICLE  n.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

Syntagma  philosophiœ  Epicuri,  œuvre  que  Gassendi  avait  publiée 
à  Lyon  en  1649.  Par  l'intermédiaire  obligeant  «  du  comte  Christophle 
Delphique,  Burgrave  de  Dona  »,  il  fit  agréer  d'Elisabeth  l'hommage 
de  cette  traduction.  Il  imagina,  en  conséquence,  d'écrire,  sous  forme 
de  dédicace  à  la  princesse-philosophe,  une  Lettre  qui,  dans  sa  pensée 
mahcieuse,  formerait  le  pendant  de  VEpistola  dedicatoria  Serenisswiœ 
Principi  Elisahethœ  que  Descartes  avait  mise  en  tête  des  Principia. 
En  cas  de  réussite  c'était  pour  les  Cartésiens  un  succès  mortifiant. 
Mais  cette  combinaison  quelque  peu  machiavéhque  échoua. 

La  traduction  du  Syntagma  Philosophiœ  Epicuri  fut  envoyée  à 
l'éditeur,  et  l'impression  en  était  commencée,  quand,  sur  un  désir 
formel  de  Gassendi,  on  dut  FinteiTompre  pour  lui  «  complaire  »  ^. 
Dans  une  lettre  au  traductem*  Gassendi  tâche  de  le  consoler  de  cette 
brusque  interruption  :  «  J'espère  bien,  lui  écrit-il,  que  votre  gloire 
n'aura  rien  à  souffrir  de  cet  ajournement,  et  vous-même  le  reconnaîtrez 
pleinement,  dès  que  les  premières  pensées  auront  fait  place  aux  se- 
condes ^.  ))  On  croit  que  l'auteur  du  Syntagma  avait  l'intention  d'ajouter 
au  texte  des  notes  exphcatives  ^.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  traduction  ne 
parut  jamais/.  Pour  ne  pas  frustrer  cependant  la  postérité  de  l'Épître 
dédicatoire  à  la  princesse,  Sorbière  la  pubHa  dans  son  recueil  de 
Lettres  et  de  Discours  en  1660.  Le  début  ne  manque  pas  d'intérêt.  Le 
voici  :  i 

«  Madame,  j 

«  Il  y  a  quelques  aimées  qu'il  pleut  à  Vostre  Altesse  me  commander, 
à  La  Haye,  de  luy  dire  mes  sentimens  sm*  une  question  curieuse  et 
difficile,  de  la  preuve  de  laquelle,  par  des  raisons  naturelles,  les  deux  plus 
grands  Philosophes  de  ce  siècle  ne  demeuroient  pas  bien  d'accord, 
pource  qu'ils  ne  suivoient  pas  une  mesme  méthode,  quoyqu'ils  vou- 
lussent tirer  une  mesme  conclusion.  Ils  posoient  tous  deux,  comme  une 
vérité  inébranlable  que  l'ame  de  l'homme  estoit  immatérielle.  Le  pre- 
mier soustenoit  que  les  raisons  qu'il  avoit  apportées  dans  ses  Médita- 
tions Métaphysiques,  avoient  la  force  de  Démonstrations  Mathéma- 
tiques, et  estoient  les  seules  que  l'on  pouvoit  inventer.  L'autre  n'y 
voyoit  pas  cette  évidence,  ne  desesperoit  pas  que  la  postérité  n'en 
peut  découvi'h*  de  plus  fortes,  et  croyoit  au  fonds  que  cette  matière, 


1.  Geaveeol,  Mémoires...,  p.  29. 

2.  Spero  autem  fore  ut  nihil  tuse  glorise  ex  hac  dilatione  décidât  ac  te  id  maxime 
agniturum,  ubi  primse  cogitationes  secundia  locum  fecerint  (Gassendi  à  Sorbière, 
Paris,  15  juillet  1653,  OG,  t.  VI,  p.  325,  e.  2). 

3.  Ou  lit  en  effet  ce  résumé  de  la  lettre  de  Grassendi,  citée  ci-dessus  :  Ne  Syntagmatia 
Epicuri,  notis  absque  necessariis  peccata  viri  indicantibus  repurgata,  editionem  galli- 
cam  sustiueat  enixe  rogat  [Gassendus].  Cf.  Gassendi  Epistolarum  Argumenta,  au  mot 
SoRBEBio,  col.  2,  en  tête  du  tome  VI,  des  Oper.  Gassendi). 

4.  M.  Adam,  en  rapportant  cet  épisode  (Vie  et  Œuvres  de  Descartes,  L.  V,  Ch.  I, 
p.  429-431),  parle  de  la  traduction  du  Syntagma  philosophicum,  au  lieu  du  Syntagma 
Philosophiœ  Epicuri.  C'est  une  confusion  regrettable.  Le  Syntagma  philosophictum, 
œuvre  posthume,  ne  parut  qu'en  1658.  D'ailleurs,  Graverol,  auquel  M.  Adam  renvoie, 
mentionne  expressément  le  Syntagma  Epicuri,  paru  en  1649  et  note  que  l'impression 
<ie  la  traduction  commença  en  1652. 


§  B.  DISCIPLES  EN  FRAXCE   :   IH.- —  SAMUEL  SORBIÈRE  211 

estant  de  la  Foy  Divine,  dependoit  principalement  de  l'authoiité  de 
l'Eglise,  et  de  la  révélation  que  Dieu  nous  a  faite  dans  les  Saintes 
Escritures,  plûtost  que  d'aucun  raisonnement  humain.  Ce  fut.  Ma- 
dame, la  différence  que  je  dis  alors  à  Vostre  Altesse  qu'il  y  avoit 
entre  la  méthode  de  M.  Descartes  et  la  Disquisition  de  M.  Gassendi. 
Sur  quoy  vous  pristes  occasion  de  vous  informer  plus  particuhere- 
ment  de  ce  dernier,  et  je  satisfis  à  cette  loiiable  curiosité,  selon  l'exacte 
cognoissance  que  j'avois  de  la  pieté,  des  mœurs  et  du  sçavoir  de  cet 
homme  incomparable.  Je  ne  veux  pas,  Madame,  en  faire  icy  l'éloge  ; 
car  c'est  assez  le  loiier  que  de  dh-e  que  Vostre  Altesse  se  souvient  de 
luy  et  qu'elle  ne  sera  pas  manie  de  voh  en  François  ce  qu  elle  a  dé-ja 
peu  voir  de  luy  en  une  autre  langue  ^.  » 

La  reconnaissance  effective  de  Sorbière  survécut  à  la  mort  de  Gas- 
sendi. Il  en  donna  la  preuve  dans  l'opuscule,  où  avec  une  admiration 
communicative  il  retrace  la  vie  intellectuelle  et  morale  de  Gassendi 
(De  Vita  et  Morihus  Pétri  Gassendi).  Cette  biographie  (qui  servit 
aussi  d'Introduction  à  la  deuxième  édition  du  Syntagma  Philoso- 
phiœ  Ejncuri,^  Amsterdam,  1659),  fut  placée  d'abord  en  tête  des 
Œuvres  complètes  :  elle  est  comme  le  frontispice  de  ce  monument  gran- 
diose 2. 

Sorbière  ne  négligeait  aucime  occasion  de  fahe  ressorth  les  mérites 
de  son  maître.  Ainsi,  il  pubha  im  Discours  sur  la  Comète  (Paris,  26  jan- 
vier 1665)  3,  où,  pour  vulgariser  «  les  sentimens  des  astronomes  et 
des  philosoplies  naturahstes  touchant  la  comète  que  nous  voyons  », 
il  ne  trouva  rien  de  mieux  que  de  «  suivre  pas  à  pas  »  Gassendi  *,  et 


1.  Sorbière.  Lettres  et  Discours...,  Lettre  XV,  datée  d'Oi-ange,  5  jum  1652,  p.  69, 

Il  semble  bien  que,  outre  la  traduction  du  Syntagma,  Sorbière  se  proposait  d'exposer, 
dans  une  série  de  lettres,  la  philosophie  d'Epicure  et  de  Gassendi,  car  voici  ce  qu'il 
écrit,  à  la  date  du  5  juin  1652  :  «  J'ai  pris  la  liberté  de  tracer  une  Lettre  à  son  Altesse 
[Lettre  citée  plus  haut],  qui  pourroit  servir  de  Dédicace,  si  le  corps  entier  de  celles  que 
je  \-ou3  écrirai  avoit  quelque  jour  à  eati-e  publié.  »  (Lettre  au  Comte  Christophle  Del- 
phique,  dans  LeUres  et  Discours,  ..Lefre  XVI,  p.  79-80).  L'échec  de  la  traduction 
empêcha  sans  doute  de  donner  suite  à  ce  projet  de  Letti-es. 

2.  Le  De  Vita  et  Morihus  Pétri  Gassendi  parut  aussi,  à  part,  en  1662,  à  Londres.  — 
Henixingus  Wittex  l'a  reproduit  dans  Memoriœ  Philoaophorum,  Oratorum,  Pce- 
tarum...,  t.  U,  Decad.  V,  p.  201-230,  Francfort,  1679. 

3.  Déiié  à  Mgr  l'évesque  de  Cens  ance.  Trésorier  de  la  Sainte  Chapelle  et  Conseiller 
ordinaire  du  Roy. 

4.  Cliapelain  juge  sévèrement  le  Discours  sur  la  Comète,  dans  une  lettre  à  l'abbé  de 
Francheville,  alors  à  Reimes  :  c  Le  discours  de  M^  Sorbière  est  d'autant  meilleur  qu'il 
est  la  plus  grande  part  de  mon  feu  précieux  ami  le  Alacliarite  M^  Gassendi.  Il  y  a  pour- 
tant quelques  endroits  où  il  s'est  escarté  de  son  sens,  non  pas  pour  le  contredire,  mais 
faute  de  l'avoir  entendu.  Il  parle  aisément,  mais  pour  les  choses  il  n'y  mord  pas,  et  je 
ne  sçay  comment  il  bazarde  d'en  traitter,  son  génie  y  estant  si  peu  propre.  L'imprimé 
de  ce  Monsieur  là  dont  on  vous  a  fait  feste  ne  se  vend  point  et,  s'il  a  veu  le  jour,  ça 
esté  aux  despeiis  de  sa  bourse.  Il  en  aura  envoyé  à  Nantes  aux  consolateiurs  de  sa  rélé- 
gation et  vous  en  pourrés  avoir  la  communication  par  cette  voye.  »  (Chapelain  à  Vabbé 
de  Francheville,  16  mars  1665,  Lettres  de  Jean  Chapelain,  publiées  par  Tajiizey  de 
Larroqxje,  t.  II,  p.  390,  note  1,  dans  Collection  des  Documents  inédits  sur  VHistoire 
de  France,  Paris,  1883).  Cet  abbé  de  Francheville,  aujourd'hui  bien  oublié,  s'adonixait 
à  la  poésie  lyrique.  Chapelain  le  remercia  de  l'envoi  d'une  Ode  a  forte  et  bwllante  ». 
Cf.  Ibidem,  p.  82,  note  2,  et  p.  76,  note  2. 


212      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSJ:NDÎ 

de  tracer  le  plus  bel  éloge  de  l'homme  et  du  savant  ^.  3  '-en  détache 
une  seule  phrase  :  «  Personne  n'a  jamais  philosophé  plus  doctement 
ny  de  meilleure  foy  que  luy.  » 

Dans  une  lettre  adressée  à  Conrart,  il  ce  luy  représente  la  vertu  » 
de  notre  philosophe  ^. 

Il  ne  se  montrait  pas  moins  enthousiaste  dans  l'intimité,  où  il 
disait  volontiers  «  qu'on  s'étonnera  peut-être  quelque  jour  que  dix 
ans  après  la  publication  d'un  tel  ouvrage  [le  Syntagma  philosophicum], 
il  s'est  trouvé  des  gens  qui  ont  embrassé  une  autre  philosophie.  C'est 
une  chose  étrange  que,  depuis  qu'on  a  trouvé  l'usage  du  pain,  il  y  ait 
eu  des  hommes  qui  aient  mangé  du  gland  »  ^.  De  sorte  qu'on  peut  dire, 
à  sa  louange,  ce  que  Baillet  disait  de  lui  en  mauvaise  part  :  il  fut  le 
«  panégyriste  perpétuel  »  de  Gassendi  et  le  «  prédicateur  »  infatigable 
de  sa  philosophie,  car  cet  excès  dans  l'admiration  d'un  bienfaiteur 
part  d'un  bon  naturel  *. 

Sorbière  fit  la  connaissance  du  troisième  «  triumvir  »,  quand  celui-ci 
vint  à  Paris  en  1642  ^.  Il  lui  fut  facile  de  rencontrer  Hobbes  chez  des 
amis  comrnuns,  Gassendi,  Mersenne,  de  Martel,  du  Prat  ^  ;  et  il  n'a 
point  manqué  de  signaler  ses  cordiales  relations  avec  lui  ^. 

C'est  pendant  ce  séjour  à  Paris  que  Hobbes  élabora  son  traité 
De  Cive.  Mersenne  était  seul  dans  le  secret  de  l'écrivain,  qui  par  pru- 
dence voulait  s'entourer  de  mystère  ^.  Il  permit  à  Sorbière  de  jeter 

1.  Discours  sur  la  Comète,  p.  17-18. 

2.  Sorbière,  Lettres  et  Discours...,  Lettre  XLI,  p.  313-320. 

3.  Sorberiana,  art.  Gassendi,  p.  122-123. 

4.  On  trouvera:a)  le.iLettres  de  Gassendi  à  Sorbière,  dans  OG,t.^VI,  p.  155,  162,  174, 
178,  186,  249,  279,  325,  328,  330.  —  6)  les  Lettres  de  Sorbière  à  Gassendi,  Ibidem,  p.  447, 
453,  456,  462,  469,  499,  508,  526,  528,  529. 

5.  C'était  le  quatrième  voyage  de  Hobbes  à  Paris. 

6.  M.  de  Marolles,  abbé  de  Villeloin,  dit  dans  ses  Mémoires  :  «  Ce  fut  encore  M.  du 
Verdus  qui  me  donna  la  chère  connoissance  de  Mess,  de  Martel  et  du  Prat,  de  la  Pro- 
vince du  Languedoc,  deux  esprits  qui  sont  également  éclairez  dans  les  belles  choses.  » 
(M.  DE  Marolles,  Mémoires  divisez  en  trois  Parties,  I^e  Partie,  p.  199,  Paris,  1656).  — 
Sorbière  parle  en  ces  termes  de  A.  du  Prat  et  de  Th.  de  Martel  :  Inter  amicos  istos 
[Neurâ  et  Bernier]  ab  annis  hisce  viginti  sedem  occupaverunt  Viri  duo  Gassendum 
mire  ingenio  et  sapientia  mihi  nunc  referentes,  Abrahamus  Prataeus,  Medicus  doctrina 
et  judicio  cum  paucis  conferendus,  nisi  Socratem  Hippocrati  superaddens  utrumque 
«pjTixfOTÉpov  facias  ;  cujus  quoque  in  Testamento  suc  mentionem  fecit  Gassendus  ; 
et  Thomas  Martellus,  qui  Philosophica  studia  negotiis  publicis  absorptus  non  intermisit, 
ut  quam  in  theoreticis  disciplinis  solertiam  prsebuit  in  rébus  agendis  retinuerit.  Par 
istud  Amicorum  nunquam  divellebat  Gassendus,  et  trigam  ego  ssepius  faciebam... 
(Sorbière,  De  Vita...,  OG,  t.  I,  [non  paginée],  p.  24,  §  Cœterum). 

7.  Sorbière,  Relation...,  p.  33-34.  Paris,  1664. 

8.  On  retrouve  cette  même  préoccupation  dans  la  suite,  quand  Sorbière  s'occupe 
d'éditer  le  De  Cive  en  Hollande.  Hobbes  lui  recommande  d'agir  avec  mystère  :  Tacite 
peragendum  est  (Hobbes  à  Sorbière, 'Paris,  16  mai  1646,  Epistolce  ad  Sorbei'iwn,  Bihl.natio- 
nale,  Ms.  Fonds  latin,  10352,  t.  II,  fol.  79  verso.  —  Il  avait  conscience  que  la  hardiesse 
de  ses  opinions  était  de  nature  à  lui  susciter  des  embarras.  On  lit  en  effet  dans  cette 
lettre  :  Quse  editionem  impedire  posse  videntur,  sunt  primo,  si  ejusmodi  librum  scierint 
sub  praelo  esse,  ii  qui  dominantur  in  Academiis,  ad  quorum  pertinet  existiraationem 
ne  quis  in  ea  doctrina  quam  profitentur  viderit  quod  illi  prius  non  vidisseiit.  Itaque 
tacite  peragendum  est... 


§  B.   DISCIPLES  EN  FRANCE    :   III.  —  SAMUEL  SORBIÈEE  213 

un  coup  d'œil  sur  le  manuscrit.  Voici,  toute  vive,  la  première  impres- 
sion de  cet  amateur  de  nouveautés  :  «  Le  Révérend  Père  Marin  Mer- 
senne  m'a  montré  autrefois  le  manuscrit  du  De  Cive,  en  présence  de 
du  Prat  et  de  Dis...  ^  Le  très  peu  que  nous  en  lûmes  à  la  hâte  durant 
un  quart  d'heure  nous  frappa  merveilleusement.  Je  soupçonnais 
Descartes  d'en  être  l'auteur  ;  mais  à  mes  questions  Descartes 
répondit  qu'il  ne  pubUerait  jamais  rien  sm*  la  Morale  ;  quel  qu'en 
soit  le  père,  il  sait  des  choses  qui,  à  coup  sûi-,  ne  sont  pas  vul- 
gahes  »  ^. 

L'ouvrage  de  Hobbes  parut,  sans  nom  ni  d'auteur  ni  d'éditeiu", 
sous  ce  titre  modeâte  :  Element<yfum  Philosophiœ  Sectio  tertia,  de  Cive 
(Paris,  1642).  x\près  lectiu-e  attentive  du  Uvi'e  imprimé,  «  qu'un  grand 
persomiage  lui  prêta  et  recommanda  «,  le  jugement  de  Sorbière  fut 
tout  autre,  comme  il  le  confia  à  son  correspondant  de  Martel.  Il  com- 
mence par  reconnaître  que  l'écrivain,  «  cet  Anglais  érudit  »  ^,  est  «  puis- 
sant par  le  génie  et  le  jugement,  a  un  esprit  méditatif  et  pense  bien  en 
beaucoup  de  choses.  »  Après  l'éloge,  les  critiques.  Pom'  le  style,  Sor- 
bière le  trouve  obscur  ;  la  manière  d'écrhe  de  l'auteur  torture  l'esprit 
du  lecteur  attentif.  Cette  impression  est  «  peut-être  imputable, 
ajoute-t-il,  à  ma  paresse  qui  n'aime  que  les  énoncés  faciles  et  hmpides, 
à  moins  que  cet  écrivain  n'ait  pas  suffisamment  clarifié  son  style...  *  » 
Pour  le  fond  de  la  doctrine  il  se  montre  défavorable  à  certains  points 
fondamentaux,  par  exemple,  à  cette  idée  chère  à  Hobbes  que  «  l'homme 


1.  Xom  propre  illisible.  —  Si  l'on  prend  la  peine  de  comparer  les  divers  endroits 
où  ce  mot  est  écrit  (Cf.  Epistolœ...,  t.  I,  Table,  fol.  3  recto  ;  Lettres,  fol.  25  verso),  il 
semble  qu'on  doive  lire  :  Diseketus  ? 

2.  Librum  de  Cive  manuscriptum  ostendit  olim  milii  R.  P.  Marinus  Mersennus 
adstante  una  Pratœo  et  Di...  ?  Pauciila,  quse  cursim  legiznus  par  horae  quadrantem, 
mire  animiim  nostrum  afïecere.  Suspicabar  Cartesium  auctorem  esse  :  at  Cartesius  mihi 
percontanti  respondit  circa  Moralia  se  nihil  unquam  editurum  ;  quisquis  sit  Pater,  is 
certe  non  Milgaria  sapit.  (Sorbière  à  Th.  Martel,  Sliiis  (L'Ecluse),  l^^  fév.  1643,  JEpis- 
tolœ  Sorberii,  Ibidem,  t.  I,  fol.  49  verso). 

3.  M.  Adam  écrit  :  «  Le  De  Cive  de  Hobbes  avait  paru  d'abord  sans  nom  d'auteur 
en  1642;  Sorbière  le  prit  pour  la  philosophie  de  Descartes,  qu'on  attendait  de  tous 
côtés  et  le  jugea  un  fort  méchant  li\Te.  »  (  Vie  et  Œuvres...,  L.  V,  Ch.  II,  p.  436).  M.  Adam, 
trop  prévenu  contre  Sorbière,  commet  ici  une  confusion.  L'opinion  de  Sorbière,  soup- 
çonnant Descartes  d'être  l'auteur  du  De  Cive,  concerne  le  manuscrit  et  fut  d'ailleurs 
très  favorable  à  Descartes,  père  putatif  de  l'ouvrage.  Cf.  supra,  p.  2 13,  ver  s  \v  haut.  Quand 
Sorbière  a  rou\Tage  imprimé  sous  les  yeux  et  qu'il  a  pu  le  lire  en  entier  à  tête  reposée, 
son  jugement  se  modifie  ;  a!o:s  il  attribue  l'œuA-re  non  à  Descartes,  mais  à  un  «  Anglais  ». 
Il  est  étonnant  qu'il  ne  prononce  pas  le  nom  de  Hobbes  ;  il  dit  :  Anglus,  avctor  iste. 
Est-ce  prudence  ?  Est-ce  ignorance  ?  Cette  dernière  hypothèse  ferait  peu  d'honneur 
à  la  perspicacité  de  Sorbière,  car,  quoique  le  livre  ne  porte  pas  de  nom  d'auteur,  il  est 
précédé  de  cette  Dédicace  :  Excellentissimo  GuUelmo  Comiti  Devoniœ  Domino  meo 
colendissimo,  et  cette  Dédicace  est  signée  des  initiales  :  T.  H.  Or  Sorbière,  qui  avait 
lié  connaissance  avec  Hobbes  venu  à  Paris  en  1642,  ne  pouvait  ignorer  que  c  cet  Anglais  » 
avait  été  précepteur  du  fils  aîné  de  William  Cavendish,  comte  de  Devonshire. 

4.  Interea  librum  De  Cive  evolvi,  Viro  quodam  magno  commodante  et  commendante. 
Anglum  illum  eruditum  agnosco,  ingenio  judicioque  poUentem,  meditabundum,  in 
multis  bene  sentientem  ;  nescio  quid  tamen  in  génère  scribendi  culpandum  venit,  quod 
lectorem  attentum  torquet,  nisi  inertiae  potius  meae  sit  référendum,  quse  nihil  non  amat 
facile  et  perspicue  enuntiatum,  sive  rêvera  auctor  iste  non  satis  defecate  scripserit... 
(Sorbière  à  Martel,  La  Haye,  8  juin  1643,  Ibidem,  t.  I,  fol.  56  verso). 


214      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  ESTFLUBNCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

est  un  loup  pour  l'homme  »  ;  de  plus  il  signale  des  contradictions  cho- 
quantes ^. 

Ce  jugement,  qui  semble  rendu  de  sang-froid  et  sohdement  motivé, 
allait  trois  ans  plus  tard  faire  place  à  une  véritable  paUnodie.  En  1646, 
les  exemplaires  de  l'édition  princeps  du  De  Cive,  tirée  d'ailleurs  à  petit 
nombre,  surtout  pour  le  cercle  des  amis,  étaient  devenus  fort  rares. 
Cette  rareté,  au  Heu  «  d'éteindre  la  soif  des  curieux,  ne  fit  que  l'aug- 
menter ».  Entre  temps  Hobbes  avait  préparé  une  nouvelle  édition 
«  revue  et  annotée  »  ^.  Quelle  bonne  aubaine  pour  Sorbière  !  Il  s'offrit 
pour  surveiller  l'impression  et  traduire  le  livre  en  français.  Mais 
Fauteur,  toujom-s  circonspect  (il  n'était  pas  sans  s'inquiéter  de  l'effet 
que  produirait  le  Hvi*e  sur  les  graves  docteurs  des  Académies),  se  laissa 
longtemps  prier.  Cependant,  comme  «  innombrables  étaient  ceux  qui 
recherchaient  ardemment  l'ouvrage  sans  pouvoir  le  trouver  ■»  ^,  il 
finit  par  céder.  Ayant  donc  <(  extorqué  à  cet  éminent  Hobbes  cet 
exemplaire  de  son  Hvre  sur  le  Citoyen,  auquel  il  a  mis  de  sa  propre 
main  des  notes  marginales  »  *,  Sorbière  partit  pour  La  Haye  avec 
l'intention  d'exécuter  son  double  projet. 

Ici  se  pose  naturellement  un  petit  problème  de  psychologie  :  com- 
ment expliquer  un  pareil  revkement,  bien  fâcheux,  semble-t-il,  pour 
le  caractère  et  le  jugement  de  Sorbière  ?  Sans  doute,  sa  versatihté 
d'esprit,  son  désir  de  se  mettre  en  avant,  son  goût  très  vif  pour  le 
métier  d'éditeur,  suffisent  en  rigueur  à  rendre  compte  de  cette  volte- 
face.  Mais  il  dut  subir  une  influence  étrangère,  celle  de  Gassendi  et 
de  Mersenne,  qui  avaient  sur  cet  esprit  mobile  un  ascendant  véritable. 
Si  l'on  en  juge  par  les  lettres  enthousiastes  que  l'un  et  l'autre  lui  adres- 
sèrent au  moment  où  il  allait  s'embarquer  à  Calais  pour  la  Hollande, 
sans  doute  ils  ne  se  firent  point  scrupule,  dans  l'intimité  de  leurs  entre- 
tiens antérieurs  avec  Sorbière,  de  vanter  le  philosophe  anglais. 

La  lettre  de  Mersenne,  reHgieux  minime,  est  vraiment  stupéfiante 
et  vaut  d'être  citée  tout  entière  :  «  J'apprends,  très  docte  Sorbière, 
que  vous  emportez  avec  vous  à  La  Haye  ce  remarc^uable  ouvrage  sur 
le  Citoyen  de  l'incomparable  M.  Hobbes,  ce  grand  trésor  httéraire, 
enrichi  de  pensées  nouvelles,  qui  aplanissent  toutes  les  difficultés 
d'une  façon  satisfaisante.  Voyez  donc  à  trouver  un  remarquable 
imprimeiu"  qui  pubhe  ce  hvre  d'or,  enrichi  et  orné  de  pierreries,  et  ne 
nous  laissez  pas  languir  trop  longtemps.  Mais  sm-tout  pressez  l'auteur 
de  votre  mieux  afui  que  le  corps  entier  de  sa  philosophie,  qu'il  condense 

1.  Cui  vacabit  accurate  librum  perlegere  et  dicta  singula  perpendere,  niulta  posset 
fortasse  annotare  non  bene  cohserentia.  (Ibidem,  fol.  57  recto). 

2.  L'édition  de  1642  n'était  qu'un  essai  que  Hobbes  comptait  bien  retoucher  :  Librum 
de  Cive  (cujus  pauca  duntaxat  exemplaria  Parisiis  1642  evulgaverat)  revisit  et  notis 
utilibus  adauxit.   (Vitœ  Hobbianœ  Auctarium,  Th.  Hobbes  Opéra  philosopMca,  t.  I, 

p.   XXXIII,    Edit.    MotESWOTtTH). 

3-4.  Quod  addis  autem  potuisse  te  ante  discessum  extorquere  ab  Eximio  illo  Hobbio 
id  exemplum  libri  de  Cive,  cui  ipse  manu  propria  marginaleis  notas  apposuit,  ut,  cum 
isthue,  ubi  te  voveo  incolumeni,  perveneris,  edi  iterato  procures,  id  summopere  delec- 
tavit.  Videlicet  tam  pauca  fuere  excusa  libri  exemplaria,  ut  illa  sui  sitim  potius  fecerint , 
quam  expleverint  ;  siquidem  innumeros  video,  qui  librum  ardenter  sed  frustra  requi- 
rant.  (Gassendi  à  Sorbière,  Parisiis,  4  Kal.  Maii,  1646.  B.  N.  Ms.  fr.  10352,  t.II,  fol.  79). 


§  B.  DISCIPLES  EN  FEANCE   :  m.  —  SAMUEL  SORBIÊRE  215 

en  son  esprit  et  développe  par  la  plume,  ne  reste  pas  ensuite  enferme 
dans  une  cassette,  détermination  qui  nous  serait  fatale  ;  autrement, 
il  nous  contraindi'ait  d'en  appeler  enfin  au  roi  pour  obtenir  l'autorisa- 
tion d'enfoncer  l'envieuse  cassette.  Quel  vif  plaisir  vous  ressentirez 
avec  nous  quand  vous  verrez  cette  noble  philosophie  aussi  bien  démon- 
trée que  les  Eléments  d'EucHde  !  Vous  renoncerez  de  bon  cœur  à  la 
suspension  du  jugement  et  aux  autres  sornettes  des  Sceptiques,  quand 
vous  serez  forcé  d'avouer  que  la  philosophie  dogmatique  repose  sur 
des  appuis  inébranlables  ^.  » 

Cette  lettre  est  du  25  avril  1646.  Quelques  jours  après,  Gassendi 
écrivait  de  son  côté  à  Sorbière  :  '■<  C'est  assurément  un  ouvrage  [le 
De  Cive]  hors  du  commun  et  digne  d'être  manié  par  tous  ceux  qui  ont 
le  goût  des  choses  élevées.  Si  je  mets  à  part  ce  qui  regarde  la  Religion 
cathohque,  sur  laquelle  nous  sommes  en  désaccord,  je  ne  connais 
aucun  écrivain  qui  scrute  plus  profondément  que  lui  le  sujet  qu'il 
traite  dans  le  De  Cive  -.  Plût  à  Dieu  que  vous  lui  eussiez  aussi  arraché 
les  autres  parties  de  son  œuvre  déjà  composées  !  En  les  pubhant 
vous  rendriez  souverainement  heureuse  toute  la  gent  philosophique 
qui  raisonne-  soHdement.  Car,  en  vérité,  personne  que  je  sache  ne  se 
montre  en  philosopliant  plus  affranchi  de  préjugés  ;  personne  ne 
pénètre  plus  avant  dans  les  matières  sur  lesquelles  il  disserte  ^.  » 

Il  est  étrange,  assurément,  que  des  écrivams  aussi  graves  que  Gas- 
sendi et  Mersemie  *  aient  pu  si  complaisamment  fermer  les  yeux  sur 

1.  En  audio,  Doctissime  Sorberi,  tecuna  illud  egregium  opus  de  Cive  incomparabilis 
Dni  Hobbii  ad  Hagam  Coniitis,  hoc  est  ingentem  thesaixnmi  Literarium,  tulisse,  novis 
auctum  cogitationibus  quse  singulis  difficultatibus  satisfacientes  planum  iter  exhi- 
beant.  Vide  igitur  ut  quis  egi-egius  typographus  librum  illum  avireum,  gemmis  auctiun 
et  ornatum,  in  lucem  edat,  neque  diutius  patiajis  a  nobis  desiderari,  Sed  auctorem  pro 
viribus  urgeas  ne  totum  corpus  philosophicum,  quod  mente  prenait  et  calamo  explicat, 
deineeps  arca  (nobis  fatali)  concludat,  ne  tandem  nos  ad  autoritatem  regiam  provo- 
care  cogat,  qua  ipsius  arcam  invidam  effringamus.  Quanta  autem  voluptate  nobiscum 
afiScieris,  qxiando  videris  nobilem  illani  philosophiam,  non  minus  quam  Eufclidis 
elementa  demonstrari!  Quam  libenter  illi  tuse  Epochae  et  Sctpticis  nseniis  renuntia- 
turus  es,  ciun  Dogmaticam  firmissimis  ionixam  fulcris  fateri  cogeris.  (Mersenne  à  Sor- 
bière, Orléans,  25  a\Til  1646.  B.  N.  :Ms.  Fonds  lat.  10352,  t.  II,  fol.  78  verso). 

2.  Gassendi  accueillit  également,  avec  un  enthousiasme  inconsidéré,  un  autre  ouvrage 
de  Hobbes,  le  De  Cor  pore.  —  Thomas  Hobbius  Gassendo  charissimus,  cujus  libellumde 
CoRPORE  manibus  Pratsei  nostri,  paucis  ante  obitum  mensibus,  accipiens,  osculatus 
est  subjungens  :  Mole  quidem  parviis  est  iste  liber,  veram  totus,  ut  opiner,  medulla 
scatet  fSoRBiÈRE,  De  Vita  et  Moribus  P.  Gassendi,  Prsefat.  [non  paginée],  p.  22-23, 
en  tête  des  Opéra  Gassendi). 

3.  Et  liber  certe  est  non  \'ulgaris  dignusque  qui  omnium,  qui  altiora  eapiunt,  manibuS 
teratur  ;  neque  (si  illa  seposuero,  quae  Religionem  chatolicam  [sic]  (*),  in  qua  sumus 
ï-.tylrjfjtrji^  adtinent)  scriptorem  agnosco,  qui  hoc  argumentum  scrutetur,  quam  ille, 
profundiuB.  Utinam  vero  caetera  etiam,  quae  ille  versa  vit  perinde  extorsisses;  quippe 
et  de  ipsis  in  lucem  prolatis  summe  béasses  nationem  totam  philosophantiuin  solide  ; 
cum  ego  quidem  neminem  norim,  qui  .sit  in  ter  philosophandum  magis  a  prœjiidiciia 
liber,  quique  penitius  quicquid  rerum  edisseruerit,  introepiciat.  (Gassendi  à  Sorbière, 
Ibidem,  t.  II,  fol.  79). 

4.  Il  faut  noter  cependant  que  Gassendi,  du  moins,  fait  une  réserve  formelle.  Mersenne, 
qui  n'en  fait  aucune,  comprit  sans  doute,  à  la  réflexion,  qu'il  était  allé  trojD  loin,  car, 
plus  tard,  il  écrit  à  Sorbière  pour  lui  recommander  de  ne  point  imprimer  la  lettre 

(a)  Ce  mot  mal  orthographié,  que  le  texte  imprimé  par  Sorbière  n'a  pas,  est  ajouté,  dans  le  manus- 
crit, au-dessus  de  Religionem. 


216      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

tant  d'erreurs  dangereuses  que  contient  le  De  Cive  ^  et  qui  seront  signa- 
lées en  temps  et  lieu.  Mais  on  avouera  que  des  éloges  si  chaleureux, 
venant  de  personnages  si  autorisés,  étaient  bien  de  nature  à  faire 
revenir  Sorbière  du  jugement  défavorable  que,  livré  à  lui-même,  il 
avait  porté  sur  le  livre  de  Hobbes.  Cette  circonstance  doit  atténuer 
le  reproche  de  versatilité  qu'on  est  en  droit  de  lui  adresser.  Il  aurait 
peut-être  hésité  à  changer  si  radicalement  d'opinion,  s'il  avait  eu 
connaissance  de  l'appréciation  ferme  et  judicieuse  que  Descartes, 
qu'il  proclame  l'un  des  «  deux  plus  grands  philosophes  du  siècle  », 
avait  émise,  dès  1642,  sur  le  De  Cive  ^. 

Arrivé  en  HoUande,  vers  la  fin  d'avril  1646,  Sorbière  s'installa, 
en  qualité  de  médecin,  à  Leyde  et  se  mit  sans  retard  à  l'œuvre  pour 
réaliser  son  double  dessein  d'éditeur  et  de  traducteur.  Mais  les  choses 
n'allèrent  pas  aussi  vite  que  ses  désirs.  «  Après  toutes  sortes  de  mésa- 
ventures et  de  négociations  »  ^,  la  nouvelle  édition  latine,  revue  et 


favorable  au  De  Cive,  parce  que,  sans  être  utile  au  succès  du  livre,  elle  pourrait  nuire 
beaucoup  à  lui-même  :  Quseso  vero  caveas  ne  verbvUum  epistolse,  quod  miseram  in 
gratiam  libri  De  Cive,  imprimatur,  quippe  quod  libro  nil  prodesset,  mihi  plurimum 
nocere  posset.  (Mersenne  à  Sorbière,  Paris,  5  nov.  1646,  en  post-scriptum,  Epistolœ 
ad  Sorherium,  IBidem,  t.  II,  fol.  87). 

1.  Les  éloges  de  Gassendi  et  de  Mersenne  pariu-ent  excessifs  à  Hobbes  lui-mêine,  qui 
a  le  bon  sens  et  le  bon  goût  de  les  traiter  d'  «  hyperboliques  »:«...  et  D.  Gassendus 
et  R.  P.  Mersennus  librum  illum  hyperbolice  laudarunt,  mihi  certe  potius  quam  ipsis 
satisfacientes...  (Hobbes  à  Sorbière,  Paris,  16  mai  1646,  dans  Epistolœ  illustrium  et 
eruditorum  virorum  (ad  Sorberium),  Paris,  1669,  p.  574).  On  trouve  aussi  cette  lettre 
dans  Epistolœ  ad  Sorberium,  Bibl.  Nat.,  Ms.,  Ibidem,  t.  II,  fol.  79  verso. 

2.  Descartes,  ayant  reçu  un  exemplaire  du  De  Cive,  se  montra  plus  perspicace  que 
Sorbière  en  devinant  le  nom  de  l'auteur,  et  plus  sage  que  Mersenne  et  Gassendi  en 
réprouvant  sa  doctrine.  Descartes  répond  à  un  Père  Jésuite,  «  particulièrement  versé 
dans  les  Mathématiques  »,  son  parent  par  alliance,  qui  l'avait  consulté  sur  l'ouvrage 
de  Hobbes.  Voici  son  jugement  :  «  Tout  ce  que  je  puis  dire  du  livre  de  Cive,  est  qvie  je 
juge  que  son  autheur  est  le  mesme  que  celuy  qui  a  fait  les  troisièmes  objections  contre 
mes  Méditations,  et  que  je  le  trouve  beaucoup  plus  habile  en  Morale  qu'en  Métaphysi- 
que ny  en  Physique  ;  nonobstant  que  je  ne  puisse  aucunement  approuver  ses  principes 
ny  ses  maximes,  qui  sont  très -mauvaises  et  tres-dangereuses,  en  ce  qu'il  suppose  tous 
les  hommes  médians,  ou  qu'il  leur  donne  sujet  de  l'estre.  Tout  son  but  est  d'écrire  en 
faveur  de  la  Monarchie  ;  ce  qu'on  pourroit  faire  plus  avantageusement  et  plus  solide- 
ment qu'il  n'a  fait,  en  prenant  des  maxiines  plus  vertueuses  et  plus  solides.  Et  il  écrit 
aussi  fort  au  desadvantage  de  l'Eglise  et  de  la  Religion  Romaine,  en  sorte  que,  s'il 
n'est  particulièrement  appuyé  de  quelque  faveur  fort  puissante,  je  ne  voy  pas  com- 
ment il  peut  exempter  son  livre  d'estre  censuré.  »  (Lettre  au  Père  ***.  Le  destinataire 
n'est  pas  nommé  et  la  lettre  n'est  pas  datée.  Mais  elle  est  probablement  de  1642, 
date  de  l'apparition  du  De  Cive).  Cf.  Edit.  Adam,  t.  IV,  p.  67,  1.  10. 

Descartes  laisse  entendre  dans  sa  lettre  (p.  66,  1.  16)  que  le  destinataire  habite  Paris, 
puisqu'il  peut  voir  le  Père  Bourdin.  Or,  sur  un  catalogue  de  la  fin  de  1642  {anno  1642 
exeunte)  relatant  les  noms  et  emplois  des  Jésuites  de  la  Province  de  Paris,  je  lis,  pour 
le  collège  de  Clermont,  le  nom  du  P.  Pierre  Bourdin,  professeur  de  Mathématiques 
(Prof.  Mathem.)  et  celui  de  son  collègue,_le  P.  Denys  Atjger,  professeur  de  Physique 
(Prof,  Physicœ).  Serait-ce  le  nom  du  destinataire  ?  Ce  n'est  point  certain,  parce  que 
alors  le  mot  Physique  avait  le  sens  très  large  de  Philosophie  naturelle  . 

3.  M.  André  Morize  a  raconté  en  détail  la  cuiùeuse  histoire  de  la  réédition  latine  du 
De  Cive  et  de  sa  traduction  française  par  Sorbière,  dans  un  article  intitulé  :  Thomas 
Hobbes  et  Sainuel  Sorbière.  Note  sur  V introduction  de  Hobbes  en  France.  Cf.  Revue 
germanique,  1908,  p.  195-204.  —  L'auteur  a  eu  le  tort  de  traduire,  d'après  le  texte 
rapporté  par  Sorbière,  ce  passage  de  la  lettre  de  Mersenne,  citée  plus  haut  :  «  Quam. 


§  H.  DISCIPLES  EN  FRANCE   :   III.  —  SAMUEL  SORBIÈRE  217 

augmentée  cruiie  Préface  et  du  portrait  de  Fauteur,  recommandée 
enfin  par  les  lettres  de  Mersenne  et  de  Gassendi,  que  Sorbière  eut  l'in- 
délicatesse de  publier  en  tête  de  l'ouvrage,  parut  en  1647  à  Amster- 
dam ^.  On  y  a  reproduit  le  frontispice,  gravé  poiu*  l'édition  de  1642, 
dont  les  figures  correspondent  aux  trois  parties  de  l'œuvre  :  Liberté^ 
Empire,  Religion. 

Mersenne,  nous  l'avons  noté,  avait  écrit  à  Sorbière  de  ne  point 
imprimer  son  épître  élogieuse  sur  le  De  Cive.  Eut-il  vent  de  l'intention 
que  Sorbière  avait  de  la  faire  paraître  et,  connaissant  son  homme, 
craignait-il  qu'il  passât  outre  à  la  défense  ?  Toujours  est-il  que  le 
savant  religieux  crut  opportun  de  réitérer  sa  demande  en  ces  termes  : 
«  Est-ce  que  vous  nous  auriez  aussi  rendu  à  Gassendi  et  à  moi  un  mal- 
heiu'eux  office,  celui  d'insérer  nos  petites  lettres  laudatives  ?  Je  veux 
en  douter.  Il  y  a  longtemps  que  je  vous  avais  prié  de  n'en  rien  faire. 
Car  comment  nous  serait-il  possible  d'approuver  ce  qui  est  dit,  au 
rebours  de  notre  sentiment  et  de  notre  foi,  siu*  la  Religion  ?  Ayez  donc 
soin,  si  l'imprudence  a  été  commise,  de  supprimer  la  reproduction 
des  lettres.  Cependant  c'est  à  peine  si  j'ose  vous  imputer  une  si  grande 
imprudence  :  comment  quelqu'un,  qui  veille  chaque  jour  à  la  santé 
des  corps,  enlèverait-il  le  principe  de  la  vie  ?  ^  » 

Il  y  avait  en  effet  près  de  cinq  mois  que  Mersenne  avait  prié  Sor- 
bière de  ne  ])oint  publier  sa  lettre  laudative  (diu  est  quod  te  oraverim  ne 
id  fieret)  ^.  Mais  Sorbière  s'était  bien  gardé  de  renseigner  sur  ce  jîDint 
son  ami,  quand  il  lui  annonça  l'apparition  du  De  Cive  *.  Mis  en  demeure 

libenter  illi  tuse  Epochse  et  Scepticis  naeniis  renuntiaturus  es...  »,  de  la  façon  suivante  : 
Sorbière  était  connu  pour  verser  un  peu  «  dans  les  doctrines  de  la  Sceptique  et  les 
bagatelles  de  l'époque.  »  Sorbière  avait  dû  écrire  :  Epoque,  c'est-à-dire  reproduire  à  la 
française  le  mot  'Kr^o/ri  (suspension  du  jugement)  cher  aux  Sceptiques.  —  Il  y  a  encore 
quelques  autres  inexactitudes  :  vg.  il  date  du  21  juin  une  lettre  du  21  mai  1646. 

1.  La  difFiusion  de  l'oiivrage  fut  si  raj^ide  que,  dans  une  lettre  du  19  août  1647,  Sor- 
bière annonçait  à  Hobbes  que  tous  les  exemplaires  étaient  vendus.  Mais,  comme  de 
toute  part  on  en  réclame  par  centaines  à  l'éditeur  fcum  tamen  undique  centena  ab  ipao 
expetantur),  celui-ci  demande  qu'on  procède  à  un  nouveau  tirage.  (Sorbière  à  Hobbes, 
Leyde,  19  août  1647,  Epistolœ,  t.  I,  fol.  110).  Hoolbes,  qui  était  souffrant,  fit  traîner 
sa  réponse.  C'est  seulement  le  27  novembre  qu'il  donna  son  consentement  et  envoya 
une  feuille  qui  ne  contient  que  des  corrections  typogi-aphiques,  car,  pour  la  doctrine, 
«  il  ne  voit  rieii  à  ajouter,  rien  à  retrancher  n.  Nihil  auteni  in  eo  folio  continetur  prœter 
errata  quœdam  prioria  impressionis  ;  non  enini  habeo  quicquam  quod  addam  aut  demam, 
(Hobbes  à  Sorbière,  Paris,  27  nov.  1647,  Ibidem,  fol.  93  verso). 

2.  An  vero  nobis  etiam  (a),  puta  mihi  et  Gassendo  infelix  illud  ofïicium  praestiteris 
ut  nostrse  literulse  laudatorise  insertae  fuerint,  dubito  ;  diu  est  quod  te  oraverim  ne  id 
fieret  ;  quid  enim,  an  fieri  potest  ut  quod  de  Religione  dicitur  contra  nostrum  sonsum 
nostramqi;e  fidem,  probaremus  ?  Vide  ergo  ut  si  hoc  imprudenter  factum  esset,  rescin- 
datur  ;  quanquam  vix  tantam  imprudentiam  imputare  \olim,  qui  enim  corporum  saluti 
quotidio  invigilas,  qui  vitse  principium  tollas  ?  (Mersenne  à  Sorbière,  Paris,  21  mara 
1647,  B.  N.  Ms.,  Ibidem,  t.  II,  fol.  90  verso). 

3.  La  lettre,  dans  laquelle  Mersenne  fait  cette  demande,  est  du  5  nov.  1646  ;  celle 
où  il  la  renouvelle  est  du  21  mars  1647. 

4.  Sorbière  écrit  à  Meisenno  le  10  mars  1647  :  Ante  mensem  misi  ego  per  amicunx 
quendam  libri  sui  [Hobbii]  exemplar  unum,  quod  viginti  alia  prope  diem  sequentur  ; 
miror  non  accepisse  (Epistolœ  Sorberii,  Ibidem,  t.  I,  fol.  105  recto).    Le  même  jour, 

(a)  Mersenne  fait  ici  allusion  aux  ennuis  que  l'initiative  trop  entreprenante  de  Sorbière  avait  causés 
à  Hobbes.  Il  commence  en  effet  sa  lettre  en  se  faisant  l'écho  des  plaintes  de  Hobbes,  «  qui  maxime 
dolet  quod  ex  tuo  sensu  ctireris  inscuipi  prseceptoreiu  et  sub  effigie.  »  (Ibidem). 


218      ARTICLE  n.  CHAPITRE  VI.  —  INTLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

de  s'expliquer  par  la  nouvelle  instance  de  Mersenne,  il  lui  envoie 
enfin  cette  réponse  rassurante  :  «  Aucune  lettre  ni  de  vous  ni  de  Gas- 
sendi n'a  été  mise  en  tête  de  l'ouvrage.  Qu'une  faute  si  légère  de  ma 
part  ne  le  détourne  pas  à  l'avenir  de  me  confier  quelque  commission, 
car  désormais  je  serai  plus  circonspect  et  m'abstiendrai  soigneusement 
de  toute  œuvre  surérogatoire  »  ^.  Or,  examinant  l'édition  du  De  Cive 
de  1647,  j'ai  bel  et  bien  constaté  la  présence  des  Epîtres  de  Gassendi 
et  de  Mersenne.  Comment  concilier  ce  fait  indéniable  avec  l'affirma- 
tion catégorique  rapportée  plus  haut  ?  Comment  sortir  de  cette  im- 
passe ?  Voici  la  solution  qui  me  semble  la  plus  probable.  Pour  la  com- 
prendre il  faut  se  rappeler  que  le  prompt  écoulement  ^  du  De  Cive 
avait  nécessité  un  second  tirage  en  cette  même  année  1647. 

M.  Mt)rize  ^  a  eu  en  main  un  exemplaire  du  premier  tirage  conte- 
nant, avec  le  portrait  de  Hobbes  accompagné  d'une  inscription  et 
de  vers  latins,  les  Épîtres  laudatives  de  Mersenne  et  de  Gassendi. 
Il  est  claii',  d'après  cela,  que  Sorbière  n'avait  pas  tenu  compte  de  la 
requête  de  Mersenne.  Ce  dernier,  quand  il  écrivait  la  lettre  que  nous 
avons  citée,  ignorait  encore  ce  qui  s'était  passé  ;  mais,  craignant  que 
Sorbière  n'ait  commis  l'imprudence  de  publier  les  Épîtres  compro- 
mettantes, Àl  le  prie,  s'il  en  est  ainsi,  de  la  réparer  en  les  suppri- 
mant. 

Sorbière  s'est-il  exécuté  ?  S'il  s'agit  du  second  tirage,  on  doit  ré- 
pondre négativement,  car  les  exemplaires'  de  ce  tirage  reproduisent 
les  deux  lettres.  Reste  la  ressource  du  premier  tirage.  Lorsque  Sor- 
bière répond  catégoriquement  à  Mersenne  que  les  deux  lettres  n'ont 
pas  été  mises  en  tête  du  De  Cive,  cette  affirmation,  vu  la  date  de  la 
réponse  (15  avril  1647),  ne  peut  se  rapporter  qu'au  premier  tii'age. 
Le  dire  de  Sorbière  doit  être  vrai,  au  moins  partiellement  ;  sinon, 
étant  donnée  la  rapide  diffusion  du  De  Cive,  Mersenne  et  Gassendi 
auraient  pu,  à  bref  délai,  après  la  réception  de  l'ouvrage,  convaincre 
lem*  correspondant  de  mensonge.  Pour  changer  cette  conjectiu?e 
en  certitude,  il  faudrait  pouvoir  montrer  quelques  exemplaires  du- 
premier  tirage  qui  ne  renferment  pas  les  fameuses  Épîtres.  Or,  à  force 
de  recherches,  j'ai  fini  par  découvrir,  à  la  Bibliothèque  Xationale  *, 


Sorbière  écrit  à  Hobbes  :  Minim  est,  Vir  darissime,  te  nullas  a  nobis  dudum  Epistolas, 
neque  illud  ipsum  Exemplar  libri  tui  accepisse  quod  compactum  tradidi  29  Januarii 
nostrati  cuidam  Lutetiam  transituro.  (Sorbière  à  Hobbes,  Leyde,  10  mars  1647,  Epis' 
tolce...,  t.  I,  fol.  104  verso)» 

1.  Epistolse  nidlse  praemissas  sunt  tuas  neque  D.  Gassendi,  quem  absit  tani  levé  pec- 
catum  nostnim  avertere  quominus  quid  curae  nostrae  commitere  vellet  ;  ero  enim  in 
posterum  cautior  et  ab  operibus  sxipererogationis  diligenter  abstinebo.  (Sorbière  à 
Mersenne,  Leyde,  15.a\Til  1647,  Ibidem,  t.  II,  fol.  110). 

2.  Au  milieu  d'aoât  1647,  Sorbière  écrit  à  Hobbes  :  «  Hier,  Louis  Elzévier 
est  venu  me  voir  poui'  ni'informer  qu'il  ne  restait  plvis  un  seul  exemplaire  de  votre 
ouvrage.  »  {Ibidem,  T-  I.  fol.   111  ve.so). 

3.  Cf.  A.  MoRiZE,  Th.  Hobbes  et  S.  Sorbière,  Rk\tte  gebmanique,  1908,  p.  202. 

4.  Cote  de  ce  précieux  exemplaire  :  *  E  3666.  —  L'exemplaire  du  second  tirage  a 
poiu-  cote  :  *  E  1557.  Voici  en  quoi  diffèrent  ces  deux  exemplaires.  Le  premier  compte 
19  feuilles  liminaires  plus  une  feuiUe  blanche  ;  408  pages.  Le  second  a  24  feuilles  limi- 
naires, plus  3. feuilles  blanches;  403  pages.  De  plus,  dans  le  premier,  les  Lettres  de 


§  B.   DISCIPLES  ES  FRANCE   :   in.  —   SAMUEL  SORBIÊRE  219 

im  spécinien  du  premier  tkage,  d'où  ces  Épîtres  sont  absentes.  Il  est 
donc  certain  (car  ce  spécimen  ne  doit  pas  être  seul  de  son  espèce)  ^ 
que  Sorbière  les  a  supprimées,  du  moins  sur  un  certain  nombre  d'exem- 
plaires. 

A  quel  moment  fit-il  cette  suppression  ?  On  peut,  je  crois,  le  déter- 
miner sûrement,  ce  qui  confii'mera  la  conjecture  précédente. 

Croyant  faire  plaisir  à  Hobbes,  Sorbière  lui  expédia  la  première 
feuUle  imprimée  du  De  Cive,  où  se  trouvait  une  estampe  représentant 
le  philosophe  avec  cette  inscription  :  Sere.nissimo  Principi  Walliœ 
Prœpositus  a  Studiis,  et  accompagnée  de  vers  latins.  Hobbes  fut, 
au  contraire,  très  mécontent  de  cette  exhibition  intempestive.  11 
écrivit  aussitôt  à  Sorbière,  le  pressant  de  la  supprimer  pom'  trois 
raisons.  D'abord,  comme  il  faut  s'attendre  à  ce  que  la  doctrine  du 
li\-re  fasse  quelque  scandale,  il  tient  à  n'engager  que  lui  sans  mêler 
au  risque  le  nom  du  Prhice.  Ensuite,  affecter  d'étaler  ainsi  un  carac- 
tère officiel,  pomTait  lui  susciter  des  obstacles  le  jour  où  il  chercherait 
à  rentrer  en  Angleterre  ^.  Enfin,  l'inscription  est  inexacte,  car  il  n'est 
pas  le  Précepteur  du  Prince  de  Galles.  Il  lui  donne  simplement  quelques 
leçons.  Ses  ennemis  (et  ils  ne  sont  pas  en  petit  nombre)  le  taxeraient 
d'ambition  s'il  se  parait  de  ce  titre  menteur.  Il  regrette  que  tant 
d'exemplaires  soient  déjà  vendus.  Mais  que  Sorbière  s'emploie  de 
tout  son  pouvoii'  à  faire  retrancher  le  plus  tôt  possible  des  exemplaires 
restants  le  portrait  ou  l'inscription,  mieux  encore,  l'une  et  l'autre. 
Qu'il  l'obtienne  des  Elzéviers,  soit  par  prière,  soit  à  prix  d'argent. 
Sil  faut  payer,  il  le  fera  volontiers,  pom'vu  que  la  somme  ne  soit  pas 
trop  gi'ande  ^. 

Sorbière  se  conforma  à  la  volonté  de  Hobbes,  car,  dans  l'exemplaire 
dont  nous  faisons  état,  on  constate  la  disparition  du  portrait  et  de 
l'inscription.  Les  Lettres  de  Mersenne  et  de  Gassendi  y  sont  égale- 
ment supprimées.  N'est-il  pas  tout  indiqué  de  concliu-e  que  Sorbière 
mit  à  profit  l'occasion  de  la  suppression  exigée  par  Hobbes  pour 
accomplh-   celle   qu'implorait  Mersenne,    d'autant    plus    que  l'ordre 

Mersenne  et  de  Gassendi  sont  absentes  ;  elles  figurent  dans  le  second.  —  Le  portrait  de 
Hobbes  avec  l'inscription  et  les  vers  est  supprimé  dans  les  deux.  —  Les  frontispices 
gravée  en  tête  de  l'ouvrage  sont  différente. 

1.  Lee  exemplaires  de  cette  espèce  ne  peuvent  pas  être  très  nombreux,  car  une 
lettre  de  Hobbes,  citée  plus  bas,  nous  apprend  qu'au  moment  où  se  fit  la  suppression 
de  son  portrait  et,  \Taisemblablenient,  des  deux  Lettres,  un  grand  nombre  d'exem- 
plaires le  contenant  avaient  été  déjà  mis  en  circulation. 

2.  Hobbes  à  Sorbière,  Paris,  22  mars  1647,  Epietolœ  Sorberii...,  t.  II,  fol.  91,  recto. 

3.  ...  Non  sum  enim  Praeceptor  Prineipis  WaUiae  nec  omnino  Domesticus  (quae  causa 
tertia  est  quare  nollem  titulum  illum  suscribi),  sed  qualis  quilibet  eorum  qui  doeent  in 
mensem,  itaque  mentitum  me  esse  dicent  prse  ambitione  qui  mihi  maie  A-olunt,  sunt 
ii  non  pauci.  Doleo  ergo  tôt  Exemplaria  jam  tmissa  divenditaque  esse.  Sed  quia  id 
corrigi  non  potest,  demus  quseso  operain  ut  ab  iis  Exemplaribufl  quae  apud  Elzevirios 
reliqua  sunt,  Effigies  vel  Inscriptio,  maJJem  uti-aque,  quamprimum  tollatur,  idque 
priusquam  ulla  in  Angliam  transmittantur.  Hoc  ab  Elzeviriis  vel  prece,  vel  pretio 
impetrandum  est...  (Hobbes  à  Sorbière,  même  Lettre,  Ibidem,  fol.  91  recto  et  verso). 
Comme  la  chose  lui  tient  à  cœur,  U  y  revient  dans  un  Postscriptum  :  Mersennus  et  oinnes 
amici  noetri  permagni  dicunt  interesse  et  mei  et  Prineipis  Walliae  ut  inscriptio  vel  potius 
tota  Effigies  tollatur.  Si  ut  fiât  opus  sit  peooxùa  non  nimis  magna,  solvam  libenter. 


220      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

du  premier  et  la  demande  du  second  sont  de  la  même  époque  ?  ^ 
Une  question  ultérieure  se  pose.  Comment  se  fait-il  que  les  Épîtres 
laudatives  reparaissent  dans  le  second  tirage  de  1647  ?  Ici,  je  ne  vois 
aucune  réponse  vraiment  satisfaisante.  Il  semble  impossible  d'ad- 
mettre que  Mersenne  et  Gassendi  sollicités  par  Sorbière  aient,  de  guerre 
lasse,  accordé  l'autorisation  nécessaire.  On  a  supposé  que  Sorbière 
s'était  passé  de  leur  permission,  comptant  qu'aucun  exemplaire 
du  nouveau  tirage  n'arriverait  jusqu'à  eux,  parce  qu'ils  étaient  déjà 
en  possession  de  l'œuvre  ^.  Si  l'on  considère  la  conduite  louche  * 
que  Sorbière  eut  dans  toute  cette  affaire,  force  est  de  reconnaître 
que  la  supposition  n'est  pas  absolument  invraisemblable.  Mais  elle 
charge  si  gravement  sa  mémoire  que,  faute  d'indice  positif,  on  ne 
sain^ait  s'y  arrêter. 

Il  m'est  venu  à  l'esprit  une  autre  hypothèse  qui  paraît  mériter  un 
meilleur  accueil.  Ce  sont  les  imprimeurs  qui,  pour  faire  honneur  à 
Hobbes,  eurent  l'idée  de  mettre  son  portrait  en  tête  du  De  Cive  *. 

1.  La  lettre  de  Mersenne  est  du  21  mars  ;  celle  de  Hobbes,  du  22.  Cf.  supra,  p.  217  ;  219. 

2.  M.  Fekdinand  Tônnies  a  en  effet  suggéré  cette  supposition  ;  mais,  tout  en  la 
jugeant  vraisemblable,  il  incline  vers  une  autre  explication  qui  n'est  pas,  me  semble- 
t-il,  acceptable.  Voici  son  texte  :  Im  Uebrigen  aber  weiss  ich  keine  Erklarung,  wenn 
man  nicht  vermuten  darf,  es  seyen  die  Briefe  (welcl  e  in  der  Duodez-Ausgabe  immer 
4  Seiten  einnehmen)  in  einem  Telle  der  ersten  Auflage,  um  die  beiden  geistlichen 
Herren  zu  beruhigen,  unterdriickt  worden,  die  2.  aber  unverandert  in  die  Welt  hinaus- 
gesandt,  in  der  Erwartung,  dass  kein  Exemplar  davon  jenen  vor  die  Augen  kommen 
werde.  Jedoch  glaube  ich  eher,  dass  die  obige  Stelle  im  Originale  anders  gelautet  hat, 
worauf  auch  das  folgende  Zugestândniss  eines  leichten  Vergehens  gegen  Gassendi 
hinzuweisen  scheint  (F.  Tônnies,  Siebzehn  Briefe  des  ThoDias  Hobbes  an  Samuel  Sor- 
bière,  nebst  Briefen  Sorbière's,  Mersenne^s  u.  Aa.  Herausgegeben  und  erlàutert  von 
Ferdinand  Tônnies,  inKiel,  dans  Archiv  fctr  Geschichte  der  Philosophie,  t.  III 
(1890),  p.  202,  note  2). 

3.  Aux  indications  déjà  données  on  peut  ajouter  la  suivante  :  Comment  Sorbière,  qui 
savait  pertinemment  le  contraire,  peut-il  assurer,  sans  la  moindre  restriction,  «  qu'au- 
cune lettre,  ni  de  Mersenne,  ni  de  Gassendi,  n'a  été  rhise  en  tête  du  De  Cive  »  (Epistolœ 
nullœ  prœmissœ  sunt  tuœ  neque  D.  Gassendi)  ?  Dans  une  lettre  antérieure,  Sorbière  a 
écrit  à  Hobbes  qu'il  lui  avait  envoyé  un  exemplaire  ànDe  Cive  (Cf.  swpra,  p.  217,  n.  4). 
Cet  exemplaire  ne  devait  pas  contenir  les  Lettres  ;  autrement  l'affirmation  si  catégori- 
que de  Sorbière  ne  se  comprendrait  pas,  parce  que  Hobbes  et  Mersenne  auraient  de 
quoi  le  convaincre  d'imposture,  quand  l'exemplaire  annoncé  leur  sera  parvenu.  Pour 
sortir  d'embarras,  on  peut  supposer  que,  dès  le  principe,  afin  de  cacher  son  jeu,  Sorbière 
avait  retranché  de  quelques  exemplaires  les  Epîtres  laudatives.  Ce  serait  l'un  des 
exemplaires  ainsi  truqués  qu'il  aurait  expédié  à  Paris.  Cette  supposition  est  peu  hono- 
rable pour  son  caractère.  On  peut  en  proposer  une  autre  moins  odieuse.  Sorbière,  quoi 
qu'il  en  dise,  n'avait  peut-être  encore  envoyé  à  Paris  aucun  exemplaire.  Voici  le  faible 
indice  qui  appuie  cette  conjecture.  D'après  Sorbière  lui-même  (Cf.  supra,  p.  217,  n.  4), 
l'exemplaire  destiné  à  Hobbes  est  parti  pour  Paris  le  29  janvier.  Or,  un  mois  après,  le 
destinataire  n'a  rien  reçu  et  s'en  étonne.  Etrange,  en  effet,  s'il  est  vi-ai,  comme  l'écrit 
Sorbière,  qui  s'en  étonne  aussi  (miror,  miruni  est)  ou  feint  l'étonnement,  s'il  est  vrai- 
qu'il  a  confié  le  livre  avec  une  lettre  à  un  ami  sûr  en  partance  pour  Paris. 

4.  Magno  redemptum  vellem,  Vir  Révérende,  ne  typographus  titulos  D.  Hobbii 
exprimere  voluisset,  at  honoris  id  causa  factum,  neque  in  suspicionem  cuiquain  nostrum 
venit  rem  fore  noxiam  Auctori,  quamvis  ne  gi-ata  omnino  esset  Vire  môdestissimo  et 
supra  omnera  laudem  posito  dubitarem.  Verum  néscit  vox  missa  reverti  et  scriptum 
scriptum  est,  ut  vix  ulla  diligentia  emendari  queat.  (Sorbière  à  Mersenne,  15  avril  1647, 
Epistolœ...,  t.  I,  fol.  109  verso.  —  On  a  vu  cependant  que  Sorbière  fit  si  bien  qu'il 
réussit  à  obtenir  la  suppression  des  Lettres). 


§  B.   DISCIPLES   EN  FRANCE    :   III.   —  SAMUEL  SORBIÈRE  221 

Ne  serait-ce  pas  les  Elzéviers  qui  prirent  aussi  l'initiative  de  repro- 
duire, dans  le  second  tirage,  les  Letti-es  que  Sorbière  fit  retrancher 
d'une  partie  des  exemplaires  du  premier  ?  Cette  conjecture  n'est  pas 
injurieuse  pour  les  éditeurs,  comme  la  précédente  l'était  pom-  Sor bière, 
du  moins  au  même  degré.  Car  les  Elzéviers  n'étaient  pas  liés  d'amitié 
avec  Mersenne  et  Gassendi.  C'étaient  des  protestants,  auxquels 
devait  échapper  la  délicatesse  des  motifs  de  réserve  qui  dictaient 
leur  démarche  aux  deux  prêtres  français.  Commerçants,  ils  ne  virent 
sans  doute  dans  la  publication  des  Lettres  de  recommandation  qu'une 
fructueuse  réclame  pour  le  livre. 

La  traduction  française  du  De  Cive  ne  parut  que  deux  ans  après 
la  réédition  latine,  sous  ce  titre  interminable  :  Elemens  philosophiques 
du  Citoyen,  où  les  Foridemens  de  la  Société  civile  sont  descouverts  par 
Thomas  Hobbes  et  traduicts  en  François  par  un  de  ses  amis  (Amster- 
dam, 1649)  1.  On  voit,  en  tête  de  l'ouvrage,  les  Lettres  de  Gassendi 
et  de  Mersenne,  mais  cette  fois  traduites  par  Sorbière  d'une  façon 
libre,  qui  va  même  çà  et  là  jusqu'à  l'infidéhté. 

Dans  VE pitre  dédicatoire,  le  traducteur  jugea  prudent  de  ne  point 
se  solidariser  avec  les  opinions  du  philosophe  anglais  :  ((Je  ne  suis  pas 
garant  de  toutes  les  propositions  qu'il  y  avance  (dans  l'ingénieux 
tissu  de  ses  remarques),  sur  tout  en  la  troisième  partie  »  ^,  qui  traite 
de  la  ReHgion.  Il  se  sent  plus  à  l'aise  ensuite  pour  couvrir  d'éloges 
l'auteur  du  De  Cive  et  rappeler  ((  la  particulière  amitié  dont  M^  Hobbes 
l'iionore  »  ^.  Cependant  les  réserves  formulées  ne  suffirent  point  à 
prévenu'  ((  les  soupçons  de  ceux  qui,  nous  dit-il,  ne  connaissent  pas 
assez  ma  franchise  »  *.  Il  profita  d'un  nouveau  tirage  de  sa  traduction 
pour  y  insérer  un  Advertissement  du  traducteur  adjousté  après  la  publi' 
cation  de  cet  ouvrage  ^,  où  il  tâche  de  se  justifier  plus  pleinement. 

1.  Il  y  eut,  en  1649,  trois  impressions  consécutives  de  cette  traduction  à  Amsterdam. 
Il  en  parut  une  quatrième  à  Paris  en  1651.  L'édition  de  Paris  ajoute  le  mot  a  bon  »  : 
«  Elemens  philosophiques  du  bon  citoyen  «,  et  :  <<  Traicté  politique  y>  où  les  fondcmens...  » 
—  En  1660,  paraissait  à  Paris  une  autre  traduction  :  Les  Elemens  de  la  Politique  de 
Monsieur  Hobbes.  De  la  Traduction  du  sieur  du  Verdus. — Valentin  Conrart  apprécie 
la  traduction  de  Sorbière  avec  beaucoup  d'indulgence  :  «  J'ay  veu  ici  la  traduction 
d'un  livre  latin  fait  par  im  M.  Hobs  [sic]  qui  traite  de  la  politique  d'une  manière  assez 
méthodique  et  judicieuse.  Le  traducteur,  qui  se  nomme  M.  Sorbière,  a  le  stile  beau  et 
fleury,  et  l'on  voit  bien  qu'il  a  pris  soin  de  le  former  sur  celuy  des  meilleurs  écrivains 
que  nous  ayons  aujourd'huy.  Il  est  seulement  un  peu  difïus,  mais  comme  je  croy  qu'il 
est  encore  assez  jeune,  il  se  resserrera  sans  doute  avec  l'âge,  comme  font  ordinairement 
les  grans  personnages.  »  (Valentin  Conra^t  à  André  Rivet,  Paris,  3  fév.  1650,  dans  Valentin 
Conrart...,sa  Vie  et  sa  Correspondance,  par  R.  Kerviler  et  Ed.  de  Barthélémy,  p.  534- 
535,  Paris,  1881). 

2-3.  Sorbière,  EpHre  dédicatoire,  p.  x  et  xn,  t.  I,  Œuvres  philosophiques  et  politiques 
de  Thomas  Hobbes,  Neufchatel,  1787.  Xous  renverrons  à  cette  édition. 

4.  Sorbière,  Œuvres  philosophiques...,  t.  I,  Avertissement  [pas  paginé],  p.  2. 

5.  Contrairement  à  l'usage,  Sorbière  dut  placer  son  «  Advertissement  »  à  la  fin  de 
l'ouvrage,  parce  qu'il  ne  1'  <  adjousta  »  que  dans  une  réimpression.  —  Sorbière  a  repro- 
duit cet  «  Advertissement  »  sous  ce  itre  :  Discours  sur  la  version  de  la  Politique  de  31.  Hob- 
bes faite  en  Hollande  en  1648,  dans  ses  Lettres  et  Discours...,  p.  221-232.  Il  s'est  borné  à 
changer  quelques  mots  (vg.  Politique,  p.  225,  au  lieu  de  Docteur)  et  à  supprimer  qixelques 
phrases  (vg.  p.  227,  celle  relative  à  la  Religion  réformée  qu'il  avait  quittée).  En  revanche, 
il  a  ajouté  la  phrase  finale  (p.  232)  et  appelé  par  leurs  noms  (p.  231)  Descartes  et  Gas- 
sendi, auxquels,  dans  1'  «  Advertissement  »  primitif,  il  n'avait  fait  qu'une  simple  allusion. 


222      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

Sa  justification  n'est  point  convaincante  ^.  Il  prétend  (est-ce  bien 
croyable  ?)  qu'il  n'a  «  mis  en  notre  langue  les  raisonnemens  de  ce 
philosophe  à  autre  dessein  que  d'exciter  les  doctes  à  en  entreprendre 
la  réfutation  »  -.  On  dirait  que  le  souvenir  de  sa  paUnodie  lui  pèse  et 
qu'il  cherche  à  l'excuser  à  ses  propres  yeux,  quand  il  écrit  :  «  ...  N'étant 
pas  tousjours  disposés  d'une  même  sorte,  combien  de  fois  nous  peut-il 
arriver  de  changer  de  sentiment  et  de  comprendre,  en  une  lecture 
réitérée,  ce  par-dessus  quoi  nous  avons  passé,  et  que  nous  n'avions 
pas  entendu  à  la  première  »  ^. 

Encouragé  par  le  succès  rapide  de  cette  traduction  du  De  Cive, 
Sorbière  s'appliqua  à  rendre  le  même  service  au  De  Corpore  pôlitico, 
or  the  Eléments  of  Law  moral  and  jjolitich. ..,  que  Hobbes  publia  en  1650 
à  Londres.  L'œuvre  du  traducteur  parut  en  1652,  à  Leyde,  sous  ce 
titre  compliqué  :  Le  Corps  politique  ou  les  Eléments  de  la  Loy  morale 
et  civile,  avec  des  Re flexions  sur  la  Loy  de  Nature,  sur  les  Serments, 
sur  les  Pacts  [sic]  et  les  diverses  sortes  de  Gouvernemens,  leurs  changemens 
et  leurs  révolutions,  par  Thomas  Hobbes.  Traduit  d'Anglois  en  Fran- 
çois par  un  de  ses  amis  ^.  L'ouvrage  reproduit  le  frontispice  étrange 
que  Hobbes  avait  mis  en  tête  du  Léviathan  ^. 

De  Paris,  le  1^^^  février  1658,  Sorbière  envoya  à  Hobbes  une  longue 
lettre,  où,  après  lui  avoir  parlé  de  la  fondation  de  l'Académie  des 
Physiciens  pour  la  recherche  des  causes  naturelles,  qui  se  réunissait' 
chaque  semaine,  depuis  le  18  décembre  1657,  chez  M.  de  Montmor, 
il  lui  transcrit  les  statuts  de  ce  docte  cénacle  ^.  Chemin  faisant,  il  ne 
manque  pas  de  complimenter  le  philosophe  anglais  et  de  lui  parler 
de  leurs  amis  communs,  Gassendi  et  Mersenne.  Il  rappelle  un  joU 
mot  de  Hobbes  sur  le  Père  Minime  :  «  . . .  Nous  ne  pouvons  point  pro- 
fiter [à  l'Académie]...  de  la  diligence  et  de  la  facilité  du  bon  ReHgieux, 
que  vous  nommiés  si  galamment  le  bon  larron,  pource  qu'il  estoit 
continuellement  en  action  j)our  recueilKr  les  raisonnemens  d'autruy 
et  pour  en  faire  part  à  tous  ceux  qui  les  vouloient  entendre  »  '. 

Au  nombre  de  ceux  qui  prirent  part  aux  réunions  de  cette  Aca- 
démie, «  véritable  berceau  de  l'Académie  des  Sciences  »  ^,  on  peut  citer, 

1.  SoRBiÈKE,  Avertissement...,  p.   8-13. 

2.  Sorbière,  Avertissement...,  p.  1. 

3.  Sorbière,  Averti sset)ient...,  p.  3. 

4.  Cette  traduction,  moins  le  frontispice,  fut  réimprimée  en  1653. 

5.  Cf.  infra.  Article  III,  ch.  V,  p.   418. 

6.  Sorbière  à  Hobbes,  dans  Lettres  et  Discours...,  p.  631-636.  —  En  1663,  les  réunioiis 
de  cette  Académie,  devenue  languissante,  furent  transférées  chez  Charles  d'Eseoubleau, 
marquis  de  Sourdis  :  Qui  convenire  solebant  viri  docti  rerum  physicarum  studiosi  in- 
sedibus  Illustrissimi  Montmorii,  nunc  ad  Soardisium  confluent,  sed  numéro  pauciorœ 
et  brevi  tempore  nuUi  plane  futuri,  quive  se  conferre  velint  (Sorbière  à  Hobbes,  Paris, 
2  janv.  1663,  Epistolœ,  t.  I,  fol.  314.  Il  tâcha  d'intéresser  Colbertàla  reconstitution 
de  cette  Académie,  Ibidem,,  p.  354  verso.  —  Mais  peine  inutile  :  le  28  mare  166ô,  il 
informait  Sluse  que  des  intrigants  avaient  fini  par  étouffer  l'Académie  de  Montmor 
(Ibidem,  fol.  365,  verso). 

7.  Sorbière  à  Hobbes,  même  Lettre,  dans  Lettres  et  Discours,  p.  635.  —  Mersenne  était 
mort  en  1648,  et  Gassendi  en  1655. 

8.  G.  BiGOtTRDAN,  Les  réunions  du  P.  Mersenne  et  l' Académie  de  Montmor,  daa» 
Comptes  Rendus  de  l'Académie  des  Sciences,  1917,  t.  CLXIV,  p.  131,  note  2,  fin). 


§  B.   DISCIPLES  EN  FRAKCE   :   m.  —  SAMUEL  SORBIÈEE  223 

outre  Montmor  qui  en  était  le  modérateur,  Clerselier  ^,  Pecquet,  du 
Prat,  RohauLt,  Chapelain,  Roberval  ^,  Huet  ^.  «  Nous  avons  veu, 
écrit  Sorbière,  dans  cette  Assemblée,  des  premiers  hommes  de  la  Robe, 
des  Cordons  bleus,  des  Ducs  et  Pairs,  et  de  grands  Prélats  »  *. 

Si  l'on  en  croit  le  même  témoin,  les  résultats  acquis  n'étaient  guère 
encourageants  :  «...  Il  y  a  bien  de  la  vanité  en  tout  ce  à  quoy  les 
hommes  s'occupent,  et  en  tout  ce  qu'ils  établissent  le  mieux  par  leurs 
raisonne  mens.  Je  m'en  rapporte  à  une  Assemblée  où  l'on  cherche 
depuis  deux  ans  quelques  principes  généraux  siu'  lesquels  on  puisse 
raisonner  de  concert  sm*  les  choses  naturelles,  de  quoy  on  ne  sauroit 
venir  à  bout.  De  sorte  que  sur  les  plus  ordinah'es  questions  et  siu'  les 
plus  sensibles  matières,  il  y  a  de  continuels  dissentimens  ;  et  toujours 
il  se  trouve  une  douzaine  d'anges  destructeurs,  qui  abbattent  en  un 
moment  les  travaux  qu'un  beau  génie  aura  faits  avec  bien  du  temps 
et  de  la  peine  »  ^. 

Parmi  ses  manuscrits,  Sorbière  avait  laissé  une  Relation  ou  Mémoire 
sur  la  Gom^Mgnie  qui  commença  de  s'assembler  chez  Monsieur  de  Mont- 
mor, le  dix-huitiè7ne  Décembre  1657,  pour  la  recherche  des  causes  natu- 
relles ^.  Cette  «  Relation  »,  si  elle  avait  été  conservée,  nous  aurait  ren- 
seignés sur  la  nature  des  questions  agitées  dans  la  docte  «  Compagnie  ». 
Sorbière  a  pubHé  quelques-uns  des  Discours  qu'il  y  avait  prononcés. 
Leur  énumération  donnera  une  idée  du  genre  des  sujets  traités  : 
Du  froid  des  Fiebvres  intermittantes ,  Du  mouvement,  De  la  raréfaction, 
Le  peu. de  cognoissance  que  nous  avo7is  des  choses  naturelles  ne  nous  doit 
pas  destourner  de  leur  estude,  De  la  vérité  de  nos  cognoissances  natureUes, 
De  la  source  des  diverses  opinions  sur  une  mesme  matière  '. 

Esprit  curieux,  ouvert,  enclin  à  «  la  sceptique  »  ^,  Sorbière  avait 
beaucoup  de  lectm^e  et  partant  d'érudition.  Plus  érudit  que  savant, 
il  se  faufilait  dans  la  compagnie  des  hommes  de  science  en  France 
et  à  l'étranger,  «  chez  qui  il  cherchoit  à  se  fourrer,  à  la  faveur  du  nom 
et  du  mérite  de  son  oncle  »  ^,  se  tenant  aux  écoutes  pour  apprendre 

1.  Cf.  Baillet,  La  Vie...,  t.  II,  p.  347. 

2.  Cf.  Sorbière,  Lettres  et  Discoma,  p.  23,  64,  192,  194,  704. 

3.  Cf.  supra,  Chapitre  I,  p.  16,  n.  5. 

4.  SOEBiÈHE,  Lettres  et  Discours,  p.  201. 

5.  SoBBLÈRE,  Lettre  à  M.  Boudon,  14  février  1659,  dans  Lettres  et  Discours,  p.  144-145. 
Les  réunions  avaient  commencé  le  18  décembre  1657.  L'Académie  ne  fonctionnait 
donc  que  depuis  un  an  et  deux  mois. 

6.  Cf.  Graverol,  Sorb^riana,  p.  28-29.  Ecrivant  à  Mazarin,  le  10  février  1659, 
Sorbière  lui  dit  qu'il  a  «  charge  de  dresser  loa  Mémoires  j>  de  cette  Académie,  Lettres  et 
Discours,  p.   23. 

7.  Cf.  -Lettres  et  Discours...,  pp.  60  ;  181-189  ;  190-193  ;  193-202  ;  694-700,  701-704. 

8.  C'est  le  mot  de  Mersenne  à  son  endroit.  —  Citons  un  passag*»  où  Sorbière  parle  en 
probabihste  qui  se  contente  des  vraisemblances  et  des  conjectures  :  «  ...  Dès  qu'on  s'est 
apperceu  que  les  plus  grands  Clercs  ne  sont  pas  toujours  les  plus  fins,  on  se  résout  à 
supporter  patiemment  l'ignorance  des  œuvres  de  la  Nature  et  à  se  contenter  par  l'at- 
tente d'une  meilleure  \-ie,  en  laquelle  Dieu  changera  nos  conjectures  en  démonstra- 
tions. »  (Sorbière,  Lettre  à  M.  Petit,  Conseiller  du  Roi  et  Intendant  de  ses  Fortificationg, 
Lettres  et  Discours,  p.  678-679).  Sorbière  conclut  en  ces  termes  sa  seconde  Lettre  à 
Petit  :  «  Je  ne  dis  rien  si  affirmativement  qu'il  n'y  faille  tousjours  suppléer  le  ftut-estre 
et  le  il  me  semble.  »  (Ibidem,  p.  693-694). 

9.  BAiLtET,  La  Vie...,  t.  H,  L.  VI,  Ch.  IX,  p.  170. 


224      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

les  nouvelles  ;  il  faisait,  comme  le  Père  Mersenne,  l'office  de  «  bon 
larron  »,  peut-être  même  parfois  de  mauvais  larron,  si  Ton  en  croit 
Bouillier,  «  en  publiant  ce  qu'il  avait  retenu  de  leurs  conversations  »  ^ 
[des  savants].  Volontiers  éditeiu*  ou  traducteur  des  œuvres  d'autrui  2, 
complimenteur  sans  retenue  pour  se  faire  bien  venir  des  personnes 
de  marque  ou  pour  avancer  sa  fortune,  quémandeur  inlassable,  vulga- 
risateur, dans  un  style  çà  et  là  alambiqué  et  filandreux,  des  questions 
à  l'ordre  du  jour,  écrivain  fécond,  qui,  sans  produire  un  seul  ouvrage 
saillant,  a  laissé,  en  divers  genres,  de  courts  traités  sous  forme  de 
Lettres,  de  Discours  ou  de  Relations,  sans  compter  quelques  manus- 
crits, correspondant,  dans  un  style  latin  plus  agréable  que  son  fran- 
çais, avec  beaucoup  d'hommes  éminents  de  son  époque  ^,  tour  à  tour 
médecin,  régent  de  collège,  abbé  au  petit  collet.  Sorbière,  qui  ne  vécut 
que  soixante  ans,  peut  se  flatter  d'avoir  fourni  une  carrière  active  et 
très  remplie. 

En  philosophie,  comme  dans  les  sciences,  ce  ne  fut  qu'un  amateur. 
Il  était  trop  superficiel  *  et  trop  éparpillé  pour  être  un  vrai  philosophe 
et  un  vrai  savant  ^.  Mais,  à  coup  sûr,  ce  n'était  pas  un  esprit  insigni- 

1.  Fr.  Bouillier,  Histoire...,  T.  I,  Ch.  XXV,  p.  540.  —  Baillet  dit  de  son  côté  : 
«  C'étoit  [Sorbière]  un  homme  d'esprit  et  de  sçavoii-,  qui  faisoit  sa  principale  étude  de 
rechercher  les  Scavans  répandus  dans  l'Europe,  et  de  profiter  plus  de  leurs  conversations 
que  des  livres...  »  Baillet  signale  «  cette  légèreté  avec  laquelle  il  avoit  coutume  de  débiter 
tout  le  mal  qu'il  sçavoit,  ou  qu'il  croyoit  sçavoir  des  plus  grands  honmes  de  son  têms, 
chez  qui  il  cherchoit  à  se  fourrer  à  la  faveur  du  nom  et  du  mérite  de  son  oncle,  ou  sous 
le  prétexte  d'apprendre  des  nouvelles  de  Sçavans  aux  Sçavans,  et  de  se  rendre  leur 
facteur.  Il  avoit  un  talent  particulier  pour  découvrir  les  défauts  de  ceux  qui  le  recevoient 
à  leur  table  et  jusque  dans  leur  cabinet...  »  ^aillet,  La  Vie...,  t.  II,  Ibidem,  p.  167 
et  170). 

2.  Outre  V  Utopie  de  Thomas  Morus,  le  De  Cive  et  le  De  Corpore  politico  de  Hobbes, 
Sorbière  avait  traduit  les  njipM-niyi:  l'-oTj-wtrî'.;  de  Sextus  Empiricus  et  la 
Britanniœ  Descriptio  de  William  Camden  (1551-1623).  A  propos  de  Sextus  Empiricus, 
voir  les  Lettres  de  Sorbière  à  M""  du  Bosc,  Conseiller  et  Secrétaire  du  Roi,  dans  Lettres 
et  Discours,  p.  151-181.  Dans  la  première  des  deux  Lettres  (Lettre  XXIX,  Paris, 
15  janvier  1656)  à  M.  du  Bosc,  Sorbière  résume  les  13  premiers  chapitres  de  sa 
traduction  de  Sextus  Empiricus.  Dans  la  seconde  (Lettre  XXX,  Paris,  19  jan- 
vier 1656),  il  en  résume  le  14^  chapitre.  En  voici  le  début  :  «  Je  vous  envoieray 
un  Abbregé  que  j'ay  trouvé  parmy  mes  j^apiers  et  duquel  plusieurs  de  mes  amis  ont 
voulu  avoir  des  copies.  Les  Sceptiques  rapportoient  tous  les  argumens,  par  lesquels  ils 
tâchoient  de  renverser,  non  la  Vérité,  mais  la  Méthode  par  laquelle  on  prétend  la 
découvrir,  à  dix  Moyens  d'Epoche,  c'est-à-dire  de  suspendre  le  jugement.  Ces  Moyens 
sont  comme  autant  de  canons  dont  ils  battent  en  ruine  les  Dogmatiques...  »  (Ibidem, 
p.  169-170).  L'abrégé,  dont  parle  Sorbière,  est  une  Lettre  adressée  de  La  Haye  à  M.  de 
la  Chevalerie,  le  9  mai  1649,  et  dont  une  copie  se  trouve  à  la  Bibl.  Xat.,  Ms.  F.  fr., 
Xouv.  acq.,  15209,  fol  157-166.  La  traduction  de  Sextus  ne  fut  pas  publiée.  Sorbière 
dut  se  contenter  d'en  communiquer  le  manuscrit  à  ses  amis  ou  naême  d'en  faire  un 
simple  résumé.  C'est  ce  résumé  qu'il  a  reproduit  dans  son  recueil  de  Lettres  et  Discours. 

3.  Cf.  infra,  p.  226. 

4.  Le  jugement  général,  que  Voltaire  a  porté  sur  Sorbière,  est  plus  juste  que  sa 
critique  de  la  Relation  d'un  Voyage  en  Angleterre  (Cf.  supra,  p.  199,  n.  1:  «Il  [Sorbière] 
effleura  beaucoup  de  genres  de  science  ».  (Catalogue  de  la  plupart  des  Ecrivains  français 
qui  ont  paru  dans  le  siècle  de  Louis  XIV,  article  Sorbière,  Œuvres,  t.  XIV,  p.  138, 
Paris,  damier,   1878). 

5.  On  lit  dans  les  Menagiana  :  «  On  trouve,  dans  Suidas,  ce  passage,  qui  ne  peut  être 
que  d'un  ancien  :  'Apta-otlX-r,;  -r,;  oJaîto;  vpauuaTtJî  t,v,  ':ôv  y.àAaiJtov  àiio^péyw/ 
£'.;  vo'jv,  qui  marque  k  qu'Aristote  était  le  secrétaire  de  la  nature  et  qu'il  avait  trempé 


§  B.   DISCIPLES   EN  FRANCE    :   HI.   SAMUEL  SORBIÈRE  225 

fiant.  Le  nombre  et  la  qualité  de  ses  correspondants,  qui  lui  écrivent 
comme  à  un  homme  avec  lequel  il  est  avantageux  d'être  en  relation, 
le  cas  qu'on  faisait  de  son  amitié  ^  suffisent  à  l'établir.  C'est  un  de  ces 
personnages  de  second  plan,  qui  se  remuent  beaucoup  et  tâchent 
par  leur  zèle  agité  de  se  donner  de  l'importance.  A  regarder  son  allure, 
on  le  prendrait  pour  la  mouche  du  coche  scientifique  au  xvt:!^  siècle. 
En  somme,  on  peut  souscrire  au  jugement  que  Chapelain,  le  dispen- 
sateur des  grâces  et  des  pensions,  a  porté  sur  son  compte  :  k  II  [Sor- 
bière]  n'est  pas  sans  lumière  et  sans  sçavoù*,  mais  il  ne  voit  et  ne  sçait 
rien  à  fonds,  et  donnant  à  tout  il  parle  à  tâtons  des  choses  qu'il  ignore, 
comme  est  la  Philosophie  ancienne  et  nouvelle,  qu'il  ne  fait  qu'ef- 
fleurer ^,  celles  même  dont  il  a  quelque  connoissance,  comme  l'histoire 
des  bonnes  Lettres  et  les  nouvelles  pubhques  ;  tout  ce  qu'il  fait  a 
pour  but  la  fortune,  et  point  la  gloire  ;  ce  qui  est  cause  qu'il  passe 
par  tout  pour  adulateur  de  ceux  dont  il  espère,  et.  pour  satyi'ique 
contre  ceux  qui  ne  lui  donnent  pas  ce  qu'il  prétend.  Son  stile  latin  est 
assez  pur  et  noble,  et  il  parle  mieux  françois  que  le  commun  des  Lan- 
guedociens »  ^. 

30    UN  PHÉNOMÈNE    BIBLIOGRAPHIQUE 

Par  manière  d'épilogue  nous  raconterons  un  fait  assez  étrange 
([ui   achèvera  de   caractériser   l'homme   que  fut   Sorbière.    En    1669 

ea  plume  dans  le  bon  sens  ".  Ménage  brave  le  bon  sens  quand  il  ose  ajouter  :  «  J'ai 
appliqué  cet  éloge  à  M.  de  Sorbière  dans  mes  Observations  sur  Diogène  Laerce,  l''^  édi- 
tion, p.  13  et  2e  édition,  p.  211  »  (Menagiana,  t.  Il,  p.  410,  Paris,  1715). 

1.  -Voici,  par  exemple,  le  témoignage  de  Michel  de  MaroUes,  abbé  de  Villeloin  : 
«  ...  Je  célèbre  comme  une  conqueste  l'amitié  d'un  homme  docte.  C'est  pourquo /  j'eus 
tant  de  joye  quand  celle  de  M.  de  Sorbières  me  fut  procurée  par  l'abbé  de  Verdus, 
celuy-ci  de  Guienne  et  l'autre  de  Provence,  [c'est  une  erreur],  et  tous  deux  si  sçavants 
dans  les  connoissances  de  la  Philosophie  et  des  Lettres  humaines.  "  (Les  Mémoires  de 
Michel  de  MaroUes...,  Paris,  1656,  l'e  Partie  (année  1655),  p.  199).  Cf.  II^  P.,  p.  276.  — 
Dans  la  Suitte  des  Mémoires  contenant  dotize  Traitez  sur  divers  Sujets  curieux...  (Paris, 
1657),  MaroUes  reproduit  un  certain  nombre  de  Discours  sceptiques  de  3Ionsieur  S[amuel] 
S[orbière]  soxis  le  nom  d'Alethophile,  p.  5  sqq.  Dans  la  Dédicace  de  cette  Quatrième 
Partie  de  ses  Mémoires  à  M''  de  Mon-mor,  MaroUes  parle  ainsi  de  Sorbière  :  a  Vous 
connoistrez  bien  par  là.  Monsieur,  que  j'entreprens  la  défense  d'une  bonne  cause  contre 
un  Adversaire  éloquent,  qui  nous  imposeront  presque  une  obligation  de  croire  qu'il  parle 
selon  ses  sentimens,  par  le  choix  qu'il  a  fait  du  nom  d'Alethophile  qu'il  se  donne,  si 
nous  ne  sçavions  d'ailleurs  qu'il  est  trop  éclairé  pour  l'avoir  fait  autrement  que  par 
manière  de  récréation,  bien  que  je  souhaitterois  qu'on  ne  mist  jamais  en  jeu  les  Ques- 
tions sérieuses  que  pour  les  agit«r  sérieusement  et  selon  les  persuasions  de  son  cœur.  » 
(Ibidem,  p.  4,  §  Un  sçavant  homme).  Sorbière  lui-même,  dans  le  Discours  «  pour  montrer 
que  Paris  et  les  François  ne  sont  pas  exempts  de  toute  sorte  de  Barbarie  »,  s'exprime  ainsi  : 
a  ...  Je  suis  assez  Sceptique  en  ces  matières  et  ne  raisonne  guère  sm*  des  sujets  de  ceste 
nature  que  par  forme  d'honneste  divertissement,  qui  vaut  bien  celuy  que  les  autres 
prenent  aux  jeux  ou  à  la  promenade  »  {Mémoires  de  MaroUes,  Quatrième  Partie,  p.  54 
§  Je  le  fis.  ) 

2.  Pour  la  Philosophie  d'Epicire,  par  exemple,  il  ne  fait  que  s'inspirer  de  Gassendi 
dans  ses  Lettres  à  Mgr  César  d'Estrkes,  évêque  de  Laon,  duc  et  pair,  dans  Lettres  et 
Discours...,  p.  245-312. 

3.  J.  Chapelaix,  Mémoire  de  quelques  gens  de  Lettres  vivants  en  1662,  dressé  par  ordre 
de  M.  Colbert,  dans  Mélanges  de  Littérature  tirez  des  Lettres  inédites  de  M.  Chapelain 
[par  Camtjsat],  Paris,  1726,  p.  195-196. 

15 


226      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

paraissait  à  Paris  un  petit  in- 12,  vrai  phénomène  bibliographique, 
qui  commençait  à  la  page  433  et  finissait  à  la  page  600.  C'était  un 
recueil  de  «  Lettres  »  adressées  à  Sorbière  par  «  des  personnages  il- 
illustres  et  érudits  »  (Vivorum  illustrium  et  eruditorum  Epistolœ). 
Or,  à  la  page  595,  un  Avertissement  au  lectem",  rédigé  par  Sorbière 
lui-même  mais  dans  le  style  indirect,  comme  si  un  tiers  inconnu  tenait 
la  plume,  est  censé  donner  le  mot  de  l'énigme.  En  réahté  il  semble 
destiné  à  donner  le  change  sur  les  vrais  motifs  de  la  pubUcation. 

Ces  lettres,  nous  confie  l'anonyme,  écrites  à  un  personnage  très 
célèbre,  furent  à  son  insu  subrepticement  enlevées  peu  à  peu  aux  écrins 
qui  les  contenaient,  par  son  fils  dans  le  but  téméraire  de  les  faire  impri- 
mer. L'édition  était  parvenue  à  la  page  595  quand  Sorbière  eut  con- 
naissance de  l'entreprise.  Enflammé  d'une  violente  indignation  il 
{M-donna  de  livrer  le  tout  à  Vulcain.  Mais  quelques  lettres,  qui  per- 
mettent de  juger  si  les  autres  avaient  mérité  un  meilleur  sort,  furent 
arrachées  au  dieu  trop  lent  dans  sa  marche  ^. 

Les  pièces  sauvées  de  l'incendie  (on  ne  dit  pas  par  quelles  mains 
complaisantes)  sont  précisément  celles  qui  remphssent,  de  la  page  433 
à  la  page  595,  la  fin  de  ce  volume,  dont  le  reste  aurait  été  la  proie  des 
flammes.  Voici  les  noms  des  principaux  correspondants  de  Sorbière: 
G.-I.  VossiiTS,  Claude  Saumaise,  Samuel  Petit,  le  Cardinal  Bar- 
BERiNi,  SuAREZ,  évêquc  de  Vaison,  le  Caudinal  Azzolini,  Gassendi, 
Ren.-Pr.  de  Sluse,  Alex.  More,  André  Rivet,  Hobbes,  Mersenne, 
H.  BoRNius,  le  PÈRE  Annat,  le  Cardinal  Jules  Rospigliosi  ^.  On 
avouera  que  le  hasard  avait  eu  la  main  heureuse  dans  le  sauvetage 
des  Lettres.  La  plupart  de  ces  illustres  correspondants  ne  sont 
représentés  que  par  un  petit  nombre  de  lettres  ;  tandis  que,  à  lui 
seul,  le  cardinal  J.  Rospighosi  en  a  41  3.  Pour  s'exphquer  cette  dis- 
proportion évidemment  volontaire,  il  suffit  de  savoir  que  ce  cardinal 
devint  pape  en  1667,  que  Sorbière  fit  le  voyage  de  Rome  pour 
assister  à  son  exaltation  et  qu'il  est  lui-même  l'auteur  de  la  pubh- 
cation.  Ce  dernier  point  n'est  pas  douteux.  Le  rédacteur  de  l'Avea:- 
tissement  y  cachait  si  mal  son  jeu  qu'il  fut  facile  de  le  deviner.  Gra- 

1.  Hue  ventum  erat  [c'est-à-dire  à  la  page  595  de  l'impression],  inscio  viro  percelebri, 
ad  quem  hse  Epistolse  scriptse  sunt  et  cui  filius  sensim  ex  scriniis  siibripuerat,  ut  temere 
typographo  edendas  traderet,  cum  Sorberius  vehementer  excanduit  et  Vulcano  ista 
cuncta  tradi  jussit.  Verum  pauca  tardipedi  deo  erepta  fuere,  ex  quibus  licet  œstimare 
an  caetera  sortem  meliorem  meruerant  (Virorutn  illustrium  et  eruditorum  Epistolœ 
p.  595-596).  —  Cet  ouvrage,  qui,  au  dire  d'ANTOiNE-AtEXANDUE  'BAUBiEufCatalogUe 
de  la  Bibliothèque  du  Conseil  d'Etat,  Paris,  l'an  XI,  t.  I,  p.  574,  n.  6147)  ne  fut  tiré  qu'à 
60  exemplaires,  est  très  rare.  Il  est  con  ervé,  comme  curiosité  bibliographique,  à  la 
Bibliothèque  nationale  (Imprimés,  avec  la  cote:  Réserve  Z  4039.);  on  le  trouve 
aussi,  aux  Manuscrits  de  la  même  Bibliothèque,  Fonds  latin,  10353. 

2.  A  ces  noms  on  peut  ajouter  les  suivants,  tirés  du  Recueil  des  Lettres  restées 
manuscrites  :  Fermât,  Baltjze,  Heereboord,  cardinal  Mazarin,  de  Marca,  Patin, 
Ch.  Spon,  Père  Rapin,  etc. 

3.  Les  nombreuses  Lettres  de  Sorbière  au  cardinal  Jules  RospUgiosi  se  trouvent 
Bibl.  Nat.  Ms.  F.  lat.  10352,  t.  I,  Index,  fol.  8  verso  à  9  verso  ;  celles  à  Jacques  Ros- 
pigliosi, neveu  du  précédent.  Ibidem,  fol.  9  verso  à  10  recto.  —  Lettres  de  Jacq.  Rospi- 
gliosi à  Sorbière,  Ibidem,  t.  II,  fol.  18  recto.  —  Lettres  du  cardinal  Jules  Rospigliosi, 
Ibidem,  fol.  17  verso  à  18  recto. 


§  B.   DISCIPLES  EN  FRANCE   :   III.  —  SAMUEL  SOEBIÊRE  227 

rerol,  si  indulgent  poui*  Sorbière,  n'hésite  pas  à  dire  qu'il  u  fit  impri- 
mer un  recueil,  ou,  pour  mieux  dire,  un  fragment  de  Lettres  Illustrium 
et  eruditorum  Virorum,  dans  lequel  il  afecta  par  vanité  de  fourrer 
toutes  les  Lettres  qu'il  avait  reçues  du  Pape  Clément  IX,  lorsqu'il 
n'étoit  que  cardinal  RospigUosi...  Il  est  certain,  Monseignem*,  qu'il 
ne  fit  imprimer  ce  recueil,  qui  n'avoit  ni  commencement  ni  fin,  que 
pom*  justifier  son  voiage  de  Rome...  ^  » 

Un  second  but  aussi  intéressé  que  le  premier,  mais  plus  avouable, 
avait  inspiré  la  teneur  de  l'Avertissement  :  celui  d'amorcer  l'édition 
des  propres  Lettres  de  Sorbière.  Sous  le  voile  de  l'anonyme  il  se  taille 
sans  vergogne  cette  réclame  chaleureuse  :  «  Plaise  à  Dieu  que  les  Lettres 
de  Sorbière,  beaucoup  plus  nombreuses  que  celles-ci,  puissent  quelque 
jour  être  pubHées  !  Car  on  serait  assuré  d'y  Hre  des  renseignements 
innombrables  concernant  l'histoire  de  la  littérature  et  des  hommes 
de  lettres  de  son  époque,  avec  lesquels,  durant  toute  une  période  de 
cinquante  ans  ^,  il  entretint  des  relations  famihères,  renseignements 
que  cet  excellent  homme  avait  écrits  à  ses  amis  avec  sincérité,  comme 
on  dit,  et  agrément.  Si  par  hasard  ils  tombent  entre  vos  mains,  ils 
méritent  que  vous  les  transmettiez  à  quelques  Blavius  ou  Elzeviers, 
car  ils  attestent  que  l'éloquence  de  l'auteur  était  assaisonnée  de 
poivre  et  de  sel.  Vous  en  jugerez,  lecteur  instruit,  par  l'échantillon 
épistolaire  qui  suit  »  ^. 

Sans  doute  les  Lettres  de  Sorbière,  adroitement  communiquées 
sous  le  manteau,  ont  trouvé  plus  «  d'un  lectem*  instruit  »  ;  mais  elles 
n'ont  pas  encore  trouvé  d'éditem*.  Néanmoins  elles  ne  sont  pas  com- 
plètement perdues  pour  la  postérité.  Hemi  Sorbière  s'est  chargé, 
comme  d'un  devoù*  fihal,  de  les  réunir  et  de  les  classer  *.  L'auteur  de 

1.  Graverol,  Métnoires...,  p.  13-14.  — Xiceron  (Mémoires...,  t.  IV,  p.  96-97,  Paris, 
1728)  s'est  approprié  ce  témoignage  de  Graverol  sans  indiquer  sa  source.  . 

2.  On  saisit  là  sur  le  vif  un  exemple  d'exagération  vaniteuse.  En  effet,  si  l'on 
retranclie  50  ans  de  1669,  date  de  l'apparition  des  Virorum  illustriuyn  Epistolœ,  on 
obtient  1619.  Or  Sorbière  est  né  en  1610  ;  il  avait  donc  9  ans  en  1619.  C'est  alors,  si 
l'affirmation  de  Sorbière  était  exacte,  qu'il  aui-ait  commencé  à  correspondre  avec  «  les 
Hommes  illustres  '  de  l'Europe.  Quelle  précocité...  inouïe  ! 

3.  Utinam  quse  Sorberii  erant  Epistolae  hisce  multo  plures  aliquando  possent  in 
lucem  prodire  ;  leaerentur  enim  procul  dubio  innumera  ad  rem  literariam  et  literatoruni 
6ui  temporis,  quibuscum  egit  faniiliariter  annos  quiuquaginta  totos,  liistoriam  spectan- 
tia,  quœ  candide,  aiunt,  et  jucunde  amicis  vir  optimus  perscripserat.  Quœ  si  forte 
in  manus  tuas  perveniant,  digna  sunt  certe  quse  ad  Bla\dos  vel  Elzeviros  aliquos  trans- 
mittas  ;  pipere  enim  et  sale  conditam  fuisse  viri  facundiam  perhibent.  Judicabis  lector 
eruditus  ex  Epistola  sequenti.  (Virorum  illustrixwi...,  p.  596).  —  Cette  lettre  choisie 
que  Sorbière  avait  placée  là  pour  amorcer  la  publication  des  autres,  est  adressée,  de 
Rome,  le  13  septembre  1667,  au  neveu  de  Clément  IX,  Jacques  Rospigliosi,  abbé 
de  Sainte-Marie,  qui  devint  cardinal.  (Ibidem,  p.  597-600). 

4.  Epistolœ  Samueijs  Sorbière  ad  illustres  et  eruditoa  viros  scriptœ,  in  quitus  7nulta 
continentur  ad  rem  literariam  sui  temporis  illustrandam,  scilicet  ad  Historiam  naturalcm, 
Philosophiam,  Theologiam  et  ad  hominum  mores  digiwscendos.  Accedunt  illustrium  et 
eruditorum  ad  eumdem  Epistolœ.  Itemque  Catalogus  et  Index  rerum  et  verhorum  locitple- 
tissimus.  Cura  et  opéra  Hexrici  Sorbière  auctoris  filii,  Parisiis,  1773.  —  Ce  recueil 
in-folio,  comprend  deux  tomes  ou  parties.  La  première,  de  571  feuillets,  contient  les 
Lettres  de  Sorbière  ;  le  second,  de  257  feuillets,  les  Lettres  à  Sorbière.  Ces  lettres  sont 
classées  généralement  par  ordre  chronologique. — On  trouve  les  Epistolœ  à  laBibliothèque 
nationale,  Ms.,  Fonds  latin,  10352.  Ce  Recueil  est  une  copie  des  Lettres  et  non  l'original. 


228      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

l'Avertissement  en  a  exagéré  la  valeur  documentaire  ;  cependant 
on  peut  y  glaner  nombre  de  détails  qui  éclairent  quelques  coins  et 
recoins  obscurs  «  de  la  Littérature  »  au  xvii<^  siècle,  «  c'est-à-dire  de 
l'Histoire  naturelle,  de  la  Philosophie,  de  la  Théologie  et  de  la  Morale  «. 
En  tête  de  ce  Recueil  épistolaire,  Henri  Sorbière  a  fait  reproduire 
le  beau  portrait  de  son  père,  que  le  célèbre  Gérard  Audran  grava 
à  Rome  en  1667  ^.  Au-dessous  du  buste,  on  lit  ce  distique  très  élogieux, 
œuvre  d'un  indulgent  ami,  Jean  Maury  : 

Cernitur  in  vultu  Probitas,  Candorque,  Fidesque. 
In  scriptis  reliquas  perspice  mentis  opes. 

Il  est  certain  que  la  physionomie  de  Samuel  Sorbière  a  un  air  de 
probité  et  de  bonhomie  qui  inspire  confiance.  Mais,  quand  on  se  rap- 
pelle certains  faits  et  gestes  de  sa  vie,  on  est  bien  obligé  de  reconnaître 
une  fois  de  plus  qu'il  est  imprudent  de  juger  les  gens  sur  la  mine. 

IV.  —  MOLIÈRE 

Molière  est  le  plus  illustre  des  élèves  de  Gassendi,  et  cependant  il 
ne  nous  retiendra  pas  longtemps,  parce  que  l'influence  de  son  maître 
est  moins  saisissable  chez  ce  poète  que  chez  Sorbière  et  Bernier. 
Nous  l'avons  laissé,  dans  la  compagnie  de  ce  dernier,  de  Chapelle, 
de  Hesnault  et  de  Cyrano,  suivant  les  leçons  de  philosophie  que  leur 
donnait  chaque  soir  le  complaisant  chanoine  de  Digne,  devenu  l'hôte 
de  son  ami  Luilher.  Le  professeur  communiqua  sans  doute  à  ses  dis- 
ciples l'admiration  qu'il  ressentait  pour  la  poésie  si  vigoureuse  et  si 
brillante  de  I^ucrèce,  car  nous  voyons  les  jeunes  Hesnault  et  MoUère 
entreprendre  la  traduction  du  poème  De  Rerum  natura. 

Une  jolie  légende  s'est  formée  à  ce  sujet.  Molière  aurait  mené 
jusqu'à  terme  sa  délicate  entreprise.  Mais  voici  qu'un  jour  un  domes- 
tique, ayant  besoin  de  papier  pour  confectionner  des  papillotes, 
s'empara  de  l'un  des  cahiers  où  la  traduction  était  transcrite.  Vexé 
de  cette  étourderie  malencontreuse,  l'auteur,  dans  un  accès  de  dépit, 
jeta  au  feu  le  reste  de  la  traduction  ^.  Et  l'on  ne  manque  pas  d'ajouter 
avec  un  pleur  que  le  seul  débris  échappé  au  désastre,  ce  sont  les  quelques 
vers  insérés  par  Molière  dans  le  Misanthrope  (Acte  II,  scène  v,  vers 
la  fin),  sur  l'illusion,  chère  aux  amants,  qui  dans  l'objet  aimé  leur  fait 
A'oir  tout  en  beau. 

1.  Henri  Sorbière  a  également  placé,  en  tête  de  ce  Recueil,  un  certain  nombre  de 
poésies  q\ii  furent  composées  sur  la  mort  de  son  père  par  Bernier,  Slxtse,  Jean" 
Matjry,  C.  Spon,  etc.  Une  Ode  In  obituni  Samuelis  Sorberii  est  signée  des  initiales  J.  D. 
L.  F.  C.  M.,  qu'il  faut  lire  Jacobus  De  La  Fosse,  Congregationis  Missionis.  Elle  a 
été  publiée,  sous  son  nom,  à  la  fin  d'un  petit  livre  intitulé  :  Discours  de  feu  M"'  Sorbière^-: 
1.  De  Vexcès  des  complimens  et  de  la  Civilité.  2.  De  la  Critique,  etc.,  Lyon,  1675. 

2.  Voilà  ce  que  l'aneedotier  Jean  Léonor  Le  Gallois  de  Grimarest  raconte  dans  La 
Vie  de  M.  de  Molière,  p.  311-312,  Paris,  1705.  Il  prétend,  mais  sans  donner  aucune 
preuve,  que  Molière  avait  mis  en  prose  les  passages  philosophiques  du  iDoème,  et  en 
vers  les  descriptions  ;  il  ajoute  que  la  traduction,  dont  Molière  avait  soumis  à  M.  Ro- 
hault  les  fragments  successifs,  était  presque  achevée.  Ce  dernier  renseignement  rend 
tout  à  fait  invraisemblable  le  coup  de  tête  de  Molière. 


§    B.    DISCIPLES    EN    FRANCE    :    IV.    —    MOLIÈRE  229 

Ce  récit  fourmille  d'erreurs.  D'abord,  le  passage  si  piquant  du 
Misanthrope  n'est  point  une  traduction,  mais  une  imitation  très  libre 
€t  très  heureuse  du  poète  latin  (De  Naturel  reruni,  Cant.  IV,  v.  1149- 
1166).  De  plus,  Molière  n'eut  point  l'ambition  de  traduire  le  poème 
entier.  Au  témoignage  de  Michel  de  Marolles  ^,  abbé  de  Villeloin, 
lui-même  traducteur  de  Lucrèce  et  contemporain  de  Molière,  celui-ci, 
laissant  de  côté  les  parties  proprement  philosophiques  du  poème, 
se  serait  borné  aux  passages  descriptifs  et  poétiques  ^.  Enfin,  Mohère 
ne  perdit  rien  de  sa  traduction  et,  bien  loin  de  songer  à  la  détruire, 
la  légua  à  sa  veuve,  laquelle  la  vendit,  pour  600  livres,  au  hbrahe 
Barbin  qui  n'osa  point  l'imprimer  ^. 

En  différentes  pièces  du  grand  comique,  on  trouve  çà  et  là  des 
pensées  qui  semblent  un  écho  de  l'enseignement  de  Gassendi.  Comme 
son  maître,  il  a  pris  à  partie  les  Péripatéticiens  et  certains  points  de 
la  dcctiine  cartésienne.  Dans  le  Mariage  forcé,  Pancrace,  et  dans  le 
Bourgeois  gentilhomme,  le  maître  de  philosophie  criblent  de  traies  la 
Scol?>istique.  Mais  l'on  est  bien  obhgé  de  convenir,  malgré  l'admiration 
qu'on  ressent  pour  le  génie  de  l'auteur,  que  de  ces  railleries  les  unes 
sont  bien  grosses,  et  les  autres  portent  à  côté,  car  elles  visent  pêle-mêle 
des  questions,  dont  plusieurs  ne  sont  point  oiseuses  pour  qui  en  com- 
prend le  sens  et  la  portée.  Par  exemple.  Pancrace  dit  sur  un  ton 
ù'onique  à  Sganarelle  :  «  Vous  voulez  peut-être  savoir  si  la  substance 
et  l'accident  sont  termes  synonymes  ou  équivoques  à  l'égard  de 
l'Etre  ?...  si  la  Logique  est  un  art  ou  une  science  ?...  si  elle  a  pour 
objet  les  trois  opérations  de  l'esprit  ou  la  troisième  seulement  ?... 
s'il  y  a  dix  catégories  ou  s'il  n'y  en  a  qu'une  ?...  si  la  conclusion  est 
de  l'essence  du  syllogisme  ?...  si  l'essence  du  bien  est  mise  dans  l'ap- 
pétibilité  ou  dans  la  convenance  ?...  si  le  bien  se  réciproque  avec  la 
fin  ?...  si  la  fin  peut  nous  émouvoir  par  son  être  réel  ou  par  son  être 


1.  Cf.  p.  3-4  de  la  Préface,  que  M.  de  Marolles  mit  en  tête  de  sa  traduction  en  vers  de 
Lucrèce,  publiée  en  1677  à  Paris  sous  ce  titre  :  Les  six  Livres  de  Lucrèce  De  la  Nature 
des  choses.  —  L'auteur  en  avait  précédemment  publié  une  traduction  en  prose  (Paris, 
1650),  Le  Poïte  Lucrèce,  Latin  et  François  de  la  Traduction  de  M.  D.  M.,  qui  fut  rééditée 
en  1659.  —  Je  relève,  dans  la  Préface  [non  paginée],  p.  2-3,  de  la  2^  édition,  cette 
phrase  élogieuse  pour  Gassendi  :  «  ...  Ayant  eu  dessein  de  revoir  ma  traduction...,  je 
profitaj'  des  bons  advis  que  m'en  donna  l'un  des  plus  sçavans  hommes  de  son  siècle, 
Pierre  Gassendi,  peu  de  jours  avant  sa  mort...  Et  cei-tes  je  ne  puis  nier  que  je  ne  luy 
sois  redevable  de  beaucoup  de  vxiës  et  de  corrections  importantes,  que  j'ay  employées 
dans  cette  seconde  édition.  »  Cf.  Discours  apologétique  pour  justifier  cette  traduction.... 
Ibidem,  p.  533-534. 

Cette  2^  édition  est  intitulée  (comme  le  sera  la  traduction  en  vers)  :  Les  six  Livres 
■de  Lucrèce  de  la  Nature  des  Choses. 

2.  De  son  côté.  Chapelain  écrit  à  Bernier  :  «  On  dit  que  le  comédien  Molière,  ami  de 
<Jhapelle,  a  traduit  la  meilleure  partie  de  Lucrèce,  prose  et  vers,  et  que  cela  est  forb 
bien.  La  version  qu'en  a  fait  [sic]  l'abbé  de  Marolles  est  infâme  et  déshonore  ce  grand 
Poëte.  »  (Lettre  du  25  avril  1662.  Cf.  Lettres  de  Jean  Chapelain  publiées  par  Ph.  Tamizey 
DE  Larroqtje,  t.  II,  p.  225,  col.  2,  dans  Collection  de  Documents  inédits...  2^  Série, 
Imprim.  Nation.  1883). 

3.  Cf.  Jules  Loiselexjr,  Les  points  obscurs...,  ï"^  Partie  :  Les  Années  d'études,  §  v, 
■dans  Le  Temps,  p.  3,  col.  3,  15  oct.  1876.  M.  Loiseleur  n'apporte  aucune  preuve  pour 
Appuyer  son  affirmation. 


230      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

intentionnel  ?  »  ^  Ainsi,  à  l'égard  de  la  Scolastique,  caricature  ou 
injustice. 

Parfois  aussi  la  critique  de  Descartes  dégénère  en  parodie  qui  fausse 
la  pensée  et  dépasse  le  but.  Sganarelle  déclare  à  Marphurius  qu'il 
est  venu  le  consulter  sur  une  petite  affaire.  Marphurius  lui  répond 
en  parodiant  le  doute  méthodique  :  «  Changez,  s'.il  vous  plaît,  cette 
façon  de  parler.  Notre  philosophie  ordonne  de  ne  point  énoncer  de 
proposition  décisive,  de  parler  dé  tout  avec  incertitude,  de  suspendre 
toujours  son  jugement  ;  et,  par  cette  raison,  vous  ne  devez  pas  dire  : 
«  Je  suis  venu  »,  mais  :  «  11  me  semble  que  je  suis  venu...  »  ^  Pour 
désabuser  le  professeur  de  scepticisme,  Sganarelle  recourt  aux  argu- 
ments frappants  et  lui  apprend  à  son  tour  comment  l'on  doit  parler  : 
«  Vous  ne  devez  pas  dire  que  je  vous  ai  battu,  mais  qu'il  vous  semble 
que  je  vous  ai  battu  »,^. 

J'ai  hâte  de  citer  un  autre  exemple,  où  Mohère  décoche  contre 
Descartes  un  trait  plus  juste  et  plus  heureux.  Ce  philosophe  pousse 
si  loin  son  sphituahsme  que,  dans  l'homme  imaginé  par  lui,  le  corps 
étant  plutôt  juxtaposé  qu'uni  à  l'âme,  la  matière  semble  complète- 
ment sacrifice  à  l'esprit.  Ce  qui,  l'on  s'en  souvient,  lui  attira,  de  la 
part  même  du  pacifique  Gassendi,  cette  apostrophe  ironique  :  «  0  es- 
prit !  »  Or,  dans  les  Femmes  savantes,  Mohère  prend  fait  et  cause 
pour  Gassendi  contre  Descartes,  car,  à  cette  déclaration  de  Phila- 

MINTE  : 

Le  corps,   cette  guenille,   est-il   d'une  importance, 
D'un  prix  à  mériter  seulement  qu'on  y  pense  ? 

Mohère  répond  par  la  bouche  du  bonhomme  Chrysale  : 

Oui,  mon  corps  est  moi-même,  et  j'en  veux  prendre  soin  : 
Guenille,  si  l'on  veut,  ma  guenille  m'est  chère  ^. 

De  même,  à  cette  description  de  l'amour  éthéré  faite  par  Armande  : 

Ce  n'est  qu'à  l'esprit  seul  que  vont  tous  les  transports, 
Et  l'on  ne  s'aperçoit  jamais  qu'on  ait  un  corps. 

il  oppose  cette  réphque  du  bon  sens  personnifié  dans  Clitandre  : 

Pour  moi,  par  un  malheur,  je  m'aperçois,  Madame, 

Que  j'ai,  ne  vous  déplaise,  un  corps  tout  comme  une  âme. 

Je  sens  qu'il  y  tient  trop  pour  le  laisser  à  part  ; 

De  ces  détachements  je  ne  connois  point  l'art  ; 

Le  Ciel  m'a  dénié  cette  philosoj)hie, 

Et  mon  âme  et  mon  corps  marchent  de  compagnie  ^. 


I.  Le  Mariage  forcé.  Scène  IV. 
2-3.  Le  Mariage  forcé.  Scène  V. 

4.  Les  Femmes  savantes.  Acte  II,  Scène  ^^I. 

5.  Les  Femmes  savantes.  Acte  IV,  Scène  ii. 


§    B.    DISCIPLES    EN    FRANCE    :    IV.    —    MOLIÈRE  231 

D'aucuns  ^  assui'ent  que  Molière,  oubliant  les  égards  dus  à  son  véné- 
rable maître,  lui  aiu*ait  emprunté,  pour  la  tourner  en  ridicule,  une 
plu-ase,  d'un  goût  douteux,  sm*  l'héliotrope  ^,  que  Gassendi,  par  extraor- 
dinaii'e  en  veine  de  «  préciosité  »,  adressa  un  jour  à  Campanella  ^. 
Cette  supposition  ne  semble  pas  fondée  ^. 

Il  est  au  contraire,  dans  Don  Juan  ou  le  Festin  de  Pierre,  une  belle 
scène  ^  qui  paraît  inspirée  tout  entière  des  enseignements  de  Gas- 
sendi ^. 

«  De  toutes  les  scènes  philosophiques  de  Mohère  la  plus  belle,  la 
plus  forte,  la  plus  dramatique  est  celle  où  il  met  en  présence  un  valet 
naïf  et  croyant,  un  maîti-e  incrédule  et  raillem-  »  '^,  Sganarelle  et 
Don  Juan.  Sganarelle  fait  valoir  avec  un  entrain  éloquent  la  preuve 
tirée  des  causes  finales  pom*  démontrer  à  Don  Juan  l'existence  de 
Dieu  :  «  ...  Avec  mon  petit  sens,  mon  petit  jugement  je  vois  les  choses 
mieux  que  les  H^^.'es  et  je  comprends  fort  bien  que  ce  monde  que  nous 
voyons  n'est  pas  mi  champignon  qui  soit  venu  tout  seul  en  une  nuit. 
Je  voudrois  bien  vous  demander  qui  a  fait  ces  arbres-là,  ces  rochers, 
cette  terre  et  ce  ciel  que  voilà  là-haut,  et  si  tout  cela  s'est  bâti  de  lui- 
même...  »  ^  etc.  Et  l'on  peut  conclure  après  Paul  Janet  ;  «  ...  Pour 

1.  Par  exemple  J.  Loiseleue,  art.  citato. 

2.  Thomas  Diafoirus  dit  à  Angélique  Argan  :  «  Et  comme  les  naturalistes  remarquent 
que  la  fleiir  nommée  héliotrope  tourne  sans  cesse  rers  cet  astre  du  jour,  avissi  mon 
coeur  dores-en-av-ant  tournera-t-il  toujours  vers  les  astres  resplendissants  de  vos  yeux 
adorables,  ainsi  que  vers  son  pôle  unique.  »  (Le  Malade  imaginaire.  Acte  II,  Scène  v). 

3.  Nisi  is  esse-s,  quem  celebrem  eminentissima  virtus  fecit,  non  ita  te  multi  ambrrent 
ac  impeterent,  sed  nempe  Sol  non  fert  indigne,  cum  heliotropia,  quse  ejus  vim  persen- 
tiunt,  in  ipsuin  respectïint.  Aut  in  virum  adeo  illustrem  non  debebas  evadere,  aiit 
grave  jam  esse  non  débet,  si  Literatoriun  omnium  oculi  radiis  tuis  percellantvir  .(Gas- 
sendi à  Campanella,  Aix,  13  mai  1633,  O.  G.,  t.  VI,  p.  56-57). 

4.  Il  n'est  guère  croyable  que  Molière  ait  été  dénicher  cette  comparaison  dans  un 
in-folio  latin  de  Gassendi.  Victor  Fournel  (Introduction  au  Roman  comique  de  Scarron, 
t.  I,  p.  'KWïi,  Paris,  1857),  dit,  avec  beaucoup  plus  de  \Taisemblance,  que  Molière 
0  a  bien  l'air  d'avoir  volé  )i  cette  comparaison  à  La  Vraie  Histoire  comique  de  Francion, 
par  Charles  Sorel,  sieur  de  Soxtvigny,  car  Francion  dit  à  son  amante  Nays  :  «  Il 
n'est  non  plus  raisonnable  de  s'enquérir  quel  chemin  je  tiendrai  que  de  s'enquérir 
de  quel  côté  se  touinera  la  fleur  du  souci  :  l'on  sçait  bien  que  c'est  sa  nature  de  se 
tourner  toujours  vers  le  soleil  ;  l'on  i.e  doit  pas  douter  aussi  non  plus  que  je  ne  suive 
vos  beaux  yeux,  les  soleils  de  mon  âme,  en  quelque  part  qu'ils  veuillent  donner  le  jour.  • 
(Opère  citato.  Livre  IX,  Edit.  Colosibey,  p.  363-364,  Paris,  1858).  Molière  a  simple- 
ment changé  le  souci  en  héliotrope. 

5.  Dos-  Juan,  Acte  III,  Scène  i. 

6.  Gassendi,  Syntagma  pJulosophicum  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV,  C.  VII,  t.  I,  p.  3^29, 
col.  1.  —  Physica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  II,  C.  III,  T.  II,  surtout  pp.  233-234. 

7.  Pattl  Janet.  La  Philosophie  dans  les  Comédies  de  Molière,  dans  la  Revue  politi- 
que ET  LITTÉRAIRE,  26  oct.  1872,  p.  390,  col.  2,  §  De  toutes  les  scènes. 

8.  Il  est  à  remarquer  cju'un  autre  élève  de  Gassendi,  CjTano,  a  esquissé,  d'une  ma- 
nière analogue,  l'argument  des  causes  finales  :  «  ...  Me  croiez-vous  si  stupide  de  me 
figurer  que  le  monde  soit  nay  comme  un  champignon,  que  les  astres  aient  pris  feu  et 
se  soient  arangez  par  hasard,  qu'une  matière  morte,  de  telle  ou  telle  façon  chsposée, 
ait  pu  faire  raisonner  uh  homme,  sentir  une  beste,  végéter  un  arbre  ?  »  (Cyrano, 
Lettres,  Bibl.  Nat.,  Ms.  Fonds  fr.  Nouv.  acq.  4557,  fol.  138  verso).  Le  passage  est  tiré 
d'une  Lettre  portant  ce  titre  étrange  :  Contre  un  je....  assassin  et  méchant.  Cette  dia- 
tribe, çà  et  là  inconvenant©  et  grossière,  circula  sous  le  manteau  :  elle  est  dirigée  contre 
un  jésuite  innommé  et  sans  doute  innommable.  CsTano  y  montre  sa  crédulité  en  accep- 
tant, pour  le  besoin  de  sa  cause,  la  calomnie  qui  fait  des  Jésuites  les  inspirateurs  de 


232      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

nous,  quoi  qu'en  puissent  dii-e  nos  nouveaux  sages,  Sganarelle  »,  porte- 
parole  de  Molière,  «  est  un  meilleiu'  philosophe  que  don  Juan  «  i. 

Mais,  à  s'en  rapporter  à  Grimarest,  Molière  goûtait  moins  la  théorie 
atomistique  de  Gassendi  que  sa  morale  et,  ajoutons,  sa  théodicée, 
car  il  se  serait  rallié  à  la  Physique  cartésienne.  Revenant  un  soir  de 
souper  à  Autéuil,  il  en  prit  vivement  la  défense,  sur  le  bateau  qui  le 
ramenait  à  Paris,  contre  Chapelle  toujours  fidèle  à  Gassendi  2. 

Indiquons,  pour  mémoire,  un  Docteur  de  la  Faculté  de  Paris, 
G.-B.  DE  Saint-Romain,  qui,  dans  un  hvre  plein  d'aperçus  bizarres 
(Physica  a  scholasticis  tricis  liberata,  Leyde,  1684),  explique  la  j)lupart 
des  maladies  par  l'action  nocive  des  atomes  émancipés,  qui  sont, 
d'après  lui,  des  corpuscules  aigus  et  coupants  ^. 

F.    —   DAVID    DERODON 

Certains  *  ont  rangé,  parmi  les  disciples  de  Gassendi,  David  Dero- 
DON  (1600-1664)  ^,  qui   enseigna  la  philosophie  ù  Die,  à  Orange  et  à 

Châtel  et  de  Ravaillac.  Le  fonds  de  vérité  qui  se  trouve  peut-être  dans  cette  Lettre  , 
c'est  qu'un  Père  du  collège  de  Clermont  aura  jugé  utile  de  mettre  ses  élèves  en  garde 
contre  le  libertinage  d'esprit  et  de  mœurs,  libertinage  avéré,  de  CjTano.  Puisque  nous 
avons  eu  à  mentionner  Cyrano  dans  cette  Histoire  (Cf.  supra,  §B,  II,  p.  184  n.  3),.  pour 
donner  un  échantillon  de  sa  manière  dans  le  genre  pamphlet,  citons  le  début  relati- 
vement modéré  de  cette  Lettre  :  «  Père  criminel,  Assurément  vous  me  preniez  pour 
un  Roy,  quand  vous  prêchiez  vos  disciples  de  m 'assassiner  ;  mais  ce  n'est  pas  de 
toute  farine  que  se  font  les  Châtels  et  les  Ravaillacs  ;  on  a  purgé  vos  collèges  de  ce 
mauvais  sang,  et  le  souvenir  de  la  piramide  empêche  que  le  massacre  ne  passe  de  votre 
bouche  dans  les  mains  de  ceux  qui  vous  écoutent.  Vous  ne  laissez  pas  cependant  du 
feste  de  votre  tribune  (pédagogue  et  boureau  de  huit  cens  écoliers)  de  leur  prêcher  ma 
mort  comme  une  croisade  ;  mais  des  enfans  sont  trop  tendres  pour  estre  exortez  au 
poignart...  »  (Loco  citato,  fol.  137). 

1.  PaulJanet,  Articulo  citato,  p.  391,  col.  2,  à  la  fin  du  premier  §. 

2.  «  En  revenant  d'Hauteuil  un  jovu-  dans  le  bateau  de  Molière,  ils  [Chapelle  et 
Molière]  ne  furent  pas  longtems  sans  faire  naître  une  dispute.  Ils  prirent  un  sujet  grave 
pour  se  faire  valoir  devant  un  Minime  qu'il  trouvèrent  dans  leur  bateau  et  qui  s'y  étoit 
mis  pour  gagner  les  Bons-Hommes.  J'en  fais  juge  le  bon  Père,  dit  Molière,  si  le  Sys- 
thème  de  Descartes  n'est  pas  cent  fois  mieux  imaginé  que  tout  ce  que  Mr.  de  Gassendi 
[sic]  nous  a  ajusté  au  Théâtre  pour  nous  faire  passer  les  rêveries  d'Epicure.  Passé  pour 
sa  morale  ;  mais  le  reste  ne  vaut  pas  la  peine  que  l'on  y  fasse  attention...  »  (La  Vie 
de  M.  de  Molière,  p.  215-216,  Paris,  1705).  Cette  anecdote  a  bien  l'air  d'avoir  été  forgée 
à  plaisir.  Qu'on  en  juge.  La  dispute  philosophique  entre  Molière  et  Chapelle  a  pour 
arbitre  un  Minime,  qui,  aux  arguments  opposés  des  deux  adversaires,  ne  sait  que 
répondre  :  hom  !  hom  !  Arrivé  aux  «  Bons-Hommes  »,  le  mystérieux  Minime,  ayant 
prié  qu'on  le  débarque,  va  quérir  sa  besace  qu'il  avait  déposée  auprès  du  batelier. 
Tout  s'explique  alors  :  l'arbitre  choisi  n'était  point  un  Père  Minime,  mais  un  simple 
frère  quêteur.  On  a  l'impression  que  le  reste  a  été  arrangé  en  vue  de  ce  dénouement 
comique. 

3.  On  trouvera  une  longue  analyse  de  cet  ouvrage  dans  Acta  Eruditorum,  Leii^zig, 
1684,  p.  364-370.  —  Cf.  J.  Brucker,  Historia...,  T.  IV,  Part.  I,  p.  531. 

4.  Cf.  J.-M.  DE  Gérando,  Histoire  comparée  des  systèmes  de  Philosophie...,  T.  II, 
Ch.  XI,  p.  125,  Paris,  1647. 

5.  Né  à  Die  vers  1600  et  mort  à  Genève  vers  1664,  Derodon,  après  avoir  abjuré 
le  Protestantisme,  l'embrassa  de  nouveau.  Son  enseignement  théologique  au  collège 
d'Orange  et  surtout  àrAcadémie  de  Nîmes  provoqua  des  critiques,  de  la  part  même  de  ses 
coreligionnaires,  du  ministre  Pierre  Jitrieu,  notamment,  qui  lui  reproche  de  restaurer 
l'hérésie  de  Nestorius  dans  son  livre  philosophico-théologique  :  Disputatio  de  SuppO' 


§  B.  DISCIPLES  EX  FRANCE  :  VI.  —  GÉRAUD  DE  CORDEMOY  233 

Nîmes.  C'est  une  erreiu-,  qui  doit  avoii'  sa  source  dans  une  illusion 
causée  par  le  titre  de  cet  opuscule  :  Disputatio  de  Atoniis,  authore 
Davide  Derodone  (Nîmes,  1661)  i.  Mais,  dans  cette  «  Dispute  »,  l'autem* 
ne  mentionne,  pour  les  réfuter,  que  des  philosophes  anciens  qui  ont 
soutenu  l'atomisme,  y  compris  Démocrite  et  Épicm-e.  A  propos  de 
ce  dernier,  aucune  allusion  n'est  faite  à  Gassendi.  L'opuscule  s'achève 
sur  une  promesse  :  «  Notre  sentence  sur  les  atomes  sera  donnée  dans 
la  Dispute  suivante  »  (Sententia  nostra  de  atomis  tradetur  Disputatione 
sequenti)  ^.  Cette  promesse  n'a  pas  été  tenue,  que  je  sache,  car,  nulle 
part,  je  n'ai  trouvé  trace  ni  mention  de  la  «  Dispute  »  annoncée. 
Pour  savoh'  la  pensée  de  Derodon  sur  la  question,  restait  le  recours 
à  son  Manuel  de  philosophie.  Ici  encore  déception.  Notre  professeur 
parle  en  termes  très  généraux  des  atomes  ^.  Il  a  également  enseigné 
l'existence  du  vide  dans  la  natm*e  ^.  Mais,  pom*  le  vide  comme  pom* 
les  atomes,  il  ne  fait  pas  même  d'allusion  à  Gassendi.  La  raison  en  est 
simple  et  péremptohe  :  enfermé  dans  les  hmites  de  l'érudition  scolas- 
tique,  il  n'a  point  connu  les  travaux  du  philosophe  provençal.  Derodon 
est  un  dialecticien  déhé,  qui  interpiète  à  sa  façon  la  pliilosophie 
péripatéticienne.  Sa  place  est  aillem's.  Nous  le  retrouverons  quand 
il  sera  traité  de  la  Scolastique  au  xvn^  siècle. 

VI.    —    GÉRAUD    DE   CORDEMOY 

Pom*  clore  la  série  des  atomistes  français  au  xvn^  siècle,  citons 
un  dernier  nom,  fort  inattendu,  celui  de  Géraud  de  Cordemoy 
(1620-1684),  l'un  des  cartésiens  célèbres  à  cette  époque.  Leibniz 
a  indiqué  la  raison  impérieuse  qui  avait  déterminé  la  conversion  de 
Cordemoy  à  l'atomisme  :  «  S'il  n'y  avoit  point  de  véritables  unités 
substantielles  [dans  la  simple  masse  de  la  matière,  quelque  organisée 
qu'elle  puisse  être],  il  n'y  auroit  rien  de  substantiel  ny  de  réel  dans  la 
collection.  C'estoit  ce  qui  avoit  forcé  Mr  Cordemoy  à  abandonner 
des  Cartes,  en  embrassant  la  doctrine  des  Atomes  de  Démocrite, 
pom*  trouver  une  véritable  unité  «  ^. 

Cordemoy  exprime  son  opinion  en  termes  très  clairs.  Elle  repose 

eito...  (Francfort,  1645  ;  mais,  en  réalité,  imprimé  à  Orange).  Le  Parlement  de  Toulouse 
(Arrêt  du  27  janvier  1663)  le  condamna  à  l'exil  à  cause  de  la  réimpression  de  son 
ouvrage  :  Le  Tombeau  de  la  Messe,  qui  porte  le  nom  d'un  libraire  genevois  ;  il  aurait 
été,  de  fait,  édité  à  Paris.  Derodon  se  retira  à  Genève,  où  il  ne  tarda  pas  à 
mourir. 

1.  Réédité,  en  1662,  à  Nîmes  et  à  Genève. 

2  Disputatio  de  Atomis,  §  91,  p.  72  in  fine.  Edit.  de  Genève,  1662. 

3.  Atomi,  quae  creduntur  materia  prima  absolute,  simpliciter  et  secundum  se  consi- 
deratse,  sunt  complétas  in  ratione  entis,  substantise  et  corporis...  ;  at  relative  et  compa- 
rate  ad  composita  naturalia,  non  sunt  completse  essentialiter  in  ratione  mixti,  cum 
non  sint  tota  essentia  mixti  (D.  Derodon,  Philosofhia  contracta  :  Pars  trtia  quœ  est 
Physica  :  Pars  I,  C.  III,  n.  42,  p.  18.  Cf.  Ibidem,  Part.  II,  C.  III,  Art.  I,  §  4,  p.  103; 
Genève,  1664). 

4.  D.  Derodon,  Philosophia  contracta  :  Physica,  Part.  I,  C.  VII,  p.  39-42. 

6.  Leibniz,  Système  nouveau  de  la  Nature  et  de  la  communication  des  substances,  aussi 
bien  que  de  Vunion  qu'il  y  a  entre  l'âme  et  le  corps.  Œuvres,  Edit.  Gerhardt,  t.  IV,  p.  482, 
§  De  plus.  —  Janet,  t.  I,  p.  640,  §  11. 


234      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

sur  la  distinction  qu'il  établit  soigneusement  entre  les  corps  et  la 
matière.  «  Les  corps  sont  des  substances  étendues.  Chaque  corps  n'est 
qu'une  mesme  substance  ;  il  ne  peut  estre  divisé  »  ^.  «  La  matière  est 
un  assemblage  de  corps.  Chaque  corps  considéré  comme  composant 
cet  assemblage  est  ce  qu'on  appelle  une  partie  de  la  matière  »  ^.  «  Comme 
chaque  corps  ne  peut  estre  divisé,  il  ne  peut  avoir  de  parties  ;  mais 
comme  la  matière  est  un  assemblage  de  corps,  elle  peut  estre  divisée 
en  autant  de  parties  qu'il  y  a  de  corps  »  ^.  Aussi,  à  ses  yeux,  «  la  matière 
mesme  n'est  pas  une  substance  étendue  ».  Il  se  résume  ainsi  :  «  Je  dis 
que  chaque  corps  est  une  substance  étendue  et  par  conséquent  indivi- 
sible, et  que  la  matière  est  un  assemblage  de  corps  et  par  conséquent 
divisible,  en  autant  de  parties  qu'il  y  a  de  corps  ;  cela  me  semble 
clah'  »  *.  Il  suit  de  là  que  substance  et  unité  sont  termes  qui  s'appellent  ; 
partant  que  substance  et  divisibilité  sont  termes  qui  s'excluent. 

Cordemoy  reste  fidèle  à  la  Métaphysique  de  Descartes.  Sa  défection 
ne  porte  que  sur  la  Physique.  Dans  sa  manière  de  concevoir  les  atomes, 
il  fait  appel  aux  principes  cartésiens.  Ainsi  ses  atomes  sont  passifs, 
c'est-à-dire  qu'ils  reçoivent  le  mouvement  du  dehors  et  le  transmettent 
sans  le  modifier  ^.  Sous  ce  rapport  ils  se  comportent  comme  les  corpus- 
cules des  toiirbillons.  Cordemoy  est  même  occasionnahste  :  ses  atomes 
ne  sont  pas  des  causes  secondes  douées  d'une  activité  propre,  quoique 
subordonnée.  C'est  Dieu  seul  qui  les  meut  et  les  fait  agir  ^.  Par  là  il 
rejoint  Malebr^-nche. 

VII.   —  LES  LIBERTINS   ET  L'ÉCOLE   SENSU ALISTE 

Nous  ne  ferons  pas  à  Gassendi  l'injure  de  mettre  au  nombre  de  ses 
disciples  quelques  personnages  qui  acquhent  un  triste  renom  comme 
libertins  d'esprit  ou  de  mœurs,  quelques-uns  mêmes  et  d'esprit  et  de 
mœurs  :  Chapelle,  Hesnault,  Cyrano,  Saint-Évremond  '^,  Bachau- 
MONT,  Des  Barreaux,  l'abbé  de  Chaulieu,  le  chevaher  de  Bouillon, 
le  marquis  de  La  Pare,  Ninon  de  Lenclos  qui  tenait  salon  rue  des 
TourneUes,  le  prieur  de  Vendôme,  dont  le  palais  du  Temple  était  le 
rendez-vous  d'une  société  élégante  et  dissolue  ^.  Au  lieu  de  suivre  la 

1-2-3-4.  CoEDEMOY,  Le  Discernement  du  Corps  et  de  l'Ame...,  l^^  Discours,  p.  2  ;  3  ; 
4;  II. 

5.  Cordemoy,  Le  Discernement...,  2^  Discours,  p.  27-58. 

6.  Cordemoy,  Le  Discernement...,  4^  Discours,  p.  93-118. 

7.  Saint-Evremond  a  narré  lui-même  ses  rapjDorts  avec  Gassendi.  Après  avoir  déploré 
les  divergences  qui  séparent  les  Philosophes,  il  ajoute:  «  Au  milieu  de  ces  méditations 
qui  me  désabusoient  insensiblement,  j'eus  la  curiosité  de  voir  Gassendi,  le  plus  éclairé 
des  Philosophes  et  le  moir^  présomptueux.  Après  de  longs  entretiens,  où  il  me  fit  voir 
tout  ce  que  peut  inspirer  la  raison,  il  se  plaignit  que  la  nature  eût  donné  tant  d'étendue 
à  la  curiosité  et  des  bornes  si  étroites  à  notre  connoissance...  »  Gassendi  avoua  «  que 
peut-estre  il  n'ignoroit  pas  ce  que  l'on  pouvoit  penser  sur  beaucoup  de  choses,  mais  de 
bien  connoître  les  moindres,  qu'il  n'osoit  s'en  assurer.  Alors  une  science,  qui  m'estoit 
déjà  suspecte,  me  parut  trop  vaine  pour  m'y  assujettir  plus  long-tems.  Je  rompis  tout 
commerce  avec  elle,  et  commençai  d'admirer  comme  il  estoit  possible  à  un  homme 
sage  de  passer  sa  vie  à  des  recherches  invftiles.  »  (Jugement  sur  les  Sciences  où  peut 
s'appliquer  un  honnête  homme.  Œuvres  m^slées,  T.  I,  p.  245-246.  Paris,  1692). 

8.  Cf.  Encyclopi'die...,  art.  Epicurisme,  t.  V,  p.  785.  Paris,  1755. 


§  C.  SYMPATHIES  Eîf  ANGLETERRE  :  I.  —  WALTEK  CHARLETON         235 

morale  relativement  austère  d'Epicure,  telle  que  le  vertueux  chanoine 
de  Digne  l'avait  reconstruite,  ces  beaux  esprits  s'en  tenaient  à  Fan- 
cienne  interprétation  mieux  accommodée  à  leurs  penchants.  Ces 
disciples  bâtards,  qui  se  recommandaient  sans  droit  légitime  de  la 
doctrine  gassendiste,  contribuèrent  à  la  discréditer  aux  yeux  des 
esprits  superficiels. 

«...  La  philosophie  de  Gassendi  n'a  fait,  au  xvn®  siècle,  qu'une  bien 
petite  école,  elle  n'a  régné  que  dans  quelques  salons  suspects  de  hber- 
tinage  d'esprit  et  de  mœurs.  Mais,  dans  le  siècle  suivant,  sous  une 
autre  forme,  et  placée  sous  le  patronage  de  Baeon,  de  Locke  et  de 
Newton,  cette  même  philosophie  prendra,  pour  ainsi  dire,  sa  revanche  ; 
elle  échpsera  à  son  tour  le  cartésianisme,  elle  lui  succédera  dans  la 
domination  des  inteUigences,  dans  la  faveur  et  l'empire  »  ^.  Ce  juge- 
ment, entendu  en  rigueur,  n'est  pas  plus  acceptable  que  celui  formulé 
par  Damiron  ^.  L'École  sensuahste  du  xviiie  siècle  ne  peut  se  couvrii" 
du  patronage  de  Gassendi  qu'en  abusant  de  quelques  passages  isolés 
de  ses  œuvres,  que  d'autres  plus  amples  et  très  exphcites  rendent 
inofïensifs  ^. 


§  C.  —  SYMPATHIES  EN  ANGLETERRE 

A  l'étranger,  l'atomisme  compta  quelques  partisans.  Les  plus  célèbres 
se  rencontrent  en  Angleterre  :  Walter  Charleton,  Robert  Boyle, 
IsAAc  Newton,  Ralph  Cudworth  *. 

I.   —    WALTER   CHARLETON 

Walter  Charleton  (1619-1707)  ^  médecin  de  Charles  II,  fut 
président  du  «  Collège  of  Physicians  »  ^,  de  1689  à  1691.  «  La  Société 
royale  »  de  Londres  l'admit  l'un  des  premiers  dans  son  sein  (1662). 
Ses  œuvres  médicales  ne  brillent  pas  par  les  observations  et  expé- 
riences personnelles  :  lui-même  avoue  n'avoii  disséqué  que  peu  de 
cadavres.  Mais  sa  lecture  est  vaste  et  il  aime  à  communiquer  au  public 

1.  Fr.  BoTni.LiER,  Histoire...,  t.  I,  Ch.  XXV,  p.  549. 

2.  Cf.  supra,  p.  179  —  infra,  p.  263  et  n.  1. 

3.  Cf.  eupra,  p.  141  —  injra,  p.  261-263. 

4.  On  s'attendait  peut-être  à  trouver  ici  le  nom  de  Hobbes.  Un  chapitre  spécial  lui 
Bera  consacré,  où  l'on  indiquera  la  position  assez  indécise  qu'il  a  prise  à  l'égard  de  la 
théorie  corpusculaire.  Comme  on  l'a  justement  noté,  Hobbes  n'est  «  pas  atomiste  au 
sens  propre,  bien  qu'il  identifie  l'idée  de  «  corps  «  avec  celle  de  substance  »,  et  soutienne 
que  ce  qui  est  permanent,  persistant  malgré  tous  les  changements,  ne  doit  pas  s'ap- 
peler «  matière  »,  mais  «  corps  »,  c'est-à-dire  étendue  déterminée  et  pourvue  de  qualités 
élémentaires.  La  première  de  ces  qualités,  des  fonctions  essentielles,  est  le  conattis  ou 
impetus.  L'espace  même,  l'étendue  en  apparence  vide,  est  constitué  par  un  fluide  actif 
dont  nous  ne  percevons  pas  la  résistance.  »  (L.  MABrLLEATJ,  Histoire...,  L.  IV,  Ch.  II, 
§  I,  p.  429). 

5.  Walter  Charleton,  né  à  Shepton  Mallett,  dans  le  Sommerset,  en  1619  et  mort 
à  Londres  en  1707,  étudia  à  Magdalen  Hall,  à  Oxford,  sous  le  Docteur  ^A^'ilkitsts.  D 
appartenait  à  la  Haute  Eglise  et  resta  fidèle  à  la  Royauté. 

G.  Il  faut  se  rappeler  qu'en  anglais  Physicien  signifie  IMédecin. 


236      ARTICLE  II.  CHAPITEE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GA.SSENDI 

les  trésors  de  son  érudition,  qui  s'étend  de  la  médecine  à  la  littérature 
classique.  Si,  au  début  de  sa  carrière,  il  a  donné  dans  les  rêveries  de 
Van  Helmont,  on  doit  noter  en  sa  faveur  qu'il  a  été  sympathique 
aux  découvertes  faites  de  son  temps,  notamment  à  celle  de  la  circu- 
lation du  sang  par  son  compatriote  Harvey,  dont  il  prononça  plusieurs 
fois  l'éloge  (vg,  en  1680,  Harveion  Ovation,  Lecture  delivered  in  the 
Catlerian  Théâtre  in  Worivick  Lane).  Il  a  beaucoup  écrit,  en  latin  et 
en  anglais  ;  mais  son  langage  est  diffus  et  l'exposition  des  idées  n'est 
pas  encore  complètement  dégagée  de  la  manière  scolastique.  Ses 
ouvrages  se  rapportent  aux  sciences  naturelles  et  à  la  philosophie. 
Comme  spécimens,  dans  ce  dernier  genre,  citons  :  The  darkness  of 
Atheism ^expelled  hy  the  light  of  nature  (Londres,  1652).  —  Immortality 
of  the  human  soûl  (Londi'es,  1657).  —  Disseriatio  epistolica  de  ortu 
animœ  humanœ  (Londres,  1659).  —  Natural  history  of  the  Passions 
Londres,  1674.  Traduction  de  l'ouvrage  du  Père  J.-F.  Senault,  de 
l'Oratoire  :  De  V usage  des  Passions,  Paris,  1641).  —  Socrates  trium- 
phant  or  Plato's  Apology  for  Socrates  (Londi*es,  1675).  —  The  Har- 
mony  of  natural  and  positive  divine  Laws  (Londres,  1682). 

Mais  voici  qui  nous  intéresse  plus  directement.  C'est  sans  doute 
Hobbes,  avec  lequel  Charleton  était  hé  d'amitié,  qui  lui  fit  connaître 
les  travaux  de  Gassendi.  Cette  connaissance  lui  inspira  deux  ouvrages  : 
d'abord  la  Physiologia  Epicuro-Oassendo-Charltoniana  or  a  Fabrick 
of  Science  Natural  upon  the  Hypothesis  of  Atoms  (Londres,  1654), 
où  il  expose,  dans  un  ordi'e  méthodique,  la  physiologie  épicurienne, 
telle  que  Gassendi  l'a  reconstituée  ;  puis,  toujom-s  guidé  par  le  philo- 
sophe français  :  VEpicurus,  his  Morals  (Londres,  1656),  qui  est  une 
apologie  de  la  morale  épicurienne. 

II.   —   ROBERT   BOY  LE 

Robert  Boyle  (1627-1691)  ^  fut  pour  l'atomisme  une  recrue 
beaucoup  plus  importante  que  W.  Charleton,  car  il  est,  d'après  Newton, 
l'une  des  grandes  figures  scientifiques  ^  de  l'Angleterre  au  xvii*^  siècle. 
De  plus,  tandis  que  Charleton  ne  fut  guère  qu'un  écho  fidèle  de  l'ato- 

1.  Robert  Boyle,  fils  de  Richard  Boyle,  comte  de  Cork,  naqviit  le  25  janvier  1627 
à  Lismore  Castle,  dans  la  province  de  Munster  en  Irlande.  Après  avoir  commencé  ses 
études  au  collège  d'Eton  et  les  avoir  achevées,  au  manoir  paternel  de  Stalbridge,  sous 
la  direction  du  Rev.  Mr  Douch  et  d'un  précepteur  français,  nommé  Marcombes,  il 
voyagea  (1638-1644)  en  France  et  en  Italie.  De  retour  en  Angleterre,  il  devint  membre 
(1645)  du  «  CoUège  philosophique  »,  réunion  d'hommes  instruits  qui  s'occupaient  de 
philosophie  scientifique.  Ce  Fhilosophical  Collège  fut  en  1662  incorporé  dans  la  Royal 
Society,  dont  Boyle  a  été  l'une  des  plus  pures  gloires.  Il  ne  cessa  de  consacrer  son  temps 
et  sa  grande  fortune  au  développement  de  la  science  expérimentale,  jusqu'à  sa  mort  qui 
arriva  le  30  décembre  1691,  à  Londres.  Ses  restes  furent  déposés  à  Westminster.  Le 
Doctevir  Burnet  prononça  l'oraison  funèbre.  Boyle  fut  un  chrétien  très  religieux  et 
très  charitable.  Il  avait  fondé  des  conférences  publiques  pour  démontrer  l'accord  de  la 
science  et  de  la  foi.  De  là  sont  sorties,  par  exemple,  les  Dissertations  de  Clarke  pour 
prouver  l'existence  de  Dieu. 

2.  Boyle  ne  sera  étudié  ici  que  comme  atomiste.  Une  place  plus  large  lui  sera  donnée 
quand  nous  parlerons  de  la  Philosophie  scientifique  en  Angleterre  depuis  Bacon  jusqu'à 
Newton. 


§  C.  SYMPATHIES  EN  ANGLETEREE  :  II.  ROBERT  BOYLE      237 

inisme  gassendiste,  Boyle  marqua  ses  emprunts  d'un  cachet  personnel. 
Il  est  de  cœur  avec  les  savants  et  philosophes  qui  mènent  une  guerre 
acharnée  contre  la  Physique  aristotélicienne  et  scolastique,  Bacon,. 
Basson,  Descartes,  Gassendi,  Magneu,  etc.  Il  aime  à  espérer  que  la 
lecture  de  certains  d'entre  eux  ne  lui  a  pas  été  inutile  ;  cependant 
il  met  au-dessus  de  tous  Gassendi  et  son  Syntagma  Philosophiœ  Epicuri. 
Il  n'a  qu'un  regret  c'est  de  n'avoh'  pas  connu  plus  tôt  ce  traité,  bref, 
mais  combien  riche  !  ^ 

Au  XYii^  siècle,  deux  systèmes  sm'  la  nature  des  corps  se  parta- 
geaient les  esprits  :  le  système  péripatéticien  des  formes  substantielles 
et  le  système  atomistique  plus  ou  moins  renouvelé  de  Démocrite  et 
d'Épicure.  BoyJe  ne  se  contente  pas  de  répudier  en  quelques  mots 
énergiques,  que  nous  venons  de  citer,  la  doctrine  aristotéhcienne  qui 
trouvait  dans  les  Scolastiques  d'ardents  défenseurs  ;  il  la  soumit, 
à  un  examen  critique  dénué  de  bienveillance  ^.  Il  la  rejette  en  bloc 
sans  y  discerner,  comme  Leibniz  ^,  des  parties  acceptables. 

Le  terrain  une  fois  déblayé,  Boyle  put  construire  l'édifice  atomis- 
tique tel  qu'il  le  conçoit,  sous  le  nom  de  «  Philosophie  coi-pusculaire  ». 
Il  conserve  les  principaux  traits  du  Gassendisme  :  l'idée  de  résistance, 
d'impénétrabihté  de  la  matière,  l'existence  du  vide.  Hobbes  ne  voyait 
dans  l'espace,  vide  en  apparence,  qu'une  sorte  de  fluide  actif  plus  subtil 
([ue  l'air  *.  A  ce  propos  s'éleva  entre  Boyle  et  lui  une  vive  polémique  ^. 

En  revanche,  il  n'admet  pas,  comme  Gassendi,  l'indivisibiUté  des 
atomes  ^.  Sur  ce  point  il  s'accorde  au  contraire  avec  Descartes,  par- 

1.  ...  Xolim  insigni.ssimos  illos  (siqui  alii)  AutJwres,  maxime  vero  moderniores,  nullo 
pretio  habere,  qui  Aristotelis  Physicis  bellum  ex  professe  denunciarunt  (quales  sunt 
Lucretius,  Verulamius,  Basso,  Cartesius  et  ejus  discipuli,  Gassendus,  uterque  Bootus. 
'Magnenus,  Pembelius  et  Helmontius),  nec  tamen  lubens  viderer  eorum  cogitationes  et 
argumenta  non  adhibuisse...  Eos,  quos  legi,  me  non  inutiliter  consuluisse  spero  ;  plus 
certe  commodi  e  parvo  illo*  sed  locupletissimo  Gassendi  Syntagmate  Philosophiœ  Epicuri 
l>erceperam,  modo  tempestivius  illi  me  assuevissem.  (Origo  Formarum  et  Qualitatum, 
juxta  Philosophiam  corpuscidarem  considerationibus  et  experimentis  illustrata,  Diseursu 
])roœmiali  [non  paginé],  p.  23-24,  Oxford,  1669).  L'ou\Tage  parut  d'abord  en  anglais  : 
Origin  oj  Forma,  according  to  the  corpuacular  Philosophie,  Oxford,  1664.  —  Edition 
latine  à  Genève,  1688. 

2.  Examen  originis  (et  Doctrince)  suhatarUialium  formarum,  uti  tradi  solet  a  Peripate- 
tiris.  Cf.  Origo  Formarum...,  p.  54-85. 

3.  «  Il  fallut  donc  rappeller  et  comme  rehabiliter  les  formes  substantielles,  si  décriées 
aujourd'huy,  mais  d'une  manière  qui  les  rendist  intelligibles  et  qui  séparât  l'usage 
qu'on  en  doit  faire  de  l'abus  qu'on  en  a  fait.  »  (Leibniz,  Système  nouveau  de  la  nature.... 
Œuvres,  Edit.  Gerhardt.  t.  IV,  p.  478,  au  bas.  —  Janet,  t.  I,  p.  636,  §  3. 

4.  A  l'ouvrage  de  Boyle  :  New  Experiments  touching  the  spring  of  the  Air...,  (Londres. 
1661)  Hobbes  répondit  par  son  Dialogus  physicus  de  natura  aeris,  conjectura  sumpta 
ab  experimentis  nuper  Londini  fuibitis  in  Collegio  Gresliamensi,  Londres,  1661.  Lettre 
dédicatoire  :  Viro  clarissimo  et  .\micissimo  Samu  :li  Sorberio. 

5.  Cf.  infra.  Article  III,  Ch.  I,  p.  290-291. 

6.  «  L'indivisibilité,  qui  a  valu  aux  atomes  le  nom  que  Démocrite  leur  a  donné,  est 
la  propriété  dont  les  modernes  font  généralement  bon  marché.  Ou  bien  on  produit 
l'argument  que  Dieu,  qui  a  créé  les  atomes,  doit  aussi  savoir  les  diviser,  ou  bien  l'on 
invoque  ce  relativisme  qui  se  montre  avec  le  plus  de  netteté  chez  Hobbes  :  même  dans 
les  éléments  du  monde  corporel,  on  n'admet  plus  d'infiniment  petit  absolu.  Boyle  ne 
s'inquiète  guère  de  ce  point.  »  (F.-A.  Lange,  Histoire  du  Matérialisme...,  III<^  P.,  Ch.  III. 
Traduct.  B.  Pommerol.  t.  I,  p.  270). 


238      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

tisan  détermiaé  de  la  divisibilité  de  la  matière.  Mais  il  regarde  comme 
absurde  et  superflu  d'introduire  dans  la  Philosophie  corpusculaire 
un  certain  nombre  de  notions  cartésiennes  :  le  mouvement  est  imié 
chez  les  atomes,  l'essence  des  corps  réside  dans  l'étendue,  le  vide  est 
impossible,  les  phénomènes  de  la  nature  s'exphquent  par  l'action  de 
globules  célestes  ou  d'une  matière  subtile  i. 

Grandem',  figure,  mouvement  ou  repos  sont  «  les  modes  primahes 
et  les  plus  universels  »  qui  affectent  chaque  parcelle  de  la  matière  ^. 
Boyle  remarque  avec  insistance  que  le  mouvement  n'est  point  une 
propriété  essentielle  de  la  matière,  car  celle-ci,  quand  elle  est  au  repos, 
conserve  sa  nature.  Mais,  «  mode  primaire  »  de  la  matière,  c'est  le 
mouvement  qui  la  divise  en  fragments  actuels  ^.  Les  atomes  ont  des 
grandeurs  et  figures  différentes.  Les  combinaisons  diverses  résultent 
donc  non  seulement  de  la  variété  des  mouvements,  mais  aussi  de  la 
différence  des  figures,  d'où  dépendent  lem'  forme  et  leur  stabilité. 

Cet  atomisme  mécanique  *  est,  comme  celui  de  Gassendi,  appuyé 
sur  une  Métaphysique  spmtuahste.  Dieu  est  le  créateur  et  l'organisa- 
teur de  ce  monde  ;  41  ne  se  borne  pas  à  imprimer  une  impulsion  géné- 
rale à  la  matière,  qui,  abandonnée  à  elle-même,  produirait  par  je  ne 
sais  quel  hasard  cette  marche  si  régulière  et  si  belle  du  monde  ;  il 
dirige  et  coordonne  les  premiers  mouvements  des  particules  maté- 
rielles, de  manière  à  former  «  les  corps  des  vivants,  ces  machines  cu- 
rieuses et  merveilleusement  confectionnées  »  ^.  Boyle  célèbre  la  régu- 
larité du  cours  de  l'univers,  dont  les  déviations  apparentes  rentrent 

1.  ...  Istiusmodi  argumenta  omisi  quae  sequentibus  aut  superstruuntur  a^:t  ea 
supponunt,  nimirum  indivisibilia  corpuscula  Atovws  nominata,  aut  quemvis  iis  innatum 
motura,  aut  essentiam  corporum  in  extensione  constare,  aut  vacuum  esse  impossibile, 
aut  dari  istiusmodi  Globulos  cœlestes,  aut  talem  Materium  subtilem,  qualis  ad  expli- 
canda  Naturse  phœnomena  a  Cartesianis  adhibetur.  Has  enim  et  alias  notiones  ego  (qui 
Corpuscularios  in  génère  vindico,  eorUm  parti  nuUi  studeo)  non  minus  absurde  quam 
superflue  intromitti  posse  ratus  sum,  quandoquidem  totius  tractatus  scopus  sit,  aut 
iis  adversari,  quibus  opiniones  hee,  seque  ac  mihi  Peripateticœ,  in  dubium  vocantur... 
(R.  Boyle.  Origo  Formarutn...,  Diseurs,  proœm.,  [non  paginé],  p.  16). 

2.  Et  hsec  tria,  videlicet  Magnitudo,  Figura  ant  et  Motus  aut  Quies  (cum  nullum  intér 
ea  sit  médium)  primar.'i  sint  et  maxime  catholici  moii  aut  affBctiones  insensibilium 
partium  Materise,  modo  sigillatim  quœlibet  considerentur.  (BovLE,  Origo  Formarum, 
p.  51,  5°). 

3.  Cum  motus  essentiam  materiae  neutiquam  speetet  (quse  naturam  suam  etiam 
quiescens  retinet),  cumque  originem  suam  ab  aliis  accidentibus  (quae  producit)  nullo 
modo  mutuetur,  facile  possit  tanquam  primarius  modus  aut  materiae  aft'ectio  aestimari. 
Docemus  etiam  quod  motus,  varie  determinatus,  materiam,  ad  quam  attinet,  in  actualia 
fragmenta  naturaliter  dividit.  ^oyle,  Origo...,  p.  51,  3°  et  4°). 

4.  «  Le  capital  de  M.  Boyle  étoit  d'inculquer  que  tout  se  faisoit  mfcchaniquement  dans 
la  Physique  ».  (Leibniz,  Quatrième  Réponse  à  la  quatrième  Rplique  de  M.  Claeke, 
n.  114).  Œuvres,  Edit.  Gerhakdt,  t.  VII,  p.  417.  —  Janet,  t.  I,  p.  794. 

5.  Materiam  ynotum  a  Deo  primum  dérivasse  ;  neque  hoc  sôlum  contendo,  sed  et  fîde 
indignum  reor  Materiam,  nude  agitatam  sibique  relictam,  venustam  hanc  pariter  et 
regularem  mundi  fabricam  casu  nescio  quo  constituisse  ;  etiam  id  aliud  in  animum 
meum  induxi  sapientissimum  rerimi  Authorem,  corporibus  motus  leges  primo  confir- 
mando  primosque  motus  particularum  Materise  dirigendo,  illas  ad  eum  ipsum  modum' 
congregasse,  qui  aptus  ad  coiostituendum  inundum  videbatur,ac  prœcipue  miro  quodam 
artificio  corpora  viventium,  curiosas  hasce  et  elaboratas  machinas,  contexuisse,  inde- 
que  eorum  plurima  vi  naturali  suas  propagandi  species  donavisse.  (R.  Boyxe,  Origo 
Formarum,  p.  3.  Cf.  Exercitationes  de  Utilitate  Philoaophiœ  naturalis  experimentalis.... 


§  C.   SYMPATHIES   EN   ANGLETERRE    :   III.   ISAAC  NEWTON  239 

dans  l'ordi'e  et  le  plan  divin,  parce  qu'elles  sont  les  conséquences 
natui'elles  et  prévues  des  règles  établies  par  le  Créateur.  Il  cite  les 
éclipses  de  soleil,  les  inondations  du  Nil,  etc.  L'arrêt  tiu  soleil  par 
Josué,  le  passage  de  la  Mer  rouge  par  les  Israélites,  sont  des  miracles, 
c'est-à-du'e  des  exceptions  rares  aux  règles  générales  et  dues  à  une 
intervention  spéciale  du  Créateiu"  ^. 

L'univers  apparaît  donc  à  Boyle  comme  un  immense  mécanisme, 
réglé  d'après  des  lois  stables,  qui  poursuit  avec  une  admirable  ponc- 
tualité la  fin  qui  lui  est  assignée.  Manifestement,  comme  l'horloge 
merveilleuse  de  Strasbourg,  un  ensemble  aussi  sagement  ordonné 
exige  un  auteiu"  intelligent  ^.  Cette  comparaison  est  restée  célèbre  ^. 


III.   —  ISAAC   NEWTON 

IsAAC  Newton  (1643-1727)  est  le  plus  illustre  des  atomistes  anglais. 
Son  autorité  de  savant  hors  pair  a  valu  à  l'atomisme  un  regain  de 
crédit.  Ce  système  lui  agréait,  parce  qu'il  lui  sembla  se  prêter  mieux 
que  tout  autre  à  l'apphcation  des  lois  de  la  natm'e  qu'il  avait  décou- 
vertes et  formulées.  Ne^rton  avait  Gassendi  en  haute  estime.  La  meil- 
leure preuve  en  est  qu'il  lui  a  emprunté  plus  d'une  théorie.  Mais, 
parce  qu'il  lem-  a  donné  un  tour  nouveau,  on  lui  en  a,  faute  d'en  discer- 
ner la  source  première,  faussement  attribué  l'honneur  exclusif.  Etant 
donnée  l'importance  du  personnage,  nous  attendi'ons,  pour  en  parler 
en  détail,  le  moment  où  nous  pourrons  le  placer  dans  son  miHeu 
natm'el,  c'est-à-dire  quand  il  sera  question  de  la  Philosophie  scienti- 
fique en  Angleterre. 


Part.  II,  Exercit.  V,  C.  XIV,  §  4,  p.  308,  Lindau,  1692.  —  L'édition  anglaise  porte  : 
Some  Considérations  touching  the  usefulnesss,  of  expérimental  naturaU  Phiîosophy, 
propos'd  in  Familiar  Discourses  to  Friend  by  way  invitation  to  the  study  of  it,  t.  I, 
Oxford,  1663;  1664  2;  Tome  II,  Oxford,  1671. 

1.  Cf.  De  ipsa  Naiura,  sive  libéra  in  receptam  Naturce  notionem Disquisitio  ad  atnicum, 
Sect.  VII,  §  in,  p.  131-132,  Londres,  1687.  —  Une  autre  édition  latine  parut  à  Genève 
en  1688. 

2.  Quare  quemadmodum  (ut  similitudini  priori  denuo  insistam,  Cf.  §  12,  p.  61-62) 
conepecto  in  horologio  [Argentinensi]  artificioso  rotarum  partiumque  cseteranim  motu 
regulari  et  unanimi  ad  horam  demonstrandam  atque  ad  Artificis  voluntateni  exe- 
quendam  concursu,  unicam  ex  rôtis  istis  -aut  machinae  membris  ratione  praeditam  non 
euspicor,  sed  artificium  exceUentis  opificis  celebro  ;  ita  actionea  creaturaruni  in  Mundo 
varias  contemplatur,  nevitiquam  inanimatas  hasce  partes  aut  ipsam,  quam  constituunt, 
machinam,  ratione  aut  consilio  quicquam  agere  pensito  ;  sed  Authorem  sapientissimum, 
admiranda  sua  potentia  effectus  tôt  regulares,  ad  quorum  productionem  tanta  causarum 
çonspiratio  requiritur,  producentem  admiror  et  deprsedico.  (R.  Boyxe,  Exercitationea 
de  Utilitate  Philoaophiœ  naturalis  experimentalis...,  I  Parte,  Exercitat.  IV,  §  16,  p.  64). 
Ce  membre  de  phrase  de  la  traduction  latine  :  ita  actionea  creatiirarum  in  Mundo  varias 
contetnplatur  est  inintelligible  ;  il  faudrait  ita,  quum...  contemplor.  J'ai  recouru  au  texte 
anglais  qui  porte  en  effet  :  So  when  I  contemplate  the  actions  of  those  several  créatures 
that  make  up  the  •norld...  (Some  Considérations,..,  T.  I,  Part  I,  Essay  IV,  p.  74). 

3.  Voltaire  n'a  fait  que  reprendre  cette  comparaison  dans  deux  vers  de  la  Satire 
Les  Cabales  (v.  110-111),  qui  est  de  1772: 

L'Univers  m'embarrasse,  et  je  ne  puis  songer 
Que  cette  horloge  existe,  et  n'ait  point  d'horloger. 


240      ARTICLE  n.  CHAPITKE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 


IV.   —   RALPH   CUDWORTH 

Certains  points  de  la  doctrine  gassendiste  reçurent  aussi  un  accueil 
favorable  de  la  part  des  philosophes  qu'on  a  nommés  les  «  Platoni- 
ciens de  Cambridge  »  et  dont  R.  Cudworth  et  H.  More  furent  les 
plus  marquants.  Cette  École  prit  pour  tâche  de  réagir  contre  les  idées 
fatalistes  et  matérialistes  de  Hobbes.  Dans  cette  lutte  ils  cherchèrent 
un  point  d'appui  dans  le  Platonisme  et,  pour  combattre  le  mécanisme 
carté?ien  dont  Hobbes  s'était  fait  le  champion,  ils  trouvèrent  un 
auxiUahe  précieux  dans  Gassendi  ^,  qui  a  si  vigoureusement  soutenu 
.  les  causes  finales.  Nous  aurons  l'occasion  de  lier  connaissance  avec 
ces  Cambridgemen  ^. 

Mais,  en  attendant,  il  convient  de  faire  ici  même  une  place  à  celui 
d'entre  eux,  qui  s'est  catégoriquement  prononcé  pour  l'atomisme, 
à  Ralph  Cudworth  (1617-1688)  et  d'extraire  de  son  grand  ouvrage  : 
Le  vrai  Système  intellectuel  de  V  Univers  ^  ce  qui  se  rapporte  à  cette 
doctrine.  Pour  le  reste  nous  le  retrouverons  en  temps  et  lieu. 

Voici  comment  cet  illustre  professeur  de  Cambridge  fut  conduit 
à  l'atomisme.  L'analyse  qu'il  entreprit  des  divers  systèmes  philoso- 
phiques de  l'antiquité  lui  sembla  laisser  ce  résidu  au  fond  du  creuset  : 
Les  éléments  primitifs  des  choses  sont  des  substances  simples.  Sous 
des  noms  divers  il  croit  reconnaître  cette  notion  chez  Pythagore, 
Anaxagore,  Empédocle,  Platon,  Aristote,  aussi  bien  que  chez  Leucippe, 
Démocrite,  Protagoras,  Epicure  *.  D'après  la  tradition  dont  le  stoïcien 
Posidonius  s'est  fait  l'écho,  jl  affirme  que  le  Phénicien  Moschus,  phi- 
losophe qui  serait  antérieur  à  la  guerre  de  Troie,  est  l'inventeur  de  la 
théorie  atomistique  ^. 

A  l'origine,  d'après  lui,  les  Philosophes  anciens  admettaient,  avec 
les  atomes,  éléments  mdivisibles  des  choses  matérielles,  l'existence 

1.  Inter  suos  Gassendus  paiieis  placebat  ;  at  vicinoruni  Anglorum,  qui  Physices  et 
MatheseoS  studiis  tum  temporis  efflorescebant,  tantoplures  capiebat.  Ipsi  illi  Anglorum 
Philosophi  et  Theologi  qui,  cum  Thom.  Hobbesio  propius  ad  Gassendum  quam  ad 
Cartesiiuu  accedente  confligebant  et  ad  hune  opprimendum  Platonicam  disciplinam 
in  lucem  revocabant,  Guil.  ^^^litcotus,  Theoph.  Gale,  Radulph.  Cudworthus,  Henr. 
I\Iorus  et  alii  Gassendo  Platonem  jungere  atque  hune  sic  interpretari  non  dubitabant 
ut  amicus  illis  videretur.  (J.  L.  Moshemius,  Institutionum  Historiœ  Ecclesiasticœ 
antiquœ  et  recentioris  Libri  quatuor,  Helmstadt,  1755,  L.  IV,  Sœc.  XVII,  Sect.  I,  §  xxxin, 
p.  855-856).  Cf.  Moshemius,  Prsefatio,  p.  23-24  (non  paginée)  de  l'ouvrage  :  Systema 
intellectuale  hujus  Universi....,  léna,  1733,  traduction  de  l'œuvre  de  R.  Cudworth, 
citée  plus  bas. 

2.  Cf.  infra,  t.  III.  L.  III  de  ce  te  Histoire. 

3.  R.  Cudworth,  The  True  Intellectual  System  of  the  Universe.  The  first  Part,  wherein 
ail  the  reason  and  philosophy  of  Atheism  is  confuted  and  its  impossibility  demonstrated, 
Londres,   1678. 

4.  Cudworth,  The  True...,  Ch.  I,  §  v  sqq.,  p.  7  sqq. 

5.  Cudworth,  The  True...,  Ch.  I,  §  x,  p.  12-13.  Il  rapporte  l'opinion  de  ceux  qui  iden- 
^  tifient  Moschus  avec  Moïse  ;  mais  il  n'adhère  point  à  cette  opinion  (quoi  qu'en  dise 

Franck  à  l'article  Cudworth  dans  Dictionnaire...,  car  Cudworth  s'exprime  ainsi  : 
...  Whereas  Philosophy  being  not  a  matter  of  faith  but  reason,  men  ought  not  to 
affect  (as  I  conceiv^e)  to  dérive  its  pedigree  from  révélation...  (Ibidem,  p.  12,  vers  le 
bas). 


§    D.    SY>IPATHIES    EN    HOLLANDE    :    HENRI    BOKNIUS  241 

-d'une  Intelligence  suprême  et  d'âmes  immatérielles.  Mais  Leucippe 
et  Démocrite  ont  scindé  la  doctrine  des  Anciens  ^  :  rejetant  Dieu  et 
les  êtres  incorporels,  ils  ont  abouti  à  un  fatalisme  matérialiste,  qui 
soumet  tous  les  êtres,  composés  d'atomes  matériels  en  mouvement, 
aux  lois  de  la  nécessité  et  du  hasard.  Cudworth  ne  se  lasse  pas  de  réprou- 
ver, à  maintes  reprises,  un  système  qui  mérite  le  nom  d'athéisme  ato- 
mistique  ^. 

L'autem'  du  Système  intellectuel  se  rallia  franchement  à  l'atomisme 
<le  Gassendi  compatible  avec  une  Intelligence  créatrice.  Mais,  au  lieu 
de  mettre,  comme  le  philosophe  provençal,  le  principe  du  mouvement 
dans  l'atome  lui-même,  le  philosophe  anglais  eut  la  malencontreuse 
idée  d'interposer  entre  Dieu  et  les  êtres  créés  son  encombrante  et 
inutile  «  natm'e  plastique  »  ^.  On  doit  pourtant  retenir  à  sa  louange 
qu'il  a,  ce  semble,  pressenti  l'importance  qu'allait  prendre  la  théorie 
corpusculaire  dans  la  science  de  l'avenh. 


§    D.    —    SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    ET    EN    BELGIQUE 

Le  voyage  de  Gassendi  en  Belgique  et  en  Hollande  (1629)  commença 
de  le  faire  avantageusement  connaître  en  dehors  de  son  pays.  La  péné- 
tration de  son  inteUigence,  la  modestie  de  son  attitude,  la  douceur 
et  l'agrément  de  son  commerce  lui  valurent  dès  lors  des  admhateurs 
et  des  amis,  dont  plusieurs  devim-ent  ses  correspondants,  parmi  les 
illustrations  des  Académies  belges  et  hollandaises  :  Reneri,  Erycius 
PuTEANus,  J.-B.  VAN  Helmont,  Aubertus  Miraeus.  J.  Caramuel  y 
LoBKOviTz,  G.-J.  Vossius,  D.  Heinsius',  J.  Golius,  Is.  Beeckman  *. 

Ses  attaques  virulentes  contre  les  Péripatéticiens  n'étaient  pas 
pour  déplahe  à  bon  nombre  de  professeurs  qui,  en  Belgique  et  en 
Hollande,  cherchaient  de  leur  côté  à  alléger  le  joug  trop  pesant  d'Aris- 
tote,  que  les  règlements  universitaires  imposaient  à  leur  enseignement  ^. 
Gassendi  parla  de  ses  projets  d'études  sur  la  philosophie  épicurienne. 
L'impression  laissée  par  son  court  passage  ne  s'effaça  point.  Car, 
dix  ans  plus  tard,  Sorbière  lui  écri^'ait  d'Amsterdam  que  \'ossius  ^ 
et  beaucoup  d'autres  s'étaient  enquis,  avec  le  plus  vif  intérêt,  de  sa 
personne  et  de  ses  travaux  "^ .  Plus  tard  encore,  quand  il  vint  s'étabhr, 
pour  quelques  années,  en  Hollande,  «  ce  pays  charmant  et  très  érudit  », 
le  même  témoin  constate  avec  joie  que  «  l'admiration  »  provoquée  par 


iMcri 


1.  And  therefore  Denmcritus  and  liis  comrade  Lencippus  need  not  be  envied  tlie  glorj' 
of  being  reputedthe  first  Inventors  or  Founders  of  the  Atomical  Philosophy  atheized  and 
adulterated.  (Cudworth,  The  True...,  Ch.  I,  §  xvii,  p.  17,  an  bas). 

2.  Cudworth,  The  True...,  Ch.  I,  §  xliii,  p.  51.  Ch.  II,  §  I  sqq.,  p.  59sqq. 

3.  Il  en  sera  qnestion  quand  on  étudiera,  au  Tome  III,  la  philosophie  de  Cudworth. 

4.  Cf.  supra,  Chapitie  I,  p.  7-8. 

5.  Il  en  sera  question  à  propos  du  Cartésianisme  en  Belgiqiie  et  en  Hollande. 

6.  Vossius  écrivait  plus  tard  :  Cujus  [Gassendi]  singularem  et  multijugani  erudi- 
tionem  non  potui  non  mirari,  cum  Belgieam  hanc  lustrans  anno  1629,  inter  alios  me 
non  semel  salutatione  et  alloquio  suavissimo  dignaretur.  (De  universœ  Mathesios  natiira 
et  constitutione  Liber,  C.  XlXl,  §  10,  p.  389-390.  Amsterdam,  1660). 

7.  Lettre  de  Sorbière  à  Gassendi,  8  juin  1642.  OG,  t.  VI,  p.  447. 

16 


242      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

Gassendi  est  si  persistante  que  «  les  plus  savants  ne  cessent  de  demander 
avec  empressement  quels  ouvrages  il  prépare  »  ^. 

Mais  ce  qui  mit  le  comble  à  la  réputation  de  Gassendi  dans  les  Pays- 
Bas,  ce  fut  la  vigoureuse  et  spirituelle  critique,  qu'il  publia,  à  Amster- 
dam, par  les  soins  de  Sorbière,  des  Méditations  de  Descartes.  Cette 
«  Disquisition  métaphysique  »  porta  un  coup  sensible  au  prestige 
de  la  philosophie  cartésienne  en  Hollande.  Non  seulement  elle  fut 
une  arme  redoutable  entre  les  mains  des  adversaires,  mais  elle  refroidit 
l'enthousiasme  de  certains  partisans.  Elle  opéra  même  quelques 
conversions. 

/.   —  HENRI   BOBNIUS 

De  ce  nombre  fut  la  conversion  de  Henri  Bornius  qui  avait  étudié 
la  philosophie  à  Utrecht  sous  la  direction  du  fervent  cartésien  Reneri  ^. 
Les  éditeurs  de  la  correspondance  de  Gassendi  nous  ont  conservé 
quelques  lettres  où  ce  néophyte  ardent  épanche  sa  tendresse  et  son 
admiration  pour  l'auteur  de  la  «  Disquisition  ».  Il  appelle  Gassendi 
«  le  doux  ornement  de  sa  vie  )>  ^  ;  il  le  prie  «  de  ne  pas  cesser  d'aimer 
celui  qui  l'aime  et  le  vénère  au  plus  haut  point  »  *  ;  il  professe  «  un  culte 
pour  son  nom  immortel  »  ^.  Il  se  propose  de  faire  exécuter  le  portrait 
de  son  illustre  ami  «  pour  en  décorer,  tant  qu'il  vivra,  son  cabinet  «  ^. 
Il  ne  lui  ménage  point  les  éloges.  A  l'en  croire,  «  depuis  le  jour  où  la 
«  Disquisition  »  s'est  trouvée  entre  les  mains  de  tous,  un  silence  si 
profond  s'est  fait  sm-  les  Méditations  métaphysiques  de  Descartes, 
qu'on  prendrait  pour  un  songe  ces  Méditations  accueillies  autrefois 
avec  de  si  grandes  louanges  et  acclamations  »  '^.  Après  lui  avoh  amioncé 
que  Descartes  a  entrepris  la  réfutation  de  la  «  Disquisition  »,  il  ajoute 
ce  compliment  :  "«  Mais,  pour  vous  découvrir  sincèrement  ce  que  je 
pense  de  cette  entreprise  de  Descartes,  je  crois  qu'il  travaille  à  blan- 
chir un  Éthiopien  ;  car  il  ne  se  dégagera  point  des  filets  dans  lesquels 
vous  le  tenez  enlacé.  C'est  ainsi  qu'en  juge,  avec  moi,  Regius  qui, 
par  la  pubhcation  de  sa  Physique,  a  aussi  fortement  indisposé  Des- 
cartes contre  lui...  Plût  à  Dieu,  excellent  Gassendi,  que  cet  homme, 

1.  In  Hollandia  Gassendus  tantam  sui  admirationem  reliquit  ut,  ciim  ego  amœnam 
illam  et  eruditissimam  regionem  post  annos  ab  ista  peregrinatione  quatuordecim  inco- 
lerem  et  frequens  literarum  conunercium  cum  Gassendo  haberem,  percunctabantur 
semper  eruditiores  solliciti  qtiod  ille  pararet.  (Sorbière,  De  Vita  et  Morihus  Gassendi, 
Opéra  G.,  t.  T,  Prsefat.,  p.  5). 

2.  Cf.  infra,  tome  III,  Le  Cartésianisme  en  Hollande. 

3-4.  Vale  interea  rerum  mearum  diilce  decus  et  me  tui  summa  cum  veneratione  aman- 
tissimum  amare  ne  desine  (Bornius  à  Gassendi,  Utrecht,  20  sept.  1644,  OG,  t.  VI, 
p.  480,  col.  2). 

5.  Immortalis  tui  nominis  solidissimum  cultorem  redamare  perge.  (Bornius  à  Gas- 
sendi, Leyde,  9  juillet  1646,  O.  G.,  t.  VI,  p.  499,  col,  2,  à  la  fin  de  la  lettre). 

6.  ...  Praecisa  imago,  qua  musseum  naeum,  dum  vivam,  condeeoretur.  (Bornius  à 
Gassendi,  La  Haye,  28  mai  1646,  O.  G.,  t.  VI,  p.  499,  col.  1), 

7.  Postquam  scriptum  tuum  in  omnium  manibus  versari  cœpit,  tam  altum  de  ipsius 
[Cartesius]  Metaphysicse  laudibus  silentium,  ut  putare  somnium  esse  illam  tantia 
acclamationibus  olim  exceptam  esse  (Bornius  à  Gassendi,  Utrecht,  26  juin  1645,  O.  G. 
t.  VI,  p.  490,  col.  2). 


§    D.    SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    HENRI   BORNIUS  243 

d'ailleurs  éniinent,  montrât  un  naturel  plus  doux  à  l'égard  des  dissi- 
dents et  imitât  votre  manière  d'agir  !  ^  )) 

Il  se  plaît,  une  autre  fois,  à  lui  annoncer  l'envoi  prochain  d'un  exem- 
plaire de  la  Physique  de  Regius  et  à  lui  recommander  Ravensbergius, 
professeur  de  Mathématiques  à  l'université  d'Utrecht,  lequel  est  un 
fervent  admirateur  de  la  science  de  Gassendi  ^. 

Le  philosophe  français  fut  sensible  à  ces  témoignages  d'affectueuse 
admh-ation  du  jeune  Hollandais.  Pour  ne  pas  être  trop  en  reste  avec 
lui,  il  l'appelle  «  un  jeune  homme  très  érudit  et  très  ami»  ('pererudito  et 
peramico  juveni)  ^  ;  il  trouve  «  ses  lettres  très  suaves  »  (literœ  tuœ 
suavissimœ)  *  ;  il  le  remercie  aussi  vivement  que  possible  des  marques 
assidues  d'affection  que  Bornius  lui  prodigue  (quam  maximas  possum 
gratias  ago  oh  tuum  iïlum  assiduum  profusumque  affectum)  ^.  Il  s'at- 
tendrit jusqu'à  quahfier  Bornius  lui-même  de  «  très  suave  »  (suavissime 
Borni)  ^. 

Mais,  après  trois  ans,  voici  que  cette  chaleureuse  correspondance 
s'interrompt  brusquement  '.  La  première  ardem*  du  néophyte  s'est- 
elle  refroidie  ?  Bornius  revint-il,  après  cet  accès  de  Gaasendisme, 
à  ses  premières  amours,  au  Cartésianisme  ?  Je  n'ai  découvert  aucun 
document  qui  permette  de  trancher  ces  questions  ^. 

Quoi  qu'il  en  puisse  être,  si  la  sympathie  de  Bornius  fut  dm*able^ 


1.  Verum,  ut  sincère  tibi  meam  de  hoc  Cartesii  molimine  sententiam  aperiam,  credo 
ipsum  ^thiopem  dealbare;  nimquam  enim  se  ex  illis,  quibus  illum  irretitum  tenes, 
laqueis  se  expediet  ;  sic  mecum  judicat  Regius,  cui  propter  editionem  Physices  Car- 
tesius  etiam  non  parum  est  offensus...  Utinam,  optime  Gassende,  exiniius  alioquin  ille 
Vir  mitioii  esset  erga  dissentientes  ingénie  moremque  tuum  semularetiu-.  (Bornius 
à  Gassendi,  Leyde,  9  juillet  1646,  O.  G.,  t.  VT,  p.  499,  col.  2). 

2.  Bornius  à  Gassendi,  La  Haye,  28  mai  1646,  O.  G.,  t.  VI,  p.  498-499. 

3.  Gassendi  à  Bornius.  Paris,  1"  octobre  1644,  OG,  t.  VI,  p.  202,  col.  2. 
4-5.  Gassendi  à  Bornius,  Paris,  3  décembre  1644,  O.  G.,  t.  VI,  p.  211,  col.  2. 

6.  Gassendi  à  Bornius,  Paris,  9  août  1646,  OG.,  t.  VI,  p.  253,  col.  1. 

7.  Du  moins  la  correspondance  s'arrête  là  dans  les  Œuvres  de  Gassendi.  —  Bornius 
correspondit  aussi  avec  Sorbière,  qui  a  fait  imprimer  deux  de  ses  lettres  très  affectueuses. 
Dans  l'une  Bornius  le  félicite  de  pouvoir  «  presque  chaque  jour  philosopher  solidement 
avec  Gassendi,  notre  héros  »  ;  lui,  «  ne  pouvant  être  présent,  de  corps,  assiste  en  tiers 
par  l'esprit  »  à  leurs  doctes  entretiens.  «  Audii  te  Parisiis  esse  nullumque  vix  prseter- 
mittere  diesn  quin  una  cum  Gassendo  Heroe  nostro  solide  philosopheris  ;  fortunas  tuas 
tibi  non  invideo,  sed  laudo,  saepissime  tertius  animo  \  obis  adsum  et  quo  non  pos^Um 
corpore  mente  feror.  »  (Bornius  à  Sorbière,  Utrecht  26  juin  1645  in  Miisaeo, 
dans  Epistolœ  illnstrium...,  t.  II,  p.  578-579).  —  Dans  l'autre  (Ibidem  p.  579-581), 
datée  de  Leyde,.  10  dée.  1646,  il  lui  donne  quelques  nouvelles  scientifiques  et  lui 
annonce  l'envoi  du  «  Compendivni  Physices  »  de  Dtjncan,  œuvre  incomparable 
(opu8  sane  incomparabile).  On  trouvera  plusieurs  autres  Lettres  de  Bornitis  à  Sorbière, 
Ibidem,  t.  II,  à  l'Index  placé  en  tête,  au  mot  Bornius,  fol.  13  verso.  On  trouve  aussi 
des  Lettrée  de  Sorbière  à  Bornius,  Ibidem,  1. 1,  Index,  au  mot  Bornio,  fol.  2  verso. 

8.  Baillet  (La  Vie...,  t.  II,  p.  210-211)  écrit  :  «  ...  M.  de  Sorbière  semble  insinuer 
qu'il  [Bornius]  se  rendît  Cartésien  de  nouveau...  »  Mais  du  passage  de  Sorbière,  auquel 
Baillet  se  réfère,  on  ne  peut  rien  conclure  de  semblable,  car  Sorbière  se  borne  à  compter 
Bornius  parmi  les  personnes  qui  soutinrent  Heereboord,  professeur  de  Philosophie 
à  Leyde,  contre  les  tracasseries  dont  celui-ci  fut  l'objet  de  la  part  de  son  collègue  Re^^us. 
Ce  dernier  lui  reprochait  son  opposition  à  Aristote  et  sa  sjnnpathie  pour  Descartes. 
Voici,  du  reste,  le  passage  de  Sorbière  où  l'on  remarquera  qu'il  qualifie  de  Cartésien 
le  seul  Heydanus  :  «  Heereboord,  homme  sçavant  et  laborieux,  fut  favorisé  du  théologien 


244      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

elle  ne  se  manifesta  point,  que  je  sache,  dans  quelque  ouvrage.  Il  en 
fut  autrement  de  Wolferdus  Senguerdus  ^  qui  enseigna  longtemps 
à  l'université  de  Leyde.  Il  a  édifié  sa  «  Philosophie  naturelle  »  en  pre- 
nant pour  base  le  système  atomique  de  Gassendi  (Philosophia  natu- 
ralis,  Leyde,   1684). 

II.   —   LES  PÈRES   DER-KENNIS    ET    T ACQUET 

En  Belgique,  Gassendi  n'eut  pas  de  disciples  enthousiastes  comme 
Bornius  ;  mais  certains  points  de  sa  doctrine  éveillèrent  çà  et  là  de 
sympathiques  adhésions. 

Le  PÈRE  Ignace  Der-Kennis  ^,  d'Anvers,  enseigna  tour  à  tour  la 
philosophie  et  la  théologie  dans  les  Scolasticats  des  Jésuites.  Son  prin- 
cipal ouvrage  (De  Deo  uno,  trino,  creatore,  Bruxelles,  1645),  a  mérité 
les  éloges  de  Leibniz  :  «  En  ce  Uvre,  écrit-il  au  P.  des  Bosses,  un  talent 
non  vulgaire  semblait  surgir  »  ^.  Il  s'était  acquis  une  grande  autorité, 
par  son  enseignement  théologique  qui  se  prolongea  pendant  dix  ans 
à  Louvain.  Très  au  courant  du  mouvement  philosophique  de  son 
temps,  il  cite  Descartes,  Gahlée,  Gassendi,  etc.  Esprit  large  et  indé- 
pendant ^,  tout  en  restant  attaché  à  la  doctrine  scolastique,  il  n'hésite 
pas  à  adopter  les  thèses  modernes  quand  elles  lui  paraissent  plus  pro- 
bables. Signalons-en  quelques-unes,  qui  étaient  des  hardiesses  dans  le 
miheu  péripatéticien  où  il  professait.  Il  ne  va  pas  jusqu'à  répudier 
les  formes  substantielles  ;  mais  il  a  bien  quelque  doute  sur  leur  exis- 
tence, car  il  se  demande  si  leur  présence  est  vraiment  requise  pour 
expliquer   les   changements   qu'on   remarque   dans   les   métaux,    les 

Heydani  s,  grand  Cartésien,  de  Borniiis,  de  Hoghelande,  Zylchom  (a)  et  de  quantité 
d'autres  gens  de  sçavoir  et  de  qualité,  qui  le  soustindrent  contre  Revins  Régent  du 
Collège  en  Théologie,  et  qui  a  escrit  plusieurs  livrets  peu  solidement  contre  Monsievu" 
Descartes.  »  (Lettre  à  Mr.  Petit  sur  Descartes,  dans  Lettres  et  Discours...,  p.  688)  . 

1.  Son  père,  Arnold,  né  (1610)  et  mort  (1667)  à  Amsterdam,  enseigna  la  philosophie 
à  Utrecht,  puis  à  Amsterdam. 

Wolferd,  docteur  en  Philosoiahie  et  in  utroque  jure,  enseigna  la  Physique  et  la  Méta- 
physique à  Leyde. 

2.  Né  à  Anvers,  le  3  mars  1598,  il  mourut  à  Louvain,  le  20  juin  1656. 

3.  Memini  etiam  lustrare  librum  P.  Der-Kenii  de  Deo,  in  quo  libre  non  viilgare  inge- 
nium  emicare  videbatur.  (Leibniz  au  Père  des  Bosses,  Hanovre,  2  octobre  1708,  Œuvres, 
Edit.  Gerhardt,  T.  II,  p.  362). 

4.  Il  parle  assez  librement  d'Aristote.  Après  lui  avoir  reproché  d'qtre  jjolythéiste  et 
rappelé  les  efforts  laborieux  de  ceux  qui  cherchent  à  le  laver  de  ce  reproche,  il  ajoute  : 
«  Pour  moi,  je  ne  vois  aucune  raison  de  se  donner  tant  de  peine  pour  montrer  une  telle 
bienveillance  à  un  païen,  surtout  que,  traitant  la  question  ex  professa,  il  découvre 
sa  pensée  d'une  façon  claire  et  abondante.  J'ai  jugé  utile  d'en  parler,  parce  que  là  se 
trouvent  ses  principales  erreurs  contre  la  foi  et  c'est  de  là  qu'elles  dérivent.  »  (Ego 
causam  nullam  video  quare  homini  ethnico  id  gi*atise  tam  operose  impendendum  sit, 
prœsertim  cum,  ex  professe  rem  tractans,  diserte  et  multis  mentem  suam  aperiat, 
quam  ideo  proponere  operae  pretium  duxi,  quia  praecipuos  errores  ejus  contra  fidem 
eorumque  originem  continent)  (Der-Kbnnis,  De  Deo...,  p.  385,  IV,  à  la  fin.  —  Cf. 
p.  605,  §IV,  à  la  fin. 

(a)  Cf.  Baillet,  La  Vie  ..,  t.  I,  p  267.  Il  s'agit  de  Constantin  Huygens  (1596-1687),  seigneur  de 
Zuytlicliera  et  autres  lieux,  qui  devint,  le  18  juia  1625,  secrétaire  du  priuce  d'Orange.  Nous  le 
retrouverons  en  parlant  de  Descartes, 


§  D.  sy:mpathies  en  Belgique  :  der-kennis  et  tacquet         245 

plantes  et  les  animaux  ^.  A  la  suite  de  Descartes  et  de  Gassendi, 
il  admet  que  les  sens  ne  perçoivent  pas  les  objets  extérieurs,  mais  les 
impressions  que  ces  objets  produisent  sur  les  sens. 

Der-Kennis  se  montre  très  catégorique  sur  ce  point  et  y  revient 
souvent.  «  D'mie  manière  générale  (ceci  n'est  point  douteux  pom*  moi), 
telle  est  la  rature  de  tous  les  sens  qu'ils  perçoivent  immédiatement 
leurs  seules  affections  et,  par  leur  moyen,  les  objets  extérieurs,  d'où 
elles  proviennent  »  ^.  Plus  loin,  il  entre  dans  quelque  détail  :  «  Les 
hommes  ne  connaissent,  par  l'office  des  sens,  les  objets  distants 
qu'en  percevant  les  effets  propagés  par  ces  objets,  tandis  que,  attei- 
gnant les  organes  sensoriels,  ils  les  frappent  ou,  de  quelque  manière 
que  ce  soit,  les  modifient.  Ainsi  l'animal  ne  perçoit  rien  immédiate- 
ment que  ce  qui  lui  est  présent,  ou  plutôt  il  ne  perçoit  que  la  modifi- 
cation survenue  dans  l'organe  par  le  fait  de  la  présence  de  l'objet. 
C'est  d'après  les  différences  de  ces  impressions  que  l'estimative  chez 
l'animal  et,  avec  beaucoup  plus  de  subtiHté,  l'intelligence  elle-même 
chez  l'homme  infère  les  différences  des  corps  distants,  d'où  sont 
venus  les  effluves  ou  mouvements  de  l'ah'  qui  ont  modifié  les  organes 
de  telle  ou  telle  manière  »  ^.  Voici  ce  qu'il  dit  en  parlant  du  son  : 
((  Le  son  n'est  pas  une  quahté,  mais  un  mouvement  du  corps  sonore 
ou  de  l'air,  et  l'objet  de  l'ouïe  n'est  autre  qu'un  certain  mouvement 
du  tympan  qui  est  perçu  immédiatement  »  *.  Sous  la  plume  d'un 
péripatéticien  du  xvii^  siècle,  ces  affu-mations  si  nettes  sont  assuré- 
ment remarquables. 

Comme  Descartes  et  Gassendi,  le  professeur  belge  soutient 
encore  que  l'âme  est  «  plus  connaissable  »  que  «  les  choses  corpo- 
relles »  ^. 

Der-Kennis  est  éclectique  ;  s'il  s'inspii'e  en  beaucoup  d'endroits 
des  idées  de  Descartes,  il  ne  les  suit  point  en  aveugle.  C'est  ainsi  que, 
comme  Gassendi,  il  défend  la  possibilité  du  vide  et  signale  en  passant 


1.  Der-Kennis,  De  Deo...,  p.  573-574. 

2.  Universim  igftur  dubiuna  mihi  non  est  quin  hœc  sit  sensuum  omnium  natura  ut 
eolas  aftectiones  suas  immédiate  percipiant,  et  his  mediantibus  objecta  extema,  a  qui- 
bus  illse  profectae  sum.  (Der-Kennis,  De  Deo,  p.  128,  LXXXV,  §  Universim). 

3.  Nec  vero  aliter  homines  ministerio  sensuum  distantia  cognoscunt,  quam  perci- 
piendo  effectua  ab  iis  propagatos,  dum  organis  sensuimi  allapsi  illa  feriunt,  aut  quomo- 
documque  immutant,  adeo  ut  nihil  percipiat  animal  immédiate  nisi  sibi  prsesens,  vel 
potius  ipsam  immutationem  organi  ab  objecto  prœsenti  factam,  ex  cujus  afïectionis 
dift'erentiis  sestimativa  f acultas  in  animali ,  et  nmlto  subtilius  ipse  intellectus  in  homine 
colligit  difîerentias  corporum  distantium,  a  quibus  efïîuvia  vel  aeris  motus  derivata  sunt, 
quse  sic  vel  sic  organa  immutant  (Der-Kennis,  De  Deo,  p.  415,  XV,  §  Née-  vero). 

4.  Denique  in  particulari  negatur  omnis  illa  Philosophia,  cui  Auctor  ille  [Pater 
Arriaga]  iniiititur,  negatur,  inquam,  quod  sonus  aut  species  soni  sit  qualitas,  sed  est 
motus  corporis  sonori  aut  aeris,  et  objectum  auditus  non  est  aliud  quam  certus  motus 
tjTupani  auditus,  qui  immédiate  percipitur  (Der-Kennis,  De  Deo,  p.  393,  XVI).  — 
Cf.  Ibidem,  p.  577,  XX  ;  p.  581,  XXVIII  ;  p.  381,  III). 

5.  Der-Kennis,  De  Deo...,  p.  380-381,  II,  III  :  Niliil  magis  nobis  naturaliter  cognoa- 
cibile  esse  quam  animam  nostram  sub  hac  notione,  principium  talium  et  talium  opera- 
tionum  quse,  cum  quodammodo  innumerse  sint,  quasi  propria  lineamenta  faciem  mentis 
ad  vi\-um  detegunt.  ...  Ex  adverso  de  corporalibus  rébus  quantulum  est  quod  scimus  î 
quam  imperfecte  ?  quam  obscure  ?... 


246      ARTICLE  n.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

«  le  singulier  paralogisme  de  René  Descartes  »  (Ohiter  adverte  insignem 
paralogismum  Renati  Cartesii)  ^. 

Dans  la  Préface  de  son  ouvrage,  il  indique  avec  une  courageuse 
perspicacité  les  déficits  de  la  philosophie  et  de  la  théologie  scolastiques 
de  son  temps.  Le  censeur  du  livre,  Antoine  Dave,  Docteur  en  théo- 
logie de  l'université  de  Louvain,  fait  le  plus  grand  éloge  du  De  Deo 
et  vante  spécialement  le  mérite  <(  de  la  méthode  nouvelle  »  employée 
par  Fauteur  ^. 

Un  confrère  de  Der-Kennis,  comme  lui  Anversois,  le  Père  André 
Tacquet  3,  mathématicien  distingué  *,  correspondant  de  Huygens, 
ne  craint  pas  de  louer  Démocrite  et  ne  manque  pas  l'occasion  de  citer 
Gassendi.  «  Démocrite  fut  admirable  non  seulement  en  philosophie, 
mais  encore  en  mathématiques.  Ses  travaux  sur  la  physique  et  peut- 
être  aussi  sur  les  mathématiques  ont  disparu.  Certains  attribuent 
lem"  disparition  à  la  jalousie  d'Aristote  qui  désirait  que  ses  seuls 
écrits  fussent  lus.  Pierre  Gassendi  a  reconstruit  la  philosophie  de  Démo- 
crite dans  un  livre  très  érudit  récemment  pubhé  »  ^. 

III.   —   LE   CHANOINE   E.    F.    DE   SLUSE 

Gassendi  rencontra,  chez  un  autre  mathématicien  belge,  des  sym- 
pathies bien  plus  accusées.  Il  s'agit  du  chanoine  René-François  de 
Sluse  ®,  originaire  de  Visé,  dans  la  Principauté  de  Liège.  Cet  homme 
éminent,  qui  devait  correspondre  avec  Pascal  ''  et  Huygens  ^  sur  les 
questions  mathématiques,  était  éclectique  en  Philosophie,  ce  qui  lui 
permit  de  goûter  à  la  fois  et  Descartes  et  Gassendi.  Il  passa  une 
dizaine  d'années  à  Rome  (1642- 1651),  pour  y  étudier  les  mathématiques, 
l'astronomie,  l'anatomie  et  la  médecine,  sans  compter  la  langue  grecque 
et  les  langues  orientales.  Un  étudiant  esclavon  qui  le  fréquentait 
nous  raconte  l'accueil  enthousiaste  que  de  Sluse  et  d'autres  savants 

1.  Den-Kennis,  De  Deo...,  p.  476,  X,  §  Ex  quibus. 

2.  Cette  approbation  se  trouve  à  la  fin  du  volume.  —  Ce  premier  volume  devait  être 
suivi  d'un  second  (l'auteur  l'annonce  p.  574)  ;  mais  sa  mort,  survenue  l'année  suivante, 
l'empêcha  de  tenir  sa  promesse. 

3.  Né  (le  13  juin  1612)  et  mort  (le  23  décembre  1660)  à  Anvers,  il  professa  pendant 
15  ans  les  mathématiques  à  Louvain  et  à  Anvers. 

4.  Cf.  Ad.  Quetelet,  Histoire  des  Sciences  mathéinatiques  et  physiques  chez  les  Belges, 
p.  226-23 i;BruxeUes,  1864, 

5.  Democritus  non  in  philosophia  solum  sed  etiam  in  mathesi  admirabilis  fuit  ;  ejus 
tum  physica,  tmn  forte  etiam  mathematica  moniunenta  perieriint,  invidia  (ut  quidam 
ferunt)  Aristotelis,  sua  imius  scripta  cupientis  legi.  Demoeriti  philosophiam  Petnis 
Gassendus  eruditissimo  opère  nuper  edito  instauravit  (A.  Tacquet,  Historica  Narratio 
de  ortu  et  progressu  Matheseos,  [non  paginée],  p.  4-5,  en  tête  de  ses  Elementa  Geometriœ 
planœ  ac  solidce...,  ^Anvers,  1654). 

6.  Né  à  Visé  le  2  juillet  1622  et  mort  à  Liège  le  19  mars  1685,  de  Sluse  de-vint  chanoine 
de  la  cathédrale  de  Liège,  Saint-Lambert,  et  conseiller  de  l'Electeur  de  Cologne.  Pour 
la  Biographie  de  de  Sluse,  voir  Ch.  luv:  F aige,  d&nsBullettino  di  Bibliografiaedi  Storia 
délie  Scienze  matemcutiche  e  fisiche,  publié  par  le  prince  Baldassako  Boncomtagni, 
T.  XVII,  Rome,  1884,  p.  443-470. 

7-8.  On  trouve  la  Correspondance  scientifique  de  Sluse  et  une  étude  sur  ses  Travaux 
Mathématiques  dans  le  Bullettino,  déjà  cité,  T.  XVII,  p.  470-554  ;  603-726. 


§  D.  SYMPATHIES  EX  BELGIQUE   :  DE  SLUSE  247 

firent  au  Syntagma  Philosophiœ  Epicuri  de  Gassendi  :  «  Je  réside  à 
Rome,  vaquant  selon  mes  forces  à  l'étude  de  la  Mathématique.  Tout 
dernièrement  (la  lettre  est  de  1651),  j'en  ai  été  témoin,  la  Philosophie 
de  votre  révérende  Seigneurie  y  a  fait  son  entrée,  ornée  du  laurier 
triomphal.  Les  plus  doctes  personnages  l'ont  tous  accueilhe  avec 
honneur  et  l'ont  placée  dans  le  temple  de  la  IMinerve  de  Phidias. 
Je  vous  en  féUcite.  François  Sluse,  de  Liège,  homme  très  versé  dans 
les  sciences  et  les  langues,  géomètre  très  remarquable,  s'en  délecte 
tellement  qu'il  admire,  aime  et  vante  les  quahtés  de  Gassendi  dans 
toutes  les  réunions  famihères  qu'il  a  avec  ceux  qui  lui  ressemblent. 
De  tout  cœur  il  souhaite  qu'un  jour  il  lui  soit  donné  de  voir  en  tête- 
à-tête  celui  qu'il  ne  connaît  jusqu'ici  que  per  spéculum  et  in  œnig- 
mate  »  ^. 

Cette  lettre,  malgré  son  ardeur  juvénile  qui  embeUit  sans  doute  les 
choses,  est  cependant  précieuse,  parce  qu'elle  atteste  que,  à  Rome, 
dans  un  miheu  d'élite,  l'ouvrage  de  Gassendi  sur  Épicure  obtmt  une 
attention  de  faveur.  Il  est  à  présumer  que  la  première  impression  de 
Sluse  se  refroidit  avec  le  temps,  car,  mathématicien  avant  tout,  c'est 
à  la  philosophie  mathématique  de  Descartes  que  sont  allées  ses  pré- 
férences. Néanmoins  sa  mentaUté  scientifique  est  caractérisée  par 
mie  tendance  qui  le  rapproche  de  Gassendi.  Dans  les  recherches  expé- 
rimentales, au  Heu  de  conclure  catégoriquement,  il  est  très  porté 
à  suspendre  son  jugement.  L's-oyy;  l'attire.  «  Vous  suivez  les  expé- 
riences, dit-il  à  Huygens  ;  je  ne  leur  refuse  pas  crédit  ;  mais  le  mot  du 
vieillard  de  Cos  me  revient  toujours  à  l'esprit  :  L'expérience  est  trom- 
peuse et  la  critique  est  difficile,  à  moins  que  la  raison  ne  les  confirme. 
Vous  n'ignorez  pas  ce  que  peuvent  en  ces  sortes  de  choses  les  influences 
étrangères  à  la  science.  Aussi  (c'est  mon  habitude  en  telles  matières) 
je  suspens  mon  assentiment  et  j'examine  »  -. 
« 

§    E.    —    OUBLI^IMMÉRITÉ.    SES    CAUSES. 

De  son  vivant,  s'il  a  été  estimé  par  les  savants  et  par  mi  cénacle 
d'amis  fidèles,  Gassendi  fut  contesté  en  dehofs  de  ce  cercle  distingué 

1.  jNIaneo  Roniœ  studio  Matheseos  pro  virili  deditus  ;  quo  niiperrime  Pliilosophiam 
Eeverendae  Dominationis  tuae  triumphali  laurea  ornatam  intrasse  \-idi,  ab  omnibusque 
Viris  doctissimia  honorifice  exceptam  et  in  arce  ÎMinervae  Phidise  coUocatam  gratulor  ; 
hac  ita  Franciscus  Slusius  Leodiensis,  Vir  omni  scientianini  et  linguariun  peritia 
instructissimus,  Geometra  prœstantissimus,  delectatur  ut  quotiescumque  familiaris 
ipsi  cum  sui  similibus  congi-essus  contingat,  toties  Gassendi  dotes  admii-atur,  amat  et 
depraedicat,  optatque  ex  anime  ut  queni  per  spéculum  et  in  œnigmate  cognoscit,  eun- 
dem  facie  ad  faciem  aliquando  intueri  valeat  {Jkan  MichaelOug.  Pinavi  Sclavonus, 
Rome,  6  mai  1651,  OG,  T.  VI,  p.  523,  col.  2). 

2.  Nec  est  quod  experientias  sequaris,  quibus  ut  fidem  non  abroge,  ita  mihi  semper 
Coi  senis  occvurrit  illud  :  î,  ~z\z%  j'^x/.îoyJ,  r,  os  xiij'.;  yoL^i—y],  nisi  ratio  con- 
firniet.  Scis  enim  quid  Ta  è^djOsv  hac  in  re  possint.  Itaque  ut  in  plerisque  talibus 
rursus  ïtà/m  y.à  r,'.-x-:vÀ--fj[xi.'.  (Sluse  à  Chr.  Huygens,  Liège,  18  déc.  1657,  dans 
Bullettino,  i.  XVII,  p.  526.  —  Dans  une  autre  lettre  (Liège,  12  janvier  1663)  il  dit 
encore  :  Itaque  ad  solemnem  mihi  in  rébus  physicis  ir:o/YJv  rursus  revolvor.  (BuUet' 
/fno,  p.  608). 


248      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

mais  restreint  d'admirateurs.  Sa  réputation  et  son  influence  grandirent 
sans  doute,  après  qu'il  eut  quitté  ce  monde,  comme  l'attestent  la 
double  édition,  à  intervalle  rapproché  (Lyon,  1678  et  1684),  de  V Abrégé 
de  sa  Philosophie  par  Bernier,  et  plus  encore  la  pubhcation,  en  6  vo- 
lumes in-foHo,  de  ses  Œuvres  complètes  qui  furent  successivement 
imprimées  à  Lyon  (1658)  ^  et  à  Florence  (1727).  Ce  succès  ne  fut  point 
durable.  Bientôt  les  œuvres  volumineuses  du  philosophe  provençal 
trouvèrent  peu  de  lecteurs,  et  son  nom  ne  fut  plus  guère  connu  que 
des  érudits.  La  brillante  fortune  de  Descartes  et  du  Cartésianisme 
a  rejeté  dans  l'ombre  Gassendi  et  le  Gassendisme.  Ce  fut  une  longue 
éclipse.  Cependant  la  renommée  du  savant  chanoine  de  Digne,  grâce 
à  de  louables  efforts  ^,  commence  à  se  dégager  des  hmbes  d'un  oubh 
immérité. 

Il  faut  néanmoins  le  reconnaître,  l'appréciation,  dont  Gassendi 
a  été  victime,  n'est  pas  de  tout  point  injustifiée.  EUe  pèche  surtout 
par  exclusivisme  :  on  n'a  guère  vu  que  les  défauts  de  notre  philosophe. 
Avant  de  rendre  plein  hommage  à  son  mérite,  il  sera  utile  de  recher- 
cher d'abord  quel  concours  de  motifs  et  quel  ensemble  de  circonstance» 
peuvent  expUquer  le  jugement,  sévère  jusqu'à  l'injustice,  qui  pèse 
encore  sur  sa  mémoire. 

La  première  raison  mise  en  avant  est  l'extrême  modestie^  de  l'au- 
teur du  Syntagma.  Dès  ses  premiers  pas  dans  la  carrière  philosophique, 
on  sent  qu'il  n'est  pas  de  taille  à  devenir  chef  d'École.  Il  n'y  prétend 
pas  du  reste.  Le  fait  est  qu'il  n'en  prit  pas  les  moyens.  Au  heu  de  ce 
ton  décidé,  dogmatique  qui  impose  l'attention  et  commande  le  respect, 
«  on  ne  trouve  partout,  comme  le  remarque  justement  Bernier,  que 
des  Videtur  »  ^,  dans  l'exposé  de  ses  opinions  personnelles.  Comment 

1.  Dès  1661,  Chapelain  écrivait  que  cette  édition  était  épuisée.  «  M''  de  Monmor  vous 
fait  ce  présent  d'Epicure  (c'est-à-dire  De  vita  morihus  et  placitis  Epicuri),  parce  qu'on 
n'a  pas  trouvé  à  Paris  à  vendre  les  six  volumes  de  nostre  macharite,  M.  Gassendi, 
dont  l'impression  a  esté  procurée  par  M.  de  Monmor  à  Lion,  et  dont  il  n'y  a  plus  d'exem- 
plaires que  dans  les  biblioteques.  »  (Chapelain  à  Bernier,  Paris,  13  nov.  1661.  Lettres, 
Edit.  Tamizey  de  Labroque,  t.  II,  p.  170,  c.  1). 

2.  Ne  rappelons  ici  que  les  plus  récents.  M.  P. -Félix  Thomas  nous  a  donné,  en  1889, 
un  résumé  intéressant  de  l'œuvre  philosophique  de  Gassendi.  Malheureusement  l'ex- 
150sé  qu'il  fait  de  certaines  théories,  surtout  psychologiques,  en  fausse  la  perspective, 
car  le  vocabulaire  contemporain,  dont  il  se  sert  pour  les  exprimer,  n>odernise  à  outrance 
Gassendi.  Sa  physionomie  s'en  trouA'e  dénatiu-ée  par  ces  traits  fantaisistes.  Cette 
préoccupation  de  représenter  Gassendi  comme  im  précurseur  des  philosophes  du 
xix^  siècle  reparaît  dans  la  conclusion  finale  (La  Philosophie  de  Gassendi,  p.  314)., 
«  M.  Félix  Thomas,  qui  a  consacré  à  Gassendi  tout  un  volume  bien  étudié  et  bien 
documenté,  n'a  pas  su  dégager  l'esprit  véritable  de  sa  philosophie.»  (L.  Mabix,leatj, 
Histoire...,  p.  421).  —  Kurd  Lasswitz,  Geschichte  der  Atomistik  vom  Mittelalter  bis 
Newton.  Leipzig,  1890,  T.  II,  L.  III,  Chap.  IV,  p.  126-188,  Leipzig,  1890.  —  Léopold 
Mabilleau,  Histoire  de  la  Philosophie  atùitiistique,  Li^o-e  IV,  Ch.  I,  §  ii,  p.  400-422. 
Paris,  1895.  —  G.  S.  Brett,  The  Philosojyhy  of  Gassendi,  Londres,  1908. 

3.  Cf.  BRUCKERfait  le  plus  bel  éloge  de  la  modestie  de  Gassendi  parvenu  au  faîte  de  la 
renommée  :  Nihil  autem  magis  Gassendum  ornasse  censendum  est,  quam  modestiam: 
in  tanto  eruditionis  famseque  fastigio  prorsus  singularem,  (Historia...,  t.  IV,  Part.  I,- 
p.  522). 

4.  Bernier,  Abrégé  de  la  Philosophie  de  Gassendi,  2^  Edit.,  Lyon,  1684,  T.  I,  Préface 
[non  paginée],  p.  2.  Il  ajoute  aussitôt  :  «  Mais  qui  ne  sçait  que  les  véritables  Philosophes. 
et  qui  ont  bien  reconnu  la  foiblesse  de  l'esprit  humain,  en  usent  de  la  sorte  ?  « 


§     E.     OUBLI     IMMÉRITÉ.     SES     CAUSES  249- 

inspirer  confiance  aux  autres,  quand,  timide  et  hésitant,  on  paraît 
douter  de  soi-même  et  de  ses  doctrines  ?  ^  Tout  opposée  était  l'atti- 
tude de  ses  adversaires,  Descartes  et  les  Péripatéticiens. 

L'étendue  même  du  Syntagma  (œuvre  immense  en  deux  gros 
volumes)  devait  nuire  à  sa  diffusion.  Une  telle  masse  était  de  nature 
à  effrayer,  même  les  lecteurs  intrépides  du  xvii^  siècle,  qui  ne  recu- 
laient pas  devant  des  in-folio.  Mais  cette  œuvre  n'est  pas  seulement 
longue  ;  elle  contient  des  longueurs  ".  L'auteur  est  prolixe  dans  l'exposé 
des  doctrines  ;  il  accumule  les  citations  ;  il  multiplie  les  arguments  ; 
parfois  les  mêmes  arguments  se  retrouvent,  à  peu  près  identiques, 
répétés  plus  loin.  Aussi,  du  sein  de  cette  végétation  touffue,  la  pensée 
n'émerge  pas  toujours  assez  nette.  Ajoutez  que  l'ouvrage  est  écrit 
en  latin  ^,  dans  un  style  abondant,  dont  les  multiples  épithètes  et  les 
fréquentes  incises  alourdissent  de  temps  en  temps  l'allure.  Si  Gassendi 
avait  condensé  sa  doctrine  personnelle  dans  un  écrit  sobre  et  court, 
comme  fit  Descartes  dans  le  Discours  de  la  Méthode,  les  Méditations 
ou  les  Principes,  il  aurait  sans  aucun  doute  attiré  beaucoup  de  lecteurs. 

Descartes  fut  encore  mieux  inspiré  que  son  rival  en  écrivant  ses 
opuscules  en  français  ou  en  les  faisant  traduire.  On  dira  peut-être 
que  l'ami  dévoué  de  notre  auteur  lui  rendit  le  service  de  publier  en 
français  un  «  Abrégé  »  de  sa  Philosophie.  Mais,  remarquons-le  d'abord,^ 
cette  traduction  ne  parut  que  vingt  ans  après  le  Syntagma.  De  plus, 
et  surtout,  malgré  les  meilleures  intentions  du  monde,  Bernier,  que 
Saint-Évremond  appelle  «  le  joli  philosophe  »  *  et  qui  était  médecin 
et  voyageur  plus  que  philosophe,  nous  a  laissé  un  résumé  assez  pâle 
et  parfois  infidèle  des  idées  de  son  maître. 

Dans  tout  le  cours  de  ses  ouvrages,  Gassendi,  passionné  pour  l'ob- 
servation, insiste  avec  complaisance  sur  les  faits  et  les  exemples  emprun- 
tés à  l'expérience  ^.  Or,  à  l'époque  où  il  écrit,  le  besoin  d'observer 

1 .  Il  est  au  contraire  très  incisif  et  très  catégorique  quand  il  attaque. 

2.  Sorbière  l'avait  déjà  remarqué  :  «  Je  me  suis  souvent  étonné,  dit-il,  que  la  manière 
de  philosopher  de  Mr.  Gassendi,  admirée  de  tout  le  monde,  ne  fit  plus  de  bruit  qu'elle 
n'en  a  produit.  Je  pense  ciue  cela  vient  de  sa  trop  grande  litteratiu'e,  qui  a  mis  de  plus 
gi'ands  intervales  qu'il  ne  faloit  entre  ses  raisonnemens  ;  ce  qui  a  dissipé  la  force  et 
caché  la  liaison,  au  lieu  que  les  autres  Philosophes  ont  toujours  suivi  leur  pointe,  et 
tellement  ébranlé  ceux  qu'ils  ont  entrainés  à  leur  cadence  qu'il  leur  a  falu  danser  en 
dépit  qix'ils  en  eussent.  »  (Sorberiana,  p.  124,  Toulouse,  1694). 

3.  Damiron  fait  justement  remarquer,  à  propos  de  la  Logique  de  Gassendi,  que  si  elle 
avait  été  écrite  en  français  comme  L'Art  de  penser  de  Port-Roj^al,  son  succès  eût  été 
beaucoup  plus  giand  (Essai...,  T.  I,  p.  402).  La  remarque  vaut  également  pour  les 
autres  parties  de  la  Philosophie  gassendisto. 

4.  Saint-Evremond,  Cf.  supra,  p.  191. 

5.  Tout  en  exagérant  l'importance  philosophique  de  Gassendi,  l'illustre  phj'sicien 
Biot  a  bien  fait  ressortir  son  zèle  pour  la  méthode  expérimentale  :  «  Au  milieu  de  tant 
de  vaines  théories  [de  ceux  qui  en  s'inspirant  du  Cartésianisme  l'ont  modifié],  la  mé- 
thode expérimentale  avait  heureusement  conservé  des  partisans  fidèles,  à  la  tête  des- 
quels on  doit  placer  notre  Gassendi,  iihilosophe  aussi  modeste  que  profond,  qui  com- 
battit Descartes  en  admirant  son  génie,  et  qui,  guidé  par  le  sien,  suivit  les  traces  de 
Bacon,  appliqua  et  développa  la  doctrine  de  ce  grand  homme,  et  devint  ainsi  le  véri- 
table auteur  de  la  nouvelle  philosophie  de  l'esprit  humain.  »  (Biot  et  Feuillet,  dans 
l'article  sur  Descartes,  cf.  Biographie  universelle  ancienne  et  moderne,  t.  XI,  p.  154,. 
col.  ],  Paris,  1814). 


250      ARTICLE  II.  CHAPITRE  VI.  —  INFLUENCE  PHILOSOPHIQUE  DE  GASSENDI 

la  nature  ne  se  fait  qu'exceptionnellement  sentir.  Les  préférences  des 
lecteurs  sont  acquises  à  l'exposition  des  idées  générales  enchaînées 
dans  un  bel  ordre  i.  Et  si  le  goût  de  l'observation  est  déjà  visible 
çà  et  là,  c'est  vers  le  domaine  psychologique  et  moral  qu'il  se  porte. 
De  ce  chef  encore,  Gassendi  n'avait  rien  de  bien  attrayant  pour  les 
esprits  cultivés  de  sa  génération. 

Mais  ce  qui  répugnait  surtout  au  grand^  nombre,  dans  Gassendi, 
c'est  son  système,  l'Épicurisme.  Le  nom  d'Épicure  était  une  enseigne 
bien  propre  à  écarter  les  sympathies  et  à  provoquer  les  suspicions, 
surtout  dans  un  temps  où  le  spirituahsme  chrétien  était  si  en  hon- 
neur ;  où  le  duahsme  cartésien,  quoiqu'il  sépare  arbitrairement  l'esprit 
et  la  matière  dans  l'homme,  rencontrait  néanmoins  beaucoup  de  faveur. 
Notre  philosophe  eut  beau  répudier  énergiquement  ce  qu'il  y  avait 
de  contraire  à  la  foi  cathoUque  dans  la  doctrine  épicuriemie,  cette 
attitude  correcte  ne  suffit  point  à  désarmer  les  défiances.  Il  eut  beau 
faire  preuve  de  courage  en  prenant  en  main  une  cause  alors  généra- 
lement jugée  comme  perdue,  cette  attitude,  qui  ne  manque  point 
de  crânerie,  ne  triompha  pas  des  répugnances  de  l'opinion. 

Personnellement,  il  était  considéré  comme  un  prêtre  très  respectable  ; 
mais  il  avait  un  cortège  d'amis  ou  de  disciples  tels  que  Molière,  Cha- 
pelle, Bachaumont,  dont  les  mœurs  peu  recommandables  n'étaient 
pas  faites,  sans  qu'il  en  fût  cependant  responsable,  pour  lui  conciher 
la  bienveillance  de  gens  déjà  prévenus,  ni  réhabihter  un  système  dont 
ces  adeptes  compromettants  étaient  censés  mettre  en  pratique  les 
maximes  et  les  règles. 

Il  faut  se  rappeler  enfin  que  Gassendi  avait  fort  maltraité  les  Péri- 
patéticiens,  qui  s'unirent  naturellement  aux  Cartésiens  contre  un 
ennemi  commun.  Les  admirateurs  de  Descartes  ne  pardonnaient  pas 
à  notre  philosophe  d'avoir  osé  mettre  en  doute  la  valeur  de  certains 
arguments  du  Maître,  et  par  là  même  ébranlé  son  crédit. 

Cartésiens  et  Péripatéticens,  malgré  les  divergences  doctrinales 
qui  les  séparaient  en  camps  opposés,  se  trouvaient  d'accord  sur  une 
question  capitale.  Très  convaincus  de  la  valeur  de  la  raison  humaine, 
résolument  dogmatiques,  ils  s'entendaient  à  merveille  pour  accuser 
Gassendi  de  Pyrrhonisme.  Tout  naturellement  ils  firent  bloc  contre 
lui,  agmine  denso,  comme  dit  Sorbière. 

Toutes  ces  causes  réunies,  dont  les  premières  devaient  avoir  une  . 
influence  durable,  à  longue  portée,  suffisent  amplement  à  expliquer 
pourquoi  la  doctrine  de  Gassendi  n'eut,  durant  sa  vie,  qu'une  vogue 
restreinte  et  que,  dans  la  suite,  elle  est  tombée  dans  la  pénombre  d'un 
oubh  profondément  injuste; 

Parmi  les  griefs  qu'on  vient  de  relever,  plusieurs  assurément  sont 
fondés.  L'exposition  est  trop  longue,  surchargée  d'érudition  ;  le  style 
n'est  pas  assez  sobre  ;  le  système  atomiste,  tel  que  l'auteur  le  défend, 
3^'est  pas  défendable  ;  la  partie  scientifique  du  Syntagmaest  en  général 
vieiUie  et  démodée.  Voilà  le  revers  de  l'effigie,  qu'on  s'est  trop  long- 

1.  Cf.  G.  s.  Brett,  The  Philo^ophy...,  P.  IV,  Ch.  I,  p.  246,  n.  1. 


§     E.     OUBLI     BIMÉEITÉ.     SES     CAUSES  251 

temps  obstiné  à  voir  seul.  Il  n'est  que  juste  de  considérer  aussi  l'en- 
droit, qui  présente  des  traits  et  linéaments  remarquables.  Laissons 
de  côté  le  savant  dont  il  a  été  déjà  question.  Il  nous  reste  à  envisager 
Gassendi,  dans  une  vue  d'ensemble,  comme  critique,  historien,  'philo- 
sophe systématique,  après  avoir  vidé  cette  question  préjudicielle  : 
Fut-il  vraiment  sceptique  ? 


CHAPITRE    VII 

Les   Mérites    du   Philosophe. 

I.    —   LE    SCEPTICISME    DE    GASSENDI  ? 

L'accusation  de  p3a*rhonisme  pèse  depuis  longtemps  sur  la  mémoire 
de  Gassendi.  Parmi  ceux  qui  lui  ont  fait  cette  réputation,  il  faut  men- 
tionner Bayle  et  Voltaire.  Le  premier,  qui  était  intéressé  dans  l'affaire, 
étant  sceptique  lui-même,  prétend  que  Gassendi  a  soutenu  le  Pyrrho- 
nisme  «  couvertement  »  ^.  Le  second  affirme  «  qu'il  était  sceptique  et 
que  la  Philosophie  lui  avait  appris  à  douter  de  tout,  mais  non  pas  de 
l'existence  d'un  Etre  suprême  »  2.  La  perfide  insinuation  de  Bayle  n'est 
pas  plus  véridique  que  l'oracle  rendu  par  Voltaire. 

Il  est  juste  cependant  de  reconnaître  qu'on  rencontre  dans  les  ou- 
vrages de  Gassendi  bon  nombre  de  passages,  qui,  à  première  vue, 
semblent  justifier  cette  imputation  de  scepticisme.  On  n'a  vraiment 
que  l'embarras  du  choix.  Notre  philosophe  dit,  par  exemple,  dans  ses 
Èxercitationes  contre  les  AristotéHciens  :  «  Nous  montrerons  plus  spé- 
cialement que  nous  ne  pouvons  savoir  ou  connaître  avec  certitude 
et  évidence,  et  affirmer  d'une  manière  infaillible  et  sûre  ce  qu'une  chose 
est  de  sa  nature  et  dans  ses  causes  intimes,  nécessaires  et  infaillibles  »  ^. 
Il  écrit  à  Mersenne  dans  la  Préface  à  Vexamen  de  la  Philosophie  de 
Fludd  :  «  ...  Vous  n'ignorez  pas  que  la  faiblesse  et  la  tendance  sceptique 
de  mon  esprit  peuvent  à  peine  produire  quelque  chose  qui  vous  donne 
une  loyale  satisfaction...  Mais,  si  vous  m'empêchez  d'être  presque 
pyi'rhonien  et  me  pressez  sans  cesse  comme  si  j 'avais  à  émettre  quelque 
thèse  à  la  façon  des  Dogmatiques,  vous  devez  en  retour,  à  titre  d'ami, 
me  concéder  la  liberté  de  vivre  au  jour  le  jour  et  de  ne  rien  avancer 

1.  Œuvres  diverses  de  M.  Pierre  Bayle,  Lettre  à  M.  Minutolif  Copet,  31  janvier  1673, 
T.  IV,  p.  537,  col.  1.  La  Haye,  1731.  —  Britcker  repi-oche  à  Bayle  d'avoir,  faute  de 
comi^rendre  son  système,  rangé  Gassendi  parmi  les  Sceptiques  :  Fallitur  tamen  P. 
Bayle,  qui  ob  hanc,  quam  in  Gassendo  laudavimus,  modestiam  Pyrrhoniis  eum  accenset, 
quod  tota  illius  systematis  indoles  refugit,  quod  sibi  Gassendus  delegit  (Historia..., 
T.  IV,  Part.  I,  p.  522). 

2.  Voltaire,  Siècle  de  Louis  XIV,  Catalogue  de  la  plupart  des  Ecrivains  français..^ 
art.  Gassendi. 

3.  Ut...  specialius  jam  ostensuri  simus  non  posse  nos  scire  seu  certo  et  evidenter  nosse 
ac  infallibiliter  et  tuto  asserere  cujusmodi  res  aliqua  ex  natura  sua,  secunduin  se  et  per 
causas  intimas,  necessarias  infallibilesque  sit.  (Lib.  II  Exercitationum,  Exe.  VI,  §  i, 
OG,  t.  III,  p.  192,  col.  2).  —  Quid  superest  nisi  concludamus  sciri  non  posse  cujusmodi 
res  aliqua  sit  secundum  se  et  suapte  natura,  sed  duntaxat  cujusmodi  his  aut  illis  appa- 
reat.  (Ibidem,  §  vi,  p.  203,  col.  1).  ' 


I.    —   LE    SCEPTICISME    DE    GASSENDI   ?  253 

OU  accueillir  qui  dépasse  les  bornes  de  la  pure  probabilité  ;  ^.  Qu'il 
cherche  à  démontrer  une  thèse  ou  qu'il  attaque  une  opinion,  loin  de 
lui  la  prétention  de  donner  comme  inébranlablement  étabUe  la  thèse 
qu'il  défend,  ou  de  croire  qu'il  démohra  l'opinion  qu'il  combat  2. 

Comment  faut-il  interpréter  ces  textes  et  autres  semblables  ? 
Convient-il  de  les  prendre  dans  un  sens  absolu  ou  dans  un  sens  relatif  ? 
•D'autres  textes  vont  nous  permettre  d'éclairer  les  précédents  et  de 
trancher  la  question. 

Gassendi  affirme  catégoriquement  «  qu"il  y  a  quelque  chose  de  vrai, 
et  que  ce  quelque  chose  peut  être  discerné  et  su  »  ^.  Quel  est  donc  le 
domaine  de  ces  vérités  reconnues  par  Gassendi  ? 

Il  comprend  tout  d'abord  les  propositions  générales  *,  comme  les 
axiomes  sur  lesquels  reposent  les  démonstrations  mathématiques, 
propositions  tellement  évidentes  par  elles-mêmes  qu'elles  n'ont  pas 
besoin  de  preuves  ^. 

Il  y  a  ensuite  les  vérités  qui  se  rapportent  à  l'existence.  N'est-il 
pas  significatif  de  voir  ce  prétendu  pyrrhonien  rejeter  le  doute  car- 
tésien, et  de  l'entendre  traiter  de  puérile  et  de  ridicule  la  peine  que 
prend  Descartes  pour  démontrer  que  nous  existons  et  qu'il  existe 
quelque  chose  en  dehors  de  nous  ?  (îit  nimis  puérile  et  ridiculum  putem 
res  adeo  apertas  vertere  in  dubium  et  in  ipsarum  existentia  comprohanda 
terere  tempiis)  ^.  Avant  que  Descartes  propose  ses  arguments,  Gassendi 
admet  sans  hésitation  qu'il  existe,  qu'il  pense,  qu'il  a  l'idée  de  Dieu,  etc. 
Son  sort  lui  paraît  d'autant  plus  heureux  que,  si  Descartes  et  lui 
jouissent  de  la  même  certitude,  lui  la  possède  dès  le  début  et  sans 
effort,  tandis  que  Descartes  ne  l'a  acquise  qu'au  prix  d'immenses 
labeurs  '. 

1.  ...  Non  ignoras  tenue  scepticumque  meum  ingeniuni  vix  posse  quidpiam  exerere 
cjuod  tibi  probe  satisfaciat...  Tametsi  enim  tu  me  fere  PjTrhonium  esse  prohibes  sicque 
semper  urgere  soles,  quasi  aliquid  habeam,  quod  dogniaticws  proferam  ;  vicissim  tamen 
amicitice  jure  illud  debes  concedere,  ut  vivere  in  dies  liceat  et  nihil  unquam  vel  efferre, 
vel  excipere  prœter  fines  merœ  probabilitatis.  (Prœfatio  in  Fhidannœ  Philosophiœ 
Examen,  OG,  t.  III,  p.  211). 

2.  Quamobrem,  ut  nihil  statuo  quod  haberi  velim  inconcussiuu,  ita  nihil  adorior 
quod  me  eversurum  contendam  (Dubitationes  et  Instantiœ  adversiis  R.  Carleaii  Mclaph;/' 
sicam  et  Reaponsa.  Proœm.,  OG,  t.  III,  p.  275,  cl). 

3.  Esse  aliquid  verum  quod  possit  dijudicari  et  sciri  (Lettre  au  Prince  Louis  de  Valois, 
Parisiis,  5  Kal.  Jidii  1642,  OG,  t.  VI,  p.  147,  c.  2). 

4.  ...  Esse  effata  per  se  nota  quse  probatione  non  indigent  (Lettre  au  Prince  L.  de 
Valois,  Epistola  citata,  OG,  t.  VI,  p.  148,  col.  1). 

5.  Dicere  deinde  juxta  hsec  universe  licet  demonsti-ationem  non  adhiberi,  neque 
esse  necessariam,  cum  res  sunt  adeo  évidentes,  ut  enunciatione  sola  opus  habeant,  ut 
sunt  non  modo  res  singidares  quae  sensibus  patent  experientiaque  aj^probantur,  sed 
propositiones,  etiam  générales,  adversum  quas  nulla  affer.i  potest  instantia,  ut  sunt 
axiomata  ad  quae  demonstrationes  mathematicae  reducuntur.  (Syntagma  philosophi- 
aum  :   Logica,   Cap.  proœm.,  L.   II,  C.  V,  Op.  G.,  T.  I,  p.  86,  çol.  1).  —  Cf.  p.    85-86. 

6.  Gassendi,  Dubitationes  et  Instantiœ...  :  In  Méditât.  III,  t)ubit.  VI,  OG,  t.  III, 
p.  333,  col.  2. 

7.  Ego,  qui  ante  illa  tua  argumenta  proposita  non  dubitavi  me  esse,  me  cogitare,  me 
habere  ideam  Dei,  etc.,  tanto  mihi  videor  esse  fœlicior,  quanto,  cum  uterque  liabeamus 
eandem  certiUidinem,  ipse  illam  sponte  et  ab  initio  habeo  ;  tu  vero  nonnisi  post  immen- 
ses labores  (Gassendi,  Dubitationes  et  Instantiœ...  :  In  Méditât.  VI,  Dubit.  II,  OG, 
t.  III,  p.  390,  col.  1). 


254  ARTICLE  II.  CHAPITRE  VH.   —  LES  MERITES  DU  PHILOSOPHE 

En  analysant  le  Syntagma  nous  avons  vu  que  Gassendi  ne  doute 
aucunement  de  l'existence  du  monde  extérieur,  de  l'âme  humaine, 
de  Dieu.  Mais,  s'agit-U  de  déterminer  les  causes  intimes,  nécessaires, 
ultimes  des  êtres,  et  d'expliquer  leur  nature,  tout  change.  Gassendi 
cesse  d'être  affirmatif,  ou  plutôt  il  affirme  qu'une  telle  connaissance 
dépasse  la  capacité  de  l'inteUigence  humaine  :  «  Tant  que  les  hommes 
cherchent  à  connaître  le  plus  de  choses  possible  en  s'appuyant  sur- 
l'expérience  et  dans  les  hmites  où  les  choses  leur  apparaissent,  il  est 
vrai  de  dire  que  ce  désir  de  connaître  leur  vient  de  la  nature.  Mais, 
dès  qu'ils  veulent  aller  au  delà  et  connaître  la  nature  intime  des 
choses  et  leurs  causes  nécessaires  (genre  de  science  qui  n'appartient 
qu'aux  Anges  —  ou  même  à  Dieu,  mais  ne  convient  pas  à  des  êtres 
aussi  bornés  que  les  hommes),  on  ne  peut  plus  dire  que  ce  désir  de 
connaître  soit  inspiré  par  la  nature  »  ^. 

On  objectera  peut-être  que  ce  texte,  emprunté  aux  ExercUationes 
adversus  Aristoteleos,  œuvre  passionnée  de  sa  jeunesse  philosophique, 
ne  représente  pas  sur  ce  point  la  pensée  mûrement  réfléchie,  défini- 
tive de  Gassendi.  Sans  doute,  dans  cette  polémique,  où  il  rejette  la 
notion  aristotéhcienne  de  la  science  ^,  notre  philosophe  a  forcé  l'expres- 
sion de  sa  pensée.  Mais,  pour  le  fonds  de  la  doctrine,  il  est  demeuré 
d'accord  avec  lui-même,  comme  en  font  foi  ses  ouvrages  postérieurs, 
fruits  d'une  intelligence  plus  calme  et  plus  rassise. 

Citons  d'abord  un  texte  capital,  tiré  de  la  Lettre  qu'il  écrivit  en  1634 
sur  le  livre  de  lord  Edouard  Herbert  de  Cherbury  ^,  où  il  définit  nette- 
ment son  attitude  en  face  de  la  recherche  et  de  l'affirmation  de  la 
vérité.  Après  avoir  rappelé  que  les  Sceptiques  distinguent  entre  la 
nature  intime  des  choses,  du  miel  par  exemple,  et  ce  qui  paraît  à 
l'extérieur,  comme  sa  douceur,  il  constate  que  leur  contestation  porte 
tout  entière  sur  la  vérité  de  la  nature  intime,  mais  aucunement  sur 
la  vérité  de  ce  qui  paraît.  Puis,  il  prend  position  en  ces  termes  sans 
équivoque  :  «  Pour  moi,  imitant  sur  ce  point  les  Sceptiques,  j'admets 
cette  vérité  que  le  miel  se  révèle  doux  à  mon  palais,  ou,  ce  qui  revient 
au  même,  je  professe  savoir  que  j'éprouve  cette  douceur  (pour  con- 
naître cette  vérité  ou  avoir  cette  science  que  j'ai  coutume  d'ap- 
peler soit  historique,  sbit  expérimentale,  pas  n'est  besoin  de  la 
Dialectique,  car  la  Nature  est  une  maîtresse  suffisante).  Mais,  quant 
à  ce  que  vous  pensez  être  la  vérité  de  la  chose  ou  la  nature  intime 
du  miel,  voilà  ce  que  je  désire  ardemment  connaître,  et  ce  qui 
demeure  encore  caché  pour  moi,  en  dépit  du  nombre  presque  infini 
de  Uvres,  qui  ont  été  publiés  jusqu'à  présent  avec  la  prétention  de 

1.  ...  Quamdiu  desiderant  homines  omnes  scire  pluriina  et  per  experientiam  et  qua- 
tenus  illa  apparent,  verum  est  quod  natura  duce  illa  scire  desiderant  ;  at  statim  ac 
prseterea  volunt  et  naturas  intimas  et  causas  necessarias  scire,  jam  hoc  scientise  genus 
est  quod  naturam  angelicam  vel  etiam  divinam  attineat,  iiec  honiunciones  deceat  ; 
quocirca  ©t  hoc  desiderium  diei  non  potest  esse  a  natura.  (Gassendi,  ExercUationes, 
L.  II,  Exercit.  VI,  §  vu),  OG,  t.  III,  p.  207,  col.  1). 

2.  Gassendi,  ExercUationes...,  L.  II,  Exerc.  VI,  §  i,  OG,  t.  III,  p.  192,  col.  1-2. 

3.  Herbert  "of  Cherbury,  Tractatus  de  Veritate,  prout  distinguitur  a  Revelatione, 
a  Verisimili,  a  Possibili  et  a  Falso,  Londres,  1633. 


I.   —  LE    SCEPTICISME    DE    GASSENDI  ?  255 

nous  communiquer  une  science,  comme  lis  disent,  démonstrative  »  ^. 

On  retrouve  la  même  attitude  dans  le  Syntagtna.  Dès  qu'il  est 
question  d'expliquer  la  nature  des  êtres,  Gassendi  ne  propose  pour 
solutions  que  des  conjectures  et  probabilités.  Prenons  comme  exemple 
l'âme.  Il  déclare  sans  détour  que  n'ayant  pas  l'espérance  de  perce- 
voir l'âme  plus  intimement  que  les  autres  philosophes,  il  lui  sera  impos- 
sible de  conjecturer  même  de  loin  ce  qu'elle  est  en  elle-même.  Ce  sera 
beaucoup  s'il  peut,  à  la  lueur  obscure  de  la  raison,  essayer  d'indiquer 
en  balbutiant,  parmi  tant  d'opinions  différentes,  celle  qui  semble 
avoir  un  air  de  probabilité  ^. 

On  n'a  donc  pas  le  di'oit  de  classer  Gassendi  parmi  les  Pyrrhoniens. 
Car  il  admet  sans  hésiter  la  vérité  des  propositions  générales  évidentes 
par  elles-mêmes,  il  a  pleine  confiance  dans  le  témoignage  de  l'expé- 
rience dûment  constatée,  il  proclame  l'existence  de  Dieu,  de  l'âme, 
du  monde  extérieur,  il  recherche  les  causes  prochaines  des  phénomènes, 
il  découvre  dans  la  Nature  l'action  des  causes  finales.  Bref,  sur  tous 
ces  points,  il  croit  qu'on  peut  arriver  à  la  vérité  et  à  la  certitude. 
Par  contre,  il  déclare,  avec  une  insistance  qui  ne  s'est  pas  démentie, 
que  la  connaissance  des  causes  intimes  et  dernières,  qui  constituent 
l'essence  des  êtres,  dépasse  ou  du  moins  semble  dépasser  les  forces 
de  la  raison  humaine,  «  étant  presque  persuadé  que  Dieu  se  l'est 
réservée  «  ^. 

Il  y  a  là  un  excès  de  défiance  à  l'égard  de  notre  inteUigence.  Gas- 

1.  Notuni  nempe  est...  scepticos  sic  distinguera  inter  naturam  intimam  alicujus  rei 
verbi  causa,  niellis,  et  id  quod  apparet  externo  adjuncto,  verbi  causa,  dulcedine,  ut 
de  veritate  apparentise  nullatenus  hsereant,  totum  de  intimse  naturae  veritate  litem 
intendant.  Quocirco  et  ego  illos  imitatus,  eam  veritatem  quideni  admitto,  quod  palato 
meo  mel  dulce  appareat, seu, quod  idem  est, mescire  profiteor  quod  hune  didcorem  ex^je- 
riar  (nec  ^  ero  acî  hanc  sive  veritatem,  sive  scientiam,  quam  dicere  historicam  seu  expe- 
rimentalem  soleo,  ulla  opus,  Dialectica,  cum  ad  eam  sufficiat  magistra  Natura).  At 
quam  tu  heic  putas  veritatem  rei,  seu  mellis  intimam  naturan:i,  ipsa  est  quam  pervelim 
nosse,  sed  de  qua  mihi  adhuc  non  constat,  quantumcvmique  libri  prope  infiniti  editi 
hacteraus  sint  ad  tradendum  demonstrativam  ut  loquuntur  scientiam  (Gassendi, 
Ad  Libntni  D.  Edoardi  Herherti  Angli  de  Veritate  Epistola,  OG,  t.  III,  p.  413,  c.  1). 
Cette  lettre  ne  fut  imprimée  qu'après  la  mort  de  Gassendi  dans  ses  Œuvres  complètes. 

2.  Cum  autem,  ut  initie  testati  sumus,  spes  non  sit  ut  intimius  persi^icere  animas 
natui'am  possimus,  absit  recipiamus  quidpiam  attexturos,  ex  quo  liceat  qualis  ea  sit 
vel  emintis  conjieere  ;  abunde  erit  si,  ut  caligando,  ita  balbutiendo,  aliquid  tentemus, 
unde  quid  inter  tôt  placita  videri  possit  habere  speciem  probabilitatis  sequamur. 
(Syntagma  :  Phvsica,  Sect.  III,  Membr.  II,  L.  III,  C.  III,  T.  II,  p.  250,  col.  1).  Cf. 
Ibidem,  C.  I,  p.  2.37,  col.  1  :  Disserendum,  inquam,  non  tam  quod  sit  spes  ut  ejus  natura 
[animae]  possit  a  nobis  introspici,  quam  quod  ignorandum  non  sit  quousque  fuerint 
Philosophi  in  ea  disquirenda  progressi. 

3.  ...  Persuasum  pêne  habuit  ter  maxinnum  Deum  reservatam  fipsam  rerum  verita- 
tem] sibi  voluisse  (Ad  Herbertum  Epistola,  §  iv,  OG,  t.  Ill,  p.  412,  col.  1).  Cependant 
Gassendi  ajoute  ces  mots  qui  expliquent  sa  pensée  et  tempèrent  ce  qu'elle  a  de  tro^) 
absolu  :  Heine  panim  semjDer  absum  ab  iis,  quos  ut  Scepticos  sic  insanos  dicis,  quando. 
licet  Academicorum  more  non  dicam  rerum  veritatem  esse  incomprehensibilem,  dicere 
tamen  posse  videor  illam  hactenus  non  esse  comprehensam  (Gassendi,  Ibidem,  OG, 
t.  m,  pp.  412-413,  col.  2-1).  Ainsi  donc  Gassendi  ne  prétend  pas  que  la  vérité  des  choses 
nous  est  incompréhensible,  comme  le  disent  les  Académiciens  ou  Sceptiques  ;  il  affirme 
seulement  que  jusqu'ici  elle  est  restée  incomprise.  C'est  ce  long  retard  qui  l'a  presque 
convaincu  (persuasum,  pêne)  que  la  connaissance  de  la  nature  des  choses  est  réservée 
à  Dieu. 


256  ARTICLE  n.  CHAPITRE  \^I.  —  LES  MÉRITES  DU  PHILOSOPHE 

sendi  ne  saurait  donc  être  rangé  purement  et  simplement  parmi  les 
Dogmatiques.  Lui-même  a  marqué  ^,  d'un  trait  net,  la  place  mitoyenne 
qui  lui  convient  :  elle  est  entre  les  Sceptiques  et  les  Dogmatiques  ^. 
Ici  encore  apparaissent  ses  tendances  éclectiques.  En  soutenant  que 
les  causes  et  les  essences  sont  inconnaissables,  Gassendi  se  montre 
le  précurseur  d'Auguste  Comte,  de  Stuart  Mill,  d'Herbert  Spencer. 
Attitude  qui  le  rend  peu  recommandable  aux  Métaphysiciens. 

Cette  attitude  est  d'ailleurs  facilement  explicable.  Gassendi  est 
un  penseur  qui  est  resté  très  modeste  malgré  les  témoignages  de  la 
plus  vive  admiration.  Intimement  convaincu  de  la  faible  portée  de 
l'esprit  humain,  frappé  de  la  difficulté  des  problèmes  à  résoudre, 
il  confessait  volontiers  son  impuissance,  que  son  humilité  et  sa  défiance 
de  lui-même  exagéraient  singulièrement  ^.  Cette  tournure  intellec- 
tuelle l'a  porté  à  multiplier  à  l'excès  les  formules  atténuantes,  comme 
il  semble  (videtur). 

Le  long  commerce  que  Gassendi  entretint  avec  les  divers  philo- 
sophes, surtout  avec  ceux  de  l'antiquité,  dont  il  constatait  les  diver- 
gences et  les  contradictions,  le  confirma  dans  sa  persuasion  que  «  la 
raison  humaine,  enveloppée  de  ténèbres,  est  partout  en  proie  à  l'in- 
certitude ))  ^. 

Enfin,  esprit  circonspect,  n'affirmant  rien  qu'à  coup  sûr  et  faisant 
sans  cesse  appel  à  l'expérience  pour  contrôler  les  recherches  des 
savants,  il  était  profondément  choqué,  irrité  même,  par  l'impertur- 
bable assurance  des  Péripatéticiens  de  son  temps,  qui,  forts  de  leurs 
principes  a  priori,  assignent  aux  phénomènes  physiques  des  causes 
imaginaires  et  n'hésitent  jamais  devant  une  difficulté.  Dès  ses  débuts, 
il  leur  manifesta  durement  son  antipathie  :  «  Après  qu'il  me  fut  donné 
de  voir  avec  évidence  quel  immense  intervalle  sépare  le  génie  de  la 
nature  de  l'esprit  humain,  comment  n'aurais- je  pas  estimé  que  les 
causes  intimes  des  effets  naturels  échappent  complètement  à  la  pers- 
picacité de  l'homme  ?  Par  suite,  je  commençai  d'avoir  pitié  et  honte 
de  la  légèreté  et  de  l'arrogancç  des  philosophes  dogmatiques,  qui  se 
glorifient  de  posséder  la  science  des  choses  naturelles  et  la  professent 
avec  tant  de  sérieux  et  de  rigidité  »  ^.  Pour  être  d'une  autre  sorte, 

\.  Mediii  qiisedam  via  inter  Scepticos  (quo  noniine  omnes  criteria  tollentes  complector) 
et  Dogmaticos  videtur  teneuda.  Nam,  non  oninia  quidem,  qute  Dogmatici  se  scire 
putant,  rêvera  sciunt  aiit  ad  ea  dijudicanda  congruum  habent  critérium  ;  sed  neque 
omnia,  qufe  in  controversiam  vertuntur  a  Scepticis,  ita  ignorari  videntur,  ut  non  Cri- 
térium aliquod  iis  dijudicandis  habeatui'.  (Syntagma  :  Logica,  Cap.  proœm.,  L.  II, 
C.  V,  OG,  t.  I,  p.  79). 

2.  C'est  à  cette  conclusion  qu'aboutit  Hexri  Berr  dans  sa  thèse  :  An  jure  iriier  scep- 
ticos Gassendus  numeratus  ftièrit,  Paris,  1898. 

3.  Caeterum  quse  niea  hebetudo  est  ;  caligo  seniper  ac  stupidus  rudisque  remaneo, 
quoties  naturam  veritatemque  rei  minimae  vestigare  tento  (Ad  Herhertum  Epistola, 
§  IV,  OG,  t.  III,  p.  412,  col.  1). 

4.  Novi  tamen  quanta  caligo  humanas  mentes  occupet,  quanta  sit  ubique  humanse 
rationis  fluctuatio  et  incertitude  (Dubitationes  et  Instantiœ...,  Proœm.,  OG.  t.  III, 
p.  275,  col.  1). 

5.  Postquam  enim  pervidere  licuit  quantis  naturœ  genius  ab  humano  ingenio  diffî- 
deret  intervallis,  quid  aliud  potui  quam  existimare  effectorum  naturalium  intimas  cau- 
sas prorsus  fugere  humanam  perspicaciam  ?  Miserescere  proinde  ac  pudere     cœpit 


II.    —   LE   POLÉMISTE  257 

le  dogmatisme  des  Cartésiens  ayant  une  confiance  illimitée  dans  la 
raison  guidée  par  la  méthode,  ne  lui  répugnait  guère  moins.  Par  esprit 
de  réaction  il  s'est  jeté  dans  l'excès  contraire.  Si  Descartes  a  trop 
exalté  la  puissance  de  l'intelligence  humaine,  Gassendi  l'a  trop  rabais- 
sée 1. 

La  question  du  scepticisme  de  Gassendi  étant  résolue,  nous  serons 
plus  à  l'aise  pour  apprécier,  à  sa  valeur,  le  polém  iste,  Vhistorien  et  le 
penseur. 

II.    —   LE    POLÉMISTE 

Gassendi,  dans  ses  polémiques,  a  fait  preuve  d'une  grande  pers- 
picacité pour  découvrir  les  points  faibles  de  ses  adversaires.  Son  style 
est  généralement  net,  alerte,  incisif.  C'est,  en  ce  genre  d'écrit,  que  ses 
défauts  habituels  sont  moins  sensibles  et  comme  absorbés  dans  l'éclat 
de  ses  qualités  brillantes. 

Il  faut  se  souvenir  pourtant  que,  dans  sa  lutte  contre  les  Ai'istoté- 
hciens,  notre  polémiste  a  complètement  dépassé  les  bornes.  Ses  atta- 
ques trop  souvent  sont  injustes  pour  le  fond  et  inconvenantes  dans 
la  forme  -.  Lui,  qui  devait  s'efïorcer  plus  tard,  pour  la  doctrine  d'Épi- 
cure,  de  la  dégager  des  travestissements  qui  l'avaient  rendue  de  tout 
point  haïssable,  que  n'a-t-il  procédé  ainsi  à  l'égard  d'Aristote  ?  Au 
heu  d'un  pamphlet  il  aurait  fait  œuvre  utile,  débarrassant  l'Aristo- 
téhsme  des  superfétations  que  beaucoup  de  Péripatéticiens,  infidèles 
à  la  pensée  du  Maître,  lui  avaient  surajoutées,  et  des  déformations 
qu'ils  lui  avaient  infligées. 

Son  Examen  de  la  Philosophie  de  Fludd,  ses  Objections  et  ses  Ins- 
tances contre  Descartes  méritent  au  contraire  de  grands  éloges.  Dans 
l'exposé  des  rêveries  de  Fludd,  notre  critique  montre  son  esprit 
lucide,  qui  jette  quelque  lumière  sur  les  obscurités  du  philosophe 
alchimiste  et  met  de  l'ordre  dans  ses  idées  éparses.  En  les  réfutant, 
il  déploie  une  grande  vigueur  de  raisonnement  au  service  d'un  bon 
sens  ferme  et  déhé  ;  parfois  même  il  assaisonne  sa  dialectique  d'un 
enjouement  et  d'une  ironie  qui  piquent  l'attention  et  égayent  la  dis- 
pute sans  l'envenimer  jamais. 

Mais  son  chef-d'œuvre,  en  ce  genre,  c'est  assurément  sa  Disserta- 
tion métaphysique  contre  l'auteur  du  Discours  de  la  Méthode.  Tous 
reconnaissent  que,  de  son  vivant.  Descartes  ne  rencontra  point  d'ad- 

me  levitatis  et  arrogautise  Dogmaticorum  Philosophorum,  qui  et  glorientur  se  arri- 
puisse,  et  tam  severe  profiteantur  rerum  naturalium  scientiam.  (Prœfatio  in  Exercita' 
tiones  paradoxicas,  OG,  t.  III,  p.  99). 

1.  Gassendi  est  allé  dans  ce  sens  plus  loin  que  le  Père  Gabriel  Daniel  l'imagine. 
Aussi  convient-il  de  faire  des  réserves  siu-  la  façon  dont  il  apprécie  le  Pynhonisme  de 
Gassendi  :  «  Gassendi  étoit  un  homme  qui  avoit  autant  d'esprit  que  M.  Descartes,  une 
bien  plus  grande  étendue  de  science  et  beaucoup  moins  d'entêtement.  Il  paroit  être  un 
peu  Pyrrhonien  en  Physique,  ce  qui,  à  mon  avis,  ne  sied  pas  mal  à  un  philosophe,  qui, 
pour  peu  qu'il  veiiille  se  faire  justice,  connoît  par  sa  propre  expérience  les  bornes  de 
l'esprit  humain  et  la  foiblesse  de  ses  lumières.  »  (G.  Daniel,  Voyage  du  Monde  de 
Deacartes,  2^  Partie,  pp.  143-144,  Paris,  1702  2). 

2.  Cf.  supra,  Ch.  II,  §  A,  p.  31-32. 

17 


258  ARTICLE  II.  CHAPITRE  Vn.  LBS  MERITES  DU  PHILOSOPHE 

versaire  mieux  armé  et  plus  redoutable.  «  Plus  souple  que  Cratérus 
et  Merseime  dont  les  arguments  se  succèdent  toujours  graves  et 
mesurés  ;  plus  pénétrant  et  plus  subtil  que  Hobbe^s,  si  vif  cependant 
et  si  prompt  à  l'attaque  ;  moins  prolixe  que  le  Père  Bourdin  et  d'un 
goût  beaucoup  plus  sûr,  Gassendi  semble  réunir  en  lui  la  force  des 
uns  et  l'adresse  des  autres...  ^  »  Nul  mieux  que  lui  n'a  discerné  les 
côtés  vulnérables  du  Cartésianisme  ;  nul  n'a  lancé,  d'une  main  sûre, 
aux  bons  endroits,  des  traits  plus  pénétrants,  qui  atteignaient  le 
système  sans  blesser  la  personne  de  Fautem". 

On  l'a  dit  avec  raison  :  «  Il  est  difficile  de  traiter  les  discussions 
philosophiques  avec  plus  de  clarté,  d'agrément  et  de  naturel  ;  et  la 
polémique  de  Gassendi,  sauf  peut-être  un  peu  de  rhétorique,  mérite 
encore  aujourd'hui  d'être  proposée  comme  un  modèle  »  ^. 

ni.    —   L'HISTORIEN    DES    SCIENCES    ET    DE    LA    PHILOSOPHIE 

Un  des  traits  les  plus  saillants  de  la  physionomie  intellectuelle  de 
Gassendi  est  un  goût  très  prononcé  pour  l'histoii'e  ^  des  idées  scienti- 
fiques et  philosophiques. 

Les  biographies  qu'il  a  consacrées  à  Péreisc  *  (que  Bayle  appelle 
«  le  Procureur  général  de  la  Répubhque  des  Lettres  »  ^,  Mécène  éclairé 
des  savants,  savant  lui-même),  aux  célèbres  astronomes  Tycho- 
Brahé,  Copernic,  Peurbach  et  MuUer  ®,  ont  été  appréciées  même  à 
l'étranger.  «  Gassendi  a  été  l'un  des  premiers,  après  la  renaissance  des 
lettres,  à  traiter  la  «  littérature  »  de  la  philosophie  d'iuie  façon  vivante. 
,  Ses  écrits  en  ce  geni'e,  quoique  trop  louangeurs  et  quelque  peu  diffus, 
ont  un  grand  mérite.  Ils  abondent  en  traits  anecdotiques,  en  réflexions 
naturelles  et  qui  pourtant  ne  se  présentent  pas  d'elles-mêmas,  en  tours 
vifs  de  pensée,  qui  faisaient  dire  de  lui  à  Gibbon,  avec  quelque  exa- 
gération sans  doute,  mais  avec  assez  de  vérité  pour  l'époque  de  Gas- 
sendi :  «  C'est  le  meilleur  philosophe  des  Uttératems  et  le  meilleur 
littérateur  des  philosophes  »  '. 

1.  Thomas,  La  Philosophie  de  Gassendi,  Introduct.,  p.  13-14. 

2.  Fr.  Bouillibr,  Histoire  de  la  Philosophie  cartésienne,  T.  I,  Ch.  XI,  p.  236,  Paa-is, 
1868  3. 

3.  On  Bait  quel  dédain  inconsidéré  Descartes,  en  complète  opposition  avec  Gassendi, 
professait  pour  l'Histoire.  Cf.  Discours  de  la  Méthode,  I''«  Partie.  Œuvres,  Edit.  Adam, 
t.  VT,  p.  6-7. 

4.  Cf.  Opéra  Gassendi,  T.  V,  p.  237-362. 

5.  «  Jamais  homme  ne  rendit  plus  de  services  à  la  République  des  Lettres  que  celui-ci 
[Peiresc].  Il  en  étoit  pour  air^i  dire  le  Procureur  généraL  »  (Bayue,  Dictionruaire..., 
Article  Petresc).  —  Avant  Bayle,  Gassendi,  qui  fut  l'hôte  de  Peiresc,  le  quahfiait 
ainsi  dans  une  lettre  à  Naudé  :  Quando  hospes  adsura  nostro  isti  magno  omnium  et 
literatorura  et  literarum  praesidio,  Peirescio  inquam...  (Gassendi  à  Nandé,  8  sep- 
tembre 1634,  OG,  t.  VI,  p.  72,  eol.  2). 

6.  Cf.  Opéra  GassetuLi,  t.  V,  p.  363-534. 

7.  Gassendi  was  one  of  the  first,  after  the  revival  of  letters,  who  treated  the  litfature 
of  philosophy  in  a  lively  way.  His  writings  of  this  kind,  though  too  laudatory  and 
somewhat  diffuse,  hâve  great  merit.  They  abound  in  those  aneedotal  détails,  natural  yet 
not  obvious  reflections  and  vivacious  turns  of  thought,  which  mad  Gibbon  style  him, 
with  some  extravagance  certainly,  though  it  was  true  enough  up  to  Gassendi's  time  : 


m.  —  LHISTOEIEN  DES  SCIENCES  ET  DE  LA  PHILOSOPHIE  25?» 

«  Le  Vie  de  Pereisc,  traduite  en  anglais,  a  eu  outre-àManche,  une 
vogue  considérable  »  ^.  La  Vie  de  Tycho-Brahé  est  précédée  d'une 
brève  histoire  de  l'Astronomie. 

En  tête  du  Syntagma,  Gassendi  a  placé  une  esquisse  des  principales 
sectes  ou  écoles  philosophiques  de  l'antiquité.  Par  manière  d'intro- 
duction à  la  Logique,  U  en  a  retracé  sommairement  l'histoire  critique 
depuis  Zenon  d'Élée  et  Euclide  jusqu'à  Bacon  et  Descartes.  D'ordi- 
naire, avant  d'aborder  une  question  importante,  il  passe  soigneuse- 
ment en  revue  les  solutions  diverses  que  philosophes  ou  savants 
antérieurs  lui  ont  données.  Inutile  de  rappeler  les  trois  ouvrages 
consciencieux  qui  se  rapportent  à  la  vie  et  à  la  doctrine  d'Épicure. 

Ces  travaux  ont,  en  France,  ouvert  la  voie  à  un  genre  nouveau, 
l'histoire  de  la  Philosophie.  Sur  ce  terrain  Gassendi  est  un  précurseur, 
et  ce  n'est  pas  là  son  moindre  mérite. 

Son  érudition  était  immense  et  puisée  aux  sources  ^.  Aussi  Bernie)' 
pouvait-il  dire  sans  paraître  excessif  :  «■  A  proprement  parler,  Gas- 
sendi est  une  bibliothèque  entière  »  '.  Cet  éloge,  il  est  vi'ai,  s'applique 
surtout  à  sa  connaissance  des  auteurs  anciens.  La  philosophie  scolas- 
tique  lui  a  été  beaucoup  moins  famihère.  C'est  grand  dommage,  car 
une  étude  approfondie  des  Docteurs  de  la  Philosophie  médiévale  lui 
aurait  épargné  bien  des  en-eurs. 

«  Le  meilleur  philosophe  des  littérateurs  et  le  meilleur  littérateur  dee  philosophes.  « 
(G.-S.  Beett,  The  Philosophy  of  Gassendi,  Introduction,  p.  xuv,  note  1.  Londres. 
1908).  —  Voici  le  texte  complet  de  Gihbon  :  »  Gassendi,  le  meilleur  Philosophe  dee 
Littérateurs  et  le  meilleiir  Littérateur  des  Philosophes,  expliquoit  Epicure  eu  Critique 
et  le  defendoit  en  Physicien.  »  (Essai  sur  VEUide  de  la  Littérature,  §  vii,  p.  19,  Londres- 
Paris,  1762).  Ce  jugement  de  Gibboîs  n'est  qu'une  variante  de  celui  de  Baxle  :  «  On 
peut  assurei-  qu'il  [Gassendi]  étoit  le  plus  excellent  philosophe  qui  fût  parmi  les  Huma- 
nistes, et  le  plus  savant  Humaniste  qui  fût  parmi  las  Philosophes.  Fhilosopliorum  litera- 
tiesimus,  Utera'.orum  maxime  philosophus.  a  (Dictiminaire  historique....  Article  Catius, 
Note  E). 

1.  The  Vita  Peireski  waa  translated  in  Ënglishand  had  a  consideraUe  vogue.  (Brett. 
Tke  Philosophy...,  Introd.,  p.  XLm).  —  Voici  le  titre  de  cette  traduction  :  The  Life 
of  Lord  Peiresc  translated  by  W.  Ra^d,  M.  D.,  Londres,  1657.  —  La  correspondance  de 
Peiresc  et  de  Gassendi,  qui  va  du  7  a\Til  1626  au  4  mai  1637,  a  été  publiée  par  Tamizey 
DE  Labroqtje  dans  la  Collection  de  Documents  inédits  sur  l'Histoire  de  France,  2^  Série. 
T.  IV,  pp.  177-611,  Paris,  1893.  L'éditeur  dit  avec  raison  que  cette  correspondance 
a  met  admirablement  en  lumière  les  diverses  qualités  de  deux  des  plus  nobles  cœurs  et 
des  plus  grands  esprits  qui  aient  honoré  le  xvn*  siècle.  y>  ( AvertiesemetU,  p.  iv).  Cette 
eorrespondanoe  a  siu-tout  un  caractèi'B  scientifique. 

2.  Tout  en  rejetant  l'atomisme  de  Gassendi,  Leibniz  a  su  rendre  liommage  à  l'érudi- 
tion dont  il  a  fait  preu^^  :  «  Qua<nt  à  M.  GJassendi,  dont  vous  désirés  de  savoir  mon  sen- 
timent, ]\Ionsiem',  je  le  trou^^e  d'un  savoir  grand  et  étendu,  très  versé  dans  la  lectui-e 
des  anciens,  dans  rhistoire  profane  et  ecclésiastique,  et  en  tout  geni-e  d'érudition  ;  mais 
ses  méditations  me  eonteaxtent  moins  à  présent  qu'^e  ne  faisoient  quand  je  eommençois 
à  quitter  les  sentimens  de  l'Ecole,  écolier  encore  jnoy  même.  Comme  la  Doctrine  des 
Atomes  satisfait  à  l'imagination,  je  donnay  fort  là  dedans,  et  le  \-uide  de  Democrite 
ou  d'Epicure,  joint  aux  coi-puscules  indomptables  de  ces  deux  auteurs,  me  paraissoit 
lever  toutes  les  difiîcultés.  Il  est  \-ray  que  cette  hypotiièse  peut  conienter  de  simples 
physicdeiis...  Mais  étant  avancé  dans  les  méditations,  j'ay  trou\-é  que  le  \'Tiide  et  les 
Atomaes  ne  pouvoient  point  subsister.  »  (Leibniz  à  Bemand  de  Motimott,  juillet  1714, 
Edit.  ■Gerhardt,  T.  ni,  p.  620). 

3.  Berxiee,  Abrégé^.,  T.  I,  Préface  [non  paginée],  p.  5.  La  Poterie  hii  remd  oe  témoi- 
gnage :  Cl  II  [Gasseni)!]  avoitleu  tous  les  bons  autheurs,  historiens,  philosophes,  huma- 
nistes... ')  (Mémoires...,  Revue  des  Questions  historiquce,  juillet  1877,  p.  239). 


260  ARTICLE  II.   CHAPITRE  VII.   —  LES  MÉRITES  DU  PHILOSOPHE 

Gaî^endi  a  malheureusement  le  défaut  qui  accompagne  trop  sou- 
vent les  qualités  de  Térudit.  Il  ne  sait  pas  résister  suffisamment  au 
besoin,  non  pas  d'étaler,  car  c'est  un  modeste,  mais  de  prodiguer 
aux  autres  les  trésors  de  ses  connaissances  si  laborieusement  accumu- 
lées. Malgré  cette  légère  réserve,  on  ne  peut  que  souscrire  à  ce  jugement 
de  Leibniz  :  «  Je  trouve  Gassendi  d'un  savoir  grand  et  étendu,  très 
versé  dans  la  lecture  des  anciens  et  dans  tout  genre  d'érudition  ^.  « 

IV.    —   LE    PENSEUR 

Arrivons  enfin  au  penseur,  après  avoir  rendu  justice  au  polémiste 
et  à  l'historien . 

Pour  se  meubler  l'inteUigence,  Gassendi  se  Uvra  de  bonne  heure 
à  une  étude  comparative  des  Philosophies  antiques.  Voici  en  quels 
termes,  ach'essés  à  son  correspondant  Jacques  Golius,  professeur  de 
Langues  orientales  et  de  Mathématiques  à  l'Académie  de  Leyde,  il 
rendait  compte  de  Timpression  dominante  qui  résultait  pour  lui  de 
cette  comparaison  :  a  Je  médite  sur  certaines  doctrines,  les  plus 
célèbres,  de^  philosophes  anciens  et  je  les  compare  entre  elles.  Et 
comme  je  les  estime  tous,  je  m'évertue  à  peser  les  opinions  de  chacun, 
comme  quelqu'un  qui  chercherait  à  s'identifier  avec  leur  génie  parti- 
cuUer...  Je  vois  clairement,  à  moins  que  je  ne  sois  dupe  d'une  hallu- 
cination complète,  que  ces  grands  hommes  sont  bien  plus  d'accord 
entre  eux  qu'on  ne  le  croit  communément.  Le  désaccord  ne  porte  le 
plus  souvent  que  sur  les  mots  ;  quant  aux  choses  elles-mêmes,  l'har- 
monie est  très  grande  sur  les  points  les  plus  importants  et  les  plus 
fameux.  C'est  merveilleux.  Mais,  ou  je  suis  dans  une  illusion  profonde, 
eu  pour  ce  qui  regarde  les  principes  des  choses,  la  fin  des  biens,  la 
nature  de  l'âme  et  les  autres  questions  sur  lesquelles  on  les  croit 
principalement  divisés,  ils  s'entendent  presque  complètement  ^.  » 

Evidemment,  peut-être  sous  le  charme  trompeur  de  recherches 
encore  superficielles  ^,  Gassendi  exagère  singulièrement  le  nombre 
et  la  portée  des  ressemblances*.  Cette  lettre,  écrite  en  1630,  montre 

1.  Cité  6ans  référence  par  Thomas,  p.  307,  n.  3. 

2.  Meditor  nempe  et  compare  celebrîora  qufedam  placita  antiqiiorum  Philosophorum  ; 
ac  omnes  cum  suspiciam,  siugulorum  opiniones  vsic  enitor  exj^endere,  ut  si  iia  cujusvi» 
tcansfunderes  Genium...  Quod  caput  est,  pervideo,  nisi  prorsus  hallucinor,  majorem 
fuisse  virorum  tantorum  conspirationem  inter  se,  quam  hominum  vidgus  opinetur. 
V'erborum  plerumque  est  dissidium  ;  at,  quod  i  es  ipsas  attinet,  maxima  est  in  maximis 
celeberrimisque  argumentis  eorum  consonantia.  Id  minim  ;  sed,  aut  longe  fallor,  aut 
quod  spectat  ad  principia  rerum,  ad  finem  bonorunn,  ad  naturam  animse  cseteraque 
ir.  quibus  illi  dissidere  prœcipue  creduntur,  pêne  prorsusque  consentiunt  (Gassendi 
à  Golius,  Paris,  9  mars  1630,  OG,  t.  VI,  p.  32,  c.  2). 

3.  La  lettre  indique  que  Gassendi  est  en  train  de  faire  cette  étude  comparative. 

4.  Leibniz  est  beaucoup  plus  réservé,  quand  il  dit  :  «  La  vérité  est  plus  répandue 
qu'on  ne  pense  ;  mais  elle  est  très-souvent  fardée  et  très-souvent  aussi  enveloppée,  efc 
ra^me  affoiblie,  mutilée,  corrumpue  par  des  additions  qui  la  gâtent  ou  la  rendent  moins 
utile.  En  faisant  remarquer  ces  traces  de  la  vérité  dans  les  Anciens,  ou,  pour  parler  plus 
généralement,  dans  les  antérieurs,  on  tireroit  l'or  de  la  boue,  le  diamant  de  sa  mine  et 
la  lumière  des  ténèbres  ;  et  ce  seroit  en  efïect  perennis  qusedam  Philosoj^hia.  (Leibniz 
ù  Mr  Bewond  de  Monmort,  Vienne,  26  août  1714.  Ibidem,  p.  624-625.) 


IV.    —  LE   PENSEUR  261 

qu'il  inclinait  déjà  vers  un  sjTicrétisme  éclectique,  qui  apparaît  nette- 
ment à  travers  tout  le  Syntagma. 

Dans  sa  Logique,  Gassendi  emprunte  à  Aristote  la  théorie  de  la 
proposition  et  du  syllogisme  ;  il  s'approprie  quelques  vues  delà  méthode 
baconienne,  tout  en  défendant  avec  raison  contre  «  Vérulam  »  la 
valeur  du  raisonnement  syllogistique  et  en  affirmant  que  «  Finduc- 
tion  n'est  probante  que  parce  qu'elle  est  un  syllogisme  en  puis- 
sance »  ^  ;  il  adopte  enfin  le  critérium  de  l'évidence  proposé  par  Des- 
cartes. 

Dans  sa  Phj'^sique,  il  corrige  la  doctrine  épicmienne  par  les  ensei- 
gnements de  la  Philosophie  chrétienne  sm*  l'immatériaUté  et  l'immor- 
taUté  de  l'âme  raisonnable,  sur  l'existence  d'un  Dieu  persoimel, 
infiniment  parfait,  Créateur  et  Providence  de  l'univers. 

Dans  sa  Morale  enfin,  nous  retrouvons  le  fond  de  la  morale  utiU- 
taire  d'Épicure,  mais  tempérée  et  relevée  par  des  préceptes  inspù-és  de 
l'Évangile. 

De  cet  amalgame  résulte  un  ensemble  qui  n'est  pas  très  cohérent. 
Oassendi,  malgré  sa  souplesse,  n'a  pas  réussi  à  unir,  dans  une  subor- 
dination logique  et  harmonieuse  comme  celle  qu'a  réahsée  le  système 
scolastique,  l'empmsme  et  le  spnituahsme,  qui  s'offrent  à  nous  sim- 
plement juxtaposés.  En  suivant  de  trop  près  Épicm'e,  il  s'est  rivé 
un  boulet  qui  a  entravé  la  marche  normale  de  sa  pensée.  Ce  boulet 
c'est  la  notion  de  l'àme  sensitive  matérielle  qu'il  a,  contre  natm'e, 
accouplée  à  la  notion  de  l'àme  raisonnable  immatérielle.  Ce  rapproche- 
ment forcé  ne  pouvait  aboutir  qu'à  un  duahsme  répugnant  et  contra- 
dictoire. Comment  Gassendi,  en  effet,  exigeant  pour  la  pensée  un 
principe  simple  et  immatériel,  n'a-t-il  pas  vu  que  la  sensation  qui, 
en  dernière  analyse  est  indivisible,  réclame  pareillement  la  simph- 
cité  et  l'immatériahté  de  l'âme  ? 

Par  ailleurs,  notre  philosophe  a  raison  de  soutenir  que  nos  idées 
nous  viennent  par  les  sens.  Mais  il  n'a  pas  ajouté  une  distinction 
nécessaire  :  à  savoir  que  par  ce  dernier  mot  il  ne  faut  pas  seulement 
entendre  les  sens  extérieurs,  mais  aussi  le  sens  intime  ou  conscience 
psychologique.  Cependant,  malgré  ce  choix  d'une  base  empirique 
trop  étroite,  on  ne  saurait  lui  reprocher  d'être  purement  sensuaHste, 
comme  le  fait  Damiron  que  ses  préoccupations  trop  exclusivement 
cartésiennes  ont  empêché  de  bien  saisir  toute  la  pensée  gassendiste  ^. 
Si  Gassendi  prend  pour  point  de  départ  l'expérience  sensible,  il  n'y 
emprisonne  pas  l'esprit  humain,  et  sa  théorie  de  la  connaissance 
ne  doit  pas  être  présentée  comme  une  première  ébauche  du  système 

1.  Quanquam,  cum  in  syllogisme  sit  reipsa  robiir  nervusque  omnis  ratiocinii,  et  ne 
inductio  quidem  quicquam  probet,  nisi  quia  virtute  syllogismiis  est...  (Gassendi, 
Syntagma  :  Logica,  Cap.  proœm.,  L.  II,  C.  VI,  p.  90,  c.  1).  —  Assagi  par  l'âge  et 
l'étude,  Gassendi  rétracte  ainsi,  dans  le  Syntagma,  les  accusations  téméraires  que,  dans 
les  Exercitationes,  il  avait  lancées  contre  le  Syllogisme.  Il  faut  le  féliciter  de  n'avoir 
point  hésité  à  se  contredire.  «  La  contradiction  est  évidente  ;  Gassendi  l'eût  évitée  s'il 
eût  été  aussi  juste  et  clairvoyant  dans  le  premier  [Exercitationes']  que  dans  le  second 
[Syntagtna]  de  ces  traités.  »  (Ph.  Damiron,  Essai...,  T.  I,  L.  III,  Ch.  II,  p.  384). 

2.  DAmRON,  Essai...,  L.  III,  Ch.  II,  pp.  487-489. 


262  ARTICLE  II.  CHAPITRE  VU.  —  LES  MÉRITES  DU  PHILOSOPHE 

de  a  la  sensation  modifiée  et  transformée  »  ^.  Car,  on  l'a  vu  ^,  il  recon- 
naît à  la  raison  une  activité  propre,  supérieure  à  celle  des  sens  et  de 
l'imagination  :  grâce  à  elle,  l'homme  est  capable  de  former  des  idées 
générales,  de  concevoir  des  êtres  incorporels  comme  Dieu,  de  prouver 
par  le  raisonnement  l'immatérialité  de  l'âme  raisonnable  et  l'exis- 
tence d'un  Etre  nécessaire  et  parfait. 

Comme  Damiron,  pour  autoriser  son  jugement,  aime  à  répéter  que 
le  Dieu  de  Gassendi,  logiquement  ^,  «  ne  se  peut  concevoir  que  sous 
une  forme  sensible  »  *,  il  convient  de  lui  opposer  un  dernier  texte,  qui 
lèvera  cette  apparente  contradiction  :  «  Il  en  est  qui  pensent  qu'il 
n'existe  aucune  substance  incorporelle,  parce  qu'ils  ne  conçoivent 
lien  qui  n'apparaisse  sous  une  forme  ou  image  corporelle.  Leur  erreur 
vient  de  ce  qu'ils  ne  reconnaissent  point  qu'il  y  a  une  espèce  d'intelli- 
gence distincte  de  l'imagination,  à  savoir  celle  qui,  par  voie  de  consé- 
quence, nous  fait  comprendre  que  quelque  chose  existe  en  plus  de  ce 
qui  tombe  sous  les  prises  de  l'imagination.  De  là  vient  que,  chaque 
fois  qu'il  nous  arrive  de  disserter  sur  le  soleil,  outre  la  grandeur  d'un 
pied  sous  laquelle  on  se  le  représente,  nous  comprenons  qu'il  en  a 
une  autre  que  notre  esprit,  si  apphqué  soit-il,  est  incapable  d'atteindre  ; 
ainsi,  outre  l'espèce  corporelle,  sous  laquelle  nous  concevons  Dieu 
toutes  les  fois  que  nous  pensons  à  lui,  il  est  très  intelligible  qu'il  y  a 
autre  chose,  quelque  substance  incorporelle,  que  notre  esprit,  si  grand 
effort  qu'il  fasse,  est  impuissant  à  saisir  ou  connaître  sôus  la  forme 
d'une  image  »  ^. 


1.  Damtron,  Essai...,  Ibidem,  p.  408. 

2.  Cf.  supra,  p.  135-141. 

3.  « . . .  Quand  Gassendi  en  vient  dans  la  suite  de  son  Syntagma  à  traiter  de  Dieu  et 
de  l'âme,  l'espèce  de  spiritualisme  qu'il  professe  alors  est  presque  en  constante  contra- 
diction avec  son  principe  idéologique  »  [c'est-à-dire  Nihil  est  in  intellectu  quod  non 
prius  fueritin  sensu]  (Damiron,  Essai...,  Ibidem,  p.  409). 

.4.  Damtron,  Essai...,  Ibidem,  p.  488. 

5.  Ad  rem  ut  veniam,  isti,  qui  putant  non  esse  aubstantiam  ullam  incorpoream,  qua- 
tenus  nihil  nisi  sub  specie  a\it  imagine  corporea  eoncipiunt,  in  eo  falluntur  quod  non 
agnoscant  esse  speciem  intelligentise  quse  imaginatio  non  sit  :  eam  nempe  qua  ex  conse- 
quutione  intelligimus  esse  aliquid  prseter  id  quod  in  imaginationem  cadit.  Hinc  enim 
fit  ut,  quemadmodum  praeter  pedalem  v.  g.  solis  magnitudinem  quam,  quoties  de  sole 
philosophamur,  concipimus,  intelligimus  esse  aliam,  quam  mens  nostra  asaequi,  quan- 
tumvis  intenta,  non  possit,  ita,  prseter  speciem  corpoream,  sub  qua  Deum  concipimus 
quoties  de  illo  cogitamus,  intelligi  omnino  possit  esse  aliquid  sive  aliquam  eubstantiam 
incorpoream  quam  mens  nostra,  nisù  quantumvis  magno,  comprehendere  seu  quasi 
intuendo  intelligere  nunquam  valeat.  (Gassendi,  Syntagma  :  Physica,  Sect.  I,  L.  IV, 
C.  III,  T.  I,  p.  298,  c.  I^.  On  aura  sans  doute  été  surpris  de  me  voir  traduire  les  derniei-s 
mots  :  quasi  intuendo  intelligere  par  :  «  connaître  sous  la  forme  d'une  image.  »  C'est 
pourtant  la  traduction  exacte  de  la  pensée  de  Gassendi.  Mais,  pour  l'admettre,  il  faut 
avoir  présent  à  l'esprit  ce  passage  capital  où  notre  philosophe  explique  ce  qu'il  entend 
par  intuition  :  Eniravero,  dum  ita  faciunt,  non  advertunt  fallaciam  qua  imaginationem 
seu,  ut  ita  loquar,  intuitivam  intelligentiam  cum  ratione  seu  consequutiva  intelligentia 
confundunt.  Quia  enim  mens,  quandiu  est  alligata  corpori,  haurit  per  sensus  rerum 
notiones  seu  quae  habet  imagines  ;  ex  quo  effatum  vulgare  est  :  Nihil  ease  in  intellectu 
quod  non  fuerit  prius  in  sensu.  Exinde  fit  ut,  quicquid  mens  veluti  intuetur  et  quasi 
direeta  ac  intenta  acie  respicit,  id  intueatur  ac  respiciat  per  imaginera  ex  sensibus 
haustam,  unde  et  dixi  hanc  intuitionem  seu  intuitivam  intelligentiam  idem  ease  cum 
imaginatione  sive  cognitione  quse  ad  imaginera  terminatur,  seu  qua  objectum  non 


I 


rv.   —  LE  PENSEUR  263 

Il  est  difficile  d'affirmer  plus  nettement,  à  l'encontre  da  sensualisme, 
dont  on  voudrait  faire  de  Gassendi  le  fondateur  en  France  ^,  que  l'âme 
humaine  est  capable  de  s'élever,  par-delà  les  images  sensibles,  à  des 
notions  purement  intelligibles. 

De  l'ensemble  du  Syntagma  se  dégage,  à  travers  les  longueurs, 
une  conception  générale  de  l'univers.  Gassendi  se  le  représente  comme 
un  immense  système  de  forces,  créées  par  Dieu  et  se  déployant,  sous 
l'impulsion  une  fois  reçue  de  sa  volonté  infiniment  intelligente,  puis- 
sante et  bonne,  selon  une  progression  ascendante.  L'idée  directrice 
qui  préside  à  cette  ascension  est  celle  d'une  perfection  croissant  avec 
la  complexité  ^. 

L'unité  c'est  l'atome  étendu  et  indivisible.  Tout  le  reste,  sauf  l'âme 
raisonnable,  ne  sont  que  des  agrégats  variés  et  plus  ou  moins  complexes 
d'atomes.  Les  choses  inanimées,  puis  les  êtres  organiques  :  plantes  et 
animaux,  l'homme  enfin,  animal  par  son  corps  et  son  âme  sensitive, 
mais  esprit  par  son  âme  raisonnable,  le  tout  se  mouvant  dans  l'espace 
et  le  temps  et  conduit  à  sa  fin  par  la  Providence  divine.  Voilà  l'échelle 
graduée  des  êtres  de  la  Création. 

Gassendi  a  même  cherché  un  trait  d'union  pour  relier  les  différents 
degrés  de  l'échelle.  Cet  élément  commun,  mais  diversement  dosé, 
c'est  la  perception  sensible,  qu'il  nous  montre  rudimentaire  dans  le 
minéral,  déjà  plus  développée  dans  la  plante,  et  pleinement  épanouie 
dans  l'animal.  Est-ce  que  le  fer  n'est  pas  attiré  par  l'aimant  ?  Est-ce 
que  les  plantes  ne  dii'igent  pas  leurs  racines  vers  l'ahment  qui  leur 
convient  1  N'y  a-t-il  pas  dans  ces  affinités  et  ces  tendances  une  réelle 
analogie  avec  celles  qu'on  remarque  dans  les  animaux  et  qu'on  nomme 
amour  ou  haine  ?  ^ 


sine  quadam  imagine  percipitiir,  At,  praeter  liane  intelligentiam,  est  in  nobis  alia  qua 
non  intuitione  sed  consequutione,  percipimus  aliquid  ;  unde  et  non  tam  percipimus 
quid  ait  (quando  quidem  non  intuemur)  quam  veluti  suspicamur  quod  sit  et,  ex  argu- 
menti  necessitate,  judicamns  quod  esse  debeat.  Hanc  proinde  intelligentiam  idem  esae 
dixi  cum  ratione  sevi  mavis  ratiocinatione,  qua  quod  non  intuemur  existera  colligimus 
intelligimusve  subesse.  (Syntagma  :  Physica,  Ibidem,  pp.  297-298,  c.  2-1). 

1.  «  Gassendi  est  donc  le  père  de  cette  famille  sensualiste  qui  naît  en  France  vers  le 
mDieu  du  xvii*  siècle,  s'y  perpétue  et  y  brille  pendant  tout,  le  x^Tii«,  s'y  maintient 
au  xix«  et  ne  fournit  pas,  loin  de  là,  une  carrière  sans  gloire,  m£dgré  ses  chutes  et  ses 
erreurs.  »  (Damiron.  Essai...,  p.  499).  —  Après  avoir  cité  le  passage  de  sa  Logique 
(Syntagma  :  Logica,  Cap.  proœm.,  L.  II,  C.  V,  p.  81,  c.  2)  où  Gassendi  distingue  nette- 
ment une  douHe  faculté  de  connaître,  les  sens  et  la  raison,  Hallam  ajoute  :  «  If  thifl 
passage  be  w»ll  attended,  it  will  show  how  the  philosophy  of  Gassendi  has  been  misun-  • 
derstood  by  those  who  confound  it  witb  the  merely  sensual  school  of  metaphj'sicians.  ~ 
(H.  Hallam,  Introduction  to  the  Literature  of  Europe...,  T.  m,  P.  IV,  C.  III,  §  15,  note  u, 
p.  310,  6^  Edit.  Londres,  1873).  —  Thomas  repousse  également  l'accusation  de  sensua- 
lisme dirigée  contre  Gassendi.  Cf.  La  Philosophie...,  Il*"  Partie,  Ch.  IV,  §  ii,  pp.  169- 
172. 

2.  Cf.  G.  S.  Bbett,  The  Philo3(ypky...,  P.  IV,  Ch.  I,  §  in,  pp.  256-261. 

3.  J'ai  déjà  cité  plus  haut  (p.  122)  ce  qui  a  trait  à  l'aimant.  J'ajoute  ici  ce  qui  regarde 
les  plantes,  puis  la  conclusion  que  Gassendi  tire  faussement  de  ces  analogies  superfi- 
cielles. — Idem  dici  potest  de  plantis,  non  modo  prout  alias  prosequuntur  aut  aversantur 
alias,  sed  maxime  etiam  quatenus  alimentum  congniunï  percipientes  apprehenden- 
tesque  producunt  versus  ipsum  radices,  illudque  transmutant  ac  pro  indigentia  aeoom- 


264  ARTICLE  II.  CHAPITRE  VII.  —  LES  MERITES  DU  PHILOSOPHE 

Cette  explication,  qui  gratifie  de  la  connaissance  et  de  la  sensibi- 
lité le  minéral  et  le  végétal,,  ne  repose  que  sur  des  analogies  apparentes. 
Mais,  si  elle  est  fausse,  elle  ne  met  pas  cependant  en  péril  l'orthodoxie 
de  Gassendi,  qui  lui^  tient  si  fortement  au  cœur.  Car,  loin  de  faire 
sortir  la  vie  de  la  matière  inanimée,  c'est-à-dire  le  plus  du  moins, 
il  admet  pleinement  l'intervention  créatrice  de  Dieu  :  «  On  peut,  d'une 
manière  générale,  supposer  que  lors  de  la  création  du  monde,  quand 
il  commanda  à  la  terre  et  à  l'eau  d'engendrer  et  de  produire  les  plantes 
et  les  animaux,  Dieu  très  bon  et  très  grand  donna  en  même  temps 
la  fécondité  à  la  terre  et  à  l'eau,  c'est-à-dire  créa  les  semences  de 
toutes  les  choses  produites  ou  devant  l'être  ^ans  la  suite...  Ainsi, 
•Celui  qui  vit  éternellement  créa  simultanément  toutes  choses,  comme 
si  tout  <ie  qui  apparaît  présentement,  avait  été  produit  et  créé  au 
commencement  dans  leurs  semences,  de  sorte  qu'il  ne  se  fasse  rien 
même  maintenant  qui  ne  doive  son  origine  à  l'efficace  de  cette  parole 
et  bénédiction  de  Dieu  »  ^. 

Si  l'on  veut  s'en  tenir  à  ce  qui  caractérise  proprement  l'œuvre 
philosophique  de  Gassendi,  Fatomisme,  on  peut  dire,  avec  un  bon 
juge,  «  qu'il  ne  mérite  sûrement  pas  le  dédain  et  l'oubli  où  il  est  tombé.  ^>^ 
Cet  atomisme  est  un  mélange  original  de  mécanisme  et  de  djoia- 
misme  ;  «  ...  Le  système  de  Gassendi  est  un  dynamisme,  en  ce  sens 
que  chaque  atome  contient  en  lui-même  le  principe  de  son  mouvement 
et  ne  se  contente  pas  d'en  être  le  véhicule  inerte  et  indifférent,  comme 
le  veut  Descartes.  Mais,  dans  ce  sens,  il  soppose  au  mécanisme  car- 
tésien, non  au  mécanisme  atomistique  de  Démocrite,  qui,  lui  aussi, 
place  le  centre  de  la  force  dans  l'atome  même  et  le  proportionne  à  sa 
masse  ;  aucun  atomiste  n'a  jamais  admis  que  les  particules  maté- 
rielles fussent  des  ((  éléments  géométriques  d  transmettant  simplement 
un  mouvement  reçu.  Ce  n'est  pas  là  ce  qui  constitue  essentiellement 
le  mécanisme  comme  nous  devons  l'entendre  ici  :  c'est  la  liaison 
réglée,  prévisible,  nécessaire  de  tous  les  7nouvements  qui  se  produisent 

modant  sibi.  Quapropter,  nisi  istam  quoque  perceptionem  apprehensionemque  appel- 
lare  sensum  cognitionemque  placuerit,  re  tamen  ipsa  idem  fit  ac  in  animalium  amore 
vel  odio,  et  dum  ad  cibum  congruum  moventur  illumque  usurpant,  atque  ita  de  cœteria. 
(Syntagma  :  Physica,  Séct.  III,  M.  II,  L.  VT,  C.  I,  T.  II,  p.  328,  c.  2).  C'est  moi  qui 
souligne. 

1.  Gassendi  comprend  mal  cette  intervention.  Mais,  pour  que  son  orthodoxie  soit 
sauve,  il  suffit  qu'il  admette  l'existence  de  cette  intervention,  quoiqu'il  se  trompe  sur 
le  mode.  Voici  la  supposition  étrange  qu'il  accepte  comme  plus  probable  :  Unum  est 
Bolum  quod  generatim  supponi  repetive  potest  ex  iis,  qu£e  de  atomis  agentes  superius 
supposuimus,  Deum  nempe  Optimum  Maximum,  cum  in  ipsa  mundi  creatione  terrani 
et  aquam  germinare  producereque  plantas  et  animalia  jussit,  fecunditatem  simul  terrje 
et  aquse  indidisse  concreasseve  semina  rei-um  omnium  generabilium,  hoc  est  tam  rerum 
tune  productarum  qiiam  deinceps  producendarum  ;  heincque  esse  proinde  videri, 
quamobrem  nos  Sacrae  doceant  Literse,  et  quievisse  Deum  ab  omni  opère  quod  patrarat, 
et  eum,  qui  \ivit  in  seternum,  créasse  omnia  simul  ;  quasi  ea,  quae  exoriuntur,  patrata 
jam  creataque  initie  in  suis  seminibus  fuerint  ;  sicque  nihil  etiamnum  fiât,  quod  non 
efficaci  illi  Dei  verbo  benedictionique  originem  debeat.  (Syntagma  :  Physica,  Sect.  I, 
L.  VII,  C.VII,  T.  I,  p.  493,  cl). 

2.  L.  Mabilleau,  Histoire...,  L.  IV,  Ch.  I,  §  ii,  p.  420. 


rv.    —  LE   PENSEUR  265 

dans  cet  ensemble  de  forces  ;  c'est  la  réduction  de  tous  ces  mouvements 
à  une  loi  immanente,  initiale,  essentielle,  dont  les  formes  variées 
de  l'évolution  ne  sont  que  de  lointaines  appKcations.  En  ce  sens, 
Gassendi  est-il  mécaniste  ?  Il  l'est  si  bien  qu'on  peut  soutenir  qu'il 
fut  le  premier  à  l'être  non  seulement  sur  tous  les  modernes,  mais 
même  sur  tous  les  anciens.  C'est  lui  qui  a  imaginé  de  ramener  la  fina- 
lité à  n'être  qu'une  conséquence  de  la  loi  primordiale,  et  qui  a  ainsi 
trouvé  le  moyen  de  concilier  la  téléologie  et  le  déterminisme.  Des- 
cartes et  Leibniz  lui  doivent  tous  deux  quelque  chose,  mais  sa  concep- 
tion domine  les  deux  systèmes,  dont  elle  réunit  toutes  les  raisons 
d'être  et  tous  les  avantages  »  ^. 

Gassendi  était  tout  ensemble  latiniste,  helléniste,  hébraïsant, 
antiquaire,  botaniste,  anatomiste.  astronome,  géomètre,  physicien 
et  métaphysicien.  Ces  aptitudes  si  variées,  qui  dénotent  un  talent 
presque  universel,  l'avaient  préparé  à  écrii'e  son  Syntagma,  qui  est 
•comme  l'Encyclopédie  des  connaissances  scientifiques  et  philoso- 
phiques au  miheu  du  xvii^  siècle.  Xotre  auteur  se  conforma  à  l'usage 
scolastique  qui  faisait  rentrer  dans  le  domaine  de  la  Philosophie, 
sous  l'étiquette  très  élastique  de  Physique,  la  plupart  des  sciences, 
au  lieu  de  les  mettre  simplement  à  contribution,  selon  leur  utihté 
respective,  à  titre  d'auxiliaires.  Il  n'a  réussi  qu'à  encombrer  son  ouvrage 
de  théories,  la  plupart  aujourd'hui  démodées,  qui  n'offrent  plus  guère 
qu'un  intérêt  de  curiosité  historique. 

Mais,  quand  même  Gassendi  se  fût  sagement  débarrassé  de  ce  bagage 
entravant  sa  marche,  son  travail  n'aurait  point  abouti  à  une  synthèse 
philosophique,  à  la  fois  puissante  et  ordonnée.  Une  telle  œuvre  sup- 
pose (ce  qui  manqua  à  Gassendi)  une  intelhgence  assez  originale 
et  assez  forte  pour  dominer  cette  matière  immense  qu'il  avait  entrepris 
de  ramener  à  l'unité.  Le  point  de  vue  d'ailleurs,  d'où  il  envisageait 
les  choses,  le  vouait  d'avance  à  un  échec.  Comment  construire  un 
système  bien  coordonné  avec  la  prétention  d'umr  des  incompatibles  : 
le  spirituahsme  chrétien  d'une  part,  de  l'autre  l'atomisme  épicurien 
et  le  matériahsme  qu'il  implique,  et  qu'en  disciple  trop  fidèle  d'Épi- 
cure  il  ne  sut  pas  répudier  en  ce  qui  concerne  l'àme  sensitive  ? 

Philosophe,  Gassendi  n'est  pas  resté  assez  fidèle  à  la  devisé  qu'il 
s'était  choisie  dès  le  collège  :  Sa  père  aude.  Ses  audaces  l'ont  emporté 
quelque  fois  au  delà  des  bornes  de  la  vérité.  Elles  furent  cependant 
tempérées  par  le  bon  sens  qu'il  tenait  de  sa  race  et  par  un  fond  de 
sagesse  que  ce  prêtre  devait  aux  enseignements  de  sa  foi. 

Sans  génie  créateur,  Gassendi  ne  peut  prendre  place  parmi  les  princes 
de  la  pensée  humaine.  Correspondant  et  ami  des  savants  de  l'Europe, 
lui-même  savant  estimé,  observ^ateur  et  expérimentateur  conscien- 
cieux, défenseur  et  propagateur  zélé  des  droits  de  l'expérience,  rival 
heureux  de  Descartes  en  plusieurs  passes  de  leur  joute  célèbre,  pre- 

1.  L.  Mabilleau,  Histoire...,  Ibidem,  p.  422.  L'auteur,  à  propos  des  anciens,  «  écarte  », 
en  note,  «  Pythagore,  dont  la  doctrine  n'a  pas  une  signification  physique  bien  cer- 
taine... » 


266  ARTICLE  n.  CHAPITRE  Yll.  —  LES  MERITES  DU  PHILOSOPHE 

mier  historien  en  France  de  la  Philosophie,  prêtre  d'une  vie  irrépro- 
chable, partagée  entre  l'étude,  la  piété  et  les  bonnes  œuvres,  modèle 
d«  douceur  et  de  bienveillance  dans  le  commerce  journalier,  ami 
fidèle,  tels  sont  les' traits  principaux  de  la  physionomie  de  Gassendi, 
tels  les  titres  qui  recommandent  sa  mémoire  au  respect  et  même  à 
l'admiration  de  la  postérité  trop  longtemps  oubheuse  et  distraite  à  son 
égard. 

Hubert  de  Montmor  fit  graver  le  portrait  de  son  ami  par  le 
célèbre  Nanteuil  ^.  On  peut  l'admirer  en  tête  du  premier  volume  des 
Œuvres  ComjMtes.  La  physionomie  du  philosophe  provençal  reilète 
fidèlement  deux  quahtés  maîtresses,  rarement  unies,  à  un  haut  degré, 
dans  le  même  homme,  l'inteUigence  et  la  bonté.  On  ht,  au-dessous  du 
portrait,  xe  quatrain  quelque  peu  emphatique,  défaut  presque  insé- 
parable du  genre  épigraphique  : 

Petrus  Gassendus  Diniensis 
Hic  est  Ille,  dédit  cui  se  Natura  videndam, 

.  Et  Sophia  geternas  cui  reseravit  opes. 
In%âda  non  totum  rapuistis  Sidéra  !  Vultum 
Nantohus,  Mentem  pagina  docta  refert. 

1.  On  signale  six  autres  portraits  de  Grassendi.  Cf.  J.  LELONa,  Bibliothèque  historique, 
de  la,  France,  T.  IV,  Appendice,  p.  200  (Edition  de  Fontette),  Paris,  1775.  —  Robert 
NAîTTEinL,  peintre  au  pastel  et  surtout  gra^'eur  au  burin,  naquit  en  1623  à  Reims,  où 
il  fut  l'élève  des  Jésuites,  puis  des  Bénédictins,  et  moiu-ut  à  Paris  le  9  décembre  1678. 
Devenu  graveur  du  Cabinet  du  roi,  c'est  à  son  instigation  que,  dans  l'édit  de  Saint- 
Jean-de-Luz  (1659),  Louis  XIV  distingua  la  gravure  artistique  des  arts  industriels. 
On  compte  216  portraits,  sortis  de  son  burin,  dont  les  plus  célèbres  sont  ceux  de  Louis 
XIV  ,de  Goïbert,  de  Pomponne  de  Bellièvre,  du  maréchal  de  Castelnau,  etc.  Sa  réputation 
devint  telle  que  tous  les  hommes  illustres  de  l'époque  tenaient  à  honneur  d'avoir  leur 
portrait  gravé  par  lui.  Bien  plus,  quiconque  avait  acquis  quelque  renom  littéraire 
aspirait,  selon  Boileau.  à  être 

Couronné  de^lauriers  par  la.  main  de  Nanteuil. 


BIBLIOGRAPHIE  RELATIVE  A  GASSENDI 


I. 


ÉDITIONS    COLLECTIVES 


1658. 

1727. 
1682,  1684. 


Opéra  omnia...  Accessit  Sajiuelis  Sorberii  Prœfatio, 
in  qita  de  Vita  et  Moribus  Pétri  Gassetidi  disseritur,  6  vol. 
in-fol.,  Lyon,  1658. 

Oyera  omnia...,  curante  X.  Averanio.  S.  Sorberii 
Prœfatio...,  6  vol.  in-fol.,  Florence,  1727. 

FRA2«fÇois  Ber>ter,  Abrégé  de  la,  Philosophie  de  M.  Gas- 
sendi, 8  tomes  en  7  volumes,  Lyon,  1678  ;  7  tomes  en 
6  volumes,  Lyon,  1684.  — Doutes  de  M^  Bernier  sur  quel- 
ques-uns des  principaux  chapitres  de  son  Abrégé  de  la  Phi- 
losophie de   Gassejvli,  Paris,  1682. 

Pour  le  détail  des  éditions  particulières  des  divers  Traités 
de  Gassendi  on  peut  consulter  le  Tableau  de  ses  Œuvres. 
Cf.  supra,  p.  22-2q. 


II. 


ÉTUDES    GÉNÉRALES 


1658. 
1696. 

1737. 

1737. 

1758. 
1763. 
1767. 
1770. 


Samuel  Sorbière,  Dissertatio  de  Vita  et  Moribus  Pétri 
Gassendi,  Paris,  1658,  en  tête  des  Opéra  omnia.  Édit.  de  1658. 

Charles  Perrault,  Recueil  des  Hommes  illustres  qui 
ont  paru  en  France  pendaM  ce  siècle,  avec  leurs  Portraits 
naturels,  t.  I,  p.  63-64,  Paris,  1696. 

.Joseph  Bougerel.  Vie  de  Pierre  Gassendi,  Prévôt  de 
l'église  de  Digne  et  Professeur  de  mathématiques  au  Collège 
royal.  [L'ouvrage  parut  anonjone],  Paris,  1737. 

Jacques-Philippe  de  la  Varde,  Lettre  critique  et  his- 
torique à  r auteur  de  la  Vie  de  Pierre  Gassendi,  Paris,  1737. 
Cet  abbé  de  la  Varde  était  chanoine  de  Saint-Jacques  de 
l'Hôpital.  Sa  lettre  parut  anonyme. 

Claude-Pierre  Gouget,  Mémoire  historique  et  littéraire 
sur  le  Collège  Royal  de  France,  Partie,  p.  II,  55-58,  Paris,  1758. 

M.  Saverien,  Histoire  des  Philosophes  modernes,  t.  III, 
p.  107-190,  Paris,  1763. 

R.  P.  ]\Ienc,  Religieux  Dominicain,  Eloge  de  P.  Gassendy, 
Marseille,  1767. 

Cajeburat  (dE),  Abrégé  de  la  Vie  et  du  Système  de  Gas- 
sendy, Bouillon,  1770. 


:268 


BIBLIOGBAPHIE    RELATIVE    A    GASSENDI 


1846. 

1847. 
1847. 

1853. 
1861. 

1877. 


1881. 

1882. 


1889. 
1908. 


Jean-Philibert  Damirox,  Essai  sur  V Histoire  de  la 
Philosophie  en  France  au  XVII^  siècle,  t.  I.  1.  III,  ch.  ii, 
1).  378-503. 

Firmin  GnCHARD,  Vie  de  Gassendi,  dans  Souvenirs  his- 
toriques de  la  ville  de  Digne  et  ses  enviroiis,  §IX,  Digne,  1847. 

Joseph-Marie  de  Gérando,  Histoire  comparée  des  Sys- 
tèmes de  Philosophie  considérés  relativement  aux  Principes  des 
Connaissances  humaines  :  ï]y  Paitie  :  Histoire  de  la  Philoso- 
phie moderne  à  partir  de  la  Be>taissance  des  Lettres  jusqu'à 
la  fin  du  XVI 11^  siècle,  t.  II,  ch.  xi.  p.  93-152,  Paris,  1847. 

A.  Martin,  Histoire  de  la  Vie  et  des  Ecrits  de  Pierre  Gas- 
sendi, Paris,  1853. 

L.  Mandon,  De  la  Philosophie  de  Gassendi,  Montpellier, 
1861.  ' 

Philippe  Tamizey  de  Larroque.  Documents  inédits  sur 
Gassendi,  dans  Revue  des  Questions  historiques,  1877, 
t.  XXII,  p.  221-244.  —  Tiré  à  part,  Paris,  1877.  —  Impres- 
sions de  Voyage  de  Gassendi  dans  la  Provence  alpestre, 
publiées  dans  le  Bulletin  de  la  Société  scientifique  et 

LITTÉRAIRE   DES  BaSSES-AlPES,    1887. 

Charles  Barneaud,  Etudes  sur  Gassendi,  dans  Nou- 
velles Annales  de  Philosophie  catholique,  1881, 
t.  III,  p.  23  ;   195  ;  420  ;  t.  IV,  149. 

Nicolas  Taxil.  Oraison  funèbre  de  Pierre  Gassendi, 
publiée  à  Lyon  en  1656  et  rééditée  par  Tamizey  de  Lar- 
roque, Bordeaux.  1882. 

P. -FÉLIX  Thojias,  La  Philosophie  de  Gassendi,  Paris,  1889. 

G. -S.  Brett,  The  Philosophy  of  Gassendi,  Londres,  1908. 


III. 


ÉTUDES    PARTICULIÈRES 


1632.  Wilhel:m  Schickard,  Pars  Responsi  ad  Epistolas  Pétri 
Gassendi...  de  Mercurio  suh  Sole  viso  et  aliis  Xovitatibus 
Uranicis,  Tubingue,  1632. 

1633.  Martin  Hortensius,  Dissertatio  de  Mercurio  in  Sole 
viso  et  Venere  invisa,  instituta  cum...  P.  Gassendo,  Leyde, 
1633. 

1654.  Walter    Charleton.    Physiologia    Epicureo-Gassendo- 

Charltoniana  or  a  Fabrick  of  Science  Xatural  upon  the  Hypo- 
thesis  of  Atoms,  Londres,  1654. 

1657.  JoANNis  Francïsci  Grandis  (  Jean-François  Legrand), 

Dissertationes  philosophicce  et  criticœ  :  Dissertatio  in  Epicu- 
ream  Philosophiam  ad  Pttrum  Gassendum,  p.  1-166,  Paris, 
1657. 

1690.  Gerardus   de  Vries,  Dissertatiuncula  historico-philoso- 

phica  de  Benati  Cartesii  Meditationibu^  a  Gassendo  impu- 
gnatis,  Utrecht,  1690. 

1698.  Henricus  Ascanius  Engelcke,  Ce^isor  censura  dignus, 

h.  e.  Dissertatio  ostendens  quod  P.  Gassendus  scopum  suum 
per  Argumenta  contra  Aristotelis  Philosophiam  in  Exercita- 
tionibus  Paradoxicis  prolata  obtinere  tiequeat,  Rostoeh,  1698. 


BIBLIOGRAPHIE    RELATIVE    A    GASSENDI 


269' 


—  Philosophus  defensus,  h.  e.  Dissertatio  eorum,  quœ  P.  Gas- 
sendus  Exercit.  III  et  IV  contra  Aristotelem  ejusque  scripta 

1698.  profert,  nerimm  br éviter  excutiens,  Rostock,  1698.  —  Dis- 
sertatio ex  Philosophia  rationaU,  eorum  quœ  P.  Gassendus 
Exerc.  Paradox.  Lih.  I.  Exercit.  V  innumera  apud  Aristote- 
lem hic  quoque  deficere  probaturv^,  affert,  nonnulla,  speciose 
sed      abscpie     jundamento     proposita,     breviter    examinans, 

1699.  Leipzig.  1699.  —  Usus  Logicœ  quoad  maximam  partem 
eorum.  quœ  P.  Gassendus  Exercit.  Paradox.  Lib.  I,  Exerc.  VI,. 
quod    in    hac   doctrina    quoq^ie   apud    Aristotelem   innumera 

1702.         superfluant  prohaturus.  offert,  Rostoch,  1702. 

1741.  J.  A.  F.  BiELKE,  Dissertatio  qua  sistitur  Epicurus  aiheus 

contra   Gassendum,  léna,   1741. 

1854.  Francisque  Bouillier,  Histoire  de  la  Philosophie  car- 

tésienne, t.  I,  ch.  XI,  p.  215-225,  Paris,  1854. 

1858.  L.  Mandon.  Etude  sur  le  Syntagma  philosophicum  de 
Gassendi,  Montpellier,   1858. 

1859.  Charles  Jeannel,  Gassendi  spiritualiste ,  Montpellier, 
1859. 

1875.  Frédéric-Albert  Lange,  Gassendi,  dans  Geschichte  der 

Materialismus  und  lO-itik  seiner  Bedeutung  in  der  Gegenwart, 
Iserlohn.  1875  ^.  Traduit  sur  cette  deuxième  édition  par 
B.  Pommerol.  t.  I.  p.  227-240,  Paris,  1910. 

1890.  KuRD  Lasswitz,  Geschichte  der  Atomistik  vom  Mittelalter 

bis  Newton,  t.  II,  livre  III,  Partie  iv,  p.  126-188,  Hambourg 
et  Leipzig,  1890. 

1893.  François-Xavier  Kiefl,  P.  Gassendis  Erkenntnisstheorie 

und  seine  Stellung  zum  Materialismus,  Fulda,  1893. 

1897.  C.  Gûttler,  Gassend  or  Gasseîidi  ?  dans  Archiv  fur 
Geschichte  der  Philosophie  (1897),  t.  X,  p.  238-243. 

1898.  Henri  Béer,  A71  jure  inter  Scepticos  Gassendus  numeratus 
fuerit  ?  Paris,  1898. 

1904.  Hermann  Schneider,  Die  Stellung  Gassendi  zu  Deskartes, 

Halle,  1904. 

1908.  Paul   Pendzig,   Pierre    Gassendis   Metaphysik   und   ihr 

Verhàltniss  zur  sclwlastischen  Philosophie,  dans  Renais- 
sance UND  Philosophie.  Beitràge  zur  Geschichte  der 
Philosophie  herausgegeben  von  D^"  A.  Dyroff,  Heft  I, 
Bonn.  1908.  —  Die  Ethik  Gassendis  und  ihre  Quellen,  ibidem ^ 
Heft  IL 

1911.  Ferdinand     Strowski,     dans     le     Correspondant, 

25  mars,  1911,  p.  1149-1150. 


ARTICLE  m.  —  THOMAS   HOBBES  (1588-1679) 


Nous  avons  étudié  l'Empirisme  en  Angleterre,  puis  en  France, 
chez  Baoon,  Gassendi  et  les  Philosophes  secondaires  qui  subirent 
plus  ou  moins  leur  influence.  On  va  le  retrouver  outre-Manche 
pou&sé  par  Hobbes  jusqu'à  3'extrême,  jusqu'au  matérialisme.  Ce 
triumvirat  philosophique,  qui  représente  l'une  des  tendances  maîtresses 
de  la  pensée  moderne,  se  prolonge  et  exerce  son  action  pendant 
près  d'un  siècle.  La  première  œuvre  de  Bacon,  les  Essays,  est  de 
1597  ;  la  dernière  de  Hobbes,  le  Decameron  fhysiologicum ,  paraît 
en  1678  ;  entre  les  deux  s'échelonnent  les  travaux  de  Gassendi, 
depuis  les  Exercitationes  jxiradoxicae  (1624)  jusqu'au  Syntagma 
fhilosophicum  (1658). 


CHAPITRE  PREIVnER 

Biographie    de    Hobbes^. 


Trois  penseurs  dominent  tous  les  autres  pendant  le  xvn^  siècle  en 
Angleterre  :  Bacon,  Hobbes  et  Locke.  Bacon  mourut  en  1626  ; 
Locke  ne  s'imposa  à  l'attention  qu'en  1690  par  la  pubhcation  de  son 
Essai  sur  V Entendement  humain.  Hobbes  rempht  lïntervalle.  Il  appro- 
chait de  la  quarantaine,  au  moment  où  Bacon  disparut  :  c'est  alors 
que  ses  méditations  se  tournent  vers  la  philosophie.  Débuts  bien  tardifs. 
Mais,  comme  pour  compenser  le  retard,  il  déplo3-a,  durant  plus  de 
cinquante  ans,  une  inlassable  activité.  Plus  que  nonagénaire,  il  éditait 
son  autobiographie  en  vers  latins  l'année  de  sa  mort  (1679)  ^.  Son 
influence  lui  survécut,  même  après  que  Locke  eut  donné  aux  esprits 
une  direction  nouvelle. 

Au  cours  de  sa  longue  carrière,  Hobbes  fut  témoin  de  changements 
considérables,  qui  s'accomplirent  dans  la  science  et  dans  la  pohti'|ue. 

1.  Poui-  les  Œuvres  de  Hobbes,  nous  renverrons  à  l'édition  de  W.  Mûlesworth  : 
I.  Opéra  latina,  5  vol.  (Londres,  1839-1845).  —  II.  English  -Works,  11  vol.  (Londres, 
1839-1845).  - 

2.  Hobbes  nous  dit  qu'il  avait  achevé  cette  autobiographie  à  84  ans,  c'e.st -à-dire 
en  1672.  Octoginta  ego  jam  complevi  et  quatuor  annos  (Vita  carminé  expressa.  Opéra, 
t.  I,  vers  375  p.  xcix). 


I.    —   PREMIÈRES    AISTNÉES.   PRÉCEPTORAT   ET    VOYAGES  271 

Lorsque  notre  philosophe  arriva  à  l'université  d'Oxford,  un  Aristo- 
télisme  plus  ou  moins  authentique  y  régnait  officiellement  ^.  De  son 
vivant,  il  put  applaudir  au  triomphe  du  mécanisme  scientifique, 
dû  aux  efforts  de  Kepler,  de  Galilée  et  de  Descartes.  Quelques 
années  seulement  après  sa  mort,  les  Principia  Mathematica  de  Newton 
présentaient,  dans  une  vue  d'ensemble,  le  système  mécanique.  Harvey 
et  Gilbert,  ses  compatriotes,  s'étaient  illustrés  par  leurs  travaux 
sur  la  physiologie  et  le  magnétisme.  La  Société  royale  de  Londres 
pour  les  recherches  expérimentales  avait  été  fondée  et  prospérait. 
Il  est  tout  naturel,  après  cela,  que  Hobbes  ait  pris  le  mécanisme 
pour  base  de  sa  philosophie  ;  mais,  infidèle  à  la  pensée  des  grands 
initiateurs,  il  déserta  leur  spirituahsme  pour  se  jeter  dans  le  matéria- 
lisme le  plus  radical. 

Sur  lar  scène  poUtique,  il  assista  à  des  spectacles  très  mouvementés  : 
tentative  des  Stuarts  pour  imposer  la  monarchie  absolue  en  Angle- 
terre, révolution  puritaine  et  gueiTe  civile,  protectorat  de  CromwelJ, 
restauration  de  la  royauté,  débuts  du  parti  whig  et  apparition  du 
Nonconformisme.  Il  n  eut  pas  la  douleur  de  voir  l'échec  définitif 
de  ses  théories  absolutistes,  car  il  moutut  quelques  années  avant  la 
Révolution  de  1688,  qui  eut  pour  conséquence  l'étabhssement  de  la 
monarchie  constitutionnelle  dans  la  personne  de  Guillaume  d'Orange. 

Quand  on  étudie  l'œuvre  de  Hobbes,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue 
l'époque  agitée  où  il  a  vécu.  Si  l'on  a  exagéré  l'influence  de  ces  temps 
troublés  sur  le  cours  que  prirent  ses  idées,  la  nier  complètement  serait 
tomber  dans  l'excès  contraire.  Par  goût  intellectuel,  notre  pliilosophe 
aimait  la  vie  recluse  ;  il  était  avide  de  tranquiUité  -  pour  penser, 
lire  et  composer.  La  période  de  l'histoire  d'Angleterre,  où  il  fut  appelé 
à  vivre,  est  l'une  des  plus  tourmentée*.  Comment  aurait-il  pu  se 
soustraire  à  l'action  d'un  contraste  si  heurté  entre  ses  tendances 
instinctives  et  son' milieu  social  1 


\.  Hobbes  prétend  q\ie  son  maitie  de  Physique  lui  a  enseigné  que  les  objets  envoient 
à  travers  les  airs  des  espèces  qtii  reçues  dans  l'œil  de\'iennent  des  images,  et,  dans 
l'oreille,  des  sons.  Jamais  ni  Aristote  ni  les  grands  maîtres  de  la  Scolastique,  comme 
S.  Thomas  et  Snarez  n'ont  dit  semblable  absurdité.  C'est  le  fait  des  commentateurs 
grecs  d'Aristote,  qui  ont  été  suivis  par  des  Scolastiques  de  valeur  secondaire.  (Cf. 
M.  DE  Wtjlf,  Hiatoire  de  la  Philosophie  médiévah,  n^'  53  et  299,  Louvain  et  Paris,  190.5  ^, 
p.  52  et  358). 

Voici  le  texte  de  Hobhes,  qui  montre  que,  sur  ce  point,  la  doctrine  d'Aristote  était 
alors  mal  comprise  à  Oxford.  Cela  rend  inquiet  pour  le  reste.  Dans  ce  cas,  l'on  s'expli- 
querait facilement  qu'un  enseignement  ainsi  travesti  ait  profondéinent  rebuté  Hobl>es, 

Et  species  reruin  volitando  per  aéra,  formas 
Donaro  hinc  oculis,  auribus  inde  sonos. 

{Vita,  vers  47-48.  Opéra,  t.  I,  p.  lxxxvu). 

2.  Pacem  amo  cum  Musis,  et  faciles  soeios. 

Disco  loqui  qviatuor,  totidem  légère  et  uunierare. 

(Hobbes,  Vita  carminé  expressa,  vei*s  28-29.  Oj^ra,  t.  T,  p.  Lxxxvi). 


272  ARTICLE   III.    CHAPITRE   I.    —  BIOGRAPHIE    DE    HOBBES 


I.    —    PREMIÈRES    ANNÉES    (1588-1608).    PRÉCEPTORAT 
ET   VOYAGES    (1608-1640)1 

Thomas  Hobbes  naquit,  le  5  avril  1588,  à  Wesport,  annexé  mainte- 
nant à  la  ville  de  Malmesbury,  dans  le  nord  du  comté  de  Wilts.  Son 
père,  dont  il  était  le  second  fils,  était  «  vicaire  »  de  Charlton  et  de 
Wesport.  Ce  clergyman,  d'après  Aubrey,  était  un  homme  ignorant 
et  colérique  :  à  la  suite  d'une  violente  altercation  à  la  porte  de  son 
église,  il  dut  quitter  le  pays  '^.  Sa  mère  le  mit  au  monde  avant  terme, 
sous  le  coup  de  l'émotion  provoquée  par  la  nouvelle  que  l'invincible 
Armada,  venait  d'appareiller.  Quatre-vingts  ans  plus  tard,  dans  le 
poème  latin  où  il  retrace  sa  vie,  Hobbes  se  plaît  à  rappeler  cette  cir- 
constance :  «  Ma  mère,  dit-il,  éprouva  une  telle  épouvante,  qu'elle 
enfanta  des  jumeaux,  la  peur  et  moi  )>  ^. 

L'éducation  du  jeune  Thomas  fut  confiée  à  son  oncle  maternel, 
riche  gantier  à  Malmesbur}^  et  alderman  de  la  cité,  qui  remplaça  près 
de  lui  le  père  fugitif.  Il  fit  de  tels  progrès  dans  le  grec  et  le  latin  qu'avant 
d'avoir  ses  quatorze  ans,  il  était  capable  de  traduire  en  iambes  latins 
la  Médée  d'Euripide.  Vers  l'âge  de  quinze  ans,  dans  les  premiers  mois 
de  1603,  son  oncle  l'envoya  à  Oxford,  où  il  fut  inscrit  comme  élève 
à  Magdalen  Hall. 

Après  un  séjour  de  cinq  années,  Hobbes  quitta  Oxford,  le  5  fé- 
vrier 1608,  avec  le  grade  de  bachelier  es  arts.  Il  garda  de  ce  milieu 
universitaire  le  plus  fâcheux  souvenir.  Tout  lui  avait  déplu  :  les  élèves 
étaient  grossiers  et  débauchés  ;  les  maîtres  rabâchaient  la  logique  for- 
melle et  la  physique  du  moy«n  âge  *,  accordant  à  l'éristique  une  place 
exagérée.  Les  Mathématiques  étaient  négligées.  L'ancien  «  scholar  » 
d'Oxford  se  montre  quelque  peu  ingrat.  L'exercice  de  l'argumentation 
serrée  lui  a  été  grandement  profitable  :  on  sent,  à  la  lecture  de  ses 
œuvres,  que  c'est  là  qu'il  a  pris  l'habitude  de  donner  à  ses  pensées 

1.  Les  sources  à  consulter  sur  la  \'ie  de  Hobbes  sont  les  suivantes  :  1°  Thomas  Hobbes 
Malmesbtjriensis  Vita  cm-mine  evpressa.  publié  par  Hobbes  lui-même  à  Londres, 
1679.  —  2°  ThoMvï:  Hobbes  Malmesburiensis  Vita.  Cette  vie  écrite  en  latin  par  Hob- 
bes ou  dictée  par  lui  à  Thomas  Ryner,  fut  éditée  à  Londres,  1681,  par  Richard  Black- 
BOURNE.  —  3°  Vitœ  Hobhianœ  Auctarhan.  Londres,  1681,  Ce  complément,  composé 
par  Blackbourne.  d'après  les  notes  de  John  Aubrey,  ami  de  Hobbes,  contient  des 
renseignements  sur  les  œuvre.?  du  pliilosophe,  sur  ses  amis  et  adversaires.  Ces  trois 
notices  sont  reproduites  en  tête  du  premier  volume  des  Opéra  latina  de  Hobbes,  édités 
par  W.  Molesworth.  —  4°  Life  of  Mr.  T.  Hobbes  of  Malmesburie,  dans  Letters...  and 
Lives  of  E minent  Men.  par  John  Aubrey,  t.  II,  p.  592-637,  Londres,  1813.  —  Parmi 
les  modernes,  cf.  A.-E.  Taylor,  Thomas  Hobbes,  Londres,  1908,  dans  la  Collection 
Philosophies  ancient  and  modem,  et  surtout  George  Croom  Robertson,  Hobbes, 
Londres,  1910. 

2.  J.  Aubrey,  Topo(jraphical  Collections:  Wiltshire,  Edit.  J.  S.  Jackson,  Devizes, 
1862  p.  264. 

3.  Atque  metum  tantum  concepit  tune  mea  mater 

Ut  pareret  geminos,  meqiie  metumque  simul.    . 

{Vita,  vers  25-26.  Opéra,  T.  I,  p.  lxxxvi). 

4.  Vita,  vers  32-33.  Opéra,  T.  I,  p.  lxxxvi-lxxxvii. 


I. PREMIÈRES    ANNÉES.    PRÉCEPTORAT    ET    VOYAGES  273 

une  forme  sobre  et  un  enchaînement  rigoureux  ^.  Volontiers,  au  sortir 
de  la  classe,  il  courait  à  la  boutique  des  Ubraii'es  pour  Kre  des  liA^res 
de  voyage  et  étudier  les  cartes  de  géographie. 

Cependant  les  influences,  qui  devaient  déterminer  lef  sens  de  sa  vie 
intellectuelle,  ne  se  firent  sentir  que  plus  tard,  si  l'on  excepte  un 
point  :  Magdalen  Hall,  qui  comptait  alors  deux  cents  membres, 
avait  une  influence  prépondérante  dans  l'université.  C'était  le  ioyei 
du  Puritanisme  naissant.  L'esprit,  qui  régnait  dans  le  collège,  avait 
paru  séditieux  à  notre  étudiant,  parce  que  les  Puritains  voulaient 
secouer  le  joug  que  le  gouvernement  faisait  peser  sur  les  consciences. 
Il  partit  d'Oxford  avec  cette  idée  déjà  formée  (l'une  de  ses  idées 
maîtresses)  qu'il  était  nécessaire  de  soumettre  l'éghse  anghcane  et  les 
sectes  non  conformistes  à  l'autorité  civile  pour  réprimer  leur  indépen- 
dance. 

Les  vingt  années  qui  suivirent  sa  sortie  d'Oxford  (1608-1628), 
marquent  une  période  d'un  caractère  spécial  dans  la  vie  de  Hobbes. 
Utihsant  le  calme  et  les  loisii's  dont  il  jouit,  le  futur  philosophe  appa- 
raît comme  un  homme  dont  l'instruction  grancUt  chaque  jour,  sans  but 
déterminé.  C'est  la  longue  préface  d'un  avenir  encore  incertain. 

L'année  même  (1608)  où  il  avait  obtenu  le  grade  de  bachehér, 
Hobbes  entra  en  relations  avec  une  grande  famille,  à  laquelle  il  resta 
uni  jusqu'à  sa  mort.  Wilham  Cavendish,  récemment  créé  baron  de 
Hardwick  (il  deviendra,  quelques  années  plus  tard  (1618),  comte  de 
Devonshire),  était  en  quête  d'un  tuteur,  ou  plutôt  d'iui  compagnon 
pour  son  fils  aîné.  Le  principal  de  Magdalen  Hall  recommanda  Hobbes, 
qui  fut  agréé.  Cette  situation  devait  être  pour  lui  très  avantageuse  : 
eUe  le  déh\ra  des  soucis  matériels  de  l'existence,  lui  fournit  des  loisirs, 
lui  facihta  des  voyages  instructifs  et  lui  permit  de  fréquenter  des 
hommes  d'Etat  et  des  hommes  de  savoir.  Compensations  précieuses 
du  sacrifice  de  la  Hberté  qu'elle  lui  coûtait  ^.  Il  avait  vingt  ans. 

Le  jeune  Cavendish,  tout  nouvellement  marié,  sur  les  instances  du 
roi  Jacques  I^^^  à  la  fille  d'un  Lord  écossais,  Bruce  of  Kinloss,  était 
à  peu  près  du  même  âge  que  Hobbes.  Il  avait  des  goûts  très  dépensiers. 
Un  vrai  tuteur  aurait  été  nécessaire.  Mais  «  le  compagnon  »  l'aida  à 
contracter  de  fréquents  emprunts  et  partagea  ses  sports.  Les  études 
fiuent  déhbérément  négligées  :  Hobbes  avoue  lui-même  «  qu'il  oubha 
presque  son  latin  »  ^. 

Par  bonheur,  les  deux  j'eunes  gens  partirent  pour  visiter  la  France, 
l'Allemagne  et  l'ItaUe.  Hobbes  devait  faire  encore  trois  autres  voyages 
sur  le  continent.  On  était  en  1610,  année  sinistre.  L'assassinat  de 
Henri  IV  avait  soulevé  l'inchgnation  de   l'Europe  entière.  L'émotion 

1.  Le  développement  de  la  pensée  de  Hobbes  a  une  allure  syllogistique.  —  Il  parle 
d'ailleurs  en  bons  termes  du  svllogisme  et  lui  fait  une  larse  place  dans  le  De  Corpore, 
C.  IV. 

2.  Oxonioni  linquo,  servitum  me  fero  in  amplam 

Gentis  Candisite  conspic'uanique  domum. 

-    {Vita...,  vers  63-64,  Opéra,  T.  I,  p.  I.xxxv^I). 

3.  J.  AuBREY,  Letters  ivritten  hy  Eminent  Persans.,  and  Lijes  of  Eniinent  Men..., 
T.  II,  p.  C02.  Londres,  1813. 

la 


274  ARTICLE   III,   —  CHAPITRE   I.    —  BIOGRAPHIE   DE   HOBBES 

'  î  de  Hobbes  fut  elle-même  si  vive  et  si  durable  que,  dans  ses  écrits, 
il  ne  prononcera  jamais  le  nom  de  Ravaillac  sans  le  maudire. 

Encore  sous  Fimpression  de  l'enseignement  arriéré  d'Oxford,  notre 
touriste  ne  semble  pas  avoir  remarqué  les  progrès  du  mouvement 
scientifique.  Cependant,  l'année  précédente,  Kepler  avait  formulé, 
dans  VAstronomia  nova  (Heidelberg,  1609),  les  deux  premières  de  ses 
fameuses  lois,  et  Galilée  avait  récemment  découvert  les  satellites  de 
Jupiter.  Un  peu  d'expérience  de  la  vie,  une  connaissance  superfi- 
cielle du  français  et  de  l'italien  ne  furent  pas  le  principal  profit  de  ce 
premier  voyage.  / 

Au  contact  des  belles  choses  qu'il  avait  rencontrées,  Hobbes  sentit 
se  réveiller  en  lui  l'amour  des  Lettres  et  prit  la  résolution  de  renouer 
commerce  avec  les  classiques  anciens.  De  retour  en  Angleterre,  il  se 
tint  parole.  Ses  fonctions  de  secrétaire  lui  laissait  du  temps  Libre,  et  la 
bibliothèque  des  Cavendish  lui  offrait  le  moyen  de  l'occuper  utile- 
ment ^  Il  lut  avec  soin  les  poètes  et  les  historiens  grecs  et  latins  en 
s'aidant  des  meilleurs  commentateurs.  Il  se  forma  par  la  lecture  et  la 
composition  un  style  latin  à  la  fois  clair,  aisé  et  précis.  Chose  curieuse, 
il  n'étudia  ni  Platon  ni  Aristote  ^  ;  le  dédain  de  la  philosophie  tradi- 
tionnelle, qu'il  avait  emporté  d'Oxford,  le  détourna  sans  doute  des 
grands  penseurs  de  la  Grèce.  En  revanche,  parmi  les  historiens, 
il  s'éprit  pour  Thucydide  au  point  qu'il  en  pubUa,  en  1629  à  Londres, 
une  traduction,  d'ailleurs  peu  exacte.  Quarante  ans  plus  tard,  en  écri- 
vant sa  Vie,  il  cherchera  à  justifier  cette  préférence  par  cette  raison, 
qui  semble  un  prétexte,  qu'il  avait  trouvé*  dans  l'historien  grec  un 
adversaire  du  régime  démocratique  : 

Sed  mihi  prse  reliquis  Thucydides  placuit. 
Is  democratia  ostendit  mihi  quam  sit  inepta 
Et  quantum  cœtu  plus  sapit  unus  homo  ^. 

Aubrey*  a  signalé,  parmi  ceux  que  Hobbes  fréquenta  pendant 
cette  période,  Fex-chanceHer  Bacon  qui  «  aimait  à  converser  avec  lui  » 
sous  les  ombrages  de  Gorhambury  et  à  lui  faire  noter  au  vol  les  pen- 
sées qui  lui  survenaient  dans  cette  quasi-intimité  intellectuelle.  L'au- 
teur du  Novum  Organum  mit  à  profit  le  talent  de  Hobbes  pour  la 
traduction  en  latin  de  quelques-uns  de  ses  Essais,  notamment  de 
celui  qui  a  pour  titre  :  The  True  Greatness  of  Kingdoms  and  Estâtes 
(De  la  Vraie  Grandeur  des  Royaumes  et  des  Etats)  ^.  Les  autres  amis 
de  cette  période  sont  Ben  Jonson,  qui  exerçait  à  Londres  une  dicta- 
ture littéraire,  Edward  Herbert,  baron  de  Cherbury,  «  le  premier 

1.  Ille  [le  père  de  son  élève]  per  hoc  tempus  mihi  prœbuit  otia,  libres 

Omuimodos  studiis  preebuit  ille  nieis. 

(Vita...,  vers  73-74.  Opéra,  t.  I,  p.  Lxxxviir). 

2.  Vita...,  vers  75-79.  Ibidem. 

3.  Vita,  vers  80-82.  Ibidem. 

4.  J.  AuBREV,  Lires...,  T.  II,  602-603. 

5.  On  n'a  pas  réussi  à  fixer;  de  façon  précise,  l'époque  des  relations  de  Hobbes  avec 
Bacon.  On  la  place  entre  1621-1626,  pendant  les  dernières  années  de  la  vie  de  l'ex- 
clianeelier,  qui  les  emploj'a  à  revoir  et  à  poursuivre  son  œuvre  pliilosophique. 


I.  —  PREMIÈRES  ANNÉES.  PRÉCEPTORAT  ET  VOYAGES       275 

de»  Déistes  anglais  «  ^,  enfin,  un  poète  écossais,   aujourd'hui  bien 
oublié,  Sir  Robert  Ayton. 

En  1628,  après  vingt  ans  de  séjour  dans  la  famille  Cavendish,  qui 
furent  «  l'époque  de  beaucoup  la  plus  douce  de  sa  vie  »  '^,  Hobbes  eut 
la  douleur  de  perdi'e  le  jeune  comte  de  Devonshire,  qui  avait  été 
((  pour  lui  non  seulement  un  maître,  mais  un  véritable  ami  >'  ^.  Le 
mort,  dont  la  vie  avait  été  dépensière,  laissa  à  sa  veuve  une  situation 
embarrassée.  D'autre  part,  l'aîné  de  ses  enfants  étant  encore  trop 
jeune  (il  avait  dix  ans)  pour  recevoir  un  précepteur,  Hobbes  dut  se 
séparer  momentanément  de  la  noble  famille  c^ui  avait  si  bien  accueilli 
sa  jeunesse. 

Libre  de  son  temps,  il  accepta  de  nouveau  le  rôle  de  travelling  tutor 
pour  accompagner  sur  le  continent  le  fils  de  Sir  Gervase  Clifton.  De  ce 
second  voyage  (1629-1631)  on  sait  fort  peu  de  chose.  Lui-même 
nous  a  seulement  appris  qu'il  résida  dix-huit  mois  à  Paris  *.  Il  semble 
aussi  qu'il  poussa  une  pointe  jusqu'à  Venise. 

C'est  probablement  à  cette  époque  que  notre  futur  philosophe  fit 
une  découverte  qui  devait  avoir  une  influence  décisive  sur  l'orienta- 
tion de  sa  pensée.  Les  Eléments  d'Euchde,  que  l'enseignement  d'Oxford, 
ne  lui  avait  point  fait  connaître,  tombèrent  par  hasard  entre  ses  mains. 
Il  avait  quarante  ans  passés.  Ce  fut  une  véritable  mais  bien  tardive 
illumination.  La  simplicité  des  procédés,  la  rigueur  de  l'enchaînement, 
l'éclat  de  l'évidence  le  conquirent  pour  toujoiu?s  à  la  méthode  déduc- 
tive  ^.  -Dans  l'exposition  de  ses  idées  philosophiques  il  procédera 
more  geometrico,  faisant  pressentir  la  manière  plus  stricte  encore  de 
Spinoza.  L'étude  de  la  géométrie  elle-même  deviendra  chez  lui  une 
passion  que  la  vieillesse  ne  calma  point  et  qui  fut  la  source  de  disputes 
sans  fin  peu  glorieuses  pour  sa  mémoire. 

Durant  son  séjour  en  France,  il  est  impossible  que  Hobbes  n'ait 
pas  remarqué  l'action  énergique  du  cardinal  de  Richeheu  pour  faire 
de  Louis  XIII  un  monarque  absolu.  Ce  spectacle  dut  le  prédisposer 
en  faveur  de  Fabsolutisme. 

En  1631,  la  comtesse  de  Devonshire  rappela  Hobbes  de  Paris  pour 
lui  confier  Téducation  de  son  jeune  fils.  Après  trois  ans  (1634),  l'élève 
fut  jugé  assez  mûr  pour  parcourir,  sous  la  conduite  de  son  maître,  la 
France  et  l'Itahe.  En  passant  par  Pise  Hobbes  entra  en  relations  avec 
Bérigard  ^.  A  Florence,  il  alla  rendre  visite  à  Galilée  et  garda  un  sou- 
venir profondément  respectueux  de  cet  iUustre  vieillard,  «  qui  le  pre- 
mier ouvrit  la  porte  de  la  philosophie  naturelle  universelle  »  '.  Paris 
fut  le  centre  préféré  de  nos  voyageurs  ;  ils  y  firent  un  dernier  séjour 
de  huit  mois,  jusqu'au  printemps  de  1637. 

1.  Cf.  Tome  111  démette  Histoire. 

2.  Pars  erat  illa  mese  multo  dulcissima  \-itre 
(  Vita...,  vers  71,  Opéra,  t.  I,  p.  Lxxx\au). 

3-4.  Vita,  vers  70  ;  v.  92  ;  Ibidem. 

5.  J.  AxjBREY,  Lifes...,  p.  604-605. 

6.  Cf.  »upra,  p.  71. 

7.  Galileus,  in  our  tinie,  stri\'ing  uith  that  difficiilty,  was  the  (îrst  that  0])eued  to  lis 
the  gâte  of  natural  philosophy  viniversal  (Hobbes,  De  Corpore,  Epistle  dedioatory, 
Works,  t.  I,  p.  VIII). 


276  ARTICLE   III.   —   CHAPITRE    I.    BIOGRAPHIE    DE   HOBBES 

Le  Père  Mersenne  introduisit  Hobbes  dans  le  cercle  des  savants 
parisiens  et  le  poussa  fortement  à  publier  ses  travaux  sur  la  psycho- 
logie et  la  physique.  C'est  grâce  à  ce  bienveillant  patronage  que  sa 
réputation  de  philosophe  commença  à  poindre,  aube  bien  pâle  encore 
de  la  gloire  qui  l'attendait,  mais  dont  les  premiers  rayons  lui  furent 
singuUèrement  doux  : 

Tempore  ab  illo 
Iiiter  philosophes  et  nuinerabar  ego  ^, 

Hobbes  s'est  montré  reconnaissant.  Dans  sa  Vie  en  vers  il  a  tracé 
de  Mersenne  ce  délicat  portrait  :  «  Ami  fidèle,  homme  docte,  véritable 
sage,  d'une  éminente  bonté,  dont  la  Cellule  valait  mieux  que  toutes 
les  Écoles  du  monde  »  ^. 

Ce  fut  au  cours  de  ce  troisième  voyage,  que  les  idées  philosophiques 
de  Hobbes  se  précisèrent.  «  Sans  trêve,  en  bateau,  en  voiture,  à  cheval, 
il  réfléchissait  sur  la  nature  des  choses.  Et  il  lui  sembla  un  jour  que  le 
Monde  entier  se  ramenait  à  une  réalité  unique,  quoiqu'elle  prenne 
mille  formes  qui  donnent  le  change  et  servent  de  support  à  ces  choses 
dont  nous  disons  faussement  qu'elles  sont  réelles  »  ^.  Et  cette  réalité 
unique,  c'est  «  le  mouvement  »  *. 

Notre  philosophe  s'empressa  de  communiquer  à  Mersenne  le  résultat 
de  ses  méditations.  Le  savant  Minime  y  donna  son  approbation  et 
recommanda  l'auteur  autour  de  lui  ^. 

On  retrouve  cette  idée  fondamentale  consignée  dans  un  opuscule 
intitulé  :  A  short  Tract  on  First  Principle  (Court. Traité  sur  le  Premier 
Principe)  ^,  qui  serait  de  1630  ou  peu  après.  On  y  remarque  aussi  que 
la  perception  est  exphquée  au  moyen  des  species.  Malgré  cette  survi- 
vance de  l'esprit  scolastique,  M.  Tônnies  croit  pouvoir  attribuer  le 
Tract  à  Hobbes  lui-même  '.  S'il  est  vraiment  authentique,  on  aurait 
en  lui  la  primeur  de  la  pensée  philosophique  de  Hobbes.  Le  principe 
du  mouvement  n'y  est  encore  utilisé  que  pour  le  monde  physique. 

1.  Vita,  vers  129-130.  Opéra,  t.  I,  p.  xc. 

2.  Adfuit  e  Slinimis  Mersennus,  fidus  amicus, 

Vil'  doctus,  sapiens  eximieque  bonus  ; 
Cujus  Cella  Scholis  erat  omnibus  auteferenda 

(  Vita,  vers  166-168.  Opéra,  1. 1,  p.  xci). 

3-4.  Ast  ego  perpétue  naturam  cogito  rerum, 

Seu  rate,  seu  curru,  sive  ferebar  equo. 
Et  mihi  visa  quidem  est  toto  res  luiica  Mundo 

Vera,  licet  niultis  falsifîcata  modis  : 
XJnica  vera  quidem,  sed  quae  sit  basis  eanun 

Rerum,  quas  falso  dieimus  esse  aliquid... 

Partibus  internis  nil  nisi  motus  inest. 

Vita,  vers  109-114  ;  v.  118.  Opéra,  t.  I,  p.  lxxxix). 

5.  Vita,  vers  127-129.  Opéra,  t.  I,  p.  xc. 

6.  T.  Tônnies  a  publié  ce  Short  Tract  en  appendice  du  livre  :  The  Eléments  of  Latv 
natural  and  politic  (dont  il  sera  bientôt  question),  Londres,  18S9,  Appendix,  p.  193--" 
210. 

7.  Tônnies,  dans  Vierteljahrsschrift  fi'ir  ivissenschajtllche  Piiilosophie,  1879,  T.  II, 
1).  463,  §  9.  _ 


I.    —   PREMIERES    ANNEES.    PRECEPTORAT    ET    VOYAGES  2ti 

C'est  plus  tard  et  peu  à  peu,  que  le  plan  de  notre  philosophe  s'élar- 
git ^  :  de  la  Physique  il  étendit  l'explication  mécanique  à  la  Psycho- 
logie, à  la  Morale  et  à  la  Pohtique.  a  II  se  plonge  dans  ces  études  «. 
Une  fois  cette  extension  réahsée  dans  son  esprit,  Hobbes  vit  apparaître 
les  grandes  Hgnes  de  sa  trilogie  ;  De  Cor  pore,  de  Homine,  de  Cive  '^. 
Tout  s'enchaîne  ;  une  Physique  mécanique  prépare  Une  Psychologie 
sans  volonté  Ubre,  ce  qui  conduit  naturellement  à  une  Éthique  égoïste 
et  utihtaire,  dont  la  doctrine  de  l'absolutisme  en  Politique  est  le  digne 
couronnement. 

Quand  Hobbes  et  son  pupille  revinrent  en  Angleterre  (1637), 
l'horizon  pohtique  commençait  à  sassombrir.  Le  procès  retentissant 
fait  à  Hampden  pour  refus  de  payer  l'impôt  destiné  aux  dépenses 
de  la  flotte  (Ship-money),  la  révolte  d'Edimbourg  pour  repousser 
l'Épiscopalisme  et  la  hturgie  anglicane  que  Laucl  prétendait  imposer 
à  FÉcosse,  la  signature  du  Coverijjnt  ou  pacte  par  lequel  les  opposants 
s'engageaient  à  défendre  le  Presbytérianisme  et  les  libertés  nationales, 
l'attitude  décidée  des  Covenantaires  qui  força  Charles  I^'"  à  signer  la 
paix  de  Berwick,  autant  d'événements  qui  vinrent  troubler  la  quiétude 
de  notre  philosophe. 

Par  suite  de  sa  situation  dans  la  famille  de  Devonshire,  Hobbes  se 
trouva  en  contact  avec  les  chefs  les  plus  modérés  du  parti  royahste, 
tels  que  Falkland  et  Hyde.  Ému  des  symptômes  qui  faisaient  présager 
3e  graves  dangers  pour  la  prérogative  royale  et  la  paix  pubhque, 
il  se  mit  à  écrire  «  un  petit  traité  en  anglais  »  pour  prouver  «  que  les 
pouvoirs  et  les  droits  mis  en  question  étaient  liés  à  la  Souveraineté 
par  une  connexion  inséparable.  Cette  défense  de  la  monarchie  ne  fut 
pas  imprimée  ;  cependant  nombre  de  gentilshommes  en  eurent  des 
copies.  On  parla  beaucoup  de  l'auteur,  et  sa  vie  eût  été  en  péril,  si  sa 
Majesté  n'avait  pas  dissous  le  Parlement  »  ^. 

L'opuscule  avait  pour  titre  ;  The  Eléments  of  Law  natural  and  politic 
(Eléments  de  la  Loi  naturelle  et  politique)  (1640).  La  théorie  du  mou- 
vement est  à  la  base  de  l'ouvrage  :  mais  l'auteur  n'entre  dans  le  détail 
de  ses  idées  que  pour  la  nature  de  l'homme  et  les  principes  de  l'ordre 
social.  C'est  une  réduction  de  sa  Psychologie  et  de  son  Éthique  ci\al6 
et  pohtique.  Dix  ans  plus  tard  (1650),  les  Eléments  furent  édités 
à  Londres  (probablement  d'accord  avec  l'auteur)  en  deux  parties 
séparées,  sous  ces  titres  distincts  ;  Human  Nature  (La  Nature  humaine, 
composée  des  treize  premiers  chapitres).  —  De  Cor  pore  politico  (Le 

1.  Vita,  vers  131-138.  Opéra,  t.  I,  p.  xc. 

2.  His  ego  me  mei-si  studii-s.  Xam  piiilosophaudi 

Corpus,  Homo,  Civis  continet  omne  geni.s. 

(V'ita,  vers  137-138.  Opéra,  t.  I,  p.  xc). 

3.  ...  Mr  Hobbes  wrote  a  little  treatise  in  Englisli,  wherein  he  did  set  fortli  and 
demonstrate  that  the  said  power  and  rights  were  inseparablj-  annexed  to  sovereignty... 
Of  his  treatise,  though  not  printed.  many  gentlemen  had  copies,  which  occasioned 
much  talk  of  the  aiithor  ;  and  had  not  his  Majesty  dissolved  the  Parlianient,  it  had 
brought  him  in  to  danger  of  his  life  (Hobbes,  Considérations  upon  the  réputation, 
loyalty,  manners  and  religion  of  Thomas  Hobbes  written  hyJtimself  b>j  waij  oj  Ittter  to 
a  learned  person,  Works,  t.  IV,  p.  414). 


278  ARTICLE  III.   —  CHAPITEE   T.   —  BIOGRAPHTE   DE   HOBBES 

Corfs  'politique,  comprenant  le  reste  des  chapitres)  ^.  En  tête  de  VHu- 
man  Nature  on  lit  une  Epître  dédicatoire  de  Hobbes,  en  date  du  9  mai 
1640,  adressée  au  comte  de  Newcastle,  gouverneur  du  Prince  héri- 
tier, le  futur  Charles  II. 

Le  Court  Parlement,  qui  avait  été  réuni  le  3  aviil  1640,  fut  dissous 
après  vingt-trois  jours  d'existence.  La  lutte  était  déclarée  entre  la 
Royauté  et  les  Communes.  Dans  la  nouvelle  assemblée,  dite  le  Long 
Parlement,  la  politique  royale  eut  des  adversaires  résolus,  surtout  parmi 
les  puritains  et  les  presbytériens.  A  leur  demande,  les  officiers  de  la 
Couronne,  accusés  de  participation  à  des  mesures  illégales,  furent 
poursuivis  comme  «  délinquants  ».  Le  ministre  Strafford,  «  le  grand 
délinquant  »,  figurait  en  tête  de  la  liste.  Hobbes  prit  peur  et  se  réfugia 
précipitamment  à  Paris.  Les  historiens  anglais  jugent  assez  sévèrement 
cette  fuite.  Il  leur  semble  difficile  d'admettre  que  le  philosophe  roya- 
liste ait  eu  à  redouter  alors  le  ressentiment  des  leaders  de  l'opposition 
parlementaire  et  couru  un  réel  danger  ^.  Sans  doute  sa  vive  imagina- 
i  tion  et  sa  timidité  naturelle  furent  pour  quelque  chose  dans  cette 

détermination. 
1      Quoi  qu'il  en  soit,  notre  fugitif  arrivait  à  Paris  <(  toujoiu-s  aimé  »  ', 
!  vers  la  fin  de  1640.  Il  devait  y 'rester  onze  ans  (1640-1651). 

IL    —    L'EXIL    EN    FRANCE    (1640-1651) 

Tandis  que  l'Angleterre  était,  violemment  secouée  par  la  tempête 
^  pohtique,  la  France  jouissait  de  la  paix  sous  le  gouvernement  éner- 
^  gique  de  RicheUeu.  L'exilé  volontaire  fut  cordialement  accueilh  par 
Mersenne  et  le  cercle  de  savants  qu'il  avait  déjà  fréquentés  lors  de  son 
précédent  voyage,  et  qui  continuaient  tranquillement  leurs  paisibles 
recherches.  La  révolution,  qui  commençait  dès  lors  à  remuer  les  esprits, 
avait  un  caractère  purement  philosophique.  Descartes  avait  pubhé 
(1637)  son  Discours  de  la  Méthode,  et  les  Méditations  sur  la  Philosophie 
pi'emière  allaient  bientôt  paraître.  Du  fond  de  sa  retraite  hollandaise, 
le  philosophe  français  les  avait  communiquées  à  Mersenne,  le  priant 
de  solliciter  autour  de  lui  des  remarques  et  des  objections.  Hobbes 
survenait  à  point  ;  aussi  le  Père  lui  demanda-t-il  de  mettre  par  écrit 
ses  observations,  qu'il  se  chargeait  de  transmettre  à  Descartes.  Ce 
fut  l'origine  d'une  polémique,  dont  nous  parlerons  bientôt  avec 
quelque  détail*. 

1.  Ferdinand  Tônnies  a  édité  l'ouvrage  sous  sa  forme  première  et  avec  son  titre 
originel  (The  Eléments  of  Law  natvral  and  politic,  Londres,  18S9),  d'après  les  manuscrits 
qu'il  a  trouvés  au  British  Muséum  (Harleian  Ms.  6796,  fol.  297-308)  et  au  château 
dé  Hardwick,  où  la  famille  de  Devonshire  conserve  les  papiers  de  Hobbes.  Cf.  Préface, 

p.   VIII-IX. 

2.  That  be  [Hobbes]  was  in  any  actual  danger  from  the  resentment  of  the  parlia- 
mentary  leaders,  it  is  diiïicvdt  to  suppose...  (George  Croom  Rorertson,  Hobbes, 
Ch.  V,  p.  52,  Londres,  1910). 

3.  Jamque  in  procinetu  belluni  etetit,  Horreo  spectans 

Meque  ad  dilectajn  confero  Lutetiam. 
{VUa,  vers  149-150.  Operd,  t.  I,  p.  xc).- 

4.  Cf.  infra,  chapitre  IL  p.  302. 


II.  —  l'exil  en  niANCE  279 

Ce  démêlé  avec  le  plus  giand  métaphysicien  de  l'époque  détourna 
un  moment  Hobbes  de  ses  études  personnelles.  Libre  de  ce  souci, 
il  y  revint  avec  empressement.  Le  résultat  de  cette  activité,  pendant 
sa  première  année  d'exil,  fut  la  composition  du  De  Cive.  Ce  Uvre,  dont 
la  dédicace  au  comte  de  Devonshire,  son  ancien  élève,  est  datée  du 
l^r  novembre  1641,  parut  en  1642  à  Paris.  Dans  le  plan  logique  de  la 
trilogie  projetée,  il  ne  vient  qu'en  dernier  lieu.  Les  circonstances, 
nous  confie-t-il,  l'obligèrent  à  le  publier  avant  le  De  Corpore  et  le 
De  Homine.  Les  questions  brûlantes  des  droits  du  pouvoir  souverain  ' 
et  de  l'obéissance  due  par  les  sujets  étaient  fiévreusement  discutées 
en  Angleterre  ^.  C'est  donc  pour  soutenir  la  royauté  aux  prises  avec 
le  Parlement  que  le  philosophe  absolutiste  précipita  la  pubHcation 
du  De  Cive,  qui  forme  la  3^  Section  de  ses  Elementa  Philosophiœ. 
Il  est  divisé  en  trois  parties  :  Liberté,  Empire,  Religion.  Hobbes  y  traite 
de  l'état  de  nature,  qui  est  un  état  de  Uberté  sauvage  et  de  guerre 
continuelle  de  tous  contre  tous  ;  puis,  de  l'origine  de  la  société  au 
moyen  d'un  contrat,  de  la  souveraineté  absolue  et  indivisible  de 
l'État,  qu'il  soit  monarchique,  aristocratique  ou  démocratique, 
souveraineté  qui  s'exerce  sur  le  spirituel  aussi  bien  que  sur  le  tem- 
porel ;  enfin,  dé  la  conformité  de  la  doctrine  précédente,  prouvée 
jusqu'ici  par  la  raison,  avec  les  enseignements  tirés  de  la  Sainte  Écri- 
ture. "       '  » 

~  Dans  une  lettre  au  comte  de  Devonshire,  où  il  ^ait  allusion  à  un 
incident  entre  le  Parlement  et  les  évêques,  Hobbes  écrit  :  «  L'expé- 
rience nous  enseigne  (c'est  pour  moi  une  chose  certaine)  que  la  riva- 
hté  pour  la  prééminence  entre  le  pouvon  spirituel  et  le  pouvon  civil 
a  été,  dans  ces  derniers  temps,  plus  que  n'importe  quoi  au  monde, 
la  cause  des  guerres  civiles  siu'  tous  les  points  de  la  chrétienté  »  ^. 
Il  n'a  trouvé  d'autre  remède,  pour  prévenu^  le  mal,  que  l'absoiption 
de  l'Éghse  par  l'État,  remède  pire  que  le  mal,  renouvelé  du  paganisme. 

Hobbes,  dans  le  De  Cive,  reproduit,  mais  avec  plus  d'ampleur  et 
u«i  style  moins  sec,  la  théorie  du  pouvoir  qu'il  avait  déjà  largement 
esquissée  dans  le  De  Corpore  poUtico.  En  1647,  il  donna,  à  Amsterdam, 
par  les  soins  empressés  de  Sorbière  ^,  une  nouvelle  édition  du  De  Cive  ^, 
enrichie  de  notes  importantes  et  précédée  d'une  Préface  aux  Lecteurs, 
où  il  justifie  les  principes  fondamentaux  de  sa  doctrine  poHtique  et 
trace  le  plan  général  de  sa  Philosophie. 

1.  ...  Accidit  interea  patriam  meam,  ante  annos  aliquot  quana  bellura  civile  exardes- 
ceret,  qusestionibiis  de  jure  Imperii  et  débita  civiiim  obedientia,  belli  pi'opinqui  prîe- 
cursoribus,  fei-A'escere.  Td  qiiod  partis  hiijiis  tertise,  cœteris  dilatis,  niaturandse  absol- 
vendœque  causa  fuit.  Itaque  factuni  est  ut  ciuae  ordine  ultima  esset,  tempore  tamen  prior 
prodierit  ;  praesertim  cum  eam,  principiis  propriis  experientia  cognitis  innixam,  prœ- 
cedentibus  indigere  non  \nderem.   (De  Cive,  Prsefatio  ad  Lectores  .  C'pera.  t,  II.  p.  151.) 

2.  But  I  am  sure  that  expérience  teaches  tlius  niuch  that  the  dispute  for  [precedence] 
befvreen  the  spirituall  and  the  civil!  power  has  of  late,  more  than  any  other  thing  in 
the  world,  been  the  cause  of  civill  wars  in  ail  places  of  Christendome.  »  (Lettre  au  comte 
de  Devonshire,  2  août  1641.  IVIolesworth  la  reproduit  en  fac-similé  à  la  fin  du  tome  XI 
des  English  Works). 

3.  Cf.  s^i'pra,  p.  214  scjq. 

4.  De  Cive,  Cf.  Opéra,  t.  II,  p.  133-432. 


280  ARTICLE   III.   —   CHAPITRE   I.   —   BIOGRAPHIE   DE   HOBBES 

Nous  avons  déjà  raconté  avec  quelle  admiration  excessive  le  De  Cive, 
dès  sa' première  apparition,  fut  accueilli,  notamment  par  Mersenne 
et  Gassendi  ^.  Hobbes  a  naturellement  enregistré  ce  succès  obtenu 
parmi  les  «  doctes  »  ^. 

Ayant  rempli  ce  qu'il  regardait  comme  un  grave  devoir  poli  tique  ^ 
Hobbes  put  se  livrer  en  paix  à  ses  études  scientifiques  et  préparer 
les  matériaux  de  son  Traité  fondamental  De  Corpore,  qui  devait  former 
la  1^^  Section  de  ses  Eléments  de  Philosophie  ^.  Mersenne  l'aida  dans 
ses  investigations.  Bien  plus,  cet  ami  dévoué  poussa  la  complaisance 
jusqu'à  insérer  dans  ses  propres  ouvrages  deux  opuscules  de  Hobbes, 
en  1644.  Il  publia,  dans  son  Optique,  le  Tractatus  opticus  du  philo- 
sophe anglais,  et,  dans  la  Préface  de  sa  Balistique,  un  résumé  de  la 
théorie  par  lac^uelle  Hobbes  explique  mécaniquement  les  opérations 
de  l'âme  *. 

Pendant  ce  temps  l'armée  royale,  d'abord  défaite  à  Marston  Moor 
(1644),  fut  mise  en  pièces  à  Naseby  (1645).  Hobbes  vit  grossir  sans 
cesse  le  nombre  des  réfugiés  royalistes.  Parmi  eux  se  trouva  le  vaincu 
de  Marston  ^Nloor,  le  marquis  de  Newcastle,  auquel,  alors  comte, 
il  avait  dédié  ses  Eléments  of  Laïc.  Durant  l'été  de  1646^,  le  jeune 
prince  de  Galles,  venant  de  Jersey  avec  un  cortège  nombreux,  rejoignit 
en  France  le  marquis  de  Newcastle,  son  ancien  gouverneur.  Louis  XIV 
offrit  pour  résidence  au  royal  exilé  le  château  de  Saint-Germain-en- 
Laye,  près  de  Paris. 

Hobbes  se  disposait  à  suivre  dans  le  Midi  de  la  France  l'un  de  ses 
plus  chauds  admirateurs,  ((  un  noble  Languedocien  »  ®,  quand,  sur  la 
recommandation  du  marquis  de  Newcastle,  il  fut  nommé  professeur 
de  mathématiques  du  prince  de  Galles.  Force  lui  fut  donc  de  s'établir 
à  Saint-Germain  ;  mais  il  n'exerça  pas  longtemps  ses  fonctions  pro- 
fessorales, car,  au  printemps  de  1648,  son  royal  élève  passait  en  Hol- 
lande. Une  grave  maladie  survenue  en  1647  l'avait  d'ailleurs  forcé 
de  les  interrompre  ".  On  le  crut  en  danger.  Le  Père  Mersenne  vint  le 

1.  Cf.  supra,  p.  214-216. 

2.  Postque  duos  annos  eclo  De  Cive  libellum. 

Qui  plticuit  doctis,  et  noviis  omnis  erat. 
[Vita,  vers  151-152.  Opéra,  t.  I,  p.  xi).  '     . 

3.  Cf.  Vita,  vers  159  sqq.  Opéra,  t.  I,  p.  xci. 

4.  Voir  la  liste  des  Œuvres  de  Hobbes,  à  Tannée  1644,  p.  298. 

5.  Quo  tempore  (1646)  prœvalentibus  Parliamentariis,  multi  eorum,  qui  partes 
regias  sequuti  erant,  et  in  illis  Princeps  Wallisê  (qui  nunc  est  rex  Anglise),  Parisios 
confluxerunt  (Th.  Hobbes  MALivrESBURiEXSis  Vita,  t.  I,  p.  xv). 

6.  ...  Hortatu  amici  cujusdam  Nobilis  Languedoeiani...  (Th.  Hobbes  Malm.  VitOr 
Opéra,  t.  I,  p.  xv).  Hobbes  ne  désigne  pas  autrement  cet  ami.  Mais  M.  Croom  Robertson 
suppose  avec  raison  qu'il  s'agit  de  du  Yerdxjs.  C'est  à  lui  que  Hobbes  adressa  sa 
Vita  carminé  expressa  (où  il  parle  de  Verdusius,  v.  369,  circa  finem)  et  dédia  son  ou- 
vrage :  Exarninatio  et  Emendatio  Mathematicœ  hodiemœ,  Londres,  1660.  Du  Verdus  a 
traduit  les  deux  premières  parties  du  De  Cive  sous  ce  titre  :  Les  Elemens  de  la  Politique 
de  Monsieur  Hobbes,  Paris,  1660.  —  M.  Croom  Robertson  a  trouvé  au  château  de 
Hardwick  beaucoup  de  lettres  de  du  Verdus.  Cf.  Hobbes,  p.  62,  note  2. 

7.  G.  BuRNET  accuse  le  duc  de  Buckingham,  qui  avait  commencé  à  corrompre  l'esprit 
du  prince  de  Galles,  le  futur  Charles  II.  d'avoir  mis  près  de  lui  Hobbes  pour  achever 
le  travail  de  corruption.  «  Pour  compléter  l'œuvre,  il  donna  Hobbes  au  prince  sous 
prétexte  de  lui  enseigner  les  mathématiqiies.  Mais  le  professeur  développa  en  même 


II.  —  l'exil  en   FRANCE  281 

visiter.  S 'étant  assis  près  du  lit  du  malade,  il  lui  adressa  quelques 
mots  de  consolation  ;  puis,  il  commença  à  disserter  sur  le  pouvoir 
qu'avait  l'Église  romaine  de  remettre  les  péchés.  Mais,  l'interrompant 
bientôt,  Hobbes  lui  aurait  répondu  :  «  ^lon  Père,  j'ai  débattu,  depuis 
longtemps  déjà,  tous  ces  sujets  avec  moi-même.  Il  me  serait  pénible 
de  reprendre  maintenant  la  même  discussion.  Vous  avez  des  choses 
plus  agréables  à  me  dire.  Quand  avez-vous  \u  Gassendi  ?  ^  »  Le  zéJé 
visiteur  n'insista  pas.  Quelques  jours  après  se  présenta  le  Docteur 
Jean  Cosius,  ministre  anglican,  qui  proposa  au  malade.de  prier  Dieu 
avec  lui.  Hobbes  y  consentit  volontiers,  à  condition  que  le  ministre 
se  servît  du  Prayer-book  anglais  -.  Quand,  plus  tard,  le  clergé  l'atta- 
quera comme  athée  et  hérétique,  il  ne  manquera  pas,  pom"  prouver 
la  sincéi'ité  de  sa  foi.  de  faire  appel  au  témoignage  de  Cosius,  alors 
évêque  de  Durham  ^. 

Hobbes  perdit,  en  1648,  son  meilleur  ami,  le  Père  Mersenne.  A  sa 
mort,  le  cercle  scientifique,  dont  il  était  le  centre,  se  dispersa.  C'était 
pour  notre  philosophe  une  ressource  de  moins.  Mais  il  avait  ample- 
ment de  quoi  occuper  ses  loisirs.  Depuis  plusieurs  années,  il  avait 
projeté  d'écrire  en  anglais  un  grand  ouvrage,  le  Léviathan,  où  il  voulait 
donner  une  vue  d'ensemble  des  idées,  déjà  indiquées  dans  The  Elé- 
ments of  Laïc  et  le  De  Cive,  et  surtout  développer  ce  qui  regarde  les^ 
rapports  de  l'Éghse  et  de  l'État. 

Pendant  que  Hobbes  composait  le  Léviathan  dans  le  calme  studieux 
de  sa  retraite,  de  graves  événements  s'accompHssaient  en  Angleterre. 
L'influence  grandissante  des  indépendants,  dont  Cromwell  était  le 
chef  entreprenant,  la  chute  définiti\e  du  parti  presbytérien  après 
l'échec  des  Écossais  pour  rendre  au  roi  son  pouvoir,  l'exécution  de 
Charles.  1^1'  (30  janvier  1649),  avaient  complètement  changé  la  face 
des  afïah'es  politiques.  Ces  changements  ne  furent  pas  sans  influence 
sur  les  desseins  de  Hobbes.  A  la  fin  de  1649,  il  songe  déjà  à  retourner 
dans  son  pays  :  «  Pour  mon  âge  (il  a  soixante  ans  passés),  écrit-il  à 
Gassendi,  je  me  porte  assez  bien  et  je  me  ménage,  me  réservant  pour 

temps  devant  lui  ses  doctrine.s  relatives  à  la  religion  et  à  la  politique.  Elles  firent  sur 
l'espi'it  du  prince  une  impre.s.sion  profonde  et  durable.  C'est  donc  le  duc  de  Buckingham 
qui  est  surtout  digne  de  blâme,  parce  qu'il  est  responsable  des  mauvais  principes  et 
des  mœiu-s  dissolues  du  roi.  ^  And  to  compleat  tlie  matter,  Hobbs  was  brought  to  hini 
[le  prince  de  Galles]  under  the  pretence  of  instructing  him  in  matliematicks.  And  he 
laid  before  him  his  schemes,  both  with  relation  to  religion  and  politicks,  which  made 
deep  and  lasting  impressions  on  the  King's  mind.  So  that  the  main  blâme  of  the  King's 
ill  principles  and  bad  morals  \vas  owing  to  the  Duke  of  Buckingham  (G.  Burxet, 
History  of  his  oicn  time.  T.  I,  Li%Te  II,  p.  100,  Londres,  1724).  On  peut  se  demander  si 
Burnet  n'esagèi-e  pas  l'influence  pernicieuse  de  Hobbes,  quand  on  se  rappelle  que  le 
prince  refusa  l'hommage  du  Léviathan.  Cf.  injra,  p.  333. 

1.  Is  pMersennus]  lecto  assidens  (post  exordium  consolatorium)  de  Potestate  Ecclesiae 
Romanœ  peccata  remittendi  aliquantisper  disseruit  ;  cui  ille  [Hobbesius]  :  Mi  Pater 
(inquit),  hœc  omnia  jamdudutn  mecum  dispiitavi.  Eadem  disputare  nunc  molestum  erit. 
Hobea,  quœ  dicas,  amœniora.  Qiiando  vidisti  Gassexdtjm  ?  fVita,  Opéra,  T.  I,  p.  xvi). 

2.  Th.  Hobbes,  Vita...,  Opéra,  t.  I.  p.  xvr.  —  Cf.  Aubrey  (Lifes...,  T.  II,  p.  624- 
625)  tourne  autrement  cette  anecdote. 

3.  Hobbes  :  Qualis  autem  eram  in  ipso  mortis  pêne  articulo,  testem  cite  reverendis- 
simum  virum  Episcopum  Dunelmeneusem  (Hobbes,  Probîemata  physica,  Dedic.  ad 
Regem,  Opéra,  t.  IV,  p.  303). 


282  ARTICLE   III.  —   CHAPITRE   I.  —   BIOGRAPHIE   DE   HOBBES 

mon  retour  en  Angleterre,  si  faire  se  peut  »  ^.  De  la  part  du  rigide 
défenseur  des  prérogatives  royales,  un  tel  esprit  de  retour,  en"  un 
pareil  moment,  semble  assez  étrange.  Sans  doute,  il  considérait  la 
cause  royale  comme  perdue  à  jamais.  Il  note,  dans  sa  Vie,  qu'à  cette 
époque  chacun  était  libre  d'écrire  et  d'imprimer  ce  qu'il  voulait  sur 
les  questions  théologiques  ^.  Cette  perspective  de  hberté  spéculative 
était  peut-être  pour  lui  un  nouveau  motif  de  rentrer  dans  sa  patrie. 

Quoi  qu'il  en  puisse  être,  il  jugea  convenable  de  préparer  son  retour 
en  pubhant  coup  sur  coup  plusieurs  de  ses  ouvrages  à  Londi^es  même. 
Ce  furent  ses  précurseurs.  L'année  1650  vit  paraître  et  VHwnan 
Nature  ^  et  le  De  Corjxtre  politico  *  dont  il  a  été  déjà  question  ^. 
En  1651,  c'est  le  tour  d'une  traduction  anglaise  du  i)e.  Cwe  sous  ce 
titre  :  Philosophicall  rudiments  concerning  Government  and  Society 
( Rtidinients  philosophiques  concernant  le  Gouvernement  et  la  Société), 
et  de  son  chef-d'œuvre  :  Leviathan  or  the  Matter,  Forme  and  Poiver 
of  a  Common-Wealth  ecclesiasticall  and  civill  (Leviathan  ou  la 
Matière,  la  Forme  et  le  Pouvoir  d^un  Etat  ecclésiastique  et  civil). 

Ce  nom  mystérieux  de  l'animal  monstrueux  décrit  par  Job,  la 
composition  symboHque  placée  en  tête  de  l'ouvrage,  la  nature  brû- 
lante des  questions  traitées,  le  style  lucide,  nerveux,  \dvant  de  l'au- 
teur, étaient  bien  faits  pour  piquer  la  curiosité.  «  Ce  grand  Lévig.than, 
qu'on  appelle  RépubUque  ou  État  (en  latin  Civitas)  est  une  œuvre 
créée  par  l'art,  une  œuvre  artificielle  »  ^. 

L'ouvrage  est  divisé  en  quatre  Parties  :  I.  L'Homme.  L'auteur  y 
traite  des  facultés  de  l'homme,  de  la  religion  et  des  lois  naturelles, 
du  Contrat.  —  II.  L'État.  Hobbes  y  examine  les  questions  suivantes  : 
comment  et  par  quels  pactes  l'État  est  constitué  ;  quels  sont  les  droits, 
le  pouvoir  ou  l'autorité  du  Souverain  ;  en  qui  réside  le  pouvoir  sou- 
verain ;  ce  qui  le  préserve  ou  le  dissout.  —  III.  L'État  Chrétien. 
Ici  l'auteur,  interprétant  à  sa  façon  la  Sainte  Écriture  et  la  Théologie, 
expose  ce  qu'il  entend  par  la  religion  chrétienne.  —  IV.  Le  Royaume 
DES  TÉNÈBRES.  Hobbcs  énumère  les  causes  qui  ont  obscurci  l'éclat 
de  la  religion  :  Fausse  interprétation  de  l'Écriture.  —  Démonologie  et 

1.  Ego  pro  aetat©  satis  valeo  et  mihi  nimium  indiilgeo,  servans  me,  si  forte  contingat, 
reditui  in  Angliam  (Hobbes  à  6assend>\  Paris,  21  septembre  1649.  Opéra,  t.  V,  p.  307). 

2.  Quanquam  enim  unicuique  illo  tempore  scribere  et  edere  Theologica,  quae  vellet, 
liberum  erat...  (Vita,  Opéra,  t.  I,  p.  x\t).  Il  ajoute  qu'il  n'a  pas  usé  de  cette  liberté  en 
écrivant  le  Leviathan.  Cette  assertion  est  inexacte  :  la  théologie  contenue  dans  ce  livre 
a  été  au  contraire  vivement  combattue,  comme  on  le  verra,  et  à  juste  titre,  par  des 
membres  autorisés  de  l'Eglise  d'Angleterre. 

3.  Human  Nature  or  the  fundamental  Eléments  of  Policy...,  Londres,  1650.  —  Worka, 
t.  IV,  p.  1-76. 

4.  De  Gorpore  politico  or  the  Eléments  of  Law  moral  and  politic...,  Londres,  1650.  — 
Works,  t.  IV,  p.  77-228. 

5.  Cf.  svpra,  p.  277-278. 

6.  For  by  Art  is  creat«d  that  great  Leviathan  called  a  Comnion-ueaUh  or  State,  (in 
latin  Cimtas)  ;  vhich  is  but  an  artificiall  Man.  (Leviathan,  Introduction,  Works,  T.  III, 
p.  IX).  Nous  renverrons  de  préférence  à  la  traduction  latine  que  Hobbes  fit  paraître 
en  1668,  à  Amsterdam,  imrce  qu'elle  représente  sa  jjénsée  définitive,  eaiif  dans  le  cas 
où  le  texte  anglais  sera  pkis  expressif,  comme  ici,  ovi  offrii-a  quelques  difféi-ence  no- 
table. 


II.  —  l'exil  en  fra>?ce  283 

autres  survivances  des  religions  païennes.  —  Vaine  Philosophie  et 
Traditions  fabuleuses  ^. 

Couvrage  fut  en  général  mal  accueilli.  On  comprend  sans  peine  le 
mécontentement  des  personnages  ecclésiastiques  des  diverses  confes- 
sions, car  voici  l'une  des  thèses  fondamentales  :  Le  pouvoir  spirituel 
est  subordonné  au  pouvoir  temporel.  De  plus,  l'exposition  des  dogmes 
de  la  reUgion  chrétienne  et  l'interprétation  de  la  Sainte  Écriture, 
telles  que  le  Léviathan  les  présente,  sont  tellement  imprégnées  de  ratio- 
nalisme cj^ue  les  Théologiens  de  l'ÉgUse  d'Angleterre  devaient  nécessai- 
rement les  combattre  ^. 

On  s'étonne  au  contraire  que  le  livre  n'ait  pas  trouvé  parmi  les 
royalistes  une  chaleureuse  approbation,  car  l'auteui'  y^  affiche  ses  pré- 
férences pour  la  monarchie  absolue.  Mais  ils  se  persuadèrent  que  tels 
passages  justifiaient  la  conduite  de  Cromwell  ^.  Certains  même  insi- 
nuaient que  Hobbes  les  avait  écrits  pour  facihter  son  retour  en  Angle- 
terre. Cette  insinuation  devint  plus  tard  une  accusation  formelle  sous 
la  plume  d'Edouard  Hyde,  comte  de  Clarendon.  C'était  un  vieil  ami 
de  Hobbes.  Revenant  d'une  ambassade  en  Espagne,  il  s'arrêta  à  Paris 
en  1651.  Hobbes  alla  le  visiter  au  moment  où  le  Léviathan  s'imprimait 
à  Londres.  Xotre  philosophe  s'empressa  de  lui  signaler  quelc^ues  échan- 
tillons des  idées  qu'il  y  développait.  Surprise  de  lord  Clarendon, 
qui  ajoute  dans  son  récit  :  «  Je  lui  demandai  pomTjuoi  il  voulait  pubUer 
une  pareille  doctrine.  Après  un  discours  moitié  plaisant,  moitié «érieux, 
il  me  répondit  :  «  La  vérité  est  que  je  songe  à  rentrer  dans  mon  pays  *.  » 
Clarendon  n'a  rapporté  cet  entretien  que  vingt  ans  plus  tard,  dans  mi 
livre  plein  d'animosité  contre  le  Léviathan.  N'est-il  pas  ATaisemblable 


\.  Le  Léviathan  anglais  se  termine  par  un  Résumé  et  une  Conclusion  (A  Revieto  and 
Conclusion).  Dans  le  Léviathan  latin,  ce  résumé  et  cette  conclusion  sont  remplacés  par 
un  Appendice  où  Hobbes  s'efforce  de  prouver  que  ses  doctrines  religieuses  sont  ortho- 
doxes. —  La  troisième  et  quatrième  Parties  du  Léviathan  (UEtat  Chrétien  et  Le 
Royaume  des  ténèbres)  reposant  s\ir  l'Ecriture  Sainte  et  la  Théologie,  il  n'en  sera  parlé 
qu'incidemment  dans  cette  Histoire  des  idées  pliiiosopluques. 

2.  Léviathan  clerum  at  totiuTi  mihi  fecerat  hostem  ; 

Hostis  Theologum  nidus  uterque  fuit. 
Xam  diun  Pajoalis  Regni  contrecto  tuniorem, 

Hos,  hcet  abseissos,  Isedere  visus  eram. 
Contra  Léviathan,  primo,  convicia  scribunt, 

Et  causa,  ut  tanto  plus  legeretur,  erant. 

(  Viia,,.,  vers  241-246,  Opéra,  T.  I,  p.  xciv), 
Hobbes  raconte  lui-même  que  les  ministres  anglicans,  qui  avaient  l'oreille  du  public, 
«  lancèrent  siu*  lui  ordures  et  caloiTinies  dans  leurs  sermQns  et  leurs  meetings  privés.  » 
(Besides  the  dirt  and  slander  cast  on  him  in  sermons  and  private  meetings).  Cf.  Of 
Liberty  and  Necessity...  :  The  Epistle  to  the  Keader,  Works,  t.  TV,  p.  237. 

3.  Nam  Régi  accuser  falso,  quasi  facta  probarem 

Impia  Cbomwîxij,  jus  scelerique  darem. 

(Vita...,  vers  217-218,  Opéra,  t.  I,  p.  xciii). 

4.  ...  I  asked  him  why  he  would  pxiblish  such  doctrine  ;  to  which,  af ter  a  discourse 
between  jest  and  earnest  upon  the  subject,  he  said  :  The  truth  is,  1  hâve  a  mind  to  go 
home.  (Edwabd  Hyde,  earl  or  Clarendon,  A  brief  view  and  svrvey  of  the  dangerous 
and  pemicious  Errors  to  Church  and  fState  in  JSIr.  Hobbcs's  bock  entifled  Léviathan, 
Introduction,  p.  7-8,  Oxford,  1676). 


284  ARTICLE    III.   CHAPITRE   I.    BIOGRAPHIE    DE   HOBBES 

qu'après  un  si  long  temps  écoulé  sa  mémoire  infidèle  et  influencée 
par  la  passion  a  transformé  en  assertion  catégorique  ce  qui  n'était 
qu'une  boutade,  dans  la  bouche  de  Hobbes  ?  Ce  qui  rend  plausible 
cette  interprétation,  c'est  que  notre  exilé  n'avait  pas  besoin  de  ce 
passeport  pour  retourner  dans  sa  patrie.  La  doctrine  formulée  dans  le 
Léviathan,  il  l'avait  déjà  nettement  formulée  dans  le  De  Cive  et  le 
De  Corpore  politico.  Il  est  partisan  du  pouvoir  absolu  ;  mais,  malgré 
sa  prédilection  marquée  pour  la  monarchie,  il  soutient  dans  ses  ouvrages 
antérieurs  que  le  pouvoir  absolu  peut  aussi  exister  légitimement 
sous  la  forme  aristocratique  ou  démocratique.  D'ailleurs,  «  l'obhga- 
tion  des  sujets  envers  le  souverain  dure  aussi  longtemps  et  non  plus 
que  la  puissance  par  laquelle  il  est  capable  de  les  protéger  »  ^.  Cette 
affirmation,  qui  s'applique  au  Souverain,  quel  qu'il  soit,  monarque 
ou  assemblée,  n'est  que  la  conséquence  logique  des  principes  posés 
par  Hobbes  ^. 

Après  la  restauration  monarchique  fl660),  les  adversakes  de  Hobbes 
ne  se  firent  pas  scrupule  de  réveiller  cette  querelle  et  de  l'exploiter 
contre  lui.  Mais,  loin  de  modifier  sa  doctrine,  il  l'affirme  de  plus  belle, 
dans  son  autobiographie,  quand  il  annonce  en  ces  termes  le  Léviathan, 
où  le  No7nine,sub  quovis  attire  l'attention  : 

Militât  ille  Liber  nunc  Regibus  omnibus  et  qui 
Nomine  sub  quovis  regia  jura  tenent  ^. 

Une  fois  rétabli  sur  le  trône,  Charles  II  ne  tint  pas  rigueur  à  Hobbes. 
Il  n'en  fut  pas  de  même,  à  l'apparition  de  l'ouvrage,  quand  le  prince, 
encore  exilé,  vivait  au  miUeu  des  courtisans  qui  l'avaient  suivi  à  Saint- 
Germain.  L'auteur  commit  l'imprudence  d'en  faire  présenter  un  exem- 
plaire '^  au  jeune  roi.  Le  royal  élève  refusa  de  recevoir  son  ancien  pré- 
cepteur. Cependant  le  marquis  d'Ormond  le  prévint  qu'il  était  sous 
le  coup  d'une  grave  accusation  de  déloyauté  et  d'athéisme.  Le  clergé 
de  France  n'avait  pas  vu  sans  indignation  un  écrivain,  depuis  onze  ans 
notre  hôte,  se  permettre  dans  le  Léviathan  des  attaques  injustes  et 
inconvenantes  contre  la  rehgion  cathohque  et  la  Papauté  ^.  S'il  faut 
en  croire  Clarendon,  «  on  l'engagea  secrètement  à  s'enfuir  de  Paris, 
pour  échapper  à  la  justice  qui  avait  décidé  son  arrestation  »  ^. 

Hobbes  se  hâta  de  partir.  C'était  un  vieillard  de  soixante-quatre  ans. 


1.  The  obligation  of  subjects  to  the  Sovereign  is  understood  to  last.  as  long,  and  no 
longer,  than  the  power  lasteth,  by  which  he  is  able  to  protect  them  (Léviathan.  C.  XXI, 
Works,  t.  III,  p.  208). 

2.  Cf.  infra,  p.  394-395. 

3.  Vita,  vers  201-202,  Opéra,  t.  I,  p.  xcii. 

4.  Certains  croient  qne  le  magnifique  exemplaire  manuscrit,  qui  est  actuellement 
au  British  Muséum  (Egerton,  mss.  1910),  est  l'exemplaire  présenté  à  Charles  II. 

5.  «  Hobbes  a  prétendu  être  revenu  en  Angleterre,  parce  qu'il  n'était  plus  en  sûreté 
au  milieu  du  clergé  français.  A-t-il  parlé  sérieusement  ?  Mieux  qu'un  danger  imagi- 
naire, sa  situation  dans  l'émigration  anglaise  explique  son  départ  :  il  était  tombé  en 
disgrâce.  (Ch.  de  Rémusat,  Histoire  de  la  Philosophie  en  Angleterre...,  T.  I,  L.  II, 
Ch.  V,  p.  335). 

6.  Clarendon,  A  hrief  inew....  Introduction,  p.  8-9. 


III.    DÉKNIÊRES   ANNÉES.   POLÉMIQUES    ET   TRAVAUX  285 

qiii  avait  été  éprouvé  par  une  seconde  maladie  au  mois  d'août  ^. 
Le  voyage  fut  rude  :  «  Froid  rigoureux,  neige  élevée,  vent  piquant, 
chemin  raboteux,  cheval  qui  secoue  et  bronche  »  ^.  Le  fugitif  arri^'a 
à  Londres,  à  la  fin  de  1651.  Il  fit  sa  soumission  au  Conseil  d'Etat  qui 
gouvernait  l'Angleterre  et  comptait,  parmi  ses  membres,  Cromwell, 
chargé  de  la  guerre,  et  Milton,  présidant  aux  relations  extérieures. 
La  permission  de  vivre  en  simple  particulier,  privément,  lui  fut  accor- 
dée sans  peine. 

III.    —    DERNIÈRES    ANNÉES    (1651-1679).    POLÉMIQUES. 
TRAVAUX    HISTORIQUES    ET    LITTÉRAIRES 

Hobbes  avait  encore  vingt-huit  ans  à  vivre.  Il  les  passa  en  Angle- 
terre, accueilli  avec  une  bonté  déférente  dans  la  maison  de  son  ancien 
élève,  !e  comte  de  Devonshire,  qui  l'avait  précédé  dans  la  soumission 
au  gouvernement  étabU.  On  s'attend  sans  doute  à  le  voir  couler 
doucement  ses  vieux  jours  dans  la  paix  d'une  retraite  studieuse. 
C'est  la  période  la  plus  agitée  de  sa  longue  vie.  L^ne  légion  d'adver- 
saires :  politiques,  théologiens,  universitaires,  mathématiciens,  se 
lèvent  contre  lui  ^.  D'un  naturel  combatif,  il  soutient  sans  faiblir 
le  poids  d'une  polémique  sans  cesse  renaissante,  tenant  tête  à  cette 
coalition  jusqu'à  sa  mort.  Nonagénaire,  il  compose  et  lance  sa  dernière 
attaque,  le  Décaméron  physiologique  (1678). 

La  question  du  libre  arbitre  et  de  la  prédestination  était  vivement 
agitée  en  Angleterre.  Désireux  de  s'instruire,  le  marquis  de  Newcastle 
mit  en  présence  Bramhall  et  Hobbes  et  les  fit  discuter  devant  lui. 
Le  parti  royaliste  de  la  Haute  ÉgUse  avait  embrassé  l'Arminianisme  *, 
doctrine  opposée  au  Calvinisme  qui  se  recrutait  surtout  parmi  les 
puritains.  Bramhall,  étant  arminien,  soutenait  le  Ubre  arbitre  et  repous- 

1.  "  Je  trouvai  ce  pauvre  homme  [^I.  Hobbes]  en  assez  mauvais  état  :  ventre  dur, 
tranchées,  vomissements,  avec  de  telles  douleiu-s  qu'il  avoit  voulu  se  tuer.  C'est  un 
philosophe  stoïcien,  mélancoliqite,  et  outre  cela  auglois.  )  (Gui  Patin  à  Falconet,  Paris, 
22  sept.  1651.  Edit.  Réveillé -Parise,  T.  II,  p.  593-594,  Paris,  1846). 

2.  Frigus  erat,  nix  alta,  senex  ego,  ventus  acerbiis  ; 
Vexât  equus  sternax  et  salebrosa  via. 

fVita,  vers  227-228.  Opéra,  t.  I,  p.  xciii). 

3.  Certant  mecura  Politici  multi  et  Clerus  de  jure  regio.  Certant  mecum  de  Geometria 
Arithmeticorum  genus  quoddam  novum,  c.ijus  proprium  est  unum  sive  in  lineis.  sive 
in  quadi-atis  promiscue  computare.  Certant  mecum  de  Physica  e  So?iis  Greshamen- 
sibus  illi,  quibus  maxime  creditiu-  et  sunt  quasi  reliquorum  Magistri  [allusion  à 
Wallis,  Waro,  BoYLE,  WiLKiNS,  Cf.  m/m,  p.  111]...  Hi  milii  omnes  inimici  sunt. 
(Hobbes,  Dialogus  pkyaicus  de  natura  aeris....  Dédicace  à  S.  Sorbière,  Opéra,  t.  IV, 
15.  236-237). 

4.  Secte  protestante,  fondée  en  Hollande  par  le  théologien  Jacqces  Armikius 
(1560-1609).  Le  théologien  flamand  François  Gomar  (1563-1641),  ardent  calviniste, 
combattit  les  Arminiens.  Persécutés  par  leurs  adversaires,  les  Arminiens  présentèrent 
aux  Etats  de  Hollande  un  mémoire  défensif,  intitulé  Bcmonstrance  :  d'où  le  nom  de 
Bemo7itrants,  qui  leur  fut  donné  depuis.  Barxeveldt  et  Grotius  soutinrent  l'Armi- 
nianisme. Le  prince  Maïu-ice  d'Orange  le  fit  condamner  par  le  synode  de  Dordrechfc 
(1618).  Les  persécutions  redoublèrent  et  beaucoup  d'Arminiens  s'exilèrent,  notam- 
:  lient  dans  le  Holstein. 


286  ARTICLE  UI.   —  CHAPITRE   I.   —  BIOGRAPHIE   DE   HOBBES 

sait  la  grâce  nécessitante  et  l'odieuse  prédestination  admises  par  Calvin. 
Hobbes,  au  contraire,  était  nécessitarien  à  outrance,  regrettant 
seulement  que  la  poHtique  fût  mêlée  à  une  controverse  religieuse 
spéculative.  Après  la  discussion,  Bramhall  remit  au  marquis  un  exposé 
de  ses  vues,  avec  prière  de  le  transmettre  à  Hobbes,  pour  qu'il  y  fît 
réponse  point  par  point.  Le  philosophe  composa  sa  réphque, 
intitulée  :  De  la  liberté  et  de  la  nécessité  ^,  sous  forme  de  lettre  au  mar- 
quis de  Newcastle,  datée  de  Rouen,  le  20  août  1646.  Son  désir  était 
que  cet  échange  d'idées  ne  sortît  pas  du  domaine  privé. 

Mais  voici  qu'en  1654  un  Français,  admirateur  indiscret  de  Hobbes, 
fit  imprimer  à  l'insu,  mais  sous  le  nom  du  philosophe,  une  copie  de 
sa  répHque  à  Févêque  Bramhall.  Celui-ci,  convaincu  que  la  pubhca- 
tion  avait  eu  heu  avec  la  connivence  de  l'intéressé,  se  plaignit  vive- 
ment qu'on  n'y  eût  pas  joint  sa  propre  dissertation  pour  permettre 
aux  lecteurs  de  juger  en  connaissance  de  cause.  Passant  des  paroles 
aux  actes,  il  se  hâta  de  réparer  cette  lacune  en  opposant  doctrine 
à  doctrine  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Défense  de  la  vraie  Liberté  des 
actions  humaines  exemptes  de  toute  nécessité  antécédente  ou  extrinsèque  ^. 
L'Épître  dédicatoire  est  également  adressée  au  marquis  de  Newcastle. 
Dans  un  langage,  qui  n'a  rien  de  tempéré,  Bramhall  expose  ses  griefs 
contre  Hobbes,  traite  avec  mépris  l'écrivain  anonyme  qui  a  fait  pré- 
céder l'opuscule  d'une  préface  malséante  contre  le  clergé,  et  montre 
enfin  son  horreur  pour  les  principes  du  Léviatkan.  Mais  la  réponse 
elle-même  est  «  une  œuvre  souvent  habile  et  toujours  très  érudite. 
Elle  mérite  d'être  étudiée,  non  seulement  à  titre  cFexposé  soHde  des 
vues  que  l'auteur  soutient,  mais  encore  comme  un  bon  spécimen  de 
défense  scolastique  «  *. 

Quoique  harcelé  par  d'autres  adversaires,  Hobbes  trouva  le  temps 
et  garda  le  sang-froid  nécessaire  pour  composer  un  gros  volume, 
où  il  rappelle  l'origine  et  le  fond  de  la  controverse,  se  justifie  des 
reproches  personnels  dont  on  le  charge  et  réfute,  paragraphe  par  para- 
graphe, la  «  Défense  »  de  Bramhall  qu'il  a  reproduite  tout  entière. 
Il  y  a  déployé,  au  service  d'une  mauvaise  cause  *,  une  étonnante 
fertihté  de  ressources  :  son  style  est  hnipide,  nerveux,  tranchant  ; 
ses  observations,  souvent  pénétrantes  ;  sa  dialectique,  toujours  sub- 


1.  Of  Liberty  and  Necessity  :  a  Treatise,  u-henin  ail  controversy  concerning  predesti- 
-ruition,  eleation,  free-tvilL  grâce,  merits,  réprobation,  etc.  is  futly  decided  and  cîeared  in 
answer  to  a  Treatise  written  by.  the  bishop  of  Londonderry  on  the  same  subfect,  Londres 
]  654.  —  Cf.  Works,  t.  IV,  p.  229-278. 

2»  A  Defence  of  the  True  Liberly  af  Human  Actions  from  antécédent  or  extrinmc  Neces- 
sHy,  Londres,   1655, 

3.  Tlie  rejoinder,  to  M^hich  the  earlier  pièces  îed  up,  when  it  now  appeared,  was  seen 
to  be  long  dx-awn  out,  and  was  a  performance  often  élever  and  always  very  erudite. 
It  is  wortby  of  being  studied,  not  only  as  an  effective  statement  of  view  it  advo- 
cates,,  but  as  a  good  spécimen  of  Scholastic  fence.  (G.  Croom  Robertson,  CIi.  VU, 
p.  165). 

4.  Nous  exposerons  plus  bas  (Cf.  p.  360-363)  les  idées  philosophiques  de  Hobbes 
fiiu-  la  liberté,  qyj'on  trouve  dans  ses  ouvrages  antérieurs.  Il  est  impossible  de  le  suivre 
ici  dans  le  détail  de  sa  poléïoiq^e  avec  Bramhall,  parce  que  les  arguments  scriptnraires 
et  théologiqxies  sont  mêlés  aux  arguments  rationnels. 


m.   DERNIÈRES   ANNÉES.    POLÉMIQUES    ET   TRAVAUX  287 

tile  et  pressante  ^.  Il  termine  sa  défense  par  cette  fière  déclaration  : 
«  J'ai  été  publiquement  offensé  par  beaucoup  de  gens  que  je  ne  con- 
naissais pas.  Je  supposais  que  cette  mauvaise  humeur  finirait  par 
s'épuiser.  Mais,  voyant  qu'elle  persiste,  grandit  et  devient  plus  hau- 
taine dans  l'écrit  auquel  je  réponds  présentement,  j'ai,  à  la  fin, 
jugé  nécessaire  de  faire  quelques  exemples,  en  commençant  par  cet 
évêque  ^.  » 

Bramhall  ne  voulut  pas  que  l'adversaire  du  libre  arbitre  ait  le  der- 
nier mot.  Il  reprit  donc  sa  docte  plume  pour  a  châtier  les  remarques 
de  Hebbes  »  ^.  Celui-ci,  en  feignant  d'ignorer  l'existence  de  cette 
nouvelle  attaque,  laissait  supposer  qu'au  fond  il  la  trouvait  redou- 
table. Son  silence  fut  natui"ellement  interprété  comme  un  aveu  d'im- 
puissance. Mais  à  son  ouvrage  Bramliall  avait  ajouté  un  Appendice 
considérable,  qui  avait  pour  titre  :  La  capture  du  Léviathan,  le  Gh'and 
Cétacé  *  :  il  y  chargeait  le  philosophe  des  graves  accusations  d'athéisme, 
de  blasphème  et  d'impiété.  Hobbes  jugea  bon  de  répondi'e  à  l'Appen- 
dice. Cependant  cette  réponse,  écrite  dans  un  style  mordant,  resta 
ensevehe  dans  ses  cai-tons.  Est-ce  par  motif  de  prudence  ?  Toujours 
est-il  qu'elle  ne  fut  imprimée  qu'après  sa  mort  ^. 

Les  démêlés  de  Hobbes  avec  l'évêque  Bramhall  ne  furent  qu'un 
incident  mouvementé  de  sa  vie.  C'est  contre  les  universitaires  et  les 
mathématiciens  qu'il  soutint  sa, grande  lutte,  lutte  vraiment  épique, 
qui  dura  un  quart  de  siècle.  Il  avait  affaire  à  fortes  parties  :  Wallis, 
Ward,  Boyle,  Wilkins.  Il  serait  fastidieux  et  sans  profit  de  suivre 
dans  le  détail  cette  interminable  polémique,  aujourd'hui  dépourvue 
d'intérêt  ^.  Qu'il  suffise  donc  de  marquer  les  principales  passes  d'armes. 

Hobbes,  on  s'en  souvient,  avait  gardé  de  l'enseignement  reçu 
à  Oxford  le  plus  fâcheux  souvenu".  Encore  sous  cette  impression 
défavorable  cinquante  ans  après,  il  trace  dans  le  Léviathan  un  tableau 
poussé  au  noir  de  l'état  des  Universités.  Il  se  plaint  qu'on  n'}^  enseigne 


1.  ^he  Qu^tiwis  concerning  Liberty,  Necessity  and  Chance,  clearly  stated  and  debated 
between  D^  Brameau.  bishop  of  Derby  and  Thomas  Hobbes  oj  Malmesbury,  Londres. 
1656,  Cf.  Works,  t.  V.  —  Leibniz  a  pris  la  }:eine  de  réfuter  le  livre  de  Hobbes  dans- 
ses  Beflexians  sur  Vouvrage  que  JM.  Hobbes  a  publié  en  anglais.  De  la  liberté,  de  la  néces- 
sité et  du  hazanl.  Cf.  Œuvres,  Edit.  Cekhardt,  t.  VI,  p.  388. 

2.  I  bave  been  publicly  injured  by  many  of  whom  I  took  no  notice,  suppo.sing  tbat 
tlxat  humour  would  spend  itself  ;  but  seeing  it  last  and  grovv  liigher  in  this  vvriting  I  no\r 
answer,  I  thought  it  necessarj-  at  last  to  make  of  some  of  them,  and  first  of  this  Bishop, 
an  example.  (Hobbes,  TAe  questions  concerning  Liberty...,  X"  XXXVIII,  Works, 
T.  V,  p.  455). 

3.  Bramil^li..  Castigations  of  Mr.  Hobbes's  Animadver&ions  m  the  case  concerning 
Liberty  end  l'niversal  Necessity.    With  Appendix...  Londres,   1658. 

4.  Bramhall,  The  Catching  of  Léviathan  or  the  Cheat  Whale,  Londres,  1658. 

5.  An  Answer  to  a  Book  published  by  Dr  Bramhall,  late  biahop  of  Derby,  called 
«  The  Catching  of  Léviathan  or  the  Great  Whale  »,  Londres,  1680.  —  Cf.  Works,  t.  lY, 
p.  279-384. 

6.  On  peut  voir,  à  la  Bibliographie  de  Hobbes,  p.  111,  la  liste  des  nombreux  ouvrages 
qu'il  consacra  à  cette  polémique.  —  On  trouvera  le  récit  détaillé  de  la  lutte  daais. 
Croom  Robertson,  Hobbes,  Ch.  VII,  p.  167-185. 


288  ARTICLE   Iir.    CHAPITRE   I.    —   BIOGRAPHIE    DE    HOBBES 

.pas  la  Philosophie,  mais  «  l'Aristotélisme  »  ^,  comme  si  Aristote  n'était 
pas'uri  grand  philosophe.  On  pourrait  lui  passer  cette  boutade  à  cause 
du  crédit  excessif  accordé  à  l'autorité  du  Stagirite,  qui  parfois,  d'ail- 
leurs, était  alors  mal  compris.  Mais  comment  lui  pardonner  d'avoir 
écrit  :  «  Jusqu'à  ces  derniers  temps  il  n'y  avait  pas  place  pour  la 
géométrie  dans  les  cours,  parce  qu'elle  n'est  bonne  qu'à  établir  la 
Vérité  rigide.  Et  si  quelqu'un,  par  la  force  de  son  génie  naturel, 
arrivait  à  la  connaître  avec  quelque  perfection,  il  était  communément 
regardé  comme  un  magicien,  et  son  art  comme  diabohque  »  ^. 

Hobbes  retardait  singulièrement.  Dès  1619,  Henri  Savile  ^ 
avait  fondé  à  Oxford  des  chaires  d'astronomie  et  de  géométrie.  Au 
moment  où  l'injuste  censeur  écrivait  son  Léviatkan,  la  chaire  d'astro- 
nomie était  occupée  par  Seth  W-ard  ;  celle  de  mathématiques,  par 
John  Wallis  *  qui  a  laissé  un  nom  honoré  dans  la  science.  Ces  pro- 
fesseurs éminents,  auxquels  Oxford  devaieiit  sa  renaissance  scienti- 
fique, ne  pouvaient  laisser  s'accréditer  sans  protestation  cette  critique 
calomnieuse.  A  ces  savants  se  joignit  John  Wilkins,  directeur  de 
Wadham  Collège,  passionné,  comme  eux,  poiu'  le  progrès  dont  Bacon 
s'était  fait  le  héraut. 

L'attaque  fut  d'abord  indirecte.  Un  chapelain  de  l'armée  du  Par- 
lement, John  Webster  (Chaplain  in  ilie  Army),  dans  le  hvre  intitulé  : 
Examen  des  Académies  (1654)  ^,  avait  porté  sur  les  universités  un 
jugement  inconsidéré,  qui  montrait  que  l'idée  de  Hobbes  faisait  son 


1-2.  And  since  the  authority  of  Aristotle  is  only  curieiit  there,  that  study  is  not 
jjroperly  Philosophy  (the  nature  whereof  dependeth  not  on  axithors)  but  Aristotelity. 
And  for  Geometry,  till  of  very  late  times,  it  had  no  place  at  ail,  as  being  subservient 
to  nothing  but  rigid  truth.  And  if  any  man,  by  the  ingenuity  of  his  owne  nature,  had 
attained  to  any  degi-ee  of  perfection  therein,  he  Mas  commonly  thought  a  ÎMagician, 
and  his  art  diabôhcal  ( Leviathan,  Ch.  XL\^,  Works,  t.  III,  p.  670-671). —  Dans  la 
tradiiction  latine  du  Léviatkan,  publiée  en  1668,  Hobbes  a  supprimé  ce  trait  final, 
jDar  trop  invraisemblable.  Cf.  Opéra,  t.  III,  p.  497,  où  il  dit  :  In  universitatibus...  solse 
scientiae  mathematicae,  non  quod  doctrinae  christianfe  contrarium  aliquid  confi- 
nèrent, sed  propter  ignorantiœ  et  artium  irreconciliabile  dissidium,  praetermissîe  sunt. 

3.  Henry  Savile,  né  à  Bradley,  près  Halifax,  le  30  novembre  1549,  et  mort  à  Eton, 
le  19  février  1622,  est  un  érudit  distingué.  Il  fut  élu  Gardien  du  Collège  ^Merton  à  Oxford 
(1585)  et  Prévôt  du  Collège  d'Eton  (1596).  Entre  autres  ouvrages,  il  a  publié  :  une 
Edition  de  Saint  Jean  Chrysostome,  en  8  volumes,  Eton,  1610-1612.  — ■  ïhom.î: 
Bradwardini,  Archiepiscopl  olim  Cantuariensis,  De  Causa  Dei  corttra  Pelagium  et  de 
virtute  causarurn,  ad  suos  Mertonenses,  Libri  très  opéra  et  studio  Di  H.  Savilii  ex  scriptis 
codicibus  nunc  primum  editi,  Londres.  1618. —  Dans  le  Préambule  de  Pacte  de  fondation, 
daté  de  1619,  de  deux  chaires,  l'une  de  Géométrie,  Pautre  d'Astronomie,  il  déclare 
que  cette  fondation  a  pour  but  de  remédier  à  l'abandon  dans  lequel  ces  sciences  étaient 
tombées  en  Angleterre.  Les  titulaires  pouvaient  être  des  étrangers.  Lui-même,  en  1620, 
fit  les  premières  leçons.  Il  publia  l'année  suivante  ses  Prœlectiones  tresdecim  in  prin- 
^ipium  Elementorum  Euclidis.  —  Cf.  A.  Wood,  Historia  et  Antiquitates  Universit^tis 
Oxoniensis,  T.  I,  p.  324,  à  l'année  1619.  Oxford,  1674. 

4.  J.  Wallis  (1610-1703),  docteur  en  théologie,  était  ministre  iirotestant.  Cf.  Opéra 
mathetrmtica,  3  vol.  Oxford,  1693-1699. 

5.  John  Webster,  Academiarum  Examen,  or  the  Examination  of  Académies  :  Wherein 
is  discussed  and  examined  the  matter,  method  and  customes  of  academick  and  scholastick 
Learning,  and  the  Insufficiency  thcreof  discovered  and  laid  open  ;  as  also  some  expédients 
proposed  for  the  Reforming  of  Schools...  Londres,  1654.  —  Webster  (1610-1682)  se 
lit  conformiste.  Il  devint  célèbre  comme  prédicatem*. 


lU.    DERNIÈRES   ANNÉES.    POLÉMIQUES    ET   TRAVAUX  289 

chemin.  Ward  lui  répondit  par  sa  Défense  des  Académies  ^.  L'ouvrage 
est  suivi  d'un  Appendice,  où  les  affirmations  de  Hobbes  sont  réfutées. 
Wilkins  avait  adressé  à  Ward  une  lettre  ^,  où  il  reproche  à  Hobbes 
son  arrogance  et  sa  partiahté  et  l'accuse  même  de  plagiat  en  matière 
scientifique.  Ward  reprend  cette  accusation,  se  moque  des  prétentions 
du  Léviathan  et  décoche  enfin,  comme  une  flèche  empoisonnée,  cet 
avis  menaçant  :  lorsque  Hobbes  aura  hvré  au  public  ses  travaux  en 
géométrie,  il  s'apercevra  qu'à  Oxford  on  est  en  état  de  les  comprendre 
et  de  les  juger  avec  plus  de  compétence  qu'il  ne  le  souhaitera  ^.  Cette 
prévision  ne  va  que  trop  se  vérifier  pour  la  honte  du  philosophe 
obstinément  fourvoyé  dans  les  mathématiques. 

Hobbes  ne  tarda  pas  à  fournir  à  ses  adversaires  l'occasion  qu'ils 
guettaient  de  le  prendi-e  en  défaut.  Vers  le  miheu  de  1655,  il  publiait 
le  De  Corpore,  depuis  si  longtemps  promis  et  attendu  *.  Formant  la- 
première  Section  de  ses  Eléments  de  Philosophie  ^,  le  De  Corpore  expo- 
sait les  idées  fondamentales,  sur  lesquelles  repose  le  système  hobbein. 

Ward  et  Walhs  se  partagèrent  la  besogne.  Ward  s'attacha  spécia- 
lement aux  questions  physiques  et  philosophiques  ^.  Les  questions 

1.  Seth  Ward,  Vindiciœ  Academiarum  containing  some  briefe  animadversions  upon 
Mr.  Webster's  BooJc  stiled  :  The  Examinatiôn  of  Académies.  Together  with  an  Appendix 
concerning  ivhat  AI.  Hobbs  and  M.  Dell  hâve  published  on  ihis  Argument  [avec  une  Epître 
préliminaire,  signée  N.  S.,  qui  est  de  Wilkins],  Oxford,  1654.  —  Ward  devint  évêque 
d'Exeter,  puis  de  Salisbin-y. 

2.  Cette  I^ettre  est  placée  en  tête  du  livre  de  Ward  ;  elle  n'est  signée  aussi  que  des 
lettres  N.  S.,  les  deux  dernières  du  nom  de  Wilkins.  —  Wilkins  (1614-1672)  devint 
évêque  de  Chester.  —  Wilkins  et  Ward  après  lui  prétendent  que  Hobbes  avait  tiré  sa 
théorie  de  la  sensation  des  notes  du  mathématicieii  Werner,  son  contemporain. 

3.  Hobbes,  dans  sa  réponse  à  Bramhall,  a  décoché,  en  passant,  ce  trait  dédaigneux 
contre  l'auteur  des  Vindiciœ  :  «  Si  l'une  ou  l'autre  des  universités  s'était  jugée  lésée 
par  mes  critiques,  je  crois  qu'elle  aurait  autorisé  ou  désigné  quelqu'un  de  ses  membres, 
parmi  lesquels  il  en  est  de  beaucoup  plus  capables  que  lui,  pour  faire  valoir  ses  revendi- 
cations. Mais  ce  Vengeur  (semblable  aux  petits  chiens  qui,  pour  plaire  à  leurs  maîtres, 
en  faisant  montre  de  vigilance,  ont  coutume  d'aboyer  indifféremment  contre  les  étran- 
gers, jusqu'à  ce  qu'ils  soient  tancés  vertement),  sans  provocation  de  ma  part,  et  sans 
mandat,  s'est  jeté  sur  moi.  »  (If  either  of  the  Universities  had  thougth  itself  injured, 
I  believe  it  could  hâve  authorised  or  appointed  some  member  of  theirs,  whereof  there 
be  many  abler  men  than  he,  to  hâve  made  their  vindication.  But  this  Vindex  (as  little 
dogs  to  please  their  masters  use  to  bark,  in  token  of  their  sedulity.  indifferently 
at  strangers,  till  they  be  rated  off)  improvoked  bj^  me  hath  fallen  upon  me  «ithout 
bidding.  (Hobbks,  The  Questions  concerning  liberty  necessity  and  chatice...,  N"  XXXVIII 
Works,  p.  454-455). 

4.  Tandem  etiam  absolve  librum  De  Corpore,  cujus 

Materies  simul  et  forma  geometrica  est. 

(Vita,  vers  257-258.  Opéra,  t.  I,  p.  xciv). 

5.  Elementorum  Philosophiœ  Sectio  prima  :  De  Corpore,  Londres,  1655.  —  Cf.  Opéra, 
t.  I.  —  On  en  trouvera  le  résuiué  plus  loin,  p.  313-339. 

6.  S.  Ward,  In  Thom^e  Hobbii  Philosophiam  Exercitatio  Epistolica,  ad  amplissitnum 
eruditissimumque  Virum  Joh.  'W'ilkinsium,  Collegii  Wadhamensis  Gardianum.  Cui 
aubjicitur  Appendicula  ad  calumnias  ab  eodem  Hobbio  fin  sex  Documentis  nuperri?ne 
editls )  in  authorem  congestas,  responsoria,  Oxford,  1656.  —  Cf.  Hobbes,  M'orks,  t.  IV, 
p.  435  ;  t.  V,  p.  454.  —  Dans  V Exercitatio,  divisée  en  6  Sections,  Ward  traite  successive- 
ment :  De  Computatione  hobbiana  —  De  Philosophia  prima  —  De  Physica  hobbiana  — 
De  Homine  hobbiano  — -  De  Cive  hobbiana  — De  Rcligione  hobbiana.  —  h'Appendicide  va 
de  la  page  345  à  359.  On  jugera  de  l'aménité  de  la  polémique  par  l'extrait  suivant  :  ...  Li- 
bellum  edidit  [Hobbius]  (sub  nomine  Sex  Documentorum  adutrumque  Profeasorem  ( Geo- 

19 


290  ARTICLE   III.    CHAPITRE   I.    BIOGRAPHIE   DE   HOBBES 

mathématiques  revinrent  naturellement  à  Wallis.  C'est  lui  qui  porta 
les  coups  décisifs.  Doué  d'une  extraordinaire  puissance  d'analyse, 
il  excellait  à  disséquer  une  œuvre  pour  en  faire  saillir  les  contradic- 
tions. Dans  son  terrible  ((  Elenchus  de  la  Géométrie  hobienne  »  ^, 
il  en  relève  impitoyablement  les  à  peu  près,  les  inexactitudes,  les 
erreurs,  on  peut  dire,  les  énormités,  car  l'inconsidéré  philosophe 
s'acharnait  à  poursuivre  la  solution  de  problèmes  impossibles,  comme 
la  quadrature  du  cercle  ^.  'L'Elenchus  est  écrit  dans  le  style  incisif 
et  mordant  des  pamphlets,  et  l'auteur  ne  craint  pas  de  dire  que  la 
lecture  des  parties  scientifiques  du  De  Corpore  a  tour  à  tour  provoqué 
en  lui  des  sentiments  de  colère,  d'hilarité  et  de  compassion  ^. 

Vers  le  miheu  de  1656  Hobbes  fit  imprimer  la  traduction  anglaise 
du  De  Corpore  *.  Il  en  profita  pour  ajouter  en  Appendice  un  opuscule 
où  il  affichait,  dans  le  titre  même  ^,  la  prétention  de  donner  des  leçons 
aux  deux  professeurs  de  Mathématiques,  Ward  et  Walhs,  qui  avaient 
ridicuHsé  ses  élucubrations  scientifiques.  Ce  fut  le  signal  d'une  lutte 
nouvelle,  où  notre  philosophe  n'eut  point  l'avantage. 

Ces  querelles  cependant  n'absorbaient  pas  tout  entière  l'activité 
de  l'infatigable  vieillard.  En  1658,  il  pubha  la  seconde  Section  de  ses 
Eléments  de  Philosophie  :  le  De  Homine  ^,  où  il  s'aventure  encore  sur 
le  terrain  nlathématique.  Sa  trilogie,  dont  la  dernière  Partie  (le  De 
Cive)  avait  paru  dès  1642,  était  enfin  au  complet. 

Comme  s'il  n'avait  pas  assez  d'adversaires,  Hobbes  s'en  suscita 
un  nouveau  dans  la  personne  de  Robert  Boylb,  qui  s'est  distingué 
dans  la  science  expérimentale  '^.  Il  existait,  en  Angleterre,  depuis  1645, 
une  société  scientifique  pour  les  recherches  physiques,  analogue  à 
celle  que  Hobbes  avait  fréquentée  à  Paris,  au  temps  du  Père  Mer- 
senne.  Walhs,  Ward,  Wilkins,  Boyle,  en  faisaient  partie  Au  moment 
de  la  Restauration  (1660),   elle  fut  transférée  d'Oxford  à  Londres 

metricum  atque  Astronomicum )  Savilianum  :  Libellum  prseclarum  in  omni  (maie)  dicendi 
artificio  excellenteni,  libellum  omni  spurcissimorum  opprobi-iorum  genei-e  sartum  atque 
onustum,  libellum  omnia  ea  efi'erentem  quœcuuque  usquam  protulerit  scui'ra,  rabula, 
lixa,  lanista  (Seth  Waed,  Appendicida,  p.  348).  Cet  opuscule  de  Hobbes  est  intitulé  : 
Six  Lessons  to  the  Professors  of  the  Mathematics.  one  of  Geometry,  the  other  of  Astronomy 
in  the  chairs  set  np  by  the  noble  and  learned  Sir  Henry  Savile  in  the  University  of 
Oxford,  Londres,  1656.  Works,  T.  VII,  p.  181-350. 

i.  J.  Wallis,  Elenchus  Geometriœ  Hobbianœ,  sive  Geometricorum,  quœ  in  ipsius 
Elementis  Philosophiœ,  a  ïhoma  Hobbes  Malmesburiensi  proferuntur,  Refututio, 
Oxford,    1655. 

2.  Hobbes,  De  Corpore,  C.  XX. 

3.  Nempe  irasci...,  mox  ridere  et  tandem  plane  tui  eœpi  miserescere,  qui  tam  merito 
te  omnibus  exponas  ludibrio.  (Wallis,  Elenchus,  Proœm.,  p.  3,  vers  le  bas). 

4.  Eléments  of  Philosophy,  the  first  Section,  concerning  Body...,  Londres,  1656.  Cf. 
Works,  t.  I. 

5.  Six  Lessons  to  the  Professors  of  the  Mathematics,  one  of  Geometry,  the  other  of  Astro- 
nomy, in  the  chairs  set  up  by  the  noble  and  learned  Sir  Henry. Sav'ile  in  the  University 
of  Oxford,  Londres,  1656.  —  Cf.  Works,  t.  VII,  p.  181-356.  —  Wallis  répliqua  par  son 
Due  corrections  for  Mr.  Hobbes  or  Schoole  discipline  for  not  saying  his  lessons  rigth..., 
Oxford,  1656. 

6.  Elementorum  Philosophiœ  Sectio  seciinda  :  De  Homine,  Londres,  1658.  Cf.  Opéra, 
t.  II,  p.  1-132. 

7.  Cf.  supra,  p,  236-239. 


ni.    —   DERNIÈRES   ANNÉES.   POLÉlVaQUES   ET   TRAVAUX  291 

dans  Gresham  Collège  ^.  Hobbes  n'y  fut  pas  admis  à  cause  de  son  incom- 
pétence en  mathématiques  et  de  son  peu  d'estime  pour  les  recherches 
expérimentales.  Cette  exclusion,  qu'il  attribua  à  l'influence  de  Walhs, 
lui  fut  très  sensible.  Sur  ces  entrefaites,  Boyle  pubHa  (1661)  le  résultat 
des  «  nouvelles  expériences  sur  l'élasticité  de  l'air  »  qui  avaient  eu 
heu  à  Gresham  Collège  -,  nouveau  siège  de  la  Société.  Hobbes  y  vit 
un  manifeste  des  «  Académiciens  »  dirigé  contre  ses  théories  phy- 
siques. C'est  une  exagération.  Cependant,  elles  étaient  visées  çà  et  là. 
Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  le  faire  repartir  en  guerre,  sous  la 
forme  d'un  Dialogue  physique  sur  la  nature  de  Vair  ^.  Boyle  lui  répondit, 
d'une  façon  ferme  mais  digne,  par  V Examen  *  rigoureux  du  Dialogue. 
Mallieureusement  pour  Hobbes,  Walhs,  avec  sa  verve  caustique, 
vint  à  la  rescousse  en  lançant  une  satire  intitulée  :  Hobbes  qui  se  châtie 
lui-même  ^.  Le  ton  est  d'une  violence  excessive  et  les  attaques  trop 
persomielles.  Walhs  remet  en  circulation  l'ancien  grief  déjà  exploité 
contre  le  philosophe,  à  savoir  qu'il  n'a  écrit  le  Léviathan  que  pour 
complaire  à  Cromwell  et  se  ménager  par  cette  pahnodie  toute  facihté 
de  revenir  en  Angleterre  et  l'assurance  d'y  demeurer  en  pleine  sécu- 
rité ^.  Cette  fois,  Hobbes  était  en  cas  de  légitime  défense.  Il  répondit 
au  pamphlet  de  WaUis  par  une  apologie  en  forme  de  lettre  :  Mon- 
sieur Hobbes  considéré  dans  sa  loyauté,  sa  religion,  sa  réputation  et  ses 

1.  En  16G2,  elle  fut  incorporée  à  la  Royal  Society. 

2.  R.  BoYXE,  New  Experiments  Physico-Mechanicall  touching  the  Spring  of  the  Ai?- 
and  its  Ejfects  (made,  for  the  most  part,  in  a  new  pneuniatical  engine...)  Oxford,  1660. 
Avec  une  Préface  signée  R.  Sh.,  cest-à-dire  Robert  Sharrock. 

.3.  Hobbes,  Dialogus  physiciis  de  natura  Aeris,  conjectura  sumpta  ah  experimentis 
nuper  Lotulini  habitis  in  Collegio  Greshamensi.  Item    De  duplicatione  Cubi,  Londres, 

1661,  Opéra,  t.  IV,  p.  233-296.  —  Cf.  Problemaia  physica,  C.  III,   De  Vacuo,  Londres, 

1662.  Opéra,  T.  IV,  p.  317-326.  —  Voici  en  quels  ternies  Hobbes  apprécie  les  expériences 
faites  à  Gresham  CoUege  :  Prœter  expérimenta  circa  naturam  Aëris,  (quœ  fuere  multa 
et  quae  ad  Physicara  meam  confirmandam  quasi  naturae  consilio  quodam  oblata  diceres), 
habent  et  alia  ad  partes  Physicas  alias  conducentia  ;  ita  ut  dubitandum  non  sit  quin 
conventus  hic  promovendis  scientiis  plurimum  sit  profuturus  aliquando,  id  est,  eum 
scientiam  Motuum  veram  aut  in\"enerint  ipsi,  aut  meam  receperiut.  Nam  conveniant, 
studia  conférant,  expérimenta  faciant  quantum  volunt,  m'si  et  Principiis  utantur  meis 
nihil  proficient...  Exhibent  machinas  novas,  ut  Vacuum  suum  et  miras  ostendant 
nugas  ;  quemadmodum  faciunt  qui  circumagunt  animalia  exotica,  spectanda  non  sine 
pretio  (Dialogus  de  Natura  Aëris...,  Dédicace  à  S.  Sorbikre,  Opéra,  t.  IV,  p.  236  ;  237). 

4.  R.  Boyle,  An  Examen  of  Mr.  T.  Hobbes  his  Dialogus  physicusde  Natura  Aeris... 
Wilh  an  Appendix  touching  Mr.  Hobbes's  Doctrine  of  Fluidity  and  Firmneas,  Londres, 
1662.  —  Examen  Dialogi  physici  Domixi  T.  Hobbs  De  Natura  Aëris,  in  iis  quœ  refe- 
runtur  in  Dui  Bovle  Libro  De  Novis  Experimentis  circa  Aeris  vim  elasticam,  etc. 
Cum  Appendice  circa  D"i  Hobbs  doctrinam  De  Fluiditate  et  Soliditate.  Per  horum 
Expcrimentorum  Authorem,  Genève,  1695.  —  Tracts  containing...  2.  Animadversions 
upon  M.  Hobbes's  Probleinata  de  Vacuo,  Londres,  1674. 

5.  J.  Wallis,  Hobbiua  Heauton-timoruinenos.  Or  a  Considération  of  Mr.  Hobbes  his 
Dialogues.  In  a  Epistolary  Discourse  addressed  to  the  Hon.  R.  Boyle,  Oxford,  1662. 

6.  A  cette  accusation  Hobbes  répondit,  entre  autres  choses,  qu'il  n'avait  obtenu 
aucune  faveur  d'01i\-ier  Cromwell  ou  de  ses  partisans,  ni  fait  aucune  démarche  pour 
en  obtenir.  Wallis  pourrait-il  en  dire  autant  ?  (Do  you  know  that  ever  he  [Hobbes] 
sought  any  benefît  either  from  01i\'er  or  from  anj'  of  his  party,  or  was  any  way  familiar 
with  a'iy  of  his  ministers,  before  or  after  his  retuin  ;  or  cm-ried  favour  with  any  of 
them,  as  you  [Wallis]  did  by  dedicatinga  book  to  his  vice-chancellor,  Owen  ?  (Hobbes, 
Considérations  upon  the  réputation...  of  Thomas  Hobbes,  Works,  t.  IV,  p.  414.  Hobbes 
parle  à  la  troisième  personne,  comme  si  sa  défense  était  présentée  par  un  tiers). 


292  ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   I.   —   BIOGRAPHIE    DE   HOBBES 

manières  ^.  On  y  rencontre  des  détails  biographiques  intéressants. 
Prenant  à  son  tour  l'offensive,  Hobbes  raconte,  sur  l'attitude  de 
Wallis,  ((  à  l'époque  de  la  dernière  rébellion  »  contre  la  Royauté, 
quelques  «  petites  histoires  «  ^  désagréables,  qui  portèrent  coup. 
Car,  en  homme  prudent  et  avisé,  Wallis  resta  coi. 

On  pouvait  croire  la  querelle,  déjà  longue,  enfin  terminée.  De  fait, 
Hobbes  resta  quelques  années  tranquille.  Ce  n'était  qu'une  trêve. 
En  1666,  il  fit  paraître  un  opuscule  où  cette  thèse  était  soutenue 
à  propos  «  des  principes  et  des  raisonnements  des  Géomètres  »  :  «  L'in- 
certitude et  la  fausseté  ne  se  rencontrent  pas  moins  dans  leurs  écrits 
que  dans  ceux  des  Physiciens  et  des  Moralistes  )>  ^.  Trois  ans  plus 
tard,  il  réunit,  en  un  même  opuscule,  les  solutions  dernières  qu'il 
estimait  devoir  donner  aux  problèmes  géométriques  qui  l'avaient  tour- 
,  mente  si  longtemps  :  Quadrature  du  Cercle,  Cubature  de  la  Sphère,  Dupli- 
cation du  Cube  *.  Ce  fut  pour  Wallis  l'occasion  d'un  nouveau  triomphe  ^. 
La  polémique  continua  de  plus  belle.  Wallis  se  lassa  de  répondre  : 
son  dernier  mot  est  de  1672  ^.  Hobbes  ne  se  lassa  pas  d'attaquer  : 
cinq  ouvrages  agressifs  se  succédèrent  entre  1671  et  1678  ''.  Dans  le 
dernier  :  le  Décainéron  physiologique  ou  Dix  Dialogues  sur  la  Philoso- 
phie naturelle  ^,  il  proclame,  avec  plus  d'assurance  que  jamais,  et  la 
valeur  de  ses  découvertes  géométriques  et  la  nulhté  des  objections 
qu'on  leur  a  jalousement  opposées.  On  reste  confondu  devant  une  sem- 
blable infatuation  et  l'on  se  prend  à  douter  de  la  rectitude  d'esprit 
du   philosophe-géomètre  ^. 

1.  Mr  Hobbes  considered  in  his  loyalty,  religion,  réputation  and  manners,  Londres, 
1662.  —  Le  titre  est  changé  dans  l'édition  posthume  de  1680  :  Considérations  upon  the 
réputation,  loyalty,  manners  and  religion  of  Thomas  Hobbes.  Cf.  Works,  t.  IV,  p.  409-440. 

2.  ...  Your  little  stories  during  the  time  of  the late  rébellion  (Hobbes,  Considérations 
upon  the  reptitation...,  Works,  t.  IV,  p.  413). 

3.  Hobbes,  De  Principiis  et  Ratiocinatione  Geometrarum,  iibi  ostenditur  incertitu- 
dinem  falsitatemque  non  minorent  inesse  scriptis  eorum  quant  scriptis  Physicorutn  et 
Ethicorum,  contra  fastiim  prof essorum  G eometriœ, 'Londres,,  1666.  Opéra,  t.  TV,  p.  385-484). 

4.  Hobbes,  Quadratura  Circuli,  Cubatio  Sphœrœ,  DupUcatio  Cubi,  una  cum  respon- 
sione  ad  objectiones  Geometriœ  Professoris  Saviliani  Oxoniœ  éditas  anno  1669,  Londres, 
1669,  Opéra,  t.  IV,  p.  48.5-522). 

5.  Wallis,  Thom^  Hobbes  Quadratura  Circuli,  Cubatio  Spliœrœ,  DupUcatio  Cubi 
confutata,  Oxford,  1669.  —  Th.  Hobbes  Quadratura...    denuo  confutata,  Oxford,  1669. 

6.  Dr  John  Wallis, ///s  . -Insérer,  by  loay  of  Letter  to  the  Publisher,  to  the  book  enti- 
ttded  :  Lux  mathematica  coUisionibus  J.  Wallisii  et  Th.  Hobbesii  excussa,  dans  les 
Philosophical  Transactions,  tome  VII,  année  1672,  p.  5067-5073. 

7.  Hobbes,  Rosetum  geometricum...  (Londres,  1671,  Opéra,  T.  V,  p.  1-88).  —  Three 
papers...  (Londres,  1671.  Works,  t.  VII,  p.  429-448).  —  Lux  mathematica...  (Londres, 
1672.  Opéra,  t.  V,  p.  89-150). —  Principia  et  Problonata  aliquot  geometrica,  ante  desperata, 
nunc  breviter  explicata  et  demonstrata.  (Londres,  1674.  Opéra,  t.  V,  p.  151-214). 

,  8.  Hobbes,  Decamer .n  physiologicum  or  Ten  Dialogues  of  Natural  Philosophy,  to 
which  is  added  the  proportion  of  a  straight  Une  to  half  the  arc  of  quadrant  (Londres,  1678. 
Works,  t.  VII,  p.  69-180). 

9.  Cf.  Hobbes,  Vita,  vers  259-278  ;  327-336.  Opéra,  t.  I,  p.  xciv-xcv  ;  xcvii.  —  Les 
idées  géométriques  de  Hobbes  rencontrèrent  aussi  des  contradicteurs  à  l'étranger. 
Ainsi  SoRBiÈitE  nous  signale  le  géomètre  R.  F.  de  Sluse  (1623-1685),  chanoine 
de  la  cathédrale  de  Liège,  Saint-Lambert  :  •'  J'excitay  une  petite  contestation  entre 
luy  [De  Slxjse]  et  Monsieur  Hobbes  touchant  la  duplicature  du  cube  que  ce  dernier 
croit  avoir  trouvée  par  ses  nouveaux  principes  de  Géométrie  et  par  la  méthode  que  j'ay 
touchée  en  ma  dernière  digression  (cf.  svpra,  p.  224-228).  Et  comme  j'en  communiquay 


III.  —  DERNIÈRES  ANNÉES.  POLÉMIQUES  ET  TRAVAUX       293 

Hobbes  avait  au.ssi  des  adversaires  parmi  les  politiques  et  les 
hommes  d'Eglise  (Churchmen)  qui,  depuis  l'apparition  du  Léviathan, 
n'avaient  point  désarmé.  Mais  leur  opposition  ne  put  se  donner 
libre  carrière  qu'après  la  Restauration.  Notre  philosophe  avait  tra- 
versé, sans  être  inquiété,  l'époque  de  la  République  et  du  Protectorat 
de  Cromwell,  vivant  d'ordinaire  à  Londres,  en  dehors  de  la  politique, 
dans  la  familiarité  de  quelques  amis,  notamment  du  juriste  John 
Selden  et  du  savant  physiologiste  Harvey,  qui,  l'un  et  l'autre,  lui 
laissèrent  un  legs  de  dix  livres. 

Lorsque  Charles  II  fut  rappelé,  il  montra  à  son  ancien  précepteur 
qu'il  avait  oublié  l'incident  de  1651,  qui  avait  marqué  la  présentation 
du  Léviathan.  Au  cUre  d'Aubrey  ^,  le  roi,  deux  ou  trois  jours  après 
son  retour,  passant  en  voiture  dans  le  Strand,  aperçut  «  ]\Ir  Hobbes  », 
qui  était  à  la  porte  de  Little  Salisbury-House,  où  habitait  alors  le 
comte  de  Devonshire,  le  salua  aimablement  et  lui  demanda  de  ses 
nouvelles.  Rentré  en  grâce,  notre  philosophe  eut  hbrè  accès  auprès 
de  sa  Majesté,  qui  goûtait  beaucoup  ses  réparties  spirituelles.  Le  roi 
acheta  même  le  portrait  de  Hobbes  peint  par  S.  Cowper  ^  et  le  plaça 
dans  son  cabinet  à  Whitehall.  Voulant  donner  à  son  vieux  maître, 
déjà  blanchi  par  l'âge,  une  marque  plus  tangible  de  sa  bien- 
veillance, il  lui  assigna,  sur  sa  cassette  particuhère,  une  pension 
annuelle  de  cent  livres.  Le  donataire  en  fut  très  touché  (Dulce  mihi 
donuni)  ^. 

A  côté  du  roi,  Hobbes  trouva  de  chaleureux  protecteurs,  surtout 
dans  Sir  Henry  Bennet,  devenu  Secrétaire  d'État  en  1662,  et  lord 
Arhngton,  catholique  en  secret,  comme  le  roi  lui-même.  Ils  n'étaient 
pas  fâchés  d'opposer  l'influence  du  hardi  philosophe  aux  prétentions 
traditionnelles    de   l'Église    anglicane. 

Hobbes  trouvait  aussi  bon  accueil  à  l'ambassade  de  France.  Il 
faillit  même  être  pensionné  par  Louis  XIV. 

Le  comte  de  Cominges,  ambassadeur  de  France  à  Londres  sous 
Charles  II,  aimait  à  donner  des  dîners  littéraires,  où  se  rencontraient 
des  hôtes  de  passage  comme  Sorbière  et  Huygens  van  Zuylichem 
ou  des  habitués  comme  Hobbes,  le  chevalier  de  Gramont,  Saint- 
Evremond,  Buckingham,  W.  Temple  •*.  L'ambassadeur  annonce  en 
ces  termes  à  de  Lionne  Tune  de  ces  réunions  :  <c  Dans  deux  jours, 

la  démonstration  à  Monsieur  de  Sluyze,  il  creut  d'y  descou^^•ir  d'abord  du  paralogisme  ; 
ce  qui  a  causé  une  reciprocation  de  lettres...  >>  (Relation  d'un  voyage  en  Angleterre, 
p.  230).  —  Frans  Schooten,  professeur  de  mathématique  à  l'université  de  Leyde,  et 
Gilles  de  Roberval,  professeur  de  mathématiques  au  Collège  de  France,  blâmèrent 
aussi  la  géométrie  hobbienne. 

1.  AuBREY,  Lifes...,  T.  Il,  p.  611. 

2.  «  Sa  Majesté  me  montra  son  portraict  [de  Hobbes]  dans  le  cabinet  de  ses  curiositez 
naturelles  et  méchaniques,  et  me  demanda  si  je  connaissois  cette  personne  et  quelle 
estime  j'en  faisois.  Je  lui  dis  ce  que  je  devois,  et  l'on  demeura  d'accord  que,  s'il  eust  esté 
un  peu  moins  dogmaticjue,  il  eust  esté  fort  nécessaire  à  l'Académie  Roj'ale.  >  [Royal 
Society]...  (G.  Sorbière,  Relation  d'un  voyage  en  Angleterre,  p.  97,  Paris,  1664). 

3.  Vita,  vers  361,  Opéra,  t.  I,  p.  xc\nn. 

4.  Cf.  J.  J.  JussERAND,  A  French  Ambasaador  at  the  Court  of  Charles  the  Second.  Le 
Comte  de  Cominges  jrom  his  unpuhlished  Correspondence,  Londres,  1892,  Ch.  IV, 
p.  59  sqq. 


294  ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   I.   BIOGRAPHIE   DE   HOBBES 

Messieurs  de  «  Zulchom  »  [Huygens],  «  d'Hobbes  »  et  de  Sorbières 
doivent  dîner  chez  moi  :  ce  ne  sera  pas  sans  parler  de  vous  après  que 
nous  aurons  fait  le  panégyrique  de  notre  maître.  Le  bonhomme 
Mr.  Hobbes  est  amoureux  de  Sa  personne,  il  me  fait  tous  les  jours 
mille  demandes  sur  Son  sujet,  qui  finissent  toujours  par  une  exclama- 
tion et  par  des  souhaits  dignes  de  lui.  Comme  souvent  il  a  pris  envie 
à  S.  M.  de  faire  du  bien  à  ces  sortes  de  gens,  je  ne  craindrai  pas  de  dire 
que  jamais  il  ne  peut  être  mieux  employé  que  en  celui-ci.  On  peut  le 
nommer  Assertor  Regum,  comme  il  paraît  par  ses  œuvres,  mais  du 
nôtre  il  en  fait  son  héros.  Si  tout  cela  pouvait  attirer  quelque  hbé- 
ralité,  je  vous  prie  que  je  puisse  en  être  le  distributeur  ;  je  la  saurai 
bien  faire  valoir,  et  je  ne  crois  pas  que  jamais  bienfait  puisse  être 
mieux  colloque  »  ^. 

Cependant,  à  la  Cour  même  d'Angleterre,  Hobbes  ne  manquait 
pas  d'ennemis  puissants.  De  ce  nombre  étaient  le  chanceher  Edward 
Hyde,  comte  de  Clarendon,  et  surtout  les  évêques  qui  voyaient, 
non  sans  fondement,  dans  ce  philosophe  dogmatique  et  dogmatisant 
un  théoricien  politique  dangereux,  un  rationaliste  cachant,  sous  des 
apparences  habiles,  une  opposition  foncière  à  la  religion  chrétienne  ^,- 
eijfin  un  moraliste  corrupteur  ^. 

Aussi,  à  partir  -de  1660,  une  nouvelle  série  d'attaques  plus  graves 
est  dirigée  contre  les  principes  pohtiques  et  rehgieux  du  Léviathan  *. 
L'accusé  sentit  le  besoin  de  se  défendre.  Il  le  fît  avec  véhémence  et 
ironie  dans  sa  réponse,  déjà  mentionnée,  à  VHohhius  Heautontimoru- 
menos  de  Wallis.  Le  ton  est  au  contraire  modéré  dans  la  Préface  de 
ses  Problèmes  physiques  ^  qu'il  adresse  au  Roi.  Il  se  réclame  d'abord 
de  l'amnistie  générale  accordée  au  moment  de  la  Restauration. 
Puis,  pour  dissiper  le  mauvais  effet  des  accusations  lancées  contre 
lui,  il  affirme  que,  dans  le  livre  incriminé,  il  ne  formule  «  directement  » 
aucun  dogme  qui  soit  en  opposition  avec  la  doctrine  commune  des 
Théologiens  ;  que,  d'ailleurs,  il  soumet  ses  ouvrages  à  ceux  qui  ont 
l'autorité  suprême  pour  gouverner  l'Eghse.  Quand  il  composa  le 
Léviathan,  à  l'époque  de  la  Révolution,  l'Éghse  anglicane  n'exerçait 
aucun  pouvoir.  De  plus,  il  n'a  jamais  rieri  écrit  contre  l'Épiscopat. 
D'où  vient  donc  que,  dans  des  sermons  devant  la  Cour,  on  a  osé  le 

1.  Cominges  à  Lionne,  23  juillet  1663.  Cf.  Jus.serakd,  Opère  citato,  p.  214,  n.  75.  — 
De  Lionne  répondit  à  l'ambassadeur  :  c  Je  voudrais  bien  avoir  pu  faire  le  qviatrième  de 
vos  convives  en  ce  dîner  que  vous  deviez  donner  à  Messieurs  de  Zulichem,  Hobbes  et 
de  Sorbières.  Je  vois  grande  disposition  au  Roi  de  gratifier  le  second,  inais  n'engagez 
point  Sa  Majesté  à  rien  que  je  ne  vous  le  inande  plus  précisément.  »  (Lionne  à  Cominges, 
1er  août  1663.  Cf.  JussEEAND,  Opère  citato,  p.  215,  n.  77). 

2.  Now  Hobbes,  the  religious  free-thinker  and  indiffèrent ist  in  the  matter  of  eocle- 
siastical  forms,  \i'as  certainly  no  true  Churchman  ;  while  liis  royalisni,  though  never 
so  loudly  proclaimed,  was  tainted  at  its  spring  from  a  theory  of  popular  choice  (Ceoom 
RoBEBTSON,  Hobbes,  Cli.  VIII,  p.  191). 

3.  Cf.  l'exposé  de  la  Morale  hobbienne,  p.   352-354;  360  363  ;  373-379;   412-415. 

4.  Cf.  infra.  Chapitre  V,  p.  439-440. 

5.  Hobbes,  Problemata  Physica,  Propositiones  XVI  de  Magnitudinc  Circidi  et  Dupli- 
catione  Cubi,  Londres,  1662.  Opéra,  t.  IV,  p.  297-384.  La  traduction  anglaise,  intitulée  : 
•Seven  philosophical  Probleyns,  que  Hobbes  avait  présentée  à  Charles  II,  ne  fut  imprimée 
qu'en  1682.  Works,  t.  Yll,  p.  1-68. 


Tir.    —   DEEXIÈEES    ANNEES.    POLÉMIQUES    ET   TRAVAUX  295 

taxer  d'athéisme  ?  Ne  serait-ce  point  parce  que  «  je  fais  dépendre 
de  la  puissance  royale  l'autorité  de  l'Église  ?  Ce  qui,  je  crois,  ne  paraîtra 
point  à  Votre  Majesté  un  cas  ni  d'athéisme  ni  d'hérésie,  puisque  l'Éghse 
anghcane  c'est  votre  peuple  »  ^.  Ce  trait  final  était  habile,  parce  qu'il 
flattait  le  goût  du  prince  pour  l'absolutisme. 

Cette  apologie  sommaire,  sans  preuves  à  l'appui,  était  plutôt 
une  protestation  d'innocence.  Beaucoup  ne  furent  point  convaincus, 
comme  l'événement  le  prouva.  Une  grande  peste  sévit  en  1665. 
L'année  suivante  éclata  lui  épouvantable  incendie  qui  dévasta  Londres. 
Le  public  y  vit  un  châtiment  de  Dieu  pour  punir  la  nation  qui  tolé- 
rait la  hcence  et  les  scandales  que  donnait  impunément  la  Cour  de 
"V^"llitehall  2.  Faisant  écho  à  la  conscience  populabe,  le  Parlement 
prépara  un  bill  contre  l'Athéisme,  le  blasphème  et  le  langage  profane  »  j 
(again  Atheism,  Blasphemy  and  Profaneness).  en  parlant  de  l'es- 
sence de  Dieu  et  de  ses  attributs  ».  Le  Léviatkan  était  nommément 
désigné.  Le  bill  passa  aux  Communes  le  31  janvier  1667.  Mais  la 
Chambre  des  Lords  traîna  en  longueur  et  laissa  tomber  le  bill.  Hobbes 
en  fut  quitte  pour  la  peur.  Cependant  ses  alarmes  avaient  été  très 
vives.  Si  l'on  en  croit  les  Mémoires  de  la  famille  de  Cavendish,  notre 
philosophe,  pour  parer  au  danger,  fit  montre  alors  de  pratique  reh- 
gieuse  :  «  Il  fréquentait  maintenant  la  chapelle,  assistait  au  service 
et  participait  généralement  au  Saint  Sacrement.  Si  quelque  étranger, 
conversant  avec  lui,  semblait  mettre  sa  foi.  en  question,  il  ne  manquait 
pas  de  dii'e  qu'il  se  conformait  aux  services  divins,  et  d'invoquer 
sur  ce  point  le  témoignage  du  chapelain.  D'autres  pensaient  que  c'était 
pure  complaisance  aux  ordres  de  la  famille  et  faisaient  observer  qu'à 
la  ville  et  à  la  campagne  il  n'allait  jamais  à  une  éghse  paroissiale  ; 
que  même  à  la  chapelle,  les  chmanches,  il  sortait  après  les  prières 
et  tournait  le  dos  au  sermon  ;  et,  quand  quelque  ami  lui  en  demandait 
la  raison,  il  n'en  doimait  pas  d'autre  que  celle-ci  :  «  Us  ne  pourraient 
rien  m'enseigner  que  je  ne  sache  déjà  ^.  » 

1.  ...  Fieri  potest  ut  segre  feraiit  quod  Ecclesi»  authoritatem  dependere  faciam  a 
Potestate  regia  ;  id  quod  credo  non  videbitur  Majestati  tuse  atheismus  neque  haeresis, 
ciun  Ecclesia  Anglicana  nihil  aliud  sit  quani  popidus  tuus  (Probletnata  pkysica  :  Prsei. 
Ad  Rcgem,  Opéra,  t.  IV,  p.  302). 

2.  The  Great  Fire  of  1666,  following  upon  the  Great  Plague  o£  the  previous  year, 
could  net  but  seem  to  the  common  mind  a  judgment  on  the  nation  that  tolerated 
such  Ucentiousness  as  had  no  .v  for  six  years  run  riot  in  the  Court  of  ^Vliitehall  (Croom 
RoBERTSON,  Hobbes,  Ch.  VIII,  p.  193). 

3.  He  now  frequented  the  chapel,  joined  in  the  service  and  was  generally  a  partaker 
of  the  holy  sacranient.  An  whenever  a  ly  Etranger,  in  conversation  with  him,  seenied  to 
question  his  belief ,  lie  -w-ould  ahvays  appeal  to  his  conf  ormity  in  divine  ser\ices  and  re- 
ferred  them  to  the  chaplain  for  a  testiinony  of  it.  Others  thought  it  a  mère  coinpliance 
to  the  orders  of  the  family,  and  observed  that  in  city  and  country  he  never  went  to 
anj'  parish  church,  and  even  in  the  chapel  upon  Sundays  he  went  ont  after  prayers 
and  turned  his  back  upon  the  sermon  ;  and,  when  any  friand  asked  the  reason  of  it, 
he  gave  no  other  but  this  :  u  They  could  teach  him  nothing  but  what  ke  knew  (Memoirs 
oj  the  Family  of  Cavendish,  cités  par  ]M.  Crooji  Rpbertson^,  Hobbes,  Ch.  VIII,  p.  195, 
note  2).  —  La  façon  rationali-ste  dont  Hobljes  travestit  les  dogmes  chrétiens  (voir 
notanunent  la  S^'  Partie  du  Li'viathan),  son  matérialisme  avéré  qu'il  étend  à  Dieu  lui- 
même  représenté  comme  «  corjjorel  «  (Human  Nature,  Ch.  XI,  §  4  et  5)  éveillent  des 
doutes  sur  la  sincérité  de  ses  sentiments  religieux  et  de  sa  croyance  en  Dieu,  dont  il 


296  ARTICLE   III.   —   CHAPITRE   I.   BIOGRAPHIE    DE   HOBBES 

En  présence  des  attaques  nombreuse  et  violentes,  auxquelles  il 
était  en  butte,  Hobbes  crut  prudent  d'élaborer  un  plaidoyer  en  règle 
pour  mettre  à  couvert  son  orthodoxie  et  démontrer  que,  depuis  la 
suppression  de  la  «  Commission  Haute  «  par  le  Long  Parlement, 
il  n'existait  plus  en  Angleterre  de  tribunal  pour  connaître  de  l'hérésie. 
Ce  plaidoyer  prit  deux  formes.  C'est  d'abord  un  Appendice,  publié 
à  la  fin  de  la  traduction  latine  du  Léviathan^  (Amsterdam,  1668), 
où  il  prétend  établir  que  sa  doctrine  rehgieuse  est  irréprochable, 
parce  qu'elle  est  conforme  au  véritable  sens  du  Symbole  de  Nicée,- 
C'est  ensuite  un  opuscule  intitulé  :  Narration  historique  concernant 
rhérésie  et  sa  répression  ^,  qui  ne  parut  qu'après  sa  mort  ^. 

Cet  ensemble  considérable  d'ouvrages  offensifs  et  défensifs,  qui 
auraient  épuisé  les  forces  de  tout  autre,  ne  suffit  point  à  satisfaire 
l'activité  dévorante  de  notre  philosophe.  Des  études  historiques  et 
littéraires  firent  diversion  à  ses  œuvres  de  combat.  Vers  1668,  il 
composa,  sous  le  titre  bizarre  de  Behemoth,  qui  rappelle  son  Léviathan, 
«  une  histoire  des  Causes  de  la  guerre  civile  d'Angleterre  »  ^.  Cette 
histoire  fut  soumise  au  roi,  qui  n'en  jugea  pas  la  publication  oppor- 
tune. Une  édition  subreptice,  faite  d'après  une  copie  défectueuse, 
parut  en  1679.  L'édition  authentique  ne  date  que  de  1682.  L'auto- 
biographie de  Hobbes,  écrite  en  vers  latins  (1672),  vit  le  jour  Tannée 
même  de  sa  mort  (1679).  Une  Histoire  ecclésiastique,  également  ver- 
sifiée en  latin,  vers  1668,  ne  fut  pubhée  qu'en  1688  par  Thomas  Ryner^. 
Fidèle  à  son  antipathie  pour  le  pouvoir  ecclésiastique  et  à  son  amour, 
poussé  jusqu'au  servihsme,  pour  le  pouvoir  civil,  Hobbes  y  expose 
les  moyens  artificieux  par  lesquels,  selon  lui,  les  hommes  d'Éghse, 
avec  les  armes  de  la  philosophie  scolastique,  parvinrent  à  saper  les 
fondements  de  l'autorité  royale  ^. 

parle  volontiers  dans  ses  ouvrages.  «  On  se  demande  s'il  était  sincère  en  sa  profession  de 
foi  chrétienne,  qu'il  a  plusieurs  fois  déclarée,  ou  s'il  a  seulement  regardé  le  clu-istianisme 
comme  ime  institution  matérielle  impossible  à  écarter  et  dont  il  n'était  pour  cela  que 
plus  nécessaire  de  constituer  le  Souverain  l'arbitre  unique,  dans  l'intérêt  de  la  paix.  » 
(Charles  Renouvieb,  Philosophie  analytiq^  e  de  V Histoire,  T.  III,  L.  XII  Ch.  I  p.  445 
Paris,  1897). 

1.  Hobbes,  Appendix  ad  Léviathan.  Opéra,  t.  III,  p. '539-559. 

2.  Hobbes,  An  historical  Narration  concerning  Heresy  and  the  Pimishment  thereof, 
Londres,  1G80.  Works,  t.  IV,  p.  385-408. 

3.  Parmi  les  œuvres  posthumes  de  Hobbes,  on  trouve  un  opuscule  qui  a  pour  titre  : 
A  Dialogue  hetiveen  a  Philosopher  and  a  Studentof  the  Common  Lansof  England,  Londres, 
1681.  —  Works,  t.  VI,  p.  1-160.  Ce  Dialogue  est  dirigé  contre  les  partisans  de  la  mo- 
narchie tempérée,  dont  l'éminent  jurisconsulte  Sir  Edward  Coke  (mort  en  1634) 
s'était  fait  le  champion.  Comme  Hobbes  y  expose  son  sentiment  sur  les  lois  contre 
l'hérésie,  on  en  a  conclu  que  le  Dialogue  a  dû  être  composé  vers  1666  ou  1667,  au  moment 
du  Bill  contre  l'athéisme. 

4.  Hobbes  :  Behemoth  :  the  History  of  the  Causes  of  Civil  Wars  oj  England,  and  of  the 
Counsels  and  Artifices,  hy  which  they  were  carried  on  from  the  yearl640to  1660,  Londres, 
1679  et  1682.  Works,  t.  VI,  p.  161-418. 

5.  Hobbes,  Historia  ecclesiastica  carminé  elegiaco  concinnata,  Londres,  1688.  Opéra, 
t.  V,  p.  341-408. 

6.  Hommage  involontaire  aux  travaux  des  Scolastiques  qui,  avec  S.  Thomas,  n'ont 
cessé  de  soutenir  que  les  formes  mixtes  ou  tempérées  de  gouvernement  sont  préférables. 
C'est  l'antithèse  de  la  thèse  absolutiste  de  Hobbes.  Cf.  G.  Sortais,  Les  catholiques  en 
face  de  la  Déinocratie  et  duDroit  commun,  L.  III,  Sect.  I,  Quest.  II,  §  2,  p.  188,  Paris,  1914. 


III.    —   DERNIÈRES   AXKÉES.    POLÉMIQUES    ET   TRAVAUX  297 

Enfin,  l'admiration  pour  les  classiques,  qui  sommeillait  en  lui,  se 
réveilla.  Il  entreprit,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans  passés,  la  traduction, 
en  quatrains  anglais,  de  Y  Iliade  et  de  V  Odyssée'^  (1675).  Malgré  sa 
rudesse  et  la  suppression  de  nombreuses  beautés  de  détail  qui  sont 
l'un  des  charmes  de  l'original,  cette  traduction  atteste  une  étonnante 
vigueur  d'esprit  dans  un  écrivain  aussi  âgé. 

C'est  en  1675,  après  avoir  achevé  cette  «  translation  »  d'Homère, 
que  Hobbes,  «  d'une  fortune  modeste,  mais  riche  de  renommée  », 
quitta  définitivement  Londres,  où,  depuis  son  retour  en  Angleterre, 
son  exitence  s'était  écoulée,  chez  ses  bienfaiteurs  ^,  d'abord  à  Little 
Salisbury-House,  ensuite  à  Newport  House.  Le  reste  de  ses  jours  se 
passa  tantôt  à  Hardwick,  tantôt  à  Chatsworth,  les  deux  magnifiques 
résidences  que  la  famille  Devonshire  possédait  dans  le  comté  de 
Derby.  Il  travailla  jusqu'à  la  fin  :  en  août  1679,  il  préparait  encore 
quelque  écrit  en  vue  de  l'impression  ^.  Vers  le  milieu  d'octobre,  il 
souffrit  d'une  rétention  d'urine  ;  puis,  une  paralysie  s'étant  déclarée 
du  côté  ch'oit,  il  languit  quelque  temps  dans  un  état  de  somnolence, 
et,  le  4  décembre,  il  mourut  à  Hardwick.  Les  restes  du  philosophe, 
qui  avait  eu  tant  de  démêlés  avec  le  clergé  anglican,  furent  déposés 
dans  le  sanctuaire  de  la  petite  égHse  paroissiale  de  Hault  Hucknall, 
sise  près  du  parc  de  Hardwick  Hall.  Sur  une  plaque  de  marbre  noir 
on  lit  cette  épitaphe  :  Vir  probus  et  lama  eruditionis  domi  forisque 
bene  cognitus  (Homme  probe  et  célèbre  par  son  érudition  en  son  pays  et 
au  dehors)  ^. 

La  National  Portrait  Gallery  possède  un  excellent  portrait  de 
Hobbes.  On  en  trouve  deux  autres  dans  les  salons  de  la  Royal  Society, 
à  Burlington  House  ^,  qui  voulut  bien  accueillir  mort  celui  qu'elle 
avait  repoussé  vivant. 


1.  Hobbes,  The  Iliads  and  Cdysses  of  Homer,  translated  out  of  Gnelc  info  Enylish, 
îvilh  a  large  Préface  ioncerning  the  virlues  of  a%  heroic  poern,  tcritlen  hy  the  tianslator. 
Londre=i  1675.    M'orks,  t.  X. 

2.  ...  Fortuna  tenui,  fama  doctrinfp  ingenti,  in  patroni  siii  comitis  Devoxi.e  hospitio 
per  caeterum  vitae  tenipus  perpetuo  delituit,  studio  vacans  Geometriae  et  Philosophiae 
naturali...  (Hobbes,   Vita...,  Opéra,  t.  I,  p.  xvii). 

3.  1  am  wi-itting  soniewhat  for  you  to  print  in  Englisli...  (Lettre  de  Hobbes  à  Williatn 
Crooke,  son  éditeur,  Chatsworth,  18  août  1679.  Works,  t.  IV,  p.  412). 

4.  Si  l'on  s'en  rapporte  à  Kennet,  Hobbes,  plaisantant  un  jour  avec  quelques  amis, 
leur  proposa  de  faire  graver  sur  sa  pierre  tombale  cette  humoristique  inscription  : 
This  is  the  true  Philosopher'' s  Stone.  (Voici  la  vraie  pierre  philosophale).  Cf.  A.  WooD, 
Athenœ  Oxonienses,  Edit.  Bliss,  t.  III,  col.  1218,  Londres,  1817. 

5.  Aubrey  a  fait  une  description  détaillée,  aii  physique  et  au  moral,  de  son  ami 
Hobbes  (Lifes,  t.  II,  p.  619-624).  C'est  un  portrait...  à  la  phnne,  où  la  sincérité  ne  man- 
que pas.  Le  biographe  nous  dit,  par  exemple,  que  Hobbes  n'avait  horreur  ni  du  bon  vin, 
ni  des  femmes,  et  il  ajoute  que,  sous  ce  double  rapport,  il  se  montra  (généralement) 
tempérant,  même  pendant  sa  jeunesse  (It  is  not  consistent  with  an  harmonicall  soûle 
to  be  a  woman-hater  ;  neither  had  he  abhorrence  to  good  wine,  but  he  was  e\ en  in  his 
youth  (genei-ally)  temperate,  both  as  to  %vine  and  women  (et  tamen  hœc  otnnia  medio- 
criter.  Homo  sum  ;  humani  nihil  a  me  alienum  puto)  (Ibidem,  p.  621).  —  Kennet 
(cité  par  Wood  dans  son  Athenœ  Oxonienses,  Edit.  Bliss,  t.  III,  col.  1218,  nous  apprend 
que  Hobbes  eut  une  fille  naturelle  (il  l'appelait  son  péché  de  jeunesse)  et  qu'il  pourvut 
à  ses  besoins  (He  had  one  natural  daughter,  whom  he  call'd  his  Delictum  JuvejUutis, 
and  provided  fort  her). 


IV.  -  TABLEAU  DES  ŒUVRES  DE  HOBBES 


1629. 
1636. 

1640. 


1641. 
1642. 


1644. 


1650. 


I.  —  ŒUVRES    PARUES   DE    SO?ï   V.VANT 


Eight  hooks  of  Peloponnesian  War  loritten  hy  Thucydides,  the 
son  of  Oîorus,  mterpreted  with  faith  and  diligence  immediately  out 
of  the  Greek,  Londi^es,  1629  ;  1634  2  ;  1676  ^  ;  etc.    . 

De  Mirahilihus  Pecci,  heing  the  Wonders  of  the  Peah  in  Darby- 
Shire,  commonly  called.  The  DeviVs  arse  of  Peak,  Londres,  1636; 
1666  2  ;  1675  3  ;  1678  *.  —  (Ce  poème  latin  fut  composé  entre  1626 
et  1628.  L'édition  de  1678  contient  une  traduction  anglaise  «  by 
a  per;3on  of  quality.  ») 

The  Eléments  of  Law  natural  and  politic.  (Cet  ouvrage  circula 
manuscrit  en  1640  ;  l'éiiître,  qui  sert  de  Préface,  est  datée  du 
9  mai  1640.  Il  a  été  liublié,  sous  ce  titre,  à  Londres,  en  1889  pour 
la  première  fois  par  F.  Tônnies.  On  trouvera,  en  Ajjpendice, 
l'opuscule  :  Tract  on  First  Principle,  que  Tônnies  attribue  à 
Hobbes  et  qui  aurait  été  composé  vers  1630. 

Objectiones  ad  Cartesii  Meditationes  de  Prima  Philosophia, 
vulgo  dictœ  Objectiones  tertiœ.  (Publié,  pour  la  première  fois,  avec 
les  Méditations  de  Descartes,  à  Paris,  en  1641). 

Elementorum  Philosophiœ  Sectio  tertia  :  De  Cive,  Paris,  1642.  - — 
Elementa  philosophica  de  Cive,  Amsterdam,  1647  ;  1650  ^  ;  1660  '  ; 
1668  4. 

Traductions  françaises  :  Sorbière  :  Elemens  philosophiques  du 
citoyen,  où  les  Fondemens  de  la  Société  civile  sont  descouverts  par 
Thomas  Hobbes  et  traduicts  en  François  par  un  deses  amis,  Amster- 
dam, 1649  (2  fois  réimprimé  cette  même  année)  ;  Paris,  1651  *.  — 
Du  Verdus,  Les  Elemens  de  la  Politique  de  Monsieur  Hobbes, 
Paris,  1660.  Du  Verdus  n'a  traduit  que  les  deux  premières  parties 
du  De  Cive. 

Tractatus  options.  (Ce  court  Traité  fut  inséré  par  Mersenne 
dans  son  Optique,  dont  il  forme  le  Livre  VII.  Cette  Optique  se 
trouve  à  la  fin  de  l'ouvrage  suivant  de  Mersenne  :  Universœ 
Geometriœ  mixtœque  Matheînaticœ  Synopsis  et  Bini  Eefractionum 
demonstratarum  Tractatus,  Paris,  1644.  —  Mersenne  publia 
encore  un  résumé  de  la  théorie,  par  laquelle  Hobbes  exi^lique 
les  opérations  de  l'âme,  dans  la  Préface  de  sa  Ballistique.  Cette 
Ballistica  parut  dans  l'ouvrage  intitulé  :  Cogitata  Physico-Mathe- 
matica,  Paris,  1644. 

Human  Nature  or  the  fundamental  Eléments  of  Policy.  Being  a 
discovery  of  the  faculties,  acts  and  passions  of  the  soûl  of  man,  from 
their  original  causes  ;  according  to  such  philosophical  Principles, 
as  are  not  commonly  known  or  asserted,  Londres,  1650.  (Cet  ouvrage 


TABLEAU  DES   ŒUVRES  DE  HOBBES 


299 


comprend  les  chapitres  I  à  XIII  de  The  Eléments  of  Law  naturaî 
and  politic).  —  Traduction  française  par  d"Holbach  :  De  la  nature 
hianaine  ou  Exposition  des  facilités,  des  actes  et  des  passions  de 
l'âme  et  de  leurs  causes,  Londres,  1772. 

1650.  De  Cor  pore  politico  or  the  Eléments  of  Laïc  moral  and  politick 
with  Discourses  upon  severcdl  Heads  :  as  of  the  Laiv  of  nature, 
of  Oathes  and  Covenants,  of  several  kinds  of  Government  ;  with  the 
Changes  and  Révolutions  of  them,  Londres,  1650  ;  1652^.  —  Tra- 
duction française  par  Sorbière  :  Le  Corps  politique...,  Leyde, 
1652  ;  1653  ^.  (Cet  ouvrage  comprend  dejauis  le  chapitre  XIV 
jus^qu'à  la  fin  de  T^e  Eléments  of  Law...) 

1051.  Epistolica   Dissertatio    de   Principiis   jxisti    et   decori   continens 

Apologiam  pro  Tractatu  de  Cive  clarissimi  Hobhii,  Amsterdam 
1651. 

1651.  Philoscyphicall  Rudiments  concerning  Government  and  Society, 
Londres,  1651.  (C'est  la  traduction  anglaise  du  De  Cive). 

1651.  Answer  to  sir  William  Davenaxt's  Préface  hefore  Gondibert, 

Paris,  1651.  (C'e.st  une  Lettre,  écrite  de  Paris  (10  janv.  1650), 
à  l'auteur  du  poème  héroïque  Gondibert,  où  Hobbe.s  expose  la 
nature  et  les  conditions  de  la  poésie,  surtout  de  réj^ique). 

1651.  Leviathan  or  the  Matter,  Forme  and  Poiver  of  a  Common-Wealth 

ecclesiasticall  and  civill,  Londres,  1651  ;  1680^. 
Édition  latine,  Am.stei-dam,  1668;  1678  2. 

L'édition  latme  contient  un  Appendix  aj^ant  trois  chapitres 
apologétiques  du  Leviathan,  qui  remplacent  Review  and  Conclusion 
de  l'édition  anglaise. 

1654.  Of  Liberty  and  Necessity  :  a  T réalise,  icherein  ail  controversy  con- 
cerning prédestination,  élection,  free-will,  grâce,  merits,  réprobation, 
etc.,  is  fully  decided  and  cleared,  in  answer  to  a  Treatise  uritten  by 
the  bishop  of  Londpnderry  on  the  same  subject,  Londres,  1654. 
(C'est  une  Lettre  datée  de  Rouen,  20  août  1646,  et  adressée  au 
marquis  de  X^ewcastle.  Elle  fut  éditée  siibrepticement,  en  1654. 
Quand  Hobbes  la  publia  lui-même,  la  Lettre  est  datée  du 
20  août  1652. 

1655.  Elementorum  Philosophiœ  Sectio  primu  :  De  Corpore,  Londres,  1655. 
—  Amsterdam,  1668  2. 

1656.  Eléments  of  Philosophy .  The  fîrst Section,  concerning Bod y,  wriiten 
in  latin  by  Thomas  Hobbes  of  Malmesbury  and  translated 
into  English,  Londres,  1656.  (Cette  traduction  fut  revue  par 
Hobbes).  —  Cette  traduction  a  pour  aj)pendice  l'opuscule  sui- 
vant : 

1656.  .  Six  Lessons  to  the  Prof  essors  of  the  Mathematics,  oneof  Geometry, 
the  oiher  of  Astronomy  in  the  chairs  set  up  by  the  noble  atid  learned 
Sir  Henry  SA\^LE  in  the  University  of  Oxford,  Londres,  1656. 

1656.  The  Questions  concerning  Liberty,  Necessity  and  Chance,  clearly 
stated  and  debated  between  D^  Bramhall  bishop  of  Derby  and  Tno- 
mas  Hobbes  of  Malmesbury.  Londres,  1656. 

1657.  ^-'."'x'-j.'.  'A-'îovjLcT'i'lac.  Avoo'.x'lac,  AvT'.-oA'.Tsiac,  ' X'xy.Hi'.y.:;, 
or  Marks  of  the  Absurd  Geometry,  Rural  Language,  Scottish 
Chiirch  Politics  and  Barbarisms  of  John  Wallis,  professor  of 
Geometry  and  Doctor  of  Divinity,  Londres,  1657.  (L'ouvrage  est 
suivi  de  :  An  extract  of  a  Letter  from  Henry  Strubbe  concerning 
grammatical  part  of  the  Controversy  between  M'"  Hobbes  and 
D"-  Wallis). 


ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   I. 


BIOGRAPHIE   DE    HOBBES 


1661. 


1662. 


1662. 


1666. 

1668. 
1669. 
1671. 
1671. 
1672. 

1673. 

1674. 
1676. 

1678. 

1679. 


Elementorum  Philosophiœ  Sectio  secunda  :  De  Homine,  Londres, 
1658  ;  Amsterdam,  1668  2. 

Examinatio  et  Emendatio  Mathematicœ  hodiernœ,  qualis  expli- 
catur  m  Lihris  Johannis  Wallis,  Geometriœ  Professons  Savi- 
liani,  distrihuta  in  sex  Dialogos,  Londres,  1660  ;  Amsterdam, 
1668.  2 

Dialogus  physicus  de  natura  Aeris,  conjectura  sumpta  ah  experi- 
mentis  nuper  Londini  hahitis  in  Collegio  Greshamensi.  Item  de 
Duplicatione  Cubi,  Londres,  1661  ;  Amsterdam,  1668  ^.  (  Le 
De  Duplicatione  Cubi  avait  déjà  été  imprimé  à  Paris,  mais  sous  le 
voile  de  l'anonyme.  ■ —  L'ouvrage  est  dédié  Viro  clarissimo  et 
amicissimo  Samueli  Sorberio). 

Problemata  physica,  Propositiones  XVI  de  Magnitudine  Cir- 
culi  et  Duplicatio  Cubi,  Londres,  1662  ;  Amsterdam,  1668  ^.  — 
La  traduction  anglaise  :  Seven  philosophical  Problems,  présentée 
au  roi, .ne  parut  qu'en  1682. 

M^"  Hobbes  considered  in  his  Loyalty,  Religion,  Réputation 
and  Manners,  Londres,  1662.  —  Considérations  %ipon  the  Réputa- 
tion, Loyalty,  Manners  and  Religion  of  Thomas  Hobbes  0/  Mal- 
mesbury  written  by  himself  by  way  of  Letter  ta  a  learned  person, 
Londres,  1680.  (Cette  personne  est  le  D^  Wallis.  L'édition  de 
1680,  qui  indique  l'auteur,  est  posthume). 

Dé  principiis  et  ratiocinatione  Geometrarum,  ubi  ostenditur 
incertitudinem  falsitatemque  non  minorem  inesse  scriptis  eorum, 
quant  scriptis  Physicorum  et  Ethicorum,  contra  fastum  professo- 
rum  geometriœ,  Londres,  1666  ;  Amsterdam,  1668  ^. 

Opéra  philosophica,  quœ  latine  scripsit  omnia,  Amsterdam, 
1668.  Divisé  en  trois  parties  :  I.  De  Corpore,  De  Homine,  De  Cive. 
—  II.  Opéra  physica  et  Mathematica.  —  III.  LeviatJmn. 

Quadratura  Circuli,  Cubatio  Sphœrœ,  Duplicatio  Cubi,  una 
cum  responsione  ad  objectiones  Geometriœ  Professoris  Saviliani 
Oxoniœ  éditas  anno  1669,  Londres,  1669. 

Rosetum  geometricum  sive  Propositiones  aliquot  frustra  antehac 
tentatœ,  cum  Censura  hrevi  doctrinœ  Wallisianœ  de  Motu,  Londres, 
1671. 

Three  Papers  presented  to  the  Royal  Society  against  D^  Wallis, 
together  with  Considérations  upon  the  Answer  of  Doctob  Wallis 
three  Papers  of  M.  Hobbes,  Londres,  1671. 

Lux  mathematica  excussa  collisionibus  Johannis  Wallisii  et 
Thom^  Hobbesii,  multis  et  fulgentissimis  aucta  radiis.  Authore 
R.  R.  (Pseudonyme  de  Hobbes,  qui  signifie  Roseti  Repertor), 
Londres,  1672. 

T?ie  Travels  of  L^lysses,  as  they  related  by  himself  in  Homer's 
gth^  lOth,  llth  and  12th  books  of  his  Odysses,  to  Alcinous,  king  of 
Phœacia,  Londres,  1673. 

Principia  et  Problemata  aliqux)t  Geometrica,  ante  desperata, 
nunc  breviter  explicata  et  demonstrata,  Londres,  1674. 

The  Iliads  and  Odysses  of  Homer,  translated  out  of  Greek  into 
English,  with  a  large  Préface  concerning  the  virtues  of  an  heroic 
poem,  tvritten  by  the  translator,  Londres,  1676  ;  1677  ^  ;  1686  ^. 

Decameron  physiologicum  or  Ten  Dialogues  of  Natural  Philo- 
sophy,  to  which  his  added  the  proportion  of  a  straight  Une  to  half  the 
arc  o  quadrant,  Londres,  1678. 

Behemoth  :  the  History  of  the  Causes  of  the  Civil  Wars  ofEngland, 


TABLEAU   DES   ŒUVRES   DE   HOBBES 


301 


1679. 


and  of  the  Counsels  and  Artifices,  hy  which  they  were  carried  on  frorn 
the  year  1640  to  the  year  1660.  (Cet  ouvrage,  composé  vers  1670, 
fut  soumis  au  roi  qui  en  interdit  la  publication.  L'édition  de  1679 
est  subreptice  ;  l'édition  de  1682  est  la  première  autorisée.  — Le 
manuscrit,  conservé  à  la  bibliothèque  de  St.  John's  Collège  k 
Oxford,  a  pour  titre  :  Behemoth  :  or  the  Long  Parliament.  F.  Tôx- 
NIES  l'a  publié  sous  ce  titre  à  Londres  en  1889). 

Thom.ï:  Hobbes  Malmesburiensis  Vita  carminé  expressa, 
Londres,  1679.  Hobbes  avait  composé  cette  autobiographie 
en  1672.  Elle  parut  trois  semaines  après  sa  mort,  en  décembre  1679. 
Vers  le  10  janvier  1680,  il  en  parut  une  traduction  anonyme  en 
vers  anglais.  Cf.  Wood,  Athenœ  Ozonienses,  II,  Londres,  1692. 


II. 


ŒUVRES    POSTHUMES 


1680. 


1680. 


1681. 


1681. 


1681, 


1682. 


1688. 


An  Answer  to  a  Book  published  hy  D^"  Bramhall,  late  bishop 
of  Derby,  called  ((  The  Catching  of  Leviathan  the  grat  Whale  », 
Londres,  1680.  (Cette  réponse  fut  composée  vers  1668). 

An  Historical  Narration  concerning  Heresy  and  the  punishment 
thereof,  Londres,  1680.  (Cet  écrit  fut  composé  vers  1668). 

Thom.î;  Hobbes  Malmesburiensis  Vita,  Londres,  1681. 
(Cette  Vie,  écrite  en  latin  par  Hobbes  ou  dictée  par  lui  à  Tho- 
mas Rymer,  fut  publiée  en  1681  par  Richard  Blackbourne). 
—  Blackbourne  publia  en  même  temps  Vitœ  Hobbianœ  Aucta- 
rium,  complément  quïl  avait  écrit  d'après  les  notes  de  JoHX 
Aubrey. 

A  Dialogue  between  a  Philosopher  and  a  Stndent  of  the  Common 
Laws  of  Englatid,  Londres,  1681.  (Ce  Dialogue  fut  composé  après 
1666). 

The  whole  Art  of  Rhetoric  with  the  Discourse  of  the  Laws  of 
England,  Londres,  1681.  —  The  Art  of  Rhetoric,  plainly  set  forth 
unth  pertinent  examples  for  the  more  easy  mulerstaiiding  and  prac- 
tice  of  the  same,  Londres,  1681.  (Ces  opuscules  furent  composés 
vers  1633  pour  Tusage  de  son  élève,  le  comte  de  Devonshire. 
Le  premier  est  un  résumé  de  la  Rhétorique  d'Aristote). 

The  Art  of  Sophistry  (Cet  opuscule,  composé  sans  doute  dans  le 
même  but,  contient  quelques  règles  et  exemples  pour  apprendre 
à  discerner  les  sophismes). 

Seven  Philosophical  Problems  and  two  Propositions  of  Geometry^ 
by  Thomas  Hobbes  of  Malmesbury,  with  Apology  for  himself 
and  his  writings  dedicated  to  the  King  in  the  year  1662,  Londres, 
1682.  (C'est  la  traduction  des  Problemata  Physica,  parus  en  1662). 

Historia  ecclesiastica  carminé  elegiaco  concinnata ,  Londres,  1688. 
(Cette  Histoire  fut  publiée  jiar  Thomas  Rymer  avec  une  Préface 
anonyme).  —  Traduction  en  vers  anglais  :  A  True  Ecclesiastical 
History  from  Moses  to  the  Time  of  Martin  Luther,  1722.  —  Dans  sa 
Vie  en  prose,  Hobbes  déclare  qu'il  a  composé  ce  poème  vers 
80  ans,  c'est-à-dire  vers  1668  :  Scripsit  praeterea  circa  annum 
îetatis  suse  octogesimum. ..,  ortum  et  incrementa  potestatis  Pon- 
tifîciae,  carminé  Latino,  versuum  circiter  duum  millium.  Sed  non 
sinebant  tempora  ut  publicarentur.  (Vita,  Opéra,  t.  I,  p.  XX). 


CHAPITRE  II 
Controverse    avec    Descartes. 


Quand.le  Long  Parlement  décréta,  le  11  novembre  1640,  la  mise  en 
jugement  du  comte  de  Strafïord,  le  fidèle  ministre  de  Charles  1*^^, 
Hobbes  prit  peur,  craignant  d'être  compris  dans  la  Liste  des  délin- 
quants que  la  Chambre  des  Communes  voulait  poursuivre.  En  pré- 
vision des  dangers  qu'allait  courir  la  royauté,  notre  ardent  royahste 
avait  composé  en  anglais  un  petit  traité  pour  défendre  les  préroga- 
tives de  la  monarchie  absolue  ^.  Dès  les  premiers, mois  de  l'année  1640, 
il  avait  mis  en  circulation  plusieurs  copies  manuscrites  de  son  plaidoyer 
en  faveur  de  la  Couronne. 

Assurément  le  contenu  de  l'ouvrage  n'était  point  de  nature  à  plaire 
aux  membres  du  Long  Parlement  qu'offusquait  l'absolutisme  royal. 
On  peut  se  demander  cependant,  avec  les  biographes  de  notre  philo- 
sophe, s'il  ne  céda  pas  à  une  appréhension  excessive,  en  estimant 
que  quelques  manuscrits,  circulant  sous  le  manteau,  pouvaient  attirer 
sur  sa  tête  les  foudres  de  vainqueurs  ombrageux.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Hobbes  n'osa  risquer  l'aventure.  Fuyant  l'orage  déjà  grondant 
sur  sa  patrie,  il  fit  voile  vers  la  France  comme  vers  un  port  tranquille 
et  agréable.  Il  y  retrouvait  les  amis  sûrs  que  des  séjours  antérieurs 
lui  avaient  faits,  Mersenne  notamment  et  Gassendi. 

Tandis  que  l'Angleterre  était  agitée  par  de  violentes  secousses 
pohtiques,  la  France  jouissait  de  la  paix  intérieure,  grâce  au  cJardinal 
de  Hicheheu,  dont  la  rude  main  aA'^ait  dompté  la  résistance  des  grands 
seigneurs  et  comprimé  l'audace  des  Calvinistes.  Descartes  avait  publié, 
en  1637,  le  Discours  de  la  Méthode  pour  bien  conduire  sa  raison  et 
chercher  la  vérité  dans  les  sciences  ;  plus  la  Dioptrique,  les  Météores  et 
la  Géométrie,  qui  sont  des  essais  de  cete  Méthode.  Voilà  les  nouveautés, 
d'un  genre  spéculatif,  qui  intéressaient  à  Paris  les  gens  instruits, 
pendant  qu'à  Londres  les  esprit  échauffés  se  passionnaient  pour  ou 
contre  les  nouveautés  pohtiques. 

I.    —    OBJECTIONS    DE    HOBBES    CONTRE    LA    DIOPTRIQUE 

Hobbes,  qui  se  piquait  d'être  compétent  en  Mathématique,  avait 
étudié  de  près  la  Dioptrique  de  Descartes  et  mis  par  écrit  les  objec- 
tions que  cette  lecture  lui  avait  suggérées.  Elles  remplissaient  onze 
«  feiiilles  ».  Mersenne  crut  bon  de  les  communiquer  à  Descartes  en 

1.  Cf.   Ch.  I,  p.  277. 


I.    —    OBJECTIO>'S    CONTRE    LA    DIOPTEIQUE  303 

deux  fois.  Le  premier  envoi,  qui  ne  comprenait  que  «  trois  feiiilles  », 
arriva  en  HoUande  le  20  janvier  1641  i  ;  le  second,  qui  contenait 
«  huit  feiiilles  »,  y  parvint  le  18  février  suivant  ^.  L'expéditeur  s'était 
borné  à  dire  que  cette  longue  lettre  lui  était  venue  d'Angleterre, 
sans  révéler  le  nom  de  l'auteur.  C'était  une  feinte,  puisque  l'auteur 
résidait  alors  à  Paris.  Pourquoi  tant  de  mystère  ?  Toujours  est-il 
qu'entre  Descartes  et  Hobbes  il  n'y  eut  aucune  correspondance 
directe.  Mersenne  servit  constamment  d'intermédiaii'e,  transmettant 
aux  véritables  destinataires  les  objections  et  instances  de  «  l'Anglois  », 
comme  les  réponses  et  répliques  de  Descartes,  qui  lui  étaient  adressées 
personnellement  avec  prière  de  faire  suivre  ^. 

Après  avoir  pris  connaissance  des  trois  premiers  feuillets,  Descartes 
communiqua  son  impression  à  Mersenne  :  «  D'une  part,  la  manière 
d'écrire  de  l'auteur  indique  un  esprit  ingénieux  et  docte  ;  d'autre  part, 
chaque  fois  qu'il  met  en  avant  une  idée  comme  de  son  crû,  il  semble 
toujours  s'écarter  de  la  vérité.  Contraste  qui  m'étonne  grandement  »  ^. 

La  lecture  attentive  de  la  réphque  de  Hobbes  aux  critiques  que 
Descartes  lui  avait  envoyées  par  l'entremise  de  Mersenne,  ne  fit 
(£u'aggraver  l'impression  défavorable  précédemment  ressentie  :  «  Au 
reste,  ayant  leu  a  loysir  le  dernier  esciit  de  l'Anglois,  je  me  suis  entiè- 
rement confirmé  en  l'opinion  que  je  vous  manday,  il  y  a  15  jours, 
que  j'avois  de  luy,  et  je  croy  que  le  meilleur  est  que  je  n'aye  point  du 
tout  de  commerce  avec  luy,  et,  pour  cete  fin,  que  je  m"abstiene  de  luy 
respondre  ^  ;  car,  s'il  est  de  l'humeur  que  je  le  juge,  nous  ne  sçaurions 
gueres  conférer  ensemble  sans  devenir  ennemis;  il  vaut  mieux  Cj^ue 
nous  en  demeurions,  luy  et  moy,  ou  nous  en  sommes.  Je  vous  prie 
aussy  de  ne  luy  communiquer  que  le  moins  que  vous  pourrez  de  ce 
cj^ue  vous  sçaA'ez  de  mes  opinions  et  qvi  n'est  point  imprimé  ;  car  je 
me  trompe  fort,  si  ce  n'est  un  homme  qui  cherche  d'acquérir  de  la 
réputation  a  mes  despens,  et  par  de  mauvaises  pratic^ues  »  ^.  Descartes 
était  ombrageux.  Ce  jugement  qu'il  porte  sur  les  intentions  de  Hobbes 
paraît  d'autant  plus  sévère  qu'il  n'est  point  motivé.  Une  lettre  posté- 
rieure va  peut-être  nous  fournir  quelque  éclaircissement. 

Dans  sa  Physique,  Hobbes  donne  un  rôle  à  ce  c[u'il  nomme  «  l'es- 
prit interne  »  (spiritus  intermis),  et  il  prétend  que  cet  esprit  interne 
est  l'équivalent  «  de  la  matière  subtile  »,  Ciui  a  une  grande  importance 
dans  la  physique  cartésienne.  Dès  le  début  de  la  controverse,  Descartes 

1.  Descartes  à  Mersenne,  Leyde,  21  janvier  1641.  Edit.  Adam,  T.  III,  p.  283,  1.  9. 

2.  Descartes  à  Mersenne,  Levde,  18  février  1641.  T.  III,  p.  314.  1.  5. 

3.  Cf.  Edition  Adam,  T.  III,  Lettres  :  CCXXVII,  p.  283,  1.  9.  —  CCXXVHl,  p.  287 
—  CCXXX,  p.  300  —  CCXXXI,  p.  313  —  CCXXXII,  p.  320-327  —  CCXXXIII, 
p.  338-340  —  CCXXXIV,  p.  341  —  CCXXXVI,  p.  354. 

4.  Legi  partem  epistolse  ad  Vestram  Reverentiam  ex  Anglia  missse...,  et  valde  iniratus 
sum  quod,  cum  ex  modo  scribendi  ejus  author  ingeniosus  et  doctus  ajipareat,  in  nuMa 
tamen  re,  quam  ut  siiani  proponat,  a  veritat-e  non  aberrare  videatur  (Descartes  à  Mer- 
senne, Leyde,  21  janvier  1641,  T.  III,  p.  287.  —  Cf.  Descartes  à  Mersenne,  Ibidem, 
p.  283,  1.  9). 

.  5.  Malgré  cela,  Descartes,  sans  doute  sur  les  instances  de  Mersenne,  répliqua  deux  fois 
encore  à  Hobbes.  Ci.  Œuvres,  T.  III,  p.  338  et  354. 

6.  Descartes  à  Mersenne,  Leyde,  4  mars  1641,  T.  III,  p.  320, 1.  1. 


304      ARTICLE  III.  —  CHAPITRE  II.  CONTROVERSE  AVEC  DESCARTES 

rejeta,  comme  dénuée  de  fondement,  cette  prétendue  identification  ^. 
Mais  Hobbes  y  tenait  beaucoup,  parce  qu'il  en  tirait  une  conséquence 
très  flatteuse  pour  son  amour-propre,  mais  de  nature  à  blesser  l'hon- 
nête savant  qu'était  Descartes,  car  il  l'accuse  de  s'être  approprié 
une  explication  scientifique  imaginée  par  lui  ^.  Descartes  repoussa 
dédaigneusement  l'accusation  :  «  Quant  à  ce  que  vous  me  mandez  de 
l'Anglois,  qui  dit  que  son  Esprit  et  ma  Matière  subtile  sont  la  mesme 
chose,  et  qu'il  a  expliqué  par  son  moyen  la  lumière  et  les  sons  dés 
l'année  1630,  ce  qu'il  croit  estre  parvenu  jusques  à  moy,  c'est  une  chose 
puérile  et  digne  de  risée.  Si  sa  Philosophie  est  telle  qu'il  ait  peur 
qu'on  la  luy  dérobe,  qu'il  la  publie  ;  pour  moy,  je  luy  promets  que  je 
ne  me  hasteray  pas  d'un  moment  à  publier  la  mienne  a  son  occasion  »  ^. 

II.    —    OBJECTIONS    DE    HOBBES    CONTRE    LES    MÉDITATIONS 
ET    RÉPONSES    DE    DESCARTES 

En  annonçant  à  Mersenne  l'envoi  du  manuscrit  de  ses  Méditations, 
Descartes  le  prie  de  le  faire  ((  voir  au  R.  Père  Gibieuf  )>  *,  de  l'Oratoire, 
et  ajoute  :  «  Puis  vous  le  pourrez  aussy  faire  voir  à  quelques  autres, 
selon  que  jugerez  »  ^.  Mersenne  jugea  à  propos  de  soumettre  1'  «  écrit 
de  Métaphysique  »  (comme  Descartes  appelait  ses  Méditations  ^), 
à  l'examen  de  Hobbes.  Celui-ci  alla  vite  en  besogne,  car  le  manuscrit 
fut  expédié  de  Leyde  le-ll  novembre  1640  ',  et,  dès  le  22  janvier  1641  ^, 
Descartes  était  en  possession  de  ce  que  l'on  nomme  les  deuxièmes  et 
troisièmes  Objections  ^.  Ces  dernières,  encore  anonymes,  provenaient 
de  «  l'Anglois  ».  Voici  en  quels  termes  le  philosophe  français  en  accu- 
sait réception  :  «  ...  Ceux  qui  les  ont  faites  [les  Objections]  semblent 
n'avoir  rien  du  tout  compris  de  ce  que  j'ay  écrit,  et  ne  l'avoir  lu  qu'en 
courant  la  poste...  Ce  qui  soit  toutesfois  dit  entre  nous,  à  cause  que  je 
serois  très  marry  de  les  desobliger  ;  et  vous  verrez  par  le  soin  que  je 
prens  à  leur  répondre,  que  je  me  tiens  leur  redevable...  ^"  » 

S'il  avait  pu  prévoir  l'accueil  hargneux  que  Descartes  devait  faire 

1.  Etsi  enim  dicat  [Hobbes]  materiam  meam  subtileni  eanidem  esse  cum  suo  spiritu 
interno,  non  possuni  tamen  id  agnoscere  :  primo,  quia  illiid  facit  causam  duritiei,  cuni 
mea  potius  e  contra  mollitiei  sit  causa  ;  deinde,  quia  non  video  quâ  ratione  iste  spiritu.s 
valde  mobilis  corporibus  duris  ita  includi  possit,  ut  niinquam  ex  iis  egrediatur,  nec  quo- 
modo  ingrediatur  mollia,  cuni  durescunt.  (Descartes  à  Mersenne,  Leyde,  21  janvier 
1641,  T.  III,  p.  287-288,  1.  9).  —  Quidque  magis  ridiculum  et  impudens,  quam  quod 
velit,  ut  fatear  me  sentire  plane  contrarium  ejus  quod  rêvera  sentio,  et  mille  in  locis 
testatiis  svun  me  sentire,  ut  scilicet  illi  assentiar  ?  Caetera,  quœ  hic  addit,  sunt  adhuc 
ineptiora  ;  et  mihi  affingit  opinionem  de  caixsa  duritiei,  quam  nunquam  habui,  ut  nosti  ; 
sed  rogo  ne  plura  ex  te  discat  de  meis  principiis  quam  jam  no\'it,  nam  indignus  est. 
(Descartes  à  Mersenne,  Leyde,  4  mars  1641,  T.  III,  p.  322,  1.  7). 

2.  Cf.  Hobbes  à  Mersenne,  Paris,  30  mars  1641,  T.  III,  p.  342,  1.  1. 

3.  Descartes  à  Mersenne,  Endegeest,  21  avril  1641,  T.  III,  p.  354, 1.  1. 

4-5.  Descartes  à  Mersenne,  Leyde,  30  septembre  1640,  T.  III,  p.  184,  1.  12. 
6-7.  Descartes  à  Mersenne,  Leyde,  11  novembre  1640,  T.  III,  p.  238,  au  bas. 
.    8.  Descaries  à  Mersenne,  Leyde,  28  janvier  1641,  T.  III,  p.  293, 1.  17. 

9.  C'est  l'ordre  dans  lequel  les  Objections  ont  été  imprimées  à  la  suite  des  Méditations, 
Celles  de  Hobbes  occupent  la  3«  place. 

10.  Descartes  à  Mersenne,  Leyde,  28  janvier  1641,  T.  III,  p.  293,  1.  6. 


II.    —   OBJECTIONS    CONXKE   LES   MÉDITATIONS  305 

aux  Objections  contre  la  Dioptrique,  Mersemie  assurément  se  serait 
abstenu  d'expédier  les  Objections  contre  les  yiéditations.  Mais  les 
envois  se  suivirent  de  si  près  que  le  destinataire  les  reçut  à  deux  jours 
seulement  d'intervalle  ^.  Aussi,  quand  l'expéditeur  confia  le  second 
à  la  poste,  il  ne  connaissait  pas  encore  l'impression  fâcheuse  que  le 
premier  avait  produite  sur  l'esprit  de  son  correspondant. 

Hobbes  était  médiocrement  versé  en  Mathématiques.  Les  diffi- 
cultés que,  comme  mathématicien,  il  souleva  contre  la  Dioptriqne 
et  qui  furent  jugées  très  faibles  ou  fausses  par  Descartes,  prédispo- 
sèrent peut-être  celui-ci  à  traiter  gans  égard  les  critiques  qu  en  qua- 
hté  de  philosophe  «  l'Anglois  »  dirigea  contre  les  Méditations.  Toujours 
est-il  que  Descartes  ne  tint  pas  le  bon  propos  qu'il  avait  d'abord 
manifesté,  de  mettre  tout  son  «  soin  »  à  les  examiner.  Aussi,  comme  pour 
s'excuser,  écrivait-il  à  Mersenne,  qui  avait  sans  doute  exprimé  quelque 
étonnement  au  sujet  de  son  laconisme  dédaigneux  :  «  Je  n'ay  pas  crû 
me  devoir  étendre  plus  que  j'ay  fait  en  mes  Réponses  à  TAnglois, 
à  cause  que  ses  Objections  m'ont  semblé  si  peu  vray-semblables, 
que  c'eust  esté  les  faire  trop  valoir,  que  d'y  répondre  jrfus  au 
long  »  2. 

Par  ailleurs,  Descartes  et  Hobbes  n'étaient  point  faits  pour  s'entendre. 
Tous  deux  étaient  des  esprits  absolus  et  tranchants.  De  plus,  les  idées 
que  le  philosophe  français  expose  dans  ses  Méditations  sont  à  l'anti-; 
pode  de  celles  que  «  l'Anglois  »  a  déjà  définitivement  adoptées.  Le 


1.  «  Les  trois  premières  feuilles  >  contre  la  Dioptrique  furent  reçues  par  Descartes 
le  20  janvier  1641  (Cf.  T.  III,  p.  283,  1.  9),  et  les  Objections  contre  les  Méditations,  le 
22  janvier  (Cf.  T.  iJl,  p.  293,  1.  17).  —  Faute  de  connaître  ces  Lettres  de  Descartes, 
]\1.  Georges  Lyon  affirme  à  tort  que  l'envoi  des  Objections  contre  la  Dioptrique  est 
postérieur  à  l'envoi  des  Objections  contre  les  Méditations  (Cf.  La  Philosophie  de  Hobbes, 
Ch.  I,  p.  13).  Seules  les  <c  huit  dernières  feuilles  »  furent  expédiées  postérieuremept  aux 
Objections  contre  les  Méditations  ;DescaTtes  les  reçut  le  18  fé\Tier  1641  (Cf.  f.  III, 
p.  314,  1.  4). 

2.  Descartes  à  Mersenne,  Endegeest,  21  a\Til  1641,  T.  III,  p.  360.  1.  19.  —  Dans  une 
lettre  à  Sir  Charles  Ca\exdish,  écrite  au  temps  même  de  sa  controvei-se  paoc  Des- 
eartes,  Hobbes  formule  un  jugement  Cjui  fait  peu  d'honneur  à  sa  perspicacité.  Il  estime 
que  «  M.  de  Bosne  »  est  supérieur  à  Deseartes  en  Philosophie  et  ne  lui  est  pas  inférieur 
en  Analytique  :  For  hère  is  one  Mous''  de  Bosne  in  towme,  that  dwells  at  Bloys,  an 
excellent  workman,  but  by  profession  a  lawier,  and  is  counsellor  of  Bloys,  and  a  Jiotter 
philosopher  in  my  opinion  then  De  Cartes,  and  not  inferior  to  him  in  tlie  analytiques. 
(Hobbes  à  sir  Charles  Cavendish,  Paris,  8  fév.  1641.  Edit.  W.  Molesvvorth,  T.  VI, 
p.  462,  Londres,  1845).  —  Il  s"agit  de  Florimond  de  Beatjne  (1601-1652),  conseiller 
au  Présidial  de  Blois,  qui  s'occupa  avec  succès  de  mathématic^ues.  Il  a  donné  son  nom 
à  un  problème  relatif  à  des  courbes,  sur  lequel  il  avait  soumis  quelques  difficultés  à 
Descartes  qui  les  résolut.  (Cf.  Œuvres  de  Descartes,  T.  II,  p.  513-523).  Il  avait  aussi 
envoyé  à  Descartes  les  Notes  qu'il  avait  mises  à  la  Géométrie  publiée  par  ce  dernier 
en  1637.  Le  grand  géomètre  leur  fit  le  plus  honorable  accueil  :  o  J'ay  esté  extrêmement 
aise  de  voir  vos  Notes  sur  ma  Geo  Tietrie  ;  et  je  puis  dire,  avec  vérité,  que  y^  n'y  ay 
j)as  trouvé  un  seul  mot  qui  ne  soit  entièrement  selon  mon  sens  >.  (Dcscartc.'*  à  M.  de 
Beaune,  20  fé\Tier,  1639,  T.  II,  p.  510,  1.  1).  Nul  mathématicien  de  l'époque  n'entra 
mieux  que  De  Beau  :e  dans  la  perLsée  de  Descartes.  —  Frans  van  Schooten  (né  ? 
■f  1661),  qui  succéda  à  son  père  comme  professeiu*  de  Mathématiques  à  l'Université  de 
Leyde,  traduisit  en  latin  la  Géométrie  de  Descartes,  en  y  joignant  ses  Notes  et  celles 
de  M.  de  Beaune  ;  il  la  publia  en  1649  à  Levde  ;  1659  2.  —  Cf.  Baili.et,  Vie  de  Monsieur 
Descartes,  T.  I,  L.  IV,  Ch.  XVI,  p.  390-392  ;  T.  II,  L.  VII,  Ch.  XVII,  p.  374-375.  ' 

20 


306      ARTICLE  III.  —  CHAPITRE  II.  —  CONTROVERSE  AVEC  DESCARTES 

premier  est  un  spiritualiste  ardent  ;  le  second,  un  matérialiste  décidé. 
Peut-être  aussi  que  Descartes,  malgré  l'assurance  hautaine  qu'il 
affecte  çà  et  là  dans  ses  Réponses,  avait  pressenti,  dans  cet  inconnu 
qui  se  dressait  contre  lui  avec  politesse  mais  sans  déférence,  un  adver- 
saire redoutable  par  sa  subtilité. 

Hobbes  aligna  seize  Objections  i,  qui  portent  principalement  sur 
les  points  suivants  :  Notion  de  la  substance  pensante  (Obj.  II),  Signi- 
fication et  valeur  du  raisonnement  (Obj.  IV),  Idée  et  existence  de  Dieu 
(Obj.  V),  Le  libre  arbitre  (Obj.  XII).  Chaque  Réponse  de  Descartes  ^ 
vient  immédiatement  après  l'objection  correspondante  ^.  Nous  ne 
pouvons  suivre  les  deux  jouteurs  dans  le  détail  de  leurs  discussions. 
Les  réphques  de  Descartes  nous  ont  semblé  quelquefois  embarrassées 
!  et  évasives.  Mais,  dans  l'ensemble,  elles  sont  satisfaisantes. 

Le  philosophe  anglais  laisse  percer  çà  et  là  quelques-unes  des 
idées  qui  feront  le  fond  de  son  système.  Elles  sont  déjà  bien  arrêtées 
dans  son  esprit  ;  mais  s'adressant  à  un  penseur  déjà  célèbre,  il  les 
présente  avec  la  réserve  qui  convient  à  un  personnage  encore  obscur. 
Déjà  l'on  voit  se  dessiner  son  nominalisme  et  son  matérialisme. 
Il  nous  offre  ainsi  comme  les  primeurs  de  son  esprit  philosophique, 
et  c'est  là  qu'est  le  principal  mtérêt  de  ses  Objections. 

Hobbes  insinue  en  ces  termes  sa  doctrine  matériahste  :  «  Il  est 
très-certain  que  la  coimoissance  de  cette  proposition  :  j^existe,  dépend 
de  celle-cy  :  je  qjense,  comme  il  [Descartes]  nous  a  fort  bien  enseigné. 
Mais  d'où  nous  vient  la  coimoissance  de  celle-cy  :  je  pense  ?  Certes  ce 
n'est  d'autre  chose  que  de  ce  que  nous  ne  pouvons  concevoir  aucun 
acte  sans  son  sujet,  comme  la  pensée  sans  une  chose  qui  pense,  la 
<  science  sans  une  chose  qui  sçache,  et  la  promenade  sans  une  chose 
qui  se  promène.  Et  de  là  il  semble  suivre,  qu'une  chose  qui  pense  est 
quelque  chose  de  corporel  ;  car  les  sujets  de  tous  les  actes  semblent 
estre  seulement  entendus  sous  une  raison  corporelle,  ou  sous  une  rai- 
son de  matière*...  » 

Descartes  lui  répond  :  «  ...  C'est  sans  aucune  raison  et  contre  toute 
bonne  Logique,  et  mesme  contre  la  façon  ordinaire  de  parler,  qu'il 
[Hobbes]  adjoute  que  de  là  il  semble  suivre  qu'une  chose  qui  pense 
est  quelque  chose  de  corporel  ;  car  les  sujets  de  tous  les  actes  sont  bien 
à  la  vefité  entendus  comme  estans  des  substances  (ou,  si  vous  voulez, 
comme  des  matières,  à  sçavoir  des  matières  métaphysiques),  mais  non 
pas  pour  cela  comme  des  corps.  Au  contraire,  tous  les  Logiciens, 
et  presque  tout  le  monde  avec  eux,  ont  coutume  de  dire  qu'entre  les 
substances  les  unes  sont  spirituelles,  et  les  autres  corporelles  ^.  » 
Puis,  partant  de  ce  fait  «  que  nous  ne  comioissons  pas  la  substance 
immédiatement    par    eUe-mesme,    mais  seulement  parce  qu'elle  est 

1-2.  Ohjectiones  tertiœ  cum  Besponsionibus  miihoris,  Œuvres  de  Descartes,  Edit.  Adam, 
T.  VII,  p.  171-196.  —  La  traduction,  qu'en  fit  Clerselier,  fut  revue  par  Descartes. 
On  la  trouve,  T.  IX,  p.  133-152. 

3.  Dans  les  autres  groupes,  les  Objections  forment  un  bloc  distinct  des  Réponses  qui 
vieiuient  à  la  suite. 

4.  Hobbes,  Objection  deuxième,  OC,  t.  IX,  p.  134  (Traduction  de  Clerselier). 

5.  Descartes,  Réponse  à  la  2^  Objection,  Ibidem,  p.  136. 


II.    OBJECTIONS    CONTRE    LES   MÉDITATIONS  307 

le  sujet  de  quelques  actes  »  ^,  il  continue  :  «  Or  il  y  a  certains  actes 
que  nous  apelons  corpcyrels,  comme  la  grandeur,  la  figure,  le  mouve- 
ment, et  toutes  les  autres  choses  qui  ne  peuvent  être  conceuës  sans 
une  extension  locale,  et  nous  apelons  du  nom  de  corps  la  substance 
en  laquelle  ils  résident...  En  aprez,  il  y  a  d'autres  actes  que  nous 
apelons  intellectuels,  comme  entendre,  vouloir,  imaginer,  sentir,  etc., 
tous  lesquels  conviennent  entr'eux  en  ce  qu'ils  ne  peuvent  estre  sans 
pensée,  ou  perception,  ou  conscience  et  connoissance  ;  et  la  substance 
en  laquelle  ils  résident,  nous  disons  que  c'est  une  chose  qui  pense  ou 
un  esprit,  ou  de  quelque  autre  nom  que  nous  veuillions  l'apeler,  pour- 
veu  que  nous  ne  la  confondions  point  avec  la  substance  corporelle, 
d'autant  que  les  actes  intellectuels  n'ont  aucune  affinité  avec  les  actes 
corporels,  et  que  la  pensée,  qui  est  la  raison  commune  en  laquelle  ils 
conviennent,  diffère  totalement  de  l'extension,  qui  est  la  raison  com- 
mune des  autres  2.  » 

Plus  loin,  le  philosophe  anglais,  à  propos  du  raisonnement,  propose, 
sous  la  forme  modeste  d'une  hypothèse,,  une  expUcation  nominaUste 
et  finit  par  conclui'e  de  nouveau  que  l'esprit  est  quelque  chose  de  cor- 
porel :  «  Que  dirons-nous  maintenant,  si  peut-estre  le  raisonnement 
n'est  rien  autre  chose  qu'un  assemblage  et  enchaisnement  de  noms 
par  ce  mot  est  ?  D'où  il  s'ensuivroit  que,  par  la  raison,  nous  ne  con- 
clucms  rien  du  tout  touchant  la  nature  des  choses,  mais  seulement 
touchant  leurs  apellations,  c'est  à  dire  que,  par  elle,  nous  voyons 
simplement  si  nous  assemblons  bien  ou  mal  les  noms  des  choses, 
selon  les  conventions  que  nous  avons  faites  à  nostre  fantaisie  touchant 
leur  signification.  Si  cela  est  ainsi,  comme  il  peut  estre,  le  raisonne- 
ment dépendra  des  noms,  les  noms  de  l'imagination,  et  l'imagination 
peut-estre  (et  cecy  selon  mon  sentiment)  du  mouvement  des  organes 
corporels  ;  et  ainsi  l'esprit  ne  sera  rien  autre  chose  qu'un  mouvement 
en  certaines  parties  du  corps  organique  ^.  )> 

Descartes  répHque  :  «  ...  L'assemblage,  qui  se  fait  dans  le  raisonne- 
ment n'est  pas  celuy  des  noms,  mais  bien  celuy  des  choses  signifiées 
par  les  noms  ;  et  je  m'étomie  que  le  contraire  puisse  venir  en  l'esprit 
de  personne.  Car  qui  doute  qu'un  François  et  un  Alleman  ne  puissent 
avoir  les  mesmes  pensées  ou  raisonnemens  touchant  les  mesmes  choses, 
quoy  que  neantmoins  ils  conçoivent  des  mots  entièrement  difïerens  ? 
Et  ce  philosophe  ne  se  condamne-t-il  pas  luy-mesme,  lorsqu'il  parle 
des  conventions  que  nous  avons  faites  à  nostre  fantaisie  touchant 
la  signification  des  mots  ?  Car  s'il  admet  que  quelque  chose  est  signi- 
fiée par  les  paroles,  pourquoy  ne  veut-il  pas  que  nos  discours  et  raison- 
nemens soyent  plustost  de  la  chose  qui  est  signifiée,  que  des  paroles 
seules  ?  *  ))  Puis,  relevant  la  légèreté  avec  laquelle  Hobbes  déduit  que 
l'esprit  est  corporel  du  fait  que  l'imagination  est  conditionnée  par 
quelques  mouvements  organiques,  il  lui  décoche  ce  trait  dédaigneux  : 
«  Et  certes,  de  la  mesme  façon  et  avec  une  aussi  juste  raison  qu'il 

1-2.  Descartes.  Réponse  à  la  2'^  Objection,  Ibidem,  p.  13G  ;  137. 

3.  Hobbes,  Objection  quatrième.  Ibidem,  p.  13S. 

4.  Descartes,  Réponse  à  la  ■i'^  Objection,  Ibidem,  p.  139. 


308      ARTICLE  III.  —  CHAPITRE  II.  —  CONTROVERSE  AVEC  DESCARTES 

conclut  que  l'esprit  est  un  mouvement,  il  pourroit  aussi  conclure  que 
la  terre  est  le  ciel,  ou  telle  autre  chose  qu'il  luy  plaira  ;  pource  qu'il 
n'y  a  point  d'autres  choses  au  monde,  entre  lesquelles  il  n'y  ait  autant 
de  convenance  qu'il  y  en  a  entre  le  mouvement  et  l'esprit,  qui  sont  de 
deux  genres  entièrement  differens  ^.  » 

Il  est  clair  que,  dans  les  Troisièmes  Objections  et  les  Répliques  qui 
leur  sont  données,  deux  esprits  antipathiques  et  deux  systèmes 
incompatibles  sont  aux  prises.  Comme  Descartes  est  naturellement 
susceptible  et  que  les  tendances  matériahstes  de  «  l'Anglois  »  heurtent 
violemment  ses  plus  chères  convictions,  rien  de  surprenant  s'il  se 
montre  çà  et  là  dur  et  même  injuste,  par  exemple,  quand  il  écrit 
dans  sa  réponse  à  la  douzième  Objection  :  «  Et  je  suis  étonné  de  n'avoir 
encore  peu  rencontrer  dans  toutes  ces  objections  aucune  conséquence, 
qui  me  semblast  estre  bien  déduite  de  ses  principes  ^.  » 

On  a  observé  que  le  désaccord,  qui  séparait  les  deux  philosophes, 
ne  portait  pas  sur  tous  les  points  essentiels.  Ainsi,  «  l'un  et  l'autre 
avaient  posé  comme  une  vérité  fondamentale  de  leur  physique  «  que 
tout  se  fait  dans  la  nature  d'une  manière  mécanique  «  ^.  C'est  vrai. 
Cependant  Descartes,  on  ne  doit  pas  l'oubher,  ne  trouve  pas  que 
Hobbes  apphque  judicieusement  cette  vérité  fondamentale.  «  Je  n'ay 
pas  peur,  écrit-il  à  Mersenne  à  propos  des  objections  de  Hobbes  contre 
la  Dioptrique,  que  sa  Philosophie  semble  la  mienne,  encore  qu'il  ne 
veiiille  considérer,  comme  moy,  que  les  figures  et  les  mouvemens. 
Ce  sont  bien  les  vrais  principes  ;  mais  si  on  commet  des  fautes  en  les 
suivant,  elles  paroissent  si  clairement  à  ceux  qui  ont  un  peu  d'enten- 
dement, qu'il  ne  faut  pas  aller  si  viste  qu'il  fait,  pour  y  bien  reiissir  *.  » 

Mais  ce  qui  creusait  entre  les  deux  penseurs  un  abîme  infranchis- 
sable, c'est  que  Hobbes,  non  content  d'expliquer  par  le  mouvement 
les  phénomènes  de  la  nature,  étendait  son  explication  mécaniste  et 
à  l'esprit  humain  lui-même  et  à  l'ordre  social.  On  comprend  qu'une 
pareille  prétention  dut  paraître  intolérable  à  un  philosophe  d'un  spiri- 
tuahsme  aussi  tranché  que  Descartes  ^. 

Les  rapports  indirects  ^,  que  Mersenne  avait  étabhs  entre  Hobbes 
et  Descartes,  en  restèrent  là.  Baillet  nous  apprend  en  effet  qu'une 
nouvelle  tentative,,  faite  en  1643,  pour  les  renouer,  demeura  infruc- 

1.  Descartes,  Répnse  à  1%  4^  Cbjection,  Ib'dem,  p.  139. 

2.  Descartes.  Réponse  à  VOhiection  douzième,  T.  IX,  p.  148. 

3.  G.  Lyon,  La  Philosophie  de  Hobbes,  Ch.  II,  p.  28-29. 

4.  Descartes  à  Mersenne,  lueyde,  21  janvier  1641,  T.  III,  p.  283,  1.  19. 

5.  «  ...  As  regards  the  subject-niatter  of  Meditationcs,  the  thinking  of  the  two  philo- 
sophers  moved  in  such  différent  worlds  that  miitual  understanding  was  almost  impos- 
sible. To  Descartes,  mind  -u-as  the  primai  certainty  and  independent  of  material  realit^^ 
Hobbes,  on  the  other  hand,  had  already  fîxed  on  motion  as  the  fundamental  fact, 
and  his  originality  consisted  in  his  attempt  to  use  it  for  the  explanation  not  of  nature 
only  but,  also,  of  mind  and  society.  )>  (W.  R.  Sorley,  Hobbes  and  contemporary  Philo- 
sophy,  dans  The  Cambridge  History  of  English  Literature,  T.  \T^I,  Ch.  XII,  p.  28.5-286, 
Cambridge,  1911). 

6.  Il  est  remarquable  en  effet  que  Descartes  et  Hobbes  ne  communiquèrent  entre 
eux  qu'en  passant  par  Mersenne.  Dans  la  Correspondance  de  Descartes,  on  ne  trouve 
de  lui  aucune  lettre  adressée  directement  à  Hobbes.   La  réciproque  est  également 


à 


III.    —   ADMIKATION    DE    MERSENNE   POUR  HOBBES  30d 

tueuse.  «  On  voulut  aussi  luy  [Descartes]  envoyer  quelques  manus- 
crits de  M.  Hobbes,  soit  pour  satisfaire  sa  curiosité,  soit  pour  luy 
en  faire  dire  sa  pensée.  Mais  il  rappella  l'idée  que  la  lecture  du  livre 
de  Cive  luy  avoit  laissée  l'année  précédente  [1642]  de  l'esprit  de 
M.  Hobbes  ;  et  il  témoigna  au  P.  Mersenne  qu'  «  il  n'etoit  pas  curieux 
de  voir  les  écrits  de  cet  Anglois  »  ^.  La  rupture  fut  définitive. 


III  —    ADMIRATION  EXCESSIVE  DE  IVÎERSENNE  POUR   HOBEES 

Cette  attitude,  si  nettement  défavorable  de  Descartes  à  l'égard  de 
«  r Anglois  »,  ne  semble  pas  avoir  produit  grande  impression  sur  Mer- 
senne.  Car  celui-ci,,  non  seulement,  ce  qui  est  naturel,  continua  son 
amitié  à  Hobbes,  mais,  ce  qui  l'est  moins,  lui  témoigna,  par  la  suite, 
tant  au  point  de  vue  scientifique  qu'au  point  de  vue  philosophique, 
une  admiration  vraiment  excessive. 

Dans  son  Traité  de  Balistique  publié  en  1644,  le  savant  Minime 
proclame  en  effet  que,  pour  démontrer  la  Proposition  XXIV,  où  sont 
expliqués  les  fondements  de  la  réflexion  et  de  la  réfraction  ^,  «  il  a 
emprunté  plusieurs  choses  au  très  subtil  Thomas  Hobbes  »  ^.  Pour 
saisir  tout  le  piquant  de  ces  emprunts,  dont  Descartes,  s'il  en  prit 
connaissance,  ne  dut  pas  goûter  l'à-propos  *,  qu'on  veuille  bien  se 
rappeler  que  celui-ci  avait  réfuté,  dans  deux  lettres  adressées  à  Mer- 
senne  ^,  les  théories  de  Hobbes  sur  la  réfraction  et  la  réflexion.  Bien 
plus,  dans  son  OiMque,  éditée  aussi  en  1644  ^^  Mersenne*  a  inséré  le 
Tractatus  opticus  de  Hobbes,  qui  en  forme  le  Livre  VII  ^.  Il  annonce 


1.  Baillet,  La  Vie  de  Monsieur  Descartes,  T.  II,  L.  VI,  Cli.  XII,  p.  202,  vers  le  bas. 

2.  Propositio  XXIV.  Jaculorurn  solarium  robur,  velocitatem  et  longitudinem  dimetiri  : 
uhi  fundamenta  reflexionis  ac  refractionis  explicantur  (Mersennne,  Balliatica,  p.  74:-82, 
Paris,  1644',  publié  dans  le  volume  intitulé  :  Cogitata  Physico-Mathertiatico,  Paris, 
1044). 

3.  Cf.  injra,  p.  310,  n.   3. 

4.  Après  avoir,  dans  une  Lettre  à  Mersenne,  relevé  qiïelqiies-unes  des  fautes  qu'il 
pense  découvrir  dans  les  Objections  de  Hobbes,  Descartes  continue  avec  une  âpreté 
qui  dénote  vine  insurmontable  antipathie  :  «  J'aurois  honte  d'employer  du  tems  a 
poursuivre  le  reste  de  ses  fautes  ;  car  il  y  en  a  partout  de  mesme.  C'est  pourquoj'  je  ne 
croy  pas  devoir  jamais  plus  respondre  a  ce  que  vous  pourriez  m'envoj'er  de  cet  homme, 
que  je  pense  devoir  mespriser  à  l'extrême.  Et  je  ne  me  laisse  nullement  flatter  par 
les  louanges  que  vous  me  mandez  qu'il  me  donne  ;  car  je  connois  qu'il  n'en  use  que  pour 
faire  mieux  croire  qu'il  a  raison  en  ce  ou  il  me  reprend  et  me  calomnie.  [C'est  peut-étfe 
une  allusion  à  la  prétention  qu'avait  Hobbes  d'avoir  trouvé,  dès  1630,  une  explication 
des  sons  et  de  la  lumière,  dont  Descartes  se  serait  inspiré  sans  le  dire].  Je  suis  marry 
que  vous  et  M.  de  Beaune  en  aj^ez  une  bonne  opinion.  Il  est  vray  qu'il  a  de  la  vivacité 
et  do  la  facilité  à  s'exprimer,  ce  qui  luy  peut  donner  quelque  esclat,  mais  vous  connois- 
trez  en  peu  de  temps  qu'il  n'a  point  du  tout  de  fonds,  qu'il  a  plusieurs  opinions  extra- 
vagantes, et  qu'il  tasche  d'acquérir  de  la  réputation  par  de  mauvais  moyens.  >  (Lej'de, 
4  mars  1641,  OD,  t.  III,  p.  326-327,  1.  4).  On  voit  que  Descartes  ne  réussit  point  à 
convertir  Mersenne.  Il  ne  tint  pas  lui-même  sa  promesse  faite  ab  irato,  car  il  répondit 
deux  fois  encore  à  Hobbes  par  le  moyen  de  Mersenne.  Cf.  supra,  p.  303,  n.  5. 

5.  Cf.  Correspondance  de  Desrartes,  T.  III,  p.  314,  1.  5  ;  p.  338,  1.  8. 

6-7.  Publiée  à  la  fin  de  son  ouvrage  :  Universœ  Geometriœ  ynixtceque  Mathematicœ 
Synopsis  et  Bini  Refractionum  demonstrat"rum  Tractatus,  Paris,    1044,  p.  471-589.   — 


310      ARTICLE  ni.  —  CHAPITRE  n.  —  CONTROVERSE  AVEC  DESCARTES 

cette  insertion  en  qualifiant  l'auteur  de  «  noble  personnage  et  de  phi- 
losophe très  subtil  »  ^.  Dans  la  Préface  aux  sept  Livres  de  VOptique, 
il  met  encore  à  contribution  «  Cl.  V.  Hobs  »  [sic]  ^. 

Passe  encore  pour  cette  admiration  de  la  science  mathématique 
de  Hobbes  !  Mais  comment  comprendre  la  sympathie  que  Mersenne 
manifeste  pour  sa  philosophie  matériahste  ?  Dans  la  Préface  de  la 
Balistique,  il  prend  le  soin  de  résumer,  sous  la  dictée  ou  du  moins 
sous  le  contrôle  du  philosophe  anglais,  alors  en  résidence  à  Paris, 
la  théorie  suivant  laquelle  les  opérations  des  sens  et  des  autres  facultés 
de  l'âme  sont  expHquées  par  le  mouvement  local,  sorte  «  de  ballis- 
tique  perpétuelle  exercée  par  les  objets  extérieurs,  dont  les  mouve- 
ments, comme  autant  de  traits,  font  irruption  en  nous  au  moyen 
des  sens  »  ^.  Il  en  termine  l'exposé  en  priant  le  lecteur,  si  ce  genre  de 
Philosophie  lui  sourit,  de  presser  l'auteur  de  ne  pas  faire  attendre  la 
publication  du  «  corps  entier  »  de  son  système  *. 

Un  peu  plus  tard;  le  25  avril  1646,  Mersenne,  dans  une  lettre  à  Sor- 


Le  Livre  VII  (Opticœ  Liber  septimus.  Hypothèses)  contient  les  «  Hj-pothèses  »  de  Hobbes, 
p.  667-589.  Ce  Tractatus  opticus  est  reproduit  dans  Opéra  philosopkica  quœ  latine 
scripsit  omnia,  Edit.  Molesworth,  T.  V,  p.  215-248,  Londi'es,  1845. 

1.  Dnm  illym  amici  singularis  tractatmn  expectabis,  accipe  duos  alios  tractatus 
eruditissinios  clarissimorum  Anglorum,  priminn  nempe  Gualteri  Vverneri  ;  secundum 
viri  nobilis  subtilissimique  philosophi  D.  Hobs,  qui  ex  propriis  hypothesibus  refrac- 
tiones  prosequitur.  (Mersenne,  Opticorutn  Libri  septetn,  Monitum,  Opère  citato,  p.  548). 
Cet  ami  particulier  n'est  autre  que  le  Père  Niceron,  dont  Mersenne  parle  ainsi  dans  la 
Préface  de  VQptique  :  Liber  V  agit  de  Arte  Perspective,  quam  nuper  R.  P.  Niceronus 
«uriosa  parte  adornavit,  a  quo  possis  perfectum  opus  opticum  expectare  (Prsefat., 
§  V,  p.  476).  L'ouvrage  annoncé  comme  paru  est  intitulé  :  La  Perspective  curieuse  ou 
Magie  artificielle  des  effets  7nerveiUeux,  Paris,  1638.  L'ou\Tage  attendu  (expectare, 
expectabis)  fut  publié  en  1646  à  Paris,  sous  ce  titre  :  Thaumaturgus  opticus seu  Admiranda 
Optices,  Catoptrices,  Dioptrices.  11  ne  contient  que  la  première  Partie  (V Optique).  Les 
deux  autres  (Catoptrique  et  Dioptrique  )  ne  parurent  pas,  du  moins  en  latin,  à  cause  de . 
la  mort  prématvu'ée  de  levir  auteur.  Mais,  quelques  années  après,  on  édita,  en  français, 
deux  œuvres  posthumes  :  La  Perspective  curieuse  du  Revereno  P.  Niceron,  divisée 
en  quatre  Livres  [les  deux  derniers  contiennejit  la  Catoptrique  et  la  Dioptrique),  et  la 
Catopiric/ue  du  R.  P.  Mersenne,  7nise  en  lumière  après  la  mort  de  l'autheur,  Paris,  1652. 
—  Ce  Père  Jean-François  Niceron,  né  à  Paris  (1613)  et  mort  à  Aix  (1646)  à  l'âge  de 
33  ans,  entra  chez  les  Minimes  oii  il  enseigna  la  Théologie  ;  il  annonçait  de  grandes 
aptitudes  pour  les  Mathématiques,  Descartes  l'avait  en  si  haute  estime  qu'il  lui  fit 
hommage  de  ses  Principia  Philosophiœ,  Cf.  Baillet,  La  Vie  de  M.  Descartes,  ï.  II, 
L.  VII,  Ch.  IX,  p.  300-301. 

2.  Mersennne,  In  Libros  Opticorum  septem  Prœfatio,  §  IV,  p.  472-475. 

3.  Cvun  24  prop.  Bail,  plura  juxta  subtilissimiThomae  Hobbes  attulerimus, et  quasdam 
Philosophise  quam  exornat  partes  legerim,  quae  omnia  fere  per  motiun  localem  explicant, 
velim  etiam  addere  modum  quo  nostrarum  facultatum  ôperationes  ex  eodem  raotu 
concludit,  ut  lector  perspiciat  num  quseque  fiant  in  nobis  ad  vim  Ballisticam  referri 
possint,  ut  objecta  per  sensiis  exteriores  irruentia  tôt  jaculis  quot  motibus  nos  impetere, 
hucque  et  illuc  impellere  videantur,  perpetuamque  Ballisticam  exerceant.  (Mersenne, 
Cogitata  Physico-Mathematica  :  Tractatus  VT.  Ballistica  et  Acontismologia,  in  qua 
Sagittarum,  Jaculorum  et  aliorum  Missilium  jactus  et  robur  Arcuutn  explicantur,  Paris, 
1644,  Prœfatio  ut  lis  ad  Le^torem,  §  ii,  [non  paginé],  p.  1.  Le  résumé  de  la  théorie  hob- 
bienne  va  de  la  page  1  à  la  page  7.  —  Hobbes  a  signalé  le  fait  dans  Six  Lessons  to  the 
Savilian  Professors  of  Geometry  and  of  Astronomy...,  Lesson  VI,  Londres,  1656,  dans 
English  Works,  Edit.  Moles\\orth,  T.  VII,  p.  341,  Londres,  1845. 

4.  Quod  Philosophiœ  genus  si  tibi  arrideat,  precibus  autorem  urgeas  ut  corpus  uni- 
versum  posteritati  non  invideat  (Opère  citato,  Prœfat.,  §  ii,  p.  7). 


III.   —   ADMIEATION    DE   MERSENNE   POUR  HOBBES  311 

bière,  renouvelle  le  même  souhait  et  comble  d'éloges  le  «  remarquable 
ouvrage  sur  le  Citoyen  de  l'incomparable  M.  Hobbes  »  ^.  Nous  avons  vu 
qu'à  la  réflexion  le  religieux  Minime,  comprenant  combien  cette  lettre 
était  imprudente  (il  aurait  dû  dire  inconsidérée)  avait  insisté  près  de 
Sorbière,  pour  qu'il  ne  l'insérât  point  dans  la  nouvelle  édition  du 
De  Cive  qu'il  préparait  à  Amsterdam  ^.  On  peut  alléguer,  comme  cir- 
constance atténuante,  que  Mersenne,  mathématicien  beaucoup  plus 
que  philosophe,  entraîné  d'ailleurs  par  l'amitié  qui  l'attachait  à  Hobbes, 
n'aperçut  pas  clairement  les  conséquences  mat^riahstes  de  ses  doc- 
trines psychologiques,  ni  le  danger  de  ses  théories  absolutistes  au  point 
de  vue  social.  Gassendi  s'était  montré  plus  réservé  ^  ;  Descartes 
fut  beaucoup  plus  clairvoyant  et  plus  ferme,  à  l'endroit  du  De  Cive  *. 

1-2.  Cf.  supra.  Article  II,  Ch.  YI,  Les  Disciples  de  Gassendi,' p.  214. 

3.  Cf.  supra.  Ibidem,  p.  215,  n.  4;  217  et  n.  2. 

4.  Cf.  infra,  Ch.  V,  p.  507  et  n.  3. 


CHAPITRE    III 


La    Trilogie    Hobbienne. 


Dans  sa  controverse  avec  Descartes,  Hobbes  laisse  entrevoir  qu'il  a 
une  doctrine  déjà  à  peu  près  constituée  ;  mais  il  n'en  livre,  en  des 
échappées  rapides,  que  quelques  traits  épars.  Il  nous  faut  maintenant 
la  présenter  dans  son  ensemble. 

C'est  dans  une  série  d'ouvrages,  publiés  sans  ordre  logique,  que 
Hobbes  a  exposé  son  système  philosophique.  En  voici  la  liste  :  Elemen- 
toriwi  Philosophiœ  Sectio  tertia  :  De  Cive  (1642).  Traduction  anglaise 
sous  ce  titre  Philosophicall  Rudiments  concerning  Government  and 
Society  (16^1).  —  Human  Nature  or  the  fundamental  Eléments 
of  Policy  (1650).  —  De  Cor  pore  politico  or  the  Eléments  of  Law  moral 
and  politic...  (1650)  ^.  —  Leviathan  or  the  Matter,  Forme  and  Power 
of  a  Com7non-W ealth  ecclesiasticall  and  civill  (1651).  Traduction  latine  : 
Leviathan,  sive  de  materia,  forma  et  potestate  Civitatis  ecclesiasticœ  et 
civilis  (1668).  —  Elementorum  Philosophiœ  Sectio  priina  :  De  Cor- 
pore  (1655).  Traduction  anglaise  :  Eléments  of  Philosophy.  The  first 
Section,  concerning  Body,..  (1656).  —  Elementorum  Philosophiœ 
Sectio  secunda  :  De  Homiyie  (1658). 

Cette  façon  de  procéder  devait  forcément  aboutir  à  des  répéti- 
tions :  les  mêmes  questions  se  trouvent  reprises  avec  plus  ou  moina 
d'ampleur  dans  divers  ouvrages.  Par  exemple,  il  est  traité  de  l'homme 
à'àm^'^V Human  Nature,  dans  la  première  partie  du  Leviathan,  enfin 
dans  le  De  Homine,  qui  forme  la  seconde  Section  des  Eléments  de 
Philosophie. 

Pour  faire  la  synthèse  des  idées  de  Hobbes,  en  puisant  dans  ses 
diverses  œuvres,  le  meilleur  moyen  semble  bien  être  de  les  grouper 
d'après  le  plan  des  Elementa  Philosophiœ,  car,  en  définitive,  c'est 
à  ce  plan,  arrêté  de  bonne  heure  dans  son  esprit,  que  le  philosophe 
de  Malmesbury  a  subordonné  lui-même  tout  l'efïort  de  sa  pensée. 
Le  système  hobbien  se  présente  à  nous  sous  la  forme  d'une  trilogie 
ascendante  :  Le  Corps  —  L'Homme  —  Le  Citoyen. 


1.  Ces  deux  ou\Tages,  VHuman  Nature  et  le  De  Corpore  politico,  publiés  alors  séparé- 
ment par  Hobbes,  formaient,  on  s'en  souvient,  un  tout  dont  des  copies  manuscrites 
avaient  circulé  en  1040  sous  le  titre  :  The  Eléments  of  Law  natural  and  politic.  Cf.  Ch.  I,. 

p.   277  278. 


I 

SECTION   I.    LE   CORPS    :    §   A.   —  LOGIQUE  313: 

SECTION    I.    —   Le    Corps. 


A.    —   LOGIQUE    OU    »    COMPUTATION    » 

Dans  cette  Logique  sommaire,  Hobbes  nous  fait  connaître  briève- 
ment ce  que  sont  pour  lui  :  la  Philosophie,  les  Mots,  la  Proposi- 
tion et  le  Syllogisme,  I'Erreur  et  les  Sophismes,  la  Méthode. 

§   I.    —   LA    PHILOSOPHIE. 

Hobbes  débute  ainsi  :  Aujourd'hui  encore  [c'est-à-dire  au  milieu 
du  XYii®  siècle],  les  hommes  semblent  se  comporter  à  l'égard  de  la 
Philosophie,  comme  ils  se  comportaient,  dans  les  temps  primitifs, 
à  l'égard  du  froment  et  du  \in.  Dès  l'origine,  il  y  avait  des  vignes  et 
des  épis  épars  dans  les  champs.  Cependant  les  hommes  se  sont  nourris 
de  glands,  tant  qu'ils  ont  ignoré  l'art  de  la  culture  ^.  (c  De  même,  la 
Philosophie  est  innée  chez  tous,  puisque  tous  possèdent  la  raison 
naturelle  et  s'en  servent  en  quelques  cas  ;  mais,  dès  qu'une  longue 
série  de  raisons  est  nécessaire,  faute  d'une  bonne  méthode,  ou,  pour 
ainsi  dire,  faute  de  savoir  semer  et  planter,  la  plupart  s'égarent  et 
vont  au  hasard  »  ^.  Hobbes  avoue  que  cette  partie  de  la  Philosophie, 
qui  s'occupe  des  grandeurs  et  des  figures,  a  été  déjà  cultivée  excellem- 
ment. Pour  le  reste,  il  en  va  autrement.  Aussi  forme-t-il  le  dessein 
de  présenter,  selon  ses  forces,  quelques  premiers  éléments  de  Philo- 
sophie universelle,  comme  des  semences  d'où  semble  pouvoir  naître 
peu  à  peu  la  pure  et  vraie  Philosophie  ^. 

Entreprise  aride  et  malaisée.  Car  les  opinions  invétérées  sont  diffi- 
ciles à  arracher,  et  le  langage  de  la  vraie  Philosophie  repousse  non 
seulement  lé  fard,  mais  presque  tout  ornement.  C'est  pourquoi  Hobbes 
s'adresse  aux  esprits,  peu  nombreux,  qui  trouvent  qu'en  toute  chose 
la  vérité  et  la  force  des  raisons  ont  par  elles-mêmes  des  charmes  ■*. 
Puis,  sans  plus  ample  préambule,  il  commence  par  définir  la  Philo- 
sophie. 


\.  Hobbes,  De  Corporc,  C.  I,  §  l.  Le  De  Corpore  est  au  Tome  I  de  l'Edition  de  Moles- 
WORTH.  Nous  n'indiquerons  pas  la  page  des  Tomes,  quand  l'ouvrage  sera  divisé  en  §. 

2.  Similiter  Philosophia,  id  est,  ratio  naturalis,  in  omni  homine  innata  est  ;  unus- 
quisque  enim  aliquousque  ratiocinatur  et  in  rébus  aliquibus;  verum,ubi  longa  rationuni 
ser^je  opus  est,  propter  rectae  methndi,  quasi  sationis  defectum,  déviant  plerique  et 
evagantur  (De  Corpore,  C.  I,  §  1).  Hobbes  dit  encore  dans  la  Préface  Ad  lectorem  : 
Mentis  ergo  tuae  et  totius  mundi  filia,  Philosophia  in  te  ipso  est. 

3.  ...  Consiliuni  ineo,  quoad  potero,  Philosophia;  imiversœ  pauca  et  prima  elementa, 
tanquani  semina  quiï>dam,  ex  quibus.  pura  et  vera  Philosophia  paulatim  enasci  posse 
videtur,  explicare  (De  Corpore,  C.  I,  §  1). 

4.  Attainen,  cum  sint  aliqui  certe,  quanquam  pauci,  quos  in  omni  re  veritas  et  rat^p- 
ninn  firmitudo  ipsa  per  se  delectat,  paucis  illis  operam  hanc  navandam  esse  censui. 
(De  Corpore,  C.  I,  §  I  ). 


314  ARTICLE   III.   —  CHAPITRE   III.    —  LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

«  La  Philosophie  est  la  connaissance  acquise  par  droit  raisonnement 
des  effets  ou  phénomènes,  en  partant  de  la  conception  de  leurs  causes 
;  ou  générations  et,  réciproquement,  des  générations  qui  peuvent  se 
i  produire,  en  partant  des  phénomènes  connus  »  ^. 

La  philosophie  étant  l'œuvre  de  la  raison  discursive,  Hobbes 
bannit  de. son  domaine  :  la  sensation  et  la  mémoire,  qui  nous  sont  com- 
munes avec  les  animaux,  parce  qu'elles  ne  sont  point  une  acquisition 
du  raisonnement  ;  —  V expérience,  parce  qu'elle  n'est  que  la  mémoire 
développée  ^  ;  —  la  prudence,  qui  n'est  que  l'attente  d'états  semblables 
à  ceux  que  nous  avons  déjà  éprouvés  ^. 

La  Philosophie  s'identifie  avec  la  science  ^,  ou,  plutôt,  c'est  la  sagesse, 
car  la  sagesse  est  à  la  science  ce  que  la  prudence  est  à  l'expérience  : 
si  beaucoup  d'expérience  fait  la  prudence,  beaucoup  de  science  fait  la 
sagesse.  Sicut  experientia  multa  fit  prudentia  ;  ita  scientia  multa,  sa- 
pientia  est  ^. 

Philosopher,  c'est  raisonner  ;  mais  raisonner,  c'est  compter  ;  comp- 
ter, c'est,  en  définitive,  additionner  et  soustraire,  car  la  multipUca- 
tion  se  ramène  à  l'addition,  et  la  division  à  la  soustraction.  Recidit 
itaque  ratiocinatio  omnis  ad  duas  operationes  animi,  additionem  et 
substractionem  ^. 

Ces  opérations  ne  s'apphquent  pas  seulement  aux  nombres,  mais 
à  «  tout  coi-ps  dont  on  peut  concevoir  la  génération  ou  que  l'on  peut 
concevoir  posséder  quelque  propriété  ».  L'esprit  humain,  sans  l'aide 
du  langage,  sait  faire  à  tout  moment  ces  calculs.  Ainsi,  quelque  chose 
se  montre-t-il  à  vous  de  loin  et  obscurément,  cela  vous  suggère  l'idée 
d'un  corps  ;  vous  le  voyez  se  mouvoir  et  changer  de  place  :  c'est  un 
corps  animé  ;  il  se  rapproche  encore,  parle  et  agit  raisonnablement  : 
c'est  donc  un  corps  animé  raisonnable.  Additionnez  ces  trois  éléments, 
leur  somme  vous  donnera  l'idée  complexe  d'homme.  Inversement, 
si  cet  être  humain  s'éloigne,  l'idée  de  raisonnable  sera  retranchée 
là  première  ;  puis,  celle  d'animé  ;  enfin  celle  de  corps.  Au  moment  où 
l'objet  ne  sera  plus  visible,  toute  idée  s'évanouira.  Voilà  un  exemple 
de  ce  qu'est  le  raisonnement  interne  sans  le  secours  des  mots  '. 

Les  Mathématiciens,  les  Logiciens,  les  Écrivains  politiques,  les 
Jurisconsultes,  etc.,  appHquent  ce  double  procédé  aux  matières 
qu'ils  traitent  ^,  car  «  partout  où  il  y  a  place  pour  l'addition  et  la  sous- 
traction, il  y  a  place  pour  la  raison  ;  où  il  n'y  a  pas  de  place  pour  elles, 
il  n'y  en  pas  non  plus  pour  la  raison  ».  (Ubicumque  locus  e,?^  addition! 

1.  Philosophia  est  Effectuiim  sive  PhœnomeiKon  ex  conceptis  eoriim  Causis  seu 
Generationibus,  et  rursus  Generationum  qiise  esse  possunt  ex  cognitis  effectibus,  peç 
rectam  ratiocinationeni  acquisita  cognitio  (De  Corpore,  C.  I,  §  2). 

2.  Memoria  multarum  reruni  experientia  dicitiir  (Leviathan,  C.  II,  t.  III,  p.  9). 

3.  De  Corpore,  C.  I,  §  2. 

4.  Altéra  [cognitio]  est  consequentiarum  vocaturque  scdentia  ;  conscriptio  autem 
ejus  appellari  solet  philosophia  (Leviathan.  C.  IX,  t.  III,  p.  66). 

5.  Leviathan,  C.  V,  t.  III,  p.  38. 

6.  De  Corpore,  C.  I,  §  2. 

7.  ...  Id  est  omne  corpus  quod  geiierari,  vel  aliquam  haberê  proprietateni  intelligi 
potest  (De  Corpore,  C.  I,  §  8). 

8.  De  Corpore,  C.  I,  §  3. 


SECTIOX   I.   LE   CORPS    :    §   A.   —  LOGIQUE  315 

£t  substractioni,  ibi  etiam  locus  est  rationi  ;  et  uhi  illis  locus  non  est, 
ihi  îieque  rationi  locus  est)  ^. 

Autre  exemple.  Quand  on  va  des  noms  à  la  proposition,  de  la  propo- 
sition au  syllogisme,  du  syllogisme  à  la  démonstration,  on  additionne. 
En  effet,  la  proposition  est  constituée  par  l'addition  de  deux  noms  ; 
le  syllogisme,  par  celle  de  deux  propositions  ;  la  démonstration,  par 
celle  de  plusieurs  syllogismes  ^.  Cette  manière  de  procéder  conduit 
à  la  science.  Car,  «  les  noms  une  fois  bien  définis,  par  la  connexion 
des  noms  dans  les  propositions  et  par  celle  des  propositions  dans  les 
syllogismes  on  arrive  à  une  conclusion,  qui  est  la  somme  de  toutes  les 
propositions  antécédentes.  Et  c'est  la  science,  c'est-à-dire  la  connais- 
sance des  conséc^uences  d'un  mot  à  un  autre  mot  »  ^. 


Il  faut  entendre  par  «  effets  et  phénomènes  les  facultés  des  corps 
ou  les  puissances  par  lesquelles  nous  les  distinguons  les  uns  des  autres  ». 
Ainsi,  la  faculté  de  marcher  est  une  «  propriété  »  des  animaux  *. 
L'exemple  du  cercle  fait  facilement  comprendre  comment  la  connais- 
sance d'un  effet  s'acquiert  par  la  connaissance  de  la  manière  dont  il  est 
produit  (ex  cognita  generatione  acquiri  potest).  Etant  domiés  un  point 
et  une  longueur  déterminée,  Hobbes  montre  comment  on  obtient 
un  cercle.  Le  mot  génération  doit  donc  se  prendre  dans  le  sens  d'une 
relation  abstraite  et  géométrique  ^. 

La  fin  de  la  Philosophie  est,  en  appUquant  certains  coi-ps  à  d'autres 
corps  par  l'industrie  humaine,  de  produire,  pom*  l'usage  et  les  commo- 
dités de  la  vie,  des  effets  semblables  à  ceux  que  l'on  a  conçus,  autant 
que  le  permettent  les  forces  de  l'homme  et  la  matière  des  choses  ^, 
«  La  science  est  pour  la  puissance.  Les  théorèmes  (qui  servent  aux  géo- 
mètres à  rechercher  les  propriétés  des  figures)  ont  pour  but  les  pro- 
blèmes, c'est-à-dire  l'art  de  construire.  Bref,  toute  spéculation  a  été 
entreprise  en  vue  de  quelque  action  ou  œuvre  à  réahser  »  "^ . 

Cette  fin  utihtaire  de  la  connaissance  scientifique  est  une  idée  qui 
domine  tout  le  système  de  Hobbes.  A  ses  yeux,  l'utihté  de  la  pliilo- 
sophie  naturelle,  (avant  tout  de  la  Physique  et  de  la  Géométrie)  se 
mesure  au  nombre  et  à  la  qualité  des  arts  qu'elle  rend  possibles  et 


1.  Leviathan,  C.  V,  t.  III,  p.  32. 

2.  Leviathan,  C.  V,  t.  III,  p.  32,  circa  médium. 

3.  Si  discursus  srgo  sit  in  verbis,  incipiatque  a  definitionibus  verboruni,  procedatque 
per  connectionem  eorum  in  propositioiiibus,  et  rursus  propositionum  in  syllogismos, 
deternjinabitur  in  aliqua  conclusione,  qui»  summa  est  omnium  antecedentium  proposi- 
tionum. Atque  hœc  scientia  est,  sive  cognitio  consequentiarum  unius  verbi  ad  aliud 
(Leviathan,  C.  VII,  t.  III,  p.  52). 

4.  Effectus  autem  et  phsenomena  sunt  corporum  facultates  sive  potentise,  quibua 
alia  ab  aliis  distinguimus  (De  Corpore,  C.  I,  §  4). 

5.  De  Corpore,  C.  I,  §  5. 

6.  De  Corpore,  C.  I,  §  6. 

7.  Scientia  propter  potentiam  ;  theorema  (quod  apud  geometras  proprietatis  inves- 
tigatio  est)  propter  problemata,  id  est  propter  artem  construendi  ;  omnis  denique 
speculatio  actionis  vel  operis  alicujus  gi-atia  instituta  est  (De  Corpore,  C.  I,  §  6), 
Bacon  assigne  aussi  à  la  science  une  fin  utilitaire.  Cf.  T.  I,  p.  î  84-288. 


316  ARTICLE   III.    CHAPITRE    III.    —   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

aux  profits  qu'en  retirent  ceux  qui  les  possèdent  ^.  Quant  à  l'utilité 
de  la  Philosophie  morale  et  civile,  elle  doit  être  estimée  moins  d'après 
les  avantages  qu'apporte  la  connaissance  de  cette  science,  que  d'après 
les  calamités  qui  résultent  de  son  ignorance  ^.  Or  toutes  les  calamités, 
que  la  diligence  humaine  pourrait  éviter,  proviennent  de  la  guerre, 
surtout  de  la  guerre  civile,  dont  la  cause  n'est  pas  à  chercher  dans  la 
volonté,  puisqu'elle  poursuit  toujours  le  bien  au  moins  apparent, 
mais  dans  un  déficit  de  l'intelhgence.  La  plupart  ignorent  la  vraie 
règle  du  bien  vivre,  c'est-à-dire  les  devoirs  dont  l'observation  entre- 
tient l'union  et  la  paix  parmi  les  hommes.  C'est  à  la  Philosophie  morale 
de  tracer  cette  règle  bienfaisante  ^.  On  voit  dès  lors  combien  grande 
peut.être  son  utilité.  Mais  jusqu'à  ce  jour  personne  n'a  réussi  à  donner 
une  règle ^ et  mesure  certaine  de  ce  qui  est  juste  *. 

La  Philosophie  a  pour  objet  ou  matière  «  ce  qui  est  susceptible  de 
composition  et  d'analyse,  c'est-à-dire  tout  corps  dont  on  peut  conce- 
voir la  génération  ou  que  l'on  peut  concevoir  posséder  quelque  pro- 
priété ».  (In  quihus  compositio  et  resohdio  locu7n  habet,  id  est  omne 
corpus  quod  generari  vel  aliquam  habere  proprietatem  intelligi  potest)  ^. 

En  conséquence,  la  Philosophie  exclut  de  ses  recherches  :  la  Théo- 
logie ou  science  de  la  nature  et  des  attributs  de  Dieu,  en  qui  aucune 
composition  et  aucune  division  ne  peuvent  trouver  place  —  la  science 
relative  aux  Anges  et  à  tout  ce  qtii  est  incorporel,  pour  la  même  raison 
—  l'Histoire  tant  naturelle  que  politique,  quoique  nécessaires  à  la 
Philosophie,  parce  qu'elles  s'acquièrent  par  l'expérience  ou  l'autorité 
et  non  par  le  raisonnement  —  toute  science  qui  a  sa  source  dans  l'ins- 
piration divine  ou  la  révélation  ^. 

Il  y  a  deux  genres  suprêmes  de  corps.  L'un,  dont  les  parties  sont 
assemblées  par  la  nature  même  des  choses  :  c'est  le  corps  naturel. 
L'autre,  dont  les  éléments  sont  réunis  par  la  volonté  des  hommes 
qui  s'engagent  par  des  pactes  :  c'est  la  Cité.  De  là  deux  grandes  divi- 
sions dans  la  Philosophie  :  naturelle  et  civile.  La  Philosophie  civile 
se  subdivise  en  deux  rameaux  :  V Ethique  qui  envisage  l'homme  sous 
le  rapport  des  qualités  natives  et  des  mœurs  (de  ingeniis  ynoribusque 
tractât),  et  la,  ' Politique  ou  Philosophie  civile  proprement  dite,  qui 
enseigne  les  devoirs  des  citoyens  (de  officiis  civvmn  cognoscit)  '' . 

1.  ...  Commoda  autem  humani  generis  maxima  sunt  Artes,  nimirum  mensurandi  tam 
corpora  quam  eorum  motus...  (De  Corpore,  C.  I,  §  7). 

2.  Moralis  vero  et  civilis  philosopliije  utilitas  non  tam  ex  commodis  quae  ab  ea  cognita 
quam  ex  calamitatibus  quœ  ab  ejiis  ignoratione  habemus,  sestimanda  est  (De  Corpore, 
C.  I,  §  7). 

3.  De  Corpore,  C.  I,  §  7. 

4.  Quod  autem  maxime  in  illis  [inmimera  et  ingentia  volumina  Ethicorum]  deside- 
ratur,  est  régula  actionum  certa,  unde  sciri  possit  justi  m  an  injustum  sit  quod  facturi 
sumus.  Quod  enim  in  unaquaque  re  farere  jubent  id  quod  rectum  est,  antequam  recti 
régula  aliqua  et  mensura  certa  constituta  sit  (quam  hactenusnemo  constituit)  inutile 
est.  (De  Corpore,  C.  I,  §  7,  circa  fînem). 

5.  De  Corpore,  C.  I,  §  8. 

6.  pe  Corpore,  C.  I,  §  8. 

7.  De  Corpore,  C.  I,  §  fl. 


SECTION   I.   LE   CORPS    :    §   A.   —  LOGIQUE  317 

Hobbes  conclut  fièrement  ces  préliminaires  par  une  profession  de 
foi  philosophique.  Les  Eléments  qu'il  présente  au  pubhc  hvreront 
une  science  conforme  à  la  définition  de  la  Philosophie  qu'il  vient 
d'exphquer.  Ceux  qui  désirent  une  autre  Pliilosophie  sont  ainsi 
prévenus  d'aller  se  pourvoir  ailleurs  ^. 

§   II.    —   LES   XOMS,   LA   PROPOSITION,   LE   SYLLOGISME 

Après  avoir  exphqué  comment,  d'après  lui,  la  Logique  n'est  qu'un 
calcul,  Hobbes  aborde  immédiatement  la  question  du  langage,  fonde-, 
lîient  nécessaire  de  toute  «  computation  ».  Qu'est-ce  qu'un  nom  ou 
mot  ?  Quel  est  le  rôle  des  mots,  des  propositions,  des^syllogismes  ? 

Les  pensées  de  l'homme  sont  <.(  fluentes  et  caduques  »  et  leur  retour 
est  fortuit.  Pour  les  enregistrer  avec  orch-e  dans  la  mémoire  et  les 
rappeler  en  temps  voulu,  des  indices  sensibles  sont  nécessaires.  Autre- 
ment les  souvenirs  s'évanouiraient  et  la  collection  des  matériaux 
indispensables  au  raisonnement  serait  toujours  à  refaire.  C'est  pour- 
quoi ces  indices  doivent  d'abord  servir  de  notes  ou  marques.  Ces  iiotes 
ou  marques  sont  «  de-s  choses  sensibles  employées  à  notre  gré  afin  que, 
par  le  sens  qiCon  y  attache,  des  pensées  puissent  être  évoquées  de  nouveau 
devant  V esprit,  semblables'  anx  pensées  en  vue  desquelles  on  les  a 
employées  »  ^. 

Un  homme  vivant  isolé  pourrait  se  contenter  des  marques  qu'il 
aurait  étabhes  pour  son  usage  personnel.  Mais  pour  communiquer 
avec  ses  semblables  il  a  besoin  de  signes,  car  les  signes,  étant  des  indices 
communs  à  un  grand  nombre  d'hommes,  permettent  au  savant  de 
transmettre  ses  idées  et  découvertes  aux  autres  et  d'accroître  ainsi 
les  trésors  de  la  science.  «  C'est  pourquoi,  pour  acquérir  la  Philosophie, 
il  est  nécessaire  qu'il  y  ait  quelques  signes,  grâce  auxquels  ce  qui  a 
été  trouvé  par  les  uns  puisse  être  manifesté  et  démontré  aux  autres. 
Or  on  a  coutume  d'appeler  signes  les  antécédents  de  conséquents  et  les 
conséquents  d'antécédents,  quand  nous  avons  expérimenté  que  le  plus 
souvent  ils  se  précèdent  et  se  suivent  d'une  far^on  pareille  »  ^.  Ainsi, 
un  nuage  épais  est  signe  d'une  pluie  future  ;  la  pluie,  d'un  nuage 
antécédent.  Les  signes  sont  naturels,  comme  ceux  qu'on  vient  de  citer  ; 
ou  arbitraires,  par  exemple,  un  lierre  suspendu  pour  indiquer  un  mar- 

1.  ..  Profiteur  me  hac  ojjera  traditurtim  esse  Elementa  scientiœ  ejus  qiia  ex  cognita 
rei  generatione  in\estigantur  effectus,  \el  contra  ex  cognito  effectu  generatio  ejus,  ut 
illi  qui  Philosophiam  aliam  quserunt,  eam  aliunde  pet  ère  admoneantur  (D»-Corpore, 
C.  I,   §  10). 

2.  Hujusmodi  monimenta  sunt  quas  vocamus  notas^  nimirum  res  sensibiles  arhitr'.o 
nostro  adhibitas,  ut  illarum  sensu  cogitationes  in  anirnum  revocari  possunt  similes  iis 
cogitai ionibus  quarum  gratia  sunt  adhibitœ  (De  Corpore,  C.  II,  §  I). 

3.  Itaque,  ad  Philosophi»  acquisitionem,  necessarium  est  ut  sint  sigua  aliqua  quibus, 
quœ  ab  aliis  excogitata  sunt,  aliis  patefieri  et  demonstrari  possint.  Signa  autem  vocari 
soient  antecedentia  consequerUium  et  consequentia  antecedentium,  quotics  plerumque  ea 
siîttili  modo  prœcedere  et  coniequi  experti  sunuts.  (De  Corpore,  C.  II,  §  2). 


318  ARTICLE   III. CHAPITRE   III.   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

chand  de  vin,  des  paroles  unies  d'une  certaine  manière  pour  exprimer 
les  pensées  et  les  mouvements  de  l'âme  ^. 

Cet  assemblage  de  paroles  constitue  ce  qu'on  appelle  le  discours, 
et  les  diverses  parties  qui  le  composent  sont  les  iionis.  Par  rapport 
à  la  philosophie,  les  noms  font  à  la  fois  office  de  marques  et  de  signes  : 
de  marques,  pour  secourir  la  mémoire  ;  de  signes,  pour  faire  connaître 
ce  que  la  mémoire  conserve  en  dépôt  ^.  «  On  définira  donc  le  nom  ainsi  : 
Cest  une  parole  hwfnaine,  employée  au  gré  de  Vhomme,  pour  servir 
de  marque  qui  puisse  susciter  dans  Vesprit  une  pensée  semblable  à  une 
pensée  antérieure  ;  parole  qui,  disposée  en  discours  et  adressée  à  d'' autres, 
leur  signifie  quelle  pensée  en  celui  qui  la  .profère  a  précédé  ou  n'a  pas 
précédé  »  ^.  D'où  cette  conséquence  :  «  Comme  les  noms,  ainsi  qu'il 
a  été  défini,  disposés  en  discours,  sont  signes  des  pensées,  il  est  mani- 
feste qu'ils  ne  sont  pas  signes  des  choses  elles-mêmes  »  *. 

«  Tous  les  noms  ne  sont  pas  nécessairement  des  noms  de  choses  », 
c'est-à-dire  ne  s'appUquent  pas  nécessairement  à  des  réahtés.  Il  en 
est  qui  se  rapportent  :  à  des  images  d'objets  qui  n'existent  pas  :  c'est 
le  cas  des  rêves  et  des  fictions  ;  à  ce  qui  n'est  pas  encore  :  quand  on 
parle  de  Vavenir  ;  à  ce  qui  n'est  pas,  n'a  pas  été,  ne  saurait  être  : 
quand  on  dit  :  imjwssible,  .rien  ^. 

Les  noms  affirmatifs  ou  négatifs  sont  contradictoires  entre  eux,  de 
sorte  qu'on  ne  peut  les  donner  à  une  même  chose.  Tout  ce  qui  est, 
est  homme  ou  non-homme,  blanc  ou  non-blanc,  etc.  C'est  trop  évi- 
dent pour  qu'on  doive  le  prouver.  «  La  certitude  de  cet  axiome  (Etant 
donnés  deux  noms  contradictoires,  si  l'un  est  le  nom  d\ine  chose  quel- 
conque. Vautre  ne  Vest  pas)  est  le  principe  et  fondement  de  tout  raison- 
nement, c'est-à-dire  de  toute  Philosophie  »  ^. 

Les  noms  sont  encore  cominmis  ou  p>'>'opres.  Le  nom  commun  ne 
convient  pas  à  une  collection  prise  dans  son  ensemble,  mais  comprend 
chacun  des  éléments  qui  la  compose.  Ainsi  Vhomme  ne  désigne  pas  le 
genre  humain,  mais  chacun  des  individus,  comme  Pierre,  Jean,  et 
les  autres  hommes  séparément.  C'est  pourquoi  ce  nom  est  appelé 
universel.  «  Le  nom  universel  n'est  donc  pas  le  nom  de  quelque  chose 
existant  dans  la  nature,  ni  d'une  idée  ou  image  formée  dans  l'esprit  ; 
c'est  toujours  le  nom  d'une  parole  ou  d'un  nom.  Ainsi,  quand  on  dit 
que  Vanimal,  le  rocher,  le  spectre  ou  n'importe  quoi  est  universel, 
il  ne  faut  pas  comprendre  que  quelque  homme,  rocher,  etc.,  a  été, 

L  De  Cor  porc,  C.  II,  §  2. 

2.  De  Cor-pore,  C.  II,  §  3. 

3.  Definiemusigitur  nomen  hoe  modo  -.Nomen  est  vox  humanaa7-bitratuhom{nis  adhi- 
bita,ut  sit  nota  quu  cogitationi  prœteritœcogitatio  similis  in  animoexcitaripossit,  quœqiie, 
in  oratione  disposita  et  ad  alios  prolata,  signum  lis  sit  qualis  cogitatio  in  ipso  proferente 
prœcessit  vel  non  prœcessit  (De  Corpore,  C.  II,  §  4). 

4.  Quoniam  autem  nomina,  \^t  definitum  est,  disposita  in  oratione,  signa  sunt  con- 
ceptiium,  manifestiim  est  ea  non  esse  signa  ipsarum  reriun...  (De  Corpore,  C.  II, 
§5). 

5.  De  Corpore,  C.  II,  §  6. 

6.  Hxijus  axiomatis  certitndo  (duonim  nominum  contradictorionim,  alterum  cvijus- 
libet  rei  nomen  esse,  alterum  non  esse)  principitun  est  et  fimdamentum  omnis  ratio - 
cinationis,  id  est  omnis  Philosophiaî  (De  Corpore,  C  II,  §  8). 


SECTION    I,   LE   CORPS    :    §  A.   —  LOGIQUE  319 

est  ou  peut  être  universel,  mais  seulement  que  ces  mots  animal, 
rocher,  etc.,  sont  des  noms  universels,  c'est-à-dire  des  noms  communs 
à  plusieurs  choses  ;  et  les  concepts  qui  leur  répondent  dans  l'esprit 
sont  les  images  et  phantasmes  d'animaux  singuliers  ou  d'autres  choses. 
Aussi,  pour  comprendi'e  la  valeur  de  Vuniversel,  il  n'est  pas  besoin 
d'une  autre  faculté  que  l'imaginative,  qui  nous  rappelle  que  des  paroles 
de  ce  genre  ont  suscité  dans  notre  esprit  tantôt  une  chose,  tantôt  une 
autre  »  ^. 

Les  noms  communs  ont  une  extension  plus  ou  moins  grande,  qu'in- 
diquent les  mots  genre  et  espèce  ^.  Cela  a  permis  d'établir  entre  eux 
une  subordination  et  de  dresser  «  ces  échelles  ou  ordres  qu'on  a  l'ha- 
bitude d'appeler  Prédicaments  et  Catégories  »  ^. 

Le  passage,  où  Hobbes  exphque  ce  qu'il  entend  par  universel, 
était  important  à  noter,  parce  que  cette  expHcation  a  pour  base  la 
doctrine  nominahste.  Ce  nominahsme  reparaît  touvent,  par  exemple, 
quand  notre  logicien  déclare  que  «  genre  et  université  ne  sont  pas  des 
noms  de  choses,  mais  des  noms  de  noms  »  *,  ou  quand  il  dit  :  «  Ce  n'est 
pas  la  blancheur  elle-même,  mais  le  mot  blancheur  qui  est  genre  et 
universel  »  ^. 

La  Philosophie  ne  connaît  qu'une  manière  d'agencer  les  noms, 
à  savoir  la  Proposition,  qui  se  définit  :  Un  discours  coïdposé  de  deux 
noms  joints  ensemble,  par  lequel  celui  qui  parle  signifie  que,  diaprés 
sa  conception,  le  deuxième  nom  est  le  nom  de  la  même  chose  dont  le  pre- 
mier est  le  nom,  ou  (ce  qui  est  identique)  que  le  premier  nom  est  contenu 
dans  le  second  »  ®. 

Hobbes  rapporte  les  nombreuses  distinctions  que  les  Logiciens 
ont  étabhes  entre  les  Propositions.  Deux  surtout  nous  semblent 
mériter  une  attention  spéciale  à  cause  du  sens  particuUer  qu'il  leur 
attribue. 

Qu'est-ce  qui  distingue  la  Proposition  vraie  de  la  fausse  ?  «  Est 
vraie  la  proposition  dont  le  prédicat  contient  le  sujet,  ou  dont  le  pré- 

1.  Est  ergo  nomen  hoc  universale,  non  rei  alicujus  esistentis  in  rerum  natura,  noquo 
idoœ  sive  phantasmatis  alicujus  in  anirao  formati,  sed  alicujus  semper  vocis  sive  noniinis 
nomen.  Ita  ut,  cum  dicatiu-  animal,  vel  saxum,  vel  spectrum,  vel  aliud  quicquam  esse 
.universale,  non  intelligendum  sit  ullum  hominem,  saxum,  etc.,  fuisse,  esse  aut  esse 
posse  universale,  sed  tantum  voces  eas  animal,  saxum,  etc.,  esse  nomina  uni\-er3alia, 
id  est,  nomina  i^luribus  rébus  communia,  et  respondentes  ipsis  in  animo  conceptus 
sunt  singularium  animalium  vel  aliarum  rerum  imagines  et  phantasraata.  Ideoque  non 
est  opus  ad  vim  universalia  intelligendam  alia  facultate  quam  imaginativa,  qua  recor- 
damiu-  vodfes  ejusmodi  modo  unam  rem,  modo  aliam  in  animo  excitasse.  (De  Corpore, 
C.  II,  §  9).  ■        _ 

2.  De  Corpore,  C.  II,  §  9,  à  la  fin. 

3 Hos  ordines  nominum  sive  scalas  appellare  soient  [Scriptores  Logici]   Prœdi- 

<:a7nenta  et  Categorias  (De  Corpore,  C.  II,  §  15). 

4-5.  Oenus  enim  et  Universale...,  nominum,  non  rerum  nomina  sunt.  — . ..  -Non  albedo 
ipsa,  sed  vox  albedo  genus  est  et  universale.  (De  Corpore,  C.  V,  §  5  et  7).       ' 

6.  Est  autem  Propoaitio  oratio  constans  ex  duobus  nominibus  copulatis,  qua  signi' 
ficat  18  qui  loquitur  concipere  se  nomen  posterius  eytisdem.  rei  tiomen  esse,  cujus  est 
nomen  prius,  si^'e  (cjucd  idem  est)  nomen  prias  a  posteriore  contineri.  (De  Corpore,  C. 

ni,  §  2). 


320  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.    LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

dicat  est  le  nom  de  toute  chose  qui  a  le  sujet  pour  nom  ».  Ainsi,  Uhomme 
est  un  aniynal  est  une  proposition  vraie,  parce  que  tout  ce  qui  est 
appelé  homme  est  aussi  appelé  animal.  Si  l'on  nie  que  le  simulacre 
d'un  homme  ou  que  son  spectre  soit  un  homme  véritable,  c'est  parce 
que  cette  proposition  est  fausse  :  Un  spectre  est  un  homme  ^. 

De  là  se  dégagent  plusieurs  conséquences.  D'abord,  «  la  vérité  n'est 
pas  un  attribut  de  la  chose,  mais  de  la  proposition  ».  (Neque  ergo 
Veritas  rei  affectio  est,  sed  propositionis )  ^. 

Puis,  le  vrai  et  le  faux  ne  se  rencontrent  que  chez -les  êtres  qui  usent 
du  discours.  En  effet,  si  un  animal  voit  dans  un  miroir  le  simulacre 
d'un  homme,  cette  vue  pourra  lui  causer  une  crainte  ou  une  joie 
vaine  ;  cependant  il  n'a  pas  perçu  la  chose  comme  vraie  ou  fausse 
mais  comme  ressemblante,  et  en  cela  il  ne  se  trompe  pas.  Il  en  est 
autrement  pour  l'homme.  De  même  qu'il  doit  au  discours  bien  com- 
pris la  rectitude  de  ses  raisonnements,  ainsi  les  erreurs  qu'il  commet 
sont  attribuables  au  discours  mal  entendu.  C'est  pourquoi  la  gloire 
de  la  philosophie  lui  est  réservée  ainsi  que  la  honte  des  dogmes  ab- 
surdes^. L'absurdité  est  le  jprivilège  des  hommes,  surtout  de  ceux 
qu'on  a  coutume  d'appeler  Philosophes  *. 

Dernière  déduction.  «  Les  premières  vérités  tirent  leur  origine  du 
vouloir  de  ceux  qui  les  premiers  imposèrent  des  noms  aux  choses, 
ou  de  ceux  qui  acceptèrent  les  noms  étabhs  par  d'autres.  Exemple  : 
il  est  vrai  que  Vhomme  est  animal,  parce  que  l'imposition  de  ces  deux 
noms  à  une  même  chose  a  plu  et  a  été  agréée  »  ^. 

Toutes  ces  conséquences  découlent  de  cette  affirmation  primordiale  : 
«  La  vérité  est  dans  le  mot,  non  dans  la  chose  ».  (Veritas  enivi  in  dicto, 
non  in  re  consista )  •*. 

L'autre  distinction,  qui  vaut  d'être  mentionnée,  se  rapporte  à  la 
îiécessité  et  à  la  contingence  ''.  Une  proposition  est  nécessaire,  c'est-à- 
dire  nécessairement  vraie,  quand  il  est  impossible  de  concevoir  ou 
de  supposer  en  aucun  temps  une  chose  qui  ait  le  sujet  pour  nom, 
qu'elle  n'ait  aussi  pour  nom  le  prédicat  :  vg.  UJiomme  est  animal. 
Une  proposition  est  contingente  lorsqu'elle  peut  être  vraie  en  un  temps, 
fausse  dans  un  autre  :  vg.  Tout  corbeau  est  noir.  Les  propositions  néces- 
saires sont  donc  celles  qui  sont  vraies  d'une  vérité  éternelle.  Il  sera 
toujours  vrai  de  dire  :  Si  homme,  alors  animal  ;  mais  il  n'est  point 
nécessaire  que  l'homme  ou  l'animal  existe  éternellement.  Donc, 
encore  une  fois,  la  vérité  appartient  non  aux  choses  mais  aux  discours. 

1.  De  Corpore,  C.  III,  §  7. 

2.  De  Corpore,  C.  III,  §  7. 

3.  De  Corpore.    C.  III,  §  8. 

4.  Solius  enini  hominis  privilegiuni  est  ahsurdUas,  cui  alia  creatura  niilla  est  obnoxia. 
Hominum  autem  maxime  obnoxii  sunt  iUi  qui  vocari  soient  Philosophi  (Leviathan, 
C.  V,  t.  III,  p.  35). 

5.  Deduci  hine  quoque  potest  veritates  omnium  primas  ortas  esse  ab  arbitrio  eorum" 
qui  nomina  rébus  primi  imposuerunt,  vel  ab  aliis  posita  acceperunt.  Nam,    exempli 
causa,  verum  est  Hominem  esse  animal,  ideo  quia  eidem  rei  duo  illa  nomina  imponi 
placuit  (De  Corpore,  C.  III,  §  8).   .  , 

6.  De  Corpore,   C.  III,  §  7. 

7.  De  Corpore,  C.  III,  §  10. 


SECTION  I.  LE  CORPS  :  §  A.  —  LOGIQUE  321 

Hinc  quoque  manifestum  est  veritatetn  non  rehus  sed  orationihns  adhœ- 
rere,  veritates  enini  aliquœ  œternœ  sunt...  ^ 

Dans  la  progression  philosophique,  la  Proposition,  qui  ne  met  qu'un 
pied  en  avant,  fait  comme  le  premier  pas  ;  si  un  second  pas  vient 
s'ajouter  dûment  au  premier,  on  aura  le  .Syllogisme,  marche  com- 
plète ^.  . 

«  Le  Syllogisme  est  un  discours  composé  de  trois  propositions, 
dont  la  troisième  résulte  des  deux  autres  «  2.  C'est  à  peu  près  la  défi- 
nition traditionnelle.  Mais  en  voici  une  autre  proprement  hobbienne  : 
a  Le  Syllogisme  est  la  collection  de  la  somme  faite  de  deux  proposi- 
tions jointes  ensemble  par  un  terme  commun  appelé  moyen.  Ainsi, 
le  Syllogisme  est  l'addition  de  trois  noms,  comme  la  proposition  Test 
de  deux  »  *. 

Hobbes  traite  brièvement  des  Figures  et  des  Modes  ^.  Pour  raisonner 
correctement,  il  est  moins  besoin  de  préceptes  que  de  pratique.  On 
apprend  bien  plus  vite  la  vraie  Logique  en  étudiant  les  démonstra- 
tions des  mathématiciens  qu'en  consultant  les  règles  syllogistique^ 
tracées  par  les  logiciens  ^. 

§  m.    —   L'ERREUR    ET   LES    SOPHISMES. 

L'erreur  se  rencontre  surtout  dans  les  jugements  et  les  raisonne- 
ments. 

Si  quelqu'un,  après  avoir  vu  l'image  réfléchie  du  soleil  dans  un 
fleuve,  puis  l'image  cUrecte  de  cet  astre  dans  le  ciel,  dit  qu'il  y  a  deux 
soleils,  il  fait  erreur.  La  fausseté,  dans  ce  cas,  provient  non  du  sens  ou 
des  choses,  mais  d'un  jugement  téméraire.  (Non  a  sensu  aut  a  rehus 
ipsis,  sed  a  temeritate  oritur  pronuntiandi )  ' . 

Les  erreurs,  proprement  opposées  à  la  Philosophie,  consistent  dans 
les  propositions  fausses  qui  vicient  le  raisonnement  ^.  Les  fautes  de 
raisonnement,  c'est-à-dire  de  syllogistique  (inter  ratiocinandum,  id  est 
inter  syllogizandum)  ^  ont  une  double  origine  :  fausseté  de  quelque 
prémisse  et  illégimité  de  la  conséquence.  Dans  le  premier  cas,  le  syllo- 
gisme pèche  par  la  matière  ;  dans  le  second,  par  la  forme  ^*'.  Ce  n'est 

1.  De  Corpore,  C.  III.  §  10,  à  la  fin. 

2.  Et  de  propositione,  quœ  progressionis  philosophicse  (juasi  uno  tantum  pede  pro- 
moto primus  passus  est,  tantum  esto  ;  cui  si  debito  modo  addatur  alter,  fiet  sj'llo- 
gismus,  tanquam  ingressus  integer  (De  Corpore,  C.  HT.  §  20,  à  la  fin). 

3.  Oratio,  quœ  constat  tribus  propositionibus  ex  quarum  duabus  sequitur  tertia 
vocatur  S^logismus.  (De  Corpore,  C.  IV,  §  1).  Dans  la  définition  traditionnelle  on 
ajoute  :  yiecessario  après  sequitur. 

4.  Manifestum  autem  est  ex  prsecedentibus  syllogismum  nihil  esse  prœter  coUectio- 
nem  summse  quœ  fit  ex  duabus  propositionibus  (per  terminum  communem  quem 
médium  appellant)  inter  se  conjunctis;  et  ita  Syllogismum  esse  additionem  trivmi  nomi- 
num,  sieut  propositio  duorum.  (De  Corpore,  C.  IV,  §  6). 

5.  De  Corpore,  C.  IV,  §  7-13. 

6.  De  Corpore,  C.  IV,  §  13.  Hobbes  reconnaît  d'ailleurs  l'utilité  des  traités  détaiDée 
sur  les  Modes  et  les  Figures  :  Qui  de  Modis  et  Figuris  fuse  ab  aliis  utiliter  tractata 
sunt... 

7-8.  De  Corpore,  C.  V,  §  1. 
9-10.  De  Corpore,  C.  V,  §2, 

21 


322  ARTICLE   III.   —  CHAPITRE   m.   —  LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

pas  que,  de  sa  nature,  le  raisonnement  soit  un  instrument  défec- 
tueux, pas  plus  que  l'arithmétique  n'est  en  elle-même  un  art  incer- 
tain ^.  Mais,  pour  qu'il  donne  des  résultats  exacts,  on  doit  observer 
rigoureusement  les  règles  du  Syllogisme  et  prendre  certaines  précautions. 

Est  vraie  toute  proposition  dans  laquelle  sont  unis  deux  noms  de 
la  même  chose  ;  fausse,  celle  où  sont  unis  deux  noms  de  choses  diverses. 
Par  conséquent,  autant  de  manières  d'unir  des  noms  qui  ne  se  rap- 
portent pas  à  la  même  chose,  autant  de  manières  de  fausser  les  pro- 
positions. (Quoi  modis  contingit  nomina  copulata  non  esse  ejusdem 
rei,  totidetn  modis  falsa  fiet  jyropositio)  ^.  ((  Or  il  y  a  quatre  genres  dans 
lesquels  on  peut  répartir  les  choses  nommées,  à  savoir  :  les  corps, . 
les  accidents,  les  pliantasmes  et  les  noms  eux-mêmes.  C'est  pourquoi, 
dans  toute  proposition  vraie,  il  faut  que  les  noms  joints  par  la  copule 
soient  tous  deux  ou  bien  de  corps,  ou  di  accidents,  ou  de  phantasmes, 
ou  de  noms  »  ^.  Hobbes  apporte  des  exemples  pour  illustrer  les  diffé- 
rents cas  qui  peuvent  se  présenter  *. 

La  principale  précaution  à  prendre  pour  se  garantir  des  conclusions 
absurdes  est  de  définir  soigneusement  le  sens  des  mots  qu'on  emploie 
dans  les  prémisses,  comme  on  fait  en  Géométrie.  Dans  les  autres 
sciences,  où  L'on  néghge  de  coramencer  les  raisonnements  par  les  défi- 
nitions des  noms,  on  raisonne  comme  ceux  qui  vouch'aient  compter 
avant  de  savoir  la  valeur  des  nombres  ^.  Hobbes  signale  aux  philo- 
sophes les  écueils  à  éviter  dans  l'art  difficile  de  l'emploi  des  noms  qu'il 
convient  d'unir  dans  les  propositions^. 

Voilà  pour  la  'matière  du  Syllogisme.  L'usage  des  mots  équivoques 
est  la  principale  source  des  errem's  qui  en  corrompent  la  forme  '. 
Si  des  trois  termes,  dont  le  syllogisme  doit  se  composer,  le  moyen  est 
pris  en  deux  sens  différents,  il  équivaut  à  deux  termes  ;  le  syllogisme 
a  donc  en  réahté  quatre  termes  et  partant  ne  conclut  pas  ^. 

Hobbes  termine  par  cette  remarque  :  «  Les  argumentations  cap- 
tieuses, dont  les  sophistes  et  les  sceptiques  avaient  jadis  coutume 
de  se  servir  pour  bafouer  ou  combattre  la  vérité,  étaient  viciées  le 
plus  souvent,  non  dans  la  forme,  mais  dans  la  matière  du  syllogisme. 
Ils  étaient  plus  souvent  dupés  que  dupeurs.  Car  le  célèbre  argument 
de  Zenon  contre  le  mouvement  s'appuyait  sur  cette  proposition  : 
Tout  ce  qui  peut  être  divisé  en  U7i  nombre  infini  de  parties  est  infini. 

1.  ...  Non  quod  ratio  non  sit  ipsa  seraper  recta  ratio,  seque  ut  arithmetica  certa  est 
ars...  (Leviathan.  C.  V,  t.  III,  p.  33  §  Sicut. 

2.  De  Corpore,  C.  V,  §  2. 

3.  Rerum  autem  nominatarum  gênera  quatuor  sunt,  nimirum,  corpora,  accidentia, 
phantasmata  et  nomina  ipsa.  Itaque  in  omni  vera  propoaitione  necesae  est  nonaina 
copulata  vel  ambo  esse  corporum,  vel  ambo  accidentium,  vel  anabo  phantasmatum,  vel 
ambo  nominutn.  »  (De  Corpore,  C.  V,  §  2). 

4.  Cf.  De  Corpore,  C.  V,  §  3-9. 

5.  Conclusionum  absurditas  in  cseteris  scientiis  defectui  methodi  imputanda  est, 
propterea  quod  ratiocinationes  suas  non  incipiunt  a  definitionibus  nominum.  Quasi 
Etumerare  vellent,  antequam  niuneralium  nominum  valorem  inteUigerent.  (Leviathan, 
C.  V,  t.  III,  p.  35,  §  Conclusionum). 

6.  Leviathan,  C.  V,  t.  III,  p.  35-36. 

7.  De  Corpore,  C.  V,  §  12. 

8.  De  Corpore,  C.  V,  §  II. 


SECTION   I.   LE   CORPS    :    §   A.   —  LOGIQUE  323 

Il  la  crut  sans  aucun  doute  vraie,  et  cependant  elle  est  fausse,  car 
pouvoir  être  divisé  en  im  nombre  infini  de  parties  n'est  autre  chose 
que  pouvoir  être  divisé  en  autant  de  parties  que  quelqu'un  voudra. 
Or,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'une  ligne,  encore  que  je  pusse  la  diviser 
et  subdiviser  autant  de  fois  que  j'aurais  voulu,  soit  dite  pour  cela  avoir 
un  nombre  infini  de  parties  ou  être  infinie,  car,  quel  que  soit  le  nombre 
des  parties  que  j'aurai  faites,  leur  nombre  cependant  sera  toujours 
fini.  Mais,  parce  que  celui  qui  parle  de  parties,  simplement,  sans  ajouter 
combien,  ne  fixe  pas  lui-même  le  nombre  à  l'avance  et  laisse  à  l'au- 
diteur le  soin  de  le  déterminer,  on  a,  pour  cette  raison,  coutume  de 
dire  que  la  ligne  peut  être  divisée  à  l'infini,  ce  qui  ne  saurait  être 
vrai  dans  aucun  autre  sens  »  ^.  Cet  échantillon  de  la  dialectique  hob- 
bienne  méritait  d'être  cité.  Malgré  sa  subtilité  elle  n'atteint  pas  jus- 
qu'au fond  le  sophisme  de  Zenon. 

§   IV.    —   LA  MÉTHODE. 

Si  le  syllogisme  est  la  marche  (gressus)  de  la  Philosophie,  la 
méthode  en  est  la  route  (via) . 

Etant  donnée  la  définition  de  la  Philosophie  (C.  I,  §  2),  «  la  Méthode 
philosophique  ne  peut  qu'être  V investigation  très  brève  des  effets  par 
les  causes  connues  ou  des  causes  par  les  effets  connus  »  ^.  Bile  aboutit 
à  la  connaissance  to'j  o'.ôt'.  {du  pourquoi)  ou  des  causes,  c'est-à-dire 
•  à  la  science.  Toute  autre  connaissance,  qui  est  dite  connaissance  toù 
oTt,  (de  ce  qui  est),  dérive  des  sene  et  de  l'imagination  ou  mémoire. 
Elle  précède  l'acquisition  de  la  science  et  en  est  la  condition. 

La  science  ou  recherche  des  causes  est  l'œuvre  du  raisonnement, 
qui  consiste  à  composer  et  à  diviser  ou  résoudre.  C'est  pourquoi 
la  méthode  rationnelle  est  «  compositive  »  (compositiva)  ou  «  résolu- 
tive »  (resolutiva).  Le  premier  procédé  s'appelle  ordinairement  Syn- 
thèse ;  le  second,  Analyse  ^. 

Les  philosophes,  en  quête  de  la  science,  «  c'est-à-dire  de  la  connais- 
sance des  causes  de  toutes  choses,  autant  que  faire  se  peut  »  *,  emploient 

1.  Captionos  autem  sophistarum  atque  scepticoruni,  quibus  deridere  aut  oppugnare 
veritatem  olini  soliti  sunt,  vitium  plerumque  habebaiib,  non  in  forma,  sed  in  materia 
syllogismi  ;  et  decepti  sœpiiis  fuerunt  quam  deceporunt.  Nara  illud  Zenonis  célèbre 
argumentum  contra  motum  innitebatur  huic  propo.jitioni.  Quicquid  dividi  potest  in 
partes  numéro  infinttas  est  infînitum,  quam  ille  prooiil  dubio  censuit  esse  veram,  tamen 
falsa  est  ;  nam  dividi  posse  in  partes  infinitas  nihil  aliiid  est  quam  dividi  posse  in  partes 
quotcunquo  quis  velit.  Necesse  autein  non  est  nt  linea;  etsi  possea:i  ipsam  dividere  et 
8ubdividere'>quoties  voluero,  propter  eam  causam  dieatur  habore  partes  numéro  infinitas 
sive  infiuita  esse  ;  naiu  quotcunqiie  partes  fecero,  seniper  tamen earum  numsrus  finitus 
erit  ;  sed  quia  qui  dicit  partes,  simplieiter,  non  adjiciendo  quot,  non  ipso  numerum 
pr;efinit,  sed  auditori  determinandum  rolinquit,  ideo  dici  solet  lineam  po.ïse  dividi 
in  infînitum,  quod  nuHo  alio  sensu  venim  esse^wtyst.  (Ds  Corpore,  C.  V,  §  l;>). 

2.  Est  ergo  Melhodus  philosophan'U  effectuuin  per  causas  cognltas  vel  causaru>n  per 
cognitos  effectus  brevissima  investigatio.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  1). 

3.  Itaque  omnis  Methodus,  per  quam  cauaas  rerum  investiganius,  vel  compo.^itiva 
est,  vel  resolutiva,  vel  partira  composita,  partim  resolutiva.  Et  resolutiva  quidom 
Analytica  ;  composita  autem  st/nthetica  appellari  solet.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  1). 

4.  Qui  scieatiam  simplieiter  quaerunt,  quse  consistit  in  cognitioae  causarum  quan- 
tum figri  potest  omnium  rerum...  (De  Corpore,  C.  VI,  §  4). 


324  ARTICLE  III.   —   CHAPITRE   III.   —  LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

tout  à  tour  les  deux  procédés.  Le  procédé  analytique  leur  sert  à  déter- 
miner les  notions  universelles  ou  principes  ;  le  procédé  synthétique, 
à  déduire  les  conséquences  contenues  dans  les  notions  universelles  ^. 

La  cause  d'un  tout  ne  peut  être  connue  que  par  les  causes  des 
parties  qui  le  composent.  Par  parties  il  faut  entendre  ici  non  les  parties 
physiques  d'une  chose,  mais  les  parties  qui  constituent  sa  nature  ^, 
Or  les  causes  des  objets  singuhers,  qui,  chacun,  forment  un  tout,  se 
composent  des  causes  des  éléments  universels  ou  simples.  Il  faut  donc 
connaître  les  causes  des  universels  ou  accidents  qui  sont  communs 
à  tous  les  corps,  c'est-à-dire  à  toute  matière,  avant  celles  des  singu- 
liers ou  accidents  par  lesquels  une  chose  se  distingue  d'une  autre. 
De  plus,  avant  d'arriver  à  la  connaissance  des  causes  des  universels, 
il  faut  savoir  ce  que  sont  ces  universels  eux-mêmes.  Mais  comme  les 
universels  sont  contenus  dans  la  nature  des  singuliers,  on  doit  les  en 
extraire  par  la  raison,  c'est-à-dire  au  moyen  de  l'analyse.  Prenons 
n'importe  quel  concept  ou  idée  d'une  chose  singuUère,  par  exemple, 
celle  d'un  carré.  Or  un  carré  se  résout  en  ces  universels,  qui  conviennent 
à  toute  matière  :  ligne,  flan,  limite,  angle,  droiture,  égalité.  Celui  qui 
aura  découvert  les  causes  ou  générations  [c'est-à-dire  manières  de 
produire]  deS'Composants  essentiels  ou  «  parties  de  la  nature  du  carré  »,  ^ 
n'aura  qu'à  les  combiner  pour  obtenir  la  cause  du  carré.  On  pro- 
cédera de  la  même  façon  pour  dégager  les  universels  des  autres  objets 
singuliers,  et  de  la  sorte  on  connaîtra  les  causes  des  objets  singuhers. 
Concluons  donc  que,  pour  découvrir  les  notions  universelles  des  choses, 
la  méthode  est  purement  analytique  *. 

Mais  comment  découvrira-t-on  les  causes  des  universels  ?  Ici,  pas 
besoin  de  méthode,  parce  que  ces  causes  sont  évidentes  par  eUes- 
mêmes.  D'ailleurs,  elles  se  réduisent  au  mouvement,  qui  est  la  cause 

1.  Jain  ex  iis  quse  diximus  manifestum  est  Methodum  plùlosophandi  iis  qui  simpli- 
citer  Scientiam  qiiaerunt,  nuUa  certa  qusestione  proposita,  partiin  analyticam,  partim 
syntheticam  esse  ;  nimirum  a  sensibus  ad  inventionem  principiorum  analyticam  esse, 
caetera  syntheticam.  (De  Cor-pore,  §  7,  à  la  fin  du  §). 

2.  Hobbes  apporte  un  exemple  :  Par  partes  antem  hoc  loco  intelligo  non  partes  ipsius 
rei,  sed  partes  naturse  ejus  ;  ut  per  partes  hominis  non  intelligo  caput,  humeros,  bra- 
chia,  etc.,  sed  figuram,  quantitatem,  motum,  sensionem,  ratiocinationem  et  similia, 
quœ  sunt  accidentia  quse  composita  simul  constituunt  totam  hominis,  non  molem,  sed 
naturam.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  2). 

3.  ...  Causae  autem  singularium  omnium  componuntur  ex  causis  universalium  sive 
simplicium  ;  necesse  illis  [Philosophantes]  est  ut  prius  cognoscant  causas  universalium 
sive  accidentium  eorum  quse  sunt  omnibus  corporibus,  hoc  est  omni  materise  communes, 
quam  singularium,  hoc  est  accidentium  quibus  una  res  ab  alia  distinguitm*.  Rvu-sus 
antequam  sciri  illorum  causae  possunt,  cognoscere  oportet  quse  sunt  illa  ipsa  univer- 
salia.  Universalia  antem  cum  continèantur  in  natvu*a  singularium,  ratione  eruenda  sunt, 
id  est,  per  resolutionem.  Exempli  gi-atia,  proposito  quolibet  conceptu  sive  idea  rei 
singularis,  puta  quadrati.  Quadratum  ergo  resolvetur  in  planwn,  terminatum  lineis  et 
angulis  redis,  certo  numéro,  et  œqualihvs.  Itaque  habemus  universalia  hsec  sive  materiae 
omni  convenientia,  lineani,  planuin  (in  quo  continetur  superficies),  terminatum 
anguhmi,  rectitudine?n,  œqualitatem,  quorum  caiisas  sive  generationes  si  quis  invenerit, 
in  causam  quadrati  eas  componet.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  4). 

4.  Atque  eodem  modo  alia  atque  alia  resolvendo,  cognitum  erit  qusenam  ea  sunt, 
quorum  causis  sigillatim  cognitis  et  compositis,  cognoscuntur  causse  rerum  singularium. 
Concludamus  itaque  Methodum  investigandi  notiones  rerum  universales  esse  pure 
analyticam.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  4,  à  la  fin  du  §). 


SECTION   I.    LE   CORPS    :    §   A.    —  LOGIQUE  325 

unique  de  toutes  choses.  «  Car  et  la  variété  de  toutes  les  figures 
dépend  de  la  variété  des  mouvements  qui  les  construisent,  et  le  mou- 
vement ne  peut  avoir  sa  cause  que  dans  un  autre  mouvement,  et  la 
diversité  des  choses  perçues  par  les  sens  (comme  les  couleurs,  sons, 
saveurs,  etc.),  ne  peut  venir  que  d'un  mouvement  caché  en  partie 
dans  les  objets  qui  agissent,  en  partie  dans  les  sujets  mêmes  qui  sentent. 
Sans  doute,  pour  déterminer  quel  est  ce  mouvement,  un  raisonnement 
est  nécessaire  ;  mais  ce  qui  est  manifeste  c'est  qu'il  y  en  a  un  »  ^.     . 

Les  universels  et  leurs  causes  une  fois  connus,  on  possède  les  'prin- 
cipes p-emiers  de  la  science  ou  définitioiis,  qui  ne  sont  rien  autre  que 
les  développements  de  nos  concepts  les  plus  simples.  Par  exemple,  on 
définit  LE  LIEU  :  L'espace  adéquatement  rempli  ou  occupé  par  un  corps  ; 
—  le  MOUVEMENT  :  La  perte  d^un  lieu  et  Vacquisition  d'un  autre  ^. 

On  procédera  de  même  pour  les  concepts  plus  complexes.  Car  définir 
c'estr toujours  décomposer  le  singulier,  le  résoudre  en  ses  éléments 
universels.  Ainsi  l'on  définira  l'homme  :  Un  corps  animé,  sentant, 
raisonnable  ^.  C'est  pour  cela  que  le  résultat  de  cette  «  résolution  » 
ou  analyse  s'exprime  dans  «  une  proposition,  dont  le  prédicat  est  réso- 
lutif du  sujet  »  ^.  Telle  est  précisément  la  définition  de  la  définition. 

Ici  prend  fin  le  rôle  de  la  méthode  analjrtique,  qui  cède  le  pas  à  la 
méthode  synthétique.  Car  tout  se  déduit  de  cette  cause  universelle, 
le  mouvement. 

JÈrTeîFél,  si  dans  le  corps  nous  ne  considérons  que  le  mouvement, 
nous  avons  la  ligne  ou  longueur  ;  si  nous  considérons  le  mouvement 
et  la  longueur,  nous  avons  la  surface  ;  et  ainsi  de  suite,  nous  donnons 
naissance  à  cette  partie  de  la  Pliilosopliie  qui  s'appelle  Géométrie  ^. 

Si  nous  considérons  ensuite  les  effets  que  le  mouvement  d'un  corps  | 
produit  sur  un  autre  corps,  nous  aurons  la  Mécanique  ^.  ' 

L  Causse  autem  universalium  (eoruni  quorum  causse  aliquse  omnino  sunt)  manifestse 
sunt  per  se  sive  naturœ  (ut  dicunt)  nota,  ita  ut  nulla  omnino  methodo  indigeant  ; 
causa  enim  eorum  omnium  univeisalis  ima  est  motus.  Nam  et  figuranmi  omnium  varie- 
tas  ex  varietate  oritur  motuum  quibus  construuntur,  nec  niotus  aliam  causam  habere 
intelligi  potest  prceter  alium  motum,  neque  varietates  rerum  sensu  perceptarum,  ut 
colorum,  sonorum,  saporum,  etc.  aliam  habent  causam,  praeter  motum,  partim  in 
objectis  agentibus,  partim  in  ipsis  te.itientihus  delitescentem  ;  ita  tamen  ut,  quam- 
quam  qualis  ille  motus  sit  sine  ratiocinatione  cognosci  non  possit,  esse  tamen  motum 
aliquem  manifestum  sit.  (De  Cor  pore,  C.  VI,  §  5). 

2.  Cognitis  igitur  universalibus  et  eorum  causis  (quae  sunt  cognitionis  toj  O'.oti 
principia  prima),  habemus  primo  eorixm  definitiones  (quse  nihil  aliud  sunt  quam  con- 
ceptuum  nbstrorum  simplicissimorum  explicationes)  ;  nam  qui  locum  (exempli  cau.sa) 
recte  concipit,  definitionem  hanc  :  Locus  est  spatium  quod  a  corpore  adœquate  impletur 
vel  occupatur,  ignorare  non  potest  ;  et  qui  mditm  concipit,  nescire  non  potest  quod 
motus  est  loci  uniiis  privatio  et  alterius  acquisit  o.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  6). 

3.  Siquidem  autem  nomen  impositum  sit  propter  con^eptum  compositum,  ne  n 
aliud  est,defînitio  quam  nominis  illius  in  partes  suas  universaliores  resolutio,  ut  quando 
definimus  hominem  dicendo  :  Homo  est  corpus  animatuni,  aentiens,  rcUionale  (De 
Corpore,  C.  VI,  §  14). 

4.  Fropositio,  eu  jus  prœdicatum  est  subjecti  lesolu'ivum.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  14). 
Sur  les  propriétés  de  la  Définition,  cf.  ibidem,  §  15). 

5-6.  De  Corpore.  C.  VI,  §  6.  —  Hobbes  n'emploie  pas  le  mot  Mécaniq  le  ;  mais  la 
chose  y  est. 


326  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

En  troisième  lieu,  si  nous  considérons  le  mouvement  dans  les  plus 
petites  parties  des  corps,  qui  fait  que  les  mêmes  choses  ne  paraissent 
plus  les  mêmes  pour  les  sens,  mais  semblent  changer,  nous  aurons 
à  rechercher  ce  que  sont  les  qualités  sensibles,  telles  que  la  lumière, 
la  couleur,  la  transparence,  Vofacité,  le  son,  la  chaleur,  le  froid,  etc. 
Cette  recherche  suppose  l'étude  préalable  de  la  sensation  et  de  ses 
causes.  C'est  pourquoi  la  considération  des  causes  de  la  vision,  de  Vaudi- 
tion,  de  l'olfaction,  du  goût  et  du  tact,  puis  celle  des  quahtés  sensibles 
constituent  cette  branche  de  la  Philosophie  qu'on  nomme  Physique  ^. 

La  Géométrie,  la  Mécanique  et  l'a  Physique  contiennent  tout  ce 
qui,  dans  la  Philosophie  naturelle,  est  susceptible  d'une  démonstra- 
tion proprement  dite.  C'est  à  cette  source  qu'il  faut  puiser  ce  que  l'on 
peut  savoir  sur  les  mouvements  et  vertus  des  astres  ^.  Tel  est  bien 
l'ordre  qu'il  convient  de  suivre,  parce  que  la  Physique  ne  peut  être 
comprise  si  l'on  ne  connaît  pas  le  mouvement  qui  est  dans  les  parties 
les  plus  menues  des  corps  ;  ni  ce  mouvement  moléculaire,  si  l'on  ne 
connaît  pas  l'action  d'un  corps  en  mouvement  sur  un  autre  corps  ; 
ni  cette  action  si  l'on  ne  connaît  ce  que  produit  le  mouvement, 
lorsqu'on  n'envisage  que  lui  dans  un  coi"ps  ^.  Aussi  ceux  qui  cherchent 
à  apprendre  la  Philosophie  naturelle,  sans  prendre  la  Géométrie 
comme  point 'de  départ,  cherchent  en  vain  ;  et  ceux  qui  en  écrivent 
ou  en  dissertant,  sans  connaître  la  Géométrie,  abusent  leurs  lecteurs 
et  leurs  auditeurs  *. 

Après  la  Physique  vient  la  Morale,  dans  laquelle  on  considère  les 
mouvements  des  esprits,  à  savoir  Vappétit,  V aversion,  V amour,  la  bienveil- 
lance, V espérance,  la  crainte,  la  colère,  V émulation,  V envie,  etc.  Elle  doit 
faire  suite  à  la  Physique,  parce  que  les  mouvements  des  esprits  ont 
leurs  causes  dans  les  sens  et  l'imagination,  qu'on  étudie  en  Physique  ^. 

Vient  enfin  la  Philosophie  civile  ou  poHtique,  qui,  comme  la  Morale, 
peut  s'acquérir  au  moyen  de  la  méthode  synthétique,  dont  usent 
les  sciences  formant  la  Philosophie  naturelle,  parce  que  les  principes 
de  la  Politique  reposent  sur  la  connaissance  des  mouvements  des 
esprits  ;  cette  connaissance,  sur  «  la  science  des  sens  et  des  pensées  »  ^  ; 
cette  science  à  son  tour  sur  l'étude   du    mouvement  des   organes  '^. 

Cependant  la  Philosophie  civile  peut  s'acquérir  autrement,  car  les 

1-2  .De  Corpore,  C.  VT,  §  6,  Tertio  loco. 

3.  Haec  aiitem  omnia  eo  ordine  quem  dixi  investiganda  esse,  ex  eo  constat  quod  Phy- 
sica  intelligi  non  possunt  nisi  eognito  motu  qui  est  in  partibus  corporuni  minutissimis, 
neque  talem  motiim  partium  nisi  eognito  quid  sit  quod  motum  effîcit  in  alio,  neque 
hoc  nisi  eognito  motus  simpliciter  quid  efficiat.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  6,  §  Post  Physicam. 
Cf.  §  17,  n.  m). 

4.  Itaque  qui  Philosophiam  naturalem  quserunt,  nisi  a  Geometria  principium  quse- 
rendi  sumant,  frustra  quasrunt  ;  et  qui  de  ea  scribunt  diseeruntve,  Geometrise  ignari, 
lectoribus  auditoribusque  suis  abutuntiir.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  6,  circa  finem). 

5.  ...  Quae  ideo  post  Physicam  consideranda  sunt,  quia  causas  habent  in  sensu  et 
imaginatione,  quse  sunt  subjectum  contemplationis  Physicœ.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  6, 

§   Post   Physicam). 

6.  ...  Propterea  quod  principia  Politicse  constant  es  cognitionemotuum  animorum, 
cognitio  autem  motuuni  animorum,  ex  scientia  sensuum  et  cogitationum...  (De 
Corpore,  C.  VI,  §  7,  circa  médium). 

7.  Cf.  svpra,  note  3. 


SECTION   I.   LE    CORPS    :    §  A.    —  LOGIQUE  327 

mouvements  des  esprits  ne  sont  pas  seulement  connus  par  le  raison- 
nement, mais  aussi  par  l'expérience  personnelle  d'un  chacun  qui 
peut  les  observer  en  lui-même.  C'est  pourquoi  ceux  qui  ignorent  la 
Géométrie  et  la  Physique  ont  la  possibihté  de  parvenir  aux  principes 
de  la  Philosophie  civile  par  la  voie  analytique.  En  effet,  qu'on  pro- 
pose n'importe  quelle  question,  par  exemple  :  Telle  action  est-elle  juste 
ou  injuste  ?  Si  l'on  résout  cet  injuste  en  fait  contre  les  lois  ;  cette  notion 
de  loi  en  ordre  de  celui  qui  a  la  puissance  coerciti\  e  ;  cette  'puissance 
en  la  volonté  d'hommes  qui  l'établissent  en  vue  de  garantir  la  paix, 
on  arrivera  finalement  à  cette  conclusion  :  les  convoitises  des  hommes 
et  les  mouvements  des  esprits  sont  tels  que,  s'ils  ne  sont  pas  comprimés 
par  quelque  puissance,  ils  entreront  en  guerre  les  uns  contre  les  autres. 
L'expérience  et  l'examen  de  ce  qui  se  passe  en  chacun  de  nous  lui 
permettent  de  tirer  cette  conclusion  i. 

Hobbes  tire  des  considérations  précédentes  une  conclusion  pratique, 
qui  se  rapporte  à  l'enseignement  de  la  doctrine  que  l'emploi  de  la 
Méthode  a  fait  découvrir. 

On  vient  de  voir  que  la  méthode  d'investigation  est  double  ou, 
si  l'on  préfère,  comprend  deux  parties  ou  deux  phases.  La  première 
est  analytique.  Partant  des  données  sensibles  on  arrive,  par  l'analyse 
des  objets  singuhers,  aux  principes  universels  ou  définitions  qui 
serviront  de  prémisses  aux  déductions  ultérieures.  Comme  ces  prin- 
cipes sont  connus  par  eux-mêmes,  ils  n'ont  pas  besoin  de  démonstra- 
tion, mais  d'exposition  2. 

La  seconde  partie  est  synthétique.  Elle  est  tout  entière  méthode  de 
démonstration  et  consiste  dans  un  discours  ordonné  qui  commence 
par  les  propositions  premières  ou  générahssimes,  évidentes  en  soi, 
et  se  continue  par  une  série  de  propositions  disposées  en  syllogismes, 
jusqu'à  ce  que  la  vérité  de  la  conclusion  cherchée  soit  comprise  par  le 
disciple  ^. 

Enseigner  n'étant  pas  autre  chose  qu'initier  un  disciple  aux  vérités 
qu'on  a  trouvées,  en  le  faisant  passer  par  la  voie  suivie  pour  les  décou- 
vrir, la  méthode  de  démonstration  sera  identique  à  celle  qui  a  servi 
pour  l'investigation.  C'est  dire  qu'elle  doit  être  synthétique.  Car  la 
première  partie  de  la  méthode,  qui  va  des  données  sensibles  aux  prin- 
cipes universels,  l'Analyse,  n'a  rien  à  faire  ici,  puisqu'il  s'agit  de  dé- 
monstration et  que  les  principes  ne  sont  pas  démontrables  ^. 

1.  Philosophia  civilis  morali  ita  adhaeret  ut  tamen  distrahi  abea  possit  ;  cognos- 
cuntur  enim  causa;  motuum  animoruni  non  modo  ratiocinatione,  sed  iiniuscujusque 
sucs  ipsius  rhotus  proprios  observantes  experientia....  Etiani  illi  qui  partem  Philoso- 
phie, nimirum  Geometriam  et  Physicam  non  didicere,  ad  prineipia  tamen  Philoso- 
phia; civilis  methodo  analytica  pervenire  possunt.  Nam  proposita  quaestione  qua- 
libet,  ut  an  actio  talis  justa.  an  injusta  ait,  resolvendo  illud  injxtstum  in  factum  et 
contra  leycs,  et  notioneni  illam  legis  in  mandatuni  ejns  qui  coercere  potest.  et  poten- 
tiam  illam  in  volvnt'^item  hominiim  pacis  causa  talem  potentiam  constiti  entium, 
pervenietur  tandem  ad  h^c  quotl  taies  sunt  hominum  appetitus  et  motus  animorum 
ut,  nisi  a  potentia  roerciti,  bello  se  invicem  persecuturi  sint,  id  quod,  per  imiuscu- 
jusque  proprium  aninmm  examinantis  experientiam,  cognosci  potest  {De  Oorpore, 
C.  VI,  §  7). 

2-3-4.  Quoniam  autem  docere  aliud  non  est  prseterquam  per  propriae  inventionis 
vestigia  animiun  illius  qui  docendus  est  ad  inventorum  cognitionem  perducere,  eadom 


32  s  ARTICLE    III.    CHAPITRE   III.    LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

La  pensée  de  Hobbes  est  très  claire  et  ses  préférences  manifestes. 
A  ses  yeux  la  méthode  d'invention  ou  d'investigation  est  à  la  fois 
analytique  et  synthétique,  tandis  que  la  méthode  de  démonstration 
ou  d'enseignement  est  totalement  sjTithétique.  Si  donc  notre  logicien 
fait  jouer  un  rôle  à  l'Analyse,  c'est  un  rôle  secondaire  et  préparatoire  ; 
il  réserre  le  rôle  principal  à  la  Synthèse,  qui  de  déduction  en  déduction 
mène  à  la  Science.  Cette  méthode  constructive  est  en  plein  accord 
avec  l'esprit  mathématique  de  Hobbes. 


B.    —    LA    PHILOSOPHIE    PREMIÈRE 

Dans  sa  courte  mais  substantielle  Logique,  Hobbes  a  montré  la 
nécessité  de  mettre,  à  la  base  du  raisonnement  synthétique,  des 
définitions  ou  principes  universels.  Il  s'agit  maintenant  de  rechercher 
les  notions  les  plus  communes,  ou  plutôt,  les  noms  les  plus  généraux 
qui  se  rattachent  aux  principes  universels,  et  d"en  démontrer  la  valeur 
et  la  portée.  Cette  recherche  et  cette  démonstration  constituent  la 
Philosophie  première^,  parce  que  cet  ensemble  de  notions  jointes 
aux  principes  universels  sert  de  fondement  à  la  sjmthèse  scientifique. 

Cette  seconde  Partie  du  De  Corpore  débute  par  une  hypothèse. 
L'univers  entier  a  été  annihilé,  à  l'exception  d'un  seul  homme.  Cette 
annihilation  supposée,  on  demandera  peut-être  s'il  reste  quelque  chose 
qui  fournisse  à  l'unique  survivant,  matière  à  philosopher  ou  raisonner, 
ou  à  quelle  chose  il  pourrait  imposer  un  nom  en  vue  du  raisonnement  ^. 

Voici  la  réponse  de  Hobbes  :  «  Je  dis  qu'à  cet  homme  il  restera, 
du  monde  et  de  tous  les  corps,  qu'avant  leur  disparition  ses  yeux 
avaient  contemplés  ou  qu'avaient  perçus  ses  autres  sens,  les  idées, 
c'est-à-dire  la  mémoire  et  l'imagination  de  leurs  grandeurs,  mouve- 
ments, sens,  couleurs,  etc.,  et  même  de  leur  ordre  et  de  leurs  parties. 
Toutes  ces  choses  qui,  quoiqu'elles  ne  soient  que  des  idées  et  des 
phantasmes,  accidents  internes  pour  celui  qui  imagine,  lui  apparaî- 
tront néanmoins  comme  extérieures  et  indépendantes  du  pouvoir  de 
l'esprit.  C'est  à  ces  images  qu'il  imposerait  des  noms  ;  c'est  elles  qu'il 
soustrairait,   elles  qu'il  adcUtionnerait.  Car,  ayant  supposé  que,  dans 

erit  Methodiis  demonstrandi  quae  fuerat  investigandi,  nisi  quod  pars  Methodi  prioiv 
nenipe  quae  procedebat  a  sensu  rerum  ad  principia  universalia  omittenda  sit.  Illa  enim, 
cum  sinr  principia,  demonstrari  non  possunt  et.  cum  sint  nota  natnrae  (ut  dictum  est 
supra  articule  quinto).  explicatione  quidem  indigent,  demonstratione  non  item,  Tota 
igitur  demonstrandi  Metliodus  synthetica  est,  consistens  in  orationis  ordine  inciiîientis 
a  propositionibus  primis  sive  universalissimis  per  se  intellectis,  et  per  propositionuni 
in  syllogismos  perpetuam  compositionem  procedentis,  donec  a  discente  intellecta  sit 
conclusionis  quaesitœ  veritas.  (De  Corpore,  C.  VI,  §  12).  —  Pour  les  règles  de  la  «  Dé- 
monstration méthodique  »,  cf.  Ibidem,  §  17. 

1.  ...  Nempe  ut  primo  demonstrentur  ea  quœ  sunt  definitionibus  maxime  tiniver- 
salibus  proxima  (in  quo  contiuetur  pars  Philosophiae  illa  cpise  Philosophia  Prima 
dieitur.  fDe  Corpore,  C.  VI,  §  17,  III). 

2.  Supposita  autem  tali  rerum  anniliilatione,  quferet  fortasse  aliquis  quid  reliquum 
esset  de  quo  homo  aliquLs  (quem  ab  hoc  universo  rerum  interitu  imictim  excipimus} 
philosophari  vel  omnino  ratiocinari  vel  oui  rei  nomen  aliquod  ratiocinandi  causa  im- 
ponere  i>os.set.  (De  Corpore,  C.  VIT,  .§1). 


SECTION    I.    LE    CORPS    :     §   B.    PHILOSOPHIE    PREMIÈRE  329 

la  destruction  universelle,  cet  homme  seul  demeure,  par  conséquent 
pense,  imagine  et  se  souvient,  il  n'est  rien  à  quoi  il  puisse  penser 
sinon  aux  choses  passées  »  ^. 

Pour  nous  en  convaincre,  il  suffira  d'observer  avec  soin  ce  qui  se 
passe  actuellement  en  nous,  lorsque  nous  raisonnons.  «  Dans  le  ca& 
même  où  les  choses  sont  sauves  et  persistent,  les  opérations  ou  calculs 
de  notre  esprit  ne  portent  que  sur  nos  phantasmes.  Car,  pour  calculer 
les  grandeui's  du  ciel  ou  de  la  terre  et  leurs  mouvements,  nous  ne  fai- 
sons pas  l'ascension  du  ciel  afin  de  le  diviser  en  parties  ou  de  mesurer 
ses  mouvements  ;  mais,  bien  tranquilles,  nous  opérons  dans  notre 
cabinet  ou  dans  l'obscurité  »  ^.  Or  ces  phantasmes  qui,  même  dans  le 
cours  présent  et  régulier  des  choses,  forment  la  matière  ou  tissu  de 
nos  raisonnements,  «  on  peut  les  envisager  à  un  double  point  de  vue  : 
ou  bien  comme  des  accidents  internes  de  l'esprit  (et  c'est  ainsi  qu'on 
les  considère,  quand  il  s'agit  d'étudier  les  facultés  de  l'âme)  ;  ou 
comme  les  espèces  des  choses  extérieures,  c'est-à-dire  non  pas  comme 
existantes,  mais  comme  paraissant  exister  ou  se  tenir  au  dehors, 
et  c'est  ainsi  que  nous  allons  les  considérer  )>  ^. 

Si  nous  nous  rappelons  une  certaine  chose,  qui  existait  avant 
l'anéantissement  du  monde,  et  si  nous  \oulons  envisager  non  pas 
ce  qu'elle  était  en  elle-même,  mais  ce  seul  aspect,  qu'elle  était  hors  de 
notre  esprit,  nous  avons  Ves'pace.  Cet  espace  est  <(  imaginaire  »,  puisque 
c'est  «  un  pur  phantasme  »  ;  et  <(  pourtant  c'est  cela  même  que  tout  le 
monde  appelle  l'espace  ».  Sa  nature  ne  consiste  pas  à  être  occupé, 
mais  à  pou  voir  l'être.  Autrement,  il  faudrait  que  les  corps  emportassent 
leurs  lieux  en  se  déplaçant.  Mais,  en'  fait,  le  même  espace  contient 
tantôt  un  corps,  tantôt  un  autre,  ce  qui  serait  impossible  si  l'espace 
accompagnait  toujours  le  corps,  qu'il  a  une  fois  enclos  j.  Voici  donc 
comment  il  convient  de  définir  l'espace  :  «  Cest  le  phantasme  cVune 

1.  Dico  igitvir  remansuras  illi  lioniini  mundi  et  corporum  omnium,  qiijeante  siibla- 
tionem  eorum  oculis  aspexerat  \'el  aliis  sensibiis  perceperat,  ideas,  id  est  memoriam 
imaginationemque  magnitudiniirn,  motuum,  sonoriim,  colorum.  etc.,  atque  etiam 
eorum  ordinis  et  partium  ;  quse  omnia.  etsi  ideae  tantum  et  phantasmata  sint,  ipsi 
imaginanti  interne  accident ia,  nihilominus  tanquam  externa  et  a  \irtute  animi  minime 
dependentia  ai)paritura  esse.  His  itaque  nomina  imponeret,  haec  subtraheret  et  compo- 
neret.  Cum  enim,  ca?teris  rébus  destructis,  manere  tamen  hominem  illuni,  nimirum 
cogitarc,  imaginari  et  nieminisse  supposuerimus,  aliud  quod  cogitet  pra?terquam  qiue 
prppterita  sunt.  niliil  est  (De  Corpore.  C.  VI,  §  1). 

2.  Imo  vero  si  ad  ea  quaj  ratiocinando  facimus  animum  diliiienter  adverterimus,  ne- 
stantibus  quidfem  rébus  aliud  computamus  quam  phantasmata  nostra  ;  non  enim,  si 
cœli  aut  terrae  magnitudines  motusque  computamus,  in  cœlum  ascendimus,  ut  ipsum 
in  partes  dividamus  aut  motus  ejus  mensuremus,  sed  quieti  in  musneo  ye\  in  tenebris 
id  facimus.  (De  Corpore,  C.  VII,  §  I,  circa  finem). 

3.  Possunt  fpliantasmata]  autem  considerari,  id  est  in  rationes  veniro.  duplice 
nomine,  niminun  ut  accidentia  animi  interna,  quemadmodimn  considerantur  qiiando 
agitur  de  fncultatibus  animi  ;  vel  ut  species  rerum  externarum,  id  est  tanquam  non 
existentès,  sed  existere  sive  extra  stare  apparentes,  quo  modo  mine  consideranda  .siint. 
(Dp  Corpore,  C.  VII,  §  1). 

4.  Nemo  enim  spatium  ideo  esse  dicit,  quod  occupatum  jam  sit>  sed  quod  occupari 
po.ssit  ;  aut  corpora  loca  sua  secum  absportare  putant,  sed  in  eodem  spatio  modo  imum,. 
modo  aliud  contineri  ;  id  qviod  fieri  non  posset  si  spatium  corpus,  quod  in  eo  semel  est, 
semper  comitr.retur.  (De  Corpore,  C.  VII,  §  2). 


330       •     ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

chose  qui  existe  en  tant  qu'elle  existe,  c'est-à-dire  que  dans  cette  chose 
on  ne  considère  aucun  autre  accident  que  celui  d'apparaître  en  dehors 
de  cehii  qui  l'imagine  »  ^. 

Hobbes  place  cette  idée  au  premier  rang  des  notions  communes 
qu'il  s'est  proposé  d'examiner,  parce  qu'elle  lui  semble  la  plus  géné- 
rale et  la  plus  indéterminée.  Il  ramène  les  deux  éléments  qui  la  com- 
posent :  existence  et  extériorité,  à  un  seul,  l'existence  :  Spatium  est 
jjhantasma  rei  existentis  quatenus  existentis,  car  il  lui  semble  que 
l'esprit  ne  peut  imaginer  qu'une  chose  existe  si  ce  n'est  en  dehors 
de  lui. 

De  même  qu'un  corps  laisse  dans  l'esprit  le  phantasme  de  sa  gran- 
;  deur,  ainsi  un  corps  qui  se  meut  laisse  celui  de  son  mouvement.  De  là 
r  l'idée  de  temps,  c'est-à-dire  celle  «  d'un  corps  qui  passa  par  une  suc- 
!;  cession  continue  d'un  espace  dans  un  autre  »  ^.  Cette  façon  de  conce- 
voir s'accorde  avec  le  langage  commun.  «  Car,  puisque  les  hommes 
avouent  que  l'année  est  du  te^rips,  et  qu'ils  ne  regardent  cependant 
pas  l'année  comme  l'accident,  ou  l'affection,  ou  le  mode  de  quelque 
corps,  force  leur  est  aussi  d'avouer  que  ce  n'est  pas  dans  les  choses 
elles-mêmes,  mais  dans  la  pensée  de  l'esprit  qu'on  doit  la  trouver. 
Quand  ils  parlent  des  temps  de  leurs  ancêtres,  jugent-ils  dçnc  que, 
ces  ancêtres  morts,  leurs  temps  puissent  être  ailleurs  que  dans  la 
mémoire  de  ceux  qui  s'en  souviennent.?...  Où  est  le  jour,  le  mois, 
l'année,  s'ils  ne  sont  pas  les  noms  des  calculs  faits  dans  notre  esprit  ? 
Le  temps  est  donc  un  phantasme,  mais  le  phantasme  du  mouvement  »  ^. 
Est-ce  qu'en  effet,  pour  mesurer  l'écoulement  du  temps,  nous  n'avons 
pas  recours  à  quelque  mouvement,  à  celui  du  soleil,  d'un  automate, 
d'une  clepsydre  ?  Enfin,  pour  compléter  les  éléments  de  la  définition, 
il  faut  ajouter  que  ce  mot  temps  indique  encore  «  l'avant  et  l'après, 
c'est-à-dire  une  succession  du  corps  qui  est  mû,  en  tant  qu'il  existe 
d'abord  ici,  puis  là.  Voici  donc  la  définition  complète  :  Le  temps  est 
I  j  le  phantasme  du  ynouvement,  en  tant  que  dans  le  mouvement  nous  ima- 
\l  ginons  de  Vavant  et  de  V après  ou  une  succession  »  *.  Hobbes  estime 
que  cette  définition  concorde  avec  celle  d'Aristote  disant  :  Le  temps 
-est  le  nombre  de  successions  de  Pavant  et  de  Vaprès  dans  le  mouvement  ^. 


1.  Spatiutn  est  phantasma  rei  existentis,  quatenus  existentis,  id  est,  niillo  alio  ejus  rei 
accidente  considerato  prseterqiiam  qiiod  apparet  extra  ijnaginantem.  (De  Corpore, 
C.  VII,  §  2,  à  la  fin). 

2.  ...  Nimirum  ideam  corporis  nunc  par  hoc,  niinc  per  aliud  spatium  continua  suc- 
cessione  transeuntis.  (De  Corpore,  C.  VII.  §  3). 

3.  Nam,  quum  confiteantur  |homines]  annum  esse  tempus  et  tamen  annuni  alicujus 
corporis  accidens,  aut  affectum,  aut  modum  esse  non  putent,  necesse  est  ut  confiteantur 
esse  eum,  non  in  rébus  ipsis,  sed  in  animi  cogitatione,  reperienduni  ;  quumque  de  majo- 
i-um  suorum  temporibus  loquuntur,  an  existimant,  extinctis  majoribus  suis,  tempora 
«oriuîi  alibi  esse  posse  quam  in  memoria  recordantium  ?...  Ubi  igitur  est  dies,  naensis 
vel  annus,  nisi  sint  hsec  nomina  computationuni  in  animo  factaruni  ?  Est  igitur  tempus 
pliantasma,  sed  phantasma  motus.  (De  Corpore,  C.  VII.  §  3). 

4-5.  ...  Hac  voce  tempus  notamus  prius  et  posterius  sive  successionem  corporis  moti, 
quatenus  existentis  primo  hic,  deinde  illic.  Tota  ergo  definitio  temporis  talis  est  : 
Tempus  est  phantasma  tnotus,  quatenus  in  motu  imaginamur  prius  et  posterius  sive 
successionem  ;  quse  convenit  cum  definitione  aristotelica  :  Tempus  est  numerus  motus 


SECTION    I.    LE    COEPS    :     §    B.    PHILOSOPHIE    PRE>nÈRE  331 

L'espace  et  le  temps  sont  divisibles,  c'est-à-dire  susceptibles  d'avoir 
des  parties,  en  ce  sens  que  l'on  y  fait  plusieurs  considérations.  La  divi- 
sion en  ce  cas  n'est  donc  pas  réelle,  mais  mentale,  «  œuvre  de  l'esprit 
et  non  des  mains  »,  puisqu'elle  provient  de  la  pluralité  des  pensées  de 
celui  qui  considère  cet  espace  et  ce  temps  ^. 

L'w?i  c'est  de  l'espace  ou  du  temps  considéré  entre  d'autres  espaces 
et  d'autres  temps,  de  sorte  qu'on  puisse  dire  :  il  est  un  de  ceux-là  ^. 

Le  nombre  est  un  et  un  (nombre  binaire),  un,  un  et  un  (nombre 
ternaire),  et  ainsi  de  suite  ^. 

Composer  l'espace  avec  des  espaces,  le  temps  avec  des  temps,  c'est 
d'abord  considérer  l'un  après  l'autre,  puis  tous  ensemble  comme  un 
seul.  Ce  qui  est  mis  de  la  sorte  à  la  place  des  éléments  dont  il  se  com- 
pose s'appelle  tout  ;  et  ces  divers  éléments  en  sont  les  parties,  lorsque, 
par  suite  de  la  division  du  tout,  on  les  considère  de  nouveau  séparé- 
ment. C'est  pourquoi  le  tout  et  toutes  les  parties  prises  ensemble  sont 
la  même  chose.  Or,  de  même  que,  dans  la  division,  il  n'est  pas  néces- 
saire de  "séparer  les  parties,  ainsi,  dans  la  composition,  pas  n'est 
besoin,  pour  former  un  tout,  de  rapprocher  les  parties  l'une  de  l'autre  ; 
il  suffit  que  la  pensée  les  réunisse  en  une  seule  somme.  Ainsi  les  hommes 
envisagés  ensemble  sont  le  genre  humain,  malgré  et  les  temps  et  les 
heux  qui  les  séparent  *. 

On  a  coutume  de  dire  que  l'espace  et  le  temps  sont  divisibles  à 
l'infini.  Il  faut  l'entendre  ainsi  :  Tout  ce  qui  est  divisé  Vest  en  parties 
de  nouveau  divisibles  ;  ou  encore  :  Il  n^y  a  pas  de  minimum  divisible  ^. 

«  Supposons  maintenant  qu'une  nouvelle  création  ait  heu.  Il  s'en- 
suit nécessairement  que  l'objet  créé  occupe  une  partie  de  l'espace 
imaginaire  ou,  si  l'on  préfère,  coïncide  avec  elle  et  lui  est  coétendu  ; 
et,  de  plus,  qu'il  est  indépendant  de  notre  imagination.  Or  ce  quelque 
chose  de  créé  est  cela  même  qu'on  a  coutume  d'appeler,  à  raison  de 
son  extension,  corps  ;  à  raison  de  son  mdépendance  de  notre  pensée, 
subsistant  par  soi  ;  à  raison  de  sa  subsistance  hors  de  nous,  existant  ; 

secundum  prius  et  posterhis.  Est  enim  ea  numeratio  actus  animi,  ideoque  idem  est 
dicere  :  Temjnis  est  numerus  motus  secundum  prius  et  posterais  et  Tempus  est  phantasma 
motus  nujnerati...  (De  Corpore,  C.  VII,  §  .3,  à  la  fin). 

3.  Partes  ergo  facere  seu  partin,  seu  dividere  spatium  aut  tempus  nihil  aliud  est 
quam  in  ipso  aliud  atque  aliud  considerare...  Notandum  autem  est  per  divisionem  hoc 
loco  non  intelligi  unius  spatii  vel  temporis  ab  altère  dLstractionem  sive  divulsiouem..., 
sed  diversam  eonsiderationem,  ut  sit  divisio  non  manuum,  sed  mentis  opus.  (De 
Corpore,  C.  VH^  §  5). 

2.  Spatium  vel  tempiis.  quando  consideratur  inter  spatia  sive  tempera  alia,  iinum 
dicitur,  \'idelicet  umim  ex  l'Ws.  (De  Corpore,  C.  VII,  §  G). 

3.  Numerus  est  unum  et  unum,  vel  \inum,  unum  et  unum,  et  sic  deinceps...  (De 
Corpore,  C.YII,  §7). 

4.  Quod  autem  pro  omnibus  ex  quibus  constat,  sic  ponitur,  vocatur  totiun,  et  illa 
singula,  quando  ex  totius  divisione  rursus  seorsim  considerantur,  partes  ejus  sunt. 
Ttaque  totum  fet  omnes  partes  simul  sumpta;  idem  omnino  sunt  ;  ut  autem  in  divisione 
monuimus  non  opus  esse  ut  partes  divellantur,  ita  in  compositione  intelligendum  est 
non  necesse  esse  ad  faciondum  totum  ut  partes  sibi  invicem  aclmo\eantur  et  se  mutuo 
contingant,  sed  ut  mente  tantum  in  unam  summam  colligantur.  Sunt  enim  omnes 
homines  simid  considerati  totum  gemis  hmnanum,  etsi  et  temporibus  et  locis  dispersi 
sint.  (De  Corpore,  C.  VII,  §  8). 

5.  De  Corpore,  C.  VII,  §  13. 


332  ARTICLE   III.    CHAPITRE   III.    ■ —  LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

enfin,  à  raison  de  ce  qu'il  semble  étendu  et  placé  sous  un  espace  ima- 
ginaire, de  sorte  que  l'on  comprend,  non  par  les  sens  mais  par  l'intelli- 
gence seule,  qu'il  y  a  là  quelque  chose,  suppôt  et  sujet.  C'est  pourquoi 
le  corps  doit  être  défini  :  Tout  ce  qui,  iudéjjendamment  de  notre  pensée, 
coïncide  avec  quelque  partie  de  V espace  ou  lui  est  coéteyidu  »  ^. 

Uaccident  n'est  «  qu'une  manière  de  concevoir  le  corps  »  ^. 

L'extension  du  coi'ps  se  confond  avec  sa  grandeur,  que  quelques- 
uns  appellent  V espace  réel.  «  Cette  grandeur  ne  dépend  pas  de  notre 
pensée  comme  l'espace  imaginaire.  L'espace  imaginaire  est  un  acci- 
dent de  l'esprit  ;  la  grandeur,  un  accident  des  corps  existants  hors  de 
l'esprit  »  ^. 

La  portion  d'espace  imaginaire,  avec  laquelle  coïncide  la  grandeur 
d'un  corps,  est  dite  le  lieu  de  ce  corps.  Hobbes  signale  de  nombreuses 
différences  entre  le  lieu  et  la  grandeur.  Par  exemple,  le  corps  conserve 
toujours  sa  grandeur  ;  il  ne  reste  pas  toujours  au  même  lieu.  Le  lieu 
n'est  rien  en  dehors  de  l'esprit  ;  la  grandeur,  rien  au-dedans  de  lui. 
Le  lieu  est  une  extension  fictive  ;  la  grandeur,  une  extension  réelle  *. 

L'espace  ou  heu  occupé  par  un  coi-ps  se  nomme  plein  ;  inoccupé, 
c'est  le  vide  ^. 

Le  MOUVEMENT  cousistc  dans  Vahandon  continu  d'un  lieu  et  l'acqui- 
sition continue  d'un  autre  lieu. 

Le  mot  continu  est  indispensable,  parce  qu'un  corps,  si  petit  soit-il, 
ne  peut  tout  entier  s'éloigner  du  heu  qu'il  occupait,  sans  qu'une  partie 
de  lui-même  ne  soit  commune  au  lieu  abandonné  et  au  lieu  acquis  ®. 

Un  mouvement  ne  peut  pas  être  en  dehors  du  temps,  puisque,  par 
définition,  le  temps  est  le  phantasme  du  mouvement  selon  l'avant  et 
l'après  '. 

Ce  qui  pendant  quelque  temps  se  trouve  dans  le  même  lieu  est  dit  se 
reposer.  Ce  qui,  soit  que  maintenant  il  se  repose,  soit  qu'il  se  meuve, 
a  été  dans  un  lieu  autre  que  celui  où  il  se  trouve  présentement,  est  dit 

1.  Supponamiis  deinceps  aliquid  eorum  [quae  olim  existebant]  rursus  reiDoni  sive 
creari  denuo  ;  necesse  ergo  est  ut  creatum  ilhid  sive  repositum  non  nnodo  occupet  ali- 
quam  dicti  spatii  partem,  sive  cum  ea  eoincidat  et  coextendatur,  sed  etiam  esse  aliquid 
quod  ab  imaginatione  nostra  non  dependet.  Hoc  autem  ipsum  est  quod  appellari  solet, 
propter  extensioneni  quidem,  corpus  ;  propter  independentiani  autem  a  nostra  cogi- 
tatione,  subsistens  per  se  ;  et.  propterea  quod  extra  nos  subsistit,  existens  ;  denique, 
quia  sub  spatio  imaginario  substerni  et  supponi  videtur,  ut  non  sensibus  sed  ratione 
tantum  aliquid  ibi  esse  intelligatur,  suppositum  et  subjectum.  Itaque  definitio  cor- 
poris  hujusmodi  est  :  Corpus  est  quicquid,  non  dependens  a  nostra  cogitatione,  cum  spatH 
parte  aliqua  coincidit  vel  eo  ^xtenditur.  (De  Corpore,   C.  VIII,  §  1). 

2.  Defîniemus  igitur  Accidens  esse  concipiendi.  corporis  modum.  (De  Corpore,  C.  VTII, 
§  2,  à  la  fin). 

3...  ITagnitudo  autem  illa  non  pendet  a  cogitatione  nostra  sicutspatium  imaginarium  ; 
hoc  enim  illius  eftectus  est,  magnitudo  causa  ;  hoc  animi,  illa  corporis  extra  animum 
existentis  accidens  est.  (De  Corpore,  C.  VIII,  §  4), 

4.  De  Corpore,  C.  VIII,  §  .5. 

5.  De  Corpore,  C.  VIII,  §  (i. 

6.  Motus  est  continua,  unius  loci  relictio  et  alterius  acquisitio.  Continuam  dico,  prop- 
terea quod  corpus,  quantulumcumque  sit,  non  potest  totum  simul  a  toto  loco  priore 
ita  excédera,  ut  pars  ejus  non  sit  in  parte  quae  sit  utrique  loco,  nimirum  relicto  et 
acquisito,  commimis.  (De  Corpore,  C.  VIII,  §  10). 

7.  De  Corpore,  C.  VIII,  §  10,  à  la  fin. 


SECTION    I.    LE    CORPS    :     §    B.    PHILOSOPHIE    PREMIÈRE  333 

s^ètre  mû  ^.  On  infère  de  ces  définitions  les  trois  propositions  suivantes  : 

10  Ce  qui  se  meut,  s^est  mû.  —  2^  Ce  qui  se  meut,  se  mouvra.  —  3°  Ce  qui 
se  meut  n'est  pas  dans  un  lieu,  si  peu  de  temps  que  ce  soit,  parce  que  se 
trouver  quelque  temps  en  un  lieu,  c'est  être  en  repos  ^. 

Par  ce  qui  précède  on  peut  réfuter  le  vieux  sophisme  contre  le 
mouvement  :  Si  un  corps  se  meut,  il  se  meut  dans  le  Lieu  où  il  est, 
ou  dans  le  Ueu  où  il  n'est  pas  ;  or  ces  deux  h\q3othèses  sont  inadmis- 
sibles ;  donc  le  mouvement  est  impossible.  «  La  Majeure  est  fausse, 
car  ce  qui  est  en  mouvement  ne  se  meut  ni  dans  le  Heu  où  il  est  ni 
dans  celui  où  il  n'est  pas,  mais  du  lieu  où  il  est  au  lieu  où  il  n'est  pas  »  ^. 

11  faut,  par  conséquent,  nier  la  conclusion. 

En  quoi  consistent  la  génération  et  la  mort  ?  Quand  nous  disons 
qu'un  animal,  un  arbre  ou  quelque  autre  corps  est  engendré  ou  qu'il 
périt,  il  ne  faut  pas  entendre,  quoique  chacun  d'eux  soit  coi'ps,  qu'il 
devient,  de  corps  qu'il  était,  non-corps,  mais  d'animal  non-animal, 
d'arbre  non-arbre,  etc.,  et  vice  versa.  C'est-à-dire  que  les  accidents, 
en  vue  desquels  on  nomme  une  chose  animal,  une  autre  arbi'e,  une 
autre  chfïéremment,  sont  engendrés  et  périssent  ;  et  par  suite  ces 
noms  qm  leur  convenaient  auparavant  ne  leur  con\T[ennent  plus. 
Mais  la  grandeur,  qui  fait  que  nous  nommons  quelque  chose  un  corps, 
elle,  n'est  point  engendrée  et  ne  périt  pas.  Les  Philosophes,  en  effet, 
qui  ne  doivent  pas  s'écarter  de  la  raison  naturelle,  supposent  que  le 
corps  ne  peut  ni  naître,  ni  mourir,  mais  seulement  nous  apparaître 
différemment  sous  des  formes  diverses,  et  conséquemment  recevoii' 
des  noms  divers.  Que  tous  les  accidents,  sauf  la  grandeur  ou  extension, 
puissent  être  engendrés  et  périr,  c'est  chose  évidente.  Ainsi  les  corps 
et  les  accidents,  sous  lesquels  leur  variété  se  manifeste,  ont  entre  eux 
cette  différence  :  les  coi'ps  sont  des  choses  non  engendrées,  tandis 
que  les  accidents  sont  engendrés,  mais  ne  sont  pas  des  choses.  Quand 
donc  de  nouveaux  accidents  donnent  à  une  chose  de  nouvelles  appa- 
rences, il  ne  faut  pas  penser  que  l'accident  émigré  d'un  sujet  dans  un 
autre  (car  il  n'est  pas  dans  le  sujet  comme  la  partie  dans  le  tout  ou 
le  contenu  dans  le  contenant),  mais  qu'un  accident  meurt  et  qu'un 
autre  naît  ^. 

L  Quiescere  dicitur  quod  per  aliquod  tetnpus  in  eodeni  est  loco.  Motum  autem  esse  vel 
fuisse  dicitur  quod,  sive  nunc  quiescat,  sive  inoveatur,  fuit  prius  in  loco  alio  quam  nunc 
est.   (De  Corpore,  C.  VIII,   §  11). 

2.  De  Corpore,  C.  VIII,  §  11. 

3.  Sed  falsa  est  Major  ;  quod  enim  movetur  neque  in  loco  ubi  est,  neque  in  loco  ubi 
non  est  movetur,  sed  a  loco  ubi  est  ad  loctun  ubi  non  est.  (De  Corpore,  C.  VIII,  §  11, 
-circa   médium). 

4.  Quando  generari  vel  perire  animal,  arborem  aliudve  corpus  nominatim  dicimus, 
etsi  ea  corpora  sint,  non  tamen  intelligendum  est  ex  non  corpore  corpus,  vel  ex  corpore 
fieri  non  corpus,  sed  ex  animale  non  animal,  ex  arbore  non  arborem,  etc.  ;  id  est,  acci- 
dentia  quidem,  ea  propter  quae  aliam  rem  animal,  aliam  arborem,  aliam  aliter  nomina- 
miis,  generari  et  interire,  et  proinde  nomina  illa  non  amplius  ipsis  convenire  quœ  priiis 
conveniebant  ;  non  aut«m  generari  ant  perire  magnitudinem  propter  quam  nominamus 
aliquid  corpus...  Philosophi  igitur,  quibus  a  ratione  naturali  discedere  non  licet,  suppo- 
uunt  corpus  generari  aut  perire  non  posse,  sed  tantum  sub  diversis  speciebus  tiliter 
atque  aliter  nobis  apparere  et  proinde  aliter  atqiie  aliter  nominari,  ut  quod  modo  homo, 
mox  nou-homo,  non  autem  quod  modo  corpus,  mox  non'corpus   vocandum  sit.  Acci- 


334  ARTICLE   in.   CHAPITRE   III.   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

L'accident,  qui  sert  à  dénommer  son  sujet,  est  appelé  essence. 
Ainsi  la  «  rationalité  »  est  l'essence  de  l'homme  ;  l'extension,  du  corps  ; 
la  blancheur,  de  ce  qui  est  blanc.  Cette  même  essence,  si  on  la  consi- 
dère comme  engendrée,  on  la  nomme  forme.  Par  rapport  à  cette  forme 
le  corps  est  dit  matière  ^. 

Quant  à  la  matière  commune  de  toute  chose,  que  les  AristotéH- 
ciens  appellent  matière  première,  ce  n'est  ni  un  corps  distinct  des 
autres,  ni  l'un  d'eux.  Qu'est-ce  donc  ?  Un  pur  mot,  mais  qui  a  son 
utilité,  car  il  .signifie  que  l'on  considère  le  corps  sans  envisager  aucune 
forme,  aucun  accident,  sauf  la  grandeur  ou  extension  et  l'aptitude 
à  recevoir  formes  et  accidents.  Toutes  choses  sont  pourvues  de  formes 
et  d'accidents  ;  la  matière  première  n'est  donc  pas  une  chose,  puis- 
qu'elle fest  dépouillée  de  tout,  sauf  de  la  quantité.  Bref,  la  matière 
première  c'est  le  corps  considéré  universellement,  c'est-à-dire  dans 
lequel  on  n'envisage  que  la  quantité  ^. 

Les  accidents  ne  se  produisent  pas  d'eux-mêmes,  pas  plus  qu'ils 
ne  se  détruisent.  Il  faut  donc  rechercher  en  quoi  consistent  la  cause 
et  Veffet. 

Un  corps  est  dit  agent,  lorsqu'il  engendre  ou  détruit  quelque  acci- 
dent dans  u;i  autre  corps  ;  patient,  lorsque  c'est  en  lui  qu'un  accident 
est  engendré  ou  détruit  par  un  autre  corps  ^.  Il  faut  noter  qu'un  corps 
agissant  sur  un  autre  n'y  suscite  pas  l'apparition  d'accidents  quel- 
conques, mais  d'accidents  déterminés.  Car  ce  n'est  pas  en  quahté 
de  corps  qu'il  agit  (autrement  tous  les  corps  produiraient  des  change- 
ments identiques*),  mais  en  tant  qu'il  est  tel  corps,  c'est-à-dire  qu'il  est 
pourvu  de  tels  et  tels  accidents  bien  définis  *. 

Ceci  étant  posé,  on  peut  formuler  le  principe  de  causahté.  «  La  cause 
de  tous  les  effets  consiste  en  des  accidents  déterminés  des  agents 
et  du  patient  :  s'ils  sont  tous  présents,  l'effet  se  produit  :  si  l'un  d'eux 
fait  défaut,  l'effet  ne  se  produit  pas  »  °.  On  appelle  cause  sine  qua  non 

dentia  autem  caetera,  prseter  magnitudinem  sive  extensionem,  omnia  generari  et  inte- 
rire  posse  manifestum  est,  ut  quando  ex  albo  fit  nigrum,  albedo  quœ  erat  amplius 
non  est,  et  nigredo  quae  non  erat  oritiir.  Corpora  itaque  etaccidentia  sub  qiiibus  varie 
apparent  ita  differunt,  ut  corpora  sint  res  non  genitse,  accidentia  vero  genita  sed  non 
res.  Quum  igitur  aliquid  aliter  atque  aliter  apparet  propter  alia  atque  alia  accidentia, 
non  eensendum  est  accidens  ex  une  subjeeto  in  aliud  migrare  (non  sunt  enini,  ut  dixi- 
nius  supra,  in  subjectis  suis  ut  pars  in  toto,  sive  contentum  in  continente,  aut  ut  pater 
familias  in  domo)  sed  unum  interire,  aliud  generari.  (De  Corpore,  C.  VII,  §  20  et  21). 

1.  De  Corpore,  C.  VIII,  §  23. 

2.  Materia  autem  coinmunis  omnium  rerum,  quam  Philosopbi,  Aristotelem  sequuti, 
vocare  soient  Mater iam  primam,  non  est  aliquod  corpus  distinctum  a  reliquis  corpo- 
ribus,  neque  vero  unum  ex  illis,  quid  ergo  est  ?  ilerum  nomen  ;  non  tamen  frustra 
usurpatum  ;  significat  enim  corpus  considerari  sine  consideratione  cujuscunque  formae 
et  cujuscunque  accidentis,  excepta  solmnmodo  raagnitudine  sive  extensione  et  apti- 
tudine  ad  formam  et  accidentia  recipienda...  Est  ergo  materia  prima  corpus  universale, 
id  est,  corpus  consideratum  universaliter...,  in  quo  forma  et  accidentia,  praster  quanti- 
tatem,  nulla  considei-antur...  (De  Corpore,  C.  VIII,  §  24). 

3.  De  Corpore,  C.  IX,  §  1. 

4.  De  Corpore,  C.  IX, -§  3. 

X  5.  Causa  itaque  efïeCtuum  omnium  in  certis  consistit  agentium  et  patientis  accideu- 
tibus,  quœ  cum  adsint  omnia,  effectus  producitur  ;  si  aliqiiod  eorum  desit,  non  produ- 
citur.  (De  Corpore,  C.  IX,  §  3).  _^ 


SECTIOlSi    I.    LE    CORPS    :     §    B.    PHILOSOPHIE    PREMIÈRE  335 

et  requise  par  hypothèse  l'accident  soit  de  l'agent  soit  du  patient, 
sans  lequel  l'effet  ne  peut  se  produire.  Quant  à  la  cause  simplement 
dite,  ou  intégrale,  c'est  l'agrégat  de  tous  les  accidents  aussi  bien  dans 
les  agents,  quel  que  soit  leur  nombre,  que  dans  le  patient,  de  sorte 
que,  les  accidents  supposés  tous  présents,  l'on  ne  conçoit  pas  que 
l'effet  ne  se  produise  pas  à  l'instant,  et  un  seul  étant  supposé  absent,  l'on 
ne  conçoit  pas  que  l'effet  se  produise  ^. 

Cette  notion  de  la  cause  se  ramène  à  ceUe  de  conditions  préexistantes 
dans  l'agent  et  dans  le  patient.  La  cause  efficiente  d'un  effet  est  l'as- 
semblage ou  concours  de  tous  les  accidents  ou  conditions  requises 
dans  l'agent  pour  la  production  de  cet  effet  ;  la  cause  matérieUe  est 
l'assemblage  ou  concours  des  accidents  ou  conditions  requises  dans  le 
patient  pour  la  réception  de  l'effet  2. 

Les  Métaphysiciens  comptent  encore  deux  autres  causes  :  la  cause 
formelle  ou  essence  et  la  cause  flymle.  Mais  toutes  deux  se  réduisent 
à  la  cause  efficiente.  Uessence,  en  effet,  une  fois  connue  fait  connaître 
la  chose  :  si  je  sais  qu'un  être  est  raisonnable,  je  sais  par  là  même 
qu'il  est  homme.  Quant  à  la  cause  finale,  qui  ne  peut  être  que  là  où 
il  y  a  sens  et  volonté,  elle  revient  aussi  à  l'efficiente,  comme  on  le 
montrera  en  son  heu  ^. 

Ce  que  l'on  nomme  'puissance  et  acte  ne  diffère  pas  réellement  de  ce 
qu'on  entend  par  cause  et  effet.  La  différence  n'est  qu'une  différence 
de  raison.  Cause  signifie  l'effet  déjà  produit  ;  puissance,  l'effet  qui  se 
produira.  De  même,  l'accident  qui  a  été  réahsé  s'appelle  effet  par  rap- 
port à  la  cause,  et  acte  par  rapport  à  la  puissance  *. 

La  cause  intégrale  est  donc  composée  de  la  cause  efficiente  et  de  la 
cause  matérielle,  qui  en  constituent  les  parties  et  sont  par  là  même  des 
causes  partielles  ^. 

La  cause  intégrale  est  toujours  suffisante  à  produire  son  effet, 
puisque,  par  définition,  toutes  les  conditions  requises  de  la  part  de 
l'agent  et  du  patient  s'y  trouvent  réunies  ®. 

Si  l'on  doit  définir  la  cause  nécessaire,  celle  qui  ne  peut  se  supposer 
sans  que  l'effet  ne  suive,  il  faut  conclure  que  nul  effet  n'a  jamais  été 
produit  que  par  une  cause  nécessaire.  Car  un  effet  ne  peut  être  pro- 
duit sans  avoir  eu  sa  cause  intégrale,  c'est-à-dire  sans  le  concours 
de  tous  les  accidents  ou  conditions  requises  pour  sa  production.  Mais, 
si  l'on  suppose  ce  concours  réahsé,  il  serait  inconcevable  que  l'effet 
ne  suivît  pas.  La  cause  intégrale  est  donc  bien  une  cause  nécessaire. 

1.  Accidens  autem  sive  agentis  sive  patientis,  sine  quo  effectua:  non  potest  produci, 
vocatiir  causa  sine  qua  non  et  necessariiwi  per  hypothesin,  et  reqaisitum  ad  effedtum 
producendum.  Caiisa  autem  simpliciter  sive  causa  intégra  est  aggregatum  omnium 
accidentium  tiim  agentium.  quotquot  sunt,  tum  patientis,  quibus  omnibus  suppositis, 
intelligi  non  potest  qirin  effectus  una  sit  productus,  et,  supposito  quod  unum  eorum 
desit,  intelligi  non  potest  quin  efïeetus  non  sit  productus.  (De  Corpore,  C.  IX,  §  3). 

2.  De  Corpore,  C.  IX,  §  4. 

3.  De  Corpore,  C.    X,  §  7. 

4.  De  Corpore,  C.    X,  §  1. 

5.  Sunt  autem  causse  officions  et  materialis  causas  partiales,  sive  partes  causœ  illius 
qviam  proxime  supra  appellavimus  integram.  (De  Corpore,  C.  IX,  §  4). 

6.  De  Corpore,  C.  IX,  §  3,  à  la  fin. 


336  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.   —   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

Ce  raisonnement  vaut  également  pour  tous  les  effets  futurs.  Par  consé- 
quent tout  ce  qui  a  été  produit  ou  le  sera  a  sa  raison  d'être  dans  une 
nécessité  antécédente  ^. 

Cette  doctrine  de  l'absolue  nécessité  des  choses  circule  plus  ou  moins 
latente  à  travers  le  système  de  Hobbes.  Il  en  reparle  explicitement 
à  propos  de  la  Puissance  pleine.  Correspondant  à  la  cause  intégrale, 
la  puissance  /pZewie  est  celle  qui  réunit  toutes  les  conditions  requises 
pour  produire  l'acte.  Si  la  puissance  ne  doit  jamais  être  pleine,  il  lui 
manquera  toujours  quelqu'un  des  accidents  nécessaires  à  la  produc- 
tion de  l'acte  ;  cet  acte  sera  donc  impossible.  Mais  l'acte  qui  n'est  pas 
impossible  est  par  là  même  possible.  C'est  pourquoi  tout  acte  possible 
sera  produit  un  jour,  car,  s'il  ne  devait  jamais  être  produit,  c'est  que 
toutes  ,les  conditions  exigées  pour  sa  production  ne  seraient  pas 
réunies  ;  cet  acte  serait  donc  impossible  (par  définition),  ce  qui  va 
contre  l'hypothèse  admise  2. 

Le  possible  étant  un  acte  qui  ne  peut  pas  ne  pas  se  réahser,  est  un 
acte  nécessaire  :  aussi  tout  acte  futur  arrivera  nécessairement.  Car  il  est 
impossible  qu'il  ne  soit  pas  futur,  parce  que,  on  vient  de  le  prouver, 
tout  acte  possible  sera  produit  quelque  jour.  Bien  plus,  cette  propo- 
sition :  Le  futur  arrivera,  n'est  pas  moins  nécessaire  que  celle-ci  : 
Uhomme  est  homme  ^.  Par  conséquent,  aux  yeux  de  Hobbes,  le  prin- 
cipe de  causalité  a  la  même  valeur  que  le  principe  d'identité. 

Mais  ici,  demandera  quelqu'un,  est-ce  que  les  futurs,  qu'on  nomme 
contingents,  sont  nécessaires  ?  —  Nous  répondons  d'une  manière 
universelle  que  tout  ce  qui  arrive  provient  de  causes  nécessaires 
comme  il  a  été  démontré  ci-dessus.  Les  mots  de  contingence  et  de 
hasard  nous  servent  à  couvrir  notre  ignorance.  Ainsi,  la  pluie  qui 
tombera  demain,  tombera  nécessairement,  c'est-à-dire  en  vertu  de 
causes  nécessaires  ;  mais  nous  pensons  et  disons  que  cette  pluie  arrivera 
par  hasard,  parce  que  nous  n'en  voyons  pas  encore  les  causes  qui 

1.  Et  siquidem  causa  necessaria  ea  esse  definiatiir  qua  supposita  effectus  non  potest 
non  sequi,  hoc  quoque  colligetiir  :  Quicunque  unquam  effectus  productus  sit,  produc- 
tum  esse  a  causa  necessaria.  Nani  quod  productum  est,  eo  ipso  quod  productum  est, 
causaiTi  habuit  integram,  hoc  est,  omnia  ea  quibus  suppositis  effectum  non  sequi 
intelhgi  non  possit  ;  ea  vero  causa  necessaria  est.  Eadem  ratione  ostendi  potest,  qui- 
cunque unquam  effectus  futuri  sunt.  causam  necessariam  habituros  esse,  atque  hoc 
modo,  qusecunque  producta  vel  erunt  vel  fuerunt,  nôcessitatem  suam  in  rébus  antece- 
dentibus  habuisse.  (De  Corfore,  C.  IX,  §  5,  à  la  fin). 

2.  Actus  enim  impossibihs  est  ad  quem  producendum  nulla  unquam  erit  potentia 
plena.  Nam,  cum  potentia  plena  ea  sit  in  qua  concurrunt  omnia  quse  ad  actum  produ- 
cendum requiruntur,  si  potentia  plena  nunquam  erit,  semper  décrit  aliquod  eorum 
sine  quibus  produci  actus  non  polest;  actus  ergo  ille  nunquam  produci  poterit, 
id  est,  actus  ille  itnpossibilis  est.  Actus  autem  qui  impossibilis  non  est,  ille 
possibilis  est.  Ideoque  actus  omnis  possibilis  aliquando  producetur,  nam,  si  nunquam 
producetur,  nunquam  concurrent  omnia  quse  ad  productionem  ejus  requiruntur  ; 
est  itaque  actus  ille  impossibilis  (per  definitionem),  quod  est  contra  suppositum.  (De 
Corpore,  C.  .''  ,  §  4). 

3.  Quem  autem  actum  iinpossibile  est  non  esse,  ille  actus  necessarius  est  ;  itaque  qui- 
cunque actus  futurus  est,  necessario  futuru»  est  ;  nam  ut  futurus  non  sit  impossibile 
•est,  proptei-ea  quod,  ut  modo  demonstratum  est,  omnis  actus  possibilis  aliquando 
producetur.  Imo  vero  non  minus  necessaria  propositio  est  :  Futurum  est  futurum,  quam 
Homo  est  honio.  (De  Corpore,  C.  X,  §  5). 


SECTION    I.    LE    CORPS    :     §    B.    PHILOSOPHIE    PREMIERE  337 

existent  dès  maintenant.  Car  on  nomme  communément  fortuit  ou 
contingent  ce  dont  la  cause  nécessaire  ne  s'aperçoit  pas,  tout  comme 
on  a  coutume  de  parler  du  passé,  quand  on  dit  :  Il  est  possible  que  cette 
chose  n'ait  pas  eu  lieu,  parce  qu'on  ne  sait  si  elle  a  eu  lieu.  On  ne  peut 
donc  appeler  contingents  les  futurs,  que  par  rapport  à  d'autres  événe- 
ments dont  ils  ne  dépendent  pas  ^. 

Nous  venons  d'exposer,  en  utilisant  le  plus  possible  les  expressions 
mêmes  de  Hobbes,  l'ensemble  des  définitions  ou  principes  qui  consti- 
tuent sa  Philosophie  première. 

Une  fois  que  le  philosophe  est  arrivé,  par  la  voie  de  l'analyse,  aux 
définitions  ou  principes  premiers,  il  n'a  plus  qu'à  en  déduire  les  phéno- 
mènes. Hobbes  a  déjà  posé,  comme  principe  universel  de  la  philosophie 
naturelle,  le  inouvemeîit,  cause  unique  des  propriétés  que  présentent 
les  corps.  Il  a  même  déclaré  que  cette  affirmation  s'impose  par  son 
évidence.  Cependant,  pour  la  comprendre,  la  plupart  ont  besoin 
d'y  être  aidés  par  quelques  indications,  soit  parce  que  les  préjugés 
d'école  ont  perverti  la  rectitude  naturelle  de  leur  raison,  soit  parce 
que,  dans  la  recherche  de  la  vérité,  ils  ne  font  aucun  effort  intellec- 
tuel ^.  Voici  donc  comment  Hobbes  prouve  que  tout  changement  ou 
modification  est  un  mouvement  des  parties  du  corps  modifié.  Il  n'y 
parvient  que  par  un  long  circuit  de  preuves  : 

A.  —  Un  corps  ne  peut  passer  du  repos  au  mouvement  sans  qu'un 
autre  corps  existe  et  agisse  sur  lui.  Supposons,  en  effet,  un  corps  immo- 
bile dans  le  vide.  Il  n'y  a  en  lui  aucune  raison  de  se  mettre  en  mouve- 
ment dans  un  sens  plutôt  que  dans  un  autre.  Il  restera  donc  immobile, 
tant  qu'une  cause  extérieure,  un  autre  corps,  ne  lèvera  pas  cette 
indétermination  ^. 

B.  — ^  La  cause  du  mouvement  d'un  corps  ne  peut  être  que  dans  un 
autre  c"orps  (comme  il  résulte  de  A)  ;  mais  cet  autre  corps  doit  être 
contigu  au  premier  et  mû,  car,  en  dehors  de  la  contiguïté  et  du  mou- 
vement, on  ne  peut  concevoir  aucun  agrégat  d'accidents  ou  condi- 
tions, ni  dans  l'agent,  ni  dans  le  patient,  qui  représente  à  l'esprit  la 
cause  du  mouvement  dans  le  corps  immobile  ou  patient  *, 


1.  Quaeret  autem  hoc  loco  aliqiiis  iitrum  futura,  quse  appellari  soient  contingentia 
necessaria  sint  ?  Dicimus  igitur  in  universuni  omnia,  quse  contingunt,  contingere 
a  causis  necessariis,  ut  ostensuni  est  capite  prsecedonte  ;  vocari  autem  contingontia 
respectu  aliorunî»eventiuuii  a  quibus  non  dépendent  ;  ut  pluvia,  quse  erit  cras,  neces- 
sario  (id  est  a  necessariis  causis)  producetur  ;  contingere  auteni  fortuito  eani  pluviam 
piitamus  et  dicimus,  quoniam  causas  ejus,  quse  nunc  sunt,  nondum  videmus  ;  nam 
fortuitum  sive  contingens  vulgo  vocant,  cujus  causani  necessariam  non  perspiciunt, 
quemadmodum  etiam  de  prseteritis  loqui  soient,  cum  dicunt  possibile  esse  ut  non  sit 
factum,  si  factum  esse  nesciant.  (De  Curpore,  C.  X,  §  5,  circa  médium). 

2.  Etsi  enim  plerisque,  ut  mutationem  in  motu  consistere  intelligant,  monstratione 
aliqua  opus  sit,  id  tamen  non  accidit  propter  rei  obscuritatem  (nam,  ut  aliquid  vel  de 
statu  vel  de  motu  suo  decedat,  nisi  per  motum  intelligi  non  potest),  sed  vel  propter 
naturalem  discursum  prœjudiciis  magistroriun  corruptum,  vel  propterea  quod  ad  veri- 
talem  inqiiirendam  uullam  omnino  cogitationem  adhibent.  (De  Corporc,  C.  VI,  §  5, 
à  la  fin). 

3.  De  Corpore,  C.  VIII,  §  19. 

4.  De  Corpore,  C.  IX,  §  7. 

22 


338  ARTICLE   ni.   —  CHAPITRE   III.  LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

C.  —  Or,  si  un  corps  agit  sur  nn  autre,  à  des  moments  différents, 
mais  de  telle  sorte  que  les  circonstances  de  mouvement  et  de  repos 
soient  identiques  pour  les  deux  corps,  l'agent  et  le  patient,  et  pour 
chacune  de  leurs  parties,  il  est  manifeste  que  les  effets  seront  égaux 
et  semblables,  ne  différant  que  par  les  temps  où  ils  sont  été  produits. 
Donc  la  diversité  des  effets  ne  peut  provenir  que  de  la  diversité  des 
causes  ^. 

D.  —  De  ce  qui  précède  «  il  découle  que  le  changement  n'est  dû 
qu'au  mouvement  des  parties  du  corps  changé.  En  effet,  d'abord, 
tout  changement  suppose  que  pour  nos  sens  à  une  apparence  en  succède 
une  autre.  Ensuite,  ces  apparences  sont  toutes  deux  des  effets  produits 
dans  le  sujet  sentant.  Ces  effets  étant  divers,  il  faut  [comme  il  résulte 
de  C]  :  ou  bien  que  quelque  partie  de  l'agent  auparavant  en  repos  se 
meuve,  et  ainsi  le  changement  consiste  dans  ce  mouvement  ;  —  ou 
que,  déjà  mue,  elle  se  meuve  maintenant  d'une  manière  différente, 
et  ainsi  encore  le  changement  consiste  dans  ce  mouvement  nouveau  ; 
—  ou  que  mue  auparavant  elle  soit  maintenant  en  repos,  ce  qui  ne 
peut  se  faire  que  par  le  mouvement  [comme  il  résulte  de  B],  et  cette 
fois  encore  le  changement  est  dû  au  mouvement  ;  — ■  ou  enfin  que 
quelqu'une 'de  ces  choses  se  passe  dans  le  patient  ou  une  partie  du 
patient,  et  ainsi,  de  toute  façon,  le  changement  consistera  dans  le 
mouvement  des  parties  du  corps  qui  est  senti,  ou  du  sujet  sentant 
lui-même,  ou  de  tous  les  deux.  Donc  le  changement  est  mouvement 
(à  savoir  des  parties  de  l'agent  ou  du  patient),  ce  qu'il  fallait  démon- 
trer ))  2. 

C.    —    GÉOMÉTRIE    ET    PHYSIQUE. 

La  troisième  Partie  du  De  Corpore  est  consacrée  à  la  Géométrie  ; 
la  quatrième  et  dernière,  à  la  Physique  ou  Phénomènes  de  ki  nature. 
Nous  ne  suivrons  pas  Hobbes  jusque-là,  pour  un  double  motif.  D'abord, 
les  sujets  qui  y  sont  traités  ne  rentrent  plus  aujourd'hui  dans  le 
domaine  de  la  Philosophie  ^.  Ensuite,  le  lecteur  n'y  trouverait  aucun 
charme  et  n'en  retirerait  aucun  profit  *. 

Le  mouvement  n'est  pas  seulement  le  principe  d'où  Hobbes  déduit 

\.  De  Corpore,  C.IX,  §8. 

2.  ...  N«ce£S8  est  ut  mutatio  aliiKl  non  sit  praster  parfcium  corporis  muta,ti  rûotiam. 
Primo  enim  mutari  nihil  dicimus  pra&terquam  quod  sensibus  nostris  aliter  apparet 
quam  an  te  apparuit.  Secundo,  illae  api^arentiae  sunt  anibse  effectua  producti  in  seiitiente  ; 
itaque,  si  diversi  sunt,  necesse  est  per  prpecedentem,  ut  vel  agentis  pars  aliqua  ante 
quiescens  jam  moveatur,  et  sic  mutatio consistit  in  eo  mota  ;  vel  ante  mota;  nunc  aliter 
moveatur,  et  sic  quoque  consistit  muta-tio  in  iiovo  mot\i  ;  vel  ante  mota,  nunc  quiaseat, 
quod  fieri  nisi  per  motiun  non  posse  supra  demonstravimus,  et  ita  lairsus  mutatio 
motus  est  ;  vel  deniqu©  aliquid  horum  eontingit  patienti  vel  parti  ejus,  atque  ita 
omni  modo  mutatio  confiietet  in  motu  partium  ejus  corporis  quod  sentitur,  vel  ipsius 
sentientis,  vel  utriusque.  Itaque  mutatio  motus  est  (nimirum  partium  agentis  ^'el 
patieiitis)  ;  quod  erat  propositum  demonstrare.  (De  Corpoj-e,  C.  IX,  §  9). 

3.  Sauf  le  chapitre  XXIX  :  Du  Son,  de  VOdetir,  de  la  Saveur  et  des  Sensations  taciiks. 
Nous  aurons  occasion  d'en  parler  infra,  p.  341-343. 

4.  Voir  Chapitre  IV  :  La  Critique  du  Hobbisme,  p.  406-408. 


SECTION  II,  l'homme    :    §  A.  —  LE  POUVOIR  COGNITIE  339 

la  Géométrie  et  la  Physique  ;  il  est  encore  le  principe  générateur  des 
sensations,  des  conceptions,  des  désirs,  des  volitions.  Voilà  ce  que  le 
philosophe  anglais  se  propose  d'établir  en  étudiant  la  Nature  humaine. 


SECTION   II.    —   L'Homme  i. 

La  nature  de  l'homme  est  la  somme  de  ses  facultés  naturelles. 
D'après  les  deux  parties  dont  l'homme  se  compose,  il  faut  distinguer 
en  lui  deux  sortes  de  fa<3ultés  :  celles  du  corps  et  celles  de  l'esprit. 

Il  suffira  de  mentionner  les  facultés  du  corps  qui  peuvent  se  réduire 
à  trois  :  faculté  nutritive,  faculté  motrice,  faculté  génératrice  ^. 

Quant  aux  facultés  de  l'esprit,  eUes  se  ramènent  à  deux  :  connaîPre 
et  se  mouvoir. 

Le  pouvoir  cognitif  ou  conceptif  embrasse  les  images  ou  représenta- 
tions des  quahtés  des  êtres  qui  sont  en  dehors  de  nous.  On  appelle 
ces  représentations  de  noms  divers  :  concepts,  imaginations,  idées, 
notions,  connaissances  ^. 

Le  pouvoir  moteur  de  l'esprit  comprend  le  plaisir  et  la  douleur, 
les  affections,  les  appétits,  les  désirs,  les  passions,  les  volitions.  Il  s'op- 
pose au  pou\'oir  moteur  du  corps,  qui  consiste  dans  la  faculté  de 
mouvoir  d'autres  corps,  et  qu'on  nomme  force.  La  faculté  motrice  de 
l'esprit  communique  le  mouvement  vital  au  corps  dans  lequel  il 
existe  '*. 

Les  actes  des  deux  facultés  de  l'esprit  ont  pour  origine  première 
un  seul  phénomène  :  à  savoir,  un  mouvement  parti  des  objets  exté- 
rieurs et  se  propageant  jusqu'au  cerveau,  où  il  détermine  une  réaction 
qui  donne  naissance  à  un  phantasme.  C'est  un  fait  d'ordre  cognitif. 
Si  le  mouvement  ne  s'arrête  pas  au  cerveau,  mais  de  la  tête  parvient 
au  cœur,  de  manière  à  favoriser  ou  contrarier  le  mouvement  vital, 
on  a  un  fait  d'orch-e  affectif  ^. 

1.  Cf.  Hwman  N<iture  or  tJie  fundamental  Eléments  of  Pol'icy.  Being  discovery  oj  the 
faculties,  acts  and  passions  of  the  soûl  of  man,  from  their  original  causes  ;  according  to 
such  philosophical  principles,  as  are  not  cominonly  known  or  asserted,  Londres,  1650.  Les 
Chapitres  I  à  XIII  de  The  Elcinents  of  Law  natterai  and  politic,  publiés  par  F.  Tônnies, 
à  Londres,  18S9,  sont  la  reproduction  de  Htiman  Nature.  —  La  traduction  de  Htiman 
Nature  par  d'HoLi^ACH  se  trouve  dans  Œuvres  philosophiquea  et  politiques  de  Thomas 
HoBBES.  Neufchatel,  1787,  T.  II,  p.  1!)5  sqq. 

Il  faut  consulter  encore  :  Leviathan  :  The  first  part  :  Of  Man,  Londres,  1651.  Nous  ren- 
verrons, sauf  avis  contraire,  à  la  traduction  latine  du  Leviathan  (Amsterdam,  1668), 
parce  qu'étant  postérieure  elle  donne  la  pensée  définitive  de  Hobbes.  —  Enfin,  il  faut 
"recourir,  dana  les  Eîementa  Philosophiez  :  au  chapitre  XXV  du  De  Corpore  ;  aux  Cli*pi- 
tres  X  à  XV  du  De  Homine.  Les  autres  chapitres  du  De  Homine,  sauf  le  premier  qui 
parle  de  l'origine  de  l'homme,  traitent  des  questions  d'optiqiie. 

2.  Hobbes,  Human  Nature,  Ch.  I,  §  6. 

3.  Human  Nature,  Ch.  I,  §  7. 

4.  Human  Nature,  Ch.  VI,  §  9,  à  la  fin  ;  Ch.  VII,  §  1. 

5.  Hobbes,  Hiiman  Nature,  Ch.  VII,  §  1  ;  Ch.  II,  §  8.  —  Plus  tard,  Hobbes,  dans  le 
De  Corpore  (Cli.  XXV,  §  4)  assigne  le  cœur  comme  le  point  d'origine  de  la  s<>nsatioH 
(quibus  commet is  [arterise  et  cerebrum]  commovetur  qaioque  seusationis  omTiis  origo, 
•cor). 


340  AKTICLB   III.   —   CHAPITRE   III.   LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

A.    —   LE    POUVOIR    COGNITIF    OU    CONCEPTIF. 

§   I.    —    SES   DIVERSES    OPÉRATIONS. 

Chacune  de  nos  pensées  est  Vapparition  ou  représentation  de  quelque 
qualité  ou  accident  d'un  corps  extérieur,  qu'on  a  coutume  d'appeler 
objet  ^.  C'est  cet  objet  dont  l'action  diverse  sur  les  organes  du  corps 
humain,  les  yeux,  les  oreilles,  etc.,  produit  les  diverses  apparitions. 

Les  sens  sont  l'origine  commune  de  toutes  ces  apparitions,  car 
il  n'y  a  aucune  conception  de  l'esprit  qui  n'ait  pris  naissance  dans 
qiielqiî'un  des  sens,  ou  tout  entière  ou  partiellement.  De  ces  premiers 
concepts  '  tous  les  autres  dérivent  ensuite  ^. 

Si  la  sensation  est  la  source  première  d'où  découle  toute  science  ^, 
il  importe  de  rechercher  avant  tout  et  en  quoi  consiste  sa  nature  et 
quelle  est  sa  cause. 

Pour  cela  il  faut  d'abord  remarquer  que  nos  phantasmes  ne  sont 
pas  toujours  les  mêmes.  De  nouveaux  surgissent,  d'anciens  s'éva- 
nouissent,-selon  que  les  organes  sensoriels  se  tournent  vers  un  objet 
ou  vers  un  autre.  C'est  donc  qu'ils  sont  engendrés  et  qu'ils  périssent  : 
preuve  qu'ils  sont  une  modification  du  corps  sentant  *.  Or  toute  modi- 
fication provient  d'un  mouvement  produit  dans  les  parties  internes 
du  patient,  c'est-à-dire  de  celui  qui  subit  le  changement  ^.  Comme  cette 
loi  est  générale,  la  sensation  ne  peut  donc  être  que  le  mouvement  de 
quelques  parties  internes  du  sujet  sentant.  Ces  parties  sont  celles 
qu'on  nomme  communément  les  organes  sejisoriels  ^. 

On  a  établi  précédemment  que  le  mouvement  ne  peut  être  produit 
que  par  un  corps  contigu  et  lui-même  déjà  en  mouvement  "^ .  «  D'où 
l'on  comprend  que  la  cause  immédiate  de  la  sensation  est  dans  ce 
qui  et  touche  et  presse  le  premier  organe  de  la  sensation.  Si  en  effet 
la  partie  extérieure  de  l'organe  est  pressée,  elle  cède  ;  et  la  partie 
intérieure  la  plus  proche  est  pressée  à  son  tour  :  de  la  sorte  la  pression 
ou  mouvement  se  propagera  à  travers  toutes  les  parties  de  l'organe 

1.  Ipsarum  [cogitatiouum]  unaqiiœque  alicujus  qualitatis  vel  accidentis  in  corpore- 
externo,  quod  appellari  solet  objectum,  est  apparitio  sive  re présentât io.  (Leviathan^ 
C.  I,  t.  III,  p.  5,  circa  principium). 

2.  Origo  omnium  [apparitionum  |  nominatur  sensus.  Nulla  enim  est  animi  conceptio 
quse  non  fuerat  ante  genita  in  aliqno  sensuum,  vel  tota  simul,  vel  per  partes.  Ab  his 
aiitem  primis  conceptibus  omnes  postea  derivantur.  (Leviathan,  C.  I,  t.  III,  p.  5, 
§  Origo).  . 

3.  ...  Si  phfenomena  principia  sint  cognoseendi  caetera,  sensionem.  cognoscendi  ipsa 
principia  principium  esse,  scientiamque  omnem  ab  ea  derivari  dicendum  est...  (De- 
Corpore,  C.  XXV,  §  1,  circa  finem). 

4.  De  Corpore,  C.  XXV,  §  1,  à  la  fin. 

5.  De  Corpore,  C.  IX,  §  9.  Cf.  supra,  p.  338  et  n.  2. 

6.  Sensio  igitur  in  sentiente  nihil  aliud  esse  potest  praeter  motum  partium  aliquarunï 
intus  in  sentiente  existentium,  quse  partes  motœ  organorunt  qxiibus  sentimus  partes 
sunt.  Nam  partes  corporis,  per  quas  perficitur  sensio,  eae  ipsse  sunt  quas  viilgo  organa. 
aensoria  appellamus.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  2).  , 

7.  De  Corpore,  C.  IX,  §  7.  Cf.  supra,  p.  337,  A,  B. 


SECTION   II.   l'homme    :    §  A.   —  LE   POUVOIR   COGNITIF  341 

jusqu'à  la  plus  intérieure.  De  même,  la  pression  de  la  partie  exté- 
rieure provient  de  la  pression  d'un  corps  plus  éloigné,  et,  ainsi  de  suite, 
jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  ce  d'où  nous  jugeons  que  dérive,  comme 
de  sa  source  première,  le  phantasme  produit  par  la  sensation.  Cela 
même,  à  quelque  réalité  qu'il  se  rapporte,  on  a  coutume  de  l'appeler 
objet  ))  ^. 

Mais  comment  surgit  le  phantasme  ou  l'idée  qui  fait  connaître 
un  objet  à  l'esprit  ? 

On  a  montré  que  tout  effort  (conatus),  qui  s'oppose  à  un  autre 
■effort,  provoque  une  résistance,  c'est-à-dire  une  réaction  ^.  a  Conséquem- 
ment,  puisque  au  mouvement  propagé  de  proche  en  proche,  depuis 
l'objet  jusqu'à  la  partie  la  plus  intérieure  de  l'organe  ^,  une  résistance 
ou  réaction  de  tout  l'organe  se  produit  grâce  à  son  mouvement  naturel 
interne,  c'est  que  l'effort  (conatus)  de  l'organe  est  contraire  à  l'effort 
de  l'objet...  Cette  réaction,  si  elle  dure  un  peu  de  temps,  fait  surgir 
le  phantasme,  lequel,  en  raison  de  ce  que  l'effort  tend  vers  le  dehors, 
apparaît  toujours  comme  quelque  chose  d'extérieur  à  l'organe  ))  *. 

Le  sujet  de  la  sensation  est  le  sentant,  c'est-à-dire  l'animal  ;  il  est 
donc  plus  correct  de  dire  que  c'est  l'animal  qui  voit,  et  non  pas  l'œil. 
Le  phantasme  est  l'acte  de  sentir  :  le  phanstasme  est-il  produit, 
la  sensation  se  produit  en  même  temps.  Quand  les  actes  sont  instan- 
tanés, il  n'y  a  pas  de  différence  entre  le  phantasme  et  la  sensation  ou 
perception  ^. 

h'objet  de  la  sensation  c'est  ce  qui  est  senti  ;  il  est  donc  plus  exact 
de  dire  que  c'est  le  soleil  que  nous  voyons,  et  non  pas  la  lumière. 

1.  Ex  quo  intelligitur  sensionis  immediatam  causam  esse  in  eo  qiiod  sensionis  organum 
primiim  et  tangit  et  premit.  Si  enim  organi  pars  extima  prematur,  illa  celle'nte,  pre- 
nietiir  quoque  pars  quse  versus  interiora  illi  proxima  est,  et  ita  propagabitur  pressio 
«ive  motus  ille  per  partes  organi  omnes  usque  ad  intimam.  Q\iemadmodum  et  pressio 
extimse  procedit  ab  aliqua  pressione  corporis  remotioris,  et  sic  perpétue,  donec  veniatm- 
ad  id  a  quo  phantasma  ipsum,  quod  a  sensione  fit,  tanquam  a  primo  fonte  derivari 
judicamus.  Illud  autem,  quodcunque  rei  sit,  ohjectum,  vocari  solet.  (De  Corporc, 
C  XXV,  §  2,  eirca  médium).  Le  Léviathan  (C.  I,  t.  III,  p.  5)  est  plus  net  que  la  première 
phrase  du  De  Corpore  qu'on  vient  de  citer  :  Causa  sensionis  est  externum  corpus  sive 
ohjectum,  quod  premit  uniuscujusque  organum  proprium,  p.  5,  §  Causa. 

2.  Definiemus  resistentiam  esse,  in  contactu  duorum  mobilium,  conaturn  conatui,  vcl 
•oninino,  vel  ex  aliqua  parte,  contrarium,  C'ontrarium  (dico)  quando  duo  illa  mobilia 
•conantur  per  eandem  rectam  a  terminis  ejus  diversis.  Contrarium  ex  parte,  quando 
conautur  ambo  per  lineas  concurrentes  extra  rectam  a  cujus  terminis  proficiscuntur. 
/ZJe  Corpore,  C.  XV,    §  2,  Tertio). 

3.  Un  peu  plus  bas  il  précise  en  indiquant  le  cerveau  et  le  cœur.  Cf.  De  Corpore,  C.  XXV, 
§  4.  Cf.  Léviathan,  C.  I,  t.  III,  p.  5-6. 

4.  Ostensum  est  (C.  XV,  art.  2)  resistentiam  omnem  esse  conatui  conaturn  contra- 
rium, id  est,  reactionem.  Quoniam  igitur  motui  ab  objecto  per  média  ad  organi  partem 
intimam  propagato  fit  aliqua  totius  organi  resistentia  sive  reactio,  per  motum  ipsius 
organi  internum  naturalem,  fit  propterea  conatui  ab  objecto  conatu  ab  organo  con- 
trarius.  Ut  cum  conatus  ille  ad  intima  ultimus  actus  sit  ooi'um  qui  fiant  in  actu  sen- 
sionis, tum  demum  ex  ea  reactione  aliquandiu  durante  ipsum  existit  phantasma,  quod, 
propter  conatum  versus  externa,  semper  videtur  (c^aîvsTa'.)  tanquam  aliquid  situm 
•extra  organum.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  2,  circa  fineni). 

5.  Phantasma  enim  est  sentiendi  actus  ;  neqiie  differt  a  .sensione  aliter  quam  fieri 
•differt  a  factum  esse  ;  quse  dilierentia  in  instantaneis  nulla  est...  Facto  autem  phan- 
tasmate,  sensio  simul  facta  est.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  3). 


342  ABKCLE   III.   —  CHAPITRE   III.   —  LA  TRILOGIE   SOBBIEJSTNE 

I  En  effet,  la  lumière,  la  couleur,  la  chaleur,  le  son  et  les  autres  qualités 
qu'on  nomme  sensibles,  ne  sont  pas  des  objets,  mais  des  phantasmes 
des  sujets  sentants  ^. 

Ces  qualités  ne  sont  dans  l'objet  lui-même  rien  autre  que  le  mouve- 
ment de  la  matière,  au  moyen  duquel  l'objet  agit  diversement  sur  les 
organes  des  sens.  En  nous  elles  ne  sont  rien  autre  que  des  mouvements 
divers,  car  le  mouvement  n'engendre  que  le  mouvement.  Ces  appari- 
tions sont  de  purs  phantasmes  aussi  bien  pour  ceux  qui  veillent  que 
pour  ceux  qui  dorment  ^. 

Prenons  comme  exemple  la  vision.  Des  corps  lumineux  part  un 
mouvement  qui  se  transmet  à  l'œil,  de  l'œil  au  nerf  optique,  et  de  là 
au  cerveau.  Ce  mouvement  continu,  Hobbes  le  compare  à  celui  par 
lequel  le  feu  communique  de  proche  en  proche  sa  chaleur  au  milieu 
environnant.  Chaque  partie  du  miheu  interposé  presse  sur  sa  voisine 
jusqu'à  ce  qu'une  dernière  presse  sur  la  partie  extérieure  de  l'œil, 
et  celle-ci  sur  la  partie  intérieure  selon  les  lois  de  la  réfraction.  Or  la 
tunique  intérieure  de  l'œil  n'est  qu'une  portion  du  nerf  optique  ; 
aussi  le  mouvement  est  continué  dans  le  cerveau  et,  par  la  résistance 
ou  réaction  du  cerveau,  rebondit  de  nouveau  dans  le  nerf  optique  ; 
mais,  comme  nous  ne  concevons  pas  que  ce  soit  là  un  mouvement 
ou  rebond  d'en  dedans,  nous  croyons  qu'il  est  en  dehors  et  l'appelons 
lumière  ^. 

Ainsi  le  phénomène,  en  tant  qu'il  est  produit  par  un  objet  extérieur. 
est  un  mouvement  qu'on  peut  mesurer.  C'est  la  réaction  d'un  cer- 
veau sentant  qui  nous  le  fait  apparaître  sous  forme  de  lumière,  de 
couleur,  de  son,  etc.  Cette  apparence  lumineuse  est  aussi  un  mouve- 
ment sui  generis,  car  Hobbes,  on  l'a  vu,  déclare  formellement  que  le 
mouvement  n'engendre  que  le  mouvement  ^. 

Mais  comment  s'opère  cette  mystérieuse  transformation  ?  Notre 
philosophe  ne  l'exphque  point  ;  il  se  borne  à  constater  le  fait  :  «  Quels 
que  soient  les  accidents  ou  qualités,  le  témoignage  de  nos  sens  nous 
fait  penser  qu'ils  existent  dans  le  monde.  Cependant  ils  n'y  existent 
pas  ;  ce  ne  sont  que  des  semblants  et  des  apparences.  Les  choses, 

1.  ...  Lux  enim,  et  color,  et  cilor,et  sonua  et  eœterse  qualitates,  quse  sensibiles  vocari 
soient,  objecta  non  sunt,  sed  sentientium  phantasmata.  (De   Cor  pore,   C.  XXV,  §  3) 

2.  ...  Quse  qualitates  omnes  nominari  soient  sensibiles  et  sunt  in  ipso  objecto  nihil 
aliud  prœter  materise  motuni,  quo  objectum  in  organa  sensuum  diversimode  operatur, 
neque  in  nobis  aliud  sunt  quam  diversi  motus.  Motus  enina  nihil  générât  prseter  motum, 
et  apparitiones  illae  tum  vigilantibus,  tum  dormientibus  mera  sunt  pliantasmata. 
( Lcviathan,  C.  I,  t.  III,  p.  G). 

3.  From  such  motion,  in  the  fire  must  needs  arise  a  rejection  or  easting  from  itself 
of  that  part  of  the  médium  which  is  contiguoits  to  it,  whereby  that  part  also  rejecteth 
the  next,  aiid  so  successively  one  part  beateth  back  anothey  to  the  vexy  eye  ;  and  in  the 
same  nianner  the  exterior  part  of  the  eye  presseth  the  intcrior  (tlie  laws  of  réfraction 
still  observed).  New  the  interior  coat  of  the  eye  is  nothing  else  but  a  pièce  of  the  optic 
nerve  ;  and  therefore  tlie  niotion  is  still  continued  thereby  into  the  brain,  and,  by 
résistance  or  reaction  of  the  brain,  is  also  a  rebound  into  the  optic  nerve  again  ;  which 
we  not  conceiving  as  motion  or  rebound  from  tvithin,  do  think  it  is  without,  and  call  it 
liglit  ;  as  hath  been  already  sliew-ed  by  the  expérience  of  a  stroke  (Human  Nature, 
Ch.  II,  §  8.  Cf.  §  7). 

4.  Cf.  supra,  p.  338  et  n.  2. 


SECTION    II.    l"H0MME    :    §   A.   —   LE   POUVOIR   COGNITIF  34â 

qui  existent  réellement  hors  de  nous  dans  le  monde,  sont  les  mouve- 
ments, causes  de  ces  apparences.  Voilà  la  grande  tromperie  des  sens  ; 
mais  il  leur  est  donné  de  la  corriger.  Car,  de  même  que  la  sensation, 
quand  je  vois  directement,  me  dit  que  la  couleur  semble  exister  dans 
l'objet,  ainsi,  quand  je  vois  par  réflexion,  la  sensation  me  dit  que  la 
couleur  ne  s'y  trouve  pas  »  ^. 

Certains  «  philosophes,  hommes  doctes  »,  ont  soutenu  que  tous  les 
coi"ps  sont  doués  de  sensibihté  ^.  Cette  opinion  serait  difficilement 
réfutable,  si  la  sensation  ou  perception,  dont  on  parle,  consistait 
uniquement  dans  une  réaction.  Mais  il  n'en  va  pas  ainsi.  «  Car  par  sen- 
sation nous  entendons  communément  quelque  jugement  porté  sur 
les  objets  au  moyen  de  leurs  phantasmes  ;  ce  qui  s'obtient  en  com- 
parant et  en  distinguant  les  phantasmes.  Cette  opération  serait 
impossible,  si  le  mouvement  ne  persistait  quelque  temps  dans  l'or- 
gane d'où  est  sorti  le  phantasme,  et  si  le  phantasme  lui-même  ne  se 
représentait  pas  quelquefois.  Donc  à  la  sensation,  dont  il  s'agit  et 
qui  est  appelée  communément  ainsi,  adhère  nécessairement  quelque 
mémoire,  qui  permet  de  comparer  ce  qui  est  avant  avec  ce  qui  est 
après,  et  de  les  distinguer  l'un  de  l'autre  «  ^. 

Pour  porter  son  jugement  la  sensation  a  donc  besoin  du  concours 
de  la  mémoire,  qui  lui  fournit  perpétuellement  des  phantasmes  variés, 
parce  que  c'est  grâce  à  cette  variété  qu'elle  peut  discerner  un  phan- 
tasme d'un  autre.  Voulant  montrer  la  nécessité  de  cette  variété, 
Hobbes  s'efforce  de  prouver  que  là  où  U  n'y  a  pas  quelque  différence, 
il  ne  saurait  y  avoir  perception  ou  du  moins  perception  distincte. 
«  Supposons  qu'un  homme,  ayant  des  yeux  nets  et  tous  les  organes 
en  bon  état,  mais  dénué  de  tout  autre  sens,  se  trouve  en  face  d'une 
même  chose,  lui  apparaissant  toujours  sous  la  même  couleur  et  la 
même  forme,  sans  la  plus  minime  variété,  pour  moi,  quoi  que  d'autres 
puissent  dire,  cet  homme  ne  me  semblerait  pas  voir  davantage 
que  je  ne  me  semble  à  moi-même  sentir,  grâce  aux  organes  du  tact, 
les  os  de  mes  bras.  Ces  os  sont  pourtant  de  toute  part  et  sans  inter- 
ruption  en   contact   avec   des   membranes   très   sensibles.   Je   dirais 

1.  And  from  hence  also  it  followefch,  that  whatsjevzr  accidents  orqualities  our  senaea 
make  us  think  there  be  ia  the  worid,  they  be  not  there,  but  are  seemings  and  apparitions 
only  ;  the  things  that  really  are  in  the  world  without  us,  are  th<^e  motions  bj'  which 
thèse  seemings  ar&  caused.  And  this  is  the  greaZ  déception  of  sensé,  which  also  is  to  be 
by  sensé  corrected  :  for  as.  sensé  telleth  me,  when  I  see  directly,  that  the  colour  seenaeth 
to  bc  in  the  object  ;  so  also  sensé  telleth  me,  when  I  see  by  reflection,  that  colour  is 
not  in  the  objeet.  (Human  Nature,  Ch.  II,  §  10). 

2.  Hobbes  ne  nomme  personne.  On  peut  citer  TeiiESio,  Cesaj;.pini,  BiaxiNa,  Campa- 
NELLA.  Parmi  les  desiderata  de  la  science.  Bacon  (De  Augrnenti»,  L.  IV,  C.  III,  Edit. 
Spedding,  t.  III,  p.  610-611)  signale  l'hypothèse  qui  accorde  à  tous  les  corps  la  faculté 
de  percevoir.  Nous  avons  vu  que  Gassendi  accorde  aussi  quelque  sensibilité  aux  corps. 
Cf.  supra,  p.   127-128. 

3.  Nam  par  sensionem  vulgo  intelligimùs  aliquam  de  rébus  objectis  per  phantasmata 
judieationjem,  phantasmata  scilicet  co^mparando  et  distinguendo  ;  id  quod,  iiisi  motus 
in  organe  iUe,  a  quo  phantatima  ortum  est,  aliquandiu  maneat,  ipsumque  phantasma 
quandoque  redeat,  fieri  non  potest.  Sensioni  ergo,  de  qua  hic'agitur  quaeque  vulgo  ita 
appeUatur,  necessario  adhaeret  aliqua  memoria,  qua  priora  eu  m  posterioribus  comparari 
et  alteruan  ab  altero  distingui  possit.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  5,  cirea  médium). 


344  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.    —   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

qu'il  est  étonné  et  peut-être  qu'il  regarde,  mais  d'un  œil  stupide,  et 
non  pas  qu'il  voit.  Tant  il  est  vrai  que  sentir  toujours  la  même  chose 
et  ne  rien  sentir  reviennent  au  même  »  ^. 

Donc,  d'après  Hobbes,  phantasme,  connaissance,  sentiment,  voh- 
tion,  ont  pour  principe  la  sensation  ou  perception  ;  la  perception 
suppose  la  mémoire  ;  donc  tous  les  corps  ne  sont  pas  doués  de  per- 
ception, parce  que  tous  n'ont  pas  la  faculté  de  se  souvenir. 

Même  dans  les  êtres  organisés  pour  sentir,  toute  réaction  de  l'organe 
contre  l'effort  d'un  objet  extérieur  n'aboutit  pas  à  une  perception, 
mais  seulement  celle  qui,  l'emportant  en  véhémence  sur  les  autres 
réactions  simultanées,  devient  prédominante.  C'est  ainsi  que  la  lumière 
du  soleil  offusque  la  lumière  des  autres  astres  :  leur  éclat  persiste, 
mais  noyé  dans  la  splendeur  éblouissante  du  soleil  ^. 

De  même  qu'une  eau  stagnante,  remuée  par  le  jet  d'une  pierre 
ou  par  un  coup  de  vent,  ne  se  calme  pas  dès  que  la  pierre  arrive  au 
fond  ou  que  le  vent  tombe,  ainsi  l'effet  produit  par  un  objet  extérieur 
sur  le  cerveau  ne  s'annihile  pas,  aussitôt  que  l'objet  cesse  d'agir 
sur  les  organes.  La  sensation  disparaît  ;  la  conception  ou  phantasme 
demeure,  mais  il  est  moins  vif  que  la  sensation  ^.  Le  phantasme 
relève  de  la  faculté  que  les  Grecs  appellent  Phantaisie  (^iJavrao-'la) 
et  les  Latins,  Imagination  *.  L'imagination  n'est  donc,  à  cause  de 
l'absence  de  l'objet,  qu'une  sensation  languissante  ou  débihtée  ^. 

'L'imagination  et  la  mémoire  ont  un  objet  identique,  mais  elles  le 
considèrent  différemment.  L'imagination  considère  les  phantasmes 
tels  qu'ils  se  présentent  ;  la  mémoire,  tels  que  le  temps  les  a  usés. 
Il  se  passe  dans  la  mémoire  quelque  chose  d'analogue  à  ce  qui  arrive 
quand  on  regarde  des  choses  éloignées.  De  même  qu'à  une  grande 
distance  du  spectateur  les  détails  des  objets  sont  invisibles,  ainsi 
beaucoup  d'éléments  autrefois  perçus  par  les  sens  dans  les  choses 

1.  Itaque  et  [memoria]  sensioni  adhseret  proprie  dictae,  ut  ei  aliqiia  insita  sit  perpetuo 
phantasmatum  varietas,  ita  ut  aliud  ab  alio  discerni  possit.  Si  supponeremus  enim 
esse  hominem,  oculis  quidem  claris  cseterisque  videndi  organis  recte  se  habentibus 
compositum,  nullo  autem  alio  sensu  prœditum,  eumque  ad  eandeni  rem  eodem  semper 
colore  et  specie  sine  idla  vel  minima  varietate  apparentem  obversum  esse,  mihi  certe, 
quicquid  dicant  alii,  non  magis  videre  videretur,  quam  ego  videor  mihi  per  tactus 
organa  sentire  lacertorum  meorum  ossa.  Ea  tamen  perpetuo  et  undiquaque  sensibi- 
lissima  membrana  continguntur.  Attoniti  m  esse  et  fortasse  aspectare  eiuTi,  sed  stupen- 
tem  dicerem,  vie' are  non  diccrem  ;  adeo  sentire  semper  idem  et  non  sentire  ad  idem 
recidunt.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  5,  §  Itaque). 

2.  Intelligi  hinc  potest  conatum  organi  ad  exteriora,  non  omnem  dicendum  esse  sen- 
sionem,  sed  illum  tantum  qui  caeteris,  pro  singulis  temporibus,  vehementia  prœstat 
et  prœdominatur  ;  cœterarumque  rerum  phantasmata,  ut  lux  swlis  cseterorum  astrorum 
lucem,  non  actionem  impediendo,  sed  perfulgorem  nimium  offuscando  et  abscondendo, 
tollit.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  6,  à  la  fin). 

3.  Human  Nature,  Cli.  III,  §  1  :  ...  That  is  to  ^y,  though  the  sensé  be  past,  the  image 
or  conception  remaineth,  but  more  ohscureJy  while  we  are  awake... 

4.  Atque  hsec  est  imago,  a  qua  facultatem  appeUamus  Imaginationem.  Phantasiam 
Grœci  et  melius  vocant  a  quocimque  sensu  oriatm-  ;  imago  autem  propria  est  rerum 
visibilium.  (Leviathan,  C.  II,  t.  III,  p.  8,  §  Simul). 

5.  Imaginatio  ergo  nihil  aliud  est  rêvera  quam,  propter  objecti  remotionem,  langues- 
cens  vel  debilitata  sensio.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  7.  Cf.  Leviathan,  C.  II,  t.  III,  p.  8). 


SECTION   II.    LHOMME    :    §   A.    LE    POUVOIR   COGXITIF  345 

échappent  aux  prises  du  souvenir,  parce  que  le  temps  les  a  projetés 
dans  un  passé  trop  lointain  ^. 

A  l'état  de  veille,  les  sensations  actuelles  sont  plus  vives  que  les 
conceptions  imaginatives.  La  raison  en  est  que  la  présence  simultanée 
des  objets  divers,  qui  agissent  sur  les  oiganes  des  sens,  empêche 
les  conceptions  imaginatives  d'être  prédominantes  '^.  Le  contraire 
a  lieu  durant  le  sommeil,  car  «  le  sommeil  n'est  autre  chose  que  la 
privation  de  l'acte  de  sentir,  quoique  le  pouvoir  subsiste  toujours  ; 
et  les  rêves  sont  les  imaginations  de  ceux  qui  dorment  »  ^.  On  conçoit 
dès  lors  que,  dans  le  calme  silencieux  des  sens,  ces  imaginations, 
n'étant  plus  offusquées  par  des  perceptions  actuelles,  acquièrent  une 
clarté  et  une  vivacité  telles  que  le  dormeur  les  prend  pour  des  sensa- 
tions et  non  pom'  des  phantasmes  *. 

De  là  vient  qu'il  est  difficile  (beaucoup  même  trouvent  la  chose 
impossible)  de  distinguer  nettement  entre  la  sensation  et  le  rêve. 
Il  y  a  cependant  des  chfférences.  Dans  les  songes  les  mêmes  objets, 
lieux,  personnes  et  actions  ne  se  présentent  pas  souvent,  comme  dans 
l'état  de  veille.  De  plus,  la  série  des  pensées  cohérentes  est  moins  longue 
chez  le  dormeur  que  chez  l'éveillé.  Enfin,  celui  qui  veille  constate 
souvent  l'absurdité  de  ses  rêves,  tandis  que  le  rêveur  ne  voit  pas  l'ab- 
sui'dité  des  pensées  Cj[u'il  a  eues  pendant  la  veille.  C'est  assez  pour 
convaincre  celui  qui  veille  qu'il  ne  rêve  pas,  quoique  le  rêveur  se  croie 
éveillé  ^. 

Hobbes  va  chercher  les  causes  des  rêves  dans  les  actions  violentes 
des  parties  internes  sur  le  cerveau,  grâce  auxquelles  les  passages  de 
la  sensation,  engourchs  par  le  sommeil,  reprennent  leur  mouvement. 
Beaucoup  de  faits  montrent  que,  si  le  cerveau  agit  sur  «  les  parties 
vitales  »,  celles-ci  à  leur  tour  réagissent  sur  le  cerveau  et  déterminent 
la  nature  des  rêves  en  suscitant  une  image  semblable  à  celle  qui  les 
avait  précédemment  mises  en  mouvement  ^.  A  Tétat  de  veille,  nos 
pensées  se  succèdent  avec  ordre,  ((  tandis  que  nos  songes  sont  d'ordi- 
naire incohérents  ;  quand  ils  sont  bien  Kés,  c'est  pur  hasard.  Cette 
incohérence  est  due  nécessairement  à  ce  que,  pendant  les  rêves,  le 
cerveau  n'est  pas  remis  en  mouvement  dans  toutes  ses  parties  égale- 

1.  In  memoria  phantasmata  tanquam  tempore  attrita  considerantiir  ;  in  phantasia, 
ut  sunt.Quœ  qiiidem  distinetio  non  rerum  est,  sed  considerationum  sentientis.  Contingit 
enim  in  memoria  simile  quid  ei  quod  contingit  in  prospecta  ad  res  longinquas.  Nam, 
ut  hic  corporum  partes  minutiores  pra?  nimia  distantia  non  cernuntur,  ita  illi-  multa 
accidentia  et  loca  et  partes  rerum,  sensibus  olim  percepta,  vetustate  abolentur.  (De 
Corpore,  C.  XXV,  §  8,  circa  médium.  —  Cf.  Human  Nature,  Ch.  III,  §  7). 

2.  Vigilantium  autem  phantasmata  rerum  praeteritarum  quam  prœsentium  ideo 
obscuriora  sunt,  quia  organa  a  prœsentibus  objectis  simiJ  commota  faciunt,  ut  minus 
praedominentm-.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  7,  Circa  médium). 

3.  ...  For  sleep  is  the  privation  of  the  art  ot  sensé  (the  power  remaining),  and  dreanis 
are  the  imagination  of  them  that  sleep  (Human  Nature,  Ch.  III,  §  2,  à  la  fin). 

4.  Sed  quoniam  organa  sensuum  occlusa  nunc  in  somno  supponuntur,  ita  ut  objectum 
aliud  novxun  non  sit,  quod  ea  [phantasmata  somniantis]"  ofïuscare  posset,  necesse  est 
ut  somnium  clarius  sit,  in  hoc  sensuum  silentio,  quam  imaginationes  vigUantium. 
Leviathan,  C.  Il,  t.  III,  p.  10,  circa  finem). 

5.  Leviathan,  C.  II,  t.  III,  p.  10-11. 

6.  Human  Nature,  Ch.  III,  §  3,  in  principio. 


346  ARTICLE   ni.   CHAPITRE    III.   LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

ment.  De  là  vient  que  nos  pensées  ressemblent  alors  aux  étoiles 
qui  apparaissent  entre  des  nuages  rapides.  Leur  observation  ne  peut 
se  faire  selon  l'ordre  qu'on  voudrait  choisir,  mais  autant  que  le  permet 
le  vol  incertain  de  nuages  intermittents  »  ^. 

Ce  que  l'on  nomme  actuellement  association  d'idées,  Hobbes  l'ap- 
pelle discours  mental  pour  le  distinguer  du  discours  verbal  ou  ordre 
des  mots  ^.  L'appellation  n'est  pas  très  heureuse  ;  mais,  en  revanche, 
notre  philosophe  a  bien  décrit  ce  délicat  phénomène  psychologique. 

Lorsqu'on  pense  à  quelque  chose,  la  première  pensée  qui  survient 
n'est  pas  aussi  fortuite  qu'elle  semble  l'être.  De  même,  en  effet, 
que  nous  n'avons  aucune  imagination  qui  n'ait  été  totalement  ou  en 
partie  dans  une  sensation  antécédente,  ainsi  entre  nos  imaginations 
successives  il  n'y  a  pas  de  transition  qui  n'ait  d'abord  été  celle  de  nos 
:  sensations.  En  voici  la  cause.  Tous  les  phantasmes  sont  des  mouve- 
ments internes,  c'est-à-dire  les  restes  laissés  en  nous  par  les  sensations, 
dans  l'ordre  même  où  elles  se  sont  succédé.  Aussi,  chaque  fois  qu'une 
première  pensée  reparaît  et  devient  prédominante,  une  seconde 
la  suit,  à  cause  de  la  cohésion  de  la  matière  mise  en  mouvement, 
tout  comme  de  l'eau  répandue  sur  une  table  plane  sera  attirée  du  côté 
où  le  doigt  lui  tracera  un  chemin.  Mais,  quand  une  même  pensée  a  été 
suivie  d'un  grand  nombre  de  pensées  différentes,  on  ne  sait  au  juste 
laquelle  de  ces  dernières  se  représentera.  Une  seule  chose  est  certaine, 
c'est  que  l'une  de  celles  qui  a  succédé  à  la  première  reparaîtra  ^. 

Cette  apparition,  cependant,  ne  se  produit  pas  arbitrairement, 
au  hasard.  Il  faut  distinguer  deux  espèces  de  «  Discours  mental  » 
ou  ((  série  de  pensées  »  :  l'une  est  irrégulière,  l'autre  est  réglée  *. 

Dans  le  premier  cas,  les  pensées  semblent  aller  à  l'aventure,  sans 
lien  entre  elles,  comme  dans  le  rêve.  Les  choses  se  passent  ainsi  quand, 
dans  la  solitude,  sans  souci  de  la  réahté,  on  s'abandonne  à  la  rêverie. 

1 .  . . .  But  in  dreams  there  is  commonly  no  cohérence,  and  when  there  is,  it  is  by  chance, 
which  must  needa  proceed  from  this,  that  the  hrain  in  dreams  is  not  restored  to  its  motion 
in  every  part  alike  ;  whereby  it  cometh  to  pass,  that  our  tlioughts  appear  like  the  stars 
between  the  flying  clouds,  not  in  the  order  which  a  man  would  choose  to  observe  them, 
but  as  the  uncertain  fhght  of  broken  clouds  permits.  (Human  Nature,  C.  III,  §  3, 
à  la  fin). 

2.  Per  seriem  imaginationum  intelligo  successionem  unius  cogitationis  ad  aliam  ; 
quam,  ut  distinguatur  a  diseurs u  verborum,  appelle  discursum  mentalem.  (Leviathan^ 
C.  III,  t.  III,  p.  14). 

3.  Quando  aliquis  de  re  quacunque  cogitât,  proxima  ejus  cogitatio  non  tam  fortuita 
est  quam  videtur  esse  ;  neque  omni  eogitationi  omnis  cogitatio  pariter  'succedit.  Sed, 
ut  nullam  habemus  imaginationem  quse  non  ante  fuit  in  sensione  vel  tota  vel  per  partes, 
ita  nulla  est  transitio  ab  una  eogitatione  ad  aliam  cujus  similis  non  extiterat  ante  in 
sensione.  Cujus  rei  causa  hsec  est.  Phantasmata  omnia  motus  sunt  interni,  nempe  mo- 
tuum  in  sensione  factorum  reliquiae.  Motus  autem,  qui  alii  aliis  succedunt  in  sensione 
immédiate,  rémanent  etiam  simul,  etiam  post  sensionem.  Adeo  ut,  qvioties  redit  cogi- 
tatio prier  prsedominaturque,  sequatur  posterior  propter  cohsesionem  materise  motas, 
quemadmodum  aqua  super  tabulam  planam  et  levem  trahitur  per  viam  qua  dncit 
digitus.  Sed,  quoniam  eidem  rei  coneeptse  sequitur  modo  una,  modo  alia  res,  post 
multa  cogitata  fit  ut  incertum  sit  quse  cogitatio  cui  eogitationi  siiccessura  sit.  Hoo  tan- 
tum  certum  est  sviccessuram  esse  aliquam  earum,  qusB  ante  suocesserant  aliquando. 
(Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  14-15.  —  Cf.  Human  Nature,  Ch.  IV,  §  2). 

4.  Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  15. 


SECTION    II.    l'homme    :    §   A.    —  LE   POUVOIR   COGNITIF  347 

Cependant,  dans  ce  vagabondage  de  l'esprit,  un  observateur  attentif 
saura  quelquefois  découvrir  l'ordre  méthodique  auquel  il  est  soumis  ^. 
Hobbes  apporte,  à  l'appui  de  son  dire,  un  exemple  resté  célèbre. 

«  Dans  une  conversation  sur  notre  guerre  civile,  quelle  question 
pouvait  sembler  plus  étrangère  au  sujet  que  de  demander,  comme  on 
le  fit,  ce  que  valait  le  denier  romain  ?  Cependant  la  liaison  me  parais- 
sait assez  manifeste.  Car  la  pensée  de  la  guerre  amena  la  pensée  de 
l'abandon  du  roi  livré  par  ses  sujets  à  ses  ennemis  ;  cette  pensée 
suscita  celle  de  la  trahison  qui  Hvra  Jésus-Christ  aux  Juifs  ;  cette 
dernière,  à  son  tour,  enfanta  celle  des  trente  deniers,  prix  de  la  tra- 
hison ;  d'où  suivit  aisément  la  susdite  interrogation.  Et  tout  cela,  si 
prompte  est  la  pensée,  ne  dura  guère  qu'un  moment  «  ^. 

Dans  le  second  cas,  la  série  de  nos  pensées  est  dirigée  par  quelque 
passion  qui  nous  pousse  à  atteindre  une  fin  déterminée.  Le  désir  de 
cette  fin  devient  le  régulateur  de  la  série  ^.  Notre  esprit  va  de  moyen 
en  moyen  jusqu'à  ce  qu'il  en  trouve  un  qui  soit  en  notre  pouvoir  et 
lui  sen^e  de  point  de  départ  pour  parvenir  à  la  fin  désirée  *. 

Bref,  «  le  discours  mental,  quand  il  est  gouverné  par  le  dessein  d'at- 
teindre un  but,  n'est  autre  chose  que  V investigation  ou  faculté  d'in- 
vention qu'on  nomme  aussi  sagacité  et  adi'esse.  C'est  une  sorte  de  chasse^ 
pour  saisir  une  cause  ou  un  effet  présent  ou  passé  d'après  les  vestiges 
qu'ils  ont  laissés  »  ^.  Pour  que  cette  chasse  soit  bonne,^  il  faut  évoquer 
par  l'imagination  la  série  de  phantasmes  dont  fait  partie  cet  effet  ou 
cette  cause,  de  manière  à  discerner  le  lien  qui  unit  la  cause  à  son  effet 
ou  l'effet  à  sa  cause.  Quelqu'un  veut-il  trouver  un  objet  perdu  ? 
Qu'il  remonte  par  la  pensée  le  cours  de  ses  actions,  allant  d'un  lieu 
à  un  autre  heu  et  d'un  temps  à  un  autre  temps,  afin  de  trouver  un 
temps  et  un  heu  déterminés  où  il  possédait  l'objet  perdu.  Ce  sera  le 
point  de  départ  de  son  investigation.  Car  il  repassera^ de  nouveau 
en  pensée  par  les  mêmes  heux  et  temps,  pour  découvrir  qiielque  action 

1.  Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  15. 

2.  Etenirii  in  colloquio  quodam  circa  bellum  nostrum  civile,  quid  impertinentiiis 
vider  i  poterat  quam  interrogare,  ut  interrogatum  erat,  denarii  romani  quantus  val  or 
esset  ?  Cohsesio  tamen  illa  satis  mihi  manifesta  videbatur.  Xam  a  cogitatione  belli 
introducta  est  cogitatio  de  rege  a  subditis  suis  tradito  hostibus  ;  cogi<-atio  illa  cogita- 
tionem  genuit  de  proditione  Jesu  Christi  ad  Judœos  ;  illa  iiu-sus  peperit  cogitationem 
de  trig'mta  denariis,  proditionis  illius  pretio  ;  inde  denique  facile  sequuta  est  prœdicta 
interrogatio.  Atque  hsec  omnia,  propter  celeritatem  cogitationis,  in  momento  fere 
temporis.  (Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  15-16). 

3.  Secunda  constantior  est,  ut  quae  ab  aliquo  fine  desiderato  regukUa  est.  (Leviathan. 
C.  III,  t.  III,  p.  16,  §  Secunda). 

4.  A  desiderio  oritur  cogitatio  medii  ad  rem  desideratam  obtinendam,  quale  médium 
videramus  ante  similem  effectum  produxisse.  Eodem  modo  cogitatio  medii  ad  finem 
producit  cogitationem  medii  ad  illud  médium,  et  sic  deinceps,  donec  veniatur  ad  prin- 
cipium  aliquod  in  potestatc  nostra.  (Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  16,  §  Secunda). 

5.  Image  empruntée  à  Bacon.  Cf.  De  Augmentis,  L.  V,  C.  II  :  ...  Eam  [Exi^erientia 
literata]  Venationem  Panis...  quandoque  appellamus.  (Ed.  Spbddiko,  t.  I,  p.  623.  — 
BOUILLET,  t.  I,  p.  252,   §  5). 

6.  Discursus  denique  animi,  quando  a  designato  fine  aliquo  regitur,  nihil  aliud  est 
praeter  investigationem  sive  facultatem  inveniendi,  quae  mgacitas  quoque  et  solertia 
appellatvu',  et  est  quasi  venatio  qusedam  per  sua  vestigia  alicujus  eausEe  vel  ©ffectu» 
prœsentis  aut  praeteriti.  (Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  17,  circa  médium). 


^48  ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   III.    • —  LA    TRILOGIE   HOBBIENNE 

OU  une  autre  occasion  qui  a  pu- causer  la  perte  de  l'objet  cherché. 
Cette  faculté  de  l'âme  s'appelle  réminiscence  ^. 

L'observation  des  connexions  réguUères,  qui  dans  le  passé  rehèrent 
certains  antécédents  à  certains  conséquents,  sert  aussi  à  faire  con- 
naître l'avenir.  Notre  esprit  ne  peut  avoir  de  phantasmes  que  de  ce  qui 
est  ou  de  ce  qui  a  été.  «  Les  choses  présentes  existent  seulement  dans 
la  nature,  et  les  choses  passées,  dans  la  mémoire  ;  mais  les  choses 
à  venir  n'ont  aucune  existence,  car  l'avenir  n'est  qu'une  fiction  de 
l'esprit,  qui  applique  les  conséquences  d'une  action  passée  à  une  action 
présente  »  ^.  C'est  avec  les  conceptions  du  passé  que  nous  formons 
le  futur.  Si  un  homme  a  été  habitué  à  voir  les  mêmes  antécédents 
suivis  des  mêmes  conséquents,  quand  il  voit  arriver  les  mêmes  choses 
qu'il  a  vues  auparavant,  il  s'attend  aux  mêmes  suites  ^.  Pour  lui 
l'antécédent  et  le  conséquent  sont  des  signes  l'un  de  l'autre  ;  par 
exemple,  les  nuages  sont  des  signes  de  ia  pluie  qui  doit  venir,  et  la 
pluie  est  un  signe  des  nuages  passés  *. 

Cette  connaissance  des  signes,  acquise  par  l'expérience,  est  appelée 
prévision,  prévoyance,  sagesse.  Son  nom  véritable  est  conjecture  ou 
présomption  ^.  Sa  valeur  est  proportionnée  à  l'étendue  de  l'expérience 
de  l'observateur  et  au  nombre  des  cas  de  réussite  qu'il  a  constatés. 
«  Mais  cette  '  connaissance  reste  conjecturale,  parce  que  les  signes 
ne  sont  jamais  pleinement  évidents.  Ainsi,  quoiqu'un  homme  ait  vu 
jusqu'ici  le  jour  et  la  nuit  se  succéder  constamment,  il  n'est  point 
pour  cela  en  droit  de  conclure  qu'ils  se  succéderont  toujours  de  même 
ou  qu'ils  se  sont  ainsi  succédé  éternellement,  U expérience  ne  fournit 
aucune  conclusion  universelle  »  ®. 

«  La  prévision  des  choses  futures,  qui  est  providence,  n'appartient 
qu'à  celui  par  la  volonté  duquel  elles  doivent  arriver  ;  à  lui  seul, 
car  c'est  une  opération  qui  dépasse  les  forces  de  la  nature  »  ''. 

1.  Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  17,  circa  finem.  —  Cf.  Human  Nature,  Ch.  IV,  §  4. 

2.  Prœsentia  tantùm  existunt  in  reruin  natura  ;  protterita  in  memoria  sola  ;  sed 
futura  omnino  non  existunt,  ut  quae  nihil  aliud  sunt  prseter  fignienta  animi  consequen- 
tias  actionis  prseteritse  ad  actionem  prœsentem  applicantis  ;  id  quod  fît  niaxima  certi- 
tudine  ab  eo,  cujus  maxima  est  experientia,  quanquam  certitudine  non  plena.  (Levia- 
than, G.  III,  t.  III,  p.  18,  circa  médium). 

3.  . . .  But  of  our  conceptions  of  the  past,  we  niake  a  juture  ;  or  rather,  call  past,  future 
relatively.  Thus  after  a  man  hath  been  accustomed  to  see  like  antécédents  foUowed 
by  like  conséquents,  whensoever  he  seeth  the  like  corne  to  pass  to  any  thing  he  had 
seen  before,  he  looks  there  should  foUow  in  the  same  that  foUowed  then.  (Human 
Nature,  Ch.  IV,  §  7). 

4.  Human  Nature,  Ch.  IV,  §  8. 

5.  Etsi  autem,  quoties  expectationi  respondent  eventus,  vocetur  prudentia,  rêvera 
tamen  prasu?nptio  tantum  est  .( Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  18.  —  Cf.  Human  Nature, 
Ch.  IV,  §  9). 

6.  . . .  For  thèse  signs  are  but  conjectural  ;  and  according  as  they  hâve  of ten  or  seldom 
failed,  so  their  assurance  is  more  or  less  ;  but  never  full  and  évident  ;  for  though  a  raan 
hâve  always  seen  the  day  and  night  to  foUow  one  another  hitherto,  yet  can  he  not 
thence  conclude  they  shall  do  so,  or  that  they  hâve  done  so  eternally  :  expérience  con- 
cludeth  nothing  universally.  (Human  Nature,  C.  IV,  §  10). 

7.  Prsevisio  enim  rerum  futurarum,  quœ  est  providentia,  ad  illum  solum  pertinet, 
cujus  consilio  futiirse  sunt.  Et  ab  illo  solo,  et  supernaturahter,  proficiscitur  prophetia. 
(Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  18,  circa  finem). 


SECTION    II.    l'homme    :    §   A.    —   LE   POUVOIR    COGNITIF  349' 

Hobbes  n'applique  point  cette  théorie  des  «  conjectures  »  ou  «  pré- 
somptions »,  qui  reste  aléatoire,  à  la  détermination  des  lois  de  la  nature, 
mais  à  la  prévision  des  événements  qui  se  rapportent  à  la  vie  quoti- 
dienne (vg.  des  cendres  supposent  du  feu  )  ^,  ou  à  l'ordre  moral  (vg.  châ- 
timents qui  suivent  telle  ou  telle  faute  -  ;  observation  des  causes 
qui  amènent  le  déclin  et  la  ruine  des  États  ^. 

§   II.    —   L'AME  HUMAINE   ET   L'AME   ANIMALE 

Les  facultés  et  opérations,  dont  il  a  été  parlé  jusqu'ici  :  sensations, 
imaginations,  associations  de  phantasmes,  expérience,  prudence^ 
sont,  d'après  Hobbes,  communes  à  l'homme  et  à  l'animal.  Parfois, 
c'est  ce  dernier  qui  se  trouve  le  mieux  partagé.  «  Il  y  a  des  bêtes  qui, 
à  l'âge  d'un  an,  observent  plus  et  mieux  les  choses  qui  les  conduisent 
à  leur  fin  et  les  poursuivent  avec  plus  de  prudence  que  n'en  montre 
un  enfant  âgé  de  dix  ans  «  *. 

Mais  la  supériorité  de  l'homme  apparaît  avec  le  langage  qui  est  son 
privilège,  et  l'inteUigence  proprement  dite  ou  raison,  qui  en  est  insé- 
parable et  en  dépend  ^.  «  La  raison  n'est  pas  autre  chose  cj[ue  le  calcul 
ou  addition  et  soustraction  des  noms  généraux  qui  servent  de  marques 
ou  de  signes  à  nos  pensées  ;  de  marques  quand  nous  calculons  seuls  ; 
de  signes,  quand  nous  manifestons  notre  calcul  aux  autres  »  ^. 

La  raison  de  l'enfant  n'entre  en  exercice  qu'après  qu'il  a  acquis 
l'usage  de  la  parole  '^.  Elle  n'agit  pas  en  chacun  de  nous,  dès  la  nais- 
sance, comme  les  sens  et  la  mémoire  ;  elle  n'est  pas,  comme  la  prudence, 
le  fruit  de  la  seule  expérience  ;  c'est  par  une  apphcation  industrieuse 
qu'elle  se  développe.  Son  aptitude  s'affirme  tout  d'abord  par  l'impo- 
sition des  noms  ;  puis,  suivant  une  méthode  correcte,  elle  va  des  noms 
aux  propositions,  des  propositions  aux  syllogismes,  jusqu'à  ce  qu'elle 
parvienne  à  connaître  les  conséquences  de  tous  les  noms  qui  se  rap- 
portent à  la  science.  Les  sens  et  la  mémoire  ne  connaissent  que  le 
fait  ;  la  science  est  la  connaissance  des  conséquences  d'un  fait  à  l'égard 
d'un  autre.  Par  elle  on  apprend  à  faire,  une  autre  fois,  si  on  le  veut, 

1.  Human  Nature.  C.  IV,  §  7. 

2.  Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  18,  §  Scire. 

3.  Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  19,  \  Sicut. 

4.  Sunt  enim  animalia  alia  [praeter  hominem]  quae  earum  rerum,  quse  ad  finem  suum 
conducunt,  plura  observant  et  prudentius  persequiintur,  unicxim  annum  nata,  quam 
puer  decennis.  (Leviathan,  C.  III,  t.  III,  p.  19,  §  Quod  autem). 

5.  Quando  cogitatio  alicujus  rei  oritur  a  sermone  audito  et,  ut  oportuit,  ordinato* 
tune  qui  audit  verba  illa  dicitur  intelUgere  ;  intellectus  enim  aliud  non  est  praeter  con- 
ccptuni  natum  a  sermone.  Itaque  si  sermo  liomini  poculiaris  sit,  ut  videtur  esse,  etiam 
homini  soli  proprius  intellectus  est.  (Leviathan,  C.  IV,  t.  III,  p.  30,  §  Quando). 

6.  Ratio  enim,  hoc  sensu  [quatenus  sumitur  pro  facultate  animi]  nihil  aliud  est 
praeter  coniputationem  sive  additionem  et  subtractionem  nominum  generalium,  quœ 
ad  notationem  sive  significationem  cogitationum  nostrarum  recipiuntur.  Notationem, 
inquam,  quando  computamus  soli  ;  significationem,  quando  aliis  computationem  nos- 
tram  demonstramus.  (Leviathan,  C.  V,  t.  III,  p.  32-33). 

7.  Infantes  igitur  actum  rationis,  antequam sermonis  usinn  acquisierint,  non  habent  ; 
vocantvir  autem  animalia  rationalia  propter  potestatem  tantum.  (Leviathan,  C.  V, 
t.  III,  p.  37,  §  Infantes). 


350  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.    LA   TRILOGIE   HOBBIENNB 

quelque  chose  de  semblable  à  ce  que  l'on  peut  faire  maintenant. 
Car,  en  voyant  les  causes  des  effets  et  la  manière  dont  ils  sont  réaUsés, 
nous  apprenons  que  des  causes  semblables  produisent  des  effets 
semblables,  quand  elles  sont  en  notre  pouvoir  ^. 

La  méthode  qui  conduit  à  la  science  c'est  donc  pour  Hobbes  la 
méthode  déductive.  C'est  la  raison,  faculté  démonstrative,  qui  la 
met  en  pratique.  L'aptitude  à  déduire  est  une  prérogative  de  l'homme 
qui  l'élève  au-dessus  des  animaux.  Mais  la  raison,  constructrice  de  la 
science,  puise  les  matériaux  de  l'édifice  dans  l'expérience  sensible, 
car  l'expérience  sensible  est  l'unique  source  de  nos  conceptions  ^. 
C'est  là  un  élément  essentiel  de  la  doctrine  du  philosophe  anglais 
et  il  en  tire  immédiatement  cette  conséquence  très  grave  :  La  raison 
na,tureUe' est  incapable  de  concevoir  l'existence  des  êtres  qu'on  appelle 
les  «  esprits  incorporels  ». 

«  Nous  qui  sommes  chrétiens,  nous  admettons  qu'il  existe  des 
anges,  esprits  bons  et  mauvais  ;  que  l'âme  humaine  est  un  esprit  et 
qu'elle  est  immortelle  comme  les  esprits  angéliques.  Mais  il  nous  est 
impossible  de  le  savoir,  c'est-à-dire  d'en  avoir  l'évidence  naturelle. 
Car  toute  évidence  est  conception  ;  et  toute  conception  est  imagina- 
tion et  vient  des  sens.  Or  nous  supposons  que  les  esprits  sont  des 
substances  qui  n'agissent  point  sur  les  sens  ;  il  en  résulte  qu'ils  ne  sont 
pas  concevables  ".  » 

Aussi,  quand  Hobbes,  comme  philosophe,  appelle  l'âme  humaine 
un  esprit,  il  entend  «  un  corps  naturel  w,  trop  tenu  et  trop  subtil  pour 
que  les  sens  puissent  se  le  représenter.  Cependant  il  remplit  une  place 
comme  pourrait  la  remplir  l'image  d'un  corps  visible.  C'est  pourquoi 
l'idée  que  nous  pouvons  acquérir  d'un  esprit  par  la  connaissance 
sensible,  est  celle  d'une  figure  sans  couleur  ;  mais  dans  toute  figure 
nous  percevons  des  dimensions  ;  par  conséquent  concevoir  un  esprit, 
c'est  concevoir  quelque  chose  qui  a  des  dimensions  *.  Quant  à  la  notion 

1.  Apparet  hinc  rationem  non  esse,  sicut  sensus  et  memoria,  nobiscum  natam  ;  neque 
sola,  ut  prudentia,  experientia  acquisitam,  sed  industria  ;  scilicet  apta  in  primis  imposi- 
tione  nominum  ;  deinde  méthode  recta  procedendo  a  nominibus  ad  propositiones,  et 
a  propositionibus  ad  syllogismes,  donec  veniatur  ad  cognitionem  consequentiarum 
nominuin  omnium  quse  ad  scientiam  pertinent.  Seiisus  et  memoria,  faoti  tantum 
cognitio  est  ;  scientia  autem  cognitio  est  consequentiarum  unius  faeti  ad  alterum.  Per 
eam  autem  aliquis  ex  eo  quod  niuic  facere  potest,  docetur  aliquid  aliud  simile  facere, 
si  velit,  alio  tempore.  Quia,  quoties  videmus  effectuum  ortum  et  causas,  et  quomodo 
generantiu?,  docemur,  quoties  in  nostra.  potestate  sunt,  causas  similes  siniles  producere 
effectus.  (Leviathan,  C.  V,  t.  III,  p.  37,  §  Appcuret.  —  Cf.  Human  Nature,  C.  VI,  §  1  ;  4). 

2.  Origo  omnium  [cogitationes]  nominatui'  sensus.  Xulla  enim  est  animi  conceptio 
quse  non  fuerat  ante  genita  in  aHquo  sensuum,  vel  tota  simul,  vel  per  partes  (Leviathan^ 
C.  I,  p.  5). 

3.  We  that  are  Cliristians  achnovÂedge  that  tliere  be  angeft  good  and  evil,  and  that 
there  are  spirits,  and  that  the  soûl  of  a  nuan  is  a  spirit,  and  that  those  spirits  are  immortal; 
but,  to  know  it,  that  is  to  say,  to  hav^e  natural  évidence  of  the  same,  it  is  impossible  ; 
for  ail  évidence  is  oonoepUon,  as  it  is  said,  Ch.  VI,  sect.  3,  and  ail  opnception  is  imagina- 
tion and  proceedeth  from  sensé,  Chap,  III,  sect.  I.  And  spirits  we  suppose  to  ho  those 
«ubstances  which  work  not  upon  the  sensé,  and  therefore  not  conceptible.  (Huinan 
Nature,  C.  XI,  §  5).  <^ 

4.  By  the  name  of  spirit,  w©  understand  a  hody  iMmral,  but  of  such  suhUlty,  that  it 
worketh  not  upon  the  sensés  ;  but  that  filleth  up  the  place  «-hich  the  image  of  visible  body 


SECTION   n.    LHOMMB    :    §   B.   —  LE   POUVOIR  MOTEUR  VOLONTAIRE    351 

surnaturelle  d'esprit,  elle  suppose  au  contraire  «  une  substance  sans 
dimension  ».  Aux  yeux  de  la  raison,  qui  puise  toutes  ses  conceptions 
dans  l'expérience  sensible,  «  ces  deux  mots  se  contredisent  l'un  l'autre 
d'une  façon  nette  »  ^, 

Bien  plus,  en  bon  chrétien  qu'il  affecte  d'être,  Hobbes  tâche  de 
tirer  à  lui  les  Livres  Saints  :  «  Quoique  l'Écriture  reconnaisse  des 
esprits,  elle  n'affirme  nulle  part  qu'ils  sont  sans  corps,  dans  le  sens 
qu'ils  n'ont  ni  dimension,  ni  quantité  ;  et  même  je  ne  pense  pas  que 
le  mot  incorporel  se  rencontre  dans  toute  la  Bible...  L'Écriture  me 
semble  donc  favoriser  ceux  qui  prétendent  que  les  anges  et  les  esprits 
sont  corporels,  plutôt  que  les  partisans  du  contraire  »  ^. 

L'opinion  plulosophique  de  Hobbes  est  inconciliable  avec  la  foi 
chrétienne,  dont  il  cherche  vainement  à  se  couvrir.  D'après  le  principe 
sensuaHste,  qui  sert  de  fondement  à  son  système,  on  ne  saurait  conce- 
voir et,  conséquemment  admettre,  des  objets  dont  la  notion  ne  puisse 
immédiatement  ou  du  moms  de  proche  en  proche  remonter,  comme  à  sa 
source,  à  une  perception  sensible.  Aussi,  on  l'a  vu,  est-ce  un  non-sens 
de  parler  de  substance  sans  dimension,  c'est-à-dire  de  substance 
immatérielle.  Le  matériahsme  est  la  conclusion  nécessaire  des  pré- 
misses posées.  " 


B.    —    LE    POUVOIR    MOTEUR   VOLONTAIRE. 

§   I.   —   NOTIONS  PRÉLIMINAIRES. 

Il  faut  distinguer  deux  sortes  de  mouvements  propres  aux  animaux. 
L'un  est  le  mouvement  vital,  commencé  dans  la  génération  des  ani- 
maux et  continué  sans  interruption  à  travers  toute  leur  vie,  tels  que 
le  cours  du  sang,  le  poids,  la  respiration,  la  digestion,  la  nutrition, 
V excrétion,  qui,  pour  s'accomphr,  n'ont  pas  besoin  du  secours  de  l'ima- 
gination. L'autre  est  appelé  animal  et  volontaire,  tels  (j^ue  marcher, 
parler,  remuer  les  membres,  etc.  On  a  montré  que  la  sensation  ou  per- 
ception est  un  mouvement  dans  les  organes  et  les  parties  internes  du 
corps  humain,  déterminé  par  les  objets  vus,  entendus,  etc.  Les  restes 
de  ce  même  mouvement,  la  sensation  terminée,  constituent  la  phan- 

might  fill  iip.  Oiir  conception  therefore  o£  spirit  consisteth  of  fiqnre  without  colour  ;  and 
in  figure  is  understood  dimension,  and  consequently,  to  eonceive  a  spirit,  is  to  conçoive 
sometheing  that  hath  dimension.  (Hunian  Nature,  C.  XI,  §  4). 

1.  But  ftpirits  supernqtural  commonly  signify  some  substance  without  dimension  ; 
wliich  two  words  do  flatly  contradict  one  another.  (Human  Nature,  C.  XI,  §  4). 

2.  Butli  though  the  Scripture  acknouledges  spirits,  yet  doth  it  novhere  say,  that 
they  are  incorporeal,  meaning  thereby,  without  dimension  and  quantity  ;  nor,  I  think, 
is  that  Word  incorporeal  at  ail  in  the  Bible  ;  but  it  is  said  of  the  spirit  that  it  abideth  in 
men  ;  sometines  that  is  dwelleth  in  them,  sometimes  that  it  cometh  on  them,  that  it 
deseendeth,  and  goeth  and  coraetli  ;  and  that  spirits  are  angels,  that  istosay  messen- 
gers  :  ail  which  v.-ords  do  imply  locality  ;  and  locality  is  dimension  ;  and  whatsoever 
hath  dimension  is  hody,  be  it  never  so  subtile.  To  me  therefore  it  seemeth  that  the 
Scriptvu-e  favoureth  them  more  that  hold  angels  and  spirits  corporeal  than  them  that 
hold  the  contrary.  (Human  Nature,  C.  XI,  §  5,  circa  médium ). 

3.  Cf.  supra,  p.  350  et  n.  3.    ' 


352  ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   III.    —   LA   TRILOGIE    HOBBIENNE 

taisie  ou  imagination  ^.  La  marche,  la  parole  et  autres  mouvements 
volontaires  dépendent  toujours  de  quelque  pensée  antérieure.  Il 
en  résulte  manifestement  que  l'imagination  est  le  premier  principe 
interne  de  tous  les  mouvements  volontaires  ^.  Les  actes  de  la  faculté 
motrice  de  l'esprit  s'appellent  affections  ou  passions^. 

Les  petits  commencements  internes  des  mouvements  volontaires, 
avant  qu'ils  se  traduisent  au  dehors  par  la  marche,  la  parole  et  autres 
actions  visibles,  s'appellent  effort  (conatus)  ^.  Si  cet  effort  se  tourne 
vers  sa  cause,  on  le  nomme  Appétit  ou  Désir  ;  s'il  se  détourne  de 
quelque  objet,  on  le  nomme  Aversion  ^.  Désir  et  aversion  impUquent 
l'absence  de  l'objet  recherché  ou  fui,  tandis  que  V Amour  et  la  Haine 
en  supposent  la  présence  ^. 

Tout^  désir  et  tout  amour  sont  accompagnés  de  quelque  plaisir  ; 
comme  toute  fuite  et  toute  haine,  de  quelque  peine  '^.  Il  y  a  plaisir, 
dans  le  premier  cas,  parce  que  le  mouvement  vital  a  été  favorisé  ; 
peine  dans  le  second,  parce  qu'il  a  été  contrarié  ^.  En  tête  des  plaisirs 
et  des  peines  de  l'esprit  il  faut  placer  la  Joie  et  le  Chagrin. 

Appétit  ou  Désir,  Atnour,  Aversion,  Haine,  Joie  et  Chagrin,  voilà 
les  passions  fondamentales  et  simples  ou  principes  internes  les  plus 
importants  ^  des  mouvements  volontaires  qui  se  manifestent  par  des 
actions  extérieures  ^. 

Avant  d'exposer  la  doctrine  de  Hobbes  sur  l'activité  affective 
ou  passionnelle,  quelques  notions  préUminaires  sont  encore  à  pré- 
senter. 

Le  Bien  est  ce  qui  fait  l'objet  de  notre  appétit,  conséquemment 
ce  qui  nous  plaît,  puisque  désir  et  plaisir  sont  étroitement  unis. 
Le  Mal  est  ce  qui  fait  l'objet  de  notre  aversion,  conséquemment 
ce    qui    nous    déplaît,    puisque   aversion   et   douleur    sont    insépa- 


1.  Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  40.  circa  principium. 

2.  Quoniam  autem  incessus,  loquela  et  similes  motus  voluntariisemper  dépendent  ab- 
aliqua  prœcedente  cogitatione  :  Quo,  qua  via  et  quid,  manifestum  est  phantasiam  mo- 
tuvini  omnium  voluntariorum  principium  internum  primum  esse.  (Leviathan,  C.  VI,. 
t.  III,  p.  40,  circa  médium). 

3.  Human  Nature,  Ch.  VI,  §  9,  à  la  fin. 

4.  Principia  hsec  motus  parva,  intra  humanum  corpus  sita,  antequam  incedendo,. 
loquendo,  percutiendo  cseterisque  actionibus  visibilibus  appareant,  vocantur  conatus. 
(Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  40),  circa  finem  ). 

S-6.  Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  40,  §  Conatu"  ;  p.  41,  §  Quœ  cupiunt. 

7.  Itaque  appetitus  omnis  amorque  conjunctus  est  cum  voluptate  aliqua  ;  et  odium 
et  fuga,  cum  molestia  aliqua.  (Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  43,  §  Quoniam). 

8.  Quoniam  motus  hic,  propter  voluptatem,  videtur  esse  motus  vitalis  adjutor.... 
(Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  43,  §  Quoniam).  —  Hobbes  est  plus  affirmatif  dans  la  Nature 
hutnaine  :  ...  Is  shewed  that  conceptions  and  apparitions  are  nothing  really  but  motion 
in  some  internai  substance  of  the  head  ;  which  motion  not  stoppiny  there,  but  proceeding 
to  the  heart,  of  necessity  must  there  either  help  or  kinder  the  motion  which  is  called 
vital.;  when  it  helpeth,  it  is  called  delight,  contentment  or  pleasure,  which  is  nothing 
really  but  motion  about  the  heart,  as  concejjtion  is  nothing  but  motion  in  the  head  ; 
and  the  objects,  that  cause  it,  are  called  pleasant  or  delightful,  or  by  some  name  équi- 
valent ;  ...  but  when  such  motion  weakeneth  or  hindereth  the  vital  motion,  theu  it  is 
called  pain...  (Human  Nature,  C.  VII,  §  1). 

9.  Cf.  Leviathan,  C.  VI.  De  principiis  internis  motus  voluntarii,  quœ vulgo  passiones 
appellantur,  T.  III,  p.  39  sqc^. 


SECTION   II.   l'homme    :    §   B.   —  LE   POUVOIR  MOTEUR   VOLONTAIRE    355 

rables  ^.  Les  hommes  recherchent  et  fuient  des  objets  très  divers,  a  Ce 
qui  est  un  bien  pour  nous  est  un  mal  pour  nos  ennemis.»  ^.  Sans  doute 
on  peut  parler  de  bien  co^nmun  à  un  grand  nombre  ou  même  à  tous  : 
par  exemple  la  santé.  Mais  c'est  une  locution  relative.  Il  n'y  a  pas  de 
bien  absolu,  sans  relation,  u  Même  la  bonté  que  nous  concevons  en 
Dieu  tout-puissant  est  sa  bonté  à  notre  égard  »  ^.  «  Le  mot  bien  s'em- 
ploie donc  relativement  à  la  personne,  au  lieu,  au  temps.  Ce  qui  plaît 
à  l'un,  ici,  maintenant,  déplaît  à  l'autre,  là,  plus  tard  ;  et  ainsi  des 
autres  circonstances.  Car  la  nature  du  bien  et  du  mal  varie  avec  les 
conjonctures  »  **.  C'est  pourquoi  «  il  n'existe  point  de  commune  règle 
du  bien  et  du  mal  qui  puisse  découler  des  objets  considérés  en  eux- 
mêmes  »  •^. 

Le  bien  ne  diffère  pas  essentiellement  de  V agréable,  du  beau,  de 
y  utile.  Il  s'agit  d'une  même  chose  à  laquelle  on  appUque  des  >  noms 
différents.  La  même  chose  est  dite  bonne,  en  tant  qu'elle  est  désirée  ; 
agréable,  en  tant  qu'elle  est  acquise  ;  belle,  en  tant  qu'elle  est  consi- 
dérée. ('  La  beauté  en  effet  est  cette  qualité  de  l'objet  qui  fait  qu'on  en 
attend  le  bien.  Ce  qui  est  pareil  à  ce  qui  a  plu  semble  destiné  à  plaire. 
La  beauté  est  donc  l'indice  d'un  bien  futur  »  ^.  La  beauté,  envisagée 
dans  les  actions,  s'appelle  honnêteté. 

La  chose  qui,  en  tant  qu'on  la  désire,  est  appelée  bonne,  on  la  dit 
agréable  si  c'est  pour  eUe-même  qu'on  la  désire  ;  utile,  si  c'est  pour 
autre  chose.  Dans  ce  dernier  cas,  le  bien  n'est  recherché  que  comme 
moyen  et  instrument  pour  atteindre  un  bien  ultérieur.  La  jouissance 
de  ce  bien  ultérieur  constitue  la  fin  ''. 

Le  bien  apparent  est  un  bien  réel,  mais  auquel  est  annexé  quelque 
mal.  Beaucoup  de  choses  sont  mêlées  de  bien  et  de  mal.  Les  gens  à 
courte  vue  n'aperçoivent  que  le  bien  dans  un  objet  et  saisissent  cet 


L  Qiiicquid  autem  appetitus  in  homine  qiiocunque  objectum  est,  eidem  illud  est 
quod  ab  ipso  appellatur  bonum.  Similiter  id,  quod  aversionis  in  ipso  et  odii^ causa  est, 
ab  ipso  nominatur  malum.  ( Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  42,  §  Quicquid). 

2.  Sed,  cuni  alia  alii  appetant  et  fugiant,  necesse  est  multa  esse,  quae  aliquibus 
hona,  aliquibns  mala  sunt  ;  ut  quod  nobis  bonum  hostibus  malum.  Sunt  ergo  bonum  et 
malum  appetentibus  et  fugientibus  correlata.  (De  Homine,  C.  XI.  §  4). 

3.  Nor  is  there  any  such  thing  as  absolute  goodness,  considered  without  relation  : 
for  even  the  goodness,  which  v\e  apprehend  in  God  Almighty,  is  his  goodness  to  us. 
(Human  Nature,  Ch.  VII,  §  3,  circa  médium  ). 

4.  Bonum  ergo  relative  dicitur  ad  personam,  ad  locuni  et  ad  tenipus.  Huic,  hic,  nunc, 
placet  ;  illi,  illic,  tune,  displicet  ;  et  sic  de  circumstantiis  cseteris.  Natura  enim  boni 
et  mali  sequitur  rerum  TJVTj/tav.  (De  Homine,  C.  XI,  §  4,  ad  finem.  —  Cf.  Human 
Nature,  C.  VII,  §  3). 

5.  ...  Neque  uUa  boni,  mali  et  vi.lis  cominunis  régula  ab  ipsorum  objectoruni  naturis 
derivata...  (Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  42,  circa  médium). 

6.  Etiam  boni  et  mali  nomina  diversimode  variantur.  Nam  eadem  res,  quae  ut  cupita 
bona,  ut  acquisita  jucunda.  Eadem  res,  quse  ut  cupita  bona,  ut  considerata  pulchra 
dicitur.  Est  enim  pulchritudo  objecti  qualitas  ea  quae  facit  ut  bonum  ab  eo  expectetur. 
Quae  enim  similia  videntur  illis  rébus  quae  placuerunt,  videntur  placitura.  Est  ergo 
pulchritudo  futuri  boni  indicium.  (De  Homine,  C.  XI,  §  5). 

7.  Praeterea  res  ea,  quae  ut  cupita  bona  nominatur,  si  propter  se  cupiatur,  jucunda, 
si  propter  aliud,  utilis  dicitur.  Bono  enim,  quod  cupimus  propter  se,  non  utimur,  quia 
USU8  mediorum  et  instrumentorum  est  ;  sed  fruitio  propositae  alicujus  rei  tanquam 
finis  est.  (De  Homine,  C.  XI,  §  5,  au  milieu). 

23  > 


354  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.    —   LA   TRILOGIE    HOBBIENNE 

objet  qui  leur  apparaît  bon.  Mais  l'expérience  leur  montre  ensuite 
qu'il  renfermait  aussi  un  élément  nuisible  ^. 

Bref,  il  y  a  trois  sortes  de  biens  :  l'un  dans  l'attente,  c'est  la  Beauté  ; 
le  second,  dans  la  chose  même,  c'est  la  Bonté  proprement  dite  ;  le 
troisième,  dans  la  fîn  obtenue,  c'est  le  Plaisir.  Il  faut  ajouter  que  le 
bien  qui,  considéré  dans  la  fin,  est  dit  agréable,  s'appelle  utile  en  tant 
qu'il  sert  de  moyen  ^. 

Le  Souverain  Bien,  comme  on  dit,  la  félicité  et  fin  dernière,  ne  peuvent 
se  trouver  dans  la  vie  présente.  Car,  s'il  y  avait  ici-bas  une  fin  dernière, 
on  ne  pourrait  rien  désirer  au  delà  ^.  Or  la  vie  humaine  se  passe  à 
désirer  :  c'est  un  mouvement  perpétuel  qui  prend  la  forme  circulaire 
quand  il  ne  peut  procéder  en  ligne  droite.  Pour  l'homme,  la  félicité, 
en  ce  'monde,  consiste  dans  la  satisfaction  constante  de  ses  désirs  *, 
dans  une  marche  en  avant,  sans  entraves,  vers  des  fins  ultérieures, 
toujours  réalisées  ^.  Il  ne  peut  pas  plus  vivre  sans  désir  et  autres  pas- 
sions que  privé  de  sensibilité. 

Ces  préliminaires  achevés,  on  peut  aborder  utilement  la  théorie 
de  Hobbes  sur  les  passions. 

§   II.    —    THÉORIE    DES   PASSIONS. 

I  Le  mouvement  ou  conatus,  qui  constitue  l'appétit,  est  mis  en  branle 
i  par  une  pensée  ou  conception  antécédente.  Le  fait  passionnel  est  donc 
à  la  fois  organique  et  intellectuel  :  c'est  un  mouvement  physiologique 
précédé  d'une  idée.  Après  cela,  on  peut  prévoir  que,  dans  le  mécanisme 
de  la  passion  analysé  par  Hobbes,  l'élément  rationnel  et  réfléchi 
sera  le  rouage  prépondérant.  «  On  ne  s'étonne  plus  que  la  passion 
y  dépouille  cette  spontanéité,  cette  irréflexion  qui  passent  pour  lui 
donner  son  attrait  et  qui,  dans  la  morale  courante,  en  font  la  partielle 
excuse.  Ici,  elle  sera  toujours,  fût-elle  à  l'état  d'ébauche,-  un  raisonne- 
ment »  ^. 

Voyons  donc  comment  Hobbes  a  tenu  l'engagement  qu'il  a  pris 
«  de  chercher  et  de  faire  connaître,  autant  qu'il  est  en  son  pouvoir, 
de  quelle  conception  procède  chacune  des  passions  que  nous  remar- 
quons être  les  plus  communes  »  '. 

1.  De  Homine,  C.  XI,  5,  circa  médium. 

2.  Itaque  boni  très  sunt  species  :  altéra  in  promissione,  quœ  pulchritudo  ;  altéra  in 
re,  et  dicitiir  bonitas  ;  tertia  in  fine,  quîe  est  jucunditas.  Prœterea  boniim,  quod  in 
fine  jticundu7n  dicitur,  in  medio  vocatur  îitile.  ( Leviathdn,  C.  VI,  t.  III,  p.  42,  §  Pul- 
chrum,  in  fine). 

3.  De  Hoynine,  C.  XI,  §  15. 

4.  Perpetvuis  in  rébus  cupitis  bonus  successus,  illud  ipsum  est  quod  vocari  solet 
félicitas.  Felicitatem  intelligo  prsesentis  vitae.  Nulla  enim  est  animi  dum  vivimus 
perpétua  tranquillitas  ;  quia  vita  ipsa  motus  est,  neque  sine  cupiditate  metuque  aliis- 
que  passionibus  vivere  homo  potest  magis  quam  sine  sensu.  ( Leviathan,  C.  VI,  t.  III, 
p.  50,  §  PerpeUms.  —  Cf.  Human  Nature,  Ch.  VII,  §  6). 

5.  Bonoi  tim  autem  maximum  est  ad  fines  semper  ulteriores  minime  impedita  progi'essio 
Nam  vita  motus  est  perpetuus,  qui  cum  recta  progredi  non  potest,  convertitur  in  motum 
circularem.  (De  Homine,  C.  XI,  §  15,  à  la  fin). 

6.  G.  Lyon,  La  Philosophie  de  Hobbes,  p.  116. 

7.  Hu7nan  Nature,  Ch.  XIII,  §  1. 


SECTION   II.   l'homme    :    §  B.   LE   POUVOIR   MOTEUR   VOLONTAIRE    355 

Il  y  a  d'abord  les  conceptions  présentes  qui  viennent  das  sens 
et  sont  la  sensation  actuelle.  Les  u  plaisirs  sensibles  ;>  ^,  qui  affectent 
les  organes  du  corps  ou  les  sens,  ont  pour  origine  la  sensation  déter- 
minée par  la  présence  d'un  objet.  Leurs  contraires  sont  les  «  douleurs 
sensibles  »  ^.  Passant  en  revue  les  cinq  sens,  Hobbes  constate  que  les 
conceptions  qui  se  rapportent  au  tact  et  au  goût  sont  d'ordre  purement 
affectif.  La  notion  de  temps  intervient  dans  les  sensations  de  l'odorat  ; 
les  notions  de  mesure  et  de  nombre,  dans  les  sensations  de  l'ouïe. 
C'est  en  traitant  des  phénomènes  auditifs  que  Hobbes  fait  surtout 
ressortir  l'élément  intellectuel  qui  accompagne  certaines  sensations, 
et  il  renvoie  aux  travaux  de  Galilée  ^.  Il  est  peu  explicite  en  ce  qui 
concerne  les  sensations  visuelles  :  «  Les  plaisirs  de  l'œil  consistent 
pareillement  en  une  certaine  égalité  de  couleur  ;  car  la  lumière,  la 
plus  resplendissante  de  toutes  les  couleurs,  est  produite  par  l'opéra- 
tion égale  de  l'objet,  tandis  que  la  couleur  en  général  est  une  lumière 
inégale  et  troublée  »  *. 

Aux  plaisirs  des  sens  Hobbes  oppose  les  plaisirs  de  l'esprij^  qui 
n'affectent  aucune  portion  de  notre  corps  en  particulier  ^  et  sont  dus 
à  la  prévision  et  à  l'attente  de  certaines  éventualités  prochaines  ®. 
Le  principal  est  la  joie  qui  a  pour  contraire  le  chagrin.  De  Vappétit, 
du  désir  '^,  de  Vmnour,  de  l'aversion,  de  la  haine,  de  la  joie  et  du  cha- 
grin, passions  simples,  dérivent  les  pa,ssions  complexes,  dont  le  Lévia- 
than,  dans  une  énumération  rapide,  donne  la  définition  ^. 

Dans  la  Nature  humaine  notre  philosophe  a  traité  le  même  sujet 
avec  plus  de  profondeur  et  d'originalité.  Ici  entre  en  scène  une  notion, 
celle  du  Pouvoir,  à  laquelle  Hobbes  attache  le  plus  grand  prix.  Elle 
s'ajoute  à  la  notion  de  fidur  indiquée  dans  le  Léviathan. 

Hobbes  a  montré  précédemment  que  nous  ne  percevoixs  pas  direc- 
tement l'avenir  :  la  conception  de  l'avenir  est  une  supposition  qui 
s'appuie  sur  la  mémoire  des  événements  passés.  On  est  convaincu 
qu'un  jévénement,  dont  on  a  gardé  le  souvenir,  arrivera  de  nouveau 
si  l'on  sait  qu'il  existe  actuellement  une  puissance  capable  de  le  repro- 
duire. Aussi  ((  quiconque  est  dans  l'attente  d'un  plaisir,  doit  concevoir 
en  outre  qu'il  y  a  en  lui-même  quelque  pouvoir  qui  lui  permette  de 
l'atteindre  »  ^.  Comme  les  passions,  dont  il  va  bientôt  être  question, 
consistent  dans  la  conception  de  l'avenir,  c'est-à-dire  dans  la  concep- 

1-2.  Sensual  pleaaures,-  sensual  pain».  (Human  Nature,  Ch.  VIII,  §  2). 
8.  Hnman  Nature,  Ch.  VIII,  §  2,  cirea  médium. 

4.  Also  the  pleasures  of  the  eye  consist  in  a  certain  equality  of  colour  ;  for  ligJtt,  tliP 
most  glorions  of  ail  colonrs  is  made  by  equal  opération  of  the  object  ;  wliereas  colour 
is  perturbed,  that  is  to  say,  unoqual  light,  as  hath  been  said,  chapter  II,  section  8. 
(Human  Nature,  Ch.  VIII,  §  2,  circa  finem). 

5.  Human  Nature,  Ch.  VII.  §  8. 

6.  Human  Nature,  Ch.  VIII,  §  2,  au  commencement. 

7.  h'appétit  se  distingue  du  désir,  comme  le  général,  du  particulier  :  Conatus  hic, 
quando  fit  versus  causam  suam,  vocatiu-  appetifua  vel  cupido  ;  ciuarum  vox  prima  geoe- 
ralis  est  ;  altéra,  sïepe  restringitur  ad  significandum  appétit um  aliquem  particulai-om, 
ut  famem  vel  sitim.  (Léviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  40,  §  Conatus ). 

8.  Léviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  43-47. 

9.  Whosoever  therefore  expecteth  pleasm-e  to  corne,  must  conceive  withal  some  ptnvcr 
in  himself  by  which  the  same  may  be  attaincd.  (Human  Nature,  Ch.  VU  1,  §  3,  in  mcdioj. 


356  ARTICLE   III.    —   CHAPITRE    III.    —   LA   TRILOGIE    HOBBIENNE 

tion  d'un  pouvoir  passé  et   d'un  acte  futur,    Hobbes,    avant  d'aller 
plus  loin,  doit  expliquer  ce  qu'il  entend  par  ce  pouvoir  ^. 

Or,  par  ce  pouvoir,  il  entend  les  facultés  du  corps,  nutritives,  géné- 
ratrices, motrices,  ainsi  que  les  facultés  de  Vesprit,  la  science,  et,  de 
plus,  les  avantages  qu'on  peut  acquérir  par  leur  moyen,  tels  que  la 
richesse,  l'autorité  du  rang,  l'amitié  ou'  faveur,  la  bonne  fortune, 
qui  n'est  à  proprement  parler  que  la  faveur  du  Tout-Puissant.  Mais 
ces  facultés  étant  inégalement  réparties  entre  les  hommes,  surgissent 
d'incessantes  rivalités  ^.  C'est  pourquoi  «  le  pouvoir  simplement  dit 
n'est  autre  chose  que  Vexcès  du  pouvoir  de  l'un  sur  celui  d'un  autre. 
Car  des  pouvoirs  égaux  opposés  se  détruisent  mutuellement  :  opposi- 
tion qui  se  nomme  conflit  »  ^. 

Ce  point  établi,  Hobbes  introduit  un  troisième  concept,  celui  de 
VHonneur,  lequel,  joint  aux  notions  de  pouvoir  et  d'avenir,  va  achever 
de  préparer  le  lecteur  à  sa  théorie  utilitaire  des  passions. 

«  h'aveu  du  pouvoir  est  appelé  ho7ineur  ;  et  honorer  un  homme  inté- 
rieurement c'est  concevoir  ou  avouer  que  cet  homme  possède  une  diffé- 
rence ou  excédent  de  pouvoir  sur  celui  avec  lequel  il  rivalise  ou  auquel 
il  se  compare  »  ^.  Et  les  signes,  auxquels  on  reconnaît  le  pouvoir  d'un 
autre  ou  l'excédent  de  son  pouvoir  sur  celui  qui  lui  fait  concurrence, 
sont  appelés  honorables.  Par  exemple  :  beauté  de  la  personne  (signe  du 
pouvoir  générateur)  ;  force  corporelle  (signe  du  pouvoir  moteur)  ; 
ainsi  vg.  :  «  une  victoire  remportée  dans  une  bataille  ou  dans  un  duel  ; 
avoir  tué  son  homme  »  ;  talent  d'enseigner  (signe  de  sa\  oir)  ;  richesses 
(signe  de  l'effort  fait  pour  les  acquérir)  ;  noblesse  (honorable  par  ré- 
flexion, comme  signe  du  pouvoir  qu'ont  eu  les  ancêtres)  ;  bonne  for- 
tune (signe  de  la  bienveillance  divine).  Les  signes  contraires  sont 
réputés  déshonorants  ^. 

Les  signes  honorables,  par  lesquels  se  manifeste  au  dehors  notre 
pouvoir  ou  la  supériorité  de  nos  avantages  sur  les  rivaux  qui  nous 
disputent  la  prééminence,  provoquent  chez  les  autres  hommes  des 
démonstrations  extérieures  par  lesquelles  ils  cherchent  à  nous  honorer  : 
tels  sont  les  louanges,  les  prières,  les  actions  de  grâce,  les  dons,  l'obéis- 
sance, l'attention,  le  respect,  etc.  ^. 

C'est  le  plaisir  ou  le  déplaisir,  que  causent  aux  hommes  les  marques 
d'honneur  ou  de  déshonneur  qu'on  leur  donne,  qui  constitue  la  nature 
des  passions,  qu'il  s'agit  maintenant  de  décrire  ^. 

La  série  débute  par  la  Gloire,  sans  doute  parce  que  c'est  la  passion 

1.  Human  Nature,  Ch.  VIII.  §  3,  à  la  fin. 

2.  Hutnan  Nature,  Ch.  VIII,  §  4. 

3.  . . .  Power  simply  is  no  more  but  the  excess  of  the  power  of  one  above  that  of  another  ; 
for  equal  powers  opposed  destroy  one  another  ;  and  such  their  opposition  is  called 
contention.  (Human  Nature,  Ch.  VIII,  §  4,  à  la  fin). 

4.  ...  And  the  acknowledgment  of  power  is  called  honour  ;  and  to  hononr  a  man  in- 
wardly,  is  to  conceive  or  acknowledge  that  that  man  hath  the  odds  or  excess  of  that 
power  above  him  with  m  hom  he  contendeth  or  conipareth  himsef.  (Human  Nature,. 
C.  VIII,    §  5,  circa  principium). 

5.  Human  Nature,  Ch.  VIII,  §  5. 

6.  Human  Nature,    Ch.  VIII,  §  6. 

7.  Human  Nature,   Ch.  VIII,  §  8. 


SECTION   II.    l'homme    :    §   B.   —   LE   POUVOIR  MOTEUR   VOLONTAIRE    357 

OÙ  r amour-propre  éclate  davantage.  Ce  sentiment  de  «  glorification 
intérieure,  ce  triomphe  de  l'esprit,  est  une  passion  dérivée  de  ce  que 
nous  imaginons  ou  concevons  que  notre  propre  pouvoir  est  supérieur 
à  celui  de  notre  rival  »  ^.  Si  cette  passion  est  fondée,  non  sur  la  cons- 
cience de  notre  mérite,  mais  sur  la  confiance  en  autrui,  c'est  de  «  la 
fausse  gloirt  )>  ;  ^  si  l'on  s'attribue  des  actions  qu'on  n'a  accomplies  qu'en 
imagination,  c'est  de  la  ((  vaine  gloire  »  ^.  La  passion  contraire  à  la 
gloire  est  V Humilité,  qui  consiste  dans  la  conscience  que  l'on  a  de  sa 
propre  faiblesse  *. 

La  Honte  représente  l'état  d'un  homme  qui  a  bonne  opinion  de 
lui-même,  non  sans  fondement,  et  se  découvre  quelque  défaut  dont  le 
souvenir  l'abat  et  le  fait  rougir  ^. 

Le  Courage,  au  sens  strict,  «  c'est  le  mépris  des  blessures  et  de  la 
mort,  lorsqu'elles  barrent  le  chemin  à  un  homme  qui  marche  à  son 
but  »  ^. 

La  Colère  est  un  «  courage  soudain  »  provoqué  par  le  désir  de  sur- 
monter une  opposition  présente  "^ . 

La  Vengeance  est  produite  par  l'attente  ou  l'imagination  de  faire  en 
sorte  que  l'action  de  celui  qui  nous  a  nui  lui  devienne  nuisible  à  lui- 
même  et  qu'il  le  reconnaisse  ;  c'est  là  le  plus  haut  point  de  la  ven- 
geance *. 

Le  Repentir  naît  de  l'opinion  ou  de  la  connaissance  qu'une  action 
faite  par  nous  ne  mène  point  au  but  qu'on  se  proposait.  Il  a  pour  effet 
de  faire  quitter  la  route  qu'on  avait  suivie  pour  en  prendre  une  meil- 
leure. C'est  une  passion  mêlée  de  tristesse  et  de  joie,  mais  où  la  joie 
domine  ^. 

Ïj' Espoir  est  l'attente  d'un  bien  à  venir,  tandis  que  \a  Crainte  est 
l'attente  d'un  mal  futur  ^". 

Le  Désespoir  est  la  privation  totale  d'espérance  ^^. 

La  Confiance  est  une  foi  si  entière  en  celui  de  qui  nous  attendons 
quelque  bien  que  nous  ne  tentons  pas  d'y  parvenir  par  une  autre  voie. 

La  Défiance,  au  contraire,  est  une  foi  mêlée  d'un  doute  qui  fait  que 
l'on  se  ménage  d'autres  moyens  ^2. 

«  La  Pitié  est  l'imagination  ou  la  fiction  d'un  malheur  à  venir 

L  Glory  or  internai  gloriation  or  triumph  of  the  mind,  is  the  passion  which  proceedetli 
from  the  imagination  or  conception  of  our  oum  power  above  the  power  of  him  that 
contendeth  with  us  (Human  Nature,  Ch.  IX,  §  1).  —  L'énumération  des  Passions  est 
assez  dittérente  dans  le  De  Homme,  C.  XII. 

2-3.  Human  Nature,  Ch.  IX,  §  I,  circa  inedittm  ;  circa  finem. 

4.  Hwnan  Nature,  Ch.  IX,  §  2. 

5.  Human  Nature,  Ch.  IX,  §  3. 

<).  ...  But  in  a  strict  [signification]  and  more  common  meaning,  it  is  conteinpt  of  wounda 
nnd  âeatli,  when  thev  oppose  a  man  in  the  way  to  th's  end.  (Human  Nature,  Ch. 
IX,   §  4). 

7.  Hmnan  Nature,  Ch.  IX,  §  5. 

8.  Revenge julness  is  that  passion  which  ariseth  from  an  expectation  or  imagination 
of  making  him  that  liath  Imrt  us,  find  his  own  action  hurtful  to  himself,  *and  to  acknow- 
ledge  the  same  ;  and  this  is  the  height  of  revenge.  (Human  Nature,  Ch.  IX,  §  (j). 

9.  Human  Nature,  Ch.  IX,  §  7. 
10-11.  Human  Nature,  Ch.'lX,  §  8. 
12.  Human  Nature,  Ch.  IX,  §  9. 


358  ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   IH.    —   LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

pour  nous-mêmes  ;  elle  est  produite  en  nous  par  la  perception  de  l'in- 
fortune d'autrui.  Le  malheur  tombe-t-il  sur  des  gens  qui  nous  semblent 
ne  l'avoir  point  mérité,  la  compassion  grandit,  parce  qu'alors  la 
probabilité  augmente  qu'un  semblable  sort  puisse  nous  échoir.  Car 
le  mal  qui  arrive  à  un  innocent  peut  arriver  à  chaque  homme  »  ^. 
Le  contraire  de  la  pitié  est  la  Dureté  de  cœur  :  elle  vient  soit  de  la  len- 
teur de  l'imagination,  soit  de  la  très  ferme  opinion  où  l'on  est  d'être 
exempt  d'un  pareil  malheur,  soit  de  l'aversion  qu'on  a  pour  tous  les 
hommes  ou  la  plupart  d'entre  eux  ^. 

«  U Indignatioji  est  le  chagrin  que  nous  cause  l'idée  d'un  heureux 
succès  survenant  à  ceux  que  l'on  en  juge  indignes.  Et  comme  les 
hommes  tiennent  pour  indignes  tous  ceux  qu'ils  haïssent,  ils  les 
estiment  inchgnes  non  seulement  de  leur  bonne  fortune,  mais  aussi 
de  leurs  propres  vertus  )>  ^. 

U Emulation  est  un  chagrin  qu'on  éprouve  en  se  voyant  surpassé 
par  un  concurrent,  mais  accompagné  de  l'espérance  de  l'égaler  ou  de 
le  surpasser  un  jour  par  ses  propres  forces  ^.  \J Envie  est  ce  même  cha- 
grin accompagné  du  plaisir  que  l'idée  d'un  mallieur  qui  peut  arriver 
à  un  rival  fait  naître  dans  l'imagination  ^. 

«  Il  est  une  passion  innommée,  mais  elle  a  pour  signe  cette  contor- 
sion de  la  physionomie  qu'on  appelle  le  rire,  qui  annonce  toujours  la 
joie  »  ^.  Cette  joie  consiste  dans  le  sentiment  d'un  triomphe  que  nous 
remportons    sur   autrui  '. 

Les  pleurs,  contraire  du  rire,  sont  dus  à  un  mécontentement  sou- 
dain de  nous-mêmes  ou  à  la  perception  subtte  de  quelque  défaut  en 
nous  ^.    , 

L'amour  en  général  désigne  le  plaisir  que  l'homme  trouve  «.dans  la 
jouissance  de  quelque  bien  présent  )\  Mais  il  est  une  autre  espèce 
d'amour,  que  les  Grecs  nomment  'Ep(o«;,  attrait  qui  porte  un  sexe 
vers  l'autre  :  au  lieu  d'être,  comme  le  premier,  un  désir  indéfini, 
il  est  limité  à  un  objet.  ((  En  dépit  des  éloges  qu'en  ont  fait  les  poètes, 
on  ne  peut  le  définir  que  par  le  mot  de  besoin,  car  il  est  la  conception 


1.  Pity  is  imagination  or  fiction  of  future  calamity  to  ourselvès,  proceeding  froni  the 
sensé  of  another  man's  calamity.  But  when  it  lighteth  on  such  as  we  think  hâve  no 
deserved  the  same,  the  compassion  is  greater,  because  then  there  appeareth  more  pro- 
babihty  that  the  same  may  happen  to  us  ;  for  the  evil  that  happenetli  tO'  an  innocent 
man,  may  happen  to  every  man.  (Human  Nature,  Ch.  IX,  §  10.  —  Cf.  Leviathan, 
C.  VI,  t.  ill,  p.  47,  §  Misericordia). 

2.  Human  Nature,  Ch.  IX,  §  10,  à  la  fin. 

3.  Indignation  is  that  grief  which  consisteth  in' the  conception  of  good  success  happe- 
ning to  them  whora  they  think  unwoHhy  thercof.  Seeing  therefore  men  think  ail  those 
unworthy  whom  they  hâte,  they  think  not  only  unworthy  of  the  good  fortune  they 
hâve,  but  also  of  their  own  virtues  [Human  Nature,  Ch.  IX,  §  11). 

4-5.  Human  Nature,  Ch.  IX,   §  12. 

6.  There  is  a  passion  that  hath  no  name  ;  but  the  sign  of  it  is  that  distortion  of  the 
cohntenanee  which  we  call  laughter,  which  is  always  joy.  (Human  Nature,  C.  IX, 
§   13). 

7.  Cette  exjDlication  qvie  Hobbes  expose  long'nement  au  §  13,  ne  convient  qu'à  un 
cas  particulier  du  rire. 

8.  Human  Nature,  C.  IX,   §  14.  Ici  encore  l'exjîlication  est  beaucoup  trop  étroite. 


SECTION   II.    l'homme    :    §   B.   —  LE   POUVOIR  MOTEUR   VOLONTAIRE    359 

du  besoin  que  l'on  a  de  la  personne  désirée  »  ^.  Il  est  une  autre  forme 
de  l'amour  :  la  Charité  ou  Bienveillance,  dans  laquelle  on  voit  géné- 
ralement une  tendance  désintéressée.  Pas  plus  que  la  pitié,  elle  ne 
trouve  grâce  devant  l'inflexible  utilitarisme  de  Hobbes  :  «  Il  ne  peut 
y  avoir  pour  l'homme  de  plus  grande  preuve  de  son  propre  pouvoir 
que  de  se  découvrir  capable,  non  seulement  d'accomplir  ses  propres 
désirs,  mais  encore  d'aider  les  autres  à  réaliser  les  leurs.  C'est  en  cela 
que  consiste  la  conception  de  la  charité  «  ^. 

U Admiration  est  l'espérance  et  l'attente  d'une  connaissance  future 
qui  apporte  quelque  chose  de  nouveau  et  d'étrange  ^.  La  même  pas- 
sion, considérée  comme  désir,  se  nomme  Curiosité,  qui  est  le  désir  de 
connaître.  L'admiration  et  la  curiosité  ont  produit  non  seulement 
l'invention  des  noms,  mais  aussi  la  supposition  des  causes.  C'est  la 
source  de  toute  philosophie  ^.  . 

La  Grandeur  d'âme  n'est  que  la  gloire,  dont  il  a  été  question,  mais 
sohdement  fondée  sur  l'expérience  certaine  qu'on  a  le-  pouvoir  suffi- 
sant pour  parvenir  ouvertement  à  la  fin  proposée  ^. 

La  Pusillanimité  est  le  doute  de  pouvoir  y  parvenir  ^. 

Cet  ensemble  de  passions  ou  affections  de  l'âine  ne  sont,  en  défini- 
tive, que  des  formes  variées  du  désir  et  de  la  fuite,  dont  la  différence 
vient  de  la  diversité  des  objets  et  des  circonstances.  On  les  appelle 
troubles  de  l'âme,  parce  que  la  plupart  du  temps  elles  nuisent  à  la 
rectitude  du  raisonnement.  Car,  en  prenant  parti  pour  le  bien  présent 
et  apparent,  sans  prévoir  les  maux  plus  grands  qui  viendront  néces- 
sairement s'y  joindre,  elles  entravent  l'œuvre  de  la*raison  qui  consiste 
à  chercher  le  bien  véritable  par  une  prévoyance  à  longue  portée  "^ . 

Pour  nous  présenter,  dans  un  raccourci  saisissant,  toute  la  série 
des  passions  qu'il  vient  de  détailler,  Hobbes  compare  la  vie  humaine 
à  une  course,  où  chacun  n'aurait  d'autre  but  et  d'autre  récompense 
que  de  devancer  ses  concurrents.  Chaque  passion  est  décrite  au  pas- 
sage, par  un  trait  concis  et  vigoureux.  Au  point  de  vue  littéraire, 
c'est  une  page  de  haut  rehef,  d'une  beauté  intraduisible  :     . 

«  S'efforcer,  c'est  désir.  Se  relâcher,  c'est  sensualité.  Considérer 
ceux  qui  sont  en  retard,  c'est  gloire.  Considérer  ceux  qui  sont  en 

\.  But  there  is  a  gi-eat  différence  betwixt  the  désire  of  man  indefinite,  and  the 
same  désire  linnted  ad  hhnc,  and  this  is  that  love,  which  is  the  great  then^e  of 
poets  ;  but  notwithstanding  their  praises,  it  must  be  defined  by  the  word  need  ;  for  it 
is  a  conception  a  man  hath  of  his  need  of  that  one  person  desired.  (Human  Nature, 
Ch.  IX,  §  IG,  in  medio  ). 

2.  There  is  yet  another  passion  sometimes  called  love,  but  more  [woperly  good  will 
or  charity.  There  can  be  no  greater  argument  to  a  man  of  his  own  powei-,  than  to  find 
himself  able  not  only  to  accompHsh  his  own  desii^es,  but  also  to  asaist  other  men  in 
theirs  ;  and  this  is  that  conception  wherein  consisteth  charity.  (Human  Nature,  Ch.  IX, 
§   17). 

3-4.  Human  Nature,  Ch.  IX,  §  18. 

5-0.  Human  Nature,  Ch.  IX.  §  20. 

7.  Dicuntur  autom  prrturbatlones,  propterea  quod  offîciuntplerumque  rectroratiocina- 
tioni...  Itaque,  cum  bonum  vervim  in  longinquum  prospiciendo  quïerendum  sit,  id 
quod  rationis  opus  est,  arripit  appetitus  bonum  praîsens,  non  prsevisis-  qu;«  ipsi  neces- 
sario  adhaerent  majora  mala.  Perturbât  ergo  et  impedit  operationem  rationis,  unde 
recte  dicitur  perturbatio.  (De  Homine,  C.  XII,  §  1). 


360  ARTICLE   III.    —   CHAPITRE    III.    LA   TRILOGIE    HOBBIENNE 

avant,  c'est  humilité.  Perdre  du  terrain  en  regardant  en  arrière, 
c'est  vaine  gloire.  Etre  retenu,  c'est  haine.  Retourner  sur  ses  pas, 
c'est  rej)entir.  Etre  en  haleine,  c'est  espérance.  Etre  fatigué,  c'est 
désespoir.  S'efforcer  d'atteindre  le  plus  proche,  c'est  émulation.  Le 
supplanter  ou  le  renverser,  c'est  envie.  Se  résoudre  à  franchir  un 
obstacle  prévu,  c'est  courage.  Franchir  un  obstacle  imprévu,  c'est 
colère.  Franchir  un  obstacle  avec  aisance,  c'est  grandeur  d'âme. 
Reculer  devant  de  petits  obstacles,  c'est  pusillaniînité.  Tomber  à 
l'improviste,  c'est  disposition  à  pleurer.  Voir  tomber  un  autre,  c'est 
disposition  à  rire.  Voir  dépasser  quelqu'un  contre  .notre  gré,  c'est 
pitié.  Voir  prendre  le  devant  contre  notre  gré,  c'est  indignation. 
S'attacher  à  quelqu'un,  c'est  amour.  Pousser  en  avant  celui  auquel 
on  s'attache,  c'est  charité.  Se  blesser  par  précipitation,  c'est  honte. 
Etre  continuellement  devancé,  c'est  misère.  Dépasser  continuelle- 
ment celui  qui  est  en  avant,  c'est  félicité.  Abandonner  la  course,  c'est 
mourir  »  ^. 

§   III.    —    VOLONTÉ   ET   LIBERTÉ. 

La  volonté  et  la  liberté  n'occupent  pas  une  place  à  part  dans  la 
philosophie  ,de  Hobbes.  Elles  ne  sont  qu'un  appendice  annexé  au 
chapitre  des  Passioîis. 

Les  objets  extérieurs  produisent  en  nous  des  conceptions  ;  ces 
conceptions  à  leur  tour  déterminent  le  désir  ou  la  crainte,  qui  sont 
les  premiers  mobiles  inaperçus  de  nos  actions.  Quand  nous  agissons 
soudainement,  l'acte  suit  le  premier  appétit  ou  désir  qui  surgit,  parce 
que  cet  appétit  n'est  contrarié  par  aucun  autre  ^.  Mais  il  arrive  aussi 
que,  à  propos  de  la  même  chose,  surgissent  alternativement,  dans 
l'âme  humaine,  l'appétit  ou  l'aversion,  l'espérance  ou  la  crainte, 
et  se  présentent  successivement  à  l'esprit  les  conséquences  bonnes 
et  mauvaises  qu'entraînent  l'action  et  l'omission.  De  sorte  que  tantôt 
nous  déçirons,  tantôt  nous  fuyons,  tantôt  nous  espérons,  tantôt 
nous  craignons.  C'est  cet  ensemble  de  passions  en  conflit,  lequel  dure 
tant  que  l'acte  n'est  pas  accomph  oij  rejeté,  qu'on  nomme  délibération. 
On  l'appelle  ainsi  parce  qu'elle  met  un  terme  à  la  hberté  que  nous 
avons  de  poser  un  acte  ou  de  l'omettre  ^.  Elle  prend  donc  fin  quand 

1.  To  endeavoui',  is  appetite.  To  be  remiss,  is  sensnality.  To  consider  them  behind, 
is  glory.  To  consider  them  before,  is  humility.  To  -lose  grovind  with  looking  baek,  vain 
glory.  To  be  holden,  hatred.  To  turn  V  ack,  repentance.  To  be  in  breath,  hojje.  To  be 
weary,  despair.  To  endeavoiir  to  overtake  the  next,  emidation.  To  supplant  or  over- 
thi'ow,  envy.  To  résolve  to  break  tlu'ough  a  stop  foreseen,  courage.  To  break  through 
a  sudden  stop,  anger.  To  break  through  with  ease,  magnctnimity.  To  lose  ground  by 
little  hindrances,  pusillanimity .  To  fall  on  the  sudden,  is  disposition  to  îreep.  To  see 
another  fall,  is  disposition  to  laugh.  To  see  one  out-gone  whom  we  would  not,  is  pity, 
To  see  one  oiit-go  M-hom  we  would  not,  is  indignation.  To  hold  fast  by  another,  is  to 
love.  To  carry  him  on  that  so  holdeth,  is  charity.  To  hurt  one's-self  for  haste,  is  shanie. 
Continually  to  be  out-gone,  is  tnisery.  Continually  to  out-go  the  next  before,  is  felicity. 
And  to  forsake  the  course,  is  to  die.  (Human  Nature,  C.  IX,  §  21). 

2.  Human  Nature,  C.  XIT,  §  1. 

3.  Quando  in  animo  humano  appetitus,  aversio,  spes,  metus  circa  rem  eandem  oriun- 
tur  alternatini,  veniuntque  in  animum  faciendi  omittendique  bonse  malseque  conse- 


SECTION   II.    l'homme    :    §  B.   —   LE   POUVOIR   MOTEUR   VOLONTAIRE      361 

l'acte  sur  lequel  on  délibère  'est  réalisé  ou  rendu  impossible,  car, 
jusque-là,  nous  conservons  la  liberté  de  faire  ou  de  ne  pas  faire,  selon 
notre  gré  ^. 

Enfin,  "  la  délibération  suppose  que  l'acte  sur  lequel  elle  porte 
réunit  deux  conditions  :  d'abord,  que  cet  acte  soit  futur  ;  ensuite, 
qu'il  y  ait  espoir  de  le  réaliser  ou  possibilité  de  ne  pas  l'accomplir. 
Car  le  désir  et  la  crainte  sont  des  attentes  de  l'avenir,  et  il  n'y  a  point 
d'attente  d'un  bien  sans  espérance,  ni  d'un  mal  sans  possibilité. 
Les  choses  nécessaires  ne  sauraient  donc  être  matière  à  délibération  »  ^. 

Hobbes  tire  de  ce  qui  précède  la  définition  de  la  volonté  ou  volition 
{velle  sive  volitio)  et  de  son  contraire,  la  nolonté  (nolle).  ^"olonté  et 
nolonté  sont  la  même  chose  que  appétit  et  fuite,  mais  diversement 
considérée.  Il  y  a  simplement  appétit  et  fuite,  si  aucune  délibération 
n'a  précédé.  Quand  il  y  a  eu  une  déhbération  antécédente,  son  dernier 
acte  s'appellera  volonté,  si  c'est  un  appétit  ;  nolonté.  si  c'est  une  fuite  ^. 
Aussi  Hobbes  repousse-t-il  la  définition  de  la  volonté  en  usage  dans 
l'École  :  «  La  volonté  est  un  appétit  rationnel  »,  sous  prétexte  que, 
si  elle  était  fondée,  on  ne  pourrait  commettre  absolument  aucun  acte 
volontaire  qui  fût  contraire  à  la  raison  *.  C'est  poiu-quoi  il  s'en  tient 
à  cette  formule  :  «  La  volonté  est  le  dernier  appétit  quand  on  déli- 
bère ».   (Ultimus  in  deliherando  appetitus)  ^. 

Le  désir,  la  crainte,  V espérance  et  les  autres  passions  ne  sont  point 
appelées  volontaires,  car  elles  ne  procèdent  pas  de  la  volonté,  mais 
sont  la  volonté  même.  Or  la  volonté  n'est  pas  volontaire,  car  un 
homme  ne  peut  pas  plus  dire  qu'il  veut  vouloir,  qu'il  ne  peut  dire 
qu'il  veut  vouloir  vouloir,  et  ainsi  à  l'infini,  car  ce  serait  absurde  et 
dénué  de  sens  ^. 

Ainsi  donc  le  vouloir  n'est  que  l'une  ou  l'autre  des  passions  simples, 

quentiae  successive,  adeo  ut  interduni  appetamus,  interduni  fugiamus  ;  interdiun  spe- 
remus,  interdum  metuamus  ;  tune  totum  illud  passionuni  aggregatum,  eatenus  durans 
dum  res  efïecta  sit  vel  rejecta,  vocatur  deliheratio...  Deliberatio  autem  ideo  dieitur, 
quia  libertatis,  quam  habemus  faciendi  omittendive,  finis  est.  (Leviathan,  C.  \S,  t.  III, 
p.  47,  §  Quando  ;  p.  48,  circa  priyicipium.  —  Cf.  Human  Nature,  Cli.  XII,  cirra  finem). 
\.  Deliberatio  finiri  tune  dieitur,  quando  id,  de  quo  deliberatum  est,  facturn  e.st 
vel  redditum  impossibile  ;  propterea  quod  eatenus  libertatem  faciendi  vel  non  faciendi 
pro  arbitrio  retinemus.  (Leriathan,  C.  VI,  t.  HT,  p.  4S,  §  Deliberatio). 

2.  Délibération  therefore  requireth  in  the  action  deliberated  two  conditions  :  one,  that 
it  be  future  ;  the  other,  that  there  be  h:pe  of  doing  it,  or  possibility  of  not  doing  it  ; 
for  appetite  and  fearare  expectations  of  the  fuure  ;  and  there  is  no  expeetation  of  good 
without  hope  ;  or  of  evil,  without  possibility  :  of  necessaries  therefore  there  is  no  déli- 
bération. (Hunian  Nature,  C.  Xll,  §  2). 

3.  Appetitus  ergo  et  fuga,  nisi  praeexistente  délibérât ione,  simplicitervocantur  appe- 
titus et  fuga.  Sed,  si  prœcesserit  deliberatio,  tune  ultimus  in  ea  actus  appellatur,  si 
appetitus  sit,  velle  sive  volitio  ;  si  fuga,  nolle  ;  ita  ut  eadem  res  voluntas  \  ocetur  et 
appetitus,  sed  consideratio  (nenipe  an  ante  an  post  deliberatiouem)  diversa  sit.  (De 
Corpore,  C.  XXV,  §  13). 

4.  Nam  si  esset  [légitima],  nulla  omnino  esse  posset  actio  ^oluntaria  contra rationem. 
(Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  48.  §  In  delibcratione ). 

5.  Leviathan,  C.  VI,  t.  III,  p.  48,  circa  finem. 

0.  Appetite,  fear,  Iwpe  and  the  rest  of  the  passions  are  not  called  voluntary,  for  they 
proceed  not  from,  but  are  the  tvill  ;  and  the  will  is  not  voluntary,  for  a  man  no  more  say 
he  will  will,  than  1  e  will  will  will,  and  so  make  an  infinité  répétition  of  the  word 
[will\  ;  which  is  absurd  and  insignificant.  (Human  Nature,  C.  XII,  §  5). 


362  ARTICLE   III.   —    CHAPITRE   III.   LA   TRILOGIE    HOBBIENNE 

avec    cette    clause    additionnelle    qu'une    délibération    a    précédé. 

Après  cela,  que  devient  la  liberté  ?  Dans  la  Nature  humaine  et  dans 
le  Léviathan,  il  n'en  est  pas  question.  Hobbes  sort  de  sa  réserve  dans 
le  De  Carpore.  Là,  il  assimile  complètement  l'homme  et  l'animal 
sur  ce  point  ^  :  «  Une  liberté  telle  qu'elle  soit  affranchie  de  la  nécessité 
ne  convient  à  la  volonté  ni  des  hommes  ni  des  brutes.  Mais,  si  par 
liberté  on  entend  la  faculté  non  de  vouloir,  mais  d'accomplir  ce  que 
l'on  veut,  la  liberté  ainsi  compiise  peut  être  assurément  accordée 
aux  uns  et  aux  autres,  et,  quand  elle  existe,  elle  leur  appartient 
également  ))  ^.  Il  est  clair  que  notre  philosophe  répudie  complètement 
la  liberté.  Ce  mot  signifie  uniquement  pour  lui  un  simple  pouvoir 
exécutif,  le  pouvoir  d'exéôuter  un  acte  nécessaire. 

Dans  -son  opuscule  sur  la  Liberté  et  la  Nécessité  Hobbes  se  montre 
plus  expUcite.  Voici,  selon  lui,  la  définition  correcte  de  la  Hberté  : 
<f  Cest  Vabsence  de  tous  empêchements  à  faction  qui  ne  sont  pas  contenus 
dans  la  nature  et  la  qualité  intrinsèque  de  Vagent.  Par  exemple,  on  dit 
que  l'eau  descend  librement  ou  qu'elle  a  la  liberté  de  descendi'c  en 
suivant  le  canal  de  la  rivière,  parce  qu'il  n'y  a  pas  d'obstacle  sur  cette 
route,  mais  non  pas  en  le  traversant,  parce  que  les  rives  l'en  empêchent. 
Et,  quoiqu'il  soit  impossible  à  l'eau  de  monter,  jamais  on  ne  dit 
cependant  :  ce  qui  lui  manque,  c'est  la  liberté  de  monter  ;  mais  bien  : 
c'est  la  faculté  ou  le  jjouvoir,  parce  que  l'empêchement  est  dans  la 
nature  de  l'eau,  intrinsèque  par  conséquent  )>  ^.  Cette  définition  ne 
convient  qu'à  la  liberté  extérieure,  ou  improprement  dite,  qui  consiste 
en  ce  qu'aucune  action  du  dehors  n'entrave  la  causahté  inhérente 
à  l'agent  ;  ce  que  les  Scolastiques  appelaient  :  l'absence  de  contrainte 
( Immunitas  a  coactione). 

La  volonté  humaine  n'échappe  point  au  déterminisme  universel 
qui  régit  la  nature.  Car  a  aucun  événement  ne  commence  de  lui- 
même,  mais  sous  l'action  de  quelque  autre  agent  immédiat  en  dehors 
de  lui.  Quand  donc,  pour  la  première  fois,  un  homme  a  un  désir  ou 
volonté^  le  portant  à  une  chose,  poiu-  laquelle,  dans  l'instant  qui  pré- 
cède immédiatement,  il  n'avait  ni  désir  ni  volonté,  la  cause  de 
son  vouloir  n'est  pas  la  volonté  elle-même,  mais  quelque  autre  chose 
qui  n'est  pas  à  sa  disposition.  De  la  sorte,  comme  il  est  hors  de  contro- 

1-2.  Neque  id,  quod  intus  in  homine  fît,  dum  vult  aliquid,  dissimile  ei  est  quod  fit 
in  aliis  animalibus,  dimi,  habita  prius  délibérations,  appetunt.  Neque  libertas  volendi 
vel  nolendi  major  est  in  liomine  quam  in  aliis  animalibus.  Nam  in  appetente  appetendi 
causa  prsecesserat  intégra,  et  proinde  ipsa  appetitio  (ut  cap.  IX,  art.  5  ostensum  est) 
non  .sequi  non  poterat,  id  est,  secuta  est  necessario.  Libertas  igitur  talis  ut  a  necessitate 
libéra  sit,  neque  hominum  neque  brutorvim  voluntati  convenit.  Quod  si  -pev  libertatem 
intelligamus  facultatem,  non  quidem  volendi,  sed  quœ  volunt  faciendi,  ea  certe  libertas 
utrique  concedi  potest  ;  et,  cum  adest,  seque  utrique  adest.  (De  Corpore,  C.  XXV,  §  13, 
circa  médium). 

3.  Libert'j  is  the  absence  of  the  ail  impediments  to  action  that  are  not  contained  in  the 
nature  and  intrinsical  quality  of  the  agent.  As,  for  example,  the  water  is  said  to  descend 
jreely  or  to  hâve  liberty,  to  descend  by  the  channel  of  the  river,  1  ecause  is  no  impedi- 
ment  that  way,  biit  not  across,  because  the  banks  are  impediments.  And  though  the 
water  cannot  ascend,  yet  men  never  saj^  it  \\-ants  the  liberty  to  ascend,  but  the  faculty 
or  power,  because  the  impediment  is  in  the  nature  of  the  water,  and  intrinsical.  (Oj  Liberty 
and  Necessity,  §  My  opinion  about  Liberty  and  Necessity,  t.  IV,  p.  273-274). 


SECTION    II.    l'homme    :    §   C.    LA   RELIGION"  363 

verse  que  les  actions  volontaires  ont,  dans  le  voiiloii",  leur  cause  néces- 
saire, et  que,  d'après  ce  qui  a  été  dit,  la  volonté  est  aussi  causée  par 
d'autres  choses  dont  elle  ne  dispose  pas,  _il  s'ensuit  que  toutes  les 
actions  volontaires  ont  des  causes  nécessaires  et,  conséquemment. 
sont  nécessitées  »  ^.  Ces  affirmations,  encore  que  sans  preuves,'  ont 
leur  prix,  car  elles  révèlent  le  fond  même  de  la  pensée  du  philosophe. 
Ainsi  donc  la  prétendue  Hberté  de  l'homme  est  la  résultante  fatale 
de  ses  passions  prédominantes  et,  par  leur  intermécHaù'e,  des  impres- 
sions de  l'imagination  et  des  sens,  dont  les  organes  ont  été  ébranlés 
par  les  mouvements  venus  des  objets  extérieurs.  Bien  plus,  les  réso- 
lutions de  la  volonté  apparaissent  comme  l'effet  des  influences  sans 
nombre  qui  agitent  l'univers  :  (c  On  trouvera  difficilement  mie  action, 
si  fortuite  qu'elle  semble,  à  la  production  de  laquelle  ne  concoure 
tout  ce  qui  existe  in  rerum  natura  »  ^. 


C.    —    L  HOMME    ET    LA    RELIGION 

Les  hommes,  que  Hobbes  se  propose  de  grouper  en  société,  sont 
des  êtres  religieux  ^.  C'est  là  un  fait  incontestable  dont  il  est  obhgé 
de  tenir  compte,  parce  que^leur  foi  et  leur  culte  auront  nécessaire- 
ment sur  la  vie  poBtîque  une  influence^capitale  *.  Voilà  comment 
notre  philosophe  a  été  logiquement  amené,  bien  qu'à  contre-cœur 
sans  doute,  à  s'aventurer  sur  le  terrain  brûlant  de  la  Théologie  ration- 
nelle ^  et  de  la  Théologie  révélée  ^. 

La  Religion  est  une  prérogative  de  l'humanité.  A  la  différence 
des  bêteSj  en  effet,  «  l'homme  observe  comment  une  chose  en  produit 

1.  I  conceive  that  nothing  taketh  beginning  from  itself,  but  froni  the  action,  of  some 
other  immédiate  agent  without  itself.  And  that  therefore,  when  first  a  nian  hath  a 
appetite  or  will  to  snmetliing,  to  which  immediately  before  he  had  no  appetite  nor 
will,  the  cause  of  liis  icill  is  not  the  2vill  itself,  but  somethiny  else  not  in  his  own  disposing.  ' 
So  that  whereas  it  is  out  of  controversy,  that  of  voluntary  actions  the  will  is  the  neces- 
sary  cause,  and,  bj'  this  wliich  is  said,  the  will  is  also  caused  by  other  tliiugs  whereof 
it  disposeth  not,  it  followeth  that  rolioUary  "actions  hâve  ail  of  them  tiecessary  causes, 
and  therefore  are  necessitated  (Of  Liberty  and  Necessity,  §  My  opinion...,  t.  IV,  p.  274, 
%Sizt:,ljJ. 

2.  For  there  is  hardly  any  one  action,  how  casual  soevor  it  seem,  to  the  causing 
whereof  concur  net  whatsoever  is  in  rerum  natura.  (Of  Liberty  and  Necessity,  §  Certain 
Distinctions...,  t.  IV^,  p.  267,  circa  principium). 

3.  Hobbes  énum?re  quatre  «  semences  naturelles  de  la  reUgion  <>  :  la  crainte  des 
esprits,  l'ignorance  des  cavises  secondes,  la  culte  de  ce  que  l'on  redcute  et  l'habitude  de 
voir  des  pronostics  dans  les  événements  fortuits.  Cf.  Leviathan,  C.  XI,  t.  III,  p.  89.  à  la 
fin,  C.  XII  §  In  his. 

4-.  Hobbes  a  e-squissé  sa  Théologie,  soit  à  la  fin  de  sa  Politique  (Ci.  De  Cive,  C.  XV), 
soit  à  la  fin  de  ce  qu'en  peut  appeler,  au  sens  large,  sa  Psychologie.  (Cf.  Human  Nature, 
C.  XI.  —  Leviathan,  Partie  I,  De  Uomine,  C.  XII.  —  ElenieiUa  PhiJosaphiœ,  Sect.  II. 
De  Homine,  C.  XIV).  C'est  à  la  fin  de  la  Psychologie  qu'il  nous  paraît  préféiable  d'ana- 
lyser la  Théodicée  hobbienne. 

5.  Dans  une  Histoire  de  la  Philosophie  c'est  la  Théologie  rationnelle  qui  seule  peut 
nous  intéresser  ex  professa. 

6.  Comme  Hobbes  écrivait  pour  une  société  clurétienne,  il  a  patrie  aussi  de  la  Religion 
révéh'e.  (Cf.  De  Cive,  C.  XVI-XVIII).  —  Leviatlian,  Part.  III.  De  Civitate  christiana. 
P.  IV.  De  Regno  tenebrarum. 


384  ARTICLE    III.    —   CHAPITRE   III.    —   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

une  autre,  et  il  garde  le  souvenir  de  l'antécédent  et  du  conséquent  ; 
même  quand  la  connaissance  des  vraies  causes  lui  échappe,  il  en  sup- 
pose qui  lui  sont  suggérées  soit  par  son  imagination,  soit  par  ceux 
dont  la  sagesse  lui  paraît  supérieure  à  la  sienne  »  ^.  C'est  à  cette  recherche 
anxieuse  des  causes  qu'il  convient  d'attribuer  l'origine  de  la  croyance 
en  Dieu,  du  moins  pour  les  esprits  cultivés  et  vertueux  :  «  La  connais- 
sance avérée  d^^un  Dieu  unique,  éternel,  infini,  omnipotent  a  dû  dériver 
plutôt  du  besoin  qu'ont  les  hommes  de  rechercher  les  causes,  vertus 
et  opérations  des  corps  naturels  que  du  souci  de  leur  avenir.  Car, 
si  d'un  effet  quelconque,  que  l'on  voit,  on  passe  par  le  raisonnement 
à  sa  cause  prochaine,  et  -de  là  à  la  cause  prochaine  de  cette  cause, 
et  si  l'on  se  plonge  profondément  dans  là  série  des  causes,  on  trou- 
vera enfin  (d'accord  avec  les  philosophes  anciens  les  plus  sains  d'es- 
prit) qu'il  y  a  un  premier  moteur  unique,  c'est-à-dire  une  cause 
unique  et  éternelle  de  toutes  choses,  que  tous  appellent  Dieu  »  ^. 

Il  est  donc  manifeste  que  Dieu  existe  ^.  Par  conséquent  l'on  doit 
rejeter,  comme  inconciliables  avec  cette  assertion  fondamentale, 
les  opinions  suivantes  :  identifier  Dieu  au  monde,  faire  de  Dieu  l'âme, 
c'est-à-dire  une  partie  du  monde,  prétendre  que  le  monde  est  éternel, 
enlever  à  Dieu  le  gouvernement  du  monde  et  du  genre  humain, 
car  ce  sont  autant  de  manières  indirectes  de  nier  l'existence  de  Dieu  *. 

«  Ainsi  donc,  quiconque  veut  bien  réfléchir  peut  savoir  que  Dieu  est, 
bien  qu'il  ne  puisse  savoir  ce  quHl  est.  De  même  un  aveugle-né,  quoi- 
qu'il lui  soit  impossible  d'imaginer  quelle  est  la  nature  du  feu,  ne  peut 
cependant  ignorer  qu'il  existe  quelque  chose  que  les  hommes  appellent 
feu,  parce  qu'il  en  sent  la  chaleur  «  ^.  C'est  pourquoi  nous  sommes 
incapables  de  concevoir  et  d'exprimer  en  termes  propres  et  positifs 

L  ...  Hcmo  aiitem,  quse  causa,  quem  effectum  producit  animadvertit,  et  quse  res 
antecessit,  et  quse  consecuta  est,  memoria  tenet  ;  etiam  quando  causarum  verarum 
inscius  est,  causas  supponit,  quse  ipse  imaginatur  vel  suggerunt  alii,  quos  seipso  sapien- 
tiores  esse  arbitratur.  (Leviathan,  C.  XII,  t.  HT,  p.  85,  §  Tertio). 

2.  Agnitio  vero  tinici,  œterni,  infmiti,  omnipotentis  Dei  ab  investigatione  causarum, 
virtutum  operationumque  corporum  naturalium,  quani  a  cura  futuri  temporis,  facilius 
derivari  potuit.  Nam,  qui  ab  eiïectu  quocunque,  quem  viderit,  ad  causam  ejus  proxi- 
mam  ratiocinaretur,  et  inde  ad  illius  causse  causam  proximam  procederet,  et  in  causa- 
rum deinceps  ordinem  profunde  se  immergeret,  inveniret  tandem,  cum  veterum  philo- 
sophorum  sanioribus,  unicum  esse  primum  motorem,  id  est  unicam  et  seternam  rerum 
omnium  causam,  quam  appellant  omnes  Deum.  (Leviathan,  C.  XII,  t.  III,  p.  80, 
circa  médium.  —  Cf.  Human  Nature,  Ch.  XI,  §  2). 

3.  ...  Inprimis  manifestum  est  attribuendam  ei  [Deo|  esse  exsistentiani  (De  Cive, 
C.  XV,  §  14).  —  Mais  on  doit  noter  qu'en  fait  cette  existence  n'est  manifeste  que  pour 
les  esprits  réfléchis  et  maîtres  de  leurs  passions,  car  Hobbes  dit  un  peu  plus  haut  :  Quod 
autem  Deum  esse  ratione  naturali  sciri  posse  dixerim,  ita  accipiendum  est  non  tanquam 
omnes  id  scire  posse  putaverim...  Dico  igitur,  etsi  ab  aliquibus  Deum  esse  lumine  ratio- 
nis  sciri  possit,  tamen  homines  in  voluptatibus,  vel  divitiis,  vel  honoribus  perquirendis 
coniinuo  occupâtes  ;  item  homines,  qui  recte  ratiocinari  non  soient,  vel  non  valent,  vel 
non  curant  ;  denique  insipientes,  in  quo  numéro  athei  sunt,  scire  id  non  posse.  (De 
Cive,  C.  XIV,  §  19,  note,  à  la  fin). 

4.  De  Cive,  C.  XV,  §  14. 

5.  And  thus  ail  that  will  eonsider,  may  know  that  God  is,  thoughnot  what  he  is  :  even 
a  man  that  is  born  blind,  though  it  be  no  possible  for  him  to  hâve  any  imagination 
what  kind  of  thing  fire  is  ;  yet  he  cannot  but  knoiv  that  somewhat  there  is  that  men 
call  fire,  because  it  warmeth  him  (Human  Nature,  Ch.  XI,  §  2,  à  la  fin). 


SECTION    II.    l'homme    :    §   C.    —   LA    RELIGION  365 

la  nature  de  Dieu.  «  Les  attributs  que  l'on  donne  à  la  Divinité  ne 
signifient  donc  que  notre  incapacité  ou  notre  respect  :  notre  incapacité, 
quand  nous  disons  :  incompréhensible  et  infini  ;  notre  respect,  quand 
nous  lui  appliquons  ces  noms  qui,  parmi  nous,  servent  à  désigner 
les  choses  que  nous  magnifions  et  préconisons  le  plus  :  tels  que  omni- 
potent, omniscient,  juste,  miséricordieux,  etc.  Et  quand  le  Dieu  tout- 
puissant  s'apphque  à  lui-même  ces  noms  dans  les  Écritures,  c'est 
seulement  yyHoio-o-y.hCoç.  c'est-à-dire  par  condescendance  à  notre 
façon  de  parler  ;  sans  quoi  nous  serions  incapables  de  le  comprendre  »  ^. 
Hobbes  nous  a  laissé  un  exemple  tj^ique  de  la  manière  anthro- 
pomorphique  dont  il  exphque  l'attribut  div^in  de  la  toute-puissance. 
Cette  manière  n'est  qu'une  application  à  Dieu  de  la  méthode  qu'il 
emploie  pour  justifier  l'origine  d'un  pouvoir  souverain  dans  la  société 
humaine.  De  par  la  nature,  chaque  homme  a  droit  à  tout  ;  mais,  en 
pratique,  ce  droit  serait  vaiii,  parce  que  tous  ses  semblables  ont  les 
mêmes  titres  que  lui  à  faire  valoir.  C'est  pourquoi  ceux,  qui  veulent 
exercer  en  paix  leur  diverses  facultés,  doivent  s'associer  et  se  dépouiller 
également  de  leurs  droits  en  faveur  de  l'État  qu'ils  établissent  et 
qui  en  devient  le  protecteur  efficace.  La  nécessité  de  ce  pacte  social 
vient  donc  de  ce  que  les  hommes,  qui  rivahsent  entre  eux,  ont  pra- 
tiquement des  ressources  qui  s'équivalent  ^.  «  Mais,  si  quelqu'un 
avait  surpassé  tellement  les  autres  en  puissance  qu'ils  fussent,  même 
en  réunissant  toutes  leurs  forces,  incapables  de  lui  résister,  il  n'y 
aurait  eu  absolument  aucune  raison  pour  lui  d'abandonner  le  droit 
que  la  nature  lui  avait  accordé.  Il  demeurerait  en  possession  du  droit 
de  dominer  tous  les  autres  à  cause  de  cet  excédent  de  puissance  qui 
lui  aurait  permis  de  les  conserver  en  se  conservant  lui-même.  A  ceux 
donc,  dont  la  puissance  est  irrésistible,  et  par  conséquent  à  Dieu 
omnipotent,  appartient  le  droit  de  domination,  qui  dérive  de  leur 
puissance  même.  Chaque  fois  que  Dieu  punit  ou  même  frappe  de  mort 
un  pécheur,  la  punition  est  sans  doute  provoquée  par  le  péché  ; 
il  ne  faut  pas  dire  cependant  que  Dieu  n'aurait  pu  en  toute  justice 
châtier  et  même  tuer  cet  homme,  au  cas  où  il  n'eût  point  péché  »  ^. 

1.  The  attrihutes  therefore  given  unto  the  Deity,  are  sucli  as  signify  either  ozir  incapa- 
city  or  our  reverenre  :  our  iricapacity,  when  we  say  incompréhensible,  and  infinité  ; 
our  révérence  when  we  give  him  those  names,  whieh  amongst  us  are  the  names  of 
those  things  we  most  niagnify  and  commend,  as  omnipotent,  omniscient,  just, 
merciful,  etc.  And  when  Gold  Almighty  giv^eth  those  names  to  himself  in  the  Scrip- 
tures,  it  is  but  àvOoojrorraOw;,  that  is  to  say,  by  descending  to  our  manner  of 
speaking  ;  without  which  we  are  not  capable  of  understandi«g  him.  (Human  Nature, 
Ch.  XI,  §  3,  in  medio ). 

2.  Cf.  infra,  p.  379  381,  l'exposition  détaillée  de  la  théorie  du  contrat  social  tel  que 
l'entend  Hobbes.  Pour  lui  les  hommes  sont  pratiquement  égaux,  parce  que  le  plus  faible 
a  contre  le  plus  fort  la  ressource  de  le  tuer,  ce  qui  rétablit  l'équilibre.  Cf.  p.  368-369. 

3.  Quod  si  quis  cœteros  potentia  in  tantum  anteisset,  ut  resistere  ei  ne  omnes  quide  n 
conjunctis  viribus  potuissent,  ratio,  quare  de  jure  sibi  a  natura  concesso  decederet, 
nuUa  omnino  fuisset.  Mansisset  igitur  ipsi  jus  domini  in  cseteros  omnes  propter  poten-. 
tiae  excessum,  qua  et  se  et  illos  conservare  potuisset.  lis  igitur,  quorum  potentise 
resisti  non  potest,  et  per  consequens  Deo  omnipotenti,  jus  dominandi  ab  ipsa  potentia 
derivatur.  Et  quotiescunque  Deus  peccatorem  punit  vel  etiam  interficit,  etsi  ideo 
puniat  quia  peccaverat  ;  non  tamen  dicendum  est  non  potuisse  eum  eundem  juste 
affligere  vel  etiam  occidere,  etsi  non  peccasset.  (De  Cive,  C.  XV,  §  5,  in  medio). 


366  ARTICLE    III.   CHAPITRE   III.    LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

Quand  il  s'agit  de  l'homme,  Hobbes  fait  reposer  le  droit  sur  la 
force.  De  même  le  droit  de  Dieu  a  pour  source  et  mesure  sa  puissance. 
Si  Dieu  tire  son  droit  de  régner  de  son  omnipotence,  il  est  manifeste 
que  l'obligation  qui  incombe  aux  hommes  de  lui  rendre  obéissance 
provient  de  leur  faiblesse  ^.  La  cramte  est  donc,  en  dernière  analyse, 
le  fondement  de  la  religion  natiu-elle  comme  de  la  société  civile  ^. 

Hobbes  s'est  servi  de  l'argument  causal  pour  établir  le  déterminisme 
de  la  nature  ;  c'est  aussi  par  le  principe  de  causalité  qu'il  démontre 
l'existence  d'un  Etre  tout-puissant.  Appuyé  sur  la  notion  rigide  de  la 
nécessité,  il  ne  pouvait  aboutir  logiquement  à  la  conception  d'un  Dieu 
d'amour  et  de  charité.  Ultérieui'ement,  à  propos  du  culte,  il  introduira 
l'idée  de  la  bonté  ^  et  présentera  Dieu  comme  un  Père  ^  ;  mais  ce  com- 
plément indispensable  est  ajouté  par  surcroît  à  la  notion  de  toute- 
puissance  et  amené  pour  ainsi  dire  du  dehors,  au  heu  d'être  tiré  ab  intra, 
c'est-à-dire  d'une  conception  plénière  de  Dieu. 

Qui  nous  fera  connaître  et  nous  intimera  les  ordres  de  ce  Maître 
absolu  ?  Le  héraut  qui  nous  a  déjà  notifié  son  empire  :  la  parole 
rationyielle  de  Dieu,  la  raisoîi  ^.  L'existence  de  Dieu  étant  démontrée 
par  l'argument  causal,  il  est  facile  d'en  déduire  nos  obligations  envers 
lui,  en  tant  qu'il  règne  sur  la  nature  entière  ^.  Toutes  se  ramènent 
à  une  seule  :  VJionorer.  Qu'est-ce  que  l'homieur  ?  L'opinion  que  l'on 
a  de  la  puissance  et  de  la  bonté  d'autrui.  L'honneur,  ainsi  considéré 
comme  un  état  subjectif  de  celui  qui  honore,  entraîne  nécessairement 
à  sa  suite  trois  sentiments  :  Vamour,  qui  se  rapporte  à  la  honte  de  celui 
qu'on  veut  honorer  ;  Vespérance  et  la  crainte^  qui  se  rapportent  à  sa 
puissance  '.  Ces  sentiments  se  traduisent  au  dehors  par  des  actes 
qui  ont  pour  but  ordinaire  d'apaiser  les  puissants  et  de  se  les  rendre 
proprices  :  effets  de  l'honneur,  ils  en  sont  les  signes  naturels.  Par  leur 
moyen  nous  manifestons  à  nos  semblables  en  quelle  haute  estime  nous 
tenons  celui  auquel  ils  s'adressent.  C'est  ainsi  que  la  notion  d'honneurs 
à  rendre  s'identifie  avec  la  notion  de  culte,  car  «  le  culte  est  un  acte 
extérieur,  signe  de  l'honneur  interne  «  ^. 

Le  culte  emploie  deux  espèces  de  signes  :  les  paroles  et  les  actes. 
L'une  et  l'autre  sont  susceptibles  de  trois   sortes  de  manifestations  : 

1.  Quod  si  jus  regnandi  habeat  Deus  ab  oninipotentia  sua,  naanifestum  est  ohligatio- 
nem  ad  prsestandani  ipsi  obedientiam  incumbere  hominibus  propter  imbecillitatem. 
(De  Cive,  C.  XV,  §  7). 

2.  Cf.  infra,  p.  308-369. 

3-4.  Optimus,  bonus.  (De  Cive,  C.  XV,  §  14,  circa  finem).  —  Un  peu  plus  bas  il  ajoute  : 
Unicum  enim  ratio  dictât  natur:e  significativum  Dei  nomen,  existens,  sive  simpliciter 
quod  est  ;  ununique  relationis  ad  nos,  nempe  Deus,  quo  continetur  et  Rex,  et  Dominus 
et  Pater.  (Ibidem,  à  la  fin  §  14). 

5.  ...  Verbum.  Dei,  nimirum  verhum  rationale...  (De  Cive,  C.  XV,  §  3,  circa  finem). 

6.  De  Cive,  C.  XV,  De  Regno  Dei  per  naturam,  §  8. 

7.  Honor,  propi-ie  loquendo,  nihil  aliud  est  quam  opinio  alienae  potentiœ  conjunctse 
cum  bonitate.  Et  Jwnorare  aliquem  idem  est  quod  magni  œstimare.  Et  sic  honor  non  in 
honorato,  sed  in  honorante  est.  Honorem  autem  in  opinione  situni  consequuntur  neces- 
sario  très  affectus  :  anior,  qui  ad  bonitatem  ;  spes  et  timor,  qui  ad  q>otentiam  referuntur. 
(De  Cive,  C.  XV,  §  9). 

8.  ...  Ut  honor  idem  sit  quod  cuHus.  Cultus  autem  est  actus  externus  honoris  interni 
signum.    (De  Cive,  C.  .X\,  ^  Q,  circa  finem). 


SECTION   III.   LE   CITOYEN    :    §   I.   —  l'ÉTAT  DE   NATURE  367 

louer  la  bonté,  magnifier  la  puissance  présente  et  proclamer  la  félicité 
ou  puissance  à  venir  ^.  Il  faut,  en  outre,  prier  Dieu,  lui  rendre  des  actions 
de  grâces,  lui  offrir  des  sacrifices,  invoquer  son  nom  dans  les  serments, 
ne  pas  en  parler  inconsidérément,  ne  pas  discuter  sur  sa  nature  ^. 

Dans  le  règne  de  Dieu  par  la  nature,  c'est-à-dire  dans  le  cas  «  où  il 
gouverne  les  hommes  par  les  ofdres  de  la  droite  raison  »  ^,  il  appar- 
tient à  l'État  de  fixer  les  règles  du  culte  divin  ^. 


SECTION    III.    —    Le    Citoyen  s. 

I.    —    L'ÉTAT    DE   NATURE 

La  plupart  de  ceux  qui  ont  écrit  sur  la  société  supposent  que  l'homme 
est  mi  animal  politique  (àv6sto-oç  iÇcoov  -rjj.i-zv/Jrj,  comme  disent 
les  Grecs),  et  c'est  sur  ce  fondement  qu'ils  construisent  leur  théorie 
sociale.  Une  pareille  assertion,  acceptée  comme  un  axiome,  est  faus.se. 
Cette  erreur  provient  d'une  observation  bien  superficielle  de  la  nature 
humaine.  Sans  doute  les  hommes  se  recherchent  et  s'unissent,  mais 
ce  qui  les  attire  les  uns  vers  les  autres,  ce  n'est  pas  un  amour  naturel. 
L'homme  n'aime  pas  l'homme  en  tant  qu'homme  ®.  Sa  conduite  est 
dictée  par  l'intérêt  ou  la  vanité.  Chacun  fréquente  les  personnes  qui 
peuvent  lui  être  utiles,  l'honorer  ou  l'amuser  par  leurs  ridicules.  Ce 
n'est  point  la  bienveillance  mutuelle  qui  rapproche.  Car,  le  plus  sovi- 
vent,  dans  les  réunions,  on  tombe  sur  les  absents,  on  examine,  on 
juge,  on  condamne,  on  raiUe  leur  vie  entière,  leurs  paroles,  leurs 
actions.  Les  présents  ne  sont  épargnés  que  pour  pâtir  de  la  même  ma- 
nière, dès  qu'ils  seront  sortis.  Aussi  n'agissait-il  pas  sottement  celui 
qui  avait  coutume  de  ne  quitter  la  scène  de  la  conversation  que  le 
dernier  de  tous.  Et  voilà  les  vraies  délices  de  la  société  '^.  «  C'est  ainsi 

1.  De  Cive,  C.  XV,  §  10. 

2.  De  Cive,  C.  XV,  §  15. 

3.  Regnum...  naturale,  in  quo  récit  [Deus,  per  dictamina  rectse  rationis.  (De  Cive, 
C.  XV,  §  4). 

4.  De  Cive,  C.  XV.  §  16. 

5.  Cf.  De  Corpore  politico  or  the  Eléments  of  Law  moral  and  poîUic...  —  Elemenia  Philo- 
sophiœ  :  Sectio  III.  •  De  Cive.  —  Leviaihan,  Pars  II,  III,  et  IV. 

6.  Nam  si  homo  hominem  amaret  naturaliter,  id  est,  ut  hominem,  nulla  ratio  reddi 
posset  quare  unusquisque  unumqiienique  non  seque  ainaret,  ut  seque  hominem,  aut 
cur  eos  frequentaret  potius,  in  quorum  societate  ipsi  potius  quam  aliis  defertur  honor 
et  utilitas.  (De  Cive,  C.  I,  §  2,  vers  le  début). 

7.  Si,  animi  et  liilaritatis  causa,  solet  nnaxiine  perplacere  sibi  unusquisque  iis  rébus 
quse  risum  excitant,  unde  possit,  prout  est  natura  ridiculi,  compara tione  turpidinis 
vel  infirmitatis  aliense,  ipse  sibimet  commendatior  evadere.  Etiamsi  autem  hoc  inno- 
cuum  aliquando  et  sine  offensa  fit,  manifestum  tamen  est  delectari  eos  non  prius 
societate  quam  gloria  sua.  Caeterum  plerumque  in  hujusniodi  congressibus  lœduntur 
absentes,  eoruin  tota  vita,  dicta,  facta  exaininantur,  judicantur,  condomnantur  et 
dicteriis  traducuntur  ;  neque  parcitur  ipsismet  confabulantibus,  quin  idem  patiantur 
simul  atque  e  consessu  exierint  ;  adeo  ut  non  absurdum  fuerit  consilium  ojus  qui  a 
scena  confabulantium  exire  novissimus  solebat.  (De  Cive,  C.  I,  §  2). 


368  ARTICLE    III.    —   CHAPITRE   III.    LA   TRILOGIE    HOBBIENNE 

que  les  motifs  qui  poussent  les  hommes  à  se  réunir  en  société  nous 
sont  révélés  par  ce  qu'ils  font  une  fois  réunis  »  ^.  L'expérience  actuelle 
montre  donc  qu'on  ne  doit  pas  chercher  l'origine  de  la  société  dans 
une  disposition  spontanée  de  réciproque  bienveillance  que  la  nature 
aurait  mise  au  cœur  des  hommes,  mais  dans  le  besoin  qu'ils  ont 
les  uns  des  autres  ou  le  désir  d'en  tir'er  de  la  gloire  ^. 

Le  raisonnement  conduit  à  la  même  conclusion  si  on  l'applique 
aux  définitions  de  la  volonté,  du  bien,  de  Vhonneur  et  de  Yutile.  Puisque 
la  société  est  contractée  volontairement,  on  y  recherche  l'objet  de  la 
volonté,  c'est-à-chre  ce  qui  paraît  bon  à  chacun  de  ceux  qui  y  entrent. 
Or  ce  qui  paraît  bon  est  agréable  et  se  rapporte  soit  aux  organes, 
soit  à  l'âme.  Tout  le  plaisir  de  l'âme  consiste  dans  la  gloire,  c'est-à-dire 
la  bonne  opinion  qu'on  a  de  soi-même,  ou  dans  ce  qui  favorise  la 
gloire.  Les  autres  plaisirs  regardent  les  sens  ou  y  conduisent  :  d'un 
mot,  ce  sont  les  commodités  de  la  vie.  Toutes  les  sociétés  sont  donc 
fondées  en  vue  de  l'utile  ou  de  la  gloire  :  par  conséquent  c'est  l'amour- 
propre,  et  non  l'amour  pour  les  associés,  qui  les  fait  contracter  ^. 

Cependant  le  désir  de  la  gloire  ne  peut  donner  naissance  à  une 
société  de  beaucoup  de  membres  ni  de  longue  durée,  parce  que, 
comme  l'honneur,  la  gloire  commune  à  tous  n'est  la  gloire  pour  per- 
sonne. Elle  suppose  en  effet  la  comparaison  et  la  prééminence.  L'aide 
qu'on  a  reçue  d'autrui  pour  s'élever  à  la  gloire,  en  diminue  le  prix, 
car  l'on  est  d'autant  plus  grand,  qu'on  peut  davantage  par  soi-même, 
sans  assistance  étrangère  ■*. 

Quant  aux  commodités  de  la  vie,  le  secours  mutuel  peut  assuré- 
ment les  augmenter.  Mais,  comme  la  domination  les  procure  bien 
plus  efficacement  que  l'entr'aide  sociale,  si  la  crainte  était  bannie 
parmi  les  hommes,  ils  se  porteraient  naturellement,  personne  n'en 
doit  douter,  avec  plus  d'avidité  vers  la  domination  que  vers  la  so- 
ciété ^. 

La  raison  et  l'expérience  s'unissent  donc  pour  prouver  que  «  l'ori- 
gine des  sociétés  grandes  et  durables  »  n'est  point  due  à  un  sentiment 
de  mutuelle  bienveillance,  ni  au  désir  de  la  gloire  et  des  avantages 
matériels.  Le  vrai  motif  c'est  la  crainte  ^. 

La  crainte  a  deux  causes  :  l'égalité  naturelle  des  hommes,  tant  au 
point  de  vue  des  facultés  du  corps  que  de  l'âme,  et  leur  mutuelle 
volonté  de  nuire.  De  là  vient  que  nous  ne  pouvons  ni  attendre  des 
autres,  ni  nous  procurer  à  nous  mêmes  quelque  sécurité.  En  effet, 

1.  Qiio  autem  consilio  homines  congregentur,  ex  iis  cognoscitur  qiise  faciunt  congre- 
gati.  (De  Cive,  C.  I,  §  2). 

2.  Clarum  adeo  est  experientia  omnibus,  qui  ras  hximanas  paulo  attentius  considé- 
rant, quod  congressus  omnis  spontaneus  vel  egestate  mutua  conciliatur,  vel  captanda 
gloria.  (De  Cive,  C.  I,  §  2). 

3.  De  Cive,  C.  I,  §  2. 

4.  Gloriae  autem  studio  nuUa  iniri,  neque  multorum  hominum,  neque  multi  temprris, 
societas  potest  ;  propterea  quod  gloriatio,  sicut  et  honor,  si  omnibus  adsit,  nulli  adest  ; 
quippe  quae  comparatione  et  praecellentia  constant  ;  neque,  ut  quis  causam  gloriandi 
in  se  habeat,  adjumentum  ullum  accedit  ex  aliorum  societate.  Tanti  enim  quisque  est, 
quantum  sine  aliorum  ope  ipse  potest.  (De  Cive,  C.  I,  §  2,  circa  finem). 

5-6.  De  Cive,  C.  I,  §  2. 


SECTION   III.   LE   CITOYEN    :    §   I.   —  L  ETAT   DE   NATURE  369 

la  structure  du  corps  humain  est  si  fragile,  que  la  vie  du  plus  robuste 
€st  à  la  merci  du  plus  faible.  Aussi  celui  qui  est  fier  de  sa  force  ne  doit 
pas  se  considérer  comme  supérieur  aux  autres.  Car  a  ceux-là  sont 
égaux  qui  peuvent  choses  égales.  Or  ceux  qui  peuvent  ce  qu'il  y  a 
de  plus  grand,  à  savoir  ôter  la  vie,  peuvent  choses  égales.  Les  hommes 
sont  donc  tous  naturellement  égaux.  L'inégahté  qui  règne  mainte- 
nant a  été  introduite  par  la  loi  civile  »  ^. 

Trouvant  sans  doute  insuffisante  cette  preuve  tirée  de  a  la  force 
coqîorelle  »  ^,  Hobbes  en  ajouta  plus  tard  une  autre  dans  Je  Léviathan  : 
«  Pour  les  facultés  de  l'esprit  (si  l'on  excepte  les  règles  générales 
des  sciences  qui  sont  l'apanage  de  peu  de  personnes  et  qu'elles  pos- 
sèdent en  très  peu  de  choses,  car  cette  connaissance  n'est  pas  innée 
et  ne  s'acquiert  point  par  la  prudence  sans  l'étude),  je  trouve  qu'une 
égahté  plus  grande  encore  s'y  manifeste.  Car  toute  prudence  est  fruit 
de  l'expérience,  et  la  nature  l'accorde  également  à  tous  en  temps 
égal  dans  ces  choses  où  ils  apphquent  également  leur  esprit.  Ce  qui 
fait  paraître  douteuse  cette  égaUté,  c'est  l'opinion  de  ceux  qui  s'es- 
timent eux-mêmes  plus  que  de  raison  »  ^. 

Quant  à  l'universelle  volonté  de  nuire,  elle  provient  de  causes 
diverses.  La  plus  fréquente  est  que  plusieurs  désirent  en  même  temj^s 
une  même  chose,  dont  ils  ne  peuvent  jouir  en  commun  ou  qui  ne  peut 
se  partager.  Dans  l'état  de  nature,  il  n'y  a  pas  de  supérieur  pour  tran- 
cher le  différend.  Qui  décidera  ?  La  lutte.  Qui  l'emportera  ?  Le  plus 
fort.  La  force  est  donc  l'unique  arbitre  *. 

Parrni  tant  de  périls,  auxquels  la  cupidité  naturelle  des  hommes 

1.  vEquales  enim  sunt  qui  sequalia  conti'a  se  invicem  possunt.  At  qui  jnaxima  possunt,  ! 
nimirum  occidere,  sequalia  possunt.  Sunt  igitur  omnes  homines  natura  inter  se  sequales.  ■ 
Inœqualitas,  quse  nunc  est,  a  lege  civili  introducta  est.  (De  Cive,  C.  I,  §  3,  à  la  fin).        • 

2.  Tvim  corporis  tum  animae  facultatibus  adeo  sequales  inter  se  produxit  natura 
homines,  ut  quamvis  alii  aliis  viribus  aut  ingenio  praestent,  si  tamen  ojnnia  siniul  consi- 
derentur,  differentia  tanta  non  est  ut  promittei-e  sibi  conimodi  quicqnam  possit  u-nus, 
quod  alius  sperare  aeque  non  potest.  Quod  attinet  ad  vim  corporea.in,  rai'O  invenias 
hominem  ita  imbecillum,  ut  fortissimum  non  possit  interficere  vel  dolo,  vel  conjvmc- 
tione  eum  aliis  quibus  periculum  est  commune.  (Léviathan,  C.  XIIÎ.  t.  JII,  p.  97).  En 
faisant,  ici,  appel  au  secours  d'autrui  pour  aider  le  meurtrier,  Hobbe^^  détrviit  lui-même 
l'argument  sophistique  qu'il  avait  donné,  dans  le  De  Cive,  pour  établn  J'égalité  naturelle 
de  chaque  homme.  Là,  au  moins,  en  laissant  le  meurtrier  agir  seul,  il  sauvait  les  appa- 
rences. 

3.  Quod  autem  attinet  ad  facultates  animi  (verborum  artibus,  id  est,  scientiarum  ' 
regulis  generalibus  exceptis,  quas  pauci  et  in  rébus  paucissimis  possident,  ut  quse 
nec  nobiscum  natse  sint,  nec  a  prudentia  sine  studio  acquisitse),  jnajorem  adhuc  in- 
venio  sequalitatem.  Prudentia  enim  omnis  ab  experientia  est,  et  omnibus  sequali  tem- 
pore  in  iis  rébus,  quibus  animum  sequaliter  applicant,  sequaliter  tribuitur  a  natura.  Id 
vero,  quod  sequalitatem  hujusmodi  dubiam  videri  facit,  opinio  tantuin  est  eorum  qui 
plus  juste  se  sestimant.  ( Leviatlian,  C.  XIII,  t.  III,  p.  97-98).  Argianiont  presque  aussi 
étrange  que  celui  relatif  «  aux  facultés  du  corps  v  ;  en  tout  cas,  il  est  <  yalement  illusoire. 
On  voit  d'ailleurs  que  l'égalité,  au  sens  de  Hobbes,  ne  ressemble  pas  ;i  celle  dont  parlent 
Rousseau  et  la  Déclaration  des  droits  de  l'homme. 

4.  Frequentissima  autem  causa,  quare  homines  se  mutuo  Isedere  ciipiunt,  ex  eo  nas- 
citur  quod  multi  simui  eandem  rem  appetant,  qua  tamen  saepissime  noque  frui  commu- 
niter,  neque  dividere  possunt,  unde  sequitur  fortiori  dandam  esse  ;  quis  autem  fortior 
sit,  pugna  judicandum  est.  (De  Cive,  C.  I,  §  6.  —  Cf.  Léviathan,  C.  XIII,  t,  III,  p.  98, 
^  Ab  œqualitatej. 

24 


370  ARTICLE  III.   —  CHAPITRE   III.   —  LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

les  exposent  chaque  jour,  il  est  immanquable  que  chacun  se  tienne 
sur  ses  gardes.  Car  chacun  se  porte  vers  ce  qui  est  bon,  et  fuit  ce  qui 

.est  mauvais,  surtout  le  pire  des  maux  naturels,  la  mort.  La  nécessité 
inhérente  à  ces  inclinations  n'est  pas  inoins  fatale  que  «  celle  qui 
emporte  la  pierre  en  bas  »  ^.  C'est  pourquoi  il  n'est  point  contraire 
à  la  droite  raison  de  tout  faire  pour  préserver  son  corps  et  ses  membres 
de  la  mort  et  de  la  souffrance.  Or  tous  reconnaissent  que  ce  qui  n'est 
pas  contraire  à  la  droite  raison,  est  juste  et  fait  à  bon  droit.  «  Le  bon 
droit,  en  effet,   signifie  simplement  la  liberté  que  chacun  a  d'user 

!  conformément  à  la  droite  raison  de  ses  facultés' naturelles.  En  consé- 
quence, le  premier  fondement  du  droit  naturel  est  que  chacun  défende 
le  mieux^  possible  sa  vie  et  ses  membres  »  ^.  Mais  le  droit  à  la  fin  impUque 
le  droit  aux  moyens  nécessaires  pour  l'atteindre.  Donc,  puisque  chacun 
a  le  droit  de  se  conserver,  il  a  par  là  même  celui  d'user  de„tous  les 
moyens,  sans  lesquels  il  ne  le  pourrait  faire  ^. 

Quels  moyens  sont  nécessaires  ?  A  chacun  de  voir  et  d'en  décider. 
En  effet,  «  s'il  est  contraire  à  la  di^oite  raison  que  je  juge  moi-même 
de  mon  propre  péril,  qu'un  autre  en  juge.  Or,  dès  qu'un  autre  juge 
des  choses  qui  me  concernent,  par  la  même  raison,  puisque  nous 
sommes  égaux  par  nature,  je  jugerai  de  celles  qui  le  regardent.  Il  est 
donc  suivant  la  droite  raison,  c'est-à-dire  de  droit  naturel,  que  je 
juge  de  son  opinion,  à  savoir  si  elle  favorise  ou  non  ma  conserva- 
tion ))  ^. 

Chacun,  étant  juge  légitime  de  ce  qui  est  utile  à  sa  préservation, 

a  naturellement  droit  à  tout  ;  chacun  peut  posséder  et  faire  tout  ce 

qu'il  juge  convenable  pour  défendre  sa  vie  et  ses  membres.  D'où  il 

résulte  que,  «  dans  l'état  de  nature,  l'utlUté  est  la  mesure  du  droit  »  ^. 

Dans  l'état  de  nature  tout  est  donc  permis  à  tous  ^.  Mais  ce  droit 

1.  ...  Idque  necessitate  quadam  naturae  non  minore  quam  qua fertur lapis  deorsum. 
(De  Cive,  C.  I.  §  7). 

2.  Quod  autem  contra  rectam  rationom  non  est,  id  juste  et  jure  factum  omnes  dicunt.^ 
Neque  enim  juris  nomine  aliud  significatur,  quam  libertas  quam  quisque  habet  facul- 
tatibvis  naturalibus  seeundum  rectam  rationeni  utendi.  Itaque  juris  naturalis  fundamen- 
tum  primum  est  ut  quisque  vitam  et  inembra  sua  quantum  potest  tuealur.  (De  Cive, 
C.  I,  §  7). 

X  De  Cive,  C.  I,  §  8. 

4.  Si  enim  contra  rectam  l'ationem  sit  ut  de  proprio  periculo  ipse  judicem,  judicet 
alius.  Quoniam  ergo  alius  judicat  de  iis  rébus  quse  ad  me  spectant,  eadem  ratione,  quia 
œquales  natura  sumus,  judicabo  ego  de  iis  rébus  quas  adipsum  spectant.  Itaque  rectae 
rationis,  id  est,  juris  naturalis  est  ut  ego  de  illius  judicem  sententia,  scilicet  an  ad  con- 
servationem  meam  conducat,  necne.  (De  Cive,  C.  I,  §  9). 

5.  Natura  dédit  unicuique  jus  in  omnia.  Hoc  est,  in  statu  mère  naturali,  sive  antequam 
homines  ullis  pactis  sese  invicem  obstrinxissent,  unicuique  licebat  facere  qusecunque 
et  in  quoscunque  libebat,  et  possidere,  uti,  frui  omnibus  quae  volebat  et  poterat...  Ex 
quo  etiam  intelligitur  in  statu  naturae  mensuram  juris  esse  utilitatem.  (De  Cive,  C.  I, 
§  10). 

6.  Dans  une  note  Hobbes  remarque  que,  dans  l'état  de  nature,  on  peut  pécher  contre 
Dieu  et  les  lois  naturelles.  Ainsi,  quelqu'un  qui,  tout  en  étant  convaincu  du  contraire, 
affiche  la  prétention  que  l'emploi  de  tel  moyen  est  nécessaire  à  sa  conservation,  peut 
violer  les  lois  naturelles.  (Ci.  De  Cive,  C.  III).  Mais,  dans  l'état  de  nature,  on  ne  commet 
pas  d'injustice  contre  l'homme,  parce  qu'une  telle  injustice  suppose  des  lois  humaines, 
lesquelles  sont  inexistantes  avant  l'établissement  de  la  société.  (Hoc  ita  intelligendum 
est,  quod  quis  fecerit  in  statu  mère  naturali,  id  injïu-iu7n  horaini  quiderii  nemini  esse... 


SECTION   III.   LE   CITOYEN    :    §   I.   L'ÉTAT   DE   NATURE  371 

appartenant  à  tous,  c'est  comme  s'il  n'appartenait  à  personne,  car, 
si  chacun  pouvait  dire  de  toute  chose  :  Ceci  est  à  moi,  il  n'en  pouvait 
jouir,  à  cause  du  voisin  qui,  avec  le  même  droit  et  une  force  égale, 
élevait  une  prétention  semblable  ^. 

L'inclination  naturelle  qu'ont  les  hommes  de  se  nuire  les  uns  aux 
autres  et  ce  droit  de  tous  à  tout,  en  vertu  duquel  chacun  attaque  et 
chacun  résiste  légitimement,  sont  la  source  de  suspicions  et  de  riva- 
lités perpétuelles.  «  Comment  nier,  après  cela,  que  l'état  naturel  des 
hommes,  avant  de  se  réunir  en  société,  soit  la  guerre,  la  guerre  de  ' 
tous  contre  tous  ?  Qu'est  en  effet  la  guerre,  sinon  ce  temps  où  paroles  j* 
et  actes  manifestent  suffisamment  la  volonté  d'en  venir  à  une  lutte 
violente  ?  Le  reste  du  temps  est  ce  qu'on  nomme  la  paix  »  2. 

Quer  état  misérable!  C'est  le  confluent  de  tous  les  maux.  Car, 
«  dans  de  pareilles  conditions,  il  n'y  a  aucune  place  pour  le  travail, 
parce  que  le  fruit  en  demeure  incertain.  Conséquemment,  pas  de  cul- 
ture de  la  terre,  pas  de  navigation,  pas  d'importation  par  mer  des 
produits  étrangers,  pas  d'édifices  commodes,  pas  d'instruments 
capables  de  mouvoir  et  de  transporter  les  objets  qui  exigent  une 
grande  force  motrice  ;  aucune  connaissance  de  la  surface  de  la  terre, 
aucun  calcul  du  temps  ;  ni  arts,  ni  lettres,  ni  société  ;  et,  ce  qui  est  le 
pire,  une  crainte  et  un  danger  continuels  de  mort  violente  ;  bref, 
l'homme  traînant  une  vie  solitaire,  indigente,  malpropre,  animale  et 
courte  ))  ^. 

Cette  situation  lamentable  est  la  conséquence  logique  de  l'état 
de  nature,  car  cet  état  de  lutte  perpétuelle  pour  le  gain,  la  gloire, 
la  vie  ^,  enlève  à  la  sécurité  et  à  la  prospérité  leurs  fondements  néces- 
saires. Etant  données  l'égalité  et  l'indépendance  de  chaque  individu, 
pas  de  souveraineté.  Conséquemment,  il  n'y  a  pas  heu  de  distinguer 
entre  le  bien  et  le  mal,  le  juste  et  l'injuste,  car,  sans  pouvoir  com- 
mun, pas  de  loi  ;  sans  loi,  pas  d'injustice.   En  guerre,  force  et  fraude 

Nam  injustitia  erqa  homines  supponit  leges  humanas,  quales  in  statu  naturali  mi'lœ  sunt. 
(De  Cive,  C.  I,  §  10,  note).  —  Non  quod  in  tali  statu  [naturalil  peccare  in  Deutn,  aui 
leges  naturales  violare  impossibile  sit...  Quodsi  quis  ad  sui  conservationem  pertincre 
prœtendit,  quod  ne  ipse  quidem  pertinere  putat  peccare  potest  corUra  leges  naturales  ;  ut 
capite  tertio  fuse  explicatum  est.  (De  Cive,  C.  I,  §  10,  note). 

1.  De  rive,  C.  I,   §   11. 

2.  ...  Si  addas  jam  jus  omnium  in  omnia,  quo  alter  jure  invadit,  al  ter  jure  resistit, 
atque  exoriuntur  omnium  adversus  omnes  perpetuse  suspiciones  et  studium,...  negari 
non  potest  quin  status  hominum  naturalis,  antequam  in  societatem  eoiretur,  bellum 
fuerit  ;  neque  hoc  simpliciter,  sed  beUum  omnium  in  omnes.  Bellum  enim  quid  est, 
prscter  tempus  illud  in  quô  voluntas  certandi  per  vim  verbis  facfeisve  satis  declaratur  ? 
Tempus  reliquum  pax  vocatur.  (De  Cive,  C.  T,  §  12.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XIII,  t.  III, 
p.  99-100). 

3.  In  such  condition,  there  is  no  place  for  industry,  because  the  fruit  thereof  is 
un  ertain,  and  consequently  no  culture  of  the  earth  ;  no  navigation,  nor  use  of  the 
commodities  that  may  be  imported  by  sea  ;  no  commodious  building  ;  no  instruments 
of  moving  and  removing  such  things  as  require  mucli  force  ;  no  knowledge  of  the  face 
aï  the  oarth  ;  no  account  of  time  ;  no  art^  ;  no  letters  ;  no  society  ;  and,  which  is  worst 
of  ail,  continuai  fear  and  danger  of  violent  death  ;  and  the  life  of  man,  solitary,  poor, 
nasty,  brutish  and  short.  (Leviathan,  C.  XIII,  Ed.  M.  t.  III,  p.  113.  —  Texte  lat.. 
t^lll,  p.  100,  §  Quicquid). 

i.  Zeviathan,  C.  XTII,  t.  III,  p.  99,  §  Itaque. 


372  ARTICLE   III.   —  CHAPITRE   III.   —  LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

sont  les  deux  vertus  cardinales  ^.  La  justice  et  l'injustice  sont  des 
.qualités  non  de  l'homme  en  tant  qu'homme,  mais  de  l'homme  en 
tant  que  citoyen.  Autrement,  n'y  eût-il  au  monde  qu'un  seul  homme, 
il  devrait  les  avoir,  ce  qui  n'est  pas  possible.  Enfin,  pas  de  propriété, 
pas  de  mien  et  de  tien  ;  chacun  possède  ce  qu'il  a  acquis,  et,  cela, 
tant  qu'il  sera  en  mesure  de  le  conserver  2, 

Celui  qui  estimerait  qu'il  faut  demeurer  dans  cet  état,  où  tout  est 
permis  à  tous,  se  contredirait  lui-même.  Car  chacun  désire  par  une 
nécessité  naturelle  ce  qui  lui  est  bon  ;  or  personne  ne  peut  estimer 
que  cette  guerre  de  tous  contre  tons,  inhérente  à  un  tel  état,  soit  un 
bien  ^.  C'est  pourquoi  les  hommes  sont  inchnés  vers  la  paix  par  la 
crainte,  surtout  de  la  mort  violente,  par  le  désir  des  choses  néces- 
saires au  bien-être  de  la  vie,  et  par  l'espoir  de  les  obtenir  au  moyen 
du  travail  *.  Poussés  par  cette  triple  passion,  ils  tâchent  de  s'associer  : 
de  la  sorte,  s'il  faut  avoir  la  guerre,  elle  ne  sera  pas  contre  tous,  ni 
sans  secours  ^. 

On  se  cherchera  donc  des  aUiés.  S'ils  ne  s'y  prêtent  pas  de  bonne 
grâce,  on  les  y  contraindra  de  vive  force.  «  Le  vainqueur  a  droit  d'obh- 
ger  le  vaincu,  le  plus  fort  peut  obhger  le  plus  faible  (comme  fait  l'homme 
sain  et  robuste  à  l'égard  de  l'infirme,  et  l'homme  mûr  à  l'égard  de 
l'enfant),  à  lui  donner  des  garanties  de  soumission  pour  l'avenir, 
à  moins  qu'ils  ne  préfèrent  mourir  »  ®.  Car,  comme  le  droit  de  nous 
protéger  nous-mêmes  à  notre  gré  vient  du  péril  que  nous  courons, 
et  le  péril,  de  l'égalité  naturelle,  il  est  plus  conforme  à  la  raison  et 
plus  sûr  pour  notre  conservation,  de  pourvoir  à  notre  sécurité  en  met- 
tant à  profit  l'avantage  présent,  qui  permet  d'exiger  une  caution, 
que  de  laisser  les  vaincus  et  les  faibles  grandir,  se  fortifier,  se  sous- 
traire à  notre  puissance,  qu'il  faudra,  par  un  combat  dont  l'issue  est 
douteuse,  s'efforcer  de  reconquérir  un  jour.  D'où  suit  «  ce  corollaire  que, 
dans  l'état  de  nature,  la  puissance  certaine  et  irrésistible  confère  le  droit 
de  régir  ceux  qui  ne  peuvent  faire  résistance,  et  de  leur  commander  »  '^. 

1.  The  notions  of  right  and  wrong,  justice  and  injustice  hâve  there  no  place.  Where 
there  is  no  common  power,  there  is  no  law  ;  where  no  law,  no  injustice.  Force  and  fraud 
are  in  war  the  two  cardinal  virtues.  (Leviathan,  C.  XIII,  t.  III,  p.  115.  Texte  latin, 

}    t.  III,  p.  101,  circa  finem). 

2.  Neque  sunt  justitia  et  injustitia  corporis  aut  animae  facultates  ;  nam,  si  essent, 
homini  esse  possent  qui  in  mundo  solitarius  esset  et  unicus.  Qualitates  quidem  hominis 
sunt,  non  autem  quatenus  hominis,  sed  quatenus  civis.  Eidem  conditioni  hominum 
consequens  est  ut  nullum  sit  dominiuin,  nuUa  proprietas,  nulluni  meuni  aut  tuum,  sed 

-  ut  illud  uniuscujusque  sit,  quod  acquisivit,  et  quanidiu  conservare  potest.  (Leviathan, 
C.  XIII,  t.  III,  p.  101-102). 

.3.  De  Cive,  C.  I,  §  13,  circa  finem. 

4.  Passiones,  quibus  homines  ad  pacem  perduci  possunt,  sunt  metus,  prœsertim 
vero  metus  mortis  violentas,  et  cupiditas  rerum  ad  bene  vivendum  necessariarum,  et 
spes  per  industriam  illas  obtinendi.  (Leviathan,  C.  XIII,  t.  III,  p.  102,  §  Passiones). 

5.  De  Cive,  C.  I,  §  13,  à  la  fin. 

6.  Potest  autem  victor  victum,  vel  fortior  debiliorem,  ut  sanus  et  robustus  infixmum 
vel  maturus  infantem,  ad  prsestandam  cautionem  futuras  obedientiae,  ni  velit  potius 
mori,  jure  cogère.  (De  Cive,  C.  I,  §  14,  circa  principiuni). 

7.  Ex  quo  intelligitur  etiam,  tanquam  coroUarium,  in  statu  hominum  naturali 
potentiam  certam  et  irresistibilem  jus  conferre  regendi  imperandique  in  eos,  qui  resistere 
non  possunt.  (De  Cive,  C.  I,  §  14,  circa  finem). 


SECTION   III.    LE    CITOYEN    :    §   II.   —  LES   LOIS   NATURELLES  373 

Mais  une  sécurité  semblable,  fondée  sur  la  puissance  du  plus  fort, 
sera  nécessairement  précaire  ^.  Comment  donc  découvrir  les  conditions 
d'une  paix  durable  ?  «  C'est  à  la  raison  qu'il  appartient  de  suggérer 
ces  articles  de  paix,  qui  sont  les  lois  naturelles  »  ^. 


II.    —   LES    LOIS   NATURELLES 

((  Une  loi  naturelle  est  un  ordre  de  la  droite  raison  indiquant  ce 
quïl  faut  faire  ou  omettre  en  vue  de  préserver  la  vie  et  les  membres! 
aussi  longtemps  que  possible  »  ^.  Par  cette  droite  raison,  qui  doit» 
dicter  les  lois  naturelles,  il  ne  faut  pas  entendre,  comme  beaucoup 
le  font,  ((  une  faculté  infaillible  »,  mais  simplement  l'acte  qui  permet 
«  à  chacun  de  raisonner  correctement  sur  ses  actions  pouvant  rejaillir 
d'une  façon  utile  ou  dommageable  sur  les  intérêts  des  autres  hommes  »*. 

Le  premier  précepte  général  de  la  raison  se  formule  ainsi  :  //  faut 
rechercher  la  jjaix,  quand  on  a  Vespérance  de  Vohtenir  ;  est-ce  impossible  ? 
il  faut  rechercher  de  toute  part  des  secours  pour  la  guerre,  et  il  est  licite 
d'en  user,  afin  de  p)ourvoir  à  sa  défense  ^.  Telle  est  la  Loi  naturelle 
«  fondamentale  ». 

Hobbes  en  déduit  vingt  lois  naturelles,  qu'il  nomme  «  dérivées  ». 
Elles  prescrivent  les  moyens  propres  à  procurer  la  paix  ou  à  assurer 
la  défense  ^.  En  voici  Pénumération  :  , 

1.  —  Il  faut  que  chacun,  après  avoir  pourvu  à  sa  paix  et  défense  per- 
sonnelle, cède  son  droit  à  tout  à  ceux  qui  sont  disposés  à  faire  la  même 
cession,  et  se  contente  pour  lui-même  de  la  liberté  qu'il  voudrait  qu'on 
accordât  aux  autres  '^. 

On  peut  abandonner  un  droit,  soit  par  simple  renonciation,  quand 
on  l'abdique  en  général,  sans  désigner  aucun  bénéficiaire  ;  soit  par 
translation,  quand  on  le  cède  à  tel  ou  tel  en  particulier  ^.  La  valeur  de 
cette  translation  dépend  d'une  déclaration  formelle  de  la  volonté, 
qui  peut  se  manifester  par  des  signes  divers  ^. 

l.DeCive.(i\l,  §  1.5. 

2.  Pacis  autem  articulos  quosdam  suggerit  ratio,  quse  legessunt  naturales.  (Leviathan, 
C.  X:iII,  t.  III,  p.  102,  §  Passiones,  à  la  fin). 

3.  Est  igitur  lex  naturalis,  ut  eain  definiam,  dictamen  rectœ  rationis  circa  ea,  quse 
agenda  vel  omittenda  sunt  ad  vitae  membrorumque  conservationem,  quantum  fieri 
potest,  diuturnam.  (De  Cive,  C.  II,  §  1,  ad  finem  ). 

4.  Per  rectam  rationem  in  statu  hominum  naturali  intelligo,  non  ut  multi,  facultatem 
infallibilem,  sed  ratiocinandi  actum,  id  est  ratiocinationem  uniuscujusque  propriam  et 
veram  circa  actiones  suas,  quse  in  utilitatem  vel  damnum  cœteroruni  hominum  redun- 
dare  possint.  (De  Cive,  C.  Il,  §  1,  note). 

6  Rationis  ergo  prseceptum  sive  régula  generalis  est  pacem  quidem,  dum  ejtis  obti- 
nendi  spes  est,  quœrendam  esse  ;  quando  atUem  haberi  non  potest,  auxilia  undecitnqxie 
qurerere,  et  illis  uti  licitum  esse.  (Leviathan,  C.  XIV,  t.  III,  p.  103,  §  Quoniam,  vers  la 
fin).  Cf.  De  Cive,  C.  II,  §  2. 

6.  De  Cive,  C.  II,  %2,  à  la  fin  :  Prima  autem  est  [Lex  naturalis  fundamentalis]  quia, 
cœterae  sunt  ab  hac  derivatœ  praecipiuntque  vias  vel  pacis  vel  defensionis  acquirendae. 

7.  Oportere  unumquemque,  quoties  paci  et  defensioni  propriœ  provisum  erit,  a  jure  sua 
in  omnia,  cœteris  idem  facere  paratis,  decedere,  contentumque  esse  eadem  libertate  quam 
creieris  concedi  vellet.  (  Leviathan,  C.  XIV,  t.  III,  p.  103 §  A  lege.  —  Cf.  DeCive,C.  II,  §3). 

8.  Leviathan,  C.  XIV,  t.  III,  p.  104,  §  Deponitur.  —  Cf.  De  Cive,  C.  II,  §  4  . 

9.  De  Cive,  C.  II,  §  7. 


374  ARTICLE   m.   —  CHAPITRE   III.   —  LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

Il  y  a  contrat,  quand  il  y  a  transfert  mutuel  de  di'oits  i.  Quand  les 
contractants  n'exécutent  pas  immédiatement  ce  qui  fait  l'objet  du 
contrat,  ils  promettent  de  l'exécuter  dans  la  suite.  Cette  promesse 
s'appelle  un  "pacte  ^.  Dans  tout  pacte  est  requise  l'acceptation  du  droit 
qui  est  transféré.  Il  en  résulte  qu'on  ne  peut  faire  de  pactes  ni  avec 
les  animaux,  parce  que  le  langage  et  l'intelligence  leur  font  défaut, 
ni  directement  avec  la  majesté  divine,  mais  seulement  avec  ceux 
qu'elle  s'eat  substitués  pour  les  recevoir,  comme  il  nous  a  été  révélé 
dans  les  Saintes  Écritures  ^. 

Les  pactes  ne  portent  que  sur  les  choses  possibles,  car  à  l'impossible 
nul  n'est  tenu  *.  Ici  se  pose  naturellement  une  question  :  Les  pactes 
extorqués  par  la  crainte  sont-ils  obligatoires  ?  Ainsi,  suis-je  tenu  de 
payer  à  un  brigand  la  rançon  que  je  lui  ai  promise  en  échange  de  la 
vie  ?  Ce  pacte  peut  être  quelquefois  invahde  ;  mais  ce  n'est  pas  parce 
qu'il  a  été  arraché  par  la  crainte.  Autrement,  seraient  nuls  aussi  les 
pactes  par  lesquels  les  hommes,  craignant  pour  leur  vie,  la  mettent 
sous  la  sauvegarde  de  la  société  civile  et  des  lois.  Bref,les  pactes  obHgent 
quand  ce  que  l'on  a  reçu  est  un  bien  et  que  la  promesse  faite  en  échange 
est  licite.  Or  il  est  Ucite  de  racheter  sa  vie  et  de  donner  pour  rançon 
tout  ce  que  l'on  voudra  n'importe  à  qui,  même  à  un  brigand  ^. 

Personrue  ne  peut  s'obhger  par  pacte  à  ne  point  résister  à  celui  qui 
voudrait  lui  infliger  la  mort,  des  blessures  ou  autre  dommage  cor- 
porel ;  de  même,  personne  ne  peut  s'astreindre  par  pacte  à  s'accuser 
soi-même  ou  quelqu'un  dont  la  condamnation  lui  rendrait  dans  la 
suite  la  vie  insupportable.  De  pareils  pactes  sont  invalides.  Personne 
en  effet  n'est  tenu  de  faire  l'impossible.  Or  tous  ces  pactes  impHquent 
des  engagements  contre  nature,  partant  impossibles  à  observer  ^. 

IL  —  Les  pactes  doivent  être  observés.  JJ injustice  c'est  la  violation 
des  pactes  '. 

III.  —  'U ingratitude  est  blâmable  :  «  Ne  souffrez  pas  que  celui 
qui,  confiant  en  vous,  a  été  le  premier  à  vous  rendre  un  bienfait, 
ait  à  en  pâtir  ;  ou  encore  :  Ne  recevez  un  bienfait  qu'avec  la  résolu- 
tion que  votre  bienfaiteur  n'ait  pas  un  juste  sujet  de  s'en  repen- 


1.  Translatio  juris  mutua  contractus  dicitur.  (Leviathan,  C.  XIV,  t.  III,  p.  105, 
§  TranfJatio.  —  Cî.De  Cive,  C.  II,  §  9. 

2.  Ubi  vero  vel  alteri  vel  utrique  credittir,  ibi  is,  cui  creditur,  promittit  se  prsestiturvxm 
postea,  appellaturque  huiusinodi  promissum  pactum.  (De  Cive,  C.  II,  §  9,  à  la  fin.  — ■ 
Cf.  Leviathan,  C.  XIV,  t.  III,  p.  105,  §  Praeterea /. 

^.  De  Cive,  C.  II,  §  12.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XIV,  t.  III,  p.  108,  §  Pascisci. 

4.  De  Cive,  C.  II,  §  14. 

5.  Universaliter  vermii  est  obligare  pacta,  quando  acceptum  est  bonum,  et  promittere, 
et  id  quod  promittitur,  licitum  est.  Licitiim  autem  est  et  ad  redimendam  vitam  pro- 
mittere et  de  meo  dare  quicquid  voluero  ciiiquani,  etiam  latroni.  (De  Cive,CH, 
§  16,  circa  finemj.  On  saisit  ici  sur  le  vif  la  manière  sophistique  de  Hobbes  :  il  devait 
prouver  qu'un  pareil  pacte  est  obligatoire,  et  sa  conclusion  n'aboutit  qu'à  en  montrer 
la  licéité.  (Licitum...) 

6.  De  Cive,  C.  II,  §  18  et  19.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XIV,  t.  III,  p.  109-110. 

7.  De  Cive.  C.  III,  §  1-7.  —  Injustitia  «st  pactorum  non prsestatio.  (Leviaihan,  C.  XV, 
t.  m,  p.  112). 


SECTIOX   III.   LE    CITOYEX    :    §   n.    —  LES   LOIS   NATURELLES  375 

tir  »  ^.  Sinon,  toute  confiance,  toute  bienveillance,  toute  bienfaisance 
disparaîtraient  ;  du  même  coup  la  concorde  disparaîtrait  et  l'état  de 
guerre  resterait  en  permanence. 

IV.  —  Chacun  doit  se  montrer  accommodant  avec  les  autres. 
S'efforcer  d'avoir  ce  qu'exige  notre  conservation,  ce  n'est  pas  seule- 
ment un  droit,  mais  une  nécessité  ;  lutter  pour  acquérir  le  superflu, 
c'est,  par  notre  faute,  recommencer  la  guerre.  Une  jolie  comparaison, 
tirée  des  matériaux  qui  doivent  entrer  dans  la  composition  d'un 
édifice,  s'applique  bien  aux  hommes  qui  doivent  entrer  dans  la  compo- 
sition d'une  société.  «  Car  si  une  pierre,  à  cause  de  sa  forme  rugueuse 
et  anguleuse,  enlève  plus  de  place  aux  autres  C|u'elle-même  n'en  rem- 
pht,  si  la  dureté  de  sa  matière  empêche  de  la  comprimer  ou  tailler 
aisément,  sa  mise  en  œuvre  est  impossible  :  on  la  rejette  comme 
incommode.  De  même,  Fhomme  d'un  naturel  âpre,  qui  dépouille  ses 
compagnons  de  leur  nécessaire  pour  en  former  son  superflu,  et  que  la 
ténacité  de  ses  passions  rend  incorrigible,  passe  pour  incommode  et  à 
charge  aux  autres  »  ^. 

V.  —  Il  faut  pardonner  le  passé  à  celui  qui  s'en  repent  et  demande 
grâce,  quand  il  fournit  caution  pour  l'avenir  ^. 

VI.  —  Dans  la  vengeance  ou  le  châtiment,  il  ne  faut  pas  envisager 
le  passé,  mais  Favenii"  ;  c'est-à-dire  que  la  peine  doit  avoir  pour  but 
la  correction  du  coupable  ou  l'améhoration  des  autres,  auxquels 
elle  servira  d'avertissement.  La  violation  de  ce  précepte  s'appelle 
cruauté  *. 

VII.  —  Que  personne,  par  ses  actions,  ses  paroles,  l'attitude  de  son 
visage  ou  son  rire,  ne.  montre  à  autrui  qu'il  la  hait  ou  le  méprise.  La 
violation  de  cette  loi  se  nomme  outrage  ^.  ' 

VIII.  —  Que  chacun  regarde  autrui  comme  étant  naturellement 
son  égal.  La  disposition  contraire  est  V orgueil^. 

IX.  —  Pour  Cj[ue  cette  égalité  naturelle  ne  soit  pas  un  vain  mot, 
on  doit  observer  les  lois  suivantes  :  Concéder  aux- autres  les  mêmes 
droits  que  nous  réclamons  pour  nous-mêmes.  Cei  faisant,  on  pratique 
la  vertu  de  modération,  dont  l'opposé   est  la  -/.sovsç-la   ou   arrogance. 

X.  —  Dans  la  répartition  des  droits,  tenu-  la  balance  égale  entre  les 
deux  parties.  L'observation  de  cette  loi  s'appelle  équité  ;  sa  violation 
accejJtion  de  personnes  (-poTco-o).Y,'!/ia). 

XI.  —  Conséc^uemment,  si  les  biens  ne  peuvent  être  divisés,  leur 
usage  en  sera  commun. 

1.  Ne  eum,  qui  fiduC'U  ttii  tibi  prior  heneieCeril,  eam  oh  rem  détériore  conditione  esse 
patiaris,  sive  ne  acciptat  quisguam  benefi^ium,  nisi  animo  nitendi  ne  dantem  datimerito 
pœniteat.  (De  Cive,  C.  III,  §  8.  —  Cf.  Lemathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  116-117). 

2.  Nam  ut  lapis,  qui,  prae  figura  aspera  et  angulosa  plus  loci  cjBteris  aufert  quam 
ipse  implet,  neque  prae  materise  duritie  comprimi  vel  secari  facile  potest,  nec  compa- 
ginari  sedificium  sinit,  tanquam  incommodus  abjicitur  ;  ita  homo  qui,  prae  ingenii 
asperitate,  retentis  supei-fluis  sibi,  neeessaria  aliis  adimit,  neque  prae  affectuum  contu- 
macia  corrigi  potest,  caeteris  incommodus  molestusque  dici  solet.  (De  Cive,  C.  III,  §  9, 
circa  principrum.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  117,  circa  prinripium). 

3-4-5-6.  De  Cive,  C.  III,§  10,  11,  12  et  13.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  117-119. 


376  ARTICLE    III.   —  CHAPITRE   III.   —  LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

XIT.  —  Si  la  division  et  la  communauté  de  jouissance  sont  impra- 
ticables, les  biens  seront  possédés  à  tour  de  rôle  selon  une  alternance 
qui  sera  déterminée  par  le  sort. 

XTII.  —  Le  sort  lui-même  peut  être  arbitraire  ou  naturel.  Il  est 
arbitraire  quand  il  est  consulté  d'après  un  mode  consenti  de  part  et 
d'autre.  Le  sort  naturel  est  la  primogéniture  et  la  préoccupation  : 
les  biens  appartiennent  au  premier  occupant  ou  au  premier  né,  à 
moins  que  le  père  n'en  ait  déjà  disposé  ^. 

XIV.  —  Il  faut  assurer  la  sécurité  des  médiateurs  de  la  paix  ^. 

XV.  —  En  cas  de  Litige  sur  l'application  des  lois  naturelles,  les  par- 
ties doivent  se  soumettre  à  l'arbitrage  d'un  tiers. 

XVI.  —  Comme  ce  tiers  doit  être  désintéressé,  nul  ne  saurait  être 
arbitre  dans  sa  propre  cause ,^. 

XVII.  —  Les  i\rbitres  ne  doivent  attendre  aucun  avantage  de  la 
part  de  ceux  dont  ils  jugent  la  ôause. 

XVIII.  —  Les  Arbitres,  en  cas  de  doute  sur  le  point  en  litige,  doivent 
recourir  à  des  témoins. 

XIX.  —  Aucun  pacte  ou  promesse  ne  doit  intervenir  entre  les 
Arbitres  et  les  parties  dont  ils  sont  constitués  juges. 

XX.  —  Puisque  les  lois  naturelles  sont  dictées  par  la  raison,  et 
qu'il  est  impossible  de  les  observer  si  l'on  ne  s'efforce  de  maintenir 
intacte  la  faculté  de  raisonner,  il  est  nécessaire  d'éviter  ce  qui  peut  la 
détruire  ou  l'ébranler,  par  exemple,  Vivresse  *. 

Tous  les  préceptes  précédents  sont  tirés  de  cette  unique  prescrip- 
tion de  la  raison  :  Il  fq,ut  assurer  notre  conservation.  Cette  déduction, 
dira-t-on  peut-être,  est  si  difficile  qu'on  ne  doit  pas  espérer  que  le 
vulgaire  puisse  parvenir  à  la  connaissance  des  lois  naturelles.  N'étant 
pas  connues,  elles  ne  sauraient  obliger  ^. 

Sans  doute,  les  passions  qui  troublent  l'âme  sont  un  obstacle  à  cette 
connaissance.  Mais  il  n'est  personne  qui  n'ait  ses  moments  de  calme. 
Alors  rien  n'est  plus  aisé,  même  pour  un  homme  ignorant  et  grossier, 
que  de  savoir  la  conduite  à  tenir.  Une  règle  unique  suffit.  Quand  on 
doute  si  une  action  qu'on  va  faire  est  conforme  ou  non  au  droit  naturel, 
qu'on  se  mette  à  la  place  d'autrui.  Aussitôt,  les  passions,  qui  nous 
poussaient  à  agir,  transportées  pour  ainsi  dire  dans  l'autre  plateau 
de  la  balance,  nous  détourneront  de  le  faire.  Cette  règle  est  non  seule- 
ment facile  à  suivre,  mais  depuis  longtemps  répandue  soua  cette  forme  : 
Ne  fais  pas  aux  autres  ce  que  tu  ne  voudrais  pas  qu^on  te  fît  à  foi-7nême  •*. 

1.  Dé  Cive,  C.  III,  §  14-18.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  119-120. 
2-3.  De  Cive,  C.  III,  §  19-24.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  120. 

4.  De  Cive,  C.  III,  §  25.  —  Cette  dernière  loi  est  omise  dans  leLeviathan  (C.  XV, 
t.  III,  p.  120),  parce  qvie  Hobbes  y  rapporte  le  précepte  de  la  tempérance  à  la  vie  indi- 
viduelle et  non  à  la  vie  sociale.  De  là  vient  que  le  Leviathan  n'énumère  que  19  lois 
naturelles.  Le  De  Cive  en  compte  20. 

5.  De  Cive,  C.  III,  §  26. 

G.  Cseterum  nemo  est,  qui  non  aliquando  sedato  animo  est.  Eo  igitur  tempore  nihil 
illi,  quamquam  indocto  et  rudi,  scitu  est  facilius  :  unica  scilicethac  régula,  ut,  cum  dubi- 
tet  id,  quod  facturus  ir  altervim  sit.  jure  facturus  sit  naturali  necne,  putet  se  esse  in 


SECTION    III.    LE    CITOYEN    :    §   II.    LES   LOIS   NATLTIELLES  377 

«  Les  lois  de  la  nature  obligent  toujours  et  partout  dans  le  for 
intérieur  ou  conscience  ;  elles  n'obligent  pas  toujours  dans  le  for 
extérieur,  mais  seulement  quand  on  peut  les  obser\^er  avec  sécurité  »  ^. 
Car  «  celui  qui  les  obsei-^'crait  quand  elles  sont  généralement  mépri- 
sées, deviendrait  la  proie  des  autres,  ce  qui  va  contre  la  conservation 
de  la  nature,  fondement  de  toutes  les  lois  naturelles  »  ^.  Cependant 
l'on  doit  se  maintenir  dans  la  disposition  intérieure  de  les  observer 
toutes  les  fois  que  leur  pratique  nous  paraîtra  conduire  à  la  fin  qui 
leur  est  assignée  ^.  «  Dans  l'état  de  nature,  en  effet,  le  juste  et  l'injuste 
doivent  être  estimés,  non  d'après  les  actions,  mais  d'après  le  dessein 
et  la  conscience  des  agents.  Ce  qui  est  fait  nécessairement,  par  amour 
de  la  paix,  en  vue  de  se  conserver,  est  bien  fait.  Hors  de  là,  tout  dom- 
mage envers  l'homme  constitue  une  violation  de  la  loi  naturelle  et 
une  injure  envers  Dieu  )i  *.  Les  actions  sont  si  peu,  par  elles-mêmes, 
la  mesure  de  la  valeur  morale,  que,  selon  les  circonstances,  des  actions 
identiques  sont  louables  ou  blâmables  :  ainsi  la  modération  et  la  réserve, 
qui  sont  des  vertus  en  temps  de  paix,  seraient,  en  temps  de  guerre, 
lâcheté  et  trahison  de  soi-même  ^.  Bref,  l'intention  de  sauvegarder 
la  paix  commune,  en  vue  d'assurer  sa  propre  sécurité,  tel  est  le  crité- 
rium de  la  moralité. 

Etant  dictées  par  la  droite  raison,  «  les  lois  de  la  nature  sont  im- 
muables et  éternelles  :  ce  qu'elles  défendent  ne  peut  jamais  être  Licite, 
jamais  illicite  ce  qu'elles  ordonnent  »  ^.  En  aucun  temps,  Vorgueil, 
Vingratitude,  la  violation  des  pactes  ou  injustice,  V inhumanité,  Voutrage 
ne  sauraient  être  permis,  ni  les  vertus  contraires,  interdites,  si  l'on 
considère  les  dispositions  intérieures,  c'est-à-dire  le  fm'  de  la  conscience, 
car  là  seulement  elles  obhgent  et  font  loi  '.  Cependant  «  les  actions 
peuvent  être  diversifiées  par  les  circonstances  et  la  loi  civile  :  justes 
et  raisonnables  à  telle  époque  ;  à  telle ^utre,  injustes  et  déraisonnables. 
La  raison  néanmoins  reste  la  même  :  elle  ne  change  ni  la  fin.  qui  est 

illius  alterius  loco.  Ibi  statim  perturbationes  illae,  quaî  instigabant  ad  faciendum,  tan- 
qviam  translatas  in  alterani  trutinae  lancem,  a  faciendo  dehortabùntur.  Atque  haec 
régula,  non  modo  facilis,  sed  etiam  dudum  celebrata  his  verbis  est  :  Quod  tibi  fieri  non 
vis,  alteri  ne  jeceris.  (De  Cive,  C.  ITI,  §  26,  in  medio.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XV,  t.  III, 
p.  121,  §  Est  haec). 

1.  Ideoque'concludendiim  est  legem  natiirae  semper  et  ubique  obligare  in  foro  iniei'no 
sive  con.ocientia,  non  semper  in  forj  exAerno,  sed  tum  solummodo  cum  id  secure  fieri 
poseit.  (De  Cive,  C.  III,  §  27.  à  la  fin). 

2.  Nam,  qui  illas  [leges  naturaî)  observaret  tune,  quando  a  cseteris  contemnuntur, 
cœteris  prœda  esset  , contra  fundamentum  omnium  legum  naturalium,  nempe  naturae 
conservationem.  (Leviathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  121,  §  LegesJ. 

3.  Interea  tamen  obligamur  ad  animum  eaa  observandi,  quandocunque  ad  finem, 
ad  quem  ordinantiu",  earum  observatio  conducere  videbitur.  (De  Cive,  C.  III,  §  27, 
circa   finem). 

4.  Breviter,  in  statu  naturae,  justum  et  injvistum  non  ex  actionibus,  sed  ex  consilio 
et  cônscientia  agentiuna  œstimandum  est.  Quod  necessario,  quod  studio  pacis,  quod  sui 
conservandi  causa  fit,  recte  fit.  Alioquin  onine  damnura  homini  illatum  legis  naturalis 
violatio  est  atque  in  Deum  injuria  est.  (De  Cive,  C.  III,  §  27,  note,  à  la  fin). 

5.  De  Cive,  C.  III,  §  27,  note. 

6.  Leges  naturae  immutabiles  et  aeternae  sunt  :  quod  vêtant,  nunquam  licitum  esse 
jjotest  ;  quod  jubent,  nunquam  illicitum.  (De  Cive,  C.  III,  §  29). 

7.  De  Cive,  C.  III,  §  29. 


378  AETICLE   lU.   —  CHAPITRE  HI.   —  TA   TEILOGIE   HOBBIENNE 

la  faix  et  la  défense,  ni  les  moyens,  à  savoir  ces  vertus  de  l'âme  que 
nous  avons  expliquées  et  f(ue  nulle  coutuine,  nulle  loi  civile  ne  peuvent 
abroger  »  i. 

Par  to,ut  ce  qui  a  "été  dit  jusqu'à  présent,  on  voit  combien  les  lois 
naturelles  sont  faciles  à  observer,  puisqu'elles  ne  requièrent  que 
l'effort,  mais  un  effort  vrai  et  constant.  Celui  qui  fait  tout  son  pos- 
sible pour  régler  ses  actions  d'après  les  préceptes  de  la  nature,  montre 
clairement  par  là  son  intention  de  les  observer  tous.  C'est  tout  ce  que 
la  nature  raisonnable  exige  de  nous.  On  mérite  donc  d'être  appelé 
juste,  quand,  en  toute  chose,  on  s'efforce  de  l'être  ^. 
1  La  loi  naturelle  est,  de  l'avis  de  tous  les  écrivains,  identique  à  la 
loi'itiorale.  Pour  le  comprendre,  il  faut  savoir  que  le  bien  et  le  mal 
sont  des  termes  imposés  aux  choses  pour  signifier  le  désir  ou  l'aversion 
de  ceux  qui  les  appellent  ainsi.  Les  appétits  des  hommes  sont  ce  qu'il 
y  a  de  plus  divers  au  monde  et  les  portent  vers  la  jouissance  présente. 
C'est  une  source  fatale  de  discorde.  L'état  de  guerre  sera  donc  en  per- 
manence entre  des  gens  qui  mesurent  le  bien  et  le  mal  à  la  diversité 
de  leurs  désirs.  Tous  reconnaissent  facilement  que  c'est  une  condition 
mauvaise  et  que  la  paix  est  bonne  ^.  «  C'est  pourquoi  ceux  qui  ne  pou- 
vaient s'entendie  sur  le  bien  présent,  s'accordent  sur  le  bien  à  venir, 
ce  qui  est  l'œuvre  de  la  raison.  Car,  si  les  sens  perçoivent  les  choses 
présentes,  la  raison  seule  perçoit  les  choses  à  venir.  Or,  comme  la 
raison  enseigne  que  la  paix  est  bonne,  par  là  même  tous  les  moyens 
nécessaires  pour  l'obtenir  seront  bons  aussi  ;  par  conséquent  la  modé- 
ration, V équité,  la  bonne  foi,  Vkumanité,  la  miséricorde,  dont  la  nécessité 
pour  obtenir  la  paix  a  été  démontrée,  sont  des  habitudes  ou  vertus 
7norales.  La  loi  naturelle  qui  les  prescrit  est  donc  morale  »  *. 

Les  préceptes  naturels  constituent  par  conséquent  les  bonnes 
mœurs,  c'est-à-dire  les  vertus,  et  leurs  contraires,  les  mauvaises 
mœurs,  c'est-à-dire  les  vices.  Leur  ensemble  est  l'objet  de  l'Éthique, 
d'après  Hobbes  ^.  On  vient  de  voir  quelle  courte  esquisse  il  nous  a 
laissée  de  la  Philosophie  morale. 

1.  Actiones  tamen  ita  diversificari  possiint  circiimstantiis  et  lege  civili,  ut  quse  uno 
tempore  sequse,  alio  iniquse  ;  et  quae  uno  tempore  cuni  ratione,  alio  contra  rationem 
sint.  Ratio  tamen  eadem  neque  finem  mutât,  qu£e  esUpax  et  defensio,  neque  média, 
nçmpe  animi  virtutes  eas,  quas  supra  declaravàmus,  quseque  nulla  veî  consuetudine 
vel  lege  civili  abrogari  possiuit.  (De  Cive,  C.  HT,  §  29,  m  medio). 

2.  Patet,  ex  hactenus  dictis.  quam  faciles  observatu  sint,  natm"se  leges,  quippe  quse 
solvun  conatum,  sed  verum  et  constantem  requirunt...  (De  Cive,  C.  IIï,  §  30).  —  Cf. 
Leviathan  (C.  XV,  t.  ÏII,  p.  |121,  ^  Eœdm  leges)  :  Qui  illas  [leges]  observare  quantum 
potest  conatus  est,  observavit  et  jiistus  est. 

3.  De  Cive,  C.  III,  §  31.  * 

4.  Qui  igitur  de  bono  prsesenti  convenire  non  poterant,  conveniunt  de  futuro  ;  quod 
quidem  opus  rationis  est.  Nam  praesentia  sensibus,  jutura  non  nisi  ratione  percipiuntur, 
Prœcipiente  ratione  pacem  esse  bonam,  sequitur  eadem  ratione  omnia  média  ad  pacem 
necessaria  bona  esse,  ideoque  modestiam,  aequitatem,  fide^n,  humanitatem,  misericordiam, 
quas  demonstravimus  ad  pacem  esse  necessarias,  bonos  esse  mores,  sive  habitus,  hoc 
■est  virilités.  Lex  ergo,  eo  ipso  quod  praeeipit  média  ad  pacem,  praecipit  bonos  mores  sive 
virtutes.  Vocatur  ergo  moralis.  (De  Cive,  C.  III,  §  31  in  medio.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XV, 
t.  III,  p.  122,  § /nde;.  '  ~ 

5.  Doctrina  ergo  de  legibus  naturae  vera  est  Ethica.  (Leviathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  1 22, 
%  Inde,  circa  médium). 


SECTION  III.   LE   CITOYEN    :    §  m.   —   ORIGINE   DE   LA  SOCIÉTÉ         379 

.  Les  lois  de  la  nature,  dont  il  a  été  question  dans  l'Éthique,  ne  sont 
que  des  conclusions  dégagées  par  la  raison  sur  ce  qui  est  à  faire  et  à 
omettre.  Ce  ne  sont  pas  des  lois,  au  sens  propre  du  mot,  car  la  loi 
est  un  discoms  de  celui  qui  a  le  droit  de  commander  aux  autres  de 
faire  ou  de  ne  pas  faire  quelque  chose  i.  Mais,  çn  tant  que  les  mêmes- 
préceptes  ont  été  imposés  par  l'Écriture  Sacrée,  ce  sont  des  lois  pro- 
prement dites,  car  îÉcrituie  Sacrée  est  le  discours  de  Dieu,  qui 
commande  avec  une  autorité  souveraine.  C'est  pourquoi  la  loi  naturelle 
ou  loi  morale  est  «  identique  à  la  loi  divine  »  2. 

III.    —    ORIGINE    DE    LA    SOCIÉTÉ    :    PACTE    OU    SUJÉTION 

Jusqu'ici  Hobbes  a  simplement  exposé  à  grands  traits  ce  qu'il 
entend  par  la  Morale.  C^t^sur  ce  fondement  des  lois  naturelles  qu'il 
va  maintenant  construire  sôiï  système  pohtique. 

Ces  lois  naturelles  sont  très  propres  à  conserver  la  paix,  à  la  condi- 
tions qu'elles  soient  observées  par  ceux  qu'elles  concernent.  Mais  la 
volonté  des  hommes  étant  gouvernée  par  l'espérance  et  la  crainte, 
ils  transgressent  les  lois  dès  qu'ils  attendent  de  cette  transgression 
un  plus  grand  bien  ou  un  moindi'e  mal  que  de  leur  accomphssement. 
C^r  les  lois  naturelles  contrarient  les  passions.  Chacun  doit  donc 
se  tenir  sur  ses  gardes  et  pourvoir  par  tous  les  moyens  à  sa  propre 
consen-ation.  Par  conséquent,  chacun,  tant  qu'il  n'a  pas  de  garanties 
efficaces  contre  l'invasion  de  ses  voisins,  conserve  son  droit  primitif, 
le  droit  à  tout  ou  droit  de  guerre.  Pour  accomphr  la  loi  naturelle,  il  suffit 
d'être  disposé  à  vivre  en  paix,  dès  que  la  chose  sera  faisable  ^. 

C'est  donc  l'absence  de  sécurité  qui  empêche  l'observation  de  la 
loi  naturelle  et,  partant,  l'étabhssement  et  le  maintien  de  la  paix. 
Qui  pourra  procurer  cette  sécurité,  grâce  à  laquelle  la  loi  naturelle 
sera  observée  sans  péril  ? 

Il  n'y  a  qu'une  solutilon  possible  :  «  Que  chacun  se  munisse  de 
secours  qui  rendent  l'invasion  réciproque  des  droits  si  dangereuse 
que,  de  part  et  d'autre,  on  juge  plus  sûr  de  s'abstenir  que  d'en  venir 
aux  mams  «  ^.  Afin  d'obtenir  ce  résultat,  ce  n'est  pas  assez  que  deux 
ou  trois  personnes  s'entendent  pour  se  protéger  mutuellement.  H  est 
nécessaire  que  la  multitude  des  associés  soit  si  grande  que  les  adver- 

1.  ...  Lex  autem  proprie  [est]  ...  oratio  ejus  qui  aliquid  fieri  vel  non  fieri  aliis 
jure  imperat.  (De  Cive,  C.  III,  §  33.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XV,  t.  III,  p.  122,  §  Dictamina, 
in  fine).  ' 

2.  Au  chapitre  IV  du  De  Cive,  Hobbes  accumule  les  textes  de  la  Sainte  Ecriture 
pour  le  prouver. 

3.  Ex  quo  intelligitur  leges  naturales  non  statim,  ut  cognitas  sunt,  securitatem  cui- 
quam  prœstare  ipsas  observandi  ;  et  proinde,  quandiu  cautio  ab  invasione  aliomm  non 
habeatur,  cavendi  sibi  quibuscuuque  modis  voluerit  et  potuerit,  unicuique  manere 
jus  prim8e\aun,  hoc  est  jiie  in  omnia  sive  îm-î  helH  ;  sufficitque,  ad  impletionem  legis 
naturalis,  ut  quis  paratus  animo  sit  ad  pacem  habendam  ubi  haberi  potest.  (De  Cive, 
C.  V,  §  1,  in  medio.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XVII,  t.  HT,  p.  127,  §  Exitum). 

4.  Ad  hanc  rem  excogitari  aliud  non  potest,  praeter  quam  unusquisque  auxilia  idonea 
sibi  comparet,  quibus  invasio  alterius  in  alterum  adeo  periculosa  reddatur,  ut  satius 
sibi  esse  uterque  putet  manus  cohibere  quam  conserere.  (De  Cive,  C.  V,  §  3. 


380  ARTICLE   m.   —  CHAPITRE   III.   —  LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

saires  de  sa  sécurité  ne  puissent  espérer  que  l'adjonction  d'un  petit 
nombre  d'auxiliaires  suffise  à  leur  assurer  la  victoire  ^. 

Cependant,  quelque  grand  que  soit  le  nombre  des  associés  qui 
s'unissent  jDOur  la  défense  commune,  des  dissentiments  ne  manqueront 
pas  de  surgir,  après  que  le  danger  qui  les  menaçait  aura  été  repoussé. 
Cette  société  de  secours  mutuel  est  incapable  de  vivre  en  paix.  L'union 
ne  saurait  être  maintenue  que  par  une  crainte  qui  s'impose  à  tous  et 
fasse  de  toutes  ces  volontés  divergentes  une  seule  et  même  volonté. 
On  n'y  réussira  qu'à  cette  condition  :  si  chacun  soumet  tellement  sa 
volonté  à  celle  d'un  autre,  homme  ou  assemblée  ^,  que  toutes  les  déci- 
sions prises  par  cet  hoçime  ou  cette  assemblée  comme  nécessaires 
à  la  sauvegarde  de  la  paix  commune,  soient  tenues  pour  l'expression 
de  la  volonté  de  tous  et  de  chacun  ^. 

Cette  soumission  a  heu  le  jour  où  chacun  prend  l'engagement  de 
ne  pas  résister  à  la  volonté  de  cet  homme  ou  de  cette  assemblée, 
c'est-à-dire  de  ne  pas  lui  refuser  le  concours  de  ses  ressources  et  de  ses 
forces  contre  qui  que  ce  soit.  (On  comprend  du  reste  que  chacun 
conserve  le  droit  de  se  défendre  contre  la  violence)  ^.  A  ce  prix,  l'union 
est  réalisée  :  on  la  nomme  Cité  ou  Société  civile  ^.  Ainsi,  le  pouvoir, 
auquel  ont  été  transmis  les  droits  de  tous,  concentre  en  lui  de  si 
grandes  forces  que,  par  la  terreur  qu'elles  inspirent,  il  peut  plier 
toutes  les  volontés  à  l'unité  et  à  la  concorde  ^. 

Par  conséquent,  l'État  est  «  une  personne,  dont  la  volonté,  en  vertu 
des  pactes  de  plusieurs  hommes,  doit  être  considérée  comme  la  volonté 
de  tous,  en  sorte  qu'elle  puisse  user  de  leurs  forces  et  de  leurs  ressources 
pour  la  paix  et  la  défense  commune  »  '. 

Tant  que  l'union  n'est  pas  cimentée  par  ce  contrat  social,  il  n'y  a 
ni  État  ni  peuple,  mais  seulement  une  multitude,  c'est-à-dire  une  juxta- 
position d'hommes,  dont  chacun  a  sa  volonté  propre  et  sa  manière 
de  juger.  La  multitude  ne  forme  pas  une  personne  :  elle  ne  peut  donc 
dire  légitimement  :  Ceci  ou  cela  est  à  moi,  et  aucune  action  ne  peut 


1.  De  Cive,  C.  V,  §  3,  à  la  fin. 

2.  Les  décisions  de  cette  assemblée  délibérante  (C'oetus  plurium  Iwminum  deliberan- 
tium...  Cf.  De  Cive,  C.  V,  §  6,  à  la  fin)  se  prennent  à  la  majorité  des  voix  •  Voluntas 
autem  Concilii  ea  intelligitur  esse,  qnseesb  voluntas  majoris  partis  eonim  hominum,  ex 
quibvis  Concilium  consistit.  (De  Cive,  C.  V,  §  7,  à  la  fin^. 

3.  ...  Requiritur  ut  circa  ea,  quae  ad  pacem  et  defensioneni  sunt  necessaria,  iina 
omnium  sit  voluntas.  Hoc  autem  fieri  non  potest,  nisi  unusquisque  voluntatem  suam 
alterius  unius,  nimirum  unius  horninis  vel  unius  concilii  voluntati  ita  subjiciat,  ut  pro 
voluntate  omnium  et  singulorum  habendum  sit  quicquid  de  iis  rébus,  quae  necessaria 
sunt  ad  pacem  communem,  ille  voluerit.  (De  Cive,  C.  V,  §  6.  —  Cf.  Leviathan,  C.  XVII, 
t.  III,  p.  130-131.  ) 

4-5.  De  Cive,  C.  V,  §  7  et  9. 

6.  ...  Qui  subjicit  voluntatem  suam  alterius  voluntati,  transfert  in  illum  alteriim 
1U8  virium  et  facultatum  suarum  ;  ut,  cum  cseteri  idem  fecerint,  habeat  is,  cui  submittitur, 
tantas  vires  ut  terrore  earum  singulorum  voluntates  ad  unitatem  et  concordiam  possit 
conformare.  (De  Cive,  C.  V,  §  8,  in  medio). 

7.  Civitas  ergo,  ut  eam  definiamus,  est  persona  una,  cujus  voluntas,  ex  pactis  plurium 
hominum,  pro  voluntate  habenda  est  ipsorum  omnium,  ut  singulorum  viribus  et  facul- 
tatibus  uti  possit  ad  pacem  et  defensionem  communem.  (De  Cive,  C.  V,  §  9,  à  la  fin.  — 
€f.  Leviathan,  C.  XVII,  t.  III,  p.  131,  circa  médium). 


SECTION  m.  LE  CITOYEN  :    §  IV.  —  ATTRIBUTIONS  DU  SOUVERAIN     331 

lui  être  attribuée  comme  sienne  ^.  Sa  condition  est  encore  l'état  de 
natiu'e.  Cet  état  ne  cesse  qu'au  moment  où  la  Cité,  personne  morale, 
est  constituée. 

La  crainte  est  toujours  le  mobile  qui  pousse  les  hommes  à  se  sou- 
mettre à  un  pouvoir  souverain.  Mais  ils  le  font  tantôt  par  un  pacte 
librement  consenti,  comme  on  vient  de  le  voir  ;  tantôt  par  force, 
quand  les  vaincus,  pour  avoir  la  vie  sauve,  acceptent  la  domination 
des  vainqueurs,  ou  par  le  fait  de  la  naissance,  qui  met  les  enfants 
sous  la  dépendance  des  parents.  Dans  le  premier  cas,  il  y  a  institution 
*de  la  Société  ;  dans  le  second,  il  y  a  acquisition.  La  Société  librement 
instituée  est  politique.  La  Société  naturellement  acquise  s'appelle 
paternelle  et  despotique  ^. 

iV.    —    ATTRIBUTIONS    DU    SOUVERAIN. 

L'homme  ou  l'assemblée,  à  laquelle  tous  les  associés  ont  soumis 
leur  volonté,  possède  le  pouvoir  ou  empire  souverain,  qu'on  nomme 
aussi  domination.  Tous  ceux  qui  font  partie  de  la  société  sont  les 
sujets  du  pouvoir  souverain  ^.  Comment  doivent  être  déterminés 
les  attributions  ou  droits  de  la  souveraineté  et  les  devoirs  des  subor- 
donnés ?  La  pensée  de  Hobbes  sur  ce  point  manque  de  netteté. 

Dans  le  De  Cive,  il  semble  que  cette  détermination  est  l'œuvre 
de  l'assemblée  plénière  ^  qui  a  passé  le  contrat  social.  Les  décisions 
de  cette  assemblée  se  prennent  à  la  majorité  des  suffrages,  car  tous 
ses  membres  doivent  consentir  à  ce  que  la  volonté  du  plus  grand  nombre 
soit  tenue  pour  la  volonté  unanime.  Si  quelques-ims  refusent  leur 
consentement,  les  autres  étabhront  sans  eux  l'État  et,  retenant  contre 
ces  dissidents  leur  di-oit  primitif,  c'est-à-dire  le  dfoit  de  guerre,  les 
traiteront  en  ennemis  ^. 

Dans  le  Léviathan  ^,  au  contraire,  Hobbes  fait  dériver  les  droits 
du  souverain  et  les  devoirs  correspondants  des  citoyens,  en  procé- 
dant par  déduction,  de  la  forme  même  de  l'institution,  c'est-à-dire 
du  pacte  social  qui  a  donné  naissance  à  la  Cité  ".  Quoi  qu'il  en  soit 
de  ces  divergences  sur  la  manière  dont  ces  droits  et  ces  devoirs  sont 

1.  De  Cive,  C.  VI,  §  1. 

2.  Dans  le  Lrviathan,  la  famille  est  rangée  dans  la  catégorie  des  sociétés  qui  peuvent 
être  fondées  par  la  force  :  Ut  cum  pater  fîlios  suos  sibi  obedire  cogit  ;  vitani  enim  iJlis 
non  alendo  auferre  potest.  (Levialhan,  C.  XVIT,t.  III,  p.  131,  circa  finem.  —  Cf.  De  Cive, 
C.  VI,  §12.  :C.  VIII  et  IX). 

3.  De  Cive,  C.  V,  §  11. 

4.  De  Cive,  C.  VI,  §  2.  —  Il  ne  faut  pas  confondre  cette  assemblée  initiale  avec  l'as- 
semblée ultérieure  ou  Concilium  qui  détient  le  pouvoir  souverain,  quand  les  citoyens 
adoptent  la  forme  aristocratique  ou  démocratique  au  lieu  de  choisir  un  monarque. 

5.  Quod  si  quis  nolit  consentira,  cœteri  sine  eo  civitatem  nihilo  minus  inter  se  consti- 
tuent. Ex  «|uo  fîet  ut  civitas  in  dissentientem  jus  suum  primsevum  retineat,  hoc  est, 
jus  belli,  ut  inhostem.  {De  Cive,  C.  VI,  §  2,  à  la  fin). 

6.  Levialhan,  C.  XVIII,  t.  III,  p.  132-140. 

7.  A  forma  institutionis,  tum  potestas  omnis  et  jura  omnia  summam  habentis  potes- 
tatem,tum  civium  omnium  oflficia  derivantxir.  ( L^viathan,0.  XVIII,  t.  III,  p.  132, 
§  A  forma). 


382  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.    LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

déter minables,  la  pensée  de  Hobbes  retrouve  sa  précision  ordinaire, 
quand  il  s'agit  de  leur  nature  et  de  leur  étendue. 

Parmi  les  conditions,  qui  sont  nécessaires  à  la  conservation  de  la 
paix,  la  première  est  que  personne  «  n'ait  un  juste  sujet  de  craindre 
les  autres,  aussi  longtemps  que  lui-même  ne  leur  aura  fait  aucun 
tort  »  ^.  Mais,  l'expérience  fondée  sur  la  connaissance  de  la  malignité 
humaine  ne  le  montre  que  trop,  les  promesses  dénuées  de  sanction 
sont  en  général  insuffisantes  pour  maintenir  les  hommes  dans  le  devoir  ^ 
«  Les  pactes,  sans  le  glaive,  ne  sont  que  des  mots  »  ^.  Il  faut  donc 
pourvoir  à  la  sécurité  non  par  des  pactes,  mais  par  des  peines.  On  y  a' 
suffisamment  pourvu  si  l'on  a  établi  des  peines  si  fortes  contre  chaque 
dommage,  qu'il  est  manifeste  que  l'accomplissement  d'un  acte. nui- 
sible entraîne  un  plus  grand  mal  que  son  omission.  Car  les  hommes 
sont  ainsi  faits  qu'ils  choisissent  nécessairement  ce  qui  leur  apparaît 
être  leur  bien  propre  *.  Ce  droit  de  punir  ou  glaive  de  justice  est  trans- 
féré à  un  homme  ou  à  une  assemblée,  quand  chacun  s'engage  à  ne 
point  porter  secours  à  celui  qui  recevra  un  châtiment^.  Cet  homme 
ou  cette  assemblée  exerce  évidemment  un  pouvoir  souverain  dans 
l'État,  car  ils  ont  le  droit  de  punir  à  leur  gré  et  de  contraindi^e  tous 
à  tout  ce  qu'ils  veulent.  Peut-on  imaginer  un  pouvoir  plus  grand  ?  ^ 

C'est  en  vain  que  la  paix  intérieure  serait  sauvegardée,  si  les  citoyens 
n'étaient  garantis  contre  les  attaques  venues  du  dehors.  Il  est  néces- 
saire pour  cela  qu'ils  aient  transféré  le  droit  de  guerre  et  de  paix  à  leur 
élu,  homme  ou  assemblée  '.  Armé  du  glaive  de  justice  et  du  glaive 
de  guerre,  cet  élu  n'est  pas  un  simple  agent  d'exécution.  Il  lui  appar- 
tient également  de  décider  comment  il  convient  d'user  du  glaive. 
Si  le  pouvoir  de  juger  et  le  pouvoir  d'exécuter  étaient  remis  entre 
des  mains  différentes,  rien  d'efficace  ne  se  ferait.  Dans  l'État  le  pou- 
voir de  juger  revient  donc  aussi  au  Souverain  ^. 

Il  vaut  mieux  prévenir  les  disptites  que  d'avoir  à  sévir  pour  les 
apaiser.  Or  toutes  les  controverses  proviennent  de  ce  que  les  hommes 
diffèrent  d'opinion  sur  le  mien  et  h  tien,  le  juste  et  Vinjuste,  Vutile 


1.  Inprimis  autem  pacl  ne.zessarium  est  ut  unusquisque  in  tantum  protegatur  contra 
cseterorum  violentiam,  ut  possit  secure  vivere,  hoc  est,  ne  habeat  causani  justam  me- 
tuendi  a  Cfeteris,  qiianidiu  ipse  alios  injuria  nulla  aft'ecerit.  (De  Cive,  C.  VI,  §  3,  in 
medio). 

2.  De  Cive,  C.  VI,  §  4. 

3.  And  co venants,  without  the  sword,  ai-e  but  words.  ( Leviathan,  Ch.  XVII,  t.  III, 
p.  154,  in^principio). 

4.  Securitati  itaque  non  partis,  sed  pœnis  providenduni  est.  Tune  autem  satis  pro- 
visum  est,  cuni  pœnse  tantae  in  singulas  injurias  constituuntur,  ut  aperte  majus  malum 
sit  fecisse,  quam  non  fecisse.  Omnes  enim  homines  nécessita  te  naturae  id  eligunc  quod 
sibimet  ipsis  apparenter  honurn  est.  (De  Cive,  C.  VI,  §  4,  in  medio), 

5.  De  Cive,  C.  VI.  §  5. 

6.  ...  Is  homo  vel  illud  concilium  necessavio  intelligitur  sn/rnmum  in  civitate  iniperium 
jure  habere.  Qvii  enim  pœnas  suo  arbitrio  jure  sumit,  jure  omnes  cogit  ad  omnia  quae 
ipse  vult  ;  que  imperium  majus  excogitari  nullum  potest.  (De  Civ.,  C.  VI,  §  6). 

7.  De  Cive,  C.  VI,  §  7. 

8.  Si  enim  poteetat  judicandi  pênes  unum  esset,  et  potestas  exsequendi  pênes  alterum. 
nihil  efficeretur...  Omne  igitur  judicium  in  civitate  est  illius  qui  gladioa  habet,  hoc  est 
ejus  cujus  est  imperium  summum.  (De  Cive,  C.  VI,  §  8,  circa  principium). 


SECTION  III.   LE   CITOYEN    :    §  IV .   ■ —  ATTHIBUTIONS    DC   SOUVERAIN      383- 

et  l'inutile,  le  bien  et  le  mal,  Vhonnéte  et  le  déshonnète  :  chacun  en  juge 
à  son  point  de  vue  particulier  ^.  Il  incombe  au  souverain  pouvoir 
de  déterminer  et  de  pub  lier,  les  règles  communes  à  suivre  sur  tous  ces 
points.  La  somme  de  ces  règles  constituent  ce  qu'on  a  coutume  d'ap- 
peler les  lois  civiles,  qui  ne  sont  autre  chose  que  les  ordres  du  sou- 
verain réglant  les  actions  futures  des  cito3'ens  ^. 

Le  souverain  est  donc  tout  ensemble  grand  justicier,  arbitre  de  lai 
guerre  et  de  la  paix,  juge  suprême  et  législateur  universel.  Pour  l'aider 
à  remphr  ces  fonctions,  il  est  raisonnable  que  le  souverain  choisisse; 
des  ministres  et  des  magistrats  subordonnés  à  son  autorité  ^. 

Le  vol,  Vhomicide,  Vadidtère  et  toute  sorte  d'injustices  sont  prohibés 
par  la  loi  naturelle.  Du  reste,  ce  n'est  pas  la  loi  naturelle,  mais  la  loi 
civile  qui  détennine  ce  qu'un  citoyen  doit  regarder  comme  un  vol, 
un  homicide,  un  adidtère,  enfin  comme  une  injustice  *. 

En  effet,  avant  l'existence  de  l'État,  tout  était  commun,  tout  appar- 
tenait à  tous.  «  Le  di'oit  de  propriété  a  donc  pris  naissance  avec  les 
États.  Appartient  à  chacun  ce  qu'il  peut  retenir  au  nom  des  lois  et 
par  la  puissance  de  l'État,  c'est-à-dire  de  celui  auquel  le  souverain 
pouvoir  a  été  transféré  »  ^. 

Il  est  permis  de  tuer  à  la  guerre  ou  pour  se  défendre.  Tout  meurtre 
n'est  donc  pas  un  homicide,  mais  est  seulement  homicide,  le  meurtre 
que  la  loi  interdit  ^. 

Le  mariage  (peu  importe  qu'il  soit  sacrement  ou  non)  consiste 
dans  un  contrat  légitime  de  cohabitation  entre  l'homme  et  la  femme, 
c'est-à-dire  dans  un  contrat  que  la  loi  autorise  et  peut  rendre  indisso- 
luble si  l'État  le  juge  bon  '. 

Conséquemment,  la  loi  civile  est  pour  tout  citoyen  la  règle  qus 
l'État  lui  a,  par  paroles,  par  écrit  ou  par  tout  autre  signe  convenable 
de  sa  volonté,  enjomt  d'apphquer  à. la  distinction  du  bien  et  du  mai  ^. 

Il  n'y  a,  dans  l'État,  qu'un  législateur,:  le  souverain.  A  lui  seul 
aussi  appartient  l'abrogation  d'une  loi  antérieure,  puisque  cette  abro- 
gation ne  peut  se  faire  que  par  une  loi  nouvelle  ^.  Le  souverain  n'est 
pas  persomiellement  soumi»  aux  lois  civiles.  Comme  c'est  lui  qui  les 
fait  et  les  abroge  à  son  gré,  il  peut,  chaque  fois  qu'il  lui  plaira,  se  sous- 

1.  Dr  Cive,  C.  VI,  §  9. 

2.  ...  Ejusdem  sumnii  imperii  est  communes  oninibus  exhibera  reguleis  sive  mensuras 
et  publiée  eas  declai'are,  quibus  unusquisque  scia*,  qnid  suum,  quid  alienum,  quid  justum, 
quid  injnslum,  quid  honestum,  quid  inhonestum,  quid  bonum,  quid  malum  appellandum 
sit,  hoc  est  summatim,  quid  agendum  et  quid  fugietidum  sit  in  \ata  communi.  Regulîe 
autem  eive  mensurse  illse  vocari  soient  lege/i  civiles...  El  leges  rivilcs,  ut  eas  definiamus, 
nihil  aliud  sunt  quam  ejus,  qui  in  ei^ntate  summa  prieditus  est,  de  civium  futuris  actio- 
nibus  mandata.  (De  Cive,  C.  VI,  §  9,  îm  medio). 

3.  De  Cive,  C.  VI,  §  10. 

4.  De  Cive,  C.  VI,  §  16. 

5.  Quoniam  autem,  ut  supra  ostensum  est,  ante  constitutionem  eivitatis  omnia 
omnitim  sunt...,  sequitur  proprietcUem  initium  sumsisse  cum  ipsis  civitatibus  atque  esse 
id  cuique  proprium,  quod  sibi  retinere  potest  per  leges  et  potentiam  totius  eivitatis, 
hoc  est,  per  eiim,  cui  summum  ejus  imperium  delatum  est.  (De  Cive,  C.  VI,  §  15). 

6.  De  Cive,  C.  VI,  §  16,  circa  principium. 

7.  De  Cive,  C.  VI,  §  16,  m  medio,  et  note. 
8-9.  Leviathan,  C.  XXVI,  t.  III,  p.  197. 


384  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

traire  à  leur  sujétion  ;  c'est  donc  qu'auparavant  il  en  était  affranchi. 
On  est  libre  dès  lors  qu'on  peut  l'être  à  volonté.  Personne  ne  saurait 
être  obligé  envers  soi-même  ;  car  le  pouvoir  de  lier  implique  le  pouvoir 
de  délier  ^. 

Le  souverain  est  donc  au-dessus  des  lois  civiles.  Aussi  le  droit  de 
propriété  pour  chaque  citoyen  ne  vaut  que  par  rapport  aux  autres 
•particuliers,  ses  concitoyens.  Mais  les  sujets  «  n'ont  rien  en  propre 
sur  quoi  n'ait  droit  celui  qui  a  l'empire  souverain,  dont  les  ordres 
sont  les  lois  elles-mêmes,  dont  la  volonté  contient  les  volontés  parti- 
cuKères,  et  qui  a  été  constitué  par  tous  juge  suprême  »  ^. 

Le  domaine,  où  s'exerce  le  pouvoù'  souverain,  n'est  pas  encore 
épuisé.  Puisque  son  empire  est  absolu,  rien  de  ce  qui  peut  intéresser 
le  bon  ordre  de  la  société  ne  saurait  échapper  à  ses  prises.  Or  les 
actions  de  chaque  personne  sont  dirigées  par  ses  opinions  particu- 
lières ^.  Il  est  donc  indispensable  que  le  souverain  ait  le  droit  de  juger 
quelles  doctrines  sont  de  nature  à  compromettre  la  paix,  et  d'en 
interdire  l'enseignement  ^.  Cette  ingérence  de  l'État  va  très  loin, 
car  il  n'y  a  presque  aucun  dogme  relatif  soit  au  culte  divin,  soit  aux 
sciences  humaines,  d'où  ne  puissent  sortir  des  dissentiments,  puis  des 
querelles,  des  outrages  et,  peu  à  peu,  la  guerre  ^. 

Hobbes  a  pris  la  peine  de  dresser  la  hste  des  principales  thèses 
à  proscrire  :  On  doit  obéissance  à  d'autres  qu'à  ceux  gui  ont  reçu  le  sou- 
verain pouvoir.  «  Ici,  continue  notre  philosophe,  j'ai  en  vue,  pourquoi 
le  dissimuler  ?  le  pouvoir  que  beaucoup  attribuent  au  Chef  de  l'Eglise 
romaine  sur  les  Etats  étrangers,  ensuite  le  pouvoir  que,  en  dehors 
de  l'Église  romaine,  certains  évêques  réclament  dans  leur  cité,  enfin 
la  liberté  que,  sous  prétexte  de  religion,  s'arrogent  des  citoyens  même 
infimes  »  ^.  —  La  connaissance  de  ce  qui  est  bien  et  de  ce  qui  est  mal 


1.  Secvindo,  is  qui  habet  summam  potestatem  legibus  civilibus  non  subjicitur.  Cum 
enim  arbitrio  suo  leges  et  facit  et  abrogat,  potest,  quoties  visum  erit,  subjectione  illa 
et  molestia  se  liberare  :  legibus  ergo  ante  solutus  erat.  Liberi  enim  sunt  qui,  quando 
volunt  esse,  possunt  ;  nec  potest  quisquam  sibi  ipsi»obligari,  quia,  qui  obligare,  idem 
liberare  potest.  ( Leviathan,  C.  XXVI,  t.  III,  p.  197,  §  Secundo). 

2.  Ex  quo  intelligitur  singulos  cives  suum  sibi  proprium  habere,  in  quod  nemo  conci- 
vium  suorum  jus  habet,  quia  iisdem  legibus  tenentur  ;  non  autem  proprium  ita  habere 
quicquam,  in  quod  non  habeat  jus  ille  quihabet  imperium  suminum,  cujus  mandata  sunt 
ipsse  leges,  cujus  voluntate  voluntas  singulorum  continetur,  et  qui  a  singulis  consti- 
tuitur  judex  supremus.  (De  Cive,  C.  VI,,  §  15,  circa  médium) 

3.  ...  Ita  ut  actiones  omnium  a  suis  cujusque  opinionibus  regantur.  (De  Cive,  C.  VI, 

^  11)- 

4.  Sequitur  ergo  illum...  cui  commissum  est  a  civitate  summum  imperium,  hoc  quo- 
que  habere  juris  ut  et  judicet  quae  opiniones  et  doctrinse  paci  inimicœ  sunt,  et  vetet 
ne  doceantur.  (De  Cive,  C.  VI,  §  11,  à  la  fin). 

5.  Dogma  fere  nullum  est,  neque  circa  cultvim  Dei,  neque  circa  scientias  humanas, 
unde  dissensiones,  deinde  discordije,  convicia,  et  paulatim  bellum  oriri  non  possit.  (De 
Cive,  C.  VI,  §  11,  note). 

6.  Quales  sunt  [doctrinae]  quae...  hominibus  aliis  prseter  eos,  quibus  imperium  sum- 
mum traditum  est,  obedientiam  piostulant.  Spectare  hoc  ad  potestatem,  quam  in  aliéna 
civitate  Ecclesiae  Romanse  Principi  multi  attribuunt,  et  ad  potestatem  etiam,  quam 
alicubi  extra  Ecclesiam  Romanam  Episcopi  in  civitate  sua  .sibi  postulant,  denique  ad 
libertatem,  quam  prsetextu  religionis  sumunt  sibi  etiam  cives  infimi,  non  dissimule. 
.(De  Cive,  C.  Vï,  §  11,  Note,  circa  médium). 


SECTION   III.   LE   CITOYEN   :    §  IV.  ATTRIBUTIONS   DF  S0I7VERAIN      385 

appartient  à  chacun  en  jmi'ticulier  ^.  —  Les  sujets  pèchent  toutes  les 
fois  qu'ils  exécutent  les  m'dres  de  leurs  princes  qui  leur  semblent  injustes  '^. 
■ —  Le  tyrannicide  est  licite  ^.  —  Les  possesseurs  du  pouvoir  souverain 
sont  aussi  soumis  aux  lois  civiles  *.  —  La  souveraineté  peut  être  divisée  ^. 
—  Chaque  citoyen  a  sur  ce  quHl  possède  un  domaine  absolu  ®.  —  Toutes 
ces  propositions  sont  qualifiées  par  Hobbes  de  «  séditieuses  »,  dignes 
par  conséquent  d'interdiction  et  de  répression.  C'est  tout  à  fait  dans 
la  logique  du  système. 

La  tutelle  de  l'État  doit  s'étendre  encore  plus  loin.  Le  Christ  ne 
nous  a  point  enseigné  cet  ensemble  de  sciences,  comprises  sous  le 
nom  de  philosophie,  dont  les  unes  sont  nécessaires  à  la  vie  et  les 
autres  au  bien-être  de  la  vie.  ((  Il  faut  donc  les  acquérir  par  le  raisonne- 
ment, c'est-à-dire  en  enchaînant  les  conséquences  après  avoir  pris 
l'expérience  comme  point  initial  »  '.  Mais  les  hommes  raisonnent 
tantôt  correctement,  tantôt  de  travers.  Or  les  erreurs  commises  en 
ces  matières  philosophiques  peuvent  être  nuisibles  au  pubhc,  étant 
une  occasion  d'outrages  et  de  séditions.  Il  faut  donc  que  quelqu'un 
mette  un  terme  aux  controverses  sur  ces  sujets,  quand  elles  menacent 
de  troubler  la  paix,  comme  en  prononçant  «  si  ce  que  l'on  infère  est 
bien  ou  mal  inféré  »  ^. 

Mais  qui  décidera  ?  Ce  n'est  point  le  Christ,  «  car  il  n'est  point  venu 
en  ce  monde  pour  enseigner  la  Logique  ».  Reste  que  les  juges  de  ces 
controverses  soient  «  ceux  qu'en  chaque  État  le  ïSouverain  institue  »  ^. 
Voilà  donc  le  Sou^■e^ain  constitué  Docteur  es  sciences  «  juridiques, 
politiques,  naturelles  »  ^°. 

Les  mauvaises  doctrines,  levain  de  discordes  et  de  séditions, 
sont  répandues  dans  l'esprit  des  simples  par  les  discours  des  prédica- 
teurs ou  les  conversations  journahères  des  gens  qui  en  ont  été  imbus 
dès  leur  jeunesse  dans  les  Académies  pubhques  ^^.  Pour  remédier  au 
mal,  il  faut  commencer  par  la  réforme  de  ces  Académies.  Que  le  Sou- 
verain fasse  donc  «  rédiger  les  vrais  éléments  de  la  philosophie  civile 
et  qu'il  en  impose  l'enseignement  à  toutes  les  Universités  »  ^^.  Leurs 
élèves,  imprégnés  d'une  saine  doctrine,  la  propageront  plus  tard  dans 
le  peuple. 

1-2-3-4-5-6.  De  Cive,  C.  XII,  §  1,  2,  3,  4,  5,  7. 

7.  ...  Scientiœque  omnes,  quse  philosophiœ  nomine  comprehenduntur,  partim  ad 
vivendum,  partim  ab  beue  vivendum  necessariae  sunt.  Horum  scientia,  quia  Christus 
eam  non  tradidit,  ratiocinatione,  id  est  texendo  consequentias  initio  sumto  ab  expe- 
rientiis,  addiscenda  est.  (De  Cive,  C.  XVII,  §  12.  circa  principium). 

8.  Oportet  igitur,  quoties  repugnans  bono  public  et  paci  conimuni  controversia  de 
his  rébus  oritur,  esse  aliquern  qui  de  ratiocinatione,  id  est,  an  quod  infertur,  recteinfe- 
ratur  necne,  sententiam  ferat,  ut  controversia  finiatur.  (De  Cive,  C.  XVII,  §  12,  circa 
meÂium). 

9.  ...  Neque  enim  venit  [Christus"^  in  hune  mundum  ut  doceret  loqicam.  Reliquuin 
igitur  &st  judices  talium  controversia  um  eosdem  esse,  quos  Deus  per  naturam  prius 
instituerat,  nimirum  eos,  qui  a  summo  imperante  in  unaquaque  civitate  constituuntur. 
(De  Cive,  C.^Yll,  §  12). 

10.  ...  Jus,  pr.litia  et  scientiae  naturales...  (De  Cive,  C.  XVII,  §  12,  circa  finein). 

11.  De  Cive,  C.  XIII,  §  9. 

12.  Officii  igitur  summorum  imperdtitium  esse  arbitrer,  elementaveradoctrinaecivilis 
conscribi  facere,  et  imperare  ut  in  omnibus  civitatis  academiis  doceantur.  (De  Cive, 
C.  XIII,  §  9,  à  la  fin). 

25 


386  ARTICLE  ni.   —   CHAPITRE   IH.   —  LA   TRILOGIE   HOBBIBNKB 

Il  y  a  une  dernière  attribution,  la  plus  exorbitante  de  toutes,  dont 
Hobbes  gratifie  l'État  qu'il  rêve  :  c'est  de  régenter  la  conscience  reli- 
gieuse. Au  souverain  laïc  de  réglementer  le  culte  et  la  croyance  des 
sociétés  même  chrétiennes. 

Le  culte,  on  l'a  vu  ^,  est  un  ensemble  de  signes  honorifiques  par  les- 
quels les  hommes  témoignent  à  Dieu  leur  estime  et  lui  rendent  leurs 
hommages.  Ceux  qui  veulent  former  une  société  peuvent  et  doivent 
transférer  au  Souverain  le  di'oit  de  décréter  de  quelle  manière  il  faut 
honorer  Dieu.  Autrement,  si  chacun  était  hbre  d'agir  à  sa  guise,  on 
verrait  simultanément  dans  le  même  État  affluer  toutes  les  opinions 
absurdes  sur  la  nature  divine  et  toutes  les  cérémonies  ridicules  qui 
ont  pu  exister  quelque  part  ■^. 

La  croyance  est  contenue  dans  les  Saintes  Écritures,  qui  sont  la 
parole  de  Dieu.  Ce  n'est  pas  la  lettre  de  la  parole  de  Dieu  qui  sert 
de  règle  à  la  doctrine  chrétienne,  mais  la  pensée  véritable  et  authen- 
tique que  cette  parole  renferme,  car  qui  veut  se  diriger  par  les  Saintes 
Écritures,  doit  d'abord  les  bien  comprendre.  C'est  dire  que  pour 
devenir  une  règle  sûre  et  obligatoire,  elles  ont  besoin  d'im  mterprète, 
dont  la  parole  soit  regardée  comme  la  parole  même  de  Dieu  ^. 

Qui  sera  cet  interprète  ?  Qui  aura  le  «  pouvoir,  de  prononcer  défi- 
nitivement' sur  toutes  les  controverses  au  moyen  de  la  Sainte  Écri- 
ture ?  *  »  Ce  pouvoir  ne  saurait  appartenir  ni  aux  simples  particuliers, 
ni  à  une  autorité  étrangère.  S'en  remettre,  en  effet,  à  l'arbitrage  de  la 
conscience  individuelle,  serait  détruire  l'obéissance  due,  selon  le  pré- 
cepte du  Christ,  à  la  puissance  civile  et  compromettre  la  paix  sociale. 
Car,  si  chacun  se  fait  juge  de  ce  qui  plaît  ou  déplaît  à  Dieu,  avant 
d'obéir  aux  princes  il  se  demandera  :  leurs  ordres  sont-ils  conformes 
ou  non  à  l'Écriture  ?  «  De  la  sorte  l'obéissance  civile  est  supprimée, 
parce  que  ou  bien  ils  n'obéissent  pas,  ou  bien,  s'ils  obéissent  guidés 
par  leur  jugement  propre,  c'est  à  eux-mêmes  et  non  à  l'État  qu'ils 
obéissent  »  ^.  De  plus,  chacun  gardant  son  sentiment  persomiel, 
la  porte  serait  ouverte  à  d'innombrables  controverses  c^u'aucune 
autorité  ne  pourrait  trancher.  Les  hommes  en  viendraient  à  se  haïr 
et  à  se  combattre  :  c'en  serait  fait  de  la  société  et  de  la  paix  ^. 

Faut-il  recourir  à  une  puissance  étrangère  ?  (Hobbes  a  en  vue 
l'Église  romaine,  qu'il  ne  nomme  pas).  Tout  le  monde  sait  que  les 


1.  Cf.  snpra,  p.  366-367. 

2.  Possunt  ergo  cives  jus  decernendi  de  modo  colendi  Deum  in  eiim  vel  in  eos  ti'ans- 
ferre  qui  civitatis  habent  imperium  siunmuHi.  Imo  debent  ;alioquinenimonines  absur- 
dse  opiniones  de  natura  Dei  ceremoniEeque  omnes  ridiculse,  quae  apud  ullas  gentes 
exstitere,  in  eadem  simul  civitate  conspicerentur  ;  ex  quo  contingeret  unicuique  credere 
caeteros  omnes  Deum  contumelia  afficere.  (De  Cive,  C.  XV,  §  17,  circa  fmem), 

3.  i>e  Cive,  C.  XVn,  §  17.. 

4.  ...  Ita  ut  interpretatio,  de  qua  agimus,  idem  sit  quod  potestas,  in  omnibus  contro- 
versiis  per  Scripturam  Sacram  determinandis,  definiendi.  (De  Cive,  C.  XVII,  §  27, 
circa  principitim). 

5.  Atque  sic  vel  non  obediunt,  vel  obediunt  piopter  judicium  proprium,  hoc  est 
sibi  obediunt  non  civitati.  Tollitur  ergo  obedientia  civilis.  (De  Cive,C  XVII,  §  27, 
circa  principium). 

6.  De  Cive,  C.  XVII,  §  27. 


SECTION  m.   LE   CITOYEN    :    §  IV.   ATTRIBUTIONS   DU  SOUVERAIN      387 

actions  volontaires  des  hommes  sont,  par  une  nécessité  naturelle, 
conformes  aux  idées  qu'ils  se  font  du  bien  et  du  mal,  des  récompenses 
et  des  peines.  D'où  il  arrive  forcément  qu'ils  sont  tout  prêts  à  obéir, 
en  toutes  choses,  à  ceux  dont  chacun  attend  sa  féhcité  ou  sa  perte 
éternelle,  parce  qu'ils  décident  quelles  doctrines  et  quelles  actions 
sont  nécessaires  au  salut.  Ceci  posé,  il  est  très  manifeste  que  les  ci- 
toyens, qui  se  croient  obligés  de  suivre  les  décisions  de  cette  autorité 
étrangère,  ne  forment  pas  un  État  véritable,  mais  sont  les  sujets 
d'un  État  étranger  ^. 

Reste  donc  que  dans  toute  Éghse  chrétienne,  c'est-à-dire  dans 
tout  État  chrétien,  l'interprétation  de  la  Sainte  Écriture,  à  savoir 
le  droit  de  trancher  toutes  les  controverses,  dépende  et  dérive  de 
l'autorité  de  l'homme  ou  de  l'assemblée  qui  détient  le  souverain 
pouvoir  2. 

Bref,  il  faut  que  l'interprète  de  l'Écriture  et  de  toutes  les  doctrines 
soit  le  même  que  le  Juge  suprême  ^. 

L'autorité  rehgieuse  est  donc  l'apanage  de  la  souveraineté  pohtique  : 
l'Église  est  partie  indivise  de  l'État. 

Qu'est-ce  que  l'ÉgUse  ?  «  C'est  la  multitude  des  hommes  qui  ont, 
par  V intermédiaire  du  Christ,  conclu  avec  Dieu  le  jJcicte  de  la  nouvelle 
alliance,  c'est-à-dire  qui  ont  reçu  le  sacrement  de  baptême,  multitude 
qui  peut  être  légitimement  convoquée  en  un  même  lieu  par  quelqu'un, 
et  dont  les  membres,  sur  cette  convocation,  doivent  être  tous  p7'ésents 
soit  p)ar  eux-mêmes,  soit  par  des  repi'ésentants  »  *.  Sans  cette  obligation 
de  répondre  unanimement  à  l'appel  fait  par  l'autorité  légitime, 
cette  multitude  ne  formerait  pas  une  personne  et  une  Eglise  ;  il  y  aurait 
autant  d'Éghses  différentes  que  l'on  compterait  de  réunions  diverses, 
les  uns  s'assemblant  ici,  les  autres  là  ^.  Mais,  grâce  à  ce  droit  de  convo- 
cation et  au  devoir  correspondant  d'y  réponch^e.  État  chrétien  et  Eglise 
sont  une  même  chose  sous  'des  noms  cUfférents.  On  l'appelle  Etai, 
en  taivfcqu^elle  se  compose  d'hommes  ;  Eglise,  en  tant  que  ces  hommes 


1.  Quorum  autem  arbitrio,  quae  doctrinse  et  quse  acticnes  necessarise  sunt  ad  salutem, 
statuittu",  eonim  arbitrio  exspectant  homines  felicitatem  vel  perditionem  setemam  ;  iis 
igitur  in  omnibus  rébus  obsequentur.  Quod  cimn  ita  sit,  manifestissimum  est  cives 
qui  se  obligari  credunt  eirca  eas  doctrinas,  quœ  ad  salutem  necessarise  sunt,  auctontati 
exteniae  acquiescere,  non  constituere  civitatem  per  se,  sed  esse  externi  illius  subditos. 
(De  Cive,  C.  XVII,  §  27,  circa  médium). 

2.  Restât  ergo,  in  omni  eccîesia  Christiana,  hoc  est,  in  omnî  civitate  Christiana,  Scrio- 
turae  Sacrae  interprétât io,  hoc  est,  jus  controversiaa  omnes  determinandi,  dependeat  et 
derivetur  ab  auctoritate  ilhus  hominis  vel  cœtus,  pênes  quem  est  summum  imperium 
civitatis.  (De  Cive.  C.  XVII,  §  27,  à  la  fin). 

f].  Restât  ut...  idemque  sit  interpres  Scripturae  et  doctrinanim  omnium  judex  supre- 
mus.  (De  Cive,  C.  XVII,  §  13,  «  la  fin). 

4.  ...  Multitude  hominttm  qui  pactum  novum  cum  Deo  per  Chriatum  inierunt,  hoc  est 
multitudo  eoiutn  qui  susceperunt  sacramentvmi  baptismi  iquae  muUitudo  et  jure  in  unum 
locum  convocari  posait  ab  aliq'uo,  et,  eo  convocante,  aàesae  omnes  vel  per  se  vel  per  alioa  obli- 
ganlur.  (De  Cive,  C.  XVII,  §  20). 

5.  Xam  mutitudo  hominum,  si  coire  in  unum  cœtum,  ubi  opus  est,  non  poteet,  un» 
persona  dicenda  non  est...  Itaque  eccîesia,  nisi  ubi  certa  et  cognita,  hoc  est,  légitima 
potestas  sit,  per  quam  singuli  per  se  vel  per  alioa  in  cœtu  adesse  obligentur,  una  noa 
est.  (De  Cive,  C.  XVII,  §  20,  circa  principinm  et  circa  finem). 


388  ARTICLE   III.   —   CHAPITRE    III.    —  LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

qui  la  constituent  sont  chrétieyis  ^.  Église  et  État  chrétien  ont  même 
matière  et  même  forme  :  même  matière,  à  savoir,  les  mêmes  membres 
qui  sont  à  la  fois  hommes  et  chrétiens  ;  même  forme,  à  savoir,  une 
même  puissance  qui  a  droit  de  les  convoquer,  car  chaque  citoyen  doit 
venir  là  où  la  cité  le  convoque  2. 

Hobbes  tire  de  la  doctrine  précédente,  qui  identifie  l'Éghse  et  l'État, 
plusieurs  conséquences,  dont  le  but  est  de  sauvegarder  sa  thèse  fonda- 
mentale, l'omnipotence  du  Souverain. 

L'élection  des  Ecclésiastiques,  c'est-à-dire  «  de  ceux  qui  exercent 
dans  l'Éghse  une  fonction  pubhque  »  ^,  appartient  au  souverain  *. 
Leur  consécration  est  laissée  aux  Pasteurs  ^. 

Il  n'est  pas  douteux  que  le  Christ  a  conféré  aux  futurs  Pasteurs  le 
pouvoir  de  lier  et  de  délier  qu'il  donna  aux  Apôtres.  Mais  cette  faculté 
de  remettre  et  de  retenir  les  péchés  n'a  pu  être  concédée  à  chaque 
Pasteur  individuellement,  car,  dans  cette  hypothèse,  «  toute  crainte 
des  princes  et  des  magistrats  civils  serait  détruite,  et  du  même  coup 
tout  gouvernement  ci  vil...,,  personne  n'étant  assez  fou  pour  ne  pas 
préférer  obéir  à  ceux  qui  peuvent  remettre  et  retenir  les  péchés, 
plutôt  que  d'obtempérer  aux  ordres  des  rois  les  plus  puissants  »  ^. 
Pour  sortir  d'embarras,  notre  philosophe  distingue  deux  choses  dans 
le  pouvoir  de  her  et  de  déher  :  le  jugement  ou  condaînnation,  qui 
prononce  qu'un  acte  est  péché  ;  puis  la  rérnission  ou  la  rétention  de  la 
faute,  selon  que  le  condamné  acquiesce  ou  n'acquiesce  pas  au  jugement 
C[ui  a  décidé  qu'il  y  avait  faute,  c'est-à-dire,  selon  qu'il  se  repent 
ou  ne  se  repent  pas.  «  La  première,  qui  est  de  juger  s'il  y  a  péché,  regarde 
l'interprète  de  la  loi,  c'est-à-dire  le  juge  suprême  ;  la  seconde,  qui  est 
de  remettre  ou  de  retenir  le  péché,  regarde  le  pasteur,  et  c'est  la  puis- 
sance de  Uer  'et  de  délier  »  '.  Grâce  à  cette  distinction  le  souverain 
(car  il  est  juge  suprême)  se  réserve  l'autorité  essentielle  et  indépen- 
dante qui  lui  permet  de  décider  ce  qui  est  bien  ou  mal,  abandonnant 
aux  dignitaires  ecclésiastiques  un  rôle  secondaire  et  subordonné. 
Ici,~comme  dans  le  cas  de  l'élection  et  de  la  consécration  des  Pasteurs, 
l'État  reçoit  une  part  de  lion. 

1.  lis,  quse  dicta  jam  sunt,  necessaria  connexione  adhœret  civitatem  Christianorum 
hominvim  et  ecclesiam  eoruiidoin,  prorsus  eandem  rem  esse  duobus  nominibus  propter 
duas  cavisas,  appellatam...  Qiue  vero  civitas  vocatur,  quatenus  conflatur  ex  hominibus  ; 
eadem,  quatenus  constat  ex  C7( risiianis,  ecclesia  nominatur.  (De  Cive,  C.  XYII,  §  21). 

2.  De  Cive,  C.  XVll,  §  21,  in  medio. 

3.  Ecclesiastici  appellari  possunt,  qui  muiius  in  Ecclesia  exercent  publicum.  (De  Cive, 
C.  XVII,  §  23). 

4-5.  De  Cive,  C.  XVII,  §  24. 

6.  ...  Si  pastoribus  singulis  eo  modo  remittere  et  retinere  peccata  concessum  esset, 
omnis  metus  principum  et  niagistratuum  civilium,  unaque  omne  regimen  civile  destrue- 
retur...  Neque  est  quisqiiam  ita  mente  captus,  ut  non  potius  mallet  iis,  qui  peccata 
remittere  et  retinere  possunt,  quam  regibus  potentissimis  obtemperare.  (De  Cive,  C.  XVII, 
§  25,  circa  principium). 

7.  Cum  enim  in  remissione  duo  sint  :  alterum,  judicium  sive  condemnatio,  qua  factum 
judicatur  esse  peccatum  ;  alterum,  (ubi  condemnatus  judicio  acquiesçons  obediverit, 
id  est  pœnituerit)  peccati  remissio,  vel  (si  non  pœnituerit)  retentio  ;  pi'imum  eorum,  id 
est,  judicare  an  sit  peccatuni,  ad  interpreteni  leç/is,  id  est,  judicem  summum  ;  secundum, 
remissio  vel  retentio  peccati,  pertinet  ad  pastorem  ;  et  est  illa  ipsa,  de  qua  agitur,  potes- 
tas  ligandi  et  solvendi.  (De  Cive,  C.  XVII,  §  25,  circa  médium). 


SECTION   III.   LE   CITOYEN    :    §  IV.   ATTRIBUTIONS   DU  SOUVERAIN      389 

Dernière  conséquence.  L'acte  de  retenir  les  péchés  est  ce  que  l'Église 
nomme  excommunication.  L'excommunié  est  exclu  des  assemblées 
et  de  la  participation  aux  mystères  ;  la  communauté  chrétienne  doit 
le  fuir,  comme  on  fuit  la  contagion  ^.  Or,  si  l'on  se  rappelle  que  l'Église 
et  l'État  ne  font  qu'un  et  ont  même  extension,  il  apparaît  clairement  : 

1°  Qu'un  Etat  chrétien  ne  peut  encourir  Vexcoynmunication,  puisque 
l'Église  devrait  par  là  même  s'excommunier  aussi,  ce  qui  est  impos- 
sible. De  plus,  elle  n'a  point  à  redouter  les  foudres  d'une  autre  Église, 
soit  particulière,  soit  universelle.  Car  il  n'y  a  pas  d'Église  universelle 
visible  qui  constitue  une  personne  capable  d'agir  ;  quant  aux  Églises 
particuhères,  elles  n'ont  pas  prise  les  unes  sur  les  autres  ^, 

£0  Que  personne  (allusion  transparente  au  Pontife  romain)  ne  peut 
excoinmunier  en  masse  les  citoyens  d'un  Etat  absolu  ^. 

30  Que  le  prince  cjui  détient  la  souveraineté  ne  saurait  être  excommunié. 
Le  prince,  étant  souverain,  est  tout  ensemble  l'État  et  FÉghse. 
Personne  ne  peut  donc  être  excommunié  qu'en  vertu  de  l'autorité 
du  prince  ;  mais  le  prince  ne  s'excommunie  pas  lui-même  ;  partant, 
il  ne  peut  être  excommunié  par  ses  sujets  *. 

Ainsi  l'excommunication  n'est  qu'un  vain  épouvantail  pour  les 
États.  «  Ce  terme  «  foudi'c  de  l'excommunication  »  a  été  faussement 
imaginé  par  quelque  évêque  de  Pome  qui,  se  croyant  le  roi  des  rois, 
a  imité  les  poètes  païens  attribuant  la  foudre  à  Jupiter  »  ^.  Cette  pré- 
tention repose  sur  une  double  erreur  :  1^  Juger,  contrairement  aux 
paroles  du  Christ,  que  le  royaume  de  Dieu  est  de  ce  monde.  2"  Se  croire 
le  Vicaire  du  Christ  à  l'égard,  non  seulement  de  ses  sujets  romains, 
mais  de  tous  les  chrétiens  '°. 

Le  souverain  interprète  les  textes  sacrés  par  l'intermédiaire  des 
ecclésiastiques  ;  mais  c'est  lui  qui  les  délègue  à  cet  effet  ;  c'est  lui 
encore  qui  déhmite  les  frontières  entre  le  spirituel  et  le  temporel, 
c'est-à-dire  décide  quelles  matières  relèvent  de  l'ordre  profane,  quelles 
de  l'ordre  sacré.  «  Tous  les  pasteurs,  sauf  le  pasteur  suprême,  exercent 
leurs  fonctions  par  l'autorité  du  souverain,  c'est-à-dire  en  vertu  du 
droit  civil  ;  mais  le  roi,  et  quiconque  a  le  pouvoir  souverain,  le  font  par 

1.  De  Cive,  C.  XVII,  §  27. 

2.  Quum  ergo  talis  sit  excomnnmicationis  efiectus,  manifestum  est,  primo  loco,  civi- 
tatem  Christianam  non  posse  excomm.unicari.  Est  enim  civitas  Christiana  ecclesia 
Christiana  (ut  ostensum  est  supra,  art.  21)  et  ejusdeni  extensionis.  Ecclesia  autem  excom- 
municarl  non  potest  :  vel  enini  excommunicabit  seipsam,  quod  est  impossibile  ;  vel 
excommunicabitur  ab  alia  ecclesia,  eaque,  vel  universali,  vel  particulari.  Universalis 
autem  ecclesia,  cum  persona  non  sit  (ut  ostensum  est  articule  22),  neque  ergo  agat 
aut  faciat  quicquam,  excommunicare  neminem  potest.  Particularis  autem  ecclesia 
excommunicando  aliam  ecclesiam  nihil  agit,  nihil  mutât.  CDe  Cive,  C.  XVII,  §  26,  circa 
médium). 

3.  De  Cive,  C.  XVII,  §  26,  circa  tnediiim. 

4.  De  Cive,  C.  XVII,  §  26,  circa  finetn. 

5.  Excommunicatio  ergo,  si  careat  potestate  civili,  ut  rêvera  caret  quoties  i;nus 
princeps  alterum  excommunicat,  inutilis  est  ;  neque  igitur  metuenda.  Vocabuhnn  illud, 
fulmen  excommunicationis,  ab  alicujus  episcopi  Romani  imaginatione  falsa  profectum 
est,  qui,  regum  regem  se  esse  putans,  poetas  ethnicorum,  qui  Jovi  fulmen  attribiierunt, 
imitatus  est.  ( Leviathan,  C.  XLII,  t.  III,  p.  374,  circa  médium). 

6.  Leviathan,  C.  XLII,  t.  III,  p.  374  (fait  suite  à  la  citation  précédente). 


390  ARTICLE   III.   —   CHAPITRE    III.   LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

l'autorité  de  Dieu,  c'est-à-dire  en  vertu  du  droit  divin.  C'est  pourquoi 
le  souverain  est  roi  par  la  grâce  de  Dieu,  tandis  que  les  évêques  ne  sont 
é^èques  que  par  la  grâce  du  rois)  ^. 

Ici,  Hobbes  soulève  lui-même  une  grave  objection.  Ne  peut-il  pas 
se  présenter  des  cas  où  les  ordres  du  souverain  soient  en  opposition 
arec  la  loi  divine  contenue  dans  la  Révélation  ?  Dès  lors,  il  faudrait 
choisir  entre  les  injonctions  du  souverain  et  celles  de  Dieu  2. 

Hobbes  répond  d'abord,  en  général,  qu'd  faut  avant  tout  se  sauver  ; 
par  conséquent,  dans  les  choses  nécessaires  au  salut,  on  doit  obéir 
à  Dieu  qui  peut  nous  condamner  à  la  mort  ^éternelle,  plutôt  qu'au 
souverain  terrestre,  qui  épuise  sa  puissance  en  nous  condamnant 
à  la  mort  temporelle  ^.  Il  faut  donc,  avant  tout,  savoir  quelles  sont  les 
conditions  absolument  requises  j)our  le  salut.  Elles  sont  au  nombre 
de  deux  *  : 

10  L'Obéissance.  Cette  vertu  consiste  dans  la  volonté  ou  l'effort  de 
se  soumettre  aux  lois  de  Dieu,  qui  comprennent  les  lois  morales 
et  les  lois  civiles,  tant  temporelles  que  spirituelles  ^.  L'obéissance, 
qui  équivaut  au  repentir,  implique  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain 
ainsi  que  la  justice  ^. 

20  La  Foi  chrétienne.  Le  mot  foi  s'emploie  pour  marquer  que  l'as- 
sentiment, qui  est  donné  à  une  proposition,  se  fonde,  non  sur  des 
raisons  tirées  de  la  proposition  elle-même,  mais  sur  la  conviction  que 
la  personne  qui  «  propose  »  n'est  ni  trompée,  ni  trompeuse  '' .  La  foi 
diffère  par  conséquent  de  Vopinion,  qui  s'appuie  sur  la  raison,  et  non 
sur  l'estime  que  nous  faisons  d'autrui  ;  ensuite  de  la  science,  dont  le 
propre  est  de  mâcher  lentement  une  proposition  avant  de  l'admettre, 
tandis  que  la  foi  tout  entière  l'avale  d'un  trait  ^.  Quant  à  la  foi  chré- 
tienne, elle  consiste  à  croire  que  Jésus  est  le  Christ,  c'est-à-dire  Celui 
qui,  d'après  les  Prophètes,  devait  venir  en  ce  monde  pour  établir 


1.  Pastores  omnes,  prseter  supnenmm,  jure,  civiU  ista  [prsedicai-e  vel  baptizare] 
laeiunt  ;  sed  rex,  et  quicunque  sunamam  habet  potestatem,  eadem  faciunt  authorjtate 
Dei,  sive,  ut  loquuntur,  jure  divino.  Reguni  ergo  et  sunime  imperantiuni  soloruni  est  in 
titulis  habere  :  Dei  gratia  rex,  etc.  Episcoporum  est  :  Per  gratiam  régis  episcopus,  etc. 
(Leviathan,  C.  XLII,  t.  III,  p.  398,  circa  principium). 

2-3,  De  Cive,  C.  XVUI,  §  1. 

4.  De  Cive,  C.  XVIII,  §  2. 

5.  De  Cive,  C.  XVIII,  §  3,  m  fÎMe. 

6.  De  Cive,  C.  XVIII,  §  3,  circa  principium. 

7.  Quando  vero  rationes  nostrae,  propter  qvias  assentiinvir  propositioiii  alicui,  non  ab 
ipsa  p7-opositione,  sed  a  persona  proponentis  derivantur,  ut  quém  ita  peritum  judicamus 
ut  non  fallatur,  neque  causani  videmvis  quare  velit  fallere,  assensus  noster,  quia  nas- 
citur  non  a  nostrae  sed  aliense  scientise  fiducia,  fuies  appellatur.  (De  Cive,  C.  XVIII, 
§  4,  circa  finem). 

8.  Ex  iis,  quœ  dicta  sunt,  apparet  differentia...  in  ter  fidem  et  opinionem  :  hsec  enim 
nostrae  rationi  innititiu-,  illa  alienœ  existimationi...  Tnter  fidem  et  scientimn  :  hujus 
euim  est  propositioneni  examinatione  comniinutam  et  mansam  lente  adniittere  ;  illius 
aAxtem,  integram  deglutire.  (De  Cive,  C.  X\  III,  §  4).  Hobbes  oublie  que  le  croyant 
examine  les  motifs  de'crédibilité.  Saint  Thomas  a  dit  depuis  longtemps  :  «  Le  croyant 
ne  croirait  pas  s'il  ue  voyait  qu'il  faut  croire.  »  (Non  enim  crederet  nisi  \dderet  ea  esse 
credenda  vel  propter  evidentiam  signorum,  vel  propter  aliquid  hujusmodi.  (Sunima 
theologica.  II*  Ilae^  Qusest.  I,  Art.  IV,  ad  2i'm). 


SECTION  m.   LE   CITOYEN    :    §  IV,  —  ATTRIBUTIONS   DU  SOUVERAIN      391 

le  règne  de  Dieu  ^.  Tel  est  le  seul  article  de  foi  qui  soit  indispensable 
au  salut  ^. 

Après  avoir  indiqué  quelles  sont,  d'après  lui,  les  conditions  néces- 
saires au  salut,  Hobbes  en  vient  à  la  solution  pratique  de  la  difficulté 
envisagée  d'une  façon  concrète. 

S'agit-il  d'un  prince  chrétien  ?  Les  citoyens  doivent  lui  obéir, 
car  tant  qu'il  fait  profession  de  Christianisme,  le  souverain  ne  peut 
commander  à  ses  sujets  de  renier  le  Christ  ou  de  l'outrager  :  autrement 
il  ferait  profession  d'antichristianisme.  Ici,  la  hgne  de  conduite  à 
suivre  est  simple  :  les  citoyens  d'un  État  chrétien  n'ont  qu'à  se  sou- 
venir qu'ils  doivent,  dans  les  choses  aussi  bien  spirituelles  que  tempo- 
relles, pleine  et  entière  obéissance  au  pouvoir  suprême  ^.  Bref,  notre 
philosophe  nie  la  possibiMté  même  d'un  conflit. 

«  S'agit-il  d'un  prince  non  chrétien  ?  Il  est  hors  de  controverse 
que,  dans  toutes  les  choses  temporelles,  un  citoyen  même  chrétien 
lui  doit  pareille  obéissance.  Pour  les  choses  spirituelles,  c'est-à-dire 
qui  concernent  la  manière  d'honorer  Dieu,  il  faut  suivre  quelque 
Eglise  de  Chrétiens.  Dieu,  en  effet,  dans  les  choses  surnaturelles,  ne 
parle  que  par  les  interprètes  chrétiens  de  l'Écriture  sacrée  :  c'est 
l'hypothèse  même  de  la  foi  chrétienne.  Mais  quoi  ?  Faut-il  résister 
aux  princes,  quand  on  ne  doit  pas  leur  obéir  ?  Pas  le  moins  du  monde 
assurément  :  ce  serait  contraire  au  pacte  civil.  Que  faire  donc  ?  Aller 
au  Christ  par  le  martyre  »  *.  Ainsi,  aucune  résistance,  même  passive, 
n'est  autorisée  à  l'égard  d'un  souverain  incrédule  qui  opprimerait 
une  nation  chrétienne  !  On  ne  saurait  pousser  plus  loin  la  sujétion 
au  pouvoir  civil  et  le  mépris  de  la  conscience  humaine. 

Hobbes  reproche  à  l'Église  sa  prétention  à  dominer  l'individu, 
qui  dès  lors  n'est  plus  soumis  tout  entier  à  l'État,  et  sa  tendance  à 
absorber  l'État  lui-même.  Le  remède  qu'U  imagine  est  simple  et  radical: 
l'État  doit  absorber  l'Éghse,  quelle  que  soit  cette  Église,  Romaine, 
Anglicane  ou  Presbj^érienne.  Mais  évidemment  c'est  l'Éghse  romaine 
qu'il  redoute  le  plus,  car  elle  oppose  suprématie  à  souveraineté, 
canons  à  lois,  autorité  spirituelle  à  autorité  civile,  sanctions  surnaturelles 
et  éternelles  à  sanctions  pohtiques  et  temporelles.  Il  ne  craint  pas  de 
comparer  (et  il  ne  trouve  pas  sa  comparaison  inepte,  non  inepte  com- 
parari  potuit)  la  hiérarchie  romaine  à  ces  ombres  ou  spectres,  célèbres 
par  leurs  forfaits  nocturnes,   qu'en  Angleterre  les  vieilles  femmes, 

1.  De  Cive,  C.  XVIII,  §  5,  circa  priticipium. 

2.  De  Cive,  C.  XVIII,  §  6-10. 

3.  De  Cive,  C.  XVIII,  §  13.  —  Hobbes  escamote  la  difficulté,  parce  quun  prince  saas 
aller  jusqu'à  commander  de  renier  le  Christ  ou  de  l'outrager,  peut  commander  des 
choses  contraires,  par  exemple,  à  la  morale  de  l'Evangile. 

4.  Imperantibu.s  autem  non  Chri.stianis.  in  temporalihus  quidem  omnibus  oandem 
deberi  obedientiam,  etiam  a  cive  Christiano,  extra  controversiam  est  ;  in  spirihtalihua 
vero,  hoc  est,  in  iis  quse  pertinent  ad  modum  colendi  Dei,  sequenda  est  ecclesia  aliqua 
Christianorutn.  Etenim  Deum  non  loqui  in  rébus  supernaturalibus  nisi  per  Scripturaî 
Sacrse  interprètes  Christianos,  fidei  Christian»  est  hypothesis.  Quid  autem  ?  An  prin- 
cipibus  resistendum  est,  ubi  obediendum  non  est  ?  Minime  sane  ;  hoc  emm  contra  pac- 
tum  est  civile.  Quid  ergo  agendum  ?  Euadum  ad  Christum  per  martyrium.  (De  Cive, 
C.  XVIII,  §  13,  circa  finem). 


332  ARTICLE    III.   —   CHAPITRE   III.    LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

les  enfants  et  les  ignorants  appellent  Lemurs  ^.  (c  Car  lorsque  l'on 
considère  l'origine  d'une  si  vaste  domination  ecclésiastique,  est-ce 
que  la  Papauté  n'apparaît  pas  comme  le  grand  spectre  du  grand  Empire 
romain,  spectre  couronné,  qui  est  assis  sur  le  sépulcre  de  l'Empire 
défunt  ?  ^  )) 

*     V.    —   NATURE    DE    LA    SOUVERAINETÉ 
ET    FORMES    DIVERSES    DE    GOUVERNEMENT. 

Voilà  l'idée  que  Hobbes  s'est  faite  de  la  Souveraineté  :  c'est  l'abso- 
lutisme le  plus  absolu  que  jamais  théoricien  politique  ait  rêvé.  Le 
souverain  est  tout  dans  l'État,  au  spirituel  comme  au  temporel. 
Que  ce-  souverain  soit  un  monarque,  qu'il  soit  une  assemblée,  grande 
ou  petite,  son  pouvoir  doit  être  indivisible,  car  la  division  des  pou- 
voirs amène  des  dissensions  et  finalement  la  guerre  civile  ^.  C'est 
pourquoi  il  faut  repousser  «  le  gouvernement  mixte  »,  où  l'autorité  est 
partagée  entre  les  éléments  monarchique,  aristocratique  et  démocratiqve  *. 

C'est  le  moment  de  rappeler  ce  que  Hobbes  entend  par  Souveraineté. 
Il  y  a,  dans  toute  société,  un  homme  ou  une  assemblée  ayant  sur  tous 
les  citoyens  une  puissance  légitime  aussi  grande  que  celle  que  chacun 
a  sur  sa  propre  personne  en  dehors  de  la  société,  c'est-à-dire  une 
puissance  souveraine  ou  absolue,  aussi  étendue  que  le  permettent 
les  forces  de  la  société  ^.  Comme  c'est  le  point  culminant  de  son  sys- 
tème, Hobbes,  après  beaucoup  d'autres  raisons,  apporte  cet  argument 
a  priori  :  S'il  en  était  autrement,  c'est-à-dire  «  si  le  pouvoir  du  chef 
était  limité,  ce  serait,  nécessairement,  par  un  pouvoir  plus  grand, 
car  celui  qui  impose  des  hmites  est  forcément  plus  puissant  que  celui 
qui  les  ^bit.  C'est  pourquoi  cette  puissance  contraignante,  ou  bien 
elle  est  sans  limite,  ou  bien  elle  est  à  son  tour  contrainte  par  une  autre 
plus  grande,  et  ainsi  jusqu'à  ce  que  l'on  parvienne  enfin  à  un  pouvoir 
qui  n'a  d'autre  h  mite  que  celle  même  qui  est  le  terme  ultime  des  forces 
réunies  de  tous  les  citoyens  »  ^.  Cet  argument  rappelle  celui  par  lequel 
on  démontre  que  Dieu  est  l'Etre  absolument  nécessaire,  Ens  a  se  '. 

L  Leviathan,  C.  XLVII,  t.  III,  p.  505.  Il  continue,  pendant  deux  pages,  cette  com- 
paraison plus  ridicule  encore  qu'odieuse.  Ibidem,  p.  505-507. 

2.  Cogitantibus  enim  dominii  tanti  ecclesiastici  originem,  quid  aliud  vider i  potuit 
papatus  nisi  imperii  illius  Romani  ingentis  ingens  spectrum,  sepulchro  imperii  defuncti 
coronatum  insidens  ?  (Leviathan,  C.  XLVII,  t.  III,  p.  505,  §  Cogitantibus). 

3.  HOBBBS,  De  Cive,  C.  VII,  §  4.  Cf.  C.  VI,  §  6-12. 

4.  De  Cive,  C.  VIT,  §  4. 

5.  Manifestum  est  igitur  esse  in  onini  civitate  aliquem  hominem  unum  vel  concilium 
sive  curiam  unam,  quse  potentiam  in  cives  singulos  jure  habet  tantam,  quantam  extra 
civitatem  unusquisque  habet  in  seipsum,  id  est  sumniani  sive  absolutam,  viribus 
civitatis,  neque  ulla  alia  re  limitandam.  (De  Cive,  C.  VII,  §  18). 

6.  Si  enim  potestas  ejus  [ho'tninis  vel  concilii]  limitaretur,  necesse  est  ut  id  fiât  a 
majori  potestate  :  oportet  enim  eum,  qui  limites  prsescribit,  majorem  potentiam  habere 
quam  is  qui  limitibus  cohibetur.  Potentia  itaque  illa  cohibens,  vel  sine  limite  est,  vel 
iterum  cohibetur  ab  alia  majori  ;  et  sic  tandem  devenietur  ad  potestatem  sine  alio 
limite  prsetef  eum  qui  terminus  ultimus  est  virium  civium  simul  omnium.  (De  Cive, 
C.  VI,  §  18,  circa  principiumj.. 

7.  Ce  rapprochement  nous  semble  préférable  à  celui  que  propose  M.  Lyon  :  c  N'est-ce 
pas,  à  peu  de  chose    près,  ainsi  que  raisonnait  saint  Anselme  ?  Seulement,  à  la  diffé- 


SECTION  III.  LE  CITOYEN  :  §  V.  —  SOUVERAINETÉ  ET  GOUVERNEMENTS      393 

Rien  d'étonnant,  car,  aux  yeux  de  Hobbes,  le  chef,  cet  «  absolu  ter- 
restre »,  n'est  pas  moins  nécessaire  dans  chaque  société,  que  Dieu, 
u  l'absolu  transcendant  »,  ne  l'est  pour  l'univers.  Son  Souverain  est 
un  dieu  en  miniature. 

Tous  les  citoyens  sont  Ués  envers  le  Souverain  et  lui  doivent  l'obéis- 
sance la  plus  rigoureuse,  une  obéissance  pure  et  «  simple  »  ^.  Refuser 
de  se  soumettre  au  Souverain,  c'est  «  un  crime  de  lèse-majesté  »  '^. 
Seul  le  Souverain  est  indépendant.  La  raison  en  est  dans  la  nature 
du  contrat  social.  Ce  pacte  pohtique,  contrairement  aux  autres 
pactes,  n'est  point  bilatéral,  obhgeant  sujets  et  souverain  ;  il  n'existe 
qu'entre  les  particuUers,  qui  ont  Ubrement  renoncé  à  leurs  droits  en 
faveiu-  du  souverain  de  leur  choix  :  Peuple,  Nobles  ou  Monarque  ^. 
Il  s'ensuit  que  les  gouvernants,  n'étant  tenus  par  aucun  contrat, 
ne  sauraient  faire  «  une  injustice  »  aux  citoyens,  puisque  Hobbes 
donne  au  terme  injustice  le  sens  spécial  de  «  violation  d'un  contrat  ». 
Ils  peuvent  néanmoins  pécher  contre  les  autres  lois  naturelles,  par 
exemple,  par  crédulité,  iniquité,  outrage,  et  autres  vices  qui  ne  rentrent 
pas  dans  la  définition  stricte  de  «  l'injustice  »  rappelée  ci-dessus  ^. 
Mais  leurs  fautes  ne  comportent  en  ce  monde  aucune  sanction  ci\ale  ^, 
puisqu'ils  sont  les  auteurs  des  lois  et  de  leurs  pénahtés.  Le  souverain 
est  donc  légalement  irresponsable,  impunissable,  inviolable. 

Cependant  à  cette  monstrueuse  omnipotence  qui  concentre  tous  les 
droits  et  toutes  les  forces,  Hobbes  a  dû  logiquement  apporter  quelques 
restrictions,  imposer  quelques  bornes. 

La  première  est  ultraterrestre.  Le  souverain  doit  obéir  en  tout, 
autant  qu'il  peut,  à  la  droite  raison,  c'est-à-dire  à  la  loi  naturelle, 
morale  et  divine  ^.  Il  est  comptable  de  sa  conduite  devant  Dieu, 
«  sous  peine  de  mort  éternelle  »  ''. 

rence  de  ce  Père,  Hobbes  avance  la  preuve  à  priori  pour  démontrer  l'existence  non 
pas  de  l'absolu  transcendant  que  l'ontologie  considère,  mais  de  cet  absolu  terrestre 
qui  offre  aux  hommes  une  image  affaiblie  du  Dieu  des  Théologiens.  »  (La Philosophie 
de  Hobbes,  p.   180). 

1.  De  Cive,  C.  VI,  §  13. 

2.  De  Cive,  C.  XIV.  §  20-22. 

3.  De  Cive,  C.Vlï,  il,  9,  12. 

4.  Injuria  enim,  per  definitionem  supra  allatam  (C.  III,  §  3),  nihU  aliud  est  quam 
pactorum  violatio  ;  ideoque  ubi  nulla  pacta  prsecedunt,  ibi  nulla  sequi  potest  injuria. 
Potest  tamen  et  popidua,  et  curia  optimatum,  et  monarcha  multis  modis  peccare  contra 
cseteras  leges  naturales,  ut  credulitate,  iniquitate,  contunielia  aliisque  vitiis,  quae  sub 
hae  stricta  et  accurata  injuriae  significatione  non  veniunt.  (De  Cive,  C.  VII,  §  14,  circa 
principiurn). 

5.  Non  potest  qui  sumiiiam  habet  potestatem  a  civibus  occidi  aut  quotnodocunque 
jure  puniri.  Nam  qui  injuriam  facere  non  potest,  ne  reus  quidem  fieri,  multo  minus 
coudemnari  potest.  Quicquid  enim  fecit,  facti  author  est  civium  unusquisque.  (Levia- 
than,  C.  XVIII,  t.  III,  p.  135,  §  Quinte).  D'après  Hobbes  chaque  citoyen  est  censé 
l'auteur  de  tout  ce  que  fait  le  souverain,  parce  que,  comme  on  l'a  \'u,  la  volonté  du 
souverain  contient  toutes  les  volontés  des  citoyens. 

6.  Quamquam  enim  ii,  qui  summum  inter  homines  imperium  obtinent,legibus  proprie 
dictis,  hoc  est  hominum  voluntati,  subjici  non  possunt,  quia  summum  esse  et  aliis 
subjici  contradictoria  sunt  ;  officii  tamen  eonun  est  rectse  rationi,  quae  lex  est  naturalis 
moralis  et  divina,  quantum  possunt  in  omnibus  obedire.  (De  Cive,  C.  XIII,  §  2). 

7...  Under  the  pain  of  eternal  death.  (De  Corpore  polifico,  P.  II,  C.  IX,  §  1,  circa 
médium). 


394  ARTICLE   III.   —  CHAPITRE  III.   —  LA  TRILOGIE   HOBBIENNE 

Dans  l'ordre  social,  la  limite  est  posée  par  la  fin  même  de  la  Souve- 
raineté qui  est  la  défense  contre  l'étranger,  le  maintien  de  la  paix 
entre  les  citoyens,  l'accroissement  aussi  grand  que  possible  de  la  for- 
tune des  particuliers,  enfin  la  jouissance  d'une  liberté  qui  ne  nuise  pas 
aux  autres  ^.  Bref,  les  devoirs  du  souverain  se  résument  en  cette 
maxime  :  Le  saluii  du  "peuple  est  la  loi  suprême  2.  Or,  pourvoir  au  salut 
du  peuple,  ce  n'est  pas  simplement  conserver  la  vie  des  citoyens 
d'une  façon  quelconque,  mais  s'efforcer  de  la  rendre  heureuse  autant 
que  faire  se  peut  ^. 

Hobbes  d'ailleurs  n'a  tempéré  pratiquement  qu'avec  une  extrême 
parcimonie  l'absolutisme  de  l'autorité  suprême.  Il  a  réduit  à  quatre 
les  cas  où  le  sujet  n'est  pas  tenu  d'obtempérer  aux  ordres  du  souve- 
rain :  > 

P  Si  le  Chef  commande  à  un  citoyen,  même  justement  condamné 
à  mort,  de  se  tuer,  de  se  mutiler,  de  se  blesser,  de  s'abstenir  d'aliments, 
de  médecine,  d'air,  bref,  de  toute  chose  nécessaire  à  l'entretien  de  la 
vie,  ce  citoyen  est  hbre  de  récuser  ces  commandements  *.  De  même, 
personne  n'est  obhgé  de  tuer  un  de  ses  concitoyens,  à  moins  que  ce 
refus  n'entrave  la  fin  pour  laquelle  la  société  civile  a  été  instituée^. 

20  Personne  n'est  tenu  à  faire  l'aveu  du  crime  qu'il  a  commis  ^. 

30  On  peut  décliner  le  service  miUtaire,  si  l'on  fournit  un  remplaçant 
convenable  '. 

Ces  tempéraments  découlent  logiquement  de  la  nature  même  du 
contrat  social  :  l'homme  en  effet  ne  saurait  transférer  le  droit  de  pré- 
servation personnelle,  car  ledit  contrat  n'est  précisément  qu'un 
simple  moyen  d'assurer  cette  préservation. 

40  Quand  le  Souverain  n'est  plus  en  état  «  de  pourvoir  au  salut 
des  citoyens  »,  ils  sont  défiés  de  leurs  engagements.  «  On  entend  que 
l'obligation  des  citoyens  envers  le  souverain  persiste  aussi  longtemps, 
mais  pas  plus  que  son  aptitude  à  les  protéger.  Car  il  n'y  a  pas  de  pacte 
qui  puisse  annuler  le  di'oit  naturel  qu'ont  les  hommes  de  se  protéger 
eux-mêmes,  quand  personne  d'autre  n'en  est  capable.  Le  souverain 
est  l'âme  de  la  société  :  une  fois  séparée  du  corps,  les  membres  ne 
reçoivent  plus  d'elle  le  mouvement.  La  fin  de  l'obéissance  est  la  pro- 
tection :  partout  où  l'homme  la  découvre,  que  ce  soit  en  lui-même 
ou  en  un  autre,  la  nature  y  apphque  son  obéissance  et  guide  son 
effort  à  la  maintenh".  Quoique  la  souveraineté,  dans  l'intention  de 
ceux  qui  l'étabfissent,  soit  immortelle,  cependant  elle  est,  en  vertu 


1.  De  Cive,  C.  XIII,  §  6.  —  Dans  le  Leviathan  (C.  XXI,  t.  III,  p.  165,  m  prinipio), 
Hobbes  ne  mentionne  que  la  paix  civile  et  la  défense  contre  l'étranger  :  Finis  est  in- 
stitutionis  civilis  pax  civiuni  inter  se  et  defensio  contra  hostem  publicum. 

2.  Imperantium  autem  officia  oiinia  hoc  uno  dicto  continentur  :  Salus  populi 
suprema  lex.  (De  Cive,  C.  XIII,  §  2).  —  Par  peuple  il  ne  faut  pas  entendre  ici  une 
personne  civile,  c'est-à-dire  l'Etat  lui-même  qui  gouverne,  mais  la  multitude  des 
gouvernés.  Car  l'Etat  n'existe  pas  poiu  lui-même  mais  poui-  les  citoyens.  Civitas  enim 
non  sui,  sed  civium  «iausa  instituta  est.  (De  Cive,  C.  XIII,  §  3). 

3.  Per  salutem  autahi  intelligi  débet  non  sola  vitse  qualitercunque  conservatio,  sed, 
quatenus  fieri  potest,  vita  beata.  (De  Cive,  C.  XIII,  §  4). 

4-5-6-7.  Leviathan,  C.  XXI,  t.  III,  p.  165-166. 


SECTION  III.  LE  CITOYEN  :  §  V.  —  SOUVERAINETÉ  ET  GOUVERNEMENTS      395 

de  sa  propre  nature,  non  seulement  sujette  à  la  mort  violente  par  une 
guerre  étrangère,  mais  encore,  à  cause  de  l'ignorance  et  des  passions 
humaines,  elle  renferme,  par  suite  de  son  institution  même,  de  nom- 
breux germes  de  mortalité,  qui  proviennent  des  discordes  intestines  »  ^, 

Conséquemment,  si  le  souverain,  vaincu  dans  une  guerre  malheureuse, 
se  soumet  au  vainqueur,  les  citoyens,  hbéré^  de  leur  obligation 
envers  lui,  doivent  obéir  au  vainqueur  2.  Si  le  monarque  abdique 
en  son  nom  et  au  nom  de  ses  héritiers,  ou  si,  de  fait,  il  n'a  pas  de  suc- 
cesseur ^,  les  citoyens  recouvrent  la  hberté  absolue  de  la  nature  ^, 
c'est-à-dire  rede\àennent  une  multitude  confuse,  à  moins  qu'ils  ne 
forment  à  nouveau  une  personne  civile  en  choisissant  un  chef,  qui 
peut  être  soit  le  Peuple  lui-même,  soit  une  assemblée  des  meilleurs 
(Curia  optimal U7n),  soit  un  monarque. 

Car  il  importe  de  remarquer,  en  achevant  l'exposition  du  système 
pohtique  de  Hobbes,  que,  si  la  souveraineté  doit  rester  indivisible 
sous  j)eine  de  n'exister  pas,  elle  peut  résider  ou  dans  un  seul  homme 


1.  Obligatio,  quam  cives  habent  erga  euiu  qui  sumnaam  habet  potestatem,  tandiu 
nec  diutius  permanere  intelligitur,  quam  manet  poteiitia  cives  protegendi.  Jus  enim 
hominum  seipsos  protegendi  naturale,  quando  a  nemine  alio  protegi  possunt,  nullo 
pacte  extingui  potest.  Is  enim,  qui  summam  habet  potestatem,  civitatis  anima  est, 
quse  simul  atque  a  coi'pore  separata  est,  membra  motum  ab  illa  amplius  non  accipiunt. 
Obedientiîe  finis  est  protectio  ;  quam  ubicunque  quis  viderit,  sive  in  se,  sive  in  alio, 
ad  illam  obedientiam  ejus  et  conatum  ad  illam  conservandam  applicat  natura.  Quan- 
quam  autem  potestas  summa  ex  intentione  instituentium  incimortalis  sit,  sua  tamen 
natura  non  solum  morti  violentœ  a  bello  externo  subjecta  est,  sed  etiam  propter  igno- 
rantiam  et  passiones  hominum  habet  in  se,  ab  ipsa  institutione,  semina  multa  morta- 
litatis  a  discordiis     civium  ipsorum.  (Leviathaii,  C.  XXI,  t.  III,  p.  168-169). 

2.  Leviathan,  C.  XXI,  Opéra,  t.  HT,  p.  169-170.  —De  Cive,  C.  VII,  §  18,  Secundo. 
Hobbes  ajoute,  dans  le  Leviathan,  que,  si  le  prince  prisonnier  n'a  pas  renoncé  à  ses 
droits,  il  reste  pour  les  sujets  le  seul  souverain  auquel  ils  doivent  se  soumettre  ;  par 
conséquent,  diu"ant  sa  captivité,  ils  doivent  obéir  aux  magistrats  nommés  par  lui 
antérieiu'oment.  Mais,  dans  la  dernière  partie  de  l'ouvrage  (A  Review  and  Conclu-non ) 
U  soutient  une  thèse  moins  stricte.  Quand,  le  souverain  étant  défait,  la  vie  et  les  res- 
sources des  ijarticuliei-s  sont  à  la  merci  des  garnisons  ennemies,  ils  doivent  payer  au 
vainqueur  une  contribution  en  retour  de  la  protection  qu'il  leur  accorde.  Donc,  puisque 
pareille  contribution,  «  en  tant  cju'on  ne  peut  s'y  refuser,  est  regardée  comme  légitime, 
quoiqu'elle  soit  une  assistance  à  l'ennemi,  une  soumission  totale,  qui  n'est  aussi  qu'une 
assistance  à  l'ennemi,  ne  saui>ait  être  tenue  pour  illégitime.  »  (Seeing  therefore  such 
contribution  is  every  where,  as  a  thing  inévitable,  (notwithstanding  it  be  an  assistance 
to  the  enemy),  esteemed  lawfull  ;  a  totall  submission,  which  is  but  an  assistance  to 
the  ennemv.  cannot  be  esteemed  unlawfull.  (Leviathan,  A  reviev)...,  Works,  t.  III,  p. 
704).  C'est  ce  pa.ssage  qui  fut  reproché  à  Hobbes  comme  une  trahison  de  la  cause 
royale.  On  l'accusait  de  l'avoir  écrit  afin  de  se  ménager  les  bonnes  grâces  de 
C'romwell  en  v\iQ  de  son  retour  en  Angleterre.  (Cf.  snpra,  p.  283).  Hobbes  répondit 
«  l'accusation  qu'il  avait  écrit  ce  passage  pour  justifier  les  royahstes  qui,  après  avoir 
servi  fidèlement  le  roi  durant  la  guerre  civile,  «  avaient  été  forcés  d'en  venir  à  composi- 
tion avec  les  nouveaux  maîtres  et  de  levn-  promettre  obéissance,  afin  de  sauver  leurs 
vies  et  leiu^s  fortvmes  ».  (...  they  (servants  and  subjects  of  his  Majestj  ]  \rere  forced  to 
compound  with  your  masters  and  to  promise  obedi-^nce  for  the  saving  of  their  hves 
and  fortunep...  Cf.  Considérations  upon  the  RepvUation,  Loyalti/,  Manners  and  Relifion 
of  Thomas  Hobbes.  (Works,  t.  IV,  p.  421). 

3.  Hobbes  fait  observer  que,  dans  une  Démocratie  et  une  Aristocratie,  les  succes- 
seiu-s  ne  peuvent  faire  défaut,  (oy, 'jioî  et  curia  optitnatuTn  deficer©  non  possunt. 
Cf.  De  Cive,  C.  VII,  §  18,  circa  médium). 

4.  Leviaihan,  C.  XXI,  Opéra,  t.  III,  p.  169.  Cf.  De  Cive,  C.  VII,  §  18,  circa  finetn. 


396  ARTICLE   III.    CHAPITRE    ITI.   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

OU  dans  une  assemblée,  qui  se  compose  soit  de  tous  les  citoyens,  soit 
seulement  d'une  élite.  Notre  théoricien  admet  par  conséquent  la  légi- 
timité de  la  Démocratie,  de  V Aristocratie  et  de  la  Monarchie,  mais  sous 
leur  forme  pure  et  absolue,  excluant  la  forme  mixte,  qui  répartit 
entre  plusieurs,  comme  le  roi  et  le  parlement,  les  droits  inhérents 
à  la  Souveraineté  ^.  Hobbes  appelle  cette  triple  forme  sociale  Sociétés 
par  institution,  parce  qu'elles  sont  fondées  sur  le  consentement  mutuel  ^. 

Ce  qui  distingue  ces  trois  formes  de  gouvernement  ne  vient  pas 
d'une  différence  dans  l'étendue  du  pouvoir,  puisque  partout  il  est 
absolu,  mais  de  la  diversité  des  personnes  auxquelles  il  appartient  ^. 

«  La  première,  dans  l'ordre  du  temps,  est  la  démocratie  ;  et  il  en 
doit  être  nécessairement  ainsi,  parce  qu'une  aristocratie  et  une  monar- 
chie e:^5igent  la  nomination  de  personnes  choisies.  Ce  choix,  quand  il 
est  fait  par  une  grande  multitude  d'hommes,  doit  consister  dans  le 
consentement  de  la  majorité.  Or,  là  où  les  votes  de  la  majorité  im- 
pliquent les  votes  du  reste,  il  existe  alors  une  démocratie  »  *. 

Le  gouvernement  démocratique  requiert  deux  conditions  :  l'assem- 
blée de  tous  les  citoyens  et  le  droit  de  suffrage  pour  chaque  citoyen. 
Les  décisions  sont  prises  à  la  pluraUté  des  voix.  C'est  donc  le  peuple 
réuni,  dont  la  volonté  représente  la  volonté  de  tous  les  citoyens, 
qui  possèd'e  le  pouvoir  souverain  ^.  Mais  il  faut  que  l'époque  et  le 
heu  des  réunions  soient  fixés  à  des  intervalles  rapprochés,  de  peur 
qu'une  vacance  prolongée  du  pouvoir  souverain  ne  soit  un  péril  pour 
l'État.  Si  ces  intervalles  étaient  trop  éloignés,  l'exercice  de  la  Souverai- 
neté devrait  être  remis,  durant  la  période  intermédiaire,  à  un  homme 
ou  à  un  conseil  ^. 

J^^ Aristocratie  ou  Curia  optiinatiim  tire  son  origine  de  la  Démocratie. 
Elle  existe  quand  le  peuple  transfère  tous  ses  droits  à  un  certain 
nombre  de  citoyens  que  leurs  quahtés  remarquables  ont  désignés 
aux  suffrages  de  l'Assemblée.  Par  le  fait  de  cette  élection,  à  la  plura- 
lité des  voix,  le  peuple  cesse  d'être  une  personne  et  perd  la  Souve- 
raineté '.  Même  obligation  que  dans  la  Démocratie,  pour  ce  qui 
concerne  la  convocation  des  assemblées  ^. 


1.  De  Cive,  C.  VIT,  §  4.  —  Leviathan,  C.  X\^II,  Opéra,  t.  III,  p.  138-139. 

2.  Hobbes  leur  oppose  les  Sociétés  par  acquisition  (Domination  du  maître  sur  ses 
esclaves.  Domination  des  pères  dan^i  la  Famille) ,  où  l'autorité  fut  acquise  primitivement 
par  la  force  ou  le  fait  de  la  naissance  et  de  l'impuissance  des  enfants.  Cf.  Leviathan, 
C.  XIX,  XX,  t.  III,  p.  141.  sqq.  et  150  sqq.  —  De  C  ve,  C.  VIII  et  IX.  —  De  Cor- 
pore  polifico,  P.  II,  Ch.  III  et  IV. 

3.  De  Cive,  C.  VII,  §  1. 

4.  The  fîrst  in  order  of  time  of  thèse  tliree  sorts,  is  democracy  ;  and  it  must  be  so  of 
necessity,  because  an  aristocracy  and  a  monarchy  require  nomination  of  persons  agreed 
upon,  which  agi-eement  in  a  gi-eat  multitude  of  men  must  consist  in  the  consent  of  the 
major  part  ;  and  where  the  votes  of  the  major  part  involve  the  votes  of  the  rest,  there 
is  actually  a  democracy.  (De  Corpore  politico,  P.  II,  Ch.  II,  §  1,  circa  principium). 

5.  De  Cive,  C.  VTI,  §  5.  Qui  coïerunt  ad  civitatem  erigendam,  pêne  eo  ipso  quod 
coïerunt,  Democratia  sunt.  Nam  ex  eo  quod  volentes  convenerunt,  intelliguntvir  obligati 
ad  id  quod  consensu  majoris  partis  decernetur.  Id  quod,  quamdiu  conventus  durât, 
vel  ip  certes  dies  et  loca  difïertur,  democratia  est. 

6.  De  Cive,  C.  VII,  §  6. 
1-S.  De  Cive,  C.  VII,  §  8,  10. 


SECTION  III.  LE  CITOYEN  :  §  V.  SOUVERAINETÉ  ET  GOUVERNEMENTS       S97 

La  Monarchie  enfin,  comme  l'Aristocratie,  dérive  de  la  puissance 
du  peuple  qui  résigne  son  droit,  c'est-à-dire  l'autorité  souveraine 
entre  les  mains  d'un  seul  homme  ^.  A  la  différence  du  gouvernement 
populaire  ou  aristocratique  tenus  de  se  réunir  à  des  époques  régu- 
lières, parce  qu'ils  ne  peuvent  siéger  en  permanence,  le  gouvernement 
monarchique  n'interrompt  jamais  l'exercice  du  souverain  pouvoir, 
parce  que  ce  pouvoir  réside  dans  un  individu  ^.  En  choisissant  un 
monarque,  le  peuple  est  hbre  d'aliéner  ses  droits  en  tout  ou  en  partie. 
Si  le  peuple  donne  à  un  roi  la  souveraineté  sans  en  limiter  la  durée, 
ce  roi  peut  désigner  son  successeur  ^.  Si  le  peuple,  en  élisant  un  roi 
à  vie,  se  réserve  le  droit  de  s'assembler  après  sa  mort,  ce  roi  n'a  que 
l'usufruit  du  pouvoir  ;  pendant  tout  son  règne  la  nu-propriété  reste 
aux  mains  du  peuple,  qui  pourra  disposer  à' son  gré,  après  le  décès 
de  l'élu,  de  la  Souveraineté  *.  Mais,  si  le  peuple,  après  l'élection  d'un 
monarque  temporaire,  décide  que,  pendant  la  durée  du  règne,  il  se 
réunira,  en  temps  et  lieu  déterminés,  l'élu  ne  doit  pas  être  consi- 
déré comme  un  monarque,  mais  comme  le  premier  ministre  du 
peuple.  C'est  pourquoi  le  peuple  peut,  s'il  lui  semble  bon,  enlever  à  ce" 
ministre  l'administration  de  l'État,  avant  l'expiration  du  délai  fixé 
d'abord  ^. 

Après  avoir  caractérisé  ces  trois  sortes  de  gouvernement,  Hobbes 
les  met  en  parallèle  et  donne  hautement  la  préférence  à  la  Monar- 
chie ^.  Il  nous  avertit  d'ailleurs  qu'il  déduit  son  opinion  de  raisons 
théoriques,  sans  trop  se  préoccuper  de  l'expérience  "^ . 

Voici  les  principaux  motifs  que  notre  philosophe  royaliste  allègue 
en  faveur  de  la  Monarchie  : 

1^  L'intérêt  privé  du  roi  coïncide  avec  l'intérêt  général,  parce  que 
ses  richesses,  ses  honneurs,  ses  pouvoirs  sont  liés  à  ceux  des  citoyens. 
Quel  avantage  un  roi  retirerait-il  de  sujets  pauvres,  faibles  et  vils  ? 
Dans  une  démocratie  au  contraire  l'intérêt  privé  des  particuliers  les 


\.DeCivc,C.YU,  §11. 

2.  Populo  enim,  ut  et  optimatibus,  quia  non  sunt  unumnaturale,  cons;ressu  opus  est. 
Monarcha,  qui  unus  natura  est,  semper .  in  potentia  proxinia  est  ad  actus  imperii 
exercendos.   (De  Cive,  C.  VII,   §  13,  in  fine). 

3.  De  Cive,  C.  VII,  §  15. 

4.  ...  Tune  mortùo  monarcha,  consolidatur  imperium  in  populo,  nulle  novo  actu 
civiumsed  jure  priore.  Toto  enini  medio  tempore,  summum,  imperium,  ut  dom,inium,,  in 
populo  erat  ;  usus  autem  sive  exercitium  ejus  tantum  in  monarclui  temporario,  ut  usu- 
iructuario.  (De  Cive,  C.  VII,  §  16,  circa  médium). 

5.  ...  Non  habendus  est  talis  pi"o  monarcha,  sed  pro  primo  populi  ministre,  potestque 
popiilus,  si  v'idebitur,  euin  administratione  sua  privare,  etiam  ante  tempus...  (De  Cive, 
C.  VII,  §  16,  circa  médium  ). 

_^6,J5e  Cive,  C.  X,  §  3-18.  — De  Corpore  politico,  P.  II,  Ch.  V.  —  Leviathan,  C.  XIX, 
tjyi,  p.  142-150.  - —  Nous  exposerons  les  idées  de  Hobbes,  surtout  d'après  le  Leviathan, 
parce  que  c'est  là  qu'il  a  consigné  sa  pensée  définitive.  Il  terminait  cet  ouvrage  peu  de 
temps  après  la  chute  de  la  monarchie  légitime.  Cette  leçon  de  choses,  comme  on  dit 
aujourd'hui,  refroidit  légèrement  l'ai'deur  de  son  loyalisme  monarchique.  Cette  attitude,, 
on  l'a  vu  (cf.  p.  395,  n.  2)  fut  incriminée  comme  une  défection. 

7.  ...  Quamquam  monarchiam  commendatiorem  nobis  exhibeant  [ai'gumenta  qusedam 
prius  allata],  tamen,  quia  id  non  rationibus,  sed  exemplis  et  testimoniis  faciunt,  omit- 
temus.  (De  Cive,  C.  X,  §  3,  in  fine)'. 


398  AKTICLE   III.   —   CHAPITRE   III.   —   LA   TRILOGIE   HOBBIENNE 

pousse  quelquefois  à  s'opposer  aux  mesures  que  réclame  le  bien 
public  1, 

20  Les  lois  portées  par  un  roi  sont  plus  stables  que  celles  qui  émanent 
d'une  assemblée,  parce  qu'elle  compte  plusieurs  membres  et  que  sa 
composition  est  variable  2. 

30  Un  roi  ne  peut  être  en  désaccord  avec  lui-même  par  envie  ou 
avarice,  tandis  qu'une  assemblée  peut  être  en  proie  à  de  telles  dissen- 
sions que  la  guerre  civile  s'en  suive  ^,  car  dans  une  assemblée  déli- 
bérante, les  diverses  factions  sont  sans  cesse  aux  prises  *,  et  l'éloquence 
des  orateurs  attise  le  feu  des  passions  ^, 

40  Un  monarque  consulte  qui,  quand,  où  il  veut.  Cette  consulta- 
tion peut  être  demandée,  en  secret,  à  des  hommes  compétents,  qui 
ne  font  pas  de  frais  oratoires.  Une  assemblée  ne  peut  prendre  conseil 
que  de  ses  membres  :  la  plupart  ne  sont  pas  versés  dans  les  questions 
politiques  ;  restent  les  orateurs,  qui  font  des  discours  pleins  de  fard  ou 
d'une  érudition  inepte,  troublent  l'État  ou  ne  lui  sont  d'aucune  utilité. 
Les  délibérations  sont  publiques.  Comment  d'ailleurs  un  si  grand 
nombre  d'hommes  pourrait-il  garder  un  secret  ?  ^ 

Quant  au  gouvernement  aristocratique,  il  sera  d'autant  meilleur 
qu'il  s'éloignera  plus  de  la  forme  démocratique  et  se  rapprochera 
davantage  de  la  forme  monarchique  '. 

Notre  théoricien  ne  dissimule  pas  les  reproches  qu'on  fait  valoir 
contre  la  monarchie.  Son  système  de  défense  consiste  à  retourner 
ces  reproches  contre  les  gouvernements  où  le  pouvoir  réside  dans  une 
assemblée,  prétendant  qu'ils  en  méritent  autant  ou  même  plus. 

1°  Un  roi  a  d'ordinaire  un  favori.  Mais  les  assemblées  en  ont  plu- 
sieurs 8.  On  pourrait  répondi'e  à  Hobbes  que  leur  nombre  même  amoin- 
drit leur  puissance,  parce  qu'ils  se  contrecarrent. 

20  On  objecte  encore  les  inconvénients  qu'entraîne  les  régences 
pendant  les  minorités  des  rois  :  «  Malheur  au  royaume  dont  le  roi 
est  un  enfant  !  ^  »  Ces  inconvénients  sont  réels,  mais  transitoires. 
Dans  la  démocratie,  le  régime  de  minorité  se  rencontre  également. 
Hobbes  tâche  de  le  montrer  dans  un  passage  où  les  allusions  au  Pro- 

1-2-3.  Leviathan,  C.  XIX,  t.  III,  p.  143-144.  —  Cf.  De  Cive,  C.  X,  S  13. 

4.  De  Cive,  C.  X,  §  12. 

5.  Eloquentiae  autem  munus  est  bonum  et  malum,  lUile  et  inutile,  honestum  et  in- 
honestum  facere  apparere  majora  vel  minora  quam  rêvera  sunt,  et  juatum  videri  quod 
injustnm  est,  prout  ad  finem  dicentis  videbitur  conducere.  (De  Cive,  C.  X,  §  11).  Plus 
loin,  Hobbes  se  montre  plus  équitable  en  reconnaissant  qu'il  y  a,  à  côté  de  l'éloquence 
sophistique  qui  flem-it  dans  les  assemblées  délibérantes,  une  éloquence  s'inspirant  de  la 
logique  et  de  la  sagesse.  (De  Cive,  C.  XII,  §  12).  aiais  il  s'acharne  contre  l'éloquence 
parlementaire. 

6.  Leviathan,  C.  XIX,  t.  III,  p.  143,  Secundo.  —De  Cive,  C.  X,  S  14. 

7.  De  Cive,  C.  X,  §  19. 

8.  Leviathan,  C.  XIX,  t.  III,  p.  144,  Quinto.  —  Cf.  De  Cive,  C.  X,  §  6. 

9.  De  Cive,  C.  X,  §  16,  circa  finem.  —  Hobbes  signale  encore,  dans  le  De  Cive,  C.  X, 
§  7  et  8,  d'autres  inconvénients  qu'il  tnche  de  pallier  par  des  affirmations  paradoxales 
comme  celles-ci  :  «  Dans  le  gouvernement  populaire  il  peut  y  avoir  autant  de  Nérons 
qu'il  y  a  d'orateurs  adulant  le  peuple  M§  7),  circa  médium  —  a  Chaque  particulier  ne 
jouit  pas  d'une  liberté  moindre  sous  un  roi  que  dani?  un  gouvernement  populaire,  n 
(en  tête  du  §  8).  i        .  &  t    1 


SECTION"  m.  I^  CITOYEN  :  §  V.  —  SOUVERAINETÉ  ET  GOUVERNEIÎENTS      399 

tectorat  de  Cromwell  sont  transparentes  :  «  A  peine  trouverait-on 
une  grande  société,  où  le  pouvoir  souverain  est  aux  mains  d'une 
assemblée,  qui  n'ait  quelquefois  besoin  d'un  curateur  ainsi  qu'un 
enfant.  Car,  comme  un  enfant  ne  peut,  à  cause  de  son  ignorance, 
repousser  le  conseil  du  curateur  qui  lui  a  été  donné,  de  même  une 
assemblée  n^est  pas  libre  de  repousser  l'avis  de  la  majorité.  Aux 
enfants  on  donne  des  tuteurs  ;  aux  assemblées,  dans  les  conjonctures 
difficiles,  il  n'est  pas  inouï  qu'on  donne  des  dictateurs,  des  gardiens 
de,  la  liberté,  des  'protecteurs,  qui  sont  des  monarques  temporaires. 
Et  les  assemblées  ont  été  plus  souvent  dépouillées  de  leur  pouvoir 
souverain  par  ces  protecteurs,  que  les  rois  enfants  par  leurs  cura- 
teurs »  ^. 

Hobbes  a  beau  dire  que,  dans  sa  comparaison  des  trois  types  de 
gouvernement,  il  n'a  recours  qu'à  des  raisons  a  priori,  il  est  manifeste 
que  le  spectacle  des  discordes  civiles,  qui  ensanglantèrent  sa  patrie, 
a  fâcheusement  influencé  le  jugement  pessimiste  qu'il  porte  sur  la 
Démocratie  et  même  sur  l'Aristocratie.  Il  a  pris  pour  l'essence  de  ces 
gouvernements  ce  qui  n'en  est  que  l'accident  et  le  trouble  passagers. 
Il  s'est  surtout  lourdement  trompé  en  niant  les  avantages  et  même 
la  possibilité  des  formes  mixtes  '^.  L'expérience  lui  a  infligé  un  cruel 
démenti  dans  son  propre  pays,  où  la  Monarchie  constitutionnelle 
devait  faire  assez  belle  figure  ^. 

On  peut  d'ailleurs  répondre  facilement  aux  arguments  que  Hobbes 
expose  en  faveur  de  la  Monarchie  *  : 

Au  premier  :  Si  une  assemblée  représente  vraiment  ^  le  pays,  elle 
en  représente  les  intérêts  divers,  d'où  il  arrive  que  les  intérêts  privés 
de  ses  membres  s'opposent  et  se  combattent.  Il  est,  au  contraire, 
facile  à  un  roi  absolu  de  satisfaire  tous  ses  caprices  et  toutes  ses  pas- 
sions. 

Au  second  :  Les  lois  portées  par  un  roi  sont  plus  stables  que  celles 
émanant  d'une  assemblée.  —  Tout  dépend  de  la  valeur  morale  du 

1.  ...  Civitas  magna,  in  qua  snnimani  potestateni  liabet  cœtus,  vixulla  est  qnse  ciu-a- 
tore  tanquani  infans  aliqnando  non  indigeat.  Nani  ut  infans  a  consilio  curatoris  dissen- 
tire  propti  r  inscitiam  non  pote-t  ;  ita  caetui  a  sententia  majoris  partis  dissentire 
non  est  liberum.  Et  ut  infantibus  dantur  tutores,  ita  cœtibus  in  rébus  arduis  die- 
tatores,  custodes  libertatis,  protectores  dari  insolitum  non  est  ;  quorum  regimen  pro  tem- 
pore  est  monarchicum,  et  a  quibus  sa?pius  cœtibus  sublata  est  potestas  summn.,  quam 
monarchis  infantibus  a  curatoribus  suis.  (Lcviathan,  C.  XIX,  t.  III,  p.  145-146). 

2.  De  Cive,  C.  VII,  §  4. 

3.  Opinio  docentium  jura  regni  Anglicani  divisa  esse  inter  regem,  proceres  et  cœtum 
communium  causa  fuit  belli  quod  sequutiun  est  civilis  ;  etiam  disputationes  do  quses- 
tionibus  politicis  et  theologicis,  quibus  tamen  populus  ita  nunc  de  jure  i-egio  eruditus 
est,  ut  in  Anglia  pauci,  piito,  nuncsint  qui  jura  praedicta  inseparabilia  esse  nonvideant, 
et  publiée  agnituri  sint  simul  atque  redierit  pax  et  quamdiu  calamitatum  prseteri- 
tarum  meminerint,  sed  nondivxtius,  nisi  melius  erudiatur  populus.  (Leviathan,  C.  XVIII, 
p.  138-139). 

4.  Cf.  V»'.  J.  H.  Campion,  Outlines  of  Lectures  on  political  Science...,  Lect.  VII,  p.  39- 
40,  Oxford,   1911. 

5.  Hobbes  se  place  toujours  dans  l'hypothèse  d'un  roi  excellent  ;  pour  lui  répliquer 
il  n'est  que  juste  de  se  placer  dans  l'hypothèse  d'une  assemblée  bien  constituée. 


400  ARTICLE   III.   CHAPITRE   III.    —   LA   TRILOGIE    HOBBIENNE 

roi  et  de  l'assemblée.  S'il  y  a  des  assemblées  mobiles,  n'y  a-t-il  point 
des  rois  frivoles,  fainéants  ou  capricieux  ? 

Au  troisième  :  Si  le  gouvernement  par  assemblée  peut  conduire 
à  l'anarchie  et  à  la  guerre  civile,  est-ce  qu'un  roi,  tout  en  restant  d'ac- 
cord avec  lui-même,  ne  peut  être  en  désaccord  avec  l'ensemble  de  ses 
sujets  et  verser  dans  la  tyrannie,  qui  provoque  la  révolte  ?  Hobbes 
en  eut  sous  les  yeux  un  exemple  tragique  qu'il  n'aurait  pas  dû  oublier. 

Au  quatrième  :  Un  roi  peut  s'entourer  de  conseillers  discrets  et 
compétents.  C'est  juste.  Mais  est-ce  qu'une  assemblée  ne  peut  ren- 
fermer des  hommes  éminents  ?  La  discrétion  est  sans  doute  plus  diffi- 
cile à  une  Assemblée  nombreuse  qu'à  un  Conseil  privé.  Mais  cette 
infériorité  est  compensée  par  d'autres  avantages.  Le  gouvernement 
populaire  développe  peu  à  peu  les  facultés  politiques  d'une  nation 
mieux  que  la  Monarchie  ou  même  l'Aristocratie,  qui  laissent  végéter 
la  masse  des  citoyens.  Ce  sont  là  des  réponses  spéculatives  aux  argu- 
ments tliéoric[iies  de  Hobbes. 

En  pratique,  le  meilleur  gouvernement  est  celui  qui  répond  le  mieux 
aux  besoins  d'un  peuple  à  telle  phase  de  son  développement.  Sa 
bienfaisance  ou  sa  malfaisance,  comme  l'histoire  en  fait  foi,  tient 
beaucoup  moins  à  la  forme  du  gouvernement  qu'à  la  valeur  morale 
et  intellectuelle  des  gouvernants.  Hobbes  lui-même  semble  le  recon- 
naître quand  il  dit  :  «  Les  inconvénients  qui  suivent  l'empire  d'un  seul 
homme,  suivent  Yhomme,  non  Vunité  »  ^.  Autant  dire  :  Tant  vaut 
l'homme,  tant  vaut  l'institution. 

Nous  sommes  parvenu  au  bout  de  notre  tâche  de  rapporteur  du 
système  pohtique  de  Hobbes.  On  a  vu  comment  il  fait  passer  l'homme 
de  l'état  de  nature  à  l'état  de  société.  Si  l'on  veut  savoir  quel  abîme 
sépare,  selon  lui,  ces  deux  états,  il  suffira  de  citer  une  phrase,  où  il  a 
condensé  son  jugement  dans  un  raccourci  saisissant.  Il  appelle  la 
liberté  des  hommes  vivant  sans  lien  social  «  une  Uberté  naturelle  et 
bestiale,  car  il  y  a,  entre  l'état  de  nature  et  l'état  politique,  c'est-à-dire 
entre  la  hberté  et  la  sujétion,  le  même  rapport  qu'entre  la  passion  et 
la  raison,  la  bête  et  l'homme  »  '^. 

1.  Incommoda  igitur,  quœ  sequuntur  unius  honiinis  imperium,  sequuntur  honiinem, 
non  unitafem.  (De  Cive,  C.  X,  §  4,  circa  finem). 

2.  Atque  his  tribus  modis  a  subjectione  civili  in  libertatem  omnium  ad  omnia,  hoc 
est,  naturalem  et  belluinam  (nam  status  naturae  ad  statum  civilem,  hoc  est,  Ubertas  ad 
subjectionem,  eam  habet  proportionem,  quam  cupiditas  ad  rationem,  vel  bellua  ad 
hominem),  simul  se  recipiunt  cuncti  cives.  (De  Cive,  C.  VII,  §  18,  circa  finem). 


CHAPITRE    IV 
Critique    du   Hobbisme. 


Nous  venons  d'analyser  le  système  hobbien  d'après  les  ouvrages 
où  son  auteur  l'a  successivement  exposé  d'une  façon  fragmentaii'e 
ou  d'une  façon  suivie,  savoir  le  Citoyen  (1642),  la  Nature  humahie 
et  le  Corps  politique  (1650),  le  Léviatha7i  (1651),  le  Corps  (1655)  et 
Y  Homme  (1658).  Une  critique  d'ensemble  est  maintenant  possible. 

I.    —    HOBBES   N  A    PAS    RÉALISÉ    LE    PLAN   ANNONCÉ. 

Avant  d'avoir  jeté  les  bases  de  son  édifice  philosophique,  Hobbes 
publia  d'abord  le  De  Cive.  C'était  commencer  la  construction  par  la 
coupole.  On  a  vu  quelles  circonstances  pohtiques  le  déterminèrent 
à  intervertir  l'ordre  logique  ^.  Il  pouvait  le  faire  sans  compromettre 
l'ordonnance  architecturale  de  son  œuvre,  car  l'idée  fondamentale, 
qui  devait  porter  tout  le  système,  était  depuis  longtemps  arrêtée 
dans  son  esprit.  Il  la  devait  à  la  nouvelle  théorie  mécanique  qui 
gagnait  chaque  jour  du  terrain  parmi  les  savants  ;  il  la  devait  surtout 
aux  travauîJ  de  GaHlée,  qu'il  avait  visité  pendant  son  voyage  en 
Itahe.  A  ses  yeux,  il  n'y  a  qu'une  réalité,  la  matière  ;  qu'une  cause, 
le  mouvement. 

A  la  même  époque,  Descartes  élaborait  aussi  sa  théorie  mécanique  ; 
mais  il  en  bornait  l'application  au  monde  phj'sique,  car  le  mécanisme 
cartésien  ne  régit  que  l'étendue.  Le  monde  de  l'esprit  est  maintenu 
distinct  de  la  matière  par  le  philosophe  français,  qui  affirme  que 
l'âme  est  plus  aisée  à  connaître  que  le  corps  et  que  la  certitude  de  cette 
connaissance  l'emporte  sur  toutes  les  autres. 

Plus  ambitieux,  Hobbes  affiche  la  prétention  d'étendre  son  expli- 

1.  Dans  une  lettre  à  son  ami  Sorbière,  en  date  du  1^^  juin  1646,  Hobbes  ajoute  quel 
ques  raisons  personnelles  pour  expliquer  le  retard  dans  la  publication  du  De  Corporc, 
première  section  de  ses  Elemehta  Philosophiae.  Il  allègue  d'abord  sa  paresse;  puis,  et 
surtout,  la  difficulté  de  réaliser  l'idéal  de  perfection  rêvé  par  lui  :  Quod  in  Elementorum 
meorum  sectione  prima  tamdiu  versor,  partim  quidem  causa  est  pigritia,  sed  maxime 
quod  in  sensibus  meis  explicandis  non  facile  placeo  mihimet  ipsi.  Nam  quod  in  doctrina 
morali  fecisse  me  spero,  id  quoque  in  Philosophia  prima  et  in  Physica  facere  studeo, 
ne  locus  relictus  sit  contrascriptoris.  Attamen  de  ea  absolvenda  intra  annum  veuientem, 
modo  vivam  et  valeam,  minime  dubito.  (Hobbes  à  Sorbirre,  Parisiis,  l^r  juin  1646, 
dans  Epistolœ  Samueli  Sorbière...,  Bibl.  Xat.,  Ms.  Fonds  latin,  10352,  t.  II,  fol.  80  verso- 
81  recto).  Le  De  Cor  pore,  dont  Hobbes  annonce  avec  tant  d'assurance  l'achèvement 
pour  1647,  ne  fut  publié,  on  s'en  souvient,  qu'en  1655. 

26 


402  ARTICLE    III.    —    CHAPITRE    IV.    —    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

cation  mécanique  à  tout  :  au  corps,  à  Vhomyne,  au  citoyen.  Cette  exten- 
sion du  mécanisme  à  l'ordre  intellectuel  et  moral,  voilà  le  côté  original 
et  téméraire  de  son  entreprise. 

Fort  du  principe  que  «  tout  changement  est  mouvement  »  ^  et  de 
quelques  autres  principes  ^  qui  s'y  rattaclient  plus  ou  moins  étroite- 
ment, Hobbes  se  propose  de  construire  son  système  déductivement. 
Il  faudrait  par  conséquent  que  notre  philosophe,  dans  un  déroulement 
continu,  passât  de  la  Géométrie,  qui  étudie  les  lois  mathématiques 
du  mouvement  à  la  Mécanique  ;  de  la  Mécanique,  qui  traite  des  effets 
du  mouvement  d'un  corps  sur  un  autre,  à  la  Physique  ;  de  la  Phy- 
sique, qui  considère  les  effets  des  mouvements  dans  les  particules 
des  corps,  aux  sciences  morales  :  la  Psychologie,  l'Éthique  et  la  Poli- 
tique, lesquelles  envisagent  les  mouvements  divers  qui  agitent  l'âme 
de  l'homme  individuel  ou  social.  Voilà  le  plan  idéal  qui  hanta  l'ima- 
gination de  Hobbes  :  chacune  des  sciences  énumérées  se  présente, 
comme  une  application  spéciale  et  progressive  des  lois  générales  du 
mouvement.  Mais  il  n'a  pu  s'acquitter  de  cette  tâche  jusqu'au  bout  : 
par  deux  fois  il  a  été  obhgé  de  reconnaître  qu'il  y  avait  solution  de 
continuité  dans  la  déduction,  parce  que  les  faits  sont  trop  complexes 
pour  être  débrouillés  par  l'emploi  unique  d'un  procédé  mathématique. 

La  première  solution  de  continuité  apparaît  au  moment  où  notre 
auteur,  après  avoir  traité  de  la  Logique,  de  la  Philosophie  première, 
de  la  Géométrie  et  de  la  Mécanique,  en  vient  à  la  Physique.  Jusque-là, 
«  c'est  nous-mêmes  qui  faisons  la  vérité  des  premiers  principes  du 
raisonnement,  à  savoir  les  définitions,  en  nous  mettant  d'accord  sur 
les  appellations  des  choses  »  ^.  Il  en  va  tout  autrement  s'il  s'agit 
d'étudier  les  phénomènes  ou  effets  de  la  nature,  que  les  sens  nous  font 
connaître;  Ici,  les  principes  dont  ils  dépendent,  nous  ne  les  faisons 
pas  nous-mêmes,  nous  ne  les  énonçons  pas  universellement  comme 
les  définitions  ;  mais  on  doit  observer  dans  les  phénomènes  eux- 
mêmes  les  principes  que  le  Créateur  de  la  nature  leur  a  appliqués. 
Dans  le  premier  cas,  la  connaissance  des  principes  a  la  nécessité 
des  théorèmes.  Dans  le  second,  la  connaissance  des  causes  n'a  qu'une 
valeur  hypothétique  :  on  n'arrive  pas  à  conclure  que  tel  phénomène 
est  nécessairement  produit  de  telle  sorte,  mais  qu'il  pourrait  être 
produit  ainsi  *. 


1.  ...  Necesse  est  ut  mutatio  aliud  non  sit  praeter  partium  corporis  mutati  niotum. 
(DeCorpore,C.  IX,  §9.) 

2.  Par  exemple,  principes  de  causalité,  d'inertie,  de  la  conservation  de  la  matière. 

3 —  Ratiocinatiouis  principia  prima  (nempe  definitiones)  vera  esse  facimus  nosmet 
ipsi  per  consensionem  circa  rerum  appellationes.  {De  Corpore,  C.  XXV,  §  1,  circa  prin- 
cipiuni). 

{  4.  Aggredior  jam  partem  alteram,  a  Phœnomenis  sive  eftectibus  naturse  nobis  per 
sensum  cognitis,  ad  modum  investigandum  aliquem  juxta  quem  (non  dico  generata 
sunt  sed)  generari  potuervint.  Principio  igitiu*  iinde  pendent  quae  sequuntur,  non  faci- 
mus nos,  nec  pronunciamus  universaliter,  ut  definitiones,  sed  a  naturse-  conditore  in 
ipsis  rébus  posita  observamus  ;  nec  universaliter  prolatis,  sed  singulis  utimur.  Neque 
necessitatem  hsec  faciunt  theorematis,  sed  tantum  (non  abeque  propositionibus  uni- 
versalibus  supra  demonstratis)  generationis  alicujus  ostendunt  possibilitatem.  (De 
Corpore,  C.  XXV,  §  1). 


§  A.  LE  PLAN  ANNONCÉ  n'A  PAS  ÉTÉ  RÉALISÉ  403 

D'après  le  témoignage  de  Hobbes  lui-même,  dès  qu'on  pénètre 
dans  le  domaine  de  la  Physique,  qui  comprend  les  phénomènes  de  la 
nature,  il  faut  suspendi'e  la  manière  dont  on  a  procédé  en  Géométrie 
et  en  Mécanique.  D'autres  principes  sont  indispensables  :  des  phé- 
nomènes donnés  il  faut  dégager  leurs  causes  hypothétiques.  —  Soit, 
Mais  alors  on  peut  mettre  Hobbes  en  contradiction  avec  lui-même. 
A  l'entendre,  quand  il  résume  les  trois  premières  Parties  ^  du  De  Cor- 
pore,  les  premiers  principes  ou  définitions  de  la  Logique,  de  la  Phi- 
losophie première,  de  la  Géométrie  et  de  la  Mécanique,  dont  la  vérité 
dépend  de  nous  (vera  esse  facimus  nosmet  ipsi),  sont  des  principes 
nécessg,ires,  apodictiques.  Voilà  ce  qu'il  affirme  en  récapitulant  son 
travail  antérieui'.  Mais,  en  réahté,  est-ce  que  l'exécution  du  travail 
est  conforme  à  cette  affirmation  ?  Qu'on  en  juge. 

Hobbes  assure,  d'une  part,  que  la  définition  des  idées  fondamentales 
s'acquiert  par  l'analyse  des  données  sensibles  :  pour  arriver  à  la  décou- 
verte des  principes,  il  faut,  dit-il,  par tir^  des  sens  ( Manifestum  est 
meihodwn  philosopJiandi . . .  a  sensihus  ad  inventionem  jyrinciqnorum 
analyticam  esse...)  ^  Les  objets  doivent  donc  au  préalable,  par  l'in- 
termédiaire des  sens,  être  présentés  synthétiquement  à  l'esprit, 
pour  qu'il  puisse,  à  l'aide  de  l'analyse  qui  décompose  les  données 
sensibles,  en  séparer  les  premiers  principes.  Nous  voilà  bien  loin  de 
l'arbitraire  que,  d'autre  part,  Hobbes  attribue  à  la  création  des  prin- 
cipes dans  4e  passage  cité  plus  haut  ^  ;  il  y  a  dans  leur  établissement 
plus  qu'une  simple  dénomination  (per  consensionem  circa  rerum  appel- 
lationes)  ^,  et  leur  vérité  n'est  pas  notre  œuvre.  Ils  ne  seraient  donc  pas  1 1 
apodictiques  et  nécessaires,  quoi  qu'en  dise  Hobbes,  puisqu'on  doitjl 
les  tirer  de  l'expérience.  '.         ' 

Notre  philosophe  dit  encore  que  ces  principes  sont  connus  en  soi 
(naturœ,  ut  dicunt,  nota)  ^,  et  il  a  raison  ;  sans  quoi  ces  principes  ne 
seraient  pas  premiers.  Mais  par  ailleurs  il  soutient,  on  vient  de  le 
rappeler,  que  c'est  le  procédé  analytique  qui  sert  à  les  découvrir. 
Or,  ft  l'analyse  est  un  raisonnement  qui  va  du  donné  aux  principes, 
c'est-fi-dire  aux  propositions  premières  »  ^.  Ainsi  les  principes  premiers 
sont  tout  ensemble  et  connus  en  soi  et  étabhs  par  le  raisonnement. 
On  constate  donc  des  traces  de  flottement  et  même  d'incohérence 
dans  la  pensée  de  Hobbes  "^ ,  quand  il  traite  la  question  des  principes 
et  des  définitions. 

1.  Pars  prima  aive  Logica  —  Pars  secunda  sive  Philosophia  prima  —  Pars  tertio  : 
De,  rationibus  motuum  et  magnitudinum. 

2.  Hobbes,  De  Corpore,  C.  VI,  §  7,  in  fine. 

3.  Et  ailleurs  •  In  cujus  [il  s'agit  du  De  Corpore]  Partibus  prima,  secunda  et  tertia 
I  c'est-à-dire  Logique,  Pliilosophie  première.  Géométrie  et  Mécanique],  ubi  principia 
ratiocinandi  consistunt  in  intellectu  nostro,  id  est  in  vocabulorum  legitimo  usu,  quom 
ipsi  facimus...  (De  Corpore,  C.  XXX,  §  15,  circa  finem  ;  §  Alque  de  natura. 

4.  Hobbes,  De  Corpore,  C.  XXV,  §  L  —  La  force  des  choses  oblige  Hobbes  à  ne  pas 
s'en  tenir  au  nominalisme  qu'il  met  sans  cesse  en  avant. 

5.  Hobbes,  De  Corpore,  C.  VI,  §  5. 

6.  Analj/fica  itaque  est  ars  ratiocinandi  a  supposito  ad  principia,  id  est  ad  proposi- 
tiones  primas  vel  ex  primis  demônstratas...  (De  Corpore,  C.  XX,  §  6,  circa  prinripiùm). 

7.  Even  in  the  De  Corpore  itself  he  finds  it  necessary,  when  he  reaches,  in  Part  IV, 
the  subject  of  «  Physics  or  the  Phcnomena  of  Nature  »,  to  abandon    the  synthetio 


404  ARTICLE    III.    CHAPITRE    IV.    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

Le  second  point,  où  l'on  remarque  une  solution  de  continuité 
déductive,  se  rencontre  au  moment  où  Hobbes  aborde  les  sciences 
morales.  «  Les  principes  de  la  politique  dépendent  de  la  connaissance 
des  mouvements  des  esprits  »  ^.  Or  les  causes  de  ces  mouvements 
psychiques  (qui  se  rapportent  à  la  Psychologie  et  à  la  Morale,  bases 
immédiates  de  la  Politique)  peuvent  être  déterminées  de  deux  ma- 
nières :  soit  par  synthèse,  en  les  déduisant  des  théorèmes  antérieurs 
de  la  géométrie,  de  la  mécanique  et  de  la  physique  ;  soit  par  analyse, 
en  s'appuyant  sur  les  faits  d'observation  personnelle  ^.  Dans  la  Nature 
humaine,  le  Corps  politique  etleLéviathan,  Hobbes  avait  déjà  adopté 
cette  seconde  manière  ;  il  l'a  fait  pareillement  dans  le  De  Corpore. 
Mais,  une  fois  en  possession  des  principes  de  la  poUtique,  obtenus 
par  voie  analytique  ^,  il  avance  en  employant  la  méthode  synthé- 
tique *  ou  déductive,  qui  lui  permet  de  tirer  les  conclusions  contenues 
implicitement  dans  ces  principes. 

Ainsi  donc  le  plan  idéal  de  Hobbes  consistait  à  acquérir,  par  l'ana- 
lyse du  donné  sensible,  les  définitions  ou  principes  premiers.  Ces  prin- 
cipes une  fois  établis,  il  devait  en  déduire  progressivement,  sans  inter- 
ruption, toutes  les  sciences  qui  servent  à  expliquer  «  le  corps,  l'homme 
et  le  citoyen  »,  c'est-à-dire  la  Géométrie,  la  Mécanique,  la  Physique, 
la  Psychologie,  l'Éthique  et  la  PoUtique.  Au  heu  de  suivre  cette  voie 
continue  (ce  qui  aurait  communiqué  au  système  une  majestueuse 
unité  et  une  rigueur  géométrique),  notre  philosophe,  arrêté  par  la 
complexité  des  phénomènes  physiques  et  psychologiques,  a  dû  par 
deux  fois  interrompre  sa  marche  pour  se  mettre  en  quête  de  principes 
distincts  de  ceux  qui  avaient  présidé  au  développement  de  sa  Géomé- 
1  trie  et  de  sa  Mécanique.  Pour  les  trouver,  son  point  de  départ  ce  sont 
i  les  phénomènes*de  la  nature  et  de  l'âme  :  son  instrument,  c'est  l'ana- 
'  lyse.  Quand  il  les  a  découverts,  Hobbes  en  revient  au  raisonnement 
déductif  pour  dégager  les  conséquences  et  constituer  ainsi  sa  Physique 
et  sa  PoUtiqu^. 

Bref,  dans  le  plan  rêvé,  après  la  conquête  des  principes  premiers 
par  l'analyse,  une  déduction  ininterrompue  devait  en  tirer  tout  le 
système  par  voie  de  conséquences  rigoureuses.  Tâche  chimérique. 
En  réalité,  il  y  a  eu  déviation.  Dans  le  cas  des  sciences  mathématiques, 

I  o-  déductive  méthode,  which  he  had  employed,  more  or  less  consistently.inthe  preceding 
'  i:arts.  •>  (James  Seth,  English  Philosophers  and  Schools  of  Philowphy,  P.  I,  Ch.II,  p.  64. 
'  Londres,"T912y. 

1.  ...  Principia  Politicse  constant  ex  cognitione  motiium  animorum.  (De  Corpore, 
C.  VI,  §  7,  circa  niediutn). 

2.  ...  Cognoscuntur  enim  causse  motuum  animorum  non  modo  ratiocinatione,  sed 
etiam  uniuscujusque  suos  ipsius  motus  proprios  observantis  experientia.  (De  Corpore, 
C.  VI,  §  7,  in  principia). 

3.  li'analyse,  dont  parle  Hobbes,  ne  doit  pas  être  identifiée,  comme  le  font  quelques 
historiens,  avec  la  méthode  inductive  de  Bacon.  Elle  consiste  simplement  à  décomposer' 
un  concept  ou  une  donnée  sensible  complexe  en  leurs  éléments  constitutifs.  Hobbes, 
au  contraire,  attribue  à  la  méthode  synthétique  le  sens  de  méthode  déductive  - 
encore  qu'il  n'use  pas  de  l'expression  methodus  deductiva.  Il  emploie  constam- 
ment les  termes  methodus  synthetica,  cornpositio,  componere. 

4.  Itaque  ab  hoc  loco  progredi  potest  componendo...  (De  Corpore,  C.  VI,  §  7,  cir^a 
finem).  C'est  moi  qui  souligne  componendo. 


§  B.  ROLE  DE  l'empirisme  ET  DE  LA  DÉDUCTIOISr  405 

l'analyse  aboutit  à  des  principes  abstraits,  nécessaires,  universels, 
et  la  déduction,  partant  de  ces  principes  créés  par  l'esprit,  en  fait 
sortir  les  conclusions  qui  appartiennent  au  monde  des  possibles  ^. 
Dans  le  cas  des  sciences  physiques  et  morales,  l'analyse,  partant  des 
effets  de  la  nature  et  des  phénomènes  de  l'âme,  aboutit  à  des  causes 
concrètes,  hypothétiques,  particulières,  et  le  raisonnement  déductif 
tend  à  démontrer  la  possibilité  ^  des  hypothèses  suggérées  par  l'expé- 
rience. Dans  les  deux  cas,  la  méthode  philosophique  de  Hobbes  est 
un  mélange  diversement  dosé  d'analyse  et  de  synthèse  ^. 


II.  —    PART    DE    L'EMPIRISME    ET   DE    LA    DÉDUCTION. 

Dans  l'emploi  de  sa  méthode  Hobbes  fait  assurément  une  place 
à  l'empirisme  ;  il  aime  à  répéter,  nous  l'avons  remarqué,  qu'il  faut 
s'appuyer  sur  la  sensation  pour  parvenir  à  la  connaissance  des  prin- 
cipes et  des  causes,  et  par  eux  à  la  science  ^.  Mais  il  faut  vite  ajouter 
qu'il  n'avait  aucun  goût  pour  l'expérimentation,  à  l'inverse  de  Bacon 
son  maître.  En  lisant  sa  «  Philosophie  première  »  on  constate  sans  doute 
que,  pour  établir  les  principes  ou  définitions,  il  fait  appel  aux  données 
sensibles  ;  mais  ce  terrain  ne  lui  sert  que  de  tremplin  ;  s'il  y  pose  le 
pied,  ce  n'est  qu'un  instant  pour  s'élancer  aussitôt  dans  le  monde  des 
abstractions  et  des  générahtés.  Cette  lecture  vous  laisse  sous  l'impres- 
sion que  l'auteur,  au  Heu  d'utihser  l'expérience,  se  borne  à  en  faire 
l'éloge  et  à  lui  décerner  une  mention  honorable.  Ses  définitions  ont 
un  air  d'apriorisme  malgré  le  donné  sensible  qu'il  leur  assigne  comme 
point  de  départ. 

Le  rôle  de  l'expérience  est  sans  doute  plus  accusé  dans  l'exposé 
de  la  Physique  et  des  sciences  morales.  Cependant  là  encore  on  s'aper- 
çoit que  les  préférences  de  cet  esprit  géométrique,  tout  d'une  pièce, 
vont  d'emblée  à  la  méthode  déductive  et  aux  vues  a  priori.  C'est  là 
son  terrain  d'élection,  où  il  évolue  à  l'aise  avec  une  satisfaction  mani- 
feste. Il  est  piquant  de  noter  au  passage  que  les  démonstrations  de 
cet  adversaire  de  la  philosophie  péripatéticienne  ont  parfois  une  forme 
toute  scolastique,  tant  les  arêtes  de  ses  syllogismes  sont  vives  et  tran- 
chantes ! 

1-2.  Itaque  duae  sunt  philosophi  methodi,  altéra  a  generatione  ad  efîecUis  possibilep, 
altéra  ab  effectibus  oaivour/oi^,  ad  possibileni  generationein.  fDc  Corpore,  C.  XXV, 
§  1).  On  remarquera  que  les  deux  méthodes  n'aboutissent  qu'à  la  simple  possibilité. 
C'est  logique  quand  il  s'agit,  comme  dans  le  premier  cas,  des  sciences  inathématiques  ; 
mais  c'est  inadmissible  dans  le  second,  où  il  est  question  des  sciences  physiques  et 
psychologiques. 

8.  ...  Manifestum  est  Methodum  philosophandi  iis  qui  simpliciter  Scientiam  quserunt, 
nulla  certa  qusestione  proposita,  partim  Analyticam,  partim  Sj'ntheticam  esse,  nimirum 
a  sensibus  ad  inventionem  principiorum  Analyticam  esse,  caetera  Syntheticam.  (Hob« 
BES,  De  Corpore,  C.  VI,  §  7.  m  fine  ). 

4.  Citons  encore  un  passage  caractéristique  :  ...  Adeo  ut  si  Phaenomena  principia 
s  nt  cognoscendi  caetera,  sensionem  cognoscendi  ipsa  principia  principium  esse,  scien- 
tiamque  omnem  ab  ea  derivari  dicendum  est.  (Hobbes.  De  Corpore,  C.  XXV,  §  1, 
circa  finem). 


406  ARTICLE    ni.    —   CHAPITRE    IV.    —    CRITIQUE    DU    HOBBISME       • 

Lorsqu'on  analyse  le  système  de  Hobbes,  on  est  frappé  de  cette 
intrépidité  de  déduction  qui  déroule,  sans  sourciller,  les  conséquences 
les  plus  excessives.  Tout  autre,  moins  absolu,  aurait  pour  le  moins 
hésité  devant  des  résultats  inquiétants,  en  rupture  ouverte  avec  le 
sens  commun  et  le  sens  moral  de  l'humanité  i,  indice  non  équivoque 
que  la  source  d'où,  ils  découlent  est  trouble  et  suspecte.  Et  alors  une 
révision  rigoureuse  du  système  se  serait  imposée  à  sa  conscience. 
Mais  Hobbes  a  une  telle  confiance  dans  la  valeur  de  la  raison  raison- 
nante et  dans  l'efficace  du  procédé  déductif  qu'il  n'éprouve  aucun 
scrupule  de  ce  genre.  Que  dis-je  ?  les  objections  ont  beau  affluer 
de  toute  part  ;  il  n'en  devient  que  plus  ardent  à  maintenir  ses  con- 
clusions envers  et  contre  tous. 


III.    —   GÉOMÉTRIE    ET   PHYSIQUE. 

La  Géométrie  et  la  Physique  de  Hobbes  ne  nous  retiendront  qu'un 
moment.  En  racontant  sa  vie,  nous  avons  vu  en  quels  problèmes 
inextricables  ce  médiocre  géomètre  s'est  fôm'voyé  jusqu'à  la  fin. 
Renouvier,  a  bien  caractérisé  en  quelques  mots  l'attitude  de  notre 
philosophe  obstinément  égaré  dans  les  Mathématiques  :  «  Le  point, 
selon  lui,  est  le  coips  dans  lequel  on  ne  considère  actuellement  aucune 
partie,  et  le  mouvement  du  .corps  engendre  les  hgnes,  les  surfaces 
et  les  volumes.  Les  notions  de  toutes  ces  choses,  présentées  depuis 
Euclide  jusqu'à  Walhs,  semblent  ainsi  erronées  à  Hobbes  ;  mais  les 
mathématiques  sont  une  science  rebelle  au  sensuahsme,  et,  malgré 
les  procédés  rationahstes  qu'à  l'exemple  d'Aristote-  il  apphque  aux 
données  de^  sens,  il  ne  peut  parvenir  à  f aii'e  entrer  sa  géométrie  dans 
l'ordre,  et  se  trouve  condamné  à  découvrir  la  quadrature  du  cercle, 
la  trisection  de  l'angle  et  tous  les  problèmes  impossibles,  à  lutter  contre 
les  savants  de  son  temps  et  à  critiquer  les  découvertes  d'Huyghens, 
par  la  raison  que  ce  dernier  a  supposé  faussement  le  point  sans  éten- 
due ^...  » 

Sans  être  paradoxale  comme  sa  Géométrie,  la  Physique  de  notre 
philosophe  est  arriérée  :  elle  ne  put  résister  aux  coups  que  WaUis 
et  Boyle  lui  assénèrent  d'une  main  sûre  et  vigoureuse.  On  y  retrouve 
cette  incertitude  et  ce  flottement  qui  ont  été  signalés  dans  la  pensée 

1.  Nothing,  it  may  at  once  be  allowed,  could  be  more  natiiral  than  the  revolt  of 
common-sense  against  the  gênerai  sgirit  and  tendency  of  the  scheme.  Th.e  most  che- 
rished  convictions  of  humanity  had  been  ruthlessly  trampled  under  foot  by  Hobbes 
in  his  détermination  to  reduce  to  absolute  simplicity  the  account  of  man's  place  in  the 
universe,  and  so  to  get  rid  of  everything  that  might  be  represented  as  factitious  cause 
of  social  disorder.  (G.  Croom  Robertson.  Hobbes,  Ch.  IX,  p.  210). 

2.  Renouviek,  Manuel  de  Philosophie  moderne,  p.  161,  Paris,  1842.  —  «  Les  histo- 
riens des  mathématiques  passent  sous  silence  avec  raison  les  travaux  de  Hobbes  dans 
cette  science.  Mon  savant  confrère,  M.  Bertrand,  qui  a  bien  voulu  y  jeter  les  yeux, 
en  a  porté  le  même  jugement  que  Wallis.  L'inaptitude  de"  Hobbes  aux  mathématiques 
est  telle,  selon  lui,  que  ses  fautes  frapperaient  à  première  \aie  un  élève  qui  se  prépare 
pour  l'Ecole  polytechnique.  «  (Ch.  de  Rémusat,  Histoire  de  la  Philosophie  en  Angleterre 
depuis  Bacon  jusqu'à  Locke,  T.  I,  L.  II,  Ch.  v,  p.  355,  note  3.  Paris,  1875  2). 


§   C.   —   GÉOMÉTRIE   ET  PHYSIQUE  407 

de  Hobbes  quand  il  cherche  à  étabhr  les  premiers  principes  ou  défini- 
tions. De  là  vient  l'embarras  qu'on  éprouve  pour  en  marquer  d'un 
trait  net  la  physionomie  propre  :  «  Celui  qui  examine  le  caractère 
général  de  la  Physic^ue  de  Hobbes,  ne  peut  facilement  lui  assigner 
une  place  précise  dans  l'histoire  et  le  développement  de  la  doctrine 
corpusculaire.  D'mi  côté,  il  partage  avec  les  atomistes  la  tendance 
à  donner  une  théorie  mécanique  de  la  matière  et  à  poser  le  mouvement 
spatial  des  corps  comme  le  seul  fait  fondamental  ;  il  utihse,  dans  l'in- 
térêt de  sa  physique  spéciale,  l'hypothèse  corpusculake  avec  tous  ses 
postulats  arbitraires,  non  seulement  la  grandeur,  la  figure  et  le  mou- 
vement, mais  encore  les  variations  de  formes  des  particules  ;  d'un 
autre  côté,  il  supprime  le  fondement  de  toute  philosophie  corpuscu- 
laire conséquente,  l'existence  de  l'atome  indivisible,  immuable,  sub- 
stantiel, et,  pour  trouver  un  autre  fondement  à  sa  physique,  il  adopte 
le  théorie  de  la  fluidité  »  ^. 

Hobbes  en  effet  rejette,  à  l'exemple  de  Descartes,  l'existence  du 
vide  ^,  soutenue  au  contraire  par  son  ami  Gassendi.  Aussi,  pour 
exphquer  le  mouvement,  il  imagine  que  les  plus  petites  particules 
des  corps  sont  envii'onnées  d'un  fluide  éthéré  ^.  Sa  Physique  renferme 
bien  d'autres  suppositions.  C'est  une  conséquence  nécessane  de  la 
méthode  employée.  Hobbes  se  contente  en  effet  d'observer  les  phéno- 
mènes et,  pour  les  expliquer,  il  met  en  avant  les  hypothèses  que  cette 
observation  lui  suggère.  Xe  pouvant  en  prouver  la  vérité,  tout  son 
effort  tend  à  les  bien  choisù"  ;  puis,  raisomiant  de  son  mieux  sur  l'hy- 
pothèse préférée,  il  tâche  d'en  démontrer  la  vraisemblance.  Il  passe 
ainsi  en  revue  un  certain  nombre  de  phénomènes,  comme  la  lumière  • 
et  la  chaleur  du  soleil,  la  couleui%  le  froid,  le  vent,  la  glace,  la  foudre, 
le  son,  l'odeur,  la  saveur,  la  pesanteur,  etc.  *.  Son  but  est  atteint 
quand  il  croit  avoir  réussi  à  établir  que  la  cause  assignée  par  lui  à  tel 
phénomène  est  possible  (Causa  ergo  liujus  phœnomeni  reddita  est 
possibilis)  ^.  C'est  la  conclusion  qui  revient  perpétuellement  sous  cette 
forme  ou  une  forme  équivalente.  Il  reconnaît  d'ailleurs  avec  bonne 

1.  KcRD  Lasswitz,  Geschichte  der  atomistik  von  Mittelalier  bis  Newton  (T.  II,  L.  III, 
Ch.  VI,  §  5,  p.  235-236,  Hambourg  et  I  eipzig,  1890)  : Ueberblicktman den  Gesamtcha- 
rakter  der  Physik  des  Hobbes,  so  ist  es  iiicht  leicht,  ihr  die  richtige  Stelle  in  der  Ges- 
chichte und  Entwickelung  der  Korpuskulartheorien  anzu.reisen.  Sieteilt  einerseits  mit 
der  Korpuskulartheorie  die  Tendenz.eine  durchaus  mechanische  Théorie  der  Materie  zu 
geben  und  Bewegiing  der  Kôrper  im  Raume  als  die  oinzige  erkennbare  Grundthat sache 
hinzustellen  ;  auch  bedient  sie  sich  im  speziell  physikalischen  Interesse  der  Hypothèse 
der  Korpuskeln  mit  allen  ilii-en  Willkiirlichkeiten,  nicht  bloss  an  Grôfse,  Gestalt  und 
Bewegiing,  sondern  auch  an  Gestaltverànderungen  der  Teilchen  ;  anderseits  aber 
\vill  sie  die  Griindlage  einer  konsequenten  Korpuskularpliilosophie,  die  individuélleil, 
unverânderHchen,  substanziellen  Atome  aufheben  und  die  Physik  auf  eine  andre 
Grundlage  stellen,  sie  will  Fhiiditatstheorie  sein. 

2.  De  Cor-pore,  C.  XX^^[,T2-4." 

3.  Suppono  ergo  primo  loco  spatium  immenstun,  quem  vocamus  mundum,  aggre» 
gatum  esse  ex  corporibus  consistentibus  quidem  et  visibilibus,  terra  et  astris  ;  invisi- 
bilibus  autem  minutissimis  atcihis,  quse  per  teiTîe  etastrorum  intervalla  disseminantur, 
et  denique  ex  fluidissimi  aethero,  locum  omnem  quicunque  est  in  universo  reliquunn 
ita  occupante,  ut  locus  nuUus  rehnquatur  vacuus.  (De  Cor-pore,  C.  XX'NT,  §  5). 

4.  Hobbes,  De  Corpore,  C.  XVII,  XXVIII,  XXIX,  XXX. 

5.  Hobbes,  De  Corpore,  C.  XXVII,  §  7,  m  fine. 


408  ARTICLE    III.    — ■    CHAPITRE    IV.    CRITIQUE    DU   HOBBISME 

grâce  que  sa  méthode  n'aboutit  f|u'à  des  résultats  plus  ou  moins 
probables  et  qu'un  autre,  plus  heureux  dans  le  choix  de  ses  hypothèses, 
pourra  obtenir  des  résultats  meilleurs  ^. 

N'est-il  pas  étrange,  à  première  vue,  que>  ce  disciple  de  Bacon  ne 
vise  pas  à  déterminer  les  causes  certaines  des  phénomènes  au  moyen 
de  Texpérimentation,  ni  à  s'élever  par  l'induction  à  des  lois  générales  ?  - 
Il  semble  ignorer  les  méthodes  baconiennes,  ou  du  moins  fait  tout 
comme,  puisqu'il  ne  s'en  sert  point  et  ne  les  mentionne  nulle  part, 
La  raison  de  cette  attitude  tient  sans  doute  à  sa  tournure  d'esprit 
qui  s'accommodait  mieux  du  procédé  déductif.  Au  lieu  de  vérifier 
ses  hypothèses  par  l'expérience,  il  s'évertue  à  tes  justifier  a  priori 
]jar  le  raisonnement  ^. 

Renouvier  a  jugé  équitablement  cette  Physique  quand  il  a  dit  : 
((  La  Physique  d'Hobbes  ne  fut  pas,  malgré  l'unité  et  la  force  de  son 
principe  (le  même  en  apparence  que  celui  de  la  physique  cartésienne), 
beaucoup  plus  sohde  que  sa  Géométrie  :  des  expériences  imparfaites 
ou  peu  concluantes,  des  hypothèses  mécaniques  mal  justifiées,  enfin 
.l 'absence  de  lois  et  de  conceptions  générales  propres  à  régler  le  mouve- 
ment accordé  à  la  matière,  voilà  sans  doute  les  causes  principales  de 
son  infériorité  relative,  à  l'époque  où  elle  parut  »  *. 


IV.    —    PSYCHOLOGIE. 

On  considère  Hobbes  comme  le  fondateur  de  la  psychologie  anglaise. 
Il  est  certain  que  son  petit  traité  de  la  Nature  humaine  renferme 
nombre  d'observations  pénétrantes.  On  en  trouve  également  semées 
çà  et  là  dans  ses  autres  ouvrages.  Il  a  eu  notamment  le  mérite  de  pres- 
sentir la  théorie  de  ce  que  l'on  nomme  aujourd'hui  l'association  des 
idées. 

Mais,  d'autre  part,  que  de  réserves  à  formuler  !  Hobbes,  tout  d'abord, 
est  matérialiste.  Dès  le  début  de  sa  carrière,  il  le  montre  dans  ses 
objections  aux  Méditations  du  grand  spiritualiste  qu'est  Descartes  : 
((  ...  L'esprit  ne  sera  rien  autre  chose  qu'un  mouvement  en  certaines 

1.  Pars  quarta  [id  est  Pliysica]  dependet  ab  hypotliesibiis,  et  propterea,  ignorata 
illaruni  veritate,  causas  reruni  eas  rêvera  esse  qvias  explicavinius  denionstrari  non 
potest.  Quoniam  tamen  hypothesin  nullani  sumpsi  quse  non  et  possibilis  et  compre- 
hensu  facilis  sit,  et  ab  assuniptis  légitime  ratioeinatus  sini,  potuisse  esse  demonstravi, 
qui  finis  est  contemplationis  Physicse.  Quod  si  eadem  vel  his  ampliora,  sumptis  aliis 
hypothesibiis,  quispiani  alius  demonstraverit,  majores  illis  gratias  debebimus  quam 
ego  mihi  deberi  postule,  si  tamen  hypothèses  quibus  utitur  sint  cogitabiles.  (De  Cor- 
pose,  C.  XXX,  §  15,  circa  finem).  Après  les  suppositiojas,  que  Hobbes  s'est  permises  dans 
sa  Physique,  il  est  mal  venu  h  protester  ensuite  contre  les  espèces,  la    puissance,  la 

^forme   substantielle,    la   substance    incorporelle,   l'instinct,    etc.,    qu'il    reproche    aux 
Scolastiques  d'admettre. 

2.  ...  Nec  pronuncianuis  universaliter...,  sed  singulis. utimur.  (De  Corpore,  C.  XXV, 
§  l,  ci7-ca  médium). 

3.  ...  Et  ab  assumptis  [hypothesibus]  légitime  i-atiocinatus...  (De  Corpore,  Q.  XXX, 
§  15,  Loco  iatn  citato). 

4.  Renouvtek,  Manuel  de  Philosophie  moderne,  p.  161. 


§    D.    —   PSYCHOLOGIE  409^ 

parties  du  coi'ps  organique  »  ^.  Plus  tard,  en  exposant  son  système, 
il  étale  le  matérialisme  le  plus  cru  ^.  Il  n'y  a  qu'une  réalité,  la  matière 
en  mouvement,  mouvement  en  dehors  de  nous  et  en  nous  mêmes.  Conce- 
voir une  substance  incoiporelle  c'est  concevoir  un  non-sens.  Aussi 
Dieu  lui-même  est  corporel  ^. 

Conséquemment,  Hobbes  professe  le  déterminisme  le  plus  général 
et  le  plus  absolu  :  phénomènes  de  la  nature,  sensibihté,  passion, 
connaissance,  raisonnement,  volonté,  moraUté,  tout  dérive  de  mouve- 
ments nécessaires.  «  Il  n'y  a  peut-être  pas  d'écrivain,  si  l'on  excepte 
Spinoza,  qui  ait  énoncé  en  un  langage  aussi  énergique  la  loi  de  l'uni- 
verselle et  éternelle  nécessité.  L'auteur  de  VEthique  est  le  seul  qui 
égalera  cette  intrépidité  de  logicien  :  c'est  que  la  méthode  à  laquelle 
il  aura  recours  ressemblera  de  bien  près  à  celle  qu'avait  sui\'ie  Hobbes. 
Il  spéculera  analytiquement  sur  les  notions  de  substance,  d'attribut 
et  de  mode,  comme  son  devancier  sur  les  fantômes  d'espace,  de  corps 
et  de  mouvement.  Qui  s'étonnera,  après  cela,  que  l'un  et  l'autre  se 
soient  résignés  à  comprimer  dans  une  véritable  fatalité  mathématique 
tout  être  et  tout  devenir  ?  *  » 


1.  ...  Mens  nihil  aliud  erit  praeterquam  motus  in  partibus  quibusdam  corporis  or- 
jganici.  (Hobbes,  Objectiones  ad  Cartesii  Meditafiones  de  Philosophia  prhnu,  Object.  IV, 

m  fine.  Opéra,  t.  V,  p.  258,  4  la  fin  de  Vobjection  [. 

2.  I^  Père  Honoré  Fabri  a  bien  mis  ce  point  en  lumière  :  Unum  tamen  ab  alio 
(  operationem  seilicet  sensus  interni  seu  phantasia?  /ah  operatione  intellectus]  probe 
distinguimus,  quidquid  dicat  Hobesius,  qui  certe  vir  fuit  summo  ingenio,  nemo,  nisi 
peregriaiis  in  orbe  literario,  inficias  eat.  Vix  tamen  quidquam  addidit  de  suo  rei  Phy- 
sicae  ;  sed,  Epicureonim  vestigiis  insistons,  varios  modes  explicuit,  quibus  corpora 
diverses  induunt  sensibiles  status,  et  varias  corporum  qualitates,  motus,  actiones  et 
habitudines,  sensuum  item  atque  intellectus  operationes  explanavit  rediixitque  ad 
principia  Epicuri,  hoc  une  fundamento  fretus  nihil  nisi  corpus  et  corporis  modum  a 
nobis  concipi  posse  ;  uno  motu,  posita  figura  et  mole,  omnia  fieri  ac  perfici  ;  inane  dun- 
taxat  esse  incorporeum  ;  ipsamque  cognitionem  mei-um  esse  motum  animamque 
corpoream  :  verbo  dicam,  neminem,  post  Epicurum,  tam  crude  ac  libère  locutum  esse 
aut  scripsisse.  (H.  Fa.brt,  S.  J..  Ad  Patreni  Ignatinm  Gastonem  Pardesium  ejuadem 
So^ietatis  Jesu  Epistolae  très  de  sua  hypothesi  philosophica,  Epist.  II,  §  x\^,  p.  97-98, 
Mayence,   1674). 

3.  TôNNiES  et  N.\TOKP  ont  vainement  contesté  qu'il  faille  ranger  Hobbes  parmi  les 
matérialistes.  A  les  croire,  comme  le  note  Hôffdixg,  .<i  Hobbes  ne  peut  être  appelé 
matérialiste  qii'autant  qu'il  procède  avec  une  rigoureuse  déduction  en  partant  de  ses 
postulats  ou  définitions  originales.  Son  matérialisme  disparaît  partout  où  il  interrompt 
son  procédé  strictement  déductif.  qui  prétend  tout  dériver  du  seul  principe  :  <.  Change- 
ment est  mouvement  •.  (Hôffding,  Histoire  de  la  Philosophie  moderne,  T.  I,  L.  Ili, 
§  4,  p.  282).  On  peut  répondre  :  d'abord,  que  Hobbes  a  voulu  tout  faire  dériver  au 
mouvement,  bien  cju'il  n'ait  pu  réussir  dans  cette  entreprise  ;  ensuite,  que  là  même, 
comme  en  P.sychclogie,  on  il  est  forcé  d'interrompre  son  procédé  déductif,  il  est  crûment 
matérialiste.  ■ —  c  Edv.  Larsen  conçoit  ainsi  la  question  (dans  sa  Monoqraphie  de 
Hobbes,  Copenhague,  1891.  p.  186)  :  Hobbes  ne  serait  matérialiste  c^ue  dans  la  ih'or'e 
de  la  mé'hrde  car  notM?  connis.sa  ice  ne  peut  selon  lui  expliquer  que  le  mouve- 
ment, mais  il  n'essaie  pas  de  donner  une  métaphysique  matérialiste.  —  Ce  faisant,  on 
attribue,  à  mon  avis,  à  Hobbes  une  distinction  entre  la  méthode  et  le  système  ciu'il  ne 
connaît  pas.  Il  est  bien  trop  dogmatique  pour  faire  cette  distinction.  11  compte  que  les 
choses  sont  comme  elles  doivent  être  conformément  à  nos  définitions.  C'est  un  matéria- 
liste dans  le  même  sens  que  Doscartes  est  un  spiritualiste.  «(Hôffding,  Gpere  citato. 
Ibidem,  p.  282,  vers  le  bas). 

4.  G.  Lyon,  La  philosophie  de  Hobbes,  Ch.  V,  p.  72-73. 


410  ARTICLE    III.    CHAPITRE    IV.    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

Les  qualités  corporelles  ne  sont  pour  Hobbes  que  des  impressions 
du  sujet  sentant,  produites  en  lui  par  un  mouvement  venu  de  dehors. 
Ce  sont  des  phantasmes  (cpavrào-jj-aTa)  qui  n'ont  pas  de  ressemblance 
avec  les  objets  extérieurs.  Cette  subjectivité  des  quaUtés  sensibles 
est  un  corollaire  obligé  de  la  métaphysique  du  mouvement,  qui  sert 
de  base  à  tout  le  système  ^.  Hobbes  prétend  avoir  été  en  possession 
de  cette  idée  dès  1630,  avant  d'avoir  connu  les  travaux  de  Galilée 
qui  l'avait  mise  en  avant  en  1623  ^. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  sa  prétention  à  ForiginaUté,  Hobbes  paraît 
pousser  cette  doctrine  (parfaitement  soutenable  si  on  la  circonscrit 
dans  certaines  hmites)  ^,  jusqu'à  l'extrême  et  tomber  dans  l'idéahsme. 
Ces  phantasmes,  qui  forment  l'objet  de  nos  pensées,  «  peuvent  être 
considérés  soit  comme  des  accidents  internes  de  notre  esprit  (et  c'est 
ainsi  qu'on  les  envisage  quand  il  s'agit  des  facultés  de  l'âme),  soit 
comme  les  espèces  des  choses  extérieures,  c'est-à-dire  non  pas  comme 
existant,  mais  comme  paraissant  exister  ou  se  tenir  au  dehors  »  *. 
Il  exphque  ainsi  leur  origine.  L'organe  réagit  contre  l'impression 
reçue  :  «  De  cette  réaction,  si  elle  dure  quelque  temps,  naît  le  phan- 
tasme; parce  que  son  effort  se  dirige  vers  le  dehors,  ce  phantasme 
apparaît  toujours  (cpaivîTai)  comme  quelque  chose  situé  au  delà 
de  l'organe  »  ^.  Nous  sommes  encore  en  plein  idéalisme,  car  il  reste 
à  prouver  que  cette  extériorité  du  phantasme  n'est  pas  elle-même  une 
simple  apparence. 

Hobbes  n'a  fait  nulle  part  cette  démonstration,  impossible  dans 
son  système.  Cependant  il  croit  à  la  réalité  du  monde  extérieur  et 
la  suppose  partout.  Il  est  sorti  de  son  idéaUsme,  d'une  façon  arbi- 
traire, par  une  pure  affirmation.  Quand  il  détaille  les  éléments  de  la 
définition  du  corps,  il  affirme  en  effet  que  «  c'est  seulement  j)ar  la 
raison  que  l'on  arrive  à  comprendre  quHl  y  a  là  quelque  chose  sous 
l'espace  »  ^.  Hobbes  n'a  jamais  précisé  ce  qu'il  entend  au  juste  par 
raison.  Aussi  «  le  recours  de  Hobbes  à  la  raison  est  à  l'état  vague  ; 
il  ne  représente  probablement  que  l'influence  du  bon  sens,  idolum 


1.  Hobbes  a  cependant  cherché  à  prouver  cette  subjectivité  par  des  faits  d'expérience. 
Cf.  Human  Nature,  Ch.  II,  §  5r7  ;  9. 

2.  Cf.  P.  TôNNiES,  Vierteljahrsschrijt  fur  wissensckajtliche  Philosophie,  1879,  T.  III,, 
p  463  ;  §  9.  —  G.  Croom  Robertson,  Hobbes,  Ch.  III,  p.  34-35,  note  1.  —  Cf.  Hobbes, 
Lettre  au  marquis  de  Newcastle,  Works,  t.  VII,  p.  468. 

3.  Cf.  R.  DE  SiNÉTY,  La  connaissance  sensible  des  qualités  secondaires,  dans  Revue 
UES  Questions  scientifiques,  20  avril  1911. 

4.  Possunt  autem  [Phantasmata  nostra]  considerari,  id  est  inrationes  venire  duplici 
nomine,  nimirum  ut  accidentia  animi  interna,  qxiemadmodum  considerantur  quando 
agitur  de  facultatibus  animi,  vel  ut  species  reruni  externarum,  id  est,  tanquam  non 
existentes,  sed  existere  sive  extra  stare  apparentes,  quo  modo  nunc  consideranda  sunt, 
(De  Corpore,  C.  Vil,  §  1,  in  fine). 

5.  ...  Ex  ea  reactione  aliquandiu  dtu-ante  existit  phantasma  ;  quod,  propter  conatum 
versus  externa,  semper  videtur  (cpaivs-ai)  tanquam  aliquid  situm  extra  organura. 
(De  Corpore,  C.  XXV,  §  2,  circa  finem). 

6.  ...  Quia  sub  spatio  imaginario  substerni  et  supponi  videtur,  ut  non  sensibus  sed 
ratione  tantum  aliquid  ibi  esse  intelligatur,  suppositum  et  subjectum  [appellari  solet]. 
(De  Corpore,  C.  VIII,  §  1,  circa  finem).  ...  Esse  aliquid,  quod  ab  imaginations  nostra 
non  dependet.  (Ibidem,  circa  médium). 


§    D.    —   PSYCHOLOGIE  411 

tribus,  en  langage  baconien,  sur  l'esprit  du  plus  paradoxal  de  tous  les 
philosophes  soumis  en  cette  seule  occasion  à  l'empire  de  l'habitude  ! 
Mais  on  peut  y  joindi'e  l'adoption,  injustifiée  pour  lui,  du  mouvement 
comme  domiée  réelle  externe  et  principe  d'expUcation  des  phéno- 
mènes physiques  »  ^. 

La  philosophie  de  Hobbes  le  conduisait  logiquement  à  cette  con- 
clusion :  «  Il  n'y  a  rien  là  ».  C'est  le  bon  sens  qui  lui  fait  dire  le  contraire. 
Ce  quelque  chose  existant  en  dehors  de  nous  c'est  le  corps  ou  substance, 
que  notre  philosophe  dote,  par  une  supposition  gratuite,  de  deux 
propriétés  essentielles  :  le  mouvement  et  la  grandeur  ^.  Toutes  les 
autres  quahtés  ou  accidents  qu'on  nomme  sensibles  sont  des  modes 
non  du  corps  extérieur,  mais  du  sujet  sentant,  car  les  accidents  ne 
sont  que  des  manières  de  concevoir  le  corps  *. 

Un  mot,  pour  en  finir  avec  la  Psychologie  de  Hobbes,  sur  sa  théorie 
des  passions,  dominée  par  ce  principe  que  le  mouvement  est  source 
de  plaisir  où  de  douleur.  Les  mouvements  déterminés  par  l'action 
des  objets  sur  les  organes  sensoriels  deviennent  des  réactions  sur  le 
monde  extérieur  ^.  Ces  réactions  sont  des  tendances  à  rechercher 
ce  qui  aide  le  mouvement  vital,  agent  efficace  de  préservation  pour 
l'individu,  et  à  éviter  ce  qui  l'arrête  ou  l'affaibht.  Ce  que  l'on  désire 
plaît,  et  on  l'appelle  bon  ;  ce  que  l'on  fuit  déplaît,  et  on  l'appelle 
mauvais  ^.  Le  plaisir  est  donc  la  sensation  du  bon,  et  la  douleur 
la  sensation  du  mauvais.  Toute  l'activité  de  l'homme  se  dépense 
dans  la  poursuite  de  l'uTtérêt  et  du  bonheur  personnel.  Partant  de  là, 
Hobbes  ramène  à  un  égoïsme  effréné  toute  notre  nature  active  et 
émotionnelle.  Dans  la  description  des  passions,  le  philosophe,  anglais 
fait  sans  doute  preuve  d'une  remarquable  acuité  d'observation  et 
d'une  grande  finesse  d'analyse,  comme  on  a  pu  s'en  convaincre  par 
les  nombreuses  définitions  que  nous  avons  citées.  Mais  c'est  là  surtout 
qu'éclate,  dans  toute  sa  hideui",  le  caractère  égoïste  de  son  système, 
«  Il  se  plaît  visiblement  à  écarter,  si  ce  n'est  même  à  paraître  ignorer 
que  la  conduite  de  l'homme  obéisse  parfois  à  d'autres  mobiles  que 
celle  de  l'animal,  hormis  en  ce  que  donne  en  plus  au  premier  sa  supé- 
riorité d'imagination  »  ^. 

Cette  ignorance  était  intéressée.  Hobbes  n'a  point  étudié  la  Psycho- 
logie pour  elle-même,  en  spectateur  impartial,  uniquement  soucieux 
de  bien  saisir  au  passage  les  phénomènes  mobiles  qui  agitent  l'âme. 
Il  a  surtout  entrepris  ce  travail  en  .vue  de  donner  au  De  Cive  une  base 
empirique,  ou,  comme  il  l'avoue  lui-même,  «  pour  trouver  les  premiers 

1.  Renouvier,  Philosophie  analytique  de  l'Histoire,  T.  III,  L.  XII,  Ch.  I,  p.  433. 
Paris,  1897. 

2.  ...  Magnitudo  autem  cujusquo  corporis  est  accidens  ejus  peculiare...  Locus  nihil  est 
extra  animum,  magnitudo  nihil  intra...  (De  Corpore,  C.  VIII,  §  5,  circa  princi- 
pium). 

3.  Definiemus  igitur  Accidens  esse  concipiendi  corporis  modimi.  (De  Corpore,  C.  VIII, 
§  2,  in  fine). 

4.  De  Corpore,  C.  XXV,  §  2. 

5.  Human  Nature,  Ch.  VII,  §1,2,  3.  —  Cf.  De  Corpore,  C.  XXV,  §  12. 

6.  Renouvier,  Philosophie  analytique...,  T.  III,  p.  435. 


412  ARTICLE    III.    CHAPITRE    IV.    —    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

et  les  plus  simples  éléments  dans  lesquels  sa  résolvent  finalement 
les  règles  et  les  lois  compliquées  de  la  Politique  «  ^.  Cette  préoccupa- 
tion utilitaire  ne  pouvait  manquer  de  troubler  son  regard  et  de  fausser 
les  résultats  de  l'observation. 

Ce  n'est  pas  la  crise  orageuse  de  la  passion  que  Hobbes  a  analysée. 
Au  lieu  de  scruter  les  profondeurs  troubles  de  la  vie  affective,  il  se 
maintient,  selon  son  habitude,  dans  les  régions  lucides  et  sereines 
de  l'esprit.  La  passion  lui  apparaît  beaucoup  plus  un  calcul  de  l'intelli- 
gence qu'un  emportement  de  la  sensibilité.  On  a  souvent  rapproché 
Hobbes  et  La  Rochefoucauld.  Ce  dernier  sans  doute,  avec  plus  de 
coquetterie  littéraire  dans  l'agencement  de  ses  périodes,  fait  aussi 
une  part  prépondérante  au  calcul  intellectuel  dans  l'analyse  des 
passions.  Mais  soii  but*«  a  été  de  montrer  qu'il  existait  peu  d'actions, 
même  parmi  celles  qui  ont  le  plus  les  apparences  du  désintéressement 
et  de  la  vertu,  qui  ne  puissent  avoir  été  dictées  par  un  motif  égoïste. 
Entre  cette  vue  et  celle  [de  Hobbes]  que  toute  action  humaine  est 
inspirée  par  i'égoïsme,  il  y  a  très  loin  »  ^.  D'autant  que  La  Rochefou- 
cauld, en  égrenant  ses  Maximes,  sans  ordre  et  sans  lien,  ne  les  rat- 
tache point  à  une  doctrine  générale.  Hobbes,  au  contraire,  s'étudie 
à  montrer,  avec  le  dessein  de  légitimer  par  là  sa  PoUtique,  que  les 
passions  he  sont  que  les  manifestations  diverses  d'une  tendance 
unique,  l'amour  du  bien-être  et  du  plaisir,  qui  fait  le  fond  même 
de  notre  nature.  La  définition  de  l'homme  l'implique  aussi  nécessai- 
rement que  la  définition  d'une  figure  géométrique,  ses  propriétés. 


V.    —    SYSTÈME    POLITIQUE. 

Tout  le  système  pohtique  de  Hobbes  repose  sur  une  méconnais- 
sance profonde  de  la  nature  humaine  ^.  L'homme  est  poussé  à  l'ac- 
tion par  trois  sortes  de  motifs,  qui  constituent  chacun  un  mode  dis- 
tinct de  détermination  :  l'inclination,  l'intérêt,  le  devoir.  Or  de  ces 
trois  motifs  Hobbes  n'en  connaît  qu'un- seul,  I'égoïsme,  car  il  assigne 
il  comme  fin  unique  et  universelle  à  toutes  nos  actions  la  préservation 
de  soi-même,  qui  en  est  le  côté  négatif  (éviter  le  mal)  et  la  recherche 
du  plaisir  (poursuivre  le  bien)  qui  en  est  le  côté  positif.  C'est  une  pre- 
mière mutilation  de  la  nature  humaine,  puisqu'il  lui  retranche  deux 
principes  d'activité,  le  principe  instinctif  et  le  principe  moral. 

Ensuite,  l'idée  même,  que  Hobbes  s'est  faite  du  motif  qu'il  adopte, 
est  incomplète.  Dans  Vintérêt  bien  entendu,  on  doit  en  effet  distinguer 

1.  Thus  hâve  we  considered  the  nature  of  man  so  far  as  was  requisite  for  the  finding 
out  the  first  and  most  simple  éléments  wherein  the  compositions  of  politic  rules  and 
laws  are  lastly  resolved.  (Hobbes,  Human  Nature,  Ch.  XIII,  Conclusion,  Works, 
t.  IV,  p.  76).  Le  titre  explicatif  du  livre  indique  nettemeit  que  la-  Psychologie  de 
Hobbes  est  subordonnée  à  sa  PoUtique  :  Human  Nature,  or  the  fundamental  Ele- 
merds  of  Policy  (La  Nature  humaine  ou  les  éléments  fondamentaux  de  la  Politique). 

2.  JouFFROY,  Cours  de  Droit  naturel,  XII*"  leçon,  T.  I,  p.  370-371,  Paris,  1843  2. 

3.  On  trouvera  dans  Jouffkoy  (Cours...,  T.  I,  Leçon  XI,  p.  339-352)  une  démonstra- 
tion excellente  de  cette  assertion. 


§    E.    —    SYSTÈME    POLITIQUE  413 

deux  éléments,  le  plaisir  qui  accompagne  et  suit  l'action,  et  le  bien 
que  l'action  nous  procure  indépendamment  du  plaisir.  Par  exemple, 
prendre  de  la  nourriture  répare  les  forces  :  voilà  le  bien  procuré  ; 
d'une  façon  agréable  :  voilà  le  plaisir  concomitant.  Tout  à  l'heurQ 
Hobbes  supprimait  deux  des  formes  des  déterminations  humaines  ; 
maintenant,  dans  celle  qu'il  conserve,  des  deux  éléments  qui  la  com- 
posent, il  supprime  le  plus  important,  pour  ne  garder  que  l'accessoire. 
C'est  ime  seconde  mutilation. 

Enfin,  dans  le  plaisir  lui-même  on  découvre  une  dernière  mutila- 
tion. Parmi  les  plaisirs  dont  l'homme  est  capable,  Hobbes  a  laissé 
de  côté  les  meilleurs  et  les  plus  déhcats,  ceux  qui  naissent  de  la  sym- 
pathie :  sociabiUté,  amitié,  amour,  pitié,  charité.  S'il  avait  admis, 
comme  une~ob^ërvâtibh  iiîipartiale  des  faits  y  contraint,  l'existence 
de  ces  tendances  sympathiques,  notre  philosophe  n'aurait  pu  asseoir 
son  système,  car  il  aurait  dû  avouer  que  l'état  naturel  à  l'homme  n'est 
pas  l'état  de  guerre,  mais  l'état  social. 

Hobbes  a  donc  péché  par  un  exclusivisme  radical.  Force  est  bien 
au  psychologue  de  reconnaître  que  l'intérêt  joue  un  rôle  considérable 
dans  la  vie  de  l'homme  ;  mais  le  devoir  a  aussi  le  sien.  Néghger  l'un 
ou  l'autre  de  ces  principes  d'action,  le  principe  utihtaire  ou  le  prin- 
cipe moral,  c'est  estropier  la  nature  humaine.  Pour  avoir  une  idée  vraie 
de  la  société,  il  faut  d'abord  se  faire  une  idée  vraie  des  membres 
qui  doivent  la  former.  Aussi  en  donnant  à  son  système  poHtique  la 
base  étroite  de  Fégoïsme,  Hobbes  se  condamnait  d'avance  à  n'élever 
qu'un  édifice  ruineux. 

Après  cela,  on  ne  sera  pas  surpris  d'entendre  Joufïroy  formuler 
ce  jugement  :  -«  Jamais  l'infidéhté  psychologique  n'a  été  poussée 
plus  loin  ;  je  ne  connais  pas  un  autre  système  qui  défigure  d'une 
manière  plus  extraordinaire  la  réahté  de  notre  nature.  Aussi  n'en 
est-il  point  qui  conduise  à  des  conséquences  aussi  insoutenables, 
aussi  bizarres,  aussi  hostiles  à  toutes  les  croyances  du  bon  sens  de 
l'humanité.  Si  le  principe  du  système  de  Hobbes  est  éminemment 
faux,  ses  conséqueiices  sont  éminemment  absurdes  :  aussi  le  sens 
commun  ne  répugne-t-il  pas  moins  aux  unes  que  l'observation  à 
l'autre  »  ^.  ' 

Ayant  fait  un  faux  départ,  il  est  impossible  que  Hobbes  arrive 
au  terme  qu'il  s'est  fixé,  sans  tomber,  en  cheminant,  dans  quelques 
inconséquences  .et  sans  faire  subir  à  certaines  notions  traditionnelles 
un  complet  travestissement.  Donnons-en  quelques  spécimens. 

Tout  d'abord  ce  philosophe  révolutionnaire  a  perverti,  avec  une 
assurance  et  une  sérénité  qui  ont  quelque  chose  de  cynique,  la  notion 

1.  JouTFROY,  Cours...,  Leçon  XII,  T.  1,  p.  355.  —  Les  contemporains  de  Hobbes  ne 
furent  pas  moins  catégoriques  dans  la  réprobation  de  ses  principes  de  morale  privée  et 
sociale.  Citons,  comme  exemple,  Robert  Sharrock  (1630-1684),  de  l'Université 
d'Oxford,  professeur  à  New  Collège,  archidiacre  de  Winchester  :  ...  Horrenda  quae- 
cunque  morum  introduxisse  atque  admississe  ausus  est  [Hobbius]  portenta.  (VrroOîa'.; 
■fjl'.y.i]  de  Officiia  secundurn  naturœ  jusseu  de  Moribus  ad  rationis  normam  conformandts 
Doctrina...  (Prœfatio,  [non  paginée],  p.  6,  Oxford,  1660). 


414  ARTICLE    III.    CHAPITRE    IV.    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

fondamentale  de  justice.  On  se  rappelle  qu'il  raisonne  ainsi  :  Dans 
l'état  de  nature  ^,  il  n'y  a  pas  de  pouvoir  souverain  ;  sans  pouvoir 
souverain  pas  de  lois  ;  sans  lois,  pas  de  justice.  Et  pour  qu'on  n'hésite 
pas  sur  le  sens  de  sa  pensée,  il  ose  écrire  :  «  Les  deux  vertus  cardinales 
de  l'état  de  guerre  qui  est  l'état  de  nature  sont  la  force  et  la  ruse  ». 
(Vis  et  dolus  in  hello  virtutes  cardinales  sunt).  La  justice  a  fait  son 
apparition  dans  le  monde  avec  la  société.  Aussi  quiconque  viole  le 
pacte  social  soit  par  action,  soit  par  omission,  est  injuste  '^. 

A  quel  genre  d'argument  Hobbes  va-t-il  recourir  pour  démontrer 
l'illégitimité  de  cette  conduite  ?  On  le  devinerait  malaisément.  «  De 
même,  dit-il,  que  celui,  qu'un  argumentateur  force  à  nier  l'assertion 
qu'il  avait  soutenue  d'abord,  est  acculé  à  l'absurde  et  tombe  dans  une 
contradiction,  ainsi  en  est-il  de  celui  qui  fait  ce  qu'il  s'était  engagé 
à  ne  pas  faire  ou  bien  omet  ce  qu'il  s'était  engagé  à  ne  pas  omettre. 
Car,  en  vertu  du  pacte,  il  veut,  et,  par  la  violation  du  pacte,  il  ne  veut 
pas  qu'une  même  chose  ait  Ueu.  Ainsi,  l'injustice  est  une  absurdité 
4.ans  la  conduite,  comme  l'absurdité  est  une  injustice  dans  la  discus- 
sion »  ^. 

N'est-il  pas  significatif  de  voir  un  théoricien  pohtique,  qui  a  biffé 
d'un  trait  de  plume  la  justice  dans  l'état  de  nature,  la  rétabhr  arbi- 
trairement dans  le  droit  social  et  lui  chercher  un  point  d'appui  dans 
les  règles  de  la  Logique  formelle  ?  On  pensera  sans  doute  que  ce  genre 
de  preuve  aura  peu  d'influence  sur  la  généralité  des  citoyens. 

Hobbes  était  assurément  trop  perspicace  pour  en  douter  dans  son 
for  intérieur  :  cette  preuve  n'est  qu'un  jeu  dialectique  pour  charmer 
les  esprits  subtils.  Mais  il  peut,  dira-t-on,  faire  valoir  un  argument 
ad  hominem  plus  pressant.  Chaque  individu,  membre  de  la  Société, 
comprend  qu'il  est  le  premier  intéressé  à  respecter  les  droits  des  autres 
citoyens,  car  c'est  la  condition  sine  qua  non  de  la  durée  du  pacte 
social.  Or  il  a  intérêt  à  ce  que  le  pacte  dure,  afin  que  ses  propres  droits 
soient  eux-mêmes  sauvegardés.  — Fort  bien,  si  l'on  parle  en  général  et 
dans  l'abstrait.  Mais  il  est  des  cas  particuUers  où  cette  considération 
restera  lettre  morte.  Croit-on,  par  exemple,  que  si,  sans  autre  frein  que 
la  morale  utihtaire  de  Hobbes,  quelqu'un  trouve  l'occasion  de  com- 
mettre une  injustice  profitable, avec  la  quasi  certitude  d'esquiver  toute 
répression,   croit-on  .vraiment  qu'il   sera   arrêté   par    cette    considé- 


1.  Nomina  justi  et  injusti  locum  in  hac  conditione  non  habent.  Vis  et  dolus  in  belle 
virtutes  cardinales  sunt.  (Hobbes,  Leviathan,  C.  XIII,  Opéra,  T-.  III,  p.  101,  circa 
finem). 

2.  Actio  autem  illa  vel  omissio  injusta  dicitur,  ut  idem  significent  injuria  et  actio 
vel  omissio  injusta,  atque  utraque  idem  quod  pacti  vel  fldei  violatio.  (Hobbes,  De  Cive, 
C.  III,  §  3.  circa  principium). 

3.  Quemadmodum  enim  is,  qui  argumentis  cogitur  ad  negationem  assertionis  quam 
prius  sustinuerat,  dicitur  redigi  ad  absurdum  ;  eodem  modo  is,  qui  prse  animi  impotentia 
facit  vel  omittit  id  quod  se  non  facturum  vel  non  omissurum  pacto  suo  ante  promiserat, 
injuriam  facit  ;  neque  minus  in  contradictionem  incidit  quam  qui  in  scholis  reducitur 
ad  absurdum.  Nam  futviram  actionem  paciscendo  vult  fieri  ;  non  faciendo  vult  non 
fieri  ;  quod  est  fieri  et  non  fieri  idem  eodem  tempore,  qu!B  eontradictio  est.  Est  itaque 
injuria  absurditas  qusedam  in  conversatione,  sicut  absurditas  injuria  qusedam  est  in 
disputatione.  (De  Cive,  C.  III,  §  3,  circa  médium). 


§    E.    SYSTÈME    POLITIQUE  415 

ration  que  son  acte  tend  à  rompre  le  contrat  social  qu'il  a  promis 
d'observer  ?  ^ 

Hobbes  lui-même  a  si  peu  confiance  dans  l'observation  volontaire 
de  cette  promesse  par  les  contractants,  qu'il  invoque  sans  cesse  l'argu- 
ment de  la  force  souveraine,  dont  dispose  le  gouvernement  qu'il  a 
imaginé  pour  maintenir  l'ordre  et  la  paix.  Ce  régime  de  terreur, 
qui  est  une  nécessité  du'système,  cette  sorte  d'état  de  siège  en  perma- 
nence est  indigne  d'hommes  libres  et  civilisés.  D'ailleurs,  il  est  souvent 
condamné  à  l'impuissance  :  quand  les  contractants  ont  l'espoir  fondé 
d'échapper  à  son  étreinte,  la  voix  de  l'intérêt  personnel  se  fait  entendre 
et  devient  impérative. 

Le  Hobbisme  repose  donc  sur  une  conception  caduque.  L'intérêt 
conseille  ;  il  n'obhge  pas.  Il  faut  faire  appel  à  la  conscience 'morale. 
Mais  Hobbes  s'est  rigoureusement  interdit  cet  appel,  car  il  rejette^ 
la  seule  base  inébranlable  de  l'ordre  privé  et  social,  l'existence  du 
Bien  absolu,  norme  du  juste  et  de  l'injuste,  indépendante  des  lois 
et  des  conventions  hurpaines,  que  la  volonté  divine,  infiniment  sainte 
et  toute  puissante,  impose  au  respect  de  tous,  sans  que  personne  puisse 
se  dérober  à  la  sanction  qui  attend  les  transgresseurs  en  ce  monde 
ou  en  l'autre. 

Hobbes  n'est  point  l'inventeur  du  contrat  social.  D'autres  y  ont 
songé  avant  lui  :  par  exemple  Languet  ^,  Althusius  *,  Hooker^.i 
Des  philosophes  scolastiques,  Sttarez  ^  notamment,  ont  aussi  admis  ' 
la  possibiHté  et  la  légitimité  d'un  contrat  social.  Mais  tous  ces  penseurs 
supposent  que  le  pacte  est  conclu  entre  les  sujets  et  le  souverain  : 
il  est,  à  leurs  yeux,  un  remède  préventif  contre  la  tyrannie.  Hobbes 
ne  l'a  point  compris  de  la  sorte.  D'après  lui,  les  contractants  sont  les 
sujets  ;  eux  seuls  sont  liés  vis-à-vis  du  souverain  qui  reste  complète- 
ment fibre  et  indépendant.  C'est  là  que  se  montrent  l'originalité 
et  l'habileté  de  notre  philosophe.  Il  voulait  patronner  la  thèse  du 
pouvoir  absolu  et,  en  même  temps,  répudier  la  doctrine,  alors  commu- 
nément acceptée,  que  le  pouvoir  a  sa  source  première  en  Dieu.  Il 
rejette  donc  le  droit  divin  et  met,  à  l'origine  du  gouvernement, .  le 
principe  démocratique.  La  souveraineté  dérive  d'un  contrat  consenti 

1.  Renouvier,  Philosophie  analytique...,  t.  TII,  p.  443.  —  Cf.  Esquisse  d'une  Classifi- 
cation systématique  des  Doctrines  philosophiques,  T.  I,  Partie  V,  p.  381-384,  Paris,  1885. 

2.  C'est  un  point  sur  lequel  Hobbes  s'est  plu  à  insister.  Cf.  Hiutian  Nature,  Ch.  ^'^I,  Il 
§  3.  —  Leviathan,  C.  VI.  —  De  Homine,  C.  XI,  §  4.  "' 

3.  Htjbert  Langxjet,  Vindicice  contra  tyrannç>s  sive  de  principis  in  populum  popu- 
tique  in  principem  légitima  potestate,  Edimbourg  [Bâle],  1579.  On  prétend  à  tort  que 
cet  ouvrage  a  pté  composé  par  du  Plessis  Mornay.  Cf.  Haao,  La  France  protestante  : 
H.  Languet,  t.  VI,  p.  273,  Paris,  1856. 

4.  Jean  Althusius,  Politica  methodice  digesta  atque  exempUs  sacris  et  jjrofanis 
\illuatrata,  Herborn,  1603. 

5.  R.  HooKER,  0/  the  Laïues  of  ecclesiasticall  Politic,  Londres,  1593. 

6.  «  A  l'origine  de  toute  société,  il  y  a  un  contrat  exprès  ou  tacite  entre  le  peuple  et  le 
souverain  ;  si  ce  contrat  n'est  pas  formulé  dans  une  constitution,  il  n'en  existe  pas 
moins  d'une  manière  implicite.  Nulle  part  l'autorité  n'est  sans  limites  ni  incondition- 
nelle. "  (A.  Matignon,  La  Société  civile  d'après  Suarez,  dans  la  revue  Etudes  religieuses, 
historiques  et  littéraires,  1866,  t.  XI,  p.  6). 


416  ARTICLE    III.    CHAPITRE    IV.    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

par  le  peuple.  Mais  cette  intervention  populaire  n'est  qu'un  trompe- 
l'œil,  car  le  consentement  est  donné  une  fois  pour  toutes  et  la  combi- 
naison aboutit  au  plus  affreux  despotisme  :  le  souverain,  qu'il  s'appelle 
roi  ou  peuple,  a  un  pouvoir  illimité  et  irresponsable. 

Cette  conception  est  tellement  artificielle  que  son  inventeur  n'a 
pu  la  soutenir  quand  il  s'est  heurté  à  des  faits  bien  circonscrits.  En 
vient-il  à  traiter  du  pouvoir  paternel  et  domestique  à  propos  de  la 
famille  et  de  l'esclavage  ?  il  ne  nous  présente  plus  un  contrat  entre 
sujets,  mais  entre  supérieurs  et  inférieurs,  les  parents  et  les  enfants, 
les  conquérants  et  les  conquis  auxquels  le  vainqueur  a  accordé  la  vie 
par  clémence  ^. 

Aussi  bien,  le  contrat,  tel  que  Hobbes  l'a  rêvé,  n'a-t-il  laissé  aucune 
trace  de  son  existence  dans  l'histoire.  La  cellule  sociale  ce  n'est  pas 
l'individu  ^,  mais  la  famille  ou  quelque  groupement  plus  complexe 
comme  la  horde  ou  la  tribu.  Ce  qui  est  vrai  c'est  qu'à  l'origine  de 
toute  union  sociale  il  y  a  un  contrat  entre  sujets  et  souverain,  et  non, 
comme  Hobbes  le  soutient,  entre  sujets.  De  plus  (sans  compter  d'autres 
différences),  le  contrat  social,  d'après  le  philosophe  anglais,  est  tou- 
jours formel  et  explicite.  Il  avait  absolument  besoin  de  cette  hypo- 
thèse pour-étayer  son  système.  Mais,  dans  la  réahté,  le  contrat  est  le 
plus  souvent  tacite.  On  ne  le  trouve  formulé  expressément  que  chez 
les  peuples  qui  ont  déjà  atteint  un  haut  degré  de  civilisation. 

Ce  que  l'on  vient  de  dire  du  contrat  social  convient  plus  encore 
à  «  l'état  de  nature  »,  étrange  fiction  de  l'imagination  hobbienne. 
Sur  ce  point,  l'attitude  de  notre  théoricien  est  plutôt  équivoque. 
On  prétend  assez  généralement,  pour  le  défendre,  qu'il  n'a  pas  visé 
à  faire  un  exposé  historique  de  la  genèse  de  la  société,  mais  seulement 
une  analyse  philosophique  des  éléments  qui  la  constituent  et  des 
rapports  qu'ils  doivent  soutenir  logiquement  entre  eux. 

Fort  bien,  car  Hobbes  confesse  que  l'état  de  nature  n'a  existé, 
à  aucune  époque,  d'une  façon  universelle  ^.  Mais  «  il  parle  habituelle- 
ment comme  si  cet  état  était  l'antécédent  invariable  de  toute  com- 
munauté de  citoyens  »  *.  On  remarque  d'ailleurs,  dans  son  œuvre, 
comme  des  échappées  où  il  affirme  que  l'état  de  nature  a  réellement 
existé  ici  et  là,  et  même  qu'il  existe  encore  présentement.  Après  avoir 
rappelé  que  Caïn  tua  Abel  par  envie,  impunément,  il  ajoute  :  ((  Est-ce 
qu'aujourd'hui  on  ne  vit  pas  de  la  sorte  en  beaucoup  d'endroits  ?  ^  » 

1.  Cf.  Leviathan,  C.  XX.  —  De  Cive,  C.  VIII,  IX.  —  De  Corpore  politico,  II  P.,  Ch. 
III,  IV. 

2.  Later  researches  hâve  confirmed  Ai-istotle's  view  that  we  cannot  trace  iTian 
behind  the  niost  elenientary  xoivcovtai  or  social  ties  (W.  J.  H.  Campiqn,  Outlines  of 
Lectures...,  Lect.  III,  p.  19). 

3.  QuaTiquam  autem  tenipus  nunquam  fuerit,  in  que  unusquisque  uniuscujusque 
hostis  erat,  reges  tamen  et  persoixse  summam  habentes  potestatem  omni  tempore  hostes 
inter  se  sunt.  (Hobbes,  Leviathan,  C.  XIII,  Opéra,  t.  III,  p.   101). 

4.  Further,  he  habitually  speaks  of  it  as  the  invariable  antécédent  of  ail  civil  com- 
munity.  (Campion,  Outlines  o)  Lectures...,  Lect.  III,  p.  16). 

5.  Quid,  nonne  fratrem  suum  Abelem  invidia  interfecit  Gain,  tantum  facimus  non 
ausurus,  si  coniniunis  potentia,  quse  vindicare  potuisset,  tune  extitisset.  Nonne  hodie 
multis  in  locis  ita  vivitur  ?  Americani...  (Leviathan,  C.  XIII,  Opéra,  t.  TU,  p.  101). 


§    E.    SYSTÈME    POLITIQUE  417 

3t  il  apporte  en  preuve  les  tribus  sauvages  de  l'Amérique.  Bien  plus, 
même  parmi  les  races  civilisées,  il  découvre  encore  des  restes  de  cette 
iéfiance  mutuelle  qui  caractérise  l'état  de  nature  :  «  Car,  songez-y  bien, 
pourquoi,  partant  en  voyage,  cherchez-vous  des  compagnons  et  portez- 
vous  des  armes  ?  pourquoi,  au  moment  d'aller  dormir,  fermez-vous 
[es  portes  et  les  coffres  ?  et  cela  malgré  la  sauvegarde  des  lois  et  des 
agents  armés  pour  venger  toute  violence  !  Quelle  opinion  avez-vous 
ionc  de  vos  concitoyens,  voisins  et  domestiques  ?  ^  »  Même  attitude 
ié fiante  de  nation  à  nation.  «  Car  toujours  les  rois  se  suspectent 
mutuellement,  debout  comme  des  gladiateurs,  l'arme  au  bras  et 
['œil  au  guet  :  je  veux  dire  qu'ils  étabhssent,  à  la  frontière,  des  châ- 
teaux-forts et  des  garnisons,  et  qu'ils  envoient  des  espions  explorer 
secrètement  le  territoire  ennemi.  N'est-ce  pas  l'état  de  guerre  ?  '^  » 

Cet  état  de  nature  non  seulement  n'a  pas  existé  en  fait  (car,  comme 
[e  remarque  justement  Croom  Robertson,  «  comment  aurait-il  existé 
[quelque  part,  puisqu'il  y  a  toujours  eu,  sinon  des  maîtres,  au  moins 
ies  pères?  )>)  ^  ;  mais  il  implique  contradiction.  C^  prétendu  état  de 
nature  est  contre  nature.  Les  raisons  qui,  d'après  Hobbes,  le  font 
cesser,  devaient  l'empêcher  de  naître.  Jouffroy  le  .prouve  ainsi  en 
ijubstance.  Si  c'est  le  calcul  de  leur  intérêt  qui  a,  comme  il  l'affirme, 
poussé  les  hommes  à  passer  de  l'état  de  nature  ou  de  guerre  à  l'état 
ie  société  ou  de  paix,  ce  même  calcul  a  dû  rendre  impossible  l'état 
de  nature.  Car,  .si  l'homme  est  capable  de  voir  que  l'état  de  guerre 
est  de  tous  le  pire,  parce  que  le  plus  nuisible  à  l'intérêt  de  chacun, 
somment  l'égoïsme,  qui  a  conduit  l'homme  à  cette  vérité,  a-t-il  eu 
pour  conséquence  l'état  de  guerre  qui  est  contraire  à  cette  même  vérité, 
3t  non  l'état  de  paix  qui  lui  est  conforme  ?  * 

Supposons  un  instant  que  cet  état  de  nature  ait  existé.  Jamais 
['homme  primitif,  tel  que  Hobbes  le  conçoit,  n'aurait  pu  en  sortir, 
3ar  ce  philosophe  en  a  fait  un  être  si  foncièrement  égoïste,  individua- 
liste, anarchique,  c'est-à-dire  insociabie,  qu'il  n'aurait  jamais  pu 
parvenir  à  l'état  social,  lequel  exige  des  sujétions  pénibles  et  impose 
d'incessants  sacrifices  au  bien  commun. 

A  voir  les  paradoxes  spécieux,  dont  la  théorie  pohtique  de  Hobbes 
est  émaillée,  on  pourrait  s'imaginer,  de  prime  abord,  que  Fauteur 
n'a  cherché  qu'à  faire  montre  de  sa  souplesse  dialectique.  Ce  serait 
méconnaître  complètement  ses  intentions.  Le  De  Cive  et  le  Liviathan 
sont  des  œuvres  militantes  visant  un  résultat  pratique,  la  défense  et 

1.  Cogita  enim,  quando  iter  ingrederis,  cur  comités  quaeris,  arma  gestas  ;  qiiando 
lormituiii  is,  fores  claudis,  arcas  obseras,  idque  legibus  et  ministris  arniatis  ad  omnem 
l'iolentiam  ulciscendam  paratis,  qiialem  habeas  opinioneni  de  concivibus,  de  vicinis 
3t  de  domesticis.  ( Leviathan,  C.  XIII,  t.  III,  p.   100). 

2.  Semper  enim  [reges]  alii  aliis  siispecti  sunt,  more  stantes  gladiatorio,  armis  ocvilis-, 
que  intentis,  id  est  castellis  et  prsesidiis  ad  confinia  collocatis,  et  exploratoribus  inj 
hostico  latitantibiis,  quae  est  conditio  belli.  (Leviathan,  C.  XIII,  t.   III,  p.   101). 

3.  ...  But  how  [tho  State  of  nature]  could  it  ever  hâve  existed  in  fact,  when  there 
never  was  a  time  that  there  were  no  ma^ters,  or  at  least  fathers  ?  (Croom  Robertson, 
Hobbes,  Ch.  VI,  p.  146,  au  haut). 

4.  Jouffroy,  Cours...,  Leçon  XII,  T.  I,  p.  356. 

27 


418  ARTICLE    m.   —   CHAPITRE    IV.   CRITIQUE    DU    HOBBISME 

(  l'apologie  des  Stuarts.  Elles  représentent  l'effort  le  plus  osé  et  le  plus 
considérable  qu'on  ait  jamais  tenté  en  faveur  de  l'absolutisme  et  de 
la  tyrannie.  Je  ne  dis  pas  la  monarchie  absolue,  car,  dans  certaines 
conditions  de  temps,  de  lieux  et  de  personnes,  un  pouvoir  monar- 
chique absolu  peut  avoir  sa  raison  d'être  et  se  rendre  bienfaisant. 
Mais  la  doctrine  hobbienne  prétend  justifier  et  elle  se  complaît  à 
exalter  le  despotisme  le  plus  rigide  et  le  plus  dégradant,  le  plus  uni- 
versel qu'on  puisse  concevoir.  Aucune  branche,  de  l'activité  humaine 
n'est  soustraite  à  son  empire.  L'enseignement  de  Jésus-Christ  avait 
hbéré  les  âmes  du  joug  intolérable  qui  pesait  sur  elles,  depuis  que  le 
paganisme  concentrait  dans  les  mêmes  mains  le  pouvoir  temporel 
et  le  spirituel.  Faisant  reculer  la  civihsation  de  plusieurs  siècles,  le 
théoricien  de  l'absolutisme  soumet  brutalement  à  l'État  laïque  les 
consciences,  la  morale  et  la  rehgion.  Doctrine  monstrueuse. 

On  dirait  que  son  auteur  en  a  eu  le  sentiment.  Car  le  titre  même 
(Léviathan),   qu'il  a  choisi  pour  en  exposer  l'ensemble,  et  l'image 
symbohque  qu'il  a  placée  au  frontispice  éclairent  d'un  jour  sinistre. 
le  dessein  qu'il  a  poursuivi,  à  travers  ses  audacieuses  déductions,  avec 
une  sérénité  imperturbable. 

La  gravure,  qui  précède  le  hvre,  est  divisée  en  deux  parties.  Le  haut 
représente  un  géant  couronné,  tenant  l'épée  d'une  maih,  et  de  l'autre, 
la  crosse.  On  n'aperçoit  que  son  buste,  composé  d'une  multitude 
d'hommes  minuscules  :  il  se  dresse,  à  l'horizon,  derrière  les  monts 
et  les  plaines,  où  sont  parsemés  villes  et  hameaux,  églises  et  châteaux- 
forts.  Le  bas  de  la  gravure  comporte  deux  séries  d'emblèmes,  qui  se 
font  pendant  et  forment  contraste  :  d'abord  une  forteresse  et,  en  face, 
une  cathédrale  ;  puis,  une  couronne  et  une  mitre  ;  une  pièce  d'artillerie 
et  les  foudres  de  l'anathème  ;  des  trophées  d'armes,  de  drapeaux 
et  les  symboles  du  syllogisme,  du  dilemme,  etc.  ;  enfin,  une  bataille 
et  un  concile. 

Toute  cette  symbohque,  minutieusement  combinée  par  l'auteur, 
indique  clairement  l'^^prit  du  système  et  son  caractère  factice. 

Dans  l'Introduction  du  livre,  Hobbes  exphque  que  le  Léviathan 
signifie  l'homme  artificiel  que  l'Art  humain  a  réussi  à  produire. 
Déjà  notre  industrie  fait  merveille,  quand  elle  construit  ces  automates 
qui  ont  une  vie  mécanique  et  auxquels  des  rouages  et  des  ressorts 
tiennent  lieu  de  cœur,  de  nerfs  et  d'articulations.  «  Mais  l'art  va  plus 
loin  encore,  quand  il  imite  ce  rationnel  et  très  excellent  ouvrage  de  la 
nature,  VHomme.  Car  c'est  l'art  qui  a  créé  ce  grand  Léviathan, 
qu'on  appelle  Réjmhlique  ou  État  (en  latin  Civitas)  :  il  n'est  pas  autre 
chose  qu'un  homme  artificiel,  quoique  sa  stature  et  sa  force  soient 
plus  grandes  que  celles  de  l'homme  naturel,  pour  la  protection  et  la 
défense  duquel  il  a  été  voulu.  La  Souveraineté  lui  est  une  mne  artifi- 
cielle, en  tant  qu'elle  communique  vie  et  mouvement  au  corps  entier  ; 
les  magiatrais  et  autres  officiers  de  judicature  et  d'exécution  sont  les 
jointures  artificielles  ;  la  récompense  et  le  châtiment  (par  lesquels, 
attachés  au  siège  de  la  souveraineté,  chaque  joi^iture  et  chaque  membre 
sont  mus  pour  accomphr  leur  devoir)  sont  les  nerfs,  qui  remphssent 
la  même    fonction    que  dans  le  corps  naturel  ;  la  prospérité  et  les 


XoTt est iwteàtas  Snper  Terrant,  qiut  Comjforertn  et  —Job  xli  '24 


§    E.    —    SYSTÈME    POLITIQUE  419 

richesses  de  tous  les  membres  particuliers  constituent  la  force  ;  le 
salut  du  peuple  est  Voccupation  ;  les  coîiseillers,  qui  suggèrent  toutes 
les  choses  qu'il  est  nécessaire  de  connaître,  sont  la  mémoire  ;  V équité 
et  les  lois  font  l'office  de  la  raison  et  de  la  volonté  ;  la  concorde,  c'est  la 
santé  ;  là  sédition,  la  maladie  ;  et  la  guerre  civile,  la  mort.  Enfin  les 
pactes  et  les  contrats,  par  lesquels  les  parties  de  c«  Coips  politique 
furent  pour  la  première  fois  formées,  mises  ensemble  et  unies,  ressem- 
blent au  Fiat  ou  au  Faisons  V homme,  que  Dieu  prononça  au  moment 
de  la  Création  »  ^. 

Cette  comparaison  du  corps  politique  au  corps  humain  n'est  pas 
nouvelle.  On  la  trouve  dans  le  Polycraticus  de  Jean  de  Salisbury, 
qui  étudia  à  l'université  de  Paris  et  mourut,  en  1180,  évêque  de 
Chartres  ^.  Il  l'avait  empruntée  à  un  traité  qu'il  attribuait  à  Plu- 
tarque  :  Institutio  Trajanr^.  Hobbes  connaissait  très  probablement 
le  Polycraticus  et  lui  doit  sans  doute  l'idée  de  cette  analogie  qu'il  a 
ingénieusement  développée  au  début  du  Léviathan.  EUe  sert  de  cadré 
à  son  travail  ;  c'est,  si  l'on  préfère,  une  parure,  un  enjolivement 
appliqué  au  dehors  ;  car  elle  n'a  pas  eu  d'influence  sur  le  fond  même 
de  sa  pensée.  Ce  qui  n'empêche  pas  du  reste  le  système  de  rester  arti- 
ficiel et  arbitraire,  surtout  à  cause  de  la  conception  fantaisiste  de  l'état 
de  nature  et  du  contrat  social  qui  en  sont  les  assises  fondamentales. 
Au  moment  où  Hobbes  écrivait,  la  science  était  dominée  par  la  préoccu- 

1.  Ait  goes  yet  fiirther,  imitating  that  rational  and  most  excellent  work  of  nature, 
Man.  For  by  art  is  created  that  gi'eat  Léviathan  called  a  CommonweaUh  or  State,  in 
latin  Civitas,  which  is  but  an  artificial  man  ;  though  of  greater  stature  and  strength 
than  the  natural,  for  whose  protection  and  defence  it  was  intended  ;  and  in  which  the 
aovereignty  is  an  artificial  soul,  as  giving  life  and  motion  to  the  whole  body  ;  tho  magis- 
trales and  other  officers  of  judicature  and  exécution,  artificial  joints  ;  reward  and 
punishment,  by  which  faste ned  to  the  seat  of  the  so\'ereignty  every  joint  and  member 
is  moved  to  perform  lois  diity,  are  the  nerves,  that  do  the  same  in  the  body  natiu-al  ^ 
the  icealth  and  riches  of  ail  the  particular  menibers,  are  the  strength  ;  salus  populi,  the 
people's  safety,  its  business  ;  counsellors,  by  whom  ail  things  needful  for  it  to  know  are 
suggested  unto  it,  are  the  memory  ;  equity  and  laws,  an  artificial  reason  and  will  ; 
concord,  hcalth  ;  sédition,  sicJcness  ;  and  dvil  war,  death.  Lastly,  the  pacts  and  covetiants, 
by  whicli  the  parts  of  tliis  Body  politic  were  at  first  made,  set  together  and  united, 
resemble  that  Fiat  or  the  Lct  ks  niake  inan,  pronounced  by  God  in  the  Création.  (Hob- 
bes, Léviathan,  Introduction,  Works,  t.  III,  p.  ix-x.  —  Opéra,  t.  III,  p.  1-2). 

2.  Voici  le  curie\ix  passage,  où  Jean  de  Salisbury  donne  cette  comparaison  d'après 
Plutarque  :  Ea  vero,  quœ  ciiltum  religionis  in  nobis  instituunt  et  informant,  et  Dei  (ne 
secundum  Plutarchum  deorura  dicam)  cseremonias  tradunt,  viccm  animai  in  corpore 
Reipublicse  obtinent...  Princeps  vero  capitis  in  Republica  obtinet  locum,  uni  subjectus 
Deo  et  his  qui  vices  illius  agunt  in  terris,  quoniam  et  in  hoc  humano  corpore  ab  anima 
yegetatur  caput  et  regitur.  Cordis  locum  senatus  obtinet,  a  quo  bonorum  operum  et 
malorum  procedunt  initia.  Oculorum,  aurium  et  linguae  officia  sibi  vindicant  judices  et 
prsesides  provinciarum.  Officiales  et  milites  manibus  coaptantur.  Qui  semper  assistunt 
principi,  lateribus  assimilantur.  Qusestores  et  commentarienses,  non  illos  dico  qui  car- 
ceribus  prsesunt,  sed  comités  rerum  privatanim  ad  ventris  et  intestinorum  refert 
imaginem.  Quaesi  immensa  aviditate  congesserint  et  congesta  tenacius  réserva verint, 
innumerabiles  et  incurabiles  générant  morbos,  ut  vitio  eorum  totiiis  corporis  ruina 
immineat.  Pedibus  vero  solo  jugiter  inhaerentibus  agricolœ  coaptantur...  (Joannes 
Saresberiensis,  Polycraticus,  L.  V,  C.  II,  dans  Migne,  Patrologia  lalina,  t.  199,  col. 
540-  541). 

3.  Il  n'en  existe  que  les  fragments  conservés  par  J.  de  Salisbiu-y  et  qui  ont  été  réunis 
dans  l'édition  de  Plutarque  par  Fb.  Diibneb,  T.  V,  p.  59-6<),  Paris,  1S55. 


420  ARTICLE    III.    —    CHAPITRE    IV.    —    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

pation  des  lois  physiques  de  la  nature.  Aussi  est-ce  à  leur  image 
qu'il  se  représente  les  lois  qui  régissent  l'homme  et  la  société.  Le 
mécanisme  matérialiste  fut  donc  en  politique,  comme  il  avait  été 
en  morale,  en  psychologie  et  en  physique,  son  étoile  directrice.  Mais 
concevoir  la  société  comme  un  organisme,  dont  tous  les  organes 
sont  sohdaires,  et  la  vie  sociale  comme  la  résultante  harmonieuse 
de  leurs  diverses  fonctions,  n'est  devenu  à  la  mode  qu'au  xix^  siècle, 
à  cause  des  grands  progrès  accomplis  par  la  biologie.  C'est  ainsi  que 
la  comparaison  «  organique  »  a  supplanté  la  comparaison  «  méca- 
nique ».  La  première  est  mieux  appropriée  et  plus  adéquate  au  sujet 
que  la  seconde.  Cette  assimilation  peut  donner  quelques  bons  résul- 
tats, pourvu  qu'on  n'oublie  point  que  c'est  une  simple  analogie  et 
qu'on  ne  pousse  pas  les  rapprochements  jusqu'à  la  minutie  ^,  au  lieu 
de  s'en  tenir  à  de  prudentes  généralités. 

Quant  à  l'esprit  de  l'ouvrage,  la  gravure  le  symbolise  aussi  admira- 
blement :  c'est  l'emblème  expressif  du  despotisme  préconisé  par 
Hobbes  2.  Car  «  Léviathan,  l'homme  fabriqué  par  un  art  qui  s'inspira 
des  créations  de  la  grande  nature,  est  une  puissance  colossale  en 
laquelle  se  concentrent  toutes  les  énergies  humaines  ;  qui  possède  et 
brandit  les  ^-rmes  religieuses  non  moins  que  les  séculières  ;  qui  dispose 
des  corps  par  la  force  miUtaire,  des  âmes  et  des  croyances  par  l'au- 
torité sacerdotale  »  ^.  Bref,  le  Léviathan  est  un  dieu  mortel,  «  maître 
des  corps  et  des  âmes  de  ceux  dont  l'assemblage  forcé  constitue  sa 
propre  puissance  »  *. 
j      Comment  notre  philosophe  a-t-il  pu  en  venir  à  cette  conception 

I  révoltante  ?  Les  temps  troublés  où  il  a  vécu  y  contribuèrent  dans 
une  certaine  mesure.  Par  goût  et  par  position  (il  a  passé  presque 
toute  sa  vie  comme  précepteur  et  secrétaire  dans  la  haute  domesti- 

|Cité  d'une  famille  aristocratique)  Hobbes  était  du  parti  des  Stuarts, 
souverains  absolus.  Les^sombrçspemtu^^  l'état 

de  nature,  sont  un~réfIèt~^Hès~Impressions  qu'avaie  provoquées, 
dans  son  âme  les  Tîorreurs  de  laTguërre^cîviler  les  proscriptions,  les 
massacres71a  mort  du  roITCes  exiiès-jdeJat-cévolution  ne  firent  que  for- 
tifier ses  préférences  antérieures.  La  cause  du  mal  est  dans  le  renver- 
sement de  Ta  souvéràîîiêté  consacrée  par  l'histoire.  Les  hommes, 
avec  leurs  passions  indomptées,  ne  peuvent  trouver  la  paix  que 
maîtrisés  énergiquement  par  un  pouvoir  illimité  et  indiscuté  ^.  Hobbes 
ne  connaît  pas  d'autre  digue  qui  puisse  arrêter  la  révolution  débor- 
dante.  Pas  de  milieu   entre  le  gouvernement  absolu  et  l'anarchie. 

II  faut  choisir  l'un  des  termes  de  l'alternative.  Voilà  l'argument 
qui  revient  sans  cesse  dans  le  Léviathan.  Il  est  décisif  aux  yeux  dé 
Hobbes,  parce  que  le  partage  de  la  souveraineté  entre  le  Parlement 

1.  M.  Jean  Izoulet.  dans  La  Cité  moderne  et  la  Métaphysique  de  la  Sociologie  (Paris, 
1894)  n'a  pas  su  éviter  cet  écueil. 

2.  Cette  grav'Tire  est  d'une  «  signification  claire  et  barbare  ».  (Renouvier,  Philosophie 
analytique  de  l'Hisoire,  t.  UT.  p.  445). 

3.  G.  Lyon,  La  Philosophie  de  Hobbes,  Ch.  I,  p.  18. 

4.  RENOÙvaER,  Philosophie  analytique...,  t.  III,  p.  445. 

5.  Hobbes,  De  Cive,  C.  VI.  —  Léviathan,  C.  XVIII, 


§    E.    — ■    SYSTÈME    POLITIQUE  421 

et  le  Roi  est  une  contradiction  dans  les  termes.  Car,  dit-il,  appliquant 
de  travers  le  mot  de  l'Evangile,  «  on  ne  peut  servir  deux  maîtres  ». 
Si  Hobbes  avait  vécu  une  décade_de  plus,  il  aurait  vu_  s'effondrer 

avec  fracas  l'échâtaudage  laborieux  deses  rêves  politiques  et  s'élever      / 

sur  leurs  ruines  la  forme  mîxtë^de  gouverîTemenf  qu'il  avait  déclarée 
impossible.  On  a  dit  quelquefois,  pour  l'excuser,  qu'il  ne  serait  «  pas 
raisonnable  »  ^  d'exiger  de  lui  qu'il  eût  prévu  cette  dernière  solution. 
Pourquoi  non,  quand  on  se  rappelle  que  les  philosophes  scolastiques 
sont  unanimes  à  enseigner,  avant  comme  après  Hobbes,  que  la  monar- 
chie tempérée  est  en  soi  la  meilleure  forme  de  gouvernement  i 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  le  Léviathan  n'est  qu'une 
œuvre  de  circonstance,  sorte  de  pamphlet  politique  pour  préparer 
la  restauration  de  la  monarchie  absolue.  Il  doit  sans  cloute  aux  événe- 
ments agités,  au  milieu  desquels  il  a  été  écrit,  une  couleur  locale 
qui  a  son  charme.  Mais,  dans  son  ensemble,  c'est  une  œuvre  durable, 
à  longue  portée,  d'une  puissante  unité.  Architecte  audacieux,  Hobbes, 
avec  des  éléments  simples,  a  bâti,  d'après  un  plan  nouveau,  tout  l'édi- 
fice de  la  vie  individuelle  et  de  la  \  ie  sociale.  Cette  construction  assu- 
rément porte  à  faux,  mais  elle  dénote  un  pouvoir  Imaginatif  extraor- 
dinaire. On  y  découvre  aussi  çà  et  là  quelques  manques  de  liaison 
et  de  cohérence.  Mais,  étant  donnés  les  matériaux  choisis  par  Tauteur, . 
on  ne  peut  qu'admirer  la  vigueur  dialectique  .avec  laquelle  il  les  a  fait 
mouvoir  et  les  a  disposés  en  vue  de  la  fin  poursuivie. 

Hobbes  a  emprunté  à  Bacon  ^  cette  formule  saisissante  :  a  L"on  a  dit 
à  bon  droit  l'un  et  l'autre  mot  :  L'homme  est  pour  Vhojnme  un  dieu, 
et  Vhormne  est  pour  Vliomme  un  loup.  Homo  homini  deus,  et  homo 
homini  lupus  »  ^.  Trop  souvent  on  a  travesti  la  pensée  de  notre  phi- 
losophe en  ne  retenant  que  le  dernier  membre  de  l'antithèse.  La  morale 
de  Hobbes  est  assurément  bien  défectueuse,  puisqu'elle  ravale  la 
nature  humaine  à  l'animalité  en  niant  toute  inclination  généreuse 
et  désintéressée.  Cependant  c'est  pousser  trop  au  noir  son  pessimisme 
que  de  lui  faire  dire  :  L'homme,  en  toute  hypothèse  et  rencontre, 

1.  It  would  be  xinreasonable  to  expect  him  to  hâve  foreseen  the  actual  solution  of  the 
problem  of  sovereignty  in  a  constitiitional  monarchy,  in  a  more  truly  démocratie  and 
i-epresentative  form  of  government  in  which  the  seat  of  sovereignty  is  found  rather  in 
ParHament  than  in  the  King.  (J.  Seth,  English  Philosophers...,  P.  I,  C.  II,  ji.  75,  circa 
principnim). 

2.  Bacon,  De  dlgnitate  et  augmentis  s'Aentiaruni,  L.  VI,  C.  m.  Parmi  les  Exempla 
Antithetorum,  §  20,  Justitia,  on  trouve  celui-ci  :  Justitiœ  debetur  quod  homo  homini 
ait  Deus,  non  lupus.  —  Works,  Edit  Spedding,  T.  I,  p.  696.  —  Edit.  Boutllet,  T.  I, 
p.  330. 

3.  Profecto  utrumque  vere  dictum  est  :  Homo  homini  Deus,  et  Homo  homini  lupus. 
Illud,  si  concives  inter  se  ;  hoc,  si  civitates  comparomus.  Illic  justitia  et  charitate,  vir- 
tutibus  pacis,  ad  similitudinem  Dei  acceditur;  hic,  propter  malorum  pravitatem,  recur- 
rendum  etiam  bonis  est,  si  se  tueri  volunt,  ad  virtutes  bellicas,  vim  et  doluin,  id  est 
ad  ferinam  rapacitatem.  (Hobbes,  De  Cive,  Dédicace  au  comte  de  Devonshire,  Opéra,. 
t.  II,  p.  135  136).  Cette  antithèse  exprime  fort  bien  le  contraste  que  Hobbes  a  voulu  établir 
entre  l'état  de  nature  et  l'état  de  société.  On  peut  donc  l'utiliser  dans  ce  but,  mais  en 
faisant  remarquer  que  Hobbes,  comme  le  montre  clairement  son  commentaire  de 
l'antithèse,  n'avait  point  ici  cette  application  on  vue. 


422  ARTICLE    III.    —    CHAPITRE    IV.    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

est  un  loup  pour  l'homme.  La  maxime  :  Homo  homini  lupus  résume 
très  bien  la  misère  extrême  de  l'état  de  nature  qu'il  a  imaginé  et  défini  : 
la.  guerre  de  tous  contre  tous.  Mais  l'autre  membre  :  Homo  homini 
Deus  exprime  la  merveilleuse  transformation  que  l'établissement 
de  la  société  civile  a  opérée  dans  les  conditions  de  la  vie  humaine. 
Avant,  l'homme  apparais'sait  à  l'homme  comme  un  fauve  ;  après,  il 
'  lui  est  apparu  comme  un  Dieu. 

Hobbes  s'est  complu  à  tracer  un  parallèle  suivi  entre  l'état  de 
nature  et  l'état  de  société  :  «  Hors  de  la  société  civile,  chacun  jouit 
de  la  hberté  la  plus  entière  ;  mais  c'est  une  hberté  infructueuse,  parce 
que,  si  elle  nous  permet  de  faire  tout  ce  que  bon  nous  semble,  elle 
laisse  aux  autres  le  pouvoir  de  nous  faire  pâtir  tout  ce  qui  leur  plaît. 
Mais,  l'État  une  fois  constitué,  chacun  ne  garde  de  hberté  que  la 
quantité  suffisante  pour  vivre  commodément  et  en  paix,  comme 
on  n'en  ôte  aux  autres  que  la  quantité  qui  les  rendrait  redoutables. 

—  Hors  de  la  société,  chacun  a  tellement  di'oit  à  toute  ohose  qu'il  ne 
peut  cependant  jouir  d'aucune.  En  société,  chacun  jouit  paisiblement 
d'un  droit  déterminé.  —  Hors  de  la  société,  chacun  peut  être  dépouillé 
et  tué  légitimement  par  n'importe  qui.  En  société,  on  ne  peut  l'être 
que  par  un, seul.  —  Hors  de  la  société,  nos  seules  forces  nous  pro- 
tègent. En  société,    celles  de  tous.  —  Hors  de  la  société,  le  fruit  du 

.  travail  industrieux  n'est  garanti  à  personne.  En  société,  il  l'est  à  tous. 

—  Enfin,  hors  de  la  société,  c'est  l'empire  des  passions,  la  guerre, 
la  crainte,  la  pauvreté,  la  laideur,  la  sohtude,  la  barbarie,  l'ignorance, 
la  férocité.  En  société,  c'est  l'empire  de  la  raison,  la  paix,  la  sécurité, 
les  richesses,  le  décorum,  les  relations,  l'élégance,  les  sciences,  la  bien- 
veillance »  ^. 

VI.    —    HOBBES    ÉCRIVAIN. 

Hobbes  était  très  laborieux.  Ce  n'était  pas  un  grand  liseur,  mais 
un  esprit  méditatif.  Il  avait  coutunie  de  dii-e  :  «  Si  j'avais  lu  autant 
qu«  les  autres  hommes,  je  continuerais  encore  à  être  aussi  ignorant 
que  les  autres  hommes  ».  Son  ami  Aubrey  nous  a  transmis  quelques 
détails  savoureux  sur  la  façon  dont  il  prépara  la  composition  du 
Léviailmn.  Il  se  promenait  beaucoup  et  contemplait.  La  pomme  de 
sa  canne  contenait  une  plume  et  un  encrier.  Il  avait  dans  sa  poche 

1.  Extra  statum  civitatis,  uniisquisqiie  libertatem  habet  mtegerrimam  quidem,  sed 
infructuasam,  propterea  quod  qui  proptei"  libertatem  suam  omnia  agit  arbitrio  suo, 
propter  libertatein  aliorum  omnia  patitiir  arbitrio  alieno.  At,  civitate  constitmta, 
unusquisque  civiiim  tantum  libertatis  sibi  retinet,  quantum  sufficit  ad  bene  et  tran- 
quille vrivendum  ;  tantum  item  aliis  adimitur  ut  non  sint  metuendi.  Extra  civitatem, 
uTii«uique  jus  est  ad  omnia,  ut  tamen  nulla  re  frui  possit.  In  civitate  vero  unusquisque 
Suite  jure  secure  fruitur.  Extra  civitatem,  quilibet  a  quolibet  jure  spoliari  et  occidi 
potcst.  In  civitate  ab  uno  tantiun.  Extra  civitatem,  propriis  tantum  viribus  protegi- 
Qiur,  in  civitate,  omnium.  Extra  civitatem,  fructus  ab  industria  nemiui  certus  ;  in 
civitate,  Mîinibus.  Denique,  extra  civitatem,  imperium  afïectuum,  bellum,  metus, 
paupert^s,  f œditas,  solitude,  barbaries,  ignorantia.,  feritas.  In  civitate,  imperium  ratio» 
nia,  pax,  sewaaritas,  divitiae,  ornatus,  soeietas,  elegantia,  scientise,  benevolentia.  (D9 
Cive,  C.  X,  §  1,  circa  principium). 


§   F.    —   HOBBES    ÉCRIVAIN  423 

un  carnet  de  notes,  et  à  mesure  qu'une  pensée  se  présentait,  il  avait 
soin  de  la  noter  sur  ce  carnet,  de  peur  de  la  perdre  '-. 

Si  le  penseur  est  très  contesté  2,  sur  l'écrivain,  en  revanche,  le 
concert  d'éloges  est  unanime.  Son  style  est  un  admirable  insti^ument 
d'exposition  pliilosopMque.  Aucun  auteur  anglais  ne  lui  est  compa- 
rable pour  la  clarté  et  là  force.  Il  a  dit,  sans  doute  avec  une  arrière- 
pensée  d'ironie,  en  parlant  de  son  style  :  k  II  est  mau^'ais,  parce  que, 
en  écrivant,  j'ai  consulté  la  logique  plus  que  la  rhétorique  »  ^.  Cette 
confession'  nous  révèle  le  secret  de  son  mérite  Littéraire  :  il  n'a  pas 
cherché  dans  les  mots  une  parure  qui  distrait  du  fond  des  choses, 
mais  une  traduction  lucide^  et  vigoureuse  de  sa  pensée. 

Quelques  déficits  sont  la  rançon  de  ses  qualités.  Les  sujets  qu'il 
traite  ne  comportent  pas  les  élans  du  cœur  ni  l'éclat  des  vives  images. 
On  aimerait  cependant  à  rencontrer  dans  son  œuvre  quelques  pages 
émouvantes,  et  l'on  regrette  que  son  imagination  ait  des  teintes  si 
ternes,  surtout  si  l'on  songe  aux  briUantes  envolées  de  Bacon.  Mais, 
comme  son  maître,  il  exceUe  à  ramasser  tout  un  développement  dans 
une  formule  lapidaire. 

Quand  il  s'agit  de  juger  la  valeur  esthétique  d'un  écrivain  étranger, 
rien  ne  vaut  l'appréciation  d'un  compatriote  éclairé.  Aussi  ferai-je 
appel  au  témoignage  de  Mr.  W.  R.  Sorley,  fellow  de  King's  Collège, 
professeur  de  Philosophie  morale  à  Cambridge.  Il  compare  en  ces 
tenues  quatre  des  plus  illustres  prosateurs  anglais  :  (f  Bacon,  Hobbes, 
Berkeley  et  Hume  —  pour  ne  mentionner  que  les  plus  grands  noms 
—  doivent  être  comptés  parmi  les  maîtres  du  langage,  partout  où 
le  langage  est  considéré  comme  le  transmetteur  de  l'idée.  Et,  dans 
chaque  cas,  le  style  a  une  quahté  individuelle,  qui  est  appropriée 
à  la  pensée  et  à  l'époque.  L'opulence  d'images  étalée  par  Bacon  et 
l'allusion  significative  aux  mondes  nouveaux,  où  l'esprit  de  l'homme 
a  pénétré  et  qu'il  est  en  train  de  conquérir,  ont  la  magie,  non  de  l'en- 
chantement, mais  de  la  découverte.  Une  plus  grande  précision  et 
sobriété  d'images  ne  conviendraient  point  au  pionnier  d'une  si  vaste 
entreprise.  L'éloquence  musicale  de  Berkeley  est  l'expression  d'une 
âme  ravie  dans  une  claire  vision  et  capable  de  lire  le  langage  de  Dieu 
dans  la  forme  et  les  événements  du  monde.  Hume  écrit  avec  la  luci- 
dité impassible  de  l'observateur,  tout  entier  à  la  recherche  de  lu,  per- 
fection technique  dans  la  manière  d'exprimer  sa  pensée. 

«  Hobbes  diffère  de  tous  trois,  et  dans  son  genre  propre,  il  s'élève 
au   degré  suprême.   Chez  lui,  pas  d'excès  d'images  ni  d'allusions  ; 

1.  He  had  read  much.  if  one  considers  his  long  lifo,  but  his  contempkition  was 
much  more  than  liis  reading.  He  vras  woat  to  say,  that  if  he  had  read  as  intich  as  otliet 
men,  he  should  hâve  continued  still  as  ignorant  as  other  men...  The  mannerof  vrriting 
of  which  booke  ILevùUlian'ï  was  thtis.  He  walked  rrnich  and  contemplated,  and  he  had 
in  the  head  of  his  cane  a  pen  and  ink-hom,  carried  alwarys  a  note-booke  in  his  pocket, 
antl  as  soon  as  a  thought  darted,  he  presentiy  entered  it  iiito  his  booke,  or  otherwiee 
might  liave  lost  it.  (J.  Aubkby,  Lives...,  T.  II,  p.  621  ;  607). 

2.  Cf,  le  Chapitare  V,  p.  428  sqq^ 

3.  For  the  style,  it  is  therefore  the  worse,  because,  whilst  I  \v8is  writing,  I  consulfced 
more  with  logie  than  with  rhetoric  (Epître  dédicatoire  au  comte  de  Newcastlo,  en  fcête 
de  la  Nature  humaine,  Works,  t.  IV,  p.  xiv). 


424  ARTICLE    III.    —    CHAPITRE    IV.    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

mais  toutes  deux  sont  à  sa  portée  quand  il  en  a  besoin.  Chez  lui, 
il  y  a  place  pour  l'épigramme  ;  mais  il  ne  multipHe  pas  les  épigrammes 
pour  le  plaisir  d'en  faire.  Chez  lui,  la  satire  se  rencontre  ;  mais  elle 
est  toujours  maintenue  dans  les  bornes  convenables.  Son  œuvre 
n'est  jamais  embellie  par  des  ornements  :  chaque  ornement  est  struc- 
tural et  fait  partie  intégrant'e  de  l'édifice.  Chez  lui,  jamais  un  mot 
de  trop  ;  mais  le  mot  propre  est  toujours  choisi.  Ses  matériaux  sont 
des  plus  simples  ;  mais  ils  ont  été  complètement  vivifiés  sous  l'inspira- 
tion d'une  grande  pensée  et  dans  l'ardeur  passionnée  pour  une  grande 
cause  »  1. 

Vil.    —    HOBBES    ET    BACON. 

Le  contraste,  établi  par  Mr.  Soiiey  entre  Bacon  et  Hobbes  considérés 
comme  écrivains,  est  plus  frappant  encore  si  on  les  envisage  comme 
penseurs. 

Il  est  certain  que  Hobbes  est  le  débiteur  de  Bacon.  Kuno  Fischer, 
tout  en  exagérant  l'étendue  de  cette  dette  ^,  a  bien  montré  cependant 
que  l'auteur  du  De  Corjiore  et  du  De  Homine  s'est  inspiré  des  axiomes 
du  mécanisme  rencontrés  chez  Bacon,  et  qu'il  lui  a  emprunté  le  prin- 
cipe du  bien  le  plus  général  ^.  On  remarque  aussi  nombre  de  réminis- 
cences de  détail,  non  seulement  pour  l'idée,  mais  même  pour  l'expres- 
sion. Nous  en  avons  noté  quelques-unes  au  passage. 

Ce  qui  paraîtrait  étrange,  si  l'on  ne  songeait  à  la  théorie  de  Hobbes 

1.  Bacon,  Hobbes,  Berkeley  and  Hume  —  to  mention  only  the  greatest  names  — 
must  be  counted  amongst  the  masters  of  language,  wherever  language  is  looked  upon 
as  conveying  a  meaning.  And,  in  each  case,  the  style  has  an  individual  quahty,  whieh 
suits  the  thought  and  the  tinie.  Bacon's  displays  a  wealth  of  imagery  and  alUisionsigni- 
ficant  of  the  new  worlds  which  man's  mind  was  to  enter  into  and  to  conquei*  ;  it  has 
the  glamour  not  of  enchantment  but  of  discovery  ;  greater  précision  and  restraint  of 
imagery  would  not  hâve  befitted  the  pioneer  of  so  vast  an  adventure.  The  musical  élo- 
quence of  Berkeley  is  the  utterance  of  a  soûl  rapt  in  one  clear  vision  and  able  to  read 
the  language  of  God  in  the  form  and  events  of  the  wo  Id.  Hume  writes  with  the 
unimpassivjned  lu  idity  of  the  observer,  intent  on  the  thecnical  perfection  in 
the  way  of  conveying  his  meaning,  but  with  no  illusions  as  to  its  importance. 
Hobbes  differs  from  al' three,  and,  in  his  own  way,  is  suprême.  There  is  no  excess 
of  imagery  or  allusion,  though  both  are  at  hand  when  wanted.  There  is  epigram  ;  but 
epigram  is  not  mtdtiplied  for  its  own  sake.  There  is  satire  ;  but  it  is  always  kept  in 
restraint.  His  work  is  never  embellished  with  ornament  :  every  ornament  is  structural 
and  belongs  to  the  bviilding.  There  is  never  a  word  too  many,  and  the  right  worti 
is  alM-ays  ehosen.  His  materials  are  of  the  simplest  ;  and  they  hâve  been  formed  into  a 
living  whole,  guided  by  a  gi-eat  thought  and  fired  by  the  passion  for  a  great  cause, 
(W.  R.  SoRLEY,  Hobbes  and  Contemporary  Philosophy,  dans  The  Cambridge  Hisiory 
of  English  Literature,  T.  VII,  p.  289-290,  Cambridge,  1911). 

2.  Kuno  Fischer,  in  his  History  of  Philosophy,  says  that  the  work  of  Hobbes  was 
to.apply  to  the  moral  and  political  world  the  same  methods  that  Bacon  applied  to  the 
natural  world.  This  seems  an  exaggeration  of  Hobbes'  debt  te  Bacon.  (Campion,  OiU- 
Unes...,  Lect.  II,  p.  11).  L'auteur  remarque  avec  raison  que  les  influences  décisives 
furent  le  système  mécanique  de  Galilée  et  le  caractère  mathématique  de  la  philosophie 

;  de  Descartes.  Ces  influences  sont  du  reste  postérieures  au  temps  où  Hobbes  fréquentait 
Bacon. 

3.  Kuno  Fischer,  Geschichte  der  neuern  Philosophie,  T.  X,  Francis  Bacon  and  seine 
Schule,  L.  III,  Ch.  II,  p.  354  sqq.  Heidelberg,  1904  3. 


§   G.    —   HOBBES    ET   BACON  425 

sur  les  passions,  on  cherche  vainement  dans  ses  œuvres  un  témoignage 
de  respect  et  de  reconnaissance  pour  son  ancien  maître  et  ami.  Il  s'est 
cru  quitte  envers  sa  mémoire  en  le  citant  deux  fois.  Dans  ses  Proble- 
inata  physica  il  se  borne  à  dire  néghgemment  :  «  Je  me  souviens  d'avoir 
lu  cela  quelque  part  chez  le  chanceher  Bacon  »  ^.  Dans  le  Decarneron 
physiologicum,  il  cite,  cette  fois  avec  précision,  une  expérience  décrite 
par  Bacon,  mais  en  faisant  remarquer  qu'elle  est  «  commune  »  ^. 

Hobbes  a  commis  une  omission  vraiment  scandaleuse.  Dans  la 
préface  du  De  Corpore,  où  il  énumère  les  savants  modernes  qui  ont 
concouru  aux  progrès  de  la  science,  à  côté  de  Copernic,  de  Gahlée, 
de  Kepler  et  de  Gassendi,  il  cite  Mersenne,  dont  la  modestie  aurait 
rougi  d'un  voisinage  si  illustre  ;  mais  Bacon  de  ^>rulam  est  passé 
sous  silence.  Et,  dans  la  longue  série  des  œuvres  hobbiennes,  pas  la 
moindre  allusion  à  la  grande  entreprise  baconienne,  à  Vlnstauratio 
Magna  !  C'est  un  parti  pris  indécent. 

Entre  ces  deux  penseurs  il  y  a  sans  doute  quelques  points  de  contact  ; 
mais  les  divergences  sont  beaucoup  plus  tranchées  ;  quelque  diversité 
apparaît  même  jusque  dans  les  ressemblances. 

L'un  et  l'autre  sont  utilitaires.  «  vSavoir  afin  de  pouvou"  »  ^,  répète 
Hobbes  après  Bacon.  Ils  assignent  à  la  science  une  fin  pratique  et 
bienfaisante  :  le  bien-être  de  l'humanité  ;  mais  ils  diffèrent  dans  l'in- 
dication des  moyens  pour  y  parvenir.  Bacon  croit  que  par  l'empire 
exercé  sur  la  nature  on  arrivera  à  procurer  aux  hommes  la  santé, 
les  commodités  de  la  \'ie  et  même,  un  jour  peut-être,  l'exemption  de 
la  mort.  Pour  Hobbes  également  la  valeur  de  la  Géométrie  et  de  la 
Philosophie  naturelle  est  estimable  d'après  l'utilité  des  arts  qu'elles 
rendent  possibles.  Mais  l'utihté  de  la  Philosophie  morale  et  civile  se 
tire  d'ailleurs.  Hobbes  place  le  bonheur  de  l'humanité  dans  la  concorde 
et  la  paix.  Or  la  cause  de  la  guerre  n'est  point  à  chercher  dans  une 
disposition  pei^erse  de  la  volonté  ;  elle  est  dans  un  déficit  de  l'intelU- 
gence  ignorant  les  devoirs  qui  unissent  les  hommes  et  les  main- 
tiennent en  paix.  C'est  la  Philosophie  morale  et  civile  qui  leur  enseigne 
ces  devoirs  :  de  là  son  rôle  bienfaisant  ^. 

1.  lUud  tuum  de  obice  Oceani  aqiiain  impediente  ne  procédât,  sed  revertatur.  menaini 
legisse  me  alieubi  in  scriptis  Cancellarii  Baconis.  ■  ( Prohlemata  pht/sica,  C.  II,  Opéra, 
t.  IV,  p.  316-317,  §  De  causis  aclhuc  sdervt ). 

2.  The  experimert  is  common  and  described  by  the  Lcrd  Chaneell  or  Bacon  in  the  third 
page  of  his  natural  historv.  (Decarneron  physiologicum,  C.  V,  Works,  T.  \T^I,  p.  112, 
§  At  is  certain,  circa  médium). 

3.  Scientia  propter  potentiam.  (De  Corpore,  C.  I,  §  6).  —  Bacon  avait  dit  équivalem- 
nient  :  Scientia  et  potentia  humana  in  idem  coincidunt.  (Xovu)n  Organum,  L.  I,  §  3, 
Edit  Spedding,  T.  I,  p.  157.  —  Edit.  Bouillet,  T.  II,  p.  9).  Hobbes  dit  dans  le  Ln-ia- 
than  :  Scientia  Potentia  est,  sed  parva  ;  quia  Scientia  egregia  rara  est,  nec  proinde 
apparens  nisi  paucissimis  et  in  paucis  rébus.  ( Leviathan,  Part.  I,  C.  X,  T.   III,  p.  69). 

4.  Causa  autern  horum  [maloruin  quae  a  bello,  praecipt^e  civili,  oriuntur]  non  est  quod 
homines  ea  velint,  voluntas  enim  nisi  boni  saltein  apparentis  nulla  est...  Causa  igitur 
bsUi  civilis  est,  quod  bellorum  et  pacis  causas  ignorant,  et  quod  paucissimi  sunt  qui 
officia  sua,  quibus  pax  coalescit  et  conservatur,  id  est,  veram  vivendi  regulain  didice- 
runt.  Est  autem  hujus  regulae  cognitio  moralis  Philosophia.  (De  Corpore,  C.  I,  §  7, 
circa  médium,). 


426  ARTICLE    III.    CHAPITBE    IV.    CRITIQUE    DU    HOBBISME 

Tons  deux  encore  se  sont  montrés  Les  adversaires  résoluis  et  injustes 
de  la  Scoîlastique.  Cependant,  à  la'  différence  de  Bacon  plein  de  mépris 
pour  le  syllogisme,  Hobbes  l'a  en  haute  estime  et  le  manie  avec  com- 
plaisance et  habileté.  Oubheux  de  la  formation  dialectique  reçue 
à  Oxford,  à  laquelle  il  doit,  pour  une  bonne  part,  sa  puissance  d'argia- 
mentateur,  il  s'en  sert  pour  attaquer  VALma  mater  qui  l'avait  nourri, 
«  semblable  à  ces  enfants  drus  et  forts  d'un  bon  lait  qu'ils  oni  sucé, 
qui  battent  lemr  nou»rriee  »  ^. 

L'un  comme  l'autre  proclament  qu'il  faut  partir  de  Texpérience. 
Mais,  sur  la  question  capitale  de  la  méthode,  leur  ressemblance-  s'ar- 
rête là. 

Bacon  utihse  l'expérience  comme  un  point  d'appui  pour  s'élever, 
au  moyen  de  l'induction,  aux  lois  de  la  nature,  dont  la  connaissance 
et  l'application  permettront  à  l'homme  de  la  maîtriser  à  son  profit  : 
Naturœ,  non  îiisi  parendo,  imperatur.  Il  recommande  avec -insistance 
l'expérimentation  et  la  pratique  lui-même.  S'il  montre  peu  d'attrait 
pour  les  sciences  exactes  et  leur  assigne  un  rôle  restreint  dans  son 
plan  de  restauration  scientifique,  on  sait  qu'en  revanche  il  fait  large 
mesure  à  l'histoire  comme  auxiliaire  de  la  philosophie  naturelle. 

D'une  allure  fibre  et  dégagée,  l'auteur  du  Novum  Organum  est 
friand  d'images,  multiphe  les  comparaisons,  recherche  les  analogies, 
se  prête  volontiers  aux  digressions  brillantes,  exploite  ingénieusement 
les  mythes,  emprunte  au  passé  des  traits  instructifs  ou  d'agréables 
anecdotes,  enchâsse  dans  le  texte,  où  ils  reluisent  comme  des  pierres 
précieuses,  les  beaux  vers  classiques  qui  peuvent  «  illustrer  »  son  sujet. 
Bref,  Bacon  pense  surtout  par  métaphores  et  compose  en  poète. 

Hobbes  est  aux  antipodes.  Il  est  sans  doute  empiriste,  puisqu'il 
pose  résolument  et  applique  de  même  le  principe  que  toute  connais- 
sance a  sa  source  et  tout  acte  son  mobile  dans  les  impressions  des 
sens.  Mais  la  base  empirique  qu'il  donne  à  sa  méthode  est  très  étroite 
et,  conséquemment,  incapable  de  porter  l'immense  édifice  scientifique 
qu'il  prétend  bâtir  dessus.  Les  données,  qui  lui  tiennent  lieu  d'assises, 
se  réduisent  à  quelques  observations  fourmes  par  la  conscience  ou 
à  des  éléments  arbitraires  comme  son  nominahsme,  puisque,  d'après 
lui,  la  vérité  dépend  de  la  définition  des  termes,  et  celle-ci  du  hbre 
arbitre  humain  ^.  C'est  de  là  qu'il  part  pour  en  déduire  une  série  de 
conséquences  qui  doivent  tout  expliquer  :  le  monde,  l'homme  et  la 
société.  Ces  conséquences  sont  plus  ou  moins  hasardées,  parce  qu'elles 
s'appuient  tantôt  sur  un  champ  d'observation  trop  limité,  tantôt 
sur  des  définitions  arbitrau'ement  étabfies.  De  plus,  ce  dialecticien 
audacieux  néglige  de  les  soumettre  à  la  contre-épreuve  décisive  des 
faits.  En  cela,  il  est  logique  avec  lui-même,  car  il  ne  fut  jamais  un 
expérimentateur  et,  qui  pis  est,  n'a  aucune  estime  pour  l'expérimen- 
tation. Il  faut  entendre  de  quel  ton  il  parle  de  la  Société  royale  de 
Londres,  dont  il  compare  les  membres,  «  étalant  leurs  instruments 

1.  La  Bruyère,  Les  Caractères  :  Des  Ouvrages  de  l'esprit,  §  15. 

2.  Cf.  supra,  p.  320,  note  5. 


§    G.    —   HOBBES    ET   BACON  427 

nouveaux  »,  à  ces  forains  «  qui  s'en  vont  çà  et  là  pour  montrer  de& 
animaux  exotiques  ».  «  Qu'ils  s'assemblent,  dit-il,  unissent  leurs  efforts 
studieux  et  expérimentent  tant  qu'ils  voudront,  ils  n'aboutiront  à 
rien,  s'ils  n'en  viennent  à  suivre  mes  principes  »  ^.  On  dirait  vraiment 
qu'il  n'a  jamais  ouï  parler  de  l'induction  baconienne,  car  jamais  il 
n'use  de  ce  procédé  si  cher  à  son  maître  ;  et,  pour  une  fois  qu'il  men- 
tionne en  deux  lignes  l'induction,  il  s'agit  de  l'induction  formelle 
d'Aristote  2. 

Toute  son  estime  va  à  la  méthode  déductive  et  syllogistique.  Depuis 
qu'il  a  découvert  Euclide  à  quarante  ans,  il  s'est  passionné  pour  les 
mathématiques,  et  c'est  sur  leur  modèle  que  ce  géomètre  chimérique 
s'applique  à  construire  son  système  philosophique.  Il  aime  à  dérouler 
le  fil  de  ses  déductions  et  se  tient  pour  satisfait  s'il  aboutit  à  des  con- 
clusions vraisemblables.  Sans  se  mettre  en  peine  de  vérifier  si  ces  <, 
conclusions  sont  réellement  fondées  ou  non,  au  moyen  d'expériences  | 
instituées  pour  prouver  leur  concordance  ou  leur  désaccord  avec  les 
faits,  il  lui  suffit,  comme  au  mathématicien,  d'avoir  montré  que  la 
solution  proposée  est  possible.  C'est,  on  l'a  vu,  Ta  ritournelle  qui 
reparaît  constamment  dans  sa  physique  sous  cette  forme  ou  une  autre 
analogue  :  «  Nous  avons  donc  la  cause  possible  de  la  lumière  solaire, 
que  nous  avions^éntrepris  de  trouver  »  ^.  Tout  est  dit  pour  lui,  dans  la 
recherche  des  causes,  €{uand  il  peut  conclure  à  la  vraisemblance  et  à  la 
possibihté. 

D'un  pas  ferme,  régulier,  monotone,  Hobbes  va  droit  au  but. 
Dans  son  itinéraire,  je  veux  dire  au  cours  de  ses  ouvrages,  peu  d'images 
voyantes,  mais  l'on  admire  et  l'on  retient  des  formules  aux  arêtes 
tranchantes  ;  pas  d'élans  chaleureux,  mais  parfois  l'on  sent  frémir 
une  conviction  éloquente  à  force  de  logique  ;  après  avoir  traversé 
l'aride  désert  de  déductions  abstraites,  aucune  oasis,  j'entends  aucun 
épisode  rafraîchissant,  mais  on  est  sous  le  charme  de  la  beauté  sévère 
qui  se  dégage  d'un  rigoureux  enchaînement  de  preuves,  et  d'une  syn- 
thèse puissamment  conçue,  encore  que  l'exécution  en  soit  restée 
incomplète.  Beaucoup  de  raison,  peu  d'imagination,  pas  de  cœur  ; 
ou,  si  vous  préférez,  des  flots  de  lumière  limpide,  mais  froide  et  qui  se 
décompose  en  couleurs  pâles.  Bref,  Hobbes  pense  surtout  par  concepts 
et  compose  en  géomètre. 


1.  Niim  conveniant,  studia  conférant,  expérimenta  faciant  quantum  volunt,  nisi  et 
principiis  utantur  meis,  nihil  proficient...  Exhibent  machinas  novas  ut  vacuum  suum 
et  novas  ostendaa^t  nugas,  quema,draodum  faciunt  qui  circumagunt  animaha  exotica, 
spectanda.  non  sine  pretio.  (H-OBues,  Dialo  g  us  physicus....  Opéra,  t.  IV,  p.,  236  et  237).  — 
Ailleurs,  dans  un  opuscule  postériewr,  Hobbes  fait  au  coutraire  un  bel  éloge  de  la  Société 
Royale.  Cf.  Lux  Mathematica...,  Dédicace,  Opéra,  T.  V,  p.  91-92. 

2.  Inductio  autem  demonstratio  non  est,  nisi  ubi  particuLaria  omnia  eimmerantur, 
quod  hic  est  impossibile  (Hobbes,  Examitiatio  et  Emendaiio  MathenuUicœ.  Iwdiernœ, 
qfuaiis  expbi/'atur  in  Libria  Johanni3  Walusii...,  diairib'uta  in  sex  Dialo^os,  Dialog.  V, 
Opéra,  t.  IV,  p.  179,  §  A.  Notisaimum. 

3.  Habemus  ergo  lucis  solaris  causam  possibilem,  c^uatn.  suscepimus  invenire.  (Hob.b.es^ 
De  Covpore,  C.  XXVII,  §  2,  in  fine). 


CHAPITRE    V. 

Partisans    et    Adversaires    de    Hobbes. 


L'existence  de  Hobbes  fut  agitée  comme  l'époque  où  elle  s'écoula. 
Depuis  l'apparition  du  De  Cive  et  surtout  du  Léviathan,  sa  vie  ne  fut 
guère  qu'une  polémique  continuelle,  très  ardente,  contre  les  mathéma- 
ticiens, les  philosophes  et  les  théologiens  de  la  protestante  Angleterre. 
Cette  agitation  extérieure  et  cette  fougue  batailleuse  de  son  caractère 
forment  un  singuHer  contraste  avec  la  physionomie  de  son  esprit 
philosophique,  car  ce  fut  avant  tout  un  dialecticien,  un  théoricien, 
un.  spéculatif.  Sa  passion  pour  la  géométrie,  vivace  jusque  dans  la 
plus  extrême  vieillesse,  ne  l'égara  pas  seulement  dans  la  recherche  de 
démonstrations  impossibles,  elle  le  porta  à  concevoir  la  philosophie 
more  geometrico,  comme  devait  le  faire,  plus  rigoureusement  encore 
dans  la  suite,  Spinoza.  Nous  avons  vu  que  Hobbes,  quoiqu'il  ait  été 
l'ami  et  en  quelque  manière  le  disciple  de  Bacon,  n'appUque  point  la 
méthode  inductive  tant  recommandée  par  ce  dernier.  Ses  préférences 
vont  à  la  méthode  déductive  :  tout  le  poussait  de  ce  côté,  non  seulement 
la  tournure  géométrique  de  son  intelhgence,  mais  encore  le  caractère 
déterministe  ^  de  sa  psychologie. 

On  a  quahfié  Hobbes  de  «  métaphysicien  de  l'empirisme  »  ^.  Le  trait 
fondamental  de  sa  «  Philosophie  première  )>  ou  Métaphysique  c'est  le 
mécanisme  matérialiste  et  empirique  :  tout  est  ramené  au  mouvement. 
Cette  «  Philosophie  première  de  Hobbes,  en  son  rationahsme  de 
méthode,  eut  peu  d'influence  sur  les  penseurs  »  ^. 

Dans  sa  Logique,  Hobbes  non  seulement  se  montre  nominahste  , 
mais,  comme  le  remarque  Leibniz,  «  plus  que  nominaliste,  car,  non 
content  de  ramener  les  universaux  à  des  noms,  .il  affirme  que  la  vérité 
consiste  dans  les  noms  et,  qui  plus  est,  dépend  du  bon  plaisir  humain, 
parce  que  la  vérité  dépend  de  la  définition  des  termes,  et  celle-ci  du 
bon  plaisir  humain  »  *. 

1.  f  Cette  opinion,  qu'on  a  eue  de  M.  Hobbes  qu'il  enseignoit  une  nécessité  absolue  de 
toutes  choses,  l'a  fort  décrié  et  luy  auroit  fait  du  tort,  quand  même  c'eût  été  son  unique 
erreu^.  »  (Leibniz,  Essais  de  Théodic^e,  II^  P.,  p.  172,  Edit.  Gerhardt,  T.  VI,  p.  216- 
217). 

2.  G.  Lyon,  La  Philosophie  de  Hobbes,  Ch.  I,  §  i,  p.  4. 

3.  Renouvier,  Philosophie  analytique  de  l'Histoire^  t.  III,  p.  446. 

4.  ...  Thomas  Hobbes,  qui  ut  verum  fatear,  mihi  plusquam  nominalis  videtur.  Non 
contentus  enim  cum  Nominalibus  universalia  ad  nomina  reducere,  ipsam  veritatem  ait 
in  nominibus  consistere  ac,  qviod  majus  est,  pondère  ab  arbitrio  humano,  quia  voritas 
pèndet   a   definitionibus    terminorum,    definitiones    autem    terminorum    ab   arbitrio 


INFLUENCE    EN    ANGLETERRE    :    ADVERSAIRES  429^ 

«  La  physique  arriérée,  la  mathématique  erronée  de  l'auteur  ne 
purent  se  défendre  contre  les  attaques  du  géomètre  Walhs  »  ^  et  du 
physicien  Boy  le. 

Sa  Psychologie  et  sa  Morale,  où  nous  avons  admiré  de  fines  observa- 
tions et  dont  nous  avons  critiqué  le  matériahsme  radical  et  le  répu- 
gnant égoïsme,  eurent  une  fortune  plus  durable,  en  ce  sens  qu'elles 
furent  vivement  attaquées,  comme  on  va  le  voir,  non  seulement  de 
son  vivant,  mais  aussi  après  sa  mort. 

C'est  surtout  comme  sociologue  que  Hobbes  a  fixé  l'attention  des 
penseurs.  Il  a  d'ailleurs  la  plus  haute  idée  de  son  mérite  personnel  : 
dans  la  Dédicace  du  De  Cor  pore,  il  prétend  que  la  science  de  la  Philo- 
sophie civile  (on  dirait  aujourd'hui  la  Sociologie)  date  de  la  pubhcation 
du  De  Cive  (1642)  et,  à  ce  titre,  il  se  place  modestement  à  la  suite  des 
initiateurs  illustres,  comme  Copernic,  Galilée  et  Harvey.  C'était 
pécher  par  ignorance  ou ,  manquer  de  mémoire,  car  c'était  oubHer 
ou  ne  point  connaître  les  travaux  antérieurs  de  ]\La.chiavel  2,  de  Vic- 
toria ^,  de  BoDiN  *,  de  Hooker  ^,  de  Suarez  ^,  d'ALTHUSius  ',  de 
Bacon  ^,  de  Grotius  ^,  sans  compter  leur  précurseur  à  tous,  Aristote  ^°. 

Pour  donner  une  assiette  sohde  à  son  système  et  le  rendre  acceptable. 
Hobbes  aurait  dû  prouver  que  l'homme,  étant  essentiellement  indi- 
viduaHste,  n'est  pas  fait  pour  vivre  en  société.  Il  a  déployé  dans  ce  but 
toutes  les  ressources  de  son  esprit  habile  à  faire  miroiter  les  apparences 
et  les  sophismes  ^^.  «  Mais,  ce  qui  est  invincible  contre  la  thèse  de  Hobbes 
ce  sont  les  arguments  d'Aristote  en  faveur  de  la  sociabihté  naturelle 
de  l'homme.  L'homme  a  besoin  de  l'homme  ;  l'homme  a  reçu  la  parole  ; 
or  la  parole  suppose  communication  entre  les  hommes  ;  elle  serait 
un  don  inutile  si  ceux-ci  n'étaient  pas  faits  pour  la  société.  Enfin 
l'homme  a  l'idée  du  juste  et  de  l'injuste.  Hobbes  recomiaît  tous  ces 
faits  ;  mais  il  en  conclut,  à  tort,  que  la  société  n'est  qu'accidentelle  ^■^. 

humano.  Haec  est  sententia  viri  inter  profundissimos  seciili  censendi,  qua,  ut  dixi, 
nihil  potest  esse  noniinalius.  (Leibniz,  j\Li.Rii  Xizolii  de  veris  Principiis  et  vera  Ratione 
philosophandi  contra  Pseudophilosophos  Libri  IV...,  Dissertât,  prelimin.,  Edit.  Ger- 
HARDT,  t.  IV,  p.  158,  circa  fmem). 

\.  RE^rou\^ER,  Philosophie  anahftique...,  T.  HT,  p.  446. 

2.  X.  Machiavelli  (1469-1527),  Il  Principe  (1513)  — Discorsi  sopra  la  prima  deçà 
di  Tito  Livio  (1516). 

3.  Fr.  DE  VicTORi\,  Relectiones  XII  theologicœ  in  duos  libros  distinctœ  (1557)  :  Cf. 
I.  De  potestate  Ecclesiœ.  —  II.  De  potestate  civili.  —  IV.  De  Indis  et  jure  belli. 

4.  J.  BoDiN,  Les  six  Livres  de  la  République  (1576). 

5.  R.  Hooker,  0/  the  Laires  oj  ecclesiasticall  Politie.  E^jght  jBooA€«(1593).  — Cf.  BooksI, 
VIII. 

6.  Fr.  Suare7,  De  Lerjibus  (1612)  —  Defensio  Fidei  catholicœ  et  apostôlicœ  adversus 
anrjlicanœ  sectœ  errores...  (  1613). 

7.  J.  At>thusius,  Politica  methodice  dig.esta  atque  exetnplis  sicris  et  profanis  ûlua- 
/rata  (1603). 

8.  Fr.  Bacon,  De  Dignitate  et  Augmentis  acientiarum  (1623)  :  L.  VIII. 

9.  H.  Grotius,  De  jure  pacis  et  belli  (1625). 

10.  Aristote,  Politique. 

1  ] .  Voir,  par  exemple,  De  Cive.  C.  I,  §  2. 

12.  Causas  enim,  quibus  homines  congregantur  et  societat©  mutua  gaudent,  penitius 
inspectantibus  facile  constabit  non  ideo  id  fieri,  quod  aliter  fieri  natura  non  possit,  sed 
ex  accidente.  (Hobbes,  De  Cive,  C.  I,  §  2,  circa  principium). 


430         ARTICLE   III.   CHAPITRE   V.    PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

Nullement  :  car  ces  principes  étant  essentiels  à  la  nature  de  l'homme, 
la  société  en  résulte  nécessairement  »  ^.    ' 

Après  le  coup  d'œil  d'ensemble  que  nous  venons  de  donner  au  sys- 
tème de  Hobbes,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  mesurer  la  grandeur  de 
l'influence  qu'il  a  exercée  en  Angleterre  et  sur  une  partie  du  continent. 


A.    —    INFLUENCE    DE    HOBBES    EN    ANGLETERRE 

Dans  l'histoire  des  idées  on  rencontre  peu  de  philosophes  qui  aient 
remué  plus  fortement  que  lui  les  esprits  attentifs  au  mouvement 
des  doctrines.  Devant  les  qualités  et  les  défauts,  pleins  de  relief, 
de  ce  penser.!'  original  jusqu'au  paradoxe,  de  ce  logicien  serré,  de  ce 
styUste  lumineux  et  froid,  on  ne  saurait  demeurer  indifférent.  Il  pro- 
voque la  répulsion  ou  la  sympathie.  Dans  ce  pêle-mêle  de  blâmes 
et  d'éloges,  qui  ont  accompagné  sa  vie  et  poursuivent  sa  mémoire, 
assurément  ce  sont  les  voix  hostiles  qui  prédominent.  Mais  par  sa 
vivacité,  son  étendue,  sa  persistance  cette  opposition  même  atteste 
la  grande  impression  qu'a  produite  le  philosophe  de  Malmesbury.  C'est 
comme  le  pôle  négatif  de  son  influence. 

I.    —    ADVERSAIRES    DE    HOBBES. 

Considérons  d'abord,  d'ensemble,  le  mouvement  répulsif  que  le 
Hobbisme  a  excité. 

On  conçoit  sans  peine  qu'un  système,  dont  les  doctrines  sont  maté- 
rialistes en  psychologie,  égoïstes  en  morale,  absolutistes  en  pohtique 
et  rationahstes  en  rehgion,  ait  soulevé  de  nombreuses  et  violentes 
protestations  en  Angleterre.  Ce  fut  une  clameur  formidable,  poussée 
par  l'éhte  intellectuelle  du  pays  :  théologiens,  universitaires,  poh- 
tiques  ^.  Quand  «  l'inconfusible  »  vieillard  ne  fut  plus  là  pour  opposer 
à  ses  adversaires,  qui  étaient  légion,  la  virulence  de  réphques  agres- 
sives ou  le  dédain  d'une  indifférence  hautaine,  la  contradiction  ne 
cessa  pas  ;  mais  elle  se  fit  plus  rare  et  devint  généralement  moins  âpre. 

Ce  furent  les  pohtiques  qui  ouvrhent  le  feu.  Sir  Robert  Filmer  ^ 
pubha  en  1652,  l'année  même  qui  suivit  l'apparition  du  Léviathan, 
un  ouvrage  intitulé  :  Oh$ervatio7is  sur  V origine  du   Gouvernement  *, 

1.  Paul  Janet,  Histoire  de  la  Science  politique  dans  ses  rapports  avec  la  Morale, 
Paris,  18722,  T.  II,  L.  IV,  Ch.  I,  p.  303-304. 

2.  «  Le  Hobbisme  ne  conquit  pas  la  faveur  publique  en  Angleterre  ;  les  réclamations 
et  les  réfutations,  de  tous  côtés,  l'accablèrent  ;  mais  de  longtemps  il  ne  cessa  d'inspirer 
un  pai-ti  de  théologiens  jacobites.  »  (Renouvier,  Philosophie  analytique  de  VHistoire, 
T.  III,  p.  446). 

3.  Sir  Robert  Filmer,  né  à  East-Sutton  dans  le  Kent,  en  1604,  et  mort  en  1653,  fut  un 
royaliste  ardent. 

4.  R.  Filmer,  Observations  concerning  theoriginall  of  Oovernment  wpon  Mr  Hobs 
Léviathan,  Mr  Milton  against  Salmasltts,  H.  Grotixta  De  Jure  belli,  Londres,  1652. 
Dans  ime  édition  postérievu-e,  vg.  de  1679,  il  y  a  de  plus  :  upon  Mr  Huntori's  Treatise 
of  Monarchy... 


i 


INFLUIINCE   JEK   ANGLrETEKRE    :    ADVERSAIRES  431 

et  diiigé  à  la  fois  contre  Hobbes,  Milton  et  Grotius.  Il  est,  comme 
Hobbes,  partisan  du  pouvoir  absolu  :  poiu-  l'un  et  l'auti'e  monai'chie 
Mmitée  est  synanjnne  d'anarchie.  C'est  pour  soutenir  les  droits  menacés 
de  Charles  I^^  qu'il  avait  défendu  cette  doctrine  dès  1647  ^.  Mais  il 
repousse  énergiquement  l'état  de  nature  décrit  par  Hobbes,  et  le 
contrat  social  imaginé  par  lui  pour  en  sortir.  Après  avoir  combattu 
l'erreur  de  Hobbes  qui  met  l'origine  première  de  l'autorité  dans  le 
peuple,  Filmer  se  fait  le  champion  du  droit  divin.  Mais  il  le  comprend 
mal.  Au  heu  d'admettre  que  tout  pouvoir,  qu'il  soit  monarchique, 
aristocratique  ou  démocratique,  vient  de  Dieu  comme  source  pre- 
mière, il  ne  recoiuiaît  pas  d'autre  forme  natureUe  et  bienfaisante  de 
gouvernement  que  la  monarchie  absolue  ^.  Les  hommes  n'ont  pas 
le  droit  de  choisir  le  gouvernement  qui  leur  convient,  parce  qu'ils 
ne  naissent  pas  hbres,  mais  soumis  à  leurs  parents.  Filmer  est  obhgé 
de  constater  que  l'ophiion  contraire  «  est  communément  admise  par 
les  théologiens  et  divers  autres  savants  »  ^.  La  réfutation  qu'il  leur 
oppose  est  faible  *.  Elle  est  agrémentée  de  cette  réflexion  :  «  Les 
subtils  Scolastiques,  pour  mettre,  sans  conteste,  le  roi  au-dessous  du 
pape,  ont  pensé  que  le  plus  sûr  moyen  était  de  mettre  le  peuple  au- 
dessus  du  roi.  Par  là  même  le  pouvoir  papal  prend  la  place  du  pouvoir 
royal  »  ^.  Les  Scolastiques,  Bellarmin  et  Suarez  notamment,,  ont  cher- 
ché à  prouver  que  Dieu  confère  l'autorité  immédiatement  à  la  multi- 
tude et  qu'il  la  laisse  hbre  de  choisir  la  forme  de  gouvernement  qu'elle 
juge  la  mieux  adaptée  à  ses  besoins.  De  la  première  partie  de  cette 
thèse  ils  ont  conclu,  contre  Jacques  ï^^,  roi  d'Angleterre,  la  préémi- 
nence du  pouvoir  pontifical  sur  le  pouvoir  monarchique,  car  le  pape 
tient  son  autorité  directement  de  Dieu,  tandis  que  le  roi  la  tient  de 
Dieu  par  le  moyen  du  peuple.  Mais  il  ne  faut  pas  croire,  avec  T  Imer, 
que  cette  théorie  a  été  imaginée  pour  étabhr  la  supériorité  du  pouvoir 
papal,  considéré  au  point  de  vue  de  l'origine.  Il  n'en  est  rien.  Suarez 
note  expiessément  qu'il  a  utihsé  une  théorie  «  ancienne  »  •",  qui  exis- 

1.  R.  Filmer,  Cf.  The  Free-holders,  grandinquest,touching our  Sovereing  Lord tJie King 
and  his  Parliament,  s.  ].,  1647  ;  Londres,  16844.  —  Cf.  The  necessity  of  ahsolute  poiver 
of  ail  Kings  and,  in  particular,  of  the  King  of  England,  Londres,  1648.  —  The  anarchy 
of  a  limited  or  mixed  Monarchy  or  succinct  Examination  of  the  Fundamentals  of  Monarchy 
both  in  this  and  other  Kingdoms,  as  loell  about  the  right  of  poioer  in  Kings,  as  of  the  origi- 
nall  or  nnturall  liherty  of  the  People,  Londres,  1648.  —  Observations  xipmi  Aristotles 
Politiques  touching  Forms  of  Government  together  with  Directions  for  obédience  ta  Gover- 
nours  in  dangerous  and  doubtfull  times,  Londres,  1652.  —  Quœstio  guodlibetica  or  a 
Discourse  wether  it  rnay  bee  lawfull  to  take  use  for  nioney...,  Londres,  1653. 

%.  R.  Filmer,  Patriarcha  or  the  natural  poioer  of  King",  Ch.  IIL  Londres,  1680.  Cet 
ouvrage,  qui  résume  les  idées  personnelles  de  Filmer,  parsemées  d'ailleurs  en  ses  autres 
écrits,  est  posthume  :  il  ne  parut  que  dix-sept  ans  après  sa  mort.  —  Les  ouvrages  parus 
de  son  vivant  sont  anonymes. 

3.  R.  Filmer,  Patriarcha,  Ch.  I,  §  1,  p-  2. 

4.  R.  Filmer,  Patriarcha,  Ch.  I,  §  1-3,  p.  5-12. 

5.  Late  writters  hâve  taken  up  too  much  upon  trust  from  the  subtile  Schoolmen, 
wlio,  to  be  sure  to  thrust  down  the  king  below  the  pope,  thought  it  the  safest  course 
to  advance  the  people  above  the  king,  that  so  the  papal  power  might  take  place  of  the 
régal.  (R.  Filmer,  Patriarcha.  Ch.  I,  §  1,  p.  8). 

6.  Fr.  Suarez,  Defensio  Fidei  catholicœ  et  apostolicce  adversus  anglicanœ  aectœ  errer  es... 
,  (CoVmbre,  1613).  Suarez   note  (au  Livre  III,  C.  II,  n.  2)   que  la  doctrine  qu'il  défend 


432         ARTICLE   III.   CHAPITRE    V.    PARTLSANS   ET   ADVERSAIRES 

tait  avant  lui  ;  elle  n'a  donc  pas  été  inventée  pour  soutenir  avantageu- 
sement la  polémique  contre  les  légistes  régaliens  de  France  ou  les 
juristes  jacobites  d'Angleterre.  En  outre,  il  convient  de  noter  que  les 
arguments  des  Scolastiques,  étant  fondés  sur  le  droit  naturel,  garde- 
raient leur  valeur,  même  dans  l'hypothèse  où  la  Papauté  n'aurait  p  as 
été  instituée  ou  cesserait  d'être. 

Selon  Filmer,  les  droits  et  les  libertés,  dont  peuvent  jouir  les  peuples, 
ne  découlent  pas  des  lois  de  la  nature  humaine  ;  ce  sont  «  des  grâces 
octroyées  par  la  bonté  des  princes  »  ^.  Une  grande  famille,  pour  les 
droits  de  la  souveraineté,  est  une  petite  monarchie.  Aussi  le  pouvoir 
royal  n'est-il  que  l'extension  naturelle  et  voulue  par  Dieu  du  pouvoir 
patriarcal  ^. 

Le  roi  est  le  père  universel  de  ses  sujets.  Adam,  auquel  Dieu  donna 
la  domination  sur  le  monde  entier,  fut  le  premier  monarque.  Les 
patriarches  et  les  rois  sont  ses  légitimes  héritiers  ^.  Pour  établir  cette 
thèse  erronée,  l'auteur  fait,  sur  le  terrain  de  l'histoire,  les  excursions 
les  plus  fantaisistes.  Il  s'offrait  ainsi  lui-même  innocemment  aux  coups 
que  Locke,  dans  l'un  de  ses  Traités  sur  le.  Gouvernement  *,  devait  lui 
porter  d'une  main  vigoureuse  et  sûre  d'elle-même.  Il  y  gagna  du  reste, 
en  définitive,  car  c'est  grâce  à  la  célébrité  de  cet  adversaire  que  son 
nom  est  paï'venu  à  la  postérité. 

Jacques  Tyrrell  ^,  écrivain  poUtique  et  historien,  s'en  prend 
tout  ensemble  à  Hobbes  et  à  Filmer.  Dans  son  livre  Patriarche,  non 
Monarque  ^,  qui  suivit  de  près  (1681),  la  publication  de  Filmer  (Patriar- 
cha,  1680),  il  se  prononce  en  faveur  de  la  monarchie  tempérée  ou  mixte, 
que  condamnent  à  l'envi  nos  deux  partisans  de  l'absolutisme  royal, 
et  montre  le  servilisme  de  cette  obéissance  passive  qu'ils  imposent 


est  «  ancienne,  rér-aie  «,  dans  l'Ecole  (antiqua,  recepta).  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre, 
de  consulter  la  liste  des  Scolastiques,  antérieurs  à  Suarez,  qui  ont  enseigné  la  même 
thèse.  On  la  trouvera  dressée  dans  Les  Catholiques  en  face  de  la  Démocratie  et  du  Droit 
commun,  par  G.  Sortais,  Paris,  1914,  Livre  III,  Secti  I,  Quest.  III,  §  6,  p.  234-235. 

1.  From  the  grâce  and  bounty  of  Princes.  (R.  Filmer,  Patriarcha,  Ch.  1,  §  1,  p.  6). 

2.  As  the  fatlier  over  one  family,  so  the  king  as  father  over  many  families  extends  his 
care  to  préserve,  feed,  cloth,  instruct  and  défend  the  whole  commonwealth.  (R.  Filmer. 
Patriarcha,  Ch.  T,  §  10,  p.  24).  — -  «  M.  Filmer  me  paraît  avoir  reconnu  et  avec  raison  [à 
rencontre  de  Hobbes].  qu'il  y  a  un  droit  et  même  un  jus  strictiim  avant  la  fondation 
des  Etats.  »  (Leibniz,  Méditations  sur  la  notion  commune  de  justice.  Cf.  Georg  Mollat, 
Mittheilungen  aus  Leibnizens  ungedruckten  Schriften,  neu  bearbeitef,  heipzig,  1893,  p.  66. 
—  Mais  Leibniz  s'élève  vigoureusement  contre  l'opinion  de  Filmer  accordant  un  droit 
de  propriété  au  père  sur  ses  enfants.  Ibidem,  p.  67-69. 

3.  R.  Filmer,  Patriarcha,  Ch.  I,  §  4  ;  Ch.  II,  §  2,  où  il  attaque  Suarez. 

4.  J.  Locke,  Ttvo  Treatises  of  Government  (Deux  Traités  sur  le  Gouvernement), 
Londres,  1689.  C'est  le  premier  Traité  ou  Livre  I  (Book  l )  qui  est  consacré  à  la  réfuta- 
tion de  Filmer. 

5.  James  Tyrrell,  né  à  Middlesex,  en  1642,  et  mort  à  Shotover  en  1718,  est  surtout 
un  historien.    (The   General  History  of  England...,   3  vol.,  Londres,    1696-1704).   Il 
écrit  aussi  •  Bibliotheca  Politica,  or  an  Enquiry  into  the  ancient  Constitution  of  the  Engli9h^!i 
Government:..  In  thirteen  Dialogues,  Londres,  1694. 

6.  J.  Tyrrell,  Patriarcha,  non  Monarcha.  The  Patriarcha  unmonarch'd,  Londres, 
1681  (sous  le  pseudonyme  de  Philalethes). 


INFLUENCE  EN  ANGLETERRE  :  ADVERSAIRES  433 

sans  restrictions  suffisantes  à  tous  les  sujets.  Dans  un  autre  ouvrage  ^, 
qui  n'est  qu'un  résumé  du  De  Legibus  naturœ  (Des  Lois  de  la  nature) 
de  Richard  Cumberland,  11  s'attaque  directement  à  Hobbes  pour 
réfuter  ses  principes  subversifs  de  la  loi  morale  et  du  droit  naturel. 

Le  système  politique  de  Hobbes  eut  un  adversaire,  plus  redoutable 
que  Filmer  et  Tyrrell,  dans  Jacques  Harrington  2,  qui  fit  paraître 
à  Londres,  en  1656,  La  République  cVOcéana  ^.  Il  s'agit  d'une  répu- 
blique imaginaire.  Océaiui  représente  l'Angleterre,  et  Lord  Archon, 
l'auteur  de  la  constitution  nouvelle  dont  Océana  est  dotée,  figure  le 
Lord  Protecteur,  Olivier  Cromwell  *. 

C'est  une  allégorie  politique.  En  ce  genre,  fort  à  la  mode  aux  xvi^  et 
xvii^  siècles,  Harrington  avait  eu  d'illustres  précurseurs  :  Thomas 
More  (Utopia,  1516),  Tommaso  Campanella  (Civitas  Solis,  1623)  ^, 
Francis  Bacon  (New  Atlantis,  1627).  Aii  point  de  vue  Imaginatif 
et  littéraire,  son  œuvre  est  bien  inférieure  à  celles  de  ses  devanciers. 
Trop  souvent  elle  est  aride  et  sèche  comme  un  inventaire  ou  un  procès- 
verbal.  Les  discours  de  Lord  Archon,  surchargés  de  digressions  histo- 

1.  J.  Tyrkell,  a  Briej  Disquisition  on  the  Lmv  of  Nature  according  to  the  Principlea 
and  Method  laid  doun  in  the  R.  Dr.  Cumbebland's...  latin  Treatise  on  tkat  subject.  As 
also  his  Confutations  of  Air.  Hobbs's  Principles  putinto  anothcr  Method,  Londres,  1692, 
17012.  Cec  ouvrage  s'inspire  du  De  Legibus  naturœ  Disquisitio  philosophica  (Lon- 
dres, 1672),  de  Richard  Cumberland. 

2.  James  Harrington,  né  à  Upton  (1611)  et  mort  à  Londres  (1677),  voyagea  sur  le 
continent  et,  à  son  retour,  se  mit  à  composer  la  République  d^Océana. 

3.  The  Commonwealth  of  Oceana,  Londres,  1656.  —  Nous  renverrons  à  l'édition  sui- 
vante :  The  Oceana  of  James  Harrington  and  his  other  Works...,  Londres,  1700.  On 
trouve,  en  tête,  une  Notice  biographique  de  Harrington  par  John  Toland.  Autres 
ouvrages  contenus  dans  cette  édition  :  The  Prérogative  of  Popular  Government,  p.  229. 
—  The  Art  of  Lawgiving  in  three  books,  p.  383.  —  A  Word  concerning  an  House  of  Peers, 
p.  468.  —  Six  Political  Tracts  written  on  several  Occasions  :  Valerius  and  Publicola... 
A  Dialogue,  p.  475.  —  A  System  of  Politics  delineated  in  short  and  easy  Aphorisms, 
p.  496.  —  Political  Aphorisms,  p.  515.  —  Seven  Models  of  a  Commonwealth,  p.  524.  — 

The  ways  and  means  of  introducing  a  Commonwealth  by  the  consent  of  People,  p.  539. 

The  humble  Pétition  of  divers  well  affected  persons,   with    Parliatnent  answer  therto, 
p.   541-546.  —  Cette  édition  ne  contient  pas  certains  ouvrages  de  Harrington,  par 

'   exemple  :  The  Censure  of  the  Rota  tipon  Mr.  Milton's  Book  entituled  :  The  ready  and  easie 
way  to  establish  a  free  Commonwealth ,  Londres,  1660.  Signé  J^.  H. 

4.  L'ouvrage  est  dédié  à  son  «  Altesse  le  Lord  Protecteur  de  la  République  d'Angle- 
terre,  d'Ecosse  et  d'fi'lande    ,  et  porte  cet  épigiaphe  significatif  : 

Quid  rides  ?  mutato  nomine,  de  te 
Fabula   narratur. 

(HORAt.) 

5.  La  Cité  du  Soleil  parut,  en  manière  d'appendice  de  la  troisième  partie  de  l'ouvrage 
suivant  de  Campanella  :  Realis  Philosophiœ  epilogisticœ  Partes  quatuor,  hoc  est  de  rerum 
natura,  honiimmi  moribus,  politica  (cui  Civitas  solis  adjuncta  est)  et  œconomica  cum 

annota' ionibus  physiologicis,  a  Thobia  Adamt  nunc  primum  editœ,  Francfort,  1623.  

On  sait  que  Campanella  (1568-1639),  ayant  pris  part  aux  troubles  C|ui  soulevèrent 
Naples  contre  la  domination  espagnole,  en  fut  dm-ement  puni  par  une  captivité  qui 
se  prolongea  vingt-sept  ans.  Tobie  Adami,  passant  par  Naples,  alla  visiter  le  prisonnier 
qui  lui  confia,  pour  être  imprimés,  plusievirs  de  ses  manuscrits.  Né  en  1581,  à  VVerda, 
aujourd'hui  village  du  cercle  de  Zwickau  (Saxe)  et  mort  à  Weimar  (1643),  où  il  fut 
conseiller  aulique  du  prince  Guillaume  (1605-1662),  duc  de  Saxe-Weimar,  T.  Adamî 
s'ucquitta  de  cette  tâche  avec  un  dévouement  éclairé. 

28 


434         ARTICLE   III.    —   CHAPITRE    V.    PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

riques,  sont  longs,  fastidieux,  mais  solides  :  c'est  lui  qui  a  le  dernier 
mot  dans  les  assemblées.  Harrington,  malgré  ces  défauts  de  la  composi- 
tion, fait  preuve  de  connaissances  réelles  en  politique. 

La  république,  dont  Ocmna  décrit  la  constitution,  dait  réaliser 
l'égalité  et  dans  ses  «  fondations  »  et  dans  sa  «  superstructure  ».  Cette 
égalité  est  obtenue,  pour  les  «  fondations  »,  au  moyen  «  d'une  loi 
agraire  perpétuelle,  qui  établit  et  maintient  l'équilibre  de  la  propriété, 
grâce  à  une  répartition  teUe  qu'aucun  homme  ou  nombre  d'hommes, 
dans  les  limites  de  peu  de  personnes  ou  aristocratie,  ne  puisse  surpasser 
tout  le  peuple  par  leurs  possessions  en  terres  »  ^.  Elle  l'est,  pour  la 
«  superstructure  »  de  l'édifice,  «  au  moyen  d'un  système  de  rotation 
ou  succession  des  magistrats  qu'assure  le  suffrage  du  peuple  donné 
par  boiile  »  ^.  Trois  ordres  sont  constitués  :  «  le  Sénat  qui  débat  et 
propose,  le  Peuple  qui  résout  ^  et  la  Magistrature  qui  exécute  »  *. 

Harrington  s'inspire  volontiers  de  Machiavel  et  prend  pour  modèle 
la  constitution  de  Venise.  Ainsi  sa  répubhque  n'est  au  fond  qu'une 
aristocratie  tempérée.  Il  admet  la  liberté  en  matière  reUgieuse  ^, 
mais  une  liberté  restreinte,  car  elle  est  refusée  aux  «  papistes,  juifs 
et  idolâtres  )>  ^.  Il  veut  qu'il  y  ait  un  culte  social  :  «  Une  république 
n'est  rien  autre  chose  que  la  conscience  nationale.  Si  la  conviction 
de  la  conscience  privée  d'un  particulier  produit  la  rehgion  privée, 
la  conviction  de  la  conscience  nationale  doit  produire  une  rehgion 
nationale  »  '^ . 

Adversaire  résolu  des  théories  pohtiques  de  Hobbes,  l'auteur 
(^Océana  n'hésita  point  cependant  à  le  proclamer  le  meiUeur  écrivain 
de  l'époque,  ni  même  à  adhérer  pleinement  aux  traités  psycholo- 
giques du  philosophe  :  La  Nature  humaine,  Liberté  et  Nécessité,  qui 


1.  An  equal  agrarian  is  a  perpétuai  law  establishing  and  preserving  the  balance  of 
dominiOii  by  such  distribution,  that  no  one  nian  or  number  of  men,  within  fflie  compass 
of  the  F&w  or  Aristocracy,  can  corne  to  overpower  the  whole  people  by  their  2îos.sessions 
in  lands  (HARniNGTON,  Oceana  :  The  Preliminarys  shewing  the  pyinciples  of  Govern- 
ment, Opère  ciiato,  p.  54). 

2.  An  equal  Commonwealth  is  a  government  establis'd  upon  an  equal  agraria-  , 
arising  into  the  superstructures  cr  three  orders,  the  Sénat  debating  and  proposing,  the 
People  resolving,  and  the  Magistracy  executing-  by  an  equal  rotation  thro  the  suffrage 
of  People  given  by  ballot  (Opère  citato,  p.  55).  —  En  face  la  page  113,  il  y  a  une  gravure 
pour  ejqjliquer  la  manière  de  voter  avec  des  boules  :  The  manner  and  use  of  the  ballot. 

3.  Dans  ses  Aphorismes  politiques  Harrington  dit  :  «  Une  assemblée  populaire  sans 
sénat  ne  peut  être  sage.  Un  sénat  sans  assemblée  populaire  ne  sera  pas  honnête.  » 
(A  popular  assembly  without  a  Sénat  cannot  be  -wise.  Asenat  without  a  popular  assembly 
will  not  be  honest.  Cf.  Political  Aphorisms,  76  et  77,  Opère  citato,  p.  519/ 

4.  Sur  la  constitution  d'Océana,  on  peut  consulter  Th.  W.  Dwight,  Harrington,  dans 
Political  Science  Quarterly,  mars  1887,  p.  1-44. 

5.  Il-est  poixr  la  liberté  de  conscience,  «  parce  que,  sans  elle,,  la  hberté  civile  ne  peut 
être  parfaite,  et  que,  sans  la  liberté  civile,  la  liberté  de  conscience  ne  peut  être  parfaite.  » 
(Because,  without  liberty  of  conscience,  civil  liberty  cannot  be  perfect,  and  wdthout 
civil  liberty,  liberty  of  conscience  pannot  be  perfect).  (Harrington,  Valeriuê  and 
Publicola...,  p.  489,  in  fine), 

6.  Harrington,  Oceana,  p.  88, 

7.  A  Commonwealth  is  notliing  else  but  that  national  conscience.  And  if  the  con- 
viction of  a  inans  privât  conscience  produces  it  privaf  religion,  the  conviction  of  the 
national  conscience  must  produce  a  national  religion  (Oceana,  Opère  cit.,  p.  58), 


INFLUENCE   EN   ANGLETERRE    :   ADVERSAIRES  435 

brillent  à  ses  yeux  comme  «  les  plus  grandes  des  lumières  nouvelle  »  ^. 

Harrington  s'était  complaisamment  flatté  que  la  république  qu'il 
proposait  est  si  solidement  assise  qu'elle  «  n'a  en  elle  aucun  piincipe 
de  mortalité  ».  Les  critiques,  qu'il  essuya  de  son  rivant,  étaient  bien 
faites  pour  ébranler  son  robuste  optimisme,  si  les  illusions  de  la  pater- 
nité intellectuelle  n'étaient  pas  ordinairement  incurables  ^.  Signalons 
les  tentatives  de  Mathieu  Wren  ^,  membre  de  la  Société  royale 
depuis  sa  fondation  par  la  charte  de  Charles  II  (1662).  et  de  Henri 
Stubbe  ^,  maîti^  es  arts  de  Christ-Church  d'Oxford  ^,  médecin, 
grand  admirateiu"  et  ami  de  Hobbes. 

Harrington  devait  rencontrer  plus  tard  (1748)  un  critique  plus 
bienveillant  dans  un  écrivain  d'une  tout  autre  portée.  David  Hume 
découvre  sans  doute  des  déficits  dans  sa  constitution  d'Océana.  Il  les 
ramène  à  trois  principaux  : 

1^  Le  système  de  rotation  est  peu  convenable,  parce  qu'il  écarte, 
par  intervalle,  des  emplois  pubHcs,  certains  hommes,  quelle  que  soit 
leur  aptitude.  —  2°  La  Loi  agraire  est  impraticable.  —  3"  h^Océana 
n'offre  pas  une  suffisante  garantie  pour  la  Uberté  ou  le  redi'essement 

1.  Après  avoir  justifié  son  opposition  au  système  politique  de  Hobbes,  Harrington 
ajoute  :  Nevertheless  in  in  est  other  things  I  firmly  believe  that  Mr.  Hobbes  is  and  will 
in  future  âges  be  accounted,  the  best  \\Titter  at  this  day  in  the  world.  An  for  his  tréatisee 
of  «  Human  Nature  »  and  of  «  Liberty  and  Necessity  >,  they  are  the  greatest  of  new 
lights,  and  those  which  I  hâve  follow'd  and  shall  foUow  (Harrington,  The  Préro- 
gative of  Popular  Government,  being  a  Political  Discourse  in  tivo  Books,  L.  I,  Ch.  VIT, 
in  fine.  Op.  cit.,  p.  259). 

2.  C'est  lui-même  cependant  qui  pria  Richard  Baxter  d'écrire  :  A  Holy  Common- 
wealth  or  Political  Aphoriams  opening  the  true  principles  of  qovernement  for  the  healvng 
of  the  mistake^  and  resolving  the  doubts  that  tnost  endanger  and  trouble  England  at  his 
time.  Written  at  the  invitation  of  J.  Harrington,  Londres,  1659.  —  Baxter  y  réfute, 
avec  bienveillance  d'ailleurs,  certaines  assertions  d'Harrington.  Cf.  Ch.  III,  Thèse,  30, 
p.  45.  —  Ch.  VIIL  Th.  208,  p.  224.  —  Ch.  IX,  Th.  229,  p.  264  ;  Th.  244,  p.  284. 

3.  Matthevv  AVeen  (1629-1672),  Considérations  on  Mr.  Harringtoii's  Common' 
Wealth  Oceana  restraint  to  the  first  part  of  Preliminaries,  Londres,  1657.  —  3[omrrhy 
asserted,  or  the  i<tate  of  Monarchicall  and  Popular  Governinent  in  vindication  of  the 
Considérations...,  Onîord,  1659  :  I660-. — Harrington  lui  répondit  par  son  Politicaster 
or  a  Comical  Discourse...,  Londres,  1659.  —  VVren  était  le  fils  aîné  de  Mathew  Wren, 
évêque  anglican  d'Eiy.  Lord  Clarendon  et  Jacques,  duc  d'York,  l'employèrent  comme 
secrétaire. 

4.  Henry  Stubbe  (1632-1676),  The  Commonwealth  of  Oceana  put  into  the  ballance  and 
found  too  ligth  or  an  Account  of  the  Republickof  Sparta.ioithoccasional  Animadversions 
upon  Mr.  James  Harrington  and  the  Oceanistical  Model,  Londres,  1660. 

5.  A  propos  de  discussions  grammaticales  sur  l'emploi  de  certains  mots,  survenues 
entre  Wallis  et  Hobbes,  Stubbes  prit  fait  et  cause  pour  ce  dernier  dans  l'ouvrage  : 
Clamor,  Rixa,  Joci,  Mendacia,  Furta  or  a  severe  Enquiry  into  the  late  the  Oneirocriiioa 
pnblished  by  John  Wallis.  —  W£07!-:r,;  i/z'.-o'j.'jHo;.  Or  an  exact  Account  of  the 
granx/matical  Pcert  of  the  Controversy  betwixt  Mr.  Thomas  Hobhes  and  John  Wallis, 
Londres,  1657.  —  Un  extrait  de  cet  ouvrage  a  été  reproduit,  à  la  suite  du  livre  do 
Hobbes  :  ^Tt-'iJta'.,  sous  ce  titre  :  An  extract  of  a  Letter  concerning  tJie  grammatical  part 
of.  the  controversy  betwcen  Mr  Hobbes  and  Dr  Wallis.  Cf.  Works,  t.  VII,  p.  401-428.  — 
L'ouvrage  de  Hobbes  est  intitulé  :  ^-.[-rj-T.'.  W-'^tioiJ.z-z'.'/.ci,  W-^yj '.•/.•. y.:;,  "AvT'.TroX'.-îta;, 
'Aj'jtafteia:;,  ar  Marks  of  the  absurd  Geometry,  Rural  Language,  Scottish,  Church  Politisa 
emd  Barbarisms  of  Jolm  Wallis,  prof  essor  of  Geometry  and  Doctor  of  Divinity,  Lon- 
dres, 1657.  —  Wallis  répliqua  par  :  Hobhiani  Pimeti  Diapunctio  or  theUndoing  of 
Mr  Hobs»  Points,  in  Anawer  to  M.  Hobs's  Xrt-'iJta!,  id  est  Stigmata  Hobbii, 
Oxford,  1657. 


436        ARTICLE   III.   —  CHAPITRE   V.   —  PARTISANS   ET  ADVERSAIRES 

des  torts.  Le  Sénat  doit  proposer,  et  le  peuple,  consentir.  Il  en  résulte 
que  le  Sénat  a  non  seulement  le  droit  de  veto  contre  le  peuple,  mais, 
ce  qui  est  de  beaucoup  plus  grande  conséquence,  qu'il  l'a  avant  les 
votes  du  peuple.  Le  pouvoir  législatif  reste  en  définitive  aux  mains  du 
Sénat  ^. 

Mais,  malgré  ces  graves  réserves.  Hume  se  plaît  à  reconnaître 
que  VOcéana  est  le  seul  modèle  estimable  de  république  qu'on  ait 
jusqu'ici  offert  au  public  ^. 

Cette  appréciation  ^  eût  sans  doute  singulièrement  réjoui  Harring- 
ton.  Il  aurait  sans  doute  moins  goûté  cette  autre  remarque  :  «  Harring- 
ton  s'est  cru  si  sûr  de  son  principe  général  :  L'équilibre  du  pouvoir 
dépend  de  celui  de  la  propriété,  qu'il  s'aventura  à  prédire  que  le  réta- 
blissement de  la  monarchie  était  à  jamais  impossible  en  Angleterre. 
Or  son  livre  était  à  peine  publié  que  la  restauration  de  la  royauté 
s'accomplissait  ;  et  nous  voyons  que  depuis  lors  la  monarchie  a  tou- 
jours subsisté  sur  le  même  pied  qu'auparavant  »  *.  L'ouvrage  parut 
en  1656  ;  la  restauration  est  de  1660, 

La  critique  à  laquelle  Hobbes  fut  sans  doute  le  plus  sensible,  lui 
vint  d'un  vieil  ami,  personnage  illustre,  qui  avait  joué  un  grand  rôle 
pohtique  en  Angleterre,  Edouard  Hyde,  comte  de  Clarendon  ^. 
On  n'a  pas  oubhé  que,  revenant  d'une  mission  diplomatique  à  Madrid, 
Clarendon  vit  souvent  Hobbes  à  Paris  et  qu'il  en  reçut  des  confi- 

1.  The  chief  defects  of  the  Oceana  seem  to  be  thèse.  First,  Its  rotation  is  inconvé- 
nient, by  throwing  men,  of  whatever  ftbihties,  by  intervalp,  out  of  public  employnients. 
Secondly,  Its  Agrarian  is  impraticable...  Thirdly,  The  Oceana  provides  not  a  suflficient 
security  for  liberty  or  the  redress  of  grievances.  The  senate  must  propose,  and  the 
people  consent  ;  by  which  means,  thesenate  hâve  not  only  a  négative  upon  the  people, 
but,  what  is  of  niuch  gi'eater  consequence.their  négative  goes  before  the  votes  of  people.. 
...  It  appears  then  that,  in  Oceana,  the  whole  législature,  may  be  said  to  rest  in  the 
senate.  (D.  Hume,  Essays  moral,  political  and  literary  (Londres,  1748),  Essay  XVI, 
Idea  of  perfect  Conmionwealth,  Edit.  Gbeen,  t.  T,  p.  481-482,  Londres,  1875). 

2.  The  Oceana  is  the  only  valuable  model  of  a  Comnionwealth  that  bas  yet  been 
offered  to  the  public  (D.  Hume,  Opère  citato,  Ihid..  p.  481). 

3.  Il  est  ciu-ieux  d'en  rapprocher  l'appréciation  que  des  extraits  à' Oceana  inspirèrent 
à  Leibniz,  partisan  résolu  des  formes  tempérées  en  fait  de  gouvernement  •  «  Vostre 
Harrington  dans  son  Oceana  avoit  pour  but  de  recommander  une  manière  de  Répu- 
blique qui  fût  des  meilleures.  Je  n'ay  point  encor  vu  son  livre  ;  mais  les  extraits  que 
j'en  ay  vus  me  font  douter  qu'il  ait  assez  percé  jusqu'au  fond  de  cette  importante 
matière.  Je  trouve  seulement  qu'il  a  eu  raison  de  recommander  le  gouvernement  des 
Provinces  Unies,  où  l'on  se  i-ange  assez  ordinairement  à  la  raison  dans  les  matières 
importantes  de  l'Estat.  »  (Lettre  de  Leibniz  à  Thomas  Burnett.  Edit.  Gerhardt,  t.  III, 
Lettre  XXIII,  sans  lieu  ni  date,  p.  277-278). 

4.  Harrington  thought  himself  so  sure  of  his  gênerai  principle,  that  the  balance  of 
power  dépends,  on  that  of  property,  that  he  ventured  to  pronounce  it  impossible  ever  to 
re-establish  monarchy  in  England.  But  his  book  was  scarcely  published  when  the  King 
was  restored  ;  and  we  see  that  monarchy  hâve  ever  since  subsisted  upon  the  same 
footing  as  before.  (D.  Hume,  Opère  citato,  Essay  VII,  t.  I,  p.  122). 

5.  Edward  Hyde,  earl  of  Clarendon,  naquit  à  Dinton  (Wiltshire)  en  1609  et 
mourut  en  exil  à  Rouen  en  1674.  Il  fut  enterré  à  Westminster  le  4  janvier  1675.  Dans 
un  temps  corrompu  ce  fut  un  homme  d'Etat  intègre  et  fidèle  à  ses  principes.  Il  a  laissé 
des  ouvrages  politiques  et  historiques,  dont  le  plus  remarquable  est  VHistory  of  the 
Rébellion  and  civil  wars  in  England,  begun  in  the  year  1641,  3  vol.  Oxford,  1702-1704. 


INFLUENCE   EN   ANGLETERRE    :    ADVERSAIRES  437 

dences  sur  le  Léviathan  qui  allait  bientôt  paraître  (1651)  ^.  Quand  le 
conseiller  de  Charles  II  eut  pris  connaissance  de  l'ouvrage,  il  se  mit 
à  l'œuvre  pour  le  réfuter,  car  les  principes  du  Léviathan  lui  avaient 
semblé  aussi  «  pernicieux  pour  l'Etat  que  pour  l'Église  »  ^.  Mais  il  ne 
jugea  point  à  propos  de  publier  immédiatement  cette  réfutation, 
parce  que,  Hobbes  étant  rentré  en  Angleterre  avec  l'agrément  de 
Cromwell,  dont,  au  dire  des  royalistes,  «  il  avait  défendu  l'usurpa- 
tion »  ^,  c'eût  été  «  entrer  en  lutte  avec  un  homme  qui  commandait 
à  trente  légions  »  ■*. 

Clarendon  nous  raconte  qu'après  la  restauration  de  la  royauté  (1660), 
«  Hobbes  vint  souvent  à  la  Cour,  où  il  comptait  de  trop  nombreux 
disciples,  et  lui  rendit  un  jour  visite  ».  Puis,  il  ajoute  :  «  Je  le  reçus 
avec  beaucoup  de  bienveillance  et  l'invitai  à  me  venir  voir  souvent  »  ^. 
Grand  chancelier  du  royaume,  il  était  alors  au  comble  de  sa  fortune. 
En  homme  de  cœur  et  en  pohtique  averti,  il  jugea  inopportun  et  peu 
déUcat  d'attaquer  en  ce  moment  un  pubUciste  que  le  roi  et  nombre 
de  courtisans  considéraient  d'un  bon  œil.  C'eût  été  abuser,  sans  profit, 
de  sa  haute  position.  Cette  fois  encore  la  pubHcation  fut  différée. 
Une  disgrâce  imméritée  lui  permit  enfin  de  réahser  son  dessein. 

Victime  des  intrigues  de  Buckingham  et  de  la  rancune  de  (Charles  II, 
dont  il  avait  courageusement  entravé  les  scandaleux  projets  de  divorce, 
le  chanceher  dut  fuir  précipitamment  (novembre  1667)  en  France, 
afin  d'échapper  à  un  procès  inique,  qui  avait  pour  prétexte  une  accu- 
sation de  lèse-majesté.  Une  sentence  d'exil  fut  prononcée  contre  lui 
par  les  deux  Chambres.  Ce  fut  la  récompense  de  longs  et  loyaux  ser- 
vices. 

Pour  occuper  utilement  ses  tristes  loisirs,  Clarendon  se  livra  à 
l'étude  des  langues  et  à  la  composition  ;  il  revit  notamment  et  com- 
pléta V Histoire  de  la  Rébellion  en  Angleterre  ainsi  que  V Histoire  de  la 
guerre  civile  en  Irlande.  C'est  pendant  son  séjour  à  MouUns  (1671) 
qu'il  mit  la  dernière  main  à  la  réfutation  de  Hobbes.  Elle  parut  l'an- 
née même  de  sa  mort  (1674).  L'auteur  a  dédié  l'opuscule  à  Charles  II, 
sans  doute  pour  obtenir  son  retour  qu'il  avait  vainement  fait  soUi- 
citer  jusque-là  et  qu'ici  il  solhcite  lui-même  discrètement  ^. 

Dans  cette  Dédicace  il  rappelle  au  prince  qu'il  l'avait  plus  d'une 
fois  pressé  de  lire  le  Léviathan,  convaincu  que  cette  lecture  le  lui 
ferait  aussitôt  détester.  Il  indique  ensuite  les  causes  multiples  qui 

1.  Cf.  supra,  p.  383-384. 

2.  Clarendon,  A  brief  Vieiv  and  Survey  of  the  dangerous  and  pernicioics  Errora  lo 
Church  and  State  in  Mr.  Hohbes's  book  entitled  Léviathan,  Londres,  1674  ;  Oxford,  1676. 
Nous  renverrons  à  cette  «  seconde  impression  »  (The  second  impression)  qui  fut  faite  à 
Oxford.  Clarendon  avait  été  élu  en  1660  chancelier  de  l'Université. 

3-4.  And  as  it  could  not  reasonably  be  expected  that  such  a  book  would  be  answer'd 
in  the  tinie  when  it  was  publish'd,  which  had  bin  to  hâve  disputed  with  a  man  that  com- 
manded  thirty  Légions  (for  Cromwell  had  bin  oblig'd  to  supported  him,  who  defen  'ed 
his  usurpation)  (Clarendon,  A  brief  Vieiv...  Introduction,,  p.  5). 

5.  After  the  Kings  return,  lie  [Hobbes]  came  frequently  to  the  Court,  where  he  had 
toc  many  disciples,  and  once  visited  me.  I  receiv'd  him  very  kindly  and  invited  him  to 
838  me  often  (Clarendon,  A  brief  View...,  Introduct.,  p.  9). 

6.  Clarendon,  A  brief  View...,  The  Epistle  dedicatory  [non  paginée],  p.  5-6. 


438         ARTICLE    m.   —  <MAP1TIIE   V,   —  PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

expliquent  la  fascinatioii  exercée  par  l'ouvrage.  La  nouve-auté  et 
l'agrément  des  expressions,  la  réputation  d'esprit  et  de  savoir  de 
l'auteur,  son  assurance  dans  la  conversation,  spécialement  le  goût 
de  l'époque  pour  toute  sorte  de  paradoxes,  ont  fait  passer  inaperçus 
les  raisonnements  audacieux  et  p®rté  à  croire  que  les  propositions 
du  Léviathan,  connues  par  sentences  détachées  du  contexte,  sans  réflé- 
chir aux  conséquences,  sont  plus  innocentes  ou  moins  malfaisantes 
qu'elles  ne  le  sont  en  réalité.  Une  lecture  attentive  et  raisonnée  en 
aurait  découvert  l'iniquité.  Mais  l'affection  pour  la  personne  de  l'écri-  j 
vain  et  le  charme  de  sa  compagnie  ont  rendu  malaisé  le  discernement  I 
de  ses  principes  ^.  Tout  ce  passage,  finement  étudié,  laisse  clairement 
entendre  que  les  principes  de  Hobbes  avaient  fortement  déteint  sur 
Fesprit  de  la  Cour. 

Aucune  animosité  personnelle  ne  pousse  Clarendon  à  se  déclarer 
contre  Hobbes,  car,  confesse-t-il,  ce  philosophe  est  «  l'une  de  ses  plus 
vieilles  connaissances  »  et  «  il  l'a  toujours  tenu  en  gra.nde  estime 
à  cause  de  son  savoù-  éminent  et  de  sa  vie  probe  dégagée  de  tout  scan- 
dale »  ^.  Mais  il  se  croit  encore  dans  l'obligation  de  dénoncer  ses 
erreurs,  parce  qu'il  les  juge  toujours  nuisibles  au  bien  de  l'Éghse 
et  de  l'état.  C'est  pourquoi,  passant  en  revue  les  divers  chapitres 
du  Léviatha,n,  il  y  signale  et  redresse  tout  ce  qui  lui  paraît  «  dangereux 
et  malfaisant  »  pour  la  société  civile  ou  la  société  rehgieuse. 

Le  meilleur  service  qu'il  puisse  rendre  à  la  cause  de  Charles  II 
c'est  de  «  réfuter  la  doctrine  contenue  dans  le  Léviathan  »,  parce  qu'elle 
est  «  pernicieuse  au  pouvoir  souverain  des  rois  et  destructive  de  l'affec- 
tion et  de  la  fidélité  des  sujets  »  ^. 

Il  est  notable,  d'autre  part,  que  ce  laïc  se  montre,  sur  la  question 
rehgieuse,  aussi  catégorique  que  les  clercs  dans  les  reproches  qu'il 
adresse  à  l'attitude  de  Hobbes.  Quand  ce  philosophe  «  ébranle  les 

1.  ...  In  confidence  that  they  -novild  no  sooner  be  read,  then  detested  by  you  ;  whe- 
reas  the  fréquent  reciting  of  loose  and  disjointed  sentences,  and  bold  inferences,  for 
tbe  novelty  and  pleasantness  of  the  expressions,  the  Tepntati-on  of  the  gentleman  for 
parts  and  learning,  with  his  confidence  in  conversation,  and  especially  the  humor 
and  inclina-tion  of  the  time  to  ail  kind  of  paradoxes,  hâve  too  niuch  prevail'd  with 
many  of  great  wit  and  faculties,  \vithout  reading  the  context  or  observation  of  the 
conséquences,  to  believe  his  propositions  to  be  more  innocent  or  less  mischievious, 
than  upon  &  more  deliberate  perusal  they  m\\  find  them  t-o  be  ;  and  the  love  of  his 
personand  company  hâve  rendred  the  iniquity  of  his  principles  less  discernible  (Claren- 
DON,  A  brief  View...,  The  Epistle  dedicatory  [non  paginée],  p.  3-4). 

2.  In  a  Word,  Mr  Hobbes  is  one  of  the  most  ancient  acquaintanee  I  hâve  in  the  world 
and  of  whom  I  hâve  alwaies  had  a  great  esteem,  as  a  man  ■vrho,  besîdes  his  eminent 
parts  of  Jearoing  and  knowledge,  hath  bin  alwaies  looked  npon  as  a  man  of  probity  and 
a  life  free  fi^sm  scandai  (Clarendon,  A  brief  View...,  întrodixct.,  p.  3).    • 

3.  ...  1  cotild  not  not  think  of  any  thing  in  my  power  to  perfomi  of  more  iniportance  • 
to  yonr  Majesties  service,  than  to  answer  Mr  Hobbe's  LeviatHmn  and  confute  the  doc- 
trine therein  contain'd,  so  pernioious  to  the  8o\-eraign  power  of  Kings  and  destructive 
t»  thte  affection  and  aUegiance  of  Subfects...  (Olarendoît,  A  briej  View...,  Tlie  Epistle 
dedicatory,  [non  paginée],  p.  3-3).  Ce  texte  montre  que  les  critiqiies  de  Clarendon  ne 
sont  pas  toujours  justifiées.  Pour  lui,  en  toute  hjqDOthèse,  l'otéissance  et  la  fidélité 
ipoKtique  aux  souverains  sont  obligatoires.  Hobbes  a  soutenu  avec  raison,  d'accord  en 
cela  avec  les  Scolastiques,  que,  dams  certains  cas,  les  sujets  sont  affranchis  de  toute 
obligation  è  l'égard  d'un  souverain  détrôné.  Cf.  supra,  p.  394-395. 


INFLUENCE  EN  ANGLETERRE  :  ADVERSAIRES  43^ 

principes  de  la  religion  chrétienne  par  ses  interprétations  nouvelles 
et  téméraires  de  l'Écritiure,  on  peut  difficilement  éviter  de  dire  : 
«  Il  n'a  pas  de  religion,  ou  :  Ce  n'est  pas  un  bon  chrétien  »,  et  se  sous- 
traie à  la  tâche  de  montrer  le  poison  qui  se  cache  et  se  dissimule  ^.  » 
Clarendon  réprouve  ces  «  insinuations  odieuses  »  et  cette  «  perversion 
du  sens  de  quelques  textes  scripturaires,  qui  déshonorent  et  tendent 
à  détruire  l'essence  véritable  de  la  rehgion  du  Christ  »  ^,         ^ 

C'est  dans  les  rangs  du  clergé,  défenseur  né  de  la  morale  et  de  la 
rehgion,  que  les  principes  immoraux  et  rationahstes  de  Hobbes 
rencontrèrent  naturellement  l'opposition  la  plus  générale  et  la  plus 
vive  .«  Le  philosophe  de  Malmesbury,  écrit,  en  1761,  Williajni  War- 
BURTON,  évêque  de  Glocester,  était  la  terreur  du  dernier  siècle,  comme 
Tindal  et  CoLLiNS  le  sont  de  celui-ci.  La  presse  s'escrimait  pénible- 
ment dans  la  controverse  ;  chaque  jeune  clerc  militant  éprouvait 
le  besoin  d'essayer  ses  armes  en  fulminant  contre  le  casque  d'acier 
de  Hobbes  »  ^.  Sermons,  pamphlets,  traités  se  multiphèrent,  surtout 
du  vivant  de  l'auteur.  Comme  ces  œuvres  de  polémique  ne  furent 
que  des  œuvres  de  circonstances,  dont  la  vogue  a  été  ordinairement 
éphémère,  il  suflEii'a  de  mentionner  en  passant  les  principaux  oppo- 
sants :  ' 

Alexandre  Ross  (1590-1654),  pasteur  à  Carisbrooke  dans  l'île 
de  Wight*,  Jeajst  Bramhall  (1594-1663),  archevêque.  d'Armagh  ^, 
Seth  Ward  (1617-1689),  professeur  d'astionomie  à  Oxford,  puis 
évêque  d'Exeter  ^,  William  Lucy  (1591-1677),  évêque  de  Saint- 
David's  (Pembrokeshire)  ^  Robeet  Sharrock  (1630-1684),  de  New 
Collège    (Oxford),    archidiacre    de    Winchester  ^,    Georges    Lawson 

L  ...  And  \rhen  he  [Hobbes]  shakes  the  prineiples  of  Christian  religion  by  his  new 
and  bold  interprétations  of  Scripture,  a  man  can  hardly  avoid  saying  :  He  liath  no  reli- 
gion, or  that  he  is  no  good  Christian  ;  and  escape  endeavouring  to  manifest  and  expose 
the  poisçn  that  liœ  hid  and  conceled  (Clarexdox,  A  bref  Vieic...,  Introduet.,  p.  9-10). 

2.  ...  And  niuch  less  of  those  odious  insinuations  aiid  perverting  some  textes  of 
Scripitiu'e,  which  do  dislionor  and  would  destroy  the  A'ery  essence  of  the  religion  of  the 
Œrist  (C'r.ARE>rDON,  A  brief  View..,  Introd.,  p.  6). 

3.  The  pliilosopher  of  3Ialmesbury  was  the  ten-or  of  the  laste  âge,  as  Tindal  and 
Collins  a-e  of  this.  The  press  sxreated  ^vith  controversy  ;  and  every  young  Chnrrh- 
man  mihtant  would  try  his  arms  in  thundering  upon  Hobbes's  steel-cap  (W.  War- 
BURTON  (1698-1779),  The  Divine  Légation  of  Moses  demonstrated  on  the  prineiples  of  a 
religions  deist,  from  the  omission  of  the  doctrine  of  a  future  state  of  reu-ard  and  pitnishment 
in  the  Jewish  dispensation,  t.  II,  Préface,  p.  x  bis,  Londres,  1742-). 

4.  AxEXANDER  Ross,  Leviothon  draun  md  with  a  hook or  Animadversions  onMr  Hobbes 
hie  Leviathan,  Londres,  1653.  —  Hobbes  lui  consaci-e  quelques  lignes  dans  son  li\Te  : 
Of  Liberty  and  Necessity,  The  Epistle  to  the  reader,  Works,  t.  IV,  p.  237. 

5.  John  Bramhall,  A  Defence  of  true  Liberty  of  human  actions  from  antécédent  or 
extrinsic  Necessity,  Londres,  1655.  —  Caatigations  of  Mr  Hobbes's  Animadversions 
in  the  case  concerning  Liberty  and  universal  Necessity.  With  Appendix  conctming  the 
Catching  of  Leviathan  or  the  Gréai  Whale,  Londres,  1658. 

6.  Seth  Ward,  In  Th.  Hobbii  Philosophiam  Exercitatio  epistolica,    Londres,  1656. 

7.  WnjJAM  Lucy,  Observations,  Censures  and  Confutations  of  divers  errors  in  the  12, 
li^nd    14  Chapters  of  Mr  Hobs  his  Leviathan,  Londres,  1657  ;  1663-. 

8.  Robert  Sharrock,  V—cOeti;  t/)'xï]  de  Officiis  secundum  nntiirœ  Jus  seti  de 
Moribus  ad  rationis  Hormam  conformandis  Doctrina.  Vnde  casus  omnes  conscierUiœ, 
quatenus  notiones  a  natura  suppetunt,  judicari  possint.  Ethnicorum  simnl  et  Jure,  prce- 


440        ARTICLE   m.   —   CHAPITRE   V.   —  PARTISANS   ET  ADVERSAIRES 

(t  1678),  recteur  de  More  (Shropshire)  i,  Thomas  Tenison  (1636- 
1715).  «  vicaire  »  de  Saint- André-le-Grand  à  Cambridge,  plus  tard 
arche v'ê(|ue  de  Cantorbéry  2,  Jean  Eachard  (vers  1636-1697),  direc- 
teur (master)  de  Catharine  Hall  à  C'ambridge  ^,  Samuel  Parker 
(1640-1688),  archidiacre  de  Cantorbéry,  puis  évêque  d'Oxford^, 
Richard  Bentley  (1662-1742),  directeur  de  Trinity  Collège  à  Cam- 
bridgej'.  Richard  Baxter  **  (1615-1691),  théologien  puritain. 

Un  fait  bien  significatif  est  à  noter  ici  :  Hobbes  ne  répondit  à 
aucun  des  ecclésiastiques  qui  l'attaquèrent.  S'il  composa  une  courte 
réplique  à  l'évêque  Bramhall,  qui  le  traitait  de  blasphémateur  et 
d'athée,  elle  resta  ensevehe  dans  ses  cartons  et  ne  parut  qu'après 
sa  mort  ''.  Ce  n'est  pas  qu'il  répugnât  à  la  lutte.  On  l'a  vu  batailler, 
pendant  près  d'un  quart  de  siècle  (de  1656  à  1678),  contre  le  mathé- 
maticien Wallis  ^,  continuant  à  le  harceler  après  même  que  celui-ci 
eut  cessé  les  hostihtés  (1672).  Ce,  n'est  pas  qu'il  fût,  subtil  comme  il 
était,  à  bout  d'arguments  et  de  distinctions.  Ni  répugnance,  ni  impuis- 
sance. Le  terrain  des  controverses  religieuses  et  scripturaires  était 
un  terrain  trop  brûlant  pour  qu'il  s'y  aventurât  à  l'étourdie.  Aux  yeux 

sertim  civili,  ConsuUoruni  consensus  ostenditur,  principia  item  et  rationes  Hobbesii 
Mahneshurienéis  ad  Politicani  et  Ethicam  spectantes,  quatenus  huic  Hypothesi  contra- 
dicere  videantur,  in  examen  veniuîit,  Oxford,  1660.  —  De  Finibus  Virtutis  Christianœ. 
The  Ends  of  Christian  Religion,  Oxford,  1673. 

1. George  Lavvson,  A  Examination  of  political  part  of  Mr  Hobbes^ s  his  Leviathan, 
Londres,  1663. 

2.  Thomas  Tenison,  The  Creed  of  Mr  Hobbes,  examined  in  a  feigned  Conférence 
between  him  and  stud  nt  in  Divin'iy,  Londres,  1670. 

3.  John  Eachard,  Mr  Hobbes's  State  of  nature  considered  in  a  Dialogue  between 
Philautus  and  Timothy,  Londres,  1672;  1694^. —  Some  opinions  of  Mr  Hobbes  considered 
in  a  second  Dialogue,  Londres,  1673. 

4.  Samuel  Parker,  Disputationes  de  Deo  et  Providentia  divina,  Disput.  I,  Sect. 
XXVII-XXXII,  p.  86-102,  Londres,  1678. 

5.  PviCHARD  Bentley,  The  Folly  of  Athèism.  A  confutation  of  Atheism...  Sermons 
preached  at  Boyle's  Lecture,  Londres,  1692.  Cf.  The  Works  of  Richard  Bentley. 
Edit.  Al.  Dyce,  t.  III,  Londi-es,  1838.  - —  Traduction  :  Stultitia  et  Irrationabilitas 
Atheismi...  In  Latinum  vertit  Dan.  Ern.  Jablonski,  Berlin,  1696. 

6.  Richard  Baxter,  né  à  Rowton  dans  le  Shropshire  et  moi"t  à  Londres,  est  appelé 
par  le  Doyen  Stanley  «  the  chief  of  EngUsh  Protestant  Schoolmen  ».  Ses  nombreux 
ouvrages  eurent  une  grande  influence.  Il  y  attaque  vivement  Hobbes  çà  et  là,  par 
exemple  dans  A  Holy  Commomvealth  or  Political  Aphorisms  opening  the  true  principles 
of  government  for  the  healing  of  the  mistakes  and  resolving  the  doubts  thatmostendangerand 
trouble  England  at  his  times,  Londres.  1659.  Cf.  sur  Hobbes,  Ch.  VI,  Thèse  70,  p.  88  ; 
Ch.  VIII,  Th.  199,  p.  2V6  ;  Th.  208,  p.  225  ;  Ch.  XII,  Th.  364,  p.  432.  —  Méditations 
(à  la  fin  du  volume).  Sect.  I,  p  492.  Pour  la  réfutation  de  Hobbes,  Baxter  renvoie  deux 
fois  à  l'ouvrage  de  Lawson,  cité  plus  haut.  —  On  pourrait,  à  cette  liste  d'opposants 
déjà  longue,  ajouter  beaucoup  d'autres  noms.  Par  exemple  :  A  V indication  of  la^vful 
Authority...  or  a  Confutation  of  Hobbism  in  Politiks...,  ivherein  Dr  Broughton's 
Grand  Apostacy  ii  cons^der'd...,  [by  G.  Smith],  Londres,  1718. 

7.  Hobbes,  An  Answer  to  a  book  published  by  Dr  Bramhall,  late  bishop  of  Derby, 
called  «  The  Catching  of  Leviathan,  or  the  Great  Whale  >,  Londres,  1680.  Works,  t.  IV, 
p.   279-384. 

8.  Dans  son  Hobbius  heautontimorumenos  (1662),  Wallis.  quittant  le  terrain  scienti- 
fique, lança,  contre  Hobbes  de  graves  accusations  personnelles  sur  son  attitude  religieuse 
©t  son  loyalisme  politique.  Hobbes  repoussa  ces  accusations  dans  un  opuscule  anonyme, 
où  il  parle  à  la  troisième  personne  :  Mr  Hobbes  considered  in  his  loyalty,  religion,  répu- 
tation ad  manners,  Londres,  1662.  Works,  t.  IV,  p.  409-440. 


INFLUENCE    EN   ANGLETERRE    :    ADVERSAIRES  44Ï 

du  clergé  et  des  laïcs  instruits  (et  ce  n'est  pas  sans  graves  raisons, 
tirées  de  la  Nature  humaine  et  du  Léviathan),  il  était  véhémentement 
suspect  d'hérésie  et  même  d'athéisme.  Sa  conduite  fut  dictée  par  la 
prudence,  mère  de  la  sûreté  :  il  s'appliqua  logiquement  à  lui-même  le 
principe  fondamental  de  sa  Pohtique  :  «  la  préser\ation  personnelle  » 
( self- préservation ) .  Si,  dans  ces  délicates  conjonctures,  il  s'était  jeté 
au  fort  de  la  mêlée,  l'éclat  de  polémiques  multiples,  étant  donnée 
surtouî  la  verve  caustique  de  l'écrivain,  aurait  sans  cesse  attiré 
l'attention  sur  lui  et  fini  peut-être  par  le  compromettre  irrémécUable- 
ment.  Au  heu  donc  de  faire  face  à  chaque  assaillant  en  particulier  ^, 
il  estima  plus  ^age  de  répliquer,  d'un  coup,  à  ses  adversaires  passés,, 
présents  et  futurs,  en  leur  opposant  une  apologie  pro  fide  sua,  écrite 
d'une  façon  calme  et  mesurée.  Profitant  de  l'édition  latine  de  ses 
œuvres,  parue  en  1668  à  Amsterdam,  il  publia  cette  apologie,  par 
manière  d'appendice,  à  la  fin  du  Léviathan  ^. 

Les  adversaires  cités  jusqu'à  présent  s'étaient  principalement  atta- 
chés à  faire  ressortir  les  conséquences  funestes  du  système  hobbien. 
Une  critique  décisive  doit  aller  jusqu'à  la  racine  même  du  mal,  jus- 
qu'aux principes  de  cette  philosophie  fondée  sur  le  mécanisme.  Cette 
tâche  exigeait  des  penseurs  plus  puissants.  La  réaction  contre  le 
Hobbisme  a  été  surtout  l'œuvre  de  l'École  platonicienne  de  Cam- 
bridge, dont  R.  CuDV^ORTH  et  H.  More  furent  les  vigoureux  prota- 
gonistes. Il  faut  adjoindre  à  ces  «  Cambridgemen  »  Joseph  Glanvill, 
Richard  Cumberland,  John  Locke,  Anthony  de  Shaftesbury, 
Samuel  Clarke,  Joseph  Butler  ^.  Comme  nous  aurons  plus  tard 
l'occasion  d'en  étudier  la  vie  et  les  œuvres,  il  suffira  pour  le  moment 
d'avoir  indiqué  leurs  noms. 


L  En  1656,  en  terminant  sa  réplique  à  l'évéque  Bramliall,  Hobbes  a  protesté  d'une 
façon  générale  contre  les  attaques  des  Clergymen  dont  il  avait  été  l'objet  «  dans  leurs 
livres  ou  leurs  sermons.  Sans  répondre  à  aucun  de  ses  argimients,  ils  se  sont  non  seule- 
ment récriés  sur  sa  doctrine,  mais  de  plus  ils  ont  injurié  sa  personne  et  se  sont  efforcés 
de  le  rendre  odieux,  tandis  que,  mieux  instruits  de  leurs  propres  intérêts  et  de  ceux  du 
public,  ils  auraient  dû  lui  adresser  des  remerciements.  »  (And  in  this  their  [clergymen] 
displeasure,  divers  of  them  ia  their  books  and  sermons,  without  answering  any  of  my 
argimients,  hâve  not  only  exclai  i  ed  against  my  doctrine,  but  reviled  me  and  endea- 
voured  to  make  me  hateful  for  those  things,  for  which  (if  they  knew  their  own  and  the 
public  good)  they  ought  to  hâve  given  me  thanks  (Hobbes,  The  Questions  concerning 
liberty,  necessity  and  ihance...,  n«  XXXVIII,  Works,  t.  V,  p.  454).  Cette  réponse 
manque,  au  fond,  de  sérieux  ;  mais  elle  ne  manque  pas  d'humour. 

2  Appendix  ad  Léviathan,  Ofeia,  t.  III,  p.  611-569.  Cet  appe  dice  contient  trois 
Chap  t  es  :  I.  Du  Symh.le  de  hi'ée.  —  II.  De  VHéïés  e.  —  III.  De  certa  nés  obje  t'<  ns 
contre  le  Lévicthin. 

3.  Hobbes  aurait  pu  répondre  à  Glanvill,  à  More,  à  Cumberland  et  même,  à 
l'extrême  rigueur,  ^Cudworth,  dont  The  true  intellectual  System,  of  the  Universe  (1678) 
parut  l'année  qui  précéda  la  mort  du  philosophe  de  Malmesbury.  Mais  il  suivit  à  leur 
égard  la  même  tactique  de  silence  prudent  qu'il  avait  adoptée  vis-à-vis  des  opposants, 
dont  il  a  été  question  tout  à  l'heure. 


442         ARTICLE   m.   —   CHAPITRE    V.    —    PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

II.    —    PARTISANS    DE    HOBBES. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  la  philosophie  hobbienne 
n'ait  rencontré  que  des  adversaires.  Non  ;  elle  exerça,  de  fait,  une 
influence  positive,  encore  que  hmitée. 

Les  principes  de  Hobbes,  surtout  son  matérialisme,  sa  morale 
égoïste  et  son  irréligion  habilement  enrobée  de  rationahsme  eurent 
des  partisans  dans  la  pratique  de  la  vie,  beaucoup  plus  qu'en  théorie. 
Nous  avons  déjà  recueiUi  le  témoignage  autorisé  du  chanceher  Cla- 
rendon  constatant  avec  regret  que  Hobbes  avait  «  des  disciples  trop 
nombreux  à  la  Cour  »  ^.  Le  même  témoin  est  plus  expHcite  dans  un 
autre  passage  :  «  A  l'abri  du  bill  d'indemnité  dont  Hobbes  bénéficia 
et  grâce  à  certaines  connivences,  beaucoup  d'opinions  odieuses  que 
l'autèiu-  du  Léviaihan  avait  d'abord  semées  dans  son  Uvre  se  propa- 
gèrent depuis  lors  pour  le  plus  grand  dommage  du  gouvernement 
dans  l'Église  et  l'État.  C'est  un  fait  assez  manifeste  »  ^. 

Plus  tard,  un  liistorien,  dont  l'autorité  est  considérable,  Gilbert 
BuRNET  (1643-1715),  évêque  de  SaUsbury,  après  avoir  dévoilé  ce 
qui  lui  semble  constituer  le  fond  même  de  la  doctrine  hobbienne, 
en  déplore  le  succès  en  ces  termes  :  «  Tels  sont  les  principes  véritables 
de  Hobbes,  quelque  soin  qu'il  ait  pris  de  les  déguiser  pour  en  imposer 
aux  lecteurs  inattentifs.  Cet  ensemble  de  notions  obtint  une  grande 
diffusion.  Leur  nouveauté  et  leur  hardiesse  étaient  un  attrait  pour 
beaucoup  de  ceux  qui  les  Usaient.  Leur  impiété  agréait  aux  esprits 
corrompus,  que  les  extravagances  des  derniers  temps  n'avaient  que 
trop  bien  préparés  à  les  recevoir  »  ^. 

Il  est  impossible  de  faire  le  recensement  des  partisans  de  Hobbes 
en  Angleterre,  car  ils  forment  une  multitude  dispersée,  anonyme. 
Aucune  individuahté  marquante  ne  se  déclara  en  sa  faveur.  Les  chi- 
mères géométriques  où  il  s'obstina  lui  enlevèrent  tout  prestige  aux 
jeux  des  savants,  de  ceux  notamment  qui  composaient  la  Société 
Royale  de  Londres.  Les  milieux  universitaires  lui  demeuraient  hos- 
tiles. Des  élèves  furent  bannis  des  universités  pour  avoir  défendu 
les  principes  du  pliilosophe  de  Malmesbury. 

L'attitude  prise  par  un  médecin  de  Londi'es,  au  début  du  xviii^  siècle, 
est  cependant  à  remarquer.  William  Cowart  *,  dans  ses  Secondes 

1.  Cf.  supra,  p.  437.  —  «  The  Gallant's  religion  is  pretendedly  Hobbian  and  he  swears 
that  the  Leviathan  may  supply  ail  theJost  leaves  of  Solomon  ».  (Town  Gallant,  1680). 
Cité  par  W.  Melville  Daniels,  Saint-Evremond  en  Angleterre,  p.  19.  Versailles,  1907. 

2.  Notwithstanding  whicli,  by  the  protection  the  Author  hath  from  the  Act  of 
Indemnity,  and  I  know  not  wliat  other  connivance,  it  is  manifest  enough,  that  many 
odious  opinions,  the  seed  'whereof  was  first  sowed  in  that  Book  [Leviathan],  hâve  bin 
since  propagated  to  the  extrême  scandai  of  the  Government  in  Church  and  /State 
(Claeendon,  a  brief  View...,  The  Epistle  dedicatory  [non  paginée],  p.  3). 

3.  Tliese  were  his  true  principles,  tho'  he  had  disguised  them,  for  deceiving  unwary 
readers.  And  this  set  of  notions  came  to  spread  miich.  The  novelty  and  boldness  of  them 
set  many  of  reading  them.  The  impiety  of  them  was  acceptable  to  men  of  corrupt 
minds,  which  were  but  too  much  prepared  to  receive  them  by  the  extra vaganei«s  of  the 
late  times.  (G.  Buknet,  History  of  his  own  time,  t.  I,  L.  II,  p.  188,  Londres,  1724). 

4.  William  Cowart,  né  vers  1657  à  Winchester  et  mort  à  Ipswich  en  1725,  exerça 
la  médecine  à  Northampton,  puis  à  Londres.  Le  Collège  des  Chirurgiens  le  compta 


INFLUENCE    EN   ANGLETERKE    :    PARTISANS  443 

Pensées  su?'  Vâme  humaine  (1702)  ^  adopta  l'opiiiion  matérialiste 
de  Hobbes*.  Vivement  attaqué,  il  tint  tête  à  ses  adversaires  ^.  Sa  pensée 
n'est  point,  comme  celle  du  pliilosoplie  de  Malmesbury,  plus  ou  moins 
dissimulée  derrière  l'appareil  imposant  d'une  théorie  scientifique. 
En  d'autres  temps,  cette  hardiesse  d'affirmation  aurait  pu  coûter 
cher.  Plainte  fut  portée  à  la  Chambre  des  Communes,  qui  condamna 
le  livre  à  être  brûlé  par  la  main  du  bouiTeau,  comme  offensif  de  la 
morale  et  de  la  religion.  Mais,  à  cette  époque,  de  pareilles  condamna- 
tions, faites  pour  sauver  les  apparences,  n'étaient  plus  efficaces.  L'année 
même  (1704),  où  les  Communes  rendirent  leur  arrêt,  l'ouvrage  incri- 
miné renaissait  de  ses  cendres,  sous  la  forme  d'une  édition  nouvelle  ^. 
L'interminable  titre  est  ainsi  formulé  :  Secondes  pensées  concernant 
Vâme  humame,  où  il  est  démontré  que  la  notion  de  Vâme  humaine,  regar- 
dée co7ïime  une  substance  spirituelle  et  immortelle  unie  au  corps  humain, 
est  une  invention  des  ptalens  et  n'est  pas  conforme  aux  principes  de  la 
Philoso2yhie,  de  la  Raison  ou  de  la  Religion  *.  Bravement  caché  sous 
le  pseudonyme  d'EsTiBius  Psychalïïthes,  il  a  l'impertinence  de 
dédier  l'ouvrage,  dans  une  longue  Lettre  Uminaire,  au  Clergé  de 
l'Église  d'Angleterre  ^.  Pour  lui,  comme  pour  Hobbes,  l'âme,  étant 
«  un  pur  mécanisme  »,  ^  périt  avec  le  corps  ;  mais  il  a  en  propre  cette 
conception  bizaiTc  que  Dieu  ressuscitera  un  jour  le  corps  et  l'âme 
et  que  l'immortahté  de  l'homme  commencera  après  cette  résuiTcction  '. 
Les  déclarations  de  Coward  relatives  au  philosophe  anglais  sont 
curieuses  à  noter.  «  Si  j'approuve,  confie- t-il  au  lecteui',  cette  opinion 
du  savant  M.  Hobbes  de  Malmesbury,  à  savoir  que  c'est  une  étrange 
idée  d'appeler  substance  immortelle  un  être  créé,  je  sais  que  le  patro- 
nage de  son  nom  me  vaudra  censure  et  préjudice  »  ^>  Mais  voici  qu'à 
la  page  suivante,  comme  pour  écarter  de  lui  ces  funestes  représailles, 
il  ajoute  avec  circonspection  :  La  preuve  qu'il  ne  laisse  influencer 
son  jugement  que  par  la  vue  de  la  vérité,  c'est  que  M.  Hobbes  n'est 
pas  pour  lui  plus  qu'un  autre  homme.  Aussi  est-il  prêt  à  embrasser 
l'opinion  de  quelque  autre,  fût-il  moins  instruit  et  moins  habile  que 

parmi  ses  membres  depuis  1695.  Coward  fit  ses  études  à  Oxford  et  devint  fellow  de 
Merton  Collège.  Le  2  juillet  1687,  il  avait  été  reçu  Docteur  en  Médecine.  Cf.  Wood, 
Athenœ  and  Fasti  Oxonienses,  t.  II,  col.  899,  Londres,  1692. 

1.  Second  Thoughts  conceming  Hurnan  Soûl...,  Londx-es,  1702.  L'ouvrage  parut  sous 
le  pseudonjTiie  pédant  de  EsTiBitrs  Psychat^ethes. 

2.  Farther  Thoughts  conceming  Human  Soûl  in  defence  of  Second  Tlioughta,  hy  the 
Avthor  of  Second  Thoughts,  Londres,  1903. 

3.  Nous  renverrons  à  cette  seconde  édition  revue  et  augmentée. 

4.  Second  Thoughts  conceming  Human  Soûl,  demonstrating  the  notion  o/  Human  Soûl 
as  believ^d  to  be  a  spiritual  and  immortal  suhstcmce,  united  to  a  human  hody,  to  be  an 
invention  of  the  heathens  and  not  consonant  to  the  principles  of  Philosophy,  Reason  o^r 
Eeligion,  Londres,  1704 -. 

5.  Epistle  dedicatory  to  the  moet  teverend,  right  révérend  and  révérend  the  Clergy  of  the 
Church  of  England. 

6.  Meer  meohanism  (Second  thoughts...,  Ch.  IV,  p.  106). 

7.  W.  Coward,  Second  thoughts...,  Ch.  VIL 

8.  If  I  approve  of  or  concur  in  the  opinion  of  the  learned  Mr  Hobbs  of  Malmesbtjry, 
that  it  is  a  very  odd  notion  to  call  any  created  being  an  immctericU  substance  ;  I  know 
T  shall  be  reoeiv'd  upon  the  vory  account  of  his  nantie,  both  with  censure  and  préjudice 
(W.  Coward,  Second  Thoughts...,  Ch.  IV,  p.  71). 


444         ARTICLE    III.   CHAPITRE   V.    —   PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

M.  Hobbes  à  manier  l'Écriture,  si,  après  un  long  et  sérieux  examen, 
il  en  perçoit  la  vérité  ou  du  moins  la  croit  vraie  ^. 

Cependant;  symptôme  caractéristique  de  la  mentalité  publique, 
une  nuée  de  contradicteurs  se  leva  pour  réfuter  ce  matérialisme 
effronté  qui  osait  s'affubler  de  la  Sainte  Écriture.  On  vit,  entre  autres, 
entrer  dans  la  lice  John  Broughton,  Docteur  en  Théologie,  alors 
chapelain  du  duc  de  Malborough,  avec  sa  Psychologie  ou  Traité  de  la 
nature  de  Vâme  raisonnable  (Psychologia  or  an  Account  of  the  nature 
of  the  rational  5omL..,  Londres,  1703)  ;  John  Turner,  pasteur  (vicar) 
de  Greenwich,  qui  revendiqua  pour  l'âme  une  existence  séparée  (A 
hrief  indication  of  the  separate  existence  and  immortaUty  of  the  Soûl... 
Londres,  1702)  ^  ;  William  Nicholls,  Docteur  en  Théologie,  qui 
réédita'sa  Conférence  avec  un  Théiste,  parue  d'abord  en  1696  (A  Con- 
férence with  a  Theist...  Londres,  1723)^.  Des  écrivains  spirituels, 
comme  Jonathan  Swift,  recoururent  à  l'ironie  pour  faire  rire  aux 
dépens  de  Coward  englobé,  dans  une  raillerie  commune,  avec  Toland, 
Colhns  et  autres  déistes. 

Coward  ne  se  laissa  ni  intimider,  ni  convaincre.  Par  deux  fois,  il 
reprit  le  même  sujet  et  revint  à  la  charge,  en  lançant  d'abord  son 
Grand  Essg.i  ou  Revendication  de  la  Raison  él  de  la  Religion  contre 
les  impostures  de  la  Philosophie  ^  ;  puis,  son  Exaynen  exact  ou  enquête 
sérieuse  sur  les  notions  modernes  de  Vâme  ^. 

\.  ...And  I  do  déclare  that  MrHobbs  is  no  more  to  me  than  anj^  other  man.  For  had 
any  other  said  what  he  did,  tho'  perhaps  not  so  learned  or  so  able  to  turn  and  wrest 
the  sensé  and  meaning  of  the  Seripture  as  he  M'as  ,1  should  as  soon  hâve  assented  to  his 
opinion,  as  to  Mr  Hobbes,  if  upon  a  long  and  serions  examination  with  un  unbyass'd 
j.idgment,  I  found  it  to  be  tme,  or  at  least  believ'd  it  to  be  so  (W.  Coward,  Second 
thoughts...,  Ch.  IV,  p.  72). 

2.  Cet  ouvrage  répond  à  Second  Thoughts  de  Coward.  Turner  répliqua  aussi  à 
l'autre  livre  de  Coward  :  A  farther  V indication  of  the  SouVs  separate  Existence  and 
ImmortaUty,  in  Answer  to  Dr  C  —  's  «  Farther  Toughts  »...  Londres,  1703. 

3.  On  pourrait  citer  bien  d'autres  oi^posants,  par  exemple  :  An  Antidote  against 
Infidelity.  In  Answer  to  a  Book  intituled  Second  Thoughts,  hj  a  Fre[s\bjter  of  the 
Ch  rc\  of  Engl'xnd.  (Il  s'agit  de  M.  Hole),  Londres,  1702.  —  B.  Hampton,  The 
Existence  of  Human  Soûl  after  Death  proved  from  Seripture,  Reason  and  Philosophy. 
Wherein  Mr.  L,ock' s  Not  on  that  understinding  inan  he  given  to  matter,  M.  Hobb's. 
Assertion  that  thcre  is  no  such  Thing  as  an  Immaterial  Substance...  Dr  Coward's  Books 
of  second  and  Farther  Thoughts...  are  confuled,  Londi-es,  1711.  — C.  Lesi^te,  A  serpent 
and  no  Sting  or  a  Combat  between  the  Rehearser's  Coun'ry-Man  and  Dr.  C's  Welchman  .., 
Londres,  1707. 

4.  W.  Coward,  The  Grand  Essay  or  a  V indication  of  Reason  and  Religion  against 
Impostures  of  Philosophy  ;  to  wich  is  added  a  brief  Answer  to  Broughton" s  Psychology..., 
Londres,  1704.  —  On  trouve,  en  Appendice,  une  Epistolary  reply  à  la  Psychologia  de 
Broughton.  Dans  ses  lettres  à  CoUins,  Locke  parle  dédaigneusement  et  de  la  Psycho- 
logia et  du  Grand  Essay.  —  Il  juge  ainsi  la  Psychologia  :  The  other  book,  you  mentioned, 
I  hâve  seen,  and  am  so  wel  satisfied,by  his  5  th  section,  what  a  doughty  squire  he  is  like 
to  prove  in  the  rest,  that  I  think  not  to  trouble  my  selfs  to  look  farther  into  him.  He 
has  there  argued  very  M'eakly  against  his  adversary,  but  very  strongly  against  himsef. 
(Lettre  de  Locke  à  Anthony  Collins,  Oates,  9  juillet  1703).  —  Voici  ce  qu'il  dit  du  Grand 
Essay  de  Coward  :  For  as  for  the  fîrst  of  the  other  author's  you  mention,  by  what  I 
hâve  seen  of  him  already,  I  can  easily  thinks  his  arguments  not  worth  your  reciting. 
(Du  même  au  même,  Oates,  28  fév.  1704). 

5.  W.  Coward,  The  just  Scruting  or  a  serious  Enquiry  into  the  modem  notions  of  the 
Soûl...  Londres,  [1706].  —  Cf.  Acta  eruditorum,  Leipzig.  1707,  p.  352. 


mn.UENCE    EN    ANGLETERRE     :     ADMIRATEURS    CHALEUREUX         445 

Notre  médecin-philosophe  est  tellement  plein  de  son  sujet  que, 
même  dans  un  ouvrage  médical  comme  L'Art  de  guérir  les  yeux  ^, 
il  ne  peut  se  retenir.  Après  avoir  raillé,  comme  de  juste,  les  Cartésiens 
qui  font  résider  l'âme  dans  la  glande  pinéale,  il  s'échappe  en  une 
brusque  sortie  contre  l'immatériahté  du  principe  pensant.  C'est 
court,  mais  vif.  Et,  comme  pour  s'excuser  de  s'arrêter  en  si  bonne  voie, 
il  rappelle  que  la  question  a  déjà  été  traitée  par  lui  antérieurement  ; 
il  aurait  pu  ajouter  :  et  surabondamment,  satis  superque  ^. 


III.    —   ADMIRATEURS    CHALEUREUX    DE    HOBBES. 


Pour  découvrir  de  chauds  admirateurs  à  notre  philosophe,  on  est 
réduit  à  les  chercher  dans  les  rangs  clairsemés  de  ceux  qui  l'ont  célébré 
en  vers  anglais  ou  latins.  Ces  éloges  dictés  par  l'affection,  où  l'hyiser- 
bole  est  de  rigueur,  sont  d'un  faible  poids  dans  la  balance  de  l'his- 
torien. II. convient  pourtant  d'en  faire  mémoire.  Ils  prouveront  du 
moins  que  l'écrivain,  dont  les  œuvres  sont  d'une  grande  sécheresse 
de  cœur,  suscita  comme  homme  de  vives  amitiés. 

Jean  Aubrey,  antiquaire,  membre  de  la  Société  Royale,  consacra 
un  quatrain  à  Hobbes  pour  le  féhciter  «  d'avoir  rendu  l'homme  à  lui- 
même  »  ^.  Raoul  Bathurst,  Doyen  de  Wells  et  Président  de  Trinity 
Collège  à  Oxford,  haussa  le  ton  jusqu'au  dithyrambe  :  Hobbes  est 
pour  lui  non  seulement  un  Archimède  politique  ;  c'est  encore  un  nou- 
veau Prométhée  par  l'audace  de  son  entreprise  :  «  Jouis  seul,  dit-il 
à  son  héros,  jouis  seul  de  cette  louange  :  créer  l'âme,  œuvre  divine  ; 
la  faire  voir,  œuvre  presque  divine  »  *. 

Il  faut  noter  que  Bathurst  et  Aubrey,  si  tïhaleureux  qu'ils  soient, 
limitent  cependant  leurs  éloges  au  hvre  sur  la  Nature  humaine.  Le 
poète  lyrique,  Abraham  Cowley,  les  étend  à  l'œuvre  entière  ;  après 
avoir  raillé  la  stériUté  de  la  science  avant  la  venue  de  Hobbes,  il  le 

\.  W.  CowARD,  Opthalmiatria,  qua  accurata  et  intégra  oculorum  maie  afferiorum  insti- 
tuitur  medela,  nova  metlwdo  aphoristice  concinnata,  Londres,  1706,  C.  I,  p.  26-28.  — 
On  remarquera  le  tour  un  peu  charlatanesque  du  titre. 

2.  Sed  de  his  satis  alibi  scriptum  est,  unice  jam  hujus  solummodo  voti  compos  fieri 
valde  exopto  (quoniam  hic  Tractatus  forsan  ad  exteros  perveniat)  ut  literatus  aliquis 
sive  literatorum  Societas  bene  perpendat,  candide  examinet  et  penitus  excutiat  quam 
absurdae,  quam  ridiculge  opiniones,  tam  pliilosopho  quam  christiano  indignae,  et  tantum 
non  in  confinio  blasphemiœ  positse,  Substantice  istius  immaterialis  notionem  (Deo 
excepto)  necessario  consequantur,  quia  confutari  avidus  sitio  et  nonnullorum  mosest 
veritatem,  quam  pudet  non  posse  argumentis  refutare,  fumo  flammaque  (sicut  apes 
sulphure  suffocatse),  supprimero...  (W.  Coward,  Ophthalmiatria,  C.  I,  p.  28). 

3.  Affulsit  nova  lux  tenebroso  Hobbesius  orbi  : 

Quanta  est  laus  hominem  restituisse  sibi  ! 

(Hobbes,  Opéra,  T.  I,  p.  vi). 

4.  Ralph  Bathurst  (1620-1704),  In  Libellvm  Prœstantissimi  Tho.  Hobbes,  Viri 
vere  Philosophi,  De  Natura  hominis  : 

Hac  laude  sol  us  fruere  :  Divinum  est  opus 
Animam  creare  ;  proximum  huic,  ostendere. 
(Hobbes,  Opéra,  t.  I,  p.  viii). 


446        ARTICLE  in.   —  CHAPITBE   V.    —  PARTISANS   ET  ADVERSAIRES 

salue  comme  «  le  grand  Christophe  Colomb  des  terres  d'or  des  Philo- 
sophies  nouvelles  »  ^. 


IV.  —  INFLUENCE  SUR  CERTAINES  TENDANCES  PHILOSOPHIQUES 

Hobbes  n'a  pas  fondé  d'École.  C'est  sans  doute  parce  qu'il  est 
«  le  moins  Anglais  des  grands  penseurs  anglais,  avec  son  amour  du 
paradoxe,  sa  tournure  intellectuelle  lucide  et  tranchante,  et  son 
dédain  pour  les  conséquences  pratiques  d'une  théorie  »  ^.  Il  reste  pour- 
tant bien  Anglais  par  certains  côtés.  Aussi,  à  défaut  d'École,  a-t-il 
laissé  un  esprit,  qui  lui  a  survécu  dans  certaines  tendances,  dont  le 
progrès  s'est  accentué  après  lui.  Nous  devons  nous  borner  à  des  indi- 
cations sommaires. 

Hobbes  est,  avec  Bacon  et  Locke,  le  précurseur  de  la  philosophie 
associationniste  ^,  dont  Hume  ^  et  Hartley  ^  ont  été  les  fondateurs, 
et  qui  s'est  pleinement  développée  sous  la  décisive  impulsion  de 
James  Mill  et  de  John  Stuart  Mill  «. 

La  théorie'  nominahste  de  Hobbes  '  obtint  un  grand  succès  e*i  Angle- 
terre. Elle  a  été  reprise  par  Berkeley  ^,  Hume  ^  Georges  Campbell  i^. 
Dans  ses  Paroles  ailées  ou  Délassements  de  Purleyy  John  Horne 
TooKE  ^^  a  renchéri  sur  le  nominahsme  hobbien,  niant  l'existence 

L  Abraham  Cowley  (1618-16&7),  To  Mr  Hobbes  : 

Thou  Great  Colttmbus  of  the  golden  Lands  of  new  Philosophies. 
(Hobbes,  Opéra,  1. 1,  p.  v,  Str.  IV). 

2.  He  [Hobbesl  seenis  to  me  the  most  un-English  of  the  great  EngUsh  thinkers,  with 
his  love  of  paradox,  his  clear-cut  intellectual  workmanship,  his  disregard  of  practical 
conséquences  (W.  J.  H.  Campion,  Outlines...,  Lect.  II,  p.  10-11). 

3.  Cf.  supm,  Ch.  III,  Sect.  II,  p.  346  348. 

4.  David  Hume  (1711-1776)  :  Enquiry  concerning  human  utiderstanding,  Londres, 
1748. 

5.  David  Hartley  (1705-1757),  médecin  philosophe  :  Observations  on  man,  his 
frame,  his  diity  and  his  expeetations  (Observations  sur  l'homme,  sa  structure,  son  devoir 
et  ses  espérances),  2  vol..  Londres,  1749. 

6.  Louis  Ferrt,  Histoire  critique  de  la  Psychologie  de  V association  depuis  Hobbes 
jusqu'à  nos  lours  (Histoire  et  Critique),  Paris,  1883.  —  Voïei  le  titre  de  l'édition  italienne  : 
La  Psicologia  delV  associazione  dalV  Hobbes  fino  ai  nostri  giorni  (Storia  e  CriticaJ, 
Edizione  italiana  corretta  ed  ampliata,  Rome,  1894. 

7.  Hobbes,  De  Cor  pore.  Part.  I.  Computatio  logica,  C.  II.  Human  Nature,  Ch.  V, 
§  4,  5,  6.  Cf.  supra,  p.  317-319,  320. 

8.  Berkeley,  A  Treaiise  concerning  the  Principles  of  Human  Knowledge,  Londres, 
1710.  Introduction,  §  9-13,  d«.ns  l'édition  d'ALEXANDEB  Camtbell-Fraser,  T.  I, 
p.  141-146,  Oxford,  1871. 

9.  Hume,  Treatise  on  human  Nature,  Londres,  1739,  1^'^  Part.,  Sect.  VII. 

10.  G.  Campbell,  The  Philosophy  of  Rhetoric,  Londi-es,  1776,  Livre  II,  Ch.  VII,  T.  II,. 
p.  80  sqq.  de  l'édition  1801-'.  Né  (1719)  et  mort  (1796)  à  Aberdeen,  il  fonda  en  1758, 
avec  Reid,  J.  Beattie  et  quelques  autres,  une  société  poiu-  discuter  les  questions  philo- 
sophiques. Il  devint,  en  1759,  Principal  de  Marischal  Collège.  En  1763,  il  publia  sa 
Dissertation  on  Miracles,  où  Hume  est  réfuté. 

11.  John  Horne  Tooke,  'E~3a  TTTïooévTa  or  the  Diversions  of  Purley,'Londve~, 
Ire  Partie,  1786  ;  II"  P.,  1805.  Cf.  I^e  Partie,  Ch.  II,  T.  I,  p.  35-36  (dans  l'édition  de 
1829)  ;  II>-  Partie,  Ch.  IV,  T.  II,  p.  393-395  (Cf.  E.  Hal^vt,  La  Formation...,  T.  III, 


INFLUENCE    EN    ANGLETERRE    :    SUR    CERTAINES    TENDANCES  447 

non  seulement  de  l'idée  générale,  mais  de  l'idée  complexe,  et  attri- 
buant au  langage  une  fonction  abrériative  que  Hobbes  avait  omise, 
celle  d'exprimer  par  un  seul  mot  plusieurs  impressions  sensibles. 
DuGALD  Stewart  ^  se  montre  aussi  partisan  du  XominaUsme  ^. 
James  Mill  ^,  que  nous  retrouverons  bientôt,  reproduit,  à  peu  près 
textuellement,  le  passage  de  la  Computatio  logica  sur  le  langage, 
mais  il  énonce  les  deux  fonctions  essentielles  des  mots  en  sens  inverse 
de  celui  adopté  par  Hobbes.  A  la  suite  de  James  Mill,  les  tenants  de 
l'École  associationniste,  John  Stuart  Mill  ^,  par  exemple,  sont  nomi- 
naHstes  à  leur  façon.  L'idée  générale  n'est  qu'une  image  particulière, 
une  image  composite.  Seulement,  en  vertu  des  lois  de  l'association, 
cette  image  rappelle  un  nombre  indéfini  d'images  semblables. 

C'est  le  côté  utilitaire  de  la  Philosophie  hobbienne  qui  a  exercé 
la  plus  grande  influence.  La  Morale  utihtaire  ^,  esquissée  successive- 
ment par  des  philosophes  tels  que  Hutchesox,  Hume,  ne  prit  vrai- 
ment corps  que  dans  les  ouvrages  de  Priestley  ^  et  de  Paley '. 
Cependant  c'est  aux  écrits  de  Bentha^i  ^  et  de  ses  disciples,  en  parti- 

Ch.  111,  §  r,  p.  253  257).  Piirley  était  la  résidence  de  Mr  W.  Tooke,  qui  fit  de  J.  Horne 
son  héritier  et  dont  celui-ci  ajouta  le  nom  au  siei  .  Home  Tooke  naquit  à  Westminster 
(1736)  et  mourut  à  Wimbledon  (1812).  Il  eut  une  vie  politique  très  agitée  :  faisant 
partie  de  l'opposition,  il  se  montra  favorable  à  la  Révolution  française. 

1.  DuGALD  Stewart,  Ele?nenta  of  Ph'loaophy  of  the  Hiiman  Mind,  3  volumes,  Edim- 
bourg, 1792,  1814,  1827,  P.  1,  Ch.  IV,  Sect.  m,  IV.  —  II*-  Partie,  Ch.  II,  Sect.  IL  II 
note  cependant  c^ue  c  la  doctrine  des  Xominalistes  a  été  présentée  en  termes  fort  sus- 
pects, particulièrement  par  Hobbes,  dont  qiielques-unes  des  opinions,  suivies  dans 
leurs  rigoureuses  conséquences  logiques,  conduiraient  certainement  à  l'anéantissement 
de  toute  vérité,  comme  chose  réelle  et  indépendante  de  l'esprit  humain.  C'est  là.  je 
présume,  ce  qvii  a  fait  dire  à  Leibnitz  :  Thomas  Hobbes,  qui,  ut  verum  faiear,  mihi 
■plusquam  nominalis  videtur.  (Traduction  de  Louis  Peisse,  Eléments  de  la  Philosophie 
de  l'Esprit  humain,  T.  II,  p.  88-89,  note  1.  Paris,  1843). 

2.  Thomas  Brown,  né  à  Kirkmabreck  (1778)  et  mort  à  Brompton  (1820),  fut  adjoint 
en  1810  à  Dugald  Stewart  conmie  professeur  de  Philosophie  morale  à  l'Université 
d'Edimbourg.  Ou  le  représente  parfois  (E.  HiiÉVY,  La  Formation...,  T.  III,  p.  456, 
note  54)  comme  favorable  au  Xominalisme.  C'est  une  erreur.  Il  réfute  \agoureusément 
le  Xominalisme  dont  il  montre  -  les  inconséciuences  et  les  absurdités  «  (Cf.  Lectures  on 
the  Philosophy  of  the  Human  Mind,  Edimbourg,  1820.  Cf.  Edit.  de  185119,  Lect.  XLVI, 
p.  298  ;  XLVII,  p.  307).  Il  se  rapproche  du  Conceptualisme,  dont  il  critique  "  l'incon- 
gruité »  des  termes  (Cf.  Ibidem,  Lect.  XLVII,  p.  303-304  ;  .XLVIII,  p.  309).^ 

3.  Jaaœs  Mill,  Analysis  of  the  Phenomena  of  the  Human  Mind,  T.  I,  Ch.  IV,  p.  177. 
Edition  de  J.  Stu.\rt  Mill,  Londres,  1869. 

4.  John  Sttjart  Mill,  System  of  Logic  ratiocinative  and  inductire...,  2  vol.  Londres, 
1843.  Ci.  T.  I,  L.  I,  Ch.  I,  II,  III.  —  Traduct.  par  L.  Peisse,  Paris,  1866. 

5.  Cf.  Leslie  Stephen,  The  English  Utilitarians,  3  volumes,  Londres,  1901.  — 
E.  Albee,  a  History  of  English  Utilitarianism,  Londres.  1902. 

6.  Joseph  Prtestley,  né  (1733)  à  Fieldhead,  hameau  près  de  Birstal  dans  le  York- 
shire  et  mort  (1804)  à  Xorthumberland,  en  Pensylvanie,  s'est  fait  connaître  comme 
chimiste,  philosophe  et  théologien  non-conformiste.  Il  a  soutenu  successivement  le 
Cahanisrae,  l'Arianisme  et  le  Socinianisme.  —  Cf.  An  Essay  on  the  first  Principle^  of 
Government  and  on  the  Xature  of  political,  civil  and  religious  Liberty,  Londres.  1768. 

7.  William  Paley  (1743-1805),  archidiacre  de  Carlisle.  Son  ou%Tage  :  Principle»  o: 
Moral  and  politic  Philosophy  (Londres,  1785)  devint  le  manuel  classique  de  l'Université 
de  Cambridge,  où  il  enseigna  durant  sept  ans.  Traduction  fran<;aise  par  J.  L.  S.  Vin- 
cent, 2  vol.,  Paris,  1817. 

8.  Jeremy  Bentham  (1748-1832)  :  chef  du  Radicalisme  philosophique.  —  Œuvres  : 
An  Introduction  to  the  principles  of  Moral»  and  Législation...  Londres,  1789.  —  Dean- 


448         ARTICLE    m.   CHAPITRE    V.   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

ciilier  de  James  Mill,  de  John  Austin  et  de  John  Stuart  Mill^, 
qu'elle  dut  son  expression  scientifique  et  une  notoriété  durable. 

Ici  encore  l'influence  de  Hobbes  est  çà  et  là  plus  ou  moins  trans- 
parente. Si  le  dialecticien  intrépide  que  fut  le  philosophe  de  Malmes- 
bury,  n'a  cure,  une  fois  qu'il  a  adopté  une  doctrine,  des  répercussions 
étranges  qu'elle  peut  logiquement  entraîner  dans  la  pratique,  reste 
néanmoins  que  l'utlUtarisme  est  le  principe  directeur  de  sa  Politique 
et  de  son  Éthique. 

Comme  Hobbes,  les  Benthamistes  ont  un  faible  pour  la  méthode 
déductive.  Ils  partent  de  l'expérience  'pour  en  tirer  des  lois  ;  mais, 
ces  lois  acquises,  ils  font  jouer  un  rôle  prépondérant  à  la  déduction 
en  Économie  politique,  en  Jurisprudence,  en  Pohtique  et  en  Morale. 
«  Ils  (Ëentham  et  James  Mill)  se  souviennent  peut-être  de  Hobbes  ; 
de  même,  disait  Hobbes,  que  l'homme,  auteur  des  définitions  géomé- 
triques, peut  construire,  en  partant  de  ces  définitions  arbitraires, 
toute  la  géométrie  ;  de  même,  auteur  des  lois  qui  régissent  la  cité, 
il  peut  construire  synthétiquement  l'ordre  social  tout  entier,  à  la 
manière  des  géomètres.  Les  utilitaires  font  seulement  la  part  de  l'ar- 
bitraire humain  moins  grande  que  Hobbes  n'avait  fait,  dans  la  con- 
struction de  la  science  politique  :  s'ils  considèrent  une  pohtique  déduc- 
tive comme  possible,  c'est  parce  qu'ils  considèrent  les  lois  de  la  nature 
humaine  comme  simples  et  comme  uniformes  »  ^. 

Pour  Bentham  le  droit  naturel  ne  dérive  point  des  rapports  essen- 
tiels qui  rehent  entre  eux  les  êtres  raisonnables,  et  dont  le  fondement 
ultime  est  l'essence  même  de  Dieu.  Ce  n'est  qu'une  abstraction  réalisée 
et  une  fiction  légale.  L'auteur  de  la  Déontologie  est  ici  en  plein  dans  la 
tradition  hobbienne.  Aussi  bien,  pour  lui  également,  le  droit  n'est 
réel  que  s'il  trouve  dans  la  force  une  garantie  efficace  :  ainsi  la  force 
est  à  la  fois  la  source  du  droit  véritable  et  sa  sanction  nécessaire  et 
suffisante.  Mais,  depuis  Hobbes,  le  centre  de  la  force  s'est  déplacé  : 
des  princes  elle  est  passée  aux  peuples...  «  Il  se  trouve  que  les  plus 
forts,  ce  sont  les  plus  nombreux,  et  que  d'ailleurs  la  volonté  du  plus 

tology  or  the  sciencf  of  MoraUty,  édité  par  J.  Bowring  à  Londrçs  en  1834,  traduit  par 
B.  Laroche,  2  vol.  Paris,  1834.  —  Constitutional  Code  for  the  lise  of  ail  nationc  pro- 
fessing  libéral  opinions,  Edit  Bowring,  t.  IX.  —  Plan  of  pnrliamentary  Reforni  in  the 
form  of  catechism  with  reasons  for  each  article,  Londres,  1817.  Edit.  Bowring,  t.  III, 
p.  433-557.  —  A  table  of  the  spri  >gs  of  act'on...,  Londres,  1817.  Ed.  Bowring,  t.  I, 
p.  196-219.  —  John  Bowring,  disciple  de  Bentham,  édita  ses  œuvx-es  :  l^he  Works  o) 
Jeremy  Bentham,  11  vol.,  Edimbourg,  1838-1843.  Cette  édition  n"est  pas  absolument 
complète  :  elle  ne  contient  pas  la  Deontology,  ni  les  ouvrages  antireligieux  de  Ben- 
tham. 

1.  John  Stuart  Mill  (1806-1873),  fils  de  .Iames,  fonda  dès  1823  VTHilitarian  Society, 
qui  ne  compta  qu'un  petit  noiubre  de  jeunes,  pour  répandre  le  Benthamisme  ;  il  parti- 
cipa, en  1835,  à  la  fondation  de  la  Westminster  Review.  Son  r'Ie,  prépondérant  dans 
l'Ecole  associationniste  et  utilitaire,  après  Bentham,  est  bien  connu.  Ce  n'est  pas  le  lieu 
d'y  insister.  Cf.  Utilitarianism,  Londres,  1863.  Traduction  Le  Monnier,  Paris,  191^.  — 
Autobiography,  Londres,  1873.  Traduction  Cat'.elles,  Mes  Mémoires.  Histoire  de  tna 
vie  et  de  mes  idées,  Paris,  1907'.  —  Taine,  Le  Positivisme  anglais.  Etude  sur  Stuart 
Mill,  Paris,  1864.  —  A.  Bain,  John  Stuart  Mill,  a  Criticism,  with  personal  Recollections, 
Londres,    1882. 

2.  Elie  Halévy,  La  Formation  du  Radicalisme  philosophiqtie.  Tome  III,  Le  Radica- 
lisme philosophique,  Conclusion,  p.  347-348,  Paris,  1904. 


INFLUENCE    EN    ANGLETERRE    :    SUR   CERTAEifES   TENDANCES  44:c> 

grand  nombre  est  la  protection  la  plus  sûre  de  l'intérêt  du  plus  grand 
nombre.  De  sorte  que  la  philosophie  de  Hobbes  aboutit  à  des  consé- 
quences qui  contredisent  les  théories  constitutionnelles  de  Hobbes 
lui-même,  et  la  philosophie  de  Bentham  à  des  conséquences  que 
Bentham,  plus  jeune,  n'avait  point  prévues  »  ^. 

Estimant  que  la  crainte  est  l'unique  moyen  efficace  de  gouverne- 
ment, Hobbes  a  fondé  sa  théorie  du  despotisme  social  sur  cette  consi- 
dération utihtaire  :  les  individus  doivent  avoir  la  conviction  qu'ils 
ont  plus  d'avantages  à  retirer  de  l'accomphssement  des  lois  que  de 
leur  violation,  à  cause  des  peines  et  dommages  qui  s'en  suivent. 
Pareillement,  dans  le  système  juridique  de  Bentham,  c'est  la  perspec- 
tive menaçante  du  châtiment,  sanctionné  par  l'autorité  du  souverain, 
qui  étabhtpour  l'individu  la  haison  entre  l'intérêt  et  le  devoir. 

Bentham  publia  en  1776  unhvre  où  il  expose  ses  principes  poh- 
tiques  :  Un  fragment  sur  le  Gouvernement  ^.  Il  y  réfute  vivement  la 
doctrine  du  contrat  originel  que,  depuis  Hobbes  et  Locke,  les  juristes 
comme  Blackstone  mettent  à  la  base  de  la  société.  Il  leur  demande 
ironiquement  de  lui  montrer  la  page  d'histoire  où  ce  contrat  est  consi- 
gné. —  On  lui  répond  :  ce  n'est  qu'une  fiction  légale,  mais  fiction  utile 
pour  coordonner  les  idées.  —  Il  réplique  qu'une  cause  qui  a  besoin 
de  s'appuyer  sur  une  fiction  est  bien  mauvaise.  La  caractéristique 
de  la  vérité  est  de  n'avoir  pas  besoin  d'autre  preuve  que  la  vérité  ^. 
Sur  cette  question  Bentham  est  en  désaccord  avec  Hobbes  ;  mais 
sur  d'autres  il  se  rapproclie  de  lui.  Par  exemple,  les  formes  mixtes 
de  gouvernement  *  et  la  division  des  pouvoirs  dans  l'État  ^  lui  sont 
odieuses,  et,  à  son  tour,  il  les  traite  dédaigneusement  de  fictions. 
Cet  ouvrage  est  un  ouvrage  de  jeunesse  :  Bentham  était  alors  tory. 

Sous  la  pression  des  circonstances,  une  évolution  se  fit  dans  son 
esprit  ^  :  il  devint  partisan  et  se  fit  défenseur  «  de  la  démocratie  repré- 
sentative )).  Ici,  comme  partout,  il  prétend  appHquer  le  principe  de 
l'utilité  :  Les  individus  les  plus  nombreux  sont  les  mieux  placés  pour 
savoir  en  quoi  consiste  le  plus  grand  bonheur  du  plus  grand  nombre  '. 
La  forme  démocratique  est  donc  tout  indiquée. 

Mais,  dans  sa  nouvelle  conception  pohtique,  Bentham  persiste  à 
repousser  comme  un  mal  la  division  des  pouvoirs. 

Dans  la  «  démocratie  représentative  »,  le  peuple  est  le  souverain  ; 


L  E.  Halévy.  La  Formation...,  T.  III,  Ch.  II,  §  2,  p.  227-228. 

2.  Bentham,  A  fragment  on  Government...,  Londres,  1776,  1822^  ;  Oxford,  1891.  — - 
Nous  renverrons  à  l'édition  des  Œuvres  de  Bentham  par  Bowring,  T.  I,  p.  221-295. 
Cef  ou\Tage  est  un  examen  critifjue  de  V Introduction  mi.se  par  Sir  William  Black- 
stone (1723-1780)  à  ses  Commentaries  on  the  Laws  of  England,  dont  ime  7"'  édition 
parut  en  1775  à  Oxford. 

.3.  It  seemed  to  nie  the  acknowledgement  of  a  bad  cause,  the  bringing  a  fiction  to 
support  it.  «  To  prove  fiction,  indeed  »,  said  T,  ;•  there  is  need  of  fiction  ;  but  it  is  the 
characteristic  of  truth  to  need  no  proof  but  truth.  »  (Bentham,  A  fragment...,  Ch.  I 
§  XXXVI,  p.  268,  col.  1  et  note  2,  p.  269.  col.  1). 

4-5.  Bentham,  A  fragment...,  Ch.  III  ;  Ch.  IV,  §  m-\n  ;  p.  272-277  :  p.  277-279. 

6.  Cf.  E.  Halévy,  La  Formation  du  Radicalisme  philosophique,  t.  II,  L'évolution  de 
la  doctrine  idilitaire  de  1789  à  1815,  Ch.  III,  §  i,  p.  192  sqq. 

7.  Bentham,  Constitutional  Code,  L.  I,  Ch.  II,  Ed.  Bowring,  T.  IX,  p.  10-11. 

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450         ARTICLE   m.   CHAPITRE   V.   PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

les  représentants  et  les  fonctionnaires  ne  sont  que  ses  délégués.  Tout 
le  système  de  «  contreforces  »,  qu'a  imaginées  Benthain  pour  maîtriser 
les  tendances  égoïstes  et  envahissantes  des  représentants  ou  des  fonc- 
tionnaires, vise  à  sauvegarder  le  pouvoir  souverain  du  peuple  et  à  en 
maintenir  l'indivision. 

En  Morale,  Bentham  estime  que  l'utilité  et  le  bonheur  constituent" 
les  premiers  principes  du  devoir  i.  Il  définit  le  bonlieur  la  plus  grande 
somme  de  plaisirs  diminuée  de  la  plus  grande  somme  de  douleurs. 
Une  action  doit  être  considérée  comme  utile  quand,  tout  étant  pesé, 
on  juge  que  la  somme  des  conséquences  agréables  l'emporte  sur  la 
somme  des  conséquences  pénibles.  La  vertu  consistera  à  maximiser 
les  plaisirs  et  à  minimiser  les  peines.  La  Morale  est  donc  un  calcul, 
le  calcul  de  l'utilité  des  actes  humains  et  devient  ainsi  «  une  arithmé- 
tique »  des  plaisirs.  Bentham  n'exclut  pas  de  cette  comptabihté 
morale  le  bien  commun.  Mais  cette  considération  n'a  rien  de  désinté- 
ressé. S 'imaginant  à  tort  que  l'intérêt  personnel  et  l'intérêt  général 
sont  inséparables,  il  en  conclut  que  le  bonheur  de  l'individu  dépend 
du  bonheur  de  tous.  Celui  donc  qui  ne  prend  pas  pour  règle  de  conduite 
cette  maxime  :  «  Le  plus  grand  bonheur  pour  le  plus  grand  nombre  », 
fait  un  mauvais  calcul,  dont  il  pâtira  le  premier. 

Le  principal  disciple  immédiat  de  Bentham,  James  Mill  ^,  père 
d'un  fils  qui  l'a  échpsé,  John  Stuart  Mill,  va  plus  loin  que  son 
maître  dans  l'admiration  qu'il  professe  pour  Hobbes  :  «  Les  opinions 
d'Aristote  étaient  enseignées  comme  une  branche  de  l'éducation, 
et  le  fait  de  les  posséder  dans  la  mémoire  était,  même  aux  yeux  des 
hommes  les  plus  instruits,  tout  ce  que  l'on  pouvait  imaginer  de  dési- 
rable. Dans  cet  état  d'engourdissement  et  de  torpeur  de  l'esprit  hu- 
main, l'apparition  d'un  homme  tel  que  Hobbes,  qui  a  jeté  la  suspi- 
cion sur  tant  d'opinions  reçues  et  fondamentales,  et  qui  a  présenté 
ses  vues  propres  avec  évidence  et  brièveté,  était  propre  à  produire 
des  effets  vraiment  extraordinaires...  C'est  à  peine  trop  dire,  comme 
le  reconnaît  quelque  part  sir  James  Mackintosh,  que  le  caractère 
de  la  spéculation  moderne  a  été,  da.ns  une  grande  mesure,  déterminé 
par  les  écrits  de  Hobbes  »  ^.  Bentham  s'est  montré  plus  réservé  que 

1.  Cf.  J.  Bentham,  Deontology  or  Science  of  the  Morality,  Londres,  1834,  (arrangée! 
and  edited  by  Bowring).  —  Benjamin  Lakoche,  Df^ontologie  ou  Science  de  la  Morale, 
2  vol.,  Paris.  1834. 

2.  James  Mill  (1773-1836).  Œuvkes  :  Eléments  of  political  Economy,  Londres,  1821. 
— ^  Analyeis  of  the  Fhencmena  of  the  human  mind,  Londres,  1829.  Edit.  par  John 
SiTJAiT  Mill,  2  vol.  Londres.  1869.  svec  des  notes  par  Al.  Bain,  Andr.  Findlster 
et  G.  Grcte.  —  A  Fragment  on  Machintosh...,  Londres,  1835  et  1870.  ■ — Articles  dans 
le  Supplément  to  Encyclopaedia  Britannica  :  Govcrnnient,  Liberty  of  the  press,  Educa- 
t.on,  etc.,  qui  ont  été  réunissons  le  titre  d'i'ssaî^s,  Londres,  1828  (c'est  l'édition  la 
plus  complète).  —  A.  Bain.  James  Mill.   A  Biography,  Londres,  1882. 

3.  The  opinions  of  Aristotle  were  taught  as  a  brandi  of  éducation  ;  and  the  possession • 
of  them  in  the  memory  was  ail  that  even  the  niost  instructed  men  imagined  they  had 
any  occasion  to  désire.  In  this  benumbed  and  torpid  state  of  the  human  mind,  the 
appearance  of  such  a  man  as  Hobbes,  who  challenged  so  many  received  and  funda- 
mental  opinions,  and  exhibited  his  own  views  with  évidence  and  brevity  was  calculated 
to  produce  very  extraordinary  effects.  It  is  hardly,  as  sir  James  [Mackintosh]  somo 


I^-FLrE^XE  en  Angleterre  :  sur  certaen'es  tendances        451 

son  disciple  :  «  Les  paradoxes  de  Hobbes  et  de  Mandeville  (dont  les 
théologiens  ont  affecté  d'être  grandement  scandalisés)  ont  rendu 
sei-vice.  Ils  renferment  beaucoup  de  vérités  originales  et  audacieuses 
avec  un  mélange  et  alliage  d'erreurs.  Profitant  de  la  lumière  qu'ils 
ont  répandue  sur  le  sujet  traité,  les  écrivains  postérieurs  ont  été  inis 
à  même  de  faire  la  séparation  »  ^. 

Comme  l'auteur  du  De  Cive,  J.  ^VIill,  irréductible  adversaire  des 
gouvernements  à  formes  mixtes,  a  vigoureusement  combattu,  à  la» 
suite  de  Bentham,  la  théorie  prônée,  par  le  parti  whig,  a  de  la  balance 
des  pouvoirs  »,  «  cette  théorie,  au  fond  si  vague  et  si  inexacte,  cme 
quelques-unes  des  erreurs  les  plus  enracinées  et  des  méprises  les  plus 
graves  en  politique  en  sont  issues  »  ^, 

En  travaillant  à  restaurer  la  philosophie  associationniste  de  Hartlev 
et  en  se  convertissant  à  la  doctrine  de  Futihté  de  Bentham,  J.  ]Miïl 
restait  dans  la  ligne  tracée  par  Hobbes, 

Un  autre  Benthamiste,  Jojm  Ausxm  ^,  dans  son  grand  ouvrage  : 
La  détermination  de  la  province  de  la  Jurisjyrudence  *,  se  rencontre, 
sur  quelques  points,  avec  Hobbes  dans  la  théorie  qu'il  donne  de  la 
Souveraineté.  Il  formule  ainsi  sa  thèse  :  «  Dans  chaque  commmiauté 
pohtique  indépendante  il  y  a  un  supérieur  humain  déterminé,  ayant 
en  mains  la  force  suprême  de  coercition,  auquel  la  masse  de  la  société 
rend  une  obéissance  habituelle  et  qui  n'est  soumis  à  aucun  pouvoir- 
supérieur.  Ce  supérieur  humain  déterminé  peut  être  une  personne 
ou  un  groupe  de  personnes'  et,  dans  l'un  ou  l'autre  cas,  il  est  appelé 
le  souverain  »  ^. 

where  acknowledges,  too  much  to  say,  that  the  character  of  modéra  speculation-was 
to  a  great  degree  determined  by  the  v-rittings  of  Hobbes.  (J.  ilixL,  Fragment  on  Mac- 
hintosh,  p.  19-20).  Cf.  l'article  de  Mill  sui-  l'Education  dans  ses  Essaya  :  Essay  VIII 
(Edit.  de  1828)  ou  dans  le  Supplément  de  VEncydop.  Britannica.  —  Robert  Jajies 
JIackixtosh,  Memoirs  of  the  Life  of  Sir  James  Mackintosh,  Edited  by  his  son  2  vol 
Londres,  183.5.  •  '  •. 

1.  The  paradoxes  of  Hobbes  and  Mandeville  (at  whieh  di\anes  affect  to  be  so  much 
scandalized)  were  of  service  ;  they  contained  many  original  and  bold  truths,  mixed 
with  an  aUoy  of  falsehood,  which  succeeding  writers.  profiting  by  that  share  of  light 
which  thèse  had  cast  iipon  the  subject,  hâve  been  enabled  to  separate.  (Bentham 
Meynoirs,  Ch.  IV,  Works,  t.  X,  p.  73,  col.  2). 

2.  J.  Mill,  Edinburgh  Review,  t.  XIII,  janvier  1809  ;  Emancipation  of  Spanish 
America,  p.  308.  Cf.  l'article  svir  le  Government  dans  le  Supplément  à  I'Encyclop^dia 
Britann-ica  ou  les  Essaya,  I  (voir  snpra,  p.  111,  note  C)  et  l'article  Aristocracy,  dans 
LoNDON  Review,  1836.  p.  302-306.  —  Bentham,  View'of  a  gênerai  Code  of  Laws, 
Ch.  XXI,  Works,  t.  III,  p.  198.  —  An  Introduction  to  the  Principles  of  Morals  and 
Législation,  Ch.  XTII,  Londres,   1789. 

^  3.  John  Austin  (1790-1859)  occupa,  de  1828  à  1832,  la  chaire  de  Jm-isprudence  à 
YUniversity  of  London  (appelée  maintenant  XJniversity  Collège),  que  Bentham  et  ses 
amis  fondèrent  en  1627.  11  publia  les  premières  leçons  de  son  Cours  sous  ce  titre  :  The 
Province  of  Jurisprudence  determined,  Londres,  1832.  —  Le  reste  de  ses  leçons  ne  fut 
édité  qu'après  sa  mort  sous  ce  titre  :  Lectures  on  Jurisprudence  or  the  Philosophie  of 
Positive  Law,  2  vol.,  Londres,  1861  ;  1885^  —  Mr.  G.  HE.^fRY  en  a  traduit  quelques 
passages  dans  cet  opuscule  :  La  Philosophie  du  droit  Positif,  Paris,  1894. 

4.  J.  Austin,  The  Province  of  Jurisprudence  determined,  Londres,  1832. 

5.  That  in  every  independent  political  commimity  there  is  a  déterminât^  human 
superior  having  suprême  coercive  force,  to  whom  habituai  obédience  is  rendered  by 


452         ARTICLE    III.    —   CHAPITRE    V.   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

Pour  soutenir  cette  thèse,  Austin  a  utilisé  l'ouvrage  de  Bentham  : 
Un  fragment  sur  le  Gouvernement,  auquel  il  se  réfère  ^.  On  distingue 
aussi  dans  son  œuvre  quelques  reflets  des  doctrines  hobbiennes  : 
la  souveraineté  n'est  sujette  d'aucune  puissance  ;  elle  ne  souffre  pas 
que  les  pouvoirs  législatif  et  exécutif  soient  répartis  entre  des  mains 
différentes  ,  elle  dispose  de  la  force  suprême  coercitive.  Conséquem- 
ment,  l'obligation,  la  loi,  le  devoir,  le  droit  sont  fondés  sur  la  force, 
c'est-à-dire  sur  les  ordres  du  souverain  appuyés  par  les  sanctions 
pénales  qu'encourent  ceux  qui  les  transgressent  ^. 

Les  Benthamistes  ont  donné  un  témoignage  public  de  leur  admira- 
tion reconnaissante  pour  le  philosophe  de  Malmesbury.  C'est  à  l'insti- 
gation de  George  Grote  ^  que  sir  William  Molesworth  *  a  entrepris 
l'édition  monumentale,  en  16  volumes,  des  Œuvres  latines  et  anglaises 
de  Hobbes  (Londres,  1839-1845).  L'éditeur  l'a  dédiée,  en  termes  très 
élogieux,  à  Grote  ^. 

Pour  clore  cette  revue  sommaire,  signalons  en  quelques  mots 
l'effort  de  John  Stuart  Mill  ^,  qui  a  voulu  rectifier  la  Morale  de 

the  bulk  of  the'society,  and  who  is  not  subject  to  any  superior  power.  The  detenninate 
hiiman  superior  may  be  a  person  or  group  of  persons,  and  is  in  either  case  called  the 
sovereing  (J.  Atjstin,  The  Province  of  Jurisprudence  determined,  Ch.  VI). 

1.  J.  Austin,  The  Province  of  Jurisprudence...,  Ch.  VI. 

2.  Le  système  d'AusTiN  a  été  critiqué  par  Sir  Henry  James  Sumner  Maine,  dans 
Lectures  on  the  Early  History  of  Institutions,  Ch.  XII  et  XIII,  Londres,  1875.  —  Tho- 
mas HiLL  Green,  dans  Lectures  on  the  Principles  of  political  obligation,  §  A.  The  Orounds 
of  political  obligation,  dans  Works,  t.  II,  Londres,  191 1^,  p.  335-354. 

3.  George  Grote  (1794-1871),  nls  d'un  banquier  de  la  Cité,  est  surtout  connu  par 
son  History  of  Greece  (Londres,  1846-1856  ;  18S85).  C'est  lui  qui  rédigea  et  publia,  sous 
un  pseudonyme,  la  philosophie  antireligieuse  de  Bentham  dans  le  petit  livre  ;  Analysis 
of  the  influence  of  natural  Religion  on  the  temporal  happiness  of  Mankind  by  Philip 
Beauchamp,  Londres,  1822  (Analyse  de  l'influence  de  la  religion  naturelle  sur  le  bonheur 
temporel  de  Vhumanité ).  —  Il  collabora  à  la  Westminster  Revieio  et  publia  plusieurs 
brochures  politiques,  vg.  Essentials'  of  Parliamentary  Reform  {Eléments  essentiels  de  la 
R/:forme  parlementaire),  Londres,  1831.  Il  prit  part,  comine  son  ami  Molesworth  et 
d'autres  Benthamites,  au  mouvement  réformiste  qui  re^Tlua  l'Angleterre,  de  1832  à 
1844.  —  Cf.  Mrs  H.  Grote,  The  personal  life  of  George  Grote,  Londres,  1873.  —  The 
philosophical  Radicals  of  1832,  Londres,  1873. 

4.  Sir  William  Molesworth  (1810-1855),  homme  politique  du  parti  radical,  repré- 
senta Southwark  à  la  Chambre  des  Communes.  Il  laissa  inachevée  une  Vie  de  Hobbes. 
—  Cf.  Mrs  Fawcett,  Life  oj  the  Sir  William  Molesworth,  Londres,  1901. 

5.  Cette  Dédicace  est  placée  en  tête  du  premier  voluine  des  Opéra  latina  de  Hobbes, 
Londres,   1839. 

6.  John  Stuart  Mill,  né  à  Londres  (1806)  et  mort  à  Avignon  (1873),  organisa  en  182.*?^ 
la  petite  Société  qui  s'appela  «  Société  utilitaire  «.  Ses  membres,  dont  le  nombre  n'at- 
teignit pas  la  dizaine,  se  réunissaient  dans  la  maison  de  Benthain  pour  discuter  sur  les 
corollaires  fondamentaux  que  ce  philosophe  avait  tirés  du  principe  d'utilité.  S.  Mill  se 
fit  connaître  par  des  articles  publiés  dans  la  Westminster  Review,  organe  du  parti  radical 
en  Philosophie  et  en  Politique,  Y Edinburgher  Review  et  l'Examiner.  A  partir  de  1841, 
il  entretint  une  correspondance  suivie  avec  Auguste  Comte.  La  série  de  ses  ouvrages 
débuta  par  :  A  System  of  Logic  Ratiocinative  and  Inductive...  (2  vol.,  Londres,  1843). 
Puis  parurent  successivement  à  Londres  :  Essays  on  some  Unsettled  Questions  of  Poli- 
tical Economy  (1844).  —  Principles  of  Political  Economy,  2  vol.  (1848).  — •  On  Liberty 
(1859).  —  Thoughts  on  Parliamentary  Reform  (1859).- — Dissertations  and  Discussions, 
1er  et  2e  vol.  (1859)  ;  3e  (1867)  ;  4e  (1876).  —  Considérations  on  Représentative  Govern- 


INFLUENCE    EN    ANGLETERRE    :    SUR   CERTAINES    TENDANCES  453 

l'intérêt  bien  entendu.  Il  lui  reproche  d'abord  d'être  grossière,  parce 
que,  dans  la  considération  du  plaisir,  elle  ne  fait  att;ention  qu'à  la 
quantité.  Dans  son  arithmétique  des  plaisirs,  Bentham,  à  la  suite  de 
Hobbes,  n'exclut  aucune  jouissance.  Pour  purifier  cette  Morale, 
S.  Mill  introduit  un  nouvel  élément  dans  l'évaluation  des  plaisirs  : 
la  qualité.  Les  jouissances  de  l'esprit  et  du  cœur  ont  une  valeur  intrin- 
sèque qui  les  rend  préférables  aux  voluptés  des  sens.  —  C'est  fort  bien  ; 
mais  un  utihtaire  ne  peut  parler  ainsi  sans  sortir  de  son  système 
empirique,  car  pour  établir  une  hiérarchie  entre  les  plaisirs,  il  faut  un 
critérium  ;  or  ce  critérium  c'est  l'idée  de  perfection  ou  d'excellence 
qui  se  rapporte  à  la  raison. 

Le  second  reproche  adressé  à  cette  Morale,  c'est  qu'elle  est  égoïste, 
parce  qu'elle  rapporte  tout  à  l'intérêt  individuel,  même  l'intérêt 
général.  Bentham  avait  déjà  mis  en  avant,  comme  règle  de  la  vie 
morale,  le  bonheur  de  l'humanité.  Mais,  de  fait,  en  travaillant  pour  le 
bien  général,  c'est  son  propre  bonheur  que  l'utilitaire  recherche. 
Selon  S.  Mill,  l'utilitarisme  rectifié  u  exige  que,  placé  entre  son  bien 
€t  celui  des  autres,  l'agent  se  montre  aussi  strictement  imiMrtial 
que  le  serait  un  spectateur  bienveillant  et  désintéressé  »,  de  sorte 
que  (t  la  règle  utilitaire  de  la  conduite  ne  consiste  pas  dans  le  propre 
bonhein-  de  l'agent,  mais  dans  le  bonheur  général  »  ^.  —  C'est  encore 
fort  bien  ;  mais,  confiné  dans  l'empirisme  et  la  sensibihté,  l'utihta- 
risme,  même  humanitaire,  ne  peut  trouver  en  lui-même  un  principe 
capable  d'imposer  ce  qu'il  ordonne,  car  l'intérêt  d'autrui  n'est  pas 
obHgatoire  par  lui-même.  De  quel  droit,  en  effet,  me  commanderait-il 
de  sacrifier,  en  cas  de  conflit,  mon  bonheur  personnel  au  bonheur 
général  ?  C'est  poser,  d'une  part,  le  bonheur  comme  la  seule  chose 
bonne  et  désirable  ;  c'est,  d'autre  part,  exiger  qu'on  soit  toujours 
disposé  à  sacrifier  son  bonheur  à  celui  des  autres.  Au  nom  de  mon 
bonheur  on  me  commande  donc  de  sacrifier  mon  bonheur.  Il  y  a  là 
une  contradiction  formelle,  qui  montre  qu'en  s'enfermant  dans  les 
considérations  de  l'intérêt,  on  ne  peut  justifier  Tobhgation  de  sacrifier 
son  bonheur  personnel  au  bonheur  de  l'humanité.  Il  faut  par  consé- 
quent recourir  à  un  principe  étranger  et  supérieur  à  l'intérêt  même 
général. 

ment  (1861).  —  Utilitarianism  (1863).  —  Exainination  of  sir  William  Hamïlton's  Philo- 
sophy  (1865).  —  Auguste  Comte  and  Positivism,  (1865).  —  Inaugural  Address  at  the 
University  of  St.  Andrews'  (1867).  —  England  and  Ireland  (1868).  —  The  Subjection 
of  Women  (1869).  —  Autohiogra/phy  (1873).  —  Three  Essays  on  Religion  :  Nature,  the 
Utility  of  Religion,  Theism  (1874). —  S.  Mill  ne  siégea  à  la  Chambre  des  Communes 
que  de  1865  à  1868.  En  Politique,  il  se  rattache  au  parti  libéral  ;  mais  il  échappe  à 
toute  classification  rigoui-euse,  car,  quoique  très  favorable  à  l'individuaHsme,  il  réclame 
cependant  l'intervention  de  l'Etat,  vg.  pour  imposer  l'insti'uction  élémentaire,  régler  le 
travail  des  mineurs,  protéger  la  femme. 

1.  I.  must  again  repeat,  what  the  assailants  of  utilitarianism  seldom  hâve  the  justice 
to  acknowledge,  that  the  happiness,  ■which  forms  the  utilitarian  standard  of  Avhat  iy 
right  in  conduct,  is  not  the  agent's  ovvn  happiness,  but  that  of  ail  concerned.  As  bet 
ween  his  ovvn  happiness  and  tliat  of  othors  utilitarianism  requires  him  to  be  as  strictiy 
impartial  as  a  disinterested  and  benevolent  sjjectator.  ^Stuabt  Mill,  Utilitarianism, 
Ch.  II,  p.  24,  §  I  Must,  Londres,  ISTH). 


454         ARTICLE   ni.    CHAPITRE    V.   —  PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

De  ce  chef,  la  Morale  utilitaire  est  impraticable,  parce  que  l'intérêt 
particulier  et  l'intérêt  général  sont  loin  de  coïncider  toujours  dans 
la  réalité.  S.  Mill  a  vu  la  difficulté.  Pour  y  échapper  il  a  émis  l'espoirv  | 
que  les  progrès  de  la  société  finiront  par  harmoniser  l'intérêt  général 
et  l'intérêt  particulier.  Espoir  chimérique.  Mais  supposons  qu'un 
jour  cette  harmonie  soit  en  effet  réahsée  par  suite  de  la  réorganisation 
sociale,  alors  l'intérêt  général,  se  confondant  avec  l'intérêt  particulier, 
deviendra  'tioi/re  premier  et  unique  intérêt.  La  Morale  de  l'utihtarisme 
même  humanitaire  retombe  donc  dans  la  recherche  de  l'intérêt  per- 
,soimel,  puisque,  à  cause  de  la  coïncidence  des  deux  intérêts,  nous 
n'aurions  rien  à  sacrifier  au  bonheur  des  autres.  Et  l'on  constate 
que  S.  Mill,  malgré  ses  efforts  ingénieux,  n'a  pas  réussi  à  purger  la 
Morale  utihtaire,  dont  Hobbes  a  été  le  héraut  en  Angleterre,  du  double 
grief  de  grossièreté  et  d'égoïsme  ^.  ' 


B.    —    INFLUENCE    DE    HOBBES    A    L'ÉTRANGER 


I.    —    L'OPPOSITION. 

L'opposition  contre  Hobbes  à  l'étranger  fut  moins  générale,  mais  , 
aussi  forte  qu'en  Angleterre.  Elle  se  fit  surtout  remarquer  dans  les 
Pays-Bas  et  en  Allemagne.  Il  convient  de  signaler,  entre  autres, 
les  écrivains  suivants  :  Gisbert  Cocq  (Cocquius),  pasteur  à  Kok- 
kengen  dans  la  province  d'Utrecht  ^,  Jean-Adam  Osiander,  pro- 
fesseur de  Théologie  et  chancelier  de  l'université  de  Tubingue  ^, 
Adam  Rechsnberg,  théologien  luthérien  ^,  Régnier  de  Mansvelt, 
professeur  de  Philosophie  à  l'université  d'Utrecht  ^,  Samuel  Rachel, 
professeur  de  Droit  à  ruiiiversité  de  Kiel  ^,   Samuel  Strimesius, 

1.  Cf.  E.  Cabo,  Problèmes  de  Morale  sociale,  Ch.  VI^  Paris.  18872.  —  M.  Guyau,  La 
Morale  anglaise  contemporaine.  Partie  II,  L.  II,  Ch.  III  et  IV  ;  L.  III,  Ch.  II  et  III, 
Paris,  1879. 

2.  Gisbert  Cocq  (vers  1630-1707),  Vindicice  pro  Lege  et  lynperio  sive  Dissertationes 
duce,  quaruni  una  est  de  Lege  in  communi,  altéra  de  Exemptione  princ.ipis  a  lege,  institutœ 
potissimum  contra  tractatum  Hobbii  De  Cive,  quibus  annexa  est  celeberrimi  Gisb.  Voetii 
Disquisitio  textualis  ad  I  Samuel  8  de  Jure  regio  Hebrœorum,  Utrecht,  1661.  —  Hobbes 
'£/.£Y/_ô[j.îvo;  sive  Vindicice  pro  Lege,  Imperio  et  Religionc  contra  tractatus  Thom^ 
HoBBESiT,  quibus  titulus  De  Cive  et  Leviathan.  Utrecht,  1668.  —  Vindicice  pro  Reli- 
gione  in  regno  Dei  naturali,  contra  Hobbes  De  Cive,  cap.  15,  Leviathan,  cap.  31,  Utrecht, 
1668.  -—  Hobbesianismi  Anato'ine,  qua  innumeris  assertionibus  ex  tractatibus  De  Homine, 
Cive,  Leviathan,  juxta  seriem  locorum  Theologiœ  christianœ,  Philosophi  illius  a  Reli- 
gionc christiana  apostasia  demonstratur  et  refutatur,  Utrecht,  1680. 

3.  Johannes-Adam  OkSiander  (1622-1697),  De  typo  legis  naturœ  contra  Hobbesium, 
Tubingue,   1673. 

4.  Adam  Rechenbebg  (1642-1721),  Thomœ  Hobbesii  E'jpr,;j.a,  Leipzig,  1674. 

5.  Regnerus  a  Mansvelt  (1639-1671),  Tractatus  adversus  Anonymum  theologo- 
politicum,  in  quo  omnes  et  singxdœ  tractatus  theologico-politici  Dissertationes  examinantur 
et  rejelluntur,  cum  prœmissa  Disquisitione  de  Divina  per  naturain  et  Scripturam  Révéla- 
tione,  Utrecht,  1674.  Hobbes  y  est  attaqué,  à  l'occasion  de  Spinoza. 

6.  Samuel  Rachel  (1628-1691),  Liber  de  Jure  Naturœ  et  Gentium,  p  102-117,  Kie],. 
1676. 


OPPOSITION  A  l'Étranger    '  455 

professeur  de  Théologie  à  l'université  de  Francfort-sur-l'Oder  ^, 
Christian  Kortholt,  professeur  de  Théologie  à  l'université  de  Kiel  ^  ; 
Hermann  Conring,  professeur  d»  Philosophie  à  Helmstedt  ^. 

En  entendant  un  professeur  de  Droit  naturel  et  de  Droit  des  gens, 
ptiis  un  professeur  de  Philosophie  et  de  Théologie  nous  aurons  un 
écho  fidèle  des  critiques  véhémentes  auxquelles  Hobbes  fut  en  butte 
dans  les  pays  d'Outre-Manche  :  «  Jamais,  je  l'avoue,  écrit  S.  Rachel, 
je  ne  suis  tombé  sur  aucun  écrivain  qui  ait  exposé  à  l'univers  des 
opinions  plus  absurdes  et  plus  horribles.  Aussi  bien  me  suis-je  souvent 
étonné  qu'il  ait  pu  mériter  le  suffrage  de  cet  homme  docte  et  bon  *. 
Car  celui  qui  n'a  qu'une  teinture  même  légère  de  doctrine  et  n'est 
pas  tout  à  fait  étranger  dans  le  domaine  de  la  Philosophie  pratique 
(car  nous  ne  parlons  que  d'elle  ici)  saisit  sans  peine  à  quel  point  cet 
imposteur  a  abusé  de  ses  dons  naturels  pour  accréditer  l'athéisme, 
la  tyrannie  et  tout  genre  d'improbité  »  ^. 

Le  jour  où  il  prit  solennellement  possession  de  sa  chaire  à  l'univer- 
sité de  Franeker,  dans  la  Frise  hollandaise,  Hermann-Alexandre 
E/ÔELL  ^  rangea  Hobbes  et  Spinoza  parmi  les  «  monstres  »  intellec- 
tuels de  l'espèce  humaine,  parce  que,  en  s'obstinant  à  répandre  l'idée 
que  Dieu  est  un  être  corporel,  ils  se  sont  appliqués  à  détruire  par  la 
racine  le  culte  divin  et  à  saper  par  lalbase  toute  rehgion  '. 

1.  Samuel  Strimesius  (vers  164:8-1730),  Praxiologia  apodictica  sive  Phllosophia 
moralis  detnonstrativa  pytJianologice  Hobbesiance  opposita,  Francfort-sur-l'Oder,   1677. 

2.  Christian  Kortholt  (1633-1696),  De  tribus  magnis  impostoribus  Liber,  Kiel, 
1680:  Hambourg,  1701.  Il  s'agit  de  Herbert  de  Cherbury,  de  Hobbes  et  de  Spinoza. 
Pour  Hobbes,  cf.  p.  93-139. 

3.  Hermann  Conring  (1606-1681),  «  qui  est  assurément  un  grand  censeur  des  ques- 
tions politiques,  appelle  les  opinions  de  Hobbes  des  délires  ».  (H.  Conringius,  magnus 
profecto  rerum  civilium  censor,  dogmata  ejus  [Hobbesius]  deliramenta  vocat.  Cf. 
Daniel  Georg  Morhof,  Polyhistor  sive  de  notitia  auctorum  et  rerum  Commentarii, 
T.  III,  L.  I,  C.  I,  §  jv.  p.  3.  Edit.  Joh.  Môller,  Lubeck,  1708). 

4.  Il  s'agit  de  Gassendi,  qui  écrivit  en  effet  à  Sorbière  une  lettre  beaucoup  trop 
louangeuse  sur  le  De  Oive.  Cf.  supra,  p.  215. 

5.  Nunquam  fateor  incidi  in  ullura  scriptorem  qui  absurdiora  ac  tetriora  placita  orbi 
exposuerit  :  ut  sane  ssepius  miratus  fuerim  quomodo  illius  viri  docti  bonique  sufïragium 
mereri  potuerit.  Qui  enim  doctrina  vel  leviter  tinctus  et  non  omnino  hospés  fuerit  in 
Philosophia  practica  (de  hac  enim  sola  nobis  jam  sermo  est)  facile  deprehendit  quanto- 
pere  ille  impostor  suo  ingénie  ad  astruendum  atheismim,  tyrannidem  omneque  impro- 
bitatis  genus  abusus  sit  (S.  Rachel,  De  Jure  Naturœ  et  Gentium,  n.  109).  Nous  emprun- 
ter s  cette  citation  à  Kortholt  qui  la  fait  sienne  et  conclut  par  elle  l'étude  qu'il  con- 
sacre à  Hobbes  dans  son  De  tribus  înagnis  impostoribus,  Sect.  II,  n.  xxvii,  p.  74-75. 
Seconde  édition,  faite  par  son  fils  Sébastien,  Hambourg.  1701.  ■ — -  Kortholt  signale 
aussi,  en  marquant  sa  surprise,  la  lettre  de  Gassendi,  Ibidem,  p.  74. 

6.  Hermann-Alexandre  Rôell,  né  (1653)  à  Dalberg,  près  de  Unna,  en  WestphaJie, 
fut  pasteur  à  Daventer  (Hollande).  Il  occupa  les  chaires  de  philosophie  ot  de  théologie, 
d'abord  à  l'Université  de  Franeker  (1685-1704),  puis  à  celle  d'Utrecht,  jusqu'à  sa  mort, 
qui  survint  à  Amsterdam  en  1718.  —  Comme  Rôell  était  cartésien,  nous  le  retrouverons 
quand  il  sera  traité  du  Cartésianisme  en  Hollande. 

7.  Hobbesius  sane  et  Spinosa,  monstra  illa  et  portenta  hominum,  dum  irl  obnixe 
egerunt  aliis  ut  persuadèrent  Daum  corpus  esse,  ea  rations  omnem  de  Doo  opinionera 
omnemque  Dai  cultum  a  radicibus  evellere,  et  convoUere  omnia  religionis  fundamenta 
studuerunt...  (H.  A.  Rôellius,  Oratio  inauguralis  de  Religione  rcUionali,  p.  55,  Fra- 
neker, 1686).  Sans  rien  changer  au  fond,  Rjell  divisa  ce  Discours  en  paragraphes,  afin 
qu'il  pût  devenir  pour  ses  élf^-ves  une  sorte  de  Manuel  destiné  à  servir  de  base  aux  expli- 


456         ARTICLE   III.    - —   CHAPITRE   V.   —   PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 


II.    —    SYMPATHIES    A    L'ÉTRANGER. 

Le  philosophe  anglais  trouva,  à  l'étranger,  des  sympathies  plus 
grandes  que  dans  son  propre  pays.  Sans  doute,  on  ne  rencontre  per- 
sonne qui  adhère  pleinement  à  l'ensemble  du  système  de  Hobbes. 
Mais  les  uns  s'efforcent  d'innocenter  sa  mémoire  de  l'accusation 
d'athéisme  ;  les  autres  acceptent  telle  ou  telle  partie  de  ses  doctrines. 
Parcourons  rapidement  tour  à  tour  la  Hollande,  l'Allemagne  et  la 
France,  où  son  action  philosophique  se  fît  plus  ou  moins  sentir. 

1°    SYMPATHIES    EN   HOLLANDE. 

■  Dans  les  Pays-Bas  trois  noms,  dont  l'un  est  très  célèbre,  se  recom- 
mandent spécialement  à  notre  attention  :  Lambert  Velthuysen, 
Adrien  Houtuyn,  Benoit  de  Spinoza. 

Avant  d'en  venir  à  ces  trois  personnages,  il  convient  de  mentionner 
quelques  mots  de  Hugo  Grotius.  Ecrivant  à  son  frère  Guillaume, 
il  lui  donne,  en  passant,  son  avis  sur  le  De  Cive  qu'il  vient  de  lire. 
Ce  qui  lui  plaît  dans  cet  ouvrage  "c'est  le  plaidoyer  en  faveur  des  Rois. 
Mais  il  a  des  réserves  à  faire  sur  d'autres  points.  Il  ne  saurait  approuver 
notamment  ces  déclarations  de  Hobbes  :  L'état  de  guerre  est  naturel 
à  l'homme.  Le  devoir  de  chaque  particuHer  est  de  suivre  la  religion 
reçue  dans  son  pays,  à  laquelle  il  doit,  sinon  l'assentiment,  du  moins 
l'obéissance  ^. 

I.  —  Velthuysen,  médecin  à  Utrecht,  publia,  sous  le  voile  de  l'ano- 
nyme, en  1651,  à  Amsterdam,  une  Dissertation,  en  forme  de  Lettre, 
sur  les  Principes  du  juste  et  du  convenable,  contenant  Vapologie  du 
Traité  De  Cive  du  très  illustre  Hobbes  ^.  Cette  Dissertation  épîstolaire 
est  adressée  à  un  personnage  qui  n'est  pas  désigné  par  son  nom,  mais 
par  l'épithète  dont  Hobbes  vient  lui-même  d'être  gratifié  (Vir  cla- 

cations  de  son  cours  privé  sur  la  Théologie  naturelle  (...  ut  ad  eum,  quein  hic  delineavi 
ordineni,  dxplicare  ris  [discipuli]  in  privatis  scholis  Theologiam  naturalein  possim.  Cf. 
Préface  de  la  2^  édition,  circa  finem).  Ce  Discours,  dans  ses  nombreuses  réimpressions, 
fut  intitulé  ;  Dissertatio  de  religione  rationali.  Le  passage  relatif  à  Hobbes  se  trouve  au 
§  LXViT,  p.  69  de  la  6e  édition,  Herborn,  1705. 

1.  Libriim  de  Cive  vidi  ;  placent  quae  pro  Regibus  dicit.  Fundamenta  tamen,  quibixs 
suas  sentei  tias  superstruit,  probare  non  possum.  Putat  inter  homines  omnes  a  natura 
esse  beUum  et  alia  quœdam  habet  nostris  non  congruentia.  Nam  et  privati  cujusque 
ofRcium  putat  sequi  Religionem  in  patria  sua  probatam,  si  non  assensu,  at  obsequio. 
Sunt  et  alia  qusedam  quse  probare  non  possum  (H.  Grotius  à  son  frère  Guillaume, 
11  avril  1643),  dans  Hugonis  Grotii  Epistolœ...,  Amsterdam,  1687,  p.  951-952,  Epist. 
648). 

2.  Lambert  Velthuysen  (1622-1685)  Epistolica  Dissertatio  de  Principiis  justi  et 
decori,  continens  Apologiam  pro  Tractatu  Clarissimi  Hobbii  De  Cive,  Amsterdam,  1651. 
—  Velthuysen  fut  en  1667  nommé  sénateur  de  la  province  d'Utrecht.  Ce  fut  un  carté- 
sien convaincu,  dont  il  sera  parlé  en  détail  à  propos  du  Cartésianisme  en  Hollande. 
Cf.  t.  III.  - —  Nous  renverrons,  pour  les  références,  à  l'édition  des  Œuvres  de  Vel- 
thuysen, publiées  par  lui-même,  Opéra  omnia,  ante  quidem  sepo^ratim  tatn  belgice  quam 
latine,  nvnc  vero  conjunftim  latine  édita...,  deux  Parties,  avec  une  pagination  unique, 
Rotterdam,    1680. 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    VELTHUYSEN  457 

rissimus).  Ce  personnage  s'était  mis  dans  l'esprit  que  Velthuysen 
approuvait  pleinement  tout  ce  qui  a  été  dit  par  le  philosophe  anglais 
ou  peut,  par  voie  de  déduction  sohde,  lui  être  attribué.  Velthuysen 
tient  à  mettre  les  choses  au  point  :  «  J'ai  rencontré,  avoue-t-il,  cet 
auteur,  comme  beaucoup  d'autres.  Ses  écrits  légèrement  modifiés 
et  adaptés  m'ont  beaucoup  aidé  à  trancher  par  la  raison  les  contro- 
verses relatives  à  l'équité  et  à  la  justice.  Et,  quand  l'occasion  s'offre, 
je  ne  puis  m'empêcher  de  témoigner  ma  reconnaissance  en  louant  le 
talent  de  l'homme  «  i. 

Le  titre  donné  à  l'ouvrage  ne  répond  pas  au  contenu.  h'Epistolica 
Diss^'tatio,  en  effet,  ne  renferme  point  une  Apologie  de  Hobbes. 
C'est  évident  surtout  dans  l'édition  corrigée  que  \"elthuysen  en  donna, 
quand  il  réunit  et  pubha  lui-même  ses  Œuvres  complètes  à  Rotterdam 
en  1680,  c'est-à-dire  vingt-neuf  ans  après  l'apparition  (1651)  de  l'opus- 
cule précité.  La  pensée  définitive  du  philosophe  hollandais  n'a  en 
réahté  qu'une  affinité  lointaine  avec  le  Traité  Du  Citoyen.  Comme 
Hobbes,  il  admet  sans  doute  que  la  conservation  de  soi-même  est  la 
loi  fondamentale  ^.  Cependant  il  repousse  l'utilitarisme  grossier  de 
Hobbes,  il  reconnaît  un  Dieu  Créateur  et  Providence  du  monde, 
qui  a  imposé  à  l'homme  une  fin,  et  il  proclame  que  l'homme  ne  violera 
pas  impunément  l'ordre  étabh  par  Dieu  ^.  Le  principe  «  de  la  conserva- 
tion personnelle  «  est  le  seul  emprunt  formel  qu'il  ait  fait  au  philo- 
sophe anglais,  mais  l'on  constate  qu'il  ne  l'adopte  pas  sans  chscerne- 
ment  ni  distinction  ^,  car  la  forme  constitutive  de  la  vertu  ne  doit  pas 
se  tirer  de  l'utihté  et  du  profit,  mais  de  la  raison  elle-même  ^.  C'est 
une  première  considération. 

Quant  aux  fruits  avantageux  que  peut  procurer  la  pratique  de  la 
vertu-  Velthuysen,  pour  les  légitimer,  recourt  à  une  autre  considéra- 
tion. C'est  ici  précisément  qu'il  fait  intervenir  le  principe  de  la  conser- 

1.  Sed  imposuit  tibi,  xiv  clarissime,  praeoccupatus  animus,  quasi  ego  omnia  albo 
calcule  approbarem,  quaecunque  ab  illo  Auctore  fHobbœol  dicta  sunt  aut  ei  per  conse- 
quentias  solidas  attribui  possunt.  Fatecr  me  incidisse  in  illum  authorem  sicut  in  multos 
£ilios  ;  et  ex  ejus  scriptis  parumper  infle.xis  et  mutatis  multuni  mihi  parasse  prœsidii  in 
decidendis  per  rationem  controv^ei'siis  de  sequitate  et  justitia.  Et,  quando  occasio 
incidit,  non  possum  non  istum  meum  animum  testari  laudando  viri  industriam  (L.  Vel- 
thuysen, Epistolica  Dissertatio  de  Principiis  Justi  et  Decori...,  dans  Opéra,  Part.  II, 
p.  961,  colonne  1-2,  Rotterdam,  1680). 

2.  ...  Primum  fundamentum  legis  moralis,  quod  est  conservatio  si'i...  (Velthuysen, 
Epistolica  Dissertatio,  Oper.  cit.,  p.  969,  col.  2.  Cf.  p.  967-968. 

3.  Velthuysen,  Epistolica  Dissertatio,  Op.  cit.,  p.  962-963. 

4.  ...  Ponentes  pro  lege  fundamentali,  et  a  qua  reliquse  manant,  cotiser vationem  sui, 
adhibita  aliqua  distinctione  quse  in  ipsa  Epistola  traditur.  (Velthyusen,  Epistol. 
Diss.,  Prsefat.,  Op.  cit.,  p.  957). 

5.  ...  Xeque  ex  utilitatis  et  commodi  ratione  forma  virtutis  petenda,  sed  ex  ipsa 
ratione...  Notiones  primse  me  quidem  docent  virtutem  esse  pulchram  et  sua  sponte 
colendam,  neque  ejus  rationem  formalem  et  primam  ab  utilitate  ducendam  ;  sed  nullu3 
virtutis  fructus  homiri  per  peccatum  aerumnoso  ostenditur  ex  prima  illa  considcratione. 
Sed  ille  fructus  ducendup  ex  secunda  corsideratione  virtutis...  Id  procul  dubio  in  nie 
conservari  vult  [Deus]  quod,  si  toUatur,  frustra  quasdem  partes  et  proprietates  mihi 
attribuisse  videatur  ;  quod,  in  causa  opérante  per  sapientiam,  fieri  non4)otest.  Ante 
omnia  autem  in  me  comprehendo  esse  summum  studiuni  conservandi  memet  salvum 
et  incolumem...  (Velthuysen,  Epist.  Diss.,  Op.  cit.,  p.  963,  col.  1,  et  p.  968,  col.  2). 


458 


ARTICLE    III.   CHAPITRE   V.    PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 


vation  personnelle  ;  mais  c'est  la  sagesse  divine  qui,  selon  lui,  en  pres- 
crit à  l'homme  le  respect. 

On  ne  découvre  pas  chez  Velthuysen  l'influence  des  autres  doc- 
trines caractéristiques  de  Hobbes,  comme  Vétat  de  nature  ^,  le  droit  de 
tous  à  tout,  la  guerre  de  tous  contre  tous,  le  rôle  des  conventions  et  des 
pactes. 

Il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  rapprocher  l'édition  princeps  de  1651 
et  l'édition  ne  varietur  de  1680. 

On  est  tout  d'abord  frappé  d'un  changement  notable  dans  le  titre 
de  l'ouvrage.  Ces  mots  de  la  première  édition  :  Continens  apologiam 
pro  Tractatu  Clarissimi  Hobbœi  De  Cive,  ont  disparu  dans  la  dernière. 
Cette  suppression  a-t-elle  été  intentionnelle  ?  Une  réponse  affirma- 
tive s'impose  après  une  étude  comparative  des  textes.  Pour  faciliter 
ce  travail  de  comparaison  aux  lecteurs  je  mets  en  regard  les  passages 
correspondants  des  deux  éditions  ^, 


1.  GuNnLiNG,  dans  Gommentatio  de  Statu  naturali  Hohhesii,  dont  on  parlera  plus 
loin,  p.  502-4,  fait  appel  à  Velthuysen  qu'il  présente  comme  favorable  à  Hobbes  (Cf. 
Prsefat.,  p.  1)  ;  mais  il  omet  de  dire  que  Velthuysen  i  'admet  point  l'état  de  nature 
imaginé  par  Hobbes  et  défendu  par  Gundling.  Son  appel  est  donc  équivoque. 


2.  Ei5iTiON  1651  : 

...  quse  principia  sequi  videbantur 
Clarissimi  Hobbaei,  -cujus  vestigiis  in 
doctrina  morum  insiste   (Prsefat.,   p.   2). 

Scopus  scriptionis  primarius  est  pro- 
bare  legitimam  ClarLssimi  Hobbsei  pro- 
cedendi  rationem  esse,  quam  observât 
in  eruendis  legibus  naturalibus,  etiis  quse 
primis  capitibus  continentui'...  (Prœfat., 
p.  3). 

...  Et  quando  occasio  incidit,  non  pos- 
sum  non  gratum  meum  animum  testari, 
et,  laudando  viri  industriam,  illi  vices 
rependere,  a  quo  me  summo  bénéficie 
affectum  puto,  quod  librum  suum  seculo 
consecraverit  (Epist.  Dissirt.,  p.  3). 

Sed  quid  attinet  mevel  clarissimo  Hob- 
bseo  vel  scriptoribus  ejusdem  genii  pa- 
trocinium  commodaré  :  ego  enim  ejus 
disciplinai  neque  cujusquam  hominis 
alumnus  sum...  (Epist.  Diss.,  p.  7). 

Hactenus  occupati  sumus  in  probandis 
illis  principiis  quse  Clarissimus  Hobbius 
aut  prœsupposuerat,  aut  obsciu-ius  et 
perfunctorie  tantum  et  parce  delibarat  ; 
atque  jam  esse  locus  et  tempus  transeundi 
ad  ipsas  leges  natiirales,  quas  admiranda 
industria  Hobbius  recensuit,  nisi  pauca 
quaedam  prsemonere  ex  usu  essê  arbitra- 
remur.   (EniU.  Diss.,  p.  128)., 


Edition  de  lôSO  f 

...  quae  principia,  quse  amplexus  sum, 
sequi  videbantur  (Praefat.,  p.  1). 


Scopus  scriptionis  primarius  est  pro- 
bare  legitimam  procedendi  rationem  esse, 
quam  observamus  in  eruendis  legibus 
naturalibus...  (Praef.,  p.   1). 


Et  qùando  occasio  incidit,  non  possum 
non  istum  meum  animum  testari  laudando 
viri  industriam  (Epist.  DissPrt.,  p.  961, 
colonne  1-2). 


Sed  quid  attinet  me  hujusmodi  scrip- 
toribus    patrocinium     commodaré  :     ego 
enim  nullius  nisi  Christi  disciplinse,  neque 
cujusquam  hominis  alumnus  sum... 
(Epist.  Diss.,  p.  062,  col.    1). 

Hactenus  occupati  fuimus  in  illus- 
tranda  illa  loge  fundamentali,  quse  est 
ions':rvatio  sui,  ostendentes  quomodo  ille 
naturalis  impetus  et  instinctus,  et  quem 
nemo  a  se  avellere  potest,  nos  ducat  in 
cognitionem  legum  naturalium,  quatenus 
administrse  sunt  conservationis  nostri  : 
nunc  esset  locus  transeundi  ad  enumera- 
tionem  legum  naturalium,  nisi  pauca 
qusedam  prsemonere  ex  usu  esse  arbi- 
traremur...   (Epist.  Diss.,  p.  994,  col.  1). 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    VELTHUYSEN  459 

J'ai  d'abord  remarqué,  du  point  de  ^'T^e  spécial  qui  nous  occupe, 
que  Fauteur  a.  en  1680,  ajouté  quelques  passages  où  il  affirme  que  la 
forme  première  et  constitutive  de  la  vertu  doit  être  tirée,  non  pas  de 
Futilité,  mais  de  la  raison.  (Cf.  ces  passages  cités  supra,  p.  457,  n.  5). 
Rien  de  pareil  dans  la  Dissertation  de  1651  (p.  10  et  p.  32).  Par  cette 
addition  significative  Veltliuysen  a  voulu  sans  doute  accentuer 
l'expression  du  dissentiment,  qui  le  sépare  de  Hobbes,  sur  la  façon 
même  de  comprendre  la  portée  et  la  valeur  du  principe  utilitaire. 

Autres  indices.  Dans  l'édition  de  1651,  Hobbes  est  fréquemment 
nommé,  et  son  nom  est  accompagné  non  seulement  de  l'épithète 
laudative  Clarissimus,  mais  d'éloges  expressifs.  En  concluant  Fopus- 
cule,  Velthuysen  confesse  qu'il  s'estimera  suffisamment  payé  de  sa 
peine,  s'il  a  réussi  à  justifier  son  opinion  et  à  détruire  l'infamante 
réputation  que  le  zèle  déplacé  de  quelques-uns  commençait  à  faire 
au  philosophe  anglais  ^. 

Conclusion,  éloges,  épithète,  tout  cela  a  été  supprimé  en  1680. 
Le  nom  lui-même  n'apparaît  qu'une  fois,  au  début,  tout  uniment, 
sans  qualificatif  -.  C'est  donc  une  échpse  presque  totale. 

Comment  expliquer  ce  revirement  ?  Sans  doute,  en  1651,  Velthuj^- 
sen,  protégé  par  l'anonymat,  avait  cédé  au  mouvement  d'enthou- 
siasme irréfléchi,  qu'avait  provoqué  en  lui  la  lecture  de  l'œuvre  puis- 
sante du  De  Cive,  qui,  malgré  ses  sophismes,  avait  déjà  séduit  des 
hommes  de  valem%  comme  Mersemie  et  Gassendi.  Mais  le  temps 
refroidit  l'ardeur  première,  et  la  réflexion  fit  le  reste.  Velthuysen 
contmua  à  reconnaître  que  les  écrits  de-  Hobbes  «  un  peu  accom- 
modés »  lui  avaient  été  «  d'un  grand  secours  pour  prendre  une  décision 
rationnelle  dans  les  controverses  sur  l'équité  et  la  justice  ».  L'honnê- 
teté l'obhgeajt  à  proclamer  sa  dette.  Mais,  ce  devoir  accompli,  com- 
ment, à  sens  rassis,  ne  pas  voir  que  l'expression  de  sa  recomiaissance 
et  de  son  admiration  avait  dépassé  la  mesure,  et  que  ces  mots, 
échappés  à  sa  plume  juvénile  (il  avait  32  ans)  :  Oontinens  apologiarn... 
ne  résumaient  pas  fidèlement  le  contenu  de  l'opuscule  ^.  Ces  remar- 

1.  Si  voti  metam  attigero,  et  opinionem  ineain  a  noxio  errore,  atque  Clarissimi 
Hobbœi  œstimationem  a  turpi  nota  vindicaverim,  qiii  jam  incipiebat  venire  in  dubium 
de  nomine  sui,  praepostero  quorumdam  zelo,  non  pœnitebit  suscepti  laboris.  (Epist. 
Dise.,  p.  268.  Edit.  de  1651). 

2.  Epislolica  Dissertatio,  p.  961,  cpl.  1,  Edit.  de  1680. 

3.  Christian  Thomasixts  (Thomasen),  né  à  Leipzig  (1655)  et  mort  à  Halle  (1728), 
professa  le  droit  naturel  dans  ces  deux  villes.  Ayant  lu  l'édition  de  1651,  il  observB  que 
l'opuscule  de  Velthuysen  ne  justifie  point  son  titre  ô.' Apologie  :  Nequaquam  enim 
expectcs  doctrinas  Hobbesii  fundamentales  omnes  in  eo  scripto  esse  defensas,  et  adver- 
sariis  fuisse  responsum,  quod  Apologise  titulus  postulabat.  —  Puis,  api-ès  avoir  énuméré 
les  points  de  la  doctrine  hobbienne  que  Velthuysen  abandorne,  il  montre  que  cet  autour 
ne  comprend  pas,  comme  le  philosophe  anglais,  le  principe  de  la  conservation  person- 
nelle :  Doserit  Velthuvsius  principia  Hobbesii  de  jure  omnium  in  omnia,  de  statu  belli 
omnium  contra  omnes,  de  pactie,  fonte  omnie  obligationis,  etc.  ;  solum  retinuit  etudium 
se  ipsum  conservandi,  sed  ex  aliis  plane  rationibns  deductum,  scilicet  ox  considoratione 
sapientiae  diA-inje  et  online  ac  fine  hominis,  item  ex  Scripturse  Sacra?  historia  de  crea- 
tione  et  lapsu  Adami.  An  vero  hoc  sit  velle  defendore  Hobbesium,  alii  judicent.  (Chr. 
Thomasius,  Paulo  pUnior  Historia  iuris  naturalia,  C.  VI,  §  xii,  HaÛe-sur-la-Saale^ 
1719,  p.  85-86). 


460         ARTICLE   III.   — •   CHAPITRE    V.    —  PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

ques  sont  fondées  en  raison.  Si  Velthuysen  les  a  faites  (et  c'est 
très  vraisemblable),  elles  aident  à  comprendre  le  pourquoi  des 
corrections  apportées  à  l'édition  de  1680. 

Cette  explication  cependant  ne  paraît  pas  suffire  à  rendre  pleine- 
ment compte  du  souci  manifeste  qu'a  Velthuysen  de  se  montrer 
le  plus  possible  affranclii  d'une  dépendance  intellectuelle  à  l'égard 
du  philosophe  anglais.  Depuis  le  jour  où  parut  pour  la  première  fois 
VEpistolica  Dissertatio  jusqu'au  moment  de  sa  réimpression,  un  quart 
de  siècle  s'était  écoulé.  Durant  ce  long  espace  de  temps,  de  vives 
attaques,  venant  surtout  de  personnages  ecclésiastiques  considérables, 
en  Angleterre,  en  Allemagne  et  même  en  Hollande,  avaient  été  diri- 
gées contre  les  opinions  de  Hobbes,  convaincu  de  matérialisme  et 
suspect  d'athéisme.  Assurément  quelques-unes  de  ces  réfutations 
étaient  tombées  sous  les  yeux  de  Velthuysen,  ou  du  moins  quelques 
échos  en  étaient  arrivés  jusqu'à  lui.  L'impression  ressentie  dut  être 
profonde.  Ce  qui  porte  à  le  croire  c'est  la  déclaration  suivante  ajoutée^ 
en  1680  :  «  Je  ne  suis  le  disciple  d'aucun  homme,  mais  seulement  de 
la  doctrine  du  Christ.  ^  »  La  foi  de  Velthuysen,  quoique  teintée  elle- 
même  de  rationalisme,  et  ses  convictions  nettement  spirituahstes 
finirent  sans  doute  par  s'alarmer  de  l'attitude  anti chrétienne  et  maté- 
rialiste de  Hôbbes.  Signant,  cette  fois,  son  opuscule,  il  jugea  conve- 
nable d'effacer  les  éloges  excessifs  qu'il  avait  jadis  accordés  trop  hbé- 
ralement  au  philosophe  anglais,  et  de  marquer  plus  nettement  ce 
qui  le  séparait  de  lui  dans  la  façon  de  comprendre  le  principe  «  de  la 
conservation  personnelle  ». 

II.  —  Le  jurisconsulte  hollandais,  Adrien  Houtuyn  ^,  a  fait  suivre 
sa  Politique  générale  condensée  ^  d'une  énumération  des  erreurs  de 
Hobbes  qui  occupe  plus  de  six  pages.  Selon  lui,  les  hommes  ont  com- 
mencé par  vivre  en  paix.  Ce  sont  les  passions  vicieuses  qui  ont  intro- 
duit la  confusion  et  la  guerre.  Dans  l'un  et  l'autre  état,  les  di'oits  de 
chacun  étaient  garantis  par  la  loi  naturelle,  qui  n'est  que  la  droite 
raison.  La  détermination  du  droit  n'appartient  donc  ni  à  la  puissance, 
ni  à  l'appétit  ou  désir,  ni  à  l'utilité,  quelle  qu'elle  soit,  mais  à  la  raison  ^, 

D'après  cela  et  d'autres  textes  qu'on  pourrait  alléguer,  il  semble 
que  Houtuyn  devrait  être  classé  parmi  les  adversaires  purs  et  simples 
de  Hobbes.  Non  ;  il  relève  du  genre  mixte.  Dans  une  question  capitale, 
en  effet,  le  pouvoir  des  Souverains  laïcs  sur  le  domaine  des  choses 

1.  Cf.  supra,  p.  458,  note  2,  col.  2. 

2.  Adrien  Hoittuyn,  «  Calviniste  Hollandais,  natif  d'Amsterdam,  florissait  en  1681 
et  1689.  Il  étoit  Jurisconsulte,  c.  d.  Licencié  ou  Docteur  en  Droit,  et  vraisemblablement 
Avocat  à  La  Haye.  »  (Paquot,  Mémoires  pour  servir  à  V Histoire  littéraire  des  dix-sept 
Provinces  des  Pays-Bas...  t.  XVII,  p.  219,   Louvain,  1769). 

3.  A.  Houtuyn,  Politica  contracta  generalis,  notis  illustrata...  Ad  calceni  errorea 
hohhesiani  indicantur.  La  Haye,  1681. 

4.  Statum  vides  initie  pacis  primsevum.  Confusioms  deinde  et  belli,  ex  vitio  humano. 
Sub  utroque  jura  singulorum,  posita  statim  naturae  lege,  quae  recta  ratio  est,  damnata 
sententia  quse  jus  omne  ex  potentia,  appetitu,  utilitate  déterminât  (Politica.:.,  Pr-ae- 
monitio  [non  paginé],  p.  1-2.  —  Principio  rerum,  ante  gentes  nationesque,  lex  statim 
naturae  fuit,  non  status  ante  naturae  legem.  Posita  naturae  lege,  jus  omne  non  potentia, 
non  appetitus,  non  quid  utile,  sed  ratio  déterminât.  (Politica...,  §  1  et  2). 


SYMPATHIES   EN   HOLLANDE    :   HOUTUYX  461 

sacrées,  il  a  donné  dans  les  excès  du  philosophe  de  Malmesbury. 
Et  Pufendorf,  qui  crut  devoir  le  réfuter  dans  un  Appendice  ^  ajouté 
à  son  livre  :  Rapports  de  la  Religion  à  la  vie  jwlitique,  n'a  pas  manqué 
de  signaler  la  source  où  Houtuyn  a  puisé  son  inspiration,  à  savoir, 
Hobbes  lui-même,  «  auteur  de  détestables  opinions  théologiques  » 
(pessimus  sententiarum  theologicariim  autor)  ^. 

^FUl.  —  Une  revue  attentive  des  idées  pohtiques  de  Spinoza  peut 
'  seule  nous  montrer  en  quoi  elles  diffèrent  du  système  hobbien  et  en 
quoi  elles  lui  ressemblent.  Que  le  lecteur  se  rappelle  les  principes 
fondamentaux  de  Hobbes,  et  le  rapprochement  se  fera  de  lui-même, 
sans  qu'il  faille  y  insister  longuement.  On  se  servira,  autant  que  pos- 
sible, dans  cet  exposé,  des  paroles  mêmes  de  Spinoza. 

((  Lorsque,  nous  confesse-t-il,  j'ai  apphqué  mon  esprit  à  la  Politique, 
mon  dessein  n"a  pas  été  de  découvrir  du  nouveau  ni  de  l'inouï,  mais 
seulement  de  démontrer  par  des  raisons  certaines  et  indubitables, 
ou  déduire  de  la  condition  même  de  la  nature  humaine  .ce  qui  est  en 
parfait  accord  avec  la  pratique.  Et,  pour  avoir  dans  mes  recherches 
relatives  à  cette  science,  la  même  liberté  d'esprit  dont  on  use  en 
mathématiques,  j'ai  mis  tous  mes  soins  non  pas  à  tourner  en  ridicule, 
à  déplorer,  à  haïr  les  actions  humaines,  mais  à  les  comprendre.  C'est 
pourquoi  j'ai  contemplé,  dans  les  passions  humaines,  telles  que  l'amour, 
la  haine,  la  colère,  l'envie,  la  vaine  gloire,  la  miséricorde,  et  les  autres 
commotions  de  l'âme,  non  des  vices,  mais  des  propriétés  de  la  nature 
humaine,  qui  lui  appartiennent,  comme  appartiennent  à  la  nature 
de  l'air,  le  chaud,  le  froid,  l'orage,  le  tonnerre  et  autres  phénomènes 
de  ce  geni'e,  lesquels,  encore  qu'incommodes,  sont  nécessaires  et  ont 
des  causes  déterminées,  par  lesquelles  nous  nous  efforçons  de  com- 
prendre leur  nature.  Et  notre  esprit  trouve,  dans  l'exacte  contem- 
plation de  ces  mouvements  intérieurs,  autant  de  joie  qu'il  en  éprouve 
à  connaître  les  choses  qui  charment  nos  sens  »  ^. 

Spinoza  trace  ainsi  par  avance  la  voie  qu'il  compte  suivre.  C'est 
une  voie  moyenne,  car  il  entend  se  tenir  à  distance  égale  des  écri- 
vains extrêmes  :  d'une  part,  les  utopistes  *,  comme  Thomas  Morus 

1.  s.  Pufendorf,  De  Habita  Religionis  ad  vitam  civiletn.  Appendix  :  Animadveraionta 
ad  aliqua  loca  e  Politica  contracta  [§  63-70]  Adr.  Hotjtuyn,  quibus  de  summorum  itn- 
perantium  civilium  potestate  circa  sacra  tradit,  p.  196-224. 

2.  Pufendorf,  Opère  citato,  Appendix,  p.  223. 

3.  Cum  igitiir  animum  ad  Politicam  applicuerim,  nihil  quod  novum  vel  inauditum 
o.st,  sed  taiitum  ea,  quœ  cum  praxi  optime  conveniunt,  certa  et  indubitata  ratione 
demonstrare,  aut  ex  ijssa  humanae  naturse  conditione  dedueere  intendi  ;  et  ut  ea,  quae 
ad  hanc  scientiam  pertinent,  eadem  animi  lib^rtate,  quas  res  Mathematicas  solemus, 
inquirorem,  sedulo  curavi  humanas  actiones  non  riderc,  non  lugere,  neque  detestari, 
sed  intelligere  :  atque  adeo  humanos  affectus,  ut  amer,  odium,  ira,  invidia,  gloria,. 
mi.sericordia,  et  reliquae  animi  commotiones,  non  ut  humanœ  naturaî  vitia,  sed  ut  pro- 
prietates  contemplatus  sum,  quae  ad  ipsam  ita  pertinent,  ut  ad  natùram  aeris  aestns, 
frigus,  tempestas,  tonitru  et  alia  hujusmodi  ;  quse,  tametsi  incommoda  sunt,  necessaria 
tamen  sunt  certasque  habent  causas,  per  quas  eorum  naturam  intelligere  conamur,  et 
mens  eorum  vera  contemplatione  ajque  gaudet  ac  earum  rerum  cognitione,  quœ  sen- 
sibus  gratse  sunt.  (Spinoza,  Tractatus  Politicus,  C.  I,  §  4,  Edit.  J.  Van  Vloten  et  J.  P. 
N.  Lani>  (à  laquelle  nous  renverrons),  T.  I,  p.  270,  La  Haye,  18952). 

4.,SpiNOZA,|_rrac<a«w5  polUictis,  C.  I,  §  l,  T.  I,  p.  269. 


462         ARTICLE    III.    —   CHAPITRE   V.   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

OU  Campanella  ;  de  l'autre,  les  empiristes  ^,  comme  Machiavel. 
En  le  voyant  à  l'œuvre,  on  constate  que  sa  méthode  ressemble  à  celle 
de  Hobbes  :  elle  est  avant  tout  déductive  et  fait  une  part  restreinte 
à  l'expérience. 

La  notion  fondamentale  en  Politique  est  la  notion  du  droit.  Spi- 
noza remonte  jusqu'à  Dieu  pour  en  découvrir  l'origine.  Dieu  a  droit 
sur  toutes  choses,  et  ce  droit  c'est  sa  puissance  même  considérée 
comme  absolument  hbre  de  toute  entrave.  Il  suit  de  là  que  chaque 
chose  naturelle  a  autant  de  droit  qu'elle  a  de  puissance  pour  exister 
et  agir,  car  cette  puissance,  en  vertu  de  laquelle  elle  existe  et  agit, 
est  la  puissance  mêniB  de  Dieu  ^.  «  Par  droit  naturel  il  faut  donc 
entendi'e  les  lois  de  la  nature  de  chaque  individu,  selon  lesquelles 
nous  le  concevons  déterminé  à  exister  et  agir  d'une  façon  particulière. 
Par  exemple,  les  poissons  sont  naturellement  faits  pour  nager  ;  les 
grands  sont  faits  pour  manger  les  petits  »  ^. 

Le  droit  s'étend  jusqu'où  s'étend  la  puissance.  Voilà  le  grand  prin- 
cipe du  droit  naturel,  selon  Spinoza.  Ce  principe  s'apphque  à  l'homme 
aussi  bien  qu'aux  autres  êtres.  Chaque  individu,  homme,  plante  ou 
pierre,  participe  plus  ou  moins  à  la  puissance  de  Dieu,  et  conséquem- 
ment  il  participe  au  droit  souverain  de  Dieu  en  proportion  de  la  puis- 
sance qu'il  possède  ^. 

C'est  une  loi  souveraine  de  la  nature  que  chaque  chose  s'efforce, 
autant  qu'il  est  en  elle,  de  persévérer  dans  son  état,  en  ne  tenant 
aucun  compte  des  autres,  mais  uniquement  d'elle-même.  Il  s'ensuit 
que  chaque  individu  a  le  droit  absolu  d'être  et  d'agir  selon  qu'il  y  est 
déterminé  par  sa  nature.  Et  ici  il  n'y  a  aucune  différence  à  étabhr 
entre  les  hommes  et  les  autres  êtres  ;  ni  entre  les  hommes  doués  de 
raison  et  ceux  qui  ignorent  la  raison  véritable  ;  ni  entre  les  extrava- 
,  gants,  les  fous  et  les  gens  sains  d'esprit.  Car  tout  ce  qu'un  être  fait 
d'après  les  lois  de  sa  nature,  il  le  fait  de  plem  droit,  puisqu'il  agit 
d'après  les  déterminations  de  la  nature,  et  ne  peut  agir  autrement  ^. 

Si  les  hommes  étaient  déterminés  par  la  nature  à  n'obéir  qu'aux 
lois  de  la  raison,  leur  droit  aurait  pour  mesure  la  puissance  de  la  raison. 
«  Mais,  comme  ce  sont  les  désirs  aveugles  qui  les  mènent,  leur  puis- 
sance ou  droit  naturel  ne  doit  pas  être  défini  par  la  raison,  mais  par 

1.  Spinoza,  Traciatus  politicus,  C.  I,  §  2,  p.  269.  —  Cf.  C.  V,  §  7,  T.  I,  p.  289,  où 
il  juge  le  Prince. 

2.  Spinoza,  Traciatus  politicus,  C.  II,  §  2,  3,  T.  I,  p.  272. 

3.  Per  jus  et  institutum  naturae  nihil  aliud  intelligo  quam  régulas  naturae  uniuscuius- 
que  individui,  secundum  quas  unumquodque  naturaliter  determinatum  concipimus 
ad  certo  modo  existendum  et  operandum.  Ex.  gr.  pisces  a  Natura  determinati  sunt  ad 
natandum,  inagni  ad  minores  comedendum  (Spinoza,  Tractatus  theolo g ico -politicus, 
C.  XVI,  §  Per  Jus.,  t.  II,  p.  121). 

4.  Naturae  enim  potentia  ipsa  Dei  potentia  est,  qui  summum  jus  ad  omnia  habet  ; 
sed.  quia  universalis  potentia  totius  Naturse  miiil  est  prseter  potentiam  omnium  indi- 
viduqrum  simul,  hinc  sequitur  unumquodque  individuum  jus  summum  habere  ad 
omnia  quse  potest,  sive  jus  uniuscujusque  eo  usque  se  extendere  quo  usque  ejus  deter- 
minata  potentia  se  extendit.  (Spinoza,  Tract,  theolo  g  ico -politicus,  C.  XVI,  t.  II,  p.  121). 

5.  Quicquid  enim  unaquaeque  res  ex  legibus  suse  naturse  agit,  id  siunmo  jure  agit, 
nimirum  quia  agit  prout  ex  Natura  determiuata  est,  ntc  aliud  potest.  (Spinoza,  Tract, 
theologico-politicue,  C.  XVI,  t.  II,  p.  121). 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    SPLN'OZA  463 

tout  appétit  qui  les  détermine  à  agu"  et  à  faire  effort  pour  se  conserver  ^. 
C'est  pourquoi  ils  ne  sont  pas  plus  obligés  de  vivre  selon  les  lois  de 
la  saine  raison  qu'un  chat  selon  les  lois  de  la  nature  du  Uon,  Aussi 
quiconque  vit  sous  le  seul  empire  de  la  nature  a  le  droit  absolu  de 
convoiter  ce  qu'il  juge  utile  et  de  s'en. emparer  n'importe  comment, 
soit  par  violence,  soit  par  ruse,  soit  par  prières,  soit  par  tout  autre 
moyen  qui  lui  paraîtra  plus  facile  ;  et,  conséquemment,  il  a  le  droit 
de  tenir  pour  ennemi  celui  qui  veu.t  l'empêcher  d'accompUr  son  des- 
sein 2.  Bref,  le  droit  de  la  nature,  sous  lequel  naissent  tous  les  hommes 
et  sous  lequel  le  plus  grand  nombre  continuent  de  vivre,  n'interdit 
que  ce  que  personne  ne  désire  et  ce  que  personne  ne  peut.  Ilne^défend 
donc  absolument  rien  de  ce  que  l'appétit  conseille.  Rien  de  surprenant 
à  cela,  car  la  nature  n'est  pas  enfermée  dans  les  lois  de  la  raison  hu- 
maine qui  n'ont  en  vue  que  l'utilité  vraie  et  la  conservation  de  l'homme; 
mais  eUe  est  soumise  à  une  infinité  d'autres  lois  qui  regardent  l'ordre 
éternel  du  monde  entier,  dont  l'homme  n'est  qu'une  parcelle.  Donc 
tout  ce  qui  nous  semble  ridicule,  absurde  ou  mauvais  dans  la  nature, 
nous  semble  tel  parce  que  nous  ne  connaissons  les  choses  qu'en  partie 
et  que  l'ordi'e  et  la  cohérence  de  toute  la  nature  nous  échappe  presque 
complètement.  De  plus, -nous  voulons  tout  régler  d'après  les  habi- 
tudes de  notre  raison  ;  et  cependant  ce  que  la  raison  dit  être  un  mal 
n'est  pas  un  mal  par  rapport  à  l'ordre  et  aux  lois  de  la  nature  univer- 
selle, mais  seulement  par  rapport  aux  lois  de  notre  seule  nature  ^. 

Les  hommes  étant  dirigés  dans  leur  conduite  par  les  passions 
multiples  de  l'appétit  sensible,  il  en  résulte  qu'ils  sont  naturellement 
ennemis,  comme  Spinoza  le  conclut  logiquement  des  prémisses  qu'il 
a  posées  :  «  Dans  la  mesure  où  les  hommes  sont  en  proie  à  la  colère, 

1.  Sod  homines  magis  cseca  cupiditate  quam  ratione  duciinttir,  ac  proinde  hominum 
naturalis  potentia  sive  jus,  non  ratione  sed  quocunque  appetitu,  quo  ad  agendum  deter- 
rainantur  quoque  se  conservare  conantur,  definiri  débet.  (Spinoza,  Tractatus  politicus, 
C.  II,  §  5,  t.  I,  p.  272). 

2.  ...  Quandoquidem  Xatura  iis  [hominibus]  nihil  aliud  dédit  [nisi  sôlum  appetitus 
impiilsum]  et  actualem  potentiam  es  sana  ratione  vivendi  denega\at  ;  et  propterea 
non  magis  ex  legibus  sanse  mentis  A-ivere  tenentur,  quam  felis  ex  legibus  natvu-ae  leoni- 
nse.  Quicquid  itaque  unusquisque,  qui  sub  solo  Naturse  imperio  consideratur,  sibi  utile, 
vel  ductu  sanse  rationis  vel  ex  afïectuum  impetu,  judicat,  id  sumrno  Xaturse  jure 
appetere,  et  quacunque  ratione,  sive  vi,  sive  dolo,  sive  precibu.°,  sive  quocunque  de- 
mum  modo  facilius  poterit,  ipsi  capere  licet,  et  consequenter  pro  hoste  habere  euni, 
qui  impedire  vult  quominus  aninium  expleat  suiun  (Spinoza,  Tract,  iheoîogico-politiciis, 
C.  XVT,  t.  II,  p.  122,  §  Jus). 

3.  Ex  quibus  sequitur  jus  et  institutum  Naturse,  sub  quo  omnes  nascuntxir  et  maxlma 
ex  parte  \-ivunt,  nihil,  nisi  quod  nemo  cupit  et  quod  nemo  potest,  prohibera  ;  non  con- 
tentiones,  non  odia,  non  iram,  non  dolos,  nec  absolute  aliquid  quod  appetitus  suadet, 
aversari.  Xec  mirum,  nam  Xatura  non  legibus  humanse  rationis,  quse  non  nisi  hominum 

.  verum  utile  et  conservationem  intendunt,  intercluditur,  sed  infinitis  aliis,  quse  totius 
Xaturse,  cujus  homo  particula  est,  setemum  ordinem  respiciunt  ;  ex  cujus  sola  neces- 
sitate  omnia  individua  certo  modo  determinantur  ad  existendum  et  operandum.  Quic- 
quid ergo  in  Xatura  ridiculum,  absurdum  aut  malum  videtur,  id  inde  venit  quod  ree 
tantum  ex  parte  novimus,  totiusque  Xaturse  ordinem  et  cohserentiam  maxima  ex 
parte  ignoramus,  et  quod  omnia  ex  usu  nostra>  rationis  dirigi  volumus  ;  cum  tamen 
id,  quod  ratio  maliun  esse  dictât,  non  malum  sit  respectu  ordinis  et  legum  universse 
Xaturse,  sed  tantum  soUus  nostrse  naturse  leguro  respectu.  (Spinoza,  Tract,  theologico- 
politicus,  C.  XVI,  t.  II,  §  Ex  quibus,  p.  122). 


464    ARTICLE  III.  CHAPITRE  V.  PARTISANS  ET  ADVERSAIRES 

à  l'envie  ou  à  quelque  passion  haineuse,  dans  la  même  mesure  ils 
sont  tiraillés  en  sens  divers  et  se  font  mutuellement  opposition, 
d'autant  plus  redoutables  qu'ils  l'emportent  sur  les  autres  animaux 
par  la  puissance,  l'habileté  et  l'astuce.  Or  les  hommes  étant  le  plus 
souvent,  de  leur  nature,  sujets  à  ces  passions,  il  s'ensuit  qu'ils  sont 
naturellement  ennemis  »  ^. 

Sous  l'empire  de  la  nature,  chacun  a  droit  sur  toutes  choses,  puis- 
qu'il a  le  droit  de  désirer  tout  ce  qui  lui  semble  utile,  et  de  se  l'appro- 
prier par  tous  les  moyens  possibles,  et  seul  il  reste  juge  de  l'aptitude 
de  ces  moyens.  Jouissant  du  même  droit  et  étant  poussés  par  les 
mêmes  passions,  tous  les  hommes  sont  donc  naturellement  opposés 
'"  les  uns  aux  autres.  L'état  de  nature  est  par  conséquent  l'état  de  guerre. 

On  voit  que  les  principes  posés  par  Spinoza  l'ont  conduit  jusqu'à 
présent  à  des  conclusions  identiques  à  celles  de  Hobbes.  , 
^  ~"  Cet  état  de  nature  est  intolérable.  «  Il  n'est  personne,  en  effet, 
qui  ne  désire  vivre  en  sécurité,  à  l'abri  de  la  crainte  ;  mais  cette  vie 
tranquille  et  assurée  est  absolument  impossible,  tant  qu'il  est  loisible 
à  chacun  de  tout  faire  à  son  gré,  et  que  l'on  n'accorde  pas  à  la  raison 
plus  de  droit  qu'à  la  haine  et  à  la  colère  »  ^.  De  plus,  il  est  clair  que  ceux 
qui  sont  privés  de  secours  mutuels  ^  et  ne  cultivent  pas  la  raison, 
sont  voués' à  une  vie  très  miséra,ble.  Les  hommes  ont  donc  compris 
que,  pour  mener  une  existence  très  heureuse  et  pleine  de  sécurité, 
ils  devaient  unir  leurs  efforts,  faire  en  sorte  de  posséder  collectivement 
ce  droit  sur  toutes  choses  que  chaque  individu  tenait  de  la  nature,  et 
désormais  ne  plus  déterminer  ce  droit  d'après  la  violence  de  leurs 
appétits  individuels,  mais  d'après  la  puissance  et  la  volonté  de  tous 
les  hommes.  Cette  tentative  aurait  été  vaine  s'ils  avaient  voulu  suivre 
uniquement  les  suggestions  de  l'appétit,  car  chacun  est  diversement 
entraîné  par  lui.  C'est  pourquoi  ils  ont  dû  prendre  l'engagement  très 
ferme  de  tout  conduire  d'après  .le  seul  «  dictamen  »  de  la  raison,  de 
refréner  l'appétit  en  tant  qu'il  conseille  quelque  chose  de  funeste 
à  un  autre,  de  ne  faire  à  personne  ce  qu'ils  ne  voudraient  pas  qu'on 
leur  fît,  enfin,  de  défendre  le  droit  d'autrui  comme  leur  propre  droit  *. 

1.  Quatenus  homines  ira,  invidia  ait  aliquo  odii  affectu  conflictantur,  eateaus  diverse 
trahiintur  et  invicem  contrarii  sunt,  et  propterea  eo  plus  timendi,  quo  plus  possunt 
magisque  callidi  et  astuti  sunt  quam  reliqua  animalia  ;  et  quia  homines  ut  plurimum 
his  affectibus  natura  sunt  obnoxii,  sunt  ergo  homines  ex  natura  hostes.  f  Spinoza,  Tract, 
politicus,  C.  II,  §  14,  t.  I,  p".  276). 

2.  Praeterea  nullus  est,  qui  non  cupiat  secure  extra  metum,  quoad  fieri  potest,  vivere  ; 
quod  tanien  minime  potest  contingere,  quamdiu  unicuique  ad  lubitum  omnia 
facere  licet,  nec  plus  juris  rationis  quam  odio  et  irse  conceditur  (Spinoza.,  Tracl. 
theologico -politicus,  C.  XVI,  t.  II,  p.  123,  circa  principiian). 

3.  Cum  autem  in  statu  naturali  tamdiu  unusquisque  sui  juris  sit,  quamdiu  sibi  cavere 
potest  ne  ab  alio  opprimatur,  et  unus  solus  frustra  ab  omnibus  sibi  cavere  conetur, 
hinc  sequitur,  quamdiu  jus  humanum  naturale  uniuscujusque  potentia.  determinatur 
et  uniuscujusque  est,  tamdiu  nullum  esse,  sed  magis  opinione  quam  re  constare,  quan- 
doquidem  nulla  ejus  obtinendi  est  securitas.  (Spinoza,  Tract,  politicus,  C.  II,  §  15, 
T.  I,  jî.  276).  —  Nous  avons  vu  aussi,  chez  Hobbes,  que  le  droit  de  chacun  à  tout  est, 
pratiquement,  le  droit  à  rien. 

4.  Quodsi  etiam  consideremus  homines  absque  mutuo  auxilio  miserrime  et  absque- 
rationis  cultu  necessario  vivere,  clarissime  videbimus  homines,  ad  secure  et  optim& 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    SPINOZA  465 

Telle  est  l'origine  du  pacte  social.  Comment  en  assurer  l'observation  ? 
Voici  la  réponse  de  Spinoza. 

•  C'est  une  loi  universelle  de  la  nature  humaine  qu'entre  deux  biens 
nous  choisissons  celui  qui  nous  semble  le  plus  grand,  et,  entre  deux 
maux,  celui  qui  nous  semble  le  plus  petit.  D'où  il  ressort  nécessaire- 
ment qiie  personne  ne  restera  fidèle  à  la  promesse  de  renoncer  au 
di'oit  natm-el  qu'il  a  sur  toutes  choses,  à  moins  qu'il  n'y  soit  déter- 
miné par  la  crainte  d'un  plus  grand  mal  ou  par  l'espoir  d'un  plus 
grand  bien.  Donc  aucun  pacte  ne  peut  avoir  de  force  qu'en  raison 
de  son  utihté  ;  si  TutlUté  disparaît,  le  pacte  disparaît  avec  elle  et 
cfemeure  sans  autorité.  C'est  pourquoi  demander  à  quelqu'un  qu'il 
reste  toujom's  fidèle  à  sa  parole,  c'est  folie,  à  moins  qu'on  ne  fasse 
aussi  en  sorte  que  la  rupture  du  pacte  à  conclure  entraîne  pour  le 
violateur  plus  de  dommage  que  de  profit.  Cette  précaution  est  surtout 
nécessaire  c^uand  il  s'agit  de  la  formation  d'un  État  ^.  Voici  donc  le 
moyen  de  maintenir  toujours  l'inviolabihté  du  pacte  social  :  «  Que 
chacun  transfère  tout  le  pouvoir  qu'il  possède  à  la  société.  Par  cela 
même  la  société  retiendra  seule  le  di'oit  absolu  de  la  nature  sur  toutes 
choses,  c'est-à-dii-e  le  souverain  pouvoii',  auquel  chacun  sera  obhgé 
d'obéir,  soit  hbrement,  soit  par  crainte  du  dernier  supphce  »  ^.  Donc, 
pour  tenir  en  respect  ceux  qui  seraient  tentés  de  violer  le  pacte  primitif 
et  de  troubler  la  paix,  il  faut  qu'ils  aient  plus  d'intérêt  à  l'observer 
qu'à  l'enfreindre,  sachant  que  la  violation  ne  restera  pas  impunie. 
Cette  substitution  du  di'oit  de  l'État  au  droit  naturel  de  l'individu 
est  absolue.  Partout  où  les,  hommes  ont  des  droits  communs  et  sont 
pour  ainsi  dire  conduits  par  une  seule  âme,  il  est  certain  que  chacun 

vivendum,  r\ecessario  in  unum  conspirare  debuisse  ac  proinde  eiïecisse  ut  jus,  quod 
unusquisque  ex  Natura  ad  omnia  habebat,  collective  haberent,  neque  amplius  ex  vi 
et  appetitu  uiiiuscujusque,  sed  ex  omnium  simulpotentiaet  voluntatedeterminaretiu*. 
Quod  tamen  frustra  tentassent  si,  niai  quod  appetitus  suadet,  sequi  veUent  (ex  legibus 
enim  appetitus  unusquisque  diverse  trahitiu-)  ;  adeoque  firmissinie  statuere  et  pacisci 
debuerunt  ex  solo  rationis  dictamine  (cui  nemo  aperte  repugnare  audet,  ne  mente  carere 
videatur)  omnia  dirigere,  et  appetitum,  quatenus  in  damnum  alterius  aliqi.id  suadet, 
frsenare,  neminique  facere  quod  sibi  fieri  non  vult  jusque  denique  alterius  tanquam  suuni 
defendere.  (Spinoza,  Tract,  (heologico-politicus,  C.  XVI,  T.  II,  p.  \2Z,  circa  principium ). 

1.  Xain  lex  humanse  natiu-se  universalis  est  ut  nemo  aliquid,  quod  bonum  esse  judicat, 
negligat,  nisi  spe  majoris  boni,  vel  ex  metu  majoris  damni  ;  nec  aliquod  malum  per- 
ferat  nisi  ad  majus  evitandum,  vel  spe  majoris  boni.  Hoc  est,  unusquisque  de  duobus 
bonis,  quod  ipse  majus  esse  judicat,  et  de  duobus  malis,  quod  minus  sibi  videtur,  eliget... 
At  ex  ea  [legel  necessario  sequitur  neminem  absque  dolo  promissui'um  se  jure,  quod  in 
omnia  habet,  cessurum,  et  absolute  neminem  promissis  staturum,  nis!  ex  metu  majoris 
mali  vel  spe  majoris  boni...  Ex  quibus  concludimus  pactum  nullam  vim  habere  posse 
nisi  ratione  utilitatis,  qua  sublata  pactum  simul  tollitiu"  et  irritum  manet  ;  ac  prop- 
terea  stulte  alterius  fidem  in  aeternum  sibi  aliquem  expostulare,  si  simul  non  conatur 
efficere  ut  ex  ruptione  pacti  ineundi  plus  damni  quam  utilitatis  ruptorem  sequatur  ; 
quod  quidem  in  republica  instituenda  maxime  locum  habere  débet  (Spinoza,  Tract, 
theologico-politicus,  C.  XVI,  T.  II,  p.  123  et  124,  circa  médium  et  drca  principium). 

2.  Hac  itaque  ratione,  sine  ulla  naturalis  juris  repugnantia,  societas  formari  poteet 
pactumque  omne  summa  cum  fide  semper  servari  :  si  nimirum  unusquisque  omnem, 
quam  habet,  potentiam  in  societatem  transférât  ;  quse  adeo  summum  Naturae  jus  in 
omnia,  hoc  est  summum  imperium,  sola  retinebit,  cui  unusquisque,  vel  ex  libero  animo, 
vel  metu  summi  supplicii,  parère  tenebitur  (Spinoza,  Tract,  theologico-politicus,  CCXVI, 
t.  II,  p.  125,  circa  principium). 

30 


466         ARTICLE   III.   CHAPITRE   V.   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

n'a  d'autre  droit  que  celui  qui  lui  est  concédé  par  le  droit  collectif. 
Du  reste,  tout  ce  qui  lui  est  commandé,  en  vertu  du  consentement  com- 
mun, il  est  tenu  de  l'exécuter,  et  l'on  a  droit  de  Yy  contraindre  ^. 

La  puissance  souveraine  n'est  au  contraii'e  tenue  par  aucune  loi, 
mais  tous  doivent  lui  obéir  en  tout,  car  tous  ont  dû  s'y  engager  par 
un  pacte  tacite  ou  exprès,  quand  ils  lui  ont  transféré  tout  leur  pou- 
voir de  se  défendre,  c'est-à-dire  tout  leur  di'oit.  Il  s'ensuit  qu'à  moins 
de  vouloir  être  ennemis  de  l'État  et  d'agir  contre  la  raison,  qui  noua 
engage  à  le  défendi'e  de  toutes  nos  forces,  nous  sommes  absolument 
obligés  d'accomplir  tous  les  ordres  de  la  puissance  souveraine,  même 
les  plus  absurdes,  car  entre  deux  maux  la  raison  nous  prescrit  de  choisir 
le  moindre  ^.  Mais  il  est  très  rare  que  le  Souverain  commande  des  choses 
absurdes,  car,  pour  se  maintenir  au  pouvoir,  son  intérêt  est  de  veiller  au 
bien  commun  et  de  gouverner  d'après  le  «  dictamen  »  de  la  raison  ^. 

Dans  l'état  naturel,  «  la  notion  de  péché  est  inconcevable  .  alors 
il  n'y  a  pas  de  différence  entre  le  juste  et  l'impie,  et  il  n'y  a  point  de 
place  pour  la  justice  et  la  charité...  La  distinction  entre  la  justice 
et  l'mjustice,  l'équité  et  l'iniquité  n'apparaît  qu'avec  l'état  social  »  '*. 
Dans  cet  état,  la  violation  du  droit  ne  saurait  être  imputée  aux  pou- 
voirs souverains  à  l'égard  de  leurs  sujets,  parce  que  tout  leur  est 
permis.  Elle  ne  peut  donc  se  reneontrer  que  chez  les  particuHers, 
que  le  contrat  social  obhge  à  ne  pas  se  léser  mutuellement.  La  justice 
est  la  disposition  constante  de  l'esprit  d'accorder  à  chacun  ce  qui 
lui  revient  d'après  le  di'oit  civil.  'LHnjustice  consiste  à  enlever  à  quel- 
qu'un, sous  couleur  de  droit,  ce  qui  lui  revient  selon  l'interprétation 
véritable  des  lois  ^, 

1.  Ub'i  honiines  jura  communia  habent  omnesque  una  veluti  mente  ducuntur,  certum 
est  eorum  unumquemque  tanto  minus  liabere  juris,  quanto  reliqui  simul  ipso  poten- 
tiores  sunt  ;  hoc  est,  illiim  rêvera  jus  nullum  in  Naturam  habere  prseter  id  quod  ipsi 
commune  coneedit  jus.  Cseterum  quicquid  ex  eommuni  consensu  ipsi  imperatur,  teneri 
exsequi,  vel  jure  ad  id  cogi.  (Spinoza,.  Trcvct.  polUicus,  C.  II,  §  16,  t.  I,  p.  276). 

2.  Ex  que  sequitur  summam  pjotestatem  nulla  lege  teneri,  sed  omnes  ad  omnia  ei 
parère  debere  :  hoc  enim  tacite  vel  expresse  pacisci  debuerunt  omnes,  cum  omnem 
suam.jjotentiam  se  defendendi,  hoc  est  omne  suum  jus,  in  eam  transtulerunt...  Hinc 
sequitur  quod,  nisi  hostes  Iniperii  esse  velimus,  et  contra  rationem,  Imperium  summis 
viribus  defendere  suadentem,  agere,  omnia  absolute  summae  potestatis  mandata 
exequi  tenemur,  tametsi  absurdissima  imperet  ;  talia  enim  ratio  exequi  etiam  jubet, 
ut  de  duobus  malis  minus  eligamus.  (Spinoza,  Tract,  theologico-politicus,  C.  XVI, t.  Il,- 
p.  125,  circa  principiumj. 

3.  Spinoza  ,Tractaius  theologico-politicus,  C.  XVI,  t.  II,  p.  125,  circa  fineni. 

4.  Ostendimus  enim  Cap.  XVI  in  statu  naturali  non  plus  juris  rationi  quam  appetitui 
esse,  sed  tam  eos  qui  secundum  leges  appetitus,  quam  eos  qui  secndumlegesrationis, 
vivunt,  jus  ad  omnia,  qupe  possunt,  habere,  Hac  de  causa  in  statu  naturali  peccatî.uu 
concipere  non  potuimus,  nec  Deum  tanquam  judicein  homines  propter  peccata 
punientem,  sed  omnia  secundum  leges  universœ  Naturse  communes  ferri  et  eundem, 
casum  (ut  cum  Salomone  loquar)  justo  ac  impio,  puro  ac  impuro,  etc.,  contingere  et 
nullum  locum  justitise  nec  charitati  esse.  At  ut  verje  rationis  documenta,  hoc  est,  ipsa 
divina  documenta  vim  juris  absolute  haberent,  necesse  fuisse  ut  unusquisque  jure' 
suo  naturali  cederet  et  omnes  idem  in  omnes,  vel  in  aliquot,  vel  in  unum  transferrent  ; 
et  tum  demvim  nobis  primum  innotuit  quid  justitia,  quid  injustitia,  quid  sequitas,  quid- 
que  iniquitas  esset.  (Spinoza,  Tract,  theologico-politicus,  C.  XIX,  t.  II,  p.  157,  in  medio). 

5.  Injuria  enim  non  nisi  in  statu  fiivili  potest  concipi  ;  sed  neque  a  summis  potesta- 
tibus,  quibus  jure  omnia  licent,  ulla  fieri  potest  subditis  ;  ergo  in  privatis  tantum,  qui 


SYMPATHIES    EN    H0LLA:SDE    :    SPINOZA  467 

Dans  l'état  de  nature  chacun  ne  possède  que  ce  qu'il  peut  défendre. 
Mais  une  telle  possession  est  très  précaire,  puisque,  chacun  ayant 
droit  à  tout,  le  plus  fort  peut  légitimement  s'emparer  de  tout  ce  qui 
lui  convient.  Aussi  la  propriété  efifective  n'existe  que  dans  l'état 
de  société.  «  Dans  l'état  naturel,  il  n'y  a  rien  que  chacun  puisse  moins 
revendiquer  pour  soi  et  s'approprier  que  le  sol  et  tout  ce  qui  adhère 
tellement  au  sol  qu'on  ne  peut  le  cacher  nulle  part  ni  le  transporter 
où  l'on  veut.  Le  sol  donc  et  tout  ce  qui  tient  au  sol  appartient,  de  la 
façon  qu'on  a  dite,  à  l'État,  c'est-à-dire  à  tous  ceux  qui  ont  uni  leurs 
forces  ou  à  celui  à  qui  tous  ont  clomié  la  puissance  de  revendiquer 
leurs  droits  »  ^.  C'est  une  manière  de  comprendi-e  l'organisation  de  la 
propriété  qui  ne  cadre  point  avec  le  sentiment  de  Hobbes  partisan 
de  la  propriété  incUviduelle.  Spinoza  est  communiste.  Dans  la  société 
qu'il  rêve,  les  champs,  tout  le  sol  et,  s'il  est  possible,  les  maisons 
mêmes  doivent  appartenir  à  l'État  qui  les  louera,  moyennant  un 
prix  annuel,  aux  citadins  et  aux  agriculteurs.  Le  paiement  de  cette 
redevance  exemptera  de  tout  impôt  tous  les  citoyens  en  temps  de  paix  2, 

Enfin  la  rehgion  elle-même  n'échappe  pas  aux  prises  de  l'État. 
En  affirmant  que  le  cboit  tout  entier  dépend  de  la  seule  volonté 
de  ceux  qui  détiennent  le  pouvoir  souveram,  Spinoza  ne  l'entend  pas 
uniquement  du  droit  civil,  mais  aussi  du  droit  sacré,  dont  ils  doivent 
être  à  la  fois  les  interprètes  et  les  défenseurs  ^.  Les  choses  sacrées 
(cela  ne  fait  pas  de  doute  pour  lui)  relèvent  exclusivement  du  Souve- 
rain; Aussi  le  droit  et  le  pouvoir  de  les  administrer,  d'en  choisir  les 
ministres,  de  déterminer  et  d'affermir  les  fondements  de  l'Éghse 
et  sa  doctrine,  de  juger  des  mœurs  et  des  actions  pieuses,  d'excommu- 
nier quelqu'un  ou  de  le  recevoir  dans  l'Éghse,  enfin  de  pourvoir  aux 
besoins  des  pauvres,  personne  ne  peut  les  tenir  que  de  l'autorité 
ou  de  l'agrément  de  l'État  *. 

jure  tenentur  invieem  non  laedere,  locvun  habere  potest.  -Justitia  est  animi  constantia 
tribuendi  unieuique  quod  ei  ex  jure  civili  competit.  Injustitia  autem  est,  specie  juris, 
alicui  detrahere  quod  ei  ex  vera  legum  intorpretatione  compatit.  (Spixoza,  Tract. 
Iheologico-politieus,  C.  XVI,  T.  II,  p.  127,  circa  médium.  —  Cf.  Ibidem,  C.  XIX,  p.  157, 
circa  finem). 

1.  Prœterea  in  statu  naturali  unusquisque  nihil  minus  sibi  vindicare  et  sui  juris 
facere  potest,  quam  solum  et  quicquid  solo  ita  adhaeret  ut  id  nusquam  abscondere,  nec 
portare  quo  velit,  potest.  Solum  igitur  et  quicquid  ei  ea,  qua  diximus,  conditione 
adhaeret,  apprime  eommunis  Civitatis  ju  is  est ..  (Spinoza,  Tract.  pAil.,  C.  VII,  §  19, 
t.  1,  p.  306). 

2.  Agri  et  omne  solum  et,  si  fîeri  potest,  domus  etiam  publici  juris  sint,  nempe  ejus 
qui  jus  Civitatis  habet,  a  quo  annuo  pretio  civibus,  sive  urbanis  et  agricolis,  locentur; 
et  praeterea  omnes  ab  orani  exactione  tempore  pacis  liberi  sive  immunes  sint  (Spinoza, 
Tract,  politicus,  C.  VI,  §  12,  t.  I,  p.  292). 

3.  Cuni  supra  dixi  eos,  qui  imperium  tenent,  jus  ad  omnia  solos  habere  et  a  solo 
eorum  decreto  jus  omne  pondère,  non  tantum  civile  intelligere  voUii  sed  etiam  sacrum. 
<Spinoza,  Tract,  tlieoloijico-politicus,  C.  XIX,  T.  II,  p.  156). 

4.  Atque  ideo  dubitare  non  possumus  quin  hodierna  sacra...  solius  juris  summarum 
potestatum  sint  ;  et  nemo,  nisi  ex  eorum  authoritate  vel  concessu,  jus  potestatemque 
eadem  administrandi,  eorum  ministres  eligendi,  Ecclesiae  fundamenta  ejusque  doctrinam 
determinandi  et  stabiliendi,  de  moribus  et  pietatis  actionibus  judicaudi,  aliquem  excom- 
municandi  vel  in  Ecclesiam  recipiendi,  nec  denique  pauperibus  providendi  habet. 
(Spinoza,  Tract,  theologico-politicus,  C.  XIX,  t.  II,  p.  162,  circa  principium). 


468        ARTICLE   III.   —   CHAPITRE   V.    —  PARTISANS   ET  ADVERSAIRES 

A  la  suite  de  Hobbes,  Spinoza  a  répété  à  satiété  que  le  dépositaire 
du  pouvoir  (que  ce  soit  une  assemblée,  un  petit  nombre  de  citoyens 
ou  un  seul,  c'est-à-dire,  que  le  gouvernement  soit  démocratique, 
aristocratique  ou  monarchique),  est  seul  maître  dans  le  domaine  civil 
et  dans  le  domaine  religieux.  Après  avoir  proclamé  la  souveraineté 
absolue  de  l'État  et  lui  avoir  livré  l'individu  tout  entier,'notre  poli- 
tique déployé  toute  sa  subtiKté  pour  échapper  à  certaines  conséquences 
des  principes  qu'il  a  posés.  Tout  son  effort  consistera  à  hmiter  l'omni- 
potence du  pouvoir  souverain,  en  s'appuyant  sur  la  nature  de  l'homme 
et  sur  la  nature  de  l'État. 

Le  système  qu'il  vient  d'exposer  lui  semble  concorder  assez  bien 
avec  la  pratique  ;  bien  plus,  un  gouvernement  avisé  pourra  le  réaliser 
de  mieux  en  mieux.  Cependant  sur  beaucoup  de  points  il  restera  à 
l'état  de  pure  théorie  ^.  Spinoza  va  en  signaler  quelques-uns. 

Les  sujets  ne  s'appartiennent  pas  à  eux-mêmes  mais  à  l'État,  en 

tant  qu'ils  redoutent  sa  puissance  menaçante  ou  qu'ils  aiment  l'état 

,; social.  D'où  il  suit  que  tous  les  actes,  auxquels  promesses  ou  menaces 

ifne  peuvent  induire  personne,  ne  tombent  pas  sous  le  droit  de  l'État  ^. 

Telle  est  la  «  considération  »  imaginée  par  Spinoza  pour  borner  la 

souveraineté  du  gouvernement.  Voyons  comment  il  l'apphque. 

«  Personne,  par  exemple,  ne  peut  se  dessaisir  de  la  faculté  de  juger  : 
par  quelles  récompenses  en  effet  ou  par  quelles  menaces  amènerez- 
vous  un  homme  à  croire  que  le  tout  n'est  pas  plus  grand  que  sa  partie, 
ou  que  Dieu  n'existe  pas,  ou  que  le  corps  qu'il  voit  fini  est  l'Etre 
i  I  infini  ?  et,  d'une  manière  absolue,  à  croire  le  contraire  de  ce  qu'il 
*'  sent  ou  pense  ?  De  même  encore  quelles  récompenses  ou  quelles  me- 
naces induiront  un  homme  à  aimer  celui  qu'il  hait  ou  à  haïr  celui 
qu'il  aime  ?  Il  faut  en  dire  autant  de  ces  actes  dont  la  nature  humaine 
a  une  telle  horreur  qu'elle  les  regarde  comme  les  plus  grands  des  maux  : 
témoigner  contre  soi-même,  se  torturer,  tuer  ses  parents,  ne  pas  s'ef- 
forcer d'éviter  la  mort,  et  choses  semblables  ^. 


1.  Conteinplq,tio  prsecedentis  Capitis  de  jure  summaruni  potestatum  in  omnia  deque 
jure  naturali  uniuscujusque  in  easdem  translate,  quamvis  cum  praxi  non  parum  con- 
veniat,  et  praxis  ita  institui  possit  ut  ad  eandem  magis  ac  magis  accédât,  nunquam 
tamen  fiet  quin  in  multis  mère  theoretica  maneat.  (Spinoza,  Tract,  theologico-politicus, 
C.  XVII,  t.  II,  p.  131). 

2.  Secundo  venit  etiam  considerandum  quod  subditi  eatenus  non  sui  sed  Civitatis 
juris  sint,  quatenus  ejus  potentiam  seu  minas  metuunt,  vel  quatenus  statum  civilem 
amant.  Ex  quo  sequitur  quod  ea  orania,  ad  quse  agenda  nemo  prsemiis  aut  ininis  induci 
potest,  ad  jura  Civitatis  non  pertineant.  (Spinoza,  Traci.  politicus,  C.  III,  §  8,  t.  I, 
p.  281). 

3.  Ex.  gr.  judicandi  facultate  nemo  cedere  potest  :  quibus  enim  prsemiis  aut  minis 
induci  potest  homo  ut  credat  totum  non  esse  sua  parte  majus  ;  aut  quod  Deus  non 
existât,  aut  quod  corpus,  quod  videt  finitum,  Ens  infinitum  credat  ;  et  absolute  ut 
aliquid  contra  id,  quod  sentit  vel  cogitât,  credat  ?  Sic  etiam  quibus  prsemiis  aut'minis 
induci  potest  homo  ut  amet  quem  odit,  vel  ut  odio  habeat  quem  amat  ?  Atque  hue 
etiam  illa  referenda  sunt,  a  quibus  humana  natura  ita  abhorret  ut  ipsa  omni  malo 
pejora  habeat  :  ut  quod  homo  testem  contra  se  agat,  ut  se  cruciet,  ut  parentes  interficiat 
suos,  ut  mortem  vitare  non  conetur,  et  similia,  ad  quae  nemo  prsemiis  nec  minis  induci 
potest.  (Spinoza,  Tractatus  politicua,  C.  III,  §  8,  t.  I,  p.  281). 


I 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    SPINOZA  469 

Hobbes,  de  son  côté,  a  admis  quelques  cas  où  un  citoyen  n'est  pas 
tenu  d'obéir  aux  ordres  du  souverain,  à  savoir  s'il  lui  commande  de 
de  se  tuer,  de  se  mutiler,  de  tuer  un  de  ses  concitoyens,  de  s'accuser 
lui-même.  On  remarquera  que  les  dernières  exceptions  indiquées 
par  Spinoza  coïncident  avec  les  cas  prévus  par  Hobbes.  Mais  le  prin- 
cipe limitatif,  mis  en  avant  par  le  premier  pour  les  justifier,  n'a  pas 
avec  son  système  la  rigoureuse  cohérence  que  présente  la  raison 
invoquée  par  le  second  pour  légitimer  les  dérogations  qu'il  apporte 
à  la  loi  générale  d'obéissance.  Ces  dérogations  en  effet  sont  logique- 
ment déduites  de  la  nature  même  du  contrat  social,  car,  en  y  adliérant, 
l'homme  ne  peut  aUéner  son  droit  à  la  préservation  persomielle,  pré-- 
cisément  parce  que  le  dit  contrat  n'est  qu'un  moyen  de  garantir 
cette  préservation. 

Ce])endant,  sur  un  point  de  grande  conséquence,  Spinoza  se  sépare  I 
complètement  de  Hobbes.  Le  philosophe  anglais  veut  qu'on  soumette 
le  plus  strictement  possible  au  contrôle  de  l'État  la  pensée  humaine 
et  ses  manifestations  diverses.  Le  philosophe  d'Amsterdam  commence 
par  observer  que  l'homme  ne  peut  se  dépouiller  de  sa  faculté  de  rai- 
sonner et  de  juger  Hbrement  de  toutes  choses  en  faveur  d'un  autre, 
et  que  personne  ne  saurait  l'y  contraindre^.  Ce  «erait  '  abdiquer  la 
nature  humaine  ^.  L'observation  de  Spinoza,  quoique  vraie  dans  une 
certaine  mesure,  n'est  pas  appuyée  sur  une  raison  valable,  car  elle 
suppose  que  notre  faculté  de  juger  et  de  raisonner  est  hbre.  Or  l'in- 
telhgence  est  une  faculté  dont  l'assentiment  est  nécessité  par  l'évidence 
de  la  vérité.  C'est  seulement  en  cas  de  doute,  c'est-à-dire  quand  les 
raisons  pour  et  contre  s'équilibrent,  qu'elle  peut  suspendre  son  juge- 
ment ou  adhérer  au  jugement  d'un  tiers,  si  l'autorité  de  celui-ci  lui 
paraît  suffisante  poiu'  la  tirer  de  son  incertitude.  Mais,  même  en  cette 
double  hjrpothèse  l'attitude  de  l'intelhgence  n'est  pas  fibre  :  dans  la 
première,  elle  est  imposée  par  la  nature  même  des  raisons  qui,  se 
faisant  contrepoids,  immobifise  la  faculté  de  juger  ;  dans  la  seconde, 
elle  est  déterminée  par  cette  évidence  extrinsèque  que  le  tiers  consulté 
ne  peut,  dans  l'espèce,  être  trompeur  ni  trompé. 

Spinoza  ne  se  borne  pas  à  constater,  ce  qui  est  vrai,  qu'aucun 
pouvoir  n'est  capable  de  forcer  les  sujets  à  penser  dans  leur  for  inté- 
rieur comme  bon  lui  semble  ^.  Il  fait  un  pas  de  plus.  Non  seulement 
les  hommes  ont  des  pensées  différentes,  mais  encore  ils  sont  enclins 
à  les  communiquer  à  ^eurs  semblables.  D'où  il  résulte  qu'on  ne  pourra 
jamais  dans  un  État,  sans  aller  au-devant  d'un  échec  complet,  essayer 
de  contraindre  les  hommes,  malgré  la  diversité  et  l'opposition  de  leurs 
sentiments,    à    ne   parler   que   conformément   aux   prescriptions    du 

1.  Sed  hoc...  fieri  nequit  ut  scilicet  animus  alterius  juris  absolute  sit,  qiiippe  nemo 
jus  suum  naturale  sive  facultatem  suam  libère  ratiocinandi  et  de  rébus  quibuscunque 
judicandi  in  alium  trans  erre,  neque  ad  id  cogi  potest.  (Spinoza,  Tract,  theologico- 
politictis,  C.  XX,  t.  II,  p.  165-166). 

2.  Nani  nemo  unquam  suam  potentiam  et  consequenter  neque  suum  jus  ita  irwalium 
transferre  poterit  ut  homo  esse  desinat.  (Spinoza,  Tract,  theologico-politicua,  C.  XVII, 
t.  II,  p.  131,  circa  finem). 

3.  Spinoza,  Tract.  theologico-poUtictis,  C.  XVII,  t.  II,  p.  131-132. 


470         ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   V.   ■ —  PARTISANS   ET   ADVERSAIRES         » 

pouvoir  suprême,  car  même  les  plus  habiles,  sans  parler  du  peuple, 
ne  savent  pas  se  taire.  Ce  sera  donc  un  gouvernement  très  violent 
celui  qui  déniera  à  chaque  citoyen  la  hberté  d'exprimer  et  d'enseigner 
ce  qu'il  sent  ;  modéré  au  contraire  sera  celui  qui  accordera  à  tous 
cette  même  hberté  ^. 

Spinoza  s'est  efforcé  d'arriver  à  la  même  conclusion  par  une  autre 
voie,  en  considérant  la  fin  de  l'État  qu'il  comprend  autrement  et 
mieux  que  Hobbes.  La  fin  dernière  de  l'État  ne  consiste  pas  à  trans- 
former les  hommes  en  animaux  ou  en  automates,  à  les  dominer,  à  les 
retenir  par  la  crainte,  à  les  mettre  sous  la  dépendance  d'autrui,  mais 
à  les  hbérer  de  la  crainte,  en  sorte  que  chacun,  autant  que  possible, 
vive  en  sécurité,  c'est-à-dire  garde  intact  le  droit  naturel  qu'il  a  d'exis- 
ter et  d'agir  sans  dommage  poui'  lui  ni  pour  les  autres.  Bref,  la  fin  de 
l'État  c'est  véritablement  la  hberté  ^. 

Cependant  cette  hberté  ne  saurait  être  entière.  Si  chacun  conser- 
vait le  droit  d'agir  à  sa  guise,  la  paix  sociale  serait  impossible  ;  il  est 
donc  nécessaire  que,  dans  le  pacte  conclu  entre  les  citoyens,  le  pou- 
voir de  porter  des  décrets  réglant  la  conduite  des  particuhers  appar- 
tienne au  souverain,  que  ce  soit  le  peuple  entier,  quelques  hommes 
[  ou  un  seul.  C'est  pourquoi  chacun  résigne  le  droit  d'agir  à  son  gré, 
mais  il  ne  rénonce  pas  au  droit  de  juger  et  de  raisonner,  parce  que  l'uni- 
I  formité  de  jugement  et  de  parole  est  irréalisable  ^. 

Néanmoins  la  hberté  de  la  parole  ne  saurait  être  LUimitse.  Personne 
ne  peut,  sans  violer  les  droits  du  pouvoir  souverain,  agir  contre  ses 
décrets  ;  mais  chacun  est  tout  à  fait  hbre  de  sentir  et  de  juger,  et 
même,  conséquemment,  de  parler,  pourvu  qu'il  se  borne  simplement 
à  parler  et  à  enseigner,  en  faisant  appel  à  la  seule  raison,  et  non  pas 
à  la  ruse,  à  la  colère,  à  la  haine,  et  sans  vouloir  introduire,  de  son 
autorité  privée,  quelque  innovation  dans  l'État.  Quelqu'un,  tout  en 
restant  excellent  citoyen,  peut,  par  exemple,  montrer  que  teUe  loi 
répugne  à  la  saine  raison  et  partant  qu'elle  doit  être  abrogée,  mais 
à  condition  qu'il  soumette  sa  manière  de  voir  au  jugement  du  Souve- 

1.  ...  Seqnit\ir  in  republica  nunquam,  nisi  admodum  infelici  successu,  tentayi  posse 
ut  homines,  quamvis  diversa  et  contraria  sentientes,  niliil  tamen  nisi  ex  prsescripto 
simxmarum  potestatum  loquantur  ;  nam  nec  peritissimi,  ne  dicana  plebem,  lacera 
sciunt...  lUiid  ergo  imperium  violentissimnni  erit,  ubi  unicuique  libertas  dicendi  et 
doeendi  quœ  sentit  negatur,  et  contra  id  moderatiim,  xibi  haec  eadem  libertas  uniciiiqtie 
conceditur.  (SprNOZA,  Tract.  Thpologico-politicus,  C.  XX,  t.  ÎI,  p.  166-167). 

2.  Ex  fundamentis  reipublicse  supra  exi^licatis  evidentissinie  sequitur  finem  ejus 
ultimmn  non  esse  dominari,  nec  homines  metu  retinere,  et  alterius  jiuis  facere,  sed 
contra,  unumquemqtie  metii  libérale  ut  secure,  quoad  ejus  fieri  potest,  vivat,  hoc  est, 
ut  jus  suum  naturale  ad  existendum  et  operandum,  absqtie  suo  et  alterius  damno, 
optime  retineat.  Non,  inquam,  finis  reipublicœ  est  homines  ex  rationalibus  bestias  vel 

i  automata  facere...  Finis  ergo  reipublicje  rêvera  libertas  est.  (Spinoza,  Tract,  theologico- 
>  politicus,  C.  XX,  t.  II,  p.  167,  §  Ex  jundamentis ) . 

3.  PoiTO  ad  formandam  rempublicam  hoc  unum  necesse  fuisse  vidimus,  nempe  tit 
omnis  decretandi  potestas  pênes  omnes,  vel  aliquot,  vel  unum  esset.  Nam,  quandoqui- 
dem  liberum  hominum  judicium  varium  admodum  est,  et  unusquisque  solus  omnia 
scire  p«itat,  nec  fieri  potest  ut  omnes  seque  eadem  sentiant  et  uno  ore  loquantur,  pacifiée 
vivere  npn  poterant  nisi  unusquisque  jure  agendi  ex  solo  décrète  suse  mentis  oederet. 
Jure  igitur  agendi  ex  proprio  decreto  unusquisque  tantum  cessit,  non  autem  jure  ratio- 
cinandi  et  judieandi...  (Spinoza,  Tract,  iheologico-politicus,  C.  XX,  t.  II,  p.  167). 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    SPINOZA  471 

rain,  auquel  seul  il  appartient  de  faire  et  d'abolir  les  lois,  et  qu'il 
continue  à  observer,  tant  qu'elle  restera  en  vigueur,  cette  loi  qu'il 
estime  mauvaise.  Dans  ce  cas,  il  se  met  sans  doute  en  contradiction 
avec  les  lumières  de  sa  conscience  ;  mais  il  le  doit,  s'il  veut  respecter 
la  justice,  puisque,  on  l'a  vu,  la  justice  dépend  uniquement  des  décrets 
du  Souverain,  et  qu'à  moins  de  conformer  sa  vie  à  ces  décrets,  personne 
ne  peut  être  juste  ^. 

Il  est  aussi  des  opinions  séditieuses  que  FÉtat  ne  peut  tolérer. 
Spinoza  en  a  tracé  le  signalement  :  ce  sont  celles  dont  la  thèse  va  direc- 
tement à  détruire  le  pacte  par  lequel  chaque  citoyen  a  abandonné 
le  di'oit  d'agir-  à  sa  fajitaisie.  Si  quelqu'un  soutient,  par  exemple, 
que  le  pouvoii-  souverain  n'est  pas  indépendant,  que  persoiuie  n'est 
obUgé  de  tenir  ses  promesses,  ou  que  chacun  doit  vivre  à  sa  guise, 
et  choses  semblables  qui  sont  en  opposition  formelle  avec  le  pacte 
social,  celui-là  est  un  séditieux  '^,  non  pas  tant  à  cause  de  son  opinion 
qu'à  cause  de  l'acte  que  de  telles  propositions  imphquent.  Par  là 
même,  en  effet,  il  rompt  la  foi  donnée,  d'une  manière  tacite  ou  expresse, 
au  pouvoii'  souverain.  Par  conséquent  les  autres  opinions,  qui  n'en- 
veloppent pas  quelque  acte  en  elles-mêmes,  c'est-à-dire  la  rupture 
du  pacte,  la  vengeance,  la  colère,  etc.,  ne  sont  pas  séditieuses,  si  ce 
n'est  peut-être  dans  un  État  corrompu  en  quelque  manière,  où  des 
hommes  superstitieux  et  ambitieux  ont  acquis, une  renommée  telle 
que  leur  influence  siu'  le  peuple  est  plus  grande  que  l'autorité  du  Sou- 
verain ^. 

1  ...  Adeoque,  salvo  stuninarum  potestatum  jure,  uemo  quidem  contra  earum  decre- 
tum  agere  potest,  at  omnino  sentire  et  jiidicare,  et  eonsequenter  etiam  dicere,  modo 
simplicitei-  tantum  dicat  vel  doceat,  et  sola  ratione,  non  autem  dolo,  ira,  odio,  née  animo 
aliquid  in  rempublicam  ex  authoritate  sui  decreti  introducendi,  defendat.  Ex.  gr.  si 
quis  legem  aliquam  sanse  rationi  repugnare  ostendit  et  propterea  eaudem  abrogandam 
esse  censet,  si  simul  suam  sententiam  judicio  suinniae  potestatis  (cujus  tantum  est  leges 
coûdere  et  abrogare)  submittit,  et  niliil  intérim  contra  illius  legis  prœscriptum  agit, 
bene  sane  de  republica  meretiu-,  ut  optimus  quisque  civis...  Videmus  itaque  qua  ratione 
unusquisque.  salvo  jure  et  authoritate  summarum  potestatum,  hoc  est  salva  reipublicae 
pace,  ea  quœ  sentit  dicere  et  docere  potest  ;  nempe  si  decretum  omnium  rerum  agenda- 
rum  iis  rehnquat  et  nihil  contra  eormn  decretum  agat,  etiamsi  ssepe  contra  id,  quod  bonum 
judicat  et  palam  sentit,  agere  debeat  ;  quod  quidem  salva  justitia  et  j^ietate  facere 
potest  et  débet  si  se  justuni  et  pium  prsestare  vult  ;  nam  ut  jam  ostendimus,  justitia 
a  solo  summarum  potestatum  decreto  pendet,  adeoque  nemo  nisi  qui  secundum  earum 
recepta  décréta  vivit,  justus  esse  potest.  (Spinoza,  Tract,  tfieologico-politicus,  C.  XX, 
t.  II,  p.  167  et  168,  circa  finem  et  circa  principmm). 

2.  Ici  encore  Spinoza  s'est  directement  inspiré  de  Hobbes  tout  en  tenipérant  son 
absolutisme.  Hobbes  a  dressé,  en  effet,  une  liste  des  principales  opinions  .  séditieuses  » 
Cf.  supra,  p.  384-5)  et  enseigne  que  c'est  à  l'Etat  de  juger  quelles  doctrines  sont  de 
nature  à  compromettre  la  paix,  et  qu'il  lui  appartient  d'en  interdire  la  diffusion. 
Bien  plus,  le  Souverain  doit  imposer  aux  Universités  le  texte  d'une  Philosophie  civile 
rédigée  par  ses  soins. 

3.  At  ex  iis  [fundamentis  Reipublicœ]  non  mini:s  facile  determinare  possumus  quae 
opiniones  in  Republica  seditiosae  sint  ;  eas  nimirmn,  quœ  simiil  ac  ponuntur,  pactum, 
quo  unusquisque  jure  agendi  ex  proprio  suo  arbitrio  cessit,  tollitur.  Ex.  gr.  si  Cjuis 
eentiat  summam  potestatem  sui  juris  non  esse  ;  vel  neminein  promissis  stare  debere  ; 
vel  oportere  unumquemque  ex  suo  arbitrio  vivere,  et  alia  hujusmodi,  quœ  praedicto 
pact'o  directe  répugnant,  is  seditiosus  est,  non  tam  quidem  propter  judicium  et  opinio- 
nem  quam  jaropter  factiun,  quod  talia  judicia-invohTan'  ;  videlicet  quia  eo  ipso  quod 
taie  quis  sentit,  fidem  smnmae  potestati  tacite  vel  expresse  datam  solvit.  Ac  proind© 


472         ARTICLE   III.   —  CHAPITRE   V.   —  PARTISANS   ET  ADVERSAIRES 

Spinoza  conclut  en  disant  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  sûr  pour  l'État 
que  de  restreindre  le  droit  du  Souverain,  aussi  bien  dans  le  domaine 
sacré  que  dans  le  domaine  profane,  aux  seules  actions,  laissant  chacun 
libre  de  penser  ce  qu'il  veut  et  de  dire  ce  qu'il  pense  ^. 

<(  Entre  la  doctrine  de  Hobbes,  qui  fonde  le  droit  sur  la  force,  et  la 
doctrine  de  Grotius  et  de  Leibniz,  qui  le  fonde  sur  la  loi  naturelle, 
se  place  une  doctrine  intermédiaire  qui  essaye  de  concilier  l'une  et 
l'autre,  en  considérant  l'homme  successivement  sous  ces  deux  aspects 
et  en  partant  du  droit  de  la  force  pour  s'élever  au  droit  de  la  raison. 
Telle  est  la  poHtique  de  Spinoza,  travaillée,  comme  sa  métaphysique, 
par  une  contradiction  intérieure,  et  qui  ne  réussit  pas  toujours, 
malgré  les  efforts  du  génie  le  plus  subtil,  à  concilier  ces  deux  principes  »  '^ 

Libre-penseur  en  religion,  Spinoza  se  fait  le  défenseur  ardent  de  la 
liberté  de  la  parole  :  l'intérêt  l'y  pousse  :  mais,  d'un  autre  côté,  la 
logique  le  contraint  à  déduire  des  principes  qu'il  a  posés  la  nécessité 
et  la  légitimité  du  pouvoir  absolu.  Tiraillé  entre  ces  deux  tendances 
opposées,  le  Ubéralisme  et  l'absolutisme,  il  ne  parvient  pas  à  résoudre 
Tantinomie  qui  mine  son  système  poHtique.  Pourtant  il  s'y  emploie 
de  son  mieux. 

L'on  doit  tout  d'abord  reconnaître  que  Spinoza  n'escamote  pas  la 
difficulté.  Ecoutez  plutôt  :  «  Il  est  bien  vrai  que  le  pouvoir  souverain 
peut  à  bon  droit  considérer  comme  ennemis  tous  ceux  qui  ne  partagent 
pas  complètement  en  toutes  choses  ses  sentiments...  J'accorde  qu'il 
a  le  droit  de  gouverner  avec  la  plus  grande  violence  et  d'envoyer, 
pour  les  causes  les  plus  légères,  les  citoyens  à  la  mort  »  ^.  Hobbes 
lui-même  n'a  pas  fait  à  l'absolutisme  de  concession  plus  forte,  ni  plus 
abominable. 

Que  va  tenter  Spinoza  pour  sortir  de  ce  mauvais  pas  ?  Avec  toute 
sa  dextérité  il  n'a  trouvé  d'autre  issue  que  le  recours  au  principe 
utilitaire.  Sans  doute,  dit-il  en  substance,  le  droit  de  l'État  étant  absolu, 
tout  lui  est  permis  *  ;  il  peut  en  user  d'une  façon  violente  et  déraison- 

caeterse  opiniones,  quse  actum  non  involvunt,  nempe  ruptionem  pacti,  vindictam,  iram, 
etc.,  seditiosse  non.sunt  nisi  forte  in  Republica  aliqua  ratione  corrupta,  ubi  scilicet 
superstitiosi  et  anibitiosi,  qui  ingenuos  ferre  nequeunt,  ad  tantam  nominis  famani 
pervenerunt  ut  apud  plebem  plus  valeat  eorum  qwani  summaruni  jDotestatum  autho- 
ritas.  (Spinoza,  Tract,  theologlco-politicus,  C.  XX,  t.  II,  p.  168-169). 

1.  Quapropter  hic,  ut  supra.  Cap.  18,  concludinius  nihil  Reipublicse  tutius  quam  ut 
Pietas  et  Religio  in  solo  charitatis  et  sequitatis  exercitio  comprehendatur,  et  jus 
summarum  potestatum,  tani  circa  sacra  quam  profana,  ad  actiones  tantum  referatur, 
caeterum  unicuique  et  sentire  quse  velit,  et  qùse  sentiat  dicere,  concedatur.  (Spinoza, 
Tract,  theologico-politicus,  C.  XX,  t.  II,  p.  173,  circa  principiwn). 

2.  Pa^jl  Janet,  Histoire  de  la  Science  politique...,  T.  II,  L.  IV,  Ch.  III,  p.  365,  Paris, 
18722. 

3.  Verum  quidem  est  eas  [summas  potestates]  jure  posse  omnes,  qui  cum  iisdeni  in 
omnibus  absolute  non  sentiunt,  pro  hostibus  habere  ;  sed  nos  de  ipsarum  jure  jam 
non  disputamus,  sed  de  eo  quod  utile  est.  Concedo  enim  easdem  jure  posse  violentis- 
sime  regnare  et  cives  levissimis  de  causis  ad  necem  ducere  ;  at  omnes  negabunt  hsec 
salvo  sanse  rationis  judicio  fieri  posse.  (Spinoza,  Tract,  theologico-politicus,  C.  XX,  t.  II, 
p.  166,  §  Quantumvis). 

,     4.  Cf.  supra,  p.  465-468. 


SYMPATHIES    EX    HOLLANDE    :    SPINOZA  473^ 

nable.  Mais,  ce  faisant,  il  agit  contre  son  intérêt.  D'abord,  en  n'obéis- 
sant pas  aux  lois  de  la  raison,  il  afifaiblit  de  ses  propres  mains  sa  puis- 
sance, car  «  l'Etat  le  plus  puissant  et  le  plus  indépendant  est  celui 
qui  est  fondé  sur  la  raison  et  dirigé  par  elle  »  ^.  De  plus,  en  portant 
des  décrets  arbitraires  qui  provoquent  une  indignation  générale, 
il  s'expose  à  être  renversé,  car  «  il  est  certain  que  la  puissance  et  le 
droit  de  l'État  diminuent  dans  la  mesure  où  il  fournit  lui-même 
à  un  plus  grand  nombre  de  citoyens  des  raisons  de  s'unir  pour  venger 
un  grief  commun  »  ^.  L'Etat  qui  veut  vivre  et  durer,  doit  donc  gouver-  l 
ner  avec  sagesse  et  justice  :  c'est  son  intérêt  bien  entendu. 

Ainsi,  dans  le  système  de  Spinoza  comme  dans  la  théorie  de  Hobbes,. 
la  tyrannie  est  légitime  ;  mais,  pour  en  détourner  les  souverains, 
Spinoza  ajoute  qu'elle  n'est  ni  utile,  ni  raisonnable.  Frêle  barrière 
contre  les  tentations  du  despotisme.  On  voit  enfin  que  le  philosophe 
hollandais  n'a  point  réussi  à  lever  la  contradiction  qu'on  lui  oppose, 
car,  si  l'absolutisme  est  en  soi  légitime,  il  ne  peut  être  déraisonnable. 

Remarquons  en  outre,  nouvelle  manifestation  de  la  contradiction 
foncière  de  son  système,  que  Spinoza,  après  avoir  accordé  en  prin- 
cipe tous  les  droits  au  souverain,  finit  par  les  restreincbe  considérable- 
ment, pour  introduire  de  biais  la  Kberté  d'exprimer  la  pensée  qui 
lui  tient  tant  à  cœur.  Car,  en  fait,  il  limite  la  juridiction  du  pouvoir 
absolu  aux  actions,  en  exemptant  les  paroles,  sauf  celles  qui,  s'atta- 
quent directement  au  contrat  initial,  Hen  de  la  société,  et  revêtent  par 
là  même  le  caractère  d'actions.  Or,  comme  ces  paroles  antisociales 
sont  peu  nombreuses,  il  en  résulte  que  l'État  conçu  par  Spinoza, 
se  trouvant  désarmé  contre  l'immense  majorité  des  déhts  d'opinions, 
voit,  de  ce  chef,  ses  di"oits  singuhèrement  amoindris  ^. 

Il  faut  noter  enfin  que  Spinoza  n'arrive  à  ce  résultat  inconséquent 
qu'au  prix  d'une  distinction  arbitraire.  La  parole  en  effet  est  le  véhi- 
cule des  idées,  et  ce  sont  les  idées  qui  mènent  le  monde.  Si  l'on  excepte 
les  sciences  mathématiques,  on  ne  peut  nier  que  les  idées  remuées 
par  les  sciences  morales,  politiques  et  religieuses,  et  même  par  les 
sciences  physiques  et  naturelles  en  tant  qu'elles  s'inspirent  de  cer- 
tains  principes    directeurs   empruntés   à    la   philosophie,    n'exercent 

1.  ...  lUa  Civitas  maxime  erit  potens  et  maxime  sui  jui'is,  quœ  ratione  fundatur  et 
dirigitur.  (Spinoza,  Tract,  politictis,  C.  III,  §  7,  t.  I,  p.  281). 

2.  ...  Certum  est  potentiam  Civitatis  et  jus  eatenus  minui  quatenus  ipsa  causas  prœ- 
bet  ut  plures  in  ummi  conspirent.  (Spinoza,  Tract,  politiciis,  C.  III,  §  9,  t.  I,  p.  282). 

3.  Cette  limitation  énorme  des  droits  de  la  souveraineté,  que  Spinoza,  moins  consé- 
quent que  Hobbes,  a  préconisée  avec  ardeur,  est  en  opposition  flagrante  avec  l'affirma- 
tion, sans  réserve,  si  crûment  répétée,  que  le  détenteur  du  pouvoir  souverain,  quel  qu'il 
soit,  Monarque,  Nobles,  ou  Peuple,  a  le  droit  absolu  de  commander  ce  qu'il  veut  et, 
conséquemment,  que  les  sujets  sont  tenus  de  lui  obéir  en  tout.  La  question  est  si  impor- 
tante qu'il  ne  sera  pas  inutile  d'ajouter  aux  textes  déjà  cités  le  suivant  :  Nam  quisquis 
summam  habet  potestatem,  sive  unus  sit,  sive  pauci,  sive  denique  omnes,  certum  est 
ei  summum  jus  quicquid  velit  imperandi  competere  ;  et,  praeterea.  quisquis  potestatem 
se  defendendi,  sive  sponte  sive  vi  coactus,  in  alium  transtulit,  eum  suo  jure  naturali 
plane  cessisse  et  consequenter  eidem  ad  omnia  absolute  parère  decrevisse,  qxiod  omnia 
prœstare  tenetur,  quamdiu  Rex,  sive  Xobiles.  sive  Populus,  summam  quam  acceperunt 
potestatem,  quae  juris  transferendi  fundamentum  fuit,  conservant.  (Spinoza,  Tract, 
thcologico-politictis,  C.  XVI,  t.  II,  p.  127,  circa  principiutn  J. 


474         AETICLE   III.   —   CHAPITRE    V.   —   PARTISANS    ET    ADVERSAIRES 

une  influence  plu«  ou  moins  grande,  selon  les  circonstances,  sur  l'évo- 
lutaon  des  sociétés  ^.  JSTombre  de  théories,  élaborées  par  des  spéculatifs 
dans  le  silence  du  cabinet,  ont  agi  tôt  ou  tard  sur  le  commun  des 
esprits  et  déterminé  leur  conduite.  Ces  idées,  manifestées  par  la  parole 
écrite  ou  orale,  sont  donc  des  actions,  parce  que,  tout  comme  les  idées 
subversives  du  pacte  primitif,  elles  sont  grosses  de  conséquences 
pratiques.  En  bonne  logique,  au  lieu  de  leur  délivrer  un  laisser-passer, 
Spinoza  devrait  aussi  les  soumettre  au  contrôle  rigoureux  de  l'État, 
puisque,  d'après  son  principe  fondamental,  tous  ceux  qui  entrent 
en  société  abdiquent,  en  faveur  du  souverain,  le  droit  naturel  d'agir 
à  leur  gré. 

Interix)gé  par  un  de  ses  amis  sur  la  différence  qui  séparait  son 
système  politique  de  celui  de  Hobbes,  Spinoza  lui  répondit  :  «  Elle 
consiste  en  ce  que  je  conserve  toujours  fidèlement  le  droit  naturel 
et  n'attribue  pas  dans  chaque  Cité  au  Magistrat  Suprême  plus  de 
droit  sur  ses  sujets  que  n'en  comporte  le  degré  de  puissance  qui  fait 
sa  supériorité,  ce  qui  a  toujours  heu  dans  l'état  naturel  »  ^. 

Il  faut  distinguer  dans  cette  réponse  deux  parties.  La  première 
est  générale  :  Spinoza  se  flatte  d'avoir  conservé  le  droit  naturel  même 
dans  l'état  civil.  «  Maïs  si  le  droit  n'est  autre  chose  que  la  puissance, 
c'est-à-dire  la  force,  et  si  ce  droit  subsiste  dans  l'état  civil  comme  dans 
Fétat  naturel,  on  ne  voit  plus  quelle  peut  être  la  différence  de  ces 
deux  états.  J'aurai  le  droit  de  tout  faire  contre  l'État,  si  je  le  peux, 
comme  l'État  aura  droit  de  faire  tout  contre  moi,  s'il  le  peut.  Mais 
ayant  un  tel  droit  contre  l'État,  je  T'ai  en  même  temps  contre  tous  les 
membres  de  l'État,  et  par  conséquent  l'état  de  guerre  subsiste  en  droit 
dans  l'état  civil,  aussi  bien  que  dans  l'état  naturel.  Spinoza  dit  que 
dans  l'état  civil  le  droit  na.turel  ne  cesse  pas,  et  que  ce  qui  cesse  seule- 
ment, c'est  le  droit  de  se  rendre  justice  à  soi-même.  Mais  n'est-ce  pas 
là  une  contradiction  ?  Il  est  vrai  que  j'ai  abandonné'  le  droit  de  me 
défendre  à  la  société,  mài-s  ne  suis- je  pas  hbre  de  le  reprendre  quand 
je  veux,  pourvu  que  je  le  puisse,  si  le  droit  naturel  subsiste  encore 
dans  l'état  civil,  et  si  le  di'oit  est  identique  à  la  puissance  ?  ^  »  Cette 
première  différence,  indiquée  par  Spinoza  ne  tourne  pas  à  son  avan- 
tage, p-uisqu'il  est  acculé  à  une  contradiction. 

La  seconde  se  rapporte  à  cette  proposition  :  Le  droit  du  Magistrat 
suprême  se  mesure  à  la  puissance  dont  il  dispose.  C'est  une  applica- 
tion du  principe  premier  posé  par  Spinoza  à  la  base  même  de  sa  cons- 
truction pohtique  :  Le  èrort  s'étend  jusqu'où  s'étend  la  puissance. 
Nous  avons  montré  comment  Spinoza  avait  utihsé  ce  principe,  avec 

1.  Hobbes  a  fait  cette  remarque.  Cf.  supra,  p.  384,  n.  5. 

2.  Quantum  ad  Politicam  spectat,  diserimen  inter  me  et  Hobbesium,  de  qiio  interro- 
gas,  in  hoc  consistit  quod  ego  naturale  jus  senapex*  sartum  tectum  conserve,  quodque 
Supremo  Magistratvii  in  qualibet  Urbe  non  plus  in  subditos  juris  quam  jiixta  mensuram 
potestatis,  qua  subditus  superat,  competere  statue,  quod  in  statu  naturali  semper 
locum  habet.  (Lettre  de  Spinoza  à  Jarigh  Jelles,  La  Haye,  2  juin  1674,  t.  II,  Epist.  L, 
p.   860). 

3.  PAtTL  Janet,  Histoire...,  t.  II,  L.  IV,  Cli.  III,  p.  373. 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    SPINOZA  475 

plus  d'habileté  que  de  coliérence,  pour  soustraire  la  liberté  de  la  parole 
au  contrôle  de  l'État.  Ici,  la  différence  est  à  l'avantage  du  philosophe 
hollandais.  Car  Hobbes  a  pour  principe  premier  que  le  pouvoir  sou- 
verain ne  peut  souffrir  de  hmitation.  Qu'il  revête  la  forme  monar- 
chique, aristocratique  ou  démocratique,  soii.  autorité  est  absolue. 
Aussi  le  pliilosophe  anglais  repousse-t-il,  comme  une  hérésie  politique, 
tout  régime  mixte  ou  tempéré.  C'est  pour  ce  motif  également,  qu'entre 
la  monarchie,  l'aristocratie  et  la  démocratie,  qu'il  ne  conçoit  possibles 
que  munies  d'un  pouvoir  iUimité,  son  choix  se  porte  sans  hésiter 
siu'  la  monarchie,  parce  que,  la  souveraineté  y  étant  concentrée 
en  une  seule  main  au  lieu  d'être  répartie  dans  une  assemblée  popu- 
laire ou  un  corps  aristocratique,  de  tous  les  gouvernements  agissant 
avec  une  autorité  absolue,  la  monarchie  est  le  plus  absolu,  donc  le 
plus  fort,  donc  le  meilleur. 

C'est  ici  que  l'opposition  entre  Spinoza  et  Hobbes  est  le  plus  directe 
et  Iharquée.  Le  philosophe  anglais  s'est  fait  le  champion  exclusif 
de  la  monarchie  absolue  et  l'adversaire  déclaré  de  la  démocratie. 
Le  philosophe  hollandais  inchne  manifestement  vers  la  forme  démo- 
cratique, et  il  motive  ainsi  sa  préférence  :  «  Cette  forme  de  gouverne- 
ment lui  paraît  la  plus  naturelle  et  la  plus  rapprochée  de  la  hberté  • 
que  la  nature  domie  à  chaciui.  Car,  dans  l'État  démocratique,  per- 
sonne ne  transfère  tellement  à  un  autre  son  droit  naturel  qii'il  ne 
puisse  plus  déhbérer  à  l'avenir  ;  il  ne  s'en  dépouille  qu'en  faveur  de 
la  majorité  de  la  société  tout  entière,  dont  il  est  l'une  des  parties.  , 
Par  ce  moyen  tous  demeurent  égaux  comme  antérieurement  dans 
l'état  naturel  »  ^. 

Tout  en  montrant  son  inchnation  pom"  la  forme  démocratique, 
Spinoza  se  garde  de  l'exclusivisme  de  Hobbes,  car  il  recomiaît  que  la 
monarchie  et  l'aristocratie  peuvent  être  •  de  bons  gouvernements, 
à  condition  que  le  pouvoir  du  Souverain  y  soit  modéré  par  eertaiils 
tempéraments  et  contrepoids. 

Hobbes  s'est  complaisamment  apphc[ué  à  mettre  en  relief  les 
mérites  de  la  monarchie  absolue.  Spmoza  affecte  manifestement  de 
])rendre  le  contrepied  des  affirmations  du  philosophe  anglais.  Qu'il 
suffise  de  citer  le  passage  suivant  :  <i  Certes  ceux  qui  croient  qu'il  est 
possible  que  le  ch'oit  souverain  de  l'État  soit  l'apanage  d'un  seul  homme 
se  trompent  étrangement.  Le  droit  en  effet  se  mesui^e  à  la  puissance  ; 

1.  Atque  his  imperii  democratici  fundamenta  satis  elare  ostendisse  puto  ;  de  quo 
prse  omnibus  agere  malui,  quia  maxime  natiirale  videbatur  et  maxime  ad  libertatem, 
quam  Xatura  uuicuique  concedit,  accedere.  Nam  in  eo  nemo  jus  suum  naturale  ita  in 
alterum  transfert  ut  nulla  sibi  imposterum  consultât io  sit,  sed  in  majorem  totius 
Societatis  partem,  cujus  ille  unam  facit.  Atque  hac  ratione  omnes  manent,  ut  antea 
in  statu  naturali,  sequales.  (Spinoza,  Tract,  theoloqico-politicus,  C.  XVI,  t.  II,  p.  126, 
circa  finem).  Dans  cet  ouvrage,  Spinoza  n'a  traité  que  des  fondements  ou  origines  de 
l'Etat  démocratique.  Dans  le  Tractatus  politicus,  après  avoir  parlé  des  «  conditions 
fondamentales  »  que  la  Monarchie  (Ch.  VI  et  VII)  et  l'Aristocratie  (Ch.  VIII  à  X) 
doivent  remplir  pour  être  viables,  il  so'proposait  de  montrer  aussi  à  quelles  conditions  1 
la  Démocratie  peut  être  une  foi-me  de  gouvernement  bonne  et  durable.  Mais  la  maladie 
et  la  mort  sont  venues  interrompre  brusquement  le  chapitre  XI  à  peine  commencé. 
Pendent  opéra  interrupta...,  Cf.  t.  I,  p.  343-345. 


476         ARTICLE   III.    CHAPITRE    V.    —   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

or  la  puissance  d'un  seul  homme  est  tout  à  fait  insuffisante  à  soutenir 
un  tel  fardeau.  D'où  il  arrive  que  celui  que  la  multitude  a  élu  roi  se 
cherche  des  gouverneurs,  ou  des  conseillers,  ou  des  amis,  auxquels 
il  confie  son  propre  salut  et  celui  de  tous,  de  sorte  que  le  gouvernement 
qu'on  croit  être  absolument  monarchique  est  pratiquement,  en  réalité, 
une  aristocratie,  non  pas  apparente  mais  cachée,  et  par  là  même 
détestable.  Ajoutez  à  cela  que  si  le  roi  est  enfant,  malade  ou  alourdi 
par  la  vieillesse,  ce  n'est  qu'un  roi  précaire.  Les  vrais  maîtres  du  pou- 
voir souverain,  ce  sont  ceux  qui  administrent  les  grandes  affaires 
de  l'État,  ou  qui  touchent  de  plus  près  au  roi.  Et  je  ne  parle  point  du 
cas  où  le  roi,  hvré  à  la  débauche,gouverne  souvent  toutes  choses  au 
gré  des  passions  de  telle  ou  telle  maîtresse  ou  favori  »  ^. 

On  objecte,  en  faveur  des  monarchies  absolues,  qu'elles  font  régner 
«  la  concorde  et  la  paix  dans  l'État.  Aucun  gouvernement,  en  effet, 
n'est  resté  aussi  longtemps  que  celui  des  Turcs,  sans  changement 
notable,  tandis  qu'au  contraire  rien  n'est  moins  stable  ni  plus  troublé 
par  les  séditions  que  les  gouvernements  populaires  ou  démocratiques  ». 
Voici  la  réponse  :  «  S'il  faut  donner  le  nom  de  paix  à  l'esclavage,  à  la 
barbarie  et  à  la  solitude,  rien  alors  n'est  plus  malheureux  pour  les 
hommes  que  la  paix...  Mais  la  paix  véritable,  ce  n'est  pas  l'absence 
de  guerre  ;  c'est  une  vertu  qui  naît  de  la  vigueur  de  l'âme,  car  l'obéis- 
sance est  une  volonté  constante  d'exécuter  tout  ce  que  la  loi  com- 
mune de  l'État  commande  de  faire.  Aussi  bien  l'État,  dont  la  paix 
a  pour  cause  l'inertie  des  sujets,  que  l'on  conduit  comme  un  troupeau 
uniquement  pour  les  dresser  à  la  servitude,  n'est  pas  un  État,  mais 
plutôt  une  sohtude  »  2. 

C'est  pourquoi  la  bonne  monarchie  est  la  monarchie  tempérée. 
Celle  que  Spinoza  présente  comme  modèle  du  genre  est  originale, 
pour  ne  pas  dire  bizarre.  Communiste,  représentative,  égalitaire,  telle 
est  sa  triple  caractéristique. 

Communiste,  on  le  sait  déjà  :  les  terres  et',  autant  que  possible, 

1.  Et  sane,  qui  credunt  posse  fieri  ut  unus  solus  summum  Civitatis  jus  obtineat,  longe 
errant.  Jusenim  sola  potentia  determinatur,  ut  Capite  II  ostendimus  ;  at  unius  hominis 
potentia  longe  im23ar  est  tantse  nioli  sustinendse.  Unde  fit  ut  quem  multitude  regem 
elegit,  is  sibi  imperatores  quserat,  seu  consiliarios,  seu  amicos,  quibus  suam  et  omnium 
salutem  commitit,  ita  ut  imperium,  quod  absolute  monarchicum  esse  creditur,  sit  rêvera 
in  praxi  aristocraticum,  non  quidem  manifestum  sed  latens,  et  propterea  pessimum. 
Ad  quod  accedit  quod  rex,  puer,  seger  aut  senectute  gravatus,  precario  rex  sit,  sed  ii 
rêvera  summam  potestatem  habeant,  qui  suinma  imperii  negotia  administrant,  vel  qui 
régi  sunt  proximi  ;  ut  jam  taceam  quod  rex,  libidini  obnoxius,  omnia  ssepe  moderetur 
ex  libidine  unius  aut  alterius  pellicis  aut  cinsedi.  (Spinoza,  Tract.  poUticus,  C.  VI, 
§  5,  t.  I,  p.  291). 

2.  At  experientia  contra  docere  videtur  pacis  et  concordiae  interesse  ut  omnis  potestas 
ad  unum  conferatur.  Nam  nullum  imperium  tamdiu  absque  ulla  notabili  mutatione 
stetitquam  Turcarum,  et  contra  nulla  minus  diuturna  quam  popularia  seu  democratica 
fuerunt,  nec  ulla,  ubi  tôt  seditiones  moverentur.  Sed  si  sei-vitium,  barbaries  et  solitudo 
pax  appellanda  sit,  nihil  hominibus  pace  miserius...  Pax  enim  non  belli  privatio,  sed 
virtus  est,  quse  ex  animi  fortitudine  oritur  :  est  namque  obsequium  constans  voluntas 
id  exequendi  quod  ex  communi  Civitatis  décrète  fieri  débet.  Illa  praeterea  Civitas,  cuius 
pax  a  subditorum  inertia  pendet,  qui  scilicet  veluti  pecora  ducuntur  ut  tantum  servire 
discant,  rectius  solitudo  quam  Civitas  dfci  potest.  (Spinoza,  Tract.  poUticus,  C.  VI, 
§  4,  t.  I,  p.  290-291  ;  C.  V,  §  4,  p.  289,  circa  principium). 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    SPINOZA  477 

les  maisons  appartiennent  au  chef  de  l'État,  qui  les  loue  aux  citoyens 
pour  un  prix  annuel  tenant  lieu  d'impôt. 

Spinoza  se  place  dans  l'hypothèse  d'une  multitude  qui  a  choisi 
Kbrement  son  Souverain,  et  non  d'une  multitude  à  laquelle  il  a  été 
imposé  par  le  droit  de  la  guerre  ^. 

Le  monarque  est  assisté  par  des  conseillers  recrutés  uniquement 
parmi  les  citoyens.  Si  le  nombre  des  familles  du  royaume  n'excède 
pas  600,  on  prendra  dans  chacune  d'elles  trois,  quatre  ou  cinq  per- 
sonnes, '  qui  ne  constitueront  ensemble  qu'un  seul  membre  du  Conseil 
royal.  Elles  ne  sont  pas  nommées  à  vie,  mais  pour  trois,  quatre  ou 
cinq  années,  de  sorte  que  le  tiers,  le  quart  et  le  cinquième  soit  renou- 
velé annuellement.  Le  droit  d'élection  appartient  au  roi.  A  un  moment 
fixe  de  l'année,  sur  les  Ustes  où  chaque  famille  a  indiqué  les  noms  de 
ses  membres  parvenus  à  l'âge  de  cinquante  ans,  le  roi  choisira  comme 
nouveaux  conseillers  qui  bon  lui  semble. 

L'office  de  ce  Conseil  est  avant  tout  de  défendre  les  droits  fonda- 
mentaux de  l'État  et  de  donner  son  avis  sur  les  affaires.  Le  roi  ne 
peut  rien  statuer  sans  connaître  au  préalable  le  sentiment  de  ses 
conseillers.  Il  appartient  aussi  au  Conseil  de  promulguer  les  décrets 
royaux  et  de  prendre  en  main  toute  l'administration  de  l'État,  comme 
vicaire  du  roi.  Les  citoyens  n'auront  accès  auprès  du  prince  que  par 
l'intermédiaire  du  Conseil.  C'est  lui  encore  qui  transmet  au  Souverain 
les  supphques  des  particuliers  et  obtient  les  auchences  pour  les  ambas- 
sadeurs. A  lui  incombe  enfin  le  soin  de  diriger  l'éducation  des  fils 
du  roi. 

Le  Conseil  ne  peut  arrêter  aucune  décision  sur  les  affaires  d'État 
que  tous  ses  membres  présents.  Les  absents  doivent  pourvoir  à  leur 
remplacement.  Pour  maintenir  l'égahté  entre  les  familles,  il  faut  qu'elles 
président,  l'une  après  l'autre,  les  sessions  successives.  Le  Conseil 
doit  être  convoqué  au  moins  quatre  fois  par  an  pour  exiger  des  fonc- 
tionnaires le  compte  rendu  de  leur  administration  et  voir  s'il  y  a 
quelque  mesure  à  prendi'e.  En  son  absence,  il  est  représenté  par  cin- 
quante de  ses  membres  ou  davantage,  qui  siègent  en  permanence 
dans  la  salle  la  plus  voisine  de  l'appartement  royal.  Ces  représentants 
remplissent  toutes  les  tonctiohs  énumérées  ci-dessus,  avec  cette  restric- 
tion qu'ils  ne  pourront  s'occuper  des  affaires  nouvelles  dont  il  n'a  pas 
été  déhbéré  en  Grand  Conseil. 

La  Justice  est  rendue  par  un  autre  Conseil  exclusivement  composé 
de  jurisconsultes.  Mais  ses  arrêts  sont  soumis  à  l'approbation  du  Con- 
seil de  permanence. 

L'Armée  doit  être  formée  des  seuls  citoyens  et  de  tous.  Pour  être 
admis  au  nombre  des  citoyens,  il  faut  avoir  fait  l'exercice  miUtaire 
et  prendre  l'engagement  de  continuer  cet  exercice  à  des  époques 
déterminées  de  l'année. 

La  ReUgion  est  séparée  de  l'État.  Celui-ci  ne  s'occupera  point  i 
des  opinions  reUgieuses,   à  moins  qu'elles  ne  soient  séditieuses  ;  il 


1.  Spinoza.  Trdctatus  politicus,  C.  V,  §  0,  t.  I,  p.  289  ;  C.  VI,  §  13,  p.  293. 


478         ARTICLE   III.   —  CHAPITRE    V.    PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

ne  bâtira  aucun  temple  à  ses  frais,  laissant  ce  soin  aux  particuliers 
qui  ont  le  droit  d'exercer  publiquement  leur  culte  ^ 

Voilà,  dans  ses  principaux  linéaments,  la  constitution  monar- 
chique imaginée  par  Spinoza.  On  pourrait  dire  constitution  imaginaire. 
Car  sur  bien  des  points  on  reconnaît  la  marque  d'un  spéculatif,  qui 
combine  avec  assurance  les  divers  éléments  de  la  société,  d'après  les 
convenances  d'une  raison  pénétrante,  mais  peu  soucieuse  de  l'expé- 
rience, fondement  nécessaire  de  la  science  politique.  Aristote,  si  décrié 
par  Hobbes  et  si  dédaigné  par  Spinoza,  n'avait-il  pas,  pour  éclairer 
ses  déductions,  recueilli  et  résumé  les  différentes  constitutions  connues 
de  son  temps  ?  ^ 

Le  philosophe  hollandais  a  procédé  tout  autrement  :  il  part  de  son 
grand  principe  que  droit  et  puissance  sont  corrélatifs  et-  il  s'en  sert 
(c'est  sa  règle  unique),  pour  doser  la  puissance  et,  partant,  le  droit 
du  Souverain  et  du  peuple.  C'est  lui-même  qui  nous  le  dit  à  la  fin  de 
son  exposé  :  «  Concluons  que  la  multitude  peut  garder  sous  un  roi 
une  liberté  assez  ample,  pourvu  qu'elle  fasse  en  sorte  que  la  puissance 
du  roi  soit  déterminée  par  la  seule  puissance  de  la  multitude  et  mainte- 
nue par  le  concours  de  la  multitude  elle-même.  Ça  été  l'unique  règle  que 
j'ai  suivie  en  jetant  les  fondements  du  gouvernement  monarchique  »  ^. 

En  composant  son  esquisse  d'un  gouvernement  monarchique, 
la  préoccupation  dominante  de  Spinoza  a  été  de  poser  des  bornes  au 
pouvoir  absolu.  «  Car  les  rois  ne  sont  pas  des  dieux,  mais  des  hommes 
qui  souvent  se  laissent  prendre  au  chant  des  Sirènes.  Si  tout  dépendait 
de  la  volonté  inconstante  d'un  seul  homme,  rien  ne  serait  fixe.  Aussi, 
pour  constituer  d'une  manière  stable  le  gouvernement  monarcliique, 
il  faut  que  tout  se  fasse  par  la  seule  décision  du  roi,  c'est-à-dire  que 
tout  droit  soit  la  volonté  expliquée  du  roi,  mais  non  pas  que  toute 
volonté  du  roi  soit  le  droit  »  *.  Comment  Spinoza  a-t-il  résolu  ce  délicat 
problème  ? 

1.  Spinoza,  Tractatus  politicus,  C.  VI,  §  12,  13,  15,  16,  17,  18,  19,  20,  22,  23,  24,  25, 
26,  10,  40.  T.  I,  p.  292-296  ;  298.  —  Ce  Chapitre  VI,  trace  le  plan  d'une  bonne  monarchie 
d'après  Spinoza.  Dans  le  Chapitre  VII,  il  s'efforce  de  démontrer  que  son  plan  est  con- 
forme à  la  raison  et  à  l'expérience. 

2.  «  L'œuvre  d'ensemble,  qui  portait  le  nom  de  Polities,  comprenait  l'analyse,  dans  ' 
l'ordre  alphabétique,  des  constitutions  d^  158  Etats  simples  ou  confédérés,  avec  un 
appendice  sur  les  gouverneinents  des  tyrans  ou  usurpateurs,  à  quoi  il  faut  ajouter 
une  monographie  sur  les  lois  des  Barbares  et  une  étude  spéciale  sur  les  «  prétentions 
territoriales  des  Etats  ».  (Théodore  Gomperz,  Les  Penseurs  de  la  Grèce,  Trad.  AuG. 
Reymond,  t.  III,  L.  VI,  Ch.  III,  §  m,  p., 38.  Lausanne-Paris,  1910).  —  De  ces  Uo'/,i-.z\ol'. 
on  n'a  retrouvé  que  la  Constitution  cV Athènes  sur  un  papyrus  du  British  Muséum  : 
IToXiTEta  'AOr.vaîojv,  édit.  par  F.  G.  Kennyon.  Londres  et  Oxford,  1891.  Cf.  G.  Sor- 
tais. Une  Constitution  retrouvée,  dans  la  Revue   les    Etudes,    t.   LVII,  p.    321   sqq. 

3.  Coneludimus  itaque  multitudinem  satis  amplam  libertatem  sub  rege  servare  posse, 
modo  officiât  ut  régis  potentia  sola  ipsius  multitudinis  potentia  determinetur  et  ipsius 
multitudinis  prœsidio  servetur.Atquehgec  unica  fuit  régula,  quam  in  jaciendis  imperii  mo- 
narchici  fundamentis  sequutus  sum.  (Spinoza,  Tract,  politicus,  C.  VII,  §  31,  t.  I,  p.  312). 

4.  Reges  enim  non  dii  sed  homines  sunt,  qui  Syrenum  capiuntur  sœpe  cantu.  Si  igitur 
omnia  ab  inconstanti  unius  voluntate  pondèrent,  nihil  fixum  esset.  Atque  adeo  imperium 
monarchicimi,  ut  stabile  sit,  instituendum  est  ut  omnia  quidem  ex  solo  régis  decreto 
fiant,  hoc  est,  ut  omne  jus  sit  régis  explicata  voluntas,  at  non  ut  omnis  régis  voluntas 
jus  sit.  (Spinoza,  Tract,  politicus,  C.  VII,  §.  1,  T.  I,  p.  299). 


SYMPATHIES    EN    HOLLANDE    :    SPDv^OZA  4r79 

Le  droit  de  proposer  les  lois  et  mesures  qu'il  juge  convenables 
appartient  au  roi.  Le  projet  royal  est  communiqué  au  Grand  Conseil 
qui  le  met  en  délibération.  Après  un  examen  approfondi  on  passe 
au  vote.  Toutes  les  opinions,  qui  ont  recueilli  plus  de  cent  suffrages, 
sont  transmises  au  Souverain  par  les  jurisconsultes  de  l'Assemblée. 
Le  roi  écoute  les  raisons  diverses  qui  motivent  chaque  opinion  ; 
puis,  après  avoir  réfléchi,  il  adopte  celle  qui  lui  a  paru  préférable 
et  notifie  au  Conseil  sa  décision  ^. 

On  le  voit,  Spinoza  accorde  au  monarque  un  pouvoir  très  effectif. 
Le  droit  d'élire  les  membj:'es  du  Conseil  reste  entre  ses  mains.  De  plus, 
il  a  l'initiative  des  propositions  de  lois.  Enfin,  c'est  lui  qui  décide 
entre  les  avis  différents  celui  qui  aura  force  de  loi. 

L'autorité  royale  est  cependant  hmitée  dans  une  certaine  mesure. 
Le  monarque  doit  prendre  dans  chaque  famille  un  nombre  égal  de 
conseillers.  Ensuite  et  surtout  il  doit  entendre  les  raisons  pour  et 
contre  qu'ont  soulevées  ses  propositions,  et,  s'il  'est  fibre  de  choisir 
entre  les  avis  qui  ont  réuni  plus  de  cent  voix,  il  doit  se  conformer 
à  l'une  des  opinions  qui  a  trouvé- des  partisans  dans  son  Conseil. 
Solution  originale  et  ingénieuse.  Le  souverain  peut  se  mouvoir  fibre- 
ment,  mais  dans  les  fimites  d'une  sphère  déterminée,  et  à  condition 
de  tenir  compte  des  lumières  que  lui  fournit  son  Conseil.  C'est,  dans 
un    bon    sens,    l'instruction    obligatoire. 

Malgré  ces  restrictions,  le  pouvoir  du  roi,  rêvé  par  Spinoza,  paraî- 
tra sans  doute  encore  très  considérable.  Mais  il  ne  faut  pas  perdre 
de  vue  que  notre  auteur  admet  une  Hberté  presque  ilfimitée  de  la 
parole  et  de  l'enseignement,  quelle  que  soit  la  forme  du  gouver- 
n.ement,  par  conséquent  dans  une  monarchie  tempérée,  la  seule  qu'il 
agrée. 

Le  même  souci  de  pondération  apparaît  aussi  dans  le  plan  du  gouver- 
nement aristocratique  dessiné  par  Spinoza.  Ici,  il  pousse  même  si 
loin  la  recherche  et  l'emploi  des  tempéraments  que, cette  constitution 
est  très  compfiquée  et  présente,  beaucoup  plus  que  son  essai  de  monar- 
chie, le  caractère  artificiel  des  œuvres  élaborées,  loin  des  affaires 
publiques,  par  des  écrivains  confinés  dans  leur  cabinet  de  travail. 
Inutile  d'y  insister.  Il  suffira  d'en  prendre  une  vue  sommaire,  car  sa 
com])Ucatioti  est  rebutante  et  donne  une  piètre  idée  de  l'esprit  poH- 
tique  de  Spmoza  ^.  «  Il  commence  par  concentrer  tous  les  pouvoirs 
dans  une  grande  Assemblée  où  siège  la  totafité  des  patriciens.  Puis, 
il  tire  de  cette  assemblée  un  conseil  des  Sjnidics,  chargé  de  veiller 
au  maintien  de  la  constitution  et  des  lois.  Puis,  pour  faciliter  l'action 
admimstrative  qu'une  nombreuse  assemblée  ne  peut  aisément  exercer, 
.il  fait  choisir  par  le  corps  entier  des  patriciens  une  sorte  de  conseil 
exécutif  qu'il  appeUe  Sénat.  Ce  Sénat  lui-même  gouverne  à  l'aide 
d'un  certain  nombre  de  Consuls,  de  sorte  que  la  machine  de  Spinoza 
se  complique  d'un  nouveau  ressort-  à  chaque  nouveau  besoin  qui  se 

1.  Spinoza,  Tractatus  polUieus,  C.  VI,  §  25,  T.  I,  p.  295-296. 

2.  On  trouvera  le  détail  de  cette  constitution  aristocratique  dans  le  Tracùcdus  polit icus, 
C.  VIII,  IX,  X,  T.  I,  p.  313-343. 


480         ARTICLE    III.    —   CHAPITRE    V.    —   PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

fait  sentir,    à  chaque    nouveau    danger    qui   se    laisse  entrevoir  »  ^. 

Les  différences  que  nous  avons  signalées  entre  le  système  politique 
de  Spinoza  et  celui  de  Hobbes  montrent  clairement  que  l'auteur  du 
Tractatus  politicus  a  su  marquer  ses  emprunts  au  coin  de  sa  vigoureuse 
personnalité.  Il  est  manifeste  aussi  que  Spinoza  s'était  profondément 
imprégné  de  la  doctrine  du  De  Cive  et  du  Léviathan.  On  sent  qu'il 
écrit  sous  leur  influence  directe.  Il  a  nommé  deux  fois  Hobbes,  mais 
c'est  pour  noter  ce  qui  le  sépare  de  lui.  On  regrette  qu'il  n'ait  point 
payé  sa  dette  de  reconnaissance  en  proclamant  combien  il  était  rede- 
vable au  philosophe  anglais  ^.  C'est  un  tributaire  qui  se  comporte 
comme  s'il  était  indépendant. 

Pour  clore  cette  étude  comparative  entre  Hobbes  et  Spinoza, 
indiquons  un  dernier  rapprochement.  Le  principe,  qui  a  dirigé  la 
pohtique  de  l'Empire  allemand,  se  résume  en  cette  formule  :  La  force 
précède  et  conditionne  le  droit.  Macht  geht  vor  Recht.  Les  parrains  immé- 
diats de  cette  abominable  conception  s'appellent  Bernhardi,  Treitschke, 
Nietzsche.  Mais,  pour  découvrir  la  source  lointaine,  il  faut,  par-delà 
Hegel,  remonter  jusqu'à  Spinoza  et  Hobbes  qui  ont  commencé  de 
répandi'e  en  Europe  le  culte  de  la  force  et  de  la  puissance.  J'aime  à 
croire  que  l'un  et  l'autre,  s'ils  revenaient  un  moment  en  ce  monde, 
rougiraient  de  leur  descendance  intellectuelle,  car  l'un  et  l'autre 
étaient  des  hommes  pacifiques  et  doux.  Cependant,  à  la  lumière  crue 
des  conséquences  monstrueuses  tirées  de  leur  doctrine  par  des  dis- 
ciples logiques  jusqu'au  bout,  on  est  en  droit  de  conclure  que  la  source 
d'où  elles  découlent  est  empoisonnée. 


20    SYMPATHIES    EN    ALLEMAGNE. 

I.  —  En  Allemagne,  Hobbes  rencontra  aussi  des  admirateurs. 
Il  est  remarquable  que,  dès  1660,  un  professeur  jouissant  d'une  grande 
autorité,  Samuel  Pufendorf  ^,  ait  fait  mention  honorable  du  phi- 
losophe anglais.  C'est  lui  qui,  à  la  demande  de  l'Électeur  Palatin 
Charles-Louis,  inaugura  la  première  chaire  de  Droit  naturel  et  de  Droit 
des  gens,  créée  à  l'université  d'Heidelberg.  Dans  la  Préface  de  ses 
Eléments  de  Jurisprudence  universelle  *,  il  avoue  loyalerAent  «  qu'il 
doit  beaucoup  au  De  Cive  de  Hobbes,  dont  l'hypothèse  a  sans  doute 
une  saveur  quelque  peu  irréligieuse,  iriais  contient  du  reste  bien  des 


L  Emile  Saisset,  Œuvres  de  Spinoza  traduites,  t.  I,  Introduction  critique,  V^  Partie, 
Sect.  XI,  La  Politique  de  Spinoza,  p.  215-216,  Paris,    18612. 

2.  Spinoza  a  indiqué  qu'il  se  séparait  de  Hobbes  :  1°  Dans  la  note  xxxiii  ajoutée  au 
chapitre  XVI  du  Tract,  theologico-politicus  :  Nam  certe  homo  eatenus  liber  est  quatenus 
ratione  ducitur.  At  (N  B.  aliter  Hobbesius)  ratio  paeem  omnino  suadet...  (Opéra, 
t.  II,  p.  189).  —  2°  Dans  la  Lettre  citée  plus  haut,  p.  474  et  n.  2. 

3.  Samuel  Pufendorf,  né  en  Saxe,  à  Chemnitz  (1632)  et  mort  à  Berlin(1694),  enseigna 
le  droit  dans  les  Universités  d'Heidelberg  et  deLund,  devint,  en  1676,  historiographe 
et  conseiller  de  l'électeur  de  Brandebourg,  Frédéric-Guillaume. 

4.  Elementa  Jurisprudentiœ  universalis  Libri  duo,  La  Haye,  1660  ;  léna,  1669.  La 
■  pagination  de  nos  références  .se  rapporte  à  l'édition  d'Iéna. 


SYMPATHIES    EN    ALLE3IAGNE    :    PCFEXDORF  481 

aperçu»  assez  ingénieux  et  sains  »  ^.  Avec  le  temps  son  admiration 
ne  fit  que  grandir  et  ses  réserves  s'accentuer.  Il  le  déclare,  avec  la 
même  franchise,  en  tête  de  son  principal  ouvrage  :  Du  Droit  de  la 
nature  et  des  gens,  publié  en  Suède,  où  il  avait  été  appelé  comme  pro- 
fesseur à  l'université  de  Lund.  ((  Thomas  Hobbes.  dans  ses  ouvrages 
relatifs  à  la  science  civile,  a  un  très  grand  nombre  de  conceptions 
du  plus  haut  prix.  Il  a  si  profondément  scruté  la  constitution  de  la 
société  humaine  et  civile,  que  peu  de  ses  devanciers  peuvent  soutenir 
la  comparaison  avec  lui  sur  ce  sujet.  Quiconque  a  l'intelhgence  de  ces 
matières  le  reconnaîtra.  Là  même  où  il  s'écarte  du  vrai,  ses  écarts 
sont  utiles,  car  ils  donnent  lieu  à  des  réflexions,  qui  autrement  ne 
seraient  peut-être  venues  à  l'idée  de  personne.  Les  dogmes  horribles 
qui  lui  sont  propres,  dogmes  qu'il  a  forgés  en  traitant  de  la  religion, 
liù  ont  attiré,  non  sans  raison,  l'aversion  d'un  grand  nombre.  Cepen- 
dant l'on  constate  (et  le  fait  n'est  point  rare)  qu'il  est  condamné 
avec  le  plus  de  hauteur  par  ceux-là  mêmes  qui  l'ont  le  moins  lu  ou 
compris  »  ^. 

Pufendorf  a  défendu  et  suivi,  sur  bien  des  points,  les  idées  de 
Hobbes  ".  Par  exemple,  lorsqu'il  s'agit  de  déterminer  la  cause  effi- 
ciente du  di'oit.  Cette  cause,  il  la  cherche  dans  le  décret  d'un  supé- 
rieur, au  Heu  de  recourir  à  la  nature  des  choses  et  aux  principes  éter- 
nels de  la  raison  divine.  Thèse  étrange  et  qui  prête  à  l'objection,  comme 
le  lui  reproche  vi^  ement  Leibniz  ^.  Selon  Pufendorf,  <(  le  devoir  est 
l'action  de  l'homme  qui  se  conforme  comme  il  faut  au  précepte  des 
lois  e^  raison  de  l'obhgation  qui  s'y  rattache  »  ^.  Et  il  définit  la  loi 
«  le  décret  par  lequel  un  supérieur  oblige  ceux  qui  lui  sont  soumis 
à  conformer  leurs  actions  à  ses  prescriptions  »  ^.  Or,  comme  pour 
Pufendorf,  «  devoir  et  acte  prescrit  par  la  justice  ont  la  même  exten- 

1.  Nec  parum  debere  nos  profitemur  ThoM/E  Hobbes,  cujus  hypothesis  in  libro  de 
Cive  ©tsi  uescio  quid  profani  sapiat,  pleraque  tamen  caetera  satis  arguta  et  sana.  (Ele- 
menta  JuriaprudetUiœ...,  Prsefat.,  eirca  fmem.  Dans  l'édition  d'Iéna,  Px-aefat.  [non 
paginée],  p.  5-6). 

2.  Sic  et  Thomas  Hobbes  in  operibus  suis  ad  ci\'ilem  scientiani  spectantibu-s  plurima 
habet  quantivis  pretii  ;  et  nemo,  oui  reruni  ejusmodi  est  intellectus,  negaverit,  tana 
profunde  ipsum  societatis  humanse  et  civilis  conipagem  rimatum  fuisse,  ut  pauci  prio- 
rum  cum  ipso  heic  comparari  queant.  Et  qua  a  vero  aberrat,  occasioneni  i  amen 
ad  talia  meditanda  suggerit,  quae  fortasse  alias  nemini  in  mentem  venissent.  Sed  quod 
et  hic  in  religione  peculiaria  sibi  et  horrida  dogmata  finxerit,  hoc  ipso  apud  multoa 
non  citra  rationem  sui  aversionem  excitavit.  Quanquam  et  illud  non  raro  cont ingère 
videas  ut  ab  illis  maxinio  cum  supercilio  condemnetur,  abs  cjuibiis  minime  lectus  fuit 
aut  intellectus  (S.  Pufendorf,  De  Jure.  Natur.e  et  Gentium  Libri  Octo,  Préface  [non 
paginée^,  p.  3,  circa  prinripium,  Lund,  1672). 

.3.  En  traitant  de  la  Philosophie  du  Droit  (Cf.  Tome  III)  nous  examinerons  en 
détail  la  doctrine  jiuidique  propre  de  Pufendorf.  Ici,  nous  ne  l'envisagerons  que  dans 
ses  rapports  avec  celle  de  Hobbes. 

4.  Cf.  Monita  quœdam  ad  Samuelis  Pufendorfii  Principia,  Gerh.  Waltr.  Molano 
direrta,  §  iv,  Edit.  Dutens,  t.  IV,  Part.  III,  p.  279-283). 

5.  Officium  nobis  heic  vocatur  actio  hominis  pro  ratione  obligationis  ad  praescriptum 
legum  recte  attemjjerata.  (S.  Pufendorf,  De  Officio  Hominis  et  Cv-is  juxta  Legetn 
naturalei»  Libri  duo.  Limd,  1073,  L.  II,  C.  1,  §  1,  p.  1). 

6.  Norma  illa  vocatur  lex,  quae  est  decretum  quo  superior  sibi  subjectum  obligat 
ut  ad  istius  praeceptum  actiones  suas  componat  (PuFENnoRF,  De  Officio...,  L.  II, 
C.  II,  §  2.  p.  19). 

31 


482  ARTICLE   III.   CHAPITRE   V.   PARTISANS   ET  ADVERSAIRES 

sion,  puisque  toute  sa  théorie  de  la  jurisprudence  naturelle  est  renfer- 
mée dans  la  doctrine  du  devoir,  il  s'ensuit  que  tout  droit  dépend 
des  décrets  du  supérieur  «  i.  C'est  «  un  paradoxe  »  renouvelé  «  de 
Hobbes  »,  et  Leibniz  s'étonne  que  «  quelqu'un  se  soit  rencontré  pour 
l'accepter  »  2. 

Pufendorf,  il  est  vrai,  paraît  enlever  son  venin  à  cette  détestable 
doctrine,  en  rattachant  la  justice  à  Dieu  même,  en  sa  quahté  de  Sou- 
verain universel.  Dieu  est  donc  le  garant  des  pactes  et  le  défenseur 
de  la  justice.  Mais  l'auteur  a  gâté  cette  rectification  qu'il  apporte 
à  la  théorie  hobbienne,  car  la  règle  des  actions  ou  la  nature  du  juste 
dépend,  d'après  lui,  du  bon  plaisir  divin,  et  non  des  vérités  éternelles 
présentes  à  l'intelligence  de  Dieu,  laquelle  ne  fait  qu'un  avec  son 
essence.  C'est  pourquoi  les  théologiens  ont  eu  raison  de  le  reprendre. 
Si  la  justice,  en  effet,  est  fondée  sur  un  décret  de  la  volonté  hbre  de 
Dieu,  elle  ne  peut  être  un  attribut  essentiel  de  la  Divinité.  Or  la  jus- 
tice a'  des  règles  d'égaUté  et  de  proportion  aussi  immuables  que  les 
lois  de  la  géométrie.  Si  l'on  soutient  que  la  justice  est  l'œuvre  du  bon 
plaisir  divin,  il  faut  le  dire  pareillement  de  la  vérité,  ce  qui  a  été  le 
paradoxe  inouï  de  Descartes.  Avec  une  indulgence,  qui  sent  la  commi- 
sération, I^eibniz  allègue,  en  faveur  de  Pufendorf,  cette  circonstance 
atténuante  :  «  Je  crois  qu'il  n'a  pas  aperçu  les  pernicieuses  conséquences 
de  son  erreur  »  ^. 

Si  l'on  prend  la  peine  de  comparer  entre  eux  les  Eléments  de  la 
Jurisprùchnce  (1660)  et  le  Devoir  de  V Homme  et  du  Citoyen  (1673)  *, 

1-2.  Et  quum  auctori  ofïicium  et  actus  a  justitia  prsescriptus  seque  late  pateant,  quia 
tota  ejus  jurisprudentia  naturalis  in  officii  doctrina  continetur,  consequens  erit  omne 
jus  a  superiore  decerni.  Quae  paradoxa  ab  Hobbio  potissimum  prodita,  qui  in  statu 
quem  vocat  naturali,  id  est  superioris  exserte,  onmem  justitiam  obligantem  tollere 
visus  est  (etsi  ipsé  variet),  miror  a  quoquam  adoptari  posse.  (Leibniz.  Monita...,  Loco 
citato,  §  IV,  p.  279,  circa  tnedium). 

3.  Equidem  medela  aliqua  videtiir  adferri  posse  huic  doctrinse,  considerando  Deum 
velut  omnium  superiorem,  quod  etiam  subinde  fit  ab  auctore...  Sed  tamen  ipsa  per  se 
doctrina  offensione  atque  errcre  non  caret,  quse  habet  jus  décrète  superioris  nasci, 
utcunque  excuses...  Sciendvim  est  Deum  ipsum  laudari  quod  justus  est,  adeoque  esse 
quandam,  imo  potius  esse  summam  ipsius  Dei  justitiam  ;  etsi  superiore  careat  et 
sponte  naturae  excellentis  omnia  bene  agat,  ut  nemo  de  eo  cum  ratione  queri  possit- 
Neque  ipsa  norma  actionum  aut  natm-a  justi  libero  ejus  decreto.  sed  ab  feternis  verita- 
tibus  divine  intellectui  objectis  pendet,  quae  ipsa,  ut  sic  dicam,  divina  essentia  consti- 
tuuntur  ;  meritoque  a  theologis  auctor  reprehensus  est,  quando  contrarium  défendit  ; 
credo,  quod  pravas  consequentias  non  perspexisset.  Neque  enim  justitia  essentiale 
Dei  attributum  erit,  si  ipse  jus  et  justitiam  arbitrio  suo  condidit.  Et  vero  justitia  servat 
quasdam  aequalitatis  proportionalitatisque  loges  non  minus  in  natura  rerum  immutabili 
divinisque  fundatas  ideis,  quam  suht  principia  Arithmeticse  et  Geometrise.  Neque  adeo 
justitiam  aut  bonitatem  quisquam  divini  arbitrii  esse  defendet,  nisi  qui  et  veritatem  : 
quod  paradoxon  inauditum  Cartesio  excidit,  insigni  documente  magnoa  posse  viros 
magnopere  labi  ;  quasi  scilicet  triangulum  sit  trilaterum,  aut  duo  contradictoria  incom- 
patibilia  sint,  aut  denique  ipse  existât  Deus,  quia  ita  Deus  jussit.  (Leibniz,  Monita..., 
Loco  citato,  p.  279,  circa  fine/n  ;  p.  280,  circa  principium). 

4.  De  Officia  Hominis  et  Civis  fuxta  legem  naturalem,  Lund,  1673.  —  Si,  pour  établir 
cette  comparaison,  je  choisis  le  De  Officio  plutôt  que  le  grand  œuvre  de  Pufendorf  :  De 
Jtire  Naturœ  et  Qentium  Lihri  octo,  c'est  parce  qu'il  lui  est  postérieur  et,  comme  le 
note  Heineecius,  qu'il  en  est  le  résumé.  Après  avoir  rencontré  chez  ses  collègues  à  l'Uni- 


SYMPATHIES    EN    ALLEMAGNE    :    PUFENDORE  483 

publiés  par  Pufendorf,  à  un  intervalle  de  treize  années,  on  constate 
quelques  variations  dans  la  manière  dont  il  s'inspire  des  idées  hob- 
biennes. 

Dans  le  premier  de  ces  deux  ouvrages,  notre  auteur  explique  fort 
correctement,  d'après  Aristote  et  les  Scolastiques,  le  sens  de  cette 
parole  traditionnelle  :  UJiomme  est  luiturellement  un  animal  sociable. 
En  voici  le  sens:  l'homme  est  destiné  par  la  natm'e  à  la  société  de  ses 
semblables,  laquelle  lui  convient  tout  à  fait  et  lui  est  grandement 
utile  ;  il  est  doué  en  outre  de  dispositions  natives  qui  lui  permettent 
de  devenir  apte,  moyemiant  culture,  à  se  bien  comporter  dans  l'état 
social.  Cette  aptitude  ne  concerne  pas  seulement  le  mariage  et  la 
société  familiale  ;  elle  s'étend  à  la  société  civile.  Tout  en  voulant 
absolument  que  de  pareilles  sociétés  existent  entre  les  hommes,  la 
nature  leur  a  laissé  le  soin  de  déterminer  librement  par  des  pactes 
le  genre  de  société  qui  leur  convient,  et  les  chefs  qui  doivent  les  gou- 
verner ^. 

Voici  en  quels  termes  Pufendorf  commence  la  réfutation  de  la  thèse 
adverse,  qui  se  résume  ainsi  :  «  Ce  n'est  point  la  nature  mais  l'éduca-  ) 
tion  qui  rend  l'homme  apte  à  la  société  «  ^.  Le  curieux  de  l'affaire 
c'est  que  les  termes  de  cette  thèse  sont  empruntés  à  Hobbes  lui-même  ^, 
sans  qu'il  soit  nommé*. 

Dans  l'ouvrage  postérieur,  le  Devoir  de  VHomme  et  du  Citoyen 
d'après  la  loi  naturelle^  la  position  prise  par  Pufendorf  est  beaucoup 

versité  de  Lund  une  vive  opposition,  de  la  part  notamment  du  jmùsconsulte  Nicolas 
Beckmann,  Pufendorf  finit  par  triompher,  et  ses  li\TQs  furent  parfout  commentés 
dans  les  Universités.  Le  De  Offlcio  devint  un  manuel  classique  pour  les  étudiants.-  — 
Voicî  le  témoignage  d'HEiNECCius,  le  commentateur  du  De  Offlcio  à  l'université  de 
Halle  :  At  tiiumphavit  demum  Pufendorffius  et  hostes  ejus  non  sine  œgritudine  animi 
viderunt  ejus  libres  ubique  prœlegi  in  Academiis  ;  contraxit  ergo  ipse  hoc  opus  [De 
Jure  Naturœ  et  Gentium]  indeque  edidit  libellum  De  Offlcio  hominis  et  civis  (FrceleC' 
tionea  Academicce  in  Sam.  Pufendorffii  De  Officio  Hominis  et  Civis  Libres  II,  Pro- 
LEQOMENA  :  Historici  Juris  naturœ  succincta,  §  iv,  p.  xv,  Berlin,  1742).  —  Johannes 
GoTTLiEB  Heineccius  (Heinecke)  (1681-1741)  professa,  avec  grand  succès,  le  Droit 
à  l'Université  de  Halle.  —  Pufendorf  a  parlé  de  ses  démêlés  à  Lund  avec  ses  collègues 
Scliwarz  et  Beckmann  dans  :  Eris  scandina,  qiia  adversus  Libres  De  jure  naturali  et 
gentium  objecta  diluuntur,  Francfort,  1686.  Mais  il  convient  de  contrôler  ses  assertions 
iiîtéressées  par  celles  de  ses'  adversaires.  Cf.  vg.  :  N.  Beckmann,  Légitima  Defensio 
contra  Magistri  Samueiis  Pu',e.ndor{ii...  Calumniaa,  1677.  —  Jurisconaulti  Nigolai 
Beckmanni  Ad  y.  C.  Severin  Vildschutz  Malmogien.  aeu  Scandum  Epistola,  in  qiia 
ipsi  cordicitus  gratulatur  de  devicto  et  triumphato  Pufendorfio,  Hamboiu'g,  1678. 

1.  Senisus  itaque  triti  istius  :  Homo  natura  est  aniinal  sociale,  hic  est  :  hominem  a 
natiira  destinari  ad  societatem  sui  similium,  eamc|ue  ipsi  quam  maxime  congruam  esse 
atque  utilem,  eundomque  tali  prseditiun  ingénie  ut  per  cultiu-am  possit  recipere  apti- 
tudinem  recte  versandi  in  ista  societate...  Nec  intra  connu bia  et  familias  ista  aptitude 
consistit,  sed  etiam  ad  civitates  constituendas  sese  extendit...  Quales  societates  natui-a 
omninointerhominesesse  voluit  ;  etsi  hoc  in  arbitrio  hominum  fuerit  relictum  adeoque 
per  pacta  determinandum  quse  individua  ciii  societati  sint  adjungenda,  aut  quis  iisdem 
gubernandis  prseficiendus  (Pufendorf,  Elementa  Jurisprudcntiœ...,  L.  II,  Observât. 
III,  §  IV,  p.  401). 

I  2.  Disciplina  autem,  non  natura,  hominëni  aptum  fîeri  ad  societatem  (Pufendorf, 
Elementa...,  Observ.  III,  §  4,  p.  400,  circa  finem). 

3.  Cf.  supra,  p.  372. 

4.  Au  §  v  de  l'Observation  III  (Cf.  Loco  citato,  p.  402-404),  Pufendorf  réfute  imo 
autre  thèse  qu'il  emprunte  encore  textuellement  à  Hobbes. 


484         ARTICLE    II [.    CHAPITRE   V.    PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

moins  nette.  Des  dispositions  natives  de  l'homme  il  ne  résulte  plus 
qu'il  est  destiné  et  à  la  vie  familiale,  qui  constitue  le  noyau  social 
primitif,  et  à  la  société  civile,  s'il  le  veut,  mais  seulement  à  la  première  ^. 
Pufendorf  aurait  dû  distinguer  entre  l'individu  et  la  collectivité. 
Pour  chaque  particulier  considéré  isolément,  il  n'y  a  pas  nécessité 
de  former  une  famille  ou  d'entrer  en  société  ;  mais  pour  l'humanité 
c'est  moralement  nécessaire,  si  on  l'envisage  d'ensemble. 

Autre  exemple  :  Dans  les  Eléments,  Pufendorf  nie  catégoriquement 
i'existence  de  l'état  de  nature  ;  bien  plus,  appeler  naturel  un  pareil 
état  lui  paraît  «  presque  contradictoire  dans  les  termes  et  tout  à  fait 
•incongru  «  '^. 

Si  l'on  ouvre  le  Devoir,  on  constate  que  l'attitude  de  l'auteur  n'est 
plus  la  iliême  :  il  éprouve  le  besoin  de  recourir  à  des  distinctions.  Si 
l'on  parle  du  genre  humain  tout  entier,  pris  en  masse,  il  est  manifeste 
qu'il  n'a  jamais  connu  l'état  de  nature  ^.  Mais  cet  état  a  existé  primi- 
tivement, lorsque  les  familles  patriarcales  vivraient  séparées,  et  il 
existe  encore  aujourd'hui  entre  les  différents  États  ^.  Dans  ces  deux 
cas,  il  y  a  absence  d'un  supérieur  commun,  capable  de  trancher 
souverainement  les  différends,  cj^ui  pouvaient  surgir  jadis  entre  les 
familles  isolées,  et  qui  peuvent  naître  actuellement  entre  les  États 
indépendants. 

On  remarquera  que,  dans  les  questions  précédentes,  Pufendorf, 
en  avançant  en  âge,  a  modifié  ses  idées  dans  un  sens  qui  le  rapproche 
de  Hobbes.  Voici  un  exemple  en  sens  contraire. 

Dans  les  deux  ouvrages  que  nous  comparons,  Pufendorf  proclame 
que  le  pouvoir  souverain  est  absolu  et  indivisible.  Conformément  à  ce 
principe,  fondamental  dans  le  système  hobbien,  il  enseigne,  dans  les 
Eléments,  qu'un  prince,  dont  les  actes  sont  soumis  à  un  contrôle  popu- 
laire, n'a  pas  un  pouvoir  souverain.  Quel  que  soit  le  titre  brillant  dont 
il  soit  décoré,  ce  n'est  qu'un  gérant  des  affaires  publiques  et  un  vice- 
roi  ^.  Voilà  du  pur  Hobbisme,  et  c'est  parfaitement  logique. 

1.  ...  Non  siifficit  dixisse  :  hominera  per  naturam  ipsam  rapi  ad  societatem  civileni, 
ut  citra  eam  nec  possit  iiec  \'elit  vivere...  Et  quauquam  extra  societate^n  cum  suis  simi- 
libus  honio  erat  fiuuru8  animal  longe  misscrimum,  tamen,  cum  naturalibus  desideriis 
et  necessitatibus  hominis,  per  primas  societates  et  per  officia  ex  humanitate  aut  pactis 
prsestita,  abunde  "pôtuerit  satisfieri,  non  statim  ex  socialitate  hominis  inferri  potest  ejus 
indolem  prsecise  ad  societatem  civilem  ferri  (Pufendobf,  De  Officio...,  L.'  II,  C.  V,  §  2, 
p.  176-177).  Les  mots  que  noiis  avons  soulignés  montrent  à  quelle  contradictioi.  Pufen- 
dorf a  été  acculé  ;  c'est  la  conséquence  de  la  position  équivoque  qu'il  a  prise. 

2.  Enimvero  cum  in  tali  statu  [naturœ]  homines  nunquam  extiterint  nec  ex  inten- 
tione  Creatoris  unquam  existere  debuerint,  incongrue  admodum  et  vix  citra  contradic- 
tionem  hic  vocartiu-  status  naturae  (Piifendorf,  Elementa...,  Libr.  II,  Observât.  III, 
§  6,  p.  406,  circa  principiiim). 

3.  Manifestmii  quippe  est  universum  genus  humanum  nunquam  simul  et  semel  in 
statu  naturali  extitisse  (Pufendorf,  De  Officio...,  L.  il,  C.  I,  §  7,  p.  153). 

4.  Qualis  status  [natura?]  jam  inter  diversas  civitates  ac  cives  diversarum  rerum- 
publicarum  existit,  et  quondam  inter  patresfamilias  segi-eges  obtinebat.  (Pufendorf, 
De  Officio...,  L.  II,  C.  I,  §  6,  p.  153,  circa  fnem). 

5.  Nam  qui  omnino  in  acta  principum  inc^uirere  voluit  populus,  is  expresse  se  reser- 
vavit  facultatem  proprio  jure  conventus  super  ea  re  agitandi,  ac  certas  prsescripsit 
formulas  ad  quas  illa  forent  exigenda.  Atqui  talis  ubi  princeps  est,  is  summum  impe- 
rium  haudquaquam  habet  et  magistratus  proprie  dicti  vicem  duntaxat  gerit,  quocun- 


SY:^rPATHIES    EN    ALLE>L4.GXE    :    PUFEXDORF  4."  5 

Si,  après  avoir  lu  ce  passage  formel  des  Eléments,  on  en  cherche 
la  confirmation  dans  le  Devoir,  on  est  agréablement  surpris  de  ne  Y  y 
point  trouver.  Ce  qui  frappe  tout  d'abord  c'est  l'insistance  axec  laquelle 
Pufendorf  rappelle  le  principe  de  l'indivisibilité  du  pouvoir  ^.  Dès  lors 
on  s'attend  à  le  voir,  quand  il  en  viendra  aux  appHcations,  repro- 
duire fidèlement  sa  doctrine  antérieure.  Cette  prévision  est  complète- 
ment trompée.  Car,  par  une  contradiction  qui  fait  plus  d'honneur 
à  son  bon  sens  qu'à  sa  logique,  Pufendorf  affirme,  sans  sourciller,  que 
le  pouvoir  souverain  (ce  summum  imperinm  qu'il  proclamait  aupara- 
vant absolu  et  indivisible)  se  présente  sous  deux  formes  :  l'une,  abso- 
lue ;  l'autre,  limitée  '^.  Puis,  pour  justifier  l'existence  des  gouverne- 
ments tempérés,  que  Hobbes  réprouve,  il  constate  que  l'intelhgence 
d'un  homme,  seul  juge  et  maître  de  ses  actes,  est  sujette  à  l'erreur 
et  cpie  sa  volonté  peut  facilement  tourner  au  mal.  C'est  pourquoi  il 
a  paru  bon  à  plusieurs  peuples  de  circonscrire  en  des  hmites  bien  déter- 
minées l'exercice  du  pouvoir  pohtique  :  ils  ont  astreint  le  roi,  au  mo- 
ment où  il  fut  choisi,  à  suivre  certaines  lois  dans  l'administration  du 
royaume  et  se  sont  réservé  le  soin  de  participer  par  eux-mêmes  ou 
par  leurs  députés  au  règlement  de  certaines  affaires  d'intérêt  général.  . 
Le  roi  y  gagne  aussi,  car,  par  ces  précautions,  l'on  chminue  le  nombre 
des  occasions  qui  l'exposent  à  des  aberrations  nuisibles  au  salut  du 
royaume  ^.  Il  faut  donc  féhciter  Pufendorf  de  n'avoir  pas,  fût-ce  au 
prix  d'une  inconséquence,  admis  finalement  ^  la  thèse  absolutiste  de 
Hobbes. 

En  matière  religieuse,  Pufendorf  se  pose  en  antagoniste  de  Hobbes. 
Nous  l'avons  déjà  entendu  qualifier  ((  les  dogmes  particuliers,  qu'il  a 
forgés  )),  d' «  horribles».  Sur  la  question  de  l'existence  de  Dieu,  sur  la 

cjue  fiilgeat  titulo  ;  quemadmodum  et  ille,  qui  cirea  negotia  piiblica  aiit  sàiteni  gra- 
\iora  nihil  decernere  potest,  nisi  consensu  expresse  populi  aut  ejus  deputàtonim  seu 
statimm,  suo  jure,  non  precario,  in  consilio  sedentiuni.  (Pufendorf,  Eletrunta...,  L.  II, 
Observât.  V,  §  20,  p.  506,  circa  prin''ipiitm). 

1.  nias  sunt  (formse  civitatis  regulares]  ubi  imperium  summum  in  iiuo  .subjecto  ita 
est  unitum  ut  illud  indivisum  et  inconvulsum  ab  una  voluntate  per  onu\es  civitatis 
partes  atque  negotia  sese  dispenset.  (Pufexdorf,  De  Offich...,  L.  II,  C.  VIII,  §  2, 
p.  193).  —  a.  Ibidem,  C.  VII,  §  7,  p.  192. 

2.  Prseterea  summvma  imperium,  in  Monarchiis  potissinnum  et  Aristocratiis,  alicubi 
absolutum,  alicubi  limitatum  deprehenditur.  (Pufendorf,  De  Offlcio...,  L.  II,  C.  IX, 
§  5,  p.  200). 

3.  Verum,  quia  unius  hominis  judioium  ab  erroribus  non  est  immune,  et  \oluntas  in 
pra\  a  flexilis,  in  tanta  cumprimis  liberîate,  quibusdam  populis  consultum  visuin  ejus 
imperii  exercitium  certis  limitibus  circumscribere.  Id  quod  factum,  dum  ad  certas  leges 
circa  administrationem  partium  imperii,  in  delatione  regiai,  regem  adstrinxerunt ,  et 
si  quando  negotia,  ad  summam  renmi  spectantia  quseque  in  antecessum  definiri  neque- 
unt,  inciderent,  voluerunt  ea  puscipi  non  nisi  praesciente  et  consentiente  populo  aut 
ejusdom  doputatis  in  comitia  convocatis,  ut  eo  minor  occasio  régi  praibeatur  a  sainte 
regni  aberrandi.  (Pufendorf,  De  Officio...,  L.  II,  C.  IX,  §  6,  p.  200). 

4.  Le  reproche  d'absolutisme,  que  Leibniz  adresse  à  Pufendorf,  dans  le  i^assage  sui- 
vant, est  trop  général  ;  il  n'est  mérité  que  pour  la  première  période  de  .sa  carrière  : 
Pufendorfius  in  quibusdam  Hobbesianarum  opinionum  retinentior  fuit  i|uam  psr 
■erat.  Dum  enim  illud  dogma  de  necessitate  unius  personae  civilis  cuncta  gubernantis 
admisit,  nostram  rempublicam  aliasque  multas  pro  monstris  habuit.  (Lettre  de  Leibniz 
à  Bierl  ng,  Hanovre,  7  juillet  1711.  Ed.  Gehrardt,  t.  VII,  Lettre  V,  p.  499). 


486         ARTICLE   III.    CHAPITRE    V.    PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

nature  de  ses  attributs  et  sur  les  devoirs  de  l'homme  envers  Lui, 
il  s'est  montré  non  moins  intransigeant.  Il  professe  sans  ambages 
que  «  ceux  qui  s'attaquent  à  la  croyance  en  Dieu  commettent  une 
impiété  détestable  et  qui  doit  être  réprimée  par  les  peines  les  plus 
[  graves  »  ^.  Il  conclut  son  exposé  de  l'origine  des  sociétés  en  faisant 
j  remarquer  que  le  pouvoir  civil  vient  de  Dieu  ^.  Tout  un  chapitre  est 
consacré  à  la  rehgion  naturelle,  où  il  parle  correctement  des  attributs 
divins  et  des  relations,  c'est-à-dire  du  culte  intérieur  et  du  culte  exté- 
rieur qui  doivent  unir  l'homme  à  Dieu,  son  Créateur  et  Seigneur, 
dont  la  Providence  gouverne  le  monde  ^. 

S 'étant  placé,  dans  les  Eléments  et  le  Devoir,  au  point  de  vue  de 
l'ordre  naturel,  Pufendorf  n'avait  pas  à  aborder  la  question  des  rap- 
ports de  l'Église  et  de  l'État  *.  Il  l'a  fait,  ex  professa,  dans  un  ouvrage 
postérieur,  paru  bien  longtemps  après  sous  ce  titre  :  Relation  de  la 
Religion  chrétienne  à  la  vie  civile  ^.  La  position  adoptée  par  lui  est 
intermédiaire  entre  la  doctrine  cathohque  ou,  comme  il  dit,  «  romaine  », 
qui  soutient  que  l'Église  fondée  par  Jésus-Christ,  société  parfaite 
dans  son  genre,  est  indépendante  de  l'État,  et  le  système  de  Hobbes, 
lequel,  absorbant  l'Éghse  dans  l'État,  soumet  au  pouvoir  des  princes 
les  questions, religieuses  aussi  bien  que  les  civiles^. 

Pufendorf  n'a  fait,  en  somme,  que  résumer  clairement,  en  y  appor- 
tant quelques  précisions,  la  doctrine  luthérienne  qui  avait  générale- 
ment cours  de  son  temps.  La  voici  dans  ses  traits  fondamentaux. 

La  Cité  pohtique  comprend  l'Éghse  dans  son  sein  (Civitas  Eccle- 
siam  sinu  suo  complectitur ) .  En  y  entrant  l'Église  garde  le  caractère 
d'association  (collegium)  qu'elle  avait,  mais  ne  devient  pas  un  état 
proprement  dit  (In  plénum  autem  statum...  liant  abit.  Cf.  De  Hahitu 

1.  ...  Eorum,  qui  isthanc  [persuasioneïn  generis  huniani  de  colendo  Deo]  convellere 
quocunque  modo  aggrediuntur,  impietas  maxime  est  detestanda  et  gravissimis  pœnis 
coercenda.  (Pufendorf,  De  Offlcio...,  L.  T,  C.  IV,  §  2,  p.  38,  circa  médium). 

2.  Ista  tamen,  quse  super  origine  civitatum  tradita  sunt,  non  obstant  quo  minus 
imperium  civile  a  Deo  esse  recte  dicatur.  (Putendorf,  De  Offlcio...,  L.  II,  C.  VI,  5  14, 
p.  188). 

3.  Cf.  Pufendorf,  De  Officio...,  L.  I,  C.  IV,  p.  37-47. 

4.  Mais  Pufendorf  aurait  pu  traiter  des  rapports  de  "la  Religion  et  de  l'Etat  dans 
l'hypothèse  de  l'ordre  naturel.  Ce  qu'il  n'a  pas  fait  dans  le  De  Officio,  il  l'a  fait  briève- 
ment, mais  catégoriquement,  dans  le  De  hahitu  religionis  christianœ  ad  vitam  civilem, 
au  §  VI,  p.  17-20,  qui  est  intitulé  :  Gives  non  stimmiserunt  suam  volnntatem  voluntati 
summorum  imperantium  circa  sacra.  Il  admet  donc,  à  l'encontre  de  Holjbes,  que  le 
domaine  des  choses  sacrées  n'est  point  compris  dans  le  contrat  primitif,  base  de  la  société. 

5.  Pufendorf,  De  Hahitu  Religionis  Christianœ  ad  vitam  civilem  Liher  singularis, 
Brème,    1687. 

6.  Aliis  contra  persuasum  fuit  Ecclesiam  cum  ipsa  civitate  plane  confundi  atque 
uniri,  postquam  Principes  juxta  civesqiie  nomina  sua  Christo  dederunt,  sic  ut  istis 
pari  jure  circa  negotia  sacra  quam  civilia  disponere  fas  sit.  (Pufendorf,  De  hahitu 
Religionis  christianœ  ad  vitam  civilem,  Dedicat.  Epist.  [non  paginée],  p.  9,  circa  finem,). 
Cette  Dédicace  est  adressée  à  son  Maître  (Domino  meo),  Frédéric-Guillaume,  marquis 
de  Brandebourg,  prince  électeur  de  Prusse.  —  Aii  même  endroit,  (vers  le  haut  de  la 
page),  Pufendorf  oppose  à  ces,  «  aliis  »  la  doctrine  de  ceiix  qui  veulent  qiie  l'Eglise  soit 
indépendante  :  Aliis  quippe  Ecclesia  in  civitate  velut  peculiaris,  separatus  et  indepen- 
dens  status  coUocatur...  C'est  la  thèse  catholique  qu'il  a  en  vue,  mais,  en  l'exposant  en 
quelques  mots  dans  cette  Préface  et  en  la  combattant  çà  et  là  au  cours  de  l'ouvrage,  il 
la  défigure  et  la  travestit,  parce  qu'il  ne  la  voit  qu'à  travers  ses  préjugés  luthériens. 


SYMPATHIES    EN    ALLEMANGE    :    PUFENDORF  487 

Beligionis...  §  41,  p.  141).  Celui  qui  remplit  dans  l'État  la  fonction 
de  chef  suprême  n'a  pas,  au  point  de  vue  religieux,  comme  membre 
de  l'Église,  plus  de  droit  qu'un  simple  soldat  ^.' C'est  pourquoi  les 
Rois  ne  sont  ni  Évêques,  ni  Docteurs  de  l'Église  (§  42)  ;  ils  doivent 
la  défendi'e  et  pourvoir  à  ses  besoins  (suppetant  necessariœ  impensœ) 
{§  43,  p.  145,  circa  médium).  Les  princes,  accordant  à  l'Église  droit 
de  vivre  dans  leur  domaine,  ont  sur  elle  le  droit  d'inspection  qu'ils 
exercent  sur  les  autres  associations.  Il  faut  en  effet  qu'ils  sachent 
quelles  affaires  on  traite  et  comment  on  les  traite  dans  les  assemblées, 
de  prêtres  ou  dans  l'audience  épiscopale.  Ils  ne  peuvent  se  désinté- 
resser notamment  des  causes  matrimoniales  (§  44,  p.  147).  Les  Doc- 
teurs de  l'Éghse,  comme  tels,  ne  sont  pas,  ù  proprament  parler,  les 
officiers  du  roi,  mais  les  serviteurs  du  Christ  ;  ils  sont  ministres  do 
l'Éghse  et  non  de  l'État  (Sed  Dodores  Ecclesiœ  ut  taies  7ion  sunt 
proprie  dicti  officiales  régis,  sed  sunt  servi  Christi,  ac  ministri  Ecclesiœ, 
non  Civitatis).  L'Éghse  a  le  droit  de  choisir  ses  ministres  ;  mais  l'État 
a  la  faculté  de  s'assurer  si  les  candidats  sont  dignes  d'être  élus,  et 
d'assister  aux  élections,  dans  la  personne  de  ses  délégués  (§  45,  p.  150), 
Dans  l'intérêt  de  la  paix  pubhque,  en  cas  de  controverses  divisant 
les  esprits,  il  appartient  aux  princes  de  convoquer  les  synodes,  de 
les  présider  et  de  les  diriger  (§  46,  p.  153)  ;  il  leur  appartient  encore 
de  réformer  la  discipline  en  cas  de  relâchement  scandaleux  ;  de  décider 
quels  déhts  relèvent  de  la  loi  civile,  quels  de  la  loi  ecclésiastique 
(§  47,  p.  154)  ;  de  supprimer  les  canons  contraires  aux  droits  de  l'État 
ou  devenus  mutiles  (§  48,  p.  158).  Lorsqu'un  formulaire  de  foi  chré- 
tienne, qu'on  l'appeUe  catéchèses,  symboles  ou  confessions,  est  reçu 
dans  un  pays,  la  tranquilhté  de  l'État  demande  que  les  rois  aient  soin 
qu'il  soit  maintenu  conforme  aux  Saintes  Écritures  ^.  S'il  n'en  existe 
pa.s,  que  les  prmces  en  fassent  rédiger  un  par  les  Docteurs  les  plus 
capables.  Tous  les  citoyens  devront  l'approuver  et  le  professer  ^. 
Si  quelqu'un  ose  l'attaquer,  on  doit  imposer  silence  au  dissident, 
et  s'il  persiste  à  propager  son  opinion  particuhère,  il  faut  le  bannir 
du  royaume,  dont  il  compromet  l'unité  et  la  paix  (§  49,  p.  162).  Cepen- 
dant, si  les  dissidents  sont  nombreux  dans  un  État,  on  peut  les  tolérer, 
et  même  on  y  est  tenu,  en  certains  cas,  pour  ne  pas  apporter  de  grands 
troubles  dans  la  société  ou  nuire  gravement  à  ses  intérêts  en  réduisant 
trop  le  chiffre  de  la  population.  Mais,  pour  bénéficier  de  cette  tolé- 
rance, ils  doivent  être  des  citoyens  paisibles,  amis  de  la  vertu,  et  ne 
professer  aucun  dogme  qui  soit  opposé  aux  prérogatives  du  ,Souverain 

1.  Sic  qui  supremi  ducis  munere  in  civitate  funguntur,  idem  in  Ecclesia  haut  plus 
juris  obtinet  quam  gregarius  miles  (De  Habitu...,  §  41,  p.  142,  circa  médium).  On 
remarquera  que  Pufendorf  emploie  l'archaïque  luiut  au  lieu  de  haud. 

2.  Unde  id  demuna  juris  cura  tranquiUitatis  publicre  regibus  dat  ut,  quœ  publiée 
recepta  suut  doctrinae  christianœ  compendia,  catechoseon,  symbolorum,  confessionum, 
aut  quocunque  vocabulo  veniant,  ad  normam  Sacrarum  Literarum  probe  exigi  curent... 
(De  Habitu...,  §  49,  p.  166,  circa  médium). 

3.  Ubi  ejuamodi  publica  formula  fidei  non  extet,summorum  imperantium  est  operam 
dare  ut  per  rerum  divinanim  peritissimos  aliqua  componatur,  ab  omnibus  civibus  appro- 
banda  et  profitenda,  ad  quam  etiam  quicunque  docendi  munere  funguntur,  sint  ad- 
stringendi.  (De  Habitu...,  p.  §  49,  166-167). 


488         ARTICLE   III.    —   CHAPITRE   V.    PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

et  à  l'obéissance  qui  leur  est  due,  ou  excite  à  la  sédition  (§  50,  p.'168^  i. 
On  voit  par  ce  résumé  que  Pufendorf  a  tempéré  la  thèse  de  Hobbes 
qui  identifie  l'Église  avec  l'État  :  c'est  l'absorption  du  sacré  par  le 
■profane.  Plus  modéré,  notre  juriste  met  l'Église  sous  la  tutelle  de 
l'État  :  c'est  la  sujétion.  Quel  contraste  avec  la  thèse  cathohque 
qui  a  pour  formule  :  l'union  de  l'Église  et  de  l'État.  Les  clauses  de 
cette  alliance  se  ramènent  aux  suivantes  :  1^  Distinction  des  deux 
puissances,  qui  restent  souveraines  chacune  dans  sa  sphère  propre  : 
l'Église,  dans  l'ordre  des  choses  spirituelles  ;  l'État,  dans  l'ordre 
des  choses  temporelles.  — 2°  Concours  :  elles  s'unissent  pour  s'entr'aider. 
• —  3°  Suhordiyiation  de  l'État  à  l'Église,  dans  les  questions  mixtes, 
c'est-à-dire  celles  où  l'élément  religieux  est  mêlé  à  l'élément  poli- 
tique. Cette  dernière  clause  est  la  conséquence  nécessaire  de  la  nature 
•des  deux  sociétés  en  contact  et  de  leurs  fins  spéciales.  La  fin  immé- 
diate de  l'État  est  d'assurer  la  tranquilhté  et  la  prospérité  tempo- 
relles ;  la  fin  immédiate  de  l'Église  est  de  procurer  le  salut  éternel  des 
âmes.  La  première  est  essentiellement  subordonnée  à  la  seconde  qui  se 
confond  avec  la  fin  suprême  et  dernière  de  l'homme.  Pas  conséquent 
dans  les  matières  mixtes  l'Éghse  doit  prévaloir,  puisque  l'élément  reh- 
gieux  l'emporte  en  excellence  sur  l'élément  pohtique.  Cette  combinai- 
son, résultaht  de  la  nature  même  des  choses,  sauvegarde  la  dignité  des 
deux  sociétés  en  présence  :  l'État  n'abdique  aucun  de  ses  droits  réels, 
car,  dans  son  domaine  propre,  il  demeure  le  maître  ;  l'Église,  ayant  la 
liberté  de  ses  mouvements  dans  la  sphère  qui  est  sienne,  échappe  à  la 
servitude  déshonorante  à  laquelle  Hobbes  et  Pufendorf  la  condamnent 
plus  ou  moins.  Cette  conception  ^  ne  mérite  donc  aucunement  les 
attaques  dont  ce  dernier  l'a  çà  et  là  gratifiée  en  la  présentant  sous  des 
couleurs  fausses  ou  d'une  façon  incomplète  au  cours  de  son  De  Hahitii. 

Ce  que  nous  avons  dit  suffira,  croyons-nous,  à  faire  comprendre 
combien  Pufendorf  a  eu  raison  de  reconnaître  «  qu'il  devait  beaucoup 
à  Hobbes  ».  Qu'il  l'attaque,  le  reproduise  ou  l'adapte,  il  ne  nomme 
pas  son  devancier  et  ne  renvoie  jamais  à  ses  ouvrages.  Il  a  jugé  suffi- 
sant et  plus  commode  ^  de  proclamer  sa  dette,  en  bloc,  une  ou  deux 
fois  pour  toutes  *. 

1.  Aliquando  enim  tanta  est  multitudo  dissentientiuni  ut  sine  insigni  diminutione 
nostrse  civitatis  expelli  iiequeant...  Igitur  merito  supersedet  [Princeps]  ejusmodi  média 
extirpandorum  erronim  adhibere,  quibiis  civitas  turbatur  ant  debilitatiu-...  Id  tamen 
ab  istis,  qui  tolerari  in  civitate  volunt,  utique  i  equi'itnr  ut  bonos  se,  modestes  et 
quieàs  virtutisque  amantes  cives  exhibeant,  ne?  suœ  religioni  admixta  habeant  dog- 
mata,  quibus  aliquid  detrahitur  juribus  summorum  imperantium  aut  obsequio  iisdem 
debito,  et  per  quœ  cives  ad  seditiones  turbasve  movendas  disponantur.  (De  Habitu..., 
§  50,  p.   168  ;   169). 

2.  Cf.  G.  Sortais,  Etvdes  philosophiques  et  sociales,  Ch.  I,  §  iv  et  v,  p.  28-40. 

3.  Quos  [Grotius  et  Hobbes]  heic  velut  in  universuni  allegasse  voluimus  ;  in  ipso 
autem  opère,  quoties  eorundem  expressa  fuit  sententia,  ipsos  nominare  supersedimus, 
quia,  prœter  taedia  crebras  citationis,  rationes  eorum  potius  quam  authoritatem  secuti 
sumus.  (Elernenta  Jnrispmdentiœ,  Praefat.,  circa  finern.  Edit.  d'Iéna,  Praef.  [non  pagi- 
née], p.  6).  Quoiqu'il  n'ait  pas  renouvelé  cette  déclaration,  Pufendorf  s'est  comporté  de 
même  dans  le  De  Officia. 

4.  Cf.  supra,  p.  480-481.  —  La  Bibliotheca  Juris  Imperantium,  après  avoir  fait  de 
graves  réserves,  exagère  le  mérite  de  Hobbes  et  peiit-être  la  dette  de  Pufendorf  :  Ab  his 


SYMPATHIES    EN    ALLEMAGNE    :    LEIBNIZ  489 

Sans  doute,  en  matière  religieuse,  Pufendorf  fausse  compagnie  au 
philosophe  anglais  ;  en  matière  politique,  sa  tendance  dominante 
est  d'édulcorer  sa  doctrine.  Mais  en  lisant  les  traités  de  Pufendorf 
on  sent  qu'il  s'était  profondément  imprégné  des  écrits  de  Hobbes. 
Partout  l'on  devine  l'influence  plus  ou  moins  atténuée  du  philosophe 
de  Malmesbury  ;  souvent  les  expressions  sont  les  mêmes  ;  parfois  des 
passages  entiers  sont  transcrits  textuellement  ^. 

II.  —  Leibniz,  au  contraire,  n'est  pas  le  débiteur  de  Hobbes  ; 
aussi  n'est-ce  point  de  la  reconnaissance  qu'il  lui  témoigne,  mais  de 
l'admiration.  Cette  admiration  d'ailleurs  s'^^dresse  surtout  au  talent 
de  l'auteur  ;  car  elle  est  accompagnée  des  plus  fortes  réserves  sur  la 
plupart  de  ses  doctrines. 

On  connaît  deux  Lettres  de  Leibniz  à  Hobbes  ^.  Il  est  impossible 
de  juger  d'après  elles  de  ce  qu'il  pensait  véritablement  du  philosophe 
anglais,  parce  que  ce  sont  des  lettres  de  jeunesse,  écrites  avec  toute 
la  déférence  ^  d'un  inconnu  désireux  d'entrer  en  relations  avec  un 
illustre  philosophe.  La  note  admira tive  y  est  forcée  et  les  objections 
présentées  avec  une  timidité  respectueuse. 

Leibniz  commence  par  cette  flatteuse  déclaration  :  il  croit  avoir  lu 
la  plupart  des  ouvrages  de  Hobbes,  et  il  en  a  profité  autant  que 
d'un  petit  nombre  d'autres  écrits  de  leur  siècle  *.  Plus  loin,  il  dévoile 
à  son  correspondant  le  secret  de  ses  tendances  intellectuelles  :  «  Je  ne 
suis  point  de  ceux  que  les  paradoxes  effrayent  ou  que  les  attraits 
de  la  nouveauté  entraînent  irrésistiblement  »  ^. 

Il  approuve  en  général  la  théorie  du  mouvement  proposée  par 
Hobbes  ;  sur  certains  points,  notamment  «  sur  la  cause  de  la  consis- 


itaque  si  discedasnœvis,  qui  hominem  fuisse  iïo66iMOT  arguunt,  non  poteris  non  imnior- 
tali  eum  laude  dignum  prœdicare. .  Sine  eo  enim  nunquam  Puffendorfiuyn  in  tante 
faniœ  atque  honoris,  naturîe  autem  jura  in  tanto,  quo  nunc  sunt,  perfectionis  fastigio 
conspexissemus  (Bibliotheca  Juris  Iinperantium  qiadriparlita  sive  C'onmientatio  de 
Se  ip'onbus  Jiitium,  quihus  Summi  Imyeran'es  iituntur,  nat.nrae  et  gcntivm  publici 
unirersalis  et  Frincipi-m  privad,  p.  79,  Nuremberg,    1727. 

1.  Voici  ini  spécimen  :  Et  ut  in  pavica  rem  conferamus,  in  statu  naturali  quisque» 
l)ropriis  tantum  viribus  protegitur,  in  civitate,  omnium,  ibi  fructus  ab  industrie  sua 
nemini  certus,  heic  omnibus  ;  ibi  imperium  affectuum,  bellvim,  metus,  paupertas, 
fttditas,  solitudo,  barbaries,  ignorantia,  feritas  ;  hoic  imperium  rationis,  pax,  securitas, 
divitiœ.  ornatus,  societas,  elegantia,  scientise,  benevolentia.  (Pufendorf,  De  Officio..., 
I>.  II,  C.  I,  §  9,  p.  156).  —  Cf.  supra,  p.  422,  le  même  passage  dans  Hobbes,  De  Cive, 
C.  X,  §  1.  ■ 

2.  La  première  est  datée  de  Mayence,  13-22  jitillet  1670  ;  la  seconde,  écrite  de  Paris, 
est  postérieure  à  1670,  mais  sans  date  précise,  -r-  Elles  ont  été  publiées  par  Foucher  de 
Careil  dans  Nouvelles  Lettres  et  Opuscules  inédits  de  Leibnitz,  p.  186-194,  Paris,  1857. 

3.  ...  Non  potui  me  a  scribendo  retinere  ;  quod  si  intempestivum  factum  est,  silendo 
punire  poteris  ;  mihi  nihilominus  satis  erit  affectum  tcstari.  (Leibniz  à  Hobbes,  Lac. 
cit.,  p.  186,  CM'ca  principium). 

4.  Opéra  tua  partim  sparsim,  partini  junctim  édita  pleraque  me  logisse  credo,  atque 
ex  iis,  quantum  ex  aliis  nostro  seculo  non  multis,  profiteor  profecisse  (Leibniz  à  Hobbes, 
Loco  eitato,  p.  186,  eirca  principium). 

5.  Ego,  quem  neque  paradoxa  déterrent,  nec  novitatis  illecebrse  abripiunt...  (Leibniz 
à  Hobbes,  Loco  eitato,  p.  192,  circa  mediutn). 


490         ARTICLE    III.    CHAPITRE    V.   PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

tance  ou  cohésion  dans  les  choses  »,  il  avoue  son  hésitation  et  demande 
un  peu  plus  de  lumière  ^. 

Après  avoir  manifesté  l'espérance  que  Hobbes  donnera  au  public 
de  nouveaux  fruits  de  ses  méditations,  il  continue  :  «  Plût  au  ciel 
que  sur  la  nature  de  l'esprit  vous  eussiez  parlé  plus  clairement  !... 
Tout  bien  pesé,  je  crains  qu'on  ne  puisse  exphquer  la  véritable  sensa- 
tion, que  nous  éprouvons  en  nous-mêmes,  par  le  seul  mouvement  des 
corps  »  2. 

Non  content  de  repousser  discrètement  le  matériahsme  hobbien, 
Leibniz  veut  supposer  que  l'auteur  du  De  Cor'pore  admet  l'existence 
d'un  Dieu  Providence  du  monde.  Or,  cela  supposé,  Hobbes  ne  discon- 
viendra pas  sans  doute  qu'un  état  purement  naturel,  en  dehors  de 
toute  société,  est  impossible,  puisque  Dieu  est  le  commun  monarque 
de  tous  les  hommes.  «  C'est  donc  à  tort  »,  ajoute-t-il  complaisamment, 
«  que  certains  ont  lancé  contre  vos  hypothèses  l'accusation  d'impiété  »  ^. 
Dans  la  deuxième  Lettre  Leibniz  déploie  aussi  toute  la  bonne  volonté 
possible  pour  intei'préter  dans  un  sens  acceptable  les  opinions  de 
Hobbes  *. 

Mais,  pour  faire  digérer  au  difficile  philosophe'les  critiques  bénignes 
qu'il  a  gUssées  çà  et  là,  Leibniz  a  recours  aux  plus  vifs  éloges,  condi- 
ment d'ordinaire  très  efficace.  «  A  quoi  bon  vous  fatiguer  plus  long- 
temps de  mes  bagatelles  ?  [Joh  euphémisme  pour  quahfier  ses  réserves]. 
Je  finirai  donc  par  une  déclaration.  J'ai  proclamé,  ici  et  là,  devant 
mes  amis  et,  Dieu  aidant,  je  proclamerai  toujours,  même  en  pubhc, 
que  je  ne  connais  aucun  écrivain  plus  exact,  plus  clair  et  plus  distingué 
que  vous,  sans  excepter  même  Descartes  au  génie  divin  »  ^. 

Dans  la  Lettre  suivante,  Leibniz  n'est  guère  moins  excessif  :  «  Il  y  a 
longtemps  que  j'ai  manié  vos  écrits,  dignes  du  siècle,  dignes  de  vous, 
qui  avez  le  premier,  d'une  façon  lumineuse,  appliqué  à  la  discussion 
et  à  la  démonstration  de  la  science  civile  cette  méthode  exacte  entrevue 
confusément  par  les  anciens.  Mais  dans  l'opuscule  De  Cive,  vous  sem- 
blez  vous  être  surpassé  vous-même  :  vos  raisons  sont  si  vigoureuses, 

1.  In  quibusdam  tamen  fateor  nie  hsesisse,  maxime  autem  in  eo  quod  causam  consis- 
teutise  seu,  quod  idem  est,  cohaesionis  in  rébus  liquidam  redditam  non  deprehendi. 
(Leibniz. à  Hobbes,  Loco  citato,  p.  188,  circa  médium).  Leibniz  explique,  p.  188-189, 
sa  façon  de  concevoir  la  cause  de  la  cohésion,  après  avoir  critiqué  l'idée  que  Hobbes  se 
fait  de  la  «  réaction  n. 

2.  De  natura  mentis  utinam  etiam  aliquod  distinctius  dixisses  !...  Ut  proinde  verear 
ne,  omnibus  expensis,  dicendum  sit...  et  veram  sensionem,  quam  in  nobis  experimur, 
non  posse  solo  corporum  motu  explicari.  (Leibniz  à  Hobbes,  Loco  citato,  p.  190,  circa 
médium,  et  finem,). 

3.  ...  Nec  diffiteris,  supposito  mundi  rectore,  nuUum  esse  posse  hominum  statum 
pure  naturalem,  extra  omnem  rempublicam,  cum  Deus  sit  omnium  monarcha  commu- 
nis  ;  ac  proinde  non  recte  nonnuUos  hypothesibus  tuis  licentiam  impietatemque  im  • 
pingere.  (Leibniz  à  Hobbes,  Loco  citato,  p.  187,  circa  principiumj. 

4.  Cf.  Leibniz  à  Hobbes.  Opcre  citato,  p.  193-194. 

5.  Sed  quousque  te  nugis  mois  onerabo  ?  Desinam  igitur,  cum  illud  testatus  fuero, 
et  profiteri  me  passim  apud  amicos  et  Deo  dante  etiam  publiée  semper  professurum, 
scriptorem  me,  qui  te  et  «xactius,  et  clarius  et  elegantius  philosophatus  sit,  ne  ipso 
quidem  divini  ingenii  Cartesio  demti ,  nos.se  nullum.  (Leibniz  à  Hobbes,  Mayence, 
13-22  juillet  1670,  Loco  citato,  p.  191,  circa  principiumj. 


SYMPATHIES   EX   ALLEMAGNE    :   LEIBNIZ  491 

VOS  pensées  ont  tant  de  poids -que  souvent  vous  paraissez  plutôt 
rendi'e  des  oracles  qu'exposer  des  piincipes  »  ^. 

Tous  ces  compUinents  outrés  ne  sont  pas  autre  chose  que  de  l'eau 
bénite  de  cour.  Leibniz  a  cru  utile  à  son  but  d'en  asperger  abondam- 
ment ce  vieux  courtisan  qu'était  Hobbes.  J'en  trouve  la  preuve 
dans  une  autre  lettre  écrite,  à  la  même  époque,  à  Jacques  Thoma- 
sius  ^,  où,  dans  l'abandon  de  l'intimité,  il  montre  le  fond  de  sa  pensée. 
Il  félicite  son  ami  d'avoir  traité,  selon  son  mérite,  un  opuscule  dans 
lequel  l'auteur  semble  pleinement  adhérer  non  seulement  à  la  poh- 
tique,  mais  encore,  à  la  rehgion  de  Hobbes,  telle  qu'elle  est  esquissée 
dans  le  Léviathan,  «  ouvrage  monstrueux,  comme  le  titre  lui-même 
l'indique  »  ^. 

Leibniz  continua  sans  doute  à  rendre  justice  à  la  vigueur  intellec- 
tuelle de  Hobbes  qu'  «  il  considère  comme  l'un  des  plus  profonds 
esprits  du  siècle  »  "*.  Mais  le  temps  et  la  réflexion  ne  firent  qu'accroître 
sa  répulsion  pour  les  doctrines  pohtiques  et  rehgieuses  du  philosophe 
anglais.  Quelques  citations,  empruntées  à  différentes  époques  de  sa 
vie,  suffiront  à  le  prouver. 

Leibniz  vient  de  relever  les  déficits  du  traité  de  Droit  naturel  com- 
posé par  Pufendorf  pour  les  étudiants  (il  s'agit  du  De  0/jîcio  Hominis 

1.  Equidem  diu  est  quod  scripta  tua  versa vi,  digna  seculo,  digna  te,  qui  primiis  illam 
accuratam  disputandi  ac  demanstrandi  rationeni  veteribus  vel  per  transennam.  in- 
spectam,  in  civilis  scientisè  dara  luce  posuisti.  Sed  in  libello  de  Cive  teipsuni  superasse 
videris,  iis  rationum  nervis,  eo  sententiarum  pondère,  ut  ssepe  oraeula  potius  reddere 
quam  dogmata  tradere  credi  possis.  (Leibniz  à  Hobbes,  Loco  citato,  p.  192,  §  Equidem). 

2.  Jakob  Thomasen  (1622-1684),  né  et  mort  à  Leipzig,  enseigna  à  l'Université  de 
cette  ville  la  Philosophie  morale,  la  Dialectique  et  l'Eloquence.  Il  a  jugé,  d'un  mot,  dans 
ses  Ta,bleaus  sj'noptiques,  le  De  Cive.  Leibniz  cite  ce  jugement  et  l'approuve.  (Cf. 
Essais  de  Théodicée,  2^  Partie,  n.  220).  —  Voici  le  texte  de  Thomasius  :  Hobbianse  de 
Cive  Philosophise  -poi^ov  *r£'»>;  hoc  esse  videtur,  quod  vir  solertissimi  alias  ingenii 
Katuralis  Status  mensuram  accepit  a  Legali,  quod  contra  factum  oportebat.  ( Jacobus 
Thosiasius,  Philosophia  practica  continuis  Tabellis  in  usum  privatum  comprehensa, 
Tab.  XXXIII,  De  Societate  humana  naturali  in  génère,  in  fine  Tabellae,  Leipzig,  1661). 
—  Thomasius  est  un  partisan  convaincu  du  Péripatétisme  et  a  bien  mérité  de  l'hjstoire 
de  la  philosophie  grecque  jusque-là  généralement  négligée.  Voici  le  titre  de  quelques- 
uns  de  ses  ouvrages  :  Origines  kistoriœ  philosophicce  et  écoles iasticœ,  Leipzig,  1665.  — 
De  stoica  mnnd'  exustione,  cum  Dissertationihus  XX  ad  historiam  philosophiœ  stoicœ, 
Leipzig,  1674.  —  Dissertationes  LXIII  varii  argumenti  magnam  partem  ad  historiam 
philosophicam  et  ecclesiasticam  pertinentes.  Halle,  1693.  Sur  J.  Thomastxts,  cf. 
Britcker,  Historia  critica  Philosophiœ,  t.  IV,  Part.  I,  p.  335-338,  Leipzig,  1766. 

3.  Vidi  nuper  programma  Lipsiense  haud  dubie  tuum,  quo  libellum,  intolerabiUter 
licentiosum,  de  libertate  pliilosophandi,  pro  eo  ac  merebatiu:  tractasti.  Videtur  auctor 
non  tautum  Politicam  sed  et  ReUgionem  Hobbianam  sectari,  quam  is  in  Leviathane 
suo,  monstroso,  vel  tituli  indicio,  opère  sic  satis  deUneavit.  Xam  et  Criticae  illius  bdlis- 
simai,  quam  in  Scripturam  sacram  homo  audax  exercet,  semina  integro  Leviatliania 
capite  HoBBixjs  jecit.  Hobbiitm  ipsum  octuagenario  majorem  repuerascore  nuper  ex 
literis  responsoriis  Henkici  Oldknburgii,  Societatis  regiœ  Anglicanae  secretarii, 
didici.  (Leibniz  à  Jacques  Thomasius,  Francfort,  23  décembre  1670.  Edit.  Dtjiens, 
T.  IV,  P.  1,  Epist.  XI,  §  2,  p.  30). 

4.  Hsec  est  sententia  viri  inter  profundissimos  seculi  censendi...  ^Leibniz,  M.  Nizolii 
De  veris  Principiia...,  Diasertatione  prœlitninari,  Edit.  Gerhakdt,  T.  IV,  p.  158,  circa 
fvnem).  —  Plus  haut,  p.  147,  circa  médium,  Leibniz  qualifie  Hobbes  par  l'épithètO" 
acutissimus. 


492         ARTICLE   III.    —   CHAPITRE    V.    —   PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

et  Civis,  que  nous  connaissons)  et  d'énumérer  les  conditions  qu'un 
bon  Manuel  de  ce  genre  doit  remplir.  Il  continue  ainsi  :  «  Le  jugement 
et  la  science  de  l'incomparable  Grotius  ou  le  génie  profond  de  Hobbes 
était  à  la  hauteur  d'une  telle  tâche.  Mais  le  premier  était  tiraillé 
par  des  occupations  trop  multiples,  et  le  second  trop  obstinément 
attaché  aux  faux  principes  qu'il  avait  adoptés  »  ^. 

L'état  de  na'ture  n'a  jamais  existé  ;  c'est  une  fiction,  qui  n'est 
utilisable  que  comme  méthode  d'enseignement  ^. 

Le  mode  de  gouvernement  absolu  préconisé  par  Hobbes  n'existe 
ni  parmi  les  nations  pohcées  ni  chez  les  barbares;  il  n'est  ni  possible 
ni  souhaitable,  à  moins  que  ceux  qui  commandent  ne  soient  doués 
de  vertus  angéliques.  Car  les  hommes  jugeront  nécessaire  de  con- 
server la  libre  disposition  d'eux-mêmes  et  de  pourvoir  à  leur  salut, 
de  la  façon  qui  leur  paraîtra  la  meilleure,  tant  qu'ils  ne  seront  pas 
persuadés  que  les  chefs  ont  reçu  en  partage  une  sagesse  et  une  puis- 
sance souveraines.  Le  parfait  renoncement  de  la  volonté  n'est  conce- 
vable qu'à  ce  prix.  Les  démonstrations  hobbiennes  ne  sont  donc 
applicables  que  dans  un  État  dont  Dieu  est  le  roi,  car  à  lui  seul  on 
peut  se  confier  pour  tout  ^. 

Leibniz  a  donné  son  avis  motivé  sur  la  discussion  qui  s'éleva  entre 
Bramhall  et  Hobbes  «  touchant  la  liberté,  la  nécessité  et  le  hazard  ». 
Ici  encore,  fidèle  à  son  attitude  loyale,  il  distingue  entre  le  talent  du 
philosophe  anglais  et  les  opinions  soutenues  par  lui.  Après  avoir  dit 
que  ((  M.  Hobbes  raisonne  sur  cette  matière  avec  son  esprit  et  sa 
subtihté  ordinaire  »  ^,  il  poursuit  ainsi  :  «  Il  faut  avouer  qu'il  y  a  quelque 
chose  d'étrange  et  d'insoutenable  dans  les  sentimens  de  Monsieur 
Hobbes.  Il  veut  que  les  doctrines  touchant  la  Divinité  dépendent 
entièrement  de  la  détermination  du  souveram,  et  que  Dieu  n'est  pas 
plus  cause  des  bonnes  que  des  mauvaises  actions  des  créatures.  Il  v  eut 
que  tout  ce  que  Dieu  fait  est  juste,  parce  qu'il  n'y  a  personne  au- 

1.  Ei  taie  aliquid  potuisset  ab  incomparabilis  Gbotii  judicio  et  doctrina  aiit  a  pro- 
fundo  HoBBii  ingenio  prsestari  :  nisi  illuni  niulta  detraxissent  ;  hic  vero  prava  consti- 
tuisset  principia  iisque  nimis  constanter  institisset.  (Leibniz,  Monita  quœdam.... 
Opéra,  Edit.  Dutens,  T.  IV,  Part.  III,  §  i,  p.  276,  circa  principnmi). 

2.  Hune  autem  statum  natiirse  sibi  relictse  ac  sine  rectore  fluctuantis  sane  miserri- 
mum  fingi  quidem  posse  docendi  causa,  exsistere  in  rébus  non  posse  Deus  effecit. 
(Georg  Mollat,  Mittheilungen  ans  Leibnizens  ungedruckten  Schriften,neuhea.Theitet, 
Leipzig,  1893.  De  Justitia,  p.  39.  Cf.  Méditation  sur  la  notion  commune  de  la  Justice, 
Ibidem,  p.  65-66. 

3.  Imperia  ergo  Hobbiana  neque  apud  moratiores  gentes  neque  apiid  Barbares 
extare  arbitrer,  neque  possibilia  neque  optanda  censée  ;  nisi  illi,  pênes  quos  summa 
rerum  esse  débet,  angelicis  virtutibus  poUeant  ;  tam  diu  enim  homines  retinendam 
judicabunt  propriam  voluntatem,  suseque  saluti,  prout  optimum  videbitur,  consulent, 
quamdiu  de  Rectorum  summa  sapientia  et  potenti  persuasi  non  erunt,  quod  ad  per- 
fectam  voluntatis  resignationem  necesse  est.  Locum  ergo  demonstrationes  hobbianse 
in  ea  tantum  republica  habent,  cujus  Rex  Deus  est,  cui  soli  tuto  per  omnia  confidi 
potest.  (Leibniz,  C^sarini  Fubstenerii  Tractattis  de  Jure  suprematus  et  legationum 
principum  Germaniœ  juxta  secundam  édition.  Londin.  anni  1678,  C.  XI,  Edit.  Dutens, 
T.  IV,  P.  III,  p.  361,  m  fine). 

4.  Leibniz,  Réflexions  sur  V  ouvrage  que  M.  Hobbes  a  publié  en  anglais  :  Delà  liberté,  1 
de  la  nécessité  et  du  hazard,  §  1,  Edit.  Gerhardt,  T.  VI,  p.  389.  —  Edit.  Janet,  ] 
T.  II,  p.  371.  ^ 

...  .  l 


SYMPATHIES   EX   ALLEMAGNE    :    LEIBNIZ  493 

dessus  de  liiy  qui  le  puisse  punir  et  contraindie.  Cependant  il  parle 
quelques  fois  comme  si  ce  qu'on  dit  de  Dieu  n'estoit  que  des  compli- 
mens,  c'est  à  dire  des  expressions  propres  à  l'honnorer,  et  non  pas  à  le 
connoistre.  Il  témoigne  aussi  qu'il  luy  semble  que  les  peines  des  médians 
doivent  cesser  par  leur  destruction  :  c'est  à  peu  près  le  sentiment 
des  SocinienS,  mais  il  semble  que  les  siens  vont  bien  plus  loin.  La  Phi- 
losophie, qui  prétend  que  les  corps  seuls  sont  des  substances,  ne  paroist 
gueres  favorable  à  la  providence  de  Dieu  et  à  l'immortalité  de 
l'ame.  Il  ne  laisse  pas  de  dire  sur  d'autres  matières  des  choses  très 
raisonnables.  Il  fajt  fort  bien  voir  qu'il  n'y  a  rien  qui  se  fasse  au 
hazard,  ou  plustost  que  le  hazard  ne  signifie  que  l'ignorance  des 
causes  qui  produisent  l'efEect...  ^  » 

Avec  sa  modération  et  sa  courtoisie  habituelles,  Leibniz,  en  termi- 
nant ses  Réflexions,  relève  encore  de  graves  erreurs  de  Hobbes  rela- 
tives à  la  justice  et  à  la  sagesse  de  Dieu,  et,  comprenant  le  danger 
que  les  œuvres  du  philosophe  anglais  font  courir  aux  lecteurs  superfi- 
ciels, il  se  croit  obhgé  de  les  prémunir  contre  ces  opinions  «  pernicieuses  » 
que  le  talent  de  l'orateur  rend  séduisantes. 

La  justice  en  Dieu,  dit  M.  Hobbes,  n'est  autre  chose  que  le  pouvoir 
quïl  a  et  qu'il  exerce  en  distribuant  des  bénédictions  et  des  afflic- 
tions. Cette  définition  me  surprend  :  ce  n'est  pas  le  pouvoir  de  les 
distribuer,  mais  la  volonté  de  les  cUstribuer  raisonnablement,  c'est  à 
dire  la  bonté  guidée  par  la  sagesse,  qui  fait  la  justice  de  Dieu.  Mais, 
dit-il,  la  sagesse  n'est  pas  en  Dieu  comme  dans  un  homme  qui  n'est 
juste  que  par  l'observation  des  loix  faites  par  son  supérieur.  M.  Hobbes 
se  trompe  encore  en  cela,  aussi  bien  que  Monsieur  Pufendorf,  qui  l'a 
suivi.  La  justice  ne  dépend  point  des  loix  arbitraires  des  supérieurs, 
mais  des  règles  éternelles  de  la  sagesse  et  de  la  bonté,  dans  les  hommes 
aussi  bien  qu'en  Dieu.  M.  Hobbes  prétend,  au  même  endroit,  que  la 
"sagesse  qu'on  attribue  à  Dieu  ne  consiste  pas  dans  une  discussion 
logique  du  rapport  des  moyens  aux  fins,  mais  dans  un  attribut  incom- 
préhensible, attribué  à  une  nature  incompréhensible,  pour  l'honnorer. 
Il  semble  qu'il  veut  dire  que  c'est  un  je  ne  say  quoy  attribué  à  un  je 
ne  say  quoy,  et  même  une  quahté  chimérique  donnée  à  une  substance 
chimérique,  pour  intimider  et  pour. amuser  les  peuples  par  le  culte 
qu'ils  luy  rendent.  Car,  dans  le  fond,  il  est  difficile  que  M.  Hobbes 
ait  une  autre  opinion  de  Dieu  et  de  sa  sagesse,  puisqu'il  n'admet 
que  des  substances  matérielles.  Si  M.  Hobbes  estoit  en  vie,  je  n'aurois 
garde  de  luy  attribuer  des  sentimens  qui  pourroient  luy  nuire  ;  mais 
il  est  difficile  de  l'en  exemter  :  il  peut  s'estre  ravisé  dans  la  suite, 
car  il  est  pavvenu  à  un  grand  âge  ;  ainsi  j'espère  que  ses  erreurs  n'au- 
ront point  esté  pernicieuses  pour  luy.  Mais,  comme  elles  le  pourroient 
estre  à  dautres,  il  est  utile  de  donner  des  avertissemens  à  ceux  qui 
Hront  un  auteur  qui,  d'ailleurs,  a  beaucoup  de  mérite  et  dont  on  peut 
profiter  en  bien  des  manières  »  2. 

1.  Leibniz,  Re flexions...,  §  2,  Ibidem,  G.,  t.  VI.  p.  389.  —  J.,  t.  II,  p.  37L 

2.  Leibniz,  Reflexions...,  §  12.   Ibidem,  G.,  t.  VI,  p.  398-399.  —  J.,  t.  II,  p.  380- 
38L 


494         ARTICLE   III.    CHAPITRE   V.   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

Pufendorf,  et  Leibniz  plus  encore,  ont  mêlé  leur  admiration  pour 
Hobbes  de  fortes  restrictions.  Mais,  venant  de  personnages  très  autori- 
sés, leurs  éloges  accréditèrent  le  philosophe  anglais  en  Allemagne. 
Aussi  rien  d'étonnant  de  voir  ses  doctrines  attirer  l'attention  d'un 
grand  nombre  d'esprits,  surtout  parmi  les  professeurs  dans  les  Uni- 
versités. Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  les  partisans  de  Hobbes 
aient  été  aussi  nombreux  et  aussi  décidés  que  ceux  de  Locke  qui  se 
servirent  de  V Essai  sur  V Entendement  humain  pour  combattre,  la 
philosophie  de  Leibniz  et  de  WoK,  jusqu'à  l'apparition  de  Kant, 
Même  depuis  la  révolution  kantienne,  Hobbes  n'a  pas  cessé  de  piquer 
la  curiosité  germanique,  malgré  la  concurrence  redoutable  de  Hume. 
C'est  surtout  son  système  éthico-pohtique  qui  a  été  en  faveur.  Aussi 
a-t-il  contribué  à  l'accHmatation  dans  les  cerveaux  allemands  de  ce 
principe  immoral  :  il  ne  faut  pas  donner,  pour  base  à  l'Éthique  et 
au  Droit  une  notion  du  juste  et  de  l'homiête  tirée  de  la  nature  des 
choses  et  des  vérités  éternelles.  La  justice  et  l'honnêteté  dérivent  de 
l'État  K 

III.  —  Pa,rmi  les  écrivains  allemands  de  second  ordre,  qui  ont  été 
plus  ou  moins  favorables  à  Hobbes,  on  se  bornera  à  citer  quelques  noms  ^. 

Coward  'trouva  en  Allemagne  un  émule  dans  Hocheisen,  qui 
mourut  professeur  à  Breslau,  pour  soutenir  la  matériahté  de  l'âme  ; 
ce  dernier  eut  pour  adversaire,  mais  un  adversaire  paisible  et  bienveil- 
lant, son  propre  ami  Bûcher,  qui  était  médecin  du  duc  de  Furstemberg. 

Leur  discussion  fut  pubhée  sous  ce  titre  alléchant  :  Correspondance 
intime  de  deux  bons  amis  sur  Vjessence  de  Vâme  ^. 

IV.  —  Un  personnage  beaucoup  plus  important,  théologien  luthé- 
rien très  enchn  à  légitimer  toutes  les  révoltes  contre  l'autorité  reh- 
gieuse,  professeur  d'Histoire  à  l'université  de  Giessen,  historiographe 
du  roi  de  Prusse,  Geoffroy  Arnold  *,  dans  sa  volumineuse  Histoire 
impartiale  de  VEglise  et  des  hérésiarques  depuis  le  commencement  du 
Nouveau  Testament  jusqu'à  Van  du  Christ  1688  ^,  se  montre  très  bien- 

1.  Cf.  G.  Zart,  Einfluss  der  englischen  Philosophen  seit  Bacon  auf  die  deutsche  Philo- 
sophie des  XVIII  Jahrhunderts,  Berlin,  1881,  au  mot  Hobbes  du  Register,  p.  238. 

2.  Pour  plus  de  détails,  voir  G.  Zart,  Einfluss...,  au  mot  Hobbes  du  Register,  p.  238. 

3.  Zweyer  guten  Freunde  vertrauter  Briefioechsel  vom  Wesen  der  Seele,  Wittenberg, 
1713  ;  La  Haye,  17212.  —  L'ouvrage  étant  anonyme,  on  est  partagé  sur  les  noms  des 
auteurs.  D'après  Gottlieb  Stolle,  professeur  «  de  Philosophie  civile  »  à  l'Université 
d'Iéna,  les  auteurs  seraient  M.  Hocheisen  et  D.  Roeschell,  de  Wittenberg.  Cf.  Introductio 
in  Historiam  Littefariam  in  gratiam  cultorum  elegantiorum  Litterarum  et  Philosophiœ 
conscriptci,  Part.  II,  C.  III,  p.  619,  note  5,  léna,  1728. —  Les  ouvrages  de  Hocheisen  sont 
très  rares  en  France.  C'est  pourquoi  je  signale  l'existence,  à  la  Bibliothèque  de  l'Ins- 
titut (8"  M  19  E*  10),  d'une  thèse  intitulée  :  Deismum  i'n  Cartesianismo  deprehensiim, 
que  M.  JoHANNES  Georgitjs  Hocheisen  fit  soutenir  en  1719  à  Wittenberg.  Cet  Hochei- 
sen semble  être  le  même  que  l'auteur  de  Zueyer  giUen  Freunde. 

4.  Gottfried  Arnold,  né  à  Annaberg  (Saxe),  en  1666,  et  mort  en  1714  à  Per- 
leterg  (Prusse),  où  il  était  pasteur  favorisant  le  piétisme. 

5.  G.  Arnold.  Unparteyische  Kirchen-und  Ketzer-Historien  vom  Anjang  des 
Neuen.  Testaments  biss  auf  das  Jahr  Christi  1688.  Francfort,  1699-1700.  L.  XVII. 
T.  XVI,  §  28-32.  Dans  l'édition  de  Schatfouse  (1740-1742)  en  3  in-fol.,  c'est  au  t.  II, 
p.  217-218. 


SYItfPATHIES    EN     ALLEMAGNE    :    BECKMANN  495 

veillant  pour  Hobbes,  accepte  sa  conception  du  di'oit  dérivant  de 
l'autorité  de  l'État  et  s'efforce  vainement  de  le  laver  du  reproche 
d'atbéisme. 


V.  —  Un  autre  théologien  universitaire,  Jean-Cheistophe  Bec- 
MANN  ^,  qui  enseigna  le  grec,  l'histoire  et  la  théologie  à  l'université 
de  Francfort-sur-l'Oder,  dont  il  fut  «  Recteiu-  magnifique  »,  montra 
quelque  indulgence  et  sympathie  pour  Hobbes.  Dans  ses  Parallèles 
politiques,  il  a  également  tenté  de  défendre  Hobbes  contre  l'accusation 
d'athéisme  ^  et  il  a  soutenu  que  l'homme  n'est  pas  naturellement 
sociable  ^.  Mais  l'on  se  tromperait  grandement  si,  d'après  cette  double 
tentative,  on  prenait  Becmann  pour  un  partisan  du  système  hobbien. 
Tout  d'abord  ses  réserves  au  point  de  vue  religieux  sont  formelle-. 
Sur  la  question  débattue  de  l'athéisme  de  Hobbes,  il  n'est  que  juste 
de  le  faire  bénéficier,  lui  et  beaucoup  de  ceux  qui  partagent  son  senti- 
ment, Gundhng  par  exemple  *,  de  l'observation  suivante  :  en  parlant 
de  Dieu  et  de  la  rehgion,  Hobbes  a  si  habilement  combiné  ses  expres- 
sions que  le  fond  de  sa  pensée  reste  enveloppé  d'équivoque  .  et  partant 
la  méprise  est  possible  si  l'on  n'y  regarde  pas  de  très  près. 

Quant  à  l'état  de  nature,  Becmann  ne  l'entend  pas  comme  le  phi- 
losophe anglais.  Dans  sa  Vue  d'ensemble  de  la  Doctrine  'politique^, 
il  prend  une  position  nette  qui  le  distingue  de  Hobbes.  Un  chapitre 
est  consacré  aux  «  Hypothèses  pohtiqiies  ».  La  définition  qu'il  en  donné 
•eti  le  rôle  qu'il  leur  attribue  ne  laissent  aucun  doute  sur  son  opinion. 
Ces  hypothèses  sont  «  des  notions  présumées  de  choses  qui  n'ont  jamais 
existé  dans  la  vie  sociale,  mais  qui  existeraient  s'il  en  était  besoin  »  ^. 
En  PoUtique,  comme  dans  les  autres  sciences,  elles  ser^^ent  à  mettre 
les  démonstrations  en  meilleure  lumière.  Aussi  pour  Becmann  «  l'état 
de  nature  n'a  jamais  existé  et  ne  convient  pas  à  l'humanité...  »  Cepen- 
dant on  use  «  de  cette  hypothèse  en  Pohtique  pour  mieux  faire  ressortir 
la  nécessité  de  la  vie  sociale  »  '.  Car,  selon  lui,  sans  l'organisation  en 
société  les  hommes  seraient  voués  à  une  guerre  permanente  de  tous 
contre  tous.  C'est  pour  échapper  à  cet  état  violent,  conséquence 
forcée  de  la  vie  isolée  et  indépendante,  qu'ils  se  sont  constitués  dès 
l'origine  en  société.  Indice  évident  que  l'organisation  sociale  est  néces- 


1.  Johannes-Christophorcs  Becmann  (et  Beckmann)  (1641-1717),  né  à  Zerbst 
(Anhalt-Dessau)  et  mort  à  Francfort-siir-l'Oder. 

2-3.  J.-C.  Becmann,  Parallela  politica....  Dissertât.  I  ;  IV. 

4.  Je  n'oserais  l'assurer  d'ARNOLD,  trop  porté  qu'il  est  à  passer  l'éponge  svu-  toutes 
les  erreurs. 

5.  Conspectus  doctrinœ  polUicœ  brevibua  Thesibua  earumque  Demonatrationibus  pro- 
poaitus  a  Johan-Christoph.  Becmano,  Francforfe-stu'-rOder,  1691. 

6.  Hypothèses  politicse  sunt  prœsiunptse  notiones  rerum  in  vita  sociali  non  quidem 
existentium,  attamen,  si  opus  fuisset,  extiturarum.  Eaeque  in  Politica  non  minus  ac  in 
aliis  disciplinis  necessariae  sunt  ad  majorera  in  deraonstrationibus  ejus  evidentiam 
ostendendam.  (J.-C.  Becmann,  Conspectua...,  C.  IV,  p.  10). 

7.  Statxia  naturalia,  qui  nunquam  extitit  nec  expedit  rei  humanae.  DoctriruB  politicse 
tamen  inseritur  ad  ostendendam  necessitatem  vitse  socialis.  (J.-C.  Becmann,  Conapec- 
tua...,  C.  IV,  p.  16). 


496         ARTICLE   III.    —   CHAPITRE    V.    —   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

saire  à  l'humanité  pour  vivre  heureuse  dans  l'ordre  et  la  paix  ^. 
On  pourrait  relever  dans  le  Conspectus  Doctrinœ  politicœ  un  grand 
nombre  de  passages  qui  sont  la  négation  des  principes  hobbiens. 
C'est  ainsi  qu'il  définit  :  l^a  le  Droit  naturel,  source  du  Droit  des  gens 
et  premier  principe  moral  :  Le  dictamen  de  la  droite  raison  ou  la  Conve- 
nance avec  la  nature  rationnelle  »  ^.  —  2°  «  le  Droit  social  ou  Droit , 
des  gens  :  Ce  que  la  raison  naturelle,  guidée  par  les  exigences  usuelles 
et  les  besoins  de  l'humanité,  a  étabh  entre  les  hommes.  Double  cause 
qui  a  donné  naissance  à  la  société  civile  »  ^.  Il  cite  en  l'approuvant 
cette  déclaration  de  Sénèque  :  L^homme  est  un  animal  social  *.  En 
revanche,  à  l'exemple  de  Hobbes,  Becmann  accorde  au  détenteur 
de  la  souveraineté  un  pouvoir  absolu,  sauf  dans  le  domaine  religieux, 
où  cependant  son  intervention  reste  encore  exorbitante  ^. 

Ce  qui  semble  le  symptôme  le  plus  suggestif  des  tendances  de  Bec- 
mann, c'es't  qu'il  renvoie  continuellement  aux  ouvrages  de  Hugo 
Grotius,  tandis  que  les  écrits  de  Hobbes  sont  oubUés. 

VI.  —  Chez  Jean-François  Buddeus  ®,  qui  professa  la  Philoso- 
phie morale  et  civile  à  Halle  et  la  Théologie  luthérienne  à  léna,  ia> 
note  tout  ,à  fait  dominante  c'est  le  blâme  ''.  Ce  professeur  distingué 
exerça  de  son  temps  une  grande  influence  sur  la  jeunesse  universi- 
taire. Durant  les  vingt-quatre  ans  qu'il  enseigna  à  léna,  sa  chaire  fut 
entourée  d'auditeurs  assidus,  ^ue  retenait  un  enseignement  clair, 
méthodique,  érudit,  tirant  des  spéculations  théologiques  les  conclu-, 
sions  pratiques  qu'elles  comportent.  Son  action  s'est  également  fâiit 
sentir  en  Philosophie.  Il  a  composé  un  Cours  élémentaire  en  trois 
volumes  :  1°  Eléments  de  Philosophie  instrumentale  ^,  qui  comprennent 
la  Logique  et  l'Ontologie.  —  2°  Eléments  de  Philosophie  théorique  ^, 
qui  contiennent  la  Physique,  la  Pneumatologie  et  la  Théologie  natu- 
relle. —  3°  Eléments  de  Philosophie  pratique  ^°,  qui  embrassent  la  Morale 


1.  J.-C.  Becmann,  Meditationes  politicœ,...  C.  IV,  §  2. 

2-3.  Jus  Naturse  est  mater  Juris  Gentiuni  ac  primum  principium  morale  :  Estque 
nihil  aliud  qviam  Dictamen  rectse  rationis  seu  convenientia  cum  natura  rationali.  — 
...  Jus  Sociale,  seu  quod  perinde  est  Jus  Gentium.  Quod  proinde  ab  Imperatore  defi- 
nitur  :  Quod  naturalis  ratio  inter  homines  constituit,  usu  exigente  et  huniana  necessitats. 
Horum  causa  enim  societatem  humanam  iniri  oportuit.  (J.-C.  Becmann,  Conspeetus..., 
C.  II,  p.  9  ;  7). 

4.  J.-C.  Becmann,  Conspeetus...,  C.  V,  p.  18,  eirea  finem.  Cf.  Sénèque,  De  Beneficiis, 
L.  VII,  §  1. 

5.  J.-C.  Becmann,  Conspeetus...,  C.  XIV,  De  Majestate,  p.  64-74. 

6.  Johannes  Fr.-vnz  Buddeus  (1667-1729),  né  à  Anclam,  en  Poméranie,  mourut  en 
se  rendant  à  Gotha.  Il  fut  plusieurs  fois  Pro-Recteur  de  l'Université  d'Iéna. 

7.  On  lit,  à  V Index  de  ses  Selecta  Juris  Naturœ  et  Gentium  (Halle,  1704),  au  mot 
Hohhesius,  cette  ligne  qui  résume  bien  le  jugement  de  Buddeus  :  In  quibusdam  laudatus, 
in  multis  vituperatus. 

8-9-10.  J.-Fr.  'B\!ViT>'E\JS,Elementa  Philosophiœ  instrumentalis  ,seu  Institut  iones  philo - 
sophicœ  eelecticœ.  Halle,  1703.  —  Elementa  Philosophiœ  theoretieœ.  Halle,  1703.  — 
Elementa  Philosophiœ  practic.œ.  Halle,  1697.  Cette  troisième  Partie  fut  composée  la 
première  par  Buddeus,  quand  il  enseignait  à  Halle  «  la  Philosophie  morale  et  civile  v 
(on  dirait  aujourd'hui  la  Politique).  Dans  l'édition  de  1703,  Budde  s  modifia  quelques 
points  de  sa  Philosophie  pratique  et  en  changea  le  jalan  (voir  la  Préface).  —  Ces  Elément» 


SYMPATHIES    EN    ALLEMAGNE    :    BTTDDEUS  497 

et  la  Politique.  Buddeus  s'annonce  dans  le  sous-titre  de  l'œuvre 
comme  éclectique  ^.  Cette  œuvre,  clairement  rédigée,  indique  un  esprit 
sage  et  pondéré.  Aussi  devint-elle  classique  en  Allemagne.  Dans  la 
plupart  des  Ecoles  pliilosophiques  les  professeurs  l'adoptèrent  comme 
texte  de  leurs  «  prélections  »  '^.  Notons  enfin  que  Buddeus  fit  une  Pré- 
face élogieuse  pour  une  traduction  latine  anonvme  de  la  Logique  de 
Port-Roijal  ». 

Cependant  Buddeus  possède  un  titre  plus  original  à  figurer  dans 
l'Histoire  de  la  Philosophie,  car  parmi  ses  contemporains  c'est  lui 
qui,  en  Allemagne,  en  comprit  le  mieux  l'utihté.  Il  contribua  par  son 
exemple  à  en  répandre  le  goût.  On  lui  doit  plusieurs  ouvrages  en  ce 
genre  :  un  Résumé  de  V Histoire  jyhilosophique  *  ;  deux  Introductions, 
l'une  à  V Histoire  de  la  Philosophie  des  Hébreux  ^  ;  l'autre  à  la  Philo- 
sophie stoïcienne  ^.  En  tête  de  ses  Morceaux  choisis  du  Droit  de  la  nature 
et  des  gens  ',  il  a  placé  une  histoire  du  Droit  naturel.  Son  Recueil 
d'histoire  philosophique  ^  renferme  onze  Dissertations  érudites  sur 
des  sujets  variés.  Le  premier  chapitre  de  ses  Thèses  sur  V Athéisme  ^ 
est  un  chapitre  historique  sur  la  question. 

Un  pareil  professeur  ne  manquait  donc  pas  de  valeur  pour  porter 
un  jugement  autori.sé  sur  l'œuvre  pohtique  et  religieuse  de  Hobbes. 
«  Nous  devons,  dit-il,  quelque  chose  à  Hobbes.  Mais  s'il  avait  apporté 
à  Fétude  des  lettres  autant  de  probité  que  de  talent  naturel,  les  lettres 

de  Philosophie  furent  souvent  réimprimés;  les  premiers,  sept  fois,  ;  les  seconds,  cinq  fois; 
les  troisièmes,  dix  fois,  d'après  J.  Bkucker,  Historia...,  T.  IV,  P.  II,  p.  531,  circa  mé- 
dium. 

1.  Institutiones  Philosophiœ  edecticœ  —  Damnant  quidem,  qui  certse  sectse  addicti 
sunt,  hanc  philosophandi  rationem,  qua  Potamon  iUe  Alexandrinus  primus  usus  est, 
quamque  eclecticam  vocant,  et  qua  me  plurimiun  delectari  lubens  fateor...  (Buddeus, 
Eleinenta  Philosophiœ  praciirœ,  Praefat.  priori  editioni  prœmissa;  dans  l'édition  de  1727, 
p.  0,  §  Damnant.  [Cette  préface  n'est  pas  paginée]. 

2.  Et  hoc  quidem  pacto  totius  philosophiae  orbem,  dictione  usus  perspicua  atque 
eleganti,  ita  absolvit  ut  niirum  quantum  viris  doctis  placeret.  et  imprimis  in  plerisque 
Germanise  scholis  hae  Institutiones  indicis  instar  in  praelectionibus  philosopliicis  adhi- 
berentiir.  (Jac.  Brucker,  Historia...,  T.  IV,  P.  II,  p.  531,  circa  médium). 

3.  Logica  sive  Ara  cogitandi  in  qua  prœter  vtilgares  régulas  plura  nova  ad  rationem 
dirigendam  utilia.  Editio  nova,  eaque  in  Germania  prima,  reliquis  omnibus,  aliqiiot 
capitibus  auctior.  Prœfationem  prœmisit  Jo.  Fraxciscus  Buddeus,  P.  P.,  Halle, 
1704. 

i.  J.-F.  BuDDECS,  Compendium  Historiœ  philosophicœ  Observationibus  illuslratum, 
cum  Prœfatione  Georgii  "Walchii,  Halle,  1731. 

5.  J.-F.  Buddeus,  Introductio  ad  Historiam  Philosophiœ  Ebrœorum,  Halle,  1702. 

6.  J.-F.  Buddeus,  Introductio  ad  Philosophiam  stoicam  ex  mente  M.  Antonini, 
Leipzig,  1729. 

7.  J.-F.  Buddeus,  Selecta  Juris  Naturœ  et  Gentium,  Halle,  1704. 

8.  J.-F.  Buddeus,  Analecta  Historiœ  philosophicœ.  Halle,  1706. 

9.  J.-F.  Buddeus.  Thèses  theologicœ  de  Athéisme  et  Superstitions  variis  Observalio- 
nibus  illustratœ  et  in  usum  Recitationum  Academicarutn  editœ,léna,  1717  ;.17222.Utrecht, 
1737.  —  Il  en  existe  une  traduction  française  :  Traité  de  l'Athéisme  et  de  la  Superstition 
par  feu  M«  Jean-François  Buddeus,  Docteur  et  Professeur  en  Théologie,  avec  des 

I     Remarques  historiques  et  philosophiques.   Traduit  en  français  par  Louis  Philon,  ci- 
\     devant  Docteur  de  Sorbonne,  et  mis  an  jour   par   Jean  Chrétien  Fischer,  Maître  en 
Philosophie  et  Adjoint  de  la  Faculté  philosophique  dans  V Académie  de  lene...,  Amster- 
dam, 1740. 

32 


498         ARTICLE    III.   CHAPITRE    V.   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

en  général,  mais  surtout  ia  doctrine  morale,  auraient  pu  en  tirer  grand 
profit.  Mais  les  commentaires  irréligieux  et  ridicules,  dont  il  souille 
ce  qu'il  a  pensé  et  écrit  de  bon,  lui  ont  fait  perdre  à  lui-même  et  aux 
autres  les  fruits  de  son  application  et  de  son  travail.  Cependant  son 
audace  in'sensée  a  été  châtiée  par  Cumberland,  Cock,  Scharrock  et 
d'autres  personnages  très  doctes  »  ^.  Tel  est  le  jugement  de  Buddeus 
dans  la  première  édition  de  son  Histoire  du  Droit  naturel.  Celui 
qu'on  Lit  dans  la  seconde  édition  revue  et  «  augmentée  »,  aussi 
sévère  pour  le  fond,  est  d'un  ton  moins  dur  2.  En  revanche,  il  précise 
ainsi  ce  que  ces  mots  :  <(  commentaires  irréligieux  et  ridicules  » 
avaient  de  vague  : 

«  La>  fable  de  l'état  de  nature  inventée  par  Hobbes  et  tout  ce  qu'il 
a  bâti  sur  cette  base  avait  pour  but  de  plaire  à  Charles  II,  roi  d'JVn- 
gleterre.  Tandis  qu'il  se  montre  tout  dévoué  aux  intérêts  du  prince, 
il  est,  ou  peu  s'en  faut,  impie  à  l'égard  de  Dieu,  en  soumettant  la 
rehgion  elle-même  à  l'arbitraire  de  ceux  qui  commandent,  et  il  viole 
les  droits  des  citoyens  en  les  vouant  à  une  condition  tout  à  fait  ser- 
vile  »  2,  Comme  pour  atténuer  la  rudesse  de  cette  critique,  Buddeus 
avait  commencé  par  reconnaître  de  bonne  grâce  que  «  Hobbes,  de 
l'avis  de  tous,  était  doué  d'un  génie  très  subtil  ».  {Thomas,  Haïmes- 
buriensis,vir,  omnium,  judicio,  ingenii  suhtilissimi ) . 

Ce  n'est  pas  tout.  Buddeus  reproche  encore  à  Hobbes  de  n'avoir 
considéré  dans  les  hommes  que  leurs  mauvais  côtés,  au  point  de  les 
avoir  presque  ravalés  au  niveau  des  bêtes  sans  raison  ^.  De  plus, 
comme  le  philosophe  anglais  n'admet  en  réahté  ni  droit  naturel, 
ni  lois  divines  proprement  dites,  il  n'est  personne  qui  ne  voie  claire- 
ment que,  d'après  cette  façon  de  philosopher,  l'autorité  souveraine, 
que  pourtant  il  a  voulu  renforcer  le  plus  possible,  repose  sur  une  base 
mouvante  *. 


1.  Nec  omiiino  nihil  Thomse  Hobbesio  debemiis.  Quin  si  tantam  att^^lisset  probita- 
tem  ad  literarum  studia,  quantum  attulit  ingenium,  ingens  ab  eo  emolumentum  eum 
omnes  litêrae,  tum  maxime  doetrina  moralis  capere  potiiisset.  Jamvero  profanis  ridi- 
culisque  commentis  ea,  quœ  I  ene  ex'^ogitata  scriptaque  sunt,  polliiendo,  et  seetalio:! 
industritB  et  laboris  sui  fructibus  privavit  ;  audacise  auteni  subb  et  ineanife  pœnas, 
Cumberlandio,  Cockio,  Seharrockio  aliisque  doctissimis  viris  dédit.  (Joh. -Franc. 
Buddeus,  Historia  Juris  naPiiralis,  sans  lieu  ni  date,  p.  21-22,  publiée  à  la  suite  de 
l'ouvrage  de  Philippe  Reinhard  Vitriarius, ZnsïiiMiiones  Juris  Naturœet  Oeniium..., 
Leyde.  17042). 

2.  Jam  vero  suam  quam  excogitavit  de  statu  naturali  fabulam,  eeteraque  quaa 
eideni  superstruxit,  eo  comparatam  voluit  Carolo  secundo  ut  placeret  Anglise  régi. 
Plane  ac  si  imperantium  in  tuto  coUocari  irajestp.s  nequeat.  niei  advocatis  in 
subsidium  figmentis.  Is  vero  etiam,  dum  pius  in  regem  videri  \'cluit,  parum  abest 
quin  impius  in  Deum,  ipsam  religionem  imperantium  arbitrio  subjieiendo,  injvuius- 
que  in  cives  servili  prorsTis  condition!  eos  addicendo;  extiterit.  (J.-F.  Buddeus, 
Historia  Juris  naturalie  aucta...,  §  xxvi,  dans  Selecta  Juria  Naturœ  et  Gentiian, 
p.  34t,  ciraa  meditim.  Halle,  1704). 

3.  Buddeus,  Compendium  Hietoriœ  philosophicce...,  C.  VI,  §  33,  p.  510,   circa  fînem. 

4.  Quse  qui  consideraverit,  facile  intelliget  Hobbesium  nullas  omnino  leges  divinas 
proprie  sic  dictas  nuUumque  jus  natiirse  admittore.  Unde  et  nemini  obscurum  esse 
potest  quam  lubrico  fundamento  secundum  hancee  philosophandi  ration«m  auctoritas 
summorum  imperantium  innitatur,  cui  tamen  vel  maxime  consultum  voKiit.  (J.-F. 
Buddeus,  Compendium...,  C.  VI,  §  33,  p.  511,  circa  médium). 


SYMPATHIES    EK   ALLE3IAGÎÎE    :    GTXN^DLING  499 

Voilà  pour  la  Politique.  Sur  la  question  religieuse  Buddeus  est  plus 
catégorique  encore.  Hobbes  et  Spinoza  ont  mené  contre  la  Sainte 
Ecriture  un  combat  impie  i.  Le  but  de  Hobbes,  la  chose  n'est  pas 
douteuse,  a  été,  autant  qu'il  dépendait  de  lui,  de  renverser  la  reli- 
gion chrétienne  2.  Ces  accusations  sont  appuyées  sur  des  textes  de 
Hobbes,  dont  Buddéus  entreprend  une  critique  serrée. 

Notre  auteur  met  aussi  en  rehef  les  erreurs  de  Hobbes  sur  les  attri- 
buts divins  et  les  réfute  \dgoureusement  ^.  Siu-  le  grief  d'athéisme 
il  est  mollis  affii'matif  que  sur  le  secret  dessein  de  miner  le  Christia- 
nisme. Voici  la  conclusion  loyale  de  son  enquête  :  «  Ou  tout  m'abuse, 
ou  il  n'est  pas  aussi  aisé  que  certains  l'estiment,  de  hbérer  Hobbes  du 
soupçon  d'athéisme  »  *. 

^"11-  —  Un  professeur,  plus  célèbre  que  Buddeus,  Nicolas-Jérôme 
GuNDLLN-G  5,  se  montra  au  contraire  très  favorable,  sur  certains  points, 
au  système  politique  de  Hobbes.  C'est  l'une  des  gloires  de  l'université 
de  Halle,  que  l'électeur  Frédéric  III  avait  fondée  en  1694.  Il  y  enseigna 
la  philosophie,  l'éloquence  et  surtout  le  droit  de  la  nature  et  des  gens, 
dont  il  occupa  la  chaii'e  pendant  22  ans,  depuis  1707  jusqu'à  sa  mort 
arrivée  en  1729.  Le  charge  de  Pro-Recteur  {le  Recteur  Magnifique 
était  de  di'oit  le  fondateur  de  l'université)  lui  fut  confiée  à  plusieurs 
reprises  ;  il  en  remphssait  les  fonctions  à  l'époque  même  où  il  mourut. 

Gundling  avait  en  partage  de  rares  quahtés  :  étonnante  acuité 
d'esprit,^  mémoire  meublée  d'une  vaste  érudition  puisée  dans  la  riche 
bibHothèque  qu'il  avait  constituée  con  amore,  éloquence  à  la  fois  ner- 
veuse et  agréable.  Travailleur  infatigable,  il  cultiva  persévéramment 

1.  At  longe  aliam  ingrediuntur  viam  qui  rationi  ita  litant  ut  ea,  ad  Scripturge  Sacr» 
firmissimum  praesidium  hominibus  eripiendum,  abutantur.  Agmen  inter  eos  ducit 
Benedictus  Spinoza,  quocum  certamen  impietatis  iniiese  videtur  Thomas  Hobbesius. 
Uterque  ut  hominibus  persuaderefc,  qiiâs  sacras  vocaraus  litteras  a  Deo  profeetaa  non 
esse,  nec  tuto  quemquam  iis  inniti  posse,  nihil  fecit  rehqui  (Joh.  Franc.  Buddexts, 
Exercitatio  historico-philosophka  de  Scepticismo  morali...,  §  v,  dans  Analecta  Historiœ 
philosophicœ.  Halle,  1706,  p.  213-214). 

2.  Et  sane,  ut  ab  ultimo  hocce  aoeusationis  capite  [impugnatas  et,  quantum  in  ipso 
ecat,  eversae  reUgionis  Christian»]  ordiamur,  absolvi  ab  ea  Hobbesium  nulla  ratione 
posse  res  ipsa  docet  (Buddeus,  Thèses  theologicœ  de  Atheiamo...,  G.  I,  §  xxvn,  p.  188 
circa   médium).  '     '         ' 

3.  J.-F.  Buddeus,  Thèses  theologicœ  de  Atheismo,  C.  VI,  §  vn,  p.  514-518. 

4.  His  vero  si  reliqua  ejus  [Hobbesiusl  de  Deo  pronuntiàta  addantur,  aut  me  omnia 
iallunt,aut  non  tam  facile  ab  atheismi  suspicione  liberari  potest,  ut  nonnulh  existimant 
(Buddeus,  Thèses  theol.  de  Atheismo,  C.  I,  §  xx^^I,  p.  191).  Buddeus  note  dans  son 
Compendium  Historiœ  philosophicœ,  C.  VI,  §  m,  p.  378-379,  que  Gundling  a  essayé  do 
lui  répondre  sur  la  question  de  l'athéisme  de  Hobbes.  Cf.  Gundligiana,  Stiick  XIV 
Von  Th.  Hobbesii  Atheisteren,-  §  v,  T.  III,  p.  308-309.  —  Buddeus  mentionne  plusieurs 
fois  Hobbes,  et  le  plus  souvent  pour  le  critiquer,  dans  son  Isagoge  historico-theologica 
m  Theologiam  universam  singulasque  ejus  portes,  2  vol.,  Leipzig  1727  Cf  T  I  n  71  • 
280  ;  311  ;  728  ;  903.  —  T.  II,  p.  1382  ;  1383  ;  1436  ;  1443  ;  1448  ;  1765  ;  1826.  ' 

5.  NicoLAUS-HiERONYMUS  GuNDLiNO  (1671-1729),  né  à  Kirchensittenbach  (dans 
la  région  nurembergeoise),  où  son  père  était  ministre,  et  mort  à  Halle,  fit  partie  du 
Sénat  ecclésiastique  de  Magdebourg  et  fut  membre  du  Conseil  privé  du  roi  de  Prusse. 
Après  avoir  suivi  les  cours  de  théologie  à  léna,  Altorf  et  I.«ipzig,  il  étudia  le  droit  à 
Halle  80U3  le  fameux  Christian  Thomasius.  En  1707  il  succéda  à  Christophe  Cel- 
LARius  dans  la  cloaire  d'antiquités  et  d'éloquence.  Mais  l'enseignement  qui  l'a  rendu 
célèbre  fut  celui  du  Droit,  dont  il  occupa  la  chaire  de  1707  à  1729. 


500         ARTICLE   III.    CHAPITRE   V.    PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

ses  dons  de  nature,  et  le  produit  de  cette  culture  intensive  fut  une 
science  éminente  en  Droit,  en  Philosophie  et  en  Histoire.  Son  style  vif, 
neuf,  spirituel  lui  attira  des  auditoires  assidus  et  de  nombreux  lec- 
teurs. Ce  bel  ensemble  de  mérites  l'a  élevé  au  premier  rang  des  som- 
mités intellectuelles  de  second  ordre,  qui  ont  illustré,  en  Allemagne, 
le  commencement  du  xvui^  siècle  ^. 

Mais  il  y  a  quelques  taches  qui  font  ombre  dans  ce  brillant  ensemble. 
On  remarque,  chez  Gundhng,  non  seulement  la  tendance,  ce  qui  est 
louable  en  soi,  à  s'affranchir  des  jugements  conventionnels,  mais 
encore,  ce  qui  est  fâcheux,  un  mépris  effectif  et  afïiché,  sans  distinc- 
tion de  matière,  pour  l'argument  d'autorité.  De  plus,  très  conscient 
de  sa  valeur,  il  supporte  impatiemment  la  contradiction,  d'où  qu'elle 
vienne,  même  d'adversaires  modérés  et  instruits.  Aussi,  de  l'aveu  de 
Brucker,  qui  a  pour  lui  une  admiration  très  chaleureuse,  sa  polé- 
mique acerbe,  où  il  s'abandonne,  sans  assez  de  retenue,  aux  sugges- 
tions de  son  instinct  satirique,  manque-t-elle  gravement  aux  règles 
de  la  mesure  et  aux  lois  du  décorum  ^. 

L'excessive  confiance  qu'il  avait  en  lui-même  l'a  poussé  quelque- 
fois à  cultiver  le  paradoxe  ^  et,  une  fois  qu'il  s'était  amouraché  d'une 
h3rpothèse,'à  la  soutenir  mordicus  envers  et  contre  tous. 
^  Il  convient  de  relever  d'abord,  à  son  avantage,  la  contribution  qu'il 
apporta  à  l'Histoire  de  la  Philosophie.  On  peut  lire  un  certain  nombre 
de  Dissertations  historiques  dans  ses  Observations  littéraires  *,  ses  Loi- 
sirs^, et  les  Gundlingiana^ ,  immense  recueil  d'études  détachées,  qui  sont 
distribuées  en  45  sections  ou  parties  (Stilcke).  Il  y  fait  preuve  d'une 
vaste  érudition,   surtout  en  ce  qui  concerne  la  philosophie  morale  ''. 

1.  Cumque  miro  acumine  gauderet,  maxime  autem  mémorise  horrea  infinitse  lectionis  ' 
copiis,  quas  ex  amplissima,  quam  sibi  comparaverat,  bibliotheca  coUegit,   essent   in- 
structissima,  et  tum  eloquentia  mascula  et  jucunda  accederet,  inter  sumimos  nostrse 
setatia  viros  doctos  merito  eminuit  (J.  Brucker,  Historia...,  T.  IV,  P.  II,  p.  523,  in 
fine).  Cf.  Niceron,  Mémoires,...  T.  XXI,  p.  381  sqq. 

2.  J.  Brucker,  Historia...,  Loco  citato,  p.  524,  §  ii,  in  fine.  — Cf.  Gundling,  Allocutio 
ad  ininiicos.il  l'a  publiée  en  appendice  à  la  2^  édition  de  Via  ad  veritatem,  qui  parut  en 
3  volumes  séparés  avec  titres  dictincts,  à  Halle,  1726  et  1728.  On  la  trouve  également 
en  tête  de  la  Logica  (Halle,  17262)  et  au  tome  III  des  Ohservationwn  selectarurn,  Obs. 
VII,  p.  75-102. 

3.  Brucker  en  fait  la  remarque  en  parlant  de  l'ouvrage  de  Gundling  :  Le  Chemin 
vers  la  vérité  :  At  svint  quoque  nonnulla  ~apai5o;''cp'/Aa,  quo  charactere  omnino  Gund- 
lingius  dignosci  potest.  (Historia...,  Loco  citato,  p.  525,  circa  finemj. 

4.  Gundling,   Observationum  selectarurn  ad  rem  litterariam  spectantium  Tomus  I,\ 
Francfort  et  Leipzig.  Ce  volume  était,  dans  la  pensée  de  Gun  Iling,  la  continuation  desj 
Observationes  Halenses,  auxquelles  il  avait  collaboré  ;  mais  il  ne  lui  donna  pas  de  suile. 
Cependant,  après  la  mort  de  Gundling,  pariurent  trois  i^olumes  sous  le  même  titre 
Observationem  selectarurn....  Halle,  1737,  2^  édit.  Les  tomes  II  et  III  reproduisent  de^ 
études  de  Gundling  publiées  notamment  dans  les  Observationes  Halenses. 

5.  Gundling,  Otia,  Halle,  1906-1907. 

6.  (xundll.:giana,  Darinnen  allerhand  zur  Jurisprudenz,  Philosophie,  Historié,  Critic,\ 
Litteratur  und  Ubrigen  Gelehrsamkeit  gehôrige  Sachen  abgehandelt  werden,  en  45  Stûcke. 
Les  44  premiers  furent  publiés  par  l'auteur  à  Halle,  de  1715  à  1729.  Le  45^,  qui  est 
posthume,  ne  parut  qu'en  1732. 

7.  Gundling,  Historiée  Philosophicœ  moralis  Pars  prima,  in  qua  de  Opinionibus  variai^ 
rum  Sectarum,  de  Scriptis,  Lihria  et  Atitoribus  eo  pertinentibus,  ea,  qua  par  est,  libertat 
disseritur,  Halle,  1705. 


SYMPATHIES    EK    ALLEMAGNE    :    GTJNDLESrG  501 

Gundling  a  résumé  ses  idées  philosophiques  dans  une  œuvre  tri- 
partite,  intitulée  :  Chemin  pou?'  'parvenir  à  la  vérité  en  Logique,  en 
Ethique  et  en  Droit  naturel  ^.  Cette  synthèse  est  incomplète  ;  il  y  manque 
notamment  la  Physique,  que  l'auteur  a  jugé  prudent  de  laisser  de 
côté,  sans  doute  à  cause  des  délicats  problèmes  qu'elle  soulève  ^. 
Quant  à  la  Politique,  il  en  laissa  un  court  exposé,  qui  ne  parut  qu'après 
sa  mort  ^. 

C'est  un  éclectique,  mais  qui  revendique  une  grande  part  d'origi- 
nalité, car  voici  comment  lui-même  a  caractérisé  son  œuvre  :  «  Il  a 
composé  un  système  tout  à  fait  nouveau  ;  cependant,  en  homme 
sincère,  il  ne  peut  dissimuler  les  lumières  dont  il  a  fait  son  profit, 
ni  les  points  où  il  est  d'accord  ou  en  désaccord  avec  les  autres  »  *. 

Notons  au  passage  quelques-unes  des  idées  de  GundUng,  où  l'on 
retrouvera  des  reflets  de  la  pensée  hobbienne  :  La  question  de  savoir" 
si  le  principe  pensant  est  matériel  ou  spirituel  est  une  question  contro- 
versable.  La  nature  de  l'âme  nous  échappe  complètement.  On  ignore 
ce  que  sont  les  corps  et  l'on  ne  sait  rien  de  solide  sur  les  esprits.  L'expé- 
rience sensible  est  le  fondement  de  toute  connaissance  ;  toute  connais- 
sance repose  sur  un  fait  particuher.  Il  y  a  beaucoup  de  vérités  indé- 
montrables, et  cependant  il  n'y  a  qu'une  vérité  première,  à  savoir*  : 
Est  vrai  tout  ce  qui  cadre  avec  nos  idées,  qui  sont  le  produit  des  sens 
et  de  la  définition.  Les  définitions  nominales  tiennent  souvent  heu 
de  principes  ^. 

C'est  à  peine  si  l'on  peut  dire  que  la  nature  nous  pousse  absolument 
à  entrer  dans  une  grande  société,  qui  est  la  société  des  sociétés  parti- 
cuhères.  Voilà  ce  qu'on  doit  tenir  tout  d'abord.  Ce  n'est  pas  pourtant 
qu'une  telle  association  répugne  à  la  nature  humaine.  Bien  plus, 
elle  est  nécessaire  par  hypothèse,  en  tant  qu'elle  sert  de  frein  à  l'inch- 
nation  qui  entraîne  les  mortels  vers  la  hberté.  De  ce  point  de  vue 

1.  Gcrs'DLiKG,  Via  ad  Veritatem  logicam,  ethicam  et  Juris  Naturœ,  en  3  parties.  Halle, 
1713.  —  Dans  une  seconde  édition,  re\Tae  et  augmentée  (auctior  et  emendatior ),  ces 
trois  parties' parurent  séparément  sous  les  titres  .suivants  :  Logica  seu  Ara  ratioc'nandi 
genuinis  fundamentis  superstructa  et  a  prœsumtis  opinionibus  vacua.  Halle,  1726.  — 
Ethica  seu  Pkilosophia  moralis  genuinis  fundamentis  superstructa  et  prœsumtis  opinio- 
nibus aliisque  ineptiis  vacua.  Halle,  1726.  —  Jus  Naturœ  et  Gentium  connexa  ratione. 
novaque  methodo  elaboratum.  Halle,  1728. 

2.  Physicam  enim,  prudentior  [GuxDLiNGiusJineareThomasic, nonattigit  (J.  Brxjc- 
KER,  Historia...,  p.  525,  circa  médium). 

3.  GuNDLiNO,  Politica  seu  Pnidentia  civili-s  ratione  connexa.  On  la  trouvera  dans  le 
45^  Stiick  des  Gundlingiana,  paru  en  1732,  t.  IX,  p.  1-160. — On  trouvera  au  même 
endroit,  p.  187-195,  le  «  Catalogue  des  écrits  de  Gun  lling  ■>.  Ce  Catalogue  mentionne 
(p.  191)  une  étude  sur  le  De  Cive  que  je  n'ai  pu  avoir  entre  les  mains.  En  voici  le  titre 
complet  :  Erôffnet  der  atudirenden  Jugend  zu  Halle  3  Collegia  Ubler]  Hobbesii...  De 
Cive  die  Pandecten  und  3  '^"  §  Instituiionum  de  Justitia  et  Jure,  Halle,  1704. 

4.  Monet  [Gundlingius]  autem  se  in  plurimis  ab  aliis  dissentire,  multa  improbare, 
varia  in  meliorem  ordinem  redigere,  nova  addere,  non  demonstrata  demonstrare  :  aliud 
plane  cjj-ty,  ;jia  conficere,  et  tamen,  quod  sinceri  hominis  s  t,  non  dissimulare  quibus 
luminibus  profecerit,  in  quo  aliis  consentiat,  in  quibus  dissentiat.  (Cité  par  Brucker, 
Historia...,  T.  IV,  P.  II,  p.  525,  in  medio). 

5.  Via  ad  Veritatem  logicam.  Cf.  Bhucker,  Historia....  Ibidem,  p.  525-526. 


502        ARTICLE   in.  —   CHAPITEE   V.  —  PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

c'est  un  moindre  mal,  donc  nn  bien,  parce  qu'elle  met  un  terme  à  la 
guerre  civile  et  à  l'anarchie  ^. 

Le  premier  principe  de  Droit  naturel  est  qu'il  faut  avant  tout 
rechercher  la  paix  extérieure  et,  si  on  ne  peut  l'obtenir  autrement, 
recourir  à  la  guerre  ^. 

A  cette  question  :  Quelle  est  la  meilleure  forme  de  gouvernement  ? 
Gundling,  au  lieu  de  se  déclarer  comme  Hobbes  pour  la  monarchie 
absolue,  dit  qu'on  ne  peut  donner  de  réponse  catégorique  ^.  Il  fait  au  Sou- 
verain de  sages  recommandations.  Exemple  :  «  Toutes  les  prescrip- 
tions relatives  à  l'obéissance  des  sujets  seront  vaines  à  moins  que  le 
Chef  de  la  Cité  ne  montre  à  ceux  qui  sont  soumis  à  sa  puissance  qu'il 
les  aime  et  ne  la  fasse  tourner  à  leur  véritable  utilité  »  *. 

Le  chapitre  de  la  Politique  gundlingienne,  qui  se  rapporte  au  pouvoir 
législatif,  est  rempli  de  ces  excellents  conseils  ;  Que  le  législateur  fasse 
peu  d^ ordonnances,  qu'elles  soient  :  motivées  par  les  vices,  appropriées 
à  la  nature  humaine,  nécessaires,  ne  prescrivant  pas  des  choses  tout 
à  fait  parfaites,  coîiformes  au  génie  du  peuple  et  à  la  forme  du  gouverne- 
me7it,  s'adre-^sant  à  tous  (car  il  doit  être  très  parcimonieux  dans  la 
concession  des  privilèges),  visant  à  V amélioration  de  la  vie  et  non  à 
V utilité  propre,  faites  en  teynps  opportun  ^. 

Dans  l'Éthique  gundhngienne  on  rencontre  aussi  certaines  thèses 
singulières  :  il  faut  placer  le  bonheur  seulement  dans  l'absence  de 
douleur  (indolentia).  Tout  ce  qui  s'écarte  du  juste  miheu  est  un  mal. 
La  preuve  de  l'existence ,  de  Dieu  tirée  du  consentement  des  peuples 
est  inepte,  etc.  Cependant  la  philosophie  morale  de  GrundUng  s'ins- 
pire principalement  des  grandes  hypothèses  de  Leibniz  :  origine  du 
mal,  optimisme,  harmonie,  et  de  cette  vérité  mise  en  belle  lumière 
par  le  philosophe  hanovrien,  à  savoir  que  les  préceptes  imposés 
par  Dieu  ne  dépendent  pas  de  son  bon  plaisir,  mais  d'une  volonté 
sage,  éclairée  par  une  intelligence  infaillible,  etc.  ^. 

Plusieurs  années  avant  la  publication  de  son  livre  Via  ad  Veritatem, 
Gundhng,   comme  président  d'une  Thèse   solennellement  soutenue, 

1.  Et  primum  hoc  loco  tenendum  naturam  vix  dictare  intrandiim  esse  necessario  et 
abeolute  in  magnam  societatem,  qiise  est  societas  soeietatum,  cœtus  cœtiitini  agens  sub 
imperio  Bummo,  cui  nequeat  resisti.  Neutiquam  tamen  consequitur  ejiismodi  civilem 
consociationem  repugnare  natiirse  quam  Tiunc  genint  homines.  Immo  vero  sic  nec<  s- 
saria  est  ex  hypothesi,  utut  genio  moi'talium  libertatem  affectantium  adversa.  Est 
civitas  vhulutn  minus, eaque  visione  howum...  (Gundling,  Gundlingiana, T.  IX,  PoliPica..., 
C,  VI,  §  3  et  4,  p.  55-56). 

2.  GxjNDLiNG,  cf.  Via  ad  Veritatem  ethicam  et  Juri»  Naturœ. 

3.  Gundling,  Politica...,  C.  IV,  §  15  à  18,  p.  69-61. 

4.  Quidquid  de  obedientia  civium  prsecipitur,  ù  ane  erit,  nisi  Princeps  civitatis  osten- 
dat  se  amare  potestati  suse  subjectos  eaque  potestate  ad  eorum  utilitatem  uti  rêvera... 
(Politica.,.,  C.  VIII,  §  1,  p.  95). 

6i  Qui  leges  fert...  jubeat  :  pattcia,  ofe  vitia,  naturœ  hnmanœ  congruenter,  necessaria, 
non  'proraiLS  perfectay  genio  pcpuli  et  formœ  reipublicce  competenter,  universos  (sitque 
in  priviLegiis  impertiendde  parcus),  meliori»  vitœ  propagandte,  non  proprii  conmwdi 
gratia,  tempestive.  (Politica...,  C.  IX,  §  11,  12,  14,  15,  16/l7,  20,  23,  24,  p.  102  sqq.)- 

6.  Cf.  Via  ad  Veritatem  ethicani. 


SYMPATHIES    EN    ALLEMAGNE    :    GTJNDLING  503 

le  5  mai  1706,  à  l'université  de  Halle,  par  son  élève  et  compatriote 
Georges  Charles  Volckamer,  s'était  posé  en  champion  de  Fétat 
de  nature  hobbien.  La  question  était  ainsi  formulée  :  Uétat  de  nature 
de  Hohhes  défendu  et  qui  doit  l'être  dans  le  Corps  du  Droit  civil,  à  Vocca- 
sion  du  Livre  V  de  la  Justice  et  du  Droit  ^.  On  sait  que  souvent  le  pré- 
sident de  Ja  Thèse  en  était  lui-même  le  rédacteur.  Dans  l'espèce 
qui  nous  occupe  il  n'y  a  pas  de  doute  2. 

Gundling  d'ailleurs,  interprétant  la  pensée  de  Hobbes  à  sa  façon, 
l'a  condensée  dans  les  dix  propositions  suivantes  :  L'homme  est 
conduit  par  ses  passions  et  y  conforme  sa  conduite.  —  Les  passions 
sont  mauvaises.  —  Tout  ce  que  l'homme  fait,  il  le  fait  d'après  leurs 
suggestions.  —  Il  recherche  la  société,  mais  une  société  en  haiTQonie 
avec  elles.  —  Toute  société  formée  conformément  à  nos  affections 
n'est  pas  une  union  véritable,  mais  une  réelle  disjonction.  —  Toute 
disjonction  entraîne  la  guerre.  —  Dans  toute  guerre  il  y  a  massacres, 
rapines,  droit  de  tous  à  tout.  —  En  guerre,  on  défend  sa  vie.  —  Dans 
uîi  éta^t  troublé,  n'importe  qui  peut  défendre  sa  vie  par  anticipation. 
—  Pour  sortir  de  l'état  de  guerre  il  n'est  qu'un  moyen  sûr,  constituer 
un  pouvoir  souverain  ^. 

Il  est  bon  de  remarquer  au  surplus  que  la  thèse  défendue  par  Gund- 
ling repose  sur  cette  doctrine  luthérienne  ;  la  nature  humaine  est 
mauvaise,  viciée  qu'elle  est  foncièrement  par  le  péché  originel.  Mais 
à  cette  supposition  erronée  le  prolesseur  de  Halle  ajoute  un  correctif, 
à  savoir  que  les  passions  déréglées  trouvent  un  frein  efficace  dans  la 
puissance  coërcitive  de  l'autorité  souveraine  *.  De  sorte  qu'on  pour- 
rait résumer  ainsi  son  opinion  :  L'homme  naît  mauvais,  mais  ^a  société 
le  rend  bon.  C'est  l'antithèse  du  système  de  Rousseau.  En  fait,  l'hu- 

1.  Statua  naturalis  Hobbesii  in  corpore  Juris  civilis  defenaus  et  defendendus,  occasione 
L.  5  de  JustUia  et  Jïire,queniin  regia  Acadeniia  Fridericiana,  Rectore  Magnificentissirrio 
Serenissvmo  Principe  D.  Philippo  Wilhehno,  Principe  Borussice,  Prceaide  Xic.  Hier, 
Gttndling,  I.  V.  D.  et  PP.,  ad  dicm  V  Maii  A.  MDCCVI  H  L  Q  C  publico  eruditorum 
eœamini  suhjiciet  Geoegius  Caroltjs  Volckamer  a  Kirchensittembach,  Halle,  1906. 

2.  J'ai  retrouvé  celte  thèse,  publiée  plus  tard  sans  changement,  sous  le  nom  de 
Gundling,  avec  ce  titre  :  Commentatio  de  Statu  naturali  Hobbesii  in  Corpore  Jiiris 
civilis  defenso  et  defendendo,  occasione  L.  5  de  Jiistitia  et  Jure,  Halle,  1735.  —  Gundling 
s'est  aussi  inspiré  de  Hobbes  dans  sa  Pohfica,  C.  II,  §  7  à  18,  p.  28-34  du  tome  IX  des 
Oundlingiana. 

3.  I.  Homo  cupiditatibus  suia  agitur  et  aecundum  eas  agit.  —  II.  Cupiditates  sunt 
malse.  —  III.  Quidquid  facit,  facit  secundum  illas.  —  IV.  Societatem  quserit,  sed  illis 
conformem.  —  V.  Qusecunque  .societas  affectibus  nostris  conformiter  initur,  non  est 
vera  unio,  sed  disjunctio.  —  VI.  In  omni  disjunctione  est  bellum.  —  VII.  In  omni  bello 
csedes,  rapinae,  jus  omnium  in  omnia.  —  VIII.  In  bello  vita  defenditur.  —  IX.  Vitam 
cum  anticipatione  defendere  quilibet,  posito  statu  turbulente,  potest.  —  X.  E  bello 
nemo  émergera  tuto  potest  nisi  per  imperium.  (Gitndling,  Status  naturalia  Hobbesii..., 
§  xx\Tii,  p.  22,  Edit.  de  1706). 

4.  Ego  eorum  methodum  probo,  qui  illos  [homines]  prout  inveniuntur  in  his  terris 
ad  vi^-um  delineant,  perversoa,  insultandi  cupidos,  suspicaces,  jus  omnium  in  omnia 
necessario  affectantes,  nisi  vinculo  quodam  imperii  reprimantur  et  de  jure  suo,  quod 
Bibi  videntiir  habere,  cum  actionum  suarum  judices  sunt  et  sine  superiore  vagantur, 
ipsi  recédant.  (Gundling,  Statua  naturalia...,  §  v\ï,  circa  finem,  p.  5).  —  Voici  sa  con- 
clusion :  Tibi  si  alia  sedeat  opinio,  rétine,  et  bon»  s,  meliores,  immo  optimos  fînge 
homines.  Scripsimu-s  quod  videmus,  audimua,  sentimus:  tu  scribasteneasque  quod  nemo 
experitur  et  videt.  (Status  naturalia...,  §  xliv,  p.  44,  m  fine). 


504       'AUTICLE   HT.   —  CHAPITRE   V.   —  PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

manité  n'est  ni  si  mauvaise,  ni  si  bonne  ;  elle  ne  mérite  ((  ni  cet  excès 
d'honneur,  ni  cette  indignité  ».  Le  vrai  se  trouve  entre  ces  deux 
extrêmes. 

Je  faisais  plus  haut  allusion  à  l'entêtement  avec  lequel  Gundling 
maintenait  certaines  thèses  une  fois  qu'il  les  avait  faites  siennes. 
En  ce  genre,  le  cas  le  plus  typique  est  sans  doute  celui  où  il  soutient 
que  les  penseurs  anciens,  Platon  ^  notamment  et  Hippocrate  ^, 
étaient  athées.  Par  un  contraste  singulier,  le  même  écrivain,  qui 
s'acharnait  à  charger  de  cette  injurieuse  accusation  la  mémoire  de 
Platon,  s'est  évertué  à  en  «  libérer  «  Hobbes,  dont  l'athéisme  réel  se 
dissimule  mal  derrière  des  formules  ambiguës.  Il  a  consacré  l'une  de 
ses  Observations  choisies  ^  à  cette  ingrate  besogne.  Le  plaidoyer  nous 
a  paru  vraiment  faible.  Mais  c'est  un  spectacle  divertissant  de  voir 
cet  habile  avocat,  quand  il  est  aux  prises  avec  des  textes  compromet- 
tants, se  débattre  péniblement  pour  les  innocenter. 

Qui  le  priait  de  défendre  une  cause  aussi  douteuse  ?  Gundhflg 
a  cédé  au  désir  de  montrer  son  indépendance...  chevaleresque.  Dans 
son  exorde,  il  s'élève  contre  le  destin  immérité  subi  par  Hobbes, 
«  cet  esprit  pénétrant,  ce  philosophe  insigne.  Ses  idées,  parce  qu'elles 
s'écartent  des  sentiers  battus  et  ne  se  rattachent  à  aucune  secte 
dont  les  systèmes  dominent  en  Europe,  ont  été  présentées  à  l'opinion, 
par  la  plupart  des  interprètes,  pour  ne  pas  dire  par  tous,  comme 
impies,  irréligieuses,  dignes  d'exécration  »  *.  C'est  se  tailler  un  trop 
beau  rôle,  car  d'autres  avant  lui,  Arnold  et  Pufendorf  en  Allemagne, 
n'avaient  pas  caché  leur  admiration  pour  Hobbes.  Arnold  avait 
même  tenté  d'écarter  de  lui  l'inculpation  d'athéisme. 

GundUng  professe,  comme  le  philosophe  de  Malmesbury,  qu'il 
ne  sait  rien  de  l'essence  divine  :  quand  on  en  parle,  on  joue  avec 
des  mots,  et  ce  jeu  nous  charme  ^.  Cette  profession  enlève  beaucoup 
à  la  valeur  de  l'éloge  décerné  antécédemment  à  son  chent  :  «  Personne 

1.  Cf.  Oundlingiana,  Velitaiio  prior  de  Atheiamo  PlcUonis  cui  occasionem  dédit  Jac. 
ZiMMERMANNTJS,  43^  Stûck,  Halle,  1729,  t.  IX,  p.  187-280.  —  Velitatio  posterior  de..., 
44e  Stûck,  Ibidem,  t.  IX,  p.  281-366.  —  Observationum  selectarum...,  t.  III,  Observ. 
VIII,  De  Platone  atheo,  p.   103-127. 

2.  Gundling,  Observationum  selectarutn...,  t.  III,  Observ.  VI,  Declaratio  sententiœ 
de  Atheismo  Hippocratis,  p.  62-74.  —  Daniel-Guillaume  Trillekus  prit  la  défense 
d'Hippocrate  dans  nn  opuscule  publié  à  Rudolstadt,  1719.  La  2«  édition  de  cet  opuscule 
se  trouve,  sous  ce  titre  :  Hippocrates  atheismi  falso  accusatus  contra  Nie.  Hier.  Gund- 
liiNGiuM,  auctore  Daniele  Guilielmo  Trillero,  Edit.  Secunda,  au  tome  III  des 
Observationes,  p.  203-293.  Daniel  Wilhelm  Triller,  né  à  Erfurt  (1695)  et  mort  à 
Wittenberg  (1782),  fut  un  médecin  célèbre  et  en  même  temps  porte  et  philologue. 

3.  Gundling,  Observationum  selectarum...,  t.  I,  Observ.  II,  Hobbesius  ab  Atheismo 
liberatus,  p.  37-77,  Francfort  et  Leipzig,  1707,  ou  Halle,  1737^.  Ces  deux  éditions  ont 
la  même  pagination. 

4.  Haec  fata  acris  ingenii  vir  et  philosophus  insignis,  Thomas  Hobbesius,  est  expertus  : 
cujus  placita,  quod  a  vulgo  receduiit  nec  ad  systemata  dominantium  in  Europa  Secta- 
rum  alligantur,  velut  impia,  profana  a"  exsecranda  dcnique  a  pleriscjue,  ne  dicam  ab 
omnibus  traducuntur.  (Gundling,  Observationum...,  t.  I,  Hobbesius  ab  AtJieismo  libe- 
ratus, §  I,  p.  37-38). 

5.  Profiteur  me  nihil  de  Dei  essentia  nosse  ;  vocabula  sunt  quibus  ludimus,  termiui 
meri,  quibus  fruimur...  (Gundling,  Hobbesius...,  §  v,  p.  53-54). 


SYMPATHIES    Eîî    FRANCE    :    XVII^    SIECLE  505. 

n'a  démontré  avec  plus  de  lucidité  que  lui  les  attributs  divins  »  ^. 
Car  nous  sommes  prévenus  que  cette  démonstration  ne  peut  être 
qu'un  «  jeu  »  dialectique  intéressant. 

La  sympathie  que  Gundling  affecte  à  l'égard  de  Hobbes  devient 
surtout  choquante,  quand  on  la  compare  à  la  désinvolture  avec 
laquelle  il  traite  Platon  et  sa  doctrine,  où  il  n'a  su  découvrir  «  rien  de 
solide  ».  En  revanche,  «  les  erreurs  s'y  étalent  nombreuses- et  bruyantes  : 
l'athéisme  lui-même  se  cache  dans  les  profondeurs  mystérieuses  du 
système  ».  Tel  est  l'arrêt  rendu  par  le  juriste-philosophe  de  Halle  : 
Mea  sententia  ^. 

Cependant,  sur  le  terrain  strictement  religieux.  Gundhng  a  désa- 
voué catégoriquement  Hobbes  :  <(  Qui  pourrait,  s'écrie-t-il,  à  moins 
d'être  insensé,  approuver  les  dernières  parties  du  Léviathan  ?  »  Et  il 
renvoie  «  au  très  docte  traité  :  Du  rapport  de  la  religion  chrétienne 
à  la  vie  civile  »,  dans  lequel  Pufendorf,  qui  «  a  suivi,  non  sans  succès, 
le  philosophe  de  Malmesbury  en  beaucoup  de  points,  a  raison  d'aban- 
donner et  de  réfuter  ses  assertions  périlleuses  pour  la  rehgion  »  ^. 
Il  avoue,  par  exemple,  que  Hobbes  a  trop  étendu  le  droit  et  la  puis- 
sance du  prince  dans  le  domaine  des  choses  sacrées  '^. 

Malgré  ces  critiques,  qui  lui  étaient  imposées  par  sa  foi  de  chrétien, 
force  est  bien  de  constater  que  Gundling  a  fait  montre  d'une  indul- 
gence   excessive  à  l'endi'oit  de  Hobbes. 

Gundhng  s'était  assigné  pour  mission  de  dissiper  les  ténèbres 
amoncelées  par  l'erreur,  comme  le  proclame  la  gravure  symbolique, 
surmontée  de  cette  devise  :  Dispellam,  qu'on  voit  au  frontispice 
de  plusieurs  de  ses  ouvrages.  Mais,  dans  son  intervention  en  faveur 
de  Hobbes,  il  a  plus  assemblé  de  nuages  qu'il  n'en  a  dissipé. 


30    SYMPATHIES   EN   FRANCE. 
xvii^  Siècle 

En  France,  on  n'a  pas.  que  je  sache,  attaqué  le  système  hobbien. 
pendant  le  x\t:i*^  siècle.  Les  longues  années  que  le  philosophe  de  Mal- 
mesbmy  passa  à  Paris,  au  temps  de  son  exil,  l'avaient  fait  apprécier 

1.  Xemo  Dei  attributa  defnonstravit  dilucidius...  (Gundling,  Hobbesius...,  §  m, 
p.   48,  circa  médium). 

2.  ilea  sententia,  nihil  in  Platonis  disciplina  venerabile  est,  nihil  solidi,  nihil  divini. 
Errores  undique  circiimstrepunt  :  ipsa  àOe'-rr;  in  his  aditis  latet.  Xon  dii  intus  sunt,. 
sed  deonim  inane  nomen,  astris,  cœlo,  mundo  commune.  (Gundling,  Observationum 
Selectarunt,  t.  III,  Observ.  VIII,  De  Platone  atheo,  p.  127,  circa  finem^J. 

3.  Quis  enini  nisi  insanus  probet  ultima  in  Leviathane?  Défendit  in  multis  eum  Pu- 
fendorffius  ejusque  demonstrationes  non  infeliciter  est  secutus.  In  iis,  quœ  religioni 
periculum  minantur,  juste  deseruit  confutavitque  in  doctissimo  tractatu  de  Habita 
Religionis  Christiayiœ  ad  vitam  civilem.  (Gundlind,  Status  naturalis...,  Praefat.  [non 
paginée],   p.    2). 

4.  Id  fateor  Principis  circa  .sacra  jus  atque  potentiam  nimis  ab  eo  [Hobbesius]  fuisse 
l>rotensam...  (Gi^noling.  Hobbesius...-,   §  m,  p.  43,  circa  principittm). 


506         ARTICLE   III.   —    CHAPITRE   V.   PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

clu  cercle  de  savants  où  il  fréquentait.  Il  y  noua  de  précieuses  amitiés, 
particulièrement  avec  Sorbière,  Mersenne  et  Gassendi  ^. 

SoRBiÊRB,  après  avoir  vivement  critiqué  le  De  Cive,  publié  en  France 
en  1642,  changea  complètement  d'avis.  Ce  fut  de  l'enthousiasme. 
En  partant  pour  la  Hollande,  où  il  allait  s'étabhr  comme  médecin, 
Sorbière  offrit  à  Hobbes  de  prendre  sur  lui  tout  le  souci  matériel 
de  la  deuxième  édition.  Elle  parut,  en  effet,  par  ses  soins  diligents 
à  Amsterdam,  en  1647.  Le  zèle  de  Sorbière  ne  s'arrêta  point  là.  Il  le 
poussa  à  entreprendre  la  traduction  de  deux  ouvrages  du  philosophe 
anglais  :  le  De  Cive  et  le  De  Corpore  politico.  Dans  la  Préface  des 
Eléments  philosophiques  du  Citoyen,  le  traducteur,  tout  en  déclarant 
qu'il  ne  se  porte  pas  garant  de  toutes  les  propositions  de  l'auteur, 
surtout  en  matière  religieuse,  ne  laisse  pas  de  le  combler  d'éloges 
Kyperboliques. 

Mersenne  et  Gassendi  professèrent  aussi  pour  Hobbes  et  le  De 
Cive  la  plus  vive  admiration.  On  se  souvient  sans  doute  des  lettres 
qu'ils  adressèrent  l'un  et  l'autre  à  Sorbière  en  partance  pour  la  Hol- 
lande, lettres  singuhères,  où  la  sympathie  qu'ils  témoignent  au  philo- 
sophe anglais  et  à  ses  œuvres  passées  et,  de  confiance,  à  ses  œuvres 
futures,  dépasse  vraiment  lès  bornes  permises,  surtout  la  lettre  du 
religieux  minime  qui  ne  formule  pas  la  moindre  restriction  à  propos 
des  thèses  hétérodoxes,  que  renferme  la  3^  partie  du  De  Cive,  sur  la 
Rehgion. 

Gassendi,  du  moins,  ne  manqua  pas  d'exprimer  sur  ce  point  sa 
désapprobation.  Malgré  la  haute  estime,  dans  laquelle  il  tient  le  talent 
de  Hobbes  (on  lit  en  effet  cette  phrase  significative  dans  sa  lettre  à 
Sorbière  :  «  Je  ne  connais  aucun  écrivain  qui  scrute  plus  profondément 
que  lui  le  sujet  qu'il  aborde  dans  le  De  Cive  »),  les  idées  hobbiennes 
n'eurent  pas  d'action  réelle  sur  la  marche  de  sa  pensée.  Le  système 
philosophique  de  Gassendi  était  sans  doute  fixé  dans  ses  hgnes  maî- 
tresses, quand  les  opinions  de  Hobbes  vinrent  à  sa  connaissance. 
En  lisant  son  Éthique,  qui  est  fondée  sur  le  principe  égoïste  et  utili- 
taire, on  serait  porté  déprime  abord  à  croire  que  l'influence  de  l'Éthique 
hobbienne  s'y  fait  sentir,  si  l'on  ne  se  rappelait  aussitôt  que  la  Morale 
d'Épicure  fut  la  source  où  il  puisa. 

Cependant,  il  semble  qu'on  entende,  dans  le  chapitre  du  Syntagma 
Philosophiœ  Epicuri  consacré  à  l'origine  du  Droit  et  de  la  Justice, 
un  écho  affaibH,  mais  reconnaissable  encore,  de  la  doctrine  de  Hobbes 
sur  l'état  de  nature  et  ses  conséquences.  Gassendi  en  effet  émet  les 
propositions  suivantes.  A  l'origine  les  hommes  étaient  vagabonds, 
à  la  manière  des  animaux.  Pour  se  proléger  contre  les  bêtes  fauves 
et  les  intempéries  du  ciel,  ils  formèrent  des  groupes  variés.  Mais, 
comme  chacun  voulait  avoir  ce  qui  lui  convenait  le  mieux,  des  rixes 
fréquentes  surgirent.  Elles  se  perpétuèrent  jusqu'au  jour  où  ils  remar- 
quèrent qu'ils  ne  pourraient  vivre  en  sécurité  et  dans  l'aisance  qu'en 
s'engageant  à  ne  pas  se  léser  mutuellement  et  à  punir  quiconque 

1.  Pour  le  détail  de  leurs  rapports  avec  Hobbes,  voir  supra,.  Art.  II,  Ch.  VI, 
p.  212-222.  Ici,  l'on  se  contentera  d'un  bref  rappel. 


SYjNIPATHIES    E>f    FKA^XE    :    XYU^   SIÈCLE  507 

léserait  les  autres.  Tel  fut  le  premier  lien  social.  Par  ce  pacte  ou  loi 
commune  la  propriété  privée  se  trouva  garantie  et  le  droit  social 
fondé  ^. 

La  première  édition  du  De  Cive,  tirée  à  un  petit  nombre  d'exem- 
plaires, avait  été  en  partie  distribuée  aux  amis  et  connaiesances. 
Descartes  fut  compris  dans  cette  cUstribution  gracieuse  et  fit  sans 
doute  passer  ses  remerciements  pour  cet  hommage  d'auteur  par 
Mersenne  qui,  l'année  précédente,  lui  avait  déjà  ser\i  d'intermédiaire 
dans  sa  controverse  avec  «  l'Anglois  ».  Il  serait  piquant  de  savoir 
en  quels  termes  était  conçue  la  commission  de  politesse  dont  Des- 
cartes avait  chargé  son  ami.  Le  lettre  ou  le  billet  ne  nous  est  point 
parvenu.  Mais,  à  son  défaut,  on  possède  la  lettre  à  l'un  de  ses  parents, 
où  le  philosophe  français,  hbre  des  entraves  de  l'étiquette  et  des 
comphments  forcés,  exprime  le  fond  de  sa  pensée  sur  le  philosophe 
anglais.  La  partie  essentielle  mérite  d'être  citée  :  «  Tout  ce  que  je 
puis  dire  du  livre  de  Cive  est  que  je  juge  que  son  autheur  est  le  mesme 
que  celuy  qui  a  fait  les  troisièmes  objections  contre  mes  Méditations  ^, 
et  que  je  le  trouve  beaucoup  plus  habile  en  Morale  qu'en  Métaphy- 
sique ny  en  Physique  ;  nonobstant  que  je  ne  puisse  aucunement 
approuver  ses  principes  ny  ses  maximes,  qui  sont  très-mauvaises 
et  tres-dangereuses,  en  ce  qu'il  suppose  tous  les  hommes  mechans 
ou  qu'il  leur  donne  sujet  de  l'estre.  Tout  son  but  est  d'écrire  en  faveur 
de  la  Monarchie  ;  ce  qu'on  pourroit  faire  plus  avantageusement 
et  plus  sohdement  qu'il  n'a  fait,  en  prenant  des  maximes  plus  ver- 
tueuses et  plus  soKdes.  Et  il  écrit  aussi  fort  au  desadventage  de  l'Eghse 
et  de  la  Rehgion  Romaine,  en  sorte  que,  s'il  n'est  particuUerement 
appuyé  de  quelque  faveur  fort  puissante,  je  ne  vov  pas  comment 
il  peut  exempter  son  hvre  d'estre  censuré  «  ^. 

Malgré  le  souvenir  pénible  qu'il  avait  gardé  de  ses  récents  démêlés 
avec  Hobbes,  Descartes  reconnaît  loyalement  la  valeur  intellectuelle 
de  son  adversaire.  Mais  l'admiration  ne  l'aveugle  pas,  comme  Mersenne 

1.  Nam  initio,  cum  homines  ferammritu  vagarentur  et  incommoda  varia  tum  a  feris, 
tum  ab  mclementia  cœli  i^aterentur,  prœstitit  quidem  naturalis  quîedemeorum  interse 
concihatio...  ut  m  varioa  cœtus  coirent  ac  iUis  etiam  incommodis  aliquatemis  provide- 
rent...  Veram  quod  unusqtiisque  bene  sibi  esse  quam  alteri  mallet,  ideo  fréquentes 
erant  nxœ  de  eibatu,  de  fœminis,  de  commodis  aliis  quœ  sibi  invicem  prœripiebant  ; 
quousque  animadverterunt  non  posse  se  tuto  commodeque  degere,  nisi  pacta  inirent 
flJ^^^  l^dendo  se  invicem,  atque  ita  quidem  ut,  si  quia  alterum  Isederet,  cœteri 
Isedentem  punirent.  Itaque  is  fuit  primus  societatis  nexus,  qui  ut  supposait  posse 
unumquemque  habere  quidpiam  proprium,  seu  quod  posset  dieere  simm...  Talis 
autem  nexue  sive  talia  pactio  nihil  aliud  fuit  quam  communis  Lex,  ad  cujus  observa- 
tionem  omnes  tenerentur,  et  quae  attribueret  faceretve  certum  unicuique  jus  sive 
facultatem  utendi  re  sua,  unde  et  ipsa  quoque  Lex  fuit  quasi  commune,  .sicut  jam  dixi 
societatis  jus.  (P.  Gassendi,  Syntagma  Philosophiœ  Epicuri...,  Part.  III,  C.  XXVI, 
De  Origine  Juris  ac  JvMitiœ,  p.  480,  La  Haye,  1669). 

2.  Le  De  Cive  parut  en  1642  sans  nom  d'auteur  après  le  titre.  Les  initiales  du  nom 
étaient  reléguées  dans  l'ombre,  à  la  fin  de  la  Dédicace.  Descartes,  qui  aimait  plus  la 
réflexion  que  la  lecture,  n'avait  pas  lu  évidemment  cette  Dédicace,  puisque,  croj-ant 
1  ouvrage  complètement  anonyme,  il  a  cherché  à  en  deviner  l'autour. 

3.  Descartea  au  Père  ***,  vers  1643,  Edit.  Adam,  t.  IV,  p.  67,  ligne  10. 


508         ARTICLE   III.    CHAPITRE    V.    —   PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

et  Gassendi.  xA.^ec  une. clairvoyance  qui  leur  a  fait  défaut,  il  a  discerné 
la  fausseté  et  le  péril  des  principes  qui  inspirent  le  De  Cive,  et  il  n'hé- 
site pas  à  les  dénoncer.  Inutile  de  revenir,  en  ayant  déjà  parlé  en  détail  ^ 
sur  la  polémique  à  laquelle  les  Méditations  donnèrent  lieu. 

Descartes  n'a  pas  voulu  traiter  ex  professa  de  la  Morale,  effrayé 
sans  doute  par  les  difficultés  du  sujet,  car  la  Morale,  «  présupposant 
une  entière  connoissance  des  autres  sciences,  est  le  dernier  degré 
de  la  Sagesse  »  ^.  On  n'a  de  lui  sur  l'Éthique  que  des  vues  éparses, 
surtout  dans  ses  Lettres  à  la  princesse  Elisabeth  et  à  la  reine  Chris- 
tine. Aussi,  l'un  de  ses  disciples,  ne  trouvant  point,  dans  le  Maître  ^, 
pour  parler  de  la  Morale,  le  guide  qui  l'avait  dirigé  jusque-là  dans 
l'exposition  des  autres  parties  de  la  Philosophie,  ne  se  fit  pas  scru- 
pule de  chercher  dans  Hobbes  l'appui  qui  lui  manquait.  Il  s'agit  de 
Pierre-Sylvain  Régis  *,  dont  le  Systèine  de  Philosophie  contenant 
la  Logique,  la  Métaphysique,  la  Physique  et  la  Morale  parut  en  trois 
gros  volumes  in-4o  à  Paris  (1690)  ^.  Ses  emprunts  sont  particuhère- 

L  Cf.  supra.  Art.  II,  Ch.  II,  p.  61-66. 

2.  Descartes,' Les  Principes  de  la  Philosophie,  Préface,  Edit.  Adam,  t.  IX,  Part.  II, 
p.  14,  1.  30.  —  M.  Hanielin  explique  aussi  de  la  sorte  l'abstention  de  Descartes  :  «  Des- 
cartes a  eu  en  plein  le  sentiment  que  la  dernière  des  sciences  pratiques  [la  mo;ale], 
quoique  la  plus  urgente,  est  la  plus  complexe  :  il  r'en  a  pas  traité  parce  qu'il  ne  pouvait 
achever  sa  physique,  ni  encore  moins  sa  mécanique  et  sa  médecine,  premières  applica- 
tions de  la  physique.  »  (O.  Hamflin,  Le  Système  de  Descartes,  XXIV,  p.  378,  fin  du 
P''§,  Paris,  1911).  —  Descartes  lui-même  a  indiqué  un  autre  motif,  qui  a  pu  avoir  quel- 
que influence  sur  lui,  mais  semble  surtout  un  prétexte.  Il  éci-it  à  Cha.nut  :  «  C'est  de 
quoy  [la  Morale]  je  ne  dois  pas  me  mêler  d'écrire.  Messieiu-s  les  Regens  sont  si  animez 
contre  moy,  à  cause  des  innocens  principes  de  Physique  qu'ils  ont  vus  et  si  ei  colère 
de  ce  qu'ils  n'y  trouvent  aucun  prétexte  pour  me  calomnier,  que,  si  je  traittois  après 
cela  de  la  Morale,  ils  ne  me  laisseroient  aucun  repos.  >•  (Egmond,  l^""  nov.  1646.  Edit. 
Adam,  t.  IV,  p.  536,  1.  15). 

3.  Régis  a  exagéré  la  portée  des  règles  de  Morale  provisoire  adoptées  par  Descartes 
dans  le  Discours  de  la  Méthode,  quand  il  les  juge  comme  suit  :  In  suo  tractatu  de  Methodo 
legi  possunt  :  verum  non  me  dicere  pudebit  ca  paucis  verbis  continere  quicquid  nobis 
est  agendum  ut  in  hoc  modo  honeste  feliciterque  vitam  degamus  nostram.  (P.  S. 
RÉGIS,  Discursus  philosophicv^  in  qua  Historia  Philosophiœ  antiquœ  et  recentioris 
recensetur,  p.  201,  circa  pHncipium,  s.  1.,  1705). 

4.  RÉGIS  (1632-1707),  né  à  Salvetat-de-Blanquefort,  dans  l'Agenais,  et  mort  à  Paris. 
Après  de  brillantes  classes  au  collège  des  Jésuites  de  Cahors,  il  étudia  la  théologie  à 
l'Université  de  cette  ville,  puis  en  Sorbonne.  Mais  les  conférences  que  Rohatjlt  faisait 
à  Paris  le  gagnèrent  au  Cartésianisme.  Ayant  la  parole  facile  et  claire,  il  en  devint  le 
propagateur  zélé.  Les  leçons  qu'il  donna  successivement  à  Toulouse  (1665),  à  Mont- 
pellier (1671),  à  Paris  enfin  (1680),  obtinrent  un  vif  succès.  Les  conférences  de  Paris  ne 
durèrent  que  quelques  mois.  Il  les  interroinpit  sur  le  conseil  formel  (c'était  un  oi-dre 
déguisé  sous  une  forme  aimable  et  louangeuse)  de  l'archevêque  de  Paris,  François  de 
Harlay,  partisan  de  la  Philosophie  péripatéticienne,  à  laquelle  le  Cartésianisme  portait 
ombrage.  Régis  employa  ses  loisirs  forcés  à  la  composition  de  son  Système  de  Philoso'phie. 
L'Académie  des  sciences  lui  ou\Tit  ses  portes  en  1699. 

5.  On  a  encore  de  Régis  :  Réponse  au  Livre  qui  a  pour  titre,  P.  Danielis  Huetii, 
Episcopi  Suessionensis  desiqnati  Censura  Philosophiœ  cartesianœ,  servant  d^ éclaircisse- 
ment à  toutes  les  parties  de  la  Philosophie,  surtout  à  la  Métaphysique,  Paris,  1691.  — 
Réponse  aux  Réflexions  critiques  de  I\I.  Du  Hamel  sur  le  Système  cartésien  de  la  Philo- 
sophie de  Mr  Régis,  Paris,  1692.  —  VU  sage  de  la  raison  et  de  la  foy  ou  V  Accord  de  la  foy 
et  de  la  raison,  Paris,  1704.  Cet  ouvrage  est  suivi  d'une  sorte  d'Appendice  :  Réfutation 
de  V opinion  de  Spinosa  touchant  V existence  et  la  nature  de  Dieu,  p.  481-500.  —  Discursus 


SYMPATHIES    EN    FRANCE    :    X\T^l6    SIÈCLE  C09 

ment  visibles  quand  il  disserte,  sur  les  devoirs  de  l'homme  considéré 
dans  l'état  de  nature  et  qu'il  explique  l'origine  et  l'institution  des 
sociétés  civiles.  Il  est  facile  de  justifier  cette  double  assertion. 

Laissons-le  nous  dire  lui-même  la  genèse  des  lois  naturelles.  «  L'expé- 
rience ayant  fait  connoître  que  la  guerre  estoit  inséparable  de  l'état 
de  nature,  et  que  la  conservation  du  genre  humain  estoit  incompa- 
tible avec  la  guerre,  la  droite  raison  (que  nous  ne  distinguons  pas  icy 
de  la  Loy  naturelle)  fit  entendre  aux  hommes  Qii'il  f allait  rechercher 
la  paix  par  toutes  les  voyes  possibles,  et  qu'au  eus  qu'on  ne  pût  Vohtenir, 
il  se  falloit  préparer  à  la  gnerre  ».  Telle  est  la  première  Loi  naturelle, 
la  Loi  fondamentale.  Les  autres  lois  «  qui  regardent  les  devoirs  réci- 
proques des  hommes  »,  ne  sont  que  «  des  corollaires  »  de  la  Loi  fonda- 
mentale. Voici  la  seconde  :  «...  Et  parce  qu'il  seroit  inutile  aux  hommes 
de  rechercher  la  paix,  s'ils  n'avoient  des  moyens  propres  pour  l'ac- 
quérir, la  droite  raison  leur  enseigna  cette  seconde  Loy,  Qu'ils  ne 
dévoient  pas  retenir  tout  le  droit  qu'ils  avoient  sur  toutes  choses  et  qu'il 
en  falloit  céder  une  partie  aux  autres  »  ^. 

De  la  Loi  fondamentale  Régis  fait  dériver  quinze  autres  lois  natu- 
relles secondaires  ^.  En  lisant  leur  énoncé,  on  constate  que  l'auteur 
marche  pas  à  pas  sur  les  traces  de  Hobbes.  Avant  d'en  venir  à  cette 
longue  énumération,  il  avait  exphqué,  toujours  d'après  Hobbes,  en 
quoi  consistent  les  conventions  et  les  pactes  ^. 

Lorsque  Régis  passe  de  la  considération  de  l'état  de  nature  à  l'exa- 
men de  l'état  social,  on  remarque  encore  la  même  étroite  dépendance 
du  philosophe  anglais.  Voyez  plutôt  comment  il  justifie  l'origine  des 
sociétés  civiles  : 

<(  Si  tous  ceux  qui  connoissent  les  Loix  naturelles  estoient  portés 
à  les  obser^^er,  il  seroit  inutile  de  former  des  Sociétés  civiles,  parce  que 
cette  seule  connoissance  conduiroit  nécessairement  les  hommes 
à  la  paix,  qui  est  l'unique  fin  qu'ils  se  proposent  en  étabHssant  des 
Sociétés.  Mais,  parce  que  dans  l'état  de  nature  les  Loix  de  la  raison, 
quoyque  connues  de  tout  le  monde,  estoient  sans  effet,  à  cause 
que  la  violence  des  passions,  qui  dominoient  sur  tous  les  hommes, 
causoient  parmy  eux  une  guerre  perpétuelle,  ils  furent  obhgés  pour 
se  conserver  de  recourir  à  d'autres  moyens,  dont  le  premier  et  le  prin- 
cipal fut  de  s'unir  plusieurs  ensemble,  afin  que  s'il  falloit  combattre, 

philosophicus  in  quo  historia  Philosophiœ  antiquœ  et  recentioris  recensetur,  s.  1.,  1705.  — 
Malebranche  opposa  aux  attaques,  dirigées  contre  lui  par  Régis  dans  son  Système  de 
Philosophie,  rou\Tage  suivant  :  Réponse  du  P.  Malebranche  à  M.  Régis,  Paris,  1693.  — 
Régis  fit  trois  répliques  :  Première  Réplique  de  M.  Régis  à  la  Réponse  du  R.  P.  Male- 
branche touchant  la  raison  physique  de  diverses  apparences  de  grandeur  du  soleil  et  de  la 
lune  dans  l'horizon  et  dans  le  méridien,  dans  Journal  des  Sçavans,  23  janv.  1694.  — 
'Seconde  Réplique  touchant  la  vuiniere  dont  nous  voyons  les  objets  qui  nous  environnent.  — 
Troisième  Réplique  touchant  la  satisfaction  intérieure  de  Vâme  et  les  plaisirs  des  sens. 
Ibidem,  30  janvier  1694.  —  Ces  Répliques,  extraites  du  Journal  des  Sçavans,  parurent 
à  part  la  même  année. 

1.  RÉGIS,  Système  de  Philosophie...,  T.  III,  Morale,  L.  I,  Part.  I,  Ch.  IV,  p.  412-413. 
Xos  références  se  rapportent  à  l'édition  in-4''  de  1690. 

2.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  I,  P.  I,  Ch.  V,  p.  417-421.  —  Comparer  avec 
Hobbes,  De  Cive,  C.  III  ;  Leviathant  C.  XV.  Cf.  supra,  Ch.  III,  S-ction  III,  p. 

3.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  I,  P.  I,  Ch.  IV,  p.  413-416. 


510         ARTICLE   III.   — •  CHAPITRE   V.   —  PARTISANS    ET  ADVERSAIRES 

ils  ne  fussent  pas  sans  secours  ;  et,  parce  qu'il  eut  esté  inutile  que  plu- 
sieurs se  fussent  unis  pour  se  défendre  contre  d'autres,  s'ils  n'eussent 
pourveu  en  même  temps  aux  moyens  de  conserver  la  paix  parmy 
eux...,  ils  convinrent  que  chaque  particuKer  soûmettroit  sa  volonté 
à  celle  d'une  certaine  personne  ou  de  plusieurs,  dont  l'avis  prévaudroit 
et  seroit  suivy  de  tous  les  autres  sur  les  choses  qui  concerneroient  la 
paix  ou  la  défense  commune,  et  que  ceux  qui  ne  voudroient  pas  s'y 
soumettre,  seroient  regardés  comme  ennemis  »  ^. 

Ainsi,  dans  ce  système,  comme  dans  celui  de  Hobbes,  le  grand 
ressort  qui  fait  tout  mouvoir,  c'est  la  crainte.  Le  seul  moyen,  dit  Régis, 
qu'on  ait  pu  trouver  pour  assurer  l'observation  des  Lois  naturelles, 
a  été  d'imposer  des  peines  si  fortes  à  ceux  qui  les  violent,  «  que  chacun 
aimât  mieux  les  observer  que  les  enfreindi'e  ;  ce  qui  n'a  pu  se  faire 
qu'en  établissant  des  sociétés  civiles  avec  une  autorité  souveraine  »  ^. 

Dans  les  Chapitres  suivants  du  Livre  II  ^,  Régis  traite  les  diverses 
questions  qui  se  rapportent  à  la  constitution  de  l'état  social  :  Des 
divers  États  poUtiques  ou  institués.  —  Aucune  espèce  d'État  poU- 
tique  (qu'il  soit  démocratique,  aristocratique  ou  monarchique)  ne 
peut  subsister  sans  une  puissance  absolue.  —  La  puissance  absolue, 
en  Aristocratie  et  en  Démocratie,  ne  peut  être  révoquée  par  les  parties 
qui  l'ont  établie,  si  ce  n'est  du  consentement  de  ceux  qui  la  possèdent. 
—  Les  sujets  doivent  une  obéissance  absolue  à  leurs  S'ouverains 
en  tout  ce  qui  regarde  la  paix  et  la  défense  commune. —  Les  Souve- 
rains ne  sont  pas  soumis  aux  lois  civiles,  mais  ils  sont  tenus  d'obéir 
aux  lois  naturelles.  —  Les  sociétés  civiles  se  trouvent  vis-à-vis  les  unes 
des  autres  dans  l'état  naturel.  Or  «  comme,  dans  l'état  de  la  nature, 
chaque  particuKer  avoit  droit  d'employer  ses  forces  contre  tous  les 
autres  quand  il  le  jugeoit  à  propos,  chaque  société  a  droit  aussi  d'em- 
ployer les  siennes  contre  tous  les  autres  états  si  eUe  le  juge  nécessaire  »  ^. 
Tout  cela  a  un  fort  relent  de  Hobbisme. 

Il  ne  faudrait  pas  s'imaginer  pourtant,  d'après  ces  énoncés  som- 
maires, que  Régis  emboîte  toujours  servilement  le  pas  derrière  Hobbes. 
Ses  convictions  de  philosophe  spiritualiste  et  cathohque  l'ont  forcé 
çà  et  là,  soit  à  abandonner  certaines  thèses  hobbiennes,  soit  à  les 
adoucir. 

Ainsi,  Régis  admet  dans  les  hommes  «  une  disposition  naturelle 
à  s'aimer  les  uns  les  autres  »  ^,  encore  qu'elle  ne  suffise  pas  à  faire 
régner  entre  eux  l'amour  et  la  paix. 

Il  parle  correctement  de  Dieu  et,  à  la  suite  des  Lois  naturelles  qui 
règlent  les  rapports  des  hommes  entre  eux,  il  formule  les  «  Loix  natu- 
relles qui  regardent  immédiatement  la  gloire  de  Dieu  »  ®. 

Sa  Morale  a  une  tendance  empirique  fortement  marquée,  car  elle_ 

1.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  II,  Des  devoirs  de  l'homme  considéré  dans  la 
Société  civile,  Part.  I,  Ch.  I,  p.  447-448. 

2.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  Avertissement,  p.  395,  circa  finem. 

3.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  II,  P.  I,  Ch.  II-VIII,  p.  449-466. 

4.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  II,  P.  I,  Ch.  VIII,  p.  464,  circa  principium. 

5.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  I,  1?.  I,  Ch.  IV,  p.  412. 

6.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  I,  P.  I,  Ch.  VI,  p.  423-427. 


SYMPATHIES    EN    FRANCE    :    XYll^    SIÈCLE     '  511 

est  dictée  par  la  recherche  des  moyens  favorables  à  la  conservation 
personnelle.  Sans  doute,  Régis  s'ingénie  à  dégrossir  la  morale  hob- 
bienne  en  tâchant  d'atténuer  son  caractère  égoïste.  Il  affirme,  par 
exemple,  que  «  la  consen'ation  de  chaque  homme  en  particuUer  est 
tellement  hée  avec  celle  des  autres  hommes,  qu'il  arrive  rarement 
qu'on  puisse  travailler  à  sa  conservation  propre  sans  travailler  à  celle 
des  autres,  ni  travailler  à  celle  des  autres  sans  procurer  la  sienne  »  ^. 
Partant  de  là,  il  emploie  un  chapitre  à  montrer  que  «  l'homme  dans 
l'état  de  nature  ne  peut  s'aimer  comme  il  doit  sans  aimer  son  prochain 
comme  soy-même  »  ^.  Même  préoccupation  quand  il  envisage  l'homme, 
non  plus  dans  ses  relations  avec  ses  semblables,  mais  avec  Dieu, 
car  il  a  un  chapitre  intitulé  :  «  L'homme,  qui  s'aime  selon  les  lois 
naturelles,  s'aime  par  rapport  à  la  gloire  de  Dieu  »  ^.  Bien  plus,  il 
enseigne  que  «  l'homme  dans  l'état  de  nature  doit  préférer  la  gloire 
de  Dieu  à  sa  propre  conservation  »  *.  Malgré  ces  tempéraments  qui 
l'épurent,  la  Morale  de  Régis  se  ressent  toujours  du  contact  hobbien  : 
elle  reste,  dans  son  dernier  fond,  motivée  par  l'intérêt  bien  entendu 
sous  l'impulsion  d'un  amour-propre  éclairé. 

Régis  soutient  que  «  le  droit  de  juger  de  toutes  les  doctrines  qu'on 
enseigne  dans  l'État  touchant  les  mœurs  appartient  à  celuy  ou  à 
ceux  qui  le  gouvernent  ».  Mais,  plus  hbéral  que  Hobbes,  il  ajoute  : 
«  Je  dis  touchant  tes  mœurs  pour  faire  entendre  que  les  Souverains 
n'ont  aucun  droit  sur  les  doctrines  qui  ne  regardent  que  l'instruction 
de  l'esprit,  à  l'égard  desquelles  chacun  se  peut  instruire  comme  il 
veut.  Car,  par  exemple,  chacun  peut  penser  ce  qu'il  voudi'a  des  causes 
du  flux  et  du  reflux  de  la  mer,  des  propriétés  de  l'aimant,  et  en  général 
de  toutes  les  choses  purement  spéculatives,  desquelles  chacun  doit 
juger  d'après  ses  propres  idées  »  ^. 

Tandis  que  Hobbes  assujettit  l'Église  et  les  choses  sacrées  au  Souve- 
rain temporel,  Régis  professe  que  «  l'obéissance  des  sujets  à  l'égard 
de  l'État  ne  s'étend  pas  aux  choses  qui  regardent  directement  le 
salut  éternel,  lesquelles  dépendent  immédiatement  de  Jésus-Christ 
et  de  son  Église  »  ^. 

La  tendance  empirique,  qu'on  vient  de  signaler  dans  la  Morale 
de  Régis,  se  retrouve  également  dans  sa  Métaphysique  :  c'est  ainsi 
qu'il  interprète  et  tire  dans  le  sens  de  l'empirisme  la  théorie  carté- 
sienne des  idées  '.  Ce  goût  prononcé  pour  l'empirisme,  il  le  doit  sans 
doute  à  l'antipathie  profonde  que  lui  inspirait  l'idéaMsme  outrancier 
de  Malebranche,  qu'il  a  si  vigoureusement  combattu.  Mais  ce  besoin 
de  réagir  contre  les  excès  du  Malebranchisme  ne  suffit  pas  à  en  expli- 
quer l'origine.  Il  convient  de  l'attribuer  pour  une  part  à  la  fréquen- 
tation de  Hobbes. 

1.  RÉGïis,  Système...,  T.  III,  Morale,  Avertiesement,  p.  394,  §  Et  parce  qiie. 
2-3-4.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  I,  P.  I,  Ch.  IV,  p.  412-416;  Ch.  IX,  p.  431- 
434  ;  Ch.  X,  p.  434. 

5.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  II,  P.  I,  Ch.  III,  p.  454,  drca  qyrineipiwm. 

6.  RÉGIS,  Système...,  T.  III,  Morale,  L.  II,  P.  I,  Ch.  VI,  p.  459. 

7.  Noxis  n'avons  pas  à  montrer  ici  dans  qnelle  mesure  Régis  a  été  fidèle  aux  doctrines 
de  son  maître.  Il  en  sera  parlé  quand  on  traitera  du  Cartésianisme  en  France. 


512         ARTICLE   III. CHAPITRE    V.    PARTISANS    ET   ADVERSAIRES 

Régis  est  donc  incontestablement  le  débiteur  du  philosophe 
anglais.  Cependant,  chose  étrange,  nulle  part  il  ne  prononce  le  nom 
de  son  créancier  ;  bien  plus,  il  ne  reconnaît  même  pas  d'une  façon 
globale  l'existence  et  l'étendue  de  sa  créance,  qui  ne  s'arrête  pas  aux 
idées,  mais  souvent  s'applique  aux  mots  eux-mêmes.  On  dirait  un 
débiteur  qui  rougit  de  sa  dette  et  n'ose  l'avouer.  Régis  a-t-il  craint 
de  compromettre  sa  cause  en  se  réclamant  d'un  philosophe  aussi 
suspect  que  Hobbes  ?  Cette  prudence  calculée  ne  ferait  pas  honneur 
à  son  caractère  ^. 


xviii^  Siècle 

C'est  pendant  le  xviiie  siècle  que  Hobbes  rencontra  en  France 
les  plus  vives  sympathies.  Elles  lui  vinrent  principalement  de  ceux  qui 
combattaient  la  philosophie  spiritualiste  et  la  rehgion  révélée  :  Hel- 
vÉTius,  d'Holbach,  Diderot.  Il  faut  rendre  cette  justice  à  Vol- 
taire qu'il  ne  partagea  point  leur  enthousiasme  aveugle.  Ses  éloges 
sont  mêlés  de  fortes  réserves.  Voici  en  quels  termes  il  apostrophe 
Hobbes  :  «  Profond  et  bizarre  philosophe,  bon  citoyen,  esprit  hardi, 
ennemi  de  Descartes,  toi  qui  t'es  trompé  comme  lui,  toi  dont  les  erreurs 
en  Physique  sont  grandes,  et  pardonnables  parce  que  tu  étais  venu 
avant  Newton,  toi  qui  as  dis  des  vérités  qui  ne  compensent  pas  tes  erreurs, 
toi  qui  le  premier  fis  voir  quelle  est  la  chimère  des  idées  innées,  toi 
qui  fus  le  précurseur  de  Locke  en  plusieurs  choses,  mais  qui  le  fus 
aussi  de  Spinosa,  c'est  en  vain  que  tu  étonnes  tes  lecteurs  en  réussis- 
sant presque  à  leur  prouver  qu'il  n'y  a  aucunes  lois  dans  le  monde 
qu.e  des  lois  de  convention  ;  qu'il  n'y  a  de  juste  et  d'injuste  que  ce 
qu'on  est  convenu  d'appeler  tel  dans  un  pays...  Quiconque  étudie 
la  morale  doit  commencer  à  réfuter  ton  livre  dans  son  cœur,  mais  ton 
propre  cœur  te  réfutait  encore  davantage  :  car  tu  fus  vertueux  ainsi 
que  Spinosa,  et  il  ne  te  manqua,  comme  à  lui,  que  d'enseigner  les 
vrais  principes  de  la  vertu,  que  tu  pratiquais  et  que  tu  recommandais 
aux  autres  »  ^. 

Helvétius,  dans  son  hvre  De  V Esprit  (1658),  assigne  comme  motif 
unique  aux  actions  humaines,  la  recherche  du  plaisir.  La  Morale 
égoïste  de  Hobbes  cadre  sur  ce  point  avec  la  sienne. 

D'Holbach  publia,  sous  le  voile  prudent  de  l'anonymat,  une  tra- 

1.  Régis  s'est  expliqué  lui-même  sur  la  façon  dont  il  comprenait  l'utilisation  des 
auteurs  à  sa  convenance.  «  ...  Je  me  suis  servi  de  leurs  pensées  [des  autres]  jusques 
à  rapporter  leurs  propres  termes,  lorsqu'ils  ont  pensé  conformément  à  ines  principes  ; 
je  les  ay  même  cites  dans  les  occasions  importantes.  »  (Systètne...,  T.  I,  Pi'éface  [non 
paginée],  p.  7-8).  Api-ès  cette  déclaration  générale,  Régis  se  croyait  sans  doute  en  règle 
envers  ceux  dont  il  était  l'obligé.  Hobbes  rentre  dans  la  catégorie  des  auteurs  dont  il 
emprunte  les  expressions  sans  les  citer  eux-mêmes.  Cependant  les  «  occasions  impor- 
tantes »  de  le  citer  ne  manquaient  pas,  car  les  emprunts  sont  nombreux  et  de  consé- 
quence. —  Il  est  possible  que  Régis  se  soit  aussi  inspiré  du  Tractatus  theologico-politicus 
de  Spinoza,  qui  parut  en  1670. 

2.  Voltaire,  Le  Philosophe  ignorant,  §  xxxvit,  Œuvres,  Edit,  Garnier,  T.  XXVI, 
p.  86,  Paris,  1879. 


SYMPATHIES    EN    FRANCE    :    XVIII^    SIÈCLE  513 

duction  de  VHuman  Nature^.  Bien  qu'elle  fût  défectueuse,  au  juge- 
ment même  de  Diderot  -,  elle  contribua  à  la  diffusion  des  idées  hob- 
biennes. 

Diderot  célébra  Hobbes  et  le  Hobbisme  dans  l'Encyclopédie. 
Son  enthousiasme  pour  VHuman  Nature  dépasse  toute  mesure. 
Après  avoir  lu  cet  ouvrage  dans  la  médiocre  traduction  de  d'Hol- 
bach, il  écrivait  à  Naigeon  :  «  Que  Locke  me  paroît  diffus  et  lâche, 
la  Bruyère  et  la  Rochefoucauld  pauvres  et  petits,  en  comparaison 
de  ce  Thomas  Hobbes  !  C'est  un  Hvre  à  lire  et  à  commenter  toute  sa 
vie  »  ^.  Il  n'est  pas  moins  louangeiu'  devant  le  public  que  dans  l'inti- 
mité :  «  Ouvrage  court  et  profond...  C'est  un  chef-d'œuvre  de  logique 
et  de  raison  »  *. 

Hobbes  ne  jouit  pas  de  la  même  faveur  auprès  des  théoriciens  poli- 
tiques, Montesquieu  et  Rousseau. 

Dans  V Esprit  des  lois  et  la  Défense  de  ce  hvre  Montesquieu  est  çà 
et  là  visiblement  préoccupé  de  prendre  le  contrepied  du  philosophe 
anglais.  Il  combat  notamment  la  théorie  a  de  la  guerre  de  tous  contre 
tous  ».  «  Le  désir  que  Hobbes  donne  d'abord  aux  hommes  de  se  subju- 
guer les  uns  les  autres  n'est  pas  raisonnable  »  ^. 

Hobbes  a  soutenu  que  la  justice  n'est  pas  antérieure  à  la  formation 
des  États,  dont  les  lois  décident  ce  qui  est  juste  ou  injuste.  Montesquieu 
lui  a  répondu,  sans  le  nommer  ':  «  Dire  qu'il  n'y  a  rien  de  juste  ni  d'in- 
juste que  ce  qu'ordonnent  ou  défendent  les  lois  positives,  c'est  dire 
qu'avant  qu'on  eût  tracé  de  cercle,  tous  les  rayons  n'étaient  pas 
égaux  »  ®.  L'auteur  de  V Esprit  des  lois,  qui  a  si  largement  puisé  aux 
sources  anglaises  pour  composer  son  Hvre,  semble  s'être  complète- 
ment  soustrait  à  l'influence  de  Hobbes  '.  Montesquieu  et  Hobbes 

1.  D'Holbach,  De  la  Nature  humaine  ou  Exposition  des  facultés,  des  actes  et  des  pas- 
sions de  l'âme  et  de  leurs  causes,  Londres,  1772.  H  réédita  son  œuvre  en  y  joignant  la 
traduction  du  De  Cive  et  du  De  Corpore  politico  par  SoRBiÈRE.L'ouxTage  parut  sous  ce 
titre  :  Œuvres  philosophiques  et  politiques  de  Thomas  Hobbes,  2  vol.,  Neufchatel,  1787. 

2.  «  Quel  dommage  que  la  traducteur  n'ait  pas  réuni  l'élégance  et  la  clarté  du  style 
à  l'évidence  et  à  la  force  des  idées.  »  (Lettre  d^  Diderot  à  Naigeon,  citée  ci-dessous). 

3.  Lettre  de  Diderot  à  Naigeon.  Celui-ci  l'a  publiée,  à  la  suite  de  l'article  Hobbisme 
composé  par  Diderot  pour  l'Encyclopédie  (Xaigeon,  Edition  des  Œuvres  de  Dénia 
Diderot,  Paris,  1798,  t.  V,  p.  520-521). 

4.  Diderot,  Plan  d'une  Université  pour  le  gouvernement  de  Russie,  Œuvres,  Edit.  de 
J.  AssÉZAT,  t.  III,  p.  466,  Paris,  1875.  —  Diderot,  dans  son  article  sur  le  Hobbisme, 
n'est  pas  toujours  exact  :  vg.  il  «  tombe  dans  une  erreur  manifeste  lorsqu'il  déclare  que 
le  Dieu  de  Hobljes  «  diffère  peu  de  celui  de  Spinoza.  »  (G.  Lyon,  La  Philosophie  de 
Hobbes,  Conclusion,  p.  219,  note  1).  " 

5.  Montesquieu,  De  l'Esprit  des  lois,  L.  I,  Ch.  II. 

6.  Montesquieu,  De  l'Esprit  des  lo^a,  L.  I,  Ch.  I,  circa  ynedium.  —  Tout  ce  premier 
Livre  de  VEsprit  des  Lois  est,  en  somme,  la  réfutation  de  la  théorie  hobbienne  et  spino- 
ziste,  qui  fait  dépendre  le  droit  individuel  d'une  concession  du  Souverain.  Montesquieu 
estime  qu'il  y  «  a  démontré  contre  Hobbes  et  Spinosa  que  les  rapports  de  justice  et 
d'équité  étoient  antérieurs  à  toutes  les  lois  positives.  »  (Défense  de  l'Esprit  des  Lois, 
Ire  Partie,  §  i.  Œuvres,  Edit.  Laboulaye,  T.  VI,  p.  142,  circa  finem,  Paris,  1878). 
Montesquieu  s'attaque. aussi  à  Hobbes  dans  son  Traite  des  Devoirs  (Cf.  Œuvres,  T.  VII, 
p.  67,  Paris,  1879),  et  même  dans  les  Lettres  persanes. 

7.  ('  Nous  avons  omis  da:;s  notre  étude  l'œuvre  de  Hobbes  et  d'Harrington.  Certaine- 
ment Montesquieu  les  connaissait  ;  il  a  voulu,  dit-il,  réfuter  Hobbes,  et  il  cite  ailleurs 

33 


514         ARTICLE   in.  —  CHAPITRE   V.   —  PARTISANS   ET   ADVERSAIRES 

sont  des  penseurs  placés  aux  antipodes  de  la  Politique  :  le  premier 
est  la  modération  même  ^  ;  le  second  l'absolutisme  personnifié. 

Malgré  quelques  points  de  contact,  les  divergences  entre  Hobbes 
et  Rousseau  sont  aussi  très  accentuées.  Hobbes  présente  le  hélium 
omnium  contra  omnes  comme  l'état  naturel  de  l'humanité  ;  Rousseau 
s'est  jeté  étourdiment  dans  l'hypothèse  opposée,  plus  chimérique 
encore  :  L'homme  naît  bon  ;  c'est  la  société  qui  le  déprave.  L'état 
primitif  est  peint  par  lui  sous  des  couleurs  idylliques.  —  Rousseau 
admet  bien,  ainsi  que  Hobbes,  l'existence  d'un  contrat  à  l'origine 
même  de  la  société,  mais  il  l'entend  tout  autrement  que  lui.  D'après 
Hobbes,  le  contrat  est  conclu  entre  sujets  et  laisse  le  souverain  libre 
de  tout-e  obhgation.  D'après  Rousseau,  les  individus  font  la  cession 
de  leurs  droits  au  peuple  tout  entier,  qui  est  le  vrai  souverain  ;  puis, 
la  majorité  confie  des  pouvoirs  déterminés  à  ceux  qu'elle  choisit 
comme  ses  représentants  et  qui  constituent  le  gouvernement  actif. 
—  Selon  Hobbes,  le  contrat  une  fois  passé  est  irrévocable.  Pour  Rous- 
seau le  pouvoir  réside  d'une  façon  permanente  dans  le  peuple,  qui  peut 
révoquer  ad  nutum  ses  représentants.  —  Hobbes  et  Rousseau  sont 
tous  les  deux  partisans  d'une  souveraineté  illimitée  ;  mais  les  préfé- 
rences de  Hobbes  vont  à  la  monarchie  absolue,  tandis  que  Rousseau 
se  déclare  pour  le  gouvernement  démocratique. 

Sur  un  point  capital  Rousseau  s'est  séparé  avec  éclat  de  Hobbes 
qu'il  traite  sans  ménagement.  i\.près  avoir  dit  qu'il  met,  au-dessus 
de  l'autorité  pohtique  souveraine,  trois  autorités  seulement,  à  savoir', 
«  l'autorité  de  Dieu,  et  puis  celle  de  la  loi  naturelle  qui  dérive  de  la 
constitution  de  l'homme,  et  puis  celle  de  l'honneur,  plus  forte  sur  un 
cœur  honnête  que  tous  les  rois  de  la  terre  »,  il  continue  :  «  Si  jamais 
l'autorité  souverame  pouvoit  être  en  confht  avec  une  des  trois  pré- 
cédentes, il  faudroit  que  la  première  cédât  en  cela.  Le  blasphémateur 
Hobbes  est  en  horreur  pour  avoir  soutenu  le  contraire  »  ^. 

xix^   Siècle 

Il  faut  encore  noter,  dans  un  autre  ordre  d'idées,  l'effort  tenté 
par  Destutt  de  Tracy  pour  acclimater  parmi  nous  la  Logique  de 
Hobbes.  Il  a  fait  l'analyse  et  l'éloge  de  la  Comjyutatio  logica,  œuvre  de 
«  ce  philosophe  éminent,  remarquable  par  la  précision  et  l'enchaîne- 
ment de  ses  idées  et  complètement  imbu  de  celles  de  Bacon  »  ^.  Il 

VOceana  d'Harrington.  Cependant  nous  n'avons  rien  trouvé  qui  indique  véritablement, 
de  la  part  de  ces  deux  Anglais,  une  influence  sur  la  pensée  de  Montesquieu.  »  (Joseph 
Dedieu,  Montesquieu  et  la  Tradition  politique  anglaise  en  France.  Les  sources  anglaises 
de  V  n  Esprit  des  Lois  »,  Introduct.,  p.  12,  note  1,  Paris,  1909). 

1.  «  Je  le  dis,  et  il  me  semble  que  je  n'ai  fait  cet  ouvrage  que  pour  le  prouver  :  l'esprit 
de  modération  doit  être  celui  du  législateur...  »  (De  l'Esprit  des  Lois,  L.  XXLX,  Ch.  I). 

2.  RoxjssEATj,  Réponse  à  une  Lettre  anonyme.  Œuvres,  T.  III,  p.  179,  Furne,  Paris, 
1846. 

3.  A.  L.  C.  Destutt-Tracy,  Eléments  d' Idéologie,  3®  Partie  :  Discours  préliminaire, 
p.  113.  Paris,  An  XIII  =  1805.  —  A  cette  époque  l'auteur  ne  signait  pas  encore  Des- 
tutt de  Tracy. 


SY-AIPATHIES    EN    FK.VNGE    :    XIX®    SIÈCLE  515 

exagère  singulièrement  la  dépendance  de  Hobbes  vis-à-vis  de  Bacon 
et  traite  Aristote  avec  nne  suffisance  qui  touche  au  ridicule.  Ses  appré- 
ciations élogieiises  sont  du  reste  d'assez  mince  valeur,  parce  que  cer- 
taines critiques  avoisinantes  donnent  de  l'inquiétude  sui'  la  portée 
de  son  intelligence,  par  exemple,  quand  il  écrit  :  «  On  trouve  dans  ce 
chapitre  [de  Hobbes  sur  la  Proposition]  la  plupart  des  inutiles  distine-  • 
tions  d'Aristote  sur  les  différentes  espèces  de  propositions  ;  et,  qui  pis 
•est,  on  y  trouve  aussi  sa  principale  erreur,  savoir,  que  c'est  l'attribut 
qui  comprend  le  sujet,  c'est-à-dire,  l'idée  générale  qui  comprend 
l'idée  particulière,  d'où  il  suit  que  ce  sont  les  propositions  générales 
qui  comprennent  les  propositions  particuhères,  qu'elles  sont  les  vrais 
principes,  et  que  les  principes  ne  se  prouvent  pas  »  ^.  Il  y  a  plus  fort. 
Après  avoir  reconnu  que  Hobbes  a  cherché  à  expUquer  en  quoi  con- 
siste l'opération  de  l'esprit  dans  le  syllogisme,  «  ce  qui  est  un  grand  pas 
vers  la  découverte  du  vice  radical  de  ce  procédé  »,  Destutt  regrette 
qu'il  n'ait  pas  <(  trouvé  ce  vice  »  ;  mais  du  moins  le  philosophe  anglais 
«  sent  qu'il  existe  »  ^.  Voilà  quelques  échantillons  des  «  idées  pré- 
cieuses ))  que  la  Computatio  logica  a  suggérées  à  Destutt  ;  et,  nous 
confie-t-il,  c'est  parce  qu'  «  elle  en  suggère  toujours  »  ^,  qu'il  s'est 
résolu  à  en  donner  la  traduction  à  la  fin  de  son  ouvrage  *. 

Cependant,  le  xix^  siècle,  si  épris  des  formes  démocratiques,  n'était 
point  fait  pour  goûter  la  théorie  absolutiste  du  De  Cive  et  du  Lévia- 
ihan.  Les  Sociologues  n'ont  pas  goûté  non  plus  la  méthode  employée 
par  le  philosophe-géomètre  pour  construire  son  système  politique. 
Ils  admirent  sans  doute,  comme  une  virtuosité  de  l'esprit,  sa  dialec- 
tique nerveuse,  serrée,  imperturbable,  cette  témérité  tranquille  de 
déduction  qui  ne  recide  pas  devant  les  conséquences  les  plus  osées. 
Pour  tout  autre,  moins  infatué  de  sa  raison  raisonnante,  ces  excès 
seraient  l'indice  de  la  fausseté  initiale  du  système  et  éveilleraient 
quelque  inquiétude  sur  la  valeur  de  la  méthode  suivie. 

La  trilogie  fameuse  :  Corpus,  Hmno,  Cims,  où  les  lois  de  la  Matière, 
de  l'Homme  et  du  Citoyen  sont  étabhes,  se  déroule  avec  une  rigidité 
géométrique,  sans  que  la  longue  suite  des  déductions  soit  suffisamment 
soumise  au  contrôle  de  l'expérience  liistorique.  La  base  d'observation 
est  très  étroite  :  Hobbes  a  tout  vu  et  tout  jugé  à  travers  les  troubles 
de  la  Révolution  d'Angleterre,  dont  il  fut  témoin  et  victime.  La  Socio- 
logie moderne,  avant  tout  soucieuse  des  faits  et  prônant  les  études 
comparatives,  ne  pouvait  accepter  qu'on  apphquât  à  une  matière 
complexe  comme  les  sociétés  humaines,  si  mouvantes  et  si  diverses, 
la  méthode  trop  aprioristique  et  unilatérale  du  penseur  soHtaire  de 
Malmesbury. 

Il  est  cependant  une  doctrine  hobbienne  qui  a  suscité,  de  nos  jours, 
des  propagateurs,  peu  nombreux  encore,  mais  zélés.  C'est  la  doctrine 
qui  nie  la  valeur  primitive,  essentielle,  persistante  des  devoirs  et  des 

1-2-3.  Destutt-Tracy,    Eléments...,  3^  Partie,   Discours  préliminaire,  p.  115;  116; 
118. 
4.  Destutt-Tracv,  Eléments...,  3*=  Partie,  Appendice  II,  p.  589-067. 


516         ARTICLE   III.    —   CHAPITRE    V.    —  PARTISANS    ET    ADVERSAIRES 

droits  naturels  et  cherche  la  source  de  la  moralité  dans  l'ordre  social 
une  fois  constitué.  Par  là  même  Hobbes  enlève  à  ces  notions  primor- 
diales du' devoir  et  du  droit  leur  caractère  absolu,  inviolable,  transcen- 
dant à  rliomme  individuel  et  à  la  société,  pour  leur  assigner  comme 
origine  l'accord  de  volontés  humaines,  volontés  fragiles  et  ondoyantes, 
qui  renoncent  délibérément  à  l'exercice  de  certains  pouvoirs.  Cette 
conception  naturaliste  et  sociologique,  d'où  est  dérivée  l'Éthique 
hobbienne,  a  été  accueillie  avec  une  faveur  marquée  par  ceux  qui* 
ont  énervé  l'obligation  morale  en  effaçant  l'empreinte  divine,  d'où 
elle  tire  son  efficacité.  A  notre  époque,  toute  une  école,  l'école  sociolo- 
gique de  M.  Emile  Durkheim,  se  propose  (cela  ressemble  à  une  véri- 
table gageure)  de  montrer,  à  l'aide  d'enquêtes  et  de  documents,  que 
la  moralité  n'a  commencé  qu'avec  la  société  ^. 

D'après  la  critique,  que  nous  avons  présentée  du  Hobbisme,  et  les 
témoignages  nombreux  et  autorisés  que  nous  venons  de  recueillir 
en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Hollande  et  en  France,  il, est  légitime 
de  conclure  que  la  doctrine  hobbienne  est  malfaisante  dans  son  en- 
semble :  Fiction  de  l'état  de  nature, négation  du  Droit  naturel,  apo- 
logie de  l'égQÏsme  en  Morale  et  du  despotisme  en  Pohtique,  nominalisme 
affiché,  matérialisme  habilement  insinué,  attitude  foncièrement  anti- 
chrétienne, athéisme  déguisé,  voilà  les  principaux  reproches  qui  lui 
ont  été  adressés. 

Le  Hobbisme  cependant,  selon  la  remarque  de  Jouffroy,  a  pro- 
voqué une  réaction  dont  l'influence  a  été  bienfaisante  :  «  Peu  de  phi- 
losophes ont  été  plus  utiles  que  Hobbes...  Tant  qu'un  système  est 
encore  enveloppé,  fût-il  détestable,  on  l'ignore  ;  mais  le  jour  où  toutes 
ses  conséquences  sont  mises  à  nu,  si  elles  révoltent,  on  est  bien  forcé 
d'examiner  si  le  système  est  vrai  ou  ne  l'est  pas.  C'est  ce  qui  est  arrivé 
pour  la  doctrine  de  l'égoïsme.  L'exposition  de  Hobbes  en  a  tellement 
fait  saillir  les  conséquences,  que  tous  les  philosophes  de  son  temps 
en  ont  sévèrement  examiné  le  principe,  et  il  n'a  pas  fallu  longtemps 
pour  voir  que  ce  principe  défigurait  la  nature  humaine  ;  et  de  là  les 
études  psychologiques  qui  ont  mis  dans  leur  vrai  jour  les  éléments 
moraux  de  cette  nature.  Et  c'est  ainsi  que  la  politique,  la  morale, 
la  psychologie,  la  philosophie  tout  entière,  sont  redevables  à  Hobbes 
d'une  foule  de  clartés  qu'elles  auraient  sans  lui  probablement  long- 
temps attendues  »  '^. 

1.  Cf.  Emile  Durkheim,  La  Détermination  du  fait  moral,  dans  Bulletin  de  la 
Société  française  de  Philosophie,  1906,  p.  11.3-212.  —  Simon  Deploige,  Le  Conflit 
de  la  Morale  et  de  la  Sociolopie,  Louvain  et  Paris,  19122.  —  L.  Lévv-Brûhl,  La  Morale 
et  la  Science  des  mœurs,  Paris,  19135. 

2.  Jouffroy,  Cours...,  t.  I,  Leçon  XII,  p.  372  ;  373. 


BIBLIOGRAPHIE  RELATIVE  A  HOBBES 


ÉDITIONS  DES  ŒUVRES  DE  HOBBES 


1668. 

1750. 

1839-18-15. 

1889. 
1904. 
1909. 


Thom^  Hobbes,  Opéra  phihsophica,  quœ  latine  scripsit, 
omnia,  8  Parties  en  1  vol.  in-4o,  Amsterdam,  1668. 

The  moral  and  political  Works  of  Thomas  Hobbes  of 
Malmesbury...,  in-folio,  Londres,  1750. 

WiLLr/Vivi  MoLESWGRTH,  Thomœ  Hobbes  Malmesburiensis 
Opéra  philosophica,  quœ  latine  $cripsit,  omnia,  in  unum 
corpus  nunc  primum  collecta,  studio  et  labore  Giilielmi  Moles- 
worth,  5  vol.  in-80.  —  The  English  Works,  11  vol.  in-8o, 
Londres,  1839-1S45. 

Ferdinand  Tônnies  a  édité  d'après  les  manuscrits  : 
The  Eléments  of  Law  naiural  and  politic...,  Londres,  1889 
—  Behemoth  or  the  Long  Parliament,  Londres,  1889. 

Thomas  Hobbes,  Leviafhan  or  the  Matter,  forme,  and 
power  of  a  commonwealth  ecclesiastico.il  and  civill,  the  text 
edited  by  A.  R.  Waller,  Cambridge,  1904. 

Hobbes' s  Leviathan  reprinted  from  the  Edition  of  1651, 
with  an  Essay  by  the  late  W.  G.  Pog<!on  Smith,  Oxford, 
19092. 


II. 


ÉTUDES  GÉNÉRALES  OU  PARTICULIÈRES 


1650. 
1652. 
1653. 
1655. 


Philip  Scot,  A  Treatise  of  the  Schism  of  England,  wherein 
particul/irly  Mr.  Haies  and  Mr.  Hobbes  are  modestly  accosted, 
Amsterdam  [Londres],  1650. 

Robert  Filmer,  Observations  concerning  the  Originall  of 
Government  upon  Mr  Hobs  Leviathan,  Mr  Milton  against 
Salmctsius,  H.   Grotiu<s  De  Jure  Belli,  Londres,  1652. 

Alexander  Ross,  Leviathan  drawn  ont  irith  a  hook  or 
Animadvcrsions  on  Mr  Hobbes  his  Leviathan,  Londres, 
1653. 

Thomas  White,  The  Grounds  of  Obédience  and  Govefn- 
ment,  Londres,   1655  2. 

JofiN  Bramhall,  a  Defence  of  true  Liberty  of  hmnan 
actions  from  antécédent  or  extrinsic  Necessity,  Londres,  1655 
—  Castigations  of  Mr  Hobbes' s  Animadversions  in  the  case 
concerning  Liberty  and  universal  Necessity.  With  Appendix 


518 


BIBLIOGRAPHIE   RELATIVE   A   HOBBES 


concerning  the  Catching  of  Leviathaii  or  the  Great  Whaîe 
Londres,  1658. 

1656.  Setii  Ward,  In  Thomœ  Hohhii  Philosophiam  Exercifutio 
EpistoUca  ad  amplissimum  eruditissimumque  Virum  Joh. 
WiLKiNSitJM,  Collegii  Wadhamensis  Gardianum.  Oui  suh- 
jicitur  Appendicula  ad,  calumnias  ah  eodem  Hohhio  (in  sex 
Documentis  nuperrime  editis)  in  author&m  congestas,  respon- 
soria,  Oxford,  1656. 

1657.  Matthew  Wren,  Considérations  on  Mr.  Harrington's 
Common-Wealth  Oceana  restraint  to  the  first  part  of  Prelimi- 
naries,  Londres,  1657  —  Monarchy  asseried  or  the  State  of 
Monarchicall  and  Popular  Government  in  vindication  of  the 
Considérations...,   Oxford,   1659,   1660. 

1658.  Thomas  Pierce,  AÙToxa-:âxp!.(7',s  or  Self-Qondemnation 
exempUfied  in  Mr.  Whitfield,  Mr.  Barlee  and  Mr.  Hickman. 
With  occasional  re  flexions. . .  more  especially  on  Doctor  Twisse 
and  Master  Hohhs...,  Londres,  1658. 

1660.  Roger  Coke,  Justice  vindicated  from  the  false  fucus  put 

upon  it,  hy  Th.  White,  Thomas  Hohhs  and  Hugo  Grotius..., 
Ijondres,  1660  —  A  Survey  of  the  Politicks  of...  Thomas 
Hohhes,  Londres,  1662. 

Robert  Shtarrock,  'r7iôQcO-i.ç  t.Oix/j  de  Officiis  secun- 
dum  Naturœ  Jus  seu  de  Morihus  ad  Pationis  norfnam  con- 
formandis  Doctrina,..,  Oxford,  1660  — De  Finihus  Virtutis 
Christianœ.  The  Ends  of  Christian  Religion,  Oxford,  1673. 
1662.  Robert  Boyle,  An  Examen  of  Mr.  T.  Hohhes  his  Dia- 

logus  Physicus  de  Natura  Aeris...,  Londres,  1662  —  New 
Experinients  and  Ohserpations  touching  Cold,  or  an  expé- 
rimental History  of  Cold,  begun  to  which  added  an  Examen 
of  Antiperistasis,  and  cm  Examen  of  Mr.  Hohs's  doctrine 
ahout  Cold,  Londres,  1665.  Third  édition  with  defence 
against  Hobbes's  Objections,  Londres,  1682  —  Tracts  con- 
tadning...  2.  Animadversions  upon  Mr.  Hobbes's  Problemata 
de  Vacuo,  Londres,  1674. 

Gilbert  Clerke,  Tractatus  de  restitutione  corporum  in 
quo  expérimenta  Torricelliania  et  Boyliana  explicantur,  et 
rarefactio  Cartesiana  defenditur  per  modum  Besponsionis 
epistolicœ  ad...  F.  Linum  de  inseparahilitate  corporum.  Una 
cum  Besponsionë  ad...  T.  Hohhii  Dialogum,  Londres,  1662. 

William  Lucy,  Observations,  Censures  and  Confutations 
of  divers  errors  in  the  12,  13  and  14  chapters  of  Mr  Hohs  his 
Leviathan,  Londres,   1663  ^. 

Gisbert  Cooq,  Hohhes  D.ey/otj.svoi;  sive  Vindiciœ  pro 
Le.ge,  hnpeno  et  Religione  contra  Tractatus  T.  Hohhesii 
quihus  titulus  De  Cive  ef  Leviathan,  Utrecht,  1668  —  Vin- 
diciœ pro  Religione  iti  Begno  Dei  naturali,  contra  Hohhes 
De  Cive,  cap.  15,  Leviathan,  cap.  31,  Utrecht,  1668  — 
Hohhesianismi  Anatome,  qua  innumeris  assertionihus  ex 
Tractatihus  De  Homine,  Cive,  Leviathan,  juxta  seriem  loco- 
rum  Theologiœ  Christianœ,  Philosophi  illius  a  Religione 
Christiana  apostasia  demonstratur  et  refutatur,  Utrecht,  1680. 
1670.  Thomas  Tenison,  The  Creed  of  Mr  Hohhes  cvamined  in 

a  feigned.  Conférence  between  him  and  student  in  Divinity, 
Londres,  1670. 


1663. 


1668. 


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1672.  RiCFLVRD  CuMBERi.AXD,  De  Legibus  Natures  Disquisitîo 
Philosophica,  in  qua  earum  jwma,  summa,  capita,  or  do, 
promidgatio  e  renim  natura  investi gantur ,  quin  etiam  ele- 
menta  •  Philoso'pfiiœ  Hohhianœ  ciim  moralis  tum  civilis  con- 
siderantur  et  refutantur,  Londres,  1672  —  Les  Loix  de  la 
nature  expliquées  par  le  D'  Richard  Gumberland. . . ,  Traduct. 
par  M.  DE  Barbeyrac,  Leide,  1757. 

John  Eachard,  3Ir  Hobbs's  State  of  nature  considered 
in  a  Dialogue  between  Philautxis  and  Timothy...,  Londres, 
1672,  1694^  —  Some  Opinions  of  Mr  Hobbs  considered  in  a 
second  Dialogue  between  Philautus  and  Timothy,  Londres, 
1673. 

1673.  Jo.  Templar,  Idea  Theologiœ  Leviathanis,  in  qua  propo- 
nuntur  :  1"  Leviathanis  Dogmata.  2°  Dogmatum  Defensio 
ah  Authore.  3*^  Defensionis  Examen,  Cambridge,  1673. 

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exhibited  in  Parliament  against  M.  Hobbes,  justified  by  the 
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of  Hérésie  and  the  Punishments  thereot,  Oxford,  1683. 

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prored  to  be  thoroughly  seitled,  and  that  we  may  submit  to  it 
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1691. 

1692.  MiCîrAEL  Berns,  AUar  der  Atheïsten,  der  Heyden  und 
der  Christen...  Wider  die  3  Erz-Betrieger  Hobbert,  Hobbes 
und  Spinoza...,  Hanibourp:,  1692. 

James  Tyrrell,  A  brief  Disquisition  on  the  Law  of  Nature 
according  to  the  Principles  and  Method  laid  down  in  the 
R.  Dr.  Cumberlaxd's...  latin  Treatise  on  that  subjcct. 
As  also  his  Cœifntations  of  Mr.  Hobbs's  Principles  put  into 
another  Method,  Londres    1692. 

1694.  Ja'.mes  Lowde,  .4  Discourse  concerning  the  nature  of  man, 

both  in  his  natural  and  politiml  capacity...  With  an  exami- 
nation  of  some  of  Mr.  Hobbs's  opinions  relating  hereunto, 
Londres    1694. 

1705.  Samuel  Clarke,  A  Discourse  concerning  the  Seing  and 

Attributes  of  God...  in  anstoer  to  Mr.  Hobbes...  Londres, 
1705,  1706,  1716,  1719,  1732. 

1711.  Benjamin  Hampton,  The  Existence  of  human  Soûl  after 

Death  proved  from  Scripture,  Reason  and  PhilosopJiy.  Whcrein 
Mr.  LocJc's  notion  that  understanding  m/iy  be  given  to  matter, 
Mr  Hobbs's  Assertion  that  there  is  no  such  thing  af  an  Imma- 
teriaï  substance...,  D^  Coward's  Books  of  Secoiid  and  Further 
Thoughts...  are...  confuted...,  Londres,  1711. 

1718.  John  Brouohton,   A    Vindication  of  Lawful    Aïithority 

or  a  Confutation  of  Hobbism  in  Politih...,  Londres,  1718. 

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Original  of  Moral' Virtue,  wherein  the  false  notions  of  Machia- 


520 


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ve],  Hobbes,  Spinoza  and  Mr.  Bayle,  as  they  are  colleded 
and  digeste.d  hy  the  Author  of  ïhe  Fable  ot  the  Bées,  are 
examined  and  confuted,  and  the  eternal  and  unalterable  nature 
and  obligation  of  Moral  Virtue  is  stated  and  vindicatcd,  West- 
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Spiritual  Beings,  in  which  the  opinions  of  Mr.  Hobbes... 
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moderne  depuis  la  Renaissance  des  Lettres  jusqu'à  Kant, 
traduction  jjar  A.-J.-L.  Jourdan,  t.  III,  ch   ni,  p.  192-280. 

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der  Bechts-und  S'taats-Theorieen  des  B.  Spitioza  und  des 
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Zeit  und  Mathematik  in  der  neueren  Philosophie,  nach 
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1869,  t.  II,  p.  237-356. 

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1914.  John  Neviixe  Figgis,  The  Theory  of  the  Divine  Right 

of  Kings,  Cambridge,  1914^  — Studies  of  Political  Thought. 
From   Gcrson  to   Grotius,  Cambridge,   1916^. 

1918.  J.  Dewey  et  A.  Balz  ont  publié  des  études,  le  premier 
sur  la  Philosophie  politique  de  Hobbes,  le  second  sur  la 
Psychologie  des  Idées  chez  Hobbes,  dans  Studies  in  the 
History  of  Ideas,  edited  by  the  Department  of  Philosophy 
of  Columbia  University,  Série  I,  New-York,  1918. 

1919.  C.  E.  Ayres,  Thomas  Hobbes  and  the  Apologetic  Philo- 
sophy, dans  Journal  of  Philosophy,  Psychology  and 
SciENTiFic  Methods,  août  1919,  p.  477-486. 

1920.  W.-R.  SoRLEY,  Thomas  Hobbes,  dans  A  History  of  English 
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1921.  R.  Anthony,  Le  Léviathan,  traduction,  T.  I.  De  l'Homme, 
Paris,  1921. 


INDEX  DES  AUTEURS  GITES 


Achi.  Eruditorum,  232. 

Adam  (Ch.),  H,  14,  205,  210,  213. 

Ad  AMI    (T.),    433. 

Albee  (E.),  447. 

Althusius  (J.),  415,  429. 

Andréa   (Fk.  d'),   9. 

Andréas  (J.-V.),  41. 

Aegonne  (Noël,  dit  Bonaventure 

d'),  15. 
Aeistote,  100,  104,  130,  244,  271, 

429. 
Arnaud  (A.),  2. 
Arnauld   (A.),   146. 
Arnold  (G.),  41,  494. 
Aeriaga  (R.  de),  245. 
assézat  (j.),  513. 
AuBÉ  (B.),  173. 
Aubrey    (J.),    11,    272,    273,    274, 

275,  293,  297,  423,  445. 
Auger  (L.-S.),    184.. 
Augustin    (Saint),    99. 
AusTTN  (J.),  451-452. 
AuzouT  (A.),  194. 

AVENEL    (D.-L.),    10. 

AVERANIUS   (N.),   267. 
Ayres  (C.-E.),  521. 


B 


Bachaumont  (Fr.),  184- 

Bacon  (Fr.),  343,  347,  421,  425, 429. 

Baillet  (A.),  12,  14,  203,  209,  223, 

224,  243,  305,  309,  310. 
Baelly  (J.-S.),    166. 
Bain  (Al.),  448,  450. 
Balz  (A.-G.-A.),  521. 
Balzac  (H.  de),  182. 
Baugy  (N.  de),  44. 
Barbier  (A.-A.),  226. 
Barneaud  (Ch.),  4,  268. 
Barthélémy  (E.  de).  221. 
Basson  (S.),  27,  70-71. 
Bathurst  (R.),  445. 
Baumann  (J.-J.),  520. 
Baxter  (R.),  435,  440. 
Bayle  (Fr.),  86. 

Bayle  (P.),  74,  188,  252,  258,  259. 
Beaune  (Fl.  de),  305. 
Becmann  (J.-Chr.),  495-496. 
Beckmann   (X.),   483. 
Beeckslan  (I.),  8. 
Bentham  (J.),  447-450,  451, 
Bentley   (R.),   440. 
BÉRiGARD   (Cl.),   71-75. 
Berkeley,  446. 


\.  Cet  Index  contient  les  noms  des  Auteurs  dont  le  témoignage  est  simplement  allégué. 
Les  noms  des  Auteurs,  qui  sont  étudiés  ou  jugés  en  passant,  ont  été  renvoyés  pour  le 
détail  à  la  Table  Analytique  des  Mati'res.  —  Ordinairement,  le  titre  de  chaque  ou\Tage 
cité,  avec  lo  nom  du  lieu  oà  il  a  été  publié  et  la  date  de  son  apparition,  n'est  comiilttement 
indiqué  qu'à  l'endroit  du  volume  où  son  auteur  est  mentiqnné  pour  la  première  fois.  Si  donc 
quelqu'un  rencontrant,  au  cours  de  sa  lecture,  le  titre  abrégé  d'un  ouvrage,  désire  avoir  le 
titre  complet,  il  n'aura  qu'à  se  reporter  au  premier  chiffre  qui  suit  le  nom  da  l'autour.  — • 
Le  moyen  le  plus  rapide  pour  trouver,  dans  la  page  indiquée,  le  nom  de  l'auteur  cité,  c'est 
de  recourir  aux  notes,  dont  les  numéros  faciliteront  les   recherches  dans  ie  texte. 


-524 


BERLUC-PERRUSSIS   —   DES   MAIZEAUX 


/  Berluc-Perrussis  (L.  de),  3. 
Bernard  (Cl.),  116. 
Bernier  (Fr.),   2,   18,   19,  20,  28, 

35,  112,  160,  161,  170,  183-192, 

248,    259,    267. 
Berns   (M.),  519. 
Berr  (H.),  256,  269. 
Bertrand  (J.),  406. 
BiBART    (E.),    164. 
BiUiotheca   Juris,    488-489. 
BiELKE   (J.-A.-F.),   269. 
BiGOURDAN  (G.),  2,  5,  8,  165,  166, 

167,  168,  222. 

BiNEDEAU,     181. 

BiOT   (J.-B„),  249. 
BiTAUD  (J.),  33-36,  71. 
Blackbourne  (R.),    272,    301. 
Blackstone  (W.),  449. 
Bliss  (E.),  297. 
BoDiN  (J.),  429. 
BoÈCE,   102. 
BoiLEAU,  35,  36,  266. 
BONCOMPAGlfrl   (B.),   246. 
BoRNius    (H.),    13,    55,    242-244. 
BOSSUET,    130. 
BoswELL  (W.),  203. 
Bouche  (Ch.-Fr.),  2,  9. 
BouGEREL  (J.),  2,  7,  21,  42-43,  165, 

184,  267. 
BouiLLiER  (Fr.),  55,  127,  224,  235, 

258,    269. 
BowRiNG    (J.),    448. 
BoYLE  (R.),  236-239,  291. 
Brachet  de  La  Milletière  (Th  ), 

193. 
Bramhall  (J.-F.),  285-287,  439. 
Brandt  (G.),  520. 
Brett  (G.-S.),  4,  84,  113,  248,  250, 

258-259,  263,  268. 
Broughton  (J.),  444. 
Brown  (Th.),  447. 
Brucker  (J.),  27,  48,  70,  72,  75, 

76,  80,  86,  87,  232,  248,  252,  491, 

497,  500,  501. 
Brun  (P.-A.),  185. 
BucHON  (J.-A.),  179. 
BuDDEUs  (J.-F.),  86,  496-499. 
BuHLE  (J.-G.),  48. 
BuRNET  (G.),  280-281,  442.     , 


Camburat  (de),  267. 
Camden    (W.),^224. 


Campanella  (Th.),  84-85,  165,  433. 
Campbell  (G.),  446. 
Campbell-Fraser    (Al.),    446. 
Campion  (W.-J.-H.),  399,  416,  424, 

446. 
Camusat  (D.-Fr.),  225. 
Caro    (Ed.),    454. 
Caussin  (X.),  165. 
Gazelles  (Em.-H.),  448. 
Cazré  (P.  de),   164. 
Cesca  (G.),  520. 
Chapelain  (J.),  16,  171,  186,  211, 

225,    229,    248. 
Chapelle  (Claude  Luillibr,  dit)-, 

184,    186-187. 
Charleton  (W.),  235-236,  268. 
Clarendon  (Ed.  Hyde,  Comte  de). 

283,  284,  436-439,  442. 
Clarke  (g.),  519. 
Clave  (Et.  de),  33,  71. 
Clerke  (G.),   518. 
Clerselier  (Cl.),  24,  51,  30.6'. 
CocQ  (G.),  454. 
Coke  (R.),  518, 

COMNENUS,    72. 

Conrart  (V.),  221. 

CONRING    (H.),    455. 

CoRDEMOY  (G.  DE),  202,  233-234. 

CÔME   DE   ViLLIERS,    3. 
COURCELLES  (Et.  DE),   195. 

Cousin,  51. 

CowART   (W.),   442-445. 

CowLEY  (A.),  445-446. 

Crell  (J.),  201. 

Cumberland  (R.),  433. 

Cyrano  Bergerac  (Savinien  de), 

184-185,    231-232. 
Cyrénaïques   (les),    150. 


D 


Damiron    (J.-Ph.),    30,    179,    249, 

261,  262,  263,  268.. 
Daniel  (G.),  257. 
Dante,   67,   68. 
Dave  (A.),  246. 
Debièvre  (M.).  126. 
Dedieu  (J.),  513-514. 
Delisle  (L.),  4. 
Deploige   (S.),   516. 
Descartes,    3,    12,    71,    138,    144, 

146,  165,  201,  216,  258,  507,  508. 
Deslandes  (A. -F.  Boureau),  17. 
Des  Maizeaux,  (P.,)  191. 


DESSAUER   IZOULET 


525 


Dessauer  (M.),  520 

Destutt-Tracy  (A.-L.-C),  514-515> 

Devillemandy  (P.),  75. 

Dewey  (J.),  521 

DiOGÈNE  Laïèece,  77. 

DoRN   (Chr.),   37. 

Dowel  (J.),  519 

Dubxer  (Fr.),   419. 

DrPLESsis   (G.),   15. 

DUREL  (J.),  54. 

DURKHEIM  (Ém.),   516. 

DwiGHT  (Th.-W.),  434. 
Dyce  (Al.),  440. 


Eachard  (J.),  440. 
Encydapédie    (V),    234. 
Engelke   (H.-A.),   37-38,   268-269. 
ÉPICURE,   81-84,    150. 


Fabri  (H.),  34,  38-40,  174,  409. 

Fawcett  (Mrs.),  452. 

FÉRET   (P.),    15. 

Ferxel  (J.),   68-69. 

Ferri  (L.),  446. 

FiGGis  (J.  Xeville),  521. 

Filmer  (R.),  430,  432. 

Fischer  (J.-Chr.),  497. 

Fischer  (K.),  424. 

Fludd  (R.),  41-51. 

FoppEXS  (J.-Fr.),  3,  8. 

Fosse  (J.  de  la),  228. 

FoucHER  DE  Careil  (Al.-L.),  489. 

FOURXEL    (V.),    231. 

Fr.\xck  (Ad.),  43,  72,  74,  83,  240. 

Fraser  (A.-C),  179,  446. 

FucHS  (L.),  69-70. 


G 


Gaffarel  (P.),  9. 

Galilée,    167,   173-175. 

Gallia  Christiana  (la),  9,  18. 

Gassendi,  214,  215,  231,  258,  507. 

Gaul  (K.),  520. 

Géraxdo  (J.-M.  de),  232,  268. 

Gibbon  (E.),  259. 

GoMPERZ  (Th.),  478. 

GooRLE  (D.  van),  70. 


GoroET  (Cl.-P.).  267. 

Graham  (W.),  520. 

Grandmaison  (L.  DE),  41. 

Granet.   15. 

Graverol    (Fr.),    192,    194,    197, 

198,  201,  210,  223,  227. 
Grimarest  (J.-L.de),  184,  228,232. 
Grote  (G.),  450.  452. 
Grote    (Mrs   H.),    452. 
Grotius  (H.),  193,  429,  456. 
Gruber   (H.),   41. 
Guichard  (F.),  25,  268. 
Gundling  (N.-J.),  458,  499-505. 
GiiTTLER    (C.).    269. 
Guyau  (M.),  31,  67. 


H 


Haag  (Eug.  et  Em.),  415. 

Haitze  (P.-J.  de),  3. 

Halévy  (E.),  446-447,  447,  448,  449. 

HALL.OI  (H.),  263. 

Hamelin   (0.),   508. 

Hampton   (B.),   444. 

Harrington  (J.),  433-436. 

Hartley   (D.),   446. 

Harvey  (W.),  175. 

Hauréau  (B.),  76. 

Heineccius    (J.-G.),    482-483. 

Henry   (G.),   451. 

Herbert  de  Cherbury  (Ed.),  254, 

Hermelink  (H.),  41. 

HiLL  Green  (Th.),  452. 

Hobbes,  20,  199,  212,  214,  216,  217, 

219,  304. 
HOCHEISEN  (M.>,  494. 
HÔFFDING  (H.),  409. 
Holbach  (d'),   299,   339,   513. 
HoLE  (M.),  444. 
Honnorat,  2. 
HooKER  (R.),  415,  429. 
HoRNE  TooKE  (J.),  446-447. 
HORTENSIUS    (M.).    268. 
HouTUYN   (Ad.),  460-461. 
HuET  (P.-D.),   16. 
HuLST  (M.  d'),  159. 
Hume,  436,  446. 


I 


Innés  (A.),  519. 
IZOULET  (J.),   420. 


526 


JABLONSKI  —  MORNAY 


Jablonski  (D.-Ern.),  440. 
Jaxet  (Paul),  81,  189,  231,  232, 

430,  472,  474. 
Jeannel  (Ch.),  269. 
Jeanvrot  (V.),  520. 
JoNsius  (J.),  37. 
JouEFROY,  412,  413,  417,  516. 
Jourdain  (Ch.),  26. 
jourdan  (a.-j.-l.),  48. 
Joyau  (E.),  76,  82. 
JussERAND  (J.-J.),  200,  293,  294. 

JUVÉNAL,  151. 

^   K 

Kennet  (Wh.),  297. 
Kennyon   (F. -G.),  478. 
Kerviler  (R.),  221. 
KiEFL  (Fr.-X.),  269. 
KoRTHOLT  (Chr.),   455. 


Laboulaye  (Ed.-R.  de),  513. 

La  Bruyère,  192,  426. 

Land  (J.-P.-N.),  461. 

Lange    (F.-A.),    80-81,    178,    237, 

269. 
Languet  (H.),   415. 
La  Noue  (Fr.  de),  44-45. 
Lansberge   (J.   van),   168. 
Laroche    (B.),   450! 
Larsen  (Edv.),  409,  520. 
Lasswitz    (K.),    68,    70,    75,    248, 

269,  407. 
Launoy  (J.  de),   26,  27,  34. 
Lawson  (G.),  440. 
Lebret  (H.),  185. 
Leclerc  (J.),  180. 
Le  FR.ANC  (A.),   10. 
Le  Grand  (J.-Ff.),  85,  268. 
Leibniz,  66,  98,  99,  134,  189,  233, 

237.  238,  244,  259,  260,  287,  428- 

429,  432,  436,481,  482,  485,  489- 

494. 
Lelong  (J.),  266. 
Le  Monnier  (P.-L.),  448. 
Lenfant  (J.),  20. 
Lens  (L.  de),  183,  186. 
Le  Paige  (Ch.),  3,  246. 
Leslie    (C),    444. 
Le  Valois  (L.),  188. 


Lévy-Bruhl   (L.),   516. 

Liguori  (Saint  Alphonse-M.  de), 

8. 
LivET  (Ch.-L.),  16. 
Locke,  179,  432,  444. 
LoiSELEUR  (J.),   10,  229,  231. 
LowDE  (J.),  519. 
Luc  Y  (W.),  439. 
Lyon  (G.).  305,  308,  354,  392-393, 

409,  420,  428,  513. 


M 


Mabilleau   (L.),   68,   76,   83,   235, 

248,    264-265. 
Machiavel  (N.),  429. 
Mackintosh  (R.-J.),  450-451. 
Magnen  (J.-Chr.),  75-76. 
]VL4ig>"an   (Em.).   34. 
Maius    (H.),    180. 
Malebr anche,    132,    509. 
Mandon  (L.),  268,  269. 
Marolles    (M.    de),    15,    16,    178, 

212,  225,  229. 
Martin  (A.),  2,  268. 
Matignon  (A.),  415. 
Maurin  (G.),  193. 
Maury    (J.),   228. 
Mel VILLE -Daniels   (W.),    190. 
MÉNAGE  (G.),  36,  86,  224-225. 
Menagiaim,  36,  224, 
Menc  (le  PÈRE),  267. 
Mercure  francoia  (le),  35. 
Mersenne  (M.),  34,  165,  204,  205, 

206,  214-215,  215-216,  217,  222, 

223,   298,   302-305,  308,  309-310. 
Mesnard  (P.),  184,  187. 
Mill    (J.),    447,    450-451. 
MiLL  (J.-St.),  447,  448,  450,  452- 

454. 
Molesworth  (W.),  270,  279,  452. 
Mollat  (G.),  432,  492. 
Môller  (J.),  37,  455. 
Monchamp  (G.),  3,  181. 
MONDOLFO   (R.),  521. 
Montchal  (de),  10. 
Montesquieu,  513-514, 
MoNTMOR  (H.  de),  171. 
Montucla  (J.-F.),   164. 
MoRHOF  (D.-G.),  37,  38,  455. 
MoRiN  (J.-B.),  34,  35,  167-173. 
MoRiZE  (A.),  196,  198,  200,  216-217, 

218. 
Mornay  (Ph.  du  Plessis),  415. 


MORUS 


SEAILLES 


527 


MoRUS  (Th.),  224,  433. 
MosHEiM  (J.-L.),  240. 

N 

Naigeon  (J.-A.),  513. 

Natorp  (P.),  409. 

Naudé  (G.),   4,   18,  29,  49-50,  75. 

Neuré  (M.),  18,  171-172. 

Niceron   (J.-Fr.),   310. 

NiCERON  (J.-P.),  15,  71, 184, 193, 195. 

NiCHOLLS  (W.),  444. 

NlSARD    (Ch.),    16. 

NiJSCHELER    (H.),  520. 


Oldenbtjrg  (H.),  199,  491. 
Olivet  (P.  d'),  16. 

OSIANDER  (J.-A.),  454. 
OZANAM    (Fr.),    67. 


Paley   (W.),   447. 

Palmieri  (D.),  84,  108,  126. 

Papillon  (F.),  81. 

Paquot  (J.-N.),  7,  78. 

Paradin  (G.).  68, 

Pardies  (Ign.  g.),  38. 

Parker  (S.),  75,  85-86,  440. 

Pascal,  106. 

Patin  (G.),  16,  17,  18,  19,  20,  29, 

181,  196,  285. 
Patrizzi  (Fr.),  32. 
Pecquet  (J.),  177,  194-195. 
Peisse    (L.),   447. 
Pélissier,  3.  ■ 
Pellisson   (P.),    16. 
Pendzig  (P.),  269. 
Perrault  (Ch.),  20,  267. 
Perronet  (V.),  520. 
Philon   (L.),  497. 
PiERCE  (Th.),  518. 
PiLLON  (F.),  83. 
PiNAVi  (J.-M.-O.),  247. 
Pitton  (J.-Sc),  3. 
Plessis  d'Argentré  (Ch.  du),  34. 
Plut  ARQUE,    419. 
POGGENDORFF(J.-C.),  164,  168,  169. 
Pogson  Smith  (W.-G.),  517. 
POMMEROL  (B.),  81,  237. 
Port  (C),   183. 
Port-Roy  AL,  141. 
Poterie  (A.  DE  LA),  2, 18,19,161,259. 


Pourchot  (Ed.),  35-36. 
Priestley  (J.),  447. 
PuFENDORF  (S.),  461,  480-489. 
PUTEANUS  (de  PTJTTEjE.),  77-79. 

Q 

QUÉNAULT,    190. 
QUESNERIE  (G.  DE  LA),  164. 

Quetelet  (Ad.),  246.     * 


Rachel  (S.),  454,  455. 

Racine  (J.),  35,  145-146. 

Racine  (L.),  189,  191. 

Ramus  (J.-M.),  21. 

Rand  (W.),  24,  259. 

Rapin  (R.),  20. 

Rechenberg  (A.),  454. 

RÉGIS   (P.-S.),   508-512. 

Regnerus  a  Mansvelt.   454. 

RÉMUSAT  (Ch.  DE).  284,  406. 

Renofvier,  296,  406,  408,  411,  415, 

420,  428,  429,  430. 
Reymond  (A.).  478. 
RicciOLT   (J.-B.),   38,    164-165. 

RiCKABY  (J.),    521. 
RiOLAN     (J.),     195. 

Rivet  (A.),  13,  14,  193. 
RoBERTSON  (G.  Croom),  272,  278, 
280,  286,  287,  294,  295,  410. 

ROBERVAL   (G.   DE),    293. 

RôELL  (H.  Al.),  455,  455-456. 

ROESCHELL    (D.),    494. 

Ross  (Al.),  439. 
Rousseau  (J.-J),   513^. 
Ryner  (Th.),  272,  301. 


Sainte-Beuve   (de),    189. 
Saint-Évremond    (Ch.    de),    190- 

191,  234.  249. 
Saint-Marc  (Ch.-H.  de),  34,  35. 
Saisset  (Em.),  479-480. 
Salisbury  (J.  de),  419. 
Sarrazin  (J.-F.),  191. 
Saverien   (Al.),  267,  520. 
SCHICKARD  (W.),  166,  268. 
Schneider  (H.),  269. 
Schooten  (Fr.  van.),  293,  305. 
Scolastiques,  120,  137,  296. 
ScoT  (Ph.),  517. 
SÉ ailles  (G.),  81. 


528 


SEGRAIS  —  ZENON    D  ELEE 


Segrais(J.  Renaud  de),  19,172-173. 
Senguerdus  (W.),  86. 
Sennert  (D.),  70. 
Servois  (M.  G.),  .192. 
Seth  (J.),  403-404,  421. 

SÉVIGNÉ  (Mn^e  d^)^  35. 

Sextus  Empiricus,.  224. 
Sharrock  (R.),  291,  439. 
Sherlock. (W.),  519. 
SiGWART   (H.-Chr.-W.),  520, 

SiNÉTY   (R.   DE),   410. 

Sluse  (R.-F.De),  197,  246-247,  292. 

Smith  (G.),  440. 

Snellius  (W.),  6. 

Sommervogel  (C),  38,  188. 

Sorberiana,  192,  201,  208,  209,  212. 

Sorbière  (S.),  2,  4,  7,  8,  10,  12, 
13,  15,  16-17,  17,  18,  19,  21,  24, 
32,  53,  163,  175,  177,  192-228, 
241,  242,  243-244,  249,  267,  292, 
293,  298,  299. 

SOREL    (Ch.),    231*. 

Sorley  (W.-R.),  308,  424,  521. 

Sortais  (G.),  7,  30,  32,  99,  101, 
145,  173,  296,  431-432,  478,  488. 

Spinoza,   461-480. 

Sprat  (Th.),  200. 

Stair  (De),   86. 

Stanley   (Ar.-P.),   440. 

Stephen  (L.),  447. 

Stewart  (D.),  179,  447. 

Stolle   (G.),   494. 

Strimesius  (S.),  454-455. 

Strowski  (F.),  269. 

Stubbe  (H.),  435. 

Suarez  (Fr.),  429,  431-432. 

SuMNER  Maine  (H.-J.),  452. 

Swift  (J.),  444. 


Taine,   448. 

Tallemant  des  Réaux  (G.),  7. 

Tamizey   de    Larroque    (Ph.),    2, 

3-4,  7,  17,  25,  162,  167,  171,  193, 

259,    268. 
Tannery  (P.),  87. 
Tarentino    (G.-G.)  520, 
Taxil  (N.),  2,  268. 
Taylor  (A.-E.),  272. 
Tenison  (Th.),  440. 


Templar   (J.),  519. 

Thomas    (P.-F.),    55,    66,    77,    113, 

248,  258,  260,  268. 
Thomas  d'Aquin  (Saint),  271,  390. 
Thomasius  (Chr.),  459. 
Thomasius  (J.),  491. 
TiTELMANS   (Fr.),   69. 
Toland  (J.),  433. 
TôNNiES  (F.),  220,  276,  278,  298, 

301,  339,  409,  410. 
Trillerus  (D.-W.),  504. 
TURNER  (J.),   444. 
Tyrrell   (J.),   432-433. 


U 


USENER     (H.),     87. 


Varde  (J.-Ph.  de  la),  2,  267. 
Velthuysen  (L.)^  456-460. 
Verdus  (du),  221,  280,  298. 
Victoria  (Fr.  de),  429. 
Villiers  (C.  de),  3. 
Villon  (A.  de),  33,  35. 
ViTRiARius   (Ph.   Reinhard),   498. 
Vloten  (J.  van),  461. 
Voltaire,  101,  115,  192,  199,  202, 

224,  239,  252,  512. 
Vossius   (G.-J.),  241. 
Vries  (G.  De),  268. 

W 

Walch  (G.),   497. 
Waller    (A.-R.),  517, 
Wallis  (J.),  290-292,  435,  440. 
Warburton  (W.),  439. 
Ward  (S.),  289,  439. 
Watson  (M.),  37. 
Wendelin  (G.),  2-3. 
White  (Th.),  517. 
Whitehall    (J.),  519. 
Whiton  Cal  vins  (M.),  521. 

WiTTEN    (H.),    211. 

WooD(A.),288,  297,  301. 
Wren  (M.),  435. 
WULF    (M.    DE),   271. 


Zabarella,  (G.),  74-75. 

Zart  (G.),  494. 

ZENON  d'Élée,  108,  322. 


II 
TABLE  SYNTHÉTIQUE  DES  MATIÈRES 


ARTICLE  II.  —  PIERRE  GASSENDI  (l592-I6oo). 

Après  avoji*  étudié  l'Empirisme  en  Angleterre  chez  Bacon,  il  faut  l'étu- 
dier en  France  chez  Gassendi,  1. 

CHAPITRE    1er.   _   YijE    ET    ŒUVRES    DE    GaSSENDI. 

Contraste  entre  la  vie  agitée  de  Bacon  et  la  vie  simple  et  unie  de  Gas- 
sendi, ] . 

I.  —  LES  DÉBUTS  DE  GASSENDI 

Enfance,  éducation,  2-3.  —  Principal  du  collège  de  Digne  et  chanoine 
théologal.  Premières  relations  avec  Peiresc,  3-4.  —  Emporte  au  concours 
la  chaire  de  Philosophie  à  l'Académie  d'Aix.  Il  expose  et  combat  la  doctrine 
d'Aristote,  4-5.  —  Se  lie  d'amitié  avec  Gaultier,  prieur  de  la  Valette,  5. 
—  Publie  ses  Exercitationes  paradoxicœ  adversus  Aristoteleos ,  5-6. 

II.  —  TRAVAUX  SCIENTIFIQUES  ET  OUVRAGES  PHILOSOPHIQUES 

Voyage  à  Paris  (1624)  :  il  observe  une  éclipse  de  lune  avec  Mydorce 
et  fait  la  connaissance  du  P.  Mersenne,  6.  —  De  retour  en  Provence, 
il  continue  ses  observations  astronomiques,  6.  —  Nouveau  voji'age  à  Paris, 
(1628)  :  il  est  Ihôte  de  Luillier,  maître  des  comptes,  qui  l'emmène  en 
Flandre  et  en  Hollande,  6-8.  —  Se  plonge  dans  l'étude  de  la  Philosophie 
d'Ëpicure,  9.  —  Elu  Prévôt  de  la  cathédrale  de  Digne  (1634)  et  Agent 
général  du  clergé,  9,  10.  —  Accompagne  le  comte  d'Alais,  gouverneur 
de  Provence,  dans  la  visite  de  cette  province,  9-1 0.  —  Enseigne  la  Phi- 
losophie à  Molière,  Ber^ier  et  Charelle,  pendant  un  nouveau  séjour 
à  Paris,  où  il  est  de  rechef  l'hôte  de  Luillier,  10.  ^ —  La  chaire  de  ]\Iatlié- 
maticjues  au  Collège  Royal  lui  est  confiée,  10.  —  Relations  avec  des  per- 
sonnages de  marque,  10-11.  —  Il  examine  les  Méditations  de  Descartes 
et  propo.se  ses  Objections.  Bépon<<cs  hautaines  de  Descartes.  Gassendi 
réplique  par  ses  Instances.  Malgré  l'insistance  de  ses  amis  il  refuse  de  cri- 
tiquer les  Principes  de  la  Philosophie  de  Descartes.  Celui-ci  malmène 
Gassendi  dans  ses  conversations.  Il  montre  une  modération  relative  dans 
sa  Lettre  à  Clerselier.  L'abbé  d'Estrées  s'entremet  pour  réconcilier  Des- 
cartes et  Gassendi,  11-15.  —  Une  fatigue  de  poitrine  oblige  Gassendi  à 
regagner  le  Midi  (1648)  ;  il  poursuit  ses  travaux  astronomiques  et  publie 
trois  ouvrages  sur  Epicure,  15-16.  —  De  retour  à  Paris  (1653),  il  habite 
l'hôtel  de  M.  de  Montmor,  où  se  réunissent  chaque  semaine  de  «  doctes 


I 


34 


530  TABLE    SYNTHÉTIQUE    DES   MATIÈRES 

personnages  »,  16.  —  Il  publie  les  Vie^  de  Tycho-Brahé,  Copernic,  Peurbach 
et  Eegiomontanus  (1654)  et  termine  le  Syntagma  philosophicum,  17. 

III.  —  LES  DERNIERS  JOURS.  HOMMAGES  A  SA  MÉMOIRE 

Dernière  maladie  et  mort,  17.  —  On  est  unanime  à  reconnaître  ses  vertus 
sacerdotales,  17-18.  —  Travailleur  infatigable,  18-19.  —  Modeste  et  enjoué, 
19.  —  Témoignages  admiratifs  de  Segrais,  Patin,  Bernier,  Cl.  Perrault, 
Rapin,  Hobbes,  19-20.  —  Funérailles  à  Saint -Nicolas-des-Champs,  Épi- 
taphe  et  Monument,  20.  —  Oraison  funèbre  par  N.  Taxil,  21.  —  Statue  à 
Digne,  21. 

Tableau  chronologique  des  Œuvres  de  Gassendi,  22-25. 

CHAPITRE  IL  —  Gassendi  polémiste. 

Quoique  d'un  naturel  pacifique,  Gassendi  batailla  contre  les  Péripa- 
TÉTiCTENS,  Fludd  et  Descartes,  26. 

§  A.   —  POLÉMIQUE  AVEC  LES  PÉRIPATÉTICIENS 

Au  début  du  xvii^  siècle,  Aristote  règne  encore  en  maître  dans  les  Ecoles. 
Cependant  des  attaques  ouvertes  se  produisent  jmr  écrit  :  la  Philosophia 
Naturalis  dé  S.  Basson  ;  les  Exercitationes  paradoxicœ  de  Gassendi    26- 

27. 

1°  Contenu  et  valeur  des  «  Exercitationes  ». 

Le  plan  des  Exercitationes  comprend  sejDt  Livres  qui  doivent  réviser 
les  fondements  de  la  doctrine  péripatéticienn-e.  Seul  le  Livre  I  sur  la  doc- 
trine des  xiristotéliciens  en  général  paraît  en  1624,  27-28.  —  Gassendi, 
reproche  aux  disciples  d'Aristote  de  ramener  la  philosophie  à  l'art  de 
briller  dans  les  discussions  ;  de  mettre  en  interdit  les  penseurs  illustres, 
pour  ne  donner  audience  qu'à  Aristote  ;  de  négliger  les  Mathématiques  ;^. 
de  s'attacher,  en  Physique,  à  des  questions  ineptes  ;  de  parler  une  langue; 
barbare  ;  de  s'asservir  à  la  parole  du  Maître,  ce  qui  entrave  tout  progrès, 
28-30.  —  A  travers  les  disciples  dégénérés,  Gassendi  atteint  le  Maître  lui- 
même,  30. 

Des  six  Livres  suivants,  le  second  seul  a  été  en  partie  exécuté:  c'est  unei 
critique  passionnée  de  la  Dialectique  péripatéticienne,  31. 

Les  Exercitationes  sont  une  œuvre  de  jeunesse,  qui  pèche  par  la  forme 
et  par  le  fond  :  trop  souvent  la  forme  est  violente,^  et  le  fond  injuste,  31- 
32.  —  Diverses  raisons  obligent  Gassendi  à  mterrompre  la  composition  de 
l'ouvrage,  32-33. 

2°  La  condamnation  de  Bitaud  et  1'  «  Arrêt  burlesque  ». 

J.  Bitaud,  assisté  d'A.  de  Villon  et  d'ËT.  de  Clave,  annonce  la  sou- 
tenance de  Thèses  opposées  à  la  doctrine  d'Aristote.  La  soutenance  est 
interdite  ;  le  Parlement  fait  lacérer  les  Thèses  et  bannit  les  trois  antipéri- 
patéticiens.  Cette  sentence  rçndit  Gassendi  prudent,  33-35. 

Des  Péripatéticiens  zélés  demandent  au  Président  de  Lamoignon  de 
faire  renouveler  par  le  Parlement  les  défenses  contre  les  novateurs.  Pour' 
parer  le  coup,  1'  «  Arrêt  burlesque  ^^  est  lancé  dans  le  public.  Le  bruit  court; 
que  l'Université  va  appuyer  officiellement  la  démarche  tentée  près  du  Pré-] 
sident  de  Lumoignon  par  quelques-uns  de  ses  membres.  Pour  empêcher 
l'envoi  de  cette  Requête  officielle,  une  Requête  ironique  est  mise  aussitôt 


TABLE    SYNTHÉTIQUE   DES   MATIÈEES  531 

en  circulation  :  les  méfaits  des  Gassendistes  y  sont  dénoncés  plaisamment, 
35-36.  —  Ces  deux  pièces,  en  jetant  le  ridicule  sur  les  tentatives  et  projets 
des  Péripatéticiens,  les  firent  échouer,  36. 

3°  Attaques  dirigées  contre  les  u   Exercitationes  ». 

Les  Exercitationes  furent  attaquées  par  Jonsitjs,  Morhof,  Watson, 
Engeike,  professeurs  dans  les  universités  de  Kœnigsberg,  de  Kiel  et  de 
Rostock,  37-38.  —  En  France,  le  Père  H.  Fabri  a  fortement  critiqué  les 
Exercitationes,  tout  en  rendant  hommage  aux  mérites  de  Gassendi,  38- 
40. 

§  B.  —  POLÉMIQUE  AVEC  FLUDD 

10  Lutte  entre  Mersenne  et  Fludd. 

Antécédents  de  Fludd,  41.  —  Mersemie  attaque  incidemment,  mais 
vivement,  Fiudd  imbu  des  doctrines  des  Rose-Croix,  41-42.  —  Fludd 
lance  deux  libelles  contre  Mersenne  :  Sophiœ  cum  Moria  Certamen  et  Sum- 
mum Bonum,  42. 

2°  Gassendi  prend  la  défense  de  Mersenne. 

Répugnant  aux  polémiques  persoimelles,  Mersenne  prie  Gassendi  de 
prendre  sa  cause  en  main  :  de  là  VEpisiolica  Exercitatio,  42-43.  —  Gassendi 
y  fait  preuve  d'impartialité,  de  modération  et  de  clarté,  43-44.  —  h'Exer- 
citatio  est  précédée  d'une  Lettre  de  Mersemie  et  d'un  Jugement  théologique 
du  Père  de  La  Noue  sur  la  Philosophie  fluddienne,  44-45.  —  Plan  de 
V Exercitatio  :  I.  Synthèse  de  la  Philosophie  fluddienne,  45.  —  IL  Examen 
du  Certamen,  45.  —  III.  Examen  du  Summum  Bonum,  45-46.  —  Doctrmes 
des  Rose-Croix,  46-48.  —  Valeur  de  VEpistolica  Exercitatio,  48.' 

3°  Fludd  réplique  à  Gassendi. 

Dans  sa  Clavis  Philosophiœ  Fludd  combat  tour  à  tour  Mersenne,  de  La 
Noue  et  Gassendi,  accablant  les  premiers  d'invectives,  traitant  le  dernier 
avec  une  modération  relative,  49,  50.  —  Jugement  de  Gassendi  sur  la 
Clavis,  49-50.  —  Il  dédaigne  d'y  riposter,  51. 

§  C.  —  .POLÉMIQUE  AVEC  DESCARTES 

1°  Objections  et  Instances  de  Gassendi. 

Dans  ses  Réponses  aux  Objections  de  Gassendi,  Descartes  se  montra 
froissé  de  l'apostrophe  du  philosophe  provençal  :  O  esprit  !  et  lui  répliqua 
durement  :  0  chair  !  avec  accompagnement  de  réflexions  désobligeantes, 
51-52.  —  Sans  l'insistance  de  ses  amis,  notamment  de  Sorbière,  Gassendi 
n'aurait  probablement  pas  opposé  ses  Instances  aux  Réponses  de  Descartes, 
52-53.  —  Les  Instances  n'apportent  guère  d'arguments  nouveaux,  mais 
insistent  sur  les  Objections  antérieures  pour  les  renforcer.  Gassendi  se  plaint 
doucement,  dans  le  Préambule,  que  Descartes  ait  porté  devant  le  public 
une  discussion  tout  amicale  qui  devait  rester  privée  ;  il  a  le  bon  goût  de 
ne  point  se  froisser  de  rappellation  0  chair  !  53-54.  —  Descartes  affecte 
de  dédaigner  les  Instances,  ne  leur  accordant  qu,e  quelques  pages  de  réfu- 
tation hautaine  dans  une  Lettre  à  Clerselier,  54.  —  Mécontentement  des 
Gassendistes,  54-55. 

2°  Valeur  de  cette  Polémique. 

Pour  la  forme,  on  s'accorde  à  reconnaître  la  supériorité  de  Gassendi, 
qui  sut  rester  courtois,  55. 


532  TABLE    SYNTHETIQUE    DES    MATIERES 

Pour  le  fo7id,  on  trouve  des  appréciations  extrêmes,  trop  exclusivement 
favorables  soit  à  Gassendi,  soit  à  Descartes,  55. 

Un  jugement  impartial  doit  se  ramener,  ce  semble,  à  cette  triple  pro- 
position : 

10  Gassendi  a  complètement  raison  sur  certains  'points  :  doute  méthodique, 
évidence  subjective,  confusion  entre  l'entendement  et  la  volonté,  jjro- 
scription  des  causes  finales,  56-57. 

2°  Descartes  a  Vavantaqe  sur  d'autres  points  :  différence  entre  l'idée  et 
l'image,  dépendance  de  l'esprit  à  l'égard  du  corps  exagérée  dans  le  sens 
du  matérialisme  par  Gassendi,  possibilité  de  l'idée  d'infini,  immutabilité 
des  essences,  57-58. 

30  Gassendi,  en  bien  des  cas,  a  raison  en  niant  certaines  doctrines  de 
Descartes,  mais  il  a  tort  en  leur  substituant  des  doctrines  aussi  fausses  ou 
pires,  58.  —  Il  combat  les  idées  innées,  mais  il  donne  dans  un  sensualisme 
excessif,  58.  —  Il  combat  l'automatisme  des  bêtes,  mais  il  n'admet  entre 
l'homme  et  la  bête  qu'une  différence  de  degré,  59.  —  Il  combat  la  manière 
dont  Descartes  explique  la  conservation  des  êtres,  mais  il  semble  soustraire 
les  créatures  au  concours  divin,  59-60.  —  Il  combat  le  dualisme  cartésien 
qui  rend  impossible  l'union  de  l'âme  et  du  corps,  mais  il  s'exprime,  dans  sa 
réfutation,  comme  si  l'âme  humaine  était  matérielle,  60-61. 

Echantillon  de  la  verve  dialectique  et  du  style  de  Gassendi  :  la  notion 
du  temps,  6J-65. 

Malgré  l'assurance  qu'affiche  Descartes,  on  devine  que  les  Objections  et 
surtout  les  Instances  l'ont  gravement  atteint,  65.  —  La  critique  de  Gassendi 
n'a  pas  été  inutile,  65-66. 

CHAPITRE  III.    —   Gassendi   Restaurateur  de   l'Épicurisme. 

1°  Les  Devanciers  de  Gassendi. 

Le  triomphe  du  Christianisme  ruina  l'Épicurisme  en  tant  que  doctrine 
philosophique,  67.  —  Mais  survivance  de  l'esprit  épicurien,  esprit  d'irré- 
ligion et  d'incrédulité,  67-68.  —  «  L'hypothèse  corpusculaire  »  se  retrouve, 
au  Moyen  Age,  chez  les  Alchimistes  ;  aux  approches  de  la  Renaissance/ 
chez  Nicolas  de  Cuse,  Agrippa  de  Nettesheim,  Basile  Valentin,  681 
—  Au  xvi'^  siècle,  deux  Écoles  médicales  en  lutte  :  «  les  Méthodiques 
qui  se  réclament  de  l'atomisme,  et  «  les  Dogmatiques  »,  qui  soutiennent 
le  système  des  quatre  éléments.  Jean  Fernbl  se  prononce  pour  les  quatre 
éléments,  68-69.  —  Titelmans  et  Fucus  sont  pour  la  thèse  corpusculaire, 
69. 

Cependant   le    système    atomistique    ne    reprit    vraiment    figure    qu'au 
XYii*?  siècle  avec  :  Sennert,  70  —  van  Goorle,  70  —  Basson.  70-71  — i 
de  Clave,  71  —  Bérigard,  71-75  —  Magnen,  75-76  —  et  surtout  Gas/ 
sendi. 

2°  Caractères  et  limites  de  cette  Restauration. 

Gassendi  surpasse  ses  devanciers  par  la  valeur  et  l'ampleur  de  son  œuvre 
apologétique  et  restauratrice  de  l'Épicurisme  :  De  Vita,  Animadversiones, 
Syntagma,  76-77.  —  C'est  une  œuvre  commencée  de  bonne  heure  et  encou- 
ragée par  Puteanus,  77-79.  —  Gassendi  va  au  devant  des  objections  que 
cette  tentative  de  réhabilitation  et  de  reconstruction  ne  peut  manquer  de 
provoquer,  79-80.  —  Son  aversion  pour  les  subtilités  péripatéticiennes 
et  ses  tendances  empiriques  l'inclinèrent  vers  Épicure,  80-81. 


J 


TABLE   SYNTHÉTIQUE    DES   MATIÈRES  533 

3°   Épicure  et  Gassendi. 

Ressemblances  :  atomes  solides,  impénétrables,  indivisibles.  Existence 
du  vide,  81.  —  Matérialité  de  l'âme  sensitive,  83. 

Différences  :  Épicure  :  atomes  étemels.  Gassendi  :  atomes  créés  par 
Dieu,  81.  —  Ëpicure  :  mouvement  inhérent  aux  atomes  et  clinamen.  Gas- 
sendi :  c'est  Dieu  qui  imprime  le  mouvement  aux  atomes,  ce  qui  rend  le 
clinamen  inutile,  81-82.  —  Objection  :  ce  recours  à  un  Dieu  Créateur  et 
Providence  dénature  l'atomisme  antique.  Réponse  :  le  fond  du  système 
subsiste  en  entier,  débarrassé  de  supertetations  inintelligibles  (éternité 
des  atomes  et  intervention  du  hasard),  que  Gassendi  a  remplacées  avan- 
tageusement par  l'action  créatrice  et  providentielle  de  l'Etre  nécessaire. 
82-83. 

La  Morale  gassendiste,  malgré  certaines  atténuations,  reste  foncièrement 
épicurienne,  c'est-à-dire  égoïste,  84. 

4°  Appréciations  contemporaines  et  ultérieures. 

THO?/rAS  Campanella,  84-85.  —  Jean-François  Le  Grand,  85.  — 
Samuel  Parker,  85-86.  —  Jean-François  Buddeus,  86.  —  Jacques 
Brucker,  86.  —  Hermann  Usener,  87.  —  Paul  Tanner  y,  87. 

CHAPITRE  IV.  —  Le  Syntagma  philosophicum. 

INTRODUCTION 

Définition  et  Division  de  la  Philosophie,  88.  —  Plan  du  Syntaqma  : 
I.  Logique  —  IL  Physique  :  Section  1.  De  la  Nature  en  général  —  Sect.  2, 
Des  Choses  célestes  —  Sect.  3.  Des  Choses  terrestres  :  a)  inanimées  — 
h)  vivantes  —  IIÏ.  Ethique,  88-90. 

lî^e  PARTIE.  —  Logique. 
§  I.  —  QUESTION  PRÉLIMINAIRE  :  DE  LA  CERTITUDE 

Pour  découvrir  le  vrai,  caché  mais  acc&ssible,  un  critérium  est  nécessaire, 
Gassendi  prend  position  entre  Sceptiques  et  Dogmatiques  :  on  peut  atteindre 
une  ombre  de  vérité,  90-91.  —  Signes  indicateurs  ou  avertisseurs,  91-92.  — 
Pour  interpréter  les  signes  indicateurs,  nous  avons  les  sens  et  l'intelligence, 
92-93. 

§  IL  —  LOGIQUE  PROPREMENT  DITE 

Elle  comprend  quatre  opérations  :  d'où  quatre  subdivisions. 

Cette  Institution  logique  éliminera  les  inutilités,  les  vaines  subtilités 
de  la  Logique  péripatéticienne,  en  comblera  les  lacunes.  Revue  des  Logiques 
antérieures,  depuis  les  Éléates  jusqu'à  Descartes.  Gassendi  se  déclare 
éclectique,  93. 

1.  —  De  l'Imagination  ou  Idée  :  Idée  singulière  ou  générale.  Recours 
à  l'expérience  pour  contrôler  les  idées  venant  des  sens.  Remèdes  contre 
l'erreur  :  liberté  d'esprit  et  souci  de  la  vérité.  Contrôler  les  témoignages. 
Se  défier  des  locutions  ambiguë.^  ou  figurées,  94. 

2.  —  De  la  Proposition  ;  Règles  pour  discerner  les  propositions  vraies, 
Fausses  ou  probables.  Liste  de  propositions  pouvant  servir  dans  les  argu- 
mentations, 94-95. 


534  TABLE   SYNTHÉTIQUE   DES   MATIERES 

3.  —  Du  Syllogisme  :  Ici  surtout  apparaît  l'effort  de  simplification  : 
les  trois  figures  ramenées  à  deux  ;  les  dix -neuf  modes  concluants  réduits 
à  six.  Ënumération  de  divers  lieux  pour  faciliter  la  découverte  du  moyen 
terme,  95. 

4.  —  De  la  Méthode  :  d'Invention,  95-96  —  de  Jugement,  96  —  d'Ensei- 
gnement, 96. 

Ile  PARTIE.  --  Physique. 

§  I.   —  DE  L'ESPACE  ET  DU  TEMPS 

A.  —  Espace  :  Ses  caractères  et  sa  nature,  97.  —  Identité  de  l'espace  et 
du  lieu,  97.  —  La  théorie  de  C4assendi  aboutit  à  ime  contradiction,  98-99. 

B.  -^  Temps  :  notion  du  temps  comparée  à  la  notion  de  l'espace,  99.  — 
Comparaison  de  la  flamme,  100.  —  Rejet  de  la  définition  d'Aristote,  100- 

101.  —  Confusions,  101.  —  Mesure  du  temps,  101.  —  Temps  et  éternité, 
101-102. 

§  II.  —  DE  LA  MATIÈRE  PREMIÈRE  DES  CHOSES 

A.  —  Nature  de  la  Matière  :  comparaison  de  la  matière  et  de  la  forme, 

102.  —  Rejet  de  divers  systèmes,  et  adoption  de  l'atomisme  comme  plus 
probable,  103.  —  Deux  preuves  de  l'existence  des  atomes,  103.  —  Objection 
tirée  de  la  divisibilité  cà  l'infini  :  Gassendi  répond  que  cette  divisibilité 
répugne,  104-106.  —  Les  objections  tirées  des  Mathématiques  sont  irre- 

.  cevables,  106. 

B.  • —  Essence  et  Propriétés  des  atomes  :  la  Solidité  est  leur  élément  essen- 
tiel, 106.  ■ —  Propriétés  :  Eteridve,  Figure,  Pesanteur,  106-107.  —  Preuves 
de  l'existence  du  vide  tirées  de  la  raison  et  de  l'expérience,  107-108. 

C.  —  Le  mouvement  :  Définition,  108.  — ■  Cause  :  elle  est  dans  les  atomes 
qui  l'ont  reçu  de  Dieu  ;  par  conséquent  le  principe  du  mouvement  est  maté- 
riel, 108-109.  —  Réponse  aux  objections  contre  cette  manière  de  concevoir 
le  mouvement,  109-110.  —  Direction  :  pourquoi  les  graves,  vg.  la  pierre, 
tendent-ils  vers  le  centre  de  la  terre?  En  vertu  d'une  attraction  que  la  terre 
exerce  sur  eux.  Gassendi  l'explique  par  l'exemple  de  l'aimant  attirant  le 
fer.  Il  doit  y  avoir,  dans  les  êtres  inanimés,  un  sens  obscur,  endormi,  une 
sorte  d'âme  analogue  à  celle  qui  dirige  l'animal.  L'aimant  projette  des 
particules  qui  éveillent  et  mettent  en  mouvement  le  fer  qui  sent  de  l'attrait 
pour  l'aimant.  Par  ra25i3ort  aux  graves,  la  terre  se  comporte  comme  un 
aimant  immense,  110-112.  —  La  solidité  ou  dureté  constitue  l'essence 
de  la  matière,  112. 

§  III.   —  DU  PRINCIPE  EFFICIENT  DES   CHOSES 

Cause  première  et  Causes  secondes,  112-113.  —  Ce  chapitre  sur  la  Cause 
première  est  la  partie  la  moins  originale  et  la  plus  sûre  de  la  Philosojahie 
gassendiste,  113. 

A.  — ;  Existence  de  Dieu  :  les  preuves  en  sont  ramenées  à  deux.  La  1-^ 
est  tirée  de  l'anticipation  générale,  113.  —  La  2^,  de  la  contemplation  de. 
la  nature,  113-114.  —  Occasions  qui  font  passer  en  acte  l'anticipation, 
114. 

B.  —  Perfections  de  Dieu  :  tableau  d'ensemble,   114-115.  —  Dieu  est' 
à  la  fois  auteur  et  providence  du  monde,  115-116.   —  Concours  divin  : 
Gassendi  paraît  le  borner  au  concours  générai,  116-117. 


TABLE    SYNTHÉTIQUE   DES   MATIÈRES  535 

§  IV.  —  QUALITÉS  DES  CORPS 

A.  —  Qualités  sensibles  :  Définition  de  la  qualité,  118.  —  Les  qualités 
sensibles  :  chaud,  froid,  saveur,  odeur,  son,  lumière  et  couleur,  n'existent 
pas  formellement  dans  les  objets.  Accord  et  désaccord  avec  Descartes, 
118-119.  —  La  force  motrice  et  les  autres  facultés  des  corps  dérivent  de  la 
pesanteur,  119.  —  De  l'habitude  :  pour  acquérir  la  facilité  d'agir  qui  la 
constitue,  il  faut  exercer  les  facultés  et  siirtout  leurs  organes,  119-120. 

B.  —  Qualités  occultes  :  abus  par  les  Scolastiques,  120.  —  Sympathie 
et  Antipatliie  régies  par  la  loi  générale  de  l'agir  et  du  pâtir,  120-121. 

§  V.  —  LE  MONDE  EST-IL  ANIMÉ  ? 

Critique  de  roj^inion  de  Pythagore,  de  Platon  et  des  Stoïciens,  121.  — 
L'omnipi-ésence  de  Dieu  peut  être  comparée  à  une  âme  assistante,   121, 

—  On  peut  appeler  âme  la  chaleur  que  Démocrite,  Aristote,  Hippocrate 
disent  être  diffuse  dans  l'univers,  122.  —  Tout  en  refusant  à  la  Terre  une 
âme  proprement  dite,  Gassendi  la  croit  animée  d'un  genre  inférieur  de 
vie  et  de  connaissance  dont  la  nature  nous  échappe,  122-123, 

§  VI.  —  DE  L'AME 

Après  avoir  exposé  sur  ce  sujet  les  opinions  divergentes  des  philosophes 
anciens,  Gassendi  jyrésente  la  solution  qui  lui  paraît  la  plus  vraisemblable, 
123. 

A.  —  L'Ame  animale  :  Existence  :  démontrée  par  le  raisonnement,  123. 

—  Nature  :  elle  est  matérielle,  comparable  à  un  feu  très  subtil,  123-124. 

—  Origine  :  elle  provient  de  la  génération  ou  de  germes  préexistants,  124, 

—  Les  semences  ou  les  germes,  dont  elle  résulte,  sont  sensibles  en  jouis- 
sance, 121^. 

B.  —  L'Ame  humaine  :  elle  n'est  pas  une  substance  simple,  mais  com- 
posée de  deux  jDarties  :  Tune  irraisonnable,  douée  de  i>uissance  végétative 
et  sensitive,  qui  est  corporelle  et  vient  des  parents  ;  l'autre,  raisonnable, 
qui  est  incorporelle  et  créée  par  Dieu,  125.  —  Preuves  :  d'autorité,  de 
raison  fondée  sur  l'expérience,  de  convenance,  125-126.  —  Son  opinion, 
contraire  au  concile  de  Vienne,  détruit  la  simplicité  de  l'âme  et  l'unité 
de  la  nature  humaine,  126.  —  Vams  efforts  de  Gassendi  pour  échapper 
à  ces  objections,  126-127. 

§  VII.  —  DE  LA  SENSIBILITÉ 

A.  —  Sensibilité  au  sens  large  :  Gassendi  accorde  aux  minéraux  et  aux 
plantes  la  faculté  de  percevoir  ce  qui  leur  convient,  127-128. 

B.  —  Sensibilité  au  sens  strict  :  définition  et  conditions  de  la  sensation, 
128.  —  Les  sens,  qui  sont  distincts  des  organes,  constituent  la  partie  prin- 
cipale de  l'âme  sensitive,  128-129. —  Siège  de  la  sensation,  129.  —  Détails 
physiologiques  relatifs  aux  organes  sensoriels.  Vision  binoculaire,  129. 

*      §  VIII.  —  DE  L'IMAGINATION 

Gassendi  ramène  les  facultés  internes  de  connaître  à  deux  :  la  Phantaisie 
ou  Imagination,  qui  est  corporelle  et  commune  à  l'homme  et  à  l'animal  ; 
V Intelligence  qui  est  incorporelle  et  propre  à  l'homme,  129-130. 


536  TABLE    SYNTHETIQUE    DES   MATIERES 

A.  —  L'Imagination  est  l'unique  faculté  interne  sensible  :  les  multiples 
facultés  sensibles,  inventées  par  les  Péripatéticiens,  sont  des  fonctions 
diverses  de  l'imagination,  130.  —  Traces  laissées  par  les  impressions  du 
dehors  dans  le  cerveau  :  Gassendi  les  explique  par  une  sorte  de  'plis  ana- 
logues à  ceux  qu'on  fait  sur  du  papier,  130-131. 

B.  — •  Fonctions  de  l'Imagination  :  1°  —  Appréhensio7i  :  simple  repré- 
sentation d'une  chose  sans  rien  affirmer  ou  nier.  L'imagination  est,  comme 
le  feu,  dans  une  agitation  perpétuelle,  1^2.  —  Questions  diverses  :  Pour- 
quoi l'imagination  ne  se  représente-t-elle  pas  plusieurs  choses  ensemble  ? 
Pourquoi  les  imaginations  sont-elles  mobiles  ?  132.  —  Le  cours  des  imagi- 
nations dépend  de  la  perception  externe  et  de  la  volonté,  132-133.  — 
Comment  expliquer  la  représentation  de  choses  qui  n'ont  jamais  frappé 
nos  sens  ?  133. 

2°  Jugement  —  3°  Raisonnement  :  Oassendi  admet  à  tort  des  jugements 
et  raisonnements  d'ordre  Imaginatif  là  où  il  n'y  a  que  succession  d'images 
et  simple  consécution,  1^3-134.  —  L'instinct,  134.  —  Les  rêves,  134- 
135. 

§  IX.  —  DE  L'INTELLIGENCE 

L'Intelligence  remplit  certaines  fonctions  qui  prouvent  qu'elle  diffère 
essentiellement  de  la  Phantaisie,  135. 

A.  —  Appréhension  de  choses  incorporelles  :  nous  connaissons  Dieu, 
l'abstrait,  l'universel,  le  bien  et  le  mal,  etc.,  ce  qui  est  hors  des  prises  de 
la  phantaisie,   135-136. 

B.  —  Réflexion  :  Tintelligence  connaît  qu'.elle  connaît,  tandis  que  l'ima- 
gination n'imagine  pas  qu'elle  imagine,  136.  —  L'intelligence  maîtrise 
la  phantaisie,  136. 

C.  —  Raisonnement  :  le  raisonnement  propre  à  l'intelligence  lui  fait 
connaître  des  choses  auxquelles  ne  correspond  aucune  image,  137. 

T>.  —  Questions  diverses  :  pas  de  distinction  réelle  entre  l'âme  et  ses 
facultés.  Rejet  d'un  intellect  agent  et  d'un  intellect  patient,  137.  —  L'in- 
telligence humaine  a  besoin  de  la  phantaisie,  138.  —  Égalité  des  âmes 
par  nature,  138. 

E.  —  Origine  des  Idées  :  Gassendi  admet  qu'il  y  faut  le  concours  de'? 
sens  et  de  l'intelligence,  mais  ce  concours  varie  selon  les  cas.  Pour  les  idées 
singulières,  les  sens  et  l'intelligence  associent  leur  activité,  138-139.  — 
Pour  le  reste,  c'est-à-dire  pour  la  connaissance  de  nous-mêmes,  la  formation 
des  idée.s  générales  et  la  représentation  des  choses  incorporelles,  les  don- 
nées sensibles  servent  à  l'intelligence  d'occasion  pour  déployer  son  activité, 
139-140. 

F.  —  Origine  des  Principes  premiers  :  ce  sont  des  énoncés  généraux, 
évidents,  indémontrables,  140.  —  Ils  dérivent  des  données  sen.sibles  inter- 
prétées par  l'expérience.  Exemple  :  Le  tout  est  plus  grand  que  la  partie, 
140.  —  Les  premiers  principes  ne  sont  pour  Gassendi  que  des  généralisa- 
tions de  l'expérience  ;  sur  ce  pomt  il  mérite  d'être  rangé  parmi  les  sensua- 
listes.  Il  en  va  autrement  pour  ce  qui  regarde  l'origine  des  idées,  140- 
141. 

§  X.  —  DE  L'APPÉTIT 

A.  - —  Appétit  en  général  :  Comparaison  entre  la  connaissance  et  l'appé- 
tence, 141-142.  —  Division  et  Sièges,  142. 


TABLE    SYNTHÉTIQUE    DES   MATIÈRES  537 

B.  —  Appétit  raisonnable  ou  Volonté  :  Il  éprouve  des  passions  simples 
et  pures,  142-143. 

C.  —  Appétit  sensitif  :  les  Passions  :  Définition  des  passions,  143.  — 
Classification   :   a)   Passions  du  corps   :   Plaisir,  Douleur,  Désir,  143-144. 

—  b)  Passions  de  Tesprit  :  Joie,  Tristesse,  d"où  dérivent  les  autres,  144.  — 
Gassendi  soutient  à  tort,  après  Épicure,  que  le  plaisir  est  conditionné 
par  une  douleur  préalable,  145.  —  C'est  en  Morale  que  Gassendi  traitera 
ex  professa  de  l'Apjjétit  raisonnable,  145. 

§  XI.   —  DE  L'IMMORTALITÉ  DE  L'AME 

A.  —  Preuves  :  a)  jnhysique,  145.  —  h)  morales,  145. 

B.  —  Objections  :  Réponses  aux  objections  tirées  ;  des  souffrances  des 
animaux,  145-146.  —  de  la  sanction  inhérente  à  la  vertu  et  au  vice,  146 

—  de  la  disproportion  entre  les  actions  bonnes  et  mauvaises  d'une  part, 
et  de  l'autre  la  récompense  et  le  châtiment,  146-147. 

Ille    PARTIE    :    ÉTHIQUE. 

La  Physique  et  l'Éthique  ou  Morale  forment  un  tout  harmonieux,  147- 
148.  —  Définition  de  la  Morale,  148. 

§  I.  —  DOCTRINE  MORALE  DE  GASSENDI 

Ce  n'est  guère  que  le  système  d'Épicure  épuré,  148. 

A.  —  En  lui-même  tout  plaisir  est  un  bien  :  l'expérience  et  la  raison  le 
prouvent,  148.  —  Réponse  à  une  objection,  148-149. 

B.  —  L'utile  et  l'honnête  ramenés  au  plaisir  :  l'agréable  ou  le  plaisir 
est  comme  le  genre,  l'utile  et  l'honnête  comme  les  espèces,  149.  —  Dans 
les  vertus  et  les  sentiments  qui  passent  pour  les  plus  désintéressés,  Gas- 
sendi prétend  découvrir  la  recherche  du  plaisir.  Le  plaisir  est  donc  le 
souverain  bien,  149. 

C.  —  Nature  du  plaisir  :  «  santé  du  corps  et  tranquillité  de  l'esprit  », 
150.  —  Tranqiiillité  n'est  pas  inertie,  mais  activité  féconde  et  paisible, 
150-151.  —  La  tranquillité  parfaite  n'est  pas  de  ce  monde  :  il  faut,  pour 
être  heureux  ici-bas,  s'en  rapprocher  le  j^lus  possible,  151. 

D.  —  Critique  :  cette  Morale  est  foncièrement  égoïste,  donc  vicieuse. 
Gassendi  répond  que  sa  Morale  est  utilitaire,  mais  que  l'utilité  qui  l'inspire 
est  libérale  et  compatible  avec  l'honnête,  151-152.  —  Dans  cette  conception 
il  n'y  a  pas  de  place  j)Our  le  désintéressement,  perfection  suprême  de  la 
vertu,  152. 

§  II.   —  DE  L  ACTE  VOLONTAIRE   ET  LIBRE 

Relations  entre  l'intelligence  et  la  volonté,  152. 

A.  —  Analyse  de  l'acte  volontaire  et  libre  :  La  liberté  réside  dans  l'intel- 
ligence, 153-154.  —  Placer  la  liberté  dans  les  actions  qu'on  fait  volontiers, 
c'est  confondre  l'action  spontanée  avec  l'action  libre,  154.  —  La  volonté 
suit  les  variations  et  les  erreurs  de  jugement  de  l'intelligence,  154-156. 

B.  —  Tout  péché  est  fruit  de  l'ignorance  :  On  objecte  le  Video  meliora 
proboque  Détériora  sequor,  156.  —  Réj^onse  :  celui  qui  pèche  n'a  de  la  beauté 
de  la  vertu  et  de  la  laideur  du  vice  qu'une  connaissance  habituelle  et  non 


638  TABLE   SYNTHÉTIQUE   DES   MATIÊBES 

actuelle  ;  il  est  donc  dans  l'ignorance,  156-157.  —  Cette  connaissance 
habituelle,  qui  est  confuse,  est  en  outre  obscurcie  jjar  les  passions,  157. 
—  Faits  démontrant  cette  ignorance,  157-158.  — ■  Cette  ignorance  n'est 
pas  invincible  :  le  pécheur  est  donc  libre  et  coupable,  158. 

C.  —  Critique:  Cette  doctrine  paraît  incompatible  avec  la  liberté,  puisque^ 
d'après  elle,  la  volonté  suit  nécessairement  les  jugements  pratiques  pro- 
noncés par  l'intelligence,  158-159.  —  Gassendi  est  convaincu  cependant 
qu'il  maintient  la  liberté.  Quoiqu'il  n'ait  pas  montré  expressément  la  façc«i 
dont  elle  peut  se  concilier  avec  l'exposé  de  son  système,  voici  l'explication 
qui  ressort  de  passages  épars.  Il  est  certain  que  la  volonté  suit  le  dernier 
jugement  pratique  qui  paraît  le  plus  vrai  à  l'intelligence.  Mais  les  jugements 
sont  déterminés  par  des  motifs.  Or  il  est  au  pouvoir  de  la  volonté  d'imposer 
à  l'intelligence  un  examen  plus  approfondi  des  motifs  en  conflit  ou  d'op- 
poser aux  motifs  déjà  évoqués  des  motifs  nouveaux  qui  l'emportent.  La 
nature  du  dernier'  jugement  pratique  dépend  donc  de  la  volonté  et,  en  le 
suivant,  elle  se  conforme  au  verdict  qu'elle  a  provoqué,  159-160. 

CHAPITRE  V.  —  La  valeur  du  Savant. 

1°   —  QUALITÉS  D  OBSERVATION 

Précocité  de  Gassendi,  161.  ■ —  Esprit  de  curiosité  et  patience,  161.  — 
Voyage  dans  la  Provence  alpestre,  161-162. 

20  DISCOURS  INAUGURAL  DE  SON  COURS 

N'est-il  pas  étonnant  de  voir  un  ecclésiastique  s'occuper  d'études  pro- 
fanes ?  Réponse  de  Gassendi,  162-163.  —  Considérations  sur  Dieu,  163. 

30  TRAVAUX  EN  PHYSIQUE 

Gassendi  ne  fut  pas  un  profond  mathématicien,  163.  —  Théorie  de  la 
lumière,  163-164.  —  Propagation  du  son,  164.  —  Réfutation  du  Père 
Cazré,  164. 

40  OBSERVATIONS  ASTRONOMIQUES 

Nombreuses  observations  depuis  1618  à  1655,  164-165.  —  Parhélies. 
Passage  de  Mercure  et  de  Vénus  sur  le  soleil,  165-166.  —  Hauteur  solsti- 
ciale  du  soleil  d'été,  166.  —  Vue  d'ensemble,  166-167. 

50  DÉMÊLÉS  AVEC  JEAN-BAPTISTE  MORIN 

Gassendi  s'oj^pose  en  vain  à  ce  que  Morin  combatte  le  système  de  Co- 
pernic et  de  Galilée,  167-168.  —  Il  répond  à  ses  attaques,  168-169.  —  Morin 
lui  oppose  ses  Alœ  Telluris  fractœ  ;  Gassendi  compose  son  Apologie,  mais 
renonce  à  l'éditer.  Elle  est  publiée  à  son  insu  par  Neuré.  Fureur  de  Morin. 
Excuses  de  Gassendi,  169-170.  —  Morin,  «  l'astrologue  »,  prédit  la  mort 
de  Gassendi,  170.  —  Il  réplique  à  l'Apologie,  171.  —  Polémique  violente 
entre  Morin  et  Bernier  ;  celui-ci  prend  en  main  la  défense  de  Gassendi, 
171-173. 

60    RELATIONS  AVEC  GALILÉE 

Dans  sa  correspondance  avec  Galilée,  Gassendi  lui  témoigne  la  plus  vive 
admiration  et  approuve  son  système  sur  le  mouvement  terrestre,  173.  — 
Il  accueille  avec  respect  le  décret  du  Saint  Office,  mais  ne  se  croit  pas  obligé 
de  le  suivre,  173-175. 


TABLE    SY:NrTHÉTIQUE   DES   MATIÈRES  539 

70  —  LA  CIRCULATION  DU  SANG 

Sorbière  résume  dans  un  opuscule  les  objections  de  Gassendi  qui  attend 
pour  se  prononcer  une  preuve  décisive,  175-176.  —  La  découverte  de 
Pecquet  incline  Gassendi  du  côté  de  la  circulation,  177. 

80   —   ROLE   SCIENTIFIQUE  SECONDAIRE 

Aucune  découverte  importante  ;  mais,  en  promouvant  par  l'exemple 
et  la  parole  le  rôle  de  l'observation,  Gassendi  a  bien  mérité  de  la  science, 
177-178.  —  Avec  Descartes  il  a  contribué  à  la  formation  de  l'Atomisme 
actuel,  178. 

CHAPITRE  VI.  —  Influence  de  Gassendi. 

§  A.  —  GASSENDI  N'EST  PAS  UN  CHEF  D'ÉCOLE 

Influence  de  l'Empirisme  gassendiste  sur  la  Philosophie  moderne,  179- 
180.  —  Ce  n'est  pas  un  chef  d'École  ;  mais  il  a  compté  des  disciples,  dont 
voici  les  principaux,  180. 

§  B.  —  LES  DISCIPLES  DE  GASSENDI  EN  FRANCE 

I.  —   GUI  PATIN  ET  C.  DE  LA  CHAMBRE 

Gui  Patin,  médecin  :  sa  correspondance  spirituelle  et  caustique.  Grande 
admiration  pour  Gassendi,  181. 

CuREAU  DE  LA  Chambre  :  nombreux  ouvrages  de  vulgarisation  scienti- 
fique. Adversaire  de  Descartes,  il  s'inspire  des  idées  de  Gassendi,  qu'il 
dépasse  parfois,   182-183. 

II.  —  FRANÇOIS  BERNIER 

Molière,  Chapelle,  Savinien  de  Cyrano  Bergerac  et  Bernier 
furent  élèves  de  Gassendi,  183-184. 

François  Bernier,  médecin,  ami  très  fidèle,  185.  —  Voyage  dans 
l'Empire  Mogol,  185-186.  —  De  Perse,  il  écrit  à  Chapelle  pour  le  morigéner, 
186-187.  —  Abrégé  de  la  Philosophie  de  Gassendi,  187-188.  —  Attaques 
du  P.  Le  Valois  et  Réponse  de  Bernier,  188-189.  —  Traité  du  libre  et  du 
volontaire,  Requeste,  189.  —  Doutes  sur  quelques  chapitres  de  l'Abrégé,  189- 
190.  —  Saint-Évremond  l'attire  à  Londres,  190-191.  —  Jugement  de 
Louis  Racine,  191.  —  Collaboration  aux  Journaux,  191. 

III.  —  SAMUEL  SORBIERE 

1°  —  Vie  de  Samuel  Sorbière.  —  Samuel  Sorbière,  orphelin,  est  élevé 
par  Samuel  Petit,  son  oncle,  ministre  protestant  à  Mmes.  Il  étudie  la 
médecine,  192-193.  —  Premier  séjour  en  Hollande  (1642-1645)  :  il  s'occupe 
surtout  d'éditions,  193-194.  —  Après  ime  apparition  en  France,  il  revient 
en  Hollande  (1646)  et  s'établit  à  Leyde  comme  médecin,  194.  —  Son  opinion 
sur  la  circulation  du  sang,  194-195.  —  Principal  du  collège  d'Orange,  195. 
—  Relations  avec  l'évêque  Suarès.  Abjuration  (1653).  Jugements  de  G.  Patin 
et  de  Gassendi,  195-197.  —  Sorbière  se  fait  solliciteur  à  Rome  et  à  Paris, 
197-198.  —  Publication  des  Lettres  et  Discours,  198.  —  Son  état  de  fortune, 
198.  —  Relation  d'un  voyage  en  Angleterre.  Son  exil,  198-200.  —  Sa  mort, 
200-201. 


540  TABLE    SYNTHETIQUE   DES   MATIERES 


90 


Relations  de  Sorbière  avec  le  Triumvirat  philosophique  : 


a)  Descartes  :  II  le  visite  à  Endegeest  et  s'occupe  de  l'impression  de 
la  Disquisitio  metaphysica  de  Gassendi,  201-202.  —  Nouvelle  entrevue 
où  il  discute  avec  Descartes,  202-203.  —  Sorbière  fait  sa  cour  à  Hobbes, 
203-204.  —  Il  fait  une  telle  opposition  à  Descartes,  que  Mersenne  lui  donne 
une  leçon  de  modération,  204.  —  Réplique  de  Sorbière,  qui  justifie  son 
attitude  et  formule  ses  griefs  philosophiques  contre  Descartes,  205-208. 
—  Jugement  ultérieur  plus  réservé,  208-209. 

b)  Gassendi  :  Sorbière  témoigna  à  Gassendi,  vivant  ou  mort,  son  admi- 
ration, 209.  —  Lettre  à  la  princesse  Elisabeth  de  Bohême,  209-211.  — 
Biographie  de  Gassendi,  211.  —  Éloges  donnés  au  savant  et  au  philosophe, 
211-212. 

c)  HobbÈs  :  Jugements  divers  de  Sorbière  sur  le  De  Cive,  212-214.  — 
Il  s'offre  pour  en  surveiller  la  2^  édition,  214.  —  Lettres  trop  louangeuses 
de  Mersenne  et  de  Gassendi  relatives  au  De  Cive.  Mersenne  lui  demande 
de  ne  pas  les  pubher,  214-216.  —  La  2^  édition  paraît  en  1647  avec  les 
Lettres  compromettantes,  216-217.  —  Cependant  Sorbière  assure  à  Mer- 
senne qu'elles  n'ont  pas  été  j^ubliées.  Hypothèses  pour  concilier  le  fait 
de  la  publication  avec  la  négation  catégorique  de  Sorbière,  217-221.  — 
Sorbière  traduit  le  De  Cive  et  le  De  Corpore  politico,  221-222.  —  Sorbière 
jDrend  part  aux 'travaux  des  savants  réunis  d'abord  chez  M^  de  Montmor, 
222-223.  —  Jugement  sur  la  valeur  intellectuelle  de  Sorbière,  223-225. 

3°  —  Un  phénomène  bibliographique.  —  Edition  des  Virorum  illus- 
trium  Epistolœ,  2'2b-1'll.  —  Utilité  de  la  correspondance  inédite  de  Sor- 
bière, 227-228.  —  Portrait  de  Sorbière,  228. 

IV.  —  MOLIÈRE 

L'influence  de  Gassendi  est  moins  saisissable  que  chez  Sorbière  et  Ber- 
nier,  228.  —  Traduction  du  poème  de  Lucrèce  :  légende  et  histoire,  228- 
229.  —  Railleries  contre  la  Scolastique,  229-230.  —  le  Doute  cartésien, 
230  —  l'âme  et  le  corps,  230  —  l'Héliotrope,  231  — l'argument  des  causes 
finales  donné  par  Molière  et  Cjo-ano,  231-232.  —  l'atomisme  de  Gassendi, 
232. 

Le  Docteur  G.-B.  de  Saint-Romain,  232. 

V.  —  DAVID  DERODON 

On  l'a  rangé  à  tort  parmi  les  disciples  de  Gassendi  :  c'est  un  péripaté- 
ticien,  232-233. 

VI.  —  GERAUD  DE  CORDE 310 Y 

Ce  cartésien,  infidèle  à  la  Physique  de  Descartes,  s'est  rallié  à  l'ato- 
misme ;  mais,  dans  sa  façon  d'expliquer  l'activité  des  atomes,  il  reste  fidèle 
à  la  Métaphysique  de  Descartes  et  de  Malebranche,  233-234. 

VI.  —  LES  LIBERTINS  ET  L'ÉCOLE  SENSU ALI8TE 

Certains  libertins  d'esprit  ou  de  mœurs,  au  xvii^  siècle,  en  se  réclamant 
sans  droit  de  Gassendi,  discréditèrent  sa  doctrine,  234-235.  —  L'Ecole 
sensualiste  du  xviii^  siècle  ne  peut  sans  abus  revendiquer  le  patronage 
de  Gassendi,  235. 


TABLE   SYNTHÉTIQUE   DES   MATIÈRES  541 

§  C.  —  SYMPATHIES  EN  ANGLETERRE 

I.  —  WALTER  CHAULE  TON 

Xombreux  ouvrages  relatifs  aux  Sciences  naturelles  et  à  la  Philosophie. 
Deux  d'entre  eux  s'inspirent  des  doctrines  gassendistes,  235-236. 

II.  —  ROBERT  BOY  LE 

R.  BoYLE  s'autorise  particulièrement  de  Gassendi  dans  sa  lutte  contre 
les  formes  substantielles  d'Aristote,  236-237.  —  Manière  dont  il  comprend 
l'atomisme,  237-238.  —  Son  atomisme  mécanique  repose  sur  une  Méta- 
phj'sique  spiritualiste.  L'horloge  de  Strasbourg,  238-239. 

III.  —  ISAAC  NEWTON 

Newton  a  emprunté  à  Gassendi  plus  d'une  théorie,  dont  on  lui  a  fausse- 
ment attribué  l'honneur  exclusif,  239. 

IV.  —  RALPH  CUDWORTH 

L'École  de  Cambridge  accueillit  favorablement  certains  points  de  la 
doctrine  de  Gassendi,  240.  —  Notamment  R .  Cudworth  accepta  Tatomisme; 
mais  il  imagina  comme  intermédiaire  entre  Dieu  et  les  êtres,  «  une  nature 
plastique  »,  240-241. 

§  D.  —  SYMPATHIES  EN  HOLLANDE  ET  EN  BELGIQUE 

Le  voyage  de  Gassendi  en  Belgique  et  en  Hollande,  et  ses  attaques  contre 
les  Péripatéticiens  le  firent  connaître  et  apprécier  des  professeurs  des 
Universités  belges  et  hollandaises,  241-242.  —  Sa  critique  des  Méditations 
de  Descartes  opéra  même  quelques  conversions,  242. 

I.  —  HENRI  BORNIUS 

L'un  de  ces  convertis  fut  H.  Bornius,  qui  devint  un  disciplee  nthousiaste 
de  Gassendi,  242-243.  —  Celui-ci  s'en  montre  touché,  242-243. 

W.  Senguerdus  prend  pour  base  de  <(  sa  Philosophie  naturelle  »  l'ato- 
misme de  Gassendi,  243-244. 

II.  —  LES  PÈRES  DER-KENNIS  ET  TACQUET 

Le  P.  Der-Kennis  est  un  péripatéticien  favorable  à  certaines  thèses 
modenies  :  il  a  quelque  doute  sur  l'aptitude  des  formes  substantielles  à 
expliquer  les  changements  qui  surviennent  dans  la  nature.  Il  admet  que 
les  sens  ne  perçoivent  pas  les  objets  extérieurs,  mais  les  impressions  que 
ces  objets  produisent.  Pour  lui  également  l'âme  est  plus  facile  à  connaître 
que  le  corps.  Comme  Gassendi,  il  soutient  la  possibilité  du  vide,  244-246. 
Le  Père  A.  Tacquet  cite  et  loue  Gassendi,  246. 

III.  —  LE  CHANOINE  R.-F.  DE  SLUSE 

De  Sluse  fait  grand  accueil  au  Syntagnia  Philosophiœ  Epicuri,  246- 
247.  —  Il  pratique  T'E-oy/^,  247. 

§  E.  —  OUBLI  IMMÉRITÉ.  SES  CAUSES 

Du  vivant  de  Gassendi,  sa  philosophie  n'est  appréciée  que  d'un  groupe 
restreint.  Succès  de  l'édition  posthume  de  ses  Œuvres.  Puis  longue  éclipse. 
De  nos  jours  se  des.sine  une  réaction  favorable,  247-248.  —  Raisons  de 


542  TABLE   SYNTHETIQUE   DES   MATLEEJîS 

cette  défaveur  relative  :  a)  extrême  réserve  de  l'auteur  qui  ne  s'est  pas 
posé  en  chef  d'École,  248-249  —  b)  Proportions  massives  du  Syntagma, 
qui,  de  plus,  est  écrit  en  latin,  249  —  c)  Large  place  faite  à  Texpérience, 
alors   moins  goûtée   qu'un   bel   enchaînement   d'idées  générales,   249-250 

—  d)  Répulsion  qu'inspire  l'Épicurisme,  250  —  e)  Attaques  contre  Aristote 
et  Descartes  :  Péripatéticiens  et  Cartésiens  s'unissent  pour  le  combattre, 
250.  —  Il  convient  de  rendre  à  Gassendi  la  justice  qu'il  mérite,  250-251. 

CHAPITRE  VII.  —  Les  Mérites  du  Philosophe. 

I.  —  LE  SCEPTICISME  DE  GASSENDI  ? 

Bayle  et  Voltaire  lui  ont  fait  une  réputation  de  sceptique,  252.  —  Nombre 
de  textes  '  semblent  justifier  cette  accusation,  252-253.  —  Mais  d'autres 
textes  montrent  Gassendi  croyant  à  l'existence  de  la  vérité,  de  certaines 
propositions  générales,  du  monde  extérieur,  de  l'âme,  de  Dieu,  253-254. 

—  Mais,  s'il  s'agit  de  connaître  la  nature  intime  des  choses,  Gassendi  affirme 
que  cette  connaissance  dépasse  les  forces  de  l'intelligence  humaine,  254- 

255.  —  Il  s'est  placé  entre  les  Sceptiques  et  les  Dogmatiques,  255-256. 

—  Cette  attitude  mitoyenne  s'explique   :   Gassendi  était  très   modeste, 

256.  —  les  contradictions  des  philosophes  l'avaient  frappé,  le  dogmatisme 
outré  des  Péripatéticiens  et  des  Cartésiens  l'avait  choqué,  256-257. 

II.  —  LE  POLÉMISTE 

Grande  perspicacité.  Style  net,  incisif,  257.  —  Injustices  dans  ses  juge- 
ments et  excès  dans  le  langage  à  l'égard  des  Aristotéliciens,  257.  —  Clarté, 
ordre,  ironie  enjouée  dans  VExamen  de  la  Philosophie  de  Fludd,  257.  — 
C'est  le  plus  redoutable  adversaire  que  Descartes  rencontra,  257-258. 

III.  —  L'HISTORIEN  DES  SCIENCES  ET  DE  LA  PHILOSOPHIE 

Biographies  de  Peiresc,  Tycho-Brahé,  Copernic,  Peurbach,  Muller, 
258-259.  —  Le  Syntagma  contient  une  revue  des  Écoles  philosophiques 
de  l'antiquité  et  une  histoire  de  la  Logique.    Travaux  sur  Épicure,  259. 

—  Gassendi  est  un  précurseur  coînme  historien  de  la  Philosophie,  259.  -^ 
Érudition  immense,  sauf  pour  la  Scolastique,  mais  il  en  est  trop  prodigue, 
259-260. 

IV.  —  LE  PENSEUR 

Gassendi  exagère  les  ressemblances  de  doctrine  entre  les  philosophes 
anciens,  260-261.  —  Son  système  est  éclectique  :  emprunts  à  Aristote, 
à  Bacon,  à  Descartes,  à  Épicure,  261.  —  Cela  forme  un  ensemble  qui  n'est 
pas  très  cohérent,  261.  —  Damiron  se  trompe  en  donnant  Gassendi  pour 
«  père  »  à  «  la  famille  sensualiste  »,  261-263.  —  L'univers  aj)paraît  à  Gassendi 
comme  un  vaste  système  de  forces  graduées  se  déployant  en  vertu  d'une 
impulsion  primitivement  reçue  de  Dieu,  263.  —  La  perception  sensible, 
diversement  répartie  entre  minéraux,  végétaux  et  animaux,  leur  sert  de 
trait  d'union,  263-264.  —  L'Atomisme  de  Gassendi  ne  mérite  pas  l'oubli 
où  il  est  tombé  :  c'est  un  mélange  original  de  mécanisme  et  de  djrnamisme, 
264-265..  —  Les  aptitudes  presque  universelles  de  Gassendi  le  préparaient 
à  écrire  le  Syntagma,  sorte  d'Encyclopédie  pliilosophique  et  scientifique, 
265.  —  Mais  son  intelligence  n'était  pas  assez  forte  pour  maîtriser  cette 
matière  immense.  Chimère  de  concilier  Épicurisme  et  Spiritualisme,  265. 


TABLE   SYNTHÉTIQUE   DES   IVIATIÈRES  543 

—  Traits  remarquables  de  sa  physionomie  intellectuelle  et  morale,  265- 
266.  —  Son  portrait  par  Xanteuil,  266. 

Bibliographie  relative  à  Gassendi,  267-269. 

ARTICLE  III.  —  THOMAS  HOBBES  (1588-1679). 

CHAPITRE  I^ï\  —  Biographie  de  Hobbes. 

Hobbes  assiste,  pendant  sa  longue  vie,  à  de  grands  changements  dans 
les  sciences  et  dans  la  politique,  270-271. 

I.  —PREMIÈRES  ANNÉES  (1588-1608).  PRÉCEPTORAT  ET  VOYAGES 

(1608-1640) 

Né  à  Wesport  en  1588.  Talent  précoce.  Bachelier  de  l'université  d'Oxford, 
272-273.  —  Il  entre  dans  la  famille  Cavendish  et  accompagne  le  fils  aîné 
en  France,  en  Allemagne  et  en  Italie,  273-274.  —  Au  retom-,  il  étudie  les 
poètes  et  historiens  classiques,  274.  —  Ses  amis,  274-275.  —  Nouveau  voyage 
sur  le  contment  comme  travelling  tutor  du  jeune  Clifton.  Il  tombe  sur  les 
EUimnfs  d'Euclide,  275.  —  Retour  dans  la  famille  Cavendish  pour  faire 
l'éducation  du  jeime  comte  de  Devonshire.  Troisième  voyage  :  France, 
Italie.  Il  séjourne  surtout  à  Paris.  Connaissance  du  P.  Mersenne  qui  l'm- 
troduit  chez  les  savants,  275-276.  —  C'est  alors  que  ses  idées  philosophiques 
se  précisent.  Les  grandes  lignes  de  sa  trilogie  ;  De  Cor  pore,  De  Homine, 
De  Cive,  lui  apparaissent,  276-277.  —  Retour  en  Angleterre.  Symptômes 
inquiétants  pour  la  stabilité  de  la  monarchie.  Hobbes  prend  la  défense 
de  la  Prérogative  royale  (Eléïnents  de  la  Loi  naturelle  et  politique),  277- 
278.  —  Après  la  dissolution  du  Court  Parlement,  la  situation  politique 
s'aggrave.  Hobbes  effrayé  se  réfugie  à- Paris,  278. 


IL   — 


L'EXIL  EN  FRANCE  (1640-1651) 


La  France  jouissait  de  la  paix  politique.  La  révolution  philosophique 
de  Descartes  s'aimonçait.  A  la  demande  de  Mersenne,  Hobbes  critique  les 
Méditations,  278.  —  Publie  le  De  Cive,  279-280.  —  Prépare  les  matériaux 
du  De  Corpore,  280.  —  Devient  professeur  de  mathématiques  du  Prince 
de  Galles,  réfugié  à  Samt-Germain-en-Laye,  280.  —  Grave  maladie,  280- 
281.  —  Publication  de  VHuman  Nature  et  du  DeCorporepolitico.  Traduction 
anglaise  du  De  Cive,  282.  —  Composition  et  publication  du  Léviathan, 
282-283.  —  Clarendon  accuse  Hobbes  d'y  avoir  justifié  Cromwell  pour 
ménager  son  retour  de  l'exil,  283-284.  —'Retour  en  Angleterre,  284-285. 

III.  —  DERNIÈRES  ANNÉES  (1651-1679).  POLÉMIQUES.  TRAVAUX 
HISTORIQUES  ET  LITTÉRAIRES 

Pendant  cette  dernière  période,  la  plus  agitée  de  sa  vie,  Hobbes  tient 
tête  à  une  légion  d'adversaires,  285.  —  Lutte  entre  Hobbes  et  Tévêque 
Bramhall  à  propos  de  la  liberté,  285-287.  —  Wallis  et  Ward  défendent 
l'enseignement  universitaire  critiqué  par  Hobbes,  287-289.  —  Longs 
démêlés  entre  Wallis  et  Hobbes. sur  des  questions  géométriques,  289- 
290.  —  Hobbes  attaque  Boyle,  290-292.  —  Reprise  des  hostilités  contre 
Walhs,  292.  —  Bienveillance  de  Charles  II  pour  Hobbes,  293.  —  Dîner 
chez  l'ambassadeur  de  France,  293-294.  —  Opposition  du  chancelier  Lord 


544  TABLE    SYNTHÉTIQUE    DES   MATIÈRES 

Clarendon  et  des  évêques  à  cause  du  Léviathan,  Hobbes  fait  son  apologie, 
294-295.  —  Bill  menaçant.  Hobbes  affecte  la  pratique  religieuse  et  défend 
son  orthodoxie,  295-296.  —  Travaux  historiques  et  littéraires,  296-297. 

—  Mort  à  Hardwick  Hall,  297. 

Tableau  des  Œuvres  de  Hobbes,  298-301. 

CHAPITRE  II.  —  Controverse  avec  Descartes. 

Réfugié  en  France,  Hobbes  retrouve  à  Paris  ses  amis  Mersenne  et  Gas- 
sendi, 302. 

I.  —  OBJECTIONS  DE  HOBBES  CONTRE  LA  DIOPTRIQUE 

Mersenne  communique  à  Descartes,  sans  en  nommer  l'auteur,  les  objec- 
tions de  îïobbes  contre  la  Dioptrique,  302-303.  —  Descartes  s'en  montre 
mécontent,  303-304. 

II.  —  OBJECTIONS  CONTRE  LES  MÉDITATIONS  ET  RÉPONSES 

Descartes  leur  fait  un  accueil  dédaigneux,  304-305.  —  Hobbes  laisse 
jjercer  çà  et  là  son  matérialisme.  Descartes  réplique  avec  force,  305-308. 

—  Tous  deux  admettent  le  mécanisme,  mais  l'appliquent  différemment, 
308.  —  Les  relations  entre  Descartes  et  Hobbes  en  restèrent  là,  308-309. 

III.  —  ADMIRATION  DE  MERSENNE  POUR  HOBBES 

Malgré  l'attitude  défavorable  de  Descartes,  Mersenne  professe  pour 
Hobbes  une  admiration  excessive.  Il  fait  des  emprunts  à  la  théorie  de 
Hobbes  sur  la  réflexion  et  la  réfraction,  insère  dans  son  Optique  le  Trac- 
tatus  opticus  de  «  l'Anglois  »  et  résume  avec  synij^athie  la  doctrine  hob- 
bienne  sur  les  opérations  de  l'âme,  309-311.  —  Circonstances  atténuantes, 
311. 

CHAPITRE  III.  —  La  Trilogie  Hobbienne. 

Série  d'ouvrages  dans  lesquels  Hobbes  a  exposé  son  système,  312.  — ■ 
Tout  peut  se  ramener  à  cette  Trilogie  :  le  Corps,  VHomme,  le  Citoyen, 
312. 

SECTION  I.  —  Le  Corps. 
§  A.  —  LOGIQUE  OU  >  COMPUTATION  » 

I.  —  Philosophie  :  But  de  Hobbes,  313.  —  Définition  de  la  Philosophie, 
314.  —  Raisonner,  c'est  compter,  314-315.  —  Manière  de  connaître  un 
effet,  315.  —  Fin  utilitaire  de  la  Philosophie,  315-316.  —  Objet,  316.  — 
Division,  316.  —  Conclusion  fière,  317. 

II.  —  Langage  :  a)  Les  Noms  :  différence  entre  marques  et  signes,  317- 
318.  —  Définition  du  nom  ou  mot,  318.  —  Noms  affirmatifs,  négatifs, 
318.  —  Noms  communs  ou  universels,  318-319. 

h)  Proposition  :  Définition,  319.  —  Propositions  diverses  :  vraie  ou  fausse, 
319-320.  —  nécessaire  ou  contingente,  320-321. 

c)  Syllogisme  :  Définition,  321.  —  Modes  et  Figures,  321. 

lïl.  —  Erreur  et  Sophismes  :  L'erreur  est  surtout  dans  les  jugements 


TABLE   SYNTHÉTIQUE    DES   MATIÈRES  545 

et  les  raisonnements,  321.  —  L'erreur  du  syllogisme  provient  :  soit  de  la 
matière,  321-322.  —  soit  de  la  forme,  322.  —  Le  sophisme  de  Zenon,  322- 
323. 

IV.  —  Méthode  :  la  Science  est  la  recherche  des  causes,  223.  —  On  y 
arrive  par  : 

A)  la  Méthode  analytique,  qui  détermine  les  notions  universelles.  On 
extrait  les  universels  de  la  nature  des  singuliers,  223-224.  —  Les  causes 
des  universels  se  réduisent  au  mouvement,  224-225.  —  Prmcipes  premiers 
de  la  science  ou  Définitions,  325. 

B)  la  Méthode  synthétique,  qui  déduit  les  conséquences  contenues 
dans  les  notions  universelles.  Les  dififérentes  sciences,  constituant  la  Phi- 
losophie, se  déduisent  du  mouvement  diversement  considéré  :  Géométrie, 
Mécanique,  Physique,  Morale,  Politique,  325-326.  —  Cependant  la  Poli- 
tique peut  s'acquérir  aussi  par  la  Méthode  analytique,  226-227.  —  La 
Méthode  d'enseignement  doit  être  analytique,  327.  —  Hobbes  donne  le 
principal  rôle  à  la  Synthèse,  328. 

§  B.  —  PHILOSOPHIE  PREMIÈRE 

La  Philosophie  Première  consiste  à  rechercher  et  à  démontrer  les  Notions 
communes,  328.  —  Nous  raisonnons  ici  sur  les  phantasmes  en  tant  qu'ils 
représentent  les  choses  extérieures  comme  paraissant  exister  au  dehors, 
328-329.  —  Les  Notions  communes  sont  :  Espace,  329-330  —  Temps, 
330-331  —  Un,  Nombre,  Tout,  331  —  Corps,  331-332  —  Accident,  Grandeur, 
Lieu,  Plein,  Vide,  332  —  Mouvement,  332-333  —  Génération  et  Mort,  333 
—  Essence,  Forme,  Matière,  334  —  Matière  première,  334.  —  Cause  et  E^et, 
334-335.  —  Cause  efficiente,  matérielle,  formelle,  filiale,  335.  —  Puissance  et 
Acte,  335.  —  Nécessité  absolue  de  la  causalité,  335-336.  —  Le  Possible, 
336.  —  Nature  du  Contingent,  336-337. 

Hobbes  s'efforce  de  démontrer  que  tous  les  phénomènes  dérivent  du 
mouvement,  337-338. 

§  C.  —  GÉOMÉTRIE  ET  PHYSIQUE 

Inutile  de  suivre  Hobbes  dans  l'exposé  de  la  3^  et  de  la  4^  Partie  du 
De  Cor  pore,  338-339. 

SECTION  II.  —  L'Homme. 

Hobbes  ramène  les  facultés  de  l'esprit  à  deux  :  connaître  et  se  mouvoir, 
339. 

§  A.  —  LE  POUVOIR  COGNITIF  OU  CONCEPTIF 

1°  —  Ses  diverses  opérations. 

Il  comprend  les  représentations  des  qualités  des  êtres  hors  de  nous  : 
on  les  nomme  conceptions,  imaginations,  idées  ou  notions,  339.  —  Ces 
représentations  ou  apparitions  ont  pour  origine  les  sens,  340  . —  Nature 
.et  cause  de  la  sensation,  340-341.  —  Sujet  et  objet  de  la  sensation,  341- 
342.  —  Nature  des  quaUtés  sensibles,  342-343.  —  Mémoire  et  sensation, 
343-344.  —  Imagmation  et  Mémoire,  344-345.  —  État  de  veille  et  rêve, 
345-346.  —  Discours  mental  ou  série  de  pensées,  346.  —  Série  irrégulière, 
346-347.  —  Série  régulière  :  faculté  d'investigation  ou  réminiscence,  347- 
348.  —  Conjecture  de  l'avenir,  348-349. 

35 


546  TABLE    SYNTHETIQUE   DES   MATIERES 

20  —  L'âme  humaine  et  Tâme  animale. 

Les  différentes  opérations  dont  il  vient  d'être  parlé  sont  communes  à 
l'homme  et  à  l'animal,  349.  —  Le  langage  et  la  raison  sont  le  privilège  de 
l'homme,  349-350.  —  Un  esprit  incorporel  est  inconcevable,  350-35L 

§  B.   —  LE   POUVOIR  MOTEUR  VOLONTAIRE 

10   —  Notions  préliminaires. 

Le  pouvoir  moteur,  351.  —  Mouvement  vital  et  mouvement  animal 
ou  volontaire,  351-352.  —  Passions  simples  :  Désir,  Amour,  Aversion, 
Haine,  Joie,  Chagrin,  352.  —  Le  bien  et  le  mal  sont  relatifs,  352-353.  — 
Agréable,  beau,  utile,  353.  —  Bien  apparent,  353-354.  —  Le  Souverain 
Bien,  354. 

2°   —  Théorie   des  Passions. 

La  passion  étant  un  mouvement  physiologique  précédé  d'une  idée  ou 
conception,  Hobbes  recherche  de  quelles  concejDtions  procèdent  les  passions 
regardées  comme  les  plus  communes,  354.  —  Éléments  affectifs  et  intellec- 
tuels d'où  naissent  les  plaisirs  des  sens,  355.  —  Les  plaisirs  de  l'esprit 
sont  dus  à  l'attente  de  certaines  éventualités  prochaines,  355.  —  Outre 
cette  notion  de  f^ifur,  Hobbes  fait  entrer  dans  sa  théorie  utilitaire  des  pas- 
sions, l'idée  'de  pouvoir,  355-356  —  et  l'idée  d'honneur,  356.  —  Ceci  posé', 
Hobbes  analyse  les  passions  complexes  suivantes  :  Gloire,  fausse  gloireA 
vaine  gloire  et  Humilité,  356-357  —  Honte,  357  —  Courage,  Colère,  357j 

—  Vengeance,  357  —  Repentir,  357  —  Espoir,  Crainte,  Désespoir,  357 
Confiance  et  Défiarice,  357  — Pitié  et  Dureté,  351 -35S — -Indignation,  358  — | 
Emulation,  Envie,  358  —  Eires  et  Pleurs,  358  —  Amour,  Charité,  358-3591 

—  Admiration,  Curiosité,  359  —  Grandeur  d'âme  et  Pusillanimité,  359.' 

—  Ces  passions,  formes  variées  du  désir  et  de  la  fuite,  troublent  l'âme, 
359.  —  La  vie  est  une  course,  où  les  passions  se  donnent  carrière,  359- 
360. 

30  —  Volonté  et  Liberté. 

Volonté  et  Liberté  sont  une  annexe  du  chapitre  sur  les  Passions,  360.J 

—  Délibération  :  volonté  et  nolonté,  360-362.  —  Liberté  :  simple  pouvoir! 
d'exécuter  un  acte  nécessaire,  362.  —  Volonté  soumise  au  déterminisme] 
universel,  362-363. 

§  C.  —  L'HOMME  ET  LA  RELIGION 

Source  de  la  croyance  en  Dieu,  363-364.  —  Les  attributs  que  l'homme] 
lui  donne  expriment  notre  incapacité  ou  notre  respect,  364-365.  —  Originel 
de  l'attribut  tout-puissant,  365-366.  —  Bonté  de  Dieu,  366.  —  Devoirs] 
envers  Dieu  :  l'honorer  par  un    culte,  366-367.  —  L'Etat  et  le  culte,  367.] 

SECTION  III.  —  Le  Citoyen, 

I.  —  L  ÉTAT  DE  NATURE 

La  crainte  mutuelle  est  l'origine  des  sociétés  nombreuses  et  durables 
l'expérience  et  la  raison  le  démontrent,  367-368.  —  La  crainte  a  deu3 
causes  :  a)  l'égalité  naturelle  des  hommes  jjar  rapport  aux  facultés  du  corps! 
et  de  l'âme,  368-369  —  b)  leur  volonté  mutuelle  de  nuire,  369.  —  Chacun! 
a  droit,  dans  l'état  de  nature,  à  tout  ce  qui  lui  est  utile  poirr  se  défendre,] 
369-370.  —  Ce  droit  étant  à  tous  et  la  volonté  de  nuire  étant  universelle,! 


TABLE   SVNTHÉÏIQtJS   DBS   MAÏlÊtlÉS  547 

il  en  résulte  que  l'état  naturel  de  l'homme  est  la  guerre  de  tous  contre  tous, 
370-371.  —  Situation  lamentable  de  l'homme  dans  l'état  de  nature,  371. 

—  Tl  n'y  a  ni  bien  ni  mal  dans  l'état  de  nature,  371-372.  —  La  puissance 
irrésistible  confère  le  droit  de  régir  ceux  qui  ne  peuvent  résister.  La  sécu- 
rité qui  en  résulte  étant  précaire,  c'est  à  la  droite  raison  de  dicter  les  lois 
naturelles  qui  peuvent  assurer  une  paix  durable,  373. 

IL  —  LES  LOIS  NATURELLES 

Qu'est-ce  qu'une  loi  naturelle  ?  Loi  naturelle  fondamentale,  373.  —  De 
cette  Loi  fondamentale  Hobbes  déduit  vingt  lois  naturelles  qu'il  nomme 
«  dérivées  »,  prescrivant  les  moyens  propres  à  procurer  la  j)aix  ou  à  assurer 
la  défense,  373-376.  —  Contrat  et  Pacte,  374.  ^  Critérium  pour  discerner 
ce  qui  est  conforme  au  droit  naturel,  376.  —  Les  lois  naturelles  sont  immua- 
bles et  étemelles.  Elles  obligent  toujours  au  for  intérieur  ;  elles  n'obligent 
au  for  extérieur  que  lorsqu'on  peut  les  observer  sans  danger,  377-378.  — 
Elles  n'exigent  que  l'effort,  378.  —  La  loi  naturelle  est  identique  à  la  loi 
morale  ;  aussi  les  préceptes  constituent  les  bonnes  mœurs,  les  vertus,  et 
sont  l'objet  de  l'Ëthique,  378.  —  Les  lois  naturelles  ne  sont  pas  des  lois 
proprement  dites,  379. 

m.  —  ORIGINE  DE  LA  SOCIÉTÉ  :  PACTE  OU  SUJÉTION 

Les  lois  naturelles  ne  suffisent  pas  à  garantir  la  paix,  379.  —  Une  sécurité 
momentanée  peut  être  obtenue  par  une  association  nombreuse  de  secours 
mutuel,  379-380.  —  Cette  sécurité  ne  sera  durable  que  si  l'union  règne 
entre  les  associés.  L'union  ne  peut  être  maintenue  que  si  chacun  s'engage 
à  transférer  son  droit  à  un  seul  :  homme  ou  assemblée.  Telle  est  l'origine 
de  la  Société  ou  Cité,  personne  morale  ;  elle  est  due  à  la  crainte,  380-381. 

—  Société  :  a)  «  instituée  »  par  un  pacte  ;  6)  «  acquise  o  et  subie,  381. 

IV.  —  ATTRIBUTIONS  DU  SOUVERAIN 

Les-  attribtrtïôns  du  Pouvoir  Souverain  (Homme  ou  Assemblée)  sont 
déterminées  par  ceux  qui  ont  passé  le  contrat  social,  381.  —  Elles  peuvent 
se  déduire  de  la  nature  même  du  pacte  social,  381-382.  —  Pour  garantir 
la  sécurité,  le  Souverain  doit  être  armé  du  glaive  de  la  justice  et  ètreV arbitre 
de  la  guerre  et  de  la  'paix,  382.  —  Il  est  législateur  :  à  lui  de  détermmer 
par  la  loi  civile  en  quoi  consistent  le  vol,  l'homicide,  l'adultère,  et  toute 
sorte  d'injustices.  Il  est  au-dessus  des  lois  et  est  constitué  juge  suprême, 
382-384.  —  II  doit  proscrire  l'enseignement  de  toute  proj^osition  dangereuse 
pour  la  sécurité  de  l'État,  384-385.  —  Il  doit  mettre  fin  aux  controverses 
d'ordre  philosophique  qui  peuvent  nuire  au  bien  public.  Pour  prévenir 
le  mal,  il  rédigera  un  aOTégé  de  la  Philosophie  civile,  dont  l'enseignement 
sera  imposé  aux  Universités,  385.  ■ —  Il  réglementera  le  culte  et  les  croyances. 
L'interprétation  de  la  Sainte  Ecriture  lui  appartient,  386-387.  —  Identi- 
fication de  l'Église  et  de  l'État,  qui  sont  une  même  chose  sous  des  noms 
différents,  387-38-8.  —  De  là  plusieurs  conséquences  :  a)  L'élection  des 
ecclésiastiques  ajipartient  au  Souverain  ;  leur  consécration,  aux  Pasteurs, 
38-8.  —  h)  Dans  le  pouvoir  de  lier  et  de  délier,  le  jugement,  qui  prononce 
s'il  y  a  péché,  appartient  au  Souverain  ;  la  rémission  ou  rétention  de  la 
faute,  aux  Pasteurs,  388.  —  c)  L'excommunication  n'est  qu'un  vain  épou- 
t^antail  imaginé  par  le  Pontife  romain,  389.  —  Le  Souverain  fixe  la  limite 
entre  le  spirituel  et  le  temporel,  389-390.  —  Que  faire  si  le  Souverain  édic- 
tait  des  ordres  contraires  à  la  Révélation  \  S'il  s'agit  des  choses  nécessaires 


548  TABLE    SYNTHETIQUE    DES   MATIERES 

au  salut,  on  doit  obéir  à  Dieu  plutôt  qu'au  Souverain.  Or  deux  conditions 
sont  requises  pour  le  salut  :  1)  Obéir  aux  lois  de  Dieu.  2)  Croire  que  Jésus 
est  le  Christ.  Ceci  posé,  voici  la  solution  pratique  :  S'agit-il  :  a)  d'un  roi 
chrétien  ?  les  sujets  doivent  lui  obéir  au  spirituel  comme  au  temporel. 
b)  d'un  roi  non  chrétien  ?  ils  ne  doivent  pas  résister,  mais  aller  au  martyre, 
390-391.  —  Pour  empêcher  l'Ëglise  de  dominer  l'individu,  l'État  doit 
absorber  l'Église,  391-392. 

V.  —  NATURE  DE  LA  SOUVERAINETÉ  ET  FORMES  DIVERSES  DE 

GOUVERNEMENT 

Le  Souverain,  qu'il  soit  un  individu  ou  une  assemblée,  grande  ou  petite, 
doit  avoir  un  pouvoir  absolu,  au  spirituel  aussi  bien  qu'au  temporel,  392- 
393.  — '  Le  contrat  social,  étant  unilatéral,  lie  les  sujets  à  l'égard  du  Sou- 
verain ;  mais  le  Souverain  est  indépendant,  irresponsable,  impunissable, 
inviolable,  393.  —  Le  Souverain  n'est  comptable  qu'à  Dieu  ;  ses  pou- 
voirs sont  limités  par  cette  règle  :  Le  salut  du  pçuple  est  la  loi  suprême, 
393-394.  —  Limites  pratiques  à  l'absolutisme  du  Souverain  :  quatre  cas 
où  le  sujet  n'est  pas  tenu  à  la  soumission,  394-395. 

Hobbes  admet  la  légitimité  de  la  Démocratie,  de  l'Aristocratie  et  de  la 
Monarchie,  mais  sous  leur  forme  pure,  excluant  les  formes  mixtes  où  le 
pouvoir  souverain  est  partagé  entre  plusieurs,  395-396.  —  Origine  et 
caractères  du  Gouvernement  :  a)  Démocratique,  396  —  b)  Aristocratique, 
396  —  c)  Monarchique,  397.  —  La  préférence  doit  être  donnée  à  la  Monar- 
chie. Motifs  de  cette  préférence,  397-398.  —  Réponses  de  Hobbes  aux 
objections,  398-399.  —  Critique  des  arguments  de  Hobbes,  399-400.  — 
Même  rapport  entre  l'état  naturel  et  l'état  social  qu'entre  la  bête  et  l'homme, 
400. 

CHAPITRE  IV.  —  Critique  du  Hobbisme. 

§  A.  —  HOBBES  N  A  PAS  RÉALISÉ  LE  PLAN  ANNONCÉ 

Hobbes  affiche  la  prétention  d'étendre  à  tout  l'explication  mécanique 
et  de  déduire  toutes  les  sciences  des  lois  générales  du  mouvement,  401- 
402.  —  Mais,  par  deux  fois,  une  solution  de  continuité  apparaît  dans  cette 
déduction  annoncée  comme  devant  être  continue  :  1)  Quand  Hobbes 
passe  des  Sciences  géométrique  et  mécanique  à  la  Physique,  402-403  — 
2)  Quaijd  il  aborde  les  Sciences  morales,  404.  —  Le  plan  idéal  n"a  donc 
pas  été  réalisé,  404-405. 

§  B.  —  PART  DE  L'EMPIRISME  ET  DE  LA  DÉDUCTION 

Part  restreinte  de  l'expérience,  405.  —  Intrépidité  dans  la  déduction, 
406. 

§  C.  —  GÉOMÉTRIE  ET  PHYSIQUE 

Hobbes,  géomètre  médiocre,  s'acharne  à  la  poursuite  de  solutions  imjDos- 
sibles,  406.  —  Incertitude  de  la  Physique  hobbiemie,  406-407.  —  Hobbes 
multiplie  les  suppositions  :  vg.  celle  d'un  fluide  éthéré.  Il  se  borne  à  montrer 
la  vraisemblance  de  ses  hypothèses,  et  se  contente  de  conclusions  plus  ou 
moins  probables,  407-408.  —  Il  ignore  les  méthodes  baconiennes,  408.  — 
Jugement  de  Renouvier,  408. 


TABLE    SYNTHÉTIQUE    DES   MATIÈRES  549 

§  D.  —  PSYCHOLOGIE 

Hobbes  fondateur  de  la  Psychologie  anglaise,  408.  —  La  Psychologie 
hobbienne  est  matérialiste,  408-409.  —  Déterminisme  universel  et  absolu, 
409.  —  Subjectivité  des  qualités  sensibles  poussée  jusqu'à  l'idéalisme,  410. 

—  Hobbes  admet,  illogiquement,  la  réalité  du  monde  extérieur,  410-441. 

—  Caractère  égoïste  de  la  théorie  des  Passions,  411-412.  —  Hobbes  et  La 
Rochefoucauld,  412. 

§  E.  —  SYSTÈME  POLITIQUE 

Ce  système  politique  repose  sur  ime  méconnaissance  profonde  de  la 
nature  humaine  :  Hobbes  n"a  vu  dans  l'homme  qu'un  prmcipe  d'action, 
le  plaisir  égoïste,  412-413.  —  Il  corrompt  la  notion  de  justice,  413-415. 

—  Il  imagine  un  contrat  social  fictif,  415-416.  —  Son  état  de  nature  est 
contre  nature,  416-417.  —  La  gravure  symbolique  et  l'introduction  du 
Léviathan  indiquent  le  but  de  Hobbes  :  justifier  l'absolutisme,  417-419. 

—  Il    applique    à    l'ordre   social   son    mécanisme    matérialiste,   419-420. 

—  Sa  théorie  du  despotisme  lui  a  été  en  partie  suggérée  par  les  événements, 
420-421.  —  Néanmoins  le  Léviathan  est  une  œuvre  puissante,  d'une  portée 
durable,  421.  —  Homo  homini  lupus,  421-422.  —  Parallèle  entre  l'état 
de  nature  et  l'état  de  société,  422. 

§  F.  —  HOBBES  ÉCRIVAIN 

Hobbes  était  laborieux,  peu  liseur,  mais  méditatif,  422-423.  —  Son 
style  a  des  qualités  admirables.  Quelques  déficits,  423.  —  Styles  comparés 
de  Bacon,  Berkeley,  Hume  et  Hobbes,  423-424. 

§  G.  —  HOBBES  ET  BACON 

Hobbes,  débiteur  de  Bacon,  n'a  pas  reconnu  sa  dette,  424-425.  —  Hobbes 
et  Bacon  comparés  comme  penseurs  :  l'un  et  l'autre  sont  utilitaires,  mais 
différemment,  425.  —  Tous  deux  adversaires  de  la  Scolastic[ue,  mais  Hobbes 
prise  le  syllogisme,  426.  —  Bacon  part  de  l'expérience  et  se  sert  de  l'induc- 
tion ;  il  compose  en  poète,  426.  —  Hobbes  donne  à  son  système  une  base 
expérimentale  insuffisante,  se  sert  de  la  déduction  et  se  contente  de  con- 
clusions vraisemblables,  426-427.  —  Il  compose  en  géomètre,  427. 

CHAPITRE  V.  —  Partisans  et  Adversaires  de  Hobbes. 

La  vie  agitée  de  Hobbes  contraste  avec  le  cai-actère  froidement  spécu- 
latif de  son  esprit,  dont  la  tournure  géométrique  lui  fait  adopter  la  méthode 
déductive,  428.  —  Sa  Métaphysique,  sa  Logique,  sa  Physique  eurent  peu 
d'influence,  428-429.  —  Sa  Psychologie  et  sa  Morale  furent  vivement 
attaquées,  429.  —  C'est  surtout  comme  sociologue  que  Hobbes  attira 
l'attention.  Oublieux  ou  ignorant  des  travaux  de  ses  devanciers,  il  se 
donne  comme  initiateur,  429.  —  Il  n'a  pas  réussi  à  démontrer  que  l'homme 
n'est  pas  fait  pour  vivre  en  société,  429-430. 

§  A.  —  Influence  exercée  en  Angleterre. 

Peu  de  philosophes  ont  autant  remué  les  esprits  que  Hobbes.  Ses  qualités 
et  ses  défauts  très  caractérisés  provoquent  sympathie  ou  répulsion  :  pas 
d'indifférence,   430. 


550  TABLE   SYNTHÉTIQUE   DES   MATIÈRES 

10  Adversaires  :  Les  Politiques  :  Robert  Filmer,  430-432  —  Jacques 
Tyrrell,  432-433  —  Jacques  Harrington,  433-436  —  Clarendon, 
436-439  —  Les  théologiens  :  nombreuses  et  vives  attaques,  439-440  — 
Hobbes  ne  leur  opposa  qu'une  réponse  collective,  440-441.  —  L'Ecole 
'platonicienne  de  Cambridge  et  autres  opposants,  441. 

2°  Partisans  :  Au  témoignage  de  Clarendon  et  de  Burnet,  ils  furent 
nombreux;  mais  c'est  une  masse  anonyme,  442  —  Dans  cette  foule  se 
détache  un  médecin  matérialiste,  W.  Cowart,  dont  les  œuvres  suscitèrent 
de  vives  réfutations,  442-445. 

30  Admirateurs  chaleureux  :  Ce  sont  des  amis  :  Aubrey,  Bathurst, 
CowLEY,  445-446. 

40  Influence  sur  certaines  tendances  philosophiques  :  Hobbes  n'est  pas 
fondateur  d'école,  mais  il  a  été  le  précurseur  de  la  Philosophie  association- 
niste,  446.  —  Sa  théorie  nominaliste  eut  grand  succès,  446-447.  —  Il  a  eu 
de  l'influence  sur  les  philosophes  "utilitaristes  :  J.  Bentham,  447-450  — 
James  Mill,  450-451  —  J.  Austin,  451-452  —  J.  Stuart  Mill,  452- 
454. 

§  B.  —  Influence  de  Hobbes  a  l'étranger. 

I.   —  L'OPPOSITION 

L'opposition  fut  moins  générale,  mais  aussi  forte  dans  les  Pays-Bas  et 
en  Allemagne  qu'en  Angleterre,  454-455.  • —  Témoignages  de  Rachel 
et  de  Rôell,  455. 

II.  —  LES  SYMPATHIES 

Hobbes  trouva  à  l'étranger  des  sympathies  plus  grandes  que  dans  son 
pays,  456. 

10  _  En  Hollande. 

a)  Lambert  Velthuysen  :  dans  son  Epistolica  Dissertatio  de  1651  il 
accorde  de  grands  éloges  à  Hobbes  et  lui  emprunte  le  principe  de  la  con- 
servation personnelle,  456-458.  - —  Dans  l'édition  de  1680,  il  supprime  les 
éloges  et  accentue  son  dissentiment  avec  Hobbes  sur  le  principe  utilitaire, 
458-459.  —  Motifs  de  ce  revirement,  459-460. 

h)  Adrien  Houtuyn  :  ce  jurisconsulte  repousse  nombre  d'erreurs  de 
Hobbes,  mais  adopte  son  opinion  sur  la  suprématie  du  Pouvoir  laïc  en  ma- 
tière religieuse,  460-461. 

c)  Benoit  de  Spinoza  :  compte  suivre  Une  voie  moyenne  entre  les  uto- 
pistes et  les  empiristes,  461-462.  —  Chaque  être  a  autant  de  droit  qu'il 
a  de  puissance,  462.  —  et  s'efforce  de  persévérer  dans  son  état  :  d'où  suit 
qu'il  a  le  droit  abvsolu  d'être  et  d'agir  selon  que  sa  nature  le  détermine, 
462.  —  Les  hommes  n'étant  pas  déterminés  par  la  nature  à  suivre  la  raison 
mais  leurs  apj:)étits,  ils  ont  le  droit  de  convoiter  et  de  prendre  tout  ce  qu'ils 
jugeront  leur  être  utile.  Le  droit  naturel  ne  leur  défend  rien  de  ce  que 
l'appétit  conseille,  462-463.  —  D'où  il  résulte,  les  passions  étant  multiples 
et  opposées,  que  les  hommes  sont  naturellement  emiemis.  L'état  de  nature 
est  donc  l'état  de  guerre,  463-464.  • —  Cet  état  devenant  intolérable,  les 
hommes  ont  compris  la  nécessité,  pour  vivre  en  sécurité,  de  posséder  col- 
lectivement ce  droit  sur  toutes  choses  que  chaque  individu  tenait  de  la 
nature,  et  d'en  régler  l'usage  d'après  le  «  dictamen  »  de  la  raison,  464-465, 
• —  Pour  assurer  l'observation  du  pacte  social,  il  faut  des  sanctions  telles 


TABLE   SY^'THÉTIQTJE   DES   MATIÈRES  551 

que  les  contraictants  voient  qu'ils  ont  plus  d'avantages  à  l'observer  qu'à 
l'enfreindre,  465.  —  Cette  substitution  du  droit  de  l'État  au  droit  de  nature 
est  absolue.  On  doit  donc  exécuter  les  ordres,  même  absurdes,  du  Pouvoir 
souverain,  465-466.  —  La  distinction  entre  le  juste  et  l'injuste  n'apparaît 
qu'avec  l'état  social,  466.  —  Le  sol  et  tout  ce  qui  tient  au  sol  appartient 
à  l'État,  467.  —  La  Religion  relève  aussi  de  l'État,  467.  —  Pour  limiter 
en  quelque  manière  cette  omnif)otence  monstrueuse  de  l'État,  Spinoza 
a  imaginé  le  principe  suivant  :  Les  actes,  auxquels  menaces  ou  promesses 
ne  peuvent  induire  personne,  ne  tombent  pas  sous  le  di'oit  de  l'État.  Hobbes 
a  mis  en  avant  un  principe  limitatif  qui  est  plus  cohérent  avec  son  système, 
468-469.  —  Dans  le  contrat  social  les  cito^'ens  n'ont  pu  renoncer  au  droit 
de  juger  et  de  raisonner,  car  l'uniformité  en  cela  est  imix>ssible,  469-470. 

—  Ce  droit  cejîendant  ne  saurait  être  illimité  :  on  doit  dans  son  usage  faire 
appel  à  la  raison  et  non  aux  passions,  470-47L  —  L'État  ne  doit  pas  tolérer 
les  opinions  séditieuses,  c'est-à-dire  celles  qui  impliquent  la  rupture  du 
pacte  ;  mais  rien  de  plus  sûr  pour  lui  que  de  laisser  libres  les  opinions 
qui  n'enveloppent  pas  en  elles-mêmes  quelque  action,  471-472.  —  Spinoza 
a  voulu  concilier  le  droit  de  la  force  et  le  droit  de  la  raison,  contradiction 
interne  qui  mine  son  système,  472.  —  La  twannie  la  plus  violente  est  légi- 
time ;  mais  il  est  de  l'intérêt  du  Souverain  de  ne  pas  l'exercer,  472-473. 

—  Autre  contradiction  :  en  principe  Spinoza  accorde  tous  les  pouvoirs  à 
l'État  ;  en  fait,  il  limite  sa  juridiction  aux  actions,  473.  —  Distinction 
arbitraire  entre  parole  et  action,  473-474.  —  Spinoza  prétend  avoir  maintenu 
le  droit  de  nature  même  dans  l'état  civil  :  cela  implique  contradiction, 
474-475.  —  A  la  différence  de  Hobbes,  il  incline  vers  la  démocratie,  475. 

—  Il  met  en  relief  les  inconvénients  de  la  monarchie  absolue,  475-476. 

—  La  monarchie  tempérée  décrite  par  Spinoza  est  communiste,  représen- 
tative, égalitaire  :  rôle  du  Grand  Conseil  et  du  Conseil  de  permanence, 
476-477.  —  Justice,  Armée,  Religion,  477-478.  —  C'est  une  constitution 
imaginaire,  478.  —  Limites  imposées  au  pouvoir  royal,  478-479.  —  Consti- 
tution aristocratique  très  compliquée,  479-480.  —  Tout  en  restant  original, 
Spinoza  a  écrit  sous  l'influence  de  Hobbes  ;  mais  il  n'a  pas  reconnu  sa 
dette,  480.  —  Tous  deux  ont  exalté  le  droit  de  la  force  :  doctrine  déve- 
loppée par  les  penseurs  allemands,  480. 

20  —  En  Allemagne. 

I.  —  S.  PuEENDORF  mêle  des  réserves  à  son  admiration  pour  Hobbes, 
480-481.  —  Points  où  il  suit  Hobbes  dès  le  commencement,  481-482.  — 
Plus  tard,  il  modifia  encore  quelques-unes  de  ses  idées  dans  un  sens  qm 
le  rapproche  de  Hobbes,  482-484.  —  Sur  la  question  de  la  Souveraineté, 
il  a  fini,  au  contraire,  par  s'écarter  de  Hobbes,  484-485.  —  Il  abandonne 
Hobbes  dans  les  questions  religieuses.  Il  assujettit  moins  que  lui  l'Église 
à  l'État,  485-488.  —  Pufendorf  est  grandement  redevable  à  Hobbes,  488- 
489. 

II.  —  Leibniz,  jeune,  flatte  Hobbes,  489-491.  —  Dans  la  suite,  tout  en 
reconnaissant  sa  vigueur  intellectuelle,  il  réprouve  ses  doctrines  politiques 
et  religieuses,  491-494. 

III.  —  HocHEiSEN  soutient  la  matérialité  de  l'âme,  494. 

IV.  —  G.  Arnold  se  montre  très  bienveillant  pour  Hobbes,  494-495. 

V.  —  J.-C.  Becaiann  combat  l'accusation  d'athéisme  portée  contre 
Hobbes,  495.  —  Il  regarde  l'état  de  nature  comme  une  simple  hypothèse 
et  se  sépare  de  Hobbes  sur  d'autres  points,  495-496. 


552  TABLE    SYNTHÉTIQUE   DES   MATIÈRES 

VI.  —  J.-F.  BuDDEUS,  docte  professeur  à  Halle  et  à  léna,  critique  for- 
tement «  les  commentaires  irréligieux  et  ridicules  de  Hobbes  »,  496-499. 

VII.  —  N.-J.  GuNDLiNG,  brillant  professeur  de  Droit  à  Halle,  499-501 

—  accepte  une  partie  des  idées  politiques  de  Hobbes,  501-502  —  a,  notam- 
ment, défendu  l'état  de  nature,  502-504  —  accuse  Platon  et  Hippocrate 
d'Athéisme  et  tente  de  libérer  Hobbes  de  cette  accusation,  504-505  —  le 
désavoue  dans  les  questions  religieuses,  505. 

30  —  En  France. 

I.  —  XVII^  Siècle  :  Hobbes  se  fît  des  amis  influents  :  Sorbière,  Mersenne, 
Gassendi,  505-507.  —  Descartes  fait  des  réserves,  507-508.  —  Régis 
s'inspire  de  Hobbes  quand  il  expose  les  devoirs  de  l'homme  dans  l'état  de 
nature,  et  l'origine  des  sociétés  civiles,  508-510.  —  Il  tient  de  Hobbes, 
dans  une  certaine  mesure,  sa  tendance  empirique  en  Morale,  510-511.  — 
Plus  libéral  que  Hobbes,  il  soustrait  au  contrôle  de  l'État  les  doctrines 
purement  spéculatives  et  celles  qui  regardent  le  salut,  511.  —  Il  ne  cite 
nulle  part  Hobbes,  512. 

II.  —  XVIIIe  Siècle  :  Voltaire  juge  Hobbes  défavorablement,  512.  — 
Helvétius,  d'Holbach,  Diderot  se  montrent  sympathiques,  512-513. 

—  Montesquieu  combat  certaines  opinions  de  Hobbes,  513-514.  —  Entre 
Rousseau  et  Hobbes  les  divergences  sont  bien  plus  nombreuses  que  les 
points  de  contact,  514. 

III.  —  XIX^  Siècle  :  Destutt  deTracy  a  préconisé  \a,Logique  de  Hobbes, 
514-515.  —  Les  philosophes  du  xix^  siècle,  épris  de  la  liberté  et  partisans 
de  l'observation,  ne  pouvaient  goûter  l'absolutisme  de  Hobbes  ni  sa  méthode 
géométrique,  515.  —  Cependant  sa  doctrine  sur  l'origine  de  la  moralité 
a  trouvé  écho  dans  l'École  sociologique  de  Durkheim,  515-516. 

Utilité  indirecte  de  la  Philosophie  hobbienne  :  Jouffroy,  516. 


III 
TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 


Absolutisme  :  le  Léviathan  de  Hobbes  vise  à  le  justifier,  417-420. 

Académie  :  Académie  des  Physiciens  se  Téunissant  chez  M.  de  Montmor, 
222-223. 

Acatalepsie   :   Gassendi  y  est  favorable,  4-5. 

Acception  de  personnes  :  violation  dans  la  répartition  des  droits,  375. 

Accident  :  nature  et  définition,  332,  333,  334. 

Acte  :  définition,  335  —  acte  possible,  impossible,  336. 

Adam  (Charles)  :  bonté  candide  de  Gassendi,  14  et  n.  8.  —  Date  d'une 
lettre  de  Mersenne,  205  et  n.  1.  —  Confusion  entre  le  Syntagma  philoso- 
phicum  et  le  Syntagma  Philosophiœ  Epicuri,  210  et  n.  4.  —  Erreur  à  propos 
du  De  Cive,  213  et  n.  3. 

Adami  (Tobie)  :  éditeur  de  Campanella,  433  et  n.  5. 

A  Dialogue  between  a  philosopher  and  a  student  of  the  Common  Laws, 
296,  n.  3. 

Ad  Lihrum  D.  Edoardi  Herherti  Epistola  :  critique  de  Herbert  de  Cher- 
bury,  254-255. 

Admiration  :  passion,  359. 

Affections  :  voir  Passions. 

Agent  :  définition,  334. 

Agréable  :  le  bon  et  l'agréable,  353,  354. 

Alais  (Comte  d')  :  gouverneur  de  la  Provence.  Notice,  9  et  n.  4.  —  Rela- 
tions avec  Gassendi,  9-10,  15. 

Ame  :  a)  d'après  Gassendi  :  l'âme  sensible  est  matérielle,  83-84.  — 
Ame  animale,  123-124.  —  Ame  humaine,  dualisme  :  l'âme  sensible  et  l'âme 
raisonnable,  125-126.  —  Cette  doctrine  compromet  la  simplicité  de  l'âme 
et  l'unité  de  la  nature  humaine,  126-127.  —  Pas  de  distinction  entre  l'âme 
et  ses  facultés,  137.  —  L'âme  raisonnable  et  ses  facultés,  137,  138.  —  Les 
âmes  raisonnables  sont  égales  en  nature,  138.  —  b)  D'après  Hobbes  : 
âme  humaine  et  âme  animale,  349-350.  —  L'âme  humaine  est  un  «  corps 
naturel  »,  350-351. 

Amour  :  passion  fondamentale,  352.  —  L'amour  en  général,  358.  — 
L'"Epto^  des  Grecs,  358-359. 

Analyse  :  c'est  une  Méthode  «  résolutive  »,  323.  —  Emploi  d'après  Hobbes, 
323-325.  —  Définition,  403  et  n.  6.  —  Pas  identique  à  l'induction  baconienne, 
404  et  n.  3. 

Anciens  :  Gassendi  très  favorable  à  la  Philosophie  des  Anciens,  260. 

Angleterre  :  voyage  de  Sorbière,  198-200.  —  Sympathies  que  Gassendi 
y  rencontre,  235-241.  —  Trois  penseurs  la  dominent  au  xvii^  siècle  :  Bacon, 


554         TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  An  historical-Atomcs 

Hobbes,  Locke,  270.  —  État  j)olitique  au  temps  de  Hobbes,  271.  —  Etat 
troublé  en  1637,  277.  —  Dissolution  du  Court  Parlement.  Lutte  entre  le 
Long  Parlement  et  la  Royauté.  Contraste  avec  la  France  gouvernée  par 
Richelieu,  278,  302.  —  De  retour,  Hobbes  fait  sa  soumission  au  Conseil 
d'État,  285.. 

An  historical  Narration  conckrning  Heresy  :  296  et  n,  2. 

Animadversiones  in  Decimum  Librum  Diogenis  Laertii,  16,  n.  1.  — 
Valeur  de  l'ouvrage, ,  77,  87  et  n.  2. 

Anselme  (Saint)  :  sa  preuve  de  l'existence  de  Dieu,  392  et  n.  7. 

Apologia  :  Gassendi  répond  aux  attaques  de  J.-B.  Morin,  170  et  n.  2. 

Appétit  :  Gassendi  :  comparaison  entre  la  faculté  appétente  et  la  con- 
naissante, 141-142.  —  Appétit  raisonnable  ou  Volonté,  142-143,  152.  — 
Appétit  sensitif  :  ses  effets  sont  les  passions,  143.  —  Passions  se  rapportant 
davantage  :  a)  au  cor-ps,  143-144  ;  h)  à  l'âme,  144.  —  Hobbes  :  appétit, 
passion  fondamentale,  352. 

Arbitrage,  Arbitres  :  règles  qui  les  concernent,  376. 

Aristocratie  :  origine  et  caractères  du  gouvernement  aristocratique, 
d'après  Hobbes,  396.  —  Constitution  aristocratique  d'après  Spinoza,  479- 
480. 

Aristote  :  Gassendi  le  combat,  5,  5-6.  —  Son  autorité  au  début  du 
xvii^  siècle,  26-27.  —  Son  nez  de  cire,  29,  n.  2.  —  Sous  couleur  de  réfuter 
les  Péripatéticiens,  Gassendi  attaque  Aristote  lui-même,  30.  —  Attaques  de 
Bitaud,  33-35.. —  Apologie  par  Watson,  37  et  n.  4.  —  Critiqué  par  Sinson,  71 . 

—  Gassendi  résume  sa  Logique,  93  et  n.  6.  —  Gassendi  rejette  ses  défini- 
tions :  du  lieu,  97  —  du  temps,  100-101  —  du  mouvement,  108  —  son  argu- 
ment sur  la  divisibilité  à  l'infini,  104-105.  —  Ga,ssendi  conçoit  le  vide 
comme  Aristote,  97  —  critique  sa  théorie  :  sur  le  premier  moteur  immobile, 
109-110  —  sur  la  chute  des  graves,  110  — .  Savoir  par  manière  d'habitude 
ou  actuellement,  156-157,  158.  —  Son  autorité  est  contestée  en  Hollande 
et  en  Belgique,  241.  —  Sa  doctrine  mal  interprétée  à  Oxford,  271  et  n.  1. 

—  Sociabilité,  367,  429  et  n.  10.  —  Enseignement  aristotélique  jugé  par 
James  Mill,  450  et  n.  3.  —  Recueil  des  Constitutions  de  la  Grèce,  478  et 
n.  2. 

Arlington  (Henry  Bennet,  Comte  d')  :  protecteur  de  Hobbes,  293. 

Arminianisme  :  secte  opposée  au  Calvinisme,  285  et  n.  4. 

Arnold  (Gottfried)  :  trop  bienveillant  pour  Hobbes,  494-495,  495 
et  n.  4. 

Arrêt  burlesque  :  contre  les  Péripatéticiens,  35-36. 

Arriaga  (Père  Rodrigue  de)  :  le  Père  Der-Kennis  l'attaque,  245,  n.  4. 

Arrogance  :  opposée  à  la  modération,  375. 

Association  des  idées  :  Gassendi  en  a  ébauché  la  théorie,  132-133.  — 
Hobbes  en  a  décrit  le  mécanisme,  346-348.  —^  C'est  un  précurseur  de  l'Ecole 
associât ionnis te  anglaise,  446. 

Astrologie  :  dans  sa  jeunesse  Gassendi  s'y  laisse  prendre.  Il  confesse 
son  erreur  et  combat  l'Astrologie,  165,  n.  4.  —  Elle  est  encore  cultivée 
au  xviie  siècle,  165,  n.  4  vers  la  fin. 

Astronomie   :   observations  astronomiques  de  Gassendi,  5,  6,  164-167. 

Atomes,  Atomisme  :  partisans  :  au  Moyen  Age  et  pendant  la  Renais- 
sance, 68,  69  —  au  xvii^  siècle,  70-76.  —  L' Atomisme  doit  à  Gassendi 
une  importance  durable,  80-81,  87.  —  Gassendi  ramène  la  matière  à  des 
atomes,  103-106.  —  Essence  et  propriétés  des  atomes  :  solidité,  étendue, 
figure,  pesanteur,  106-108,  112.  — Gassendi  a  contribué  autant  que  Des- 
cartes à  la  formation  de  l' Atomisme  actuel,  178.  —  Caractéristique  de 
l'Atomisme  de  Gassendi,  264-265. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Attributs-Behemoth  555^ 

Attributs  divins  :  d'après  Hobbes,  364-366. 

AuBREY  (John)  :  détails  sur  Hobbes,  272,  273,  274,  275,  293.  —  Décrit 
Hobbes  au  physique  et  au  moral,  297,  n.  5.  —  Manière  dont  Hobbes  tra- 
vaillait, 422-423.  —  Admiration  chaleureuse  pour  Hobbes,  445  et  n.  3. 

Atjdran  (Gérard)  :  portrait  de  Sorbière,  228. 

Augustin  (Saint)  :  le  temps,  99  et  n.  5. 

AusTiN  (John)  :  idées  sur  la  Souveraineté,  451-452. 

Avenir  :  prévision  de  l'avenir,  348  . —  C'est  un  élément  qui  entre  dans 
la  notion  de  la  passion,  355-356. 

Ayton  (Robert)  :  ami  de  Hobbes,  275. 

B 

Bacon  (Francis)  :  Gassendi  résume  sa  Logique,  93  et  n.  6.  —  Utilise 
Hobbes  comme  secrétaire,  274.  —  Signale  l'hypothèse  qui  accorde  la  sensi- 
bilité aux  corps,  343  et  n.  2.  —  La  Méthode  baconienne  est  pratiquement 
ignorée  de  Hobbes,  408.  —  Hobbes  lui  emprunte  :  Homo  homini  lupus, 
421-422.  —  UAtialyse  de  Hobbes  n'est  pas  à  confondre  avec  l'induction 
baconienne,  404  et  n.  3.  —  Style  de  Bacon  comparé  au  style  de  Hobbes, 
423.  —  Parallèle  entre  Bacon  et  Hobbes,  424-427.  —  La  Philosopliie  civUe, 
429  et  n.  8.  —  La  New  Atlantis,  433.  —  Précurseur  de  l'Associationnisme, 
446. 

Baillet  (Adrien)  :  Clerselier  adoucit  dans  sa  traduction  les  termes  de 
Descartes  répondant  à  Gassendi,  14  et  n.  ~ .  —  Johnson  revient  au  Carté- 
sianisme, 203  et  n.  5.  —  Jugement  sur  Sorbière,  209,  224,  n.  1.  —  Relations 
entre  Hobbes  et  Descartes,  308-309. 

Balzac  (Jean-Louis  Guez  de)  :  louanges  excessives  à  Cureau  de  La 
Chambre,  182,  n.  4. 

Barberini  (Cardinal)  :  communique  à  Peiresc  une  description  d'une 
observation  de  Parhélies  par  le  Père  Scheiner,  11.  —  Prend  J.-M.  Suarès 
comme  bibliothécaire,  195,  n.  4. 

Basson  (Sébastien)  :  attaque  Aristote,  27.  —  Soutient  l'Atomisme, 
70-71. 

Bathurst  (Ralph)   :  admirateur  chaleureux  de  Hobbes,  445  et  n.  4. 

Baugy  (Nicolas  de)  :  Mersenne  lui  adresse  la  Lettre  placée  en  tête  de 
l'EpistoUca  Exercitatio  de  Gassendi,  44  et  n.  8  ;  48,  n.  3. 

Baxter  (Richard)  :  réfute  Harrington,  435  et  n.  2.  —  Attaque  vive- 
ment Hobbes,  440  et  n.  6. 

Bayle  (François)  :  gassendiste  sur  quelques  points,  86,  n.  2. 

Bayle  (Pierre)  :  publie  un  opuscule  de  Bernier,  188,  n.  8.  —  Range 
Gassendi  parmi  les  Sceptiques,  252  et  n.  1.  —  Fait  l'éloge  de  Peiresc,  258, 
n.  5  et  7. 

Beau  :  le  bon  et  le  beau,  353,  354. 

Beaune  (Florimond  de)  :  jugement  trop  favorable  de  Hobbes.  Rela- 
tions avec  Descartes,  305,  n.  2.  —  Descartes  le  mentionne  dans  une  lettre 
^  Mersenne,  309,  n.  4. 

Beckmann  (Nicolas)  :  opposé  à  Pufendorf,  482,  n.  4. 

Becmann  (Jean-Cristophe)  :  repousse  l'accusation  d'athéisme  portée 
contre  Hobbes,  495.  —  Regarde  l'état  de  nature  comme  ime  simple  hypo- 
thèse et  se  sépare  encore  de  Hobbes  sur  d'autres  points,  495-496. 

Beeckman  (Isaac)  :  fait  la  comiaissance  de  Gassendi,  8.  —  Notice,  8, 
n.  6. 

Behemoth  :  ouvrage  de  Hobbes  sur  les  causes  de  la  guerre  civile  d'Angle- 
terre, 296  et  n.  4;  300-301. 


556  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES  :  Belgique-Boyle 

Belgique  :  Gassendi  y  rencontre  des  sympathies,  7-8,  241,  244-247. 

Bennet  (Sir  Henry)  :  protecteur  de  Hobbes,  293. 

Bentham  (Jerbmy)  :  Morale  utilitaire.  Influence  exercée  par  Hobbes 
sur  Bentham,  447-450. 

BÉRiGARD  (Claude  de)  :  professeur  à  Pise  et  à  Padoue,  71-72.  —  Favo- 
rable à  l'Atomisme,  72-75.  —  Hobbes  lui  rend  visite  à  Pise,  275. 

Berkeley  :  son  style  comparé  à  celui  de  Hobbes,  423.  —  Nominaliste, 
446  et  n..8. 

Bernier  (François)  :  a  Gassendi  pour  professeur  de  Philosophie,  10, 
183-184.  —  Élève  des  Jésuites  au  collège  de  Clermont,  183-184.  —  Accom- 
pagne Gassendi  à  Paris,  16.  —  Vante  la  mémoire  et  l'ardeur  au  travail  de 
son  maître,  18-19.  —  Loue  sa  douceur,  19-20.  —  Collabore  :  à  son  épitaphe, 
21  —  à  r  «  Arrêt  burlesque  »  et  rédige  la  «  Requeste  »  contre  les  Péripaté- 
ticiens,  35.  —  Résume  la  doctrine  de  Gassendi  sur  la  liberté,  160.  —  Atteste 
la  précocité  de  son  esprit  d'observation,  161.  —  Rapporte  la  prédiction 
astrologique  de  J.-B.  Morin  sur  la  mort  de  Gassendi,  170.  —  Prend  trop 
vivement  la  défense  de  Gassendi  contre  Morin,  171-172.  —  Très  attaché 
h  Gassendi,  185.  —  Passion  pour  les  voyages.  Mémoires  sur  l'Empire  du 
Grand  Mogol,  185-186.  —  Morigène  Chapelle,  186-187.  —  Compose  V Abrégé 
de  la  Philosophie  de  Gassendi,  187-188,  189-190.  —  Répond  aux  attaques 
du  Père  Le  Valois,  188-189.  —  Traité  du  libre  et  du  volontaire,  189.  —  Fut 
gassendiste  avec  indépendance,  189-190.  —  Visite  Saint-Êvremond  à 
Londres,  190-1'91.  —  Ami  de  Boileau,  de  Racine  et  de  Molière,  191.  — 
Atteste  le  gassendisme  de  Sorbière,  192.  —  La  religion  de  Bernier,  192, 
n.  1.  —  Loue  la  réserve  de  Gassendi,  248  et  n.  4.  —  Vante  son  érudition, 
259  et  n.  3. 

Bertet  (Jean)  :  Sorbière  lui  fait  l'éloge  de  Gassendi,  209  et  n.  3. 

Bertrand  (Joseph)  :  inaptitude  de  Hobbes  pour  les  Mathématiques, 
406,  n.  2. 

Bibliographie  :  relative  :  1)  à  Gassendi,  267-269  —  2)  à  Hobbes,  517-521. 

Bibliotheca  Juris  Imperantium  :  exagère  le  mérite  de  Hobbes,  488  et 
n.  4. 

Bien  :  nature  et  espèces,  352-354.  —  Souverain  Bien,  354. 

Biens  :  leur  répartition,  375-376. 

Bienveillance  :  forme  de  l'amour,  359. 

BiGOURDAN  (Guillaume)  :  notice  sur  Wendelin,  2,  n.  5.  —  Observations 
astronomiques  de  Gassendi  et  de  Gaultier,  5,  n.  6.  —  Résume  les  travaux 
astronomiques  de  Gassendi,  165,  n.  1,  166-167.  —  Réunions  savantes  chez 
Mersenne,  222  et  n.  8. 

BiOT  (Jean-Baptiste)  :  loue  Gassendi,  249  et  n.  5. 

BiTAUD  (Jean)  :  condamnation  de  ses  thèses  contre  Aristote,  33-35.  — 
Partisan  de  l'Atomisme,  71. 

BoÈCE  :  définition  de  l'éternité,  101-102. 

Boileau  :  collaboration  à  1'  «  Arrêt  burlesque  >,  35.  —  Ami  de  Bernier, 
191. 

BoRNius  (Henri)  :  presse  vainement  Gassendi  de  critiquer  les  Principes 
de  Descartes,  13.  —  Disciple  enthousiaste  de  Gassendi,  242-243.  —  Gassendi 
s'en  montre  très  touché,  243-244. 

Boswell  (William)  :  notice,  203  et  n.  4. 

Bouillier  (Francisque)  :  critique  le  dualisme  introduit  par  Gassendi 
dans  l'âme  humaine,  127  et  n.  1,  3.  —  Jugement  sur  Sorbière,  224  et  n.  1. 
—  Influence  de  Gassendi  au  xviii^  siècle,  235  et  n.  1.  —  Gassendi  modèle 
comme  polémiste,  55  et  n.  3,  258  et  n.  2. 

Boyle, (Robert)  :  notice^  236,  n.  1.  —  S'appuie   sur  Gassendi  dans  sa 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Brachet-Causalité  557 

lutte  contre  les  formes  substantielles,  236-237.  —  Façon  dont  il  comprend 
l'Atomisme,  237-238.  —  Son  Atomisme  mécanique  repose  sur  une  Méta- 
physique spiritualiste.  L'horloge  de  Strasbourg,  238-239.  —  Polémique 
avec  Hobbes,  237  et  n.  4,  287,  290-291. 

Brachet  de  La  Milletière  (Théophile)  :  attaque  André  Rivet,  193 
et  n.  5. 

Bramhall  (John)  :  soutient  la  cause  du  libre  arbitre  contre  Hobbes 
285-287,  439  et  n.  5.  , 

Brett  (George-Sidney)  :  qualifie  l'Épicurisme'de  Gassendi,  84  et  n.  2. 
—  Renvoie  après  la  Morale  l'exposé  de  la  Théodicée  de  Gassendi,  113  et 
n.  2.  —  Cause  de  l'insuccès  relatif  de  Gassendi,  249-250.  —  Juge  Gassendi 
comme  historien  des  Sciences  et  de  la  Philosophie,  258  et  n.  f.  —  Cite  la 
traduction  anglaise  de  la  Vie  de  Peiresc,  259  et  n.  1.  —  Idée  directrice  du 
Syntagmu  philosophicum,  263  et  n.  2. 

Broughton  (John)  :  attaque  W.  Coward,  444  et  n.  4. 

Brown  (Thomas)  ;  n'est  pas  nominaliste,  447,  n.  2. 

Brucker  (Jakof)  :  juge  S.  Basson,  27  et  note  1.  —  Loue  :  l'Examen 
de  la  Philosophie  de  Fludd  par  Gassendi,  48  et  n.  5  —  les  travaux  de  Gas- 
sendi sur  Épicure,  86-87.  —  la  modestie  de  Gassendi,  248  et  n.  3.—  Reproche 
à  Bayle  d'avoir  rangé  Gassendi  parmi  les  Sceptiques,  252  et  n.  1,  —  Ele- 
menta  Philosophiœ  de  Buddeus,  496,  n.  8.  —  Gundling  cultive  le  paradoxe. 
500  et  n.  3.  i  > 

Bruno  (Giordano)  :  accorde  aux  corps  la  sensibilité,  343  et  n.  2. 

Buddeus  (Johannes-Franz)  :  loue  les  travaux  de  Gassendi  sur  Epicure, 
86  etn.  2.  —  Professe  brillamment  à  Halle  et  à  léna,  496-497.  —  Répand 
le  goût  de  l'Histoire  de  la  Philosophie,  497.  —  Critique  fortement  «  les 
commentaires  irréligieux  et  ridicules  »  de  Hobbes,  497-499. 

Buhle  (Johannes-Gottlieb)  :  doctrines  des  Rose-Croix,  46-48,  48 
et  n.  1. 

BuRNET  (Gilbert)  :  accuse  Hobbes  d'avoir  contribué  à  gâter  l'esprit 
de  Charles  II,  280,  n.  7.  —  Atteste  le  succès  de  Hobbes,  442  et  n.  3. 

Butler  (Joseph)  :  opposé  à  Hobbes,  441. 


Cambridge  (École  Platonicienne  de)  :  favorable  à  Gassendi,  240 
et  n.  1.  —  opposée  à  Hobbes,  441  et  n.  3. 

Campanella  (Tommaso)  :  critique  l'Épicurisme  de  Gassendi,  84-85.  — 
Croit  à  l'Astrologie,  165,  n.  4,  §  La  magie.  —  Lettre  de  Gassendi  :  compa- 
raison de  l'héliotrope,  231  et  n.  3.  —  Accorde  aux  corps  la  sensibtité, 
343  et  n.  2.  —  La  Cité  du  Soleil,  433  et  n.  5,  461-462. 

Campbell  (George)  :  nominaliste,  446  et  n.  10. 

Campion  (W.  J.  H.)  :  réfute  les  arguments  de  Hobbes  en  faveur  delà 
monarchie,  399-400.  —  La  famille  est  la  cellule  sociale,  416  et  n.  2.  — 
État  de  nature  d'après  Hobbes,  416  et  n.  4.  —  Dette  de  Hobbes  à  l'égard  de 
Bacon,  424  et  n.  2.  —  Hobbes  est  «  le  moins  anglais  des  penseurs  anglais  », 
446  et  n   2. 

Caramuel  y  Lobkovitz  (Jean)  :  fait  la  connaissance  de  Gassendi,  8i 
—  Notice,  8,  n.  2  '  ^ 

Cartésianisme  :  le  Grand  Conseil  interdit  l'enseignement  du  Cartésia- 
nisme en  France,  36,  n.  6.  —  La  critique  qu'en  a  faite  Gassendi  n'a  pas 
été  mutile,  65-66  —  Les  Gassendistes  ont  de  l'aversion  pour  le  Cartésia- 
nisme, 180 

Causalité  :  principe  de  causalité,  334-335. 


558  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES  :  Cause-Clarendon 

Cause  :  Gassendi  ;  Cause  première,  112-113.  —  Causes  secondes,  112, 
117.  —  Atomes,  causes  secondes  en  tant  que  principe^  du  mouvement, 
108-110.  —  HoBBES  :  Espèces,  334-335.  —  Cause  intégrale,  335.  —  Cause 
nécessaire,  335-336. 

Caussin  (Nicolas)  :  combat  les  horoscopes,  165,  n.  4,  §  La  Magie. 

Cavendish  (Famille)  :  cette  famille,  dont  le  chef  deviendra  Comte  de 
Devonshire,  accueille  Hobbes  qui  y  remplit  les  fonctions  de  précepteur  et 
de  secrétaire,  273-274,  275.  — •  Hobbes  s'y  confirme  dans  son  goût  pour  la 
monarchie,  277.  —  Dédie  le  De  Cive  au  comte  de  Devonshire,  279.  —  De 
retour  en  Angleterre  après  son  exil  en  France,  Hobbes  reçoit  jusqu'à 
sa  mort  l'hospitalité  chez  les  Cavendish,  285,  297.  —  Les  Mémoires  de  la 
famille  renseignent  sur  la    pratique  religieuse   de   Hobbes,    295   et   n.  3. 

Cavbndish^Sie.  Charles)  :  Lettre  de  Hobbes,  305,  n.  2.  —  Le  fac-similé 
■de  l'écrituTe  de  Hobbes  placé  au  bas  de  son  portrait,  en  face  de  la  page  272, 
est  tiré  de  cette  Lettre. 

Cazré  (Père  Pierre  de)  :  Gassendi  réfute  ses  objections  contre  les  lois 
de  la  chute  des  graves,  164  et  n.  2. 

CÉLESTiN  DE  Sainte  Lidwine  (Père)  :  Correspondant  de  Peiresc,  8, 
n.  5. 

Cellarifs  (Cristophe)  :  professeur  à  Halle,  499,  n.  5. 

Certitude  :  doctrine  de  Gassendi,  90-93. 

Cesalpini  (Andeea)  :  accorde  la  sensibilité  aux  corps,  343  et  n.  2. 

Chagrin  :  passion  fondamentale,  352. 

Chapelain  (Jean)  :  Chapelain  et  M.  de  Montmor,  16  et  n.  5. —  Gassendi 
lui  dédie  les  Vies  de  Copernic,  de  Peurbach  et  de  Regiomontanus,  17  et 
Ti.  1.  —  Qualifie  J.-B.  Morin,  170  et  n.  7.  —  Juge  sévèrement  le  Discours 
sur  la  Comète  de  Sorbière,  211  et  n.  4.  —  Fréquente  chez  M.  de  Montmor, 
222-223.  —  Son  opinion  sur  Sorbière,  225  et  n.  3.  —  Traduction  de  Lucrèce 
par  Molière,  229  et  n.  2.  —  Annonce  le  succès  des  Œuvres  de  Gassendi, 
248  etn.  1. 

Chapelle  (Claude  Luillier,  dit)  :  fils  naturel  de  François  Luillier,  7, 
n.  1.  —  Gassendi  lui  enseigne  la  philosophie,  10,  183-184.  —  Notice,  184 
et  n.  1.  —  Bemier  le  sermonne,  186-187  —  et  fait  son  épitaphe,  187. 

Charles  I^^  :  état  de  l'Angleterre  en  1631,  271.  —  Dissolution  du  Court 
Parlement.  Lutte  entre  le  Long  Parlement  et  le  Roi,  278.  —  Sa  mort, 
281. 

Charles  II  :  encore  Prince  de  Galles,  il  se  réfugie  en  France,  où  Louis  XIV 
l'héberge  à  Saint-Germain -en-Laye,  280.  —  Hobbes  lui  enseigne  les  Mathé- 
matiques, 280  et  n.  7.  —  Refuse  l'hommage  du  Léviathan,  284.  — -  Mais, 
devenu  Charles  II,  le  Prince  ne  tient  pas  rigueur  à  Hobbes,  achète  son 
portrait  et  le  pensionne,  293  et  n.  2.  —  Hobbes  lui  dédie  ses  Problèmes 
'physiques,  294  et  n.  5.  —  Ne  juge  pas  opportune  la  publication  du 
Behemoth,  296  et  n.  4. 

Charleton  (Walter)  :  nombreux  ouvrages,  dont  deux  s'inspirent  de 
Gassendi,  235-236. 

Charron  (Pierre)  :  Gassendi  l'étudié,  4.  —  Goûté  par  Sorbière,  201 
et  n.  2. 

Circulation  du  sang  :  objections  de  Gassendi  qui  l'empêchent  d'adhérer 
pleinement  à  l'opinion  de  Harvey,  quoi  qu'en  dise  Sorbière,  175,  177  et 
n.  3. 

Clarendon  (Edward  Hyde,  Comte  de)  :  accuse  Hobbes  d'avoir  flatté 
Cromwell,  283-284.  —  Wallis  renouvelle  cette  accusation,  291  et  n.  &, 
291-292.  —  Opposé  à  Hobbes,  294.  —  Réfute  le  Léviathan,  436-439.  — 
Atteste  l'influence  de  Hobbes,  437,  442  et  n.  2. 


TABLE  AîTALYTiQUE  I>ES  MATIÈRES  :  ClaFke- Critique  559 

Clarke  (Samuel)  :  prouve  l'existence  de  Dieu  dans  les  Lectures  fondées 
par  Boyie,  236,  n.  1,  à  la  fin.  —  Opposé  à  Hobbes,  441. 

Clave  (Êtiekne  de)  :  le  «  médecin  chymiste  »,  33  et  n.  4.  —  Partisan 
de  rAtomisme,  71. 

Clergymex  :  attaques  contre  Hobbes,  293,  439-440,  441  et  n.  1,  3. 

Clerselier  (Claude)  :  son  rôle  dans  le  démêlé  de  Descartes  et  de  Gas- 
sendi à  propos  des  Méditatioiis,  14-15.  —  Fréquente  chez  M.  de  Montraor, 
16  et  n.  5  à  la  fin,  222-223.  —  Préface  aux  Lettres  de  M.  Descartes,  208, 

—  Traduction  des  Objections  de  Gassendi  contre  les  Méditations,  306  et 
n.  1. 

CocQ  (Gisbert)  :  opposé  à  Hobbes,  454  et  n.  2. 

Cognitif  :  pouvoir  cognitif  d'après  Hobbes,  340-351. 

Colère  :  jmssion,  357. 

CoLLms  (Anthony)  :  terreur  des  Clergymen,  439.  —  Lettres  de  Locke, 
444  et  n.  4. 

Cominges  (Comte  de)  :  ambassadeur  de  France  à  Londres,  plaisante 
sur  la  relégation  de  Sorbière  en  Bretagne,  200  et  n.  2.  —  Donne  des  dîners 
littéraires,  293-294. 

Computatio  :  Hobbes  appelle  ainsi  la  Logique,  313,  314-315. 

Concours  divin  :  doctrine  équivoque  de  Gassendi,  116-117. 

Confiance  :  passion,  357. 

Conjectures  :  connaissance  des  signes  qui  permettent  de  prévoir  l'avenir, 
348-349. 

Conrart  (Valbntin)  :  îettre  de  Sorbière  louant  Gassendi,  212  et  n.  2. 

—  Apprécie  la  traduction  du  De  Cive  par  Sorbière,  221  et  n.  1. 
Conring  (Hermann)  :  opposé  à  Hobbes,  455  et  n.  3. 
Consideratimis   upon   the   réputation,    loyalty,    manners   and   religion   of 

Thomas  Hobbes,  291  et  n.  6,  291-292,  292  et  n.  1,  440,  n.  8. 

Contrat  :  Hobbes  :  nature  du  contrat,  374.  —  Contrat  social,  origine 
de  la  société,  380-381.  —  Le  contrat  est  fictif,  415-416. 

Controverse  :  entre  Hobbes  et  Descartes,  302-309. 

Copernic  :  initiateur,  429.  —  Sa  Vie  par  Gassendi,  17  et  n.  1,  23,  258. 

CoRDEMOY  (GÉRAUD  DE)  :  réfute  une  affirmation  de  Descartes,  202 
et  n.  5.  —  Soutient  l'Atomisme,  233-234.  —  Leibniz  explique  ix)urquoi 
Cordemoy  a  embrassé  l'Atomisme,  233  et  n.  5. 

CoRNiFiTZ  Ulfeldt  :  loué  imprudemment  par  Sorbière,  200  et  n.  3. 

Corps  :  naturel,  artificiel,  316.  —  Définition  du  corps  naturel,  331- 
332. 

Corpusculaire   :  théorie  corpusculaire,  voir  Atomisme. 

Correspondants  :  de  Sorbière,  226-227. 

Cosius  (Jean)  :  Hobbes  fait  appel  à  son  témoignage  pour  garantir  son 
orthodoxie,  281  et  n.  3. 

CoTTUNius  (Jean)  :  professeur  à  Padoue,  72  et  n.  2. 

Courage  :  passion,  357. 

CouRCELLES  (Étiennb  de)  :  notice,  195,  n.  3. 

CowART  (William)  :  médecin  matérialiste,  partisan  de  Hobbes,  442- 
445. 

Cowley  (Abraham)    :   admirateur  chaleureux  de  Hobbes,   445-446. 

Crainte  :  Hobbes  :  fondement  et  origine  des  sociétés,  367-368.  —  Ses 
causes,  368-369.  —  Pacte  extorqué  par  la  crainte,  374. 

Crellius,  Crell  (Johannes)  :  Sorbière  traduit  son  De  Causis  mortis 
Christi,  201  et  n.  4,  5. 

Critérium  :  de  la  vérité,  d'après  Gassendi,  91-93. 

Critique  :  du  Hobbisme,  401-427. 


560         TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Cromwell-De  Nicolai 

Cromwell  :  son  influence,  281.  —  Hobbes  est  accusé  de  l'avoir  flatté  pour 
faciliter  son  retour  en  Angleterre,  283-284,  291  et  n.  6,  291-292,  395,  n.  2. 

Cruauté  :  déviation  dans  le  but  qu'on  doit  assigner  à  la  peine,  375. 

CuDWORTH  (Ralph)  :  admet  l'Atomisme,  mais  imagine  «  une  nature 
plastique  »,  240-241.  —  Opposé  à  Hobbes,  441  et  n.  3. 

Culte  :  envers  Dieu,  366-367. 

CuMBERLAND  (Richard)  :  Tyrrell  s'inspire  de  Cumberland,  433,  n.  1. 

—  Opposé  à  Hobbes,  441  et  n.  3. 

CuREAU  DE  La  Chambre  (Marin)  :  disciple  exagéré  de  Gassendi  et 
adversaire  de  Descartes,   182-183.  —  Éloge  de  Rospigliosi,   197,  n.  2. 

Curiosité  :  forme  de  l'admiration,  359. 

Cyrano  Bergerac  (Savinien  de)  :  élève  de  Gassendi,  184.  —  Vie  et 
Œuvres,  184,  n.  3.  —  C'est  un  éclectique  en  Philosophie,  184,  n.  3,  ^'Cyrano. 

—  Argument  des  causes  finales,  231  et  n.  8.  —  Échantillon  de  son  style 
dans  le  pamphlet,  231,  n.  8  à  la  fin. 

Cysat  (Père  Jean-Baptiste)  :  observe  le  passage  de  Mercure  sur  le 
soleil,  166  et  n.  2. 

D 

Damiron  (Jean-Philibert)   :  Gassendi  attaque  Aristote,  30  et  n.  6. 

—  Fait  de  Gassendi  «  un  des  pères  de  la  Philosophie  moderne  »  et  le  classe 
parmi  les  Sensualistes,  179  et  n.  1  ;  261  et  n.  2  ;  263  et  n.  1.  —  Écrite  en 
français,  la  Logique  de  Gassendi  eût  mieux  réussi,  249  et  n.  3. 

Daniel  (Père  Gabriel)  :  compare  Gassendi  et  Descartes,  257  et  n.  1. 

Dave  (Antoine)  :  loue  le  De  Deo  du  Père  Der-Kennis,  246  et  n.  2. 

De  Cive  :  première  édition,  212-213,  279.  —  Jugement  de  Sorbière,  de 
Mersenne  et  de  Gassendi,  213-216.  —  Descartes  le  critique,  216  et  n.  2  ; 
507-508.  —  Péripéties  de  la  réédition  du  De  Cive  par  Sorbière,  216-221, 
279.  —  Traduction  française  :  par  du  Verdus,  221  et  n.  1  —  par  Sorbière, 
221  et  n.  1.  —  Trad.  anglaise,  282.  —  Analyse,  367-400.  —  Critique  du 
Système  politique  de  Hobbes,  412-422. 

De  Corpore  :  publié  en  1655,  289  et  n.  4,  5.  —  Traduction  anglaise,  290 
et  n.  4.  —  Analyse,  313-339. 

De  Corpore  politico  :  publié  en  1650,  277-278,  282.  —  Traduction  fran- 
çaise par  Sorbière,  222  et  n.  4. 

Déduction  :  Hobbes  :  l'emploie  pour  faire  dériver  du  mouvement  les 
sciences,  325-326.  —  La  Métliode  déductive  ou  sjmthétique  conduit  à  la 
science,  328,  350.  —  Elle  a  les  préférences  de  Hobbes,  275  et  n.  5,  328, 
405,  428.  —  Mais  il  n'a  j^as  réussi  à  l'appliquer  jusqu'au  bout  de  son  sys- 
tème, 402-405.  —  Part  de  la  déduction  et  de  l'empirisme,  405.  —  Intré- 
pidité de  déduction,  406. 

Défiance  :  passion,  357. 

Définition  :  sa  définition  et  ses  propriétés,  325  et  n.  4. 

De  Homine  :  publié  en  1658,  290  et  n.  6.  —  Analyse,  339-367. 

Démocratie  :  origine  et  caractères  du  gouvernement  démocratique 
d'après  Hobbes,  396.  —  Spinoza  incline  vers  la  démocratie,  475. 

DÉMOCRiTE  :  Sennert  le  comprend  mal,  70  et  n.  5.  —  Magnen  restitue 
infidèlement  son  système,  75-76.  —  Gassendi  et  Démocrite,  81-82.  — 
Voie  lactée,  92.  —  Gassendi  adopte  l'Atomisme  de  Démocrite,  103. 

De  Motu  impresso  a  Motor e  translato  :  adressé  à  Puteanus,  22.  —  Gas- 
sendi répond  aux  objections  des  anti-coperniciens,  168-169. 

De  Nicolai  Claudii  Fahricii  de  Peiresc  Vita  :  9,  24,  258.  —  Traduction 
anglaise,  259  et  n.  1. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  De  Rebus-Dohna  561 

De  Bebus  cœlestihus  Commentarii  :  Recueil  chronologique  des  Obser- 
vations astronomiques  de  Gassendi,   6,   22,   164-165. 

Der-Kennis  (Père  Ignace)  :  péripatéticien  dont  l'esprit  est  ouvert 
à  certaines  thèses  modernes,  244-246. 

Derodon  (David)  :  péripatéticien  qu'on  a  rangé  à  tort  parmi  les  Gas- 
sendistes,  232-233. 

Descartes  :  se  lie  avec  Gassendi,  11.  —  Discussion  entre  Descartes 
et  Gassendi  à  propos  des  Méditations.  Brouille.  Réconciliation,  11-15.  — 
Se  montre  hautain  dans  sa  polémique  avec  Gassendi  et  affecte  une  assu- 
rance im  peu  fanfaronne,  51-55,  65.  —  Jugements  contradictoires  sur  cette 
polémique,  55.  —  Gassendi  a  raison  sur  certains  j)oints,  56-57.  —  Descartes 
a  l'avantage  sur  d'autres  points,  57-58  —  Gassendi,  en  voulant 
rectifier  certaines  opinions  de  Descartes,  tombe  en  des  erreurs 
aussi  profondes,  58-61.  —  Gassendi  résume  la  Logique  de  Descartes,  93 
et  n.  6.  —  Descartes  condamne  l'Alchimie,  la  Magie  et  l'Astrologie,  165, 
n.  4  à  la  fin.  —  La  réforme  de  la  Physique  n'est  pas  l'œuvre  exclusive 
de  Descartes,  178.  —  Relations  de  Sorbière  avec  Descartes  ;  son  animosité, 
201-204.  —  Mersenne  défend  chaleureusement  Descartes,  204,  206  et  n.  1. 
—  Sorbière  réplique  en  faisant  le  procès  de  la  Physique  cartésienne,  205- 
208.  —  Il  rend  plus  tard  justice  au  mérite  philosophique  de  Descartes, 
208-209,  209,  n.  1.  —  Critique  du  De  Cive,  216  et  n.  2,  507-508.  —  Son  dédain 
pour  l'histoire,  258  et  n.  3.  —  Triomphe  du  Mécanisme,  271.  —  La  révolu- 
tion cartésiemie,  278.  —  Descartes  répond  aux  objections  de  Hobbes  contre 
la  Dioptrique  et  les  Méditations,  303-304,  306-307,  307-308,  308-309,  309 
et  n.  4.  —  Borne  l'application  du  Mécanisme  au  monde  physique.  401.  — 
S'abstient  de  traiter  de  la  Morale,  508  et  n.  2.  —  Régis  exagère  la  portée 
de  la  Morale  provisoire  de  Descartes,  508  et  n.  3. 

Désespoir  :  passion,  357. 

Désir  :  passion  fondamentale,  352. 

Destutt  de  Tracy  (Antoine-Louis-Claude,  Comte)  :  patronne  la 
Logique  de  Hobbes.  514-515. 

Déterminisme  :  Hobbes  admet  un  déterminisme  absolu  et  universel, 
335-336,  409. 

De  Vifa  et  Morihus  Epicuri  Libri  octo  :  publié  en  1647,  16  et  n.  1,  24.  — 
C'est  une  apologie  d'Ëpicure  par  Gassendi,  76. 

Devonshire  :  voir  Cavendish. 

Diderot  (Denis)  :  vante  VHuman  Nature  de  Hobbes,  513  et  n.  2,  4. 

Dieu  :  Gassendi  corrige  Épicure  en  faisant  intervenir  Dieu  pour  imprimer 
le  mouvement  aux  atomes,  82-83.  —  Existence  de  Dieu  :  preuves  de  Gas- 
sendi, 113-114.  —  Attributs  divins,  114-115.  —  Dieu,  auteur  et  Providence 
du  monde,  115-117.  —  Représentation  symbolique.  163  et  n.  2,  3.  — 
Origine  de  la  croyance  en  Dieu  d'après  Hobbes,  363-364.  —  Existence 
et  attribvits  de  Dieu,  364-365.  —  Explication  par  anthropomorphisme  de 
la  toute-puissance  divine,   365-366.  —  Devoirs  envers  Dieu,   366-367. 

Dioptrique  :  objections  de  Hobbes  et  réponses  de  Descartes,  302-304, 
305etn.  1. 

Discours  mental  :  Hobbes  :  son  mécanisme,  346-348. 

Disquisitio  Metaphysica  :  publié  en  1644,  12  et  n.  8,  14-15,  24.  —  Cet 
ouvrage  fait  estimer  Gassendi  en  Hollande  et  en  Belgique,  242. 

Dissection  :  Gassendi  s'y  adonne,  177  et  n.  4. 

Divisibilité  :  répugnance  de  la  divisibilité  à  Tin  fini,  d'après  Gassendi, 
104-105. 

Dogmatiques  :  leur  position  d'après  Gassendi,  91. 

DoHNA  (Comte  Cristophe  de)   :  gouverneur  d'Orange,  195.  —  Fait 

36 


562  TABLE    ANALYTIQTTE    DES   MATIÈRES    :    Douleur-Esprit 

agréer  à  la  princesse  Elisabeth  la  traduction  du  Syntagma  Philosophiœ 
Epicuri  jDar  Sorbière,  210.  —  Projet  de  Lettres  au  Comte  par  Sorbière, 
211,  n.  1. 

Douleur  :  définition,  143.  —  Elle  est  la  condition  antécédente  du  plaisir,, 
144-145.  —  C'est  un  mal,  149. 

Droit  :  le  bon  droit,  370  et  n.  2.  —  Chacun  a  naturellement  droit  à  tout, 
370-371. 

Droit  naturel  :  Hobbes  :  formulé  par  les  lois  naturelles,  373-376.  — 
Règle  pour  discerner  ce  qui  est  conforme  au  droit  naturel,  376, 

DuLiRis  (Père)  :  qualifie  J.-B.  Morin,  168,  n.  7. 

Dureté  :  de  cœur,  passion,  358. 

Durkheim  (Emile)  :  origine  sociale  de  la  moralité,  515-516. 

E 

Ecrivain  :  Hobbes  écrivain  comparé  à  Bacon,  Berkeley  et  Humé,  422- 
424. 

Efficiente  (Cause)  :  cause  première  et  causes  secondes,  112-113,  335. 

Egalité  :  elle  est  naturelle  aux  hommes  du  côté  du  corps  et  de  l'esprit, 
d'après  Hobbes,  368-369. 

Église  :  pleine  soumission  de  Gassendi  à  l'Eglise  romaine,  80  et  n.  5. 

—  Hobbes  identifie  l'Eglise  avec  l'Etat.  Conséquences,  387-391.  —  Redoute 
rEghse  romaine,  391-392. 

Eléates  :  Gassendi  résume  leur  Logique,  93  et  n.  6. 

Elisabeth  de  Bohême  :  Sorbière  lui  dédie  la  traduction  du  Syntagma 
Philosophiœ  Epicuri,  209-211. 

Empirisme  :  le  goût  de  Gassendi  pour  l'Empirisme  le  tourna  vers  Epi- 
cure,  80-81.  —  Le  caractère  empirique  de  la  Philosophie  de  Gassendi  a 
influé  sur  l'Ecole  sensualiste  du  xviii<5  siècle,  179-180.  —  Part  de  l'Empi- 
risme dans  la  Méthode  de  Hobbes,  405. 

Emulation  :  passion,  358. 

Engelke  (Henri-Ascagne)  :  attaque  les  Exercitationes  de  Gassendi, 
37-38. 

Enseignement  :  méthode  d'enseignement  :  d'après  Gassendi,  96  et  n.  4, 
5  —  d'après  Hobbes,  327-328. 

Entendement  :  voir  Intelligence. 

Envie  :  passion,  358. 

Epicfre,  Epicurisme  :  l'Epicurisme  détruit  comme  Système,  l'esprit 
épicurien  lui  survit,  67-68.  —  Restauration  du  Système  :  devanciers  de 
Gassendi,  68-76.  —  Tentative  de  Gassendi  pour  le  restaurer,  76-81.  — 
Épicure  et  Gassendi  :  ressemblances  et  différences,  81-84.  —  Fond  épi- 
curien de  la  Morale  de  Gassendi,  84.  —  Gassendi  résume  la  Canonique 
d'Epicure,  93  et  n.  6.  —  Gassendi  et  l'Atomisme  d'Epicure,  103.  —  Gas- 
sendi réfute  l'athéisme  d'Epicure  et  sa  négation  de  la  Providence,  115- 
116.  —  La  douleur  est  une  condition  antécédente  du  plaisir,   144-145. 

—  Nature  du  plaisir,  150.  —  Sorbière  s'inspire  de  Gassendi  pour  parler 
d'Epicure,  225  et  n.  2. 

Equité  :  dans  la  répartition  des  droits,  375. 

Erreur  :  ses  causes  :  d'après  Gassendi,  94  —  d'après  Hobbes,  321- 
322. 

Espace  :  sa  nature  :  d'après  Gassendi,  97-99  —  d'après  Hobbes,  329- 
330.  —  Divisibilité,  331.  —  Espace  réel,  imaginaire,  332. 

Espoir  :  passion,  357. 

Esprit  :  inconcevable  d'après  Hobbes,  350  et  n.  3;  408-409. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Essence-France  563 

Essence  :  nature  d'après  Hobbes,  334,  335. 

EsTEÉES  (Monseigneur  César  d')  :  réconcilie  Descartes  et  Gassendi, 
15.  —  Xotice,  15,  n.  1.  —  Lettres  de  Sorbière,  225,  n.  2. 
État  :  Hobbes  identifie  l'État  avec  TÉglise.  Conséquences,  387-391. 
État  de  nature  :  explication  de  Hobbes.  Chacun  a  droit  à  tout,  368- 

370.  —  C'est  la  gueiTe  de  tous  contre  tous,  370-371.  —  État  lamentable, 

371.  —  Il  n'y  a  ni  bien  ni  mal  dans  Tétat  de  nature,  371-372.  —  La  puissance 
irrésistible  donne  le  droit  de  régir  ceux  qui  ne  peuvent  résister,  372.  — 
État  naturel  et  état  social,  400,  422.  —  L'état  de  nature  est  contre  nature, 
416-417. 

Éternité  :  comparée  au  temps,  101-102.  —  Récompenses  et  châtiments 
étemels,  146-147. 

Éthique  :  voir  Morale. 

EucLiDE  :  Hobbes  en  découvre  les  Eléments,  275  et  n.  5. 

Excommimication  :  vain  épouvantail  d'après  Hobbes,  389. 

Exercitationes  paradoxicœ  adversus  Aristoteleos  :  publié  en  1624,  5-6, 
23.  —  Contenu  et  valeur,  27-32.  —  Motifs  de  leur  interruption,  32-33. 

Expérience  :  zèle  de  Gassendi  pour  la  Méthode  expérimentale,  249 
et  n.  5.  —  L'expérience  ne  fournit  aucmie  conclusion  imiverselle,  348 
et  n.  6.  —  Hobbes  fait  à  l'expérience  une  part  restreinte,  405. 


Eajbri  (Père  Honoré)  :  opposé  aux  formes  substantielles,  34,  n.  2, 
§  Ce  Mémoire.  —  Péripatéticien  éclectique  et  modéré,  critique  les  Exer- 
citationes de  Gassendi,  38-40.  —  Revendique  la  priorité  de  la  découverte 
de  la  circulation  du  sang,  40  et  n.  2.  —  Opinion  sur  le  décret  contre  Galilée, 
174  et  n.  3.  —  Matérialisme  de  Hobbes,  409  et  n.  2. 

Faculté  de  Théologie  de  Paris  :  censure  les  thèses  de  Bitaud,  34 
et  n.  2.  —  Requiert  l'intervention  du  Parlement  contre  les  novateurs  en 
Philosophie,  35. 

Facultés  :  deux  sortes  de  facultés  en  l'homme  d'après  Hobbes  :  Facultés 
du  corps,  339  —  Facultés  de  Vesprit,  340-363. 

Fernel  (Jean)  :  repousse  l'Atomisme,  68-69.  —  Xotice,  68,  n.  6. 

Fesaie  (Père  Philibert)  :  enseigne  la  Philosophie  et  la  Théologie 
à  Gassendi,  3.  —  Xotice,  3,  n.  1.  —  A  Gassendi  pour  successeur,  4. 

Filmer  (Robert)  :  adversaire  de  Hobbes,  430-432. 

Fischer  (Kuno)  :  exagère  la  dette  de  Hobbes  à  l'égard  de  Bacon,  424, 
n.  2,  3. 

Fludd  (Robert)  :  doctrine  panthéistique  et  matérialiste,  41-42.  — 
Répond  violemment  aux  attaques  de  ]\Iersenne,  42.  —  Gassendi  prend  la 
défense  de  Mersenne  et  réfute  courtoisement  les  erreurs  de  Fludd,  42- 
48.  —  Fludd  réplique  à  Gassendi,  49-51,  —  Principaux  ouvrages,  45, 
n.  2.  . 

Force  :  motrice  des  corps  d'après  Gassendi,  119.  —  Droit  de  la  force: 
d'après  Hobbes,  369,  370-371,  371-372  —  d'après  Spinoza,  462,  463, 
463-464.  480.  —  L'Allemagne  a  exalté  le  principe  ;  La  force  précède  le 
droit,  480. 

Formes  substantielles  :  Fabri  et  Maignan  y  sont  opposés,  34,  n.  2,  §  Ce 
Mémoire.  —  Boyle  les  combat,  237  et  n.  2.  —  Leibniz  les  accepte  en  partie, 
237  et  n.  3.  —  Der-Kennis  a  de^  doutes  sur  leur  existence,  244-245. 

France  :  troubles,  1.  —  Disciples  de  Gassendi  en  France,  181-235.  — 
Voyages  de  Hobbes  en  France,  273-274,  275,  275-276.  —  Son  exil  en  France, 
278-285,  302.  —  Louis  XIV  héberge  le  futur  Charles  II  à  Saint-Germain, 


564         TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  FranchevUle-Gassendi 

280.  —  Le  Clergé  est  choqué  de  l'attitude  de  Hobbes,  284  et  n.  5.  —  Sym- 
pathies que  Hobbes  a  rencontrées  en  France,  505-516. 

Francheville  (Abbé  de)  :  lettre  de  Chapelain,  211  et  n.  4. 

Frizius  (Joachim)  :  pseudonyme  de  Fludd,  42  et  n.  4. 

Frontispice  :  du  Léviathan  :  gravure,  en  face  de  la  page  418.  —  Signi- 
fication, 418. 

FucHS  (Leonhard)  :  soutient  la  théorie  corpusculaire,  69  et  n.  5. 

Futur  :  Hobbes  :  connaissance  du  futur,  348.  —  le  futur  contingent, 
336-337. 

G 

Galilée  :  explication  du  flux  et  du  reflux  de  la  mer,  167  et  n.  6.  — 
Relations  avec  Gassendi,  173-175.  —  Opinion  de  Fabri  sur  la  condamnation 
de  Galilée,  174  et  n.  3.  —  Triomphe  du  Mécanisme,  271.  —  Découverte 
des  satellites  de  Jupiter,  274.  —  Hobbes  lui  rend  visite,  275  et  n.  7  ;  401. 

—  Influence  de  Galilée  sur  Hobbes,  424,  n.  2.  —  Hobbes  se  place  au  rang 
d'initiateur  comme  Galilée,  429. 

Gassendi  :  contraste  entre  sa  vie  et  celle  de  Bacon,  1. 

I.  —  Vie  et  Œuvres  :  Les  débuts  de  Gassendi,  2-6.  —  Travaux  scienti- 
fiques et  ouvrages  philosophiques,  6-17.  —  Les  derniers  jours.  Hommages 
à  sa  mémoire,  17-21.  ' —  Tableau  chronologique  de  ses  Œuvres,  22-25.  — 
Pour  le  détail,  voir  la  Table  Synthétique  des  Matières,  p.  529-530. 

II.  —  Gassendi  polémiste  :  Polémique  avec  :  a)  les  Péripatéticiens, 
26-40  —  h)  Robert  Fludd,  41-51  —  c)  Descartes,  51-66.  —  Pour  le 
détail,  p.  530-532. 

III.  —  Gassendi  Restaurateur  de  V Épicurisme  :  Les  devanciers  de  Gas- 
sendi, 67-76.  —  Caractères  de  cette  Restauration,  76-81.  —  Épicure  et 
Gassendi,  81-84.  —  Appréciations  contemporaines  et  ultérieures,  84-87. 

—  Pour  le  détail,  p.  532-533. 

IV.  —  Le  Syntagma  philosophicum  :  Introduction,  88-90. 
Première  Partie  :  Logique  :  De  la  Certitude,  90-93.  —  Logique  pro- 
prement dite,  93-96.  —  Pour  le  détail,  p.  533-534. 

Deuxième  Partie  :  Physique  :  Espace  et  Temj)s,  97-102.  ■ —  Matière 
première  des  choses,   102-112.  —  Principe  efficient  des  choses,   112-117 

—  Qualités  des  corps,  118-121.  —  Le  Monde  est-il  animé  ?  121-123.  — 
Ame  animale  et  âme  humaine,  123-127.  —  Sensibilité,  127-129.  —  Ima- 
gination ou  Phantaisie,  129-135.  —  Intelligence  ou  Entendement,  135- 
141.  —  Appétit,  141-145.  —  Immortalité  de  l'âme,  145-147.  —  Pour  le 
détail,  p.   534-537. 

Troisième  Partie  :  Éthique  :  Doctrine  morale  de  Gassendi,  147-152. 

—  Acte  volontaire  et  libre,  152-160.  —  Pour  le  détail,  p.  537-538. 

V.  —  La  Valeur  du  Savant  :  Qualités  d'observation,  161-162.  —  Inaugu- 
ration de  son  Cours,  162-163.  —  Travaux  en  Physique,  163-164.  —  Obser- 
vations astronomiques,   164-167.  —  Démêlés  avec  J.-B.  Morin,   167-173. 

—  Relations  avec  Galilée,  173-175.  —  Circulation  du  sang,  175-177.  — 
Rôle  scientifique  secondaire,  177-178.  —  Pour  le  détail,  p.  538-539. 

VI.  —  Influence  philosophique  de  Gassendi':  Il  ne  fut  pas  un  chef  d'École, 
179-180.  —  Disciples  de  Gassendi  en  France,  181-235.  —  Sympathies  : 
en  Angleterre,  235-241  —  en  Hollande  et  en  Belgique,  241-247.  — 
Oubli  immérité.  Ses  causes,  247-251.  —  Pour  le  détail,  p.  539-542. 

VII.  —  Les  Mérites  du  Philosophe  :  Gassendi  a-t-il  été  sceptique  ?  252- 
257.  —  Le  Polémiste,  257-258.  —  L'Historien  des  Sciences  et  de  la  Phi- 
losophie, 258-260.  —  Le  Penseur,  260-266.  —  Bibliographie  relative  à 
Gassendi,  267-269.  —  Pour  le  détail,  p.   542-543. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Gassendistes-Hallam  565 

Gassexdistes  :  énumération  des  principaux  Gassendistes,  180.  — 
Trait  commun  :  aversion  pour  le  Cartésianisme,  180. 

Gaultier  (Joseph)  :  prieur  de  la  Valette,  fait  la  connaissance  de  Gas- 
sendi, 5.  —  La  Préface  des  Exercitationes  paradoxicœ  lui  est  adressée,  28. 

—  Déclinaison  magnétique,  166.  —  S'occupe  de  l'Apologia  de  Gassendi, 
169-170.    ■ 

Génération  :  nature  d'après  Hobbes,  333. 

Géométrie  :  Hobbes  en  traite  dans  la  troisième  Partie  du  De  Corpore, 
338-339.  —  Géomètre  médiocre,  il  s'acharne  à  la  recherche  de  solutions 
impossibles,  406.  —  Son  inaptitude  pour  les  Mathématiques,  406,  n.  2. 

Gibbon  (Edward)  :  éloge  de  Gassendi,  258  et  n.  7. 

Gebieuf  (Guillaume)  :  reçoit  communication  des  Méditations  de  Des- 
cartes,  304. 

Gilbert  (William)  :  travaux  sur  le  magnétisme,  271. 

Glanvill  (Joseph)  :  opposé  à  Hobbes,  441  et  n.  3. 

Gloire  :  passion,  356-357. 

GoLius  ^Jacques)  :  fait  la  connaissance  de  Gassendi,  8.  —  Notice, 
8,  n.  5. 

GoMAR  (François)  :  combat  l'Arminianisme,  285  et  n.  4. 

GoMPERZ  (Theodor)  :  Constitutions  de  la  Grèce  recueillies  par 
Aristote   478  et  n.  2. 

GooRLE  (David  van)  :  soutient  l'Atomisme,  70  et  n.  6. 

Gouvernement  :  Hobbes  admet  les  formes  monarchique,  aristocratique 
et  démocratique  à  l'état  pur,  mais  non  les  formes  mixtes,  395-396.  —  Formes 
diverses  de  gouvernement  d'après  Spinoza,  474-480. 

Grandeur  d'âme  :  passion,  359. 

Graverol  (François)  :  Mémoires  sur  Sorbière  et  Sorheriana,  192  et 
n.  2.  —  Détails  sur  Sorbière,  194  et  n.l  ;  197  et  n.  4  ;  198  et  n.  2,  5  ; 
201,  n.  1,  2,  3,  6  ;  210,  n.l.  —  Manuscrit  de  Sorbière,  223  et  n.  6.  —  Explique 
pourquoi  Sorbière  publia  ses  Virorum  iUitstrium  et  eruditorum  Epistolœ, 
226-227. 

Grimarest  (Jean  de)  :  élèves  réunis  autour  de  Gassendi,  184  et  n.  2. 

—  Anecdote  sur  la  traduction  de  Lucrèce  par  Molière,  228  et  n.  2.  —  Mo- 
lière se  serait  rallié  à  la  Physique  cartésienne,  232  et  n.  2. 

Grote  (George)  :  historien  de  la  Grèce,  ami  et  partisan  de  Bentham, 
452  et  n.  3,  5. 

Grotius,  De  Groot  (Hugo)  :  se  lie  avec  Gassendi,  11  et  n.  1.  —  A.  Rivet 
attaque  son  Votum,  193  et  n.  4,  5.  —  Soutient  l'Arminianisme,  285  et  n.  4. 

—  Le  De  Jure,  429  et  n.  9.  —  Le  De  Cive,  456  et  n.  1.  —  Loué  par  Leibniz, 
492  et  n.l. 

GuNDLiNG  (Nikolas-Hieronymus)  :  brillant  professeur  du  Droit  de 
la  nature  et  des  gens  à  Halle,  499-500.  —  Ses  déficits,  500.  —  Cultive 
l'Histoire  de  la  Philosophie,  500.  —  C'est  im  éclectique  en  Pliilosophie, 
501.  —  Accepte  une  partie  des  idées  de  Hobbes,  501-502.  —  Soutient 
notamment  la  conception  de  l'état  de  nature,  502-504.  —  Accuse  d'athéisme 
Platon  et  Hippocrate,  et  tente  de  libérer  Hobbes  de  cette  accusation, 
504-505.  —  Désavoue  Hobbes  dans  les  questions  religieuses,   505. 

H 

Habitude  :  définition,  acquisition,  affaiblissement,   119-120. 
Haine  :  passion  fondamentale,  352. 

Hallam  (Henry)  :  repousse  l'accusation  de  Sensualisme  dirigée  contre 
Gassendi,  263  et  n.  1. 


566  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :   Hamelin-Hobbes 

Hamelen  (Octave)  :  pourquoi  Descartes  s'abstint  de  traiter  de  la  Morale, 
508  et  n.  2. 

Hareington  (James)  :  adversaire  de  Hobbes,  433-436. 

Hartley  (David)  :  fondateur  de  l'Associationnisme,  446  et  n.  5. 

Harvey  (William)  :  la  circulation  du  sang,  175  et  n.  2.  —  Travaux  sur 
la  Physiologie,  271.  —  Legs  à  Hobbes,  293.  —  Hobbes  se  place  à  la  suite 
de  Harvey,  429. 

Heereboord  (ArteiEN)  :  favorable  à  Gassendi.  Notice,  203  et  n.  8. 

Heineccius  (Johaknes-Gottlieb)  :  favorable  à  Piifendorf,  482,  n.  4.' 

Heinsius  (Daniel)  :  fait  la  connaissance  de  Gassendi,  8.  —  Notice, 
8,  n.  4. 

Helmont  (Jean -Baptiste  van)  :  fait  la  connaissance  de  Gassendi,  7. 
—  Notice,  7,  n.  6. 

Helvétius  (Claude-Adrien)  :  favorable  à  Hobbes,  512. 

Herbert  or  Cheebury  (Edward,  Baron)  :  Gassendi  critique  son 
De  Veritate,  254-255.  —  Ami  de  Hobbes,  274-275.  —  Attaqué  par  Kortholt, 
455,  n.  2. 

Hobbes  :  se  lie  avec  Gassendi,  11.  —  Éloge  de  Gassendi,  20.  —  Sorbière 
lui  fait  visite  à  Londres,  199.  —  Comparaison  de  Hobbes,  Descartes  et 
Gassendi  par  Sorbière,  201  et  n.  7.  —  Position  indécise  de  Hobbes  dans 
la  question  de  l'Atomisme,  235,  n.  4  ;  406-407. 

I.  —  Biographie  :  Hobbes  fut  témoin  de  grands  changements  dans  les 
sciences  et  dans  la  politique,  270-271.  —  Premières  années.  Préceptorat 
et  Voyages,  272-278.  —  L'exil  en  France,  278-285.  —  Dernières  années. 
Polémiques.  Travaux  historiques  et  littéraires,  285-297.  —  Tableau  de 
ses  Œuvres,  298-301.  —  Pour  le  détail,  voir  Table  Synthétique  des  Matières, 
p.  543-544. 

II.  —  Controverse  avec  Descartes  :  Objections  contre  la  Dioptrique,  302^ 
304.  —  Objections  contre  les  Méditations  et  Réponses  de  Descartes,  304-309. 
—  Admiration  de  Mersenne  pour  Hobbes,  309-311.  —  Pour  le  détail,  p.  544. 

III.  —  La  Trilogie  hobbienne  :  ouvrages  où  le  système  de  Hobbes  est 
éparpillé,  312.  —  Le  Système  peut  se  ramener  à  cette  Trilogie  : 

1°  Le  Corps  :  Logique  ou  Computation,  313-328.  —  Philosophie  première, 
328-338.  —  Géométrie  et  Physique,  338-339.  —  Pour  le  détail,  p.  544-545. 

2°  L'Homme  :  Facultés  de  l'esprit,  339.  —  Pouvoir  cognitif  ou  conceptif, 
340-351.  —  Pouvoir  moteur  volontaire,  351-363.  —  L'Homme  et  la  Reli- 
gion, 363-367.  —  Pour  le  détail,  p.  545-546. 

30  Le  Citoyen  :  L'état  de  nature,  367-373.  —  Les  lois  naturelles,  373- 
379.  —  Origine  de  la  Société  :  pacte  ou  sujétion,  379-381.  —  Attributions 
du  Souverain,  381-392.  —  Nature  de  la  Souveraineté  et  Formes  de  Crou- 
vemement,  392-400.  —  Pour  le  détail,  p.  546-548. 

IV.  —  Critique  du  Hobbisme  :  Hobbes  n'a  pas  réalisé  le  plan  qu'il  avait 
annoncé,  401-405.  —  Part  de  l'empirisme  et  de  la  déduction  dans  sa  Mé- 
thode, 405-406.  —  Géométrie  et  Physique,  406-408.  —  Psychologie,  408- 
412.  —  Système  politique,  412-422.  —  Hobbes  écrivain,  422-424.  —  Hobbes 
et  Bacon,  424-427.  —  Pour  le  détail,  p.  548-549. 

V.  —  Partisans  et  Adversaires  de  Hobbes  :  vue  d'ensemble  sur  l'accueil 
qu'il  a  reçu,  428-430. 

A.  —  Influence  en  Angleterre  :  Adversaires,  430-441.  —  Partisans, 
442-445.  —  Admirateurs  chaleureux,  445-446.  —  Influence  sur  certaines 
tendances  philosophiques,  446-454.  —  Pour  le  détail, 

B.  —  Influence  a  l'étranger  :  Opposition,  454-456.  —  Sympathies  : 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Hocheisen-Influence  567 

en  Hollande,  456-480  —  en  Alle:magne,  480-505  —  en  France,  505- 
516.  —  Pour  le  détail,  549-552. 

Bibliographie  relative  à  Hobbes,  517. 

Hobbisme  :  critique  du  Hobbisme,  401-427.  —  Résumé  des  reproches, 
516.  —  Utilité  iadirecte,  516. 

HocHEiSEN  (M.),  matériahté  de  Tâme    494  et  n.  3. 

HôFFDiNG  (Habald)    matériahsme  de  Hobbes,  409  et  n.  3. 

Holbach  (Pafl-Henri  Dietbich,  Babok  d')  :  traduit  VHuman  Nature 
de  Hobbes,  339,  n.  1,  512-513,  513,  n.  1,  2. 

Hollande  :  voyage  de  Gassendi  en  Hollande,  7-8.  —  Sympathies  ren- 
contrées en  Hollande  :  par  Gassendi,  241-244  —  par  Hobbes,  456-480. 

Homo  homini  lupus  :  emj)iaint  de  Hobbes  à  Bacon,  421-422. 

Honnête  :  Gassendi  le  ramène  au  plaisir,  149. 

Honneur  :  élément  de  la  passion,  356. 

Honte  :  passion,  357. 

HoNTUY  (Adrien)  :  adopte  l'opinion  de  Hobbes  sur  la  suprématie  de 
l'État  en  matière  religieuse,  460-461. 

HoRNE  TooKE  (John)  :  son  nominalisme,  446-447. 

HuET  (Daniel)  :  éloge  de  Gassendi,  16  et  n.  5.  —  Fréquente  chez  M.  de 
Montmor,  222-223. 

Hugues  (Abbé  d')  :  dispute  à  Gassendi  la  charge  d'Agent  général  du 
Clergé,  10  et  n.  2. 

HuLST  (Monseigneur  Maurice  d')  :  nature  de  la  liberté,  159  et  n.  1. 

Human  Nature  :  publié  en  1650,  277-278,  282.  —  Traduction  par  d'Hol- 
bach, 512-513,  513,  n.  1,  2. 

Hume  :  style  comparé  à  celui  de  Hobbes,  423.  —  Juge  YOcéana  de  Har- 
rington,  435-436,  436  et  n.  1,  2,  4.  —  Associationnisme  et  Nominalisme, 
446  et  n.  4,  9.  —  Morale  utilitaire,  447. 

Humilité  :  passion,  357.  * 

HuTCHESON  (Francis)  :  Morale  utilitaire,  447. 


Idéalisme  :  Hobbes  étudie  les  phantasmes  comme  les  espèces  des  choses 
extérieures,  c'est-à-dire  comme  paraissant  exister  au  dehors,  328-329.  — 
Pousse  la  subjectivité  des  qualités  sensibles  jusqu'à  l'idéalisme,  341- 
343,  410.  —  Admet  illogiquement  la  réalité  du  monde  extérieur,  410- 
411. 

Idée  :  Gassendi  :  vraie,  fausse,  94.  —  Origme  des  idées  :  concours  des 
sens  et  de  l'intelligence.  Les  impressions  sensibles  sont  pour  l'esprit  une 
occasion  de  s  "élever  plus  haut,  138-139.  —  Hobbes  :  toutes  les  idées  ont 
leur  origine  dans  les  sens,  340,  351. 

Ignorance  :  source  de  péché,  156-158. 

Image  :  voir  Phantasme. 

Imagination  :  voii'  Phantaisie. 

Immortalité  :  de  l'âme  :  preuves  par  Gassendi,  145-146. 

Impossible  :  acte  impossible,  336. 

Inanimés  :  Gassendi  gratifie  les  êtres  inanimés  d'une  force  analogue 
aux  .sens,  111-112.  —  Hobbes  refuse  la  sensibilité  aux  corps,  343  et  n.  2. 

Indignation  :  passion,  358. 

Influence  :  de  Gassendi  :  en  France,  181-235  —  en  Angleterre,  235- 
241  —  en  Hollande  et  en  Belgique,  241-247  —  de  Hobbes  :  en  Angleterre^ 
430-454  —  à  Vétranaer,  454-516. 


568         TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Ingratitude-Lansberge 

Ingratitude  :  digne  de  blâme,  374-375. 

Injustice  :  violation  des  pactes,  374. 

Innéité  :  Gassendi  repousse  l'innéité  des  idées,  138  et  n.  5. 

Instinct  :  des  animaux,  134. 

Intellect  :  agent,  patient.  Gassendi  les  rejette,  137. 

Intelligence  ou  Entendement  :  ses  fonctions  propres,  135.  —  Appré- 
hension des  choses  incorporelles,  135-136.  —  Réflexion  sur  ses  actes, 
136.  —  Le  raisomiément  fait  connaître  des  choses  dont  nous  n'avons 
aucune  image,  137.  —  Son  rôle  :  dans  l'origine  des  idées,  138-140,  262 
et  n.  5  —  dans  l'origine  des  principes  premiers,  140-141. 

Ivresse  :  nuit  à  la  raison,  376. 

IzouLET  (Jean)  :  compare  la  société  à  un  organisme,  420  et  n.  1. 


Janet  (Paul)  :  Molière  et  Gassendi,  231  et  n.  7  ;  231-232.  —  L'homme 
est  naturellement  sociable,  429-430.  —  Politique  de  Spinoza,  472  et  n.  2. 
—  Spinoza  n'a  pas  conservé  le  droit  naturel  dans  l'état  civO,  474  et  n.  3. 

Johnson  (Samson)  :  notice,  203  et  n.  5. 

Joie  :  ses  causes,  144.  —  Passion  fondamentale,  352. 

JoNSius  (Johannes)  :  critique  les  Exercitationes  de  Gassendi,  37  et 
n.  1. 

JoNSON  (Benjamin)  :  ami  de  Hobbes,  274. 

JouFFROY  :  Hobbes  et  La  Rochefoucauld,  412  et  n.  2.  —  La  Politique 
hobbienne  méconnaît  la  nature  humaine,  412-413.  —  L'état  de  nature 
de  Hobbes  implique  contradiction,  417  et  n.  4.  —  Utilité  indirecte  de  la 
Philosophie  hobbienne,  516  et  n.  2. 

Justice  :  Hobbes  corrompt  la  notion  de  justice,  413-415. 

K 

Kennet  (White)  :  détails  sur  Hobbes,  297,  n.  4,  5. 

Kepler  :  Gassendi  lui  offre  ses  services,  7,  n.  2,  vers  la  fin.  —  Annonce 
le  passage  de  Mercure  et  de  Vénus  sur  le  Soleil,  165.  —  Triomphe  du  Méca- 
nisme, 271.  —  UAstronomia  nova,  '214:. 

KoRTHOLT  (Christl4n)  :  opposé  à  Hobbes,  455  et  n.  2,  5. 


La  Bruyère  :  allusion  à  Bernier,  192,  n.  1.  —  Ingratitude  des  auteurs, 
426  et  n.  1. 

La  Fosse  (Jacques  de)  :  ode  en  l'honneur  de  Sorbière,  228,  n.  1. 

La  Mothe  Le  Vayer  (François  de)  :  se  lie  avec  Gassendi,  6  et  n.  4  ; 
11;  18,  n.  2. 

Lanfrin  (Jacques)  :  poésie  latine,  194  et  n.  1. 

Langage  :  fondement  nécessaire  de  la  Logique  hobbienne,  317-323.  — 
Privilège  de  l'homme,  349. 

Lange  (Frederick-Albert)  :  motifs  des  préférences  de  Gassendi  pour 
Épicure,  80-81.  —  Contribution  de  Gassendi  à  la  réforme  de  la  Philosophie 
naturelle,  178  et  n.  2.  —  Indivisibilité  des  atomes,  237  et  n.  6. 

La  Noue  (Père  François  de)  :  jugement  sur  la  Philosophie  de  Fludd, 
44  et  n.  9.  —  Fludd  lui  répond,  49. 

Lansberge  (Jacques  van)  :  son  apologie  du  mouvement  de  la  terre 
est  attaquée  par  J.-B.  Morin,  168  et  n.  1. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  La  Poterie-Locke  569 

La  Poterie  (Antoine  de)  :  ses  Mémoires,  2,  n.  1.  —  Accompagne  Gas- 
sendi à  Paris.  Médisances  de  G.  Patin,  16  et  n.  2.  —  Assiste  Gassendi  à 
la  mort,  17,  n.  6.  —  Portrait  de  Gassendi  observateur,  161  et  n.  3.  —  Cons- 
tate l'érudition  de  Gassendi,  259  et  n.  3. 

La  Rochefoucauld  (François  VI,  Duc  de)  :  comparaison  avec  Hobbes, 
412  et  n.  2.  \ 

Larsen  (Edv.)  :  limite  le  matérialisme  de  Hobbes  à  la  Méthode,  409, 
n.  3. 

Lasswitz  (Kurd)  :  incertitude  de  la  Physique  hobbienne,  407' et  n.  1. 

Launoy  (Abbé  Jean  de)  :  assiste  à  la  réconciliation  entre  Descartes 
et  Gassendi,  15.  —  Notice,  15,  n.  4.  —  Jugement  sur  Basson,  27  et  n.  2. 

—  Texte  de  l'arrêt  contre  Bitaud,  34,  n.  3. 

Lebret  (Henri)  :  qualifie  Gassendi  de  «  divin  »,  184,  n.  3  à  la  fin. 

Legrand  (Jean-François)   :  combat  l'Épicurisme  de  Gassendi,  85. 

Leibniz  :  jugement  sur  la  polémique  entre  Descartes  et  Gassendi,  66 
et  n.  3.  —  Définition  de  l'espace  et  du  temps,  98  et  n.  5  ;  99.  —  Les  «  con- 
sécutions  »  :  ombre  de  raisonnement,  134  et  n.  2.  —  Range  Bernier  parmi 
les  défenseurs  du  concours  médiat,  189  et  n.  3.  —  Explique  pourquoi 
Cordemoy  a  embrassé  l'Atomisme,  233  et  n.  5.  —  Accepte  en  partie  les 
formes  substantielles,  237  et  n.  3.  —  Mécanisme  de  Boyle,  238  et  n.  4. 

—  Loue  le  De  Deo  de  Der-Kennis,  244  et  n.  3.  —  Rend  hommage  à  l'éru- 
dition de  Gassendi,  259  et  n.  2.  —  Perennis  Philosophia,  260  et  n.  4.  — 
Réfute  le  livre  de  Hobbes  contre  la  liberté,  287  et  n.  1.  —  Déterminisme 
et  Nominalisme  de  Hobbes,  428  et  n.  1,  4. —  Jugement  sur  Filmer,  432 
et  n.  2.  —  Jugement  sur  V0céa7ia  de  Harrington,  436  et  n.  3.  —  Fondement 
du  Droit  d'après  Pufendorf,  481  et  n.  4  ;  481-482,  482  et  n.  1,  2,  3.  —  Re- 
proche à  Pufendorf  sa  doctrine  absolutiste,  485  et  n.  4.  —  Dans  sa  jeu- 
nesse, il  flatta  Hobbes,  489-491.  —  Plus  tard,ilréi3rouva  les  doctrines  reli- 
gieuses et  politiques  de  Hobbes,  491-494. 

Lenfant  (Jean)  :  buste  de  Gassendi,  20,  n.  6. 

Le  Valois  (Père  Louis)  :  attaque  Descartes  et  Bernier  sur  leur  expli- 
cation de  l'essence  des  corps,  188-189. 

Léviathan  :  Hobbes  compose  cet  ouvrage  en  France,  281.  —  le  publie  à 
Londres,  282  et  n.  2.  —  Accueil  fait  au  Léviathan,  283-284.  ■ —  Les  principes 
politiques  et  religieux,  qui  y  sont  exposés,  soulèvent  des  critiques.  Hobbes 
se  défend,  294-295,  441  et  n.  2.  —  Le  Léviathan  est  condamné  par  un 
bill  des  Communes,  295.  —  La  gravure  du  frontispice  et  l'Introduction 
indiquent  le  but  poursuivi  :  justifier  l'absolutisme,  417-420.  —  Ce  n'est 
pas  seulement  une  œuvre  de  circonstance,  mais  de  longue  portée,  420- 
421.  —  Les  philosophes  français  du  xix^  siècle  n'ont  pas  goûté  la  théorie 
absohitiste  du  Léviathan,  515. 

Liberté  :  analyse  de  l'acte  libre  par  Gassendi,  153-156.  —  Tout  péché 
est  fruit  de  l'ignorance,  156-158.  —  La  liberté  réside  dans  le  pouvoir  d'im- 
poser la  réflexion  à  l'intelligence,  158-160.  —  Volonté  et  liberté  d'après 
Hobbes,  360-362.  —  Il  admet  un  déterminisme  universel,  362-363,  409. 

Libertins  :  n'ont  pas  le  droit  de  se  réclamer  de  Gassendi,  234-235. 

LiCETi  (FoRTUNio)  :  professeur  à  Padoue,  72.  —  Gassendi  lui  dédie 
sa  2^  Lettre  De  Apparente  Magnitudine  Solis,  22. 

Lieu  :  Gassendi  l'identifie  avec  l'espace,  97.  —  Le  mouvement  et  le  lieu 
d'après  Hobbes,  332-333. 

Lionne  (Hugues  de)  :  lettre  au  comte  de  Cominges,  294  et  n.  1. 

Localisation  :  des  sensations,  129. 

Locke  :  s'est  inspiré  de  Gassendi,  179  et  n.  2.  —  Locke,  Bacon  et  Hobbes, 
270.  —  Réfute  Filmer,  432  et  n.  4.  —  Opposé  à  Hobbes,  441.  —  Critique 


.570      TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Logici^s-Mathématlques 

Coward  et  Broughton,  444  et  n.  4.  —  Précurseur  de  la  Philosophie  asso- 
ciationniste,  446.  —  Est  utilisé  en  Allemagne  contre  Leibniz,  494. 

Logiciens  :  Gassendi  utilise  les  travaux  des  Logiciens  qui  l'ont  précédé, 
93  et  n.  6. 

Logique  :  doctrine  :  de  Gassendi,  90-96  —  de  Hobbes,  313-328. 

Loi  morale  :  Hobbes  :  identique  à  la  Loi  naturelle,  378  —  et  à  la  Loi 
divine,  379. 

Lois  naturelles  :  Hobbes  :  Loi  naturelle  fondamentale,  373.  —  II  en  déduit 
vingt  lois  secondaires  ou  dérivées,  373-376.  —  Nature  de  leur  obligation, 
377.  —  Elles  sont  immuables  et  étemelles,  377-378.  —  Loi  naturelle  iden- 
tique à  la  Loi  morale,  378  —  et  à  la  Loi  divine,  379.  —  Ne  suffisent  pas  à 
garantir  la  paix,  379. 

Lucrèce  :  Gassendi  adopte  l'Atomisme  de  Lucrèce,  103.  ■ — ■  Traduction 
du  De  Rerum  Natura,  228,  n.  2  ;  228-229  ;  229,  n.  1,  2,  3. 

Luillier  (Claude)  :  voir  Chapelle. 

LuiLLiER  (François)  :  héberge  Gassendi  à  Paris  et  l'emmène  en  Hollande, 
■6-7.  —  Notice,  7,  n.  1.  —  Gassendi  lui  dédie  sa  Vie  d'Épicure,  79.  —  Sa 
mort,  7,  n.  1. 

LuLLE  (Raymond)  :  Gassendi  résume  sa  Logique,  93  et  n.  6. 

Lyon  (Georges)  :  erreur  sur  la  date  d'envoi  des  Objections  de  Hobbes 
contre  la  Dioptrique  de  Descartes,  305  et  n.  1.  —  Hobbes  et  Descartes, 
308  et  n.  3.  —  Élément  rationnel  dans  la  passion  d'après  Hobbes,  354 
et  n.  6.  —  Rapproche  un  argument  de  saint  Anselme  d'un  argument  de 
Hobbes,  392  et  n.  7.  —  Déterminisme  de  Hobbes,  409  et  n.  4.  —  Le  Lévia- 
than,  420  et  n,  3.  —  Empirisme  de  Hobbes,  428  et  n.  2. 

M 

Mabilleau  (Léopold)  :  Atomistes  aux  xv^  et  xvi^  siècles,  68  et  n.  2, 
4.  —  Juge  le  Democritus  reviviscens  de  Magnen,  76  et  n.  3.  —  Critique 
F.  Pillon,  83,  n.  1.  —  Justifie  Gassendi  d'avoir  recouru  au  Théisme  pour 
expliquer  le  mouvement  des  atomes,  83  et  n.  2.  —  Hobbes  pas  propre- 
ment atomiste,  235,  n.  4.  —  Caractères  de  l'Atomisme  de  Gassendi,  264- 
265. 

Machiavel  :  œuvres  politiques,  429  et  n.  2.  —  Empiriste,  462  et  n.  i. 

Macklntosh  (James)  :  influence  de  Hobbes,  450  et  n.  3. 

Magnen  (Jean-Christophe)  :  professeur  à  Padoue,  ne  restitue  pas 
fidèlement  le  système  de  Démocrite,  75-76. 

Maignan  (Père  Emmanuel)  :  combat  les  formes  substantielles,  34, 
n.  2,  §  Ce  Mémoire. 

Mandeville  (Bernard)  :  ses  paradoxes,  451  et  n.  1. 

Mansvelt  (Régnier  de)  :  opposé  à  Hobbes,  454  et  n.  5. 

Marolles  (Abbé  Michel  de)  :  assiste  à  la  réconciliation  de  Descartes 
avec  Gassendi,  15.  —  Notice,  15,  n.  5.  —  Loue  du  Prat  et  de  Martel,  212 
et  n.  6.  —  Prise  l'amitié  de  Sorbière  et  reproduit  plusieurs  de  ses  Disœv/rs 
sceptiques,  225  et  n.  1.  —  Traduction  de  Lucrèce,  229  et  n.  1,  2. 

Marques  :  Hobbes  :  les  mots  font  office  de  marques,  317-318. 

Martel  (Thomas  de)  :  collabore  à  l'épitaphe  de  Gassendi,  21  et  n  i. 
—  Entretien  avec  Gassendi  et  Sorbière,  175,  194.  —  Ami  de  Hobbes. 
Marolles  et  Sorbière  font  son  éloge,  212  et  n.  6. 

Matérialisme  :  Hobbes  TiiLsinue  dans  s,e&  Objections  contre  les,  Méditations 
de  Descartes,  306-308,  308  —  l'affirme  nettement  plus  tard,  350-351, 
408-409. 

Mathématiques  :  inaptitude  de  Hobbes,  406,  n.  2. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Matière-Modération  571 

Matière  :  matière  première  des  choses  d'après  Gassendi,  102-106.  — 
Essence  et  propriétés  de  la  matière,  106-108,  112.  —  Nature  de  la  matière 
d'après  Hobbes,  334. 

j\L\TiGXON  (Ambroise)  :  le  contrat  social  d'après  Suarez,  415  et  n.  6. 

]\Iauiiy  (Jean)  :  distique  en  l'honneur  de  Sorbière,  228  et  n.  1. 

^L^ZARiN  (Cardinal)  :  Sorbière  lui  dédie  son  Disœurs  sur  sa  conversion, 
196  —  sollicite  des  secours  et  lui  dédie  encore  deux  autres  ouvrages,  197- 
198,  198  et  n.  1. 

Mécanisme  :  Atomisme  mécanique  de  Boyle,  238-239.  —  Hobbes  et 
Descartes  l'emploient  différemment,  308.  — Hobbes  prétend  tout  expliquer 
mécaniquement,  337-338,  401-402  —  mais  n'y  réussit  pas,  402-405.  — 
Descartes   borne  au  monde  physique  l'application  du   Mécanisme,   401. 

—  Hobbes  l'applique  au  monde  moral,  419-420.  —  Triomphe  du  Mécanisme 
scientifique,  271. 

Méditations  :  Objections  de  Hobbes  et  Réponses  de  Descartes,  304-309. 

Mégariqtjes  :  Gassendi  résume  leur  Logique,  93  et  n.  6. 

Mémoire  :  explication  de  la  conservation  des  idées  par  la  comparaison 
des  plis,  130-131.  —  La  mémoire  aide  la  sensation,  343-344.  —  5lémoire 
et  imagination,  344-345. 

Ménage  (Gilles)  :  éloge  outré  de  Sorbière,  224  et  n.  5. 

Merçurius  in  Sole  visus  :  publié  en  1632,  165-166,  166  et  n.  5. 

Meesenne  (Père  Marin)  :  se  lie  avec  Gassendi,  6  et  n.  5  ;  11.  —  Com- 
munique à  Gassendi  les  Méditations  de  Descartes  et  transmet  à  celui-ci 
les  Objections  de  Gassendi,  11,  12  et  n.  3.  —  As.siste  à  la  réconciliation  de 
Descartes  avec  Gassendi,  15.  —  Approuve  la  condamnation  de  Bitaud, 
34  et  n.  4.  —  Critique  vivement  Fludd,  42  et  n.  1,2  ;  46  et  notes.  —  Prie 
Gassendi  de  prendre  sa  défense  contre  Fludd,  42-43.  —  Fait  précéder  la 
réponse  de  Gassendi  d'une  Lettre  à  Nicolas  de  Baugy,  44  et  n.  8,  48  et  n.  3. 

—  Combat  l'Astrologie.  165,  n.  4,  §  La  Magie.  —  S'efforce  de  détourner 
J.-B.  Morin  de  combattre  le  mouvement  de  la  terre,  167.  —  Prend  vive- 
ment la  défense  de  Descartes  contre  Sorbière,  204,  206  et  n.  1.  —  Approuve 
imprudemment  le  De  Cive,  214-215.  —  Prie  Sorbière  de  ne  point  publier 
cette  aj)probation,  215,  n.  4  —  et  revient  à  la  charge,  217  et  n.  2.  — 
Hobbes  l'appelle  «  le  bon  larron  »,  222.  —  Mersenne  trouve  Sorbière  enclin 
à  a  la  sceptique  »,  223  et  n.  8.  —  Introduit  Hobbes  dans  le  cercle  des  savants 
et  encourage  ses  travaux,  276,  278.  —  Publie  dans  ses  propres  œuvres 
deux  opuscules  de  Hobbes,  280.  —  Exhorte  Hobbes  gravement  malade, 
281  et  n.  1.  —  Sert  d'intermédiaire  entre  Descartes  et  Hobbes,  303  et  n.  3  ; 
308  et  n.  6.  —  Admiration  excessive  pour  la  science  mathématique  et  la 
Philosophie  de  Hobbes,  309-311,  506.  —  Sa  mort  en  1648,  281.      ^ 

Méthode  :  Gassendi  :  Méthode  d'invention,  de  jugement  et  d'ensei- 
gnement, 95-96.  —  Hobbes  :  définition  de  la  Méthode,  323  —  emploi  de 
la  Méthode  analytique,  323-325  —  emploi  de  la  Méthode  synthétique, 
325-327  —  la  Méthode  d'enseignement  est  synthétique,  327  —  sjTithétique 
est  synonyme  de  déductif  ;  l'analyse  hobbienne  ne  doit  pas  être  identifiée 
avec  l'induction  baconienne,  404  et  n.  3  —  mélange  inégal  d'analyse  et 
de  sjTithèse,  404-405.  —  La  Méthode  déductive  a  les  préférences  de  Hobbœ, 
275  et  n.  5  ;  328,  405,  428. 

Mjll  (James)  :  utilitarisme,  447  et  n.  3  ;  450-451. 

Mill  (John  Stuart)  :  utilitarisme,  447  et  n.  4  ;  452-454. 

MiLTON  :  préside  aux  relations  extérieures,  285. 

MiRAEUS,  Le  Mire  (Aubertus,  Aubert)  :  fait  la  connaissance  de  Gas- 
sendi, 7-8.  —  Notice,  8,  n.  1. 

Modération  :  sa  nature,  375. 


572  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Molesworth-Mjrdorge 

MoLESWORTH  (William)  :  édite  les  Œuvres  de  Hobbes,  452  et  n.  4. 

Molière  (Poquelin  dit)  :  élève  de  Gassendi  en  Philosophie,  10  et  n.  3  ; 
228.  —  Légende  sur  sa  traduction  de  Lucrèce,  228-229.  —  On  trouve  dans 
ses  jDièces  quelques  échos  de  l'enseignement  de  Gassendi,  229-232.  —  Se 
serait  rallié  à  la  Physique  cartésienne,  232  et  n.  2. 

Monarchie  :  origine  et  caractères  du  gouvernement  monarchique  d'après 
Hobbes,  397.  —  Ses  préférences  pour  la  monarchie,  397-398.  —  Ses  réponses 
aux  objections  contre  la  monarchie,  398-399.  —  Critique  des  réponses  de 
Hobbes,  399-400.  —  Le  Léviathan  a  pour  but  de  justifier  l'absolutisme, 
417-420.  —  Inconvénients  de  la  monarchie  absolue  d'après  Spinoza,  475- 
476.  —  Monarchie  tempérée,  476-479. 

Monde  :  Gassendi  :  Dieu  peut  être  dit  l'âme  assistante  du  monde,  121. 
—  Gassendi  donne  au  monde  une  âme  d'un  genre  spécial,  122-123. 

Montaigne  :  goûté  par  Sorbière,  201  et  n.  2. 

Montchal  (Monseigneur  Charles  de)  :  s'entremet  pour  arranger  la 
contestation  entre  Gassendi  et  l'abbé  d'Hugues,  10  et  n.  2. 

Montesquieu  :  combat   certaines   opinions   de  Hobbes,  513-514. 

Montmor  (Henri-Louis  Habert  de)  :  offre  l'hospitalité  à  Gassendi 
qui  refuse,  9  —  l'héberge,  16.  —  Gassendi  lui  dédie  la  Vie  de  Tycho-Brahé, 
17  et  n.  1.  —  Réunions  savantes  dans  son  hôtel,  16  et  n.  5.  —  Fait  enterrer 
Gassendi  dans  son  tombeau  et  lui  élève  un  monument,  20  et  n.  6,  7.  — 
Lettre  latine  de  Sorbière,  197  et  n.  3.  —  L'Académie  des  Physiciens  se 
tient  chez  lui,  222-223.  —  Edite  les  Œuvres  de  Gassendi,  Lyon  (1658), 
248  et  n.  1  ;  267  —  charge  Sorbière  d'écrire  la  vie  de  Gassendi,  211 —  fait 
graver  par  Nanteuil  le  portrait  de  Gassendi,  266  et  n.  1. 

Morale  :  fond  épicurien  de  la  Morale  de  Gassendi,  84.  —  Logique  et 
Morale  s'unissent,  147-148.  —  Morale,  science  active,  148.  —  Doctrine 
morale  ou  Éthique  de  Gassendi,  88,  90,  148-151.  —  Critique  de  cette  Morale, 
151-152.  —  Morale  hobbienne  :  objet,  316,  378 — sa  place  parmi  les  sciences, 
326-327,  402  —  esquisse  de  cette  Morale,  373-378  —  son  caractère  utili- 
taire, 411-412  —  son  inefficacité,  414-415.  —  Ce  côté  utilitaire  a  été  repris 
et  développé  en  Angleterre,  447-454. 

More  (Henry)  :  opposé  à  Hobbes,  441  et  n.  3. 

MoRHOF  (Daniel-Georg)  :  critique  les  Exercitationes  de  Gassendi, 
37  et  n.  2,  5.  —  Loue  le  Père  Fabri,  38  et  n.  4. 

MoRTN  (Jean-Baptiste)  :  approuve  la  condamnation  de  Bitaud,  35.  — 
Notice,  167,  n.  2.  —  Démêlés  avec  Gassendi,  167-173.  —  Loué  par  Pog- 
gendorff,  168  et  n.  5.  —  Féru  d'Astrologie,  168,  170. 

MoRiZE  (André)  :  apprécie  l'abjuration  de  Sorbière,  196  et  n.  3.  — 
Détails  sur  la  réédition  du  De  Cive  par  Sorbière,  216  et  n.  3  ;  218  et  n.  3. 

Mort  :  Hobbes  :  en  quoi  elle  consiste,  333. 

MoRUS  (Thomas)  :  Sorbière  traduit  YUtopia,  224,  n.  2.  —  Précurseur 
de  Harrington,  433.  —  Utopiste,  461-462. 

Moshemius,  Mosheim  (Johannes-Lorenz)  :  traducteur  et  annotateur 
de  Cudworth,  240  et  n.  1. 

Mouvement  :  Gassendi  l'étudié  dans  sa  cause  et  dans  sa  direction 
108-110,  110-112.  —  Hobbes  :  définition,  332-333  —  c'est  le  principe  uni- 
versel de  la  Philosophie  naturelle,  337-338,  338-339.  —  Mouvement  vital, 
351  —  mouvement  volontaire,  351-352. 

Mouvement  de  la  Terre  :  expérience  de  Gassendi,  168-169.  —  Gassendi 
et  la  condamnation  de  Galilée,  174-175.  —  Opinion  du  Père  Fabri,  174 
et  n.  3. 

Moyen  terme  :  façon  de  le  découvrir,  95. 

Mydorge  (Claude)  :  observe  une  éclipse  avec  Gassendi,  6. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Naigeon-Osiander  573 


N 

Naigeon  (Jacques-André)  :  publie  une  Lettre  de  Diderot  sur  VHwnan 
Nature  de  Hobbes,  513  et  n.  3. 

Nanteuil  (Robert)  :  grave  le  portrait  de  Gassendi,  266.  —  Notice, 
266,  n.  1. 

Natorp  (Paul)   :  conteste  que  Hobbes  soit  matérialiste,  409  et  n.  3, 

Naudé  (Gabriel)  :  fait  l'éloge  de  Peiresc,  3-4.  —  Notice,  4  et  n.  1.  — 
Invite  Gassendi  à  Gentilly,  18  et  n.  2.  —  Gassendi  lui  adresse  sa  pc  Lettre 
De  Apparente  Magnitvxline  Solis,  22  —  et  sa  Lettre  sur  les  Novem  Stellœ 
circa  Jovem  visœ,  22-23,  166  et  n.  7.  —  Annonce  à  Gassendi  l'apparition 
de  la  Clavis  de  Fludd,  49  et  n.  4.  —  lui  envoie  de  Rome  une  copie  de  la 
statue  d'Épicure,  79  et  n.  2. 

Nécessité  :  absolue  nécessité  des  choses  d'après  Hobbes,  335-336. 

Neuré  (Mathurin)  :  s'occupe  de  VApologia  de  Gassendi,  169-170, 
171.  —  Notice,  171  et  n.  4.  —  Édite  VApologia  en  1649,  23. 

Newcastle  (William  Cavendish,  Comte,  puis  Marquis  de)  :  se  lie 
avec  Descartes',  Hobbes  et  Gassendi,  11  et  n.  2.  -^-  Hobbes  lui  dédie  VHuman 
Nature,  278.  —  Vaincu  à  Marston  Moor,  il  se  réfugie  en  France,  280.  — 
Fait  nommer  Hobbes  professeur  de  Mathématiques  du  Prince  de  Galles, 
280. 

Newton  :  admire  Gassendi,  101  et  n.  5.  —  Emprunts  à  Gassendi,  239. 
—  Le  Système  mécanique,  271. 

NiCHOLLS  (William)  :  attaque  Coward,  444. 

Nom,  Nominalisme  :  doctrine  nominaliste  de  Hobbes,  317-319,  320, 
328  et  n.  2  ;  403  et  n.  4.  —  La  théorie  nominaliste  de  Hobbes  a  été  reprise 
et  développée  en  Angleterre,  446-447. 

Nombre  :  définition,  331. 

Notions  communes  :  leur  établissement  par  Hobbes,  328-337  —  traces 
d'incohérence  dans  ce  travail,  403. 

Notitia  Ecdesiœ  Diniensis  :  publié  en  1654,  17  et  n.  2  ;  25. 

Novem  Stellœ  circa  Jovem  visœ  :  publié  en  1643,  22-23,  166  et  n.  7. 


Œuvres  :  a)  de  Gassendi  :  Scientifiques,  22-23  —  Philosophiques,  23-24 

—  Varia,  24-25  —  Lettres  et  Manuscrits,  25  —  h)  de  Hobbes  :  parues  de 
son  vivant,  298-301  —  posthumes,  301. 

Of  Liberty  and  Necessity  :  paru  en  1654,  286  et  n.  1  ;  299. 

Oldenburg  (Henry)  :  cité  par  Leibniz,  491,  n.  3. 

Opposition  :  à  Hobbes  :  428  —  a)  en  Angleterre,  430-441  —  6)  à  Vétranger, 
454-455. 

Orange  (Prince  Maurice  d')  :  fait  condamner  l'Arminianisme  au 
synode  de  Dordrecht,  285  et  n.  4. 

Oratio  inauguralis  :  à  l'ouverture  du  cours  de  Mathématiques  de  Gas- 
sendi, 162-163. 

Orgueil  :  sa  nature,  375. 

Origine  :  Gassendi  :  origine  des  idées  et  des  ju-incipes  premiers,  138- 
141.  —  Hobbes  :  nos  conceptions  dérivent  des  sens,  340.  —  Origine  des 
sociétés  :  la  crainte,  367-369  —  pacte  ou  sujétion,  379-381. 

Orthodoxie  :  de  Hobbes  fortement  suspectée,  294  et  n.  2  ;  295  et  n.  3. 

—  Hobbes  la  défend,  294-295,  296  et  n.  1,  2,  3  ;  441  et  n.  1,  2. 
OsiANDER  (Johannes-Adam)  :  opposé  à  Hobbes,  454  et  n.  3. 


574  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES  :  Oubli-Phantaisie 

Oubli  :  oubli  immérité  à  l'égard  de  Gassendi  ;  ses  causes,  247-251. 

Outrage  :  sa  nature,  375. 

Oxford  (Université  d')  :  Hobbes  en  garde  un  mauvais  souvenir,  272. 
—  C'est  une  ingratitude,  272-273.  —  En  emporte  la  haine  du  Puritanisme, 
273.  —  Attaque  l'enseignement  donné  à  Oxford,  287-288. 


Pacte  :  Hobbes  :  sa  nature,  374.  —  Origine  de  la  société,  379-380. 

Paley  (William)  :  Morale  utilitaire,  447  et  n.  7. 

Pardies  (Père  Ignace-Gaston)  :  combat  l'automatisme  des  bêtes,. 
38,  n.  5. 

Parhelia  :  publié  en  1630,  11  et  n.  5  ;  22,  165  et  n.  3. 

Parker X  (Samuel)  :  accuse  à  tort  Bérigard  d'athéisme,  75  et  n.  3.  — 
Loue  les  travaux  de  Gassendi  sur  Épicure,  85-86.  —  Opposé  à  Hobbes, 
440  et  n.  4. 

Pascal  ;  se  lie  avec  Gassendi,  11. 

Passions  :  Hobbes  :  les  passions  sont  des  actes  de  la  faculté  motrice, 
351-352.  —  Passions  fondamentales,  352.  —  Théorie  des  passions  physiquea 
et  intellectuelles,  354-359.  —  Troubles  de  l'âme,  359.  —  Vue  d'ensemble,- 
359-360.  —  Caractère  égoïste  de  cette  théorie,  411-412. 

Patient  :  définition,  334. 

PATm  (Gui)  :  médit  d'Antoine  de  la  Poterie,  16  et  n.  2.  —  Dénigre  Sor- 
bière,  17  et  n.  4.  —  Loue  les  vertus  et  la  science  de  Gassendi,  18  et  n.  2  ; 
19  et  n.  7.  —  Enterrement  de  Gassendi,  20  et  n.  5.  —  Rapporte  un  mot  de 
Gassendi  sur  Aristote,  29  et  n,  2.  —  Notice,  181  et  n.  1.  —  Injurie  Sorbière, 
181  et  n.  2.  —  Favorable  à  Gassendi,  opposé  à  Descartes,  181.  —  Jette 
la  suspicion  sur  la  sincérité  de  l'abjuration  de  Sorbière,  196  et  n.  2.  — 
Raconte  que  Hobbes  a  voulu  se  suicider,  285  et  n.  1. 

Péché  :  c'est  le  fruit  de  l'ignorance  d'après  Gassendi,  156-158. 

Pecquet  (Jean)  :  découverte  physiologique,  177,  194-195.  —  Notice, 
177,  n.  1.  —  Expériences,  177,  n.  3  ;  194  et  n.  6.  —  Fréquente  chez  M.  de 
Montmor,  222-223. 

Peine  :  son  but,  375. 

Peiresc  (Nicolas-Claude  Fabri  de)  :  liaison  avec  Gassendi,  3-4.  — 
Notice,  3,  n.  5.  —  Découverte,  5,  n.  6.  —  Communique  à  Gassendi  un  opus- 
cule d'E.  Puteanus,  77  et  n.  6.  —  Observe  avec  Gassendi  la  hauteur  sol- 
sticiale  du  soleil,  166  et  n.  6.  —  Sa  Vie  par  Gassendi,  9,  24,  258  et  n.  4  ; 
259  et  n.  1.  —  Eloge  par  Bayle,  258  et  n.  5.  —  Correspondance  avec  Gas- 
sendi, 259,  n.  1. 

Pelissier  (Chanoine)  :  fait  opposition  à  l'élection  de  Gassendi  comme 
chanoine  théologal  et  comme  prévôt,  3  et  n.  3  ;  9. 

Péripatéticiens  :  leur  autorité  au  début  du  xvn^  siècle,  26-27.  —  Requête 
des  Péripatéticiens  contre  les  novateurs,  35.  —  Requête  burlesque  contre 
eux,  35-36.  —  Gassendi  les  combat,  27-40.  —  Leur  doctrine  mal  interprétée 
à  Oxford,  271  et  n.  1.  —  Hobbes  en  garde  un  mauvais  souvenir,  272-273. 

Perrault  (Charles)  :  éloge  de  Gassendi,  20  et  n.  2. 

Pesanteur  :  explications  différentes  d' Aristote  et  de  Gassendi,  110- 
111. 

Petit  (Samuel)  :  oncle  et  tuteur  de  Sorbière,  192  et  n.  6. 

Phantaisie  :  au  temps  de  Gassendi  et  de  Hobbes  ce  mot  était  employé 
comme  synonyme  d'Imagination,  344  et  n.  4,  —  Il  n'y  a  dans  l'âme  sensible 
qu'une  faculté,  la  Phantaisie  ou  Imagination,  qui  prend  différents  noms  : 
Estimatrice,  Cogitatrice,  Mémoire,  130  et  n.  3.  — Explication  de  la  Mémoire 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Phantasme-Préceptes  STS' 

par  la  comparaison  des  plis,  130-131.  —  Fonctions  :  appréhender,  132-133 

—  juger  et  raisonner,  133-134.  —  Comparaison  avec  l'intelligence,  135- 
137.  —  Imagination  et  Mémoire,  344-345.  —  Principe  des  mouvements 
volontaires,  351-352. 

Phantasme  :  synonyme  d'image,  344,  345  et  n.  1.  —  La  Mémoire  fournit 
des  phantasmes,  343-344.  —  Sensations  et  phantasmes,  344-345. 

Philosophie  :  Gassendi  :  Définition  et  division,  88.  —  Hobbes  :  ce  qu'est 
la  Philosophie  en  général.  Division,  313-316.  —  Philosophie  première, 
328-338. 

Physique  :  Gassendi  :  la  Philosophie  physique  ou  naturelle  a  pour  objet 
la  vérité,  88.  ■ —  D'où  la  vaste  étendue  du  domaine  de  la  Physique  d'après 
les  Scolastiques  suivis  par  Gassendi,  88  et  n.  3.  —  Résumé  de  la  Physique 
gassendiste,  97-147.  —  Union  de  la  Physique  et  de  l'Ethique,  147-148. 

—  Travaux  de  Gassendi  relatifs  à  la  Physique  proprement  dite,  163-164. 

—  Hobbes  :  la  Physique  constitue  la  3^  Partie  du  De  Corpore,  338-339. 

—  Incertitude  de  la  Physique  hobbienne,  406-407.  —  Hobbes  multiplie 
les  hypothèses  et  se  contente  de  conclusions  vraisemblables,  407-408. 

Pic  de  la  Mirandole  (Jean)  :  Gassendi  l'étudié,  4. 

Pitié  :  passion,  357-358. 

Plaisir  :  Gassendi  :  définition,  143.  —  Sa  condition  antécédente  c'est 
la  douleur,  144-145.  —  Tout  plaisir  est  en  lui-même  un  bien,  148-149.  — 
Utile  et  hoiuiête  ramenés  au  plaisir,  149.  —  Nature  du  plaisir  :  santé  du 
corps  et  tranquillité  de  l'esprit,  150-151.  — Hobbes  :  en  quoi  il  consiste, 
354,  411.  —  Plaisirs  sensibles,  plaisirs  de  l'esprit,  355.  —  Un  seul  principe 
d'action  :  le  plaisir,  412-413. 

Plan  :  Hobbes  n'a  pas  réalisé  le  plan  qu'il  avait  annoncé,  401-405. 

Platon  :  Gassendi  résume  sa  Logique,  93  et  n.  6. 

Plempifs,  Plemp  (Vopiscus  Fortunatus)  :  adversaire  du  Cartésia- 
nisme, 181  et  n.  6. 

Pleurs  :  passion,  358. 

Plutarque  :  traité  attribué  à  Plutarque,  419  et  n.  3. 

Poggexdorff  (J.  C.)  :  résume  les  travaux  de  Gassendi  en  Acoustique, 
164  et  n.  1.  —  Loue  J.-B.  Morin,  168  et  n.  5.  —  Décrit  l'expérience  de 
Gassendi  pour  prouver  le  mouvement  de  la  terre,  168-169. 

Polémique  :  de  Gassendi  :  avec  :  Ifes  Péripatéticiens,  26-40  —  R.  Fuldd, 
41-51  —  Descartes,  51-66  —  Valeur  de  Gassendi  comme  polémiste,  257- 
258  —  de  Hobbes  avec  :  Bramhaïl,  285-287  —  les  Mathématiciens,  287- 
292  —  le  Clergé,  294-295,  296,  441  et  n.  2—  Descartes,  302-309. 

Politique  :  Hobbes  :  son  objet,  316  et  n.  7  — .  Sa  place  parmi  les  sciences, 
326-327,  402. 

PoQUELiN  :  voir  Molière. 

Portraits  :  de  Gassendi,  266  et  n.  1  —  Gravure,  en  face  de  la  page  1  — 
de  Hobbes,  293*  et  n.  2  ;  297  —  Gravure,  en  face  de  la  page  272. 

Possible  :  acte  possible,  336. 

PouRCHOT  (Edmond)  :  professeur  de  Philosophie  au  Collège  des  Grassins, 
35  et  n.  3. 

Pouvoir  :  Hobbes  :  le  pouvoir  cognitif,  340-351  —  le  pouvoir  moteur 
volontaii-e,  351-352,  354-363.  —  La  notion  de  pouvoir,  élément  de  la  pas- 
sion, 355-356.  —  Le  pouvoir  politique  doit  être  indivisible,  392-393. 

Prat  (Abraham  du)  :  collabore  à  l'épitaphe  de  Gassendi,  21  et  n.  1.  — 
Sorbière  lui  adresse  son  Discours  sceptique,  175,  194.  —  Notice,  175,  n.  4. 

—  Cher  à  Gassendi,  212  etn.6.  — Fréquente  chez  M.  dcMontmor,  222-223. 
Préceptes  :  les  Préceptes  résultant  des  Lois  naturelles  sont  l'objet  de 

la  Morale,  378. 


576  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Présomptions-Racine 

Présomptions  :  prévision  du  futur,  348. 

Priestley  (Joseph)   :  Morale  utilitaire,  447  et  n.  6. 

Principes  :  Gassendi  :  ce  sont  des  généralisations  de  l'expérience,  140- 
141.  —  HoBBES  :  établissement  des  premiers  Principes,  328-339.  —  Traces 
d'incohérence  dans  ce  travail,  403. 

Problemata  physica  :  publié  en  1662,  294  et  n.  5  ;  300. 

Proportio  Gnomonis  ad  sçltitialem  umbram  :  publié  en  1636,  22,  166 
et  n.  6. 

Proposition  :  Gassendi  :  Règle  pour  découvrir  les  propositions  vraies, 
fausses  ou  probables,  94.  —  Propositions  logiques,  94-95.  —  Hobbes  : 
Logique  de  la  Proposition,  319-321. 

Providence  :  Dieu,  Providence  du  monde,  115-117. 

Psychologie  :  Gassendi  :  la  Psychologie  est  éparse  dans  sa  Physique, 
123-147.  ' —  Hobbes  :  sa  Psychologie,  339-363.  —  Il  est  le  fondateur  de 
la  Psychologie  anglaise,  408.  —  Sa  Psychologie  est  matérialiste  et  déter- 
ministe, 408-409.  —  Pousse  la  subjectivité  des  qualités  sensibles  jusqu'à 
l'idéalisme,  410.  —  Admet  illogiquement  la  réalité  du  monde,  410-411. 

—  Théorie  égoïste  des  Passions,  411.  —  Sa  Psychologie  est  subordonnée 
à  sa  Politique,  411-412. 

PuFENDORF  (Samuel)  :  réscrvcs  à  son  admiration  pour  Hobbes,  480- 
481.  —  Points  où  il  suit  Hobbes  ou  s'en  rapproche,  481-484.  —  Finit  par 
s'en  écarter  sur  la  question  de  la  Souveraineté,  484-485.  —  L'abandonne 
dans  les  questions  religieuses  et  asservit  moins  que  lui  l'Église  à  l'État, 
485-488.  - —  Grandement  redevable  à  Hobbes,  488-489.  —  Réfute  Houtuyn, 
461  et  n.  1,  2. 

Puissance  :  Hobbes  :  définition,  335.  —  Puissance  pleine,  336. 

Puritanisme  :  Magdalen  Hall  à  Oxford,  foyer  de  Puritanisme  ;  Hobbes 
emporte  de  ce  contact  la  haine  des  Puritains,  273. 

Pusillanimité  :  passion,  359. 

PuTEANEUS,  VAN  PuTTE  (Erycius)  :  Gassendi  fait  sa  connaissance,  7. 

—  Notice,  7,  n.  5.  —  Favorable  à  Épicure,  il  encourage  les  travaux  de 
Gassendi,  77-78.  —  Ouvrages  de  Puteanus,  78,  n.  5. 

Pute  ANUS,  Du  Pu  y  (Pierre)  :  Gassendi  lui  dédie  ses  deux  premières 
Lettres  De  Motu  impresso,  168  et  n.  7. 

Q 

Qualité  :  des  corps,  définition  par  Gassendi,  118.  —  Qualités  sensibles 
n'existent  pas  formellement  dans  les  objets.  Gassendi  est  partisan  de 
l'émission,  118-119.  —  Les  Scolastiques  et  les  qualités  occultes,  120.  — 
Explication  de  Gassendi,  120-121.  —  Hobbes  :  les  qualités  sensibles  sont 
des  phantasmes,  341-343.  —  Pousse  la  subjectivité  des  qualités  sensibles 
jusqu'à  l'idéalisme  et  admet  illogiquement  la  réalité  du  monde,  410-411, 

Quantité  :  est  insépa^rable  de  la  matière  d'après  Gassendi,  102. 

QuETELET  (Lambert- Adolphe)  :  éloge  du  Père  Tacquet,  246  et  n.  4. 

QuiETANus  :  observe  le  passage  de  Mercure  sur  le  Soleil,  166  et  n.  3. 

R 

Rabelais  :  goûté  par  Sorbière,  201  et  n.  1,  2. 
Rachel  (Samuel)  :  opposé  à  Hobbes,  454  et  n.  6  ;  455  et  n.  5. 
Racine  (Jean)  :  collabore  à  1'  «  Arrêt  burlesque  »,  35.  —  Sensible  à  la 
mort  de  Bernier,  191  et  n.  2. 

Racine  (Louis)  :  atteste  la  douceur  de  Bernier,  191  et  n.  2. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES  :   Raison-Robertson  577 

Raison  :  Gassendi  :  emploie  le  mot  intelligence  ou  entendement  comme 
synonyme  de  raison,  137.  —  Appétit  raisomiable,  142-143.  —  Hobbes  : 
définition  et  nature,  349-350.  —  C'est  la  parole  rationnelle  de  Dieu,  366 
et  n.  5.  —  N'a  jamais  précisé  ce  qu'il  entend  par  raison,  410-411. 

Raisonnement,  Raisonner  :  Gassendi  :  critérium  de  vérité,  92.  — 
Fonction,   137.  —  Hobbes  :  raisonner,  c'est  compter,  314. 

Ramus  (Joseph-Marius)  :  statue  de  Gassendi  à  Digne,  21  et  n.  3. 

Ramus  (Pierre)  :  Gassendi  l'étudié,  4  —  résume  sa  Logique,  93  et  n.  6. 

Rabin  (Père  René)  :  éloge  de  :  Gassendi,  20  et  n.  3.  —  Rospigliosi,  197, 
n.  2. 

Rechenberg  (Adam)  :  opposé  à  Hobbes,  454  et  n.  4. 

RÉGIS  (Pierre-Sylvain)  :  notice,  508,  n.  4.  —  Ses  ouvrages,  508  et 
n.  5.  —  S'inspire  de  Hobbes  en  exposant  les  devoirs  de  l'homme  dans 
l'état  de  nature,  et  l'origine  des  sociétés,  508-510.  —  Tendance  empirique 
en  Morale  et  en  Métaphysique,  510-511,  511  et  n.  7.  —  Soustrait  au  con- 
trôle de  l'État  les  doctrines  purement  spéculatives  et  celles  qui  regardent 
le  salut,  511.  —  Ne  cite  Hobbes  nulle  part,  512  et  n.  1. 

Regius,  de  Roy  (Henri)  :. notice,  203  et  n.  7. 

Religion  :  Hobbes  :  c'est  une  prérogative  de  l'humanité,  363-364.  — 
La  crainte  est  le  fondement  de  la  Religion  naturelle,  365-366. 

Réminiscence  :  sa  nature,  347-348. 

Rémusat  (Charles  de)  :  prétexte  de  Hobbes  pour  retourner  en  Angle- 
terre, 284  et  n.  5.  —  Son  inaptitude  aux  Mathématiques,  406,  n.  2. 

Renerius,  Reneri,  Régnier  (Henri)  :  fait  la  connaissance  de  Gas- 
sendi, 7,  11  et  n.  4.  —  Notice,  7,  n.  4.  —  Reçoit  de  Gassendi  les  Obser- 
vations du  Père  Scheiner  sur  les  Parhélies  et  les  transmet  à  Descartes, 
11  et  n.  5,  6. 

Renouvier  (Charles^  :  orthodoxie  de  Hobbes,  295,  n.  3,  à  la  fin.  — 
Géométrie  paradoxale  de  Hobbes,  406  et  n.  2.  —  Sa  Physique  arriérée, 
408  et  n.  4  ;  429  et  n.  1.  —  Son  recours  à  la  raison  est  vague,  410-411. 

—  Son  ignorance  relative  aux  mobiles  des  actions  humaines,  411  et  n.  6. 

—  Inefficacité  de  la  Morale  utilitaire  de  Hobbes,  414-415,  415,  n.  l.  — 
Le  Léviathan,  420  et  n.  2,  4.  —  Faible  influence  de  la  Philosophie  première 
de  Hobbes,  428  et  n.  3.  ' —  Opposition  à  Hobbes  en  Angleterre,  430  et 
n.  2. 

Repentir  :  passion,  357. 

Requête  :  des  Péripatéticiens,  35.  —  Requête  burlesque  contre  les  Péri- 
patéticiens,  35-36.  v" 

Rêve  :  Gassendi  :  remarque  judicieuse,  134-135.  -—  Hobbes  :  rêves  et 
sensations,  345  —  causes  des  rêves,  345-346. 

Richelieu  (Cardinal  Alphonse)  :  fait  nommer  Gassendi  à  la  chaire 
de  Mathématiques  du  Collège  Royal,  10.  —  Gassendi  se  dérol)e  à  une 
invitation  du  Cardinal,  9  et  n.  2. 

Richelieu  (Cardinal  Armand)  :  indifférence  à  l'égard  de  Gassendi, 
10  et  n.  4.  —  Gouverne  énergiquement  la  France,  275,  278,  302. 

RiOLAN  (Jean)  :  Sorbière  défend  Pecquet  contre  les  attaques  de  Riolan, 
195  et  n.  1.  —  Notice,  195,  n.  2. 

Rire  :  passion,  358. 

Rivet  (André)  :  presse  Gassendi  de  critiquer  les  Principes  de  Descartes 
13.  —  Notice,  13,  n.  3.  —  Blâme  les  impertinences  de  Descartes  à  l'adresse 
de  Gassendi,  14  et  n.  2.  —  Ré])liquc  aux  attaques  de  Brachet  de  La  Mille- 
tière,  193  et  n.  5.  —  Combat  Grotius,  193,  n.  4  et  5. 

RoBERTSON  (G.  Croom)  :  jugement  sur  la  fuite  de  Hobbes  en  France, 
278  et  n.  2.  —  Lettres  de  du  Verdus,  280  et  n.  6.  —  Hobbes  libre  penseur, 

37 


578         TABLE  ANALYTIQUE  DBS  MATIÈRES  :   Roberval-Scolastiques 

294  et  n.  2.  ^ —  Le  grand  incendie  de  Londres  (1666),  295  et  n.  2.  —  Critique 
le  système  de  Hobbes,  406  et  n.  1.  —  L'état  de  nature,  417  et  n.  3. 

RoBERVAL  (Gilles  Personnier  de)  :  as.^iste  à  la  réconciliation  de 
Descartes  avec  Gassendi,  15.  —  Notice,  15,  n.  3.  —  Fréquente  chez  M.  de 
Montmor,  16,  n.  5  à  la  fin,  222-223. 

RôELLius,  Rôell  (Herman-Alexandre)  :  opposé  à  Hobbes,  455  et 
n.  6,  7. 

RoHAN  (Duc  Henri  de)  :  Sorbière  publie  ses  Mémoires,  194. 

RoHAULT  (Jacques)  :  fréquente  chez  M.  de  Montmor,  222-223. 

Rose-Croix  (Fraternité  de  la)  :  origine,  41  et  n.  2.  —  Fludd  en  fait 
partie,  41.  —  Doctrine  des  Rose-Croix,  46-48. 

RospiGLiosi  (Cardinal  Jacques)  :  Lettre  de  Sorbière,  227  et  n.  3. 

RosPiGLiosi  (Cardinal  Jules)  :  correspondant  de  Sorbière,  qui  fait 
célébrer  en  vers  le  portrait  du  Cardinal,  197  et  n.  2.  —  Le  Cardinal  élu 
pape  prend  le  nom  de  Clément  IX  :  son  éloge  par  Sorbière,  197  et  n.  3. 
—  Lettres  de  Sorbière,  226-227. 

Rousseau  (Jean-Jacques)  :  n'entend  pas  l'égalité  comme  Hobbes, 
368-369,  369  et  n.  3.  —  Hobbes  et  Rousseau  :  divergences  plus  nombreuses 
que  les  points  de  contact,  514.  —  Qualifie  Hobbes  de  blasphémateur,  514 
et  n.    2. 


Sablière  (M'"<^  de  la)  :  héberge  Bernier,  191  et  n.  3. 

Sainte-Beuve  :  donne  à  tort  Bernier  comme  cartésien,  189-190. 

Saint-Evremond  (Charles  de)  :  notice,  190  et  n.  6.  —  Qualifie  Bernier 
de  «  joli  philosophe  »,  191  et  n.  1,  249.  —  Relations  avec  Gassendi,  234 
et  n.  7.  —  Fréquente  chez  le  Comte  de  Cominges,  293. 

Saint-Romain  (G.-B.  de)  :  action  nocive  des  atomes,  232  et  n.  3. 

Saisset  (Emile)  :  gouvernement  aristocratique  d'après  Spinoza,  479- 
480. 

Salisbury  (Jean  de)  :  lé  corps  politique  comparé  au  corps  humain 
419  et  n.  2,  3. 

Savile  (Henry)  :  fonde  des  chaires  de  Mathématiques  à  Oxford, 
288.  —  Notice,  288,  n.  3. 

Scepticisme  :  position  des  Sceptiqu^  91,  254.  —  Gassendi  les  combat, 
91,  92-93.  —  Scepticisme  relatif  de  So^ière,  223  et  n.  8  ;  225,  n.  1  vers  le 
milieu.  —  Scepticisme  relatif  de  Sluse,  247  et  n.  2.  —  Gassendi  fut-il  scep- 
tique ?  252-257. 

ScHEiNER  (PÈRE  Christophe)  :  observation  des  Parhélies,  11. 

Schickard  (Wilhelm)  :  Gassendi  lui  offre  ses  services,  7,  n.  2,  vers  le 
milieu.  — "Descartes  le  mentionne  à  propose  des  Parhélies,  11  et  n.  6.  — 
Notice,  32  et  n.  5.  —  Gassendi  lui  explique  pourquoi  il  interrompt  ses 
Exèrcitationes,  32-33.  —  Correspond  avec  Gassendi  à  propos  du  passage 
de  Mercure  sur  le  Soleil,  166  et  n.  1,  5. 

Schooten  (Frans  van)  :  traduit  la  Géométrie  de  Descartes,  305,  n.  2 
à  la  fin. 

Science  :  Hobbes  :  définition,  323  et  n.  4  —  fin  utilitaire,  315-316  ^ 
façon  dont  il  conçoit  l'enchamement  des  sciences  :  faire  tout  dériver  du 
mouvement,  325-326  —  mais  il  n'y  réussit  pas,  402-405. 

ScoLASTiQUES  :  Ics  qualités  occultes,  120.  —  Distmction  réelle  entre 
l'âme  et  ses  facultés,  137  et  n.  5.  —  Sorbière  et  la  Scolastique,  208,  n.  1 
vers  la  fin.  —  Gassendi  connaît  peu  les  Scolastiques,  259.  —  La  doctrine 
X)éripa.téticienne  et  scolastique  mal  interprétée  à  Oxford  sur  certains  points. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Séditieux-Sociologie  579 

Antipathie  de  Hobbes  pour  la  Philosophie  scolastique,  271  et  n.  1,  272- 
273.  —  Partisans  de  la  Monarchie  tempérée,  296  et  n.  G.  —  Reproches 
illogiques  de  Hobbes  à  la  Scolastique,  408,  n.  1  à  la  fin. 

Séditieux  :  Hobbes  :  liste  des  pro]iositions  séditieuses  f|ue  TÉtat  doit 
proscrire,  384-385.  —  Spestoza  :  opinions  séditieuses,  471-472j| 

Segrais  (Jean-Renaud  de)  :  loue  la  bonhomie  de  Gassendi,  19  et 
n.  6.  —  Rapporte  une  raillerie  de  J.-B.  Morin,  172  et  n.  1. 

SÉGUiER  (Chancelier  Pierre)  :  se  lie  avec  Gassendi,  11. 

Selden  (John)  :  legs  à  Hobbes,  293. 

SÉNÈQUE  :  l'homme  est  xm  animal  social,  496  et  n.  4. 

Senguerdus  (Wolferd)  :  prend  pour  base  l'atomisme  de  Gas.sendi, 
244  et  n.  1. 

Sennert  (Daniel)  :  comprend  mal  Démocrite,  70  et  n.  3. 

Sens  :  Gassendi  :  leur  valeur,  92  —  leur  tissu  constitutif,  129  —  les 
cinq  sens,  129  —  leur  rôle  dans  la  formation  des  idées,  138-139.  —  Hobbes  : 
les  sens  sont  la  source  commune  de  nos  conceptions,  340. 

Sensation  :  Gassendi  :  c'est  une  action  immanente,  128  ■ — ■  conditions 
de  la  sensation,  128-129  —  localisation,  129!  —  Hobbes  :  nature,  340- 
344. 

Sensibilité  :  Gassendi  :  l'accorde,  dans  un  sens  large,  aux  minéraux, 
122-123,  127-128,  343  et  n.  2  —  au  sens  strict,  elle  est  propre  à  l'animal, 
128-129.  —  Hobbes  :  tous  les  corps  ne  sont  pas  doués  de  perception*  et 
de  sensibilité,  343-344. 

Sensualisme   :   Gassendi   :  ne  peut  être  rangé  parmi  les  Sensualistes 

pour  l'origine  des  idées,  mais  seulement  pour  celle  des  principes,  141.  — 

Les  Sensualistes  du  xviii''  siècle  ne  peuvent  se  réclamer  de  Gassendi, 

.  235  et  n.  3  ;  261-263,  263  et  n.  1.  —  Hobbes  :'son  système  est  fondé  sur 

le  Sensualisme,  340,  351. 

Seth  (James)  :  la  pensée  de  Hobbes  établissant  les  premiers  principes 
est  flottante,  403  et  n.  7.  —  Hobbes  et  la  monarchie  tempérée,  420-421, 
421  et  n.  1. 

Sextus  Empiricus  :  Gassendi  rappelle  ses  objections  contre  le  mouve- 
ment, 108  et  n.  6.  — ■  Traduction  des  Hypoiyposes  Pyrrhoniennes  -par  Sov- 
bière,  224  et  n.  2. 

Shaftesbury  (Anthony  Ashley  Cooper,  Comte  de)  :  opposé  à  Hobbes 
441. 

Sharrock  (Robert)  :  réprouve  la  Morale  de  Hobbes,  413  et  n.  1  ;  439 
et  n.  8. 

Signes  :  Gassendi  :  signes  indicateurs,  avertisseurs  des  choses,  91-92. 

—  Hobbes  :  les  mots  font  office  de  signes,  317-318. 
SiNSON  (Pierre)  :  critique  Aristote,  71. 

Sluse  (Chanoine  René-François)  :  notice,  197  et  n.  2.  —  Fait  un 
accueil  enthousiaste  au  Syyitagma  PhilosopJnœ  Epicuri  de  Gassendi,  246. 
247.  —  Pratique  1'  'E-rroy/i,  247  et  n.  2. 

Snellius,  Snell  (Willebrord)  :  reçoit  les  Exercitationes  de  Gassendi, 
6  et  n.  6. 

Société  :  Hobbes  :  origine  due  à  la  crainte,  367-369.  —  la  sécurité  sociale 
n'est  possible  que  si  chacun  transfère  son  droit  à  un  seul,  379-381  —  société 
«  instituée  »  par  im  pacte,  société  «  acquise  »  par  sujétion,  381,  396  et  n.  2. 

—  Il  n'a  pas  réussi  à  prouver  que  l'homme  n'est  pas  naturellement  sociable, 
429-430. 

Société  Royale  de  Londres  :  Sorbière  y  est  agrégé,  199-200. 
Sociologie  :  Hobbes  se  donne  ^mme  initiateur  de  la  Philosophie  civile 
429.  —  Les  Sociologues  du  xix*^  siècle  n'ont  pas  goûté  son  absolutisme  ni 


580  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATiÊEES  :   Sophismes-Spinoza 

sa  méthode,  515.  —  Sa  conception  sociologique  de  la  Morale  a  été  bien 
accueillie  par  FËcole  de  Durkheim,  515-516. 

Soi^liismes  :  leurs  causes  d'après  Hobbes,  321-322. 

Sorberiana  :  recueil  de  bons  mots  et  de  remarques  dus  à  Sorbière,  192 
et  n.  2. 

Sorbière  (Henri)  :  recueille  les  Lettres  de  son  père  et  à  son  père,  227 
et  n.  4  —  met  en  tête  du  Recueil  le  portrait  de  son  père  et  des  poésies  en 
son  honneur,  228  et  n.  1. 

Sorbière  (Samuel)  :  biographie  de  Gassendi,  2  et  n.  1.  —  Parle  à  Gas- 
sendi de  ses  amis  de  Hollande,  8  et  n.  7.  —  Obtient  de  Gassendi  l'autorisa- 
tion de  publier  ses  Objections  et  ses  Instances  contre  les  Méditations  de 
Descartes,  12  et  n.  8.  —  Presse  vainement  Gassendi  de  critiquer  les  Prin- 
cipes de  Descartes,  13  et  n.  2.  —  Raconte  la  réconciliation  de  Descartes 
avec  Gassendi,  15  et  n.  2.  —  Détails  sur  Gassendi,  19  et  n.  3,  4,  5. —  Col- 
labore à  l'épitaphe  de  Gassendi,  21  et  n.  1.  —  Discours  sceptique  sur  le 
passage  du  chyle,  175-176,  194-195. 

1°  —  Vie  de  Sorbière  :  192-201. 

20  —  Eclations  avec  :  a)  Descartes,  201-209  —  b)  Gassendi,  209- 
212  —  c)  Hobbes,  212-223,  506.  —  Manuscrits  de  Sorbière,  223.  —  Juge- 
ment sur  sa  valeur  intellectuelle,  223-225. 

3°  —  Ihi  phénomène  bibliographique  :  Edition  des  Virorum  Illustrium 
Epistolœ,  225-'228.  —  Pour  le  détail  de  ces  §  1°,  2"  et  3°  voir  Table  Synthé- 
tique des  Matières,  p.  539-540. 

Portrait  de  Sorbière,  192,  228.  —  Son  scepticisme  relatif,  223  et  n.  8  ;  225 
et  n.  1  vers  le  milieu.  —  Il  informe  Gassendi  des  sympathies  que  sa  Phi- 
losophie rencontre  en  Hollande,  241-242.  —  S'étonne  de  l'insuccès  de 
Gassendi,  249  et  n.  2.  —  Hobbes  lui  dédie  son  Dialogus  physicus,  285  et 
n.  3. 

SoREL  (Charles)  :  comparaison  du  souci,  231  et  n.  4. 

Sorley  (W.  R.)  :  compare  le  style  de  Holjbes  avec  le  style  de  Bacon, 
de  Berkeley  et  de  Hume,  423-424. 

Souverain  :  Hobbes  :  le  Souverain  (homme  ou  assemblée)  doit  être 
unique,  ayant  tout  pouvoir,  380.  —  Ses  attributions  sont  déterminées 
par  les  auteurs  du  contrat  social,  381.  —  Elles  peuvent  se  déduire  de  la 
nature  de  ce  contrat,  381-382.  —  Attributions  :  armé  du  glaive  de  la  justice 
il  a  droit  de  paix  et  de  guerre,  382  —  législateur,  il  est  au-dessus  des  lois, 
juge  suprême,  382-384  —  doit  proscrire  l'enseignement  de  toute  propo- 
sition dangereuse  pour  la  sécurité  de  l'Etat,  384-385  —  doit  mettre  fin 
aux  controverses  philosophiques  nuisibles  au  bien  public,  385 —  réglemente 
le  culte  et  la  croyance,  interprète  la  Sainte  Ecriture,  386-387  —  a  autorité 
sur  l'Église,  387-390.  —  Attitude  à  tenir  vis-à-vis  d'un  gouvernement 
qui  ordonnerait  des  choses  contraires  à  la  Révélation,  390-392.  —  Le 
Souverain  est  indépendant,  irresponsable,  impunissable,  inviolable,  comp- 
table à  Dieu  seul,  392-393.  —  Règle  limitant  son  pouvoir,  393-394.  — 
Limites  pratiques  à  l'absolutisme  du  Souverain,  394-395. 

Souverain  Bien  :  pas  de  ce  monde,  354  et  n.  3. 

Souveraineté  :  exige  un  pouvoir  absolu  au  spirituel  comme  au  temporel, 
392-393.  —  Doit  être  indivisible,  392,  395-396.  —  Circonstances  dans  les- 
quelles les  sujets  sont  déliés  de  leurs   engagements,  394-395,  395  et  n.  2. 

Spinoza  (Benoît  de)  :  Droit  naturel.  État  de  nature,  462-464.  —  Pacte 
social,  464-465.  —  Omnipotence  de  l'Etat,  465-467.  —  Principe  limitatif 
de  cette  omnipotence  :  l'Etat  doit  laisser  libres  les  opinions  qui  n'enve- 
loppent pas  en  elles-mêmes  quelque  action.  Distinction  entre  parole  et 
action,  468-474.  —  Prétend  avoir  maintenu  le  droit  naturel  dans  l'état 


i 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Stanley-Tannery  581 

civil,  474-475.  —  Incline  vers  la  Démocratie,  475.  • —  Inconvénients  de 
la  Monarchie  absolue,  475-476.  —  Monarchie  tempérée,  476-479.  —  Aris- 
tocratie, 479-480.  —  Spinoza  est  redevable  à  Hobbes,  480  et  n.  2.  —  Exalte, 
comme  lui,  le  droit  de  la  force,  480. 

Stanley  (Doyen  Arthur  Penrhyn)  :  qualificatif  donné  à  Baxter, 
440  et  n.  6. 

Stewart  (Dugald)  :  influence  de  Gassendi  sur  Locke,  179  et  n.  2.  — 
Nominaliste,  447  et  n.  1. 

Statue  :  de  Gassendi  à  Digne,  21  et  n.  3. 

Stoïciens  :  Gassendi  résume  leur  Logique,  93  et  n.  6  — ■  montre  l'insuffi- 
sance de  leur  maxime  :  La  vertu  est  à  elle-même  sa  récompense,  146. 

Stolle  (Gottlieb)  :  attribue  un  ouvrage  à  Hocheisen,  494  et  n.  3. 

Streviesius  (Samuel)  :  opposé  à  Hobbes,  454-455,  455  et  n.  1. 

Stubbe  (Henry)  :  soutient  Hobbes  contre   Wallis,  435  et  n.  4,  5. 

Style  :  français  de  Gassendi  :  spécimen,  161-162  —  anglais  de  Hobbes 
comparé  avec  le  style  de  Bacon,  de  Berkeley  et  de  Hume,  423-424. 

SuARÈs  (Monseigneur  Joseph-Marie)  :  notice,  195,  n.  4.  —  Reçoit 
l'abjuration  de  Sorbière,  196. 

SuAREZ  (François)  :  jugement  de  Sorbière,  208,  n.  1  vers  la  fin.  — 
Un  des  grands  maîtres  de  la  Scolastique,  271  et  n.  1.  —  Légitimité  d'un 
contrat  social,  415  et  n.  6.  —  Son  De  Legihus,  429  et  n.  6.  —  Ancienneté 
de  sa  doctrine  sur  l'origine  du  pouvoir  politique,  431  et  n.  6. 

Sujétion  :  origine  des  sociétés  «  acquises  »,  381,  396  et  n.  2. 

Swift  (Jonathan)  :  raille  Coward,  444. 

Syllogisme  :  Gassendi  en  réduit  les  figures  à  deux,  et  les  modes  à  six, 
95.  —  Doctrine  de  Hobbes,  321-322. 

Sympathies  :  pour  Gassendi  en  :  Angleterre,  235-241  —  Hollande  et 
Belgique,  241-247  —  pour  Hobbes  en  :  Hollande,  456-480  —  Allemagne, 
480-505   —  France,   505-516. 

Syntagma  Philosophiœ  Epicuri  :  publié  en  1649,  16  et  n.  1  ;  24.  —  Gas- 
sendi reconstruit  le  système  dÉpicure,  76  —  fait  les  réserves  nécessaires, 
79-80,  85  et  n.  2.  —  Prie  Sorbière  d'interrompre  l'impression  de  la  traduc- 
tion qu'il  avait  faite  du  Syntagma,  210  et  n.  4.  —  Sorbière  publia  plus 
tard  VEpître  Dédicatoire  de  cefte  traduction,   210-211. 

Syntagma  philosophicum  :  ce  fut  la  principale  occupation  de  Gassendi, 
17  et  n.  3.  —  Œuvre  posthume  publiée  en  1658,  24.  —  Analyse  :  Intro- 
duction et  Vue  d'ensemble,  88-90  —  pe  Partie  :  Logique,  90-96  —  2^  Partie  : 
Physique,  97-147  —  3^  Partie  :  Éthique,  147-160.  —  Il  en  ressort  une  con- 
ception générale  de  l'univers,  263-264.  —  Le  Syntagma  est  l'Encyclopédie 
savante  du  xvii*^  siècle,  265. 

Synthèse  :  c'est  une  Méthode  «  compositive  »,  323.  —  Son  emploi  par 
Hobbes,  325-327.  —  La  Méthode  d'enseignement  doit  être  synthétique, 
•327.  —  Synthétique  est  sjTionyme  de  déductif,  404  et  n.  3. 

Système  politique  :  de  Hobbes  :  exposé,  367-400  —  critique,  412-422, 
5r5  —  de  Spinoza,  461-480. 


Tableau  :  des  Œuvres  :  de  Gassendi,  22-25  —  de  Hobbes,  298-301. 
Tacquet  (Père  André)  :  cite  et  loue  Gassendi,  246  et  n.  3,  4,  5. 
TallemantdesRéaux(Gédéon)  :  Chapelle,  7,n.  1.  —  liospigliosi,  197, n.  2. 
Tannery  (Paul)  :  Gassendi  a  renouvelé  la  Philosopliie  d'Epicure,  87 
et  n.  4. 


582  TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES  :  Tavan-Tychonis 

Ta  VAN  (David)  :  menace  Gassendi  de  publier  les  cahiers  de  Cours  de 
ses  élèves,  5. 

Taxil  (Nicolas)  :  Gassendi  le  désigne  comme  son  remplaçant  à  la  charge 
de  Prévôt,  18  et  n.  1.  ■ —  Oraison  funèbre  de  Gassendi,  2,  n.  1  ;  21. 

Telesio  (Bernardino)  :  accorde  aux  corps  la  faculté  de  percevoir, 
343  et  n.  2. 

Temps  :  Gassendi  attaque  vivement  Descartes  sur  la  notion  du  temps, 
61-64.  —  S.  Augustin  avoue  son  ignorance,  99.  —  Nature  d'après  Gassendi, 
99-101.  —  Comparé  à  l'éternité,  101-102.  —  Hobbes  :  nature,  330  — - 
divisibilité,  331.' 

The  Elemeyits  of  Law  natural  and  folitic  :  publié  en  1640.  Hobbes  y 
défend  la  Monarchie,  277  et  n.  3  ;  298.  —  Réédité  (1650)  en  deux  Parties 
distinctes,  277-278. 

The  Ilidcls  and-Odysses  :  traduction  par  Hobbes  (1675),  297  et  n.  1.  — 
Publié  en  1676,  300.' 

Théologie  rationnelle  :  Gassendi  :  c'est  la  partie  la  plus  sûre  dé  sa  Phi- 
losophie, 112-117.  —  Hobbes  :  363-367. 

Théologie  révélée  :  Hobbes  s'en  occupe,  363  et  n.  6. 

Théologiens  anglicans  :  en  général  opposés  à  Hobbes,  293,  439- 
440,  441,  n.  1  —  notamment  les  théologiens  de  l'École  platonicieime  de 
Cambridge,  441  et  n.  3.  —  Hobbes  se  défend,  294-295,  296  et  n.  1,  2,  3  ; 
441  et  n.  1,  2.  —  Certains  théologiens  jacobites,  c'est-à-dire  partisans 
des  Stuarts,  lui  sont  favorables,  43Ô,  n.  2. 

Thomas  (P. -Félix)  :  valeur  de  son  ouvrage  sur  Gassendi,  248  et  n.  2. 

—  Juge  Gassendi  comme  polémiste,  258  et  n.  1.  —  Rejette  l'accusation 
de  Sensualisme  portée  contre  Gassendi,  263  et  n.  1  à  la  fin. 

Thomas  d'Aquin  (Saint)  :  un  des  2;rands  maîtres  de  la  Scolastiquc, 
271  et  n.  1.  —  Motifs  de  crédibilité,  390  et  n.  8. 

Thomasius,  Thomasen  (Christian)  :  Hobbes  et  Velthuysen,  -459  et 
n.  3.  —  Professeur  de  Droit  à  Halle,  499,  n.  5  au  milieu. 

Thomasius,  Thomasen  (Jakob)  :  jugement  sur  le  De  Cive,  491  et  n.  2. 

Thucydide  :  Hobbes  le  traduit,  274. 

TiNDAL  (Matthew)   :  terreur  des  Clemymen,  439. 

Titelmans  (François)  :  soutient  la  théorie  corpusculaire,  69  et  n.  4. 

TôNNiES  (Ferdinand)  :  hypothèse  sur  l'insertion  des  Lettres  de  Mer- 
senne  et  de  Gassendi  en  tête  du  De  Cive,  220  et  n.  2.  —  Publie  A  Short 
Tract  et  The  Eléments  of  Law  natural  de  Hobbes,  276  et  n.  6,  7  ;  278  et  n.  1. 

—  Conteste  que  Hobbes  soit  matérialiste,  409  et  n.  3. 
TooKE  (William)  :  adopte  J.  Horile,  446  et  n.  11. 
Tout  :  définition,  331. 

Trillerus,  Triller  (Daniel-Wilhelm)  :  défend  Hippocrate  contre 
Gundling,  504  et  n.  2. 

Trilogie  hobbienne  :  ouvrages  où  elle  est  dispersée,  312.  —  Analyse  : 
De  Corpore,  313-339  —i)e  Homine,  339-367  —Z>e  Cive,  367-400  —  Critique,. 
412-422. 

Tristesse  :  passion,  144  et  n.  2. 

Triumvirat  philosophique  :  Descartes,  Gassendi,  Hobbes,  201-223. 

TuRNER  (John)  :  attaque  Coward,  444  et  n.  2. 

TuRRicELLA  (MONSEIGNEUR  Jacques)  :  Ordonne  Gassendi,  3. 

Tychonis   Brahei Vita.  Accessit  Nicolai   Copernici,  G.  Peur^achii  et 

J.  Regiomontani  Vita,  publié  en  1654,  17  et  n.  1  ;  23,  259.  —  Gassendi  a 
répondu  à  une  objection  de  Tycho-Brahé  contre  le  mouvement  de  la  terre, 
168-169. 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES    :    Ûn-Ward  58ti 

U 

Un  :  définition,  331. 

UsENER  (Hermann)  :  juge  les  travaux  de  Gassendi  sur  Épicure,  87  et 
n.  2. 

Utile  :  Gassendi  le  ramène  au  plaisir,  149.  —  Le  bon  et  l'utile  d'après 
Hobbes,  353-354.  —  L'utile  est  la  mesure  du  droit,  370  et  n.  5. 

Utilitaire,  Utilitarisme  :  caractère  utilitaire  de  la  Morale  :  de  Gassendi, 
149,  151-152  —  de  Hobbes,  411-412.  —  Lisuffisance  de  la  Morale  liobbienne, 
414-445.  —  L'Utilitarisme  hobbien  a  été  repris  et  développé  en  Angleterre, 
447-454. 

V 

Velthuysen  (Lambert)  :  dans  son  EpisloUca  Dissertatio  ('leSl),  œuvre 
de  jeunesse,  loue  Hobbes  et  lui  emprunte  le  principe  de  la  conservation 
persoimelle,  456-458.  —  Dans  l'édition  de  1680  supprime  les  éloges  et 
accentue  son  dissentiment  avec  Hobbes  sur  le  principe  utilitaire,  458- 
459.  —  Motifs  de  ce  revirement,  459-460. 

Vengeance  :  passion,  357. 

Verdus  (du)  :  fait  connaître  à  l'abbé  de  Marottes  MM.  de  Martel,  du 
Prat  et  de  Sorbière,  212  et  n.  6  ;  225  et  n.  1.  —  Traduction  du  De  Cive, 
221  et  n.  1    —  Lettres  à  Hobbes,  280  et  n.  6. 

Vérité  :  Gassendi  :  proposition  vraie,  94.  —  Hobbes  :  la  vérité  est  dans 
le  mot  et  la  projwsition,  320  et  n.  2,  6. 

Vertu  :  analyse  des  principales  vertus,  149  et  n.  5. 

Vide  :  d'après  Aristote  et  Gassendi,  97.  —  Preuves  de  son  existence 
par  Gassendi  contre  Descartes,  107-108.  —  Hobbes  le  rejette,  407  et  n.  2. 

Villon  (Antoine)  :  le  «  soldat  philoso]}he  »,  33,  35,  n.  1. 

Vives  (Juan-Luis)  :  Gassendi  l'étudié,  4. 

VoLCKAMER  (Georo-Karl)  :  Soutient,  à  l'université  de  Halle,  la  thèse 
de  Hobbes  sur  l'état  de  nature,  502-503,  503  et  n.  1,2. 

Volonté  :  Gassendi  :  c'est  l'appétit  raisonnable,  142-143,  152.  —  Ana- 
lyse de  l'acte  volontaire  et  libre,  153-156.  —  Nature  de  la  liberté,  158- 
160.  —  Hobbes  :  le  pouvoir  moteur  volontaire,  351-352.  —  Volonté  et 
liberté,   360-363. 

Voltaire  :  témoignage  de  Newton  sur  Gassendi,  101  et  n.  5.  —  Juge- 
ment sur  Gassendi  et  Descartes,  115,  n.  1.  —  Mort  de  Bernier,  192,  n.  1. 

—  Critique  la  Relation  cVun  Voyage  en  Angleterre  de  Sorbière,  199  et  n.  1. 

—  Devancé  par  Sorbière  dans  la  qualification  de  La  Haye,  202  et  n.  2. 

—  Jugement  sur  Sorbière,  224  et  n.  4.  —  Comparaison  de  l'horloge,  239 
et  n.  3.  —  Range  Gassendi  parmi  les  Sceptiques,  252  et  n.  2.  —  Jugement 
sur  Hobbes,  512  et  n.  2. 

Vossius,  Voss  (Gérard-Jean)   :  fait  la  connaissance  de  Gassendi,  8. 

—  Notice,  8,  n.  3.  —  S'enquiert  de  Gassendi,  241  et  n.  6. 

W 

Wallis  (John)  :  notice,  288  et  n.  4.  —  Polémique  avec  Hobbes,  287, 
288-292.  —  Attitude  religieuse  et  loyalisme  politique  de  Hobbes,  440 
et  n.  8. 

Warburton  (William)  :  Hobbes  terreur  des  Clergymen,  439  et  n.  3. 

Ward  (Seth)  :  polémique  avec  Hobbes,  287,  288,  289  et  n.  1,  6  ;  430 
et  n.  6. 


584        TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES  :  Watson-Zénon  d'Élée 

Watson  (Michel)  :  Apologie  d'Aristote,  37  et  n\  4.     • 

Webster  (John)  :  attaque  l'enseignement  donné  dans  les  Universités 
anglaises,  288-289. 

Wendelin  (Godefroy)  :  notice,  2,  n.  5.  —  Gassendi  lui  adresse  ses 
trois  Lettres  sur  la  hauteur  solticiale  du  Soleil  d'été,  166  et  n.  6. 

WiLKiNS  (John)  :  polémique  avec  Hobbes,  287,  288-289,  290. 

Wren  (Matthew)  :  critique  Harrington,  435  et  n.  3. 


Zabarella  (Giacobbe)   :  professeur  à  Padoue,  74-75. 
Zart  (G.)  :  influence  de  Hobbes  en  Allemagne,  494  et  n.  1,  2. 
Zenon  d'Ëlée  :  Gassendi  rappelle  ses  objections  contre  le  mouvement, 
108  et  n.  6.  —  Hobbes  réfute  le  sophisme  de  Zenon,  322-323. 


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