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2^ T^tnrJ^ fffi^
La Politique indigène
de l'Angleterre
en Afrique Occidentale
DU MEME AUTEUR
Coutumes et Privilèges du Rouergue, 2 vol. de la Bibliothèque
Méridionale, ea collaboration avec M. l'abbé Verlaguet, P. Privât,
Toulouse.
Les Routes du Soudan, 1 vol., ouvrage couronné par l'Académie
des Sciences morales et politiques, la Société de Géographie et la
Société de Géographie Commerciale de Paris; Privât, Toulouse.
La Situation économique de l'Afrique occidentale anglaise
et française, 1 vol., Challamel, Paris.
Emile BAILLAUD.
La Politique indigène
de l'Angleterre
en Afrique Occidentale
PARIS
TOULOUSE-
HACHETTE ET D"
EDOUARD PRIVAT
ËDITtURS
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A l'African Society ♦ ^ ♦
fondée par M** J.-R. Green
pour continuer l'œuvre ^ ♦
de Mary Kingsley ♦ ^ ^
597201
PRÉFACE
Lorsque nous avons entrepris cette étude,
notre intention était uniquement de rechercher
quels principes avaient guidé l'Angleterre dans
l'administration de ses colonies d'Afrique occi-
dentale et quels mobiles lui avaient fait adopter
telle ou telle attitude vis-à-vis des indigènes.
Nous nous sommes vite aperçu que ce qu'il
fallait tout d'abord esquisser, c'était la poli-
tique qu'elle avait suivie.
Nous ne voulions faire qu'une sorte d'exé-
gèse, c'est l'histoire même des événements qu'il
nous a fallu entreprendre, aucun livre déjà pu-
blié n'en contenant l'exposé.
Heureusement les documents abondaient.
Chacun des principaux incidents qui ont mar-
qué l'établissement de l'Angleterre en Afrique
occidentale a donné lieu à des enquêtes dont les
résultats ont été publiés dans tous leurs détails :
elles ont servi à faire l'ossature de cet ouvrage;
elles nous ont fait connaître les discussions aux-
VIII PRÉFACE
quelles a donné lieu, entre les indigènes et le
gouvernement anglais, l'établissement de la lé-
gislation qu'il entendait leur appliquer.
Ce livre n'est point cependant le fruit d'un
labeur de bibliothèque.
Nous l'avons conçu et nous en avons trouvé
les éléments principaux sur place, au cours de
longues années passées en Afrique occidentale,
et notamment pendant la dernière mission que
M. le gouverneur général Roume, dans ce but,
nous a chargé d'accomplir dans les posses-
sions anglaises.
Si nous avons pu, au moment même où l'An-
gleterre établissait son pouvoir sur l'Afrique
occidentale, faire la genèse des institutions dont
elle a doté ses colonies, c'est parce que nous
avons été témoin de la plupart des incidents qui
ont marqué l'occupation définitive de ce pays.
En retraçant cette histoire, nous n'avons
point, comme tel a été généralement l'usage
toutes les fois que l'on a voulu raconter Tinter-
vention des races dites « civilisées » auprès des
races dites « primitives », résumé des faits re-
posant uniquement sur les actes du conquérant.
Nous avons toujours, au contraire, considéré
ceux-ci au point de vue de leur influence sur
les indigènes et de leurs conséquences sur leur
vie sociale.
PREFACE IX
Nous avons estimé qu'il n'était pas un seul
de ces actes qui ne dût être envisagé comme
susceptible d'opérer une transformation dans
cette société auprès de laquelle les blancs inter-
venaient pour la première fois, et nous nous
sommes toujours efforcé, avant tout, de retrou-
ver cette influence. En même temps, ainsi, nous
avons pu apercevoir les causes mêmes de cette
politique, dont nous n'aurions vu qu'un aspect
sans intérêt, si nous nous étions borné à l'envi-
sager au seul point de vue de la conquête même,
alors qu'en réalité elle était modelée sur l'ac-
cueil qu'elle recevait et les réactions qu'elle
subissait»
Quelque imparfaits que soient les résultats de
cette tâche, nous croyons que nous n'aurions pu
les atteindre si les problèmes que soulève cette
étude ne nous avaient été révélés dans notre
vie quotidienne au milieu de ces indigènes que
nous avons beaucoup aimés, si nous n'avions un
peu pénétré l'esprit de leur société en partici-
pant à leurs travaux et à leur activité, si nous
n'avions appris à voir en eux autre chose que
des sortes de fantoches.
De la même manière, nous avons reproduit,
le plus souvent possible, les paroles prononcées
au cours des divers événements qui ont marqué
l'installation de l'Angleterre auprès d'eux, soit
PRÉFACE
par leurs chefs discutant les mesures que l'on
voulait leur imposer, soit par les fonctionnaires
qui les instituaient ou qui étaient chargés de les
appliquer.
Nous l'avons fail quelquefois un peu longue-
ment, parce que nous avons pensé que l'on ne
retrouverait plus jamais en dehors de cette his-
toire, les marques de ce premier contact des
races noires avec la race blanche ainsi que les
traces de l'impression produite sur les institu-
tions et l'individualité même de ces peuples,
qui vont se trouver transformés par ce contact
avec une société si dissemblable de la leur.
Dans la rédaction de cette histoire, nous
avons écarté systématiquement tout ce qui lui
était étranger.
11 nous a paru qu'il était actuellement possi-
ble d'étudier les questions africaines d'une ma-
nière technique : nous avons admis que nos lec-
teurs sauraient ce que sont les pays dont nous
parlons, ainsi que les peuples indigènes dont
nous racontons les relations avec l'Angleterre.
Nous n'avons considéré ces relations qu'a
partir du moment où elles devaient produire
l'avènement définitif de l'autorité anglaise, et
nous les avons seules examinées, sans nous atta
cher à faire une fois de plus l'histoire des évé-
nements internationaux que devait provoquer
PREFACE XI
l'occupation de l'Angleterre, Nous n'avons fait
qu'une exception h ce point de vue, en ce qui
concerne les territoires du Niger, parce que
l'on n'a point, jusqu'ici, montré de quelle ma-
nière les relations de l'Angleterre avec les indi-
gènes ont été intimement régies par les consi-
dérations d'ordre international et que là aussi
nous avons dû faire œuvre inédite.
Nous nous sommes attaché à être aussi pré-
cis que possible; cependant, nous n'avons voulu
examiner les institutions législatives qu'en tant
qu'elles ont été le résultat en même temps que
le moyen d'action de cette politique indigène ;
nous avons, par principe, laissé de côté, autant
que nous l'avons pu, toutes les précisions de
détail que l'on peut* retrouver dans les textes
mômes.
Pendant que nous poursuivions cette étude,
nous avons fait un tableau de l'organisation
administrative adoptée par l'Angleterre dans
ses colonies de l'Afrique occidentale ainsi que
de leur situation économique et financière com-
parée avec l'organisation et la situation des
colonies françaises voisines; ce tableau, nous
l'avons précédemment publié*; nous n'y revien-
drons pas.
1. Emile Daiilaud, La situation économique de V Afrique occidentale
anglaise et française, 1 vol., Cliallamel, Paris.
XII PRÉFACE
Nous avons vécu ce livre dans la brousse afri-
caine; mais si nous pouvons espérer avoir re-
trouvé le lien des événements qu'il raconte,
c'est grâce à l'accueil qu'ont bien voulu nous
faire au milieu d'eux, pendant notre vie de co-
lon, ces « marchands » de Liverpool et de Lon-
dres, qui nous ont appris leurs préoccupations
et les espoirs que leur inspirait la manière dont
leur West Africa était gouvejrnée; c'est parce
que ces principaux acteurs de cette histoire
nous l'ont expliquée au moment où elle s'édi-
fiait; c'est parce que, en souvenir de celle qui
avait su illuminer tout ce qui paraissait si
obscur, nous avons été mêlé à la fondation de
l'African Society; au monument qu'elle édifie
à la mémoire de Mary Kingsley, nous sommes
heureux d'apporter cette pierre.
Emile Baillaud,
Institut colonial de Marseille,
14 mars 1912.
INTRODUCTION
L'intervention du gouvernement anglais en Afrique
occidentale a eu pour origine Tinstailation par des
philanthropes anglais, au début du dix-neuvième siè-
cle, des nègres libérés, en un point qu'ils appelèrent
Free Town. Cet acte d'initiative privée eut pour résul-
tat la fondation de toute une colonie. Cette fondation
devait avoir pour conséquence immédiate, à la fois
d'attirer Tattenlion du gouvernement anglais sur l'in-
térêt qu'il aurait à s'installer également auprès de
quelques-uns de ses nationaux qui, pour les besoins de
leur commerce, avaient établi des stations sur la côte,
plus au sud, et lui en donner les moyens par simple
extension des attributions de l'organisme qu'il avait
créé à Free Town.
Cette intervention devait prendre une forme de plus
en plus précise du fait que ces commerçants avaient
besoin d'une protection inutile aux compagnies pour-
vues de droits régaliens qui les avaient précédés,
compagnies qui, dans les siècles précédents, avaient
constitué toute la colonisation européenne dans les
pays tropicaux.
Pour comprendre toute l'histoire de rétablissement
progressif du pouvoir anglais en Afrique occidentale,
XIV INTRODUCTION
il ne faut cesser de considérer que toute l'action de
l'Angleterre dans ce pays eut pour but unique cette
protection, et ne résulta point du désir d'extension
territoriale qui est en général à la base de toute
colonisation.
L'action du pouvoir anglais s'est tout d'abord effec-
tuée sous la forme qui parait la plus simple : l'absorp-
tion complète des régions sur lesquelles elle s'exerçait,
leur assimilation aux terres anglaises et l'octroi aux
habitants d'un statut personnel analogue à celui des
citoyens britanniques. Cela eut lieu par la constitution
de ces pays en Colonies de la Couronne.
Il nous faut, au seuil de cette histoire, définir les
caractéristiques constitutionnelles de ces colonies de
la Couronne, et montrer ensuite comment, bien que ces
colonies aient été l'origine du domaine de l'Angleterre
en Afrique occidentale, ce domaine ne s'est développé
qu'à la faveur d'autres méthodes de colonisation et grâce
à l'action de toute une série de facteurs sans lesquels il
serait resté limité aux étroites frontières de ces colo-
nies primitives.
*
A vrai dire, les Colonies de la Couronne en Afrique
occidentale ne se sont créées que peu à peu, et au
moment où l'Angleterre a donné une constitution défi-
nitive à ces groupements qui s'étaient formés en dehors
d'elle, il y avait longtemps qu'ils étaient- régis par les
principes qui règlent les rapports des nations aux An-
glais sur les autres points du monde; il est tellement
vrai de dire que l'organisation de ces colonies n'a été
INTRODUCTION XV
que la sanction d'un étal de choses ancien, qu'il est
impossible de trouver dans les textes mêmes qui les
ont officiellement fondées la délimitation des terri-
toires qui les forment. Les Lettres Patentes, qui sont
leurs chartes constitutives, se bornent à déclarer
qu'elles sont formées par les territoires devenus, par
usage, conquêtes ou traités, possessions de Sa Majesté
et sur lesquelles elle a acquis le droit de légiférer.
Du fait même de leur origine, les Crown Colonies
devaient rester, en quelque sorte, un prolongement
de la métropole; leur gouvernement n'eut qu'à jouer
un rôle déterminé, limité par l'étendue des droits des
individus qui les composaient, puisque leur fondement
même était le groupement en un point du monde de
citoyens anglais (ou d'êtres qu'ils se sont assimilés)
et qui avaient les mêmes prérogatives juridiques que
celles qu'ont acquises, vis-à-vis des pouvoirs publics,
les insulaires de la Grande-Bretagne.
L'acte fondamental, constitutif, de la Colonie de la
Couronne est celui qui établit le statut personnel de
leurs habitants. Ce statut détermine leurs prérogatives
juridiques, en même temps que la création de la
« Suprême Court » leur applique le système judiciaire
anglais ; le régime foncier est fixé par la déclaration
de prise de possession qui, étendant tous les droits
de Sa Majesté sur ces pays, lui attribue, de ce fait, le
domaine éminent du sol et définit ce qu'est la pro-
priété privée de ces sujets. Une législation spéciale n'a
à intervenir que pour tout ce qui est étranger à ce
statut personnel et concerne simplement les questions
d'intérêt public d'ordre général qui sont propres à la
colonie, questions fiscales ou mesures de simple police.
XVI INTHODUCtlON
C'est uniquement à rétablissement et à Tapplication
de cette législation qu'est réservée l'initiative du pou-
voir local, centralisée complètement entre les mains
du gouverneur, qui agit pour tout le reste comme
représentant de Sa .Majesté.
Dans l'exercice de cette partie de ses attributions, le
gouverneur des Crown Colonies a auprès de lui un
Legtslative Council qui a, théoriquement, les mêmes
pouvoirs que le Parlement auprès du souverain, mais
dont les décisions ne deviennent applicables qu'avec
l'approbation du Secrétaire d'Etat aux Colonies.
Au premier abord, ce qui paraît distinguer surtout
les Crown Colonies des autres possessions de l'An-
gleterre, c'est que les habitants sont soumis à un
système de gouvernement auquel ils ne participent
que dans une mesure excessivement limitée par deux
ou trois représentants dans le Législative Council, où
ils n'ont aucune influence effective.
Cette constatation n'a toute. sa portée que si l'on
considère qu'il s'agit de races indigènes à qui, dans
d'autres régions de cette même Afrique occidentale,
l'Angleterne a laissé plus tard leur personnalité et qui,
dans les Crown Colonies, ont perdu cette personnalité
pour devenir anglaises.
Pour caractériser ce qui constitue le propre des
Crown Colonies, c'est donc surtout à ce changement
de personnalité de leurs habitants qu'il faut s'atta-
cher.
La façon absolue dont ce changement» s'est produit,
non pas sectlement au point de vue juridique, mais, en
fait, au point de vue des mœurs, est la conséquence
primordiale de l'institution du « Crown Colonies sys-
INTRODUCTION XVII
tein » à la côte d'Afrique; cette première conséquence
a provoqué toutes les autres.
Nous n'avons pas à insister longuement sur les carac-
téristiques des indigènes habitant cette partie des posses-
sions anglaises de l'Afrique occidentale qui constituent
les Crown Colonies et qui sont devenus ce que Ton a
appelé les Educated Natives. On a bien souvent décrit la
manière dontils s'étaient assimilé la civilisationanglaise *
il n'y a rien à ajouter à tout ce qui a été dit à ce sujet.
Les noirs de la côte devenus Anglais en droit, régis
par les mêmes lois que les citoyens de la Grande-Bre-
tagne, ayant pris très vite tout ce qui constitue l'appa-
rence extérieure de la civilisation anglaise, soit qu'ils
aient été réimplantés dans leur pays d'origine comme
les anciens esclaves qui ont formé le noyau des colonies
de Bathurst et de Sierra Leone, soit qu'ils aient imité à
la fois ceux-ci et les blancs qui s'étaient installés auprès
d'eux comme à la Gold Coast et à Lagos, ces noirs civilisés
se sont trouvés presque aussi différents des indigènes
qui les entourent que les blancs à l'image desquels ils
se sont façonnés.
Ils ont adopté le costume des Anglais, leur manière
de se loger, leur religion, leurs lois, leur régime fon-
cier; ils ont renoncé, en principe, à la polygamie an-
eestrale, à la pratique de l'esclavage. Ils sont devenus
une anomalie dans les pays qu'ils habitent.
Ces « Ediicated Natives » devaient se cantonner dans
les villes où ils trouvaient facilement à s'employer
auprès des maisons de commerce ou dans les bureaux
du gouvernement, car l'adoption par eux de certains de
nos usages, de notre costume, de notre langue, devait
les éloigner des travaux des champs.
*•
XVIII INTRODUCTION
Tandis que les diverses tribus qui formaient la popu-
lation de l'Afrique occidentale étaient profondément
séparées les unes des autres et que l'action des Euro-
péens avait pu s'exercer sur chacune d'elles sans que
les autres se préoccupassent beaucoup de ce qui leur
arrivait, les « Educated Natives » devaient apparaître
comme le lien qui les unirait dans cette circonstance.
Ayant tous reçu la même éducation et se déplaçant
constamment d'une colonie à l'autre, remplissant
indifféremment dans chacune d'elles les fonctions les
plus diverses, ayant des journaux qui reflétaient leur
opinion, ils subissaient, de la Gambie aux embouchures
du Niger, les mêmes influences et concevaient les
mêmes espérances. Ils se sont peu à peu répandus dans
l'intérieur, le long des lignes de chemins de fer où ils
sont employés et dans les postes où ils servent d'inter-
prètes. Beaucoup de chefs en ont auprès d'eux, et les
emploient comme secrétaires dans leurs relations avec
le gouvernement anglais.
Leur existence a eu aussi cette autre conséquence
de continuer à exciter l'intérêt de cette même classe
de philanthropes qui a fondé Sierra Leone et qui n'a
cessé, par la suite, de se préoccuper de sauvegarder
ce qu'elle appelle les droits de ces indigènes, et
nous verrons intervenir à ce titre une de ces émana-
tions, r « Aborigines' Rights Protection Soc. », pour
se préoccuper, à défaut bien souvent d'en connaître
la portée, de la légitimité des différentes mesures que
voudra prendre le gouvernement.
Pour étendre son pouvoir sur de nouveaux territoires
de l'Afrique occidentale, l'Angleterre devait, soit pla-
cer ces régions sous le régime des Crown Colonies en
lîC^IlODUCTION XIX
imposant à leurs habitants cette transformation com-
plète, soit agir auprès d'eux en leur laissant leur
ancienne personnalité.
C'est ce second procédé qu'elle mit en pratique; la
partie de l'Afrique occidentale érigée en Colonies de la
Couronne resta ce qu'elle avait été des le début.
Aucun incident ne vint modifier la politique initiale.
En nous efforçant de retracer ce qu'a été la politique
suivie par l'Angleterre auprès des indigènes de l'Afri-
que occidentale, nous n'aurons donc point à nous
attacher à la partie de son action qui s'est exercée dans
les Crown Colonies.
- Le caractère absolu que revêt l'assimilation pratiquée
dans les Colonies de la Couronne enlève tout intérêt à
un examen spécial des conditions dans lesquelles s'est
effectuée cette assimilation en Afrique occidentale,
tandis que toute une politique a du être instituée par
ceux qui ont étendu le pouvoir anglais sur les terres et
les peuples de l'intérieur, politique qui a été non seule-
ment la conséquence, mais l'instrument même de cette
domination.
Il est arrivé en effet ceci de très remarquable et d'u-
nique dans l'histoire de la colonisation, que cette exten-
sion s'est faite par des procédés tout autres que ceux
qui avaient conduit à la constitution de la colonie pri-
mitive, et en suivant des principes tout différents : le
noyau qui avait été l'origine de la colonie conserva
sans modification aucune le caractère octroyé dès le
début, et les régions limitrophes sur lesquelles l'auto-
rité de l'Angleterre s'étendit ne participèrent pas à la
même organisation, leurs habitants ne reçurent ni les
mêmes droits ni les mêmes obligations, ils ne devinrent
XX INTRODUCTION
pas des citoyens anglais, tandis que le domaine de leur
sol ne leur était pas enlevé; alors que s'ils avaient été
englobés dans les Crown Colonies, la forme même de
leur institution aurait disparu.
C'est l'histoire de la politique que l'Angleterre suivit
auprès d'eux pour rétablir son pouvoir que nous nous
proposons d'entreprendre ici.
Nous devons cependant nous demander auparavant
pourquoi l'Angleterre a renoncé au système qu'elle avait
adopté primitivement et rechercher quelles influences
a subies son action dans la poursuite d'une politique
toute différente.
Si la préoccupation prépondérante de l'Angleterre,
en intervenant en Afrique occidentale, a été de prêter
assistance à ses négociants, son intervention devait
être régie par le désir plus ou moins grand de l'opi-
nion métropolitaine de voir s'étendre les responsabi-
lités qui en résulteraient.
Aussitôt après l'établissement de l'administration
anglaise à la côte occidentale d'Afrique, l'esprit public
anglais a traversé une longue période de pacifisme,
pendant laquelle il a été hostile à toute complication
extérieure; la conséquence en a été que cette adminis-
tration a été étroitement maintenue dans les limites
qu'elle s'était vu assigner dès le début. Ce n'est
qu'après un siècle d'action, d'influences diverses, que
ces limites seront dépassées et que l'empire anglais
s'étendra pleinement sur les régions qu'il s'est fina-
lement réservées.
Pour comprendre la manière dont s'est exercée la
politique anglaise en Afrique occidentale, il faut donc
songer à la nature de l'opinion métropolitaine qui Ta
INTRODUCTION XXI
guidée, se rendre compte de la mesure dans laquelle
cette opinion Fa inspirée, et connaître les influences
qui sont intervenues pour agir sur cette politique.
Le très beau livre dans lequel M, Jacques Bardoux'
a recherché quelles étaient les causes des tendances
pacifiques ou des crises belliqueuses à la faveur des-
quelles s'est constituée l'Angleterre moderne, vient
très heureusement nous indiquer ce qu'a été cette
opinion publique métropolitaine et la portée qu'elle a
eue sur la politique extérieure de l'Angleterre.
Il nous suffira de renvoyer à cette magistrale étude
pour trouver l'analyse des faits et des mobiles qui sont
l'explication du caractère .dominant de cette politique
en ce qui concerne l'Afrique occidentale.
La fondation du Settlement de Freetown, en 1807, mar-
qua le début de l'ère nouvelle pendant laquelle allaient
se constituer les colonies en Afrique occidentale; mais
ce n'est. qu'à la fin du dix-neuvième siècle que l'occupa-
tion effective de ces tentatives devait se réaliser.
Nous verrons, au cours de cette histoire, comment,
toutes les fois que, par suite de circonstances indépen-
dantes du pouvoir métropolitain, cette occupation a
été en voie de s'effectuer avant ces dernières années,
la volonté de ce pouvoir est intervenue pour Tempe-
cher. On ne peut en trouver la raison que dans ces
causes mêmes qu'a définies M. Jacques Bardoux et qui
ont agi sur la vie publique anglaise pendant tout le dix-
neuvième siècle.
De 1832 à 1874, l'Angleterre a été profondément
pacifiste, et si, pendant cette période de son histoire,
1. Jacques Bardoux, Essai d'une psychologie de l'Angleterre contem-
poratne : les Crises belliqueuses, 1 vol., Âlcan, Paris.
XXH INTnODUCTION
des crises belliqueuses Tout troublée, cela n'a été que
le résultat d'une série de causes qui n'ont exercé qu'une
influence passagère. Ainsi que le montre M. Jacques
Bardoux, toute la série des fadeurs qui ont alors agi
sur l'opinion publique anglaise pendant cette période :
le libéralisme politique, l'idéalisme littéraire, le réveil
religieux, l'évolution industrielle, ont abouti à ce désir
de paix, et la politique d'extension coloniale lui a été
entièrement soumise.
La poussée d'expansion qui, pendant la période
belliqueuse au milieu de laquelle s'est ouvert le dix-
neuvième siècle , devait aboutir à l'établissement de
l'administration anglaise en Afrique occidentale, se
heurta dès les premiers jours à cette tendance paci-
fique et fut arrêtée par l'opinion synthétisée par la
proclamation de R. Cobden en 1835, qui, déclarant
« l'utilité foncière des colonies », adjurait TAngleterre
de ne point suivre l'exemple de l'Espagne, « cette nation
immolée sur l'autel des ambitions transatlantiques ».
L'initiative des philanthropes qui entreprirent en 1797
de rapatrier dans leurs pays d'origine les noirs améri-
cains libérés, et le désir du gouvernement anglais de
donner une base solide à leurs tentatives, en prenant,
en 1791, sous sa domination les terres qui lui avaient
été cédées par les indigènes, aboutirent à l'installation
de son administration en un point de la côte d'Afrique
d'où elle devait facilement s'étendre sur les autres
« setllements » créés par ses négociants : à l'est, à
l'embouchure de la Gambie ; à l'ouest, sur la Côte d'Or
et Lagos.
Le but essentiel de cette administration était de pro-
téger les nationaux anglais contre les indigènes; elle
INTRODUCTION XXIII
rencontra dès le début des vicissitudes diverses, sui-
vant que ces derniers admirent son intervention ou s'y
opposèrent; les luttes qu'elle eut à soutenir contre eux
rendirent nécessaire qu'il lui fut octroyé des attribu-
tions définies. Ces luttes devaient se poursuivre pen-
dant tout le dix-neuvième siècle, mais toujours contre
le gré du gouvernement de la métropole, qui ne devait
cesser de s'opposer à toute extension territoriale en
Afrique occidentale.
Pendant toute' cette période, dans laquelle l'Angle-
terre moderne s'est constituée à la faveur du grand
désir de paix dont M. Jacques Bardoux a défini les
éléments et révélé les raisons, il est facile de compren-
dre cette opposition. Pour expliquer qu'elle se soit
continuée alors que, à la fin du dix-neuvième siècle,
l'Angleterre revenait aux rêves d'extension territoriale,
il faut en chercher la cause dans l'empreinte profonde
laissée par ceux qui avaient voulu que rien ne vînt
troubler la Paix Britannique. Pour expliquer comment
l'idée impériale a fini, cependant, par triompher en
Afrique occidentale, il faut faire intervenir une série
d'influences qui se sont exercées spécialement sur
l'action de l'Angleterre en ce point du monde.
Pendant que les « Etablissements » de la côte occi-
dentale se débattaient au milieu de difficultés innom-
brables, l'autorité britannique ne se faisait sentir sur
les indigènes qui les entouraient que de la manière la
plus précaire; le mouvement de libéralisme qui aboutit
à l'autonomie des grandes colonies, agissait dans toute
sort amplitude. « Le courant libre -échangiste^ est
1. Jacques Dardoux, Les crises belliqueuses, p. 428.
XXIV INTRODUCTION
irrésistible; il emporte d'abord le droit de faveur
réservé aux produits coloniaux (1846-1848), et bientôt le
privilège accordé aux navires anglais par TAcle de
navigation (1840). Les derniers tarifs différentiels sont
supprimés, la chaîne économique est brisée, le lien
politique est menacé, et successivement, de 1852 à 1872,
les grandes concessions britanniques reçoivent leurs
chartes d'émancipation. »
L'Afrique occidentale ne devait pas échapper à ce
mouvement. En 1865, au moment où le gouvernement
anglais songe à abandonner les tutelles après un nou«
veau soulèvement des habitants d'Accra et des Achan-
tis, tandis que les négociants trouvent abusives les
charges que veut mettre sur eux l'administration an-
glaise, le Parlement décide de faire procéder à une
enquête sur « l'état des établissements anglais de la
côte occidentale d'Afrique » et les mesures qu'il pouvait
être opportun de prendre.
Les conclusions du « Select Gommittee » sont con-
nues dans l'histoire de l'Afrique occidentale anglaise
sous le nom de « Déclaration de 1865 »; elles portaient
que « toute extension future de territoire, tout établis-
sement de gouvernement ou tout nouveau traité offrant
protection aux tribus indigènes, devraient à l'avenir
être considérés comme inopportuns. L'objet de la poli-
tique anglaise devait être d'encourager les indigènes
dans la pratique des qualités qui permettraient de lais-
ser entre leurs mains l'administration des Établisse-
ments de la côte occidentale , de façon à pouvoir leur
en abandonner le gouvernement, sauf peut-être eir ce
qui concernait Sierra Leone ». Le Comité demandait
qu'en attendant l'exécution de cette mesure radicale.
INTRODUCTION XXV
tous les Seltlements fussent replacés sous les ordres
du gouverneur de Sierra Leone, mesure qui était effec-
tuée par une « Commission» en date du 19 février 1866.
Un « Administrator » était simplement laissé à la Gold
Coast, sous les ordres du gouvernement en chef de
Sierra Leone.
L'cibandon ainsi prévu des pays déjà occupés en
Afrique occidentale fut impossible, parce qu'il était
trop contraire aux intérêts du commerce anglais ; l'au-
tonomie qui fut accordée aux grands Dominium ne fut
point étendue à l'Afrique occidentale, en raison de la
nature même des populations qui la composaient; le
grand mouvement d'expansion qui devait entraîner de
nouveau l'Angleterre pendant la fin du dix -neuvième
siècle empêcha que la déclaration de 1865 ne fût mise
à exécution; mais les principes qui l'avaient inspirée
déterminèrent le mode suivant lequel l'action de
l'Angleterre devait continuer à s'exercer en Afrique
occidentale.
La déclaration de 1865 eut pour principale consé-
quence d'empêcher l'extension du système des Crown
Colonies sur d'autres régions. La constitution d'un ter-
ritoire en Colonies de la Couronne a en effet pour base
l'acquisition de ce territoire par la Couronne, et de
nouvelles acquisitions étaient solennellement condam-
nées en ce qui concerne l'Afrique Occidentale.
La poussée impérialiste qui marqua la fin du dix-
neuvième siècle et le début du vingtième devait donc
agir sur l'Afrique occidentale par des procédés nou-
veaux et, ajouterons-nous, en dehors même des orga-
nismes qui avaient la gestion des intérêts publics de
l'Angleterre.
XXVI INTRODUCTION
Il faut, en effet, remarquer que, d'une manière con-
tinue, jusque dans ces toutes dernières années, le Co-
lonial Office, qui représentait le gouvernement anglais
dans ces affaires, ne cessa de manifester, sauf pendant
le seul secrétariat de M. J. Chamberlain, une opposi-
tion constante à toute politique d'expansion et à tout
accroissement des attributions des pouvoirs locaux; et
Mary Kingsley est bien autorisée à dire* : « Jusqu'à nos
jours, le Colonial Office a été, excepté dans le détail
des affaires intérieures coloniales, une chaîne d'entra-
ves pour le développement de l'Angleterre en Afrique
occidentale. Il a été non pas indifférent, mais nette-
ment opposé. »
En cela, il subit tout d'abord l'influence de cette
opposition générale que nous avons rappelée et que
toute politique d'expansion rencontra auprès de l'opi-
nion publique anglaise, pendant tout le milieu du dix-
neuvième siècle.
Alors que l'i^ngleterre redevenait nettement impé-
rialiste, le Colonial Office persista dans la même ré-
serve, subissant l'empreinte profonde qu'avait laissée
une politique d'un demi-siècle sur ceux qui avaient été
chargés de l'appliquer.
C'est ainsi que toute cette histoire que nous allons
retracer reviendra à montrer de quelle manière la série
des efforts qui ont contribué à établir l'autorité de
l'Angleterre sur l'Afrique occidentale eut à triompher
de l'inimitié, ou tout au moins de l'inertie du pouvoir
central, et à étudier les incidents qui ont marqué cette
lutte.
1. IVesl African SladieSf p. 305.
INTRODUCTION XXVII
Autant Ton est autorisé à dire que c'est malgré le
gouvernement métropolit^iin que l'Angleterre a acquis
les territoires de l'Afrique occidentale, autant il est
juste et nécessaire d'ajouter que c'est à l'initiative de
ses fonctionnaires locaux, à celle des grands gouver-
neurs qui se sont succédé dans ce pays, qu'elle doit
leur possession.
Nous avons rappelé que c'était uniquement pour pro-
téger des intérêts britanniques existant à la Côte d'A-
frique que le gouvernement anglais avait donné à ce
pays une administration dépendant directement de lui;
c'est donc cette protection que devaient avant tout exer-
cer les fonctionnaires qu'il délégua dans ces régions.
Leur action était limitée par l'étendue des intérêts aux-
quels elle s'appliquait, mais, à côté de la protection des
personnes et des biens, ils devaient se préoccuper du
rôle commercial que les nationaux anglais entendaient
poursuivre en Afrique occidentale; c'est à cet égard que
les limites dans lesquelles le gouvernement métropo-
litain s'efforça de maintenir ses représentants n'étaient
plus définies, et ceux-ci durent les franchir.
Les établissements, « les Settlements » des Anglais
à la côte, constituèrent pendant des siècles des points
isolés, entourés de populations indigènes diverses. Peu
à peu ces indigènes s'associèrent de la manière la plus
intime avec les maisons anglaises dans la poursuite de
leurs opérations commerciales, et le groupement en une
même colonie à la fois de ces établissements et de ces
XXVIII INTRODUCTION
peuples élevés au rang de nationaux anglais fut la
consécration de cette union.
II y eut là un premier stage pendant lequel les repré-
sentants du pouvoir central, agissant en'dehors de toute
instruction, préparèrent cette fusion qu'ils amenèrent
le gouvernement anglais à réaliser.
Ils durent ensuite se préoccuper des rapports des
peuples qu'ils avaient absorbés avec les tribus voisines,
et ce fut là surtout que les difficultés commencèrent;
c'est en s'efTorçant d'en triompher qu'ils amenèrent
l'Angleterre à intervenir dans des régions dans les-
quelles les négociants ne l'appelaient pas encore.
Il arriva enfin qu'ils sentirent tout l'intérêt que
pouvait présenter pour leur pays l'extension de son
influence sur les contrées de l'intérieur, et leur grand
mérite est non seulement d'avoir eu cette intuition et
de s'être attachés à la réaliser malgré le pouvoir cen-
tral, mais encore d'avoir institué toute la politique qui
leur a permis d'assurer la domination de l'Angleterre
sur de vastes régions, sans faire intervenir l'action
directe qui leur était interdite. Ils inaugurèrent pour
cela le régime des Protectorats, alors que la déclaration
de 1865 avait condamné le développement des Crown
Colonies, dont le principe d'assimilation entière cons-
tituerait, du reste, un élément de stérilité absolue pour
toute colonisation qui ne serait pas entièrement artifi-
cielle.
L'histoire dont nous nous proposons de définir les
éléments dans ce livre sera celle de la politique de ces
hommes dont les noms ont été Maclean, Hewett, Sir
G. T. Carter, Sir B. Griffith, Sir F. Cardew, Sir Harry
Johnston, Sir J. P. Rodger, Sir G. Denton, Sir W. Mac-
INTRODUCTION XXIX
Gregor, Sir W. Egerton, Sir F. Lugard. C'est grâce à
la compréhension profonde des nécessités auxquelles
ils avaient à faire face qu'ils ont pu étendre le pou-
A'oir de la métropole sur toute une partie de l'Afrique.
A ces hommes l'Angleterre ne saurait garder trop de
reconnaissance.
A côté de leur influence il faut placer celle des né-
gociants établis dans le pays.
A vrai dire, ces négociants agirent comme des con-
seillers très fermes qui retinrent l'attention du gouver-
nement central sur des régions dont il paraissait enclin
à se désintéresser, plutôt que comme des pionniers qui
se seraient installés dans des terres de plus en plus
lointaines où le gouvernement aurait dii les suivre.
Tout d'abord, il faut remarquer que l'Angleterre n'a
point eu en Afrique occidentale à diriger une vérîlable
colonisation. Les nationaux dont la présence l'attira
et la retint dans ce pays furent très nombreux et s'a-
donnèrent uniquement au commerce. Ils se conten-
tèrent de fonder des établissements sur les points
facilement accessibles de la côte ou des rivières. Ils
ne demandèrent à l'Administration d'intervenir au-
près des indigènes que dans la mesure la plus limitée
possible. Nous ne les verrons, en général, s'adresser
à elle que pour lui indiquer de quelle manière devait
s'appliquer son intervention dans le règlement des
rapports qu'elle entendait instituer entre indigènes et
colons.
C'est, cependant, grâce à l'appui qu'ils trouvèrent
auprès de ces négociants que les administrateurs
locaux purent retenir l'attention de l'administration
•métropolitaine, car c'est pour assurer la libre circula-
XXX INTRODUCTION
tion des peuples de Tintérieur vers les comptoirs, en
même temps que par une haute compréhension du rôle
que devait jouer leur pays en Afrique, que ces gouver-
neurs dont nous venons de citer les noms se préoccu-
pèrent d'étendre l'autorité de l'Angleterre.
Cette action du gouvernement anglais fut donc bien
différente de la politique suivie parla France, qui, dans
la plupart de ses colonies, en Afrique occidentale, en
Indo-Chine, à Madagascar, se préoccupa plutôt d'ou-
vrir à ses négociants des contrées nouvelles que de se
borner simplement à seconder leur initiative.
Il faut ajouter que le caractère de ces entreprises
commerciales devait définir le mode suivant lequel
leurs chefs agirent auprès du gouvernement anglais.
Il n'y ^ eu, et Ton peut dire qu'il n'y a encore en
Afrique occidentale anglaise que de grandes entre-
prises dotées de puissants capitaux. Elles ont consti-
tué et constituent une des formes les plus importantes
de l'activité anglaise, et, grâce à l'étendue des intérêts
qu'elles représentent, elles ont toujours pu exercer une
influence considérable sur les pouvoirs publics. En fait,
c'est la centralisation de la plupart de ces affaires à
Liverpool qui leur a valu de pouvoir lier aux leurs les
intérêts du grand port anglais, et c'est ainsi que nous
verrons la Chambre de Commerce de Liverpool parler
en leur nom et faire siennes leurs demandes et leurs
réclamations.
Il est probable, cependant, que sans l'intervention
particulièrement énergique des deux chefs des plus
grandes de ces entreprises, leur action aurait été insuf-
fisante pour amener l'Angleterre à agir avant que les
nations qui ne limitèrent pas leurs efforts à la protec-
• INTRODUCTION XXXI
lion des intérêts immédiats de leurs négociants eus-
sent réussi à s'attribuer le domaine important que les
Anglais possèdent en Afrique occidentale.
A vrai dire, tous deux n'eurent pas le môme genre
de préoccupations que les autres négociants de l'Afri-
que occidentale et ne furent pas simplement guidés par
le souci du développement de leurs propres affaires.
L'un, Sir George Taubmann Goldie, ancien officier
explorateur, ne porta son activité sur les territoires que
son initiative réserva à l'Angleterre qu'après avoir
conçu l'œuvre qu'il devait accomplir, et n'agît comme
négociant que parce qu'il entrevit la possibilité d'ac-
quérir pour son pays les régions dont il avait appré-
cié l'importance, et parce qu'il pensa qu'une initiative
privée, simplement appuyée par le gouvernement,
pouvait assurer cette possession sans que celui-ci eût
à exercer une action à laquelle il n'était ni préparé
ni disposé.
L'autre, Sir Alfred Jones, ne pratiquait pas d'opéra-
tions commerciales proprement dites en Afrique occi-
dentale. Ses entreprises n'étaient pas consacrées au
simple trafic d'échange sur lequel se concentre toute
l'activité des comptoirs de la côte; il était un armateur
dont les affaires ne pouvaient se développer qu'en
même temps que celles des entreprises dont il assurait
le transport; mais, au lieu de laisser leur progression
suivre celle des négociants au succès desquels il était
lié, il provoqua leur activité en dépassant toujours
d'une manière magnifique leurs besoins par l'étendue
et le perfectionnement des moyens qu'il mit à leur dis-
position; il se fit leur chef en exerçant pour eux une
initiative qu'il trouvait toujours insuffisante.
XXXII INTnODUCTION '
Nous nous efforcerons dans ce livre de découvrir le
mode suivant lequel Sir George T. Goldie a exercé cette
action; nous retracerons, autant qu'il a pu nous être
révélé par Tétude des événements qui l'ont sighalé, le
rôle qu'il a joué dans l'histoire de l'établissement de
l'iVngleterre en Afrique occidentale. Nous n'avons point
à y insister ici. L'influence de Sir Alfred Jones n'appa-
raîtra au contraire que si, toutes les fois que nous ver-
rons agir, de 1890 à 1908, date de sa mort, les grands
corps qui ont parlé au nom du commerce africain, nous
songeons que c'est le président de la Chambre de
Commerce de Liverpool et de sa section africaine qui
a provoqué et dirigé toute leur intervention.
Pour montrer ce qu'a réalisé Alfred Jones pour l'A-
frique occidentale anglaise, il faudrait faire l'histoire
du développement économique de ce pays ; il faudrait
dire ce qu'a été cette activité prodigieuse et évoquer les
grands organismes commerciaux, financiers ou scien-
tifiques qu'il a créés en vue d'en assurer la pleine
exploitation.
C'est tout d'abord cette superbe flotte, forte de plus
de cent navires, qu'il construisait toujours plus grands
et toujours plus beaux, alors que les anciens parais-
saient suffire largement à assurer le trafic en vue
duquel ils étaient créés, et par lesquels il desservait
tous les ports du Nord, anglais, allemands, belges, hol-
landais, la législation étroitement protectionniste de la
France empêchant notre pays d'en profiter. C'est cette
Banque qu'il créa comme un organe nécessaire des
transactions commerciales; ce sont ces institutions,
comme la British Cotton Growing Association, grâce
auxquelles il a su donner un nouvel élément de
INTRODUCTION XXXIII
richesse aux colonies anglaises, et plus particulièrement
à l'Afrique occidentale. C'est ce mouvement minier
qu'il encouragea à la Gold Coast; c'est cette activité
industrielle et agricole qu'il provoqua et en vue de
laquelle il fut, on peut le dire, le promoteur des che-
mins de fer qui ouvrirent les régions vers lesquelles
le simple commerce n'avait pas manifesté le désir de
se diriger.
C'est la Liverpool School of Tropical Médecine qu'il
fonda et dota princièrement, par laquelle il voulait
vaincre le principal obstacle à la mise en valeur de
l'Afrique tropicale, son insalubrité. Ce sont toutes ces
entreprises accessoires, usines, hôtels, qu'il créa tou-
jours dans un même but; c'est cette richesse qu'il
répandît sur les Canaries par la culture des bananes et
des primeurs, et par les visiteurs qu'il leur amena,
richesse qui lui permit de donner à sa flotte un com-
plément indispensable pour atteindre les résultats de la
mise en valeur de l'Afrique occidentale qu'elle devan-
çait toujours; c'est toute cette activité que l'Afrique,
malgré la rapidité de son développement, n'arrivait pas
à absorber, et dont il faisait profiler cet autre beau
domaine de l'Angleterre que forment les Antilles.
L'action des gouverneurs locaux, la politique de Sir
T. Goldie, appuyée par l'esprit d'entreprise de Sir A.
Jones, n'aurait cependant probablement pas réussi à
réserver à l'Angleterre les territoires qu'elle possède
actuellement en Afrique occidentale, si les efforts des
explorateurs français et allemands n'avaient été arrêtés
en partie par un homme qui réussit enfin à transformer
le Colonial Office en un organe d'expansion coloniale.
Mais je ne saurais mieux faire pour résumer la manière
**•
XXXIV ^ INTRODUCTION
dont celte intervention s'est exercée, que de reproduire
ici une" remarquable page de Mary Kingsley^
<( La politique de 1865 est restée la politique du gou-
vernement anglais vis-à-vis de l'Afrique occidentale
jusqu'en 1894. Malgré elle, l'Anglais a tenu bon. Gou-
verneur après gouverneur s'efforcèrent d'éveiller l'a-
pathie officielle dès qu'ils devinrent familiers avec la
nature de la région et virent leur esprit d'entreprise
brisé par les réprimandes ofQcielles et apprirent que
tout ce qu'on leur demandait était de rester tranquilles.
Gela a brisé le cœur de plus d'un homme d'obéir; mais
ainsi aucun mal actif n'était fait à la colonie placée sous
son contrôle, dont les affaires prospéraient financière-
ment si bien entre les mains de la communauté com-
merciale, que non seulement les colonies de l'Afrique
occidentale n'avaient pas de dettes publiques, excepté
Sierra Leone, qui était une station philanthropique, mais
la Gold Goast, par exemple, avait un excédent suffisant
pour prêter de l'argent à des colonies dans d'autres
parties du monde. Le temps vint enfin où l'aigression
de l'Afrique par les pouvoirs du continent accomplit
toutes les tristes prophéties que les marchands de
Liverpool avaient depuis longtemps exprimées, et, l'une
après l'autre, nos possessions de l'Afrique occidentale
ressentirent les effets de l'activité des autres nations et
l'apathie de notre gouvernement; elles l'auraient res-
sentie en vain et auraient finalement succombé sans
deux Anglais, Sir George Taubman Goldie, qui, alors
qu'il était en Afrique occidentale, dans un voyage d'ex-
ploration, reconnut les possibilités des régions du Niger
1. West African SludLes MacMillan and C*, p. 306 el suivantes.
INTRODUCTION XXXV
et assura nos possessions en Angleterre au prix de
grandes difficultés, et M. Chamberlain... Il doit être
compris que ces deux hommes, quelles que puissent
être leurs propres idées concernant leur œuvre, furent
des hommes qui arrivèrent à un moment critique pour
renforcer les marchands de Liverpool, de Bristol et de
Londres, qui avaient pendant des siècles et, pour ne pas
trop préciser, depuis les jours d'Edouard IV, lutté pour
la plus riche terre d'engrais du monde entier, pour les
millions de l'industrie anglaise... M. Chamberlain, seul
parmi tous nos hommes d'Etat, vit les grandes possibi-
lités et l'importance de l'Afrique occidentale, et, pensant
les réaliser, inaugura immédiatement une politique qui
aurait réussi si elle avait eu un terrain sain pour se dé-
velopper; elle ne l'a pas rencontré, elle a eu le Crown's
colony System, et notre espoir pour l'Afrique occidentale
est qu'un homme aussi puissant qu'il a montré l'être
dans d'autres terrains politiques, se montre encore plus
puissant et formule un système complètement nouveau
approprié aux conditions de l'Afrique Occidentale,
et ne se contente pas de la vieille erreur qui impute les
échecs aux individus, blancs ou noirs, fonctionnaires,
marchands ou missionnaires, qui agissent sur le sys-
tème qui seul est à blâmer pour la possession actuelle
de l'Angleterre et de l'Afrique occidentale; mais je
pense que si M. Chamberlain y parvient, il sera plus
grand qu'aucun homme peut raisonnablement espérer
l'être, et je crains qu'il ne soit pas possible de défaire
ce qui a été fait par la résolution de 1865. »
Il y arriva cependant grâce à cette substitution
dont* nous avons parlé de la politique des Protecto-
rats à celle des colonies étroitement assimilées à la
XXXVI INTRODUCTION
métropole et que surent si bien établir ses représen-
tants locaux.
Il restait cependant Fopinîon publique à gagner, et
c'est Mary Kingsley elle-même qui y parvint.
Il faut actuellement un réel effort de pensée pour
mesurer le chemin parcouru dans les dix années pen-
dant lesquelles, de 1890 à 1900, la France et l'Angle-
terre s'établirent en Afrique occidentale. ^
En France, c'est aux explorateurs que nous devons
d'avoir, en même temps qu'ils découvraient ces pays,
triomphé de l'indifférence profonde avec laquelle
l'opinion publique les considérait.
C'est en grande partie la seule Mary Kingsley qui sut
retenir l'attention de l'Angleterre sur l'œuvre qu'elle
devait accomplir en Afrique occidentale et lui indiquer
les moyens qu'elle devait employer pour la réaliser, et
Ton ne sait ce que l'on doit admirer le plus de la rapi-
dité avec laquelle elle pénétra les « possibilités »,
pour employer un mot qui lui était cher, et les besoins
d'un immense pays, ou de la portée de Tinfluence
qu'elle exerçait.
Lorsque, en 1892, elle fit son premier voyage en
Afrique occidentale, personne n'avait encore songé à
rechercher si l'action exercée par les blancs était celle
qui convenait le mieux pour assurer le développement
rationnel de leurs rapports avec les indigènes et quels
étaient les principes sur lesquels cette action devait
être établie.
Pour avoir cette perception et l'imposer, il fallait, à
la place de celte indifférence ou du mépris dont avaient
fait profession presque tous ceux qui, jusqu'alors,
avaient approché des noirs, ressentir ce profond amour
INTRODUCTION XXXVII
qui, chez Mary Kingsley, s'étendit sur tous les êtres et
qui devait aller jusqu'à leur donner sa vie.
Mais ce qu'il y eut d'admirable chez Mary Kingsley,
c'est, autant que cette pénétration et cette sensibilité
merveilleuse, la compréhension parfaite qu'elle a eue
des nécessités des pays qu'elle a étudiés.
Alors que depuis des siècles les hommes de sa race
étaient venus sur la terre d'Afrique, il a fallu qu'une
femme se trouvât pour leur montrer, en une œuvre
telle qu'aucune autre femme n'en a conçu et accompli,
ce qu'ils ne savaient point voir.
C'est tout un livre qu'il nous faudrait écrire pour
indiquer ce qu'a été cette œuvre, pour montrer com-
ment, après avoir pénétré le plus difficile problème
que nous posent les races primitives, leur religion,
leur conception sociale, Mary Kingsley a entrepris,
comme un véritable apostolat, la tâche de faire con-
naître à son pays ces terres qu'il n^e connaissait que
sous le nom « the White Man's Grave », de lui dire de
quelle importance leurs possessions pouvaient être
pour lui, et, avec une hauteur de vue admirable, définir
la politique à suivre auprès des indigènes qui les peu-
plaient, politique qui se résumait dans une coopéra-
tion entière non seulement pour la mise en valeur de
leurs terres, mais aussi pour leur administration et
leur gouvernement.
Ce qui fut peut-être le plus extraordinaire, c'est que
c'est auprès des « marchands » africains qu'elle exerça
l'action la plus importante. Étonnés tout d'abord de la
précision de ses vues, ils trouvèrent en elle Tinterprète
des vérités dont ils sentaient confusément l'exactitude,
mais qu'ils n'avaient su dégager, et, en même temps
XXXVIII INTRODUCTION
qu'elle les leur montrait, elle parlait en leur nom |pour
en demander au gouvernement Tapplication.
C'est ainsi qu'elle se plaisait à dire que son plus
beau titre de gloire était d'avoir été mise par le géné-
ral Lugard au nombre des « merchanls», qui l'accueil-
laient en effet comme un des leurs.
Son dévouement inépuisable à la cause des humbles
et de ceux qui souffraient devait aller jusqu'à donner
sa vie pour eux dans les ambulances des champs.de
bataille du Transvaal, et elle disparut avant d'avoir pu
voir les idées qu'elle avait semées porter leurs fruits.
L'impulsion qu'elle avait donnée devait être assez
forte pour que l'Afrique occidentale anglaise se déve-
loppât dans le sens qu'elle avait indiqué. Sa perte
avait été cependant si prématurée qu'il n'en aurait
peut-être pas été ainsi, si la succession de son apos-
tolat n'avait été pieusement recueilli.
Mary Kingsley avait montré la voie; son amie la
grande historienne M""* J. R. Green et M. E. D. Morel
devaient veiller à ce qu'elle fût suivie.
Non seulement par ses livres, par ses revues : le
West Africa, le West African Mail et le African Mail,
qui resteront l'encyclopédie de toute cette histoire,
M. Morel s'est fait le défenseur des idées que Mary
Kingsley avait émises, les a soutenues grâce à un dé-
sintéressement que l'on ne saurait trop admirer, mais
encore, par son action personnelle auprès de tous ceux
qui, négociants ou fonctionnaires, exploitent l'Afrique
occidentale ou l'administrent, il est arrivé à les faire
triompher.
On sait comment, lorsque Mary Kingsley mourut,
son illustre amie M™* Green considéra comme le plus
INTRODUCTION XXXIX
sacré des devoirs de redonner en quelque manière à
l'Afrique noire le défenseur qu'elle venait de perdre, et
fonda l'African Society pour réunir les efforts de tous
ceux qui pouvaient aider à la connaissance de ce pays
et de ses besoins, et rechercher les moyens propres à
Tadministrer dans Tintérèt des races qui le peuplent,
en même temps que des conquérants.
Pendant que s'édifiait, au cours de ces dernières
années, Tempire de TAngleterre en Afrique occiden-
tale, les publications de M. E. Morel et l'action de
l'African Society ont grandement contribué à réagir
contre la tendance qu'a eue, après le passage de
M. Chamberlain au pouvoir, l'Administration cen-
trale à reprendre les anciennes traditions; et si l'oc-
cupation et l'organisation de l'Afrique occidentale sont
maintenant terminées, c'est grâce à leur appui et avec
le concours des « marchands » que les grands admi-
nistrateurs dont nous allons étudier la politique ont
pu édifier l'empire de l'Angleterre dans ces régions.
• •••••• ,,
La Polidpe indigène de l'Angleterre
EN AFRIQUE OCCIDENTALE
CHAPITRE PREMIER
LA GAmBIE
Nous n^aurons que peu de mots à dire au sujet de
la Gambie.
Pendant fort longtemps, l'influence de l'Angleterre
s'est simplement exercée sur la petite île de Sainte-
Marie érigée en colonie, dotée par conséquent d'un
régime administratif analogue à celui de toutes les
autres possessions de la Couronne.
Les territoires de l'intérieur sur lesquels elle devait,
plus tard, étendre son pouvoir ne sont formés que
d'une étroite bande de terre située le long de chacune
des rives du fleuve, et l'histoire de leur occupation n'a
été caractérisée par aucun des incidents qui nous per-
mettront de définir, pour les possessions plus impor-
tantes de l'Ouest Africain, une politique de l'Angle-
terre spéciale à chacune d'elles.
La Gambie est née du traité de Versailles, qui recon-
nut à l'Angleterre le droit exclusif de commercer sur
les rives du fleuve, tandis que le Sénégal était réservé
à l'action de la France. Ce ne fut pas avant 1807 qu'un
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/
2 LÀ GAMBIE
gouveraement régulier fut donné à cette possession,
qui dépendit tout d'abord de Sierra Leone et lui fut
rattachée en 1821.
Le pouvoir de l'Angleterre était cependant fort pré-
caire et ne s'étendait pas au delà de Bathurst. L'admi-
nistration de cette ville était laissée tout entière entre
les mains des commerçants.
En 1824, ceux-ci adressèrent une pétition au secré-
taire d'État aux colonies pour lui demander qu'une
troupe un peu importante y fût établie à demeure pour
les protéger contre les indigènes. Deux cents hommes
de la garnison de Sierra Leone furent alors détachés
dans la Gambie.
En 1826, fut occupé Barra Point, dont le chef céda
son territoire, qui s'étendait, sur la rive droite, sur une
longueur de 36 milles et une largeur de 1 mille.
En 1830, pour la première fois, il fut nommé un lieu-
tenant-gouverneur à ces Settlements, qui dépendaient
toujours de Sierra Leone.
En 1831, un grand nombre d'esclaves américains libé-
rés furent envoyés à Bathurst, ce qui établit une nou-
velle analogie entre Sierra Leone et la Gambie. En
1836 ces « Liberated Afrîcans » étaient au nombre de
2.836; un fonctionnaire spécial était affecté à leur sur-
veillance.
En 1840, le roi duKombo, et en 1841 le chef du Haut
Niani cédèrent une partie de leur territoire à l'Angle-
terre; néanmoins l'influence de celle-ci en dehors de
Bathurst restait à peu près nulle. Les guerres entre
tribus continuaient comme par le passé ; les commer-
çants se plaignaient de plus en plus du régime qu'on
leur avait imposé; la Gambie fut séparée en 1843 de
LA GAMBIE
,1
I
I
■ *
Sierra Leone, et il lui fut nommé un gouverneur qui
remplissait les fonctions de commandant en chef des
troupes et de vice-amiral du port.
Vers la même époque eurent lieu de nouvelles immi-
grations de noirs américains.
En 1849, le gouverneur Mac Donell ayant voulu, pour
la première fois, faire une longue tournée dans Tinté-
rieur de la colonie, faillit être massacré et n'échappa
kla mort que grâce à l'intervention de quelques indi-
gènes restés fidèles. Le gouvernement anglais jugea
alors nécessaire de faire respecter son autorité plus
qu'il ne l'avait fait encore; une expédition militaire
fut dirigée contre les Keemings et les Bambakos, dont
les villes furent détruites. Une taxe sur les habita-
tions leur fut imposée, qui devint l'origine du système
d'impôt actuellement en vigueur*. Le taux de cette
taxe était de 4 p. 100 de la valeur locative des immeu-
bles; les cases ayant une valeur inférieure à 5 livres ne
payaient qu'un droit fixe de 3 sh. Le taux a été ramené
depuis à 3 p. 100.
En 1851, fut fondé par la Suprême Court Ordinance
le système judiciaire qui existe encore (n° 46, 1851).
La colonie, qui ne se composait que de l'île Sainte-
Marie, de Mac Garthy, de Barra Point et du cap Sainte-
Marie dans le Kombo, comptait 5.693 habitants.
Les tribus avoisinant Bathurst continuaient cepen-
dant leurs déprédations; il fallut diriger, en 1853, une
expédition contre les Kombos qui n'observaient pas les
traités qu'ils avaient passés; puis une seconde en 1855
contre les Sabigis, à laquelle prirent part les Français,
1. Rating système Ordinancey n* 2 of 1850, incorporée dans l'ordon-
nance II de 1891.
V
4 LA GAMBIE
une troisième en 1860 contre les Badibus. En 1861 ces
derniers reconnaissaient par traité le pouvoir de l'An-
gleterre; la même année un résident était établi à
Kombo.
Ce pays fut, en 1864, effectivement réuni à la colonie
'par une ordonnance qui imposait une taxe de 4 sh. par
acre sur les terrains bâtis, et de 8 sh. sur les terrains
cultivés. Le Kombo devait être, en 1903, réuni au pro-
tectorat; le taux de la taxe fu^t alors modifié.
En 1874 la Gambie fut une seconde fois rattachée à
Sierra Leone, dont elle devait faire partie jusqu'en 1888.
En 1881 le gouverneur fut autorisé à envoyer à
Timbo, pour explorer le pays, une expédition* qui
conclut que la Gambie n'était pas navigable au delà de
Barracoundaetque les peuplades de l'intérieur seraient
d'une administration difficile. Cette déclaration, qui
condamnait d'avance toute tentative ultérieure d'ex-
tension, devait limiter l'avenir de la Gambie.
Les exactions des chefs Foddi Kabba et Foddi Sillah
devaient cependant hâter l'établissement définitif du
pouvoir anglais sur les rives du fleuve. En 1887 les
habitants du Fogni et du Jarra demandèrent que le
drapeau anglais fût hissé dans leur village de façon à
les protéger contre ces deux chefs de bandes. Pour
arrêter leurs exactions, il parut aussi désirable à l'An-
gleterre et à la France de délimiter leurs territoires
réciproques, et, le 10 août 1889, était signé un traité
d'après lequel la France reconnaissait comme réservée
à l'influence de l'Angleterre une bande de dix kilomè-
tres de large de chaque côté de la rivière jusqu'aux
1. Parlm. Pap,, G 3065, 1881.
LA GAMBIB
chutes de Barracounda, situées à une distance de 250
milles de Tembouchure, ainsi que toutes les eaux navi-
gables de Vintang Creek.
Dans les années qui suivirent, des expéditions furent
dirigées contre Foddi Kabba et Foddi Sillah, expédi-
tions sur lesquelles nous n^avons pas à insister, étant
donné leur caractère purement militaire. Foddi Sillah,
pris par les Français, fut déporté à Saint-Louis, où il
mourut. L'Angleterre s'annexa la partie ]du Congo qui
ne lui avait point été jusque-là cédée par les indi-
gènes.
Foddi Kabba vaincu s'était réfugié dans l'intérieur,
d'où il ne cessa de créer des difficultés; notamment,
en 1900, il joua un rôle plus ou moins louche dans
l'assassinat du Travelling Commissioner Sitwell, au
cours d'une tentative faite par ce fonctionnaire pour
régler une dispute qui avait éclaté entre les Sankandis
et les Battelings. Le voisinage des territoires français
rendait difficile à l'Angleterre toute action contre Foddi
Kabba, qui réussit à fomenter un petit soulèvement.
Grâce à une action commune au cours de laquelle
Faddi Kabba fut tué, les Français et les Anglais réus-
sirent à rétablir le calme dans la région.
Une partie des territoires situes dans la zone d'in-
fluence de l'Angleterre n'avait cependant pas encore
été positivement annexée par elle. En juin 1901, elle
mit fin à cet état de choses en signant avec Moussa
MoUoh un traité en vertu duquel la portion du terri-
toire de ce dernier qui était située dans la sphère d'in-
fluence anglaise deviendrait une partie du protectorat
de la Gambie. Un résident anglais devait en prendre
charge, le commerce des esclaves cesser ainsi que toute
6 L4 GAMBIE
pratique contraire à rhumanité, et le gouvernement
avoir le droit d'imposer une taxe sur les cases. Moussa
Molloh devait recevoir une redevance de 500 livres •
en échange.
Ce chef, qui avait résidé tout d'abord en territoire
français, devait, dans la suite, venir s'établir dans la
Gambie.
L'administration actuelle de la Gambie a été établie
par les Royal Instructions du 28 novembre 1888, 31
octobre 1898 et 15 novembre 1902.
La colonie, organisée suivant les principes de toutes
les Crown Colonies, est presque limitée à l'île de
Bathurst.
Le système de gouvernement en vigueur dans le
protectorat a été inauguré en 1893 par « l'administra-
tor Tfi Llev\relyn (la Gambie n'a été érigée en gouverne-
ment qu'en 1900), qui nomma trois travelling commis-
sioners.
Le Protectorat est divisé actuellement en cinq dis-
tricts, qui dépendent chacun d'un travelling commis-
sioner.
Le premier est formé du Kombo, du Fogui et du
West et West Central Kiang.
Le Kombo est divisé en cinq parties : Kombo Saint
Mary ou British Kombo, North, South, Central et East
Kombo. Sa superficie est d'environ 450 milles carrés,
et sa population d'environ 7.050 habitants. Le Fogni
est divisé en West Fogni, Vintang, Freffet, Karansî,
East Fogni, Kansala et Bondali. Sa superficie est de
335 milles carrés, et sa population d'environ 5.750 ha-
bitants.
LA GAMBIE i
Le South Bank District comprend TEast Central et
TEastern Kiang. L-Eastern, le Central et le Western
Jarra et TEastern et Western Niamina. Sa superficie est
d'environ 725 milles, et sa population de 19.000 habi-
tants.
L'Upper River District comprend le Kantora et le
FuUadu East sur la rive gauche, le Wuli et le Sandu sur
la rive droite. Sa superficie est de 950 milles carrés, et
sa population de 37.000 habitants.
Le Mac Carthy Island District est divisé en Upper
Niani, Lower Niani, Eastern Saloum, N'Jau et Nianija,
Il a 440 milles carrés et 16.000 habitants.
Le North Bank District comprend T Upper et Lower
Baddibu, le Jokado, le Lower Saloum et le Lower et
Upper Niumi. Sa superficie est de 800 milles carrés,
et sa population de 45,000 habitants.
La Protectorate Ordinance de 1894 a fixé les pou-
voirs des Commissioners. Elle a été remaniée par l'or-
donnance du 11 avril 1902 (n*^ 7).
Chaque district dépendant d'un Commissioner est
lui-même divisé en districts à la tète desquels est un
Head Chîef. Chacun de ces districts est divisé en sous-
districts commandés par un Head Man.
Le gouverneur a les mêmes pouvoirs dans le protec-
torat que dans la colonie sur « ail things that belong to
his office »•
Les Head Chiefs et Head Men sont, vis-à-vis du gou-
verneur, responsables du bon ordre de leur district ou
sous-district. Il peut les punir d'amende, de suspen-
sion ou de révocation, indépendamment des châtiments
ordinaires qui peuvent leur être infligés pour infrac-
tion au droit commun.
8 LA GAMBIE
Hs ontjle pouvoir d'arrêter les criminels, de mainte-
nir Fordre/de faire]mettre à exécution les ordres des
Commissioners et les jugements des tribunaux indi-
gènes ou anglais. Dans Texercice de leurs fonctions ils
ont, ainsi que leurs agents, toutes les prérogatives et
tous les'droits qu'ont les juges et les officiers de police
d'après la loi anglaise.
Dans chaque district il y a un tribunal nommé le
« Native tribunal of the district ».
Les membres de ce tribunal, dont le nombre ne doit
pas dépasser sept, sont en général nommés par le chef
du district, mais ils peuvent être aussi choisis par le
gouverneur. Le quorum est de trois membres, le pré-
sident ayant voix prépondérante.
Ce tribunal est compétent au criminel dans une série
de cas déterminés par l'ordonnance. Cette compétence
est la même que celle de la Police Court de Bathurst et
s'étend aux délits ordinaires, « minor cases », qui n'en-
traînent pas une amende supérieure à vingt livres ou
six mois d'emprisonnement.
Les crimes (indictable offences) sont réservés à la
Suprême Court de Bathurst, qui, au civil, a la même
compétence que la cour des requêtes de la colonie ;
cette compétence ne s'étend cependant qu'aux procès
dans lesquels l'immeuble objet du litige est situé dans
le district, et ceux dans lesquels les deux parties y
sont domiciliées.
Les indigènes nés dans la colonie et tout sujet de
l'Angleterre ou d'un pouvoir civilisé qui comparais-
sent devant un tribunal uniquement composé d'indi-
gènes peuvent demander à comparaître devant le Com"
missioner, qui peut, suivant les cas, les renvoyer
LÀ GAMBIE 9
devant la Police Court ou la Court of request de Ba-
thurst.
Les Commissioners ont la superintendance de tout
leur district. Lorsqu'il n'y a pas d'Head Chiefs, ils peu-
vent exercer leurs pouvoirs directement.
La Suprême Court, la Police Court of request et
tous autres tribunaux de la colonie ont la même
compétence dans le protectorat que dans la colonie,
c'est-à-dire que toute cause qui est de la compé-
tence d'un tribunal indigène peut être plaidée de-
vant eux.
Lorsqu'une session de la Suprême Court a lieu dans
le Protectorat, le gouverneur peut dispenser tel ou tel
de ses membres (attorney- gênerai, sheriff, clerk of
court, etc.) d'en faire partie, et le Chief justice peut
modifier les règles qui concernent la production des
pièces devant la cour.
Lorsqu'une cause provenant du protectorat est jugée
par la Suprême Court, il n'y a pas de jury, et le Chief
magistrate est seul juge, qu'il s'agisse d'une question
de fait ou d'une question de droit. Le gouverneur peut
nommer des assesseurs pour siéger avec le Chief ma-
gistrate, mais seulement comme conseil (advisory).
Appel peut être fait des décisions des tribunaux
indigènes du protectorat ou de la Court of Request et
de la Police Court devant la Suprême Court. Appel des
jugements de la Suprême Court de Bathurst peut être
fait devant la Suprême Court de Sierra Leone.
S'il paraît à un tribunal de la colonie qu'une cause
sera mieux jugée par un tribunal indigène du Protec-
torat que par elle, elle doit la lui adresser.
Les lois en vigueur dans le Protectorat sont des lois
10 LÀ GAMBIB
indigènes dans la mesure où elles ne contiennent rien
de contraire à Thumanité ou au droit naturel.
Elles régissent la propriété du sol, qui reste acquise
de ce fait aux indigènes avec lesquels doivent traiter
les Européens.
Les Pouvoirs qui sont reconnus aux chefs sont ce-
pendant entièrement nominaux, car les indigènes nés
dans la colonie et tous sujets d'un pouvoir civilisé peu-
vent demander à être jugés, non par les tribunaux pu-
rement indigènes, mais par le Commissioner du district,
qui peut (et en fait doit, si une des parties le demande)
les renvoyer devant les tribunaux de la Colonie à Ba-
thurst. En outre, tout indigène peut faire appel devant
le Commissioner de son district, qui peut lui-même de
sa propre autorité suspendre les affaires en instance
devant les trihnnaux indigènes ou les porter devant
la Suprême Court.
Enfin, les affaires où sont intéressés des chefs (Head
Chiefs) dépendent de Tadministrateur anglais ou des
tribunaux de la colonie.
En somme, la distinction qu'il y a entre la Colonie et
le Protectorat consiste simplement en ce que les lois
indigènes et le Statut des indigènes peuvent continuer
à s'appliquer dans le Protectorat et que la société indi-
gène reste régie par ses coutumes; mais le pouvoir des
chefs, c'est-à-dire l'indépendance de la communauté
indigène par rapport au pouvoir anglais, est purement
nominale.
On peut dire que ce système est appliqué en fait
dans les colonies françaises de l'Afrique occidentale.
Au point de vue général, l'histoire de l'établissement
LA GAMBIE 11
des pouvoirs anglais en Gambie n'offre qu'un point
remarquable : le temps qu'ont mis ces pouvoirs à s'éta-
blir effectivement sur un aussi petit territoire, oii Tef-
fort que représentait l'occupation était insignifiant. Ce
n'est que dix ans après qu'elle eut réclamé de la France
la possession des rives de la Gambie que l'Angleterre
y a établi réellement son administration.
C'est un petit exemple, mais des plus probants, de
cette résistance que nous la verrons apporter, au cours
de toute l'histoire que nous allons retracer, à l'établis-
sement du principe de son autorité dans des pays dont
elle avait entendu cependant se réserver la domination.
CHAPITRE II
SIERRA LEONE
La fondation de la Colonie.
L'histoire de la fondation de Sierra Leone est trop
connue pour que nous ayons à insister longuement sur
ses détails.
On sait qu'après le jugement de Lord Mansfield qui,
en 1772, déclara libres les noirs, au nombre de près de
14.000, que les planteurs américains avaient amenés à
Londres, comme ouvriers ou domestiques, un comité
fut formé par Hanway et GranvîUe Sharp pour leur venir
en aide. Il fut décidé qu'on renverrait ces noirs en Afri-
que occidentale et — chose déplorable — qu'on leur
adjoindrait un certain nombre de femmes blanches aux
mœurs légères. Le 9 mai 1787 partit pour Sierra LeonQ
une expédition de 400 noirs et de 60 blancs ou blanches^
qui obtint du roi Naibana une cession de terres à King
Town, environ 20 milles carrés, comprenant l'emplace-
ment actuel de Free Town. Cette concession fut confir-
mée par le traité du 22 août 1788; mais la population
de la nouvelle colonie fut rapidement dispersée par la
maladie et par les luttes contre les naturels du pays.
En 1790, Granville Sharp fonda la « Saint George Bay
Association », qui devait commercer avec Sierra Leone.
Elle fut « incorporée» en 1791 et prit le titre de Sierra
Leone Go. D'après ses statuts, cette association avait
LA FONDATION PE LA COLONIE 13
pour but principal d'introduire la civilisation euro-
péenne en Afrique. L'acte d'incorporation portait que
les terrains cédés à la Sierra Leone Go, avaient été
attribués (yested) à la Couronne. On peut voir dans cet
acte la fondation de la colonie.
La compagnie envoya en Afrique, en 1791, un agent
qui rassembla les survivants de la première expédition
et les installa à Granville Town.
, En 1792, des noirs habitant la Nouvelle-Ecosse depuis
la guerre américaine et qui ne supportaient pas le
climat de ce pays, demandèrent à être expédiés en Afri-
que. La compagnie les établit, au nombre de 1.131, sur
remplacement précédemment occupé, qui prit alors le
nom de Free Town. Des troubles ne tardèrent pas à
éclater entre les anciens colons et les nouveaux venus,
et la maladie exerça parmi eux ses ravages. En 1794 la
ville fut brûlée par les Français. Cependant le père de
l'historien Macaulay, qui gouvernait la place, parvint à
y rétablir Tordre, et en 1798 Free Town comptait 300
maisons et 1.200 habitants.
Il devenait nécessaire, cependant, de donner à la
compagnie des pouvoirs suffisants pour qu'elle pût
administrer ses établissements. En 1800, elle obtenait
une « Charte de justice »; les terres qui avaient été
cédées à la couronne par les chefs lui furent remises
contre payement annuel d'un loyer de 10 shillings; ses
directeurs reçurent l'autorisation d'acheter d'autres
terres, et l'ensemble de ses possessions fut constitué
en colonie sous le nom de Sierra Leone. La compa-
gnie avait le droit de nommer un gouverneur et de lui
adjoindre un conseil.
En 1800, 1.650 Jamaïcains marrons envoyés à Sierra
14 SIERRA LEONE
Leone furent un excellent appoint qui aida la compa-
gnie à maintenir en paix les Novascottiens. Celle-ci eut
cepen(ftnit4i& grandes difficultés à administrer le pays,
car, dès 1807, un acte êm Parlement rendit la colonie à
la Couronne. La compagnie se tramfiwma en Vu Afri-
can Institution », qui ne devait plus jouer qtr^inà rôle
philanthropique.
Lorsque fut dissoute TAfrican Co, la dernière des
compagnies à charte anglaise qui commerçaient en
Afrique occidentale, Sierra Leone devint le siège du
gouvernement de tous les établissements anglais de
la côte occidentale.
Le 10 juillet 1807, les chefs Firama et Tom cédèrent
à la couronne toutes les terres qu'ils possédaient dans
la péninsule de Sierra Leone. Il en fut de même en 1818
pour les îles de Los.
Entre 1819 et 1825, le gouverneur de Sierra Leone
passa un certain nombre de traités, notamment avec
les chefs du Sherbro; mais ces traités ne furent pas
ratifiés par le gouvernement anglais, qtii n'était pas
favorable à de nouvelles extensions de territoire. De
nouvelles conventions eurent lieu cependant dans tout
le courant du siècle, en 1861, 1873, 1876; en 1882 la
plupart de ces traités furent ratifiés, et la colonie ac-
tuelle proprement dite de Sierra Leone fut, depuis,
composée de deux groupes de territoires : le groupe de
Sierra Leone, ayant environ 35 kilomètres de long sur
22 kilomètres de large, et celui du Sherbro, qui s'étend
sur une longueur d'à peu près 120 kilomètres et dont
la largeur n'a jamais été bien déterminée. Ces deux
territoires étaient réunis par une étroite bande côtière.
En 1886, une convention passée avec la République
LA FONDATION DB LA COLONIE 15
de Libéria et, en 1882, 1889, 1891, des conventions pas-
sées avec la France établirent les limites Est et Ouest
de la colonie.
Dans le courant du siècle, des traités signés par des
chefs de Tintérieur avaient eu pour objets principaux la
suppression de la traite, la cessation des guerres entre
tribus, l'ouverture du pays au commerce et aux mis-
sionnaires; mais ce n'est que sous l'administration de
Sir James Hay (1888-1891) que le gouvernement anglais
résolut d'adopter une politique ferme d'expansion ter-»
ritoriale. Deux Travelling Commissioners furent nom-
més, C. Garret et Alldridge, et les troupes de la Fron-
tier Police furent organisées dans le but d'établir une
ligne de poste entre Kambia, sur la grande Scarcies,
et la rivière Manoh, afin de protéger les territoires
limitrophes de la colonie contre les agressions des
tribus de l'intérieur. Sir James Hay déclarait cependant
au Colonial Office « que les mesures qu'il proposait
n'avaient qu'un caractère expérimental et que le temps
pourrait seul montrer la valeur et l'importance des résul-
tats que l'on pouvait espérer en obtenir. » Le secrétaire
d'État, en approuvant ces mesures, insistait également
sur ce caractère « expérimental ». De nouveaux traités
furent -cependant passés par les deux Travelling Com-
missioners.
Le pays n'en resta pas moins, en fait, entièrement
entre les mains des chefs, et le gouverneur ne savait
rien de ce qui se passait-dans THinterland, si ce n'est
que l'anarchie y était constante.
Au commencement de 1893, il fut officiellement dé-
cidé que le gouverneur, Sir Francis Fleming, tiendrait
un grand palabre dans le pays des Barri avec les nom-
16
SIERRA LEONB
breux chefs de la région ayant passé des traités avec le
gouvernement anglais. M. AUdridge reçut Tordre de
visiter ces chefs et de les inviter à assister à cette réu-
nion, tâche difficile, ces chefs n'ayant jamais quitté leur
pays et ne se connaissant que pour avoir lutté les uns
contre les autres*. En outre les féticheurs étaient oppo-
sés à toute entente avec le pouvoir anglais. Malgré des
difficultés de toutes sortes, le Travelling Commissioner
fut assez heureux pour parvenir jusqu'à Kanré Lahun
et remplir complètement sa mission ; il revint à Banda
Suma, lieu du meeting, escorté d'à peu près tous les
chefs de la région accompagnés d'une foule nombreuse.
Le palabre se tint le 13 mars. Le gouverneur Fleming
y expliqua aux chefs de quelle manière l'autorité
anglaise entendait s'exercer sur le pays, tout en leur
laissant leur entière indépendance. Cette réunion fit
le plus grand bien à la cause anglaise.
Peu de temps après le meeting de Banda-Suma, le
Konno fut envahi par les Sofas. Le Konno, bien que
ses chefs n'aient eu alors passé aucun traité avec l'An-
gleterre, était dans la zone d'influence que réservaient
à cette puissance les traités internationaux. Les Sofas
essayant de pénétrer plus avant dans la colonie, le
gouvernement anglais estima qu'il y avait lieu de les
repousser vers le haut pays, et, à la fin de 1893, les
troupes du West Indies et le régiment de la Frontier
Force menèrent contre eux une campagne victorieuse,
sous la direction du colonel Ellis.
1. The Sherbro and ils Hinlerland. — T.J, AUdridge. —1 vol. Mac Mil-
lan, Londres, 1901. Ce livre, illustré de la manière la plus remarquable
par les photographies de l'auteur, a une grande valeur documentaire, en
ce qu'il montre comment l'influence anglaise s'est fait tout d'abord sentir
dans le Protectorat.
CHAPITRE III
SIERRA LEONE
L'ordonnance de 1896 sur le Protectorat.
' Le soulèvement.
Sir Francis Fleming, malade, fut remplacé, en no-
vembre 1893, par Sir Frederik Cardew. Ce fonction-
naire, accompagné d'une esôorte de 400 hommes, entre-
prit toute une série de grandes tournées d'un caractère
moitié pacifîque, moitié militaire.
Il parcourut ainsi presque entièrement tout THin-
terland* de la colonie. Le résultat de ces voyages fut
l'ordonnance de 1896, qui proclamait le protectorat de
l'Angleterre sur les régions de l'intérieur et qui en
organisait l'administration (Protectorate Ordinance).
Deux ans plus tard éclatait le grand soulèvement à
la suite duquel l'Angleterre fit enfin la conquête de ce
pays de Protectorat.
La révolte une fois terminée, le gouvernement anglais
envoya à Sierra Leone Sir David Chalmers faire une
enquête sur les circonstances qui l'avaient provoquée.
La publication des résultats de cette enquête* donna
lieu à un échange de vues entre le gouverneur de la
colonie, le Colonial Oflice et Sir David Chalmers, et ces
1. Report by Her Majeslij's Commissioner and Correspondance on the
sabject of the insurrection in the ^Sierra Leone Protectorate. — P. p., G 9388
et G 9391, 1899 (!•' vol. i^-f^ 175 pages, 2- vol. in-f% 692 pages).
2
18 SIERRA LEONE
documeuts jettent le plus grand jour sur la politique
appliquée par TAngleterre pour établir son influence
dans ce pays.
Nous allons tout d'abord analyser ces graves événe-
ments en suivant l'interprétation qu'en donne Sir D.
Chalmers; nous examinerons ensuite les explications
que donnèrent à leur sujet le gouvernement de Sierra
Leone et le Colonial Office. Nous remettrons à la fin de
cet ouvrage la recherche des conclusions auxquelles
nous devons nous arrêter, les causes du soulèvement
étant, à notre avis, intimement liées à la politique
générale de l'Angleterre en Afrique occidentale, bien
plus qu'à l'application de telle ou telle mesure parti-
culière, comme on s'est obtiné à l'affirmer.
D'après Sir D. Chalmers, Sir F. Cardew se borna,
pendant ses deux premières tournées de 1894 et 1895, à
expliquer aux chefs comment l'Angleterre entendait
supprimer les razzias et la traite des esclaves. Ce ne fut
qu'en 1896 seulement qu'il fit allusion à la façon dont
il entendait exercer son pouvoir.
L'établissement du Protectorat avait été décidé par
un Order in council du 24 août 1895 portant « qu'at-
tendu que Sa Majesté avait acquis des pouvoirs (juris-
diction) sur certains pays de la côte occidentale d'Afri-
que avoisinant la Colonie de Sierra Leone, Sa Majesté
voulait bien, sur et avec l'avis de son conseil privé,
ordonner qu'il serait légal pour le Législative Council
de la Colonie de Sierra Leone d'exercer par des ordon-
nances les pouvoirs que Sa Majesté avait acquis ou
pouvait acquérir sur ces territoires ».
Le 16 septembre 1896, la première des ordonnances
l'ordonnance de 1896 sur le protectorat 19
prévues par cet ordre « déterminait le mode suivant
lequel serait exercé le pouvoir de Sa Majesté dans
les territoires adjacents à la Colonie de Sierra Leone »
[an Ordinance to détermine the mode of exercising Her
Majesty's jurisdiction in the ferritories adjacent to the
dolony of Sierra Leone),
Cette ordonnance, connue sous le nom de Protecto-
rate ordinance, établit la domination de TAngleterre en
lui reconnaissant le droit de modifier l'état social indi-
gène par la suppression de l'esclavage, en plaçant les
chefs sous l'autorité de ses fonctionnaires au point de
vue politique et judiciaire, en lui donnant le domaine
éminent sur les terres, et en établissant à son bénéfice
le principe de l'impôt.
L'Hinterland est divisé en cinq districts : ceux de Ka-
rene, Roniotta, Bandajuma, Panguma et Koinadugu,
placés chacun sous les ordres d'un District Commis-
sioner.
Le Commissioner connaît seul des procès entre tri-
bus, des questions d'esclavage et de tous les cas ou
interviennent des étrangers. Assisté des chefs, il juge
des crimes, meurtres, crimes fétichistes, etc., et seuls
les cas de dettes et les menues causes sont laissés aux
tribunaux des chefs.
Les chefs doivent se conformer aux décisions édic-
tées par le gouverneur, et toute personne qui s'oppose
aux ordres d'un fonctionnaire est passible d'une amende.
Sa Majesté possède les terres vacantes et a droit
d'expropriation sur les autres. Elle a seule le droit
de donner des concessions d'exploitation de mines;
les cessions de terres faites par des indigènes à des
étrangers doivent être approuvées par le gouverneur.
20 SIERRA LEONE
r
ï Le commerce des esclaves est déclaré illégal; les per-
i^ sonnes en état de servitude au moment de la proclama-
! • tion peuvent se libérer en se rachetant d'après le taux
fixé par le gouvernement (au plus 4 livres sterling pour
les adultes et 2 livres pour les enfants). Les enfants des
personnes qui ont racheté leur liberté naissent libres.
Au point de vue ^e l'impôt, l'ordonnance établit le
principe des droits de douane sur les marchandises
entrant dans le protectorat, ainsi qu'une taxe sur les
habitations payée en espèces dans la mesure du pos-
sible (10 sh. pour les maisons ayant quatre chambres
ou plus, et 5 sh. pour celles ayant moins de quatre
chambres).
La vente des spiritueux n'est permise que contre
payement d'une licence.
Il semble que cette ordonnance ait été due en grande
partie à l'initiative de Sir F. Cardew, car le 5 décembre
1896 celui-ci, qui en avait communiqué le texte au Se-
crétaire d'État, reçut par télégraphe l'ordre de rappor-
ter la partie qui concernait le régime des terres, sous
prétexte que la matière méritait plus ample considéra-
tion. Quoi qu'il en soit, le gouverneur n'avait pas moins
promulgué la rédaction primitive de l'ordonnance, et il
en avait fait adresser un commentaire à tous les chefs*.
Dans la tournée qu'il fit en 1896 avant de promulguer
l'ordonnance, il en prit le contenu pour sujet de ses pala-
bres. Sir David Ghalmers estime que dans ces réunions
le gouverneur se préoccupa beaucoup plus de faire
comprendre aux chefs les dispositions de la future
1. Loco cit., Appenilix II, vu.
l'ordonnance de 1896 sur le protectorat 21
ordonnance, que de se rendre compte de la manière
dont ceux-ci pouvaient l'accueillir.
Des pétitions cependant ne tardèrent pas à arriver
contre la nouvelle législation*, protestant surtout contre
les restrictions apportées au commerce des captifs et
déclarant trop lourde la taxe sur les cases. Une de ces
lettres, qui fut adressée au gouverneur par rinlermé-
diaire de sir Samuel Lewis, le célèbre avocat indigène
de Free Town, et qui porte la marque de 64 chefs de
Sulinia et du Gallina, était particulièrement caractéris-
tique. Elle était ainsi conçue* :
«... Nous vous prions d'écrire à Son Excellence pour
nous, car nous considérons que les lois qu'elle nous a
adressées sont trop fortes pour un indigène. Nous n'a-
vions point eu connaissance de cette ordonnance jus-
qu'à maintenant où nous la voyons tout d'un coup; elle
fait un grand bruit dans le pays. Tous nos gens s'en
vont dans le pays de Tawoh, sous la dépendance de Li-
béria... Son Excellence nous a donné l'ordre de nettoyer
les routes, de ne pas nous emparer les uns des autres
et de ne pas nous battre ou de tuer sans motif; nous
avons accepté toutes ces lois; mais maintenant nous
voyons que nous sommes en captivité, nous ne sommes
pas libres. Nous savons que notre pays n'a pas été pris
1. Lettre du 19 septembre 1896 de Bey Sama, Bey Sharbro et de TAl-
mani Hanna, Modu. Loco cit.y Appendix II, vin.
Lettre du 26 octobre 1896 de Bey Simra, loco cil., Appendix II, ix.
Lettre du 20 octobre 1896 des chefs de Morfuay, loco cit., Appendix II, x.
Lettre du 14 décembre 1897 du district de Nafwé, irf., i.
Lettre du 19 novembre 1896 de Bay Kompah, fd., xii.
Lettre du 3 novembre 1896 de Madam Yolto, id., xiii.
Lettre du 18 juin 1897 des chefs Timéni, id., xiv.
2. Lettre du 18 décembre 1896 des chefs de Sulima et Gallinas à Sir S.
LeAvis G. M. G., id., xv.
22
SIERRA LEONE
par conquête, nous l'avons donné seulement à la Reine
pour le protéger, et nous trouvons maintenant qu'elle
Ta pris et non pas protégé. Si nous avions su que tel
aurait été le cas, nous n'aurions pas consentie signer le
traité avec Son Excellence le gouverneur Haveloch, qui
nous avait dit le contraire. Nous savons que Sa Majesté
la reine Victoria est une reine miséricordieuse, elle ne
prendra pas notre pays par force. C'est pourquoi nous
avons accepté. Oh! Sir! la nation pleure pour miséricorde.
Au lieu que le pays construise (des maisons), il se casse.
Tous s'en vont. Vous pouvez voir dans le pays des gens
si pauvres qu'ils n'ont même pas un pagne du pays pour
se couvrir, mais ils peuvent pourtant construire de
sales petites cases pour y habiter; et où trouver de l'ar-
gent pour payer la taxe pour la maison? Quelques-uns
n'ont que 10 shillings pour vivre, et comment feront-ils
pour trouver deux livres pour payer la licence qui leur
donnera le droit de vendre ces 10 shillings de marchan-
dise ?... »
Il semble que l'honorable avocat eut quelques scru-
pules personnels à défendre cette cause, car, après en
avoir conféré avec l'attorney-general de la colonie, il
se borne à mentionner cette lettre à une réunion du
Législative Council.
Le 28 juin 1897, à la suite des cérémonies qui eurent
lieu à Freetown en l'honneur du jubilé de la Reine,
une nouvelle pétition importante fut adressée au gou-
verneur par les chefs du pays Timini et Kwaia, avec
prière de la transmettre à la reine. Ses dispositions
principales étaient les suivantes :
« Priver les chefs du pouvoir de juger les contesta-
tions au sujet de leurs terres, cela revient à leur ôter
l'ordonnance de 1896 sur le protectorat 23
tout pouvoir sur leur pays. Le pays se dépeuple, et la
Huf'taj'^ empêchera les indigènes d'y revenir. Ils sont
trop pauvres pour la payer. Le poids en retombera sur
les chefs, et comme ils n'ont pas non plus les moyens
de payer, leurs villes et leurs villages seront ruinés.
L'ordonnance dispose que les chefs seront punissables
s'ils jugent des cas qui ne sont pas laissés à leur com-
pétence ; comme ils sont cependant responsables de la
conduite de leurs sujets, ils craignent d'être obligés
d'encourir de graves peines. Les droits de licences res-
treindront le commerce, et une grande partie des droits
d'importatipn retombera sur eux. Ils repoussent toute
idée de vouloir revenir à la traite des esclaves, mais ils
demandent que leurs esclaves de famille ne soient pas
encouragés à les quitter. Ils protestent contre le pouvoir,
donné aux Gommissioners, de déporter ou de bannir
sans jugement toute personne qu'ils jugeront bon. »
Les pétitionnaires demandaient au gouvernement de
leur garantir la pleine jouissance de leur pays et de
leurs anciennes coutumes, à l'exception de celles qui
pouvaient être incompatibles avec les lois de Dieu; de
les préserver des conséquences d'une taxe qui serait
ruineuse dans l'état actuel du pays; de leur accorder
la liberté du commerce sans droit de patente; de ne pas
abroger l'ancien privilège d'appel auprès du gouver-
neur de Sierra Leone; de ne pas exposer les chefs et
les sous-chefs à être déshonorés par la peine infamante
de la fustigation ou de l'enchaînement.
Les pétitionnaires voulurent attendre à Freetown la
réponse qui serait adressée à leur requête; elle fut
1. Nom donné à l'impôt sur les maisons. Dans la proclamation il est
dénommé Iloase-lax, Mais Sir David Ghalmers adopte Hut-tax.
24 SIRRnA LEONE
brève*. Le secrétaire des affaires indiofènes reçut Tor-
dre de les informer que «la taxe sur les cases proposée
était nécessaire pour améliorer le pays et le mettre en
valeur, et que le gouvernement avait tout lieu de penser
que la manière dont il se proposait d'administrer le
Protectorat favoriserait le commerce, ce qui leur per-
mettrait de payer les taxes. En ce qui concernait les
droits et les usages indigènes, les chefs se faisaient une
idée fausse des changements qu'apporterait l'ordon-
nance, et on leur expliquerait avec soin que le gouver-
nement ne s'attribuait point la propriété de terres pri-
vées.
Le 18 septembre 1897, les mêmes chefs adressèrent
à la Reine une nouvelle pétition, dans laquelle ils insis-
taient sur l'impossibilité de payer la taxe sur les cases;
le 15 octobre ils remettaient au Législative Council,
par l'intermédiaire de Sir Samuel Lewis, une requête
analogue à leur première lettre; le 26 octobre ils en-
voyaient un télégramme au secrétaire d'État pour les
colonies, dans lequel ils sollicitaient la réduction de la
taxe'.
A son retour d'Angleterre, où il avait été en congé,
Sir F. Cardew fit aux chefs un discours dans lequel il
examinait le bien fondé de leurs craintes et indiquait
les intentions du gouvernement'.
Il expliquait comment, avant l'avènement du pouvoir
anglais, le Protectorat était décimé par les guerres et
les rapines, comment les cultivateurs manquaient de la
1. LeUre du 15 septembre 1897 du secrétaire des affaires indigènes à
Bai Kompali et autres, id,j xx.
2. Loco ciL, XXI-XXII.
3. Text of an address given hy the governor io certain Chiefs of the
Karene District at Freetown on the lô^^ Aovember 1897, id., xxn i.
l'ordonnance de 1896 sur le protectorat 25
sécurité nécessaire à leur agriculture; alors les com-
merçants étaient pillés sans cesse, la propriété des
choses n'existait point, pas plus que celle des person-
nes. Le gouvernement anglais avait rétabli la paix et
le bon ordre. L'autorité des chefs était soutenue non
par la force brutale et les guerres, mais par le pouvoir
du gouvernement. Aussi longtemps qu'ils resteraient
loyaux, qu'ils gouverneraient avec équité, ils auraient
cet appui. Le gouvernement ne devrait administrer que
par leur intermédiaire, et il était donc de leur intérêt
de lui apporter leur concours. Ce maintien de Tordre
dans le Protectorat coûtait de grosses sommes et ne
pouvait plus être laissé uniquement à la charge de la Co-
lonie. La taxe proposée n'était pas plus élevée que celle
qui était prélevée dans les autres pays d'Afrique. Cepen-
dant, pour la leur rendre plus légère, il avait été décidé
qu'au début, tout au moins, elle serait uniformément
de 5 shillings par case et que, lorsqu'il serait impos-
sible de la payer en monnaie, des produits seraient
acceptés pour l'acquitter, au taux de un boisseau de riz
non décortiqué ou d'amandes de palme par case. Les
autres denrées du pays seraient aussi acceptées, au
prix du marché Je plus voisin. Jusqu'à nouvel ordre
également, seraient exemptées de la taxe les cases
temporaires édifiées dans les villages de culture, les
cases qui seraient construites dans des pays nouvelle-
ment occupés, les villages qui comprendraient moins
de 20 cases. L'impôt serait perçu par l'intermédiaire des
chefs, qui retiendraient à leur profit une commission
de 3 pence par taxe.
Passant ensuite en revue les différentes plaintes qui
faisaient l'objet de la pétition qui lui avait été remise
26 SIERRA LEONE
par rintermédiaire de Sir Samuel Lewis, Sir F. Cardew
fit les observations suivantes : « La protestation contre
les fustigations n'a pas de raison d'être, car ce mode de
punition est îisité dans la législation indigène. En An-
gleterre la fustigation est une punition que l'on inflige
à ceux qui ont étranglé, qu'ils soient ducs ou lords ; mais
les ducs et les lords ne commettent pas de crimes sem-
blables, et je ne pense pas que les chefs se rendent cou-
pables des délits qui entraînent ce châtiment. Aucun
gouverneur ne peut désirer rabaisser par la fustigation
l'autorité des chefs dont il désire justement avoir l'aide
pour administrer le pays.
« Tout acte d'oppression commis par la police sera
sévèrement puni s'il est porté à la connaissance des
autorités; mais c'est souvent vous autres indigènes qui
êtes les premiers coupables en achetant les policemen
par des cadeaux. Rappelez-vous qu'ils portent l'uni-
forme de la Reine, que leur autorité doit être respectée.
L'ordonnance enlève aux chefs l'autorité absolue sur le
pays, mais c'est parce que la Reine peut seule gouver-
ner. La juridiction des chefs est cependant sans appel
dans toutes les matières civiles et correctionnelles. L'or-
donnance sera modifiée, et les chefs de la région auront
le droit de régler les contestations en matière foncière,
sauf dans les cas où ces contestations éclateront entre
deux régions, ce qui pourrait entraîner des troubles; le
District Commissioner aura alors le droit d'intervenir...
Les pétitionnaires ont demandé que l'administration
du pays soit laissée aux chefs, mais le gouvernement
ne peut abandonner le pays à lui-même. Aucun pouvoir
civilisé ne pourrait permettre le retour des anciçns
troubles, qui reviendraient certainement si l'on vous
L^ORDONNANCE DE 1896 SUR LE PROTECTORAT 27
laissait complètement libres; et, si TAngleterre ne vous
gouvernait pas, quelque autre puissance le ferait, qui
n'userait certainement pas des mêmes ménagements. »
On le voit, les réclamations des indigènes aboutirent
à ce que des modifications importantes fussent apportées
à l'ordonnance. Sir David Chalmers reproche cependant
à Sir F. Cardew de n'avoir point apporté une attention
suffisante aux observations que lui firent les chefs dans
cette entrevue. 11 aurait, en effet, simplement répondu
qu'il n'avait pas le temps d'entrer dans de plus amples
détails et qu'il n'était pas disposé à faire de nouvelles
concessions.
Les chefs écrivirent, par la suite, une nouvelle lettre
dans laquelle ils dépeignaient de nouveau la pauvreté
du pays et la stagnation du commerce; le gouverneur
pria M. Parkes, secrétaire pour les affaires indigènes,
de les informer qu'il avait donné l'ordre qu'on les
conduisît dans le jardin botanique, qu'on leur montrât
la manière dont le café et autres plantes étaient cul-
tivées, et qu'on leur fît distribuer gratuitement les
graines qu'ils pourraient demander.
S'abstenant de faire cette visite, les différents chefs
tîniinis qui avaient séjourné si longtemps à Sierra
Leone pour essayer de faire valoir leurs réclamations,
s'en allèrent,. fait remarquer Sir David Chalmers', sans
avoir dit qu'ils acceptaient la nouvelle loi.
Il semble du reste que la plupart des indigènes
n'aient point eu connaissance des modifications qui
avaient été apportées à l'ordonnance et qu'ils gardèrent
l'impression que leurs réclamations étaient restées
1. Loco cU.j Appendix 1, 11° 807.
2. Loco cil; Appendix II, note A, xxvn et xxviii.
28
SIERRA LEONE
sans effet. Un grand soin paraît cependant avoir été
apporté à répondre aux différentes pétitions adressées
au gouvernement.
Il en fut adressé de nouvelles contre la Hut-tax à la
fin de 1897 et au commencement de 1898 par les chefs
Mendis. 11 leur fut répondu comme il avait été répondu
aux Timinis.
Ces diverses protestations paraissent cependant avoir
ému le secrétaire d'État aux colonies, qui restreignit,
pour le début, l'application de la taxe sur les cases aux
districts de Karene, Ronietta et Bandajuma. Des ins-
tructions furent envoyées par Sir F. Cardew aux Dis-
trict Commissioners pour leur indiquer la manière
dont ils devaient effectuer la perception de l'impôt. Sir
D. Chalmers estime que ces instructions ne détermi-
naient pas suffisamment la mesure dans laquelle la
taxe devait être réclamée aux chefs subalternes ou, au
contraire, aux chefs de région, lacune d'autant plus
fâcheuse que l'ordonnance elle-même laissait subsister
des doutes à ce sujet.
Le commissaire du gouvernement reconnaît cepen-
dant que les ordres du gouverneur étaient modérés et
raisonnables et déclare qu'il est difficile de comprendre
comment il se fait qu'ils ont été exécutés avec autant
de sévérité. Il est probable, explique-t-il, que les Dis-
trict Commissioners et le gouverneur lui-même furent
convaincus par la suite que le système d'impôt qui
avait été établi ne pouvait fonctionner que par l'exer-
cice d'une autorité inflexible.
Dès le 19 mai 1897*, Sir F. Cardew demandait une
augmentation de 50 hommes pour la Frontier Police,
1. Loco cit., Appendix II.
l'ordonnance de 1896 sur le protectorat 29
déclarant que, bien qu'il ne pensât pas qu'il dut être
fait une violente opposition à la perception de la taxe,
« les indigènes pourraient faire une résistance passive
et éviter par tous les moyens de payer si une démons-
tration effective de la Police n'était faite dans les dis-
tricts où devait avoir lieu la perception ». La Frontier
Police Force fut portée ainsi à 548 hommes. Dans une
autre lettre, Sir F. Cardew insistait sur cette idée :
ce L'indigène de l'Afrique occidentale a une répulsion
traditionnelle pour les impôts directs comme l'Hut-tax.
L'origine de cette répulsion doit être trouvée proba-
blement dans la manière oppressive dont une taxe pré-
cédente (supprimée en 1872) a été levée, et depuis lors
les noirs ont toujours témoigné une grande crainte de
la voir rétablir... Cette crainte des impôts directs a dû
se répandre dans toutes les colonies de l'Afrique occi-
dentale et, naturellement, dans tout le Protectorat;
mais, comme je Tai déclaré, il est nécessaire de remet-
tre ces impôts en vigueur si l'on veut administrer le
Protectorat. Il faut donc disposer d'une force suffisante
pour assister le gouvernement dans cette circonstance.
Je ne crains pas qu'il éclate de troubles lorsque le mo-
ment viendra de prélever la taxe ; mais le plus sûr moyen
de les éviter est de disposer de forces suffisantes. »
Dans leurs pétitions, les chefs avaient montré qu'ils
s'étaient opposés d'une manière à peu près égale à
toutes les mesures qu'entendait prendre le gouverne-
ment anglais pour les administrer. L'opposition qu'ils
allaient faire à la perception de la Hut-tax devait ce-
pendant être telle qu'elle devait synthétiser tous leurs
autres motifs de griefs.
Le D** Hood, acting district commissioner du Ro-
30 SIERRA LEONE
nîetta dans le pays mendi, envoya, le 31 décembre 1897,
aux principaux chefs de son district une lettre* dans
laquelle il les avisait que la Hut-tax deviendrait paya-
ble le 1" janvier 1898 et leur demandait de vouloir bien,
lui apporter les sommes qu'ils auraient perçues.
Cette requête ne fut couronnée d'aucun succès, car,
le 10 janvier, le docteur Hood écrivait au gouverneur*
qu'il avait le regret de l'informer que la plus grande
partie des chefs de son district paraissaient avoir l'in-
tention de ne faire aucun effort pour acquitter la Hut-
tax. La plupart des chefs timinis avaient décidé de ne
rien payer du tout. Quelques sous-chefs semblaient
être dans de meilleures intentions, et l'un d'eux avait
même acquitté sa part d'impôt, mais ils étaient terro-
risés par les menaces des autres. Le commissioner
pensait qu'il n'était point prudent de faire appeler
les chefs souverains à la capitale du district et de les
y mettre en arrestation, les troupes qu'il avait à sa dis-
position n'étant pas assez fortes.
C'était la première difficulté à laqu'elle donnait lieu
la Hut-tax.
Sir F. Gardew estima qu'il y avait lieu d'agir dès le
début avec énergie. Il expédia le capitaine Moore à
Kwalu à la tête d'un détachement et lui donna la direc-
tion du district à la place du D^ Hood. Dans ses intruc-
tions' il écrivait : « Le capitaine Moore prendra toutes
les dispositions nécessaires pour faire exécuter la loi
dans le district et pour obtenir le payement de la taxe;
1. Loco cit. y Appendix II, xxix.
2. Loco cit., XXXI.
3. Loco cit., XXXII.
l'ordonnance db 1896 sur le protectorat 31
il accordera des délais raisonnables lorsqu'il trouvera
des marques de bonne volonté, mais il fera de sévères
exemples pour punir ceux qui encouragent les autres à
ne pas payer ou les intimident... Il sera bon au début
de ne pas prononcer, dans ce cas, des peines dépassant
trois mois de prison, pour éviter que les coupables
obtiennent des délais en faisant appel de leur condam-
nation... Il sera nécessaire de punir ainsi les chefs les
plus influents qui seront coupables, et les accusés
devront être envoyés à Freetown pour y être empri-
sonnés... Dans les cas oii les chefs souverains ne pour-
ront pas faire respecter leur autorité, la taxe devra être
exigée directement des sous-chefs ou des chefs de vil-
lage. Tous les indigènes du district de Ronietta devront
être désarmés, et leurs armes confisquées. »
Le premier acte du capitaine Moore fut d'appeler
devant lui le chef Pa Nembana, qui avait donné Tordre
à ses sujets de ne pas payer l'impôt. Il le destitua et
le condamna à douze mois d'emprisonnement avec
travail forcé et à trente-six coups de bâton, dont le gou-
verneur lui fit grâce. Sir D. Chalmers fait remarquer
à ce sujet que cette condamnation dépassait la compé-
tence d'un District Commissioner, et que la Protecto-
rate Ordinance n'avait pas fait un crime du non-paye-
ment de l'impôt et laissait à cet acte un caractère civil.
Le capitaine Moore convoqua ensuite tous les chefs
du district qui avaient juré, lui avait-on rapporté, de ne
pas payer l'impôt.
Le 25 janvier, 70 chefs étaient réunis à Kwani; le
capitaine Moore leur déclara qu'il arrêterait ceux qui ne
1. Loco «7., XXXIV.
32 ' SIERRA LEONE
prendraient pas rengagement de payer la taxe, 'et leur
accorda jusqu'au lendemain pour réfléchir. Comme le
jour suivant ils s'obstinaient toujours dans leur refus,
le résident fit emprisonner dix ou douze chefs souve-
rains. Les autres se soumirent alors, mais ils furent
gardés au poste jusqu'à ce qu'une partie de l'impôt
eût été payée. La taxe fut du reste acquittée au bout
d'un mois.
Dans le district de Bandajuma (Mendi), le capitaine
Carr convoqua les chefs le 3 janvier pour leur deman-
der de payer l'impôt. Il leur accorda jusqu'au 10 janvier
en les priant de faire au moins preuve de bonne volonté.
Lorsque ce jour fut arrivé, les chefs déclarèrent qu'ils
avaient tous décidé de ne pas payer. Le District Com-
missioner mit les quatre principaux d'entre eux en pri-
son. La foule qui les entourait comprenait de 4.000 à
5.000 hommes. Une fois l'arrestation opérée, le capi-
taine Carr se rendit au milieu d'eux en leur parlant
très tranquillement, mais, écrivait-il au gouverneur*,
« la moindre hésitation ou trace de crainte eût produit
l'efl^et d'une étincelle... la rentrée de l'impôt n'en ayant
cependant pas avancé d'une ligne ».
Quelques Sierra Léonais qui étaient à Mafwy furent
effrayés de la tournure que prenaient les événements
et vinrent prier le capitaine Carr de relâcher les chefs,
lui disant que leur vie ne serait pas en sécurité s'il ne
le faisait pas. Le capitaine déclara que c'était impos-
sible. Les prisonniers furent détenus jusqu'à ce que
l'un d'entre eux, le chef Bongo, apportât 10 livres et prît
au nom des autres chefs une sorte d'engagement d'a-
1. Loco cit., XXXIII.
■
l'ordonnancb de 1896 svr le photectohat 33
près lequel il devait payer cinq livres par village. A son
retour à Mafwy, Bongo raconta ce qu'il avait souffert en ]
prison, et les sous-chefs décidèrent de payer la taxe;
mais il semble qu'il s'en fallut de peu qu'une révolte
n'éclatât dès ce moment dans le district. Le gouverneur 1
paraît en effet avoir eu de sérieuses craintes à ce sujet,
car, le 21 janvier', il avisa' le capitaine Carr qu'il
avait l'intention de demander^ télégraphiquement au
secrétaire d'État l'envoi d'une compagnie pour établir
garnison à Bandajupia; le 29 janvier cet officier* répon-
dait que la situation s'était améliorée, mais que cepen-
dant l'établissement d'une compagnie dans le district
serait opportun.
Les opérations de la perception de l'impôt commen-
cèrent dans le district de Karene, dans le pays de
Timini, un peu en retard par suite de l'absence du Dis-
trict Commissioner*.
Le capitaine Sharpe se rendit le 5 février 1698 à Port
Lokko, où étaient établis une soixantaine de commer-
çants Sierra Léonais qui louaient aux indigènes du lieu
les maisons qu'ils occupaient. Il leur demanda d'ac-
quitter la taxe. Ceux-ci répondirent que ce n'était pas à
eux de le faire, mais à leurs propriétaires, et que ces
derniers le leur avaient défendu. Le District Commis-
sioner demanda alors au chef de Port Lokko, Bokari
Bamp, ce que signifiaient les menaces dont parlaient les
commerçants. Celui-ci parut embarrassé, connaissant le
serment qu'avaient fait les chefs timinîs de ne pas payer
1. Loco c//., XXXVI.
2. Loco cit., XXX VI.
3. Loco cit., XXXVII.
4. Loco cU,, XXXIX. Report 12 february 1898. Commisioner Sharpe.
3
34 SIERRA LEONE
rimpôt et désirant d'un autre côté ne pas déplaire au
capitaine Sharpe. Il déclara qu'il ne pouvait avoir d'opi-
nion en la matière, la question concernant uniquement
les commerçants et leurs propriétés. Le capitaine le mit
en prison, et comme les commerçants, quelques jours
plus tard, faisaient les mêmes difficultés, il agit de même
à leur égard. Bokari Bamp s'obstina à refuser de payer
sa part de taxe, déclarait qu'il désirait consulter à ce
sujet son chef de région. Le capitaine Sharpe lui
demanda, ainsi qu'aux autres chefs.de village, s'ils vou-
laient faire leur possible pour empêcher leurs sujets
de molester les Sierra Léonais sMls payaient- la taxe.
Comme ils répondirent par la négative, il les expédia
à Sierra Leone. Des indigènes voulurent les délivrer,
mais Bokari Bamp parvint à les calmer. Les chefs
furent condamnés à un emprisonnement variant de
un an à quinze mois.
Sir David Chalmers déclare que cette condamnation
provoqua la plus grande indignation dans le pays,
comme contraire à la dignité des chefs, et le mécon-
tentement fut augmenté de ce que le gouvernement
nomma comme chef de Lokko, à la place de Bokari
Bamp, une personne qui n'y avait aucun droit. Celui-
ci, nommé Sori Dunki, qui avait une grande influence
et qui était bien disposé pour le gouvernement an-
glais, se mit aussitôt énergiquement à récolter la taxe
avec l'aide de la police; il ne réussit cependant qu'à
ameuter la population contre lui et dut s'enfuir à Free-
town, où il fut jeté à la mer, semble-l-il, par des gens
qui l'avaient suivi. La taxe n'en fut pas moins perçue
à Port Lokko, grâce à la police, mais ce ne fut pas sans
qu'un indigène récalcitrant ait été tué par un garde.
J
l'ordonnance de 189o sur lb protectorat 35
Aussitôt après Tarrestation des chefs de Port Lokko,
le capitaine Sharpe résolut d'arrêter Bai Bureh, chef
du Kassi, sous prétexte que celui-ci avait répondu par
des menaces à une lettre qui lui avait été adressée par
le Commissioner. Sir D. Chaliners prétend qu'il n*y
avait eu là qu'un simple malentendu et que Bai Bureh
n'avait pas reçu le message.
Ne voulant pas payer la taxe^ il craignit d'être traité
comme Bamp s'il répondait à l'invitation. Le capitaine
Sharpe se mit en marche escorté de 46 soldats sous la
direction de l'inspecteur général de police. D'après le
rapport qu'il adressa au gouverneur dès le second
jour, le 18 février, ils furent entourés d'hommes armés
qui les attaquèrent et qu'ils durent repousser. L'expé-
dition dut retourner à Karina, harcelée par les indigè-
nes et sans avoir pu saisir Bai Bureh.
L'attaque de la colonne anglaise devait être le pre-
mier acte du soulèvement de 1898, et comme cette
colonne avait pour but de §>'emparer d'un chef qui se
refusait à payer l'impôt. Sir D. Chalmers déclare que
c'est la meilleure preuve que la Hut-tax est bien la
cause primordiale de cette révolte.
Le gouverneur approuva la conduite du capitaine
Sharpe' et expédia* une compagnie du West Indies
Régiment à Karene, « pour permettre aux troupes de
la Police de réprimer le soulèvement dans le Kassi et
d'arrêter Bai Bureh ». En cas de nécessité, les District
Commissioners auraient le droit de se servir des
troupes impériales; dans ce cas, le commandement des
opérations serait réservé aux autorités militaires, tandis
1. Loco cit., XL VI.
2. LocociL,XLVlU.
r
36 SIERHA LEONE
que le'District Commissioner garderait la justice civile
entre ses mains et prendrait soin que tous les coupables
qui pourraient être saisis « soient jugés conformément
à la loi ».
Lorsque la compagnie arriva à Karene, elle trouva la
garnison à l'état de siège et sans communication avec
Port Lokko. Son premier soin fut de rouvrir la route
vers cette ville, qui, se trouvant sur la rivière, devait
servir de base de ravitaillement. Trois compagnies
durent entfer en action, Tune restant fixée à Karene,
l'autre à Port Lokko, et la troisième agissant comme
colonne volante. Le pays était en pleine révolte, et le
but de Texpcdition paraît avoir été de rétablir l'auto-
rité anglaise en même temps que de donner une leçon
sévère. L'expédition dura du 2 mars 1^99 au 27 mai,
jour où les chefs du district de Karene vinrent à Port
Lokko faire leur soumission. Une nouvelle colonne dut
cependant parcourir le pays de Massimera, sur la rive
gauche du Rokell. Elle rentra à Sierra Leone le 10 août.
Huit officiers européens avaient été tués, tandis que le
nombre des soldats noirs qui étaient morts de maladie
ou des suites de leurs blessures n'avait été que de 9.
Le nombre total des blessés s'éleva à 140. Sir D. Chal-
mers assure que 97 villages furent détruits. Bai Bureh.
ne put être saisi.
Pendant que ces opérations avaient lieu, une expé-
dition était entreprise dans le Kawaia par le capitaine
Moore pour assurer la rentrée de l'impôt. Un certain
nombre de villages furent brûlés, bien qu'ils paraissent
ne pas avoir fait grande opposition. Deux cents livres
sterling furent recueillies.
Nous avons dit que dans le pays mendi, après un pre-
l'ordonnàngb de 1896 sur le protectorat 37
mier emprisonnemeat, les chefs avaient été relâchés
à condition qu'ils payeraient cinq livres pour chacune
de leurs villes. C'est du moins ce qu'ils déclarèrent
avoir compris. Les cases furent cependant recensées,
et le payement de la taxe exigé en entier. En mars,
un chef puissant, Mono Ja, fut arrêté pour n'avoir
pas payé l'impôt. Pour les aider dans la perception,
quelques-uns des chefs souverains demandèrent le
concours de la Pblice, qui, déclare Sir D. Chalmers
d'après les témoignages qu'il recueillit, fît preuve de
beaucoup de brutalité. Les exemptions accordées par
le gouverneur ne furent pas observées. Il semble que
le procédé le plus souvent appliqué ait été de faire
prisonniers les chefs des villages jusqu'à ce que la taxe
ait été payée. Si les indigènes tardaient trop à s'exé-
cuter, leur case était brûlée.
Tout d'un coup, le 26 avril 1897, la région tout
entière se souleva.
Nous n'insisterons pas sur les ihcidents de ce soulè-
vement. Ils sont tout au long rapportés dans les livres
de M. AUdridge et du capitaine Wallis*. Tous les sujets
anglais et tous les noirs parlant anglais qui se trou-
vaient dans le district de Bandajuma, le Kaullu et le
Sulimah furent tués après avoir été torturés. M. Wallis
estime à plus de mille le nombre des victimes.
Au bout de peu de temps, les troupes 'de Freetown
parvinrent cependant à maîtriser le mouvement, et des
expéditions furent ensuite dirigées en tout sens pour
rétablir l'autorité anglaise.
1. The advance ofour West Afrîcan Empire. Braithwail- Wallis. 1 vol.
Fisber-Unwin, Londres.
J
CHAPITRE IV
SIERRA LEONE
L'enquête de Sir David Ghalmers.
I
l'opinion de sir chalmers
La conclusion de Tenquêle que fit Sir D. Chalmers
sur le soulèvement de 1897 fut que la cause primor-
diale et principale du soulèvement avait été la manière
dont la taxe avait été perçue.
En admettant que le principe même de la taxe fût
équitable, la grande erreur, explique le commissaire
du gouvernement, avait été de ne pas suivre le pro-
gramme tracé tout d'abord. Il aurait fallu agir avec le
consentement et le concours des chefs; on ne s'était
pas arrêté à leurs observations, et on avait usé de vio-
lence à leur égard.
Parmi les déclarations les plus caractéristiques qu'il
ait recueillies, Sir D. Ghalmers note les suivantes :
Suluku : « Pendant six ans , le gouvernement a
défendu le commerce d'esclaves; nous nous sommes
soumis à cette défense ; il nous a dit de nettoyer les
routes, nous l'avons fait; il nous a dit de porter des
charges, nous les avons portées ; de grands chefs ont
l'enquête de sir David chalmers 39
été mis en prison en présence de leur femme, de leurs
enfants et de leurs sujets, nous n'avons rien dit; mais
maintenant on nous dit de payer 5 shillings par case,
c'est trop. Payer pour une chose signifie dans nos pays
que nous n'en avons pas la propriété. »
Ben Sherbro : « Lorsque le docteur Hoode m'a dit
que nous devrions payer les taxes, je lui ai répondu
que nous n'étions pas habitués à payer des taxes et que
je devais prendre l'avis des autres chefs avant de me
décider. Parmi toutes les dispositions de l'ordonnance,
la Hut-tax est la seule que nous craignons; nous n'a-
vons pas d'argent. »
Pa Nanbana : « Le Gouvernement avait dit qu'il
n'était pas en guerre avec nous, mais il a enchaîné les
chefs. Nous étions découragés de nous plaindre parce
que c'était sans résultat et que les policiers nous trai-
taient plus mal ensuite. Le peuple avait le sentiment
qu'en payant U taxe ii abandonnait ses droits de pro-
priété sur les cases. »
Cependant, nous verrons que l'opinion de Sir D.
Ghalmers ne fut pas partagée par le gouvernement,
qu'aussi bienla plupart des fonctionnaires de Sierra
Leone pensèrent que ce n'était pas dans la taxe sur les
cases qu'il fallait chercher la cause principale du sou-
lèvement.
Le gouverneur* adressa aux District Gommissioners
un questionnaire dans lequel il leur demandait quelle
était, d'après eux, cette cause et dans quelle mesure
le soulèvement pouvait être attribué à la Hut-tax, aux
agissements des sociétés secrètes, à l'abolition de l'es-
1, Loeo ciL, LXXIII.
40 SIERRA LEONE
clavage ou à un désir d'indépendapce. On peut résumer
leurs réponses de la manière suivante :
L'acting District Commissioner de Bandajuma attri-
bue le soulèvement au désir des indigènes d'échapper
à la loi anglaise, surtout parce que celle-ci arrête le
commerce des esclaves. L'acting District Commissio-
ner de Panguma y voit une aversion enracinée pour
toute tentative de civilisation et la haine du blanc éta-
bli dans le pays. Le District Commissioner de Karene
estime que les indigènes, poussés parles chefs rebelles
et probablement influencés par de mauvais conseils
venant de personnes instruites, essayèrent de se débar-
rasser du pouvoir anglais. Ils avaient saisi comme pré-
texte de rébellion la perception de la taxe, plutôt que
l'abolition de l'esclavage, persuadés que cette raison
serait accueillie avec plus de bienveillance en Angle-
terre. Le District Commissioner de Ronietta déclare
également que le mécontentement des chefs datait de
l'abolition de l'esclavage, qui leur avait enlevé tout
pouvoir sur leurs travailleurs. M. AUdridge, District
Commissioner de Bonthe, est d'avis que la Hut-tax ne
peut être la cause principale du soulèvement, car celui-
ci s'était étendu aux régions qui, comme le Sherbro, fai-
saient partie de la colonie et n'étaient pas soumises à cet
impôt. II reconnaît cependant que la taxe a pu être
considérée par les indigènes comme une nouvelle
atteinte à leur liberté. Pour lui, la suppression de l'es-
clavage et la réduction du pouvoir des chefs devaient
être surtout mis en cause. M. Parkes, secrétaire pour
les affaires indigènes, trouve les principales raisons du
soulèvement non pas seulement dans la Hut-tax, mais
encore dans l'attitude des femmes et des captifs, qui
l'bNQUÊTE DB sir DAVID CHALMBRS 41
retusaient d'obéir à leurs maîtres depuis que ceux-ci
n'avaient plus les pouvoirs d'autrefois, dans la con-
duite de quelques-uns des gardes de la Police, dans
la suppression complète du commerce des esclaves
et dans la limitation de la compétence judiciaire des
chefs.
Les missionnaires interrogés manifestèrent des opi-
nions analogues, assurant en outre que les empêche-
ments rencontrés parmi les noirs dans leurs pratiques
fétichistes les avaient portés à étendre leur vengeance
à toute personne parlant la langue anglaise et montrant
par là des complaisances pour cette civilisation qu'ils
ne voulaient pas recevoir.
- Ces divers témoignages ne convainquirent pas Sir
D. Chalmers, qui s'exprime en ces termes à leur
sujet :
« Je conviens avec M. Parkes et M. Alldridge que la
diminution de la compétence judiciaire des chefs fut
un sérieux sujet de grief, non pas tant, cependant, parce
qu'elle restreignait leurs ressources, mais parce qu'elle
portait atteinte à leur situation dans le pays. Mais la
question principale est de savoir si ces divers griefs
eussent été suffisants pour entraîner la révolte contre
la loi anglaise s'il n'y avait pas eu la Hut-tax... On ne
doit pas oublier qu'il y avait des raisons qui devaient
attacher le peuple de l'Hinterland de Sierra Leone à la
loi anglaise. Le chef et le peuple savaient que le gou-
vernement avait supprimé les guerres entre tribus, et
cela était généralement considéré comme une bonne
chose. Le gouvernement avait en outre protégé les
indigènes contre les Susus et les Bofas. Les chefs com-
prenaient, en outre, que si l'Angleterre abandonnait
1
42 SIERRA LEONE
Sierra Leone, leur territoire serait bientôt soumis à un
autre pouvoir européen qui les gouvernerait très pro-
bablement d'une façon plus rude que l'Angleterre. On
doit considérer, du reste, bien plutôt les témoignages
des chefs que ceux des District Gommissioners, et
dans toutes les dépositions que j'ai recueillies je n'ai
point vu que la suppression de l'esclavage, la diminu-
tion de la compétence des chefs ou des pouvoirs des
féticheurs, aient été des raisons suffisantes pour pro-
voquer la rébellion. Celle-ci était tout entière attri-
bue à la Hut-tax et aux sévérités qui en avaient marqué
l'application. Les autres causes que Ton a mentionnées
n'étaient tout au plus qu'incidentes.
Dans une lettre du 28 mai 1898, dans laquelle il expri-
mait ses vues sur les motifs du soulèvement, Sir F.
Gardew écrivait au secrétaire d'Etat : « Je suis disposé
à admettre que c'est l'établissement de la taxe sur les
cases qui a été la cause provocatrice des troubles {ivas
the exciting cause of the disturbances) , et je désire
ajouter que ma conviction est que si les habitants
de Freetown, la presse et les commerçants avaient
loyalement aidé le gouvernement dans sa politique ou
même étaient restés neutres, la taxe aurait été payée
sans troubles. Mais le contraire, j'ai le regret de le
dire, a eu lieu, la presse a directement encouragé les
indigènes à ne pas payer la taxe. »
L'attorney général assura de son côté que trois arti-
cles du Sierra Leone Times et du Sierra Leone Weekly^
Nen's pouvaient être particulièrement incriminés, et
que, bien qu'insuffisants pour entraîner des poursuites
pour excitation à la révolte, ils n'étaient certainement
pas faits pour ramener la paix dans l'intérieur.
l'enquête de sir DAVID CHALMBRS 43
Sîr D. Chalmers déclare s'être livré à une enquête
détaillée à ce sujet, et naturellement il ne partage
point cet avis. Tout ce qu'il a pu relever, c'est que les
journalistes s'étaient bornés à rendre compte des évé-
nements tels qu'ils s'étaient produits. Il n'a pas pu
trouver, dit-il, dans les collections complètes de jour-
naux qu'il a examinées autre chose qu'une critique
modérée et convenable de la Protectorate Ordinance.
Lorsque l'ordonnance fut rendue, les journaux lui
accordèrent crédit pendant quelque temps. Lorsque
des désastres arrivèrent, ce ne fut pas tant le système
établi que les abus du pouvoir commis par la Police
et les Di^rict Cominissioners qui furent fortement
critiqués. Bai Bureh fut considéré par eux comme un
ennemi généreux. Le commissaire du gouvernement
ajoute : « Je n'ai trouvé dans aucune publication des
encouragements à ne pas payer la taxe. L'opinion cons-
tante a été que, quelque erreur qui ait pu être com-
mise de la part du gouvernement et de ses fonction-
naires, la première chose à faire était d'arrêter le
soulèvement. Lire entre les lignes de façon à trouver
dans une publication ce qui n'y est pas dit est, dans
mon opinion, une méthode de jugement fâcheuse. Si
c'est la fonction naturelle de la presse dans une colo-
nie de soutenir le gouvernement dans tous ses actes
et de passer sur les conséquences de ces actes quelque
déplorables qu'ils soient, la presse de Sierra Leone
n'a certainement pas répondu à cette définition, et
je pense qu'il est avantageux pour un gouvernement,
môme dans le cas où s'est placé celui de Sierra Leone,
de voir sa politique et ses actions publiquement et
librement discutées aussi longtemps que les faits ne
44 SIERRA LEONE
sont pas déformés et que les commentaires ne s'ap-
puient pas sur une fausse interprétation. »
Sir D. Chalmers assure n'avoir pu relever du reste
aucune trace d'une influence exercée sur les indigènes
de l'intérieur par les journaux de Sierra Leonç.
Il se refuse de même à admettre que les indigènes
ou les commerçants de Freetown purent exercer une
grande influence en la matière. « Il y eut, il est vrai,
dit-il, à Freetown une ferme opinion contraire à de
nombreuses dispositions de la Protectorate Ordinance,
et l'écho put en parvenir à quelques-uns des chefs;
mais on peut se rendre compte, par la date des pre-
mières pétitions et par d'autres témoignag'es, que les
chefs et les indigènes s'étaient fait, à eux seuls, une
opinion très nette sur l'ordonnance.
Sir D. Chalmers ne se contenta pas d'attribuer à
la manière dont on avait appliqué la taxe sur les cases
la principale cause du soulèvement; il déclara que
l'institution était fâcheuse et inadmissible.
La taxe était contraire aux progrès de la civilisation
chez les noirs, parce qu'elle les encourageait à ne pas
augmenter le nombre ou le confort de leurs habitations.
Son taux, qui était peut-être admissible dans les régions
riches en palmiers, était, d'une manière générale, beau-
coup trop élevé. La législation qui l'avait établie était
du reste insuffisante, car, si elle rendait les chefs respon-
sables de son payement, elle ne leur donnait aucun moyen
de l'exiger des indigènes placés sous leurs ordres. La
raison que l'on avait invoquée pour l'établir était injuste,
car si la colonie était censée ne pas pouvoir subvenir
aux dépenses du protectorat, elle n'en gardait pas
moins pour elle les recettes douanières perçues sur
l'enquête de sir DAVID CHALMERS 45
des marchandises dont 82 p. 100 étaient destinés au
Protectorat.
Après s'être efforcé ainsi de déterminer la nature du
soulèvement et ses, causes, le commissaire du gouver-
nement entreprit de rechercher quelle politique il fal-
lait suivre vis-à-vis des indigènes pour leur rendre con-
fiance en l'administration anglaise, comment on pour-
rait éviter le retour de difficultés analogues à celles qui
avaient marqué les premiers efforts faits pour gouver-
ner les terres de THinterland de Sierra Leone. Il demanda
tout d'abord,^ dans son rapport, une amnistie générale
giu bénéfice des personnes qui avaient pris part au sou-
lèvement et l'arrêt des « punitive expéditions ». C'était
le seul moyen de faire renaître le calme et devoir cesser
l'état défensif sur lequel se tenaient les indigènes du
Protectorat. Il déclarait qu'il n'accepterait cependant pas
sans réserve des informations qui tendraient à affirmer
un retour rapide de la confiance et de la prospérité
commerciale. Le gouvernement devait avoir lieu par
l'intermédiaire des chefs, et non point à l'aide de magis*
trats ne connaissant ni le pays, ni ses usages, ni sa lan-
gue, et ayant une tendance à vouloir imposer à ces peu-
ples primitifs les institutions anglaises qu'ils n'étaient
point prêts à recevoir. Le concours sincère de ces chefs
ne pouvait être obtenu qu'en supprimant les causes d'ir-
ritation qui dérivaient des exactions de la Police. Tous
les petits postes devaient être supprimés, et les seuls que
Ton pouvait conserver à la rigueur étaient ceux destinés
à empêcher la contrebande sur les frontières ; il fallait
changer fréquemment les hommes de ces postes et leur
défendre absolument d'intervenir dans les discussions
46 SIEKUA LEONE
entre indigènes. La Fronlier Police devait être incorpo-
rée avec les régiments établis à Sierra Leone. Pendant
quelque temps un détachement de 50 à 80 hommes pour-
rait être cantonné auprès des chefs de districts, mais il
devrait être entendu que, puisque ceux-ci devaient
cesser de se servir des hommes de la police comme
émissaires ou exécuteurs de leurs ordres, les forces de
ce détachement ne pourraient être utilisées qu'en cas
d'absolue nécessité, pour rétablir la paix troublée par
quelque chef puissant sans que les autres chefs puis-
sent y suffire d'eux-mêmes, ou pour repousser des
attaques venant de l'extérieur. Dans tous les cas, l'assen-
timent du gouvernement devrait être toujours néces-
saire. Avec une bonne administration on devait, du
reste, pouvoir concentrer ces détachements dans Free-
town ou dans tout autre centre facile d'accès.
Les District Commissioners pourraient être conser-
vés, mais à condition de prendre le caractère de rési-
dents dont le principal devoir serait d'assister les chefs;
ils ne devraient pas être des magistrats ou des sortes
de députés-gouverneurs dds districts. Les chefs devaient
être autorisés à venir voir le gouverneur à Sierra Leone
autant qu'ils le jugeraient bon, sans être obligés d'avoir
l'autorisation du District Commissioner. Ce serait là
une bonne source d'information pour le gouverneur et
une cause de confiance pour les indigènes. Au point de
vue de l'administration de la justice, les résidents pou-
vaient avoir les pouvoirs des justices de paix (justice
of the peace). A ce titre, ils examineraient les crimes
entraînant la peine de mort que la Suprême Court avait
seule le droit de prononcer. Le soin de juger toutes
les autres causes criminelles ou civiles devrait être
l'enquête de sir DAVID CHALMERS 47
laissé entre les mains des chefs des tribunaux indigè-
nes. L'agent du district pourrait avoir le droit de siéger
comme président dans les tribunaux indigènes lorsqu'il
le jugerait bon; sa voix pourrait être prépondérante
clans certains cas; mais il prendrait toujours grand soin
de considérer les avis des chefs et d'observer les lois
et les coutumes indigènes toutes les fois qu'elles
n'auraient pas un caractère contraire à Féquilé, en
particulier en matière foncière; un droit d'appel dans
tous les cas devrait exister devant la Suprême Court,
soit à Free Town, soit devant un juge qui circulerait
dans l'intérieur. Toutes les fois qu'un tribunal indigène
n'aurait pas le droit de juger un chef, celui-ci ne devrait
relever que de la juridiction de la Suprême Court ou
du gouverneur. C'est là un privilège auquel paraissent
tenir beaucoup les indigènes.
Par-dessus tout, il fallait supprimer la taxe sur les
cases ; le calme qui en renaîtrait serait la plus sure garan-
tie de la prospérité du commerce et de l'augmentation
des receltes douanières. On pourrait peut-être dans
l'avenir songer à demander aux indigènes du protec-
torat de subvenir directement aux dépenses de leur
administration; mais ce ne devrait être qu'avec le plein
consentement et à l'aide d'un système n'ayant pas la
rigidité de la Hut-tax. Les*ressources immédiates pou-
vaient du reste être très facilement obtenues par une
légère augmentation des droits de douanes sur le tabac
et le sel. Les économies que l'on ferait en diminuant
les forces de la Frontier Police et les incorporant au
West African régiment permettraient du reste de
subvenir aux dépenses du protectorat.
Sir D. Chalmers concluait ainsi : « Faites que les causes
48 SIERRA LEONE
d'irritation disparaissent, et par tous les moyens rétablis-
sez la confiance qui a été détruite; faites que les fonc-
tionnaires coloniaux, depuis le plus élevé jusqu'au plus
humble, comprennent que les sujets du Protectorat ont
des droits, et que ce doit être une œuvre de patience
plutôt que de force de leur montrer qu'ils ont aussi des
obligations et des devoirs envers le pouvoir qui les
protège; faites que le gouvernement soit établi sur des
principes stables de justice, et non sur un opportunisme
guidé par le hasard; faites que les chefs reprennent la
place qu'ils doivent avoir dans le pays ; établissez une
surveillance habile ne se faisant sentir que par un mi-
nimum d'intervention; que l'agriculture et les autres
industries viennent remplacer les disputes entre tribus;
laissez exercer l'influence civilisatrice des missionnai-
res bien dirigés..., et vous pourrez être assurés qu'avec
rélévation continuelle du niveau de la civilisation, de
l'accroissement de la population et de l'industrie qui
en résulteront, il naîtra des ressources suffisantes pour
tous les besoins, tandis que toute tentative faite pour
se procurer un revenu à l'aide de procédés inadéquats
et imprévoyants conduiront à un échec. »
II
l'opinion de sir F. CARDEW
Les résultats de l'enquête poursuivie par Sir D. Chai-
mers furent communiqués à Sir F. Gardew. Celui-ci en
fit une assez vive critique.
Tout d'abord le gouverneur trouva un peu étrange
que le Royal Gommissioner ait passé à Free Town toute
l'enquête de sir DAVID CHALMERS 49
la durée de son séjour. Il aurait pu sans difficulté se
rendre par steamer à Port Lokko ou à Bonthe, où il
aurait été sur les lieux mêmes du soulèvement, et, s'il
avait parcouru un peu l'intérieur, il aurait pu se faire
une opinion personnelle peut-être plus exacte que celle
qu'il a pu acquérir en interrogeant, il est vrai, 272
personnes et en leur posant 8.617 questions. Il aurait
pu éviter de faire le jeu de certaines personnes qui se
sont attachées à faire produire devant lui à peu près
tous les témoignages qui pouvaient être hostiles au
gouvernement.
Sir F. Gardew reconnaît qu'il a été l'instigateur de
la Hut-tax, mais il en accepte la pleine responsabilité,
tout en déplorant profondément les événements qui ont
marqué sa perception. Il n'y avait pas d'autre moyen,
d'après lui, de se procurer les foiids qui étaient absolu-
ment indispensables à la construction du chemin de fer
et au développement du pays. Le commissaire du gou-
vernement estime que cet impôt n'aurait du être insti-
tué qu'avec le consentement des indigènes : l'échec
de précédentes tentatives montre comment il n'y a là
qu'une utopie. En 1865, Sir Samuel Rovve demanda au
Législative Council de voter l'établissement d'impôts
directs dans la colonie; mais l'opposition des membres
non-fonctionnaires et de la population fut telle que le
projet dut être abandonné, et il en a été de même de
toutes les tentatives qui ont été souvent répétées par
la suite.
Sir D. Chalmers condamne les dispositions de la
Proteçtorate Ordinance à d'autres points de vue, no-
tamment parce qu'elle limite la juridiction légale des
chefs et qu'elle donne au gouverneur le droit de dis-
50 ' SIERRA LEONE
poser des terres vacantes et inhabitées et de bannir du
territoire qui il jugera convenable. « On peut se deman-
der, dit Sir F. Gardew, si un gouvernement civilisé a
tort de chercher à empêcher les iniquités qui se pro-
duisent souvent dans les tribunaux de chefs, devant les-
quels l'innocent doit boire une décoction empoisonnée
ou plonger ses mains dans Teau bouillante et qui, comme
punition, pratiquent la mort, la mutilation, la mise en
esclavage et Tinterdiction absolue de toute propriété,
y compris celle d'avoir des femmes et des enfants.
a Les dispositions qui concernaient les terres vacan-
tes avaient été prises avec les meilleures intentions,
dans le but de repeupler les parties de la colonie qui
avaient été dévastées par les guerres entre tribus. Ces
dispositions ont été rapportées; mais il n'en est pas
moins vrai qu'il a été de pratique constante que l'éta-
blissement d'un protectorat entraînait l'attribution des
terres vacantes au -profit du gouvernement anglais.
Des chefs se sont plaints de ne pouvoir s'adresser au
gouverneur sans passer par l'intermédiaire deà com-
missioners; mais il y a là une règle de bonne admi-
nistration qui s'impose et qui est en vigueur dans
toutes les colonies, car, dans la plupart des cas, le
gouverneur ne peut se faire une opinion sur les desi-'
derata ou les réclamations des chefs s'il ne connaît
tous les côtés de la question. »
Sir D. Ghalmers s'étonne de la sévérité qui a été
apportée à la perception de la taxe, étant donné la
modération des instructions qui avaient été données
par le gouverneur. Les Commissioners, répond à cela
Sir F. Garde w, n'ont agi comme ils l'ont fait que parce
qu'ils y ont été obligés par les circonstances. Les indi-
L^ENQUÉTE DE SIR DAVID CHALMERS 51
gènes auxquels ils ont eu affaire étaient des sauvages,
tous plus ou moins armés; ils parcouraient le pays
en nombreuses troupes dans le but de* s'opposer à
la perception de l'impôt; les tentatives de persuasion
auraient été interprétées comme un aveu de faiblesse,
et il est difficile de voir quelles mesures, autres que
la répression, auraient pu prendre les District Com-
missioners. Le pays était eu état d'insurrection. Le
10 janvier 1898, le D^ Hood écrit que les régions de
Bagru et de Mabanta étaient dans un état très trou-
blé, qu'un garde avait été battu et jeté à l'eau, que les
principaux chefs timinis avaient décidé de ne pas payer
la taxe, que la plupart des chefs de son district n'a-
vaient fait aucun effort pour l'acquitter. A la même
date, le capitaine Carr fait part d'un rassemblement de
4.000 ou 5.000 hommes qui sont dans un état d'excita-
tion tel que la moindre maladresse aurait pu causer
un massacre général, car, pour éviter tout caractère
de coercition à la levée de l'impôt, on avait laissé les
gardes sans armes. Le 19 février 1898, le capitaine
Sharpe rend compte de l'état troublé du district de
Karene; sa tentative pour arrêter Bai Bureh échoue
devant la force des bandes armées par celui-ci pour
s'opposer à la perception de la taxe. Le D"^ Moore si-
gnale les préparatifs de résistance qu'il a observés
pendant sa tournée du 19 février dans le Kwaia.
Sir F. Cardew reconnaît qu'il n'avait 'peut-être pas
prévu que cette résistance devait être aussi grande. Il
aurait dû peut-être, dit- il, ajouter une plus grande
importance qu'il ne le fit à l'opposition qui a toujours
existé à Freetown contre les impôts directs, et à l'in-
fluence que les Sierra Léonais pouvaient exercer en
52 SIERBA LEONE
cette matière sur les chefs. Il se trouvait en congé, en
Europe, en 1897, pendant que les chefs timinis étaient
à Freetown, et il ne se rendit compte de l'agitation
qui avait eu lieu qu'à son retour, le 7 novembre. « Il
était naturellement alors trop tard, ajoute-t-il, pour
adoucir les dispositions prises [to îiiitigate circumstan'
ces), en admettant même que cela eût été politiquement
désirable, étant donné les grandes concessions qui
avaient déjà été faites et correspondaient à l'abandon
d'à peu près la moitié de ce qui aurait dû être perçu.
Il était évident du reste que les chefs ne se seraient
tenus pour satisfaits que si le gouvernement avait
renoncé au tout. Gomme cet abandon était impossible,
je n'avais autre chose à faire qu'à attendre les événe-
ments, convaincu qu'il y avait à Freetown une force
militaire amplement suffisante pour intimider toute
opposition violente, et je dois mentionner qu'à la pre-
mière indication des troubles j'avais pris la précaution
d'inviter les District Gommissioners à constituer, dans
leurs postes, des approvisionnements de bouche pour
trois mois. Malheureusement les opérations furent
retardées dans le district de Karene par des circons-
tances fortuites auxquelles il avait été impossible de
parer, et c'est ce retard qui avait encouragé les Mendis
à se soulever. »
Sir F. Gardew examine le commentaire que le com-
missaire du gouvernement donne de la façon dont ont
été entreprises les diverses campagnes qui ont eu lieu
dans le pays timini et le Kwaia. Alors que Sir D. Ghal-
mers s'était attaché à montrer que les indigènes étaient
restes sur la défensive et n'avaient rien fait pour pro-
voquer les Anglais, le gouverneur de Sierra Leone
l'enquête de sir DAVID CHALMBRS 53
montre quel rôle hostile a été joué par les différents
chefs contre lesquels les troupes anglaises ont dû agir,
et défend ses fonctionnaires contre les allégations du
commissaire anglais.
Nous n'insisterons pas sur cette polémique, dont les
détails ne nous fourniraient que peu d'éléments pour
l'étude de la politique suivie à Sierra Leone. 11 nous
faut noter cependant que, tandis que Sir D. Chalmers
estime que les poursuites dirigées contre les chefs qui
se sont refusés à payer Timpôt ont été illégales, en ce
sens que l'ordonnance n'a point fait de ce refus un
délit, Sir F. Cardew explique que ces poursuites étaient
légales, en ce sens que la conduite de ces chefs était
visée par les articles de l'ordonnance disposant que
serait coupable de délit [offence) : « Tout chef qui,
ayant reçu l'ordre du gouverneur ou de son délégué de
faire ou de ne pas faire un acte public, ne se confor-
merait pas à cet ordre; toute personne qui s'opposerait
ou qui conspirerait avec d'autres pour s'opposer à
l'exécution de la loi ou à l'action d'un officier public
dans l'exercice de ses fonctions, ou qui refuserait de
l'aider à se saisir des criminels lorsqu'il en serait
légalement requis, serait coupable d'un délit [guilty
ofaii offence). »
Sir F. Cardew défend la Police contre la plupart des
accusations qui ont été portées contre elle par Sir D.
Chalmers, en expliquant que les moindres fautes des
gardes étaient dénoncées et que souvent ils étaient
accusés d'exactions qu'ils n'avaient pas commises. Les
hommes de la Frontier Police étaient profondément
détestés, non seulement par les chefs, mais encore par
les Sierra Léonais, parce qu'ils représentaient l'auto-
54 SIERRA LEONE
rite qui avait supprimé l'esclavage, parce que leur pré-
sence avait beaucoup contribué à empêcher les actes
d'oppression commis par les chefs, et parce qu'ils pro-
tégeaient les indigènes contre les escroqueries com-
mises par les commerçants sierra léonais. Le gouver-
nement n'avait, du reste, cessé de punir avec la plus
grande sévérité les exactions dont les gardes de Police
avaient pu être reconnus coupables.
En somme, l'opinion de Sir F. Cardew sur les causes
du soulèvement est complètement opposée à celle pro-
fessée par Sir'D. Chalmers.
D'après le gouverneur, les chefs avaient essayé de se
révolter contre le pouvoir anglais parce que celui-ci les
empêchait de pratiquer comme autrefois leurs exac-
tions et de s'enrichir en trafiquant de la justice et pra-
tiquant la traite des esclaves. Ils avaient réussi à per-
suader aux indigènes que le pouvoir des Anglais était
néfaste. Si tous les noirs qui avaient pris part au sou-
lèvement assuraient qu'ils s'étaient révoltés parce qu'on
voulait mettre une taxe sur leurs cases, c'était parce
que les chefs avaient été assez habiles pour leur pré-
senter cet impôt comme la manifestation suprême de
cette autorité qu'ils voulaient détruire. Le massacre des
missionnaires européens et indigènes, assez inexplica-
ble si on l'attribue à une protestation contre la taxe, se
comprend assez si l'on admet qu'il était une réaction
contre la civilisation qu'ils voulaient introduire. Le
Royal Commissioner avait expliqué que lorsque la Pro-
tectorate Ordinance avait été mise en vigueur les prati-
ques de l'esclavage avaient cessé, et que les noirs com-
mençaient à apprécier l'avantage de la liberté. En fait,
en 1894, les razzias d'esclaves étaient aussi nombreuses
L*£NQUÊTB DB SIR DAVlî) CHALMERS 55
que par le passé, et il y avait un système organisé d'é-
changes entre la colonie et les possessions françaises.
Les fonctionnaires et les missionnaires, qui, tous,
avaient une profonde expérience du pays, attribuaient
aux entraves apportées à ces commerces Tirritation
des chefs.
Le désir de ne pas payer la taxe devait agir, assure
Sir F. Cardew, comme une excitation à la révolte, et en
cela, quoi qu'en ait pensé le Royal Commissioner,
l'influence des indigènes de Freetown devait se faire
sentir d'une façon déplorable. La manière dont les
journaux discutaient les ordres du gouvernement ne
pouvait qu'inciter les indigènes de l'intérieur à lui
désobéir, car ils étaient parfaitement au courant de ce
qui se passait à Sierra Leone.
M. Parkes, le secrétaire pour les affaires indigènes,
est très catégorique à ce sujet. « Les chefs furent mis
au courant du contenu des journaux de Sierra Leone
par les commerçants indigènes ; ceux-ci, assis sous leur
véranda, interprètent les nouvelles à la foule, qui les
rapporte aux chefs. » Du reste, il y a toute raison de
penser que les District Commissionners ne se trom-
pent point lorsqu'ils disent que la plupart des chefs ont
auprès d'eux des secrétaires parlant anglais. Les com-
merçants européens établis dans la colonie ainsi que
les chambres de commerce de Liverpool et de Man-
chester ont toujours déclaré qu'ils étaient persuadés
que la taxe était une erreur. Les pétitions qui ont été
rédigées par les chefs ont été inspirées par ces décla-
rations. En protestant contre la taxe les chefs pensaient
ainsi qu'ils seraient facilement écoutés. L'un d'eux, qui
avait été élevé par la mission américaine, le chef W.
56 SIERRA LEONE
Broas Tucker, écrivait à un ami qui habitait le Sherbro :
« On me conseille aussi d'écrire au secrétaire d'État au
nom de tous les chefs indigènes pour établir que nous
avons conservé sous le protectorat de Sa Majesté nos
droits sur nos terres, que nous ne les avons pas cédées,
et que les patentes qui ont été établies au Sherbro
ainsi que la Hut-tax sont contraires à l'esprit du pro-
tectorat... La municipalité de Sierra Leone et les cham-
bres de commerce d'Angleterre, d'Irlande et d'Ecosse
étant de notre côté, le gouvernement métropolitain
rapportera l'ordonnance. »
Le capitaine Moore rapporte que dans le grand pa-
labre qu'il eut avec les chefs du district de Ronietta,
ceux-ci lui avaient dit qu'ils ne payeraient pas avant
d'avoir consulté un homme influent {a big mari) à Free-
town.
Sir F. Cardew ne peîise point que la taxe sur les
cases présente en elle-même les inconvénients que lui
reproche Sir D. Chalmérs; les indigènes bâtissent de
grandes cases pour éviter de payer pour plusieurs, et
l'obligation d'acquitter la taxe les incitera à travailler
plus qu'ils ne le font. Les commerçants avaient eux-
mêmes admis que la taxe donnerait une impulsion au
commerce, puisque la valeur des importations s'est
élevée en 1897 à £606,983, contre £457,389 l'année pré-
cédente; le taux de la taxe n'est point trop élevé, et si
certaines parties du protectorat sont plus riches que
d'autres, il n'en est pas moins vrai que, du fait de la
pacification et des échanges entre indigènes, les béné-
fices du commerce avec les Européens pénètrent par-
tout, et Sir F. Cardew fait à ce sujet le raisonnement
suivant :
l'enquête de sir DAVID GHALMERS 57
La valeur des produits exportés du Protectorat en
Europe est en moyenne de £300.000 sterling.
La valeur du riz exporté du Protectorat pour la con-
sommation locale dans la colonie est de £10.000 sterling,
et les dépenses faites par Tadministration dans le Pro-
tectorat sont de £29.000 sterling, soit au total £339.000
sterling, sur lesquelles le montant de la Hut-tax peut
être facilement prélevé, la mise en valeur du Protecto-
rat n'étant du reste qu'à ses débuts.
Examinant les mesures proposées par le Royal Com-
missioner pour éviter le retour des difficultés qui ont
marqué l'établissement du pouvoir anglais dans le Pro-
tectorat, Sir F. Cardew explique que, depuis les débuts
de l'établissement du Protectorat, l'intention du gouver-
nement avait toujours été d'administrer celui-ci par l'in-
termédiaire des chefs. Ce principe a été appliqué, mais en
réservant la direction supérieure des District Coinmis-
sioners et de la Frontier Police, car, « s'il n'en avait pas
été ainsi et si les chefs avaient été libres de pratiquer
leur administration sans subir aucune sorte d'interven-
tion, les querelles entre tribus n'auraient pas tardé à
reprendre. La concentration des troupes, préconisée par
le Royal Commissioner, aurait pu suffire à empêcher
un état de guerre général, mais elle aurait été incapa-
ble de maintenir le calme dans le pays et d'empêcher
le commerce des esclaves ». Il est impossible de laisser
l'administration de la police civile entre les mains des
chefs, car ceux-ci ne manqueraient pas de s'en servir
pour leurs querelles personnelles.
« Le Royal Commissioner, écrit Sir F. Cardew, évo-
que, en préconisant son système, l'image d'une époque
dans laquelle les chefs vivront tous en bon accord et
58 SIERRA LEONE
assez unis les uns aux autres par un sentiment commun
de loyauté et d'amour de la paix et de la bonne adminis-
tration du Protectorat, pour ne pas tolérer un frère tur-
bulent ou récalcitrant et le supprimer d'eux-mêmes. Je
souhaiterais pouvoir partager sa confiance; je ferais
avec plaisir tous mes efforts pour voir se réaliser sa
prédiction, si je croyais sa réalisation possible; mais
toute mon expérience passée me prouve le contraire.
De nobles et courageux efforts ont été faits par les
gouverneurs précédents pour rétablir l'harmonie, la
paix et l'amitié entre les chefs et les tribus guerrières,
mais cela sans résultats pratiques. Sir Samuel Rowe, ce
gouverneur capable et expérimenté dont le Royal Com-
missioner fait un si haut éloge, a usé sa vie dans la
brousse pour y arriver, et cela sans résultats. Depuis,
d'après l'opinion unanime de tous ceux qui connais-
saient les indigènes, il a fallu employer la force, sous
forme de Frontier Police, à la place de la persuasion
morale qui avait échoué. On a pu ainsi établir la paix
dans tout le Protectorat; mais c'est une paix qui en
peut être maintenue que par la présence de troupes et
par une certaine limitation du pouvoir des chefs. »
L'organisation judiciaire proposée par Sir D. Chal-
mers ne paraît pas très heureuse au gouverneur de
Sierra Leone. Il est impossible d'admettre que les Eu-
ropéens et les Sierra Léonais soient jugés par les tri-
bunaux des chefs, et il est inadmissible que, pour le
moindre procès, ceux-ci soient obligés de se rendre à
Freetown ou d'attendre le passage d'un juge de la Su-
prême Court. Il parait bien plus raisonnable de conser-
ver la compétence du District Gommissioner en ces ma-
tières. De même on ne voit pas très bien pourquoi les
l'enquête de sir DAVID CHÀLMERS 59
chefs ne resteraient pas passibles deB tnbaiiaiix indigè-
nes. Assigner devant le gouverneur ou la Suprême Court
toutes les causes dans lesquelles un chef serait partie,
leur enlèverait tout temps pour s'occuper d'autre chose.
Le maintien de la taxe sur les huttes parait indispen-
sable aux finances du Protectorat, car il est impossible
de beaucoup augmenter les droits de douane, comme
propose de le faire Sir D. Chalmers. Ce maintien est
possible, comme le montre le succès du système d'im-
pôt appliqué en Guinée française. Sa suppression entraî-
nerait les plus grandes complications politiques, parce
que les indigènes deviendraient intraitables.
Sir F. Cardew conclut en proposant que, si l'on main-
tient la taxe, une commission de 2,50 p." 100 soit donnée
à chaque chef de ville pour frais de perception, indépen-
damment de la commission de 5 p. 100 donnée aux chefs
souverains. En compensation des pertes qu'ont subies
les chefs par suite de la suppression de l'esclavage, on
leur donnerait le soin de percevoir l'impôt et, sous la
surveillance du gouverneur, le droit de punir ceux qui
se refuseront à l'acquitter. Une subvention qui ne dé-
passerait pas, par exemple, £50 pourrait être accordée
aux chefs souverains en proportion du nombre de cases
qu'ils gouv&rnent. Il serait admis également que les
droits de douane sur les objets de première nécessité
seront diminués dès que la taxe produira un revenu
appréciable.
Le Colonial Office ne devait pas se ranger aux con-
clusions de son envayé. Dans une lettre* adressée au
1. Loco cil.
60 SIEIinÀ LEONE
gouverneur de Sierra Leone, sur laquelle nous n'avons
pas à nous arrêter longuement, il examina les différents
points du rapport de Sir D. Chalmers et, d'une manière
générale, se rangea à la manière de voir de Sir F. Cardew.
Gomme le gouverneur de Sierra Leone, il admet que
les hommes de la police n'ont fait, d'une manière géné-
rale, que leur devoir, ainsi que les District Commissio-
ners. La taxe a été la cause immédiate du soulèvement;
mais c'était le changement que l'administration anglaise
avait apporté aux institutions locales qui avait poussé
les indigènes à la révolte. A condition de placer les
troupes de la police sous la surveillance étroite d'offi-
ciers européens, il n'y avait pas de raison pour les sup-
primer; cependant à l'avenir on devrait éviter de les
trop morceler. La Proleclorale Ordinance est fondée,
comme le désire Sir D. Chalmers, sur l'administration
du pays par l'intermédiaire des chefs; il n'y a donc pas
lieu de modifier le caractère des District Commissio-
ners ni la nature de leur pouvoir judiciaire. Cependant
on pourra laisser aux chefs le droit de juger les ques-
tions d'ordre foncier même; au lieu de punir de flagel-
lation les chefs qui excéderaient les pouvoirs qu'on leur
aurait confiés, on pourrait se borner à annuler leurs
sentences. Le taux de la taxe devra être maintenu, mais
les Commissioners auront le droit d'en déduire le mon-
tant autant qu'ils jugeront nécessaire, et les proposi-
tions de Sir F. Cardew au sujet des commissions à don-
ner aux chefs devront être adoptées.
CHAPITRE V
SIERRA LEONE
La réglementation de la Hut-tax.
On sait comment le développement de la Guinée
française porta une atteinte sérieuse au commerce de
la colonie anglaise. On ne se rendit point compte tout
d'abord à Sierra Leone des raisons de la diminution du
chiffre des affaires, et on en accusa la Hut-tax, comme
on l'avait rendue responsable du soulèvement. Dès son
arrivée à Freetown vers la fin de 1901, le successeur de
Fr. Cardew, Sir G. A. King-Harman, reçut des princi-
paux commerçants européens et indigènes du Sherbro
une pétition qui contenait le passage suivant* :
« Les indigènes du Protectorat se plaignent constam-
ment à nous des méthodes arbitraires qui sont employées
par quelques-uns des prétendus chefs souverains dans
la perception de la Hut-tax, et des lourdes amendes
qu'ils imposent à ceux qui leur sont soumis. La situa-
tion est d'autant plus grave que la plupart de ces chefs
sont des commerçants importants et qu'ils emploient
leur autorité à forcer les indigènes à traiter avec eux,
ce qui est contraire au principe de la liberté du com-
merce. Ges chefs sont choisis par les représentants du
gouvernement et n'ont aucun droit héréditaire ou déri-
1. H\ A., 21 déc. 1901, n« 53.
62 SIERBA LEONE
vant de la coutume à gouverner les districts dans les-
quels ils ont été nommés. »
Les pétitionnaires demandaient qu'un détachement
des troupes de Bontee fût renforcé, parce que de nou-
veaux soulèvements étaient toujours à craindre.
Les journaux indigènes de Freetown ne cessèrent
de protester contre les procédés d'administration du
Protectorat. Il est intéressant de reproduire des extraits
de quelques-uns de leurs articles, comme caractéristi-
ques de l'état d'esprit des « educated natives' » :
« La Protectorate Ordinance qui donne aux District
Commissioners des attributions dépassant même celles
du pouvoir exécutif de la colonie, fait de ces agents de
véritables despotes, pour peu qu'ils y soient disposés,
et de leurs administrés, des esclaves. Nous apprenons
qu'un grand nombre de personnes ont été employées
à la construction de casernes sans rémunération...
Nous pensons être fondés à exprimer nos craintes sur
l'avenir de l'Afrique occidentale sous la présente admi-
nistration coloniale, à moins qu'un changement de poli-
tique ne se produise*. »
« Les liens paternels qui réunissaient les premiers
gouverneurs au peuple, et que la politique ferme, mais
judicieuse, et par-dessus tout humaine, libérale et stric-
tement impartiale d'administrateurs tels que Sir Arthur
Kennedy, le major Blockall, Sir Arthur Havelock, Sir
Samuel Rowe, sir John Pope Hennesy, s'était efforcée
de maintenir, ont été, les uns après les autres, rempla-
cés par l'indifférence et même le mépris de la part des
uns et la méfiance et la crainte des autres... Dans notre
1. JV,A., 21dôc. 1901, n* 53.
2. Sierra Leone fVeekly \ews, passim.
LA RÉGLEMENTATION DE LA HUT-TAX 63
Protectorat Fintervention du gouvernement dans les
questions de captivité domestique a eu pour effet qu'un
grand nombre des travailleurs ont abandonné leurs
maîtres soit pour se joindre à la Frontîer Force dans le
but de revenir dans le pays et de terroriser leurs pré-
cédents propriétaires, ou dans celui de joindre l'armée
des vagabonds qui infestent la colonie proprement dite,
ou plus légitimement de trouver un meilleur emploi.
Ce fâcheux état de choses a été accentué par l'intro-
duction de la Hut-tax et de toutes ses conséquences rui-
neuses. Les indigènes ont compris clairement que s'ils
restaient dans leur pays, ce serait uniquement pour tra-
vailler dans le but de satisfaire à la perception annuelle
de la Hut-tax... Les jeunes hommes quittent leurs fer-
mes et viennent à Freetown parce que la récolte d'a-
mandes de palme et de riz doit servir à payer la part de
Hut-tax imposée sur ceux qui les emploient, parce que
la vie dans le Protectorat, dans les conditions actuelles,
ne vaut pas la peine d'être vécue, et parce que c'est
seulement en venant travailler contre le payement de
gages en espèces qu'ils peuvent espérer obtenir les
avantages qu'ils rechercheraient vainement chez eux,
même après avoir payé la Hut-tax*. »
A diverses reprises, des pétitions furent adressées
directement au secrétaire d'Etat aux colonies. Les com-
merçants européens réclamèrent, inutilement du reste,
des dommages et intérêts pour les pertes qu'ils avaient
subies pendant l'insurrection ^
Le groupement de commerçants indigènes qui por-
tait le nom de « Kissy Road Traders' Association »
1. Sierra Leone Times, passim.
2. W. ii., 28 décembre 1901, n» 54. .
I
64 SIERRA LEONE
adressa alors au Colonial Office, vers le milieu de 1901,
un « mémorial* » qui reprenait les desiderata exprimés
par Sir David Ghalmers. Il lui fut répondu que le gou-
vernement se préoccupait d'organiser le protectorat de
manière à faire disparaître toutes les causes de mécon-
tentement qui pourraient être justifiées.
Sir King Harman visita à diverses reprises les dif-
férentes parties du Protectorat dans lesquelles avait
éclaté le soulèvement. Il prit^grand soin d'expliquer
aux chefs, avec la plus grande bienveillance, que Tuni-
que souci de l'Angleterre à leur égard était de gouver-
ner par leur intermédiaire, tout en maintenant la paix
dans le pays. Les discours qu'il leur adressa sont des
modèles de la manière dont on devrait toujours parler
aux indigènes : ils produisirent la plus grande impres-
sion. Il déclara, dans les rapports qu'il envoya au Colo-
nial Office', que toute agitation lui paraissait terminée,
contrairement aux assertions des educated uativeSy qui
paraissaient avoir quelque intérêt mystérieux à entre-
tenir le trouble dans le Protectorat. Les indigènes se
rendaient compte que la taxe n'était pas aussi lourde
qu'ils l'avaient craint tout d'abord. Sir King Harman se
préoccupa de rechercher les points défectueux que
pouvait en présenter la perception, et il y apporta quel-
ques modifications.
Le dernier règlement en vigueur à ce sujet est celui
du 23 mars 1905.
En vertu de ce règlement, les chefs des différentes
villes ne sont pas obligés de faire remise du montant
1. W, A., 26 avril 1002, n» 71.
2. P. p. Sierra Leone, 1902, Reports by Sir Charles King-IIarman on his
visil to the prolectorale et Jr. A., o juillet 1902, n* 81.
LA RÉGLEMENTATION DE LA HUT-TAX 65
4
de la Hiit-tax entre les mains de leurs chefs souverains^
et, à moins qu'ils ne consentent librement à agir autre-
ment, la procédure suivante est adoptée : le D. Coni-
missioner se rend dans une ville déterminée, et les
chefs de la région font remise du montant de la taxe au
chef souverain, qui le transmet ensuite au D. Commis-
sioner. Si la samme payée est trop forte, le surplus est
remboursé par le D. Gommissioner; si elle est trop
faible, celui-ci fixe l'époque où la différence devra être
payée.
. S'il y a des discussions au sujet de l'exactitude du
rôle de l'impôt, le D. Gommissioner s'efforce de les
régler sur-le-champ, et si cela est impossible, il donne
les indications nécessaires au redressement des er-
reurs.
Au commencement de la saison sèche, le D. Gommis-
sioner doit reviser le rôle. En principe, les chiffres don-
nés par les chefs souverains doivent être acceptés, de
sorte que les D. Gommîssioners n'ont pas à vérifier
leur exactitude pour chaque village, mais peuvent se
borner à ne contrôler que des points déterminés.
La comrnission de 5 pour 100 qui est attribuée aux
chefs est <;onsidéré comme un subside pour exécution
de, services publics, et, comme tout subside, elle est
répartie d'après la coutume indigène entre les différents
chefs par le chef souverain.
Gette disposition fut modifiée en août 1905 par une
ordonnandeV qui disposait qu'une commission de 2,50^
p. 100 pourrait être payée par les D. Gommissioners à
1. An Ordinance empoivering the governor te make régulations with
respect to the collection and receicing 6f the house tax in the protecto-
rate, 1905. - ■ : . •
5
66 SIERRA LEONE
tout sous-chef qui, en raison de l*éparpillement de&
cases ou pour tout autre motif, aura une peine parti-»
culièreà prélever l'impôt.
Dans les cas où la juridiction d'un chef souverain
s'étend sur deux districts, les limites de ces districts
devront être modifiées de manière à ce que toute la
région soumise à ce chef se trouve dans le district où
est sa principale ville.
Il arriva au début que plusieurs familles habitèrent
la même case pour éviter la taxe. Des cartes person-
nelles furent établies au nom de chacun des proprié-
taires qui avaient acquitté l'impôt, et lorsque deux
familles logèrent dans la même case, celle qui n'était
point inscrite cowjoae propriétaire se trouva dans une
dépendance niorale telle que, d'une manière générale,
elle préférait retrouver son indépendance en habitant
une case isolée.
Le recouvrement par les chefs devait fatalement ame-
ner quelques exactions. Le payement direct au Dis-
trict Commissioner fut autorisé. Il fut très apprécié
par les chefs de famille qui constituent l'aristocratie
africaine, en ce que cela diminuait leur dépendance
vis-à-vis des chefs de tribu, et ce fut une des mesu-
res qui devaient tendre peu à peu à transmettre une
partie des attributions de ces derniers au pouvoir sou-
verain.
Grâce à cette série de mesures, et au soin avec lequel
la taxe fut prélevée, sa perception n'a donné lieu jus-
qu'ici à aucun nouvel incident, et il est probable qu'il
en sera ainsi tant qu'elle restera proportionnée aux
ressources des indigènes.
Son rendement a suivi la progression suivante :
V
LÀ RÉGLEMENTATION DE LA HUT-TAX 67
1898 158.525 fr. 1906 1.023.675 fr.
1900 751.150 1907 1.075.850
1904 937.575 1908 1.132.475
1905 963.835 1909 1.189.500
1910. 1.242.575
Une ordonnance de 1900 étendit à la Colonie le sys-
tème de la taxe sur les habitations au taux de 1 shilling ^
par livre sterling de valeur locative, et de 5 shillings
lorsque cette valeur n'atteint pas 5 livres. Le produit
n'est pas versé au budget général de la colonie. Celle-
ci 'est divisée, à ce point de vue, en districts qui sont
représentés par des conseils nommés Advisory Boards,
dont les membres sont choisis par le gouverneur parmi
les indigènes les plus influents du pays« Celui-ci, après
délibération des conseils, détermine l'emploi qui doit
être fait des sommes perçues et les affecte principale-
ment aux travaux publics nécessaires dans le district^
1. The Colony Jlouse Tax Ordinance/n* 11 of 1900.
i
CHAPITRE VI
SIERRA LEONE
La nouvelle organisation administrative et judi-
ciaire du Protectorat. — Le régime foncier.
Bien que le statut du Protectorat, tel qu'il avait été
établi par l'ordonnance de 1896, eût reçu l'approbation
du Colonial Office, il n'en devait pas moins subir d'im-
portantes modifications, lorsqu'il fut nécessaire de
préciser ses points d'application. Une ordonnance de
1901 [the Protectorate Ordinance 1901) réorganisa l'ad-
ministration de la justice. Une nouvelle ordonnance en
date de 1903 institua le système actuellement en vigueur
[the Protectorate Courts Jurisdiction Ordinance 1903).
Le principe de cette législation est le suivant (par. 6) :
« La loi indigène doit être appliquée dans les procès
entre Européens et indigènes, toutes les fois que le
contraire n'aura pas été préalablement convenu entre
les parties et que l'application de la loi anglaise serait
injuste, étant données les coutumes du pays, à condi-
tion toutefois qu'il n'y ait rien dans la loi indigène de
contraire à la justice naturelle, à l'équité et à la bonne
conscience ».
Les tribunaux des chefs indigènes restent organisés
comme ils l'ont été par la coutume. Leur compétence
s'étend et s'applique aux seuls indigènes. L'ordonnance
l'organisation administrative et judiciaire 69
ne définît du reste pas ce qu'elle entend par indigène;
en fait, cette définition est laissée aux soins du District
Commissioner. En matière civile, celte compétence
est universelle, sauf en ce qui concerne les contesta-
tions foncières entre chefs souverains et, particularité
très intéressante, les payements réclamés par les déten-.
teurs de patentes. Cette dernière disposition est le ré-
sultat d'une tendance du gouvernement de Sierra Leone
à assimiler à des sujets anglais tout indigène se livrant
régulièrement à des opérations commerciales.
Les tribunaux indigènes n'ont pas le droit de juger
les cas de meurtres, d'homicide, de rapt, d'esclavage^
de cannibalisme, de vol avec violences, de blessures
graves, de bagarres entre tribus, de fétichisme.
Les chefs restent propriétaires des amendes et des
frais de justice qu'ils perçoivenL
Les District Commissioners siègent comme « Court
of'the district commissioner ». Leur compétence civile
-s'étend à tous les cas qui ne dépendent point des tri-
bunaux indigènes et dans lesquels la valeur du litige
ne dépasse pas 50 livres. En matière criminelle, ils
jugent tous les cas dans lesquels les indigènes sont
impliqués et qui ne relèvent pas des tribunaux indi-
gènes. Mais lorsque un non-indigène est en causé,
ils ne peuvent prononcer le jugement dans les cas qui
entraîneraient un emprisonnement de trois mois ou
une amende de plus de 10 livres.
• Lorsqu'un non-indigène est accusé d'un crime pas-
sible de la peine de moi't, ou lorsqu'un crime analogue
a été commis par un indigène sur la personne d'un
non -indigène, le District Commissioner devra ren-
voyer le cas devant la Suprême Court.
70 : SIERRA LEONE
Un tribunal ambulant eât établi sous la dénomination
de (c Circuit Court ». Ses séances sont tenues par un
juge de la Suprême. Court qui siège dans les différents
points du Protectorat fixés par le gouverneur; sa com-
pétence et sa procédure sont celles de la Suprême Court,
et il connaît tous les cas qui dépassent la compétence
des tribunaux indigènes et des District Commission
ners. Les condamnations à mort prononcées par la Cir-
cuit Court ne peuvent être exécutées sans l'approbation
du gouverneur, ainsi que les condamnations à des coups
de cravache^ qui ne peuvent dépasser 24 coups et qui
ne peuvent être infligées aux femmes.
Il peut être intenté appel devant la « Circuit Court »
contre les jugements, des District Cammissioners en
matière civile, dans des cas dont la valeur dépasse
10 livres, et, en matière criminelle, dans tous les cas
lorsqu'un non-indigène en est accusé.
Les frais de justice devant le tribunal des District
Gommissioners sont fixés par le gouverneur en conseih
Au commencement de 190&, aucun incident nouveau
n'étant venu troubler la paix dans le Protectorat, le
moment parut venu de confier de plus en plus l'admi-
nistration du pays aux conseils des chefs, et une ordon-
nance vint réorganiser leurs pouvoirs*.
• Les chefs souverains d'une même race sont groupés
par le gouverneur en assemblées constituées de telle
manière qu'elles ne comprennent qu€ des chefs habi-
tant à moins de deux jours du lieu où elles siègent. Ces
assemblées prennent le nom de « Local Assembly of
i, The Proieclorate native law Ordinance; 190Ô.
l'organisation administrative et judiciaire 71,
Paramount Chiefs ». Chacune des assemblées locales
choisit, avec le consentement du gouverneur, trois
chei^ souverains qui forment l'assemblée générale de
tous les chefs souverains de la même race«
Le District Commissioner ou tout autre fonction-
naire désigné par le Gouverneur est président de l'As-
semblée à laquelle il assiste; en son absence sont pré-
sidents des chefs choisis par les autres chefs présents.
Les réunions des assemblées locales et générales se
tiennent aux lieux et aux époques fixés par le gou-
verneur.
Ces assemblées ont le droit de présenter par pétition
ou résolution, et par l'intermédiaire de leur président,
toute requête tendant à « promulguer une loi pour le
bien de4a race ou du territoire représenté par les chefs
constitués en assemblée, pour s'opposer à la promul-
gation des lois qui lui seraient contraires ».
Les assemblées ont le droit de nommer des commis-
sions composées de trois au moins de leurs membres
et de cinq au plus, qui examinent les questions de déli-
mitation,, les plaintes contre les chefs souverains- et
sous-chefs et autres matières intéressant le peuple et le
pays; elles déposent leurs conclusions entre les mains
des District Commissioners ou du délégué du gou-
verneur. Ces requêtes une fois approuvées par le Dis-
trict Commissioner représentent l'opinion de l'assem-
blée. Elles doivent être faites par écrit, signées par le
président et copiées dans le District Decrees Bpok et
transmises au gouverneur. Lorsque le Législative
Council vote une loi qui met en vigueur les principes
présentés par une assemblée, ou lorsqu'une assem-
blée demande qu'une loi faite par le Législative Council
72 SIERHA LÉONB
soit appliquée au pays ou au peuple qu'elle représente,
le fait est mentionné dans la gazette et dans le volume
annuel des lois de la Colonie et du Protectorat.
Les travaux d'amélioration du sol ou des cases, qui,
d'après la coutume indigène, doivent être faits parles
'soins d'un chef souverain ou d'un sous-chef, seront
exécutés par leurs travailleurs et les indigènes de leur
ville, de la manière prescrite par la coutume. Le chef
qui obligera les indigènes d'une autre ville à exécuter
ces travaux, sera passible d'une amende et pourra être
destitué par le gouverneur; s'il a usé, dans ce but, de
• • •
violence au point de rendre la condition de ces indi-
gènes analogue à l'esclavage, il pourra être condamné
par la Suprême Court ou la Circuit Court (juge ambu-
lant) à . un emprisonnement avec travail forcé qui ne
"dépassera pas cinq ans.
" Avant la promulgation de l'ordonnance, les étran-
gers qui étaient établis sur le territoire d'un chef aux
'ordres duquel ils ne voulaient pas se soumettre devaient
lai payer annuellement une somme fixée par l'usage.
Le gouvernement résolut de régulariser cette coutume
de façon à éviter les abus; mais il fut décidé qu'il ne
"serait rien changé aux usages à ce point de vue, pour
ies personnes qui voudraient continuer à les observer.
'En revanche, toute personne qui, dans l'avenir, désire-
rait s'établir dans le territoire d'un chef sans se sou-
mettre à ses ordres, devrait lui payer annuellement une
livre sterling polir l'occupation de la pièce de terre qui
serait mise à ^à disposition par les autorités de la tribu
pour y construire, à la mode indigène, ùrie case ou des
magasins. En vertu de ce payement elle serait dispensée
l'organisation administrative et judiciaire 7i
de tout autre présent à faire au chef et des prestations
que celui-ci pourrait exiger en vertu des usages; rem-
placement concédé devra cependant être maintenu dans
un état de propreté, conformément aux règles de l'hy-
giène.
En ce qui concerne les constructions ayant un carac-
tère de permanence, les sommes convenues avant la
promulgation de Tordonnance pour l-occupation des
terrains qu'elles couvrent, devront être payées comme
par le passé. Dans l'avenir, ces locations de terrain
devront avoir lieu par écrit, être approuvées parle
District Commissioner moyennant les conditions ((ui
pourraient être fixées par le gouvernement, et être
enregistrées dans les bureaux du Registrar gênerai.
La moitié des redevances d'une livre sterling dont il
vient d'être question devra être distribuée par les chefs
souverains aux sous-chefs, et l'ensemble devra être dé-
pensé en travaux d'utilité publique, comme construc-
tion de routes et aménagements sanitaires.
Les personnes qui payeront ces redevancés auront
droit aux bons services des chefs, qui, s'ils refusent de
les leur rendre, pourront être condamnés par le Gou-
verneur à une amende ou même être destitués.
Dans les villes où sont fixées un nombre considérable
de personnes qui se sont ainsi soustraites à l'autorité
indigène, le chef souverain peut demander au gouver-
neur, par l'intermédiaire du District Commissioner,
de déterminer: 1** les limites de la ville indigène; 2° les
limites de la partie de la ville réservée aux étrangers;
3* la largeur et la direction des routes qui doivent
desservir le pays environnant, réunir les différentes
parties de la ville ou conduire aux points d'eau; 4** la
1
74 SIERRA LEONE
zone qui devra être réservée pour prévenir la pollution
des eaux destinées à la consommation ou au lavage.
Le gouverneur aura du reste le droit de fixer autre-
ment que Ta fait Tordonnance, les sommes qui devront
être payées par les étrangers en raison de leur établis-
sement, ainsi que la part qui devra être payée au chef
souverain ou au sous-chef. Une autorité spéciale (en
fait une sorte de municipalité) pourra être créée pour
administrer ces fonds réservés.
Le gouvernement anglais, par les dispositions que
nous venons d'analyser sur la situation des étrangers
dans le Protectorat, a voulu soustraire ceux-ci, d'une
manière générale, à l'autorité des chefs indigènes. Il
n'en devait pas moins faire une grande concession aux
partisans du maintien des prérogatives de cette auto-
rité, en laissant aux chefs une certaine compétence
judiciaire sur les Européens et autres étrangers. Nous
avons vu comment la Protectorate Ordinance de 1897 ,
avait décidé que tous les procès dans lesquels une des
parties ne serait pas un indigène du Protectorat seraient
réservés à la compétence du D. Gommissioner. La nou-
velle ordonnance devait abroger en partie cette dispo-
sition. Elle disposait ainsi :
« Tout chef souverain dans le district duquel un nom-
bre considérable de commerçants ou de missionnaires
européens ou sierra léonais seront établis pourra de*
mander au District Gommissioner de nommer un ou
plusieurs de ces étrangers pour siéger avec lui comme
juge dans les procès entre indigènes de son district et
étrangers. Ges nominations seront faites pour un an
par le gouverneur.
l'organisation administrative et judiciaire 75
« La compétence de ce tribunal mixte s'étendra à toute
matière civile dans laquelle la valeur de Tobjet en litige
ne dépassera pas 10 livres, et au cas des disputes dans
lesquelles les coups échangés n'auront pas entraîné
des blessures graves et où les paroles dites ne justifie^
ront pas des dommages dépassant une livre. Les causes
de plus grande importance et toutes celles dans les-
quelles il s'agira de contestations foncières seront
jugées par le District Commissioner ou la Suprême
Court. Les frais perçus par ces tribunaux mixtes seront
le double de ceux des tribunaux ordinaires des chefs^
et leur montant sera partagé en parties égales entre
le chef et le juge qui lui aura été adjoint. La procédure
adoptée sera celle prescrite par la loi indigène, si ce
n'est qu'en cas d'absence de témoignage, il ne pourra
être fait usage de poison. Si les juges sont unanimes,
les décisions du tribunal mixte seront sans appel; dans
le cas contraire, les parties seront remboursées de leurs
frais et devront se rendre devant le D. Commissioner
ou la Suprême Court. Le gouverneur aura le droit de
décider quel sera le mode d'exécution d'un jugement
lorsque le montant de la somme fournie devant le
tribunal ne sera pas suffisant pour satisfaire à la
demande. Aucune personne cependant ne pourra être
condamnée à la prison pour dettes; le même tribunal
mixte ne pourra prescrire le remboursement d'une
dette contractée par un débiteur que lorsque la famille
aura connu et approuvé l'emprunt. »
• Si l'on s'en tient au texte de l'ordonnance, il semble
que la constitution de ce tribunal mixte est laissée à la
disposition des chefs, et que si ces chefs ne demandent
pas au District Commissioner de leur adjoindre un
78 SIERRA LEONB
sées par les indigènes, à condition, il est vrai, que cçs
transactions soient passées par écrit. Dans son proto-
cole, elle définit comme concession tout écrit par lequel
un droit est garanti par un indigène sur les minerais
qu'une terre contient ou sur les plantes qui la cou-
vrent, indigène qu'elle définit par cette formule : « Toute
personne de naissance africaine qui, en vertu des cou-
tumes indigènes, a des droits sur la terre de la Colonie
ou du Protectorat. »
Son principal objet est d'instituer un tribunal qu'elle
appelle « the Concessions Court », composé des juges
de la Suprême Court, un juge pouvant siéger et pou-
vant exercer tous les pouvoirs du tribunal. Ses attri-
butions sont de déclarer valable ou non valable toute
concession concernant les terres situées dans la Colo-
nie ou le Protectorat », toute concession pour être va-
lable devant être validée par lui.
Peuvent seules être certifiées valables les conces-
sions faites par écrit et signées par le concédant ou par
une personne légalement autorisée par lui, que le tri-
bunal aura jugé passées par des personnes compétentes
et comprenant la portée de leur acte. Les concessions
seront nulles si elles sont obtenues par fraude ou si une
somme suffisante n'a pas été convenue comme prix.
Ces concessions ne portent du reste pas sur la pro-
priété même du sol, l'ordonnance paraissant estimer
que ce droit ne peut être transmis. Elle dispose en
effet que le tribunal ne peut valider une seconde con-
cession que s'il reconnaît que les droits coutumiers des
indigènes, au point de vue des déplacements de cul-
ture, de la récolte du bois de chauffage et de la chasse,
ont été raisonnablement protégés.
LE REGIME FONCIER
19
En somme, comme le dit le rapport de 1908\ la terre
est regardée dans le Protectorat comme appartenant
sans réserve et entièrement au peuple de la tribu pour
le bénéfice de laquelle elle est administrée par le chef
et ses conseillers. Elle ne peut être concédée ou louée
par le gouvernement.
Le chef, avec le consentement de ses conseillers,
peut consentir des locations de terrain pour le com-
merce et Tagriculture* Lorsque des constructions per-
manentes doivent être établies, les arrangements en
vertu desquels la terre est louée doivent être passés
par écrit devant le District Commissioner, indiquant
la somme payée annuellement au chef dans ce but.
Pour les terres de culture, si la superficie louée ne
dépasse pas 50 acres, le consentement du District Com-
missioner est nécessaire; lorsqu'elle dépasse 50 acres,
celui du gouverneur est exigé, et s'il s'agit de plus de
5.000 acres il faut celui du Secrétaire d'État. Dans
aucun cas un chef ne peut être forcé de disposer de sa
terre malgré lui, et il doit tenir compte de la volonté
de son peuple.
Le tribunal a le droit de modifier comme il le juge
bon les termes de la concession et de ne la valider que
sous certaines conditions qui lui paraîtront justes. Si
ces conditions ne sont pas exécutées, il peut, à la re-
quête des intéressés, annnuler le certificat ou bien
ordonner, sous peine de dommages et intérêts, l'exé-
cution des conditions imposées, ou prendre telle autre
décision qu'il jugera bon. Les frais de ces interven-
tions sont laissés à la discrétion du tribunaL
1. Colonial Reporl, n* 611 (Gd. 4448-20).
80 SIERRA LEONE
Le gouverneur peut demander à l'attorney-general
d'intervenir comme partie dans tous les procès en vali-
dation.
Il a paru nécessaire d'établir un régime spécial pour
les |habitants de la Colonie proprement dite résidant
dans le Protectorat. Ils ont le droit d'occuper des ter-
rains avec l'assentiment des chefs locaux, à condi-
tion de leur payer une redevance annuelle de 1 livre
sterling et, s'ils habitent un village voisin d'une route
« améliorée », 1 livre 10 shillings. En retour, ils ont
droit à la même protection et aux mêmes bons offices
que les chçfs doivent donner à leurs propres sujets.
Nul ne pourra faire de prospection minière dans la
Colonie ou le Protectorat sans en avoir, a^ préalable,
obtenu l'autorisation sous forme d'une licence sujette
à un droit de timbre de 5 livres, et ce sous peine d'une
amende ne dépassant pas 50 livres.
Nul. ne pourra effectuer de travaux sans en avoir
obtenu l'autorisation sous forme de , concession par
l'indigène intéressé et sans avoir obtenu utie licence du
gouverneur sujette à un droit de timbre .de 30 livres, et
ce sous peine d'une amende ne dépassant pas 50 livres.
Les indigènes exploitant des droits miniers suivant la
coutume seront dispensés de licence.
' Les personnes qui exploiteront des mines devront
payer au gouvernement un droit de 1 shilling par
20 shillings sur tout profit fait en vertu de l'exercice des
droits conférés par* la concession. Elles devront, pour
assurer le contrôle, se plier à toute une série de règles
fixées par rdrdonriance et dans les détails desquelles
nous n'entrerons pas.
Toute personne qui déclarera fétiche. une terre ayant
LE REGIME FONCIER 81
fait l'objet d'un certificat de validité sera passible d'une
amende ne dépassant pas 50 fr. ou d'un emprisonne-
ment ne dépassant pas six mois.
Le gouverneur a le droit de prendre cession de tout
ou partie d'une terre concédée pour l'exercice des
services publics, sans être tenu à d'autres dommages
que ceux que le tribunal fixera à titre de compensation
des travaux effectués.
En somme, toute cette législation, confuse, aux ten-
dances très diverses, s'attachant tantôt à faire la part
la plus grande possible aux libertés et aux institutions
des indigènes, allant même dans ce sens jusqu'à leur
donner autorité sur les Européens, tantôt à garder ces
mêmes indigènes en tutelle, reflète les caractères de
l'occupation anglaise à Sierra Leone, occupation qui,
pendant tout un siècle, s'est attachée à former une
société noire sur le moule des sociétés européennes, et
qui tout d'un coup, ayant voulu s'étendre sur des tribus
nouvelles et s'étant heurtée à des difficultés qu'elle n'a-
vait pas prévues, en a été un peu déconcertée.
On peut dire cependant que, jusqu'ici, c'est la poli-
tique de tutelle inaugurée par Sir Frédéric Cardew qui
a prévalu, à l'encontre de celle préconisée par Sir David
Ghalmers. Elle a été appliquée avec assez de tact, et les
circonstances lui ont été assez favorables pour qu'il
n'en ait découlé aucun nouvel incident depuis le grand
soulèvement qui a marqué l'avènement de la domina-
tien anglaise sur l'intérieur de Sierra Leone.
6
CHAPITRE VII
LA GOLD COAST
La fondation de la Colonie.
A la fin du dix-huitième siècle, 40 forts avaient été
établis sur la côte occidentale d'Afrique par les diverses
compagnies européennes qui se livraient à la traite des
esclaves. Ils étaient, pour la plupart, construits le long
de la côte qui constitue aujourd'hui le littoral de la
GoldCoast; 15 étaient hollandais, 14 anglais, 3 français,
4 danois et 4 portugais. Lorsque le gouvernement de
Sierra Leone fut constitué, en 1808, les forts anglais lui
furent rattachés, et ce fut le début de la colonie. Elle
prit le nom de « West African Settlements » et fut pla-
cée sous le contrôle direct de la Couronne.
Tandis que les nations européennes poursuivaient
leurs opérations commerciales le long de la côte, les
tribus qui vivaient sur le bord de la mer déterminaient,
au commencement du dix-huitième siècle, les limites de
leurs territoires, et celles de l'intérieur étaient absor-
bées par le royaume de l'Ashanti ou devenaient ses
tributaires.
Ce royaume avait été fondé aux environs de 1700 par
Osri Tutu, qui établit sa capitale à Kumassi. Ce chef sou-
mit les Okwawus,les Gamans, les Denkyrans et le pays
des peuplades habitant l'ouest de la rivière Tano. Ses
successeurs étendirent le pouvoir des Ashantis jusqu'à
(
LA FONDATION DE LA COLONIE 83
la Yolta et annexèrent le Dagonba. Ils soumirent les
Sefwis et les Adansis et étendirent leur pouvoir sur les
Wassaws à Touest et les Akwamus et les Akwapems à
Test. A partir de ce moment (commencement du dix-
neuvième siècle), ils se trouvèrent en contact avec les
Fantis, qui formaient la tribu la plus puissante de la «
côte, et ne cessèrent d'être en guerre avec eux.
Ce sont les luttes que l'Angleterre eut à soutenir
contre les Ashantis qui l'ont amenée peu à peu à s'éta-
blir fortement dans le pays et à occuper l'intérieur.
Pendant de très longues années, son seul but fut de
protéger ses nationaux, que les incursions des Ashantis
gênaient fort. L'intervention de la métropole fut pen-
dant très longtemps aussi modérée que possible.
La première invasion Ashanti dans le pays Fanti vint
se heurter en 1807 contre le fort d'Annamabo. Les com-
merçants anglais conclurent alors un traité par lequel
ils s'engagèrent à payer aux Ashantis une redevance
annuelle, en reconnaissance de leur établissement à
Cape Coast et à Annamabo.
En 1817, les Ashantis envahirent de nouveau le pays
Fanti et bloquèrent Cape Coast. Ils se retirèrent après
payement par les Fantis d'une somme d'argent qui leur
fut avancée par les Anglais. Ceux-ci envoyèrent à Ku-
massi, sous la direction de M. Bowdich, une mission
qui, en septembre 1817, conclut un traité en vertu du-
quel un résident anglais devait être laissé à Kumassi;
le payement de la rente consentie en 1817 fut confirmé.
Peu après, le roi des Ashantis, s'étant jugé offensé par
les indigènes de Commenda et de Cape Coast, leur
réclama une somme de 1.600 onces d'or et demanda
une somme analogue au gouverneur du fort, qui se
L
34 LA GOLD COAST
refusa à payer tout tribut. Un incident qui se passa
alors montre que les rapports de la métropole et des
établissements de la côte n'éuient pas encore bien
définis.
Un envoyé du gouvernement anglais, Dupuis», se
rendit à Kumassi en. 1818. Il fut reçu favorablement par
le roi, qui conclut avec lui un traité en vertu duquel il
promettait fidélité au gouvernement anglais, s'enga-
geait à protéger le commerce fait avec la côte, recon-
naissait sa souveraineté sur les territoires fantis, sous
réserve que les Fantis garderaient le bénéfice de Tu-
sage des lois a'nglaises; mais il arriva que les autorités
locales se refusèrent à ratifier ce traité, sous prétexte
qu'elles ne pouvaient reconnaître l'autorité des Ashan-
tis sur les Fantis.
Cet incident devait hâter la dissolution de l'African
Company, qui avait gardé à côté du gouvernement an-
glais des droits souverains. En 1821, le Parlement vota
un bill en vertu duquel la charte de celte compagnie
lui était retirée ; ses forts et possessions passèrent à la
Couronne. Sir Charles MacCarthy fut nommé gouver-
neur de la Gold Coast, qui devenait indépendante de
Sierra Leone ; MacCarthy résolut de protéger les tribus
de la côte contre les Ashantis, mais il fut tué par ceux-
ci le 13 janvier 1824, aux environs du Prah. Les Ashantis
restèrent établis à la côte pendant plusieurs mois; ils
se retirèrent dans l'intérieur à la suite d'une épidémie
de petite vérole. En 1826, ayant tenté une nouvelle
incursion, ils furent enfin repoussés, grâce à une
alliance des troupes des divers forts européens.
1. Dupais, Journal of a résidence in Ashantee,
LA FONDATION DE LA COLONIE 85
Quelque temps auparavant, le gouvernement anglais,
fatigué des difficultés qu'il éprouvait dans ce pays, im-
posa aux commerçants une taxe pour compenser les
dépenses. To\it naturellement le commerce se porta
vers les forts danois et hollandais, et il s'en fallut de
peu que l'Angleterre ne se décourageât. Il fut décidé,
en 1825, que seuls Cape Coast Caslle et Accra seraient
occupés militairement; en 1826, on proposa d'aban-
donner Accra, et en 1827 le gouverneur fut avisé d'a-
voir à informer les marchands que les forts seraient
évacués, et que s'ils restaient établis dans le pays, ce
serait à leurs risques et périls.
En 1828, on prit le parti d'attribuer le gouvernement
des forts à un comité de marchands de Londres ayant
des intérêts à la Gold Coast et choisis par le gouver-
nement anglais. Cinq de leurs agents résidents à Cape
Coast et à Accra, nommés avec l'approbation du secré-
taire d'Etat, devaient former un conseil d'administra-
tion des établissements et une cour de justice de paix;
il leur était défendu de faire de nouvelles acquisitions
territoriales. Ils étaient rattachés aux West African
Settlements de Sierra Leone, mais un gouverneur an-
glais était placé auprès d'eux; ce fut le capitaine George
MacLean.
MacLean parvint en 1831 à passer avec les Ashantis
un traité en vertu duquel ceux-ci devaient donner en
otage deux princes royaux, payer une somme de 600
onces d'or, et s'engageaient à abandonner leurs préten-
tions sur les Fantiset à prendre le gouverneur anglais
comme arbitre des querelles qui pourraient éclater
entre eux et les peuples de la côte.
MacLean était un administrateur de grande valeur. Il
86 LA GOLD COAST
parvint pendant dix ans à maintenir une paix que
Ton n'avait pas encore connue. Il étendit l'influence
anglaise sur 150 milles de côte et, dans l'intérieur,
jusque dans l'Ashanti. Il fut le véritable créateur de
ce qui devait être la Colonie proprement dite de Gpld
Coast.
Sous son administration les missions Avesleyennes
commencèrent leur œuvre dans ces pays.
Il devait cependant être accusé de favoriser la traite
lies esclaves. En 1840 le D*" Madden, envoyé par le gou-
vernement anglais pour examiner la situation, conclut
au maintien des colonies de la Gold Coast, mais sous
un régime différent.
En 1842 un Select Committee de la Chambre des com-
munes recommande la reprise du gouvernement par la
Couronne, la réoccupation de tous les forts abandonnés
et la construction de forts nouveaux. La juridiction
anglaise devait s'étendre sur les tribus indigènes qui
vivaient dans le voisinage immédiat des forts, mais sous
la réserve que cette juridiction serait acceptée libre-
ment par eux, « non comme l'allégeance de sujets,
mais comme la déférence d'un pouvoir faible pour un
voisin plus fort et plus éclairé ». Les forts anglais de
la Gold Coast furent pris en charge par la Couronne
(Acts 6 and 7 Victoria \ c. 13). Un Judicial Assessor (dé-
pendant du gouverneur de Sierra Leone) exerçait dans
les forts les fonctions de juge de paix auprès des indi-
gènes qui avaient accepté la juridiction anglaise (Acts
6 and 7 Victoria*, c. 94j. En reconnaissance de ses ser-
1. Remplacé par Ihe BriUsh SeUlements ad, 1887, 50, 51 Victoria, c. 53.
2. Remplacé par Ihe t'oreign JurisdicUon Acly 1890, 53 et 54 Victoria,
c. 37.
LA FONDATION DE LA COLONIE 87
vices, le poste de Judicial Âssessor fut confié à MacLean
lui-môme, qui Toccupa jusqu'à sa mort.
En 1844, le gouverneur Hill signa avec les chefs des
Fantis de Denkara, Abrah de Assim, de Donadie, de
Donomassie, d'Annamaboe et de Cape Coast des trai-
tés par lesquels ceux-ci renonçaient aux sacrifices hu-
mains et admettaient la juridiction de la reine dans
tous les cas graves. On estimait, en 1847, l'étendue des
Gold Coast Settlements à 6.000 milles carrés, et leur
population à 275.000 habitants au moins.
En 1849, Lord Gray, secrétaire d'Etat aux colonies,
suggéra que l'Angleterre pourrait prendre définitive-
ment possession de ces territoires de façon à les orga-
niser et à en retirer des revenus. Son projet ne fut
cependant pas accepté dans son ensemble, parce qu'on
craignit d'indisposer les indigènes et parce qu'il eut été
nécessaire d'obtenir au préalable la collaboration des
Danois et des Hollandais, de façon à pouvoir organiser
un service de douanes. L'Angleterre se décida à acheter
les forts danois qui s'échelonnaient de Christiansborg
à Kita. Le 24 janvier 1850, des lettres patentes sépa-
raient les établissements de la Gold Coast des dépendan-
ces de Sierra Leone. Une « Suprême Court of Justice »
fut établie, et le « Gold Coast Corps Régiment » fut
formé.
I?n 1852, le gouverneur Hill institua une assemblée
de chefs indigènes sous le nom de « the Législative
Assembly of Native Chiefs upon the Gold Coast », et
leur fit admettre le principe de l'établissement d'un
impôt {poll'tax) en échange du bénéfice de la protec-
tion anglaise. Ce fut, là en somme, la première recon-
naissance du Protectorat par les indigènes. Peu après,
88 LA GOLD COAST
un léger droit de douane fut établi à l'importation des
marchandises européennes.
La situation cependant ne devait pas s'améliorer ra-
pidement. La taxe ne put être levée, les indigènes se
soulevèrent à Accra, et à deux reprises, en 1853 et en
1863, les Ashantis durent être repoussés par des expé-
ditions assez fortes.
De leur côté, les marchands, trouvant abusif de payer
des droits de douane, voulurent revenir à la politique de
MacLean. La traite des noirs disparaissait de plus en
plus, car, en dehors de Cuba, les esclaves devenaient
d'un placement difficile; l'intervention du gouverne-
ment anglais paraissait moins nécessaire à ce point de
vue; aussi, devant les difficultés que présentait de plus
en plus l'administration des établissements de la Gold
Coast et des dépenses qui en étaient la conséquence, le
Parlement fit procéder à une nouvelle enquête « sur
l'état des établissements anglais de la côte occidentale
d'Afrique » et les mesures qu'il pouvait être opportun
de prendre.
Nous avons indiqué, dans notre introduction, com-
ment les conclusions de cette commission (Select Com-
mitlee) condamnaient toute extension ultérieure terri-
toriale de l'Angleterre en Afrique, et nous avons dit
quelles avaient été les graves conséquences de cette
<i déclaration ». Le comité prévoyait l'abandon de toute
la côte, sauf peut-être de Sierra Leone, entre les mains
des indigènes. Il demandait qu'en attendant l'exécu-
tion de cette mesure radicale, tous les Settlements fus-
sent replacés sous les ordres du gouverneur de Sierra
Leone. Cette mesure était effectuée par une « Commis-
LA FONDATION DE LA COLONIE 89
sion » en date du 19 février 1866. Un « Admînistralor »
était simplement laissé à la Gold Coast sous les ordres
du gouvernement en chef de Sierra Leone.
La déclaration de 1865 fut surtout la manifestation de
cette tendance de non-intervention directe auprès des
indigènes qui devait être la caractéristique de la poli-
tique anglaise en Afrique occidentale jusque dans ces
dernières années. Elle ne devait cependant pas retar-
der considérablement la marche des événements à la
Gold Coast. Quelques mesures que l'on dût prendre
ultérieurement, il parut nécessaire de se débarrasser
des Hollandais, dont les établissements étaient inextri-
cablement enchevêtrés avec ceux des Anglais et qui
étaient restés leurs seuls concurrents. Le chef-lieu du
gouvernement anglais était à Cape Coast Castle, celui
des Hollandais à Elmina, tout à côté. La Hollande,
d'autre part, ne tenait que médiocrement à conserver
ses établissements, qui étaient devenus de peu d'impor-
tance pour elle et qui lui coûtaient annuellement
250.000 fr. Une convention fut signée en mars 1865,
d'après laquelle tous les forts hollandais situés à l'est
de la Svveet River étaient cédés à l'Angleterre, tandis
que les forts anglais à l'ouest de cette rivière étaient
cédés aux Hollandais.
Ceux-ci éprouvèrent cependant des difficultés de plus
en plus grandes à les administrer. En 1870, les Fantis
habitant les territoires réservés à l'influence anglaise
envahirent le pays d'Elmina et détruisirent soixante
villages.
Le 25 février 1871, une nouvelle convention fut signée
dans laquelle les Hollandais cédaient définitivement tous
leurs établissements aux Anglais contre le payement
90 LA GOLD COAST
d'une somme de 3.790 livres 1 shilling et 9 pence 1/2, et
le 4 avril 1872, M. Pope Hennessy arriva pour prendre
possession des forts hollandais comme administrateur
en chef. Le pavillon anglais fut hissé à Chamah, Sekondi,
Boutri, Dixcove, Axime, Accra, Addah et Kita. L'An-
gleterre restait seule désormais à. la Gold Coast et
allait pouvoir, dans la mesure où elle le jugerait bon,
intervenir dans la vie économique et politique de ces
pays.
En 1864, le gouverneur Pine avait voulu s'établir sur
le Prah pour couper la route de la côte aux Ashantis.
Sa tentative échoua complètement, par suite surtout
des conditions climatériques. Comme il était toujours
arrivé après chaque échec des troupes anglaises, les
tribus de la côte se montrèrent insubordonnées; des
troubles éclatèrent, comme nous venons de le dire,
entre les Fantis et les Elminas, qui étaient soutenus
par les Ashantis. Au moment où ce transfert eut lieu,
les Elminas furent informés que la protection anglaise
s'étendrait sur eux et que les Fantis devraient s'abste-
nir de les attaquer. Le roi des Ashantis écrivit que, les
Hollandais lui payant un tribut pour l'occupation d'El-
mina, les Anglais devraient à l'avenir faire de même.
Lord Kimberley répondit que l'Angleterre consen-
tirait à payer une somme plus élevée que ne le faisait
la Hollande, à condition que ce ne fût pas « comme un
tribut, mais comme un encouragement à maintenir la
paix et à encourager le commerce, sous telles condi-
tions qui seraient nécessaires pour la sécurité des
habitants de la côte ». Ce payement serait continué
(( comme un don annuel, qui serait fait aussi longtemps
que la conduite du roi serait paisible et satisfaisante à
LA FONDATION DE LA COLONIE 91
tout autre point de vue pour le gouvernement de Sa
Majesté ».
Les indigènes qui habitaient le voisinage des forts
anciennement occupés par les Hollandais ne parais-
saient pas non plus vouloir respecter le protectorat de
l'Angleterre, et le gouvernement anglais se montra tout
d abord très anxieux de ne rien faire qui pût irriter
ces indigènes. Les instructions qui furent données à
M. Hennessy par Lord Kimberley sont particulièrement
significatives à ce point de vue*.
«... Le gouvernement de Sa Majesté n'a pas l'inten-
tion d'imposer le protectorat anglais à ces tribus sans
leur consentement... Vous devez dire aux Elminas
qu'on ne leur demande pas de se placer sous le pro-
tectorat anglais contre leur volonté, et une communi-
cation analogue devra être faite à toutes les tribus sur
lesquelles le protectorat anglais qui avait été retiré en
1868 s'étend de nouveau... L'objet que le gouvernement
de Sa Majesté a eu en vue en signant ce traité (avec la
Hollande) n'est pas de faire une acquisition de terri-
toire ni d'étendre le pouvoir anglais, mais de maintenir
la paix et d'encourager le commerce à la côte, et rien
ne peut être [plus opposé à son désir que de voir un
traité conçu dans ce but exécuté avec violence.
« 11 espère en même temps que, par de sages et
judicieuses précautions, l'excitation qui peut survenir à
la suite d'un événement aussi important que le départ
des Hollandais n'entraînera pas de sérieuses difficul-
tés; et il n'a pas besoin de dire qu'il regretterait pro-
fondément que des arrangements qu'il croit avoir
1. P. p. Gold Coast : Return to an address oftht honourable House of
Commons, 5 May 1873, 266, part I, n* 11.
92 LA GOLD COAST
passés pour le bénéfice de la population tout entière
et qui ont pour but de mettre fin aux difficultés qui
ont été de tout temps la conséquence de la division
de l'autorité à la côte, soient annihilées par les jalou-
sies des tribus indigènes.
« Vous ne devrez sous aucun prétexte employer la
force pour obliger les indigènes à consentir au trans-
fert des forts ; mais si vous estimez que des tentatives
faites par les autorités anglaises pour prendre posses-
sion de ces forts rencontreraient la résistance des tri-
bus voisines, vous n'accepterez pas ce transfert, mais
vous vous en référerez au gouvernement de Sa Majesté
et vous attendrez de nouvelles instructions. »
Le transfert eut lieu le 6 avril 1872* sans incident,
après une réunion préliminaire des chefs, à qui M. Hen-
nessy assura qu'il ne serait rien changé à l'adminis-
tration mise en vigueur par les Hollandais. Dans une
proclamation, le gouverneur hollandais expliqua com-
ment le désir de voir l'ordre établi à la Gold Coast
avait poussé le roi de Hollande à céder ses forts à
l'Angleterre; les habitants qui voudraient se rendre
dans d'autres possessions hollandaises y seraient aidés
En réponse, une seconde proclamation fut faite par le
représentant de la reine d'Angleterre, dont les prin-
cipaux termes étaient les suivants : « ... Au nom de la
Reine, je prends le gouvernement des territoires unis
de la côte de Guinée. Je déclare en outre et proclame
que Sa Majesté la reine Victoria étend sa faveur et son
entière protection aux Eiminas et aux Fantis ou à toute
autre tribu indigène de l'Afrique occidentale; que Sa
1. Voir, pour les détails de la cérémonie et les protocoles échangés»
loco ciLy 32 et 33.
J.A FONDATION DE LA CQLONIE 93
Majesté sera fâchée [displeased) contre toute tribu qui
commencera ou qui poursuivra des troubles dans le
voisinage des établissements de Sa Majesté; que Ta-
mitié et les bons conseils de Sa Majesté seront tou-
jours garantis aux chefs indigènes des tribus qui
maintiendront la paix et laisseront libres les commu-
nications commerciales. »
CHAPITRE VIII
LA 60UI COAST
Le soulèvement de 1875.
Le premier soin du nouveau gouverneur fut d'infor-
mer^ du transfert le roi des Ashantis. Il lui fit part de
la décision du gouvernement anglais de lui servir, en
marque d*amitié, un subside double de celui qu'il rece-
vait des Hollandais. Les routes qui mettaient en com-
munication les territoires ashantis et les territoires
anglais, routes qui avaient été fermées en 1871, seraient
rouvertes; mais il devait être entendu que les Euro-
péens détenus à Kumassi seraient renvoyés à la côte.
Les Ashantis détenaient, en effet, comme prison-
niers, depuis 1869, trois missionnaires allemands,
MM. Kuehne et M. et M"™® Ramseyer, qui avaient avec
eux leur petite fille, le Français Bonnet et un indigène
d'Accra, M. Palmer.
Les Ashantis déclarèrent qu'ils ne libéreraient leurs
captifs que contre une rançon.
Une somme de 1.000 livres fut offerte par la mission
de Baie. Il semble, d'après les déclarations des prison-
niers, que le roi ait été personnellement d'avis de
vivre en bons termes avec les Anglais, mais qu'il était
entièrement entre les mains de ses chefs, qui parais-
saient désirer une nouvelle guerre, la dernière s'étant
1. Loco cit., n* 6t.
LE SOULÈVEMENT DE 1875 95
tournée toute à leur avantage. A la suite d'une cor-
respondance^ assez longue échangée entre le roi
des Ashantis et le gouverneur anglais, les événements
paraissaient devoir prendre une bonne tournure, lors-
que tout à coup on apprit que, le 22 janvier 1873, des
soldats ashantis, au nombre de 1.200, avaient passé le
Prah et envahi le territoire d'Assim. Le colonel Harley,
qui en avisait le gouverneur de Sierra Leone, s'ex-
primait ainsi* : « Je ne peux assez exprimer à Votre
Excellence le profond étonnement que j'ai éprouvé en
apprenant cette nouvelle, car depuis quelque temps les
relations les plus amicales existaient entre le gouver-
nement et les Ashantis, dont le roi m'a dernièrement
encore donné l'assurance de sa bonne volonté et de ses
intentions pacifiques... Ce ne peut être qu'une attaque
gratuite sans aucune provocation. »
On attribue généralement cette invasion, qui devait
être le commencement de la guerre de 1873 et 1874,
au mécontentement éprouvé par les Ashantis à la suite
de la prise de possession par les Anglais des forts hol-
landais. Il est bien probable qu'il n'y eut là qu'un pré-
texte et que la guerre n'a eu d'autre raison d'être que
le désir des Ashantis de continuer leurs pillages et
de faire sentir aux Anglais qu'ils n'avaient abandonné
aucune des prétentions qu'ils* avaient de tout temps
émises sur les tribus de la côte.
Quelque temps avant l'invasion , les commerçants
européens établis à Cape Coast avaient refusé de payer
les anciennes redevances qu'ils acquittaient autrefois
entre les mains des propriétaires indigènes, en com-
1. Loco cil., n" 64, 68, 69, 70, 71, 91, 96, 99.
2. Loco cit., part. II, n* 139.
96 LA GOLD COAST
pensatîon des dépenses que ceux-ci faisaient pour loger
les commerçants ashantis.
Ils avaient demandé aussi que les « coutumes » bar-
bares qui continuaient à être pratiquées à Elmina fus-
sent interdites.
Le colonel Harley, Tadministrateur de la Gold Coast,
leur donna raison*. Une divergence de vues assez
grave éclata à ce sujet entre le gouverneur en chef
Hennessy, qui était à Sierra Leone, et l'administrateur.
Lorsque la nouvelle de Tinvasion arriva à Sierra
Leone, le gouverneur ne manqua pas d'écrire au Colo-
nial Office que cette invasion avait dû être occasion-
née par le mécontentement éprouvé par les Ashantis
à la suite de la façon abusive avec laquelle le colonel
Harley avait soutenu les prétentions des Européens
et interdit les « coutumes » à Elmina. Il déclarait avoir
perdu toute confiance en lui et être décidé à le ren-
voyer en Angleterre. Le comte de Kimberley, secré-
taire d'État', répondit qu' « il ne pouvait hâtivement
condamner la conduite de M. Harley et qu'il lui parais-
sait que rien ne pourrait être plus fâcheux que de le
déplacer. Cette mesure, au lieu de fortifier le gouver-
nement dans un moment de trouble, ne manquerait
pas de faire perdre à la population la confiance qu'elle
devait avoir dans l'administration. »
L'invasion prenant une importance de plus en plus
grande, une tentative fut d'abord faite par l'adminis-
tration locale pour lui opposer les forces fantis; mais
1- Loco cil., Tï* 127.
2. Loco cit., n** 139 et suivanls.
3. P. p. Furlher Correspondence relative lo affairs in Ashanli, n* 1,
page 30.
LE SOULÈVEMENT DE 1875 97
celles-ci furent d'abord complètement battues. Le colo-
nel Harley se porta à leur secours avec 400 hommes
de troupes.
Attaqué le 17 avril 1873 par les Ashantis, il les re-
poussa une première fois ; quelques jours après, les
Fantis ayant été pris de panique, les troupes. anglaises
durent se replier sur Cape Coast. Le Colonial Office
informé pensa que les mesures prises pour renforcer
la garnison anglaise seraient insuffisantes, et il avisa
dans les termes suivants le War Office* : « Les derniers
rapports reçus montrent que le transfert d*Elmina de
la Hollande à l'Angleterre a été la cause de l'invasion ;
le roi de l'Ashanti a annoncé sa détermination de pren-
dre Elmîna, et non seulement il existe un fort mouve-
ment en sa faveur parmi les tribus habitant ce qui était
appelé dernièrement le protectorat hollandais, mais
encore la trahison et la désaffection existent dans
Cape Coast. Dans ces circonstances, il n'est pas pro-
bable que la guerre se termine de bonne heure ou avec
facilité; le gouvernement local peut redouter une atta-
que violente et soutenue contre les forts et les villes.
La saison des pluies qui vient de commeniiier a forcé
les Ashantis à suspendre leurs opérations actives; mais
Lord Kimberley est d'avis qu'il n'y a pas de temps à
perdre pour renforcer les forces de Sa Majesté à la
Gold Coast. »
C'étaient là les préliminaires de l'expédition des
Ashantis. Nous n'entrerons point ici dans les détails de
cette campagne, qui est restée célèbre dans les annales
des expéditions coloniales, par les précautions qui
furent prises pour assurer le bon état des troupes. Ces
détails stratégiques se trouvent très clairement expo-
7
98 LA GOLD COAST
ses dans les livres du colonel Septens* et du capitaine
Brakenbury*.
Le colonel Harley garda tout d'abord le commande-
ment des opérations. Ses efforts consistèrent surtout à
obtenir des Fantis qu'ils voulussent bien contribuer un
peu à défendre leur pays. Les Âshantis étaient loin de
leur base de ravitaillement, et s'ils étaient harcelés de
toutes parts par les populations indigènes , il devait
être facile de garder les villes de la côte même avec des
troupes peu nonîbreuses.
Il est assez difficile de préciser la mesure dans
laquelle les populations indigènes prirent le parti des
Anglais. Il semble que, d'une manière générale, les
Fantis combattirent contre leurs ennemis héréditaires;
mais ils n'aidèrent certainement pas leurs protecteurs
dans la n^esure où ils auraient pu le faire, soit crainte
de représailles des Ashantis si les Anglais étaient vain-
cus, soit que leur sympathie ne fut pas beaucoup plus
vive pour les uns que pour les autres. En tout cas, cer-
taines populations de la côte furent nettement hostiles
aux Anglais et durent être combattues au même titre
que les Ashantis (affaire d'Elmina, 13 juin 1875; inci-
dent du Prah, 14 août).
A Londres on estima que la prise de Kumassi, jugée
nécessaire par Sir Garnet Wolseley, qui commanda
l'expédition, devait être une très grosse entreprise.
La puissance des Ashantis, qui depuis près d'un siècle
étaient en lutte avec l'Angleterre, paraissait redoutable,
et l'on sentait que l'on ne pouvait nullement faire fond
1. Lieutenant-cololonel Seplens, les Expéditions anglaises enAfriquet
1 vol., Lavauzelle, Paris.
2. The Ashantee War, Henry Brackenburt, 1 vol.
LE SOULÈVEMENT DE 1875 99
sur les indigènes. Le retour des marins qui avaient pris
part aux premières opérations fit une impression déplo-
rable. Ce détachement, qui comptait 104 hommes au
moment du débarquement en Afrique, n'en avait plus
que 44 disponibles fin juillet; 87 furent rembarques le
4 août, 10 moururent en route, et 58 durent rentrer à
l'hôpital à leur arrivée en Angleterre. L'opinion publi-
que était nettement défavorable à la poursuite de la
campagne. Le gouvernement cependant décida d'aller
de l'avant. De façon à lui donner plus d'autorité. Sir
Garnet Wolseley fut nommé administrateur et comman-
dant militaire de la Gold Goast; il devait être indépen-
dant du gouverneur général de Sierra Leone.
Le plan d'action du général fut très net. Il résolut de
s'entourer des troupes nécessaires pour triompher
sûrement des Âshantis et de ne commencer qu'ensuite
sa marche ; cette marche devait être organisée de telle
manière que les troupes blanches supportassent le cli-
mat sans trop en souffrir et que l'on pût obtenir d'elle
le meilleur rendement possible.
Le 1**' janvier 1874, une route était construite, et les
étapes organisées jusqu'à Prahsue, sur le Prah. Le gros
des troupes européennes qui avait gardé la mer jusqu'à
ce jour pouvait débarquer et entrer en action. Le 18 jan-
vier l'Adansi était occupé par l'avant- garde du corps
expéditionnaire, et le 26 la colonne pouvait se concen-
trer sans être inquiétée à 40 kilomètres de Kumassi.
Le roi des Ashantis, Koffee, effrayé, envoya au géné-
ral les prisonniers européens, dans l'espoir d'arrêter
les Anglais, et se déclara prêt à entrer en négociation.
Le général répondit qu'il ne voulait traiter qu'à Kumassi
et qu'il demanderait comme garantie la remise de tous
100 LA GOLD COAST
les prisonniers indigènes et le payement de la moitié
d'une indemnité de 50.000 onces d'or. Le roi devait
donner en otage son fils Mensah, sa mère et quatre
chefs indigènes.
Le roi sembla adhérer à ces propositions, mais les
attaques continuèrent. Le 31 janvier une colonne forte,
de 134 officiers et de 1.375 soldats européens dut sou-
tenir une violente attaque et ne fut victorieuse qu'après
avoir eu 21 officiers et 173 soldats blessés. Le l®*" février^
de nouveaux combats eurent lieu à Reka et à Âjemun.
A de nouvelles propositions de Koffee on répondit
qu'on ne les écouterait que s'il prouvait sa sincérité en
envoyant les otages demandés. Les otages n'arrivant
pas, l'attaque de Kumassi fut décidée, et le 4 février la
ville fut prise, malgré une défense très énergique. La
résidence du roi fut détruite, et comme l'on avait voulu
se borner à infliger une leçon aux Ashantis, les troupes
commencèrent dès le 5 à se retirer, et aucune garnison
ne fut laissée dans la place.
Le 13 février, un chef arrivait à Fomana porteur de
30 kilogr. d'or et signait des traités* par lesquels les
Ashantis renonçaient à toute prétention sur les terri-
toires sur lesquels s'exerçait le protectorat de l'Angle-
terre, reconnaissaient l'indépendance de Anasi et pro-
mettaient de protéger les commerçants, de supprimer
les sacrifices humains et de payer une indemnité de
guerre de 50.000 onces d'or.
La guerre des ingénieurs et des médecins, comme
l'appela Lord Derby, avait coûté 900.000 livres sterling.
1. P. p. Further Corresponde nce^ etc., n» 8, page 45.
• ••••• • • •••
• ••*,•••• ••••
• • • ••••• ••-• •• •
••• •• ••■••• -I
CHAPITRE IX
LA GOLD COAST
Le soulèvement de 1896.
A la suite de l'expédition de 1875, dont les débuts
avaient été marqués par les dissentiments que nous
avons rapportés entre le gouverneur en chef résidant
à Freetown et l'administrateur délégué à la Gold
Coast, le gouvernement anglais sentit la nécessité de
donner une administration indépendante à la Gold
Coast. Le 24 juillet 1874, des Lettres Patentes « consti-
tuaient les Settlements de la Gold Coast et de Lagos en
une colonie séparée ». C'était la première fois que ce
mot de « Colonie » était employé pour ces pays, et ce
fut une Crown Colony qui fut ainsi créée avec l'organi-
sation ordinaire , Executive et Législative Councils
et Suprême Court. Un Order in Council du 6 août 1874,
suivant la formule classique, « donna à la législature
locale tous les pouvoirs qui étaient assignés à la Cou-
ronne sur les territoires protégés ».
Lorsque Lagos fut érigé à son tour en Colonie, cette
constitution fut abrogée. Des lettres patentes du 13 jan-
vier 1886 et des instructions de la même date vinrent
fonder l'organisation gouvernementale qui existe en-
core.
La colonie ainsi créée par ces diverses Lettres Paten-
tes avait à peu près l'étendue des Settlements fondés
-• .• • ' • • • .• * •
102 JuK GOLD COAST
par MacLean. L'Angleterre n'avait point voulu s'éten-
dre plus au nord, comme elle eût pu le faire à la suite
de ses expéditions contre les Ashantis.
Avant d'étudier la politique qu'adopta le gouverne-
ment anglais à l'égard des indigènes qui peuplaient
cette colonie, nous allons examiner les divers inci-
dents qui l'amenèrent à imposer son pouvoir aux tribus
qui vivaient dans les territoires que les puissances
européennes avaient reconnus comme soumis à son
influence.
Ces incidents furent de deux sortes : ceux qui se
rattachèrent à la politique suivie vis-à-vis des Ashantis
et ceux qui amenèrent la conquête des pays situés au
nord des territoires habités par ce peuple. Ils devaient
aboutir à des organisations différentes : nous devons
donc les étudier séparément.
En 1881, les Ashantis essayèrent une fois de plus d'en-
vahir le territoire anglais; mais ils furent arrêtés par
les troupes qui désormais se trouvaient dans le pays,
en quantité suffisante; le roi dut faire des excuses et
payer une indemnité de 2.000 onces d'or.
Pendant les années qui suivirent, des dissensions ne^
cessèrent d'éclater entre les diverses tribus qui for-
maient la confédération des Ashantis. L'Angleterre inter-^
vint à plusieurs reprises* dans ces querelles. Un certain,
nombre de tribus qui avaient accepté jusque-là la do-
mination des Ashantis passèrent en territoire anglais;
d'autres demandèrent la protection de l'Angleterre. De-
1. Fiirlher Correspondence, etc. G 7917, 1896, n" 1 à 11. Dans une des-
entrevues qui eurent lieu alors, un des envoyés de Kuraassi déclara au
gouverneur qu'il savait que le Roi des Ashantis et la Reine d'Angleterre
avaient sous leur domination le monde entier.
LE SOULÈVEMENT DE 1896 103
leur côté, les Ashantis, tout en ne cessant de déclarer
qu'ils voulaient vivre en bons termes avec le gouver-
nement de la Gold Coast, lui créaient toutes sortes de
difGcultés.
Le 19 mai 1891, Sir W. B. Griffith écrivait* au Colonial
Office que le moment lui paraissait venu d'examiner
d'une manière sérieuse s'il ne conviendrait pas d'éta-
blir le protectorat de l'Angleterre sur tout l'Ashanti,
étant donné qu'une partie de la population de ce pays
paraissait le désirer. Le 11 mars, il avait envoyé au roi
des Ashantis un de ses officiers porteur d'une longue
lettre* dans laquelle il expliquait comment le gouver-
nement anglais ne pouvait l'aider à reconquérir son
pouvoir sur les tribus qui, comme celle des Adansis,
désiraient rester sous le protectorat de l'Angleterre. 11
lui faisait remarquer que l'influence des Ashantis se
désagrégeait de plus en plus, et lui suggérait que le
mieux serait pour eux de demander aussi la protection
anglaise. 11 proposait donc au roi de signer un traité*
en vertu duquel un Commissioner serait installé à Ku-
massi dans le but d'arbitrer les différends, d'assurer
une juste administration de la loi, de maintenir l'ordre
dans le pays, d'entretenir les routes, d'encourager le
commerce et d'agir d'après les instructions qu'il pour-
rait recevoir du gouverneur de la Gold Coast.
La démarche tentée par Sir W. B. Griffith ne fut cou-
ronnée d'aucun succès. Son envoyé, M. Hull, dut s'en
retourner porteur d'une longue lettre écrite au nom du
roi par un indigène instruit, Assam, qui lui servait de
1. LococU., n» 11.
2. Loco cU.t n* 13, enclosure 5.
3. Loco cit., enclosure 6.
104 LA GOLD COAST
secrétaire et sur les agissements duquel nous aurons à
revenir. Le gouverneur était prié de ne rien faire pour
attirer les Âdansis ou autres tribus en dehors des ter-
ritoires Ashantis, et la lettre concluait ainsi :
« La suggestion que l'Ashanti pourrait jouir de la
protection de Sa Majesté la Reine et Impératrice des
Indes est une matière sérieuse, digne d'èjtre prise en
sérieuse considération; mais je suis heureux de dire
que nous sommes arrivés à cette conclusion que mon
royaume ne se résoudra jamais à cette politique ; TA-
shanti doit rester aussi indépendant que par le passé
en même temps qu'ami avec tous les blancs. Je n'écris
points cela dans un esprit de fanfaronnade, mais en sa-
chant parfaitement ce que cela signifie; TAshanti est un
royaume' indépendant, et il est Tami des blancs. Pour
le bien du commerce nous devons rester liés les uns
aux autres, car, comme dit le proverbe, ce que les vieil-
lards mangent et laissent, c'est ce dont les enfants bé-
néficient. Je remercie le gouvernement de Sa Mî^jesté
pour ses bonnes intentions vîs-à-vis de l'Ashanti, et je
voudrais que mon langage puisse dire combien j'apprécie
profondément la bonté du gouvernement de Sa Majesté
envers moi et mon royaume. Croyez, gouverneur, que
je suis heureux de vous informer que l'Ashanti pro-
gresse et que les Ashantis n'ont aucune raison de crain-
dre pour l'avenir de leur pays, ou de penser un seul
instant que nous sommes revenus en arrière du fait des
hostilités d'autrefois... »
M. Hull* informa le gouverneur qu'il lui avait paru
que le peuple aurait été très heureux de signer le traité
1. Loco cit., n* 16, enclosure 2.
LB SOULÈVEMENT DB 1896 105
et que les chefs seuls s'y étaient opposés, parce qu'ils
craignaient d'être privés de leurs pouvoirs et de leurs
privilèges.
Le roi était, du reste, un gamin de dix-huit ou dix-
neuf ans, qui ne paraissait pas avoir d'influence person-
nelle. Le gouverneur, en annonçant l'échec de sa mis-
sion au Colonial Office, expliquait* que la leçon que Ton
devait en tirer, c'est que le gouvernement devrait re-
noncer à envoyer de nouvelles missions dans TAshanti
et ne plus se préoccuper de ce que pourrait être sa
politique intérieure.
Le Colonial Office, qui paraissait de moins en moins
désireux d'étendre son autorité dans l'Hinterland, en-
voya à Sir W. B. Griffith une lettre de blâme* pour avoir
agi sans son approbation préalable.
Les Ashantis ne tardèrent pas à profiter de la liberté
qui leur était laissée, et envahirent le pays des Atta-
bubus, qui vivaient en bons termes avec l'Angleterre.
Après de nombreuses hésitations', le gouvernement
estima qu'il ne pouvait se dispenser d'intervenir, et Sir
Francis Scott fut envoyé à leur secours avec cinq cents
Hausas.
L'Acting Governor Hodgson et tous les Européens,
commerçants ou missionnaires, établis à la Gold Coast
furent d'avis que l'indépendance des Ashantis ne pou-
vait être maintenue plus longtemps. Une agitation très
vive fut provoquée dans le même sens en Angleterre
par les chambres de commerce*. Le Colonial Office
1. Loco ciL, n* 16.
2. Loco cit., n* 18.
3. Loco cil,, n" 21 à 48.
4. Loco cit. 9 n" 50, 51, 62, 71.
106 LA GOLD COAST
cependant continuait à être d'avis de ne pas brusquer
les choses.
Le marquis de Ripon écrivait, le 30 janvier 1894, à
M. Hodgson* : « Tout en appréciant pleinement la capa-
cité dont vous avez fait preuve, le gouvernement de Sa
Majesté n'est pas disposé à suivre la politique que vous
proposez et qui augmenterait considérablement les res-
ponsabilités du gouvernement de la Gold Coast. D'ail-
leurs, le gouvernement de Sa Majesté ne pourrait sanc-
tionner aucune action qui nécessiterait l'envoi de troupes
anglaises, et comme vous expliquez que cette éventua-
lité doit être envisagée, il estime qu'il lui est impossible
d'autoriser l'envoi d'un ultimatum, ou d'envisager la
possibilité d'établir par la force le protectorat sur l'A-
shanti. Il est parfaitement convaincu, cependant, des
dangers de voir, en l'état actuel des choses, l'Attabubu
ou les autres territoires placés sous la protection de Sa
Majesté constamment envahis par les Ashantis, et il
désire rechercher s'il ne serait pas possible de trouver
quelque moyen terme par lequel on pourrait, sans em-
ployer la force, contrôler le pouvoir des Ashantis. Je
dois donc vous demander d'examiner s'il ne serait pas
possible d'amener le roi de Kumassi et les principaux
chefs à accepter une subvention qui pourrait être fixée
d'une manière assez large, sous la condition qu'ils
consentiraient à recevoir un agent anglais à Kumassi et
qu'ils promettraient de ne pas attaquer des tribus qui
se trouveraient au-dessous d'une certaine frontière, en
dehors desquelles seraient les Nkoranzas, les Bekwais
et autres tribus qui ont demandé la protection anglaise.
1. Loco cit.t no 53.
LE SOULÈVEMENT DE 1896 ' 107
Les litiges qui pourraient éclater entre les Ashantis et
ces tribus seraient examinés par l'agent, et si le droit
des Ashantis était reconnu, le gouverneur obligerait la
tribu coupable à faire les réparations nécessaires. L'a-
gent aurait, naturellement, pour le protéger une forte
garde d'Haussas sous le commandement d'un ou de plu-
sieurs officiers blancs, mais il serait entendu qu'il inter-
viendrait aussi peu que possible dans la politique du
pays; il se bornerait à se renseigner sur les querelles
qui pourraient éclater entre les Ashantis et les tribus
vivant en dehors de leurs frontières, à empêcher qu'il
éclatât des troubles ou des guerres, et à user de son
influence et de son autorité pour le bien et la sécurité
du commerce. »
En vertu de ces instructions, M. Hodgson* envoya,
le 2 mars 1894, un de ses fonctionnaires indigènes,
M. Vroom, demander au roi de Kumassi de signer un
traité en vertu duquel il acceptait de recevoir un agent
anglais dans les conditions indiquées par le Colonial
Office.
Le 7 mai, Sir W. B. Griffith, qui était revenu de congé,
dut informer le marquis de Ripon que M. Vroom avait
quitté Kumassi sans avoir pu faire signer le traité : le
roi des Ashantis l'avait prié d'informer le gouverneur
qu'il lui enverrait une ambassade pour en discuter avec
lui. D'après M. Vroom, les chefs étaient divisés en trois
partis : ceux qui étaient opposés à l'établissement d'une
agence anglaise à Kumassi, ceux qui lui étaient favora-
bles, et ceux qui admettaient que l'Ashanti fût placé
sous le protectorat britannique à condition : 1® que le
1. Loco cU.f n*67.
108 LA (ÎOLD COAST
gouvernement reconnaisse la suzeraineté du roi des
Ashantis sur toutes les régions qui étaient déjà sous
ses ordres; 2** que certains chefs ne soient pas soumis
à la juridiction des tribunaux de la côte ; 3" que le gou-
vernement n'empêche pas l'esclavage domestique.
Peu de temps après, on apprenait qu'aux funérailles
d'une sœur du roi, plus de 100 personnes avaient été
exécutées, et que les Ashantis reprenaient de plus belle
leurs atrocités contre leurs voisins. Une grave faute
était commise au même moment par le gouvernement
anglais, qui donnait l'ordre de faire retourner à la côte
les troupes qui avaient été laissées dans l'intérieur et
d'évacuer les postes de Bompata et Amantin. Cette me-
sure fortifiait de plus en plus les Ashantis dans l'idée
que les Anglais désiraient éviter toute lutte avec eux.
A la suite des représentations qui lui étaient faites
de toutes parts, le Colonial Office se décida, le 20 juillet
1894, à écrire à Sir W. B. Griffith* d'envoyer un mes-
sage au roi des Ashantis pour lui demander réponse
aux questions qu'on lui avait faites.
Le 26 juillet, le gouverneur recevait une lettre* de
Kumassi dans laquelle le roi disait qu'il allait lui en-
voyer une ambassade pour le mettre au courant de ses
intentions. Cette ambassade devait être dirigée par le
nommé Ansah, le secrétaire dont nous avons parlé.
Cet Ansah, fils d'un chef ashanti et d'une femme
d'Elmina, était un individu de la moralité la plus dou-
teuse. Il avait pendant quelque temps été au service
du gouvernement, mais avait été révoqué. Il avait fui
dans l'Ashanti sous le coup de poursuites correction-
1. Loeo cit., n" Su.
2. Loco cit. y n<> 90.
LB SOULÈVEMENT DE 1896 109
nelles. Là il avait si bien manœuvré, qu'il avait per-
suadé aux chefs de lui laisser la conduite des affaires
qu'ils pourraient avoir avec le gouvernement anglais.
Sir W. B. Griffith et les fonctionnaires qu'il envoya à
Kumassi ne cessèrent de penser* qu'il agissait unique-
ment dans un but d'intérêt personnel. Ansah ne cessa
du reste de se défendre contre ces accusations et fut
assez habile pour provoquer dans la presse locale* des
articles élogieux à son égard.
Le 31 octobre 1894% le gouverneur avisait le Colonia
Office qu'une taxe de 10 shillings par case était prélevée
dans l'Ashanti pour subvenir aux dépenses d'une am-
bassade qui se préparait à partir pour l'Angleterre sous
la direction d'Ansah. Cette ambassade ne pouvait avoir
rien de sérieux et ne devait avoir d'autre but que de
permettre à Ansa|i de mener joyeuse vie en Europe.
Du reste, il devenait de plus en plus indispensable
d'agir avec fermeté vis-à-vis des Ashantis, car ceux-ci
faisaient de grandes provisions de munitions. Pendant
le mois de juillet seul, 5 tonnes de poudre avaient tra-
versé le Prah.
Au reçu de cette lettre, le Colonial Office, faisant preuve
d'une décision qu'il n'avait pas toujours montrée au
cours de cette longue affaire, télégraphia au gouver-
neur d'informer le roi des Ashantis que son ambassade
ne serait pas reçue par la Reine ^
Vers la fin de novembre, l'ambassade arrivait à la
côt^, elle eut un certain nombre d'entrevues avec le
1. Loco cil., !!• 79.
2. The Gold Coast Chronic, 31 mars 1894.
3. Farlher Corr,, G 7917, n" 93, 95 et 100.
k. Loco cit., 102.
110 LA GOLD COAST
gouverneur, et, bien qu'elles n'aient pas eu grande
influence sur la suite des événements, il est intéressant
d'en résumer ici les incidents principaux, car ils éclai-
rent d'une manière fort curieuse la politique anglaise.
Le 12 décembre, une première entrevue* avait lieu.
Sir W. B- Griffith demanda aux envoyés s'ils apportaient
la réponse à la lettre qui avait été écrite au roi au nom
de la Reine il y avait plus de huit mois. Ceux-ci ayant
répondu négativement, le gouverneur leur déclara qu'ils
devaient revenir le lendemain et qu'il leur lirait un mes-
sage de la Reine. Le lendemain, Sir W. B. Griffith expli-
qua longuement aux envoyés comment il pensait que
Ansah, qui était placé à la tête de leur mission, avait sou-
vent trahi la confiance des Ashantis, comment il s'était
réfugié dans leur pays, non par amour pour eux, mais
parce qu'il était sous le coup d'un mandat d'amener, et
comment il n'avait imaginé cette histoire d'une ambas-
sade en Angleterre que dans un intérêt personnel.
Se levant ensuite ainsi que toute Fassistance et la
musique jouant quelques mesures de l'hymne national,
il lut le message suivant : « Informez le roi de Kumassi
que l'ambassade spéciale qu'il se propose d'envoyer en
Angleterre ne sera pas reçue. Sa Majesté ne peut com-
muniquer avec lui que par l'intermédiaire du gouver-
neur de la Gold Coast, qui est le représentant de la
reine et auquel le roi de Kumassi devrait immédiate-
ment donner réponse au message qui lui a été apporté
par M. Vroom; dans aucun cas Sa Majesté ne recevra
une mission envoyée par un chef qui est accusé d'au-
toriser des sacrifices humains. »
1. Farlher Correspondence, etc., C 7918, n«* 2, 4.
LE SOULÈVEMENT DE 1896 111
Dans l'entrevue qui suivit, Ansah lut une réponse au
message de la Reine, dans lequel il était dit : «Nous pen-
sons que les remarques qui ont été faites par Votre Ex-
cellence ont été le résultat de faux rapports qui ont eu
pour but de provoquer des sentiments déplaisants de
Votre Excellence à l'égard de notre roi, car nous avons
noté Tesprit de passion avec lequel Votre Excellence
s'est adressée à nous. Gomme ambassadeurs nous avons
été simplement nommés pour visiter l'Angleterre, et
nous entendons exécuter les instructions qui nous ont
été données, bien que, si nous avons clairement com-
pris, Son Excellence nous ait informés que la courtoisie
qui a toujours été accordée aux sujets anglais nous
serait refusée, »
Après avoir expliqué comment, dans son opinion, le
roi de Kumassi n'était pas le chef des Ashantis, parce
qu'il n'avait pas été accepté comme tel par toutes les
tribus, le gouverneur s^exprima de la manière suivante :
« Je ne crois pas que les envoyés comprennent très bien
ce qu'ils m'ont dit. Ils expliquent que je les ai informés
que la liberté et que la courtoisie qui auraient été ac-
cordées aux sujets anglais leur seront refusées. Y a-t-il
un seul sujet anglais qui oserait aller au-devant d'un mes-
sage semblable à celui qui leur a été adressé? Y a-t-il un
seul sujet anglais qui dirait que la liberté et la courtoi-
sie qui ont toujours été accordées aux sujets anglais lui
sont refusées parce qu'on l'informe que Sa Majesté la
Reine ne peut communiquer avec lui que par l'intermé-
diaire du gouverneur de la colonie? La raison que Sa
Majesté a de ne pas vous recevoir est pleinement expri-
mée : c'est que Sa Majesté ne peut communiquer avec
le roi de Kumassi que par l'intermédiaire du gouver-
112 LA GOLD COAST
neur de la Gold Coast, qui est le représentant de la Reine
et auquel le roi de Kumassî devrait tout d'abord donner
réponse au message qui lui a été apporté en son nom par
M. Vroom. Et Sa Majesté a donné une autre raison pour
ne pas recevoir les messagers du roi de Kumassi, c'est
que dans aucun cas Sa Majesté ne voudrait recevoir une
mission d'un chef qui est accusé d'une manière très
vraisemblable d'autoriser des sacrifices humains.
« Et alors vous dites que, par les instructions que j'ai
reçues et qui vous ont été communiquées, la liberté et
la courtoisie qui ont toujours été accordées aux sujets
anglais vous ont été refusées. Bien! Vous dites que
vous n'êtes pas sujets anglais : c'est douteux en ce qui
concerne M. John Ansah, et j'éclaircirai la chose, et
comme vous n'êtes pas des sujets anglais, vous n'avez
aucun droit d'espérer être traités de la même manière.
Ne voyez-vous pas pourquoi Sa Majesté vous refuse
une entrevue? Vous l'avez ici. J'estime que c'est faire
preuve de la plus grande impudence et de la plus grande
audace que de faire des observations semblables au
sujet de Sa Majesté la grande Reine d'Angleterre et
Impératrice des Indes, auprès de laquelle vous et votre
roi ne sont rien... Etant persuadé que c'est Ansah qui
est la cause de tout le mal, je suis résolu à le démas-
quer, et il verra finalement que ce qui est tortueux est
plus long que ce qui est droit, que l'honnêteté est la
meilleure politique. Le roi a rompu sa parole. Le gou-
vernement anglais et le peuple anglais sont d'une race
patiente et endurante. Ils supportent beaucoup pendant
longtemps, et ceux qui ne les connaissent pas peuvent
dire qu'ils sont fous. Mais si vous agissez mal avec eux,
vous reconnaîtrez rapidement votre erreur, et, une fois
LE SOULEVEMENT DE 1896 113
qu'ils ont retiré leur confiance à quelqu'un, ils ne la lui
redonnent plus*... »
Sir W. B. Griffith avait envoyé à Kumassi le capi-
taine Stewer et M. Vroom pour informer le roi que la
Reine se refusait à recevoir ses envoyés et lui deman-
der une réponse au message qui lui avait été adressé
précédemment. Le roi se borna à déclarer qu'il n'avait
autre chose à répondre si ce n'est que ses envoyés
iraient en Angleterre*. Au reçu de cette nouvelle, le
gouverneur télégraphia à Londres pour demander
une fois de plus que l'on agisse avec énergie, faute de
quoi on pourrait s'attendre aux plus graves éventua-
lités. Les chambres de commerce, de leur côté, ne ces-
saient de réclamer l'annexion.
Le secrétaire d'État aux colonies, le marquis de Ri-
pon, fidèle à la tradition, paraissait cependant de moins
en moins enclin à brusquer les choses. Estimant qu'un
nouveau gouverneur partagerait peut-être ses vues
plus que ne le faisait Sir W. B. Griffith, il nomma à sa
place l'ancien gouverneur de Lagos, M. Maxwell^ Voici
un extrait des instructions qu'il lui donnait :
« La politique proposée par Sir W. B. Griffith a reçu
la sérieuse considération du gouvernement de Sa Ma-
jesté; mais, pour diverses raisons et particulièrement à
1. Loco cit., n* 12.
2. Ils ne furent point reçus par la Reine ni dans aucun ministère, mais,
grâce à Tinlervention de certains députés, ils parvinrent cependant à cor-
respondre avec le Colonial ,Offlce. Une des lentalives de Ansati fut de
faire sanctionner par le Colonial Office une convention qu'il avait passée
avec MM. Grundy, Kersliew, Saxon, Samson et C'*, par laquelle il créait,
au nom du roi de Kumassi, une compagnie à cliarle analogue à la Com-
pagnie du Niger et qui devait administrer et exploiter tout TAshanti ; le
Colonial Office s'y refusa.
3. Loco cit., no 25.
8
114 LA GOLD COAST
cause de la brièveté du temps disponible avant la sai-
son des pluies pour Texécution d'opérations militaires,
il a cru ne pouvoir autoriser aucun acte qui rendrait
une expédition immédiatement nécessaire. Le gouver-
nement reconnaît cependant pleinement que les choses
ne peuvent être laissées indéfiniment en l'état défavo-
rable actuel ; il a la conviction que votre longue expé-
rience du maniement des indigènes vous permettra de
considérer la question d'une manière toute nouvelle et
de lui indiquer une opinion qu'il puisse accepter avec
confiance sur le plan d'action qu'il vous paraît désirable
de voir adopter... Le gouvernement de Sa Majesté dé-
sirant éviter la nécessité d'une guerre, vous devrez tout
d'abord considérer s'il n'y a pas moyen d'arriver à une
solution pacifique. Si cependant, après due considéra-
tion, vous estimiez que cette solution est impossible, le
gouvernement de Sa Majesté estime qu'avant de com-
mencer toute action hostile il faudrait en communiquer
tout d'abord avec le roi (de Kunfassi)... Si les réponses
étaient défavorables, vous devriez examiner dans quel-
les conditions une expédition devrait être poursuivie,
en tenant compte de ce fait que les frais devraient en
être mis à la charge de la Colonie. »
Deux mois plus tard, en juin 1895*, le gouverneur
Maxwell écrivit au Colonial Office qu'il lui paraissait
bien que les choses ne pouvaient être laissées en l'état,
et qu'il pensait que le plus simple était d'aller lui-même
à Kumassi pour soumettre au roi les desiderata du gou-
vernement anglais. C'était la politique qui lui avait
réussi à Lagos.
1. Loco cit. y n* 45.
LE SOULEVEMENT ÛE 1896 115
Il est probable qu'une solution se fût encore long-
temps fait attendre si M. Chamberlain n'était arrivé au
pouvoir. Un de ses premiers actes fut de télégraphier*
au gouverneur Maxwell que, le gouvernement étant con-
vaincu que le roi de Kumassi avait violé tous ses enga-
gements et attaqué des tribus soumises au protectorat
de la reine, le roi devait être sommé d'accepter l'éta-
blissement à Kumassi d'un résident anglais qui sur-
veillerait ses rapports avec les tribus voisines, et qui
n'interviendrait en rien dans l'administration et les
institutions du pays.
Le 23 septembre, un ultimatum* fut adressé dans ce
sens au chef de Kumassi, avec demande d'une réponse
avant le 31 octobre. Le 5 novembre, la réponse n'étant
pas arrivée, le gouverneur en avisa M. Chamberlain,
qui fit connaître au War Office et à l'amirauté qu'une
expédition allait être nécessaire.
La quatrième expédition ashanti commençait aussi-
tôt après, sous la direction de Sir F. Scoot. Les troupes
se composaient de 912 Européens, 411 West Indiens et
500 Hausas. L'état-major et les services comprenaient
55 officiers. Nous n'insisterons point sur les précautions
qui furent prises, nous bornant à renvoyer au livre du
colonel Septams. Quelque temps avant le départ de la
colonne, les Bekwais avaient déclaré qu'ils ne prenaient
pas parti pour les Ashantis, et les Adansis avaient signé
un traité par lequel ils se plaçaient sous la protection
de la Grande-Bretagne. Se sentant ainsi complètement
isolés, les Ashantis ne firent aucune résistance. Le 17
janvier 1896, les troupes entrèrent à Kumassi sans qu'il
1. Loco cit., n» 62.
2. Loco ciL, n* 77. '
11g LA GOLD COAST
eût été tiré un coup de feu. Le 20 janvier, un grand
palabre était tenu dans lequel le gouverneur Maxwell
déclara que le roi, puisqu'il n'avait pas voulu traiter,
n'avait plus qu'à faire sa soumission. Il serait conduit
à la côte en compagnie de son père, de la reine mère,
de ses deux oncles, de son frère, de deux chefs de
guerre et des rois de Mampon, des Ejisussu et d'Ofesu.
Des lamentations éclatèrent alors de tous côtés, tandis
qu'un chef assurait que les Ashantis avaient été trom-
pés par les frères Ansah, qui étaient la cause de tout.
Le gouverneur répondit que les Ansah seraient con-
duits à la côte et qu'ils y seraient jugés pour crime de
faux. Ils furent en effet aussitôt enchaînés, ainsi que
tous les autres prisonniers. Le lieutenant-colonel Pigott
fut laissé comme résident àKumassi, où il fut remplacé
en octobre 1895 par le capitaine Stewart.
CHAPITRE X
LA GOLD COAST
Le soulèvement de 1900. — L'annexion
de rAshantî.
L'établissement d'un fonctionnaire anglais à Ku-
massi ne devait pas clore Tère des difficultés. Elles
éclatèrent de nouveau, de la manière la plus inattendue,
au moment où tout le monde se félicitait di; calme qui
régnait dans TAshanti.
Le 13 mars 1900, le gouverneur Hodgson partait
d'Accra pour entreprendre une grande tournée à l'in-
térieur. Il était tellement persuadé que son voyage
serait pacifique qu'il emmena avec lui Lady Hodgson.
Celle-ci publia par la suite un livret précieuse source
de renseignements, dans lequel elle raconte les inci-
dents de cette mémorable tournée.
Jusqu'à Kumassi tout parut se passer fort bien. Le
gouverneur trancha à la satisfaction de tous un cer-
tain nombre de différends qui avaient éclaté entre les
chefs. Cependant il put se rendre compte qu'il existait
des motifs graves de dissentiments entre les Bekwais
et les Adansis. Les Bekwais avaient annexé par la con-
quête, après l'expédition de 1874, une grande partie de
l'Adansi qu'ils savaient être aurifère et sur laquelle se
trouve actuellement la concession de l'Ashanti Gold
1. Lady Hodgson, The Siège of Kumassi,\ vol., Peason, 1901, Londres.
118 LA GÔLD GOÀST
Field Corporation. Lorsque, après 1896, les Adansis
retournèrent dans leur pays, ils constatèrent qu'ils
avaient perdu ces territoires dont ils connaissaient la
richesse. A son arrivée à Kwisa, Sir F. M. Hodgson
trouva réunis les chefs des Adansis, qui lui avaient fait
dire de se hâter parce qu^ls l'attendaient depuis long-
temps. A ce propos, le gouverneur fit remarquer à sa
femme que ces chefs ne paraissaient pas très bien se
rendre compte de leur situation vis-à-vis de lui. Ils lui
demandèrent d'être remis en possession des terrains
aurifères; mais il leur fut répondu que cela était impos-
sible.
Cet incident explique pourquoi les Adansis prirent
le parti des Ashantis contre les Anglais.
Peu de jours après son entrée à Kumassi, le gouver-
neur tint un grand palabre S dans lequel il expliqua,
sans grandes précautions oratoires, que les Ashantis
devaient renoncer à tout jamais à voir revenir à Ku-
massi Fancien roi Prempreh qui était déporté à Sierra
Leone, et que, même s'ils continuaient encore à com-
muniquer avec lui, on l'expédierait dans quelque autre
partie du monde. Le grand chef des Ashantis était
actuellement la Reine d'Angleterre, dont le gouverne-
ment était le représentant. L^établissement d'un rési-
dent à Kumassi signifiait la fin de la traite des esclaves
et des sacrifices humains. Le gouvernement anglais
interviendrait pour protéger les Ashantis contre toute
attaque; mais il aurait le droit de se servir d'eux
comme porteurs ou pour faire des maisons et cons-
truire des routes. Jusque-là le gouvernement n'avait
1. P,p. Correspondence relaUng to the Askanti fVar, 1900. G. d. 50, 1901,
no 32.
LE SOULÈVEMENT DE 1900 119
point exigé d'impôt; il allait en demander maintenant,
pour satisfaire aux dépenses d'administration. Les
Ashantis avaient, depuis 1874, une vieille dette de
50.000 onces d'or; il allait falloir qu'ils l'acquittent
par payements mensuels, suivant une répartition entre
les diverses tribus, répartition dont le gouverneur fixa
le taux séance tenante. Sir F. M. Ilodgson continua
ainsi : '
« Il y a une matière dont je voudrais vous parler,
mais auparavant je voudrais poser une question au roi
de Bekwais : « Roi, vous avez été mis sur le tabouret il
n'y a pas longtemps. Qu'auriez-vous fait à l'homme sié-
geant à votre droite s'il avait gardé une partie du siège
sur lequel vous étiez installé? — Je n'ai point de pou-
voir pour moi-même, reprit le chef; mon pouvoir est
dans le gouvernement. — Vous m'auriez donc soumis
la question? — Oui. — Et vous auriez attendu de moi
que je punisse l'homme ou que je vous fasse rendre le
tabouret? — Oui. — Maintenant, rois et chefs, vous avez
entendu ce que le roi de Bekwais a dit. Que dois-je
faire à l'homme, quel qu'il soit, qui n'a pas donné à la
Reine, qui est le pouvoir souverain du pays, le tabouret
auquel elle a droit? Où est le tabouret d'or? Pourquoi
ne suis-je pas assis sur le tabouret d'or actuellement?
Je suis le représentant du pouvoir souverain ; pourquoi
ne m'avez -vous donné que cette chaise, pourquoi
n'avez-vous pas saisi l'opportunité de mon voyage à
Kumassi pour apporter le tabouret d'or et m'y faire
asseoir dessus? Quoi qu'il en soit, vous pouvez être sûrs
que, bien que le gouvernement n'ait pas encore reçu le
labouret d'or, il vous gouvernera avec la même impar-
tialité et la même fermeté que si vous l'aviez livré,, . »
120 LA GOLD COAST
D'après Sir F. Hodgson lui-même, ces déclarations
furent très mal reçues par les chefs de la plupart des
tribus, particulièrement en ce qui concernait rétablis-
sement de rimpôt. Après le meeting, un certain nom-
bre de chefs proposèrent de se réunir pour discuter les
paroles du gouverneur; mais les Kumassis s'y refusè-
rent en disant que, du moment qu'il était entendu que
le gouvernement n'avait pas l'intention de réinstaller
Prempreh, ils allaient prendre les armes.
Le gouverneur, qui ne fut pas immédiatement informé
de la situation, ne songea tout d'abord qu'à découvrir
l'endroit où était caché le tabouret d'or dont il avait
parlé et qui était l'insigne de l'autorité suprême chez
les Ashantis. II crut que l'occasion était bonne d'en-
voyer une petite expédition dans le village d'Atsihma
où devait se trouver le trône. Beaucoup de munilions
étaient cachées en ce point, et il avait résolu de les sai-
sir en même temps. Malheureusement ce fut justement
dans ce village que les Kumassis, les Ejisus et les Ofin-
sus avaient décidé de se réunir pour cause de rébel-
lion. La petite colonne fut obligée de se replier sur
Kumassi, après avoir subi de grosses pertes.
Ce devait être le commencement des hostilités.
Cette échauffourée changea du reste le plan des
Kumassis, qui, tout d'abord, avaient décidé d'attaquer
le gouverneur pendant son retour à la côte et de le
garder comme otage jusqu'au retour de Prempreh. Ils
croyaient que toutes les troupes anglaises étaient occu-
pées dans l'Afrique du Sud. Leur première victoire leur
fit espérer qu'ils pourraient facilement s'emparer de la
résidence.
Sir F. Hodgson convoqua tous les chefs restés fidèles
LE SOULÈVEMENT DE 1900 121
et reçut la promesse que leurs tribus ne se joindraient
pas à la révolte. Le gouverneur put espérer un moment
que rincîdent n'aurait pas d'autres suites; il écrivit au
Colonial Office qu'il espérait bien pouvoir continuer son
voyage dans une huitaine de jours.
L'Acting Résident de Kumassi avait, du reste, dès le
début, prétendu qu'il n'y avait pas à se préoccuper des
signes de révolte. Les Ashantis étaient, d'après lui, d'é-
tranges personnages qui montraient souvent les dents ;
mais il était certain que tout redeviendrait calme comme
cela avait déjà eu lieu. Le gouverneur fut fort surpris
d'apprendre que cinq mois auparavant une tentative de
révolte avait eu lieu, dont il n'avait pas été informé.
Après différents pourparlers*, les rebelles firent
savoir qu'ils étaient décidés à ne pas se battre si le
gouvernement acceptait les conditions suivantes :
Prempreh serait rappelé et il ne serait établi aucun
impôt; il serait permis, comme par le passé, d'acheter
et de vendre des esclaves ; les Ashantis ne seraient pas
employés comme porteurs ni dans la construction des
maisons ; les étrangers seraient expulsés.
Dès les premières difficultés, le gouverneur avait
télégraphié au Colonial Secretary à Accra et au com-
mandant des troupes des Northern Territories pour
demander des secours. Au début, les communications
n'avaient en effet pas été interrompues, et les représen-
tants de l'Ashanti Gold Fields Corporation avaient pu
venir s'entretenir avec le gouverneur et s'en retourner
à la côte sans être molestés. Avec eux partit l'Acting
Résident, qui était toujours persuadé qu'il ne se passe-
1. Loco cit., n«35.
122 LA GOLO GOÀST
rait rien de grave et qui rentrait en congé en Angle-
terre. Le 18 avril, arrivait d'Accra un détachement
d'Hausas.
Mais des désertions ne tardèrent pas à se produire
parmi les chefs restés fidèles. C'est ainsi que l'on dut
arrêter le chef des Kokufus, qui fut déporté par la suite
à Sierra Leone. Le chef des Bekwais ne put envoyer
d'hommes ad secours du gouverneur, parce qu'il dut
se défendre contre les Adansis, qui profitaient de l'oc-
casion pour dévaster son pays. Au début, de petites
expéditions furent envoyées contre les rebelles, dont
deux furent couronnées de succès ; mais la troisième
échoua et eut quatre hommes tués et 53 blessés. On
apprit alors que toutes les munitions qui avaient été
accumulées en vue du soulèvement de 1896 avaient été
soigneusement conservées; les Ashantis avaient juré
de combattre à la première occasion, parce qu'ils ne
pouvaient admettre que leur chef leur eût été enlevé
sans qu'ils aient opposé de résistance.
Les missionnaires de la mission de Bâle, au nombre
desquels se trouvaient M. et M"™® Rasmeyer qui avaient
déjà été faits prisonniers par les Ashantis en 1869, se
réfugièrent dans le fort ainsi que les indigènes restés
fidèles. Le 25 avril l'attaque commença; elle fut re-
poussée victorieusement, et les rebelles résolurent
d'essayer de prendre les assiégés par la famine. Le
27 avril de nouveaux renforts arrivèrent de Lagos, et,
peu après, des territoires du Nord. Malheureusement
ils n'apportèrent pas de vivres, et une longue période
de diète commença, pendant laquelle les assiégés eurent
à endurer de cruelles souffrances. Lady Hodgson fît
preuve alors du plus grand dévouement.
LE SOULÈVEMENT DE 1900 123
Sir F. W. Hodgson espéra longtemps qu'il pourrait
tenir jusqu'à l'arrivée des renforts envoyés par le gou-
vernement anglais; mais le 23 juin, les rations étant
à peu près complètement épuisées, il décida d'essayer
de s'en retourner vers la côte en laissant une petite
garnison dans le fort.
Dès le reçu des premières dépêches annonçant les
incidents de Kumassi, on s'était fortement ému à Lon-
dres et l'on avait donné des instructions* aux gouver-
neurs de Lagos et de la Northern Nigeria d'expédier
des troupes à la Gold Coast. Finalement le colonel
Willcocks fut expédié de la Northern Nigeria pour
prendre la direction de la colonne de secours. 11 arriva
le 26 mai à Cape Coast Castle, et peu de jours après
demanda l'envoi de 400 hommes du West African Régi-
ment, 400 autres d'un corps colonial et 10.000 porteurs
à se procurer à Sierra Leone, la Cold Coast Lagos et
la Nigeria. Des troupes furent aussi détachées de la
Guyane anglaise et de l'East Africa.
Ce n'est pas sans un certain orgueil impérial que
ceux qui avaient pris part à cette expédition purent
rappeler parla suite comment, sur un signe de Londres,
les secours avaient pu arriver des différents points du
monde, sans un jour de retard. Kumassi était pris par
le colonel Willcocks le 15 juillet.
De son côté, le gouverneur et les 24 Européens qui
avaient pu s'échapper de Kumassi arrivaient à Cape
Coast le 10 juillet, après avoir subi, de la part des
indigènes, des attaques assez vives, au cours desquelles
deux officiers européens furent tués et 29 soldats
1. Loco cU., n" 1-50.
124 LÀ GOLD COÀST
blessés. Les troupes assiégées comptaient 740 hommes.
23 hommes avaient été tués pendant les opérations, et
294 blessés*.
Les Ashantis opposèrent une résistance acharnée aux
troupes anglaises pendant les, expéditions que celles-ci
firent en tous sens dans leur pays. Les forces totales
que le colonel Willcocks eut à sa disposition s'élevèrent
à 3.449 soldats et 170 officiers, sur le nombre total des-
quelles il y eut 123 tués et 735 blessés'. Étant donné le
caractère purement militaire de ces opérations, nous
n'insisterons pas sur elles.
A la suite de ces événements, Sir F. M. llodgson fut
nommé gouverneur aux Barbades. Avant son départ
il expliqua de la manière suivante, dans une lettre
adressée au Colonial Office, le dernier soulèvement
ashanti^.
Au moment où les difficultés de 1895-1896 éclatèrent,
les différentes tribus qui formaient la confédération
ashanti n'étaient point d'accord sur l'élection au tabou-
ret d'or. Le roi des Nkoranza s'était séparé de la con-
fédération, bien qu'il n'eût pas réussi à passer un traité
d'alliance avec le gouvernement anglais. Les rois de
Mampom et d'Aguna s'étaient retirés en territoire
anglais; le roi do Juabim s'était établi sur la frontière
entre TAshanti et la Gold Coast, surveillant prudem-
ment les événements, et le puissant roi de Bekwais
faisait secrètement des ouvertures amicales au gouver-
nement anglais, déclarant ouvertement qu'il ne s'oppo-
serait pas à l'entrée de forces anglaises à Kumassi.
1. Loco ciLj n* 73.
2. Loco cit.y n* 76.
3. Loco cit., no 79.
LE SOULÈVEMENT DE 1900 125
Cet état de choses et probablement Timpossibilité d'ob-
tenir des secours de la part de Samory fut ce qui
décida Prempeh et ses conseillers à ne pas s'opposer
par les armes à l'entrée des troupes anglaises à Ku-
massi. L'opinion générale des partisans de Prempeh
était, à cette époque, que les troupes anglaises, après
avoir marché sur Kumassi et peut-être exigé le paye-
ment d'une amende, s'en retourneraient à la côte
comme elles l'avaient fait précédemment, sans agir
davantage.
Ce fut avec épouvante que les Kumassi et les chefs
qui avaient appuyé Prempeh découvrirent qu'ils étaient
entièrement trompés et que le gouvernement anglais
non seulement entendait rester à Kumassi, mais
encore émettait des prétentions tout à fait inattendues.
L'opposition était impossible, parce que le système
entier de l'administration indigène était paralysé par
la déportation de Prempeh et des chefs, ses partisans.
Les Kumassis se retirèrent dans la brousse et aban-
donnèrent la ville, montrant bien ainsi qu'ils n'accep-
taient pas le nouvel état de choses. F. M. Hodgson
déclare n'avoir connu ce fait qu'à son arrivée dans la
ville.
Lorsque les forces de l'expédition de 189G se retirè-
rent, un résident fut nommé à Kumassi et une garni-
son y fut établie. 11 fut décidé que le pays serait admi-
nistré par l'intermédiaire de chefs indigènes q.ui
gouverneraient sous les ordres du Résident et le tien-
draient au courant des événements qui pourraient
intéresser la paix publique. Sir F. M. Hodgson n'ap-
prouva jamais cette combinaison, parce que rien ne lui
prouvait que le comité indigène agirait loyalement et
126 LA GOLD COÀST
conformément aux intérêts anglais. Il lui eût paru
préférable, si Fon voulait arriver à l'abolition de l'es-
clavage, des sacrifices humains et autres coutumes
barbares, d'être en contact plus intime avec les indi-
gènes, tout en respectant l'ancien système d'adminis-
tration locale .des rois et des chefs de tribus. Cepen-
dant, jusqu'au moment où Sir F. M. Hodgson fut
nommé gouverneur (avril 1898), tout parut bien fonc-
tionner. Sir W. M. Maxwell avait visité la plupart des
districts ashantis en 1895 et 1897, et avait trouvé qu'il
n'y avait pas de raisons d'être mécontent de ce système
d'administration.
Sir F. Hodgson déclare ne pas avoir eu le temps de
s'occuper convenablement de la question, avant de
partir en congé en décembre 1898. A son retour il fut
retenu à la côte par la discussion des bills sur les con-
cessions, et il partit pour l'intérieur dès qu'il le put,
le 13 mars 1900. Jusqu'au moment de son départ d'Ac-
cra, il n'avait reçu aucun rapport qui pût lui faire soup-
çonner que les Ashantis préparaient une révolte, et ce
ne fut qu'au moment de son arrivée à Kumassi qu'il se
rendit compte de la gravité de la situation. En 1897,
M. Vroom, un District Commissioner indigène qui
avait été envoyé dans l'Ashanti par le gouverneur Max-
well pour se rendre compte de l'état d'esprit des indi-
gènes, avait bien assuré que ceux-ci n'avaient pas
réellement fait soumission; mais le gouvernement
d'alors n'attacha aucune importance à cette opinion et
ne crut pas qu'il y eût lieu de rien modifier au système
d'administration en vigueur. Les divers résidents qui se
succédèrent à Kumassi auraient dû cependant se douter
que des événements graves se préparaient, car la diffi-
LE SOULÈVEMENT DE 1900 127
culte qu'eut Sir James Willcocks à réprimer la révolte
prouve que les Âshantis faisaient depuis longtemps
des préparatifs de guerre. Ils n'avaient point accepté
d'une manière définitive l'exil de Prempeh. Leur roi
leur avait été enlevé sans qu'ils aient rien fait pour le
défendre, et c'était une honte que, d'après la coutume
indigène^ le sang des blancs pouvait seul laver. Les
amendes que leur imposèrent les résidents à l'insu
du gouvernement leur furent, en outre, d'autant plus
lourdes que, du fait de l'abolition de l'esclavage, ils
manquaient de main-d'œuvre pour exploiter leurs mines
ou cultiver leurs champs.
Quant aux recherches qu'il fit faire pour se procurer
le tabouret d'or et qui furent le prétexte de la révolte.
Sir F. Hodgson assure qu'il ne les aurait pas entre-
prises s'il avait connu le véritable esprit des Ashan-
tis; mais il n'en déclare pas moins qu'il estime qu'elles
étaient indispensables, parce que le tabouret d'or
était plus qu'un insigne et que tant qu'ils le posséde-
raient les Ashantis considéreraient qu'ils n'avaient pas
perdu tout droit à se gouverner librement.
Malgré ces explications, c'était Sir F. Hodgson qui
devait, en Angleterre, être déclaré responsable du sou-
lèvement. On s'étonna beaucoup de ces « découvertes »
qu'il avait faites au dernier moment; on en conclut
qu'il était étrangement peu renseigné pour un gouver-
neur. On déclara qu'il n'était cependant pas difficile de
soupçonner que les Ashantis n'accepteraient pas sans
protester le système qu'on avait voulu leur imposer.
On oublia dans les milieux commerciaux la campa-
gne que l'on avait menée en 1895 pour obtenir du gou-
vernement anglais qu'il annexât l'Ashanti, et M. Cham-
._! r
128 LÀ GOLD COAST
berlain, à la Chambre des communes, dut répondre à
des interpellations très vives^ On reprocha à ses agents
de n'avoir pas agi « avec plus de |tact, de discrétion
et de patience, auprès de tribus qui marquaient de la
défiance pour le gouvernement anglais. »
Le Secrétaire d'État, qui, au fond, était très embar-
rassé pour répondre à ces accusations, fit un très long
discours, modèle du genre, dans lequel il transforma
l'incident en une question de politique générale. Il
déclara que depuis qu'il le dirigeait, le Colonial Office
avait agi : quels que pussent avoir été les résultats de
son action, ils avaient été autrement considérables
pour le bien de l'empire que ceux auxquels avaient
abouti d'autres ministères dont « le tact, la discrétion
et la patience » avaient consisté à ne rien faire et à
laisser les autres puissances se partager tranquillement
l'Afrique. Dans des pays comme l'Âshanti on avait eu
à intervenir dans les coutumes indigènes; mais ces
coutumes étaient l'esclavage et les sacrifices humains.
En les abolissant on savait que l'on aurait à lutter, et il
n'y avait là rien qui nécessitât « du tact, de la discré-
tion et de la patience ». Finalement, d'après M. Cham-
berlain, les causes de la guerre avaient été l'absence de
résistance précédente opposée par les Ashantis, qui
devaient considérer qu'ils n'avaient pu se défendre
dans la précédente expédition et qui désiraient de ce
fait une revanche.
L'impérialisme était tout en honneur, et une forte
majorité approuva les paroles du ministre.
La campagne que l'on menait alors contre le système
1. 19 et 20 mars 1901. V. fr., A. 30 mars 1901, n- 15.
LE SOULÈVEMENT DE 1900 129
des Crown's Colonies battait son plein. A Liverpool et
à Manchester on saisit l'occasion pour montrer*, une
lois de plus, combien il était absurde de conserver une
organisation susceptible de laisser un gouverneur dans
une telle ignorance des conditions politiques de la
colonie qu'il administrait, qu'un soulèvement préparé
longtemps à l'avance dans une partie de cette colonie
put le surprendre à l'improviste.
Le gouverneur calma l'opinion publique en envoyant
Sir F'. Hodgson dans les Barbades; le major Nathan fut
nommé à sa place; Sir James Willcocks fut fêté à Liver-
pool, à Londres et à Manchester, et le résident de Ku-
massi fut fait « Knight ».
1. Voir notamment articles de M. Ed.-D. Morel, V. IV., 30 mars 1901, et
DaLhj Seiis{V. \V. A,, id.).
CHAPITRE XI
LA GOLD COAST
La Constitution de TAshanti et des
* Northern Territories.
Tandis que les Ashantis résistaient au gouvernement
anglais, celui-ci pratiquait, dans les territoires situés
plus au nord, une politique qui devait rapidement éta-
blir son pouvoir sur les tribus habitant ce pays.
Ce furent les progrès faits dans l'intérieur par la
France et l'Allemagne qui poussèrent FAngleterre à
agir. Suivant la formule employée par le gouvernement
lui-même*, « étant données les interruptions constantes
apportées au commerce par les chefs des diverses tri-
bus situées sur les routes commerciales qui vont dans
rintérieur de la côte, étant donnés aussi les efforts des
explorateurs français et allemands pour faire dévier le
trafic à l'ouest ou à Test, il fut estimé nécessaire de
protéger les intérêts commerciaux anglais par une série
de traités documentaires [documentary traties) passés
avec les chefs de Tintérieur ».
Nous n'insisterons point ici sur le caractère bien
connu de ces différents traités, ni sur les événements
qui amenèrent la conclusion delà convention du 14 juin
1898. Ce sont là des faits dans lesquels la politique indi-
gène avait d'autant moins à voir que, une fois laissée
1. The Gold Coats civil Ust, 1903.
LA CONSTIT. DE l'aSHANTI ET DES X. TERRITORIES i'M
libre par la France et TAllemagne d'agir à son gré dans
ces pays, l'Angleterre les occupa par la conquête; This-
toire de cette conquête n'offre rien qui diffère beaucoup
de ce qui s'est passé en Afrique toutes les fois que la
force seule est intervenue.
Quelle qu'ait été l'opinion du gouvernement anglais
sur les causes du dernier soulèvement, il lui parut op-
portun de profiter de la nécessité, qui s'imposait, de
réformer le système d'administration de l'Ashanti pour
indiquer les principes généraux suivant lesquels la Gold
Coast devait être gouvernée.
Le pays- fut partagé en trois parties distinctes, qui
reçurent chacune une organisation différente.
Les Lettres Patentes de 1886 avaient séparé les
établissements de la Gold Coast de ceux de Lagos et
donné une constitution spéciale à la nouvelle colo-
nie. Un Order in Council du 26 septembre 1901 vint
définir à nouveau ce qui devait être la Colonie propre-
ment dite.
Les territoires auxquels l'ordre devait s'appliquer
étaient limités : au sud par l'océan Atlantique, à l'ouest
par la ligne frontière entre les possessions françaises
et anglaises depuis la mer jusqu'à un point de la fron-
tière situé à 1.000 milles au sud d'Aburuferasi ; au nord
par une ligne partant de ce dernier point et passant
par le point où la route de Mem à Patubuso traverse la
rivière Tano pour aboutir à la rive droite de la rivière
Ofin. La ligne suit ensuite cette rive jusqu'au confluent
de la rivière Ofin avec la rivière Prah, puis la rive
gauche du Prah jusqu'au point où la route d'Obo à Bom-
pata traverse la rivière, ensuite se dirige vers le nord
i:
II
132 LA COLD COAST
l" jusqu'au parallèle de latitude qui passe à Agogo, et de
là vers le point où la route d'Abetifi à Altabubu traverse
la rivière Sumi près de Sumisu. Passant par le village
d'Achrinang et le point de la rive gauche de la rivière
Volta à Touest du village de Krobo, cette ligne de dé-
limitation emprunte à l'Est la ligne de frontière entre
les colonies anglaises et allemandes jusqu'à l'océan
Atlantique.
Les territoires ainsi délimités devaient être adminis-
trés de la manière prévue par les Lettrés Patentes de
1886.
Un ordre du même jour, 26 septembre 1901, vint or-
ganiser les territoires ashantis comme pays conquis :
« attendu que les territoires compris dans les limites de
l'ordre et connus comme territoires ashantis avaient
été conquis par les troupes de Sa Majesté, et qu'il pa-
raissait bon à Sa Majesté que lesdits territoires soient
annexés au domaine de Sa Majesté et en fassent
partie ».
Les limites de ces territoires étaient les suivantes :
au sud, la colonie de la Gold Goast; à l'ouest, la ligne
frontière entre les possessions françaises et anglaises,
à partir d'un point situé à 1.000 m. ; au sud d'Aburufe-
rasi, jusqu'au point où la frontière coupe le 8* parallèle
de latitude nord; au nord le 8** parallèle de latitude
nord; à l'est, la ligne frontière entre les possessions
françaises et allemandes du point où cette frontière
coupe le 8® parallèle de latitude nord jusqu'à un point
situé sur la rive gauche de la rivière Volta, à l'ouest
du village Krobo.
Le gouverneur de la colonie de la Gold Goast exerce
dans ces territoires tous les pouvoirs et juridictions
j
LA CONSTIT. DE L*ASHANTI ET DES N. TERRITORIES 133
que Sa Majesté britannique y a acquis, en se confor-
mant pour cet exercice aux instructions qu'il recevra
de Sa Majesté ou d'un Secrétaire d'Etat.
Sous la réserve de l'approbation d'un Secrétaire d'É-
tat, le gouverneur nomme, pour exercer les pouvoirs qui
lui sont confiés, un chief Commissioner et tous autres
Commissioners, juges, magistrats ou autres fonction-
naires qu'il juge bon.
Ces pouvoirs, le gouverneur les exerce librement, et
c'est là une des différences principales entre la manière
dont la Colonie proprement dite et les territoires ashan-
tis sont administrés, car, dans la Colonie comme daus
toute colonie de la Couronne, les ordonnances du
gouverneur ne sont exécutoires que si elles ont été
approuvées par l'Assemblée législative. En outre, dans
l'Ashanti la justice n'est administrée que suivant la
loi indigène ou suivant l'équité, et non point d'après
la loi anglaise telle qu'elle est mise en vigueur par les
ordonnances qui créent les Suprême Courts dans les
colonies.
Par des instructions données le 7 octobre 1901, en
application de l'Order in Council sur l'Ashanti, le roi
se réservait le droit de modifier toute ordonnance prise
par le gouverneur ou d'en provoquer de nouvelles à son
gré. Il était défendu au gouverneur de promulguer de
sa propre initiative des ordonnances sur le divorce, sur
la circulation monétaire, sur le nombre ou le salaire
des fonctionnaires, sur les banques, sur la discipline
militaire et navale, sur l'établissement de tarifs différen-
tiels ou sur toute matière d'importance extraordinaire
qui pourrait porter atteinte aux intérêts des sujets
anglais non résidents dans l'Ashanti.
134 LA GOLD GOAST
Par un Order in Council et des instructions de la
même date, des dispositions analogues étaient prises
pour les territoires compris entre le S** parallèle de lati-
tude nord et les possessions françaises et allemandes
qui constituèrent les « Northern Territories ». Les pro-
tocoles seuls différaient et portaient que cette législa-
tion était établie parce que les territoires ainsi déli-
mités s'étaient placés sous la protection de Sa Majesté,
ou parce que celle-ci avait acquis pouvoirs et juridic-
tion sur eux par traités, concessions, usages ou autres
moyens légaux.
En faisant part au résident de Kumassi du nouvel
état de choses, le gouverneur le pria d'informer les
chefs de l'Ashanti que, leur pays étant devenu une par-
tie du domaine du roi d'Angleterre, toutes les personnes
qui prendraient des armes contre le gouvernement
anglais seraient punies bien plus sévèrement qu'autre-
fois, que le gouvernement anglais n'interviendrait pas
dans les droits fonciers ou autres des chefs et du peuple
tant qu'ils n'agiraient pas contre le gouvernement ou
contre leurs intérêts réciproques. Un Résident nommé
Chief Commissioner serait le chef suprême du pays
sous les ordres du gouverneur.
Des instructions analogues furent envoyées au com-
mandant des Northern Territories.
CHAPITRE XH
LA GOLD COAST
L'organisation administrative et judiciaire.
Le système administratif et judiciaire en vigueur
dans la Colonie proprement dite de la Gold Coast est
tout entier basé, comme dans toutes les colonies de la
Couronne, sur l'établissement de la Suprême Court,
sur les attributions et l'organisation de laquelle nous
n'avons pas à insister.
Les pouvoirs actuels des District Commissîoners
dans la Colonie proprement dite ont été fixés par une
ordonnance du 20 octobre 1894*.
Le gouverneur nomme dans chaque district de la Co-
lonie un Commissioner qui est de ce fait représentant
de la Suprême Court, et qui peut exercer, dans les
limites de l'ordonnance, tous les pouvoirs dévolus aux
juges de ce tribunal. Toutes les décisions de ces Coni-
missioners sont cependant passibles d'appel devant
la Suprême Court. Si des jugements sont rendus par
eux pour des cas étrangers à leur district^ ces juge-
ments ne sont pas entachés de nullité, mais seulement
susceptibles d'appel.
La juridiction- de la Suprême Court s'exerce dans
1. An Ordinance lo consolidate Ihe law relaUng to District Commis^
sioner, — 189'a.
136 LA COLD COAST
tous les districts parallèlement à celle des District
Commissioners.
En matière civile personnelle ou immobilière, leur
compétence s'étend à toutes les causes dans lesquelles
la valeur du litige ne dépasse pas 25 livres. Ils ont le
droit d'émettre des « habeas corpus », de nommer des
gardiens aux orphelins et de gérer les biens aban-
donnés. Dans les cas de contestations sur des titres
de propriété, les Commissioners ne peuvent se pro-
noncer qu'avec le consentement de toutes les parties.
En matière criminelle, leur compétence s'étend aux
cas qui, d'après le code criminel de la Colonie, n'en-
tratnent pas une pénalité dépassant une amende de
25 livres ou un emprisonnement de trois mois. Cette
compétence civile ou criminelle des Commissioners
peut être accrue par le Chief Justice avec l'approbation
du gouverneur. De même, le Chief Justice peut modi-
fier tout jugement criminel rendu par les Commissio-
ners et dont les comptes rendus lui sont communi-
qués mensuellement.
A côté de la juridiction de la Suprême Court, qui
s'applique d'une manière générale à toute la Colonie,
et de celle des District Commissioners qui en dérive,
une ordonnance du 15 janvier 1883 a reconnu, sous
certaines conditions, l'existence d'une juridiction indi-
gène. Cette juridiction ne se borne pas à juger des dif-
férends qui pourraient éclater entre les plaideurs, maïs
encore elle peut faire œuvre législative.
L'ordonnance* se borne, du reste, suivant son titre, à
« faciliter et régulariser l'exercice par l'autorité indi-
1. An Ordinance to facilitale and regalate ihe exercise of certain
powers and Jurisdiction by native authoriCies, n* 5 of 1883/
L'onCAMSATION ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE 137
gène de certains pouvoirs et juridictions », et c'est
ainsi qu'elle ne définit point cette autorité indigène.
L'organisation des tribunaux indigènes n'est point ré-
glée par elle, car elle reconnaît qu'ils existaient avant
leur promulgation. Elle procède, à ce point de vue, par
définition. Son protocole porte qu'en ce qui la con-
cerne : Chef souverain [Head Chief) signifie chef qui
n'est pas subordonné à un autre chef; Division, pays
soumis à un chef souverain; tribunal indigène, un chef
souverain, ou le chef d'une subdivision siégeant avec
des aides ou autres personnes reconnues par la loi
indigène comme conseillers de ce chef. Le mot indi-
gène s'applique à toute personne mulâtre ou noire
résidant ordinairement dans le pays.
L'ordonnance a pour but de reconnaître vis-à-vis du
gouvernement une valeur légale aux décisions de ces
tribunaux. Elle porte, en effet, que le gouverneur aura
le droit, sous réserve de l'approbation du Législative
Council, de déclarer, lorsqu'il le jugera bon, telle ou
telle Division soumise à l'ordonnance. En fait, cette
reconnaissance a eu lieu pour toutes les Divisions de
la Colonie.
Chaque Division pourra être subdivisée en sous-
groupes placés sous la direction des chefs subordon-
nés au Chef souverain que le gouverneur, avec l'avis
de l'Executive Council, désignera spécialement. Ces
sous-divisions pourront être modifiées de la même ma-
nière. Excepté dans les cas expressément mentionnés,
les subdivisions et groupements de villages établis au
moment de la promulgation de l'ordonnance continue-
ront à exister.
Tout Chef souverain soumis à l'ordonnance aura le
138 LA r.OLD COAST
droit de faire, avec la collaboration de ceux qui sont ses
conseillers légaux, des règlements en harmonie avec les
lois de la Colonie, dans le but de maintenir la paix, le
bon ordre et la richesse du peuple et de ces Divisions,
et il fixera des pénalités pour l'inobservation des règle-
ments.
Ces règlements seront soumis à l'approbation du
gouverneur et publiés dans la Gazette.
Les chefs qui auront été autorisés à rendre la justice
en vertu de cette ordonnance seront compétents dans
les affaires où toutes les parties sont des indigènes :
1® En matière civile, pour toute dette et obligation
n'excédant pas 25 livres. Le tribunal compétent est
celui du domicile du défendeur, pour toute quesliou
concernant la propriété et la possession de terres
situées dans le ressort du tribunal et pour toute ques-
tion concernant la succession de personnes domici-
liées, à Tépoque du décès, dans le ressort du tribunal
et dont la valeur ne dépassera pas 16 livres.
2^ En matière criminelle, dans les cas fixés par les
règlements.
Le gouverneur peut réduire, avec l'approbation de
l'Executive Council, la compétence d'un chef à certains
points. Ces chefs sont toujours incompétents dans tous
les cas où la Couronne est intéressée.
Les plaideurs ne sont autorisés à se faire représen-
ter, devant un tribunal indigène, par d'autres personnes
que leur parents, qu'avec une autorisation spéciale du
Commissîoner.
Toute cause jugée par un tribunal indigène est sus-
ceptible d'appel devant la Suprême Court.
L'autorité du gouvernement reste entière sur cette
l'organisation administrative et judiciaire 139
juridiction. Le Gouverneur, les Gommissioners, TAltor-
ney-General et tous autres fonctionnaires à qui le gou-
verneur en donnera le pouvoir, peuvent arrêter toute
affaire en instance devant les tribunaux indigènes et
la renvoyer devant le tribunal indigène supérieur ou
devant la Suprême Gourt. Le défendeur peut provo-
quer cette mesure. En fait, comme les Gommissioners
rendent la justice au nom de la Suprême Gourt, ils ont
ainsi le droit de juger par eux-mêmes, lorsqu'ils l'es-
timent convenable, toute affaire soumise à un tribunal
indigène placé sous leurs ordres.
Le droit d'appel est également à la discrétion des
Gommissioners, car toute personne qui désire faire
appel d'un jugement doit en référer au Gommissioner
du district, qui peut ordonner une nouvelle enquête
ou introduire directement la cause en appel devant la
Suprême Gourt avec avis motivé.
Dans le cas où une question foncière est en litige, le
Gommissioner ne peut cependant refuser l'appel avant
d'en avoir obtenu l'autorisation de l'Attorney-General.
En cas de différence d'opinion, le cas est porté devant
le gouverneur, ou à son gré devant le Ghief Justice, qui
prononce définitivement.
Le jugement d'appel est rendu conformément à la
législation en vigueur devant la Suprême Gourt.
L'Order in Gouncil de 1901 qui avait organisé le
gouvernement de l'Ashanti avait laissé à la discrétion
absolue du gouverneur et de son délégué, le Ghief
Gommissioner, l'exercice de la plupart des droits
souverains que Sa Majesté avait acquis sur ces terri-
toires. Une ordonnance du 1" janvier 1902 vint régie-
140 LA GOLD COAST
menter celte administration et en mieux définir les
termes.
Le principe fondamental établi par FOrder était que
les pouvoirs du gouverneur n'étaient limités que par la
volonté du gouvernement anglais et n'était pas soumis
à l'approbation d'une assemblée législative. Les dis-
positions de l'ordonnance étaient toutes réglées d'après
ce principe.
Toute autorité civile ayant, suivant la constitution
anglaise, un caractère judiciaire^ l'ordonnance définis-
sait d'abord les pouvoirs du Ghief Gommîssioner de la
manière suivante :
« Il sera établi dans l'Ashanti un tribunal qui sera
appelé le tribunal du chef Commissioner de l'Ashanti
[Court of Record) et dont la juridiction s'étendra sur
tout l'Ashanti. Ce tribunal sera présidé par le Ghief
Gommissioner, qui aura les mêmes pleins pouvoirs et
juridiction dans l'Ashanti qu'un juge de la Suprême
Gourt de la colonie de la Gold Goast siégeant dans une
divisional Gourt, sauf en ce qui concerne les cas de
divorce et de mariage. Le gouverneur ou le Ghief Gom-
missioner pourront nommer, pour présider ce tribunal,
toute personne convenable qui acquerra ainsi les pou-
voirs judiciaires du Ghief Gommissioner. »
Dans chaque district sera établie une succursale du
tribunal du District Commissioner. Il sera présidé par
le District Gommissioner et connaîtra des causes qui
naîtront dans le district.
La loi et la procédure en vigueur devant ces tribu-
naux seront celles auxquelles est soumise la Suprême
Gourt de la colonie.
Dans toutes les affaires civiles et criminelles le pré-
l'organisàtiox administrative et judiciaire 141
sident devra consigner par écrit toutes les déclarations
orales déposées devant lui.
Dans le cas de condamnation à mort prononcée par le
Distrîct-Gommissîoner il ne sera fait exécution qu'après
approbation du High Commissioner, et si la condam-
nation a été prononcée par le High Commissioner,
qu'après l'approbation du gouverneur.
Le Ghief Commissioner a le droit de référer devant
la Suprême Court de la colonie toute cause qu'il jugera
convenable.
Il pourra être fait appel devant la Suprême Court
de la colonie, par l'intermédiaire du Gouverneur, de
toute cause dans laquelle la valeur du litige dépassera
100 livres. L'appel n'est pas possible en matière crimi-
nelle.
Les tribunaux indigènes tels qu'ils étaient organisés
avant la promulgation de l'ordonnance conservent leur
compétence, sous la réserve toutefois qu'ils ne peu-
vent juger les affaires dans lesquelles une des parties
n'est pas indigène, c'est-à-dire « un membre d'une race
ou d'une tribu aborigène de l'Afrique occidentale, et
qu'ils ne sont pas compétents en matière de meurtre,
de rapt, de vol avec violences, de blessures graves ou
d'esclavage ». En matière civile ou foncière, ils ne peu-
vent juger de cas dans lesquels la valeur du litige soit
supérieure à 100 litres.
Les décisions de ces tribunaux ne doivent pas être
contraires à la justice naturelle ou au principe de la
loi anglaise.
Appel des décisions des tribunaux indigènes peut
être fait par toutes les personnes intéressées devant le
Commissioner du district ou le Chief Commissioner.
142 LA GOLD COAST
Celui-ci peut arrêter raudition de toute cause devant
un tribunal indigène et la renvoyer devant lui ou de-
vant le District Commissioner.
Le Gouverneur ou le Chief Commissioner, avec son
approbation, peut restreindre ou supprimer la juridic-
tion de tout tribunal indigène.
En somme, comme dans la Colonie, celte juridiction
indigène reste entièrement soumise au Gouverneur.
Les pouvoirs des chefs sont du reste limilés à tous
les autres points de vue, par l'ordonnance, car, pour
èlre effective, leur autorité devra être désormais recon-
nue par le gouvernement.
La plupart des ordonnances en vigueur dans la Colo-
nie et dont les dispositions pouvaient concerner les
Européens étaient déclarées, par Tordonnance de 1902,
applicables dans les territoires de TAshanti.
En ce qui concerne les « Northern Territories », le
pouvoir anglais fut représenté tout d'abord unique-
ment par Tautorité militaire; mais, en 1907, ces terri-
toires furent partagés en trois provinces ayant respec-
tivement leur capitale à Tamale, Wa et Gambaga, dé-
pendant du haut commissaire établi à Tamale et pla.-
cées sous les ordres du Provincial Comissioner « ayant
au-dessous d'eux des District Commissioners ». Ce
ne fut cependant que peu à peu que les indigènes
furent amenés à considérer comme réel rétablissement
du pouvoir anglais, et celui-ci s'est borné jusqu'ici à
lâcher de maintenir la paix entre les innombrables tri-
bus qui habilent ces régions et qui ne sont réunies, en
aucune manière, en groupements avec lesquels il' eût
élé nécessaire d'entrer en relations continues, comme
L^ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE 143
dans les autres protectorats anglais de l'Afrique occi-
dentale. L'absence d'entreprises européennes a, du
reste, été la raison pour laquelle jusqu'ici la nécessité
d'une intervention plus complète ne s'est pas fait
sentir.
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CHAPITRE XIII
LA GOLD COAST
La législation foncière et l'organisation
municipale.
I
LA LÉGISLATION FONCIÈRE
Ce ne fut qu'après rérectionde ses établissements de
la Gold Coast en colonie que le gouvernement anglais
se préoccupa d'y instituer une législation foncière
concernant les rapports des Européens et des indi-
gènes. Une ordonnance de 1876 vint fixer la manière
dont les pouvoirs publics pourraient entrer en posses-
sion des terrains qui leur seraient nécessaires*.
Le fonctionnaire compétent en la matière est le Colo-
nial Secretary; c'est lui qui prend en charge les terres
acquises pour la Couronne et qui les transmet à ses
successeurs. Lorsqu'il estime nécessaire l'acquisition
de quelques terrains^ il en donne avis au propriétaire. Si
celui-ci est introuvable, cet avis est affiché à la porte du
palais de justice de la colonie et inséré dans la gazette.
Vingt et un jours après la notification ainsi ^faite, si les
intéressés n'adhèrent pas à la proposition du Colonial
Secretary, ou si cette notification est restée sans réponse,
1. Acqaisilion oflands for public service, Ordinance n'8 of 1876.
LA. LÉGISLATION FONCIERE 145
la somme à payer par le gouvernement est fixée parla
Suprême Court, sur un rapport du directeur des travaux
publics. Les terres vacantes sont prises sans qu'il soit
payé d'indemnité; lorsque les parties font défaut, le
jugement n'est définitif qu'au bout d'un an. Après
production d'un reçu de la somme payée par le gouver-
nement ou après l'expiration des délais, la Suprême
Court donne au Colonial Secretary un certificat cons-
tatant la prise de propriété par Sa Majesté de la terre
en question.
Cette ordonnance de 1876 ne contenait aucune dispo-
sition sur les rapports entre simples particuliers. Les
indigènes passaient les contrats qu'il leur convenait
avec les Européens qui voulaient traiter avec eux. C'est
l'exploitation des richesses aurifères de la Colonie qui
amena le gouvernement, longtemps après, à établir
«ne législation complexe à cet égard. Sir W. M. Maxwell
proposa en 1896 un bill dénommé « the Land's Bill »,
d'après lequel le gouvernement aurait pris possession
de toutes les terres vacantes situées aux colonies et
en aurait disposé à son gré. Nous verrons dans un
instant comment l'opposition des indigènes obligea le
gouvernement à renoncer à cette prétention. Une
ordonnance de 1900, qui fut amendée en 1901 et 1902,
vint finalement régler la matière.
Les indigènes restent libres de disposer des terres
de la colonie comme ils l'entendent, mais les conces-
sions qu'ils peuvent en faire aux étrangers ne devien-
nent valides vis-à-vis des tribunaux anglais que si elles
ont été approuvées par un tribunal spécial de la Suprême
Court. Les contrats de concession doivent être faits par
écrit et signés par le concédant ou son mandataire. Le
10
146 LA. GOLD COAST
tribunal doit estimer que les véritables intéressés ont été
parties à la concession et qu'ils ont compris la portée
de leur engagement; que les divers droits établis par
la coutume, comme ceux de la chasse, de la récolte du
bois à brûler, ont été respectés, et qu'une somme con-
venable a été convenue en payement de la concession.
Les concessionnaires sont du reste tenus de sou-
mettre leur concession à la validation du tribunal dans
les six mois, sous peine d'une amende de 5 livres par
jour de retard. Les concessions sont divisées en deux
catégories : celles qui ont été obtenues avant le
10 octobre 1895 et celles qui sont postérieures à cette
date. Aucune restriction n'est apportée à la durée des
premières ni à l'étendue des terrains auxquels elle
s'applique; les secondes ne peuvent porter sur une
étendue de plus de 5 milles carrés si elles sont faites
en vue d'exploitation de mines d'or, et de 20 milles
carrés si elles ont un autFe objet. Une même personne
ne peut acquérir d'un seul tenant plus de 20 milles
carrés dans le [premier cas, 40 milles dans le second.
La durée de la concession ne peut excéder 99 ans.
Le tribunal peut exiger que la concession soit délimi-
tée par les soins de fonctionnaires du gouvernement.
Tous les payements faits aux indigènes en vertu des
droits de concession doivent être effectués par l'inter-
médiaire du trésorier de la Colonie.
Pendant les années 1900 et 1901, qui furent celles
pendant lesquelles se produisit le « Boom » sur les
mines d'or, plus de 4.000 concessions furent ainsi vali-
dées par la Suprême Court. Dans la partie occidentale de
la Colonie, le prix moyen accordé pour une concession
de 5 milles carrés fut de 50 livres comme payement pré-
LA. LÉGISLATION FONCIERE 147
liminaire, et d'une rente annuelle de 12 livres jusqu'au
début de l'exploitation, et ensuite de 100 à 250 livres.
Le tribunal exige actuellement que les indigènes aient
le choix entre le payement d'une rente de 24 livres
plus 2,50 p. 100 du bénéfice net ou le payement de la
somme primitivement convenue. Dans les autres par-
ties de la Colonie la rente payée est de 200 livres par
mille fathoms carrés. Toute exploitation minière est
soumise à un droit de patente de 30 livres et au paye-
ment d'une redevance de 5 p. 100 sur le bénéfice réa-
lisé sur la concession. Nul ne peut procéder à des pros-
pections dans la Colonie sans avoir obtenu au préalable
une licence coûtant 5 livres.
En 1901, des dispositions spéciales vinrent régle-
menter l'obtention des concessions dans l'Ashanti. Le
Résident devait approuver sous certaines conditions
tous les contrats fonciers passés avec les chefs.
Un accord particulier était passé avec l'Ashanti Gold-
fields Corporation, qui était la principale des compagnies
minières alors existantes. Il portait qu' « attendu que
les territoires des chefs bekwais et adansis, avec qui
la compagnie avait traité, étaient passés sous la pro-
tection de Sa Majesté la Reine et sous le contrôle du
gouverneur, ce gouverneur ne pouvait admettre la
validité de ces concessions»; elles étaient donc abro-
gées, et il était entendu que la compagnie payerait
annuellement au trésorier de la Colonie des sommes
de 100 et de 66 livres qui seraient remises respecti-
vement aux chefs bekwais et adansis. Le gouvernement
toucherait de son côté un droit annuel de 500 livres et
une redevance de 5 p. 100 sur les bénéfices ou, à leur
défaut, de 130 livres.
I •
1 1
148 LA GOLD COAST
Une ordonnance de 1903, ihe Ashanti Concession
Ordinance 1903, vint étendre aux territoires ashantis
une législation analogue à celle en >vigueur dans la
Colonie, avec cette principale différence que les ter-
rains donnés en concession par les chefs devaient être
délimités avant qu'un certificat de validité puisse être
délivré par les tribunaux du Chief Commissioner.
Une pénalité annuelle de 100 livres par mille carré
peut être infligée à tout concessionnaire qui n'exploite
pas sa concession.
Une ordonnance du 4 juillet 1904, the Minerai Rights
Ordinance 1904, a établi le régime minier des Northern
Territories. Elle est remarquable en ce qu'elle montre
que le gouvernement anglais n'a pas voulu se pronon-
cer sur les droits qu'il entendaitj exercer en matière
foncière dans cette partie de ses possessions. Toute
prospection ou exploitation minière doit être précédée
de l'autorisation du High Commissioner, qui prend
toutes les dispositions nécessaires pour protéger les
droits des indigènes.
On peut dire sans être accusé de parti pris que seuls
les hommes de loi indigènes firent bon accueil à cette
législation. Avocats etavoués nègres firent, en effet, des
affaires merveilleuses en représentant les compagnies
minières auprès des tribunaux de Cape Coast Castle et
d'Accra. Ces compagnies trouvèrent trop compliquées
les formalités nécessaires pour la validation des conces-
sions; elles n'étaient pas assez préservées de toutes
contestations futures. Les compagnies accusaient en
même temps les juges anglais de partialité au bénéfice
tics indigènes, qui comprirent rapidement l'avantage
J
LA LÉGISLATION FONCIERE 140
qu'ils pouvaient tirer des convoitises européennes. Les
exemples abondèrent de compagnies ayant dépensé
plusieurs centaines de mille francs sur des territoires
dont la possession fut ensuite confirmée à d'autres.
Nous avons dit comment le gouverneur Maxwell^
ayant voulu déclarer que les terres vacantes de la Co-
lonie faisaient partie du domaine public, se heurta à
l'opposition des indigènes. Une société composée des
plus en vue des educated natives, au commencement
de 1898, se fonda sous le nom de « the Gold Coast
Aborigènes' Rights Protection Society », pour protester
contre le Land's Bill. Elle envoya, au mois d'août de
cette année 1898, une députation au Colonial Office pour
lui présenter ses doléances. M. Chamberlain* défendit le
gouvernement anglais d'avoir rien voulu faire qui pût
porter atteinte aux droits des indigènes : le principal
objet, presque le seul objet du Bill, dit-il, était de pro-
téger contre les spéculateurs les chefs, qui cèdent sou-
vent leurs terres pour un prix insuffisant et sans consi-
dérer suffisamment les intérêts de la tribu; le gouver-
nement désirait que les intérêts de la population tout
entière, de toute la tribut aussi bien que ceux des chefs
et du gouvernement, fussent pris en considération dans
l'octroi des concessions. L'abandon du Bill n'en fut pas
moins décidé, et les dispositions de l'ordonnance de
1900 furent adoptées. La plupart des membres du Lé-
gislative Council s'étaient, du reste, prononcés contre
l'appropriation par le gouvernement des terres vacan-
tes^ L'Attorney-General, en particulier, avait déclaré
1. The Report of the députation from the Kings and Chiefs of the
Western Provinces of the Gold Coast, 1898.
2. ^ Government Gazette, 13 aoûl 1897.
150 LA GOLD GOAST
« que toute terre occupée ou non dépendait des diffé-
rents rois ou chefs », et le Chief Justice avait assuré que
toutes les terres rentraient, dans la Colonie, dans une
des catégories suivantes : terres du trône, terres pri-
vées et terres familiales.
1 L'expérience devait prouver que le Bill était impuis-
sant à protéger leurs intérêts. Pendant les années 1908
à 1911, grâce au boom sur le caoutchouc, une série de
concessions fut accordée par des chefs à des compa-
gnies à qui ils abandonnèrent, pour des sommes peu
importantes, tous les droits sur leur terre et ses pro-
duits. Une vive agitation se fit jour parmi les défen-
seurs ordinaires des indigènes, qui trouvèrent qu'il y
avait lieu que le gouvernement intervînt pour empê-
cher les indigènes de se déposséder ainsi. Le Colonial
Office fit faire une enquête, en conclusion de laquelle
M. M. Darcourt écrivit, le 11 juin 1911, que sur une
superficie totale de 80.000 milles carrés auxquels on
peut évaluer la Gold Coast, TAchanti et les Northern
Territories, 1.242 seulement avaient été concédés. Il
ne semblait pas que la situation fût critique pour le
moment, mais elle pouvait le devenir, si Taliénation
des terrains indigènes continuait dans les proportions
actuelles.
On accusa l'administration judiciaire, qui approuva
les concessions, de ne pas s'être préoccupée suffisam-
ment de son devoir de tutelle vis-à-vis des indigènes, et
au moment où nous écrivons ces lignes le gouverne-
ment n'a pas encore pris de décision à cet égard. Nous
rechercherons dans nos conclusions ce qu'il faut penser
de cet état de choses, mais nous pouvons dire dès main-
tenant qu'il montre combien il est difficile de concilier
LÀ LÉGISLATION FONCIERE 151
à la fois le respect des droits des indigènes et le devoir
de protection de leurs intérêts dont a voulu toujours
s'inspirer très noblement l'Angleterre en Afrique occi-
dentale.
Une ordonnance de 1894, sur la disposition de la-
quelle nous allons revenir, prévit la création d'organi-
sations municipales dans la colonie. Des amendements
ultérieurs vinrent autoriser le gouvernement à décla-
rer comme faisant partie du domaine public les ter-
rains qu'il serait nécessaire de laisser vacants pour des
raisons d'hygiène.
Vers le milieu de 1901, le gouvernement voulut, en
vertu de ces dispositions législatives et de l'ordonnance
de 1876 sur les expropriations, acquérir une certaine
étendue de terrain pour assainir la ville de Sekondi.
L'Aborigenes Rights Protection Society estima qu'il y
avait là quelque chose de contraire aux droits des indi-
gènes et aux précédentes déclarations officielles. Elle
avait sans doute pensé que la Public Land's Ordinance
avait été abrogée, comme le Land's Bill de 1898. Elle
adressa* au gouverneur, le 23 septembre 1901, une
pétition dans laquelle elle suggérait que l'on aurait
pu obtenir le résultat cherché en obligeant les pro-
priétaires de terrains vagues à construire sur leurs
terrains des habitations convenables ou à les louer
à d'autres qui auraient édifié ces constructions : « De
la sorte les propriétaires auraient pu retirer, comme
c'est leur droit, un plein bénéfice de leurs terres, au
lieu d'en laisser le fruit au gouvernement. » La société
rappelait les déclarations faites en 1898 par M. Cham-
1. fF. ii., 5 juillet 1902. •
152
LA GOLD COAST
berlain et assurait que la volonté de ce ministre
n'était pas respectée, puisque les ordonnances pré-
citées reconnaissaient au gouvernement le droit de
payer aux indigènes les sommes qui lui convenaient
en payement des terrains qu'il désirait acquérir, et
les pétitionnaires demandaient l'abrogation de ces
ordonnances.
Le gouverneur déclara ignorer de quel droit les
pétitionnaires prétendaient représenter les intérêts
des indigènes de la Colonie, et pendant quelque temps
l'affaire en resta là.
II
l'organisation municipale
L'agitation devait cependant renaître à propos de
l'organisation municipale.
Dès 1884, lord Derby, Secrétaire d'Etat aux colonies,
écrivait au gouverneur Young que « les difficultés d'ad-
ministration seraient bien diminuées par l'établisse-
ment de conseils municipaux, au sujet desquels il serait
très désireux de recevoir les vues du gouverneur ».
En 1887, les principaux indigènes de Cape Coast de-
. mandèrent au gouverneur White la création d'une cor-
poration municipale. La première ordonnance sur le
régime municipal fut prise peu après*, mais, en même
temps, ce à quoi ne s'attendaient point les indigènes,
le principe d'une taxe personnelle municipale fut établi.
Une pétition fut aussitôt adressée (juin 1889) au Secré-
taire d'État, par les notables du pays, portant entre
1. Tht municipalilies ordinance, 9 avril 1889.
l'organisation municipale 153
autres choses : « Nous prions très humblement Votre
Seigneurie de vouloir bien considérer la nature du sys-
tème d'impôt sur lequel est établi le Bill du gouverne-
ment. Taxation signifie dette, et là où les revenus sont
insuffisants pour satisfaire aux dépenses publiques, il
est nécessaire de recourir aux impôts directs. Plutôt
que de lever les taxes sur nos maisons, nous désire-
rions rétablissement de taxes ad valorem sur les impor-
tations. Nous demandons que des sommes analogues à
celles qui sont votées chaque année par le Législative
Coûncil, pour les travaux publics et les dépenses sani-
taires, nous soient accordées proportionnellement au
revenu de chaque ville, le gouvernement surveillant
l'emploi qui en sera fait. »
A la suite de cette pétition, les institutions prévues
par l'ordonnance du 9 avril 1889 ne furent pas mises en
vigueur, et les droits ad valorem, qui avaient été sup-
primés, furent rétablis.
En 1894, une loi sur les Town Councils* vint cepen-
dant reprendre Fancien projet et établir le système
actuel.
Elle ne devait être appliquée que dans les villes
pour lesquelles le gouverneur le jugerait bon ; il y est
établi un conseil municipal {Town Council) composé, au
gré du gouverneur, de quatre, six ou huit membres,
dont la moitié est composée de fonctionnaires et com-
prend le commissaire du district, président de droit et
trésorier du conseil; l'autre moitié est choisie à Félec-
tion et nommée par le gouverneur.
« Tous les deux ans, en septembre, les propriétaires
1. The Town Council ordinance, 14 nov. 1894.
154 LÀ GOLD GOÀST
fonciers de la ville doivent déclarer à un expert nommé
par le gouverneur, le prix de location qu'ils touchent
pour leurs immeubles. L'expert détermine lui-même
la valeur des maisons non louées ou dont l'estimation
laite par les propriétaires lui paraît trop faible. Il peut
être fait appel de cette estimation, dans les sept jours,
devant le District Commissioner. Toutes les personnes
du sexe masculin, propriétaires d'une maison valant au
moins deux livres, sont inscrites sur une liste de vo-
tants pour l'élection des membres non officiels du con-
seil. Cette liste est affichée le 1" avril de chaque année,
et les personnes non inscrites qui prétendent avoir
droit d'y figurer peuvent adresser leurs réclamations
au District Commissioner dans une réunion tenue par
lui. Appel de ses décisions peut être fait devant la
Suprême Court.
« Pour être éligible comme membre du conseil, il
est nécessaire d'être inscrit sur la liste des votants et
de posséder une propriété de la valeur de 200 livres,
ou pour laquelle est payé un loyer de 20 livres.
« Le conseil se réunit le second lundi de chaque mois
et toutes les fois que le Commissioner, sur la requête
de deux membres au moins du conseil, le juge bon. Le
quorum nécessaire est de trois membres lorsque le
conseil comprend plus de quatre membres, et de deux
membres lorsque le conseil est de quatre membres; un
d'entre eux doit être un membre fonctionnaire. Le Dis-
trict Commissioner, ou en son absence le plus ancien
des membres fonctionnaires, préside le conseil. Le
président a voix prépondérante.
(c Le conseil a dans ses attributions l'exécution des
ordonnances sur les ventes aux enchères, sur les licen-
l'organisation municipale 155
ces pour la vente des alcools, et il peut prendre toutes
dispositions nécessaires pour Thygiène publique ou Fa-
inélioration de la ville. Il a le droit d'acquérir des pro-
priétés, mais il n^ peut les aliéner, les hypothéquer ou
les louer sans l'autorisation du gouverneur. Pour pour-
voir à ses dépenses, le conseil a le droit de prélever
sur toutes les personnes inscrites sur la liste des vo-
tants, un impôt qui ne doit pas dépasser 5 p. 100 du
revenu déclaré de leurs immeubles. Les autres sources
de revenu du conseil sont les sommes payées pour
l'obtention des licences permettant la vente de l'alcool
et pour les ventes aux enchères, les taxes sur les chiens
et les diverses amendes qui peuvent être infligées à la
suite de contraventions aux règlements municipaux. »
Vers la fin de 1904, l'ordonnance fut appliquée à Se-
kondi, et le l***" juillet suivant à Cape Coast Castle.
Cette extension fut très mal accueillie par les indi-
gènes. Ils reprochèrent à ^ordon^ance d'établir un
impôt direct et de ne point laisser au peuple un pou-
voir électoral assez étendu.
Les chefs de Cape Coast adressèrent au gouverneur,
le 1" novembre 1904, une pétition dans laquelle ils
lui demandaient de modifier l'ordonnance en certains
points. « Le peuple, disaient-ils, désire s'habituer peu
à peu, graduellement, à l'administration municipale, et,
autant que cela est possible, voir adapter aux nécessités
actuelles la méthode à laquelle il est habitué. Nous de-
mandons donc respectueusement que les propriétaires
d'immeubles soient autorisés à élire une certaine pro-
portion des membres du corps municipal, que le gou-
vernement continue à accorder à ce corps, indépen-
damment des divers droits de patente, l'argent qu'il
156 LA GOLD COAST
dépensait autrefois pour les travaux publics et Tentre-
tien sanitaire de la ville; que lorsqu'il est nécessaire
d'avoir plus d'argent pendant Tannée courante, les vo-
tants puissent décider si cet argent peut être obtenu à
l'aide de taxes, en fixer le montant et la manière dont
elles pourront être levées. »
Les chefs rappelaient les précédentes pétitions sur
le même sujet et concluaient ainsi : « Nous regrettons
(|u'aucune tentative n'ait été faite pour donner au peu-
pie ce que ses meilleurs chefs, les hommes les plus
influents et les plus intelligents, ont constamment dé-
claré être le plus convenable pour le bien du pays. Nous
disons respectueusement que, si un essai sincère de
nos propositions avait été fait, il aurait été couronné de
succès, et cette vieille ville jouirait des bénéfices d'ins-
titutions municipales populaires et bien conduites. »
Les journaux locaux, de leur côté, entamèrent une
campagne très vive dans le sens de cette pétition. Ils
déclarèrent que la municipalité d'Accra avait ruiné la
ville, et qu'il en serait de même ailleurs. C'est ainsi que
le Gold Coast Arborigenes écrivait, à la fin de juin 1905 :
« C'est une opinion admise par beaucoup que, parce
que le contact de l'Européen a procuré à l'Africain quel-
ques avantages qui sont généralement désignés sous le
nom de « civilisation », celui-ci doit lui être reconnais-
sant de quelque pitié et accepter toutes les vexations
et les injustices que les Européens jugent bon de lui
infliger... 11 y a quelques années, à la requête des indi-
gènes, les droits ad valorem furent élevés à 10 p. 100,
dans le but de permettre au gouvernement d'accomplir
les travaux sanitaires et autres ouvrages nécessaires;
mais, au lieu de cela, cet argent a été dépensé en expé-
L^ORGANISATION MUNICIPALE 157
ditions inutiles, en créations de services superflus et
de traitements exorbitants. Il est facile, dans ces con-
ditions, de comprendre pourquoi le peuple proteste
contre l'imposition des taxes municipales. Cependant,
le moment actuel est bien inopportun pour introduire
de nouvelles charges. Le commerce est mort, les reve-
nus diminuent, les affaires sont mauvaises. Les négo-
ciants, les détaillants et les intermédiaires se plaignent
de la même manière; le gouvernement est le seul qui
continue à profiter des situations. Il s'engraisse au dé-
triment du pays; les gros traitements ne diminuent pas,
et personne n'est là pour crier halte... Nous ne sommes
pas opposés au principe d'un gouvernement municipal;
en fait, c'est notre désir d'avoir en mains l'administra-
tion de nos affaires municipales; mais nous nous oppo-
sons à ce qu'on nous donne une contrefaçon d'un sys-
tème municipal, un système dans la direction duquel le
peuple n'intervient réellement pas. S'il faut se procurer
de l'argent, nous demandons à le faire à notre manière,
en fournissant le travail qui sera nécessaire. »
Le West African Mail ayant demandé à M. Sarbah,
le jurisconsulte indigène, auteur des Fanti Cuslomary
L(m*s, de lui donner son opinion sur la question, celui-
ci lui adressa une longue lettre, dans laquelle il recon-
naissait le bien fondé des réclamations que nous ve-
nons de résumer*. Il expliquait que la reine Victoria
avait, il est vrai, acquis le droit de créer des municipa-
lités dans la Gold Coast et de prélever les impôts pour
l'amélioration sanitaire de*s villes; mais ce devait être
avec l'assentiment des chefs, qui, dans les circonstances
1. W. A. J/., 15 octobre 1905.
158 LA GOLD COAST
actuelles, étaient très opposés au système qu'on voulait
leur imposer. Les membres élus du conseil municipal
devaient être en minorité constante, et ce conseil serait,
comme cela avait lieu à Accra, entièrement à la discré-
tion du gouvernement. Du reste, assurait M. Sarbah,
la manière dont était établie la liste des votants com-
portait des imperfections graves, auxquelles, en tout
état de choses, il convenait de remédier. Dans la façon
dont ils protestent contre Tordonnance municipale, ce
que les Educated Natives de la Gold Coast ont à
cœur, c'est bien moins le non-payement d'une taxe
que le désir de participer au gouvernement de leur
pays.
Parmi les vœux que leurs délégués présentèrent au
Secrétaire d'Etat, en 1898, à propos du Land's Bill,
figuraient les suivants :
«Les pétitionnaires suggèrent respectueusement que
les Lettres Patentes par lesquelles les conseils législa-
tifs et exécutifs ont été établis, doivent être modifiées
de façon à permettre aux rois et aux chefs de la Colonie
et du Protectorat de nommer au Législative Counicil huit
membres supplémentaires, dont trois seraient en même
temps membres du conseil exécutif. Dans ce but, la
Gold Coast et le Protectorat seraient divisés en quatre
provinces : la première, qui s'étendrait de la Volta à
la rivière Secum; la seconde, de la rivière Secum à la
rivière Sweet; la troisième, de la rivière Sweet à Dix-
cove; la quatrième, de Dixcove à Half Assinee, chaque
province ayant le droit d'élire deux membres, de façon
à pouvoir prendre une part à la législation de leur pays
natal. »
Plus récemment, au commencement de 1906, une
l'organisation municipale 159
nouvelle pétition a été adressée au Roi^ par les chefs
de Fouest de la Gold Coast, de Cape Coast, [d'Axim,
d^Elmina, du Wassau, de TAbura, etc., au nombre de
76, et par un grand nombre de notables. Elle rappelle
les promesses qui ont été faites en réponse aux précé-
dentes pétitions, en particulier celles de M. Chamber-
lain « de n'imposer aucune loi ou règlement contre la
volonté du peuple ». Elle déclare que la Colonie tout
entière est opposée à une taxe sur les maisons, et elle
demande :
1" Que l'ordonnance de 1894 sur les Town Council
soit abrogée, que des conseils municipaux soient ins-
titués;
2* Que les indigènes soient autorisés à élire leurs
propres représentants dans ces conseils ;
3** Que chaque conseil ainsi formé ait le droit de
nommer son président, qui ne serait ni un fonction-
naire ni quelqu'un touchant un salaire régulier du gou-
vernement;
4" Que ce conseil municipal soit organisé d'après le
projet proposé par M. Sarbah;
5*^ Qu'une subvention raisonnable, qui ne pourra être
inférieure à celle prévue dans le projet, soit accordée
par le gouvernement dans le but d'aider au bon fonc-
tionnement de ces conseils.
La pétition se termine ainsi : « Voyant que le grand
objet du règne de Votre Majesté a toujours été d'aug-
menter le bonheur de vos sujets fidèles, nous déclarons
humblement. Sire, qu'en accédant à notre prière, jus-
tice nous sera faite en Afrique occidentale, à nous qui
1. IV. A., M., 2 février 1906, n^ 149.
IGO LA GOLD COAST
sommes fidèles à notre allégeance, et qui désirons Ta-
mélioration paisible du Protectorat qui forme une partie
non sans importance de l'empire anglais. »
Un avocat indigène de Cape Coast, M. Casely Hayford,
a synthétisé, dans* un livre qui a eu une très grande
influence sur ses compatriotes, les aspirations dont
cette agitation est le reflet. 11 recherche longuement
quelle est la nature des droits que l'Angleterre a acquis
sur la Gold Coast. Il essaye de montrer comment il est
faux d'appeler ce pays une Colonie, que ce n'est qu'un
Protectorat, et que seule l'administration laissée entre
les mains des indigènes peut donner de bons résultats.
11 s'attache, en outre, à prouver comment il est absurde
(le vouloir diviser la Gold Coast en diverses parties et
comment les Fantis et les Ashantis ne sont qu'une même
race qui doit se gouverrier par ses propres moyens. La
politique contre les Ashantis n'a été, d'après lui, qu'une
longue suite d'erreurs, et, si l'Angleterre était bien
avisée, elle rendrait à leurs chefs tous leurs pouvoirs
et restaurerait le^ institutions qu'elle a détruites.
Il conclut ainsi :
« Nous remarquons avec un cœur attristé que, dans
votre hâte à remplir le trésor colonial, vous apportez
peu d'attention à tout ce qui pourrait contribuer au
progrès matériel des aborigènes, tandis que vous
oubliez que le bien-être du plus grand nombre est le
signe d'une administration saine.
« Nous voyons quels sont les eff'orts que vous faites
j)onr diviser le pays en districts, pour consolider votre
1. Gold Coast Native Institutions with thoughts upon a healthy poUcy
for the Gold Coast and AshantL — Casely Hayford. 1 vol., Sweet and Max-
\Nell, Londres, 1903.
l'organisation municipale 161
autorité; mais nous voyons aussi que vous échouerez
finalement, car vous avez adopté une mauvaise manière
d'agir. Nous voyons que dans TAshanti, par exemple,
comme partout ailleurs, vous bâtissez sur le sable et
non sur le roc, que la pluie arrivera et entraînera tout
le monument; cela arrivera nécessairement, si j'ai raison
de penser que les destinées d'une nation sont réglées
avec une exactitude certaine par un pouvoir invisible.
« Si vous désiriez réellement le progrès matériel du
peuple, vous devriez enlever tous les obstacles. Quelle
part a-t-il dans le gouvernement de son pays? A qui
vont les gros appointements et les gros salaires? A
leurs frères blancs naturellement; pourquoi? Parce
qu'ils sont compétents et que les indigènes ne le sont
pas. Les indigènes font toujours le gros travail, et les
Européens détiennent la grosse caisse...
« L'histoire se renouvelle, et n'avez-vous pas entendu
parler de monastères catholiques remplis de belles
fresques, de belles peintures et tombant dans la pous-
sière, dans le cœur de l'Afrique? Allez le long de la
côte d'Assini à la rivière Volta et voyez combien il y a
de châteaux et de forteresses, emblèmes de l'avidité
européenne, qui sont maintenant le repaire des hiboux
et des chauves-souris. A la place de châteaux vous cons-
truisez maintenant des bungalows dont la charpente ne
nécessite que peu de jours de travail et que vous pou-
vez facilement enlever à votre gré et remonter ailleurs.
« Nous savons, en effet, parfaitement, nos bons amis
et protecteurs, que si demain vous trouvez que le jeu
ne vaut pas la chandelle, vous fermerez la boutique
sans vous préoccuper de ce que deviendra le noir et
son pays. Pour vous, ce peut n'être qu'une petite chose;
11
162 LA GOLD GOAST
pour nous, ce sera une grande perte, une perte dans
ce sens que nous aurons tout à recommencer, avec ou
sans votre interprétation fantaisiste de la Bible d'amour
de vérité et de fraternité universelle.
« Nous avons donc le droit d'être écoutés en la ma-
tière, et nous vous demandons de nous entendre avec
calme. Nous vous demandons d'apporter un peu de bon
sens et d'esprit pratique de gouvernement à l'examen
de la situation...
« Votre premier écueil sera le traitement des Ashan-
tis.Les Ashantis doivent-ils être traités comme un peu-
ple conquis ou comme des amis et des alliés? C'est là
la question des questions, la pierre de touche du bon
gouvernement. Pour répoudre à cette question vous
devez savoir ce que vous désirez faire. Vous ne devez
arriver à rien moins qu'à la fusion des Fantis et Ashan-
tis en un seul peuple. Rappelez-vous que par la langue,
les traditions, les usages et les lois, ils ne sont en réa-
lité qu'un peuple. Rappelez-vous qu'ils sont cousins,
qu'ils vivaient autrefois à Taquimas dans l'unité et la
concorde, jusqu'au jour où ils se sont querellés et sé-
parés. Rappelez-vous que la différence actuelle dans
le caractère des deux peuples, qui n'en sont en réalité
qu'un seul, est dû à votre influence malsaine sur les
Fantis. C'est donc ce que l'on peut proposer de plus na-
turel que la fusion des deux peuples en un seul. Il vous
sera plus facile d'accueillir cette proposition si vous
considérez que le châtiment des Ashantis a été en réa-
lité dû à une erreur...
« Le moment est venu de s'arrêter et de réfléchir, et
c'est la nation anglaise qui doit réfléchir. Le sujet doit
être examiné avec calme, et s'il y a cinquante hommes
l'organisation municipale 163
dans Israël qui ont à cœur les intérêts des aborigènes,
la bonne décision sera certainement prise et la bonne
chose faite. Quelle est-elle? La nation anglaise voudrait-
elle sanctionner la politique qui tendra de plus en plus
à aliéner les Ashantis et à les attirer vers les Français et
les Allemands, ou voudra-t-elle pratiquer une politique
d'union? Cette nation voudra-t-elle consentir à la des-
truction finale de tout esprit national dans la vie des
Ashantis, voudra-t-elle encourager le développement
national d'après les lignes naturelles? L'Angleterre
oubliera-t-elle que l'Ashanti est un pays conquis, et le
conquérant voudra-t-il être bienveillant et reconnaître
les Ashantis comme il a reconnu leurs cousins les Fantis
comme amis alliés de Sa Majesté le roi Edouard VII?...
« Notez, s'il vous plaît, que vous décidez des desti-
nées d'une nation, d'un peuple composé d'hommes et
de femmes doués richement par la nature d'instincts
et d'intelligences qui les rendent aptes à avoir un
gouvernement organisé d'un ordre élevé. Vous décidez
aussi, laissez-moi vous le rappeler, des destinées de
l'Afrique occidentale impériale, oui, de l'Afrique occi-
dentale impériale qui sera, — la nature a décrété qu'elle
serait, mais non à votre manière, — par le sabre ou
le Maxim ou par toute autre forme de force. La chose
sera faite avec le libre consentement et la libre volonté
de tous les peuples de l'Afrique occidentale et en con-
formité avec l'organisation sociale indigène. Dans tout
cela la ^Gold Coast et l'Ashanti montreront la voie,
parce que leurs fils sont richement doués par la nature
des qualités nécessaires à ceux qui veulent être des
conducteurs de peuples. »
164 LA GOLD COÀST
Ces phrases de M. Casely Hayford résument, avec
l'emphase propre à la littérature des « Educated Nati-
ves », toute une doctrine dont l'application est des plus
complexes.
L'Angleterre a terminé actuellement l'occupation de
la Gold Goast, et elle y fait sentir partout son autorité.
Elle a triomphé des diverses tribus qui forment la po-
pulation de ce pays. Le problème qui se pose mainte-
nant pour elle est de savoir si le désir d'autonomie dont
ces lignes sont le reflet ne va pas unir ces peuples
dont elle n'a triomphé que grâce à leurs divisions, et
si la politique qu'elle a inaugurée vis-à-vis d'eux sera
suffisante pour maintenir ces aspirations. Peu d'années
sont écoulées depuis le temps encore où elle devait
intervenir pour le maintien de la paix. Elle doit néan-
moins, dès à présent, examiner si elle peut rendre à ces
indigènes une liberté dont il ne semble pas qu'ils aient
su, jusqu'ici, faire un bon usage, et dans quelle mesure
tout au moins elle peut leur donner satisfaction.
CHAPITRE XIV
LAGOS
La Colonie et le Protectorat.
D'après la tradition la plus populaire à Lagos, les
habitants de ce pays sont originaires de TAfrique orien-
tale. L'émigration aurait eu lieu à une époque inconnue,
à la suite d'une guerre civile qui aurait éclaté entre un
chef nommé Lamurudu et son fils Oduduwa. Tandis
que le premier était un fervent musulman, le second,
partisan de Tidolâtrie, transforma la grande mosquée
en un temple : une rébellion en fut la conséquence;
les musulmans l'emportèrent, et Oduduwa fut obligé de
s'enfuir avec ses deux frères et ses partisans. Après
avoir marché pendant quatre-vingt-dix jours environ,
Oduduwa s'établit à Ile Ife, tandis que ses frères se
fixaient dans le Haussa, où ils fondèrent les tribus des
Gogobiris et des Kakuwas.
Après la mort d'Oduduwa, ses deux premiers enfants,
deux filles, devinrent, l'aînée la mère des Olowus, ancê-
tres des Owus; la seconde la mère d'Aleketu, roi de
Ketu; l'ainé de ses fils fut roi dii Bénin, le second Oni-
nisabe ou roi des Sabes ; le troisième Olupopo ou roi
des Ipopos; le quatrième, Orany an, devint l'ancêtre des
Oyos ou des Yorubas proprement dits*.
1. Paper read on ihe 20/* nov, 190 L before the Lagos insiilate hy the
lion, D' Johnson. Publié à Lagos.
166 LAGOS
Quoi qu'il en soit, il est incontestable que les tribus
qui peuplent le Protectorat actuel de Lagos ont une
origine commune. Elles forment sept grands groupes
et habitent l'ilorin, TOyo, Tljesha ou Ilesha, Tlfe, Tlba-
dan, l'Egba et Tljebu. Le gouvernement anglais a res-
pecté cette division, et nous le verrons, dans. le cours de
cette étude, appeler ces pays tantôt des Etats, tantôt des
Provinces. Ils peuvent être désignés par la dénomina-
tion générique de Yorubas.
Les premières relations des Anglais avec les Yorubas
eurent un caractère évangélique.
En 1843, quelques Yorubas qui avaient été convertis
au christianisme à Sierra Leone, une-fois de retour dans
leur pays, demandèrent des missionnaires à la Churcli
Missionary Society, qui leur envoya le Rév. Townsend.
Celui-ci fut si bien accueilli qu'en 1845 une mission
complète, composée des Rév. Townsend, Golmer et
Samuel Adjaï Crowter* fut dirigée sur Abeokuta. Deux
ans plus tard, le Rév. Townsend rentra en Angleterre
porteur d'une lettre des chefs egbas par laquelle ceux-
ci remerciaient la Reine de leur avoir envoyé ses mis-
sionnaires et lui demandaient de mettre fin à leurs
guerres intestines de façon à assurer la liberté du com-
merce.
Sa Majesté répondit dans les termes suivants : « La
Reine et le peuple d'Angleterre sont très heureux d'ap-
prendre que Sagbua (le roi) et ses chefs pensent comme
ils le font au sujet du commerce; mais le commerce ne
suffit pas pour faire une nation grande et heureuse
comme l'est l'Angleterre. L'Angleterre est devenue
1. Charles Golmer, his Life and misionary Labour in West Africa, 1 vol
Ilodder and Slougthon, Londres, 1889.
LA COLONIE ET LE PROTECTORAT 167
grande et heureuse grâce à sa connaissance du vrai
Dieu et de Jésus-Christ. La Reine est donc très heu-
reuse d'apprendre que Sagbua et les chefs ont si bien
reçu les missionnaires qui leur apportent la parole
de Dieu que tant de peuples désirent entendre. »
Les missions prirent ainsi une importance de plus
en plus grande, et le commerce européen pénétra peu
à peu dans ces régions.
A la même époque, vers 1851, lord Palmerslon, à la
suite, dit-on, d'une conversation avec le Rév. II. Venu,
secrétaire de laChurchMissionary Society, résolut d'ar-
rêter la traite des esclaves qui avait, à Lagos, une très
grande importance. Le roi de Lagos, Kosoko, refusa de
signer un traité dans ce but. Le gouvernement anglais
découvrit fort à point que ledit Kosoko n'était qu'un
usurpateur, le déposa et mit à sa place son frère Aki-
taye. Un consulat fut établi à Lagos.
La traite des esclaves ne cessant point, l'Angleterre
décida d'intervenir plus énergiquement et annexa l'île
de Lagos.
En août 1861, N. B. Bedingfiel, commandant le Pro-
metheuSy et W. M. Coskry, consul de Sa Majesté, pas-
sèrent avec Docemo, successeur d'Akitaye, le traité
suivant* ;
« 1** Dans le but de permettre à la Reine d'Angleterre
de protéger {to assist, défend and protect) les habitants
de Lagos, mettre fin à la traite des esclaves et arrêter la
guerre avec le Dahomey, Docemo transmet à la Reine
le port et File de Lagos avec tous les droits de souve-
1. Les textes des traités et des ordonnances de Lagos ont été publiés
dans Laws oflhe Colony of Lagos, Speed, 2 vol., Stevens and Son, Lon-
dres, 1902.
168 LAGOS
raineté qu'il possède, ainsi que tous les territoires qui
lui appartiennent.
« 2® Docemo gardera le titre de roi et aura le droit
de juger les procès entre les indigènes avec leur con-
sentement et sous réserve d'appel à la loi anglaise.
« 3*^ Docemo recevra une pension annuelle de douze
cents sacs de cauris pendant toute sa vie. »
Les établissements deLagos s'agrandissaient, en 1863,
des territoires de Palma, de Leky et de Badagry, que
leurs chefs cédaient au gouvernement anglais contre le
payement d'une rente annuelle, dans le but d'être pro-
tégés contre le roi du Dahomey (traités des 7 février et
7 juillet 1863).
Le 24 octobre 1885, Amapetu, « roi indépendant du
Mahim », demanda à la Reine de le prendre, lui et ses
sujets, sous sa gracieuse protection. 11 gardait le droit
de percevoir ses revenus et de rendre la justice. Le
11 mars 1885, il avait passé un traité analogue avec
Nachtigal et avait cédé une partie de ses territoires à
la maison Goedelt d'Hambourg; mais l'empereur d'Al-
lemagne refusa de ratifier ces contrats, et c'est ainsi
qu'Amapetu se retourna vers l'Angleterre.
Ce n'est que le 13 janvier 1886 que ces divers ter-
ritoires furent transformés en Colonie. De9 lettres
patentes de cette date abrogèrent les lettres du
22 janvier 1903 qui soumettaient les « Lagos Settle-
ments » au gouvernement de la Gold Coast. Elles éta- 1
blissaient de toutes pièces un gouvernement régulier,
Elles déterminaient les pouvoirs du Gouverneur, de
l'Executive Council et du Législative Council. Nous
n'insisterons pas sur cette organisation, dont les détails
furent fixés par des instructions de la même date et
LA COLONIE ET LE PROTECTORAT 169
qui est la même que celle des autres Colonies de la
Couronne.
La Suprême Court Ordinance de 1878 vint déterminer
la situation juridique des habitants de la nouvelle colo-
nie. Comme dans les autres colonies proprement dites
de la côte d'Afrique, il n'était fait aucune distinction
entre les Européens et les indigènes. Les traités passés
avec les chefs des territoires annexés devenaient let-
tres mortes, et les tribunaux établis par Tordonnance
jugeaient les blancs et les noirs d'après la même pro-
cédure et les mêmes lois, qui étaient en fait celles de
métropole.
Les indigènes de la nouvelle colonie devenaient des
citoyens anglais au même titre que tous les autres
habitants de l'empire.
Le gouvernement qui fut ainsi formé ne constitue
qu'une petite partie, le cinquième environ, de la colonie
actuelle de Lagos. Il forme avec quelques additions la
Colonie proprement dite; le reste constitue le Protectorat.
Ce qui caractérise l'établissement du pouvoir anglais
dans les territoires du Lagos, c'est qu'il a eu lieu pres-
que sans conquête. La cession des territoires qui for-
ment la Colonie proprement dite fut obtenue grâce,
certainement, à des mesures d'intimidation, mais sans
violences.
Les guerres civiles qui éclatèrent entre les diverses
tribus yorubas servirent, très habilement, de prétexte
à l'intervention du gouvernement de Lagos dans le
Protectorat.
Nous n'entreprendrons pas ici le long récit de ces
guerres ni des démarches que, de 1875 à 1886, les gou-
170 LAGOS
verneurs firent auprès des chefs pour tâcher de rame-
ner la paix dans le pays*. En juillet i886, Sir Alfred
Moloney réussit à faire signer par les chefs de TOyo,
de ribadan, de Tllesha, de TOtun, de Tljero, de Tldo,
de rife, du Modakeke et du Jebu un traité par lequel ils
déterminaient les frontières de leurs territoires respec-
tifs et s'engageaient à vivre en paix, à l'avenir, les uns
avec les autres et à prendre le gouverneur de Lagos
comme arbitre des contestations qui pourraient inter-
venir entre eux. Le traité fut ratifié par le gouverne-
ment anglais le 23 septembre 1886. L'Acting Colonial
Secretary Haggins et le Queen's Advocate Oliver Smith
furent envoyés dans l'intérieur pour examiner la situa-
tion. Ils en rapportèrent un long rapport sur Tétat
politique du pays. Ils avaient passé avec les chefs de
rilesha, de l'Ekiti et de l'ife des traités par lesquels
ceux-ci s'engageaient à cesser tous sacrifices humains
(29 septembre et 2 novembre 1886)^
L'état des choses n'en fut cependant pas de beaucoup
amélioré, et Tinfluence de l'Angleterre restait très fai-
ble. Les guerres continuèrent, principalement entre
les Ibadans et les Uorins. La visite de Sir Claude Mac-
donald, qui procédait à Tenquête d'où devait sortir le
Niger Coast Protectorate, ne produisit aucun résultat •
dans rilorin (1888). Le capitaine Denton, Actîng gover-
nor, qui se rendit chez les Jebus, y fut très mal reçu.
On exigea des réparations. Un traité fut cependant si-
gné par les Jebus, d'après lequel ceux-ci s'engageaient
1. V. Correspondance respecUng the war belween native Iribes in tht
inlerior. Pari, paper^ C. 4937 (1887).
2. V. Further Correspondance respecUng Ihe war beUven native tribes
in the interior. Pari, paper, G. 5144 (1887).
LA COLONIE ET LE PROTECTORAT 171
à ouvrir les routes de leur pays et à supprimer les
droits élevés qu'ils percevaient à Feutrée des marchan-
dises européennes. Un subside de 500 livres leur était
accordé en compensation.
Le traité ne fut point tenu, et sa violation donna lieu
à la seule campagne qu'ait faite jusqu'ici le gouverne-
ment anglais dans le Lagos. Les Jebus, vaincus, furent
englobés dans la colonie proprement dite (1892).
De leur côté, les Egbas refusèrent, en 1891, de lais-
ser entrer le gouverneur Moloney à Abeokuta et fermè-
rent, eux aussi, leurs routes au commerce.
Le gouvernement anglais se décida à ep finir, et en
1892 Sir G. T. Carter partit d'Angleterre avec l'ordre
d'examiner dans quelles conditions pourrait se pour-
suivre une campagne dans l'intérieur.
Les Egbas, effrayés, changèrent d'altitude et invitè-
rent le gouverneur à venir leur rendre visite à Abeo-
kuta. Sir Gilbert T. Carter commença alors la grande
tournée pacifique au cours de laquelle les tribus yoru-
bas devaient se placer sous le contrôle de l'Angle-
terre. Son escorte se composa de cinq Européens et de
cent Haousas. Le 7 janvier 1893, il entrait solennelle-
ment à Abeokuta, aux acclamations de la population.
Au cours* des entretiens qu'il eut avec les chefs, il
leur proposa de signer un traité par lequel ils recon-
naîtraient à l'Angleterre le droit d'établir un résident
à Abeokuta et de construire un chemin de fer sur les
territoires egbas. Ces deux propositions ne furent point
acceptées, sous prétexte que le peuple penserait que les
chefs avaient vendu leur pays aux Anglais et qu'il ne
1. V. Despatch front Sir Gilbert Carter far nishin g a gênerai report oj
the Lagos interior eûtpedition, 1893. Part, paper, 1893.
172 LÀGOS
comprenait pas pour le moment Tutilité d'un chemin
de fer.
Sir Gilbert T. Coi'ter ne crut pas opportun d'insister
et parvint cependant à faire signer, le 13 janvier, un
traité comportant les clauses suivantes :
« 1® Paix et amitié sont convenues entre les sujets de
la Reine et les Egbas. Les difficultés qui pourraient
survenir entre eux seront soumises au gouverneur
de Lagos.
« 2* Complète liberté du commerce est établie entre
TEgba et Lagos. Aucune route ne sera fermée sans le
consentement du gouverneur de Lagos.
« 3** Le commerce entre Lagos et TEgba sera encou-
ragé.
« ^ Les chefs Egbas donneront complète protection,
assistance et encouragement aux ministres du Christ.
« 5** Tant que le traité sera tenu scrupuleusement, au-
cune annexion du territoire ne sera faite chez les Egbas
par le gouvernement de la Reine sans le consentement
des autorités du pays; leur indépendance sera pleine-
ment reconnue.
« 6" Il ne sera procédé à aucun sacrifice humain chez
les Egbas.
« 7® Les sujets anglais auront entière liberté, comme
par le passé, d'occuper des terres, construire des mai-
sons et se livrer au commerce ou à l'industrie dans
toutes les parties du territoire egbas.
« 8*" Les Egbas ne pourront faire aucune cession de
leurs territoires à des puissances élrangëtes. »
Le 3 février, l'Alafin d'Oyo signait un traité analogue;
il recevait une subvention de 100 livres, subvention qui
pouvait être suspendue à la discrétion du gouverneur.
LA COLONIE ET LE PROTECTORAT 173
Il s'engageait à ne pas attaquer les Ilorins, si ceux-ci
respectaient la paix. 11 ne voulut entendre parler d'au-
cune restriction apportée à l'esclavage dans son pays.
Sir Gilbert T. Carter décida ensuite de se rendre
dans rilorin pour essayer d'obtenir de Témir qu'il ces-
sât les hostilités contre les Ibadans.
L'Ilorin se trouvant dans les territoires de la Royal
Niger Co., Sir Gilbert T. Carter ne se préoccupa que
de ce qui pouvait intéresser les rapports de ce pays
avec les tribus dépendant de son administration. Il dé-
clara à l'émir que l'Angleterre avait toujours été dési-
reuse d'éviter les mesures de violence, et qu'elle n'avait
sévi contre les Jébus qu'après avoir épuisé tout autre
moyen d'action. Elle ne désirait nullement intervenir
dans le gouvernement ou la religion des indigènes;
elle demandait seulement que le pays fût administré de
façon à ce que ses habitants jouissent d'une certaine
liberté et pussent circuler partout sans risquer d'être
saisis comme esclaves.
Le 25 février 1893, l'émir signait une déclaration par
laquelle il s'engageait à cesser les hostilités avec les
Ibadans et à prévenir le gouverneur de Lagos avant
de les recommencer.
Sir Gilbert T. Carter fut assez heureux pour assister
à la dispersion des troupes ennemies.
Le 26 mars, le gouverneur entrait à Ibadan, où il fut
reçu avec enthousiasme par les habitants, mais oîi les
chefs se refusèrent à signer tout traité, sous prétexte
que « ce serait un couteau placé sur leur gorge ».
Le Balogun l'informa qu'Ibadan, Iwo, Ede, Osogbo,
Ogbomoso, Ejigbo et Isehin étaient sous les ordres
d'un même gouvernement qui siégait à Ibadan, et que
174 LAGOS
le roi d'Oyo, bien que chef du Yoruba, n'avait à se
préoccuper (|ae de Tadministralion d*Oyo et d'une ou
deux autres villes sans conséquence.
Dans le palabre qui eut lieu, Sir Gilbert T. Carter
exprima sa surprise de voir que quelque objection pou-
vait être faite à rétablissement d'un résident à Ibadan.
Le résident remplirait simplement le rôle d'un ambas-
deuret servirait d'intermédiaire entre les autorités indi-
gènes et le gouvernement de Lagos. Il n'interviendrait
en rien dans Tadministration locale, et ses fonctions
consisteraient surtout à visiter périodiquement les pays
voisins pour voir si tout s'y passait convenablement, et
empêcher tout nouveau motif de dispute avec les llorins.
Les chefs s'obstinèrent à refuser un résident; ils se
bornèrent à déclarer qu'il n'en avait été placé nulle
part et que ce serait une mesure de disgrâce que l'on
prendrait ainsi vis-à-vis d'eux. Le Gouverneur leur
assura que c'était bien plutôt un honneur que l'on se
proposait de leur faire, puisque l'on voulait les mettre
au rang des nations européennes, qui envoyaient tou-
jours des résidents ou des ambassadeurs auprès des
pouvoirs amis.
Le Balogun déclara alors qu'il ne désirait point qu'un
fonctionnaire visitât les villes de ses territoires.
Sir Gilbert T. Carter assura que c'était l'intention du
gouvernement anglais d'établir dans le pays un rési-
dent, que les chefs le voulussent ou non, et qu'il fallait
qu'ils s'habituassent à l'idée d'en recevoir un. Le gou-
vernement anglais n'interviendrait pas dans l'esclavage
familial, mais il était fermement décidé à faire tout ce
qu'il faudrait pour arrêter les guerres d'esclaves qui
désolaient le pays.
LA COLONIE ET LE PROTECTORAT 175
II n'insista pas davantage et rentra à Lagos.
Le 15 août de cette année 1893, le gouverneur Den-
ton réussissait à faire signer aux autorités d'Ibadan le
traité suivant :
<c L'administration générale des villes yorubas hvo,
Ede, Osogbo, Ikirun, Ogbomoso, Ejigbo et Isein et de
tout le pays appelé Ekun Otun, Ekun Osi, est remise au
gouvernement d'Ibadan; les autorités locales agissent
d'accord avec celles d'Ibadan et sont sujettes d'Ibadan,
nonobstant ce fait que TAIafin d'Oyo est reconnu le
chef du Yorubaland.
« Les autorités d'Ibadan reconnaissent le traité d'Oyo
du 3 février. En conséquence, elles feront tous les
efforts pour assurer le libre passage aux personnes qui
iront d'Ibadan à Lagos et vice versa ou qui viendront
de l'intérieur; elles acceptent de recevoir à Ibadan, pour
l'exécution de ce traité, les fonctionnaires européens et
les troupes de la police de Lagos qui seront nécessai-
res; elles fourniront le terrain requis pour le logement
de ces fonctionnaires et de ces troupes, ainsi que pour
la construction d'un chemin de fer. Elles recevront
pour cette terre la gratification qui sera fixée par arran-
gement spécial.
« Toute discussion au sujet de ce traité sera soumise
à deux arbitres, et, dans le cas de désaccord entre eux,
le cas sera réglé par le Gouverneur. »
Le 5 janvier 1894, Sir (iilbert Carter passait avec les
autorités Egbas un accord par lequel étaient détermi-
nées les limites entre les territoires de Lagos et ceux
d'Egba.
Le 4 septembre de la même année, il concluait un
traité de « paix et d'amitié avec Tldanre, aux termes
176 LAGOS
duquel les sujets anglais avaient libre accès et droit de
construire des maisons et de faire du commerce dans
les territoires de Tldanre. Des avantages analogues ne
pouvaient être consentis à des sujets d'autres nationa-
lités qu'avec l'assentiment du gouvernement anglais;
une rente de 50 sacs de cauris était assurée en échange
à rOwa.
Les territoires avec les chefs desquels il avait été
ainsi traité devinrent ce qu'il fut convenu d'appeler le
Protectorat, bien que dans aucun de ces traités le mot
de Protectorat ne fût employé.
Entre temps, une ordonnance du 3 avril 1890 por-
tait que :
« Attendu que le Foreign Jurisdiction Act 1843 dit,
entre autres choses, qu'il sera légal pour Sa Majesté
de posséder et d'exercer tout pouvoir ou juridiction
que Sa Majesté a, ou pourra avoir, dans tout pays situé
en dehors du Dominion de Sa Majesté, de la même ma-
nière que si Sa Majesté avait acquis ce pouvoir ou cette
juridiction par cession ou conquête;
« Attendu que Sa Majesté a acquis des droits sur des
territoires adjacents à la colonie de Lagos,
« Elle aura le droit de légiférer pour ces territoires
de la même manière que pour la Colonie et exercera
la même juridiction sur eux. »
Cette ordonnance avait pour but d'étendre les pou-
voirs donnés au gouverneur par les Lettres Patentes
du 13 janvier 1886. En vertu de ces termes, une série
de territoires voisins furent rattachés à la Colonie pro-
prement dite (10 mars 1890, royaume de Pokra ; 5 août
1891, Igbessa; 8 août 1891, Addo; 13 août 1891, Haro;
4 novembre 1892, territoires situés entre le Bayeku et
LA COLONIE ET LE PROTECTORAT 177
la rivière Oshun; 9 novembre 1894, Jebu Remo ; 10 no-
vembre, Emuren; 25 octobre 1895, Ayessan; 26 octobre
1895, Ibu et Itebu).
Indépendamment des territoires ainsi acquis, les
pouvoirs de la Couronne devaient s'exercer dans cer-
taines parties du Protectorat, grâce aux conventions
qui purent être passées au sujet de la construction
d'un chemin de fer.
Des accords étaient conclus le 21 février 1899 avec
les autorités d'Abeokuta, et le 5 juillet 1900 avec celles
d'ibadan, en vertu desquelles ces autorités « reconnais-
saient à la Reine d'Angleterre, pour 99 ans, le droit de
construire un chemin de fer sur leurs territoires et
d'occuper une bande de terre de cent yards de chaque
côté de la voie, d'exercer sur cette terre tous pouvoirs
relatifs à la 'construction et à l'exploitation du railway,
de saisir sur les territoires Egbas et d'ibadan, de juger
et de punir d'après la loi anglaise toute personne,
sujet anglais ou non, qui aurait commis sur cette terre
un crime ou un délit. »
Une redevance de 200 livres devait être payée an-
nuellement à l'Alake, une de 10 livres au Baie d'ibadan.
Ces sommes étaient proportionnelles à la longueur de
la voie construite sur leurs territoires respectifs. Des
accords subséquents devaient en augmenter le mon-
tant à mesure que le railway s'étendrait.
Cet établissement du chemin de fer devait permet-
tre; du reste, au gouvernement anglais de placer auprès
des chefs d'Abeokuta un fonctionnaire qui devait rem-
plir en partie le rôle de ce résident que les Egbas se
refusaient à recevoir. 11 s'appela le « Railway Commis-
sioner » et fut institué théoriquement pour s'entre-
12
178 LAGOS
mettre auprès des chefs au sujet des difficultés qui
pourraient surgir, entre eux et les sujets anglais, à pro-
pos de la construction ou de l'exploitation du chemin
de fer. Nous verrons qu'en fait ce fonctionnaire n'est
intervenu, jusque dans ces derniers temps, que fort
peu dans l'administration des territoires egbas, et que
cette administration a été laissée entièrement entre
les mains des chefs.
La manière dont l'Angleterre a entrepris l'administra-
tion de la Colonie proprement dite de Lagos n'offre rien
qui diffère particulièrement de sa conduite à l'égard
des autres colonies de l'Afrique occidentale; comme
pour celles-ci, sa politique peut se résumer par cette
formule : assimilation des indigènes habitant la Colo-
nie et législation semblable à celle en vigueur dans le
reste de l'empire.
Sa politique à l'égard des peuples du Protectorat est
plus particulière, et c'est à l'examen de celle-ci que
nous devrons nous arrêter principalement au cours de
cette étude.
Jusque vers 1900, les efforts du gouvernement anglais
dans l'intérieur avaient surtout tendu à se ménager des
prétextes d'intervention et à assurer la liberté du com-
merce. Sir William MacGregor devait inaugurer le
régime de l'administration anglaise dans ces pays.
CHAPITRE XV
LAGOS
Les conseils de chefs.
Dès le début de son administration, Sir William Mac-
Gregor se préoccupa d'organiser d'une manière ration-
nelle le gouvernement indigène et montra qu'il atta-
chait beaucoup d'importance à la composition et au bon
fonctionnement des conseils placés auprès des chefs.
Le 24 septembre 1901, il présenta en première lec-
ture au Législative Council un projet complet de régle-
mentation des assemblées indigènes.
Il instituait^ auprès de lui, une assemblée nommée
c< Central Native Council ». Les membres de ce conseil
devaient être nommés ou révoqués par le gouverneur,
président des séances. Le vice-président pourrait être
un indigène ou un Européen et présiderait en l'absence
du gouverneur. Le conseil serait purement consultatif,
et ses membres, tous indigènes, auraient le droit de
soumettre à ses votes toutes propositions qui leur sem-
bleraient avantageuses pour le bien de la population.
Dans chaque province ou district (en fait pour les
pays yorubas dans chaque État) il serait établi un con-
seil dont les membres seraient nommés par le gouver-
neur et qui serait présidé par la personne que le gou-
verneur reconnaîtrait comme étant le chef du district
ou de la province.
180 LÀGOS
Les « Provincial » ou « District Councils » se réuni-
raient sur la convocation de leurs présidents et de-
vraient s'occuper de Tadministration intérieure de la
province. Ils auraient le droit de nommer dans chaque
ville ou village placé sous leur juridiction, des conseils
qui surveilleraient les affaires locales. Le gouverneur
• pourrait nommer des conseils analogues dans les villes
ou villages dans lesquels les conseils de province n'en
auraient point établi. C'était donc un système repré-
sentatif à trois degrés que voulait établir Sir W. Mac-
Gregor, conseil de village, conseil provincial et con-
seil central auprès du gouverneur.
L'idée de constituer un conseil consultatif indigène
fut très bien accueillie ; mais il n'en fut pas de même de
la partie du projet qui devait concerner les assemblées.
On estima d'une façon unanime que Sir Willam Mac-
Gregor avait voulu placer entièrement l'autorité indi-
gène sous le contrôle du gouvernement.
En présentant son projet au Législative Council, Sir
W. MacGregor donna, pour dissiper les appréhensions,
l'assurance que les mesures qu'il proposait avaient seu-
lement pour but de permettre au gouvernement de
consulter les chefs avant de prendre des décisions qui
pouvaient intéresser lé pays. Il voulait établit l'autorité
de ceux-ci sur des bases solides; il ne pouvait être
question de diminuer ou de détruire cette autorité, mais
bien de la renforcer. Le Secrétaire d'Etat avait toujours
été d'avis que le pays devait être gouverné par l'inter-
médiaire des chefs. Si les conseils indigènes étaient
organisés comme le portait le projet d'ordonnance, les
chefs s'appuieraient sur la volonté du peuple, ce qui
n'avait point lieu actuellement, car leur pouvoir était
LES CONSEILS DE CHEFS 181
très affaibli. Il était nécessaire pour cela que le gou-
vernement eût quelque influence en la matière. Si cepen-
dant la réforme qu'il proposait ne rencontrait pas l'ap-
probation unanime, il vaudrait mieux laisser les choses
en l'état.
Les membres indigènes du conseil répondirent à ces
déclarations en protestant vivement contre le projet.
Le D*" Johnson déclara que le Bill était inutile et inop-
portun, que Taffaiblissement de l'autorité indigène à
laquelle le gouverneur avait fait allusion provenait jus-
tement d'interventions inutiles, et que le but que devait
poursuivre le Législative Council était de diminuer
cette intervention, au lieu de l'augmenter. Du reste, les
chefs regarderaient la mesure que l'on voulait prendre
comme une rupture des engagements que Ton avait
contractés envers eux.
L'Hon. Spara William assura que le but était de sup-
primer le pouvoir des chefs et d'y substituer ceux du
gouverneur. 11 en résulterait fatalement des troubles.
L'Hon. C. T. George fit remarquer que lorsque l'on
avait parlé pour la première fois du projet, il ne devait
être question que de Lagos et des districts voisins^ et
non de l'intérieur. Il était du devoir du conseil de pré-
venir le gouverneur que le Bill produirait un vif mé-
contentement dans le pays.
Sir W. MacGregor se vit obligé de do^ner des rai-
sons un peu plus explicites pour soutenir sa thèse.
Les mesures qu'il proposait devaient avoir pour but
de donner aux chefs une indépendance administrative.
En l'état actuel des choses, il pouvait arriver qu'un
résident dépassât les pouvoirs qu'il avait le droit
d'exercer et portât atteinte à l'autorité des chefs auprès
182 LAGOS
de qui il était détaché. L'ordonnancev devait limiter son
influence.
Cependant il ne pensait pas qu'il dût imposer sa ma-
nière de voir au pays et exercer une pression quelcon-
que sur le conseil. Il proposait de soumettre le Bill à
une commission spéciale qui l'examinerait en détail et
qui serait composée de l'honorable A. Enhart, D*" Stra-
cham, du D' Johnson et de l'Hon. Spara William (deux
Européens et deux indigènes). S'ils se prononçaient
définitivement contre le projet, il Tabandonnerait.
Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, le gouver-
neur informa le Législative Council, le 24 octobre, que
le Bashorum et le conseil d'Ibadan étaient favorables au
Bill. La commission approuva finalement le projet en
y introduisant un seul amendement, en vertu duquel,
dans tout district ou province où il existait actuelle-
ment un conseil indigène reconnu par le gouverneur,
ce conseil serait tenu pour constitué en conformité des
principes de l'ordonnance.
Le Bill fut définitivement voté le 24 octobre, pour
prendre effet à partir du 4 novembre 1901.
L'accueil fait à l'ordonnance fut très caractéristique
de la manière dont l'opinion publique intervenait dans
la politique du gouvernement.
Les journaux de Lagos assurèrent que les habitants
d'Ibadan accusaient le Bashorum de s'être laissé ache-
ter et parlaient de quitter la ville.
De la même manière, deux jours après la présenta-
tion du Bill, TAlake d'Abeokuta aurait, dans une réu-
nion du conseil de l'Etat d'Egba, exprimé sa surprise
et les craintes qu'il éprouvait de ce qu'il avait lu dans
les journaux de Lagos, que le gouverneur avait l'inten-
LBS CONSEILS DE CHEFS 183
tion de promulguer une ordonnance sur les conseils
indigènes, ordonnance qui était contraire au traité de
1893. D'autres chefs auraient été du même avis et au-
raient émis Topinion que Ton devait demander au gou-
vernement de ne pas étendre les ordonnances à TÇtat
indépendant. Quant à la conduite des membres indi-
gènes du Législative Council, elle était inexplicable, et
l'on ne comprenait pas comment, alors qu'ils avaient
été d'abord opposés au Bill, ils l'avaient ensuite voté
en n'y introduisantque des modifications insignifiantes.
Sir W. MacGregor avait dit que l'autorité des conseils
indigènes avait été affaiblie par les résidents anglais ;
pour leur rendre leur force, il suffisait de diminuer les
pouvoirs de ces fonctionnaires.
L'Aborigene's Protection Society ne pouvait manquer
de se faire l'écho de ces déclarations*.
Elle écrivit au Colonial Office que le Central native
Council lui paraissait une bonne institution, à condition
cependant que l'on prît les mesures qu'il conviendrait
pour empêcher que le gouvernement l'eût à sa discré-
tion. Quant aux conseils locaux présidés par les rési-
dents, leur création était contraire aux traités : le gou-
vernement anglais a deux obligations strictes envers
les indigènes, celle d'observer les traités qu'il a pas-
sés avec eux et celle de ne prendre que progressive-
ment les mesures qui doivent améliorer leur condition
et développer la mise en valeur du pays. '
Le Colonial Office aurait pu répondre à la Société
qu'elle avait mal lu l'ordonnance et qu'il n'y était pas
question de présidence des conseils par des fonction-
1. W. il., déc. 1901 (lettre du 27 nov. 1901).
2. W. A., mars 1902 (lettre du 11 mars 1902).
184 LÀGOS
naîres anglais. M. Chamberlain se borna à déclarer* que
Sir W. MacGregor avait donné l'assurance qu'il n'avait
pas l'intention de diriger, gouverner ou détruire les or-
ganes centraux de l'administration indigène, mais bien
de les. fortifier. 11 ne voyait dans l'ordonnance rien qui
fût contraire à cette déclaration. La Société n'avait sans
doute pas eu connaissance des amendements qui avaient
été introduits dans le projet initial et qui le modifiaient
profondément. La rédaction primitive avait, du reste, été
préparée et appuyée par deux membres indigènes du
Législative Council et votée à l'unanimité*.
Le vague de ces déclarations ne pouvait satisfaire
l'Aborigene's Protection Society, qui, dans une nou-
velle lettre au Secrétaire d'État, rappela comment l'or-
donnance sur les Native Gouncils avait été prise en
vertu d'un ordre en conseil datant de 1901. Get ordre
délimitait les territoires de la colonie de Lagos dans
lesquels l'action du Législative Council pouvait se faire
sentir, et disposait qu'il ne pouvait être porté atteinte à
aucun des droits réservés aux indigènes par les traités
ou conventions passés par eux avec l'Angleterre. L'or-
donnance sur les Native Gouncils violait cette disposi-
tion législative. Lors de la convention du 10 août 1895,
par exemple, les chefs d'Ibadan ayant manifesté la
crainte que l'autorité et le respect dus au Baie et aux
chefs subissent une diminution du fait de l'établisse-
ment d'un résident à Ibadan, Sir George Denton leur
avait donné l'assurance écrite que les clauses de la
convention ne concernaient en aucune manière le gou-
vernement indigène. Depuis, aucun traité nouveau n'a-
1. w. A., mars 1902 (leUre du 29 mars 1902).
2. Lagos Gov, Gazette, 27 août 1901.
LES CONSEILS DE CHEFS 185
vaît été passé avec les Ibad^ns. Ils restaient donc libres
de gouverner leur pays comme ils l'entendaient.
Quant à la modification qui avait été apportée au projet
primitif, elle ne réduisait en rien le pouvoir arbitraire
que le gouverneur prenait sur les organismes locaux.
On avait ajouté que les anciens conseils continuaient à
exister, mais on n'en avait pas moins déclaré que ce ne
serait qu'à condition d'être officiellement reconnus par
les gouverneurs. Ces conseils resteraient entièrement
à la discrétion du gouvernement, puisque c'était lui qui
assurait leur existence et nommait leurs membres.
Sans s'expliquer davantage, la Société concluait en
assurant que le but poursuivi par Sir W. MacGregor,
et qui était très louable, aurait été plus sûrement atteint
à l'aide de mesures plus simples et plus légales.
Sir W. MacGregor répondit* qu'il n'avait fait que ré-
gulariser le mode de nomination des conseils de pro-
vince, nominations qui avaient toujours été faites par
le gouverneur. La Société craignait que le choix des
présidents des conseils fût fait en contradiction avec la
volonté du pays; mais c'était une singulière erreur que
de croire que le gouverneur était absolument libre en
la matière, et il lui arrivait, après avoir fait une nomi-
nation, d'être obligé de la rapporter devant l'opposi-
tion qu'il rencontrait (cas, par exemple, du prince
Eleke). Les indigènes n'avaient, du reste, fait aucune
difiiculté pour approuver l'ordonnance, et l'Alake d'A-
beokuta, représenté comme hostile, avait été le premier
à envoyer les noms des conseillers qu'il désirait voir
publiés à \ Officiel.
1. W.A,, 14 juin 1902.
186 LAGOS
L'Aborîgene's Protection Society ne se rendit pas à
ces observations et continua une longue polémique dont
nous retrouverons les arguments par la suite. D'après
elle, l'ordonnance des Native Councils pouvait être
avantageuse avec un gouverneur comme Sir W. Mac-
Gregor, mais devenir un instrument terrible de désor-
ganisation entre les mains d'un fonctionnaire qui n'au-
rait pas une parfaite connaissance des indigènes et qui
ne serait pas animé envers eux d'aussi bons sentiments.
Quoi qu'il en soit, l'application de l'ordonnance se fit
au début sans difficulté, et nous allons voir comment
Sir W. MacGregor entreprit, grâce à elle, d'organiser
les États indigènes.
Il devait avoir tout d'abord à se préoccuper des ques-
tions d'ordre foncier.
CHAPITRE XVI
iLAGOS
Le régime foncier.
Le régime foncier chez les Yorubas paraît être une
combinaison de principes qui établiraient d'une façon
remarquable la propriété individuelle sur un système
de collectivisme. Le domaine éminent du sol appartient
chez eux au peuple, considéré comme collectivité, et
c'est en tant que représentants de la communauté que
les chefs disposent de la possession du sol. Les Yoru-
bas sont divisés en une série de tribus qui ont la
famille pour origine probable : les chefs de chacune de
ces tribus accordent à ceux qui leur en font la demande,
le droit de cultiver les terres vacantes.
Pour bien marquer que, ce faisant, les chefs ne don-
nent rien qui leur appartienne, il leur est défendu de
réclamer un payement pour ces concessions. L'usage
veut simplement qu'on leur fasse un cadeau, mais les
indigènes considèrent que ce n'est là qu'une gracieu-
seté qui ne représente pas le prix de la terre.
Bien probablement, suivant que le chef est plus ou
moins autoritaire, le cadeau doit être plus ou moins
important, et en fait un certain marchandage doit s'éta-
blir, mais le principe n'en est pas moins formel.
Celui qui a ainsi obtenu la possession d'une parcelle
188 LAGOS
de terre a le droit de la mettre en valeur pendant toute
sa vie ainsi que de transmettre ses droits à ses héri-
tiers; il peut aussi le concéder à d^autres, mais dans
ce cas il lui est interdit, comme il Test aux chefs, de
réclamer un payement quelconque.
Ce droit de possession comporte cependant une res-
triction : c'est que le possesseur doit réellement exploi-
ter la terre qui lui a été concédée. Aussitôt qu'il n'en
fait plus usage, elle retourne au domaine public et peut
être concédée à une autre personne par le chef. Excep-
tion est faite naturellement pour le temps où cette
terre reste en friche entre deux périodes de culture
pour remédier à son épuisement.
Le concessionnaire d'un terrain a le droit d'exploiter
comme il l'entend les essences forestières qui cou-
vrent sa terre. Il peut couper les arbres, saigner les
plantes à caoutchouc, recueillir la gomme à sa guise,
parce que l'on considère que personne n'est intervenu
dans la création de ces sources de valeur.
Il est admis cependant que tout kolatier ou palmier
à huile a été cultivé ou planté. Celui sur la terre de qui
se trouvent ces arbres a le droit de les réserver lors-
qu'il transmet sa concession à un tiers, ou de les ven-
dre, mais ce droit ne porte pas atteinte au principe de
la non-aliénabilité du sol; la propriété des palmiers
ou des kolatiers est seule transmise. Dans le seul cas
où ces arbres ne sont plus e.xploités, ils font retour à la
communauté en même temps que la terre sur laquelle
ils ont poussé, et la concession de cette terre ne peut
plus porter que sur l'exploitation du sol lui-même, tan-
dis que le droit de recueillir les fruits des arbres est
désormais réservé au concédant. En fait, cette iréserve
LE RÉGIME FONCIER 189
n'est observée que si c'est un étranger à la tribu qui
devient concessionnaire.
En somme, tout ce système repose sur une notion
très saine de la possession du sol d'après laquelle cette
possession appartient à celui qui exploite. Comme,
dans ces pays, aucune valeur n'est incorporée dans le
sol par la culture, dès que cette culture cesse la raison
d'être de cette possession disparaît. La collectivité, en
tant qu'il s'agit de la tribu, ne participe pas au bénéfice
de l'exploitation de la terre, mais elle a la garde de la
propriété de cette terre, qui est ainsi chose. commune
et dont les produits appartiennent à ceux de ses mem-
bres qui savent en tirer parti.
Il n'est pas difficile de concevoir que les quelques
principes que nous venons d'exposer ne suffisent pas
pour régler dans les détails toutes les questions qui
peuvent se poser au point de vue foncier. Le tribunal
du chef, qui est réellement l'assemblée législative,
intervient et dispose pour chaque cas particulier.
Tant que des éléments étrangers ne sont pas venus
s'immiscer dans la collectivité et que celle-ci a gardé
son caractère primitif, il n'a point surgi, au sujet de ce
régime foncier, de difficultés sérieuses autres que cel-
les qui pouvaient dériver de contestations sur l'étendue
même des droits de la collectivité, contestations qui
étaient réglées, soit par les chefs suprêmes des diffé-
rentes tribus qui forment l'Etat Yoruba, soit par la
voie des armes, si cette autorité était méconnue ou
s'il s'agissait de terrains en litige avec des peuplades
voisines.
L'avènement du commerce européen et de la superin-
tendance du gouvernement anglais devait rendre fata-
I
190 LAGOS
lement nécessaire une législation plus détaillée et plus
précise. Nous allons voir comment jusqu'ici les Yoru-
bas ont tenu à conserver intactes leurs institutions.
Ce fut à Ibadan que des difficultés apparurent tout
d'abord, Tintervention du gouvernement se faisant sen-
tir dans cette ville d'une façon un peu plus énergique
qu'à Abeokuta.
Les quelques maisons de commerce qui étaient éta-
blies à Ibadan, avant que le chemin de fer n'y parvînt,
avaient obtenu d'une manière assez vague rautorîsatîoa
d'occuper les terrains qui leur étaient nécessaires. Il
n'y avait dans cette autorisation rien qui constituât
un droit définitif ni une innovation trop contraire aux
usages du pays, et cet établissement s'était fait assez
simplement.
Dès que les travaux du chemin de fer furent com-
mencés, la plupart des commerçants de Lagos songè-
rent à se procurer des terrains sur lesquels ils pour-
raient construire des factoreries.
Il parut tout d'abord qu'une réglementation assez
précise allait pouvoir être prise eu la matière. Le 18 jan-
vier 1901*, le résident informa les membres du conseil
de la ville qu'il avait reçu de nombreuses demandes de
concession de terrains sur lesquels devaient être élevés
des boutiques et des magasins. Ces terrains étaient
situés près de la porte d'Iddo, à côté de laquelle devait
être construite la station du chemin de fer. Il importait
de déterminer de quelle façon il serait donné satisfac-
tion à ces demandes et comment on réglerait à l'avenir
les questions analogues.
1. Gov, Gaz*, avril et mai 1901 ; JV. A., 22 Juin 1902, n» 27.
LE RÉGIME FONCIER 191
Après discussion, il fut convenu que Ton établirait un
projet général d'allotissement. On louerait les terrains,
dans un secteur d'un mille autour de la porte d'Iddo,
80 sh. l'acre; 40 sh. l'acre les autres terrains situés
dans l'intérieur d'Ibadan, et 20 sh. ceux qui seraient
situés à l'extérieur des murs jusqu'à une distance
d'un tiers de mille de la station du chemin de fer;
10 sh. ceux qui seraient à un mille, et ainsi de suite en
décroissant.
En même temps que le projet devrait être soumis au
gouverneur, le Bashorum demanda au résident de le
prier de vouloir bien envoyer un géomètre pour procé-
der à Tallotissement.
Il fut décidé ensuite que l'argent dû par les commer-
çants serait perçu par les soins du résident, qui en
ferait remise au Bashorum pour être distribué au con-
seil.
Le 27 mars, le résident informa le conseil que l'é-
chelle de rente avait été approuvée par le gouverneur,
et l'on décida que la taxe minimum qui serait deman-
dée serait de 6 pence par acre pour les terrains situés
à 30 milles de la ligne du chemin de fer. Sur la propo-
sition du résident, on résolut d'adopter le règlement
qui était en vigueur à Lagos pour le « Survey », et le
7 avril on décida que tout étranger qui occuperait ou
qui désirerait occuper un terrain devait le faire déli-
miter dès que le service serait organisé. Les livres
fonciers sur lesquels seraient inscrites les concessions
seraient tenus par le président du conseil, en fait, le
résident. Seraient traités comme étrangers tous ceux
qui seraient habillés à la manière des blancs.
Il semble que si les maisons de commerce et les
192 LAGOS
indigènes d'Ibadan avaient été seuls intéressés par cette
mesure, elle aurait pu être appliquée sans difficulté.
Les chefs y trouvaient leur intérêt, puisqu'ils touchaient
le prix du loyer du terrain et que ce prix était très
élevé pour le pays;lçs lois constitutives de la propriété
ne paraissaient pas violées, puisque la jouissance de la
terre était seulement en jeu, et non sa propriété, et les
indigènes étaient assez indifférents à la chose, du mo-
ment qu'elle ne les concernait pas directement.
La réglementation proposée offrait aux commer-
çants européens l'avantage de leur éviter toute contes-
tation ; elle devait être vue avec moins de plaisir par les
traitants noirs de Lagos, dont ce n'est pas le propre que
de s'occuper de l'avenir, et qui estimèrent fâcheux de
payer une rente, alors que, d'après les usages du pays,
un cadeau suffisait, donné une fois pour toutes.
Très habilement, comme nous le leur verrons faire à
plusieurs reprises, ils surent mêler leur cause à celle
des indigènes, et ils intervinrent comme défenseurs
des institutions locales.
Le révérend Harding,de la mission Yoruba, provoqua
un meeting* dans lequel on expliqua comment ceux
que l'on appelait des étrangers n'étaient que des habi-
tants du pays qui étaient revenus dans leur mère patrie
après avoir été entraînés à la côte, ou au delà des mers,
comme esclaves; comment il était injuste de leur faire
payer une terre qu'ils auraient eu le droit de posséder
gratuitement s'ils n'avaient été faits captifs, et comment
surtout l'idée de rente était contraire aux lois du pays.
D'après le traité du 3 février 1893 passé entre le gou-
1. Lagos Standartf mai 1901.
LE RÉGIME FONCIER 193
verneur Carter et TAlafin d'Oyo,^ confirmé par le traité
d'Ibadan du 15 août 1893, il avait été convenu que tous
les sujets anglais auraient le droit de s'établir dans le
pays, d'y construire des maisons et d'y posséder des
immeubles, à condition de se conformer aux lois du
pays : ces lois devaient être respectées.
Les chefs parurent se ranger finalement à cette ma-
nière de voir. Peut-être la crainte de l'autorité anglaise
avait-elle été la raison pour laquelle ils avaient approuvé
tout d'abord les propositions du résident; peut-être
celui-ci, dans le compte rendu officiel des pourparlers
qu'il avait eus avec eux, avait-il omis de parler de la
pression qu'il avait pu exercer. ^
En apprenant cette opposition soudaine, Sir William
MacGregor se rendit à Ibadan et réunit dé nouveau le
conseil des chefs pour discuter la chose avec eux. Ils
se montrèrent nettement hostiles au projet qu'ils
avaient paru tout d'abord adopter, et le gouverneur
estima que le mieux était de ne pas insister pour le
mojnent.
Près d'un an après, le chemin de fer étant arrivé à
Ibadan et le nombre des commerçants désireux de
s'établir dans cette ville allant en augmentant, le gou-
verneur voulut reprendre la question.
Le 13 mars 1902*, VActing résident d'Ibadan pria
le Bashorum de convoquer le conseil, auquel devaient
assister tous les étrangers qui possédaient des terres
dans la ville.
La réunion eut lieu le 17 mars et fut présidée par
le résident, qui informa le conseil que le gouverneur
1. W, A,, 10 avril 1902, n^ 70.
13
194 LAGOS
demandait que Ton ne cédât plus la terre comme on
Tavait fait jusque-là, mais qu'on accordât des conces-
sions d'une durée de cinquante ans.
Les Ibadans ne voulurent pas discuter le projet, sous
prétexte qu'ils avaient cédé déjà des terrains à des per-
sonnes qui étaient leurs parents, et qu'ils ne voulaient
pas exiger le payement de loyers pour des terres qui
n'étaient plus leur propriété. Un membre du conseil
demanda quelle était la somme que le gouvernement
payait pour les terres qui lui avaient été données. 11
ne lui fut pas répondu. Le résident fut alors prié de
s'occuper de cette question. Les Ibadans devaient être
laissés libres de diriger les affaires de leur ville comme
ils l'entendraient.
Le lendemain, une nouvelle tentative fut faite par
le résident, mais sans plus de succès.
Ce ne devait être qu'un an après, en 1903, que le nou-
veau résident d'ibadan, le capitaine Elgee, qui devait se
révéler un des plus remarquables administrateurs de
l'Afrique occidentale, arriva enfin à faire adopter Jes
mesures proposées par Sir William MacGregor.
Le conseil d'ibadan s'étant montré désireux de
reprendre un immeuble que le précédent Baie avait
concédé à la maison Holt pour y établir un poste de
perception de droits d'octroi, le capitaine Elgee sut pro-
fiter de cet incident pour faire comprendre aux chefs
comment ils éprouveraient constamment de grandes
difficultés s'ils n'apportaient aucune modification à leurs
usages, alors qu'ils auraient à faire face à des nécessi-
tés et à des besoins nouveaux. Il finît par obtenir
d'eux la décision suivante, qui jusqu'à présent a été
appliquée sans nouvelles protestations :
LE RfiGIMB FOMCIBR 195
« Attendu que toute terre dans la ville d'Ibadan est
sous la dépendance du Baie et du conseil, et attendu
qu'il a été publiquement notifié dans la Government
Gazette que de telles terres ne pourraient être ven-
dues, mais seulement louées aux étrangers par et avec
le consentement du Baie et du résident en conseil, et
attendu que de tels baux doivent être accompagnés
d'un plan convenable de la terre en question et qu'une
rente convenable doit être fixée pour un certain nom-
bre d'années, et attendu qu'un certain nombre d'étran-
gers ont, surtout dans un but de commerce, à tort et
illégalement, acquis de la terre dans ladite ville, et
attendu que ce n'est pas le désir du Baie d'Ibadan et de
son conseil, ni du gouvernement, d'obliger de tels étran-
gers à abandonner ces terrains,
« Tout étranger qui désire garder les terres dont il
est en possession devra, avant le 30 avril 1903, présen-
ter au résident d'Ibadan un plan de ladite terre, de
façon à ce qu'on lui fixe la somme qu'il aura à payer ;
« Tout étranger trouvé après cette date en possession
irrégulière de terres sera condamné à quitter la ville;
« La rente variera de 4 à 2 livres l'acre, suivant la
distance d'Iddo Gâte;
« Toute rente sera payée au résident, qui en remettra
le montant au Baie pour être distribué. »
Depuis cette époque, l'établissement des Européens
dans l'intérieur s'est fait sans difficulté.
Sir William MacGregor devait cependant être amené
à se préoccuper de nouvelles questions touchant au
régime foncier du pays.
Jusque vers 1895, les exportations de Lagos avaient
196 LAGOS
été presque exclusivement formées par les produits
des palmiers à huile. A cette date, sur les indications
du gouvernement, les indigènes commencèrent à se
douter que leurs forêts contenaient d'autres richesses
et se mirent à les exploiter avec ardeur, mais de telle
sorte qu'ils les épuisèrent vite.
De deux tonnes en 1894, l'exportation passa à 2.357
tonnes en 1895 et à 3.015 en 1896, mais dès 1897 elle
retombait à 2.073 tonnes, et en 1900 elle n'était plus
que de 24 tonnes.
Le gouvernement pensa qu'il était de son devoir
d'essayer de réparer le mal qui avait été fait et de
prendre telle mesure qu'il conviendrait, pour empê-
cher que les anciens errements ne se reproduisent
et pour aménager convenablement l'exploitation des
richesses forestières du pays.
11 parut que ces mesures devaient être de deux sortes :
On constituerait des réserves forestières qui servi-
raient de lieu d'expérience et dans lesquelles on s'ef-
forcerait de multiplier les essences précieuses.
L'exploitation des forêts ne serait permise que sous
certaines conditions et sous la haute direction des
agents du gquvernement.
Le 11 juin 1901*, Sir William MacGregor passa avec
les autorités d'Haro un arrangement qui peut se résu-
mer ainsi :
« Attendu que le chef, les anciens et le peuple d'Haro
considèrent qu'il est de leur intérêt qu'une certaine
superficie de forêt soit constituée en réserve ;
« Attendu qu'ils désirent que cette réserve soit uti-
1. JV. A. y 24 août 1001, n- 36.
LE RÉGIME FONCIER 197
lisée par Sir William MacGregor, gouverneur de Lagos,
et ses successeurs, pour y faire les expériences et les
travaux qu'ils jugeront bon,
« Nous, Olu, chefs et anciens d'Ilaro, donnons à per-
pétuité à Sir William MacGregor et à ses successeurs
toutes les pièces de terre comprises entre la route
d'Ilaro, celle d'Ulobi, celle d'Otta et une ligne partant
du point où cette dernière route coupe la frontière
d'IIogbo et d'IlarQ, et aboutissant au mont.Otta, sur la
route d'Ilaro.
« Les personnes qui ont actuellement des cultures
sur cette terre ne, seront pas inquiétées, à condition
qu'elles ne fassent pas dé nouveaux défrichements sans
la permission du gouvernement, qu'elles se conforment
aux règles qui seront prises en ce qui concerne cette
réserve forestière, et qu'elles fassent enregistrer leur
propriété sur un registre spécial. »
Vers la même époque, un projet d'ordonnance était
soumis au Législative Gouncil, par lequel un service
forestier était créé, le principe de Tobtention de licen-
ces posé pour l'exploitation des forêts et une pénalité
inscrite contre ceux qui contreviendraient aux disposi-
tions prises pour protéger les forêts.
Il est, au premier abord, assez difficile de se rendre
compte de ce qu'était la situation à ce point de vue, au
moment où le projet fut déposé.
D'après les déclarations du gouvernement, la plupart
des chefs, et notamment ceux d'Ibadan, d'Ilesha et de
Jebu avaient défendu à leurs sujets de se livrer à l'ex-
ploitation du caoutchouc pendant une certaine période.
On ne comprend guère, dans ce cas, l'accueil qui fut
fait à ridée d'une réglementation forestière. En réa-
198 LAGOS
Uté les restrictions qui avaient pu être apportées à la
liberté de la récolte du caoutchouc étaient venues des
résidents anglais, qui les avaient attribuées aux chefs
par mesure politique. Elles n'avaient point été obser-
vées. A Ibadan, en particulier, ce n'est qu'en 1903 que
nous verrons le Baie et' son conseil prendre une déci-
sion à ce sujet.
Le projet d'ordonnance fut aussi mal accueilli que
possible paf les indigènes et les commerçants.
Les journaux de Lagos et le IVesù Africa déclarèrent
qu'ils constituaient une véritable spoliation des droits
des indigènes.
Ils déclarèrent que l'ordonnance permettrait à des
personnes indélicates de se faire donner des terrains
au détriment des véritables propriétaires qui abandon-
neraient le pays, que du reste elle était absolument
contraire aux traités de 1888 (Ketu> Tbu, Haro) par
lesquels les indigènes avaient accepté le bénéfice de
la protection anglaise, à condition que leurs droits de
propriété seraient respectés.
La section africaine de la chambre de commerce de
Liverpool demanda à M. Chamberlain que l'ordonnance
ne soit pas mise à exécution avant <iu'elle ait pu être
examinée par les chambres de commercer
Le 3 septembre 1901, Sir William MacGregor donna
les explications suivantes au Législative Council :
« Le projet a été préparé dans le but de donner au
Législative Council le droit de légiférer en matière
forestière, en vertu de l'Order in Council* qui étend les
pouvoirs du Législative Council sur tous les protec-
1. W, A,y 16 nov. 1901, n« 48.
2. W, 4., 16 nov. 1901, !!• 48
LE RÊGIMB FONCIER 199
torats de Lagos. L'intention du secrétaire d'État a été
d'instituer les mêmes règles à Lagos, dans la Nigeria
du Nord et dans celle du Sud (dépêche du 9 août 1901).
II lui a paru surtout nécessaire de remédier à la dis-
parition du caoutchouc. Dans la forêt de Mamu, par
exemple, on a fait un recensement des arbres à caout-
chouc; on a constaté que les trois quarts étaient morts
et que les arbres de l'autre quart étaient malades.
« Il a d'abord été question d'interdire la cueillette
pendant trois ou quatre ans pour permettre aux arbres
de repousser. Cette mesure a paru trop absolue à un
grand nombre de chefs, car il y aurait toujours eu des
personnes âpres au gain qui auraient continué de rer
cueillir le latex de la manière la plus destructive. Le
mieux est de réglementer avec soin cette récolte.
a II semble que la meilleure mesure serait de défen-
dre de faire des incisions intéressant plus des deux tiers
des arbres, d'exiger que tous les collecteurs aient des
licences et de limiter le temps de la récolte aux mois
compris entre juin et novembre. »
Ces explications du gouverneur ne suffirent pas pour
arrêter les protestations des indigènes.
Le 23 septembre, le conseil de « l'État indépendant
d'Egba » s'occupa de la question.
L'Alake déclara qu'il avait été alarmé d'apprendre
que la Forest Ordinance allait passer, mais qu'il ne
pouvait que difficilement le croire, parce que le gou-
verneur de Lagos savait que le gouvernement d'Egba
n'était lié au gouvernement anglais que par des con-
ventions qui ne justifieraient pas cette mesure.
Lecture fut donnée du traité de 1893 passé avec Sir
Gilbert Th. Carter et des autres conventions, d'après
200 LAGOS
lesquelles il était dit « que, aussi longtemps que la
nation Egba maintiendrait les routes ouvertes au com-
merce et que Ton ne ferait pas de sacrifices humains,
aucune annexion de terre ne pourrait être pratiquée
par le gouvernement anglais sans le consentement des
autorités légitimes du pays, et son indépendance serait
pleinement reconnue. »
L'OIowu et TAgura parlèrent sur le même ton et
firent remarquer que lorsque les lois étaient faites à
Lagos et devaient s'appliquer à Tintérieur, il devrait
être spécifié qu'elles ne concerneraient pas les terri-
toires egbas, de manière qu'il n'y ait aucune anxiété à
leur égard.
Le prince Adomela, qui venait de Lagos, dit que le
projet d'ordonnance avait causé beaucoup d'inquiétude
à Lagos et qu'une pétition avait été adressée au gou-
verneur pour lui demander de ne pas le promulguer. La
seule chose à faire était de s'en rapporter à l'honneur
des blancs et d'attendre la décision du gouverneur.
L'Aborigine's Protection Society crut devoir interve-
nir à son tour, et le 2 novembre* elle adressa au Colo-
nial Office une lettre dans laquelle elle faisait remar-
quer que le projet d'ordonnance était contraire à l'Order
in Council » du 24 juillet 1901, qui portait que rien, dans
les ordonnances qui seraient prises au sujet du Pro-
tectorat, ne pourrait supprimer ou atteindre les droits
qui ont été garantis aux indigènes par traité passé au
nom de Sa Majesté, que tous ses traités et arrange-
ments resteraient en vigueur, et que les garanties qu'ils
contenaient resteraient entières et étaient confiirmées.
•
1. JV. A., 9nov. 1901, n»4
LE REGIME FONCIER 201
Elle rappelait la discussion qui précéda ragrément du
10 août 1893, au cours de laquelle le gouverneur Den-
lon assura aux chefs d'Ibadan que la convention qu'on
leur proposait de signer laissait entiers les droits qu'ils
avaient sur leurs terres.
Le 11 novembre, la Chambre de commerce de Liver-
pool écrivit de nouveau à M. Chamberlain pour lui
demander « de rapporter toutes les mesures qui pour-
raient causer des alarmes aux indigènes » et de ne pas
promulguer l'ordonnance sans l'avoir soumise aux
chambres de commerce.
La presse des colonies voisines s'émut à son tour,
et l'on pouvait lire dans le Sierra Leone Times de fin
novembre :
« L'ordonnance est la plus extraordinaire pièce de
législation que l'on ait jamais vue; elle tend tout bon-
nement à s'approprier le sol, sous prétexte de proléger
le caoutchouc. A Sierra Leone nous protestons à voix
basse, puis nous sourions et nous soumettons; à Lagos
ils font tellement de bruit qu'ils sont entendus. A Sierra
Leone, le gouverneur Cardew a agi à sa volonté et l'a
appuyée de fusils jusqu'au moment où il s'est retiré
entouré d'honneurs. A Lagos, si MacGregor persiste
et en arrive aux fusils, il aura deux alternatives : ou
accepter la place qui lui est offerte dans une autre colo-
nie, à ce que dit le West Africa, ou répéter la triste
histoire de Bishop Hill.
« En dehors de la théorie qu'il professe au sujet de
la terre des indigènes, ce gouverneur est un des meil-
leurs de la Côte, et il faut espérer qu'il ne voudra pas
altérer sa bonne [réputation par une décision inconsi-
dérée. »
202 LAGOS
Devant cette opposition, le Colonial Office informa la
Chambre de commerce de Liverpool que l'ordonnance
n'entrerait pas en vigueur avant le mois de mars 1902,
et elle fut renvoyée devant un comité spécial chargé
d'examiner les modifications qu'il pouvait être bon de
lui faire subir.
Dans la séance du Législative Council de janvier 1902,
Sir William MacGregor assura une fois de plus que les
prérogatives des indigènes ne seraient point atteintes,
et il proposa, pour éviter tout malentendu, d'ajouter
au texte du projet les clauses suivantes :
« Rien de ce qui est contenu dans cette ordonnance,
ou dans les règlements qui pourraient être faits pour
son exécution, ne pourra diminuer ou annuler les droits
des propriétaires ou ceux que les indigènes peuvent
avoir d'après les lois et coutumes du pays.
« L'ordonnance ou les règlements qui la concerne-
ront ne seront exécutoires, dans un district où il exis-
tera un conseil de district ou de province, qu'à la date
qui aura été fixée par le conseil.
« La récolte du caoutchouc ne commencera dans une
province qu'aprèg que le superintendent des forêts aura
examiné la situation. »
Sir William ajouta qu'il était convaincu que l'on ne
pourrait arriver à de bons résultats que lorsque les
indigènes eux-mêmes seraient persuadés de la néces-
sité qu'il y avait à protéger les forêts : tant qu'il n'en
serait' pas ainsi, la forme que l'on pouvait donner aux
ordonnances lui était indifférente.
Les additions adoptées par le « Select Committee »
différèrent un peu de celles qu'avait proposées Sir Wil-
liam MacGregor, et furent les suivantes :
LE RÉGIME FONCIER 203
« Les règlements qui pourront être pris en vertu de
cette ordonnance ne pourront être exécutoires avant
d'avoir été approuvés 'par les Native Councils du dis-
trict ou de la province où ces règlements devront être
appliqués.
« Rien dans cette, ordonnance ne concerne les pal-
miers à huile et les kolatiers.
« Rien dans cette ordonnance ou dans les règlements
qui seront faits pour son application ne pourra annuler
ou diminuer les droits, titres ou intérêts que tout indi-
gène pourrait posséder, sur la terre familiale paternelle
ou de tribu, en vertu des coutumes et usages locaux. »
Dans la séance du 23 mai 1902, où ces amendements ,
furent présentés, le gouverneur dit qu'on lui avait de-
mandé d'ajourner la proposition de lecture du « Bill »
parce qu'il était amendé et qu'il constituait un nouveau
projet de Bill qui devait être publié une première fois
à Y Officiel, Il laissait le soin de résoudre ce point aux
magistrats qui faisaient partie du conseil.
Le Chief Justice déclara que la modification que Ton
avait apportée au Bill constituait un nouveau Bill, car
il en serait de même toutes les fois que Ton ajouterait
des amendements. Il expliqua que dans ces amende-
ments on s'était appuyé surtout sur une dépêche du
Secrétaire d'Etat qui disait que l'opinion des habitants
de la ville de Lagos était assez indifférente, mais que
c'était celle des peuples de l'intérieur qui était à consi-
dérer.
Le D"" Johnson (membre indigène) s'opposa à ce
qu'on lut une seconde fois le Bill. Il pouvait être bon
en théorie, mais il reconnaissait au gouverneur un
droit, qu'il n'avait pas, de légiférer au sujet des terres
/
204 LAGOS
de riutérîeur. « On avait dit que le projet avait été
approuvé par les chefs, mais on ne tenait point compte
de la pression qui avait pu être' exercée sur eux. Rien
dans l'ordonnance n'empêchait le gouverneur de don-
ner à de grandes sociétés des concessions qui trans-
formeraient le peuple en serfs. Le gouverneur avait dit
que les peuples de Tintérieur, interrogés au sujet de
Tordonnance, désiraient exclure de chez eux les gens
de Lagos. C'était là une étrange assertion. Il y a peu
de familles de Lagos qui ne soient originaires de
l'intérieur, et l'on n'avait pas l'habitude de voir les
chefs considérer d'une manière différente letirs enfants
, de la cote et ceux de l'intérieur. Il est probable qu'ils
considéraient maintenant les gens de la côte comme
plus riches qii'eux et qu'ils craignaient leur concur-
rence. Donner brusquement les lois 'd'une grande na-
tion arrivée au sommet de la civilisation à un peuple
qui est dans une humble situation, c'est habiller un
oiseau-mouche de plumes d'autruche. Le pauvre oiseau
mourra sous le poids de sa bénédiction. Le mieux
serait de mettre simplement les arbres à caoutchouc
sous la protection des chefs, comme on l'a fait pour les
palmiers à huile. »
La motion du D' Johnson n'ayant pas été appuyée, le
bill passa en seconde lecture*.
Une fois que l'ordonnance fut promulguée, on l'ac-
cusa d'être la cause des troubles qui éclatèrent à Iba-
dan et à Haro, villes où il fut nécessaire "d'envoyer des
troupes; mais ces incidents n'avaient vraiment que peu
1. An Ordinance to provide for the establishment ofa Forestry Départ*
ment and for the proper régulation of the forests of the colony and ofiht
Lagos Protectorate, 2'i mai 1901.
LE RÉGIME FONCIER 205
de rapports avec Timpressioii produite par la nou-
velle loi.
En réalité, l'ordonnance ne fut jamais appliquée d'une
manière sérieuse, autrement que pour réaliser des
licences d'exploitation accordées à des Européens*.
Sur les conseils du capitaine Elgee, les autorités
d'Ibadan se décidèrent pourtant à prendre un règle-
ment en la matière, vers la fin de 1903.
Nul ne pouvait recueillir de caoutchouc dans les dis-
tricts placés sous le contrôle des autorités indigènes,
autrement qu'en se conformant aux règles données,
avant d'avoir obtenu une licence de 5 livres sterling
et moyennant le payement d'une redevance de 2 shil-
lings par charge de caoutchouc récoltée.
Aucun arbre de moins de 3 pieds de circonférence
ne pouvait être *saigné qu'une fois tous les dix-huit
mois, et cela de la manière prescrite par les chefs.
Des licences étaient également nécessaires pour cou-
per les arbres de valeur. Le conseil devait être averti à
l'avance, et l'exploitant était obligé de replanter autant
d'arbres de même essence qu'il en avait abattu.
On peut dire que ces règles n'ont été appliquées
que d'une manière toute relative. Les autorités indi-
gènes prétendent bien qu'elles sont observées avec
soin, mais il est assez difficile de le vérifier. Le mal
qui a été fait aux arbres à caouchouc avant la procla-
mation de cet ordre est cause que l'on ne peut se ren-
dre compte, en parcourant les forêts, de la façon dont
les arbres sont saignés actuellement, et l'exploitation
des bois est encore nulle dans la province d'Ibadan.
1. LeUre du Secrélaire d*État aux colonies à la chambre de commerce
de Liverpool (Comptes rendus de la chambre, 24 Juillet 1902)«
206 LAGOS
• »
Nous ne trouverons point, en tout cas, dans le budget
de rÉtat d'Ibadan, des recettes faites à titre de permis
ou de licence. 11 semble cependant que les chefs indi-
gènes ont fini par comprendre Tintérêt qu'il y avait à
ne pas exploiter sans discernement les forêts de leur
pays. Le gouvernement de Lagos, ne se préoccupant
plus des protestations qui pourraient en résulter, a cru
que le moment était venu d'imposer des règles à ce
sujet, et un règlement très précis sur la cueillette du
caoutchouc a paru dans la Gazette de juillet 1905.
L'établissement, par la British Coton Growing Asso-
ciation, d'une plantation aux environs d'ibadan devait
poser une fois de plus cette question du régime fon-
cier. La B. C. G. A. jugea nécessaire la création d'une
plantation de 10.000 acres aux environs d'Ibadan.
Devant les représentations du résident qui faisait ob-
server combien il était difficile de trouver 10,000 acres
d'un seul tenant que Ton put soustraire sans diffi-
culté à la culture indigène aux environs d'une ville
aussi populeuse qu'Ibadan, il ne fut accordé à la B. C.
G. A. qu'une concession de 5.000 acres. Dès septembre
1904, les travaux de défrichement étaient commencés,
mais les indigènes qui cultivaient ce terrain avant la
concession ne cessèrent de faire entendre leurs plaintes,
qui furent très vivement appuyées par le résident. Le
comité de direction lui-même de la B. C. G. A., qui
tenait à rester dans les meilleurs termes avec les indi-
gènes, se montra désireux d'arriver à un compromis.
Les propriétaires de palmiers furent désintéressés, et
on rendit aux indigènes une partie des terres qui n'é-
taient pas mises en culture par l'Association.
'-
LE RÉGIME FONCIER 207
Au cours des discussions qui eurent lieu à ce sujet,
le docteur Johnson (indigène) prononça devant le
Législative Council le discours suivant :
« La question est d'un intérêt vital pour Ibadan,
quoique nous ne puissions nous en rendre compte à
distance. Dans la plupart des autres questions il n'est
certes pas facile de dire quels sont les véritables sen-
timents du peuple si l'on ne connaît pas la façon de
penser des Yorubas, mais il n'en est pas de même en
matière foncière.
« Nous savons qu'lbadan est une ville grande et po-
puleuse, en fait la plus populeuse de cette partie de
l'Afrique. La moitié de la population vit habituellement
plutôt dans les fermes que dans la ville, mais si tous
les habitants se trouvaient en même temps chez eux,
nous verrions leur nombre atteindre 250.000. Ibadan
est entouré de tous côtés par d'autres grandes villes
dont la population mâle est également composée pres-
que exclusivement d'agriculteurs.
« Le régime actuel n'a que dix ans de date, et le coût
de l'existence a déjà considérablement augmenté, de
sorte que dans dix autres années nous aurons à nous
demander comment nous ferons pour nourrir une
population de plus en plus considérable. Dans une
telle occurrence, devons-nous diminuer la superficie
des terres cultivées en denrées alimentaires?
« Les cultures occupent déjà toute la place disponi-
ble autour de la ville. En fait, n'était le résident, cette
question aurait déjà entraîné des batailles entre les
Ibadans et les Egbas d'un côté et les Igébus.
, « On a dit que le Baie et son conseil avaient accordé
à l'unanimité uiie concession de 5.000 [acres à la Bri-
208 LAGOS
lish Gotton Growing Association. Je ne sais pas com-
ment les interprètes ont pu traduire Topinion des Iba-
dans; mais un peuple qui est sur le point de se battre
avec ses voisins pour agrandir sa terre peut-il vrai-
semblablement, sans difficulté, abandonner une partie
de cette terre?
«... Je sais bien que les chefs représentent le peu-
ple, que les droits de propriété seront sauvegardés, et
que probablement quelque compensation sera offerte ;
mais les sommes qui seront ainsi octroyées iront aug-
menter les revenus de la ville, et qu'arrivera-t-il des
pauvres cultivateurs, et de leurs femmes, et de leurs
enfants, qui seront expropriés pour faire de la place à
la culture du coton?
« Je sais bien que Tidée d'améliorer le coton indi-
gène est bonne et pour le bénéfice de la majorité; mais
lorsqu'un homme voit sa famille mourir de faim, quel
intérêt y a-t-il pour lui à savoir que le coton d'Ibadan
est coté comme « Improved Médium American »? Ce
qu'il désire, c'est de la nourriture, et en abondance. »
En même temps que .cette question de la propriété
du sol était ainsi agitée de nouveau devant le Législa-
tive Council, le gouvernement estima nécessaire de
prendre une ordonnance sur les diverses questions qui
pouvaient se poser au point de vue foncier en matière
de mines, et il proposa un texte dont les dispositions
principales étaient que toute personne désirant pros-
pecter des terrains dans la Colonie ou le Protectorat
devait demander au gouverneur une licence dans ce
but, licence qui pouvait être refusée sans explications.
Lorsque les terres à prospecter étaient la propriété
LE RÉGIME FONCIER 20^
d'une communauté indigène, la licence devait être
adressée au Commîssioner du district pour être sou-
mise à l'approbation des chefs; toute personne dési-
rant louer des terrains dans le but d'y pratiquer une
exploitation minière devait en faire la demande au gou-
verneur, qui pouvait refuser cette location ou approu-
ver un bail fait par une communauté indigène, sans
donner les raisons de son refus; un droit était prélevé
par le gouvernement, et dans ce but tout droit de con-
trôle lui était donné sur les comptes de l'exploitant.
Pour le même motif, les concessionnaires devraient
employer dans leurs mines autant de travailleurs que
le gouverneur le jugerait nécessaire.
Cette ordonnance, dont l'une des principales caracté-
ristiques était de permettre au gouverneur de refuser,
sans appel et sans explications, les concessions minières
qui pouvaient être accordées par les chefs, ne devait
pas passer devant le Legisleftive Council sans provo-
quer les protestations des membres indigènes, et la
discussion suivante, que nous croyons devoir repro-
duire parce qu'elle est très caractéristique, s'engagea
à son sujet dans la séance du mois de mars 1905* :
L'hon. g. Sapara Williams (indigène). — « Je demande
le rejet de la seconde lecture du Bill. Ce Bill touche à
des questions de la plus haute importance.
« Ce Bill attribue en fait l'octroi et le contrôle des
licences en matière de mînes^ dans le protectorat, au
gouverneur ou au conseil. Je considère que, dans son
ensemble, il outrepasse les droits du conseil. Sa Ma-
jesté n'a pas, par traité, capitulation, accord, usage, tolé-
^ 1. Lagos Gov. Gaz.
14
210 LAGOS
rance ou autres moyens légaux, obtenu la possession
des terres, des mines ou des minerais qui sont dans le
protectorat.
« On demande aux indigènes d'accorder des licences ;
mais en ce qui concerne Taffectation du produit de ces
licences le Bill reste muet. Il est bien évident que Sa
Majesté ne peut élever et n'a jamais élevé aucune pré-
tention sur des revenus ou redevances qu'elle ne peut
revendiquer légalement. Le Conseil a-t-il le droit de
promulguer une loi concernant la cession des terres
indigènes dans l'intérieur? Ces points n'ont-ils pas
déjà été réglés par ses traités? Si nous acceptons
telles quelles les dispositions de ce Bill, nous allons à
rencontre de ces traités, nous prenons indirectement
la totalité des terres à leurs propriétaires pour les
remettre au gouvernement.
« Ce mot de protectorat a reçu une interprétation de
l'autorité légale la plus élevée en Angleterre. Le Solli-
citor General, à l'occasion d'une question posée à la
chambre des Communes, déclara nettement que c'était
dans un but de bonne administration que ces régions
avaient été transformées en Protectorat, c'est-à-dire
que l'objet du gouvernement avait été de contrôler les
relations extérieures de ces peuples, et non d'interve-
nir dans leur administration intérieure. Je ne vois pas
ce Bill sans quelque souci, et aucun jusqu'à présent ne
m'a causé une anxiété plus grande. »
L'honorable docteur Johnson (indigène). — « Je sou-
tiendrai cet amendement, car je considère que ce Bill
soulève beaucoup d'objections, spécialement dans cer-
tains de ses articles. Ce Bill ne peut s'appliquer prati-
quement qu'aux régions de l'intérieur situées en dehors
LE RÉGIME FONCIER 211
de la colonie, et celles-ci ne sont réellement pas sous
la juridiction de Lagos. G*est pourquoi j'ai voté contre
la présentation de ce Bill en première lecture.
« On pourrait appeler pittoresquement ce Bill « une
« ordonnance faite pour dépouiller le peuple de ses
« terres ». Cette expression sonne dVme façon plutôt
brutale, mais elle exprime bien les faits, car nous légi-
férons ici sur des terres sans Tavis ni le consentement
de leurs propriétaires. Ceux-ci apprendront un jour,
en se réveillant, qu'ils ont perdu tous droits sur leurs
propres biens, que des lois ont été édictées à leur sujet
pouvant entraîner pour eux de la prison et des amen-
des; que des individus peuvent venir, on ne sait d'où,
avec le pouvoir d'exploiter leurs propriétés avec ou
sans leur consentement; qu'ils ne peuvent plus, dans
l'avenir, faire usage des minerais qu'ils possèdent, sans
une licence qui peut d'ailleurs leur être retirée; que
ceux de leurs fils qui ont été élevés à l'étranger ne
peuvent exploiter le sous-sol des terres de leurs pères
qu'avec une permission spéciale; qu'à la vérité quel-
que compensation peut leur être accordée, mais que
celle-ci sera déterminée par le pouvoir même qui les
dépouille de leurs biens, etc. Pour si ignorant que soit
ce peuple, l'opinion qu'il va se former de cette ques-
tion sera correcte dans son ensemble, et tout le monde
ne peut que partager le sentiment qu'ont ces nègres
d'avoir été déjà dépouillés de leur héritage.
« Une des raisons sur lesquelles on s'est appuyé
pour rédiger cette ordonnance est, d'après ce que l'on
nous a dit lors de la première lecture, que des syndi-
cats ont été formés en Angleterre pour prospecter la
région et que ce Bill a été fait pour les protéger. Mais
212 LAGOS
il y a déjà eu des prospecteurs autrefois dans cette
région ; les chefs et la population leur ont donné toutes
facilités; nous n'avons jamais entendu de plaintes.
Pourquoi alors demande-t-on une législation spéciale
pour les nouveaux venus? On ne peut s'empêcher de
penser que l'on médite des actes que désapprouve-
raient les propriétaires des terres, et que c'est pour
éviter leur opposition que l'on donne l'administration
de leurs biens au gouvernement de Lagos.
(c Une seconde raison qui a été donnée en faveur de
cette ordonnance est qu'un Bill de cette nature est en
vigueur dans la Southern Nigeria et qu'il est à souhai-
ter d'en voir un semblable fonctionner ici. Je dois pro-
tester contre cette idée que ce qui est bon pour la Sou-
thern Nigeria l'est nécessairement aussi pour nous. Nous
représentons des populations complètement différentes.
En dehors du Bénin, qui fait en réalité partie du pays
yoruba, nos traditions et nos aspirations ne sont pas les
mêmes : nous n'avons rien de commun; ici nous som-
mes plus homogènes. Votre Excellence éprouvera, je le
crains, de grandes difficultés à coordonner les tendan-
ces divergentes des tribus agglomérées du Delta qui
forment la Southern Nigeria ; mais quant à ce qui est de
les assimiler aux Yorubas, autant essayer d'assimiler les
Celtes et les Teutons. Il en est évidemment autrement
avec la Northern Nigeria; mais dans la Southern Nigeria
bien des choses pourraient être ébranlées par un essai
de ce genre, et en fin de compte l'assimilation se trou-
verait plutôt reculée qu'avancée après cette tentative.
« Le Bill ne fait aucune différence entre les indigè-
nés et les étrangers au point de vue de la prospection
et de Texploitation des mines, et il semble bien qu'un
LE RÉGIME FONCIER 213
indigène ne puisse se livrer à Tune ou à l'autre de ces
deux occupations, sur les possessions de son père, sans
une licence qui peut lui être retirée.
« Depuis un temps immémorial, notre peuple a
exploité lui-même ses minerais de fer et forgé des ins-
truments de fer et d'acier pour les usages domestiques
et autres. Ce Bill nous empêchera d'exploiter nos mines
de fer à l'avenir, puisque le fer est compté parmi les
minerais.
« Les prospecteurs et les mineurs, nous devons le
reconnaître, sont bien protégés par cette ordonnance,
si nous en jugeons parties nombreux articles entraî-
nant des pénalités contre quiconque enfreindrait les
règles qui les protègent ; mais nulle part nous ne trou-
vons mentionnés de châtiments contre les mineurs ou
adjudicataires^ qui inquiéteraient ou outrageraient les
populations et outrepasseraient la limite de leurs pri-
vilèges, et nous savons tous quelle sorte de gens sont
les mineurs.
« Pour ces raisons diverses, je soutiendrai l'amende-
ment. »
L'hon. C. J. George (indigène). — « Il serait superflu
de ma part d'ajouter quoi que ce soit aux arguments
des orateurs précédents. Le Bill indique clairement
que les indigènes n'ont aucune protection à attendre.
C'est pourquoi je m'allie à la motion des honorables
membres du conseil. »
L'hon. Acting Colo>'ial Secketary. — « Je ne puis
m'empêcher de penser que les membres du conseil
regardent le Bill avec méfiance. Mais considérez le
titre du Bill : « Bill réglant l'octroi de licences pour la
« protection et l'exploitation des mines. » C'est là le but
214 LAGOS
du Bill. Il n'atteint nullement les droits des proprié-
taires. La moindre démarche ne peut être entreprise
sans le consentement des propriétaires de terre. Je
vois ce qui cause l'inquiétude de ces messieurs. C'est
l'article portant qu'à partir de la promulgation de cette
ordonnance, personne ne pourra, sans une licence
accordée par le gouverneur, prospecter sur des terres
appartenant au gouvernement, ou à une communauté
indigène.
« Le Bill n'atteint en rien la propriété privée. Il n'a
rapport qu'aux terres de la Couronne et aux terres
communes.
« Si cela est nécessaire pour donner satisfaction aux
membres du conseil, nous pouvons leur donner des
éclaircissements. On a dit que c'était là un Bill de
protection pour les mineurs. Il n'en est rien. Ce Bill
doit, au contraire , nous permettre de les tenir en
mains. L'honorable orateur a rappelé que la Couronne
n'a aucun droit sur les terres des indigènes et que les
droits de ceux-ci ont été garantis par des traités. Les
honorables membres du conseil savent pertinemment
que des centaines d'aventuriers sont allés trouver ces
chefs indigènes et, en imposant à leur ignorance, ont
réussi à prendre pratiquement possession d'une énorme
quantité de terres, ce qui, une fois ce Bill en vigueur,
leur deviendra absolument impossible. Cette ordon-
nance a été faite pour sauvegarder les droits des pro-
priétaires de terres et pour les mettre à même d'obtenir
une juste compensation pour les concessions qu'ils
accordent. J'espère que le conseil ne refusera pas de
prendre en considération une mesure ainsi comprise. »
Le Gouverneur. — « Cette loi a été conçue dans le
LE RÉGIME l^ONCIER 215
t
désir, de la part du gouvernement, de donner à ce pays
les sauvegardes qui ont été reconnues nécessaires dans
tous les pays, tant pour les indigènes que pour les
capitalistes qui viennent exploiter les mines. Vous
devez tous bien connaître des exemples de terres de
grande valeur minière qui ont été concédées par des
chefs indigènes pour des compensations tout à fait
insuffisantes. C'est ce que nous voulons prévenir.
Aucune licence pour prospecter ou exploiter des mines
ne pourra être accordée sans le consentement des
chefs indigènes, mais en même temps le gouvernement
ne permettra à aucun Européen ou étranger d'exploi-
ter des mines sans s'assurer que les concessions faites
ont été raisonnablement payées.
(( La Gold Coast possède actuellement des mines
d'or. On ne peut exploiter une mine d'or sans d'énor-
mes avances de capital. Supposons que l'on découvre
ici des filons aurifères; quel entrepreneur viendrait
les exploiter si des dispositions légales ne lui donnent
pleine sécurité. Il ne peut exploiter l'or qu'autant qu'il
a obtenu le consentement du gouvernement et des
chefs dans des conditions déterminées. Il est ainsi
garanti contre tout changement d'avis des chefs indi-
gènes ou du gouvernement. Je crois savoir qu'un agent
est arrivé par le paquebot d'aujourd'hui pour le compte
d'un syndicat qui veut exploiter un dépôt de bitume
dans le district d'Ondo. Personnellement je serai tou-
jours opposé à l'octroi de concessions pour l'exploi-
tation du bitume avant de m'être assuré qu'il peut être
exploité avec succès, et l'on n'accordera aucune per-
mission pour entreprendre des travaux avant que les
chefs aient signifié leur désir de voir en accorder la
216 LAGOS
permission. Mais cette permission une fois accordée
à une compagnie, quand cette compagnie aura fait de
grandes dépenses de machinerie, la simple équité '
veut qu'elle soit sauvegardée dans Texercice d^ ses
droits aussi longtemps qu'elle se comportera légale-
ment.
« Cette ordonnance doit la protéger, et en même
temps encourager l'introduction des capitaux dans ce
pays, où ils peuvent être utiles. »
Devant ces observations, l'honorable C. A. S. Wil-
liams retira sa motion, et le Bill passa en seconde lec-
ture.
Nous verrons du reste comment, après le départ de
Sir William MacGregor, le gouvernement parut décidé
à prendre les mesures qui lui paraîtraient nécessaires
à tous les points de vue, sans s'arrêter beaucoup à ce
que les indigènes pourraient en penser tout d'abord.
CHAPITRE XVII
LAGOS
Les droits d'octroi.
En Afrique occidentale, avant Toccupation euro-
péenne, la plupart des chefs indigènes percevaient des
droits sur les marchandises qui entraient dans leur
ville ou leurs territoires. Ces droits formaient une par-
tie importante de leurs revenus.
Dans les colonies françaises,. notre administration
ayant pris à sa charge les dépenses d'utilité publique,
il nous parut qu'il n'y avait pas lieu d'autoriser le
prélèvement de ces taxes; nous estimâmes également
que le droit que pouvaient avoir les chefs à percevoir
des impôts à leur profit disparaissait, du fait que nous
avions substitué notre autorité à la leur.
Sir W. MacGregor pensa que la question devait se
poser différemment à Lagos, où le gouvernement
anglais avait laissé aux chefs toutes leurs attributions
et toutes leurs prérogatives.
Les premiers commerçants européens qui s'établirent
dans le Yoruba, notamment à Abeokuta, payèrent sans
difficulté aux chefs, pendant un certain temps, les som-
mes que ceux-ci leur demandaient comme droits' d'entrée
dans leurs territoires. Lorsque le chemin de fer parvint
à Ibadan, le gouverneur peiïsa qu'il y avait lieu de
régulariser cette perception et de s'en servir pour
218 LAGOS .
alimenter les budgets des communautés indigènes que
venait d'organiser la « Town Gouncil Ordinance ».
En mars 1903, Sir W. MacGregor, visitant TAlafin
d'Oyo, l'informa que les commerçants euçopéenà s'é-
taient plaints des droits perçus par les chefs yorubas
sur les indigènes qui traversaient leurs villes en trans-
portant des marchandises. Il y avait lieu d'encourager
les relations entre la Nigeria du Nord et Lagos. L'A-
lafin serait bien avisé de cesser la perception de ces
droits, ainsi que TAlake d'Abeokuta et le Baie d'Ibadan
avaient promis de le faire.
L'Alafin répondit que le commerce de transit, presque
entièrement entre les mains des Gambaris et des Fou-
las, était assez insignifiant, et qu'il était tout prêt à y
renoncer, s'il était ppssible de faire une distinction
entre les marchandises de transit et celles qui devaient
être consommées sur place.
Le gouverneur lui expliqua que ce n'était là qu'une
affaire d'organisation, et que si les marchandises en
transit étaient ainsi détaxées, il ne verrait pas d'incon-
vénient à ce que des droits {tolls) fussent perçus sur les
denrées destinées à la vente locale. L'Alake d'Abeokuta,
ajouta-t-il, qui était un législateur très avisé, n'avait
pas fait de difficultés pour consentir à la chose, et les
chefs d'Ibadan avaient été autorisés à percevoir des
« tolls » dans les mêmes conditions, pourvu que le taux
en fût approuvé par leur conseil. De même qu'il avait
permis à l'Alake d'entretenir une force de 20 hommes
pour assurer le payement de ces droits, de même il
autoriserait l'Alafin à avoir 40 hommes de police pour
garder les routes de Saki et d'Ibadan à Ogbomosho.
Le Government Gazette annonça en avril que l'Alafin
LES DROITS d'octroi 219
d'Oyo, le Baie d'Ibadan et l'Alake d'Abeokuta avaient
supprimé les <c tolls » sur les marchandises en transit.
Le 3 avril, le conseil d'Ibadan prit une décision
signée par le Baie et le résident anglais (capit. Elgee)
déclarant que les commerçants européens payeraient
au même titre que les indigènes des « tolls » sur les
marchandises vendues ou achetées par eux dans le
territoire d'Ibadan.
Cette décision plongea les maisons européennes dans
la plus profonde stupéfaction. En demandant la suppres-
sion des « tolls » sur les denrées qui transitaient entre
la côte et l'intérieur, elles n'avaient point songé qu'en
compensation le gouvernement reconnaîtrait définiti-
vement l'établissement de droits d'octroi sur les mar-
chandises importées par elles dans les villes situées
sur la ligne de chemin de fer.
Estimant qu'il était impossible d'obtenir directement
du gouverneur l'abolition de ces nouveaux droits, la
Chambre de commerce de Lagos demanda télégraphi-
quement à la section africaine de la Chambre de
commerce de Liverpool, d'agir auprès du Colonial
Office pour qu'il n'approuvât pas l'établissement des
« tolls » avant d'avoir reçu le rapport qu'elle avait ré-
digé sur ce sujet.
Les principales objections que présentait la Cham-
bre de commerce dans ce mémorandum étaient ainsi
formulées* :
<c L'idée première des chefs sera de s'approprier
personnellement les sommes considérables qu'ils per-
cevront par application des tolls. Ils seront fatalement
1. W, A., 18 juillet 1903, n« 135.
220 LAGOS
tentés de pressurer les petits commerçants, qui ne sau-
ront comment se défendre. La perception des « toUs »
est, du reste, contraire aux traités passés par les Egbas,
qui portent que l'Angleterre reconnaîtrait leur indépen-
dance tant qu'ils ne mettraient pas d'obstacles au com-
merce- L'argent que les chefs ne dépenseront pas sera
gaspillé en dépenses administratives inutiles. Il ne
s'agît pour le moment, peut-on penser, que d'Ibadan ;
mais il n'y aura pas de raisons pour ne pas autoriser
de la même manière la perception de « toUs » dans les
autres villes, et l'on peut se demander à quoi aura
servi l'expédition des Jebus, qui avait surtout pour but
d'abolir les droits perçus par les chefs de ce pays et
d'élablîr la liberté du commerce.
« Le taux des droits n'ira qu'en augmentant, comme
cela a eu lieu à Abeokuta, où ils ont été triplés depuis
trois ans. Il y a, du reste, les plus graves inconvénients
à autoriser les chefs indigènes à se constituer de petits
royaumes. Déjà le gouvernement leur a donné le droit
de prélever des rentes formidables sur les terrains qu'ils
louent aux commerçants, et il est difficile de ne pas
s'apercevoir que de plus en plus ces chefs prennent
des pouvoirs qu'ils ji'avaient pas autrefois. Si l'on veut
leur donner de l'argent pour leur permettre de satis-
faire eux-mêmes aux dépenses de leurs provinces, le
mieux est de leur accorder des subsides sur les fonds
du budget même de Lagos. »
La Chambre de commerce de Liverpool demanda
aussitôt au Secrétaire d'État une audience qui lui fut
accordée et à la suite de laquelle il fut câblé à Lagos
de suspendre Tapplication des « tolls » jusqu'à nouvel
ordre.
LES DROITS D OCTROI 221
L'attitude des Chambres de commerce offrait cela de
particulier d'être contraire à Topinion qu'elles avaient
professée jusqu'à ce jour au sujet de l'indépendance
des chefs et de l'intervention du gouvernement dans
l'administration indigène.
Elles avaient toujours estimé que l'Angleterre devait
se borner à fortifier Tautorité indigène. Lorsque Sir
W. MacGregor avait voulu réglementer le régime fon-
cier et forestier, elles s'y étaient opposées en disant
que cela porterait atteinte à des droits qui devaient être
respectés ; et lorsqu'il avait établi un certain contrôle
auprès des chefs, elles avaient déclaré que ces chefs
devaient rester indépendants et libres de légiférer chez
eux comme ils l'entendraient. Maintenant que les inté-
rêts de leurs membres étaient plus directement enjeu,
les Chambres trouvaient que cette liberté pouvait avoir
des inconvénients, et les chefs cessaient d'être, à leurs
yeux, les personnages intègres qu'elles avaient défendus
jusque-là.
La « West African Trade Association », qui protesta
également contre les « toUs », ne fut pas d'avis de les
remplacer par une élévation de droits de douane ; elle
déclara que la conséquence la plus certaine de cette
élévation serait qu'une partie du commerce dériverait
sur Porto Novo. Elle proposa deux solutions : on pour-
rait, au moment de leur chargement sur le chemin de fer
à Lagos, prélever des droits sur les marchandises qui
seraient destinées aux villes yorubas, ou bien, comme
cela avait lieu autrefois à Porto Novo, on pourrait ne
faire payer les « toUs » aux marchandises qu'à la sortie
des factoreries, alors qu'elles seraient emportées par
les indigènes.
222 LAGOS
Le West African Mail estima que le conflit était
déplorable. Il se rendit bien compte que c'était le
principe même de l'autorité des chefs qui était enjeu,
et il craignît que Tan ne réduisît leurs pouvoirs s'ils
apportaient quelque gène au commerce. Il estimait qu'il
était nécessaire que les chefs eussent des ressources
pour alimenter leur budget; mais, pour éviter les diffi-
cultés que des taxes indigènes feraient naître, il fallait
que ce fût le gouvernement anglais qui leur fournît
l'argent nécessaire.
Sir William MacGregor restait cependant fermement
partisan des « tolls » et fît, à la séance du Législative
Gouncil du 4 juin, les déclarations suivantes* :
« Il y a deux ou trois ans, les « tolls » d'Abeokuta ont
été réglementés à l'avantage de tous, sans difficulté et
sans protestation. Le produit en a été employé à cons-
truire des routes, des ponts, des prisons. On n'agit
donc pas dans le noir en régularisant les « tolls » d'I-
badan. Du reste, les « tolls » ont toujours existé, et l'on
n'établit rien de nouveau. Les chefs d'Ibadan, d'Abeo-
kuta et d'Oyo ont été d'accord pour supprimer les « tolls »
sur les marchandises en transit. A mon sens, cette
concession est une des mesures qui prouvent le plus en
faveur de ces chefs, et personnellement, ainsi qu'en tant
que gouverneur, je leur en suis reconnaissant, surtout
à l'Alake qui a été le premier à la prendre. Il me semble
que ces grands chefs, tout en s'occupant des affaires
intérieures de leurs provinces, reconnaissent ainsi la
solidarité de l'ensemble des territoires, et montrent
qu'ils sont préparés à sacrifier quelque chose de leur
1. W. A., n» 14.
LES DROITS d'octroi 223
propre province pour le bénéfice du pays tout entier.
J'étais persuadé que les commerçants de Lagos recon-
naîtraient leur générosité et leur en seraient reconnais-
sants; il ne semble pas qu'il en soit ainsi. Au reçu du
télégramme du Secrétaire d'Etat, j'ai demandé au Baie
et au Gouncil d'Ibadan de ne pas percevoir la taxe;
mais je suis sûr que cela a causé des troubles, et j'es-
père que le Secrétaire d'Etat permettra la perception
des « toUs ».
a L'administration provinciale n'est possible qu'entre
les mains des autorités indigènes, et la perception des
« toUs » est la seule manière de leur procurer les fonds
qui leur sont nécessaires. »
La décision du Secrétaire d'Etat avait été, en effet, très
mal accueillie par les indigènes.
Le 15 juin, un grand palabre eut lieu à Ibadan pour
protester contre la suspension de la perception des
« tolls ».
Le Lagos Weekly Record en publia un compte rendu
qui, d'après les renseignements que nous avons pu
recueillir à Ibadan même, fut exact. Il est intéressant
d'en rapporter les termes principaux, comme caracté-
ristiques de l'état d'esprit des Yorubas.
Lecture fut d'abord donnée par le « town clerk » du
message du Baie.
Celui-ci regrettait d'être empêché par ses infirmités
d'assister au palabre. « Les marchands, disait-il, sont
les amis du peuple d'Ibadan; mais ils défendent ce
qu'ils croient être leurs intérêts. Leur façon d'agir en
la circonstance est un tour de commerce, une ruse
d'homme d'affaires. Ils voudraient nous « mettre de-
dans », mais nous devons leur montrer que nous ne
224 LAGOS
sommes pas fous. En exécution des traités, nous avons
bien reçu les commerçants; nous les avons protégés.
Par loyauté pour le Roi (d'Angleterre), que n'avons-nous
pas souffert, en proportion des avantages que nous a
procurés le nouvel état de choses ! Nos esclaves et nos
femmes nous ont abandonnés, et nos enfants sont passés
en terre étrangère pour gagner davantage. Et cependant
nous avons fait instruire nos enfants pour pouvoir les
employer dans notre pays. Nous avons demandé aux
marchands de payer (comme impôts) une petite partie
des bénéfices qu'ils font en commerçant avec nous. Ils
n'ont pas répondu, mais nous ont mis dans le noir en
télégraphiant au Secrétaire d'Etat de nous défendre de
percevoir les droits d'octroi. Nos pères ont toujours
perçu ces droits, et on en perçoit dans le monde entier.
Nous avons désiré faire de même pour pouvoir amé-
liorer la ville, sa police, son administration. Les com-
merçants qui ne voudraient pas les payer n'auront qu'à
quitter la ville. »
Le Baie terminait en demandant que la discussion
fût limitée à la question des « tolls » et qu'elle eût
lieu dans le plus grand calme. Tout ce qui serait dit
serait communiqué au gouverneur pour être transmis
au Secrétaire d'État, en qui le Baie avait pleine con-
fiance.
L'Otum Baie prit ensuite la parole :
c( On nous considère comme fous, et c'est la faute
du pouvoir souverain : le pouvoir anglais. Nous ne
devons pas nous rendre. Tout le monde paye des
impôts. Nous voulûmes en percevoir lorsque les blancs
s'établirent pour la première fois dans le pays. Le
gouvernement anglais nous demanda d'attendre. Nous
LES DROITS d'octroi 225
avons maintenant besoin d'argent. Les commerçants
doivent payer en échange des services rendus. »
Le chef de guerre parla ainsi à son tour :
« Lorsque les blancs arrivèrent, ils virent que nous
étions des soldats. Ils nous dirent que le gouvernement
anglais ne tolérerait pas les pillages, que nous devions
changer de mode de vie et nous adonjier à l'agriculture
et au commerce, que d'autres blancs viendraient pour
commercer avec nous et que nous devions les protéger,
que tout le monde en profiterait. II y a onze ans de cela.
Inutile de vous rappeler les souffrances qui ont suivi
et les changements qui ont été apportés à l'ancien
état de choses. Il me suffit de dire comment nous
avons tout supporté avec résignation. Nous avons
voulu observer loyalement le traité que nous avions
passé. Puis le chemin de fer vint, et avec lui les com-
merçants. Nous les protégeâmes. Le Baie et le conseil
proposèrent de mettre des droits d'octroi sur leurs
marchandises. Le gouverneur donna à cela son assen-
timent; on devait commencer la perception le premier
du mois, et tout d'un coup nous avons appris que le
Secrétaire d'État avait câblé pour dire de retarder le
commencement de la perception. Après enquête, nous
avons appris que c'étaient les marchands d'Ibadan qui
avaient réclamé contre les « tolls ». Nous ne savons
pas quel mal nous leur avons fait.
« Nous avons réuni ce palabre pour que chacun
puisse donner son opinion sur ce sujet.
« Les commerçants disent que 9 pence par caisse de
gin est un droit trop élevé, et que si on nous permet-
tait de percevoir des droits d'octroi il faudrait réduire
ce taux. Le gin ne fait pas de bien. Nous avons appris
15
226 LAGOS
qu'il y avait des régions où les hommes mouraient
de trop boire. Nous avions notre alcool qui nous suffi-
sait avant qu'ils apportent leur poison. Nous ne rédui-
rons pas le droit d'un cauri.
« Cette réunion est publique. Si quelqu'un a à parler,
laissez-le dire. »
Gomme persoçine ne prenait la parole, le chef de
guerre continua :
« Nous serions heureux de connaître, avant de voter,
ce que les chrétiens indigènes ont à dire... Les com-
merçants n'auraient pas agi comme ils l'ont fait, n'était
notre loyauté envers le Roi (d'Angleterre). Nous leur
avons donné toute facilité de commercer, et maintenant
ils protestent. Quels gens étranges sont ces commer-
çants ! Ils ne se sont pas conduits avec nous comme il
convient de le faire entre amis. Nous avons une cause
juste, et il nous suffit de nous en remettre à celui qui
juge en silence. Le moment viendra où ceux qui trou-
vent qu'il n'est pas opportun de payer l'impôt trouve-
ront qu'il est opportun de quitter la ville. »
M. Joseph Adegini (senior), délégué des indigènes
convertis au christianisme, parla ensuite dans le même
sens.
« ...Les chefs et les indigènes d'Ibadan, qui ont cessé
leur vie de guerriers, ont eu depuis à endurer bien des
choses. Ils avaient acquis de nombreux esclaves et
beaucoup d'argent. Dans ces jours d'autrefois, il n'y
avait pas d'habitant à Ibadan qui sût ce qu'était la pau-
vreté, mais maintenant les temps sont changés. Les
captifs ont quitté leurs maifres; les enfants ne s'oc-
cupent que d'eux-mêmes, et non de leurs parents. La
ville doit être améliorée, une police entretenue, etc.
LES DROITS d'octroi , 227
Les ressources nécessaires ne peuvent être trouvées
que dans la perception des « toUs » ; ceux qui ne veu-
lent pas les payer ne sont pas des sujets fidèles : cha-
cun doit payer les impôts du pays où il est né, ou bien
où il séjourne; ceux qui ne veulent pas le faire n'ont
qu'à s'en aller. »
Le Rév. J. Okriseinde fut du même avis.
« Est-ce un crime d'essayer de suivre ceux qui sont
en avant? Nous est-il défendu d'améliorer l'état de nos
villes? Nous désirons les marchands (le Balogun, inter-
rompant : « Nous leur donnerons une cordiale bien-
venue et leur assurerons de bons emplacements pour
leurs comptoirs »), mais ils doivent contribuer à payer
les dépenses dont ils profitent. »
Personne ne demandant plus la parole, les résolu-
lions suivantes furent votées :
« 1® Le meeting ayant appris avec déplaisir la sup-
pression de la perception des « toUs » causée parles ins-
tances des Chambres de commerce de Liverpool et de
Manchester, désapprouve une intervention si contraire
aux coutumes qui ont existé depuis des temps immé-
moriaux, et pense qu'il est bon de protester énergique-
ment contre la mesure actuelle, qui est si néfaste aux
intérêts de la ville.
« 2® Les droits d'octroi (toUs) sont nécessaires, sur-
tout actuellement, pour une meilleure organisation de
la police qui est destinée à protéger les habitants de la
ville, et les commerçants eux-mêmes, pour l'assainis-
sement et pour de nombreuses autres améliorations
publiques étudiées pour le plus grand bien des chefs et
du peuple.
« 3*^ Le meeting prie donc humblement Son Excellence
228 LAGOS
le gouverneur de Lagos de représenter ses plaintes au
Secrétaire d'État, et le prie, en outre, très respectueu-
sement de ne pas approuver la demande de suppres-
sion des. droits d'octroi à Ibadan. »
La surexcitation dont ces discours sont l'indice
était d'autant plus grande chez les chefs que la percep-
tion des. « tolls » sur les marchandises européennes
n'était pas simplement, pour eux, un moyen de se pro-
curer des ressources, mais surtout de manifester leur
indépendance.
Ils n'avaient point voulu accepter de recevoir des
subventions du gouvernement anglais à la place des
(c tolls ». Le droit de percevoir des impôts est le privi-
lège de la souveraineté, et il devait paraître précieux à
ces chefs de pouvoir prélever des taxes sur ceux-là
mêmes qui étaient censés les dominer. Ils établissaient
ainsi d'une manière incontestable leur droit de se con-
duire en maîtres dans leur pays.
Pour bien montrer que c'était là leur prétention, ils
prirent toute une série de mesures significatives.
C'est ainsi que le 26 mars 1903* parut une circulaire
de l'Egba United Government émanant du « Govern-
ment Secretariate » d'Abeokuta et portant défense de
vendre des terres ou des constructions à d'autres qu'à
des natifs du pays, tous baux devant du reste être visés
par le Secrétaire du gouvernement, et défense (aux
Européens?) de saisir pour dettes les biens, meubles,
ou immeubles, des commerçants (indigènes?).
En juillet, l'Alake d'Abeokuta' fit appeler devant lui
1. H'^.A. M.y nM6.
2. W, A, M., n- 20.
LES DROITS d'octroi 229
le « Railway Commissioner » et les quatre agents des
principales maisons établies aux portes de la ville : J.
Holt, Gaiser, Peterson and Zachonis, Lagos Store Ld.
Il les informa qu'il avait ordonné aux indigènes de ces-
ser tout commerce avec les Européens qui protestaient
contre les perceptions des « toUs ». Le « Commissioner »
demanda à TAlake de rapporter cet ordre,, ce qui fut fait
le jour suivant; mais, le lundi d'après, TAlake informa
le Commissioner et les agents que les traitants indi-
gènes avaient décidé d'eux-mêmes d'interrompre tout
commerce avec Lagos, à moins que les agents ne cessas-
sent leurs manœuvres contre les « tolls » et ne signas-
sent une déclaration dans ce sens.
Les agents refusèrent naturellement de signer, et le
Railway Commissioner reçut du gouverneur Tordre de
ne pas se mêler de l'afTaire. .
Au Colonial Office on parut d'abord se ranger à l'avis
des Chambres de commerce, surtout, semble-t-il, parce
qu'on craignait d'approuver d'une manière nette les
velléités d'indépendance des chefs et les prétentions
qu'ils émettaient d'avoir le droit de prélever des
impôts. Il semble que l'on sentait aussi que ces pré-
tentions n'étaient que la conséquence de la politique
que l'on avait adoptée dans le Protectorat, et que les
combattre ouvertement serait inaugurer une nouvelle
manière d'agir contre laquelle les chefs s'insurge-
raient très probablement. Ce serait rouvrir l'ère des
conflits. Enfin le gouverneur de Lagos se prononçait
très nettement en faveur des « tolls », et cette considé-
ration seule, suivant une tradition chère à la politique
anglaise, devait suffire à fixer définitivement l'avis du
Secrétaire d'Etat.
230 LAGOS
Son înterventîon devait cependant sauvegarder le
droit de contrôle du gouvernement anglais.
Le 14 juillet* 1903 il informa les Chambres de com-
merce que Sir W. MacGregor lui avait répondu que les
chefs se refusaient à recevoir des subsides en place de
« toUs ». Des concessions étaient faites cependant par
les chefs. On nommerait à Abeokuta et à Ibadan un con-
trôleur européen, et les comptes des recettes et des
dépenses du gouvernement indigène seraient publiés
annuellement. Les « tolls » ne seraient pas augmentés
sans l'assentiment du Secrétaire d'État. La détaxe des
produits en transit serait assurée, et des drawbaks
seraient accordés aux marchandises réexportées. Les
« tolls » ne seraient perçus qu'une fois dans la même
province sur les mêmes marchandises.
Les Chambres de commerce de Liverpool et de Man-
chester eurent beau faire de nouveau des objections au
principe même des « tolls » et dire que les gouverne-
ments de la Nigeria du Nord et du Sud devaient être
consultés en la matière, car ce pouvait être là un fâcheux
précédent, toutes les villes de l'intérieur pouvant émet-
tre la prétention de percevoir ainsi des droits d'octroi,
le Secrétaire d'Etat se refusa à recevoir de nouvelles
députations et ordonna la perception des tolls, sous les
réserves que nous venons d'indiquer. 11 ne pouvait y
avoir, disait-il, de danger à voir cette mesure se géné-
raliser, parce que les autres Protectorats de l'Afrique
occidentale n'étaient pas dans la même situation poli-
tique que celui de Lagos*.
1. W. A. 3/., 17.
2. Lettre du 17 juillet 1903 du Secrétaire d'Élat à la Chambre de com-
merce de Liverpool. H\ A., 15 août 1903, n* 139.
LES DHOITS d'octroi 231
Au début, cette perception ne se fit pas sans froisse-
ment et fut assez mal organisée. Les commerçants re-
prochèrent au Baie et à TAlake d'élever les droits sans
l'assentiment du Secrétaire d'Etat et de prélever ces
droits plusieurs fois sur les mêmes marchandises. A la
suite d'une plainte de la Chambre de commerce de
Liverpool, le Secrétaire d'Etat promit de faire une en-
quête, et les choses furent enfin régularisées.
Le 11 janvier 1904, un numéro extraordinaire de la
Government ^a^a/^c de Lagos publia de nouveaux règle-
ments sur les « toUs », en les faisant précéder de la
déclaration suivante du « Colonial Secretary » :
« Le gouvernement communique, pour être portés à
la connaissance du public, les règlements revisés en
matière de perception des droits d'octroi et le tarif
revisé de ces droits, règlements et tarifs qui émanent
de l'Alake et des conseils d'Abeokuta et du Baie et
du conseil d'Ibadan et qui sont*sanctionnés par le
très honorable Secrétaire d'Etat pour les colonies.
L'attention est appelée sur les points suivants : les
tarifs revisés entrent en vigueur le 25 du mois cou-
rant; les alcools qui dépassent le « strength of
proof » peuvent être importés à Ibadan ou à Abeo-
kutâ; les droits sur les alcools seront de 9 pence par
gallon; les « tolls » sur les produits indigènes sont
abolis. »
Les règlements et tarifs sont les mêmes pour Abeo-
kuta et Ibadan.
Les règlements portent obligation de faire entrer les
marchandises par des points déterminés où sont établis
des postes d'octroi, droit de visite des officiers des
tolls, établissement de pénalités pour les fraudeurs
232 LAGOS
(amende ne dépassant pas £100 ou emprisonnement ne
dépassant pas six mois avec travaux forcés).
Tous les litiges en matière de « tolls » et les pour-
suites pour fraude seront de la compétence du tribunal
spécial nommé par le Baie ou TAlake en conseil. Appel
peut être fait devant le Baie ou TAlake en conseil.
Les marchandises ou produits ne faisant que traver-
ser les territoires d*Abeokuta ou d'Ibadan circulent en
franchise, et les marcliandises réexportées bénéficient
d'un drawback.
Les produits médicinaux, les denrées introduites par
les missionnaires pour leur propre usage, ainsi que les
marchandises devant être employées à des secours cha-
ritables ou servir de matériel scolaire sont détaxées,
ainsi que celles qui sont destinées aux gouvernements
locaux, au gouvernement anglais ou à Tusage personnel
des fonctionnaires anglais.
Sont interdites leh importations d'alcool oifer proof
(Sylkes Hydrometre) ou qui contiennent plus de 9,50
p. 100 de « fusel-oil », les fausses monnaies, les articles
obscènes, les animaux ayant des maladies contagieuses
et les armes et munitions dont l'importation est défen-
due à Lagos.
Seuls les objets tarifés sont taxés. Les produits
indigènes et, entre autres marchandises européennes,
la poudre, entrent en franchise.
Les principaux produits taxés sont les suivants :
Alcools 9 deniers le gallon.
Tissus 2*'>-,6 la balle de 50 pièces.
Farines 6 deniers le baril.
Fusils 2®*»-, 6 la caisse.
Pétrole 6 deniers.
AUumeUes . . . l'^-,6 la caisse.
LES DROITS d'octroi 233
Riz 6 deniers le cwt.
Sel 1 denier —
Sucre 6 deniers —
Tabac 6 deniers les 50 livres.
Jusqu'à présent la perception de ces droits a eu lieu
sans difficulté. Nous verrons, en étudiant les budgets
des États d'Abeokuta et d'Ibadan, quel en a été le ren-
dement et quel emploi est fait de leur produit.
CHAPITRE XVIII
LAGOS
L'organisation judiciaire.
La « Suprême Court Ordinance » de 1876 établit dans
la Colonie proprement dite de Lagos une organisation
de la justice analogue à celle en vigueur dans toutes
les Crown Colonies; nous n'avons point à insister sur
ce sujet. La question est plus intéressante en ce qui
concerne le Protectorat.
Jusque vers la fin de 1903, le gouvernement de Lagos
ne s'était point préoccupé de la manière dont la justice
était rendue dans THinterland et en avait laissé entiè-
rement l'administration entre les mains des chefs indi-
gènes. Dans les villes oii un résident avait été installé,
on avait simplement institué une « Advisory Court ».
Les chefs devaient soumettre à ce tribunal, dont le seul
juge était le résident, tous les cas qui leur paraîtraient
délicats, ceux, par exemple, oii un Européen était inté-
ressé ; mais l'appel devant cette Court était simplement
facultatif, et le jour où les commerçants blancs pénétrè-
rent dans l'intérieur, des difficultés ne devaient pas tar-
der à surgir entre eux et les indigènes : il pouvait y
avoir des inconvénients graves à laisser entièrement
aux chefs le soin de les résoudre. En outre, le gouver-
nement anglais devait assurer la sécurité publique, et
l'organisation judiciaire 235
pour cela îl était désirable qu'il eût le droit de punir
ceux qui la troublaient.
Déjà, en 1902, pour éviter des complications graves,
le capitaine Elgee, résident d'Ibadan, avait obtenu des
chefs que les procès où des Européens seraient en cause
fussent jugés devant lui.
Lorsqu'il eut réorganisé les gouvernements indi-
gènes, Sir W. MacGregor pensa que le moment était
venu de déterminer dans quelle mesure devait leur être
laissé le soin de rendre la justice.
Le 13 janvier 1904, un acpord était conclu entre Sir
W. MacGregor agissant au nom « de sa très Excellente
Majesté Edouard VII, roi du Royaume-Uni d'Angleterre
et d'Irlande et de toutes les souverainetés anglaises au
delà des mers, empereur des Indes, ses héritiers et ses
successeurs, et l'Alake et les autorités de la nation
Egba, en leur nom et au nom de leurs héritiers et suc-
cesseurs et de la nation Egba. »
En vertu de cet accord, l'Alake cède au roi d'Angle-
terre,- pour une durée de vingt ans, dans les territoires
egbas, droit de juridiction sur :
1** Toute personne coupable d'un meurtre ou d'homi-
cide {manslaughter).
2^ Toute personne non native de l'Egba et accusée
de crimes ou fautes rentrant dans la catégorie des « in-
dictable crimes » ou « offenses » dans la loi anglaise;
3® Tout cas dans lequel un des plaideurs n'est pas
natif de l'Egba et dans lequel la valeur de l'objet en
litige dépasse 50 livres ;
4® Les liquidations et conservations de successions
de toutes personnes non natives de l'Egba.
.Une cour mixte [mixed court) est instituée pour juger
236 LAGOS
toute personne non native de TEgba coupable d'un
crime ou délit qui ne rentre pas dans la catégorie des
« indictable crimes » ou « offenses » et toute affaire
civile dans laquelle une des parties n'est pas un natif
de TEgba et dont la valeur de l'objet en litige dépasse
5 livres, à condition qu'il ne s'agisse pais de questions
touchant à la conservation ou à la transmission de la
propriété foncière.
La mixed court est composée d'un président nommé
par le Roi d'Angleterre et de deux membres nommés
par l'Alake en conseil. Le président n'a qu'une voix, et
les jugements sont rendus à la majorité de deux voix.
Les tribunaux du Roi d'Angleterre ont le droit de ju-
ger en appel les décisions de la « mixed court ».
En matière criminelle, l'appel ne peut avoir lieu que
si un membre de la « mixed court» n'a pas été de l'avis
des deux .autres.
Aucun (( ^olicitor » ni « avocat » n'est autorisé à inter-
venir dans les tribunaux jugeant au civil les causes qui
sont ainsi cédées au roi.
En dehors des cas de meurtre et d'homicide {man-
slaughter), toute cause dans laquelle les deux parties
sont des natifs de l'Egba est laissée à la juridiction de
l'Alake.
En réalité, les cas réservés à la mixed court sont lais-
sés presque entièrement à la juridiction de l'Alake,
puisque c'est lui qui nomme les deux juges dont les
voix suffisent pour fixer l'avis du tribunal.
Les Européens résidant dans les territoires egbas
restent justiciables de l'Alake sans appel, dans tous
les cas où la valeur en litige ne dépasse pas £5, et avec
appel en matière civile ou commerciale dans tous les cas
l'ougaxisation judiciaire 237
où leurs propriétés foncières ne sont pas en jeu et oii
la valeur du litige varie entre £5 et £50, et en matière
correctionnelle dans tous les cas constituant chez nous
des délits.
Cette reconnaissance du droit de justice sur les pro-
pres sujets du peuple protecteur est un acte tout à fait
exceptionnel, même dans toute la politique indigène
anglaise en Afrique occidentale, et à côté de l'émotion
qu'elle créa dans la population européenne à Lagos,
elle fut, avec la reconnaissance du droit de perception
des « toUs », le principal élément des difficultés que
nous eûmes à cette époque au Dahomey, nos indigènes
estimant que nous devions leur accorder les mêmes
droits.
Le 16 mai parut une ordonnance rendant exécutoires
les clauses du traité*.
Les droits de juridiction acquis par le roi d'Angle-
terre sont attribués à la « Suprême Court » de Lagos et
soumis aux règles de la « Suprême Court Ordinance »
de 1876. Des sessions de cette cour doivent se tenir
quatre fois par an à Abeokuta^
Les lois en usage dans la colonie de Lagos seraient
appliquées dans les jugements prononcés en l'espèce.
Cependant lorsque la cour le jugera bon, elle pourra
appliquer les lois et coutumes en vigueur dans les pays
egbas, si elles ne sont pas contraires à l'équité.
En matière criminelle, le juge sera assisté d'asses-
seurs dont le nombre ne pourra être inférieur à quatre.
Après la signature de la convention, Sir W. MacGre-
1. An ordinance to make provision for tfie exercise ofthe powers and
juridiction acqnired by Ilis Majesiy in Egbaland, 1904.
2. Order of thegovernor in Council, 22 juillet 1904.
238 LAGOS
gor amena avec lui TAlake en Angleterre, voyage au-
quel il attribuait une grande importance et sur lequel
nous reviendrons. Pendant son absence, le colonial Se-
cretary, M. C. H. Harley Moseley, qui était depuis de
longues années son collaborateur, se rendit solennelle-
ment, en qualité d'Acting Governor, à Abeokuta pour
procéder à l'ouverture de la première session de la
Suprême Court dans cette ville.
Un compte rendu officiel de la cérémonie fut publié
dans le Lagos Government Gazette.
Les discours qui furent prononcés sont un indice
intéressant de la portée que le gouvernement anglais et
les indigènes attribuèrent à Tarrangement.
L'Acting Governor, accompagné du (représentant de
TAlake, le Seriki d'ijeun, se rendit d'abord à l'église
Saint-Pierre, où eut lieu un service religieux.
L'évêque indigène, dans son sermon, commença par
expliquer en yoruba le sens du traité, puis il dit com-
ment le gouverneur avait voulu venir d'abord dans la
maison de Dieu avant d'ouvrir le nouveau tribunal,
pour montrer comment la vraie justice est l'émanation
de la Divinité. 11 demanda ensuite les prières de la
communauté pour le Chief Justice, dont il fit l'éloge, et
il rappela aux juges indigènes qui allaient siéger quels
étaient leurs devoirs, et comment ils ne devaient avoir
d'autre souci que celui de la recherche de la vérité.
S'adressant ensuite au gouverneur, il continua son dis-
cours en anglais, commentant ainsi la partie politique
du traité :
« Vous établissez actuellement dans cette capitale du
pays egba la juridiction de la cour de Lagos, inaugu-
rant ainsi une ère pleine de promesses non seulement
L'onGANlSATION JUDICIAIRE 239
pour Abeokuta, mais encore pour tout le Yoruba. Ce fait
que l'Alake et son conseil ont cédé une partie de leurs
droits de juridiction montre la confiance qu'ils ont dans
le gouvernement de Sa Majesté et dans la cour de La-
gos, et je parle comme quelqu'un qui sait avec quelle
ténacité les Egbas maintiennent intacts leurs droits et
leurs pouvoirs, et avec quelle ténacité ils les défendent.
Nous sommes sûrs que leur confiance n'a pas été mal
placée. La Cour Suprême de Lagos a une haute répu-
tation. Puissent les juges futurs continuer indéfini-
ment à tenir à cœur les intérêts du peuple. C'est pour
cela que nous devons prier aujourd'hui, prière à la-
quelle doivent participer non seulement les chrétiens,
mais encore les musulmans et les fétichistes. Leur
prière ne sera pas vaine si elle s'adresse au « Dieu in-
« connu ». En cette nouvelle occurrence, une responsa-
bilité nouvelle pèse non seulement sur le gouvernement
de Lagos, mais encore sur chaque homme blanc vivant
dans ce pays. Noblesse oblige. »
Après la cérémonie religieuse, le gouverneur se ren-
dit au nouveau palais de justice, suivi du Seriki, du
Chief Justice, des membres du Législative Council, du
Railway Commissioner, des membres de TEgba Council
et autres hauts fonctionnaires, ainsi que d'une garde
d'honneur du « West African Frontier ».
11 prononça alors un discours dans lequel il parla de
la nécessité du maintien de la paix pour le développe-
ment du pays, et dit ce que devait être la bonne justice.
Il ajouta :
« Dans ces dernières années le commerce s'est beau-
coup développé dans les terres egbas, et des habitants
d'autres pays sont venus s'y établir. L'Alake et ses con-
240 LAGOS
seillers ont eu le bon sens de comprendre et le courage
de reconnaître qu'ils n'avaient pas encore «à leur dispo-
sition une magistrature capable de rendre la justice
dans tous les cas en litige, ni les éléments nécessaires
pour en former une. C'est pourquoi ils ont offert à Sa
Majesté certains pouvoirs sur ce pays.
« Sa Majesté, toujours désireuse de venir en aide (à
ceux qui en ont besoin), a bien voulu accepter ces pou-
voirs et les responsabilités qu'ils entraînent.
« C'est ce qui a fait l'objet du traité que nous com-
mençons à exécuter aujourd'hui. Ce n'est en aucun sens
un abandon de cette indépendance de l'union que Sa
Majesté a garantie au peuple egba et qui ne leur sera
pas enlevée aussi longtemps qu'ils s'en serviront pour
le bien général. C'est simplement un acte volontaire de
« self éducation », une preuve de bon sens du peuple
et le gage d'autres dispositions meilleures encore...
« Vous avez été heureux comme moi-même d'appren-
dre par câble que l'Alake était arrivé en bonne santé en
Angleterre et qu'il avait été reçu par Sa Majesté. Nous
prions pour qu'il revienne dans son pays en bonne
santé, éclairé par tout ce qu'il a vu et entendu en An-
gleterre. C'est à lui que sont dus les progrès récents
faits par le peuple yoruba...
« Nous commencerons l'ouverture de la cour aujour-
d'hui en priant le Dieu Souverain de bénir les juges
de la nouvelle Cour, et nous sommes persuadés que la
nouvelle organisation de la justice sera un bien per-
manent pour le peuple egba.
(c Dieu sauve le Roi ! »
Le Seriki d'Ijeun fit alors les réflexions suivantes au
sujet du discours du gouverneur :
L'onCANISATlON JUDICIAIRE 241
« Tout ce que le blanc a fait pour nous a été bon fina-
lement. Il nous instruit comme ses propres enfants et
nous soutient à l'aide de lisières. J'ai senti cela aujour-
d hui tandis que je marchais pas à pas avec le gouver-
neur. Je sentais que c'est par cela que nous recevons
cette instruction. La convention à qui nous donnons
effet aujourd hui a été faite pour noire instruction
Nous recevrons cette instruction, et nous espérons que
nous serons ensuite capables de diriger nos affaires
nous-mêmes. Je suis heureux que cet accord ait été fait
pour notre bien et que nous ayons beaucoup à appren-
dre grâce à lui. Je ne doute pas que tous les enfants
d Egba soient heureux de l'inauguration de cette nou-
velle manière de rendre la justice dans notre pays
D abord nous étions tous inquiets et nous ne savions
pas ce que ce blanc voulait faire; mais depuis que nous
avons eu hier des nouvelles de l'Alake et après tout ce
que nous avons vu aujourd'hui, chacun s'en retournera
chez lui avec une âme tranquille et mangera de bon
cœur. Nous sommes très heureux de ce qui a eu lieu
Que Dieu nous soutienne tous! »
Le Chjef Justice expliqua ensuite l'organisation des
nouveaux tribunaux et déclara la session ouverte
Le gouvernement egba trouva que le système établi
par la convention était incomplet, et, par une procla-
mation du 28 février 1905', institua « the Egba Native
Court of Appeal », composée de quatre juges mem-
bres de l'Egba Council, dont un au moins devait être
membre de la mixed court et qui seraient nommés
par 1 Alake pour juger en appel les causes qui étaient
1. Egba GttieUe, 28 février 1908.
16
242 LAGOS
de la compétence exclusive des tribunaux indigènes.
Sir \V, MacGregor ayant été nommé à New-Found-
land, une série de conventions furent passées par son
successeur avec les chefs des différentes provinces
yorubas, vers la fin de 1904, pour continuer l'organi-
sation de la justice indigène dans le protectorat; mais
il n'y fut plus question de mixed court.
Le gouvernement anglais s'attribua le droit de juger
tous meurtres et tous homicides commis soit par des
indigènes, soit par des Européens, et tous cas oii une
des parties n'est pas un natif de la province. La Su-
prême Court de Lagos est compétente dans ces cas,
avec la seule restriction que des avocats ou avoués ne
peuvent intervenir.
Un amendement à la « Suprême Court ordinance » a
fixé en 1905* les pouvoirs judiciaires des résidents en
matière civile ou commerciales.
Dans tous les cas où la « Suprême Court » est com-
pétente, c'est-à-dire, pour toutes les provinces autres
que celles d'Abeokuta, lorsqu'une des parties n'est pas
un indigène de la province, devront être portés devant
le résident :
Tous procès en matière personnelle {personal suits)
lorsque la valeur du litige ne dépasse pas 25 livres;
1. Âgreement du 8 août 1904 avec le Baie dlbadan, du 16 août 1904 avec
TAlafin d*Oyo, du 23 septembre avec TAni d'Ifé. An Ordinance to make
provision for the exercise of the powers and Jurisdic lion acquired by His
Majesty in the Province of Ibadan and the territory ofthe Alafin of Oyo-
Vombaiand; Jarisdiction ordinance, 17 sept. 1904. The Ife jarisdietion
ordinance, 3 déc. 1904.
2. An Ordinance to make further provision with regard to the Jarisdic-
tion of District Commissioners in civil matters and to amend the Suprême
Court Ordinance, 1876-1905.
l'organisation judiciaire 243
Tous procès de matière de loyer d'immeuble lorsque
la valeur de la rente ou du bail ne dépasse pas 25 livres.
Si cependant les parties sont d'accord à ce sujet, la
compétence du résident peut s'étendre aux causes de
la valeur double.
Il peut, sous la même condition, juger dans tous les
cas de partage d'immeubles ; mais si toutes les parties
n'admettent pas cette compétence, il doit adresser le
cas au Gbief Justice, qui le transmet à une « Divisional
Court ».
Les résidents ont, en outre, le droit d'intervenir
dans tous les cas prévus par la Suprême Court Ordi-
nance (décès, absence, etc.), pour assurer la conser-
vation de la propriété foncière. Ils peuvent délivrer
des « habeas corpus » et nommer des gardiens aux
enfants abandonnés ; mais tout cela seulement lorsque
l'individu dont les biens ou la personne est en cause
n'est pas natif de la province.
CHAPITRE XIX
LAGOS
Les budgets des États indigènes.
Par la « Native Gouncil Ordinance », Sir William Mac-
Gregor organisa le Protectorat en administrations pro-
vinciales distinctes les unes des autres, dont la direc-
tion devait être entre les mains des chefs naturels du
pays et qui étaient constituées par les groupements de
tribus formant les divers États yorubas.
Par la « ToUs Ordinance », il donnait à ces organis-
mes le moyen de se créer des ressources à Taide des-
quelles elles assureraient le fonctionnement des divers
services d'un bon gouvernement.
L'opposition que montrèrent les commerçants anglais
à l'établissement de ces droits d'octroi empêcha Sir
William MacGregor jde doter toutes les provinces de
ces moyens d'existence. Les deux plus importantes
d'entre elles, celles d'Ibadan et d'Abeokuta, purent
seules recevoir une organisation complètement auto-
nome ; le budget de la Colonie dut continuer de prendre
à sa charge les diverses dépenses des autres; de ce
fait, l'intervention du gouvernement anglais auprès
de leurs chefs resta entière, et la politique suivie dans
ces provinces ne présente pas grandes différences
avec celle que nous appliquons dans les « cercles » de
nos possessions d'Afrique occidentale.
LES BUDGETS DES ÉTATS INDIGENES 245
Après le départ de Sir W. MacGregor, il devait en
être peu à peu de même des provinces d'Ibadan et
d'Abeokuta, la tendance de son successeur devant être
incontestablement hostile à cette autonomie dans ce
qu'elle avait de très accentué.
Il n'est pas moins du plus haut intérêt d'étudier rapi-
dement de quelle manière furent administrées directe-
ment, par ces États indigènes, les ressources laissées à
leur disposition par le pouvoir central. Cette organisa-
tion n'a, du reste, pas cessé théoriquement d'exister,
et elle présente un caractère unique dans toute l'his-
toire de la colonisation dans l'Afrique noire.
C'est la présence d'indigènes instruits en Angleterre
ou à Lagos qui explique comment les chefs ont pu s'as-
similer aussi facilement les formes de nos administra-
tions. Ce sont ces indigènes qui remplissent les fonc-
tions pour lesquelles il est nécessaire de posséder une
instruction un peu complète; ce sont eux qui sont se-
crétaires du gouvernement, trésoriers, directeurs des
douanes, chefs des travaux publics, etc.
Comme il a été prévu par la « Bill Ordinance », le
budget du gouvernement Egba doit être approuvé par
le gouverneur; mais en fait, jusqu'à ces derniers temps,
on a laissé les autorités indigènes disposer de leur ar-
gent comme elles l'ont entendu.
Les principales ressources qui alimentent le budget
de l'Egba sont les droits d'octroi, qui se sont élevés à
288.425 francs pendant l'année 1904-1905, que nous
prendrons comme année type; les frais payés par les
plaideurs aux tribunaux indigènes et les amendes pro-
noncées par ceux-ci ont produit, pendant cette même
année, 31.175 fr. ; le montant des locations de terrains
246 LAGOS
aux Européens ou au gouvernement anglais a atteint
5.449 fr.; le chiffre total des recettes a été de 330.240 fr.
Par mesure de prudence, les prévisions de 1905-1906
ne s'élevèrent qu'à 318.900 francs.
Une partie importante de cet argent est absorbée par
les chefs eux-mêmes sous forme de traitements, qui
sont répartis dans le budget sous les rubriques de
« services administratifs » et de « services politiques ».
Les sommes ainsi prélevées s'élèvent, pour 1905-1906,
à 81.750 fr., soit au quart du montant des recettes. Sur
cette somme, l'Alake touche 25.000 fr., et les autres
chefs des sommes variant, suivant leur importance,
entre 7.500 et 300 fr. Il faut ajouter qu'en 1904 l'Alake
avait dépensé en outre, en dehors de toute prévision,
pour son voyage en Angleterre, 34.525 fr., de sorte que
cette année-là, sur un total de 361.375 fr.,. 122. 275 fr.
ont été absorbés par les chefs eux-mêmes : le tiers du
budget.
Les principaux organismes de l'administration sont :
1** Le secrétariat^ l'officine qui donne une forme
anglaise à l'administration des chefs. Il est composé
d'un secrétaire qui touche un traitement de 6.250 fr.,
d'un assistant secrétaire (3.000 fr.) et de trois commis
(1.250 à 450 francs).
2® La trésorerity confiée à un trésorier (4.000 fr.) et à
deux commis (1.050 fr.).
3* \J apurement (audit office), dont le rôle a dû être
estimé moins important qu'on ne l'avait jugé tout
d'abord, car le traitement du fonctionnaire qui en était
chargé a été ramené de 5.000 fr. à 1.250 francs.
4® Le service de la douane^ composé d'un bureau
central, de dix postes de perception confiés à des
LES BUDGETS DES ÉTATS INDIGENES 247
commis ayant un salaire variant entre 1.800 et 500 fr.
et d'un service fluvial.
b'^he service judiciaircy comprenant la « Native Court »,
la « Mixed Court» et la « Native Court of appeal », dont
nous avons étudié le fonctionnement lorsque nous
avons examiné l'organisation judiciaire du Protectorat.
Les juges touchent des traitements variant de 1.500 à
900 francs.
6** Le service des travaux publicSy dont le personnel
fixe est composé assez curieusement d'un arpenteur
(2.500 fr.), d'un garde-magasin (1.250 fr.) et de son
assistant, d'un gardien de la cloche de la ville (750 fr.),
d'un charpentier gardien du mât de pavillon (sup-
primé pour 1905-6) et de trois constructeurs de routes
(900 fr.).
7° Le service de santé et d'hygiène avec un « Health
officer » (1.500 fr.), un vaccinateur (900 fr.), trois
apprentis vaccinateurs (450 fr., un « sanitary inspec-
tor » (1.350 francs) et douze assistants.
&^hQ service de Za j9o^tce, comprenant 40 soldats (1 sh.
par jour) et 60 hommes pour les patrouilles nocturnes
(150 fr.).
9® Le service de la prison, deux geôliers et 12 gardiens.
10** L'imprimerie : un imprimeur (1.250 fr.), son assis-
tant et sept apprentis.
11** Le service des postes pour la province d'Egbaavec
un Post Master, deux commis et quatre facteurs.
12** Le service des forêts et de l'agriculture, composé
d'un superintendant (1.250 fr.), de quatre inspecteurs
des forêts et de huit gardes forestiers.
La principale différence que présente l'administration
de la province d'Ibadan avec celle d'Abeokuta est que
248 LAGOS
rinfluence du gouvernement anglais s'y fait beaucoup
plus sentir.
Les résidents qui ont été à Ibadan dans ces derniè-
res années, M. Parson et M. Elgee, n'ont guère agi
auprès des chefs que comme des conseillers; mais il
n'en est pas moins vrai que l'administration de la pro-
vince a été le résuUat d'une collaboration de tous les
instants du fonctionnaire anglais et du chef de la ville.
Tandis qu'à Abeokuta tous les fonctionnaires de la
province sont noirs, la perception des droits d'octroi
est placée, à Ibadan, sous la surveillance d'un Européen
dépendant, il est vrai, du Baie et de son conseil ; mais
cela n'en change pas moins un peu le caractère de la
perception des droits.
Comme à Abeokuta, les chefs, à Ibadan, prélèvent
pour leur usage personnel une partie des recettes du
budget. Cette part a été fixée, sur l'avis du résident,
au cinquième des dépenses, comme étant le taux des
dépenses proprement dites de gouvernement en Eu-
rope.
Les fonctionnaires sont bien moins nombreux à Iba-
dan qu'à Abeokuta, grâce peut-être à l'intervention du
résident qui empêche tout gaspillage inutile ; l'apure-
ment des comptes est fait par les bureaux de Lagos.
Nous donnons un résumé des budgets des deux pro-
vinces; leur détail est trop long pour figurer ici,
mais le rapport du trésorier d'Abeokuta sur « le revenu
et les dépenses de l'Egba United Government » est la
meilleure illustration que l'on puisse donner de la
manière dont ces indigènes envisagent l'administration
des ressources laissées à leur disposition par le gou-
vernement anglais.
LES BUDGETS DES ETATS INDIGENES
249
Il est ainsi conçu dans ses passages principaux :
« Revenus :
« Si Ton déduit du revenu total le solde créditeur
au 31 décembre 1903, qui se montait à 44.650 fr., il
semble que les recettes de 1904, qui montent à 330.250
francs, n'atteignent pas le chiffre prévu pour Tannée
financière 1904-5. On verra cependant que la diffé-
rence est plus apparente que réelle, si Ton remarque
que la somme de 5.000 fr., qui avait été prévue au titre
transports, n'a pas existé en fait. Des milles de bonnes
routes (pour piétons tout au moins) ont été construits
« ESTIMATES » DE L EGBA UNITED GOVERNMENT
ET DE LA PROVINCE d'iBADAN*
Recettes,
1«
2»
3»
4«
5»
6«
Droits d'octroi [Tolh) : alcool .
— autres articles . .
Totaux
.XGBiDNITID GOTEBSHKNT
PROYIXCI D'IBIDAN ,
PrérisioDS.
1904-05
Recettes.
1904-05
PréyisiOBs.
1904-05
Prérisions.
1904-05
Prévisions.
1904-05
fr.
18; 500
105 000
fr.
fr.
106 150
103 350
fr.
68 750
68 750
fr.
87 500
87 500
292 500
26 875
5 000
7 250
5 000
2 375
288 425
31 176
2 100
5 450
»
3 100
269 500
39 375
»
7 375
1 500
1 150
137 500
9 375
1 425
5 975
175 000
11 500
9 350
1 250
Frais de justice et amendes . . .
Taxes forestières .
Location de terre ....
Transports
Divers
Totaux
339 000
330 250
44 650
318 900
154 275
197 100
•
Balance de 1903-04.
Total
374 900
■
1. Dans la transformation des monnaies anglaises en monnaie française
il n*a été tenu compte que des livres comptées pour 25 francs.
250
LAGOS
Dépenses.
KGBi CIOnD GOTKRNIIINT
PrérisioDs.
1904-05
Services administratifs
Services politiques
Secrétariat
Trésorier
Apurement
Douanes (perception des tolls) . . .
Service judiciaire
Travaux publics et routes
Service de santé et d'hygiène . . . .
Police
Prisons
Imprimerie
Postes
Forêts et agriculture
Divers
Pensions
Instruction publique
Totaux
fr.
64 975
18 175
12 150
5 850
8 300
33 100
19 250
67 050
16 650
29 525
17 850
3 375
3 650
4 800
17 400
»
1904-05
fr.
70 175
10 275
11 875
5 725
5 150
32 350
14 500
70 90O
14 925
13 525
15 775
2 525
2 850
5 500
80» 175
»
5 OOO
322 100 361 225
Primions.
1904-05
PP.OTIXGK D'IBÂDiN
Prévisions.
1904-05
fr.
61 700
17 650
12 400
5 J850
3 425
28 450
12 875
84 625
13 925
30 000
12 525
3 500
2 900
6 650
19 250
2 400
318 125
144 425
Prérisions.
1904-05
fr.
fr.
38 750
44 750
»
»
3 000
4 175
»
»
19 550
23 000
7 175
6 925
23 175
36 050
8 175
8 125
26 450
33 550
8 800
11 875
]»
»
9
»
»
»
6 850
14 350
»
»
500
1 775
184 575
dans tout le pays; mais la question des transports con-
tinue à être un problème. Il n'y a pas d'animaux de
trait dans le pays. Les bœufs d'importation étrangère
ne tirent pas bien, et le système des transj^orts à dos
d'animaux serait trop coûteux, en raison de la grande
quantité de conducteurs gambaris qu'il serait néces-
saire d'employer.
« Une des tâches que s'est données l'Alake pendant
son voyage en Angleterre a été de recueillir tous
les renseignements qui pouraient aider le conseil à
1. Voyage de TAlake à Londres.
LES BUDGETS DES ÉTATS INDIGENES 251
résoudre ce problème. Il visita dans ce but plusieurs
exploitations agricoles en Angleterre. Il pensa que le
problème était enfin résolu par ce qu'il vit du fonction-
nement des automobiles. Ce ne fut pas sans intérêt que
le conseil d'Âbeokuta suivit les essais faits à Lagos de
voitures automobiles achetées pour le service des tra-
vaux publics. D'après tout ce que l'on en a dit, ces
essais sont loin d'être un succès. Devant des résultats
aussi peu brillants, le conseil serait peu excusable de
recommencer des expériences analogues aussi coû-
teuses, surtout sur des routes qui, bien que bonnes à
d'autres point de vue, ont des pentes trop rapides pour
de pareils engins. Quelques voitures et harnais ont été
cependant achetés cette année, et il y a lieu d'espérer
que l'on arrivera à trouver quelque moyen de résou-
dre la question.
« Dans la première partie de l'année, les « Sectional
« Courts » de Oke-na, Owa et Obagura ont été suppri-
mées, par un vote du conseil, et toutes les matières judi-
ciaires ont été centralisées dans le tribunal d'Ake. Cela
explique les faibles recettes faites par les « Sectional
« Courts » et la forte somme de 25.750 fr. provenant du
tribunal d'Ake. Le service des postes a coûté 2.350 fr.,
mais n'a produit aucun revenu.
a Dépenses :
« La somme de 70.175 fr, dépensée sous la rubrique
« Alake et conseil » est composée de 65.200 fr. de trai-
tements et de 4.975 fr. d'indemnités de voyage. Cette
dépense comprend les allocations ordinaires de l'O-
shile, l'Agura, l'Olowa, et de quatorze chefs représen-
tant au conseil diverses villes. Le dépassement de crédit
252 LAGOS
provient de rallocation donnée à TOshile qui vient en
second après TÂlake et qui a été installé pendant la
première partie de Tannée en remplacement du vieil
Oshile qui a été déposé en 1901. La somme de 65.200 fr.
mentionnée ci-dessus fait, avec celle de 3.750 fr. attri-
buée aux petits chefs du pays et qui est comprise dans
les « dépenses diverses », un total de 68.950 francs
dépensé comme traitement des autorités gouvernemen-
tales. Il a donc été laissé moins des 4/5 du revenu pour
ce qui a été très bien nommé, dans le rapport annuel
d'Ibadan, le développement économique du pays.
« Plusieurs tournées furent faites par TAlake et son
conseil dans le courant de Tannée, surtout dans Tinté-
rét de la culture du coton. Le résultat a été que dans
la première moitié de 1904 plus d'un million de livres
de coton récolté par les cultivateurs egbas ont passé
par les gins.
« A la suite de modifications faites avec soin, les
services du contrôle, des douanes et de la justice ont
coûté environ 7.500 fr. de moins qu'il n'avait été prévu.
« Le service des forêts a fonctionné d'une manière
satisfaisante. De nombreuses contraventions ont été
dressées à des personnes violant les règles du gouver-
nement egba, et des amendes ont été infligées. Grâce
aux soins des inspecteurs et des gardes, les forêts sont
aussi bien protégées dans le pays egba qu'elles peu-
vent l'être, les intérêts des forêts et de l'agriculture
sont placés entre les mains d'un représentant du ser-
vice des forêts et de l'agriculture. La paix et Tordre
sont maintenus dans les différents districts par des
fonctionnaires assistés d'officiers de police.
« La propreté relative de la ville et l'immunité près-
LES BUDGETS DES ÉTATS INDIGENES 253
que complète d'Abeokuta en ce qui concerne la petite
vérole, alors que des épidémies ravageaient toute la
contrée environnante, témoignent du bon trayail du
service de santé et d'hygiène.
« Travaux publics effectués pendant Vannée 190i :
1"* Bâtiment du tribunal.
2** Bâtiment du secrétariat avec les bureaux des ser-,
vices suivants : imprimerie, santé, poste, magasins des
travaux publics.
3^ Prisons pour femmes.
4® Annexe au Palais.
« Routes. — 1** Ibara Road (ville), en construction,
environ un mille et demi complet sur une largeur de
quinze pieds.
2® Oba Road (district), entreprise et terminée dans
l'année, environ sept milles et demi de long.
3® Kajola Asha Road (district), encore en construc-
tion, environ dix-neuf milles terminés, sur lesquels
huit milles au moins ont été faits pendant Tannée
précédente, avant que le travail ait été arrêté en partie
par la commission de délimitation.
4® Titi Road d'Opelifa ; traverse la rivière Ogun et
aboutit en ville à la porte d'Ibara, encore en construc-
tion; à peu près 5 milles terminés pendant Tannée.
« Entretien des routes déjà construites :
« Voies fluviales. — Ibafo Greek. Ouverture de cette
creek dans la rivière Ogun, mettant en communication,
par la rivière, le district agricole d'Orile Igbein avec
les marchés les plus importants du pays et permettant
de développer l'exploitation de la forêt d'Igbein. Une
recette de 550 fr. a été faîte pendant Tannée sur les
billes d'acajou qui ont suivi cette creek jusqu'à Lagos.
254 LAGOS
« Toutes les routes construites dans Tannée, sur une
longueur d'une trentaine de milles, l'ont été par la main-
d'œuvre libre, sous la direction des constructeurs de
routes, qui seuls ont été payés. La construction et l'en-
tretien des routes dans l'intérieur de la ville ont été
assurés par des travailleurs payés sous la direction d'un
contrôleur compétent. La main-d'œuvre pénale a été
aussi utilisée pour l'entretien de ces routes urbaines... »
Nous ne voulons point examiner ici à quelles criti-
ques peut donner lieu la manière dont les chefs em-
ploient les ressources qu'ils sont autorisés à se procu-
rer par la perception d'impôts sur les Européens. Cela
reviendrait à rechercher quels sont les avantages ou
les inconvénients d'un système d'autonomie indigène
analogue à celui qu'a voulu organiser Sir William Mac-
Gregor à Lagos. Comme nous l'avons dit au commen-
cement de cette étude, nous réservons notre jugement
pour le moment où, après avoir exposé la situation
politique de l'ensemble des possessions anglaises de
l'Afrique Occidentale, nous pourrons mieux rechercher
les avantages ou les dangers économiques ou politi-
ques de telle ou telle méthode.
Nous dirons simplement pour l'instant qu'il paraît
bien que les chefs yorubas ont le plus vif désir de
transformer leur autorité en celle d'un gouvernement
conçu d'après les principes de l'administration euro-
péenne. Les erreurs qu'ils commettent dans l'emploi des
ressources mises à leur disposition proviennent en
grande partie de leur inexpérience et pourraient être
évitées pour la plupart, s'ils suivaient les conseils
d'un fonctionnaire européen en qui ils auraient con-
/
LES BUDGETS DES ÉTATS INDIGÈNES 255
fiance. Nous ne nous dissimulons pas que cette tâche
de conseiller exige des qualités qu'il est rare de trouver
réunies chez une même personne; mais c'est ainsi que,
les chefs d'Ibadan ayant bien voulu témoigner leur
confiance au capitaine Elgee, excellent résident qu'ils
ont eu la bonne fortune de posséder dans ces dernières
années, ont obtenu peut-être, avec une organisation
moins compliquée, de meilleurs résultats que ceux
d'Abeokuta.
Le gouvernement de la colonie arrive peu à peu à
intervenir par des moyens détournés dans l'adminis-
tration financière des Etats du Protectorat. Le rapport
de Sir W. Egerton au Législative Council pour Tannée
1910* en est un des exemples les plus typiques, et il
est intéressant de reproduire la manière même dont
s'exprime Sir W. Egerton à ce sujet :
« Un des principaux événements de cette année a été
l'acceptation par le gouvernement Egba de l'assistance
financière de la colonie pour entreprendre de grands
travaux publics, et un emprunt de 30.000 livres sterling
a été approuvé par le Conseil', pour lequel un intérêt
nominal de 1 p. 100 a seulement été demandé par la
colonie. La plus grande partie de cette somme ser^
dépensée pour assurer à la grande ville d'Abeokuta une
distribution d'eau convenable, dont le besoin se fait
si vivement sentir. Je suis heureux de l'acceptation de
cet emprunt, qui est une preuve de l'établissement des
relations de plus en plus cordiales existant entre le
gouvernement colonial, l'Alake et son Conseil, et qui
1. Southern Nigeria Gazette, dov. 1911.
2. Agreement between the government of Southern Nigeria and the
Alake and Council ofthe Egba government (13 of 1911).
256 LAGOS
montre qu'ils reconnaissent combien il est essentiel,
pour le développement des ressources de leur riche
territoire et Famélioration du bien-être de leur nom-
breuse population, qu'ils acceptent notre aide finan-
cière et nos conseils.
« Une nouvelle preuve en a été donnée par l'offre
du gouvernement egba de coopérer à la construction
d'un embranchement du chemin de fer vers Haro en se
chargeant des terrassements. Gela montre également
combien les cultivateurs egbas réalisent les avantages
des transports rapides et bon marché. »
Les principes restent saufs : la personnalité des
Etats s'affirme de plus en plus, puisqu'ils contractent
des dettes vis-à-vis du gouvernement protecteur, et
celui-ci assure l'exécution de travaux nécessaires en
prenant à sa charge les dépenses qui en résultent, l'in-
térêt demandé étant purement nominal. De la même
manière, l'idée de faire exécuter les travaux par les
tribus indigènes elles-mêmes, au lieu de leur payer la
main-d'œuvre employée et leur en faire ensuite sup-
porter les frais au moyen d'impôts, n'est qu'une appli-
cation du système de protectorat qui seul, jusqu'ici, a
été réclamé par l'Angleterre dans l'Hinterland de Lago?.
CHAPITRE XX
LA60S
La politique de Sir William MacGregor
et celle de Sir Walter Egerton.
La politique suivie par Sir W. MacGregor à Lagos
parait, en un certain sens, assez obscure. On a pu Tac-
cuser, au même moment, de laisser aux autorités indi-
gènes un trop grand pouvoir, et de porter atteinte à
leurs institutions en violant les traités qui reconnais-
saient leur indépendance.
C'est ainsi, par exemple, qu'alors qu'il permettait
aux chefs indigènes de se créer des ressources en
prélevant des impôts sur les commerçants européens
établis dans leurs villes, il paraissait contester le droit
qu'ils avaient de gouverner leur pays et, par la Native
Gouncil Ordinance, rendait possible l'intervention du
gouvernement anglais dans l'administration indigène.
En réalité, la politique de Sir W. MacGregor a eu
essentiellement pour but de consolider l'autorité des
chefs et de leur reconnaître les pouvoirs qui leur étaient
nécessaires pour l'exercer.
Il s'est efforcé, dès le début de son gouvernement,
de bien montrer comment l'Angleterre reconnaissait
entièrement aux chefs leurs pouvoirs et comment on
devait leur montrer le respect qui était dû à leur qua-
lité de souverains. Il attachait la plus grande impor-
17
258 LAGOS
tance, lorsqu'il leur rendait visite, à ce qu'une sorte
d'hommage fut rendu au prestige de Tautorité qu'ils
devaient avoir sur leurs sujets, et, lorsqu'il les rece-
vait, il le faisait avec tout le protocole dû à des chefs
d'Etats.
Surtout il admettait que l'observation des traités que
l'Angleterre avait passés devait être le fondement de
la politique indigène dans le Protectorat de Lagos.
Par ces traités, les chefs indigènes s'engageaient à
cesser tout acte de cruauté, sacrifices humains, céré-
monies religieuses empreintes de barbarie; ils promet-
taient de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour
ouvrir leur pays au commerce européen, et ils pre-
naient le gouvernement comme arbitre des difficultés
qui pouvaient éclater entre les diverses tribus, renon-
çant ainsi au droit de les régler par les armes.
Sir ^y. MacGregor admettait que les résidents pla-
cés auprès des chefs avaient pour principal devoir de
veiller à l'exécution des traités. Toutes les fois qu'une
clause de ces traités était violée, il avait le droit d'in-
tervenir, et cela devait suffire pour entretenir la paix et
le bon ordre dans le pays. On ne comprend pas très bien
au premier abord pourquoi il lui parut nécessaire d'or-
ganiser l'administration indigène de façon à ce que le
gouvernement puisse intervenir dans sa direction.
Dans les explications qu'il a données, à ce sujet, au
Législative Council, nous l'avons vu déclarer que l'or-
donnance avait pour but de fortifier l'autorité des chefs
par l'appui d'assemblées régulières, de façon à empê-
cher les résidents de méconnaître leur pouvoir. Cette
déclaration ne laisse pas moins inexpliquée la raison
pour laquelle Sir W. MacGregor a voulu que le Legis-
LA POLITIQUE DE SIR WILLIAM MAGGREGOR 259
lative Gouncil puisse intervenir dans Tadministration
des conseils indigènes.
Il est incontestable que lorsque les partisans de Tau-
tonomîe indigène lui reprochaient de constituer, au
profit du gouvernement anglais, un droit de surveillance
que ne lui reconnaissaient pas les traités, il était assez
difficile à Sir W. MacGregor de dire qu'il n'y avait là
qu'une mesure tendant à protéger justement cette au-
tonomie.
En réalité, la Native Gouncil Ordinance fut une pré-
caution, non seulement à l'égard des résidents, mais
encore à l'égard du pouvoir central.
Le Législative Gouncil n'avait évidemment pas le
droit, d'après l'interprétation des traités que donne
Sir W. MacGregor, de diriger d'une manière quelcon-
que les affaires indigènes du Protectorat. Si cependant,
après avoir reconnu d'une façon officielle les droits des
assemblées indigènes. Sir W. MacGregor les soumettait
au contrôle du Législative Gouncil, c'était pour éviter
que les gouverneurs ne puissent d'eux-mêmes porter
atteinte à ces droits sans que le Législative Gouncil en
ait été informé. Les protestations des membres indi-
gènes des Native Gouncils n'étaient peut-être pas un
frein très efficace; mais il était le seul que permît le
système des Grown Golonies.
Gette explication n'a jamais fait l'objet de déclarations
officielles, et nous n'en parlons que d'après ce que nous
avons pu personnellement connaître; mais il est pos-
sible de retrouver dans un entretien avec l'Aborigine's
Protection Society un certain nombre de vues sur la
conception que Sir MacGregor avait de la politique
indigène. Ges vues, complétées par ce que nous venons
258 LAGOS
tance, lorsqu'il leur rendait visite, à ce qu'une sorte
d'hommage fut rendu au prestige de l'autorité qu'ils
devaient avoir sur leurs sujets, et, lorsqu'il les rece-
vait, il le faisait avec tout le protocole dû à des chefs
d'États.
Surtout il admettait que l'observation des traités que
l'Angleterre avait passés devait être le fondement de
la politique indigène dans le Protectorat de Lagos.
Par ces traités, les chefs indigènes s'engageaient à
cesser tout acte de cruauté, sacrifices humains, céré-
monies religieuses empreintes de barbarie; ils promet-
taient de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour
ouvrir leur pays au commerce européen, et ils pre-
naient le gouvernement comme arbitre des difficultés
qui pouvaient éclater entre les diverses tribus, renon-
çant ainsi au droit de les régler par les armes.
Sir ^y. MacGregor admettait que les résidents pla-
cés auprès des chefs avaient pour principal devoir de
veiller à l'exécution des traités. Toutes les fois qu'une
clause de ces traités était violée, il avait le droit d'in-
tervenir, et cela devait suffire pour entretenir la paix et
le bon ordre dans le pays. On ne comprend pas très bien
au premier abord pourquoi il lui parut nécessaire d'or-
ganiser l'administration indigène de façon à ce que le
gouvernement puisse intervenir dans sa direction.
Dans les explications qu'il a données, à ce sujet, au
Législative Council, nous l'avons vu déclarer que l'or-
donnance avait pour but de fortifier l'autorité des chefs
par l'appui d'assemblées régulières, de façon à empê-
cher les résidents de méconnaître leur pouvoir. Cette
déclaration ne laisse pas moins inexpliquée la raison
pour laquelle Sir W. MacGregor a voulu que le Legis-
LA POLITIQUE DE SIR WILLIAM MAGGRBGOR 259
lative Gouncil puisse intervenir dans Tadininistration
des conseils indigènes.
Il est incontestable que lorsque les partisans de Tau-
tonomie indigène lui reprochaient de constituer, au
profit du gouvernement anglais, un droit de surveillance
que ne lui reconnaissaient pas les traités, il était assez
difficile à Sir W. MacGregor de dire qu'il n'y avait là
qu'une mesure tendant à protéger justement cette au-
tonomie.
En réalité, la Native Gouncil Ordinance fut une pré-
caution, non seulement à l'égard des résidents, mais
encore à l'égard du pouvoir central.
Le Législative Gouncil n'avait évidemment pas le
droit, d'après l'interprétation des traités que donne
Sir W. MacGregor, de diriger d'une manière quelcon-
que les affaires indigènes du Protectorat. Si cependant,
après avoir reconnu d'une façon officielle les droits des
assemblées indigènes. Sir W. MacGregor les soumettait
au contrôle du Législative Gouncil, c'était pour éviter
que les gouverneurs ne puissent d'eux-mêmes porter
atteinte à ces droits sans que le Législative Gouncil en
ait été informé. Les protestations des membres indi-
gènes des Native Gouncils n'étaient peut-être pas un
frein très efficace; mais il était le seul que permît le
système des Grown Golonies.
Gette explication n'a jamais fait l'objet de déclarations
officielles, et nous n'en parlons que d'après ce que nous
avons pu personnellement connaître; mais il est pos-
sible de retrouver dans un entretien avec l'Aborigine's
Protection Society un certain nombre de vues sur la
conception que Sir MacGregor avait de la politique
indigène. Ges vues, complétées par ce que nous venons
260 LAGOS
de dire, forment le meilleur commentaire que l'on
puisse donner des principes sur lesquels reposent les
ordonnances que nous avons étudiées dans les cha-
pitres précédents.
« Une ordonnance ou un règlement, déclara Sir W.
MacGregor à Lagos, doit, d'une manière générale, être
préparé parle gouverneur; il doit ensuite être présenté
par lui devant TExecutive Council, qui est composé du
Secretary Colonial, de TAttorney-General et du Tréso-
rier. L'ordonnance ou le règlement doit être ensuite
envoyé devant le conseil de la province dans laquelle
il doit être appliqué. Le conseil doit l'examiner et dire
s'il désire ou non le voir mettre en vigueur dans la pro-
vince. Je crois que M. Fox Bourne (le secrétaire de l'A.
P. Soc.) eut souvent l'impression que le gouverneur
pouvait obtenir des autorités indigènes ce qu'il voulait.
Le gouverneur ne peut de telles choses. 11 ne siège pas
dans un Provincial Council. Les Provincial Councils ne
reçoivent pas des ordres, mais seulement des proposi-
tions et des avis. Je n'ai jamais envoyé aucun ordre
catégorique à un chef. Si je l'avais fait, il est probable
que l'ordre n'aurait pas été exécuté, ou en tous cas il
ne l'aurait pas été de bon cœur. Je suggère souvent
aux chefs qu'ils pourraient examiner telle question en
conseil et me faire connaître le résultat de cet examen.
D'une manière générale on vote ce que je propose ou
quelque chose d'analogue; mais il n'en est pas toujours
ainsi, et, alors, j'abandonne le projet. Je ne propose
rien que je ne sache par avance devoir être adopté. Si
je ne peux obtenir des chefs que la chose soit adop-
tée une première fois, je n'insiste pas; mais je saisis
la première occasion de l'expliquer à nouveau. »
LA POLITIQUE DE SIR WILLIAM MAGGIIEGOR 261
A la suite de cette déclaration, la conversation sui-
vante s'engagea entre Sir MacGregor et les membres
de TA. P. Society :
« SiR W. MacGiiegor. — Les Provincial Gouncilssont,
d'après Tordonnance, entièrement responsables de Tad-
ministration de la justice dans les provinces, du main-
tien de la paix et de Tordre, et entièrement responsa-
bles de l'administration générale de la province, non
comme représentants du gouverneur, mais comme pou-
voir souverain naturel du pays d'après les usages locaux.
« M. Fox BouRNE. — Tels que vous leur avez donné
autorité ?
« Sir W. MacGregor. — Non point exactement. La
situation de ces Gouncils est maintenant définie et
sauvegardée par la loi; mais cette loi n'est que l'incor-
poration de l'usage et de la coutume.
« M. Martin Wood. — Mais ils vous regardent comme
l'autorité supérieure qui les sanctionne et peut diriger
leurs travaux.
Sir MacGregor. — Si je leur disais qu'ils sont seu-
lement mes représentants, ils n'auraient pas confiance
en moi [they would not trust me). Ils croiraient que leur
situation est compromise.
« M. F. B. — Voulez-vous me laisser donner un
exemple? Ce serait le devoir du Provincial Gouncil de
rechercher et de punir tout criminel. S'il se refuse à le
faire...
« Sir w. MacGregor. — Je ne sais point ce qui arri-
verait dans ce cas. Tout récemment un meurtre ayant
été commis dans une province, les autorités indigènes
ont commencé à s'en occuper à leur manière. Elles
firent comparaître certaines personnes inculpées, mais
262 LAGOS
ne purent trouver le véritable criminel. Le Provincial
Council décida alors que, comme il était impossible de
découvrir le coupable, le quartier de la ville où avait
été commis le crime payerait une amende de 200 livres,
je crois. L'amende fut ensuite réduite à 100 livres. Je fis
à ce sujet des observations au chef responsable, en lui
disant que dans le cas d'un crime analogue à celui qui
avait été commis on ne devait point se contenter d'une
amende de 100 livres et que l'on devait faire de plus
amples recherches pour trouver le coupable. Je conti-
nue encore à exercer une pression et continuerai pro-
bablement jusqu'à ce que le coupable soit découvert.
Voilà un exemple de la manière d'agir actuelle.
« M. F. B. — C'est un cas dans lequel vous exercerez
et continuerez d'exercer une pression d'une manière
judicieuse et justifiable. Dans bien des cas, les rési-
dents locaux agiront d'une manière toute différente. Ils
prendront rapidement la justice en mains et useront de
la forcé pour la revendiquer.
« Sir W. MacGregor. — On peut dire, d'une manière
générale, qu'il n'est pas nécessaire d'en arriver à ces
extrémités. Ceci me rappelle qu'il y a dans une lettre
de M. Fox Bourne une expression qui n'est pas exacte.
Il parle d'une réunion de The Egba Independent State
Council. Ce serait la chose la plus dangereuse que de
laisser un État protégé admettre qu'il est un pouvoir
souverain indépendant. Les chefs ne sont que les admi-
nistrateurs de leur propre province, et le mieux est
d'en rester là.
<( M. F. B. — Que voulait dire Sir Gilbert Carter lors-
que, en négociant le traité Egba de 1893, il assurait que
« l'indépendance du pays serait pleinement reconnue»?
LÀ POLITIQUE DE SIR WILLIAM MÂCGREGOR 263
« SiR MagGregor. — Le gouvernement Egba n'est
certainement pas indépendant en tant qu'État, quoiqu'il
soit responsable du maintien de la paix et de l'ordre
dans le pays, de l'administration, de la justice et de la
liberté du commerce. II y a là des autorités respon-
y I
sables, mais certainement pas un Etat indépendant...
Le traité n'est pas un traité passé entre deux États
indépendants. Les autorités indigènes sont tenues de
faire un certain nombre de choses que l'on ne pour-
rait demander à un État indépendant... Voici com-
ment j'interprète le traité : le Provincial Council est
responsable du maintien de la paix et de Tordre dans
la province. Le gouvernement ne s'en charge pas. Je
rends le conseil responsable de l'administration de la
justice et du fonctionnement des services publics {for
the discharge ofthe public duties) dans la province. Il
serait impossible d'agir de même avec un Etat indépen-
dant. Si nos voisins pouvaient penser que ces pro-
vinces sont indépendantes du gouvernement du Roi,
elles perdraient rapidement leur indépendance. Pour-
riez-vous me montrer en quoi un traité est violé par la
« Native Council Ordinance » ?
« M. F. B. — En ce qu'elle suppose que vous pouvez
intervenir dans le gouvernement indigène et le con-
trôler.
« Sir MacGregor. — Combien de temps pensez-vous
qu'il serait possible de maintenir un semblant d'auto-
rité anglaise ou d'exercer notre protection, ou même
qu'il nous serait possible de rester dans le pays, si
nous n'exercions quelque contrôle? Vous devez savoir
que nous avons dépensé lin million de livres sterling,
et bientôt un tnillion et demi, pour faire un chemin de
264 LAGOS
fer qui traverse deux provinces. Gomment cela aurait-il
été possible si nous n'avions exercé ce contrôle?
« M. F. B. — En s'entendant avec les indigènes.
« Sir W. MacGregor. — En s'entendant avec les
indigènes! A quoi servirait-il de passer des conventions
avec les indigènes si on ne pouvait exercer aucun con-
trôle sur eux ? Ils diraient dans ce cas : Nous formons
un État indépendant. Laissez-nous réfléchir pour savoir
si nous allons envoyer un ambassadeur à Saint-James,
ou si nous allons passer un traité avec une puissance
du continent. Avant la Native Council Ordinance il n'y
avait rien de réglé à ce sujet : chaque fonctionnaire
européen envoyé dans la province avait son idée per-
sonnelle sur la question. Ils savent parfaitement ce
qu'ils ont à faire maintenant, tandis qu'auparavant ils
ignoraient quels étaient leurs devoirs.
« ... M. Fox BouRNE. — Ce que nous reprochons au
système, c'est que le gouverneîhent peut être tenté de
s'en servir pour exercer de plus en plus un pouvoir
absolu. Il pourra détruire...
« Sir MacGregor. — Détruire quoi?
« M. F. B. — Les institutions locales.
« Sir W. MacGregor. — Au contraire, le système
repose sur leur observation. Sans lui ces institutions
auraient rapidement disparu. »
Ce qui ressort de plus net de ces déclations de Sir
William MacGregor, c'est que, tout en admettant que
les autorités indigènes devaient être rendues pleine-
ment responsables de l'administration intérieure du
pays, le gouvernement anglais n'en devait pas moins
être à même de surveiller étroitement leurs actes, de
LA POLITIQUE DE SIR WILLIAM MACGREGOR 265
façon à pouvoir s'assurer que cette administration est
conforme aux principes de civilisation qu'il préconisait,
en même temps qu'elle est favorable aux intérêts de
ses commerçants. Sir W. MacGregor légiférait de façon
qu'il fut difficile de gouverner le Protectorat autrement
que par l'intermédiaire des chefs. 11 entendait cepen-
dant ne pas reconnaître, par là, leur indépendance.
Il semble pourtant que l'on ait vu, en Angleterre, à
cette politique, quelque inconvénient. On craignit peut-
être que les chefs ne comprissent pas très bien dans
quelle mesure ils devaient obéissance au gouverne-
ment anglais, et qu'il devînt difficile d'obtenir d'eux
l'adoption des mesures utiles qu'on leur proposerait.
Le poste de gouverneur de Newfoundiand étant devenu
vacant, Sir W. MacGregor y fut nommé peu après
la visite qu'il avait faite, en Angleterre, à l'Alake d'A-
beokuta. Les pouvoirs du gouverneur de la Southern
Nigeria furent étendi\s, et l'administration de Lagos et
celle de la Southern Nigeria furent réunies. Il semble
que de ce fait on ait voulu peut-être marquer le désir
de voir gouverner la première de ces deux colonies à
la manière de la seconde.
Quoi qu'il en soit, le sens de la politique indigène a
sensiblement changé depuis cette époque, à Lagos.
Nous avons vu que, dans les dispositions législatives
qui ont été prises dans ces derniers temps, en matière
foncière ou judiciaire par exemple, on paraît s'être
moins préoccupé de l'opinion indigène qu'on ne le fai-
sait autrefois. Un certain nombre des institutions du
régime précédent sont déjà tombées en désuétude,
comme le Central Native Gouncil et la Mixed Court. Il
266 LAGOS
semble que le gouvernement tienne à insister un peu
plus que ne le faisait Sir William MacGregor sur la
tutelle dans laquelle doivent être tenus les chefs.
L'orientation de cette nouvelle politique a été, tout
d'abord, marquée par un incident qui se termina de
manière à montrer que le gouvernement de Lagos
avait fermement l'intention de la maintenir.
Deux chefs d'Ilesha, le Loro et l'Oba Odo, ayant été
punis de prison par le résident, en mars 1904, le Se-
crétaire d'État aux colonies donna à l'Aborigine's Pro-
tection Soc, qui n'avait pas manqué de protester contre
cette mesure, l'explication suivante* :
Le chef Loro avait été poursuivi devant le conseil
d'Ilesha pour avoir exigé trois cadeaux de cinq shil-
lings de deux indigènes d'Ipetu. Précédemment, en
1902, il avait été accusé d'avoir reçu, à trois reprises
différentes, dix livres sterling d'habitants d'Ipetu, pour
ne pas faire d'enquête sur les morts suspectes ou ne
pas poursuivre un meurtrier. On n'avait pas sévi, au
début, parce qu'il avait promis de ne plus recommen-
cer; mais, lorsqu'il fut de nouveau poursuivi pour trois
autres cas de chantage, le conseil d'Ilesha proposa de
lui infliger une amende de dix livres sterling; le
résident, le capitaine Ambrose, fît remarquer que
cette somme serait extorquée par ce chef aux villages
qui dépendaient de lui; il rappela qu'après la visite
du gouverneur MacGregor, le chef Odole avait assuré
que tout délit de ce genre serait puni de deux ans
d'emprisonnement avec travaux forcés. Le Conseil fut
1. LeUre du 3 février 1905. V. VAborigines' Friend (organe de l'Ab.
Pr. Soc.) de mars 1905.
LA POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTON 267
d'avis de soumettre le cas au gouverneur par intérim,
et celui-ci, avec l'approbation du conseil exécutif, dé-
cida que si les membres du Conseil d'Ilesha estimaient
que les accusations prononcées contre le Loro étaient
prouvées, il devait être condamné à deux ans de pri-
son. Cette décision fut communiquée à TOvva et à son
Conseil, qui, ayant trouvé que les accusations étaient
exactes, le condamnèrent.
Le Secrétaire d'État insistait sur ce point qu'il n'y
avait rien dans l'incident dont il s'agissait qui prouvât
que le gouvernement anglais voulait affaiblir l'autorité
des chefs, mais que, bien qu'il n'ait point été dit pré-
cédemment, d'une façon officielle, que cette autorité ne
serait reconnue par le gouvernement anglais que tant
qu'elle s'exercerait conformément aux intérêts du pays,
il n'y avait là rien qui ne dérivât de l'établissement
même du protectorat de l'Angleterre sur ces pays. En
tous cas, l'Aborigine's Protection Society ne pouvait
soutenir que l'on devait laisser impuni un chef qui
commettait des exactions, et le laisser siéger dans un
Conseil qui administrait le pays. Toute modification de
l'ordonnance sur les Conseils indigènes qui aurait pour
résultat de laisser l'autorité des chefs s'exercer sans
restriction, tant que cette liberté pourrait conduire à
de tels abus, serait inadmissible.
L'Aborigine's Protection Society ne se .laissa pas
convaincre et écrivit, le 13 février 1905^, au Secrétaire
d'Etat aux colonies que, bien qu'elle ne suspectât pas
la bonne foi des fonctionnaires de Lagos, il serait dési-
rable, pour que l'on puisse éclaircir complètement l'af-
faire, que les comptes rendus des séances du Conseil
1. Loco cU,
268 LAGOS
d'Ilesha fussent examinés et qu'une enquêté fût faite
sur place. Quant à ce qui était de la doctrine professée
par le Secrétaire d*Etat, d'après laquelle le gouverne-
ment anglais aurait le droit d'intervenir dans les affai-
res indigènes toutes les fois qu'il lui paraissait que
Téquité et la bonne foi étaient violées, le comité ne
pouvait se résoudre à la considérer comme valable,
étant donné que les indigènes des pays de protectorat
s'étaient engagés simplement, par leurs traités, à
ouvrir les routes au commerce et à cesser les sacrifices
humains. On devait laisser au gouvernement local, tel
qu'il était constitué par les coutumes d'un pays, le soin
de contrôler les actes des chefs.
Le gouvernement de Lagos parut bien décidé cepen-
dant à ne pas changer de ligne de conduite et à mon-
trer de quelle manière il entendait que les chefs fussent
sous sa dépendance.
Sir W. Egerton effectua, au printemps 1905, une
grande tournée dans l'intérieur, et son passage à Ilesha
fut marqué par des incidents très caractéristiques.
Le gouverneur fut accueilli, aux portes de la ville,
par le résident et par les principaux chefs; mais l'Owa
ne le rencontra qu'une fois dans la ville et se borna à
le saluer, tandis que les chefs accompagnaient le gou-
verneur à la résidence, qui se trouvait, comme presque
tous les postes anglais, à l'extérieur de la ville.
Le gouverneur fit dire à l'Owa qu'il devait venir le
voir. Celui-ci commença par s'y refuser, déclarant que
ce serait manquer aux traditions du pays. Le gouver-
neur envoya des hamacaires « pour lui faciliter l'ascen
sion de la colline », et le chef n'osa pas persister dans
son refus.
LA POLITIQUB DE SIR WALTER EGERTON 2G9
Un grand palabre eut alors lieu, au cours duquel
rOwa rappela que Sir William MacGregor lui avait
assuré que le blanc qu'il plaçait auprès de lui, à Ilesha,
n'aurait d'autre rôle que de le soutenir dans son gou-
vernement, et ne devrait rien faire sans son approba-
tion et celle du Conseil. Le capitaine Ambrose avait
changé tout cela.
Il se plaignait ensuite des agissements de certains
chefs, de Temprisonnement que le résident faisait su-
bir à d'autres, et demanda le changement du capitaine.
Le gouverneur se borna à répondre qu'il était tout
aussi impossible de relâcher les chefs et de déplacer
le capitaine Ambrose, qu'à l'eau de monter au-dessus
de son niveau.
Le lendemain, le gouverneur rendit sa visite à l'Owa
et lui déclara qu'il devait l'accompagner à Bénin et
retournerait à Ilesha au bout de soixante jours.
Le Lagos Standart du 4 avril 1906 rapporte ainsi ce
qui se passa ensuite :
« Les chefs essayèrent de dissuader le gouverneur
de ce projet; mais celui-ci dit que si le roi ne pouvait
venir, il devait lui donner les chefs Rissawe et Arapate
pour l'accompagner.
« L'Owa refusa, disant qu'il avait déjà perdu deux
chefs par emprisonnement. La ville entière fut émue
en apprenant que le gouverneur avait proposé de pren-
dre l'Owa à Bénin. Les chefs se rendirent alors à Imo
Hill, mais échouèrent dans les tentatives qu'ils firent
pour dissuader le gouverneur de son projet.
« La situation devint critique lorsque l'on apprit que
l'Owa avait voulu se suicider. Tous les chefs se rendi-
rent au palais pour rester auprès de lui. Enfin on apprît
270 LAGOS
qu'au lieu de livrer les chefs Rissawe et Arapate, ou
de se suicider, le roi avait décidé d'aller lui-même avec
le gouverneur.
« Le dimanche matin 19 mars, le gouverneur envoya
M. Libert avec quatre soldats et des hamacaires pour
prendre le roi. Celui-ci mit ses habits d'apparat et
ordonna que sa suite fût convenablement vêtue.' Il fut
suivi par les chefs et les sous-chefs d'Ilesha, au nom-
bre d'à peu près deux cents. Cette foule suivit jusqu'à
Ipetu, terme de la première étape. Le capitaine Am-
brose était là aussi, veillant au confort de TOwa. Des
tentes séparées furent montées pour le gouverneur et
rOwa. Le gouverneur envoya un mouton et des bois-
sons à rOwa, qui accepta le mouton et refusa les bois-
. sons. Les chefs d'Ipetu demandèrent au gouverneur de
renvoyer l'Owa à Ilesha, disant qu'il était leur tête et
qu'il ne devait pas quitter le pays. Le gouverneur ré-
pondit qu'il ne voulait pas l'enlever au pays, mais seu-
lement le garder 60 jours à Bénin et qu'il le renver-
rait ensuite à Ilesha. Il visita l'Owa dans sa tente, et
rOwa lui rendit sa visite.
« Tous les chefs et les personnes qui avaient suivi jus-
qu'à Ipetu reçurent ensuite l'ordre de s'en retourner. »
Le secrétaire de l'Aborîgine's Protection Soc. ne pou-
vait manquer de protester en apprenant l'exil infligé au
roi d'IIesha. Le 1" août il adressa* au Secrétaire d'État
une nouvelle lettre qui est intéressante en ce qu'elle
fait connaître les conditions dans lesquelles Sir William
MacGregor avait organisé le gouvernement indigène
d'IIesha.
D'après M. Fox Bourne, lors de la visite que fit Sir
1. JF. A, M., 22 septembre 1903, n» 130.
LA POLITIQUE DE Sin WALTER EGERTON 271
W. MacGregor à Ilesha en juillet 1901 il fut décidé :
1® que le conseil consisterait, indépendamment de TOvva
et du Commissioner qui siégerait à titre purement con-
sultatif (adviser), en dix membres choisis par TOwa
et ses chefs avec l'approbation du gouvernement de
Lagos; que les comptes rendus des séances seraient
rédigés par un commis nommé et payé par le conseil;
que le conseil siégerait non point comme autrefois dans
la case de l'Owa, mais dans une nouvelle maison qui
serait accessible à tous; 2® que tous les procès ou dis-
cussions de toute espèce seraient jugés publiquement
par le conseil, et que personne ne pourrait à l'avenir
être emprisonné ou condamné à une amende sans avoir
été jugé en public^evant le conseil; 3** que, comme il
n'était pas désirable qu'il y eût deux prisons, la prison
de rOwa, qui était une partie de son palais, serait sup-
primée et tous les prisonniers seraient enfermés dans
la prison du résident, qui serait divisée en deux parties,
rOwa et le résident prenant chacun sa moitié des pri-
sonniers. De même, lorsqu'une amende serait pronon-
cée, le montant en serait partagé de la même manière,
une moitié servant à alimenter les revenus de l'Owa,
et l'autre moitié servant au Commissioner pour l'entre-
tien de la prison. Sir William MacGregor obtint aussi
qu'au lieu d'envoyer des messagers prélever une dîme
dans les villages, une somme serait fixée pour chaque
village, de façon à former un tribut annuel.
Lorsque le châtiment infligé à l'Owa par le gouver-
neur Egerton fut connu à Lagos, un meeting provoqué
par les indigènes « educated » eut lieu dans le Glover
Mémorial Hall pour protester contre la manière d'agir
du successeur de Sir W. MacGregor. A la suite de cette
272 LAGOS
réunion, une longue pétition, datée du 3 juin 1905% fut
adressée au Secrétaire d'État pour les colonies. Elle
était conçue à peu près dans les mêmes termes que
les lettres que l'Aborigine's Protection Society avait
adressées à ce dernier sur ce sujet. Une des phrases
les plus caractéristiques était la suivante :
« Les pétitionnaires regrettent que, depuis le départ
de Sir William MacGregor, la saine politique qu'il avait
inaugurée ait été abandonnée, que sans l'approbation
de rOwa et du conseil d'Ilesha, et sans tenir compte
de leurs fortes protestations, deux membres du Native
Council aient été arrêtés et emprisonnés par le capi-
taine Ambrose, dont le rôle au conseil, d'après ce que
le gouvernement anglais avait assuré, n'était que celui
d'un conseiller qui n'aurait dû rien faire qui puisse
affaiblir l'autorité indigène, mais au contraire fortifier
sans cesse la part prise par les chefs dans l'administra-
tion du pays. »
La déportation de l'Owa ne devait du reste pas être
de longue durée, et après dix-sept jours de résidence
dans la ville de Bénin il fut autorisé à retourner à
Ilesha.
L'opinion publique n'en fut cependant pas calmée,
d'autant que, sur ces entrefaites, il arriva que l'un des
deux chefs emprisonnés, l'Oba Odo, mourut. Au cours
des réunions tenues au Mémorial Hall, une société fut
fondée sous le nom de Lagos Aborigine's Protection,
pour défendre les indigènes dont les intérêts seraient
violés par le gouvernement anglais.
Le chef qui restait en prison fut relâché par la suite.
1. JV, A, J/., 18 août 1905, n* 125.
LA POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTON 273
L'incident était terminé; mais TActingCovernor n'en
répondit pas moins à la députation qui vint lui présen-
ter les hommages de la nouvelle société % qu'il semblait
que les chefs s'étaient figuré que non-intervention du
gouvernement voulait dire que le gouvernement inter-
viendrait toujours pour voir que la justice fût respectée.
Il s'çn était fallu de peu que les événements prissent
une très mauvaise tournure; mais la fermeté du gouver-
nement anglais avait triomphé des velléités d'indépen-
dance contre lesquelles il avait voulu réagir.
Cette politique nouvelle allait être officiellement
inaugurée par la fusion de la Southern Nigeria et de
Lagos en une seule administration.
Le mécanisme de cette fusion a été le suivant :
Le 28 février 1906, des Lettres Patentes ont été « pas-
sées sous le grand sceau du Royaume-Uni, constituant
l'office du gouverneur et du commandant en chef de la
colonie de la Southern Nigeria et disposant pour le gou-
vernement de cette colonie ».
Elles abrogeaient les Lettres Patentes du 13 janvier
1886 qui avaient créé la Colonie de Lagos, .cela sans
préjudice de tout ce qui a pu être fait légalement en
vertu de ces Lettres Patentes.
Elles portaient :
« Attendu que nous désirons changer la désignation
de ladite colonie de Lagos et de la Southern Nigeria et
prendre de nouvelles dispositions pour son gouverne-
ment :
« 1° Notre colonie de Lagos sera, à partir de la date
»
1. W. A. M„ 15 septembre 1905, n» 129.
18
274 LAGOS
de la mise à exécution de nos Lettres Patentes, connue
comme notre colonie de Southern Nigeria.
« 2^* Notre colonie de Southern Nigeria désignée ci-
dessous sous le nom de « la Colonie», comprendra, jus-
qu'à ce qu'il en soit disposé autrement, Tîle de Lagos
et ceux des territoires avoisinants qui ont été annexés
à notre domaine.
« 3M1 y aura un gouverneur et commandant en chef
de la Colonie, et la nomination à ce poste sera faite par
commission, sous notre signature et signet. »
Les Lettres Patentes posent ensuite le principe de
l'existence d'un « Executive Council » et d'un « Légis-
lative Council », dont les attributions et la constitu-
tion doivent être fixées par des « Instructions Royales ».
Elles ajoutent :
« Jusqu'à ce qu'elles aient été rapportées ou abro-
gées par des lois ou ordonnances « passées » par le
Législative Council constitué ci-dessus, toutes les lois^
ordonnances, proclamations, règlements et autres dis-
positions actuellement en force dans notre colonie de
Lagos resteront en force et continueront d'avoir plein
effet dang la colonie et les territoires connus précé-
demment comme le « Protectorat de Lagos », où elles
sont en vigueur. »
Il faut comprendre par là que le principe seulement
de la fusion de Lagos et de la Southern Nigeria est posé.
II continue d'exister comme auparavant trois régions
soumises à des régimes politiques et législatifs bien
différents.
1"* La colonie proprement dite de Lagos, qui était la
seule « Crown Colony » du groupe et qui devient la
« Southern Nigeria ».
LA POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTON 275
2^ Le Protectorat de Lagos, qui englobe les tribus qui
n'avaient pas cédé leurs terres à la Couronne.
3"" Le Protectorat de la Southern Nigeria, qui est Tan-
cienne Southern Nigeria.
Le seul fait nouveau est que leur administration
centrale est commune et qu'à l'avenir, en principe,
elles pourront avoiç une législation commune. Nous
verrons tout à l'heure les réserves qu'il faut faire à ce
sujet.
Les Lettres Patentes déterminent ensuite l'étendue du
pouvoir du gouvernement du Législative et de TExecu-
tiveCouncil; mais il est à remarquer qu'elles ne dispo-
sent qu'en ce qui concerne la « Colonie ». Il n'est point
question des Protectorats ailleurs que dans le paragraphe
que nous venons de reproduire, parce que, n'étant pas
(( Colonies de la Couronne » proprement dites, ils ne
participent pas aux mêmes privilèges. En fait, cela veut
dire que l'organisation judiciaire en vigueur* dans la
Colonie, et qui est calquée sur celle de l'Angleterre, ne
s'étend pas aux Protectorats, et que le gouverneur peut
légiférer en ce qui concerne le Protectorat sans passer
par le Législative Cauncil, qui théoriquement est un
conseil représentatif des intérêts des particuliers, euro-
péens ou indigènes.
C'est ce qu'a plus explicitement déclaré un « ordre »
du roi pris en conseil le 16 février 1906, qui fusionne
en un seul les « ordres du 24 juillet 1901 constituant le
« Lagos Protectorate », et l'ordre du 27 décembre 1899
constituant le Southern Nigeria Protectorate qui est
limité au sud par l'océan Atlantique, à l'ouest par la ligne
frontière entre les territoires français et anglais, au
nord et au nord-est par le Protectorat de la Southern
I
r
\t
I
(
276 LAGOS
Nigeria, et à Test par la frontière entre les territoires
allemands et Sanglais.
L'ordre porte qu'il est entendu qu'il ne s'applique
point à la partie du domaine de Sa Majesté qu'il désigne
comme la « colonie de la Southern Nigeria », ce qui
veut dire que les territoires compris sous cette dénomi-
nation ne font pas partie du Protectorat. Mais rien dans
l'ordre ne vient expliquer qu'il s'agit de l'ancienne
colonie de Lagos; cela eut été cependant nécessaire,
puisque l'ordre est du 16 février, et que les Lettres
Patentes donnant à la colonie de Lagos le nom de
Southern Nigeria Colony ne sont que du 28 février.
C'est là un exemple entre mille du désordre qui n'a
cessé de régner dans cette législation anglaise aux
formes hiératiques.
En vertu de cet ordre :
« Il sera légal pour le « Législative Council » de la
Southern Nigeria d'exercer par des ordonnances et de
donner effet aux pouvoir et juridiction que Sa Majesté
a pu acquérir avant la mise en vigueur de cet ordre
sur les territoires désignés ci-dessus,
« A condition que :
« 1° Ces ordonnances ne contiennent rien qui porte
atteinte aux droits garantis aux indigènes par les trai-
tés passés entre eux, la reine Victoria et le roi actuel.
« 2^* Toutes les lois, ordonnances étant en vigueur
actuellement resteront en vigueur jusqu'à ce qu'elles
aient été abrogées ou modifiées par le « Législative
Council » de la « Soutliern Nigeria ».
« 3** Que toute action déjà engagée devant les tribu-
naux de ces territoires soit continuée comme si l'ordre
n'avait pas été passé, et, point capital,
LA POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTOX 277
« 4* Le gouverneur de la Southern Nigeria pourra
s'opposer au vole de ces lois ou ordonnances. Le roi,
de son côté, aura le droit de rapporter ou de modifier
celles qui auront été prises, et il pourra, avec Tavis ouïe
conseil du parlement ou de son conseil privé, prendre
telle disposition législative qu'il jugera convenable. »
En d'autres termes, tandis que dans la Colonie le
Législative Council est théoriquement tout-puissant en
matière législative (je dis théoriquement, parce qu'en
réalité, du fait de sa composition, il est le plus sou-
vent à la discrétion du gouverneur), le gouverneur et le
gouvernement anglais peuvent prendre les décisions
qui leur paraîtront convenables, en ce qui concerne le
Protectorat, à condition de respecter les traités passés
avec les indigènes.
L'ordre dispose ensuite que le gouverneur pourra
nommer, avec l'approbation du Secrétaire d'État aux
colonies, les différents fonctionnaires et magistrats
nécessaires à l'administration du Protectorat.
Enfin, une Commission Royale, en date du 1®' mars
1907, a nommé sir Walter Egerton gouverneur de la
nouvelle colonie de la Southern Nigeria avec les pou-
voirs que l'ordre du 16 février 1906 a donnés sur le
Protectorat au titulaire de cette fonction.
La première proclamation qu'il rendit, le l**" mai,
divisa la Colonie et le Protectorat en trois provinces :
1^ Le Lagos ou « Western Province, » limité au nord
par la N. Nigeria, au sud par la mer, à l'ouest par le
territoire français du Dahomey, et à l'est par les terri-
toires connus précédemment comme protectorat de la
Southern Nigeria.
2^ La « Niger ou Central Province », limitée au nord
278 LAGOS
par la Southern Nigeria, au sud par la mer, à Touest par
la province de Lagos ou Western Province, et à Test par
les districts de Brass, Elipaffia, Owerri, Bendi et Afilipo.
3*^ La « Calabar » ou Eastern Province, limitée au
nord par la Northern Nigeria, au sud par la mer, à
Fouest par le « Niger ou Central Province », et à Test
par les territoires allemands du Cameroon.
Cette division ne fait pas de différence entre la Colo-
nie et le Protectorat de Lagos. C'est qu'en fait elle est
surtout faite au point de vue financier et douanier. 11
est incontestable cependant que Ton doit voir là un
désir d'unification politique.
A la tête de chaque province est nommé un « Pro-
vincial Commissioner », un trésorier et un « coUector »
des douanes. Un « Financial Commissioner » a la di-
rection générale des finances et des douanes.
Les travaux publics sont dirigés par un seul fonc-
tionnaire, et les services de l'agriculture, qui jouent
un rôle si important depuis quelque temps à Lagos et
dans la Southern Nigeria, restèrent confiés à M. Thomp-
son, qui y avait déjà fait de si bonne besogne.
Le point le plus important était de savoir laquelle
des deux politiques devait l'emporter, celle qui était
suivie à Lagos ou celle de la Southern Nigeria.
Les discours qui furent prononcés à la cérémonie qui
eut lieu à Lagos le 1®*" mai 1906 et au cours de laquelle
fut proclamé l'ordre royal, sont assez significatifs à cet
égard pour qu'il soit intéressant d'en résumer les prin-
cipaux passages.
La ville avait été entièrement pavoisée, et la Marina*
1. Boulevard qui longe le port de Lagos.
L/i POLITIQUE DE SIR W'ALTER EGERTON 279
présentait l'aspect le plus gai. Dès le matin, les troupes
de la police et du West African Frontier Force avaient
été échelonnées du Gouvernement au Palais de justice.
A huit heures, une garde d'honneur prit position avec
les musiques militaires près du Palais.
Le gouverneur et Lady Egerton arrivèrent peu après.
Ils furent reçus par le Chief Justice, le Colonial Secre-
tary, TAttorney-General, le Trésorier et le Principal
Médical Officer. Il s'assit sur un trône placé au milieu
de la grande salle. Le Chief Justice se plaça à sa droite,
le Colonial Secretary à sa gauche, et Lady Egerton à
droite du Chief Justice.
Le sheriff commanda alors silence, et le Colonial
Secretary lut les Lettres Patentes qui constituaient la
Colonie et le Protectoratsde la Southern Nigeria.
Le sheriff cria ensuite avec force : « God save the
King, » et, au signal d'une trompette placée sur la gale-
rie, vingt et un coups de canon furent tirés, tandis que
la musique jouait l'hymne national.
Lorsque cela fut terminé, l'Attorney-General donna
lecture du « Royal Order » définissant les territoires
de la Colonie et du Protectorat et constituant les divers
organes du gouvernement.
Le Colonial Secretary lut la commission nommant
Sir Walter Egerton gouverneur et commandant en
chef de la colonie.
Le gouverneur prêta alors devant le Chief Justice
serment de fidélité au roi.
M. Spara William s'avança ensuite, et, s'adressant à
Sir W. Egerton, il rappela tout d'abord que la Colonie
avait autrefois déjà été rattachée à une autre Colonie,
celle de la Gold Coast, puis que, à la suite d'une pétition
280 LAGOS
de la communauté, Lagos avait retrouvé son indépen-
dance, grâce à laquelle il s'était développé de si belle
façon. En ce jour une nouvelle fusion s'opérait; Lagos
allait devenir la capitale et le centre de la Colonie et du
Protectorat de la Southern Nigeria. Il continua ainsi :
« A vous, Sir, le gouvernement de Sa Majesté a bien
voulu confier le privilège d'organiser le gouvernement
de ce vaste territoire. Le bonheur ou le malheur des
peuples qui l'habitent dépendent de la manière dont ils
seront administrés, et c'est pourquoi la communauté
envisage le nouveau système avec la plus grande
anxiété. On ne peut nier que si l'administration du
gouvernement a lieu d'une manière avantageuse pour
les administrés, cette Colonie et ce Protectorat se dé-
velopperont en peu d'années d'une manière qui en fera
un des joyaux sans prix du domaine de Sa Majesté sur
la côte occidentale d'Afrique.
« Il y a de grandes possibilités commerciales et
autres dans cette Colonie et ce Protectorat, que vous
n'avez manqué de noter dans vos voyages et qui ne
demandent qu'une bonne direction pour être mises en
valeur, et nous espérons que cette bonne direction ne
fera pas défaut à la suite de l'extension des territoires.
« Par cette amalgamation, l'administration est appe-
lée à régir des peuples dont l'idiosyncrasie, la manière
et les usages diffèrent entièrement, et nous espérons
fermement que, grâce à une étude judicieuse de leurs
besoins, ils ne formeront tous qu'un amalgame de
peuples heureux.
« On ne peut nier que le critérium de l'excellence
d'un gouvernement est la mesure dans laquelle il tend
à accroître la somme des bonnes qualités des adminis-
LA POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTON 281
très considérés comme collectivités ou individus, et le
gouvernement que vous avez formé aujourd'hui sera
jugé d'après son influence sur les hommes et d'après
son influence sur les choses, d'après la manière dont il
fera de nous ses citoyens et ce qu'il fera de nous, ses
tendances à améliorer ou détériorer le peuple, ce qu'il
y aura de bon ou de mal dans l'œuvre qu'il accomplirat
par vous et par votre intermédiaire.
« Les citoyens de cette Colonie et de ce Protectorat
croient et espèrent en son avenir, et votre nom, Sir,
sera transmis à la postérité comme l'instigateur de ce
qui, nous l'espérons, sera un bienfait pour nous.
« Nous espérons aussi que les « Punitive Expédi-
tions » et les destructions de vies qu'elles entraînent
seront épargnées à la Colonie et au Protectorat, et qu'au-
cun acte de l'administration ne viendra porter atteinte
à l'autorité des rois et des chefs du Protectorat, et en
aucune manière intervenir dans leurs droits incontes-
tables de gouverner leur contrée, avec les conseils
judicieux de Sa Majesté.
« Nous espérons aussi que dans l'administration de
ce vaste territoire, peuplé d'indigènes, l'élévation [ad-
vancement) des indigènes sera l'idée prédominante.
L'Angleterre a pris sous son protectorat le gouverne-
ment des races indigènes et leurs intérêts. Elle ne
peut accomplir cette noble mission qu'avec le bon vou-
loir des indigènes eux-mêmes dans l'administration de
leurs aff'aires, et c'est la prière de tous les indigènes de
ce pays que Votre Excellence puisse illustrer par son
administration la bienveillance et les principes huma-
nitaires qui sont liés historiquement au nom de la
Grande-Bretagne.
282 LiV(;os
« Fermement persuadés que la Providence tout avi-
sée qui gouverne et guide les destinées des nations
protégera, de tout son pouvoir souverain, contre tout
orage, cette barque qui a été aujourd'hui mise à Teau, et
la conduira dans un port de prospérité, nous souhai-
tons à la- colonie de la Southern Nigeria abondance,
paix et prospérité. »
Après avoir remercié M. Spara William des paroles
élogieuses qu'il avait prononcées à son égard, le gou-
verneur insista longuement sur les avantages qui pou-
vaient résulter pour Lagos et la Southern Nigeria de
la fusion des gouvernements. Il déclara que les chefs
de la Southern Nigeria ne devaient pas craindre d'être
mis au second rang; il y avait place pour tous.
Les relations commerciales très prospères qui s'é-
taient établies entre Lagos et la Southern Nigeria ne
pouvaient aller qu'en se développant. « Dans tout le
territoire à l'ouest du Niger, l'ordre est établi, et l'on
peut dire la même chose d'à peu près les deux tiers des
régions situées à l'est du fleuve. En peu d'années,
dans tout le Protectorat, les indigènes pourront cultiver
les terres de leurs villages, sans crainte d'être pillés
par des voisins plus puissants, et avec la certitude de
pouvoir jouir de leurs champs et de leurs propriétés. »
Il montra ensuite comment ce sont les habitants de
Lagos qui ont rendu possible l'administration de la
Southern Nigeria en fournissant les éléments du gou-
vernement civil et militaire, et il continua ainsi :
(c Vous avez une noble tâche à remplir dans les
territoires qui s'étendent d'ici au Cameroon. Je compte
sur vous, habitants de Lagos, pour m'aider à répandre
les bienfaits de la civilisation, de la paix, et de la sécu-
LA. POLITIQUE JOE SIR WALXBA ECBBTON 283
rite parmi ces peuples, et pour fournir des professeurs
aux écoles qui se multiplient sans cesse.
« M. William vient de faire allusion aux « Punitive
« Expéditions ». Il n'y a personne qui les haïsse plus
que je ne les hais. Je suis désolé d'être obligé de dire
qu'elles sont quelquefois nécessaires. Elles ont été
nécessaires autrefois dans l'intérieur du Protectorat
de Lagos; mais ce temps est passé, et je pense qu'i} ne
reviendra pas. Pensez-Vous que moi, en tant que gou-
verneur, j'aime les <t Punitive Expéditions » ? Savez-
vous combien elles sont coûteuses, combien de milliers
de livres elles coûtent, que je voudrais dépenser à faire
des routes et des chemins de fer, et à accroître la
prospérité et la mise en valeur du pays ?
« Je hais les « Punitive Expéditions », mais lorsque
j'apprends que le commerce des esclaves continue, que
des sacrifices humains sont perpétrés, que des villages
qui cultivent tranquillement leurs champs ont été dé-
vastés par leurs voisins, je suis obligé d'envoyer mes
troupes pour empêcher le renouvellement de ces faits.
J'espère que dans quelques années ce ne sera plus
nécessaire. Je serais enchanté que cela arrive pendant
que je serai encore là, mais si cela n'est pas, je sais
que cela sera ainsi sous mes successeurs.
« M. William a aussi parlé du maintien de la posi-
tion des chefs indigènes. Je désire la maintenir; je
désire renforcer leurs pouvoirs, mais les chefs indigè-
nes ressemblent beaucoup aux grands hommes d'Eu-
rope et d'Amérique et des autres parties du monde, qui
souvent font des erreurs ou pis. Lorsqu'ils n'adminis-
trent par leurs peuples pour le bien de l'entière popu-
lation, je suis obligé d'intervenir et de les punir en les
284 ' LAGO^
déplaçant temporairement, ou même en les déposant.
Cela n'est pas nouveau. Cela s'est fait bien avant que
les Anglais aient pris possession iie pays. Vous pouvez
être sûrs que je sympathise avec les chefs indigènes.
Je ferai tout ce que je pourrai pour les aider pour le
bien de leur pays. »
Sir Walter Egerton parla ensuite du développement
qu'il espérait voir prendre au pays. 11 montra comment
Lagos, bien loin de disparaître, allait devenir une
capitale considérable, et il donna l'assurance que les
travaux d'amélioration du port seraient entrepris, le
chemin de fer prolongé plus avant dans Tintérieur.
Il termina ainsi :
« Le pays se développe déjà rapidement, l'éducation
et la religion se répandent parmi le peuple, le com-
merce s'accroît. Je dois en remercier à la fois les Eu-
ropéens et les indigènes et aussi le corps toujours
grandissant de commerçants entreprenants européens.
Faites qu'il y ait moins de jalousie entre les Européens
et les indigènes. Les uns ne peuvent agir utilement
sans les autres; plus cordialement ils travailleront
ensemble, meilleur ce sera pour eux. Je désire de tout
mon cœur prospérité à la nouvelle administration, et
j'espère que vous m'aiderez à la rendre prospère. »
Vingt et un coups de canon furent de nouveau tirés
au son de l'hymne national.
Le gouverneur se rendit alors sur la porte du palais,
où les documents offlciels furent lus au peuple en
Yomba.
Le soir, un grand bal eut lieu au gouvernement pour
clôture de fête.
Il peut paraître un peu étonnant, pour ceux qui ne
LA. POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTON 285
p
sont pas au courant de la situation politique de TAfri-
qiie occidentale anglaise, d'entendre en un jour pareil
un indigène parlant d'une façon quasi officielle au nom
de ses semblables, souhaiter que le pouvoir souverain
n'entreprenne pas des campagnes inutiles ou ne viole
pas les traités qu'il a passés. Ce sont là les vœux que
les leaders des Educated Natives ne perdent guère une
occasion de prononcer. Les paroles de M. Spara Wil-
liam n'en présentent pas moins un caractère particulier
dans la circonstance solennelle où elles ont été pronon-
cées.
On peut penser aussi qu'en cette occurrence il n'au-
rait dû être question que des avantages qui allaient
résulter de l'union des deux pays. On n'eût pas man-
qué chez nous, en pareille circonstance, d'invoquer « la
solidarité des peuples et la confraternité des races »,
et l'inanité de ces mots aurait peut-être dispensé
d'insister sur les points plus délicats.
Sir Walter Egerton n'a pas craint de répondre fran-
chement à la pensée de tous ceux dont M. Spara Wil-
liam n'avait été que l'interprète; les politiques suivies
à Lagos et dans la Southern Nigeria tendraient de plus
en plus à s'uniformiser.
Il ne faut point voir, du reste, dans l'inquiétude que
causa aux indigènes la fusion des deux colonies, unique-
ment la marque de la crainte de perdre une partie des
prérogatives qu'ils croyaient avoir obtenues chez eux.
Les puissances européennes se sont partagé l'Afri-
que et ont créé un certain nombre de petits Etats dans
lesquels les différentes tribus qui les peuplent, hier
ennemies, ont été pacifiées et soumises au même régime.
Elles ont senti naître en elles une communauté d'aspi-
286 LAGOS
rations venant de ce que leurs intérêts étaient devenus
communs, et de ce que les institutions dont on les avait
dotées avaient produit sur elles les mêmes effets. Il en
est résulté un sentiment nouveau, par-dessus l'esprit de
tribu, celui d'une sorte de nationalisme, ce qui ne veut
pas nécessairement dire loyalisme vis-à-vis des puis-
sances européennes.
Évidemment il n'y a là rien de bien profond; mais
lorsque, comme à Lagos, la même influence se fait
sentir depuis plus de cinquante ans; qu'en outre, par
un heureux hasard, la délimitation administrative n'a
guère englobé que des peuples de la même race, ce
sentiment a pu prendre des racines plus profondes.
Lorsqu'ils ont vu disparaître ce gouvernement auquel
ils étaient habitués et qui leur avait donné une unité
qu'ils n'avaient jamais connue, il est naturel qu'ils aient
éprouvé quelque désarroi.
La fusion de Lagos et de la Southern Nigeria était
inévitable. Sir Walter Egerton en profita pour marquer
le sens dans lequel il entendait exercer désormais son
action sur ces pays.
Une série d'incidents ne devait pas tarder à lui don-
ner de nouvelles occasions de réaliser sa politique.
La province d'ibadan fut agitée pendant l'année 1907
d'une manière assez grave, par suite de dissentiments
entre le Baie et les autres chefs, en l'absence du rési-
dent titulaire, le capitaine Elgee*.
Il semble qu'au début lé malentendu provenait, en
dehors de rivalités personnelles, du désir de voir le
1. V. Lagos Weekbj Record du 31 août 1907 au 18 janvier 1908.
LA POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTON 287
Baie distribuer plus de libéralités qu'il ne faisait aux
chefs et au peuple, ainsi qu'il était d'usage.
L'Acting Résident prit tout d'abord parti pour le Baie
et lui dit qu'il pouvait compter sur l'appui du gouver-
nement.
Pendant un palabre au cours duquel le Baie et les
chefs avaient essayé de se réconcilier, une note de
TActing Résident arriva dans laquelle il convoquait le
conseil pour le lendemain.
Les chefs crurent que c'était quelque manœuvre con-
tre eux et déclarèrent qu'ils ne se prêteraient à aucune
tentative de réconciliation jusqu'à ce qu'ils sachent ce
que signifiait cette convocation soudaine. Ils ne se
rendirent point à la réunion, à laquelle seuls assistè-
rent le Baie et trois chefs d'un rang inférieur.
Le résident intérimaire, croyant probablement qu'il
fserait de bonne politique de profiter de la dissension
des chefs pour prendre des mesures que leur entente
avait fait échouer jusque-là, proposa au conseil de
modifier le régime foncier et déclarer les terres alié-
nables.
Le Baie approuva, en mettant cependant comme res-
triction qu'il n'y aurait là rien d'obligatoire, et que
même sous cette forme inapplicable au point de vue
pratique, et dont on ne voit guère la possibilité au
point de vue théorique, cela ne serait admis que si les
Egbas l'acceptaient également.
Le seul résultat fut que l'opinion générale tout en-
tière se souleva contre le Baie; celui-ci n'eut d'autre
ressource que d'en appeler à l'Alafin, qui ne parvint
pas à ramener le calme.
Les querelles entre partisans du Baie et d'Apampa,
288 LAGOS
«
qui paraissait rinstîgateur de Topposition, continuèrent
de plus belle^ et Ibadan fut pendant un temps complè-
tement dans l'anarchie.
Les chefs dissidents envoyèrent une députation à
Lagos. Le gouverneur refusa leurs présents, comme
pour montrer qu'il n'était pas avec eux.
Les « White Cape Chiefs* » ne voulurent point non
plus écouter les délégués, disant qu'ils ne pourraient
agir que comme arbitres, et que pour cela ils devraient
entendre les deux parties; ils leur conseillèrent de faire
la paix avec le Baie.
De retour à Ibadan, les partisans d'Apampa décla-
rèrent cependant qu'ils avaient obtenu gain de cause
et que le Baie n'avait plus de pouvoir sur eux.
Sur ces entrefaites (31 octobre), le capitaine Elgee,
de retour de congé, reprit son poste à Ibadan et parut
tout d'abord prendre parti contre Apampa, à qui il
donna sept jours pour se réconcilier avec le Baie.
Cependant la semaine suivante, probablement à la
suite d'instructions reçues de Lagos, il annonça au Baie
qu'il devait démissionner.
L'Acting Chief Justice assisté de l'Acting Provincial
Commissioner commencèrent cependant une enquête
le 21 novembre sur les troubles d'Ibadan.
Les membres de l'opposition leur dirent que les
troubles provenaient de ce que le Baie avait changé
arbitrairement les chefs d'Etan et d'Oxo pour don-
ner le commandement de ces villages à deux de ses
partisans.
La commission d'enquête parut donner raison au Baie,
1. Les chefs de Lagos.
1
LA POLITIQUE DB Sin WALTER EGERTON 289
qui n'avait agi qu'avec le concours de l'Acting Résident
et en restituant des terres à leurs véritables posses-
seurs.
Les journaux indigènes de Lagos ne manquèrent pas
de faire remarquer combien était extraordinaire le pro-
cédé du gouvernement qui obligeait le Baie à démis-
sionner avant que l'enquête ait été faite.
Sir W. Egerton se rendit à Ibadan le 8 janvier 1908
pour nommer un nouveau Baie.
D'après l'usage, c'est le Bashorum ou second chef
qui succède au Baie, et le gouverneur ayant demandé
<iui I on désirait nommer Baie, on lui 'répondit que
Apampa avait été nommé Bashorum et que c'était lui
•qui devait par conséquent être nommé Baie
Le gouverneur déclara qu'il n'avait pas à* considérer
cette question du Bashorum, mais qu'il désirait simple
ment savoir qui l'on voulait nommer Baie.
On lui répondit que c'était Apampa.
Le gouverneur répondit qu'il avait consulté l'Alafm
qui lui avait dit que Apampa ferait en effet un bon
oale.
Il souhaita ensuite que l'ordre se rétablisse à Ibadan
et déclara que, bien que les journaux de Lagos aient
dit qu il voulait supprimer le poste de Baie, ce n'était
point son intention. Il nommait provisoirement Apampa
Il parait bien évident que dans toute cette affaire Sir
W. Egerton ait vu une occasion de manifester son
autorité sur le commandement d'Ibadan, et montrer
que ce commandement dépendait du gouvernement
de Lagos.
19
290 LAGOS
I
L'opinion générale était certainement contre l'ancien
Baie. En nommant Baie celui qui avait provoqué toute
cette agitation, le gouverneur mettait le nouveau chef à
sa discrétion et profitait de troubles locaux pour poser
un principe que n'avaient jamais reconnu les Yorubas
et qui était certainement contraire aux traités primitifs
de protection.
Les journaux de Lagos ne manquèrent pas, naturelle-
' ment, de protester une fois de plus contre les procédés
de Sir W. Egerton et de déclarer que depuis son arri-
vée à Lagos le mécontentement général n'allait qu'en
augmentant.
Cela n'empêcha pas Sir W. Egerton d'étendre sa
politique à Abeokuta.
Le résident anglais n'étart toujours que le « Railway
Commissioner », d'après la fiction qui avait servi de
prétexte pour le placer auprès de l'Alake. Un prétexte
du même genre parut bon pour accroître ses pouvoirs.
Le gouvernement de Lagos se déclara prêt, en jan-
vier 1908, à dépenser 2.000 livres sterling en construc-
tions de routes et travaux de drainages dans les terri-
toires egbas, mais dit qu'il serait nécessaire que^son
représentant pût surveiller l'emploi qui serait fait de
cette somme, et pour cela siégeât au conseil de l'Alake,
s'occupant spécialement de la gestion des finances du
gouvernement Egba, dont les comptes seraient con-
trôlés par r « Audit Department » de Lagos.
Le Commissioner ou un autre fonctionnaire anglais
présiderait en outre la Native Court, assisté de deux
juges indigènes, et la compétence de celle-ci s'étendrait
à tous les cas civils et criminels.
LA POLITIQUE DE SIR WALTER EGERTON 291
L'Alake, de son côté, recevrait une subvention de
300 livres sterling par an.
Un meeting de tous les chefs eut lieu* à Itaka le 4
janvier, dans lequel M. Georges, le trésorier indigène
du gouvernement Egba, assisté de M. Ladopo Ademala,
l'agent de celui-ci à Lagos, expliqua ces propositions.
Naturellement les chefs les accueillirent avec un vif
mécontentement et déclarèrent que ce que voulait le
gouvernement anglais, c'était la fin de V « Etat indé*
pendant des Egbas ».
Le Commissioner s'efforça d'assurer à l'Alake que
c'était M. Georges qui avait mal exposé les choses, et
demanda à le faire lui-même devant un nouveau mee-
ting.
La réunion eut lieu, et, d'après le Lagos Weekly
Recordy le discours qu'il prononça peut se résumer
ain$i :
Les Egbas avaient entendu dire combien leur pays
serait riche s'il était pourvu de routes pour qu'on
puisse le mettre en valeur. Le gouvernement de Lagos
était prêt à dépenser 2.000 livres sterling pour la cons-
truction de ces routes et l'établissement d'une conduite
d'eau à Abeokuta ; mais comme ces travaux donneraient
lieu à de nombreuses discussions, il serait nécessaire
que le Commissioner ait un siège dans le conseil pour
aider à faire le budget et discuter les autres questions
importantes.
D'un autre côté, les décisions de la Native Court n'é-
taient pas toujours satisfaisantes. Ces décisions seraient
mieux acceptées si elles étaient rendues par le Commis-
sioner présidant le tribunal assisté de deux indigènes.
1. Lagos Weekly Record, 18 janvier 1908.
292 LAGOS
On avait dit que le gouverneur avait voulu acheter
TAlake en lui payant 300 livres par an, mais le gouver-
neur était assez riche pour payer plus cher si tel avait
été son but.
L'Ashipa des Egbas et le Balogum d'Iddo ayant
voulu répondre, le Commissioner aurait déclaré qu'il
était venu pour parler, et non pour écouter, et leva la
séance.
L'indignation fut générale ; l'Alake fut obligé d'inter-
venir, mais le gouverneur anglais n'en avait pas moins
affirmé sa volonté, et le Commissioner se conduisit de
plus en plus comme un véritable résident.
Nous avons vu, dans notre chapitre sur les Budgets
des Etats indigènes, que, sous forme d'un emprunt,
Sir Walter Egerton avait associé les finances de la
Colonie à celles de l'État Egba.
La formule de Protectorat qu'avait posée Sir Wil-
liam MacGregor ne pouvait aboutir qu'à'la réalisation
cherchée par Sir W. Egerton et, grâce à la prospérité
remarquable dans laquelle n'a cessé de se développer
la Nigeria du Sud, cette évolution s'est accomplie sans
heurts et d'une manière qui fait le plus grand honneur
'aux deux éminents gouverneurs qui ont assuré l'éta-
blissement pacifique de l'Angleterre dans ce beau pays.
CHAPITRE XXI
NIGERIA
Les Précurseurs.
La découverte du cours du Niger a été une entre-
prise essentiellement anglaise.
En 1788, le président de la « Royal Society » fonda
TAfrican Association, qui devait se consacrer à l'étude
de la géographie africaine et trouver la route d'accès
la plus pratique vers le Niger, qui arrosait, disait-on,
des contrées d'une richesse inouïe.
L'Association envoya successivement John Leydard,
qui mourut au Caire; Lucas, qui quitta Tripoli en
février 1789, mais qui fut obligé de s'en retourner au
bout de huit jours devant l'hostilité des tribus arabes;
Hougthon, qui partit de la Gambie, mais fut massacré
par le» Touaregs; Watt et Winterbottom, qui prirent
comme' point de départ Sierra Leone et durent revenir
en arrière après soixante jours de marche.
En 1792 enfin, le choix de l'Association se porta sur
le jeune Mungo Park, qui devait arriver à Segou le
21 juillet 1796 après un voyage dont il est inutile de
rapporter ici les péripéties bien connues.
L'Association devait encore envoyer d'autres voya-
geurs, parmi lesquels Hovnemann et NichoUs, qui attei-
gnirent le Nupé, mais moururent avant leur retour.
A la suite du premier voyage de Mungo Park, le gou-
294 NIGERIA
vernement anglais se décida à intervenir et demanda à
rheureux voyageur de prendre la direction d'une expé-
dition qui devait explorer le cours du Niger et établir
des relations amicales avec les tribus riveraines.
Mungo Parle devait être accompagné d'un second et
de quarante-cinq soldats européens et autant d'indigè-
nes qu'il lui serait nécessaire de prendre. Une somme
de 5.000 livres était mise à sa disposition.
En mars 1905 il arrivait à Corée, où il recruta son
escorte, et partit ensuite de la Gambie pour pénétrer
dans l'intérieur en suivant son premier itinéraire. On
sait comment, malgré la mort de presque tous ses
compagnons et les attaques des indigènes, il put
descendre le Niger depuis Sansanding jusqu'à Boussa,
où il mourut soit noyé dans les rapides, soit tué par
les noirs.
Le gouvernement anglais résolut de recommencer la
tentative. D'après Mungo Parle, le Niger devait être un
affluent du Congo. 11 fut décidé, en 1816, que le capi-
taine Tuckey partirait des embouchures du Congo,
tandis que le major Peddie devait suivre l'itinéraire
de Mungo Park; ils devaient se rejoindre en un point
du Niger intérieur. Les voyageurs moururent avant
d'avoir pénétré très avant dans les terres.
En 1818, le major Cray et le docteur Dockard suivi-
rent les traces de Peddie, mais succombèrent égale-
ment.
Le gouverneur anglais décida alors d'essayer d'at-
teindre par le Sahara le bassin du Niger, et en 1821* le
docteur Oudney, le lieutenant de vaisseau Clapperton
1. Denliam mourut à Fernando-Po, où il avait été nommé gouvcrûeur.
LES PRÉCURSEURS 295
et le major Denham partaient de Tripoli. Ils empor-
taient des lettres de créance du pacha de Tripoli pour
le sultan de Bornu.
Malgré des vicissitudes diverses, l'expédition fut
couronnée d'un plein succès. Elle atteignit le Tchad,
dont Denham visitait les pays environnants, tandis que
Clapperton et Oudney pénétraient dans le Sokoto et
parvenaient au Niger. Revenus à Euka, ces derniers,
avec Denham, visitèrent Keno, où ils furent très bien
reçus. Gudney mourut sur ces entrefaites, et Clapper-
ton et Denham retournaient en Angleterre par la voie
Tripoli, en janvier 1825.
A plusieurs reprises le gouvernement anglais leur
avait envoyé des secours, une première fois sous le
commandement du jeune Toole, qui mourut tandis
qu'il accompagnait Denham dans son exploration du
Logone et du Chari, et une seconde fois sous la direc-
tion de Tyrvvhitt, qui fut laissé à Kuha comme consul,
mais qui y mourut au bout de peu de temps.
Les résultats de l'expédition étaient considérables :
le pays qui s'étendait de Murzuh au Bornu, de Bornu
au Sokoto, et les environs du Tchad avaient été visités
pour la première fois par des Européens qui étaient des
Anglais envoyés et payés par leur gouvernement.
Le sultan de Kano, Bello, avait donné à Clapperton,
pour le roi d'Angleterre, une lettre dans laquelle il
déclarait vouloir ouvrir son pays au commerce euro-
péen et demandait l'établissement d'un consulat
anglais à Funda et à Raka. Il enverrait une escorte à
Ouidah dans le golfe de Bénin pour chercher les An-
glais qu'on lui enverrait ainsi.
Le gouvernement anglais demanda à Clapperton de
296 NIGERIA
\
revenir à Sokoto et d'explorer les pays environnants.
En août 1825 il partit accompagné du capitaine Pearce,
du docteur Morisson et d'un domestique, Richard
Lander.
A Ouidah personne n'avait entendu parler du sultan
de Kano. Dikson résolut de partir de là pour l'intérieur
en visitant le Dahomey, mais il disparut sans que Ton
sût exactement ce qui lui était arrivé. Clapperton par-
tit de Badagry le 29 novembre et put arriver le 23 jan-
vier 1826 à Boussa, après avoir perdu ses deux com-
pagnons Morisson et Pearse, qui succombèrent au
paludisme. Le 20 juillet il parvint enfin à Kano ; le 20
octobre il arrivait malade à Sokoto, où il devait mou-
rir le 13 avril 1827. Lander, resté seul, parvint à Bada-
gry le 21 novembre.
Pendant ce temps le major Laing, parti de Tripoli,
atteignait, le 18 août 1826, Tombouctou, où il séjourna
un mois, et succombait dans le Sahara sur la voie du
retour.
L'ardeur du gouvernement anglais commençait à se
lasser, et lorsque, en 1827, Lander voulut repartir au
Niger, il ne reçut qu'un subside insignifiant*.
On sait comment, accompagné de son frère John,
parti de Badagry le 22 mars 1830, il parvint le 30 sep-
tembre à Boussa, découvrait le 25 octobre le confluent
de la Benue et descendait le Niger jusqu'à la mer, où
il arrivait un mois après*.
1. 100 livres qu'il devait toucher à son retour, tandis que sa femme
recevait également 100 livres.
2. Il est intéressant de rappeler que MacQueen avait, bien avant la
découverte de Lander, tracé une carte assez exacte du cours du bas Niger
d'après les renseignements qu'il avait recueillis avec grand soin à la
Jaraaïq'ue auprès d'esclaves noirs originaires d'Afrique.
LES PRÉCURSEURS 297
Les marchands de Liverpool décidèrent alors d'or-
ganiser une expédition commerciale qui devait opérer
dans les pays que Lander venait de découvrir. Étant
donné le caractère de l'entreprise, le gouvernement
refusa d'y coopérer.
Elle fut dirigée par un homme qui devait jouer un
grand rôle dans l'occupation commerciale du bas
Niger, MacGregor Laird, et par le docteur Oldfield.
Elle comprenait parmi ses membres Richard Lander.
Deux vaisseaux étaient équipés pour les transporter
en mer et naviguer dans le Niger. Un de ces vaisseaux
offrait cette particularité qu'il était le premier bateau
en fer qui ait été lancé en Angleterre.
L'expédition, féconde en résultats scientifiques (carte
géographique de Saint-Allen), devait être un échec
complet au point de vue commercial.
Laird, Oldfield et Allen purent revenir en Angleterre.
Les 45 autres Européens partis étaient morts, ainsi que
Richard Lander, qui avait été blessé mortellement par
les indigènes.
Les commerçants abandonnèrent pour un temps
l'idée d'exploiter les richesses du bas Niger, mais le
gouvernement anglais résolut de nouveau d'agir dans ce
pays. Le gouverneur de Fernando-Po, Beecroft, avait,
en 1835 et en 1840, exploré les différentes embouchures
du fleuve et était remonté jusque près de Boussa. Les
récits qu'il fit en Angleterre de ses voyages et de l'état
des populations qu'il avait rencontrées émurent le parti
des anti-esclavagistes et, grâce aux efforts de Thomas
Fowell Buxton, des fonds furent fournis, par des parti-
culiers et le Parlement, pour équiper une grande mis-
sion.
298 NIGERIA
Les vaisseaux Albert, Soudan et Wilberforce furent
armés. Ils devaient être commandés par des officiers
de la marine de guerre, seôondés par des médecins,
•des missionnaires, des minéralogistes et botanistes.
L'expédition devait comprendre 145 Européens et
133 indigènes.
L'expédition avait pour chef le capitaine Trotter,
assisté du commander Allen, l'ancien compagnon de
Laird. Elle devait avoir pour but de supprimer l'expor-
tation des esclaves, de passer des traités avec des
chefs, de leur montrer les avantages d'un commerce et
d'une main-d'œuvre libre, d'acheter des terres pour la
construction des forts. Une ferme modèle munie de
tous les perfectionnements possibles devait être fon-
dée sur le Niger. Il fut défendu aux membres de la
mission de commercer avec les indigènes; la mission
devait garder un caractère uniquement désintéressé.
L'expédition arriva aux embouchures du Niger an
milieu d'août 1841 et remonta le fleuve jusqu'à Iddah,
dont le chef céda à « sa sœur la reine d'Angleterre » un
terrain long de 6 milles sur une largeur de 4 milles au
confluent de la Benue et du Niger, terrain sur lequel
devait s'élever plus tard la ville de Lokodja. Les agro-
nomes furent débarqués en ce point et travaillèrent
immédiatement à la création de la ferme modèle. Le
reste de la mission se consacra ensuite à l'étude de la
géographie du fleuve et de ses embouchures. Malheu-
reusement, quels qu'aient été les précautions prises et
le soin avec lequel la mission avait été organisée au
point de vue médical, ses membres ne tardèrent pas à
succomber les uns après les autres, et en novembre 1842
elle dut rentrer en Angleterre, abandonnant la ferme
LES PRÉCURSEURS 299
qu'elle avait établie. 49 Européens étaient morts, sur les
145 qui étaient partis. La dépense faite avait dépassé
£80.000, et les résultats obtenus avaient été à peu près
nuls.
L'effet produit en Angleterre par cet échec fut si
déplorable qu'il ne fut point question de recommencer
la tentative.
Le gouvernement anglais ne devait cependant pas
abandonner l'idée de faire pénétrer plus avant son
influence en Afrique centrale et, renonçant momenta-
nément à la voie du bas Niger, songea à la route qu'a-
vait suivie Clapperton en partant de Tripoli. C'est ainsi
que fut expédiée la mission de Richardson, Overweg
et Barth, sur les travaux de laquelle il est inutile que
nous insistions.
Pendant que Barth poursuivait son voyage, deux
hommes continuaient à se préoccuper du sort des inté-
rêts anglais au bas Niger et luttaient contre l'opinion
que l'on avait en Angleterre sur ce pays, opinion dont le
pessimisme paraissait bien justifié, il faut le reconnaître.
C'était Beecroft, le gouverneur de Fernando-Po, qui de
1835 à 1850 ne cessait d'explorer les diverses embou-
chures du Niger et les Oil Rivers, et c'était MacGregor
Laird, qui avait organisé l'expédition de 1832.
Le rôle joué par MacGregor Laird devait être consi-
dérable. Sans lui tous les efforts qui avaient été faits
par l'Angleterre pour explorer et faire sentir son
influence dans le bassin du-bas Niger seraient restés
probablement stériles pen-dantde longues années, et le
bénéfice de l'exploitation de ces pays serait peut-être
revenu à quelque autre nation.
Il comprit que la pénétration ne pourrait avoir lieu
300 NIGERIA.
que progressivement et qu'il ne fallait pas attendre que
cette pénétration soit complète, pour établir, dans les
points facilement accessibles, des comptoirs commer-
ciaux grâce auxquels on pourrait entrer en contact de
plus en plus intime avec les indigènes, sur lesquels on
pourrait songer plus tard à exercer quelque influence.
Les organisateurs de l'expédition de 1841 avaient
rencontré auprès de lui une vive opposition. Ses
idées devaient finir par prévaloir, et, en 1852, il put
passer avec le gouvernement un contrat à la suite du-
quel il fondait FAfrican Steamship Go., qui devait être
Torigine des puissantes entreprises de la maison Eider
Dempster and Co.
Sur ces entrefaites, on apprit que Barth avait décou-
vert que la Benue' était la même rivière que celle dont
on connaissait depuis Lander le confluent à Lokodja.
Le gouvernement anglais,* qui av^it déjà envoyé par la
voie Tripoli le docteur Vogel apporter des secours au
grand voyageur, accepta les propositions que lui fit
MacGregor Laird et décida d'envoyer un steamer au-
devant de Barth sur la Benue.
MacGregor Laird était associé avec son père dans une
entreprise de construction de navires; il construisit la
Pleiad, qui fut admirablement équipée pour le voyage
auquel elle était destinée. La direction de l'expédition
devait être confiée à Beecroft, mais en arrivant à Fer-
nando-Po on apprit sa mort. Le docteur Baikie prit
alors le commandement, et la barre de la rivière Nun
fut franchie le 12 juillet 1854.
Tout se passa admirablement au début; l'expédition
fut partout très bien reçue par les indigènes, qui se
montrèrent désireux de commercer avec les Européens,
LES PRËCUR9BURS 301
et qui autorisèrent les missionnaires de la Church Mis-
sionary venus avec la Pleiad à se fixer au milieu d'eux.
Malheureusement le régime des eaux de la Benue
n'était pas encore connu, et le steamer ne put parvetiir
jusqu'à Yola et dut s'arrêter à Gurowa. Il fut impos-
sible d'avoir des nouvelles de Barth, et la mission dut
retourner en Angleterre (7 mars 1854).
Elle avait eu cela de remarquable que pour la pre-
mière fois tous les Européens partis dans une expédition
du Niger étaient revenus sains et saufs. Le charme qui
semblait empêcher l'accès de ceâ régions était rompu.
Le cours de la Benue était découvert et étudié sur une
largeur de 250 milles, et d'admirables collections rap-
portées par Barter.
Pour la première fois aussi, des blancs avaient pu com-
mercer dans ces pays reculés et échanger leurs mar-
chandises contre des produits indigènes. Les bénéfices
retirés de l'opération commerciale ne suffirent cepen-
dant pas pour compenser les dépenses de l'expédition,
et le gouvernement anglais indemnisa généreusement
MacGregor Laird en déclarant qu'un particulier ne
devait pas supporter la dépense d'un voyage d'explora-
tion qui avait surtout un bjit officiel.
Laird résolut de persister dans la voie qu'il s'était
tracée, et il obtenait du gouvernement anglais une sub-
vention annuelle de £8.000 qui devrait être progressi-
vement diminuée de £500 tous les ans, pour établir un
service de navigation entre Fernando-Po et le moyen
Niger. Il expédia en 1857, sous la direction de Baikie,
un vapeur, l,e Dayspringy qui remorquait un voilier. Des
factoreries furent établies à Abo, Onitsha et Glèbe.
Près de £5.000 furent dépensées ainsi. Malheureuse-
/
302 NIGERIA
ment le steamer échowa près de Jella, et toute sa car-
gaison de retour, composée spécialement de beurre
de Karité, fut perdue. Glover, qui devait être plus tard
gouverneur de Lagos et qui faisait partie de l'expé-
dition, se rendit de Jebba à Lagos, tandis que le voilier
retournait en Angleterre avec un plein cargo d'une
valeur de £4.000.
L'année suivante, Laird équipa pour le prix de £l7.Ç00
deux nouveaux steamers, le Sunbeam et le Rainboçi\ Le
Sunbeam retourne en Angleterre en février 1859, tandis
que le Rainbow restait au Niger pour exécuter le contrat
passé avec le gouvernement. L'entreprise ne s'annon-
çait pas comme devant donner de brillants résultats. La
valeur des produits rapportés ne s'élevait qu'à £3.000,
mais ne compensait pas la perte du Dayspring et la des-
truction de la factorerie d'Onitsha, qui avait été incen-
diée et qui représentait, avec la marchandise qu'elle
contenait, une valeur de £1.600.
Laird comprit que les bénéfices ne viendraient qu'à
la longue et qu'un capital considérable était nécessaire
pour faire face aux lourdes dépenses de premier éta-
blissement.
En mai 1858, il essaya de constituer une compagnie,
« The Central African Go. L.d », au capital de £100.000
formé de 10.000 actions de £10. Ses apports devaient
être estimés à £5.000, et il devait garder la direction
des affaires. Quatre-vingt-une actions seulement furent
souscrites, et au 31 mars 1859 son entreprise se soldait
déjà par un déficit de £25.000.
MacGregor Laird ne se découragea pas cependant, et,
continuant seul ses opérations, il envoya le Sunbeam
faire un second voyage qui lui rapporta £8.000. Une
LES PRÉCURSEURS 303
nouvelle factorerie fut ouverte à Angiama% et les choses
allaient en s'améliorant, lorsque l'énergique commer-
çant mourut, en 1861.
Sa mort coïncida avec le pillage de la factorerie d'A-
loe et à Téchouage du Rainbow- Le Siuibeam revint en
Angleterre en 1862 avec £5.000 de produits; mais les
héritiers de MacGregor Laird ne voulurent pas repren^
dre le contrat que celui-ci avait passé avec le gouver-
nement anglais, et l'entreprise cessa.
Le gouvernement anglais ne se désintéressa pas
immédiatement de ces régions. Baikie y était resté
comme consul et s'était établi sur l'emplacement de
l'ancienne ferme modèle, où il fonda la ville de Lokodja
en 1861, avec l'assistance de Glover. Il mourut en 1864,
dans un de ses voyages de retour en Angleterre, mais
le consulat fut maintenu jusqu'en 1867, moment où il
apparut au gouvernement anglais qu'il était difficile
pour le moment d'empêcher la traite des noirs dans
ces pays, raison principale pour laquelle le consulat
avait été établi. Il fut supprimé.
Un certain nombre d'amis de MacGregor Laird, sous
la direction d'Archibald Hamilton, entreprirent cepen-
dant de continuer son œuvre. Ils fondèrent « The River
Niger Navigation and Trading Co. », au capital de
£400.000, qui fut transformée en « Company of African
Merchants », au capital de £400.000, dont £300.000 fu-
rent souscrites par les fondateurs.
Ils demandèrent alors à Lord Palmerston une subven-
tion du gouvernement, mais aussitôt un certain nombre
de groupes, 1' « Anglo African Go. », les « African Mer-
1. Point où Lander avait été mortellement blessé par les indigènes.
304 NIGERIA
chants of Bristol » et les Merchants ofLondon », qui
débutaient, entreprirent une vive campagne contre
Toctroi de toute subvention, comme devant servir à
constituer un monopole commercial à leur détri-
ment. La « Company of African Merchants » ne put
commencer ses opérations, et les divers commerçants
se firent une concurrence effrénée sur les bords du
Niger, limitant leur commerce à peu près à la vente
de l'alcool et des armes.
Peu à peu cependant de puissantes maisons s'organi-
saient dans les Oil Rivers : la « West African Company
of London », Mr. James Pinnock, la « Central African
Company of London » et surtout la firm Alexandre Mil-
1ers Bro. and Co. s'établissaient solidement. Une nou-
velle période de l'histoire du Niger allait commencer.
Un homme d'une énergie supérieure, Sir Georges
Taubman Goldie, allait apparaître qui devait terminer
l'œuvre des Park, Clapperton, Beecroft, Laird et entre-
prendre d'acquérir définitivement à l'Angleterre une
partie au moins de ces territoires qu'elle convoitait
depuis si longtemps.
• I
1 1
CHAPITRE XXII
LA ROYAL NIGER C»
La concurrence étrangère.
Nous avons dit au début de cette étude comment
nous estimions intimement liés Fexamen de la politique
indigène suivie par TAngleterre dans ses possessions
de TAfrique occidentale et Tétude des circonstances
qui l'avaient amenée à les occuper. Nous pensons que
ces circonstances ont tellement influé sur cette poli-
tique qu'elles en ont été, pour ainsi dire, le seul prin-
cipe directeur.
Dans les précédents chapitres nous avons vérifié
cette assertion; mais nous n'avons eu à faire état que
des rapports du pouvoir anglais avec les indigènes, et
nos recherches n'ont, par suite, porté que sur cette
politique indigène proprement dite.
Alors que dans tout le reste de l'Afrique occidentale
l'occupation anglaise n'avait suivi aucun plan conçu
d'avance, il devait en être tout autrement dans les ter-
ritoires du nord du Niger, du fait d'un homme à qui
l'Angleterre devait être, par la suite, redevable de leur
possession.
Cette occupation devait s'effectuer non point simple-
ment contre des indigènes, mais aussi contre des par-
ticuliers et des gouvernements étrangers. Pour déter-
miner sa nature et connaître toutes les raisons qui ont
20
V
9
306 LA. ROYAL NIGER C®
amené TAngleterre à adopter la politique qu'elle a sui-
vie dans ^es tentatives vis-à-vis des indigènes, il est
nécessaire d'écrire l'histoire de cette lutte.
Les relations avec les indigènes devaient cependant
rester toujours au premier plan de ces événements. En
les retraçant nous n'aurons donc pas à sortir du cadre
de cet ouvrage.
Fidèle à notre programme, nous nous bornerons à
insister sur les points qui n'ont pas été étudiés jus-
qu'ici.
Toute la première partie de cette action s'est passée
autour d'une compagnie privée. Nous verrons comment,
pour parvenir au but qu'elle poursuivait, celle-ci dut
triompher, par toute une série de procédés compliqués,
des concurrents qui gênaient l'établissement de sa
puissance absolue; comment elle eut à ramener l'opi-
nion publique anglaise elle-même qui lui était hostile ;
nous rechercherons quelles furent exactement la nature
de ses rapports avec les indigènes et la manière dont
elle eut à intervenir auprès d'eux. Nous rappellerons
ensuite qu'après avoir eu à employer des procédés
régaliens de politique intérieure contre ceux qui la
gênaient, elle dut, pour consolider son œuvre, recourir
à des moyens touchant à la politique internationale.
Nous tâcherons de faire la synthèse de tous ces évé-
nements et de toutes ces luttes, pour montrer enfin
comment celui qui en fut l'âme eut le génie de les diri-
ger dans le sens de la réalisation du but qu'il pour-
suivait : donner à l'Angleterre un grand pays sans
qu'elle eût à intervenir directement, et cela pour ainsi
dire malgré elle.
Il nous restera à montrer comment fut effectuée
!
LA CONCURRENCE ÉTRANGÈRE 307
roccupatîon réelle, et à rechercher quelle politique indi- '
gène fut définitivement adoptée.
l
Dès le jour oii des circonstances fortuites l'amené- y
rent à s'occuper du bas Niger, on peut dire que Sir
George Taubman Goldie entrevit les grandes lignes
de Fœuvre qui devait avoir pour résultat la création de
la Nigeria.
Son premier soin fut de réunir en une seule compa-
gnie les diverses entreprises dont les efforts s'annihi-
laient. Il fonda rUnited African Company Ld., qu'il
transforma en 1882 en National African Company au
capital de £1.000.000, sous la présidence do lord Aber-
dare, président de la Société de géographie de Londres.
Il devait tout d'abord se heurter aux Français.
Un ancien officier des tirailleurs algériens, le comte
de Semelé, avait conçu le projet d'aller fonder des
comptoirs au bas Niger, et, avec quelques amis, il avait
créé dans ce but, en 1880, une société anonyme, la
Compagnie française de l'Afrique Equatoriale, au capi-
tal de 500.000 francs, placés sous la direction de la
maison Desprez-Huchet.
Parti de Nantes le 20 avril à bord de sa goélette
VAdamoKK*a, il arriva à Brass en juin, s'y procura une
chaloupe, y établit son dépôt général et remonta le
bas Niger.
A l'aide de quelques agents, il fonda cinq comptoirs
à Abo, Onitcha, Igbébé, Lokodja, Egga, et un sixième
sur le Bénué à Loko.
Tombé malade, il partit pour la France, mais il mou-
rut en route le 28 octobre 1880.
La société continua à subsister. Les directeurs dou-
308 LA ROYAL NIGER C**
bièrent son capital, la réorganisèrent sur des bases
nouvelles et achetèrent un second bateau, le Nupé.
Il semble que le gouvernement français ait alors
quelque peu compris l'intérêt d'une telle entreprise,
car le ministre de la guerre permit que Ton prît un de
ses officiers, le capitaine Mattei, comme agent général;
le ministre des affaires étrangères lui confia le titre
d'agent consulaire de France à Brass River.
Le livre que nous a laissé le capitaine Mattei* nous
le montre surtout comme un brave homme. Un plus
habile que lui n'aurait probablement pas réussi davan-
tage à triompher de la concurrence anglaise. Il eût été
certainement difficile de mettre plus d'esprit patrioti-
que en cette entreprise et de laisser un meilleur sou-
venir dans la mémoire des indigènes.
Mattei se rendit immédiatement au bas Niger, et,
rencontrant à Lokodja Mac-Intoch, l'agent général de
la Compagnie anglaise, il passa avec lui la convention
suivante :
1** Les échanges pour l'ivoire, l'huile de palme et les
principaux produits se feront suivant une mercuriale
que les agents observeront strictement.
2** Les compagnies ne s'enlèveront pas mutuellement
leurs employés noirs par l'appât d'appointements plus
élevés, et tout employé renvoyé par une compagnie ne
sera pas repris par l'autre.
3** En cas de guerre dans les territoires du fleuve,
elles se prêteront un mutuel appui contre les noirs.
Le capitaine Mattei fonda dans le Nupé une station
à Sosokuso. Il alla ensuite à Bida pour obtenir la per-
1. BaS'Siger, Benoué, Dahomey y 1 vol. Baratières frères et C", Gre«
noble, 1890.
LA CONÇU BRENCB ÙTRANGERE 309
mission de s'établir à Egga. Il offrit au chef des
cadeaux que celui-ci refusa parce qu'ils étaient de
valeur beaucoup inférieure à ceux que lui avaient don-
nés la Compagnie anglaise et le consul Edouard Hewet,
qui voyageait dans le bas Niger avec l'argent de cette
Compagnie.
Le capitaine Matteî rentra alors en France, décidé à
demander à son gouvernement un secours analogue à
celui que le Foreign Office et la Geographical Society
prêtaient, disait-on du moins, à la National African Co.
La société sollicita une subvention en offrant d'orga-
niser une ligne de vapeurs qui feraient le service entre
la France et le Gabon en touchant au Sénégal, et à tous
les points de la côte ouest où se trouvaient des comp-
toirs français. Elle demandait en outre des cadeaux
pour les chefs. On était alors bien loin de s'intéresser
aux choses d'Afrique, et rien ne fut accordé.
La Compagnie augmenta cependant son capital , le
portant de 1.000.000 à 1.500.000 francs. Elle accrut son
personnel et donna à son agent l'autorisation de créer
des comptoirs dans les lieux où se trouveraient des
Anglais, de façon à ne pas les laisser maîtres de la con-
currence.
Dans le courant de cette campagne (1882), 16 factore-
ries nouvelles furent crées.
Dans cette même année une seconde compagnie fran-
çaise vint s'installer auprès de la Compagnie de l'Afri-
que équatoriale : la Compagnie du Sénégal (ancienne
Compagnie Verminck), devenue par la suite la puis-
sante Compagnie Française de l'Afrique occidentale.
Le capitaine Mattei se rendit à Bida auprès de Maleki,
le nouveau chef du Nupé. Il y avait été devancé par un
310 LA ROYAL NIGER c"
bateau de la Compagnie anglaise qui portait le consul
Ilewet, MM. Asbury, actionnaire de la Compagnie, et
Forbes, membre de la Société de géographie de Lon-
dres, lesquels allaient visiter les principaux chefs et
leur distribuer des cadeaux.
La Compagnie française ne put présenter à Maleki
que pour 12.000 francs de présents, alors que les An-
glais lui en avaient apporté pour une somme considé-
rable. Le chef indigène, à qui le capitaine Mattei avait
expliqué les avantages qui devaient résulter pour lui
de la concurrence, ne se laissa pas convaincre et remit
à Tannée suivante le soin de donner à la Compagnie la
permission de s'installer plus solidement au Nupé.
Le capitaine Mattei retourna alors en France (23 fé-
vrier 1883). 11 essaya de montrer au gouvernement le
danger de la politique poursuivie par les Anglais au
bas Niger, et exposa la nécessité de soutenir la Compa-
gnie si Ton désirait arriver au but qu'elle ne pouvait
seule atteindre.
On lui accorda 3.000 francs de cadeaux.
La Compagnie augmenta son capital et acquit deux
autres bateaux, le A'iger et le Maleki, et deux chaloupes,
la Française et le Rapide.
Le capitaine Mattei repartit le 5 juillet, et, arrivé à
Brass, il chercha à conclure un traité avec les chefs,
mais sans y parvenir, ceux-ci ayant, en effet, été terro-
risés par les menaces des Anglais.
La Compagnie anglaise résolut alors d'en finir.
M. Mac-Intoch, qui revenait également d'Europe, donna
l'ordre de baisser d'environ un quart la valeur des mar-
chandises partout oii les Français avaient des comptoirs.
Il ne restait à la Compagnie française qu'un moyen
LA CONCURRENCE ETRANGERE 311
de ^alut, celui craller au-devant des caravanes. Les plus
importantes étaient celles qui venaient apporter Ti-
voire de TAdamcwa aux factoreries d'Egga et de Loko.
Elles traversaient la Bénué à Ibi et Outchébu.
Le capitaine Matlei y installa des postes et fut ainsi
le premier commerçant qui ait pénétré si avant dans
ces contrées. En même temps il allait s'installer à
Echouga, dans le Nupé, bien au-dessus d'Egga.
Ces factoreries devinrent très prospères; malheu-
reusement les Anglais ne tardèrent pas à s'établir à
côté. En outre, à la suite d'une baisse subite des eaux,
la Compagnie de l'Afrique Equatoriale vit ses deux
plus importants steamers échoués et immobilisés pour
six mois. Un autre navire fut perdu, et la factorerie de
Loko brûlée.
Mattei rentra en France en janvier 1884, complète-
ment découragé.
Cependant les directeurs de la Compagnie n'avaient
pas perdu tout espoir : ils portèrent le capital à trois
millions de francs, achetèrent deux nouvelles embar-
cations et augmentèrent leur personnel, toujours sans
aucun aide du gouvernement français.
Le capitaine Mattei revint au Niger le 13 mai 1884.
A son arrivée à Brass, il apprit que la Compagnie
française du Sénégal, qui s'était établie précédemment
à côté de la Compagnie de l'Afrique Equatoriale, vendait
ses comptoirs aux Anglais. Ceux-ci baissaient encore
leurs prix, et en avril 1885, ne pouvant plus lutter, la
Compagnie française fusionnait avec la Compagnie
anglaise. Tout le matériel nautique et terrestre était
vendu aux Anglais contre des actions de leur Compa-
gnie (à la date du 31 décembre 1884).
\
312 LA ROYAL NIGER C**
« De tous côtés, écrit le capitaine Mattei, les rois et
les chefs, les riches et les pauvres, venaient en masse
me supplier de ne pas partir, me promettant d'appor-
ter tous leurs produits dans les factoreries françaises.
Que de messages n'ai-je pas reçus du roi Maleki, qui
ne s'est donné aux Anglais que parce que nous n'avons
pas voulu de lui! »
A la conférence de Berlin, le plénipotentiaire anglais
pouvait déclarer que seuls les intérêts anglais étaient
représentés au bas Niger, et faisait reconnaître les ter-
ritoires du Delta et du bas fleuve jusqu'à Lokodja
comme dépendant de l'Angleterre.
Mac-Intoch, nommé consul pour la circonstance, fai-
sait afficher dans les factoreries du bas fleuve une pro-
clamation portant :
« Le Nupé est placé sous le protectorat de la reine.
Nul ne pourra s'établir dans le royaume de Nupé pour
y faire du commerce, sans l'autorisation du représen-
tant de Sa Majesté Britannique. »
La Compagnie avait triomphé des Français. Il lui res-
tait à lutter contre les Allemands.
Flegel avait en eff'et conçu le projet de gagner à l'Al-
lemagne les terres du bas Niger, à peu près au moment
où Sir G. Taubman Goldie prenait la résolution de les
donner à l'Angleterre.
Arrivé au Niger pour la première fois en 1879, Fle-
gel explora le Niger et surtout la Bénué. Rentré en
Allemagne, il fit tous ses eff'orts pour attirer l'attention
de son pays vers ces territoires, et en 1885 il fut chargé
par la Société Coloniale Allemande de traiter avec les
chefs des pays arrosés par le Niger et la Bénué.
LA CONCURRENCE ÉTRANGÈRE 313
La National African Company vit le danger, et elle
engagea aussitôt l'explorateur Thompson pour essayer
de traiter avec l'explorateur allemand.
A la suite de Flegel, la Société Africaine Allemande
envoya dans le même but, sous les auspices du chance-
lier et de l'empereur, une autre expédition dirigée par
le docteur Staudinger. Flegel mourait peu après à Brass,
mais le docteur Staudinger assura qu'il avait réussi
à conclure des traités tout le long de la Bénué et du
Sokoto.
La Compagnie anglaise fit tous ses efforts pour
arrêter les expéditions allemandes. Flegel eut à en
souffrir au point que pendant très longtemps on accusa
en Allemagne la Compagnie anglaise de sa mort.
Staundinger eut à se débattre au milieu de mille diffi-
cultés suscitées par elle.
« Au début, dit-il % les représentants de la National
African Company se tinrent tranquilles; ils n'avaient
pas encore reçu les instructions de l'agent en chef Mac-
Intoch. Elles arrivèrent bientôt et étaient de repousser
par tous les moyens possibles les Allemands. Les pre-
miers efforts dans ce sens furent faits aussitôt. »
Nous avons dit que le docteur Staundinger assura
qu'il avait traité au Sokoto, malgré les prétentions
anglaises. Le sultan de ce pays lui déclara qu'il n'avait
pas vendu à la Compagnie anglaise un pouce des terres
placées sous son autorité, et qu'il ne lui avait pas
accordé le moindre monopole : ses marchés étaient
ouverts à tous les peuples. La convention passée avec
les Allemands aurait consisté en la permission de
1. Conférence du 12 août 1889 à la Deutsche Kolonialzeitung {Deutsche
Kolonialzeitung, 31 août 1889, p. 263).
314 LA. ROYAL NIGER G®
construire des factoreries en tout point du Sokoto et
en une cession du terrain nécessaire à leur établisse-
ments
' L'Angleterre avait toujours soutenu très fermement
ses prétentions sur le Sokoto et le Gandu, qui for-
maient alors pour elle deux empires distincts. L'Alle-
magne, malgré les explorateurs qu'elle avait envoyés,
ne s'attacha pas à critiquer son dire : son attention
était attirée ailleurs. M. de Bismarck, heureux de pou-
voir assurer à son pays le Togo et le Cameroon, n'é-
tendit pas plus loin ses désirs. Le 29 avril 1885*,
l'empire allemand s'engageait vis-à-vis de l'Angleterre
à n'exercer aucune influence sur la côte, de l'embou-
chure du Rio del Rey (Cameroon) au Lagos , ni à
l'ouest de la ligne partant du Rio del Rey pour aboutir
au point où le 9'*,8 de longitude E. de Greenwich ren-
contrait la Cross River, ligne qui formait la frontière
ouest du Cameroon. L'Allemagne renonçait ainsi à
tout droit sur les empires du Niger.
Le 27 juillet 1886% cette frontière du Cameroon était
étendue jusqu'à Yola*. Les deux puissances s'enga-
geaient à traiter de la même manière, dans leurs terri-
toires respectifs ainsi définis, les Anglais et les Alle-
mands. Les taxes qui seraient levées devraient être
aussi légères que possible et ne pas dépasser ce
1. Deutsche Kolonialzeiliing, !«' sept. 1887, p. 500.
2. Arrangement between Great Britain and Germany relative to their
respective sphères of action in portions ofAfrica. Juin 1885. Pari, papers,
C. 4'i'*2.
3. Supplementary Arrangement between Great Britain.,, Février 1887.
Pari, papers, G 4938.
4. La frontière au delà de Yola fut déterminée par le traité de 1893. Sa
base au Rio del Rey avec le Niger Protectoratc donna Heu à de nombreu-
ses difficultés et à diverses délimitations en 1889 et 1893.
LA CONCURRENCE ETRANGERE 315
qui était nécessaire pour les dépenses d'administra-
tion.
Les territoires demandés par la National African
Company lui étaient ainsi reconnus par TAllemagne.
Le docteur Staundinger avait conclu des traités au Niger
en ne se plaçant qu'au point de vue commercial; des
tentatives analogues ne furent pas renouvelées; mais
TAUemagne n'en devait pas moins s'opposer énergi-
quement pendant plusieurs années aux agissements de
l'Angleterre.
•
La longue polémique qui s'engagea entre les deux
gouvernements à ce sujet devient plus claire si on la
décompose en deux parties : d'abord toute une discus-
sion relative à des intérêts commerciaux, s'appuyant
uniquement sur des questions de taxe et d'administra-
tion, puis, à côté, une autre discussion toujours rela-
tive à des affaires commerciales, dérivant de la déter-
mination des territoires dépendant de la Compagnie.
Pareillement prend place toute la longue affaire du
négociant Iloenigsberg, que le gouvernement allemand
invoque à l'appui de ses réclamations.
C'est cet ordre que nous suivrons dans cet historique.
Les premiers obstacles que la Compagnie opposa au
commerce furent des restrictions au libre droit de transit
sur le Niger. Dès le début, les commerçants allemands
réclamèrent contre la façon dont ce droit était observé.
Le gouvernement anglais s'empressa de déclarer'
que la liberté de transit était parfaitement respectée
dans les territoires de la Compagnie. 11 en fut pris acte*;
1. 21 septembre 1887, Weissbnk, n» 1, pièce 1.
2. 21 septembre 1887, Weissbuk, n* 1, pièce 3.
316 LA ROYAL NIGER C**
mais on demanda que la déclaration de ce droit figurât
dans les règlements* de la Compagnie. La Compagnie
n'eut pas de peine à rendre cette mesure illusoire. Les
commerçants se plaignirent du règlement des escales-
La Compagnie avait déclaré qu'aucun bateau ne serait
forcé de faire escale en un point déterminé du fleuve
ou de payer des taxes'; les Allemands assurèrent
que cette promesse n'était point exécutée et que les
règlements n'avaient d'autre but que de protéger les
intérêts de la Compagnie^.
Une question plus grave allait se poser. La charte
défendait à la Compagnie de monopoliser le commerce
dans ses territoires. Anglais, Français et Allemands
furent tous d'accord pour déclarer qu'elle ne se con-
formait pas à cette prescription*.
Le gouvernement allemand ayant fait observer que
les droits perçus au Niger étaient plus élevés que
ceux qui étaient fixés dans les colonies de la côte oueèt
d'Afrique, à Lagos en particulier, il lui fut répondu,
qu'à ce point de vue les intérêts des nationaux anglais
étaient les mêmes que ceux des commerçants étran-
gers et que le gouvernement anglais avait à cœur de
les protéger. L'ambassadeur allemand à Londres dé-
clara alors à Lord Salisbury'^ que ces taxes étaient
contraires à la convention anglo-allemande de juin 1888,
dans laquelle il avait été spécifié que les tarifs seraient
aussi bas que possible. Il ne pouvait que se joindre à
la Chambre de commerce de Liverpool pour demander
1. 9 janvier 1888, Weisshuk, 1, 4, et 18 mars 1888, 1, 6.
2. 3 août, Weisshuk, 1, 3.
3. 21 sept. 1887, Weisshuk, 1, 3.
4. 3 août 1887, Weisshuk, 1, 3.
5. Weisshuk, 1, 3.
LA CONCURRBNCE ETRANGERE 317
le retrait de la charte. Il réclamait avec d'autant plus
d'insistance que les commerçants allemands étaient
menacés du sort de la maison anglaise Santana, et d'au-
tres encore qui n'avaient pu se maintenir dans le haut
Niger en raison des difficultés créées par la Compagnie.
Elle avait institué des droits de douane élevés, sous
prétexte que ses dépenses d'administration étaient
considérables; mais en fait son organisation adminis-
trative était toute rudimentaire. Le gouvernement
anglais déclarait qu'il était en droit de restreindre,
dans un but humanitaire, les importations de certains
articles, comme les alcools, les armes et les munitions;
ce n'était exact, en vertu de la convention anglo-alle-
mande de 1885, qu'à la condition que ces droits ne fus-
sent pas prohibitifs.
Devant ces déclarations très nettes, la Compagnie
essaya de discuter*.
Il est vrai, répondit en son nom le Foreign Office,
que la convention de 1885 porte que les droits de
douane seraient aussi peu élevés que possible; mais les
deux gouvernements ont été d'accord pour convenir
que, tout en étant appliqués de la même manière aux
nationaux des deux pays, ces droits seraient employés
à couvrir les dépenses administratives et d'occupation
sans qu'on puisse fixer un maximum à ces dépenses : le
gouvernement anglais n'avait donc aucun moyen d'em-
pêcher la Compagnie de fixer aux taxes un taux élevé. La
Compagnie payait du reste elle-même ces taxes : elle avait
donc intérêt à voir se multiplier les maisons de com-
merce, de façon à diminuer les frais qui lui incombent.
1. Weissbuk, 1, 4.
t • ■-
318 LA ROYAL NIGER C*
Le gouvernement allemand n'admit pas cette ma-
nière de voir, et, sans s'arrêter aux prétendues pertes
que la Compagnie éprouverait à exercer un monopole,
il se borna à déclarer* que les frais d'administration ne
correspondaient pas aux droits perçus, que dans le Niger
moyen il n'y avait pas d'établissements commerciaux,
que du reste il savait de source certaine que la Com-
pagnie importait des quantités considérables d'alcool et
de genièvre. C'était là une présomption grave de mau-
vaise foi.
L'Allemagne maintint toutes ses réclamations; en
même temps elle se préoccupa des prétentions terri-
toriales de la Compagnie.
Dès avril 1887% une carte des frontières des terri-
toires de la Compagnie fut demandée à Londres. Après
des réclamations réitérées, on en envoya une le 9 jan-
vier 1888% sommaire et peu précise; c'est cependant le
seul document officiel qui ait été publié à ce sujet.
Le Foreign Office fit alors une déclaration intéres-
sante : « Le protectorat du gouvernement anglais s'é-
tend sur tous les territoires sur lesquels s'exercent les
pouvoirs de la Niger Co. » Il ajouta qu'il allait sans dire
ce que, d'après sa charte, la Compagnie n'avait pas le
droit d'exercer son influence sur de nouveaux territoires
sans le consentement du gouvernement de Sa Majesté,
consentement qui ne pouvait naturellement être donné
que conformément aux conventions internationales ».
C'est ainsi que la Compagnie avait abandonné les droits
qu'elle avait acquis sur les territoires situés à l'est de
1. Weissbali, 1, G.
2. Weissbuk, 1, 3.
3. JVeissbuh,\y(k.
LA CONCURRENCE ETRANGERE 319
Yola dès qu'on lui avait fait comprendre que ses pré-
tentions étaient contraires aux conventions anglo-
allemandes de 1885.
Le gouvernement allemand prit acte de la commun!-
»
cation de la carte des territoires de la Compagnie, en
faisant des réserves au sujet de certains points; ces
réserves donnèrent lieu à des explications au sujet des
traités qui avaient fixé la ligne frontière.
Le gouvernement allemand désirait surtout savoir
jusqu'où s'étendaient les prétentions de la Compagnie,
car aussi loin que Ton voulût remonter le Niger, celle-
ci déclarait que Ton était chez elle, et le droit de transit
devenait ainsi illusoire*.
C'est ce que le commerçant Hoenigsberg apprit à son
détriment; son cas mérite un examen spécial; il montre
bien la manière d'agir de la Compagnie à cette époque.
Hoenigsberg était un commerçant de Brème qui, éta-
bli à Lagos, avait autrefois entrepris de commercer au
Nupé, estimant que ce royaume était en dehors de la
zone d'action de la Compagnie. Celle-ci ne fut pas de
cet avis, et le gouvernement allemand adressa à ce sujet
au secrétaire du Foreign Office le mémorandum sui-
vant* :
« Lorsque le roi du Nupé a appris que le bruit cou-
rait qu'il avait vendu son pays à la Compagnie, ou qu'il
lui avait accordé un monopole commercial, il somma le
Senior Executive Officer de la Compagnie, M. Wallace,
et le District 'Agent d'Egga de venir à Bida. Il exigea
qu'il lui montrât tous les documents qu'il possédait sur
le royaume du Nupé, ainsi que la charte royale, de
1, Weisshaky 1, 6.
2. Weissbah, 1, 3.
320 LA ROYAL NIGER C®
façon à prouver aux chefs qu'il avait sous ses ordres
qu'il n'avait jamais vendu son pays ni abdiqué aucun
de ses droits et qu'il était le seul libre de prélever des
impôts dans son royaume. M. Hoenigsberg affirme avoir
payé à la Compagnie la somme de 950 livres pour des
marchandises exportées du Nupé ou importées dans ce
pays. Puisque, d'après l'acte de navigation du Niger, les
bateaux et les marchandises passant par le fleuve n'ont
pas à payer de droits de transit et que le Nupé n'appar-
tient pas aux territoires de la Compagnie du Niger, et
par conséquent n'est pas considéré comme soumis au
protectorat de l'Angleterre, il nous semble juste d'exi-
ger de la Compagnie la restitution des droits payés
jusqu'à ce jour pour le passage des marchandises à
destination du Nupé et la suppression pour l'avenir
de tout impôt analogue. »
En somme, ce qui était surtout en question, c'était la
nature des droits queia compagnie prétendait avoir sur
les territoires sur lesquels s'étendaient les privilèges
de sa charte. Lord Salisbury le sentit bien. Aussi la
défendit-il avec énergie et commença-t-il par poser la
question de principe.
« Il a été admis par les puissances, déclara-t-iP, que
la prise de possession effective et l'administration
immédiate exigée par la conférence de Berlin ne
devaient pas nécessairement être mises en vigueur en
même temps sur l'ensemble des territoires annexés,
mais bien graduellement. C'est ce qui a eu lieu dans
l'État Libre du Congo et dans les possessions françaises,
portugaises, allemandes et anglaises. On a admis en
1. Weissbuk, 1, 8.
LA CONCURRENCE ÉTRANGÈRE 321
outre que le consentement des chefs indigènes était
acquis aux pouvoirs protecteurs sans que ceux-ci aient
à en faire la preuve. Il est donc inadmissible qu'un gou-
vernement soit obligé de démontrer la réalité des droits
qu'il a sur un pays toutes les fois qu'il plaira à un com- |
merçant ou à un voyageur de les contester sous prétexte
que son administration est insuffisante. On connaît les
rois indigènes assez menteurs pour qu'on n'ait point à
tenir compte de leurs déclarations. Le gouvernement
de Sa Majesté ne voudrait pour rien au monde encou-
rager ceux du Cameroon à se révolter contre le protec-
torat exercé par l'Allemagne sur cette région qui n'a
pas encore d'administration régulière. Il espère que
ces égards seront réciproques. »
Après ces déclarations générales, le Secrétaire d'État
aborde la question du Nupé, et il l'enserre dans un
dilemme singulier : •
« Tout ce que Iloenigsberg conteste en s'appuyant
sur les déclarations de Maleki, c'est que l'administration
de la Compagnie ait le droit d'exercer son autorité. Or,
il n'y a point à tenir compte des dires des chefs indi-
gènes, étant donnée leur duplicité. Maleki, par une
déclaration solennelle du mois de mars 1885, a accordé
à la Compagnie le monopole éternel et absolu du com-
merce dans son roj^aume, ainsi qu'un pouvoir illimité
sur tous les étrangers. Ce n'est que par l'annexion sous
le protectorat britannique de ces territoires, du fait de
- la charte, que ce monopole est tombé : c'est grâce à
cela que Hoenigsberg a pu commercer avec le Nupé.
Si, comme il le prétend, il n'y a pas de protectorat, le
monopole de la Compagnie reste entier; mais il y a pro-
tectorat britannique : la convention sur faquelle il est
21
I
322 LA ROYAL NIGER C**
basé n'a pas été conclue avec l'émir, qui, chef indigène
vassal, n'a pas le pouvoir de signer un engagement de
ce genre : le Nupé est une dépendance du Gandu. Un
traité a été signé par le chef de ce pays le 20 décembre
1886. »
Ces raisonnements subtils ne convainquirent pas le
ministère des affaires étrangères d'Allemagne, et voici
comment on peut grouper les arguments qu'il invoqua
pour leur répondre* :
Pour ce qui est des questions de principe, il est cer-
tain que les puissances européennes qui occupent des
territoires en Afrique centrale ne sont point obligées
d'y introduire immédiatement une administration par-
faitement organisée, et que si quelque chef indigène
nie la conclusion d'un traité, la puissance protectrice
n'a point l'obligation, dans les circonstances ordinaires,
de prouver juridiquement ses droits. Mais ici il ne s'a-
git pas d'un gouvernement, mais bien de la Niger Co.
Or la notification officielle du 18 octobre a déclaré
que le protectorat britannique s'étendait, en dehors de
la côte qui va de Lagos au Rio del Rey, aux territoires
qui sont ou seront sous le gouvernement de la Royal
Niger Co. Dans le cas présent il s'agit du Nupé. Malgré
la présence d'agents de la Compagnie, il est bien certain
que ce pays n'est pas gouverné par elle, mais bien par
le chef indigène.
On ne peut pas invoquer non plus un protectorat, car,
malgré ce qu'on a pu en dire, il n'y a pas eu de traité le
conférant. La Compagnie déclare qu'elle ne pouvait pas-
ser de traité de protectorat avec le Nupé parce que ce
1. 16 juillet 1888, Weisshuh, 1,9.
LA CONCURRENCE ÉTRANGÈR^ 323
pays dépendait du Gandu ; mais cela est en contradiction
avec la convention du 23 mars 1885 passée par M. Mac-
intosh qu'elle a invoquée précédemment. Quant au rai-
sonnement d'après lequel, s'il n'y a point de protectorat
sur le Nupé, l'ancien traité passé par la Compagnie serait
toujours en vigueur, il est impossible de l'admettre, car
ce traité et ses similaires, qui concéderaient un mono-
pole à la Compagnie, seraient en contradiction avec
l'Acte de navigation du Niger.
Le gouvernement allemand maintenait donc toutes
ses réclamations.
Les difficultés auxquelles devait se heurter Hoenigs-
berg furent de toutes sortes.
Pour cause de formalités douanières à remplir, on
retardait l'arrivée de ses marchandises; sous prétexte
qu'il ne les avait point fait passer par le chemin régle-
mentaire, on les lui confisquait; comme on prétendait
qu'il avait commercé en des points défendus, on l'em-
prisonna, et on ne le relâcha que contre le payement
d'une grosse amende. Bref, en peu de temps il fut com-
plètement ruiné, ce dont il accusa uniquement la Compa-
gnie. L'histoire est trop longue pour être rapportée ici;
mais on la trouvera tout au long dans le Livre blanc
publié par le gouvernement allemand à propos des inci-
dents qui en résultèrent.
Hoenigsberg ne manqua pas de se plaindre. Un long
article du Deutsch Kolonial Zeitung de juillet 1888 vint
rendre publiques ses doléances.
Cette publication, qui se faisait l'écho des difficultés
que nous avons analysées entre les deux puissances, fit
grand bruit.
Le Times lui-même, dans un long article qui en ren-
324 LA ROYAL NIGER C®
dait compte, ne prit pas entièrement la défense de la
Compagnie. Tout en déclarant que celle-ci avait le droit
de faire sur ses territoires ce qui lui convenait, il disait
qu'il serait peut-être bon que le gouvernement anglais
s'assurât si la liberté de navigation du fleuve était
entière, et si les règlements qui la régissaient n'étaient
pas contraires aux conventions internationales. La cri-
tique était cependant modérée, car le grand journal se
hâtait d'ajouter : « Une société présidée par un homme
du caractère de lord Aberdare ne ferait certainement
rien qui puisse avoir l'air d'un monopole ou d'une injus-
tice, rien qui puisse nuire au bon renom et à la gran-
deur de l'Angleterre. »
Peu de jours après eut lieu l'assemblée générale
des actionnaires de la Compagnie. Lord Aberdare,
dans son discours, ne pouvait se dispenser de faire
allusion aux attaques dont la Compagnie était l'objet.
Il interprétait ainsi la situation de la Compagnie du
Niger.
« On a discuté à la conférence de Berlin et on dis-
cute maintenant encore la situation du Congo et du
Niger. On croit généralement qu'elles sont connexes
et qu'on lésa réglées de même. Ce n'est qu'une erreur.
Avant la discussion, la situation du Congo était entière.
Les prétentions émises par les Portugais étaient suran-
nées, celles de la France et de la Belgique toutes
récentes. Rien n'empêchait donc d'y établir la naviga-
tion libre et le libre commerce. Au Niger il en était
tout autrement. Sa découverte, dans sa partie basse et
riche, est entièrement due à l'esprit anglais d'aven-
ture, à l'ardente philanthropie anglaise, à l'indomptable
initiative du commerce anglais. La conquête commer-
LA CONCUnnENCE ÉTRANGÈRE 325
ciale a été faite par deux ou trois maisons anglaises
jqui sont devenues la Niger Company. On ne pou-
vait régler les choses de la même manière qu'au
Congo. »
Lord Aberdare défendait ensuite la Compagnie con-
tre l'accusation d'avoir établi des droits de douane pro-
hibitifs, ses taxes n'étant en moyenne que de 2 p. 100
ad valorem. Il reconnaissait qu'elles atteignaient 12 p.
100 à l'intérieur; mais il expliquait que la faute en
était aux dépenses administratives, auxquelles ses taxes
devaient pourvoir et qui étaient d'autant plus élevées
que l'on entrait plus avant dans les terres. Il assurait
que la perception de ces taxes ne pouvait être une
arme pour la Compagnie, car elle les acquittait comme
les autres commerçants et les appliquait aux frais d'ad-
ministration, de sorte que, comme elle était seule au
Niger, elle en supportait, pour sa part, les quatorze
quinzièmes.
Les commerçants de Hambourg montrèrent qu'ils
n'étaient pas dupes de ce raisonnement. Leur Chambre
(le commerce adressa au gouvernement allemand une
pétition qui résumait leurs griefs contre la Compagnie.
Ils firent remarquer que si la Compagnie payait des
droits, elle se les payait à elle-même, et que si leur
produit servait à couvrir les dépenses de gouverne-
ment, étant seule à commercer, elle était seule à profi-
ter de ces dépenses, que, à défaut de tout autre gouver-
nement, elle ne pourrait se dispenser de faire.
Le gouvernement allemand, qui ne cessa de prendre
la défense de ses nationaux, finit par obtenir du gou-
vernement anglais qu'une enquête serait faite sur
place.
326 LA ROYAL NIGER C
0
L'Angleterre désigna le major Claude Macdonald
(actuellement Sir Claude Macdonald), et FAUemagne
M. Puttkamer, qui reçut le titre de consul allemand au
Niger et qui devait devenir plus tard pendant de lon-
gues années gouverneur du Cameroon.
Les instructions données au commissaire anglais
restèrent secrètes; on fit connaître simplement que
Tenquête devait porter sur l'administration de la Com-
pagnie et sur le gouvernement qu'il convenait d'établir
aux Oil Rivers.
M. Puttkamer devait surtout étudier le monopole
commercial exercé par la Compagnie, les moyens em-
ployés par elle pour l'établir, la mesure dans laquelle
ses impôts étaient justifiés, laoïature de ses rapports
avec les puissances étrangères; il devait en outre s'ef-
forcer d'éclaircîr l'affaire Hoenigsberg.
M. Puttkamer arriva à Bénin le 3 janvier 1889, prit la
branche Forcados comme étant la plus aisée, et, après
de nombreux échouages sur les bancs de sable, arriva
le y à Onja, où il croyait trouver un établissement de la
Compagnie. Il n'y trouva pas de poste, et, n'ayant aucun
intérêt à aller à Akassa, ce qui aurait nécessité un
détour de 240 milles, il se dirigea vers Abutchi, la fac-
torerie principale de la Compagnie sur le bas fleuve.
Pendant un échouage qui dura deux jours, la mission
vit passer deux bateaux de la Compagnie, sur l'un des-
quels était M. Flint, agent général de la Compagnie,
qui fit semblant de ne point remarquer son pavillon, et
il arriva le 16 h Abutchi. L'agent de la Compagnie,
M. Benson, déclara ne point connaître l'existence d'un
consul allemand au Niger, demanda le permis de cir-
culation qui avait dû être délivré à Akassa, et comme
LA CONCURRENCE ÉTRANGÈRE 327
on ne put lui en fournir, défendit à la mission de
débarquer dans la région qu'il administrait et notam-
ment à Onilcha, porte fermée. M. Puttkamer répondit
qu'il n'avait pas à tenir compte de ces observations,
qu'il avait à aller à Onitcha et qu'il irait; qu'il avait
prévenu en temps opportun, depuis Lagos, M. Flint, de
sa qualité et de ce qu'il venait faire au Niger, et de son
intention de ne pas passer à Akassa. N'étant pas com-
merçant, il ne voulait point être traité comme tel. Il
demanda communication des règlements de la Compa-
gnie, et comme cette communication lui fut refusée
sous prétexte que les exemplaires en étaient épuisés,
il se rendit immédiatement chez les Pères du Saint-
Esprit à Onitcha.
Il n'y était pas depuis une heure qu'il vit arriver,
acompagné d'un agent diplomatique, « employé noir»,
M. Bentson lui-même, à cheval, en grande tenue,
qui lui remit, tout en lui faisant ses excuses personnel-
les, une pièce écrite lui notiflant son arrestation pour
avoir enfreint les règlements de la Compagnie.
Puttkamer se contenta de faire remarquer l'absurdité
d'une telle conduite à l'égard d'un agent diplomatique,
et, sans être autrement inquiété, se rendit le lende-
main k Assaka, où il fut reçu très cordialement par
les cinq agents européens qui s'y trouvaient. Là encore
il lui fut impossible de se procurer les règlements de
la Compagnie.
Après de nombreux retards causés par les difficultés
de la navigation, la mission arriva le 26 à Lokodja. Le
jour même elle vit apparaître, venant d'Egga, un petit
steamer de la Compagnie [la Florence) , amenant le
Senior Executive Officer du Haut Niger, M. Sister,
328 LA ROYAL NIGER C**
lequel communiqua à M. Puttkamer une note de
M. Flint maintenant qu'il aurait dû passer par Akassa,
mais lui exprimant les plus vives excuses pour les ma-
lentendus qui en étaient résultés.
La mission loua à Lokodja deux grands canots pour
continuer sa route, et parvint le 4 février à Egga. De
là elle se rendit à Bida, où elle fut très bien reçue par
Maleki. Ce roi lui déclara n'avoir cédé à la Compagnie
aucun droit sur ses territoires, constata l'exactitude de
tout ce que Hoenigsberg avait rapporté au gouverne-
mend allemand à ce sujet, protesta qu'il avait toujours
permis à tous les commerçants européens de venir
s'établir chez lui et qu'il les appelait de tous ses vœux.
Le 20 mars, Puttkamer, ayant terminé son enquête,
rentra à Lagos, d'où il envoya son rapport* au gouver-
neur impérial, qui fit parvenir au gouvernement anglais -
une note déclarant que Lokodja était la limite des terri-
toires de la Compagnie, demandant le rétablissement
de la liberté de transit en ce pays, l'abaissement des
droits d'exportation comme étant hors de proportion
avec les dépenses véritables d'administration, et l'a-
brogation du monopole de fait que s'était octroyé la
Compagnie. La même note concluait à la véracité des
réclamations de Hoenigsberg, à l'inexactitute des accu-
sations portées contre lui et au payement par la Com-
pagnie de l'indemnité réclamée par lui. .
Tous les documents importants relatifs à cette affaire
furent réunis en un Livre blanc, qui parut le 22 novem-
bre 1889.
Ce Livre blanc devait faire grande impression à Lon-
1. Times, 25 novembre 1889, 6 c.
2. Times, 23 décembre 1889, 12 b.
LA CONCURRENCE ETRANGERE 329
cires. On s'indigna d'abord de ce que le gouvernement
allemand eût publié les résultats de son enquête sans
avoir attendu le retour du commissaire anglais. Sir
G. T. Goldie adressa aussitôt, en réponse à ses action-
naires, un long mémorandum, qu'il rendit public dans
le Times.
Commentant le tarif en vigueur, M. Puttkamer
reconnaît que les droits d'importation sont raisonna-
bles pour le bas fleuve, mais que, pour le haut fleuve,
ils sont tout à fait exagérés, étant donné surtout le prix
élevé des frais de transport. Quant aux droits d'expor-
tation, il les trouve énormes et estime qu'ils devraient
être abolis complètement, attendu qu'ils étaient insti-
tués uniquement pour empêcher toute concurrence.
En réponse, Sir G. T. Goldie se borna à recommen-
cer le raisonnement d'après lequel ces taxes étaient
destinées à payer les dépenses administratives, et à
dire que la Compagnie payait ces taxes comme les au-
tres commerçants; il ajouta que, dans le cas contraire,
les ressources administratives ne seraient que de 3.000
ou 5.000 livres. Nous avons déjà montré ce qu'il y avait
de spécieux dans cette manière d'argumenter.
En dehors des droits de douane, la Compagnie avait
institué au Niger, d'après le commissaire allemand, des
droits de patente.
Le règlement X du 30 juillet 1886, qui les établit,
porte :
« Aucun étranger ou compagnie étrangère ne peut
directement, ou par l'intermédiaire d'agents, vendre
ou échanger ou étaler pour la vente ou l'échange au
détail, aucune marchandise s'il ne paye une licence de
commerce de détail. »
330 LA ROYAL NIGER C**
Ces licences sont de deux espèces, ainsi fixées :
1^ Le Spirit tradc licence : toute maison étrangère
établie dans les territoires du Niger est tenue de payer
annuellement la somme de 100 livres pour avoir la per-
mission de faire le commerce des spiritueux.
2** Le De f ail trade licence : toute maison étrangère
est tenue de payer annuellement, pour avoir la permis-
sion de se livrer au commerce de détail, la somme de
50 livres pour la factorerie principale, et de 10 livres
pour chaque factorerie secondaire.
M. Puttkamer remarque que cette fois c'est le règle-
ment lui-môme qui fait une distinction entre les étran-
gers iforeigners) et la Compagnie, et qu'il serait diffi-
cile à celle-ci de nier qu'elle traite les commerçants qui
viennent dans ses terres autrement qu'elle se traite
elle-même.
Le directeur de la Compagnie n'en déclara pas moins
qu'elle payait les patentes comme les autre commer-
çants. Il faut convenir, tout au moins, que les règle-
ments étaient étrangements rédigés et qu'il n'était pas
étonnant qu'on eût pu quelquefois ne pas les observer.
Sir G. Goldie ajoute qu'au Cameroon les licences
étaient fixées à 100 livres.
Dans les règlements se trouvait une autre prescrip-
tion bien typique : « Les commerçants ne peuvent éta-
blir de factoreries et commercer que là où il existe déjà
une factorerie de la Compagnie ; » et M. Puttkamer expli-
qua qu'étant donné la puissance commerciale de la Com-
pagnie et la façon dont elle était organisée, cela revenait
à rendre impossible tout commerce étranger, car on ne
pouvait lutter avec elle là oii elle s'était établie.
Comme dans le cas précédent. Sir G. Goldie se con-
\
LA CONCURRENCE ÉTRANGÈRE 331
tenta de déclarer que la Gompçignîe, en tant que com-
merçant, était assimilée aux étrangers • mais cette fois
il faut convenir que cette déclaration était tout à fait
incompréhensible, car on ne voit pas bien une règle
ainsi conçue : « La Compagnie ne pourra fonder d'éta-
blissements commerciaux que là où elle a des comp-
toirs. »
Sir G. Goldie assura que, en dehors de ce qui pouvait
être ordonné pour des raisons d'ordre, il était permis à
chacun de vivre, bâtir et voyager où il voulait dans les
territoires de la Compagnie.
Ce régime de liberté, qui, d'après Sir G. Goldie,
régnait au Niger, M. Puttkamer le dépeignait ainsi :
« 11 y a encore à citer comme règlements de la Com-
pagnie nuisibles au commerce et à la circulation, et en
contradiction avec l'Acte de navigation du Niger, les
suivants :
« 1" Décret du 30 juillet 1886 : Import Cuslom-
dulies; aucun bateau, barque, canot ou autre embar-
cation entrant dans les eaux du Niger ne peut toucher,
charger ou décharger en aucun des territoires sans être
d'abord entré à Akassa à l'embouchure du Niger, y avoir
acquitté les droits et obtenu, à cet effet, un certificat
de la douane de cet endroit. » Le choix de l'embou-
chure du Run (Akassa) comme embouchure principale
du Niger est tout à fait arbitraire. L'embouchure For-
cados, par exemple, est bien plus facile à franchir, la
creek qui la réunit avec le Run, à 120 milles anglais en
amont d'Akassa, est plus commode que le Run lui-même.
C'est la voie la plus commode pour tous les bateaux qui
veulent entrer au Niger en venant du delta occidental
de Bénin, Escardos, Forcados, Warri, etc. Il en est de
332 LA ROYAL NIGER C**
•
même à Test, où il y a de bonnes voies maritimes vers
Brass et New Calabar, qu'on ne peut utiliser mainte-
nant, puisque tout doit aller d'abord à Akassa. Gela est
d'autant plus nuisible qu'on est, à Akassa, entièrement
dépendant de la Compagnie. Chaque pied de terre sur
les deux rives de l'embouchure est propriété privée de
la Compagnie. Les villages indigènes sont inaccessibles
sans la permission de la Compagnie; on ne peut rien
obtenir, le moindre verre d'eau, sans son intermé-
diaire. Et ce verre d'eau, sans parler d'autres choses
plus nécessaires, n'est donné aux concurrents arrivant
qu'à contre-cœur et à des prix exorbitants.
« 2** Le règlement des ports d'entrée {ports ofentry)
est en rapport étroit avec ce qui précède. La Compagnie
a proclamé une liste d'endroits en dehors desquels on
ne peut faire escale ni commercer. Ce sont de préfé-
rence des endroits fondés par la Compagnie, générale-
ment sa propriété privée, où l'on trouve surtout de
grandes factoreries de la Compagnie et peu de cases
indigènes, et où l'on ne peut rien obtenir en dehors
d'elle. Le but est évident : on a fermé tous les grands
centres et défendu toutes relations avec eux, comme
par exemple Onitcha, Idah, etc., pour ne pas en être
chassé par la concurrence des autres commerçants. On
préfère établir dans le voisinage une factorerie (ex. : à
une heure d'Onitcha, le comptoir d'Abutchi), et les indi-
gènes sont alors bien obligés, bon gré, mal gré, de venir
à cette factorerie pour vendre leurs produits ou échan-
ger des marchandises, puisque les commerçants étran-
gers ne peuvent plus venir vers eux. En ce nouveau
point la Compagnie est maîtresse, fixe les prix et sait
parfaitement exclure de ses territoires toute concur-
LA GONGURRBNGB ÉTRANGÈRE 333
rence extérieure. Ainsi sont ruinés systématiquement
et rendus impossibles tous les établissements européens
indépendants d'elle; un monopole de commerce est
créé, effectif, d'un exclusivisme inouï, et maintenu avec
une rigueur sans exemple. 11 ne peut être question de
navigation libre, puisque la Compagnie considère comme
opérations commerciales l'approvisionnement en bois
de chauffage et en vivres. »
Sir G. T. Goldie répondit simplement que les accu-
sations ainsi portées étaient exagérées et que les
règlements auxquels elles s'appliquaient étaient néces-
saires.
Il n'y avait, disait-il, de défendu au Niger, et cela
pour des raisons politiques, que l'entrée des seules
villes* qui étaient en état de révolte, et, en fait, cela n'a-
vait jamais eu lieu qu'à Onitcha, qui était fermé aussi
bien pour la Compagnie que pour les autres commer-
çants. Et dans ce cas, d'après lui, il était bien difficile
de soutenir que s'était un stratagème commercial : avant
sa fermeture, la Compagnie avait une factorerie impor-
tante, et d'après M. Puttkamer l'organisation commer-
ciale de la Compagnie était telle qu'elle n'avait pas à
craindre la concurrence là où elle avait des comptoirs.
Et quant aux ports d'entrée, il était vrai que leur nom-
bre était limité et qu'il n'y avait que dans ces ports
qu'il était permis de toucher; mais c'élait là une néces-
sité douanière. Comme il n'y a pas moins de 20 ports
d'entrée, sur les 300 milles entre Akassa et Lokodja
ainsi que sur les bords du Niger et de la Bénué au des-
1. Il est à noter qu'il n'y a jamais eu plus de 20 ports ouverts (règle-
ment delà navigation de 189'i), et que dès 1886 la Compagnie disait qu'elle
avait 150 factoreries sur le Niger (V. Times, 1" juillet 1886, II a).
- •« «
334 LA ROYAL NIGER C**
SUS de Lokodja, ce systène n'impose pas de gêne au
commerce. S'il y a eu des commerçants qui ont été rui-
nés, c'est qu'ils s'étaient établis à Egga, qui est un très
mauvais poste de commerce et oii la Compagnie n'a
maintenu des factoreries que pour des raisons admi-
nistratives.
La seule chose à répondre à Sir G. T. Goldie était
que le principe des règlements dont il invoquait la
nécessité n'était plus admissible lorsque de procédé
administratif il devenait un moyen régulier d'oppres-
sion. Ces règlements auraient été légitimes s'ils avaient
été établis par un organisme purement gouverne-
mental; ils ne l'étaient plus lorsqu'ils sacrifiaient les
intérêts de ceux qui en étaient les auteurs.
11 semble qu'à la suite de l'enquête Puttkamer le gou-
vernement allemand ait résolu de laisser à l'Angleterre
toute sa liberté d'action sur le Niger, se réservant d'a-
gir au Cameroon.
Les conventions de 1890 et de 1892 qui déterminaient
les frontières des territoires all-emands furent conclues
sans difficulté et furent bien probablement le prix de
l'abandon des vues que l'Allemagne pouvait avoir sur
le Niger.
Hoenigsberg, lui, le héros et le prétexte de tous ces
incidents, n'obtint pas satisfaction immédiate.
Le traité du 1®"^ juillet 1890 réserva la question de
règlement de cette affaire. Hoenigsberg reçut en 1890
une offre de 900 livres, qu'il jugea insuffisante.
Il adressa alors une pétition au Reichstag, et, lors de
la discussion du budget colonial, M. Hammacher obtint
du Secrétaire d'État qu'il ne perdrait pas de vue cette
affaire. Le gouvernement impérial aurait, d'après le
LA CONCURRENCE ETRANGERE 335
Kolonial Zeitung, offert à Hoenigsberg, sur les fonds
de disposition, 30.000 marks (livres 1.500), qu'il refusa.
L'affaire fut enfin soumise en mai 1891 à l'arbitrage
du baron de Lambremont, secrétaire général du minis-
tère des affaires étrangères de Belgique, qui la liquida.
CHAPITRE XXIII
LA ROYAL NIGER C»
L'opinion anglaise.
Ce ne fut pas seulement contre les Français et les
Allemands que la Compagnie devait avoir à lutter, mais
aussi contre les Anglais eux-mêmes.
Dès 1887*, deux ou trois condamnations prononcées
par la Compagnie contre des naturels firent Tobjet d'in-
terpellations au Parlement; mais ce ne fut guère qu'à
la fin de décembre 1888 que commença la campagne
anglaise contre la Compagnie, et cela par une question
posée à la Chambre des Communes par M. Picton.
Au moment de Toctroi de la charte, déclare-t-il-, la
valeur des exportations avait été de 230.000 livres ster-
ling; en 1887, après que la Compagnie eut commencé à
appliquer ses taxes, les exportations tombèrent à
194.000 livres sterling, et dans la première moitié de
1888 elles ne furent que de 41.400 livres sterling.
Était-ce la faute de la Compagnie? Depuis quelque
temps le bruit courait que le gouvernement voulait
étendre la charte de la Compagnie sur les Oil Rivers;
était-il vrai qu'une décision pareille, aussi néfaste aux
intérêts anglais, fut sur le point d'être prise?
M. Fergusson, du Foreign Office, se contenta de ré-
1. Timest 1" janvier 1887, 10 c; 26 avril 1887, 6 c.j 5 juillet.
2. rimes, 18 d.; 1888, 8 d.
l'opinion anglaise 337
pondre qu'il était vrai que la Compagnie avait mis des
taxes à l'entrée et à la sortie de ses territoires, mais
qu'elles étaient créées pour subvenir aux dépenses ad-
ministratives des territoires, qu'elles n'entraient pour
rien dans le dividende distribué aux actionnaires et
que sa charte lui défendait de se constituer un mono-
pole commercial. Des taxes prohibitives pouvaient avoir
été mises sur l'alcool, mais c'était uniquement dans un
but humanitaire. Quant aux Oil Rivers, M. Fergusson
éluda la question en disant qu'un commissaire allait y
être envoyé pour examiner la situation créée par les
incidents provoqués par le roi Jaja.
Or, cette question de l'extension de la charte était
peut-être ce qui importait le plus aux commerçants
anglais à cette époque.
La Compagnie opérait surtout le long du cours même
du Niger, tandis que la Côte et les Oil Rivers restaient
en dehors d'elle. C'était sur ces points que l'activité
des négociants de Liverpool s'exerçait avec le plus de
fruit. Du jour où les chartes de la Compagnie y appa-
raîtraient, les beaux bénéfices disparaîtraient.
Il était aisé de comprendre que la Compagnie avait
tout intérêt à s'emparer de ces territoires, qui auraient
été pour elle une base solide d'opérations en même
temps qu'une source importante de revenus.
En outre, il semble bien que son Conseil ou, pour
mieux dire. Sir G. T. Goldie, envisageait, dès ce mo-
ment, avec quelque ennui, la possibilité de voir ses
terres enserrées dans des territoires dépendant direc-
tement de la Couronne. C'était sur la côte que la Com-
pagnie était née; elle avait peut-être espéré se déve-
lopper de là sans gêne, et il ne lui était pas difficile de
22
338 LA ROYAL NIGER C®
se rendre compte des difficultés qu'elle rencontrerait
lorsqu'elle serait en contact avec des gouvernements
réguliers.
Une polémique très vive s'engagea à ce sujet. Les
uns, favorables à la Compagnie, recommandaient l'exten-
sion de la charte ; les a,utres demandaient l'annexion à
Lagos ou l'érection en Crown Colony; d'autres deman-
daient qu'une charte spéciale fût accordée à une Com-
pagnie nouvelle qui se créerait pour les Oil Rivers.
Aussitôt après l'interpellation Picton, les adversaires
de la Compagnie adressèrent au Times une lettre de
protestation contre le projet d'extension de la charte*.
Ils montraient que, d'après les déclarations mêmes
de la Compagnie, celle-ci faisait les 14/15 du commerce
du Niger : elle arriverait au même résultat dans les
Oil Rivers par une tactique bien simple. Pour obtenir
sa charte, elle avait chassé les maisons concurrentes
qui se trouvaient au Niger; elle n'aurait plus, par
un procédé inverse, qu'à conclure des arrangements
avec un petit nombre des Compagnies établies à la
côte, pour accaparer, grâce aux taxes qu'elle aura le
droit d'établir, la presque totalité du commerce dans
les Oil Rivers.
Et les commerçants concluaient ainsi : « La Compa-
gnie du Niger nous appelle des critiques sans scru-
pules, mais nous ne sommes que de tranquilles com-
merçants qui font leurs affaires tranquillement dans les
Oil Rivers sur lesquelles la Compagnie voudrait éten-
dre son action, et nous disons simplement, mais éner-
giquement, que ce serait notre ruine.
1. Times, 4 janvier 1889, 4 f.
l'opinion anglaise 339
« Nous sommes des sujets de la Reine, comme la
Niger Company, et nous ne devons pas lui être sacri-
fiés. Tout ce que nous demandons, c'est qu'avant que
Ton augmente son privilège, un comité de la Chambre
de commerce soit nommé pour examiner la chose, et
nous nous soumettrons à sa décision. »
Dès le lendemain de la publication de cette lettre.
Sir T. Goldie répondait* :
Il reconnaissait que la Compagnie avait demandé
l'extension de sa charte, mais il assurait que sa demande
avait été appuyée par les 7/8 des commerçants des Oil
Rivers; que si la Compagnie avait désiré s'étendre sur
les Oil Rivers, ce n'était que pour le plus grand bien
de la civilisation et parce que ces territoires n'étaient
point prêts à recevoir une administration régulière.
La Compagnie avait, du reste, déclaré qu'elle n'accep-
terait que l'on agrandît ses territoires que si les
dépenses qui en résulteraient ne devaient pas porter
atteinte aux intérêts de ses actionnaires.
Tout le monde était d'accord* pour dire que ce qu'il
y avait de mieux à faire était d'attendre les résultats
de l'enquête du major Claude MacDonald, envoyé au
Niger à propos des incidents allemands.
Or, cette enquête MacDonald resta toujours un mys-
tère.
Lorsqu'elle fut décidée, M. Picton^ demanda au Se-
crétaire du Foreign Office qu'il fût fait communication
au Parlement des instructions qu'avait reçues Sir Claude
1. rime«, 4 janvier 1889, 4 f.
2. Times, 16 janvier 1890, 9 d.; 17 janvier 1890, 10 a.
Ces articles contiennent des renseignements très circonstanciés sur le
commerce des OU Rivers.
3. Times, déc. 1888, 6 f.
V
340 LA ROYAL NIGER C^
MacDonald. Sir J. Fergusson répondit, de façon très
catégorique, qu'elles devaient rester confidentielles.
Tout ce que Ton en sut fut ce qu'en dit lord Aber-
dare dans son discours* aux actionnaires de 1890, où il
assurait que l'épreuve avait été soutenue victorieuse-
ment par la Compagnie et que l'on avait trouvé que
tout était pour le mieux chez elle.
Celte déclaration ne pouvait manquer d'appeler une
interpellation à la Chambre des Communes, et, en effet,
peu de jours après*, Sir J. Fergusson répondait à Sir
G. Campbell : « Le rapport MacDonald ne peut être
communiqué, par suite de son caractère très confiden-
tiel. Un des objets de l'enquête était de fournir au gou-
vernement des matériaux sur l'opportunité de l'exten-
sion de la charte. Sir Claude MacDonald devait examiner
certains points en litige avec l'Allemagne, et il a été
possible ainsi de présenter des explications satisfai-
santes à Berlin. Pour ce qui était de la Niger Co., dont
il avait à examiner l'administration, le commissaire a
trouvé que, malgré quelques imperfections, la charte
était observée et était une excellente institution. »
Le rapport, sans doute, n'était cependant pas très
favorable à l'extension de la charte aux Oil Rivers, car
lord Salisbury répondit' à une députation de 1' « Abori-
gine's Protection Society » qu'il ne s'agissait pas de
savoir si les Oil Rivers devaient passer à une Char-
tered Company, mais si l'on transformerait le consu-
lat en Crown Colony. Le grand obstacle qu^il trouvait
au système des « Crown Colonies »^ c'est que dans une
1. Times, 12 juillet 1890, 12 d.
2. Times, 29 juillet 1890, 6.
3. Times, 23 juillet 1890, 8 a.
OPINION ANGLAISE 341
pareille administration on ne pouvait admettre Tescla-
vage, et qu'il semblait bien difficile de le supprimer
pour le moment dans les Oil Rivers.
C'était le maintien d'un consulat qui devait prévaloir.
Le 10 octobre*, la Chambre de commerce de Liverpool,
qui avait écrit à ce sujet au Foreign Office, reçut une
lettre de lord Salisbury portant que le « gouvernement
n'avait pas l'intention de donner les Oil Rivers à l'ad-
ministration d'une Chartered Company ».
Le major MacDonald fut alors envoyé dans les Oil
Rivers pour y organiser le « Niger Coast Protectorate »,
mais cela ne résolut pas toutes les difficultés.
La charte ne fixait pas les limites des terres de la
Compagnie autrement qu'en disant que ses pouvoirs
devaient s'exercer sur les « territoires du bassin du
Niger » relevant des chefs avec qui elle avait, passé des
traités.
Jusqu'en 1888, à peu près, l'embouchure véritable du
Niger fut considérée comme étant à Akassa, et sur la
carte du « Weissbûch » sur les affaires Hoenigsberg, les
frontières de la Compagnie aboutissent aux environs de
cette ville. On découvrit peu à peu que la plupart des
Oil Rivers n'étaient que des bras du delta du Niger et
étaient fort navigables jusqu'au lit principal du fleuve.
Lorsqu'il fut bien avéré que la Compagnie ne repren-
drait pas sous son autorité toute la côte du Lagos au
Cameroon, il fallut la délimiter. Cela fut nettement fait
du côté Est, comme le montre une lettre du 12 octobre
1891 envoyée par le Foreign Office à M. G. A.* Moore,
directeur de r« Oil Rivers Trading and Expédition* »,
1. Times, 11 octobre 1890, 6 a.
2. TimeSy 25 mars 1892, 7 f.
342 LA ROYAL NIGER C®
et qui portait qu'avant le départ du major MacDonald il
avait été fixé que les frontières du territoire, du côté
Est de la bouche Nun du Niger, seraient formées par
une ligne droite commençant en un point équidistant
de la bouche Nun et de la bouche Brass Niger et ter-
miné à la ville d*Idu. Cette ligne serait infléchie, si
c'était nécessaire, de manière à assurer à la Compa-
gnie une zone non moindre que trois mi,lles à l'est de
la principale bouche du Niger (Akassa).
Cette lettre, lorsqu'elle fut publiée, fut assez mal re-
çue à Liverpool. Un meeting, présidé par M. John Holt,
fut tenu le 31 mars et décida de présenter une requête
à la Chambre de commerce pour qu'elle s'unît aux au-
tres chambres et corps ayant des intérêts dans l'Ouest
Africain, afin d'entreprendre une campagne auprès du
Parlement. Un député, M. Cross, qui s'était fait l'inter-
prète de ces protestations à la Chambre des Communes,
déclara cependant qu'il pensait qu'aucune tentative pour
faire révoquer la charte ne réussirait. Il fit remarquer
que le gouvernement avait usé de la Compagnie pour
la préservation de certains intérêts internationaux, dans
une période critique, contre la France et l'Allemagne,
de sorte que tout ce qu'on pouvait faire contre elle,
c'était de la rappeler à ses engagements et l'empêcher
de faire un usage abusif de sa charte.
La Chambre de commerce de Liverpool envoya alors
à lord Salisbury une pétition' qui exprimait un vif re-
gret de ce que le gouvernement avait sanctionné l'ex-
tension'de la juridiction de la Compagnie sur un quart
des districts des Oil Rivers, c'est-à-dire avait consenti à
1. Times, 1" avril 1892, 9 a.
2. Times, 27 mai 1892, 4 c.
l'opinion anglaisb 343
Fannexion par la Compagnie des districts qui commen-
çaient avec Brass et le Bénin, ainsi ^u'à la séparation
du district du Bénin de ceux de Brass, Bony et Cala-:
bar. Elle pensait que la Compagnie ne pouvait exercer
un contrôle efficace sur ces voies fluviales. Elle souhai-
tait que les frontières de la Compagnie fussent modi-
fiées de façon à rendre aux Oil Rivers Districts le delta
du Niger jusqu'à Onitcha, Assaba restant à la Compa-
gnie, et Onitcha passant dans TOil Rivers Protectorate.
Le major MacDonald devait établir la frontière du
côté de Brass. La rivière Forcados fut attribuée à la
Compagnie.
La section africaine de la Chambre de commerce de
Liverpool écrivit aussitôt une nouvelle lettre à Lord
Salisbury*. Elle protestait en disant que la Compagnie
n'avait pas le droit d'agir comme elle le faisait. Quel-
ques maisons lui avaient vendu leur établissement
sur la branche d'Âkassa, mais c'était à la condition que
Warri serait laissé indépendant. Elle ne pouvait donc y
étendre son administration. La Chambre de commerce
insistait encore pour que les pouvoirs de la Compagnie
ne • s'étendissent pas en aval d'Onitcha, en raison des
difficultés douanières qui en résulteraient.
Un arrangement intervint d'après lequel la ville de
Warri fut laissée aux Oil Rivers. A partir de ce mo-
ment, les territoires des Oil Rivers semblèrent ainsi
constitués :
Ils comprenaient l'Old Calabar, Opopo Bonny, New
Calabar, étaient interrompus par les territoires de la
Compagnie, puis reprenaient à Forcados, dont la rive
gauche est à la Compagnie et la rive droite aux Oil
1. rimes, 18 juillet 1892.
344 LA ROYAL NIGER C'
Hivers jusqu'après Warri, comprenaient Bénin River et
s'arrêtaient à la limite du Lagos'.
Pendant que ces questions étaient en cause, les com-
merçants de Liverpool n'en continuaient pas moins à
attaquer la politique commerciale et administrative de
la Compagnie. Une série d'interpellations* se succé-
daient à la Chambre des Communes, faites la plupart
par M. Cross, qui interrogeait le gouvernement sur la
iaçon dont il exerçait son droit de surveillance. Il lui
fut répondu que la Compagnie devait rendre compte de
sa gestion, de temps en temps, au Secrétaire d'État;
puis, comme il insistait, on lui dît que depuis 1888 ce
contrôle avait été exercé quelquefois, et qu'il en serait
ainsi toutes les fois que le gouvernement le demande-
rait, mais que ses résultais devaient rester secrets.
L'état des rapports des commerçants du Bas Niger
et de la Compagnie devait s'éclaircir un peu. Les com-
merçants allaient bientôt avoir un gouvernement
régulier pour les représenter. A la suite de la conven-
tion allemande du 14 avril 1893 qui réglait la frontière
du Rio del Rey, il fut décidé, comme nous le verrons,
que les Oil Rivers seraient transformées en un Pro-
tectorat régulier, le « Niger Coast Protectorate ».
D'un autre c6té, Sir G. Goldie allait triompher d'une
grande partie de l'opposition de Liverpool : il passa, en
1894, un arrangement avec « l'African Association », la
plus puissante des sociétés commerciales établies au bas
Niger, et il déclare dans les chapitres, dont il est en par-
tie l'auteur, The Struggte for Niger, du livre de J. S. Kel-
lieporton Ihe administration oflhe Niger Coaat Protectorate, Augast
t-Aagast 189i, P. p. C. "506.
Times, k mars 18<J2 ; S5 mars 1892, 4 a. ; 26 mars 1892, 8 c.
L*OPIMON ANGLAISE 345
tie, que depuis il a vécu avec elle en parfaite harmonie*.
Liverpool n'en devait pas moins rester un centre d'a-
gitation très vive contre la Compagnie, opposition beau-
coup plus énergique que celle qui a pu se produire en
Allemagne ou en France, où des intérêts nationaux
étaient en jeu. La Chambre de commerce ne cessa d'or-
ganiser des meetings de protestation contre la charte
et d'adresser des requêtes au gouvernement pour
demander son abolition. Le Financial News^ le Journal
of Commercty le Liverpool Daily Post de Liverpool, le
Manchester Guardian, le Truth de M. Labouchère, le
Daily chronicle, se firent les organes de ces plaintes.
Pendant ce temps, Sir Alfred Jones lui-même fut
parmi les adversaires de la Compagnie.
Ces attaques furent aussi violentes que possible. On
accusait surtout la Compagnie de maltraiter les indi-
gènes et de pratiquer le commerce de l'alcool alors
qu'elle en prohibait l'importation. L'exaspération était
d'autant plus vive de voir le Niger fermé à toute initia-
tive nouvelle, qu'au fond le gouvernement avait tou-
jours soutenu la Compagnie. Et c'est ainsi que Lord
Salisbury déclarait à une députation qui était venue en
juillet 1897 lui apporter de nouvelles plaintes :
« Tout ce qui pourrait être regardé comme une façon,
non pas injuste, mais simplement dure, de traiter la Com-
pagnie du Niger, serait contraire aux traditions du pays
et nous aliénerait l'opinion publique. Je tiens donc à me
garder de paraître approuver toute parole pouvant expri-
mer un désir que nous traitions la Compagnie du Niger
autrement que d'une façon équitable et bienveillante*. »
1. J. Scolt Keltie. The Partition of A frica, p. 288, éd. 1895.
2. B. G. A. F., août 1897.
CHAPITRE XXIV
LA ROYAL NIGER C»
La Compagnie et les indigènes.
Dans les chapitres précédents, nous avons vu la
Niger Company faire état des traités qu'elle déclarait
avoir passés avec les chefs indigènes et comment ceux-
ci se refusaient à les reconnaître. Pendant tout le reste
de son histoire, l'existence de ces traités sera un des
principaux arguments sur lesquels elle appuiera ses
prétentions territoriales et administratives.
Les traités qu'elle a invoqués ainsi, comme lui don-
nant des droits sur les territoires qui devaient former
plus tard la Nigeria, peuvent être divisés en deux grou-
pes : ceux qui concernaient les chefs des innombrables
petites tribus qui occupaient le voisinage du fleuve, et
ceux qui s'appliquaient aux États de l'intérieur.
Les premiers*, conçus sous diverses formes, conte-
naient les clauses suivantes :
« Nous, etc., dans le but d'améliorer notre pays, ou
en reconnaissance des services rendus par la Compa-
gnie, nous cédons à la National African Co. ou Royal
Niger Co. leur héritier et successeur tout l'ensemble
de nos territoires (we cède the wholeof our territory).
« Nous donnons plein pouvoir à ladite Compagnie de
régler toutes les disputes qui pourraient surgir entre
1. P. p. I c. 9372, et Hertslet, The map ofAfrica by treaties.
, LA COMPAGNIE BT LES INDIGENES 347
indigènes, et nous nous engageons à ne pas entrer en
guerre avec d'autres tribus sans son approbation.
« Elle aura plein pouvoir d'exploiter des mines, de
faire des plantations et de construire dans tout notre
territoire.
« Nous nous engageons à n'avoir aucun rapport avec
des étrangers que par l'intermédiaire de ladite Com-
pagnie, et nous lui donnons plein pouvoir d'exclure de
ces territoires tous les étrangers.
« La Compagnie, de son côté, s'engage à ne pas inter-
venir dans les lois et coutumes du pays qui ne sont pas
contraires au bon ordre et au bon gouvernement. Elle
s'engage à payer à leurs propriétaires une somme con-
venable pour toutes les terres qu'elle désirera occuper;
elle protégera les rois et les chefs susdits contre les
attaques des tribus voisines. »
En reconnaissance de ce traité, la Compagnie payera
annuellement une somme auxdits chefs.
Les seuls traités connus passés avec les chefs de l'in-
térieur sont ceux du Sokoto, du Gandu et du Borgu.
Le plus important d'entre eux, signé par le sultan de
Sokoto et Joseph Thomson le l**" juin 1896, porte les
clauses suivantes :
« Article premier. — Pour notre mutuel- avantage,
celui de notre peuple et celui des Européens qui com-
mercent sous le nom de la National African Co., moi,
chef des musulmans du Soudan, avec l'avis de mon con-
seil, donne et transfère à ces Européens ou aux autres
avec qui ils s'entendront mes droits entiers sur le pays
situé des deux côtés de la rivière Bénué et de ses
1. Herlslet, The Map of Africa hy treaties (Appendice).
348 LA ROYAL NIGER C®
affluents, le long de leur rive, dans mes territoires,
sur la distance qu^ils désireront.
« Article 2. — La Compagnie aura, à l'exclusion de
tous autres Européens, le droit de commercer et d'ex-
ploiter les gisements de minéraux.
« Article 3. — Les indigènes ne communiqueront avec
les étrangers que par l'intermédiaire de la Compagnie.
« La Compagnie fera au sultan un payement annuel
de 3.000 sacs de cauris. »
Le traité passé le 13 juin 1885 avec le Gandu était
conçu dans des termes analogues. La redevance devait
être de 2.000 sacs de cauris.
Il y a quelques années, la discussion de ces traités
aurait pu présenter un grand intérêt. Nous n'avons
point à rappeler comment la Niger Co. les a invoqués
pour prétendre que les chefs de l'intérieur lui avaient
abandonné leurs droits souverains et comment l'Angle-
terre s'est servie de cette prétention pour assurer qu'ils
satisfaisaient aux dispositions de la convention de Ber-
lin. Elle réclamait le droit de comprendre dans sa zone
d'influence les pays haussas. Par la convention de 1898
la France a admis bien bénévolement cette manière de
voir.
Sans rechercher dans les récits de nos explorateurs
la preuve de l'inexactitude de cette interprétation, il
nous suffît désormais de reproduire ici le commentaire
que Sir F. Lugard a donné du plus important de ces
traités, celui de Sokoto, lorsqu'il a eu à l'appliquera
« Jusqu'à l'année qui a précédé la crise avec la France
dans le Borgu et l'établissement du West African Fron-
1. P. p. c. d. 1768, 14; Northern Nigeria Report for 1902, p. 23.
LÀ co:mpagnie bt les indigènes 349
lier Force (1898), la Royal Niger Company a été domi-
née par la crainte des émirs fulanis, n'étant pas assez
forte pour les maintenir, et pour repousser en même
temps des agressions sur ses frontières. En 1897, Sir
George Goldie risqua tout dans un conflit avec le Nupé
qui, d'après ce que Ton disait, s'était proposé d'atta-
quer et de détruire la Compagnie. Avant cette date, la
Compagnie avait payé un subside annuel à Sokoto et à
Gando en exécution des traités.
a La guerre de la Niger Co. avec le Nupé dans les
États de Sokoto et le vassal immédiat de Gandu mit une
fin, en fait, à ces traités. Ce fut l'opinion de Sokoto,
qui refusa de recevoir son subside annuel et d'avoir
tous rapports ultérieurs avec la Compagnie. Il sonda
ces émirs pour les pousser à des représailles. Ne rece-
vant pas de réponse immédiate, il entra en composition
et prit le subside de la Compagnie, qui était sur le point
de passer ses pouvoirs administratifs au gouverne-
ment. Celle-ci était fort anxieuse de le lui voir accep-
ter comme une preuve de la reconnaissance de la vali-
dité du travail, reconnaissance de laquelle dépendait
son aptitude à transférer Sokoto au gouvernement
anglais. Le traité contenait certaines stipulations qui
correspondaient au transfert par le sultan d'une par-
tie de ses droits souverains à la Compagnie. Les chefs
de Sokoto ont toujours déclaré qu'ils n'admettaient pas
cette manière de voir. Pour le reste, le traité corres-
pondait à un pacte d'amitié et était considéré comme
tel par le sultan. Le maintien de cette amitié était en
fait le seul quid pro quo qu'il reconnaissait devoir en
échange du subside, et il ne voulait désormais plus
l'observer. »
350 LA ROYAL NIGER C®
La vérité c'est donc que la Royal Niger Co. n'a
jamais exercé sur les peuples de l'intérieur l'autorité
qu'elle a constamment invoquée; ce ne devait pas être
sans peine qu'elle devait plus ou moins réussir à impo-
ser sa volonté aux peuplades au milieu desquelles elle
avait établi ses comptoirs.
Alors qu'elle n'était que la National African Co., son
installation au Niger donna lieu à une multitude de con-
flits, surtout dans le delta; en 1882, par exemple, tous
les agents blancs du poste de Warri furent massacrés.
Mais ce fut surtout après la charte que la Compagnie dut
adopter une politique indigène déterminée.
La Compagnie voulant rester seule dans ses terri-
toires, un des procédés les plus simples devait être de
déclarer comme lui appartenant en propriété privée
tous les points où il pouvait être avantageux de créer
des établissements commerciaux. La plupart des diffi-
cultés qu'elle devait avoir avec les indigènes devaient
provenir de cette prétention.
Il n'y avait aucune espèce de raison, en effet, pour que
les chefs cédassent leurs villages à la Compagnie. Elle
sut se passer de leur consentement dans la plupart des
cas. Ce qui se passa à Assaba en est un exemple. Le
village était échelonné le long du fleuve, à la place où
sont aujourd'hui les établissements de la Compagnie.
Lorsque la charte lui fut accordée, elle déclara que son
gouvernement lui avait donné les terres du Niger et
ordonna aux indigènes de reculer leurs huttes îi 200
mètres du fleuve. Un mois après, quelques-uns d'entre
eux voulurent revenir près du fleuve : on incendia leurs
cases, et depuis lors la Compagnie fut obligée d'entre-
tenir des troupes à Assaba.
LA COMPAGNIE ET LES INDIGENES 351
A la suite probablement d'arguments de même
espèce, en décembre 1886, les factoreries de Yabatuka
et de Warri furent pillées, et les blancs massacrés*.
Abutahi fut détruit deux fois. A Onitcha, le roi n'ayant
point voulu donner ses terres à la Compagnie, elle fut
obligée d'agir avec énergie et d'y maintenir un blocus
absolu empêchant toutes relations des Européens avec
ce chef*. A Ida, la Compagnie ne put s'établir qu'après
avoir bombardé ce village depuis le fleuve'.
En dehors de la manière dont la Compagnie s'éta-
blissait dans les villages, un autre motif devait soule-
ver contre elle les indigènes du delta ; elle gênait leur
commerce.
On apprit à Londres, au commencement de 1892, que
Sir G. T. Goldie s'était rendu au Niger accompagné du
comte de Scarbrought et qu'il s'était trouvé aux prises
avec une révolte d'indigènes. On assura que c'était ce
soulèvement qui l'avait appelé au Niger^ La Compagnie
répondit qu'il ne s'agissait que d'une tournée d'inspec-
tion.
En fait, il y avait eu des troubles assez graves. Il y
avait eu d'abord l'affaire du Mûri; la Compagnie avait
dû s'établir très fortement à Ibi en y installant une gar-
nison de 500 hommes*^. Elle avait eu ensuite des diffi-
1. Times, 1" janvier 1887, 10 c.
2. V. Weissbuk.
3. Times africain, p. 205.
4. Times, 3 février 1892, 7 d.
5. Times, 8 février 1892, 7 f. Il est amusant de noter que lord Aber-
dare, pour démontrer à Londres que la paix la plus absolue régnait au
Niger, déclare quMl a reçu une dépôciie de Sir G. Goldie, terminée par
AU right, et il ajoute : Compendious, indeed, but inconsistent with ihe
State of things heing ail wrong.
352 LA ROYAL NIGER C*
cultes très grandes avec les Bachamas à Wumuse, dif-
ficultés dont fut témoin Mizon^
La haine des indigènes pour la Compagnie était du
reste universelle dans le moyen Niger et la Bénué.
Nous avons vu que le roi du Nupé ne voulait pas
entendre parler d'une cession quelconque de ses terres
à la Compagnie. A Yola, malgré ses vains efforts et ses
cadeaux, elle avait dû se cantonner sur son ponton et
même l'évacuer. A Garua, le point extrême du bassin
de la Bénué où elle s'était établie, M. Mizon reçut les
plaintes des commerçants et des habitants, qui se plai-
gnaient' de ce qu'elle violait chaque jour les conditions
qui lui avaient été imposées lorsqu'on lui avait permis
de s'établir dans la ville, et qu'elle transgressait les
lois du pays. On parlait d'expulser son ponton.
Dans le delta la tâche de la Compagnie fut particuliè-
rement ardue. Elle avait [en effet à protéger ses facto-
reries et à faire œuvre de gouvernement en empêchant
les pillages et les chasses d'esclaves. Si elle laissa
Warri au commerce libre, ce fut qu'elle ne pouvait s'y
maintenir sans une force considérable.
Les événements les plus graves se passèrent dans les
Brass Rivers.
On apprit, au milieu de 1895, que deux factoreries de
la Compagnie avaient été détruites, celle d'Ekole et
celle d'Annangura. Un peu plus tard, des embarcations
de l'African Association furent attaquées à l'entrée des
Creeks et plusieurs hommes tués. M. Flint alla aussitôt
faire une enquête. Arrivé au point où la lutte avait eu
lieu, les natifs lui dirent qu'un des mécaniciens d'une
1. H. A lis, Xos Africains.
LA COMPAGNIE ET LES INDIGENES 35,'î
des barques avait demandé à acheter du vin de palme
et, après l'avoir reçu, avait refusé de le payer. C'est alors
que la bagarre s'élait produite; les indigènes nièrent
avoir attaqué un bateau. M. Flint n'en brûla pas moins
les villages, par mesure de châtiment.
Au commencement de 1-895, sous prétexte de contre-
bande, les agents de la Compagnie s'emparèrent de
plusieurs pirogues de marchands indigènes de Brass.
Un conflit éclata, à la suite duquel les établissements
d'Akassa furent absolument détruits, et M. Flint et son
second, M. Morgan, furent blessés.
La Compagnie se proposa aussitôt d'agir sévère-
ment.
L'opposition anglaise s'émut, et la section africaine
de la Chambre de commerce de Liverpool demanda
une enquête. On prétendait en effet qu'il n'y avait pas
eu contrebande de la part des indigènes. On expliquait
que, se trouvant sur la frontière des territoires de la
Compagnie^ les indigènes avaient cru être dans les ter-
ritoires du Niger Protectorate, d'autant que, de l'avis
de tout le monde, il n'y avait pas de limites marquées.
Les règlements commerciaux du Protectorat différant
de ceux de la Compagnie, les indigènes se seraient
trouvés eti contrebande malgré eux. On parla d'atro-
cités commises par la Compagnie sur les indigènes, et
l'on renouvela toutes les accusations que Ton avait cou-
tume de porter contre elle.
La Compagnie, de son côté, assurait que les Brassmen
étaient très fortement armés, qu'ils avaient au moins
1.500 fusils à répétition et des pièces de siège. Elle
envoya contre eux une véritable expédition et les ré-
duisit complètement.
23
354 LA ROYAL NIGER G®
Le gouvernement se décida à nommer une commis-
sion d'enquête.
L'Aborigine's Protection Society envoya alors au
Foreign Office un mémoire demandant que cette
enquête fût sérieusement faite et que Ton organisât au
Niger une administration plus régulière. Le 22 mars,
ses délégués furent reçus par lord Kimberley. Ils
étaient présidés par M. Arthur, le député du Leicester,
et comprenait entre autres Sir Charles Dilke, M^L
Lawrence et Bayley, membres du Parlement. Leurs
paroles et leurs demandes furent assez modérées, et ils
se placèrent presque uniquement au point de vue des
intérêts indigènes.
Le grand reproche qu'ils firent à la Compagnie était
le secret dont elle entourait ses actes, secret qui empê-
chait de les contrôler. Sir Charles Dilke rappela que,
dès le début, on avait demandé à la Compagnie de ren-
dre compte, chaque année, de ses travaux, et que Ton
n'avait jamais pu obtenir qu'elle le fît. Les événements
de Brass ramenaient l'attention sur elle; mais que*de
choses restaient cachées! A toutes les plaintes, la Com-
pagnie répondait qu'elles ne provenaient que de per-
sonnes que leurs intérêts rendaient suspectes, comme
de certains commerçants de Liverpool. La chose était
fausse, dit Charles Dilke, car, pour sa part, les plaintes
qu'il avait transmises n'avaient point cette origine.
Les autres membres de la députation appuyaient ces
dires. On avait espéré qu'une compagnie à charte éta-
blirait la paix dans ces territoires et les purgerait des
fléaux qui les ravageaient. Mais, malgré ce que la Compa-
gnie avait pu faire, il semblait bien qu'elle n'avait point
complètement rempli son devoir. On apprenait cons-
LA COMPAGNIE ET LES INDIGENES 355
laminent que ces territoires étaient en révolte, et à tout
instant les plaintes des indigènes se faisaient entendre.
Quoique V « Aborigine's Protection Society » tînt à dire
qu'elle n'était pas hostile en principe à la Compagnie,
elle ne pouvait s'empêcher de transmettre ses plaintes,
qui semblaient bien fondées. Par suite du monopole du
commerce que s'était constitué en fait la Compagnie, il
était impossible aux natifs de se livrer à quelque trafic
que ce fut; le mystère qui planait sur ses actes empê-
chait de la surveiller, et il était nécessaire qu'à la suite
d'une sérieuse enquête tout, au Niger, se passât au
grand jour.
Le comte de Kimberley répondit longuement, mais
sans se prononcer d'une façon nette.
Pour ce qui était des événements de Brass, disait-il,
il était vrai que c'était la situation intermédiaire de ce
pays, entre la Niger Company et le Niger Protectorate,
qui avait été la cause première du conflit; mais il ne
semblait pas qu'il y ait eu faute de la Compagnie, qui
avait fait ce qu'elle avait cru être son droit. Les Brass-
men, au contraire, avaient agi avec la dernière sauva-
gerie dans leurs représailles; aussi le gouvernement ne
pouvait-il qu'approuver les mesures de rigueur prises
contre eux, tout en désirant, lui aussi, que pleine lu-
mière fût faite sur ces événements. Du reste, l'enquête
serait menée aussi sérieusement que possible, de façon
que tous les scrupules pussent être rassurés.
Examinant ensuite la politique générale de la Com-
pagnie, Lord Kimberley essaya de montrer qu'elle ne
pouvait qu'être approuvée par la société, en tant qu'elle
luttait contre l'esclavage et l'alcoolisme; qu'elle sem-
blait le faire avec succès, et que l'on pouvait prévoir
356 LA ROYAL MUER C**
qu'elle arriverait à en triompher. Il tâcha d'expliquer le
monopole de fait qu'elle s'était octroyé, par la nécessité
où elle était de se rémunérer des dépenses énormes
qu'elle faisait pour occuper des territoires étendus,
pour le plus grand bien de l'Angleterre.
D'un autre côté, il était exagéré, disait- il, de trop
insister sur le secret au milieu duquel elle opérait,
puisqu'il n'y avait pas deux ans qu'elle avait fourni au
gouvernement un détail complet de ses comptes et de
ses opérations et que l'on n'avait rien trouvé à y redire.
Il était impossible d'étendre l'enquête à faire sur les
événements de Brass à l'ensemble des opérations et à
la conduite générale d'une compagnie dont on n'avait
qu'à se louer. Les résultats de son administration
étaient très remarquables, et, si le gouvernement avait
été obligé d'accomplir lui-même ce qu'elle avait fait,
cela lui aurait peut-être été très difficile. Les compli-
cations qui surgissaient avec les tribus indigènes A-e-
naient de leurs luttes intestines, et il était inadmissible
qu'en voulant s'ingérer dans les affaires de la Compa-
gnie on risquât de compromettre toute son œuvre.
Le commissaire envoyé au Niger fut Sir John Kirk,
et son rapport fut publié*.
Ce rapport, fait avec beaucoup de soin et d'une façon
très précise, montre bien la nature des relations de la
Compagnie avec les indigènes, et nous devons insister
sur les dépositions qu'il renferme.
Dès son arrivée au Niger, le commissaire royal
appela devant lui quatre chefs de Brass, les deux vice-
consuls du Niger Coast Protectorate ainsi que Sir
1. Report by Sir John Kirh on the Dislarbances al B^*ass, mars 1806,
Pari. poperSy G 7977.
LA COMPAGMB ET LES INDIGENES 357
Claude MacDonald, le consul général, et M. Wallace,
Tagent général de la Compagnie.
Les chefs de Brass déposèrent un mémorandum où
ils exposaient leur situation. Ils montraient cornaient
ils avaient autrefois le monopole de fait du commerce
de la côte avec une partie du delta du Niger. Lors de
la National African Company, on passa des traités avec
eux, leur assurant qu*on leur laisserait ce monopole ;
mais peu à peu on leur enleva tous leurs marchés.
Pour obtenir d*eux leurs territoires, on leur avait pro-
mis qu'ils seraient traités de la même façon que les
Européens sur ces marchés, et leur surprise fut grande
lorsqu'ils virent que, malgré les engagements pris, ces
marchés étaient réservés à la Compagnie du Niger, qui
les fermait et qui faisait subir aux indigènes toute sorte
de vexations.
Ces noirs de Brass vivaient de leur commerce ; le jour
OLi la Compagnie apparut, cela leur devint impossible.
Sir J. Kirk parut de cet avis.
La Compagnie, suivant les déclarations mêmes de
M. Wallace, les avait assimilés aux commerçants
blancs, car ils n'étaient pas englobés primitivement
dans ses frontières. Pour avoir le droit de commercer,
ils eurent à payer une licence annuelle de 50 livres
sterling, plus une livre 10 sh. pour chacune des sta-
tions avec lesquelles ils étaient en rapport.
Une licence de 100 livres était exigée pour le com-
merce de Talcool, sans lequel, reconnaît Sir J. Kirk, il
était impossible de traiter dans le delta. Après quoi il
fallait obtenir un permis à Akassa ou à l'embouchure
d'Ekole Creek et payer à la Compagnie un droit de 2 sh.
par gallon (4 litres 1/2) d'alcool, lequel avait déjà payé
358 LA ROYAL NIGER C**
un droit de 1 sh. au protectorat à Brass. Il fallait ensuite
payer une taxe de 20 p. 100 pour rexportation de tous
produits.
11 leur était matériellement impossible de payer ces
sommes, d'autant que, comme ils étaient dans les ter-
ritoires du Niger Goast Protectorate, ils avaient, sur les
commerçants (c'est-à-dire la Compagnie) qui entraient
directement par Âkassa, le désavantage du surplus de
droits qu'ils avaient à payer au Protectorat.
Aussi ne payaient-ils pas; ils avouaient, du reste,
qu'ils n'avaient jamais voulu se soumettre à aucun
règlement de la Compagnie, et que si on appelait ce
qu'ils faisaient de la contrebande, ils déclaraient être
uniquement des contrebandiers.
Il résulte de l'enquête que, toutes les fois que la Com-
pagnie voyait un canot de Brass, elle tirait dessus, de
sorte que, depuis sa charte, elle avait tué une centaine
de Brassmen. Ceux-ci, à la fin, se lassèrent, et attaquè-
rent Âkassa le 29 janvier 1895. Leur plan était projeté
depuis longtemps; ils avaient organisé un soulèvement
général du delta, et pillèrent la factorerie; M. Flint ne
put échapper qu'avec peine.
Leur tentative avait été facilitée par ce fait qu'un
nouvel agent du Protectorat du Niger avait été installé
parmi eux, ne connaissant ni leurs langues ni leurs
intentions. Toutes les marchandises et munitions de
la Compagnie furent détruites, 23 personnes tuées à
Akassa, 43 mangées à Nimbé.
Aussitôt après, les forces navales anglaises les rédui-
sirent complètement en brûlant leurs villes de Nimbé
et Fishtown.
Le commissaire royal, comme conclusion de son rap-
LA COMPAGNIE BT LES INDIGENES 359
port, déclara que tout cela était la conséquence des
règlements de la Compagnie, mais que, du moment
qu'on avait estimé en les instituant qu'ils étaient néces-
saires et que le gouvernement les avait approuvés, il
fallait prendre son parti des difficultés que devait en-
traîner leur application. La Niger Goast Protectorate
Company dut payer à la Compagnie 17,132 livres ster-
ling comme indemnité.
L'intérêt de la Compagnie était de n'avoir avec les
indigènes d'autres rapports que ceux qui pouvaient favo-
riser son commerce; aussi n'intervînt-elle que le moins
possible dans les affaires des peuples de l'intérieur,
et ce ne fut qu'au commencement de novembre 1896
qu'on apprit qu'elle préparait une campagne très con-
sidérable. Tout le monde ne manqua pas de s'émouvoir.
En France on pensa que l'intention de la Compagnie
était d'occuper les territoires alors en litige avec l'An-
gleterre. Le gouvernement Anglais dut affirmer que
l'expédition se passerait tout entière en dehors des
territoires contestés*.
En Allemagne* on en profita pour assurer que les
réclamations des Français étaient légitimes, mais qu'é-
galement les droits des Allemands devaient rester
entiers.
Dès les premiers jours on avait dit que la campagne
aurait lieu dans l'arrière-pays d'une des colonies de la
côte. On assura que des troupes devaient être envoyées
du Lagos et de la Côte d*Or^. Le Colonial Office dé-
1. Times, 30 novembre 1896, 5 e.
2. Gazette de Cologne, 21 novembre 1890, réponse Times 23 ocl. 1890,
5 e. ; Gazette de Cologne, 3 décembre ; Fost, 3 décembre.
3. Times, 18 novembre 1896, 5 e.
360 LA nOYAL NIGBR C®
clara* qu'il n'avait rien à voir avec l'expédition, et il en
résulta un incident assez vif.
Le gouverneur du Lagos, Sir G. Carter, vint confir-
mer le bruit, qui avait couru, que la campagne aurait
lieu contre Ilorin. Il expliqua^ que y:e n'était pas trop
tôt que la Compagnie se décidât à agir contre ce peuple
pillard, qui se trouvait dans ses territoires et qui ra-
vageait le Haut-Lagos : « Je ne sais pas très bien,
dit- il, quelles circonstances atténuantes pourraient
détourner la Compagnie d'agir contre ce peuple Ilorin,
qui est dans sa sphère d'influence, malheureusement
pour le Lagos. Autant que je sache, elle n'a jamais rien
fait pour faire sentir son influence, les Ilorins n'ont
jamais voulu recevoir ses envoyés, et un seul blanc est
entré dans la ville, la face noircie et avec des habits de
mahométan. »
Outre ce que la lettre qu'il écrivait ainsi avait de
désobligeant, elle avait l'inconvénient de donner des
arguments à ceux qui contestaient l'influence de la
Compagnie sur l'Ilorin. Aussi G. T. Goldie répondit-il
d'une façon assez vive'.
« Il semble, disait-il, que c'est une étrange com-
préhension du rôle du gouvernement que de choisir le
moment où cela peut porter atteinte aux intérêts de
son pays pour laver son linge sale en public avec une
colonie voisine. Il y a cependant un point auquel il faut
répondre. Sir G. Carter a dit qu'en dehors d'un blanc
noirci, aucune autre personne n'avait été à Ilorin de la
part de la Compagnie. L'erreur vient probablement de
ce que le premier traité passé par la Compagnie avec la
1. Times, 16 novembre 1890, 5.
2. Times, 19 novembre 1890, 5 e.
LA. COMPAGNIE ET LES INDIGENES 361
ville d*Ilorin a été conclu le 18 avril 1885 par M. Benson
Nîcol, un de ces distingués agents diplomatiques noirs,
qui ont rendu de si grands servions à TAngleterre, au
même titre que le distingué noir M. Fergusson à la
Gold Coast. M. Carter semble ignorer que le deuxième
traité a été passé le 9 août 1890 par M. Watts, un blanc
qui était reçu avec la plus grande cordialité par le
vizir et sa cour. Pour ce qui est du pays d'ilorin, il a été
souvent parcouru par les officiers de la Compagnie, en
particulier par M. Lugard. Des officiers de la Compa-
gnie sont actuellement occupés autour d'Ilorin avec
une force considérable. »
Il est assez difficile d'admettre que Tllorin ait été
réellement occupé par une troupe de la Compagnie, car
en aucun point des opérations nous ne verrons inter-
venir cette force, et la colonne agira seule, se consi-
dérant comme isolée, ce qui n'aurait évidemment pas
eu lieu si une force considérable avait été installée en
quelque point d'ilorin. Tout ce qu'on peut admettre à
la rigueur, c'est que cette troupe ait été établie à Jebb,
par exemple, ville que Sir G. T. Goldie considère, dans
son rapport sur la campagne, comme étant dans l'ilorin.
Quoique la Compagnie ne voulût pas l'avouer, il
apparut bien qu'elle était obligée d'agir contre l'Ilorin
sur les demandes répétées du Colonial Office et du gou-
vernement du Lagos. On apprit bientôt que l'expédition
devait avoir lieu en même temps que contre le Nupé.
Grâce aux précautions prises par Sir G. T. Goldie,
l'expédition, qui avait été admirablement organisée, fut
de courte durée*.
1. Report by Sir G, T. Goldie on Vie Niger Sudan Campaign (1897);
imprimé chez Witerby, Londres.;
■ J
362 LA nOYAL NIGER C^
Elle partit de Lokodja le 6 janvier 1897, et le 13 elle
entrait sans combat à Kabba. Elle était composée de
32 Européens et de "1.072 indigènes ayant fui la veille
à l'annonce de l'arrivée des troupes anglaises. La ville
fut brûlée ainsi que tous les villages fulanis qui l'en-
vironnaient. Le 26, Bida était attaqué; mais les troupes
anglaises éprouvèrent une grande résistance. L'émir
Abu Beekry, le successeur de Maleky, fut blessé, mais
put s'enfuir. Du côté des Anglais, un officier avait été
tué ainsi que 7 noirs. Les morts ennemis furent éva-
lués à 600. Dix canons, 350 fusils, 500 barils de poudre
et 2.500 cartouches furent pris.
La campagne contre l'Ilorin commença aussitôt. Elle
eut le caractère d'une simple visite de Sir George
T. Goldie, accompagné d'une forte escorte, composée
de 350 hommes. Après une courte résistance, la ville
fut prise le 15 février.
Le 23 février l'expédition tout entière était de retour
à Lokodja.
Le 5 février 1897 était signé avec les chefs du Nupé
un traité en vertu duquel un nouvel émir était
nommé. Celui-ci reconnaissait que tout le Nupé était
entièrement soumis au pouvoir de la Compagnie et
était placé sous le drapeau anglais. La Compagnie gou-
vernerait directement la partie située au sud-ouest du
Niger et la rive nord-est du Niger, sur une profondeur
de trois milles. L'émir gouvernerait le reste, mais en
se conformant aux instructions que lui donneraient les
représentants de la Compagnie.
Par le traité du 18 février, les chefs d'Ilorin pla-
çaient leur pays sous la protection de l'Angleterre,
mais le gouvernement de son pays était laissé à l'émir.
LA COMPAGNIE ET LES INDIGENES 363
Sir G. T. Goldie avait songé tout d'abord à rétablir un
membre de l'ancienne dynastie yoruba qui régnait
avant la conquête foulah; mais cela aurait nécessité un
fort établissement de troupes pour résister à l'élément
fulani.
En fait, cette expédition ne devait avoir eu d'autre
conséquence que de faire sentir aux indigènes du
Nupé et de l'Ilorin la force des troupes anglaises.
L'ancien émir du Nupé chassa avant la fin de 1887 le
chef qu'avait établi la Compagnie et continua à agir
comme par le passé. L'Ilorin continua à se considérer
comme indépendant.
L'Angleterre ne devait pas tarder à relever la Com-
pagnie de l'administration qui lui avait été confiée.
Elle allait être obligée de procéder à la conquête de ces
territoires sur lesquels celle-ci n'avait fait en réalilé
que commercer.
■^-rr
CHAPITRE XXV
LA ROYAL NIGER C^
Son évolution.
Il nous reste, pour bien voir quelle fut Tœuvre de la
Royal Niger Co.,à rechercher dans les événements que
nous venons d'exposer comment le projet initial de Sir
G. T. Goldie fut le lien qui les réunit, et, sans insister
longuement sur les incidents internationaux bien con-
nus qui marquèrent rétablissement de TAngleterre
dans les pays qui forment actuellement la Nigeria,
nous devons examiner comment la Compagnie évolua
au milieu d'eux de façon à triompher des difficultés
qui pouvaient arrêter le triomphe de TAngleterre.
Dans ces pays, l'accès des terres ne suffisait pas
pour acquérir la possibilité de commercer. Il fallait en
obtenir la permission expresse des chefs. Avec un peu
d'habileté, cet obstacle pouvait devenir un avantage.
On demande le droit exclusif de commercer; on fait
entendre qu'on l'a obtenu, et on dit que Ton est le
maître.
C'est ainsi que procéda la Compagnie. « Il était
nécessaire, dit lord Aberdare dans un discours aux
actionnaires, en 1886% d'avoir des droits (allusion
à la charte), car il était nécessaire de traiter avec les
1. Voir Times, 30 juin 1886.
SON ÉVOLUTION 3G5
chefs, et cela uniquement à cause de la puissance qui
devait en résulter. »
La Compagnie avait intérêt à ce que ces traités
eussent un sens déterminé; elle le leur prêta. C'était
insuffisant; il fallait encore imposer ce sens à ceux
dont on interprélait ou créait ainsi la pensée, l'oppo-
ser à ceux dont il contrariait les intérêts. Grâce à la
charte, ce double but put être atteint.
Les droits politiques qu'elle conférait permettaient
d'agir constamment sur les chefs , de jouer auprès
d'eux le rôle de puissance dominatrice ; la Compagnie
n'y faillit pas. Les droits administratifs, de leur côté,
permettaient de mettre obstacle à la concurrence que
des Européens pouvaient être tentés de venir faire
à la Compagnie sur son domaine ou sur les terri-
toires qu'elle considérait comme siens. Le vieil esprit
libre-échangiste anglais ne pouvait laisser un mono-
pole semblable s'exercer ouvertement : quelque habi-
leté dans la rédaction des règlements devait permettre
de tourner la difficulté. « La prohibition du monopole
et Texigence d'un traitement égal pour tous les com-
merçants de toutes les nationalités pourrait paraître
plutôt formidable, comme laissant possible la concur-
rence; mais le gouvernement a donné à la Compagnie
le pouvoir de lever des droits de douane et de taxe*,
c'est-à-dire d'être maîtresse des prix; aussi en usera-
t-elle. »
Le gouvernement anglais avait tout intérêt à ce que
la Compagnie jouît d'un monopole commercial : c'était
pour elle une force considérable, qui, en définitive,
1. Discours de Lord Abcrdare aux acUonnaires de la Compagnie, 30
juin 1886.
-m-^
366 LA ROYAL NIGER c"
devait bénéficier au pays. Ne pouvant le lui accorder
en droit, il le lui laissa prendre en fait. Pour cela, il
suffit d'abandonner la Compagnie à elle-même, d'i-
gnorer ses actes à cet égard. C'est en effet à cette pas-
sivité que se résolut le gouvernement anglais; il ferma
volontairement les yeux, comprenant qu'il devait faire
abstraction des intérêts passagers actuels , pour ne
considérer que les intérêts à venir. Et il faut bien se
persuader de cette idée que, bien loin de la pousser
à agir, ainsi qu'on l'a si souvent répété, il s'est borné
à jouer auprès de la Compagnie le rôle passif que nous
venons d'indiquer.
Seulement le maintien d'un monopole de fait allait
obliger la Compagnie à soutenir une lutte véritable
contre les intérêts que ce monopole lésait; ce fut cette
lutte qui précipita son évolution.
I
La Compagnie allait, dès ses débuts, rencontrer un
obstacle qui l'empêcherait de se développer indéfini-
ment en arrière des territoires occupés sur la côle;
l'acte de Berlin avait, en effet, décidé la liberté de navi-
gation sur le Niger et ses affiuents.
La décision était grave pour la Compagnie. Elle n'a-
vait d'existence internationale que sur les territoires
sur lesquels les puissances étrangères avaient, à la
demande du gouvernement anglais, reconnu son droit
d'occupation. La merveilleuse voie de pénétration
qu'offrait le fleuve allait permettre aux concurrents de
pénétrer dans Jes pays situés en dehors des limites
reconnues par des actes internationaux, et de contes-
SON ÉVOLUTION 367
ter des droits que la Compagnie prétendait avoir à leur
possession.
Celle-ci était fortement installée au point de vue
commercial sur le bas fleuve, et elle avait décidé d'y
demeurer seule. Elle pensait par là, en barrant la seule
voie d'accès qui existe, être maîtresse des marchés
intérieurs. Si ses concurrents pouvaient forcer la bar-
rière artificielle établie par elle, l'entreprise commer-
ciale était ébranlée dans ses procédés, et le plan d'ex-
tension internationale irréalisable.
Aussi la Compagnie avait-elle fait tous ses efforts
au Congrès, par l'intermédiaire des plénipotentiaires
anglais, pour empêcher l'adoption de la clause de libre
navigation. N'ayant pu convaincre les autres puissances
de l'innavigabilité du Niger et, par conséquent, de
l'inutilité de proclamer la liberté de navigation sur un
tel fleuve, elle résolut de passer outre aux décisions
adoptées et de s'opposer en fait à leur application. La
libre navigation du Niger était l'anéantissement des
grands projets caressés; décidée à l'empêcher, la Com-
pagnie interpréta à sa guise la décision du congrès;
elle chercha l'interprétation qui pouvait lui être la plus
favorable, et déclara n'admettre que celle-là.
Elle avait pour but la possession absolue du fleuve
et des territoires auxquels il donnait accès. Elle repré-
sentait l'Angleterre; elle était, disait-elle, l'héritière
de ses travaux, dont il était impossible qu'on ne tînt pas
compte. On devait sauvegarder les droits que les pion-
niers anglais avaient créés à leur pays; de ces droits,
la Compagnie avait hérité, elle devait les retrouver
entiers.
La (Compagnie, usant du droit qu'elle estimait possé-
• .1
368 LA ROYAL NIGER C®
der, réglementa donc à sa guise; elle ferma en fait le
Niger à la navigation, et arriva ainsi, par sa décision, à
éluder ce que Tacte de Berlin avait de dangereux pour
elle. De par sa charte, elle avait toute liberté sur les
territoires qui lui étaient reconnus; elle pensa que,
grâce aux règlements qu'elle pouvait édicter, il lui
serait possible de défendre des prétentions territo-
riales, et, se croyant suffisamment armé'i, elle résolut
de poursuivre sa politique.
^Malheureusement pour elle, les intérêts lésés se
lèvent aussitôt pour l'attaquer. Ses gros bénéfices lui
ont créé de nombreux concurrents. Elle arrête ceux-ci
au moyen des taxes qu'elle a le droit de percevoir, elle
les entrave par ses règlements, elle recourt pour les
anéantir à tous les moyens dont elle dispose, mais sans
parvenir à étouffer leurs plaintes, à arrêter leurs récla-
mations.
Ce sont d'abord les Allemands qui protestent. Grands
producteurs d'alcool, presque entièrement spécialisés
dans ce commerce, ils voient leurs intérêts gravement
compromis par la prohibition du trafic de l'alcool dans
l'intérieur, prohibition qui succédait à l'application de
droits déjà fort élevés.
Pour échapper aux règlements de la Compagnie, ils
pénètrent dans un de ces territoires, — le Nupé, —
qu'elle convoite, mais n'occupe pas encore réellement.
Elle les en expulse peu de temps après (1887-1888). Ils
demandent aussitôt (affaire Hoenigsberg) aide et appui
à leur gouvernement, qui soutient leurs réclamations
et, se basant sur l'acte de Berlin, oblige la Compa-
gnie à reconnaître le bien fondé des plaintes qu'elle a
suscitées.
SON ÉVOLUTION 369
Les commerçants anglais, lésés eux aussi, joignent
leurs plaintes à celles des commerçants allemands. ,
Mais, moins heureux que ceux-ci, ils ne reçoivent aucun
appui du gouvernement anglais, qui se borne à opposer
aux accusations dont la Compagnie est l'objet les nom-
breuses-obligations que la charte lui impose. Quanta
cette dernière, pour unique défense, elle nie purement
et simplement l'existence d'un monopole quelconque.
Ces taxes et ces droits qui, dit-on, constituent une bar-
rière infranchissable, ne les paye-t-elle pas de même
que tous les autres commerçants ? Le principe est donc
sauvegardé. Elle oublie d'ajouter qu'elle se les paye à
elle-même, et elle se garde d'avouer qu'elle est seule à
profiter des dépenses d'organisation et des frais d'ex-
ploitation que leur produit alimente. Les intérêts du
gouvernement étant conformes aux siens, la Compagnie
ne peut qu'être approuvée. D'ailleurs ses règlements,
dont elle est maîtresse absolue, la protègent encore
mieux que les taxes. Elle interdit d'aborder sur les
rives du fleuve ailleurs que dans un petit nombre de
ports déterminés ; et là, elle est si solidement établie,
que toute concurrence avec elle est absolument impos-
sible.
Rassuré sur la possibilité de maintenir son mono-
pole de fait. Sir G. Goldie tente alors (1889) d'étendre
les territoires de la Compagnie sur toute la côte. Il au-
rait ainsi une solide base d'opérations et s'affranchi-
rait des Protectorats anglais — Lagos, Oil Rivers —
qui entourent ses territoires et voient d'un mauvais œil
l'intransigeance de la Compagnie. Mais il se heurte à
des intérêts privés trop puissants, à des maisons de
commerce établies depuis longtemps dans ces régions
2^
~*^
370 LA ROYAL NIGER C**
et qui refusent de se laisser absorber par la Compa-
gnie. D'autre part, le gouvernement n'a pas les mêmes
raisons pour lui accorder ici l'omnipotence dont elle
jouit dans les territoires intérieurs. Il n'y a pas de
conquête nouvelle à faire, et le commerce est assez actif
pour que les taxes perçues suffisent à rembourser les
frais d'administration. Sir G. Goldie ne peut réaliser
ses désirs ; il réussit néanmoins à s'établir sur le delta
tout entier.
En 1890, la Compagnie possède donc tout le Bas-Ni-
ger, de son embouchure à Lokodja, et, en outre, une
partie de la rive gauche de Bénoué. Sur ces vastes
territoires elle est seule, maîtresse absolue des biens
et de la vie des habitants, et elle est d'autant plus forte
qu'elle est assurée de l'appui du gouvernement. A la
suite des difficultés avec l'Allemagne et des réclama-
tions des commerçants anglais qui se plaignaient d'être
lésés dans leurs droits, celui-ci fait faire une enquête
au Niger. L'enquête a démontré que la charte est res-
pectée; seule, l'application de ses dispositions a occa-
sionné les plaintes. Mais, du moment que la politique
de la Compagnie lui est favorable, le gouvernement se
refuse à examiner dans quel esprit ces dispositions,
logiques et équitables en elles-mêmes, sont appliquées;
il ne veut entraver en rien l'action de la Compagnie, et
puisque le monopole du commerce est une nécessité
pour elle, puisque c'est le seul moyen de lui fournir
les nombreuses ressources dont elle a besoin, il le lui
abandonne volontiers, du moment que les apparences
de la légalité sont sauvegardées.
En dehors des territoires sur lesquels elle a établi sa
puissance d'une manière effective, sur le Niger jusqu'à
SON ÉVOLUTION 371
Lokodja, sur la Bénoué jusqu'à Ibi, la Compagnie pré-
tend en posséder de bien plus vastes, sur lesquels elle
n'exerce cependant encore aucune espèce d'influence.
Ces grands empires situés du côté du Niger, elle ne
peut en revendiquer la possession que parce qu'elle a
fait le projet de s'y établir et en interprétant à sa guise
des traités qui n'ont nullement le sens qu'elle s'eff*orce
de leur donner.
Le moment semble alors venu à Sir G. Goldie d'as-
surer la domination de la Compagnie sur les territoires
qu'elle déclare lui appartenir, mais qui, en réalité,
échappent entièrement à sa domination, et d'en com-
mencer l'exploitation. L'œuvre politique va se mêler
de plus en plus étroitement à l'œuvre commerciale, et
la lutte soutenue jusqu'alors par le Congo contre ses
rivaux va changer de caractère. Elle n'a encore rencon-
tré devant elle que des commerçants, jaloux des pré-
rogatives qu'elle prétend s'attribuer, et si des gouver-
nements étrangers sont survenus, cela n'a été que pour
soutenir les intérêts de leurs nationaux. Dorénavant,
les gouvernements vont entrer directement en lutte
contre elle, pour s'efforcer d'arrêter son mouvement
d'expansion territoriale.
Ce qui caractérise alors l'état d'esprit de la Compa-
gnie, c'est qu'elle estime être à l'abri de toutes reven-
dications, grâce à ces traités qu'elle invoque toujours
pour justifier ses droits de propriété, notamment contre
les Français, ses rivaux les plus dangereux. « La pos-
session par l'Angleterre, dit lord Aberdare, du Moyen
et du Bas-Niger et de la Bénoué est due, non au fait
du gouvernement, mais aux sacrifices pécuniaires des
actionnaires de la Compagnie et à l'aide qu'ils ont ap-
372 LA. ROYAL NIGER c'*
portée au conseil dans ses longs et pénibles efTorts..!
« Il y a de fortes raisons pour qu'il ne s'élève pas de
rivalités à l'occasion des sphères d'influence française
et anglaise au Niger. La nature a élevé entre elles de
formidables barrières, dont on ne pourrait triompher
que par des travaux dont le prix trop considérable
absorberait pendant de longues années les bénéfices
qui en résulteraient (allusion aux rapides de Boussa).
La Compagnie a pensé qu'il était bon de conclure avec
le grand et important royaume du Borgou un traité le
plaçant sous le drapeau anglais. Ce traité a assuré le
Niger-Moyen contre toute intervention étrangère ve-
nant du Dahomey ou de l'ouest du Soudan. Elle a aussi
complété par de nouveaux et importants traités perpé-
tuels et irrévocables ceux passés avec le Sokoto et le
Gandou ; les nouveaux traités donnent à la Compagnie
pleine juridiction fiscale, criminelle, civile et de toute
autre nature sur tous les non-natifs de l'ensemble des
deux empires, c'est-à-dire sur tous ceux qui ne sont pas
actuellement sujets de ces empires. »
Les traités invoqués avaient un sens tout différent de
celui que, dans son intérêt, la Compagnie leur attribuait.
Très habilement, la Compagnie se présenta aux sul-
tans avec lesquels elle traitait comme le représentant
des blancs dans tout le bassin du Niger, et elle obtint
de remplir auprès d'eux fonction de consul. Elle en pro-
fita pour déclarer que, du consentement même des sul-
tans, tous les étrangers qui se rendraient dans ces pays
seraient soumis à son autorité. C'est là une interpréta-
tion abusive. Le seul droit qu'elle ait obtenu, c'est de
représenter ceux qui dépendaient d'elle réellement.
Éclairés sur l'existence de nombreux peuples de race
SON ÉVOLUTION 373
blanche indépendants de la Compagnie, tous ces sul-
tans déclarent qu'ils peuvent entrer en rapports directs
avec eux et venir commercer dans leur pays; quant aux
rapports des blancs de différentes nations entre eux,
c'est à ces nations de les régler à leur guise. Ainsi, la
Compagnie ne peut représenter que les Anglais; les
souverains indigènes n'ont pas entendu aliéner leur
liberté à Tégard des autres puissances.
En réalité, la Compagnie n'avait obtenu que de sim-
ples traités de commerce. Mais à ces traités elle donna
l'interprétation nécessaire pour lui permettre de pour-
suivre ses desseins, se pliant avec un merveilleux à-
propos aux exigences diverses auxquelles elle eut à
faire face. Elle soutint leur valeur d'une façon si âpre,
de manières si multiples, qu'elle finit par la regarder
comme incontestable, et c'est à cette assurance peut-
être qu'elle dut d'atteindre en grande partie le résultat
envié.
Un événement allait fournir à la Compagnie de nou-
velles bases pour appuyer ses prétentions, en lui per-
mettant d'invoquer ses traités comme des droits recon-
nus par les puissances européennes elles-mêmes.
On apprit en 1890 que l'Allemagne et l'Angleterre ve-
naient de se partager, au détriment absolu de nos droits,
Zanzibar et les territoires des Grands Lacs Africains.
Le partage avait eu lieu entièrement en dehors de
nous et avec le plus souverain dédain des principes de
l'acte de Berlin. La France réclama. Elle voulait bien
reconnaître la convention anglo-allemande, mais elle
demandait des compensations. La question du Sahara
se présentait alors avec un caractère particulier : des
expéditions, le projet transsaharien, des troubles dans
374 LA ROYAL NIGER C®
le Sud-Algérien, nous la faisaient considérer avec le
plus haut intérêt. Nous demandâmes à l'Angleterre de
reconnaître notre zone d'influence sur cette région, que
Ton croyait, à cette époque, n'être qu'un immense dé-
sert. Ce fut la convention du 3 août 1890, par laquelle^
en outre, la Grande-Bretagne reconnaissait notre pro-
tectorat sur Madagascar.
La convention peut se résumer ainsi : l'Angleterre
renonce à ses anciens droits sur les lies de Zanzibar et
de Pemba et reconnaît le protectorat de la France sur
l'île de Madagascar et la zone d'influence de la France
au sud de ses possessions méditerranéennes, jusqu'à
une ligne allant de Say, sur le Niger, à Barroua, sur le
lac Tchad, tracée de façon à comprendre dans la zone
d'aotion de la Compagnie du Niger tout ce qui appar-
tient équitablement ifairly) au royaume de Sokoto.
Il n'y a pas autre chose dans le traité, et pourtant
Sir G. Goldie allait y trouver, grâce à une audacieuse
interprétation, la reconnaissance par nous de l'empire
qu'il avait rêvé. Suivant lui, la ligne Say-Barroua devait
servir de délimitation entre les deux zones d'influence
française et anglaise, et il en résultait que tous les pays
qui se trouvent au sud de cette ligne, entre les deux
méridiens passant à Say et à Barroua, étaient reconnus
par la France comme soumis à la domination anglaise,
et si l'Angleterre lui avait abandonné ses droits sur le
Sahara, c'était en compensation de ces territoires. Quant
à ce qui était du partage du Zanzibar par l'Angleterre
et l'Allemagne, la compensation aurait été la recon-
naissance du protectorat français de Madagascar.
La disposition même de l'acte est en contradiction
avec ce système de compensations, ou il n'est pas tenu
SON ÉVOLUTION 375
compte, en dehors de tant d'autres considérations, des
droits respectifs de la France et de l'Angleterre sur les
territoires en litige; et quant à induire de cette conven-
tion que la France reconnaissait à l'Angleterre tout ce
qui se trouve au sud de la ligne Say-Barroua, ce n'est
plus de l'interprétation, c'est de la fantaisie. Du reste,
une des clauses du traité condamne absolument cette
interprétation abusive. Le dernier paragraphe dit :
« Les commissaires auront également pour mission de
déterminer les zones d'influence respectives des deux
pays dans la région qui s'étend à l'ouest et au sud du
moyen et du bas Niger. »
Toutes les fois que ces territoires, qui constituent la
région de Say, Lokodja et la bouche du Niger, ont été
contestés, Sir G. Goldie a soutenu que les territoires
situés entre le méridien de Say et le Niger revenaient
sans contestation possible à la Compagnie en vertu de
la convention de 1890. Ce disant, Sir G. Goldie faisait
d'abord abstraction complète de ce dernier paragraphe,
puis faisait intentionnellement un tout des pays afif sud
de la ligne Say-Barroua. >0r, nous appuyant sur ce pa-
ragraphe, dont le sens n'est pas douteux, il nous est
permis de soutenir que ce tout n'était pas reconnu à la
Compagnie, puisque, pour une partie, le contraire était
dit expressément.
Tout en soutenant son interprétation. Sir G. Goldie
devait trouver dans la convention un moyen de défense
autrement spécieux. Elle laissait dans la zone d'in-
fluence de la Compagnie tout ce qui appartient équita-
blement « au Sokoto », celle-ci ayant affirmé qu'elle
avait des droits absolus sur ces territoires. Sir G. Gol-
die déclara que toutes les terres au sud de la ligne
376 LÀ ROYAL NIGER C®
Say-Bourroua faisaient partie de cet empire; sauf le
Bornou, il n'y avait dans TOuest Africain qu'un immense
empire, celui du Sokoto, et nous l'aurions reconnu
comme étant dans la zone anglaise. Rien n'était plus
erroné»
Quoi qu'il en soit, il est certain que Sir G. Goldie fut
fortement persuadé que l'on partageait sa manière de
voir et qu'il était à l'abri de toute prétention française,
et cela apparaît d'autant mieux qu'il semble bien que^
vers cette époque (1890-1891), la Compagnie voyait de
bon œil, loin d'y craindre un danger pour elle, les tra-
vaux français, au Barguimi et dans notre haut Congo,
comme opposés aux prétentions allemandes.
II
Un nouveau champ d'action se présente donc à la
Compagnie. L'œuvre de Sir G. Goldie, de simplement
commerciale, va devenir de plus en plus politique.
L^ puissances avaient laissé jusqu'ici cette entre-
prise privée se tailler un empire à sa guise; Tinitiative
privée allait la combattre et opposer un obstacle à son
expansion continue.
En Allemagne, les sociétés de colonisation agirent
avec ardeur.
En France, un groupe d'hommes énergiques et indé-
pendants conçurent un beau projet : celui de constituer
un empire africain français, avec le Tchad comme centre
de rayonnement. Ce fut le Comité de l'Afrique fran-
çaise.
Son fondateur, Percher (Harry Alis), créa l'outil; Paul
Crampel, par sa mort, vivifia l'œuvre. Un des premiers
SON ÉVOLUTION 377
actes du Comité, Tenvoi de la mission Mizon, allait être
le signal de la lutte.
Mizon avait projeté d'établir notre influence au Tchad
et dans T Adamaoua. Il se heurtait aux désirs les plus chers
de la Compagnie, en même temps qu'à ses intérêts les
plus considérables. Elle avait formé un plan, Tavait légi-
timé à ses yeux par une interprétation des faits qu'elle
voulait voir partagés de tous; elle considéra tout ce qui
était contraire à cette interprétation comme une viola-
tion de ses droits, et elle se posa, en toute occasion,
comme luttant non pour acquérir des territoires nou-
veaux, mais bien pour défendre des territoires lui ap-
partenant, ce Si peu que la Compagnie du Niger, dit lord
Aberdare, s'intéresse financièrement au succès ou à
l'insuccès de la France dans ses efforts pour conclure
des traités sur le papier avec les États éloignés et fana-
tiques situés entre le lac Tchad et le Nil, elle ne peut,
comme mandataire de la Grande-Bretagne au Niger,
encourager une entreprise qui, en violation de la res-
triction du droit de transit aux besoins légitimes du
commerce, se propose de faire des eaux et des terri-
toires britanniques une base d'opérations destinées à
entraver l'extension progressive de l'influence britan-
nique*. »
Tous les efforts furent faits pour arrêter l'expédition
française; ils ne furent que l'application des procédés
institués par la Compagnie pour demeurer seule chez
elle, et l'usage de ses règlements devait lui paraître
suffisant. L'attaque de la mission par une des peuplades
pillardes du delta (15 octobre 1890) semble n'être que
1. Times, 17 juillet 1891.
378 LA ROYAL NIGER C**
le résultat de ses règlements, et le véritable guet-apens
dont Mizon fut l'objet à Yola, la traduction brutale de
leur esprit par un agent sans scrlipule.
Il paraît bien que la Compagnie ne conçut pas, dès
ce moment, des craintes très sérieuses. Quoique sa
tentative n'eût abouti qu'à un échec, elle n'en avait pas
moins distancé le lieutenant Mizon au Bournou; il ne
paraissait pas dé manière certaine qu'il eût agi efTec-
tivement à Yola, et son retour par le Congo français
faisait présumer qu'il avait porté son activité dans des
régions situées en dehors des ambitions de la Compa-
gnie.
Si, à cette occasion, elle se livra à une polémique
très violente, ce fut en raison des accusations dont elle
était l'objet, accusations qui attaquaient son honneur,
plutôt que pour un but d'expansion territoriale. Et
c'est ce qui fait dire à lord Aberdare : « Ces conflits
ne sont qu'apparents et n'ont pas d'influence politique
sur l'avenir de nos territoires ^ »
Mais cet incident eut un résultat important. Ce fut de
montrer à la Compagnie que ses prétentions trouvaient
des compétitions et qu'elle devait se mettre en garde
contre elles. Il était nécessaire que son action devint de
plus en plus eflîcace pour protéger les territoires qu'elle
avait voulu réserver à son activité. Nous voyons appa-
raître, se développer et devenir nécessaire l'action
politique, et cela nous est esquissé dans un discours
même de lord Aberdare, dans lequel il expose ses
préoccupations sur les agissements français.
« Il faut se rappeler que la Compagnie occupe deux
1. Times, 21 juillet 1892.
SON ÉVOLUTION 379
positîons qui, bien que dépendant l'une de Tautre, sont
à plusieurs égards distinctes. On peut appeler l'une
la position financière; nos travaux dans le territoire du
Niger dépendent entièrement du capital souscrit par
la Compagnie, capital dont nos actionnaires ont le droit
d'attendre une rémunération, raisonnable, qui seule
peut justifier la continuation et l'extension de nos opé-
rations. L'autre position, que j'appellerai politique, est
celle qui nous constitue les délégués et les représen-
tants de la Grande-Bretagne dans les vastes régions sur
lesquelles s'étendent nos traités ou comprises dans la
sphère d'influence que des conventions internationales
nous ont assurée. Si, comme je l'ai fait observer, les
intérêts de la Grande-Bretagne dans ces régions dépen-
dent à présent du succès financier de la Compagnie, il
n'en est pas moins vrai que notre activité politique est
essentielle au succès financier non seulement de notre
Compagnie, mais encore de tous ceux qui, Européens
ou indigènes, font ou peuvent faire à l'avenir des affaires
dans ces régions'. »
Cette activité politique, allait trouver à s'exercer; le
temps de quiétude est fini.
Le lieutenant Mizon retournait dans le Bénoué, il
traitait au Mouri, il traitait à Yola, et, ce qu'il y avait de
plus grave, dans le premier de ces royaumes il faisait
acte de protectorat en aidant son protégé à se débar-
rasser de bandes pillardes. En même temps que l'en-
treprise politique, une excellente mission commerciale
était créée avec le concours des Chambres de com-
merce françaises, et entamait au Mouri et à Yola ses
opérations en concurrence avec la Compagnie.
1. Times, 21 Juillet 1892.
382 LA ROYAL NIGER C"
lement la basse vallée du Niger ; nous recevions aussi
un grand nombre de conseils bien intentionnés nous
poussant à prendre des mesures que nous avions
adoptées depuis bien longtemps. Il fallait un certain
degré d'abnégation pour s'abstenir de répondre à ces
accusations*. »
Étant donné le système de mutisme suivi jusqu'alors
par la Compagnie, cette déclaration montre bien com-
bien elle se croit établie sans conteste sur les terri-
toires qu'elle a convoités.
Aussi va-t-elle manifester la plus grande indignation
lorsqu'elle s'apercevra qu'il n'en est pas ainsi.
C'est d'abord, lié aux incidents Mizon, l'incident de
Y Ardent. Cette canonnière française entre dans le Ni-
ger et y échoue (1894). La Compagnie refuse immé-
diatement de la ravitailler et, criant à l'attentat, exige
qu'elle quitte le fleuve dès qu'on pourra la renflouer.
Elle dit qu'elle est chez elle, n'admet point qu'on n'en
tienne pas compte; elle a adopté une interprétation de
l'Acte de navigation du Niger, et elle ne veut point
qu'on lui en attribue une autre.
Et comme, à la suite de ces réclamations, elle obtient
satisfaction du gouvernement français, que, seule, l'o-
pinion publique proteste, elle a vraiment le droit d'en
conclure qu'elle a raison.
Mais voilà qu'on lui conteste de nouveau ses terri-
toires. Les pays de la rive droite du Niger sont par-
courus par des expéditions françaises, dans un moment
de fièvre d'expansion coloniale. Voyant que ses pro-
testations et ses plaintes ne suffisent pas à arrêter ses
1. Timesy 12 juillet 1894.
SON ÉVOLUTION 383
entreprises, elle veut lutter par les mêmes procédés
et raviver les traités dont elle invoque Tautorité. Mais,
en dépit de ses réclamations, nous nous installons sur
le Niger, en pleins territoires revendiqués par elle, et
nous créons le poste d'Arenberg (février 1895).
Elle se retranche alors derrière ce qu'elle dit être
ses droits et considère nos actes comme en étant la
violation.
« Les prétentions françaises sont si monstrueuses,
dit-elle par son organe le Times\ que, n'étaient les
bonnes relations qui existent entre les ministères des
affaires étrangères à Paris et à Londres, et la prompti-
tude avec laquelle le gouvernement français a donné
satisfaction à l'Angleterre, il est très probable que Ton
aurait déjà reçu ici la nouvelle de l'expulsion des expé-
ditions françaises par les troupes de la Royal Niger
Company. »
Elle avait, en effet, usé une fois de plus du procédé
anglais. Elle avait recouru avec indignation à son
gouvernement, qui avait réclamé énergiquement contre
les agissements français. La crise d'extension politique
était passée en France ; on s'inclina de nouveau devant
l'Angleterre; le Niger fut évacué comme l'avait été
l'Adamaoua.
Sur ces entrefaites, lord Aberdare était mort; sir
G. Taubman Goldie lui succéda comme président de la
Compagnie du Niger, dont il n'avait été jusqu'alors
que le directeur.
L'évolution, qu'il avait désirée était bien près d'être
terminée, mais, par suite des événements, elle lie s'é-
1. Times, 11 mai 1895.
384 LÀ ROYAL NIGER C®
tait pas réalisée complètement suivant le plan ration-
nel qu'il avait conçu à Torigine : l'établissement com-
mercial avait amené et justifié rétablissement politique,
mais le premier n'avait pu s'exercer que sur une partie
des territoires ambitionnés ; pour le reste, les préten-
tions d'autres puissances allaient nécessiter le recours
à des moyens plus rapides.
III
Sir G. Goldie avait trouvé dans la convention de
1890 la base de ses revendications diplomatiques. Sui-
vant lui, cette convention avait reconnu à l'Angleterre
les pays qu'il avait voulu soumettre à sa domination.
Nous semblions en convenir; il pouvait croire la lutte
pour l'expansion terminée.
« Ma pensée, dit-il dans une interview*, est que dans
cette grande . œuvre de colonisation entreprise par
l'Europe en Afrique, il faut toujours songer à s'allier,
à s'unir, à ne pas se discréditer mutuellement par des
rivalités mesquines. Au fond,l^rançais, Anglais ou Alle-
mands, nous avons tous les mêmes intérêts, vendre des
marchandises, faire des affaires, exploiter les richesses
naturelles du pays où nous allons représenter l'huma-
nité civilisée; pour atteindre ce but, l'union est indis-
pensable. Et, de même que j'ai réuni plusieurs maisons
de commerce pour former la Compagnie du Niger, de
môme je voudrais voir s'établir, entre toutes les puis-
sances européennes ayant des possessions en Afrique,
une entente cordiale. Il ne faut plus parler aujourd'hui
1. Figaro t août 1895.
SON ÉVOLUTION 385
de la France, de FAngleterre, de PAllemagne en Afri-
que, il faut parler de l'Europe en Afrique. »
Et dans ces paroles on peut trouver l'expression
d'un désir qui a traversé un instant sans doute l'esprit
de Sir G. Goldie : les attaques contre la Compagnie
devenaient de plus en plus nombreuses et acerbes, on
se plaignait de ses procédés commerciaux; d'un autre
côté, il allait être nécessaire d'exploiter commerciale-
ment les territoires qui ne l'étaient pas encore, pour
rendre leur occupation effective. Il semble bien que
Sir G. Goldie ait rêvé d'un immense trust réunissant
les Français, les Anglais et les Allemands qui avaient
des intérêts au Niger, et arrivant ainsi à rendre possi-
ble le contact d'intérêts si divers.
La tentative n'aboutit pas; elle ne pouvait aboutir.
Dès lors, l'évolution tendant à transformer la Compa-
gnie, de compagnie commerciale en véritable machine
gouvernementale, ne pouvait que s'accélérer.
Le mouvement d'expansion française avait en effet
repris. Une fois encore la Compagnie avait essayé
d'arrêter une de ses manifestations (mission Hourst)
par les procédés usuels, elle n'avait pas réussi; notre
activité en redoubla. Tout l'ouest du Niger fut occupé
une seconde fois par nos troupes.
La Compagnie recommença à faire entendre ses pro-
testations habituelles. Elles ne nous arrêtèrent pas.
Il était nécessaire d'agir autrement. Les événements
ont précipité les choses ; le plan de la Nigeria, conçu
depuis 1877 par Sir G. Goldie, est annoncé au public.
Pour la première fois, en juillet 1897, Sir G. Goldie
dévoila entièrement, dans une assemblée publique, le
but véritable de ses efforts.
25
386 LA ROYAL NIGBR C®
La Compagnie ne peut plus être à la fois compagnie
de commerce et compagnie politique. « Elle peut deve-
nir simplement organe d'administration. Il faut qu'elle
le devienne : elle sera la Nigeria, qui, près du gouver-
nement, sous sa direction, fera œuvre impérialiste. »
Toute cette lutte que nous venons d'exposer n'a-
vait été possible que parce son instigateur avait trouvé
un gouvernement qui, confiant dans sa capacité et dans
sa ténacité, le laissa agir librement.
Ce gouvernement lui avait donné des moyens d'ac-
tion en dotant la compagnie commerciale qu'il avait
créée d'une charte qui rendait communs les intérêts
temporaires de la Compagnie et l'intérêt final du pays,
et il s'était borné à laisser appliquer cette charte dans
un sens favorable à la Compagnie.
Peu s'en fallut que la Royal Niger Company n'arri-
vât par ses seuls moyens à accomplir l'œuvre entière
que son fondateur lui avait assignée. Mais l'interven-
tion résolue de la France dans les régions convoitées
par la Compagnie excitèrent les protestations indi-
gnées du parti impérialiste, amenèrent le gouverne-
ment anglais à intervenir directement dans la querelle.
M. Chamberlain, regardant la suppression de la
Compagnie comme inévitable un jour ou l'autre, con-
sidéra les territoires qu'elle occupait, ou sur lesquels
elle prétendait avoir des droits, comme appartenant
d'ores et déjà à son administration, au Colonial Office.
Il envoya au Niger des troupes impériales. La présence
de ces troupes était justifiée par la nécessité où l'on
serait, quand on voudrait remplacer par l'administra-
tion directe l'administration de la Compagnie, d'avoir
une force militaire suffisante pour tenir en respect les
SON ÉVOLUTION 387
empires arabes. En même temps, ces troupes servaient
la politique de M. Chamberlain; il était prêt à toute
éventualité, à soutenir contre la France les réclama-
tions de l'Angleterre.
Dès lors, la Compagnie n'a plus de politique per-
sonnelle, et, depuis la fin de 1897 jusqu'au rachat, il
est impossible de séparer son action de celle du gou-
vernement. L'organisation créée par la charte avait, en
fait, cessé d'exister.
. ^
CHAPITRE XXVI
LA NORTHERN NIGERIA
Les débuts de Toccupation.
Le 15 juin 1899, le marquis de Salisbury fit adresser
au secrétaire de la Trésorerie la lettre suivante* :
« Le marquis de Salisbury a examiné depuis quelque
temps le point de savoir s'il n'y avait pas lieu de rele-
ver la Royal Niger Company de ses droits et de ses
fonctions d'administration, moyennant une indemnité
raisonnable. Sa Seigneurie est arrivée à cette opinion
qu'il est désirable, au point de vue de la politique na-
tionale, que ces droits et ces fonctions soient pris en
charge par le gouvernement de Sa Majesté, étant donné
la signature de la convention anglo-française du 14 juin
1898 et la détermination des frontières des possessions
des deux puissances dans le voisinage des territoires
administrés par la Compagnie. La situation créée par
cette convention met le gouvernement de Sa Majesté
dans l'obligation de surveiller ses frontières ainsi que
la politique fiscale de la British Nigeria, obligations
politiques qui ne peuvent être laissées aux soins d'une
1. Voir, pour les opérations du transfert, Parliamentary Papers Royal
Niger C% G. 932-2-1899, p. 3, et id. :A Bill to make provision for certain
payments to be made in connection with the opération ofthe charter oflhe
Royal Niger Co. (Bill 260, 1899.)
Id, Acount of the money borrowed under the Royal Niger Co. Act.
1899, etc., 1901 et sq.
LES DÉBUTS DE l'oCGUPATION 389
compagnie qui combine des profits commerciaux avec
des responsabilités administratives.
« La possibilité de voir le gouvernement français
réclamer les avantages qui lui ont été consentis, dans le
Bas-Niger, par la convention impose au gouvernement
impérial le devoir de contrôler sur place les résultats
de la politique qu'il a poursuivie en garantissant ces
avantages, et de prévenir les difficultés qui survien-
draient inévitablement si les fonctionnaires de la Com-
pagnie représentaient seuls les intérêts anglais.
« Il y a, du reste, d'autres motifs qui rendent indis-
pensable la transformation projetée. Les troupes de la
« West African Frontier Force »,qui sont actuellement
sous les ordres d'officiers de l'empire, demandent une
surveillance impériale directe; la situation créée vis-à-
vis des autres maisons de commerce par le caractère
commercial de fait, bien qu'elle se soit bornée à appli-
quer les droits que lui octroyait la charte, la façon dont
ce monopole commercial opprime les commerçants indi-
gènes, comme l'a démontré le soulèvement de Brass,
qui a nécessité la mission d'enquête de Sir John Kirk
en 1895, sont quelques-uns des arguments qui ont
influencé Sa Seigneurie.
« La question n'est du reste pas nouvelle pour les
Lords Commissioners, qui, sur les propositions confi-
dentielles faites en novembre 1897 par Lord Salisbury,
ont déjà examiné les questions dans lesquelles le trans-
fert pourrait être effectué.
« Lord Salisbury n'a donc pas l'intention d'examiner
le côté financier de l'affaire, mais prie leurs Seigneuries
de conclure rapidement une entente avec la Compa-
gnie. »
390 LA NORTHERN NIGERIA
Cette lettre n'était que la confirmation d'un arrange-
ment^ qui avait été passé avec la Niger Co. et le chan-
celier de l'Échiquier, en vertu duquel « la Compagnie
devait être relevée de tous ses pouvoirs administratifs
et des obligations qui en résultaient et faire remise au
gouvernement de toutes les terres et droits miniers
qu'elle avait acquis, à l'exception dés stations commer-
ciales et des terrains sur lesquels celles-ci étaient
bâties ».
Le gouvernement anglais devait prendre à sa charge
le payement de 12.500 livres formant l'intérêt à 5 p. 100
de l'emprunt de 250.000 livres remboursables au pair
au 1" janvier 1938, constituant la dette publique du ter-
ritoire du Niger, Il se réservait le droit d'en rembour-
ser les titres au taux de 120 p. 100, ce qui équivalait à
une charge de 300.000 livres. 11 devait payer en outre à
la Compagnie, dans le délai d'un mois après le rachat :
1** Une somme de 150.000 livres en échange des droits
souverains cédés par elle et comme compensation de
l'interruption et des changements apportés dans ses
opérations commerciales par la révocation de la charte ;
2® Une somme de 390.000 livres en remboursement
des sommes avancées par la Compagnie pour le déve-
loppement et l'extension du territoire du Niger, avance
distincte des dépenses ordinaires faites par Tadminis-
tration civile de ces territoires ;
2** Une somme de 115.000 livres représentant la va-
leur des bâtiments édifiés parla Compagnie pour y loger
ses services administratifs, ainsi qu'un certain nombre
d'autres bâtiments, de munitions et de marchandises
1. Loco cil.
LES DÉBUTS DB l'oGCUPATION 391
nécessaires au nouveau gouvernement; cette somme
fut finalement ramenée à 106.895 livres*.
La somme totale que coûta le rachat s'éleva donc à
856.895 livres. Cette somme fut fournie par le Conso-
lidated Fund*.
Le gouvernement anglais devait en outre, pendant la
durée de 99 ans, remettre à la Compagnie la moitié des
droits qu'il pourrait percevoir sur l'exploitation des
mines.
Le 27 décembre 1899, un Order in Council procla-
mait le retrait de la charte de Royal Niger et créait
la « Northern Nigeria ».
Dès 1898, Sir F. Lugard avait été nommé commissaire
du gouvernement auprès de la Compagnie du Niger
dans les territoires auxquels on avait donné le nom de
Nigeria, suivant l'expression trouvée par Lady Lugard
elle-même; il devait devenir le gouverneur de la nou-
velle colonie et garder le titre de High Commissioner.
Son premier soin' fut de verser dans le corps du
West African Frontier Force, qui avait été mis à la dis-
position de la Compagnie du Niger, les troupes de la
Royal Niger Constabulary, à l'exception de 300 hommes
qui furent affectés à la Southern Nigeria. 160 recrues
nouvelles furent trouvées sur place, la Gold Coast, à
qui on s'était adressé, n'ayant pu les fournir, 50 hommes
furent détachés pour former une civil police.
1. Voir détail dans P. p., G. 9372..Dans cette somme figure la valeur de
7 steam lauuch, stern-wheeler, chalands ,el un ponton pour 23.385 livres et
du matériel de guerre pour 17.069 livres.
2. Elle fut compensée par un emprunt de 820.000 livres autorisé par The
Royal Niger Go., Act. 62, 63, Victoria, et un vole de 36.895 livres.
3. P. p. Northern Nigeria, report for Ihe period from V^January 1900
to i»» march 1901. G. d. 788-16, p. 3.
392 LA NORTHBRN NIGERIA
Le Haut Commissaire commença aussitôt Toccupation
effective des territoires placés sous ses ordres, occupa-
tion que, comme nous Tavons montré, n'avait point
effectuée la Compagnie du Niger,
La première opération fut de prendre en charge les
stations de la Niger Co. qui avaient été acquises par le
gouvernement.
Suivant le plan proposé au Secrétaire d'État, l'occu-
pation du territoire situé au nord du Niger, entre la ri-
vière Kaduna et Teictrémité est du Bautshi, fut ensuite
décidée. D'après M. Walace, l'ancien agent général de
la Compagnie du Niger devenu le second du Haut Com-
missaire, des représentants des tribus de ces régions
étaient venus en 1899 demander la protection britanni-
que. Le lieutenant-colonel Morland reçut l'ordre de rele-
ver le cours du Kaduna jusqu'à Ghierko et de visiter les
régions situées à l'est de cette rivière. Il prit avec lui
une force suffisante pour pouvoir résister aux émirs de
Bida, de Kontagora et de Zaria en cas d'attaque. Le lieu-
tenant Monk remonta avec une petite troupe le Gurara,
et le lieutenant-colonel Cole entreprit le lever de la
rivière Okwa. Ces colonnes reçurent l'ordre d'éviter
toutes hostilités et de faire tous les efforts possibles
pour gagner la confiance des peuples dont elles devaient
traverser les territoires. Elles devaient rechercher un
emplacement favorable à l'établissement de la capitale
de la nouvelle colonie.
Ghierko fut atteint sans difficultés sérieuses. Il avait
été nécessaire cependant de livrer bataille aux tribus
qui avoisinaient Chicara, qui avaient attaqué sans pro-
vocation, et aux habitants de Limu, qui s'étaient empa-
rés d'un porteur et qui s'étaient refusés à le rendre.
LES DÉBUTS DE L^OCGUPATION 39?
Six officiers furent blessés au cours de ces opéra-
tions.
Pendant ce temps, M. Carnegie dans le district dUlo-
rin et le major Burdon dans la province de la Basse-
Bénué effectuaient des levés topographiques.
Le lieutenant-colonel Cole dirigea ensuite, en mars
1900, une forte expédition dans la Bénué contre la tribu
des Munshi qui avait arrêté la construction de la ligne
télégraphique entreprise entre Lakodja et Ibi.
Sir F. Lugard avait songé tout d'abord à établir sa
capitale sur le Niger, en un lieu nommé Kuendon, à 25
milles au-dessous de Lokodja, qui lui paraissait malsain.
Finalement» il estima préférable, à la suite de Toccupa-
tion des hauts pays, de s'établir à Wushihi, situé sur le
Kaduna, à 60 milles de son confluent avec le Niger. 11
dut par la suite transporter la nouvelle ville 10 milles
plus au nord, en un point qu'il dénomma Zunguru, et
qui fut réuni par un chemin de fer à voie étroite à l'en-
droit où le Kaduna est toujours navigable.
Peu de temps après s'être fixé à Wushihi, en juil-
let 1900, le Haut Commissaire apprit que les habitants
du Nupé et de Kontagora avaient formé le plan de
détruire la ville. Peu après, les chefs de Wushihi furent
en efi'et massacrés, et des soldats attaqués dans le voi-
sinage du camp. Des messagers furent envoyés à Ilo-
rin pour en engager les chefs à se joindre au soulève^
ment et à expulser les blancs dont les troupes, disait-
on, avaient été exterminées dans l'Ashanti. Grâce à
l'habileté du résident anglais, la tentative fut cependant
déjouée. Sir F. Lugard se décida à sévir. Les troupes
de Kontagora et de Bida furent refoulées 20 milles au
sud et à l'est de Wushihi. En novembre, le major
394 LÀ NORTHERN NtGBRIÀ
O'Nill fut envoyépour déblayer le Kaduna; il défit une
bande de Kontagoras à Daba, et, traversant la rivière, il
poursuivit les cavaliers de Bida jusque sous les murs
de leur ville, dans laquelle il pénétra le 19 décembre,
escorté seulement de 30 hommes.
Il ne put naturellement s'y maintenir. Au retour des
troupes de la Nigeria qui avaient pris part à la campagne
des Ashanti, une expédition fut dirigée contre Konta-
gora sous le commandement du colonel Kemball. La
ville fut prise en janvier 1901, et Fennemi défait avec de
grandes pertes, tandis qu'un seul homme était tué du
côté des Anglais. Une garnison fut laissée dans la ville.
Nous avons vu comment l'émir établi à Bida en 1897
par la Compagnie du Niger avait été détrôné par l'an-
cien émir, Abu Bakri, qui avait finalement été reconnu
par la Compagnie comme chef souverain. Sir F. Lugard
invita en février les chefs de Bida à venir le voir. Le
Markum se rendit seul à la convocation. Il fut aussitôt
décidé que l'on marcherait contre Bida. Abu Bakri
parvint à s'échapper, et le Markum fut réinstallé comme
émir. Il reçut du Haut Commissaire, suivant la mode
indienne, une lettre « d'appointement » contenant les
conditions moyennant lesquelles il conserverait son
trône. Il devait gouverner avec justice en observant les
lois du Protectorat, obéir au Haut Commissaire et suivre
les avis du résident placé auprès de lui. Les minerais
et les terres vacantes seraient la propriété de la Cou-
ronne.
La partie du Protectorat qui était ainsi occupée
effectivement au commencement de 1901 fut. divisée
en 9 provinces : Ilorin, Kabba, Middle Niger, Lower
Bénué, Uper Bénué, Nupé, Kontagora, Borgu, Zaria.
LES DÉBUTS DE l'oCCUPATION 395
Dès cette époque, Sir F. Lugard annonçait la néces-
sité d'occuper le Bassa, le Mûri, le Bautshi et Yola,
qui devaient former quatre nouvelles provinces. Il
était urgent d'arrêter la dépopulation rapide produite
dans les régions de FEst par la traite des esclaves. La
destruction de la grande ville de Guaram par les Baut-
shis au commencement de 1901 démontrait la nécessité
de l'introduction de la « Pax Britannica » dans ces
pays.
L'émir de Yola devenant de plus en plus arrogant
vis-à-vis de la Compagnie du Niger, le colonel Mor-:
land fut dirigé contre Yola avec une force composée de
22 officiers, 4 canons, 4 maxims et 365 soldats. Malgré
une défense opiniâtre, la ville fut prise le 2 septembre
1901. Deux officiers et 37 hommes furent blessés, et
2 hommes tués. L'émir parvint à s'enfuir dans l'Ada-
mua, et l'héritier légitime fut nommé à sa place.
Le calme fut de courte durée, car l'ancien émir, après
avoir attaqué les Allemands à Garua, en mars 1902, et
avoir été repoussé ayec de grandes pertes, revint en
territoire anglais, où il se livra au pillage. Repoussé
tour à tour par les Anglais et les Allemands, il finit par
être tué, en 1903, par des fétichistes. Les diverses
tribus habitant entre Yola et le Bornu ne se soumet-
taient que très lentement, et il fallut entreprendre
contre elles une série d'expéditions. Sir F. Lugard fait
à leur sujet les réflexions suivantes : « Il est malheu-
reusement vrai que le sauvage africain, dans son état
primitif, ne comprend que la force et regarde les argu-
ments et les exhortations comme des marques d'une fai-
blesse dont il accepte les témoignages et se promet de
profiter à l'occasion. Si cependant il est convaincu par
396 LA NORTHERN NIGERIA
la force que le blanc a le pouvoir d'appuyer ses con-
seils par les | armes, il les écoute dans une certaine
mesure. »
L'établissement dans Test de la Northern Nigeria fut
hâté par la venue des Français sur le Tchad et par leur
action contre Fad-el-AUah.
Lorsque Sir F. Lugard apprit l'arrivée du fils de
Rabah [dans les territoires réservés à l'influence an-
glaise, il déclara qu'il fallait ou l'attaquer et l'expulser,
ou, au contraire, le cantonner dans un district de Ka-
rene dans lequel on essayerait de rester en relations
amicales avec lui. Fad-el-AUah essaya en effet de trai-
ter avec les Anglais, et le Haut Commissaire rapporte
ainsi la manière dont il accueillit ses propositions^ :
« La situation n'était pas sans difficulté. D'un côté il
ne m'était pas agréable d'accepter les ouvertures faites
par un potentat africain qui avait été en conflit avec un
pouvoir européen ami, étant donné la forte conviction
que j'ai que la coopération et l'assistance mutuelle entre
Européens est d'importance vitale en Afrique. Nos voi-
sins les Français n'ont pas toujours rendu facile la réa-
lisation de cette ligne de conduite : je suis persuadé
que la cause en a souvent été une regrettable tendance
(peut-être réciproque) de tenir pour exacts les rapports
exagérés ou faux des indigènes, de sorte que l'on a mis
de l'amertume dans une saine rivalité. Par exemple, je
crois que, le major Mac Clintock ayant inconsidérément
fait cadeau à Fad-el-i\llah de son propre fusil de chasse,
cet incident trivial a été transformé, aux yeux des Fran-
çais, en une cession de nombreux fusils de guerre que
1. P. p. Report for 190U G. d. 1388, 1, p. 8.
LES DÉBUTS DE l'oCCUPATION 397
les autorités anglaises auraient faite à Fad-el-AUah pour
attaquer les Français. Quelque incroyable et complète-
ment fausse que cette nouvelle ait été, je crois qu'elle
a trouvé crédit auprès des officiers français. Pour en
revenir à Fad-el-AUah, en dehors de l'hésitation natu-
relle que j'éprouvais à recevoir comme un ami un
homme qui avait combattu les Français, je considérais
également que l'existence d'une troupe nombreuse de
vétérans bien armés et bien entraînés ne laisserait pas
de constituer un sérieux danger. Leurs méthodes et
leurs modes d'existence avait été pendant des années
celles de barbares victorieux au milieu d'un peuple
ruiné et conquis. Je connaissais trop bien, par ma pro-
pre expérience, les cruautés dont sont capables les
Soudanais du Nil lorsqu'ils sont laissés sans entraves,
pour supposer que leur autorité et leur méthode nous
seraient 'tolérables. D'un autre côté, les expéditions
contre les Ashantis et les Aros, ainsi que le besoin
urgent de troupes dans tous les points du Protectorat,
conseillaient d'éviter, si possible, un conflit sur la néces-
sité d'envoi d'une force considérable dans une région
éloignée, d'autant que la façon dont Fad-el-AUah s'était
mis sous la protection anglaise rendait difficile de l'at-
taquer sans cause. Le résident de l'Uper Bénué avait
reçu ses envoyés d'une façon amicale et lui avait pro-
mis protection. M. Wallace dépêcha le major Mac Clin-
tock auprès de Fad-el-AUah pour se rendre compte de
la situation. Le major fut reçu comme un ami et avec
la plus grande hospitalité ; il conçut une haute opinion
de Fad-el-AUah, qui paraît avoir été un très courageux
soldat et un chef déterminé et de valeur. »
On sait comment, nos officiers ayant poursuivi et tué
398 LÀ NORTHBRN NIGERIA
les fils de Rabah dans la Nigeria, rémotion fut grande
en Angleterre, et comment il fut décidé que les zones
françaises et anglaises devaient être délimitées dans le
plus bref délai possible. Le colonel Morland fut aussi-
tôt envoyé dans le Bornu pour examiner la situation et
y établir Tautorité anglaise, qui risqnait fort de souffrir
de Tinfluence exercée parles expéditions françaises du
Tchad ou allemandes du Haut Cameroon^
L'expédition du colonel Morland était composée de
18 officiers, 3 docteurs, 515 hommes de troupe, 2 canons
et 4 maxims. M. Wallace accompagnait l'expédition et
en avait la direction politique. La colonne fut tout
d'abord dirigée contre les Bautshis, que la vue de la
force anglaise terrifia. Ils n'opposèrent aucune résis-
tance, et la ville fut occupée le 16 février. M. Wallace
déclara aux chefs qu'il devait déposer l'émir, à cause
de ses exactions, et lui choisir un successeur. Ils dési-
gnèrent aussitôt l'héritier présomptif, qui reçut une
lettre de nomination semblable à celle qui avait été
donnée aux émirs de Nupé, de Kontagora et de Yola.
L'ancien émir prit la fuite pendant la nuit. Tout exode
des habitants et toute effusion de sang furent évités
grâce aux efforts et à l'habileté de M. Tempe, qui avait
été nommé résident de la ville. Peu de temps après, des
prospecteurs pouvaient visiter en toute sécurité la nou-
velle province, dans la plus grande partie de laquelle
Tordre le plus parfait était établi. Il fallut cependant
diriger, à la fin de 1902, des expéditions contre les
Ningi, qui habitaient le nord du Bautshi et qui sç
livraient au pillage, exiler à Morin, en lui servant
1. Voir sur tous les incideats suivants : P. p. Northern Nigeria'report
fer Î902, G. d. 1748-14.
LBS DÉBUTS DE l'oCCUPATION 399
une petite pension, l'ancien émir, dont la présence
dans le pays était une cause de trouble. Après avoir
laissé une compagnie comme garnison à Baushi; le
colonel Morland se dirigea vers le Bornu. Il eut à com-
battre sur sa route le Mallan Jibrella, qui déclarait être
le Madhi et qui depuis de longues années dévastait
le pays, assez puissant pour avoir pu résister à Rabba
et à Fad-el-AUah. Le lieutenant Dyer put s'emparer de
lui après avoir parcouru 112 kilomètres en 17 heures.
Il fut déporté à Lokodja. L'expédition parvint à Gujba,
y laissa une compagnie et s'établit à Maigujuri, tandis
que le colonel visitait les ruines de Kuka.
Veçs le milieu de 1902, une expédition avait été diri-
gée contre les habitants de l'ouest de la province Nas-
sarawa qui arrêtaient les caravanes venant de Zaria
et de Kano; leur ville, Abuja, fut prise.
Pendant ce temps, du reste, un incident grave se pas-
sait à Keffî, où était la résidence anglaise. L'agent de
l'émir de Zaria dans cette ville excitait les habitants à
la révolte.
Tandis que le capitaine Moloney faisait de vains efforts
pour obtenir sa soumission sans violences, le Magaji
(chef de la ville) tua par surprise l'officier anglais et
parvint à s'échapper et à se réfugier à Kano, où il fut
reçu avec enthousiasme par l'émir.
En mars 1902, un résident avait pu être installé à
Zaria. L'émir de cette ville, Mohamadu, avait, en effet,
demandé aux troupes anglaises protection contre Kon-
tagora. Mohamadu n'en continua pas moins à dévaster
le pays, en affirmant qu'il agissait par ordre des Anglais.
Le résident, dont les jours étaient continuellement en
danger, se décida à l'arrêter.
400 LÀ NORTHERN NIGERIA
Il fut expédié à Wushîshi. Sir F. Lugard fait à ce
sujet la remarque suivante : « Cela a toujours été pour
moi une source de regrets que de constater que l'éta-
blissement de l'autorité anglaise dans chacune des pro-
vinces devait être accompagné de la déposition de son
chef. Zaria avait été la seule exception, et c'est pour cela
que je n'aurais pas voulu en déposer l'émir. J'espérais
qu'un exil temporaire aurait été pour lui une leçon suf-
fisante; je l'informai que je pourrais peut-être lui ren-
dre son poste lorsque les difficultés avec Kano seraient
terminées. Il fallut abandonner ce projet, car, pendant
les expéditions contre Kano et Sokoto, Mohamadu ne
cessa d'être une cause de trouble constant, et un nou-
vel émir. Dan Sidi, fut installé en grande pompe à sa
place. »
CHAPITRE XXVII
LA NORTHERN NIGERIA
La prise de Kano et de Sokoto.
Lorsque le rachat de la Charte et le transfert du gou-
vernement furent décidés, Sir F. Lugard fit paraître
uiie proclamation qui en informait les différents chefs
et qui les avisait que le nouveau gouvernement se con-
sidérait comme lié par les engagements pris par la Com-
pagnie vis-à-vis d'eux, qu'à son tour il espérait que les
chefs seraient fidèles aux traités qu'ils avaient passés.
Une traduction en haussa en fut envoyée au sultan de
Sokoto, et les sommes nécessaires pour le payement
des subventions prévues par les traités furent inscrites
au budget de 1901.
L'envoyé anglais fut fort mal traité à son arrivée à
Sokoto et il ne fut pas donné réponse au message, qui,
en vertu des usages fulbés, constituait une injure grave.
Sir F. Lugard explique qu'il apprit dans la suite que le
ton de sa lettre avait été considéré comme injurieux et
que le sultan avait déclaré qu'il n'accepterait plus de
lettre écrite par un blanc : « Comme il n'y avait rien
autre dans l'original, dit Sir F. Lugard, qu'une com-
munication courtoise et approuvée par le Secrétaire
d'Etat, je ne peux attribuer cette impression qu'à une
erreur de traduction. »
Les actes hostiles commis par les chefs du Nupé et
26
402 LA NORTHERN NIGERIA
du Kontagora, qui étaient des vassaux de Sokoto, furent
considérés par le Haut Commissaire comme une rupture
de traité. Cependant il résolut d'user de patience, et,
après la défaite de Kontagora, il écrivit la lettre sui-
vante au sultan de Sokoto pour lui demander de nom-
mer un successeur au chef de cette ville :
« Au nom du Dieu le plus miséricordieux, paix soit
au généreux prophète. Salutations, paix et honneurs
sans nombre.
« A Fémir des musulmans de Sokoto dont le nom est
Âbdul-Lahai, fils de l'ancien émir des musulmans dont
le nom est Atiku.
« Je désire vous informer, vous qui êtes des musul-
mans et dont les chefs fulanis de ce pays reçoivent les
instructions, que les émirs de Bida et Kontagora ont
agi pendant nombreuses années en oppresseurs de
leurs peuples et se sont montrés incapables de gou-
verner...
« J'ai donc estimé qu'il était nécessaire de les déposer
et de placer des troupes auprès de leurs villes pour y
maintenir la paix et protéger les habitants.
« Dans le cas de l'émir de Bida, j'ai nommé émir le
Makun à la place d'Abu-Bakri, ce qui prouve que je n'ai
aucune hostilité contre les Fulanis ou contre leur reli-
gion, à condition que l'émir du pays gouverne juste-
ment et sans oppression...
« Je désire que les habitants retournent dans leurs
villes et vivent en paix sous un chef juste, et je vous
écris pour vous demander de nommer un homme qui
gouverne justement, et, s'il agit ainsi, je le soutiendrai
et renforcerai son pouvoir; envoyez-le-moi avec une
lettre, et je l'installerai comme émir de Kontagora avec
LÀ PRISE DE KANO ET DE SOKOTO 403
pompe et honneur. Mais avertissez -le que s'il agit
traîtreusement et avec artifice il partagera le sort de
Gwamachi.
« Avec paix de la part de votre ami le gouverneur
Lugard. »
Le sultan répondit dans les termes suivants :
« De nous à vous; je ne consens point à ce que per-
sonne venant de vous habite avec nous. Je ne traiterai
jamais avec vous. Je n'ai rien à faire avec vous. Entre
vous et nous il n'y a d'autres rapports que ceux qu'il y
a entre des musulmans et des incroyants, c'est-à-dire la
guerre, comme le Dieu tout-puissant nous l'a ordonné.
Il n'y a de pouvoir et de force que dans Dieu.
« Ceci avec salutations. »
- Une réponse analogue fut faite à la communication
de la déchéance de l'Emir Hautshi, et Sir F. Lugard
considéra le traité comme définitivement dénoncé.
Persuadé que, dans une guerre contre les Fulanis,
les Haussas, qui formaient le fond de la population,
ne seraient pas hostiles aux Anglais, Sir F. Lugard
décida d'entreprendre une campagne contre Kano ou
Sokoto.
Le colonel Morland partit de Zaria le 29 janvier 1903
à la tête d'une expédition composée de 36 officiers,
2 médecins, 722 hommes de troupes, 4 canons et 4
maxims.
On sait comment, malgré ses redoutables fortifica-
tions, Kano fut pris sans difficultés le 3 février 1903. Il
n'y eut du côté anglais qu'un tué et quatorze blessés.
L'émir Alieu avait, le 2 janvier, fui vers Sokoto avec
tous les chefs de la ville et 1.000 ou 2.000 cavaliers.
Les habitants de la ville acceptèrent sans difficultés
404 LA NORTHERN NIGERIA
Toccupation anglaise, et le commerce de la ville ne subit
aucune interruption.
Le colonel Morland, ayant appris qu'Alieu avait quitté
Sokoto et marchait sur Kano avec une force considé-
rable, se tint prêt à partir à sa rencontre. Le général
Kemball,commandantsupérieardes troupes deTAfrique
occidentale anglaise, arriva à Kano le 13 février, avec de
nouveaux renforts. Laissant une garnison de 254 hom-
mes dans cette ville, il partit avec le colonel Morl^jid,
34 Européens et 600 soldats dans la direction de Sokoto.
Le colonel Morland avait adressé au sultan une lettre
dans laquelle il l'informait que Kano n'avait été pris que
parce que le meurtrier du capitaine Moloney y avait
reçu un bon accueil. Il ajoutait : « Nous arrivons à
Sokoto, et, à partir de ce moment et pour toujours, un
blanc et des soldats se fixeront dans le pays de Sokoto.
Nous, nous sommes préparés à faire la guerre parce que
Abdu Sarikin Muslimin nous a dit qu'il ne pouvait y
avoir entre nous autre chose que la guerre; mais nous
ne désirons pas la guerre si vous ne la désirez vous-
mêmes. Si vous nous recevez en paix, nous n'entrerons
pas dans vos maisons et nous ne vous ferons aucun
mal, à vous ou à votre peuple. »
La troupe, parvenue à une centaine de milles de Kano,
fut attaquée par un millier de cavaliers et 2.000 fantas-
sins sous les ordres d'Alieu. L'ennemi fut défait, et l'an-
cien émir de Kano s'enfuit vers le nord, où il fut fait
prisonnier par le capitaine Foulkes, chef de la commis-
sion de délimitation.
Sir F. Lugard s'étant rendu à Kano aussitôt après
l'occupation, Wonbaï, le frère d'Alieu, lui demanda la
permission de retourner dans la ville avec tous ceux
LA PRISE DE KANO ET DE SOKOTO 405
qui avaient fui. Cette permission fut accordée, et près
de 2.500 cavaliers et 5.000 personnes à pied rentrèrent
le 6 mars à Kano par une même porte.
Sir F. Lugard, se préoccupant de donner un succes-
seur à Alieu, convoqua son frère Wonbai et six des prin-
cipaux chefs et leur expliqua, comme il le fit plus tard
à Zaria, à Sokoto et à Katsena, quelle était la manière
dont le gouvernement anglais avait l'intention de gou-
verner le pays.
« Le gouvernement, dit-il, entend être dans l'avenir
le suzerain du pays; mais il conservera les chefs actuels
et exercera le droit de nommer non seulement Témir,
mais encore les principaux fonctionnaires; les droits
de succession, de nomination, d'élection en usage dans
le pays ne seront pas modifiés; mais le Haut Commis-
saire garde le droit de veto, et les rois ou chefs per-
dront leurs places s'ils se conduisent mal. De la même
manière, en matière de législation et justice, il ne sera
pas porté atteinte à la loi musulmane en tant qu'elle
ne sera pas contraire aux lois du Protectorat. Et les
tribunaux des émirs et des Alkalis seront conservés
et fortifiés sous le contrôle du résident. Les mutila-
tions et les emprisonnements faits d'une façon inhu-
maine ne seront pas autorisés. Aucune sentence de
mort ne pourra être exécutée sans l'approbation du
Résident. Il sera mis un terme à la corruption. Certains
crimes seront jugés dans les tribunaux de province,
qui seront les seuls compétents pour juger les causes
dans lesquelles figureront des serviteurs du gouverne-
ment et des personnes qui ne seront pas des indigènes.
Le gouvernement aura le droit d'établir les taxes
que le Haut Commissaire jugera convenables pour payer
406 LA NORTHERN NIGERIA
les dépenses d'administration; mais ces taxes n'auront
point un caractère d'oppression. Les commerçants el
les caravanes seront encouragés et ne seront point
taxés par l'émir, dont les impôts seront soumis à l'ap-
probation du Haut Commissaire. Les Fulanis ont perdu
leur domination, et, dans l'avenir, le domaine souverain
du sol et des minerais appartiendra au gouvernement
anglais. Les propriétaires ne seront pas privés de leurs
terres, à moins que cela ne soit nécessaire pour les
travaux publics et les besoins du gouvernement. Les
razzias d'esclaves seront interdites ainsi que tout com-
merce de captifs. 11 ne sera point porté atteinlje cepen-
dant à la captivité privée ; mais les captifs, comme tous
autres, auront le droit d'en appeler au résident, et s'ils
prouvent que leurs maîtres usent de cruautés envers
eux, ils seront libérés. »
Sir F. Lugard ajouta qu'il reconnaissait « qu'une
classe de travailleurs devait exister. Ce n'était pas son
intention de transformer les cultivateurs actuels ou
autres ouvriers en vagabonds ou voleurs; mais il espé-
rait cependant que peu à peu on apprécierait les avan-
tages du travail libre, qui était plus profitable et meil-
leur que celui des esclaves. Dans Tavenîr, ni l'émir ni
les autres chefs n'auront l'autorisation de se servir
d'une force armée. S'ils ne peuvent maintenir l'ordre,
ils feront appel au résident, car c'est au gouvernement
anglais seul qu'est réservé le devoir de faire la police
du pays. Les armes à feu ne seront donc plus néces-
saires et devront être remises au gouvernement. En
dehors de certains cas spécialement autorisés par le
résident, leur possession entraînera une punition.
« Tout ce qui sera fourni au gouvernement sera payé
LA PRISE DE KANO ET DE SOKOTO 407
convenablement, et Ton ne devra point craindre d'a-
dresser au résident des plaintes contre les soldats ou
les serviteurs du gouvernement qui auront agi avec
violence ou d'une manière illégale.
« La garnison sera cantonnée en dehors de la ville,
où lés soldats ne seront point autorisés à pénétrer en
armes. »
Lorsque le Haut Commissaire ajouta que l'importa-
tion de l'alcool serait défendue, il nota des marques
d'approbation; et lorsqu'il annonça que la religion
serait absolument libre, il y eut une explosion de joie.
Sokoto, dit-il, resterait la capitale religieuse, mais ne
recevrait plus dans l'avenir de tribus d'esclaves. II
expliqua que ce n'était pas le désir du gouvernement
anglais d'apporter aucun changement aux institutions
indigènes dans ce qu'elles avaient de bon, mais bien
de les étudier de façon à les comprendre. Il parla des
avantages qu'offrait l'usage d'une monnaie métallique
frappée et la nécessité de fixer un taux d'échange entre
l'argent anglais et les cauris. Il déclara que les Anglais
étaient venus pour rester, et que rien ne pourrait leur
faire abandonner le pays.
Tout ce discours fut traduit avec le plus grand
soin et sous la surveillance directe d'officiers anglais
haussas.
Après avoir présenté à Wondaï le personnel de la
future résidence, il l'informa qu'il ne le nommerait
définitivement émir qu'à son retour de Sokoto. Il
devait, en attendant, construire dans la ville, aux envi-
rons du palais, une maison et un tribunal que le rési*
sident occuperait de temps en temps, en signe de la
domination anglaise. La résidence fut établie à 900
408 LA NORTHERN NIGERIA
mètres des murs de la ville. Le 7 mars, le Haut Com-
missaire quitta Kano pour se rendre à Sokoto, escorté
seulement de 4 Européens, de 80 hommes et de 8
maxims. Il avait écrit au général Kemball de le rejoin-
dre avant d'essayer d'entrer dans la ville; mais ses let-
tres ne lui parvinrent pas, et Sir F. Lugard considère
que le fait d'avoir pu circuler avec une aussi faible
escorte, dans un pays très peuplé et entièrement sous
la domination du sultan de Sokoto qui se préparait à
combattre, prouve qu'il ne s'était point trompé en
estimant que la grande majorité de la population serait
favorable aux Anglais.
Le 16 mars, le général Kemball rencontra, sous les
murs de Sokoto^ une force de 1.500 cavaliers et de 3.000
fantassins qui attaqua aussitôt l'armée anglaise et qui
fut repoussée en laissant sur le terrain 70 tués et 20O
blessés. Du côté anglais, il n'y eut qu'un porteur tué
et un autre blessé. Sokoto fut occupé.
Le 20 mars, le Haut Commissaire arriva à Sokoto au
moment même où les principaux chefs faisaient leur
soumission ; leurs chevaux et leurs sabres leur furent
laissés. Le lendemain, les principaux conseillers furent
réunis dans la maison du sultan, et Sir F. Lugard leur
demanda s'ils pensaient que celui-ci, qui avait pris la
fuite, reviendrait, et quelle était, dans le cas contraire,
la personne qu'ils désiraient nommer à sa place. Ils
désignèrent un nommé Atahiru, qui était un ancien
prétendant. La bonne impression qu'il produisit sur
Sir F. Lugard et sa généalogie lui valurent d'être
nommé sultan. Il fut installé avec le même cérémonial
et les mêmes discours qui avaient été faits à Kano. Le
major Burdon, qui fut laissé comme résident dans la
LA PRISE DE KANO ET OS SOKOTO 409
ville, en fut Tinterprète. Le 23 mars, le Haut Commis-
saire se dirigea sur Katsem, tandis que le général
Kemball et le colonel Morland s'en retournaient vers
Kano et Zungeru avec une grande partie des forces.
Les indigènes témoignaient la plus grande joie de
voir que les choses se passaient si simplement, et paru-
rent accepter sans difficultés la domination anglaise.
L'ancien sultan, entouré du Magaji, le meurtrier du
capitaine Moloney, de l'ancien émir de Bida et de
quelques chefs irréconciliables de Kano, vint s'établir
à peu de distance de Sokoto, à Gusao. Il en fut chassé
par les garnisons de la ville, et il dut s'enfuir sans avoir
pu entraîner un seul des chefs de Sokoto. Il passa à
l'est de Kano et de Zaria, déclarant qu'il se rendait en
pèlerinage à la Mecque. Des paysans le suivirent par
milliers. Il semble que le mouvement n'ait point été
dirigé contre les Anglais et que l'ancien sultan dési-
rait s'établir en quelque région située en dehors de
l'influence britannique. Les forces anglaises parvinrent
finalement à le rejoindre à Burmi, aux confins du Bor-
nou ; il fut tué pendant l'assaut avec 700 hommes; mais
les Anglais perdirent le major Marsh, qui commandait
l'expédition, et ils eurent 10 hommes tués et 69 blessés.
Le 28 mars. Sir F. Lugard put entrer sans effusion
de sang à Katsem, dont l'émir lui avait adressé des
lettres de soumission. Il y installa un résident et une
garnison.
Il parcourut ensuite une partie de la région fron-
tière anglo-française et prépara le passage de la com-
mission de délimitation. Le 2 avril il était de retour à
Kano, où le Wonbaï était installé émir avec le cérémo-
nial habituel ; le 7 il était à Zaria, où il installait Dam
410 t-lL FiORTHERK MGERIA
Sidi, et le 14 il était de retour à Zungeru. En 38 jours
il avait parcouru 1,280 kilomètres et établi avec succès
l'autorité anglaise à Solcoto, Katsem, Kano et Zaria.
L'occupation de la Northern Nigeria par l'Angleterre
était un fait accompli (1903),
CHAPITRE XXVIII
LA NORTHERN NIGERIA
Sir Frédéric Lugard et le Colonial Office.
On peut dire que roccupation de la Northern Nigeria
avait été entreprise par Sir F. Lugard, de sa propre ini-
tiative, et qu'il en avait accepté la pleine responsabilité.
Un vif émoi se manifesta en Angleterre à la nouvelle
que le Haut Commissaire avait Fintention d'attaquer
Kano. La guerre du Transvaal venait à peine de finir,
et l'alerte que l'on avait eue dans l'Ashanti avait été
chaude. Ce que l'on savait des sultanats de la Nigeria
était assez mystérieux. On se représentait les puissants
chefs de ce pays comme entourés d'une armée nom-
breuse et bien organisée, grâce aux leçons d'émissaires
turcs. Entrer en guerre avec les sultans, c'était s'en-
gager dans une entreprise dont l'importance et les con-
séquences étaient inconnues. Les probabilités les plus
grandes étaient que l'expédition aurait beaucoup d'ana-
logie avec celles qui avaient abouti à la conquête du
Soudan égyptien, et l'on était fort peu disposé à s'en-
gager dans une pareille aventure, dont les bénéfices
paraissaient bien incertains.
Il semblait inadmissible que les forces dont disposait
le Haut Commissaire fussent suffisantes pour mener
à bonne fin l'occupation militaire de la Nigeria. On
s'émut au Parlement, et les interpellations se succédé-
414 LÀ NORTHERN NIGERIA
dans la Northern Nigeria. Bien que le Haut Commissaire
de la Northern Nigeria n'ait pas demandé de troupes,
le gouvernement de Sa Majesté craint que les forces
qu'il a à sa disposition ne soient pas suffisantes pour
parer à toute éventualité. Il considère comme désirable
que vous n'entrepreniez point d'opérations militaires
dans la Southern Nigeria qui vous empêcheraient de
prêter une aide immédiate à la Northern Nigeria en
cas de nécessité.
« Je vous prie de m'informer d'une façon définitive
sur ce que vous avez l'intention de faire, quelle est la
puissance et la composition des forces qui peuvent
vous être opposées, quelles sont celles que vous vous
proposez d'utiliser et quelles sont les réserves dont
vous pouvez disposer pour le cas oii vos opérations ne
seraient pas couronnées d'un succès immédiat et défi-
nitif. »
Le 24 décembre, un nouveau télégramme était
adressé à Sir F. Lugard, l'avisant qu'il devait, avant de
commencer toute action contre Kano, répondre aux
questions qui lui avaient été posées.
Le 23, le Haut Commissaire avait écrit qu'une attaque
entreprise par les indigènes contre Zaria n'avait avorté
qu'à la suite de la mort du sultan de Sokoto. Il avait
donc été nécessaire de renforcer les détachements de
Zaria; mais ces renforts ne pouvaient être maintenus,
car on ne pouvait dégarnir de troupes tout ie Protecto-
rat, il était indispensable de venir à bout de Kano, d'au-
tant que l'on ne pourrait auparavant donner une escorte
à la commission de délimitation. Les forces disponibles
étaient de 1.000 soldats indigènes, 7 maxims, 5 canons,
50 Européens. Des réserves importantes étaient lais-
SIR FREDERIC LUGÂRD ET LE COLONIAL OFFICE 415
sées à Argungu, Kontagora et Zungunru. M. Walace
estimait les forces de rennemi à 4.000 cavaliers, mais
ce nombre devait être exagéré; Témir était impopulaire,
les Hausas seraient partisans des Anglais, et la plupart
des troupes ne combattraient pas.
Le Colonial Office ne se tint pas pour satisfait et
adressa au Haut Commissaire, le l**"^ janvier 1903, le
télégramme suivant :
« Le gouvernement de Sa Majesté, avant d'approuver
les opérations militaires, désire savoir si vous êtes ab-
solument convaincu que les forces dont vous disposez
sont suffisantes pour parer à toute éventualité. Par
mesure de précaution, il a demandé à la Gold Coast, à
Lagos, à la Southern Nigeria, quels secours ils pour-
raient prêter si vos réserves étaient insuffisantes. La
Gold Coast pourra envoyer une compagnie le lende-
main du jour où elle en sera avisée et un canon 75 dix
jours stprès; Lagos, 300 hommes avec équipement comr
plet et porteurs, via Ibadan, au bout de deux jours ; la
Southern Nigeria, 300 hommes avec probablement
deux canons 75. Ces troupes de réserve pourraient être
envoyées à Jebba ou Lokodja ou au point qui vous paraî-
trait convenable au moment du départ de l'expédition,
de façon à être plus aisément disponibles. »
Sir F. Lugard ayant affirmé une fois de plus que ses
forces étaient suffisantes et ayant déclaré qu'il s'était
déjà mis en rapport avec la Southern Nigeria et Lagos
pour « louer » des hommes de réserve, le Colonial
Office insista encore :
« Le gouvernement de Sa Majesté, câbla-t-il le 8 jan-
vier, a pris en sérieuse considération vos communica-
tions au sujet de Kano. Je désire que vous compreniez
416 LA NORTHERN NIGERIA
bien que ceux qui prennent, en Angleterre, le plus
grand intérêt à l'Afrique occidentale sont profondé-
ment convaincus, bien qu'ils approuvent d'une manière
générale la politique suivie dans la Northern Nigeria,
que les opérations militaires doivent être évitées si
c'est possible. Les renseignements que possède le
gouvernement de Sa Majesté ne sont pas aussi com-
plets qu'il l'aurait désiré, mais il admet qu'il est, dans
votre opinion, absolument nécessaire, au point de vue
de la défense et des intérêts des Etats indigènes pro-
tégés, aussi bien que pour la sécurité de la commission
de délimitation, que Kano soit occupé par vous en pré-
vision d'une attaque de Zaria que l'émir se prépare
à faire, que vous avez épuisé tous les moyens d'arri-
ver à une solution pacifique, et que vous considérez
que les forces qui sont à votre disposition sont simple-
ment suffisantes pour votre projet, ainsi que les réser-
vées de troupes qui doivent parer à toute éventualité.
Dans ces circonstances, le gouvernement de Sa Majesté
ne peut refuser son consentement à l'envoi d'une force
expéditionnaire. Si vous êtes amené à penser que les
opérations militaires ne peuvent être conduites avec
les seules troupes du « West African Frontier Force »,
et que d'autres troupes indigènes ou des officiers
anglais sont désirables, vous ne devez pas hésiter à les
demander. »
Comprenant bien qu'il y avait dans toute cette cor-
respondance du Colonial Office des marques de désap-
probation plutôt que d'encouragement. Sir F. Lugard
répondit un peu sèchement à ce télégramme (15 jan-
vier) :
« Prière de me faire savoir si vous désirez que j'ar-
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 417
rête rexpédition qui a commencé à partir. Les rations
seront bientôt consommées par les troupes qui sont
concentrées à Zaria, et je décline toute responsabilité
qui pourrait résulter des circonstances actuelles. D'a-
près toutes les probabilités concevables, il n'y a pas de
doute pour le succès définitif. Ce qui est nécessaire
d'urgence, c'est l'extension des communications, dans
le but d'éviter les troubles ultérieurs, et, au moins,
deux résidents et deux assistants résidents supplémen-
taires pour donner effet à une politique de concilia-
tion. »
Le Secrétaire d'État répondit finalement, le 19 jan-
vier :
« Je ne désire pas que vous arrêtiez la marche de la
force expéditionnaire, mais je pense que la réserve
doit être concentrée dans la Northern Nigeria sans
délai. »
En même temps, il envoyait au Haut Commissaire la
lettre suivante :
« Vous savez que la politique du Gouvernement de
Sa Majesté a toujours été d'éviter si possible toute
rupture avec Sokoto, bien qu'il n'ait point douté que les
mesures que je vous avais autorisé à prendre pour sup-
primer les razzias d'esclaves feraient naître tôt ou tard
un conflit avec le sultan. Il est nécessaire, à la fois
dans l'intérêt de l'humanité et du commerce, que les
razzias d'esclaves par bandes organisées, qui appor-
tent la misère et la dévastation dans le pays, soient
arrêtées par la force et supprimées, autant que cela
vous est possible, à l'aide des troupes qui sont à votre
disposition'; mais le Gouvernement de Sa Majesté ne
désire pas détruire les formes actuelles d'administra-
27
418 LÀ NORTHERN NIGERIA
tion, non plus que gouverner le pays autrement que
par rintermédiaire de ses chefs. Je n'ai pas besoin
d'en dire davantage sur ce sujet, car dans votre pre-
mier rapport annuel vous avez exposé clairement la
politique que vous entendez suivre et qui a reçu pleine
approbation du Gouvernement de Sa Majesté.
« Si la délimitation de la frontière anglo-française
avait pu être retardée, il aurait peut-être été possible
d'attendre que le sultan de Sokoto veuille inaugurer
les relations amicales; mais l'action des Français dans
les sphères anglaises a rendu nécessaire de demander
au gouvernement français d'entreprendre cette déli-
mitation sans retard. Vous avez toujours été d'avis que
le développement du Protectorat devait avoir lieu en
commençant par l'Est, et que l'on devait intervenir
aussi peu que possible auprès du sultan de Sokoto,
étant donné qu'il est le chef des musulmans de la
Nigeria. Vous avez cependant convenu en 1901, lorsque
la question de frontière a été discutée, qu'il était très
important qu'elle fût délimitée, et vous avez déclaré
que vous étiez prêt à envoyer, si c'était nécessaire,
une force à Sokoto. L'attaque de Sokoto n'était pas
désirée, et l'on espérait que si une force suffisante
était envoyée, le sultan n'aurait pas la tentation d'atta-
quer les troupes anglaises.
« Depuis, la situation a été changée par les événe-
ments que vous décrivez dans votre correspondance.
Le Gouvernement de Sa Majesté regrette la nécessité
qui a obligé d'entrer en campagne contre Kano. Il
pense que vous auriez dû le tenir mieux informé des
événements et que vous auriez dû lui permettre de
considérer plutôt, avec la connaissance qu'il a seul de
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 419
la situation générale des autres parties de Tempire,
s'il était nécessaire d'envoyer une expédition à Kano,
et s'il était opportun de le faire actuellement et avec la
force disponible. Mais il admet avec vous qu'étant
donné les circonstances, le parti que vous avez pris
étaii inévitable. Il a votre assurance que vous considé-
rez suffisantes les forces qui sont à votre disposition
pour accomplir le projet que vous poursuivez, et
il espère que les opérations seront couronnées de
succès. »
Devant l'inévitable, le gouvernement anglais avait
fini par approuver l'envoi d'une expédition contre Kano,
mais il considérait que ce n'était qu'une sorte de demi-
mesure qui permettrait de ramener le calme dans une
région où le pouvoir de l'Angleterre ne se faisait pas
sentir, et qu'il ne modifierait cependant pas d'une ma-
nière absolue sa politique traditionnelle dans ces pays.
On considérerait le sultan de Sokoto comme le grand
chef des Etats hausas. Il n'était point question de
porter atteinte à son autorité ni d'agir vis-à-vis de lui
autrement qu'on ne l'avait fait jusque-là.
Dans le public on se rendait compte cependant que
Sir F. Lugard n'était peut-être pas absolument de cet
avis, et l'on en manifesta quelque agitation. On était
très anxieux de voir les dépenses administratives
rester le plus faibles possible dans les territoires dont
il semblait bien que l'on ne pourrait avant longtemps
tirer de ressources compensatrices. Le plus simple
et le plus sage paraissait de n'intervenir que dans la
mesure la plus indispensable. On avait, en outre,
une très haute idée de l'état de civilisation des pays
hausas, et, d'une manière un peu nébuleuse, on croyait
420 LA NORTHERN NIGERIA
qu'il suffirait de donner de sages conseils aux grands
chefs de la Nigeria pour qu'ils administrent admira-
blement leur pays. On s'était habitué à entendre la
Royal Niger Co. parler de ses bonnes relations avec
Sokoto, et à lui voir considérer les traités qu'elle avait
passés avec le sultan comme un instrument suffisant
pour permettre à l'influence de l'Angleterre de s'exer-
cer au mieux de ses intérêts. On fut fort ému* de voir
que Sir F. Lugard considérait, à Tencontre de ce qu'a-
vait assuré la Niger Co., que ces instruments n'avaient
d'autre valeur que de manifester le désir du sultan de
vivre en paix avec l'Angleterre, et qu'il déclarait qu'il
n'y avait plus lieu de continuer le payement des sub-
sides qui en étaient le prix, du moment que cette paix
n'était plus observée. C'est ainsi que le Colonial Office
pouvait écrire au Haut Commissaire^ : « J'ai l'honneur
de vous envoyer copie de trois questions qui ont été
posées récemment à la Chambre des Communes. Ces
questions concernent les traités qui ont été passés
entre la Royal Niger Co. et le sultan de Sokoto, et le
subside à payer au sultan en vertu de ces traités. La
suspension du payement de ce subside a été égale-
ment le sujet de commentaires dans la presse, et l'atti-
tude inamicale du sultan a été attribuée à cette cause;
l'action du gouvernement qui a suspendu ce payement
est considérée comme une violation du traité dont le
sultan a droit d'être mécontent. Je sais que l'attitude
actuelle du sultan peut être attribuée à d'autres mo-
tifs... et que dans beaucoup de cas la déposition d'é-
1. Voir notamment W, A., 3 janvier 1903.
2. Correspondence relating to Kano, P. p., G. d. 1433, u* 10. Lettre du
comte d'Onsiow (pour le Secr. d'Etat) à S. F. Lugard, 2 janvier 1903.
SIR FREDERIC LUGÀRD ET LE COLONIAL OFFICE 421
mirs qui étaient en bons termes avec lui s^ été suffisante
pour exciter son hostilité, en dépit des efforts que
vous avez faits pour établir de bonnes relations avec
lui en le consultant de temps en temps; il n'y a donc
pas de difficulté à expliquer l'attitude actuelle du sul-
tan, et il ne peut être manifestement question de re-
commencer le payement du subside actuellement. Je
possède cependant peu de renseignements sur les cir-
constances qui ont accompagné la première cessation
de payement, et la seule information que j'en aie est
contenue dans le passage suivant d'un de vos rapports :
« Pendant l'année précédente, nous n'avons eu pour
(( ainsi dire aucune relation avec Sokoto, Gando, Kano
<c et Katsem.Une traduction de la proclamation annon-
« çant le transfert a été envoyée à Sokoto, et mon mes-
« sager a été indignement traité. Le subside annuel
« payable à ces chefs, d'après le traité passé avec la
« Niger Go., est dû, je crois, depuis le 1" janvier 1901,
« Il n'a pas encore été payé, et, étant donnée l'attitude
« inamicale de ces émirs, j'hésite à continuer son
« payement. D'après ce que j'ai compris, Sir G. Goldie
« aurait dit que, si la Compagnie avait continué son
« administration, le subside n'aurait plus été acquitté. »
Je serais heureux de recevoir de vous une dépêche
expliquant quel parti vous avez pris au sujet des sub-
sides que payait la Compagnie du Niger et me donnant
des détails particuliers sur les circonstances qui vous
ont amené à suspendre le payement des subsides du
sultan de Sokoto. Je serais heureux aussi de recevoir
les textes des correspondances qui ont été engagées
entre vous et le sultan de Sokoto, afin d'être en posi-
tion de pouvoir répondre aux questions qui pourraient
422 LA. NORTHERN NIGERIA
m'être posées au Parlement sur la nature des relations
du gouvernement anglais avec lui. »
- Nous devons prendre la liberté de rapporter ici,
comme très symptomatique de Tétat d'esprit dont parle
cette lettre^' un incident auquel nous fûmes un peu mêlé.
Nous nous trouvions à Liverpool, de retour d'Afrique
occidentale, au moment où Ton venait d'apprendre que
les trouples aiiglaises se dirigeaient vers Sokoto. Le
succès remporté à Kano avait montré que la conquête
de la Nigeria n'était peut-être pas aussi difficile qu'on
l'avait pensé tout d'abord, et, beaucoup d'impérialisme
aidant, on se demandait si Ton ne devait pas, malgré
tout, approuver la politique de Lugard. La Chambre de
commerce de Manchester, qui a toujours été beaucoup
plus pacifique que sa puissante voisine, restait irréduc-
tible, et ses membres assuraient que Ton devait rappe-
ler le Haut Commissaire.
Nous eûmes la bonne fortune d'assister alors, chez
Sir Alfred Jones, à des réunions des principaux com-
merçants et industriels du Lancashire intéressés à
l'Afrique occidentale, réunions au cours desquelles fut
fondée la « British Gotton Graving Association ». Nous
devons avouer que nous ne pûmes nous empêcher de
leur faire remarquer qu'ils manquaient de logique. Ils
étaient d'avis que l'Angleterre devait rétablir la paix
dans ces pays de la Nigeria qui étaient ravagés par les
grands chefs, chasseurs d'esclaves; il était difficile de
concevoir comment elle pourrait y parvenir sans battre
en brèche l'autorité de ces chefs, et c'était bien peu les
connaître que de supposer que ceux-ci se laisseraient
faire sans résistance. Pour notre part, nous ne pou-
SIR FREDERIC LUGA.RD ET LE COLONIAL OFFICE 423
viens qu'admirer la façon dont Kano avait été occupé
pour ainsi dire sans effusion de sang, et la prise de
Sokoto m'en apparaissait comme la conséquence tout
au moins logique. Sir Alfred Jones, qui, à ce moment,
incarnait bien, peut-on dire, l'opinion de LiVerpool,
déclara que, après tout, ce serait unbusinesslike que de
s'arrêter et qu'il fallait signifier à Manchester de cesser
son opposition. Séance tenante il envoya à Sir F. Lu-
gard un de ces télégrammes' dont il était coutumier
dans les grandes circonstances : « Mes plus sincères
félicitations pour le succès de l'expédition de Kano.
Les razzias d'esclaves doivent être arrêtées à tout prix.
Vous avez fait un grand pas dans ce sens et pour l'ou-
verture au commerce de l'Afrique centrale. »
Le succès des troupes anglaises devait être aussi
complet à Sokoto qu'il l'avait été à Kano et justifiait
toutes les prévisions de Sir F. Lugard. Il semble bien,
du reste, que, dès le début de son administration, le
Haut Commissaire ait conçu le dessein d'exiger la sou-
mission des grands chefs. L'exécution des différentes
campagnes que nous venons de résumer ne fut que la
réalisation d'un plan conçu d'avance, probablement au
temps où le fondateur de la Northern Nigeria était
au service de la Royal Niger Co. Il s'en est expliqué du
reste très ouvertement', et il nous faut reproduire ses
déclarations, car elles sont du plus haut intérêt pour
expliquer sa politique.
« Le mauvais gouvernement des Fulanis, écrit-il
11 « Heartiest congralulations success Kano expédition. Slave raiding
must he dropped at any cosL Y^oa hâve done a great dealin êhis direction
and towards opening iip Central Africa for trade, u
2. Northern Nigeria report for 190Z P- p- G. d. ly'iS, 14, p. 24.
424 LA NORTHERN NIGERIA
dans son rapport de 1902, les a rendus odieux à la
masse de la population, qui se réjouirait de leur chute.
Les Fulanis tenaient leurs droits de suzeraineté de la
conquête, et je ne vois aucune injustice à ce que cette
suzeraineté soit transmise au gouvernement anglais
également par droit de conquête. Cette suzeraineté
entraîne le domaine éminent sur toutes les terres, le
droit de nommer les émirs et tous les fonctionnaires,
le droit de législation et de perception des impôts. J'ai
expliqué à chacun des émirs que j'ai installés à Sokoto,
Kano, Zaria et Katsem, que ce qu'ils avaient gagné par
conquête^ ils Font perdu par la défaite. Ils ont semblé
accepter cette déclaration comme un truisme incontes-
table et être très heureux d'apprendre que le gouver-
nement voulait bien les considérer comme des chefs
vassaux avec leurs prérogatives... Le cas de ces conqué-
rants étrangers est tout à fait différent de celui des
anciens chefs qui gouvernent les peuples de leur race
depuis de longs siècles, comme les chefs du Yoruba,
qui sont de la même race que leurs sujets et qui ont un
système bien établi de propriété foncière commune...
La conquête a été faite par l'Angleterre sans presque
qu'il ait été répandu de sang. Le peuple a fêté notre
avènement. La tradition de l'Angleterre a cependant
toujours été, dans mon opinion, d'empêcher la désin-
tégration des races et de rétablir ce qu'il y a de
meilleur dans l'organisation sociale et politique des
dynasties conquises, de développer suivant leur indi-
vidualité propre chacune des races qui composent notre
grand empire. Telle a été notre politique aux Indes,
et la Northern Nigeria, bien que n'ayant qu'un tiers
de la dimension de notre grande dépendance de l'Est
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 425
et de nombreux siècles de moins, me parait présenter
de grandes analogies avec elle. Je pense que l'avenir
des races vigoureuses de ce Protectorat repose princi-
palement sur la régénération des Fulanis. Leur cérémo-
nial, leur peau colorée, leur mode de vie et leur façon
de penser frappe davantage les populations indigènes
que ne pourront jamais le faire les habitudes prosaï-
ques et affairées [businessliké) des Anglo-Saxons. Nous
n'avons pas les moyens actuellement d'administrer une
contrée aussi vaste. La politique que je me propose de
suivre dans l'administration de la Northern Nigeria est
de régénérer cette race valeureuse, de lui inculquer
des idées de justice et de pitié, de façon que, dans une
génération à venir, sinon dans celle-ci, elle puisse de-
venir un instrument précieux d'administration. Les
Fulanis sont incapables actuellement d'exercer le pou-
voir sans contrôle; mais j'espère que, soigneusement
guidés, leurs fils et leurs petits-fils seront des chefs
précieux sous la surveillance de l'Angleterre, et que
leur intelligence supérieure sera d'une valeur pré-
cieuse pour leur administration. »
Devant la rapidité et la facilité avec laquelle le Haut
Commissaire avait réalisé cette conquête, sans effusion
de sang, peut-on dire, on avait bien été obligé de re-
connaître qu'il avait eu raison d'agir comme il l'avaijt
fait. Le cabinet libéral, fidèle à la politique de pacifica-
tion qu'il veut imposer dans tout l'Empire, n'en a pas
moins continué à s'opposer aux manifestations mili-
taires dont le besoin pouvait plus ou moins se faire
sentir dans l'Afrique centrale anglaise, et une corres-
pondance publiée par le gouvernement anglais^ montre
1. Correspondence relaling to affairs in Sokoto, Munshi and Hadeija.
f
426 LA NORTHERN NIGERIA
comment, au cours des incidents qui ont signalé l'an-
née 1906 et les premiers mois de 1907, un désaccord
profond n'a cessé d'exister entre le Colonial Office et
son représentant dans la Nigeria, jusqu'au moment où
celui-ci s'est retiré.
« »
Au commencement de 1906, les télégrammes suivants
arrivaient coup sur coup au Colonial Office, envoyés
par Sir Frédéric Lugard.
3 janvier : « La tribu Munshi a détruit le dépôt de la
Royal Niger Company. La navigation de la Benué est
arrêtée. Je fais des préparatifs pouf une forte expédi*
tion militaire. »
16 février : « Regrette d'annoncer qu'un mahdi s'est
levé près de Sokoto. 11 a complètement défait une com-
pagnie d'infanterie montée, le 14 février, et pris une
maxim; Hillary, Scott, Klakwoodseraient tués, mais non
confirmé; docteur Ellis gravement blessé... L'émir de
Sokoto probablement fidèle, Gando probablement hos-
tile. Situation des affaires me donne des causes suffi-
santes d'anxiété. »
18 février : « L'attitude d'une partie des indigènes
d'Hadeijaa été constamment menaçante, ajoutant consi-
dérablement à l'anxiété que causent les présentes diffi-
cultés; considère nécessaire de mettre un terme à ces
menaces en arrêtant les leaders. Je suis incertain de
l'attitude que prendra l'émir; il sera nécessaire d'avoir
une forte force sur les lieux avec un officier supérieur.
Demande que l'on approuve mes propositions pour
éviter d'être ainsi constamment menacé . »
SIR FREDERIC L17GARD ET LB COLONIAL OFFICE 427
Depuis longtemps des motifs de querelle existaient
entre les indigènes de la tribu locale des Jukum à
Abinsi et les commerçants haoussas qui résidaient
dans ce village.
Au moment où l'incident éclata, l'adjoint au résident
d'Ibi était parti pour Abinsi pour tâcher d'y ramener
le calme, mais il arriva trop tard.
Une contestation étant survenue entre une femme
haoussa et un homme jukum, il fut décidé qu'elle
serait réglée .par une épreuve au moyen d'une poule,
qui donna tort à la femme. Celle-ci refusa d'accepter la
sentence et de donner son gage; l'homme essaya de
s'emparer, à la place, de son enfant; elle voulut le dé-
fendre, et l'homme la tua. Le chef jukum ordonna de
l'arrêter, dans le but de le traduire devant le tribunal
de province, mais les Jukums refusèrent de lui obéir;
les Haoussas essayèrent d'effectuer l'arrestation, et un
combat s'ensuivit. Les Haoussas se réfugièrent dans la
factorerie de la Niger Go., et les Jukums eurent pen-
dant un instant le dessous. Un Jukum blessé alla cher-
cher du secours dans les villages munshis voisins.
Les Haoussas furent débordés par le nombre, environ
50 furent tués, et 50 autres noyés dans la rivière en
essayant de se sauver. Une trentaine furent amenés en
captivité. Parmi les tués fut la femme de l'agent noir
de la Compagnie. Le lendemain, après une vive discus-
sion, il fut décidé que la factorerie serait détruite et
pillée.
En apprenant la chose. Sir Frédéric Lugard écrivit
au Secrétaire d'État que les tribus de cette région
étaient dans un état de trouble permanent et sem-
blaient se préparer depuis longtemps à se soulever.
428 LA NORTHBRN NIGERIA
Un commerce continuel de captifs, d'armes et de spi-
ritueux, dont l'importation est défendue dans la Nor-
thern Nigeria, avait lieu avec les territoires du Sud, et
les Okpotos étaient tout prêts à s'unir aux Munshis pour
résister aux Anglais. Le Haut Commissaire était d'avis
de faire traverser par une forte expédition le pays et de
l'occuper sérieusement.
La circulation sur la Bénué devenait impossible, et
il était urgent d'y remédier.
Une colonne composée de 45 officiers. ou sous-offi-
ciers européens, 633 hommes d'infanterie indigène, 2
canons, 4 maxims et 950 porteurs était mise en mou-
vement*.
Nous verrons comment Lord Elgin limita les opéra-
tions de cette troupe à la punition des seuls indigènes
qui avaient participé à l'affaire d'Abinsi. Le village fut
brûlé; 118 captifs, sur 163 qui avaient été pris, rendus
à la liberté ou à leurs anciens maîtres, et, la colonne
ayant dû être dirigée au secours de Sokoto, l'afifaire en
resta là.
On se rappelle comment, au début de 1906, deux mi-
liciens ayant été tués près du poste français de Dosso,
dans le Djerma, une colonne de 50 gardes de police
enleva le village de Kobi Kitandi ; mais le lieutenant
Tailleur fut tué dans l'action. Peu après, une insurrec-
tion éclatait sur le Niger, au-dessous de Zinder, et le
lieutenant Fabre était assassiné tandis qu'il passait en
pirogue sur le fleuve.
On pensa tout d'abord que c'était un contre-coup des
incidents du Maroc, mais on a su depuis que ce mou-
1. Ce qui fait un Européen pour 14 hommes. La difTérence est grande
avec les contingents de nos colonnes et toute à l'honneur de nos officiers.
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 429
vement devait être attribué à un nommé Dan Makafo,
qui se posait en mahdi.
En février 1904, un autre madhi se levait dans le vil-
lage de Satiru, aux environs de Sokoto. Il fut arrêté
par Tordre du résident, M. Burdon, et mourut avant
son jugement devant le tribunal indigène. Ses fidèles
furent relâchés sous serment de cesser toute agitation.
Parmi eux se trouvait son fils, qu'il proclama « Annabi
Isa», le prophète Jésus.
Cet Annabi Isa prit comme second Dtan Makafo qui,
des territoires français, était passé chez les Anglais par
Birnin Kebbi, et à Gando, où il avait recueilli des par- ,
tisans.
Satiru devint leur centre d'action.
Le résident de Sokoto, M. Burdon, devant prendre
son congé annuel, il semble que Ton attendit qu'il eût
quitté Sokoto, et dès le lendemain de son départ les
rebelles partaient de Satiru.
Le résident adjoint, M. Hillary, envoyait aussitôt un
de ses assistants, M. Yertue, et le lieutenant Esmonde
avec 24 hommes de police, à la suite de M. Burdon,
pour le protéger en cas d'attaque, et partait lui-môme,
le 14 février, au-devant des rebelles.
Il était accompagné de M. Scott, son adjoint, et avait
pris comme escorte 69 soldats indigènes d'infanterie
montée, sous le commandement du lieutenant Blackwood
et du sergent européen Gosling assisté du docteur EUis.
Le détachement emmenait une maxim confiée à deux
hommes et un caporal, mais cette mitrailleuse, partie
en retard, ne put rejoindre la colonne et ne prit pas
part à l'action.
Vers sept heures du matin, M. Hillary arriva en vue
430 LA NORTHERN NIGERIA
de Satiru. Un rassemblement fut efTectué ; Tavant-garde,
que commandait le sergent Gosling, était rappelée, et
la troupe fit halte, probablement pour attendre l'arrivée
de la mitrailleuse. MM. Hillary et Scott partirent en
avant, accompagnés simplement de leurs interprètes et
d'un agent du sultan de Sokoto ; ils découvrirent les
rebelles, dans un bas-fond, au nombre d'environ 2.500,
groupés sur une ou deux lignes de front : leur troupe
était composée de gens à pied, quelques-uns armés
d'arcs et de flèches, mais la plupart de pioches, de
haches et d'autres outils agricoles : ils étaient com-
mandés par 5 cavaliers.
Lorsque le résident arriva à portée de voix, il essaya
de faire comprendre qu'il n'était pas venu dans le but
de combattre, mais de s'expliquer; l'ennemi, sans res-
pecter cette allure de parlementaire, se mit aussitôt en
mouvement.
Lorsqu'il avait vu le résident s'avancer, d'une ma-
nière qui lui parut imprudente, le lieutenant Blackwood
partit à sa suite au galop avec l'infanterie montée, et il
rattrapa M. Scott resté un peu en arrière. Mais il était
trop tard, et la petite troupe fut prise et débordée par
les indigènes. MM. Hilary, Blackvood et Scott furent
tués. Seul le sergent Gosling put rejoindre le docteur
avec 5 hommes qu'il avait ralliés, et, voyant que tous
les autres blancs avaient été tués, ils jugèrent que le
mieux était d'essayer de retourner au fort, ce qu'ils
parvinrent à faire sans être autrement inquiétés.
Un sous-officier européen, le sergent Slack, avait été
laissé à Sokoto. En apprenant le désastre, il organisa
la défense, demanda secours à l'émir de Sokoto et
partit au-devant des survivants.
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 431
Le sultan dépécha aussitôt un messager à Jegga, ou
se trouvait un détachement d'infanterie, pour annoncer
le désastre en disant qu'un nouveau mahdi s'était levé
et que la compagnie d'infanterie montée avait été anni-
hilée; le major Burdon fut rejoint et revint organiser
la défense du poste.
La situation alors ne paraissait pas brillante. Les sur*
vivants de Tinfanterie montée étaient trop effrayés pour
aller de nouveau à l'ennemi ; la police n'avait jamais été
mise à l'épreuve et pouvait difficilement compter comme
une force de combat, et la pièce de canon du fort ne
pouvait être utilisée sans escorte.
Il semble bien, du reste on Ta su depuis, que l'arme-
ment des hommes ait été des plus défectueux, et cela
a été peut-être la véritable cause du désastre.
Le marafa, le chef de guerre de Sokoto, désirait aller
attaquer les rebelles, et, quelque fût l'effet fâcheux que
pouvait produire pour le prestige anglais un succès
remporté par des indigènes sur une bande qui avait
défait des troupes commandées par des Européens, il
parut au major Burdon que le pire était de laisser s'ac-
croître la force des rebelles.
Le marafa et les chefs de Sokoto et des environs
attaquèrent donc Satiru le matin du 17 avec environ
3.000 hommes montés ou non.
Le marafa avait demandé qu'un Européen l'accompa-
gnât, pour qu'il ne parut pas faire une expédition per-
sonnelle; cet Européen ne prit pas part à l'action.
Les guerriers du marafa et ceux du chef de Yabo
entrèrent dans le village et paraissaient devoir l'empor-
ter lorsque le reste de la troupe les abandonna,, et ils
ne purent s'échapper eux-mêmes que grâce au dévoue-
432 LA NORTHERN NIGERIA
ment des deux tirailleurs Moma Wurrikin et Moma
Zaria, qui avaient accompagné M. Vertue et qui recom-
mencèrent leurs exploits de l'avant-veille.
Il semble que la débâcle fut causée par le fait quç le
marafa qui commandait en chef avait été perdu de vue
du gros de la troupe, qui le crut tué, ou bien peut-être
à une trahison de la « talakawa » (basse classe).
Le major Burdon ordonna donc d'attendre de nou-
veaux renforts, et il se borna à autoriser les chefs
indigènes à entourer Satiru et à organiser une ligne
de défense entre le camp des rebelles et Sokoto.
Bien que le premier poste télégraphique fût éloigné
alors de Sokoto de 150 kilomètres, le général Lugard
apprit la nouvelle du désastre trente-six heures après.
La plus grande partie des forces du Protectorat étant
engagées contre les Munshis, le Haut Commissaire de-
manda du secours à Lagos et envoya à Sokoto toute la
garnison disponible de Zungeru, 75 tirailleurs; autant
partirent de Kantagoro, et cette troupe arriva, sous le
commandement du major Goodwin, à Sokoto le !•' mars,
ayant fait 362 kilomètres en huit jours et demi.
Un second détachement, fort de 100 hommes, fut
envoyé de Lokodja et arriva le 10 mars. Le 4 étaient
arrivés 200 hommes de Tinfanterie montée de Kano
avec 11 Européens.
Le 10 mars, le major Goodwin, avec 517 soldats et
30 Européens, s'avança contre Satiru, qui fut pris à la
pointe de la baïonnette. Les rebelles, qui combattirent
avec la plus grande bravoure, furent cependant anéan-
tis avec leurs chefs.
Pendant que ces incidents se déroulaient, une vive
agitation se faisait sentir au nord-ëst de Kano, où elle
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 433
avait pour centre Hadeija, et dans le Bauchiy aux envi-
rons de Burmi.
Dans le Bauchi, un mallam avait commencé à prê-
cher l'extermination des infidèles et déclarait qu'il était
le précurseur du vrai mahdi qui allait arriver dans un
mois. Le résident ne lui laissa pas le temps d'agir et le
fit prisonnier. Un second apparut aussitôt après et prê-
cha la révolte parmi les soldats du poste. Il fut aussitôt
saisi, et l'émir de Bauchi et son Conseil le condamnè-
rent à mort; il fut pendu. Le principal agitateur, ce-
pendant, ne put être pris. Une compagnie fut envoyée
par le général Lugard renforcer celle de Nafada, et
l'affaire n'eut pas, pour le moment, de suite.
A Hadeija, la situation fut plus grave.
Depuis l'occupation, cette ville était restée le centre
de l'agitation religieuse du Katagun, et, quoique l'émir
parût assez bien disposé pour les Anglais, tout son en-
tourage restait nettement hostile. Lorsque le désastre
de Sokoto fut connu, les chefs projetèrent une attaque
de nuit contre le fort. Un tirailleur fut même tué pen-
dant des querelles préliminaires.
Le général Lugard, considérant que, si le mouvement
mahdiste du Bauchi se développait, il serait fâcheux
de ne pouvoir disposer des 250 hommes composant
la garnison de Hadeija, envoya dans cette ville le com-
mandant en chef des troupes de la Nigeria, le colo-
nel Lowry-Cole, qui avait été rappelé d'Angleterre,
et, sous son commandement, une force composée de
22 officiers et 9 sous-officiers européens, 33 hommes
d'artillerie et 2 canons à tir rapide de 2 p. 95, 186 hom-
mes d'infanterie montée avec 1 maxim, et 468 hommes
d'infanterie avec 2 maxims.
28
434 LA NORTHERN NIGERIA
L'émir fut sommé de remettre aux mains des Anglais
les principaux agitateurs; il fut en outre avisé que s'il
craignait pour sa vie dans le cas où il ferait exécuter
cet ordre, il pourrait être envoyé sous escorte à Ka-
tagun et réinstallé à Hadeija lorsque tout aurait été
réglé.
Ces propositions furent repoussées, et après un vio-
lent combat, qui dura une heure et demie par 46 degrés
de chaleur à l'ombre, la ville fut prise. L'émir, ses fils
et les chefs visés dans l'ultimatum furent tués dans
Faction.
Entre temps, Sir Frédéric Lugard avait déposé l'é-
mir de Gando, qui avait promis assistance aux rebelles
de Satiru et qui avait toujours été hostile aux Anglais.
Grâce aux précautions prises, la chose se passa sans
incident.
Au reçu du câblogramme du 3 janvier dans lequel
Sir F. Lugard annonçait l'incident d'Abinsi et faisait
connaître qu'il allait envoyer une forte expédition
contre les Munshis, on s'émut fort à Londres. Allait-on
voir rouvrir l'ère des expéditions? Le fait qu'un dépôt
de la Niger Co. avait été détruit et que la navigalîon
sur la Bénué était arrêtée par les rebelles, nécessitait
cependant que des mesures quelconques fussent pri-
ses, et ce ne fut que quinze jours plus tard que le
Secrétaire d'Etat, assez embarrassé, envoya le télé-
gramme suivant :
« Suis anxieux de connaître quelle sera l'étendue
probable du pays qui sera couverte par les opérations
militaires proposées et la force du corps employé. »
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 435
Le 19, le Haut Commissaire répondait d'une manière
un peu nerveuse :
« Le pays munshi s'étend au sud de la Bénué de la
longitude 8, un peu au-dessous de la longitude 10 avec
une petite région au nord de la Bénué. Pas d'infor-
mation actuellement sur la région incriminée. Force
du corps, 26 officiers, 640 hommes de troupe. Voyez
ma lettre envoyée par dernier courrier. »
Après une semaine probablement passée en discus-
sions entre les partisans de la manière forte et ceux
de la persuasion pacifique, lord Elgin câbla :
« 27 janvier. — Je ne suis pas préparé à approuver
l'envoi d'une forte expédition sans de nouvelles infor-
mations sur le but poursuivi. S'il ne peut être expliqué
par télégramme, la marche en avant doit être limitée
à ce qui sera nécessaire pour ouvrir la navigation sur
la Bénué et protéger les propriétés, mais ne doit pas
être poussée plus loin sans mon approbation. »
L'expédition était déjà partie lorsque ce télégramme
arriva, et Sir F. Lugard y répondit ainsi :
« Les Munshîs ont brûlé jusqu'au sol le magasin
de la Compagnie du Niger en pillant tout. D'après les
derniers rapports, 600 corps gisent à Abinsi; le nombre
des noyés et des captifs inconnu. Un chef important
des Munshis a fait déclaration d'amitié, offrant ses ser-
vices. Propose de poursuivre les coupables, infliger
punition, recouvrer les objets pris, captifs, et ensuite
traverser le pays munshi. Si cela n'est pas fait, ils peu-
vent se soulever partout et rendre la navigation sur la
Bénué non sûre. Les Allemands se servent de cette
route. La force est très suffisante dans tous les cas. Il
me semble que c'est une opportunité très favorable
436 LA NORTHERN NIGERIA
pour régler la question une fois pour toutes. Il y a
toute raison de craindre qu^à moins qu'une action éner-
gique ne soit tentée immédiatement, les munshis de la
rive droite ainsi que les Okpotos ne se soulèvent. Beau-
coup de regrets si j'ai excédé l'action légitime. Comme
je n'ai pas reçu de nouvelles instructions de votre part,
j'ai supposé que l'action proposée par mon télégramme
du 3 janvier était approuvée. Je vous demande de m'in-
former immédiatement si vous m'ordonnez d'arrêter
l'expédition. »
Et le Secrétaire d'État répondit :
« 2 février : Je n'ordonne pas de rappeler l'expédi-
tion, mais il est très désirable qu'elle ne soit pas pous-
sée plus loin que l'objet immédiat poursuivi ne le rend
nécessaire. »
Nous avons vu comment l'agitation musulmane dans
le Nord était venue tout aussitôt s'ajouter à celle des
tribus fétichistes et justifier les craintes du Haut Com-
missaire.
Le 11 septembre 1906, Sir F. Lugard, ayant terminé
la période de six ans pour laquelle il avait été nommé
titulaire du poste de gouverneur de la Northern Nige-
ria, manifesta le désir de ne pas être maintenu plus
longtemps dans ce poste.
11 est bien probable que s'il n'avait pris cette déci-
sion, les Munshis lui auraient donné de nouvelles
causes de désaccord avec le Colonial Office.
La Niger Co. manifestait, en effet, pour la première
fois depuis son rachat, dans son rapport annuel à ses
actionnaires, ses inquiétudes au sujet de l'état politique
de la Nigeria, et elle écrivait le 23 octobre au Secrétaire
SIR FREDERIC LUGÂRD ET LE COLONIAL OFFICE 437
d'État pour lui signaler « Tétat non satisfaisant », au
point de vue commercial et politique, de la situation
dans le pays munshi. Elle demandait que, si le gouver«
nement de Sa Majesté trouvait « non désirable » d'en-
voyer une force armée traverser et occuper ce pays, il
permît qu'un premier pas fût fait par les commerçants
eux-mêmes avec l'aide du gouvernement. Dans ce but,
un poste fortifié et pourvu d'une solide garnison pour-
rait être établi à Katsena, et la Niger Co. autorisée à y
installer un comptoir dont les opérations rayonneraient
dans les environs.
■s.
Lord Elgin demanda conseil à Sir Fr. Lugard en lui
écrivant, dans sa résidence d'Abinger où il se reposait
depuis sa « résignation », que comme la région trou-
blée se trouvait dans la Basse-Benoué, il paraissait dif-
ficile d'autoriser la création d'un poste dans le Haut. Ce
serait, tôt ou tard, rendre inévitable l'expédition que
l'on voulait éviter.
Et Sir F. Lugard ne put qu'une fois de plus préco-
niser sa méthode :
« C'est un fait, écrivait-il le 26 novembre, que ces
vigoureuses et laborieuses tribus semblent, comme
presque tous les Africains, être incapables de rester
en paix tant qu'elles n'ont pas apprécié la force du
gouvernement et la dévastation que peut infliger le
maxim. Bien qu'elles paraissent, pour un temps, ani-
mées de dispositions amicales, la moindre difficulté
momentanée suffit à dissiper leur amitié et à causer
un soulèvement, car elles considèrent que la crainte est
la seule raison possible pour notre indulgence. Avec
Tces truculents sauvages qui se jugent invincibles et
supérieurs aux Européens, une longue expérience m'a
438 LA NORTHERN NIGERIA
montré qu'une forte démonstration faite dès le début
était ce qui occasionnait la plus petite effusion de
sang... Lord Elgin ne peut désirer plus que je ne le
fais qu'il soit possible d'ouvrir le haut pays unique-
ment avec des méthodes pacifiques, mais je n'en suis
pas moins obligé de reconnaître que l'expérience me
force de dire le contraire et qu'il y a plus de chance
d'arriver à une solution définitive avec moins de
sang versé, en faisant tout d'abord parcourir une telle
contrée avec des troupes et en les y laissant quelque
temps. »
En même temps parvenait au Colonial Office une
lettre de M. Wallace, le gouverneur intérimaire, qui
déclarait absolument nécessaire qu'une action vigou-
reuse fût effectuée contre les Okpotos, qui, depuis qu'ils
avaient vu rappeler l'expédition qui avait été dirigée
contre eux, devenaient de plus en plus arrogants et
menaçaient la paix de toute la région.
Lord Elgin jugea enfin qu'il devenait impossible de
ne pas intervenir d'une manière ou d'une autre, et, le
4 janvier 1907, il écrivait à M. Wallace « qu'il désirait
qu'il ne fût toléré aucune agression de la part des
indigènes, mais que l'on devait s'abstenir de toute action
pouvant être considérée comme une attaque ou don-
ner aux indigènes des motifs de mécontentement ». Il
autorisait l'établissement d'un poste à Katsena, mais
non la campagne qu'on lui proposait de faire contre
les Okpotos et les Munshis.
De simples patrouilles furent donc effectuées chez
les Okpotos par une force de 146 hommes divisée en
petites colonnes, qui créèrent sans combats une série
de petits postes pour assurer la libre circulation du
SIR FREDERIC LUGARD ET LE COLONIAL OFFICE 439
commerce. Une garnison de 58 hommes fut établie à
Katsena Allah.
Sir Frédéric Lugard, las probablement de l'opposi-
tion qu'il trouvait au sein du Colonial Office, demanda
à être relevé de ses fonctions et fut nommé à Hong-
Kong.
En lui désignant comme successeur Sir P. Girouard,
le Colonial Office sembla marquer son désir de ne con-
sidérer son représentant dans les États du Niger que
comme un administrateur. Sir P. Girouard était célèbre
par la manière dont il avait créé le chemin de fer du
Soudan égyptien et organisé le service des transports
pendant la guerre de l'Afrique du Sud. Il semble bien
que ce fut surtout comme constructeur de chemins de
fer qu'il fut envoyé à la Nigeria et à l'encontre des
projets de son prédécesseur.
Sir Frédéric avait soutenu, en effet, la plus acharnée
des polémiques contre les ingénieurs-conseils du Colo-
nial Office, en déclarant qu'il fallait se borner à établir
tout d'abord un tramway à voie étroite et légère, du
Niger à Kano, avec les propres ressources du Protec-
torat, comme il avait commencé à le faire.
Quoi qu'il en soit, Sir P. Girouard était un homme
d'une trop haute valeur pour ne pas apprécier à son
juste mérite l'œuvre du créateur de la Nigeria, et
celle-ci avait été assez solidement établie pour qu'il
n'eût plus qu'à continuer la même politique. Ses
successeurs n'ont, jusqu'à présent, cessé d'agir de
même.
Peu à peu, par toute une série de mesures dont l'his-
toire serait presque impossible à faire, parce qu'elles
sont le résultat d'une action ininterrompue, l'influence
440
LA NORTHERN NIGERIA
anglaise s'est établie dans les territoires de la Nigeria,
et Torganisation administrative, dont il nous reste à
esquisser les grandes lignes telles qu'elles ont été pré-
cisées par Sir F. Lugard, a su jusqu'ici faire collaborer
les indigènes à l'œuvre poursuivie par l'Angleterre
dans leur pays.
CHAPITRE XXIX
LA NORTHERN NIGERIA
L'organisation administrative et judiciaire.
La situation des personnes.
Le régime foncier.
L'étude de la législation de la Northern Nigeria est
fort simple, en ce sens que cette législation a été ins-
tituée de toutes pièces, sous la surveillance d'une
même personne, Sir F. Lugard, et suivant sa propre
initiative. Elle est fort intéressante aussi parce qu'elle
permet de se rendre compte du mécanisme de la créa-
tion d'une colonie.
Le premier acte public de la nouvelle colonie fut
l'Order in Council qui l'institua le 27 décembre 1899.
Cet ordre expliquait comment la National African
Company, puis la Royal Niger Company, chartered
and limited, avait acquis à l'Angleterre des droits sur
un certain nombre de territoires de l'Afrique occiden-
tale, comment la charte avait été révoquée ; il est im-
portant d'en reproduire les dispositions principales,
parce qu'elles montrent comment, à l'inverse de ce qui
s'est produit dans les autres colonies de l'Afrique occi-
dentale, l'Angleterre s'est attribué le droit de gouver-
ner entièrement les indigènes, dont les chefs naturels
n'ont à intervenir que comme délégués du gouverneur.
Ce droit, non seulement comprenait l'autorité sur
442 LA NORTHERN NIGERIA.
les personnes, mais englobait le domaine éminent du
sol, et ainsi, par le seul fait de rétablissement du pou-
voir anglais, comme il en a été pour nos colonies fran-
çaises, s'est trouvé institué d'un seul coup, et du seul
fait de la conquête, le statut du gouvernement conqué-
rant, sans qu'il ait dû, comme nous l'avons vu dans les
pages précédentes, être arraché par lambeaux à la cons-
titution indigène.
« Attendu qu'il est nécessaire de prendre des me-
sures pour assurer la paix, l'ordre et le bon gouverne-
ment de ces territoires et de nommer un High Commis-
sioner pour lesdits territoires.
« Maintenant donc que Sa Majesté, en vertu et dans
l'exercice des pouvoirs qui sont attribués à Sa Majesté
par « The Foreign Jurisdiction Act 1890 » ou autre-
ment, veut bien, d'après et avec l'avis de son conseil
privé, ordonner; et il est ordonné ainsi qu'il suit :
« 1° Cet ordre sera cité comme the Northern Nigeria
Order in Council 1899;
« 2** Les limites de cet ordre sont les territoires qui
ont en Afrique pour frontières la ligne suivante (suit
l'énoncé des délimitations); ces territoires seront con-
nus comme Northern Nigeria ;
« 3^ Sa Majesté peut nommer un Haut Commissaire
pour la Northern Nigeria, et ce commissaire pourra
prendre ^toutes les mesures qu'il sera convenable dans
l'intérêt du service de Sa Majesté, en conformité avec
les instructions qu'il pourra recevoir de Sa Majesté ou
par l'intermédiaire de son Secrétaire d'État...
« 4** Le Haut Commissaire pourra, avec l'approbation
du Secrétaire d'État, nommer comme fonctionnaire
toute personne qu'il lui paraîtra convenable. Il pourra
L^ORGANISATION ADMINISTRATIVE BT JUDICIAIRE 443
de même la révoquer avec rapprobation du Secrétaire
d'État...
a 5** Dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés,
le Haut Commissaire peut, entre autres choses, dispo-
ser, à l'aide de proclamations, au sujet de l'administra-
tion de la justice, de la perception des impôts [revenue)
et généralement de la paix, de Tordre et du bon gou-
vernement de la Northern Nigeria et de toutes les per-
sonnes qui l'habitent. Il peut prohiber les actes qui
tendent à troubler la paix publique.
« Le Haut Commissaire devra, dans ses proclama-
tions, respecter toutes les lois indigènes qui règlent
les rapports civils [civil relations) des indigènes et des
chefs, des populations qui sont sous la protection de
Sa Majesté, en tant que ces lois ne seront pas incom-
patibles avec l'exercice légitime des pouvoirs de Sa
Majesté ou manifestement contraires au bien-être de
ces indigènes.
« 6** Chaque proclamation devra être publiée dans la
Gazette.
« 7* Sa Majesté pourra rapporter en tout ou en partie
ces proclamations par des Orders in Council ou par
l'intermédiaire du Secrétaire d'État. Notification en
devra être faite par le Haut Commissaire...
« 8" Le Haut Commissaire pourra exercer le droit de
pardon au nom de Sa Majesté...
9** Tous les ordres, règlements ou traités, qui sont
régulièrement en vigueur dans les territoires de la
Northern Nigeria en vertu des décisions de Sa Majesté,
ou d'une commission, ou d'une charte octroyée par
elle, resteront en vigueur...
<K En cas de mort, absence ou incapacité du Haut Com*
__^j
444 LA NORTHERN NIGERIA.
missaire, ses pouvoirs seront exercés par toute autre
personne qui sera désignée par Sa Majesté ou, à son
défaut, par le plus ancien officier commandant la West
African Frontier Force dans la Northern Nigeria... »
La première proclamation, qui fut publiée par Sir
F. Lugard en vertu de cet ordre, fut Vauthentication
and interprétation proclamation 1900, qui disposait sur
la manière dont ces proclamations devaient être ren-
dues et promulguées et dans quel sens on devait
comprendre les diverses expressions qui pourraient
être usitées.
Dans son premier rapport, Sir F. Lugard commenta
ainsi le système judiciaire qu'il inaugurait :
« La Suprême Court sera compétente, en première
instance et en appel, en toutes matières concernant des
non-natifs et dans tous les cantonnements. Les juges
des tribunaux inférieurs sont commissioners de la
Suprême Court sous sa juridiction. Dans les provinces
qui sont trop éloignées de la Suprême Court pour que
celle-ci puisse agir avec efficacité, les résidents auront
Une juridiction commune avec les Native Courts sur
les indigènes, juridiction limitée seulement par la
nécessité de confirmation par le High Commissioner
dans tous les cas sérieux.
Ils jugent en appel, et le High Commissionner, assisté
de son conseiller légal {légal adviser)^ peut renvoyer
toutes leurs causes devant la Suprême Court. En pra-
tique, là où il est possible d'établir un tribunal indi*
gène {Native Court), ce tribunal jugera tous les crimes
ordinaires commis par les indigènes et les actions
civiles entre indigènes, mais les crimes contre les lois
du Protectorat {spécifie laws)^ comme ceux qui seront
l'organisation administrative bt judiciaire 445
régis par les proclamations sur « Tesclavage », « l'al-
cool », les « armes à feu » ou les « personnations »,
crimes qui sont étrangers à la loi indigène, seront de
la compétence des Provincial Courts.
« La Suprême Court observera strictement la loi
anglaise (strict law)\ les Provincial Courts observe-
ront la loi anglaise modifiée par les lois de coutume
indigène. L'administration de la justice par les rési-
dents est souvent intimement liée à leurs fonctions
politiques et administratives, et les cas qu'ils jugent
{cause lists) sont soumis par conséquent aux chefs de
l'exécutif, le High Commissioner assisté de son con-
seiller légal.
<c Je suis convaincu que ce système donne de meil-
leurs résultats que ceux que l'on obtiendrait en subor-
donnant davantage les Provincial Courts à la Suprême
Court, tandis qu'il permet au High Commissioner de
rester en contact plus intime avec les fonctionnaires
locaux. »
11 est très important de noter que le système ainsi
adopté par le fondateur de la Nigeria a pour consé-
quence de transformer, en pur droit, cette possession
de l'Angleterre en colonie de la Couronne, bien que le
titre de Protectorat lui soit conservé, et qu'administra-
tivement elle soit traitée comme telle.
La délégation du pouvoir royal immédiat et direct
est constituée dans les Crown Colonies par l'existence
de la Suprême Court. Dans toutes les autres posses-
sions anglaises de l'Afrique occidentale, nous avons vu
observer avec soin cette distinction entre la partie dé-
pendant de la Couronne et celle que les traités avec les
chefs du pays ont simplement établie en Protectorat.
446 LA. NORTHERN NIGERIA
Le système institué par Sir F. Lugard laisse entière-
ment à la discrétion de Taulorité anglaise Tadministra-
lion de la justice, et, de ce fait, le pouvoir absolu , sans
réserves, au profit des chefs.
A la manière dont elle a été rendue dans la Northern
Nigeria, l'ordonnance sur la Suprême Court est la loi
fondamentale en matière administrative aussi bien que
judiciaire, tout fonctionnaire placé à la tête d'une cir-
conscription territoriale ayant principalement un carac-
tère judiciaire.
En principe, il semble bien que la juridiction de la
Suprême Court a été établie uniquement pour repré-
senter la justice royale. L'ordonnance porte, en effet,
que sa juridiction s'étendra :
a Sur les districts qui ont été déclarés cantonnements ;
« Sur toutes les causes dans lesquelles un non-indi-
gène ou un indigène au service du gouvernement sera
partie ;
« Sur tout acte criminel commis par ou sur un homme
indigène ou non-indigène au service du gouvernement;
« Sur toute offense civile commise par une personne
soumise à la loi militaire. »
Mais elle ajoute que le Haut Commissaire pourra :
« Déterminer les parties du Protectorat sur lesquelles
s'étendra la juridiction de la Suprême Court;
« Diviser le Protectorat en districts en vue de cette
juridiction;
« Étendre la juridiction de la Suprême Court au delà
des limites déterminées ;
« Renvoyer devant la Suprême Court toute cause
spéciale qui serait en dehors de sa juridiction ou de sa
compétence. »
l'organisation administrative et judiciaire 447
De leur côté, les commîssîoners de la Suprême
Court (en l'espèce les résidents) peuvent renvoyer, de
leur propre initiative, ou, à la suite de la demande des
parties, demander au Chief Justice de renvoyer devant
la Suprême Court toute cause en instance devant eux;
et surtout une Provincial Court peut, avec l'approba-
tion du Haut Commissaire, renvoyer une cause de sa
compétence devant cette Suprême Court.
La Suprême Court aura le droit d'appliquer la loi et
les coutumes indigènes lorsqu'elles n'auront rien d'in-
compatible avec la justice naturelle et les proclamations
en vigueur dans le Protectorat. Cette loi et ces cou-
tumes seront applicables dans toutes les causes où les
parties seront des indigènes, notamment dans les ques-
tions de mariage, de relations domestiques et de pro-
priétés foncières. Elles seront invoquées aussi dans
toutes les causes entre indigènes et non-indigènes,
lorsqu'il apparaîtra à la cour qu'une injustice serait
faite à une des parties si la loi anglaise était stricte-
ment appliquée. Aucune partie n'aura le droit de récla-
mer le bénéfice de l'application d'une loi ou d'une cou-
tume locale s'il est démontré que, par contrat ou autre-
ment, elle s'est engagée à observer la loi anglaise. Dans
les cas où il n'y a pas de loi spéciale pour le règlement
de la controverse, la cour jugera d'après les principes
de la justice, de l'équité et de la bonne conscience.
En somme, ce n'est plus que par une fiction que l'on
intitule la Northern Nigeria « Protectorate ».
Le domaine éminent du sol et la juridiction sur les
personnes et leurs biens revenant au Roi, le High Com-
missioner est en réalité le délégué du Roi dans une
colonie de la Couronne.
448 LA NORTHERN NIGERIA
Ce caractère n'est qu'atténué d.e ce fait que la compé-
tence judiciaire immédiate reste aux chefs indigènes,
puisque cette compétence peut leur échapper pour être
transmise, au même juge anglais.
La Suprême Court possède, indépendamment de la
juridiction qui lui est conférée par l'ordonnance cons-
titutive, toute autre juridiction que peut exercer la
Haute Cour de justice d'Angleterre, à l'exception de
celle conférée à la Haute Cour de l'Amirauté.
En tout ce qui ne sera pas contraire aux lois promul-
guées dans le territoire, la loi anglaise {tlie common
laWy the doctrines ofequity and the statutes of gênerai
application) sera en vigueur dans le Protectorat.
Dans toute cause civile qui sera jugée parla Suprême
Court, la loi et l'équité [law and equity) seront prati-
quées concurremment. Dans toutes les matières où il
y aura conflit, les règles de l'équité prévaudront.
La Suprême Court n'aura pas le droit de faire exé-
cuter par l'indigène une obligation contractée par lui
envers un non-indigène en exécution d'une transaction
commerciale basée sur le crédit. Le Haut Commissaire
pourra cependant excepter de cette règle telle catégo-
rie de transactions qu'il estimera bonne.
A la suite de l'ordonnance sur la Suprême Court, un
code de la procédure à suivre devant elle a été publié.
En vertu de « The Cantonnement Courts Proclama-
tion », une juridiction spéciale fut établie pour cer-
tains points occupés par l'administration, comme Lo-
kodja et Egga, dans laquelle la justice anglaise est
seule en vigueur. Cette juridiction est entre les mains
d'un fonctionnaire dénommé Cantonnement Magistrate,
l'organisation administrative et judiciaire 449
qui est un Commissioner de la Suprême Court, et qui
par conséquent a les pouvoirs d'un juge de la Suprême
Court.
Sa compétence s'étend sur toute affaii^e personnelle
où l'objet du litige ne dépasse pas 5 livres sterling,
toute question foncière dans laquelle la valeur de la
rente de Timmeuble objet du litige ne dépasse pas 5
livres. En matière criminelle il juge toutes les contra-
ventions au règlement des cantonnements et tous les
délits qui ne doivent pas entraîner un emprisonnement
de plus de 30 jours avec ou sans amende ne dépassant
pas 5 livres, ou une flagellation de 5 coups.
Le Cantonnement Magistrate a le droit de renvoyer
toute affaire entre indigènes devant une Native Court.
Les pouvoirs judiciaires des résidents sont fixés par
The Provincial Courts Proclamation 1902, dont les prin-
cipales dispositions sont les suivantes. Il sera établi
dans chaque province créée par le gouvernement un
tribunal qui sera appelé la Provincial Court.
Ce tribunal sera formé par :
1** Le résident ou l'assistant résident de la province ;
2** Tout autre résident ou assistant résident nommé
dans la même province et qui n'en aura pas la charge ;
3*^ Toute personne nommée juge de paix de la pro-
vince par le Haut Commissaire.
Chacune de ces personnes qui agira comme Com-
missioner de la Provincial Court aura la compétence
attribuée à ce tribunal.
Les lois en usage en Angleterre {the common Imv
the doctrines of equity and the statutes of gênerai ap-
plication) seront applicables par ce tribunal, mais les
29
450 LA NORTHERN NIGERIA.
lois indigènes seront applicables dans les mêmes con-
ditions que devant la Suprême Court. Pour établir ces
lois ou ces coutumes, le tribunal pourra se servir de
tout livre ou manuscrit reconnu par les indigènes
comme une autorité légale, ou prendre Tavis de toute
personne qu'il estimera compétente en la matière.
La compétence des tribunaux de province s'étend
dans leur district, en matière civile, à toute affaire per-
sonnelle dans laquelle la valeur du litige ne dépasse
pas 10 livres sterling, et toute question foncière dans
laquelle la valeur de la vente de Timmeuble objet du
litige ne dépasse pas 10 livres; en matière criminelle,
ils jugent tous les délits qui n'entraînent pas l'em-
prisonnement de plus de 30 jours avec ou sans
amende ne dépassant pas 5 livres, ou une flagellation
de 6 coups, et ont la charge des biens ou des enfants
abandonnés.
Ces tribunaux peuvent, avec l'approbation du Haut
Commissaire, renvoyer devant la Suprême Court toute
action intentée devant lui, et les résidents peuvent
appeler devant le tribunal de leur province toute affaire
adressée par un Commissioher de ce tribunal ou par
une Native Court de la province.
Les condamnations à mort, la déportation, un empri-
sonnement pour plus de 6 mois, une punition corpo-
relle dépassant 12 coups, ne pourra être exécutée
qu'avec l'approbation du Haut Commissaire, sauf dans
le cas de rébellion ou d'extrême urgence, auquel cas
des explications détaillées doivent être fournies au
Haut Commissaire.
Aucun jugement ne pourra être rendu conférant la
propriété d'un terrain ayant une superficie de plus de
l'organisation administrative et judiciaire 451
19 acres, sans avoir été confirmé par le Haut Commis-
saire.
Le High Commissioner a le droit de confirmer ou
de modifier tous les jugements, de les casser ou de
refaire juger une cause à nouveau devant le même
tribunal ou devant un autre.
En matière civile, il peut être fait appel des juge-
ments des tribunaux de province devant la Suprême
Court.
La compétence attribuée à un tribunal de province
ne peut en. aucune manière affecter celle de la Suprême
Court; mais celle-ci a, en toute matière civile et crimi-
nelle, une compétence concurrente avec celle des Pro-
vincial Courts. Aucun jugement d'une Provincial Court
ne pourra être attaqué en nullité comme incompétence
territoriale.
Comme il est de règle pour la Suprême Court, les
tribunaux de province ne pourront juger les cas entre
indigènes et non-indigènes où il y aura des questions
de crédit commercial en jeu.
Les magistrats des Provincial Courts devront faire
tout leur possible pour amener les parties en conci-
liation.
Une procédure spéciale devant les tribunaux de pro-
vince a été fixée par l'ordonnance qui les a établis.
Le Haut Commissaire pourra nommer, avec l'appro-
bation du Secrétaire d'Etat, une personne qu'il jugera
apte à remplir les fonctions de résident et d'assistant
résident dans les provinces du Protectorat. En cas
d'absence ou de maladie et pour d'autres causes, les
résidents pourront nommer pour les remplacer un
assistant résident, qui agira avec ses pleins pouvoirs
4^2 LA NORTHBRN NIGERIA
en attendant la sanction du Haut Commissaire. Tout rési-
dent agira dans sa province comme Goroner; il pourra
nommer pour agir à sa place un Deputy Goroner.
Il est du devoir du résident de prendre toutes les
mesures nécessaires pour le maintien, du bon ordre
dans sa province, et de prendra les mesures adminis^
tratives et diplomatiques qu'il conviendra d'après les
circonstances et suivant les instructions qu'il recevra
verbalement, ou par écrit, du Haut CommissiAire.
Dans l'exercice de ses fonctions, le résident aura le
droit de faire appel pour l'assister à toute personne,
même aux troupes du Protectorat.
Dans l'exercice de ce droit, il ne devra pas intervenir
dans la discipline et la direction intérieure de la troupe,
non plus que dans la conduite des opérations militaires.
Dans le cas d'une insurrection armée ou d'une
révolte générale de la province rendant nécessaire Tu-
sage des troupes, le résident devra déterminer l'objet
pour lequel les troupes devront être employées, et
dans quelle mesure; mais il devra en discuter autant
que possible avec l'officier commandant et pourra
encourir des responsabilités spéciales,
Dans toute ville indigène que choisira le résident de
la province avec le consentement de l'émir ou chef prin-
cipal du territoire dans lequel sera située cette ville,
ou, s'il n'y a pas d'émir ou chef principal, suivant la
volonté du résident, celui*ci pourra établir un tribunal
indigène [Native Court).
Ce tribunal sera formé par une ou plusieurs per-
sonnes qui seront nommées avec l'approbation du
résident par l'émir ou chef principal, ou à défaut par
le résident lui-même.
l'organisation ADMINISTnATIVK BT JUDICIAIRE 453
Le High Commissioner désignera dans la Gazette les
personnes qui auront qualité pour agir à ce point de
vue comme émir ou chef principal.
» Le résident ou l'assistant résident auront en tout
temps accès dans le tribunal et, sur la demande du
demandeur ou du défendeur ou de toute personne con-
damnée, ou de son propre mouvement^ pourront faire
recommencer l'audience de la cause devant le môme
tribunal, ou la renvoyer devant un autre, ou suspendre
ou modifier de toutes façons tout jugement ou déci*
sion rendu par une Native Court.
Les Native Courts ne pourront juger que les causes
dans lesquelles il n'y aura que des indigènes intéressés.
Les Native Courts n'auront aucune compétence dans
les cas dans lesquels seront en cause la Couronne ou
un non «indigène, ainsi que des employés indigènes
du gouvernement (sauf, dans ce dernier cas, l'appro-
bation du résident).
Elles seront également incompétentes dans les can-
tonnements. La limite territoriale de leur juridiction
sera fixée par le résident avec le consentement du High
Commissioner.
La loi ou coutume indigène prévalant dans le territoire
de la Native Court sera appliquée par elle dans tout ce
qu'elle n'aura pas de contraire à la justice ou à l'hu-
manité, comme le seraient les tortures, les mutilations
ou des punitions faisant souffrir gravement le corps.
Toute taxe ou amende perçue régulièrement par une
Native Court d'après le taux fixé par le High Commis^
sioner seront laissées à sa disposition et partagées sui-
vant la proportion indiquée par le résident entre ses
membres et le scribe qui sera attaché à chaque tribu-
454 LÀ NORtHBRN NIGERIA
nal et qui conservera des minutes en haussa ou en arabe
de tous les cas jugés.
Le résident adressera quatre fois par an au Haut
Commissaire un rapport sur les cas particulièrement
A intéressants ainsi que la liste des punitions infli-
gées.
Les Native Courts mettront à exécution tous les
décrets ou ordres qui pourront être rendus par la Su-
prême ou la Provincial Court, et généralement leur
prêteront toute l'assistance demandée. Elles saisiront
et enverront au tribunal de province, le plus tôt qu'il
leur sera possible, toute personne qui, dans leur cir-
conscription, aura commis une offense qui ne sera pas
de leur compétence.
Aucun conseil, avocat ou avoué, ne pourra assister
au civil et au criminel une partie en cause devant une
Native Court sans Tassentiment écrit du résident.
Un code pénal très détaillé a été promulgué* par Sir
F. Lugard pour être appliqué par les différents tri-
bunaux du Protectorat; les différentes pénalités sont
les suivantes : mort (pendaison), bastonnade {flogging)^
amendes, emprisonnement, fouet {ivhipping), dommages-
intérêts, remise de caution en garantie du bon ordre,
déportation.
La situation des personnes a été réglée dans le Pro-
tectorat par divers textes.
Toute personne qui n'est pas née dans le Protectorat,
à l'exception de celles qui sont au service du gouver-
nement, ainsi que toute compagnie faisant des affaires
dans le pays, doit faire inscrire son nom ainsi que ses
1. The criminal Code Proclamation i90k (30 septembre 1904).
L*ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE 455
différentes qualifications sur un registre tenu par un
fonctionnaire spécial*.
Des dispositions spéciales sont prises pour assurer
la publicité de la mort des non-natifs*.
L'institution de l'esclavage a été réglée par les dis-
positions suivantes' :
L'existence légale [légal status) de l'esclavage est
supprimée dans le Protectorat.
Tous les enfants nés depuis le 31 mars 1902 sont
libres. Le commerce des esclaves est interdit.
Tout non-natif du Protectorat, ou esclave libéré, qui
sera convaincu d'être en possession d'esclaves, ou
d'avoir prêté son concours à un maître pour l'aider à
rentrer en possession d'un esclave fugitif, sera punis-
sable des mêmes pénalités que s'il était un sujet
anglais. Toute transaction faite au sujet d'esclaves qui
serait illégale pour un sujet anglais l'est aussi pour
tout non-natif du Protectorat ou esclave libéré. Toute
personne convaincue d'avoir participé à des opérations
concernant le commerce des esclaves est punissable
d'un emprisonnement qui peut atteindre sept ans de
prison avec ou sans travail forcé, ou à une amende
complémentaire ou équivalente. Toute personne intro-
duite dans la Nigeria du Nord pour y être traitée
comme esclave deviendra libre de ce fait. Tout contrat
passé avant la proclamation, et qui aura pour but de
placer temporairement ou définitivement une per-
sonne à l'état d'esclavage en garantie de dette ou
î. The Sonnatives and Re gis tration Proclamation 1903 (24 mai).
2. The Notification and Registralion of deaths Proclamation 1901
(4 juin).
3. The Slavery Proclamation 190^ (30 septembre).
456 LA NORTHERN NIGERIA
autrement, devient nulle, et à Tavenir les contrats ana-
logues seront illégaux.
Il ne sera du par le gouvernement aucune compensa-
tion pour le dommage causé parla libération des esclaves.
Les contrats de travail libre sont également l'objet
d'une disposition législative*.
Le recrutement pour le compte d'un Etat étranger
n^est autorisé qu'avec une licence spéciale du High
Commissioner.
Les personnes <{ui désirent faire des engagements
pour l'étranger ou pour une partie éloignée du Protec-
torat doivent obtenir l'autorisation du résident. L'exis-
tence des personnes qui sont à la charge des engagés
doit être assurée pendant leur absence. Le droit à
payer au gouvernement est, par engagé, de 5 shillings
pour les engagements pour les régions éloignées du
Protectorat, et, pour l'étranger, de 1 livre si rengage-
ment ne doit pas dépasser 6 mois, 1 livre 10 shillings
entre 6 mois et 1 an, et 2 livres au-dessus. Les recru-
teurs doivent s'engager à assurer le payement des
salaires des engagés, ainsi que leur rapatriement à
l'expiration de leur contrat, et déposer caution.
Toute tentative faite pour louer les services d'une
personne dans une région distante de plus de 100 mil-
les du lieu de sa résidence autrement que par un con-
trat régulier, est punissable d'un emprisonnement d'un
an et d'une amende de 50 livres.
Les contrats de louage de service autres que ceux
d'apprentissage ne devront pas être faits pour une
durée dépassant 18 mois.
1. The M aster and Servant Proclamation 1902 (23 septembre), Proda-
malion n« 5 de 1903 et nM9 de 1904 incorporée.
l'organisation administrative et judiciaire 457
S'il n'est point fixé de durée déterminée, le contrat
pourra être rompu sans avis préalable par chacune des
parties s'il est exécuté dans le Protectorat; dans le cas
contraire, un avertissement préalable devra être donné
au moment du dernier payement.
Si le contrat expire pendant la durée d'un voyage, il
devra être prolongé jusqu'à la fin de ce voyage, et l'en-
gagé recevra un salaire plus élevé d'un quart.
' Les salaires doivent être payés en argent, sauf con-
vention contraire.
Toute tentative de débauchage est punie d'une
amende de 10 livres ou d'un mois de prison.
Les parents responsables d'un enfant de 9 à 16 ans,
ou, à leur défaut, le résident, ont le droit de le placer
en apprentissage pour une période qui ne durera pas
5 ans. Après Tâge de 16 ans, le contrat pourra être
passé par l'enfant lui-même.
Toute tentative pour rompre ou faire rompre le
contrat avant son expiration sera punie d'un empri-
sonnement de 12 mois ou d'une amende de 100 li-
vres.
Toute contestation relative à la manière dont le con-
trat est observé ou rempli doit être soumise aux tri-
bunaux. Ceux-ci pourront condamner, à l'exclusion de
toute autre peine, les enfants qui auront moins de
16 ans à une bastonnade faite avec une verge légère
et qui ne dépassera pas 12 coups, ou à un emprisonne-
nement d'un jour. Lorsque la faute sera grave, l'em-
ployeur ou l'employé incriminé pourra être puni d'un
emprisonnement ne dépassant pas 3 mois ou d'une
amende de 20 livres. Les amendes imposées pourront
être payées entre les mains du plaignant à titre de
■fcT —
458 LA NORTHERN NIGERIA
dommages-intérêts. Pendant la durée des emprisonne-
ments, le payement des salaires est interrompu.
Le High Commissioner a le droit d'apporter toute
dérogation qui sera convenable à ces dispositions.
La législation foncière instituée par Sir F. Lugard
est fort simple dans le principe, mais elle devait entraî-
ner des conséquences fort graves.
11 considéra que TAngleterre devenait le pouvoir
souverain du pays et devait en avoir toutes les attribu-
tions. De même qu'il lui avait reconhu le droit de ren-
dre la justice sur tous, de même un de ses premiers
actes* fut de décider que le High Commissioner pour-
rait déclarer terre publique toute terre qui serait inoc-
cupée, sur laquelle il ne pourrait être fait valoir au-
cun titre ou qui aurait appartenu à un chef conquis ou
déposé. Ces terres seraient administrées de la même
manière que si elles étaient terres de la Couronne, et
leur revenu fera partie du revenu général du Protectorat.
En 1897-1898, la Niger Co., sentant que sa charte
allait lui être retirée, avait passé, avec les chefs des
villages des bords du Niger, toute une série de conven-
tions en vertu desquelles ceux-ci lui cédaient la pro-
priété entière de leurs terres. Après le rachat, on s'é-
mut beaucoup en Angleterre de ce que la Compagnie
avait ainsi en propriété privée la possession de la plus
grande partie des rives du fleuve. Un arrangement
intervint entre le gouvernement et la Compagnie, le 28
août 1900, en vertu duquel la propriété de ces terres
était transférée au High Commissioner et à ses succes-
1. The Land Proclamation, n* 1, janvier 1900.
l'organisation administrative et judiciaire 459
seurs, qui en prenaient possession au nom de la Cou-
ronne, suivant la formule d*après laquelle les terres des
colonies anglaises deviennent propriété publique. Une
proclamation* du 12 août 1902 vint régler la manière
dont ces terres ainsi que toute autre partie du domaine
public dans le Protectorat pourraient être concédées aux
particuliers.
Les concessions ont la forme de baux passés entre le
High Commissioner et les concessionnaires. Ceux-ci
s'engagent à maintenir en bon état les constructions
qu'ils feront sur les terrains concédés et à les assurer
contre les incendies. Le payement d'une rente annuelle
est imposé. Les contrats ont une durée de 21 ans, et les
concessionnaires ne peuvent les résilier qu'au bout de
la septième ou de la quatorzième année. Ils sont renou-
velables à période de 21 ans, mais le prix de location
peut changer.
D'après le système établi par Sir F. Lugard, le gou-
vernement ne devait pas intervenir dans les transac-
tions immobilières passées par les indigènes les uns
avec les autres. Mais ceci devait être modifié par son
successeur.
»
Et,, par rapport aux étrangers, le système établi est
tout entier contenu dans ces dispositions : « Aucune
personne autre qu'un indigène ne pourra acquérir,
directement ou indirectement, d'un indigène, un inté-
rêt ou un droit sur une terre de la Northern Nigeria,
sans avoir obtenu au préalable l'autorisation du High
Commissioner, qui sera soumise à telle commission
que celui-ci le jugera bon. »
1. The Crown Proclamation 1902, n* 16, 17 août.
460 LA KOnTHERN NIGERIA
Au point de vue minier, Sir F. Lugard a considéré
que le gouvernement anglais, à l'exclusion des indi-
gènes, avait le droit d'accorder les concessions néces-
saires aux recherches et aux prospections, sous réserve,
bien entendu, qu'il ne pouvait être pris possession de
propriétés privées sans l'assentiment des indigènes.
Par « Minerais proclamation 1902 » (15 mars, n"* 5), il
décida qu'il ne pourrait être entretenu de prospections
dans le Protectorat sans une licence accordée dans une
forme déterminée par le High Commissioner, qui pou-
vait la refuser sans être obligé de donner d'explica-
tions*
Les licences entraînant un droit exclusif de prospec-
tion ne seront valables que pour une superficie de 3.000
milles carrés; les licences pour la recherche de miné-
raux différents pourront être accordées sur un même
terrain. Les contestations qui pourraient naître entre
les détenteurs de licences seront jugées par le High
Commissioner, qui pourra à sa discrétion les renvoyer
devant la Suprême Court.
Les permis d'exploitation de mines ne pourront être
accordés pour une superficie dépassant 5 milles carrés
et pour plus de 90 ans. Personne ne pourra avoir con-
jointement avec d'autres le droit d'exploiter plus de
20 milles carrés.
Il sera dû une rente annuelle de 5 shillings par acre
exploité, et un droit de 5 p< 100 du capital engagé
sur les bénéfices. Toute une série de dispositions sont
prises par la proclamation pour assurer le payement de
cette part des bénéfices.
Les dispositions de la proclamation ne s'appliquent
point à l'exploitation des carrières pour en extraire les
L*ORGANISÂTION ADMINISTRATIVE BT JUDICIAIRE 461
matériaux de construction, ni aux indigènes, en ce qui
concerne l'exploitation du fer, du sel, de la soude ou de
la potasse.
La prise de possession, par Sir F. Lugard, du do-
maine éminent du sol conduisit son successeur, Sir
Percy Girouard, à penser qu'il était nécessaire d'en
régler l'application plus complètement que ne l'avait
fait le fondateur de la Northern Nigeria. Cette propriété
ne se manifeste pas en effet dans les pays de l'Afrique
occidentale et centrale par la simple fiction qui autorise
l'État à reprendre, moyennant indemnité, les terres
qui sont nécessaires aux services publics : elle est en-
tière en ce sens que la propriété privée divise n'existe
pas au bénéfice des particuliers et n'est représentée
que par un droit de détention autorisé par le pouvoir
souverain détenu par les chefs. Si donc le gouver-
nement anglais s'attribuait le pouvoir de ceux-ci sur la
terre, cette détention devait dépendre de lui, et il devait
intervenir, non seulement, comme avait voulu le faire.
Sir F. Lugard, dans les rapports entre les étrangers et
les indigènes à son sujet, mais entrb ceux-ci mômes.
Sir P. Girouard pensa qu'il ne pouvait assumer la
responsabilité d'établir le mode suivant lequel ce droit,
qu'il considère comme une obligation, devait être
exercé, et il provoqua la nomination d'une commission
présidée par Sir Kenelm Digby, qui examina la ques-
tion en Angleterre, et déposa devant le Parlement un
rapports reconnaissant l'exactitude des principes que
nous venons d'énoncer, et conseilla qu'une nouvelle
1. Jieport of the Northern Nigeria Lands Commiltee, P. p. Gd. 5012,
avril 1910. — Northern Nigeria Lands Committee : minute of évidence
and appendices^ P. p. Gd. 5103, avril 1910.
462 LÀ NORTHERN NIGERIA
proclamation fut effectuée pour déclarer que Tensein-
ble de la terre de la Northern Nigeria était passé sous
le « Contrôle et le Domaine » du gouvernement anglais,
et que sa possession devait être réglée par lui en con-
formité avec les lois indigènes.
Cette proclamation fut prise en 1910 sous la déno-
mination de « The Natives' Rights Proclamation ». Elle
porte que Fensemble des terres du Protectorat, occu-
pées ou inoccupées, à l'exception de celles qui avaient
été déclarées « Crown Lands », sont déclarées « Native
Lands » sous le contrôle du gouverneur, qui les détien-
dra et les administrera pour le bénéfice des indigènes
du Protectorat, d'après la loi et la coutume indigènes.
Le gouverneur est autorisé à concéder des droits d'oc-
cupation aux indigènes et aux non-indigènes et de de-
mander une rente pour l'usage de la terre. Il peut tou-
jours modifier cette rente à des intervalles d'au moins
sept ans, et l'occupant peut renoncer à son droit lors-
. que la rente est augmentée, auquel cas il peut recevoir
une indemnité correspondant aux améliorations qu'il
a apportées à la terre qu'il a reçue. Le principe de la
rente a été étendu aux terrains urbains, auxquels il ne
s'appliquait pas précédemment.
Cette législation est trop récente pour que l'on puisse
juger dès maintenant comment elle est appelée à fonc-
tionner et dans quelle mesure le gouvernement anglais
entend l'appliquer. Nous dirons dans les conclusions
de cet ouvrage les réflexions qu'elle nous suggère.
CHAPITRE XXX
LA NORTHERN NIGERIA
Les impôts.
Au moment où l'autorité anglaise commença à deve-
nir effective dans la Northern Nigeria, le pouvoir des
chefs fulanis avait été fortement diminué par les ré-
voltes intestines qui avaient éclaté dans la plupart des
provinces, et la perception des impôts était devenue de
plus en plus difBcile. L'avènement du pouvoir anglais
et la ruine de la domination fulani encouragea les pay-
sans à se refuser à payer toute taxe à leurs chefs indi-
gènes. Sir F. Lugard devait se préoccuper de cet état
de choses, son intention étant de maintenir l'autorité
indigène entre les mains des Fulanis et de conserver
aux classes aristocratiques leurs prérogatives. Il pensa
que la remise en vigueur de ce système d'impôts pou-
vait être un excellent moyen d'administration politique,
en même temps qu'elle assurerait à la nouvelle colonie
une partie des ressources qui lui étaient nécessaires,
la situation de la Northern Nigeria dans l'intérieur des
terres rendant impossible toute perception douanière
efficace.
Sir F. Lugard résolut donc de donner aux chefs les
moyens de prélever leurs impôts comme par le passé,
en veillant seulement à ce qu'aucune exaction ne fiit
commise, et sous la condition qu'il serait fait remise au
464 LA NORTHERN NIGERIA
gouvernement anglais d'une partie des sommes ainsi
perçues. Partout où l'autorité indigène aurait été com-
plètement détruite, les taxes seraient payées directe-
ment à l'administration. La matière fut réglée par h
proclamation n^ 4 de 1904 (!•' juin) sur le revenu de la
terre (Land Revenue). L'application du système établi
dans la Northern Nigeria par cette proclamation doit
nécessiter un personnel abondant et fort coûteux ; mais
Sir F. Lugard a considéré qu'au début cette mesure
devait moins avoir pour effet de fournir des ressources
abondantes au Protectorat que de renforcer l'autorité
des chefs indigènes, dont l'intermédiaire seul pouvait
donner à l'administration anglaise quelque eflicacilé.
L'établissement et la perception de cet impôt foncier
aura pour principal effet de mettre les fonctionnaires
anglais en relation directe avec les classes agricoles et
les classes dirigeantes. Les chefs se rendront compte
de l'identité de leurs intérêts avec ceux de l'adminis-
tration, et coopéreront d'une façon plus intime avec
elle. Les paysans regarderont les fonctionnaires anglais
comme leurs protecteurs contre des demandes irrégu-
lières et oppressives; la sécurité de la vie et des pro-
priétés, et la certitude que le taux des impôts ne sera
pas accru arbitrairement sont des avantages assez
grands pour rendre légère à supporter une taxe raison-
nable. Le payement direct de la taxe par chaque village,
et par l'intermédiaire de son chef, au chef du district,
aura pour effet pratique, toujours dans l'idée de Sir
F. Lugard, d'affranchir la plus grande partie de la
population de l'esclavage ou du servage, et de rempla-
cer ces institutions par le sens des responsabilités
individuelles et collectives. 11 ne restera comme serfs
L*IMPÔT 465
que ceux qui prêteront allégeance à un chef résidant
au milieu d'eux.
Dans la perception de Timpôt qu'il a ainsi établi dans
la Nigeria du Nord, Sir F. Lugard s'est efforcé de con-
server, tout en Taméliorant, le régime en vigueur dans
les Etats fulanis avant Tavènement de l'Angleterre.
Les principales taxes étaient les suivantes :
1^ Le Zakka ou dime sur les grains, qui était limité
aux deux principales récoltes du pays; en théorie, cet
impôt n'était du que par les musulmans et devait être
consacré à des œuvres charitables ou religieuses, et
peut-être aussi à des dépenses d'État. En pratique, il
semble que, dans la plupart des provinces, à l'exception
de celle de Sokoto, il ait entièrement perdu ce carac-
tère et ait été indistinctement perçu sur tous.
2^ Le Kurdin Kasa ou taxe sur la terre, théoriquement
le tribut des pays conquis. Cet impôt était arbitraire-
ment levé et augmenté à volonté; dans le Bornu et ail-
leurs, il avait une tendance à devenir un poU-tax.
3** La Plantation-tax, levée sur toutes les récoltes
autres que les deux qui avaient payé le Zakka.
4® Le Jangali ou impôt sur les troupeaux, dont le taux
était variable et dans quelques cas était établi par tête
de bétail.
5** Le Sokoto Gaisua (ou somme variée), payé par
tous les autres émirats à Sokoto et à Gando. Son ori-
gine était probablement religieuse, et il consistait en
une partie du Zakka ou du Kurdin Kasa; en pratique,
c'était une perception faite par l'émir sur tous les chefs
qui lui étaient soumis, et consistait surtout en chevaux
et en esclaves. Il en retenait une part pour lui et en-
voyait le reste à Sokoto. Bien qu'en théorie cette taxe
30
466 LA NORTHERN NIGERIA
I
ait été établie sur les riches seuls, elle devenait le pré-
texte à exactions contre les paysans. De nombreux émi-
rats avaient cessé de l'envoyer ou l'avaient fortement
réduite. A Tavènement de l'administration anglaise,
tous firent de môme. Sokoto fut ainsi dépourvu de ses
ressources, aucune taxe n'étant perçue dans cette pro-
vince musulmane en dehors du Zakka, qui était consa-
cré au culte.
6** Le Kurdin Sarauta, ou taxe d'avènement, payé
par tout chef ou détenteur d'un office au moment de sa
nomination; elle avait pour conséquence de faire don-
ner les fonctions au plus riche, et d'en déposséder les
détenteurs pour créer des vacances.
7** Le Gado ou impôt sur les décès.
8^ Le Haku Binirun, perçu dans le Bornu sur les pro-
priétaires de maisons, et qui semble avoir été un impôt
proportionnel sur la richesse.
A côté de ces impôts principaux existait toute une
série d'autres taxes sur les caravanes, les marchés,
droits de justice, patentes, etc.
Les taxes étaient perçues par des fonctionnaires dont
les uns, nommés Jakada, parcouraient le pays au mo-
ment de la perception des taxes, tandis que les autres,
nommés Ajele, vivaient dans la région. En théorie, ils
n'avaient aucun pouvoir; en fait, ils dévastaient et ter-
rorisaient le pays.
Le système établi par Sir F. Lugard devait avoir pour
but de supprimer ces intermédiaires, de permettre au
chef de région de recueillir directement, des chefs des
villages, le montant de l'impôt et de le remettre à
l'émir, qui payerait au gouvernement la part convenue.
Ce chef de région est, en général, un des anciens dé-
l'impôt 467
lenteurs de fiefs, à condition toutefois qu'il réside dans
le pays et que son fief n'ait pas été partagé par les nou-
velles divisions administratives. Dans le cas contraire,
c'est le chef de la ville la plus importante et l'homme
qui a la plus grande influence locale. Si le détenteur de
fiefs n'accepte pas la situation de chef de région, il rem-
plit une fonction auprès de l'émir à la capitale, ou il
devient un simple personnage dont les revenus vien-
nent en partie de l'émir qui partage sa part du tribut
avec lui, et en partie de ses propriétés personnelles. S'il
devient chef de région, il est autorisé à être titulaire d'un
office à la capitale ; mais il ne peut y résider que peu de
temps. De cette manière, les émirs ne seront point ten-
tés, comme par le passé, de maintenir auprès d'eux des
chefs chargés de fonctions inutiles. Ceux-ci devront
résider au milieu de leurs sujets et pourront être lais-
sés responsables de la bonne administration du pays.
Le premier devoir du gouvernement anglais est donc
de limiter ces régions, qui prennent le nom de districts,
et, avec l'aide de l'émir et du chef, d'établir les difl^é-
rentes bases de la perception de l'impôt.
Les diverses taxes agricoles sont désormais suppri-
mées pour être remplacées par le seul impôt foncier.
Le Sokoto Gaisua et le Kurdin Sarauta sont cependant
conservés; mais le premier, étant un signe de suzerai-
neté des émirs et des chefs, sera perçu par le gouver-
nement anglais qui a succédé au pouvoir du sultan. Il
sera du reste réduit, et une petite partie sera remise au
Sokoto en reconnaissance de sa situation de chef reli-
gieux des musulmans. Le montant de cet impôt sera du
restQ déduit de la part de l'impôt foncier que les chefs
auront à donner au gouvernement. Le Kurdin Sarautâ
1
468 LA NORTHERN NIGERIA.
sera très faible, et les chefs qui le recevront en payeront
la moitié au gouvernement, en reconnaissance de Tau-
torité au nom de laquelle ils ont fait la nomination qui
a entraîné la perception de ce droit. Les diverses taxes
payées par les artisans continueront à être perçues et
feront partie de l'impôt général. Il en sera probable-
ment de même, dans Tavenir, des droits sur les cara-
vanes, qui ne sont perçus actuellement que par le gou-
vernement.
Dans les grandes villes, une organisation spéciale
sera en vigueur; le chef supérieur aura une plus grande
initiative; les anciennes taxes de marchés, patentes,
etc., qui ont été abolies pour les campagnes, seront
régularisées et établies par les soins de Témir et du
résident; il sera institué des chefs de quartiers qui
seront responsables des sommes qu'ils recueilleront
par l'intermédiaire des Dillalis (courtiers), des Sirkins
Hasua (chefs de marché) et des patrons des corpora-
tions. Les sommes ainsi perçues seront réparties entre
le gouvernement, Fémir, le chef des quartiers ou
Maiungwa, la quatrième part étant affectée aux divers
besoins de la ville (assainissement, etc.).
Le système précédent s'applique surtout aux États
musulmans; les tribus fétichistes, qui sont en grande
minorité dans la Nigeria du Nord, sont divisées en deux
catégories : d'une part celles qui obéissent à un chef
unique et qui sont dans un état de civilisation assez
avancé, comme Argungu et Jegga dans le Sokoto, Gor-
goram dans le Bornu occidental, Bousa et Kima dans le
Borgu, et quelques-uns des centres Jukom dans le Mari,
qui sont traités plus ou moins de la même manière que
les Etats musulmans, et d'autre part celles qui sont en-
l'impôt 469
core dans un. état de barbarie et qui payent au gouver-
nement une taxe très faible, en manière de reconnais-
sance de sa suzeraineté. Dans ce dernier cas, l'impôt
revêt la forme d'une taxe de capitation, qui varie entre
deux et trois shillings payés par Tintermédiaire des
anciens du village, somme qui, d'après Sir F. Lugard,
est très légère, étant données les richesses agricoles.
La politique du -gouvernement est du reste de grouper
ces villages sous des chefs principaux.
Nous avons vu que l'application par Sir Percy Gî-
rouard du système foncier organisé par Sir F. Lugard
avait conduit le gouvernement anglais à s'attribuer la
propriété du sol et à assumer l'octroi de sa possession
entre les indigènes en percevant en échange une taxe.
La perception de celte taxe a dû provoquer une refonte
du système de perception de l'impôt foncier qui l'en-
globe en réalité, et, pour qu'elle puisse être facilement
effectuée, on a dressé un projet d'établissement d'une
sorte de cadastre. Il semble que l'on veuille procéder
d'une manière analogue à ce qui est pratiqué aux Indes,
mais au moment où nous écrivons ces lignes il n'y a
rien encore de bien défini.
Indépendamment de cet impôt général. Sir F. Lugard
établit dans la Northern Nigeria une taxe sur les cara-
vanes qui, nonobstant les grands inconvénients qu'elle
présentait au point de vue de la libre circulation des
marchandises, offrait l'avantage d'être facile à percevoir.
Cet impôt sur les caravanes a rapporté, pendant l'an-
née financière 1904-1905, 34.473 livres, mais il fut sup-
primé en 1906, comme apportant au commerce une
trop grande gène.
470 LA NORTHERN NIGERIA
• Une taxe sur les débits bu les fabriques de liqueurs
indigènes a été également instituée par Sir F. Lugard.
La licence de fabrication est de 4 livres, et celle de vente
de 2 livres. Cet impôt est évidemment d'un recouvre-
ment très fictif.
Enfin, un autre impôt indigène est une licence sur
les canots, dont le montant varie, suivant la dimension,
de 3 1. à 2 s. 6 d.
Le système que nous venons d'exposer est d'applica-
tion trop récente pour qu'il nous soit possible de le
juger d'après ses résultats ; il semble bien cependant
qu'il ait été accepté par tous à peu près sans difficulté.
Il est vrai que le gouvernement anglais a apporté
beaucoup de précautions à sa mise en vigueur, et parait
ne pas s'être montré très exigeant.
CHAPITRE XXXI
LE NIGER COAST PROTECTORATE
ET LA SOUTHERN NIGERIA
L'Oil Rivers Gonsulate et le roi Jaja.
Cest grâce à rîntervention de la Royal Niger Co. que
l'Angleterre s'établit que dans une partie du Bas Niger
Dans toute la région des Oil Rivers, elle exerça son
action plus directement, mais cependant un peu mal-
gré elle, et du fait de l'obstination de deux hommes
qu'elle avait envoyés dans ces pays comme simples
consuls, M. Hewett et Sir Harry Johnston.
Il y a vingt ans*, écrit un vieil officier de la marine
anglaise, les Oil Rivers et l'ensemble des territoires voi-
sins étaient véritablement une terre qui n'appartenait
à personne. Une quantité innombrable de petits « rois »
et chefs dont l'autorité était quelquefois nominale, quel-
quefois autocratique, dépensaient la plus grande par-
tie de leur temps et des vies de leurs sujets dans des
luttes constantes les uns avec les autres. Sur les Oil
Rivers étaient des factoreries commerciales principale-
ment anglaises; les commerçants jouissaient du sobri-
quet de « Palm Oil Ruffians », et quelques-uns le méri-
taient. La plupart d'entre eux observaient une loi qui
leur était personnelle. Sur ces rivières le seul chef véri-
table était le consul anglais, qui résidait pour la plus
1. W. A. M., 22 et 26 avril 1904, n" 56 et 57.
472 LE NIGER GOAST PROTEGTORÀTB
grande partie de son temps à bord d'un bateau anglais.
Pourquoi on l'appelait « consul », personne ne Ta jamais
su; ses fonctions n'étaient en aucun sens consulaires.
Il n'était accrédité auprès de personne, si ce n'est au-
près du roi d'Espagne, car il était, entre autres choses,
consul pour l'île espagnole de Fernando-Po, et aucun
roi africain ne lui avait donné ou n'avait été requis de
lui donner Vexequatur. Ses fonctions étaient entière-
ment indéfinies, et ses jugements, car il rendait des
jugements, étaient plutôt équitables que légaux. Il avait
une vaste influence, une énorme responsabilité et un
petit salaire. Aucune résidence ne lui était affectée, et
du reste aucune résidence n'était disponible; il n'avait
aucun pied-à-terre, si ce n'est un lit dans une facto-
rerie. Il passait la plus grande partie de son temps à
bord d'une canonnière, où il jouissait d'une banquette
dans la cabine du lieutenant-commandant. Là, lorsque
les cancrelats et les moustiques le laissaient en paix, il
rédigeait les dépêches pour le Foreîgn OfDce, qui les
examinait superficiellement et les classait avec soin. Le
Foreign Office savait peu de chose de lui, s'en souciait
moins encore, et aurait été fort embarrassé d'expliquer
comment et de qui il avait tiré le pouvoir de donner
des amendes à des rois qui n'étaient pas des sujets an-
glais et d'assumer le rôle d'autocrate des Oil Rivers.
« L'homme à qui l'Angleterre est le plus redevable
de l'acquisition des Oil Rivers est M. Edouard Hewett.
Son influence sur les chefs indigènes était immense.
Mais il n'était pas populaire parmi les commerçants de
la rivière, principalement parce qu'il ne voyait pas tou-
jours les choses à leur point de vue... L'énergie et l'ac-
tivité d'Hewet étaient admirables, d'autant qu'il était
L*OIL RIVBR8 CONSULATE ET LE ROI JAJA 473
dans un état presque constant de maladie ; personne ne
connaissait mieux que lui les indigènes. L'Angleterre
n'a jamais probablement eu un serviteur mieux adapté
au rôle qu'il avait à remplir. Ses services furent consi-
dérables, mais ils ne furent jamais pleinement recon-
nus. Il est probable que si un autre homme avait été à
sa place, Old Calabar et peut-être une ou deux autres
rivières auraient été perdues pour la Grande-Bretagne
au profit de l'Allemagne. Le Foreign Office, à cette
époque, voyait d'un mauvais œil l'Afrique occiden-
tale et jetait de l'eau froide sur toutes les propositions
d'Hewett. Le Protectorat sur les Oil Rivers fut re-
connu comme une désagréable nécessité, et je crains
bien qu'Hewett, l'homme qui l'avait rendu possible,
n'ait été regardé à Dowing Street comme un intrigant
personnage... Hewett retourna en Angleterre avec
une santé compromise; ses dernières années furent
malheureuses, non seulement à cause de la maladie,
mais encore parce qu'il avait des embarras financiers.
Il mourut ruiné et désappointé, ses chefs l'ayant
oublié, et le public n'ayant pas apprécié ses services
parce qu'il ne les avait pas connus. »
Hewett eut pour assistant comme vice-consul un jeune
homme nommé Harold A. White, qui, quoique différant
totalement d'Hewett, fit de bonnes besognes. Il dut
retourner cependant peu de temps après en Angleterre
pour cause de maladie. Ce fut Sir Harry Johnston qui
lui succéda. Sa carrière est trop connue pour que nous
ayons à la rappeler. Il réussit à mener à bonne fin l'œu-
vre entreprise par Hewett.
Les agissements d'un chef nommé Jaja devaient l'ame-
ner à mettre un terme à la situation politique à laquelle
474 LE NIGER COAST PROTEGTORATB
ses prédécesseurs avaient eu à faire face dans le Bas-
Niger.
Jaja était un ancien esclave de guerre de la famille
Pepple de Bonny. Grâce à son intelligence, il parvint
peu à peu à se créer une situation indépendante, à
acquérir une certaine aisance, et il imagina vers 1869
de se faire reconnaître quelques pouvoirs comme chef. Il
provoqua une scission parmi les Bonny, et une guerre
civile, qui dura plus de 18 mois, s'ensuivit. Complè-
tement défait, il dut se réfugier auprès des Européens
en leur demandant d'intercéder pour qu'il ait la vie
sauve. Il se plaça avec ses partisans sous la protection
de la c< cour d'Equité », formée par les principaux né-
gociants.
Il obtint ensuite la permission du chef d'Antony de
s'installer au point qui devait devenir Opobo. Il avait
compris toute l'importance que pouvait acquérir cette
place et comment, de là, il pouvait commander Taccès
des marchés qui dépendaient jusqu'alors de Bonny.
Deux ou trois commerçants européens le suivirent à
Opobo, et sa situation devint de plus en plus impor-
tante. Le chef de Bonny ne cessait cependant de le
considérer comme un rebelle; mais Jaja eut l'habi-
leté de provoquer l'intervention du gouvernement
anglais.
- Le 3 janvier 1873 était signé, à bord du bateau de
guerre Piencer, un traité d'après lequel les chefs d'O-
pobo et de Bonny s'engageaient devant le Commodore
anglais, le consul Livingstone et les chefs de New Cala-
bar et d'Okréka, à cesser les hostilités.
Les marchés que devait fréquenter chaque peuplade
étaient déterminés, ainsi que les routes y conduisant, et
l'oil rivers consulats £t le roi jaja 475
il était convenu qu'une amende de 1.000 « penchons »
d'huile serait infligée par le consul anglais à celui qui
violerait les conventions; en cas de reprise des hosti-
lités par une des tribus, l'autre ne devait pas répondre,
mais en référer au consul anglais.
Le consul Livingstone passait au même moment (4
janvier 1873) le traité fie commerce suivant :
« Article premier. — Au nom de Sa Majesté, nous
reconnaissons Jaja comme roi d'Opobo et déclarons
qu'il a droit à la considération que comporte ce titre.
« Art. 2. — Les commerçants anglais établis dans la
rivière Opobo payeront la même somme en « comey »
que les commerçants anglais établis à Bonny. 11 ne
pourra être perçu sur eux ni taxe ni impôt. Toute con-
testation qui pourra survenir entre eux et les sujets du
roi Jaja sera déférée au consul de Sa Majesté.
« Art. 3. — Après le 5 avril 1873, le roi d'Opobo n'au-
torisera l'établissement d'aucune factorerie dans la
ville d'Opobo, ou aux environs, et ne permettra pas
aux bateaux de commerce de remonter la rivière au
delà du point appelé le « White Man's Beach », opposé
à la creek de l'Hippopotame.
« Si quelque bateau de commerce monte au-dessus
de cette creek après avoir été dûment informé d'avoir
à se retirer, il pourra être saisi ainsi que sa cargaison
par le roi Jaja, jusqu'à payement d'une amende de 1.000
ponchons audit roi. »
Dans la lettre par laquelle il transmettait ce traité au
Foreign Office, le consul Ch. Livingstone donnait les
explications suivantes :
« L'article 3 a été rendu nécessaire par suite de la fiè-
vre qui causait une mortalité effrayante chez les blancs
476 LB NIGER GOA9T PROTECTORATB
de la ville d'Opobo, qui est à six milles dans Tintérieur
de la rivière, et à cause de rextréme danger que cou-
rent les marins de Sa Majesté, qui exposent gravement
leur santé en séjournant en ce point pour protéger les
commerçants.
<( En outre, lorsque les factoreries sont établies dans
la ville, il y a des vols constants qui ne peuvent être
punis, ce qui peut occasionner des difficultés conti-
nuelles entre noirs et blancs. En 1870, les agents dési-
raient se fixer en un point plus sain près de Tembou-
chure de la rivière, où la brise rafraîchissante de la mer
se fait sentir, et ils ont défriché le terrain; mais Tobs-
tination de la ferme Miller Brothers les retint dans un
des points les plus malsains de la côte.
« Un article analogue se trouve dans le traité qui fut
passé avec New Calabar. Il empêche les commerçants
de revenir en un point où tous ceux qui s'y étaient éta-
blis étaient morts à la suite .d'une épidémie. »
Il ne fallait pas être grand clerc en matières africaines
pour deviner que de pareilles conventions seraient la
source de difficultés interminables.
Celles-ci ne tardèrent pas à se produire.
Un commerçant européen alla s'établir dans la rivière;
Jaja estima que c'était contraire à ses intérêts en même
temps qu'aux conventions qui avaient été passées. Le
11 avril 1881 il envahit la rivière avec 50 canots de
guerre, brûla 7 villages des Konbas, détruisit leurs ré-
coltes, fit une centaine de prisonniers. Il pilla ensuite
la factorerie de M. Watt et, retournant à Opobo, fit
martyriser ses prisonniers, tandis qu'il faisait couper
par ses propres enfants la tête des enfants qui avaient
été faits captifs, pour leur donner, disait*il, le droit de
l'oIL hivers CONSrLATB ET LE ROI JAJA 477
porter la plume d'aigle que seuls pouvaient arborer
ceux qui avaient tué un ennemi.
Aux observations qui lui furent faites par le consul
Hewet, Jaja déclara que bien que les Koubo ne fussent
pas sous ses ordres, M. Watt n'avait pas pour cela le
droit de commercer avec eux, car il leur achetait ainsi
les produits qui auraient dû passer par son intermé*
diaire, la rivière traversant dans son cours supérieur
le pays où était produite la plus grande partie de Thuile
qui parvenait à Esenée, son plus grand marché.
La clause 3 du traité du 4 janvier 1873 lui donnait le
droit d'empêcher les commerçants de s'établir au delà
d'un certain point. Quelle était la valeur de ce droit, si
n'importe qui pouvait s'établir dans les rivières voisines
des siennes et par lesquelles passaient tous les produits
qui arrivaient sur ses territoires ? Du reste les Ko Ibos ne
pouvaient en rien réclamer des droits sur ce commerce,
étant donné qu'ils étaient de simples pécheurs et qu'ils
n'avaient songé à s'établir comme traitants d'huile que
lorsque M. Watt s'était installé au milieu d'eux. Les
sujets de Jaja n'avaient d'autre profession que d'aller
chercher de l'huile dans les marchés de l'intérieur pour
venir la vendre aux commerçants, et leur roi demandait
que l'on obligeât M. Watt à se déplacer.
Le Foreign Office, qui paraissait fort décidé à se borner
au rôle vague qu'il avait joué jusque-là aux embou-
chures du Niger, était évidemment embarrassé par le
texte du traité de 1873, et le consul Hewett pouvait
écrire que ce qu'il y avait de plus grave, c'était que les
cruautés commises par le roi Jaja paraissaient, aux yeux
des Ibos, recevoir l'approbation du gouvernement de
Sa Majesté, qui avait fait d'un rebelle le chef d'Opôbo.
kiO LE NIGER C0A5T PROTECTODATE
Jaja se prévalait de ce titre, arborait sur son canot le
iTrapeaii anglais, et déclarait qu'il agissait avec l'appro-
bation du consul.
Le comte de Granville répondit bien à Jaja qu'il ne
pouvait approuver ses prétentions sur le Kolbo, mais
ce ne Tut que deux ans après que, à la suite d'exactions
incessantes de Jaja, il parut que l'on devait, avant d'u-
ser de rigueur envers lui, modifier la nature des liens
qui l'unissaient au gouvernement anglais.
Le 19 décembre 1884 était signé entre le consul
Hewetl et les chefs et roi d'Opobo, parmi lesquels on
vit figurer à côté de Jaja le prince Saturday Jaja, John
Africa, l'honorable Slrongface et l'inattendu duc de
Norfolk, un traité dont les clauses principales étaient
les suivantes :
« Article premier. ■ — Sa Majesté la reine de Grande-
Bretagne et d'Irlande, eu égard à la requête qui lui en
a été faite par les rois, chefs et habitants d'Opobo, a
décidé d'étendre à eux et aux terres qui sont sous
leur autorité et leur juridiction sa gracieuse faveur et
sa protection.
« Art. 2. — Les rois et chefs d'Opobo promettent de
ne pas entrer en correspondance ou traités avec des
nations étrangères sans que le gouvernement de Sa
Majesté britannique en ait été informé et l'ait approuvé.
« Art. 3. — Juridiction pleine et entière est réservée
aux agents de Sa Majesté sur les sujets anglais ou les
étrangers qui bénéficient de la protection de l'Angle-
terre.
« Art. 4. — Toute contestation entre le roi et les
chefs d'Opobo ou entre eux et les commerçants anglais
ou étrangers, ou entre les chefs et les tribus voisines»
l'oil hivers consulats et le roi jaja 479
qui ne pourront être réglées à Tamiable, seront soumi-
ses aux agents de Sa Majesté,
« Art. 5. — Les missionnaires des religions chrétien-
nes auront le droit de s'établir dans les territoires des
chefs indigènes et de professer leur religion. »
Le texte du traité, qui était arrivé sans doute tout
imprimé de Londres, portait avant sa signature un
article ainsi conçu :
« Art. 6. — Les sujets ou citoyens de tout pays peu-
vent commercer en toute liberté dans tous les points
des territoires dépendant des chefs susmentionnés et
peuvent y construire des maisons d'habitation et des
factoreries. »
Cet article fut effacé sans doute parce que les chefs
refusèrent de l'approuver, mais aucun des documents
publiés ne porte trace des discussions qui ont dû avoir
lieu à ce sujet.
Il est probable que, ne désirant pas intervenir encore
trop directement dans le Bas-Niger, le gouvernement
anglais n'insista pas à ce sujet, de peur d'entrer en
conflit trop direct avec les chefs. Il préféra rester dans
le vague des situations acquises qui lui permettait de
n'intervenir dans l'avenir que dans la mesure qui lui
conviendrait.
Cela avait tout au moins l'inconvénient fort grave
de laisser subsister toutes les difficultés qui pouvaient
résulter des traités de 1873.
Le nouveau texte établissait bien d'une manière cer-
taine le protectorat de l'Angleterre sur l'Opobo; mais
du fait de la suppression de toute clause qui pouvait
porter atteinte aux droits et prérogatives que s'attri-
buaient les chefs du Bas Niger en matière commer-
480 I>B NIGBR COA9T PROTECTORATE
ciale, il semblait bien que rien n'était changé à la situa-
tion antérieure.
Jaja ne devait pas manquer de s'en prévaloir, et, il faut
le reconnaître, avec assez de raison.
Un incident assez caractéristique allait se produire.
Le prix de Thuile de palme ayant fortement baissé en
Europe, les agents des cinq maisons anglaises établies
à Opolocon formèrent, en octobre i885,'une sorte d'union
dans le but de baisser les prix d'achat, et décidèrent
que la commission qu'il était d'usage de payer aux chefs
sous le nom de « Topping », et qui consistait en une
remise de 4 penchons d'huile par 20 penchons achetés,
serait ramenée à 3 penchons seulement. L'huile devait
être partagée entre chaque maison.
Bien qu'il fût d'un usage ancien de réduire le Top*
ping lorsque les prix baissaient en Europe, la décision
rencontra la plus vive des oppositions de la part du
roi Jâja, qui déclara qu'il arrêterait le commerce de la
rivière pendant deux ans, s'il était nécessaire, et que
lui et ses chefs mangeraient de la vase s'il le fallait
avant de céder.
11 prit le parti assez normal d'expédier en Angleterre
d'assez grandes quantités d'huile^ et il parvint à décider
l'agent de la maison Miller Brothers à rompre ses en-
gagements avec l'union. Il lui promit de lui vendre
toute l'huile du pays, à condition qu'il continuerait à
payer le Topping sur la base de 4 ponchons pour 20.
. Le vice -consul Johnston (actuellement Sir Uarry
Johnston) déclara que jusque-là Jaja n'avait point agi
d'une façon illégitime et s'était borné à user de ses
prérogatives; mais il n'en fut pltis de même lorsque les
quatre autres commerçants, voyant que la lutte leur
l'oIL hivers consulats et le IlOI JAJA 481
était impossible, prirent le parti d'abandonner Opobo
et, pensant que le nouveau traité rendait libre le com-
merce dans la rivière Kolbo, voulurent aller s'y établir.
Jaja leur en fit défense, de même que lorsqu'ils ^vou-
lurent s'installer dans les marchés de Ka.
Tout commerce devint impossible pour eux; il ne
passait d'autres courriers que ceux de la maison Miller;
ayant essayé de circuler eux-mêmes en dehors d'Opobo,
ils furent arrêtés par une armée de 400 hommes.
Jaja prétendit du reste qu'il agissait ainsi dans son
droit le plus stricbdu mot « protection » employé dans
le traité; il lui fut répondu que la Reine ne désirait pas
par là lui prendre son pays ni ses marchés, mais sim-
plement qu'aucun autre ne pût le faire. Elle désirait
lui accorder sa protection bienveillante et lui laisser le
gouvernement de son pays.
Lorsque les commerçants tentèrent d'aller s'établir
dans les marchés des environs d'Opobo, Jaja en écrivit
directement au marquis de Salisbury, lui disant :
« Je n'ai signé de traité avec Sa Majesté la Reine d'An-
gleterre que pour qu'elle soit ma protectrice, mais je
n'ai, à ma connaissance, signé aucun traité qui permette
aux commerçants anglais de s'établir dans mes marchés.
Je ne le permettrai pas, et je vous prie d'avoir la bien-^
vèillance de demander aux directeurs des maisons de
commerce établies dans ma région d'empêcher leurs
agents d'agir ainsi. Maintenant que j'ai pris Sa Majesté
la Reine pour protectrice, je vous demanderai, mon
Lord, de vouloir bien donner des instructions à ses
consuls dans mes rivières pour qu'ils fassent justice
à tous, blancs ou noirs. »
Ces incidents se produisaient pendant l'absence du
31
482 L.R NIGER COAST PEOTECTORÀTE
coasul Hewett; lorsqu'il revint dans les OU Rivers, il
donna tort à Jaja en disant que le gouvernement de Sa
Majesté avait déclaré qu'il n'autoriserait aucun mono-
pole de commerce dans ce pays ; il condamnait Jaja à
payer une amende de 30 ponctions de bonne huile de
palme pour avoir violé le traité, lui rappelant que de-
puis 1880 il avait une vieille amende de 3 ponctions
qui lui avait été donnée par la cour d'Équité et qu'il n'a-
vait pas payée, lui infligeait une amende supplémen-
taire de 1 ponchon pour ce retard, et lui demandait
de restituer les sommes d'argent qu'il avait indûment
exigées des commerçants lorsque ceux-ci avaient voulu
établir de nouveaux comptoirs dans ce pays.
Le principal argument qu'invoquèrent les représen-
tants de Sa Majesté pour combattre les prétentions de
Jaja était que ces gens n'étaient pas des producteurs
qui auraient eu le droit de vendre leur huile comme ils
auraient voulu et là où ils auraient voulu, mais simple-
ment des intermédiaires qui voulaient empêcher toute
relation entre les producteurs et les consommateurs, ce
qui aurait du reste amené leur ruine.
Jaja prétendait que la clause 111 du traité de 1875
déterminant les points qui ne devaient pas être dé-
.passés par les commerçants blancs était toujours en
vigueur, et que la meilleure preuve en était que la
disposition qui, dans le traité de 1883, aurait pu la sup-
primer, n'avait point été maintenue dans le texte défi-
nitif.
Le gouvernement anglais répondit bien à cela que
ce serait constituer un monopole de commerce inad-
missible, mais il n'en paraissait pas moins embarrassé,
et il serait trop long de donner les détails de la corres-
l'oIL EIVfiBS GONSULATE BT LB BOI JAJA 483
pondante échangée à ce sujet entre Jaja, TAmirauté et
le marquis de Salisbury. Jaja, qui parut toujours consi-
dérer ce dernier comme son plus ferme soutien, lui
envoya une députation en Angleterre, ne cessant d'assu-
rer « qu'il reconnaissait parfaitement les pouvoirs que
Sa Majesté devait avoir sur les autres nations » et qu'il
n'avait aucun moyen de lui résister, que cependant il
la priait de considérer que si elle ouvrait les marchés
de rintérieur aux commerçants anglais, il ne savait
ce que deviendraient ses propres sujets qui n'avaient
point de terre à cultiver et qui n'avaient que leur mé-
tier d'intermédiaires pour nourrir leurs femmes et leurs
enfants)».
Du 15 janvier au i^aoûl 1887 La situation ne fit pas de
grands progrès. Jaja s'adressait, à chaque nouvel inci-
dent, au Foreign Office, et celui-ci demandait de Bon-
velles enquêtes jusqu'au jour où, perdant patience et
sans attendre de nouvelles instructions, Johnston s'ap-
pliqua à passer avec Jaja un nouveau traité pour faire
disparaître les ambiguïtés des précédents. Il lui promit
de faire lever la lourde amende qu'il lui avait infligée,
et y mit comme condition qu'il signerait lin accord d'a-
près lequel il se rendrait responsable de toutes les obs-
tructions qui pourraient être apportées par ses gens
au commerce des Européens, et qu'il désignerait un
chef qui irait avec le consul annoncer aux peuples de
l'intérieur que lui, Jaja, acceptait le libre commerce.
Le 5 août 1887, Jaja se résignait, mais en même temps
écrivait à Lord Salisbury qu'il aurait voulu, avant de
signer une nouvelle convention, savoir quel avait été
l'accueil fait à sa déposition. Il avait été forcé de se sou-
mettre aux volontés du consul devant ses menaces. Il
484 LR NIGER COAST PROTECTORATS
espérait que des instructions de Londres viendraient
tout mettre au point. *
Comme il en avait témoigné l'intention, le consul
Johnston se rendit dans les marchés de Tintérieur pour
proclamer la liberté du commerce; mais il fut très mal
reçu par les Ibos, qui avaient fini par se niettre d'accord
avec Jaja, et il écrivit au Foreign Office que si Ton ne
voulait pas se décider à prendre des mesures énergi-
ques, il n'y avait plus qu'une chose à faire : arrêter tout
commerce dans la région, ce à quoi consentaient toutes
•les maisons européennes, sauf celle de Miller Brothers
qui soutenait Jaja.
Le 18 août, l'ordre suivant était publié :
« Notice est donnée à tous qu'à partir d'aujourd'hui
•tout commerce ou relations commerciales entre le roi
.Jaja et ses sujets, les chefs d'Ohombela et leurs sujets,
et les sujets ou protégés anglais sont interdites jusqu'à
ce que le roi Jaja et les chefs d'Ohombela aient satis-
fait aux engagements qu'ils ont passés avec le repré-
sentant de Sa Majesté. »
Pendant ce temps, le consul signait avec les chefs
d'Obako un traité analogue à celui qui avait été passé
-en 1888 avec Jaja, mais où l'article 6 au sujet de la
liberlé du commerce était maintenu.
Comme il se rendait à Obako pour y rechercher un
emplacement pour de nouvelles factoreries, le consul
fut arrêté par une troupe de guerriers de Jaja qui le
forcèrent à retourner en arrière.
Ce qui paraissait le plus grave à Sir Harry Johnston,
c'est que Jaja déclarait que si ses envoyés revenaient
d'Angleterre sans avoir reçu pleine satisfaction, il cher-
cherait à vendre son pays à la France (où il disait avoir
l'oil rivbrs consulats et lb roi jajà 485
envoyé un chargé crafTaires), ou bien il massacrerait
tous les blancs, pillerait les factoreries et se retirerait
dans l'intérieur.
Le consul anglais proposait d'expédier Jaja à la Gold
Coast avant qu'il ait pu mettre' ses menaces à exécution.
Le 24 septembre 1887, voyant que la situation deve-
nait de plus en plus dangereuse, et devant les suppli-
cations des indigènes de Bonny et des autres rivières,
le consul profita d'une occasion heureuse, se saisit de
Jaja et s'embarqua avec lui pour Accra.
Tous les peuples des environs et les sujets de Jaja
eux-mêmes en marquèrent la plus ample satisfaction.
Quant à Jaja, il envoya le télégramme suivant au
Lord marquis de Salisbury, en qui il ne cessait d^avoir
confiance :
« Injustement conduit à Accra et détenu. Prière
câbler au gouvernement Jaja retourne à Opobo pro-
chain steamer; répondez. »
Il n'en sembla pas moins prendre la chose philoso-
phiquement, et Sir Harry Johnston écrivait que son
acte d'autorité n'avait jamais paru indisposer Jaja à
son égard, que celui-ci n'avait jamais paru d'aussi
bonne humeur, et passait son temps à bord du steamer
à causer ayec lui.
A son arrivée à Accra, il fut reçu avec beauôoup
d'égards, et le gouverneur l'invita à dîner en compagnie
des principaux chefs de service de la colonie; on lui
servit une rente de 800 livres.
Sir Harry Johnston ne devait pas, pour ramener la paix
dans le Bas-Niger, s'en tenir à cette expulsion de Jaja,
mais, sachant que le Foreign Of/ice ne le suivrait pas
dans de nouvelles tentatives, il dut modérer son action.
486 LE NIGEn COAST PROTECTORATE
C'est ainsi qu'il écrivait, le 9 février 1888, à Lord
Salisburv :
« My Lord,
« J*ai rhonneur d'inforAaer Votre Seigneurie que le
5 janvier dernier je partis, en remontant la Crow River,
avec le désir de passer des traités avec les divers rois
et chefs établis sur ses rives, pour mettre leur terri-
toire sous le protectorat britannique, et je désirais aussi
trancher par mon intervention plusieurs querelles qui
s'étaient élevées entre le peuple de Calabar et les natu-
rels de Crow River et entre les diverses tribus qui
habitent les contrées de TUnion, Akakuna, Afîkpo, Iko
Morut et Arun. Ces querelles et Tétat de guerre inter-
mittent auquel elles donnaient lieu ont longtemps
exercé un effet préjudiciable sur le commerce de la
rivière. Je suis heureux de dire que j'ai réussi dans ces
deux entreprises.
« J'ai passé des traités avec Union (la première contrée
sur Efik, ou territoire du vieux Calabar), Akakuna et
Iko Morut, nous en faisant des amis et distribuant des
drapeaux anglais au peuple des deux rives d'Atam. J'ai
tenu aussi un palabre long et pénible entre Union et
Calabar, et j'ai décidé le peuple d'Union à renouer des
relations amicales avec Akakuna, à faire la paix avec
Iko Morut et à reprendre son commerce avec Arun.
J'aurais pu passer des traités avec des peuples plus en
amont, mais j'hésitai à étendre plus loin dans Tinté-
rieur nos responsabilités sans que le gouvernement de
Sa Majesté ait décidé des moyens de gouverner le pro-
tectorat des Oil Rivers.
« Tout le long de la Crow River les chefs étaient
l'oIL RltERS CONSULATE BT LE ROI JAJA 487
prêts et bien disposés à passer des traités les plaçant
sous la protection de Sa Majesté. Mais il était douteux
qu'ils eussent toujours compris les obligations qui
leur incombaient de par ces traités. Et dans le cas
d'une infraction de quelques-unes de leurs clauses, je
n'étais pas siir qu'il fût opportun^ dans ces circonstan-
ces, que le gouvernement les forçât à tenir leurs enga-
gements. »
"~ m I lu
CHAPITRE XXXII
LE NIGER COAST PROTECTORATE
ET LA SOUTHERN NIGERIA
L'occupation du Bas Niger.
Dans l*étude qu'il nous reste à faire des événements
qui marquèrent rétablissement définitif de TAngleterre
dans la Niger Coast Protectorate et de la Southern
Nigeria, nous n'avons guère à parler que des expédi-
tions qui rendirent nécessaire cette occupation et à
mentionner les actes législatifs dont l'application parut
nécessaire. Nous n'avons point à suivre les évolutions
d'une politique aux caractères divers. Ici l'autorité de
l'Angleterre fut imposée résolument aux indigènes par
la conquête.
La nature même des populations qui habitent le
Niger, l'extrême division de leurs groupements, leurs
mœurs, toutes choses que nous n'avons pas à décrire
ici, devaient obliger l'Angleterre, si elle voulait établir
la paix dans ces régions et proléger son commerce, à
y agir en maître et à ne point tenir compte des institu-
4ions locales. Elle devait conquérir, les uns après les
autres, ces territoires et les occuper très fortement, en
ne laissant aux chefs que le pouvoir qu'ils pouvaient
retirer de son appui.
Après Tacte énergique de Sir Harry Johnston, une
fois la puissance de Jaja détruite, on avait dû se de-
l'occupation du bas NIGER 489
mander s'il ne convenait pas de faire de ce coup cl'éclat
le point de départ d'une.politique nouvelle, et si Tinter-
vention anglaise ne devait pas se faire sentir autrement
que par Tintermédiaire d'un vague consulat, et d'une
façon plus énergique. Nous savons comment, une fois
repoussées sur ces territoires les prétentions de la
Niger Co., le major Cl. MacDonald fut chargé en 1887
d'examiner cette question.
Lots de celte enquête*, estimant que les chefs et
peuples du pays devaient être consultés sur le change-
ment que l'on voulait apporter à la nature des liens qui
les unissaient à l'Angleterre, Sir Cl. Mac Donald tint
dans chaque rivière des meetings auxquels assistaient
tous les chefs et eut des entretiens avec les plus
influents d'entre eux. Tous auraient été unanimes à
désirer être soumis à une administration impériale
plus efflcace que celle avec qui ils avaient été jusque-
là en rapport.
Un gouvernement fut organisé de toutes pièces à
Londres. Sir Claude MacDonald fut nommé consul
général de « l'Oil Rivers Protectorate », et il arriva au
Niger avec tous les fonctionnaires qui devaient l'assis-
ter, chacun connaissant par avance la tâche qui lui était
assignée.
Le premier acte du gouvernement fut de proclamer,
le 14 août 1891, un tarif des droits de douane. Seuls
étaient taxés l'alcool, la poudre, les fusils, le tabac et
le sel. Les autres marchandises ne supportaient aucun
de ces droits ad valorem contre lesquels les commer-
çants de Liverpool avaient tant protesté à propos des
1. Report on the administration ofthe Niger Coast Protectorate, février
1895. P. p. C. 7596.
490 LE NIGER COAST PROTEGTORATE
taxes de la Niger Co. La première année; ces droits rap-
portaient 87.695 livres, et la seconde année 135.966 li-
vres, résultat merveilleux, qui prouvait la vitalité de
la nouvelle colonie ainsi que l'excellente organisation
de son gouvernement.
Le Protectorat fut divisé en 7 districts : Old Calabar,
Opobo, Bonny, New Calabar, Brass, Warri et Bénin,
groupés sous la domination de Western et Eastern
district, d'après leur situation à Test ou à Touest du
Niger.
A la tête de chacun d'eux était placé un vice-consul
ou Deputy Commissioner, un agent consulaire le secon-
dant et un magistrat chargé de la « Consular Court ».
Le vice-consul devait, indépendamment de ses attri-
butions politiques, qui consistaient, d'après la formule
officielle S à entretenir des relations amicales avec les
tribus du voisinage, essayer d'ouvrir de nouveaux mar-
chés et de nouvelles routes, et généralement de main-
tenir la paix et Tordre dans son district. » Il était aussi
en partie responsable du bon fonctionnement des doua-
nes, des postes et du service de la Trésorerie.
L'œuvre des vice-consuls devait être , surtout dans
les premières années du Protectorat, d'essayer de réa-
gir contre les coutumes barbares, scènes de canniba-
lisme, sacrifices humains qui ensanglantaient le protec-
torat. Cependant dès 1893 Sir Claude MacDonald allait
avoir à se préoccuper d'incidents plus importants^ no-
tamment de la situation créée dans le Bénin par te roi
Nana.
Comme Jaja , Nana était le chef d'une tribu , les
1. Loco cit.
l'occupation du bas NIGER 491
Jekris, dont le principal moyen d'existence était de
servir d'intermédiaire entre les Sobos producteurs
d'^huile de palme et les Européens. Dans son rapport
en 1894*, le consul général reconnaît que tout le com-
merce de la rivière était entre ses mains grâce à un
régime de terreur. Il avait à cette époque une troupe
de 3.000 ou 4.000 hommes et de nombreux canots pou-
vant contenir 40 à 50 rameurs et transporter des canons.
Il ne se déplaçait qu'accompagné de 30 à 40 hommes
armés de winchesters. Quelques années auparavant il
arrêta tout commerce pendant plusieurs mois sous un
prétexte futile. Il fut avisé que la première fois que le
fait se renouvellerait il serait puni, sévèrement puni*.
Le 1®' août 1894, un parti d'Idzos, sujets de Nana,
attaquait le village d*Oboli, à Tentrée de la rivière du
Bénin, le brûlait et entraînait en captivité 12 person-
nes. Le chef des Idzos reçut Tordre de se rendre au
vice-consulat, mais, après en avoir déféré à Nana, il
n'obéit pas. Un officier fut envoyé avec l'aviso FAecto
pour l'arrêter. Le village, qui était vide, fut brûlé, pour
montrer aux voisins que le fait de ne pas obéir aux or-
dres du gouvernement anglais pouvait avoir de sérieu-
ses conséquences, d'autant que les indigènes du dis-
trict de Bénin et de Warri avaient eu trop longtemps
l'habitude de dire qu'ils ne connaissaient pas d'autre
gouvernement que celui du chef Nana. Il en fut Je
même pour le village d'Eferona, qui était commandé
par un ami de Nana.
La situation n'en devenait que plus tendue.
Le 19, le consul général câblait au Foreign Office :
1. Loco eU.
'2. Correspondance respecting the Dislarbances in Bénin. P. p.c. 763).
492 LE NIGER COAST PROTECTORATS •
« Nana s^obstîne à cause des difficultés. Demande que
des instructions soient données pour qu'une autre ca-
nonnière soit envoyée au Bénin avec une pièce de 9 prr.
Je me rends à Calabar avec des renforts. Si nouveau
déploiements de forces restent inefficaces, il sera néces-
saire d'agir énergîquement; une seconde canonnière
suffira. »
Le 25 août, une reconnaissance faite par la canon-
nière Electo pour examiner les abords de Brohemîce,
capitale de Nana, fut repoussée par les hommes de
Nana, qui tuèrent un Européen et en blessèrent 10.
Le capitaine Powel, commandant de la flottille, déclara
que Ton ne pourrait prendre la ville qu'à l'aide d'une
force de 400 blancs munis de rochets et de maxims
montés sur des trépieds, l'accès de la contrée étant
impossible à tout engin monté sur roues.
Après divers incidents, le 25 septembre, Brohemîce
fut enfin prise. Nana put s'enfuir à Lagos, où il fut fait
prisonnier le 26 octobre, renvoyé à Old Calabar, puis
déporté à la Gold Coast.
Plus de 2.000 esclaves natifs de la région furent
renvoyés dans leurs familles. Ceux qui étaient Goubas
furent envoyés dans un village nommé « America »,
oii étaient établis un certain nombre de leurs compa-
triotes.
11 était évident que depuis de longues années Nana
se préparait à repousser une intervention possible
des forces du gouvernement. On trouva dans sa ville
106 canons, 4^i5 lourds Owivel Blunderbusses, 640 fu-
sils danois, 1.151 fusils à capsules, plus de 14 tonnes
de poudres et une quantité considérable de munitions
de toutes espèces. D'après Sir Ralph Moor, le pou-
l'occupation du bas nigbr 493
voir de Nana, qui s'intitulait gouverneur de Bénin,
s'étendait sur plus de 100 milles à Tintérieur, sur une
largeur de 50 à 60 milles, non seulement sur les indi-
gènes, mais encore sur les Européens, dont quelques-
uns trouvaient plus avantageux de se servir de son
pouvoir que de prêter leur concours à rétablissement
du gouvernement de la Reine. Cela avait été une
grave erreur, de la part du vice-consul Blair, que
d'avoir nommé, en 1885, Nana chef de Bénin et de lui
avoir laissé usurper un pouvoir qu'il n'aurait jamais
dû avoir.
Nous avons vu comment, en 1895, les indigènes de
la région de Brass attaquèrent les factoreries de la
Niger Co. Bien que ces révoltes n^'aient pas eu lieu
dans les terres du Protectorat, elles devaient cependant
intéresser celui-ci. Nous savons comment Sir John Kirk
expliqua le soulèvement. Il devait lui paraître grave,
surtout en ce qu'il révélait le danger que présentait la
'libre importation des armes et des munitions dans le
bas Niger.
Sir John Kirk s'exprimait ainsi à ce sujet dans son
rapport de mission* :
« Le peuple de Brass, comme tous ceux qui vivent
sous le Protectorat de la Niger Coast, est bien armé
en carabines, en fusils à percussion et en canons inter-
dits par les dispositions de l'acte de Bruxelles.
a Un des premiers actes de la nouvelle administra-
tion établie en 1891 fut de renouveler le Consular Or-
der du vice-consul II. H. Johnston, qui était tombé en
désuétude, et d'interdire toute introduction, à l'avenir,
1. L'oco cit.
1
I
494 LB NIGER COA8T PROTBCTORATB
de fusils se chargeant par la culasse, de canons, d'ar-
mes automatiques; mais les fusils à percussion se char-
geant par la bouche, les carabines, les revolvers, les
capsules à percussion et toutes les munitions en géné-
ral continuèrent à entrer librement en quantité illimi-
tée. Les statistiques commerciales de 1892 et 1893
(V. Reports ann., séries n" 1144 et 1618) montrent
que Ton a introduit dans le Protectorat, en 1872,
62.262 fusils, dont 18.746 à percussion, 34.410 cartou-
ches, 33.770.550 capsules à percussion, 637.248 livres
de poudre, et en 1893, 14.459 fusils à percussion et le
chiffre énorme de 258.893.750 capsules à percussâon.
ce Lorsque je me trouvai à la côfe en juin dernier,
bien que Tordonnance pour rapplication.de Facte de
Bruxelles fût en vigueur, les commerçants conservaient
encore des armes et de la poudre dans leurs magasins
sans être inquiétés.
« Tout le Protectorat est, maintenant, rempli de cara-
bines Snider et de fusils à percussion dont nous pou-
vons imaginer le nombre d'après l'énorme importation
de capsules à percussion qui eut lieu en 1893. On me
montra à Brass une statistique instructive des armes
à percusssion et des fusils se chargeant par la culasse
déclarés par les habitants de trois vilUages, les seuls
où rinscription des armes ait été appliquée jusqu'à ce
moment. Elle montrait combien le district est bien
fourni d'armes du meilleur type. Dans ces trois villa-
ges on ne comptait pas moins de 69 carabines Snider,
15 martinî, 23 d'autres types et 61 fusils à percussion;
Sir Claude MacDonald déclarait à Alcana que Tarme*
ment de la contrée était phénoménal.
L'émotion causée par l'incident de Brass était à peine
l'occupation ou bas NIGER 495
calmée que Ton apprenait le massacre d'une mission
anglaise dans la ville de Bénin.
Les relations avec la « ville de sang » furent toujours
très limitées, à cause de Tétat de barbarie dans lequel
vivaient ses habitants. A la suite de Tabolition de la
traite des esclaves, dont Bénin était un des centres les
plus importants, les chefs interdirent d'une façon plus
stricte l'accès de leur ville. Cependant, après l'établis*
sèment du vice-consulat, les maisons européennes éta--
blies dans les Oil Hivers osèrent établir des comp-
toirs dans le voisinage de Bénin City, à Sapele et à
Gwato, mais n'entrèrent en relation qu'avec les Solos
et non avec les Bénis, à qui il était défendu par leur
chef de passer l'eau ou de quitter le pays.
En 1892, le capitaine Gallvey put visiter Bénin City
et conclure un traité de commerce avec le roi; mais la
situation n'en fut pas améliorée, et, après divers inci-
dents, FActing Consul gênerai Philips estima ' qu'aucun
moyen pacifique ne pourrait réussir tant qu'il ne serait
pas lui-même entré dans la ville.
On sait comment, ayant voulu mettre son projet à
exécution, le consul fut massacré avec les autres Euro-
péens.
Deux des membres de l'expédition échappèrent seuls
au massacre.
La nouvelle du désastre provoqua un véritable affo-
lement à la côte et en Angleterre. Bénin City avait tou-
jours été considéré comme une forteresse formidable.
L'expédition des Ashantis était à peine terminée ; les
forces de la Compagnie du Niger faisaient campagne
1. P. p. c. 8677. Papers relating to the Massacre ofBritish officiais near
Bénin, 49.
496 LB NIGER COAST PROTECTORAÏE
contre le Nupé et rilorîn, et au premier abord on pensa
que toutes les troupes disponibles sur place étaient
retenues loin de Bénin. La situation semblait d'autant
plus compliquée que Ton craignait un soulèvement gé-
néral des indigènes du Bas Niger.
Le 14 janvier 1897, le Foreign Office écrivait au War
Office* :
« La Royal Niger Co. a reçu un télégramme qu'elle
nous communique, disant qu'une partie importante des
troupes de la Compagnie est immobilisée dans le delta,
par crainte d'une attaque des indigènes du Niger Coast
Protectorate, et une demande urgente de secours a été
faite par le Deputy governor auprès du gouvernement.
« Quoique lord Salis bury n'ait pas de raison spéciale
de partager les craintes de la Compagnie, il pense que,
tandis que celle-ci est occupée dans ses opérations du
•T^upé, les indigènes du fleuve pourraient être tentés
de se soulever, si les troupes du Niger Coast Protecto-
rate devaient être envoyées dans le Bénin sans que des
précautions aient été prises pour laisser au Niger une
force suffisante. Il propose donc que 100 hommes du
"West African Régiment soient envoyés de Sierra Leone
dans le delta du Niger, 50 devant être aflectés à Âkassa
et 50 à Sabegrega, aussi longtemps que les troupes de
la Compagnie seront employées dans le Nord. »
La Compagnie fut avisée de cette décision', mais on
lui fit savoir en même temps que Ton ne partageait pas
ses craintes au sujet de la situation du Bas Niger.
Elle répondit d'assez mauvaise humeur' :
1. Loco cit., n* 16.
2. Loco cit., n* 31.
3. Loco cit., n" 37.
l'occupation du bas NIGER 497
« Tout en remerciant le gouvernement de Sa Ma-
jesté de ce qu'il' veut bien reconnaître l'importance
vitale qu'il y a dans les circonstances actuelles à main-
tenir la paix avec les tribus du Protectorat, le conseil
de la Compagnie désire faire remarquer que ses crain-
tes proviennent de la conduite des indigènes qui se
trouvent en dehors de ses territoires, et non de ceux
dont elle a charge.
« La Compagnie s'est abstenue jusqu'ici de solliciter
toute aide impériale pour le maintien du bon ordre
dans les territoires qu'elle a sous son contrôle, et n'en
réclame point actuellement. Elle sait quelles sont ses
responsabilités. Elle est prête à y faire face. Tout ce
qu'elle demande, c'est qu'on la protège contre les atta-
ques qui pourraient lui venir du dehors, et qu'elle
reconnaisse que l'on doit laisser à la discrétion du
gouvernement de Sa Majesté le soin d'adopter telle
mesure qu'il peut être nécessaire de prendre pour
assurer sa protection; elle désire faire remarquer
qu'elle suggère simplement que Ton maintienne une
force suffisante à Brass et le stationnement d'une
canonnière à cette place, et d'une autre à Akassa, ce
qui permettrait de retirer du delta les troupes de la
Compagnie qui y sont mobilisées sans nécessité.
« Si cependant, pour des raisons stratégiques, le
gouvernement de Sa Majesté juge nécessaire de faire
occuper par les troupes impériales les stations de la
Compagnie à Akassa et à Sabagraé, le conseil est
tout disposé à prêter au gouvernement de Sa Ma-
jesté tout le concours possible et à prendre toutes
les dispositions nécessaires pour la réception des
troupes. »
32
498 LE NIGER COAST PnOTECTORATE
Le Foreîgn Office répondît tout d'abord* qu'il ne voyait
point de motifs pour changer son plan d'action; mais
comme la Compagnie insistait et déclarait en même
temps qu'elle entendait ne point supporter les dépen-
ses occasionnées par le séjour des troupes impériales
dans ces territoires, il fut décidé que l'on enverrait à
Brass une partie importante des troupes du Protecto-
rat', mais que la Compagnie aurait à sa charge les
sommes qui seraient dépensées pour la protection
des territoires qu'elle avait entrepris d'administrer.
Neuf bâtiments de guerre furent concentrés dans
les eaux du Niger, et l'amiral Rawson reçut l'ordre de
se porter au secours de ceux des membres de l'expé-
dition qui pourraient avoir survécu au massacre, pren-
dre la ville de Bénin et, si possible, s'emparer du roi.
On sait comment la ville fut prise' le 18 février, et
comment il se trouva que le surnom de « ville du sang »
qu'on lui avait donné était pleinement justifié.
Les envois de colonnes contre Nana et contre Bénin
ne devaient pas être des incidents isolés. Les expé-
ditions que le gouvernement anglais a du faire pour
maintenir la paix dans le Niger se sont succédé jus-
qu'à ce jour presque sans arrêt. Ce n'est point de con-
quête proprement dite qu'il s'agit, mais plutôt d'opéra-
tions de police. Les diverses tribus, sans méconnaître
l'autorité anglaise, s'obstinent à pratiquer leurs guer-
res intestines, leurs sacrifices humains, leurs procédés
1. Loco ci7.,n* 43.
2. Loco cit., n*46.
3. The Bénin Massacre, capitaine Alain Boisragon, 1898; Bénin theeiiy
of Blood, commander B. H. Bacon, 1897.
'
l'occupation du bas NIGER 499
de justice barbare, leur anthropophagie. Constamment,
dans une rivière ou dans une autre, le commerce est
arrêté, et comme, malgré tout, d'une manière générale,
ce commerce est très prospère, l'intérêt qu'il peut y
avoir à faire disparaître toute cause de trouble est
considérable.
Comme les motifs de chacune des expéditions qui
ont eu lieu ces dernières années ont été toujours les
mêmes, et que ces expéditions n'ont donné lieu à aucun
incident notable, nous nous bornerons à signaler les
principales, en nous servant, pour en établir la liste,
des comptes rendus officiels qui en ont été donnés.
Si les déclarations du gouvernement sont peut-être
un peu trop optimistes en ce qui concerne une situa-
tion politique qui nécessite une surveillance conti-
nuelle, elles se rapprochent plus de la vérité que les
assertions venant de Lîverpool, qui représentent la
Southern Nigeria comme un pays constamment à feu
et à sang, et qui décrivent comme des expéditions de
simples tournées d'administrateurs.
Pendant la plus grande partie de 1897*, les efforts de
l'administration se portèrent surtout sur la pacification
des territoires du Bénin. Un résident fut établi dans la
ville de Bénin, le roi fut banni, et la plupart des chefs
qui avaient participé au massacre exécutés. Il aurait
peut-être été nécessaire de pénétrer dans le pays de
Nohun, mais il parut qu'il serait prudent de ne pas
recommencer l'expérience de Bénin et d'attendre que
le chef du pays vînt s'entendre avec le gouverneur. Le
rapport annuel de 1897 s'exprime ainsi à ce sujet :
1. p. p. C. 9124.
[
1-
500 LE NIGBR COÀST PROTBCTORATE
ic Par deux fois il a été impossible d'organiser cette
entrevue, et d'un autre côté la politique à tenir contre
les Nohuns est très délicate , car ces indigènes sont
imbus de vieilles idées et de traditions qu'ils observent
de temps immémorial. D'entreprendre contre eux une
« Punitive action » dans le but de les civiliser [in order
to civilize them) générait sérieusement le commerce
du Protectorat de Brass à Old Calabar.
« La seule « Punitive expédition » de quelque impor-
tance, continue le rapport, a été celle qui a été entre-
prise sur la Grow River en janvier et février 1898. Cette
expédition s'imposait, carie commerce d'une grande
partie des Grow Rivers était entièrement arrêté, les cul-
tures et rivages des tribus amies étaient dévastés par
les Tkurces, les Tgbos, les Asigas et les Npanis. Ces
tribus repoussèrent toutes les propositions pacifiques
que put leur faire Sir Nalph Moor et ne cessèrent de
déclarer que le seul moyen de terminer le palabre était
la guerre, et que plus tôt le gouvernement les combat-
trait serait le mieux. Il est satisfaisant de noter que la
sévère punition qui leur a été infligée a sérieusement
rehaussé le prestige du gouvernement, la plupart des
autres tribus attendant pour se soumettre de voir de
quel côté serait la victoire. On doit noter, du reste,
que la politique adoptée par Sir Nalph Moor a toujours
consisté à ne punir [to resort to punitive action) que
lorsque tous les moyens pacifiques avaient échoué. »
Une nouvelle tournée dans les Crow Rivers fut néces-
saire en janvier 1900*, et il parut qu'il serait toujours
nécessaire de maintenir une force importante dans ce
pays.
1. P. p. c. d., 4317.
I
l'occupation du bas NIGER 501
La capture des chefs qui avaient pris part au mas-
sacre de Bénin et qui n'avaient pu être pris, donna
lieu également pendant cette année à une petite expé-
dition.
En 1901, l'on résolut de refréner d'une manière sé-
rieuse la traite indigène des esclaves, et le !•' avril 1901
était publié ce The Slave Dealing Proclamation », qui
considérait comme crime tout trafic d'esclaves. Il parut
que le pays le plus rebelle à la nouvelle ordonnance
était le pays des Aros, situé entre le Niger et la Crow
River. Une expédition longue et difficile fut entreprise
dans cette région pour y faire sentir la puissance de
l'autorité anglaise.
Le rapport de 1902* parle dans les termes suivants
des résultats obtenus :
« Ce que l'expédition a démontré de plus remarqua-
ble est que les Âros n'étaient pas une race militaire
et que leur influence était due à la supériorité de leur
intelligence par rapport à celle des autres tribus indi-
gènes. La force de cette influence était telle qu'elle ne
se faisait pas sentir seulement dans le pays aro, mais
encore dans un grand nombre de points de la région
du delta situés entre le Niger et le Crow River et à
l'est de celle-ci. Lorsqu'une tribu essayait de se sous-
traire à l'influence des Aros, elle était maîtrisée par des
tribus guerrières qui obéissaient aux Aros et qui rece-
vaient pour récompense le droit de saisir et de vendre
les ennemis survivants. Dans la région soumise à l'in-
fluence directe des Aros, aucune contestation impor-
tante ne pouvait être résolue sans qu'on fit appel au
1. P. p. C. d., 1778, 10.
502 LE NIGER COA9T PROTECTORATE
Juju OU bosquet sacré situé dans un ravin près d'Ebum
(Aro Chuku). Chacune des parties rivales devait essayer
de se rendre favorable Toracle par des présents impor*
tants, et ceux contre qui le jugement avait été rendu
étaient censés anéantis par l'oracle, alors qu'en réa-
lité ils étaient vendus secrètement comme esclaves.
Comme les Aros étaient censés favorisés par l'oracle^
ils profitaient à la fois des offrandes et des esclaves..
L'oracle Juju leur permettait en outre de se débarras-
ser de toute personne qui pouvait être accusée d'at-
tenter à leur puissance. Les opérations de 1902 sup-
primèrent cet état de choses. Les Aros ne furent pas
anéantis, mais montrèrent leur intelligence en s'adap-
tant au nouveau genre de vie. Jusqu'ici ils avaient em-
pêché les tribus de l'intérieur de -commercer avec le
delta. Ils commencent à profiter de l'expérience qu'ils
ont ainsi acquise et, dans l'avenir, ils seront ceux qui
tireront probablement le plus d'avantages de l'ouver-
ture de leur pays aux commerçants. »
Le rapport de 1903 décrit ainsi ce qui se passa cette
année-là :
« Une expédition dans l'Tgara eut lieu en février.
Son double objet fut de punir une attaque qui avait
été faite contre le Commissionner du district, et de
donner un sentiment de sécurité aux indigènes d'une
région qui avait été jusque-là terrorisée par un usur-
pateur.
« A la suite également d'une réception plus qu'inami-
cale faite au Travelling Commissioner, une expédition
eut lieu le mois suivant dans l'Omonohaet l'Uri, à l'est
du Niger, pour les soumettre.
« En septembre, il parut nécessaire de capturer un
l'occupation du bas nigbr 503
pirate nommé Bibi Kala^ qui jouissait d'une réputation
locale assez considérable.
« Dans le même mois, une démonstration hostile fut
faite contre le Commissioner du sous-district d'Eket,
situé entre le Kiva et les Crow Rivers. L'officier avait
difficilement échappé à une embuscade pendant sa
tournée dans le district. Il fallut un mois de combats
acharnés pour venir à bout de tous les chefs qui
avaient pris part à l'attentat.
(( Dans le mois suivant, une attaque traîtresse fut
dirigée contre le Commissioner du district d'Ifu^ à
l'ouest du Niger. Cet officier fut attaqué dans un pays
ami, mais il avait avec lui une escorte suffisante pour
lui permettre de battre en retraite. Les villes coupa-
bles furent punies sans retard.
« Pendant ce mois il fut nécessaire d'entreprendre
une expédition dans le Mhpance. En dépit des efforts
répétés du Commissioner, les indigènes de cette
partie des Crow Rivers refusaient toute avance paci-
fique, ne voulant pas renoncer à un droit qu'ils s'é-
taient attribué de battre les voisins qui étaient plus
faibles qu'eux. L'opération fut courte et décisive :
quatre jours de combat amenèrent leur soumission. »
Les troupes qui furent engagées dans ces diverses
opérations étaient composées de 37 officiers européens,
20 officiers européens non commissionnés, 1.354 soldats
indigènes; 6 Européens furent blessés et 104 indigènes
furent tués ou blessés.
En février 1904 on apprenait à Londres qu'une force
considérable, composée de 450 hommes de troupes,
deux « millimètres guns », 5 maxims et 550 porteurs,
était partie d'Etu sur le Crow River, le 2 janvier, pour
504 LE NIGER COAST PROTECTORATB
opérer contre les Ibibios du Nord qui habitaient le
sud de Bendi.
Les personnes qui trouvaient que les expéditions
étaient par trop fréquentes dans ces pays s'émurent, et
le 3 mars M. Litleton répondait à la Chambre de com-
merce à une question que lui posait à ce sujet Sir
Charles Dilke :
« L'objet de la tournée faite dans l'ibibio a été de
placer ce pays sous le contrôle du gouvernement, de
s'emparer des canons et armes de précision que pos-
sédaient les indigènes, d'ouvrir la contrée au commerce
et d'arrêter les chasses d'esclaves. Un grand nombre
de villages, qui avaient été désarmés pendant l'ex-
pédition contre les Aros et étaient par conséquent
incapables de se défendre, avaient été razziés par
les Ibibios. »
Cette dernière explication est assez curieuse et jette
un jour particulier sur la situation politique du Bas-
Niger à cette époque. On pouvait se demander si l'on
ne serait pas obligé de faire une nouvelle expédition
pour protéger à leur tour les Ibibios que l'on vient de
désarmer, contre une autre tribu qui ne l'aura pas été.
Pendant que cette expédition avait lieu, des troubles
assez graves se produisaient dans la région d'Assaba,
provoqués par la société des « Ekumeku » (silencieux).
D'après M. Edward Dennis*, missionnaire de la Church
Missionary Society d'Assaba, le mouvement était sé-
rieux, mais fut une surprise pour tout le monde. Le
soulèvement n'était pas seulement anti-européen, mais
aussi antichrétien, car les indigènes chrétiens sont
î. JV. A. M. y 11 mars 1904, n* 50.
l'occupation du bas NIGER 505
d'accord avec le gouvernement pour condamner les
sacrifices humains, les meurtres de jumeaux et toutes
autres formes de cérémonies fétichistes qui conduisent
à des crimes. Ce soulèvement avait été soigneusement
préparé dans le plus grand secret. Les silencieux for-
ment une société très bien organisée, qui a des sections
dans chaque village. Les membres font le serment
solennel de ne pas divulguer le secret de leur rite, qui
est très compliqué et qui comporte des sacrifices bar-
bares^. Les membres de ces clubs ne parlent jamais,
discutent par signes et tiennent toutes leurs réunions
de nuit. Ils s'appellent généra^lement les uns les autres
au moyen de sonneries spéciales de cors.
L'Acting High Commissioner de la Southern Nige-
ria informa de l'incident le Secrétaire d'État aux colo-
nies dans les termes suivants :
« J'ai rhonneur de vous informer que, le 3 février,
j'ai reçu un rapporrt du Divisional Commissioner de la
Central Division annonçant que l'Elcumelai Society
avait causé des actes de violence dans l'arrière-pays
d'Assaba, détruit des bâtiments appartenant à des
missions, des tribunaux indigènes qui ne voulaient
pas se joindre au mouvement ou qui restaient fidèles
au gouvernement.
« J'ai appris ultérieurement que presque toutes les
villes du pays ibo, dans l'arrière-pays d'Assaba, étaient
impliquées dans le mouvement, et que cette bande de
révoltés menaçait les factoreries situées sur la rive
droite du Niger. Le bruit ayant couru que plusieurs
membres de la Church Missionary avaient été cer-
nés dans le village d'Idumoje Ugboko, Sir Copland
Crawford, le Divisional Commissioner, se rendit aus-
506 LE NIGER COÀST PROTECTORÀTB
sitôt à leur secours avec les troupes d'Assaba; mais en
arrivant à Issebe Chu, il apprit que les missionnaires
avaient pu parvenir à Assaba. Le Divisional Commis-
sionner s'établit dans une position défensive d'Issebe
Chu, et son action opportune sauva de la destruction
la mission catholique.
« Le capitaine Pogg, qui avait été envoyé punir les
villes du district dlfu de ce qu'elles avaient attaqué
M. Raikes, le District Commissioner, essaya, de retour
à Assaba, de rétablir Tordre dans la région troublée.
Je suis arrivé moi-même aussitôt à Assaba avec trois
sections du West African Frontier Force et un maxim
avec trois ofGciers, et j*ai constaté que les stations de
la Church Missionary à Atuma, Onitsha Olona Ezi,
Onitsha Eku et Idumuje Ugboko avaient été détruites
ainsi que diverses cases servant de tribus aux indigè-
nes. Les prisonniers avaient été relâchés, et tout com-
merce arrêté.
« L'ordre a été cependant peu à peu rétabli, et un
nombre de chefs de la société condamnés. J'espère
qu'à la fin du mois la rébellion sera complètement
éteinte. »
Au même moment, une expédition allemande dirigée
contre le Bari dans les hauts Cross Hivers' fut anéantie,
et les indigènes pillèrent les factoreries établies sur la
rivière. Les Allemands appelèrent les Anglais à leur
secours, mais comme tous les postes avaient été dégar-
nis par suite de l'expédition contre l'Ibibio, il fut im-
possible d'arriver assez tôt pour empêcher la destruc-
tion de Nsanakang. Les postes anglais furent fortement
menacés, et l'émotion fut considérable en Angleterre,
où il parut qu'il était fâcheux que l'on ne pût dégarnir
l'occupation du bas NIGER 507
un poste des troupes qui Toccupent sans qu'aussitôt il
en résultât quelque grave inconvénient.
Peu à peu cependant l'occupation du Bas-Niger devait
s'effectuer, et le pouvoir anglais s'établir de plus en
plus fortement, de telle manière que Ton peut considé-
rer cette occupation comme à peu près terminée, sans
qu'il y ait lieu d'insister autrement sur les incidents
de nature purement militaire qu'elle a provoqués*.
1. Notamment, de janvier à avril 1908, expédition dans le district d'Udi
et certaine partie des districts d'OlLigwi, d'Owerri, de Dende et d'Abaka-
lilci; de décembre 1908 à avril 1909, « expédition du Niger », qui traversa
tout le pays situé à Touest d'Udi jusqu'à la frontière delà Nigeria du Nord;
de décembre 1910 à février 1911, expédition dans lepaysd'Orlu, et de février
à juin 1911 opérations dans les districts d'Owerri, de Bende et d'Okigwi.
^r
CHAPITRE XXXIII
LA SOUTHERN NIGERIA
La législation.
Tandis que les gouvernements des anciennes colo-
nies de Sierra Leone et de Lagos se sont attachés,
jusque dans ces derniers temps, à ne prendre aucune
mesure qui puisse porter atteinte à l'autorité indigène
dans les Protectorats, le gouvernement de la Southern
Nigeria, comme aussi celui de la Northern Nigeria,
administre ses territoires en pays conquis et ne se
préoccupe que de l'opportunité des mesures à pren-
dre, sans s'arrêter à ce qu'en penseront les indigènes.
Npus ne rencontrerons donc point, dans l'analyse que
nous devons faire des dispositions législatives qui ont
été prises dans ce pays, d'incidents analogues à ceux
qui ont marqué l'établissement de l'administration
anglaise à Lagos ou à la Gold Coast, par exemple.
Gomme dans les autres colonies de la côte d'Afrique,
une <i Suprême Court Proclamation » a institué dans la
Southern Nigeria une juridiction analogue à celle qui
est octroyée à la « High Court of Justice of England »
sur toute personne qui n'est pas ^native du pays. En
matière indigène, la Suprême Court a le droit de se
conformer aux coutumes du pays, en ce qu'elles ne
LÀ LÉGISLATION 509
sont pas incompatibles avec la justice naturelle, Téquité
et le bon sens,
La Commissioner Proclamation de 1900 conféra aux
District Courts les pouvoirs de la Suprême Court, et les
pouvoirs qui leur étaient octroyés em matière de justice
indigène furent attribués à la Nalive Court.
Déjà, sous l'administration du Niger Coast Protecto-
rate, huit Consular Courts, présidées par les Commis-
sioners, avaient rendu la justice dans les matières qui
concernaient des personnes étrangères au Protectorat,
tandis que 23 Native Councils avaient été organisés
pour s'occuper des affaires entre indigènes. Le consul
général s'exprime ainsi à ce sujet, dans son rapport de
1898 :
« Un grand nombre de cas, criminels ou civils, ont
été examinés par ces tribunaux, qui, sous la direction
du Judicial Officer, sont surveillés directement par
les District Officers. Il n'y a pas de doute que de tels
tribunaux n'aient une valeur considérable, non seule-
ment en ce qu'ils apportent un concours matériel très
précieux à l'administration dans la surveillance de
ces territoires, mais encore en ce qu'ils constituent
un excellent moyen d'enseigner aux indigènes quelles
sont les bonnes méthodes pour gouverner et pour ren-
dre la justice. Non seulement ces assemblées de chefs
s'occupent des questions judiciaires, mais encore les
Native Councils, en tant que distincts des Native Courts,
sont autorisés à faire des lois pour l'administration des
territoires qu'ils ont sous leurs ordres. Ils ont en
pratique l'administration de leurs ressources sous
la surveillance, naturellement, des fonctionnaires euro-
péens; le soin de les dépenser pour le bien du pays et
510 LA SOUTHERN NIGERIA
des indigènes est une bonne leçon d'administration
civilisée. Par Tintermédiaire de ces assemblées^ des
maisons pour abriter des tribunaux et de bonnes
routes sont construites, pendant que d'autres travaux
publics sont exécutés. On peut espérer que la valeur
des travaux ainsi faits ira en augmentant d'année en
année, et que, si on prend des soins convenables de
l'organisation de ces assemblées, les fonctionnaires
européens pourront se décharger sur elles d'une grande
partie de leurs travaux et s'occuper de choses qu^ils ne
pourraient entreprendre autrement. »
La proclamation de 1901 vint organiser définitivement
le système des assemblées indigènes (The Native
Courts Protectorale 1901 [29 octobre]). Ses principales
dispositions sont les suivantes :
Le Haut Commissioner a le droit d'établir dans tous
districts une ou plusieurs Native Courts qui seront
dénommées « Native Councils » du district^ et aussi
une ou plusieurs « Native Courts » subalternes qui
seront dénommées « Minor Courts ». Cette procla-
mation s'applique à toutes les Native Courts établies
avant la promulgation.
Le ressort des Councils ou Courts est ûxé par le
Hîgh Commissioner.
Chaque Native Council exercera une surveillance gé-
nérale sur toutes les Minor Courts du district et aura le
droit de vérifier les procès-verbaux de leurs séances.
Chaque Native Council sera composé du Commis-
sioner du district, président, et des membres que nom-
mera le High Commissioner.
Le District Commissioner pourra nommer une per-
sonne pour le remplacer comme président dans le cas
LÀ LÉGISLATION 511
OÙ il ne pourrait siéger par suite de maladie ou pour
toute autre cause.
Chaque Minor Court sera composée de membres
nommés par le High Commissioner.
Le président d'une Minor Court de trois membres au
moins sera nommé par les membres de la Court pour
une période de trois mois; en l'absence du président, le
membre le plus âgé présidera.
La nomination des membres des Native Courts sera
faite pour les temps et sous les conditions que le High
Commissioner jugera bon.
Le High Commissioner pourra exiger qu'un quorum
déterminé soit atteint pour l'examen d'une question
déterminée ou pour toutes les délibérations d'une
Court.
Les Native Courts auront pleine compétence dans
toutes les affaires, civiles ou criminelles, oii la loi
indigène sera applicable et dans lesquelles toutes
les parties seront indigènes, et dans celles pour les-
quelles toute personne non indigène déclarera deman-
der le jugement d'une Native Court.
Partout où une Native Court est établie dans un dis-
trict, la juridiction civile ou criminelle qu'elle aura sur
les indigènes ne pourra être exercée par aucune autre
juridiction indigène quelle qu'elle soit'.
Dans les limites définies par l'ordonnance, la compé-
tence des Native Councils s'étendra en matière civile à :
Tous procès "personnels dans lesquels la valeur de
l'objet du litige ne dépassera pas 200 livres et dans les-
quels le défenseur résidera dans le district du Council;
Tous procès concernant des questions de propriété
foncière dans lesquels la valeur du litige ne dépassera
512 LA SOUTHBRN NIGBRIA
pas 200 livres, à condition que Timmeuble sur lequel
porte la contestation soit situé dans le district de la
Court ;
Tous procès relatifs aux successions de personnes
qui ont résidé dans lé district au moment de leur mort,
et dans lesquels la valeur du litige ne dépasse pas 200
livres.
Au point de vue criminel, la compétence des Native
Gouncils s'étend à toutes les offenses ou crimes commis
dans le district et pour lesquels il ne devra pas être
prononcé une peine dépassant un emprisonnement de
deux ans, avec ou sans travaux forcés, .et, avec ou
sans flagellation ne dépassant pas 15 coups, un empri-
sonnement d'un an et une amende ne dépassant pas
100 livres.
Dans les limites définies par l'ordonnance, la com-
pétence des Minor Courts sera la même que celle des
Native Courts, mais la valeur du litige ne devra pas
dépasser 25 livres en matière personnelle et foncière,
et 50 livres en matière de succession. En matière
criminelle, leur compétence s'étend aux offenses pour
lesquelles il ne devra pas être prononcé une peine
dépassant un emprisonnement de six mois avec ou
sans travaux forcés, et avec ou sans flagellation ne
dépassant pas 15 coups, ou un emprisonnement de
trois mois avec une amende de 25 livres, ou encore
une amende de 50 livres.
Le High pourra réduire ou augmenter pour toute
Native Court les compétences déterminées ci-dessus.
Aucun jugement de Native Court ne pourra être
annulé sous prétexte qu'il a été rendu dans une ma-
tière pour laquelle ladite Court n'est pas compétente.
LA LÉGISLATION 513
à moins qu'il en ait été ainsi décidé en appel par la
Native Council ou la Suprême Court.
Aucun jugement ou décision d'une Native Court ne
pourra être annulé pour cause d'erreur dans la forma-
tion de la Court.
Lorsqu'une Native Court jugera qu'elle n'est pas
compétente dans un cas déterminé, elle pourra ren-
voyer ce cas devant la Court qu'elle estimera compé-
tente et pourra prononcer les dépens qu'elle jugera
convenables.
Toute Native Court pourra demander la collabora-
tion d'assesseurs indigènes, à qui il ne sera donné que
voix consultative, pour se renseigner sur les lois ou
coutumes indigènes.
Aucun avocat, conseil, avoué ou fondé de pouvoirs
[advocate, solicitor, proctor or aUorney) ne pourra
intervenir dans les Native Courts sans autorisation des
tribunaux.
Les Native Courts pourront autoriser les maris ou
épouses, maîtres ou serviteurs des demandeurs ou dé-
fendeurs à comparaître à la place de ceux-ci.
Toute personne qui ne payera pas l'amende à laquelle
elle sera condamnée pourra être condamnée à un an de
prison ou à toute autre peine équivalente, après quoi
il lui sera fait remise de sa peine.
L'exécution de tout jugement rendu en matière civile
pourra être assurée par une garantie donnée sur les
biens meubles ou immeubles du condamné, ou par tout
autre moyen qui ne sera pas incompatible avec les prin-
cipes de droit naturel ou la loi anglaise.
Toute personne qui ne serait pas satisfaite par une
décision rendue par une Minor Court pourra faire appel
33
514 LA SOUTHERN NIGERIA
dans les 30 jours devant le Natif Council du district ; si
elle n'est pas satisfaite de la décision du District Coun-
cil, elle pourra demander dans les 30 jours au District
Commissioner Tautorisation de faire appel devant la
Suprême Court.
Tout appel devant la Suprême Court devra être
entendu par un juge de la Suprême Court, siégeant avec
au moins deux et au plus cinq assesseurs ayant voix
consultative, choisis par ce juge parmi les membres
des Native Councils ou des Minor Courts.
. Le District Commissioner d'un district aura le droit
d'arrêter l'audition de toute cause civile ou criminelle
soumise à une Minor Court ou District Court et de la
soumettre, suivant le cas, au Native Council du district
ou à la Suprême Court.
Toute Native Court aura le pouvoir de maintenir
l'ordre en arrêtant les émeutes, les échauffourées et
désordres de toute sorte, d'appliquer dans le district
toute loi indigène, ou proclamation, ou décret ou ordre
de la Suprême Court, conformément aux instructions
du Higlî Commissioner, de saisir et d'envoyer devant
la Suprême Court toute personne accusée de crimes
dont la punition dépasserait sa compétence.
Tout Native Council pourra, avec Tapprobation du
High Commissioner, faire amender ou révoquer des
règlements établissant dans son district des lois indi-
gènes, régularisant et tendant à développer le com-
merce dans le district, et d'une manière générale dis-
posant dans le but de maintenir la paix, le bon ordre et
le bien-être chez les indigènes du pays. Il pourra éta-
blir des pénalités ne dépassant pas 100 livres d amende
ou deux ans d'emprisonnement, avec ou sans travaux
LA LÉGISLATION 515
forcés, et avec ou sans flagellation ne dépassant pas
15 coups.
Le HighCommissioner pourra enlever à toute Native
Court tout ou partie d-e ses pouvoirs, s'il juge que ses
membres en ont abusé ou sont incapables de les exercer.
De même il pourra suspendre ou révoquer tout mem-
bre d'un conseil pour raison d'incapacité ou pour tout
autre motif. Sa décision devra être communiquée audit
membre, qui devra être admis à présenter sa défense.
Personne ne pourra siéger dans les Native Courts
sans y être autorisé par le High Commissioner, et cela
à peine d'une amende de 50 livres au plus ou d'un
emprisonnement de 6 mois au plus, avec ou sans tra-
vail forcé.
Toute personne qui acceptera ou demandera pour lui
ou pour toute autre personne une gratification quel-
, conque dans le but de corrompre ou d'influencer un
membre d'une Native Court, sera passible d'une amende
ne dépassant pas 100 livres ou d'un emprisonnement
ne dépassant pas deux ans, avec ou sans travail forcé.
Nous avons vu comment la Native Council Ordinance
de Lagos avait été mal accueillie, et comment en An-
gleterre et dans la colonie on avait manifesté la crainte
de voir le gouvernement se servir de ses dispositions
pour tenir en tutelle les chefs indigènes. Alors que Sir
Willam MacGregor déclarait que l'ordonnance avait
pour but de renforcer l'autorité indigène, le gouverne-
ment de la Southern Nigeria laissait entendre qu'il vou-
lait bien laisser aux indigènes l'administration de leur
pays, mais à condition d'en garder complètement la
direction et le contrôle.
516 LA SOUTHERN NIGERIA
En réalité, la proclamation sur les Native Councils
donnait aux District Commissioners pleins pouvoirs,
et constituait surtout un moyen de se rendre compte
de la mesure dans laquelle on pourrait laisser dans l'a-
venir quelque initiative aux chefs indigènes. Entre les
mains d'administrateurs habiles, elle permettait, en
outre, d'habituer les chefs à considérer le gouver-
nement d'un pays autrement que comme un moyen
d'exaction et à leur faire comprendre peu à peu ce que
Ton attendait d'eux.
Les résultats obtenus jusqu'ici sont les plus encou-
rageants. Le gouvernement déclare qu'il est arrivé à
pouvoir compter dans une certaine mesure sur les
chefs pour surveiller l'application des règlements dont
ils finissent par comprendre la nécessité. C'est ainsi,
par exemple, qu'une tentative a été faite dans chaque
tribu pour organiser une sorte de fonds d'assistance
pour les malades, les infirmes et les gens âgés. En
1902, la plupart des Native Councils établirent comme
règle que les commerçants indigènes devaient verser
à ce fonds une certaine quote-part (généralement 5
p. 100 de la valeur des produits qu'ils vendaient).
La (c Commissioner Proclamation 1900* » conféra aux
Commissioners une partie des pouvoirs de la Suprême
Court.
Elle portait que les Commissioners seraient nommés
par le High Commissioner avec l'approbation du Secré-
taire d'Etat.
Chaque Commissioner, en tant que juge de la Su-
prême Court, est soumis à sa surveillance. Tous ses
1. N* 8, 1900, prise par Sir R. Moor, 22 mars 1900.
LA LÉGISLATION 517
jugements doivent être communiqués au Chief Justice.
La compétence des Commissioners s'étendra à :
Tous cas civils en matière personnelle dans lesquels
la valeur du litige ne dépasse pas 100 livres lorsque la
dette est contestée, et tous ceux où la dette n'est pas
contestée.
Tous cas en matière foncière lorsque la valeur du
loyer de l'immeuble ne dépasse pas 25 livres.
Ces fonctionnaires ont le droit de délivrer des ha^
béas corpus pour la comparution devant le tribunal
des personnes déclarées sous serment innocentes, de
nommer des gardiens aux enfants abandonnés et de
prendre les mesures nécessaires pour conserver les
propriétés abandonnées.
En matière criminelle ils ont le droit de juger les
cas qui entraînent une punition de 6 mois de prison
au plus, avec ou sans travail forcé, et avec ou sans
flagellation de 15 coups au plus, ou une amende de
50 livres.
Les Commissioners peuvent, s'ils le jugent oppor-
tun, renvoyer les procès entre les indigènes devant les
tribunaux indigènes.
Le Chief Justice peut, pour des cas et pour une durée
déterminée, étendre la compétence des Commissioners.
Chaque Commissioner agit comme Coroner dans le
district où il est nommé. Le High Commissioner peut
nommer comme Deputy Coroner toute personne qui
lui paraîtra convenable; en l'absence d'un Deputy Co-
roner, le Commissioner qui sera empêché d'agir lui-
même comme Coroner pourra nommer à cette fonction
telle personne qu'il jugera bon.
A la fin de chaque mois, les Commissioners devront
518 LA SOUTHEnN NIGERIA
adresser au Chief Justice la liste de tous les cas ayant
entraîné une pénalité corporelle ou une amende. Celte
liste agira comme une requête en appel, et, lorsqu'un
de ces jugements aura été rendu contrairement à la
loi, le Chief Justice pourra, sans nouvelle procédure,
annuler ou modifier ces jugements ou en réformer les
effets. Il ne pourra en être ainsi, cependant, lorsqu'un
Commissioner aura réservé un point déterminé au
jugement de la Suprême Court, ou lorsqu'un condamné
aura fait appel spécialement. Au lieu de statuer par
lui-même sur les cas portés sur la liste, le Chief Justice
pourra les renvoyer aussi au Commissioner pour qu'il
en'saisisse la Suprême Court.
Une ordonnance spéciale vint reconnaître et renfor-
cer Taulorité des chefs indigènes (The Native Ilouse
Rule Proclamation 1901).
Elle portait que chaque membre d'une case (toute
personne qui, par naissance ou autrement, est soumise
à l'autorité d'un chef de « case » (en réalité de famille)
était soumis aux lois et coutumes indigènes.
Inversement, tout chef de case qui refuse ou néglige
de remplir les obligations qui lui sont imposées par
les lois et les coutumes indigènes envers les membres
de sa case sera punissable également.
Ce texte ne faisait, en somme, en donnant des sanc-
tions pénales, que définir une autorité qui est siinple-
ment censée exister de fait dans les autres colonies.
Le régime foncier fut défini et réglementé à la même
date par « The Southern Nigérian Forestry Proclama-
lion ». Les dispositions principales étaient les sui-
vantes :
LA LÉGISLATION 519
' Les terres incultes et les fot'êts appartiennent aux
communautés indigènes. Les chefs, en tant que re-
présentants de la communauté, ont le droit d'accorder
ces terres en concessions, mais seulement avec l'ap-
probation du gouverneur. Les concessions ne peuvent
dépasser une étendue de 9 milles carrés et être faites
pour plus de 7 ans.
Le concessionnaire devra payer à la tribu 10 shillings
par are coupé, et 15 shillings par tonne d'ébène expor-
tée, ou 2 pence par pied cube d'autre bois exporté. Il
est tenu d'entretenir des pépinières pour assurer la re-
plantalion des arbres coupés, et il lui est défendu de
détruire toute plante à caoutchouc, sous peine de dé-
chéance de concession. Celte déchéance sera également
prononcée si Texploitation cesse pendant plus de 9 mois.
L'exploitation du caoutchouc ne peut avoir lieu que
par les personnes munies de licence accordée par les
chefs avec l'approbation du High Gommissioner. Les
indigènes du district ont à payer pour Foctroi de ces
licences une somme de 10 shillings par an au Trésor,
et les étrangers une livre 10 shillings. La moitié de ces
sommes revient à la communauté.
Le gouvernement possède, par voie de traité ou de
conquête, des terres qui constituent des « Forest Re-
serves »; lorsqu'il en concède une partie, il perçoit
seul toutes les redevances qui sont payées par le con-
cessionnaire.
Les formules de licence délivrées en vertu de cette
proclamation sont revêtues de « la signature des chefs
indigènes, comme propriétaires ou comme représen-
tants des propriétés indigènes du sol; des signatures
des personnes à qui la concession est accordée ou de
520 LA SOUTHBRN NIGERIA
leurs agents autorisés; de la signature du High Corn-
missioner sanctionnant et confirmant la concession au
nom du gouvernement de la Southern Nigeria; des
signatures de témoins et interprètes ».
Nous savons comment à Lagos une tentative de régle-
mentation du même genre fut repoussée par les indi-
gènes. Dans la Southern Nigeria on ne leur demanda
pas leur avis, et les Européens furent seuls à protester.
Sur l'impulsion de Sir Alfred Jones, la Chambre de
commerce de Liverpool adressa au Colonial Office un
mémorandum' dans lequel elle déclarait que la procla-
mation donnait des pouvoirs trop grands aux conces-
sionnaires, en ce sens que les droits des indigènes ne
lui paraissaient pas suffisamment réservés, et que, en
même temps, les obligations imposées à ces conces-
sionnaires, comme celle de constituer des pépinières
et des plantations, étaient trop difficiles à remplir.
L'exploitation des forêts du Bas-Niger avait permis
aux commerçants anglais de faire d'excellentes affaires
depuis 70 ans. 11 était probable que ces forêts conte-
naient encore des richesses inexploitées. Ne valait-il
pas mieux les faire connaître que d'instituer des règles
gênantes et vexatoires? 11 était nécessaire de régle-
menter les récoltes du caoutchouc, mais ce devait être
d'une manière plus simple que ne Tavait fait la procla-
mation.
M. Chamberlain ayant répondu d'une manière assez
évasive*, la section africaine de la Chambre de com-
merce lui récrivit' pour lui demander une carte de la
1. 27 mars 1902. V. W, A., 12 avril 1902, n» 69-
2. fV. A., 25 juillet 1902, n» 84.
3. Loco cil.
LA LÉGISLATION 521
Southern Nigeria montrant où étaient situées les terres
qui étaient réservées par la proclanMition au gouverne-
ment et celles qui restaient à la disposition des indi-
gènes. La section témoignait, en même, temps, Tinten--
tion d'obtenir une entrevue du Secrétaire d'État pour
discuter la question avec lui.
M. Chamberlain fit simplement observer que\ « bien
qu'il fût toujours heureux d'assister la Chambre de
commerce lorsque c'était en son pouvoir, il lui était
impossible, en tant que Secrétaire d*État, d'entrepren-
dre d'interpréter les lois d'une colonie ou d'un protec-
torat. Il n'avait, du reste, point été dressé de carte ana-
logue à celle que réclamait la Chambre de commerce. »
De son côté, l'Aborigine's Protection Society protes-
tait auprès «du Colonial Office*. D'après elle, la Pro-
clamation paraissait constituer à la Couronne un droit
de propriété sur toutes les terres des Indigènes [native
lands) définies comme « Terres vacantes et forêts
placées à la disposition des indigènes » [wastes and
for est lands ai the disposai of native). On privait ainsi
virtuellement les indigènes de tous les droits de pro-
priétaires qu'ils pouvaient avoir, à titre privé ou comme
membres d'une communauté, dans toutes les régions
sur lesquelles s'étendait le protectorat de l'Angleterre,
Ils he pouvaient exercer ces droits qu'à condition de
consentir à accepter, moyennant une lourde redevance,
la situation de tenanciers sous la dépendance de la
Couronne. Dans les parties du Protectorat qui étaient
devenues, du fait de la conquête, possessions anglaises,
on pouvait invoquer la nécessité de protéger les inté-
1. Loco cit.
2. W.A.,ïi*l\.
522 LA SOUTHERN NIGERIA
rets des indigènes eux-mêmes, et le comité approuvait
les dispositions équitables qui pouvaient être prises
pour la protection des richesses naturelles contre l'i-
gnorance des habitants ou Tabsence de scrupules des
aventuriers. Cependant les conditions dans lesquelles
le protectorat de l'Angleterre avait été accepté par la
plus grande partie des populations indigènes ne com-
portait point de restrictions à Texercice de leurs droits
de propriété. La société croyait devoir faire, à ce point
de vue, les mêmes objections qu'elle avait émises pour
Lagos dans des circonstances analogues.
Le Secrétaire d'État assura TAborigine's Protection
Society* qu'il n'avait jamais été question de porter ai-
teinte aux droits des indigènes sur les terres, et qu'il
ne pourrait être donné à des étrangers la permission de
les exploiter qu'avec l'autorisation des chefs. La pro-
clamation n'avait, du reste, pas pour objet de porter des
entraves à l'exploitation de la terre et de ses produits
par les propriétaires indigènes eux-mêmes. Elle était
destinée à protéger ceux-ci contre les commerçants
européens ou indigènes qui ne considéraient que leurs
profits immédiats.
L'amalgation de la Southern Nigeria et de Lagos n'a
point eu, jusqu'ici, d'influence sur la législation que
nous venons d'esquisser, pas plus que sur les institu-
tions propres à Lagos. 11 est bien probable, cependant,
qu'une certaine uniformisation se produira de plus en
plus, en même temps que les motifs politiques, qui ont
été les principes directeurs, perdront de leur influence
et de leur portée.
1. JF.Â., n«74.
CONCLUSION
L*impression qui ïious paraît se dégager le plus net-
tement de cette étude, c'est que l'Angleterre a adopté
en Afrique occidentale des politiques différentes, non
seulement suivant les époques, mais encore suivant les
régions, tout en n'ayant pas cherché à se soumettre
ainsi à des nécessités déterminées; il nous apparaît
bien que les impulsions diverses dont nous avons indi-
qué l'origine dans notre introduction, ont été la véri-
table cause des régimes qu'elle a adoptés vis-à-vis dos
indigènes, et que les fluctuations de sa politique sont
venues de ce qu'elle a opposé plus ou moins de résis-
tance à ces impulsions.
D'une manière générale, on peut dire que, si la créa-
tion des Colonies a eapour but de donner une base
-définitive aux établissements qui avaient été fondés à
la côte par les commerçants anglais, celle des Protecto-
rats répondait à la préoccupation de déterminer, d'une
façon précise, la part des responsabilités que l'Angle-
terre entendait accepter vis-à-vis des pays de l'inté-
rieur où elle avait été entraînée par la force des choses.
Ces responsabilités ne devaient cependant pas rester
dans les limites qu'elle aurait voulu leur tracer, et la
politique indigène de l'Angleterre a été, en somme,
une succession d'idées justes et d'illusions profondes.
524 CONCLUSION
m
L'erreur la plus grave qu'elle ait commise a été de
croire que chacun de ses actes était définitif et, qu'après
chaque incident nouveau, elle pouvait agir comme s'il
n'avait laissé aucune trace, comme si rien désormais
ne pouvait troubler la paix rétablie. Là s'est trouvée
la cause de la plupart des difficultés que l'Angleterre
a rencontrées en Afrique occidentale.
Une dernière vue d'ensemble sur les événements
dont nous venons d'étudier la genèse nous permettra
de synthétiser cette politique, en même temps que de
porter sur elle le jugement que nous avons réservé
jusqu'ici.
Nous n'aurons plus ensuite qu'à résumer les divers
systèmes que la métropole a appliqués dans l'exercice
de ses droits et de ses devoirs de souveraineté vis-à-vis
des indigènes devenus ses sujets, pour trouver l'ensei-
gnement que contient cette histoire.
Nous avons vu coinment, à Sierra Leone, les gouver-
neurs Hay et Flemming ne proposèrent l'établissement
d'une force armée dans l'intérieur qu'à titre d'expé-
rience. Sir Frédéric Cardew, ayant réussi à installer,
sans violence, des fonctionnaires européens dans les
différentes régions de cet hinterland, estima qu'il pou-
vait agir, tout d'un coup, comme si ces fonctionnaires
avaient réellement l'autorité que leur institution sup-
posait; le soulèvement de 1898 s'ensuivit.
Nous savons comment les avis différèrent sur les
causes de ce soulèvement. On l'attribua d'une manière
générale en Angleterre, avec Sir David Chalmers, à une
circonstance particulière, à l'établissement d'un impôt
direct et à la façon dont cet impôt avait été perçu. Le
gouvernement, et avec lui le Colonial Office, déclara au
CONCLUSION 525
contraire que la révolte était due au mécontentement
ressenti par les chefs, qui voyaient disparaître un régime
d'exactions dont ils profitaient. Le Commissaire envoyé
par la métropole avait cherché à étayer son opinion sur
les plus petits détails : Sir Frédéric Cardew s'était atta-
ché à réfuter chacune de ses conclusions. Nous avons
exposé cette polémique comme la meilleure des démons-
trations de l'esprit qui a animé la politique anglaise à
Sierra Leone; mais nous nous en sommes tenus là, et
n'avons cherché ni à faire la critique des opinions expri-
mées, ni à indiquer la nature exacte des circonstances
sur lesquelles notre démonstration s'appuyait. La valeur
de ces opinions et de cette exactitude n'est que relative.
Toutes les explications données au soulèvement
étaient également valables; mais ce qu'il importait de
dire, et c'est ce qui a échappé à Sir David Chalmers et
que le gouvernement n'a point voulu avouer, c'est que
l'occupation anglaise elle-même en avait été la cause
effective.
Sans doute les chefs avaient été mécontents de voir
disparaître leur autorité et les institutions dont ils bé-
néficiaient; sans doute le peuple devait d'autant plus
facilement répondre à l'appel de ses chefs que la façon
maladroite dont fut perçue la taxe sur les cases permit
à ceux-ci de lui expliquer qu'il ne gagnerait rien au
<:hangement de régime. Mais c'est ce changement lui-
même, indépendamment de son mode d'application, qui
rendait le mouvement inévitable, du moment que l'An-
gleterre n'avait pas pris dès l'abord les précautions
nécessaires pour le prévenir.
Pendant de longues années, presque tout un siècle,
le pouvoir anglais s'était fait très peu sentir aux indî-
526 CONCI^USION
gènes propreinenl dits. Une colonie s'était formée, dans
toute Tacception du mot, grâce à une immigration de
noirs habitués déjà à une administration européenne.
Peu à peu ces noirs avaient exercé une certaine influence
sur les indigènes au milieu desquels ils vivaient, les
avaient pour ainsi dire assimilés, et ces noirs avaient
de ce fait accepté tout naturellement cette administra-
tion; mais ce n'était là qu'un phénomène tout local. De
temps en temps les troupes anglaises avaient pénétré
dans Tarrière-pays pour réprimer quelque incursion ou
pour apaiser des troubles qui gênaient trop le commerce
de la côte; mais les peuples de l'intérieur n'avaient
jamais été amenés à penser que cela pût avoir pour eux
quelque conséquence durable.
Tout d'un coup, un gouverneur particulièrement
entreprenant déclare que l'anarchie qui règne dans
l'intérieur est un danger permanent pour la colonie. La
convention de 1890 a laissé à l'Angleterre le droit.d'oc-
cuper cet hinterland et suppose même cette occupation,
en vertu de la conférence dé Berlin : l'extension de
l'autorité souveraine à la côte parut donc toute natu-
relle. On se borna, tout d'abord, à demander aux indi-
gènes d'ouvrir leur pays au commerce européen et de
laisser le gouvernement anglais juge des différends qui
pourraient éclater entre les blancs et les noirs. Grâce
à l'habile intervention personnelle du gouverneur Car-
dew, les chefs admirent auprès d'eux des résidents
anglais dont le rôle était d'intervenir dans ces relations
et de servir d'arbitres dans les querelles entre tribus.
L'influence de l'Angleterre n'en restait pas moins pure-
ment nominale : le fait qu'elle était établie en principe
parut suffisant pour que l'on put apporter à l'organisa-
CONCLUSION 527
tien de la société indigène les modifications profondes
que supposait son adaptation à la civilisation euro-
péenne. L'ordonnance de 1896, enlevant aux chefs leur
pouvoir souverain et sans contrôle, Taltribua au gou-
vernement anglais. Elle appela crime le commerce des
captifs et prétendit faire disparaître l'esclavage. Elle
proclama que l'Angleterre avait le domaine éminent
des terres, et, pour bien montrer que la domination
anglaise était absolue, établit une taxe que devait sup-
porter la plus modeste case.
N'y avait-îl pas Une certaine naïveté à supposer que
ces chefs, qui voyaient disparaître leur prestige et leur
richesse, s'y résigneraient sans coup férir, et ne pou-
vait-on penser que leur résistance serait appuyée par
tous les hommes libres, dont l'opinion devait seule
entrer en ligne de compte? Comment pouvait-on même
espérer que les esclaves verraient avec joie les réfor-
mes nouvelles? La liberté n'est-elle pas, peut-être, la
plus relative des sensations?
Etait-il nécessaire de faire une enquête aussi minu-
tieuse que celle à laquelle a procédé Sir David Chal-
mers, pour se rendre compte que c'était contre l'avène-
ment même d'un pouvoir étranger que s'étaient révoltés
les indigènes de l'hinterland de Sierra Leone, contre
l'avènement d'un pouvoir qui, quelles qu'aient été les
apparences, s'était manifesté à eux sans transition?
Tout le soin possible avait bien été apporté à laisser
à ces indigènes la plus grande partie des institutions
qui n'étaient pas incompatibles avec l'établissement
même du pouvoir nouveau; mais comment pouvait-on
espérer qu'ils ne considéreraient que ce qu'on leur
avait laissé, pour oublier ce qu'ils avaient perdu? G'é-
528 CONCLUSION
tait supposer qu'ils apercevraient de la façon la plus
claire les avantages qu'ils pouvaient retirer de la subs-
titution de notre civilisation à la leur. Alors même que
ces avantages eussent dû être réels, pouvait-on penser
que Tespoir de les voir se réaliser l'emporterait en eux
sur le ressentiment qu'ils éprouvaient du changement
qui leur était imposé?
Il est d'autant plus intéressant de noter cette illusion,
qui paraît bien avoir dominé la politique de l'Angle-
terre en Afrique occidentale, qu'elle semble plus en
contradiction avec le désir incontestable de la métro-
pole de n'intervenir que le moins possible dans les
institutions des indigènes et de n'administrer que
par l'intermédiaire des chefs. Il semble qu'ayant le
sentiment très net et très juste du seul rôle qu'un
pouvoir européen pouvait espérer jouer dans ces pays,
l'Angleterre aurait dii également comprendre qu'il ne
suffirait pas de proclamer un certain nombre de prin-
cipes, pour que leur application fût des plus simples.
L'histoire des difficultés qu'elle a éprouvées à la Gold
Coast est des plus caractéristiques à cet égard.
Les longs déboires qu'elle éprouva avec les Ashantis
ont eu tous la même origine.
Pendant des années, l'Angleterre se borna à s'opposer
à leurs déprédations dans le voisinage des pays avec
lesquels elle commerçait directement. Elle leur montra
même qu'elle était particulièrement anxieuse d'éviter
vis-à-vis d'eux l'emploi des moyens violents.
Après chacune des expéditions qu'il avait fallu diri-
ger contre eux pour arrêter leurs incursions, aucune
représaille n'avait été exercée, et ils avaient été libres
de continuer leur genre de vie. Ils avaient certainement
COXCLUSION 529
fini par être bien persuadés que les blancs ne s'instal-
leraient jamais dans leur pays.
En 1873, lorsqu'ils s'aperçurent que, d'une façon défi-
nitive, les Anglais avaient l'intention de les supplanter
dans leur suprématie sur les peuples de la côte, ils
essayèrent une fois de plus de les chasser de la Gold
Coast. Le gouvernement se décida à agir plus sérieu-
sement, et l'expédition la plus considérable que l'on ait
jamais faite dans ces pays pénétra jusqu'au cœur de
l'Âshanti. Mais après la prise de Kumassi on se borna
à faire signeir au roi l'engagement qu'il cesserait ses
attaques contre les peuples de la côte, qu'il ne ferait
plus de sacrifices humains et qu'il protégerait la liberté
du commerce. On lui infligea bien une amende, mais
-cette amende ne fut jamais perçue.
Il n'est pas bien étonnant que rien de cela n'ait suffi
à changer les mœurs des Ashantis. Ils avaient souvent
signé des traités analogues, et l'on ne pouvait ^guère
compter que le souvenir de l'expédition qui avait tra-
versé leur pays durerait plus d'une génération, et que,
vingt ans plus tard, la seule crainte qu'elle avait pu leur
•inspirer, les déterminât à tenir leurs engagements.
Cette crainte devait être d'autant moins efficace qu'il
qu'il ne fut apporté aucune entrave sérieuse aux exac-
tions que les Ashantis devaient recommencer à com-
mettre peu à peu. Nous avons vu commentée n'est qu'à
la suite de l'insistance des gouverneurs locaux qui, par
ce fait, encoururent presque la disgrâce, à la suite des
efforts des Chambres de commerce et des mission-
naires eux-mêmes, que l'on se décida à agir de nouveau,
et comment les préliminaires de cette action ne purent
qu'inciter les Ashantis à penser que le gouvernement
34
530 - CONCLUSION
anglais n'était pas désireux de changer de politique à
leur égard. Les agissements des « educated natives »
devaient du reste les encourager dans cette opinion.
Le désir d'entrer directement en pourparlers avec la
Reine montre bien qu'ils étaient persuadés qu'ils pou-
vaient traiter, pour ainsi dire, d'égal à égal avec elle
en ce qui concernait leur pays, et comme si leur auto-
nomie même n'était pas en jeu. C'est ainsi qu'une
expédition put parvenir jusqu'à Kumassi sans avoir
éprouvé de résistance, et la stupéfaction que les
Ashantis éprouvèrent en voyant déporter leur chef et
installer u^ résident prouve qu'ils n'avaient jamais
pensé que tel pût être le résultat d'une nouvelle action
du gouvernement anglais.
La surprise qu'occasionna au gouvernement local lui«
même le soulèvement de 1900 est du même ordre que
celle qui avait suivi le soulèvement de 1898 à Sierra
Leone. On ne comprit pas comment les indigènes pou-
vaient avoir eu même l'idée de se révolter. A Sierra
Leone on avait cru en trouver la raison dans l'établis*
sèment d'un impôt. A la Gold Coast ce fut à une parole
imprudente du gouverneur que l'on crut pouvoir l'at-
tribuer. Dans les deux cas, ce besoin d'attribuer à des
erreurs commises par des fonctionnaires les résistances
que la domination anglaise pouvait éprouver, est l'in-
dice de cette incapacité que nous avons signalée déjà
et qu'a manifestée jusqu'à ces derniers temps l'Angle-
terre, à comprendre comment les indigènes pouvaient
être rebelles à la domination d'un pouvoir étranger.
Et cependant ce soulèvement de 1900 était pour ainsi
dire inévitable. Après la prise de Kumassi en 1896 et
la déportation de leur roi, les Aàhantis avaient vu que
CONCLUSION 531
la politique anglaise avait réellement changé à leur
égard et qu'ils avaient perdu le droit d'agir dans leur
pays comme ils l'entendaient. La visite et le discours
de Sir F. M. Hodgson ne fit que les confirmer dans
cette idée. Ils avaient en réserve les munitions qu'ils
n'avaient point utilisées en 1896; aucun des hommes
en état de prendre les armes n'avait éprouvé la force
anglaise. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'ils aient essayé
de recouvrer l'indépendance qu'ils avaient perdue?
Dans une seule de ses colonies de l'Ouest africain, à
Lagos, l'Angleterre ne devait pas user de violence
pour s'implanter dans le pays et y ramener la paix; il
faut reconnaître que c'est là un phénomène unique
dans toute l'Afrique.
On ne peut dire que la raison en a été le caractère
particulièrement pacifique des habitants, car l'histoire
des Yorubas montre qu'on peut les compter parmi
les peuples les plus guerriers de l'Afrique. On peut
penser que ce sont justement leurs discordes qui ont
permis aux Anglais de s'établir parmi eux sans qu'ils
opposent beaucoup de résistance. Absorbées comme
elles l'étaient dans leurs luttes intestines, les différentes
tribus qui composaient la race yoruba ne conçurent
pas de crainte en voyant les Anglais annexer les pays
voisins de la côte, et ce fut par une sorte de lassitude
qu'ils les acceptèrent comme arbitres dans leurs que-
relles.
Il y a lieu cependant de noter que si, comme à Sierra
Leone, cette intervention devait être le préliminaire
de l'établissement du pouvoir étranger dans le pays,
les Yorubas ne manquèrent pas de marquer avec le
plus grand soin la mesure dans laquelle ce pouvoir
532 CONCLUSION
devait s'exercer. Nous avons vu les Egbas se refuser
à recevoir un résident anglais à Abeokuta et exiger que,
tant qu'ils laisseraient les Européens commercer libre-
ment dans leur pays et s'abstiendraient de faire des
sacrifices humains, il ne serait fait parle gouvernement
anglais aucune annexion de territoire sans le consente-
ment des autorités du pays; leur indépendance devait
être pleinement reconnue.
A Ibadan, un résident ne fut accepté qu'à condition
qu'il se bornerait à veiller "à la sécurité du commerce
et que son établissement ne porterait en rien atteinte
à la liberté des institutions du pays. Il en fut de même
pour les autres États yorubas.
Il aurait pu arriver que ces conventions ne fussent
considérées que comme le préliminaire d'une occupa-
tion effective, et que l'on ait pris comme prétexte, par
exemple, le fait qu'elles ne contenaient aucune dispo-
sition restrictive de l'esclavage, pour les tenir comme
non avenues. Ce sera l'honneur de Sir William Mac-
Gregor d'avoir essayé d'administrer le Protectorat de
Lagos sans rien changer aux principes qu'elles avaient
posés.
Il y a pleinement réussi, en ce sens que la paix que
l'Angleterre voulut établir dans le pays yoruba a été
parfaitement garantie jusqu'ici sans qu'il ait été néces-
saire d'user de violence. Cependant, si l'on peut être
tenté, au premier abord, de s'étonner de ce qu'un pou-
voir européen ait pu s'établir en un point de l'Afrique
sans qu'il en soit résulté des difficultés graves avec les
indigènes, il y a lieu de remarquer que, pour ne pas
avoir été sanglant, le conflit n'en a pas moins existé.
A chacune des tentatives faites pour rendre effective
CONCLUSION 533
rintervention du pouvoir anglais dans le Yoruba, les
chefs ont montré une vive résistance toutes les fois
qu'ils ont pu penser qu'il pourrait en résulter quelque
inconvénient pour Tordre de choses établi dans leur
pays; ce n'est que parce que Ton a discuté avec eux»
comme d'égal à égal, au point de vue de la puissance,
et que la plupart du temps on leur a donné satisfaction,
qu'il n*y a pas eu de crise violente.
Et c'est ainsi que toute personne qui, habituée aux
choses d'Afrique, examine les divers incidents auxquels
a donné lieu cette politique, est certainement portée à
éprouver un étonnement assez vif de la manière dont
Sir William MacGregor a toujours paru considérer que
les chefs n'avaient pas cessé d'être indépendants, et en
même temps une certaine crainte que les chefs n'aient
été, par suite, induits à penser que les blancs n'avaient
sur leur pays aucun pouvoir.
En réalité, lorsque l'on examine, comme nous l'avons
fait, la genèse de cette politique, on peut voir que si Sir
MacGregor a estimé que l'Angleterre n'avait dans le
pays yoruba d'autres droits que ceux que lui conféraient
les traités passés avec les chefs, et s'il a pensé que l'ap-
plication de ces traités devait être suffisante pour lui
permettre d'atteindre le but qu'elle poursuivait, il n'a
jamais cessé de faire remarquer que l'indépendance
reconnue aux chefs par ces traités était subordonnée
non seulement à la manière dont ils les observaient
-eux-mêmes, mais encore aux efforts qu'ils devaient
faire pour que rien ne vînt en gêner l'application dans
l'avenir.
Administrer comme a voulu le faire Sir MacGregor
k Lagos, c'est guider les indigènes, sans qu'ils s'eQ.
534 CONCLUSION
aperçoivent, vers le but qui semble le plus convenable ;
c'est modifier insensiblement, comme il Ta fait par son
ordonnance sur les « conseils », l'organisation du pou-
voir indigène de façon à se réserver le moyen d'exercer
sur les chefs une influence continuelle contre laquelle
il ne leur viendrait pas l'idée de protester, parce que
ceux d'entre eux qui, pour des motifs quelconques, se
montreraient trop désireux de vouloir maintenir l'an-
cien élat de choses, seraient éliminés avec soin; c'est
laisser croire aux indigènes qu'ils continuent à se gou-
verner eux-mêmes, que les fonctionnaires anglais ne
sont placés auprès d'eux que pour leur dotiner des con-
seils et leur enseigner la manière de tirer un meilleur
parti des richesses de leur sol.
Sir W. Egerton a su recueillir admirablement la sue-
cession de cette politique, tout en s'efïorçant d'établir le
pouvoir anglais sur des bases de plus en plus solides.
C'est évidemment la politique idéale; mais elle est
d'application bien difficile, surtout parce qu'elle exige
des fonctionnaires modèles, aimant les indigènes et
tout imbus des mêmes principes, et on ne peut pas
dire qu'elle a complètement réussi à Lagos, où il sem-
ble bien que Ton risque d'éprouver de graves diffi-
cultés dans l'avenir.
La force est incontestablement le procédé le plus
simple et le plus facile à mettre en vigueur; c'est proba-
blement pour cela que les Anglais l'ont appliqué dans
les pays de la Nigeria, où ils n'étaient pas portés par une
politique ancienne à considérer autre chose que le but
de leur occupation, c'est-à-dire la pacification, condition
essentielle de la mise en valeur. Là il'y a eu réellement
conquête, et non pas seulement pénétration progressive.
CONCLUSION 535
' Comme elle ravaitfait ailleurs, TAngleterre se borna
tout d'abord, dans là Southern Nigeria, à assurer la
liberté du commerce. Son autorité ne s'exerça pendant
longtemps que sous une forme répressfve assez peu
efficace. Au Consulat des Oil Rivers, dont l'existence
même était problématique, succéda TOil River Protçc-
torate, encore plus mal défini. Une administration
réelle ne fut organisée que grâce aux objurgations des
commerçants de Liverpool, qui craignaient de voir tout
le Bas Niger absorbé par la Niger Co. L'établissement
d'un gouvernement véritable ne changea rien à la poli-
tique adoptée vis-à-vis des chefs, politique faite unique-
ment d'abstention, et ce furent les provocations mêmes
de ces chefs qui amenèrent l'occupation progressive du
pays. A la suite de chaque incident nouveau, révolte de
Nana, révolte de Brass, massacre du Bénin, l'Angleterre
dut entreprendre de véritables campagnes, mais dans
le seul but de protéger le commerce de ses nationaux,
et, en somme, ce ne fut qu'après le rachat de la charte
de la Niger Co, quand la Southern Nigeria fut créée, que
le gouvernement anglais vit la nécessité d'avoir un plan
d'action défini dans ces régions où jusqu'alors il s'était
borné à subir les événements, au lieu de les contrôler;
il entreprit alors réellement la conquête du pays.
Il ne faut point voir simplement, dans ce fait que
l'Angleterre donna aux expéditions qu'elle fit depuis
celte époque le nom de « tournée de police », un désir
de ne point effaroucher l'opinion publique, qui aurait
pu protester en apprenant que cette conquêle restait
à faire après vingt ans d'occupation prétendue; il faut
y trouver aussi, une fois de plus, la marque de cette
rllusion qui parait être la caractéristique de l'action
536 CONCLUSION
anglaise en Afrique occidentale et qui poussera tou-
jours TAngleterre à croire que, une fois le Protectorat
de TAngleterre déclaré sur un pays, ce pays ne peut
que lui être soumis réellement.
La politique adoptée dans la Northern Nigeria est de
mêpne nature; elle a eu la même origine.
La'Niger Go. n'eut d'autres rapports avec les indi-
gènes que ceux qui étaient strictement nécessaires
pour lui assurer la liberté du commerce sur les rives
du Niger et de la Benue. Elle déclara bien que les
sultans de l'intérieur Tavaient reconnue comme suze-
raine; mais Ton sait qu'il n'y avait là rien que de très
fictif.
Si elle avait eu réellement une influence quelconque
sur ces chefs, et que ceux-ci eussent été habitués déjà
à subir un certain contrôle de la part des Européens,
le gouvernement anglais, lorsqu'il succéda à la Com-
pagnie du Niger, eût été tenté de continuer la même
politique. On aurait vu très probablement, alors, se re-
produire des incidents analogues à ceux qui ont amené
la conquête de l'Ashanti et de l'Hinterland de Sierra
Leone. Il arriva, au contraire, que l'on s'aperçut promp-
tement que les chefs indigènes n'admettaient de plein
gré dans leur pays aucune action quelconque d'un pou-
voir étranger. Cela n'eût pas suffi à décider le gouver-
nement anglais à occuper définitivement ce pays, si son
représentant n'avait brusqué les choses et si, malgré
les instructions qu'il recevait, il n'avait fait cette con-
quête qui paraissait dangereuse et inutile.
Maintenant que tout est terminé et que l'Angleterre
y ^ 8^S^^ 1^ Nigeria, elle aurait mauvaise grâce à ne
pas reconnaître que tout l'échafaudage sur lequel repo-
CONCLUSION 537
saienl les assertions de la Royal Niger Go. était des plus
fragiles, et ses arguments des plus spécieux.
Dans toute cette histoire, une seule chose indéniable
est le grand effort qui a été fait pendant la première
partie du xix* siècle par les explorateurs anglais pour
découvrir le bassin du Niger. Quant à Tinfluence exer-
cée par la Royal Niger Co. dans les pays de l'intérieur,
elle n'a jamais été que du domaine de la légende.
Seulement il est arrivé qu'à la déclarer vraie pen-
dant vingt ans le Colonial Office a fini par croire, très
sincèrement,, sans doute, qu'elle avait quelque chose
d'exact, que tous ces sultans, tous ces émirs, avec qui
l'on avait passé ces traités qui forment le plus bel or-
nement de la vénérable « Map of Africa by treatises »
d'Herstlett, avaient bien réellement reconnu l'influence
de l'Angleterre incarnée par la Compagnie à charte.
Ce qui est vrai, c'est que si le successeur de la Royal
Niger Co. n'avait été un de ses propres soldats, qui
savait à quoi s'en tenir sur la domination qu'elle pré-
tendait exercer, s'il n'avait eu une profonde connais-
sance de l'âme indigène et un admirable talent d'organi-
sateur d'empire (le mot n'est pas trop fort), l'Angleterre
se serait exposée aux pires désillusions et aurait subi
les plus graves désastres, dans ces pays où elle avait
fini par se croire chez elle avant d'en avoir occupé un
pouce de territoire.
Nous pouvons bien, nous autres Français, qui avons
été les victimes de l'affaire, nous donner au moins la
satisfaction bien inoffensive de sourire un peu, en cons-
tatant que ce n'est que parce que le Haut Commiss.aire
a partagé notre manière d'apprécier la réalité du pou-
voir exercé par l'Angleterre dans ces pays et parce
538 CONCLUSION
que ses protestalions ont succédé aux nôtres, que la
Northern Nigeria a pu réellement se constituer.
Cela nous est d'autant plus permis que notre occupa-
tion des pays que l'Angleterre nous a laissés au nord de
ses terres n'a eu d^autre effet que de faciliter sa tâche.
' 11 est entendu qu'il y a un certain nombre de points
dont on ne veut pas convenir en matière coloniale. Il
semble cependant difficile de trouver que notre action
d'ans les « territoires militaires ». qui s'étendent du
Niger an Tchad a un autre résultat que de faire la police
du désert sur la frontière anglaise. Nous ne sommes
pas de ceux qui prétendent que nous devons abandon-
ner celte région ainsi que les territoires du Tchad. La
moindre de nos igrandes villes dépense annuellement
pour ses embellissements plus que ne nous coûtent ces
pays, et, puisqu'ils nous appartiennent, agissons-y réel-
lement si, grâce au dévouement de nos soldats, nous
pouvons le faire à si bon compte; mais, si cela n'a
d'autre résultat que d'être une école admirable d'éner-
gie pour quelques-uns de nos jeunes gens et de faci-
liter la tâche de nos amis les Anglais, avouons-le fran-
chement et faisons-en une noble coquetterie de grande
nation, et non point un rôle de dupe.
Sir Frederick Lugard, les mains liées par le Colonial
Office, eût-il pu accomplir son œuvre et anéantir Rabah
et Fad-el-AUah, si nous ne l'avions protégé contre les
ennemis du dehors?
A vrai dire, nous avons le plus grand intérêt à aider
TAngleterre dans son œuvre de pacification du centre
africain.
Les incidents dont nous venons de relater les traits
principaux ont montré que le pouvoir de notre voisine
CONCLUSION 539
était intimement lié à la fidélité des grands chefs par
rintermédiaire desquels elle a voulu gouverner. Au
premier trouble un peu grave, les administrateurs de
la Nigeria, et Sir Frederick Lugardiui-ménve, ont cepen-
dant envisagé la possibilité d'un soulèvement général.
Ce soulèvement reste possible.
Il aurait lieu non point particulièrement contre l'ad-
ministration anglaise, qui agit de la plus noble façon
vis-à-vis des indigènes, mais contre le pouvoir du
blanc, conquérant détesté uniquement parce qu'il est
le conquérant, parce qu'il est d'une autre race, et cela
qu'il s'agisse de l'Afrique ou de l'Asie. Il se produira
d'autant plus facilement que les noirs entendront les
excitations de l'Islam.
La paix, que l'Europe a établie dans une partie de l'A-
frique noit'e y fait connaître, peu à peu, un bien-être que
ses habitants commencent à apprécier et grâce auquel
ils ressentent moins l'amertune de la conquête; mais
il nous a toujours paru que notre action ressemblait à
celle de ces eaux qui créent des stalactites légères et
transparentes, qui ne deviennent des piliers inébran-
lables qu'à la faveur du calme le plus absolu et de la
persévérance des siècles.
Il ne nous reste plus qu'à résumer, pour les juger en
même temps, les modes suivant lesquels TAngleterre
à voulu administrer ces pays; et tout d'abord il faut
mettre à part tout ce qui concerne la partie de l'Afrique
occidentale anglaise constituée en Colonies de la Cou-
ronne. Nous avons vu, au courant de celte histoire, le
540. CONCLUSION
mécanisme qui a présidé à leur formation dans les dif-
féreivtes parties de la côte, et nous avons vérifié qu'il
reposait entièrement sur ce principe d'assimilatign, dont
nous avons indiqué Torigine dans notre introduction en
disant que cette assimilation avait été tellement com-
plète qu'elle n'avait point laissé de place à l'institution
de politiques diverses. 11 n'y a lieu d'en retenir que la
présence, à côté de territoires soumis à un régime tout
difi*érent, d'une véritable portion du sol anglais dotée
de la législation métropolitaine et subissant son autorité
comme une simple émanation du pouvoir central. Nous
noterons également que ces noyaux formés par les
Crown Colonies, origine des possesàions de l'Angle-
terre qui les entourent, n'ont été constitués qu'en Gam-
bie, à Sierra Leone et à Lagos, et non point dans les
pays du Niger, tandis qu'à la Gold Coast la partie éri-
gée en Crown Colonies ne l'a été que nominalement.
En Gambie, le gouvernement anglais s'est attribué,
au point de vue administratif, les mêmes pouvoirs dans
le Protectorat que ceux qu'il possède dans la Colonie.
Les chefs lui sont entièrement soumis et ne sont quo
les agents responsables du bon ordre, punissables et
révocables. Le droit de justice est entre les mains du
gouvernement anglais, la juridiction indigène étant
purement facultative pour les indigènes du Protectorat
qui conservent l'usage de leurs coutumes; mais les
tribunaux de la Colonie sont compétents pour l'appli-
quer dans tous les cas, et la justice criminelle ne dépend
que d'eux. La propriété du sol reste cependant acquise
aux indigènes, avec qui doivent traiter les étrangers, et
il y a là une anomalie, puisque le gouvernement anglais
s'est institué leur pouvoir souverain : anomalie pure-
CONCLUSION 541
m^nt formelle du reste, puisque les litiges auxquels
peut donner lieu cette propriété peuvent être réglés
par lui.
A Sierra Leone, les chefs dépendent également du
gouverneur, qui administre par leur intermédiaire; une
véritable organisation indigène est instituée pour assu-
rer cette administration sous forme d'assemblées de
chefs, à plusieurs degrés, toutes sous la dépendance
directe du représentant du gouverneur. Les chefs n'en
gardent pas moins des droits précis : leur droit de jus-
tice leur est laissé, en ce sens qu'ils l'exercent dans des
tribunaux formés suivant la coutume et dans lesquels
n'interviennent pas les représentants du pouvoir anglais;
mais ce droit de justice ne leur est confié qu'en ce qui
concerne les indigènes, leurs sujets, et uniquement
pour les causes civiles. Les délits, les crimes entraînant
des peines graves, sont réservés à la justice anglaise,
ainsi que les procès de quelque importance ou por-
tant sur les questions d'ordre foncier entre indigènes
et étrangers. Des tribunaux mixtes, composés d'étran-
gers et indigènes, sont institués pour les causes dans
lesquelles une des parties est étrangère. Leurs déci-
sions sont sans appel lorsque les juges sont unanimes,
et leur direction est laissée entièrement aux chefs.
Même devant les tribunaux dépendant des pouvoirs
anglais, la loi indigène reste applicable entre indigènes
et étrangers, et, si cette loi est équitable, le contraire
n'a pas été prévu.
Au point de vue foncier, l'Angleterre s'est attribué
le domaine éminent du sol, mais elle n'en a gardé qu'un
droit de contrôle. Le gouvernement anglais, ne dispo-
sant que des terres vacantes, ne peut, en effet, concéder
542 CONCLUSION
la possession de la terre, et, sous réserve de son appro-
bation, laisse aux chefs le soin de le faire.
A la Gold Goast, la constitution d'une partie de cette
possession en colonie de la couronne n'a été réalisée
que théoriquement.
Les indigènes du littoral sont, pour la plupart, abso-
lument autorisés à déclarer qu'ils ne doivent pas être
englobés dans la Colonie, dont le gouvernement est
d'avis, au contraire, qu'ils font partie. Cette Colonie
n'est composée réellement que des villes formées
autour des forts qui protégeaient autrefois les commer-
çants, et les tribus qui vivent dans leur voisinage sont
bien fondées à dire que l'Angleterre n'a jamais acquis,
ni par la force ni autrement, le droit de les absorber.
La meilleure preuve en est qu'elle leur a laissé leurs
institutions et la propriété de leur sol, alors que l'es-
sence même des Crown Colonies consiste dans l'attri-
bution de cette propriété à la Couronne.
C'est ainsi que l'autorité indigène reste organisée et
hiérarchisée, tout en dépendant entièrement, il est vrai,
du gouvernement anglais. Les chefs rendent la justice
entre indigènes, alors que dans les autres colonies de
la Couronne elle revient aux magistrats anglais; les
jugements sont, il est vrai, tous passibles d'appel de-
vant la juridiction anglaise.
Quant à la propriété du sol, les indigènes restent
libres d'en disposer, avec la seule restriction que l'ap-
probation de la justice anglaise est nécessaire pour
valider les cessions qu'ils font au profit des étrangers;
mais cette validation n'a d'autre but que de garantir
la valeur de ces cessions. Le gouvernement ne garde
même pas le droit de disposer des terres vacantes.
CONCLUSION 543
Dans rAshanti, comme dans la Colonie, le pouvoir est
entièrement réclamé par le gouvernement anglais : les
chefs gardent cependant le droit de rendre la justice,
mais seulement sur les seuls indigènes et pour dès
affaires d'une importance limitée; la propriété et la
possession du sol sont régies de la même manière que
dans la Colonie, tandis que, dans les territoires du
Nord, le pouvoir anglais n'exerce qu'une simple sur-
veillance auprès des chefs indigènes, sans leur enlever
aucune de leurs attributions.
A La^os, en dehors de la partie constituée en Crown
Colony, toute l'administration, toute la politique a été
basée sur l'indépendance des peuples protégés par l'An-
gleterre. Les chefs ont conservé tous leurs pouvoirs
souverains, et la législation tout entière n'a été établie
qu'avec leur consentement. Le simple maintien de l'or-,
dre, qui, partout ailleurs, est assuré par le gouverne-
ment, est laissé à leurs soins. Pendant longtemps ils
n'ont même pas eu auprès d'eux de représentant du
gouvernement de la colonie, et, dans tous les cas, ce
représentant n'est considéré que comme uu conseiller.
Leurs tribus constituent de véritables Etats et fonction-
nent avec les recettes qui leur sont propres, provenant
d'impôts perçus même sur les Européens.
Ces chefs ont gardé la pleine propriété de leur sol, et
le pouvoir anglais n'a même pas pris le pouvoir d'ex-
propriation pour cause d'utilité publique : les terrains
qui lui sont nécessaires pour ses chemins de fer, par
exemple, lui sont accordés par traités spéciaux, mais
non comme suite de l'exercice d'un droit. De ce fait,
naturellement, la possession de la terre n'est concédée
que par les chefs, et à titre purement temporaire, car
544 CONCLUSIOIf
le caractère d'indivision du sol entre toute la tribu
empêche qu'il en soit disposé autrement.
De même la justice, apanage du pouvoir, a été laissée
entre leurs mains, entièrement tout d'abord, puis, plus
tard, seulement dans les cas peu graves, pour les cau-
ses où des étrangers et des sujets anglais interviennent
comme parties avec les indigènes.
Dans les pays du Bas-Niger qui constituent l'ancienne
Southern Nigeria, les chefs ont perdu leur indépen-
dance, mais continuent à administrer sous la direction
du pouvoir anglais. En pratique, ils ont la gestion des
sommes qu'ils sont autorisés à percevoir, sommes qui
proviennent en grande parti^ de l'administration de la
justice. Le domaine éminent du sol leur a été laissé,
et, à l'exception de certaines parties du territoire que
le gouvernement possède « par droit de traité ou de
conquête », ils ont seuls le droit d'en concéder la
possession à des étrangers ou sujets anglais, sous
la seule restriction de l'autorisation du gouvernement
anglais.
Ils ont gardé leurs pouvoirs judiciaires, mais seule-
ment en ce qui concerne les indigènes et sous la réserve
de la faculté d'appel dans tous les cas devant la justice
anglaise jugeant d'après la coutume indigène.
Dans la Nigeria du Nord, le gouvernement anglais
s'est substitué complètement aux droits des chefs et
s'est attribué leurs prérogatives. Ceux-ci ne sont plus
entre ses mains que des instruments d'administration.
Ils continuent à rendre la justice sur les indigènes,
mais comme par une simple délégation du pouvoir
central et sous sa surveillance, les représentants du
gouvernement anglais pouvant renvoyer toutes causes
CONCLUSION 545
devant la justice anglaise, à tout moment de la procé-
dure et môme après le jugement.
Non seulement le domaine éminent du sol leur est
enlevé, mais encore ils n'ont plus le droit, tout comme
s'ils faisaient partie d'une colonie de la Couronne, de
concéder sa possession même à leurs sujets. Ce soin a
été assumé par le gouvernement anglais, qui, pour con-
server le principe de l'indivision, a décidé que cette
cession ne pourrait être faite, même aux indigènes, que
pour un temps limité et moyennant le payement à son
profit de la redevance auparavant perçue par les chefs.
En somme, nous nous trouvons, dans l'Afrique occi-
dentale anglaise, en présence d'une politique qui repose
sur une distinction faite entre les droits qu'ont les indi-
gènes de se gouverner, droits que s'attribue entière-
ment le pouvoir anglais, sauf à Lagos, et ceux qu'ils
ont en tant que collectivité sur leurs terres, leurs biens
et leur personne; mais, tandis que l'Angleterre s'est
attribué partout, d'une inanière à peu près identique,
l'autorité souveraine (sauf à Lagos), elle a suivi des sys-
tèmes différents à l'égard de l'exercice de ces droits.
Nous ne saurions mieux juger quel est, parmi ces
divers systèmes, celui qui doit être finalement adopté,
qu'en examinant tout d'abord comment la France, dans
des circonstances analogues, a procédé dans les mêmes
pays.
*
La France s'est attribué, en Afrique occidentale, le
pouvoir absolu sur les peuples de ses colonies. Elle a
appliqué simplement le droit de conquête, que l'on a
toujours considéré comme entraînant le pouvoir, et elle
35
546 CONCLUSION
n'a pas guidé sa politique sur l'observation de traités
passés avec les peuples dont elle a occupé les terri-
toires, ainsi qu'a cru devoir le faire l'Angleterre.
Elle a donc substitué complètement son pouvoir à
celui des chefs qui se sont soumis à elle. Elle s'est
attribué tous leurs droits, sans aucune restriction, et
s'est donné tous leurs devoirs; elle ne leur a laissé que
les prérogatives de leurs titres au point de vue de l'au-
torité immédiate sur leurs sujets et les a transformés
en simples fonctionnaires.
Enfin, elle a appliqué ce principe d'une manière uni-
forme dans toute l'Afrique occidentale, sans connaître
les différents modes pratiqués par l'Angleterre.
Elle a laissé aux indigènes leurs lois et leurs coutu-
mes ; mais elle n'a permis aux chefs de continuer à les
appliquer dans l'exercice de la justice que comme ses
délégués; elle a organisé cet exercice d'après la hiérar-
chie administrative, qu'elle a substituée au pouvoir des
chefs : tribunaux de village, dans lesquels le chef est
juge; tribunaux de province, composés du chef assisté
de deux notables nommés par le gouvernement sur la
proposition du procureur général; tribunaux de cer-
cles présidés par l'administrateur; tribunaux du chef-
lieu à forme métropolitaine, avec faculté d'appel devant
ces juridictions successives.
Au début, l'exercice de cette justice fut entièrement
entre les mains du pouvoir administratif exécutif, mais
il apparut que le principe de la séparation des pouvoirs
devait être aussi bien respecté dans la colonie que
dans la métropole; on pensa qu'il fallait rendre acces-
sible aux indigènes l'organisation métropolitaine de la
justice, et l'on se préoccupa de créer, dans les différents
I
!
■
i
CONCLUSION 547
points de TAfrique occidentale, des tribunaux identi-
ques aux tribunaux métropolitains, composés de magis-
trats de carrière. On voulut en même temps pouvoir
rendre la justice aussi bien aux Européens qu'aux
indigènes : aux Européens d'après la loi française,
même si un indigène est en cause; aux indigènes entre
eux d'après leurs coutumes ou, s'ils le désirent, d'a-
près la loi française.
Si Tou n'étendit pas partout ce principe et si, dans
une grande partie de l'Afrique occidentale, on laissa
les administrateurs présider les tribunaux, on leur
donna cependant le titre de juge de paix à compétence
étendue, de manière à leur permettre de siéger comme
magistrats et en dépouillant en quelque sorte leurs
fonctions administratives.
Au point de vue foncier, furent appliquées les mômes
doctrines. Le gouvernement français, s'étant substitué
au gouvernement indigène, estima qu'il avait sur le sol
dé la colonie les mêmes droits qu'il possède sur celui
de la métropole; il s'en attribua le domaine éminent et,
de ce fait, recueillit les terres vacantes.
Mais, tandis que l'on avait cru pouvoir, sans diffi-
culté, admettre comme un principe la possibilité pour
les indigènes d'invoquer, dans tous les cas, les lois
françaises, on se heurta, au point de vue de l'exercice
des droits de propriété du sol, au caractère d'indivision
sur lequel repose la société indigène.
On se décida finalement à ne pas voir dans ce caractère
un obstacle absolu. « La propriété, telle qu'elle est défi-
nie par le code civil, étant encore inconnue et échappant
môme à la conception de la généralité des indigènes de
l'Afrique occidentale, il parut que l'on devait laisser le
548 CONCLUSION
temps et Texpérience faire leur œuvre, maintenir en
vigueur la coutume locale pour toutes les terres occu-
pées par les indigènes, ne pas hésiter même à tolérer,
le cas échéant, la création, conformément à cette (Cou-
tume, de droits nouveaux sur les terres vacantes dont
le domaine n'aurait pas encore fait emploi, et mettre en
même temps les occupants en mesure d'obtenir, lors^
qu'ils le jugeraient profitable à leurs intérêts, et à ce
moment seulement, la consolidation de leurs droits^. »
C'est ce que Ton réalisa, après avoir institué le sys-
tème de l'immatriculation en Afrique occidentale, en
le rendant applicable aux indigènes par cette simple
disposition :
« Dans les parties de l'Afrique occidentale française
où la tenure du sol par les habitants ne présente pas
tous les caractères de la propriété privée telle qu'elle
existe en France, le fait, par un ou plusieurs détenteurs
de terres, d'avoir établi, par la procédure de l'imma-
triculation, l'absence de droits opposables à ceux qu'ils
invoquent, a pour effet, quels que soient les incidents
de ladite procédure, de consolider leurs- droits hors
d'usage et de leur conférer les droits de disposition
reconnus aux propriétaires*. »
*
Si, maintenant, nous nous demandons lequel paraît
le meilleur, des divers systèmes employés par l'Angle-
terre, ou du système pratiqué par la France, nous
1. A. Boudillon, chef du service de renreglstremenl et du domaine en
Afrique occidentale : RevvCe coloniale, avril 1911 : la Question foncière
et l'Organisation du libre foncier en Afrique occidentale.
2. Article 58, décret du 24 juillet 1906.
CONCLUSION 549
remarquerons tout d'abord qu'il semble bien que TAn-
gleterre doive tendre à uniformiser sa politique en
Afrique occidentale.
Elle a été conduite par les circonstances et les diffé-
rents modes suivant lesquels s'est effectué son établis-
sement dans ce pays, à intervenir auprès des indigènes
à des degrés divers. Elle a pu, d'une manière qui
l'honore profondément, se considérer liée par les trai-
tés qu'elle a passés avec eux et obligée à conformer 1^
constitution qu'elle leur a donnée aux dispositions de
ces traités; mais elle doit satisfaire partout aux mêmes
besoins, et les droits en face desquels elle se trouve
sont, au fond, partout les mêmes; les distinctions qui
peuvent se baser sur les droits de la conquête ou de
la simple occupation sont purement formelles, et
comme, dans la pratique, l'indépendance des indi-
gènes n'en disparaît pas moins, il n'y a pas de raisons
pour ne pas tendre à une unité d'autant plus facile à
réaliser que seront plus larges les principes sur les-
quels elle reposera.
Est-ce à dire que l'Angleterre doive suivre entière-
ment la politique française qui a réalisé cette unité?
Nous ne le pensons pas, parce que cette politique nous
parait comporter une grave erreur en ce qu'elle tend
à donner aux indigènes les institutions françaises et
que, en voulant introduire un principe aussi perfec-
tionné que celui de la séparation des pouvoirs, elle
rend particulièrement délicat le gouvernement de ces
sociétés indigènes.
Ce n'est qu'une phrase vide de sens que celle qui a
amené l'établissement de la justice à forme métropoli-
taine dans l'Afrique noire française, sous prétexte « de
550 , CONCLUSION
t
faire participer les indigènes aux bienfaits de nos ins-
titutions )).
Avant que nos lois puissent s'appliquer avec avantage
aux besoins des noirs, il faudra qu'ils changent toute
la forme de leur société; mais ils ne devront le faire
que lorsque seront transformées les conditions mêmes
de leur existence.
Gela est particulièrement vrai en ce qui concerne le
régime de leurs terres.
Introduire la division de la propriété, ainsi qu'a voulu
le rendre possible le système que nous avons appliqué
en Afrique occidentale, c'est vouloir changer complè-
tement les bases de la société indigène, bases qui re-
posent entièrement sur l'indivision et, dans une large
mesure, sur le communisme; c'est par suite d'une sin-
gulière ignorance des choses d'Afrique que Ton voit
ceux mêmes qui, en France, préconisent cette commu-
nauté si difficile à concilier avec notre civilisation,
s'acharner à la détruire dans ces pays où elle fonc-
tionne si merveilleusement.
11 ne faut point dire qu'il ne peut y avoir d'inconvé-
nient à rendre simplement possible l'application de nos
lois par les indigènes, sous prétexte qu'ils ne la deman-
deront que lorsqu'ils en sentiront le besoin. Il est d'au-
tant plus à craindre qu'ils n'attendent pas cette date»
que nous introduisons dans leur pays, avec ces lois^
ceux qui chez nous sont chargés de les appliquer.
Ceux-ci ne sauront pas se maintenir dans un rôle
d'expectative. C'est à eux que l'on devra de voir aug-
menter leurs propres attributions, et se multiplier des
institutions qui, tout d'abord, devaient être exception-
nelles. Avec eux arriveront fatalement ceux qui vivent
CONCLUSION 551
des chicanes que provoque leur présence, et qui auront
tôt fait de montrer tout le parti que les habiles peuvent
tirer de nos lois, au détriment de la communauté elle-
même.
En, recherchant comment, entre les divers systèmes
suivis par l'Angleterre en Afrique occidentale, doit se
faire celte unité, que nous jugeons nécessaire, nous
dirons en même temps dans quelle mesure doivent y
^ être appliqués et généralisés les principes établis par
la France.
Il nous apparaît tout d'abord que, l'indépendance des
tribus indigènes élant contraire au fait de l'occupation
étrangère, et sa reconnaissance n'étant maintenue que
par une fiction dont l'application se heurte à des diffi-
cultés constantes, il vaut mieux considérer que cette
indépendance n'existe plus. Il en découlera que les
chefs ne seront plus considérés que comme des inter-
médiaires administratifs auxquels il convient, d'après
nous, de laisser la plus large responsabilité. A ce point
de vue, la politique suivie par la France est excellente
et peut servir de modèle, ainsi que la manière dont elle
a généralisé la perception de l'impôt.
Il n'est pas possible de concilier cette plénitude des
droits du gouvernement souverain étranger avec la
conservation par les indigènes des attributions de ce
pouvoir.
Le droit de rendre la justice est, par essence même,
le signe de l'autorité chez les peuples primitifs : il doit
être exercé par celui qui détient cette autorité. De la
même manière, le domaine éminent du sol revient au
552 CONCLUSION
pouvoir souverain; c'est ce que nous avons admis en
Afrique occidentale française; c'est ce qui doit être éta-
bli dans les colonies anglaises où il n'en est pas encore
ainsi. Mais nous nous empressons d'ajouter que ces
droits nous paraissent ne devoir être exercés que de la
manière la plus limitée possible. En outre, et c'est là
que l'on doit s'arrêter dans l'imitation du système fran-
çais, cet exercice ne nous paraît nullement entraîner
avec lui l'application des institutions de la métropole
aux peuples indigènes.
Nous admettons que lorsque nos nationaux, ou les
individus que nous leur assimilons, se trouvent en rap-
port avec les indigènes, nous conservions pour les pre-
miers l'usage de nos lois; cela se justifie dans la même
mesure que le droit de conquête ; et c'est ainsi que nous
pensons que le jugement des tribunaux indigènes ne
saurait s'étendre, comme à Lagos, aux étrangers; mais
nous croyons qu'il ne faut pas aller plus loin dans l'ap-
plication de nos lois.
Nous avons dit comment elles sont contraires aux
principes mêmes sur lesquels repose la société indi-
gène. Nous n'avons nullement le droit de modifier ces
principes, car nous n'avons nulle preuve que notre forme
de société est la meilleure, ni qu'elle corresponde aux
nécessités des pays sur lesquels nous avons artificielle-
ment installé notre domination.
En outre, cet exercice suppose une intervention bien
plus" complète auprès des indigènes que nous ne pou-
vons pratiquement l'exercer, sans charger ces pays du
poids d'une administration qu'ils ne peuvent supporter.
C'est à ce titre que nous devons nous borner à un
rôle tutélaire et, ainsi que le pensait Mary Kingsley, lais-
V
CONCLTJSI02f 553
ser les indigènes régler entre eux les mille détails de
leur vie quotidienne. C'est pour cela qu'il nous paraît
qu'alors que Sir Frederick Lugard avait admirablement
défini la manière dont l'Angleterre devait intervenir
dans^la Nigeria, ses successeurs sont allés trop loin en
voulant assurer effectivement eux-mêmes tout le fonc-
tionnement de la société indigène : nous sommes heu-
reux de saluer le retour de ce grand homme d'Etat à
la tète de ces pays, parce que nous y voyons un indice
et une assurance que cette unification de la politique
anglaise en Afrique occidentale, à laquelle- prélude la
fusion des deux Nigeria, se fera d'après ces principes
qu'il avait lui-même posés.
C'est pour cela aussi que nous ne voyons qu'un
moyen de réparer, dans notre Afrique occidentale fran-
çaise, la faute commise de vouloir donner aux indigènes
notre justice et notre régime foncier. Cette faute doit
être attribuée, non point à l'administration locale, qui
s'est toujours défendue contre cette intervention abu-
sive, mais à des utopies théoriques provenant de doc-
trines parlementaires trop ignorantes des problèmes
qu'elles veulent résoudre. Ce moven, c'est de ne rien
faire pour assurer pratiquement l'application de cette
législation. Il faut continuer, comme on l'avait sagement
fait tout d'abord, à gouverner, administrer et rendre la
justice par l'intermédiaire des chefs indigènes, sous la
seule surveillance de notre admifiistration, en laissant
magistrats et fonctionnaires judiciaires et fonciers
cantonnés dans les villes où l'agglomération des Euro-
péens a, en fait, détruit la société indigène, mais il ne
faut pas permettre à ces magistrats et fonctionnaires
d'étendre plus loin leur action.
554 CONCLUSION
En parlant ainsi, nous nous préoccupons peut-être
plus encore de l'avenir de ces peuples auprès desquels
nous nous sommes installés, que de leur situation pré-
sente; c'est pour l'avenir surtout qu'est engagée toute
la responsabilité que nous avons assumée par notre
intervention.
♦
Nous n'avons point l'intention d'insister ici sur la na-
ture de notre influence sur les noirs; mais, sans craindre
d'être accusé de parti pris ou de pessimisme injustifié,
nous pouvons bien dire que, si cette influence est très
réelle, elle n'est peut-être pas des plus heureuses à
tous les points de vue.
Le voyageur qui parcourait, il y a peu d'années seu-
lement, les terres de l'intérieur, où les blancs venaient
à peine de pénétrer, pouvait être tenté de faire un beau
rêve : c'était une vie patriarcale, celle des temps bibli-
ques, qui se révélait à lui. 11 découvrait des peuples
qui vivaient heureux de leur agriculture, formant une
sorte de société collectiviste dans laquelle la seule cause
de misère était les guerres intestines. Il pouvait penser
que si ces guerres étaient arrêtées, si une sorte de pou-
voir souverain intervenait pour assurer chez ces peu-
ples la paix dont ils avaient besoin^ ils seraient parmi
les privilégiés de la terre. Ce pouvoir pourrait, en même
temps, enseigner à ces indigènes le moyen de mieux
exploiter les richesses de leur sol, leur apprendre à
soigner leurs maladies, et tandis qu'il augmenterait
leur bien-être, il trouverait une rémunération de ses
peines dans le profit que feraient ses nationaux en com-
merçant dans ces' pays.
CONCLUSION 555
La pacification s'est faite en même temps que la con-
quête de TAfrique. Les noirs ont été persuadés que les
blancs étaient invincibles, et ils se sont soumis; mais
alors on a pu commencer de voir l'effet qu'allait pro-
duire sur eux le contact de notre civilisation.
Dans les régions très fréquentées par les Européens,
cette influence devait être complètement désorganisa-
trice de la société indigène.
Ce sont moins les dispositions législatives que nous
avons pu prendre qui ont agi dans ce sens, que les phé-
nomènes économiques qui ont accompagné l'exploita-
tion de l'Afrique occidentale.
Tant que nous nous sommes bornés à truquer nos
marchandises contre les produits que les noirs voulaient
bien apporter à la côte, nous avons eu beau publier
toutes les lois possibles sur Tesclavage, Tadministra-
tion de la justice, le régime foncier, ces lois n'ont eu
aucune portée, parce que nous manquions des moyens
de les faire appliquer et que les indigènes, hommes
libres ou captifs, n'en voyaient pas les avantages.
Le jour, au contraire, où nous avons pénétré dans
l'intérieur autrement que pour le conquérir, mais
aussi pour en exploiter les richesses; lorsque nous
avons entrepris toute une série de grands travaux
qui devaient nous permettre de transporter ces pro-
duits; lorsque, surtout, nous avons introduit la mon-
naie dans nos transactions avec les indigènes, nous
avons occasionné une véritable révolution.
Ce jour-là, les captifs ont pu vivre sans le soutien de
leurs maîtres, et non seulement ils ont quitté leur pays
pour venir travailler auprès des Européens, mais encore
ils ont fui leurs maîtres sans esprit de retour. Les chefs
556 ' CONCLUSION
de famille, de leur côté, ont vu les terres qu'ils possé-
daient, dans les endroits où les Européens voulaient
s'établir, acquérir une valeur qu'ils ne leur soupçon-
naient pas. La législation européenne leur permettait
en efl^t de se les attribuer au détriment de leurs su-
jets, ils n'y ont pas manqué. Ainsi les assises mêmes
de la société, qui reposait entièrement sur le servage et
la communauté des biens, se sont trouvées ébranlées.
Cette transformation se présente en tout cas sous un
aspect bien différent suivant qu'il s'agit des colonies
anglaises et des colonies françaises.
Notre contact, en effet, n'a pas produit sur les indi-
gènes l'impression qu'ils ont ressentie de la fréquen-
tation des Anglais. Partout, chez nous, ils ont conservé
leur costume, leurs usages, leur langue. Cela vient
peut-être simplement de ce qu'en dehors du Sénégal,
nous sommes en rapports intimes avec eux depuis bien
moins longtemps que les Anglais. II semble aussi que
l'influence de nos missionnaires ait été tput autre que
celle des pasteurs anglais. Ceux-ci se sont attachés à
angliciser le plus possible les noirs, tandis que les
missionnaires français^ n'ont travaillé qu'à les conver-
tir à leur religion, ce à quoi ils ne sont guère arrivés
du reste. Les noirs américains qui sont revenus en
Afrique occidentale ont fréquenté uniquement les colo-
nies anglaises. Les indigènes un peu aisés des colo-
nies anglaises ont pris l'habitude d'envoyer leurs
enfants s'instruire en Europe, exemple qui n'a été suivi
pour ainsi dire par aucun de nos sujets.
Toutes ces causes, et peut-être aussi la forme un peu
différente de la civilisation française et de la civilisation
anglaise, ont fait que la question de V « européanisa-
- 1
I
CONCLUSION 557
tien » des noirs ne se pose pas actuellement de la même
manière partout, à la côte et à l'intérieur, et il est bien
probable que, lorsque l'agitation causée actuellement,^
dans rhinterland, par Inexécution des grands travaux
publics sera terminée, la société indigène reprendra
dans nos colonies sa forme normale. La vie de famille
se reconstituera, et le servage, sinon l'esclavage, dans
le sens que nous attribuons à ce mot, continuera à
être, avec la communauté des biens fonciers, le fon-
dement de r « organisation sociale ».
Dans les parties des colonies anglaises voisines de
la côte, on est en droit de se demander s'il en sera de
même, et c'est une question qu'il faut se poser, car elle
est très grave. Il y aura bien toujours, au moins pen-
dant longtemps, une partie de la population qui sera
peu atteinte, comme elle est restée jusqu'ici indemne
de toute modification, nous voulons dire celle qui sera
éloignée des grandes voies de communication ou qui
vivra dans les régions pauvres; mais il n'en sera pas
ainsi pour la majorité des indigènes, d'autant que des
agitations politiques viendront certainement augmen-
ter leur instabilité.
Dans l'intérieur, en pays anglais comme en pays fran-
çais, il en sera évidemment tout autrement, car, d'ici
longtemps, les conditions économiques qui régissent la
société indigène ne pourront subir des modifications
importantes, et ce n'est pas le contact de quelques fonc-
tionnaires qui pourra exercer une bien grande influence
sur la forme de la société indigène.
Par delà la grande forêt, une sorte d'union ne s'en
fera pas moins entre les diverses races qui peuplent les
terres soudanaises. Nous leur avons donné une paix
560 TABLE DES MATIERES
Chapitre XVIII. Lagos. — L'organisation judiciaire 234
— XIX. Lagos. — Les budgets des Etats indigènes -ihk
— XX. Lagos. — La politique de Sir William Mac Gre-
gor et celle de Sir Waller Egerton 257
— XXÏ. A'igen'o. — Les Précurseurs 2t)3
XXII. La Royal Niger C°. — La concurrence étrangère . 3o:>
— XXIII. La Royal Niger C\ — L'opinion anglaise 3^*6
— XXIV. La Royal Niger C*. — La Compagnie et les indi-
gènes 3«iR
— XXV. La Royal Niger C\ — Son évolution 364
— XXVI. La Northern Nigeria, — Les débuts de Toccu-
palion .* 38»
— XXVII. La Northern Nigeria. — La prise de Kano et de
Sokoto". 401
— XXVIIL La Northern Nigeria. — Sir Frédéric Lugard
et le Colonial Office 411
— XXIX. La Northern Nigeria. — L'organisation admi-
nistrative et judiciaire. » La situation des
personnes. — Le régime foncier 441
— XXX. La Northern Nigeria. — Les impôts 463
— XXXI. Le Niger Coast Protectorate et la Soathern Ni-
geria, — L*011 Hivers Cousulate et le roi
Jaja 471
— XXXII. Le Niger Coast Protectorate et la Southern A7-
geria. — L'occupation du Das Niger 488
— XXXIJI. La Southern Nigeria. — La législation 505
Conclusion 523
Typ. Édocard Privât, 14, tue des Arl», Toulouse.