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Full text of "La politique indigène de l'Angleterre en Afrique occidentale"

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2^    T^tnrJ^     fffi^ 


La  Politique  indigène 

de  l'Angleterre 

en  Afrique  Occidentale 


DU  MEME   AUTEUR 


Coutumes  et  Privilèges  du  Rouergue,  2  vol.  de  la  Bibliothèque 

Méridionale,  ea  collaboration  avec  M.  l'abbé  Verlaguet,  P.   Privât, 
Toulouse. 

Les  Routes  du  Soudan,  1  vol.,  ouvrage  couronné  par  l'Académie 
des  Sciences  morales  et  politiques,  la  Société  de  Géographie  et  la 
Société  de  Géographie  Commerciale  de  Paris;  Privât,  Toulouse. 

La  Situation  économique  de  l'Afrique  occidentale  anglaise 

et  française,  1  vol.,  Challamel,  Paris. 


Emile  BAILLAUD. 


La  Politique  indigène 

de  l'Angleterre 

en  Afrique  Occidentale 


PARIS 

TOULOUSE- 

HACHETTE    ET   D" 

EDOUARD    PRIVAT 

ËDITtURS 

BOITIUB 

l'>,rueiJesArtB. 

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A  l'African  Society  ♦  ^  ♦ 
fondée  par  M**  J.-R.  Green 
pour  continuer  l'œuvre  ^  ♦ 
de  Mary  Kingsley    ♦    ^    ^ 


597201 


PRÉFACE 


Lorsque  nous  avons  entrepris  cette  étude, 
notre  intention  était  uniquement  de  rechercher 
quels  principes  avaient  guidé  l'Angleterre  dans 
l'administration  de  ses  colonies  d'Afrique  occi- 
dentale et  quels  mobiles  lui  avaient  fait  adopter 
telle  ou  telle  attitude  vis-à-vis  des  indigènes. 

Nous  nous  sommes  vite  aperçu  que  ce  qu'il 
fallait  tout  d'abord  esquisser,  c'était  la  poli- 
tique qu'elle  avait  suivie. 

Nous  ne  voulions  faire  qu'une  sorte  d'exé- 
gèse, c'est  l'histoire  même  des  événements  qu'il 
nous  a  fallu  entreprendre,  aucun  livre  déjà  pu- 
blié n'en  contenant  l'exposé. 

Heureusement  les  documents  abondaient. 

Chacun  des  principaux  incidents  qui  ont  mar- 
qué l'établissement  de  l'Angleterre  en  Afrique 
occidentale  a  donné  lieu  à  des  enquêtes  dont  les 
résultats  ont  été  publiés  dans  tous  leurs  détails  : 
elles  ont  servi  à  faire  l'ossature  de  cet  ouvrage; 
elles  nous  ont  fait  connaître  les  discussions  aux- 


VIII  PRÉFACE 

quelles  a  donné  lieu,  entre  les  indigènes  et  le 
gouvernement  anglais,  l'établissement  de  la  lé- 
gislation qu'il  entendait  leur  appliquer. 

Ce  livre  n'est  point  cependant  le  fruit  d'un 
labeur  de  bibliothèque. 

Nous  l'avons  conçu  et  nous  en  avons  trouvé 
les  éléments  principaux  sur  place,  au  cours  de 
longues  années  passées  en  Afrique  occidentale, 
et  notamment  pendant  la  dernière  mission  que 
M.  le  gouverneur  général  Roume,  dans  ce  but, 
nous  a  chargé  d'accomplir  dans  les  posses- 
sions anglaises. 

Si  nous  avons  pu,  au  moment  même  où  l'An- 
gleterre établissait  son  pouvoir  sur  l'Afrique 
occidentale,  faire  la  genèse  des  institutions  dont 
elle  a  doté  ses  colonies,  c'est  parce  que  nous 
avons  été  témoin  de  la  plupart  des  incidents  qui 
ont  marqué  l'occupation  définitive  de  ce  pays. 

En  retraçant  cette  histoire,  nous  n'avons 
point,  comme  tel  a  été  généralement  l'usage 
toutes  les  fois  que  l'on  a  voulu  raconter  Tinter- 
vention  des  races  dites  «  civilisées  »  auprès  des 
races  dites  «  primitives  »,  résumé  des  faits  re- 
posant uniquement  sur  les  actes  du  conquérant. 
Nous  avons  toujours,  au  contraire,  considéré 
ceux-ci  au  point  de  vue  de  leur  influence  sur 
les  indigènes  et  de  leurs  conséquences  sur  leur 
vie  sociale. 


PREFACE  IX 


Nous  avons  estimé  qu'il  n'était  pas  un  seul 
de  ces  actes  qui  ne  dût  être  envisagé  comme 
susceptible  d'opérer  une  transformation  dans 
cette  société  auprès  de  laquelle  les  blancs  inter- 
venaient pour  la  première  fois,  et  nous  nous 
sommes  toujours  efforcé,  avant  tout,  de  retrou- 
ver cette  influence.  En  même  temps,  ainsi,  nous 
avons  pu  apercevoir  les  causes  mêmes  de  cette 
politique,  dont  nous  n'aurions  vu  qu'un  aspect 
sans  intérêt,  si  nous  nous  étions  borné  à  l'envi- 
sager au  seul  point  de  vue  de  la  conquête  même, 
alors  qu'en  réalité  elle  était  modelée  sur  l'ac- 
cueil qu'elle  recevait  et  les  réactions  qu'elle 
subissait» 

Quelque  imparfaits  que  soient  les  résultats  de 
cette  tâche,  nous  croyons  que  nous  n'aurions  pu 
les  atteindre  si  les  problèmes  que  soulève  cette 
étude  ne  nous  avaient  été  révélés  dans  notre 
vie  quotidienne  au  milieu  de  ces  indigènes  que 
nous  avons  beaucoup  aimés,  si  nous  n'avions  un 
peu  pénétré  l'esprit  de  leur  société  en  partici- 
pant à  leurs  travaux  et  à  leur  activité,  si  nous 
n'avions  appris  à  voir  en  eux  autre  chose  que 
des  sortes  de  fantoches. 

De  la  même  manière,  nous  avons  reproduit, 
le  plus  souvent  possible,  les  paroles  prononcées 
au  cours  des  divers  événements  qui  ont  marqué 
l'installation  de  l'Angleterre  auprès  d'eux,  soit 


PRÉFACE 


par  leurs  chefs  discutant  les  mesures  que  l'on 
voulait  leur  imposer,  soit  par  les  fonctionnaires 
qui  les  instituaient  ou  qui  étaient  chargés  de  les 
appliquer. 

Nous  l'avons  fail  quelquefois  un  peu  longue- 
ment, parce  que  nous  avons  pensé  que  l'on  ne 
retrouverait  plus  jamais  en  dehors  de  cette  his- 
toire, les  marques  de  ce  premier  contact  des 
races  noires  avec  la  race  blanche  ainsi  que  les 
traces  de  l'impression  produite  sur  les  institu- 
tions et  l'individualité  même  de  ces  peuples, 
qui  vont  se  trouver  transformés  par  ce  contact 
avec  une  société  si  dissemblable  de  la  leur. 

Dans  la  rédaction  de  cette  histoire,  nous 
avons  écarté  systématiquement  tout  ce  qui  lui 
était  étranger. 

11  nous  a  paru  qu'il  était  actuellement  possi- 
ble d'étudier  les  questions  africaines  d'une  ma- 
nière technique  :  nous  avons  admis  que  nos  lec- 
teurs sauraient  ce  que  sont  les  pays  dont  nous 
parlons,  ainsi  que  les  peuples  indigènes  dont 
nous  racontons  les  relations  avec  l'Angleterre. 

Nous  n'avons  considéré  ces  relations  qu'a 
partir  du  moment  où  elles  devaient  produire 
l'avènement  définitif  de  l'autorité  anglaise,  et 
nous  les  avons  seules  examinées,  sans  nous  atta 
cher  à  faire  une  fois  de  plus  l'histoire  des  évé- 
nements internationaux  que  devait  provoquer 


PREFACE  XI 


l'occupation  de  l'Angleterre,  Nous  n'avons  fait 
qu'une  exception  h  ce  point  de  vue,  en  ce  qui 
concerne  les  territoires  du  Niger,  parce  que 
l'on  n'a  point,  jusqu'ici,  montré  de  quelle  ma- 
nière les  relations  de  l'Angleterre  avec  les  indi- 
gènes ont  été  intimement  régies  par  les  consi- 
dérations d'ordre  international  et  que  là  aussi 
nous  avons  dû  faire  œuvre  inédite. 

Nous  nous  sommes  attaché  à  être  aussi  pré- 
cis que  possible;  cependant,  nous  n'avons  voulu 
examiner  les  institutions  législatives  qu'en  tant 
qu'elles  ont  été  le  résultat  en  même  temps  que 
le  moyen  d'action  de  cette  politique  indigène  ; 
nous  avons,  par  principe,  laissé  de  côté,  autant 
que  nous  l'avons  pu,  toutes  les  précisions  de 
détail  que  l'on  peut*  retrouver  dans  les  textes 
mômes. 

Pendant  que  nous  poursuivions  cette  étude, 
nous  avons  fait  un  tableau  de  l'organisation 
administrative  adoptée  par  l'Angleterre  dans 
ses  colonies  de  l'Afrique  occidentale  ainsi  que 
de  leur  situation  économique  et  financière  com- 
parée avec  l'organisation  et  la  situation  des 
colonies  françaises  voisines;  ce  tableau,  nous 
l'avons  précédemment  publié*;  nous  n'y  revien- 
drons pas. 

1.  Emile  Daiilaud,  La  situation  économique  de  V Afrique  occidentale 
anglaise  et  française,  1  vol.,  Cliallamel,  Paris. 


XII  PRÉFACE 

Nous  avons  vécu  ce  livre  dans  la  brousse  afri- 
caine; mais  si  nous  pouvons  espérer  avoir  re- 
trouvé le  lien  des  événements  qu'il  raconte, 
c'est  grâce  à  l'accueil  qu'ont  bien  voulu  nous 
faire  au  milieu  d'eux,  pendant  notre  vie  de  co- 
lon, ces  «  marchands  »  de  Liverpool  et  de  Lon- 
dres, qui  nous  ont  appris  leurs  préoccupations 
et  les  espoirs  que  leur  inspirait  la  manière  dont 
leur  West  Africa  était  gouvejrnée;  c'est  parce 
que  ces  principaux  acteurs  de  cette  histoire 
nous  l'ont  expliquée  au  moment  où  elle  s'édi- 
fiait; c'est  parce  que,  en  souvenir  de  celle  qui 
avait  su  illuminer  tout  ce  qui  paraissait  si 
obscur,  nous  avons  été  mêlé  à  la  fondation  de 
l'African  Society;  au  monument  qu'elle  édifie 
à  la  mémoire  de  Mary  Kingsley,  nous  sommes 
heureux  d'apporter  cette  pierre. 


Emile  Baillaud, 


Institut  colonial  de  Marseille, 
14  mars  1912. 


INTRODUCTION 


L'intervention  du  gouvernement  anglais  en  Afrique 
occidentale  a  eu  pour  origine  Tinstailation  par  des 
philanthropes  anglais,  au  début  du  dix-neuvième  siè- 
cle, des  nègres  libérés,  en  un  point  qu'ils  appelèrent 
Free  Town.  Cet  acte  d'initiative  privée  eut  pour  résul- 
tat la  fondation  de  toute  une  colonie.  Cette  fondation 
devait  avoir  pour  conséquence  immédiate,  à  la  fois 
d'attirer  Tattenlion  du  gouvernement  anglais  sur  l'in- 
térêt qu'il  aurait  à  s'installer  également  auprès  de 
quelques-uns  de  ses  nationaux  qui,  pour  les  besoins  de 
leur  commerce,  avaient  établi  des  stations  sur  la  côte, 
plus  au  sud,  et  lui  en  donner  les  moyens  par  simple 
extension  des  attributions  de  l'organisme  qu'il  avait 
créé  à  Free  Town. 

Cette  intervention  devait  prendre  une  forme  de  plus 
en  plus  précise  du  fait  que  ces  commerçants  avaient 
besoin  d'une  protection  inutile  aux  compagnies  pour- 
vues de  droits  régaliens  qui  les  avaient  précédés, 
compagnies  qui,  dans  les  siècles  précédents,  avaient 
constitué  toute  la  colonisation  européenne  dans  les 
pays  tropicaux. 

Pour  comprendre  toute  l'histoire  de  rétablissement 
progressif  du  pouvoir  anglais  en  Afrique  occidentale, 


XIV  INTRODUCTION 

il  ne  faut  cesser  de  considérer  que  toute  l'action  de 
l'Angleterre  dans  ce  pays  eut  pour  but  unique  cette 
protection,  et  ne  résulta  point  du  désir  d'extension 
territoriale  qui  est  en  général  à  la  base  de  toute 
colonisation. 

L'action  du  pouvoir  anglais  s'est  tout  d'abord  effec- 
tuée sous  la  forme  qui  parait  la  plus  simple  :  l'absorp- 
tion complète  des  régions  sur  lesquelles  elle  s'exerçait, 
leur  assimilation  aux  terres  anglaises  et  l'octroi  aux 
habitants  d'un  statut  personnel  analogue  à  celui  des 
citoyens  britanniques.  Cela  eut  lieu  par  la  constitution 
de  ces  pays  en  Colonies  de  la  Couronne. 

Il  nous  faut,  au  seuil  de  cette  histoire,  définir  les 
caractéristiques  constitutionnelles  de  ces  colonies  de 
la  Couronne,  et  montrer  ensuite  comment,  bien  que  ces 
colonies  aient  été  l'origine  du  domaine  de  l'Angleterre 
en  Afrique  occidentale,  ce  domaine  ne  s'est  développé 
qu'à  la  faveur  d'autres  méthodes  de  colonisation  et  grâce 
à  l'action  de  toute  une  série  de  facteurs  sans  lesquels  il 
serait  resté  limité  aux  étroites  frontières  de  ces  colo- 
nies primitives. 


* 


A  vrai  dire,  les  Colonies  de  la  Couronne  en  Afrique 
occidentale  ne  se  sont  créées  que  peu  à  peu,  et  au 
moment  où  l'Angleterre  a  donné  une  constitution  défi- 
nitive à  ces  groupements  qui  s'étaient  formés  en  dehors 
d'elle,  il  y  avait  longtemps  qu'ils  étaient- régis  par  les 
principes  qui  règlent  les  rapports  des  nations  aux  An- 
glais sur  les  autres  points  du  monde;  il  est  tellement 
vrai  de  dire  que  l'organisation  de  ces  colonies  n'a  été 


INTRODUCTION  XV 

que  la  sanction  d'un  étal  de  choses  ancien,  qu'il  est 
impossible  de  trouver  dans  les  textes  mêmes  qui  les 
ont  officiellement  fondées  la  délimitation  des  terri- 
toires qui  les  forment.  Les  Lettres  Patentes,  qui  sont 
leurs  chartes  constitutives,  se  bornent  à  déclarer 
qu'elles  sont  formées  par  les  territoires  devenus,  par 
usage,  conquêtes  ou  traités,  possessions  de  Sa  Majesté 
et  sur  lesquelles  elle  a  acquis  le  droit  de  légiférer. 

Du  fait  même  de  leur  origine,  les  Crown  Colonies 
devaient  rester,  en  quelque  sorte,  un  prolongement 
de  la  métropole;  leur  gouvernement  n'eut  qu'à  jouer 
un  rôle  déterminé,  limité  par  l'étendue  des  droits  des 
individus  qui  les  composaient,  puisque  leur  fondement 
même  était  le  groupement  en  un  point  du  monde  de 
citoyens  anglais  (ou  d'êtres  qu'ils  se  sont  assimilés) 
et  qui  avaient  les  mêmes  prérogatives  juridiques  que 
celles  qu'ont  acquises,  vis-à-vis  des  pouvoirs  publics, 
les  insulaires  de  la  Grande-Bretagne. 

L'acte  fondamental,  constitutif,  de  la  Colonie  de  la 
Couronne  est  celui  qui  établit  le  statut  personnel  de 
leurs  habitants.  Ce  statut  détermine  leurs  prérogatives 
juridiques,  en  même  temps  que  la  création  de  la 
«  Suprême  Court  »  leur  applique  le  système  judiciaire 
anglais  ;  le  régime  foncier  est  fixé  par  la  déclaration 
de  prise  de  possession  qui,  étendant  tous  les  droits 
de  Sa  Majesté  sur  ces  pays,  lui  attribue,  de  ce  fait,  le 
domaine  éminent  du  sol  et  définit  ce  qu'est  la  pro- 
priété privée  de  ces  sujets.  Une  législation  spéciale  n'a 
à  intervenir  que  pour  tout  ce  qui  est  étranger  à  ce 
statut  personnel  et  concerne  simplement  les  questions 
d'intérêt  public  d'ordre  général  qui  sont  propres  à  la 
colonie,  questions  fiscales  ou  mesures  de  simple  police. 


XVI  INTHODUCtlON 

C'est  uniquement  à  rétablissement  et  à  Tapplication 
de  cette  législation  qu'est  réservée  l'initiative  du  pou- 
voir local,  centralisée  complètement  entre  les  mains 
du  gouverneur,  qui  agit  pour  tout  le  reste  comme 
représentant  de  Sa  .Majesté. 

Dans  l'exercice  de  cette  partie  de  ses  attributions,  le 
gouverneur  des  Crown  Colonies  a  auprès  de  lui  un 
Legtslative  Council  qui  a,  théoriquement,  les  mêmes 
pouvoirs  que  le  Parlement  auprès  du  souverain,  mais 
dont  les  décisions  ne  deviennent  applicables  qu'avec 
l'approbation  du  Secrétaire  d'Etat  aux  Colonies. 

Au  premier  abord,  ce  qui  paraît  distinguer  surtout 
les  Crown  Colonies  des  autres  possessions  de  l'An- 
gleterre, c'est  que  les  habitants  sont  soumis  à  un 
système  de  gouvernement  auquel  ils  ne  participent 
que  dans  une  mesure  excessivement  limitée  par  deux 
ou  trois  représentants  dans  le  Législative  Council,  où 
ils  n'ont  aucune  influence  effective. 

Cette  constatation  n'a  toute. sa  portée  que  si  l'on 
considère  qu'il  s'agit  de  races  indigènes  à  qui,  dans 
d'autres  régions  de  cette  même  Afrique  occidentale, 
l'Angleterne  a  laissé  plus  tard  leur  personnalité  et  qui, 
dans  les  Crown  Colonies,  ont  perdu  cette  personnalité 
pour  devenir  anglaises. 

Pour  caractériser  ce  qui  constitue  le  propre  des 
Crown  Colonies,  c'est  donc  surtout  à  ce  changement 
de  personnalité  de  leurs  habitants  qu'il  faut  s'atta- 
cher. 

La  façon  absolue  dont  ce  changement»  s'est  produit, 
non  pas  sectlement  au  point  de  vue  juridique,  mais,  en 
fait,  au  point  de  vue  des  mœurs,  est  la  conséquence 
primordiale  de  l'institution  du  «  Crown  Colonies  sys- 


INTRODUCTION  XVII 


tein  »  à  la  côte  d'Afrique;  cette  première  conséquence 
a  provoqué  toutes  les  autres. 

Nous  n'avons  pas  à  insister  longuement  sur  les  carac- 
téristiques des  indigènes  habitant  cette  partie  des  posses- 
sions anglaises  de  l'Afrique  occidentale  qui  constituent 
les  Crown  Colonies  et  qui  sont  devenus  ce  que  Ton  a 
appelé  les  Educated  Natives.  On  a  bien  souvent  décrit  la 
manière  dontils  s'étaient  assimilé  la  civilisationanglaise  * 
il  n'y  a  rien  à  ajouter  à  tout  ce  qui  a  été  dit  à  ce  sujet. 

Les  noirs  de  la  côte  devenus  Anglais  en  droit,  régis 
par  les  mêmes  lois  que  les  citoyens  de  la  Grande-Bre- 
tagne, ayant  pris  très  vite  tout  ce  qui  constitue  l'appa- 
rence extérieure  de  la  civilisation  anglaise,  soit  qu'ils 
aient  été  réimplantés  dans  leur  pays  d'origine  comme 
les  anciens  esclaves  qui  ont  formé  le  noyau  des  colonies 
de  Bathurst  et  de  Sierra  Leone,  soit  qu'ils  aient  imité  à 
la  fois  ceux-ci  et  les  blancs  qui  s'étaient  installés  auprès 
d'eux  comme  à  la  Gold  Coast  et  à  Lagos,  ces  noirs  civilisés 
se  sont  trouvés  presque  aussi  différents  des  indigènes 
qui  les  entourent  que  les  blancs  à  l'image  desquels  ils 
se  sont  façonnés. 

Ils  ont  adopté  le  costume  des  Anglais,  leur  manière 
de  se  loger,  leur  religion,  leurs  lois,  leur  régime  fon- 
cier; ils  ont  renoncé,  en  principe,  à  la  polygamie  an- 
eestrale,  à  la  pratique  de  l'esclavage.  Ils  sont  devenus 
une  anomalie  dans  les  pays  qu'ils  habitent. 

Ces  «  Ediicated  Natives  »  devaient  se  cantonner  dans 
les  villes  où  ils  trouvaient  facilement  à  s'employer 
auprès  des  maisons  de  commerce  ou  dans  les  bureaux 
du  gouvernement,  car  l'adoption  par  eux  de  certains  de 
nos  usages,  de  notre  costume,  de  notre  langue,  devait 
les  éloigner  des  travaux  des  champs. 


*• 


XVIII  INTRODUCTION 

Tandis  que  les  diverses  tribus  qui  formaient  la  popu- 
lation de  l'Afrique  occidentale  étaient  profondément 
séparées  les  unes  des  autres  et  que  l'action  des  Euro- 
péens avait  pu  s'exercer  sur  chacune  d'elles  sans  que 
les  autres  se  préoccupassent  beaucoup  de  ce  qui  leur 
arrivait,  les  «  Educated  Natives  »  devaient  apparaître 
comme  le  lien  qui  les  unirait  dans  cette  circonstance. 
Ayant  tous  reçu  la  même  éducation  et  se  déplaçant 
constamment    d'une    colonie    à    l'autre,    remplissant 
indifféremment  dans  chacune  d'elles  les  fonctions  les 
plus  diverses,  ayant  des  journaux  qui  reflétaient  leur 
opinion,  ils  subissaient,  de  la  Gambie  aux  embouchures 
du  Niger,    les  mêmes   influences   et   concevaient   les 
mêmes  espérances.  Ils  se  sont  peu  à  peu  répandus  dans 
l'intérieur,  le  long  des  lignes  de  chemins  de  fer  où  ils 
sont  employés  et  dans  les  postes  où  ils  servent  d'inter- 
prètes. Beaucoup  de  chefs  en  ont  auprès  d'eux,  et  les 
emploient  comme  secrétaires  dans  leurs  relations  avec 
le  gouvernement  anglais. 

Leur  existence  a  eu  aussi  cette  autre  conséquence 
de  continuer  à  exciter  l'intérêt  de  cette  même  classe 
de  philanthropes  qui  a  fondé  Sierra  Leone  et  qui  n'a 
cessé,  par  la  suite,  de  se  préoccuper  de  sauvegarder 
ce  qu'elle  appelle  les  droits  de  ces  indigènes,  et 
nous  verrons  intervenir  à  ce  titre  une  de  ces  émana- 
tions, r  «  Aborigines'  Rights  Protection  Soc.  »,  pour 
se  préoccuper,  à  défaut  bien  souvent  d'en  connaître 
la  portée,  de  la  légitimité  des  différentes  mesures  que 
voudra  prendre  le  gouvernement. 

Pour  étendre  son  pouvoir  sur  de  nouveaux  territoires 
de  l'Afrique  occidentale,  l'Angleterre  devait,  soit  pla- 
cer ces  régions  sous  le  régime  des  Crown  Colonies  en 


lîC^IlODUCTION  XIX 

imposant  à  leurs  habitants  cette  transformation  com- 
plète, soit  agir  auprès  d'eux  en  leur  laissant  leur 
ancienne  personnalité. 

C'est  ce  second  procédé  qu'elle  mit  en  pratique;  la 
partie  de  l'Afrique  occidentale  érigée  en  Colonies  de  la 
Couronne  resta  ce  qu'elle  avait  été  des  le  début. 
Aucun  incident  ne  vint  modifier  la  politique  initiale. 

En  nous  efforçant  de  retracer  ce  qu'a  été  la  politique 
suivie  par  l'Angleterre  auprès  des  indigènes  de  l'Afri- 
que occidentale,  nous  n'aurons  donc  point  à  nous 
attacher  à  la  partie  de  son  action  qui  s'est  exercée  dans 
les  Crown  Colonies. 

-  Le  caractère  absolu  que  revêt  l'assimilation  pratiquée 
dans  les  Colonies  de  la  Couronne  enlève  tout  intérêt  à 
un  examen  spécial  des  conditions  dans  lesquelles  s'est 
effectuée  cette  assimilation  en  Afrique  occidentale, 
tandis  que  toute  une  politique  a  du  être  instituée  par 
ceux  qui  ont  étendu  le  pouvoir  anglais  sur  les  terres  et 
les  peuples  de  l'intérieur,  politique  qui  a  été  non  seule- 
ment la  conséquence,  mais  l'instrument  même  de  cette 
domination. 

Il  est  arrivé  en  effet  ceci  de  très  remarquable  et  d'u- 
nique dans  l'histoire  de  la  colonisation,  que  cette  exten- 
sion s'est  faite  par  des  procédés  tout  autres  que  ceux 
qui  avaient  conduit  à  la  constitution  de  la  colonie  pri- 
mitive, et  en  suivant  des  principes  tout  différents  :  le 
noyau  qui  avait  été  l'origine  de  la  colonie  conserva 
sans  modification  aucune  le  caractère  octroyé  dès  le 
début,  et  les  régions  limitrophes  sur  lesquelles  l'auto- 
rité de  l'Angleterre  s'étendit  ne  participèrent  pas  à  la 
même  organisation,  leurs  habitants  ne  reçurent  ni  les 
mêmes  droits  ni  les  mêmes  obligations,  ils  ne  devinrent 


XX  INTRODUCTION 

pas  des  citoyens  anglais,  tandis  que  le  domaine  de  leur 
sol  ne  leur  était  pas  enlevé;  alors  que  s'ils  avaient  été 
englobés  dans  les  Crown  Colonies,  la  forme  même  de 
leur  institution  aurait  disparu. 

C'est  l'histoire  de  la  politique  que  l'Angleterre  suivit 
auprès  d'eux  pour  rétablir  son  pouvoir  que  nous  nous 
proposons  d'entreprendre  ici. 

Nous  devons  cependant  nous  demander  auparavant 
pourquoi  l'Angleterre  a  renoncé  au  système  qu'elle  avait 
adopté  primitivement  et  rechercher  quelles  influences 
a  subies  son  action  dans  la  poursuite  d'une  politique 
toute  différente. 

Si  la  préoccupation  prépondérante  de  l'Angleterre, 
en  intervenant  en  Afrique  occidentale,  a  été  de  prêter 
assistance  à  ses  négociants,  son  intervention  devait 
être  régie  par  le  désir  plus  ou  moins  grand  de  l'opi- 
nion métropolitaine  de  voir  s'étendre  les  responsabi- 
lités qui  en  résulteraient. 

Aussitôt  après  l'établissement  de  l'administration 
anglaise  à  la  côte  occidentale  d'Afrique,  l'esprit  public 
anglais  a  traversé  une  longue  période  de  pacifisme, 
pendant  laquelle  il  a  été  hostile  à  toute  complication 
extérieure;  la  conséquence  en  a  été  que  cette  adminis- 
tration a  été  étroitement  maintenue  dans  les  limites 
qu'elle  s'était  vu  assigner  dès  le  début.  Ce  n'est 
qu'après  un  siècle  d'action,  d'influences  diverses,  que 
ces  limites  seront  dépassées  et  que  l'empire  anglais 
s'étendra  pleinement  sur  les  régions  qu'il  s'est  fina- 
lement réservées. 

Pour  comprendre  la  manière  dont  s'est  exercée  la 
politique  anglaise  en  Afrique  occidentale,  il  faut  donc 
songer  à  la  nature  de  l'opinion  métropolitaine   qui  Ta 


INTRODUCTION  XXI 

guidée,  se  rendre  compte  de  la  mesure  dans  laquelle 
cette  opinion  Fa  inspirée,  et  connaître  les  influences 
qui  sont  intervenues  pour  agir  sur  cette  politique. 

Le  très  beau  livre  dans  lequel  M,  Jacques  Bardoux' 
a  recherché  quelles  étaient  les  causes  des  tendances 
pacifiques  ou  des  crises  belliqueuses  à  la  faveur  des- 
quelles s'est  constituée  l'Angleterre  moderne,  vient 
très  heureusement  nous  indiquer  ce  qu'a  été  cette 
opinion  publique  métropolitaine  et  la  portée  qu'elle  a 
eue  sur  la  politique  extérieure  de  l'Angleterre. 

Il  nous  suffira  de  renvoyer  à  cette  magistrale  étude 
pour  trouver  l'analyse  des  faits  et  des  mobiles  qui  sont 
l'explication  du  caractère  .dominant  de  cette  politique 
en  ce  qui  concerne  l'Afrique  occidentale. 

La  fondation  du  Settlement  de  Freetown,  en  1807,  mar- 
qua le  début  de  l'ère  nouvelle  pendant  laquelle  allaient 
se  constituer  les  colonies  en  Afrique  occidentale;  mais 
ce  n'est. qu'à  la  fin  du  dix-neuvième  siècle  que  l'occupa- 
tion effective  de  ces  tentatives  devait  se  réaliser. 

Nous  verrons,  au  cours  de  cette  histoire,  comment, 
toutes  les  fois  que,  par  suite  de  circonstances  indépen- 
dantes du  pouvoir  métropolitain,  cette  occupation  a 
été  en  voie  de  s'effectuer  avant  ces  dernières  années, 
la  volonté  de  ce  pouvoir  est  intervenue  pour  Tempe- 
cher.  On  ne  peut  en  trouver  la  raison  que  dans  ces 
causes  mêmes  qu'a  définies  M.  Jacques  Bardoux  et  qui 
ont  agi  sur  la  vie  publique  anglaise  pendant  tout  le  dix- 
neuvième  siècle. 

De  1832  à  1874,  l'Angleterre  a  été  profondément 
pacifiste,  et  si,  pendant  cette  période  de  son  histoire, 

1.  Jacques  Bardoux,  Essai  d'une  psychologie  de  l'Angleterre  contem- 
poratne  :  les  Crises  belliqueuses,  1  vol.,  Âlcan,  Paris. 


XXH  INTnODUCTION 

des  crises  belliqueuses  Tout  troublée,  cela  n'a  été  que 
le  résultat  d'une  série  de  causes  qui  n'ont  exercé  qu'une 
influence  passagère.  Ainsi  que  le  montre  M.  Jacques 
Bardoux,  toute  la  série  des  fadeurs  qui  ont  alors  agi 
sur  l'opinion  publique  anglaise  pendant  cette  période  : 
le  libéralisme  politique,  l'idéalisme  littéraire,  le  réveil 
religieux,  l'évolution  industrielle,  ont  abouti  à  ce  désir 
de  paix,  et  la  politique  d'extension  coloniale  lui  a  été 
entièrement  soumise. 

La  poussée  d'expansion  qui,  pendant  la  période 
belliqueuse  au  milieu  de  laquelle  s'est  ouvert  le  dix- 
neuvième  siècle ,  devait  aboutir  à  l'établissement  de 
l'administration  anglaise  en  Afrique  occidentale,  se 
heurta  dès  les  premiers  jours  à  cette  tendance  paci- 
fique et  fut  arrêtée  par  l'opinion  synthétisée  par  la 
proclamation  de  R.  Cobden  en  1835,  qui,  déclarant 
«  l'utilité  foncière  des  colonies  »,  adjurait  TAngleterre 
de  ne  point  suivre  l'exemple  de  l'Espagne,  «  cette  nation 
immolée  sur  l'autel  des  ambitions  transatlantiques  ». 

L'initiative  des  philanthropes  qui  entreprirent  en  1797 
de  rapatrier  dans  leurs  pays  d'origine  les  noirs  améri- 
cains libérés,  et  le  désir  du  gouvernement  anglais  de 
donner  une  base  solide  à  leurs  tentatives,  en  prenant, 
en  1791,  sous  sa  domination  les  terres  qui  lui  avaient 
été  cédées  par  les  indigènes,  aboutirent  à  l'installation 
de  son  administration  en  un  point  de  la  côte  d'Afrique 
d'où  elle  devait  facilement  s'étendre  sur  les  autres 
«  setllements  »  créés  par  ses  négociants  :  à  l'est,  à 
l'embouchure  de  la  Gambie  ;  à  l'ouest,  sur  la  Côte  d'Or 
et  Lagos. 

Le  but  essentiel  de  cette  administration  était  de  pro- 
téger les  nationaux  anglais  contre  les  indigènes;  elle 


INTRODUCTION  XXIII 

rencontra  dès  le  début  des  vicissitudes  diverses,  sui- 
vant que  ces  derniers  admirent  son  intervention  ou  s'y 
opposèrent;  les  luttes  qu'elle  eut  à  soutenir  contre  eux 
rendirent  nécessaire  qu'il  lui  fut  octroyé  des  attribu- 
tions définies.  Ces  luttes  devaient  se  poursuivre  pen- 
dant tout  le  dix-neuvième  siècle,  mais  toujours  contre 
le  gré  du  gouvernement  de  la  métropole,  qui  ne  devait 
cesser  de  s'opposer  à  toute  extension  territoriale  en 
Afrique  occidentale. 

Pendant  toute'  cette  période,  dans  laquelle  l'Angle- 
terre moderne  s'est  constituée  à  la  faveur  du  grand 
désir  de  paix  dont  M.  Jacques  Bardoux  a  défini  les 
éléments  et  révélé  les  raisons,  il  est  facile  de  compren- 
dre cette  opposition.  Pour  expliquer  qu'elle  se  soit 
continuée  alors  que,  à  la  fin  du  dix-neuvième  siècle, 
l'Angleterre  revenait  aux  rêves  d'extension  territoriale, 
il  faut  en  chercher  la  cause  dans  l'empreinte  profonde 
laissée  par  ceux  qui  avaient  voulu  que  rien  ne  vînt 
troubler  la  Paix  Britannique.  Pour  expliquer  comment 
l'idée  impériale  a  fini,  cependant,  par  triompher  en 
Afrique  occidentale,  il  faut  faire  intervenir  une  série 
d'influences  qui  se  sont  exercées  spécialement  sur 
l'action  de  l'Angleterre  en  ce  point  du  monde. 

Pendant  que  les  «  Etablissements  »  de  la  côte  occi- 
dentale se  débattaient  au  milieu  de  difficultés  innom- 
brables, l'autorité  britannique  ne  se  faisait  sentir  sur 
les  indigènes  qui  les  entouraient  que  de  la  manière  la 
plus  précaire;  le  mouvement  de  libéralisme  qui  aboutit 
à  l'autonomie  des  grandes  colonies,  agissait  dans  toute 
sort  amplitude.    «    Le    courant    libre -échangiste^    est 

1.  Jacques  Dardoux,  Les  crises  belliqueuses,  p.  428. 


XXIV  INTRODUCTION 

irrésistible;  il  emporte  d'abord  le  droit  de  faveur 
réservé  aux  produits  coloniaux  (1846-1848),  et  bientôt  le 
privilège  accordé  aux  navires  anglais  par  TAcle  de 
navigation  (1840).  Les  derniers  tarifs  différentiels  sont 
supprimés,  la  chaîne  économique  est  brisée,  le  lien 
politique  est  menacé,  et  successivement,  de  1852  à  1872, 
les  grandes  concessions  britanniques  reçoivent  leurs 
chartes  d'émancipation.  » 

L'Afrique  occidentale  ne  devait  pas  échapper  à  ce 
mouvement.  En  1865,  au  moment  où  le  gouvernement 
anglais  songe  à  abandonner  les  tutelles  après  un  nou« 
veau  soulèvement  des  habitants  d'Accra  et  des  Achan- 
tis,  tandis  que  les  négociants  trouvent  abusives  les 
charges  que  veut  mettre  sur  eux  l'administration  an- 
glaise, le  Parlement  décide  de  faire  procéder  à  une 
enquête  sur  «  l'état  des  établissements  anglais  de  la 
côte  occidentale  d'Afrique  »  et  les  mesures  qu'il  pouvait 
être  opportun  de  prendre. 

Les  conclusions  du  «  Select  Gommittee  »  sont  con- 
nues dans  l'histoire  de  l'Afrique  occidentale  anglaise 
sous  le  nom  de  «  Déclaration  de  1865  »;  elles  portaient 
que  «  toute  extension  future  de  territoire,  tout  établis- 
sement de  gouvernement  ou  tout  nouveau  traité  offrant 
protection  aux  tribus  indigènes,  devraient  à  l'avenir 
être  considérés  comme  inopportuns.  L'objet  de  la  poli- 
tique anglaise  devait  être  d'encourager  les  indigènes 
dans  la  pratique  des  qualités  qui  permettraient  de  lais- 
ser entre  leurs  mains  l'administration  des  Établisse- 
ments de  la  côte  occidentale ,  de  façon  à  pouvoir  leur 
en  abandonner  le  gouvernement,  sauf  peut-être  eir  ce 
qui  concernait  Sierra  Leone  ».  Le  Comité  demandait 
qu'en  attendant  l'exécution  de  cette  mesure  radicale. 


INTRODUCTION  XXV 

tous  les  Seltlements  fussent  replacés  sous  les  ordres 
du  gouverneur  de  Sierra  Leone,  mesure  qui  était  effec- 
tuée par  une  «  Commission»  en  date  du  19  février  1866. 
Un  «  Administrator  »  était  simplement  laissé  à  la  Gold 
Coast,  sous  les  ordres  du  gouvernement  en  chef  de 
Sierra  Leone. 

L'cibandon  ainsi  prévu  des  pays  déjà  occupés  en 
Afrique  occidentale  fut  impossible,  parce  qu'il  était 
trop  contraire  aux  intérêts  du  commerce  anglais  ;  l'au- 
tonomie qui  fut  accordée  aux  grands  Dominium  ne  fut 
point  étendue  à  l'Afrique  occidentale,  en  raison  de  la 
nature  même  des  populations  qui  la  composaient;  le 
grand  mouvement  d'expansion  qui  devait  entraîner  de 
nouveau  l'Angleterre  pendant  la  fin  du  dix -neuvième 
siècle  empêcha  que  la  déclaration  de  1865  ne  fût  mise 
à  exécution;  mais  les  principes  qui  l'avaient  inspirée 
déterminèrent  le  mode  suivant  lequel  l'action  de 
l'Angleterre  devait  continuer  à  s'exercer  en  Afrique 
occidentale. 

La  déclaration  de  1865  eut  pour  principale  consé- 
quence d'empêcher  l'extension  du  système  des  Crown 
Colonies  sur  d'autres  régions.  La  constitution  d'un  ter- 
ritoire en  Colonies  de  la  Couronne  a  en  effet  pour  base 
l'acquisition  de  ce  territoire  par  la  Couronne,  et  de 
nouvelles  acquisitions  étaient  solennellement  condam- 
nées en  ce  qui  concerne  l'Afrique  Occidentale. 

La  poussée  impérialiste  qui  marqua  la  fin  du  dix- 
neuvième  siècle  et  le  début  du  vingtième  devait  donc 
agir  sur  l'Afrique  occidentale  par  des  procédés  nou- 
veaux et,  ajouterons-nous,  en  dehors  même  des  orga- 
nismes qui  avaient  la  gestion  des  intérêts  publics  de 
l'Angleterre. 


XXVI  INTRODUCTION 

Il  faut,  en  effet,  remarquer  que,  d'une  manière  con- 
tinue, jusque  dans  ces  toutes  dernières  années,  le  Co- 
lonial Office,  qui  représentait  le  gouvernement  anglais 
dans  ces  affaires,  ne  cessa  de  manifester,  sauf  pendant 
le  seul  secrétariat  de  M.  J.  Chamberlain,  une  opposi- 
tion constante  à  toute  politique  d'expansion  et  à  tout 
accroissement  des  attributions  des  pouvoirs  locaux;  et 
Mary  Kingsley  est  bien  autorisée  à  dire*  :  «  Jusqu'à  nos 
jours,  le  Colonial  Office  a  été,  excepté  dans  le  détail 
des  affaires  intérieures  coloniales,  une  chaîne  d'entra- 
ves pour  le  développement  de  l'Angleterre  en  Afrique 
occidentale.  Il  a  été  non  pas  indifférent,  mais  nette- 
ment opposé.  » 

En  cela,  il  subit  tout  d'abord  l'influence  de  cette 
opposition  générale  que  nous  avons  rappelée  et  que 
toute  politique  d'expansion  rencontra  auprès  de  l'opi- 
nion publique  anglaise,  pendant  tout  le  milieu  du  dix- 
neuvième  siècle. 

Alors  que  l'i^ngleterre  redevenait  nettement  impé- 
rialiste, le  Colonial  Office  persista  dans  la  même  ré- 
serve, subissant  l'empreinte  profonde  qu'avait  laissée 
une  politique  d'un  demi-siècle  sur  ceux  qui  avaient  été 
chargés  de  l'appliquer. 

C'est  ainsi  que  toute  cette  histoire  que  nous  allons 
retracer  reviendra  à  montrer  de  quelle  manière  la  série 
des  efforts  qui  ont  contribué  à  établir  l'autorité  de 
l'Angleterre  sur  l'Afrique  occidentale  eut  à  triompher 
de  l'inimitié,  ou  tout  au  moins  de  l'inertie  du  pouvoir 
central,  et  à  étudier  les  incidents  qui  ont  marqué  cette 
lutte. 

1.  IVesl  African  SladieSf  p.  305. 


INTRODUCTION  XXVII 


Autant  Ton  est  autorisé  à  dire  que  c'est  malgré  le 
gouvernement  métropolit^iin  que  l'Angleterre  a  acquis 
les  territoires  de  l'Afrique  occidentale,  autant  il  est 
juste  et  nécessaire  d'ajouter  que  c'est  à  l'initiative  de 
ses  fonctionnaires  locaux,  à  celle  des  grands  gouver- 
neurs qui  se  sont  succédé  dans  ce  pays,  qu'elle  doit 
leur  possession. 

Nous  avons  rappelé  que  c'était  uniquement  pour  pro- 
téger des  intérêts  britanniques  existant  à  la  Côte  d'A- 
frique que  le  gouvernement  anglais  avait  donné  à  ce 
pays  une  administration  dépendant  directement  de  lui; 
c'est  donc  cette  protection  que  devaient  avant  tout  exer- 
cer les  fonctionnaires  qu'il  délégua  dans  ces  régions. 
Leur  action  était  limitée  par  l'étendue  des  intérêts  aux- 
quels elle  s'appliquait,  mais,  à  côté  de  la  protection  des 
personnes  et  des  biens,  ils  devaient  se  préoccuper  du 
rôle  commercial  que  les  nationaux  anglais  entendaient 
poursuivre  en  Afrique  occidentale;  c'est  à  cet  égard  que 
les  limites  dans  lesquelles  le  gouvernement  métropo- 
litain s'efforça  de  maintenir  ses  représentants  n'étaient 
plus  définies,  et  ceux-ci  durent  les  franchir. 

Les  établissements,  «  les  Settlements  »  des  Anglais 
à  la  côte,  constituèrent  pendant  des  siècles  des  points 
isolés,  entourés  de  populations  indigènes  diverses.  Peu 
à  peu  ces  indigènes  s'associèrent  de  la  manière  la  plus 
intime  avec  les  maisons  anglaises  dans  la  poursuite  de 
leurs  opérations  commerciales,  et  le  groupement  en  une 
même  colonie  à  la  fois  de  ces  établissements  et  de  ces 


XXVIII  INTRODUCTION 

peuples  élevés  au  rang  de  nationaux  anglais  fut  la 
consécration  de  cette  union. 

II  y  eut  là  un  premier  stage  pendant  lequel  les  repré- 
sentants du  pouvoir  central,  agissant  en'dehors  de  toute 
instruction,  préparèrent  cette  fusion  qu'ils  amenèrent 
le  gouvernement  anglais  à  réaliser. 

Ils  durent  ensuite  se  préoccuper  des  rapports  des 
peuples  qu'ils  avaient  absorbés  avec  les  tribus  voisines, 
et  ce  fut  là  surtout  que  les  difficultés  commencèrent; 
c'est  en  s'efTorçant  d'en  triompher  qu'ils  amenèrent 
l'Angleterre  à  intervenir  dans  des  régions  dans  les- 
quelles les  négociants  ne  l'appelaient  pas  encore. 

Il  arriva  enfin  qu'ils  sentirent  tout  l'intérêt  que 
pouvait  présenter  pour  leur  pays  l'extension  de  son 
influence  sur  les  contrées  de  l'intérieur,  et  leur  grand 
mérite  est  non  seulement  d'avoir  eu  cette  intuition  et 
de  s'être  attachés  à  la  réaliser  malgré  le  pouvoir  cen- 
tral, mais  encore  d'avoir  institué  toute  la  politique  qui 
leur  a  permis  d'assurer  la  domination  de  l'Angleterre 
sur  de  vastes  régions,  sans  faire  intervenir  l'action 
directe  qui  leur  était  interdite.  Ils  inaugurèrent  pour 
cela  le  régime  des  Protectorats,  alors  que  la  déclaration 
de  1865  avait  condamné  le  développement  des  Crown 
Colonies,  dont  le  principe  d'assimilation  entière  cons- 
tituerait, du  reste,  un  élément  de  stérilité  absolue  pour 
toute  colonisation  qui  ne  serait  pas  entièrement  artifi- 
cielle. 

L'histoire  dont  nous  nous  proposons  de  définir  les 
éléments  dans  ce  livre  sera  celle  de  la  politique  de  ces 
hommes  dont  les  noms  ont  été  Maclean,  Hewett,  Sir 
G.  T.  Carter,  Sir  B.  Griffith,  Sir  F.  Cardew,  Sir  Harry 
Johnston,  Sir  J.  P.  Rodger,  Sir  G.  Denton,  Sir  W.  Mac- 


INTRODUCTION  XXIX 

Gregor,  Sir  W.  Egerton,  Sir  F.  Lugard.  C'est  grâce  à 
la  compréhension  profonde  des  nécessités  auxquelles 
ils  avaient  à  faire  face  qu'ils  ont  pu  étendre  le  pou- 
A'oir  de  la  métropole  sur  toute  une  partie  de  l'Afrique. 
A  ces  hommes  l'Angleterre  ne  saurait  garder  trop  de 
reconnaissance. 

A  côté  de  leur  influence  il  faut  placer  celle  des  né- 
gociants établis  dans  le  pays. 

A  vrai  dire,  ces  négociants  agirent  comme  des  con- 
seillers très  fermes  qui  retinrent  l'attention  du  gouver- 
nement central  sur  des  régions  dont  il  paraissait  enclin 
à  se  désintéresser,  plutôt  que  comme  des  pionniers  qui 
se  seraient  installés  dans  des  terres  de  plus  en  plus 
lointaines  où  le  gouvernement  aurait  dii  les  suivre. 

Tout  d'abord,  il  faut  remarquer  que  l'Angleterre  n'a 
point  eu  en  Afrique  occidentale  à  diriger  une  vérîlable 
colonisation.  Les  nationaux  dont  la  présence  l'attira 
et  la  retint  dans  ce  pays  furent  très  nombreux  et  s'a- 
donnèrent uniquement  au  commerce.  Ils  se  conten- 
tèrent de  fonder  des  établissements  sur  les  points 
facilement  accessibles  de  la  côte  ou  des  rivières.  Ils 
ne  demandèrent  à  l'Administration  d'intervenir  au- 
près des  indigènes  que  dans  la  mesure  la  plus  limitée 
possible.  Nous  ne  les  verrons,  en  général,  s'adresser 
à  elle  que  pour  lui  indiquer  de  quelle  manière  devait 
s'appliquer  son  intervention  dans  le  règlement  des 
rapports  qu'elle  entendait  instituer  entre  indigènes  et 
colons. 

C'est,  cependant,  grâce  à  l'appui  qu'ils  trouvèrent 
auprès  de  ces  négociants  que  les  administrateurs 
locaux  purent  retenir  l'attention  de  l'administration 
•métropolitaine,  car  c'est  pour  assurer  la  libre  circula- 


XXX  INTRODUCTION 

tion  des  peuples  de  Tintérieur  vers  les  comptoirs,  en 
même  temps  que  par  une  haute  compréhension  du  rôle 
que  devait  jouer  leur  pays  en  Afrique,  que  ces  gouver- 
neurs dont  nous  venons  de  citer  les  noms  se  préoccu- 
pèrent d'étendre  l'autorité  de  l'Angleterre. 

Cette  action  du  gouvernement  anglais  fut  donc  bien 
différente  de  la  politique  suivie  parla  France,  qui,  dans 
la  plupart  de  ses  colonies,  en  Afrique  occidentale,  en 
Indo-Chine,  à  Madagascar,  se  préoccupa  plutôt  d'ou- 
vrir à  ses  négociants  des  contrées  nouvelles  que  de  se 
borner  simplement  à  seconder  leur  initiative. 

Il  faut  ajouter  que  le  caractère  de  ces  entreprises 
commerciales  devait  définir  le  mode  suivant  lequel 
leurs  chefs  agirent  auprès  du  gouvernement  anglais. 

Il  n'y  ^  eu,  et  Ton  peut  dire  qu'il  n'y  a  encore  en 
Afrique  occidentale  anglaise  que  de  grandes  entre- 
prises dotées  de  puissants  capitaux.  Elles  ont  consti- 
tué et  constituent  une  des  formes  les  plus  importantes 
de  l'activité  anglaise,  et,  grâce  à  l'étendue  des  intérêts 
qu'elles  représentent,  elles  ont  toujours  pu  exercer  une 
influence  considérable  sur  les  pouvoirs  publics.  En  fait, 
c'est  la  centralisation  de  la  plupart  de  ces  affaires  à 
Liverpool  qui  leur  a  valu  de  pouvoir  lier  aux  leurs  les 
intérêts  du  grand  port  anglais,  et  c'est  ainsi  que  nous 
verrons  la  Chambre  de  Commerce  de  Liverpool  parler 
en  leur  nom  et  faire  siennes  leurs  demandes  et  leurs 
réclamations. 

Il  est  probable,  cependant,  que  sans  l'intervention 
particulièrement  énergique  des  deux  chefs  des  plus 
grandes  de  ces  entreprises,  leur  action  aurait  été  insuf- 
fisante pour  amener  l'Angleterre  à  agir  avant  que  les 
nations  qui  ne  limitèrent  pas  leurs  efforts  à  la  protec- 


•  INTRODUCTION  XXXI 

lion  des  intérêts  immédiats  de  leurs  négociants  eus- 
sent réussi  à  s'attribuer  le  domaine  important  que  les 
Anglais  possèdent  en  Afrique  occidentale. 

A  vrai  dire,  tous  deux  n'eurent  pas  le  môme  genre 
de  préoccupations  que  les  autres  négociants  de  l'Afri- 
que occidentale  et  ne  furent  pas  simplement  guidés  par 
le  souci  du  développement  de  leurs  propres  affaires. 

L'un,  Sir  George  Taubmann  Goldie,  ancien  officier 
explorateur,  ne  porta  son  activité  sur  les  territoires  que 
son  initiative  réserva  à  l'Angleterre  qu'après  avoir 
conçu  l'œuvre  qu'il  devait  accomplir,  et  n'agît  comme 
négociant  que  parce  qu'il  entrevit  la  possibilité  d'ac- 
quérir pour  son  pays  les  régions  dont  il  avait  appré- 
cié l'importance,  et  parce  qu'il  pensa  qu'une  initiative 
privée,  simplement  appuyée  par  le  gouvernement, 
pouvait  assurer  cette  possession  sans  que  celui-ci  eût 
à  exercer  une  action  à  laquelle  il  n'était  ni  préparé 
ni  disposé. 

L'autre,  Sir  Alfred  Jones,  ne  pratiquait  pas  d'opéra- 
tions commerciales  proprement  dites  en  Afrique  occi- 
dentale. Ses  entreprises  n'étaient  pas  consacrées  au 
simple  trafic  d'échange  sur  lequel  se  concentre  toute 
l'activité  des  comptoirs  de  la  côte;  il  était  un  armateur 
dont  les  affaires  ne  pouvaient  se  développer  qu'en 
même  temps  que  celles  des  entreprises  dont  il  assurait 
le  transport;  mais,  au  lieu  de  laisser  leur  progression 
suivre  celle  des  négociants  au  succès  desquels  il  était 
lié,  il  provoqua  leur  activité  en  dépassant  toujours 
d'une  manière  magnifique  leurs  besoins  par  l'étendue 
et  le  perfectionnement  des  moyens  qu'il  mit  à  leur  dis- 
position; il  se  fit  leur  chef  en  exerçant  pour  eux  une 
initiative  qu'il  trouvait  toujours  insuffisante. 


XXXII  INTnODUCTION    ' 

Nous  nous  efforcerons  dans  ce  livre  de  découvrir  le 
mode  suivant  lequel  Sir  George  T.  Goldie  a  exercé  cette 
action;  nous  retracerons,  autant  qu'il  a  pu  nous  être 
révélé  par  Tétude  des  événements  qui  l'ont  sighalé,  le 
rôle  qu'il  a  joué  dans  l'histoire  de  l'établissement  de 
l'iVngleterre  en  Afrique  occidentale.  Nous  n'avons  point 
à  y  insister  ici.  L'influence  de  Sir  Alfred  Jones  n'appa- 
raîtra au  contraire  que  si,  toutes  les  fois  que  nous  ver- 
rons agir,  de  1890  à  1908,  date  de  sa  mort,  les  grands 
corps  qui  ont  parlé  au  nom  du  commerce  africain,  nous 
songeons  que  c'est  le  président  de  la  Chambre  de 
Commerce  de  Liverpool  et  de  sa  section  africaine  qui 
a  provoqué  et  dirigé  toute  leur  intervention. 

Pour  montrer  ce  qu'a  réalisé  Alfred  Jones  pour  l'A- 
frique occidentale  anglaise,  il  faudrait  faire  l'histoire 
du  développement  économique  de  ce  pays  ;  il  faudrait 
dire  ce  qu'a  été  cette  activité  prodigieuse  et  évoquer  les 
grands  organismes  commerciaux,  financiers  ou  scien- 
tifiques qu'il  a  créés  en  vue  d'en  assurer  la  pleine 
exploitation. 

C'est  tout  d'abord  cette  superbe  flotte,  forte  de  plus 
de  cent  navires,  qu'il  construisait  toujours  plus  grands 
et  toujours  plus  beaux,  alors  que  les  anciens  parais- 
saient suffire  largement  à  assurer  le  trafic  en  vue 
duquel  ils  étaient  créés,  et  par  lesquels  il  desservait 
tous  les  ports  du  Nord,  anglais,  allemands,  belges,  hol- 
landais, la  législation  étroitement  protectionniste  de  la 
France  empêchant  notre  pays  d'en  profiter.  C'est  cette 
Banque  qu'il  créa  comme  un  organe  nécessaire  des 
transactions  commerciales;  ce  sont  ces  institutions, 
comme  la  British  Cotton  Growing  Association,  grâce 
auxquelles   il   a    su    donner    un    nouvel    élément  de 


INTRODUCTION  XXXIII 

richesse  aux  colonies  anglaises,  et  plus  particulièrement 
à  l'Afrique  occidentale.  C'est  ce  mouvement  minier 
qu'il  encouragea  à  la  Gold  Coast;  c'est  cette  activité 
industrielle  et  agricole  qu'il  provoqua  et  en  vue  de 
laquelle  il  fut,  on  peut  le  dire,  le  promoteur  des  che- 
mins de  fer  qui  ouvrirent  les  régions  vers  lesquelles 
le  simple  commerce  n'avait  pas  manifesté  le  désir  de 
se  diriger. 

C'est  la  Liverpool  School  of  Tropical  Médecine  qu'il 
fonda  et  dota  princièrement,  par  laquelle  il  voulait 
vaincre  le  principal  obstacle  à  la  mise  en  valeur  de 
l'Afrique  tropicale,  son  insalubrité.  Ce  sont  toutes  ces 
entreprises  accessoires,  usines,  hôtels,  qu'il  créa  tou- 
jours dans  un  même  but;  c'est  cette  richesse  qu'il 
répandît  sur  les  Canaries  par  la  culture  des  bananes  et 
des  primeurs,  et  par  les  visiteurs  qu'il  leur  amena, 
richesse  qui  lui  permit  de  donner  à  sa  flotte  un  com- 
plément indispensable  pour  atteindre  les  résultats  de  la 
mise  en  valeur  de  l'Afrique  occidentale  qu'elle  devan- 
çait toujours;  c'est  toute  cette  activité  que  l'Afrique, 
malgré  la  rapidité  de  son  développement,  n'arrivait  pas 
à  absorber,  et  dont  il  faisait  profiler  cet  autre  beau 
domaine  de  l'Angleterre  que  forment  les  Antilles. 

L'action  des  gouverneurs  locaux,  la  politique  de  Sir 
T.  Goldie,  appuyée  par  l'esprit  d'entreprise  de  Sir  A. 
Jones,  n'aurait  cependant  probablement  pas  réussi  à 
réserver  à  l'Angleterre  les  territoires  qu'elle  possède 
actuellement  en  Afrique  occidentale,  si  les  efforts  des 
explorateurs  français  et  allemands  n'avaient  été  arrêtés 
en  partie  par  un  homme  qui  réussit  enfin  à  transformer 
le  Colonial  Office  en  un  organe  d'expansion  coloniale. 
Mais  je  ne  saurais  mieux  faire  pour  résumer  la  manière 


**• 


XXXIV  ^         INTRODUCTION 

dont  celte  intervention  s'est  exercée,  que  de  reproduire 
ici  une" remarquable  page  de  Mary  Kingsley^ 

<(  La  politique  de  1865  est  restée  la  politique  du  gou- 
vernement anglais  vis-à-vis  de  l'Afrique  occidentale 
jusqu'en  1894.  Malgré  elle,  l'Anglais  a  tenu  bon.  Gou- 
verneur après  gouverneur  s'efforcèrent  d'éveiller  l'a- 
pathie officielle  dès  qu'ils  devinrent  familiers  avec  la 
nature  de  la  région  et  virent  leur  esprit  d'entreprise 
brisé  par  les  réprimandes  ofQcielles  et  apprirent  que 
tout  ce  qu'on  leur  demandait  était  de  rester  tranquilles. 
Gela  a  brisé  le  cœur  de  plus  d'un  homme  d'obéir;  mais 
ainsi  aucun  mal  actif  n'était  fait  à  la  colonie  placée  sous 
son  contrôle,  dont  les  affaires  prospéraient  financière- 
ment si  bien  entre  les  mains  de  la  communauté  com- 
merciale, que  non  seulement  les  colonies  de  l'Afrique 
occidentale  n'avaient  pas  de  dettes  publiques,  excepté 
Sierra  Leone,  qui  était  une  station  philanthropique,  mais 
la  Gold  Goast,  par  exemple,  avait  un  excédent  suffisant 
pour  prêter  de  l'argent  à  des  colonies  dans  d'autres 
parties  du  monde.  Le  temps  vint  enfin  où  l'aigression 
de  l'Afrique  par  les  pouvoirs  du  continent  accomplit 
toutes  les  tristes  prophéties  que  les  marchands  de 
Liverpool  avaient  depuis  longtemps  exprimées,  et,  l'une 
après  l'autre,  nos  possessions  de  l'Afrique  occidentale 
ressentirent  les  effets  de  l'activité  des  autres  nations  et 
l'apathie  de  notre  gouvernement;  elles  l'auraient  res- 
sentie en  vain  et  auraient  finalement  succombé  sans 
deux  Anglais,  Sir  George  Taubman  Goldie,  qui,  alors 
qu'il  était  en  Afrique  occidentale,  dans  un  voyage  d'ex- 
ploration, reconnut  les  possibilités  des  régions  du  Niger 

1.  West  African  SludLes  MacMillan  and  C*,  p.  306  el  suivantes. 


INTRODUCTION  XXXV 

et  assura  nos  possessions  en  Angleterre  au  prix  de 
grandes  difficultés,  et  M.  Chamberlain...  Il  doit  être 
compris  que  ces  deux  hommes,  quelles  que  puissent 
être  leurs  propres  idées  concernant  leur  œuvre,  furent 
des  hommes  qui  arrivèrent  à  un  moment  critique  pour 
renforcer  les  marchands  de  Liverpool,  de  Bristol  et  de 
Londres,  qui  avaient  pendant  des  siècles  et,  pour  ne  pas 
trop  préciser,  depuis  les  jours  d'Edouard  IV,  lutté  pour 
la  plus  riche  terre  d'engrais  du  monde  entier,  pour  les 
millions  de  l'industrie  anglaise...  M.  Chamberlain,  seul 
parmi  tous  nos  hommes  d'Etat,  vit  les  grandes  possibi- 
lités et  l'importance  de  l'Afrique  occidentale,  et,  pensant 
les  réaliser,  inaugura  immédiatement  une  politique  qui 
aurait  réussi  si  elle  avait  eu  un  terrain  sain  pour  se  dé- 
velopper; elle  ne  l'a  pas  rencontré,  elle  a  eu  le  Crown's 
colony  System,  et  notre  espoir  pour  l'Afrique  occidentale 
est  qu'un  homme  aussi  puissant  qu'il  a  montré  l'être 
dans  d'autres  terrains  politiques,  se  montre  encore  plus 
puissant  et  formule  un  système  complètement  nouveau 
approprié  aux  conditions  de  l'Afrique  Occidentale, 
et  ne  se  contente  pas  de  la  vieille  erreur  qui  impute  les 
échecs  aux  individus,  blancs  ou  noirs,  fonctionnaires, 
marchands  ou  missionnaires,  qui  agissent  sur  le  sys- 
tème qui  seul  est  à  blâmer  pour  la  possession  actuelle 
de  l'Angleterre  et  de  l'Afrique  occidentale;  mais  je 
pense  que  si  M.  Chamberlain  y  parvient,  il  sera  plus 
grand  qu'aucun  homme  peut  raisonnablement  espérer 
l'être,  et  je  crains  qu'il  ne  soit  pas  possible  de  défaire 
ce  qui  a  été  fait  par  la  résolution  de  1865.  » 

Il  y  arriva  cependant  grâce  à  cette  substitution 
dont*  nous  avons  parlé  de  la  politique  des  Protecto- 
rats à  celle  des  colonies  étroitement  assimilées  à  la 


XXXVI  INTRODUCTION 

métropole  et  que  surent  si  bien  établir  ses  représen- 
tants locaux. 

Il  restait  cependant  Fopinîon  publique  à  gagner,  et 
c'est  Mary  Kingsley  elle-même  qui  y  parvint. 

Il  faut  actuellement  un  réel  effort  de  pensée  pour 
mesurer  le  chemin  parcouru  dans  les  dix  années  pen- 
dant lesquelles,  de  1890  à  1900,  la  France  et  l'Angle- 
terre s'établirent  en  Afrique  occidentale.  ^ 

En  France,  c'est  aux  explorateurs  que  nous  devons 
d'avoir,  en  même  temps  qu'ils  découvraient  ces  pays, 
triomphé  de  l'indifférence  profonde  avec  laquelle 
l'opinion  publique  les  considérait. 

C'est  en  grande  partie  la  seule  Mary  Kingsley  qui  sut 
retenir  l'attention  de  l'Angleterre  sur  l'œuvre  qu'elle 
devait  accomplir  en  Afrique  occidentale  et  lui  indiquer 
les  moyens  qu'elle  devait  employer  pour  la  réaliser,  et 
Ton  ne  sait  ce  que  l'on  doit  admirer  le  plus  de  la  rapi- 
dité avec  laquelle  elle  pénétra  les  «  possibilités  », 
pour  employer  un  mot  qui  lui  était  cher,  et  les  besoins 
d'un  immense  pays,  ou  de  la  portée  de  Tinfluence 
qu'elle  exerçait. 

Lorsque,  en  1892,  elle  fit  son  premier  voyage  en 
Afrique  occidentale,  personne  n'avait  encore  songé  à 
rechercher  si  l'action  exercée  par  les  blancs  était  celle 
qui  convenait  le  mieux  pour  assurer  le  développement 
rationnel  de  leurs  rapports  avec  les  indigènes  et  quels 
étaient  les  principes  sur  lesquels  cette  action  devait 
être  établie. 

Pour  avoir  cette  perception  et  l'imposer,  il  fallait,  à 
la  place  de  celte  indifférence  ou  du  mépris  dont  avaient 
fait  profession  presque  tous  ceux  qui,  jusqu'alors, 
avaient  approché  des  noirs,  ressentir  ce  profond  amour 


INTRODUCTION  XXXVII 

qui,  chez  Mary  Kingsley,  s'étendit  sur  tous  les  êtres  et 
qui  devait  aller  jusqu'à  leur  donner  sa  vie. 

Mais  ce  qu'il  y  eut  d'admirable  chez  Mary  Kingsley, 
c'est,  autant  que  cette  pénétration  et  cette  sensibilité 
merveilleuse,  la  compréhension  parfaite  qu'elle  a  eue 
des  nécessités  des  pays  qu'elle  a  étudiés. 

Alors  que  depuis  des  siècles  les  hommes  de  sa  race 
étaient  venus  sur  la  terre  d'Afrique,  il  a  fallu  qu'une 
femme  se  trouvât  pour  leur  montrer,  en  une  œuvre 
telle  qu'aucune  autre  femme  n'en  a  conçu  et  accompli, 
ce  qu'ils  ne  savaient  point  voir. 

C'est  tout  un  livre  qu'il  nous  faudrait  écrire  pour 
indiquer  ce  qu'a  été  cette  œuvre,  pour  montrer  com- 
ment, après  avoir  pénétré  le  plus  difficile  problème 
que  nous  posent  les  races  primitives,  leur  religion, 
leur  conception  sociale,  Mary  Kingsley  a  entrepris, 
comme  un  véritable  apostolat,  la  tâche  de  faire  con- 
naître à  son  pays  ces  terres  qu'il  n^e  connaissait  que 
sous  le  nom  «  the  White  Man's  Grave  »,  de  lui  dire  de 
quelle  importance  leurs  possessions  pouvaient  être 
pour  lui,  et,  avec  une  hauteur  de  vue  admirable,  définir 
la  politique  à  suivre  auprès  des  indigènes  qui  les  peu- 
plaient, politique  qui  se  résumait  dans  une  coopéra- 
tion entière  non  seulement  pour  la  mise  en  valeur  de 
leurs  terres,  mais  aussi  pour  leur  administration  et 
leur  gouvernement. 

Ce  qui  fut  peut-être  le  plus  extraordinaire,  c'est  que 
c'est  auprès  des  «  marchands  »  africains  qu'elle  exerça 
l'action  la  plus  importante.  Étonnés  tout  d'abord  de  la 
précision  de  ses  vues,  ils  trouvèrent  en  elle  Tinterprète 
des  vérités  dont  ils  sentaient  confusément  l'exactitude, 
mais  qu'ils   n'avaient  su  dégager,  et,  en  même  temps 


XXXVIII  INTRODUCTION 

qu'elle  les  leur  montrait,  elle  parlait  en  leur  nom  |pour 
en  demander  au  gouvernement  Tapplication. 

C'est  ainsi  qu'elle  se  plaisait  à  dire  que  son  plus 
beau  titre  de  gloire  était  d'avoir  été  mise  par  le  géné- 
ral Lugard  au  nombre  des  «  merchanls»,  qui  l'accueil- 
laient en  effet  comme  un  des  leurs. 

Son  dévouement  inépuisable  à  la  cause  des  humbles 
et  de  ceux  qui  souffraient  devait  aller  jusqu'à  donner 
sa  vie  pour  eux  dans  les  ambulances  des  champs.de 
bataille  du  Transvaal,  et  elle  disparut  avant  d'avoir  pu 
voir  les  idées  qu'elle  avait  semées  porter  leurs  fruits. 

L'impulsion  qu'elle  avait  donnée  devait  être  assez 
forte  pour  que  l'Afrique  occidentale  anglaise  se  déve- 
loppât dans  le  sens  qu'elle  avait  indiqué.  Sa  perte 
avait  été  cependant  si  prématurée  qu'il  n'en  aurait 
peut-être  pas  été  ainsi,  si  la  succession  de  son  apos- 
tolat n'avait  été  pieusement  recueilli. 

Mary  Kingsley  avait  montré  la  voie;  son  amie  la 
grande  historienne  M""*  J.  R.  Green  et  M.  E.  D.  Morel 
devaient  veiller  à  ce  qu'elle  fût  suivie. 

Non  seulement  par  ses  livres,  par  ses  revues  :  le 
West  Africa,  le  West  African  Mail  et  le  African  Mail, 
qui  resteront  l'encyclopédie  de  toute  cette  histoire, 
M.  Morel  s'est  fait  le  défenseur  des  idées  que  Mary 
Kingsley  avait  émises,  les  a  soutenues  grâce  à  un  dé- 
sintéressement que  l'on  ne  saurait  trop  admirer,  mais 
encore,  par  son  action  personnelle  auprès  de  tous  ceux 
qui,  négociants  ou  fonctionnaires,  exploitent  l'Afrique 
occidentale  ou  l'administrent,  il  est  arrivé  à  les  faire 
triompher. 

On  sait  comment,  lorsque  Mary  Kingsley  mourut, 
son  illustre  amie  M™*  Green  considéra  comme  le  plus 


INTRODUCTION  XXXIX 

sacré  des  devoirs  de  redonner  en  quelque  manière  à 
l'Afrique  noire  le  défenseur  qu'elle  venait  de  perdre,  et 
fonda  l'African  Society  pour  réunir  les  efforts  de  tous 
ceux  qui  pouvaient  aider  à  la  connaissance  de  ce  pays 
et  de  ses  besoins,  et  rechercher  les  moyens  propres  à 
Tadministrer  dans  Tintérèt  des  races  qui  le  peuplent, 
en  même  temps  que  des  conquérants. 

Pendant  que  s'édifiait,  au  cours  de  ces  dernières 
années,  Tempire  de  TAngleterre  en  Afrique  occiden- 
tale, les  publications  de  M.  E.  Morel  et  l'action  de 
l'African  Society  ont  grandement  contribué  à  réagir 
contre  la  tendance  qu'a  eue,  après  le  passage  de 
M.  Chamberlain  au  pouvoir,  l'Administration  cen- 
trale à  reprendre  les  anciennes  traditions;  et  si  l'oc- 
cupation et  l'organisation  de  l'Afrique  occidentale  sont 
maintenant  terminées,  c'est  grâce  à  leur  appui  et  avec 
le  concours  des  «  marchands  »  que  les  grands  admi- 
nistrateurs dont  nous  allons  étudier  la  politique  ont 
pu  édifier  l'empire  de  l'Angleterre  dans  ces  régions. 


•    ••••••  ,, 


La  Polidpe  indigène  de  l'Angleterre 

EN  AFRIQUE  OCCIDENTALE 


CHAPITRE  PREMIER 

LA  GAmBIE 


Nous  n^aurons  que  peu  de  mots  à  dire  au  sujet  de 
la  Gambie. 

Pendant  fort  longtemps,  l'influence  de  l'Angleterre 
s'est  simplement  exercée  sur  la  petite  île  de  Sainte- 
Marie  érigée  en  colonie,  dotée  par  conséquent  d'un 
régime  administratif  analogue  à  celui  de  toutes  les 
autres  possessions  de  la  Couronne. 

Les  territoires  de  l'intérieur  sur  lesquels  elle  devait, 
plus  tard,  étendre  son  pouvoir  ne  sont  formés  que 
d'une  étroite  bande  de  terre  située  le  long  de  chacune 
des  rives  du  fleuve,  et  l'histoire  de  leur  occupation  n'a 
été  caractérisée  par  aucun  des  incidents  qui  nous  per- 
mettront de  définir,  pour  les  possessions  plus  impor- 
tantes de  l'Ouest  Africain,  une  politique  de  l'Angle- 
terre spéciale  à  chacune  d'elles. 

La  Gambie  est  née  du  traité  de  Versailles,  qui  recon- 
nut à  l'Angleterre  le  droit  exclusif  de  commercer  sur 
les  rives  du  fleuve,  tandis  que  le  Sénégal  était  réservé 
à  l'action  de  la  France.  Ce  ne  fut  pas  avant  1807  qu'un 

1 


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2  LÀ    GAMBIE 

gouveraement  régulier  fut  donné  à  cette  possession, 
qui  dépendit  tout  d'abord  de  Sierra  Leone  et  lui  fut 
rattachée  en  1821. 

Le  pouvoir  de  l'Angleterre  était  cependant  fort  pré- 
caire et  ne  s'étendait  pas  au  delà  de  Bathurst.  L'admi- 
nistration de  cette  ville  était  laissée  tout  entière  entre 
les  mains  des  commerçants. 

En  1824,  ceux-ci  adressèrent  une  pétition  au  secré- 
taire d'État  aux  colonies  pour  lui  demander  qu'une 
troupe  un  peu  importante  y  fût  établie  à  demeure  pour 
les  protéger  contre  les  indigènes.  Deux  cents  hommes 
de  la  garnison  de  Sierra  Leone  furent  alors  détachés 
dans  la  Gambie. 

En  1826,  fut  occupé  Barra  Point,  dont  le  chef  céda 
son  territoire,  qui  s'étendait,  sur  la  rive  droite,  sur  une 
longueur  de  36  milles  et  une  largeur  de  1  mille. 

En  1830,  pour  la  première  fois,  il  fut  nommé  un  lieu- 
tenant-gouverneur à  ces  Settlements,  qui  dépendaient 
toujours  de  Sierra  Leone. 

En  1831,  un  grand  nombre  d'esclaves  américains  libé- 
rés furent  envoyés  à  Bathurst,  ce  qui  établit  une  nou- 
velle analogie  entre  Sierra  Leone  et  la  Gambie.  En 
1836  ces  «  Liberated  Afrîcans  »  étaient  au  nombre  de 
2.836;  un  fonctionnaire  spécial  était  affecté  à  leur  sur- 
veillance. 

En  1840,  le  roi  duKombo,  et  en  1841  le  chef  du  Haut 
Niani  cédèrent  une  partie  de  leur  territoire  à  l'Angle- 
terre; néanmoins  l'influence  de  celle-ci  en  dehors  de 
Bathurst  restait  à  peu  près  nulle.  Les  guerres  entre 
tribus  continuaient  comme  par  le  passé  ;  les  commer- 
çants se  plaignaient  de  plus  en  plus  du  régime  qu'on 
leur  avait  imposé;  la  Gambie  fut  séparée  en  1843  de 


LA    GAMBIE 


,1 

I 

I 


■     * 


Sierra  Leone,  et  il  lui  fut  nommé  un  gouverneur  qui 
remplissait  les  fonctions  de  commandant  en  chef  des 
troupes  et  de  vice-amiral  du  port. 

Vers  la  même  époque  eurent  lieu  de  nouvelles  immi- 
grations de  noirs  américains. 

En  1849,  le  gouverneur  Mac  Donell  ayant  voulu,  pour 
la  première  fois,  faire  une  longue  tournée  dans  Tinté- 
rieur  de  la  colonie,  faillit  être  massacré  et  n'échappa 
kla  mort  que  grâce  à  l'intervention  de  quelques  indi- 
gènes restés  fidèles.  Le  gouvernement  anglais  jugea 
alors  nécessaire  de  faire  respecter  son  autorité  plus 
qu'il  ne  l'avait  fait  encore;  une  expédition  militaire 
fut  dirigée  contre  les  Keemings  et  les  Bambakos,  dont 
les  villes  furent  détruites.  Une  taxe  sur  les  habita- 
tions leur  fut  imposée,  qui  devint  l'origine  du  système 
d'impôt  actuellement  en  vigueur*.  Le  taux  de  cette 
taxe  était  de  4  p.  100  de  la  valeur  locative  des  immeu- 
bles; les  cases  ayant  une  valeur  inférieure  à  5  livres  ne 
payaient  qu'un  droit  fixe  de  3  sh.  Le  taux  a  été  ramené 
depuis  à  3  p.  100. 

En  1851,  fut  fondé  par  la  Suprême  Court  Ordinance 
le  système  judiciaire  qui  existe  encore  (n°  46,  1851). 

La  colonie,  qui  ne  se  composait  que  de  l'île  Sainte- 
Marie,  de  Mac  Garthy,  de  Barra  Point  et  du  cap  Sainte- 
Marie  dans  le  Kombo,  comptait  5.693  habitants. 

Les  tribus  avoisinant  Bathurst  continuaient  cepen- 
dant leurs  déprédations;  il  fallut  diriger,  en  1853,  une 
expédition  contre  les  Kombos  qui  n'observaient  pas  les 
traités  qu'ils  avaient  passés;  puis  une  seconde  en  1855 
contre  les  Sabigis,  à  laquelle  prirent  part  les  Français, 

1.  Rating  système  Ordinancey  n*  2  of  1850,  incorporée  dans  l'ordon- 
nance II  de  1891. 


V 


4  LA   GAMBIE 

une  troisième  en  1860  contre  les  Badibus.  En  1861  ces 
derniers  reconnaissaient  par  traité  le  pouvoir  de  l'An- 
gleterre; la  même  année  un  résident  était  établi  à 
Kombo. 

Ce  pays  fut,  en  1864,  effectivement  réuni  à  la  colonie 
'par  une  ordonnance  qui  imposait  une  taxe  de  4  sh.  par 
acre  sur  les  terrains  bâtis,  et  de  8  sh.  sur  les  terrains 
cultivés.  Le  Kombo  devait  être,  en  1903,  réuni  au  pro- 
tectorat; le  taux  de  la  taxe  fu^t  alors  modifié. 

En  1874  la  Gambie  fut  une  seconde  fois  rattachée  à 
Sierra  Leone,  dont  elle  devait  faire  partie  jusqu'en  1888. 

En  1881  le  gouverneur  fut  autorisé  à  envoyer  à 
Timbo,  pour  explorer  le  pays,  une  expédition*  qui 
conclut  que  la  Gambie  n'était  pas  navigable  au  delà  de 
Barracoundaetque  les  peuplades  de  l'intérieur  seraient 
d'une  administration  difficile.  Cette  déclaration,  qui 
condamnait  d'avance  toute  tentative  ultérieure  d'ex- 
tension, devait  limiter  l'avenir  de  la  Gambie. 

Les  exactions  des  chefs  Foddi  Kabba  et  Foddi  Sillah 
devaient  cependant  hâter  l'établissement  définitif  du 
pouvoir  anglais  sur  les  rives  du  fleuve.  En  1887  les 
habitants  du  Fogni  et  du  Jarra  demandèrent  que  le 
drapeau  anglais  fût  hissé  dans  leur  village  de  façon  à 
les  protéger  contre  ces  deux  chefs  de  bandes.  Pour 
arrêter  leurs  exactions,  il  parut  aussi  désirable  à  l'An- 
gleterre et  à  la  France  de  délimiter  leurs  territoires 
réciproques,  et,  le  10  août  1889,  était  signé  un  traité 
d'après  lequel  la  France  reconnaissait  comme  réservée 
à  l'influence  de  l'Angleterre  une  bande  de  dix  kilomè- 
tres de  large  de  chaque  côté  de  la  rivière  jusqu'aux 

1.  Parlm.  Pap,,  G  3065, 1881. 


LA    GAMBIB 


chutes  de  Barracounda,  situées  à  une  distance  de  250 
milles  de  Tembouchure,  ainsi  que  toutes  les  eaux  navi- 
gables de  Vintang  Creek. 

Dans  les  années  qui  suivirent,  des  expéditions  furent 
dirigées  contre  Foddi  Kabba  et  Foddi  Sillah,  expédi- 
tions sur  lesquelles  nous  n^avons  pas  à  insister,  étant 
donné  leur  caractère  purement  militaire.  Foddi  Sillah, 
pris  par  les  Français,  fut  déporté  à  Saint-Louis,  où  il 
mourut.  L'Angleterre  s'annexa  la  partie  ]du  Congo  qui 
ne  lui  avait  point  été  jusque-là  cédée  par  les  indi- 
gènes. 

Foddi  Kabba  vaincu  s'était  réfugié  dans  l'intérieur, 
d'où  il  ne  cessa  de  créer  des  difficultés;  notamment, 
en  1900,  il  joua  un  rôle  plus  ou  moins  louche  dans 
l'assassinat  du  Travelling  Commissioner  Sitwell,  au 
cours  d'une  tentative  faite  par  ce  fonctionnaire  pour 
régler  une  dispute  qui  avait  éclaté  entre  les  Sankandis 
et  les  Battelings.  Le  voisinage  des  territoires  français 
rendait  difficile  à  l'Angleterre  toute  action  contre  Foddi 
Kabba,  qui  réussit  à  fomenter  un  petit  soulèvement. 
Grâce  à  une  action  commune  au  cours  de  laquelle 
Faddi  Kabba  fut  tué,  les  Français  et  les  Anglais  réus- 
sirent à  rétablir  le  calme  dans  la  région. 

Une  partie  des  territoires  situes  dans  la  zone  d'in- 
fluence de  l'Angleterre  n'avait  cependant  pas  encore 
été  positivement  annexée  par  elle.  En  juin  1901,  elle 
mit  fin  à  cet  état  de  choses  en  signant  avec  Moussa 
MoUoh  un  traité  en  vertu  duquel  la  portion  du  terri- 
toire de  ce  dernier  qui  était  située  dans  la  sphère  d'in- 
fluence anglaise  deviendrait  une  partie  du  protectorat 
de  la  Gambie.  Un  résident  anglais  devait  en  prendre 
charge,  le  commerce  des  esclaves  cesser  ainsi  que  toute 


6  L4    GAMBIE 

pratique  contraire  à  rhumanité,   et  le  gouvernement 
avoir  le  droit  d'imposer  une  taxe  sur  les  cases.  Moussa 
Molloh  devait  recevoir  une  redevance  de   500  livres  • 
en  échange. 

Ce  chef,  qui  avait  résidé  tout  d'abord  en  territoire 
français,  devait,  dans  la  suite,  venir  s'établir  dans  la 
Gambie. 

L'administration  actuelle  de  la  Gambie  a  été  établie 
par  les  Royal  Instructions  du  28  novembre  1888,  31 
octobre  1898  et  15  novembre  1902. 

La  colonie,  organisée  suivant  les  principes  de  toutes 
les  Crown  Colonies,  est  presque  limitée  à  l'île  de 
Bathurst. 

Le  système  de  gouvernement  en  vigueur  dans  le 
protectorat  a  été  inauguré  en  1893  par  «  l'administra- 
tor  Tfi  Llev\relyn  (la  Gambie  n'a  été  érigée  en  gouverne- 
ment qu'en  1900),  qui  nomma  trois  travelling  commis- 
sioners. 

Le  Protectorat  est  divisé  actuellement  en  cinq  dis- 
tricts, qui  dépendent  chacun  d'un  travelling  commis- 
sioner. 

Le  premier  est  formé  du  Kombo,  du  Fogui  et  du 
West  et  West  Central  Kiang. 

Le  Kombo  est  divisé  en  cinq  parties  :  Kombo  Saint 
Mary  ou  British  Kombo,  North,  South,  Central  et  East 
Kombo.  Sa  superficie  est  d'environ  450  milles  carrés, 
et  sa  population  d'environ  7.050  habitants.  Le  Fogni 
est  divisé  en  West  Fogni,  Vintang,  Freffet,  Karansî, 
East  Fogni,  Kansala  et  Bondali.  Sa  superficie  est  de 
335  milles  carrés,  et  sa  population  d'environ  5.750  ha- 
bitants. 


LA    GAMBIE  i 

Le  South  Bank  District  comprend  TEast  Central  et 
TEastern  Kiang.  L-Eastern,  le  Central  et  le  Western 
Jarra  et  TEastern  et  Western  Niamina.  Sa  superficie  est 
d'environ  725  milles,  et  sa  population  de  19.000  habi- 
tants. 

L'Upper  River  District  comprend  le  Kantora  et  le 
FuUadu  East  sur  la  rive  gauche,  le  Wuli  et  le  Sandu  sur 
la  rive  droite.  Sa  superficie  est  de  950  milles  carrés,  et 
sa  population  de  37.000  habitants. 

Le  Mac  Carthy  Island  District  est  divisé  en  Upper 
Niani,  Lower  Niani,  Eastern  Saloum,  N'Jau  et  Nianija, 
Il  a  440  milles  carrés  et  16.000  habitants. 

Le  North  Bank  District  comprend  T  Upper  et  Lower 
Baddibu,  le  Jokado,  le  Lower  Saloum  et  le  Lower  et 
Upper  Niumi.  Sa  superficie  est  de  800  milles  carrés, 
et  sa  population  de  45,000  habitants. 

La  Protectorate  Ordinance  de  1894  a  fixé  les  pou- 
voirs des  Commissioners.  Elle  a  été  remaniée  par  l'or- 
donnance du  11  avril  1902  (n*^  7). 

Chaque  district  dépendant  d'un  Commissioner  est 
lui-même  divisé  en  districts  à  la  tète  desquels  est  un 
Head  Chîef.  Chacun  de  ces  districts  est  divisé  en  sous- 
districts  commandés  par  un  Head  Man. 

Le  gouverneur  a  les  mêmes  pouvoirs  dans  le  protec- 
torat que  dans  la  colonie  sur  «  ail  things  that  belong  to 
his  office  »• 

Les  Head  Chiefs  et  Head  Men  sont,  vis-à-vis  du  gou- 
verneur, responsables  du  bon  ordre  de  leur  district  ou 
sous-district.  Il  peut  les  punir  d'amende,  de  suspen- 
sion ou  de  révocation,  indépendamment  des  châtiments 
ordinaires  qui  peuvent  leur  être  infligés  pour  infrac- 
tion au  droit  commun. 


8  LA    GAMBIE 

Hs  ontjle  pouvoir  d'arrêter  les  criminels,  de  mainte- 
nir Fordre/de  faire]mettre  à  exécution  les  ordres  des 
Commissioners  et  les  jugements  des  tribunaux  indi- 
gènes ou  anglais.  Dans  Texercice  de  leurs  fonctions  ils 
ont,  ainsi  que  leurs  agents,  toutes  les  prérogatives  et 
tous  les'droits  qu'ont  les  juges  et  les  officiers  de  police 
d'après  la  loi  anglaise. 

Dans  chaque  district  il  y  a  un  tribunal  nommé  le 
«  Native  tribunal  of  the  district  ». 

Les  membres  de  ce  tribunal,  dont  le  nombre  ne  doit 
pas  dépasser  sept,  sont  en  général  nommés  par  le  chef 
du  district,  mais  ils  peuvent  être  aussi  choisis  par  le 
gouverneur.  Le  quorum  est  de  trois  membres,  le  pré- 
sident ayant  voix  prépondérante. 

Ce  tribunal  est  compétent  au  criminel  dans  une  série 
de  cas  déterminés  par  l'ordonnance.  Cette  compétence 
est  la  même  que  celle  de  la  Police  Court  de  Bathurst  et 
s'étend  aux  délits  ordinaires,  «  minor  cases  »,  qui  n'en- 
traînent pas  une  amende  supérieure  à  vingt  livres  ou 
six  mois  d'emprisonnement. 

Les  crimes  (indictable  offences)  sont  réservés  à  la 
Suprême  Court  de  Bathurst,  qui,  au  civil,  a  la  même 
compétence  que  la  cour  des  requêtes  de  la  colonie  ; 
cette  compétence  ne  s'étend  cependant  qu'aux  procès 
dans  lesquels  l'immeuble  objet  du  litige  est  situé  dans 
le  district,  et  ceux  dans  lesquels  les  deux  parties  y 
sont  domiciliées. 

Les  indigènes  nés  dans  la  colonie  et  tout  sujet  de 
l'Angleterre  ou  d'un  pouvoir  civilisé  qui  comparais- 
sent devant  un  tribunal  uniquement  composé  d'indi- 
gènes peuvent  demander  à  comparaître  devant  le  Com" 
missioner,   qui    peut,   suivant   les  cas,  les   renvoyer 


LÀ    GAMBIE  9 

devant  la  Police  Court  ou  la  Court  of  request  de  Ba- 
thurst. 

Les  Commissioners  ont  la  superintendance  de  tout 
leur  district.  Lorsqu'il  n'y  a  pas  d'Head  Chiefs,  ils  peu- 
vent exercer  leurs  pouvoirs  directement. 

La  Suprême  Court,  la  Police  Court  of  request  et 
tous  autres  tribunaux  de  la  colonie  ont  la  même 
compétence  dans  le  protectorat  que  dans  la  colonie, 
c'est-à-dire  que  toute  cause  qui  est  de  la  compé- 
tence d'un  tribunal  indigène  peut  être  plaidée  de- 
vant eux. 

Lorsqu'une  session  de  la  Suprême  Court  a  lieu  dans 
le  Protectorat,  le  gouverneur  peut  dispenser  tel  ou  tel 
de  ses  membres  (attorney- gênerai,  sheriff,  clerk  of 
court,  etc.)  d'en  faire  partie,  et  le  Chief  justice  peut 
modifier  les  règles  qui  concernent  la  production  des 
pièces  devant  la  cour. 

Lorsqu'une  cause  provenant  du  protectorat  est  jugée 
par  la  Suprême  Court,  il  n'y  a  pas  de  jury,  et  le  Chief 
magistrate  est  seul  juge,  qu'il  s'agisse  d'une  question 
de  fait  ou  d'une  question  de  droit.  Le  gouverneur  peut 
nommer  des  assesseurs  pour  siéger  avec  le  Chief  ma- 
gistrate, mais  seulement  comme  conseil  (advisory). 

Appel  peut  être  fait  des  décisions  des  tribunaux 
indigènes  du  protectorat  ou  de  la  Court  of  Request  et 
de  la  Police  Court  devant  la  Suprême  Court.  Appel  des 
jugements  de  la  Suprême  Court  de  Bathurst  peut  être 
fait  devant  la  Suprême  Court  de  Sierra  Leone. 

S'il  paraît  à  un  tribunal  de  la  colonie  qu'une  cause 
sera  mieux  jugée  par  un  tribunal  indigène  du  Protec- 
torat que  par  elle,  elle  doit  la  lui  adresser. 

Les  lois  en  vigueur  dans  le  Protectorat  sont  des  lois 


10  LÀ    GAMBIB 

indigènes  dans  la  mesure  où  elles  ne  contiennent  rien 
de  contraire  à  Thumanité  ou  au  droit  naturel. 

Elles  régissent  la  propriété  du  sol,  qui  reste  acquise 
de  ce  fait  aux  indigènes  avec  lesquels  doivent  traiter 
les  Européens. 

Les  Pouvoirs  qui  sont  reconnus  aux  chefs  sont  ce- 
pendant entièrement  nominaux,  car  les  indigènes  nés 
dans  la  colonie  et  tous  sujets  d'un  pouvoir  civilisé  peu- 
vent demander  à  être  jugés,  non  par  les  tribunaux  pu- 
rement indigènes,  mais  par  le  Commissioner  du  district, 
qui  peut  (et  en  fait  doit,  si  une  des  parties  le  demande) 
les  renvoyer  devant  les  tribunaux  de  la  Colonie  à  Ba- 
thurst.  En  outre,  tout  indigène  peut  faire  appel  devant 
le  Commissioner  de  son  district,  qui  peut  lui-même  de 
sa  propre  autorité  suspendre  les  affaires  en  instance 
devant  les  trihnnaux  indigènes  ou  les  porter  devant 
la  Suprême  Court. 

Enfin,  les  affaires  où  sont  intéressés  des  chefs  (Head 
Chiefs)  dépendent  de  Tadministrateur  anglais  ou  des 
tribunaux  de  la  colonie. 

En  somme,  la  distinction  qu'il  y  a  entre  la  Colonie  et 
le  Protectorat  consiste  simplement  en  ce  que  les  lois 
indigènes  et  le  Statut  des  indigènes  peuvent  continuer 
à  s'appliquer  dans  le  Protectorat  et  que  la  société  indi- 
gène reste  régie  par  ses  coutumes;  mais  le  pouvoir  des 
chefs,  c'est-à-dire  l'indépendance  de  la  communauté 
indigène  par  rapport  au  pouvoir  anglais,  est  purement 
nominale. 

On  peut  dire  que  ce  système  est  appliqué  en  fait 
dans  les  colonies  françaises  de  l'Afrique  occidentale. 

Au  point  de  vue  général,  l'histoire  de  l'établissement 


LA    GAMBIE  11 

des  pouvoirs  anglais  en  Gambie  n'offre  qu'un  point 
remarquable  :  le  temps  qu'ont  mis  ces  pouvoirs  à  s'éta- 
blir effectivement  sur  un  aussi  petit  territoire,  oii  Tef- 
fort  que  représentait  l'occupation  était  insignifiant.  Ce 
n'est  que  dix  ans  après  qu'elle  eut  réclamé  de  la  France 
la  possession  des  rives  de  la  Gambie  que  l'Angleterre 
y  a  établi  réellement  son  administration. 

C'est  un  petit  exemple,  mais  des  plus  probants,  de 
cette  résistance  que  nous  la  verrons  apporter,  au  cours 
de  toute  l'histoire  que  nous  allons  retracer,  à  l'établis- 
sement du  principe  de  son  autorité  dans  des  pays  dont 
elle  avait  entendu  cependant  se  réserver  la  domination. 


CHAPITRE    II 

SIERRA  LEONE 


La  fondation  de  la  Colonie. 

L'histoire  de  la  fondation  de  Sierra  Leone  est  trop 
connue  pour  que  nous  ayons  à  insister  longuement  sur 
ses  détails. 

On  sait  qu'après  le  jugement  de  Lord  Mansfield  qui, 
en  1772,  déclara  libres  les  noirs,  au  nombre  de  près  de 
14.000,  que  les  planteurs  américains  avaient  amenés  à 
Londres,  comme  ouvriers  ou  domestiques,  un  comité 
fut  formé  par  Hanway  et  GranvîUe  Sharp  pour  leur  venir 
en  aide.  Il  fut  décidé  qu'on  renverrait  ces  noirs  en  Afri- 
que occidentale  et  —  chose  déplorable  —  qu'on  leur 
adjoindrait  un  certain  nombre  de  femmes  blanches  aux 
mœurs  légères.  Le  9  mai  1787  partit  pour  Sierra  LeonQ 
une  expédition  de  400  noirs  et  de  60  blancs  ou  blanches^ 
qui  obtint  du  roi  Naibana  une  cession  de  terres  à  King 
Town,  environ  20  milles  carrés,  comprenant  l'emplace- 
ment actuel  de  Free  Town.  Cette  concession  fut  confir- 
mée par  le  traité  du  22  août  1788;  mais  la  population 
de  la  nouvelle  colonie  fut  rapidement  dispersée  par  la 
maladie  et  par  les  luttes  contre  les  naturels  du  pays. 

En  1790,  Granville  Sharp  fonda  la  «  Saint  George  Bay 
Association  »,  qui  devait  commercer  avec  Sierra  Leone. 
Elle  fut  «  incorporée»  en  1791  et  prit  le  titre  de  Sierra 
Leone  Go.  D'après  ses  statuts,  cette  association  avait 


LA    FONDATION    PE    LA    COLONIE  13 

pour  but  principal  d'introduire  la  civilisation  euro- 
péenne en  Afrique.  L'acte  d'incorporation  portait  que 
les  terrains  cédés  à  la  Sierra  Leone  Go,  avaient  été 
attribués  (yested)  à  la  Couronne.  On  peut  voir  dans  cet 
acte  la  fondation  de  la  colonie. 

La  compagnie  envoya  en  Afrique,  en  1791,  un  agent 
qui  rassembla  les  survivants  de  la  première  expédition 
et  les  installa  à  Granville  Town. 

,  En  1792,  des  noirs  habitant  la  Nouvelle-Ecosse  depuis 
la  guerre  américaine  et  qui  ne  supportaient  pas  le 
climat  de  ce  pays,  demandèrent  à  être  expédiés  en  Afri- 
que. La  compagnie  les  établit,  au  nombre  de  1.131,  sur 
remplacement  précédemment  occupé,  qui  prit  alors  le 
nom  de  Free  Town.  Des  troubles  ne  tardèrent  pas  à 
éclater  entre  les  anciens  colons  et  les  nouveaux  venus, 
et  la  maladie  exerça  parmi  eux  ses  ravages.  En  1794  la 
ville  fut  brûlée  par  les  Français.  Cependant  le  père  de 
l'historien  Macaulay,  qui  gouvernait  la  place,  parvint  à 
y  rétablir  Tordre,  et  en  1798  Free  Town  comptait  300 
maisons  et  1.200  habitants. 

Il  devenait  nécessaire,  cependant,  de  donner  à  la 
compagnie  des  pouvoirs  suffisants  pour  qu'elle  pût 
administrer  ses  établissements.  En  1800,  elle  obtenait 
une  «  Charte  de  justice  »;  les  terres  qui  avaient  été 
cédées  à  la  couronne  par  les  chefs  lui  furent  remises 
contre  payement  annuel  d'un  loyer  de  10  shillings;  ses 
directeurs  reçurent  l'autorisation  d'acheter  d'autres 
terres,  et  l'ensemble  de  ses  possessions  fut  constitué 
en  colonie  sous  le  nom  de  Sierra  Leone.  La  compa- 
gnie avait  le  droit  de  nommer  un  gouverneur  et  de  lui 
adjoindre  un  conseil. 

En  1800,  1.650  Jamaïcains  marrons  envoyés  à  Sierra 


14  SIERRA    LEONE 

Leone  furent  un  excellent  appoint  qui  aida  la  compa- 
gnie à  maintenir  en  paix  les  Novascottiens.  Celle-ci  eut 
cepen(ftnit4i&  grandes  difficultés  à  administrer  le  pays, 
car,  dès  1807,  un  acte  êm  Parlement  rendit  la  colonie  à 
la  Couronne.  La  compagnie  se  tramfiwma  en  Vu  Afri- 
can  Institution  »,  qui  ne  devait  plus  jouer  qtr^inà  rôle 
philanthropique. 

Lorsque  fut  dissoute  TAfrican  Co,  la  dernière  des 
compagnies  à  charte  anglaise  qui  commerçaient  en 
Afrique  occidentale,  Sierra  Leone  devint  le  siège  du 
gouvernement  de  tous  les  établissements  anglais  de 
la  côte  occidentale. 

Le  10  juillet  1807,  les  chefs  Firama  et  Tom  cédèrent 
à  la  couronne  toutes  les  terres  qu'ils  possédaient  dans 
la  péninsule  de  Sierra  Leone.  Il  en  fut  de  même  en  1818 
pour  les  îles  de  Los. 

Entre  1819  et  1825,  le  gouverneur  de  Sierra  Leone 
passa  un  certain  nombre  de  traités,  notamment  avec 
les  chefs  du  Sherbro;  mais  ces  traités  ne  furent  pas 
ratifiés  par  le  gouvernement  anglais,  qtii  n'était  pas 
favorable  à  de  nouvelles  extensions  de  territoire.  De 
nouvelles  conventions  eurent  lieu  cependant  dans  tout 
le  courant  du  siècle,  en  1861,  1873,  1876;  en  1882  la 
plupart  de  ces  traités  furent  ratifiés,  et  la  colonie  ac- 
tuelle proprement  dite  de  Sierra  Leone  fut,  depuis, 
composée  de  deux  groupes  de  territoires  :  le  groupe  de 
Sierra  Leone,  ayant  environ  35  kilomètres  de  long  sur 
22  kilomètres  de  large,  et  celui  du  Sherbro,  qui  s'étend 
sur  une  longueur  d'à  peu  près  120  kilomètres  et  dont 
la  largeur  n'a  jamais  été  bien  déterminée.  Ces  deux 
territoires  étaient  réunis  par  une  étroite  bande  côtière. 

En  1886,  une  convention  passée  avec  la  République 


LA  FONDATION  DB  LA  COLONIE  15 

de  Libéria  et,  en  1882,  1889, 1891,  des  conventions  pas- 
sées avec  la  France  établirent  les  limites  Est  et  Ouest 
de  la  colonie. 

Dans  le  courant  du  siècle,  des  traités  signés  par  des 
chefs  de  Tintérieur  avaient  eu  pour  objets  principaux  la 
suppression  de  la  traite,  la  cessation  des  guerres  entre 
tribus,  l'ouverture  du  pays  au  commerce  et  aux  mis- 
sionnaires; mais  ce  n'est  que  sous  l'administration  de 
Sir  James  Hay  (1888-1891)  que  le  gouvernement  anglais 
résolut  d'adopter  une  politique  ferme  d'expansion  ter-» 
ritoriale.  Deux  Travelling  Commissioners  furent  nom- 
més, C.  Garret  et  Alldridge,  et  les  troupes  de  la  Fron- 
tier  Police  furent  organisées  dans  le  but  d'établir  une 
ligne  de  poste  entre  Kambia,  sur  la  grande  Scarcies, 
et  la  rivière  Manoh,  afin  de  protéger  les  territoires 
limitrophes  de  la  colonie  contre  les  agressions  des 
tribus  de  l'intérieur.  Sir  James  Hay  déclarait  cependant 
au  Colonial  Office  «  que  les  mesures  qu'il  proposait 
n'avaient  qu'un  caractère  expérimental  et  que  le  temps 
pourrait  seul  montrer  la  valeur  et  l'importance  des  résul- 
tats que  l'on  pouvait  espérer  en  obtenir.  »  Le  secrétaire 
d'État,  en  approuvant  ces  mesures,  insistait  également 
sur  ce  caractère  «  expérimental  ».  De  nouveaux  traités 
furent  -cependant  passés  par  les  deux  Travelling  Com- 
missioners. 

Le  pays  n'en  resta  pas  moins,  en  fait,  entièrement 
entre  les  mains  des  chefs,  et  le  gouverneur  ne  savait 
rien  de  ce  qui  se  passait-dans  THinterland,  si  ce  n'est 
que  l'anarchie  y  était  constante. 

Au  commencement  de  1893,  il  fut  officiellement  dé- 
cidé que  le  gouverneur,  Sir  Francis  Fleming,  tiendrait 
un  grand  palabre  dans  le  pays  des  Barri  avec  les  nom- 


16 


SIERRA    LEONB 


breux  chefs  de  la  région  ayant  passé  des  traités  avec  le 
gouvernement  anglais.  M.  AUdridge  reçut  Tordre  de 
visiter  ces  chefs  et  de  les  inviter  à  assister  à  cette  réu- 
nion, tâche  difficile,  ces  chefs  n'ayant  jamais  quitté  leur 
pays  et  ne  se  connaissant  que  pour  avoir  lutté  les  uns 
contre  les  autres*.  En  outre  les  féticheurs  étaient  oppo- 
sés à  toute  entente  avec  le  pouvoir  anglais.  Malgré  des 
difficultés  de  toutes  sortes,  le  Travelling  Commissioner 
fut  assez  heureux  pour  parvenir  jusqu'à  Kanré  Lahun 
et  remplir  complètement  sa  mission  ;  il  revint  à  Banda 
Suma,  lieu  du  meeting,  escorté  d'à  peu  près  tous  les 
chefs  de  la  région  accompagnés  d'une  foule  nombreuse. 

Le  palabre  se  tint  le  13  mars.  Le  gouverneur  Fleming 
y  expliqua  aux  chefs  de  quelle  manière  l'autorité 
anglaise  entendait  s'exercer  sur  le  pays,  tout  en  leur 
laissant  leur  entière  indépendance.  Cette  réunion  fit 
le  plus  grand  bien  à  la  cause  anglaise. 

Peu  de  temps  après  le  meeting  de  Banda-Suma,  le 
Konno  fut  envahi  par  les  Sofas.  Le  Konno,  bien  que 
ses  chefs  n'aient  eu  alors  passé  aucun  traité  avec  l'An- 
gleterre, était  dans  la  zone  d'influence  que  réservaient 
à  cette  puissance  les  traités  internationaux.  Les  Sofas 
essayant  de  pénétrer  plus  avant  dans  la  colonie,  le 
gouvernement  anglais  estima  qu'il  y  avait  lieu  de  les 
repousser  vers  le  haut  pays,  et,  à  la  fin  de  1893,  les 
troupes  du  West  Indies  et  le  régiment  de  la  Frontier 
Force  menèrent  contre  eux  une  campagne  victorieuse, 
sous  la  direction  du  colonel  Ellis. 

1.  The  Sherbro  and  ils  Hinlerland.  —  T.J,  AUdridge.  —1  vol.  Mac  Mil- 
lan,  Londres,  1901.  Ce  livre,  illustré  de  la  manière  la  plus  remarquable 
par  les  photographies  de  l'auteur,  a  une  grande  valeur  documentaire,  en 
ce  qu'il  montre  comment  l'influence  anglaise  s'est  fait  tout  d'abord  sentir 
dans  le  Protectorat. 


CHAPITRE  III 

SIERRA  LEONE 


L'ordonnance  de  1896  sur  le  Protectorat. 
'  Le  soulèvement. 

Sir  Francis  Fleming,  malade,  fut  remplacé,  en  no- 
vembre 1893,  par  Sir  Frederik  Cardew.  Ce  fonction- 
naire, accompagné  d'une  esôorte  de  400  hommes,  entre- 
prit toute  une  série  de  grandes  tournées  d'un  caractère 
moitié  pacifîque,  moitié  militaire. 

Il  parcourut  ainsi  presque  entièrement  tout  THin- 
terland*  de  la  colonie.  Le  résultat  de  ces  voyages  fut 
l'ordonnance  de  1896,  qui  proclamait  le  protectorat  de 
l'Angleterre  sur  les  régions  de  l'intérieur  et  qui  en 
organisait  l'administration  (Protectorate  Ordinance). 

Deux  ans  plus  tard  éclatait  le  grand  soulèvement  à 
la  suite  duquel  l'Angleterre  fit  enfin  la  conquête  de  ce 
pays  de  Protectorat. 

La  révolte  une  fois  terminée,  le  gouvernement  anglais 
envoya  à  Sierra  Leone  Sir  David  Chalmers  faire  une 
enquête  sur  les  circonstances  qui  l'avaient  provoquée. 
La  publication  des  résultats  de  cette  enquête*  donna 
lieu  à  un  échange  de  vues  entre  le  gouverneur  de  la 
colonie,  le  Colonial  Oflice  et  Sir  David  Chalmers,  et  ces 

1.  Report  by  Her  Majeslij's  Commissioner  and  Correspondance  on  the 
sabject  of  the  insurrection  in  the  ^Sierra  Leone  Protectorate.  —  P. p.,  G  9388 
et  G  9391, 1899  (!•'  vol.  i^-f^  175  pages,  2-  vol.  in-f%  692  pages). 

2 


18  SIERRA    LEONE 

documeuts  jettent  le  plus  grand  jour  sur  la  politique 
appliquée  par  TAngleterre  pour  établir  son  influence 
dans  ce  pays. 

Nous  allons  tout  d'abord  analyser  ces  graves  événe- 
ments en  suivant  l'interprétation  qu'en  donne  Sir  D. 
Chalmers;  nous  examinerons  ensuite  les  explications 
que  donnèrent  à  leur  sujet  le  gouvernement  de  Sierra 
Leone  et  le  Colonial  Office.  Nous  remettrons  à  la  fin  de 
cet  ouvrage  la  recherche  des  conclusions  auxquelles 
nous  devons  nous  arrêter,  les  causes  du  soulèvement 
étant,  à  notre  avis,  intimement  liées  à  la  politique 
générale  de  l'Angleterre  en  Afrique  occidentale,  bien 
plus  qu'à  l'application  de  telle  ou  telle  mesure  parti- 
culière, comme  on  s'est  obtiné  à  l'affirmer. 

D'après  Sir  D.  Chalmers,  Sir  F.  Cardew  se  borna, 
pendant  ses  deux  premières  tournées  de  1894  et  1895,  à 
expliquer  aux  chefs  comment  l'Angleterre  entendait 
supprimer  les  razzias  et  la  traite  des  esclaves.  Ce  ne  fut 
qu'en  1896  seulement  qu'il  fit  allusion  à  la  façon  dont 
il  entendait  exercer  son  pouvoir. 

L'établissement  du  Protectorat  avait  été  décidé  par 
un  Order  in  council  du  24  août  1895  portant  «  qu'at- 
tendu que  Sa  Majesté  avait  acquis  des  pouvoirs  (juris- 
diction)  sur  certains  pays  de  la  côte  occidentale  d'Afri- 
que avoisinant  la  Colonie  de  Sierra  Leone,  Sa  Majesté 
voulait  bien,  sur  et  avec  l'avis  de  son  conseil  privé, 
ordonner  qu'il  serait  légal  pour  le  Législative  Council 
de  la  Colonie  de  Sierra  Leone  d'exercer  par  des  ordon- 
nances les  pouvoirs  que  Sa  Majesté  avait  acquis  ou 
pouvait  acquérir  sur  ces  territoires  ». 

Le  16  septembre  1896,  la  première  des  ordonnances 


l'ordonnance  de  1896  sur  le  protectorat  19 

prévues  par  cet  ordre  «  déterminait  le  mode  suivant 
lequel  serait  exercé  le  pouvoir  de  Sa  Majesté  dans 
les  territoires  adjacents  à  la  Colonie  de  Sierra  Leone  » 
[an  Ordinance  to  détermine  the  mode  of  exercising  Her 
Majesty's  jurisdiction  in  the  ferritories  adjacent  to  the 
dolony  of  Sierra  Leone), 

Cette  ordonnance,  connue  sous  le  nom  de  Protecto- 
rate  ordinance,  établit  la  domination  de  TAngleterre  en 
lui  reconnaissant  le  droit  de  modifier  l'état  social  indi- 
gène par  la  suppression  de  l'esclavage,  en  plaçant  les 
chefs  sous  l'autorité  de  ses  fonctionnaires  au  point  de 
vue  politique  et  judiciaire,  en  lui  donnant  le  domaine 
éminent  sur  les  terres,  et  en  établissant  à  son  bénéfice 
le  principe  de  l'impôt. 

L'Hinterland  est  divisé  en  cinq  districts  :  ceux  de  Ka- 
rene,  Roniotta,  Bandajuma,  Panguma  et  Koinadugu, 
placés  chacun  sous  les  ordres  d'un  District  Commis- 
sioner. 

Le  Commissioner  connaît  seul  des  procès  entre  tri- 
bus, des  questions  d'esclavage  et  de  tous  les  cas  ou 
interviennent  des  étrangers.  Assisté  des  chefs,  il  juge 
des  crimes,  meurtres,  crimes  fétichistes,  etc.,  et  seuls 
les  cas  de  dettes  et  les  menues  causes  sont  laissés  aux 
tribunaux  des  chefs. 

Les  chefs  doivent  se  conformer  aux  décisions  édic- 
tées par  le  gouverneur,  et  toute  personne  qui  s'oppose 
aux  ordres  d'un  fonctionnaire  est  passible  d'une  amende. 
Sa  Majesté  possède  les  terres   vacantes   et  a  droit 

d'expropriation  sur  les  autres.  Elle  a  seule  le  droit 
de  donner  des  concessions  d'exploitation  de  mines; 
les  cessions  de  terres  faites  par  des  indigènes  à  des 
étrangers  doivent  être  approuvées  par  le  gouverneur. 


20  SIERRA    LEONE 


r 

ï  Le  commerce  des  esclaves  est  déclaré  illégal;  les  per- 

i^  sonnes  en  état  de  servitude  au  moment  de  la  proclama- 

!  •   tion  peuvent  se  libérer  en  se  rachetant  d'après  le  taux 

fixé  par  le  gouvernement  (au  plus  4  livres  sterling  pour 
les  adultes  et  2  livres  pour  les  enfants).  Les  enfants  des 
personnes  qui  ont  racheté  leur  liberté  naissent  libres. 
Au  point  de  vue  ^e  l'impôt,  l'ordonnance  établit  le 
principe  des  droits  de  douane  sur  les  marchandises 
entrant  dans  le  protectorat,  ainsi  qu'une  taxe  sur  les 
habitations  payée  en  espèces  dans  la  mesure  du  pos- 
sible (10  sh.  pour  les  maisons  ayant  quatre  chambres 
ou  plus,  et  5  sh.  pour  celles  ayant  moins  de  quatre 
chambres). 

La  vente  des  spiritueux  n'est  permise  que  contre 
payement  d'une  licence. 

Il  semble  que  cette  ordonnance  ait  été  due  en  grande 
partie  à  l'initiative  de  Sir  F.  Cardew,  car  le  5  décembre 
1896  celui-ci,  qui  en  avait  communiqué  le  texte  au  Se- 
crétaire d'État,  reçut  par  télégraphe  l'ordre  de  rappor- 
ter la  partie  qui  concernait  le  régime  des  terres,  sous 
prétexte  que  la  matière  méritait  plus  ample  considéra- 
tion. Quoi  qu'il  en  soit,  le  gouverneur  n'avait  pas  moins 
promulgué  la  rédaction  primitive  de  l'ordonnance,  et  il 
en  avait  fait  adresser  un  commentaire  à  tous  les  chefs*. 

Dans  la  tournée  qu'il  fit  en  1896  avant  de  promulguer 
l'ordonnance,  il  en  prit  le  contenu  pour  sujet  de  ses  pala- 
bres. Sir  David  Ghalmers  estime  que  dans  ces  réunions 
le  gouverneur  se  préoccupa  beaucoup  plus  de  faire 
comprendre  aux  chefs  les  dispositions  de    la   future 

1.  Loco  cit.,  Appenilix  II,  vu. 


l'ordonnance  de  1896  sur  le  protectorat  21 

ordonnance,  que  de  se  rendre  compte  de  la  manière 
dont  ceux-ci  pouvaient  l'accueillir. 

Des  pétitions  cependant  ne  tardèrent  pas  à  arriver 
contre  la  nouvelle  législation*,  protestant  surtout  contre 
les  restrictions  apportées  au  commerce  des  captifs  et 
déclarant  trop  lourde  la  taxe  sur  les  cases.  Une  de  ces 
lettres,  qui  fut  adressée  au  gouverneur  par  rinlermé- 
diaire  de  sir  Samuel  Lewis,  le  célèbre  avocat  indigène 
de  Free  Town,  et  qui  porte  la  marque  de  64  chefs  de 
Sulinia  et  du  Gallina,  était  particulièrement  caractéris- 
tique. Elle  était  ainsi  conçue*  : 

«...  Nous  vous  prions  d'écrire  à  Son  Excellence  pour 
nous,  car  nous  considérons  que  les  lois  qu'elle  nous  a 
adressées  sont  trop  fortes  pour  un  indigène.  Nous  n'a- 
vions point  eu  connaissance  de  cette  ordonnance  jus- 
qu'à maintenant  où  nous  la  voyons  tout  d'un  coup;  elle 
fait  un  grand  bruit  dans  le  pays.  Tous  nos  gens  s'en 
vont  dans  le  pays  de  Tawoh,  sous  la  dépendance  de  Li- 
béria... Son  Excellence  nous  a  donné  l'ordre  de  nettoyer 
les  routes,  de  ne  pas  nous  emparer  les  uns  des  autres 
et  de  ne  pas  nous  battre  ou  de  tuer  sans  motif;  nous 
avons  accepté  toutes  ces  lois;  mais  maintenant  nous 
voyons  que  nous  sommes  en  captivité,  nous  ne  sommes 
pas  libres.  Nous  savons  que  notre  pays  n'a  pas  été  pris 

1.  Lettre  du  19  septembre  1896  de  Bey  Sama,  Bey  Sharbro  et  de  TAl- 
mani  Hanna,  Modu.  Loco  cit.y  Appendix  II,  vin. 

Lettre  du  26  octobre  1896  de  Bey  Simra,  loco  cil.,  Appendix  II,  ix. 
Lettre  du  20  octobre  1896  des  chefs  de  Morfuay,  loco  cit.,  Appendix  II,  x. 
Lettre  du  14  décembre  1897  du  district  de  Nafwé,  irf.,  i. 
Lettre  du  19  novembre  1896  de  Bay  Kompah,  fd.,  xii. 
Lettre  du  3  novembre  1896  de  Madam  Yolto,  id.,  xiii. 
Lettre  du  18  juin  1897  des  chefs  Timéni,  id.,  xiv. 

2.  Lettre  du  18  décembre  1896  des  chefs  de  Sulima  et  Gallinas  à  Sir  S. 
LeAvis  G.  M.  G.,  id.,  xv. 


22 


SIERRA    LEONE 


par  conquête,  nous  l'avons  donné  seulement  à  la  Reine 
pour  le  protéger,  et  nous  trouvons  maintenant  qu'elle 
Ta  pris  et  non  pas  protégé.  Si  nous  avions  su  que  tel 
aurait  été  le  cas,  nous  n'aurions  pas  consentie  signer  le 
traité  avec  Son  Excellence  le  gouverneur  Haveloch,  qui 
nous  avait  dit  le  contraire.  Nous  savons  que  Sa  Majesté 
la  reine  Victoria  est  une  reine  miséricordieuse,  elle  ne 
prendra  pas  notre  pays  par  force.  C'est  pourquoi  nous 
avons  accepté.  Oh!  Sir!  la  nation  pleure  pour  miséricorde. 
Au  lieu  que  le  pays  construise  (des  maisons),  il  se  casse. 
Tous  s'en  vont.  Vous  pouvez  voir  dans  le  pays  des  gens 
si  pauvres  qu'ils  n'ont  même  pas  un  pagne  du  pays  pour 
se  couvrir,  mais  ils  peuvent  pourtant  construire  de 
sales  petites  cases  pour  y  habiter;  et  où  trouver  de  l'ar- 
gent pour  payer  la  taxe  pour  la  maison?  Quelques-uns 
n'ont  que  10  shillings  pour  vivre,  et  comment  feront-ils 
pour  trouver  deux  livres  pour  payer  la  licence  qui  leur 
donnera  le  droit  de  vendre  ces  10  shillings  de  marchan- 
dise ?...  » 

Il  semble  que  l'honorable  avocat  eut  quelques  scru- 
pules personnels  à  défendre  cette  cause,  car,  après  en 
avoir  conféré  avec  l'attorney-general  de  la  colonie,  il 
se  borne  à  mentionner  cette  lettre  à  une  réunion  du 
Législative  Council. 

Le  28  juin  1897,  à  la  suite  des  cérémonies  qui  eurent 
lieu  à  Freetown  en  l'honneur  du  jubilé  de  la  Reine, 
une  nouvelle  pétition  importante  fut  adressée  au  gou- 
verneur par  les  chefs  du  pays  Timini  et  Kwaia,  avec 
prière  de  la  transmettre  à  la  reine.  Ses  dispositions 
principales  étaient  les  suivantes  : 

«  Priver  les  chefs  du  pouvoir  de  juger  les  contesta- 
tions au  sujet  de  leurs  terres,  cela  revient  à  leur  ôter 


l'ordonnance  de  1896  sur  le  protectorat  23 

tout  pouvoir  sur  leur  pays.  Le  pays  se  dépeuple,  et  la 
Huf'taj'^  empêchera  les  indigènes  d'y  revenir.  Ils  sont 
trop  pauvres  pour  la  payer.  Le  poids  en  retombera  sur 
les  chefs,  et  comme  ils  n'ont  pas  non  plus  les  moyens 
de  payer,  leurs  villes  et  leurs  villages  seront  ruinés. 
L'ordonnance  dispose  que  les  chefs  seront  punissables 
s'ils  jugent  des  cas  qui  ne  sont  pas  laissés  à  leur  com- 
pétence ;  comme  ils  sont  cependant  responsables  de  la 
conduite  de  leurs  sujets,  ils  craignent  d'être  obligés 
d'encourir  de  graves  peines.  Les  droits  de  licences  res- 
treindront le  commerce,  et  une  grande  partie  des  droits 
d'importatipn  retombera  sur  eux.  Ils  repoussent  toute 
idée  de  vouloir  revenir  à  la  traite  des  esclaves,  mais  ils 
demandent  que  leurs  esclaves  de  famille  ne  soient  pas 
encouragés  à  les  quitter.  Ils  protestent  contre  le  pouvoir, 
donné  aux  Gommissioners,  de  déporter  ou  de  bannir 
sans  jugement  toute  personne  qu'ils  jugeront  bon.  » 

Les  pétitionnaires  demandaient  au  gouvernement  de 
leur  garantir  la  pleine  jouissance  de  leur  pays  et  de 
leurs  anciennes  coutumes,  à  l'exception  de  celles  qui 
pouvaient  être  incompatibles  avec  les  lois  de  Dieu;  de 
les  préserver  des  conséquences  d'une  taxe  qui  serait 
ruineuse  dans  l'état  actuel  du  pays;  de  leur  accorder 
la  liberté  du  commerce  sans  droit  de  patente;  de  ne  pas 
abroger  l'ancien  privilège  d'appel  auprès  du  gouver- 
neur de  Sierra  Leone;  de  ne  pas  exposer  les  chefs  et 
les  sous-chefs  à  être  déshonorés  par  la  peine  infamante 
de  la  fustigation  ou  de  l'enchaînement. 

Les  pétitionnaires  voulurent  attendre  à  Freetown  la 
réponse    qui  serait  adressée  à  leur  requête;  elle  fut 

1.  Nom  donné  à  l'impôt  sur  les  maisons.  Dans  la  proclamation  il  est 
dénommé  Iloase-lax,  Mais  Sir  David  Ghalmers  adopte  Hut-tax. 


24  SIRRnA    LEONE 

brève*.  Le  secrétaire  des  affaires  indiofènes  reçut  Tor- 
dre  de  les  informer  que  «la  taxe  sur  les  cases  proposée 
était  nécessaire  pour  améliorer  le  pays  et  le  mettre  en 
valeur,  et  que  le  gouvernement  avait  tout  lieu  de  penser 
que  la  manière  dont  il  se  proposait  d'administrer  le 
Protectorat  favoriserait  le  commerce,  ce  qui  leur  per- 
mettrait de  payer  les  taxes.  En  ce  qui  concernait  les 
droits  et  les  usages  indigènes,  les  chefs  se  faisaient  une 
idée  fausse  des  changements  qu'apporterait  l'ordon- 
nance, et  on  leur  expliquerait  avec  soin  que  le  gouver- 
nement ne  s'attribuait  point  la  propriété  de  terres  pri- 
vées. 

Le  18  septembre  1897,  les  mêmes  chefs  adressèrent 
à  la  Reine  une  nouvelle  pétition,  dans  laquelle  ils  insis- 
taient sur  l'impossibilité  de  payer  la  taxe  sur  les  cases; 
le  15  octobre  ils  remettaient  au  Législative  Council, 
par  l'intermédiaire  de  Sir  Samuel  Lewis,  une  requête 
analogue  à  leur  première  lettre;  le  26  octobre  ils  en- 
voyaient un  télégramme  au  secrétaire  d'État  pour  les 
colonies,  dans  lequel  ils  sollicitaient  la  réduction  de  la 
taxe'. 

A  son  retour  d'Angleterre,  où  il  avait  été  en  congé, 
Sir  F.  Cardew  fit  aux  chefs  un  discours  dans  lequel  il 
examinait  le  bien  fondé  de  leurs  craintes  et  indiquait 
les  intentions  du  gouvernement'. 

Il  expliquait  comment,  avant  l'avènement  du  pouvoir 
anglais,  le  Protectorat  était  décimé  par  les  guerres  et 
les  rapines,  comment  les  cultivateurs  manquaient  de  la 

1.  LeUre  du  15  septembre  1897  du  secrétaire  des  affaires  indigènes  à 
Bai  Kompali  et  autres,  id,j  xx. 

2.  Loco  ciL,  XXI-XXII. 

3.  Text  of  an  address  given  hy  the  governor  io  certain  Chiefs  of  the 
Karene  District  at  Freetown  on  the  lô^^  Aovember  1897,  id.,  xxn i. 


l'ordonnance  de  1896  sur  le  protectorat  25 

sécurité  nécessaire  à  leur  agriculture;  alors  les  com- 
merçants  étaient  pillés  sans  cesse,  la  propriété   des 
choses  n'existait  point,  pas  plus  que  celle  des  person- 
nes. Le  gouvernement  anglais  avait  rétabli  la  paix  et 
le  bon  ordre.  L'autorité  des  chefs  était  soutenue  non 
par  la  force  brutale  et  les  guerres,  mais  par  le  pouvoir 
du  gouvernement.  Aussi  longtemps  qu'ils  resteraient 
loyaux,  qu'ils  gouverneraient  avec  équité,  ils  auraient 
cet  appui.  Le  gouvernement  ne  devrait  administrer  que 
par  leur  intermédiaire,  et  il  était  donc  de  leur  intérêt 
de  lui  apporter  leur  concours.  Ce  maintien  de  Tordre 
dans  le  Protectorat  coûtait  de  grosses  sommes  et  ne 
pouvait  plus  être  laissé  uniquement  à  la  charge  de  la  Co- 
lonie. La  taxe  proposée  n'était  pas  plus  élevée  que  celle 
qui  était  prélevée  dans  les  autres  pays  d'Afrique.  Cepen- 
dant, pour  la  leur  rendre  plus  légère,  il  avait  été  décidé 
qu'au  début,  tout  au  moins,  elle  serait  uniformément 
de  5  shillings  par  case  et  que,  lorsqu'il  serait  impos- 
sible de  la  payer  en  monnaie,  des  produits  seraient 
acceptés  pour  l'acquitter,  au  taux  de  un  boisseau  de  riz 
non  décortiqué  ou  d'amandes  de  palme  par  case.  Les 
autres  denrées  du  pays  seraient  aussi   acceptées,  au 
prix  du  marché  Je  plus  voisin.  Jusqu'à  nouvel  ordre 
également,   seraient  exemptées  de  la  taxe  les  cases 
temporaires  édifiées  dans  les  villages  de  culture,  les 
cases  qui  seraient  construites  dans  des  pays  nouvelle- 
ment  occupés,  les  villages  qui  comprendraient  moins 
de  20  cases.  L'impôt  serait  perçu  par  l'intermédiaire  des 
chefs,  qui  retiendraient  à  leur  profit  une  commission 
de  3  pence  par  taxe. 

Passant  ensuite  en  revue  les  différentes  plaintes  qui 
faisaient  l'objet  de  la  pétition  qui  lui  avait  été  remise 


26  SIERRA    LEONE 

par  rintermédiaire  de  Sir  Samuel  Lewis,  Sir  F.  Cardew 
fit  les  observations  suivantes  :  «  La  protestation  contre 
les  fustigations  n'a  pas  de  raison  d'être,  car  ce  mode  de 
punition  est  îisité  dans  la  législation  indigène.  En  An- 
gleterre la  fustigation  est  une  punition  que  l'on  inflige 
à  ceux  qui  ont  étranglé,  qu'ils  soient  ducs  ou  lords  ;  mais 
les  ducs  et  les  lords  ne  commettent  pas  de  crimes  sem- 
blables, et  je  ne  pense  pas  que  les  chefs  se  rendent  cou- 
pables des  délits  qui  entraînent  ce  châtiment.  Aucun 
gouverneur  ne  peut  désirer  rabaisser  par  la  fustigation 
l'autorité  des  chefs  dont  il  désire  justement  avoir  l'aide 
pour  administrer  le  pays. 

«  Tout  acte  d'oppression  commis  par  la  police  sera 
sévèrement  puni  s'il  est  porté  à  la  connaissance  des 
autorités;  mais  c'est  souvent  vous  autres  indigènes  qui 
êtes  les  premiers  coupables  en  achetant  les  policemen 
par  des  cadeaux.  Rappelez-vous  qu'ils  portent  l'uni- 
forme de  la  Reine,  que  leur  autorité  doit  être  respectée. 
L'ordonnance  enlève  aux  chefs  l'autorité  absolue  sur  le 
pays,  mais  c'est  parce  que  la  Reine  peut  seule  gouver- 
ner. La  juridiction  des  chefs  est  cependant  sans  appel 
dans  toutes  les  matières  civiles  et  correctionnelles.  L'or- 
donnance sera  modifiée,  et  les  chefs  de  la  région  auront 
le  droit  de  régler  les  contestations  en  matière  foncière, 
sauf  dans  les  cas  où  ces  contestations  éclateront  entre 
deux  régions,  ce  qui  pourrait  entraîner  des  troubles;  le 
District  Commissioner  aura  alors  le  droit  d'intervenir... 
Les  pétitionnaires  ont  demandé  que  l'administration 
du  pays  soit  laissée  aux  chefs,  mais  le  gouvernement 
ne  peut  abandonner  le  pays  à  lui-même.  Aucun  pouvoir 
civilisé  ne  pourrait  permettre  le  retour  des  anciçns 
troubles,  qui  reviendraient  certainement  si  l'on  vous 


L^ORDONNANCE    DE    1896    SUR    LE    PROTECTORAT  27 

laissait  complètement  libres;  et,  si  TAngleterre  ne  vous 
gouvernait  pas,  quelque  autre  puissance  le  ferait,  qui 
n'userait  certainement  pas  des  mêmes  ménagements.  » 

On  le  voit,  les  réclamations  des  indigènes  aboutirent 
à  ce  que  des  modifications  importantes  fussent  apportées 
à  l'ordonnance.  Sir  David  Chalmers  reproche  cependant 
à  Sir  F.  Cardew  de  n'avoir  point  apporté  une  attention 
suffisante  aux  observations  que  lui  firent  les  chefs  dans 
cette  entrevue.  11  aurait,  en  effet,  simplement  répondu 
qu'il  n'avait  pas  le  temps  d'entrer  dans  de  plus  amples 
détails  et  qu'il  n'était  pas  disposé  à  faire  de  nouvelles 
concessions. 

Les  chefs  écrivirent,  par  la  suite,  une  nouvelle  lettre 
dans  laquelle  ils  dépeignaient  de  nouveau  la  pauvreté 
du  pays  et  la  stagnation  du  commerce;  le  gouverneur 
pria  M.  Parkes,  secrétaire  pour  les  affaires  indigènes, 
de  les  informer  qu'il  avait  donné  l'ordre  qu'on  les 
conduisît  dans  le  jardin  botanique,  qu'on  leur  montrât 
la  manière  dont  le  café  et  autres  plantes  étaient  cul- 
tivées, et  qu'on  leur  fît  distribuer  gratuitement  les 
graines  qu'ils  pourraient  demander. 

S'abstenant  de  faire  cette  visite,  les  différents  chefs 
tîniinis  qui  avaient  séjourné  si  longtemps  à  Sierra 
Leone  pour  essayer  de  faire  valoir  leurs  réclamations, 
s'en  allèrent,. fait  remarquer  Sir  David  Chalmers',  sans 
avoir  dit  qu'ils  acceptaient  la  nouvelle  loi. 

Il  semble  du  reste  que  la  plupart  des  indigènes 
n'aient  point  eu  connaissance  des  modifications  qui 
avaient  été  apportées  à  l'ordonnance  et  qu'ils  gardèrent 
l'impression   que   leurs   réclamations   étaient    restées 

1.  Loco  cU.j  Appendix  1, 11°  807. 

2.  Loco  cil;  Appendix  II,  note  A,  xxvn  et  xxviii. 


28 


SIERRA    LEONE 


sans  effet.  Un  grand  soin  paraît  cependant  avoir  été 
apporté  à  répondre  aux  différentes  pétitions  adressées 
au  gouvernement. 

Il  en  fut  adressé  de  nouvelles  contre  la  Hut-tax  à  la 
fin  de  1897  et  au  commencement  de  1898  par  les  chefs 
Mendis.  11  leur  fut  répondu  comme  il  avait  été  répondu 
aux  Timinis. 

Ces  diverses  protestations  paraissent  cependant  avoir 
ému  le  secrétaire  d'État  aux  colonies,  qui  restreignit, 
pour  le  début,  l'application  de  la  taxe  sur  les  cases  aux 
districts  de  Karene,  Ronietta  et  Bandajuma.  Des  ins- 
tructions furent  envoyées  par  Sir  F.  Cardew  aux  Dis- 
trict Commissioners  pour  leur  indiquer  la  manière 
dont  ils  devaient  effectuer  la  perception  de  l'impôt.  Sir 
D.  Chalmers  estime  que  ces  instructions  ne  détermi- 
naient pas  suffisamment  la  mesure  dans  laquelle  la 
taxe  devait  être  réclamée  aux  chefs  subalternes  ou,  au 
contraire,  aux  chefs  de  région,  lacune  d'autant  plus 
fâcheuse  que  l'ordonnance  elle-même  laissait  subsister 
des  doutes  à  ce  sujet. 

Le  commissaire  du  gouvernement  reconnaît  cepen- 
dant que  les  ordres  du  gouverneur  étaient  modérés  et 
raisonnables  et  déclare  qu'il  est  difficile  de  comprendre 
comment  il  se  fait  qu'ils  ont  été  exécutés  avec  autant 
de  sévérité.  Il  est  probable,  explique-t-il,  que  les  Dis- 
trict Commissioners  et  le  gouverneur  lui-même  furent 
convaincus  par  la  suite  que  le  système  d'impôt  qui 
avait  été  établi  ne  pouvait  fonctionner  que  par  l'exer- 
cice d'une  autorité  inflexible. 

Dès  le  19  mai  1897*,  Sir  F.  Cardew  demandait  une 
augmentation  de  50  hommes  pour  la  Frontier  Police, 

1.  Loco  cit.,  Appendix  II. 


l'ordonnance  de  1896  sur  le  protectorat  29 

déclarant  que,  bien  qu'il  ne  pensât  pas  qu'il  dut  être 
fait  une  violente  opposition  à  la  perception  de  la  taxe, 
«  les  indigènes  pourraient  faire  une  résistance  passive 
et  éviter  par  tous  les  moyens  de  payer  si  une  démons- 
tration effective  de  la  Police  n'était  faite  dans  les  dis- 
tricts où  devait  avoir  lieu  la  perception  ».  La  Frontier 
Police  Force  fut  portée  ainsi  à  548  hommes.  Dans  une 
autre  lettre,  Sir  F.  Cardew  insistait  sur  cette  idée  : 
ce  L'indigène  de  l'Afrique  occidentale  a  une  répulsion 
traditionnelle  pour  les  impôts  directs  comme  l'Hut-tax. 
L'origine  de  cette  répulsion  doit  être  trouvée  proba- 
blement dans  la  manière  oppressive  dont  une  taxe  pré- 
cédente (supprimée  en  1872)  a  été  levée,  et  depuis  lors 
les  noirs  ont  toujours  témoigné  une  grande  crainte  de 
la  voir  rétablir...  Cette  crainte  des  impôts  directs  a  dû 
se  répandre  dans  toutes  les  colonies  de  l'Afrique  occi- 
dentale et,  naturellement,  dans  tout  le  Protectorat; 
mais,  comme  je  Tai  déclaré,  il  est  nécessaire  de  remet- 
tre ces  impôts  en  vigueur  si  l'on  veut  administrer  le 
Protectorat.  Il  faut  donc  disposer  d'une  force  suffisante 
pour  assister  le  gouvernement  dans  cette  circonstance. 
Je  ne  crains  pas  qu'il  éclate  de  troubles  lorsque  le  mo- 
ment viendra  de  prélever  la  taxe  ;  mais  le  plus  sûr  moyen 
de  les  éviter  est  de  disposer  de  forces  suffisantes.  » 

Dans  leurs  pétitions,  les  chefs  avaient  montré  qu'ils 
s'étaient  opposés  d'une  manière  à  peu  près  égale  à 
toutes  les  mesures  qu'entendait  prendre  le  gouverne- 
ment anglais  pour  les  administrer.  L'opposition  qu'ils 
allaient  faire  à  la  perception  de  la  Hut-tax  devait  ce- 
pendant être  telle  qu'elle  devait  synthétiser  tous  leurs 
autres  motifs  de  griefs. 

Le  D**  Hood,  acting  district  commissioner   du  Ro- 


30  SIERRA    LEONE 

nîetta  dans  le  pays  mendi,  envoya,  le  31  décembre  1897, 
aux  principaux  chefs  de  son  district  une  lettre*  dans 
laquelle  il  les  avisait  que  la  Hut-tax  deviendrait  paya- 
ble le  1"  janvier  1898  et  leur  demandait  de  vouloir  bien, 
lui  apporter  les  sommes  qu'ils  auraient  perçues. 

Cette  requête  ne  fut  couronnée  d'aucun  succès,  car, 
le  10  janvier,  le  docteur  Hood  écrivait  au  gouverneur* 
qu'il  avait  le  regret  de  l'informer  que  la  plus  grande 
partie  des  chefs  de  son  district  paraissaient  avoir  l'in- 
tention de  ne  faire  aucun  effort  pour  acquitter  la  Hut- 
tax.  La  plupart  des  chefs  timinis  avaient  décidé  de  ne 
rien  payer  du  tout.  Quelques  sous-chefs  semblaient 
être  dans  de  meilleures  intentions,  et  l'un  d'eux  avait 
même  acquitté  sa  part  d'impôt,  mais  ils  étaient  terro- 
risés par  les  menaces  des  autres.  Le  commissioner 
pensait  qu'il  n'était  point  prudent  de  faire  appeler 
les  chefs  souverains  à  la  capitale  du  district  et  de  les 
y  mettre  en  arrestation,  les  troupes  qu'il  avait  à  sa  dis- 
position n'étant  pas  assez  fortes. 

C'était  la  première  difficulté  à  laqu'elle  donnait  lieu 
la  Hut-tax. 

Sir  F.  Gardew  estima  qu'il  y  avait  lieu  d'agir  dès  le 
début  avec  énergie.  Il  expédia  le  capitaine  Moore  à 
Kwalu  à  la  tête  d'un  détachement  et  lui  donna  la  direc- 
tion du  district  à  la  place  du  D^  Hood.  Dans  ses  intruc- 
tions'  il  écrivait  :  «  Le  capitaine  Moore  prendra  toutes 
les  dispositions  nécessaires  pour  faire  exécuter  la  loi 
dans  le  district  et  pour  obtenir  le  payement  de  la  taxe; 

1.  Loco  cit. y  Appendix  II,  xxix. 

2.  Loco  cit.,  XXXI. 

3.  Loco  cit.,  XXXII. 


l'ordonnance  db  1896  sur  le  protectorat  31 

il  accordera  des  délais  raisonnables  lorsqu'il  trouvera 
des  marques  de  bonne  volonté,  mais  il  fera  de  sévères 
exemples  pour  punir  ceux  qui  encouragent  les  autres  à 
ne  pas  payer  ou  les  intimident...  Il  sera  bon  au  début 
de  ne  pas  prononcer,  dans  ce  cas,  des  peines  dépassant 
trois  mois  de  prison,  pour  éviter  que  les  coupables 
obtiennent  des  délais  en  faisant  appel  de  leur  condam- 
nation... Il  sera  nécessaire  de  punir  ainsi  les  chefs  les 
plus  influents  qui  seront  coupables,  et  les  accusés 
devront  être  envoyés  à  Freetown  pour  y  être  empri- 
sonnés... Dans  les  cas  oii  les  chefs  souverains  ne  pour- 
ront pas  faire  respecter  leur  autorité,  la  taxe  devra  être 
exigée  directement  des  sous-chefs  ou  des  chefs  de  vil- 
lage. Tous  les  indigènes  du  district  de  Ronietta  devront 
être  désarmés,  et  leurs  armes  confisquées.  » 

Le  premier  acte  du  capitaine  Moore  fut  d'appeler 
devant  lui  le  chef  Pa  Nembana,  qui  avait  donné  Tordre 
à  ses  sujets  de  ne  pas  payer  l'impôt.  Il  le  destitua  et 
le  condamna  à  douze  mois  d'emprisonnement  avec 
travail  forcé  et  à  trente-six  coups  de  bâton,  dont  le  gou- 
verneur lui  fit  grâce.  Sir  D.  Chalmers  fait  remarquer 
à  ce  sujet  que  cette  condamnation  dépassait  la  compé- 
tence d'un  District  Commissioner,  et  que  la  Protecto- 
rate  Ordinance  n'avait  pas  fait  un  crime  du  non-paye- 
ment de  l'impôt  et  laissait  à  cet  acte  un  caractère  civil. 

Le  capitaine  Moore  convoqua  ensuite  tous  les  chefs 
du  district  qui  avaient  juré,  lui  avait-on  rapporté,  de  ne 
pas  payer  l'impôt. 

Le  25  janvier,  70  chefs  étaient  réunis  à  Kwani;  le 
capitaine  Moore  leur  déclara  qu'il  arrêterait  ceux  qui  ne 

1.  Loco  «7.,  XXXIV. 


32  '  SIERRA    LEONE 

prendraient  pas  rengagement  de  payer  la  taxe,  'et  leur 
accorda  jusqu'au  lendemain  pour  réfléchir.  Comme  le 
jour  suivant  ils  s'obstinaient  toujours  dans  leur  refus, 
le  résident  fit  emprisonner  dix  ou  douze  chefs  souve- 
rains. Les  autres  se  soumirent  alors,  mais  ils  furent 
gardés  au  poste  jusqu'à  ce  qu'une  partie  de  l'impôt 
eût  été  payée.  La  taxe  fut  du  reste  acquittée  au  bout 
d'un  mois. 

Dans  le  district  de  Bandajuma  (Mendi),  le  capitaine 
Carr  convoqua  les  chefs  le  3  janvier  pour  leur  deman- 
der de  payer  l'impôt.  Il  leur  accorda  jusqu'au  10  janvier 
en  les  priant  de  faire  au  moins  preuve  de  bonne  volonté. 
Lorsque  ce  jour  fut  arrivé,  les  chefs  déclarèrent  qu'ils 
avaient  tous  décidé  de  ne  pas  payer.  Le  District  Com- 
missioner  mit  les  quatre  principaux  d'entre  eux  en  pri- 
son. La  foule  qui  les  entourait  comprenait  de  4.000  à 
5.000  hommes.  Une  fois  l'arrestation  opérée,  le  capi- 
taine Carr  se  rendit  au  milieu  d'eux  en  leur  parlant 
très  tranquillement,  mais,  écrivait-il  au  gouverneur*, 
«  la  moindre  hésitation  ou  trace  de  crainte  eût  produit 
l'efl^et  d'une  étincelle...  la  rentrée  de  l'impôt  n'en  ayant 
cependant  pas  avancé  d'une  ligne  ». 

Quelques  Sierra  Léonais  qui  étaient  à  Mafwy  furent 
effrayés  de  la  tournure  que  prenaient  les  événements 
et  vinrent  prier  le  capitaine  Carr  de  relâcher  les  chefs, 
lui  disant  que  leur  vie  ne  serait  pas  en  sécurité  s'il  ne 
le  faisait  pas.  Le  capitaine  déclara  que  c'était  impos- 
sible. Les  prisonniers  furent  détenus  jusqu'à  ce  que 
l'un  d'entre  eux,  le  chef  Bongo,  apportât  10  livres  et  prît 
au  nom  des  autres  chefs  une  sorte  d'engagement  d'a- 

1.  Loco  cit.,  XXXIII. 


■ 


l'ordonnancb  de  1896  svr  le  photectohat  33 


près  lequel  il  devait  payer  cinq  livres  par  village.  A  son 
retour  à  Mafwy,  Bongo  raconta  ce  qu'il  avait  souffert  en  ] 

prison,  et  les  sous-chefs  décidèrent  de  payer  la  taxe; 
mais  il  semble  qu'il  s'en  fallut  de  peu  qu'une  révolte 
n'éclatât  dès  ce  moment  dans  le  district.  Le  gouverneur  1 

paraît  en  effet  avoir  eu  de  sérieuses  craintes  à  ce  sujet, 
car,  le  21  janvier',  il  avisa'  le  capitaine  Carr  qu'il 
avait  l'intention  de  demander^  télégraphiquement  au 
secrétaire  d'État  l'envoi  d'une  compagnie  pour  établir 
garnison  à  Bandajupia;  le  29  janvier  cet  officier*  répon- 
dait que  la  situation  s'était  améliorée,  mais  que  cepen- 
dant l'établissement  d'une  compagnie  dans  le  district 
serait  opportun. 

Les  opérations  de  la  perception  de  l'impôt  commen- 
cèrent dans  le  district  de  Karene,  dans  le  pays  de 
Timini,  un  peu  en  retard  par  suite  de  l'absence  du  Dis- 
trict Commissioner*. 

Le  capitaine  Sharpe  se  rendit  le  5  février  1698  à  Port 
Lokko,  où  étaient  établis  une  soixantaine  de  commer- 
çants Sierra  Léonais  qui  louaient  aux  indigènes  du  lieu 
les  maisons  qu'ils  occupaient.  Il  leur  demanda  d'ac- 
quitter la  taxe.  Ceux-ci  répondirent  que  ce  n'était  pas  à 
eux  de  le  faire,  mais  à  leurs  propriétaires,  et  que  ces 
derniers  le  leur  avaient  défendu.  Le  District  Commis- 
sioner  demanda  alors  au  chef  de  Port  Lokko,  Bokari 
Bamp,  ce  que  signifiaient  les  menaces  dont  parlaient  les 
commerçants.  Celui-ci  parut  embarrassé,  connaissant  le 
serment  qu'avaient  fait  les  chefs  timinîs  de  ne  pas  payer 

1.  Loco  c//.,  XXXVI. 

2.  Loco  cit.,  XXX VI. 

3.  Loco  cit.,  XXXVII. 

4.  Loco  cU,,  XXXIX.  Report  12  february  1898.  Commisioner  Sharpe. 

3 


34  SIERRA    LEONE 

rimpôt  et  désirant  d'un  autre  côté  ne  pas  déplaire  au 
capitaine  Sharpe.  Il  déclara  qu'il  ne  pouvait  avoir  d'opi- 
nion en  la  matière,  la  question  concernant  uniquement 
les  commerçants  et  leurs  propriétés.  Le  capitaine  le  mit 
en  prison,  et  comme  les  commerçants,  quelques  jours 
plus  tard,  faisaient  les  mêmes  difficultés,  il  agit  de  même 
à  leur  égard.  Bokari  Bamp  s'obstina  à  refuser  de  payer 
sa  part  de  taxe,  déclarait  qu'il  désirait  consulter  à  ce 
sujet  son  chef  de  région.  Le  capitaine  Sharpe  lui 
demanda,  ainsi  qu'aux  autres  chefs.de  village,  s'ils  vou- 
laient faire  leur  possible  pour  empêcher  leurs  sujets 
de  molester  les  Sierra  Léonais  sMls  payaient- la  taxe. 
Comme  ils  répondirent  par  la  négative,  il  les  expédia 
à  Sierra  Leone.  Des  indigènes  voulurent  les  délivrer, 
mais  Bokari  Bamp  parvint  à  les  calmer.  Les  chefs 
furent  condamnés  à  un  emprisonnement  variant  de 
un  an  à  quinze  mois. 

Sir  David  Chalmers  déclare  que  cette  condamnation 
provoqua  la  plus  grande  indignation  dans  le  pays, 
comme  contraire  à  la  dignité  des  chefs,  et  le  mécon- 
tentement fut  augmenté  de  ce  que  le  gouvernement 
nomma  comme  chef  de  Lokko,  à  la  place  de  Bokari 
Bamp,  une  personne  qui  n'y  avait  aucun  droit.  Celui- 
ci,  nommé  Sori  Dunki,  qui  avait  une  grande  influence 
et  qui  était  bien  disposé  pour  le  gouvernement  an- 
glais, se  mit  aussitôt  énergiquement  à  récolter  la  taxe 
avec  l'aide  de  la  police;  il  ne  réussit  cependant  qu'à 
ameuter  la  population  contre  lui  et  dut  s'enfuir  à  Free- 
town, où  il  fut  jeté  à  la  mer,  semble-l-il,  par  des  gens 
qui  l'avaient  suivi.  La  taxe  n'en  fut  pas  moins  perçue 
à  Port  Lokko,  grâce  à  la  police,  mais  ce  ne  fut  pas  sans 
qu'un  indigène  récalcitrant  ait  été  tué  par  un  garde. 


J 


l'ordonnance  de  189o  sur  lb  protectorat  35 

Aussitôt  après  Tarrestation  des  chefs  de  Port  Lokko, 
le  capitaine  Sharpe  résolut  d'arrêter  Bai  Bureh,  chef 
du  Kassi,  sous  prétexte  que  celui-ci  avait  répondu  par 
des  menaces  à  une  lettre  qui  lui  avait  été  adressée  par 
le  Commissioner.  Sir  D.  Chaliners  prétend  qu'il  n*y 
avait  eu  là  qu'un  simple  malentendu  et  que  Bai  Bureh 
n'avait  pas  reçu  le  message. 

Ne  voulant  pas  payer  la  taxe^  il  craignit  d'être  traité 
comme  Bamp  s'il  répondait  à  l'invitation.  Le  capitaine 
Sharpe  se  mit  en  marche  escorté  de  46  soldats  sous  la 
direction  de  l'inspecteur  général  de  police.  D'après  le 
rapport  qu'il  adressa  au  gouverneur  dès  le  second 
jour,  le  18  février,  ils  furent  entourés  d'hommes  armés 
qui  les  attaquèrent  et  qu'ils  durent  repousser.  L'expé- 
dition dut  retourner  à  Karina,  harcelée  par  les  indigè- 
nes et  sans  avoir  pu  saisir  Bai  Bureh. 

L'attaque  de  la  colonne  anglaise  devait  être  le  pre- 
mier acte  du  soulèvement  de  1898,  et  comme  cette 
colonne  avait  pour  but  de  §>'emparer  d'un  chef  qui  se 
refusait  à  payer  l'impôt.  Sir  D.  Chalmers  déclare  que 
c'est  la  meilleure  preuve  que  la  Hut-tax  est  bien  la 
cause  primordiale  de  cette  révolte. 

Le  gouverneur  approuva  la  conduite  du  capitaine 
Sharpe'  et  expédia*  une  compagnie  du  West  Indies 
Régiment  à  Karene,  «  pour  permettre  aux  troupes  de 
la  Police  de  réprimer  le  soulèvement  dans  le  Kassi  et 
d'arrêter  Bai  Bureh  ».  En  cas  de  nécessité,  les  District 
Commissioners  auraient  le  droit  de  se  servir  des 
troupes  impériales;  dans  ce  cas,  le  commandement  des 
opérations  serait  réservé  aux  autorités  militaires,  tandis 

1.  Loco  cit.,  XL VI. 

2.  LocociL,XLVlU. 


r 


36  SIERHA    LEONE 

que  le'District  Commissioner  garderait  la  justice  civile 
entre  ses  mains  et  prendrait  soin  que  tous  les  coupables 
qui  pourraient  être  saisis  «  soient  jugés  conformément 
à  la  loi  ». 

Lorsque  la  compagnie  arriva  à  Karene,  elle  trouva  la 
garnison  à  l'état  de  siège  et  sans  communication  avec 
Port  Lokko.  Son  premier  soin  fut  de  rouvrir  la  route 
vers  cette  ville,  qui,  se  trouvant  sur  la  rivière,  devait 
servir  de  base  de  ravitaillement.  Trois  compagnies 
durent  entfer  en  action,  Tune  restant  fixée  à  Karene, 
l'autre  à  Port  Lokko,  et  la  troisième  agissant  comme 
colonne  volante.  Le  pays  était  en  pleine  révolte,  et  le 
but  de  Texpcdition  paraît  avoir  été  de  rétablir  l'auto- 
rité anglaise  en  même  temps  que  de  donner  une  leçon 
sévère.  L'expédition  dura  du  2  mars  1^99  au  27  mai, 
jour  où  les  chefs  du  district  de  Karene  vinrent  à  Port 
Lokko  faire  leur  soumission.  Une  nouvelle  colonne  dut 
cependant  parcourir  le  pays  de  Massimera,  sur  la  rive 
gauche  du  Rokell.  Elle  rentra  à  Sierra  Leone  le  10  août. 
Huit  officiers  européens  avaient  été  tués,  tandis  que  le 
nombre  des  soldats  noirs  qui  étaient  morts  de  maladie 
ou  des  suites  de  leurs  blessures  n'avait  été  que  de  9. 
Le  nombre  total  des  blessés  s'éleva  à  140.  Sir  D.  Chal- 
mers  assure  que  97  villages  furent  détruits.  Bai  Bureh. 
ne  put  être  saisi. 

Pendant  que  ces  opérations  avaient  lieu,  une  expé- 
dition était  entreprise  dans  le  Kawaia  par  le  capitaine 
Moore  pour  assurer  la  rentrée  de  l'impôt.  Un  certain 
nombre  de  villages  furent  brûlés,  bien  qu'ils  paraissent 
ne  pas  avoir  fait  grande  opposition.  Deux  cents  livres 
sterling  furent  recueillies. 

Nous  avons  dit  que  dans  le  pays  mendi,  après  un  pre- 


l'ordonnàngb  de  1896  sur  le  protectorat  37 

mier  emprisonnemeat,  les  chefs  avaient  été  relâchés 
à  condition  qu'ils  payeraient  cinq  livres  pour  chacune 
de  leurs  villes.  C'est  du  moins  ce  qu'ils  déclarèrent 
avoir  compris.  Les  cases  furent  cependant  recensées, 
et  le  payement  de  la  taxe  exigé  en  entier.  En  mars, 
un  chef  puissant,  Mono  Ja,  fut  arrêté  pour  n'avoir 
pas  payé  l'impôt.  Pour  les  aider  dans  la  perception, 
quelques-uns  des  chefs  souverains  demandèrent  le 
concours  de  la  Pblice,  qui,  déclare  Sir  D.  Chalmers 
d'après  les  témoignages  qu'il  recueillit,  fît  preuve  de 
beaucoup  de  brutalité.  Les  exemptions  accordées  par 
le  gouverneur  ne  furent  pas  observées.  Il  semble  que 
le  procédé  le  plus  souvent  appliqué  ait  été  de  faire 
prisonniers  les  chefs  des  villages  jusqu'à  ce  que  la  taxe 
ait  été  payée.  Si  les  indigènes  tardaient  trop  à  s'exé- 
cuter, leur  case  était  brûlée. 

Tout  d'un  coup,  le  26  avril  1897,  la  région  tout 
entière  se  souleva. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  les  ihcidents  de  ce  soulè- 
vement. Ils  sont  tout  au  long  rapportés  dans  les  livres 
de  M.  AUdridge  et  du  capitaine  Wallis*.  Tous  les  sujets 
anglais  et  tous  les  noirs  parlant  anglais  qui  se  trou- 
vaient dans  le  district  de  Bandajuma,  le  Kaullu  et  le 
Sulimah  furent  tués  après  avoir  été  torturés.  M.  Wallis 
estime  à  plus  de  mille  le  nombre  des  victimes. 

Au  bout  de  peu  de  temps,  les  troupes  'de  Freetown 
parvinrent  cependant  à  maîtriser  le  mouvement,  et  des 
expéditions  furent  ensuite  dirigées  en  tout  sens  pour 
rétablir  l'autorité  anglaise. 

1.  The  advance  ofour  West  Afrîcan  Empire.  Braithwail- Wallis.  1  vol. 
Fisber-Unwin,  Londres. 


J 


CHAPITRE  IV 

SIERRA  LEONE 


L'enquête  de  Sir  David  Ghalmers. 


I 

l'opinion    de   sir   chalmers 

La  conclusion  de  Tenquêle  que  fit  Sir  D.  Chalmers 
sur  le  soulèvement  de  1897  fut  que  la  cause  primor- 
diale et  principale  du  soulèvement  avait  été  la  manière 
dont  la  taxe  avait  été  perçue. 

En  admettant  que  le  principe  même  de  la  taxe  fût 
équitable,  la  grande  erreur,  explique  le  commissaire 
du  gouvernement,  avait  été  de  ne  pas  suivre  le  pro- 
gramme tracé  tout  d'abord.  Il  aurait  fallu  agir  avec  le 
consentement  et  le  concours  des  chefs;  on  ne  s'était 
pas  arrêté  à  leurs  observations,  et  on  avait  usé  de  vio- 
lence à  leur  égard. 

Parmi  les  déclarations  les  plus  caractéristiques  qu'il 
ait  recueillies,  Sir  D.  Ghalmers  note  les  suivantes  : 

Suluku  :  «  Pendant  six  ans ,  le  gouvernement  a 
défendu  le  commerce  d'esclaves;  nous  nous  sommes 
soumis  à  cette  défense  ;  il  nous  a  dit  de  nettoyer  les 
routes,  nous  l'avons  fait;  il  nous  a  dit  de  porter  des 
charges,  nous  les  avons  portées  ;  de  grands  chefs  ont 


l'enquête  de  sir  David  chalmers  39 

été  mis  en  prison  en  présence  de  leur  femme,  de  leurs 
enfants  et  de  leurs  sujets,  nous  n'avons  rien  dit;  mais 
maintenant  on  nous  dit  de  payer  5  shillings  par  case, 
c'est  trop.  Payer  pour  une  chose  signifie  dans  nos  pays 
que  nous  n'en  avons  pas  la  propriété.  » 

Ben  Sherbro  :  «  Lorsque  le  docteur  Hoode  m'a  dit 
que  nous  devrions  payer  les  taxes,  je  lui  ai  répondu 
que  nous  n'étions  pas  habitués  à  payer  des  taxes  et  que 
je  devais  prendre  l'avis  des  autres  chefs  avant  de  me 
décider.  Parmi  toutes  les  dispositions  de  l'ordonnance, 
la  Hut-tax  est  la  seule  que  nous  craignons;  nous  n'a- 
vons pas  d'argent.  » 

Pa  Nanbana  :  «  Le  Gouvernement  avait  dit  qu'il 
n'était  pas  en  guerre  avec  nous,  mais  il  a  enchaîné  les 
chefs.  Nous  étions  découragés  de  nous  plaindre  parce 
que  c'était  sans  résultat  et  que  les  policiers  nous  trai- 
taient plus  mal  ensuite.  Le  peuple  avait  le  sentiment 
qu'en  payant  U  taxe  ii  abandonnait  ses  droits  de  pro- 
priété sur  les  cases.  » 

Cependant,  nous  verrons  que  l'opinion  de  Sir  D. 
Ghalmers  ne  fut  pas  partagée  par  le  gouvernement, 
qu'aussi  bienla  plupart  des  fonctionnaires  de  Sierra 
Leone  pensèrent  que  ce  n'était  pas  dans  la  taxe  sur  les 
cases  qu'il  fallait  chercher  la  cause  principale  du  sou- 
lèvement. 

Le  gouverneur*  adressa  aux  District  Gommissioners 
un  questionnaire  dans  lequel  il  leur  demandait  quelle 
était,  d'après  eux,  cette  cause  et  dans  quelle  mesure 
le  soulèvement  pouvait  être  attribué  à  la  Hut-tax,  aux 
agissements  des  sociétés  secrètes,  à  l'abolition  de  l'es- 

1,  Loeo  ciL,  LXXIII. 


40  SIERRA    LEONE 

clavage  ou  à  un  désir  d'indépendapce.  On  peut  résumer 
leurs  réponses  de  la  manière  suivante  : 

L'acting  District  Commissioner  de  Bandajuma  attri- 
bue le  soulèvement  au  désir  des  indigènes  d'échapper 
à  la  loi  anglaise,  surtout  parce  que  celle-ci  arrête  le 
commerce  des  esclaves.  L'acting  District  Commissio- 
ner de  Panguma  y  voit  une  aversion  enracinée  pour 
toute  tentative  de  civilisation  et  la  haine  du  blanc  éta- 
bli dans  le  pays.  Le  District  Commissioner  de  Karene 
estime  que  les  indigènes,  poussés  parles  chefs  rebelles 
et  probablement  influencés  par  de  mauvais  conseils 
venant  de  personnes  instruites,  essayèrent  de  se  débar- 
rasser du  pouvoir  anglais.  Ils  avaient  saisi  comme  pré- 
texte de  rébellion  la  perception  de  la  taxe,  plutôt  que 
l'abolition  de  l'esclavage,  persuadés  que  cette  raison 
serait  accueillie  avec  plus  de  bienveillance  en  Angle- 
terre. Le  District  Commissioner  de  Ronietta  déclare 
également  que  le  mécontentement  des  chefs  datait  de 
l'abolition  de  l'esclavage,  qui  leur  avait  enlevé  tout 
pouvoir  sur  leurs  travailleurs.  M.  AUdridge,  District 
Commissioner  de  Bonthe,  est  d'avis  que  la  Hut-tax  ne 
peut  être  la  cause  principale  du  soulèvement,  car  celui- 
ci  s'était  étendu  aux  régions  qui,  comme  le  Sherbro,  fai- 
saient partie  de  la  colonie  et  n'étaient  pas  soumises  à  cet 
impôt.  II  reconnaît  cependant  que  la  taxe  a  pu  être 
considérée  par  les  indigènes  comme  une  nouvelle 
atteinte  à  leur  liberté.  Pour  lui,  la  suppression  de  l'es- 
clavage et  la  réduction  du  pouvoir  des  chefs  devaient 
être  surtout  mis  en  cause.  M.  Parkes,  secrétaire  pour 
les  affaires  indigènes,  trouve  les  principales  raisons  du 
soulèvement  non  pas  seulement  dans  la  Hut-tax,  mais 
encore  dans  l'attitude  des  femmes  et  des  captifs,  qui 


l'bNQUÊTE    DB    sir    DAVID    CHALMBRS  41 

retusaient  d'obéir  à  leurs  maîtres  depuis  que  ceux-ci 
n'avaient  plus  les  pouvoirs  d'autrefois,  dans  la  con- 
duite de  quelques-uns  des  gardes  de  la  Police,  dans 
la  suppression  complète  du  commerce  des  esclaves 
et  dans  la  limitation  de  la  compétence  judiciaire  des 
chefs. 

Les  missionnaires  interrogés  manifestèrent  des  opi- 
nions analogues,  assurant  en  outre  que  les  empêche- 
ments rencontrés  parmi  les  noirs  dans  leurs  pratiques 
fétichistes  les  avaient  portés  à  étendre  leur  vengeance 
à  toute  personne  parlant  la  langue  anglaise  et  montrant 
par  là  des  complaisances  pour  cette  civilisation  qu'ils 
ne  voulaient  pas  recevoir. 

-  Ces  divers  témoignages  ne  convainquirent  pas  Sir 
D.  Chalmers,  qui  s'exprime  en  ces  termes  à  leur 
sujet  : 

«  Je  conviens  avec  M.  Parkes  et  M.  Alldridge  que  la 
diminution  de  la  compétence  judiciaire  des  chefs  fut 
un  sérieux  sujet  de  grief,  non  pas  tant,  cependant,  parce 
qu'elle  restreignait  leurs  ressources,  mais  parce  qu'elle 
portait  atteinte  à  leur  situation  dans  le  pays.  Mais  la 
question  principale  est  de  savoir  si  ces  divers  griefs 
eussent  été  suffisants  pour  entraîner  la  révolte  contre 
la  loi  anglaise  s'il  n'y  avait  pas  eu  la  Hut-tax...  On  ne 
doit  pas  oublier  qu'il  y  avait  des  raisons  qui  devaient 
attacher  le  peuple  de  l'Hinterland  de  Sierra  Leone  à  la 
loi  anglaise.  Le  chef  et  le  peuple  savaient  que  le  gou- 
vernement avait  supprimé  les  guerres  entre  tribus,  et 
cela  était  généralement  considéré  comme  une  bonne 
chose.  Le  gouvernement  avait  en  outre  protégé  les 
indigènes  contre  les  Susus  et  les  Bofas.  Les  chefs  com- 
prenaient, en  outre,  que  si  l'Angleterre    abandonnait 


1 


42  SIERRA    LEONE 

Sierra  Leone,  leur  territoire  serait  bientôt  soumis  à  un 
autre  pouvoir  européen  qui  les  gouvernerait  très  pro- 
bablement d'une  façon  plus  rude  que  l'Angleterre.  On 
doit  considérer,  du  reste,  bien  plutôt  les  témoignages 
des  chefs  que  ceux  des  District  Gommissioners,  et 
dans  toutes  les  dépositions  que  j'ai  recueillies  je  n'ai 
point  vu  que  la  suppression  de  l'esclavage,  la  diminu- 
tion de  la  compétence  des  chefs  ou  des  pouvoirs  des 
féticheurs,  aient  été  des  raisons  suffisantes  pour  pro- 
voquer la  rébellion.  Celle-ci  était  tout  entière  attri- 
bue à  la  Hut-tax  et  aux  sévérités  qui  en  avaient  marqué 
l'application.  Les  autres  causes  que  Ton  a  mentionnées 
n'étaient  tout  au  plus  qu'incidentes. 

Dans  une  lettre  du  28  mai  1898,  dans  laquelle  il  expri- 
mait ses  vues  sur  les  motifs  du  soulèvement,  Sir  F. 
Gardew  écrivait  au  secrétaire  d'Etat  :  «  Je  suis  disposé 
à  admettre  que  c'est  l'établissement  de  la  taxe  sur  les 
cases  qui  a  été  la  cause  provocatrice  des  troubles  {ivas 
the  exciting  cause  of  the  disturbances) ,  et  je  désire 
ajouter  que  ma  conviction  est  que  si  les  habitants 
de  Freetown,  la  presse  et  les  commerçants  avaient 
loyalement  aidé  le  gouvernement  dans  sa  politique  ou 
même  étaient  restés  neutres,  la  taxe  aurait  été  payée 
sans  troubles.  Mais  le  contraire,  j'ai  le  regret  de  le 
dire,  a  eu  lieu,  la  presse  a  directement  encouragé  les 
indigènes  à  ne  pas  payer  la  taxe.  » 

L'attorney  général  assura  de  son  côté  que  trois  arti- 
cles du  Sierra  Leone  Times  et  du  Sierra  Leone  Weekly^ 
Nen's  pouvaient  être  particulièrement  incriminés,  et 
que,  bien  qu'insuffisants  pour  entraîner  des  poursuites 
pour  excitation  à  la  révolte,  ils  n'étaient  certainement 
pas  faits  pour  ramener  la  paix  dans  l'intérieur. 


l'enquête    de    sir    DAVID    CHALMBRS  43 

Sîr  D.  Chalmers  déclare  s'être  livré  à  une  enquête 
détaillée  à  ce  sujet,  et  naturellement  il  ne  partage 
point  cet  avis.  Tout  ce  qu'il  a  pu  relever,  c'est  que  les 
journalistes  s'étaient  bornés  à  rendre  compte  des  évé- 
nements tels  qu'ils  s'étaient  produits.  Il  n'a  pas  pu 
trouver,  dit-il,  dans  les  collections  complètes  de  jour- 
naux qu'il  a  examinées  autre  chose  qu'une  critique 
modérée  et  convenable  de  la  Protectorate  Ordinance. 
Lorsque  l'ordonnance  fut  rendue,  les  journaux  lui 
accordèrent  crédit  pendant  quelque  temps.  Lorsque 
des  désastres  arrivèrent,  ce  ne  fut  pas  tant  le  système 
établi  que  les  abus  du  pouvoir  commis  par  la  Police 
et  les  Di^rict  Cominissioners  qui  furent  fortement 
critiqués.  Bai  Bureh  fut  considéré  par  eux  comme  un 
ennemi  généreux.  Le  commissaire  du  gouvernement 
ajoute  :  «  Je  n'ai  trouvé  dans  aucune  publication  des 
encouragements  à  ne  pas  payer  la  taxe.  L'opinion  cons- 
tante a  été  que,  quelque  erreur  qui  ait  pu  être  com- 
mise de  la  part  du  gouvernement  et  de  ses  fonction- 
naires, la  première  chose  à  faire  était  d'arrêter  le 
soulèvement.  Lire  entre  les  lignes  de  façon  à  trouver 
dans  une  publication  ce  qui  n'y  est  pas  dit  est,  dans 
mon  opinion,  une  méthode  de  jugement  fâcheuse.  Si 
c'est  la  fonction  naturelle  de  la  presse  dans  une  colo- 
nie de  soutenir  le  gouvernement  dans  tous  ses  actes 
et  de  passer  sur  les  conséquences  de  ces  actes  quelque 
déplorables  qu'ils  soient,  la  presse  de  Sierra  Leone 
n'a  certainement  pas  répondu  à  cette  définition,  et 
je  pense  qu'il  est  avantageux  pour  un  gouvernement, 
môme  dans  le  cas  où  s'est  placé  celui  de  Sierra  Leone, 
de  voir  sa  politique  et  ses  actions  publiquement  et 
librement  discutées  aussi  longtemps  que  les  faits  ne 


44  SIERRA    LEONE 

sont  pas  déformés  et  que  les  commentaires  ne  s'ap- 
puient pas  sur  une  fausse  interprétation.  » 

Sir  D.  Chalmers  assure  n'avoir  pu  relever  du  reste 
aucune  trace  d'une  influence  exercée  sur  les  indigènes 
de  l'intérieur  par  les  journaux  de  Sierra  Leonç. 

Il  se  refuse  de  même  à  admettre  que  les  indigènes 
ou  les  commerçants  de  Freetown  purent  exercer  une 
grande  influence  en  la  matière.  «  Il  y  eut,  il  est  vrai, 
dit-il,  à  Freetown  une  ferme  opinion  contraire  à  de 
nombreuses  dispositions  de  la  Protectorate  Ordinance, 
et  l'écho  put  en  parvenir  à  quelques-uns  des  chefs; 
mais  on  peut  se  rendre  compte,  par  la  date  des  pre- 
mières pétitions  et  par  d'autres  témoignag'es,  que  les 
chefs  et  les  indigènes  s'étaient  fait,  à  eux  seuls,  une 
opinion  très  nette  sur  l'ordonnance. 

Sir  D.  Chalmers  ne  se  contenta  pas  d'attribuer  à 
la  manière  dont  on  avait  appliqué  la  taxe  sur  les  cases 
la  principale  cause  du  soulèvement;  il  déclara  que 
l'institution  était  fâcheuse  et  inadmissible. 

La  taxe  était  contraire  aux  progrès  de  la  civilisation 
chez  les  noirs,  parce  qu'elle  les  encourageait  à  ne  pas 
augmenter  le  nombre  ou  le  confort  de  leurs  habitations. 
Son  taux,  qui  était  peut-être  admissible  dans  les  régions 
riches  en  palmiers,  était,  d'une  manière  générale,  beau- 
coup trop  élevé.  La  législation  qui  l'avait  établie  était 
du  reste  insuffisante,  car,  si  elle  rendait  les  chefs  respon- 
sables de  son  payement,  elle  ne  leur  donnait  aucun  moyen 
de  l'exiger  des  indigènes  placés  sous  leurs  ordres.  La 
raison  que  l'on  avait  invoquée  pour  l'établir  était  injuste, 
car  si  la  colonie  était  censée  ne  pas  pouvoir  subvenir 
aux  dépenses  du  protectorat,  elle  n'en  gardait  pas 
moins  pour  elle  les  recettes  douanières  perçues  sur 


l'enquête    de    sir    DAVID    CHALMERS  45 

des  marchandises  dont  82  p.  100  étaient  destinés  au 
Protectorat. 


Après  s'être  efforcé  ainsi  de  déterminer  la  nature  du 
soulèvement  et  ses,  causes,  le  commissaire  du  gouver- 
nement entreprit  de  rechercher  quelle  politique  il  fal- 
lait suivre  vis-à-vis  des  indigènes  pour  leur  rendre  con- 
fiance en  l'administration  anglaise,   comment  on  pour- 
rait éviter  le  retour  de  difficultés  analogues  à  celles  qui 
avaient  marqué  les  premiers  efforts  faits  pour  gouver- 
ner les  terres  de  THinterland  de  Sierra  Leone.  Il  demanda 
tout  d'abord,^  dans  son  rapport,  une  amnistie  générale 
giu  bénéfice  des  personnes  qui  avaient  pris  part  au  sou- 
lèvement et  l'arrêt  des  «  punitive  expéditions  ».  C'était 
le  seul  moyen  de  faire  renaître  le  calme  et  devoir  cesser 
l'état  défensif  sur  lequel  se  tenaient  les  indigènes  du 
Protectorat.  Il  déclarait  qu'il  n'accepterait  cependant  pas 
sans  réserve  des  informations  qui  tendraient  à  affirmer 
un  retour  rapide  de  la  confiance  et  de  la  prospérité 
commerciale.  Le  gouvernement  devait  avoir  lieu  par 
l'intermédiaire  des  chefs,  et  non  point  à  l'aide  de  magis* 
trats  ne  connaissant  ni  le  pays,  ni  ses  usages,  ni  sa  lan- 
gue, et  ayant  une  tendance  à  vouloir  imposer  à  ces  peu- 
ples primitifs  les  institutions  anglaises  qu'ils  n'étaient 
point  prêts  à  recevoir.  Le  concours  sincère  de  ces  chefs 
ne  pouvait  être  obtenu  qu'en  supprimant  les  causes  d'ir- 
ritation qui  dérivaient  des  exactions  de  la  Police.  Tous 
les  petits  postes  devaient  être  supprimés,  et  les  seuls  que 
Ton  pouvait  conserver  à  la  rigueur  étaient  ceux  destinés 
à  empêcher  la  contrebande  sur  les  frontières  ;  il  fallait 
changer  fréquemment  les  hommes  de  ces  postes  et  leur 
défendre  absolument  d'intervenir  dans  les  discussions 


46  SIEKUA    LEONE 

entre  indigènes.  La  Fronlier  Police  devait  être  incorpo- 
rée avec  les  régiments  établis  à  Sierra  Leone.  Pendant 
quelque  temps  un  détachement  de  50  à  80  hommes  pour- 
rait être  cantonné  auprès  des  chefs  de  districts,  mais  il 
devrait  être  entendu  que,  puisque  ceux-ci  devaient 
cesser  de  se  servir  des  hommes  de  la  police  comme 
émissaires  ou  exécuteurs  de  leurs  ordres,  les  forces  de 
ce  détachement  ne  pourraient  être  utilisées  qu'en  cas 
d'absolue  nécessité,  pour  rétablir  la  paix  troublée  par 
quelque  chef  puissant  sans  que  les  autres  chefs  puis- 
sent y  suffire  d'eux-mêmes,  ou  pour  repousser  des 
attaques  venant  de  l'extérieur.  Dans  tous  les  cas,  l'assen- 
timent du  gouvernement  devrait  être  toujours  néces- 
saire. Avec  une  bonne  administration  on  devait,  du 
reste,  pouvoir  concentrer  ces  détachements  dans  Free- 
town  ou  dans  tout  autre  centre  facile  d'accès. 

Les  District  Commissioners  pourraient  être  conser- 
vés, mais  à  condition  de  prendre  le  caractère  de  rési- 
dents dont  le  principal  devoir  serait  d'assister  les  chefs; 
ils  ne  devraient  pas  être  des  magistrats  ou  des  sortes 
de  députés-gouverneurs  dds  districts.  Les  chefs  devaient 
être  autorisés  à  venir  voir  le  gouverneur  à  Sierra  Leone 
autant  qu'ils  le  jugeraient  bon,  sans  être  obligés  d'avoir 
l'autorisation  du  District  Commissioner.  Ce  serait  là 
une  bonne  source  d'information  pour  le  gouverneur  et 
une  cause  de  confiance  pour  les  indigènes.  Au  point  de 
vue  de  l'administration  de  la  justice,  les  résidents  pou- 
vaient avoir  les  pouvoirs  des  justices  de  paix  (justice 
of  the  peace).  A  ce  titre,  ils  examineraient  les  crimes 
entraînant  la  peine  de  mort  que  la  Suprême  Court  avait 
seule  le  droit  de  prononcer.  Le  soin  de  juger  toutes 
les  autres  causes   criminelles  ou  civiles  devrait  être 


l'enquête    de    sir    DAVID    CHALMERS  47 

laissé  entre  les  mains  des  chefs  des  tribunaux  indigè- 
nes. L'agent  du  district  pourrait  avoir  le  droit  de  siéger 
comme  président  dans  les  tribunaux  indigènes  lorsqu'il 
le  jugerait  bon;  sa  voix  pourrait  être  prépondérante 
clans  certains  cas;  mais  il  prendrait  toujours  grand  soin 
de  considérer  les  avis  des  chefs  et  d'observer  les  lois 
et  les  coutumes  indigènes  toutes  les  fois  qu'elles 
n'auraient  pas  un  caractère  contraire  à  Féquilé,  en 
particulier  en  matière  foncière;  un  droit  d'appel  dans 
tous  les  cas  devrait  exister  devant  la  Suprême  Court, 
soit  à  Free  Town,  soit  devant  un  juge  qui  circulerait 
dans  l'intérieur.  Toutes  les  fois  qu'un  tribunal  indigène 
n'aurait  pas  le  droit  de  juger  un  chef,  celui-ci  ne  devrait 
relever  que  de  la  juridiction  de  la  Suprême  Court  ou 
du  gouverneur.  C'est  là  un  privilège  auquel  paraissent 
tenir  beaucoup  les  indigènes. 

Par-dessus  tout,  il  fallait  supprimer  la  taxe  sur  les 
cases  ;  le  calme  qui  en  renaîtrait  serait  la  plus  sure  garan- 
tie de  la  prospérité  du  commerce  et  de  l'augmentation 
des  receltes  douanières.  On  pourrait  peut-être  dans 
l'avenir  songer  à  demander  aux  indigènes  du  protec- 
torat de  subvenir  directement  aux  dépenses  de  leur 
administration;  mais  ce  ne  devrait  être  qu'avec  le  plein 
consentement  et  à  l'aide  d'un  système  n'ayant  pas  la 
rigidité  de  la  Hut-tax.  Les*ressources  immédiates  pou- 
vaient du  reste  être  très  facilement  obtenues  par  une 
légère  augmentation  des  droits  de  douanes  sur  le  tabac 
et  le  sel.  Les  économies  que  l'on  ferait  en  diminuant 
les  forces  de  la  Frontier  Police  et  les  incorporant  au 
West  African  régiment  permettraient  du  reste  de 
subvenir  aux  dépenses  du  protectorat. 

Sir  D.  Chalmers  concluait  ainsi  :  «  Faites  que  les  causes 


48  SIERRA    LEONE 

d'irritation  disparaissent,  et  par  tous  les  moyens  rétablis- 
sez la  confiance  qui  a  été  détruite;  faites  que  les  fonc- 
tionnaires coloniaux,  depuis  le  plus  élevé  jusqu'au  plus 
humble,  comprennent  que  les  sujets  du  Protectorat  ont 
des  droits,  et  que  ce  doit  être  une  œuvre  de  patience 
plutôt  que  de  force  de  leur  montrer  qu'ils  ont  aussi  des 
obligations  et  des  devoirs  envers  le  pouvoir  qui  les 
protège;  faites  que  le  gouvernement  soit  établi  sur  des 
principes  stables  de  justice,  et  non  sur  un  opportunisme 
guidé  par  le  hasard;  faites  que  les  chefs  reprennent  la 
place  qu'ils  doivent  avoir  dans  le  pays  ;  établissez  une 
surveillance  habile  ne  se  faisant  sentir  que  par  un  mi- 
nimum d'intervention;  que  l'agriculture  et  les  autres 
industries  viennent  remplacer  les  disputes  entre  tribus; 
laissez  exercer  l'influence  civilisatrice  des  missionnai- 
res bien  dirigés...,  et  vous  pourrez  être  assurés  qu'avec 
rélévation  continuelle  du  niveau  de  la  civilisation,  de 
l'accroissement  de  la  population  et  de  l'industrie  qui 
en  résulteront,  il  naîtra  des  ressources  suffisantes  pour 
tous  les  besoins,  tandis  que  toute  tentative  faite  pour 
se  procurer  un  revenu  à  l'aide  de  procédés  inadéquats 
et  imprévoyants  conduiront  à  un  échec.  » 

II 

l'opinion     de     sir    F.     CARDEW 

Les  résultats  de  l'enquête  poursuivie  par  Sir  D.  Chai- 
mers  furent  communiqués  à  Sir  F.  Gardew.  Celui-ci  en 
fit  une  assez  vive  critique. 

Tout  d'abord  le  gouverneur  trouva  un  peu  étrange 
que  le  Royal  Gommissioner  ait  passé  à  Free  Town  toute 


l'enquête    de    sir    DAVID    CHALMERS  49 

la  durée  de  son  séjour.  Il  aurait  pu  sans  difficulté  se 
rendre  par  steamer  à  Port  Lokko  ou  à  Bonthe,  où  il 
aurait  été  sur  les  lieux  mêmes  du  soulèvement,  et,  s'il 
avait  parcouru  un  peu  l'intérieur,  il  aurait  pu  se  faire 
une  opinion  personnelle  peut-être  plus  exacte  que  celle 
qu'il  a  pu  acquérir  en  interrogeant,  il  est  vrai,  272 
personnes  et  en  leur  posant  8.617  questions.  Il  aurait 
pu  éviter  de  faire  le  jeu  de  certaines  personnes  qui  se 
sont  attachées  à  faire  produire  devant  lui  à  peu  près 
tous  les  témoignages  qui  pouvaient  être  hostiles  au 
gouvernement. 

Sir  F.  Gardew  reconnaît  qu'il  a  été  l'instigateur  de 
la  Hut-tax,  mais  il  en  accepte  la  pleine  responsabilité, 
tout  en  déplorant  profondément  les  événements  qui  ont 
marqué  sa  perception.  Il  n'y  avait  pas  d'autre  moyen, 
d'après  lui,  de  se  procurer  les  foiids  qui  étaient  absolu- 
ment indispensables  à  la  construction  du  chemin  de  fer 
et  au  développement  du  pays.  Le  commissaire  du  gou- 
vernement estime  que  cet  impôt  n'aurait  du  être  insti- 
tué qu'avec  le  consentement  des  indigènes  :  l'échec 
de  précédentes  tentatives  montre  comment  il  n'y  a  là 
qu'une  utopie.  En  1865,  Sir  Samuel  Rovve  demanda  au 
Législative  Council  de  voter  l'établissement  d'impôts 
directs  dans  la  colonie;  mais  l'opposition  des  membres 
non-fonctionnaires  et  de  la  population  fut  telle  que  le 
projet  dut  être  abandonné,  et  il  en  a  été  de  même  de 
toutes  les  tentatives  qui  ont  été  souvent  répétées  par 
la  suite. 

Sir  D.  Chalmers  condamne  les  dispositions  de  la 
Proteçtorate  Ordinance  à  d'autres  points  de  vue,  no- 
tamment parce  qu'elle  limite  la  juridiction  légale  des 
chefs  et  qu'elle  donne  au  gouverneur  le  droit  de  dis- 


50  '  SIERRA    LEONE 

poser  des  terres  vacantes  et  inhabitées  et  de  bannir  du 
territoire  qui  il  jugera  convenable.  «  On  peut  se  deman- 
der, dit  Sir  F.  Gardew,  si  un  gouvernement  civilisé  a 
tort  de  chercher  à  empêcher  les  iniquités  qui  se  pro- 
duisent souvent  dans  les  tribunaux  de  chefs,  devant  les- 
quels l'innocent  doit  boire  une  décoction  empoisonnée 
ou  plonger  ses  mains  dans  Teau  bouillante  et  qui,  comme 
punition,  pratiquent  la  mort,  la  mutilation,  la  mise  en 
esclavage  et  Tinterdiction  absolue  de  toute  propriété, 
y  compris  celle  d'avoir  des  femmes  et  des  enfants. 

a  Les  dispositions  qui  concernaient  les  terres  vacan- 
tes avaient  été  prises  avec  les  meilleures  intentions, 
dans  le  but  de  repeupler  les  parties  de  la  colonie  qui 
avaient  été  dévastées  par  les  guerres  entre  tribus.  Ces 
dispositions  ont  été  rapportées;  mais  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  qu'il  a  été  de  pratique  constante  que  l'éta- 
blissement d'un  protectorat  entraînait  l'attribution  des 
terres  vacantes  au  -profit  du  gouvernement  anglais. 
Des  chefs  se  sont  plaints  de  ne  pouvoir  s'adresser  au 
gouverneur  sans  passer  par  l'intermédiaire  deà  com- 
missioners;  mais  il  y  a  là  une  règle  de  bonne  admi- 
nistration qui  s'impose  et  qui  est  en  vigueur  dans 
toutes  les  colonies,  car,  dans  la  plupart  des  cas,  le 
gouverneur  ne  peut  se  faire  une  opinion  sur  les  desi-' 
derata  ou  les  réclamations  des  chefs  s'il  ne  connaît 
tous  les  côtés  de  la  question.  » 

Sir  D.  Ghalmers  s'étonne  de  la  sévérité  qui  a  été 
apportée  à  la  perception  de  la  taxe,  étant  donné  la 
modération  des  instructions  qui  avaient  été  données 
par  le  gouverneur.  Les  Commissioners,  répond  à  cela 
Sir  F.  Garde w,  n'ont  agi  comme  ils  l'ont  fait  que  parce 
qu'ils  y  ont  été  obligés  par  les  circonstances.  Les  indi- 


L^ENQUÉTE    DE    SIR    DAVID    CHALMERS  51 

gènes  auxquels  ils  ont  eu  affaire  étaient  des  sauvages, 
tous  plus  ou  moins  armés;  ils  parcouraient  le   pays 
en  nombreuses  troupes  dans  le  but  de*  s'opposer  à 
la  perception  de  l'impôt;  les  tentatives  de  persuasion 
auraient  été  interprétées  comme  un  aveu  de  faiblesse, 
et  il  est  difficile  de  voir  quelles  mesures,  autres  que 
la  répression,  auraient  pu  prendre  les  District  Com- 
missioners.   Le  pays   était  eu  état  d'insurrection.   Le 
10  janvier  1898,  le  D^  Hood  écrit  que  les  régions  de 
Bagru  et  de  Mabanta  étaient  dans  un  état  très  trou- 
blé, qu'un  garde  avait  été  battu  et  jeté  à  l'eau,  que  les 
principaux  chefs  timinis  avaient  décidé  de  ne  pas  payer 
la  taxe,  que  la  plupart  des  chefs  de  son  district  n'a- 
vaient fait  aucun  effort  pour  l'acquitter.  A  la  même 
date,  le  capitaine  Carr  fait  part  d'un  rassemblement  de 
4.000  ou  5.000  hommes  qui  sont  dans  un  état  d'excita- 
tion tel  que  la  moindre  maladresse  aurait  pu  causer 
un  massacre  général,  car,  pour  éviter  tout  caractère 
de  coercition  à  la  levée  de  l'impôt,  on  avait  laissé  les 
gardes    sans  armes.  Le  19  février  1898,  le  capitaine 
Sharpe  rend  compte  de  l'état  troublé  du  district  de 
Karene;   sa  tentative  pour  arrêter  Bai  Bureh  échoue 
devant  la  force  des  bandes  armées  par  celui-ci  pour 
s'opposer  à  la  perception  de  la  taxe.  Le  D"^  Moore  si- 
gnale les  préparatifs  de   résistance   qu'il  a   observés 
pendant  sa  tournée  du  19  février  dans  le  Kwaia. 

Sir  F.  Cardew  reconnaît  qu'il  n'avait  'peut-être  pas 
prévu  que  cette  résistance  devait  être  aussi  grande.  Il 
aurait  dû  peut-être,  dit- il,  ajouter  une  plus  grande 
importance  qu'il  ne  le  fit  à  l'opposition  qui  a  toujours 
existé  à  Freetown  contre  les  impôts  directs,  et  à  l'in- 
fluence que  les  Sierra  Léonais  pouvaient  exercer  en 


52  SIERBA    LEONE 

cette  matière  sur  les  chefs.  Il  se  trouvait  en  congé,  en 
Europe,  en  1897,  pendant  que  les  chefs  timinis  étaient 
à  Freetown,  et  il  ne  se  rendit  compte  de  l'agitation 
qui  avait  eu  lieu  qu'à  son  retour,  le  7  novembre.  «  Il 
était  naturellement  alors  trop  tard,  ajoute-t-il,  pour 
adoucir  les  dispositions  prises  [to  îiiitigate  circumstan' 
ces),  en  admettant  même  que  cela  eût  été  politiquement 
désirable,  étant  donné  les  grandes  concessions  qui 
avaient  déjà  été  faites  et  correspondaient  à  l'abandon 
d'à  peu  près  la  moitié  de  ce  qui  aurait  dû  être  perçu. 
Il  était  évident  du  reste  que  les  chefs  ne  se  seraient 
tenus  pour  satisfaits  que  si  le  gouvernement  avait 
renoncé  au  tout.  Gomme  cet  abandon  était  impossible, 
je  n'avais  autre  chose  à  faire  qu'à  attendre  les  événe- 
ments, convaincu  qu'il  y  avait  à  Freetown  une  force 
militaire  amplement  suffisante  pour  intimider  toute 
opposition  violente,  et  je  dois  mentionner  qu'à  la  pre- 
mière indication  des  troubles  j'avais  pris  la  précaution 
d'inviter  les  District  Gommissioners  à  constituer,  dans 
leurs  postes,  des  approvisionnements  de  bouche  pour 
trois  mois.  Malheureusement  les  opérations  furent 
retardées  dans  le  district  de  Karene  par  des  circons- 
tances fortuites  auxquelles  il  avait  été  impossible  de 
parer,  et  c'est  ce  retard  qui  avait  encouragé  les  Mendis 
à  se  soulever.  » 

Sir  F.  Gardew  examine  le  commentaire  que  le  com- 
missaire du  gouvernement  donne  de  la  façon  dont  ont 
été  entreprises  les  diverses  campagnes  qui  ont  eu  lieu 
dans  le  pays  timini  et  le  Kwaia.  Alors  que  Sir  D.  Ghal- 
mers  s'était  attaché  à  montrer  que  les  indigènes  étaient 
restes  sur  la  défensive  et  n'avaient  rien  fait  pour  pro- 
voquer les   Anglais,   le  gouverneur  de  Sierra    Leone 


l'enquête    de    sir    DAVID    CHALMBRS  53 

montre  quel  rôle  hostile  a  été  joué  par  les  différents 
chefs  contre  lesquels  les  troupes  anglaises  ont  dû  agir, 
et  défend  ses  fonctionnaires  contre  les  allégations  du 
commissaire  anglais. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  cette  polémique,  dont  les 
détails  ne  nous  fourniraient  que  peu  d'éléments  pour 
l'étude  de  la  politique  suivie  à  Sierra  Leone.  11  nous 
faut  noter  cependant  que,  tandis  que  Sir  D.  Chalmers 
estime  que  les  poursuites  dirigées  contre  les  chefs  qui 
se  sont  refusés  à  payer  Timpôt  ont  été  illégales,  en  ce 
sens  que  l'ordonnance  n'a  point  fait  de  ce  refus  un 
délit,  Sir  F.  Cardew  explique  que  ces  poursuites  étaient 
légales,  en  ce  sens  que  la  conduite  de  ces  chefs  était 
visée  par  les  articles  de  l'ordonnance  disposant  que 
serait  coupable  de  délit  [offence)  :  «  Tout  chef  qui, 
ayant  reçu  l'ordre  du  gouverneur  ou  de  son  délégué  de 
faire  ou  de  ne  pas  faire  un  acte  public,  ne  se  confor- 
merait pas  à  cet  ordre;  toute  personne  qui  s'opposerait 
ou  qui  conspirerait  avec  d'autres  pour  s'opposer  à 
l'exécution  de  la  loi  ou  à  l'action  d'un  officier  public 
dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  ou  qui  refuserait  de 
l'aider  à  se  saisir  des  criminels  lorsqu'il  en  serait 
légalement  requis,  serait  coupable  d'un  délit  [guilty 
ofaii  offence).  » 

Sir  F.  Cardew  défend  la  Police  contre  la  plupart  des 
accusations  qui  ont  été  portées  contre  elle  par  Sir  D. 
Chalmers,  en  expliquant  que  les  moindres  fautes  des 
gardes  étaient  dénoncées  et  que  souvent  ils  étaient 
accusés  d'exactions  qu'ils  n'avaient  pas  commises.  Les 
hommes  de  la  Frontier  Police  étaient  profondément 
détestés,  non  seulement  par  les  chefs,  mais  encore  par 
les  Sierra  Léonais,  parce  qu'ils  représentaient  l'auto- 


54  SIERRA    LEONE 

rite  qui  avait  supprimé  l'esclavage,  parce  que  leur  pré- 
sence avait  beaucoup  contribué  à  empêcher  les  actes 
d'oppression  commis  par  les  chefs,  et  parce  qu'ils  pro- 
tégeaient les  indigènes  contre  les  escroqueries  com- 
mises par  les  commerçants  sierra  léonais.  Le  gouver- 
nement n'avait,  du  reste,  cessé  de  punir  avec  la  plus 
grande  sévérité  les  exactions  dont  les  gardes  de  Police 
avaient  pu  être  reconnus  coupables. 

En  somme,  l'opinion  de  Sir  F.  Cardew  sur  les  causes 
du  soulèvement  est  complètement  opposée  à  celle  pro- 
fessée par  Sir'D.  Chalmers. 

D'après  le  gouverneur,  les  chefs  avaient  essayé  de  se 
révolter  contre  le  pouvoir  anglais  parce  que  celui-ci  les 
empêchait  de  pratiquer  comme  autrefois  leurs  exac- 
tions et  de  s'enrichir  en  trafiquant  de  la  justice  et  pra- 
tiquant la  traite  des  esclaves.  Ils  avaient  réussi  à  per- 
suader aux  indigènes  que  le  pouvoir  des  Anglais  était 
néfaste.  Si  tous  les  noirs  qui  avaient  pris  part  au  sou- 
lèvement assuraient  qu'ils  s'étaient  révoltés  parce  qu'on 
voulait  mettre  une  taxe  sur  leurs  cases,  c'était  parce 
que  les  chefs  avaient  été  assez  habiles  pour  leur  pré- 
senter cet  impôt  comme  la  manifestation  suprême  de 
cette  autorité  qu'ils  voulaient  détruire.  Le  massacre  des 
missionnaires  européens  et  indigènes,  assez  inexplica- 
ble si  on  l'attribue  à  une  protestation  contre  la  taxe,  se 
comprend  assez  si  l'on  admet  qu'il  était  une  réaction 
contre  la  civilisation  qu'ils  voulaient  introduire.  Le 
Royal  Commissioner  avait  expliqué  que  lorsque  la  Pro- 
tectorate  Ordinance  avait  été  mise  en  vigueur  les  prati- 
ques de  l'esclavage  avaient  cessé,  et  que  les  noirs  com- 
mençaient à  apprécier  l'avantage  de  la  liberté.  En  fait, 
en  1894,  les  razzias  d'esclaves  étaient  aussi  nombreuses 


L*£NQUÊTB    DB    SIR    DAVlî)    CHALMERS  55 

que  par  le  passé,  et  il  y  avait  un  système  organisé  d'é- 
changes entre  la  colonie  et  les  possessions  françaises. 
Les  fonctionnaires  et  les  missionnaires,  qui,  tous, 
avaient  une  profonde  expérience  du  pays,  attribuaient 
aux  entraves  apportées  à  ces  commerces  Tirritation 
des  chefs. 

Le  désir  de  ne  pas  payer  la  taxe  devait  agir,  assure 
Sir  F.  Cardew,  comme  une  excitation  à  la  révolte,  et  en 
cela,  quoi  qu'en  ait  pensé  le  Royal  Commissioner, 
l'influence  des  indigènes  de  Freetown  devait  se  faire 
sentir  d'une  façon  déplorable.  La  manière  dont  les 
journaux  discutaient  les  ordres  du  gouvernement  ne 
pouvait  qu'inciter  les  indigènes  de  l'intérieur  à  lui 
désobéir,  car  ils  étaient  parfaitement  au  courant  de  ce 
qui  se  passait  à  Sierra  Leone. 

M.  Parkes,  le  secrétaire  pour  les  affaires  indigènes, 
est  très  catégorique  à  ce  sujet.  «  Les  chefs  furent  mis 
au  courant  du  contenu  des  journaux  de  Sierra  Leone 
par  les  commerçants  indigènes  ;  ceux-ci,  assis  sous  leur 
véranda,  interprètent  les  nouvelles  à  la  foule,  qui  les 
rapporte  aux  chefs.  »  Du  reste,  il  y  a  toute  raison  de 
penser  que  les  District  Commissionners  ne  se  trom- 
pent point  lorsqu'ils  disent  que  la  plupart  des  chefs  ont 
auprès  d'eux  des  secrétaires  parlant  anglais.  Les  com- 
merçants européens  établis  dans  la  colonie  ainsi  que 
les  chambres  de  commerce  de  Liverpool  et  de  Man- 
chester ont  toujours  déclaré  qu'ils  étaient  persuadés 
que  la  taxe  était  une  erreur.  Les  pétitions  qui  ont  été 
rédigées  par  les  chefs  ont  été  inspirées  par  ces  décla- 
rations. En  protestant  contre  la  taxe  les  chefs  pensaient 
ainsi  qu'ils  seraient  facilement  écoutés.  L'un  d'eux,  qui 
avait   été  élevé  par  la  mission  américaine,  le  chef  W. 


56  SIERRA    LEONE 

Broas  Tucker,  écrivait  à  un  ami  qui  habitait  le  Sherbro  : 
«  On  me  conseille  aussi  d'écrire  au  secrétaire  d'État  au 
nom  de  tous  les  chefs  indigènes  pour  établir  que  nous 
avons  conservé  sous  le  protectorat  de  Sa  Majesté  nos 
droits  sur  nos  terres,  que  nous  ne  les  avons  pas  cédées, 
et  que  les  patentes  qui  ont  été  établies  au  Sherbro 
ainsi  que  la  Hut-tax  sont  contraires  à  l'esprit  du  pro- 
tectorat... La  municipalité  de  Sierra  Leone  et  les  cham- 
bres  de  commerce  d'Angleterre,  d'Irlande  et  d'Ecosse 
étant  de  notre  côté,  le  gouvernement  métropolitain 
rapportera  l'ordonnance.  » 

Le  capitaine  Moore  rapporte  que  dans  le  grand  pa- 
labre qu'il  eut  avec  les  chefs  du  district  de  Ronietta, 
ceux-ci  lui  avaient  dit  qu'ils  ne  payeraient  pas  avant 
d'avoir  consulté  un  homme  influent  {a  big  mari)  à  Free- 
town. 

Sir  F.  Cardew  ne  peîise  point  que  la  taxe  sur  les 
cases  présente  en  elle-même  les  inconvénients  que  lui 
reproche  Sir  D.  Chalmérs;  les  indigènes  bâtissent  de 
grandes  cases  pour  éviter  de  payer  pour  plusieurs,  et 
l'obligation  d'acquitter  la  taxe  les  incitera  à  travailler 
plus  qu'ils  ne  le  font.  Les  commerçants  avaient  eux- 
mêmes  admis  que  la  taxe  donnerait  une  impulsion  au 
commerce,  puisque  la  valeur  des  importations  s'est 
élevée  en  1897  à  £606,983,  contre  £457,389  l'année  pré- 
cédente; le  taux  de  la  taxe  n'est  point  trop  élevé,  et  si 
certaines  parties  du  protectorat  sont  plus  riches  que 
d'autres,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  du  fait  de  la 
pacification  et  des  échanges  entre  indigènes,  les  béné- 
fices du  commerce  avec  les  Européens  pénètrent  par- 
tout, et  Sir  F.  Cardew  fait  à  ce  sujet  le  raisonnement 
suivant  : 


l'enquête    de    sir    DAVID    GHALMERS  57 

La  valeur  des  produits  exportés  du  Protectorat  en 
Europe  est  en  moyenne  de  £300.000  sterling. 

La  valeur  du  riz  exporté  du  Protectorat  pour  la  con- 
sommation locale  dans  la  colonie  est  de  £10.000  sterling, 
et  les  dépenses  faites  par  Tadministration  dans  le  Pro- 
tectorat sont  de  £29.000  sterling,  soit  au  total  £339.000 
sterling,  sur  lesquelles  le  montant  de  la  Hut-tax  peut 
être  facilement  prélevé,  la  mise  en  valeur  du  Protecto- 
rat n'étant  du  reste  qu'à  ses  débuts. 

Examinant  les  mesures  proposées  par  le  Royal  Com- 
missioner  pour  éviter  le  retour  des  difficultés  qui  ont 
marqué  l'établissement  du  pouvoir  anglais  dans  le  Pro- 
tectorat, Sir  F.  Cardew  explique  que,  depuis  les  débuts 
de  l'établissement  du  Protectorat,  l'intention  du  gouver- 
nement avait  toujours  été  d'administrer  celui-ci  par  l'in- 
termédiaire des  chefs.  Ce  principe  a  été  appliqué,  mais  en 
réservant  la  direction  supérieure  des  District  Coinmis- 
sioners  et  de  la  Frontier  Police,  car,  «  s'il  n'en  avait  pas 
été  ainsi  et  si  les  chefs  avaient  été  libres  de  pratiquer 
leur  administration  sans  subir  aucune  sorte  d'interven- 
tion, les  querelles  entre  tribus  n'auraient  pas  tardé  à 
reprendre.  La  concentration  des  troupes,  préconisée  par 
le  Royal  Commissioner,  aurait  pu  suffire  à  empêcher 
un  état  de  guerre  général,  mais  elle  aurait  été  incapa- 
ble de  maintenir  le  calme  dans  le  pays  et  d'empêcher 
le  commerce  des  esclaves  ».  Il  est  impossible  de  laisser 
l'administration  de  la  police  civile  entre  les  mains  des 
chefs,  car  ceux-ci  ne  manqueraient  pas  de  s'en  servir 
pour  leurs  querelles  personnelles. 

«  Le  Royal  Commissioner,  écrit  Sir  F.  Cardew,  évo- 
que, en  préconisant  son  système,  l'image  d'une  époque 
dans  laquelle  les  chefs  vivront  tous  en  bon  accord  et 


58  SIERRA    LEONE 

assez  unis  les  uns  aux  autres  par  un  sentiment  commun 
de  loyauté  et  d'amour  de  la  paix  et  de  la  bonne  adminis- 
tration du  Protectorat,  pour  ne  pas  tolérer  un  frère  tur- 
bulent ou  récalcitrant  et  le  supprimer  d'eux-mêmes.  Je 
souhaiterais  pouvoir  partager  sa  confiance;  je  ferais 
avec  plaisir  tous  mes  efforts  pour  voir  se  réaliser  sa 
prédiction,  si  je  croyais  sa  réalisation  possible;  mais 
toute  mon  expérience  passée  me  prouve  le  contraire. 
De  nobles  et  courageux  efforts  ont  été  faits  par  les 
gouverneurs  précédents  pour  rétablir  l'harmonie,  la 
paix  et  l'amitié  entre  les  chefs  et  les  tribus  guerrières, 
mais  cela  sans  résultats  pratiques.  Sir  Samuel  Rowe,  ce 
gouverneur  capable  et  expérimenté  dont  le  Royal  Com- 
missioner  fait  un  si  haut  éloge,  a  usé  sa  vie  dans  la 
brousse  pour  y  arriver,  et  cela  sans  résultats.  Depuis, 
d'après  l'opinion  unanime  de  tous  ceux  qui  connais- 
saient les  indigènes,  il  a  fallu  employer  la  force,  sous 
forme  de  Frontier  Police,  à  la  place  de  la  persuasion 
morale  qui  avait  échoué.  On  a  pu  ainsi  établir  la  paix 
dans  tout  le  Protectorat;  mais  c'est  une  paix  qui  en 
peut  être  maintenue  que  par  la  présence  de  troupes  et 
par  une  certaine  limitation  du  pouvoir  des  chefs.  » 

L'organisation  judiciaire  proposée  par  Sir  D.  Chal- 
mers  ne  paraît  pas  très  heureuse  au  gouverneur  de 
Sierra  Leone.  Il  est  impossible  d'admettre  que  les  Eu- 
ropéens et  les  Sierra  Léonais  soient  jugés  par  les  tri- 
bunaux des  chefs,  et  il  est  inadmissible  que,  pour  le 
moindre  procès,  ceux-ci  soient  obligés  de  se  rendre  à 
Freetown  ou  d'attendre  le  passage  d'un  juge  de  la  Su- 
prême Court.  Il  parait  bien  plus  raisonnable  de  conser- 
ver la  compétence  du  District  Gommissioner  en  ces  ma- 
tières. De  même  on  ne  voit  pas  très  bien  pourquoi  les 


l'enquête    de    sir    DAVID    CHÀLMERS  59 

chefs  ne  resteraient  pas  passibles  deB  tnbaiiaiix  indigè- 
nes. Assigner  devant  le  gouverneur  ou  la  Suprême  Court 
toutes  les  causes  dans  lesquelles  un  chef  serait  partie, 
leur  enlèverait  tout  temps  pour  s'occuper  d'autre  chose. 

Le  maintien  de  la  taxe  sur  les  huttes  parait  indispen- 
sable aux  finances  du  Protectorat,  car  il  est  impossible 
de  beaucoup  augmenter  les  droits  de  douane,  comme 
propose  de  le  faire  Sir  D.  Chalmers.  Ce  maintien  est 
possible,  comme  le  montre  le  succès  du  système  d'im- 
pôt appliqué  en  Guinée  française.  Sa  suppression  entraî- 
nerait les  plus  grandes  complications  politiques,  parce 
que  les  indigènes  deviendraient  intraitables. 

Sir  F.  Cardew  conclut  en  proposant  que,  si  l'on  main- 
tient la  taxe,  une  commission  de  2,50  p."  100  soit  donnée 
à  chaque  chef  de  ville  pour  frais  de  perception,  indépen- 
damment de  la  commission  de  5  p.  100  donnée  aux  chefs 
souverains.  En  compensation  des  pertes  qu'ont  subies 
les  chefs  par  suite  de  la  suppression  de  l'esclavage,  on 
leur  donnerait  le  soin  de  percevoir  l'impôt  et,  sous  la 
surveillance  du  gouverneur,  le  droit  de  punir  ceux  qui 
se  refuseront  à  l'acquitter.  Une  subvention  qui  ne  dé- 
passerait pas,  par  exemple,  £50  pourrait  être  accordée 
aux  chefs  souverains  en  proportion  du  nombre  de  cases 
qu'ils  gouv&rnent.  Il  serait  admis  également  que  les 
droits  de  douane  sur  les  objets  de  première  nécessité 
seront  diminués  dès  que  la  taxe  produira  un  revenu 
appréciable. 

Le  Colonial  Office  ne  devait  pas  se  ranger  aux  con- 
clusions de  son  envayé.  Dans  une  lettre*  adressée  au 

1.  Loco  cil. 


60  SIEIinÀ    LEONE 

gouverneur  de  Sierra  Leone,  sur  laquelle  nous  n'avons 
pas  à  nous  arrêter  longuement,  il  examina  les  différents 
points  du  rapport  de  Sir  D.  Chalmers  et,  d'une  manière 
générale,  se  rangea  à  la  manière  de  voir  de  Sir  F.  Cardew. 
Gomme  le  gouverneur  de  Sierra  Leone,  il  admet  que 
les  hommes  de  la  police  n'ont  fait,  d'une  manière  géné- 
rale, que  leur  devoir,  ainsi  que  les  District  Commissio- 
ners.  La  taxe  a  été  la  cause  immédiate  du  soulèvement; 
mais  c'était  le  changement  que  l'administration  anglaise 
avait  apporté  aux  institutions  locales  qui  avait  poussé 
les  indigènes  à  la  révolte.  A  condition  de  placer  les 
troupes  de  la  police  sous  la  surveillance  étroite  d'offi- 
ciers européens,  il  n'y  avait  pas  de  raison  pour  les  sup- 
primer; cependant  à  l'avenir  on  devrait  éviter  de  les 
trop  morceler.  La  Proleclorale  Ordinance  est  fondée, 
comme  le  désire  Sir  D.  Chalmers,  sur  l'administration 
du  pays  par  l'intermédiaire  des  chefs;  il  n'y  a  donc  pas 
lieu  de  modifier  le  caractère  des  District  Commissio- 
ners  ni  la  nature  de  leur  pouvoir  judiciaire.  Cependant 
on  pourra  laisser  aux  chefs  le  droit  de  juger  les  ques- 
tions d'ordre  foncier  même;  au  lieu  de  punir  de  flagel- 
lation les  chefs  qui  excéderaient  les  pouvoirs  qu'on  leur 
aurait  confiés,  on  pourrait  se  borner  à  annuler  leurs 
sentences.  Le  taux  de  la  taxe  devra  être  maintenu,  mais 
les  Commissioners  auront  le  droit  d'en  déduire  le  mon- 
tant autant  qu'ils  jugeront  nécessaire,  et  les  proposi- 
tions de  Sir  F.  Cardew  au  sujet  des  commissions  à  don- 
ner aux  chefs  devront  être  adoptées. 


CHAPITRE  V 

SIERRA   LEONE 


La  réglementation  de  la  Hut-tax. 

On  sait  comment  le  développement  de  la  Guinée 
française  porta  une  atteinte  sérieuse  au  commerce  de 
la  colonie  anglaise.  On  ne  se  rendit  point  compte  tout 
d'abord  à  Sierra  Leone  des  raisons  de  la  diminution  du 
chiffre  des  affaires,  et  on  en  accusa  la  Hut-tax,  comme 
on  l'avait  rendue  responsable  du  soulèvement.  Dès  son 
arrivée  à  Freetown  vers  la  fin  de  1901,  le  successeur  de 
Fr.  Cardew,  Sir  G.  A.  King-Harman,  reçut  des  princi- 
paux commerçants  européens  et  indigènes  du  Sherbro 
une  pétition  qui  contenait  le  passage  suivant*  : 

«  Les  indigènes  du  Protectorat  se  plaignent  constam- 
ment à  nous  des  méthodes  arbitraires  qui  sont  employées 
par  quelques-uns  des  prétendus  chefs  souverains  dans 
la  perception  de  la  Hut-tax,  et  des  lourdes  amendes 
qu'ils  imposent  à  ceux  qui  leur  sont  soumis.  La  situa- 
tion est  d'autant  plus  grave  que  la  plupart  de  ces  chefs 
sont  des  commerçants  importants  et  qu'ils  emploient 
leur  autorité  à  forcer  les  indigènes  à  traiter  avec  eux, 
ce  qui  est  contraire  au  principe  de  la  liberté  du  com- 
merce. Ges  chefs  sont  choisis  par  les  représentants  du 
gouvernement  et  n'ont  aucun  droit  héréditaire  ou  déri- 

1.   H\  A.,  21  déc.  1901,  n«  53. 


62  SIERBA    LEONE 

vant  de  la  coutume  à  gouverner  les  districts  dans  les- 
quels ils  ont  été  nommés.  » 

Les  pétitionnaires  demandaient  qu'un  détachement 
des  troupes  de  Bontee  fût  renforcé,  parce  que  de  nou- 
veaux soulèvements  étaient  toujours  à  craindre. 

Les  journaux  indigènes  de  Freetown  ne  cessèrent 
de  protester  contre  les  procédés  d'administration  du 
Protectorat.  Il  est  intéressant  de  reproduire  des  extraits 
de  quelques-uns  de  leurs  articles,  comme  caractéristi- 
ques de  l'état  d'esprit  des  «  educated  natives'  »  : 

«  La  Protectorate  Ordinance  qui  donne  aux  District 
Commissioners  des  attributions  dépassant  même  celles 
du  pouvoir  exécutif  de  la  colonie,  fait  de  ces  agents  de 
véritables  despotes,  pour  peu  qu'ils  y  soient  disposés, 
et  de  leurs  administrés,  des  esclaves.  Nous  apprenons 
qu'un  grand  nombre  de  personnes  ont  été  employées 
à  la  construction  de  casernes  sans  rémunération... 
Nous  pensons  être  fondés  à  exprimer  nos  craintes  sur 
l'avenir  de  l'Afrique  occidentale  sous  la  présente  admi- 
nistration coloniale,  à  moins  qu'un  changement  de  poli- 
tique ne  se  produise*.  » 

«  Les  liens  paternels  qui  réunissaient  les  premiers 
gouverneurs  au  peuple,  et  que  la  politique  ferme,  mais 
judicieuse,  et  par-dessus  tout  humaine,  libérale  et  stric- 
tement impartiale  d'administrateurs  tels  que  Sir  Arthur 
Kennedy,  le  major  Blockall,  Sir  Arthur  Havelock,  Sir 
Samuel  Rowe,  sir  John  Pope  Hennesy,  s'était  efforcée 
de  maintenir,  ont  été,  les  uns  après  les  autres,  rempla- 
cés par  l'indifférence  et  même  le  mépris  de  la  part  des 
uns  et  la  méfiance  et  la  crainte  des  autres...  Dans  notre 

1.  JV,A.,  21dôc.  1901,  n*  53. 

2.  Sierra  Leone  fVeekly  \ews,  passim. 


LA    RÉGLEMENTATION    DE    LA    HUT-TAX  63 

Protectorat  Fintervention  du  gouvernement  dans  les 
questions  de  captivité  domestique  a  eu  pour  effet  qu'un 
grand  nombre  des  travailleurs  ont  abandonné  leurs 
maîtres  soit  pour  se  joindre  à  la  Frontîer  Force  dans  le 
but  de  revenir  dans  le  pays  et  de  terroriser  leurs  pré- 
cédents propriétaires,  ou  dans  celui  de  joindre  l'armée 
des  vagabonds  qui  infestent  la  colonie  proprement  dite, 
ou  plus  légitimement  de  trouver  un  meilleur  emploi. 
Ce  fâcheux  état  de  choses  a  été  accentué  par  l'intro- 
duction de  la  Hut-tax  et  de  toutes  ses  conséquences  rui- 
neuses. Les  indigènes  ont  compris  clairement  que  s'ils 
restaient  dans  leur  pays,  ce  serait  uniquement  pour  tra- 
vailler dans  le  but  de  satisfaire  à  la  perception  annuelle 
de  la  Hut-tax...  Les  jeunes  hommes  quittent  leurs  fer- 
mes et  viennent  à  Freetown  parce  que  la  récolte  d'a- 
mandes de  palme  et  de  riz  doit  servir  à  payer  la  part  de 
Hut-tax  imposée  sur  ceux  qui  les  emploient,  parce  que 
la  vie  dans  le  Protectorat,  dans  les  conditions  actuelles, 
ne  vaut  pas  la  peine  d'être  vécue,  et  parce  que  c'est 
seulement  en  venant  travailler  contre  le  payement  de 
gages  en  espèces  qu'ils  peuvent  espérer  obtenir  les 
avantages  qu'ils  rechercheraient  vainement  chez  eux, 
même  après  avoir  payé  la  Hut-tax*.  » 

A  diverses  reprises,  des  pétitions  furent  adressées 
directement  au  secrétaire  d'Etat  aux  colonies.  Les  com- 
merçants européens  réclamèrent,  inutilement  du  reste, 
des  dommages  et  intérêts  pour  les  pertes  qu'ils  avaient 
subies  pendant  l'insurrection  ^ 

Le  groupement  de  commerçants  indigènes  qui  por- 
tait le  nom  de  «  Kissy  Road  Traders'   Association  » 

1.  Sierra  Leone  Times,  passim. 

2.  W.  ii.,  28  décembre  1901,  n»  54.  . 


I 


64  SIERRA    LEONE 

adressa  alors  au  Colonial  Office,  vers  le  milieu  de  1901, 
un  «  mémorial*  »  qui  reprenait  les  desiderata  exprimés 
par  Sir  David  Ghalmers.  Il  lui  fut  répondu  que  le  gou- 
vernement se  préoccupait  d'organiser  le  protectorat  de 
manière  à  faire  disparaître  toutes  les  causes  de  mécon- 
tentement qui  pourraient  être  justifiées. 

Sir  King  Harman  visita  à  diverses  reprises  les  dif- 
férentes parties  du  Protectorat  dans  lesquelles  avait 
éclaté  le  soulèvement.  Il  prit^grand  soin  d'expliquer 
aux  chefs,  avec  la  plus  grande  bienveillance,  que  Tuni- 
que souci  de  l'Angleterre  à  leur  égard  était  de  gouver- 
ner par  leur  intermédiaire,  tout  en  maintenant  la  paix 
dans  le  pays.  Les  discours  qu'il  leur  adressa  sont  des 
modèles  de  la  manière  dont  on  devrait  toujours  parler 
aux  indigènes  :  ils  produisirent  la  plus  grande  impres- 
sion. Il  déclara,  dans  les  rapports  qu'il  envoya  au  Colo- 
nial Office',  que  toute  agitation  lui  paraissait  terminée, 
contrairement  aux  assertions  des  educated  uativeSy  qui 
paraissaient  avoir  quelque  intérêt  mystérieux  à  entre- 
tenir le  trouble  dans  le  Protectorat.  Les  indigènes  se 
rendaient  compte  que  la  taxe  n'était  pas  aussi  lourde 
qu'ils  l'avaient  craint  tout  d'abord.  Sir  King  Harman  se 
préoccupa  de  rechercher  les  points  défectueux  que 
pouvait  en  présenter  la  perception,  et  il  y  apporta  quel- 
ques modifications. 

Le  dernier  règlement  en  vigueur  à  ce  sujet  est  celui 
du  23  mars  1905. 

En  vertu  de  ce  règlement,  les  chefs  des  différentes 
villes  ne  sont  pas  obligés  de  faire  remise  du  montant 

1.  W,  A.,  26  avril  1002,  n»  71. 

2.  P.  p.  Sierra  Leone,  1902,  Reports  by  Sir  Charles  King-IIarman  on  his 
visil  to  the  prolectorale  et  Jr.  A.,  o  juillet  1902,  n*  81. 


LA    RÉGLEMENTATION    DE    LA    HUT-TAX  65 

4 

de  la  Hiit-tax  entre  les  mains  de  leurs  chefs  souverains^ 
et,  à  moins  qu'ils  ne  consentent  librement  à  agir  autre- 
ment, la  procédure  suivante  est  adoptée  :  le  D.  Coni- 
missioner  se  rend  dans  une  ville  déterminée,  et  les 
chefs  de  la  région  font  remise  du  montant  de  la  taxe  au 
chef  souverain,  qui  le  transmet  ensuite  au  D.  Commis- 
sioner.  Si  la  samme  payée  est  trop  forte,  le  surplus  est 
remboursé  par  le  D.  Gommissioner;  si  elle  est  trop 
faible,  celui-ci  fixe  l'époque  où  la  différence  devra  être 
payée. 

.  S'il  y  a  des  discussions  au  sujet  de  l'exactitude  du 
rôle  de  l'impôt,  le  D.  Gommissioner  s'efforce  de  les 
régler  sur-le-champ,  et  si  cela  est  impossible,  il  donne 
les  indications  nécessaires  au  redressement  des  er- 
reurs. 

Au  commencement  de  la  saison  sèche,  le  D.  Gommis- 
sioner doit  reviser  le  rôle.  En  principe,  les  chiffres  don- 
nés par  les  chefs  souverains  doivent  être  acceptés,  de 
sorte  que  les  D.  Gommîssioners  n'ont  pas  à  vérifier 
leur  exactitude  pour  chaque  village,  mais  peuvent  se 
borner  à  ne  contrôler  que  des  points  déterminés. 

La  comrnission  de  5  pour  100  qui  est  attribuée  aux 
chefs  est  <;onsidéré  comme  un  subside  pour  exécution 
de, services  publics,  et,  comme  tout  subside,  elle  est 
répartie  d'après  la  coutume  indigène  entre  les  différents 
chefs  par  le  chef  souverain. 

Gette  disposition  fut  modifiée  en  août  1905  par  une 
ordonnandeV  qui  disposait  qu'une  commission  de  2,50^ 
p.  100  pourrait  être  payée  par  les  D.  Gommissioners  à 

1.  An  Ordinance  empoivering  the  governor  te  make  régulations  with 
respect  to  the  collection  and  receicing  6f  the  house  tax  in  the  protecto- 
rate,  1905.         -    ■     :  .        • 

5 


66  SIERRA    LEONE 

tout  sous-chef  qui,  en  raison  de  l*éparpillement  de& 
cases  ou  pour  tout  autre  motif,  aura  une  peine  parti-» 
culièreà  prélever  l'impôt. 

Dans  les  cas  où  la  juridiction  d'un  chef  souverain 
s'étend  sur  deux  districts,  les  limites  de  ces  districts 
devront  être  modifiées  de  manière  à  ce  que  toute  la 
région  soumise  à  ce  chef  se  trouve  dans  le  district  où 
est  sa  principale  ville. 

Il  arriva  au  début  que  plusieurs  familles  habitèrent 
la  même  case  pour  éviter  la  taxe.  Des  cartes  person- 
nelles furent  établies  au  nom  de  chacun  des  proprié- 
taires qui  avaient  acquitté  l'impôt,  et  lorsque  deux 
familles  logèrent  dans  la  même  case,  celle  qui  n'était 
point  inscrite  cowjoae  propriétaire  se  trouva  dans  une 
dépendance  niorale  telle  que,  d'une  manière  générale, 
elle  préférait  retrouver  son  indépendance  en  habitant 
une  case  isolée. 

Le  recouvrement  par  les  chefs  devait  fatalement  ame- 
ner quelques  exactions.  Le  payement  direct  au  Dis- 
trict Commissioner  fut  autorisé.  Il  fut  très  apprécié 
par  les  chefs  de  famille  qui  constituent  l'aristocratie 
africaine,  en  ce  que  cela  diminuait  leur  dépendance 
vis-à-vis  des  chefs  de  tribu,  et  ce  fut  une  des  mesu- 
res qui  devaient  tendre  peu  à  peu  à  transmettre  une 
partie  des  attributions  de  ces  derniers  au  pouvoir  sou- 
verain. 

Grâce  à  cette  série  de  mesures,  et  au  soin  avec  lequel 
la  taxe  fut  prélevée,  sa  perception  n'a  donné  lieu  jus- 
qu'ici à  aucun  nouvel  incident,  et  il  est  probable  qu'il 
en  sera  ainsi  tant  qu'elle  restera  proportionnée  aux 
ressources  des  indigènes. 

Son  rendement  a  suivi  la  progression  suivante  : 


V 


LÀ    RÉGLEMENTATION    DE    LA    HUT-TAX  67 

1898 158.525  fr.       1906 1.023.675   fr. 

1900 751.150  1907 1.075.850 

1904 937.575  1908 1.132.475 

1905 963.835  1909 1.189.500 

1910. 1.242.575 

Une  ordonnance  de  1900  étendit  à  la  Colonie  le  sys- 
tème de  la  taxe  sur  les  habitations  au  taux  de  1  shilling  ^ 
par  livre  sterling  de  valeur  locative,  et  de  5  shillings 
lorsque  cette  valeur  n'atteint  pas  5  livres.  Le  produit 
n'est  pas  versé  au  budget  général  de  la  colonie.  Celle- 
ci  'est  divisée,  à  ce  point  de  vue,  en  districts  qui  sont 
représentés  par  des  conseils  nommés  Advisory  Boards, 
dont  les  membres  sont  choisis  par  le  gouverneur  parmi 
les  indigènes  les  plus  influents  du  pays«  Celui-ci,  après 
délibération  des  conseils,  détermine  l'emploi  qui  doit 
être  fait  des  sommes  perçues  et  les  affecte  principale- 
ment aux  travaux  publics  nécessaires  dans  le  district^ 

1.  The  Colony  Jlouse  Tax  Ordinance/n*  11  of  1900. 


i 


CHAPITRE    VI 

SIERRA  LEONE 


La  nouvelle  organisation  administrative  et  judi- 
ciaire du  Protectorat.  —  Le  régime  foncier. 

Bien  que  le  statut  du  Protectorat,  tel  qu'il  avait  été 
établi  par  l'ordonnance  de  1896,  eût  reçu  l'approbation 
du  Colonial  Office,  il  n'en  devait  pas  moins  subir  d'im- 
portantes modifications,  lorsqu'il  fut  nécessaire  de 
préciser  ses  points  d'application.  Une  ordonnance  de 
1901  [the  Protectorate  Ordinance  1901)  réorganisa  l'ad- 
ministration de  la  justice.  Une  nouvelle  ordonnance  en 
date  de  1903  institua  le  système  actuellement  en  vigueur 
[the  Protectorate  Courts  Jurisdiction  Ordinance  1903). 

Le  principe  de  cette  législation  est  le  suivant  (par.  6)  : 
«  La  loi  indigène  doit  être  appliquée  dans  les  procès 
entre  Européens  et  indigènes,  toutes  les  fois  que  le 
contraire  n'aura  pas  été  préalablement  convenu  entre 
les  parties  et  que  l'application  de  la  loi  anglaise  serait 
injuste,  étant  données  les  coutumes  du  pays,  à  condi- 
tion toutefois  qu'il  n'y  ait  rien  dans  la  loi  indigène  de 
contraire  à  la  justice  naturelle,  à  l'équité  et  à  la  bonne 
conscience  ». 

Les  tribunaux  des  chefs  indigènes  restent  organisés 
comme  ils  l'ont  été  par  la  coutume.  Leur  compétence 
s'étend  et  s'applique  aux  seuls  indigènes.  L'ordonnance 


l'organisation  administrative  et  judiciaire         69 

ne  définît  du  reste  pas  ce  qu'elle  entend  par  indigène; 
en  fait,  cette  définition  est  laissée  aux  soins  du  District 
Commissioner.  En  matière  civile,  celte  compétence 
est  universelle,  sauf  en  ce  qui  concerne  les  contesta- 
tions foncières  entre  chefs  souverains  et,  particularité 
très  intéressante,  les  payements  réclamés  par  les  déten-. 
teurs  de  patentes.  Cette  dernière  disposition  est  le  ré- 
sultat d'une  tendance  du  gouvernement  de  Sierra  Leone 
à  assimiler  à  des  sujets  anglais  tout  indigène  se  livrant 
régulièrement  à  des  opérations  commerciales. 

Les  tribunaux  indigènes  n'ont  pas  le  droit  de  juger 
les  cas  de  meurtres,  d'homicide,  de  rapt,  d'esclavage^ 
de  cannibalisme,  de  vol  avec  violences,  de  blessures 
graves,  de  bagarres  entre  tribus,  de  fétichisme. 

Les  chefs  restent  propriétaires  des  amendes  et  des 
frais  de  justice  qu'ils  perçoivenL 

Les  District  Commissioners  siègent  comme  «  Court 
of'the  district  commissioner  ».  Leur  compétence  civile 
-s'étend  à  tous  les  cas  qui  ne  dépendent  point  des  tri- 
bunaux indigènes  et  dans  lesquels  la  valeur  du  litige 
ne  dépasse  pas  50  livres.  En  matière  criminelle,  ils 
jugent  tous  les  cas  dans  lesquels  les  indigènes  sont 
impliqués  et  qui  ne  relèvent  pas  des  tribunaux  indi- 
gènes. Mais  lorsque  un  non-indigène  est  en  causé, 
ils  ne  peuvent  prononcer  le  jugement  dans  les  cas  qui 
entraîneraient  un  emprisonnement  de  trois  mois  ou 
une  amende  de  plus  de  10  livres. 

•  Lorsqu'un  non-indigène  est  accusé  d'un  crime  pas- 
sible de  la  peine  de  moi't,  ou  lorsqu'un  crime  analogue 
a  été  commis  par  un  indigène  sur  la  personne  d'un 
non -indigène,  le  District  Commissioner  devra  ren- 
voyer le  cas  devant  la  Suprême  Court. 


70  :  SIERRA   LEONE 

Un  tribunal  ambulant  eât  établi  sous  la  dénomination 
de  (c  Circuit  Court  ».  Ses  séances  sont  tenues  par  un 
juge  de  la  Suprême.  Court  qui  siège  dans  les  différents 
points  du  Protectorat  fixés  par  le  gouverneur;  sa  com- 
pétence et  sa  procédure  sont  celles  de  la  Suprême  Court, 
et  il  connaît  tous  les  cas  qui  dépassent  la  compétence 
des  tribunaux  indigènes  et  des  District  Commission 
ners.  Les  condamnations  à  mort  prononcées  par  la  Cir- 
cuit Court  ne  peuvent  être  exécutées  sans  l'approbation 
du  gouverneur,  ainsi  que  les  condamnations  à  des  coups 
de  cravache^  qui  ne  peuvent  dépasser  24  coups  et  qui 
ne  peuvent  être  infligées  aux  femmes. 

Il  peut  être  intenté  appel  devant  la  «  Circuit  Court  » 
contre  les  jugements, des  District  Cammissioners  en 
matière  civile,  dans  des  cas  dont  la  valeur  dépasse 
10  livres,  et,  en  matière  criminelle,  dans  tous  les  cas 
lorsqu'un  non-indigène  en  est  accusé. 

Les  frais  de  justice  devant  le  tribunal  des  District 
Gommissioners  sont  fixés  par  le  gouverneur  en  conseih 

Au  commencement  de  190&,  aucun  incident  nouveau 
n'étant  venu  troubler  la  paix  dans  le  Protectorat,  le 
moment  parut  venu  de  confier  de  plus  en  plus  l'admi- 
nistration du  pays  aux  conseils  des  chefs,  et  une  ordon- 
nance vint  réorganiser  leurs  pouvoirs*. 
•  Les  chefs  souverains  d'une  même  race  sont  groupés 
par  le  gouverneur  en  assemblées  constituées  de  telle 
manière  qu'elles  ne  comprennent  qu€  des  chefs  habi- 
tant à  moins  de  deux  jours  du  lieu  où  elles  siègent.  Ces 
assemblées  prennent  le  nom  de  «  Local  Assembly  of 

i,  The  Proieclorate  native  law  Ordinance;  190Ô. 


l'organisation  administrative  et  judiciaire  71, 

Paramount  Chiefs  ».  Chacune  des  assemblées  locales 
choisit,  avec  le  consentement  du  gouverneur,  trois 
chei^  souverains  qui  forment  l'assemblée  générale  de 
tous  les  chefs  souverains  de  la  même  race« 

Le  District  Commissioner  ou  tout  autre  fonction- 
naire désigné  par  le  Gouverneur  est  président  de  l'As- 
semblée à  laquelle  il  assiste;  en  son  absence  sont  pré- 
sidents des  chefs  choisis  par  les  autres  chefs  présents. 

Les  réunions  des  assemblées  locales  et  générales  se 
tiennent  aux  lieux  et  aux  époques  fixés  par  le  gou- 
verneur. 

Ces  assemblées  ont  le  droit  de  présenter  par  pétition 
ou  résolution,  et  par  l'intermédiaire  de  leur  président, 
toute  requête  tendant  à  «  promulguer  une  loi  pour  le 
bien  de4a  race  ou  du  territoire  représenté  par  les  chefs 
constitués  en  assemblée,  pour  s'opposer  à  la  promul- 
gation des  lois  qui  lui  seraient  contraires  ». 

Les  assemblées  ont  le  droit  de  nommer  des  commis- 
sions composées  de  trois  au  moins  de  leurs  membres 
et  de  cinq  au  plus,  qui  examinent  les  questions  de  déli- 
mitation,, les  plaintes  contre  les  chefs  souverains- et 
sous-chefs  et  autres  matières  intéressant  le  peuple  et  le 
pays;  elles  déposent  leurs  conclusions  entre  les  mains 
des  District  Commissioners  ou  du  délégué  du  gou- 
verneur. Ces  requêtes  une  fois  approuvées  par  le  Dis- 
trict Commissioner  représentent  l'opinion  de  l'assem- 
blée. Elles  doivent  être  faites  par  écrit,  signées  par  le 
président  et  copiées  dans  le  District  Decrees  Bpok  et 
transmises  au  gouverneur.  Lorsque  le  Législative 
Council  vote  une  loi  qui  met  en  vigueur  les  principes 
présentés  par  une  assemblée,  ou  lorsqu'une  assem- 
blée demande  qu'une  loi  faite  par  le  Législative  Council 


72  SIERHA    LÉONB 

soit  appliquée  au  pays  ou  au  peuple  qu'elle  représente, 
le  fait  est  mentionné  dans  la  gazette  et  dans  le  volume 
annuel  des  lois  de  la  Colonie  et  du  Protectorat. 

Les  travaux  d'amélioration  du  sol  ou  des  cases,  qui, 
d'après  la  coutume  indigène,  doivent  être  faits  parles 
'soins  d'un  chef  souverain  ou  d'un  sous-chef,  seront 
exécutés  par  leurs  travailleurs  et  les  indigènes  de  leur 
ville,  de  la  manière  prescrite  par  la  coutume.  Le  chef 
qui  obligera  les  indigènes  d'une  autre  ville  à  exécuter 
ces  travaux,  sera  passible  d'une  amende  et  pourra  être 
destitué  par  le  gouverneur;  s'il  a  usé,  dans  ce  but,  de 

•     •  • 

violence  au  point  de  rendre  la  condition  de  ces  indi- 
gènes analogue  à  l'esclavage,  il  pourra  être  condamné 
par  la  Suprême  Court  ou  la  Circuit  Court  (juge  ambu- 
lant) à .  un  emprisonnement  avec  travail  forcé  qui  ne 
"dépassera  pas  cinq  ans. 

"  Avant  la  promulgation  de  l'ordonnance,  les  étran- 
gers qui  étaient  établis  sur  le  territoire  d'un  chef  aux 
'ordres  duquel  ils  ne  voulaient  pas  se  soumettre  devaient 
lai  payer  annuellement  une  somme  fixée  par  l'usage. 
Le  gouvernement  résolut  de  régulariser  cette  coutume 
de  façon  à  éviter  les  abus;  mais  il  fut  décidé  qu'il  ne 
"serait  rien  changé  aux  usages  à  ce  point  de  vue,  pour 
ies  personnes  qui  voudraient  continuer  à  les  observer. 
'En  revanche,  toute  personne  qui,  dans  l'avenir,  désire- 
rait s'établir  dans  le  territoire  d'un  chef  sans  se  sou- 
mettre à  ses  ordres,  devrait  lui  payer  annuellement  une 
livre  sterling  polir  l'occupation  de  la  pièce  de  terre  qui 
serait  mise  à  ^à  disposition  par  les  autorités  de  la  tribu 
pour  y  construire,  à  la  mode  indigène,  ùrie  case  ou  des 
magasins.  En  vertu  de  ce  payement  elle  serait  dispensée 


l'organisation  administrative  et  judiciaire  7i 

de  tout  autre  présent  à  faire  au  chef  et  des  prestations 
que  celui-ci  pourrait  exiger  en  vertu  des  usages;  rem- 
placement concédé  devra  cependant  être  maintenu  dans 
un  état  de  propreté,  conformément  aux  règles  de  l'hy- 
giène. 

En  ce  qui  concerne  les  constructions  ayant  un  carac- 
tère de  permanence,  les  sommes  convenues  avant  la 
promulgation  de  Tordonnance  pour  l-occupation  des 
terrains  qu'elles  couvrent,  devront  être  payées  comme 
par  le  passé.  Dans  l'avenir,  ces  locations  de  terrain 
devront  avoir  lieu  par  écrit,  être  approuvées  parle 
District  Commissioner  moyennant  les  conditions  ((ui 
pourraient  être  fixées  par  le  gouvernement,  et  être 
enregistrées  dans  les  bureaux  du  Registrar  gênerai. 

La  moitié  des  redevances  d'une  livre  sterling  dont  il 
vient  d'être  question  devra  être  distribuée  par  les  chefs 
souverains  aux  sous-chefs,  et  l'ensemble  devra  être  dé- 
pensé en  travaux  d'utilité  publique,  comme  construc- 
tion de  routes  et  aménagements  sanitaires. 

Les  personnes  qui  payeront  ces  redevancés  auront 
droit  aux  bons  services  des  chefs,  qui,  s'ils  refusent  de 
les  leur  rendre,  pourront  être  condamnés  par  le  Gou- 
verneur à  une  amende  ou  même  être  destitués. 

Dans  les  villes  où  sont  fixées  un  nombre  considérable 
de  personnes  qui  se  sont  ainsi  soustraites  à  l'autorité 
indigène,  le  chef  souverain  peut  demander  au  gouver- 
neur, par  l'intermédiaire  du  District  Commissioner, 
de  déterminer:  1**  les  limites  de  la  ville  indigène;  2°  les 
limites  de  la  partie  de  la  ville  réservée  aux  étrangers; 
3*  la  largeur  et  la  direction  des  routes  qui  doivent 
desservir  le  pays  environnant,  réunir  les  différentes 
parties  de  la  ville  ou  conduire  aux  points  d'eau;  4**  la 


1 


74  SIERRA    LEONE 

zone  qui  devra  être  réservée  pour  prévenir  la  pollution 
des  eaux  destinées  à  la  consommation  ou  au  lavage. 
Le  gouverneur  aura  du  reste  le  droit  de  fixer  autre- 
ment que  Ta  fait  Tordonnance,  les  sommes  qui  devront 
être  payées  par  les  étrangers  en  raison  de  leur  établis- 
sement, ainsi  que  la  part  qui  devra  être  payée  au  chef 
souverain  ou  au  sous-chef.  Une  autorité  spéciale  (en 
fait  une  sorte  de  municipalité)  pourra  être  créée  pour 
administrer  ces  fonds  réservés. 

Le  gouvernement  anglais,  par  les  dispositions  que 
nous  venons  d'analyser  sur  la  situation  des  étrangers 
dans  le  Protectorat,  a  voulu  soustraire  ceux-ci,  d'une 
manière  générale,  à  l'autorité  des  chefs  indigènes.  Il 
n'en  devait  pas  moins  faire  une  grande  concession  aux 
partisans  du  maintien  des  prérogatives  de  cette  auto- 
rité, en  laissant  aux  chefs  une  certaine  compétence 
judiciaire  sur  les  Européens  et  autres  étrangers.  Nous 
avons  vu  comment  la  Protectorate  Ordinance  de  1897  , 
avait  décidé  que  tous  les  procès  dans  lesquels  une  des 
parties  ne  serait  pas  un  indigène  du  Protectorat  seraient 
réservés  à  la  compétence  du  D.  Gommissioner.  La  nou- 
velle ordonnance  devait  abroger  en  partie  cette  dispo- 
sition. Elle  disposait  ainsi  : 

«  Tout  chef  souverain  dans  le  district  duquel  un  nom- 
bre considérable  de  commerçants  ou  de  missionnaires 
européens  ou  sierra  léonais  seront  établis  pourra  de* 
mander  au  District  Gommissioner  de  nommer  un  ou 
plusieurs  de  ces  étrangers  pour  siéger  avec  lui  comme 
juge  dans  les  procès  entre  indigènes  de  son  district  et 
étrangers.  Ges  nominations  seront  faites  pour  un  an 
par  le  gouverneur. 


l'organisation  administrative  et  judiciaire  75 

«  La  compétence  de  ce  tribunal  mixte  s'étendra  à  toute 
matière  civile  dans  laquelle  la  valeur  de  Tobjet  en  litige 
ne  dépassera  pas  10  livres,  et  au  cas  des  disputes  dans 
lesquelles  les  coups  échangés  n'auront  pas  entraîné 
des  blessures  graves  et  où  les  paroles  dites  ne  justifie^ 
ront  pas  des  dommages  dépassant  une  livre.  Les  causes 
de  plus  grande  importance  et  toutes  celles  dans  les- 
quelles il  s'agira  de  contestations  foncières  seront 
jugées  par  le  District  Commissioner  ou  la  Suprême 
Court.  Les  frais  perçus  par  ces  tribunaux  mixtes  seront 
le  double  de  ceux  des  tribunaux  ordinaires  des  chefs^ 
et  leur  montant  sera  partagé  en  parties  égales  entre 
le  chef  et  le  juge  qui  lui  aura  été  adjoint.  La  procédure 
adoptée  sera  celle  prescrite  par  la  loi  indigène,  si  ce 
n'est  qu'en  cas  d'absence  de  témoignage,  il  ne  pourra 
être  fait  usage  de  poison.  Si  les  juges  sont  unanimes, 
les  décisions  du  tribunal  mixte  seront  sans  appel;  dans 
le  cas  contraire,  les  parties  seront  remboursées  de  leurs 
frais  et  devront  se  rendre  devant  le  D.  Commissioner 
ou  la  Suprême  Court.  Le  gouverneur  aura  le  droit  de 
décider  quel  sera  le  mode  d'exécution  d'un  jugement 
lorsque  le  montant  de  la  somme  fournie  devant  le 
tribunal  ne  sera  pas  suffisant  pour  satisfaire  à  la 
demande.  Aucune  personne  cependant  ne  pourra  être 
condamnée  à  la  prison  pour  dettes;  le  même  tribunal 
mixte  ne  pourra  prescrire  le  remboursement  d'une 
dette  contractée  par  un  débiteur  que  lorsque  la  famille 
aura  connu  et  approuvé  l'emprunt.  » 
•  Si  l'on  s'en  tient  au  texte  de  l'ordonnance,  il  semble 
que  la  constitution  de  ce  tribunal  mixte  est  laissée  à  la 
disposition  des  chefs,  et  que  si  ces  chefs  ne  demandent 
pas  au  District  Commissioner   de  leur  adjoindre  un 


78  SIERRA    LEONB 

sées  par  les  indigènes,  à  condition,  il  est  vrai,  que  cçs 
transactions  soient  passées  par  écrit.  Dans  son  proto- 
cole, elle  définit  comme  concession  tout  écrit  par  lequel 
un  droit  est  garanti  par  un  indigène  sur  les  minerais 
qu'une  terre  contient  ou  sur  les  plantes  qui  la  cou- 
vrent, indigène  qu'elle  définit  par  cette  formule  :  «  Toute 
personne  de  naissance  africaine  qui,  en  vertu  des  cou- 
tumes indigènes,  a  des  droits  sur  la  terre  de  la  Colonie 
ou  du  Protectorat.  » 

Son  principal  objet  est  d'instituer  un  tribunal  qu'elle 
appelle  «  the  Concessions  Court  »,  composé  des  juges 
de  la  Suprême  Court,  un  juge  pouvant  siéger  et  pou- 
vant exercer  tous  les  pouvoirs  du  tribunal.  Ses  attri- 
butions sont  de  déclarer  valable  ou  non  valable  toute 
concession  concernant  les  terres  situées  dans  la  Colo- 
nie ou  le  Protectorat  »,  toute  concession  pour  être  va- 
lable devant  être  validée  par  lui. 

Peuvent  seules  être  certifiées  valables  les  conces- 
sions faites  par  écrit  et  signées  par  le  concédant  ou  par 
une  personne  légalement  autorisée  par  lui,  que  le  tri- 
bunal aura  jugé  passées  par  des  personnes  compétentes 
et  comprenant  la  portée  de  leur  acte.  Les  concessions 
seront  nulles  si  elles  sont  obtenues  par  fraude  ou  si  une 
somme  suffisante  n'a  pas  été  convenue  comme  prix. 

Ces  concessions  ne  portent  du  reste  pas  sur  la  pro- 
priété même  du  sol,  l'ordonnance  paraissant  estimer 
que  ce  droit  ne  peut  être  transmis.  Elle  dispose  en 
effet  que  le  tribunal  ne  peut  valider  une  seconde  con- 
cession que  s'il  reconnaît  que  les  droits  coutumiers  des 
indigènes,  au  point  de  vue  des  déplacements  de  cul- 
ture, de  la  récolte  du  bois  de  chauffage  et  de  la  chasse, 
ont  été  raisonnablement  protégés. 


LE    REGIME    FONCIER 


19 


En  somme,  comme  le  dit  le  rapport  de  1908\  la  terre 
est  regardée  dans  le  Protectorat  comme  appartenant 
sans  réserve  et  entièrement  au  peuple  de  la  tribu  pour 
le  bénéfice  de  laquelle  elle  est  administrée  par  le  chef 
et  ses  conseillers.  Elle  ne  peut  être  concédée  ou  louée 
par  le  gouvernement. 

Le  chef,  avec  le  consentement  de  ses  conseillers, 
peut  consentir  des  locations  de  terrain  pour  le  com- 
merce et  Tagriculture*  Lorsque  des  constructions  per- 
manentes doivent  être  établies,  les  arrangements  en 
vertu  desquels  la  terre  est  louée  doivent  être  passés 
par  écrit  devant  le  District  Commissioner,  indiquant 
la  somme  payée  annuellement  au  chef  dans  ce  but. 

Pour  les  terres  de  culture,  si  la  superficie  louée  ne 
dépasse  pas  50  acres,  le  consentement  du  District  Com- 
missioner est  nécessaire;  lorsqu'elle  dépasse 50  acres, 
celui  du  gouverneur  est  exigé,  et  s'il  s'agit  de  plus  de 
5.000  acres  il  faut  celui  du  Secrétaire  d'État.  Dans 
aucun  cas  un  chef  ne  peut  être  forcé  de  disposer  de  sa 
terre  malgré  lui,  et  il  doit  tenir  compte  de  la  volonté 
de  son  peuple. 

Le  tribunal  a  le  droit  de  modifier  comme  il  le  juge 
bon  les  termes  de  la  concession  et  de  ne  la  valider  que 
sous  certaines  conditions  qui  lui  paraîtront  justes.  Si 
ces  conditions  ne  sont  pas  exécutées,  il  peut,  à  la  re- 
quête des  intéressés,  annnuler  le  certificat  ou  bien 
ordonner,  sous  peine  de  dommages  et  intérêts,  l'exé- 
cution des  conditions  imposées,  ou  prendre  telle  autre 
décision  qu'il  jugera  bon.  Les  frais  de  ces  interven- 
tions sont  laissés  à  la  discrétion  du  tribunaL 

1.  Colonial  Reporl,  n*  611  (Gd.  4448-20). 


80  SIERRA    LEONE 

Le  gouverneur  peut  demander  à  l'attorney-general 
d'intervenir  comme  partie  dans  tous  les  procès  en  vali- 
dation. 

Il  a  paru  nécessaire  d'établir  un  régime  spécial  pour 
les  |habitants  de  la  Colonie  proprement  dite  résidant 
dans  le  Protectorat.  Ils  ont  le  droit  d'occuper  des  ter- 
rains avec  l'assentiment  des  chefs  locaux,  à  condi- 
tion de  leur  payer  une  redevance  annuelle  de  1  livre 
sterling  et,  s'ils  habitent  un  village  voisin  d'une  route 
«  améliorée  »,  1  livre  10  shillings.  En  retour,  ils  ont 
droit  à  la  même  protection  et  aux  mêmes  bons  offices 
que  les  chçfs  doivent  donner  à  leurs  propres  sujets. 

Nul  ne  pourra  faire  de  prospection  minière  dans  la 
Colonie  ou  le  Protectorat  sans  en  avoir,  a^  préalable, 
obtenu  l'autorisation  sous  forme  d'une  licence  sujette 
à  un  droit  de  timbre  de  5  livres,  et  ce  sous  peine  d'une 
amende  ne  dépassant  pas  50  livres. 

Nul. ne  pourra  effectuer  de  travaux  sans  en  avoir 
obtenu  l'autorisation  sous  forme  de ,  concession  par 
l'indigène  intéressé  et  sans  avoir  obtenu  utie  licence  du 
gouverneur  sujette  à  un  droit  de  timbre  .de  30  livres,  et 
ce  sous  peine  d'une  amende  ne  dépassant  pas  50  livres. 
Les  indigènes  exploitant  des  droits  miniers  suivant  la 
coutume  seront  dispensés  de  licence. 
'  Les  personnes  qui  exploiteront  des  mines  devront 
payer  au  gouvernement  un  droit  de  1  shilling  par 
20  shillings  sur  tout  profit  fait  en  vertu  de  l'exercice  des 
droits  conférés  par*  la  concession.  Elles  devront,  pour 
assurer  le  contrôle,  se  plier  à  toute  une  série  de  règles 
fixées  par  rdrdonriance  et  dans  les  détails  desquelles 
nous  n'entrerons  pas. 

Toute  personne  qui  déclarera  fétiche. une  terre  ayant 


LE    REGIME    FONCIER  81 

fait  l'objet  d'un  certificat  de  validité  sera  passible  d'une 
amende  ne  dépassant  pas  50  fr.  ou  d'un  emprisonne- 
ment ne  dépassant  pas  six  mois. 

Le  gouverneur  a  le  droit  de  prendre  cession  de  tout 
ou  partie  d'une  terre  concédée  pour  l'exercice  des 
services  publics,  sans  être  tenu  à  d'autres  dommages 
que  ceux  que  le  tribunal  fixera  à  titre  de  compensation 
des  travaux  effectués. 

En  somme,  toute  cette  législation,  confuse,  aux  ten- 
dances très  diverses,  s'attachant  tantôt  à  faire  la  part 
la  plus  grande  possible  aux  libertés  et  aux  institutions 
des  indigènes,  allant  même  dans  ce  sens  jusqu'à  leur 
donner  autorité  sur  les  Européens,  tantôt  à  garder  ces 
mêmes  indigènes  en  tutelle,  reflète  les  caractères  de 
l'occupation  anglaise  à  Sierra  Leone,  occupation  qui, 
pendant  tout  un  siècle,  s'est  attachée  à  former  une 
société  noire  sur  le  moule  des  sociétés  européennes,  et 
qui  tout  d'un  coup,  ayant  voulu  s'étendre  sur  des  tribus 
nouvelles  et  s'étant  heurtée  à  des  difficultés  qu'elle  n'a- 
vait pas  prévues,  en  a  été  un  peu  déconcertée. 

On  peut  dire  cependant  que,  jusqu'ici,  c'est  la  poli- 
tique de  tutelle  inaugurée  par  Sir  Frédéric  Cardew  qui 
a  prévalu,  à  l'encontre  de  celle  préconisée  par  Sir  David 
Ghalmers.  Elle  a  été  appliquée  avec  assez  de  tact,  et  les 
circonstances  lui  ont  été  assez  favorables  pour  qu'il 
n'en  ait  découlé  aucun  nouvel  incident  depuis  le  grand 
soulèvement  qui  a  marqué  l'avènement  de  la  domina- 
tien  anglaise  sur  l'intérieur  de  Sierra  Leone. 


6 


CHAPITRE  VII 

LA  GOLD  COAST 


La  fondation  de  la  Colonie. 

A  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  40  forts  avaient  été 
établis  sur  la  côte  occidentale  d'Afrique  par  les  diverses 
compagnies  européennes  qui  se  livraient  à  la  traite  des 
esclaves.  Ils  étaient,  pour  la  plupart,  construits  le  long 
de  la  côte  qui  constitue  aujourd'hui  le  littoral  de  la 
GoldCoast;  15  étaient  hollandais,  14  anglais,  3  français, 
4  danois  et  4  portugais.  Lorsque  le  gouvernement  de 
Sierra  Leone  fut  constitué,  en  1808,  les  forts  anglais  lui 
furent  rattachés,  et  ce  fut  le  début  de  la  colonie.  Elle 
prit  le  nom  de  «  West  African  Settlements  »  et  fut  pla- 
cée sous  le  contrôle  direct  de  la  Couronne. 

Tandis  que  les  nations  européennes  poursuivaient 
leurs  opérations  commerciales  le  long  de  la  côte,  les 
tribus  qui  vivaient  sur  le  bord  de  la  mer  déterminaient, 
au  commencement  du  dix-huitième  siècle,  les  limites  de 
leurs  territoires,  et  celles  de  l'intérieur  étaient  absor- 
bées par  le  royaume  de  l'Ashanti  ou  devenaient  ses 
tributaires. 

Ce  royaume  avait  été  fondé  aux  environs  de  1700  par 
Osri  Tutu,  qui  établit  sa  capitale  à  Kumassi.  Ce  chef  sou- 
mit les  Okwawus,les  Gamans,  les  Denkyrans  et  le  pays 
des  peuplades  habitant  l'ouest  de  la  rivière  Tano.  Ses 
successeurs  étendirent  le  pouvoir  des  Ashantis  jusqu'à 


( 


LA  FONDATION  DE  LA  COLONIE  83 

la  Yolta  et  annexèrent  le  Dagonba.  Ils  soumirent  les 
Sefwis  et  les  Adansis  et  étendirent  leur  pouvoir  sur  les 
Wassaws  à  Touest  et  les  Akwamus  et  les  Akwapems  à 
Test.  A  partir  de  ce  moment  (commencement  du  dix- 
neuvième  siècle),  ils  se  trouvèrent  en  contact  avec  les 
Fantis,  qui  formaient  la  tribu  la  plus  puissante  de  la  « 

côte,  et  ne  cessèrent  d'être  en  guerre  avec  eux. 

Ce  sont  les  luttes  que  l'Angleterre  eut  à  soutenir 
contre  les  Ashantis  qui  l'ont  amenée  peu  à  peu  à  s'éta- 
blir fortement  dans  le  pays  et  à  occuper  l'intérieur. 
Pendant  de  très  longues  années,  son  seul  but  fut  de 
protéger  ses  nationaux,  que  les  incursions  des  Ashantis 
gênaient  fort.  L'intervention  de  la  métropole  fut  pen- 
dant très  longtemps  aussi  modérée  que  possible. 

La  première  invasion  Ashanti  dans  le  pays  Fanti  vint 
se  heurter  en  1807  contre  le  fort  d'Annamabo.  Les  com- 
merçants anglais  conclurent  alors  un  traité  par  lequel 
ils  s'engagèrent  à  payer  aux  Ashantis  une  redevance 
annuelle,  en  reconnaissance  de  leur  établissement  à 
Cape  Coast  et  à  Annamabo. 

En  1817,  les  Ashantis  envahirent  de  nouveau  le  pays 
Fanti  et  bloquèrent  Cape  Coast.  Ils  se  retirèrent  après 
payement  par  les  Fantis  d'une  somme  d'argent  qui  leur 
fut  avancée  par  les  Anglais.  Ceux-ci  envoyèrent  à  Ku- 
massi,  sous  la  direction  de  M.  Bowdich,  une  mission 
qui,  en  septembre  1817,  conclut  un  traité  en  vertu  du- 
quel un  résident  anglais  devait  être  laissé  à  Kumassi; 
le  payement  de  la  rente  consentie  en  1817  fut  confirmé. 
Peu  après,  le  roi  des  Ashantis,  s'étant  jugé  offensé  par 
les  indigènes  de  Commenda  et  de  Cape  Coast,  leur 
réclama  une  somme  de  1.600  onces  d'or  et  demanda 
une  somme  analogue  au  gouverneur  du  fort,  qui  se 


L 


34  LA    GOLD    COAST 

refusa  à  payer  tout  tribut.  Un  incident  qui  se  passa 
alors  montre  que  les  rapports  de  la  métropole  et  des 
établissements  de  la   côte  n'éuient  pas  encore  bien 

définis. 

Un  envoyé  du  gouvernement  anglais,  Dupuis»,  se 

rendit  à  Kumassi  en.  1818.  Il  fut  reçu  favorablement  par 
le  roi,  qui  conclut  avec  lui  un  traité  en  vertu  duquel  il 
promettait  fidélité  au  gouvernement  anglais,  s'enga- 
geait à  protéger  le  commerce  fait  avec  la  côte,  recon- 
naissait sa  souveraineté  sur  les  territoires  fantis,  sous 
réserve  que  les  Fantis  garderaient  le  bénéfice  de  Tu- 
sage  des  lois  a'nglaises;  mais  il  arriva  que  les  autorités 
locales  se  refusèrent  à  ratifier  ce  traité,  sous  prétexte 
qu'elles  ne  pouvaient  reconnaître  l'autorité  des  Ashan- 

tis  sur  les  Fantis. 

Cet  incident  devait  hâter  la  dissolution  de  l'African 
Company,  qui  avait  gardé  à  côté  du  gouvernement  an- 
glais des  droits  souverains.  En  1821,  le  Parlement  vota 
un  bill  en  vertu  duquel  la  charte  de  celte  compagnie 
lui  était  retirée  ;  ses  forts  et  possessions  passèrent  à  la 
Couronne.  Sir  Charles  MacCarthy  fut  nommé  gouver- 
neur de  la  Gold  Coast,  qui  devenait  indépendante  de 
Sierra  Leone  ;  MacCarthy  résolut  de  protéger  les  tribus 
de  la  côte  contre  les  Ashantis,  mais  il  fut  tué  par  ceux- 
ci  le  13  janvier  1824,  aux  environs  du  Prah.  Les  Ashantis 
restèrent  établis  à  la  côte  pendant  plusieurs  mois;  ils 
se  retirèrent  dans  l'intérieur  à  la  suite  d'une  épidémie 
de  petite  vérole.  En  1826,  ayant  tenté  une   nouvelle 
incursion,   ils   furent   enfin   repoussés,    grâce   à    une 
alliance  des  troupes  des  divers  forts  européens. 

1.  Dupais,  Journal  of  a  résidence  in  Ashantee, 


LA  FONDATION  DE  LA  COLONIE  85 

Quelque  temps  auparavant,  le  gouvernement  anglais, 
fatigué  des  difficultés  qu'il  éprouvait  dans  ce  pays,  im- 
posa aux  commerçants  une  taxe  pour  compenser  les 
dépenses.  To\it  naturellement  le  commerce  se  porta 
vers  les  forts  danois  et  hollandais,  et  il  s'en  fallut  de 
peu  que  l'Angleterre  ne  se  décourageât.  Il  fut  décidé, 
en  1825,  que  seuls  Cape  Coast  Caslle  et  Accra  seraient 
occupés  militairement;  en  1826,  on  proposa  d'aban- 
donner Accra,  et  en  1827  le  gouverneur  fut  avisé  d'a- 
voir  à  informer  les  marchands  que  les  forts  seraient 
évacués,  et  que  s'ils  restaient  établis  dans  le  pays,  ce 
serait  à  leurs  risques  et  périls. 

En  1828,  on  prit  le  parti  d'attribuer  le  gouvernement 
des  forts  à  un  comité  de  marchands  de  Londres  ayant 
des  intérêts  à  la  Gold  Coast  et  choisis  par  le  gouver- 
nement anglais.  Cinq  de  leurs  agents  résidents  à  Cape 
Coast  et  à  Accra,  nommés  avec  l'approbation  du  secré- 
taire d'Etat,  devaient  former  un  conseil  d'administra- 
tion des  établissements  et  une  cour  de  justice  de  paix; 
il  leur  était  défendu  de  faire  de  nouvelles  acquisitions 
territoriales.  Ils  étaient  rattachés  aux  West  African 
Settlements  de  Sierra  Leone,  mais  un  gouverneur  an- 
glais était  placé  auprès  d'eux;  ce  fut  le  capitaine  George 
MacLean. 

MacLean  parvint  en  1831  à  passer  avec  les  Ashantis 
un  traité  en  vertu  duquel  ceux-ci  devaient  donner  en 
otage  deux  princes  royaux,  payer  une  somme  de  600 
onces  d'or,  et  s'engageaient  à  abandonner  leurs  préten- 
tions sur  les  Fantiset  à  prendre  le  gouverneur  anglais 
comme  arbitre  des  querelles  qui  pourraient  éclater 
entre  eux  et  les  peuples  de  la  côte. 

MacLean  était  un  administrateur  de  grande  valeur.  Il 


86  LA    GOLD    COAST 

parvint  pendant  dix  ans  à  maintenir  une  paix  que 
Ton  n'avait  pas  encore  connue.  Il  étendit  l'influence 
anglaise  sur  150  milles  de  côte  et,  dans  l'intérieur, 
jusque  dans  l'Ashanti.  Il  fut  le  véritable  créateur  de 
ce  qui  devait  être  la  Colonie  proprement  dite  de  Gpld 
Coast. 

Sous  son  administration  les  missions  Avesleyennes 
commencèrent  leur  œuvre  dans  ces  pays. 

Il  devait  cependant  être  accusé  de  favoriser  la  traite 
lies  esclaves.  En  1840  le  D*"  Madden,  envoyé  par  le  gou- 
vernement anglais  pour  examiner  la  situation,  conclut 
au  maintien  des  colonies  de  la  Gold  Coast,  mais  sous 
un  régime  différent. 

En  1842  un  Select  Committee  de  la  Chambre  des  com- 
munes recommande  la  reprise  du  gouvernement  par  la 
Couronne,  la  réoccupation  de  tous  les  forts  abandonnés 
et  la  construction  de  forts  nouveaux.  La  juridiction 
anglaise  devait  s'étendre  sur  les  tribus  indigènes  qui 
vivaient  dans  le  voisinage  immédiat  des  forts,  mais  sous 
la  réserve  que  cette  juridiction  serait  acceptée  libre- 
ment par  eux,  «  non  comme  l'allégeance  de  sujets, 
mais  comme  la  déférence  d'un  pouvoir  faible  pour  un 
voisin  plus  fort  et  plus  éclairé  ».  Les  forts  anglais  de 
la  Gold  Coast  furent  pris  en  charge  par  la  Couronne 
(Acts  6  and  7  Victoria  \  c.  13).  Un  Judicial  Assessor  (dé- 
pendant du  gouverneur  de  Sierra  Leone)  exerçait  dans 
les  forts  les  fonctions  de  juge  de  paix  auprès  des  indi- 
gènes qui  avaient  accepté  la  juridiction  anglaise  (Acts 
6  and  7  Victoria*,  c.  94j.  En  reconnaissance  de  ses  ser- 

1.  Remplacé  par  Ihe  BriUsh  SeUlements  ad,  1887,  50,  51  Victoria,  c.  53. 

2.  Remplacé  par  Ihe  t'oreign  JurisdicUon  Acly  1890,  53  et  54  Victoria, 
c.  37. 


LA  FONDATION  DE  LA  COLONIE  87 

vices,  le  poste  de  Judicial  Âssessor  fut  confié  à  MacLean 
lui-môme,  qui  Toccupa  jusqu'à  sa  mort. 

En  1844,  le  gouverneur  Hill  signa  avec  les  chefs  des 
Fantis  de  Denkara,  Abrah  de  Assim,  de  Donadie,  de 
Donomassie,  d'Annamaboe  et  de  Cape  Coast  des  trai- 
tés par  lesquels  ceux-ci  renonçaient  aux  sacrifices  hu- 
mains et  admettaient  la  juridiction  de  la  reine  dans 
tous  les  cas  graves.  On  estimait,  en  1847,  l'étendue  des 
Gold  Coast  Settlements  à  6.000  milles  carrés,  et  leur 
population  à  275.000  habitants  au  moins. 

En  1849,  Lord  Gray,  secrétaire  d'Etat  aux  colonies, 
suggéra  que  l'Angleterre  pourrait  prendre  définitive- 
ment possession  de  ces  territoires  de  façon  à  les  orga- 
niser et  à  en  retirer  des  revenus.  Son  projet  ne  fut 
cependant  pas  accepté  dans  son  ensemble,  parce  qu'on 
craignit  d'indisposer  les  indigènes  et  parce  qu'il  eut  été 
nécessaire  d'obtenir  au  préalable  la  collaboration  des 
Danois  et  des  Hollandais,  de  façon  à  pouvoir  organiser 
un  service  de  douanes.  L'Angleterre  se  décida  à  acheter 
les  forts  danois  qui  s'échelonnaient  de  Christiansborg 
à  Kita.  Le  24  janvier  1850,  des  lettres  patentes  sépa- 
raient les  établissements  de  la  Gold  Coast  des  dépendan- 
ces de  Sierra  Leone.  Une  «  Suprême  Court  of  Justice  » 
fut  établie,  et  le  «  Gold  Coast  Corps  Régiment  »  fut 
formé. 

I?n  1852,  le  gouverneur  Hill  institua  une  assemblée 
de  chefs  indigènes  sous  le  nom  de  «  the  Législative 
Assembly  of  Native  Chiefs  upon  the  Gold  Coast  »,  et 
leur  fit  admettre  le  principe  de  l'établissement  d'un 
impôt  {poll'tax)  en  échange  du  bénéfice  de  la  protec- 
tion anglaise.  Ce  fut,  là  en  somme,  la  première  recon- 
naissance du  Protectorat  par  les  indigènes.  Peu  après, 


88  LA    GOLD    COAST 

un  léger  droit  de  douane  fut  établi  à  l'importation  des 
marchandises  européennes. 

La  situation  cependant  ne  devait  pas  s'améliorer  ra- 
pidement. La  taxe  ne  put  être  levée,  les  indigènes  se 
soulevèrent  à  Accra,  et  à  deux  reprises,  en  1853  et  en 
1863,  les  Ashantis  durent  être  repoussés  par  des  expé- 
ditions assez  fortes. 

De  leur  côté,  les  marchands,  trouvant  abusif  de  payer 
des  droits  de  douane,  voulurent  revenir  à  la  politique  de 
MacLean.  La  traite  des  noirs  disparaissait  de  plus  en 
plus,  car,  en  dehors  de  Cuba,  les  esclaves  devenaient 
d'un  placement  difficile;  l'intervention  du  gouverne- 
ment anglais  paraissait  moins  nécessaire  à  ce  point  de 
vue;  aussi,  devant  les  difficultés  que  présentait  de  plus 
en  plus  l'administration  des  établissements  de  la  Gold 
Coast  et  des  dépenses  qui  en  étaient  la  conséquence,  le 
Parlement  fit  procéder  à  une  nouvelle  enquête  «  sur 
l'état  des  établissements  anglais  de  la  côte  occidentale 
d'Afrique  »  et  les  mesures  qu'il  pouvait  être  opportun 
de  prendre. 

Nous  avons  indiqué,  dans  notre  introduction,  com- 
ment les  conclusions  de  cette  commission  (Select  Com- 
mitlee)  condamnaient  toute  extension  ultérieure  terri- 
toriale de  l'Angleterre  en  Afrique,  et  nous  avons  dit 
quelles  avaient  été  les  graves  conséquences  de  cette 
<i  déclaration  ».  Le  comité  prévoyait  l'abandon  de  toute 
la  côte,  sauf  peut-être  de  Sierra  Leone,  entre  les  mains 
des  indigènes.  Il  demandait  qu'en  attendant  l'exécu- 
tion de  cette  mesure  radicale,  tous  les  Settlements  fus- 
sent replacés  sous  les  ordres  du  gouverneur  de  Sierra 
Leone.  Cette  mesure  était  effectuée  par  une  «  Commis- 


LA  FONDATION  DE  LA  COLONIE  89 

sion  »  en  date  du  19  février  1866.  Un  «  Admînistralor  » 
était  simplement  laissé  à  la  Gold  Coast  sous  les  ordres 
du  gouvernement  en  chef  de  Sierra  Leone. 

La  déclaration  de  1865  fut  surtout  la  manifestation  de 
cette  tendance  de  non-intervention  directe  auprès  des 
indigènes  qui  devait  être  la  caractéristique  de  la  poli- 
tique anglaise  en  Afrique  occidentale  jusque  dans  ces 
dernières  années.  Elle  ne  devait  cependant  pas  retar- 
der considérablement  la  marche  des  événements  à  la 
Gold  Coast.  Quelques  mesures  que  l'on  dût  prendre 
ultérieurement,  il  parut  nécessaire  de  se  débarrasser 
des  Hollandais,  dont  les  établissements  étaient  inextri- 
cablement enchevêtrés  avec  ceux  des  Anglais  et  qui 
étaient  restés  leurs  seuls  concurrents.  Le  chef-lieu  du 
gouvernement  anglais  était  à  Cape  Coast  Castle,  celui 
des  Hollandais  à  Elmina,  tout  à  côté.  La  Hollande, 
d'autre  part,  ne  tenait  que  médiocrement  à  conserver 
ses  établissements,  qui  étaient  devenus  de  peu  d'impor- 
tance pour  elle  et  qui  lui  coûtaient  annuellement 
250.000  fr.  Une  convention  fut  signée  en  mars  1865, 
d'après  laquelle  tous  les  forts  hollandais  situés  à  l'est 
de  la  Svveet  River  étaient  cédés  à  l'Angleterre,  tandis 
que  les  forts  anglais  à  l'ouest  de  cette  rivière  étaient 
cédés  aux  Hollandais. 

Ceux-ci  éprouvèrent  cependant  des  difficultés  de  plus 
en  plus  grandes  à  les  administrer.  En  1870,  les  Fantis 
habitant  les  territoires  réservés  à  l'influence  anglaise 
envahirent  le  pays  d'Elmina  et  détruisirent  soixante 
villages. 

Le  25  février  1871,  une  nouvelle  convention  fut  signée 
dans  laquelle  les  Hollandais  cédaient  définitivement  tous 
leurs  établissements  aux  Anglais  contre  le  payement 


90  LA    GOLD    COAST 

d'une  somme  de  3.790  livres  1  shilling  et  9  pence  1/2,  et 
le  4  avril  1872,  M.  Pope  Hennessy  arriva  pour  prendre 
possession  des  forts  hollandais  comme  administrateur 
en  chef.  Le  pavillon  anglais  fut  hissé  à  Chamah,  Sekondi, 
Boutri,  Dixcove,  Axime,  Accra,  Addah  et  Kita.  L'An- 
gleterre restait  seule  désormais  à.  la  Gold  Coast  et 
allait  pouvoir,  dans  la  mesure  où  elle  le  jugerait  bon, 
intervenir  dans  la  vie  économique  et  politique  de  ces 
pays. 

En  1864,  le  gouverneur  Pine  avait  voulu  s'établir  sur 
le  Prah  pour  couper  la  route  de  la  côte  aux  Ashantis. 
Sa  tentative  échoua  complètement,  par  suite  surtout 
des  conditions  climatériques.  Comme  il  était  toujours 
arrivé  après  chaque  échec  des  troupes  anglaises,  les 
tribus  de  la  côte  se  montrèrent  insubordonnées;  des 
troubles  éclatèrent,  comme  nous  venons  de  le  dire, 
entre  les  Fantis  et  les  Elminas,  qui  étaient  soutenus 
par  les  Ashantis.  Au  moment  où  ce  transfert  eut  lieu, 
les  Elminas  furent  informés  que  la  protection  anglaise 
s'étendrait  sur  eux  et  que  les  Fantis  devraient  s'abste- 
nir de  les  attaquer.  Le  roi  des  Ashantis  écrivit  que,  les 
Hollandais  lui  payant  un  tribut  pour  l'occupation  d'El- 
mina,  les  Anglais  devraient  à  l'avenir  faire  de  même. 
Lord  Kimberley  répondit  que  l'Angleterre  consen- 
tirait à  payer  une  somme  plus  élevée  que  ne  le  faisait 
la  Hollande,  à  condition  que  ce  ne  fût  pas  «  comme  un 
tribut,  mais  comme  un  encouragement  à  maintenir  la 
paix  et  à  encourager  le  commerce,  sous  telles  condi- 
tions qui  seraient  nécessaires  pour  la  sécurité  des 
habitants  de  la  côte  ».  Ce  payement  serait  continué 
((  comme  un  don  annuel,  qui  serait  fait  aussi  longtemps 
que  la  conduite  du  roi  serait  paisible  et  satisfaisante  à 


LA  FONDATION  DE  LA  COLONIE  91 

tout  autre  point  de  vue  pour  le  gouvernement  de  Sa 
Majesté  ». 

Les  indigènes  qui  habitaient  le  voisinage  des  forts 
anciennement  occupés  par  les  Hollandais  ne  parais- 
saient pas  non  plus  vouloir  respecter  le  protectorat  de 
l'Angleterre,  et  le  gouvernement  anglais  se  montra  tout 
d  abord  très  anxieux  de  ne  rien  faire  qui  pût  irriter 
ces  indigènes.  Les  instructions  qui  furent  données  à 
M.  Hennessy  par  Lord  Kimberley  sont  particulièrement 
significatives  à  ce  point  de  vue*. 

«...  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  n'a  pas  l'inten- 
tion d'imposer  le  protectorat  anglais  à  ces  tribus  sans 
leur  consentement...  Vous  devez  dire  aux  Elminas 
qu'on  ne  leur  demande  pas  de  se  placer  sous  le  pro- 
tectorat anglais  contre  leur  volonté,  et  une  communi- 
cation analogue  devra  être  faite  à  toutes  les  tribus  sur 
lesquelles  le  protectorat  anglais  qui  avait  été  retiré  en 
1868  s'étend  de  nouveau...  L'objet  que  le  gouvernement 
de  Sa  Majesté  a  eu  en  vue  en  signant  ce  traité  (avec  la 
Hollande)  n'est  pas  de  faire  une  acquisition  de  terri- 
toire ni  d'étendre  le  pouvoir  anglais,  mais  de  maintenir 
la  paix  et  d'encourager  le  commerce  à  la  côte,  et  rien 
ne  peut  être  [plus  opposé  à  son  désir  que  de  voir  un 
traité  conçu  dans  ce  but  exécuté  avec  violence. 

«  11  espère  en  même  temps  que,  par  de  sages  et 
judicieuses  précautions,  l'excitation  qui  peut  survenir  à 
la  suite  d'un  événement  aussi  important  que  le  départ 
des  Hollandais  n'entraînera  pas  de  sérieuses  difficul- 
tés; et  il  n'a  pas  besoin  de  dire  qu'il  regretterait  pro- 
fondément que    des    arrangements   qu'il    croit   avoir 

1.  P.  p.  Gold  Coast  :  Return  to  an  address  oftht  honourable  House  of 
Commons,  5  May  1873,  266,  part  I,  n*  11. 


92  LA    GOLD    COAST 

passés  pour  le  bénéfice  de  la  population  tout  entière 
et  qui  ont  pour  but  de  mettre  fin  aux  difficultés  qui 
ont  été  de  tout  temps  la  conséquence  de  la  division 
de  l'autorité  à  la  côte,  soient  annihilées  par  les  jalou- 
sies des  tribus  indigènes. 

«  Vous  ne  devrez  sous  aucun  prétexte  employer  la 
force  pour  obliger  les  indigènes  à  consentir  au  trans- 
fert des  forts  ;  mais  si  vous  estimez  que  des  tentatives 
faites  par  les  autorités  anglaises  pour  prendre  posses- 
sion de  ces  forts  rencontreraient  la  résistance  des  tri- 
bus voisines,  vous  n'accepterez  pas  ce  transfert,  mais 
vous  vous  en  référerez  au  gouvernement  de  Sa  Majesté 
et  vous  attendrez  de  nouvelles  instructions.  » 

Le  transfert  eut  lieu  le  6  avril  1872*  sans  incident, 
après  une  réunion  préliminaire  des  chefs,  à  qui  M.  Hen- 
nessy  assura  qu'il  ne  serait  rien  changé  à  l'adminis- 
tration mise  en  vigueur  par  les  Hollandais.  Dans  une 
proclamation,  le  gouverneur  hollandais  expliqua  com- 
ment le  désir  de  voir  l'ordre  établi  à  la  Gold  Coast 
avait  poussé  le  roi  de  Hollande  à  céder  ses  forts  à 
l'Angleterre;  les  habitants  qui  voudraient  se  rendre 
dans  d'autres  possessions  hollandaises  y  seraient  aidés 
En  réponse,  une  seconde  proclamation  fut  faite  par  le 
représentant  de  la  reine  d'Angleterre,  dont  les  prin- 
cipaux termes  étaient  les  suivants  :  «  ...  Au  nom  de  la 
Reine,  je  prends  le  gouvernement  des  territoires  unis 
de  la  côte  de  Guinée.  Je  déclare  en  outre  et  proclame 
que  Sa  Majesté  la  reine  Victoria  étend  sa  faveur  et  son 
entière  protection  aux  Eiminas  et  aux  Fantis  ou  à  toute 
autre  tribu  indigène  de  l'Afrique  occidentale;  que  Sa 

1.  Voir,  pour  les  détails  de  la  cérémonie  et  les  protocoles  échangés» 
loco  ciLy  32  et  33. 


J.A    FONDATION    DE    LA    CQLONIE  93 

Majesté  sera  fâchée  [displeased)  contre  toute  tribu  qui 
commencera  ou  qui  poursuivra  des  troubles  dans  le 
voisinage  des  établissements  de  Sa  Majesté;  que  Ta- 
mitié  et  les  bons  conseils  de  Sa  Majesté  seront  tou- 
jours garantis  aux  chefs  indigènes  des  tribus  qui 
maintiendront  la  paix  et  laisseront  libres  les  commu- 
nications commerciales.  » 


CHAPITRE    VIII 

LA  60UI  COAST 


Le  soulèvement  de  1875. 

Le  premier  soin  du  nouveau  gouverneur  fut  d'infor- 
mer^ du  transfert  le  roi  des  Ashantis.  Il  lui  fit  part  de 
la  décision  du  gouvernement  anglais  de  lui  servir,  en 
marque  d*amitié,  un  subside  double  de  celui  qu'il  rece- 
vait des  Hollandais.  Les  routes  qui  mettaient  en  com- 
munication les  territoires  ashantis  et  les  territoires 
anglais,  routes  qui  avaient  été  fermées  en  1871,  seraient 
rouvertes;  mais  il  devait  être  entendu  que  les  Euro- 
péens détenus  à  Kumassi  seraient  renvoyés  à  la  côte. 

Les  Ashantis  détenaient,  en  effet,  comme  prison- 
niers, depuis  1869,  trois  missionnaires  allemands, 
MM.  Kuehne  et  M.  et  M"™®  Ramseyer,  qui  avaient  avec 
eux  leur  petite  fille,  le  Français  Bonnet  et  un  indigène 
d'Accra,  M.  Palmer. 

Les  Ashantis  déclarèrent  qu'ils  ne  libéreraient  leurs 
captifs  que  contre  une  rançon. 

Une  somme  de  1.000  livres  fut  offerte  par  la  mission 
de  Baie.  Il  semble,  d'après  les  déclarations  des  prison- 
niers, que  le  roi  ait  été  personnellement  d'avis  de 
vivre  en  bons  termes  avec  les  Anglais,  mais  qu'il  était 
entièrement  entre  les  mains  de  ses  chefs,  qui  parais- 
saient désirer  une  nouvelle  guerre,  la  dernière  s'étant 

1.  Loco  cit.,  n*  6t. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1875  95 

tournée  toute  à  leur  avantage.  A  la  suite  d'une  cor- 
respondance^ assez  longue  échangée  entre  le  roi 
des  Ashantis  et  le  gouverneur  anglais,  les  événements 
paraissaient  devoir  prendre  une  bonne  tournure,  lors- 
que tout  à  coup  on  apprit  que,  le  22  janvier  1873,  des 
soldats  ashantis,  au  nombre  de  1.200,  avaient  passé  le 
Prah  et  envahi  le  territoire  d'Assim.  Le  colonel  Harley, 
qui  en  avisait  le  gouverneur  de  Sierra  Leone,  s'ex- 
primait ainsi*  :  «  Je  ne  peux  assez  exprimer  à  Votre 
Excellence  le  profond  étonnement  que  j'ai  éprouvé  en 
apprenant  cette  nouvelle,  car  depuis  quelque  temps  les 
relations  les  plus  amicales  existaient  entre  le  gouver- 
nement et  les  Ashantis,  dont  le  roi  m'a  dernièrement 
encore  donné  l'assurance  de  sa  bonne  volonté  et  de  ses 
intentions  pacifiques...  Ce  ne  peut  être  qu'une  attaque 
gratuite  sans  aucune  provocation.  » 

On  attribue  généralement  cette  invasion,  qui  devait 
être  le  commencement  de  la  guerre  de  1873  et  1874, 
au  mécontentement  éprouvé  par  les  Ashantis  à  la  suite 
de  la  prise  de  possession  par  les  Anglais  des  forts  hol- 
landais. Il  est  bien  probable  qu'il  n'y  eut  là  qu'un  pré- 
texte et  que  la  guerre  n'a  eu  d'autre  raison  d'être  que 
le  désir  des  Ashantis  de  continuer  leurs  pillages  et 
de  faire  sentir  aux  Anglais  qu'ils  n'avaient  abandonné 
aucune  des  prétentions  qu'ils*  avaient  de  tout  temps 
émises  sur  les  tribus  de  la  côte. 

Quelque  temps  avant  l'invasion ,  les  commerçants 
européens  établis  à  Cape  Coast  avaient  refusé  de  payer 
les  anciennes  redevances  qu'ils  acquittaient  autrefois 
entre  les  mains  des  propriétaires  indigènes,  en  com- 

1.  Loco  cil.,  n"  64,  68,  69,  70,  71,  91,  96,  99. 

2.  Loco  cit.,  part.  II,  n*  139. 


96  LA    GOLD    COAST 

pensatîon  des  dépenses  que  ceux-ci  faisaient  pour  loger 
les  commerçants  ashantis. 

Ils  avaient  demandé  aussi  que  les  «  coutumes  »  bar- 
bares qui  continuaient  à  être  pratiquées  à  Elmina  fus- 
sent interdites. 

Le  colonel  Harley,  Tadministrateur  de  la  Gold  Coast, 
leur  donna  raison*.  Une  divergence  de  vues  assez 
grave  éclata  à  ce  sujet  entre  le  gouverneur  en  chef 
Hennessy,  qui  était  à  Sierra  Leone,  et  l'administrateur. 

Lorsque  la  nouvelle  de  Tinvasion  arriva  à  Sierra 
Leone,  le  gouverneur  ne  manqua  pas  d'écrire  au  Colo- 
nial Office  que  cette  invasion  avait  dû  être  occasion- 
née par  le  mécontentement  éprouvé  par  les  Ashantis 
à  la  suite  de  la  façon  abusive  avec  laquelle  le  colonel 
Harley  avait  soutenu  les  prétentions  des  Européens 
et  interdit  les  «  coutumes  »  à  Elmina.  Il  déclarait  avoir 
perdu  toute  confiance  en  lui  et  être  décidé  à  le  ren- 
voyer en  Angleterre.  Le  comte  de  Kimberley,  secré- 
taire d'État',  répondit  qu'  «  il  ne  pouvait  hâtivement 
condamner  la  conduite  de  M.  Harley  et  qu'il  lui  parais- 
sait que  rien  ne  pourrait  être  plus  fâcheux  que  de  le 
déplacer.  Cette  mesure,  au  lieu  de  fortifier  le  gouver- 
nement dans  un  moment  de  trouble,  ne  manquerait 
pas  de  faire  perdre  à  la  population  la  confiance  qu'elle 
devait  avoir  dans  l'administration.  » 

L'invasion  prenant  une  importance  de  plus  en  plus 
grande,  une  tentative  fut  d'abord  faite  par  l'adminis- 
tration locale  pour  lui  opposer  les  forces  fantis;  mais 


1-  Loco  cil.,  Tï*  127. 

2.  Loco  cit.,  n**  139  et  suivanls. 

3.  P.  p.  Furlher  Correspondence  relative  lo  affairs  in  Ashanli,  n*  1, 
page  30. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1875  97 

celles-ci  furent  d'abord  complètement  battues.  Le  colo- 
nel Harley  se  porta  à  leur  secours  avec  400  hommes 
de  troupes. 

Attaqué  le  17  avril  1873  par  les  Ashantis,  il  les  re- 
poussa une  première  fois  ;  quelques  jours  après,  les 
Fantis  ayant  été  pris  de  panique,  les  troupes. anglaises 
durent  se  replier  sur  Cape  Coast.  Le  Colonial  Office 
informé  pensa  que  les  mesures  prises  pour  renforcer 
la  garnison  anglaise  seraient  insuffisantes,  et  il  avisa 
dans  les  termes  suivants  le  War  Office*  :  «  Les  derniers 
rapports  reçus  montrent  que  le  transfert  d*Elmina  de 
la  Hollande  à  l'Angleterre  a  été  la  cause  de  l'invasion  ; 
le  roi  de  l'Ashanti  a  annoncé  sa  détermination  de  pren- 
dre Elmîna,  et  non  seulement  il  existe  un  fort  mouve- 
ment en  sa  faveur  parmi  les  tribus  habitant  ce  qui  était 
appelé  dernièrement  le  protectorat  hollandais,  mais 
encore  la  trahison  et  la  désaffection  existent  dans 
Cape  Coast.  Dans  ces  circonstances,  il  n'est  pas  pro- 
bable que  la  guerre  se  termine  de  bonne  heure  ou  avec 
facilité;  le  gouvernement  local  peut  redouter  une  atta- 
que violente  et  soutenue  contre  les  forts  et  les  villes. 
La  saison  des  pluies  qui  vient  de  commeniiier  a  forcé 
les  Ashantis  à  suspendre  leurs  opérations  actives;  mais 
Lord  Kimberley  est  d'avis  qu'il  n'y  a  pas  de  temps  à 
perdre  pour  renforcer  les  forces  de  Sa  Majesté  à  la 
Gold  Coast.  » 

C'étaient  là  les  préliminaires  de  l'expédition  des 
Ashantis.  Nous  n'entrerons  point  ici  dans  les  détails  de 
cette  campagne,  qui  est  restée  célèbre  dans  les  annales 
des  expéditions  coloniales,  par  les  précautions  qui 
furent  prises  pour  assurer  le  bon  état  des  troupes.  Ces 
détails  stratégiques  se  trouvent  très  clairement  expo- 

7 


98  LA    GOLD    COAST 

ses  dans  les  livres  du  colonel  Septens*  et  du  capitaine 
Brakenbury*. 

Le  colonel  Harley  garda  tout  d'abord  le  commande- 
ment des  opérations.  Ses  efforts  consistèrent  surtout  à 
obtenir  des  Fantis  qu'ils  voulussent  bien  contribuer  un 
peu  à  défendre  leur  pays.  Les  Âshantis  étaient  loin  de 
leur  base  de  ravitaillement,  et  s'ils  étaient  harcelés  de 
toutes  parts  par  les  populations  indigènes ,  il  devait 
être  facile  de  garder  les  villes  de  la  côte  même  avec  des 
troupes  peu  nonîbreuses. 

Il  est  assez  difficile  de  préciser  la  mesure  dans 
laquelle  les  populations  indigènes  prirent  le  parti  des 
Anglais.  Il  semble  que,  d'une  manière  générale,  les 
Fantis  combattirent  contre  leurs  ennemis  héréditaires; 
mais  ils  n'aidèrent  certainement  pas  leurs  protecteurs 
dans  la  n^esure  où  ils  auraient  pu  le  faire,  soit  crainte 
de  représailles  des  Ashantis  si  les  Anglais  étaient  vain- 
cus, soit  que  leur  sympathie  ne  fut  pas  beaucoup  plus 
vive  pour  les  uns  que  pour  les  autres.  En  tout  cas,  cer- 
taines populations  de  la  côte  furent  nettement  hostiles 
aux  Anglais  et  durent  être  combattues  au  même  titre 
que  les  Ashantis  (affaire  d'Elmina,  13  juin  1875;  inci- 
dent du  Prah,  14  août). 

A  Londres  on  estima  que  la  prise  de  Kumassi,  jugée 
nécessaire  par  Sir  Garnet  Wolseley,  qui  commanda 
l'expédition,  devait  être  une  très  grosse  entreprise. 
La  puissance  des  Ashantis,  qui  depuis  près  d'un  siècle 
étaient  en  lutte  avec  l'Angleterre,  paraissait  redoutable, 
et  l'on  sentait  que  l'on  ne  pouvait  nullement  faire  fond 

1.  Lieutenant-cololonel  Seplens,  les  Expéditions  anglaises  enAfriquet 
1  vol.,  Lavauzelle,  Paris. 

2.  The  Ashantee  War,  Henry  Brackenburt,  1  vol. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1875  99 

sur  les  indigènes.  Le  retour  des  marins  qui  avaient  pris 
part  aux  premières  opérations  fit  une  impression  déplo- 
rable. Ce  détachement,  qui  comptait  104  hommes  au 
moment  du  débarquement  en  Afrique,  n'en  avait  plus 
que  44  disponibles  fin  juillet;  87  furent  rembarques  le 
4  août,  10  moururent  en  route,  et  58  durent  rentrer  à 
l'hôpital  à  leur  arrivée  en  Angleterre.  L'opinion  publi- 
que était  nettement  défavorable  à  la  poursuite  de  la 
campagne.  Le  gouvernement  cependant  décida  d'aller 
de  l'avant.  De  façon  à  lui  donner  plus  d'autorité.  Sir 
Garnet  Wolseley  fut  nommé  administrateur  et  comman- 
dant militaire  de  la  Gold  Goast;  il  devait  être  indépen- 
dant du  gouverneur  général  de  Sierra  Leone. 

Le  plan  d'action  du  général  fut  très  net.  Il  résolut  de 
s'entourer  des  troupes  nécessaires  pour  triompher 
sûrement  des  Âshantis  et  de  ne  commencer  qu'ensuite 
sa  marche  ;  cette  marche  devait  être  organisée  de  telle 
manière  que  les  troupes  blanches  supportassent  le  cli- 
mat sans  trop  en  souffrir  et  que  l'on  pût  obtenir  d'elle 
le  meilleur  rendement  possible. 

Le  1**'  janvier  1874,  une  route  était  construite,  et  les 
étapes  organisées  jusqu'à  Prahsue,  sur  le  Prah.  Le  gros 
des  troupes  européennes  qui  avait  gardé  la  mer  jusqu'à 
ce  jour  pouvait  débarquer  et  entrer  en  action.  Le  18  jan- 
vier l'Adansi  était  occupé  par  l'avant- garde  du  corps 
expéditionnaire,  et  le  26  la  colonne  pouvait  se  concen- 
trer sans  être  inquiétée  à  40  kilomètres  de  Kumassi. 

Le  roi  des  Ashantis,  Koffee,  effrayé,  envoya  au  géné- 
ral les  prisonniers  européens,  dans  l'espoir  d'arrêter 
les  Anglais,  et  se  déclara  prêt  à  entrer  en  négociation. 
Le  général  répondit  qu'il  ne  voulait  traiter  qu'à  Kumassi 
et  qu'il  demanderait  comme  garantie  la  remise  de  tous 


100  LA    GOLD    COAST 

les  prisonniers  indigènes  et  le  payement  de  la  moitié 
d'une  indemnité  de  50.000  onces  d'or.  Le  roi  devait 
donner  en  otage  son  fils  Mensah,  sa  mère  et  quatre 
chefs  indigènes. 

Le  roi  sembla  adhérer  à  ces  propositions,  mais  les 
attaques  continuèrent.  Le  31  janvier  une  colonne  forte, 
de  134  officiers  et  de  1.375  soldats  européens  dut  sou- 
tenir une  violente  attaque  et  ne  fut  victorieuse  qu'après 
avoir  eu  21  officiers  et  173  soldats  blessés.  Le  l®*"  février^ 
de  nouveaux  combats  eurent  lieu  à  Reka  et  à  Âjemun. 
A  de  nouvelles  propositions  de  Koffee  on  répondit 
qu'on  ne  les  écouterait  que  s'il  prouvait  sa  sincérité  en 
envoyant  les  otages  demandés.  Les  otages  n'arrivant 
pas,  l'attaque  de  Kumassi  fut  décidée,  et  le  4  février  la 
ville  fut  prise,  malgré  une  défense  très  énergique.  La 
résidence  du  roi  fut  détruite,  et  comme  l'on  avait  voulu 
se  borner  à  infliger  une  leçon  aux  Ashantis,  les  troupes 
commencèrent  dès  le  5  à  se  retirer,  et  aucune  garnison 
ne  fut  laissée  dans  la  place. 

Le  13  février,  un  chef  arrivait  à  Fomana  porteur  de 
30  kilogr.  d'or  et  signait  des  traités*  par  lesquels  les 
Ashantis  renonçaient  à  toute  prétention  sur  les  terri- 
toires sur  lesquels  s'exerçait  le  protectorat  de  l'Angle- 
terre, reconnaissaient  l'indépendance  de  Anasi  et  pro- 
mettaient de  protéger  les  commerçants,  de  supprimer 
les  sacrifices  humains  et  de  payer  une  indemnité  de 
guerre  de  50.000  onces  d'or. 

La  guerre  des  ingénieurs  et  des  médecins,  comme 
l'appela  Lord  Derby,  avait  coûté  900.000  livres  sterling. 

1.  P.  p.  Further  Corresponde nce^  etc.,  n»  8,  page  45. 


•       •••••        •  •       ••• 

•    ••*,••••  •••• 

•  •      •        •••••     ••-•     ••     • 

•••       ••      ••■•••  -I 


CHAPITRE   IX 
LA   GOLD   COAST 


Le  soulèvement  de  1896. 

A  la  suite  de  l'expédition  de  1875,  dont  les  débuts 
avaient  été  marqués  par  les  dissentiments  que  nous 
avons  rapportés  entre  le  gouverneur  en  chef  résidant 
à  Freetown  et  l'administrateur  délégué  à  la  Gold 
Coast,  le  gouvernement  anglais  sentit  la  nécessité  de 
donner  une  administration  indépendante  à  la  Gold 
Coast.  Le  24  juillet  1874,  des  Lettres  Patentes  «  consti- 
tuaient les  Settlements  de  la  Gold  Coast  et  de  Lagos  en 
une  colonie  séparée  ».  C'était  la  première  fois  que  ce 
mot  de  «  Colonie  »  était  employé  pour  ces  pays,  et  ce 
fut  une  Crown  Colony  qui  fut  ainsi  créée  avec  l'organi- 
sation ordinaire ,  Executive  et  Législative  Councils 
et  Suprême  Court.  Un  Order  in  Council  du  6  août  1874, 
suivant  la  formule  classique,  «  donna  à  la  législature 
locale  tous  les  pouvoirs  qui  étaient  assignés  à  la  Cou- 
ronne sur  les  territoires  protégés  ». 

Lorsque  Lagos  fut  érigé  à  son  tour  en  Colonie,  cette 
constitution  fut  abrogée.  Des  lettres  patentes  du  13  jan- 
vier 1886  et  des  instructions  de  la  même  date  vinrent 
fonder  l'organisation  gouvernementale  qui  existe  en- 
core. 

La  colonie  ainsi  créée  par  ces  diverses  Lettres  Paten- 
tes avait  à  peu  près  l'étendue  des  Settlements  fondés 


-•  .•   •  '  •  •  •  .•  *    • 


102  JuK    GOLD    COAST 

par  MacLean.  L'Angleterre  n'avait  point  voulu  s'éten- 
dre plus  au  nord,  comme  elle  eût  pu  le  faire  à  la  suite 
de  ses  expéditions  contre  les  Ashantis. 

Avant  d'étudier  la  politique  qu'adopta  le  gouverne- 
ment anglais  à  l'égard  des  indigènes  qui  peuplaient 
cette  colonie,  nous  allons  examiner  les  divers  inci- 
dents  qui  l'amenèrent  à  imposer  son  pouvoir  aux  tribus 
qui  vivaient  dans  les  territoires  que  les  puissances 
européennes  avaient  reconnus  comme  soumis  à  son 
influence. 

Ces  incidents  furent  de  deux  sortes  :  ceux  qui  se 
rattachèrent  à  la  politique  suivie  vis-à-vis  des  Ashantis 
et  ceux  qui  amenèrent  la  conquête  des  pays  situés  au 
nord  des  territoires  habités  par  ce  peuple.  Ils  devaient 
aboutir  à  des  organisations  différentes  :  nous  devons 
donc  les  étudier  séparément. 

En  1881,  les  Ashantis  essayèrent  une  fois  de  plus  d'en- 
vahir le  territoire  anglais;  mais  ils  furent  arrêtés  par 
les  troupes  qui  désormais  se  trouvaient  dans  le  pays, 
en  quantité  suffisante;  le  roi  dut  faire  des  excuses  et 
payer  une  indemnité  de  2.000  onces  d'or. 

Pendant  les  années  qui  suivirent,  des  dissensions  ne^ 
cessèrent  d'éclater  entre  les  diverses  tribus  qui  for- 
maient la  confédération  des  Ashantis.  L'Angleterre  inter-^ 
vint  à  plusieurs  reprises*  dans  ces  querelles.  Un  certain, 
nombre  de  tribus  qui  avaient  accepté  jusque-là  la  do- 
mination des  Ashantis  passèrent  en  territoire  anglais; 
d'autres  demandèrent  la  protection  de  l'Angleterre.  De- 


1.  Fiirlher  Correspondence,  etc.  G  7917,  1896,  n"  1  à  11.  Dans  une  des- 
entrevues  qui  eurent  lieu  alors,  un  des  envoyés  de  Kuraassi  déclara  au 
gouverneur  qu'il  savait  que  le  Roi  des  Ashantis  et  la  Reine  d'Angleterre 
avaient  sous  leur  domination  le  monde  entier. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1896  103 

leur  côté,  les  Ashantis,  tout  en  ne  cessant  de  déclarer 
qu'ils  voulaient  vivre  en  bons  termes  avec  le  gouver- 
nement de  la  Gold  Coast,  lui  créaient  toutes  sortes  de 
difGcultés. 

Le  19  mai  1891,  Sir  W.  B.  Griffith  écrivait*  au  Colonial 
Office  que  le  moment  lui  paraissait  venu  d'examiner 
d'une  manière  sérieuse  s'il  ne  conviendrait  pas  d'éta- 
blir le  protectorat  de  l'Angleterre  sur  tout  l'Ashanti, 
étant  donné  qu'une  partie  de  la  population  de  ce  pays 
paraissait  le  désirer.  Le  11  mars,  il  avait  envoyé  au  roi 
des  Ashantis  un  de  ses  officiers  porteur  d'une  longue 
lettre*  dans  laquelle  il  expliquait  comment  le  gouver- 
nement anglais  ne  pouvait  l'aider  à  reconquérir  son 
pouvoir  sur  les  tribus  qui,  comme  celle  des  Adansis, 
désiraient  rester  sous  le  protectorat  de  l'Angleterre.  11 
lui  faisait  remarquer  que  l'influence  des  Ashantis  se 
désagrégeait  de  plus  en  plus,  et  lui  suggérait  que  le 
mieux  serait  pour  eux  de  demander  aussi  la  protection 
anglaise.  11  proposait  donc  au  roi  de  signer  un  traité* 
en  vertu  duquel  un  Commissioner  serait  installé  à  Ku- 
massi  dans  le  but  d'arbitrer  les  différends,  d'assurer 
une  juste  administration  de  la  loi,  de  maintenir  l'ordre 
dans  le  pays,  d'entretenir  les  routes,  d'encourager  le 
commerce  et  d'agir  d'après  les  instructions  qu'il  pour- 
rait recevoir  du  gouverneur  de  la  Gold  Coast. 

La  démarche  tentée  par  Sir  W.  B.  Griffith  ne  fut  cou- 
ronnée d'aucun  succès.  Son  envoyé,  M.  Hull,  dut  s'en 
retourner  porteur  d'une  longue  lettre  écrite  au  nom  du 
roi  par  un  indigène  instruit,  Assam,  qui  lui  servait  de 

1.  LococU.,  n»  11. 

2.  Loco  cU.t  n*  13,  enclosure  5. 

3.  Loco  cit.,  enclosure  6. 


104  LA    GOLD    COAST 

secrétaire  et  sur  les  agissements  duquel  nous  aurons  à 
revenir.  Le  gouverneur  était  prié  de  ne  rien  faire  pour 
attirer  les  Âdansis  ou  autres  tribus  en  dehors  des  ter- 
ritoires Ashantis,  et  la  lettre  concluait  ainsi  : 

«  La  suggestion  que  l'Ashanti  pourrait  jouir  de  la 
protection  de  Sa  Majesté  la  Reine  et  Impératrice  des 
Indes  est  une  matière  sérieuse,  digne  d'èjtre  prise  en 
sérieuse  considération;  mais  je  suis  heureux  de  dire 
que  nous  sommes  arrivés  à  cette  conclusion  que  mon 
royaume  ne  se  résoudra  jamais  à  cette  politique  ;  TA- 
shanti  doit  rester  aussi  indépendant  que  par  le  passé 
en  même  temps  qu'ami  avec  tous  les  blancs.  Je  n'écris 
points  cela  dans  un  esprit  de  fanfaronnade,  mais  en  sa- 
chant parfaitement  ce  que  cela  signifie;  TAshanti  est  un 
royaume'  indépendant,  et  il  est  Tami  des  blancs.  Pour 
le  bien  du  commerce  nous  devons  rester  liés  les  uns 
aux  autres,  car,  comme  dit  le  proverbe,  ce  que  les  vieil- 
lards mangent  et  laissent,  c'est  ce  dont  les  enfants  bé- 
néficient. Je  remercie  le  gouvernement  de  Sa  Mî^jesté 
pour  ses  bonnes  intentions  vîs-à-vis  de  l'Ashanti,  et  je 
voudrais  que  mon  langage  puisse  dire  combien  j'apprécie 
profondément  la  bonté  du  gouvernement  de  Sa  Majesté 
envers  moi  et  mon  royaume.  Croyez,  gouverneur,  que 
je  suis  heureux  de  vous  informer  que  l'Ashanti  pro- 
gresse et  que  les  Ashantis  n'ont  aucune  raison  de  crain- 
dre pour  l'avenir  de  leur  pays,  ou  de  penser  un  seul 
instant  que  nous  sommes  revenus  en  arrière  du  fait  des 
hostilités  d'autrefois...  » 

M.  Hull*  informa  le  gouverneur  qu'il  lui  avait  paru 
que  le  peuple  aurait  été  très  heureux  de  signer  le  traité 

1.  Loco  cit.,  n*  16,  enclosure  2. 


LB    SOULÈVEMENT    DB    1896  105 

et  que  les  chefs  seuls  s'y  étaient  opposés,  parce  qu'ils 
craignaient  d'être  privés  de  leurs  pouvoirs  et  de  leurs 
privilèges. 

Le  roi  était,  du  reste,  un  gamin  de  dix-huit  ou  dix- 
neuf  ans,  qui  ne  paraissait  pas  avoir  d'influence  person- 
nelle. Le  gouverneur,  en  annonçant  l'échec  de  sa  mis- 
sion au  Colonial  Office,  expliquait*  que  la  leçon  que  Ton 
devait  en  tirer,  c'est  que  le  gouvernement  devrait  re- 
noncer à  envoyer  de  nouvelles  missions  dans  TAshanti 
et  ne  plus  se  préoccuper  de  ce  que  pourrait  être  sa 
politique  intérieure. 

Le  Colonial  Office,  qui  paraissait  de  moins  en  moins 
désireux  d'étendre  son  autorité  dans  l'Hinterland,  en- 
voya à  Sir  W.  B.  Griffith  une  lettre  de  blâme*  pour  avoir 
agi  sans  son  approbation  préalable. 

Les  Ashantis  ne  tardèrent  pas  à  profiter  de  la  liberté 
qui  leur  était  laissée,  et  envahirent  le  pays  des  Atta- 
bubus,  qui  vivaient  en  bons  termes  avec  l'Angleterre. 
Après  de  nombreuses  hésitations',  le  gouvernement 
estima  qu'il  ne  pouvait  se  dispenser  d'intervenir,  et  Sir 
Francis  Scott  fut  envoyé  à  leur  secours  avec  cinq  cents 
Hausas. 

L'Acting  Governor  Hodgson  et  tous  les  Européens, 
commerçants  ou  missionnaires,  établis  à  la  Gold  Coast 
furent  d'avis  que  l'indépendance  des  Ashantis  ne  pou- 
vait être  maintenue  plus  longtemps.  Une  agitation  très 
vive  fut  provoquée  dans  le  même  sens  en  Angleterre 
par  les  chambres  de  commerce*.   Le  Colonial  Office 


1.  Loco  ciL,  n*  16. 

2.  Loco  cit.,  n*  18. 

3.  Loco  cil,,  n"  21  à  48. 

4.  Loco  cit.  9  n"  50,  51,  62,  71. 


106  LA    GOLD    COAST 

cependant  continuait  à  être  d'avis  de  ne  pas  brusquer 
les  choses. 

Le  marquis  de  Ripon  écrivait,  le  30  janvier  1894,  à 
M.  Hodgson*  :  «  Tout  en  appréciant  pleinement  la  capa- 
cité dont  vous  avez  fait  preuve,  le  gouvernement  de  Sa 
Majesté  n'est  pas  disposé  à  suivre  la  politique  que  vous 
proposez  et  qui  augmenterait  considérablement  les  res- 
ponsabilités du  gouvernement  de  la  Gold  Coast.  D'ail- 
leurs, le  gouvernement  de  Sa  Majesté  ne  pourrait  sanc- 
tionner aucune  action  qui  nécessiterait  l'envoi  de  troupes 
anglaises,  et  comme  vous  expliquez  que  cette  éventua- 
lité doit  être  envisagée,  il  estime  qu'il  lui  est  impossible 
d'autoriser  l'envoi  d'un  ultimatum,  ou  d'envisager  la 
possibilité  d'établir  par  la  force  le  protectorat  sur  l'A- 
shanti.  Il  est  parfaitement  convaincu,  cependant,  des 
dangers  de  voir,  en  l'état  actuel  des  choses,  l'Attabubu 
ou  les  autres  territoires  placés  sous  la  protection  de  Sa 
Majesté  constamment  envahis  par  les  Ashantis,  et  il 
désire  rechercher  s'il  ne  serait  pas  possible  de  trouver 
quelque  moyen  terme  par  lequel  on  pourrait,  sans  em- 
ployer la  force,  contrôler  le  pouvoir  des  Ashantis.  Je 
dois  donc  vous  demander  d'examiner  s'il  ne  serait  pas 
possible  d'amener  le  roi  de  Kumassi  et  les  principaux 
chefs  à  accepter  une  subvention  qui  pourrait  être  fixée 
d'une  manière  assez  large,  sous  la  condition  qu'ils 
consentiraient  à  recevoir  un  agent  anglais  à  Kumassi  et 
qu'ils  promettraient  de  ne  pas  attaquer  des  tribus  qui 
se  trouveraient  au-dessous  d'une  certaine  frontière,  en 
dehors  desquelles  seraient  les  Nkoranzas,  les  Bekwais 
et  autres  tribus  qui  ont  demandé  la  protection  anglaise. 

1.  Loco  cit.t  no  53. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1896  '  107 

Les  litiges  qui  pourraient  éclater  entre  les  Ashantis  et 
ces  tribus  seraient  examinés  par  l'agent,  et  si  le  droit 
des  Ashantis  était  reconnu,  le  gouverneur  obligerait  la 
tribu  coupable  à  faire  les  réparations  nécessaires.  L'a- 
gent aurait,  naturellement,  pour  le  protéger  une  forte 
garde  d'Haussas  sous  le  commandement  d'un  ou  de  plu- 
sieurs officiers  blancs,  mais  il  serait  entendu  qu'il  inter- 
viendrait aussi  peu  que  possible  dans  la  politique  du 
pays;  il  se  bornerait  à  se  renseigner  sur  les  querelles 
qui  pourraient  éclater  entre  les  Ashantis  et  les  tribus 
vivant  en  dehors  de  leurs  frontières,  à  empêcher  qu'il 
éclatât  des  troubles  ou  des  guerres,  et  à  user  de  son 
influence  et  de  son  autorité  pour  le  bien  et  la  sécurité 
du  commerce.  » 

En  vertu  de  ces  instructions,  M.  Hodgson*  envoya, 
le  2  mars  1894,  un  de  ses  fonctionnaires  indigènes, 
M.  Vroom,  demander  au  roi  de  Kumassi  de  signer  un 
traité  en  vertu  duquel  il  acceptait  de  recevoir  un  agent 
anglais  dans  les  conditions  indiquées  par  le  Colonial 
Office. 

Le  7  mai,  Sir  W.  B.  Griffith,  qui  était  revenu  de  congé, 
dut  informer  le  marquis  de  Ripon  que  M.  Vroom  avait 
quitté  Kumassi  sans  avoir  pu  faire  signer  le  traité  :  le 
roi  des  Ashantis  l'avait  prié  d'informer  le  gouverneur 
qu'il  lui  enverrait  une  ambassade  pour  en  discuter  avec 
lui.  D'après  M.  Vroom,  les  chefs  étaient  divisés  en  trois 
partis  :  ceux  qui  étaient  opposés  à  l'établissement  d'une 
agence  anglaise  à  Kumassi,  ceux  qui  lui  étaient  favora- 
bles, et  ceux  qui  admettaient  que  l'Ashanti  fût  placé 
sous  le  protectorat  britannique  à  condition  :  1®  que  le 

1.  Loco  cU.f  n*67. 


108  LA    (ÎOLD    COAST 

gouvernement  reconnaisse  la  suzeraineté  du  roi  des 
Ashantis  sur  toutes  les  régions  qui  étaient  déjà  sous 
ses  ordres;  2**  que  certains  chefs  ne  soient  pas  soumis 
à  la  juridiction  des  tribunaux  de  la  côte  ;  3"  que  le  gou- 
vernement n'empêche  pas  l'esclavage  domestique. 

Peu  de  temps  après,  on  apprenait  qu'aux  funérailles 
d'une  sœur  du  roi,  plus  de  100  personnes  avaient  été 
exécutées,  et  que  les  Ashantis  reprenaient  de  plus  belle 
leurs  atrocités  contre  leurs  voisins.  Une  grave  faute 
était  commise  au  même  moment  par  le  gouvernement 
anglais,  qui  donnait  l'ordre  de  faire  retourner  à  la  côte 
les  troupes  qui  avaient  été  laissées  dans  l'intérieur  et 
d'évacuer  les  postes  de  Bompata  et  Amantin.  Cette  me- 
sure fortifiait  de  plus  en  plus  les  Ashantis  dans  l'idée 
que  les  Anglais  désiraient  éviter  toute  lutte  avec  eux. 

A  la  suite  des  représentations  qui  lui  étaient  faites 
de  toutes  parts,  le  Colonial  Office  se  décida,  le  20  juillet 
1894,  à  écrire  à  Sir  W.  B.  Griffith*  d'envoyer  un  mes- 
sage au  roi  des  Ashantis  pour  lui  demander  réponse 
aux  questions  qu'on  lui  avait  faites. 

Le  26  juillet,  le  gouverneur  recevait  une  lettre*  de 
Kumassi  dans  laquelle  le  roi  disait  qu'il  allait  lui  en- 
voyer une  ambassade  pour  le  mettre  au  courant  de  ses 
intentions.  Cette  ambassade  devait  être  dirigée  par  le 
nommé  Ansah,  le  secrétaire  dont  nous  avons  parlé. 

Cet  Ansah,  fils  d'un  chef  ashanti  et  d'une  femme 
d'Elmina,  était  un  individu  de  la  moralité  la  plus  dou- 
teuse. Il  avait  pendant  quelque  temps  été  au  service 
du  gouvernement,  mais  avait  été  révoqué.  Il  avait  fui 
dans  l'Ashanti  sous  le  coup  de  poursuites  correction- 

1.  Loeo  cit.,  n"  Su. 

2.  Loco  cit. y  n<>  90. 


LB    SOULÈVEMENT    DE    1896  109 

nelles.  Là  il  avait  si  bien  manœuvré,  qu'il  avait  per- 
suadé aux  chefs  de  lui  laisser  la  conduite  des  affaires 
qu'ils  pourraient  avoir  avec  le  gouvernement  anglais. 
Sir  W.  B.  Griffith  et  les  fonctionnaires  qu'il  envoya  à 
Kumassi  ne  cessèrent  de  penser*  qu'il  agissait  unique- 
ment dans  un  but  d'intérêt  personnel.  Ansah  ne  cessa 
du  reste  de  se  défendre  contre  ces  accusations  et  fut 
assez  habile  pour  provoquer  dans  la  presse  locale*  des 
articles  élogieux  à  son  égard. 

Le  31  octobre  1894%  le  gouverneur  avisait  le  Colonia 
Office  qu'une  taxe  de  10  shillings  par  case  était  prélevée 
dans  l'Ashanti  pour  subvenir  aux  dépenses  d'une  am- 
bassade qui  se  préparait  à  partir  pour  l'Angleterre  sous 
la  direction  d'Ansah.  Cette  ambassade  ne  pouvait  avoir 
rien  de  sérieux  et  ne  devait  avoir  d'autre  but  que  de 
permettre  à  Ansa|i  de  mener  joyeuse  vie  en  Europe. 
Du  reste,  il  devenait  de  plus  en  plus  indispensable 
d'agir  avec  fermeté  vis-à-vis  des  Ashantis,  car  ceux-ci 
faisaient  de  grandes  provisions  de  munitions.  Pendant 
le  mois  de  juillet  seul,  5  tonnes  de  poudre  avaient  tra- 
versé le  Prah. 

Au  reçu  de  cette  lettre,  le  Colonial  Office,  faisant  preuve 
d'une  décision  qu'il  n'avait  pas  toujours  montrée  au 
cours  de  cette  longue  affaire,  télégraphia  au  gouver- 
neur d'informer  le  roi  des  Ashantis  que  son  ambassade 
ne  serait  pas  reçue  par  la  Reine ^ 

Vers  la  fin  de  novembre,  l'ambassade  arrivait  à  la 
côt^,  elle  eut  un  certain  nombre  d'entrevues  avec  le 

1.  Loco  cil.,  !!•  79. 

2.  The  Gold  Coast  Chronic,  31  mars  1894. 

3.  Farlher  Corr,,  G  7917,  n"  93,  95  et  100. 
k.  Loco  cit.,  102. 


110  LA    GOLD    COAST 

gouverneur,  et,  bien  qu'elles  n'aient  pas  eu  grande 
influence  sur  la  suite  des  événements,  il  est  intéressant 
d'en  résumer  ici  les  incidents  principaux,  car  ils  éclai- 
rent d'une  manière  fort  curieuse  la  politique  anglaise. 

Le  12  décembre,  une  première  entrevue*  avait  lieu. 
Sir  W.  B-  Griffith  demanda  aux  envoyés  s'ils  apportaient 
la  réponse  à  la  lettre  qui  avait  été  écrite  au  roi  au  nom 
de  la  Reine  il  y  avait  plus  de  huit  mois.  Ceux-ci  ayant 
répondu  négativement,  le  gouverneur  leur  déclara  qu'ils 
devaient  revenir  le  lendemain  et  qu'il  leur  lirait  un  mes- 
sage de  la  Reine.  Le  lendemain,  Sir  W.  B.  Griffith  expli- 
qua longuement  aux  envoyés  comment  il  pensait  que 
Ansah,  qui  était  placé  à  la  tête  de  leur  mission,  avait  sou- 
vent trahi  la  confiance  des  Ashantis,  comment  il  s'était 
réfugié  dans  leur  pays,  non  par  amour  pour  eux,  mais 
parce  qu'il  était  sous  le  coup  d'un  mandat  d'amener,  et 
comment  il  n'avait  imaginé  cette  histoire  d'une  ambas- 
sade en  Angleterre  que  dans  un  intérêt  personnel. 

Se  levant  ensuite  ainsi  que  toute  Fassistance  et  la 
musique  jouant  quelques  mesures  de  l'hymne  national, 
il  lut  le  message  suivant  :  «  Informez  le  roi  de  Kumassi 
que  l'ambassade  spéciale  qu'il  se  propose  d'envoyer  en 
Angleterre  ne  sera  pas  reçue.  Sa  Majesté  ne  peut  com- 
muniquer avec  lui  que  par  l'intermédiaire  du  gouver- 
neur de  la  Gold  Coast,  qui  est  le  représentant  de  la 
reine  et  auquel  le  roi  de  Kumassi  devrait  immédiate- 
ment donner  réponse  au  message  qui  lui  a  été  apporté 
par  M.  Vroom;  dans  aucun  cas  Sa  Majesté  ne  recevra 
une  mission  envoyée  par  un  chef  qui  est  accusé  d'au- 
toriser des  sacrifices  humains.  » 

1.  Farlher  Correspondence,  etc.,  C  7918,  n«*  2, 4. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1896  111 

Dans  l'entrevue  qui  suivit,  Ansah  lut  une  réponse  au 
message  de  la  Reine,  dans  lequel  il  était  dit  :  «Nous  pen- 
sons que  les  remarques  qui  ont  été  faites  par  Votre  Ex- 
cellence ont  été  le  résultat  de  faux  rapports  qui  ont  eu 
pour  but  de  provoquer  des  sentiments  déplaisants  de 
Votre  Excellence  à  l'égard  de  notre  roi,  car  nous  avons 
noté  Tesprit  de  passion  avec  lequel  Votre  Excellence 
s'est  adressée  à  nous.  Gomme  ambassadeurs  nous  avons 
été  simplement  nommés  pour  visiter  l'Angleterre,  et 
nous  entendons  exécuter  les  instructions  qui  nous  ont 
été  données,  bien  que,  si  nous  avons  clairement  com- 
pris, Son  Excellence  nous  ait  informés  que  la  courtoisie 
qui  a  toujours  été  accordée  aux  sujets  anglais  nous 
serait  refusée,  » 

Après  avoir  expliqué  comment,  dans  son  opinion,  le 
roi  de  Kumassi  n'était  pas  le  chef  des  Ashantis,  parce 
qu'il  n'avait  pas  été  accepté  comme  tel  par  toutes  les 
tribus,  le  gouverneur  s^exprima  de  la  manière  suivante  : 
«  Je  ne  crois  pas  que  les  envoyés  comprennent  très  bien 
ce  qu'ils  m'ont  dit.  Ils  expliquent  que  je  les  ai  informés 
que  la  liberté  et  que  la  courtoisie  qui  auraient  été  ac- 
cordées  aux  sujets  anglais  leur  seront  refusées.  Y  a-t-il 
un  seul  sujet  anglais  qui  oserait  aller  au-devant  d'un  mes- 
sage semblable  à  celui  qui  leur  a  été  adressé?  Y  a-t-il  un 
seul  sujet  anglais  qui  dirait  que  la  liberté  et  la  courtoi- 
sie qui  ont  toujours  été  accordées  aux  sujets  anglais  lui 
sont  refusées  parce  qu'on  l'informe  que  Sa  Majesté  la 
Reine  ne  peut  communiquer  avec  lui  que  par  l'intermé- 
diaire du  gouverneur  de  la  colonie?  La  raison  que  Sa 
Majesté  a  de  ne  pas  vous  recevoir  est  pleinement  expri- 
mée :  c'est  que  Sa  Majesté  ne  peut  communiquer  avec 
le  roi  de  Kumassi  que  par  l'intermédiaire  du  gouver- 


112  LA    GOLD    COAST 

neur  de  la  Gold  Coast,  qui  est  le  représentant  de  la  Reine 
et  auquel  le  roi  de  Kumassî  devrait  tout  d'abord  donner 
réponse  au  message  qui  lui  a  été  apporté  en  son  nom  par 
M.  Vroom.  Et  Sa  Majesté  a  donné  une  autre  raison  pour 
ne  pas  recevoir  les  messagers  du  roi  de  Kumassi,  c'est 
que  dans  aucun  cas  Sa  Majesté  ne  voudrait  recevoir  une 
mission  d'un  chef  qui  est  accusé  d'une  manière  très 
vraisemblable  d'autoriser  des  sacrifices  humains. 

«  Et  alors  vous  dites  que,  par  les  instructions  que  j'ai 
reçues  et  qui  vous  ont  été  communiquées,  la  liberté  et 
la  courtoisie  qui  ont  toujours  été  accordées  aux  sujets 
anglais  vous  ont  été  refusées.  Bien!  Vous  dites  que 
vous  n'êtes  pas  sujets  anglais  :  c'est  douteux  en  ce  qui 
concerne  M.  John  Ansah,  et  j'éclaircirai  la  chose,  et 
comme  vous  n'êtes  pas  des  sujets  anglais,  vous  n'avez 
aucun  droit  d'espérer  être  traités  de  la  même  manière. 
Ne  voyez-vous  pas  pourquoi  Sa  Majesté  vous  refuse 
une  entrevue?  Vous  l'avez  ici.  J'estime  que  c'est  faire 
preuve  de  la  plus  grande  impudence  et  de  la  plus  grande 
audace  que  de  faire  des  observations  semblables  au 
sujet  de  Sa  Majesté  la  grande  Reine  d'Angleterre  et 
Impératrice  des  Indes,  auprès  de  laquelle  vous  et  votre 
roi  ne  sont  rien...  Etant  persuadé  que  c'est  Ansah  qui 
est  la  cause  de  tout  le  mal,  je  suis  résolu  à  le  démas- 
quer, et  il  verra  finalement  que  ce  qui  est  tortueux  est 
plus  long  que  ce  qui  est  droit,  que  l'honnêteté  est  la 
meilleure  politique.  Le  roi  a  rompu  sa  parole.  Le  gou- 
vernement anglais  et  le  peuple  anglais  sont  d'une  race 
patiente  et  endurante.  Ils  supportent  beaucoup  pendant 
longtemps,  et  ceux  qui  ne  les  connaissent  pas  peuvent 
dire  qu'ils  sont  fous.  Mais  si  vous  agissez  mal  avec  eux, 
vous  reconnaîtrez  rapidement  votre  erreur,  et,  une  fois 


LE    SOULEVEMENT    DE    1896  113 

qu'ils  ont  retiré  leur  confiance  à  quelqu'un,  ils  ne  la  lui 
redonnent  plus*...  » 

Sir  W.  B.  Griffith  avait  envoyé  à  Kumassi  le  capi- 
taine Stewer  et  M.  Vroom  pour  informer  le  roi  que  la 
Reine  se  refusait  à  recevoir  ses  envoyés  et  lui  deman- 
der une  réponse  au  message  qui  lui  avait  été  adressé 
précédemment.  Le  roi  se  borna  à  déclarer  qu'il  n'avait 
autre  chose  à  répondre  si  ce  n'est  que  ses  envoyés 
iraient  en  Angleterre*.  Au  reçu  de  cette  nouvelle,  le 
gouverneur  télégraphia  à  Londres  pour  demander 
une  fois  de  plus  que  l'on  agisse  avec  énergie,  faute  de 
quoi  on  pourrait  s'attendre  aux  plus  graves  éventua- 
lités. Les  chambres  de  commerce,  de  leur  côté,  ne  ces- 
saient de  réclamer  l'annexion. 

Le  secrétaire  d'État  aux  colonies,  le  marquis  de  Ri- 
pon,  fidèle  à  la  tradition,  paraissait  cependant  de  moins 
en  moins  enclin  à  brusquer  les  choses.  Estimant  qu'un 
nouveau  gouverneur  partagerait  peut-être  ses  vues 
plus  que  ne  le  faisait  Sir  W.  B.  Griffith,  il  nomma  à  sa 
place  l'ancien  gouverneur  de  Lagos,  M.  Maxwell^  Voici 
un  extrait  des  instructions  qu'il  lui  donnait  : 

«  La  politique  proposée  par  Sir  W.  B.  Griffith  a  reçu 
la  sérieuse  considération  du  gouvernement  de  Sa  Ma- 
jesté; mais,  pour  diverses  raisons  et  particulièrement  à 


1.  Loco  cit.,  n*  12. 

2.  Ils  ne  furent  point  reçus  par  la  Reine  ni  dans  aucun  ministère,  mais, 
grâce  à  Tinlervention  de  certains  députés,  ils  parvinrent  cependant  à  cor- 
respondre avec  le  Colonial  ,Offlce.  Une  des  lentalives  de  Ansati  fut  de 
faire  sanctionner  par  le  Colonial  Office  une  convention  qu'il  avait  passée 
avec  MM.  Grundy,  Kersliew,  Saxon,  Samson  et  C'*,  par  laquelle  il  créait, 
au  nom  du  roi  de  Kumassi,  une  compagnie  à  cliarle  analogue  à  la  Com- 
pagnie  du  Niger  et  qui  devait  administrer  et  exploiter  tout  TAshanti  ;  le 
Colonial  Office  s'y  refusa. 

3.  Loco  cit.,  no  25. 

8 


114  LA    GOLD    COAST 

cause  de  la  brièveté  du  temps  disponible  avant  la  sai- 
son des  pluies  pour  Texécution  d'opérations  militaires, 
il  a  cru  ne  pouvoir  autoriser  aucun  acte  qui  rendrait 
une  expédition  immédiatement  nécessaire.  Le  gouver- 
nement reconnaît  cependant  pleinement  que  les  choses 
ne  peuvent  être  laissées  indéfiniment  en  l'état  défavo- 
rable actuel  ;  il  a  la  conviction  que  votre  longue  expé- 
rience du  maniement  des  indigènes  vous  permettra  de 
considérer  la  question  d'une  manière  toute  nouvelle  et 
de  lui  indiquer  une  opinion  qu'il  puisse  accepter  avec 
confiance  sur  le  plan  d'action  qu'il  vous  paraît  désirable 
de  voir  adopter...  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  dé- 
sirant éviter  la  nécessité  d'une  guerre,  vous  devrez  tout 
d'abord  considérer  s'il  n'y  a  pas  moyen  d'arriver  à  une 
solution  pacifique.  Si  cependant,  après  due  considéra- 
tion, vous  estimiez  que  cette  solution  est  impossible,  le 
gouvernement  de  Sa  Majesté  estime  qu'avant  de  com- 
mencer toute  action  hostile  il  faudrait  en  communiquer 
tout  d'abord  avec  le  roi  (de  Kunfassi)...  Si  les  réponses 
étaient  défavorables,  vous  devriez  examiner  dans  quel- 
les conditions  une  expédition  devrait  être  poursuivie, 
en  tenant  compte  de  ce  fait  que  les  frais  devraient  en 
être  mis  à  la  charge  de  la  Colonie.  » 

Deux  mois  plus  tard,  en  juin  1895*,  le  gouverneur 
Maxwell  écrivit  au  Colonial  Office  qu'il  lui  paraissait 
bien  que  les  choses  ne  pouvaient  être  laissées  en  l'état, 
et  qu'il  pensait  que  le  plus  simple  était  d'aller  lui-même 
à  Kumassi  pour  soumettre  au  roi  les  desiderata  du  gou- 
vernement anglais.  C'était  la  politique  qui  lui  avait 
réussi  à  Lagos. 

1.  Loco  cit. y  n*  45. 


LE    SOULEVEMENT    ÛE    1896  115 


Il  est  probable  qu'une  solution  se  fût  encore  long- 
temps fait  attendre  si  M.  Chamberlain  n'était  arrivé  au 
pouvoir.  Un  de  ses  premiers  actes  fut  de  télégraphier* 
au  gouverneur  Maxwell  que,  le  gouvernement  étant  con- 
vaincu que  le  roi  de  Kumassi  avait  violé  tous  ses  enga- 
gements et  attaqué  des  tribus  soumises  au  protectorat 
de  la  reine,  le  roi  devait  être  sommé  d'accepter  l'éta- 
blissement à  Kumassi  d'un  résident  anglais  qui  sur- 
veillerait ses  rapports  avec  les  tribus  voisines,  et  qui 
n'interviendrait  en  rien  dans  l'administration  et  les 
institutions  du  pays. 

Le  23  septembre,  un  ultimatum*  fut  adressé  dans  ce 
sens  au  chef  de  Kumassi,  avec  demande  d'une  réponse 
avant  le  31  octobre.  Le  5  novembre,  la  réponse  n'étant 
pas  arrivée,  le  gouverneur  en  avisa  M.  Chamberlain, 
qui  fit  connaître  au  War  Office  et  à  l'amirauté  qu'une 
expédition  allait  être  nécessaire. 

La  quatrième  expédition  ashanti  commençait  aussi- 
tôt après,  sous  la  direction  de  Sir  F.  Scoot.  Les  troupes 
se  composaient  de  912  Européens,  411  West  Indiens  et 
500  Hausas.  L'état-major  et  les  services  comprenaient 
55  officiers.  Nous  n'insisterons  point  sur  les  précautions 
qui  furent  prises,  nous  bornant  à  renvoyer  au  livre  du 
colonel  Septams.  Quelque  temps  avant  le  départ  de  la 
colonne,  les  Bekwais  avaient  déclaré  qu'ils  ne  prenaient 
pas  parti  pour  les  Ashantis,  et  les  Adansis  avaient  signé 
un  traité  par  lequel  ils  se  plaçaient  sous  la  protection 
de  la  Grande-Bretagne.  Se  sentant  ainsi  complètement 
isolés,  les  Ashantis  ne  firent  aucune  résistance.  Le  17 
janvier  1896,  les  troupes  entrèrent  à  Kumassi  sans  qu'il 

1.  Loco  cit.,  n»  62. 

2.  Loco  ciL,  n*  77.  ' 


11g  LA    GOLD    COAST 

eût  été  tiré  un  coup  de  feu.  Le  20  janvier,  un  grand 
palabre  était  tenu  dans  lequel  le  gouverneur  Maxwell 
déclara  que  le  roi,  puisqu'il  n'avait  pas  voulu  traiter, 
n'avait  plus  qu'à  faire  sa  soumission.  Il  serait  conduit 
à  la  côte  en  compagnie  de  son  père,  de  la  reine  mère, 
de  ses  deux  oncles,  de  son  frère,  de  deux  chefs  de 
guerre  et  des  rois  de  Mampon,  des  Ejisussu  et  d'Ofesu. 
Des  lamentations  éclatèrent  alors  de  tous  côtés,  tandis 
qu'un  chef  assurait  que  les  Ashantis  avaient  été  trom- 
pés par  les  frères  Ansah,  qui  étaient  la  cause  de  tout. 
Le  gouverneur  répondit  que  les  Ansah  seraient  con- 
duits à  la  côte  et  qu'ils  y  seraient  jugés  pour  crime  de 
faux.  Ils  furent  en  effet  aussitôt  enchaînés,  ainsi  que 
tous  les  autres  prisonniers.  Le  lieutenant-colonel  Pigott 
fut  laissé  comme  résident  àKumassi,  où  il  fut  remplacé 
en  octobre  1895  par  le  capitaine  Stewart. 


CHAPITRE   X 
LA  GOLD  COAST 


Le  soulèvement  de  1900.  —  L'annexion 

de  rAshantî. 

L'établissement  d'un  fonctionnaire  anglais  à  Ku- 
massi  ne  devait  pas  clore  Tère  des  difficultés.  Elles 
éclatèrent  de  nouveau,  de  la  manière  la  plus  inattendue, 
au  moment  où  tout  le  monde  se  félicitait  di;  calme  qui 
régnait  dans  TAshanti. 

Le  13  mars  1900,  le  gouverneur  Hodgson  partait 
d'Accra  pour  entreprendre  une  grande  tournée  à  l'in- 
térieur. Il  était  tellement  persuadé  que  son  voyage 
serait  pacifique  qu'il  emmena  avec  lui  Lady  Hodgson. 
Celle-ci  publia  par  la  suite  un  livret  précieuse  source 
de  renseignements,  dans  lequel  elle  raconte  les  inci- 
dents de  cette  mémorable  tournée. 

Jusqu'à  Kumassi  tout  parut  se  passer  fort  bien.  Le 
gouverneur  trancha  à  la  satisfaction  de  tous  un  cer- 
tain nombre  de  différends  qui  avaient  éclaté  entre  les 
chefs.  Cependant  il  put  se  rendre  compte  qu'il  existait 
des  motifs  graves  de  dissentiments  entre  les  Bekwais 
et  les  Adansis.  Les  Bekwais  avaient  annexé  par  la  con- 
quête, après  l'expédition  de  1874,  une  grande  partie  de 
l'Adansi  qu'ils  savaient  être  aurifère  et  sur  laquelle  se 
trouve  actuellement  la  concession  de  l'Ashanti  Gold 

1.  Lady  Hodgson,  The  Siège  of  Kumassi,\  vol.,  Peason,  1901,  Londres. 


118  LA    GÔLD    GOÀST 

Field  Corporation.  Lorsque,  après  1896,  les  Adansis 
retournèrent  dans  leur  pays,  ils  constatèrent  qu'ils 
avaient  perdu  ces  territoires  dont  ils  connaissaient  la 
richesse.  A  son  arrivée  à  Kwisa,  Sir  F.  M.  Hodgson 
trouva  réunis  les  chefs  des  Adansis,  qui  lui  avaient  fait 
dire  de  se  hâter  parce  qu^ls  l'attendaient  depuis  long- 
temps. A  ce  propos,  le  gouverneur  fit  remarquer  à  sa 
femme  que  ces  chefs  ne  paraissaient  pas  très  bien  se 
rendre  compte  de  leur  situation  vis-à-vis  de  lui.  Ils  lui 
demandèrent  d'être  remis  en  possession  des  terrains 
aurifères;  mais  il  leur  fut  répondu  que  cela  était  impos- 
sible. 

Cet  incident  explique  pourquoi  les  Adansis  prirent 
le  parti  des  Ashantis  contre  les  Anglais. 

Peu  de  jours  après  son  entrée  à  Kumassi,  le  gouver- 
neur tint  un  grand  palabre  S  dans  lequel  il  expliqua, 
sans  grandes  précautions  oratoires,  que  les  Ashantis 
devaient  renoncer  à  tout  jamais  à  voir  revenir  à  Ku- 
massi Fancien  roi  Prempreh  qui  était  déporté  à  Sierra 
Leone,  et  que,  même  s'ils  continuaient  encore  à  com- 
muniquer avec  lui,  on  l'expédierait  dans  quelque  autre 
partie  du  monde.  Le  grand  chef  des  Ashantis  était 
actuellement  la  Reine  d'Angleterre,  dont  le  gouverne- 
ment était  le  représentant.  L^établissement  d'un  rési- 
dent à  Kumassi  signifiait  la  fin  de  la  traite  des  esclaves 
et  des  sacrifices  humains.  Le  gouvernement  anglais 
interviendrait  pour  protéger  les  Ashantis  contre  toute 
attaque;  mais  il  aurait  le  droit  de  se  servir  d'eux 
comme  porteurs  ou  pour  faire  des  maisons  et  cons- 
truire  des  routes.  Jusque-là  le  gouvernement  n'avait 

1.  P,p.  Correspondence  relaUng  to  the  Askanti  fVar,  1900.  G.  d.  50, 1901, 
no  32. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1900  119 

point  exigé  d'impôt;  il  allait  en  demander  maintenant, 
pour  satisfaire  aux  dépenses  d'administration.  Les 
Ashantis  avaient,  depuis  1874,  une  vieille  dette  de 
50.000  onces  d'or;  il  allait  falloir  qu'ils  l'acquittent 
par  payements  mensuels,  suivant  une  répartition  entre 
les  diverses  tribus,  répartition  dont  le  gouverneur  fixa 
le  taux  séance  tenante.  Sir  F.  M.  Ilodgson  continua 
ainsi  :  ' 

«  Il  y  a  une  matière  dont  je  voudrais  vous  parler, 
mais  auparavant  je  voudrais  poser  une  question  au  roi 
de  Bekwais  :  «  Roi,  vous  avez  été  mis  sur  le  tabouret  il 
n'y  a  pas  longtemps.  Qu'auriez-vous  fait  à  l'homme  sié- 
geant à  votre  droite  s'il  avait  gardé  une  partie  du  siège 
sur  lequel  vous  étiez  installé?  —  Je  n'ai  point  de  pou- 
voir pour  moi-même,  reprit  le  chef;  mon  pouvoir  est 
dans  le  gouvernement.  —  Vous  m'auriez  donc  soumis 
la  question?  —  Oui.  —  Et  vous  auriez  attendu  de  moi 
que  je  punisse  l'homme  ou  que  je  vous  fasse  rendre  le 
tabouret?  —  Oui.  —  Maintenant,  rois  et  chefs,  vous  avez 
entendu  ce  que  le  roi  de  Bekwais  a  dit.  Que  dois-je 
faire  à  l'homme,  quel  qu'il  soit,  qui  n'a  pas  donné  à  la 
Reine,  qui  est  le  pouvoir  souverain  du  pays,  le  tabouret 
auquel  elle  a  droit?  Où  est  le  tabouret  d'or?  Pourquoi 
ne  suis-je  pas  assis  sur  le  tabouret  d'or  actuellement? 
Je  suis  le  représentant  du  pouvoir  souverain  ;  pourquoi 
ne  m'avez -vous  donné  que  cette  chaise,  pourquoi 
n'avez-vous  pas  saisi  l'opportunité  de  mon  voyage  à 
Kumassi  pour  apporter  le  tabouret  d'or  et  m'y  faire 
asseoir  dessus?  Quoi  qu'il  en  soit,  vous  pouvez  être  sûrs 
que,  bien  que  le  gouvernement  n'ait  pas  encore  reçu  le 
labouret  d'or,  il  vous  gouvernera  avec  la  même  impar- 
tialité et  la  même  fermeté  que  si  vous  l'aviez  livré,, .  » 


120  LA    GOLD    COAST 

D'après  Sir  F.  Hodgson  lui-même,  ces  déclarations 
furent  très  mal  reçues  par  les  chefs  de  la  plupart  des 
tribus,  particulièrement  en  ce  qui  concernait  rétablis- 
sement de  rimpôt.  Après  le  meeting,  un  certain  nom- 
bre de  chefs  proposèrent  de  se  réunir  pour  discuter  les 
paroles  du  gouverneur;  mais  les  Kumassis  s'y  refusè- 
rent en  disant  que,  du  moment  qu'il  était  entendu  que 
le  gouvernement  n'avait  pas  l'intention  de  réinstaller 
Prempreh,  ils  allaient  prendre  les  armes. 

Le  gouverneur,  qui  ne  fut  pas  immédiatement  informé 
de  la  situation,  ne  songea  tout  d'abord  qu'à  découvrir 
l'endroit  où  était  caché  le  tabouret  d'or  dont  il  avait 
parlé  et  qui  était  l'insigne  de  l'autorité  suprême  chez 
les  Ashantis.  II  crut  que  l'occasion  était  bonne  d'en- 
voyer une  petite  expédition  dans  le  village  d'Atsihma 
où  devait  se  trouver  le  trône.  Beaucoup  de  munilions 
étaient  cachées  en  ce  point,  et  il  avait  résolu  de  les  sai- 
sir en  même  temps.  Malheureusement  ce  fut  justement 
dans  ce  village  que  les  Kumassis,  les  Ejisus  et  les  Ofin- 
sus  avaient  décidé  de  se  réunir  pour  cause  de  rébel- 
lion. La  petite  colonne  fut  obligée  de  se  replier  sur 
Kumassi,  après  avoir  subi  de  grosses  pertes. 

Ce  devait  être  le  commencement  des  hostilités. 

Cette  échauffourée  changea  du  reste  le  plan  des 
Kumassis,  qui,  tout  d'abord,  avaient  décidé  d'attaquer 
le  gouverneur  pendant  son  retour  à  la  côte  et  de  le 
garder  comme  otage  jusqu'au  retour  de  Prempreh.  Ils 
croyaient  que  toutes  les  troupes  anglaises  étaient  occu- 
pées dans  l'Afrique  du  Sud.  Leur  première  victoire  leur 
fit  espérer  qu'ils  pourraient  facilement  s'emparer  de  la 
résidence. 

Sir  F.  Hodgson  convoqua  tous  les  chefs  restés  fidèles 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1900  121 

et  reçut  la  promesse  que  leurs  tribus  ne  se  joindraient 
pas  à  la  révolte.  Le  gouverneur  put  espérer  un  moment 
que  rincîdent  n'aurait  pas  d'autres  suites;  il  écrivit  au 
Colonial  Office  qu'il  espérait  bien  pouvoir  continuer  son 
voyage  dans  une  huitaine  de  jours. 

L'Acting  Résident  de  Kumassi  avait,  du  reste,  dès  le 
début,  prétendu  qu'il  n'y  avait  pas  à  se  préoccuper  des 
signes  de  révolte.  Les  Ashantis  étaient,  d'après  lui,  d'é- 
tranges personnages  qui  montraient  souvent  les  dents  ; 
mais  il  était  certain  que  tout  redeviendrait  calme  comme 
cela  avait  déjà  eu  lieu.  Le  gouverneur  fut  fort  surpris 
d'apprendre  que  cinq  mois  auparavant  une  tentative  de 
révolte  avait  eu  lieu,  dont  il  n'avait  pas  été  informé. 

Après  différents  pourparlers*,  les  rebelles  firent 
savoir  qu'ils  étaient  décidés  à  ne  pas  se  battre  si  le 
gouvernement  acceptait  les  conditions  suivantes  : 
Prempreh  serait  rappelé  et  il  ne  serait  établi  aucun 
impôt;  il  serait  permis,  comme  par  le  passé,  d'acheter 
et  de  vendre  des  esclaves  ;  les  Ashantis  ne  seraient  pas 
employés  comme  porteurs  ni  dans  la  construction  des 
maisons  ;  les  étrangers  seraient  expulsés. 

Dès  les  premières  difficultés,  le  gouverneur  avait 
télégraphié  au  Colonial  Secretary  à  Accra  et  au  com- 
mandant des  troupes  des  Northern  Territories  pour 
demander  des  secours.  Au  début,  les  communications 
n'avaient  en  effet  pas  été  interrompues,  et  les  représen- 
tants de  l'Ashanti  Gold  Fields  Corporation  avaient  pu 
venir  s'entretenir  avec  le  gouverneur  et  s'en  retourner 
à  la  côte  sans  être  molestés.  Avec  eux  partit  l'Acting 
Résident,  qui  était  toujours  persuadé  qu'il  ne  se  passe- 

1.  Loco  cit.,  n«35. 


122  LA    GOLO    GOÀST 

rait  rien  de  grave  et  qui  rentrait  en  congé  en  Angle- 
terre. Le  18  avril,  arrivait  d'Accra  un  détachement 
d'Hausas. 

Mais  des  désertions  ne  tardèrent  pas  à  se  produire 
parmi  les  chefs  restés  fidèles.  C'est  ainsi  que  l'on  dut 
arrêter  le  chef  des  Kokufus,  qui  fut  déporté  par  la  suite 
à  Sierra  Leone.  Le  chef  des  Bekwais  ne  put  envoyer 
d'hommes  ad  secours  du  gouverneur,  parce  qu'il  dut 
se  défendre  contre  les  Adansis,  qui  profitaient  de  l'oc- 
casion pour  dévaster  son  pays.  Au  début,  de  petites 
expéditions  furent  envoyées  contre  les  rebelles,  dont 
deux  furent  couronnées  de  succès  ;  mais  la  troisième 
échoua  et  eut  quatre  hommes  tués  et  53  blessés.  On 
apprit  alors  que  toutes  les  munitions  qui  avaient  été 
accumulées  en  vue  du  soulèvement  de  1896  avaient  été 
soigneusement  conservées;  les  Ashantis  avaient  juré 
de  combattre  à  la  première  occasion,  parce  qu'ils  ne 
pouvaient  admettre  que  leur  chef  leur  eût  été  enlevé 
sans  qu'ils  aient  opposé  de  résistance. 

Les  missionnaires  de  la  mission  de  Bâle,  au  nombre 
desquels  se  trouvaient  M.  et  M"™®  Rasmeyer  qui  avaient 
déjà  été  faits  prisonniers  par  les  Ashantis  en  1869,  se 
réfugièrent  dans  le  fort  ainsi  que  les  indigènes  restés 
fidèles.  Le  25  avril  l'attaque  commença;  elle  fut  re- 
poussée victorieusement,  et  les  rebelles  résolurent 
d'essayer  de  prendre  les  assiégés  par  la  famine.  Le 
27  avril  de  nouveaux  renforts  arrivèrent  de  Lagos,  et, 
peu  après,  des  territoires  du  Nord.  Malheureusement 
ils  n'apportèrent  pas  de  vivres,  et  une  longue  période 
de  diète  commença,  pendant  laquelle  les  assiégés  eurent 
à  endurer  de  cruelles  souffrances.  Lady  Hodgson  fît 
preuve  alors  du  plus  grand  dévouement. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1900  123 

Sir  F.  W.  Hodgson  espéra  longtemps  qu'il  pourrait 
tenir  jusqu'à  l'arrivée  des  renforts  envoyés  par  le  gou- 
vernement anglais;  mais  le  23  juin,  les  rations  étant 
à  peu  près  complètement  épuisées,  il  décida  d'essayer 
de  s'en  retourner  vers  la  côte  en  laissant  une  petite 
garnison  dans  le  fort. 

Dès  le  reçu  des  premières  dépêches  annonçant  les 
incidents  de  Kumassi,  on  s'était  fortement  ému  à  Lon- 
dres et  l'on  avait  donné  des  instructions*  aux  gouver- 
neurs de  Lagos  et  de  la  Northern  Nigeria  d'expédier 
des  troupes  à  la  Gold  Coast.  Finalement  le  colonel 
Willcocks  fut  expédié  de  la  Northern  Nigeria  pour 
prendre  la  direction  de  la  colonne  de  secours.  11  arriva 
le  26  mai  à  Cape  Coast  Castle,  et  peu  de  jours  après 
demanda  l'envoi  de  400  hommes  du  West  African  Régi- 
ment, 400  autres  d'un  corps  colonial  et  10.000  porteurs 
à  se  procurer  à  Sierra  Leone,  la  Cold  Coast  Lagos  et 
la  Nigeria.  Des  troupes  furent  aussi  détachées  de  la 
Guyane  anglaise  et  de  l'East  Africa. 

Ce  n'est  pas  sans  un  certain  orgueil  impérial  que 
ceux  qui  avaient  pris  part  à  cette  expédition  purent 
rappeler  parla  suite  comment,  sur  un  signe  de  Londres, 
les  secours  avaient  pu  arriver  des  différents  points  du 
monde,  sans  un  jour  de  retard.  Kumassi  était  pris  par 
le  colonel  Willcocks  le  15  juillet. 

De  son  côté,  le  gouverneur  et  les  24  Européens  qui 
avaient  pu  s'échapper  de  Kumassi  arrivaient  à  Cape 
Coast  le  10  juillet,  après  avoir  subi,  de  la  part  des 
indigènes,  des  attaques  assez  vives,  au  cours  desquelles 
deux   officiers    européens  furent   tués    et  29   soldats 

1.  Loco  cU.,  n"  1-50. 


124  LÀ    GOLD    COÀST 

blessés.  Les  troupes  assiégées  comptaient  740  hommes. 
23  hommes  avaient  été  tués  pendant  les  opérations,  et 
294  blessés*. 

Les  Ashantis  opposèrent  une  résistance  acharnée  aux 
troupes  anglaises  pendant  les, expéditions  que  celles-ci 
firent  en  tous  sens  dans  leur  pays.  Les  forces  totales 
que  le  colonel  Willcocks  eut  à  sa  disposition  s'élevèrent 
à  3.449  soldats  et  170  officiers,  sur  le  nombre  total  des- 
quelles il  y  eut  123  tués  et  735  blessés'.  Étant  donné  le 
caractère  purement  militaire  de  ces  opérations,  nous 
n'insisterons  pas  sur  elles. 

A  la  suite  de  ces  événements,  Sir  F.  M.  llodgson  fut 
nommé  gouverneur  aux  Barbades.  Avant  son  départ 
il  expliqua  de  la  manière  suivante,  dans  une  lettre 
adressée  au  Colonial  Office,  le  dernier  soulèvement 
ashanti^. 

Au  moment  où  les  difficultés  de  1895-1896  éclatèrent, 
les  différentes  tribus  qui  formaient  la  confédération 
ashanti  n'étaient  point  d'accord  sur  l'élection  au  tabou- 
ret d'or.  Le  roi  des  Nkoranza  s'était  séparé  de  la  con- 
fédération, bien  qu'il  n'eût  pas  réussi  à  passer  un  traité 
d'alliance  avec  le  gouvernement  anglais.  Les  rois  de 
Mampom  et  d'Aguna  s'étaient  retirés  en  territoire 
anglais;  le  roi  do  Juabim  s'était  établi  sur  la  frontière 
entre  TAshanti  et  la  Gold  Coast,  surveillant  prudem- 
ment les  événements,  et  le  puissant  roi  de  Bekwais 
faisait  secrètement  des  ouvertures  amicales  au  gouver- 
nement anglais,  déclarant  ouvertement  qu'il  ne  s'oppo- 
serait pas  à  l'entrée    de  forces  anglaises  à  Kumassi. 

1.  Loco  ciLj  n*  73. 

2.  Loco  cit.y  n*  76. 

3.  Loco  cit.,  no  79. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1900  125 

Cet  état  de  choses  et  probablement  Timpossibilité  d'ob- 
tenir des  secours  de  la  part  de  Samory  fut  ce  qui 
décida  Prempeh  et  ses  conseillers  à  ne  pas  s'opposer 
par  les  armes  à  l'entrée  des  troupes  anglaises  à  Ku- 
massi.  L'opinion  générale  des  partisans  de  Prempeh 
était,  à  cette  époque,  que  les  troupes  anglaises,  après 
avoir  marché  sur  Kumassi  et  peut-être  exigé  le  paye- 
ment d'une  amende,  s'en  retourneraient  à  la  côte 
comme  elles  l'avaient  fait  précédemment,  sans  agir 
davantage. 

Ce  fut  avec  épouvante  que  les  Kumassi  et  les  chefs 
qui  avaient  appuyé  Prempeh  découvrirent  qu'ils  étaient 
entièrement  trompés  et  que  le  gouvernement  anglais 
non  seulement  entendait  rester  à  Kumassi,  mais 
encore  émettait  des  prétentions  tout  à  fait  inattendues. 
L'opposition  était  impossible,  parce  que  le  système 
entier  de  l'administration  indigène  était  paralysé  par 
la  déportation  de  Prempeh  et  des  chefs,  ses  partisans. 
Les  Kumassis  se  retirèrent  dans  la  brousse  et  aban- 
donnèrent la  ville,  montrant  bien  ainsi  qu'ils  n'accep- 
taient pas  le  nouvel  état  de  choses.  F.  M.  Hodgson 
déclare  n'avoir  connu  ce  fait  qu'à  son  arrivée  dans  la 
ville. 

Lorsque  les  forces  de  l'expédition  de  189G  se  retirè- 
rent, un  résident  fut  nommé  à  Kumassi  et  une  garni- 
son y  fut  établie.  11  fut  décidé  que  le  pays  serait  admi- 
nistré par  l'intermédiaire  de  chefs  indigènes  q.ui 
gouverneraient  sous  les  ordres  du  Résident  et  le  tien- 
draient au  courant  des  événements  qui  pourraient 
intéresser  la  paix  publique.  Sir  F.  M.  Hodgson  n'ap- 
prouva jamais  cette  combinaison,  parce  que  rien  ne  lui 
prouvait  que  le  comité  indigène  agirait  loyalement  et 


126  LA    GOLD    COÀST 

conformément  aux  intérêts  anglais.  Il  lui  eût  paru 
préférable,  si  Fon  voulait  arriver  à  l'abolition  de  l'es- 
clavage, des  sacrifices  humains  et  autres  coutumes 
barbares,  d'être  en  contact  plus  intime  avec  les  indi- 
gènes, tout  en  respectant  l'ancien  système  d'adminis- 
tration locale  .des  rois  et  des  chefs  de  tribus.  Cepen- 
dant, jusqu'au  moment  où  Sir  F.  M.  Hodgson  fut 
nommé  gouverneur  (avril  1898),  tout  parut  bien  fonc- 
tionner. Sir  W.  M.  Maxwell  avait  visité  la  plupart  des 
districts  ashantis  en  1895  et  1897,  et  avait  trouvé  qu'il 
n'y  avait  pas  de  raisons  d'être  mécontent  de  ce  système 
d'administration. 

Sir  F.  Hodgson  déclare  ne  pas  avoir  eu  le  temps  de 
s'occuper  convenablement  de  la  question,  avant  de 
partir  en  congé  en  décembre  1898.  A  son  retour  il  fut 
retenu  à  la  côte  par  la  discussion  des  bills  sur  les  con- 
cessions, et  il  partit  pour  l'intérieur  dès  qu'il  le  put, 
le  13  mars  1900.  Jusqu'au  moment  de  son  départ  d'Ac- 
cra, il  n'avait  reçu  aucun  rapport  qui  pût  lui  faire  soup- 
çonner que  les  Ashantis  préparaient  une  révolte,  et  ce 
ne  fut  qu'au  moment  de  son  arrivée  à  Kumassi  qu'il  se 
rendit  compte  de  la  gravité  de  la  situation.  En  1897, 
M.  Vroom,  un  District  Commissioner  indigène  qui 
avait  été  envoyé  dans  l'Ashanti  par  le  gouverneur  Max- 
well pour  se  rendre  compte  de  l'état  d'esprit  des  indi- 
gènes, avait  bien  assuré  que  ceux-ci  n'avaient  pas 
réellement  fait  soumission;  mais  le  gouvernement 
d'alors  n'attacha  aucune  importance  à  cette  opinion  et 
ne  crut  pas  qu'il  y  eût  lieu  de  rien  modifier  au  système 
d'administration  en  vigueur.  Les  divers  résidents  qui  se 
succédèrent  à  Kumassi  auraient  dû  cependant  se  douter 
que  des  événements  graves  se  préparaient,  car  la  diffi- 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1900  127 

culte  qu'eut  Sir  James  Willcocks  à  réprimer  la  révolte 
prouve  que  les  Âshantis  faisaient  depuis  longtemps 
des  préparatifs  de  guerre.  Ils  n'avaient  point  accepté 
d'une  manière  définitive  l'exil  de  Prempeh.  Leur  roi 
leur  avait  été  enlevé  sans  qu'ils  aient  rien  fait  pour  le 
défendre,  et  c'était  une  honte  que,  d'après  la  coutume 
indigène^  le  sang  des  blancs  pouvait  seul  laver.  Les 
amendes  que  leur  imposèrent  les  résidents  à  l'insu 
du  gouvernement  leur  furent,  en  outre,  d'autant  plus 
lourdes  que,  du  fait  de  l'abolition  de  l'esclavage,  ils 
manquaient  de  main-d'œuvre  pour  exploiter  leurs  mines 
ou  cultiver  leurs  champs. 

Quant  aux  recherches  qu'il  fit  faire  pour  se  procurer 
le  tabouret  d'or  et  qui  furent  le  prétexte  de  la  révolte. 
Sir  F.  Hodgson  assure  qu'il  ne  les  aurait  pas  entre- 
prises s'il  avait  connu  le  véritable  esprit  des  Ashan- 
tis; mais  il  n'en  déclare  pas  moins  qu'il  estime  qu'elles 
étaient  indispensables,  parce  que  le  tabouret  d'or 
était  plus  qu'un  insigne  et  que  tant  qu'ils  le  posséde- 
raient les  Ashantis  considéreraient  qu'ils  n'avaient  pas 
perdu  tout  droit  à  se  gouverner  librement. 

Malgré  ces  explications,  c'était  Sir  F.  Hodgson  qui 
devait,  en  Angleterre,  être  déclaré  responsable  du  sou- 
lèvement. On  s'étonna  beaucoup  de  ces  «  découvertes  » 
qu'il  avait  faites  au  dernier  moment;  on  en  conclut 
qu'il  était  étrangement  peu  renseigné  pour  un  gouver- 
neur. On  déclara  qu'il  n'était  cependant  pas  difficile  de 
soupçonner  que  les  Ashantis  n'accepteraient  pas  sans 
protester  le  système  qu'on  avait  voulu  leur  imposer. 

On  oublia  dans  les  milieux  commerciaux  la  campa- 
gne que  l'on  avait  menée  en  1895  pour  obtenir  du  gou- 
vernement anglais  qu'il  annexât  l'Ashanti,  et  M.  Cham- 


._! r 


128  LÀ    GOLD    COAST 

berlain,  à  la  Chambre  des  communes,  dut  répondre  à 
des  interpellations  très  vives^  On  reprocha  à  ses  agents 
de  n'avoir  pas  agi  «  avec  plus  de  |tact,  de  discrétion 
et  de  patience,  auprès  de  tribus  qui  marquaient  de  la 
défiance  pour  le  gouvernement  anglais.  » 

Le  Secrétaire  d'État,  qui,  au  fond,  était  très  embar- 
rassé pour  répondre  à  ces  accusations,  fit  un  très  long 
discours,  modèle  du  genre,  dans  lequel  il  transforma 
l'incident  en  une  question  de  politique  générale.  Il 
déclara  que  depuis  qu'il  le  dirigeait,  le  Colonial  Office 
avait  agi  :  quels  que  pussent  avoir  été  les  résultats  de 
son  action,  ils  avaient  été  autrement  considérables 
pour  le  bien  de  l'empire  que  ceux  auxquels  avaient 
abouti  d'autres  ministères  dont  «  le  tact,  la  discrétion 
et  la  patience  »  avaient  consisté  à  ne  rien  faire  et  à 
laisser  les  autres  puissances  se  partager  tranquillement 
l'Afrique.  Dans  des  pays  comme  l'Âshanti  on  avait  eu 
à  intervenir  dans  les  coutumes  indigènes;  mais  ces 
coutumes  étaient  l'esclavage  et  les  sacrifices  humains. 
En  les  abolissant  on  savait  que  l'on  aurait  à  lutter,  et  il 
n'y  avait  là  rien  qui  nécessitât  «  du  tact,  de  la  discré- 
tion et  de  la  patience  ».  Finalement,  d'après  M.  Cham- 
berlain, les  causes  de  la  guerre  avaient  été  l'absence  de 
résistance  précédente  opposée  par  les  Ashantis,  qui 
devaient  considérer  qu'ils  n'avaient  pu  se  défendre 
dans  la  précédente  expédition  et  qui  désiraient  de  ce 
fait  une  revanche. 

L'impérialisme  était  tout  en  honneur,  et  une  forte 
majorité  approuva  les  paroles  du  ministre. 

La  campagne  que  l'on  menait  alors  contre  le  système 

1.  19  et  20  mars  1901.  V.  fr.,  A.  30  mars  1901,  n- 15. 


LE    SOULÈVEMENT    DE    1900  129 

des  Crown's  Colonies  battait  son  plein.  A  Liverpool  et 
à  Manchester  on  saisit  l'occasion  pour  montrer*,  une 
lois  de  plus,  combien  il  était  absurde  de  conserver  une 
organisation  susceptible  de  laisser  un  gouverneur  dans 
une  telle  ignorance  des  conditions  politiques  de  la 
colonie  qu'il  administrait,  qu'un  soulèvement  préparé 
longtemps  à  l'avance  dans  une  partie  de  cette  colonie 
put  le  surprendre  à  l'improviste. 

Le  gouverneur  calma  l'opinion  publique  en  envoyant 
Sir  F'.  Hodgson  dans  les  Barbades;  le  major  Nathan  fut 
nommé  à  sa  place;  Sir  James  Willcocks  fut  fêté  à  Liver- 
pool, à  Londres  et  à  Manchester,  et  le  résident  de  Ku- 
massi  fut  fait  «  Knight  ». 

1.  Voir  notamment  articles  de  M.  Ed.-D.  Morel,  V.  IV.,  30  mars  1901,  et 
DaLhj  Seiis{V.  \V.  A,,  id.). 


CHAPITRE   XI 

LA  GOLD  COAST 


La  Constitution  de  TAshanti  et  des 
*     Northern  Territories. 

Tandis  que  les  Ashantis  résistaient  au  gouvernement 
anglais,  celui-ci  pratiquait,  dans  les  territoires  situés 
plus  au  nord,  une  politique  qui  devait  rapidement  éta- 
blir son  pouvoir  sur  les  tribus  habitant  ce  pays. 

Ce  furent  les  progrès  faits  dans  l'intérieur  par  la 
France  et  l'Allemagne  qui  poussèrent  FAngleterre  à 
agir.  Suivant  la  formule  employée  par  le  gouvernement 
lui-même*,  «  étant  données  les  interruptions  constantes 
apportées  au  commerce  par  les  chefs  des  diverses  tri- 
bus situées  sur  les  routes  commerciales  qui  vont  dans 
rintérieur  de  la  côte,  étant  donnés  aussi  les  efforts  des 
explorateurs  français  et  allemands  pour  faire  dévier  le 
trafic  à  l'ouest  ou  à  Test,  il  fut  estimé  nécessaire  de 
protéger  les  intérêts  commerciaux  anglais  par  une  série 
de  traités  documentaires  [documentary  traties)  passés 
avec  les  chefs  de  Tintérieur  ». 

Nous  n'insisterons  point  ici  sur  le  caractère  bien 
connu  de  ces  différents  traités,  ni  sur  les  événements 
qui  amenèrent  la  conclusion  delà  convention  du  14 juin 
1898.  Ce  sont  là  des  faits  dans  lesquels  la  politique  indi- 
gène avait  d'autant  moins  à  voir  que,  une  fois  laissée 

1.  The  Gold  Coats  civil  Ust,  1903. 


LA    CONSTIT.    DE    l'aSHANTI    ET    DES    X.    TERRITORIES       i'M 

libre  par  la  France  et  TAllemagne  d'agir  à  son  gré  dans 
ces  pays,  l'Angleterre  les  occupa  par  la  conquête;  This- 
toire  de  cette  conquête  n'offre  rien  qui  diffère  beaucoup 
de  ce  qui  s'est  passé  en  Afrique  toutes  les  fois  que  la 
force  seule  est  intervenue. 

Quelle  qu'ait  été  l'opinion  du  gouvernement  anglais 
sur  les  causes  du  dernier  soulèvement,  il  lui  parut  op- 
portun de  profiter  de  la  nécessité,  qui  s'imposait,  de 
réformer  le  système  d'administration  de  l'Ashanti  pour 
indiquer  les  principes  généraux  suivant  lesquels  la  Gold 
Coast  devait  être  gouvernée. 

Le  pays- fut  partagé  en  trois  parties  distinctes,  qui 
reçurent  chacune  une  organisation  différente. 

Les  Lettres  Patentes  de  1886  avaient  séparé  les 
établissements  de  la  Gold  Coast  de  ceux  de  Lagos  et 
donné  une  constitution  spéciale  à  la  nouvelle  colo- 
nie. Un  Order  in  Council  du  26  septembre  1901  vint 
définir  à  nouveau  ce  qui  devait  être  la  Colonie  propre- 
ment dite. 

Les  territoires  auxquels  l'ordre  devait  s'appliquer 
étaient  limités  :  au  sud  par  l'océan  Atlantique,  à  l'ouest 
par  la  ligne  frontière  entre  les  possessions  françaises 
et  anglaises  depuis  la  mer  jusqu'à  un  point  de  la  fron- 
tière situé  à  1.000  milles  au  sud  d'Aburuferasi  ;  au  nord 
par  une  ligne  partant  de  ce  dernier  point  et  passant 
par  le  point  où  la  route  de  Mem  à  Patubuso  traverse  la 
rivière  Tano  pour  aboutir  à  la  rive  droite  de  la  rivière 
Ofin.  La  ligne  suit  ensuite  cette  rive  jusqu'au  confluent 
de  la  rivière  Ofin  avec  la  rivière  Prah,  puis  la  rive 
gauche  du  Prah  jusqu'au  point  où  la  route  d'Obo  à  Bom- 
pata  traverse  la  rivière,  ensuite  se  dirige  vers  le  nord 


i: 


II 


132  LA    COLD    COAST 


l"  jusqu'au  parallèle  de  latitude  qui  passe  à  Agogo,  et  de 

là  vers  le  point  où  la  route  d'Abetifi  à  Altabubu  traverse 
la  rivière  Sumi  près  de  Sumisu.  Passant  par  le  village 
d'Achrinang  et  le  point  de  la  rive  gauche  de  la  rivière 
Volta  à  Touest  du  village  de  Krobo,  cette  ligne  de  dé- 
limitation emprunte  à  l'Est  la  ligne  de  frontière  entre 
les  colonies  anglaises  et  allemandes  jusqu'à  l'océan 
Atlantique. 

Les  territoires  ainsi  délimités  devaient  être  adminis- 
trés de  la  manière  prévue  par  les  Lettrés  Patentes  de 
1886. 

Un  ordre  du  même  jour,  26  septembre  1901,  vint  or- 
ganiser les  territoires  ashantis  comme  pays  conquis  : 
«  attendu  que  les  territoires  compris  dans  les  limites  de 
l'ordre  et  connus  comme  territoires  ashantis  avaient 
été  conquis  par  les  troupes  de  Sa  Majesté,  et  qu'il  pa- 
raissait bon  à  Sa  Majesté  que  lesdits  territoires  soient 
annexés  au  domaine  de  Sa  Majesté  et  en  fassent 
partie  ». 

Les  limites  de  ces  territoires  étaient  les  suivantes  : 
au  sud,  la  colonie  de  la  Gold  Goast;  à  l'ouest,  la  ligne 
frontière  entre  les  possessions  françaises  et  anglaises, 
à  partir  d'un  point  situé  à  1.000  m.  ;  au  sud  d'Aburufe- 
rasi,  jusqu'au  point  où  la  frontière  coupe  le  8*  parallèle 
de  latitude  nord;  au  nord  le  8**  parallèle  de  latitude 
nord;  à  l'est,  la  ligne  frontière  entre  les  possessions 
françaises  et  allemandes  du  point  où  cette  frontière 
coupe  le  8®  parallèle  de  latitude  nord  jusqu'à  un  point 
situé  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière  Volta,  à  l'ouest 
du  village  Krobo. 

Le  gouverneur  de  la  colonie  de  la  Gold  Goast  exerce 
dans  ces  territoires  tous  les  pouvoirs  et  juridictions 


j 


LA    CONSTIT.     DE    L*ASHANTI    ET    DES    N.    TERRITORIES       133 

que  Sa  Majesté  britannique  y  a  acquis,  en  se  confor- 
mant pour  cet  exercice  aux  instructions  qu'il  recevra 
de  Sa  Majesté  ou  d'un  Secrétaire  d'Etat. 

Sous  la  réserve  de  l'approbation  d'un  Secrétaire  d'É- 
tat, le  gouverneur  nomme,  pour  exercer  les  pouvoirs  qui 
lui  sont  confiés,  un  chief  Commissioner  et  tous  autres 
Commissioners,  juges,  magistrats  ou  autres  fonction- 
naires qu'il  juge  bon. 

Ces  pouvoirs,  le  gouverneur  les  exerce  librement,  et 
c'est  là  une  des  différences  principales  entre  la  manière 
dont  la  Colonie  proprement  dite  et  les  territoires  ashan- 
tis  sont  administrés,  car,  dans  la  Colonie  comme  daus 
toute  colonie  de  la  Couronne,  les  ordonnances  du 
gouverneur  ne  sont  exécutoires  que  si  elles  ont  été 
approuvées  par  l'Assemblée  législative.  En  outre,  dans 
l'Ashanti  la  justice  n'est  administrée  que  suivant  la 
loi  indigène  ou  suivant  l'équité,  et  non  point  d'après 
la  loi  anglaise  telle  qu'elle  est  mise  en  vigueur  par  les 
ordonnances  qui  créent  les  Suprême  Courts  dans  les 
colonies. 

Par  des  instructions  données  le  7  octobre  1901,  en 
application  de  l'Order  in  Council  sur  l'Ashanti,  le  roi 
se  réservait  le  droit  de  modifier  toute  ordonnance  prise 
par  le  gouverneur  ou  d'en  provoquer  de  nouvelles  à  son 
gré.  Il  était  défendu  au  gouverneur  de  promulguer  de 
sa  propre  initiative  des  ordonnances  sur  le  divorce,  sur 
la  circulation  monétaire,  sur  le  nombre  ou  le  salaire 
des  fonctionnaires,  sur  les  banques,  sur  la  discipline 
militaire  et  navale,  sur  l'établissement  de  tarifs  différen- 
tiels ou  sur  toute  matière  d'importance  extraordinaire 
qui  pourrait  porter  atteinte  aux  intérêts  des  sujets 
anglais  non  résidents  dans  l'Ashanti. 


134  LA    GOLD    GOAST 

Par  un  Order  in  Council  et  des  instructions  de  la 
même  date,  des  dispositions  analogues  étaient  prises 
pour  les  territoires  compris  entre  le  S**  parallèle  de  lati- 
tude nord  et  les  possessions  françaises  et  allemandes 
qui  constituèrent  les  «  Northern  Territories  ».  Les  pro- 
tocoles seuls  différaient  et  portaient  que  cette  législa- 
tion était  établie  parce  que  les  territoires  ainsi  déli- 
mités s'étaient  placés  sous  la  protection  de  Sa  Majesté, 
ou  parce  que  celle-ci  avait  acquis  pouvoirs  et  juridic- 
tion sur  eux  par  traités,  concessions,  usages  ou  autres 
moyens  légaux. 

En  faisant  part  au  résident  de  Kumassi  du  nouvel 
état  de  choses,  le  gouverneur  le  pria  d'informer  les 
chefs  de  l'Ashanti  que,  leur  pays  étant  devenu  une  par- 
tie du  domaine  du  roi  d'Angleterre,  toutes  les  personnes 
qui  prendraient  des  armes  contre  le  gouvernement 
anglais  seraient  punies  bien  plus  sévèrement  qu'autre- 
fois, que  le  gouvernement  anglais  n'interviendrait  pas 
dans  les  droits  fonciers  ou  autres  des  chefs  et  du  peuple 
tant  qu'ils  n'agiraient  pas  contre  le  gouvernement  ou 
contre  leurs  intérêts  réciproques.  Un  Résident  nommé 
Chief  Commissioner  serait  le  chef  suprême  du  pays 
sous  les  ordres  du  gouverneur. 

Des  instructions  analogues  furent  envoyées  au  com- 
mandant des  Northern  Territories. 


CHAPITRE    XH 

LA  GOLD  COAST 


L'organisation  administrative  et  judiciaire. 

Le  système  administratif  et  judiciaire  en  vigueur 
dans  la  Colonie  proprement  dite  de  la  Gold  Coast  est 
tout  entier  basé,  comme  dans  toutes  les  colonies  de  la 
Couronne,  sur  l'établissement  de  la  Suprême  Court, 
sur  les  attributions  et  l'organisation  de  laquelle  nous 
n'avons  pas  à  insister. 

Les  pouvoirs  actuels  des  District  Commissîoners 
dans  la  Colonie  proprement  dite  ont  été  fixés  par  une 
ordonnance  du  20  octobre  1894*. 

Le  gouverneur  nomme  dans  chaque  district  de  la  Co- 
lonie un  Commissioner  qui  est  de  ce  fait  représentant 
de  la  Suprême  Court,  et  qui  peut  exercer,  dans  les 
limites  de  l'ordonnance,  tous  les  pouvoirs  dévolus  aux 
juges  de  ce  tribunal.  Toutes  les  décisions  de  ces  Coni- 
missioners  sont  cependant  passibles  d'appel  devant 
la  Suprême  Court.  Si  des  jugements  sont  rendus  par 
eux  pour  des  cas  étrangers  à  leur  district^  ces  juge- 
ments ne  sont  pas  entachés  de  nullité,  mais  seulement 
susceptibles  d'appel. 

La  juridiction-  de  la   Suprême   Court  s'exerce  dans 

1.  An  Ordinance  lo  consolidate  Ihe  law  relaUng  to  District  Commis^ 
sioner,  —  189'a. 


136  LA    COLD    COAST 

tous  les  districts  parallèlement  à   celle  des   District 
Commissioners. 

En  matière  civile  personnelle  ou  immobilière,  leur 
compétence  s'étend  à  toutes  les  causes  dans  lesquelles 
la  valeur  du  litige  ne  dépasse  pas  25  livres.  Ils  ont  le 
droit  d'émettre  des  «  habeas  corpus  »,  de  nommer  des 
gardiens  aux  orphelins  et  de  gérer  les  biens  aban- 
donnés. Dans  les  cas  de  contestations  sur  des  titres 
de  propriété,  les  Commissioners  ne  peuvent  se  pro- 
noncer qu'avec  le  consentement  de  toutes  les  parties. 

En  matière  criminelle,  leur  compétence  s'étend  aux 
cas  qui,  d'après  le  code  criminel  de  la  Colonie,  n'en- 
tratnent  pas  une  pénalité  dépassant  une  amende  de 
25  livres  ou  un  emprisonnement  de  trois  mois.  Cette 
compétence  civile  ou  criminelle  des  Commissioners 
peut  être  accrue  par  le  Chief  Justice  avec  l'approbation 
du  gouverneur.  De  même,  le  Chief  Justice  peut  modi- 
fier tout  jugement  criminel  rendu  par  les  Commissio- 
ners et  dont  les  comptes  rendus  lui  sont  communi- 
qués mensuellement. 

A  côté  de  la  juridiction  de  la  Suprême  Court,  qui 
s'applique  d'une  manière  générale  à  toute  la  Colonie, 
et  de  celle  des  District  Commissioners  qui  en  dérive, 
une  ordonnance  du  15  janvier  1883  a  reconnu,  sous 
certaines  conditions,  l'existence  d'une  juridiction  indi- 
gène. Cette  juridiction  ne  se  borne  pas  à  juger  des  dif- 
férends qui  pourraient  éclater  entre  les  plaideurs,  maïs 
encore  elle  peut  faire  œuvre  législative. 

L'ordonnance*  se  borne,  du  reste,  suivant  son  titre,  à 
«  faciliter  et  régulariser  l'exercice  par  l'autorité  indi- 

1.  An  Ordinance  to  facilitale  and  regalate  ihe  exercise  of  certain 
powers  and Jurisdiction  by  native  authoriCies,  n*  5  of  1883/ 


L'onCAMSATION    ADMINISTRATIVE    ET    JUDICIAIRE  137 

gène  de  certains  pouvoirs  et  juridictions  »,  et  c'est 
ainsi  qu'elle  ne  définit  point  cette  autorité  indigène. 
L'organisation  des  tribunaux  indigènes  n'est  point  ré- 
glée par  elle,  car  elle  reconnaît  qu'ils  existaient  avant 
leur  promulgation.  Elle  procède,  à  ce  point  de  vue,  par 
définition.  Son  protocole  porte  qu'en  ce  qui  la  con- 
cerne :  Chef  souverain  [Head  Chief)  signifie  chef  qui 
n'est  pas  subordonné  à  un  autre  chef;  Division,  pays 
soumis  à  un  chef  souverain;  tribunal  indigène,  un  chef 
souverain,  ou  le  chef  d'une  subdivision  siégeant  avec 
des  aides  ou  autres  personnes  reconnues  par  la  loi 
indigène  comme  conseillers  de  ce  chef.  Le  mot  indi- 
gène s'applique  à  toute  personne  mulâtre  ou  noire 
résidant  ordinairement  dans  le  pays. 

L'ordonnance  a  pour  but  de  reconnaître  vis-à-vis  du 
gouvernement  une  valeur  légale  aux  décisions  de  ces 
tribunaux.  Elle  porte,  en  effet,  que  le  gouverneur  aura 
le  droit,  sous  réserve  de  l'approbation  du  Législative 
Council,  de  déclarer,  lorsqu'il  le  jugera  bon,  telle  ou 
telle  Division  soumise  à  l'ordonnance.  En  fait,  cette 
reconnaissance  a  eu  lieu  pour  toutes  les  Divisions  de 
la  Colonie. 

Chaque  Division  pourra  être  subdivisée  en  sous- 
groupes  placés  sous  la  direction  des  chefs  subordon- 
nés au  Chef  souverain  que  le  gouverneur,  avec  l'avis 
de  l'Executive  Council,  désignera  spécialement.  Ces 
sous-divisions  pourront  être  modifiées  de  la  même  ma- 
nière. Excepté  dans  les  cas  expressément  mentionnés, 
les  subdivisions  et  groupements  de  villages  établis  au 
moment  de  la  promulgation  de  l'ordonnance  continue- 
ront à  exister. 

Tout  Chef  souverain  soumis  à  l'ordonnance  aura  le 


138  LA    r.OLD    COAST 

droit  de  faire,  avec  la  collaboration  de  ceux  qui  sont  ses 
conseillers  légaux,  des  règlements  en  harmonie  avec  les 
lois  de  la  Colonie,  dans  le  but  de  maintenir  la  paix,  le 
bon  ordre  et  la  richesse  du  peuple  et  de  ces  Divisions, 
et  il  fixera  des  pénalités  pour  l'inobservation  des  règle- 
ments. 

Ces  règlements  seront  soumis  à  l'approbation  du 
gouverneur  et  publiés  dans  la  Gazette. 

Les  chefs  qui  auront  été  autorisés  à  rendre  la  justice 
en  vertu  de  cette  ordonnance  seront  compétents  dans 
les  affaires  où  toutes  les  parties  sont  des  indigènes  : 

1®  En  matière  civile,  pour  toute  dette  et  obligation 
n'excédant  pas  25  livres.  Le  tribunal  compétent  est 
celui  du  domicile  du  défendeur,  pour  toute  quesliou 
concernant  la  propriété  et  la  possession  de  terres 
situées  dans  le  ressort  du  tribunal  et  pour  toute  ques- 
tion concernant  la  succession  de  personnes  domici- 
liées, à  Tépoque  du  décès,  dans  le  ressort  du  tribunal 
et  dont  la  valeur  ne  dépassera  pas  16  livres. 

2^  En  matière  criminelle,  dans  les  cas  fixés  par  les 
règlements. 

Le  gouverneur  peut  réduire,  avec  l'approbation  de 
l'Executive  Council,  la  compétence  d'un  chef  à  certains 
points.  Ces  chefs  sont  toujours  incompétents  dans  tous 
les  cas  où  la  Couronne  est  intéressée. 

Les  plaideurs  ne  sont  autorisés  à  se  faire  représen- 
ter, devant  un  tribunal  indigène,  par  d'autres  personnes 
que  leur  parents,  qu'avec  une  autorisation  spéciale  du 
Commissîoner. 

Toute  cause  jugée  par  un  tribunal  indigène  est  sus- 
ceptible d'appel  devant  la  Suprême  Court. 

L'autorité  du  gouvernement  reste  entière  sur  cette 


l'organisation  administrative  et  judiciaire        139 

juridiction.  Le  Gouverneur,  les  Gommissioners,  TAltor- 
ney-General  et  tous  autres  fonctionnaires  à  qui  le  gou- 
verneur en  donnera  le  pouvoir,  peuvent  arrêter  toute 
affaire  en  instance  devant  les  tribunaux  indigènes  et 
la  renvoyer  devant  le  tribunal  indigène  supérieur  ou 
devant  la  Suprême  Gourt.  Le  défendeur  peut  provo- 
quer cette  mesure.  En  fait,  comme  les  Gommissioners 
rendent  la  justice  au  nom  de  la  Suprême  Gourt,  ils  ont 
ainsi  le  droit  de  juger  par  eux-mêmes,  lorsqu'ils  l'es- 
timent convenable,  toute  affaire  soumise  à  un  tribunal 
indigène  placé  sous  leurs  ordres. 

Le  droit  d'appel  est  également  à  la  discrétion  des 
Gommissioners,  car  toute  personne  qui  désire  faire 
appel  d'un  jugement  doit  en  référer  au  Gommissioner 
du  district,  qui  peut  ordonner  une  nouvelle  enquête 
ou  introduire  directement  la  cause  en  appel  devant  la 
Suprême  Gourt  avec  avis  motivé. 

Dans  le  cas  où  une  question  foncière  est  en  litige,  le 
Gommissioner  ne  peut  cependant  refuser  l'appel  avant 
d'en  avoir  obtenu  l'autorisation  de  l'Attorney-General. 
En  cas  de  différence  d'opinion,  le  cas  est  porté  devant 
le  gouverneur,  ou  à  son  gré  devant  le  Ghief  Justice,  qui 
prononce  définitivement. 

Le  jugement  d'appel  est  rendu  conformément  à  la 
législation  en  vigueur  devant  la  Suprême  Gourt. 

L'Order  in  Gouncil  de  1901  qui  avait  organisé  le 
gouvernement  de  l'Ashanti  avait  laissé  à  la  discrétion 
absolue  du  gouverneur  et  de  son  délégué,  le  Ghief 
Gommissioner,  l'exercice  de  la  plupart  des  droits 
souverains  que  Sa  Majesté  avait  acquis  sur  ces  terri- 
toires. Une  ordonnance  du  1"  janvier  1902  vint  régie- 


140  LA    GOLD    COAST 

menter  celte  administration  et  en  mieux   définir  les 

termes. 

Le  principe  fondamental  établi  par  FOrder  était  que 
les  pouvoirs  du  gouverneur  n'étaient  limités  que  par  la 
volonté  du  gouvernement  anglais  et  n'était  pas  soumis 
à  l'approbation  d'une  assemblée  législative.  Les  dis- 
positions de  l'ordonnance  étaient  toutes  réglées  d'après 
ce  principe. 

Toute  autorité  civile  ayant,  suivant  la  constitution 
anglaise,  un  caractère  judiciaire^  l'ordonnance  définis- 
sait d'abord  les  pouvoirs  du  Ghief  Gommîssioner  de  la 
manière  suivante  : 

«  Il  sera  établi  dans  l'Ashanti  un  tribunal  qui  sera 
appelé  le  tribunal  du  chef  Commissioner  de  l'Ashanti 
[Court  of  Record)  et  dont  la  juridiction  s'étendra  sur 
tout  l'Ashanti.  Ce  tribunal  sera  présidé  par  le  Ghief 
Gommissioner,  qui  aura  les  mêmes  pleins  pouvoirs  et 
juridiction  dans  l'Ashanti  qu'un  juge  de  la  Suprême 
Gourt  de  la  colonie  de  la  Gold  Goast  siégeant  dans  une 
divisional  Gourt,  sauf  en  ce  qui  concerne  les  cas  de 
divorce  et  de  mariage.  Le  gouverneur  ou  le  Ghief  Gom- 
missioner pourront  nommer,  pour  présider  ce  tribunal, 
toute  personne  convenable  qui  acquerra  ainsi  les  pou- 
voirs judiciaires  du  Ghief  Gommissioner.  » 

Dans  chaque  district  sera  établie  une  succursale  du 
tribunal  du  District  Commissioner.  Il  sera  présidé  par 
le  District  Gommissioner  et  connaîtra  des  causes  qui 
naîtront  dans  le  district. 

La  loi  et  la  procédure  en  vigueur  devant  ces  tribu- 
naux seront  celles  auxquelles  est  soumise  la  Suprême 
Gourt  de  la  colonie. 

Dans  toutes  les  affaires  civiles  et  criminelles  le  pré- 


l'organisàtiox  administrative  et  judiciaire        141 

sident  devra  consigner  par  écrit  toutes  les  déclarations 
orales  déposées  devant  lui. 

Dans  le  cas  de  condamnation  à  mort  prononcée  par  le 
Distrîct-Gommissîoner  il  ne  sera  fait  exécution  qu'après 
approbation  du  High  Commissioner,  et  si  la  condam- 
nation a  été  prononcée  par  le  High  Commissioner, 
qu'après  l'approbation  du  gouverneur. 

Le  Ghief  Commissioner  a  le  droit  de  référer  devant 
la  Suprême  Court  de  la  colonie  toute  cause  qu'il  jugera 
convenable. 

Il  pourra  être  fait  appel  devant  la  Suprême  Court 
de  la  colonie,  par  l'intermédiaire  du  Gouverneur,  de 
toute  cause  dans  laquelle  la  valeur  du  litige  dépassera 
100  livres.  L'appel  n'est  pas  possible  en  matière  crimi- 
nelle. 

Les  tribunaux  indigènes  tels  qu'ils  étaient  organisés 
avant  la  promulgation  de  l'ordonnance  conservent  leur 
compétence,  sous  la  réserve  toutefois  qu'ils  ne  peu- 
vent juger  les  affaires  dans  lesquelles  une  des  parties 
n'est  pas  indigène,  c'est-à-dire  «  un  membre  d'une  race 
ou  d'une  tribu  aborigène  de  l'Afrique  occidentale,  et 
qu'ils  ne  sont  pas  compétents  en  matière  de  meurtre, 
de  rapt,  de  vol  avec  violences,  de  blessures  graves  ou 
d'esclavage  ».  En  matière  civile  ou  foncière,  ils  ne  peu- 
vent juger  de  cas  dans  lesquels  la  valeur  du  litige  soit 
supérieure  à  100  litres. 

Les  décisions  de  ces  tribunaux  ne  doivent  pas  être 
contraires  à  la  justice  naturelle  ou  au  principe  de  la 
loi  anglaise. 

Appel  des  décisions  des  tribunaux  indigènes  peut 
être  fait  par  toutes  les  personnes  intéressées  devant  le 
Commissioner  du  district  ou  le  Chief  Commissioner. 


142  LA    GOLD    COAST 

Celui-ci  peut  arrêter  raudition  de  toute  cause  devant 
un  tribunal  indigène  et  la  renvoyer  devant  lui  ou  de- 
vant le  District  Commissioner. 

Le  Gouverneur  ou  le  Chief  Commissioner,  avec  son 
approbation,  peut  restreindre  ou  supprimer  la  juridic- 
tion de  tout  tribunal  indigène. 

En  somme,  comme  dans  la  Colonie,  celte  juridiction 
indigène  reste  entièrement  soumise  au  Gouverneur. 
Les  pouvoirs  des  chefs  sont  du  reste  limilés  à  tous 
les  autres  points  de  vue,  par  l'ordonnance,  car,  pour 
èlre  effective,  leur  autorité  devra  être  désormais  recon- 
nue par  le  gouvernement. 

La  plupart  des  ordonnances  en  vigueur  dans  la  Colo- 
nie et  dont  les  dispositions  pouvaient  concerner  les 
Européens  étaient  déclarées,  par  Tordonnance  de  1902, 
applicables  dans  les  territoires  de  TAshanti. 

En  ce  qui  concerne  les  «  Northern  Territories  »,  le 
pouvoir  anglais  fut  représenté  tout  d'abord  unique- 
ment par  Tautorité  militaire;  mais,  en  1907,  ces  terri- 
toires furent  partagés  en  trois  provinces  ayant  respec- 
tivement leur  capitale  à  Tamale,  Wa  et  Gambaga,  dé- 
pendant du  haut  commissaire  établi  à  Tamale  et  pla.- 
cées  sous  les  ordres  du  Provincial  Comissioner  «  ayant 
au-dessous  d'eux  des  District  Commissioners  ».  Ce 
ne  fut  cependant  que  peu  à  peu  que  les  indigènes 
furent  amenés  à  considérer  comme  réel  rétablissement 
du  pouvoir  anglais,  et  celui-ci  s'est  borné  jusqu'ici  à 
lâcher  de  maintenir  la  paix  entre  les  innombrables  tri- 
bus qui  habilent  ces  régions  et  qui  ne  sont  réunies,  en 
aucune  manière,  en  groupements  avec  lesquels  il' eût 
élé  nécessaire  d'entrer  en  relations  continues,  comme 


L^ORGANISATION    ADMINISTRATIVE    ET    JUDICIAIRE  143 

dans  les  autres  protectorats  anglais  de  l'Afrique  occi- 
dentale. L'absence  d'entreprises  européennes  a,  du 
reste,  été  la  raison  pour  laquelle  jusqu'ici  la  nécessité 
d'une  intervention  plus  complète  ne  s'est  pas  fait 
sentir. 


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CHAPITRE   XIII 

LA  GOLD  COAST 


La  législation  foncière  et  l'organisation 

municipale. 

I 

LA    LÉGISLATION     FONCIÈRE 

Ce  ne  fut  qu'après  rérectionde  ses  établissements  de 
la  Gold  Coast  en  colonie  que  le  gouvernement  anglais 
se  préoccupa  d'y  instituer  une  législation  foncière 
concernant  les  rapports  des  Européens  et  des  indi- 
gènes. Une  ordonnance  de  1876  vint  fixer  la  manière 
dont  les  pouvoirs  publics  pourraient  entrer  en  posses- 
sion des  terrains  qui  leur  seraient  nécessaires*. 

Le  fonctionnaire  compétent  en  la  matière  est  le  Colo- 
nial Secretary;  c'est  lui  qui  prend  en  charge  les  terres 
acquises  pour  la  Couronne  et  qui  les  transmet  à  ses 
successeurs.  Lorsqu'il  estime  nécessaire  l'acquisition 
de  quelques  terrains^  il  en  donne  avis  au  propriétaire.  Si 
celui-ci  est  introuvable,  cet  avis  est  affiché  à  la  porte  du 
palais  de  justice  de  la  colonie  et  inséré  dans  la  gazette. 
Vingt  et  un  jours  après  la  notification  ainsi ^faite,  si  les 
intéressés  n'adhèrent  pas  à  la  proposition  du  Colonial 
Secretary,  ou  si  cette  notification  est  restée  sans  réponse, 

1.  Acqaisilion  oflands  for  public  service,  Ordinance  n'8  of  1876. 


LA.    LÉGISLATION    FONCIERE  145 

la  somme  à  payer  par  le  gouvernement  est  fixée  parla 
Suprême  Court,  sur  un  rapport  du  directeur  des  travaux 
publics.  Les  terres  vacantes  sont  prises  sans  qu'il  soit 
payé  d'indemnité;  lorsque  les  parties  font  défaut,  le 
jugement  n'est  définitif  qu'au  bout  d'un  an.  Après 
production  d'un  reçu  de  la  somme  payée  par  le  gouver- 
nement ou  après  l'expiration  des  délais,  la  Suprême 
Court  donne  au  Colonial  Secretary  un  certificat  cons- 
tatant la  prise  de  propriété  par  Sa  Majesté  de  la  terre 
en  question. 

Cette  ordonnance  de  1876  ne  contenait  aucune  dispo- 
sition sur  les  rapports  entre  simples  particuliers.  Les 
indigènes  passaient  les  contrats  qu'il  leur  convenait 
avec  les  Européens  qui  voulaient  traiter  avec  eux.  C'est 
l'exploitation  des  richesses  aurifères  de  la  Colonie  qui 
amena  le  gouvernement,  longtemps  après,  à  établir 
«ne  législation  complexe  à  cet  égard.  Sir  W.  M.  Maxwell 
proposa  en  1896  un  bill  dénommé  «  the  Land's  Bill  », 
d'après  lequel  le  gouvernement  aurait  pris  possession 
de  toutes  les  terres  vacantes  situées  aux  colonies  et 
en  aurait  disposé  à  son  gré.  Nous  verrons  dans  un 
instant  comment  l'opposition  des  indigènes  obligea  le 
gouvernement  à  renoncer  à  cette  prétention.  Une 
ordonnance  de  1900,  qui  fut  amendée  en  1901  et  1902, 
vint  finalement  régler  la  matière. 

Les  indigènes  restent  libres  de  disposer  des  terres 
de  la  colonie  comme  ils  l'entendent,  mais  les  conces- 
sions qu'ils  peuvent  en  faire  aux  étrangers  ne  devien- 
nent valides  vis-à-vis  des  tribunaux  anglais  que  si  elles 
ont  été  approuvées  par  un  tribunal  spécial  de  la  Suprême 
Court.  Les  contrats  de  concession  doivent  être  faits  par 
écrit  et  signés  par  le  concédant  ou  son  mandataire.  Le 

10 


146  LA.    GOLD    COAST 

tribunal  doit  estimer  que  les  véritables  intéressés  ont  été 
parties  à  la  concession  et  qu'ils  ont  compris  la  portée 
de  leur  engagement;  que  les  divers  droits  établis  par 
la  coutume,  comme  ceux  de  la  chasse,  de  la  récolte  du 
bois  à  brûler,  ont  été  respectés,  et  qu'une  somme  con- 
venable a  été  convenue  en  payement  de  la  concession. 

Les  concessionnaires  sont  du  reste  tenus  de  sou- 
mettre leur  concession  à  la  validation  du  tribunal  dans 
les  six  mois,  sous  peine  d'une  amende  de  5  livres  par 
jour  de  retard.  Les  concessions  sont  divisées  en  deux 
catégories  :  celles  qui  ont  été  obtenues  avant  le 
10  octobre  1895  et  celles  qui  sont  postérieures  à  cette 
date.  Aucune  restriction  n'est  apportée  à  la  durée  des 
premières  ni  à  l'étendue  des  terrains  auxquels  elle 
s'applique;  les  secondes  ne  peuvent  porter  sur  une 
étendue  de  plus  de  5  milles  carrés  si  elles  sont  faites 
en  vue  d'exploitation  de  mines  d'or,  et  de  20  milles 
carrés  si  elles  ont  un  autFe  objet.  Une  même  personne 
ne  peut  acquérir  d'un  seul  tenant  plus  de  20  milles 
carrés  dans  le  [premier  cas,  40  milles  dans  le  second. 
La  durée  de  la  concession  ne  peut  excéder  99  ans. 

Le  tribunal  peut  exiger  que  la  concession  soit  délimi- 
tée par  les  soins  de  fonctionnaires  du  gouvernement. 
Tous  les  payements  faits  aux  indigènes  en  vertu  des 
droits  de  concession  doivent  être  effectués  par  l'inter- 
médiaire du  trésorier  de  la  Colonie. 

Pendant  les  années  1900  et  1901,  qui  furent  celles 
pendant  lesquelles  se  produisit  le  «  Boom  »  sur  les 
mines  d'or,  plus  de  4.000  concessions  furent  ainsi  vali- 
dées par  la  Suprême  Court.  Dans  la  partie  occidentale  de 
la  Colonie,  le  prix  moyen  accordé  pour  une  concession 
de  5  milles  carrés  fut  de  50  livres  comme  payement  pré- 


LA.   LÉGISLATION    FONCIERE  147 

liminaire,  et  d'une  rente  annuelle  de  12  livres  jusqu'au 
début  de  l'exploitation,  et  ensuite  de  100  à  250  livres. 
Le  tribunal  exige  actuellement  que  les  indigènes  aient 
le  choix  entre  le  payement  d'une  rente  de  24  livres 
plus  2,50  p.  100  du  bénéfice  net  ou  le  payement  de  la 
somme  primitivement  convenue.  Dans  les  autres  par- 
ties de  la  Colonie  la  rente  payée  est  de  200  livres  par 
mille  fathoms  carrés.  Toute  exploitation  minière  est 
soumise  à  un  droit  de  patente  de  30  livres  et  au  paye- 
ment d'une  redevance  de  5  p.  100  sur  le  bénéfice  réa- 
lisé sur  la  concession.  Nul  ne  peut  procéder  à  des  pros- 
pections dans  la  Colonie  sans  avoir  obtenu  au  préalable 
une  licence  coûtant  5  livres. 

En  1901,  des  dispositions  spéciales  vinrent  régle- 
menter l'obtention  des  concessions  dans  l'Ashanti.  Le 
Résident  devait  approuver  sous  certaines  conditions 
tous  les  contrats  fonciers  passés  avec  les  chefs. 

Un  accord  particulier  était  passé  avec  l'Ashanti  Gold- 
fields  Corporation,  qui  était  la  principale  des  compagnies 
minières  alors  existantes.  Il  portait  qu'  «  attendu  que 
les  territoires  des  chefs  bekwais  et  adansis,  avec  qui 
la  compagnie  avait  traité,  étaient  passés  sous  la  pro- 
tection de  Sa  Majesté  la  Reine  et  sous  le  contrôle  du 
gouverneur,  ce  gouverneur  ne  pouvait  admettre  la 
validité  de  ces  concessions»;  elles  étaient  donc  abro- 
gées, et  il  était  entendu  que  la  compagnie  payerait 
annuellement  au  trésorier  de  la  Colonie  des  sommes 
de  100  et  de  66  livres  qui  seraient  remises  respecti- 
vement aux  chefs  bekwais  et  adansis.  Le  gouvernement 
toucherait  de  son  côté  un  droit  annuel  de  500  livres  et 
une  redevance  de  5  p.  100  sur  les  bénéfices  ou,  à  leur 
défaut,  de  130  livres. 


I    • 

1 1 


148  LA    GOLD    COAST 

Une  ordonnance  de  1903,  ihe  Ashanti  Concession 
Ordinance  1903,  vint  étendre  aux  territoires  ashantis 
une  législation  analogue  à  celle  en  >vigueur  dans  la 
Colonie,  avec  cette  principale  différence  que  les  ter- 
rains donnés  en  concession  par  les  chefs  devaient  être 
délimités  avant  qu'un  certificat  de  validité  puisse  être 
délivré  par  les  tribunaux  du  Chief  Commissioner. 
Une  pénalité  annuelle  de  100  livres  par  mille  carré 
peut  être  infligée  à  tout  concessionnaire  qui  n'exploite 
pas  sa  concession. 

Une  ordonnance  du  4  juillet  1904,  the  Minerai  Rights 
Ordinance  1904,  a  établi  le  régime  minier  des  Northern 
Territories.  Elle  est  remarquable  en  ce  qu'elle  montre 
que  le  gouvernement  anglais  n'a  pas  voulu  se  pronon- 
cer sur  les  droits  qu'il  entendaitj  exercer  en  matière 
foncière  dans  cette  partie  de  ses  possessions.  Toute 
prospection  ou  exploitation  minière  doit  être  précédée 
de  l'autorisation  du  High  Commissioner,  qui  prend 
toutes  les  dispositions  nécessaires  pour  protéger  les 
droits  des  indigènes. 

On  peut  dire  sans  être  accusé  de  parti  pris  que  seuls 
les  hommes  de  loi  indigènes  firent  bon  accueil  à  cette 
législation.  Avocats etavoués nègres  firent,  en  effet,  des 
affaires  merveilleuses  en  représentant  les  compagnies 
minières  auprès  des  tribunaux  de  Cape  Coast  Castle  et 
d'Accra.  Ces  compagnies  trouvèrent  trop  compliquées 
les  formalités  nécessaires  pour  la  validation  des  conces- 
sions; elles  n'étaient  pas  assez  préservées  de  toutes 
contestations  futures.  Les  compagnies  accusaient  en 
même  temps  les  juges  anglais  de  partialité  au  bénéfice 
tics  indigènes,  qui  comprirent  rapidement  l'avantage 


J 


LA    LÉGISLATION    FONCIERE  140 

qu'ils  pouvaient  tirer  des  convoitises  européennes.  Les 
exemples  abondèrent  de  compagnies  ayant  dépensé 
plusieurs  centaines  de  mille  francs  sur  des  territoires 
dont  la  possession  fut  ensuite  confirmée  à  d'autres. 

Nous  avons  dit  comment  le  gouverneur  Maxwell^ 
ayant  voulu  déclarer  que  les  terres  vacantes  de  la  Co- 
lonie faisaient  partie  du  domaine  public,  se  heurta  à 
l'opposition  des  indigènes.  Une  société  composée  des 
plus  en  vue  des  educated  natives,  au  commencement 
de  1898,   se   fonda  sous  le  nom  de  «  the  Gold  Coast 
Aborigènes'  Rights  Protection  Society  »,  pour  protester 
contre  le  Land's  Bill.  Elle  envoya,  au  mois  d'août  de 
cette  année  1898,  une  députation  au  Colonial  Office  pour 
lui  présenter  ses  doléances.  M.  Chamberlain*  défendit  le 
gouvernement  anglais  d'avoir  rien  voulu  faire  qui  pût 
porter  atteinte  aux  droits  des  indigènes  :  le  principal 
objet,  presque  le  seul  objet  du  Bill,  dit-il,  était  de  pro- 
téger contre  les  spéculateurs  les  chefs,  qui  cèdent  sou- 
vent leurs  terres  pour  un  prix  insuffisant  et  sans  consi- 
dérer suffisamment  les  intérêts  de  la  tribu;  le  gouver- 
nement désirait  que  les  intérêts  de  la  population  tout 
entière,  de  toute  la  tribut  aussi  bien  que  ceux  des  chefs 
et  du  gouvernement,  fussent  pris  en  considération  dans 
l'octroi  des  concessions.  L'abandon  du  Bill  n'en  fut  pas 
moins  décidé,   et  les  dispositions  de  l'ordonnance  de 
1900  furent  adoptées.  La  plupart  des  membres  du  Lé- 
gislative Council  s'étaient,  du  reste,  prononcés  contre 
l'appropriation  par  le  gouvernement  des  terres  vacan- 
tes^  L'Attorney-General,  en  particulier,  avait  déclaré 

1.  The  Report  of  the  députation  from  the  Kings  and  Chiefs  of  the 
Western  Provinces  of  the  Gold  Coast,  1898. 

2.  ^  Government  Gazette,  13  aoûl  1897. 


150  LA    GOLD    GOAST 

«  que  toute  terre  occupée  ou  non  dépendait  des  diffé- 
rents rois  ou  chefs  »,  et  le  Chief  Justice  avait  assuré  que 
toutes  les  terres  rentraient,  dans  la  Colonie,  dans  une 
des  catégories  suivantes  :  terres  du  trône,  terres  pri- 
vées et  terres  familiales. 

1  L'expérience  devait  prouver  que  le  Bill  était  impuis- 
sant à  protéger  leurs  intérêts.  Pendant  les  années  1908 
à  1911,  grâce  au  boom  sur  le  caoutchouc,  une  série  de 
concessions  fut  accordée  par  des  chefs  à  des  compa- 
gnies à  qui  ils  abandonnèrent,  pour  des  sommes  peu 
importantes,  tous  les  droits  sur  leur  terre  et  ses  pro- 
duits. Une  vive  agitation  se  fit  jour  parmi  les  défen- 
seurs ordinaires  des  indigènes,  qui  trouvèrent  qu'il  y 
avait  lieu  que  le  gouvernement  intervînt  pour  empê- 
cher les  indigènes  de  se  déposséder  ainsi.  Le  Colonial 
Office  fit  faire  une  enquête,  en  conclusion  de  laquelle 
M.  M.  Darcourt  écrivit,  le  11  juin  1911,  que  sur  une 
superficie  totale  de  80.000  milles  carrés  auxquels  on 
peut  évaluer  la  Gold  Coast,  TAchanti  et  les  Northern 
Territories,  1.242  seulement  avaient  été  concédés.  Il 
ne  semblait  pas  que  la  situation  fût  critique  pour  le 
moment,  mais  elle  pouvait  le  devenir,  si  Taliénation 
des  terrains  indigènes  continuait  dans  les  proportions 
actuelles. 

On  accusa  l'administration  judiciaire,  qui  approuva 
les  concessions,  de  ne  pas  s'être  préoccupée  suffisam- 
ment de  son  devoir  de  tutelle  vis-à-vis  des  indigènes,  et 
au  moment  où  nous  écrivons  ces  lignes  le  gouverne- 
ment n'a  pas  encore  pris  de  décision  à  cet  égard.  Nous 
rechercherons  dans  nos  conclusions  ce  qu'il  faut  penser 
de  cet  état  de  choses,  mais  nous  pouvons  dire  dès  main- 
tenant qu'il  montre  combien  il  est  difficile  de  concilier 


LÀ   LÉGISLATION    FONCIERE  151 

à  la  fois  le  respect  des  droits  des  indigènes  et  le  devoir 
de  protection  de  leurs  intérêts  dont  a  voulu  toujours 
s'inspirer  très  noblement  l'Angleterre  en  Afrique  occi- 
dentale. 

Une  ordonnance  de  1894,  sur  la  disposition  de  la- 
quelle nous  allons  revenir,  prévit  la  création  d'organi- 
sations municipales  dans  la  colonie.  Des  amendements 
ultérieurs  vinrent  autoriser  le  gouvernement  à  décla- 
rer comme  faisant  partie  du  domaine  public  les  ter- 
rains qu'il  serait  nécessaire  de  laisser  vacants  pour  des 
raisons  d'hygiène. 

Vers  le  milieu  de  1901,  le  gouvernement  voulut,  en 
vertu  de  ces  dispositions  législatives  et  de  l'ordonnance 
de  1876  sur  les  expropriations,  acquérir  une  certaine 
étendue  de  terrain  pour  assainir  la  ville  de  Sekondi. 
L'Aborigenes  Rights  Protection  Society  estima  qu'il  y 
avait  là  quelque  chose  de  contraire  aux  droits  des  indi- 
gènes et  aux  précédentes  déclarations  officielles.  Elle 
avait  sans  doute  pensé  que  la  Public  Land's  Ordinance 
avait  été  abrogée,  comme  le  Land's  Bill  de  1898.  Elle 
adressa*  au  gouverneur,  le  23  septembre  1901,  une 
pétition  dans  laquelle  elle  suggérait  que  l'on  aurait 
pu  obtenir  le  résultat  cherché  en  obligeant  les  pro- 
priétaires de  terrains  vagues  à  construire  sur  leurs 
terrains  des  habitations  convenables  ou  à  les  louer 
à  d'autres  qui  auraient  édifié  ces  constructions  :  «  De 
la  sorte  les  propriétaires  auraient  pu  retirer,  comme 
c'est  leur  droit,  un  plein  bénéfice  de  leurs  terres,  au 
lieu  d'en  laisser  le  fruit  au  gouvernement.  »  La  société 
rappelait  les  déclarations  faites  en  1898  par  M.  Cham- 

1.  fF.  ii.,  5  juillet  1902.  • 


152 


LA    GOLD    COAST 


berlain  et  assurait  que  la  volonté  de  ce  ministre 
n'était  pas  respectée,  puisque  les  ordonnances  pré- 
citées reconnaissaient  au  gouvernement  le  droit  de 
payer  aux  indigènes  les  sommes  qui  lui  convenaient 
en  payement  des  terrains  qu'il  désirait  acquérir,  et 
les  pétitionnaires  demandaient  l'abrogation  de  ces 
ordonnances. 

Le  gouverneur  déclara  ignorer  de  quel  droit  les 
pétitionnaires  prétendaient  représenter  les  intérêts 
des  indigènes  de  la  Colonie,  et  pendant  quelque  temps 
l'affaire  en  resta  là. 


II 

l'organisation   municipale 

L'agitation  devait  cependant  renaître  à  propos  de 
l'organisation  municipale. 

Dès  1884,  lord  Derby,  Secrétaire  d'Etat  aux  colonies, 
écrivait  au  gouverneur  Young  que  «  les  difficultés  d'ad- 
ministration seraient  bien  diminuées  par  l'établisse- 
ment de  conseils  municipaux,  au  sujet  desquels  il  serait 
très  désireux  de  recevoir  les  vues  du  gouverneur  ». 

En  1887,  les  principaux  indigènes  de  Cape  Coast  de- 
.  mandèrent  au  gouverneur  White  la  création  d'une  cor- 
poration municipale.  La  première  ordonnance  sur  le 
régime  municipal  fut  prise  peu  après*,  mais,  en  même 
temps,  ce  à  quoi  ne  s'attendaient  point  les  indigènes, 
le  principe  d'une  taxe  personnelle  municipale  fut  établi. 
Une  pétition  fut  aussitôt  adressée  (juin  1889)  au  Secré- 
taire d'État,  par  les  notables  du  pays,  portant  entre 

1.  Tht  municipalilies  ordinance,  9  avril  1889. 


l'organisation  municipale  153 

autres  choses  :  «  Nous  prions  très  humblement  Votre 
Seigneurie  de  vouloir  bien  considérer  la  nature  du  sys- 
tème d'impôt  sur  lequel  est  établi  le  Bill  du  gouverne- 
ment. Taxation  signifie  dette,  et  là  où  les  revenus  sont 
insuffisants  pour  satisfaire  aux  dépenses  publiques,  il 
est  nécessaire  de  recourir  aux  impôts  directs.  Plutôt 
que  de  lever  les  taxes  sur  nos  maisons,  nous  désire- 
rions rétablissement  de  taxes  ad  valorem  sur  les  impor- 
tations. Nous  demandons  que  des  sommes  analogues  à 
celles  qui  sont  votées  chaque  année  par  le  Législative 
Coûncil,  pour  les  travaux  publics  et  les  dépenses  sani- 
taires, nous  soient  accordées  proportionnellement  au 
revenu  de  chaque  ville,  le  gouvernement  surveillant 
l'emploi  qui  en  sera  fait.  » 

A  la  suite  de  cette  pétition,  les  institutions  prévues 
par  l'ordonnance  du  9  avril  1889  ne  furent  pas  mises  en 
vigueur,  et  les  droits  ad  valorem,  qui  avaient  été  sup- 
primés, furent  rétablis. 

En  1894,  une  loi  sur  les  Town  Councils*  vint  cepen- 
dant reprendre  Fancien  projet  et  établir  le  système 
actuel. 

Elle  ne  devait  être  appliquée  que  dans  les  villes 
pour  lesquelles  le  gouverneur  le  jugerait  bon  ;  il  y  est 
établi  un  conseil  municipal  {Town  Council)  composé,  au 
gré  du  gouverneur,  de  quatre,  six  ou  huit  membres, 
dont  la  moitié  est  composée  de  fonctionnaires  et  com- 
prend le  commissaire  du  district,  président  de  droit  et 
trésorier  du  conseil;  l'autre  moitié  est  choisie  à  Félec- 
tion  et  nommée  par  le  gouverneur. 

«  Tous  les  deux  ans,  en  septembre,  les  propriétaires 

1.  The  Town  Council  ordinance,  14  nov.  1894. 


154  LÀ    GOLD    GOÀST 

fonciers  de  la  ville  doivent  déclarer  à  un  expert  nommé 
par  le  gouverneur,  le  prix  de  location  qu'ils  touchent 
pour  leurs  immeubles.  L'expert  détermine  lui-même 
la  valeur  des  maisons  non  louées  ou  dont  l'estimation 
laite  par  les  propriétaires  lui  paraît  trop  faible.  Il  peut 
être  fait  appel  de  cette  estimation,  dans  les  sept  jours, 
devant  le  District  Commissioner.  Toutes  les  personnes 
du  sexe  masculin,  propriétaires  d'une  maison  valant  au 
moins  deux  livres,  sont  inscrites  sur  une  liste  de  vo- 
tants pour  l'élection  des  membres  non  officiels  du  con- 
seil. Cette  liste  est  affichée  le  1"  avril  de  chaque  année, 
et  les  personnes  non  inscrites  qui  prétendent  avoir 
droit  d'y  figurer  peuvent  adresser  leurs  réclamations 
au  District  Commissioner  dans  une  réunion  tenue  par 
lui.  Appel  de  ses  décisions  peut  être  fait  devant  la 
Suprême  Court. 

«  Pour  être  éligible  comme  membre  du  conseil,  il 
est  nécessaire  d'être  inscrit  sur  la  liste  des  votants  et 
de  posséder  une  propriété  de  la  valeur  de  200  livres, 
ou  pour  laquelle  est  payé  un  loyer  de  20  livres. 

«  Le  conseil  se  réunit  le  second  lundi  de  chaque  mois 
et  toutes  les  fois  que  le  Commissioner,  sur  la  requête 
de  deux  membres  au  moins  du  conseil,  le  juge  bon.  Le 
quorum  nécessaire  est  de  trois  membres  lorsque  le 
conseil  comprend  plus  de  quatre  membres,  et  de  deux 
membres  lorsque  le  conseil  est  de  quatre  membres;  un 
d'entre  eux  doit  être  un  membre  fonctionnaire.  Le  Dis- 
trict Commissioner,  ou  en  son  absence  le  plus  ancien 
des  membres  fonctionnaires,  préside  le  conseil.  Le 
président  a  voix  prépondérante. 

(c  Le  conseil  a  dans  ses  attributions  l'exécution  des 
ordonnances  sur  les  ventes  aux  enchères,  sur  les  licen- 


l'organisation  municipale  155 

ces  pour  la  vente  des  alcools,  et  il  peut  prendre  toutes 
dispositions  nécessaires  pour  Thygiène  publique  ou  Fa- 
inélioration  de  la  ville.  Il  a  le  droit  d'acquérir  des  pro- 
priétés, mais  il  n^  peut  les  aliéner,  les  hypothéquer  ou 
les  louer  sans  l'autorisation  du  gouverneur.  Pour  pour- 
voir à  ses  dépenses,  le  conseil  a  le  droit  de  prélever 
sur  toutes  les  personnes  inscrites  sur  la  liste  des  vo- 
tants, un  impôt  qui  ne  doit  pas  dépasser  5  p.  100  du 
revenu  déclaré  de  leurs  immeubles.  Les  autres  sources 
de  revenu  du  conseil  sont  les  sommes  payées  pour 
l'obtention  des  licences  permettant  la  vente  de  l'alcool 
et  pour  les  ventes  aux  enchères,  les  taxes  sur  les  chiens 
et  les  diverses  amendes  qui  peuvent  être  infligées  à  la 
suite  de  contraventions  aux  règlements  municipaux.  » 

Vers  la  fin  de  1904,  l'ordonnance  fut  appliquée  à  Se- 
kondi,  et  le  l***"  juillet  suivant  à  Cape  Coast  Castle. 

Cette  extension  fut  très  mal  accueillie  par  les  indi- 
gènes. Ils  reprochèrent  à  ^ordon^ance  d'établir  un 
impôt  direct  et  de  ne  point  laisser  au  peuple  un  pou- 
voir électoral  assez  étendu. 

Les  chefs  de  Cape  Coast  adressèrent  au  gouverneur, 
le  1"  novembre  1904,  une  pétition  dans  laquelle  ils 
lui  demandaient  de  modifier  l'ordonnance  en  certains 
points.  «  Le  peuple,  disaient-ils,  désire  s'habituer  peu 
à  peu,  graduellement,  à  l'administration  municipale,  et, 
autant  que  cela  est  possible,  voir  adapter  aux  nécessités 
actuelles  la  méthode  à  laquelle  il  est  habitué.  Nous  de- 
mandons donc  respectueusement  que  les  propriétaires 
d'immeubles  soient  autorisés  à  élire  une  certaine  pro- 
portion des  membres  du  corps  municipal,  que  le  gou- 
vernement continue  à  accorder  à  ce  corps,  indépen- 
damment des  divers  droits  de  patente,  l'argent  qu'il 


156  LA    GOLD    COAST 

dépensait  autrefois  pour  les  travaux  publics  et  Tentre- 
tien  sanitaire  de  la  ville;  que  lorsqu'il  est  nécessaire 
d'avoir  plus  d'argent  pendant  Tannée  courante,  les  vo- 
tants puissent  décider  si  cet  argent  peut  être  obtenu  à 
l'aide  de  taxes,  en  fixer  le  montant  et  la  manière  dont 
elles  pourront  être  levées.  » 

Les  chefs  rappelaient  les  précédentes  pétitions  sur 
le  même  sujet  et  concluaient  ainsi  :  «  Nous  regrettons 
(|u'aucune  tentative  n'ait  été  faite  pour  donner  au  peu- 
pie  ce  que  ses  meilleurs  chefs,  les  hommes  les  plus 
influents  et  les  plus  intelligents,  ont  constamment  dé- 
claré être  le  plus  convenable  pour  le  bien  du  pays.  Nous 
disons  respectueusement  que,  si  un  essai  sincère  de 
nos  propositions  avait  été  fait,  il  aurait  été  couronné  de 
succès,  et  cette  vieille  ville  jouirait  des  bénéfices  d'ins- 
titutions municipales  populaires  et  bien  conduites.  » 

Les  journaux  locaux,  de  leur  côté,  entamèrent  une 
campagne  très  vive  dans  le  sens  de  cette  pétition.  Ils 
déclarèrent  que  la  municipalité  d'Accra  avait  ruiné  la 
ville,  et  qu'il  en  serait  de  même  ailleurs.  C'est  ainsi  que 
le  Gold  Coast  Arborigenes  écrivait,  à  la  fin  de  juin  1905  : 

«  C'est  une  opinion  admise  par  beaucoup  que,  parce 
que  le  contact  de  l'Européen  a  procuré  à  l'Africain  quel- 
ques avantages  qui  sont  généralement  désignés  sous  le 
nom  de  «  civilisation  »,  celui-ci  doit  lui  être  reconnais- 
sant de  quelque  pitié  et  accepter  toutes  les  vexations 
et  les  injustices  que  les  Européens  jugent  bon  de  lui 
infliger...  11  y  a  quelques  années,  à  la  requête  des  indi- 
gènes, les  droits  ad  valorem  furent  élevés  à  10  p.  100, 
dans  le  but  de  permettre  au  gouvernement  d'accomplir 
les  travaux  sanitaires  et  autres  ouvrages  nécessaires; 
mais,  au  lieu  de  cela,  cet  argent  a  été  dépensé  en  expé- 


L^ORGANISATION    MUNICIPALE  157 

ditions  inutiles,  en  créations  de  services  superflus  et 
de  traitements  exorbitants.  Il  est  facile,  dans  ces  con- 
ditions, de  comprendre  pourquoi  le  peuple  proteste 
contre  l'imposition  des  taxes  municipales.  Cependant, 
le  moment  actuel  est  bien  inopportun  pour  introduire 
de  nouvelles  charges.  Le  commerce  est  mort,  les  reve- 
nus diminuent,  les  affaires  sont  mauvaises.  Les  négo- 
ciants, les  détaillants  et  les  intermédiaires  se  plaignent 
de  la  même  manière;  le  gouvernement  est  le  seul  qui 
continue  à  profiter  des  situations.  Il  s'engraisse  au  dé- 
triment du  pays;  les  gros  traitements  ne  diminuent  pas, 
et  personne  n'est  là  pour  crier  halte...  Nous  ne  sommes 
pas  opposés  au  principe  d'un  gouvernement  municipal; 
en  fait,  c'est  notre  désir  d'avoir  en  mains  l'administra- 
tion de  nos  affaires  municipales;  mais  nous  nous  oppo- 
sons à  ce  qu'on  nous  donne  une  contrefaçon  d'un  sys- 
tème municipal,  un  système  dans  la  direction  duquel  le 
peuple  n'intervient  réellement  pas.  S'il  faut  se  procurer 
de  l'argent,  nous  demandons  à  le  faire  à  notre  manière, 
en  fournissant  le  travail  qui  sera  nécessaire.  » 

Le  West  African  Mail  ayant  demandé  à  M.  Sarbah, 
le  jurisconsulte  indigène,  auteur  des  Fanti  Cuslomary 
L(m*s,  de  lui  donner  son  opinion  sur  la  question,  celui- 
ci  lui  adressa  une  longue  lettre,  dans  laquelle  il  recon- 
naissait le  bien  fondé  des  réclamations  que  nous  ve- 
nons de  résumer*.  Il  expliquait  que  la  reine  Victoria 
avait,  il  est  vrai,  acquis  le  droit  de  créer  des  municipa- 
lités dans  la  Gold  Coast  et  de  prélever  les  impôts  pour 
l'amélioration  sanitaire  de*s  villes;  mais  ce  devait  être 
avec  l'assentiment  des  chefs,  qui,  dans  les  circonstances 

1.  W.  A.  J/.,  15  octobre  1905. 


158  LA    GOLD   COAST 

actuelles,  étaient  très  opposés  au  système  qu'on  voulait 
leur  imposer.  Les  membres  élus  du  conseil  municipal 
devaient  être  en  minorité  constante,  et  ce  conseil  serait, 
comme  cela  avait  lieu  à  Accra,  entièrement  à  la  discré- 
tion du  gouvernement.  Du  reste,  assurait  M.  Sarbah, 
la  manière  dont  était  établie  la  liste  des  votants  com- 
portait des  imperfections  graves,  auxquelles,  en  tout 
état  de  choses,  il  convenait  de  remédier.  Dans  la  façon 
dont  ils  protestent  contre  Tordonnance  municipale,  ce 
que  les  Educated  Natives  de  la  Gold  Coast  ont  à 
cœur,  c'est  bien  moins  le  non-payement  d'une  taxe 
que  le  désir  de  participer  au  gouvernement  de  leur 
pays. 

Parmi  les  vœux  que  leurs  délégués  présentèrent  au 
Secrétaire  d'Etat,  en  1898,  à  propos  du  Land's  Bill, 
figuraient  les  suivants  : 

«Les  pétitionnaires  suggèrent  respectueusement  que 
les  Lettres  Patentes  par  lesquelles  les  conseils  législa- 
tifs et  exécutifs  ont  été  établis,  doivent  être  modifiées 
de  façon  à  permettre  aux  rois  et  aux  chefs  de  la  Colonie 
et  du  Protectorat  de  nommer  au  Législative  Counicil  huit 
membres  supplémentaires,  dont  trois  seraient  en  même 
temps  membres  du  conseil  exécutif.  Dans  ce  but,  la 
Gold  Coast  et  le  Protectorat  seraient  divisés  en  quatre 
provinces  :  la  première,  qui  s'étendrait  de  la  Volta  à 
la  rivière  Secum;  la  seconde,  de  la  rivière  Secum  à  la 
rivière  Sweet;  la  troisième,  de  la  rivière  Sweet  à  Dix- 
cove;  la  quatrième,  de  Dixcove  à  Half  Assinee,  chaque 
province  ayant  le  droit  d'élire  deux  membres,  de  façon 
à  pouvoir  prendre  une  part  à  la  législation  de  leur  pays 
natal.  » 

Plus  récemment,  au  commencement  de  1906,  une 


l'organisation  municipale  159 

nouvelle  pétition  a  été  adressée  au  Roi^  par  les  chefs 
de  Fouest  de  la  Gold  Coast,  de  Cape  Coast,  [d'Axim, 
d^Elmina,  du  Wassau,  de  TAbura,  etc.,  au  nombre  de 
76,  et  par  un  grand  nombre  de  notables.  Elle  rappelle 
les  promesses  qui  ont  été  faites  en  réponse  aux  précé- 
dentes pétitions,  en  particulier  celles  de  M.  Chamber- 
lain «  de  n'imposer  aucune  loi  ou  règlement  contre  la 
volonté  du  peuple  ».  Elle  déclare  que  la  Colonie  tout 
entière  est  opposée  à  une  taxe  sur  les  maisons,  et  elle 
demande  : 

1"  Que  l'ordonnance  de  1894  sur  les  Town  Council 
soit  abrogée,  que  des  conseils  municipaux  soient  ins- 
titués; 

2*  Que  les  indigènes  soient  autorisés  à  élire  leurs 
propres  représentants  dans  ces  conseils  ; 

3**  Que  chaque  conseil  ainsi  formé  ait  le  droit  de 
nommer  son  président,  qui  ne  serait  ni  un  fonction- 
naire ni  quelqu'un  touchant  un  salaire  régulier  du  gou- 
vernement; 

4"  Que  ce  conseil  municipal  soit  organisé  d'après  le 
projet  proposé  par  M.  Sarbah; 

5*^  Qu'une  subvention  raisonnable,  qui  ne  pourra  être 
inférieure  à  celle  prévue  dans  le  projet,  soit  accordée 
par  le  gouvernement  dans  le  but  d'aider  au  bon  fonc- 
tionnement de  ces  conseils. 

La  pétition  se  termine  ainsi  :  «  Voyant  que  le  grand 
objet  du  règne  de  Votre  Majesté  a  toujours  été  d'aug- 
menter le  bonheur  de  vos  sujets  fidèles,  nous  déclarons 
humblement.  Sire,  qu'en  accédant  à  notre  prière,  jus- 
tice nous  sera  faite  en  Afrique  occidentale,  à  nous  qui 

1.  IV.  A.,  M.,  2  février  1906,  n^  149. 


IGO  LA    GOLD    COAST 

sommes  fidèles  à  notre  allégeance,  et  qui  désirons  Ta- 
mélioration  paisible  du  Protectorat  qui  forme  une  partie 
non  sans  importance  de  l'empire  anglais.  » 

Un  avocat  indigène  de  Cape  Coast,  M.  Casely  Hayford, 
a  synthétisé,  dans*  un  livre  qui  a  eu  une  très  grande 
influence  sur  ses  compatriotes,  les  aspirations  dont 
cette  agitation  est  le  reflet.  11  recherche  longuement 
quelle  est  la  nature  des  droits  que  l'Angleterre  a  acquis 
sur  la  Gold  Coast.  Il  essaye  de  montrer  comment  il  est 
faux  d'appeler  ce  pays  une  Colonie,  que  ce  n'est  qu'un 
Protectorat,  et  que  seule  l'administration  laissée  entre 
les  mains  des  indigènes  peut  donner  de  bons  résultats. 
11  s'attache,  en  outre,  à  prouver  comment  il  est  absurde 
(le  vouloir  diviser  la  Gold  Coast  en  diverses  parties  et 
comment  les  Fantis  et  les  Ashantis  ne  sont  qu'une  même 
race  qui  doit  se  gouverrier  par  ses  propres  moyens.  La 
politique  contre  les  Ashantis  n'a  été,  d'après  lui,  qu'une 
longue  suite  d'erreurs,  et,  si  l'Angleterre  était  bien 
avisée,  elle  rendrait  à  leurs  chefs  tous  leurs  pouvoirs 
et  restaurerait  le^  institutions  qu'elle  a  détruites. 

Il  conclut  ainsi  : 

«  Nous  remarquons  avec  un  cœur  attristé  que,  dans 
votre  hâte  à  remplir  le  trésor  colonial,  vous  apportez 
peu  d'attention  à  tout  ce  qui  pourrait  contribuer  au 
progrès  matériel  des  aborigènes,  tandis  que  vous 
oubliez  que  le  bien-être  du  plus  grand  nombre  est  le 
signe  d'une  administration  saine. 

«  Nous  voyons  quels  sont  les  eff'orts  que  vous  faites 
j)onr  diviser  le  pays  en  districts,  pour  consolider  votre 

1.  Gold  Coast  Native  Institutions  with  thoughts  upon  a  healthy  poUcy 
for  the  Gold  Coast  and  AshantL  —  Casely  Hayford.  1  vol.,  Sweet  and  Max- 
\Nell,  Londres,  1903. 


l'organisation  municipale  161 

autorité;  mais  nous  voyons  aussi  que  vous  échouerez 
finalement,  car  vous  avez  adopté  une  mauvaise  manière 
d'agir.  Nous  voyons  que  dans  TAshanti,  par  exemple, 
comme  partout  ailleurs,  vous  bâtissez  sur  le  sable  et 
non  sur  le  roc,  que  la  pluie  arrivera  et  entraînera  tout 
le  monument;  cela  arrivera  nécessairement,  si  j'ai  raison 
de  penser  que  les  destinées  d'une  nation  sont  réglées 
avec  une  exactitude  certaine  par  un  pouvoir  invisible. 

«  Si  vous  désiriez  réellement  le  progrès  matériel  du 
peuple,  vous  devriez  enlever  tous  les  obstacles.  Quelle 
part  a-t-il  dans  le  gouvernement  de  son  pays?  A  qui 
vont  les  gros  appointements  et  les  gros  salaires?  A 
leurs  frères  blancs  naturellement;  pourquoi?  Parce 
qu'ils  sont  compétents  et  que  les  indigènes  ne  le  sont 
pas.  Les  indigènes  font  toujours  le  gros  travail,  et  les 
Européens  détiennent  la  grosse  caisse... 

«  L'histoire  se  renouvelle,  et  n'avez-vous  pas  entendu 
parler  de  monastères  catholiques  remplis  de  belles 
fresques,  de  belles  peintures  et  tombant  dans  la  pous- 
sière, dans  le  cœur  de  l'Afrique?  Allez  le  long  de  la 
côte  d'Assini  à  la  rivière  Volta  et  voyez  combien  il  y  a 
de  châteaux  et  de  forteresses,  emblèmes  de  l'avidité 
européenne,  qui  sont  maintenant  le  repaire  des  hiboux 
et  des  chauves-souris.  A  la  place  de  châteaux  vous  cons- 
truisez maintenant  des  bungalows  dont  la  charpente  ne 
nécessite  que  peu  de  jours  de  travail  et  que  vous  pou- 
vez facilement  enlever  à  votre  gré  et  remonter  ailleurs. 

«  Nous  savons,  en  effet,  parfaitement,  nos  bons  amis 
et  protecteurs,  que  si  demain  vous  trouvez  que  le  jeu 
ne  vaut  pas  la  chandelle,  vous  fermerez  la  boutique 
sans  vous  préoccuper  de  ce  que  deviendra  le  noir  et 
son  pays.  Pour  vous,  ce  peut  n'être  qu'une  petite  chose; 

11 


162  LA    GOLD    GOAST 

pour  nous,  ce  sera  une  grande  perte,  une  perte  dans 
ce  sens  que  nous  aurons  tout  à  recommencer,  avec  ou 
sans  votre  interprétation  fantaisiste  de  la  Bible  d'amour 
de  vérité  et  de  fraternité  universelle. 

«  Nous  avons  donc  le  droit  d'être  écoutés  en  la  ma- 
tière, et  nous  vous  demandons  de  nous  entendre  avec 
calme.  Nous  vous  demandons  d'apporter  un  peu  de  bon 
sens  et  d'esprit  pratique  de  gouvernement  à  l'examen 
de  la  situation... 

«  Votre  premier  écueil  sera  le  traitement  des  Ashan- 
tis.Les  Ashantis  doivent-ils  être  traités  comme  un  peu- 
ple conquis  ou  comme  des  amis  et  des  alliés?  C'est  là 
la  question  des  questions,  la  pierre  de  touche  du  bon 
gouvernement.  Pour  répoudre  à  cette  question  vous 
devez  savoir  ce  que  vous  désirez  faire.  Vous  ne  devez 
arriver  à  rien  moins  qu'à  la  fusion  des  Fantis  et  Ashan- 
tis en  un  seul  peuple.  Rappelez-vous  que  par  la  langue, 
les  traditions,  les  usages  et  les  lois,  ils  ne  sont  en  réa- 
lité qu'un  peuple.  Rappelez-vous  qu'ils  sont  cousins, 
qu'ils  vivaient  autrefois  à  Taquimas  dans  l'unité  et  la 
concorde,  jusqu'au  jour  où  ils  se  sont  querellés  et  sé- 
parés. Rappelez-vous  que  la  différence  actuelle  dans 
le  caractère  des  deux  peuples,  qui  n'en  sont  en  réalité 
qu'un  seul,  est  dû  à  votre  influence  malsaine  sur  les 
Fantis.  C'est  donc  ce  que  l'on  peut  proposer  de  plus  na- 
turel que  la  fusion  des  deux  peuples  en  un  seul.  Il  vous 
sera  plus  facile  d'accueillir  cette  proposition  si  vous 
considérez  que  le  châtiment  des  Ashantis  a  été  en  réa- 
lité dû  à  une  erreur... 

«  Le  moment  est  venu  de  s'arrêter  et  de  réfléchir,  et 
c'est  la  nation  anglaise  qui  doit  réfléchir.  Le  sujet  doit 
être  examiné  avec  calme,  et  s'il  y  a  cinquante  hommes 


l'organisation  municipale  163 

dans  Israël  qui  ont  à  cœur  les  intérêts  des  aborigènes, 
la  bonne  décision  sera  certainement  prise  et  la  bonne 
chose  faite.  Quelle  est-elle?  La  nation  anglaise  voudrait- 
elle  sanctionner  la  politique  qui  tendra  de  plus  en  plus 
à  aliéner  les  Ashantis  et  à  les  attirer  vers  les  Français  et 
les  Allemands,  ou  voudra-t-elle  pratiquer  une  politique 
d'union?  Cette  nation  voudra-t-elle  consentir  à  la  des- 
truction finale  de  tout  esprit  national  dans  la  vie  des 
Ashantis,  voudra-t-elle  encourager  le  développement 
national  d'après  les  lignes  naturelles?  L'Angleterre 
oubliera-t-elle  que  l'Ashanti  est  un  pays  conquis,  et  le 
conquérant  voudra-t-il  être  bienveillant  et  reconnaître 
les  Ashantis  comme  il  a  reconnu  leurs  cousins  les  Fantis 
comme  amis  alliés  de  Sa  Majesté  le  roi  Edouard  VII?... 
«  Notez,  s'il  vous  plaît,  que  vous  décidez  des  desti- 
nées d'une  nation,  d'un  peuple  composé  d'hommes  et 
de  femmes  doués  richement  par  la  nature  d'instincts 
et  d'intelligences  qui  les  rendent  aptes  à  avoir  un 
gouvernement  organisé  d'un  ordre  élevé.  Vous  décidez 
aussi,  laissez-moi  vous  le  rappeler,  des  destinées  de 
l'Afrique  occidentale  impériale,  oui,  de  l'Afrique  occi- 
dentale impériale  qui  sera,  —  la  nature  a  décrété  qu'elle 
serait,  mais  non  à  votre  manière,  —  par  le  sabre  ou 
le  Maxim  ou  par  toute  autre  forme  de  force.  La  chose 
sera  faite  avec  le  libre  consentement  et  la  libre  volonté 
de  tous  les  peuples  de  l'Afrique  occidentale  et  en  con- 
formité avec  l'organisation  sociale  indigène.  Dans  tout 
cela  la  ^Gold  Coast  et  l'Ashanti  montreront  la  voie, 
parce  que  leurs  fils  sont  richement  doués  par  la  nature 
des  qualités  nécessaires  à  ceux  qui  veulent  être  des 
conducteurs  de  peuples.  » 


164  LA    GOLD    COÀST 

Ces  phrases  de  M.  Casely  Hayford  résument,  avec 
l'emphase  propre  à  la  littérature  des  «  Educated  Nati- 
ves »,  toute  une  doctrine  dont  l'application  est  des  plus 
complexes. 

L'Angleterre  a  terminé  actuellement  l'occupation  de 
la  Gold  Goast,  et  elle  y  fait  sentir  partout  son  autorité. 
Elle  a  triomphé  des  diverses  tribus  qui  forment  la  po- 
pulation de  ce  pays.  Le  problème  qui  se  pose  mainte- 
nant pour  elle  est  de  savoir  si  le  désir  d'autonomie  dont 
ces  lignes  sont  le  reflet  ne  va  pas  unir  ces  peuples 
dont  elle  n'a  triomphé  que  grâce  à  leurs  divisions,  et 
si  la  politique  qu'elle  a  inaugurée  vis-à-vis  d'eux  sera 
suffisante  pour  maintenir  ces  aspirations.  Peu  d'années 
sont  écoulées  depuis  le  temps  encore  où  elle  devait 
intervenir  pour  le  maintien  de  la  paix.  Elle  doit  néan- 
moins, dès  à  présent,  examiner  si  elle  peut  rendre  à  ces 
indigènes  une  liberté  dont  il  ne  semble  pas  qu'ils  aient 
su,  jusqu'ici,  faire  un  bon  usage,  et  dans  quelle  mesure 
tout  au  moins  elle  peut  leur  donner  satisfaction. 


CHAPITRE  XIV 
LAGOS 


La  Colonie  et  le  Protectorat. 

D'après  la  tradition  la  plus  populaire  à  Lagos,  les 
habitants  de  ce  pays  sont  originaires  de  TAfrique  orien- 
tale. L'émigration  aurait  eu  lieu  à  une  époque  inconnue, 
à  la  suite  d'une  guerre  civile  qui  aurait  éclaté  entre  un 
chef  nommé  Lamurudu  et  son  fils  Oduduwa.  Tandis 
que  le  premier  était  un  fervent  musulman,  le  second, 
partisan  de  Tidolâtrie,  transforma  la  grande  mosquée 
en  un  temple  :  une  rébellion  en  fut  la  conséquence; 
les  musulmans  l'emportèrent,  et  Oduduwa  fut  obligé  de 
s'enfuir  avec  ses  deux  frères  et  ses  partisans.  Après 
avoir  marché  pendant  quatre-vingt-dix  jours  environ, 
Oduduwa  s'établit  à  Ile  Ife,  tandis  que  ses  frères  se 
fixaient  dans  le  Haussa,  où  ils  fondèrent  les  tribus  des 
Gogobiris  et  des  Kakuwas. 

Après  la  mort  d'Oduduwa,  ses  deux  premiers  enfants, 
deux  filles,  devinrent,  l'aînée  la  mère  des  Olowus,  ancê- 
tres des  Owus;  la  seconde  la  mère  d'Aleketu,  roi  de 
Ketu;  l'ainé  de  ses  fils  fut  roi  dii  Bénin,  le  second  Oni- 
nisabe  ou  roi  des  Sabes  ;  le  troisième  Olupopo  ou  roi 
des  Ipopos;  le  quatrième,  Orany an,  devint  l'ancêtre  des 
Oyos  ou  des  Yorubas  proprement  dits*. 

1.  Paper  read  on  ihe  20/*  nov,  190 L  before  the  Lagos  insiilate  hy  the 
lion,  D' Johnson.  Publié  à  Lagos. 


166  LAGOS 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  incontestable  que  les  tribus 
qui  peuplent  le  Protectorat  actuel  de  Lagos  ont  une 
origine  commune.  Elles  forment  sept  grands  groupes 
et  habitent  l'ilorin,  TOyo,  Tljesha  ou  Ilesha,  Tlfe,  Tlba- 
dan,  l'Egba  et  Tljebu.  Le  gouvernement  anglais  a  res- 
pecté cette  division,  et  nous  le  verrons,  dans. le  cours  de 
cette  étude,  appeler  ces  pays  tantôt  des  Etats,  tantôt  des 
Provinces.  Ils  peuvent  être  désignés  par  la  dénomina- 
tion générique  de  Yorubas. 

Les  premières  relations  des  Anglais  avec  les  Yorubas 
eurent  un  caractère  évangélique. 

En  1843,  quelques  Yorubas  qui  avaient  été  convertis 
au  christianisme  à  Sierra  Leone,  une-fois  de  retour  dans 
leur  pays,  demandèrent  des  missionnaires  à  la  Churcli 
Missionary  Society,  qui  leur  envoya  le  Rév.  Townsend. 
Celui-ci  fut  si  bien  accueilli  qu'en  1845  une  mission 
complète,  composée  des  Rév.  Townsend,  Golmer  et 
Samuel  Adjaï  Crowter*  fut  dirigée  sur  Abeokuta.  Deux 
ans  plus  tard,  le  Rév.  Townsend  rentra  en  Angleterre 
porteur  d'une  lettre  des  chefs  egbas  par  laquelle  ceux- 
ci  remerciaient  la  Reine  de  leur  avoir  envoyé  ses  mis- 
sionnaires et  lui  demandaient  de  mettre  fin  à  leurs 
guerres  intestines  de  façon  à  assurer  la  liberté  du  com- 
merce. 

Sa  Majesté  répondit  dans  les  termes  suivants  :  «  La 
Reine  et  le  peuple  d'Angleterre  sont  très  heureux  d'ap- 
prendre que  Sagbua  (le  roi)  et  ses  chefs  pensent  comme 
ils  le  font  au  sujet  du  commerce;  mais  le  commerce  ne 
suffit  pas  pour  faire  une  nation  grande  et  heureuse 
comme  l'est  l'Angleterre.  L'Angleterre   est   devenue 

1.  Charles  Golmer,  his  Life  and  misionary  Labour  in  West  Africa,  1  vol 
Ilodder  and  Slougthon,  Londres,  1889. 


LA  COLONIE  ET  LE  PROTECTORAT  167 

grande  et  heureuse  grâce  à  sa  connaissance  du  vrai 
Dieu  et  de  Jésus-Christ.  La  Reine  est  donc  très  heu- 
reuse d'apprendre  que  Sagbua  et  les  chefs  ont  si  bien 
reçu  les  missionnaires  qui  leur  apportent  la  parole 
de  Dieu  que  tant  de  peuples  désirent  entendre.  » 

Les  missions  prirent  ainsi  une  importance  de  plus 
en  plus  grande,  et  le  commerce  européen  pénétra  peu 
à  peu  dans  ces  régions. 

A  la  même  époque,  vers  1851,  lord  Palmerslon,  à  la 
suite,  dit-on,  d'une  conversation  avec  le  Rév.  II.  Venu, 
secrétaire  de  laChurchMissionary  Society,  résolut  d'ar- 
rêter la  traite  des  esclaves  qui  avait,  à  Lagos,  une  très 
grande  importance.  Le  roi  de  Lagos,  Kosoko,  refusa  de 
signer  un  traité  dans  ce  but.  Le  gouvernement  anglais 
découvrit  fort  à  point  que  ledit  Kosoko  n'était  qu'un 
usurpateur,  le  déposa  et  mit  à  sa  place  son  frère  Aki- 
taye.  Un  consulat  fut  établi  à  Lagos. 

La  traite  des  esclaves  ne  cessant  point,  l'Angleterre 
décida  d'intervenir  plus  énergiquement  et  annexa  l'île 
de  Lagos. 

En  août  1861,  N.  B.  Bedingfiel,  commandant  le  Pro- 
metheuSy  et  W.  M.  Coskry,  consul  de  Sa  Majesté,  pas- 
sèrent avec  Docemo,  successeur  d'Akitaye,  le  traité 
suivant*  ; 

«  1**  Dans  le  but  de  permettre  à  la  Reine  d'Angleterre 
de  protéger  {to  assist,  défend  and  protect)  les  habitants 
de  Lagos,  mettre  fin  à  la  traite  des  esclaves  et  arrêter  la 
guerre  avec  le  Dahomey,  Docemo  transmet  à  la  Reine 
le  port  et  File  de  Lagos  avec  tous  les  droits  de  souve- 

1.  Les  textes  des  traités  et  des  ordonnances  de  Lagos  ont  été  publiés 
dans  Laws  oflhe  Colony  of  Lagos,  Speed,  2  vol.,  Stevens  and  Son,  Lon- 
dres, 1902. 


168  LAGOS 

raineté  qu'il  possède,  ainsi  que  tous  les  territoires  qui 
lui  appartiennent. 

«  2®  Docemo  gardera  le  titre  de  roi  et  aura  le  droit 
de  juger  les  procès  entre  les  indigènes  avec  leur  con- 
sentement et  sous  réserve  d'appel  à  la  loi  anglaise. 

«  3*^  Docemo  recevra  une  pension  annuelle  de  douze 
cents  sacs  de  cauris  pendant  toute  sa  vie.  » 

Les  établissements  deLagos  s'agrandissaient,  en  1863, 
des  territoires  de  Palma,  de  Leky  et  de  Badagry,  que 
leurs  chefs  cédaient  au  gouvernement  anglais  contre  le 
payement  d'une  rente  annuelle,  dans  le  but  d'être  pro- 
tégés contre  le  roi  du  Dahomey  (traités  des  7  février  et 
7  juillet  1863). 

Le  24  octobre  1885,  Amapetu,  «  roi  indépendant  du 
Mahim  »,  demanda  à  la  Reine  de  le  prendre,  lui  et  ses 
sujets,  sous  sa  gracieuse  protection.  11  gardait  le  droit 
de  percevoir  ses  revenus  et  de  rendre  la  justice.  Le 
11  mars  1885,  il  avait  passé  un  traité  analogue  avec 
Nachtigal  et  avait  cédé  une  partie  de  ses  territoires  à 
la  maison  Goedelt  d'Hambourg;  mais  l'empereur  d'Al- 
lemagne refusa  de  ratifier  ces  contrats,  et  c'est  ainsi 
qu'Amapetu  se  retourna  vers  l'Angleterre. 

Ce  n'est  que  le  13  janvier  1886  que  ces  divers  ter- 
ritoires furent  transformés  en  Colonie.  De9  lettres 
patentes  de  cette  date  abrogèrent  les  lettres  du 
22  janvier  1903  qui  soumettaient  les  «  Lagos  Settle- 
ments  »  au  gouvernement  de  la  Gold  Coast.  Elles  éta-  1 

blissaient  de  toutes  pièces  un  gouvernement  régulier, 
Elles  déterminaient  les  pouvoirs  du  Gouverneur,  de 
l'Executive  Council  et  du  Législative  Council.  Nous 
n'insisterons  pas  sur  cette  organisation,  dont  les  détails 
furent  fixés  par  des  instructions  de  la  même  date  et 


LA  COLONIE  ET  LE  PROTECTORAT  169 

qui  est  la  même  que  celle  des  autres  Colonies  de  la 
Couronne. 

La  Suprême  Court  Ordinance  de  1878  vint  déterminer 
la  situation  juridique  des  habitants  de  la  nouvelle  colo- 
nie. Comme  dans  les  autres  colonies  proprement  dites 
de  la  côte  d'Afrique,  il  n'était  fait  aucune  distinction 
entre  les  Européens  et  les  indigènes.  Les  traités  passés 
avec  les  chefs  des  territoires  annexés  devenaient  let- 
tres mortes,  et  les  tribunaux  établis  par  Tordonnance 
jugeaient  les  blancs  et  les  noirs  d'après  la  même  pro- 
cédure et  les  mêmes  lois,  qui  étaient  en  fait  celles  de 

métropole. 

Les  indigènes  de  la  nouvelle  colonie  devenaient  des 
citoyens  anglais  au  même  titre  que  tous  les  autres 
habitants  de  l'empire. 

Le  gouvernement  qui  fut  ainsi  formé  ne  constitue 
qu'une  petite  partie,  le  cinquième  environ,  de  la  colonie 
actuelle  de  Lagos.  Il  forme  avec  quelques  additions  la 
Colonie  proprement  dite;  le  reste  constitue  le  Protectorat. 

Ce  qui  caractérise  l'établissement  du  pouvoir  anglais 
dans  les  territoires  du  Lagos,  c'est  qu'il  a  eu  lieu  pres- 
que sans  conquête.  La  cession  des  territoires  qui  for- 
ment la  Colonie  proprement  dite  fut  obtenue  grâce, 
certainement,  à  des  mesures  d'intimidation,  mais  sans 
violences. 

Les  guerres  civiles  qui  éclatèrent  entre  les  diverses 
tribus  yorubas  servirent,  très  habilement,  de  prétexte 
à  l'intervention  du  gouvernement  de  Lagos  dans  le 
Protectorat. 

Nous  n'entreprendrons  pas  ici  le  long  récit  de  ces 
guerres  ni  des  démarches  que,  de  1875  à  1886,  les  gou- 


170  LAGOS 

verneurs  firent  auprès  des  chefs  pour  tâcher  de  rame- 
ner la  paix  dans  le  pays*.  En  juillet  i886,  Sir  Alfred 
Moloney  réussit  à  faire  signer  par  les  chefs  de  TOyo, 
de  ribadan,  de  Tllesha,  de  TOtun,  de  Tljero,  de  Tldo, 
de  rife,  du  Modakeke  et  du  Jebu  un  traité  par  lequel  ils 
déterminaient  les  frontières  de  leurs  territoires  respec- 
tifs et  s'engageaient  à  vivre  en  paix,  à  l'avenir,  les  uns 
avec  les  autres  et  à  prendre  le  gouverneur  de  Lagos 
comme  arbitre  des  contestations  qui  pourraient  inter- 
venir entre  eux.  Le  traité  fut  ratifié  par  le  gouverne- 
ment anglais  le  23  septembre  1886.  L'Acting  Colonial 
Secretary  Haggins  et  le  Queen's  Advocate  Oliver  Smith 
furent  envoyés  dans  l'intérieur  pour  examiner  la  situa- 
tion. Ils  en  rapportèrent  un  long  rapport  sur  Tétat 
politique  du  pays.  Ils  avaient  passé  avec  les  chefs  de 
rilesha,  de  l'Ekiti  et  de  l'ife  des  traités  par  lesquels 
ceux-ci  s'engageaient  à  cesser  tous  sacrifices  humains 
(29  septembre  et  2  novembre  1886)^ 

L'état  des  choses  n'en  fut  cependant  pas  de  beaucoup 
amélioré,  et  Tinfluence  de  l'Angleterre  restait  très  fai- 
ble. Les  guerres  continuèrent,  principalement  entre 
les  Ibadans  et  les  Uorins.  La  visite  de  Sir  Claude  Mac- 
donald,  qui  procédait  à  Tenquête  d'où  devait  sortir  le 
Niger  Coast  Protectorate,  ne  produisit  aucun  résultat  • 
dans  rilorin  (1888).  Le  capitaine  Denton,  Actîng  gover- 
nor,  qui  se  rendit  chez  les  Jebus,  y  fut  très  mal  reçu. 
On  exigea  des  réparations.  Un  traité  fut  cependant  si- 
gné par  les  Jebus,  d'après  lequel  ceux-ci  s'engageaient 

1.  V.  Correspondance  respecUng  the  war  belween  native  Iribes  in  tht 
inlerior.  Pari,  paper^  C.  4937  (1887). 

2.  V.  Further  Correspondance  respecUng  Ihe  war  beUven  native  tribes 
in  the  interior.  Pari,  paper,  G.  5144  (1887). 


LA  COLONIE  ET  LE  PROTECTORAT  171 

à  ouvrir  les  routes  de  leur  pays  et  à  supprimer  les 
droits  élevés  qu'ils  percevaient  à  Feutrée  des  marchan- 
dises européennes.  Un  subside  de  500  livres  leur  était 
accordé  en  compensation. 

Le  traité  ne  fut  point  tenu,  et  sa  violation  donna  lieu 
à  la  seule  campagne  qu'ait  faite  jusqu'ici  le  gouverne- 
ment anglais  dans  le  Lagos.  Les  Jebus,  vaincus,  furent 
englobés  dans  la  colonie  proprement  dite  (1892). 

De  leur  côté,  les  Egbas  refusèrent,  en  1891,  de  lais- 
ser entrer  le  gouverneur  Moloney  à  Abeokuta  et  fermè- 
rent, eux  aussi,  leurs  routes  au  commerce. 

Le  gouvernement  anglais  se  décida  à  ep  finir,  et  en 
1892  Sir  G.  T.  Carter  partit  d'Angleterre  avec  l'ordre 
d'examiner  dans  quelles  conditions  pourrait  se  pour- 
suivre une  campagne  dans  l'intérieur. 

Les  Egbas,  effrayés,  changèrent  d'altitude  et  invitè- 
rent le  gouverneur  à  venir  leur  rendre  visite  à  Abeo- 
kuta. Sir  Gilbert  T.  Carter  commença  alors  la  grande 
tournée  pacifique  au  cours  de  laquelle  les  tribus  yoru- 
bas  devaient  se  placer  sous  le  contrôle  de  l'Angle- 
terre. Son  escorte  se  composa  de  cinq  Européens  et  de 
cent  Haousas.  Le  7  janvier  1893,  il  entrait  solennelle- 
ment à  Abeokuta,  aux  acclamations  de  la  population. 

Au  cours*  des  entretiens  qu'il  eut  avec  les  chefs,  il 
leur  proposa  de  signer  un  traité  par  lequel  ils  recon- 
naîtraient à  l'Angleterre  le  droit  d'établir  un  résident 
à  Abeokuta  et  de  construire  un  chemin  de  fer  sur  les 
territoires  egbas.  Ces  deux  propositions  ne  furent  point 
acceptées,  sous  prétexte  que  le  peuple  penserait  que  les 
chefs  avaient  vendu  leur  pays  aux  Anglais  et  qu'il  ne 

1.  V.  Despatch  front  Sir  Gilbert  Carter  far nishin g  a  gênerai  report  oj 
the  Lagos  interior  eûtpedition,  1893.  Part,  paper,  1893. 


172  LÀGOS 

comprenait  pas  pour  le  moment  Tutilité  d'un  chemin 
de  fer. 

Sir  Gilbert  T.  Coi'ter  ne  crut  pas  opportun  d'insister 
et  parvint  cependant  à  faire  signer,  le  13  janvier,  un 
traité  comportant  les  clauses  suivantes  : 

«  1®  Paix  et  amitié  sont  convenues  entre  les  sujets  de 
la  Reine  et  les  Egbas.  Les  difficultés  qui  pourraient 
survenir  entre  eux  seront  soumises  au  gouverneur 
de  Lagos. 

«  2*  Complète  liberté  du  commerce  est  établie  entre 
TEgba  et  Lagos.  Aucune  route  ne  sera  fermée  sans  le 
consentement  du  gouverneur  de  Lagos. 

«  3**  Le  commerce  entre  Lagos  et  TEgba  sera  encou- 
ragé. 

«  ^  Les  chefs  Egbas  donneront  complète  protection, 
assistance  et  encouragement  aux  ministres  du  Christ. 

«  5**  Tant  que  le  traité  sera  tenu  scrupuleusement,  au- 
cune annexion  du  territoire  ne  sera  faite  chez  les  Egbas 
par  le  gouvernement  de  la  Reine  sans  le  consentement 
des  autorités  du  pays;  leur  indépendance  sera  pleine- 
ment reconnue. 

«  6"  Il  ne  sera  procédé  à  aucun  sacrifice  humain  chez 
les  Egbas. 

«  7®  Les  sujets  anglais  auront  entière  liberté,  comme 
par  le  passé,  d'occuper  des  terres,  construire  des  mai- 
sons et  se  livrer  au  commerce  ou  à  l'industrie  dans 
toutes  les  parties  du  territoire  egbas. 

«  8*"  Les  Egbas  ne  pourront  faire  aucune  cession  de 
leurs  territoires  à  des  puissances  élrangëtes.  » 

Le  3  février,  l'Alafin  d'Oyo  signait  un  traité  analogue; 
il  recevait  une  subvention  de  100  livres,  subvention  qui 
pouvait  être  suspendue  à  la  discrétion  du  gouverneur. 


LA  COLONIE  ET  LE  PROTECTORAT  173 

Il  s'engageait  à  ne  pas  attaquer  les  Ilorins,  si  ceux-ci 
respectaient  la  paix.  11  ne  voulut  entendre  parler  d'au- 
cune restriction  apportée  à  l'esclavage  dans  son  pays. 

Sir  Gilbert  T.  Carter  décida  ensuite  de  se  rendre 
dans  rilorin  pour  essayer  d'obtenir  de  Témir  qu'il  ces- 
sât les  hostilités  contre  les  Ibadans. 

L'Ilorin  se  trouvant  dans  les  territoires  de  la  Royal 
Niger  Co.,  Sir  Gilbert  T.  Carter  ne  se  préoccupa  que 
de  ce  qui  pouvait  intéresser  les  rapports  de  ce  pays 
avec  les  tribus  dépendant  de  son  administration.  Il  dé- 
clara à  l'émir  que  l'Angleterre  avait  toujours  été  dési- 
reuse d'éviter  les  mesures  de  violence,  et  qu'elle  n'avait 
sévi  contre  les  Jébus  qu'après  avoir  épuisé  tout  autre 
moyen  d'action.  Elle  ne  désirait  nullement  intervenir 
dans  le  gouvernement  ou  la  religion  des  indigènes; 
elle  demandait  seulement  que  le  pays  fût  administré  de 
façon  à  ce  que  ses  habitants  jouissent  d'une  certaine 
liberté  et  pussent  circuler  partout  sans  risquer  d'être 
saisis  comme  esclaves. 

Le  25  février  1893,  l'émir  signait  une  déclaration  par 
laquelle  il  s'engageait  à  cesser  les  hostilités  avec  les 
Ibadans  et  à  prévenir  le  gouverneur  de  Lagos  avant 
de  les  recommencer. 

Sir  Gilbert  T.  Carter  fut  assez  heureux  pour  assister 
à  la  dispersion  des  troupes  ennemies. 

Le  26  mars,  le  gouverneur  entrait  à  Ibadan,  où  il  fut 
reçu  avec  enthousiasme  par  les  habitants,  mais  oîi  les 
chefs  se  refusèrent  à  signer  tout  traité,  sous  prétexte 
que  «  ce  serait  un  couteau  placé  sur  leur  gorge  ». 

Le  Balogun  l'informa  qu'Ibadan,  Iwo,  Ede,  Osogbo, 
Ogbomoso,  Ejigbo  et  Isehin  étaient  sous  les  ordres 
d'un  même  gouvernement  qui  siégait  à  Ibadan,  et  que 


174  LAGOS 

le  roi  d'Oyo,  bien  que  chef  du  Yoruba,  n'avait  à  se 
préoccuper  (|ae  de  Tadministralion  d*Oyo  et  d'une  ou 
deux  autres  villes  sans  conséquence. 

Dans  le  palabre  qui  eut  lieu,  Sir  Gilbert  T.  Carter 
exprima  sa  surprise  de  voir  que  quelque  objection  pou- 
vait être  faite  à  rétablissement  d'un  résident  à  Ibadan. 
Le  résident  remplirait  simplement  le  rôle  d'un  ambas- 
deuret  servirait  d'intermédiaire  entre  les  autorités  indi- 
gènes et  le  gouvernement  de  Lagos.  Il  n'interviendrait 
en  rien  dans  Tadministration  locale,  et  ses  fonctions 
consisteraient  surtout  à  visiter  périodiquement  les  pays 
voisins  pour  voir  si  tout  s'y  passait  convenablement,  et 
empêcher  tout  nouveau  motif  de  dispute  avec  les  llorins. 

Les  chefs  s'obstinèrent  à  refuser  un  résident;  ils  se 
bornèrent  à  déclarer  qu'il  n'en  avait  été  placé  nulle 
part  et  que  ce  serait  une  mesure  de  disgrâce  que  l'on 
prendrait  ainsi  vis-à-vis  d'eux.  Le  Gouverneur  leur 
assura  que  c'était  bien  plutôt  un  honneur  que  l'on  se 
proposait  de  leur  faire,  puisque  l'on  voulait  les  mettre 
au  rang  des  nations  européennes,  qui  envoyaient  tou- 
jours des  résidents  ou  des  ambassadeurs  auprès  des 
pouvoirs  amis. 

Le  Balogun  déclara  alors  qu'il  ne  désirait  point  qu'un 
fonctionnaire  visitât  les  villes  de  ses  territoires. 

Sir  Gilbert  T.  Carter  assura  que  c'était  l'intention  du 
gouvernement  anglais  d'établir  dans  le  pays  un  rési- 
dent, que  les  chefs  le  voulussent  ou  non,  et  qu'il  fallait 
qu'ils  s'habituassent  à  l'idée  d'en  recevoir  un.  Le  gou- 
vernement anglais  n'interviendrait  pas  dans  l'esclavage 
familial,  mais  il  était  fermement  décidé  à  faire  tout  ce 
qu'il  faudrait  pour  arrêter  les  guerres  d'esclaves  qui 
désolaient  le  pays. 


LA  COLONIE  ET  LE  PROTECTORAT  175 

II  n'insista  pas  davantage  et  rentra  à  Lagos. 

Le  15  août  de  cette  année  1893,  le  gouverneur  Den- 
ton  réussissait  à  faire  signer  aux  autorités  d'Ibadan  le 
traité  suivant  : 

<c  L'administration  générale  des  villes  yorubas  hvo, 
Ede,  Osogbo,  Ikirun,  Ogbomoso,  Ejigbo  et  Isein  et  de 
tout  le  pays  appelé  Ekun  Otun,  Ekun  Osi,  est  remise  au 
gouvernement  d'Ibadan;  les  autorités  locales  agissent 
d'accord  avec  celles  d'Ibadan  et  sont  sujettes  d'Ibadan, 
nonobstant  ce  fait  que  TAIafin  d'Oyo  est  reconnu  le 
chef  du  Yorubaland. 

«  Les  autorités  d'Ibadan  reconnaissent  le  traité  d'Oyo 
du  3  février.  En  conséquence,  elles  feront  tous  les 
efforts  pour  assurer  le  libre  passage  aux  personnes  qui 
iront  d'Ibadan  à  Lagos  et  vice  versa  ou  qui  viendront 
de  l'intérieur;  elles  acceptent  de  recevoir  à  Ibadan,  pour 
l'exécution  de  ce  traité,  les  fonctionnaires  européens  et 
les  troupes  de  la  police  de  Lagos  qui  seront  nécessai- 
res; elles  fourniront  le  terrain  requis  pour  le  logement 
de  ces  fonctionnaires  et  de  ces  troupes,  ainsi  que  pour 
la  construction  d'un  chemin  de  fer.  Elles  recevront 
pour  cette  terre  la  gratification  qui  sera  fixée  par  arran- 
gement spécial. 

«  Toute  discussion  au  sujet  de  ce  traité  sera  soumise 
à  deux  arbitres,  et,  dans  le  cas  de  désaccord  entre  eux, 
le  cas  sera  réglé  par  le  Gouverneur.  » 

Le  5  janvier  1894,  Sir  (iilbert  Carter  passait  avec  les 
autorités  Egbas  un  accord  par  lequel  étaient  détermi- 
nées les  limites  entre  les  territoires  de  Lagos  et  ceux 
d'Egba. 

Le  4  septembre  de  la  même  année,  il  concluait  un 
traité  de  «  paix  et  d'amitié  avec  Tldanre,  aux  termes 


176  LAGOS 

duquel  les  sujets  anglais  avaient  libre  accès  et  droit  de 
construire  des  maisons  et  de  faire  du  commerce  dans 
les  territoires  de  Tldanre.  Des  avantages  analogues  ne 
pouvaient  être  consentis  à  des  sujets  d'autres  nationa- 
lités qu'avec  l'assentiment  du  gouvernement  anglais; 
une  rente  de  50  sacs  de  cauris  était  assurée  en  échange 
à  rOwa. 

Les  territoires  avec  les  chefs  desquels  il  avait  été 
ainsi  traité  devinrent  ce  qu'il  fut  convenu  d'appeler  le 
Protectorat,  bien  que  dans  aucun  de  ces  traités  le  mot 
de  Protectorat  ne  fût  employé. 

Entre  temps,  une  ordonnance  du  3  avril  1890  por- 
tait que  : 

«  Attendu  que  le  Foreign  Jurisdiction  Act  1843  dit, 
entre  autres  choses,  qu'il  sera  légal  pour  Sa  Majesté 
de  posséder  et  d'exercer  tout  pouvoir  ou  juridiction 
que  Sa  Majesté  a,  ou  pourra  avoir,  dans  tout  pays  situé 
en  dehors  du  Dominion  de  Sa  Majesté,  de  la  même  ma- 
nière que  si  Sa  Majesté  avait  acquis  ce  pouvoir  ou  cette 
juridiction  par  cession  ou  conquête; 

«  Attendu  que  Sa  Majesté  a  acquis  des  droits  sur  des 
territoires  adjacents  à  la  colonie  de  Lagos, 

«  Elle  aura  le  droit  de  légiférer  pour  ces  territoires 
de  la  même  manière  que  pour  la  Colonie  et  exercera 
la  même  juridiction  sur  eux.  » 

Cette  ordonnance  avait  pour  but  d'étendre  les  pou- 
voirs donnés  au  gouverneur  par  les  Lettres  Patentes 
du  13  janvier  1886.  En  vertu  de  ces  termes,  une  série 
de  territoires  voisins  furent  rattachés  à  la  Colonie  pro- 
prement dite  (10  mars  1890,  royaume  de  Pokra  ;  5  août 
1891,  Igbessa;  8  août  1891,  Addo;  13  août  1891,  Haro; 
4  novembre  1892,  territoires  situés  entre  le  Bayeku  et 


LA  COLONIE  ET  LE  PROTECTORAT  177 

la  rivière  Oshun;  9  novembre  1894,  Jebu  Remo  ;  10  no- 
vembre, Emuren;  25  octobre  1895,  Ayessan;  26  octobre 
1895,  Ibu  et  Itebu). 

Indépendamment  des  territoires  ainsi  acquis,  les 
pouvoirs  de  la  Couronne  devaient  s'exercer  dans  cer- 
taines parties  du  Protectorat,  grâce  aux  conventions 
qui  purent  être  passées  au  sujet  de  la  construction 
d'un  chemin  de  fer. 

Des  accords  étaient  conclus  le  21  février  1899  avec 
les  autorités  d'Abeokuta,  et  le  5  juillet  1900  avec  celles 
d'ibadan,  en  vertu  desquelles  ces  autorités  «  reconnais- 
saient à  la  Reine  d'Angleterre,  pour  99  ans,  le  droit  de 
construire  un  chemin  de  fer  sur  leurs  territoires  et 
d'occuper  une  bande  de  terre  de  cent  yards  de  chaque 
côté  de  la  voie,  d'exercer  sur  cette  terre  tous  pouvoirs 
relatifs  à  la  'construction  et  à  l'exploitation  du  railway, 
de  saisir  sur  les  territoires  Egbas  et  d'ibadan,  de  juger 
et  de  punir  d'après  la  loi  anglaise  toute  personne, 
sujet  anglais  ou  non,  qui  aurait  commis  sur  cette  terre 
un  crime  ou  un  délit.  » 

Une  redevance  de  200  livres  devait  être  payée  an- 
nuellement à  l'Alake,  une  de  10  livres  au  Baie  d'ibadan. 
Ces  sommes  étaient  proportionnelles  à  la  longueur  de 
la  voie  construite  sur  leurs  territoires  respectifs.  Des 
accords  subséquents  devaient  en  augmenter  le  mon- 
tant à  mesure  que  le  railway  s'étendrait. 

Cet  établissement  du  chemin  de  fer  devait  permet- 
tre; du  reste,  au  gouvernement  anglais  de  placer  auprès 
des  chefs  d'Abeokuta  un  fonctionnaire  qui  devait  rem- 
plir en  partie  le  rôle  de  ce  résident  que  les  Egbas  se 
refusaient  à  recevoir.  11  s'appela  le  «  Railway  Commis- 
sioner  »    et  fut  institué  théoriquement  pour  s'entre- 

12 


178  LAGOS 

mettre  auprès  des  chefs  au  sujet  des  difficultés  qui 
pourraient  surgir,  entre  eux  et  les  sujets  anglais,  à  pro- 
pos de  la  construction  ou  de  l'exploitation  du  chemin 
de  fer.  Nous  verrons  qu'en  fait  ce  fonctionnaire  n'est 
intervenu,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  que  fort 
peu  dans  l'administration  des  territoires  egbas,  et  que 
cette  administration  a  été  laissée  entièrement  entre 
les  mains  des  chefs. 

La  manière  dont  l'Angleterre  a  entrepris  l'administra- 
tion de  la  Colonie  proprement  dite  de  Lagos  n'offre  rien 
qui  diffère  particulièrement  de  sa  conduite  à  l'égard 
des  autres  colonies  de  l'Afrique  occidentale;  comme 
pour  celles-ci,  sa  politique  peut  se  résumer  par  cette 
formule  :  assimilation  des  indigènes  habitant  la  Colo- 
nie et  législation  semblable  à  celle  en  vigueur  dans  le 
reste  de  l'empire. 

Sa  politique  à  l'égard  des  peuples  du  Protectorat  est 
plus  particulière,  et  c'est  à  l'examen  de  celle-ci  que 
nous  devrons  nous  arrêter  principalement  au  cours  de 
cette  étude. 

Jusque  vers  1900,  les  efforts  du  gouvernement  anglais 
dans  l'intérieur  avaient  surtout  tendu  à  se  ménager  des 
prétextes  d'intervention  et  à  assurer  la  liberté  du  com- 
merce. Sir  William  MacGregor  devait  inaugurer  le 
régime  de  l'administration  anglaise  dans  ces  pays. 


CHAPITRE    XV 
LAGOS 


Les  conseils  de  chefs. 

Dès  le  début  de  son  administration,  Sir  William  Mac- 
Gregor  se  préoccupa  d'organiser  d'une  manière  ration- 
nelle le  gouvernement  indigène  et  montra  qu'il  atta- 
chait beaucoup  d'importance  à  la  composition  et  au  bon 
fonctionnement  des  conseils  placés  auprès  des  chefs. 

Le  24  septembre  1901,  il  présenta  en  première  lec- 
ture au  Législative  Council  un  projet  complet  de  régle- 
mentation des  assemblées  indigènes. 

Il  instituait^  auprès  de  lui,  une  assemblée  nommée 
c<  Central  Native  Council  ».  Les  membres  de  ce  conseil 
devaient  être  nommés  ou  révoqués  par  le  gouverneur, 
président  des  séances.  Le  vice-président  pourrait  être 
un  indigène  ou  un  Européen  et  présiderait  en  l'absence 
du  gouverneur.  Le  conseil  serait  purement  consultatif, 
et  ses  membres,  tous  indigènes,  auraient  le  droit  de 
soumettre  à  ses  votes  toutes  propositions  qui  leur  sem- 
bleraient avantageuses  pour  le  bien  de  la  population. 

Dans  chaque  province  ou  district  (en  fait  pour  les 
pays  yorubas  dans  chaque  État)  il  serait  établi  un  con- 
seil dont  les  membres  seraient  nommés  par  le  gouver- 
neur et  qui  serait  présidé  par  la  personne  que  le  gou- 
verneur reconnaîtrait  comme  étant  le  chef  du  district 
ou  de  la  province. 


180  LÀGOS 

Les  «  Provincial  »  ou  «  District  Councils  »  se  réuni- 
raient sur  la  convocation  de  leurs  présidents  et  de- 
vraient s'occuper  de  Tadministration  intérieure  de  la 
province.  Ils  auraient  le  droit  de  nommer  dans  chaque 
ville  ou  village  placé  sous  leur  juridiction,  des  conseils 
qui  surveilleraient  les  affaires  locales.  Le  gouverneur 
•  pourrait  nommer  des  conseils  analogues  dans  les  villes 
ou  villages  dans  lesquels  les  conseils  de  province  n'en 
auraient  point  établi.  C'était  donc  un  système  repré- 
sentatif à  trois  degrés  que  voulait  établir  Sir  W.  Mac- 
Gregor,  conseil  de  village,  conseil  provincial  et  con- 
seil central  auprès  du  gouverneur. 

L'idée  de  constituer  un  conseil  consultatif  indigène 
fut  très  bien  accueillie  ;  mais  il  n'en  fut  pas  de  même  de 
la  partie  du  projet  qui  devait  concerner  les  assemblées. 
On  estima  d'une  façon  unanime  que  Sir  Willam  Mac- 
Gregor  avait  voulu  placer  entièrement  l'autorité  indi- 
gène sous  le  contrôle  du  gouvernement. 

En  présentant  son  projet  au  Législative  Council,  Sir 
W.  MacGregor  donna,  pour  dissiper  les  appréhensions, 
l'assurance  que  les  mesures  qu'il  proposait  avaient  seu- 
lement pour  but  de  permettre  au  gouvernement  de 
consulter  les  chefs  avant  de  prendre  des  décisions  qui 
pouvaient  intéresser  lé  pays.  Il  voulait  établit  l'autorité 
de  ceux-ci  sur  des  bases  solides;  il  ne  pouvait  être 
question  de  diminuer  ou  de  détruire  cette  autorité,  mais 
bien  de  la  renforcer.  Le  Secrétaire  d'Etat  avait  toujours 
été  d'avis  que  le  pays  devait  être  gouverné  par  l'inter- 
médiaire des  chefs.  Si  les  conseils  indigènes  étaient 
organisés  comme  le  portait  le  projet  d'ordonnance,  les 
chefs  s'appuieraient  sur  la  volonté  du  peuple,  ce  qui 
n'avait  point  lieu  actuellement,  car  leur  pouvoir  était 


LES    CONSEILS    DE    CHEFS  181 

très  affaibli.  Il  était  nécessaire  pour  cela  que  le  gou- 
vernement eût  quelque  influence  en  la  matière.  Si  cepen- 
dant la  réforme  qu'il  proposait  ne  rencontrait  pas  l'ap- 
probation unanime,  il  vaudrait  mieux  laisser  les  choses 
en  l'état. 

Les  membres  indigènes  du  conseil  répondirent  à  ces 
déclarations  en  protestant  vivement  contre  le  projet. 
Le  D*"  Johnson  déclara  que  le  Bill  était  inutile  et  inop- 
portun, que  Taffaiblissement  de  l'autorité  indigène  à 
laquelle  le  gouverneur  avait  fait  allusion  provenait  jus- 
tement d'interventions  inutiles,  et  que  le  but  que  devait 
poursuivre  le  Législative  Council  était  de  diminuer 
cette  intervention,  au  lieu  de  l'augmenter.  Du  reste,  les 
chefs  regarderaient  la  mesure  que  l'on  voulait  prendre 
comme  une  rupture  des  engagements  que  Ton  avait 
contractés  envers  eux. 

L'Hon.  Spara  William  assura  que  le  but  était  de  sup- 
primer le  pouvoir  des  chefs  et  d'y  substituer  ceux  du 
gouverneur.  11  en  résulterait  fatalement  des  troubles. 

L'Hon.  C.  T.  George  fit  remarquer  que  lorsque  l'on 
avait  parlé  pour  la  première  fois  du  projet,  il  ne  devait 
être  question  que  de  Lagos  et  des  districts  voisins^  et 
non  de  l'intérieur.  Il  était  du  devoir  du  conseil  de  pré- 
venir le  gouverneur  que  le  Bill  produirait  un  vif  mé- 
contentement dans  le  pays. 

Sir  W.  MacGregor  se  vit  obligé  de  do^ner  des  rai- 
sons un  peu  plus  explicites  pour  soutenir  sa  thèse. 

Les  mesures  qu'il  proposait  devaient  avoir  pour  but 
de  donner  aux  chefs  une  indépendance  administrative. 
En  l'état  actuel  des  choses,  il  pouvait  arriver  qu'un 
résident  dépassât  les  pouvoirs  qu'il  avait  le  droit 
d'exercer  et  portât  atteinte  à  l'autorité  des  chefs  auprès 


182  LAGOS 

de  qui  il  était  détaché.  L'ordonnancev  devait  limiter  son 
influence. 

Cependant  il  ne  pensait  pas  qu'il  dût  imposer  sa  ma- 
nière de  voir  au  pays  et  exercer  une  pression  quelcon- 
que sur  le  conseil.  Il  proposait  de  soumettre  le  Bill  à 
une  commission  spéciale  qui  l'examinerait  en  détail  et 
qui  serait  composée  de  l'honorable  A.  Enhart,  D*"  Stra- 
cham,  du  D'  Johnson  et  de  l'Hon.  Spara  William  (deux 
Européens  et  deux  indigènes).  S'ils  se  prononçaient 
définitivement  contre  le  projet,  il  Tabandonnerait. 

Contrairement  à  ce  qu'on  aurait  pu  croire,  le  gouver- 
neur informa  le  Législative  Council,  le  24  octobre,  que 
le  Bashorum  et  le  conseil  d'Ibadan  étaient  favorables  au 
Bill.  La  commission  approuva  finalement  le  projet  en 
y  introduisant  un  seul  amendement,  en  vertu  duquel, 
dans  tout  district  ou  province  où  il  existait  actuelle- 
ment un  conseil  indigène  reconnu  par  le  gouverneur, 
ce  conseil  serait  tenu  pour  constitué  en  conformité  des 
principes  de  l'ordonnance. 

Le  Bill  fut  définitivement  voté  le  24  octobre,  pour 
prendre  effet  à  partir  du  4  novembre  1901. 

L'accueil  fait  à  l'ordonnance  fut  très  caractéristique 
de  la  manière  dont  l'opinion  publique  intervenait  dans 
la  politique  du  gouvernement. 

Les  journaux  de  Lagos  assurèrent  que  les  habitants 
d'Ibadan  accusaient  le  Bashorum  de  s'être  laissé  ache- 
ter et  parlaient  de  quitter  la  ville. 

De  la  même  manière,  deux  jours  après  la  présenta- 
tion du  Bill,  TAlake  d'Abeokuta  aurait,  dans  une  réu- 
nion du  conseil  de  l'Etat  d'Egba,  exprimé  sa  surprise 
et  les  craintes  qu'il  éprouvait  de  ce  qu'il  avait  lu  dans 
les  journaux  de  Lagos,  que  le  gouverneur  avait  l'inten- 


LBS    CONSEILS    DE    CHEFS  183 

tion  de  promulguer  une  ordonnance  sur  les  conseils 
indigènes,  ordonnance  qui  était  contraire  au  traité  de 
1893.  D'autres  chefs  auraient  été  du  même  avis  et  au- 
raient  émis  Topinion  que  Ton  devait  demander  au  gou- 
vernement de  ne  pas  étendre  les  ordonnances  à  TÇtat 
indépendant.  Quant  à  la  conduite  des  membres  indi- 
gènes du  Législative  Council,  elle  était  inexplicable,  et 
l'on  ne  comprenait  pas  comment,  alors  qu'ils  avaient 
été  d'abord  opposés  au  Bill,  ils  l'avaient  ensuite  voté 
en  n'y  introduisantque  des  modifications  insignifiantes. 
Sir  W.  MacGregor  avait  dit  que  l'autorité  des  conseils 
indigènes  avait  été  affaiblie  par  les  résidents  anglais  ; 
pour  leur  rendre  leur  force,  il  suffisait  de  diminuer  les 
pouvoirs  de  ces  fonctionnaires. 

L'Aborigene's  Protection  Society  ne  pouvait  manquer 
de  se  faire  l'écho  de  ces  déclarations*. 

Elle  écrivit  au  Colonial  Office  que  le  Central  native 
Council  lui  paraissait  une  bonne  institution,  à  condition 
cependant  que  l'on  prît  les  mesures  qu'il  conviendrait 
pour  empêcher  que  le  gouvernement  l'eût  à  sa  discré- 
tion. Quant  aux  conseils  locaux  présidés  par  les  rési- 
dents, leur  création  était  contraire  aux  traités  :  le  gou- 
vernement anglais  a  deux  obligations  strictes  envers 
les  indigènes,  celle  d'observer  les  traités  qu'il  a  pas- 
sés avec  eux  et  celle  de  ne  prendre  que  progressive- 
ment les  mesures  qui  doivent  améliorer  leur  condition 
et  développer  la  mise  en  valeur  du  pays.  ' 

Le  Colonial  Office  aurait  pu  répondre  à  la  Société 
qu'elle  avait  mal  lu  l'ordonnance  et  qu'il  n'y  était  pas 
question  de  présidence  des  conseils  par  des  fonction- 

1.  W.  il.,  déc.  1901  (lettre  du  27  nov.  1901). 

2.  W.  A.,  mars  1902  (lettre  du  11  mars  1902). 


184  LÀGOS 

naîres  anglais.  M.  Chamberlain  se  borna  à  déclarer*  que 
Sir  W.  MacGregor  avait  donné  l'assurance  qu'il  n'avait 
pas  l'intention  de  diriger,  gouverner  ou  détruire  les  or- 
ganes centraux  de  l'administration  indigène,  mais  bien 
de  les.  fortifier.  11  ne  voyait  dans  l'ordonnance  rien  qui 
fût  contraire  à  cette  déclaration.  La  Société  n'avait  sans 
doute  pas  eu  connaissance  des  amendements  qui  avaient 
été  introduits  dans  le  projet  initial  et  qui  le  modifiaient 
profondément.  La  rédaction  primitive  avait,  du  reste,  été 
préparée  et  appuyée  par  deux  membres  indigènes  du 
Législative  Council  et  votée  à  l'unanimité*. 

Le  vague  de  ces  déclarations  ne  pouvait  satisfaire 
l'Aborigene's  Protection  Society,  qui,  dans  une  nou- 
velle lettre  au  Secrétaire  d'État,  rappela  comment  l'or- 
donnance sur  les  Native  Gouncils  avait  été  prise  en 
vertu  d'un  ordre  en  conseil  datant  de  1901.  Get  ordre 
délimitait  les  territoires  de  la  colonie  de  Lagos  dans 
lesquels  l'action  du  Législative  Council  pouvait  se  faire 
sentir,  et  disposait  qu'il  ne  pouvait  être  porté  atteinte  à 
aucun  des  droits  réservés  aux  indigènes  par  les  traités 
ou  conventions  passés  par  eux  avec  l'Angleterre.  L'or- 
donnance sur  les  Native  Gouncils  violait  cette  disposi- 
tion législative.  Lors  de  la  convention  du  10  août  1895, 
par  exemple,  les  chefs  d'Ibadan  ayant  manifesté  la 
crainte  que  l'autorité  et  le  respect  dus  au  Baie  et  aux 
chefs  subissent  une  diminution  du  fait  de  l'établisse- 
ment d'un  résident  à  Ibadan,  Sir  George  Denton  leur 
avait  donné  l'assurance  écrite  que  les  clauses  de  la 
convention  ne  concernaient  en  aucune  manière  le  gou- 
vernement indigène.  Depuis,  aucun  traité  nouveau  n'a- 

1.  w.  A.,  mars  1902  (leUre  du  29  mars  1902). 

2.  Lagos  Gov,  Gazette,  27  août  1901. 


LES    CONSEILS    DE    CHEFS  185 

vaît  été  passé  avec  les  Ibad^ns.  Ils  restaient  donc  libres 
de  gouverner  leur  pays  comme  ils  l'entendaient. 
Quant  à  la  modification  qui  avait  été  apportée  au  projet 
primitif,  elle  ne  réduisait  en  rien  le  pouvoir  arbitraire 
que  le  gouverneur  prenait  sur  les  organismes  locaux. 
On  avait  ajouté  que  les  anciens  conseils  continuaient  à 
exister,  mais  on  n'en  avait  pas  moins  déclaré  que  ce  ne 
serait  qu'à  condition  d'être  officiellement  reconnus  par 
les  gouverneurs.  Ces  conseils  resteraient  entièrement 
à  la  discrétion  du  gouvernement,  puisque  c'était  lui  qui 
assurait  leur  existence  et  nommait  leurs  membres. 

Sans  s'expliquer  davantage,  la  Société  concluait  en 
assurant  que  le  but  poursuivi  par  Sir  W.  MacGregor, 
et  qui  était  très  louable,  aurait  été  plus  sûrement  atteint 
à  l'aide  de  mesures  plus  simples  et  plus  légales. 

Sir  W.  MacGregor  répondit*  qu'il  n'avait  fait  que  ré- 
gulariser le  mode  de  nomination  des  conseils  de  pro- 
vince, nominations  qui  avaient  toujours  été  faites  par 
le  gouverneur.  La  Société  craignait  que  le  choix  des 
présidents  des  conseils  fût  fait  en  contradiction  avec  la 
volonté  du  pays;  mais  c'était  une  singulière  erreur  que 
de  croire  que  le  gouverneur  était  absolument  libre  en 
la  matière,  et  il  lui  arrivait,  après  avoir  fait  une  nomi- 
nation, d'être  obligé  de  la  rapporter  devant  l'opposi- 
tion qu'il  rencontrait  (cas,  par  exemple,  du  prince 
Eleke).  Les  indigènes  n'avaient,  du  reste,  fait  aucune 
difiiculté  pour  approuver  l'ordonnance,  et  l'Alake  d'A- 
beokuta,  représenté  comme  hostile,  avait  été  le  premier 
à  envoyer  les  noms  des  conseillers  qu'il  désirait  voir 
publiés  à  \ Officiel. 

1.  W.A,,  14  juin  1902. 


186  LAGOS 

L'Aborîgene's  Protection  Society  ne  se  rendit  pas  à 
ces  observations  et  continua  une  longue  polémique  dont 
nous  retrouverons  les  arguments  par  la  suite.  D'après 
elle,  l'ordonnance  des  Native  Councils  pouvait  être 
avantageuse  avec  un  gouverneur  comme  Sir  W.  Mac- 
Gregor,  mais  devenir  un  instrument  terrible  de  désor- 
ganisation entre  les  mains  d'un  fonctionnaire  qui  n'au- 
rait pas  une  parfaite  connaissance  des  indigènes  et  qui 
ne  serait  pas  animé  envers  eux  d'aussi  bons  sentiments. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'application  de  l'ordonnance  se  fit 
au  début  sans  difficulté,  et  nous  allons  voir  comment 
Sir  W.  MacGregor  entreprit,  grâce  à  elle,  d'organiser 
les  États  indigènes. 

Il  devait  avoir  tout  d'abord  à  se  préoccuper  des  ques- 
tions d'ordre  foncier. 


CHAPITRE   XVI 
iLAGOS 


Le  régime  foncier. 

Le  régime  foncier  chez  les  Yorubas  paraît  être  une 
combinaison  de  principes  qui  établiraient  d'une  façon 
remarquable  la  propriété  individuelle  sur  un  système 
de  collectivisme.  Le  domaine  éminent  du  sol  appartient 
chez  eux  au  peuple,  considéré  comme  collectivité,  et 
c'est  en  tant  que  représentants  de  la  communauté  que 
les  chefs  disposent  de  la  possession  du  sol.  Les  Yoru- 
bas sont  divisés  en  une  série  de  tribus  qui  ont  la 
famille  pour  origine  probable  :  les  chefs  de  chacune  de 
ces  tribus  accordent  à  ceux  qui  leur  en  font  la  demande, 
le  droit  de  cultiver  les  terres  vacantes. 

Pour  bien  marquer  que,  ce  faisant,  les  chefs  ne  don- 
nent rien  qui  leur  appartienne,  il  leur  est  défendu  de 
réclamer  un  payement  pour  ces  concessions.  L'usage 
veut  simplement  qu'on  leur  fasse  un  cadeau,  mais  les 
indigènes  considèrent  que  ce  n'est  là  qu'une  gracieu- 
seté qui  ne  représente  pas  le  prix  de  la  terre. 

Bien  probablement,  suivant  que  le  chef  est  plus  ou 
moins  autoritaire,  le  cadeau  doit  être  plus  ou  moins 
important,  et  en  fait  un  certain  marchandage  doit  s'éta- 
blir, mais  le  principe  n'en  est  pas  moins  formel. 

Celui  qui  a  ainsi  obtenu  la  possession  d'une  parcelle 


188  LAGOS 

de  terre  a  le  droit  de  la  mettre  en  valeur  pendant  toute 
sa  vie  ainsi  que  de  transmettre  ses  droits  à  ses  héri- 
tiers; il  peut  aussi  le  concéder  à  d^autres,  mais  dans 
ce  cas  il  lui  est  interdit,  comme  il  Test  aux  chefs,  de 
réclamer  un  payement  quelconque. 

Ce  droit  de  possession  comporte  cependant  une  res- 
triction :  c'est  que  le  possesseur  doit  réellement  exploi- 
ter la  terre  qui  lui  a  été  concédée.  Aussitôt  qu'il  n'en 
fait  plus  usage,  elle  retourne  au  domaine  public  et  peut 
être  concédée  à  une  autre  personne  par  le  chef.  Excep- 
tion est  faite  naturellement  pour  le  temps  où  cette 
terre  reste  en  friche  entre  deux  périodes  de  culture 
pour  remédier  à  son  épuisement. 

Le  concessionnaire  d'un  terrain  a  le  droit  d'exploiter 
comme  il  l'entend  les  essences  forestières  qui  cou- 
vrent sa  terre.  Il  peut  couper  les  arbres,  saigner  les 
plantes  à  caoutchouc,  recueillir  la  gomme  à  sa  guise, 
parce  que  l'on  considère  que  personne  n'est  intervenu 
dans  la  création  de  ces  sources  de  valeur. 

Il  est  admis  cependant  que  tout  kolatier  ou  palmier 
à  huile  a  été  cultivé  ou  planté.  Celui  sur  la  terre  de  qui 
se  trouvent  ces  arbres  a  le  droit  de  les  réserver  lors- 
qu'il transmet  sa  concession  à  un  tiers,  ou  de  les  ven- 
dre, mais  ce  droit  ne  porte  pas  atteinte  au  principe  de 
la  non-aliénabilité  du  sol;  la  propriété  des  palmiers 
ou  des  kolatiers  est  seule  transmise.  Dans  le  seul  cas 
où  ces  arbres  ne  sont  plus  e.xploités,  ils  font  retour  à  la 
communauté  en  même  temps  que  la  terre  sur  laquelle 
ils  ont  poussé,  et  la  concession  de  cette  terre  ne  peut 
plus  porter  que  sur  l'exploitation  du  sol  lui-même,  tan- 
dis que  le  droit  de  recueillir  les  fruits  des  arbres  est 
désormais  réservé  au  concédant.  En  fait,  cette  iréserve 


LE    RÉGIME    FONCIER  189 

n'est  observée  que  si  c'est  un  étranger  à  la  tribu  qui 
devient  concessionnaire. 

En  somme,  tout  ce  système  repose  sur  une  notion 
très  saine  de  la  possession  du  sol  d'après  laquelle  cette 
possession  appartient  à  celui  qui  exploite.  Comme, 
dans  ces  pays,  aucune  valeur  n'est  incorporée  dans  le 
sol  par  la  culture,  dès  que  cette  culture  cesse  la  raison 
d'être  de  cette  possession  disparaît.  La  collectivité,  en 
tant  qu'il  s'agit  de  la  tribu,  ne  participe  pas  au  bénéfice 
de  l'exploitation  de  la  terre,  mais  elle  a  la  garde  de  la 
propriété  de  cette  terre,  qui  est  ainsi  chose. commune 
et  dont  les  produits  appartiennent  à  ceux  de  ses  mem- 
bres qui  savent  en  tirer  parti. 

Il  n'est  pas  difficile  de  concevoir  que  les  quelques 
principes  que  nous  venons  d'exposer  ne  suffisent  pas 
pour  régler  dans  les  détails  toutes  les  questions  qui 
peuvent  se  poser  au  point  de  vue  foncier.  Le  tribunal 
du  chef,  qui  est  réellement  l'assemblée  législative, 
intervient  et  dispose  pour  chaque  cas  particulier. 

Tant  que  des  éléments  étrangers  ne  sont  pas  venus 
s'immiscer  dans  la  collectivité  et  que  celle-ci  a  gardé 
son  caractère  primitif,  il  n'a  point  surgi,  au  sujet  de  ce 
régime  foncier,  de  difficultés  sérieuses  autres  que  cel- 
les qui  pouvaient  dériver  de  contestations  sur  l'étendue 
même  des  droits  de  la  collectivité,  contestations  qui 
étaient  réglées,  soit  par  les  chefs  suprêmes  des  diffé- 
rentes  tribus  qui  forment  l'Etat  Yoruba,  soit  par  la 
voie  des  armes,  si  cette  autorité  était  méconnue  ou 
s'il  s'agissait  de  terrains  en  litige  avec  des  peuplades 
voisines. 

L'avènement  du  commerce  européen  et  de  la  superin- 
tendance du  gouvernement  anglais  devait  rendre  fata- 


I 


190  LAGOS 

lement  nécessaire  une  législation  plus  détaillée  et  plus 
précise.  Nous  allons  voir  comment  jusqu'ici  les  Yoru- 
bas  ont  tenu  à  conserver  intactes  leurs  institutions. 

Ce  fut  à  Ibadan  que  des  difficultés  apparurent  tout 
d'abord,  Tintervention  du  gouvernement  se  faisant  sen- 
tir dans  cette  ville  d'une  façon  un  peu  plus  énergique 
qu'à  Abeokuta. 

Les  quelques  maisons  de  commerce  qui  étaient  éta- 
blies à  Ibadan,  avant  que  le  chemin  de  fer  n'y  parvînt, 
avaient  obtenu  d'une  manière  assez  vague  rautorîsatîoa 
d'occuper  les  terrains  qui  leur  étaient  nécessaires.  Il 
n'y  avait  dans  cette  autorisation  rien  qui  constituât 
un  droit  définitif  ni  une  innovation  trop  contraire  aux 
usages  du  pays,  et  cet  établissement  s'était  fait  assez 
simplement. 

Dès  que  les  travaux  du  chemin  de  fer  furent  com- 
mencés, la  plupart  des  commerçants  de  Lagos  songè- 
rent à  se  procurer  des  terrains  sur  lesquels  ils  pour- 
raient construire  des  factoreries. 

Il  parut  tout  d'abord  qu'une  réglementation  assez 
précise  allait  pouvoir  être  prise  eu  la  matière.  Le  18  jan- 
vier 1901*,  le  résident  informa  les  membres  du  conseil 
de  la  ville  qu'il  avait  reçu  de  nombreuses  demandes  de 
concession  de  terrains  sur  lesquels  devaient  être  élevés 
des  boutiques  et  des  magasins.  Ces  terrains  étaient 
situés  près  de  la  porte  d'Iddo,  à  côté  de  laquelle  devait 
être  construite  la  station  du  chemin  de  fer.  Il  importait 
de  déterminer  de  quelle  façon  il  serait  donné  satisfac- 
tion à  ces  demandes  et  comment  on  réglerait  à  l'avenir 
les  questions  analogues. 

1.  Gov,  Gaz*,  avril  et  mai  1901  ;  JV.  A.,  22  Juin  1902,  n»  27. 


LE    RÉGIME    FONCIER  191 

Après  discussion,  il  fut  convenu  que  Ton  établirait  un 
projet  général  d'allotissement.  On  louerait  les  terrains, 
dans  un  secteur  d'un  mille  autour  de  la  porte  d'Iddo, 
80  sh.  l'acre;  40  sh.  l'acre  les  autres  terrains  situés 
dans  l'intérieur  d'Ibadan,  et  20  sh.  ceux  qui  seraient 
situés  à  l'extérieur  des  murs  jusqu'à  une  distance 
d'un  tiers  de  mille  de  la  station  du  chemin  de  fer; 
10  sh.  ceux  qui  seraient  à  un  mille,  et  ainsi  de  suite  en 
décroissant. 

En  même  temps  que  le  projet  devrait  être  soumis  au 
gouverneur,  le  Bashorum  demanda  au  résident  de  le 
prier  de  vouloir  bien  envoyer  un  géomètre  pour  procé- 
der à  Tallotissement. 

Il  fut  décidé  ensuite  que  l'argent  dû  par  les  commer- 
çants serait  perçu  par  les  soins  du  résident,  qui  en 
ferait  remise  au  Bashorum  pour  être  distribué  au  con- 
seil. 

Le  27  mars,  le  résident  informa  le  conseil  que  l'é- 
chelle de  rente  avait  été  approuvée  par  le  gouverneur, 
et  l'on  décida  que  la  taxe  minimum  qui  serait  deman- 
dée serait  de  6  pence  par  acre  pour  les  terrains  situés 
à  30  milles  de  la  ligne  du  chemin  de  fer.  Sur  la  propo- 
sition du  résident,  on  résolut  d'adopter  le  règlement 
qui  était  en  vigueur  à  Lagos  pour  le  «  Survey  »,  et  le 
7  avril  on  décida  que  tout  étranger  qui  occuperait  ou 
qui  désirerait  occuper  un  terrain  devait  le  faire  déli- 
miter dès  que  le  service  serait  organisé.  Les  livres 
fonciers  sur  lesquels  seraient  inscrites  les  concessions 
seraient  tenus  par  le  président  du  conseil,  en  fait,  le 
résident.  Seraient  traités  comme  étrangers  tous  ceux 
qui  seraient  habillés  à  la  manière  des  blancs. 

Il   semble  que  si  les  maisons  de  commerce  et  les 


192  LAGOS 

indigènes  d'Ibadan  avaient  été  seuls  intéressés  par  cette 
mesure,  elle  aurait  pu  être  appliquée  sans  difficulté. 
Les  chefs  y  trouvaient  leur  intérêt,  puisqu'ils  touchaient 
le  prix  du  loyer  du  terrain  et  que  ce  prix  était  très 
élevé  pour  le  pays;lçs  lois  constitutives  de  la  propriété 
ne  paraissaient  pas  violées,  puisque  la  jouissance  de  la 
terre  était  seulement  en  jeu,  et  non  sa  propriété,  et  les 
indigènes  étaient  assez  indifférents  à  la  chose,  du  mo- 
ment qu'elle  ne  les  concernait  pas  directement. 

La  réglementation  proposée  offrait  aux  commer- 
çants européens  l'avantage  de  leur  éviter  toute  contes- 
tation ;  elle  devait  être  vue  avec  moins  de  plaisir  par  les 
traitants  noirs  de  Lagos,  dont  ce  n'est  pas  le  propre  que 
de  s'occuper  de  l'avenir,  et  qui  estimèrent  fâcheux  de 
payer  une  rente,  alors  que,  d'après  les  usages  du  pays, 
un  cadeau  suffisait,  donné  une  fois  pour  toutes. 

Très  habilement,  comme  nous  le  leur  verrons  faire  à 
plusieurs  reprises,  ils  surent  mêler  leur  cause  à  celle 
des  indigènes,  et  ils  intervinrent  comme  défenseurs 
des  institutions  locales. 

Le  révérend  Harding,de  la  mission  Yoruba,  provoqua 
un  meeting*  dans  lequel  on  expliqua  comment  ceux 
que  l'on  appelait  des  étrangers  n'étaient  que  des  habi- 
tants du  pays  qui  étaient  revenus  dans  leur  mère  patrie 
après  avoir  été  entraînés  à  la  côte,  ou  au  delà  des  mers, 
comme  esclaves;  comment  il  était  injuste  de  leur  faire 
payer  une  terre  qu'ils  auraient  eu  le  droit  de  posséder 
gratuitement  s'ils  n'avaient  été  faits  captifs,  et  comment 
surtout  l'idée  de  rente  était  contraire  aux  lois  du  pays. 
D'après  le  traité  du  3  février  1893  passé  entre  le  gou- 

1.  Lagos  Standartf  mai  1901. 


LE    RÉGIME    FONCIER  193 

verneur  Carter  et  TAlafin  d'Oyo,^ confirmé  par  le  traité 
d'Ibadan  du  15  août  1893,  il  avait  été  convenu  que  tous 
les  sujets  anglais  auraient  le  droit  de  s'établir  dans  le 
pays,  d'y  construire  des  maisons  et  d'y  posséder  des 
immeubles,  à  condition  de  se  conformer  aux  lois  du 
pays  :  ces  lois  devaient  être  respectées. 

Les  chefs  parurent  se  ranger  finalement  à  cette  ma- 
nière de  voir.  Peut-être  la  crainte  de  l'autorité  anglaise 
avait-elle  été  la  raison  pour  laquelle  ils  avaient  approuvé 
tout  d'abord  les  propositions  du  résident;  peut-être 
celui-ci,  dans  le  compte  rendu  officiel  des  pourparlers 
qu'il  avait  eus  avec  eux,  avait-il  omis  de  parler  de  la 
pression  qu'il  avait  pu  exercer.  ^ 

En  apprenant  cette  opposition  soudaine,  Sir  William 
MacGregor  se  rendit  à  Ibadan  et  réunit  dé  nouveau  le 
conseil  des  chefs  pour  discuter  la  chose  avec  eux.  Ils 
se  montrèrent  nettement  hostiles  au  projet  qu'ils 
avaient  paru  tout  d'abord  adopter,  et  le  gouverneur 
estima  que  le  mieux  était  de  ne  pas  insister  pour  le 
mojnent. 

Près  d'un  an  après,  le  chemin  de  fer  étant  arrivé  à 
Ibadan  et  le  nombre  des  commerçants  désireux  de 
s'établir  dans  cette  ville  allant  en  augmentant,  le  gou- 
verneur voulut  reprendre  la  question. 

Le  13  mars  1902*,  VActing  résident  d'Ibadan  pria 
le  Bashorum  de  convoquer  le  conseil,  auquel  devaient 
assister  tous  les  étrangers  qui  possédaient  des  terres 
dans  la  ville. 

La  réunion  eut  lieu  le  17  mars  et  fut  présidée  par 
le  résident,  qui  informa  le  conseil  que  le  gouverneur 

1.  W,  A,,  10  avril  1902,  n^  70. 

13 


194  LAGOS 

demandait  que  Ton  ne  cédât  plus  la  terre  comme  on 
Tavait  fait  jusque-là,  mais  qu'on  accordât  des  conces- 
sions d'une  durée  de  cinquante  ans. 

Les  Ibadans  ne  voulurent  pas  discuter  le  projet,  sous 
prétexte  qu'ils  avaient  cédé  déjà  des  terrains  à  des  per- 
sonnes qui  étaient  leurs  parents,  et  qu'ils  ne  voulaient 
pas  exiger  le  payement  de  loyers  pour  des  terres  qui 
n'étaient  plus  leur  propriété.  Un  membre  du  conseil 
demanda  quelle  était  la  somme  que  le  gouvernement 
payait  pour  les  terres  qui  lui  avaient  été  données.  11 
ne  lui  fut  pas  répondu.  Le  résident  fut  alors  prié  de 
s'occuper  de  cette  question.  Les  Ibadans  devaient  être 
laissés  libres  de  diriger  les  affaires  de  leur  ville  comme 
ils  l'entendraient. 

Le  lendemain,  une  nouvelle  tentative  fut  faite  par 
le  résident,  mais  sans  plus  de  succès. 

Ce  ne  devait  être  qu'un  an  après,  en  1903,  que  le  nou- 
veau résident  d'ibadan,  le  capitaine  Elgee,  qui  devait  se 
révéler  un  des  plus  remarquables  administrateurs  de 
l'Afrique  occidentale,  arriva  enfin  à  faire  adopter  Jes 
mesures  proposées  par  Sir  William  MacGregor. 

Le  conseil  d'ibadan  s'étant  montré  désireux  de 
reprendre  un  immeuble  que  le  précédent  Baie  avait 
concédé  à  la  maison  Holt  pour  y  établir  un  poste  de 
perception  de  droits  d'octroi,  le  capitaine  Elgee  sut  pro- 
fiter de  cet  incident  pour  faire  comprendre  aux  chefs 
comment  ils  éprouveraient  constamment  de  grandes 
difficultés  s'ils  n'apportaient  aucune  modification  à  leurs 
usages,  alors  qu'ils  auraient  à  faire  face  à  des  nécessi- 
tés et  à  des  besoins  nouveaux.  Il  finît  par  obtenir 
d'eux  la  décision  suivante,  qui  jusqu'à  présent  a  été 
appliquée  sans  nouvelles  protestations  : 


LE    RfiGIMB    FOMCIBR  195 

«  Attendu  que  toute  terre  dans  la  ville  d'Ibadan  est 
sous  la  dépendance  du  Baie  et  du  conseil,  et  attendu 
qu'il  a  été  publiquement  notifié  dans  la  Government 
Gazette  que  de  telles  terres  ne  pourraient  être  ven- 
dues, mais  seulement  louées  aux  étrangers  par  et  avec 
le  consentement  du  Baie  et  du  résident  en  conseil,  et 
attendu  que  de  tels  baux  doivent  être  accompagnés 
d'un  plan  convenable  de  la  terre  en  question  et  qu'une 
rente  convenable  doit  être  fixée  pour  un  certain  nom- 
bre d'années,  et  attendu  qu'un  certain  nombre  d'étran- 
gers ont,  surtout  dans  un  but  de  commerce,  à  tort  et 
illégalement,  acquis  de  la  terre  dans  ladite  ville,  et 
attendu  que  ce  n'est  pas  le  désir  du  Baie  d'Ibadan  et  de 
son  conseil,  ni  du  gouvernement,  d'obliger  de  tels  étran- 
gers à  abandonner  ces  terrains, 

«  Tout  étranger  qui  désire  garder  les  terres  dont  il 
est  en  possession  devra,  avant  le  30  avril  1903,  présen- 
ter au  résident  d'Ibadan  un  plan  de  ladite  terre,  de 
façon  à  ce  qu'on  lui  fixe  la  somme  qu'il  aura  à  payer  ; 

«  Tout  étranger  trouvé  après  cette  date  en  possession 
irrégulière  de  terres  sera  condamné  à  quitter  la  ville; 

«  La  rente  variera  de  4  à  2  livres  l'acre,  suivant  la 
distance  d'Iddo  Gâte; 

«  Toute  rente  sera  payée  au  résident,  qui  en  remettra 
le  montant  au  Baie  pour  être  distribué.  » 

Depuis  cette  époque,  l'établissement  des  Européens 
dans  l'intérieur  s'est  fait  sans  difficulté. 

Sir  William  MacGregor  devait  cependant  être  amené 
à  se  préoccuper  de  nouvelles  questions  touchant  au 
régime  foncier  du  pays. 

Jusque  vers  1895,  les  exportations  de  Lagos  avaient 


196  LAGOS 

été  presque  exclusivement  formées  par  les  produits 
des  palmiers  à  huile.  A  cette  date,  sur  les  indications 
du  gouvernement,  les  indigènes  commencèrent  à  se 
douter  que  leurs  forêts  contenaient  d'autres  richesses 
et  se  mirent  à  les  exploiter  avec  ardeur,  mais  de  telle 
sorte  qu'ils  les  épuisèrent  vite. 

De  deux  tonnes  en  1894,  l'exportation  passa  à  2.357 
tonnes  en  1895  et  à  3.015  en  1896,  mais  dès  1897  elle 
retombait  à  2.073  tonnes,  et  en  1900  elle  n'était  plus 
que  de  24  tonnes. 

Le  gouvernement  pensa  qu'il  était  de  son  devoir 
d'essayer  de  réparer  le  mal  qui  avait  été  fait  et  de 
prendre  telle  mesure  qu'il  conviendrait,  pour  empê- 
cher que  les  anciens  errements  ne  se  reproduisent 
et  pour  aménager  convenablement  l'exploitation  des 
richesses  forestières  du  pays. 

11  parut  que  ces  mesures  devaient  être  de  deux  sortes  : 

On  constituerait  des  réserves  forestières  qui  servi- 
raient de  lieu  d'expérience  et  dans  lesquelles  on  s'ef- 
forcerait de  multiplier  les  essences  précieuses. 

L'exploitation  des  forêts  ne  serait  permise  que  sous 
certaines  conditions  et  sous  la  haute  direction  des 
agents  du  gquvernement. 

Le  11  juin  1901*,  Sir  William  MacGregor  passa  avec 
les  autorités  d'Haro  un  arrangement  qui  peut  se  résu- 
mer ainsi  : 

«  Attendu  que  le  chef,  les  anciens  et  le  peuple  d'Haro 
considèrent  qu'il  est  de  leur  intérêt  qu'une  certaine 
superficie  de  forêt  soit  constituée  en  réserve  ; 

«  Attendu  qu'ils  désirent  que  cette  réserve  soit  uti- 

1.  JV.  A.  y  24  août  1001,  n-  36. 


LE    RÉGIME    FONCIER  197 

lisée  par  Sir  William  MacGregor,  gouverneur  de  Lagos, 
et  ses  successeurs,  pour  y  faire  les  expériences  et  les 
travaux  qu'ils  jugeront  bon, 

«  Nous,  Olu,  chefs  et  anciens  d'Ilaro,  donnons  à  per- 
pétuité à  Sir  William  MacGregor  et  à  ses  successeurs 
toutes  les  pièces  de  terre  comprises  entre  la  route 
d'Ilaro,  celle  d'Ulobi,  celle  d'Otta  et  une  ligne  partant 
du  point  où  cette  dernière  route  coupe  la  frontière 
d'IIogbo  et  d'IlarQ,  et  aboutissant  au  mont.Otta,  sur  la 
route  d'Ilaro. 

«  Les  personnes  qui  ont  actuellement  des  cultures 
sur  cette  terre  ne,  seront  pas  inquiétées,  à  condition 
qu'elles  ne  fassent  pas  dé  nouveaux  défrichements  sans 
la  permission  du  gouvernement,  qu'elles  se  conforment 
aux  règles  qui  seront  prises  en  ce  qui  concerne  cette 
réserve  forestière,  et  qu'elles  fassent  enregistrer  leur 
propriété  sur  un  registre  spécial.  » 

Vers  la  même  époque,  un  projet  d'ordonnance  était 
soumis  au  Législative  Gouncil,  par  lequel  un  service 
forestier  était  créé,  le  principe  de  Tobtention  de  licen- 
ces posé  pour  l'exploitation  des  forêts  et  une  pénalité 
inscrite  contre  ceux  qui  contreviendraient  aux  disposi- 
tions prises  pour  protéger  les  forêts. 

Il  est,  au  premier  abord,  assez  difficile  de  se  rendre 
compte  de  ce  qu'était  la  situation  à  ce  point  de  vue,  au 
moment  où  le  projet  fut  déposé. 

D'après  les  déclarations  du  gouvernement,  la  plupart 
des  chefs,  et  notamment  ceux  d'Ibadan,  d'Ilesha  et  de 
Jebu  avaient  défendu  à  leurs  sujets  de  se  livrer  à  l'ex- 
ploitation du  caoutchouc  pendant  une  certaine  période. 
On  ne  comprend  guère,  dans  ce  cas,  l'accueil  qui  fut 
fait  à  ridée  d'une  réglementation  forestière.  En  réa- 


198  LAGOS 

Uté  les  restrictions  qui  avaient  pu  être  apportées  à  la 
liberté  de  la  récolte  du  caoutchouc  étaient  venues  des 
résidents  anglais,  qui  les  avaient  attribuées  aux  chefs 
par  mesure  politique.  Elles  n'avaient  point  été  obser- 
vées. A  Ibadan,  en  particulier,  ce  n'est  qu'en  1903  que 
nous  verrons  le  Baie  et'  son  conseil  prendre  une  déci- 
sion à  ce  sujet. 

Le  projet  d'ordonnance  fut  aussi  mal  accueilli  que 
possible  paf  les  indigènes  et  les  commerçants. 

Les  journaux  de  Lagos  et  le  IVesù  Africa  déclarèrent 
qu'ils  constituaient  une  véritable  spoliation  des  droits 
des  indigènes. 

Ils  déclarèrent  que  l'ordonnance  permettrait  à  des 
personnes  indélicates  de  se  faire  donner  des  terrains 
au  détriment  des  véritables  propriétaires  qui  abandon- 
neraient le  pays,  que  du  reste  elle  était  absolument 
contraire  aux  traités  de  1888  (Ketu>  Tbu,  Haro)  par 
lesquels  les  indigènes  avaient  accepté  le  bénéfice  de 
la  protection  anglaise,  à  condition  que  leurs  droits  de 
propriété  seraient  respectés. 

La  section  africaine  de  la  chambre  de  commerce  de 
Liverpool  demanda  à  M.  Chamberlain  que  l'ordonnance 
ne  soit  pas  mise  à  exécution  avant  <iu'elle  ait  pu  être 
examinée  par  les  chambres  de  commercer 

Le  3  septembre  1901,  Sir  William  MacGregor  donna 
les  explications  suivantes  au  Législative  Council  : 

«  Le  projet  a  été  préparé  dans  le  but  de  donner  au 
Législative  Council  le  droit  de  légiférer  en  matière 
forestière,  en  vertu  de  l'Order  in  Council*  qui  étend  les 
pouvoirs  du  Législative  Council  sur  tous  les  protec- 

1.  W,  A,y  16  nov.  1901,  n«  48. 

2.  W,  4.,  16  nov.  1901,  !!•  48 


LE    RÊGIMB    FONCIER  199 

torats  de  Lagos.  L'intention  du  secrétaire  d'État  a  été 
d'instituer  les  mêmes  règles  à  Lagos,  dans  la  Nigeria 
du  Nord  et  dans  celle  du  Sud  (dépêche  du  9  août  1901). 
II  lui  a  paru  surtout  nécessaire  de  remédier  à  la  dis- 
parition du  caoutchouc.  Dans  la  forêt  de  Mamu,  par 
exemple,  on  a  fait  un  recensement  des  arbres  à  caout- 
chouc; on  a  constaté  que  les  trois  quarts  étaient  morts 
et  que  les  arbres  de  l'autre  quart  étaient  malades. 

«  Il  a  d'abord  été  question  d'interdire  la  cueillette 
pendant  trois  ou  quatre  ans  pour  permettre  aux  arbres 
de  repousser.  Cette  mesure  a  paru  trop  absolue  à  un 
grand  nombre  de  chefs,  car  il  y  aurait  toujours  eu  des 
personnes  âpres  au  gain  qui  auraient  continué  de  rer 
cueillir  le  latex  de  la  manière  la  plus  destructive.  Le 
mieux  est  de  réglementer  avec  soin  cette  récolte. 

a  II  semble  que  la  meilleure  mesure  serait  de  défen- 
dre de  faire  des  incisions  intéressant  plus  des  deux  tiers 
des  arbres,  d'exiger  que  tous  les  collecteurs  aient  des 
licences  et  de  limiter  le  temps  de  la  récolte  aux  mois 
compris  entre  juin  et  novembre.  » 

Ces  explications  du  gouverneur  ne  suffirent  pas  pour 
arrêter  les  protestations  des  indigènes. 

Le  23  septembre,  le  conseil  de  «  l'État  indépendant 
d'Egba  »  s'occupa  de  la  question. 

L'Alake  déclara  qu'il  avait  été  alarmé  d'apprendre 
que  la  Forest  Ordinance  allait  passer,  mais  qu'il  ne 
pouvait  que  difficilement  le  croire,  parce  que  le  gou- 
verneur de  Lagos  savait  que  le  gouvernement  d'Egba 
n'était  lié  au  gouvernement  anglais  que  par  des  con- 
ventions qui  ne  justifieraient  pas  cette  mesure. 

Lecture  fut  donnée  du  traité  de  1893  passé  avec  Sir 
Gilbert  Th.  Carter  et  des  autres  conventions,  d'après 


200  LAGOS 

lesquelles  il  était  dit  «  que,  aussi  longtemps  que  la 
nation  Egba  maintiendrait  les  routes  ouvertes  au  com- 
merce et  que  Ton  ne  ferait  pas  de  sacrifices  humains, 
aucune  annexion  de  terre  ne  pourrait  être  pratiquée 
par  le  gouvernement  anglais  sans  le  consentement  des 
autorités  légitimes  du  pays,  et  son  indépendance  serait 
pleinement  reconnue.  » 

L'OIowu  et  TAgura  parlèrent  sur  le  même  ton  et 
firent  remarquer  que  lorsque  les  lois  étaient  faites  à 
Lagos  et  devaient  s'appliquer  à  Tintérieur,  il  devrait 
être  spécifié  qu'elles  ne  concerneraient  pas  les  terri- 
toires egbas,  de  manière  qu'il  n'y  ait  aucune  anxiété  à 
leur  égard. 

Le  prince  Adomela,  qui  venait  de  Lagos,  dit  que  le 
projet  d'ordonnance  avait  causé  beaucoup  d'inquiétude 
à  Lagos  et  qu'une  pétition  avait  été  adressée  au  gou- 
verneur pour  lui  demander  de  ne  pas  le  promulguer.  La 
seule  chose  à  faire  était  de  s'en  rapporter  à  l'honneur 
des  blancs  et  d'attendre  la  décision  du  gouverneur. 

L'Aborigine's  Protection  Society  crut  devoir  interve- 
nir à  son  tour,  et  le  2  novembre*  elle  adressa  au  Colo- 
nial Office  une  lettre  dans  laquelle  elle  faisait  remar- 
quer que  le  projet  d'ordonnance  était  contraire  à  l'Order 
in  Council  »  du  24  juillet  1901,  qui  portait  que  rien,  dans 
les  ordonnances  qui  seraient  prises  au  sujet  du  Pro- 
tectorat, ne  pourrait  supprimer  ou  atteindre  les  droits 
qui  ont  été  garantis  aux  indigènes  par  traité  passé  au 
nom  de  Sa  Majesté,  que  tous  ses  traités  et  arrange- 
ments resteraient  en  vigueur,  et  que  les  garanties  qu'ils 
contenaient  resteraient  entières  et  étaient  confiirmées. 

• 

1.  JV.  A.,  9nov.  1901,  n»4 


LE    REGIME    FONCIER  201 

Elle  rappelait  la  discussion  qui  précéda  ragrément  du 
10  août  1893,  au  cours  de  laquelle  le  gouverneur  Den- 
lon  assura  aux  chefs  d'Ibadan  que  la  convention  qu'on 
leur  proposait  de  signer  laissait  entiers  les  droits  qu'ils 
avaient  sur  leurs  terres. 

Le  11  novembre,  la  Chambre  de  commerce  de  Liver- 
pool  écrivit  de  nouveau  à  M.  Chamberlain  pour  lui 
demander  «  de  rapporter  toutes  les  mesures  qui  pour- 
raient causer  des  alarmes  aux  indigènes  »  et  de  ne  pas 
promulguer  l'ordonnance  sans  l'avoir  soumise  aux 
chambres  de  commerce. 

La  presse  des  colonies  voisines  s'émut  à  son  tour, 
et  l'on  pouvait  lire  dans  le  Sierra  Leone  Times  de  fin 
novembre  : 

«  L'ordonnance  est  la  plus  extraordinaire  pièce  de 
législation  que  l'on  ait  jamais  vue;  elle  tend  tout  bon- 
nement à  s'approprier  le  sol,  sous  prétexte  de  proléger 
le  caoutchouc.  A  Sierra  Leone  nous  protestons  à  voix 
basse,  puis  nous  sourions  et  nous  soumettons;  à  Lagos 
ils  font  tellement  de  bruit  qu'ils  sont  entendus.  A  Sierra 
Leone,  le  gouverneur  Cardew  a  agi  à  sa  volonté  et  l'a 
appuyée  de  fusils  jusqu'au  moment  où  il  s'est  retiré 
entouré  d'honneurs.  A  Lagos,  si  MacGregor  persiste 
et  en  arrive  aux  fusils,  il  aura  deux  alternatives  :  ou 
accepter  la  place  qui  lui  est  offerte  dans  une  autre  colo- 
nie, à  ce  que  dit  le  West  Africa,  ou  répéter  la  triste 
histoire  de  Bishop  Hill. 

«  En  dehors  de  la  théorie  qu'il  professe  au  sujet  de 
la  terre  des  indigènes,  ce  gouverneur  est  un  des  meil- 
leurs de  la  Côte,  et  il  faut  espérer  qu'il  ne  voudra  pas 
altérer  sa  bonne  [réputation  par  une  décision  inconsi- 
dérée. » 


202  LAGOS 

Devant  cette  opposition,  le  Colonial  Office  informa  la 
Chambre  de  commerce  de  Liverpool  que  l'ordonnance 
n'entrerait  pas  en  vigueur  avant  le  mois  de  mars  1902, 

et  elle  fut  renvoyée  devant  un  comité  spécial  chargé 
d'examiner  les  modifications  qu'il  pouvait  être  bon  de 
lui  faire  subir. 

Dans  la  séance  du  Législative  Council  de  janvier  1902, 
Sir  William  MacGregor  assura  une  fois  de  plus  que  les 
prérogatives  des  indigènes  ne  seraient  point  atteintes, 
et  il  proposa,  pour  éviter  tout  malentendu,  d'ajouter 
au  texte  du  projet  les  clauses  suivantes  : 

«  Rien  de  ce  qui  est  contenu  dans  cette  ordonnance, 
ou  dans  les  règlements  qui  pourraient  être  faits  pour 
son  exécution,  ne  pourra  diminuer  ou  annuler  les  droits 
des  propriétaires  ou  ceux  que  les  indigènes  peuvent 
avoir  d'après  les  lois  et  coutumes  du  pays. 

«  L'ordonnance  ou  les  règlements  qui  la  concerne- 
ront ne  seront  exécutoires,  dans  un  district  où  il  exis- 
tera un  conseil  de  district  ou  de  province,  qu'à  la  date 
qui  aura  été  fixée  par  le  conseil. 

«  La  récolte  du  caoutchouc  ne  commencera  dans  une 
province  qu'aprèg  que  le  superintendent  des  forêts  aura 
examiné  la  situation.  » 

Sir  William  ajouta  qu'il  était  convaincu  que  l'on  ne 
pourrait  arriver  à  de  bons  résultats  que  lorsque  les 
indigènes  eux-mêmes  seraient  persuadés  de  la  néces- 
sité qu'il  y  avait  à  protéger  les  forêts  :  tant  qu'il  n'en 
serait'  pas  ainsi,  la  forme  que  l'on  pouvait  donner  aux 
ordonnances  lui  était  indifférente. 

Les  additions  adoptées  par  le  «  Select  Committee  » 
différèrent  un  peu  de  celles  qu'avait  proposées  Sir  Wil- 
liam MacGregor,  et  furent  les  suivantes  : 


LE    RÉGIME    FONCIER  203 

«  Les  règlements  qui  pourront  être  pris  en  vertu  de 
cette  ordonnance  ne  pourront  être  exécutoires  avant 
d'avoir  été  approuvés  'par  les  Native  Councils  du  dis- 
trict ou  de  la  province  où  ces  règlements  devront  être 
appliqués. 

«  Rien  dans  cette,  ordonnance  ne  concerne  les  pal- 
miers à  huile  et  les  kolatiers. 

«  Rien  dans  cette  ordonnance  ou  dans  les  règlements 
qui  seront  faits  pour  son  application  ne  pourra  annuler 
ou  diminuer  les  droits,  titres  ou  intérêts  que  tout  indi- 
gène pourrait  posséder,  sur  la  terre  familiale  paternelle 
ou  de  tribu,  en  vertu  des  coutumes  et  usages  locaux.  » 

Dans  la  séance  du  23  mai  1902,  où  ces  amendements  , 
furent  présentés,  le  gouverneur  dit  qu'on  lui  avait  de- 
mandé d'ajourner  la  proposition  de  lecture  du  «  Bill  » 
parce  qu'il  était  amendé  et  qu'il  constituait  un  nouveau 
projet  de  Bill  qui  devait  être  publié  une  première  fois 
à  Y  Officiel,  Il  laissait  le  soin  de  résoudre  ce  point  aux 
magistrats  qui  faisaient  partie  du  conseil. 

Le  Chief  Justice  déclara  que  la  modification  que  Ton 
avait  apportée  au  Bill  constituait  un  nouveau  Bill,  car 
il  en  serait  de  même  toutes  les  fois  que  Ton  ajouterait 
des  amendements.  Il  expliqua  que  dans  ces  amende- 
ments on  s'était  appuyé  surtout  sur  une  dépêche  du 
Secrétaire  d'Etat  qui  disait  que  l'opinion  des  habitants 
de  la  ville  de  Lagos  était  assez  indifférente,  mais  que 
c'était  celle  des  peuples  de  l'intérieur  qui  était  à  consi- 
dérer. 

Le  D""  Johnson  (membre  indigène)  s'opposa  à  ce 
qu'on  lut  une  seconde  fois  le  Bill.  Il  pouvait  être  bon 
en  théorie,  mais  il  reconnaissait  au  gouverneur  un 
droit,  qu'il  n'avait  pas,  de  légiférer  au  sujet  des  terres 


/ 


204  LAGOS 

de  riutérîeur.  «  On  avait  dit  que  le  projet  avait  été 
approuvé  par  les  chefs,  mais  on  ne  tenait  point  compte 
de  la  pression  qui  avait  pu  être'  exercée  sur  eux.  Rien 
dans  l'ordonnance  n'empêchait  le  gouverneur  de  don- 
ner à  de  grandes  sociétés  des  concessions  qui  trans- 
formeraient le  peuple  en  serfs.  Le  gouverneur  avait  dit 
que  les  peuples  de  Tintérieur,  interrogés  au  sujet  de 
Tordonnance,  désiraient  exclure  de  chez  eux  les  gens 
de  Lagos.  C'était  là  une  étrange  assertion.  Il  y  a  peu 
de  familles  de  Lagos  qui  ne  soient  originaires  de 
l'intérieur,  et  l'on  n'avait  pas  l'habitude  de  voir  les 
chefs  considérer  d'une  manière  différente  letirs  enfants 
,  de  la  cote  et  ceux  de  l'intérieur.  Il  est  probable  qu'ils 
considéraient  maintenant  les  gens  de  la  côte  comme 
plus  riches  qii'eux  et  qu'ils  craignaient  leur  concur- 
rence. Donner  brusquement  les  lois 'd'une  grande  na- 
tion arrivée  au  sommet  de  la  civilisation  à  un  peuple 
qui  est  dans  une  humble  situation,  c'est  habiller  un 
oiseau-mouche  de  plumes  d'autruche.  Le  pauvre  oiseau 
mourra  sous  le  poids  de  sa  bénédiction.  Le  mieux 
serait  de  mettre  simplement  les  arbres  à  caoutchouc 
sous  la  protection  des  chefs,  comme  on  l'a  fait  pour  les 
palmiers  à  huile.  » 

La  motion  du  D'  Johnson  n'ayant  pas  été  appuyée,  le 
bill  passa  en  seconde  lecture*. 

Une  fois  que  l'ordonnance  fut  promulguée,  on  l'ac- 
cusa d'être  la  cause  des  troubles  qui  éclatèrent  à  Iba- 
dan  et  à  Haro,  villes  où  il  fut  nécessaire  "d'envoyer  des 
troupes;  mais  ces  incidents  n'avaient  vraiment  que  peu 

1.  An  Ordinance  to  provide  for  the  establishment  ofa  Forestry  Départ* 
ment  and  for  the  proper  régulation  of  the  forests  of  the  colony  and  ofiht 
Lagos  Protectorate,  2'i  mai  1901. 


LE    RÉGIME    FONCIER  205 

de   rapports  avec   Timpressioii    produite  par  la  nou- 
velle loi. 

En  réalité,  l'ordonnance  ne  fut  jamais  appliquée  d'une 
manière  sérieuse,  autrement  que  pour  réaliser  des 
licences  d'exploitation  accordées  à  des  Européens*. 

Sur  les  conseils  du  capitaine  Elgee,  les  autorités 
d'Ibadan  se  décidèrent  pourtant  à  prendre  un  règle- 
ment en  la  matière,  vers  la  fin  de  1903. 

Nul  ne  pouvait  recueillir  de  caoutchouc  dans  les  dis- 
tricts placés  sous  le  contrôle  des  autorités  indigènes, 
autrement  qu'en  se  conformant  aux  règles  données, 
avant  d'avoir  obtenu  une  licence  de  5  livres  sterling 
et  moyennant  le  payement  d'une  redevance  de  2  shil- 
lings par  charge  de  caoutchouc  récoltée. 

Aucun  arbre  de  moins  de  3  pieds  de  circonférence 
ne  pouvait  être  *saigné  qu'une  fois  tous  les  dix-huit 
mois,  et  cela  de  la  manière  prescrite  par  les  chefs. 

Des  licences  étaient  également  nécessaires  pour  cou- 
per les  arbres  de  valeur.  Le  conseil  devait  être  averti  à 
l'avance,  et  l'exploitant  était  obligé  de  replanter  autant 
d'arbres  de  même  essence  qu'il  en  avait  abattu. 

On  peut  dire  que  ces  règles  n'ont  été  appliquées 
que  d'une  manière  toute  relative.  Les  autorités  indi- 
gènes prétendent  bien  qu'elles  sont  observées  avec 
soin,  mais  il  est  assez  difficile  de  le  vérifier.  Le  mal 
qui  a  été  fait  aux  arbres  à  caouchouc  avant  la  procla- 
mation de  cet  ordre  est  cause  que  l'on  ne  peut  se  ren- 
dre compte,  en  parcourant  les  forêts,  de  la  façon  dont 
les  arbres  sont  saignés  actuellement,  et  l'exploitation 
des  bois  est  encore  nulle  dans  la  province  d'Ibadan. 

1.  LeUre  du  Secrélaire  d*État  aux  colonies  à  la  chambre  de  commerce 
de  Liverpool  (Comptes  rendus  de  la  chambre,  24  Juillet  1902)« 


206  LAGOS 

•  » 

Nous  ne  trouverons  point,  en  tout  cas,  dans  le  budget 
de  rÉtat  d'Ibadan,  des  recettes  faites  à  titre  de  permis 
ou  de  licence.  11  semble  cependant  que  les  chefs  indi- 
gènes ont  fini  par  comprendre  Tintérêt  qu'il  y  avait  à 
ne  pas  exploiter  sans  discernement  les  forêts  de  leur 
pays.  Le  gouvernement  de  Lagos,  ne  se  préoccupant 
plus  des  protestations  qui  pourraient  en  résulter,  a  cru 
que  le  moment  était  venu  d'imposer  des  règles  à  ce 
sujet,  et  un  règlement  très  précis  sur  la  cueillette  du 
caoutchouc  a  paru  dans  la  Gazette  de  juillet  1905. 

L'établissement,  par  la  British  Coton  Growing  Asso- 
ciation, d'une  plantation  aux  environs  d'ibadan  devait 
poser  une  fois  de  plus  cette  question  du  régime  fon- 
cier. La  B.  C.  G.  A.  jugea  nécessaire  la  création  d'une 
plantation  de  10.000  acres  aux  environs  d'Ibadan. 
Devant  les  représentations  du  résident  qui  faisait  ob- 
server combien  il  était  difficile  de  trouver  10,000  acres 
d'un  seul  tenant  que  Ton  put  soustraire  sans  diffi- 
culté à  la  culture  indigène  aux  environs  d'une  ville 
aussi  populeuse  qu'Ibadan,  il  ne  fut  accordé  à  la  B.  C. 
G.  A.  qu'une  concession  de  5.000  acres.  Dès  septembre 
1904,  les  travaux  de  défrichement  étaient  commencés, 
mais  les  indigènes  qui  cultivaient  ce  terrain  avant  la 
concession  ne  cessèrent  de  faire  entendre  leurs  plaintes, 
qui  furent  très  vivement  appuyées  par  le  résident.  Le 
comité  de  direction  lui-même  de  la  B.  C.  G.  A.,  qui 
tenait  à  rester  dans  les  meilleurs  termes  avec  les  indi- 
gènes, se  montra  désireux  d'arriver  à  un  compromis. 
Les  propriétaires  de  palmiers  furent  désintéressés,  et 
on  rendit  aux  indigènes  une  partie  des  terres  qui  n'é- 
taient pas  mises  en  culture  par  l'Association. 


'- 


LE    RÉGIME    FONCIER  207 

Au  cours  des  discussions  qui  eurent  lieu  à  ce  sujet, 
le  docteur  Johnson  (indigène)  prononça  devant  le 
Législative  Council  le  discours  suivant  : 

«  La  question  est  d'un  intérêt  vital  pour  Ibadan, 
quoique  nous  ne  puissions  nous  en  rendre  compte  à 
distance.  Dans  la  plupart  des  autres  questions  il  n'est 
certes  pas  facile  de  dire  quels  sont  les  véritables  sen- 
timents du  peuple  si  l'on  ne  connaît  pas  la  façon  de 
penser  des  Yorubas,  mais  il  n'en  est  pas  de  même  en 
matière  foncière. 

«  Nous  savons  qu'lbadan  est  une  ville  grande  et  po- 
puleuse, en  fait  la  plus  populeuse  de  cette  partie  de 
l'Afrique.  La  moitié  de  la  population  vit  habituellement 
plutôt  dans  les  fermes  que  dans  la  ville,  mais  si  tous 
les  habitants  se  trouvaient  en  même  temps  chez  eux, 
nous  verrions  leur  nombre  atteindre  250.000.  Ibadan 
est  entouré  de  tous  côtés  par  d'autres  grandes  villes 
dont  la  population  mâle  est  également  composée  pres- 
que exclusivement  d'agriculteurs. 

«  Le  régime  actuel  n'a  que  dix  ans  de  date,  et  le  coût 
de  l'existence  a  déjà  considérablement  augmenté,  de 
sorte  que  dans  dix  autres  années  nous  aurons  à  nous 
demander  comment  nous  ferons  pour  nourrir  une 
population  de  plus  en  plus  considérable.  Dans  une 
telle  occurrence,  devons-nous  diminuer  la  superficie 
des  terres  cultivées  en  denrées  alimentaires? 

«  Les  cultures  occupent  déjà  toute  la  place  disponi- 
ble autour  de  la  ville.  En  fait,  n'était  le  résident,  cette 
question  aurait  déjà  entraîné  des  batailles  entre  les 
Ibadans  et  les  Egbas  d'un  côté  et  les  Igébus. 
,  «  On  a  dit  que  le  Baie  et  son  conseil  avaient  accordé 
à  l'unanimité  uiie  concession  de  5.000  [acres  à  la  Bri- 


208  LAGOS 

lish  Gotton  Growing  Association.  Je  ne  sais  pas  com- 
ment les  interprètes  ont  pu  traduire  Topinion  des  Iba- 
dans;  mais  un  peuple  qui  est  sur  le  point  de  se  battre 
avec  ses  voisins  pour  agrandir  sa  terre  peut-il  vrai- 
semblablement, sans  difficulté,  abandonner  une  partie 
de  cette  terre? 

«...  Je  sais  bien  que  les  chefs  représentent  le  peu- 
ple, que  les  droits  de  propriété  seront  sauvegardés,  et 
que  probablement  quelque  compensation  sera  offerte  ; 
mais  les  sommes  qui  seront  ainsi  octroyées  iront  aug- 
menter les  revenus  de  la  ville,  et  qu'arrivera-t-il  des 
pauvres  cultivateurs,  et  de  leurs  femmes,  et  de  leurs 
enfants,  qui  seront  expropriés  pour  faire  de  la  place  à 
la  culture  du  coton? 

«  Je  sais  bien  que  Tidée  d'améliorer  le  coton  indi- 
gène est  bonne  et  pour  le  bénéfice  de  la  majorité;  mais 
lorsqu'un  homme  voit  sa  famille  mourir  de  faim,  quel 
intérêt  y  a-t-il  pour  lui  à  savoir  que  le  coton  d'Ibadan 
est  coté  comme  «  Improved  Médium  American  »?  Ce 
qu'il  désire,  c'est  de  la  nourriture,  et  en  abondance.  » 

En  même  temps  que  .cette  question  de  la  propriété 
du  sol  était  ainsi  agitée  de  nouveau  devant  le  Législa- 
tive Council,  le  gouvernement  estima  nécessaire  de 
prendre  une  ordonnance  sur  les  diverses  questions  qui 
pouvaient  se  poser  au  point  de  vue  foncier  en  matière 
de  mines,  et  il  proposa  un  texte  dont  les  dispositions 
principales  étaient  que  toute  personne  désirant  pros- 
pecter des  terrains  dans  la  Colonie  ou  le  Protectorat 
devait  demander  au  gouverneur  une  licence  dans  ce 
but,  licence  qui  pouvait  être  refusée  sans  explications. 
Lorsque  les  terres  à  prospecter  étaient  la  propriété 


LE    RÉGIME    FONCIER  20^ 

d'une  communauté  indigène,  la  licence  devait  être 
adressée  au  Commîssioner  du  district  pour  être  sou- 
mise à  l'approbation  des  chefs;  toute  personne  dési- 
rant louer  des  terrains  dans  le  but  d'y  pratiquer  une 
exploitation  minière  devait  en  faire  la  demande  au  gou- 
verneur, qui  pouvait  refuser  cette  location  ou  approu- 
ver un  bail  fait  par  une  communauté  indigène,  sans 
donner  les  raisons  de  son  refus;  un  droit  était  prélevé 
par  le  gouvernement,  et  dans  ce  but  tout  droit  de  con- 
trôle lui  était  donné  sur  les  comptes  de  l'exploitant. 
Pour  le  même  motif,  les  concessionnaires  devraient 
employer  dans  leurs  mines  autant  de  travailleurs  que 
le  gouverneur  le  jugerait  nécessaire. 

Cette  ordonnance,  dont  l'une  des  principales  caracté- 
ristiques était  de  permettre  au  gouverneur  de  refuser, 
sans  appel  et  sans  explications,  les  concessions  minières 
qui  pouvaient  être  accordées  par  les  chefs,  ne  devait 
pas  passer  devant  le  Legisleftive  Council  sans  provo- 
quer les  protestations  des  membres  indigènes,  et  la 
discussion  suivante,  que  nous  croyons  devoir  repro- 
duire parce  qu'elle  est  très  caractéristique,  s'engagea 
à  son  sujet  dans  la  séance  du  mois  de  mars  1905*  : 

L'hon.  g.  Sapara  Williams  (indigène).  —  «  Je  demande 
le  rejet  de  la  seconde  lecture  du  Bill.  Ce  Bill  touche  à 
des  questions  de  la  plus  haute  importance. 

«  Ce  Bill  attribue  en  fait  l'octroi  et  le  contrôle  des 
licences  en  matière  de  mînes^  dans  le  protectorat,  au 
gouverneur  ou  au  conseil.  Je  considère  que,  dans  son 
ensemble,  il  outrepasse  les  droits  du  conseil.  Sa  Ma- 
jesté n'a  pas,  par  traité,  capitulation,  accord,  usage,  tolé- 

^  1.  Lagos  Gov.  Gaz. 

14 


210  LAGOS 

rance  ou  autres  moyens  légaux,  obtenu  la  possession 
des  terres,  des  mines  ou  des  minerais  qui  sont  dans  le 
protectorat. 

«  On  demande  aux  indigènes  d'accorder  des  licences  ; 
mais  en  ce  qui  concerne  Taffectation  du  produit  de  ces 
licences  le  Bill  reste  muet.  Il  est  bien  évident  que  Sa 
Majesté  ne  peut  élever  et  n'a  jamais  élevé  aucune  pré- 
tention sur  des  revenus  ou  redevances  qu'elle  ne  peut 
revendiquer  légalement.  Le  Conseil  a-t-il  le  droit  de 
promulguer  une  loi  concernant  la  cession  des  terres 
indigènes  dans  l'intérieur?  Ces  points  n'ont-ils  pas 
déjà  été  réglés  par  ses  traités?  Si  nous  acceptons 
telles  quelles  les  dispositions  de  ce  Bill,  nous  allons  à 
rencontre  de  ces  traités,  nous  prenons  indirectement 
la  totalité  des  terres  à  leurs  propriétaires  pour  les 
remettre  au  gouvernement. 

«  Ce  mot  de  protectorat  a  reçu  une  interprétation  de 
l'autorité  légale  la  plus  élevée  en  Angleterre.  Le  Solli- 
citor  General,  à  l'occasion  d'une  question  posée  à  la 
chambre  des  Communes,  déclara  nettement  que  c'était 
dans  un  but  de  bonne  administration  que  ces  régions 
avaient  été  transformées  en  Protectorat,  c'est-à-dire 
que  l'objet  du  gouvernement  avait  été  de  contrôler  les 
relations  extérieures  de  ces  peuples,  et  non  d'interve- 
nir dans  leur  administration  intérieure.  Je  ne  vois  pas 
ce  Bill  sans  quelque  souci,  et  aucun  jusqu'à  présent  ne 
m'a  causé  une  anxiété  plus  grande.  » 

L'honorable  docteur  Johnson  (indigène).  —  «  Je  sou- 
tiendrai cet  amendement,  car  je  considère  que  ce  Bill 
soulève  beaucoup  d'objections,  spécialement  dans  cer- 
tains de  ses  articles.  Ce  Bill  ne  peut  s'appliquer  prati- 
quement qu'aux  régions  de  l'intérieur  situées  en  dehors 


LE    RÉGIME    FONCIER  211 

de  la  colonie,  et  celles-ci  ne  sont  réellement  pas  sous 
la  juridiction  de  Lagos.  G*est  pourquoi  j'ai  voté  contre 
la  présentation  de  ce  Bill  en  première  lecture. 

«  On  pourrait  appeler  pittoresquement  ce  Bill  «  une 
«  ordonnance  faite  pour  dépouiller  le  peuple  de  ses 
«  terres  ».  Cette  expression  sonne  dVme  façon  plutôt 
brutale,  mais  elle  exprime  bien  les  faits,  car  nous  légi- 
férons ici  sur  des  terres  sans  Tavis  ni  le  consentement 
de  leurs  propriétaires.  Ceux-ci  apprendront  un  jour, 
en  se  réveillant,  qu'ils  ont  perdu  tous  droits  sur  leurs 
propres  biens,  que  des  lois  ont  été  édictées  à  leur  sujet 
pouvant  entraîner  pour  eux  de  la  prison  et  des  amen- 
des; que  des  individus  peuvent  venir,  on  ne  sait  d'où, 
avec  le  pouvoir  d'exploiter  leurs  propriétés  avec  ou 
sans  leur  consentement;  qu'ils  ne  peuvent  plus,  dans 
l'avenir,  faire  usage  des  minerais  qu'ils  possèdent,  sans 
une  licence  qui  peut  d'ailleurs  leur  être  retirée;  que 
ceux  de  leurs  fils  qui  ont  été  élevés  à  l'étranger  ne 
peuvent  exploiter  le  sous-sol  des  terres  de  leurs  pères 
qu'avec  une  permission  spéciale;  qu'à  la  vérité  quel- 
que compensation  peut  leur  être  accordée,  mais  que 
celle-ci  sera  déterminée  par  le  pouvoir  même  qui  les 
dépouille  de  leurs  biens,  etc.  Pour  si  ignorant  que  soit 
ce  peuple,  l'opinion  qu'il  va  se  former  de  cette  ques- 
tion sera  correcte  dans  son  ensemble,  et  tout  le  monde 
ne  peut  que  partager  le  sentiment  qu'ont  ces  nègres 
d'avoir  été  déjà  dépouillés  de  leur  héritage. 

«  Une  des  raisons  sur  lesquelles  on  s'est  appuyé 
pour  rédiger  cette  ordonnance  est,  d'après  ce  que  l'on 
nous  a  dit  lors  de  la  première  lecture,  que  des  syndi- 
cats ont  été  formés  en  Angleterre  pour  prospecter  la 
région  et  que  ce  Bill  a  été  fait  pour  les  protéger.  Mais 


212  LAGOS 

il  y  a  déjà  eu  des  prospecteurs  autrefois  dans  cette 
région  ;  les  chefs  et  la  population  leur  ont  donné  toutes 
facilités;  nous  n'avons  jamais  entendu  de  plaintes. 
Pourquoi  alors  demande-t-on  une  législation  spéciale 
pour  les  nouveaux  venus?  On  ne  peut  s'empêcher  de 
penser  que  l'on  médite  des  actes  que  désapprouve- 
raient les  propriétaires  des  terres,  et  que  c'est  pour 
éviter  leur  opposition  que  l'on  donne  l'administration 
de  leurs  biens  au  gouvernement  de  Lagos. 

(c  Une  seconde  raison  qui  a  été  donnée  en  faveur  de 
cette  ordonnance  est  qu'un  Bill  de  cette  nature  est  en 
vigueur  dans  la  Southern  Nigeria  et  qu'il  est  à  souhai- 
ter d'en  voir  un  semblable  fonctionner  ici.  Je  dois  pro- 
tester contre  cette  idée  que  ce  qui  est  bon  pour  la  Sou- 
thern Nigeria  l'est  nécessairement  aussi  pour  nous.  Nous 
représentons  des  populations  complètement  différentes. 
En  dehors  du  Bénin,  qui  fait  en  réalité  partie  du  pays 
yoruba,  nos  traditions  et  nos  aspirations  ne  sont  pas  les 
mêmes  :  nous  n'avons  rien  de  commun;  ici  nous  som- 
mes plus  homogènes.  Votre  Excellence  éprouvera,  je  le 
crains,  de  grandes  difficultés  à  coordonner  les  tendan- 
ces divergentes  des  tribus  agglomérées  du  Delta  qui 
forment  la  Southern  Nigeria  ;  mais  quant  à  ce  qui  est  de 
les  assimiler  aux  Yorubas,  autant  essayer  d'assimiler  les 
Celtes  et  les  Teutons.  Il  en  est  évidemment  autrement 
avec  la  Northern  Nigeria;  mais  dans  la  Southern  Nigeria 
bien  des  choses  pourraient  être  ébranlées  par  un  essai 
de  ce  genre,  et  en  fin  de  compte  l'assimilation  se  trou- 
verait plutôt  reculée  qu'avancée  après  cette  tentative. 

«  Le  Bill  ne  fait  aucune  différence  entre  les  indigè- 
nés  et  les  étrangers  au  point  de  vue  de  la  prospection 
et  de  Texploitation  des  mines,  et  il  semble  bien  qu'un 


LE    RÉGIME    FONCIER  213 

indigène  ne  puisse  se  livrer  à  Tune  ou  à  l'autre  de  ces 
deux  occupations,  sur  les  possessions  de  son  père,  sans 
une  licence  qui  peut  lui  être  retirée. 

«  Depuis  un  temps  immémorial,  notre  peuple  a 
exploité  lui-même  ses  minerais  de  fer  et  forgé  des  ins- 
truments de  fer  et  d'acier  pour  les  usages  domestiques 
et  autres.  Ce  Bill  nous  empêchera  d'exploiter  nos  mines 
de  fer  à  l'avenir,  puisque  le  fer  est  compté  parmi  les 
minerais. 

«  Les  prospecteurs  et  les  mineurs,  nous  devons  le 
reconnaître,  sont  bien  protégés  par  cette  ordonnance, 
si  nous  en  jugeons  parties  nombreux  articles  entraî- 
nant des  pénalités  contre  quiconque  enfreindrait  les 
règles  qui  les  protègent  ;  mais  nulle  part  nous  ne  trou- 
vons mentionnés  de  châtiments  contre  les  mineurs  ou 
adjudicataires^  qui  inquiéteraient  ou  outrageraient  les 
populations  et  outrepasseraient  la  limite  de  leurs  pri- 
vilèges, et  nous  savons  tous  quelle  sorte  de  gens  sont 
les  mineurs. 

«  Pour  ces  raisons  diverses,  je  soutiendrai  l'amende- 
ment. » 

L'hon.  C.  J.  George  (indigène).  —  «  Il  serait  superflu 
de  ma  part  d'ajouter  quoi  que  ce  soit  aux  arguments 
des  orateurs  précédents.  Le  Bill  indique  clairement 
que  les  indigènes  n'ont  aucune  protection  à  attendre. 
C'est  pourquoi  je  m'allie  à  la  motion  des  honorables 
membres  du  conseil.  » 

L'hon.  Acting  Colo>'ial  Secketary.  —  «  Je  ne  puis 
m'empêcher  de  penser  que  les  membres  du  conseil 
regardent  le  Bill  avec  méfiance.  Mais  considérez  le 
titre  du  Bill  :  «  Bill  réglant  l'octroi  de  licences  pour  la 
«  protection  et  l'exploitation  des  mines.  »  C'est  là  le  but 


214  LAGOS 

du  Bill.  Il  n'atteint  nullement  les  droits  des  proprié- 
taires. La  moindre  démarche  ne  peut  être  entreprise 
sans  le  consentement  des  propriétaires  de  terre.  Je 
vois  ce  qui  cause  l'inquiétude  de  ces  messieurs.  C'est 
l'article  portant  qu'à  partir  de  la  promulgation  de  cette 
ordonnance,  personne  ne  pourra,  sans  une  licence 
accordée  par  le  gouverneur,  prospecter  sur  des  terres 
appartenant  au  gouvernement,  ou  à  une  communauté 
indigène. 

«  Le  Bill  n'atteint  en  rien  la  propriété  privée.  Il  n'a 
rapport  qu'aux  terres  de  la  Couronne  et  aux  terres 
communes. 

«  Si  cela  est  nécessaire  pour  donner  satisfaction  aux 
membres  du  conseil,  nous  pouvons  leur  donner  des 
éclaircissements.  On  a  dit  que  c'était  là  un  Bill  de 
protection  pour  les  mineurs.  Il  n'en  est  rien.  Ce  Bill 
doit,  au  contraire ,  nous  permettre  de  les  tenir  en 
mains.  L'honorable  orateur  a  rappelé  que  la  Couronne 
n'a  aucun  droit  sur  les  terres  des  indigènes  et  que  les 
droits  de  ceux-ci  ont  été  garantis  par  des  traités.  Les 
honorables  membres  du  conseil  savent  pertinemment 
que  des  centaines  d'aventuriers  sont  allés  trouver  ces 
chefs  indigènes  et,  en  imposant  à  leur  ignorance,  ont 
réussi  à  prendre  pratiquement  possession  d'une  énorme 
quantité  de  terres,  ce  qui,  une  fois  ce  Bill  en  vigueur, 
leur  deviendra  absolument  impossible.  Cette  ordon- 
nance a  été  faite  pour  sauvegarder  les  droits  des  pro- 
priétaires de  terres  et  pour  les  mettre  à  même  d'obtenir 
une  juste  compensation  pour  les  concessions  qu'ils 
accordent.  J'espère  que  le  conseil  ne  refusera  pas  de 
prendre  en  considération  une  mesure  ainsi  comprise.  » 

Le  Gouverneur.  —  «  Cette  loi  a  été  conçue  dans  le 


LE    RÉGIME    l^ONCIER  215 

t 

désir,  de  la  part  du  gouvernement,  de  donner  à  ce  pays 
les  sauvegardes  qui  ont  été  reconnues  nécessaires  dans 
tous  les  pays,  tant  pour  les  indigènes  que  pour  les 
capitalistes  qui  viennent  exploiter  les  mines.  Vous 
devez  tous  bien  connaître  des  exemples  de  terres  de 
grande  valeur  minière  qui  ont  été  concédées  par  des 
chefs  indigènes  pour  des  compensations  tout  à  fait 
insuffisantes.  C'est  ce  que  nous  voulons  prévenir. 
Aucune  licence  pour  prospecter  ou  exploiter  des  mines 
ne  pourra  être  accordée  sans  le  consentement  des 
chefs  indigènes,  mais  en  même  temps  le  gouvernement 
ne  permettra  à  aucun  Européen  ou  étranger  d'exploi- 
ter des  mines  sans  s'assurer  que  les  concessions  faites 
ont  été  raisonnablement  payées. 

((  La  Gold  Coast  possède  actuellement  des  mines 
d'or.  On  ne  peut  exploiter  une  mine  d'or  sans  d'énor- 
mes avances  de  capital.  Supposons  que  l'on  découvre 
ici  des  filons  aurifères;  quel  entrepreneur  viendrait 
les  exploiter  si  des  dispositions  légales  ne  lui  donnent 
pleine  sécurité.  Il  ne  peut  exploiter  l'or  qu'autant  qu'il 
a  obtenu  le  consentement  du  gouvernement  et  des 
chefs  dans  des  conditions  déterminées.  Il  est  ainsi 
garanti  contre  tout  changement  d'avis  des  chefs  indi- 
gènes ou  du  gouvernement.  Je  crois  savoir  qu'un  agent 
est  arrivé  par  le  paquebot  d'aujourd'hui  pour  le  compte 
d'un  syndicat  qui  veut  exploiter  un  dépôt  de  bitume 
dans  le  district  d'Ondo.  Personnellement  je  serai  tou- 
jours opposé  à  l'octroi  de  concessions  pour  l'exploi- 
tation du  bitume  avant  de  m'être  assuré  qu'il  peut  être 
exploité  avec  succès,  et  l'on  n'accordera  aucune  per- 
mission pour  entreprendre  des  travaux  avant  que  les 
chefs  aient  signifié  leur  désir  de  voir  en  accorder  la 


216  LAGOS 

permission.  Mais  cette  permission  une  fois  accordée 
à  une  compagnie,  quand  cette  compagnie  aura  fait  de 
grandes   dépenses    de   machinerie,   la   simple    équité  ' 

veut  qu'elle  soit  sauvegardée  dans  Texercice  d^  ses 
droits  aussi  longtemps  qu'elle  se  comportera  légale- 
ment. 

«  Cette  ordonnance  doit  la  protéger,  et  en  même 
temps  encourager  l'introduction  des  capitaux  dans  ce 
pays,  où  ils  peuvent  être  utiles.  » 

Devant  ces  observations,  l'honorable  C.  A.  S.  Wil- 
liams retira  sa  motion,  et  le  Bill  passa  en  seconde  lec- 
ture. 

Nous  verrons  du  reste  comment,  après  le  départ  de 
Sir  William  MacGregor,  le  gouvernement  parut  décidé 
à  prendre  les  mesures  qui  lui  paraîtraient  nécessaires 
à  tous  les  points  de  vue,  sans  s'arrêter  beaucoup  à  ce 
que  les  indigènes  pourraient  en  penser  tout  d'abord. 


CHAPITRE   XVII 
LAGOS 


Les  droits  d'octroi. 

En  Afrique  occidentale,  avant  Toccupation  euro- 
péenne, la  plupart  des  chefs  indigènes  percevaient  des 
droits  sur  les  marchandises  qui  entraient  dans  leur 
ville  ou  leurs  territoires.  Ces  droits  formaient  une  par- 
tie importante  de  leurs  revenus. 

Dans  les  colonies  françaises,. notre  administration 
ayant  pris  à  sa  charge  les  dépenses  d'utilité  publique, 
il  nous  parut  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  d'autoriser  le 
prélèvement  de  ces  taxes;  nous  estimâmes  également 
que  le  droit  que  pouvaient  avoir  les  chefs  à  percevoir 
des  impôts  à  leur  profit  disparaissait,  du  fait  que  nous 
avions  substitué  notre  autorité  à  la  leur. 

Sir  W.  MacGregor  pensa  que  la  question  devait  se 
poser  différemment  à  Lagos,  où  le  gouvernement 
anglais  avait  laissé  aux  chefs  toutes  leurs  attributions 
et  toutes  leurs  prérogatives. 

Les  premiers  commerçants  européens  qui  s'établirent 
dans  le  Yoruba,  notamment  à  Abeokuta,  payèrent  sans 
difficulté  aux  chefs,  pendant  un  certain  temps,  les  som- 
mes que  ceux-ci  leur  demandaient  comme  droits'  d'entrée 
dans  leurs  territoires.  Lorsque  le  chemin  de  fer  parvint 
à  Ibadan,  le  gouverneur  peiïsa  qu'il  y  avait  lieu  de 
régulariser  cette  perception  et  de  s'en  servir   pour 


218  LAGOS      . 

alimenter  les  budgets  des  communautés  indigènes  que 
venait  d'organiser  la  «  Town  Gouncil  Ordinance  ». 

En  mars  1903,  Sir  W.  MacGregor,  visitant  TAlafin 
d'Oyo,  l'informa  que  les  commerçants  euçopéenà  s'é- 
taient plaints  des  droits  perçus  par  les  chefs  yorubas 
sur  les  indigènes  qui  traversaient  leurs  villes  en  trans- 
portant des  marchandises.  Il  y  avait  lieu  d'encourager 
les  relations  entre  la  Nigeria  du  Nord  et  Lagos.  L'A- 
lafin  serait  bien  avisé  de  cesser  la  perception  de  ces 
droits,  ainsi  que  TAlake  d'Abeokuta  et  le  Baie  d'Ibadan 
avaient  promis  de  le  faire. 

L'Alafin  répondit  que  le  commerce  de  transit,  presque 
entièrement  entre  les  mains  des  Gambaris  et  des  Fou- 
las, était  assez  insignifiant,  et  qu'il  était  tout  prêt  à  y 
renoncer,  s'il  était  ppssible  de  faire  une  distinction 
entre  les  marchandises  de  transit  et  celles  qui  devaient 
être  consommées  sur  place. 

Le  gouverneur  lui  expliqua  que  ce  n'était  là  qu'une 
affaire  d'organisation,  et  que  si  les  marchandises  en 
transit  étaient  ainsi  détaxées,  il  ne  verrait  pas  d'incon- 
vénient à  ce  que  des  droits  {tolls)  fussent  perçus  sur  les 
denrées  destinées  à  la  vente  locale.  L'Alake  d'Abeokuta, 
ajouta-t-il,  qui  était  un  législateur  très  avisé,  n'avait 
pas  fait  de  difficultés  pour  consentir  à  la  chose,  et  les 
chefs  d'Ibadan  avaient  été  autorisés  à  percevoir  des 
«  tolls  »  dans  les  mêmes  conditions,  pourvu  que  le  taux 
en  fût  approuvé  par  leur  conseil.  De  même  qu'il  avait 
permis  à  l'Alake  d'entretenir  une  force  de  20  hommes 
pour  assurer  le  payement  de  ces  droits,  de  même  il 
autoriserait  l'Alafin  à  avoir  40  hommes  de  police  pour 
garder  les  routes  de  Saki  et  d'Ibadan  à  Ogbomosho. 

Le  Government  Gazette  annonça  en  avril  que  l'Alafin 


LES    DROITS    d'octroi  219 

d'Oyo,  le  Baie  d'Ibadan  et  l'Alake  d'Abeokuta  avaient 
supprimé  les  <c  tolls  »  sur  les  marchandises  en  transit. 

Le  3  avril,  le  conseil  d'Ibadan  prit  une  décision 
signée  par  le  Baie  et  le  résident  anglais  (capit.  Elgee) 
déclarant  que  les  commerçants  européens  payeraient 
au  même  titre  que  les  indigènes  des  «  tolls  »  sur  les 
marchandises  vendues  ou  achetées  par  eux  dans  le 
territoire  d'Ibadan. 

Cette  décision  plongea  les  maisons  européennes  dans 
la  plus  profonde  stupéfaction.  En  demandant  la  suppres- 
sion des  «  tolls  »  sur  les  denrées  qui  transitaient  entre 
la  côte  et  l'intérieur,  elles  n'avaient  point  songé  qu'en 
compensation  le  gouvernement  reconnaîtrait  définiti- 
vement l'établissement  de  droits  d'octroi  sur  les  mar- 
chandises importées  par  elles  dans  les  villes  situées 
sur  la  ligne  de  chemin  de  fer. 

Estimant  qu'il  était  impossible  d'obtenir  directement 
du  gouverneur  l'abolition  de  ces  nouveaux  droits,  la 
Chambre  de  commerce  de  Lagos  demanda  télégraphi- 
quement  à  la  section  africaine  de  la  Chambre  de 
commerce  de  Liverpool,  d'agir  auprès  du  Colonial 
Office  pour  qu'il  n'approuvât  pas  l'établissement  des 
«  tolls  »  avant  d'avoir  reçu  le  rapport  qu'elle  avait  ré- 
digé sur  ce  sujet. 

Les  principales  objections  que  présentait  la  Cham- 
bre de  commerce  dans  ce  mémorandum  étaient  ainsi 
formulées*  : 

<c  L'idée  première  des  chefs  sera  de  s'approprier 
personnellement  les  sommes  considérables  qu'ils  per- 
cevront par  application  des  tolls.  Ils  seront  fatalement 

1.  W,  A.,  18  juillet  1903,  n«  135. 


220  LAGOS 

tentés  de  pressurer  les  petits  commerçants,  qui  ne  sau- 
ront comment  se  défendre.  La  perception  des  «  toUs  » 
est,  du  reste,  contraire  aux  traités  passés  par  les  Egbas, 
qui  portent  que  l'Angleterre  reconnaîtrait  leur  indépen- 
dance tant  qu'ils  ne  mettraient  pas  d'obstacles  au  com- 
merce- L'argent  que  les  chefs  ne  dépenseront  pas  sera 
gaspillé  en  dépenses  administratives  inutiles.  Il  ne 
s'agît  pour  le  moment,  peut-on  penser,  que  d'Ibadan  ; 
mais  il  n'y  aura  pas  de  raisons  pour  ne  pas  autoriser 
de  la  même  manière  la  perception  de  «  toUs  »  dans  les 
autres  villes,  et  l'on  peut  se  demander  à  quoi  aura 
servi  l'expédition  des  Jebus,  qui  avait  surtout  pour  but 
d'abolir  les  droits  perçus  par  les  chefs  de  ce  pays  et 
d'élablîr  la  liberté  du  commerce. 

«  Le  taux  des  droits  n'ira  qu'en  augmentant,  comme 
cela  a  eu  lieu  à  Abeokuta,  où  ils  ont  été  triplés  depuis 
trois  ans.  Il  y  a,  du  reste,  les  plus  graves  inconvénients 
à  autoriser  les  chefs  indigènes  à  se  constituer  de  petits 
royaumes.  Déjà  le  gouvernement  leur  a  donné  le  droit 
de  prélever  des  rentes  formidables  sur  les  terrains  qu'ils 
louent  aux  commerçants,  et  il  est  difficile  de  ne  pas 
s'apercevoir  que  de  plus  en  plus  ces  chefs  prennent 
des  pouvoirs  qu'ils  ji'avaient  pas  autrefois.  Si  l'on  veut 
leur  donner  de  l'argent  pour  leur  permettre  de  satis- 
faire eux-mêmes  aux  dépenses  de  leurs  provinces,  le 
mieux  est  de  leur  accorder  des  subsides  sur  les  fonds 
du  budget  même  de  Lagos.  » 

La  Chambre  de  commerce  de  Liverpool  demanda 
aussitôt  au  Secrétaire  d'État  une  audience  qui  lui  fut 
accordée  et  à  la  suite  de  laquelle  il  fut  câblé  à  Lagos 
de  suspendre  Tapplication  des  «  tolls  »  jusqu'à  nouvel 
ordre. 


LES    DROITS    D  OCTROI  221 

L'attitude  des  Chambres  de  commerce  offrait  cela  de 
particulier  d'être  contraire  à  Topinion  qu'elles  avaient 
professée  jusqu'à  ce  jour  au  sujet  de  l'indépendance 
des  chefs  et  de  l'intervention  du  gouvernement  dans 
l'administration  indigène. 

Elles  avaient  toujours  estimé  que  l'Angleterre  devait 
se  borner  à  fortifier  Tautorité  indigène.  Lorsque  Sir 
W.  MacGregor  avait  voulu  réglementer  le  régime  fon- 
cier et  forestier,  elles  s'y  étaient  opposées  en  disant 
que  cela  porterait  atteinte  à  des  droits  qui  devaient  être 
respectés  ;  et  lorsqu'il  avait  établi  un  certain  contrôle 
auprès  des  chefs,  elles  avaient  déclaré  que  ces  chefs 
devaient  rester  indépendants  et  libres  de  légiférer  chez 
eux  comme  ils  l'entendraient.  Maintenant  que  les  inté- 
rêts de  leurs  membres  étaient  plus  directement  enjeu, 
les  Chambres  trouvaient  que  cette  liberté  pouvait  avoir 
des  inconvénients,  et  les  chefs  cessaient  d'être,  à  leurs 
yeux,  les  personnages  intègres  qu'elles  avaient  défendus 
jusque-là. 

La  «  West  African  Trade  Association  »,  qui  protesta 
également  contre  les  «  toUs  »,  ne  fut  pas  d'avis  de  les 
remplacer  par  une  élévation  de  droits  de  douane  ;  elle 
déclara  que  la  conséquence  la  plus  certaine  de  cette 
élévation  serait  qu'une  partie  du  commerce  dériverait 
sur  Porto  Novo.  Elle  proposa  deux  solutions  :  on  pour- 
rait, au  moment  de  leur  chargement  sur  le  chemin  de  fer 
à  Lagos,  prélever  des  droits  sur  les  marchandises  qui 
seraient  destinées  aux  villes  yorubas,  ou  bien,  comme 
cela  avait  lieu  autrefois  à  Porto  Novo,  on  pourrait  ne 
faire  payer  les  «  toUs  »  aux  marchandises  qu'à  la  sortie 
des  factoreries,  alors  qu'elles  seraient  emportées  par 
les  indigènes. 


222  LAGOS 

Le  West  African  Mail  estima  que  le  conflit  était 
déplorable.  Il  se  rendit  bien  compte  que  c'était  le 
principe  même  de  l'autorité  des  chefs  qui  était  enjeu, 
et  il  craignît  que  Tan  ne  réduisît  leurs  pouvoirs  s'ils 
apportaient  quelque  gène  au  commerce.  Il  estimait  qu'il 
était  nécessaire  que  les  chefs  eussent  des  ressources 
pour  alimenter  leur  budget;  mais,  pour  éviter  les  diffi- 
cultés que  des  taxes  indigènes  feraient  naître,  il  fallait 
que  ce  fût  le  gouvernement  anglais  qui  leur  fournît 
l'argent  nécessaire. 

Sir  William  MacGregor  restait  cependant  fermement 
partisan  des  «  tolls  »  et  fît,  à  la  séance  du  Législative 
Gouncil  du  4  juin,  les  déclarations  suivantes*  : 

«  Il  y  a  deux  ou  trois  ans,  les  «  tolls  »  d'Abeokuta  ont 
été  réglementés  à  l'avantage  de  tous,  sans  difficulté  et 
sans  protestation.  Le  produit  en  a  été  employé  à  cons- 
truire des  routes,  des  ponts,  des  prisons.  On  n'agit 
donc  pas  dans  le  noir  en  régularisant  les  «  tolls  »  d'I- 
badan.  Du  reste,  les  «  tolls  »  ont  toujours  existé,  et  l'on 
n'établit  rien  de  nouveau.  Les  chefs  d'Ibadan,  d'Abeo- 
kuta et  d'Oyo  ont  été  d'accord  pour  supprimer  les  «  tolls  » 
sur  les  marchandises  en  transit.  A  mon  sens,  cette 
concession  est  une  des  mesures  qui  prouvent  le  plus  en 
faveur  de  ces  chefs,  et  personnellement,  ainsi  qu'en  tant 
que  gouverneur,  je  leur  en  suis  reconnaissant,  surtout 
à  l'Alake  qui  a  été  le  premier  à  la  prendre.  Il  me  semble 
que  ces  grands  chefs,  tout  en  s'occupant  des  affaires 
intérieures  de  leurs  provinces,  reconnaissent  ainsi  la 
solidarité  de  l'ensemble  des  territoires,  et  montrent 
qu'ils  sont  préparés  à  sacrifier  quelque  chose  de  leur 

1.  W.  A.,  n»  14. 


LES    DROITS    d'octroi  223 

propre  province  pour  le  bénéfice  du  pays  tout  entier. 
J'étais  persuadé  que  les  commerçants  de  Lagos  recon- 
naîtraient leur  générosité  et  leur  en  seraient  reconnais- 
sants; il  ne  semble  pas  qu'il  en  soit  ainsi.  Au  reçu  du 
télégramme  du  Secrétaire  d'Etat,  j'ai  demandé  au  Baie 
et  au  Gouncil  d'Ibadan  de  ne  pas  percevoir  la  taxe; 
mais  je  suis  sûr  que  cela  a  causé  des  troubles,  et  j'es- 
père  que  le  Secrétaire  d'Etat  permettra  la  perception 
des  «  toUs  ». 

a  L'administration  provinciale  n'est  possible  qu'entre 
les  mains  des  autorités  indigènes,  et  la  perception  des 
«  toUs  »  est  la  seule  manière  de  leur  procurer  les  fonds 
qui  leur  sont  nécessaires.  » 

La  décision  du  Secrétaire  d'Etat  avait  été,  en  effet,  très 
mal  accueillie  par  les  indigènes. 

Le  15  juin,  un  grand  palabre  eut  lieu  à  Ibadan  pour 
protester  contre  la  suspension  de  la  perception  des 
«  tolls  ». 

Le  Lagos  Weekly  Record  en  publia  un  compte  rendu 
qui,  d'après  les  renseignements  que  nous  avons  pu 
recueillir  à  Ibadan  même,  fut  exact.  Il  est  intéressant 
d'en  rapporter  les  termes  principaux,  comme  caracté- 
ristiques de  l'état  d'esprit  des  Yorubas. 

Lecture  fut  d'abord  donnée  par  le  «  town  clerk  »  du 
message  du  Baie. 

Celui-ci  regrettait  d'être  empêché  par  ses  infirmités 
d'assister  au  palabre.  «  Les  marchands,  disait-il,  sont 
les  amis  du  peuple  d'Ibadan;  mais  ils  défendent  ce 
qu'ils  croient  être  leurs  intérêts.  Leur  façon  d'agir  en 
la  circonstance  est  un  tour  de  commerce,  une  ruse 
d'homme  d'affaires.  Ils  voudraient  nous  «  mettre  de- 
dans »,  mais  nous  devons  leur  montrer  que  nous  ne 


224  LAGOS 

sommes  pas  fous.  En  exécution  des  traités,  nous  avons 
bien  reçu  les  commerçants;  nous  les  avons  protégés. 
Par  loyauté  pour  le  Roi  (d'Angleterre),  que  n'avons-nous 
pas  souffert,  en  proportion  des  avantages  que  nous  a 
procurés  le  nouvel  état  de  choses  !  Nos  esclaves  et  nos 
femmes  nous  ont  abandonnés,  et  nos  enfants  sont  passés 
en  terre  étrangère  pour  gagner  davantage.  Et  cependant 
nous  avons  fait  instruire  nos  enfants  pour  pouvoir  les 
employer  dans  notre  pays.  Nous  avons  demandé  aux 
marchands  de  payer  (comme  impôts)  une  petite  partie 
des  bénéfices  qu'ils  font  en  commerçant  avec  nous.  Ils 
n'ont  pas  répondu,  mais  nous  ont  mis  dans  le  noir  en 
télégraphiant  au  Secrétaire  d'Etat  de  nous  défendre  de 
percevoir  les  droits  d'octroi.  Nos  pères  ont  toujours 
perçu  ces  droits,  et  on  en  perçoit  dans  le  monde  entier. 
Nous  avons  désiré  faire  de  même  pour  pouvoir  amé- 
liorer la  ville,  sa  police,  son  administration.  Les  com- 
merçants qui  ne  voudraient  pas  les  payer  n'auront  qu'à 
quitter  la  ville.  » 

Le  Baie  terminait  en  demandant  que  la  discussion 
fût  limitée  à  la  question  des  «  tolls  »  et  qu'elle  eût 
lieu  dans  le  plus  grand  calme.  Tout  ce  qui  serait  dit 
serait  communiqué  au  gouverneur  pour  être  transmis 
au  Secrétaire  d'État,  en  qui  le  Baie  avait  pleine  con- 
fiance. 

L'Otum  Baie  prit  ensuite  la  parole  : 

c(  On  nous  considère  comme  fous,  et  c'est  la  faute 
du  pouvoir  souverain  :  le  pouvoir  anglais.  Nous  ne 
devons  pas  nous  rendre.  Tout  le  monde  paye  des 
impôts.  Nous  voulûmes  en  percevoir  lorsque  les  blancs 
s'établirent  pour  la  première  fois  dans  le  pays.  Le 
gouvernement  anglais  nous  demanda  d'attendre.  Nous 


LES    DROITS    d'octroi  225 

avons  maintenant  besoin  d'argent.  Les  commerçants 
doivent  payer  en  échange  des  services  rendus.  » 

Le  chef  de  guerre  parla  ainsi  à  son  tour  : 

«  Lorsque  les  blancs  arrivèrent,  ils  virent  que  nous 
étions  des  soldats.  Ils  nous  dirent  que  le  gouvernement 
anglais  ne  tolérerait  pas  les  pillages,  que  nous  devions 
changer  de  mode  de  vie  et  nous  adonjier  à  l'agriculture 
et  au  commerce,  que  d'autres  blancs  viendraient  pour 
commercer  avec  nous  et  que  nous  devions  les  protéger, 
que  tout  le  monde  en  profiterait.  II  y  a  onze  ans  de  cela. 
Inutile  de  vous  rappeler  les  souffrances  qui  ont  suivi 
et  les  changements  qui  ont  été  apportés  à  l'ancien 
état  de  choses.  Il  me  suffit  de  dire  comment  nous 
avons  tout  supporté  avec  résignation.  Nous  avons 
voulu  observer  loyalement  le  traité  que  nous  avions 
passé.  Puis  le  chemin  de  fer  vint,  et  avec  lui  les  com- 
merçants. Nous  les  protégeâmes.  Le  Baie  et  le  conseil 
proposèrent  de  mettre  des  droits  d'octroi  sur  leurs 
marchandises.  Le  gouverneur  donna  à  cela  son  assen- 
timent; on  devait  commencer  la  perception  le  premier 
du  mois,  et  tout  d'un  coup  nous  avons  appris  que  le 
Secrétaire  d'État  avait  câblé  pour  dire  de  retarder  le 
commencement  de  la  perception.  Après  enquête,  nous 
avons  appris  que  c'étaient  les  marchands  d'Ibadan  qui 
avaient  réclamé  contre  les  «  tolls  ».  Nous  ne  savons 
pas  quel  mal  nous  leur  avons  fait. 

«  Nous  avons  réuni  ce  palabre  pour  que  chacun 
puisse  donner  son  opinion  sur  ce  sujet. 

«  Les  commerçants  disent  que  9  pence  par  caisse  de 
gin  est  un  droit  trop  élevé,  et  que  si  on  nous  permet- 
tait de  percevoir  des  droits  d'octroi  il  faudrait  réduire 
ce  taux.  Le  gin  ne  fait  pas  de  bien.  Nous  avons  appris 

15 


226  LAGOS 

qu'il  y  avait  des  régions  où  les  hommes  mouraient 
de  trop  boire.  Nous  avions  notre  alcool  qui  nous  suffi- 
sait avant  qu'ils  apportent  leur  poison.  Nous  ne  rédui- 
rons pas  le  droit  d'un  cauri. 

«  Cette  réunion  est  publique.  Si  quelqu'un  a  à  parler, 
laissez-le  dire.  » 

Gomme  persoçine  ne  prenait  la  parole,  le  chef  de 
guerre  continua  : 

«  Nous  serions  heureux  de  connaître,  avant  de  voter, 
ce  que  les  chrétiens  indigènes  ont  à  dire...  Les  com- 
merçants n'auraient  pas  agi  comme  ils  l'ont  fait,  n'était 
notre  loyauté  envers  le  Roi  (d'Angleterre).  Nous  leur 
avons  donné  toute  facilité  de  commercer,  et  maintenant 
ils  protestent.  Quels  gens  étranges  sont  ces  commer- 
çants !  Ils  ne  se  sont  pas  conduits  avec  nous  comme  il 
convient  de  le  faire  entre  amis.  Nous  avons  une  cause 
juste,  et  il  nous  suffit  de  nous  en  remettre  à  celui  qui 
juge  en  silence.  Le  moment  viendra  où  ceux  qui  trou- 
vent qu'il  n'est  pas  opportun  de  payer  l'impôt  trouve- 
ront qu'il  est  opportun  de  quitter  la  ville.  » 

M.  Joseph  Adegini  (senior),  délégué  des  indigènes 
convertis  au  christianisme,  parla  ensuite  dans  le  même 
sens. 

«  ...Les  chefs  et  les  indigènes  d'Ibadan,  qui  ont  cessé 
leur  vie  de  guerriers,  ont  eu  depuis  à  endurer  bien  des 
choses.  Ils  avaient  acquis  de  nombreux  esclaves  et 
beaucoup  d'argent.  Dans  ces  jours  d'autrefois,  il  n'y 
avait  pas  d'habitant  à  Ibadan  qui  sût  ce  qu'était  la  pau- 
vreté, mais  maintenant  les  temps  sont  changés.  Les 
captifs  ont  quitté  leurs  maifres;  les  enfants  ne  s'oc- 
cupent que  d'eux-mêmes,  et  non  de  leurs  parents.  La 
ville  doit  être  améliorée,  une  police  entretenue,  etc. 


LES    DROITS  d'octroi  ,  227 

Les  ressources  nécessaires  ne  peuvent  être  trouvées 
que  dans  la  perception  des  «  toUs  »  ;  ceux  qui  ne  veu- 
lent pas  les  payer  ne  sont  pas  des  sujets  fidèles  :  cha- 
cun doit  payer  les  impôts  du  pays  où  il  est  né,  ou  bien 
où  il  séjourne;  ceux  qui  ne  veulent  pas  le  faire  n'ont 
qu'à  s'en  aller.  » 

Le  Rév.  J.  Okriseinde  fut  du  même  avis. 

«  Est-ce  un  crime  d'essayer  de  suivre  ceux  qui  sont 
en  avant?  Nous  est-il  défendu  d'améliorer  l'état  de  nos 
villes?  Nous  désirons  les  marchands  (le  Balogun,  inter- 
rompant :  «  Nous  leur  donnerons  une  cordiale  bien- 
venue et  leur  assurerons  de  bons  emplacements  pour 
leurs  comptoirs  »),  mais  ils  doivent  contribuer  à  payer 
les  dépenses  dont  ils  profitent.  » 

Personne  ne  demandant  plus  la  parole,  les  résolu- 
lions  suivantes  furent  votées  : 

«  1®  Le  meeting  ayant  appris  avec  déplaisir  la  sup- 
pression de  la  perception  des  «  toUs  »  causée  parles  ins- 
tances des  Chambres  de  commerce  de  Liverpool  et  de 
Manchester,  désapprouve  une  intervention  si  contraire 
aux  coutumes  qui  ont  existé  depuis  des  temps  immé- 
moriaux, et  pense  qu'il  est  bon  de  protester  énergique- 
ment  contre  la  mesure  actuelle,  qui  est  si  néfaste  aux 
intérêts  de  la  ville. 

«  2®  Les  droits  d'octroi  (toUs)  sont  nécessaires,  sur- 
tout actuellement,  pour  une  meilleure  organisation  de 
la  police  qui  est  destinée  à  protéger  les  habitants  de  la 
ville,  et  les  commerçants  eux-mêmes,  pour  l'assainis- 
sement et  pour  de  nombreuses  autres  améliorations 
publiques  étudiées  pour  le  plus  grand  bien  des  chefs  et 
du  peuple. 

«  3*^  Le  meeting  prie  donc  humblement  Son  Excellence 


228  LAGOS 

le  gouverneur  de  Lagos  de  représenter  ses  plaintes  au 
Secrétaire  d'État,  et  le  prie,  en  outre,  très  respectueu- 
sement de  ne  pas  approuver  la  demande  de  suppres- 
sion des.  droits  d'octroi  à  Ibadan.  » 

La  surexcitation  dont  ces  discours  sont  l'indice 
était  d'autant  plus  grande  chez  les  chefs  que  la  percep- 
tion des.  «  tolls  »  sur  les  marchandises  européennes 
n'était  pas  simplement,  pour  eux,  un  moyen  de  se  pro- 
curer des  ressources,  mais  surtout  de  manifester  leur 
indépendance. 

Ils  n'avaient  point  voulu  accepter  de  recevoir  des 
subventions  du  gouvernement  anglais  à  la  place  des 
(c  tolls  ».  Le  droit  de  percevoir  des  impôts  est  le  privi- 
lège de  la  souveraineté,  et  il  devait  paraître  précieux  à 
ces  chefs  de  pouvoir  prélever  des  taxes  sur  ceux-là 
mêmes  qui  étaient  censés  les  dominer.  Ils  établissaient 
ainsi  d'une  manière  incontestable  leur  droit  de  se  con- 
duire en  maîtres  dans  leur  pays. 

Pour  bien  montrer  que  c'était  là  leur  prétention,  ils 
prirent  toute  une  série  de  mesures  significatives. 

C'est  ainsi  que  le  26  mars  1903*  parut  une  circulaire 
de  l'Egba  United  Government  émanant  du  «  Govern- 
ment Secretariate  »  d'Abeokuta  et  portant  défense  de 
vendre  des  terres  ou  des  constructions  à  d'autres  qu'à 
des  natifs  du  pays,  tous  baux  devant  du  reste  être  visés 
par  le  Secrétaire  du  gouvernement,  et  défense  (aux 
Européens?)  de  saisir  pour  dettes  les  biens,  meubles, 
ou  immeubles,  des  commerçants  (indigènes?). 

En  juillet,  l'Alake  d'Abeokuta'  fit  appeler  devant  lui 

1.  H'^.A.  M.y  nM6. 

2.  W,  A,  M.,  n-  20. 


LES    DROITS    d'octroi  229 

le  «  Railway  Commissioner  »  et  les  quatre  agents  des 
principales  maisons  établies  aux  portes  de  la  ville  :  J. 
Holt,  Gaiser,  Peterson  and  Zachonis,  Lagos  Store  Ld. 
Il  les  informa  qu'il  avait  ordonné  aux  indigènes  de  ces- 
ser tout  commerce  avec  les  Européens  qui  protestaient 
contre  les  perceptions  des  «  toUs  ».  Le  «  Commissioner  » 
demanda  à  TAlake  de  rapporter  cet  ordre,,  ce  qui  fut  fait 
le  jour  suivant;  mais,  le  lundi  d'après,  TAlake  informa 
le  Commissioner  et  les  agents  que  les  traitants  indi- 
gènes avaient  décidé  d'eux-mêmes  d'interrompre  tout 
commerce  avec  Lagos,  à  moins  que  les  agents  ne  cessas- 
sent leurs  manœuvres  contre  les  «  tolls  »  et  ne  signas- 
sent une  déclaration  dans  ce  sens. 

Les  agents  refusèrent  naturellement  de  signer,  et  le 
Railway  Commissioner  reçut  du  gouverneur  Tordre  de 
ne  pas  se  mêler  de  l'afTaire. . 

Au  Colonial  Office  on  parut  d'abord  se  ranger  à  l'avis 
des  Chambres  de  commerce,  surtout,  semble-t-il,  parce 
qu'on  craignait  d'approuver  d'une  manière  nette  les 
velléités  d'indépendance  des  chefs  et  les  prétentions 
qu'ils  émettaient  d'avoir  le  droit  de  prélever  des 
impôts.  Il  semble  que  l'on  sentait  aussi  que  ces  pré- 
tentions n'étaient  que  la  conséquence  de  la  politique 
que  l'on  avait  adoptée  dans  le  Protectorat,  et  que  les 
combattre  ouvertement  serait  inaugurer  une  nouvelle 
manière  d'agir  contre  laquelle  les  chefs  s'insurge- 
raient très  probablement.  Ce  serait  rouvrir  l'ère  des 
conflits.  Enfin  le  gouverneur  de  Lagos  se  prononçait 
très  nettement  en  faveur  des  «  tolls  »,  et  cette  considé- 
ration seule,  suivant  une  tradition  chère  à  la  politique 
anglaise,  devait  suffire  à  fixer  définitivement  l'avis  du 
Secrétaire  d'Etat. 


230  LAGOS 

Son  înterventîon  devait  cependant  sauvegarder  le 
droit  de  contrôle  du  gouvernement  anglais. 

Le  14  juillet*  1903  il  informa  les  Chambres  de  com- 
merce que  Sir  W.  MacGregor  lui  avait  répondu  que  les 
chefs  se  refusaient  à  recevoir  des  subsides  en  place  de 
«  toUs  ».  Des  concessions  étaient  faites  cependant  par 
les  chefs.  On  nommerait  à  Abeokuta  et  à  Ibadan  un  con- 
trôleur européen,  et  les  comptes  des  recettes  et  des 
dépenses  du  gouvernement  indigène  seraient  publiés 
annuellement.  Les  «  tolls  »  ne  seraient  pas  augmentés 
sans  l'assentiment  du  Secrétaire  d'État.  La  détaxe  des 
produits  en  transit  serait  assurée,  et  des  drawbaks 
seraient  accordés  aux  marchandises  réexportées.  Les 
«  tolls  »  ne  seraient  perçus  qu'une  fois  dans  la  même 
province  sur  les  mêmes  marchandises. 

Les  Chambres  de  commerce  de  Liverpool  et  de  Man- 
chester eurent  beau  faire  de  nouveau  des  objections  au 
principe  même  des  «  tolls  »  et  dire  que  les  gouverne- 
ments de  la  Nigeria  du  Nord  et  du  Sud  devaient  être 
consultés  en  la  matière,  car  ce  pouvait  être  là  un  fâcheux 
précédent,  toutes  les  villes  de  l'intérieur  pouvant  émet- 
tre la  prétention  de  percevoir  ainsi  des  droits  d'octroi, 
le  Secrétaire  d'Etat  se  refusa  à  recevoir  de  nouvelles 
députations  et  ordonna  la  perception  des  tolls,  sous  les 
réserves  que  nous  venons  d'indiquer.  11  ne  pouvait  y 
avoir,  disait-il,  de  danger  à  voir  cette  mesure  se  géné- 
raliser, parce  que  les  autres  Protectorats  de  l'Afrique 
occidentale  n'étaient  pas  dans  la  même  situation  poli- 
tique que  celui  de  Lagos*. 

1.  W.  A.  3/.,  17. 

2.  Lettre  du  17  juillet  1903  du  Secrétaire  d'Élat  à  la  Chambre  de  com- 
merce de  Liverpool.  H\  A.,  15  août  1903,  n*  139. 


LES    DHOITS    d'octroi  231 

Au  début,  cette  perception  ne  se  fit  pas  sans  froisse- 
ment et  fut  assez  mal  organisée.  Les  commerçants  re- 
prochèrent au  Baie  et  à  TAlake  d'élever  les  droits  sans 
l'assentiment  du  Secrétaire  d'Etat  et  de  prélever  ces 
droits  plusieurs  fois  sur  les  mêmes  marchandises.  A  la 
suite  d'une  plainte  de  la  Chambre  de  commerce  de 
Liverpool,  le  Secrétaire  d'Etat  promit  de  faire  une  en- 
quête, et  les  choses  furent  enfin  régularisées. 

Le  11  janvier  1904,  un  numéro  extraordinaire  de  la 
Government  ^a^a/^c  de  Lagos  publia  de  nouveaux  règle- 
ments sur  les  «  toUs  »,  en  les  faisant  précéder  de  la 
déclaration  suivante  du  «  Colonial  Secretary  »  : 

«  Le  gouvernement  communique,  pour  être  portés  à 
la  connaissance  du  public,  les  règlements  revisés  en 
matière  de  perception  des  droits  d'octroi  et  le  tarif 
revisé  de  ces  droits,  règlements  et  tarifs  qui  émanent 
de  l'Alake  et  des  conseils  d'Abeokuta  et  du  Baie  et 
du  conseil  d'Ibadan  et  qui  sont*sanctionnés  par  le 
très  honorable  Secrétaire  d'Etat  pour  les  colonies. 
L'attention  est  appelée  sur  les  points  suivants  :  les 
tarifs  revisés  entrent  en  vigueur  le  25  du  mois  cou- 
rant; les  alcools  qui  dépassent  le  «  strength  of 
proof  »  peuvent  être  importés  à  Ibadan  ou  à  Abeo- 
kutâ;  les  droits  sur  les  alcools  seront  de  9  pence  par 
gallon;  les  «  tolls  »  sur  les  produits  indigènes  sont 
abolis.  » 

Les  règlements  et  tarifs  sont  les  mêmes  pour  Abeo- 
kuta  et Ibadan. 

Les  règlements  portent  obligation  de  faire  entrer  les 
marchandises  par  des  points  déterminés  où  sont  établis 
des  postes  d'octroi,  droit  de  visite  des  officiers  des 
tolls,  établissement  de  pénalités  pour  les   fraudeurs 


232  LAGOS 

(amende  ne  dépassant  pas  £100  ou  emprisonnement  ne 
dépassant  pas  six  mois  avec  travaux  forcés). 

Tous  les  litiges  en  matière  de  «  tolls  »  et  les  pour- 
suites  pour  fraude  seront  de  la  compétence  du  tribunal 
spécial  nommé  par  le  Baie  ou  TAlake  en  conseil.  Appel 
peut  être  fait  devant  le  Baie  ou  TAlake  en  conseil. 

Les  marchandises  ou  produits  ne  faisant  que  traver- 
ser les  territoires  d*Abeokuta  ou  d'Ibadan  circulent  en 
franchise,  et  les  marcliandises  réexportées  bénéficient 
d'un  drawback. 

Les  produits  médicinaux,  les  denrées  introduites  par 
les  missionnaires  pour  leur  propre  usage,  ainsi  que  les 
marchandises  devant  être  employées  à  des  secours  cha- 
ritables ou  servir  de  matériel  scolaire  sont  détaxées, 
ainsi  que  celles  qui  sont  destinées  aux  gouvernements 
locaux,  au  gouvernement  anglais  ou  à  Tusage  personnel 
des  fonctionnaires  anglais. 

Sont  interdites  leh  importations  d'alcool  oifer  proof 
(Sylkes  Hydrometre)  ou  qui  contiennent  plus  de  9,50 
p.  100  de  «  fusel-oil  »,  les  fausses  monnaies,  les  articles 
obscènes,  les  animaux  ayant  des  maladies  contagieuses 
et  les  armes  et  munitions  dont  l'importation  est  défen- 
due à  Lagos. 

Seuls  les  objets  tarifés  sont  taxés.  Les  produits 
indigènes  et,  entre  autres  marchandises  européennes, 
la  poudre,  entrent  en  franchise. 

Les  principaux  produits  taxés  sont  les  suivants  : 

Alcools 9  deniers  le  gallon. 

Tissus 2*'>-,6  la  balle  de  50  pièces. 

Farines 6  deniers  le  baril. 

Fusils 2®*»-, 6  la  caisse. 

Pétrole 6  deniers. 

AUumeUes  . . .  l'^-,6  la  caisse. 


LES  DROITS    d'octroi  233 

Riz 6  deniers  le  cwt. 

Sel 1  denier         — 

Sucre 6  deniers       — 

Tabac 6  deniers  les  50  livres. 


Jusqu'à  présent  la  perception  de  ces  droits  a  eu  lieu 
sans  difficulté.  Nous  verrons,  en  étudiant  les  budgets 
des  États  d'Abeokuta  et  d'Ibadan,  quel  en  a  été  le  ren- 
dement et  quel  emploi  est  fait  de  leur  produit. 


CHAPITRE   XVIII 
LAGOS 


L'organisation  judiciaire. 

La  «  Suprême  Court  Ordinance  »  de  1876  établit  dans 
la  Colonie  proprement  dite  de  Lagos  une  organisation 
de  la  justice  analogue  à  celle  en  vigueur  dans  toutes 
les  Crown  Colonies;  nous  n'avons  point  à  insister  sur 
ce  sujet.  La  question  est  plus  intéressante  en  ce  qui 
concerne  le  Protectorat. 

Jusque  vers  la  fin  de  1903,  le  gouvernement  de  Lagos 
ne  s'était  point  préoccupé  de  la  manière  dont  la  justice 
était  rendue  dans  THinterland  et  en  avait  laissé  entiè- 
rement l'administration  entre  les  mains  des  chefs  indi- 
gènes. Dans  les  villes  oii  un  résident  avait  été  installé, 
on  avait  simplement  institué  une  «  Advisory  Court  ». 
Les  chefs  devaient  soumettre  à  ce  tribunal,  dont  le  seul 
juge  était  le  résident,  tous  les  cas  qui  leur  paraîtraient 
délicats,  ceux,  par  exemple,  oii  un  Européen  était  inté- 
ressé ;  mais  l'appel  devant  cette  Court  était  simplement 
facultatif,  et  le  jour  où  les  commerçants  blancs  pénétrè- 
rent dans  l'intérieur,  des  difficultés  ne  devaient  pas  tar- 
der à  surgir  entre  eux  et  les  indigènes  :  il  pouvait  y 
avoir  des  inconvénients  graves  à  laisser  entièrement 
aux  chefs  le  soin  de  les  résoudre.  En  outre,  le  gouver- 
nement anglais  devait  assurer  la  sécurité  publique,  et 


l'organisation  judiciaire  235 

pour  cela  îl  était  désirable  qu'il  eût  le  droit  de  punir 
ceux  qui  la  troublaient. 

Déjà,  en  1902,  pour  éviter  des  complications  graves, 
le  capitaine  Elgee,  résident  d'Ibadan,  avait  obtenu  des 
chefs  que  les  procès  où  des  Européens  seraient  en  cause 
fussent  jugés  devant  lui. 

Lorsqu'il  eut  réorganisé  les  gouvernements  indi- 
gènes, Sir  W.  MacGregor  pensa  que  le  moment  était 
venu  de  déterminer  dans  quelle  mesure  devait  leur  être 
laissé  le  soin  de  rendre  la  justice. 

Le  13  janvier  1904,  un  acpord  était  conclu  entre  Sir 
W.  MacGregor  agissant  au  nom  «  de  sa  très  Excellente 
Majesté  Edouard  VII,  roi  du  Royaume-Uni  d'Angleterre 
et  d'Irlande  et  de  toutes  les  souverainetés  anglaises  au 
delà  des  mers,  empereur  des  Indes,  ses  héritiers  et  ses 
successeurs,  et  l'Alake  et  les  autorités  de  la  nation 
Egba,  en  leur  nom  et  au  nom  de  leurs  héritiers  et  suc- 
cesseurs et  de  la  nation  Egba.  » 

En  vertu  de  cet  accord,  l'Alake  cède  au  roi  d'Angle- 
terre,- pour  une  durée  de  vingt  ans,  dans  les  territoires 
egbas,  droit  de  juridiction  sur  : 

1**  Toute  personne  coupable  d'un  meurtre  ou  d'homi- 
cide {manslaughter). 

2^  Toute  personne  non  native  de  l'Egba  et  accusée 
de  crimes  ou  fautes  rentrant  dans  la  catégorie  des  «  in- 
dictable  crimes  »  ou  «  offenses  »  dans  la  loi  anglaise; 

3®  Tout  cas  dans  lequel  un  des  plaideurs  n'est  pas 
natif  de  l'Egba  et  dans  lequel  la  valeur  de  l'objet  en 
litige  dépasse  50  livres  ; 

4®  Les  liquidations  et  conservations  de  successions 
de  toutes  personnes  non  natives  de  l'Egba. 

.Une  cour  mixte  [mixed  court)  est  instituée  pour  juger 


236  LAGOS 

toute  personne  non  native  de  TEgba  coupable  d'un 
crime  ou  délit  qui  ne  rentre  pas  dans  la  catégorie  des 
«  indictable  crimes  »  ou  «  offenses  »  et  toute  affaire 
civile  dans  laquelle  une  des  parties  n'est  pas  un  natif 
de  TEgba  et  dont  la  valeur  de  l'objet  en  litige  dépasse 
5  livres,  à  condition  qu'il  ne  s'agisse  pais  de  questions 
touchant  à  la  conservation  ou  à  la  transmission  de  la 
propriété  foncière. 

La  mixed  court  est  composée  d'un  président  nommé 
par  le  Roi  d'Angleterre  et  de  deux  membres  nommés 
par  l'Alake  en  conseil.  Le  président  n'a  qu'une  voix,  et 
les  jugements  sont  rendus  à  la  majorité  de  deux  voix. 

Les  tribunaux  du  Roi  d'Angleterre  ont  le  droit  de  ju- 
ger en  appel  les  décisions  de  la  «  mixed  court  ». 

En  matière  criminelle,  l'appel  ne  peut  avoir  lieu  que 
si  un  membre  de  la  «  mixed  court»  n'a  pas  été  de  l'avis 
des  deux  .autres. 

Aucun  ((  ^olicitor  »  ni  «  avocat  »  n'est  autorisé  à  inter- 
venir dans  les  tribunaux  jugeant  au  civil  les  causes  qui 
sont  ainsi  cédées  au  roi. 

En  dehors  des  cas  de  meurtre  et  d'homicide  {man- 
slaughter),  toute  cause  dans  laquelle  les  deux  parties 
sont  des  natifs  de  l'Egba  est  laissée  à  la  juridiction  de 
l'Alake. 

En  réalité,  les  cas  réservés  à  la  mixed  court  sont  lais- 
sés presque  entièrement  à  la  juridiction  de  l'Alake, 
puisque  c'est  lui  qui  nomme  les  deux  juges  dont  les 
voix  suffisent  pour  fixer  l'avis  du  tribunal. 

Les  Européens  résidant  dans  les  territoires  egbas 
restent  justiciables  de  l'Alake  sans  appel,  dans  tous 
les  cas  où  la  valeur  en  litige  ne  dépasse  pas  £5,  et  avec 
appel  en  matière  civile  ou  commerciale  dans  tous  les  cas 


l'ougaxisation  judiciaire  237 

où  leurs  propriétés  foncières  ne  sont  pas  en  jeu  et  oii 
la  valeur  du  litige  varie  entre  £5  et  £50,  et  en  matière 
correctionnelle  dans  tous  les  cas  constituant  chez  nous 
des  délits. 

Cette  reconnaissance  du  droit  de  justice  sur  les  pro- 
pres sujets  du  peuple  protecteur  est  un  acte  tout  à  fait 
exceptionnel,  même  dans  toute  la  politique  indigène 
anglaise  en  Afrique  occidentale,  et  à  côté  de  l'émotion 
qu'elle  créa  dans  la  population  européenne  à  Lagos, 
elle  fut,  avec  la  reconnaissance  du  droit  de  perception 
des  «  toUs  »,  le  principal  élément  des  difficultés  que 
nous  eûmes  à  cette  époque  au  Dahomey,  nos  indigènes 
estimant  que  nous  devions  leur  accorder  les  mêmes 
droits. 

Le  16  mai  parut  une  ordonnance  rendant  exécutoires 
les  clauses  du  traité*. 

Les  droits  de  juridiction  acquis  par  le  roi  d'Angle- 
terre sont  attribués  à  la  «  Suprême  Court  »  de  Lagos  et 
soumis  aux  règles  de  la  «  Suprême  Court  Ordinance  » 
de  1876.  Des  sessions  de  cette  cour  doivent  se  tenir 
quatre  fois  par  an  à  Abeokuta^ 

Les  lois  en  usage  dans  la  colonie  de  Lagos  seraient 
appliquées  dans  les  jugements  prononcés  en  l'espèce. 
Cependant  lorsque  la  cour  le  jugera  bon,  elle  pourra 
appliquer  les  lois  et  coutumes  en  vigueur  dans  les  pays 
egbas,  si  elles  ne  sont  pas  contraires  à  l'équité. 

En  matière  criminelle,  le  juge  sera  assisté  d'asses- 
seurs dont  le  nombre  ne  pourra  être  inférieur  à  quatre. 

Après  la  signature  de  la  convention,  Sir  W.  MacGre- 

1.  An  ordinance  to  make  provision  for  tfie  exercise  ofthe  powers  and 
juridiction  acqnired  by  Ilis  Majesiy  in  Egbaland,  1904. 

2.  Order  of  thegovernor  in  Council,  22  juillet  1904. 


238  LAGOS 

gor  amena  avec  lui  TAlake  en  Angleterre,  voyage  au- 
quel il  attribuait  une  grande  importance  et  sur  lequel 
nous  reviendrons.  Pendant  son  absence,  le  colonial  Se- 
cretary,  M.  C.  H.  Harley  Moseley,  qui  était  depuis  de 
longues  années  son  collaborateur,  se  rendit  solennelle- 
ment, en  qualité  d'Acting  Governor,  à  Abeokuta  pour 
procéder  à  l'ouverture  de  la  première  session  de  la 
Suprême  Court  dans  cette  ville. 

Un  compte  rendu  officiel  de  la  cérémonie  fut  publié 
dans  le  Lagos  Government  Gazette. 

Les  discours  qui  furent  prononcés  sont  un  indice 
intéressant  de  la  portée  que  le  gouvernement  anglais  et 
les  indigènes  attribuèrent  à  Tarrangement. 

L'Acting  Governor,  accompagné  du  (représentant  de 
TAlake,  le  Seriki  d'ijeun,  se  rendit  d'abord  à  l'église 
Saint-Pierre,  où  eut  lieu  un  service  religieux. 

L'évêque  indigène,  dans  son  sermon,  commença  par 
expliquer  en  yoruba  le  sens  du  traité,  puis  il  dit  com- 
ment le  gouverneur  avait  voulu  venir  d'abord  dans  la 
maison  de  Dieu  avant  d'ouvrir  le  nouveau  tribunal, 
pour  montrer  comment  la  vraie  justice  est  l'émanation 
de  la  Divinité.  11  demanda  ensuite  les  prières  de  la 
communauté  pour  le  Chief  Justice,  dont  il  fit  l'éloge,  et 
il  rappela  aux  juges  indigènes  qui  allaient  siéger  quels 
étaient  leurs  devoirs,  et  comment  ils  ne  devaient  avoir 
d'autre  souci  que  celui  de  la  recherche  de  la  vérité. 
S'adressant  ensuite  au  gouverneur,  il  continua  son  dis- 
cours en  anglais,  commentant  ainsi  la  partie  politique 
du  traité  : 

«  Vous  établissez  actuellement  dans  cette  capitale  du 
pays  egba  la  juridiction  de  la  cour  de  Lagos,  inaugu- 
rant ainsi  une  ère  pleine  de  promesses  non  seulement 


L'onGANlSATION    JUDICIAIRE  239 

pour  Abeokuta,  mais  encore  pour  tout  le  Yoruba.  Ce  fait 
que  l'Alake  et  son  conseil  ont  cédé  une  partie  de  leurs 
droits  de  juridiction  montre  la  confiance  qu'ils  ont  dans 
le  gouvernement  de  Sa  Majesté  et  dans  la  cour  de  La- 
gos,  et  je  parle  comme  quelqu'un  qui  sait  avec  quelle 
ténacité  les  Egbas  maintiennent  intacts  leurs  droits  et 
leurs  pouvoirs,  et  avec  quelle  ténacité  ils  les  défendent. 
Nous  sommes  sûrs  que  leur  confiance  n'a  pas  été  mal 
placée.  La  Cour  Suprême  de  Lagos  a  une  haute  répu- 
tation. Puissent  les  juges  futurs  continuer  indéfini- 
ment à  tenir  à  cœur  les  intérêts  du  peuple.  C'est  pour 
cela  que  nous  devons  prier  aujourd'hui,  prière  à  la- 
quelle doivent  participer  non  seulement  les  chrétiens, 
mais  encore  les  musulmans  et  les  fétichistes.  Leur 
prière  ne  sera  pas  vaine  si  elle  s'adresse  au  «  Dieu  in- 
«  connu  ».  En  cette  nouvelle  occurrence,  une  responsa- 
bilité nouvelle  pèse  non  seulement  sur  le  gouvernement 
de  Lagos,  mais  encore  sur  chaque  homme  blanc  vivant 
dans  ce  pays.  Noblesse  oblige.  » 

Après  la  cérémonie  religieuse,  le  gouverneur  se  ren- 
dit au  nouveau  palais  de  justice,  suivi  du  Seriki,  du 
Chief  Justice,  des  membres  du  Législative  Council,  du 
Railway  Commissioner,  des  membres  de  TEgba  Council 
et  autres  hauts  fonctionnaires,  ainsi  que  d'une  garde 
d'honneur  du  «  West  African  Frontier  ». 

11  prononça  alors  un  discours  dans  lequel  il  parla  de 
la  nécessité  du  maintien  de  la  paix  pour  le  développe- 
ment du  pays,  et  dit  ce  que  devait  être  la  bonne  justice. 
Il  ajouta  : 

«  Dans  ces  dernières  années  le  commerce  s'est  beau- 
coup développé  dans  les  terres  egbas,  et  des  habitants 
d'autres  pays  sont  venus  s'y  établir.  L'Alake  et  ses  con- 


240  LAGOS 

seillers  ont  eu  le  bon  sens  de  comprendre  et  le  courage 
de  reconnaître  qu'ils  n'avaient  pas  encore  «à  leur  dispo- 
sition une  magistrature  capable  de  rendre  la  justice 
dans  tous  les  cas  en  litige,  ni  les  éléments  nécessaires 
pour  en  former  une.  C'est  pourquoi  ils  ont  offert  à  Sa 
Majesté  certains  pouvoirs  sur  ce  pays. 

«  Sa  Majesté,  toujours  désireuse  de  venir  en  aide  (à 
ceux  qui  en  ont  besoin),  a  bien  voulu  accepter  ces  pou- 
voirs et  les  responsabilités  qu'ils  entraînent. 

«  C'est  ce  qui  a  fait  l'objet  du  traité  que  nous  com- 
mençons à  exécuter  aujourd'hui.  Ce  n'est  en  aucun  sens 
un  abandon  de  cette  indépendance  de  l'union  que  Sa 
Majesté  a  garantie  au  peuple  egba  et  qui  ne  leur  sera 
pas  enlevée  aussi  longtemps  qu'ils  s'en  serviront  pour 
le  bien  général.  C'est  simplement  un  acte  volontaire  de 
«  self  éducation  »,  une  preuve  de  bon  sens  du  peuple 
et  le  gage  d'autres  dispositions  meilleures  encore... 

«  Vous  avez  été  heureux  comme  moi-même  d'appren- 
dre par  câble  que  l'Alake  était  arrivé  en  bonne  santé  en 
Angleterre  et  qu'il  avait  été  reçu  par  Sa  Majesté.  Nous 
prions  pour  qu'il  revienne  dans  son  pays  en  bonne 
santé,  éclairé  par  tout  ce  qu'il  a  vu  et  entendu  en  An- 
gleterre. C'est  à  lui  que  sont  dus  les  progrès  récents 
faits  par  le  peuple  yoruba... 

«  Nous  commencerons  l'ouverture  de  la  cour  aujour- 
d'hui en  priant  le  Dieu  Souverain  de  bénir  les  juges 
de  la  nouvelle  Cour,  et  nous  sommes  persuadés  que  la 
nouvelle  organisation  de  la  justice  sera  un  bien  per- 
manent pour  le  peuple  egba. 

(c  Dieu  sauve  le  Roi  !  » 

Le  Seriki  d'Ijeun  fit  alors  les  réflexions  suivantes  au 
sujet  du  discours  du  gouverneur  : 


L'onCANISATlON    JUDICIAIRE  241 

«  Tout  ce  que  le  blanc  a  fait  pour  nous  a  été  bon  fina- 
lement. Il  nous  instruit  comme  ses  propres  enfants  et 
nous  soutient  à  l'aide  de  lisières.  J'ai  senti  cela  aujour- 
d  hui  tandis  que  je  marchais  pas  à  pas  avec  le  gouver- 
neur. Je  sentais  que  c'est  par  cela  que  nous  recevons 
cette  instruction.    La  convention  à  qui  nous  donnons 
effet   aujourd  hui  a  été  faite  pour  noire   instruction 
Nous  recevrons  cette  instruction,  et  nous  espérons  que 
nous  serons  ensuite   capables  de  diriger  nos  affaires 
nous-mêmes.  Je  suis  heureux  que  cet  accord  ait  été  fait 
pour  notre  bien  et  que  nous  ayons  beaucoup  à  appren- 
dre grâce  à  lui.  Je  ne  doute  pas  que  tous  les  enfants 
d  Egba  soient  heureux  de  l'inauguration  de  cette  nou- 
velle  manière  de  rendre  la  justice  dans  notre    pays 
D  abord  nous  étions  tous  inquiets  et  nous  ne  savions 
pas  ce  que  ce  blanc  voulait  faire;  mais  depuis  que  nous 
avons  eu  hier  des  nouvelles  de  l'Alake  et  après  tout  ce 
que  nous  avons  vu  aujourd'hui,  chacun  s'en  retournera 
chez  lui  avec  une  âme  tranquille  et  mangera  de  bon 
cœur.  Nous  sommes  très  heureux  de  ce  qui  a  eu  lieu 
Que  Dieu  nous  soutienne  tous!  » 

Le  Chjef  Justice  expliqua  ensuite  l'organisation  des 
nouveaux  tribunaux  et  déclara  la  session  ouverte 

Le  gouvernement  egba  trouva  que  le  système  établi 
par  la  convention  était  incomplet,  et,  par  une  procla- 
mation  du  28  février  1905',  institua  «  the  Egba  Native 
Court  of  Appeal  »,  composée  de  quatre  juges  mem- 
bres de  l'Egba  Council,  dont  un  au  moins  devait  être 
membre  de  la  mixed  court  et  qui  seraient  nommés 
par  1  Alake  pour  juger  en  appel  les  causes  qui  étaient 

1.  Egba  GttieUe,  28  février  1908. 

16 


242  LAGOS 

de  la  compétence  exclusive  des  tribunaux  indigènes. 

Sir  \V,  MacGregor  ayant  été  nommé  à  New-Found- 
land,  une  série  de  conventions  furent  passées  par  son 
successeur  avec  les  chefs  des  différentes  provinces 
yorubas,  vers  la  fin  de  1904,  pour  continuer  l'organi- 
sation de  la  justice  indigène  dans  le  protectorat;  mais 
il  n'y  fut  plus  question  de  mixed  court. 

Le  gouvernement  anglais  s'attribua  le  droit  de  juger 
tous  meurtres  et  tous  homicides  commis  soit  par  des 
indigènes,  soit  par  des  Européens,  et  tous  cas  oii  une 
des  parties  n'est  pas  un  natif  de  la  province.  La  Su- 
prême Court  de  Lagos  est  compétente  dans  ces  cas, 
avec  la  seule  restriction  que  des  avocats  ou  avoués  ne 
peuvent  intervenir. 

Un  amendement  à  la  «  Suprême  Court  ordinance  »  a 
fixé  en  1905*  les  pouvoirs  judiciaires  des  résidents  en 
matière  civile  ou  commerciales. 

Dans  tous  les  cas  où  la  «  Suprême  Court  »  est  com- 
pétente, c'est-à-dire,  pour  toutes  les  provinces  autres 
que  celles  d'Abeokuta,  lorsqu'une  des  parties  n'est  pas 
un  indigène  de  la  province,  devront  être  portés  devant 
le  résident  : 

Tous  procès  en  matière  personnelle  {personal  suits) 
lorsque  la  valeur  du  litige  ne  dépasse  pas  25  livres; 

1.  Âgreement  du  8  août  1904  avec  le  Baie  dlbadan,  du  16  août  1904  avec 
TAlafin  d*Oyo,  du  23  septembre  avec  TAni  d'Ifé.  An  Ordinance  to  make 
provision  for  the  exercise  of  the  powers  and Jurisdic lion  acquired  by  His 
Majesty  in  the  Province  of  Ibadan  and  the  territory  ofthe  Alafin  of  Oyo- 
Vombaiand;  Jarisdiction  ordinance,  17  sept.  1904.  The  Ife  jarisdietion 
ordinance,  3  déc.  1904. 

2.  An  Ordinance  to  make  further  provision  with  regard  to  the  Jarisdic- 
tion of  District  Commissioners  in  civil  matters  and  to  amend  the  Suprême 
Court  Ordinance,  1876-1905. 


l'organisation  judiciaire  243 

Tous  procès  de  matière  de  loyer  d'immeuble  lorsque 
la  valeur  de  la  rente  ou  du  bail  ne  dépasse  pas  25  livres. 

Si  cependant  les  parties  sont  d'accord  à  ce  sujet,  la 
compétence  du  résident  peut  s'étendre  aux  causes  de 
la  valeur  double. 

Il  peut,  sous  la  même  condition,  juger  dans  tous  les 
cas  de  partage  d'immeubles  ;  mais  si  toutes  les  parties 
n'admettent  pas  cette  compétence,  il  doit  adresser  le 
cas  au  Gbief  Justice,  qui  le  transmet  à  une  «  Divisional 
Court  ». 

Les  résidents  ont,  en  outre,  le  droit  d'intervenir 
dans  tous  les  cas  prévus  par  la  Suprême  Court  Ordi- 
nance  (décès,  absence,  etc.),  pour  assurer  la  conser- 
vation de  la  propriété  foncière.  Ils  peuvent  délivrer 
des  «  habeas  corpus  »  et  nommer  des  gardiens  aux 
enfants  abandonnés  ;  mais  tout  cela  seulement  lorsque 
l'individu  dont  les  biens  ou  la  personne  est  en  cause 
n'est  pas  natif  de  la  province. 


CHAPITRE  XIX 

LAGOS 


Les  budgets  des  États  indigènes. 

Par  la  «  Native  Gouncil  Ordinance  »,  Sir  William  Mac- 
Gregor  organisa  le  Protectorat  en  administrations  pro- 
vinciales distinctes  les  unes  des  autres,  dont  la  direc- 
tion devait  être  entre  les  mains  des  chefs  naturels  du 
pays  et  qui  étaient  constituées  par  les  groupements  de 
tribus  formant  les  divers  États  yorubas. 

Par  la  «  ToUs  Ordinance  »,  il  donnait  à  ces  organis- 
mes le  moyen  de  se  créer  des  ressources  à  Taide  des- 
quelles elles  assureraient  le  fonctionnement  des  divers 
services  d'un  bon  gouvernement. 

L'opposition  que  montrèrent  les  commerçants  anglais 
à  l'établissement  de  ces  droits  d'octroi  empêcha  Sir 
William  MacGregor  jde  doter  toutes  les  provinces  de 
ces  moyens  d'existence.  Les  deux  plus  importantes 
d'entre  elles,  celles  d'Ibadan  et  d'Abeokuta,  purent 
seules  recevoir  une  organisation  complètement  auto- 
nome ;  le  budget  de  la  Colonie  dut  continuer  de  prendre 
à  sa  charge  les  diverses  dépenses  des  autres;  de  ce 
fait,  l'intervention  du  gouvernement  anglais  auprès 
de  leurs  chefs  resta  entière,  et  la  politique  suivie  dans 
ces  provinces  ne  présente  pas  grandes  différences 
avec  celle  que  nous  appliquons  dans  les  «  cercles  »  de 
nos  possessions  d'Afrique  occidentale. 


LES    BUDGETS    DES    ÉTATS    INDIGENES  245 

Après  le  départ  de  Sir  W.  MacGregor,  il  devait  en 
être  peu  à  peu  de  même  des  provinces  d'Ibadan  et 
d'Abeokuta,  la  tendance  de  son  successeur  devant  être 
incontestablement  hostile  à  cette  autonomie  dans  ce 
qu'elle  avait  de  très  accentué. 

Il  n'est  pas  moins  du  plus  haut  intérêt  d'étudier  rapi- 
dement de  quelle  manière  furent  administrées  directe- 
ment, par  ces  États  indigènes,  les  ressources  laissées  à 
leur  disposition  par  le  pouvoir  central.  Cette  organisa- 
tion n'a,  du  reste,  pas  cessé  théoriquement  d'exister, 
et  elle  présente  un  caractère  unique  dans  toute  l'his- 
toire de  la  colonisation  dans  l'Afrique  noire. 

C'est  la  présence  d'indigènes  instruits  en  Angleterre 
ou  à  Lagos  qui  explique  comment  les  chefs  ont  pu  s'as- 
similer aussi  facilement  les  formes  de  nos  administra- 
tions. Ce  sont  ces  indigènes  qui  remplissent  les  fonc- 
tions pour  lesquelles  il  est  nécessaire  de  posséder  une 
instruction  un  peu  complète;  ce  sont  eux  qui  sont  se- 
crétaires du  gouvernement,  trésoriers,  directeurs  des 
douanes,  chefs  des  travaux  publics,  etc. 

Comme  il  a  été  prévu  par  la  «  Bill  Ordinance  »,  le 
budget  du  gouvernement  Egba  doit  être  approuvé  par 
le  gouverneur;  mais  en  fait,  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
on  a  laissé  les  autorités  indigènes  disposer  de  leur  ar- 
gent comme  elles  l'ont  entendu. 

Les  principales  ressources  qui  alimentent  le  budget 
de  l'Egba  sont  les  droits  d'octroi,  qui  se  sont  élevés  à 
288.425  francs  pendant  l'année  1904-1905,  que  nous 
prendrons  comme  année  type;  les  frais  payés  par  les 
plaideurs  aux  tribunaux  indigènes  et  les  amendes  pro- 
noncées par  ceux-ci  ont  produit,  pendant  cette  même 
année,  31.175  fr.  ;  le  montant  des  locations  de  terrains 


246  LAGOS 

aux  Européens  ou  au  gouvernement  anglais  a  atteint 
5.449  fr.;  le  chiffre  total  des  recettes  a  été  de  330.240  fr. 

Par  mesure  de  prudence,  les  prévisions  de  1905-1906 
ne  s'élevèrent  qu'à  318.900  francs. 

Une  partie  importante  de  cet  argent  est  absorbée  par 
les  chefs  eux-mêmes  sous  forme  de  traitements,  qui 
sont  répartis  dans  le  budget  sous  les  rubriques  de 
«  services  administratifs  »  et  de  «  services  politiques  ». 
Les  sommes  ainsi  prélevées  s'élèvent,  pour  1905-1906, 
à  81.750  fr.,  soit  au  quart  du  montant  des  recettes.  Sur 
cette  somme,  l'Alake  touche  25.000  fr.,  et  les  autres 
chefs  des  sommes  variant,  suivant  leur  importance, 
entre  7.500  et  300  fr.  Il  faut  ajouter  qu'en  1904  l'Alake 
avait  dépensé  en  outre,  en  dehors  de  toute  prévision, 
pour  son  voyage  en  Angleterre,  34.525  fr.,  de  sorte  que 
cette  année-là,  sur  un  total  de  361.375  fr.,. 122. 275  fr. 
ont  été  absorbés  par  les  chefs  eux-mêmes  :  le  tiers  du 
budget. 

Les  principaux  organismes  de  l'administration  sont  : 

1**  Le  secrétariat^  l'officine  qui  donne  une  forme 
anglaise  à  l'administration  des  chefs.  Il  est  composé 
d'un  secrétaire  qui  touche  un  traitement  de  6.250  fr., 
d'un  assistant  secrétaire  (3.000  fr.)  et  de  trois  commis 
(1.250  à  450  francs). 

2®  La  trésorerity  confiée  à  un  trésorier  (4.000  fr.)  et  à 
deux  commis  (1.050  fr.). 

3*  \J apurement  (audit  office),  dont  le  rôle  a  dû  être 
estimé  moins  important  qu'on  ne  l'avait  jugé  tout 
d'abord,  car  le  traitement  du  fonctionnaire  qui  en  était 
chargé  a  été  ramené  de  5.000  fr.  à  1.250  francs. 

4®  Le  service  de  la  douane^  composé  d'un  bureau 
central,   de  dix  postes  de   perception   confiés  à   des 


LES    BUDGETS    DES    ÉTATS    INDIGENES  247 

commis  ayant  un  salaire  variant  entre  1.800  et  500  fr. 
et  d'un  service  fluvial. 

b'^he  service  judiciaircy  comprenant  la  «  Native  Court  », 
la  «  Mixed  Court»  et  la  «  Native  Court  of appeal  »,  dont 
nous  avons  étudié  le  fonctionnement  lorsque  nous 
avons  examiné  l'organisation  judiciaire  du  Protectorat. 
Les  juges  touchent  des  traitements  variant  de  1.500  à 
900  francs. 

6**  Le  service  des  travaux  publicSy  dont  le  personnel 
fixe  est  composé  assez  curieusement  d'un  arpenteur 
(2.500  fr.),  d'un  garde-magasin  (1.250  fr.)  et  de  son 
assistant,  d'un  gardien  de  la  cloche  de  la  ville  (750  fr.), 
d'un  charpentier  gardien  du  mât  de  pavillon  (sup- 
primé pour  1905-6)  et  de  trois  constructeurs  de  routes 
(900  fr.). 

7°  Le  service  de  santé  et  d'hygiène  avec  un  «  Health 
officer  »  (1.500  fr.),  un  vaccinateur  (900  fr.),  trois 
apprentis  vaccinateurs  (450  fr.,  un  «  sanitary  inspec- 
tor  »  (1.350  francs)  et  douze  assistants. 

&^hQ  service  de  Za  j9o^tce,  comprenant  40  soldats  (1  sh. 
par  jour)  et  60  hommes  pour  les  patrouilles  nocturnes 
(150  fr.). 

9®  Le  service  de  la  prison,  deux  geôliers  et  12  gardiens. 

10**  L'imprimerie  :  un  imprimeur  (1.250  fr.),  son  assis- 
tant et  sept  apprentis. 

11**  Le  service  des  postes  pour  la  province  d'Egbaavec 
un  Post  Master,  deux  commis  et  quatre  facteurs. 

12**  Le  service  des  forêts  et  de  l'agriculture,  composé 
d'un  superintendant  (1.250  fr.),  de  quatre  inspecteurs 
des  forêts  et  de  huit  gardes  forestiers. 

La  principale  différence  que  présente  l'administration 
de  la  province  d'Ibadan  avec  celle  d'Abeokuta  est  que 


248  LAGOS 

rinfluence  du  gouvernement  anglais  s'y  fait  beaucoup 
plus  sentir. 

Les  résidents  qui  ont  été  à  Ibadan  dans  ces  derniè- 
res années,  M.  Parson  et  M.  Elgee,  n'ont  guère  agi 
auprès  des  chefs  que  comme  des  conseillers;  mais  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'administration  de  la  pro- 
vince a  été  le  résuUat  d'une  collaboration  de  tous  les 
instants  du  fonctionnaire  anglais  et  du  chef  de  la  ville. 
Tandis  qu'à  Abeokuta  tous  les  fonctionnaires  de  la 
province  sont  noirs,  la  perception  des  droits  d'octroi 
est  placée,  à  Ibadan,  sous  la  surveillance  d'un  Européen 
dépendant,  il  est  vrai,  du  Baie  et  de  son  conseil  ;  mais 
cela  n'en  change  pas  moins  un  peu  le  caractère  de  la 
perception  des  droits. 

Comme  à  Abeokuta,  les  chefs,  à  Ibadan,  prélèvent 
pour  leur  usage  personnel  une  partie  des  recettes  du 
budget.  Cette  part  a  été  fixée,  sur  l'avis  du  résident, 
au  cinquième  des  dépenses,  comme  étant  le  taux  des 
dépenses  proprement  dites  de  gouvernement  en  Eu- 
rope. 

Les  fonctionnaires  sont  bien  moins  nombreux  à  Iba- 
dan qu'à  Abeokuta,  grâce  peut-être  à  l'intervention  du 
résident  qui  empêche  tout  gaspillage  inutile  ;  l'apure- 
ment des  comptes  est  fait  par  les  bureaux  de  Lagos. 

Nous  donnons  un  résumé  des  budgets  des  deux  pro- 
vinces; leur  détail  est  trop  long  pour  figurer  ici, 
mais  le  rapport  du  trésorier  d'Abeokuta  sur  «  le  revenu 
et  les  dépenses  de  l'Egba  United  Government  »  est  la 
meilleure  illustration  que  l'on  puisse  donner  de  la 
manière  dont  ces  indigènes  envisagent  l'administration 
des  ressources  laissées  à  leur  disposition  par  le  gou- 
vernement anglais. 


LES    BUDGETS    DES    ETATS    INDIGENES 


249 


Il  est  ainsi  conçu  dans  ses  passages  principaux  : 

«  Revenus  : 

«  Si  Ton  déduit  du  revenu  total  le  solde  créditeur 
au  31  décembre  1903,  qui  se  montait  à  44.650  fr.,  il 
semble  que  les  recettes  de  1904,  qui  montent  à  330.250 
francs,  n'atteignent  pas  le  chiffre  prévu  pour  Tannée 
financière  1904-5.  On  verra  cependant  que  la  diffé- 
rence est  plus  apparente  que  réelle,  si  Ton  remarque 
que  la  somme  de  5.000  fr.,  qui  avait  été  prévue  au  titre 
transports,  n'a  pas  existé  en  fait.  Des  milles  de  bonnes 
routes  (pour  piétons  tout  au  moins)  ont  été  construits 


«  ESTIMATES  »  DE  L  EGBA  UNITED  GOVERNMENT 
ET  DE  LA  PROVINCE  d'iBADAN* 

Recettes, 


1« 

2» 
3» 
4« 
5» 
6« 

Droits  d'octroi  [Tolh)  :  alcool . 
—          autres  articles  . . 

Totaux 

.XGBiDNITID  GOTEBSHKNT 

PROYIXCI  D'IBIDAN  , 

PrérisioDS. 
1904-05 

Recettes. 
1904-05 

PréyisiOBs. 
1904-05 

Prérisions. 
1904-05 

Prévisions. 
1904-05 

fr. 
18;  500 
105  000 

fr. 

fr. 
106  150 
103  350 

fr. 
68  750 
68  750 

fr. 

87  500 
87  500 

292  500 

26  875 
5  000 
7  250 
5  000 
2  375 

288  425 

31  176 

2  100 
5  450 

» 

3  100 

269  500 

39  375 
» 

7  375 
1  500 
1  150 

137  500 
9  375 

1  425 

5  975 

175  000 
11  500 

9  350 

1  250 

Frais  de  justice  et  amendes  . . . 
Taxes  forestières . 

Location  de  terre  .... 

Transports 

Divers  

Totaux 

339  000 

330  250 
44  650 

318  900 

154  275 

197  100 

• 

Balance  de  1903-04. 
Total 

374  900 

■ 

1.  Dans  la  transformation  des  monnaies  anglaises  en  monnaie  française 
il  n*a  été  tenu  compte  que  des  livres  comptées  pour  25  francs. 


250 


LAGOS 


Dépenses. 


KGBi  CIOnD  GOTKRNIIINT 


PrérisioDs. 
1904-05 


Services  administratifs 

Services  politiques 

Secrétariat 

Trésorier 

Apurement 

Douanes  (perception  des  tolls) . . . 

Service  judiciaire 

Travaux  publics  et  routes 

Service  de  santé  et  d'hygiène  . . . . 

Police 

Prisons 

Imprimerie 

Postes 

Forêts  et  agriculture 

Divers  

Pensions 

Instruction  publique 

Totaux 


fr. 
64  975 

18  175 
12  150 

5  850 

8  300 

33  100 

19  250 
67  050 

16  650 
29  525 

17  850 
3  375 

3  650 

4  800 
17  400 

» 


1904-05 


fr. 
70  175 

10  275 

11  875 
5  725 
5  150 

32  350 
14  500 
70  90O 

14  925 
13  525 

15  775 
2  525 
2  850 
5  500 

80» 175 
» 
5  OOO 


322  100  361  225 


Primions. 
1904-05 


PP.OTIXGK  D'IBÂDiN 


Prévisions. 
1904-05 


fr. 
61  700 
17  650 
12  400 

5  J850 
3  425 

28  450 

12  875 
84  625 

13  925 
30  000 
12  525 

3  500 
2  900 

6  650 
19  250 

2  400 


318  125 


144  425 


Prérisions. 
1904-05 


fr. 

fr. 

38  750 

44  750 

» 

» 

3  000 

4  175 

» 

» 

19  550 

23  000 

7  175 

6  925 

23  175 

36  050 

8  175 

8  125 

26  450 

33  550 

8  800 

11  875 

]» 

» 

9 

» 

» 

» 

6  850 

14  350 

» 

» 

500 

1  775 

184  575 


dans  tout  le  pays;  mais  la  question  des  transports  con- 
tinue à  être  un  problème.  Il  n'y  a  pas  d'animaux  de 
trait  dans  le  pays.  Les  bœufs  d'importation  étrangère 
ne  tirent  pas  bien,  et  le  système  des  transj^orts  à  dos 
d'animaux  serait  trop  coûteux,  en  raison  de  la  grande 
quantité  de  conducteurs  gambaris  qu'il  serait  néces- 
saire d'employer. 

«  Une  des  tâches  que  s'est  données  l'Alake  pendant 
son  voyage  en  Angleterre  a  été  de  recueillir  tous 
les  renseignements   qui  pouraient  aider  le  conseil  à 


1.  Voyage  de  TAlake  à  Londres. 


LES    BUDGETS    DES    ÉTATS    INDIGENES  251 

résoudre  ce  problème.  Il  visita  dans  ce  but  plusieurs 
exploitations  agricoles  en  Angleterre.  Il  pensa  que  le 
problème  était  enfin  résolu  par  ce  qu'il  vit  du  fonction- 
nement des  automobiles.  Ce  ne  fut  pas  sans  intérêt  que 
le  conseil  d'Âbeokuta  suivit  les  essais  faits  à  Lagos  de 
voitures  automobiles  achetées  pour  le  service  des  tra- 
vaux publics.  D'après  tout  ce  que  l'on  en  a  dit,  ces 
essais  sont  loin  d'être  un  succès.  Devant  des  résultats 
aussi  peu  brillants,  le  conseil  serait  peu  excusable  de 
recommencer  des  expériences  analogues  aussi  coû- 
teuses, surtout  sur  des  routes  qui,  bien  que  bonnes  à 
d'autres  point  de  vue,  ont  des  pentes  trop  rapides  pour 
de  pareils  engins.  Quelques  voitures  et  harnais  ont  été 
cependant  achetés  cette  année,  et  il  y  a  lieu  d'espérer 
que  l'on  arrivera  à  trouver  quelque  moyen  de  résou- 
dre la  question. 

«  Dans  la  première  partie  de  l'année,  les  «  Sectional 
«  Courts  »  de  Oke-na,  Owa  et  Obagura  ont  été  suppri- 
mées, par  un  vote  du  conseil,  et  toutes  les  matières  judi- 
ciaires ont  été  centralisées  dans  le  tribunal  d'Ake.  Cela 
explique  les  faibles  recettes  faites  par  les  «  Sectional 
«  Courts  »  et  la  forte  somme  de  25.750  fr.  provenant  du 
tribunal  d'Ake.  Le  service  des  postes  a  coûté  2.350  fr., 
mais  n'a  produit  aucun  revenu. 

a  Dépenses  : 

«  La  somme  de  70.175  fr,  dépensée  sous  la  rubrique 
«  Alake  et  conseil  »  est  composée  de  65.200  fr.  de  trai- 
tements et  de  4.975  fr.  d'indemnités  de  voyage.  Cette 
dépense  comprend  les  allocations  ordinaires  de  l'O- 
shile,  l'Agura,  l'Olowa,  et  de  quatorze  chefs  représen- 
tant au  conseil  diverses  villes.  Le  dépassement  de  crédit 


252  LAGOS 

provient  de  rallocation  donnée  à  TOshile  qui  vient  en 
second  après  TÂlake  et  qui  a  été  installé  pendant  la 
première  partie  de  Tannée  en  remplacement  du  vieil 
Oshile  qui  a  été  déposé  en  1901.  La  somme  de  65.200  fr. 
mentionnée  ci-dessus  fait,  avec  celle  de  3.750  fr.  attri- 
buée aux  petits  chefs  du  pays  et  qui  est  comprise  dans 
les  «  dépenses  diverses  »,  un  total  de  68.950  francs 
dépensé  comme  traitement  des  autorités  gouvernemen- 
tales. Il  a  donc  été  laissé  moins  des  4/5  du  revenu  pour 
ce  qui  a  été  très  bien  nommé,  dans  le  rapport  annuel 
d'Ibadan,  le  développement  économique  du  pays. 

«  Plusieurs  tournées  furent  faites  par  TAlake  et  son 
conseil  dans  le  courant  de  Tannée,  surtout  dans  Tinté- 
rét  de  la  culture  du  coton.  Le  résultat  a  été  que  dans 
la  première  moitié  de  1904  plus  d'un  million  de  livres 
de  coton  récolté  par  les  cultivateurs  egbas  ont  passé 
par  les  gins. 

«  A  la  suite  de  modifications  faites  avec  soin,  les 
services  du  contrôle,  des  douanes  et  de  la  justice  ont 
coûté  environ  7.500  fr.  de  moins  qu'il  n'avait  été  prévu. 

«  Le  service  des  forêts  a  fonctionné  d'une  manière 
satisfaisante.  De  nombreuses  contraventions  ont  été 
dressées  à  des  personnes  violant  les  règles  du  gouver- 
nement egba,  et  des  amendes  ont  été  infligées.  Grâce 
aux  soins  des  inspecteurs  et  des  gardes,  les  forêts  sont 
aussi  bien  protégées  dans  le  pays  egba  qu'elles  peu- 
vent l'être,  les  intérêts  des  forêts  et  de  l'agriculture 
sont  placés  entre  les  mains  d'un  représentant  du  ser- 
vice des  forêts  et  de  l'agriculture.  La  paix  et  Tordre 
sont  maintenus  dans  les  différents  districts  par  des 
fonctionnaires  assistés  d'officiers  de  police. 

«  La  propreté  relative  de  la  ville  et  l'immunité  près- 


LES    BUDGETS    DES    ÉTATS    INDIGENES  253 

que  complète  d'Abeokuta  en  ce  qui  concerne  la  petite 
vérole,  alors  que  des  épidémies  ravageaient  toute  la 
contrée  environnante,  témoignent  du  bon  trayail  du 
service  de  santé  et  d'hygiène. 

«  Travaux  publics  effectués  pendant  Vannée  190i  : 

1"*  Bâtiment  du  tribunal. 

2**  Bâtiment  du  secrétariat  avec  les  bureaux  des  ser-, 
vices  suivants  :  imprimerie,  santé,  poste,  magasins  des 
travaux  publics. 

3^  Prisons  pour  femmes. 

4®  Annexe  au  Palais. 

«  Routes.  —  1**  Ibara  Road  (ville),  en  construction, 
environ  un  mille  et  demi  complet  sur  une  largeur  de 
quinze  pieds. 

2®  Oba  Road  (district),  entreprise  et  terminée  dans 
l'année,  environ  sept  milles  et  demi  de  long. 

3®  Kajola  Asha  Road  (district),  encore  en  construc- 
tion, environ  dix-neuf  milles  terminés,  sur  lesquels 
huit  milles  au  moins  ont  été  faits  pendant  Tannée 
précédente,  avant  que  le  travail  ait  été  arrêté  en  partie 
par  la  commission  de  délimitation. 

4®  Titi  Road  d'Opelifa  ;  traverse  la  rivière  Ogun  et 
aboutit  en  ville  à  la  porte  d'Ibara,  encore  en  construc- 
tion; à  peu  près  5  milles  terminés  pendant  Tannée. 

«  Entretien  des  routes  déjà  construites  : 

«  Voies  fluviales.  —  Ibafo  Greek.  Ouverture  de  cette 
creek  dans  la  rivière  Ogun,  mettant  en  communication, 
par  la  rivière,  le  district  agricole  d'Orile  Igbein  avec 
les  marchés  les  plus  importants  du  pays  et  permettant 
de  développer  l'exploitation  de  la  forêt  d'Igbein.  Une 
recette  de  550  fr.  a  été  faîte  pendant  Tannée  sur  les 
billes  d'acajou  qui  ont  suivi  cette  creek  jusqu'à  Lagos. 


254  LAGOS 

«  Toutes  les  routes  construites  dans  Tannée,  sur  une 
longueur  d'une  trentaine  de  milles,  l'ont  été  par  la  main- 
d'œuvre  libre,  sous  la  direction  des  constructeurs  de 
routes,  qui  seuls  ont  été  payés.  La  construction  et  l'en- 
tretien des  routes  dans  l'intérieur  de  la  ville  ont  été 
assurés  par  des  travailleurs  payés  sous  la  direction  d'un 
contrôleur  compétent.  La  main-d'œuvre  pénale  a  été 
aussi  utilisée  pour  l'entretien  de  ces  routes  urbaines...  » 

Nous  ne  voulons  point  examiner  ici  à  quelles  criti- 
ques peut  donner  lieu  la  manière  dont  les  chefs  em- 
ploient les  ressources  qu'ils  sont  autorisés  à  se  procu- 
rer par  la  perception  d'impôts  sur  les  Européens.  Cela 
reviendrait  à  rechercher  quels  sont  les  avantages  ou 
les  inconvénients  d'un  système  d'autonomie  indigène 
analogue  à  celui  qu'a  voulu  organiser  Sir  William  Mac- 
Gregor  à  Lagos.  Comme  nous  l'avons  dit  au  commen- 
cement de  cette  étude,  nous  réservons  notre  jugement 
pour  le  moment  où,  après  avoir  exposé  la  situation 
politique  de  l'ensemble  des  possessions  anglaises  de 
l'Afrique  Occidentale,  nous  pourrons  mieux  rechercher 
les  avantages  ou  les  dangers  économiques  ou  politi- 
ques de  telle  ou  telle  méthode. 

Nous  dirons  simplement  pour  l'instant  qu'il  paraît 
bien  que  les  chefs  yorubas  ont  le  plus  vif  désir  de 
transformer  leur  autorité  en  celle  d'un  gouvernement 
conçu  d'après  les  principes  de  l'administration  euro- 
péenne. Les  erreurs  qu'ils  commettent  dans  l'emploi  des 
ressources  mises  à  leur  disposition  proviennent  en 
grande  partie  de  leur  inexpérience  et  pourraient  être 
évitées  pour  la  plupart,  s'ils  suivaient  les  conseils 
d'un  fonctionnaire  européen  en   qui  ils  auraient  con- 


/ 


LES    BUDGETS    DES    ÉTATS    INDIGÈNES  255 

fiance.  Nous  ne  nous  dissimulons  pas  que  cette  tâche 
de  conseiller  exige  des  qualités  qu'il  est  rare  de  trouver 
réunies  chez  une  même  personne;  mais  c'est  ainsi  que, 
les  chefs  d'Ibadan  ayant  bien  voulu  témoigner  leur 
confiance  au  capitaine  Elgee,  excellent  résident  qu'ils 
ont  eu  la  bonne  fortune  de  posséder  dans  ces  dernières 
années,  ont  obtenu  peut-être,  avec  une  organisation 
moins  compliquée,  de  meilleurs  résultats  que  ceux 
d'Abeokuta. 

Le  gouvernement  de  la  colonie  arrive  peu  à  peu  à 
intervenir  par  des  moyens  détournés  dans  l'adminis- 
tration  financière  des  Etats  du  Protectorat.  Le  rapport 
de  Sir  W.  Egerton  au  Législative  Council  pour  Tannée 
1910*  en  est  un  des  exemples  les  plus  typiques,  et  il 
est  intéressant  de  reproduire  la  manière  même  dont 
s'exprime  Sir  W.  Egerton  à  ce  sujet  : 

«  Un  des  principaux  événements  de  cette  année  a  été 
l'acceptation  par  le  gouvernement  Egba  de  l'assistance 
financière  de  la  colonie  pour  entreprendre  de  grands 
travaux  publics,  et  un  emprunt  de  30.000  livres  sterling 
a  été  approuvé  par  le  Conseil',  pour  lequel  un  intérêt 
nominal  de  1  p.  100  a  seulement  été  demandé  par  la 
colonie.  La  plus  grande  partie  de  cette  somme  ser^ 
dépensée  pour  assurer  à  la  grande  ville  d'Abeokuta  une 
distribution  d'eau  convenable,  dont  le  besoin  se  fait 
si  vivement  sentir.  Je  suis  heureux  de  l'acceptation  de 
cet  emprunt,  qui  est  une  preuve  de  l'établissement  des 
relations  de  plus  en  plus  cordiales  existant  entre  le 
gouvernement  colonial,  l'Alake  et  son  Conseil,  et  qui 

1.  Southern  Nigeria  Gazette,  dov.  1911. 

2.  Agreement  between  the  government  of  Southern  Nigeria  and  the 
Alake  and  Council  ofthe  Egba  government  (13  of  1911). 


256  LAGOS 

montre  qu'ils  reconnaissent  combien  il  est  essentiel, 
pour  le  développement  des  ressources  de  leur  riche 
territoire  et  Famélioration  du  bien-être  de  leur  nom- 
breuse population,  qu'ils  acceptent  notre  aide  finan- 
cière et  nos  conseils. 

«  Une  nouvelle  preuve  en  a  été  donnée  par  l'offre 
du  gouvernement  egba  de  coopérer  à  la  construction 
d'un  embranchement  du  chemin  de  fer  vers  Haro  en  se 
chargeant  des  terrassements.  Gela  montre  également 
combien  les  cultivateurs  egbas  réalisent  les  avantages 
des  transports  rapides  et  bon  marché.  » 

Les  principes  restent  saufs  :  la  personnalité  des 
Etats  s'affirme  de  plus  en  plus,  puisqu'ils  contractent 
des  dettes  vis-à-vis  du  gouvernement  protecteur,  et 
celui-ci  assure  l'exécution  de  travaux  nécessaires  en 
prenant  à  sa  charge  les  dépenses  qui  en  résultent,  l'in- 
térêt demandé  étant  purement  nominal.  De  la  même 
manière,  l'idée  de  faire  exécuter  les  travaux  par  les 
tribus  indigènes  elles-mêmes,  au  lieu  de  leur  payer  la 
main-d'œuvre  employée  et  leur  en  faire  ensuite  sup- 
porter les  frais  au  moyen  d'impôts,  n'est  qu'une  appli- 
cation du  système  de  protectorat  qui  seul,  jusqu'ici,  a 
été  réclamé  par  l'Angleterre  dans  l'Hinterland  de  Lago?. 


CHAPITRE   XX 

LA60S 


La  politique  de  Sir  William  MacGregor 
et  celle  de  Sir  Walter  Egerton. 

La  politique  suivie  par  Sir  W.  MacGregor  à  Lagos 
parait,  en  un  certain  sens,  assez  obscure.  On  a  pu  Tac- 
cuser,  au  même  moment,  de  laisser  aux  autorités  indi- 
gènes un  trop  grand  pouvoir,  et  de  porter  atteinte  à 
leurs  institutions  en  violant  les  traités  qui  reconnais- 
saient leur  indépendance. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'alors  qu'il  permettait 
aux  chefs  indigènes  de  se  créer  des  ressources  en 
prélevant  des  impôts  sur  les  commerçants  européens 
établis  dans  leurs  villes,  il  paraissait  contester  le  droit 
qu'ils  avaient  de  gouverner  leur  pays  et,  par  la  Native 
Gouncil  Ordinance,  rendait  possible  l'intervention  du 
gouvernement  anglais  dans  l'administration  indigène. 

En  réalité,  la  politique  de  Sir  W.  MacGregor  a  eu 
essentiellement  pour  but  de  consolider  l'autorité  des 
chefs  et  de  leur  reconnaître  les  pouvoirs  qui  leur  étaient 
nécessaires  pour  l'exercer. 

Il  s'est  efforcé,  dès  le  début  de  son  gouvernement, 
de  bien  montrer  comment  l'Angleterre  reconnaissait 
entièrement  aux  chefs  leurs  pouvoirs  et  comment  on 
devait  leur  montrer  le  respect  qui  était  dû  à  leur  qua- 
lité de  souverains.  Il  attachait  la  plus  grande  impor- 

17 


258  LAGOS 

tance,  lorsqu'il  leur  rendait  visite,  à  ce  qu'une  sorte 
d'hommage  fut  rendu  au  prestige  de  Tautorité  qu'ils 
devaient  avoir  sur  leurs  sujets,  et,  lorsqu'il  les  rece- 
vait, il  le  faisait  avec  tout  le  protocole  dû  à  des  chefs 
d'Etats. 

Surtout  il  admettait  que  l'observation  des  traités  que 
l'Angleterre  avait  passés  devait  être  le  fondement  de 
la  politique  indigène  dans  le  Protectorat  de  Lagos. 

Par  ces  traités,  les  chefs  indigènes  s'engageaient  à 
cesser  tout  acte  de  cruauté,  sacrifices  humains,  céré- 
monies religieuses  empreintes  de  barbarie;  ils  promet- 
taient de  faire  tout  ce  qui  était  en  leur  pouvoir  pour 
ouvrir  leur  pays  au  commerce  européen,  et  ils  pre- 
naient le  gouvernement  comme  arbitre  des  difficultés 
qui  pouvaient  éclater  entre  les  diverses  tribus,  renon- 
çant ainsi  au  droit  de  les  régler  par  les  armes. 

Sir  ^y.  MacGregor  admettait  que  les  résidents  pla- 
cés auprès  des  chefs  avaient  pour  principal  devoir  de 
veiller  à  l'exécution  des  traités.  Toutes  les  fois  qu'une 
clause  de  ces  traités  était  violée,  il  avait  le  droit  d'in- 
tervenir, et  cela  devait  suffire  pour  entretenir  la  paix  et 
le  bon  ordre  dans  le  pays.  On  ne  comprend  pas  très  bien 
au  premier  abord  pourquoi  il  lui  parut  nécessaire  d'or- 
ganiser l'administration  indigène  de  façon  à  ce  que  le 
gouvernement  puisse  intervenir  dans  sa  direction. 

Dans  les  explications  qu'il  a  données,  à  ce  sujet,  au 
Législative  Council,  nous  l'avons  vu  déclarer  que  l'or- 
donnance avait  pour  but  de  fortifier  l'autorité  des  chefs 
par  l'appui  d'assemblées  régulières,  de  façon  à  empê- 
cher les  résidents  de  méconnaître  leur  pouvoir.  Cette 
déclaration  ne  laisse  pas  moins  inexpliquée  la  raison 
pour  laquelle  Sir  W.  MacGregor  a  voulu  que  le  Legis- 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WILLIAM    MAGGREGOR  259 

lative  Gouncil  puisse  intervenir  dans  Tadministration 
des  conseils  indigènes. 

Il  est  incontestable  que  lorsque  les  partisans  de  Tau- 
tonomîe  indigène  lui  reprochaient  de  constituer,  au 
profit  du  gouvernement  anglais,  un  droit  de  surveillance 
que  ne  lui  reconnaissaient  pas  les  traités,  il  était  assez 
difficile  à  Sir  W.  MacGregor  de  dire  qu'il  n'y  avait  là 
qu'une  mesure  tendant  à  protéger  justement  cette  au- 
tonomie. 

En  réalité,  la  Native  Gouncil  Ordinance  fut  une  pré- 
caution, non  seulement  à  l'égard  des  résidents,  mais 
encore  à  l'égard  du  pouvoir  central. 

Le  Législative  Gouncil  n'avait  évidemment  pas  le 
droit,  d'après  l'interprétation  des  traités  que  donne 
Sir  W.  MacGregor,  de  diriger  d'une  manière  quelcon- 
que les  affaires  indigènes  du  Protectorat.  Si  cependant, 
après  avoir  reconnu  d'une  façon  officielle  les  droits  des 
assemblées  indigènes.  Sir  W.  MacGregor  les  soumettait 
au  contrôle  du  Législative  Gouncil,  c'était  pour  éviter 
que  les  gouverneurs  ne  puissent  d'eux-mêmes  porter 
atteinte  à  ces  droits  sans  que  le  Législative  Gouncil  en 
ait  été  informé.  Les  protestations  des  membres  indi- 
gènes des  Native  Gouncils  n'étaient  peut-être  pas  un 
frein  très  efficace;  mais  il  était  le  seul  que  permît  le 
système  des  Grown  Golonies. 

Gette  explication  n'a  jamais  fait  l'objet  de  déclarations 
officielles,  et  nous  n'en  parlons  que  d'après  ce  que  nous 
avons  pu  personnellement  connaître;  mais  il  est  pos- 
sible de  retrouver  dans  un  entretien  avec  l'Aborigine's 
Protection  Society  un  certain  nombre  de  vues  sur  la 
conception  que  Sir  MacGregor  avait  de  la  politique 
indigène.  Ges  vues,  complétées  par  ce  que  nous  venons 


258  LAGOS 

tance,  lorsqu'il  leur  rendait  visite,  à  ce  qu'une  sorte 
d'hommage  fut  rendu  au  prestige  de  l'autorité  qu'ils 
devaient  avoir  sur  leurs  sujets,  et,  lorsqu'il  les  rece- 
vait, il  le  faisait  avec  tout  le  protocole  dû  à  des  chefs 
d'États. 

Surtout  il  admettait  que  l'observation  des  traités  que 
l'Angleterre  avait  passés  devait  être  le  fondement  de 
la  politique  indigène  dans  le  Protectorat  de  Lagos. 

Par  ces  traités,  les  chefs  indigènes  s'engageaient  à 
cesser  tout  acte  de  cruauté,  sacrifices  humains,  céré- 
monies religieuses  empreintes  de  barbarie;  ils  promet- 
taient de  faire  tout  ce  qui  était  en  leur  pouvoir  pour 
ouvrir  leur  pays  au  commerce  européen,  et  ils  pre- 
naient le  gouvernement  comme  arbitre  des  difficultés 
qui  pouvaient  éclater  entre  les  diverses  tribus,  renon- 
çant ainsi  au  droit  de  les  régler  par  les  armes. 

Sir  ^y.  MacGregor  admettait  que  les  résidents  pla- 
cés auprès  des  chefs  avaient  pour  principal  devoir  de 
veiller  à  l'exécution  des  traités.  Toutes  les  fois  qu'une 
clause  de  ces  traités  était  violée,  il  avait  le  droit  d'in- 
tervenir, et  cela  devait  suffire  pour  entretenir  la  paix  et 
le  bon  ordre  dans  le  pays.  On  ne  comprend  pas  très  bien 
au  premier  abord  pourquoi  il  lui  parut  nécessaire  d'or- 
ganiser l'administration  indigène  de  façon  à  ce  que  le 
gouvernement  puisse  intervenir  dans  sa  direction. 

Dans  les  explications  qu'il  a  données,  à  ce  sujet,  au 
Législative  Council,  nous  l'avons  vu  déclarer  que  l'or- 
donnance avait  pour  but  de  fortifier  l'autorité  des  chefs 
par  l'appui  d'assemblées  régulières,  de  façon  à  empê- 
cher les  résidents  de  méconnaître  leur  pouvoir.  Cette 
déclaration  ne  laisse  pas  moins  inexpliquée  la  raison 
pour  laquelle  Sir  W.  MacGregor  a  voulu  que  le  Legis- 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WILLIAM    MAGGRBGOR  259 

lative  Gouncil  puisse  intervenir  dans  Tadininistration 
des  conseils  indigènes. 

Il  est  incontestable  que  lorsque  les  partisans  de  Tau- 
tonomie  indigène  lui  reprochaient  de  constituer,  au 
profit  du  gouvernement  anglais,  un  droit  de  surveillance 
que  ne  lui  reconnaissaient  pas  les  traités,  il  était  assez 
difficile  à  Sir  W.  MacGregor  de  dire  qu'il  n'y  avait  là 
qu'une  mesure  tendant  à  protéger  justement  cette  au- 
tonomie. 

En  réalité,  la  Native  Gouncil  Ordinance  fut  une  pré- 
caution, non  seulement  à  l'égard  des  résidents,  mais 
encore  à  l'égard  du  pouvoir  central. 

Le  Législative  Gouncil  n'avait  évidemment  pas  le 
droit,  d'après  l'interprétation  des  traités  que  donne 
Sir  W.  MacGregor,  de  diriger  d'une  manière  quelcon- 
que les  affaires  indigènes  du  Protectorat.  Si  cependant, 
après  avoir  reconnu  d'une  façon  officielle  les  droits  des 
assemblées  indigènes.  Sir  W.  MacGregor  les  soumettait 
au  contrôle  du  Législative  Gouncil,  c'était  pour  éviter 
que  les  gouverneurs  ne  puissent  d'eux-mêmes  porter 
atteinte  à  ces  droits  sans  que  le  Législative  Gouncil  en 
ait  été  informé.  Les  protestations  des  membres  indi- 
gènes des  Native  Gouncils  n'étaient  peut-être  pas  un 
frein  très  efficace;  mais  il  était  le  seul  que  permît  le 
système  des  Grown  Golonies. 

Gette  explication  n'a  jamais  fait  l'objet  de  déclarations 
officielles,  et  nous  n'en  parlons  que  d'après  ce  que  nous 
avons  pu  personnellement  connaître;  mais  il  est  pos- 
sible de  retrouver  dans  un  entretien  avec  l'Aborigine's 
Protection  Society  un  certain  nombre  de  vues  sur  la 
conception  que  Sir  MacGregor  avait  de  la  politique 
indigène.  Ges  vues,  complétées  par  ce  que  nous  venons 


260  LAGOS 

de  dire,  forment  le  meilleur  commentaire  que  l'on 
puisse  donner  des  principes  sur  lesquels  reposent  les 
ordonnances  que  nous  avons  étudiées  dans  les  cha- 
pitres précédents. 

«  Une  ordonnance  ou  un  règlement,  déclara  Sir  W. 
MacGregor  à  Lagos,  doit,  d'une  manière  générale,  être 
préparé  parle  gouverneur;  il  doit  ensuite  être  présenté 
par  lui  devant  TExecutive  Council,  qui  est  composé  du 
Secretary  Colonial,  de  TAttorney-General  et  du  Tréso- 
rier. L'ordonnance  ou  le  règlement  doit  être  ensuite 
envoyé  devant  le  conseil  de  la  province  dans  laquelle 
il  doit  être  appliqué.  Le  conseil  doit  l'examiner  et  dire 
s'il  désire  ou  non  le  voir  mettre  en  vigueur  dans  la  pro- 
vince. Je  crois  que  M.  Fox  Bourne  (le  secrétaire  de  l'A. 
P.  Soc.)  eut  souvent  l'impression  que  le  gouverneur 
pouvait  obtenir  des  autorités  indigènes  ce  qu'il  voulait. 
Le  gouverneur  ne  peut  de  telles  choses.  11  ne  siège  pas 
dans  un  Provincial  Council.  Les  Provincial  Councils  ne 
reçoivent  pas  des  ordres,  mais  seulement  des  proposi- 
tions et  des  avis.  Je  n'ai  jamais  envoyé  aucun  ordre 
catégorique  à  un  chef.  Si  je  l'avais  fait,  il  est  probable 
que  l'ordre  n'aurait  pas  été  exécuté,  ou  en  tous  cas  il 
ne  l'aurait  pas  été  de  bon  cœur.  Je  suggère  souvent 
aux  chefs  qu'ils  pourraient  examiner  telle  question  en 
conseil  et  me  faire  connaître  le  résultat  de  cet  examen. 
D'une  manière  générale  on  vote  ce  que  je  propose  ou 
quelque  chose  d'analogue;  mais  il  n'en  est  pas  toujours 
ainsi,  et,  alors,  j'abandonne  le  projet.  Je  ne  propose 
rien  que  je  ne  sache  par  avance  devoir  être  adopté.  Si 
je  ne  peux  obtenir  des  chefs  que  la  chose  soit  adop- 
tée une  première  fois,  je  n'insiste  pas;  mais  je  saisis 
la  première  occasion  de  l'expliquer  à  nouveau.  » 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WILLIAM    MAGGIIEGOR  261 

A  la  suite  de  cette  déclaration,  la  conversation  sui- 
vante s'engagea  entre  Sir  MacGregor  et  les  membres 
de  TA.  P.  Society  : 

«  SiR  W.  MacGiiegor.  —  Les  Provincial  Gouncilssont, 
d'après  Tordonnance,  entièrement  responsables  de  Tad- 
ministration  de  la  justice  dans  les  provinces,  du  main- 
tien de  la  paix  et  de  Tordre,  et  entièrement  responsa- 
bles de  l'administration  générale  de  la  province,  non 
comme  représentants  du  gouverneur,  mais  comme  pou- 
voir souverain  naturel  du  pays  d'après  les  usages  locaux. 

«  M.  Fox  BouRNE.  —  Tels  que  vous  leur  avez  donné 
autorité  ? 

«  Sir  W.  MacGregor.  —  Non  point  exactement.  La 
situation  de  ces  Gouncils  est  maintenant  définie  et 
sauvegardée  par  la  loi;  mais  cette  loi  n'est  que  l'incor- 
poration de  l'usage  et  de  la  coutume. 

«  M.  Martin  Wood. — Mais  ils  vous  regardent  comme 
l'autorité  supérieure  qui  les  sanctionne  et  peut  diriger 
leurs  travaux. 

Sir  MacGregor.  —  Si  je  leur  disais  qu'ils  sont  seu- 
lement mes  représentants,  ils  n'auraient  pas  confiance 
en  moi  [they  would  not  trust  me).  Ils  croiraient  que  leur 
situation  est  compromise. 

«  M.  F.  B.  —  Voulez-vous  me  laisser  donner  un 
exemple?  Ce  serait  le  devoir  du  Provincial  Gouncil  de 
rechercher  et  de  punir  tout  criminel.  S'il  se  refuse  à  le 
faire... 

«  Sir  w.  MacGregor.  —  Je  ne  sais  point  ce  qui  arri- 
verait dans  ce  cas.  Tout  récemment  un  meurtre  ayant 
été  commis  dans  une  province,  les  autorités  indigènes 
ont  commencé  à  s'en  occuper  à  leur  manière.  Elles 
firent  comparaître  certaines  personnes  inculpées,  mais 


262  LAGOS 

ne  purent  trouver  le  véritable  criminel.  Le  Provincial 
Council  décida  alors  que,  comme  il  était  impossible  de 
découvrir  le  coupable,  le  quartier  de  la  ville  où  avait 
été  commis  le  crime  payerait  une  amende  de  200  livres, 
je  crois.  L'amende  fut  ensuite  réduite  à  100  livres.  Je  fis 
à  ce  sujet  des  observations  au  chef  responsable,  en  lui 
disant  que  dans  le  cas  d'un  crime  analogue  à  celui  qui 
avait  été  commis  on  ne  devait  point  se  contenter  d'une 
amende  de  100  livres  et  que  l'on  devait  faire  de  plus 
amples  recherches  pour  trouver  le  coupable.  Je  conti- 
nue encore  à  exercer  une  pression  et  continuerai  pro- 
bablement jusqu'à  ce  que  le  coupable  soit  découvert. 
Voilà  un  exemple  de  la  manière  d'agir  actuelle. 

«  M.  F.  B.  —  C'est  un  cas  dans  lequel  vous  exercerez 
et  continuerez  d'exercer  une  pression  d'une  manière 
judicieuse  et  justifiable.  Dans  bien  des  cas,  les  rési- 
dents locaux  agiront  d'une  manière  toute  différente.  Ils 
prendront  rapidement  la  justice  en  mains  et  useront  de 
la  forcé  pour  la  revendiquer. 

«  Sir  W.  MacGregor.  —  On  peut  dire,  d'une  manière 
générale,  qu'il  n'est  pas  nécessaire  d'en  arriver  à  ces 
extrémités.  Ceci  me  rappelle  qu'il  y  a  dans  une  lettre 
de  M.  Fox  Bourne  une  expression  qui  n'est  pas  exacte. 
Il  parle  d'une  réunion  de  The  Egba  Independent  State 
Council.  Ce  serait  la  chose  la  plus  dangereuse  que  de 
laisser  un  État  protégé  admettre  qu'il  est  un  pouvoir 
souverain  indépendant.  Les  chefs  ne  sont  que  les  admi- 
nistrateurs de  leur  propre  province,  et  le  mieux  est 
d'en  rester  là. 

<(  M.  F.  B.  —  Que  voulait  dire  Sir  Gilbert  Carter  lors- 
que, en  négociant  le  traité  Egba  de  1893,  il  assurait  que 
«  l'indépendance  du  pays  serait  pleinement  reconnue»? 


LÀ    POLITIQUE    DE    SIR    WILLIAM    MÂCGREGOR  263 

«  SiR  MagGregor.  —  Le  gouvernement  Egba  n'est 
certainement  pas  indépendant  en  tant  qu'État,  quoiqu'il 
soit  responsable  du  maintien  de  la  paix  et  de  l'ordre 
dans  le  pays,  de  l'administration,  de  la  justice  et  de  la 
liberté  du  commerce.   II  y  a  là  des  autorités  respon- 

y  I 

sables,  mais  certainement  pas  un  Etat  indépendant... 
Le  traité  n'est  pas  un  traité  passé  entre  deux  États 
indépendants.  Les  autorités  indigènes  sont  tenues  de 
faire  un  certain  nombre  de  choses  que  l'on  ne  pour- 
rait demander  à  un  État  indépendant...  Voici  com- 
ment j'interprète  le  traité  :  le  Provincial  Council  est 
responsable  du  maintien  de  la  paix  et  de  Tordre  dans 
la  province.  Le  gouvernement  ne  s'en  charge  pas.  Je 
rends  le  conseil  responsable  de  l'administration  de  la 
justice  et  du  fonctionnement  des  services  publics  {for 
the  discharge  ofthe  public  duties)  dans  la  province.  Il 
serait  impossible  d'agir  de  même  avec  un  Etat  indépen- 
dant. Si  nos  voisins  pouvaient  penser  que  ces  pro- 
vinces sont  indépendantes  du  gouvernement  du  Roi, 
elles  perdraient  rapidement  leur  indépendance.  Pour- 
riez-vous  me  montrer  en  quoi  un  traité  est  violé  par  la 
«  Native  Council  Ordinance  »  ? 

«  M.  F.  B.  —  En  ce  qu'elle  suppose  que  vous  pouvez 
intervenir  dans  le  gouvernement  indigène  et  le  con- 
trôler. 

«  Sir  MacGregor.  —  Combien  de  temps  pensez-vous 
qu'il  serait  possible  de  maintenir  un  semblant  d'auto- 
rité anglaise  ou  d'exercer  notre  protection,  ou  même 
qu'il  nous  serait  possible  de  rester  dans  le  pays,  si 
nous  n'exercions  quelque  contrôle?  Vous  devez  savoir 
que  nous  avons  dépensé  lin  million  de  livres  sterling, 
et  bientôt  un  tnillion  et  demi,  pour  faire  un  chemin  de 


264  LAGOS 

fer  qui  traverse  deux  provinces.  Gomment  cela  aurait-il 
été  possible  si  nous  n'avions  exercé  ce  contrôle? 

«  M.  F.  B.  —  En  s'entendant  avec  les  indigènes. 

«  Sir  W.  MacGregor.  —  En  s'entendant  avec  les 
indigènes!  A  quoi  servirait-il  de  passer  des  conventions 
avec  les  indigènes  si  on  ne  pouvait  exercer  aucun  con- 
trôle sur  eux  ?  Ils  diraient  dans  ce  cas  :  Nous  formons 
un  État  indépendant.  Laissez-nous  réfléchir  pour  savoir 
si  nous  allons  envoyer  un  ambassadeur  à  Saint-James, 
ou  si  nous  allons  passer  un  traité  avec  une  puissance 
du  continent.  Avant  la  Native  Council  Ordinance  il  n'y 
avait  rien  de  réglé  à  ce  sujet  :  chaque  fonctionnaire 
européen  envoyé  dans  la  province  avait  son  idée  per- 
sonnelle sur  la  question.  Ils  savent  parfaitement  ce 
qu'ils  ont  à  faire  maintenant,  tandis  qu'auparavant  ils 
ignoraient  quels  étaient  leurs  devoirs. 

«  ...  M.  Fox  BouRNE.  —  Ce  que  nous  reprochons  au 
système,  c'est  que  le  gouverneîhent  peut  être  tenté  de 
s'en  servir  pour  exercer  de  plus  en  plus  un  pouvoir 
absolu.  Il  pourra  détruire... 

«  Sir  MacGregor.  —  Détruire  quoi? 

«  M.  F.  B.  —  Les  institutions  locales. 

«  Sir  W.  MacGregor.  —  Au  contraire,  le  système 
repose  sur  leur  observation.  Sans  lui  ces  institutions 
auraient  rapidement  disparu.  » 

Ce  qui  ressort  de  plus  net  de  ces  déclations  de  Sir 
William  MacGregor,  c'est  que,  tout  en  admettant  que 
les  autorités  indigènes  devaient  être  rendues  pleine- 
ment responsables  de  l'administration  intérieure  du 
pays,  le  gouvernement  anglais  n'en  devait  pas  moins 
être  à  même  de  surveiller  étroitement  leurs  actes,  de 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WILLIAM    MACGREGOR  265 

façon  à  pouvoir  s'assurer  que  cette  administration  est 
conforme  aux  principes  de  civilisation  qu'il  préconisait, 
en  même  temps  qu'elle  est  favorable  aux  intérêts  de 
ses  commerçants.  Sir  W.  MacGregor  légiférait  de  façon 
qu'il  fut  difficile  de  gouverner  le  Protectorat  autrement 
que  par  l'intermédiaire  des  chefs.  11  entendait  cepen- 
dant ne  pas  reconnaître,  par  là,  leur  indépendance. 

Il  semble  pourtant  que  l'on  ait  vu,  en  Angleterre,  à 
cette  politique,  quelque  inconvénient.  On  craignit  peut- 
être  que  les  chefs  ne  comprissent  pas  très  bien  dans 
quelle  mesure  ils  devaient  obéissance  au  gouverne- 
ment anglais,  et  qu'il  devînt  difficile  d'obtenir  d'eux 
l'adoption  des  mesures  utiles  qu'on  leur  proposerait. 
Le  poste  de  gouverneur  de  Newfoundiand  étant  devenu 
vacant,  Sir  W.  MacGregor  y  fut  nommé  peu  après 
la  visite  qu'il  avait  faite,  en  Angleterre,  à  l'Alake  d'A- 
beokuta.  Les  pouvoirs  du  gouverneur  de  la  Southern 
Nigeria  furent  étendi\s,  et  l'administration  de  Lagos  et 
celle  de  la  Southern  Nigeria  furent  réunies.  Il  semble 
que  de  ce  fait  on  ait  voulu  peut-être  marquer  le  désir 
de  voir  gouverner  la  première  de  ces  deux  colonies  à 
la  manière  de  la  seconde. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  sens  de  la  politique  indigène  a 
sensiblement  changé  depuis  cette  époque,  à  Lagos. 
Nous  avons  vu  que,  dans  les  dispositions  législatives 
qui  ont  été  prises  dans  ces  derniers  temps,  en  matière 
foncière  ou  judiciaire  par  exemple,  on  paraît  s'être 
moins  préoccupé  de  l'opinion  indigène  qu'on  ne  le  fai- 
sait autrefois.  Un  certain  nombre  des  institutions  du 
régime  précédent  sont  déjà  tombées  en  désuétude, 
comme  le  Central  Native  Gouncil  et  la  Mixed  Court.  Il 


266  LAGOS 

semble  que  le  gouvernement  tienne  à  insister  un  peu 
plus  que  ne  le  faisait  Sir  William  MacGregor  sur  la 
tutelle  dans  laquelle  doivent  être  tenus  les  chefs. 

L'orientation  de  cette  nouvelle  politique  a  été,  tout 
d'abord,  marquée  par  un  incident  qui  se  termina  de 
manière  à  montrer  que  le  gouvernement  de  Lagos 
avait  fermement  l'intention  de  la  maintenir. 

Deux  chefs  d'Ilesha,  le  Loro  et  l'Oba  Odo,  ayant  été 
punis  de  prison  par  le  résident,  en  mars  1904,  le  Se- 
crétaire d'État  aux  colonies  donna  à  l'Aborigine's  Pro- 
tection Soc,  qui  n'avait  pas  manqué  de  protester  contre 
cette  mesure,  l'explication  suivante*  : 

Le  chef  Loro  avait  été  poursuivi  devant  le  conseil 
d'Ilesha  pour  avoir  exigé  trois  cadeaux  de  cinq  shil- 
lings de  deux  indigènes  d'Ipetu.  Précédemment,  en 
1902,  il  avait  été  accusé  d'avoir  reçu,  à  trois  reprises 
différentes,  dix  livres  sterling  d'habitants  d'Ipetu,  pour 
ne  pas  faire  d'enquête  sur  les  morts  suspectes  ou  ne 
pas  poursuivre  un  meurtrier.  On  n'avait  pas  sévi,  au 
début,  parce  qu'il  avait  promis  de  ne  plus  recommen- 
cer; mais,  lorsqu'il  fut  de  nouveau  poursuivi  pour  trois 
autres  cas  de  chantage,  le  conseil  d'Ilesha  proposa  de 
lui  infliger  une  amende  de  dix  livres  sterling;  le 
résident,  le  capitaine  Ambrose,  fît  remarquer  que 
cette  somme  serait  extorquée  par  ce  chef  aux  villages 
qui  dépendaient  de  lui;  il  rappela  qu'après  la  visite 
du  gouverneur  MacGregor,  le  chef  Odole  avait  assuré 
que  tout  délit  de  ce  genre  serait  puni  de  deux  ans 
d'emprisonnement  avec  travaux  forcés.  Le  Conseil  fut 

1.  LeUre  du  3  février  1905.  V.  VAborigines'  Friend  (organe  de  l'Ab. 
Pr.  Soc.)  de  mars  1905. 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER    EGERTON  267 

d'avis  de  soumettre  le  cas  au  gouverneur  par  intérim, 
et  celui-ci,  avec  l'approbation  du  conseil  exécutif,  dé- 
cida que  si  les  membres  du  Conseil  d'Ilesha  estimaient 
que  les  accusations  prononcées  contre  le  Loro  étaient 
prouvées,  il  devait  être  condamné  à  deux  ans  de  pri- 
son. Cette  décision  fut  communiquée  à  TOvva  et  à  son 
Conseil,  qui,  ayant  trouvé  que  les  accusations  étaient 
exactes,  le  condamnèrent. 

Le  Secrétaire  d'État  insistait  sur  ce  point  qu'il  n'y 
avait  rien  dans  l'incident  dont  il  s'agissait  qui  prouvât 
que  le  gouvernement  anglais  voulait  affaiblir  l'autorité 
des  chefs,  mais  que,  bien  qu'il  n'ait  point  été  dit  pré- 
cédemment, d'une  façon  officielle,  que  cette  autorité  ne 
serait  reconnue  par  le  gouvernement  anglais  que  tant 
qu'elle  s'exercerait  conformément  aux  intérêts  du  pays, 
il  n'y  avait  là  rien  qui  ne  dérivât  de  l'établissement 
même  du  protectorat  de  l'Angleterre  sur  ces  pays.  En 
tous  cas,  l'Aborigine's  Protection  Society  ne  pouvait 
soutenir  que  l'on  devait  laisser  impuni  un  chef  qui 
commettait  des  exactions,  et  le  laisser  siéger  dans  un 
Conseil  qui  administrait  le  pays.  Toute  modification  de 
l'ordonnance  sur  les  Conseils  indigènes  qui  aurait  pour 
résultat  de  laisser  l'autorité  des  chefs  s'exercer  sans 
restriction,  tant  que  cette  liberté  pourrait  conduire  à 
de  tels  abus,  serait  inadmissible. 

L'Aborigine's  Protection  Society  ne  se  .laissa  pas 
convaincre  et  écrivit,  le  13  février  1905^,  au  Secrétaire 
d'Etat  aux  colonies  que,  bien  qu'elle  ne  suspectât  pas 
la  bonne  foi  des  fonctionnaires  de  Lagos,  il  serait  dési- 
rable, pour  que  l'on  puisse  éclaircir  complètement  l'af- 
faire, que  les  comptes  rendus  des  séances  du  Conseil 

1.  Loco  cU, 


268  LAGOS 

d'Ilesha  fussent  examinés  et  qu'une  enquêté  fût  faite 
sur  place.  Quant  à  ce  qui  était  de  la  doctrine  professée 
par  le  Secrétaire  d*Etat,  d'après  laquelle  le  gouverne- 
ment anglais  aurait  le  droit  d'intervenir  dans  les  affai- 
res indigènes  toutes  les  fois  qu'il  lui  paraissait  que 
Téquité  et  la  bonne  foi  étaient  violées,  le  comité  ne 
pouvait  se  résoudre  à  la  considérer  comme  valable, 
étant  donné  que  les  indigènes  des  pays  de  protectorat 
s'étaient  engagés  simplement,  par  leurs  traités,  à 
ouvrir  les  routes  au  commerce  et  à  cesser  les  sacrifices 
humains.  On  devait  laisser  au  gouvernement  local,  tel 
qu'il  était  constitué  par  les  coutumes  d'un  pays,  le  soin 
de  contrôler  les  actes  des  chefs. 

Le  gouvernement  de  Lagos  parut  bien  décidé  cepen- 
dant à  ne  pas  changer  de  ligne  de  conduite  et  à  mon- 
trer de  quelle  manière  il  entendait  que  les  chefs  fussent 
sous  sa  dépendance. 

Sir  W.  Egerton  effectua,  au  printemps  1905,  une 
grande  tournée  dans  l'intérieur,  et  son  passage  à  Ilesha 
fut  marqué  par  des  incidents  très  caractéristiques. 

Le  gouverneur  fut  accueilli,  aux  portes  de  la  ville, 
par  le  résident  et  par  les  principaux  chefs;  mais  l'Owa 
ne  le  rencontra  qu'une  fois  dans  la  ville  et  se  borna  à 
le  saluer,  tandis  que  les  chefs  accompagnaient  le  gou- 
verneur à  la  résidence,  qui  se  trouvait,  comme  presque 
tous  les  postes  anglais,  à  l'extérieur  de  la  ville. 

Le  gouverneur  fit  dire  à  l'Owa  qu'il  devait  venir  le 
voir.  Celui-ci  commença  par  s'y  refuser,  déclarant  que 
ce  serait  manquer  aux  traditions  du  pays.  Le  gouver- 
neur envoya  des  hamacaires  «  pour  lui  faciliter  l'ascen 
sion  de  la  colline  »,  et  le  chef  n'osa  pas  persister  dans 
son  refus. 


LA    POLITIQUB    DE    SIR    WALTER    EGERTON  2G9 

Un  grand  palabre  eut  alors  lieu,  au  cours  duquel 
rOwa  rappela  que  Sir  William  MacGregor  lui  avait 
assuré  que  le  blanc  qu'il  plaçait  auprès  de  lui,  à  Ilesha, 
n'aurait  d'autre  rôle  que  de  le  soutenir  dans  son  gou- 
vernement, et  ne  devrait  rien  faire  sans  son  approba- 
tion et  celle  du  Conseil.  Le  capitaine  Ambrose  avait 
changé  tout  cela. 

Il  se  plaignait  ensuite  des  agissements  de  certains 
chefs,  de  Temprisonnement  que  le  résident  faisait  su- 
bir à  d'autres,  et  demanda  le  changement  du  capitaine. 

Le  gouverneur  se  borna  à  répondre  qu'il  était  tout 
aussi  impossible  de  relâcher  les  chefs  et  de  déplacer 
le  capitaine  Ambrose,  qu'à  l'eau  de  monter  au-dessus 
de  son  niveau. 

Le  lendemain,  le  gouverneur  rendit  sa  visite  à  l'Owa 
et  lui  déclara  qu'il  devait  l'accompagner  à  Bénin  et 
retournerait  à  Ilesha  au  bout  de  soixante  jours. 

Le  Lagos  Standart  du  4  avril  1906  rapporte  ainsi  ce 
qui  se  passa  ensuite  : 

«  Les  chefs  essayèrent  de  dissuader  le  gouverneur 
de  ce  projet;  mais  celui-ci  dit  que  si  le  roi  ne  pouvait 
venir,  il  devait  lui  donner  les  chefs  Rissawe  et  Arapate 
pour  l'accompagner. 

«  L'Owa  refusa,  disant  qu'il  avait  déjà  perdu  deux 
chefs  par  emprisonnement.  La  ville  entière  fut  émue 
en  apprenant  que  le  gouverneur  avait  proposé  de  pren- 
dre l'Owa  à  Bénin.  Les  chefs  se  rendirent  alors  à  Imo 
Hill,  mais  échouèrent  dans  les  tentatives  qu'ils  firent 
pour  dissuader  le  gouverneur  de  son  projet. 

«  La  situation  devint  critique  lorsque  l'on  apprit  que 
l'Owa  avait  voulu  se  suicider.  Tous  les  chefs  se  rendi- 
rent au  palais  pour  rester  auprès  de  lui.  Enfin  on  apprît 


270  LAGOS 

qu'au  lieu  de  livrer  les  chefs  Rissawe  et  Arapate,  ou 
de  se  suicider,  le  roi  avait  décidé  d'aller  lui-même  avec 
le  gouverneur. 

«  Le  dimanche  matin  19  mars,  le  gouverneur  envoya 
M.  Libert  avec  quatre  soldats  et  des  hamacaires  pour 
prendre  le  roi.  Celui-ci  mit  ses  habits  d'apparat  et 
ordonna  que  sa  suite  fût  convenablement  vêtue.'  Il  fut 
suivi  par  les  chefs  et  les  sous-chefs  d'Ilesha,  au  nom- 
bre d'à  peu  près  deux  cents.  Cette  foule  suivit  jusqu'à 
Ipetu,  terme  de  la  première  étape.  Le  capitaine  Am- 
brose  était  là  aussi,  veillant  au  confort  de  TOwa.  Des 
tentes  séparées  furent  montées  pour  le  gouverneur  et 
rOwa.  Le  gouverneur  envoya  un  mouton  et  des  bois- 
sons à  rOwa,  qui  accepta  le  mouton  et  refusa  les  bois- 
.  sons.  Les  chefs  d'Ipetu  demandèrent  au  gouverneur  de 
renvoyer  l'Owa  à  Ilesha,  disant  qu'il  était  leur  tête  et 
qu'il  ne  devait  pas  quitter  le  pays.  Le  gouverneur  ré- 
pondit qu'il  ne  voulait  pas  l'enlever  au  pays,  mais  seu- 
lement le  garder  60  jours  à  Bénin  et  qu'il  le  renver- 
rait ensuite  à  Ilesha.  Il  visita  l'Owa  dans  sa  tente,  et 
rOwa  lui  rendit  sa  visite. 

«  Tous  les  chefs  et  les  personnes  qui  avaient  suivi  jus- 
qu'à Ipetu  reçurent  ensuite  l'ordre  de  s'en  retourner.  » 

Le  secrétaire  de  l'Aborîgine's  Protection  Soc.  ne  pou- 
vait manquer  de  protester  en  apprenant  l'exil  infligé  au 
roi  d'IIesha.  Le  1"  août  il  adressa*  au  Secrétaire  d'État 
une  nouvelle  lettre  qui  est  intéressante  en  ce  qu'elle 
fait  connaître  les  conditions  dans  lesquelles  Sir  William 
MacGregor  avait  organisé  le  gouvernement  indigène 
d'IIesha. 

D'après  M.  Fox  Bourne,  lors  de  la  visite  que  fit  Sir 
1.  JF.  A,  M.,  22  septembre  1903,  n»  130. 


LA    POLITIQUE    DE    Sin    WALTER    EGERTON  271 

W.  MacGregor  à  Ilesha  en  juillet  1901  il  fut  décidé  : 
1®  que  le  conseil  consisterait,  indépendamment  de  TOvva 
et  du  Commissioner  qui  siégerait  à  titre  purement  con- 
sultatif (adviser),  en  dix  membres  choisis  par  TOwa 
et  ses  chefs  avec  l'approbation  du  gouvernement  de 
Lagos;  que  les  comptes  rendus  des  séances  seraient 
rédigés  par  un  commis  nommé  et  payé  par  le  conseil; 
que  le  conseil  siégerait  non  point  comme  autrefois  dans 
la  case  de  l'Owa,  mais  dans  une  nouvelle  maison  qui 
serait  accessible  à  tous;  2®  que  tous  les  procès  ou  dis- 
cussions de  toute  espèce  seraient  jugés  publiquement 
par  le  conseil,  et  que  personne  ne  pourrait  à  l'avenir 
être  emprisonné  ou  condamné  à  une  amende  sans  avoir 
été  jugé  en  public^evant  le  conseil;  3**  que,  comme  il 
n'était  pas  désirable  qu'il  y  eût  deux  prisons,  la  prison 
de  rOwa,  qui  était  une  partie  de  son  palais,  serait  sup- 
primée et  tous  les  prisonniers  seraient  enfermés  dans 
la  prison  du  résident,  qui  serait  divisée  en  deux  parties, 
rOwa  et  le  résident  prenant  chacun  sa  moitié  des  pri- 
sonniers. De  même,  lorsqu'une  amende  serait  pronon- 
cée, le  montant  en  serait  partagé  de  la  même  manière, 
une  moitié  servant  à  alimenter  les  revenus  de  l'Owa, 
et  l'autre  moitié  servant  au  Commissioner  pour  l'entre- 
tien de  la  prison.  Sir  William  MacGregor  obtint  aussi 
qu'au  lieu  d'envoyer  des  messagers  prélever  une  dîme 
dans  les  villages,  une  somme  serait  fixée  pour  chaque 
village,  de  façon  à  former  un  tribut  annuel. 

Lorsque  le  châtiment  infligé  à  l'Owa  par  le  gouver- 
neur Egerton  fut  connu  à  Lagos,  un  meeting  provoqué 
par  les  indigènes  «  educated  »  eut  lieu  dans  le  Glover 
Mémorial  Hall  pour  protester  contre  la  manière  d'agir 
du  successeur  de  Sir  W.  MacGregor.  A  la  suite  de  cette 


272  LAGOS 

réunion,  une  longue  pétition,  datée  du  3  juin  1905%  fut 
adressée  au  Secrétaire  d'État  pour  les  colonies.  Elle 
était  conçue  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes  que 
les  lettres  que  l'Aborigine's  Protection  Society  avait 
adressées  à  ce  dernier  sur  ce  sujet.  Une  des  phrases 
les  plus  caractéristiques  était  la  suivante  : 

«  Les  pétitionnaires  regrettent  que,  depuis  le  départ 
de  Sir  William  MacGregor,  la  saine  politique  qu'il  avait 
inaugurée  ait  été  abandonnée,  que  sans  l'approbation 
de  rOwa  et  du  conseil  d'Ilesha,  et  sans  tenir  compte 
de  leurs  fortes  protestations,  deux  membres  du  Native 
Council  aient  été  arrêtés  et  emprisonnés  par  le  capi- 
taine Ambrose,  dont  le  rôle  au  conseil,  d'après  ce  que 
le  gouvernement  anglais  avait  assuré,  n'était  que  celui 
d'un  conseiller  qui  n'aurait  dû  rien  faire  qui  puisse 
affaiblir  l'autorité  indigène,  mais  au  contraire  fortifier 
sans  cesse  la  part  prise  par  les  chefs  dans  l'administra- 
tion du  pays.  » 

La  déportation  de  l'Owa  ne  devait  du  reste  pas  être 
de  longue  durée,  et  après  dix-sept  jours  de  résidence 
dans  la  ville  de  Bénin  il  fut  autorisé  à  retourner  à 
Ilesha. 

L'opinion  publique  n'en  fut  cependant  pas  calmée, 
d'autant  que,  sur  ces  entrefaites,  il  arriva  que  l'un  des 
deux  chefs  emprisonnés,  l'Oba  Odo,  mourut.  Au  cours 
des  réunions  tenues  au  Mémorial  Hall,  une  société  fut 
fondée  sous  le  nom  de  Lagos  Aborigine's  Protection, 
pour  défendre  les  indigènes  dont  les  intérêts  seraient 
violés  par  le  gouvernement  anglais. 

Le  chef  qui  restait  en  prison  fut  relâché  par  la  suite. 

1.  JV,  A,  J/.,  18  août  1905,  n*  125. 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER    EGERTON  273 

L'incident  était  terminé;  mais  TActingCovernor  n'en 
répondit  pas  moins  à  la  députation  qui  vint  lui  présen- 
ter les  hommages  de  la  nouvelle  société  %  qu'il  semblait 
que  les  chefs  s'étaient  figuré  que  non-intervention  du 
gouvernement  voulait  dire  que  le  gouvernement  inter- 
viendrait toujours  pour  voir  que  la  justice  fût  respectée. 

Il  s'çn  était  fallu  de  peu  que  les  événements  prissent 
une  très  mauvaise  tournure;  mais  la  fermeté  du  gouver- 
nement anglais  avait  triomphé  des  velléités  d'indépen- 
dance contre  lesquelles  il  avait  voulu  réagir. 

Cette  politique  nouvelle  allait  être  officiellement 
inaugurée  par  la  fusion  de  la  Southern  Nigeria  et  de 
Lagos  en  une  seule  administration. 

Le  mécanisme  de  cette  fusion  a  été  le  suivant  : 

Le  28  février  1906,  des  Lettres  Patentes  ont  été  «  pas- 
sées sous  le  grand  sceau  du  Royaume-Uni,  constituant 
l'office  du  gouverneur  et  du  commandant  en  chef  de  la 
colonie  de  la  Southern  Nigeria  et  disposant  pour  le  gou- 
vernement de  cette  colonie  ». 

Elles  abrogeaient  les  Lettres  Patentes  du  13  janvier 
1886  qui  avaient  créé  la  Colonie  de  Lagos,  .cela  sans 
préjudice  de  tout  ce  qui  a  pu  être  fait  légalement  en 
vertu  de  ces  Lettres  Patentes. 

Elles  portaient  : 

«  Attendu  que  nous  désirons  changer  la  désignation 
de  ladite  colonie  de  Lagos  et  de  la  Southern  Nigeria  et 
prendre  de  nouvelles  dispositions  pour  son  gouverne- 
ment : 

«  1°  Notre  colonie  de  Lagos  sera,  à  partir  de  la  date 

» 

1.  W.  A.  M„  15  septembre  1905,  n»  129. 

18 


274  LAGOS 

de  la  mise  à  exécution  de  nos  Lettres  Patentes,  connue 
comme  notre  colonie  de  Southern  Nigeria. 

«  2^*  Notre  colonie  de  Southern  Nigeria  désignée  ci- 
dessous  sous  le  nom  de  «  la  Colonie»,  comprendra,  jus- 
qu'à ce  qu'il  en  soit  disposé  autrement,  Tîle  de  Lagos 
et  ceux  des  territoires  avoisinants  qui  ont  été  annexés 
à  notre  domaine. 

«  3M1  y  aura  un  gouverneur  et  commandant  en  chef 
de  la  Colonie,  et  la  nomination  à  ce  poste  sera  faite  par 
commission,  sous  notre  signature  et  signet.  » 

Les  Lettres  Patentes  posent  ensuite  le  principe  de 
l'existence  d'un  «  Executive  Council  »  et  d'un  «  Légis- 
lative Council  »,  dont  les  attributions  et  la  constitu- 
tion doivent  être  fixées  par  des  «  Instructions  Royales  ». 
Elles  ajoutent  : 

«  Jusqu'à  ce  qu'elles  aient  été  rapportées  ou  abro- 
gées par  des  lois  ou  ordonnances  «  passées  »  par  le 
Législative  Council  constitué  ci-dessus,  toutes  les  lois^ 
ordonnances,  proclamations,  règlements  et  autres  dis- 
positions actuellement  en  force  dans  notre  colonie  de 
Lagos  resteront  en  force  et  continueront  d'avoir  plein 
effet  dang  la  colonie  et  les  territoires  connus  précé- 
demment comme  le  «  Protectorat  de  Lagos  »,  où  elles 
sont  en  vigueur.  » 

Il  faut  comprendre  par  là  que  le  principe  seulement 
de  la  fusion  de  Lagos  et  de  la  Southern  Nigeria  est  posé. 
II  continue  d'exister  comme  auparavant  trois  régions 
soumises  à  des  régimes  politiques  et  législatifs  bien 
différents. 

1"*  La  colonie  proprement  dite  de  Lagos,  qui  était  la 
seule  «  Crown  Colony  »  du  groupe  et  qui  devient  la 
«  Southern  Nigeria  ». 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER   EGERTON  275 

2^  Le  Protectorat  de  Lagos,  qui  englobe  les  tribus  qui 
n'avaient  pas  cédé  leurs  terres  à  la  Couronne. 

3""  Le  Protectorat  de  la  Southern  Nigeria,  qui  est  Tan- 
cienne  Southern  Nigeria. 

Le  seul  fait  nouveau  est  que  leur  administration 
centrale  est  commune  et  qu'à  l'avenir,  en  principe, 
elles  pourront  avoiç  une  législation  commune.  Nous 
verrons  tout  à  l'heure  les  réserves  qu'il  faut  faire  à  ce 
sujet. 

Les  Lettres  Patentes  déterminent  ensuite  l'étendue  du 
pouvoir  du  gouvernement  du  Législative  et  de  TExecu- 
tiveCouncil;  mais  il  est  à  remarquer  qu'elles  ne  dispo- 
sent qu'en  ce  qui  concerne  la  «  Colonie  ».  Il  n'est  point 
question  des  Protectorats  ailleurs  que  dans  le  paragraphe 
que  nous  venons  de  reproduire,  parce  que,  n'étant  pas 
((  Colonies  de  la  Couronne  »  proprement  dites,  ils  ne 
participent  pas  aux  mêmes  privilèges.  En  fait,  cela  veut 
dire  que  l'organisation  judiciaire  en  vigueur*  dans  la 
Colonie,  et  qui  est  calquée  sur  celle  de  l'Angleterre,  ne 
s'étend  pas  aux  Protectorats,  et  que  le  gouverneur  peut 
légiférer  en  ce  qui  concerne  le  Protectorat  sans  passer 
par  le  Législative  Cauncil,  qui  théoriquement  est  un 
conseil  représentatif  des  intérêts  des  particuliers,  euro- 
péens ou  indigènes. 

C'est  ce  qu'a  plus  explicitement  déclaré  un  «  ordre  » 
du  roi  pris  en  conseil  le  16  février  1906,  qui  fusionne 
en  un  seul  les  «  ordres  du  24  juillet  1901  constituant  le 
«  Lagos  Protectorate  »,  et  l'ordre  du  27  décembre  1899 
constituant  le  Southern  Nigeria  Protectorate  qui  est 
limité  au  sud  par  l'océan  Atlantique,  à  l'ouest  par  la  ligne 
frontière  entre  les  territoires  français  et  anglais,  au 
nord  et  au  nord-est  par  le  Protectorat  de  la  Southern 


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276  LAGOS 

Nigeria,  et  à  Test  par  la  frontière  entre  les  territoires 
allemands  et  Sanglais. 

L'ordre  porte  qu'il  est  entendu  qu'il  ne  s'applique 
point  à  la  partie  du  domaine  de  Sa  Majesté  qu'il  désigne 
comme  la  «  colonie  de  la  Southern  Nigeria  »,  ce  qui 
veut  dire  que  les  territoires  compris  sous  cette  dénomi- 
nation ne  font  pas  partie  du  Protectorat.  Mais  rien  dans 
l'ordre  ne  vient  expliquer  qu'il  s'agit  de  l'ancienne 
colonie  de  Lagos;  cela  eut  été  cependant  nécessaire, 
puisque  l'ordre  est  du  16  février,  et  que  les  Lettres 
Patentes  donnant  à  la  colonie  de  Lagos  le  nom  de 
Southern  Nigeria  Colony  ne  sont  que  du  28  février. 
C'est  là  un  exemple  entre  mille  du  désordre  qui  n'a 
cessé  de  régner  dans  cette  législation  anglaise  aux 
formes  hiératiques. 

En  vertu  de  cet  ordre  : 

«  Il  sera  légal  pour  le  «  Législative  Council  »  de  la 
Southern  Nigeria  d'exercer  par  des  ordonnances  et  de 
donner  effet  aux  pouvoir  et  juridiction  que  Sa  Majesté 
a  pu  acquérir  avant  la  mise  en  vigueur  de  cet  ordre 
sur  les  territoires  désignés  ci-dessus, 

«  A  condition  que  : 

«  1°  Ces  ordonnances  ne  contiennent  rien  qui  porte 
atteinte  aux  droits  garantis  aux  indigènes  par  les  trai- 
tés passés  entre  eux,  la  reine  Victoria  et  le  roi  actuel. 

«  2^*  Toutes  les  lois,  ordonnances  étant  en  vigueur 
actuellement  resteront  en  vigueur  jusqu'à  ce  qu'elles 
aient  été  abrogées  ou  modifiées  par  le  «  Législative 
Council  »  de  la  «  Soutliern  Nigeria  ». 

«  3**  Que  toute  action  déjà  engagée  devant  les  tribu- 
naux de  ces  territoires  soit  continuée  comme  si  l'ordre 
n'avait  pas  été  passé,  et,  point  capital, 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER    EGERTOX  277 

«  4*  Le  gouverneur  de  la  Southern  Nigeria  pourra 
s'opposer  au  vole  de  ces  lois  ou  ordonnances.  Le  roi, 
de  son  côté,  aura  le  droit  de  rapporter  ou  de  modifier 
celles  qui  auront  été  prises,  et  il  pourra,  avec  Tavis  ouïe 
conseil  du  parlement  ou  de  son  conseil  privé,  prendre 
telle  disposition  législative  qu'il  jugera  convenable.  » 

En  d'autres  termes,  tandis  que  dans  la  Colonie  le 
Législative  Council  est  théoriquement  tout-puissant  en 
matière  législative  (je  dis  théoriquement,  parce  qu'en 
réalité,  du  fait  de  sa  composition,  il  est  le  plus  sou- 
vent à  la  discrétion  du  gouverneur),  le  gouverneur  et  le 
gouvernement  anglais  peuvent  prendre  les  décisions 
qui  leur  paraîtront  convenables,  en  ce  qui  concerne  le 
Protectorat,  à  condition  de  respecter  les  traités  passés 
avec  les  indigènes. 

L'ordre  dispose  ensuite  que  le  gouverneur  pourra 
nommer,  avec  l'approbation  du  Secrétaire  d'État  aux 
colonies,  les  différents  fonctionnaires  et  magistrats 
nécessaires  à  l'administration  du  Protectorat. 

Enfin,  une  Commission  Royale,  en  date  du  1®'  mars 
1907,  a  nommé  sir  Walter  Egerton  gouverneur  de  la 
nouvelle  colonie  de  la  Southern  Nigeria  avec  les  pou- 
voirs que  l'ordre  du  16  février  1906  a  donnés  sur  le 
Protectorat  au  titulaire  de  cette  fonction. 

La  première  proclamation  qu'il  rendit,  le  l**"  mai, 
divisa  la  Colonie  et  le  Protectorat  en  trois  provinces  : 

1^  Le  Lagos  ou  «  Western  Province,  »  limité  au  nord 
par  la  N.  Nigeria,  au  sud  par  la  mer,  à  l'ouest  par  le 
territoire  français  du  Dahomey,  et  à  l'est  par  les  terri- 
toires connus  précédemment  comme  protectorat  de  la 
Southern  Nigeria. 

2^  La  «  Niger  ou  Central  Province  »,  limitée  au  nord 


278  LAGOS 

par  la  Southern  Nigeria,  au  sud  par  la  mer,  à  Touest  par 
la  province  de  Lagos  ou  Western  Province,  et  à  Test  par 
les  districts  de  Brass,  Elipaffia,  Owerri,  Bendi  et  Afilipo. 

3*^  La  «  Calabar  »  ou  Eastern  Province,  limitée  au 
nord  par  la  Northern  Nigeria,  au  sud  par  la  mer,  à 
Fouest  par  le  «  Niger  ou  Central  Province  »,  et  à  Test 
par  les  territoires  allemands  du  Cameroon. 

Cette  division  ne  fait  pas  de  différence  entre  la  Colo- 
nie et  le  Protectorat  de  Lagos.  C'est  qu'en  fait  elle  est 
surtout  faite  au  point  de  vue  financier  et  douanier.  11 
est  incontestable  cependant  que  Ton  doit  voir  là  un 
désir  d'unification  politique. 

A  la  tête  de  chaque  province  est  nommé  un  «  Pro- 
vincial Commissioner  »,  un  trésorier  et  un  «  coUector  » 
des  douanes.  Un  «  Financial  Commissioner  »  a  la  di- 
rection générale  des  finances  et  des  douanes. 

Les  travaux  publics  sont  dirigés  par  un  seul  fonc- 
tionnaire, et  les  services  de  l'agriculture,  qui  jouent 
un  rôle  si  important  depuis  quelque  temps  à  Lagos  et 
dans  la  Southern  Nigeria,  restèrent  confiés  à  M.  Thomp- 
son, qui  y  avait  déjà  fait  de  si  bonne  besogne. 

Le  point  le  plus  important  était  de  savoir  laquelle 
des  deux  politiques  devait  l'emporter,  celle  qui  était 
suivie  à  Lagos  ou  celle  de  la  Southern  Nigeria. 

Les  discours  qui  furent  prononcés  à  la  cérémonie  qui 
eut  lieu  à  Lagos  le  1®*"  mai  1906  et  au  cours  de  laquelle 
fut  proclamé  l'ordre  royal,  sont  assez  significatifs  à  cet 
égard  pour  qu'il  soit  intéressant  d'en  résumer  les  prin- 
cipaux passages. 

La  ville  avait  été  entièrement  pavoisée,  et  la  Marina* 

1.  Boulevard  qui  longe  le  port  de  Lagos. 


L/i    POLITIQUE    DE    SIR    W'ALTER    EGERTON  279 

présentait  l'aspect  le  plus  gai.  Dès  le  matin,  les  troupes 
de  la  police  et  du  West  African  Frontier  Force  avaient 
été  échelonnées  du  Gouvernement  au  Palais  de  justice. 
A  huit  heures,  une  garde  d'honneur  prit  position  avec 
les  musiques  militaires  près  du  Palais. 

Le  gouverneur  et  Lady  Egerton  arrivèrent  peu  après. 
Ils  furent  reçus  par  le  Chief  Justice,  le  Colonial  Secre- 
tary,  TAttorney-General,  le  Trésorier  et  le  Principal 
Médical  Officer.  Il  s'assit  sur  un  trône  placé  au  milieu 
de  la  grande  salle.  Le  Chief  Justice  se  plaça  à  sa  droite, 
le  Colonial  Secretary  à  sa  gauche,  et  Lady  Egerton  à 
droite  du  Chief  Justice. 

Le  sheriff  commanda  alors  silence,  et  le  Colonial 
Secretary  lut  les  Lettres  Patentes  qui  constituaient  la 
Colonie  et  le  Protectoratsde  la  Southern  Nigeria. 

Le  sheriff  cria  ensuite  avec  force  :  «  God  save  the 
King,  »  et,  au  signal  d'une  trompette  placée  sur  la  gale- 
rie, vingt  et  un  coups  de  canon  furent  tirés,  tandis  que 
la  musique  jouait  l'hymne  national. 

Lorsque  cela  fut  terminé,  l'Attorney-General  donna 
lecture  du  «  Royal  Order  »  définissant  les  territoires 
de  la  Colonie  et  du  Protectorat  et  constituant  les  divers 
organes  du  gouvernement. 

Le  Colonial  Secretary  lut  la  commission  nommant 
Sir  Walter  Egerton  gouverneur  et  commandant  en 
chef  de  la  colonie. 

Le  gouverneur  prêta  alors  devant  le  Chief  Justice 
serment  de  fidélité  au  roi. 

M.  Spara  William  s'avança  ensuite,  et,  s'adressant  à 
Sir  W.  Egerton,  il  rappela  tout  d'abord  que  la  Colonie 
avait  autrefois  déjà  été  rattachée  à  une  autre  Colonie, 
celle  de  la  Gold  Coast,  puis  que,  à  la  suite  d'une  pétition 


280  LAGOS 

de  la  communauté,  Lagos  avait  retrouvé  son  indépen- 
dance, grâce  à  laquelle  il  s'était  développé  de  si  belle 
façon.  En  ce  jour  une  nouvelle  fusion  s'opérait;  Lagos 
allait  devenir  la  capitale  et  le  centre  de  la  Colonie  et  du 
Protectorat  de  la  Southern  Nigeria.  Il  continua  ainsi  : 

«  A  vous,  Sir,  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  a  bien 
voulu  confier  le  privilège  d'organiser  le  gouvernement 
de  ce  vaste  territoire.  Le  bonheur  ou  le  malheur  des 
peuples  qui  l'habitent  dépendent  de  la  manière  dont  ils 
seront  administrés,  et  c'est  pourquoi  la  communauté 
envisage  le  nouveau  système  avec  la  plus  grande 
anxiété.  On  ne  peut  nier  que  si  l'administration  du 
gouvernement  a  lieu  d'une  manière  avantageuse  pour 
les  administrés,  cette  Colonie  et  ce  Protectorat  se  dé- 
velopperont en  peu  d'années  d'une  manière  qui  en  fera 
un  des  joyaux  sans  prix  du  domaine  de  Sa  Majesté  sur 
la  côte  occidentale  d'Afrique. 

«  Il  y  a  de  grandes  possibilités  commerciales  et 
autres  dans  cette  Colonie  et  ce  Protectorat,  que  vous 
n'avez  manqué  de  noter  dans  vos  voyages  et  qui  ne 
demandent  qu'une  bonne  direction  pour  être  mises  en 
valeur,  et  nous  espérons  que  cette  bonne  direction  ne 
fera  pas  défaut  à  la  suite  de  l'extension  des  territoires. 

«  Par  cette  amalgamation,  l'administration  est  appe- 
lée à  régir  des  peuples  dont  l'idiosyncrasie,  la  manière 
et  les  usages  diffèrent  entièrement,  et  nous  espérons 
fermement  que,  grâce  à  une  étude  judicieuse  de  leurs 
besoins,  ils  ne  formeront  tous  qu'un  amalgame  de 
peuples  heureux. 

«  On  ne  peut  nier  que  le  critérium  de  l'excellence 
d'un  gouvernement  est  la  mesure  dans  laquelle  il  tend 
à  accroître  la  somme  des  bonnes  qualités  des  adminis- 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER    EGERTON  281 

très  considérés  comme  collectivités  ou  individus,  et  le 
gouvernement  que  vous  avez  formé  aujourd'hui  sera 
jugé  d'après  son  influence  sur  les  hommes  et  d'après 
son  influence  sur  les  choses,  d'après  la  manière  dont  il 
fera  de  nous  ses  citoyens  et  ce  qu'il  fera  de  nous,  ses 
tendances  à  améliorer  ou  détériorer  le  peuple,  ce  qu'il 
y  aura  de  bon  ou  de  mal  dans  l'œuvre  qu'il  accomplirat 
par  vous  et  par  votre  intermédiaire. 

«  Les  citoyens  de  cette  Colonie  et  de  ce  Protectorat 
croient  et  espèrent  en  son  avenir,  et  votre  nom,  Sir, 
sera  transmis  à  la  postérité  comme  l'instigateur  de  ce 
qui,  nous  l'espérons,  sera  un  bienfait  pour  nous. 

«  Nous  espérons  aussi  que  les  «  Punitive  Expédi- 
tions »  et  les  destructions  de  vies  qu'elles  entraînent 
seront  épargnées  à  la  Colonie  et  au  Protectorat,  et  qu'au- 
cun acte  de  l'administration  ne  viendra  porter  atteinte 
à  l'autorité  des  rois  et  des  chefs  du  Protectorat,  et  en 
aucune  manière  intervenir  dans  leurs  droits  incontes- 
tables de  gouverner  leur  contrée,  avec  les  conseils 
judicieux  de  Sa  Majesté. 

«  Nous  espérons  aussi  que  dans  l'administration  de 
ce  vaste  territoire,  peuplé  d'indigènes,  l'élévation  [ad- 
vancement)  des  indigènes  sera  l'idée  prédominante. 
L'Angleterre  a  pris  sous  son  protectorat  le  gouverne- 
ment des  races  indigènes  et  leurs  intérêts.  Elle  ne 
peut  accomplir  cette  noble  mission  qu'avec  le  bon  vou- 
loir des  indigènes  eux-mêmes  dans  l'administration  de 
leurs  aff'aires,  et  c'est  la  prière  de  tous  les  indigènes  de 
ce  pays  que  Votre  Excellence  puisse  illustrer  par  son 
administration  la  bienveillance  et  les  principes  huma- 
nitaires qui  sont  liés  historiquement  au  nom  de  la 
Grande-Bretagne. 


282  LiV(;os 

«  Fermement  persuadés  que  la  Providence  tout  avi- 
sée qui  gouverne  et  guide  les  destinées  des  nations 
protégera,  de  tout  son  pouvoir  souverain,  contre  tout 
orage,  cette  barque  qui  a  été  aujourd'hui  mise  à  Teau,  et 
la  conduira  dans  un  port  de  prospérité,  nous  souhai- 
tons à  la-  colonie  de  la  Southern  Nigeria  abondance, 
paix  et  prospérité.  » 

Après  avoir  remercié  M.  Spara  William  des  paroles 
élogieuses  qu'il  avait  prononcées  à  son  égard,  le  gou- 
verneur insista  longuement  sur  les  avantages  qui  pou- 
vaient résulter  pour  Lagos  et  la  Southern  Nigeria  de 
la  fusion  des  gouvernements.  Il  déclara  que  les  chefs 
de  la  Southern  Nigeria  ne  devaient  pas  craindre  d'être 
mis  au  second  rang;  il  y  avait  place  pour  tous. 

Les  relations  commerciales  très  prospères  qui  s'é- 
taient établies  entre  Lagos  et  la  Southern  Nigeria  ne 
pouvaient  aller  qu'en  se  développant.  «  Dans  tout  le 
territoire  à  l'ouest  du  Niger,  l'ordre  est  établi,  et  l'on 
peut  dire  la  même  chose  d'à  peu  près  les  deux  tiers  des 
régions  situées  à  l'est  du  fleuve.  En  peu  d'années, 
dans  tout  le  Protectorat,  les  indigènes  pourront  cultiver 
les  terres  de  leurs  villages,  sans  crainte  d'être  pillés 
par  des  voisins  plus  puissants,  et  avec  la  certitude  de 
pouvoir  jouir  de  leurs  champs  et  de  leurs  propriétés.  » 

Il  montra  ensuite  comment  ce  sont  les  habitants  de 
Lagos  qui  ont  rendu  possible  l'administration  de  la 
Southern  Nigeria  en  fournissant  les  éléments  du  gou- 
vernement civil  et  militaire,  et  il  continua  ainsi  : 

(c  Vous  avez  une  noble  tâche  à  remplir  dans  les 
territoires  qui  s'étendent  d'ici  au  Cameroon.  Je  compte 
sur  vous,  habitants  de  Lagos,  pour  m'aider  à  répandre 
les  bienfaits  de  la  civilisation,  de  la  paix,  et  de  la  sécu- 


LA.   POLITIQUE    JOE    SIR   WALXBA    ECBBTON  283 

rite  parmi  ces  peuples,  et  pour  fournir  des  professeurs 
aux  écoles  qui  se  multiplient  sans  cesse. 

«  M.  William  vient  de  faire  allusion  aux  «  Punitive 
«  Expéditions  ».  Il  n'y  a  personne  qui  les  haïsse  plus 
que  je  ne  les  hais.  Je  suis  désolé  d'être  obligé  de  dire 
qu'elles  sont  quelquefois  nécessaires.  Elles  ont  été 
nécessaires  autrefois  dans  l'intérieur  du  Protectorat 
de  Lagos;  mais  ce  temps  est  passé,  et  je  pense  qu'i}  ne 
reviendra  pas.  Pensez-Vous  que  moi,  en  tant  que  gou- 
verneur, j'aime  les  <t  Punitive  Expéditions  »  ?  Savez- 
vous  combien  elles  sont  coûteuses,  combien  de  milliers 
de  livres  elles  coûtent,  que  je  voudrais  dépenser  à  faire 
des  routes  et  des  chemins  de  fer,  et  à  accroître  la 
prospérité  et  la  mise  en  valeur  du  pays  ? 

«  Je  hais  les  «  Punitive  Expéditions  »,  mais  lorsque 
j'apprends  que  le  commerce  des  esclaves  continue,  que 
des  sacrifices  humains  sont  perpétrés,  que  des  villages 
qui  cultivent  tranquillement  leurs  champs  ont  été  dé- 
vastés par  leurs  voisins,  je  suis  obligé  d'envoyer  mes 
troupes  pour  empêcher  le  renouvellement  de  ces  faits. 
J'espère  que  dans  quelques  années  ce  ne  sera  plus 
nécessaire.  Je  serais  enchanté  que  cela  arrive  pendant 
que  je  serai  encore  là,  mais  si  cela  n'est  pas,  je  sais 
que  cela  sera  ainsi  sous  mes  successeurs. 

«  M.  William  a  aussi  parlé  du  maintien  de  la  posi- 
tion des  chefs  indigènes.  Je  désire  la  maintenir;  je 
désire  renforcer  leurs  pouvoirs,  mais  les  chefs  indigè- 
nes ressemblent  beaucoup  aux  grands  hommes  d'Eu- 
rope et  d'Amérique  et  des  autres  parties  du  monde,  qui 
souvent  font  des  erreurs  ou  pis.  Lorsqu'ils  n'adminis- 
trent par  leurs  peuples  pour  le  bien  de  l'entière  popu- 
lation, je  suis  obligé  d'intervenir  et  de  les  punir  en  les 


284  '  LAGO^ 

déplaçant  temporairement,  ou  même  en  les  déposant. 
Cela  n'est  pas  nouveau.  Cela  s'est  fait  bien  avant  que 
les  Anglais  aient  pris  possession  iie  pays.  Vous  pouvez 
être  sûrs  que  je  sympathise  avec  les  chefs  indigènes. 
Je  ferai  tout  ce  que  je  pourrai  pour  les  aider  pour  le 
bien  de  leur  pays.  » 

Sir  Walter  Egerton  parla  ensuite  du  développement 
qu'il  espérait  voir  prendre  au  pays.  11  montra  comment 
Lagos,  bien  loin  de  disparaître,  allait  devenir  une 
capitale  considérable,  et  il  donna  l'assurance  que  les 
travaux  d'amélioration  du  port  seraient  entrepris,  le 
chemin  de  fer  prolongé  plus  avant  dans  Tintérieur. 
Il  termina  ainsi  : 

«  Le  pays  se  développe  déjà  rapidement,  l'éducation 
et  la  religion  se  répandent  parmi  le  peuple,  le  com- 
merce s'accroît.  Je  dois  en  remercier  à  la  fois  les  Eu- 
ropéens et  les  indigènes  et  aussi  le  corps  toujours 
grandissant  de  commerçants  entreprenants  européens. 
Faites  qu'il  y  ait  moins  de  jalousie  entre  les  Européens 
et  les  indigènes.  Les  uns  ne  peuvent  agir  utilement 
sans  les  autres;  plus  cordialement  ils  travailleront 
ensemble,  meilleur  ce  sera  pour  eux.  Je  désire  de  tout 
mon  cœur  prospérité  à  la  nouvelle  administration,  et 
j'espère  que  vous  m'aiderez  à  la  rendre  prospère.  » 

Vingt  et  un  coups  de  canon  furent  de  nouveau  tirés 
au  son  de  l'hymne  national. 

Le  gouverneur  se  rendit  alors  sur  la  porte  du  palais, 
où  les  documents  offlciels  furent  lus  au  peuple  en 
Yomba. 

Le  soir,  un  grand  bal  eut  lieu  au  gouvernement  pour 
clôture  de  fête. 

Il  peut  paraître  un  peu  étonnant,  pour  ceux  qui  ne 


LA.    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER   EGERTON  285 

p 

sont  pas  au  courant  de  la  situation  politique  de  TAfri- 
qiie  occidentale  anglaise,  d'entendre  en  un  jour  pareil 
un  indigène  parlant  d'une  façon  quasi  officielle  au  nom 
de  ses  semblables,  souhaiter  que  le  pouvoir  souverain 
n'entreprenne  pas  des  campagnes  inutiles  ou  ne  viole 
pas  les  traités  qu'il  a  passés.  Ce  sont  là  les  vœux  que 
les  leaders  des  Educated  Natives  ne  perdent  guère  une 
occasion  de  prononcer.  Les  paroles  de  M.  Spara  Wil- 
liam n'en  présentent  pas  moins  un  caractère  particulier 
dans  la  circonstance  solennelle  où  elles  ont  été  pronon- 
cées. 

On  peut  penser  aussi  qu'en  cette  occurrence  il  n'au- 
rait dû  être  question  que  des  avantages  qui  allaient 
résulter  de  l'union  des  deux  pays.  On  n'eût  pas  man- 
qué chez  nous,  en  pareille  circonstance,  d'invoquer  «  la 
solidarité  des  peuples  et  la  confraternité  des  races  », 
et  l'inanité  de  ces  mots  aurait  peut-être  dispensé 
d'insister  sur  les  points  plus  délicats. 

Sir  Walter  Egerton  n'a  pas  craint  de  répondre  fran- 
chement à  la  pensée  de  tous  ceux  dont  M.  Spara  Wil- 
liam n'avait  été  que  l'interprète;  les  politiques  suivies 
à  Lagos  et  dans  la  Southern  Nigeria  tendraient  de  plus 
en  plus  à  s'uniformiser. 

Il  ne  faut  point  voir,  du  reste,  dans  l'inquiétude  que 
causa  aux  indigènes  la  fusion  des  deux  colonies,  unique- 
ment la  marque  de  la  crainte  de  perdre  une  partie  des 
prérogatives  qu'ils  croyaient  avoir  obtenues  chez  eux. 

Les  puissances  européennes  se  sont  partagé  l'Afri- 
que  et  ont  créé  un  certain  nombre  de  petits  Etats  dans 
lesquels  les  différentes  tribus  qui  les  peuplent,  hier 
ennemies,  ont  été  pacifiées  et  soumises  au  même  régime. 
Elles  ont  senti  naître  en  elles  une  communauté  d'aspi- 


286  LAGOS 

rations  venant  de  ce  que  leurs  intérêts  étaient  devenus 
communs,  et  de  ce  que  les  institutions  dont  on  les  avait 
dotées  avaient  produit  sur  elles  les  mêmes  effets.  Il  en 
est  résulté  un  sentiment  nouveau,  par-dessus  l'esprit  de 
tribu,  celui  d'une  sorte  de  nationalisme,  ce  qui  ne  veut 
pas  nécessairement  dire  loyalisme  vis-à-vis  des  puis- 
sances européennes. 

Évidemment  il  n'y  a  là  rien  de  bien  profond;  mais 
lorsque,  comme  à  Lagos,  la  même  influence  se  fait 
sentir  depuis  plus  de  cinquante  ans;  qu'en  outre,  par 
un  heureux  hasard,  la  délimitation  administrative  n'a 
guère  englobé  que  des  peuples  de  la  même  race,  ce 
sentiment  a  pu  prendre  des  racines  plus  profondes. 

Lorsqu'ils  ont  vu  disparaître  ce  gouvernement  auquel 
ils  étaient  habitués  et  qui  leur  avait  donné  une  unité 
qu'ils  n'avaient  jamais  connue,  il  est  naturel  qu'ils  aient 
éprouvé  quelque  désarroi. 

La  fusion  de  Lagos  et  de  la  Southern  Nigeria  était 
inévitable.  Sir  Walter  Egerton  en  profita  pour  marquer 
le  sens  dans  lequel  il  entendait  exercer  désormais  son 
action  sur  ces  pays. 

Une  série  d'incidents  ne  devait  pas  tarder  à  lui  don- 
ner de  nouvelles  occasions  de  réaliser  sa  politique. 

La  province  d'ibadan  fut  agitée  pendant  l'année  1907 
d'une  manière  assez  grave,  par  suite  de  dissentiments 
entre  le  Baie  et  les  autres  chefs,  en  l'absence  du  rési- 
dent titulaire,  le  capitaine  Elgee*. 

Il  semble  qu'au  début  lé  malentendu  provenait,  en 
dehors  de   rivalités  personnelles,  du  désir  de  voir  le 

1.  V.  Lagos  Weekbj  Record  du  31  août  1907  au  18  janvier  1908. 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER    EGERTON  287 

Baie  distribuer  plus  de  libéralités  qu'il  ne  faisait  aux 
chefs  et  au  peuple,  ainsi  qu'il  était  d'usage. 

L'Acting  Résident  prit  tout  d'abord  parti  pour  le  Baie 
et  lui  dit  qu'il  pouvait  compter  sur  l'appui  du  gouver- 
nement. 

Pendant  un  palabre  au  cours  duquel  le  Baie  et  les 
chefs  avaient  essayé  de  se  réconcilier,  une  note  de 
TActing  Résident  arriva  dans  laquelle  il  convoquait  le 
conseil  pour  le  lendemain. 

Les  chefs  crurent  que  c'était  quelque  manœuvre  con- 
tre eux  et  déclarèrent  qu'ils  ne  se  prêteraient  à  aucune 
tentative  de  réconciliation  jusqu'à  ce  qu'ils  sachent  ce 
que  signifiait  cette  convocation  soudaine.  Ils  ne  se 
rendirent  point  à  la  réunion,  à  laquelle  seuls  assistè- 
rent le  Baie  et  trois  chefs  d'un  rang  inférieur. 

Le  résident  intérimaire,  croyant  probablement  qu'il 
fserait  de  bonne  politique  de  profiter  de  la  dissension 
des  chefs  pour  prendre  des  mesures  que  leur  entente 
avait  fait  échouer  jusque-là,  proposa  au  conseil  de 
modifier  le  régime  foncier  et  déclarer  les  terres  alié- 
nables. 

Le  Baie  approuva,  en  mettant  cependant  comme  res- 
triction qu'il  n'y  aurait  là  rien  d'obligatoire,  et  que 
même  sous  cette  forme  inapplicable  au  point  de  vue 
pratique,  et  dont  on  ne  voit  guère  la  possibilité  au 
point  de  vue  théorique,  cela  ne  serait  admis  que  si  les 
Egbas  l'acceptaient  également. 

Le  seul  résultat  fut  que  l'opinion  générale  tout  en- 
tière se  souleva  contre  le  Baie;  celui-ci  n'eut  d'autre 
ressource  que  d'en  appeler  à  l'Alafin,  qui  ne  parvint 
pas  à  ramener  le  calme. 

Les  querelles  entre  partisans  du  Baie  et  d'Apampa, 


288  LAGOS 

« 

qui  paraissait  rinstîgateur  de  Topposition,  continuèrent 
de  plus  belle^  et  Ibadan  fut  pendant  un  temps  complè- 
tement dans  l'anarchie. 

Les  chefs  dissidents  envoyèrent  une  députation  à 
Lagos.  Le  gouverneur  refusa  leurs  présents,  comme 
pour  montrer  qu'il  n'était  pas  avec  eux. 

Les  «  White  Cape  Chiefs*  »  ne  voulurent  point  non 
plus  écouter  les  délégués,  disant  qu'ils  ne  pourraient 
agir  que  comme  arbitres,  et  que  pour  cela  ils  devraient 
entendre  les  deux  parties;  ils  leur  conseillèrent  de  faire 
la  paix  avec  le  Baie. 

De  retour  à  Ibadan,  les  partisans  d'Apampa  décla- 
rèrent cependant  qu'ils  avaient  obtenu  gain  de  cause 
et  que  le  Baie  n'avait  plus  de  pouvoir  sur  eux. 

Sur  ces  entrefaites  (31  octobre),  le  capitaine  Elgee, 
de  retour  de  congé,  reprit  son  poste  à  Ibadan  et  parut 
tout  d'abord  prendre  parti  contre  Apampa,  à  qui  il 
donna  sept  jours  pour  se  réconcilier  avec  le  Baie. 

Cependant  la  semaine  suivante,  probablement  à  la 
suite  d'instructions  reçues  de  Lagos,  il  annonça  au  Baie 
qu'il  devait  démissionner. 

L'Acting  Chief  Justice  assisté  de  l'Acting  Provincial 
Commissioner  commencèrent  cependant  une  enquête 
le  21  novembre  sur  les  troubles  d'Ibadan. 

Les  membres  de  l'opposition  leur  dirent  que  les 
troubles  provenaient  de  ce  que  le  Baie  avait  changé 
arbitrairement  les  chefs  d'Etan  et  d'Oxo  pour  don- 
ner le  commandement  de  ces  villages  à  deux  de  ses 
partisans. 

La  commission  d'enquête  parut  donner  raison  au  Baie, 

1.  Les  chefs  de  Lagos. 


1 


LA    POLITIQUE    DB    Sin    WALTER    EGERTON  289 

qui  n'avait  agi  qu'avec  le  concours  de  l'Acting  Résident 
et  en  restituant  des  terres  à  leurs  véritables  posses- 
seurs. 

Les  journaux  indigènes  de  Lagos  ne  manquèrent  pas 
de  faire  remarquer  combien  était  extraordinaire  le  pro- 
cédé du  gouvernement  qui  obligeait  le  Baie  à  démis- 
sionner avant  que  l'enquête  ait  été  faite. 

Sir  W.  Egerton  se  rendit  à  Ibadan  le  8  janvier  1908 
pour  nommer  un  nouveau  Baie. 

D'après  l'usage,  c'est  le  Bashorum  ou  second  chef 

qui  succède  au  Baie,  et  le  gouverneur  ayant  demandé 

<iui  I  on  désirait  nommer  Baie,  on  lui  'répondit  que 

Apampa  avait  été  nommé  Bashorum  et  que  c'était  lui 

•qui  devait  par  conséquent  être  nommé  Baie 

Le  gouverneur  déclara  qu'il  n'avait  pas  à*  considérer 
cette  question  du  Bashorum,  mais  qu'il  désirait  simple 
ment  savoir  qui  l'on  voulait  nommer  Baie. 

On  lui  répondit  que  c'était  Apampa. 

Le  gouverneur  répondit  qu'il  avait  consulté  l'Alafm 
qui  lui  avait  dit  que  Apampa  ferait  en  effet  un  bon 
oale. 

Il  souhaita  ensuite  que  l'ordre  se  rétablisse  à  Ibadan 
et  déclara  que,  bien  que  les  journaux  de  Lagos  aient 
dit  qu  il  voulait  supprimer  le  poste  de  Baie,  ce  n'était 
point  son  intention.  Il  nommait  provisoirement  Apampa 

Il  parait  bien  évident  que  dans  toute  cette  affaire  Sir 
W.  Egerton  ait  vu  une  occasion  de  manifester  son 
autorité  sur  le  commandement  d'Ibadan,  et  montrer 

que  ce  commandement  dépendait  du  gouvernement 
de  Lagos. 

19 


290  LAGOS 

I 

L'opinion  générale  était  certainement  contre  l'ancien 
Baie.  En  nommant  Baie  celui  qui  avait  provoqué  toute 
cette  agitation,  le  gouverneur  mettait  le  nouveau  chef  à 
sa  discrétion  et  profitait  de  troubles  locaux  pour  poser 
un  principe  que  n'avaient  jamais  reconnu  les  Yorubas 
et  qui  était  certainement  contraire  aux  traités  primitifs 
de  protection. 

Les  journaux  de  Lagos  ne  manquèrent  pas,  naturelle- 
'  ment,  de  protester  une  fois  de  plus  contre  les  procédés 
de  Sir  W.  Egerton  et  de  déclarer  que  depuis  son  arri- 
vée à  Lagos  le  mécontentement  général  n'allait  qu'en 
augmentant. 

Cela  n'empêcha  pas  Sir  W.  Egerton  d'étendre  sa 
politique  à  Abeokuta. 

Le  résident  anglais  n'étart  toujours  que  le  «  Railway 
Commissioner  »,  d'après  la  fiction  qui  avait  servi  de 
prétexte  pour  le  placer  auprès  de  l'Alake.  Un  prétexte 
du  même  genre  parut  bon  pour  accroître  ses  pouvoirs. 

Le  gouvernement  de  Lagos  se  déclara  prêt,  en  jan- 
vier 1908,  à  dépenser  2.000  livres  sterling  en  construc- 
tions de  routes  et  travaux  de  drainages  dans  les  terri- 
toires egbas,  mais  dit  qu'il  serait  nécessaire  que^son 
représentant  pût  surveiller  l'emploi  qui  serait  fait  de 
cette  somme,  et  pour  cela  siégeât  au  conseil  de  l'Alake, 
s'occupant  spécialement  de  la  gestion  des  finances  du 
gouvernement  Egba,  dont  les  comptes  seraient  con- 
trôlés par  r  «  Audit  Department  »  de  Lagos. 

Le  Commissioner  ou  un  autre  fonctionnaire  anglais 
présiderait  en  outre  la  Native  Court,  assisté  de  deux 
juges  indigènes,  et  la  compétence  de  celle-ci  s'étendrait 
à  tous  les  cas  civils  et  criminels. 


LA    POLITIQUE    DE    SIR    WALTER    EGERTON  291 

L'Alake,  de  son  côté,  recevrait  une  subvention  de 
300  livres  sterling  par  an. 

Un  meeting  de  tous  les  chefs  eut  lieu*  à  Itaka  le  4 
janvier,  dans  lequel  M.  Georges,  le  trésorier  indigène 
du  gouvernement  Egba,  assisté  de  M.  Ladopo  Ademala, 
l'agent  de  celui-ci  à  Lagos,  expliqua  ces  propositions. 

Naturellement  les  chefs  les  accueillirent  avec  un  vif 
mécontentement  et  déclarèrent  que  ce  que  voulait  le 
gouvernement  anglais,  c'était  la  fin  de  V  «  Etat  indé* 
pendant  des  Egbas  ». 

Le  Commissioner  s'efforça  d'assurer  à  l'Alake  que 
c'était  M.  Georges  qui  avait  mal  exposé  les  choses,  et 
demanda  à  le  faire  lui-même  devant  un  nouveau  mee- 
ting. 

La  réunion  eut  lieu,  et,  d'après  le  Lagos  Weekly 
Recordy  le  discours  qu'il  prononça  peut  se  résumer 
ain$i  : 

Les  Egbas  avaient  entendu  dire  combien  leur  pays 
serait  riche  s'il  était  pourvu  de  routes  pour  qu'on 
puisse  le  mettre  en  valeur.  Le  gouvernement  de  Lagos 
était  prêt  à  dépenser  2.000  livres  sterling  pour  la  cons- 
truction de  ces  routes  et  l'établissement  d'une  conduite 
d'eau  à  Abeokuta  ;  mais  comme  ces  travaux  donneraient 
lieu  à  de  nombreuses  discussions,  il  serait  nécessaire 
que  le  Commissioner  ait  un  siège  dans  le  conseil  pour 
aider  à  faire  le  budget  et  discuter  les  autres  questions 
importantes. 

D'un  autre  côté,  les  décisions  de  la  Native  Court  n'é- 
taient pas  toujours  satisfaisantes.  Ces  décisions  seraient 
mieux  acceptées  si  elles  étaient  rendues  par  le  Commis- 
sioner présidant  le  tribunal  assisté  de  deux  indigènes. 

1.  Lagos  Weekly  Record,  18  janvier  1908. 


292  LAGOS 

On  avait  dit  que  le  gouverneur  avait  voulu  acheter 
TAlake  en  lui  payant  300  livres  par  an,  mais  le  gouver- 
neur était  assez  riche  pour  payer  plus  cher  si  tel  avait 
été  son  but. 

L'Ashipa  des  Egbas  et  le  Balogum  d'Iddo  ayant 
voulu  répondre,  le  Commissioner  aurait  déclaré  qu'il 
était  venu  pour  parler,  et  non  pour  écouter,  et  leva  la 
séance. 

L'indignation  fut  générale  ;  l'Alake  fut  obligé  d'inter- 
venir, mais  le  gouverneur  anglais  n'en  avait  pas  moins 
affirmé  sa  volonté,  et  le  Commissioner  se  conduisit  de 
plus  en  plus  comme  un  véritable  résident. 

Nous  avons  vu,  dans  notre  chapitre  sur  les  Budgets 
des  Etats  indigènes,  que,  sous  forme  d'un  emprunt, 
Sir  Walter  Egerton  avait  associé  les  finances  de  la 
Colonie  à  celles  de  l'État  Egba. 

La  formule  de  Protectorat  qu'avait  posée  Sir  Wil- 
liam MacGregor  ne  pouvait  aboutir  qu'à'la  réalisation 
cherchée  par  Sir  W.  Egerton  et,  grâce  à  la  prospérité 
remarquable  dans  laquelle  n'a  cessé  de  se  développer 
la  Nigeria  du  Sud,  cette  évolution  s'est  accomplie  sans 
heurts  et  d'une  manière  qui  fait  le  plus  grand  honneur 
'aux  deux  éminents  gouverneurs  qui  ont  assuré  l'éta- 
blissement pacifique  de  l'Angleterre  dans  ce  beau  pays. 


CHAPITRE   XXI 

NIGERIA 


Les  Précurseurs. 

La  découverte  du  cours  du  Niger  a  été  une  entre- 
prise essentiellement  anglaise. 

En  1788,  le  président  de  la  «  Royal  Society  »  fonda 
TAfrican  Association,  qui  devait  se  consacrer  à  l'étude 
de  la  géographie  africaine  et  trouver  la  route  d'accès 
la  plus  pratique  vers  le  Niger,  qui  arrosait,  disait-on, 
des  contrées  d'une  richesse  inouïe. 

L'Association  envoya  successivement  John  Leydard, 
qui  mourut  au  Caire;  Lucas,  qui  quitta  Tripoli  en 
février  1789,  mais  qui  fut  obligé  de  s'en  retourner  au 
bout  de  huit  jours  devant  l'hostilité  des  tribus  arabes; 
Hougthon,  qui  partit  de  la  Gambie,  mais  fut  massacré 
par  le»  Touaregs;  Watt  et  Winterbottom,  qui  prirent 
comme' point  de  départ  Sierra  Leone  et  durent  revenir 
en  arrière  après  soixante  jours  de  marche. 

En  1792  enfin,  le  choix  de  l'Association  se  porta  sur 
le  jeune  Mungo  Park,  qui  devait  arriver  à  Segou  le 
21  juillet  1796  après  un  voyage  dont  il  est  inutile  de 
rapporter  ici  les  péripéties  bien  connues. 

L'Association  devait  encore  envoyer  d'autres  voya- 
geurs, parmi  lesquels  Hovnemann  et  NichoUs,  qui  attei- 
gnirent le  Nupé,  mais  moururent  avant  leur  retour. 

A  la  suite  du  premier  voyage  de  Mungo  Park,  le  gou- 


294  NIGERIA 

vernement  anglais  se  décida  à  intervenir  et  demanda  à 
rheureux  voyageur  de  prendre  la  direction  d'une  expé- 
dition qui  devait  explorer  le  cours  du  Niger  et  établir 
des  relations  amicales  avec  les  tribus  riveraines. 

Mungo  Parle  devait  être  accompagné  d'un  second  et 
de  quarante-cinq  soldats  européens  et  autant  d'indigè- 
nes qu'il  lui  serait  nécessaire  de  prendre.  Une  somme 
de  5.000  livres  était  mise  à  sa  disposition. 

En  mars  1905  il  arrivait  à  Corée,  où  il  recruta  son 
escorte,  et  partit  ensuite  de  la  Gambie  pour  pénétrer 
dans  l'intérieur  en  suivant  son  premier  itinéraire.  On 
sait  comment,  malgré  la  mort  de  presque  tous  ses 
compagnons  et  les  attaques  des  indigènes,  il  put 
descendre  le  Niger  depuis  Sansanding  jusqu'à  Boussa, 
où  il  mourut  soit  noyé  dans  les  rapides,  soit  tué  par 
les  noirs. 

Le  gouvernement  anglais  résolut  de  recommencer  la 
tentative.  D'après  Mungo  Parle,  le  Niger  devait  être  un 
affluent  du  Congo.  11  fut  décidé,  en  1816,  que  le  capi- 
taine Tuckey  partirait  des  embouchures  du  Congo, 
tandis  que  le  major  Peddie  devait  suivre  l'itinéraire 
de  Mungo  Park;  ils  devaient  se  rejoindre  en  un  point 
du  Niger  intérieur.  Les  voyageurs  moururent  avant 
d'avoir  pénétré  très  avant  dans  les  terres. 

En  1818,  le  major  Cray  et  le  docteur  Dockard  suivi- 
rent les  traces  de  Peddie,  mais  succombèrent  égale- 
ment. 

Le  gouverneur  anglais  décida  alors  d'essayer  d'at- 
teindre par  le  Sahara  le  bassin  du  Niger,  et  en  1821*  le 
docteur  Oudney,  le  lieutenant  de  vaisseau  Clapperton 

1.  Denliam  mourut  à  Fernando-Po,  où  il  avait  été  nommé  gouvcrûeur. 


LES    PRÉCURSEURS  295 

et  le  major  Denham  partaient  de  Tripoli.  Ils  empor- 
taient des  lettres  de  créance  du  pacha  de  Tripoli  pour 
le  sultan  de  Bornu. 

Malgré  des  vicissitudes  diverses,  l'expédition  fut 
couronnée  d'un  plein  succès.  Elle  atteignit  le  Tchad, 
dont  Denham  visitait  les  pays  environnants,  tandis  que 
Clapperton  et  Oudney  pénétraient  dans  le  Sokoto  et 
parvenaient  au  Niger.  Revenus  à  Euka,  ces  derniers, 
avec  Denham,  visitèrent  Keno,  où  ils  furent  très  bien 
reçus.  Gudney  mourut  sur  ces  entrefaites,  et  Clapper- 
ton et  Denham  retournaient  en  Angleterre  par  la  voie 
Tripoli,  en  janvier  1825. 

A  plusieurs  reprises  le  gouvernement  anglais  leur 
avait  envoyé  des  secours,  une  première  fois  sous  le 
commandement  du  jeune  Toole,  qui  mourut  tandis 
qu'il  accompagnait  Denham  dans  son  exploration  du 
Logone  et  du  Chari,  et  une  seconde  fois  sous  la  direc- 
tion de  Tyrvvhitt,  qui  fut  laissé  à  Kuha  comme  consul, 
mais  qui  y  mourut  au  bout  de  peu  de  temps. 

Les  résultats  de  l'expédition  étaient  considérables  : 
le  pays  qui  s'étendait  de  Murzuh  au  Bornu,  de  Bornu 
au  Sokoto,  et  les  environs  du  Tchad  avaient  été  visités 
pour  la  première  fois  par  des  Européens  qui  étaient  des 
Anglais  envoyés  et  payés  par  leur  gouvernement. 

Le  sultan  de  Kano,  Bello,  avait  donné  à  Clapperton, 
pour  le  roi  d'Angleterre,  une  lettre  dans  laquelle  il 
déclarait  vouloir  ouvrir  son  pays  au  commerce  euro- 
péen et  demandait  l'établissement  d'un  consulat 
anglais  à  Funda  et  à  Raka.  Il  enverrait  une  escorte  à 
Ouidah  dans  le  golfe  de  Bénin  pour  chercher  les  An- 
glais qu'on  lui  enverrait  ainsi. 

Le  gouvernement  anglais  demanda  à  Clapperton  de 


296  NIGERIA 

\ 

revenir  à  Sokoto  et  d'explorer  les  pays  environnants. 
En  août  1825  il  partit  accompagné  du  capitaine  Pearce, 
du  docteur  Morisson  et  d'un  domestique,  Richard 
Lander. 

A  Ouidah  personne  n'avait  entendu  parler  du  sultan 
de  Kano.  Dikson  résolut  de  partir  de  là  pour  l'intérieur 
en  visitant  le  Dahomey,  mais  il  disparut  sans  que  Ton 
sût  exactement  ce  qui  lui  était  arrivé.  Clapperton  par- 
tit de  Badagry  le  29  novembre  et  put  arriver  le  23  jan- 
vier 1826  à  Boussa,  après  avoir  perdu  ses  deux  com- 
pagnons Morisson  et  Pearse,  qui  succombèrent  au 
paludisme.  Le  20  juillet  il  parvint  enfin  à  Kano  ;  le  20 
octobre  il  arrivait  malade  à  Sokoto,  où  il  devait  mou- 
rir le  13  avril  1827.  Lander,  resté  seul,  parvint  à  Bada- 
gry le  21  novembre. 

Pendant  ce  temps  le  major  Laing,  parti  de  Tripoli, 
atteignait,  le  18  août  1826,  Tombouctou,  où  il  séjourna 
un  mois,  et  succombait  dans  le  Sahara  sur  la  voie  du 
retour. 

L'ardeur  du  gouvernement  anglais  commençait  à  se 
lasser,  et  lorsque,  en  1827,  Lander  voulut  repartir  au 
Niger,  il  ne  reçut  qu'un  subside  insignifiant*. 

On  sait  comment,  accompagné  de  son  frère  John, 
parti  de  Badagry  le  22  mars  1830,  il  parvint  le  30  sep- 
tembre à  Boussa,  découvrait  le  25  octobre  le  confluent 
de  la  Benue  et  descendait  le  Niger  jusqu'à  la  mer,  où 
il  arrivait  un  mois  après*. 

1.  100  livres  qu'il  devait  toucher  à  son  retour,  tandis  que  sa  femme 
recevait  également  100  livres. 

2.  Il  est  intéressant  de  rappeler  que  MacQueen  avait,  bien  avant  la 
découverte  de  Lander,  tracé  une  carte  assez  exacte  du  cours  du  bas  Niger 
d'après  les  renseignements  qu'il  avait  recueillis  avec  grand  soin  à  la 
Jaraaïq'ue  auprès  d'esclaves  noirs  originaires  d'Afrique. 


LES    PRÉCURSEURS  297 

Les  marchands  de  Liverpool  décidèrent  alors  d'or- 
ganiser une  expédition  commerciale  qui  devait  opérer 
dans  les  pays  que  Lander  venait  de  découvrir.  Étant 
donné  le  caractère  de  l'entreprise,  le  gouvernement 
refusa  d'y  coopérer. 

Elle  fut  dirigée  par  un  homme  qui  devait  jouer  un 
grand  rôle  dans  l'occupation  commerciale  du  bas 
Niger,  MacGregor  Laird,  et  par  le  docteur  Oldfield. 
Elle  comprenait  parmi  ses  membres  Richard  Lander. 
Deux  vaisseaux  étaient  équipés  pour  les  transporter 
en  mer  et  naviguer  dans  le  Niger.  Un  de  ces  vaisseaux 
offrait  cette  particularité  qu'il  était  le  premier  bateau 
en  fer  qui  ait  été  lancé  en  Angleterre. 

L'expédition,  féconde  en  résultats  scientifiques  (carte 
géographique  de  Saint-Allen),  devait  être  un  échec 
complet  au  point  de  vue  commercial. 

Laird,  Oldfield  et  Allen  purent  revenir  en  Angleterre. 
Les  45  autres  Européens  partis  étaient  morts,  ainsi  que 
Richard  Lander,  qui  avait  été  blessé  mortellement  par 
les  indigènes. 

Les  commerçants  abandonnèrent  pour  un  temps 
l'idée  d'exploiter  les  richesses  du  bas  Niger,  mais  le 
gouvernement  anglais  résolut  de  nouveau  d'agir  dans  ce 
pays.  Le  gouverneur  de  Fernando-Po,  Beecroft,  avait, 
en  1835  et  en  1840,  exploré  les  différentes  embouchures 
du  fleuve  et  était  remonté  jusque  près  de  Boussa.  Les 
récits  qu'il  fit  en  Angleterre  de  ses  voyages  et  de  l'état 
des  populations  qu'il  avait  rencontrées  émurent  le  parti 
des  anti-esclavagistes  et,  grâce  aux  efforts  de  Thomas 
Fowell  Buxton,  des  fonds  furent  fournis,  par  des  parti- 
culiers et  le  Parlement,  pour  équiper  une  grande  mis- 
sion. 


298  NIGERIA 

Les  vaisseaux  Albert,  Soudan  et  Wilberforce  furent 
armés.  Ils  devaient  être  commandés  par  des  officiers 
de  la  marine  de  guerre,  seôondés  par  des  médecins, 
•des  missionnaires,  des  minéralogistes  et  botanistes. 
L'expédition  devait  comprendre  145  Européens  et 
133  indigènes. 

L'expédition  avait  pour  chef  le  capitaine  Trotter, 
assisté  du  commander  Allen,  l'ancien  compagnon  de 
Laird.  Elle  devait  avoir  pour  but  de  supprimer  l'expor- 
tation des  esclaves,  de  passer  des  traités  avec  des 
chefs,  de  leur  montrer  les  avantages  d'un  commerce  et 
d'une  main-d'œuvre  libre,  d'acheter  des  terres  pour  la 
construction  des  forts.  Une  ferme  modèle  munie  de 
tous  les  perfectionnements  possibles  devait  être  fon- 
dée sur  le  Niger.  Il  fut  défendu  aux  membres  de  la 
mission  de  commercer  avec  les  indigènes;  la  mission 
devait  garder  un  caractère  uniquement  désintéressé. 

L'expédition  arriva  aux  embouchures  du  Niger  an 
milieu  d'août  1841  et  remonta  le  fleuve  jusqu'à  Iddah, 
dont  le  chef  céda  à  «  sa  sœur  la  reine  d'Angleterre  »  un 
terrain  long  de  6  milles  sur  une  largeur  de  4  milles  au 
confluent  de  la  Benue  et  du  Niger,  terrain  sur  lequel 
devait  s'élever  plus  tard  la  ville  de  Lokodja.  Les  agro- 
nomes furent  débarqués  en  ce  point  et  travaillèrent 
immédiatement  à  la  création  de  la  ferme  modèle.  Le 
reste  de  la  mission  se  consacra  ensuite  à  l'étude  de  la 
géographie  du  fleuve  et  de  ses  embouchures.  Malheu- 
reusement, quels  qu'aient  été  les  précautions  prises  et 
le  soin  avec  lequel  la  mission  avait  été  organisée  au 
point  de  vue  médical,  ses  membres  ne  tardèrent  pas  à 
succomber  les  uns  après  les  autres,  et  en  novembre  1842 
elle  dut  rentrer  en  Angleterre,  abandonnant  la  ferme 


LES    PRÉCURSEURS  299 

qu'elle  avait  établie.  49  Européens  étaient  morts,  sur  les 
145  qui  étaient  partis.  La  dépense  faite  avait  dépassé 
£80.000,  et  les  résultats  obtenus  avaient  été  à  peu  près 
nuls. 

L'effet  produit  en  Angleterre  par  cet  échec  fut  si 
déplorable  qu'il  ne  fut  point  question  de  recommencer 
la  tentative. 

Le  gouvernement  anglais  ne  devait  cependant  pas 
abandonner  l'idée  de  faire  pénétrer  plus  avant  son 
influence  en  Afrique  centrale  et,  renonçant  momenta- 
nément à  la  voie  du  bas  Niger,  songea  à  la  route  qu'a- 
vait suivie  Clapperton  en  partant  de  Tripoli.  C'est  ainsi 
que  fut  expédiée  la  mission  de  Richardson,  Overweg 
et  Barth,  sur  les  travaux  de  laquelle  il  est  inutile  que 
nous  insistions. 

Pendant  que  Barth  poursuivait  son  voyage,  deux 
hommes  continuaient  à  se  préoccuper  du  sort  des  inté- 
rêts anglais  au  bas  Niger  et  luttaient  contre  l'opinion 
que  l'on  avait  en  Angleterre  sur  ce  pays,  opinion  dont  le 
pessimisme  paraissait  bien  justifié,  il  faut  le  reconnaître. 
C'était  Beecroft,  le  gouverneur  de  Fernando-Po,  qui  de 
1835  à  1850  ne  cessait  d'explorer  les  diverses  embou- 
chures du  Niger  et  les  Oil  Rivers,  et  c'était  MacGregor 
Laird,  qui  avait  organisé  l'expédition  de  1832. 

Le  rôle  joué  par  MacGregor  Laird  devait  être  consi- 
dérable. Sans  lui  tous  les  efforts  qui  avaient  été  faits 
par  l'Angleterre  pour  explorer  et  faire  sentir  son 
influence  dans  le  bassin  du-bas  Niger  seraient  restés 
probablement  stériles  pen-dantde  longues  années,  et  le 
bénéfice  de  l'exploitation  de  ces  pays  serait  peut-être 
revenu  à  quelque  autre  nation. 

Il  comprit  que  la  pénétration  ne  pourrait  avoir  lieu 


300  NIGERIA. 

que  progressivement  et  qu'il  ne  fallait  pas  attendre  que 
cette  pénétration  soit  complète,  pour  établir,  dans  les 
points  facilement  accessibles,  des  comptoirs  commer- 
ciaux grâce  auxquels  on  pourrait  entrer  en  contact  de 
plus  en  plus  intime  avec  les  indigènes,  sur  lesquels  on 
pourrait  songer  plus  tard  à  exercer  quelque  influence. 

Les  organisateurs  de  l'expédition  de  1841  avaient 
rencontré  auprès  de  lui  une  vive  opposition.  Ses 
idées  devaient  finir  par  prévaloir,  et,  en  1852,  il  put 
passer  avec  le  gouvernement  un  contrat  à  la  suite  du- 
quel il  fondait  FAfrican  Steamship  Go.,  qui  devait  être 
Torigine  des  puissantes  entreprises  de  la  maison  Eider 
Dempster  and  Co. 

Sur  ces  entrefaites,  on  apprit  que  Barth  avait  décou- 
vert que  la  Benue'  était  la  même  rivière  que  celle  dont 
on  connaissait  depuis  Lander  le  confluent  à  Lokodja. 
Le  gouvernement  anglais,*  qui  av^it  déjà  envoyé  par  la 
voie  Tripoli  le  docteur  Vogel  apporter  des  secours  au 
grand  voyageur,  accepta  les  propositions  que  lui  fit 
MacGregor  Laird  et  décida  d'envoyer  un  steamer  au- 
devant  de  Barth  sur  la  Benue. 

MacGregor  Laird  était  associé  avec  son  père  dans  une 
entreprise  de  construction  de  navires;  il  construisit  la 
Pleiad,  qui  fut  admirablement  équipée  pour  le  voyage 
auquel  elle  était  destinée.  La  direction  de  l'expédition 
devait  être  confiée  à  Beecroft,  mais  en  arrivant  à  Fer- 
nando-Po  on  apprit  sa  mort.  Le  docteur  Baikie  prit 
alors  le  commandement,  et  la  barre  de  la  rivière  Nun 
fut  franchie  le  12  juillet  1854. 

Tout  se  passa  admirablement  au  début;  l'expédition 
fut  partout  très  bien  reçue  par  les  indigènes,  qui  se 
montrèrent  désireux  de  commercer  avec  les  Européens, 


LES    PRËCUR9BURS  301 

et  qui  autorisèrent  les  missionnaires  de  la  Church  Mis- 
sionary  venus  avec  la  Pleiad  à  se  fixer  au  milieu  d'eux. 

Malheureusement  le  régime  des  eaux  de  la  Benue 
n'était  pas  encore  connu,  et  le  steamer  ne  put  parvetiir 
jusqu'à  Yola  et  dut  s'arrêter  à  Gurowa.  Il  fut  impos- 
sible d'avoir  des  nouvelles  de  Barth,  et  la  mission  dut 
retourner  en  Angleterre  (7  mars  1854). 

Elle  avait  eu  cela  de  remarquable  que  pour  la  pre- 
mière fois  tous  les  Européens  partis  dans  une  expédition 
du  Niger  étaient  revenus  sains  et  saufs.  Le  charme  qui 
semblait  empêcher  l'accès  de  ceâ  régions  était  rompu. 
Le  cours  de  la  Benue  était  découvert  et  étudié  sur  une 
largeur  de  250  milles,  et  d'admirables  collections  rap- 
portées par  Barter. 

Pour  la  première  fois  aussi,  des  blancs  avaient  pu  com- 
mercer dans  ces  pays  reculés  et  échanger  leurs  mar- 
chandises contre  des  produits  indigènes.  Les  bénéfices 
retirés  de  l'opération  commerciale  ne  suffirent  cepen- 
dant pas  pour  compenser  les  dépenses  de  l'expédition, 
et  le  gouvernement  anglais  indemnisa  généreusement 
MacGregor  Laird  en  déclarant  qu'un  particulier  ne 
devait  pas  supporter  la  dépense  d'un  voyage  d'explora- 
tion qui  avait  surtout  un  bjit  officiel. 

Laird  résolut  de  persister  dans  la  voie  qu'il  s'était 
tracée,  et  il  obtenait  du  gouvernement  anglais  une  sub- 
vention annuelle  de  £8.000  qui  devrait  être  progressi- 
vement diminuée  de  £500  tous  les  ans,  pour  établir  un 
service  de  navigation  entre  Fernando-Po  et  le  moyen 
Niger.  Il  expédia  en  1857,  sous  la  direction  de  Baikie, 
un  vapeur,  l,e  Dayspringy  qui  remorquait  un  voilier.  Des 
factoreries  furent  établies  à  Abo,  Onitsha  et  Glèbe. 
Près  de  £5.000  furent  dépensées  ainsi.  Malheureuse- 


/ 


302  NIGERIA 

ment  le  steamer  échowa  près  de  Jella,  et  toute  sa  car- 
gaison de  retour,  composée  spécialement  de  beurre 
de  Karité,  fut  perdue.  Glover,  qui  devait  être  plus  tard 
gouverneur  de  Lagos  et  qui  faisait  partie  de  l'expé- 
dition, se  rendit  de  Jebba  à  Lagos,  tandis  que  le  voilier 
retournait  en  Angleterre  avec  un  plein  cargo  d'une 
valeur  de  £4.000. 

L'année  suivante,  Laird  équipa  pour  le  prix  de  £l7.Ç00 
deux  nouveaux  steamers,  le  Sunbeam  et  le  Rainboçi\  Le 
Sunbeam  retourne  en  Angleterre  en  février  1859,  tandis 
que  le  Rainbow  restait  au  Niger  pour  exécuter  le  contrat 
passé  avec  le  gouvernement.  L'entreprise  ne  s'annon- 
çait pas  comme  devant  donner  de  brillants  résultats.  La 
valeur  des  produits  rapportés  ne  s'élevait  qu'à  £3.000, 
mais  ne  compensait  pas  la  perte  du  Dayspring  et  la  des- 
truction de  la  factorerie  d'Onitsha,  qui  avait  été  incen- 
diée et  qui  représentait,  avec  la  marchandise  qu'elle 
contenait,  une  valeur  de  £1.600. 

Laird  comprit  que  les  bénéfices  ne  viendraient  qu'à 
la  longue  et  qu'un  capital  considérable  était  nécessaire 
pour  faire  face  aux  lourdes  dépenses  de  premier  éta- 
blissement. 

En  mai  1858,  il  essaya  de  constituer  une  compagnie, 
«  The  Central  African  Go.  L.d  »,  au  capital  de  £100.000 
formé  de  10.000  actions  de  £10.  Ses  apports  devaient 
être  estimés  à  £5.000,  et  il  devait  garder  la  direction 
des  affaires.  Quatre-vingt-une  actions  seulement  furent 
souscrites,  et  au  31  mars  1859  son  entreprise  se  soldait 
déjà  par  un  déficit  de  £25.000. 

MacGregor  Laird  ne  se  découragea  pas  cependant,  et, 
continuant  seul  ses  opérations,  il  envoya  le  Sunbeam 
faire  un  second  voyage  qui  lui  rapporta  £8.000.  Une 


LES    PRÉCURSEURS  303 

nouvelle  factorerie  fut  ouverte  à  Angiama%  et  les  choses 
allaient  en  s'améliorant,  lorsque  l'énergique  commer- 
çant mourut,  en  1861. 

Sa  mort  coïncida  avec  le  pillage  de  la  factorerie  d'A- 
loe  et  à  Téchouage  du  Rainbow-  Le  Siuibeam  revint  en 
Angleterre  en  1862  avec  £5.000  de  produits;  mais  les 
héritiers  de  MacGregor  Laird  ne  voulurent  pas  repren^ 
dre  le  contrat  que  celui-ci  avait  passé  avec  le  gouver- 
nement anglais,  et  l'entreprise  cessa. 

Le  gouvernement  anglais  ne  se  désintéressa  pas 
immédiatement  de  ces  régions.  Baikie  y  était  resté 
comme  consul  et  s'était  établi  sur  l'emplacement  de 
l'ancienne  ferme  modèle,  où  il  fonda  la  ville  de  Lokodja 
en  1861,  avec  l'assistance  de  Glover.  Il  mourut  en  1864, 
dans  un  de  ses  voyages  de  retour  en  Angleterre,  mais 
le  consulat  fut  maintenu  jusqu'en  1867,  moment  où  il 
apparut  au  gouvernement  anglais  qu'il  était  difficile 
pour  le  moment  d'empêcher  la  traite  des  noirs  dans 
ces  pays,  raison  principale  pour  laquelle  le  consulat 
avait  été  établi.  Il  fut  supprimé. 

Un  certain  nombre  d'amis  de  MacGregor  Laird,  sous 
la  direction  d'Archibald  Hamilton,  entreprirent  cepen- 
dant de  continuer  son  œuvre.  Ils  fondèrent  «  The  River 
Niger  Navigation  and  Trading  Co.  »,  au  capital  de 
£400.000,  qui  fut  transformée  en  «  Company  of  African 
Merchants  »,  au  capital  de  £400.000,  dont  £300.000  fu- 
rent souscrites  par  les  fondateurs. 

Ils  demandèrent  alors  à  Lord  Palmerston  une  subven- 
tion du  gouvernement,  mais  aussitôt  un  certain  nombre 
de  groupes,  1'  «  Anglo  African  Go.  »,  les  «  African  Mer- 

1.  Point  où  Lander  avait  été  mortellement  blessé  par  les  indigènes. 


304  NIGERIA 

chants  of  Bristol  »  et  les  Merchants  ofLondon  »,  qui 
débutaient,  entreprirent  une  vive  campagne  contre 
Toctroi  de  toute  subvention,  comme  devant  servir  à 
constituer  un  monopole  commercial  à  leur  détri- 
ment. La  «  Company  of  African  Merchants  »  ne  put 
commencer  ses  opérations,  et  les  divers  commerçants 
se  firent  une  concurrence  effrénée  sur  les  bords  du 
Niger,  limitant  leur  commerce  à  peu  près  à  la  vente 
de  l'alcool  et  des  armes. 

Peu  à  peu  cependant  de  puissantes  maisons  s'organi- 
saient dans  les  Oil  Rivers  :  la  «  West  African  Company 
of  London  »,  Mr.  James  Pinnock,  la  «  Central  African 
Company  of  London  »  et  surtout  la  firm  Alexandre  Mil- 
1ers  Bro.  and  Co.  s'établissaient  solidement.  Une  nou- 
velle période  de  l'histoire  du  Niger  allait  commencer. 
Un  homme  d'une  énergie  supérieure,  Sir  Georges 
Taubman  Goldie,  allait  apparaître  qui  devait  terminer 
l'œuvre  des  Park,  Clapperton,  Beecroft,  Laird  et  entre- 
prendre d'acquérir  définitivement  à  l'Angleterre  une 
partie  au  moins  de  ces  territoires  qu'elle  convoitait 
depuis  si  longtemps. 


•  I 


1 1 


CHAPITRE   XXII 
LA  ROYAL  NIGER  C» 


La  concurrence  étrangère. 

Nous  avons  dit  au  début  de  cette  étude  comment 
nous  estimions  intimement  liés  Fexamen  de  la  politique 
indigène  suivie  par  TAngleterre  dans  ses  possessions 
de  TAfrique  occidentale  et  Tétude  des  circonstances 
qui  l'avaient  amenée  à  les  occuper.  Nous  pensons  que 
ces  circonstances  ont  tellement  influé  sur  cette  poli- 
tique qu'elles  en  ont  été,  pour  ainsi  dire,  le  seul  prin- 
cipe directeur. 

Dans  les  précédents  chapitres  nous  avons  vérifié 
cette  assertion;  mais  nous  n'avons  eu  à  faire  état  que 
des  rapports  du  pouvoir  anglais  avec  les  indigènes,  et 
nos  recherches  n'ont,  par  suite,  porté  que  sur  cette 
politique  indigène  proprement  dite. 

Alors  que  dans  tout  le  reste  de  l'Afrique  occidentale 
l'occupation  anglaise  n'avait  suivi  aucun  plan  conçu 
d'avance,  il  devait  en  être  tout  autrement  dans  les  ter- 
ritoires du  nord  du  Niger,  du  fait  d'un  homme  à  qui 
l'Angleterre  devait  être,  par  la  suite,  redevable  de  leur 
possession. 

Cette  occupation  devait  s'effectuer  non  point  simple- 
ment contre  des  indigènes,  mais  aussi  contre  des  par- 
ticuliers et  des  gouvernements  étrangers.  Pour  déter- 
miner sa  nature  et  connaître  toutes  les  raisons  qui  ont 

20 


V 
9 


306  LA.    ROYAL    NIGER    C® 

amené  TAngleterre  à  adopter  la  politique  qu'elle  a  sui- 
vie dans  ^es  tentatives  vis-à-vis  des  indigènes,  il  est 
nécessaire  d'écrire  l'histoire  de  cette  lutte. 

Les  relations  avec  les  indigènes  devaient  cependant 
rester  toujours  au  premier  plan  de  ces  événements.  En 
les  retraçant  nous  n'aurons  donc  pas  à  sortir  du  cadre 
de  cet  ouvrage. 

Fidèle  à  notre  programme,  nous  nous  bornerons  à 
insister  sur  les  points  qui  n'ont  pas  été  étudiés  jus- 
qu'ici. 

Toute  la  première  partie  de  cette  action  s'est  passée 
autour  d'une  compagnie  privée.  Nous  verrons  comment, 
pour  parvenir  au  but  qu'elle  poursuivait,  celle-ci  dut 
triompher,  par  toute  une  série  de  procédés  compliqués, 
des  concurrents  qui  gênaient  l'établissement  de  sa 
puissance  absolue;  comment  elle  eut  à  ramener  l'opi- 
nion publique  anglaise  elle-même  qui  lui  était  hostile  ; 
nous  rechercherons  quelles  furent  exactement  la  nature 
de  ses  rapports  avec  les  indigènes  et  la  manière  dont 
elle  eut  à  intervenir  auprès  d'eux.  Nous  rappellerons 
ensuite  qu'après  avoir  eu  à  employer  des  procédés 
régaliens  de  politique  intérieure  contre  ceux  qui  la 
gênaient,  elle  dut,  pour  consolider  son  œuvre,  recourir 
à  des  moyens  touchant  à  la  politique  internationale. 
Nous  tâcherons  de  faire  la  synthèse  de  tous  ces  évé- 
nements et  de  toutes  ces  luttes,  pour  montrer  enfin 
comment  celui  qui  en  fut  l'âme  eut  le  génie  de  les  diri- 
ger dans  le  sens  de  la  réalisation  du  but  qu'il  pour- 
suivait :  donner  à  l'Angleterre  un  grand  pays  sans 
qu'elle  eût  à  intervenir  directement,  et  cela  pour  ainsi 
dire  malgré  elle. 

Il   nous  restera  à  montrer  comment  fut  effectuée 


! 


LA  CONCURRENCE  ÉTRANGÈRE  307 


roccupatîon  réelle,  et  à  rechercher  quelle  politique  indi-  ' 

gène  fut  définitivement  adoptée. 

l 

Dès  le  jour  oii  des  circonstances  fortuites  l'amené-  y 

rent  à  s'occuper  du  bas  Niger,  on  peut  dire  que  Sir 
George  Taubman  Goldie  entrevit  les  grandes  lignes 
de  Fœuvre  qui  devait  avoir  pour  résultat  la  création  de 
la  Nigeria. 

Son  premier  soin  fut  de  réunir  en  une  seule  compa- 
gnie les  diverses  entreprises  dont  les  efforts  s'annihi- 
laient. Il  fonda  rUnited  African  Company  Ld.,  qu'il 
transforma  en  1882  en  National  African  Company  au 
capital  de  £1.000.000,  sous  la  présidence  do  lord  Aber- 
dare,  président  de  la  Société  de  géographie  de  Londres. 

Il  devait  tout  d'abord  se  heurter  aux  Français. 

Un  ancien  officier  des  tirailleurs  algériens,  le  comte 
de  Semelé,  avait  conçu  le  projet  d'aller  fonder  des 
comptoirs  au  bas  Niger,  et,  avec  quelques  amis,  il  avait 
créé  dans  ce  but,  en  1880,  une  société  anonyme,  la 
Compagnie  française  de  l'Afrique  Equatoriale,  au  capi- 
tal de  500.000  francs,  placés  sous  la  direction  de  la 
maison  Desprez-Huchet. 

Parti  de  Nantes  le  20  avril  à  bord  de  sa  goélette 
VAdamoKK*a,  il  arriva  à  Brass  en  juin,  s'y  procura  une 
chaloupe,  y  établit  son  dépôt  général  et  remonta  le 
bas  Niger. 

A  l'aide  de  quelques  agents,  il  fonda  cinq  comptoirs 
à  Abo,  Onitcha,  Igbébé,  Lokodja,  Egga,  et  un  sixième 
sur  le  Bénué  à  Loko. 

Tombé  malade,  il  partit  pour  la  France,  mais  il  mou- 
rut en  route  le  28  octobre  1880. 

La  société  continua  à  subsister.  Les  directeurs  dou- 


308  LA    ROYAL    NIGER    C** 

bièrent  son  capital,  la  réorganisèrent   sur  des  bases 
nouvelles  et  achetèrent  un  second  bateau,  le  Nupé. 

Il  semble  que  le  gouvernement  français  ait  alors 
quelque  peu  compris  l'intérêt  d'une  telle  entreprise, 
car  le  ministre  de  la  guerre  permit  que  Ton  prît  un  de 
ses  officiers,  le  capitaine  Mattei,  comme  agent  général; 
le  ministre  des  affaires  étrangères  lui  confia  le  titre 
d'agent  consulaire  de  France  à  Brass  River. 

Le  livre  que  nous  a  laissé  le  capitaine  Mattei*  nous 
le  montre  surtout  comme  un  brave  homme.  Un  plus 
habile  que  lui  n'aurait  probablement  pas  réussi  davan- 
tage à  triompher  de  la  concurrence  anglaise.  Il  eût  été 
certainement  difficile  de  mettre  plus  d'esprit  patrioti- 
que en  cette  entreprise  et  de  laisser  un  meilleur  sou- 
venir dans  la  mémoire  des  indigènes. 

Mattei  se  rendit  immédiatement  au  bas  Niger,  et, 
rencontrant  à  Lokodja  Mac-Intoch,  l'agent  général  de 
la  Compagnie  anglaise,  il  passa  avec  lui  la  convention 
suivante  : 

1**  Les  échanges  pour  l'ivoire,  l'huile  de  palme  et  les 
principaux  produits  se  feront  suivant  une  mercuriale 
que  les  agents  observeront  strictement. 

2**  Les  compagnies  ne  s'enlèveront  pas  mutuellement 
leurs  employés  noirs  par  l'appât  d'appointements  plus 
élevés,  et  tout  employé  renvoyé  par  une  compagnie  ne 
sera  pas  repris  par  l'autre. 

3**  En  cas  de  guerre  dans  les  territoires  du  fleuve, 
elles  se  prêteront  un  mutuel  appui  contre  les  noirs. 

Le  capitaine  Mattei  fonda  dans  le  Nupé  une  station 
à  Sosokuso.  Il  alla  ensuite  à  Bida  pour  obtenir  la  per- 

1.  BaS'Siger,  Benoué,  Dahomey  y  1  vol.  Baratières  frères  et  C",  Gre« 
noble,  1890. 


LA  CONÇU BRENCB  ÙTRANGERE  309 

mission  de  s'établir  à  Egga.  Il  offrit  au  chef  des 
cadeaux  que  celui-ci  refusa  parce  qu'ils  étaient  de 
valeur  beaucoup  inférieure  à  ceux  que  lui  avaient  don- 
nés la  Compagnie  anglaise  et  le  consul  Edouard  Hewet, 
qui  voyageait  dans  le  bas  Niger  avec  l'argent  de  cette 
Compagnie. 

Le  capitaine  Matteî  rentra  alors  en  France,  décidé  à 
demander  à  son  gouvernement  un  secours  analogue  à 
celui  que  le  Foreign  Office  et  la  Geographical  Society 
prêtaient,  disait-on  du  moins,  à  la  National  African  Co. 

La  société  sollicita  une  subvention  en  offrant  d'orga- 
niser une  ligne  de  vapeurs  qui  feraient  le  service  entre 
la  France  et  le  Gabon  en  touchant  au  Sénégal,  et  à  tous 
les  points  de  la  côte  ouest  où  se  trouvaient  des  comp- 
toirs français.  Elle  demandait  en  outre  des  cadeaux 
pour  les  chefs.  On  était  alors  bien  loin  de  s'intéresser 
aux  choses  d'Afrique,  et  rien  ne  fut  accordé. 

La  Compagnie  augmenta  cependant  son  capital ,  le 
portant  de  1.000.000  à  1.500.000  francs.  Elle  accrut  son 
personnel  et  donna  à  son  agent  l'autorisation  de  créer 
des  comptoirs  dans  les  lieux  où  se  trouveraient  des 
Anglais,  de  façon  à  ne  pas  les  laisser  maîtres  de  la  con- 
currence. 

Dans  le  courant  de  cette  campagne  (1882),  16  factore- 
ries nouvelles  furent  crées. 

Dans  cette  même  année  une  seconde  compagnie  fran- 
çaise vint  s'installer  auprès  de  la  Compagnie  de  l'Afri- 
que équatoriale  :  la  Compagnie  du  Sénégal  (ancienne 
Compagnie  Verminck),  devenue  par  la  suite  la  puis- 
sante Compagnie  Française  de  l'Afrique  occidentale. 

Le  capitaine  Mattei  se  rendit  à  Bida  auprès  de  Maleki, 
le  nouveau  chef  du  Nupé.  Il  y  avait  été  devancé  par  un 


310  LA    ROYAL    NIGER    c" 

bateau  de  la  Compagnie  anglaise  qui  portait  le  consul 
Ilewet,  MM.  Asbury,  actionnaire  de  la  Compagnie,  et 
Forbes,  membre  de  la  Société  de  géographie  de  Lon- 
dres, lesquels  allaient  visiter  les  principaux  chefs  et 
leur  distribuer  des  cadeaux. 

La  Compagnie  française  ne  put  présenter  à  Maleki 
que  pour  12.000  francs  de  présents,  alors  que  les  An- 
glais lui  en  avaient  apporté  pour  une  somme  considé- 
rable. Le  chef  indigène,  à  qui  le  capitaine  Mattei  avait 
expliqué  les  avantages  qui  devaient  résulter  pour  lui 
de  la  concurrence,  ne  se  laissa  pas  convaincre  et  remit 
à  Tannée  suivante  le  soin  de  donner  à  la  Compagnie  la 
permission  de  s'installer  plus  solidement  au  Nupé. 

Le  capitaine  Mattei  retourna  alors  en  France  (23  fé- 
vrier 1883).  11  essaya  de  montrer  au  gouvernement  le 
danger  de  la  politique  poursuivie  par  les  Anglais  au 
bas  Niger,  et  exposa  la  nécessité  de  soutenir  la  Compa- 
gnie si  Ton  désirait  arriver  au  but  qu'elle  ne  pouvait 
seule  atteindre. 

On  lui  accorda  3.000  francs  de  cadeaux. 

La  Compagnie  augmenta  son  capital  et  acquit  deux 
autres  bateaux,  le  A'iger  et  le  Maleki,  et  deux  chaloupes, 
la  Française  et  le  Rapide. 

Le  capitaine  Mattei  repartit  le  5  juillet,  et,  arrivé  à 
Brass,  il  chercha  à  conclure  un  traité  avec  les  chefs, 
mais  sans  y  parvenir,  ceux-ci  ayant,  en  effet,  été  terro- 
risés par  les  menaces  des  Anglais. 

La  Compagnie  anglaise  résolut  alors  d'en  finir. 
M.  Mac-Intoch,  qui  revenait  également  d'Europe,  donna 
l'ordre  de  baisser  d'environ  un  quart  la  valeur  des  mar- 
chandises partout  oii  les  Français  avaient  des  comptoirs. 

Il  ne  restait  à  la  Compagnie  française  qu'un  moyen 


LA  CONCURRENCE  ETRANGERE  311 

de  ^alut,  celui  craller  au-devant  des  caravanes.  Les  plus 
importantes  étaient  celles  qui  venaient  apporter  Ti- 
voire  de  TAdamcwa  aux  factoreries  d'Egga  et  de  Loko. 
Elles  traversaient  la  Bénué  à  Ibi  et  Outchébu. 

Le  capitaine  Matlei  y  installa  des  postes  et  fut  ainsi 
le  premier  commerçant  qui  ait  pénétré  si  avant  dans 
ces  contrées.  En  même  temps  il  allait  s'installer  à 
Echouga,  dans  le  Nupé,  bien  au-dessus  d'Egga. 

Ces  factoreries  devinrent  très  prospères;  malheu- 
reusement les  Anglais  ne  tardèrent  pas  à  s'établir  à 
côté.  En  outre,  à  la  suite  d'une  baisse  subite  des  eaux, 
la  Compagnie  de  l'Afrique  Equatoriale  vit  ses  deux 
plus  importants  steamers  échoués  et  immobilisés  pour 
six  mois.  Un  autre  navire  fut  perdu,  et  la  factorerie  de 
Loko  brûlée. 

Mattei  rentra  en  France  en  janvier  1884,  complète- 
ment découragé. 

Cependant  les  directeurs  de  la  Compagnie  n'avaient 
pas  perdu  tout  espoir  :  ils  portèrent  le  capital  à  trois 
millions  de  francs,  achetèrent  deux  nouvelles  embar- 
cations et  augmentèrent  leur  personnel,  toujours  sans 
aucun  aide  du  gouvernement  français. 

Le  capitaine  Mattei  revint  au  Niger  le  13  mai  1884. 

A  son  arrivée  à  Brass,  il  apprit  que  la  Compagnie 
française  du  Sénégal,  qui  s'était  établie  précédemment 
à  côté  de  la  Compagnie  de  l'Afrique  Equatoriale,  vendait 
ses  comptoirs  aux  Anglais.  Ceux-ci  baissaient  encore 
leurs  prix,  et  en  avril  1885,  ne  pouvant  plus  lutter,  la 
Compagnie  française  fusionnait  avec  la  Compagnie 
anglaise.  Tout  le  matériel  nautique  et  terrestre  était 
vendu  aux  Anglais  contre  des  actions  de  leur  Compa- 
gnie (à  la  date  du  31  décembre  1884). 


\ 


312  LA    ROYAL    NIGER    C** 

«  De  tous  côtés,  écrit  le  capitaine  Mattei,  les  rois  et 
les  chefs,  les  riches  et  les  pauvres,  venaient  en  masse 
me  supplier  de  ne  pas  partir,  me  promettant  d'appor- 
ter tous  leurs  produits  dans  les  factoreries  françaises. 
Que  de  messages  n'ai-je  pas  reçus  du  roi  Maleki,  qui 
ne  s'est  donné  aux  Anglais  que  parce  que  nous  n'avons 
pas  voulu  de  lui!  » 

A  la  conférence  de  Berlin,  le  plénipotentiaire  anglais 
pouvait  déclarer  que  seuls  les  intérêts  anglais  étaient 
représentés  au  bas  Niger,  et  faisait  reconnaître  les  ter- 
ritoires du  Delta  et  du  bas  fleuve  jusqu'à  Lokodja 
comme  dépendant  de  l'Angleterre. 

Mac-Intoch,  nommé  consul  pour  la  circonstance,  fai- 
sait afficher  dans  les  factoreries  du  bas  fleuve  une  pro- 
clamation portant  : 

«  Le  Nupé  est  placé  sous  le  protectorat  de  la  reine. 
Nul  ne  pourra  s'établir  dans  le  royaume  de  Nupé  pour 
y  faire  du  commerce,  sans  l'autorisation  du  représen- 
tant de  Sa  Majesté  Britannique.  » 

La  Compagnie  avait  triomphé  des  Français.  Il  lui  res- 
tait à  lutter  contre  les  Allemands. 

Flegel  avait  en  eff'et  conçu  le  projet  de  gagner  à  l'Al- 
lemagne les  terres  du  bas  Niger,  à  peu  près  au  moment 
où  Sir  G.  Taubman  Goldie  prenait  la  résolution  de  les 
donner  à  l'Angleterre. 

Arrivé  au  Niger  pour  la  première  fois  en  1879,  Fle- 
gel explora  le  Niger  et  surtout  la  Bénué.  Rentré  en 
Allemagne,  il  fit  tous  ses  eff'orts  pour  attirer  l'attention 
de  son  pays  vers  ces  territoires,  et  en  1885  il  fut  chargé 
par  la  Société  Coloniale  Allemande  de  traiter  avec  les 
chefs  des  pays  arrosés  par  le  Niger  et  la  Bénué. 


LA  CONCURRENCE  ÉTRANGÈRE  313 

La  National  African  Company  vit  le  danger,  et  elle 
engagea  aussitôt  l'explorateur  Thompson  pour  essayer 
de  traiter  avec  l'explorateur  allemand. 

A  la  suite  de  Flegel,  la  Société  Africaine  Allemande 
envoya  dans  le  même  but,  sous  les  auspices  du  chance- 
lier et  de  l'empereur,  une  autre  expédition  dirigée  par 
le  docteur  Staudinger.  Flegel  mourait  peu  après  à  Brass, 
mais  le  docteur  Staudinger  assura  qu'il  avait  réussi 
à  conclure  des  traités  tout  le  long  de  la  Bénué  et  du 
Sokoto. 

La  Compagnie  anglaise  fit  tous  ses  efforts  pour 
arrêter  les  expéditions  allemandes.  Flegel  eut  à  en 
souffrir  au  point  que  pendant  très  longtemps  on  accusa 
en  Allemagne  la  Compagnie  anglaise  de  sa  mort. 
Staundinger  eut  à  se  débattre  au  milieu  de  mille  diffi- 
cultés suscitées  par  elle. 

«  Au  début,  dit-il  %  les  représentants  de  la  National 
African  Company  se  tinrent  tranquilles;  ils  n'avaient 
pas  encore  reçu  les  instructions  de  l'agent  en  chef  Mac- 
Intoch.  Elles  arrivèrent  bientôt  et  étaient  de  repousser 
par  tous  les  moyens  possibles  les  Allemands.  Les  pre- 
miers efforts  dans  ce  sens  furent  faits  aussitôt.  » 

Nous  avons  dit  que  le  docteur  Staundinger  assura 
qu'il  avait  traité  au  Sokoto,  malgré  les  prétentions 
anglaises.  Le  sultan  de  ce  pays  lui  déclara  qu'il  n'avait 
pas  vendu  à  la  Compagnie  anglaise  un  pouce  des  terres 
placées  sous  son  autorité,  et  qu'il  ne  lui  avait  pas 
accordé  le  moindre  monopole  :  ses  marchés  étaient 
ouverts  à  tous  les  peuples.  La  convention  passée  avec 
les  Allemands   aurait  consisté   en   la  permission   de 

1.  Conférence  du  12  août  1889  à  la  Deutsche  Kolonialzeitung  {Deutsche 
Kolonialzeitung,  31  août  1889,  p.  263). 


314  LA.    ROYAL    NIGER    G® 

construire  des  factoreries  en  tout  point  du  Sokoto  et 
en  une  cession  du  terrain  nécessaire  à  leur  établisse- 
ments 

'  L'Angleterre  avait  toujours  soutenu  très  fermement 
ses  prétentions  sur  le  Sokoto  et  le  Gandu,  qui  for- 
maient alors  pour  elle  deux  empires  distincts.  L'Alle- 
magne, malgré  les  explorateurs  qu'elle  avait  envoyés, 
ne  s'attacha  pas  à  critiquer  son  dire  :  son  attention 
était  attirée  ailleurs.  M.  de  Bismarck,  heureux  de  pou- 
voir assurer  à  son  pays  le  Togo  et  le  Cameroon,  n'é- 
tendit pas  plus  loin  ses  désirs.  Le  29  avril  1885*, 
l'empire  allemand  s'engageait  vis-à-vis  de  l'Angleterre 
à  n'exercer  aucune  influence  sur  la  côte,  de  l'embou- 
chure du  Rio  del  Rey  (Cameroon)  au  Lagos ,  ni  à 
l'ouest  de  la  ligne  partant  du  Rio  del  Rey  pour  aboutir 
au  point  où  le  9'*,8  de  longitude  E.  de  Greenwich  ren- 
contrait la  Cross  River,  ligne  qui  formait  la  frontière 
ouest  du  Cameroon.  L'Allemagne  renonçait  ainsi  à 
tout  droit  sur  les  empires  du  Niger. 

Le  27  juillet  1886%  cette  frontière  du  Cameroon  était 
étendue  jusqu'à  Yola*.  Les  deux  puissances  s'enga- 
geaient à  traiter  de  la  même  manière,  dans  leurs  terri- 
toires respectifs  ainsi  définis,  les  Anglais  et  les  Alle- 
mands. Les  taxes  qui  seraient  levées  devraient  être 
aussi   légères    que   possible    et  ne   pas   dépasser    ce 

1.  Deutsche  Kolonialzeiliing,  !«' sept.  1887,  p.  500. 

2.  Arrangement  between  Great  Britain  and  Germany  relative  to  their 
respective  sphères  of  action  in  portions  ofAfrica.  Juin  1885.  Pari,  papers, 
C.  4'i'*2. 

3.  Supplementary  Arrangement  between  Great  Britain.,,  Février  1887. 
Pari,  papers,  G  4938. 

4.  La  frontière  au  delà  de  Yola  fut  déterminée  par  le  traité  de  1893.  Sa 
base  au  Rio  del  Rey  avec  le  Niger  Protectoratc  donna  Heu  à  de  nombreu- 
ses difficultés  et  à  diverses  délimitations  en  1889  et  1893. 


LA  CONCURRENCE  ETRANGERE  315 

qui  était  nécessaire  pour  les  dépenses  d'administra- 
tion. 

Les  territoires  demandés  par  la  National  African 
Company  lui  étaient  ainsi  reconnus  par  TAllemagne. 
Le  docteur  Staundinger  avait  conclu  des  traités  au  Niger 
en  ne  se  plaçant  qu'au  point  de  vue  commercial;  des 
tentatives  analogues  ne  furent  pas  renouvelées;  mais 
TAUemagne  n'en  devait  pas  moins  s'opposer  énergi- 
quement  pendant  plusieurs  années  aux  agissements  de 
l'Angleterre. 

• 

La  longue  polémique  qui  s'engagea  entre  les  deux 
gouvernements  à  ce  sujet  devient  plus  claire  si  on  la 
décompose  en  deux  parties  :  d'abord  toute  une  discus- 
sion relative  à  des  intérêts  commerciaux,  s'appuyant 
uniquement  sur  des  questions  de  taxe  et  d'administra- 
tion, puis,  à  côté,  une  autre  discussion  toujours  rela- 
tive à  des  affaires  commerciales,  dérivant  de  la  déter- 
mination des  territoires  dépendant  de  la  Compagnie. 
Pareillement  prend  place  toute  la  longue  affaire  du 
négociant  Iloenigsberg,  que  le  gouvernement  allemand 
invoque  à  l'appui  de  ses  réclamations. 

C'est  cet  ordre  que  nous  suivrons  dans  cet  historique. 

Les  premiers  obstacles  que  la  Compagnie  opposa  au 
commerce  furent  des  restrictions  au  libre  droit  de  transit 
sur  le  Niger.  Dès  le  début,  les  commerçants  allemands 
réclamèrent  contre  la  façon  dont  ce  droit  était  observé. 

Le  gouvernement  anglais  s'empressa  de  déclarer' 
que  la  liberté  de  transit  était  parfaitement  respectée 
dans  les  territoires  de  la  Compagnie.  11  en  fut  pris  acte*; 

1.  21  septembre  1887,  Weissbnk,  n»  1,  pièce  1. 

2.  21  septembre  1887,  Weissbuk,  n*  1,  pièce  3. 


316  LA    ROYAL    NIGER    C** 

mais  on  demanda  que  la  déclaration  de  ce  droit  figurât 
dans  les  règlements*  de  la  Compagnie.  La  Compagnie 
n'eut  pas  de  peine  à  rendre  cette  mesure  illusoire.  Les 
commerçants  se  plaignirent  du  règlement  des  escales- 
La  Compagnie  avait  déclaré  qu'aucun  bateau  ne  serait 
forcé  de  faire  escale  en  un  point  déterminé  du  fleuve 
ou  de  payer  des  taxes';  les  Allemands  assurèrent 
que  cette  promesse  n'était  point  exécutée  et  que  les 
règlements  n'avaient  d'autre  but  que  de  protéger  les 
intérêts  de  la  Compagnie^. 

Une  question  plus  grave  allait  se  poser.  La  charte 
défendait  à  la  Compagnie  de  monopoliser  le  commerce 
dans  ses  territoires.  Anglais,  Français  et  Allemands 
furent  tous  d'accord  pour  déclarer  qu'elle  ne  se  con- 
formait pas  à  cette  prescription*. 

Le  gouvernement  allemand  ayant  fait  observer  que 
les  droits  perçus  au  Niger  étaient  plus  élevés  que 
ceux  qui  étaient  fixés  dans  les  colonies  de  la  côte  oueèt 
d'Afrique,  à  Lagos  en  particulier,  il  lui  fut  répondu, 
qu'à  ce  point  de  vue  les  intérêts  des  nationaux  anglais 
étaient  les  mêmes  que  ceux  des  commerçants  étran- 
gers et  que  le  gouvernement  anglais  avait  à  cœur  de 
les  protéger.  L'ambassadeur  allemand  à  Londres  dé- 
clara alors  à  Lord  Salisbury'^  que  ces  taxes  étaient 
contraires  à  la  convention  anglo-allemande  de  juin  1888, 
dans  laquelle  il  avait  été  spécifié  que  les  tarifs  seraient 
aussi  bas  que  possible.  Il  ne  pouvait  que  se  joindre  à 
la  Chambre  de  commerce  de  Liverpool  pour  demander 

1.  9  janvier  1888,  Weisshuk,  1,  4,  et  18  mars  1888,  1, 6. 

2.  3  août,  Weisshuk,  1,  3. 

3.  21  sept.  1887,  Weisshuk,  1,  3. 

4.  3  août  1887,  Weisshuk,  1,  3. 

5.  Weisshuk,  1,  3. 


LA  CONCURRBNCE  ETRANGERE  317 

le  retrait  de  la  charte.  Il  réclamait  avec  d'autant  plus 
d'insistance  que  les  commerçants  allemands  étaient 
menacés  du  sort  de  la  maison  anglaise  Santana,  et  d'au- 
tres encore  qui  n'avaient  pu  se  maintenir  dans  le  haut 
Niger  en  raison  des  difficultés  créées  par  la  Compagnie. 
Elle  avait  institué  des  droits  de  douane  élevés,  sous 
prétexte  que  ses  dépenses  d'administration  étaient 
considérables;  mais  en  fait  son  organisation  adminis- 
trative était  toute  rudimentaire.  Le  gouvernement 
anglais  déclarait  qu'il  était  en  droit  de  restreindre, 
dans  un  but  humanitaire,  les  importations  de  certains 
articles,  comme  les  alcools,  les  armes  et  les  munitions; 
ce  n'était  exact,  en  vertu  de  la  convention  anglo-alle- 
mande de  1885,  qu'à  la  condition  que  ces  droits  ne  fus- 
sent pas  prohibitifs. 

Devant  ces  déclarations  très  nettes,  la  Compagnie 
essaya  de  discuter*. 

Il  est  vrai,  répondit  en  son  nom  le  Foreign  Office, 
que  la  convention  de  1885  porte  que  les  droits  de 
douane  seraient  aussi  peu  élevés  que  possible;  mais  les 
deux  gouvernements  ont  été  d'accord  pour  convenir 
que,  tout  en  étant  appliqués  de  la  même  manière  aux 
nationaux  des  deux  pays,  ces  droits  seraient  employés 
à  couvrir  les  dépenses  administratives  et  d'occupation 
sans  qu'on  puisse  fixer  un  maximum  à  ces  dépenses  :  le 
gouvernement  anglais  n'avait  donc  aucun  moyen  d'em- 
pêcher la  Compagnie  de  fixer  aux  taxes  un  taux  élevé.  La 
Compagnie  payait  du  reste  elle-même  ces  taxes  :  elle  avait 
donc  intérêt  à  voir  se  multiplier  les  maisons  de  com- 
merce, de  façon  à  diminuer  les  frais  qui  lui  incombent. 

1.  Weissbuk,  1,  4. 


t      •  ■- 


318  LA    ROYAL    NIGER    C* 

Le  gouvernement  allemand  n'admit  pas  cette  ma- 
nière de  voir,  et,  sans  s'arrêter  aux  prétendues  pertes 
que  la  Compagnie  éprouverait  à  exercer  un  monopole, 
il  se  borna  à  déclarer*  que  les  frais  d'administration  ne 
correspondaient  pas  aux  droits  perçus,  que  dans  le  Niger 
moyen  il  n'y  avait  pas  d'établissements  commerciaux, 
que  du  reste  il  savait  de  source  certaine  que  la  Com- 
pagnie importait  des  quantités  considérables  d'alcool  et 
de  genièvre.  C'était  là  une  présomption  grave  de  mau- 
vaise foi. 

L'Allemagne  maintint  toutes  ses  réclamations;  en 
même  temps  elle  se  préoccupa  des  prétentions  terri- 
toriales de  la  Compagnie. 

Dès  avril  1887%  une  carte  des  frontières  des  terri- 
toires de  la  Compagnie  fut  demandée  à  Londres.  Après 
des  réclamations  réitérées,  on  en  envoya  une  le  9  jan- 
vier 1888%  sommaire  et  peu  précise;  c'est  cependant  le 
seul  document  officiel  qui  ait  été  publié  à  ce  sujet. 

Le  Foreign  Office  fit  alors  une  déclaration  intéres- 
sante :  «  Le  protectorat  du  gouvernement  anglais  s'é- 
tend sur  tous  les  territoires  sur  lesquels  s'exercent  les 
pouvoirs  de  la  Niger  Co.  »  Il  ajouta  qu'il  allait  sans  dire 
ce  que,  d'après  sa  charte,  la  Compagnie  n'avait  pas  le 
droit  d'exercer  son  influence  sur  de  nouveaux  territoires 
sans  le  consentement  du  gouvernement  de  Sa  Majesté, 
consentement  qui  ne  pouvait  naturellement  être  donné 
que  conformément  aux  conventions  internationales  ». 
C'est  ainsi  que  la  Compagnie  avait  abandonné  les  droits 
qu'elle  avait  acquis  sur  les  territoires  situés  à  l'est  de 

1.  Weissbali,  1,  G. 

2.  Weissbuk,  1,  3. 

3.  JVeissbuh,\y(k. 


LA  CONCURRENCE  ETRANGERE  319 

Yola  dès  qu'on  lui  avait  fait  comprendre  que  ses  pré- 
tentions étaient  contraires  aux  conventions  anglo- 
allemandes  de  1885. 

Le  gouvernement  allemand  prit  acte  de  la  commun!- 

» 

cation  de  la  carte  des  territoires  de  la  Compagnie,  en 
faisant  des  réserves  au  sujet  de  certains  points;  ces 
réserves  donnèrent  lieu  à  des  explications  au  sujet  des 
traités  qui  avaient  fixé  la  ligne  frontière. 

Le  gouvernement  allemand  désirait  surtout  savoir 
jusqu'où  s'étendaient  les  prétentions  de  la  Compagnie, 
car  aussi  loin  que  Ton  voulût  remonter  le  Niger,  celle- 
ci  déclarait  que  Ton  était  chez  elle,  et  le  droit  de  transit 
devenait  ainsi  illusoire*. 

C'est  ce  que  le  commerçant  Hoenigsberg  apprit  à  son 
détriment;  son  cas  mérite  un  examen  spécial;  il  montre 
bien  la  manière  d'agir  de  la  Compagnie  à  cette  époque. 

Hoenigsberg  était  un  commerçant  de  Brème  qui,  éta- 
bli à  Lagos,  avait  autrefois  entrepris  de  commercer  au 
Nupé,  estimant  que  ce  royaume  était  en  dehors  de  la 
zone  d'action  de  la  Compagnie.  Celle-ci  ne  fut  pas  de 
cet  avis,  et  le  gouvernement  allemand  adressa  à  ce  sujet 
au  secrétaire  du  Foreign  Office  le  mémorandum  sui- 
vant* : 

«  Lorsque  le  roi  du  Nupé  a  appris  que  le  bruit  cou- 
rait qu'il  avait  vendu  son  pays  à  la  Compagnie,  ou  qu'il 
lui  avait  accordé  un  monopole  commercial,  il  somma  le 
Senior  Executive  Officer  de  la  Compagnie,  M.  Wallace, 
et  le  District  'Agent  d'Egga  de  venir  à  Bida.  Il  exigea 
qu'il  lui  montrât  tous  les  documents  qu'il  possédait  sur 
le   royaume    du  Nupé,  ainsi  que  la  charte  royale,  de 

1,  Weisshaky  1,  6. 

2.  Weissbah,  1,  3. 


320  LA    ROYAL    NIGER    C® 

façon  à  prouver  aux  chefs  qu'il  avait  sous  ses  ordres 
qu'il  n'avait  jamais  vendu  son  pays  ni  abdiqué  aucun 
de  ses  droits  et  qu'il  était  le  seul  libre  de  prélever  des 
impôts  dans  son  royaume.  M.  Hoenigsberg  affirme  avoir 
payé  à  la  Compagnie  la  somme  de  950  livres  pour  des 
marchandises  exportées  du  Nupé  ou  importées  dans  ce 
pays.  Puisque,  d'après  l'acte  de  navigation  du  Niger,  les 
bateaux  et  les  marchandises  passant  par  le  fleuve  n'ont 
pas  à  payer  de  droits  de  transit  et  que  le  Nupé  n'appar- 
tient pas  aux  territoires  de  la  Compagnie  du  Niger,  et 
par  conséquent  n'est  pas  considéré  comme  soumis  au 
protectorat  de  l'Angleterre,  il  nous  semble  juste  d'exi- 
ger de  la  Compagnie  la  restitution  des  droits  payés 
jusqu'à  ce  jour  pour  le  passage  des  marchandises  à 
destination  du  Nupé  et  la  suppression  pour  l'avenir 
de  tout  impôt  analogue.  » 

En  somme,  ce  qui  était  surtout  en  question,  c'était  la 
nature  des  droits  queia  compagnie  prétendait  avoir  sur 
les  territoires  sur  lesquels  s'étendaient  les  privilèges 
de  sa  charte.  Lord  Salisbury  le  sentit  bien.  Aussi  la 
défendit-il  avec  énergie  et  commença-t-il  par  poser  la 
question  de  principe. 

«  Il  a  été  admis  par  les  puissances,  déclara-t-iP,  que 
la  prise  de  possession  effective  et  l'administration 
immédiate  exigée  par  la  conférence  de  Berlin  ne 
devaient  pas  nécessairement  être  mises  en  vigueur  en 
même  temps  sur  l'ensemble  des  territoires  annexés, 
mais  bien  graduellement.  C'est  ce  qui  a  eu  lieu  dans 
l'État  Libre  du  Congo  et  dans  les  possessions  françaises, 
portugaises,  allemandes  et  anglaises.  On  a  admis  en 

1.  Weissbuk,  1,  8. 


LA  CONCURRENCE  ÉTRANGÈRE  321 

outre  que  le  consentement  des  chefs  indigènes  était 
acquis  aux  pouvoirs  protecteurs  sans  que  ceux-ci  aient 
à  en  faire  la  preuve.  Il  est  donc  inadmissible  qu'un  gou- 
vernement soit  obligé  de  démontrer  la  réalité  des  droits 
qu'il  a  sur  un  pays  toutes  les  fois  qu'il  plaira  à  un  com-  | 

merçant  ou  à  un  voyageur  de  les  contester  sous  prétexte 
que  son  administration  est  insuffisante.  On  connaît  les 
rois  indigènes  assez  menteurs  pour  qu'on  n'ait  point  à 
tenir  compte  de  leurs  déclarations.  Le  gouvernement 
de  Sa  Majesté  ne  voudrait  pour  rien  au  monde  encou- 
rager ceux  du  Cameroon  à  se  révolter  contre  le  protec- 
torat exercé  par  l'Allemagne  sur  cette  région  qui  n'a 
pas  encore  d'administration  régulière.  Il  espère  que 
ces  égards  seront  réciproques.  » 

Après  ces  déclarations  générales,  le  Secrétaire  d'État 
aborde  la  question  du  Nupé,  et  il  l'enserre  dans  un 
dilemme  singulier  :  • 

«  Tout  ce  que  Iloenigsberg  conteste  en  s'appuyant 
sur  les  déclarations  de  Maleki,  c'est  que  l'administration 
de  la  Compagnie  ait  le  droit  d'exercer  son  autorité.  Or, 
il  n'y  a  point  à  tenir  compte  des  dires  des  chefs  indi- 
gènes, étant  donnée  leur  duplicité.  Maleki,  par  une 
déclaration  solennelle  du  mois  de  mars  1885,  a  accordé 
à  la  Compagnie  le  monopole  éternel  et  absolu  du  com- 
merce dans  son  roj^aume,  ainsi  qu'un  pouvoir  illimité 
sur  tous  les  étrangers.  Ce  n'est  que  par  l'annexion  sous 
le  protectorat  britannique  de  ces  territoires,  du  fait  de 
-  la  charte,  que  ce  monopole  est  tombé  :  c'est  grâce  à 
cela  que  Hoenigsberg  a  pu  commercer  avec  le  Nupé. 
Si,  comme  il  le  prétend,  il  n'y  a  pas  de  protectorat,  le 
monopole  de  la  Compagnie  reste  entier;  mais  il  y  a  pro- 
tectorat britannique  :  la  convention  sur  faquelle  il  est 

21 


I 


322  LA    ROYAL    NIGER    C** 

basé  n'a  pas  été  conclue  avec  l'émir,  qui,  chef  indigène 
vassal,  n'a  pas  le  pouvoir  de  signer  un  engagement  de 
ce  genre  :  le  Nupé  est  une  dépendance  du  Gandu.  Un 
traité  a  été  signé  par  le  chef  de  ce  pays  le  20  décembre 
1886.  » 

Ces  raisonnements  subtils  ne  convainquirent  pas  le 
ministère  des  affaires  étrangères  d'Allemagne,  et  voici 
comment  on  peut  grouper  les  arguments  qu'il  invoqua 
pour  leur  répondre*  : 

Pour  ce  qui  est  des  questions  de  principe,  il  est  cer- 
tain que  les  puissances  européennes  qui  occupent  des 
territoires  en  Afrique  centrale  ne  sont  point  obligées 
d'y  introduire  immédiatement  une  administration  par- 
faitement organisée,  et  que  si  quelque  chef  indigène 
nie  la  conclusion  d'un  traité,  la  puissance  protectrice 
n'a  point  l'obligation,  dans  les  circonstances  ordinaires, 
de  prouver  juridiquement  ses  droits.  Mais  ici  il  ne  s'a- 
git pas  d'un  gouvernement,  mais  bien  de  la  Niger  Co. 

Or  la  notification  officielle  du  18  octobre  a  déclaré 
que  le  protectorat  britannique  s'étendait,  en  dehors  de 
la  côte  qui  va  de  Lagos  au  Rio  del  Rey,  aux  territoires 
qui  sont  ou  seront  sous  le  gouvernement  de  la  Royal 
Niger  Co.  Dans  le  cas  présent  il  s'agit  du  Nupé.  Malgré 
la  présence  d'agents  de  la  Compagnie,  il  est  bien  certain 
que  ce  pays  n'est  pas  gouverné  par  elle,  mais  bien  par 
le  chef  indigène. 

On  ne  peut  pas  invoquer  non  plus  un  protectorat,  car, 
malgré  ce  qu'on  a  pu  en  dire,  il  n'y  a  pas  eu  de  traité  le 
conférant.  La  Compagnie  déclare  qu'elle  ne  pouvait  pas- 
ser de  traité  de  protectorat  avec  le  Nupé  parce  que  ce 

1.  16  juillet  1888,  Weisshuh,  1,9. 


LA  CONCURRENCE  ÉTRANGÈR^  323 

pays  dépendait  du  Gandu  ;  mais  cela  est  en  contradiction 
avec  la  convention  du  23  mars  1885  passée  par  M.  Mac- 
intosh qu'elle  a  invoquée  précédemment.  Quant  au  rai- 
sonnement d'après  lequel,  s'il  n'y  a  point  de  protectorat 
sur  le  Nupé,  l'ancien  traité  passé  par  la  Compagnie  serait 
toujours  en  vigueur,  il  est  impossible  de  l'admettre,  car 
ce  traité  et  ses  similaires,  qui  concéderaient  un  mono- 
pole à  la  Compagnie,  seraient  en  contradiction  avec 
l'Acte  de  navigation  du  Niger. 

Le  gouvernement  allemand  maintenait  donc  toutes 
ses  réclamations. 

Les  difficultés  auxquelles  devait  se  heurter  Hoenigs- 
berg  furent  de  toutes  sortes. 

Pour  cause  de  formalités  douanières  à  remplir,  on 
retardait  l'arrivée  de  ses  marchandises;  sous  prétexte 
qu'il  ne  les  avait  point  fait  passer  par  le  chemin  régle- 
mentaire,  on  les  lui  confisquait;  comme  on  prétendait 
qu'il  avait  commercé  en  des  points  défendus,  on  l'em- 
prisonna, et  on  ne  le  relâcha  que  contre  le  payement 
d'une  grosse  amende.  Bref,  en  peu  de  temps  il  fut  com- 
plètement ruiné,  ce  dont  il  accusa  uniquement  la  Compa- 
gnie. L'histoire  est  trop  longue  pour  être  rapportée  ici; 
mais  on  la  trouvera  tout  au  long  dans  le  Livre  blanc 
publié  par  le  gouvernement  allemand  à  propos  des  inci- 
dents qui  en  résultèrent. 

Hoenigsberg  ne  manqua  pas  de  se  plaindre.  Un  long 
article  du  Deutsch  Kolonial  Zeitung  de  juillet  1888  vint 
rendre  publiques  ses  doléances. 

Cette  publication,  qui  se  faisait  l'écho  des  difficultés 
que  nous  avons  analysées  entre  les  deux  puissances,  fit 
grand  bruit. 
Le  Times  lui-même,  dans  un  long  article  qui  en  ren- 


324  LA    ROYAL    NIGER    C® 

dait  compte,  ne  prit  pas  entièrement  la  défense  de  la 
Compagnie.  Tout  en  déclarant  que  celle-ci  avait  le  droit 
de  faire  sur  ses  territoires  ce  qui  lui  convenait,  il  disait 
qu'il  serait  peut-être  bon  que  le  gouvernement  anglais 
s'assurât   si  la   liberté  de   navigation  du   fleuve   était 
entière,  et  si  les  règlements  qui  la  régissaient  n'étaient 
pas  contraires  aux  conventions  internationales.  La  cri- 
tique était  cependant  modérée,  car  le  grand  journal  se 
hâtait  d'ajouter  :  «  Une  société  présidée  par  un  homme 
du  caractère  de  lord  Aberdare  ne  ferait  certainement 
rien  qui  puisse  avoir  l'air  d'un  monopole  ou  d'une  injus- 
tice, rien  qui  puisse  nuire  au  bon  renom  et  à  la  gran- 
deur de  l'Angleterre.  » 

Peu  de  jours  après  eut  lieu  l'assemblée  générale 
des  actionnaires  de  la  Compagnie.  Lord  Aberdare, 
dans  son  discours,  ne  pouvait  se  dispenser  de  faire 
allusion  aux  attaques  dont  la  Compagnie  était  l'objet. 

Il  interprétait  ainsi  la  situation  de  la  Compagnie  du 
Niger. 

«  On  a  discuté  à  la  conférence  de  Berlin  et  on  dis- 
cute maintenant  encore  la  situation  du  Congo  et  du 
Niger.  On  croit  généralement  qu'elles  sont  connexes 
et  qu'on  lésa  réglées  de  même.  Ce  n'est  qu'une  erreur. 
Avant  la  discussion,  la  situation  du  Congo  était  entière. 
Les  prétentions  émises  par  les  Portugais  étaient  suran- 
nées, celles  de  la  France  et  de  la  Belgique  toutes 
récentes.  Rien  n'empêchait  donc  d'y  établir  la  naviga- 
tion libre  et  le  libre  commerce.  Au  Niger  il  en  était 
tout  autrement.  Sa  découverte,  dans  sa  partie  basse  et 
riche,  est  entièrement  due  à  l'esprit  anglais  d'aven- 
ture, à  l'ardente  philanthropie  anglaise,  à  l'indomptable 
initiative  du  commerce  anglais.  La  conquête  commer- 


LA  CONCUnnENCE  ÉTRANGÈRE  325 

ciale  a  été  faite  par  deux  ou   trois  maisons  anglaises 
jqui    sont  devenues   la  Niger  Company.   On  ne  pou- 
vait  régler   les   choses   de   la    même    manière   qu'au 
Congo.  » 

Lord  Aberdare  défendait  ensuite  la  Compagnie  con- 
tre l'accusation  d'avoir  établi  des  droits  de  douane  pro- 
hibitifs, ses  taxes  n'étant  en  moyenne  que  de  2  p.  100 
ad  valorem.  Il  reconnaissait  qu'elles  atteignaient  12  p. 
100  à  l'intérieur;  mais  il  expliquait  que  la  faute  en 
était  aux  dépenses  administratives,  auxquelles  ses  taxes 
devaient  pourvoir  et  qui  étaient  d'autant  plus  élevées 
que  l'on  entrait  plus  avant  dans  les  terres.  Il  assurait 
que  la  perception  de  ces  taxes  ne  pouvait  être  une 
arme  pour  la  Compagnie,  car  elle  les  acquittait  comme 
les  autres  commerçants  et  les  appliquait  aux  frais  d'ad- 
ministration, de  sorte  que,  comme  elle  était  seule  au 
Niger,  elle  en  supportait,  pour  sa  part,  les  quatorze 
quinzièmes. 

Les  commerçants  de  Hambourg  montrèrent  qu'ils 
n'étaient  pas  dupes  de  ce  raisonnement.  Leur  Chambre 
(le  commerce  adressa  au  gouvernement  allemand  une 
pétition  qui  résumait  leurs  griefs  contre  la  Compagnie. 

Ils  firent  remarquer  que  si  la  Compagnie  payait  des 
droits,  elle  se  les  payait  à  elle-même,  et  que  si  leur 
produit  servait  à  couvrir  les  dépenses  de  gouverne- 
ment, étant  seule  à  commercer,  elle  était  seule  à  profi- 
ter de  ces  dépenses,  que,  à  défaut  de  tout  autre  gouver- 
nement, elle  ne  pourrait  se  dispenser  de  faire. 

Le  gouvernement  allemand,  qui  ne  cessa  de  prendre 
la  défense  de  ses  nationaux,  finit  par  obtenir  du  gou- 
vernement anglais  qu'une  enquête  serait  faite  sur 
place. 


326  LA    ROYAL    NIGER    C 


0 


L'Angleterre  désigna  le  major  Claude  Macdonald 
(actuellement  Sir  Claude  Macdonald),  et  FAUemagne 
M.  Puttkamer,  qui  reçut  le  titre  de  consul  allemand  au 
Niger  et  qui  devait  devenir  plus  tard  pendant  de  lon- 
gues années  gouverneur  du  Cameroon. 

Les  instructions  données  au  commissaire  anglais 
restèrent  secrètes;  on  fit  connaître  simplement  que 
Tenquête  devait  porter  sur  l'administration  de  la  Com- 
pagnie et  sur  le  gouvernement  qu'il  convenait  d'établir 
aux  Oil  Rivers. 

M.  Puttkamer  devait  surtout  étudier  le  monopole 
commercial  exercé  par  la  Compagnie,  les  moyens  em- 
ployés par  elle  pour  l'établir,  la  mesure  dans  laquelle 
ses  impôts  étaient  justifiés,  laoïature  de  ses  rapports 
avec  les  puissances  étrangères;  il  devait  en  outre  s'ef- 
forcer d'éclaircîr  l'affaire  Hoenigsberg. 

M.  Puttkamer  arriva  à  Bénin  le  3  janvier  1889,  prit  la 
branche  Forcados  comme  étant  la  plus  aisée,  et,  après 
de  nombreux  échouages  sur  les  bancs  de  sable,  arriva 
le  y  à  Onja,  où  il  croyait  trouver  un  établissement  de  la 
Compagnie.  Il  n'y  trouva  pas  de  poste,  et,  n'ayant  aucun 
intérêt  à  aller  à  Akassa,  ce  qui  aurait  nécessité  un 
détour  de  240  milles,  il  se  dirigea  vers  Abutchi,  la  fac- 
torerie principale  de  la  Compagnie  sur  le  bas  fleuve. 
Pendant  un  échouage  qui  dura  deux  jours,  la  mission 
vit  passer  deux  bateaux  de  la  Compagnie,  sur  l'un  des- 
quels était  M.  Flint,  agent  général  de  la  Compagnie, 
qui  fit  semblant  de  ne  point  remarquer  son  pavillon,  et 
il  arriva  le  16  h  Abutchi.  L'agent  de  la  Compagnie, 
M.  Benson,  déclara  ne  point  connaître  l'existence  d'un 
consul  allemand  au  Niger,  demanda  le  permis  de  cir- 
culation qui  avait  dû  être  délivré  à  Akassa,  et  comme 


LA  CONCURRENCE  ÉTRANGÈRE  327 

on  ne  put  lui  en  fournir,  défendit  à  la  mission  de 
débarquer  dans  la  région  qu'il  administrait  et  notam- 
ment à  Onilcha,  porte  fermée.  M.  Puttkamer  répondit 
qu'il  n'avait  pas  à  tenir  compte  de  ces  observations, 
qu'il  avait  à  aller  à  Onitcha  et  qu'il  irait;  qu'il  avait 
prévenu  en  temps  opportun,  depuis  Lagos,  M.  Flint,  de 
sa  qualité  et  de  ce  qu'il  venait  faire  au  Niger,  et  de  son 
intention  de  ne  pas  passer  à  Akassa.  N'étant  pas  com- 
merçant, il  ne  voulait  point  être  traité  comme  tel.  Il 
demanda  communication  des  règlements  de  la  Compa- 
gnie, et  comme  cette  communication  lui  fut  refusée 
sous  prétexte  que  les  exemplaires  en  étaient  épuisés, 
il  se  rendit  immédiatement  chez  les  Pères  du  Saint- 
Esprit  à  Onitcha. 

Il  n'y  était  pas  depuis  une  heure  qu'il  vit  arriver, 
acompagné  d'un  agent  diplomatique,  «  employé  noir», 
M.  Bentson  lui-même,  à  cheval,  en  grande  tenue, 
qui  lui  remit,  tout  en  lui  faisant  ses  excuses  personnel- 
les, une  pièce  écrite  lui  notiflant  son  arrestation  pour 
avoir  enfreint  les  règlements  de  la  Compagnie. 

Puttkamer  se  contenta  de  faire  remarquer  l'absurdité 
d'une  telle  conduite  à  l'égard  d'un  agent  diplomatique, 
et,  sans  être  autrement  inquiété,  se  rendit  le  lende- 
main k  Assaka,  où  il  fut  reçu  très  cordialement  par 
les  cinq  agents  européens  qui  s'y  trouvaient.  Là  encore 
il  lui  fut  impossible  de  se  procurer  les  règlements  de 
la  Compagnie. 

Après  de  nombreux  retards  causés  par  les  difficultés 

de  la  navigation,  la  mission  arriva  le  26  à  Lokodja.  Le 

jour  même  elle  vit  apparaître,  venant  d'Egga,  un  petit 

steamer  de  la  Compagnie  [la  Florence) ,    amenant   le 

Senior  Executive  Officer  du  Haut  Niger,    M.    Sister, 


328  LA    ROYAL    NIGER    C** 

lequel  communiqua  à  M.  Puttkamer  une  note  de 
M.  Flint  maintenant  qu'il  aurait  dû  passer  par  Akassa, 
mais  lui  exprimant  les  plus  vives  excuses  pour  les  ma- 
lentendus qui  en  étaient  résultés. 

La  mission  loua  à  Lokodja  deux  grands  canots  pour 
continuer  sa  route,  et  parvint  le  4  février  à  Egga.  De 
là  elle  se  rendit  à  Bida,  où  elle  fut  très  bien  reçue  par 
Maleki.  Ce  roi  lui  déclara  n'avoir  cédé  à  la  Compagnie 
aucun  droit  sur  ses  territoires,  constata  l'exactitude  de 
tout  ce  que  Hoenigsberg  avait  rapporté  au  gouverne- 
mend  allemand  à  ce  sujet,  protesta  qu'il  avait  toujours 
permis  à  tous  les  commerçants  européens  de  venir 
s'établir  chez  lui  et  qu'il  les  appelait  de  tous  ses  vœux. 

Le  20  mars,  Puttkamer,  ayant  terminé  son  enquête, 
rentra  à  Lagos,  d'où  il  envoya  son  rapport*  au  gouver- 
neur impérial,  qui  fit  parvenir  au  gouvernement  anglais - 
une  note  déclarant  que  Lokodja  était  la  limite  des  terri- 
toires de  la  Compagnie,  demandant  le  rétablissement 
de  la  liberté  de  transit  en  ce  pays,  l'abaissement  des 
droits  d'exportation  comme  étant  hors  de  proportion 
avec  les  dépenses  véritables  d'administration,  et  l'a- 
brogation du  monopole  de  fait  que  s'était  octroyé  la 
Compagnie.  La  même  note  concluait  à  la  véracité  des 
réclamations  de  Hoenigsberg,  à  l'inexactitute  des  accu- 
sations portées  contre  lui  et  au  payement  par  la  Com- 
pagnie de  l'indemnité  réclamée  par  lui.     . 

Tous  les  documents  importants  relatifs  à  cette  affaire 
furent  réunis  en  un  Livre  blanc,  qui  parut  le  22  novem- 
bre 1889. 

Ce  Livre  blanc  devait  faire  grande  impression  à  Lon- 

1.  Times,  25  novembre  1889,  6  c. 

2.  Times,  23  décembre  1889, 12  b. 


LA  CONCURRENCE  ETRANGERE  329 

cires.  On  s'indigna  d'abord  de  ce  que  le  gouvernement 
allemand  eût  publié  les  résultats  de  son  enquête  sans 
avoir  attendu  le  retour  du  commissaire  anglais.  Sir 
G.  T.  Goldie  adressa  aussitôt,  en  réponse  à  ses  action- 
naires, un  long  mémorandum,  qu'il  rendit  public  dans 
le  Times. 

Commentant  le  tarif  en  vigueur,  M.  Puttkamer 
reconnaît  que  les  droits  d'importation  sont  raisonna- 
bles pour  le  bas  fleuve,  mais  que,  pour  le  haut  fleuve, 
ils  sont  tout  à  fait  exagérés,  étant  donné  surtout  le  prix 
élevé  des  frais  de  transport.  Quant  aux  droits  d'expor- 
tation, il  les  trouve  énormes  et  estime  qu'ils  devraient 
être  abolis  complètement,  attendu  qu'ils  étaient  insti- 
tués uniquement  pour  empêcher  toute  concurrence. 

En  réponse,  Sir  G.  T.  Goldie  se  borna  à  recommen- 
cer le  raisonnement  d'après  lequel  ces  taxes  étaient 
destinées  à  payer  les  dépenses  administratives,  et  à 
dire  que  la  Compagnie  payait  ces  taxes  comme  les  au- 
tres commerçants;  il  ajouta  que,  dans  le  cas  contraire, 
les  ressources  administratives  ne  seraient  que  de  3.000 
ou  5.000  livres.  Nous  avons  déjà  montré  ce  qu'il  y  avait 
de  spécieux  dans  cette  manière  d'argumenter. 

En  dehors  des  droits  de  douane,  la  Compagnie  avait 
institué  au  Niger,  d'après  le  commissaire  allemand,  des 
droits  de  patente. 

Le  règlement  X  du  30  juillet  1886,  qui  les  établit, 
porte  : 

«  Aucun  étranger  ou  compagnie  étrangère  ne  peut 
directement,  ou  par  l'intermédiaire  d'agents,  vendre 
ou  échanger  ou  étaler  pour  la  vente  ou  l'échange  au 
détail,  aucune  marchandise  s'il  ne  paye  une  licence  de 
commerce  de  détail.  » 


330  LA    ROYAL    NIGER    C** 

Ces  licences  sont  de  deux  espèces,  ainsi  fixées  : 

1^  Le  Spirit  tradc  licence  :  toute  maison  étrangère 
établie  dans  les  territoires  du  Niger  est  tenue  de  payer 
annuellement  la  somme  de  100  livres  pour  avoir  la  per- 
mission de  faire  le  commerce  des  spiritueux. 

2**  Le  De f ail  trade  licence  :  toute  maison  étrangère 
est  tenue  de  payer  annuellement,  pour  avoir  la  permis- 
sion de  se  livrer  au  commerce  de  détail,  la  somme  de 
50  livres  pour  la  factorerie  principale,  et  de  10  livres 
pour  chaque  factorerie  secondaire. 

M.  Puttkamer  remarque  que  cette  fois  c'est  le  règle- 
ment lui-môme  qui  fait  une  distinction  entre  les  étran- 
gers iforeigners)  et  la  Compagnie,  et  qu'il  serait  diffi- 
cile à  celle-ci  de  nier  qu'elle  traite  les  commerçants  qui 
viennent  dans  ses  terres  autrement  qu'elle  se  traite 
elle-même. 

Le  directeur  de  la  Compagnie  n'en  déclara  pas  moins 
qu'elle  payait  les  patentes  comme  les  autre  commer- 
çants. Il  faut  convenir,  tout  au  moins,  que  les  règle- 
ments étaient  étrangements  rédigés  et  qu'il  n'était  pas 
étonnant  qu'on  eût  pu  quelquefois  ne  pas  les  observer. 

Sir  G.  Goldie  ajoute  qu'au  Cameroon  les  licences 
étaient  fixées  à  100  livres. 

Dans  les  règlements  se  trouvait  une  autre  prescrip- 
tion bien  typique  :  «  Les  commerçants  ne  peuvent  éta- 
blir de  factoreries  et  commercer  que  là  où  il  existe  déjà 
une  factorerie  de  la  Compagnie  ;  »  et  M.  Puttkamer  expli- 
qua qu'étant  donné  la  puissance  commerciale  de  la  Com- 
pagnie et  la  façon  dont  elle  était  organisée,  cela  revenait 
à  rendre  impossible  tout  commerce  étranger,  car  on  ne 
pouvait  lutter  avec  elle  là  oii  elle  s'était  établie. 

Comme  dans  le  cas  précédent.  Sir  G.  Goldie  se  con- 


\ 


LA  CONCURRENCE  ÉTRANGÈRE  331 

tenta  de  déclarer  que  la  Gompçignîe,  en  tant  que  com- 
merçant, était  assimilée  aux  étrangers  •  mais  cette  fois 
il  faut  convenir  que  cette  déclaration  était  tout  à  fait 
incompréhensible,  car  on  ne  voit  pas  bien  une  règle 
ainsi  conçue  :  «  La  Compagnie  ne  pourra  fonder  d'éta- 
blissements commerciaux  que  là  où  elle  a  des  comp- 
toirs. » 

Sir  G.  Goldie  assura  que,  en  dehors  de  ce  qui  pouvait 
être  ordonné  pour  des  raisons  d'ordre,  il  était  permis  à 
chacun  de  vivre,  bâtir  et  voyager  où  il  voulait  dans  les 
territoires  de  la  Compagnie. 

Ce  régime  de  liberté,  qui,  d'après  Sir  G.  Goldie, 
régnait  au  Niger,  M.  Puttkamer  le  dépeignait  ainsi  : 

«  11  y  a  encore  à  citer  comme  règlements  de  la  Com- 
pagnie nuisibles  au  commerce  et  à  la  circulation,  et  en 
contradiction  avec  l'Acte  de  navigation  du  Niger,  les 
suivants  : 

«  1"  Décret  du  30  juillet  1886  :  Import  Cuslom- 
dulies;  aucun  bateau,  barque,  canot  ou  autre  embar- 
cation entrant  dans  les  eaux  du  Niger  ne  peut  toucher, 
charger  ou  décharger  en  aucun  des  territoires  sans  être 
d'abord  entré  à  Akassa  à  l'embouchure  du  Niger,  y  avoir 
acquitté  les  droits  et  obtenu,  à  cet  effet,  un  certificat 
de  la  douane  de  cet  endroit.  »  Le  choix  de  l'embou- 
chure du  Run  (Akassa)  comme  embouchure  principale 
du  Niger  est  tout  à  fait  arbitraire.  L'embouchure  For- 
cados,  par  exemple,  est  bien  plus  facile  à  franchir,  la 
creek  qui  la  réunit  avec  le  Run,  à  120  milles  anglais  en 
amont  d'Akassa,  est  plus  commode  que  le  Run  lui-même. 
C'est  la  voie  la  plus  commode  pour  tous  les  bateaux  qui 
veulent  entrer  au  Niger  en  venant  du  delta  occidental 
de  Bénin,  Escardos,  Forcados,  Warri,  etc.  Il  en  est  de 


332  LA    ROYAL    NIGER    C** 

• 

même  à  Test,  où  il  y  a  de  bonnes  voies  maritimes  vers 
Brass  et  New  Calabar,  qu'on  ne  peut  utiliser  mainte- 
nant, puisque  tout  doit  aller  d'abord  à  Akassa.  Gela  est 
d'autant  plus  nuisible  qu'on  est,  à  Akassa,  entièrement 
dépendant  de  la  Compagnie.  Chaque  pied  de  terre  sur 
les  deux  rives  de  l'embouchure  est  propriété  privée  de 
la  Compagnie.  Les  villages  indigènes  sont  inaccessibles 
sans  la  permission  de  la  Compagnie;  on  ne  peut  rien 
obtenir,  le  moindre  verre  d'eau,  sans  son  intermé- 
diaire. Et  ce  verre  d'eau,  sans  parler  d'autres  choses 
plus  nécessaires,  n'est  donné  aux  concurrents  arrivant 
qu'à  contre-cœur  et  à  des  prix  exorbitants. 

«  2**  Le  règlement  des  ports  d'entrée  {ports  ofentry) 
est  en  rapport  étroit  avec  ce  qui  précède.  La  Compagnie 
a  proclamé  une  liste  d'endroits  en  dehors  desquels  on 
ne  peut  faire  escale  ni  commercer.  Ce  sont  de  préfé- 
rence des  endroits  fondés  par  la  Compagnie,  générale- 
ment sa  propriété  privée,  où  l'on  trouve  surtout  de 
grandes  factoreries  de  la  Compagnie  et  peu  de  cases 
indigènes,  et  où  l'on  ne  peut  rien  obtenir  en  dehors 
d'elle.  Le  but  est  évident  :  on  a  fermé  tous  les  grands 
centres  et  défendu  toutes  relations  avec  eux,  comme 
par  exemple  Onitcha,  Idah,  etc.,  pour  ne  pas  en  être 
chassé  par  la  concurrence  des  autres  commerçants.  On 
préfère  établir  dans  le  voisinage  une  factorerie  (ex.  :  à 
une  heure  d'Onitcha,  le  comptoir  d'Abutchi),  et  les  indi- 
gènes sont  alors  bien  obligés,  bon  gré,  mal  gré,  de  venir 
à  cette  factorerie  pour  vendre  leurs  produits  ou  échan- 
ger des  marchandises,  puisque  les  commerçants  étran- 
gers ne  peuvent  plus  venir  vers  eux.  En  ce  nouveau 
point  la  Compagnie  est  maîtresse,  fixe  les  prix  et  sait 
parfaitement  exclure  de  ses  territoires  toute  concur- 


LA  GONGURRBNGB  ÉTRANGÈRE  333 

rence  extérieure.  Ainsi  sont  ruinés  systématiquement 
et  rendus  impossibles  tous  les  établissements  européens 
indépendants  d'elle;  un  monopole  de  commerce  est 
créé,  effectif,  d'un  exclusivisme  inouï,  et  maintenu  avec 
une  rigueur  sans  exemple.  11  ne  peut  être  question  de 
navigation  libre,  puisque  la  Compagnie  considère  comme 
opérations  commerciales  l'approvisionnement  en  bois 
de  chauffage  et  en  vivres.  » 

Sir  G.  T.  Goldie  répondit  simplement  que  les  accu- 
sations ainsi  portées  étaient  exagérées  et  que  les 
règlements  auxquels  elles  s'appliquaient  étaient  néces- 
saires. 

Il  n'y  avait,  disait-il,  de  défendu  au  Niger,  et  cela 
pour  des  raisons  politiques,  que  l'entrée  des  seules 
villes*  qui  étaient  en  état  de  révolte,  et,  en  fait,  cela  n'a- 
vait jamais  eu  lieu  qu'à  Onitcha,  qui  était  fermé  aussi 
bien  pour  la  Compagnie  que  pour  les  autres  commer- 
çants. Et  dans  ce  cas,  d'après  lui,  il  était  bien  difficile 
de  soutenir  que  s'était  un  stratagème  commercial  :  avant 
sa  fermeture,  la  Compagnie  avait  une  factorerie  impor- 
tante, et  d'après  M.  Puttkamer  l'organisation  commer- 
ciale de  la  Compagnie  était  telle  qu'elle  n'avait  pas  à 
craindre  la  concurrence  là  où  elle  avait  des  comptoirs. 
Et  quant  aux  ports  d'entrée,  il  était  vrai  que  leur  nom- 
bre était  limité  et  qu'il  n'y  avait  que  dans  ces  ports 
qu'il  était  permis  de  toucher;  mais  c'élait  là  une  néces- 
sité douanière.  Comme  il  n'y  a  pas  moins  de  20  ports 
d'entrée,  sur  les  300  milles  entre  Akassa  et  Lokodja 
ainsi  que  sur  les  bords  du  Niger  et  de  la  Bénué  au  des- 

1.  Il  est  à  noter  qu'il  n'y  a  jamais  eu  plus  de  20  ports  ouverts  (règle- 
ment delà  navigation  de  189'i),  et  que  dès  1886  la  Compagnie  disait  qu'elle 
avait  150  factoreries  sur  le  Niger  (V.  Times,  1"  juillet  1886,  II  a). 


-    •«  « 


334  LA    ROYAL    NIGER    C** 

SUS  de  Lokodja,  ce  systène  n'impose  pas  de  gêne  au 
commerce.  S'il  y  a  eu  des  commerçants  qui  ont  été  rui- 
nés, c'est  qu'ils  s'étaient  établis  à  Egga,  qui  est  un  très 
mauvais  poste  de  commerce  et  oii  la  Compagnie  n'a 
maintenu  des  factoreries  que  pour  des  raisons  admi- 
nistratives. 

La  seule  chose  à  répondre  à  Sir  G.  T.  Goldie  était 
que  le  principe  des  règlements  dont  il  invoquait  la 
nécessité  n'était  plus  admissible  lorsque  de  procédé 
administratif  il  devenait  un  moyen  régulier  d'oppres- 
sion. Ces  règlements  auraient  été  légitimes  s'ils  avaient 
été  établis  par  un  organisme  purement  gouverne- 
mental; ils  ne  l'étaient  plus  lorsqu'ils  sacrifiaient  les 
intérêts  de  ceux  qui  en  étaient  les  auteurs. 

11  semble  qu'à  la  suite  de  l'enquête  Puttkamer  le  gou- 
vernement allemand  ait  résolu  de  laisser  à  l'Angleterre 
toute  sa  liberté  d'action  sur  le  Niger,  se  réservant  d'a- 
gir au  Cameroon. 

Les  conventions  de  1890  et  de  1892  qui  déterminaient 
les  frontières  des  territoires  all-emands  furent  conclues 
sans  difficulté  et  furent  bien  probablement  le  prix  de 
l'abandon  des  vues  que  l'Allemagne  pouvait  avoir  sur 
le  Niger. 

Hoenigsberg,  lui,  le  héros  et  le  prétexte  de  tous  ces 
incidents,  n'obtint  pas  satisfaction  immédiate. 

Le  traité  du  1®"^  juillet  1890  réserva  la  question  de 
règlement  de  cette  affaire.  Hoenigsberg  reçut  en  1890 
une  offre  de  900  livres,  qu'il  jugea  insuffisante. 

Il  adressa  alors  une  pétition  au  Reichstag,  et,  lors  de 
la  discussion  du  budget  colonial,  M.  Hammacher  obtint 
du  Secrétaire  d'État  qu'il  ne  perdrait  pas  de  vue  cette 
affaire.  Le  gouvernement  impérial  aurait,  d'après  le 


LA  CONCURRENCE  ETRANGERE  335 

Kolonial  Zeitung,  offert  à  Hoenigsberg,  sur  les  fonds 
de  disposition,  30.000  marks  (livres  1.500),  qu'il  refusa. 
L'affaire  fut  enfin  soumise  en  mai  1891  à  l'arbitrage 
du  baron  de  Lambremont,  secrétaire  général  du  minis- 
tère des  affaires  étrangères  de  Belgique,  qui  la  liquida. 


CHAPITRE  XXIII 

LA  ROYAL  NIGER   C» 


L'opinion  anglaise. 

Ce  ne  fut  pas  seulement  contre  les  Français  et  les 
Allemands  que  la  Compagnie  devait  avoir  à  lutter,  mais 
aussi  contre  les  Anglais  eux-mêmes. 

Dès  1887*,  deux  ou  trois  condamnations  prononcées 
par  la  Compagnie  contre  des  naturels  firent  Tobjet  d'in- 
terpellations au  Parlement;  mais  ce  ne  fut  guère  qu'à 
la  fin  de  décembre  1888  que  commença  la  campagne 
anglaise  contre  la  Compagnie,  et  cela  par  une  question 
posée  à  la  Chambre  des  Communes  par  M.  Picton. 

Au  moment  de  Toctroi  de  la  charte,  déclare-t-il-,  la 
valeur  des  exportations  avait  été  de  230.000  livres  ster- 
ling; en  1887,  après  que  la  Compagnie  eut  commencé  à 
appliquer  ses  taxes,  les  exportations  tombèrent  à 
194.000  livres  sterling,  et  dans  la  première  moitié  de 
1888  elles  ne  furent  que  de  41.400  livres  sterling. 
Était-ce  la  faute  de  la  Compagnie?  Depuis  quelque 
temps  le  bruit  courait  que  le  gouvernement  voulait 
étendre  la  charte  de  la  Compagnie  sur  les  Oil  Rivers; 
était-il  vrai  qu'une  décision  pareille,  aussi  néfaste  aux 
intérêts  anglais,  fut  sur  le  point  d'être  prise? 

M.  Fergusson,  du  Foreign  Office,  se  contenta  de  ré- 

1.  Timest  1"  janvier  1887,  10  c;  26  avril  1887,  6  c.j  5  juillet. 

2.  rimes,  18  d.;  1888,  8  d. 


l'opinion  anglaise  337 

pondre  qu'il  était  vrai  que  la  Compagnie  avait  mis  des 
taxes  à  l'entrée  et  à  la  sortie  de  ses  territoires,  mais 
qu'elles  étaient  créées  pour  subvenir  aux  dépenses  ad- 
ministratives des  territoires,  qu'elles  n'entraient  pour 
rien  dans  le  dividende  distribué  aux  actionnaires  et 
que  sa  charte  lui  défendait  de  se  constituer  un  mono- 
pole commercial.  Des  taxes  prohibitives  pouvaient  avoir 
été  mises  sur  l'alcool,  mais  c'était  uniquement  dans  un 
but  humanitaire.  Quant  aux  Oil  Rivers,  M.  Fergusson 
éluda  la  question  en  disant  qu'un  commissaire  allait  y 
être  envoyé  pour  examiner  la  situation  créée  par  les 
incidents  provoqués  par  le  roi  Jaja. 

Or,  cette  question  de  l'extension  de  la  charte  était 
peut-être  ce  qui  importait  le  plus  aux  commerçants 
anglais  à  cette  époque. 

La  Compagnie  opérait  surtout  le  long  du  cours  même 
du  Niger,  tandis  que  la  Côte  et  les  Oil  Rivers  restaient 
en  dehors  d'elle.  C'était  sur  ces  points  que  l'activité 
des  négociants  de  Liverpool  s'exerçait  avec  le  plus  de 
fruit.  Du  jour  où  les  chartes  de  la  Compagnie  y  appa- 
raîtraient, les  beaux  bénéfices  disparaîtraient. 

Il  était  aisé  de  comprendre  que  la  Compagnie  avait 
tout  intérêt  à  s'emparer  de  ces  territoires,  qui  auraient 
été  pour  elle  une  base  solide  d'opérations  en  même 
temps  qu'une  source  importante  de  revenus. 

En  outre,  il  semble  bien  que  son  Conseil  ou,  pour 
mieux  dire.  Sir  G.  T.  Goldie,  envisageait,  dès  ce  mo- 
ment, avec  quelque  ennui,  la  possibilité  de  voir  ses 
terres  enserrées  dans  des  territoires  dépendant  direc- 
tement de  la  Couronne.  C'était  sur  la  côte  que  la  Com- 
pagnie était  née;  elle  avait  peut-être  espéré  se  déve- 
lopper de  là  sans  gêne,  et  il  ne  lui  était  pas  difficile  de 

22 


338  LA    ROYAL    NIGER    C® 

se  rendre  compte  des  difficultés  qu'elle  rencontrerait 
lorsqu'elle  serait  en  contact  avec  des  gouvernements 
réguliers. 

Une  polémique  très  vive  s'engagea  à  ce  sujet.  Les 
uns,  favorables  à  la  Compagnie,  recommandaient  l'exten- 
sion de  la  charte  ;  les  a,utres  demandaient  l'annexion  à 
Lagos  ou  l'érection  en  Crown  Colony;  d'autres  deman- 
daient qu'une  charte  spéciale  fût  accordée  à  une  Com- 
pagnie nouvelle  qui  se  créerait  pour  les  Oil  Rivers. 

Aussitôt  après  l'interpellation  Picton,  les  adversaires 
de  la  Compagnie  adressèrent  au  Times  une  lettre  de 
protestation  contre  le  projet  d'extension  de  la  charte*. 

Ils  montraient  que,  d'après  les  déclarations  mêmes 
de  la  Compagnie,  celle-ci  faisait  les  14/15  du  commerce 
du  Niger  :  elle  arriverait  au  même  résultat  dans  les 
Oil  Rivers  par  une  tactique  bien  simple.  Pour  obtenir 
sa  charte,  elle  avait  chassé  les  maisons  concurrentes 
qui  se  trouvaient  au  Niger;  elle  n'aurait  plus,  par 
un  procédé  inverse,  qu'à  conclure  des  arrangements 
avec  un  petit  nombre  des  Compagnies  établies  à  la 
côte,  pour  accaparer,  grâce  aux  taxes  qu'elle  aura  le 
droit  d'établir,  la  presque  totalité  du  commerce  dans 
les  Oil  Rivers. 

Et  les  commerçants  concluaient  ainsi  :  «  La  Compa- 
gnie du  Niger  nous  appelle  des  critiques  sans  scru- 
pules, mais  nous  ne  sommes  que  de  tranquilles  com- 
merçants qui  font  leurs  affaires  tranquillement  dans  les 
Oil  Rivers  sur  lesquelles  la  Compagnie  voudrait  éten- 
dre son  action,  et  nous  disons  simplement,  mais  éner- 
giquement,  que  ce  serait  notre  ruine. 

1.  Times,  4  janvier  1889, 4  f. 


l'opinion  anglaise  339 

«  Nous  sommes  des  sujets  de  la  Reine,  comme  la 
Niger  Company,  et  nous  ne  devons  pas  lui  être  sacri- 
fiés. Tout  ce  que  nous  demandons,  c'est  qu'avant  que 
Ton  augmente  son  privilège,  un  comité  de  la  Chambre 
de  commerce  soit  nommé  pour  examiner  la  chose,  et 
nous  nous  soumettrons  à  sa  décision.  » 

Dès  le  lendemain  de  la  publication  de  cette  lettre. 
Sir  T.  Goldie  répondait*  : 

Il  reconnaissait  que  la  Compagnie  avait  demandé 
l'extension  de  sa  charte,  mais  il  assurait  que  sa  demande 
avait  été  appuyée  par  les  7/8  des  commerçants  des  Oil 
Rivers;  que  si  la  Compagnie  avait  désiré  s'étendre  sur 
les  Oil  Rivers,  ce  n'était  que  pour  le  plus  grand  bien 
de  la  civilisation  et  parce  que  ces  territoires  n'étaient 
point  prêts  à  recevoir  une  administration  régulière. 
La  Compagnie  avait,  du  reste,  déclaré  qu'elle  n'accep- 
terait que  l'on  agrandît  ses  territoires  que  si  les 
dépenses  qui  en  résulteraient  ne  devaient  pas  porter 
atteinte  aux  intérêts  de  ses  actionnaires. 

Tout  le  monde  était  d'accord*  pour  dire  que  ce  qu'il 
y  avait  de  mieux  à  faire  était  d'attendre  les  résultats 
de  l'enquête  du  major  Claude  MacDonald,  envoyé  au 
Niger  à  propos  des  incidents  allemands. 

Or,  cette  enquête  MacDonald  resta  toujours  un  mys- 
tère. 

Lorsqu'elle  fut  décidée,  M.  Picton^  demanda  au  Se- 
crétaire  du  Foreign  Office  qu'il  fût  fait  communication 
au  Parlement  des  instructions  qu'avait  reçues  Sir  Claude 

1.  rime«,  4  janvier  1889,  4  f. 

2.  Times,  16  janvier  1890,  9  d.;  17  janvier  1890, 10  a. 

Ces  articles  contiennent  des  renseignements  très  circonstanciés  sur  le 
commerce  des  OU  Rivers. 

3.  Times,  déc.  1888,  6  f. 


V 


340  LA    ROYAL    NIGER    C^ 

MacDonald.  Sir  J.   Fergusson  répondit,  de  façon  très 
catégorique,  qu'elles  devaient  rester  confidentielles. 

Tout  ce  que  Ton  en  sut  fut  ce  qu'en  dit  lord  Aber- 
dare  dans  son  discours*  aux  actionnaires  de  1890,  où  il 
assurait  que  l'épreuve  avait  été  soutenue  victorieuse- 
ment par  la  Compagnie  et  que  l'on  avait  trouvé  que 
tout  était  pour  le  mieux  chez  elle. 

Celte  déclaration  ne  pouvait  manquer  d'appeler  une 
interpellation  à  la  Chambre  des  Communes,  et,  en  effet, 
peu  de  jours  après*,  Sir  J.  Fergusson  répondait  à  Sir 
G.  Campbell  :  «  Le  rapport  MacDonald  ne  peut  être 
communiqué,  par  suite  de  son  caractère  très  confiden- 
tiel. Un  des  objets  de  l'enquête  était  de  fournir  au  gou- 
vernement des  matériaux  sur  l'opportunité  de  l'exten- 
sion de  la  charte.  Sir  Claude  MacDonald  devait  examiner 
certains  points  en  litige  avec  l'Allemagne,  et  il  a  été 
possible  ainsi  de  présenter  des  explications  satisfai- 
santes à  Berlin.  Pour  ce  qui  était  de  la  Niger  Co.,  dont 
il  avait  à  examiner  l'administration,  le  commissaire  a 
trouvé  que,  malgré  quelques  imperfections,  la  charte 
était  observée  et  était  une  excellente  institution.  » 

Le  rapport,  sans  doute,  n'était  cependant  pas  très 
favorable  à  l'extension  de  la  charte  aux  Oil  Rivers,  car 
lord  Salisbury  répondit'  à  une  députation  de  1'  «  Abori- 
gine's  Protection  Society  »  qu'il  ne  s'agissait  pas  de 
savoir  si  les  Oil  Rivers  devaient  passer  à  une  Char- 
tered  Company,  mais  si  l'on  transformerait  le  consu- 
lat en  Crown  Colony.  Le  grand  obstacle  qu^il  trouvait 
au  système  des  «  Crown  Colonies  »^  c'est  que  dans  une 

1.  Times,  12  juillet  1890,  12  d. 

2.  Times,  29  juillet  1890,  6. 

3.  Times,  23  juillet  1890,  8  a. 


OPINION    ANGLAISE  341 

pareille  administration  on  ne  pouvait  admettre  Tescla- 
vage,  et  qu'il  semblait  bien  difficile  de  le  supprimer 
pour  le  moment  dans  les  Oil  Rivers. 

C'était  le  maintien  d'un  consulat  qui  devait  prévaloir. 
Le  10  octobre*,  la  Chambre  de  commerce  de  Liverpool, 
qui  avait  écrit  à  ce  sujet  au  Foreign  Office,  reçut  une 
lettre  de  lord  Salisbury  portant  que  le  «  gouvernement 
n'avait  pas  l'intention  de  donner  les  Oil  Rivers  à  l'ad- 
ministration d'une  Chartered  Company  ». 

Le  major  MacDonald  fut  alors  envoyé  dans  les  Oil 
Rivers  pour  y  organiser  le  «  Niger  Coast  Protectorate  », 
mais  cela  ne  résolut  pas  toutes  les  difficultés. 

La  charte  ne  fixait  pas  les  limites  des  terres  de  la 
Compagnie  autrement  qu'en  disant  que  ses  pouvoirs 
devaient  s'exercer  sur  les  «  territoires  du  bassin  du 
Niger  »  relevant  des  chefs  avec  qui  elle  avait,  passé  des 
traités. 

Jusqu'en  1888,  à  peu  près,  l'embouchure  véritable  du 
Niger  fut  considérée  comme  étant  à  Akassa,  et  sur  la 
carte  du  «  Weissbûch  »  sur  les  affaires  Hoenigsberg,  les 
frontières  de  la  Compagnie  aboutissent  aux  environs  de 
cette  ville.  On  découvrit  peu  à  peu  que  la  plupart  des 
Oil  Rivers  n'étaient  que  des  bras  du  delta  du  Niger  et 
étaient  fort  navigables  jusqu'au  lit  principal  du  fleuve. 

Lorsqu'il  fut  bien  avéré  que  la  Compagnie  ne  repren- 
drait pas  sous  son  autorité  toute  la  côte  du  Lagos  au 
Cameroon,  il  fallut  la  délimiter.  Cela  fut  nettement  fait 
du  côté  Est,  comme  le  montre  une  lettre  du  12  octobre 
1891  envoyée  par  le  Foreign  Office  à  M.  G.  A.*  Moore, 
directeur  de  r«  Oil  Rivers  Trading  and  Expédition*  », 

1.  Times,  11  octobre  1890,  6  a. 

2.  TimeSy  25  mars  1892,  7  f. 


342  LA    ROYAL    NIGER    C® 

et  qui  portait  qu'avant  le  départ  du  major  MacDonald  il 
avait  été  fixé  que  les  frontières  du  territoire,  du  côté 
Est  de  la  bouche  Nun  du  Niger,  seraient  formées  par 
une  ligne  droite  commençant  en  un  point  équidistant 
de  la  bouche  Nun  et  de  la  bouche  Brass  Niger  et  ter- 
miné à  la  ville  d*Idu.  Cette  ligne  serait  infléchie,  si 
c'était  nécessaire,  de  manière  à  assurer  à  la  Compa- 
gnie une  zone  non  moindre  que  trois  mi,lles  à  l'est  de 
la  principale  bouche  du  Niger  (Akassa). 

Cette  lettre,  lorsqu'elle  fut  publiée,  fut  assez  mal  re- 
çue à  Liverpool.  Un  meeting,  présidé  par  M.  John  Holt, 
fut  tenu  le  31  mars  et  décida  de  présenter  une  requête 
à  la  Chambre  de  commerce  pour  qu'elle  s'unît  aux  au- 
tres chambres  et  corps  ayant  des  intérêts  dans  l'Ouest 
Africain,  afin  d'entreprendre  une  campagne  auprès  du 
Parlement.  Un  député,  M.  Cross,  qui  s'était  fait  l'inter- 
prète de  ces  protestations  à  la  Chambre  des  Communes, 
déclara  cependant  qu'il  pensait  qu'aucune  tentative  pour 
faire  révoquer  la  charte  ne  réussirait.  Il  fit  remarquer 
que  le  gouvernement  avait  usé  de  la  Compagnie  pour 
la  préservation  de  certains  intérêts  internationaux,  dans 
une  période  critique,  contre  la  France  et  l'Allemagne, 
de  sorte  que  tout  ce  qu'on  pouvait  faire  contre  elle, 
c'était  de  la  rappeler  à  ses  engagements  et  l'empêcher 
de  faire  un  usage  abusif  de  sa  charte. 

La  Chambre  de  commerce  de  Liverpool  envoya  alors 
à  lord  Salisbury  une  pétition'  qui  exprimait  un  vif  re- 
gret de  ce  que  le  gouvernement  avait  sanctionné  l'ex- 
tension'de  la  juridiction  de  la  Compagnie  sur  un  quart 
des  districts  des  Oil  Rivers,  c'est-à-dire  avait  consenti  à 

1.  Times,  1"  avril  1892,  9  a. 

2.  Times,  27  mai  1892,  4  c. 


l'opinion  anglaisb  343 

Fannexion  par  la  Compagnie  des  districts  qui  commen- 
çaient avec  Brass  et  le  Bénin,  ainsi  ^u'à  la  séparation 
du  district  du  Bénin  de  ceux  de  Brass,  Bony  et  Cala-: 
bar.  Elle  pensait  que  la  Compagnie  ne  pouvait  exercer 
un  contrôle  efficace  sur  ces  voies  fluviales.  Elle  souhai- 
tait que  les  frontières  de  la  Compagnie  fussent  modi- 
fiées de  façon  à  rendre  aux  Oil  Rivers  Districts  le  delta 
du  Niger  jusqu'à  Onitcha,  Assaba  restant  à  la  Compa- 
gnie, et  Onitcha  passant  dans  TOil  Rivers  Protectorate. 

Le  major  MacDonald  devait  établir  la  frontière  du 
côté  de  Brass.  La  rivière  Forcados  fut  attribuée  à  la 
Compagnie. 

La  section  africaine  de  la  Chambre  de  commerce  de 
Liverpool  écrivit  aussitôt  une  nouvelle  lettre  à  Lord 
Salisbury*.  Elle  protestait  en  disant  que  la  Compagnie 
n'avait  pas  le  droit  d'agir  comme  elle  le  faisait.  Quel- 
ques maisons  lui  avaient  vendu  leur  établissement 
sur  la  branche  d'Âkassa,  mais  c'était  à  la  condition  que 
Warri  serait  laissé  indépendant.  Elle  ne  pouvait  donc  y 
étendre  son  administration.  La  Chambre  de  commerce 
insistait  encore  pour  que  les  pouvoirs  de  la  Compagnie 
ne  •  s'étendissent  pas  en  aval  d'Onitcha,  en  raison  des 
difficultés  douanières  qui  en  résulteraient. 

Un  arrangement  intervint  d'après  lequel  la  ville  de 
Warri  fut  laissée  aux  Oil  Rivers.  A  partir  de  ce  mo- 
ment, les  territoires  des  Oil  Rivers  semblèrent  ainsi 
constitués  : 

Ils  comprenaient  l'Old  Calabar,  Opopo  Bonny,  New 
Calabar,  étaient  interrompus  par  les  territoires  de  la 
Compagnie,  puis  reprenaient  à  Forcados,  dont  la  rive 
gauche  est  à  la  Compagnie  et  la  rive  droite  aux  Oil 

1.  rimes,  18  juillet  1892. 


344  LA    ROYAL    NIGER    C' 

Hivers  jusqu'après  Warri,  comprenaient  Bénin  River  et 
s'arrêtaient  à  la  limite  du  Lagos'. 

Pendant  que  ces  questions  étaient  en  cause,  les  com- 
merçants de  Liverpool  n'en  continuaient  pas  moins  à 
attaquer  la  politique  commerciale  et  administrative  de 
la  Compagnie.  Une  série  d'interpellations*  se  succé- 
daient à  la  Chambre  des  Communes,  faites  la  plupart 
par  M.  Cross,  qui  interrogeait  le  gouvernement  sur  la 
iaçon  dont  il  exerçait  son  droit  de  surveillance.  Il  lui 
fut  répondu  que  la  Compagnie  devait  rendre  compte  de 
sa  gestion,  de  temps  en  temps,  au  Secrétaire  d'État; 
puis,  comme  il  insistait,  on  lui  dît  que  depuis  1888  ce 
contrôle  avait  été  exercé  quelquefois,  et  qu'il  en  serait 
ainsi  toutes  les  fois  que  le  gouvernement  le  demande- 
rait, mais  que  ses  résultais  devaient  rester  secrets. 

L'état  des  rapports  des  commerçants  du  Bas  Niger 
et  de  la  Compagnie  devait  s'éclaircir  un  peu.  Les  com- 
merçants allaient  bientôt  avoir  un  gouvernement 
régulier  pour  les  représenter.  A  la  suite  de  la  conven- 
tion allemande  du  14  avril  1893  qui  réglait  la  frontière 
du  Rio  del  Rey,  il  fut  décidé,  comme  nous  le  verrons, 
que  les  Oil  Rivers  seraient  transformées  en  un  Pro- 
tectorat régulier,  le  «  Niger  Coast  Protectorate  ». 

D'un  autre  c6té,  Sir  G.  Goldie  allait  triompher  d'une 
grande  partie  de  l'opposition  de  Liverpool  :  il  passa,  en 
1894,  un  arrangement  avec  «  l'African  Association  »,  la 
plus  puissante  des  sociétés  commerciales  établies  au  bas 
Niger,  et  il  déclare  dans  les  chapitres,  dont  il  est  en  par- 
tie l'auteur,  The  Struggte  for  Niger,  du  livre  de  J.  S.  Kel- 

lieporton  Ihe  administration  oflhe  Niger  Coaat  Protectorate,  Augast 
t-Aagast  189i,  P.  p.  C.  "506. 
Times,  k  mars  18<J2  ;  S5  mars  1892,  4  a.  ;  26  mars  1892, 8  c. 


L*OPIMON    ANGLAISE  345 

tie,  que  depuis  il  a  vécu  avec  elle  en  parfaite  harmonie*. 

Liverpool  n'en  devait  pas  moins  rester  un  centre  d'a- 
gitation très  vive  contre  la  Compagnie,  opposition  beau- 
coup plus  énergique  que  celle  qui  a  pu  se  produire  en 
Allemagne  ou  en  France,  où  des  intérêts  nationaux 
étaient  en  jeu.  La  Chambre  de  commerce  ne  cessa  d'or- 
ganiser des  meetings  de  protestation  contre  la  charte 
et  d'adresser  des  requêtes  au  gouvernement  pour 
demander  son  abolition.  Le  Financial  News^  le  Journal 
of  Commercty  le  Liverpool  Daily  Post  de  Liverpool,  le 
Manchester  Guardian,  le  Truth  de  M.  Labouchère,  le 
Daily  chronicle,  se  firent  les  organes  de  ces  plaintes. 
Pendant  ce  temps,  Sir  Alfred  Jones  lui-même  fut 
parmi  les  adversaires  de  la  Compagnie. 

Ces  attaques  furent  aussi  violentes  que  possible.  On 
accusait  surtout  la  Compagnie  de  maltraiter  les  indi- 
gènes et  de  pratiquer  le  commerce  de  l'alcool  alors 
qu'elle  en  prohibait  l'importation.  L'exaspération  était 
d'autant  plus  vive  de  voir  le  Niger  fermé  à  toute  initia- 
tive nouvelle,  qu'au  fond  le  gouvernement  avait  tou- 
jours soutenu  la  Compagnie.  Et  c'est  ainsi  que  Lord 
Salisbury  déclarait  à  une  députation  qui  était  venue  en 
juillet  1897  lui  apporter  de  nouvelles  plaintes  : 

«  Tout  ce  qui  pourrait  être  regardé  comme  une  façon, 
non  pas  injuste,  mais  simplement  dure,  de  traiter  la  Com- 
pagnie du  Niger,  serait  contraire  aux  traditions  du  pays 
et  nous  aliénerait  l'opinion  publique.  Je  tiens  donc  à  me 
garder  de  paraître  approuver  toute  parole  pouvant  expri- 
mer un  désir  que  nous  traitions  la  Compagnie  du  Niger 
autrement  que  d'une  façon  équitable  et  bienveillante*.  » 

1.  J.  Scolt  Keltie.  The  Partition  of  A frica,  p.  288,  éd.  1895. 

2.  B.  G.  A.  F.,  août  1897. 


CHAPITRE    XXIV 

LA  ROYAL  NIGER  C» 


La  Compagnie  et  les  indigènes. 

Dans  les  chapitres  précédents,  nous  avons  vu  la 
Niger  Company  faire  état  des  traités  qu'elle  déclarait 
avoir  passés  avec  les  chefs  indigènes  et  comment  ceux- 
ci  se  refusaient  à  les  reconnaître.  Pendant  tout  le  reste 
de  son  histoire,  l'existence  de  ces  traités  sera  un  des 
principaux  arguments  sur  lesquels  elle  appuiera  ses 
prétentions  territoriales  et  administratives. 

Les  traités  qu'elle  a  invoqués  ainsi,  comme  lui  don- 
nant des  droits  sur  les  territoires  qui  devaient  former 
plus  tard  la  Nigeria,  peuvent  être  divisés  en  deux  grou- 
pes :  ceux  qui  concernaient  les  chefs  des  innombrables 
petites  tribus  qui  occupaient  le  voisinage  du  fleuve,  et 
ceux  qui  s'appliquaient  aux  États  de  l'intérieur. 

Les  premiers*,  conçus  sous  diverses  formes,  conte- 
naient les  clauses  suivantes  : 

«  Nous,  etc.,  dans  le  but  d'améliorer  notre  pays,  ou 
en  reconnaissance  des  services  rendus  par  la  Compa- 
gnie, nous  cédons  à  la  National  African  Co.  ou  Royal 
Niger  Co.  leur  héritier  et  successeur  tout  l'ensemble 
de  nos  territoires  (we  cède  the  wholeof  our  territory). 

«  Nous  donnons  plein  pouvoir  à  ladite  Compagnie  de 
régler  toutes  les  disputes  qui  pourraient  surgir  entre 

1.  P.  p.  I  c.  9372,  et  Hertslet,  The  map  ofAfrica  by  treaties. 


,  LA    COMPAGNIE    BT    LES    INDIGENES  347 

indigènes,  et  nous  nous  engageons  à  ne  pas  entrer  en 
guerre  avec  d'autres  tribus  sans  son  approbation. 

«  Elle  aura  plein  pouvoir  d'exploiter  des  mines,  de 
faire  des  plantations  et  de  construire  dans  tout  notre 
territoire. 

«  Nous  nous  engageons  à  n'avoir  aucun  rapport  avec 
des  étrangers  que  par  l'intermédiaire  de  ladite  Com- 
pagnie, et  nous  lui  donnons  plein  pouvoir  d'exclure  de 
ces  territoires  tous  les  étrangers. 

«  La  Compagnie,  de  son  côté,  s'engage  à  ne  pas  inter- 
venir dans  les  lois  et  coutumes  du  pays  qui  ne  sont  pas 
contraires  au  bon  ordre  et  au  bon  gouvernement.  Elle 
s'engage  à  payer  à  leurs  propriétaires  une  somme  con- 
venable pour  toutes  les  terres  qu'elle  désirera  occuper; 
elle  protégera  les  rois  et  les  chefs  susdits  contre  les 
attaques  des  tribus  voisines.  » 

En  reconnaissance  de  ce  traité,  la  Compagnie  payera 
annuellement  une  somme  auxdits  chefs. 

Les  seuls  traités  connus  passés  avec  les  chefs  de  l'in- 
térieur sont  ceux  du  Sokoto,  du  Gandu  et  du  Borgu. 

Le  plus  important  d'entre  eux,  signé  par  le  sultan  de 
Sokoto  et  Joseph  Thomson  le  l**"  juin  1896,  porte  les 
clauses  suivantes  : 

«  Article  premier.  —  Pour  notre  mutuel-  avantage, 
celui  de  notre  peuple  et  celui  des  Européens  qui  com- 
mercent sous  le  nom  de  la  National  African  Co.,  moi, 
chef  des  musulmans  du  Soudan,  avec  l'avis  de  mon  con- 
seil, donne  et  transfère  à  ces  Européens  ou  aux  autres 
avec  qui  ils  s'entendront  mes  droits  entiers  sur  le  pays 
situé    des  deux  côtés  de  la   rivière  Bénué  et  de   ses 

1.  Herlslet,  The  Map  of  Africa  hy  treaties  (Appendice). 


348  LA    ROYAL    NIGER    C® 

affluents,  le  long  de  leur  rive,  dans   mes  territoires, 
sur  la  distance  qu^ils  désireront. 

«  Article  2.  —  La  Compagnie  aura,  à  l'exclusion  de 
tous  autres  Européens,  le  droit  de  commercer  et  d'ex- 
ploiter les  gisements  de  minéraux. 

«  Article  3.  — Les  indigènes  ne  communiqueront  avec 
les  étrangers  que  par  l'intermédiaire  de  la  Compagnie. 

«  La  Compagnie  fera  au  sultan  un  payement  annuel 
de  3.000  sacs  de  cauris.  » 

Le  traité  passé  le  13  juin  1885  avec  le  Gandu  était 
conçu  dans  des  termes  analogues.  La  redevance  devait 
être  de  2.000  sacs  de  cauris. 

Il  y  a  quelques  années,  la  discussion  de  ces  traités 
aurait  pu  présenter  un  grand  intérêt.  Nous  n'avons 
point  à  rappeler  comment  la  Niger  Co.  les  a  invoqués 
pour  prétendre  que  les  chefs  de  l'intérieur  lui  avaient 
abandonné  leurs  droits  souverains  et  comment  l'Angle- 
terre s'est  servie  de  cette  prétention  pour  assurer  qu'ils 
satisfaisaient  aux  dispositions  de  la  convention  de  Ber- 
lin. Elle  réclamait  le  droit  de  comprendre  dans  sa  zone 
d'influence  les  pays  haussas.  Par  la  convention  de  1898 
la  France  a  admis  bien  bénévolement  cette  manière  de 
voir. 

Sans  rechercher  dans  les  récits  de  nos  explorateurs 
la  preuve  de  l'inexactitude  de  cette  interprétation,  il 
nous  suffît  désormais  de  reproduire  ici  le  commentaire 
que  Sir  F.  Lugard  a  donné  du  plus  important  de  ces 
traités,  celui  de  Sokoto,  lorsqu'il  a  eu  à  l'appliquera 

«  Jusqu'à  l'année  qui  a  précédé  la  crise  avec  la  France 
dans  le  Borgu  et  l'établissement  du  West  African  Fron- 

1.  P.  p.  c.  d.  1768,  14;  Northern  Nigeria  Report  for  1902,  p.  23. 


LÀ  co:mpagnie  bt  les  indigènes  349 

lier  Force  (1898),  la  Royal  Niger  Company  a  été  domi- 
née par  la  crainte  des  émirs  fulanis,  n'étant  pas  assez 
forte  pour  les  maintenir,  et  pour  repousser  en  même 
temps  des  agressions  sur  ses  frontières.  En  1897,  Sir 
George  Goldie  risqua  tout  dans  un  conflit  avec  le  Nupé 
qui,  d'après  ce  que  Ton  disait,  s'était  proposé  d'atta- 
quer et  de  détruire  la  Compagnie.  Avant  cette  date,  la 
Compagnie  avait  payé  un  subside  annuel  à  Sokoto  et  à 
Gando  en  exécution  des  traités. 

a  La  guerre  de  la  Niger  Co.  avec  le  Nupé  dans  les 
États  de  Sokoto  et  le  vassal  immédiat  de  Gandu  mit  une 
fin,  en  fait,  à  ces  traités.  Ce  fut  l'opinion  de  Sokoto, 
qui  refusa  de  recevoir  son  subside  annuel  et  d'avoir 
tous  rapports  ultérieurs  avec  la  Compagnie.  Il  sonda 
ces  émirs  pour  les  pousser  à  des  représailles.  Ne  rece- 
vant pas  de  réponse  immédiate,  il  entra  en  composition 
et  prit  le  subside  de  la  Compagnie,  qui  était  sur  le  point 
de  passer  ses  pouvoirs  administratifs  au  gouverne- 
ment. Celle-ci  était  fort  anxieuse  de  le  lui  voir  accep- 
ter comme  une  preuve  de  la  reconnaissance  de  la  vali- 
dité du  travail,  reconnaissance  de  laquelle  dépendait 
son  aptitude  à  transférer  Sokoto  au  gouvernement 
anglais.  Le  traité  contenait  certaines  stipulations  qui 
correspondaient  au  transfert  par  le  sultan  d'une  par- 
tie de  ses  droits  souverains  à  la  Compagnie.  Les  chefs 
de  Sokoto  ont  toujours  déclaré  qu'ils  n'admettaient  pas 
cette  manière  de  voir.  Pour  le  reste,  le  traité  corres- 
pondait à  un  pacte  d'amitié  et  était  considéré  comme 
tel  par  le  sultan.  Le  maintien  de  cette  amitié  était  en 
fait  le  seul  quid  pro  quo  qu'il  reconnaissait  devoir  en 
échange  du  subside,  et  il  ne  voulait  désormais  plus 
l'observer.  » 


350  LA    ROYAL    NIGER    C® 

La  vérité  c'est  donc  que  la  Royal  Niger  Co.  n'a 
jamais  exercé  sur  les  peuples  de  l'intérieur  l'autorité 
qu'elle  a  constamment  invoquée;  ce  ne  devait  pas  être 
sans  peine  qu'elle  devait  plus  ou  moins  réussir  à  impo- 
ser sa  volonté  aux  peuplades  au  milieu  desquelles  elle 
avait  établi  ses  comptoirs. 

Alors  qu'elle  n'était  que  la  National  African  Co.,  son 
installation  au  Niger  donna  lieu  à  une  multitude  de  con- 
flits, surtout  dans  le  delta;  en  1882,  par  exemple,  tous 
les  agents  blancs  du  poste  de  Warri  furent  massacrés. 
Mais  ce  fut  surtout  après  la  charte  que  la  Compagnie  dut 
adopter  une  politique  indigène  déterminée. 

La  Compagnie  voulant  rester  seule  dans  ses  terri- 
toires, un  des  procédés  les  plus  simples  devait  être  de 
déclarer  comme  lui  appartenant  en  propriété  privée 
tous  les  points  où  il  pouvait  être  avantageux  de  créer 
des  établissements  commerciaux.  La  plupart  des  diffi- 
cultés qu'elle  devait  avoir  avec  les  indigènes  devaient 
provenir  de  cette  prétention. 

Il  n'y  avait  aucune  espèce  de  raison,  en  effet,  pour  que 
les  chefs  cédassent  leurs  villages  à  la  Compagnie.  Elle 
sut  se  passer  de  leur  consentement  dans  la  plupart  des 
cas.  Ce  qui  se  passa  à  Assaba  en  est  un  exemple.  Le 
village  était  échelonné  le  long  du  fleuve,  à  la  place  où 
sont  aujourd'hui  les  établissements  de  la  Compagnie. 
Lorsque  la  charte  lui  fut  accordée,  elle  déclara  que  son 
gouvernement  lui  avait  donné  les  terres  du  Niger  et 
ordonna  aux  indigènes  de  reculer  leurs  huttes  îi  200 
mètres  du  fleuve.  Un  mois  après,  quelques-uns  d'entre 
eux  voulurent  revenir  près  du  fleuve  :  on  incendia  leurs 
cases,  et  depuis  lors  la  Compagnie  fut  obligée  d'entre- 
tenir des  troupes  à  Assaba. 


LA    COMPAGNIE    ET    LES    INDIGENES  351 

A  la  suite  probablement  d'arguments  de  même 
espèce,  en  décembre  1886,  les  factoreries  de  Yabatuka 
et  de  Warri  furent  pillées,  et  les  blancs  massacrés*. 
Abutahi  fut  détruit  deux  fois.  A  Onitcha,  le  roi  n'ayant 
point  voulu  donner  ses  terres  à  la  Compagnie,  elle  fut 
obligée  d'agir  avec  énergie  et  d'y  maintenir  un  blocus 
absolu  empêchant  toutes  relations  des  Européens  avec 
ce  chef*.  A  Ida,  la  Compagnie  ne  put  s'établir  qu'après 
avoir  bombardé  ce  village  depuis  le  fleuve'. 

En  dehors  de  la  manière  dont  la  Compagnie  s'éta- 
blissait dans  les  villages,  un  autre  motif  devait  soule- 
ver contre  elle  les  indigènes  du  delta  ;  elle  gênait  leur 
commerce. 

On  apprit  à  Londres,  au  commencement  de  1892,  que 
Sir  G.  T.  Goldie  s'était  rendu  au  Niger  accompagné  du 
comte  de  Scarbrought  et  qu'il  s'était  trouvé  aux  prises 
avec  une  révolte  d'indigènes.  On  assura  que  c'était  ce 
soulèvement  qui  l'avait  appelé  au  Niger^  La  Compagnie 
répondit  qu'il  ne  s'agissait  que  d'une  tournée  d'inspec- 
tion. 

En  fait,  il  y  avait  eu  des  troubles  assez  graves.  Il  y 
avait  eu  d'abord  l'affaire  du  Mûri;  la  Compagnie  avait 
dû  s'établir  très  fortement  à  Ibi  en  y  installant  une  gar- 
nison de  500  hommes*^.  Elle  avait  eu  ensuite  des  diffi- 


1.  Times,  1" janvier  1887, 10  c. 

2.  V.  Weissbuk. 

3.  Times  africain,  p.  205. 

4.  Times,  3  février  1892,  7  d. 

5.  Times,  8  février  1892,  7  f.  Il  est  amusant  de  noter  que  lord  Aber- 
dare,  pour  démontrer  à  Londres  que  la  paix  la  plus  absolue  régnait  au 
Niger,  déclare  quMl  a  reçu  une  dépôciie  de  Sir  G.  Goldie,  terminée  par 
AU  right,  et  il  ajoute  :  Compendious,  indeed,  but  inconsistent  with  ihe 
State  of  things  heing  ail  wrong. 


352  LA    ROYAL    NIGER    C* 

cultes  très  grandes  avec  les  Bachamas  à  Wumuse,  dif- 
ficultés dont  fut  témoin  Mizon^ 

La  haine  des  indigènes  pour  la  Compagnie  était  du 
reste  universelle  dans  le  moyen  Niger  et  la  Bénué. 

Nous  avons  vu  que  le  roi  du  Nupé  ne  voulait  pas 
entendre  parler  d'une  cession  quelconque  de  ses  terres 
à  la  Compagnie.  A  Yola,  malgré  ses  vains  efforts  et  ses 
cadeaux,  elle  avait  dû  se  cantonner  sur  son  ponton  et 
même  l'évacuer.  A  Garua,  le  point  extrême  du  bassin 
de  la  Bénué  où  elle  s'était  établie,  M.  Mizon  reçut  les 
plaintes  des  commerçants  et  des  habitants,  qui  se  plai- 
gnaient' de  ce  qu'elle  violait  chaque  jour  les  conditions 
qui  lui  avaient  été  imposées  lorsqu'on  lui  avait  permis 
de  s'établir  dans  la  ville,  et  qu'elle  transgressait  les 
lois  du  pays.  On  parlait  d'expulser  son  ponton. 

Dans  le  delta  la  tâche  de  la  Compagnie  fut  particuliè- 
rement ardue.  Elle  avait  [en  effet  à  protéger  ses  facto- 
reries et  à  faire  œuvre  de  gouvernement  en  empêchant 
les  pillages  et  les  chasses  d'esclaves.  Si  elle  laissa 
Warri  au  commerce  libre,  ce  fut  qu'elle  ne  pouvait  s'y 
maintenir  sans  une  force  considérable. 

Les  événements  les  plus  graves  se  passèrent  dans  les 
Brass  Rivers. 

On  apprit,  au  milieu  de  1895,  que  deux  factoreries  de 
la  Compagnie  avaient  été  détruites,  celle  d'Ekole  et 
celle  d'Annangura.  Un  peu  plus  tard,  des  embarcations 
de  l'African  Association  furent  attaquées  à  l'entrée  des 
Creeks  et  plusieurs  hommes  tués.  M.  Flint  alla  aussitôt 
faire  une  enquête.  Arrivé  au  point  où  la  lutte  avait  eu 
lieu,  les  natifs  lui  dirent  qu'un  des  mécaniciens  d'une 

1.  H.  A  lis,  Xos  Africains. 


LA    COMPAGNIE    ET    LES    INDIGENES  35,'î 

des  barques  avait  demandé  à  acheter  du  vin  de  palme 
et,  après  l'avoir  reçu,  avait  refusé  de  le  payer.  C'est  alors 
que  la  bagarre  s'élait  produite;  les  indigènes  nièrent 
avoir  attaqué  un  bateau.  M.  Flint  n'en  brûla  pas  moins 
les  villages,  par  mesure  de  châtiment. 

Au  commencement  de  1-895,  sous  prétexte  de  contre- 
bande, les  agents  de  la  Compagnie  s'emparèrent  de 
plusieurs  pirogues  de  marchands  indigènes  de  Brass. 
Un  conflit  éclata,  à  la  suite  duquel  les  établissements 
d'Akassa  furent  absolument  détruits,  et  M.  Flint  et  son 
second,  M.  Morgan,  furent  blessés. 

La  Compagnie  se  proposa  aussitôt  d'agir  sévère- 
ment. 

L'opposition  anglaise  s'émut,  et  la  section  africaine 
de  la  Chambre  de  commerce  de  Liverpool  demanda 
une  enquête.  On  prétendait  en  effet  qu'il  n'y  avait  pas 
eu  contrebande  de  la  part  des  indigènes.  On  expliquait 
que,  se  trouvant  sur  la  frontière  des  territoires  de  la 
Compagnie^  les  indigènes  avaient  cru  être  dans  les  ter- 
ritoires du  Niger  Protectorate,  d'autant  que,  de  l'avis 
de  tout  le  monde,  il  n'y  avait  pas  de  limites  marquées. 
Les  règlements  commerciaux  du  Protectorat  différant 
de  ceux  de  la  Compagnie,  les  indigènes  se  seraient 
trouvés  eti  contrebande  malgré  eux.  On  parla  d'atro- 
cités commises  par  la  Compagnie  sur  les  indigènes,  et 
l'on  renouvela  toutes  les  accusations  que  Ton  avait  cou- 
tume de  porter  contre  elle. 

La  Compagnie,  de  son  côté,  assurait  que  les  Brassmen 
étaient  très  fortement  armés,  qu'ils  avaient  au  moins 
1.500  fusils  à  répétition  et  des  pièces  de  siège.  Elle 
envoya  contre  eux  une  véritable  expédition  et  les  ré- 
duisit complètement. 

23 


354  LA    ROYAL    NIGER    G® 

Le  gouvernement  se  décida  à  nommer  une  commis- 
sion d'enquête. 

L'Aborigine's  Protection  Society  envoya  alors  au 
Foreign  Office  un  mémoire  demandant  que  cette 
enquête  fût  sérieusement  faite  et  que  Ton  organisât  au 
Niger  une  administration  plus  régulière.  Le  22  mars, 
ses  délégués  furent  reçus  par  lord  Kimberley.  Ils 
étaient  présidés  par  M.  Arthur,  le  député  du  Leicester, 
et  comprenait  entre  autres  Sir  Charles  Dilke,  M^L 
Lawrence  et  Bayley,  membres  du  Parlement.  Leurs 
paroles  et  leurs  demandes  furent  assez  modérées,  et  ils 
se  placèrent  presque  uniquement  au  point  de  vue  des 
intérêts  indigènes. 

Le  grand  reproche  qu'ils  firent  à  la  Compagnie  était 
le  secret  dont  elle  entourait  ses  actes,  secret  qui  empê- 
chait de  les  contrôler.  Sir  Charles  Dilke  rappela  que, 
dès  le  début,  on  avait  demandé  à  la  Compagnie  de  ren- 
dre compte,  chaque  année,  de  ses  travaux,  et  que  Ton 
n'avait  jamais  pu  obtenir  qu'elle  le  fît.  Les  événements 
de  Brass  ramenaient  l'attention  sur  elle;  mais  que*de 
choses  restaient  cachées!  A  toutes  les  plaintes,  la  Com- 
pagnie répondait  qu'elles  ne  provenaient  que  de  per- 
sonnes que  leurs  intérêts  rendaient  suspectes,  comme 
de  certains  commerçants  de  Liverpool.  La  chose  était 
fausse,  dit  Charles  Dilke,  car,  pour  sa  part,  les  plaintes 
qu'il  avait  transmises  n'avaient  point  cette  origine. 

Les  autres  membres  de  la  députation  appuyaient  ces 
dires.  On  avait  espéré  qu'une  compagnie  à  charte  éta- 
blirait la  paix  dans  ces  territoires  et  les  purgerait  des 
fléaux  qui  les  ravageaient.  Mais,  malgré  ce  que  la  Compa- 
gnie avait  pu  faire,  il  semblait  bien  qu'elle  n'avait  point 
complètement  rempli  son  devoir.  On  apprenait  cons- 


LA    COMPAGNIE    ET    LES    INDIGENES  355 

laminent  que  ces  territoires  étaient  en  révolte,  et  à  tout 
instant  les  plaintes  des  indigènes  se  faisaient  entendre. 
Quoique  V  «  Aborigine's  Protection  Society  »  tînt  à  dire 
qu'elle  n'était  pas  hostile  en  principe  à  la  Compagnie, 
elle  ne  pouvait  s'empêcher  de  transmettre  ses  plaintes, 
qui  semblaient  bien  fondées.  Par  suite  du  monopole  du 
commerce  que  s'était  constitué  en  fait  la  Compagnie,  il 
était  impossible  aux  natifs  de  se  livrer  à  quelque  trafic 
que  ce  fut;  le  mystère  qui  planait  sur  ses  actes  empê- 
chait de  la  surveiller,  et  il  était  nécessaire  qu'à  la  suite 
d'une  sérieuse  enquête  tout,  au  Niger,  se  passât  au 
grand  jour. 

Le  comte  de  Kimberley  répondit  longuement,  mais 
sans  se  prononcer  d'une  façon  nette. 

Pour  ce  qui  était  des  événements  de  Brass,  disait-il, 
il  était  vrai  que  c'était  la  situation  intermédiaire  de  ce 
pays,  entre  la  Niger  Company  et  le  Niger  Protectorate, 
qui  avait  été  la  cause  première  du  conflit;  mais  il  ne 
semblait  pas  qu'il  y  ait  eu  faute  de  la  Compagnie,  qui 
avait  fait  ce  qu'elle  avait  cru  être  son  droit.  Les  Brass- 
men,  au  contraire,  avaient  agi  avec  la  dernière  sauva- 
gerie dans  leurs  représailles;  aussi  le  gouvernement  ne 
pouvait-il  qu'approuver  les  mesures  de  rigueur  prises 
contre  eux,  tout  en  désirant,  lui  aussi,  que  pleine  lu- 
mière fût  faite  sur  ces  événements.  Du  reste,  l'enquête 
serait  menée  aussi  sérieusement  que  possible,  de  façon 
que  tous  les  scrupules  pussent  être  rassurés. 

Examinant  ensuite  la  politique  générale  de  la  Com- 
pagnie, Lord  Kimberley  essaya  de  montrer  qu'elle  ne 
pouvait  qu'être  approuvée  par  la  société,  en  tant  qu'elle 
luttait  contre  l'esclavage  et  l'alcoolisme;  qu'elle  sem- 
blait le  faire  avec  succès,  et  que  l'on  pouvait  prévoir 


356  LA    ROYAL    MUER    C** 

qu'elle  arriverait  à  en  triompher.  Il  tâcha  d'expliquer  le 
monopole  de  fait  qu'elle  s'était  octroyé,  par  la  nécessité 
où  elle  était  de  se  rémunérer  des  dépenses  énormes 
qu'elle  faisait  pour  occuper  des  territoires  étendus, 
pour  le  plus  grand  bien  de  l'Angleterre. 

D'un  autre  côté,  il  était  exagéré,  disait- il,  de  trop 
insister  sur  le  secret  au  milieu  duquel  elle  opérait, 
puisqu'il  n'y  avait  pas  deux  ans  qu'elle  avait  fourni  au 
gouvernement  un  détail  complet  de  ses  comptes  et  de 
ses  opérations  et  que  l'on  n'avait  rien  trouvé  à  y  redire. 
Il  était  impossible  d'étendre  l'enquête  à  faire  sur  les 
événements  de  Brass  à  l'ensemble  des  opérations  et  à 
la  conduite  générale  d'une  compagnie  dont  on  n'avait 
qu'à  se  louer.  Les  résultats  de  son  administration 
étaient  très  remarquables,  et,  si  le  gouvernement  avait 
été  obligé  d'accomplir  lui-même  ce  qu'elle  avait  fait, 
cela  lui  aurait  peut-être  été  très  difficile.  Les  compli- 
cations qui  surgissaient  avec  les  tribus  indigènes  A-e- 
naient  de  leurs  luttes  intestines,  et  il  était  inadmissible 
qu'en  voulant  s'ingérer  dans  les  affaires  de  la  Compa- 
gnie on  risquât  de  compromettre  toute  son  œuvre. 

Le  commissaire  envoyé  au  Niger  fut  Sir  John  Kirk, 
et  son  rapport  fut  publié*. 

Ce  rapport,  fait  avec  beaucoup  de  soin  et  d'une  façon 
très  précise,  montre  bien  la  nature  des  relations  de  la 
Compagnie  avec  les  indigènes,  et  nous  devons  insister 
sur  les  dépositions  qu'il  renferme. 

Dès  son  arrivée  au  Niger,  le  commissaire  royal 
appela  devant  lui  quatre  chefs  de  Brass,  les  deux  vice- 
consuls  du    Niger   Coast    Protectorate   ainsi   que    Sir 

1.  Report  by  Sir  John  Kirh  on  the  Dislarbances  al  B^*ass,  mars  1806, 
Pari.  poperSy  G  7977. 


LA    COMPAGMB    ET    LES    INDIGENES  357 

Claude  MacDonald,  le  consul  général,  et  M.  Wallace, 
Tagent  général  de  la  Compagnie. 

Les  chefs  de  Brass  déposèrent  un  mémorandum  où 
ils  exposaient  leur  situation.  Ils  montraient  cornaient 
ils  avaient  autrefois  le  monopole  de  fait  du  commerce 
de  la  côte  avec  une  partie  du  delta  du  Niger.  Lors  de 
la  National  African  Company,  on  passa  des  traités  avec 
eux,  leur  assurant  qu*on  leur  laisserait  ce  monopole  ; 
mais  peu  à  peu  on  leur  enleva  tous  leurs  marchés. 
Pour  obtenir  d*eux  leurs  territoires,  on  leur  avait  pro- 
mis qu'ils  seraient  traités  de  la  même  façon  que  les 
Européens  sur  ces  marchés,  et  leur  surprise  fut  grande 
lorsqu'ils  virent  que,  malgré  les  engagements  pris,  ces 
marchés  étaient  réservés  à  la  Compagnie  du  Niger,  qui 
les  fermait  et  qui  faisait  subir  aux  indigènes  toute  sorte 
de  vexations. 

Ces  noirs  de  Brass  vivaient  de  leur  commerce  ;  le  jour 
OLi  la  Compagnie  apparut,  cela  leur  devint  impossible. 

Sir  J.  Kirk  parut  de  cet  avis. 

La  Compagnie,  suivant  les  déclarations  mêmes  de 
M.  Wallace,  les  avait  assimilés  aux  commerçants 
blancs,  car  ils  n'étaient  pas  englobés  primitivement 
dans  ses  frontières.  Pour  avoir  le  droit  de  commercer, 
ils  eurent  à  payer  une  licence  annuelle  de  50  livres 
sterling,  plus  une  livre  10  sh.  pour  chacune  des  sta- 
tions avec  lesquelles  ils  étaient  en  rapport. 

Une  licence  de  100  livres  était  exigée  pour  le  com- 
merce de  Talcool,  sans  lequel,  reconnaît  Sir  J.  Kirk,  il 
était  impossible  de  traiter  dans  le  delta.  Après  quoi  il 
fallait  obtenir  un  permis  à  Akassa  ou  à  l'embouchure 
d'Ekole  Creek  et  payer  à  la  Compagnie  un  droit  de  2  sh. 
par  gallon  (4  litres  1/2)  d'alcool,  lequel  avait  déjà  payé 


358  LA    ROYAL    NIGER    C** 

un  droit  de  1  sh.  au  protectorat  à  Brass.  Il  fallait  ensuite 
payer  une  taxe  de  20  p.  100  pour  rexportation  de  tous 
produits. 

11  leur  était  matériellement  impossible  de  payer  ces 
sommes,  d'autant  que,  comme  ils  étaient  dans  les  ter- 
ritoires du  Niger  Goast  Protectorate,  ils  avaient,  sur  les 
commerçants  (c'est-à-dire  la  Compagnie)  qui  entraient 
directement  par  Âkassa,  le  désavantage  du  surplus  de 
droits  qu'ils  avaient  à  payer  au  Protectorat. 

Aussi  ne  payaient-ils  pas;  ils  avouaient,  du  reste, 
qu'ils  n'avaient  jamais  voulu  se  soumettre  à  aucun 
règlement  de  la  Compagnie,  et  que  si  on  appelait  ce 
qu'ils  faisaient  de  la  contrebande,  ils  déclaraient  être 
uniquement  des  contrebandiers. 

Il  résulte  de  l'enquête  que,  toutes  les  fois  que  la  Com- 
pagnie voyait  un  canot  de  Brass,  elle  tirait  dessus,  de 
sorte  que,  depuis  sa  charte,  elle  avait  tué  une  centaine 
de  Brassmen.  Ceux-ci,  à  la  fin,  se  lassèrent,  et  attaquè- 
rent Âkassa  le  29  janvier  1895.  Leur  plan  était  projeté 
depuis  longtemps;  ils  avaient  organisé  un  soulèvement 
général  du  delta,  et  pillèrent  la  factorerie;  M.  Flint  ne 
put  échapper  qu'avec  peine. 

Leur  tentative  avait  été  facilitée  par  ce  fait  qu'un 
nouvel  agent  du  Protectorat  du  Niger  avait  été  installé 
parmi  eux,  ne  connaissant  ni  leurs  langues  ni  leurs 
intentions.  Toutes  les  marchandises  et  munitions  de 
la  Compagnie  furent  détruites,  23  personnes  tuées  à 
Akassa,  43  mangées  à  Nimbé. 

Aussitôt  après,  les  forces  navales  anglaises  les  rédui- 
sirent complètement  en  brûlant  leurs  villes  de  Nimbé 
et  Fishtown. 

Le  commissaire  royal,  comme  conclusion  de  son  rap- 


LA    COMPAGNIE    BT    LES    INDIGENES  359 

port,  déclara  que  tout  cela  était  la  conséquence  des 
règlements  de  la  Compagnie,  mais  que,  du  moment 
qu'on  avait  estimé  en  les  instituant  qu'ils  étaient  néces- 
saires et  que  le  gouvernement  les  avait  approuvés,  il 
fallait  prendre  son  parti  des  difficultés  que  devait  en- 
traîner leur  application.  La  Niger  Goast  Protectorate 
Company  dut  payer  à  la  Compagnie  17,132  livres  ster- 
ling comme  indemnité. 

L'intérêt  de  la  Compagnie  était  de  n'avoir  avec  les 
indigènes  d'autres  rapports  que  ceux  qui  pouvaient  favo- 
riser son  commerce;  aussi  n'intervînt-elle  que  le  moins 
possible  dans  les  affaires  des  peuples  de  l'intérieur, 
et  ce  ne  fut  qu'au  commencement  de  novembre  1896 
qu'on  apprit  qu'elle  préparait  une  campagne  très  con- 
sidérable. Tout  le  monde  ne  manqua  pas  de  s'émouvoir. 

En  France  on  pensa  que  l'intention  de  la  Compagnie 
était  d'occuper  les  territoires  alors  en  litige  avec  l'An- 
gleterre. Le  gouvernement  Anglais  dut  affirmer  que 
l'expédition  se  passerait  tout  entière  en  dehors  des 
territoires  contestés*. 

En  Allemagne*  on  en  profita  pour  assurer  que  les 
réclamations  des  Français  étaient  légitimes,  mais  qu'é- 
galement les  droits  des  Allemands  devaient  rester 
entiers. 

Dès  les  premiers  jours  on  avait  dit  que  la  campagne 
aurait  lieu  dans  l'arrière-pays  d'une  des  colonies  de  la 
côte.  On  assura  que  des  troupes  devaient  être  envoyées 
du  Lagos  et  de  la  Côte  d*Or^.  Le  Colonial  Office  dé- 


1.  Times,  30  novembre  1896,  5  e. 

2.  Gazette  de  Cologne,  21  novembre  1890,  réponse  Times  23  ocl.  1890, 
5  e.  ;  Gazette  de  Cologne,  3  décembre  ;  Fost,  3  décembre. 

3.  Times,  18  novembre  1896, 5  e. 


360  LA    nOYAL    NIGBR    C® 

clara*  qu'il  n'avait  rien  à  voir  avec  l'expédition,  et  il  en 
résulta  un  incident  assez  vif. 

Le  gouverneur  du  Lagos,  Sir  G.  Carter,  vint  confir- 
mer le  bruit,  qui  avait  couru,  que  la  campagne  aurait 
lieu  contre  Ilorin.  Il  expliqua^  que  y:e  n'était  pas  trop 
tôt  que  la  Compagnie  se  décidât  à  agir  contre  ce  peuple 
pillard,  qui  se  trouvait  dans  ses  territoires  et  qui  ra- 
vageait le  Haut-Lagos  :  «  Je  ne  sais  pas  très  bien, 
dit- il,  quelles  circonstances  atténuantes  pourraient 
détourner  la  Compagnie  d'agir  contre  ce  peuple  Ilorin, 
qui  est  dans  sa  sphère  d'influence,  malheureusement 
pour  le  Lagos.  Autant  que  je  sache,  elle  n'a  jamais  rien 
fait  pour  faire  sentir  son  influence,  les  Ilorins  n'ont 
jamais  voulu  recevoir  ses  envoyés,  et  un  seul  blanc  est 
entré  dans  la  ville,  la  face  noircie  et  avec  des  habits  de 
mahométan.  » 

Outre  ce  que  la  lettre  qu'il  écrivait  ainsi  avait  de 
désobligeant,  elle  avait  l'inconvénient  de  donner  des 
arguments  à  ceux  qui  contestaient  l'influence  de  la 
Compagnie  sur  l'Ilorin.  Aussi  G.  T.  Goldie  répondit-il 
d'une  façon  assez  vive'. 

«  Il  semble,  disait-il,  que  c'est  une  étrange  com- 
préhension du  rôle  du  gouvernement  que  de  choisir  le 
moment  où  cela  peut  porter  atteinte  aux  intérêts  de 
son  pays  pour  laver  son  linge  sale  en  public  avec  une 
colonie  voisine.  Il  y  a  cependant  un  point  auquel  il  faut 
répondre.  Sir  G.  Carter  a  dit  qu'en  dehors  d'un  blanc 
noirci,  aucune  autre  personne  n'avait  été  à  Ilorin  de  la 
part  de  la  Compagnie.  L'erreur  vient  probablement  de 
ce  que  le  premier  traité  passé  par  la  Compagnie  avec  la 

1.  Times,  16  novembre  1890,  5. 

2.  Times,  19  novembre  1890,  5  e. 


LA.    COMPAGNIE    ET    LES    INDIGENES  361 

ville  d*Ilorin  a  été  conclu  le  18  avril  1885  par  M.  Benson 
Nîcol,  un  de  ces  distingués  agents  diplomatiques  noirs, 
qui  ont  rendu  de  si  grands  servions  à  TAngleterre,  au 
même  titre  que  le  distingué  noir  M.  Fergusson  à  la 
Gold  Coast.  M.  Carter  semble  ignorer  que  le  deuxième 
traité  a  été  passé  le  9  août  1890  par  M.  Watts,  un  blanc 
qui  était  reçu  avec  la  plus  grande  cordialité  par  le 
vizir  et  sa  cour.  Pour  ce  qui  est  du  pays  d'ilorin,  il  a  été 
souvent  parcouru  par  les  officiers  de  la  Compagnie,  en 
particulier  par  M.  Lugard.  Des  officiers  de  la  Compa- 
gnie sont  actuellement  occupés  autour  d'Ilorin  avec 
une  force  considérable.  » 

Il  est  assez  difficile  d'admettre  que  Tllorin  ait  été 
réellement  occupé  par  une  troupe  de  la  Compagnie,  car 
en  aucun  point  des  opérations  nous  ne  verrons  inter- 
venir cette  force,  et  la  colonne  agira  seule,  se  consi- 
dérant comme  isolée,  ce  qui  n'aurait  évidemment  pas 
eu  lieu  si  une  force  considérable  avait  été  installée  en 
quelque  point  d'ilorin.  Tout  ce  qu'on  peut  admettre  à 
la  rigueur,  c'est  que  cette  troupe  ait  été  établie  à  Jebb, 
par  exemple,  ville  que  Sir  G.  T.  Goldie  considère,  dans 
son  rapport  sur  la  campagne,  comme  étant  dans  l'ilorin. 

Quoique  la  Compagnie  ne  voulût  pas  l'avouer,  il 
apparut  bien  qu'elle  était  obligée  d'agir  contre  l'Ilorin 
sur  les  demandes  répétées  du  Colonial  Office  et  du  gou- 
vernement du  Lagos.  On  apprit  bientôt  que  l'expédition 
devait  avoir  lieu  en  même  temps  que  contre  le  Nupé. 

Grâce  aux  précautions  prises  par  Sir  G.  T.  Goldie, 
l'expédition,  qui  avait  été  admirablement  organisée,  fut 
de  courte  durée*. 

1.  Report  by  Sir  G,  T.  Goldie  on  Vie  Niger  Sudan  Campaign  (1897); 
imprimé  chez  Witerby,  Londres.; 


■  J 


362  LA    nOYAL    NIGER    C^ 

Elle  partit  de  Lokodja  le  6  janvier  1897,  et  le  13  elle 
entrait  sans  combat  à  Kabba.  Elle  était  composée  de 
32  Européens  et  de "1.072  indigènes  ayant  fui  la  veille 
à  l'annonce  de  l'arrivée  des  troupes  anglaises.  La  ville 
fut  brûlée  ainsi  que  tous  les  villages  fulanis  qui  l'en- 
vironnaient. Le  26,  Bida  était  attaqué;  mais  les  troupes 
anglaises  éprouvèrent  une  grande  résistance.  L'émir 
Abu  Beekry,  le  successeur  de  Maleky,  fut  blessé,  mais 
put  s'enfuir.  Du  côté  des  Anglais,  un  officier  avait  été 
tué  ainsi  que  7  noirs.  Les  morts  ennemis  furent  éva- 
lués à  600.  Dix  canons,  350  fusils,  500  barils  de  poudre 
et  2.500  cartouches  furent  pris. 

La  campagne  contre  l'Ilorin  commença  aussitôt.  Elle 
eut  le  caractère  d'une  simple  visite  de  Sir  George 
T.  Goldie,  accompagné  d'une  forte  escorte,  composée 
de  350  hommes.  Après  une  courte  résistance,  la  ville 
fut  prise  le  15  février. 

Le  23  février  l'expédition  tout  entière  était  de  retour 
à  Lokodja. 

Le  5  février  1897  était  signé  avec  les  chefs  du  Nupé 
un  traité  en  vertu  duquel  un  nouvel  émir  était 
nommé.  Celui-ci  reconnaissait  que  tout  le  Nupé  était 
entièrement  soumis  au  pouvoir  de  la  Compagnie  et 
était  placé  sous  le  drapeau  anglais.  La  Compagnie  gou- 
vernerait directement  la  partie  située  au  sud-ouest  du 
Niger  et  la  rive  nord-est  du  Niger,  sur  une  profondeur 
de  trois  milles.  L'émir  gouvernerait  le  reste,  mais  en 
se  conformant  aux  instructions  que  lui  donneraient  les 
représentants  de  la  Compagnie. 

Par  le  traité  du  18  février,  les  chefs  d'Ilorin  pla- 
çaient leur  pays  sous  la  protection  de  l'Angleterre, 
mais  le  gouvernement  de  son  pays  était  laissé  à  l'émir. 


LA    COMPAGNIE    ET    LES    INDIGENES  363 

Sir  G.  T.  Goldie  avait  songé  tout  d'abord  à  rétablir  un 
membre  de  l'ancienne  dynastie  yoruba  qui  régnait 
avant  la  conquête  foulah;  mais  cela  aurait  nécessité  un 
fort  établissement  de  troupes  pour  résister  à  l'élément 
fulani. 

En  fait,  cette  expédition  ne  devait  avoir  eu  d'autre 
conséquence  que  de  faire  sentir  aux  indigènes  du 
Nupé  et  de  l'Ilorin  la  force  des  troupes  anglaises. 
L'ancien  émir  du  Nupé  chassa  avant  la  fin  de  1887  le 
chef  qu'avait  établi  la  Compagnie  et  continua  à  agir 
comme  par  le  passé.  L'Ilorin  continua  à  se  considérer 
comme  indépendant. 

L'Angleterre  ne  devait  pas  tarder  à  relever  la  Com- 
pagnie de  l'administration  qui  lui  avait  été  confiée. 
Elle  allait  être  obligée  de  procéder  à  la  conquête  de  ces 
territoires  sur  lesquels  celle-ci  n'avait  fait  en  réalilé 
que  commercer. 


■^-rr 


CHAPITRE    XXV 
LA  ROYAL  NIGER  C^ 


Son  évolution. 

Il  nous  reste,  pour  bien  voir  quelle  fut  Tœuvre  de  la 
Royal  Niger  Co.,à  rechercher  dans  les  événements  que 
nous  venons  d'exposer  comment  le  projet  initial  de  Sir 
G.  T.  Goldie  fut  le  lien  qui  les  réunit,  et,  sans  insister 
longuement  sur  les  incidents  internationaux  bien  con- 
nus qui  marquèrent  rétablissement  de  TAngleterre 
dans  les  pays  qui  forment  actuellement  la  Nigeria, 
nous  devons  examiner  comment  la  Compagnie  évolua 
au  milieu  d'eux  de  façon  à  triompher  des  difficultés 
qui  pouvaient  arrêter  le  triomphe  de  TAngleterre. 

Dans  ces  pays,  l'accès  des  terres  ne  suffisait  pas 
pour  acquérir  la  possibilité  de  commercer.  Il  fallait  en 
obtenir  la  permission  expresse  des  chefs.  Avec  un  peu 
d'habileté,  cet  obstacle  pouvait  devenir  un  avantage. 
On  demande  le  droit  exclusif  de  commercer;  on  fait 
entendre  qu'on  l'a  obtenu,  et  on  dit  que  Ton  est  le 
maître. 

C'est  ainsi  que  procéda  la  Compagnie.  «  Il  était 
nécessaire,  dit  lord  Aberdare  dans  un  discours  aux 
actionnaires,  en  1886%  d'avoir  des  droits  (allusion 
à  la  charte),  car  il  était  nécessaire  de  traiter  avec  les 

1.  Voir  Times,  30  juin  1886. 


SON    ÉVOLUTION  3G5 

chefs,  et  cela  uniquement  à  cause  de  la  puissance  qui 
devait  en  résulter.  » 

La  Compagnie  avait  intérêt  à  ce  que  ces  traités 
eussent  un  sens  déterminé;  elle  le  leur  prêta.  C'était 
insuffisant;  il  fallait  encore  imposer  ce  sens  à  ceux 
dont  on  interprélait  ou  créait  ainsi  la  pensée,  l'oppo- 
ser à  ceux  dont  il  contrariait  les  intérêts.  Grâce  à  la 
charte,  ce  double  but  put  être  atteint. 

Les  droits  politiques  qu'elle  conférait  permettaient 
d'agir  constamment  sur  les  chefs ,  de  jouer  auprès 
d'eux  le  rôle  de  puissance  dominatrice  ;  la  Compagnie 
n'y  faillit  pas.  Les  droits  administratifs,  de  leur  côté, 
permettaient  de  mettre  obstacle  à  la  concurrence  que 
des  Européens  pouvaient  être  tentés  de  venir  faire 
à  la  Compagnie  sur  son  domaine  ou  sur  les  terri- 
toires qu'elle  considérait  comme  siens.  Le  vieil  esprit 
libre-échangiste  anglais  ne  pouvait  laisser  un  mono- 
pole semblable  s'exercer  ouvertement  :  quelque  habi- 
leté dans  la  rédaction  des  règlements  devait  permettre 
de  tourner  la  difficulté.  «  La  prohibition  du  monopole 
et  Texigence  d'un  traitement  égal  pour  tous  les  com- 
merçants de  toutes  les  nationalités  pourrait  paraître 
plutôt  formidable,  comme  laissant  possible  la  concur- 
rence; mais  le  gouvernement  a  donné  à  la  Compagnie 
le  pouvoir  de  lever  des  droits  de  douane  et  de  taxe*, 
c'est-à-dire  d'être  maîtresse  des  prix;  aussi  en  usera- 
t-elle.  » 

Le  gouvernement  anglais  avait  tout  intérêt  à  ce  que 
la  Compagnie  jouît  d'un  monopole  commercial  :  c'était 
pour  elle    une    force  considérable,  qui,  en  définitive, 

1.  Discours  de  Lord  Abcrdare  aux  acUonnaires  de  la  Compagnie,  30 
juin  1886. 


-m-^ 


366  LA    ROYAL    NIGER    c" 

devait  bénéficier  au  pays.  Ne  pouvant  le  lui  accorder 
en  droit,  il  le  lui  laissa  prendre  en  fait.  Pour  cela,  il 
suffit  d'abandonner  la  Compagnie  à  elle-même,  d'i- 
gnorer ses  actes  à  cet  égard.  C'est  en  effet  à  cette  pas- 
sivité que  se  résolut  le  gouvernement  anglais;  il  ferma 
volontairement  les  yeux,  comprenant  qu'il  devait  faire 
abstraction  des  intérêts  passagers  actuels ,  pour  ne 
considérer  que  les  intérêts  à  venir.  Et  il  faut  bien  se 
persuader  de  cette  idée  que,  bien  loin  de  la  pousser 
à  agir,  ainsi  qu'on  l'a  si  souvent  répété,  il  s'est  borné 
à  jouer  auprès  de  la  Compagnie  le  rôle  passif  que  nous 
venons  d'indiquer. 

Seulement  le  maintien  d'un  monopole  de  fait  allait 
obliger  la  Compagnie  à  soutenir  une  lutte  véritable 
contre  les  intérêts  que  ce  monopole  lésait;  ce  fut  cette 
lutte  qui  précipita  son  évolution. 


I 


La  Compagnie  allait,  dès  ses  débuts,  rencontrer  un 
obstacle  qui  l'empêcherait  de  se  développer  indéfini- 
ment en  arrière  des  territoires  occupés  sur  la  côle; 
l'acte  de  Berlin  avait,  en  effet,  décidé  la  liberté  de  navi- 
gation sur  le  Niger  et  ses  affiuents. 

La  décision  était  grave  pour  la  Compagnie.  Elle  n'a- 
vait d'existence  internationale  que  sur  les  territoires 
sur  lesquels  les  puissances  étrangères  avaient,  à  la 
demande  du  gouvernement  anglais,  reconnu  son  droit 
d'occupation.  La  merveilleuse  voie  de  pénétration 
qu'offrait  le  fleuve  allait  permettre  aux  concurrents  de 
pénétrer  dans  Jes  pays  situés  en  dehors  des  limites 
reconnues  par  des  actes  internationaux,  et  de  contes- 


SON    ÉVOLUTION  367 

ter  des  droits  que  la  Compagnie  prétendait  avoir  à  leur 
possession. 

Celle-ci  était  fortement  installée  au  point  de  vue 
commercial  sur  le  bas  fleuve,  et  elle  avait  décidé  d'y 
demeurer  seule.  Elle  pensait  par  là,  en  barrant  la  seule 
voie  d'accès  qui  existe,  être  maîtresse  des  marchés 
intérieurs.  Si  ses  concurrents  pouvaient  forcer  la  bar- 
rière artificielle  établie  par  elle,  l'entreprise  commer- 
ciale était  ébranlée  dans  ses  procédés,  et  le  plan  d'ex- 
tension internationale  irréalisable. 

Aussi  la  Compagnie  avait-elle  fait  tous  ses  efforts 
au  Congrès,  par  l'intermédiaire  des  plénipotentiaires 
anglais,  pour  empêcher  l'adoption  de  la  clause  de  libre 
navigation.  N'ayant  pu  convaincre  les  autres  puissances 
de  l'innavigabilité  du  Niger  et,  par  conséquent,  de 
l'inutilité  de  proclamer  la  liberté  de  navigation  sur  un 
tel  fleuve,  elle  résolut  de  passer  outre  aux  décisions 
adoptées  et  de  s'opposer  en  fait  à  leur  application.  La 
libre  navigation  du  Niger  était  l'anéantissement  des 
grands  projets  caressés;  décidée  à  l'empêcher,  la  Com- 
pagnie interpréta  à  sa  guise  la  décision  du  congrès; 
elle  chercha  l'interprétation  qui  pouvait  lui  être  la  plus 
favorable,  et  déclara  n'admettre  que  celle-là. 

Elle  avait  pour  but  la  possession  absolue  du  fleuve 
et  des  territoires  auxquels  il  donnait  accès.  Elle  repré- 
sentait l'Angleterre;  elle  était,  disait-elle,  l'héritière 
de  ses  travaux,  dont  il  était  impossible  qu'on  ne  tînt  pas 
compte.  On  devait  sauvegarder  les  droits  que  les  pion- 
niers anglais  avaient  créés  à  leur  pays;  de  ces  droits, 
la  Compagnie  avait  hérité,  elle  devait  les  retrouver 
entiers. 

La  (Compagnie,  usant  du  droit  qu'elle  estimait  possé- 


•  .1 


368  LA    ROYAL    NIGER    C® 

der,  réglementa  donc  à  sa  guise;  elle  ferma  en  fait  le 
Niger  à  la  navigation,  et  arriva  ainsi,  par  sa  décision,  à 
éluder  ce  que  Tacte  de  Berlin  avait  de  dangereux  pour 
elle.  De  par  sa  charte,  elle  avait  toute  liberté  sur  les 
territoires  qui  lui  étaient  reconnus;  elle  pensa  que, 
grâce  aux  règlements  qu'elle  pouvait  édicter,  il  lui 
serait  possible  de  défendre  des  prétentions  territo- 
riales, et,  se  croyant  suffisamment  armé'i,  elle  résolut 
de  poursuivre  sa  politique. 

^Malheureusement  pour  elle,  les  intérêts  lésés  se 
lèvent  aussitôt  pour  l'attaquer.  Ses  gros  bénéfices  lui 
ont  créé  de  nombreux  concurrents.  Elle  arrête  ceux-ci 
au  moyen  des  taxes  qu'elle  a  le  droit  de  percevoir,  elle 
les  entrave  par  ses  règlements,  elle  recourt  pour  les 
anéantir  à  tous  les  moyens  dont  elle  dispose,  mais  sans 
parvenir  à  étouffer  leurs  plaintes,  à  arrêter  leurs  récla- 
mations. 

Ce  sont  d'abord  les  Allemands  qui  protestent.  Grands 
producteurs  d'alcool,  presque  entièrement  spécialisés 
dans  ce  commerce,  ils  voient  leurs  intérêts  gravement 
compromis  par  la  prohibition  du  trafic  de  l'alcool  dans 
l'intérieur,  prohibition  qui  succédait  à  l'application  de 
droits  déjà  fort  élevés. 

Pour  échapper  aux  règlements  de  la  Compagnie,  ils 
pénètrent  dans  un  de  ces  territoires,  —  le  Nupé,  — 
qu'elle  convoite,  mais  n'occupe  pas  encore  réellement. 
Elle  les  en  expulse  peu  de  temps  après  (1887-1888).  Ils 
demandent  aussitôt  (affaire  Hoenigsberg)  aide  et  appui 
à  leur  gouvernement,  qui  soutient  leurs  réclamations 
et,  se  basant  sur  l'acte  de  Berlin,  oblige  la  Compa- 
gnie à  reconnaître  le  bien  fondé  des  plaintes  qu'elle  a 
suscitées. 


SON    ÉVOLUTION  369 

Les  commerçants  anglais,  lésés  eux  aussi,  joignent 
leurs  plaintes  à  celles  des  commerçants  allemands. , 
Mais,  moins  heureux  que  ceux-ci,  ils  ne  reçoivent  aucun 
appui  du  gouvernement  anglais,  qui  se  borne  à  opposer 
aux  accusations  dont  la  Compagnie  est  l'objet  les  nom- 
breuses-obligations que  la  charte  lui  impose.  Quanta 
cette  dernière,  pour  unique  défense,  elle  nie  purement 
et  simplement  l'existence  d'un  monopole  quelconque. 
Ces  taxes  et  ces  droits  qui,  dit-on,  constituent  une  bar- 
rière infranchissable,  ne  les  paye-t-elle  pas  de  même 
que  tous  les  autres  commerçants  ?  Le  principe  est  donc 
sauvegardé.  Elle  oublie  d'ajouter  qu'elle  se  les  paye  à 
elle-même,  et  elle  se  garde  d'avouer  qu'elle  est  seule  à 
profiter  des  dépenses  d'organisation  et  des  frais  d'ex- 
ploitation que  leur  produit  alimente.  Les  intérêts  du 
gouvernement  étant  conformes  aux  siens,  la  Compagnie 
ne  peut  qu'être  approuvée.  D'ailleurs  ses  règlements, 
dont  elle  est  maîtresse  absolue,  la  protègent  encore 
mieux  que  les  taxes.  Elle  interdit  d'aborder  sur  les 
rives  du  fleuve  ailleurs  que  dans  un  petit  nombre  de 
ports  déterminés  ;  et  là,  elle  est  si  solidement  établie, 
que  toute  concurrence  avec  elle  est  absolument  impos- 
sible. 

Rassuré  sur  la  possibilité  de  maintenir  son  mono- 
pole de  fait.  Sir  G.  Goldie  tente  alors  (1889)  d'étendre 
les  territoires  de  la  Compagnie  sur  toute  la  côte.  Il  au- 
rait ainsi  une  solide  base  d'opérations  et  s'affranchi- 
rait des  Protectorats  anglais  —  Lagos,  Oil  Rivers  — 
qui  entourent  ses  territoires  et  voient  d'un  mauvais  œil 
l'intransigeance  de  la  Compagnie.  Mais  il  se  heurte  à 
des  intérêts  privés  trop  puissants,  à  des  maisons  de 
commerce  établies  depuis  longtemps  dans  ces  régions 

2^ 


~*^ 


370  LA    ROYAL    NIGER    C** 

et  qui  refusent  de  se  laisser  absorber  par  la  Compa- 
gnie. D'autre  part,  le  gouvernement  n'a  pas  les  mêmes 
raisons  pour  lui  accorder  ici  l'omnipotence  dont  elle 
jouit  dans  les  territoires  intérieurs.  Il  n'y  a  pas  de 
conquête  nouvelle  à  faire,  et  le  commerce  est  assez  actif 
pour  que  les  taxes  perçues  suffisent  à  rembourser  les 
frais  d'administration.  Sir  G.  Goldie  ne  peut  réaliser 
ses  désirs  ;  il  réussit  néanmoins  à  s'établir  sur  le  delta 
tout  entier. 

En  1890,  la  Compagnie  possède  donc  tout  le  Bas-Ni- 
ger, de  son  embouchure  à  Lokodja,  et,  en  outre,  une 
partie  de  la  rive  gauche  de  Bénoué.  Sur  ces  vastes 
territoires  elle  est  seule,  maîtresse  absolue  des  biens 
et  de  la  vie  des  habitants,  et  elle  est  d'autant  plus  forte 
qu'elle  est  assurée  de  l'appui  du  gouvernement.  A  la 
suite  des  difficultés  avec  l'Allemagne  et  des  réclama- 
tions des  commerçants  anglais  qui  se  plaignaient  d'être 
lésés  dans  leurs  droits,  celui-ci  fait  faire  une  enquête 
au  Niger.  L'enquête  a  démontré  que  la  charte  est  res- 
pectée; seule,  l'application  de  ses  dispositions  a  occa- 
sionné les  plaintes.  Mais,  du  moment  que  la  politique 
de  la  Compagnie  lui  est  favorable,  le  gouvernement  se 
refuse  à  examiner  dans  quel  esprit  ces  dispositions, 
logiques  et  équitables  en  elles-mêmes,  sont  appliquées; 
il  ne  veut  entraver  en  rien  l'action  de  la  Compagnie,  et 
puisque  le  monopole  du  commerce  est  une  nécessité 
pour  elle,  puisque  c'est  le  seul  moyen  de  lui  fournir 
les  nombreuses  ressources  dont  elle  a  besoin,  il  le  lui 
abandonne  volontiers,  du  moment  que  les  apparences 
de  la  légalité  sont  sauvegardées. 

En  dehors  des  territoires  sur  lesquels  elle  a  établi  sa 
puissance  d'une  manière  effective,  sur  le  Niger  jusqu'à 


SON    ÉVOLUTION  371 

Lokodja,  sur  la  Bénoué  jusqu'à  Ibi,  la  Compagnie  pré- 
tend en  posséder  de  bien  plus  vastes,  sur  lesquels  elle 
n'exerce  cependant  encore  aucune  espèce  d'influence. 
Ces  grands  empires  situés  du  côté  du  Niger,  elle  ne 
peut  en  revendiquer  la  possession  que  parce  qu'elle  a 
fait  le  projet  de  s'y  établir  et  en  interprétant  à  sa  guise 
des  traités  qui  n'ont  nullement  le  sens  qu'elle  s'eff*orce 
de  leur  donner. 

Le  moment  semble  alors  venu  à  Sir  G.  Goldie  d'as- 
surer la  domination  de  la  Compagnie  sur  les  territoires 
qu'elle  déclare  lui  appartenir,  mais  qui,  en  réalité, 
échappent  entièrement  à  sa  domination,  et  d'en  com- 
mencer l'exploitation.  L'œuvre  politique  va  se  mêler 
de  plus  en  plus  étroitement  à  l'œuvre  commerciale,  et 
la  lutte  soutenue  jusqu'alors  par  le  Congo  contre  ses 
rivaux  va  changer  de  caractère.  Elle  n'a  encore  rencon- 
tré devant  elle  que  des  commerçants,  jaloux  des  pré- 
rogatives qu'elle  prétend  s'attribuer,  et  si  des  gouver- 
nements étrangers  sont  survenus,  cela  n'a  été  que  pour 
soutenir  les  intérêts  de  leurs  nationaux.  Dorénavant, 
les  gouvernements  vont  entrer  directement  en  lutte 
contre  elle,  pour  s'efforcer  d'arrêter  son  mouvement 
d'expansion  territoriale. 

Ce  qui  caractérise  alors  l'état  d'esprit  de  la  Compa- 
gnie, c'est  qu'elle  estime  être  à  l'abri  de  toutes  reven- 
dications, grâce  à  ces  traités  qu'elle  invoque  toujours 
pour  justifier  ses  droits  de  propriété,  notamment  contre 
les  Français,  ses  rivaux  les  plus  dangereux.  «  La  pos- 
session par  l'Angleterre,  dit  lord  Aberdare,  du  Moyen 
et  du  Bas-Niger  et  de  la  Bénoué  est  due,  non  au  fait 
du  gouvernement,  mais  aux  sacrifices  pécuniaires  des 
actionnaires  de  la  Compagnie  et  à  l'aide  qu'ils  ont  ap- 


372  LA.    ROYAL    NIGER    c'* 

portée  au  conseil  dans  ses  longs  et  pénibles  efTorts..! 

«  Il  y  a  de  fortes  raisons  pour  qu'il  ne  s'élève  pas  de 
rivalités  à  l'occasion  des  sphères  d'influence  française 
et  anglaise  au  Niger.  La  nature  a  élevé  entre  elles  de 
formidables  barrières,  dont  on  ne  pourrait  triompher 
que  par  des  travaux  dont  le  prix  trop  considérable 
absorberait  pendant  de  longues  années  les  bénéfices 
qui  en  résulteraient  (allusion  aux  rapides  de  Boussa). 
La  Compagnie  a  pensé  qu'il  était  bon  de  conclure  avec 
le  grand  et  important  royaume  du  Borgou  un  traité  le 
plaçant  sous  le  drapeau  anglais.  Ce  traité  a  assuré  le 
Niger-Moyen  contre  toute  intervention  étrangère  ve- 
nant du  Dahomey  ou  de  l'ouest  du  Soudan.  Elle  a  aussi 
complété  par  de  nouveaux  et  importants  traités  perpé- 
tuels et  irrévocables  ceux  passés  avec  le  Sokoto  et  le 
Gandou  ;  les  nouveaux  traités  donnent  à  la  Compagnie 
pleine  juridiction  fiscale,  criminelle,  civile  et  de  toute 
autre  nature  sur  tous  les  non-natifs  de  l'ensemble  des 
deux  empires,  c'est-à-dire  sur  tous  ceux  qui  ne  sont  pas 
actuellement  sujets  de  ces  empires.  » 

Les  traités  invoqués  avaient  un  sens  tout  différent  de 
celui  que,  dans  son  intérêt,  la  Compagnie  leur  attribuait. 

Très  habilement,  la  Compagnie  se  présenta  aux  sul- 
tans avec  lesquels  elle  traitait  comme  le  représentant 
des  blancs  dans  tout  le  bassin  du  Niger,  et  elle  obtint 
de  remplir  auprès  d'eux  fonction  de  consul.  Elle  en  pro- 
fita pour  déclarer  que,  du  consentement  même  des  sul- 
tans, tous  les  étrangers  qui  se  rendraient  dans  ces  pays 
seraient  soumis  à  son  autorité.  C'est  là  une  interpréta- 
tion abusive.  Le  seul  droit  qu'elle  ait  obtenu,  c'est  de 
représenter  ceux  qui  dépendaient  d'elle  réellement. 
Éclairés  sur  l'existence  de  nombreux  peuples  de  race 


SON    ÉVOLUTION  373 

blanche  indépendants  de  la  Compagnie,  tous  ces  sul- 
tans déclarent  qu'ils  peuvent  entrer  en  rapports  directs 
avec  eux  et  venir  commercer  dans  leur  pays;  quant  aux 
rapports  des  blancs  de  différentes  nations  entre  eux, 
c'est  à  ces  nations  de  les  régler  à  leur  guise.  Ainsi,  la 
Compagnie  ne  peut  représenter  que  les  Anglais;  les 
souverains  indigènes  n'ont  pas  entendu  aliéner  leur 
liberté  à  Tégard  des  autres  puissances. 

En  réalité,  la  Compagnie  n'avait  obtenu  que  de  sim- 
ples traités  de  commerce.  Mais  à  ces  traités  elle  donna 
l'interprétation  nécessaire  pour  lui  permettre  de  pour- 
suivre ses  desseins,  se  pliant  avec  un  merveilleux  à- 
propos  aux  exigences  diverses  auxquelles  elle  eut  à 
faire  face.  Elle  soutint  leur  valeur  d'une  façon  si  âpre, 
de  manières  si  multiples,  qu'elle  finit  par  la  regarder 
comme  incontestable,  et  c'est  à  cette  assurance  peut- 
être  qu'elle  dut  d'atteindre  en  grande  partie  le  résultat 
envié. 

Un  événement  allait  fournir  à  la  Compagnie  de  nou- 
velles bases  pour  appuyer  ses  prétentions,  en  lui  per- 
mettant d'invoquer  ses  traités  comme  des  droits  recon- 
nus par  les  puissances  européennes  elles-mêmes. 

On  apprit  en  1890  que  l'Allemagne  et  l'Angleterre  ve- 
naient de  se  partager,  au  détriment  absolu  de  nos  droits, 
Zanzibar  et  les  territoires  des  Grands  Lacs  Africains. 
Le  partage  avait  eu  lieu  entièrement  en  dehors  de 
nous  et  avec  le  plus  souverain  dédain  des  principes  de 
l'acte  de  Berlin.  La  France  réclama.  Elle  voulait  bien 
reconnaître  la  convention  anglo-allemande,  mais  elle 
demandait  des  compensations.  La  question  du  Sahara 
se  présentait  alors  avec  un  caractère  particulier  :  des 
expéditions,  le  projet  transsaharien,  des  troubles  dans 


374  LA    ROYAL    NIGER    C® 

le  Sud-Algérien,  nous  la  faisaient  considérer  avec  le 
plus  haut  intérêt.  Nous  demandâmes  à  l'Angleterre  de 
reconnaître  notre  zone  d'influence  sur  cette  région,  que 
Ton  croyait,  à  cette  époque,  n'être  qu'un  immense  dé- 
sert. Ce  fut  la  convention  du  3  août  1890,  par  laquelle^ 
en  outre,  la  Grande-Bretagne  reconnaissait  notre  pro- 
tectorat sur  Madagascar. 

La  convention  peut  se  résumer  ainsi  :  l'Angleterre 
renonce  à  ses  anciens  droits  sur  les  lies  de  Zanzibar  et 
de  Pemba  et  reconnaît  le  protectorat  de  la  France  sur 
l'île  de  Madagascar  et  la  zone  d'influence  de  la  France 
au  sud  de  ses  possessions  méditerranéennes,  jusqu'à 
une  ligne  allant  de  Say,  sur  le  Niger,  à  Barroua,  sur  le 
lac  Tchad,  tracée  de  façon  à  comprendre  dans  la  zone 
d'aotion  de  la  Compagnie  du  Niger  tout  ce  qui  appar- 
tient équitablement  ifairly)  au  royaume  de  Sokoto. 

Il  n'y  a  pas  autre  chose  dans  le  traité,  et  pourtant 
Sir  G.  Goldie  allait  y  trouver,  grâce  à  une  audacieuse 
interprétation,  la  reconnaissance  par  nous  de  l'empire 
qu'il  avait  rêvé.  Suivant  lui,  la  ligne  Say-Barroua  devait 
servir  de  délimitation  entre  les  deux  zones  d'influence 
française  et  anglaise,  et  il  en  résultait  que  tous  les  pays 
qui  se  trouvent  au  sud  de  cette  ligne,  entre  les  deux 
méridiens  passant  à  Say  et  à  Barroua,  étaient  reconnus 
par  la  France  comme  soumis  à  la  domination  anglaise, 
et  si  l'Angleterre  lui  avait  abandonné  ses  droits  sur  le 
Sahara,  c'était  en  compensation  de  ces  territoires.  Quant 
à  ce  qui  était  du  partage  du  Zanzibar  par  l'Angleterre 
et  l'Allemagne,  la  compensation  aurait  été  la  recon- 
naissance du  protectorat  français  de  Madagascar. 

La  disposition  même  de  l'acte  est  en  contradiction 
avec  ce  système  de  compensations,  ou  il  n'est  pas  tenu 


SON    ÉVOLUTION  375 

compte,  en  dehors  de  tant  d'autres  considérations,  des 
droits  respectifs  de  la  France  et  de  l'Angleterre  sur  les 
territoires  en  litige;  et  quant  à  induire  de  cette  conven- 
tion que  la  France  reconnaissait  à  l'Angleterre  tout  ce 
qui  se  trouve  au  sud  de  la  ligne  Say-Barroua,  ce  n'est 
plus  de  l'interprétation,  c'est  de  la  fantaisie.  Du  reste, 
une  des  clauses  du  traité  condamne  absolument  cette 
interprétation  abusive.  Le  dernier  paragraphe  dit  : 
«  Les  commissaires  auront  également  pour  mission  de 
déterminer  les  zones  d'influence  respectives  des  deux 
pays  dans  la  région  qui  s'étend  à  l'ouest  et  au  sud  du 
moyen  et  du  bas  Niger.  » 

Toutes  les  fois  que  ces  territoires,  qui  constituent  la 
région  de  Say,  Lokodja  et  la  bouche  du  Niger,  ont  été 
contestés,  Sir  G.  Goldie  a  soutenu  que  les  territoires 
situés  entre  le  méridien  de  Say  et  le  Niger  revenaient 
sans  contestation  possible  à  la  Compagnie  en  vertu  de 
la  convention  de  1890.  Ce  disant,  Sir  G.  Goldie  faisait 
d'abord  abstraction  complète  de  ce  dernier  paragraphe, 
puis  faisait  intentionnellement  un  tout  des  pays  afif  sud 
de  la  ligne  Say-Barroua.  >0r,  nous  appuyant  sur  ce  pa- 
ragraphe, dont  le  sens  n'est  pas  douteux,  il  nous  est 
permis  de  soutenir  que  ce  tout  n'était  pas  reconnu  à  la 
Compagnie,  puisque,  pour  une  partie,  le  contraire  était 
dit  expressément. 

Tout  en  soutenant  son  interprétation.  Sir  G.  Goldie 
devait  trouver  dans  la  convention  un  moyen  de  défense 
autrement  spécieux.  Elle  laissait  dans  la  zone  d'in- 
fluence de  la  Compagnie  tout  ce  qui  appartient  équita- 
blement  «  au  Sokoto  »,  celle-ci  ayant  affirmé  qu'elle 
avait  des  droits  absolus  sur  ces  territoires.  Sir  G.  Gol- 
die déclara  que  toutes  les  terres  au  sud  de  la  ligne 


376  LÀ    ROYAL    NIGER    C® 

Say-Bourroua  faisaient  partie  de  cet  empire;  sauf  le 
Bornou,  il  n'y  avait  dans  TOuest  Africain  qu'un  immense 
empire,  celui  du  Sokoto,  et  nous  l'aurions  reconnu 
comme  étant  dans  la  zone  anglaise.  Rien  n'était  plus 
erroné» 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  Sir  G.  Goldie  fut 
fortement  persuadé  que  l'on  partageait  sa  manière  de 
voir  et  qu'il  était  à  l'abri  de  toute  prétention  française, 
et  cela  apparaît  d'autant  mieux  qu'il  semble  bien  que^ 
vers  cette  époque  (1890-1891),  la  Compagnie  voyait  de 
bon  œil,  loin  d'y  craindre  un  danger  pour  elle,  les  tra- 
vaux français,  au  Barguimi  et  dans  notre  haut  Congo, 
comme  opposés  aux  prétentions  allemandes. 


II 


Un  nouveau  champ  d'action  se  présente  donc  à  la 
Compagnie.  L'œuvre  de  Sir  G.  Goldie,  de  simplement 
commerciale,  va  devenir  de  plus  en  plus  politique. 

L^  puissances  avaient  laissé  jusqu'ici  cette  entre- 
prise privée  se  tailler  un  empire  à  sa  guise;  Tinitiative 
privée  allait  la  combattre  et  opposer  un  obstacle  à  son 
expansion  continue. 

En  Allemagne,  les  sociétés  de  colonisation  agirent 
avec  ardeur. 

En  France,  un  groupe  d'hommes  énergiques  et  indé- 
pendants conçurent  un  beau  projet  :  celui  de  constituer 
un  empire  africain  français,  avec  le  Tchad  comme  centre 
de  rayonnement.  Ce  fut  le  Comité  de  l'Afrique  fran- 
çaise. 

Son  fondateur,  Percher  (Harry  Alis),  créa  l'outil;  Paul 
Crampel,  par  sa  mort,  vivifia  l'œuvre.  Un  des  premiers 


SON    ÉVOLUTION  377 

actes  du  Comité,  Tenvoi  de  la  mission  Mizon,  allait  être 
le  signal  de  la  lutte. 

Mizon  avait  projeté  d'établir  notre  influence  au  Tchad 
et  dans  T  Adamaoua.  Il  se  heurtait  aux  désirs  les  plus  chers 
de  la  Compagnie,  en  même  temps  qu'à  ses  intérêts  les 
plus  considérables.  Elle  avait  formé  un  plan,  Tavait  légi- 
timé à  ses  yeux  par  une  interprétation  des  faits  qu'elle 
voulait  voir  partagés  de  tous;  elle  considéra  tout  ce  qui 
était  contraire  à  cette  interprétation  comme  une  viola- 
tion de  ses  droits,  et  elle  se  posa,  en  toute  occasion, 
comme  luttant  non  pour  acquérir  des  territoires  nou- 
veaux, mais  bien  pour  défendre  des  territoires  lui  ap- 
partenant, ce  Si  peu  que  la  Compagnie  du  Niger,  dit  lord 
Aberdare,  s'intéresse  financièrement  au  succès  ou  à 
l'insuccès  de  la  France  dans  ses  efforts  pour  conclure 
des  traités  sur  le  papier  avec  les  États  éloignés  et  fana- 
tiques situés  entre  le  lac  Tchad  et  le  Nil,  elle  ne  peut, 
comme  mandataire  de  la  Grande-Bretagne  au  Niger, 
encourager  une  entreprise  qui,  en  violation  de  la  res- 
triction du  droit  de  transit  aux  besoins  légitimes  du 
commerce,  se  propose  de  faire  des  eaux  et  des  terri- 
toires britanniques  une  base  d'opérations  destinées  à 
entraver  l'extension  progressive  de  l'influence  britan- 
nique*. » 

Tous  les  efforts  furent  faits  pour  arrêter  l'expédition 
française;  ils  ne  furent  que  l'application  des  procédés 
institués  par  la  Compagnie  pour  demeurer  seule  chez 
elle,  et  l'usage  de  ses  règlements  devait  lui  paraître 
suffisant.  L'attaque  de  la  mission  par  une  des  peuplades 
pillardes  du  delta  (15  octobre  1890)  semble  n'être  que 

1.  Times,  17  juillet  1891. 


378  LA    ROYAL    NIGER    C** 

le  résultat  de  ses  règlements,  et  le  véritable  guet-apens 
dont  Mizon  fut  l'objet  à  Yola,  la  traduction  brutale  de 
leur  esprit  par  un  agent  sans  scrlipule. 

Il  paraît  bien  que  la  Compagnie  ne  conçut  pas,  dès 
ce  moment,  des  craintes  très  sérieuses.  Quoique  sa 
tentative  n'eût  abouti  qu'à  un  échec,  elle  n'en  avait  pas 
moins  distancé  le  lieutenant  Mizon  au  Bournou;  il  ne 
paraissait  pas  dé  manière  certaine  qu'il  eût  agi  efTec- 
tivement  à  Yola,  et  son  retour  par  le  Congo  français 
faisait  présumer  qu'il  avait  porté  son  activité  dans  des 
régions  situées  en  dehors  des  ambitions  de  la  Compa- 
gnie. 

Si,  à  cette  occasion,  elle  se  livra  à  une  polémique 
très  violente,  ce  fut  en  raison  des  accusations  dont  elle 
était  l'objet,  accusations  qui  attaquaient  son  honneur, 
plutôt  que  pour  un  but  d'expansion  territoriale.  Et 
c'est  ce  qui  fait  dire  à  lord  Aberdare  :  «  Ces  conflits 
ne  sont  qu'apparents  et  n'ont  pas  d'influence  politique 
sur  l'avenir  de  nos  territoires  ^  » 

Mais  cet  incident  eut  un  résultat  important.  Ce  fut  de 
montrer  à  la  Compagnie  que  ses  prétentions  trouvaient 
des  compétitions  et  qu'elle  devait  se  mettre  en  garde 
contre  elles.  Il  était  nécessaire  que  son  action  devint  de 
plus  en  plus  eflîcace  pour  protéger  les  territoires  qu'elle 
avait  voulu  réserver  à  son  activité.  Nous  voyons  appa- 
raître, se  développer  et  devenir  nécessaire  l'action 
politique,  et  cela  nous  est  esquissé  dans  un  discours 
même  de  lord  Aberdare,  dans  lequel  il  expose  ses 
préoccupations  sur  les  agissements  français. 

«  Il  faut  se  rappeler  que  la  Compagnie  occupe  deux 

1.  Times,  21  juillet  1892. 


SON    ÉVOLUTION  379 

positîons  qui,  bien  que  dépendant  l'une  de  Tautre,  sont 
à  plusieurs  égards  distinctes.  On  peut  appeler  l'une 
la  position  financière;  nos  travaux  dans  le  territoire  du 
Niger  dépendent  entièrement  du  capital  souscrit  par 
la  Compagnie,  capital  dont  nos  actionnaires  ont  le  droit 
d'attendre  une  rémunération,  raisonnable,  qui  seule 
peut  justifier  la  continuation  et  l'extension  de  nos  opé- 
rations. L'autre  position,  que  j'appellerai  politique,  est 
celle  qui  nous  constitue  les  délégués  et  les  représen- 
tants de  la  Grande-Bretagne  dans  les  vastes  régions  sur 
lesquelles  s'étendent  nos  traités  ou  comprises  dans  la 
sphère  d'influence  que  des  conventions  internationales 
nous  ont  assurée.  Si,  comme  je  l'ai  fait  observer,  les 
intérêts  de  la  Grande-Bretagne  dans  ces  régions  dépen- 
dent à  présent  du  succès  financier  de  la  Compagnie,  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  notre  activité  politique  est 
essentielle  au  succès  financier  non  seulement  de  notre 
Compagnie,  mais  encore  de  tous  ceux  qui,  Européens 
ou  indigènes,  font  ou  peuvent  faire  à  l'avenir  des  affaires 
dans  ces  régions'.  » 

Cette  activité  politique,  allait  trouver  à  s'exercer;  le 
temps  de  quiétude  est  fini. 

Le  lieutenant  Mizon  retournait  dans  le  Bénoué,  il 
traitait  au  Mouri,  il  traitait  à  Yola,  et,  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  grave,  dans  le  premier  de  ces  royaumes  il  faisait 
acte  de  protectorat  en  aidant  son  protégé  à  se  débar- 
rasser de  bandes  pillardes.  En  même  temps  que  l'en- 
treprise politique,  une  excellente  mission  commerciale 
était  créée  avec  le  concours  des  Chambres  de  com- 
merce françaises,  et  entamait  au  Mouri  et  à  Yola  ses 
opérations  en  concurrence  avec  la  Compagnie. 

1.  Times,  21  Juillet  1892. 


382  LA    ROYAL    NIGER    C" 

lement  la  basse  vallée  du  Niger  ;  nous  recevions  aussi 
un  grand  nombre  de  conseils  bien  intentionnés  nous 
poussant  à  prendre  des  mesures  que  nous  avions 
adoptées  depuis  bien  longtemps.  Il  fallait  un  certain 
degré  d'abnégation  pour  s'abstenir  de  répondre  à  ces 
accusations*.  » 

Étant  donné  le  système  de  mutisme  suivi  jusqu'alors 
par  la  Compagnie,  cette  déclaration  montre  bien  com- 
bien elle  se  croit  établie  sans  conteste  sur  les  terri- 
toires qu'elle  a  convoités. 

Aussi  va-t-elle  manifester  la  plus  grande  indignation 
lorsqu'elle  s'apercevra  qu'il  n'en  est  pas  ainsi. 

C'est  d'abord,  lié  aux  incidents  Mizon,  l'incident  de 
Y  Ardent.  Cette  canonnière  française  entre  dans  le  Ni- 
ger et  y  échoue  (1894).  La  Compagnie  refuse  immé- 
diatement de  la  ravitailler  et,  criant  à  l'attentat,  exige 
qu'elle  quitte  le  fleuve  dès  qu'on  pourra  la  renflouer. 
Elle  dit  qu'elle  est  chez  elle,  n'admet  point  qu'on  n'en 
tienne  pas  compte;  elle  a  adopté  une  interprétation  de 
l'Acte  de  navigation  du  Niger,  et  elle  ne  veut  point 
qu'on  lui  en  attribue  une  autre. 

Et  comme,  à  la  suite  de  ces  réclamations,  elle  obtient 
satisfaction  du  gouvernement  français,  que,  seule,  l'o- 
pinion publique  proteste,  elle  a  vraiment  le  droit  d'en 
conclure  qu'elle  a  raison. 

Mais  voilà  qu'on  lui  conteste  de  nouveau  ses  terri- 
toires. Les  pays  de  la  rive  droite  du  Niger  sont  par- 
courus par  des  expéditions  françaises,  dans  un  moment 
de  fièvre  d'expansion  coloniale.  Voyant  que  ses  pro- 
testations et  ses  plaintes  ne  suffisent  pas  à  arrêter  ses 

1.  Timesy  12  juillet  1894. 


SON    ÉVOLUTION  383 

entreprises,  elle  veut  lutter  par  les  mêmes  procédés 
et  raviver  les  traités  dont  elle  invoque  Tautorité.  Mais, 
en  dépit  de  ses  réclamations,  nous  nous  installons  sur 
le  Niger,  en  pleins  territoires  revendiqués  par  elle,  et 
nous  créons  le  poste  d'Arenberg  (février  1895). 

Elle  se  retranche  alors  derrière  ce  qu'elle  dit  être 
ses  droits  et  considère  nos  actes  comme  en  étant  la 
violation. 

«  Les  prétentions  françaises  sont  si  monstrueuses, 
dit-elle  par  son  organe  le  Times\  que,  n'étaient  les 
bonnes  relations  qui  existent  entre  les  ministères  des 
affaires  étrangères  à  Paris  et  à  Londres,  et  la  prompti- 
tude avec  laquelle  le  gouvernement  français  a  donné 
satisfaction  à  l'Angleterre,  il  est  très  probable  que  Ton 
aurait  déjà  reçu  ici  la  nouvelle  de  l'expulsion  des  expé- 
ditions françaises  par  les  troupes  de  la  Royal  Niger 
Company.  » 

Elle  avait,  en  effet,  usé  une  fois  de  plus  du  procédé 
anglais.  Elle  avait  recouru  avec  indignation  à  son 
gouvernement,  qui  avait  réclamé  énergiquement  contre 
les  agissements  français.  La  crise  d'extension  politique 
était  passée  en  France  ;  on  s'inclina  de  nouveau  devant 
l'Angleterre;  le  Niger  fut  évacué  comme  l'avait  été 
l'Adamaoua. 

Sur  ces  entrefaites,  lord  Aberdare  était  mort;  sir 
G.  Taubman  Goldie  lui  succéda  comme  président  de  la 
Compagnie  du  Niger,  dont  il  n'avait  été  jusqu'alors 
que  le  directeur. 

L'évolution,  qu'il  avait  désirée  était  bien  près  d'être 
terminée,  mais,  par  suite  des  événements,  elle  lie  s'é- 

1.  Times,  11  mai  1895. 


384  LÀ    ROYAL    NIGER    C® 

tait  pas  réalisée  complètement  suivant  le  plan  ration- 
nel qu'il  avait  conçu  à  Torigine  :  l'établissement  com- 
mercial avait  amené  et  justifié  rétablissement  politique, 
mais  le  premier  n'avait  pu  s'exercer  que  sur  une  partie 
des  territoires  ambitionnés  ;  pour  le  reste,  les  préten- 
tions d'autres  puissances  allaient  nécessiter  le  recours 
à  des  moyens  plus  rapides. 

III 

Sir  G.  Goldie  avait  trouvé  dans  la  convention  de 
1890  la  base  de  ses  revendications  diplomatiques.  Sui- 
vant lui,  cette  convention  avait  reconnu  à  l'Angleterre 
les  pays  qu'il  avait  voulu  soumettre  à  sa  domination. 
Nous  semblions  en  convenir;  il  pouvait  croire  la  lutte 
pour  l'expansion  terminée. 

«  Ma  pensée,  dit-il  dans  une  interview*,  est  que  dans 
cette  grande .  œuvre  de  colonisation  entreprise  par 
l'Europe  en  Afrique,  il  faut  toujours  songer  à  s'allier, 
à  s'unir,  à  ne  pas  se  discréditer  mutuellement  par  des 
rivalités  mesquines.  Au  fond,l^rançais,  Anglais  ou  Alle- 
mands, nous  avons  tous  les  mêmes  intérêts,  vendre  des 
marchandises,  faire  des  affaires,  exploiter  les  richesses 
naturelles  du  pays  où  nous  allons  représenter  l'huma- 
nité civilisée;  pour  atteindre  ce  but,  l'union  est  indis- 
pensable. Et,  de  même  que  j'ai  réuni  plusieurs  maisons 
de  commerce  pour  former  la  Compagnie  du  Niger,  de 
môme  je  voudrais  voir  s'établir,  entre  toutes  les  puis- 
sances européennes  ayant  des  possessions  en  Afrique, 
une  entente  cordiale.  Il  ne  faut  plus  parler  aujourd'hui 

1.  Figaro t  août  1895. 


SON    ÉVOLUTION  385 

de  la  France,  de  FAngleterre,  de  PAllemagne  en  Afri- 
que, il  faut  parler  de  l'Europe  en  Afrique.  » 

Et  dans  ces  paroles  on  peut  trouver  l'expression 
d'un  désir  qui  a  traversé  un  instant  sans  doute  l'esprit 
de  Sir  G.  Goldie  :  les  attaques  contre  la  Compagnie 
devenaient  de  plus  en  plus  nombreuses  et  acerbes,  on 
se  plaignait  de  ses  procédés  commerciaux;  d'un  autre 
côté,  il  allait  être  nécessaire  d'exploiter  commerciale- 
ment les  territoires  qui  ne  l'étaient  pas  encore,  pour 
rendre  leur  occupation  effective.  Il  semble  bien  que 
Sir  G.  Goldie  ait  rêvé  d'un  immense  trust  réunissant 
les  Français,  les  Anglais  et  les  Allemands  qui  avaient 
des  intérêts  au  Niger,  et  arrivant  ainsi  à  rendre  possi- 
ble le  contact  d'intérêts  si  divers. 

La  tentative  n'aboutit  pas;  elle  ne  pouvait  aboutir. 

Dès  lors,  l'évolution  tendant  à  transformer  la  Compa- 
gnie, de  compagnie  commerciale  en  véritable  machine 
gouvernementale,  ne  pouvait  que  s'accélérer. 

Le  mouvement  d'expansion  française  avait  en  effet 
repris.  Une  fois  encore  la  Compagnie  avait  essayé 
d'arrêter  une  de  ses  manifestations  (mission  Hourst) 
par  les  procédés  usuels,  elle  n'avait  pas  réussi;  notre 
activité  en  redoubla.  Tout  l'ouest  du  Niger  fut  occupé 
une  seconde  fois  par  nos  troupes. 

La  Compagnie  recommença  à  faire  entendre  ses  pro- 
testations habituelles.  Elles  ne  nous  arrêtèrent  pas. 

Il  était  nécessaire  d'agir  autrement.  Les  événements 
ont  précipité  les  choses  ;  le  plan  de  la  Nigeria,  conçu 
depuis  1877  par  Sir  G.  Goldie,  est  annoncé  au  public. 
Pour  la  première  fois,  en  juillet  1897,  Sir  G.  Goldie 
dévoila  entièrement,  dans  une  assemblée  publique,  le 
but  véritable  de  ses  efforts. 

25 


386  LA    ROYAL    NIGBR    C® 

La  Compagnie  ne  peut  plus  être  à  la  fois  compagnie 
de  commerce  et  compagnie  politique.  «  Elle  peut  deve- 
nir simplement  organe  d'administration.  Il  faut  qu'elle 
le  devienne  :  elle  sera  la  Nigeria,  qui,  près  du  gouver- 
nement, sous  sa  direction,  fera  œuvre  impérialiste.  » 

Toute  cette  lutte  que  nous  venons  d'exposer  n'a- 
vait été  possible  que  parce  son  instigateur  avait  trouvé 
un  gouvernement  qui,  confiant  dans  sa  capacité  et  dans 
sa  ténacité,  le  laissa  agir  librement. 

Ce  gouvernement  lui  avait  donné  des  moyens  d'ac- 
tion en  dotant  la  compagnie  commerciale  qu'il  avait 
créée  d'une  charte  qui  rendait  communs  les  intérêts 
temporaires  de  la  Compagnie  et  l'intérêt  final  du  pays, 
et  il  s'était  borné  à  laisser  appliquer  cette  charte  dans 
un  sens  favorable  à  la  Compagnie. 

Peu  s'en  fallut  que  la  Royal  Niger  Company  n'arri- 
vât par  ses  seuls  moyens  à  accomplir  l'œuvre  entière 
que  son  fondateur  lui  avait  assignée.  Mais  l'interven- 
tion résolue  de  la  France  dans  les  régions  convoitées 
par  la  Compagnie  excitèrent  les  protestations  indi- 
gnées du  parti  impérialiste,  amenèrent  le  gouverne- 
ment anglais  à  intervenir  directement  dans  la  querelle. 

M.  Chamberlain,  regardant  la  suppression  de  la 
Compagnie  comme  inévitable  un  jour  ou  l'autre,  con- 
sidéra les  territoires  qu'elle  occupait,  ou  sur  lesquels 
elle  prétendait  avoir  des  droits,  comme  appartenant 
d'ores  et  déjà  à  son  administration,  au  Colonial  Office. 
Il  envoya  au  Niger  des  troupes  impériales.  La  présence 
de  ces  troupes  était  justifiée  par  la  nécessité  où  l'on 
serait,  quand  on  voudrait  remplacer  par  l'administra- 
tion directe  l'administration  de  la  Compagnie,  d'avoir 
une  force  militaire  suffisante  pour  tenir  en  respect  les 


SON    ÉVOLUTION  387 

empires  arabes.  En  même  temps,  ces  troupes  servaient 
la  politique  de  M.  Chamberlain;  il  était  prêt  à  toute 
éventualité,  à  soutenir  contre  la  France  les  réclama- 
tions de  l'Angleterre. 

Dès  lors,  la  Compagnie  n'a  plus  de  politique  per- 
sonnelle, et,  depuis  la  fin  de  1897  jusqu'au  rachat,  il 
est  impossible  de  séparer  son  action  de  celle  du  gou- 
vernement. L'organisation  créée  par  la  charte  avait,  en 
fait,  cessé  d'exister. 


.  ^ 


CHAPITRE  XXVI 

LA  NORTHERN  NIGERIA 


Les  débuts  de  Toccupation. 

Le  15  juin  1899,  le  marquis  de  Salisbury  fit  adresser 
au  secrétaire  de  la  Trésorerie  la  lettre  suivante*  : 

«  Le  marquis  de  Salisbury  a  examiné  depuis  quelque 
temps  le  point  de  savoir  s'il  n'y  avait  pas  lieu  de  rele- 
ver la  Royal  Niger  Company  de  ses  droits  et  de  ses 
fonctions  d'administration,  moyennant  une  indemnité 
raisonnable.  Sa  Seigneurie  est  arrivée  à  cette  opinion 
qu'il  est  désirable,  au  point  de  vue  de  la  politique  na- 
tionale, que  ces  droits  et  ces  fonctions  soient  pris  en 
charge  par  le  gouvernement  de  Sa  Majesté,  étant  donné 
la  signature  de  la  convention  anglo-française  du  14  juin 
1898  et  la  détermination  des  frontières  des  possessions 
des  deux  puissances  dans  le  voisinage  des  territoires 
administrés  par  la  Compagnie.  La  situation  créée  par 
cette  convention  met  le  gouvernement  de  Sa  Majesté 
dans  l'obligation  de  surveiller  ses  frontières  ainsi  que 
la  politique  fiscale  de  la  British  Nigeria,  obligations 
politiques  qui  ne  peuvent  être  laissées  aux  soins  d'une 

1.  Voir,  pour  les  opérations  du  transfert,  Parliamentary  Papers  Royal 
Niger  C%  G.  932-2-1899,  p.  3,  et  id.  :A  Bill  to  make  provision  for  certain 
payments  to  be  made  in  connection  with  the  opération  ofthe  charter  oflhe 
Royal  Niger  Co.  (Bill  260, 1899.) 

Id,  Acount  of  the  money  borrowed  under  the  Royal  Niger  Co.  Act. 
1899,  etc.,  1901  et  sq. 


LES    DÉBUTS    DE    l'oCGUPATION  389 

compagnie  qui  combine  des  profits  commerciaux  avec 
des  responsabilités  administratives. 

«  La  possibilité  de  voir  le  gouvernement  français 
réclamer  les  avantages  qui  lui  ont  été  consentis,  dans  le 
Bas-Niger,  par  la  convention  impose  au  gouvernement 
impérial  le  devoir  de  contrôler  sur  place  les  résultats 
de  la  politique  qu'il  a  poursuivie  en  garantissant  ces 
avantages,  et  de  prévenir  les  difficultés  qui  survien- 
draient inévitablement  si  les  fonctionnaires  de  la  Com- 
pagnie représentaient  seuls  les  intérêts  anglais. 

«  Il  y  a,  du  reste,  d'autres  motifs  qui  rendent  indis- 
pensable la  transformation  projetée.  Les  troupes  de  la 
«  West  African  Frontier  Force  »,qui  sont  actuellement 
sous  les  ordres  d'officiers  de  l'empire,  demandent  une 
surveillance  impériale  directe;  la  situation  créée  vis-à- 
vis  des  autres  maisons  de  commerce  par  le  caractère 
commercial  de  fait,  bien  qu'elle  se  soit  bornée  à  appli- 
quer les  droits  que  lui  octroyait  la  charte,  la  façon  dont 
ce  monopole  commercial  opprime  les  commerçants  indi- 
gènes, comme  l'a  démontré  le  soulèvement  de  Brass, 
qui  a  nécessité  la  mission  d'enquête  de  Sir  John  Kirk 
en  1895,  sont  quelques-uns  des  arguments  qui  ont 
influencé  Sa  Seigneurie. 

«  La  question  n'est  du  reste  pas  nouvelle  pour  les 
Lords  Commissioners,  qui,  sur  les  propositions  confi- 
dentielles faites  en  novembre  1897  par  Lord  Salisbury, 
ont  déjà  examiné  les  questions  dans  lesquelles  le  trans- 
fert pourrait  être  effectué. 

«  Lord  Salisbury  n'a  donc  pas  l'intention  d'examiner 
le  côté  financier  de  l'affaire,  mais  prie  leurs  Seigneuries 
de  conclure  rapidement  une  entente  avec  la  Compa- 
gnie. » 


390  LA   NORTHERN    NIGERIA 

Cette  lettre  n'était  que  la  confirmation  d'un  arrange- 
ment^ qui  avait  été  passé  avec  la  Niger  Co.  et  le  chan- 
celier de  l'Échiquier,  en  vertu  duquel  «  la  Compagnie 
devait  être  relevée  de  tous  ses  pouvoirs  administratifs 
et  des  obligations  qui  en  résultaient  et  faire  remise  au 
gouvernement  de  toutes  les  terres  et  droits  miniers 
qu'elle  avait  acquis,  à  l'exception  dés  stations  commer- 
ciales et  des  terrains  sur  lesquels  celles-ci  étaient 
bâties  ». 

Le  gouvernement  anglais  devait  prendre  à  sa  charge 
le  payement  de  12.500  livres  formant  l'intérêt  à  5  p.  100 
de  l'emprunt  de  250.000  livres  remboursables  au  pair 
au  1"  janvier  1938,  constituant  la  dette  publique  du  ter- 
ritoire du  Niger,  Il  se  réservait  le  droit  d'en  rembour- 
ser les  titres  au  taux  de  120  p.  100,  ce  qui  équivalait  à 
une  charge  de  300.000  livres.  11  devait  payer  en  outre  à 
la  Compagnie,  dans  le  délai  d'un  mois  après  le  rachat  : 

1**  Une  somme  de  150.000  livres  en  échange  des  droits 
souverains  cédés  par  elle  et  comme  compensation  de 
l'interruption  et  des  changements  apportés  dans  ses 
opérations  commerciales  par  la  révocation  de  la  charte  ; 

2®  Une  somme  de  390.000  livres  en  remboursement 
des  sommes  avancées  par  la  Compagnie  pour  le  déve- 
loppement et  l'extension  du  territoire  du  Niger,  avance 
distincte  des  dépenses  ordinaires  faites  par  Tadminis- 
tration  civile  de  ces  territoires  ; 

2**  Une  somme  de  115.000  livres  représentant  la  va- 
leur des  bâtiments  édifiés  parla  Compagnie  pour  y  loger 
ses  services  administratifs,  ainsi  qu'un  certain  nombre 
d'autres  bâtiments,  de  munitions  et  de  marchandises 

1.  Loco  cil. 


LES    DÉBUTS    DB    l'oGCUPATION  391 

nécessaires  au   nouveau   gouvernement;  cette  somme 
fut  finalement  ramenée  à  106.895  livres*. 

La  somme  totale  que  coûta  le  rachat  s'éleva  donc  à 
856.895  livres.  Cette  somme  fut  fournie  par  le  Conso- 
lidated Fund*. 

Le  gouvernement  anglais  devait  en  outre,  pendant  la 
durée  de  99  ans,  remettre  à  la  Compagnie  la  moitié  des 
droits  qu'il  pourrait  percevoir  sur  l'exploitation  des 
mines. 

Le  27  décembre  1899,  un  Order  in  Council  procla- 
mait le  retrait  de  la  charte  de  Royal  Niger  et  créait 
la  «  Northern  Nigeria  ». 

Dès  1898,  Sir  F.  Lugard  avait  été  nommé  commissaire 
du  gouvernement  auprès  de  la  Compagnie  du  Niger 
dans  les  territoires  auxquels  on  avait  donné  le  nom  de 
Nigeria,  suivant  l'expression  trouvée  par  Lady  Lugard 
elle-même;  il  devait  devenir  le  gouverneur  de  la  nou- 
velle colonie  et  garder  le  titre  de  High  Commissioner. 

Son  premier  soin'  fut  de  verser  dans  le  corps  du 
West  African  Frontier  Force,  qui  avait  été  mis  à  la  dis- 
position de  la  Compagnie  du  Niger,  les  troupes  de  la 
Royal  Niger  Constabulary,  à  l'exception  de  300  hommes 
qui  furent  affectés  à  la  Southern  Nigeria.  160  recrues 
nouvelles  furent  trouvées  sur  place,  la  Gold  Coast,  à 
qui  on  s'était  adressé,  n'ayant  pu  les  fournir,  50  hommes 
furent  détachés  pour  former  une  civil  police. 

1.  Voir  détail  dans  P.  p.,  G.  9372..Dans  cette  somme  figure  la  valeur  de 
7  steam  lauuch,  stern-wheeler,  chalands  ,el  un  ponton  pour  23.385  livres  et 
du  matériel  de  guerre  pour  17.069  livres. 

2.  Elle  fut  compensée  par  un  emprunt  de  820.000  livres  autorisé  par  The 
Royal  Niger  Go.,  Act.  62,  63,  Victoria,  et  un  vole  de  36.895  livres. 

3.  P.  p.  Northern  Nigeria,  report  for  Ihe  period  from  V^January  1900 
to  i»»  march  1901.  G.  d.  788-16,  p.  3. 


392  LA    NORTHBRN    NIGERIA 

Le  Haut  Commissaire  commença  aussitôt  Toccupation 
effective  des  territoires  placés  sous  ses  ordres,  occupa- 
tion que,  comme  nous  Tavons  montré,  n'avait  point 
effectuée  la  Compagnie  du  Niger, 

La  première  opération  fut  de  prendre  en  charge  les 
stations  de  la  Niger  Co.  qui  avaient  été  acquises  par  le 
gouvernement. 

Suivant  le  plan  proposé  au  Secrétaire  d'État,  l'occu- 
pation du  territoire  situé  au  nord  du  Niger,  entre  la  ri- 
vière Kaduna  et  Teictrémité  est  du  Bautshi,  fut  ensuite 
décidée.  D'après  M.  Walace,  l'ancien  agent  général  de 
la  Compagnie  du  Niger  devenu  le  second  du  Haut  Com- 
missaire, des  représentants  des  tribus  de  ces  régions 
étaient  venus  en  1899  demander  la  protection  britanni- 
que. Le  lieutenant-colonel  Morland  reçut  l'ordre  de  rele- 
ver le  cours  du  Kaduna  jusqu'à  Ghierko  et  de  visiter  les 
régions  situées  à  l'est  de  cette  rivière.  Il  prit  avec  lui 
une  force  suffisante  pour  pouvoir  résister  aux  émirs  de 
Bida,  de  Kontagora  et  de  Zaria  en  cas  d'attaque.  Le  lieu- 
tenant Monk  remonta  avec  une  petite  troupe  le  Gurara, 
et  le  lieutenant-colonel  Cole  entreprit  le  lever  de  la 
rivière  Okwa.  Ces  colonnes  reçurent  l'ordre  d'éviter 
toutes  hostilités  et  de  faire  tous  les  efforts  possibles 
pour  gagner  la  confiance  des  peuples  dont  elles  devaient 
traverser  les  territoires.  Elles  devaient  rechercher  un 
emplacement  favorable  à  l'établissement  de  la  capitale 
de  la  nouvelle  colonie. 

Ghierko  fut  atteint  sans  difficultés  sérieuses.  Il  avait 
été  nécessaire  cependant  de  livrer  bataille  aux  tribus 
qui  avoisinaient  Chicara,  qui  avaient  attaqué  sans  pro- 
vocation, et  aux  habitants  de  Limu,  qui  s'étaient  empa- 
rés d'un  porteur  et  qui  s'étaient  refusés  à  le  rendre. 


LES    DÉBUTS    DE    L^OCGUPATION  39? 

Six  officiers  furent  blessés  au  cours  de  ces  opéra- 
tions. 

Pendant  ce  temps,  M.  Carnegie  dans  le  district  dUlo- 
rin  et  le  major  Burdon  dans  la  province  de  la  Basse- 
Bénué  effectuaient  des  levés  topographiques. 

Le  lieutenant-colonel  Cole  dirigea  ensuite,  en  mars 
1900,  une  forte  expédition  dans  la  Bénué  contre  la  tribu 
des  Munshi  qui  avait  arrêté  la  construction  de  la  ligne 
télégraphique  entreprise  entre  Lakodja  et  Ibi. 

Sir  F.  Lugard  avait  songé  tout  d'abord  à  établir  sa 
capitale  sur  le  Niger,  en  un  lieu  nommé  Kuendon,  à  25 
milles  au-dessous  de  Lokodja,  qui  lui  paraissait  malsain. 
Finalement»  il  estima  préférable,  à  la  suite  de  Toccupa- 
tion  des  hauts  pays,  de  s'établir  à  Wushihi,  situé  sur  le 
Kaduna,  à  60  milles  de  son  confluent  avec  le  Niger.  11 
dut  par  la  suite  transporter  la  nouvelle  ville  10  milles 
plus  au  nord,  en  un  point  qu'il  dénomma  Zunguru,  et 
qui  fut  réuni  par  un  chemin  de  fer  à  voie  étroite  à  l'en- 
droit où  le  Kaduna  est  toujours  navigable. 

Peu  de  temps  après  s'être  fixé  à  Wushihi,  en  juil- 
let 1900,  le  Haut  Commissaire  apprit  que  les  habitants 
du  Nupé  et  de  Kontagora  avaient  formé  le  plan  de 
détruire  la  ville.  Peu  après,  les  chefs  de  Wushihi  furent 
en  efi'et  massacrés,  et  des  soldats  attaqués  dans  le  voi- 
sinage du  camp.  Des  messagers  furent  envoyés  à  Ilo- 
rin  pour  en  engager  les  chefs  à  se  joindre  au  soulève^ 
ment  et  à  expulser  les  blancs  dont  les  troupes,  disait- 
on,  avaient  été  exterminées  dans  l'Ashanti.  Grâce  à 
l'habileté  du  résident  anglais,  la  tentative  fut  cependant 
déjouée.  Sir  F.  Lugard  se  décida  à  sévir.  Les  troupes 
de  Kontagora  et  de  Bida  furent  refoulées  20  milles  au 
sud  et  à  l'est  de   Wushihi.  En  novembre,  le  major 


394  LÀ    NORTHERN    NtGBRIÀ 

O'Nill  fut  envoyépour  déblayer  le  Kaduna;  il  défit  une 
bande  de  Kontagoras  à  Daba,  et,  traversant  la  rivière,  il 
poursuivit  les  cavaliers  de  Bida  jusque  sous  les  murs 
de  leur  ville,  dans  laquelle  il  pénétra  le  19  décembre, 
escorté  seulement  de  30  hommes. 

Il  ne  put  naturellement  s'y  maintenir.  Au  retour  des 
troupes  de  la  Nigeria  qui  avaient  pris  part  à  la  campagne 
des  Ashanti,  une  expédition  fut  dirigée  contre  Konta- 
gora  sous  le  commandement  du  colonel  Kemball.  La 
ville  fut  prise  en  janvier  1901,  et  Fennemi  défait  avec  de 
grandes  pertes,  tandis  qu'un  seul  homme  était  tué  du 
côté  des  Anglais.  Une  garnison  fut  laissée  dans  la  ville. 

Nous  avons  vu  comment  l'émir  établi  à  Bida  en  1897 
par  la  Compagnie  du  Niger  avait  été  détrôné  par  l'an- 
cien émir,  Abu  Bakri,  qui  avait  finalement  été  reconnu 
par  la  Compagnie  comme  chef  souverain.  Sir  F.  Lugard 
invita  en  février  les  chefs  de  Bida  à  venir  le  voir.  Le 
Markum  se  rendit  seul  à  la  convocation.  Il  fut  aussitôt 
décidé  que  l'on  marcherait  contre  Bida.  Abu  Bakri 
parvint  à  s'échapper,  et  le  Markum  fut  réinstallé  comme 
émir.  Il  reçut  du  Haut  Commissaire,  suivant  la  mode 
indienne,  une  lettre  «  d'appointement  »  contenant  les 
conditions  moyennant  lesquelles  il  conserverait  son 
trône.  Il  devait  gouverner  avec  justice  en  observant  les 
lois  du  Protectorat,  obéir  au  Haut  Commissaire  et  suivre 
les  avis  du  résident  placé  auprès  de  lui.  Les  minerais 
et  les  terres  vacantes  seraient  la  propriété  de  la  Cou- 
ronne. 

La  partie  du  Protectorat  qui  était  ainsi  occupée 
effectivement  au  commencement  de  1901  fut.  divisée 
en  9  provinces  :  Ilorin,  Kabba,  Middle  Niger,  Lower 
Bénué,  Uper  Bénué,  Nupé,  Kontagora,  Borgu,  Zaria. 


LES    DÉBUTS    DE    l'oCCUPATION  395 

Dès  cette  époque,  Sir  F.  Lugard  annonçait  la  néces- 
sité d'occuper  le  Bassa,  le  Mûri,  le  Bautshi  et  Yola, 
qui  devaient  former  quatre  nouvelles  provinces.  Il 
était  urgent  d'arrêter  la  dépopulation  rapide  produite 
dans  les  régions  de  FEst  par  la  traite  des  esclaves.  La 
destruction  de  la  grande  ville  de  Guaram  par  les  Baut- 
shis  au  commencement  de  1901  démontrait  la  nécessité 
de  l'introduction  de  la  «  Pax  Britannica  »  dans  ces 
pays. 

L'émir  de  Yola  devenant  de  plus  en  plus  arrogant 
vis-à-vis  de  la  Compagnie  du  Niger,  le  colonel  Mor-: 
land  fut  dirigé  contre  Yola  avec  une  force  composée  de 
22  officiers,  4  canons,  4  maxims  et  365  soldats.  Malgré 
une  défense  opiniâtre,  la  ville  fut  prise  le  2  septembre 
1901.  Deux  officiers  et  37  hommes  furent  blessés,  et 
2  hommes  tués.  L'émir  parvint  à  s'enfuir  dans  l'Ada- 
mua,  et  l'héritier  légitime  fut  nommé  à  sa  place. 

Le  calme  fut  de  courte  durée,  car  l'ancien  émir,  après 
avoir  attaqué  les  Allemands  à  Garua,  en  mars  1902,  et 
avoir  été  repoussé  ayec  de  grandes  pertes,  revint  en 
territoire  anglais,  où  il  se  livra  au  pillage.  Repoussé 
tour  à  tour  par  les  Anglais  et  les  Allemands,  il  finit  par 
être  tué,  en  1903,  par  des  fétichistes.  Les  diverses 
tribus  habitant  entre  Yola  et  le  Bornu  ne  se  soumet- 
taient que  très  lentement,  et  il  fallut  entreprendre 
contre  elles  une  série  d'expéditions.  Sir  F.  Lugard  fait 
à  leur  sujet  les  réflexions  suivantes  :  «  Il  est  malheu- 
reusement vrai  que  le  sauvage  africain,  dans  son  état 
primitif,  ne  comprend  que  la  force  et  regarde  les  argu- 
ments et  les  exhortations  comme  des  marques  d'une  fai- 
blesse dont  il  accepte  les  témoignages  et  se  promet  de 
profiter  à  l'occasion.  Si  cependant  il  est  convaincu  par 


396  LA    NORTHERN    NIGERIA 

la  force  que  le  blanc  a  le  pouvoir  d'appuyer  ses  con- 
seils par  les  |  armes,  il  les  écoute  dans  une  certaine 
mesure.  » 

L'établissement  dans  Test  de  la  Northern  Nigeria  fut 
hâté  par  la  venue  des  Français  sur  le  Tchad  et  par  leur 
action  contre  Fad-el-AUah. 

Lorsque  Sir  F.  Lugard  apprit  l'arrivée  du  fils  de 
Rabah  [dans  les  territoires  réservés  à  l'influence  an- 
glaise, il  déclara  qu'il  fallait  ou  l'attaquer  et  l'expulser, 
ou,  au  contraire,  le  cantonner  dans  un  district  de  Ka- 
rene  dans  lequel  on  essayerait  de  rester  en  relations 
amicales  avec  lui.  Fad-el-AUah  essaya  en  effet  de  trai- 
ter avec  les  Anglais,  et  le  Haut  Commissaire  rapporte 
ainsi  la  manière  dont  il  accueillit  ses  propositions^  : 

«  La  situation  n'était  pas  sans  difficulté.  D'un  côté  il 
ne  m'était  pas  agréable  d'accepter  les  ouvertures  faites 
par  un  potentat  africain  qui  avait  été  en  conflit  avec  un 
pouvoir  européen  ami,  étant  donné  la  forte  conviction 
que  j'ai  que  la  coopération  et  l'assistance  mutuelle  entre 
Européens  est  d'importance  vitale  en  Afrique.  Nos  voi- 
sins les  Français  n'ont  pas  toujours  rendu  facile  la  réa- 
lisation de  cette  ligne  de  conduite  :  je  suis  persuadé 
que  la  cause  en  a  souvent  été  une  regrettable  tendance 
(peut-être  réciproque)  de  tenir  pour  exacts  les  rapports 
exagérés  ou  faux  des  indigènes,  de  sorte  que  l'on  a  mis 
de  l'amertume  dans  une  saine  rivalité.  Par  exemple,  je 
crois  que,  le  major  Mac  Clintock  ayant  inconsidérément 
fait  cadeau  à  Fad-el-i\llah  de  son  propre  fusil  de  chasse, 
cet  incident  trivial  a  été  transformé,  aux  yeux  des  Fran- 
çais, en  une  cession  de  nombreux  fusils  de  guerre  que 

1.  P.  p.  Report  for  190U  G.  d.  1388,  1,  p.  8. 


LES    DÉBUTS    DE    l'oCCUPATION  397 

les  autorités  anglaises  auraient  faite  à  Fad-el-AUah  pour 
attaquer  les  Français.  Quelque  incroyable  et  complète- 
ment fausse  que  cette  nouvelle  ait  été,  je  crois  qu'elle 
a  trouvé  crédit  auprès  des  officiers  français.  Pour  en 
revenir  à  Fad-el-AUah,  en  dehors  de  l'hésitation  natu- 
relle que  j'éprouvais  à  recevoir  comme  un  ami  un 
homme  qui  avait  combattu  les  Français,  je  considérais 
également  que  l'existence  d'une  troupe  nombreuse  de 
vétérans  bien  armés  et  bien  entraînés  ne  laisserait  pas 
de  constituer  un  sérieux  danger.  Leurs  méthodes  et 
leurs  modes  d'existence  avait  été  pendant  des  années 
celles  de  barbares  victorieux  au  milieu  d'un  peuple 
ruiné  et  conquis.  Je  connaissais  trop  bien,  par  ma  pro- 
pre expérience,  les  cruautés  dont  sont  capables  les 
Soudanais  du  Nil  lorsqu'ils  sont  laissés  sans  entraves, 
pour  supposer  que  leur  autorité  et  leur  méthode  nous 
seraient  'tolérables.  D'un  autre  côté,  les  expéditions 
contre  les  Ashantis  et  les  Aros,  ainsi  que  le  besoin 
urgent  de  troupes  dans  tous  les  points  du  Protectorat, 
conseillaient  d'éviter,  si  possible,  un  conflit  sur  la  néces- 
sité d'envoi  d'une  force  considérable  dans  une  région 
éloignée,  d'autant  que  la  façon  dont  Fad-el-AUah  s'était 
mis  sous  la  protection  anglaise  rendait  difficile  de  l'at- 
taquer sans  cause.  Le  résident  de  l'Uper  Bénué  avait 
reçu  ses  envoyés  d'une  façon  amicale  et  lui  avait  pro- 
mis protection.  M.  Wallace  dépêcha  le  major  Mac  Clin- 
tock  auprès  de  Fad-el-AUah  pour  se  rendre  compte  de 
la  situation.  Le  major  fut  reçu  comme  un  ami  et  avec 
la  plus  grande  hospitalité  ;  il  conçut  une  haute  opinion 
de  Fad-el-AUah,  qui  paraît  avoir  été  un  très  courageux 
soldat  et  un  chef  déterminé  et  de  valeur.  » 

On  sait  comment,  nos  officiers  ayant  poursuivi  et  tué 


398  LÀ    NORTHBRN    NIGERIA 

les  fils  de  Rabah  dans  la  Nigeria,  rémotion  fut  grande 
en  Angleterre,  et  comment  il  fut  décidé  que  les  zones 
françaises  et  anglaises  devaient  être  délimitées  dans  le 
plus  bref  délai  possible.  Le  colonel  Morland  fut  aussi- 
tôt envoyé  dans  le  Bornu  pour  examiner  la  situation  et 
y  établir  Tautorité  anglaise,  qui  risqnait  fort  de  souffrir 
de  Tinfluence  exercée  parles  expéditions  françaises  du 
Tchad  ou  allemandes  du  Haut  Cameroon^ 

L'expédition  du  colonel  Morland  était  composée  de 
18  officiers,  3  docteurs,  515  hommes  de  troupe,  2  canons 
et  4  maxims.  M.  Wallace  accompagnait  l'expédition  et 
en  avait  la  direction  politique.  La  colonne  fut  tout 
d'abord  dirigée  contre  les  Bautshis,  que  la  vue  de  la 
force  anglaise  terrifia.  Ils  n'opposèrent  aucune  résis- 
tance, et  la  ville  fut  occupée  le  16  février.  M.  Wallace 
déclara  aux  chefs  qu'il  devait  déposer  l'émir,  à  cause 
de  ses  exactions,  et  lui  choisir  un  successeur.  Ils  dési- 
gnèrent aussitôt  l'héritier  présomptif,  qui  reçut  une 
lettre  de  nomination  semblable  à  celle  qui  avait  été 
donnée  aux  émirs  de  Nupé,  de  Kontagora  et  de  Yola. 
L'ancien  émir  prit  la  fuite  pendant  la  nuit.  Tout  exode 
des  habitants  et  toute  effusion  de  sang  furent  évités 
grâce  aux  efforts  et  à  l'habileté  de  M.  Tempe,  qui  avait 
été  nommé  résident  de  la  ville.  Peu  de  temps  après,  des 
prospecteurs  pouvaient  visiter  en  toute  sécurité  la  nou- 
velle province,  dans  la  plus  grande  partie  de  laquelle 
Tordre  le  plus  parfait  était  établi.  Il  fallut  cependant 
diriger,  à  la  fin  de  1902,  des  expéditions  contre  les 
Ningi,  qui  habitaient  le  nord  du  Bautshi  et  qui  sç 
livraient   au   pillage,  exiler  à  Morin,  en   lui    servant 

1.  Voir  sur  tous  les  incideats  suivants  :  P.  p.  Northern  Nigeria'report 
fer  Î902,  G.  d.  1748-14. 


LBS    DÉBUTS    DE    l'oCCUPATION  399 

une  petite  pension,  l'ancien  émir,  dont  la  présence 
dans  le  pays  était  une  cause  de  trouble.  Après  avoir 
laissé  une  compagnie  comme  garnison  à  Baushi;  le 
colonel  Morland  se  dirigea  vers  le  Bornu.  Il  eut  à  com- 
battre sur  sa  route  le  Mallan  Jibrella,  qui  déclarait  être 
le  Madhi  et  qui  depuis  de  longues  années  dévastait 
le  pays,  assez  puissant  pour  avoir  pu  résister  à  Rabba 
et  à  Fad-el-AUah.  Le  lieutenant  Dyer  put  s'emparer  de 
lui  après  avoir  parcouru  112  kilomètres  en  17  heures. 
Il  fut  déporté  à  Lokodja.  L'expédition  parvint  à  Gujba, 
y  laissa  une  compagnie  et  s'établit  à  Maigujuri,  tandis 
que  le  colonel  visitait  les  ruines  de  Kuka. 

Veçs  le  milieu  de  1902,  une  expédition  avait  été  diri- 
gée contre  les  habitants  de  l'ouest  de  la  province  Nas- 
sarawa  qui  arrêtaient  les  caravanes  venant  de  Zaria 
et  de  Kano;  leur  ville,  Abuja,  fut  prise. 

Pendant  ce  temps,  du  reste,  un  incident  grave  se  pas- 
sait à  Keffî,  où  était  la  résidence  anglaise.  L'agent  de 
l'émir  de  Zaria  dans  cette  ville  excitait  les  habitants  à 
la  révolte. 

Tandis  que  le  capitaine  Moloney  faisait  de  vains  efforts 
pour  obtenir  sa  soumission  sans  violences,  le  Magaji 
(chef  de  la  ville)  tua  par  surprise  l'officier  anglais  et 
parvint  à  s'échapper  et  à  se  réfugier  à  Kano,  où  il  fut 
reçu  avec  enthousiasme  par  l'émir. 

En  mars  1902,  un  résident  avait  pu  être  installé  à 
Zaria.  L'émir  de  cette  ville,  Mohamadu,  avait,  en  effet, 
demandé  aux  troupes  anglaises  protection  contre  Kon- 
tagora.  Mohamadu  n'en  continua  pas  moins  à  dévaster 
le  pays,  en  affirmant  qu'il  agissait  par  ordre  des  Anglais. 
Le  résident,  dont  les  jours  étaient  continuellement  en 
danger,  se  décida  à  l'arrêter. 


400  LÀ   NORTHERN    NIGERIA 

Il  fut  expédié  à  Wushîshi.  Sir  F.  Lugard  fait  à  ce 
sujet  la  remarque  suivante  :  «  Cela  a  toujours  été  pour 
moi  une  source  de  regrets  que  de  constater  que  l'éta- 
blissement de  l'autorité  anglaise  dans  chacune  des  pro- 
vinces devait  être  accompagné  de  la  déposition  de  son 
chef.  Zaria  avait  été  la  seule  exception,  et  c'est  pour  cela 
que  je  n'aurais  pas  voulu  en  déposer  l'émir.  J'espérais 
qu'un  exil  temporaire  aurait  été  pour  lui  une  leçon  suf- 
fisante; je  l'informai  que  je  pourrais  peut-être  lui  ren- 
dre son  poste  lorsque  les  difficultés  avec  Kano  seraient 
terminées.  Il  fallut  abandonner  ce  projet,  car,  pendant 
les  expéditions  contre  Kano  et  Sokoto,  Mohamadu  ne 
cessa  d'être  une  cause  de  trouble  constant,  et  un  nou- 
vel émir.  Dan  Sidi,  fut  installé  en  grande  pompe  à  sa 
place.  » 


CHAPITRE  XXVII 

LA  NORTHERN  NIGERIA 


La  prise  de  Kano  et  de  Sokoto. 

Lorsque  le  rachat  de  la  Charte  et  le  transfert  du  gou- 
vernement furent  décidés,  Sir  F.  Lugard  fit  paraître 
uiie  proclamation  qui  en  informait  les  différents  chefs 
et  qui  les  avisait  que  le  nouveau  gouvernement  se  con- 
sidérait comme  lié  par  les  engagements  pris  par  la  Com- 
pagnie vis-à-vis  d'eux,  qu'à  son  tour  il  espérait  que  les 
chefs  seraient  fidèles  aux  traités  qu'ils  avaient  passés. 
Une  traduction  en  haussa  en  fut  envoyée  au  sultan  de 
Sokoto,  et  les  sommes  nécessaires  pour  le  payement 
des  subventions  prévues  par  les  traités  furent  inscrites 
au  budget  de  1901. 

L'envoyé  anglais  fut  fort  mal  traité  à  son  arrivée  à 
Sokoto  et  il  ne  fut  pas  donné  réponse  au  message,  qui, 
en  vertu  des  usages  fulbés,  constituait  une  injure  grave. 
Sir  F.  Lugard  explique  qu'il  apprit  dans  la  suite  que  le 
ton  de  sa  lettre  avait  été  considéré  comme  injurieux  et 
que  le  sultan  avait  déclaré  qu'il  n'accepterait  plus  de 
lettre  écrite  par  un  blanc  :  «  Comme  il  n'y  avait  rien 
autre  dans  l'original,  dit  Sir  F.  Lugard,  qu'une  com- 
munication courtoise  et  approuvée  par  le  Secrétaire 
d'Etat,  je  ne  peux  attribuer  cette  impression  qu'à  une 
erreur  de  traduction.  » 

Les  actes  hostiles  commis  par  les  chefs  du  Nupé  et 

26 


402  LA    NORTHERN    NIGERIA 

du  Kontagora,  qui  étaient  des  vassaux  de  Sokoto,  furent 
considérés  par  le  Haut  Commissaire  comme  une  rupture 
de  traité.  Cependant  il  résolut  d'user  de  patience,  et, 
après  la  défaite  de  Kontagora,  il  écrivit  la  lettre  sui- 
vante au  sultan  de  Sokoto  pour  lui  demander  de  nom- 
mer un  successeur  au  chef  de  cette  ville  : 

«  Au  nom  du  Dieu  le  plus  miséricordieux,  paix  soit 
au  généreux  prophète.  Salutations,  paix  et  honneurs 
sans  nombre. 

«  A  Fémir  des  musulmans  de  Sokoto  dont  le  nom  est 
Âbdul-Lahai,  fils  de  l'ancien  émir  des  musulmans  dont 
le  nom  est  Atiku. 

«  Je  désire  vous  informer,  vous  qui  êtes  des  musul- 
mans et  dont  les  chefs  fulanis  de  ce  pays  reçoivent  les 
instructions,  que  les  émirs  de  Bida  et  Kontagora  ont 
agi  pendant  nombreuses  années  en  oppresseurs  de 
leurs  peuples  et  se  sont  montrés  incapables  de  gou- 
verner... 

«  J'ai  donc  estimé  qu'il  était  nécessaire  de  les  déposer 
et  de  placer  des  troupes  auprès  de  leurs  villes  pour  y 
maintenir  la  paix  et  protéger  les  habitants. 

«  Dans  le  cas  de  l'émir  de  Bida,  j'ai  nommé  émir  le 
Makun  à  la  place  d'Abu-Bakri,  ce  qui  prouve  que  je  n'ai 
aucune  hostilité  contre  les  Fulanis  ou  contre  leur  reli- 
gion, à  condition  que  l'émir  du  pays  gouverne  juste- 
ment et  sans  oppression... 

«  Je  désire  que  les  habitants  retournent  dans  leurs 
villes  et  vivent  en  paix  sous  un  chef  juste,  et  je  vous 
écris  pour  vous  demander  de  nommer  un  homme  qui 
gouverne  justement,  et,  s'il  agit  ainsi,  je  le  soutiendrai 
et  renforcerai  son  pouvoir;  envoyez-le-moi  avec  une 
lettre,  et  je  l'installerai  comme  émir  de  Kontagora  avec 


LÀ    PRISE    DE    KANO    ET    DE    SOKOTO  403 

pompe  et  honneur.  Mais  avertissez -le  que  s'il  agit 
traîtreusement  et  avec  artifice  il  partagera  le  sort  de 
Gwamachi. 

«  Avec  paix  de  la  part  de  votre  ami  le  gouverneur 
Lugard.  » 

Le  sultan  répondit  dans  les  termes  suivants  : 

«  De  nous  à  vous;  je  ne  consens  point  à  ce  que  per- 
sonne venant  de  vous  habite  avec  nous.  Je  ne  traiterai 
jamais  avec  vous.  Je  n'ai  rien  à  faire  avec  vous.  Entre 
vous  et  nous  il  n'y  a  d'autres  rapports  que  ceux  qu'il  y 
a  entre  des  musulmans  et  des  incroyants,  c'est-à-dire  la 
guerre,  comme  le  Dieu  tout-puissant  nous  l'a  ordonné. 
Il  n'y  a  de  pouvoir  et  de  force  que  dans  Dieu. 

«  Ceci  avec  salutations.  » 
-  Une  réponse  analogue  fut  faite  à  la  communication 
de  la  déchéance  de  l'Emir  Hautshi,  et  Sir  F.  Lugard 
considéra  le  traité  comme  définitivement  dénoncé. 

Persuadé  que,  dans  une  guerre  contre  les  Fulanis, 
les  Haussas,  qui  formaient  le  fond  de  la  population, 
ne  seraient  pas  hostiles  aux  Anglais,  Sir  F.  Lugard 
décida  d'entreprendre  une  campagne  contre  Kano  ou 
Sokoto. 

Le  colonel  Morland  partit  de  Zaria  le  29  janvier  1903 
à  la  tête  d'une  expédition  composée  de  36  officiers, 
2  médecins,  722  hommes  de  troupes,  4  canons  et  4 
maxims. 

On  sait  comment,  malgré  ses  redoutables  fortifica- 
tions, Kano  fut  pris  sans  difficultés  le  3  février  1903.  Il 
n'y  eut  du  côté  anglais  qu'un  tué  et  quatorze  blessés. 
L'émir  Alieu  avait,  le  2  janvier,  fui  vers  Sokoto  avec 
tous  les  chefs  de  la  ville  et  1.000  ou  2.000  cavaliers. 

Les  habitants  de  la  ville  acceptèrent  sans  difficultés 


404  LA    NORTHERN    NIGERIA 

Toccupation  anglaise,  et  le  commerce  de  la  ville  ne  subit 
aucune  interruption. 

Le  colonel  Morland,  ayant  appris  qu'Alieu  avait  quitté 
Sokoto  et  marchait  sur  Kano  avec  une  force  considé- 
rable, se  tint  prêt  à  partir  à  sa  rencontre.  Le  général 
Kemball,commandantsupérieardes  troupes  deTAfrique 
occidentale  anglaise,  arriva  à  Kano  le  13  février,  avec  de 
nouveaux  renforts.  Laissant  une  garnison  de  254  hom- 
mes dans  cette  ville,  il  partit  avec  le  colonel  Morl^jid, 
34  Européens  et  600  soldats  dans  la  direction  de  Sokoto. 
Le  colonel  Morland  avait  adressé  au  sultan  une  lettre 
dans  laquelle  il  l'informait  que  Kano  n'avait  été  pris  que 
parce  que  le  meurtrier  du  capitaine  Moloney  y  avait 
reçu  un  bon  accueil.  Il  ajoutait  :  «  Nous  arrivons  à 
Sokoto,  et,  à  partir  de  ce  moment  et  pour  toujours,  un 
blanc  et  des  soldats  se  fixeront  dans  le  pays  de  Sokoto. 
Nous, nous  sommes  préparés  à  faire  la  guerre  parce  que 
Abdu  Sarikin  Muslimin  nous  a  dit  qu'il  ne  pouvait  y 
avoir  entre  nous  autre  chose  que  la  guerre;  mais  nous 
ne  désirons  pas  la  guerre  si  vous  ne  la  désirez  vous- 
mêmes.  Si  vous  nous  recevez  en  paix,  nous  n'entrerons 
pas  dans  vos  maisons  et  nous  ne  vous  ferons  aucun 
mal,  à  vous  ou  à  votre  peuple.  » 

La  troupe,  parvenue  à  une  centaine  de  milles  de  Kano, 
fut  attaquée  par  un  millier  de  cavaliers  et  2.000  fantas- 
sins sous  les  ordres  d'Alieu.  L'ennemi  fut  défait,  et  l'an- 
cien émir  de  Kano  s'enfuit  vers  le  nord,  où  il  fut  fait 
prisonnier  par  le  capitaine  Foulkes,  chef  de  la  commis- 
sion de  délimitation. 

Sir  F.  Lugard  s'étant  rendu  à  Kano  aussitôt  après 
l'occupation,  Wonbaï,  le  frère  d'Alieu,  lui  demanda  la 
permission  de  retourner  dans  la  ville  avec  tous  ceux 


LA    PRISE    DE    KANO    ET    DE    SOKOTO  405 

qui  avaient  fui.  Cette  permission  fut  accordée,  et  près 
de  2.500  cavaliers  et  5.000  personnes  à  pied  rentrèrent 
le  6  mars  à  Kano  par  une  même  porte. 

Sir  F.  Lugard,  se  préoccupant  de  donner  un  succes- 
seur à  Alieu,  convoqua  son  frère  Wonbai  et  six  des  prin- 
cipaux chefs  et  leur  expliqua,  comme  il  le  fit  plus  tard 
à  Zaria,  à  Sokoto  et  à  Katsena,  quelle  était  la  manière 
dont  le  gouvernement  anglais  avait  l'intention  de  gou- 
verner le  pays. 

«  Le  gouvernement,  dit-il,  entend  être  dans  l'avenir 
le  suzerain  du  pays;  mais  il  conservera  les  chefs  actuels 
et  exercera  le  droit  de  nommer  non  seulement  Témir, 
mais  encore  les  principaux  fonctionnaires;  les  droits 
de  succession,  de  nomination,  d'élection  en  usage  dans 
le  pays  ne  seront  pas  modifiés;  mais  le  Haut  Commis- 
saire garde  le  droit  de  veto,  et  les  rois  ou  chefs  per- 
dront leurs  places  s'ils  se  conduisent  mal.  De  la  même 
manière,  en  matière  de  législation  et  justice,  il  ne  sera 
pas  porté  atteinte  à  la  loi  musulmane  en  tant  qu'elle 
ne  sera  pas  contraire  aux  lois  du  Protectorat.  Et  les 
tribunaux  des  émirs  et  des  Alkalis  seront  conservés 
et  fortifiés  sous  le  contrôle  du  résident.  Les  mutila- 
tions et  les  emprisonnements  faits  d'une  façon  inhu- 
maine ne  seront  pas  autorisés.  Aucune  sentence  de 
mort  ne  pourra  être  exécutée  sans  l'approbation  du 
Résident.  Il  sera  mis  un  terme  à  la  corruption.  Certains 
crimes  seront  jugés  dans  les  tribunaux  de  province, 
qui  seront  les  seuls  compétents  pour  juger  les  causes 
dans  lesquelles  figureront  des  serviteurs  du  gouverne- 
ment et  des  personnes  qui  ne  seront  pas  des  indigènes. 

Le  gouvernement  aura  le  droit  d'établir  les  taxes 
que  le  Haut  Commissaire  jugera  convenables  pour  payer 


406  LA    NORTHERN    NIGERIA 

les  dépenses  d'administration;  mais  ces  taxes  n'auront 
point  un  caractère  d'oppression.  Les  commerçants  el 
les  caravanes  seront  encouragés  et  ne  seront  point 
taxés  par  l'émir,  dont  les  impôts  seront  soumis  à  l'ap- 
probation du  Haut  Commissaire.  Les  Fulanis  ont  perdu 
leur  domination,  et,  dans  l'avenir,  le  domaine  souverain 
du  sol  et  des  minerais  appartiendra  au  gouvernement 
anglais.  Les  propriétaires  ne  seront  pas  privés  de  leurs 
terres,  à  moins  que  cela  ne  soit  nécessaire  pour  les 
travaux  publics  et  les  besoins  du  gouvernement.  Les 
razzias  d'esclaves  seront  interdites  ainsi  que  tout  com- 
merce de  captifs.  11  ne  sera  point  porté  atteinlje  cepen- 
dant à  la  captivité  privée  ;  mais  les  captifs,  comme  tous 
autres,  auront  le  droit  d'en  appeler  au  résident,  et  s'ils 
prouvent  que  leurs  maîtres  usent  de  cruautés  envers 
eux,  ils  seront  libérés.  » 

Sir  F.  Lugard  ajouta  qu'il  reconnaissait  «  qu'une 
classe  de  travailleurs  devait  exister.  Ce  n'était  pas  son 
intention  de  transformer  les  cultivateurs  actuels  ou 
autres  ouvriers  en  vagabonds  ou  voleurs;  mais  il  espé- 
rait cependant  que  peu  à  peu  on  apprécierait  les  avan- 
tages du  travail  libre,  qui  était  plus  profitable  et  meil- 
leur que  celui  des  esclaves.  Dans  Tavenîr,  ni  l'émir  ni 
les  autres  chefs  n'auront  l'autorisation  de  se  servir 
d'une  force  armée.  S'ils  ne  peuvent  maintenir  l'ordre, 
ils  feront  appel  au  résident,  car  c'est  au  gouvernement 
anglais  seul  qu'est  réservé  le  devoir  de  faire  la  police 
du  pays.  Les  armes  à  feu  ne  seront  donc  plus  néces- 
saires et  devront  être  remises  au  gouvernement.  En 
dehors  de  certains  cas  spécialement  autorisés  par  le 
résident,  leur  possession  entraînera  une  punition. 

«  Tout  ce  qui  sera  fourni  au  gouvernement  sera  payé 


LA  PRISE  DE  KANO  ET  DE  SOKOTO  407 

convenablement,  et  Ton  ne  devra  point  craindre  d'a- 
dresser au  résident  des  plaintes  contre  les  soldats  ou 
les  serviteurs  du  gouvernement  qui  auront  agi  avec 
violence  ou  d'une  manière  illégale. 

«  La  garnison  sera  cantonnée  en  dehors  de  la  ville, 
où  lés  soldats  ne  seront  point  autorisés  à  pénétrer  en 
armes.  » 

Lorsque  le  Haut  Commissaire  ajouta  que  l'importa- 
tion de  l'alcool  serait  défendue,  il  nota  des  marques 
d'approbation;  et  lorsqu'il  annonça  que  la  religion 
serait  absolument  libre,  il  y  eut  une  explosion  de  joie. 
Sokoto,  dit-il,  resterait  la  capitale  religieuse,  mais  ne 
recevrait  plus  dans  l'avenir  de  tribus  d'esclaves.  II 
expliqua  que  ce  n'était  pas  le  désir  du  gouvernement 
anglais  d'apporter  aucun  changement  aux  institutions 
indigènes  dans  ce  qu'elles  avaient  de  bon,  mais  bien 
de  les  étudier  de  façon  à  les  comprendre.  Il  parla  des 
avantages  qu'offrait  l'usage  d'une  monnaie  métallique 
frappée  et  la  nécessité  de  fixer  un  taux  d'échange  entre 
l'argent  anglais  et  les  cauris.  Il  déclara  que  les  Anglais 
étaient  venus  pour  rester,  et  que  rien  ne  pourrait  leur 
faire  abandonner  le  pays. 

Tout  ce  discours  fut  traduit  avec  le  plus  grand 
soin  et  sous  la  surveillance  directe  d'officiers  anglais 
haussas. 

Après  avoir  présenté  à  Wondaï  le  personnel  de  la 
future  résidence,  il  l'informa  qu'il  ne  le  nommerait 
définitivement  émir  qu'à  son  retour  de  Sokoto.  Il 
devait,  en  attendant,  construire  dans  la  ville,  aux  envi- 
rons du  palais,  une  maison  et  un  tribunal  que  le  rési* 
sident  occuperait  de  temps  en  temps,  en  signe  de  la 
domination  anglaise.  La  résidence  fut   établie   à  900 


408  LA    NORTHERN    NIGERIA 

mètres  des  murs  de  la  ville.  Le  7  mars,  le  Haut  Com- 
missaire quitta  Kano  pour  se  rendre  à  Sokoto,  escorté 
seulement  de  4  Européens,  de  80  hommes  et  de  8 
maxims.  Il  avait  écrit  au  général  Kemball  de  le  rejoin- 
dre avant  d'essayer  d'entrer  dans  la  ville;  mais  ses  let- 
tres ne  lui  parvinrent  pas,  et  Sir  F.  Lugard  considère 
que  le  fait  d'avoir  pu  circuler  avec  une  aussi  faible 
escorte,  dans  un  pays  très  peuplé  et  entièrement  sous 
la  domination  du  sultan  de  Sokoto  qui  se  préparait  à 
combattre,  prouve  qu'il  ne  s'était  point  trompé  en 
estimant  que  la  grande  majorité  de  la  population  serait 
favorable  aux  Anglais. 

Le  16  mars,  le  général  Kemball  rencontra,  sous  les 
murs  de  Sokoto^  une  force  de  1.500  cavaliers  et  de  3.000 
fantassins  qui  attaqua  aussitôt  l'armée  anglaise  et  qui 
fut  repoussée  en  laissant  sur  le  terrain  70  tués  et  20O 
blessés.  Du  côté  anglais,  il  n'y  eut  qu'un  porteur  tué 
et  un  autre  blessé.  Sokoto  fut  occupé. 

Le  20  mars,  le  Haut  Commissaire  arriva  à  Sokoto  au 
moment  même  où  les  principaux  chefs  faisaient  leur 
soumission  ;  leurs  chevaux  et  leurs  sabres  leur  furent 
laissés.  Le  lendemain,  les  principaux  conseillers  furent 
réunis  dans  la  maison  du  sultan,  et  Sir  F.  Lugard  leur 
demanda  s'ils  pensaient  que  celui-ci,  qui  avait  pris  la 
fuite,  reviendrait,  et  quelle  était,  dans  le  cas  contraire, 
la  personne  qu'ils  désiraient  nommer  à  sa  place.  Ils 
désignèrent  un  nommé  Atahiru,  qui  était  un  ancien 
prétendant.  La  bonne  impression  qu'il  produisit  sur 
Sir  F.  Lugard  et  sa  généalogie  lui  valurent  d'être 
nommé  sultan.  Il  fut  installé  avec  le  même  cérémonial 
et  les  mêmes  discours  qui  avaient  été  faits  à  Kano.  Le 
major  Burdon,  qui  fut  laissé  comme  résident  dans  la 


LA    PRISE    DE    KANO    ET    OS    SOKOTO  409 

ville,  en  fut  Tinterprète.  Le  23  mars,  le  Haut  Commis- 
saire se  dirigea  sur  Katsem,  tandis  que  le  général 
Kemball  et  le  colonel  Morland  s'en  retournaient  vers 
Kano  et  Zungeru  avec  une  grande  partie  des  forces. 

Les  indigènes  témoignaient  la  plus  grande  joie  de 
voir  que  les  choses  se  passaient  si  simplement,  et  paru- 
rent accepter  sans  difficultés  la  domination  anglaise. 

L'ancien  sultan,  entouré  du  Magaji,  le  meurtrier  du 
capitaine  Moloney,  de  l'ancien  émir  de  Bida  et  de 
quelques  chefs  irréconciliables  de  Kano,  vint  s'établir 
à  peu  de  distance  de  Sokoto,  à  Gusao.  Il  en  fut  chassé 
par  les  garnisons  de  la  ville,  et  il  dut  s'enfuir  sans  avoir 
pu  entraîner  un  seul  des  chefs  de  Sokoto.  Il  passa  à 
l'est  de  Kano  et  de  Zaria,  déclarant  qu'il  se  rendait  en 
pèlerinage  à  la  Mecque.  Des  paysans  le  suivirent  par 
milliers.  Il  semble  que  le  mouvement  n'ait  point  été 
dirigé  contre  les  Anglais  et  que  l'ancien  sultan  dési- 
rait s'établir  en  quelque  région  située  en  dehors  de 
l'influence  britannique.  Les  forces  anglaises  parvinrent 
finalement  à  le  rejoindre  à  Burmi,  aux  confins  du  Bor- 
nou  ;  il  fut  tué  pendant  l'assaut  avec  700  hommes;  mais 
les  Anglais  perdirent  le  major  Marsh,  qui  commandait 
l'expédition,  et  ils  eurent  10  hommes  tués  et  69  blessés. 

Le  28  mars.  Sir  F.  Lugard  put  entrer  sans  effusion 
de  sang  à  Katsem,  dont  l'émir  lui  avait  adressé  des 
lettres  de  soumission.  Il  y  installa  un  résident  et  une 
garnison. 

Il  parcourut  ensuite  une  partie  de  la  région  fron- 
tière anglo-française  et  prépara  le  passage  de  la  com- 
mission de  délimitation.  Le  2  avril  il  était  de  retour  à 
Kano,  où  le  Wonbaï  était  installé  émir  avec  le  cérémo- 
nial habituel  ;  le  7  il  était  à  Zaria,  où  il  installait  Dam 


410  t-lL    FiORTHERK    MGERIA 

Sidi,  et  le  14  il  était  de  retour  à  Zungeru.  En  38  jours 
il  avait  parcouru  1,280  kilomètres  et  établi  avec  succès 
l'autorité  anglaise  à  Solcoto,  Katsem,  Kano  et  Zaria. 

L'occupation  de  la  Northern  Nigeria  par  l'Angleterre 
était  un  fait  accompli  (1903), 


CHAPITRE   XXVIII 

LA  NORTHERN  NIGERIA 


Sir  Frédéric  Lugard  et  le  Colonial  Office. 

On  peut  dire  que  roccupation  de  la  Northern  Nigeria 
avait  été  entreprise  par  Sir  F.  Lugard,  de  sa  propre  ini- 
tiative, et  qu'il  en  avait  accepté  la  pleine  responsabilité. 

Un  vif  émoi  se  manifesta  en  Angleterre  à  la  nouvelle 
que  le  Haut  Commissaire  avait  Fintention  d'attaquer 
Kano.  La  guerre  du  Transvaal  venait  à  peine  de  finir, 
et  l'alerte  que  l'on  avait  eue  dans  l'Ashanti  avait  été 
chaude.  Ce  que  l'on  savait  des  sultanats  de  la  Nigeria 
était  assez  mystérieux.  On  se  représentait  les  puissants 
chefs  de  ce  pays  comme  entourés  d'une  armée  nom- 
breuse et  bien  organisée,  grâce  aux  leçons  d'émissaires 
turcs.  Entrer  en  guerre  avec  les  sultans,  c'était  s'en- 
gager dans  une  entreprise  dont  l'importance  et  les  con- 
séquences étaient  inconnues.  Les  probabilités  les  plus 
grandes  étaient  que  l'expédition  aurait  beaucoup  d'ana- 
logie avec  celles  qui  avaient  abouti  à  la  conquête  du 
Soudan  égyptien,  et  l'on  était  fort  peu  disposé  à  s'en- 
gager dans  une  pareille  aventure,  dont  les  bénéfices 
paraissaient  bien  incertains. 

Il  semblait  inadmissible  que  les  forces  dont  disposait 
le  Haut  Commissaire  fussent  suffisantes  pour  mener 
à  bonne  fin  l'occupation  militaire  de  la  Nigeria.  On 
s'émut  au  Parlement,  et  les  interpellations  se  succédé- 


414  LÀ    NORTHERN    NIGERIA 

dans  la  Northern  Nigeria.  Bien  que  le  Haut  Commissaire 
de  la  Northern  Nigeria  n'ait  pas  demandé  de  troupes, 
le  gouvernement  de  Sa  Majesté  craint  que  les  forces 
qu'il  a  à  sa  disposition  ne  soient  pas  suffisantes  pour 
parer  à  toute  éventualité.  Il  considère  comme  désirable 
que  vous  n'entrepreniez  point  d'opérations  militaires 
dans  la  Southern  Nigeria  qui  vous  empêcheraient  de 
prêter  une  aide  immédiate  à  la  Northern  Nigeria  en 
cas  de  nécessité. 

«  Je  vous  prie  de  m'informer  d'une  façon  définitive 
sur  ce  que  vous  avez  l'intention  de  faire,  quelle  est  la 
puissance  et  la  composition  des  forces  qui  peuvent 
vous  être  opposées,  quelles  sont  celles  que  vous  vous 
proposez  d'utiliser  et  quelles  sont  les  réserves  dont 
vous  pouvez  disposer  pour  le  cas  oii  vos  opérations  ne 
seraient  pas  couronnées  d'un  succès  immédiat  et  défi- 
nitif. » 

Le  24  décembre,  un  nouveau  télégramme  était 
adressé  à  Sir  F.  Lugard,  l'avisant  qu'il  devait,  avant  de 
commencer  toute  action  contre  Kano,  répondre  aux 
questions  qui  lui  avaient  été  posées. 

Le  23,  le  Haut  Commissaire  avait  écrit  qu'une  attaque 
entreprise  par  les  indigènes  contre  Zaria  n'avait  avorté 
qu'à  la  suite  de  la  mort  du  sultan  de  Sokoto.  Il  avait 
donc  été  nécessaire  de  renforcer  les  détachements  de 
Zaria;  mais  ces  renforts  ne  pouvaient  être  maintenus, 
car  on  ne  pouvait  dégarnir  de  troupes  tout  ie  Protecto- 
rat, il  était  indispensable  de  venir  à  bout  de  Kano,  d'au- 
tant que  l'on  ne  pourrait  auparavant  donner  une  escorte 
à  la  commission  de  délimitation.  Les  forces  disponibles 
étaient  de  1.000  soldats  indigènes,  7  maxims,  5  canons, 
50  Européens.  Des  réserves  importantes  étaient  lais- 


SIR    FREDERIC    LUGÂRD    ET    LE    COLONIAL    OFFICE  415 

sées  à  Argungu,  Kontagora  et  Zungunru.  M.  Walace 
estimait  les  forces  de  rennemi  à  4.000  cavaliers,  mais 
ce  nombre  devait  être  exagéré;  Témir  était  impopulaire, 
les  Hausas  seraient  partisans  des  Anglais,  et  la  plupart 
des  troupes  ne  combattraient  pas. 

Le  Colonial  Office  ne  se  tint  pas  pour  satisfait  et 
adressa  au  Haut  Commissaire,  le  l**"^  janvier  1903,  le 
télégramme  suivant  : 

«  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté,  avant  d'approuver 
les  opérations  militaires,  désire  savoir  si  vous  êtes  ab- 
solument convaincu  que  les  forces  dont  vous  disposez 
sont  suffisantes  pour  parer  à  toute  éventualité.  Par 
mesure  de  précaution,  il  a  demandé  à  la  Gold  Coast,  à 
Lagos,  à  la  Southern  Nigeria,  quels  secours  ils  pour- 
raient prêter  si  vos  réserves  étaient  insuffisantes.  La 
Gold  Coast  pourra  envoyer  une  compagnie  le  lende- 
main du  jour  où  elle  en  sera  avisée  et  un  canon  75  dix 
jours  stprès;  Lagos,  300  hommes  avec  équipement  comr 
plet  et  porteurs,  via  Ibadan,  au  bout  de  deux  jours  ;  la 
Southern  Nigeria,  300  hommes  avec  probablement 
deux  canons  75.  Ces  troupes  de  réserve  pourraient  être 
envoyées  à  Jebba  ou  Lokodja  ou  au  point  qui  vous  paraî- 
trait convenable  au  moment  du  départ  de  l'expédition, 
de  façon  à  être  plus  aisément  disponibles.  » 

Sir  F.  Lugard  ayant  affirmé  une  fois  de  plus  que  ses 
forces  étaient  suffisantes  et  ayant  déclaré  qu'il  s'était 
déjà  mis  en  rapport  avec  la  Southern  Nigeria  et  Lagos 
pour  «  louer  »  des  hommes  de  réserve,  le  Colonial 
Office  insista  encore  : 

«  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté,  câbla-t-il  le  8  jan- 
vier, a  pris  en  sérieuse  considération  vos  communica- 
tions au  sujet  de  Kano.  Je  désire  que  vous  compreniez 


416  LA    NORTHERN    NIGERIA 

bien  que  ceux  qui  prennent,  en  Angleterre,  le   plus 
grand  intérêt  à    l'Afrique   occidentale  sont  profondé- 
ment convaincus,  bien  qu'ils  approuvent  d'une  manière 
générale  la  politique  suivie  dans  la  Northern  Nigeria, 
que  les  opérations  militaires   doivent  être    évitées  si 
c'est  possible.    Les    renseignements  que   possède   le 
gouvernement  de  Sa  Majesté  ne  sont  pas  aussi  com- 
plets qu'il  l'aurait  désiré,  mais  il  admet  qu'il  est,  dans 
votre  opinion,  absolument  nécessaire,  au  point  de  vue 
de  la  défense  et  des  intérêts  des  Etats  indigènes  pro- 
tégés, aussi  bien  que  pour  la  sécurité  de  la  commission 
de  délimitation,  que  Kano  soit  occupé  par  vous  en  pré- 
vision   d'une  attaque   de  Zaria  que  l'émir  se  prépare 
à  faire,  que  vous  avez  épuisé  tous  les  moyens  d'arri- 
ver à  une  solution  pacifique,  et  que  vous  considérez 
que  les  forces  qui  sont  à  votre  disposition  sont  simple- 
ment suffisantes  pour  votre  projet,  ainsi  que  les  réser- 
vées de  troupes  qui  doivent  parer  à  toute  éventualité. 
Dans  ces  circonstances,  le  gouvernement  de  Sa  Majesté 
ne  peut  refuser  son  consentement  à  l'envoi  d'une  force 
expéditionnaire.  Si  vous  êtes  amené  à  penser  que  les 
opérations  militaires  ne  peuvent  être  conduites  avec 
les  seules  troupes  du  «  West  African  Frontier  Force  », 
et   que   d'autres   troupes   indigènes    ou    des   officiers 
anglais  sont  désirables,  vous  ne  devez  pas  hésiter  à  les 
demander.  » 

Comprenant  bien  qu'il  y  avait  dans  toute  cette  cor- 
respondance du  Colonial  Office  des  marques  de  désap- 
probation plutôt  que  d'encouragement.  Sir  F.  Lugard 
répondit  un  peu  sèchement  à  ce  télégramme  (15  jan- 
vier) : 

«  Prière  de  me  faire  savoir  si  vous  désirez  que  j'ar- 


SIR  FREDERIC  LUGARD  ET  LE  COLONIAL  OFFICE     417 

rête  rexpédition  qui  a  commencé  à  partir.  Les  rations 
seront  bientôt  consommées  par  les  troupes  qui  sont 
concentrées  à  Zaria,  et  je  décline  toute  responsabilité 
qui  pourrait  résulter  des  circonstances  actuelles.  D'a- 
près toutes  les  probabilités  concevables,  il  n'y  a  pas  de 
doute  pour  le  succès  définitif.  Ce  qui  est  nécessaire 
d'urgence,  c'est  l'extension  des  communications,  dans 
le  but  d'éviter  les  troubles  ultérieurs,  et,  au  moins, 
deux  résidents  et  deux  assistants  résidents  supplémen- 
taires pour  donner  effet  à  une  politique  de  concilia- 
tion. » 

Le  Secrétaire  d'État  répondit  finalement,  le  19  jan- 
vier : 

«  Je  ne  désire  pas  que  vous  arrêtiez  la  marche  de  la 
force  expéditionnaire,  mais  je  pense  que  la  réserve 
doit  être  concentrée  dans  la  Northern  Nigeria  sans 
délai.  » 

En  même  temps,  il  envoyait  au  Haut  Commissaire  la 
lettre  suivante  : 

«  Vous  savez  que  la  politique  du  Gouvernement  de 
Sa  Majesté  a  toujours  été  d'éviter  si  possible  toute 
rupture  avec  Sokoto,  bien  qu'il  n'ait  point  douté  que  les 
mesures  que  je  vous  avais  autorisé  à  prendre  pour  sup- 
primer les  razzias  d'esclaves  feraient  naître  tôt  ou  tard 
un  conflit  avec  le  sultan.  Il  est  nécessaire,  à  la  fois 
dans  l'intérêt  de  l'humanité  et  du  commerce,  que  les 
razzias  d'esclaves  par  bandes  organisées,  qui  appor- 
tent la  misère  et  la  dévastation  dans  le  pays,  soient 
arrêtées  par  la  force  et  supprimées,  autant  que  cela 
vous  est  possible,  à  l'aide  des  troupes  qui  sont  à  votre 
disposition';  mais  le  Gouvernement  de  Sa  Majesté  ne 
désire  pas  détruire  les  formes  actuelles  d'administra- 

27 


418  LÀ    NORTHERN    NIGERIA 

tion,  non  plus  que  gouverner  le  pays  autrement  que 
par  rintermédiaire  de  ses  chefs.  Je  n'ai  pas  besoin 
d'en  dire  davantage  sur  ce  sujet,  car  dans  votre  pre- 
mier rapport  annuel  vous  avez  exposé  clairement  la 
politique  que  vous  entendez  suivre  et  qui  a  reçu  pleine 
approbation  du  Gouvernement  de  Sa  Majesté. 

«  Si  la  délimitation  de  la  frontière  anglo-française 
avait  pu  être  retardée,  il  aurait  peut-être  été  possible 
d'attendre  que  le  sultan  de  Sokoto  veuille  inaugurer 
les  relations  amicales;  mais  l'action  des  Français  dans 
les  sphères  anglaises  a  rendu  nécessaire  de  demander 
au  gouvernement  français  d'entreprendre  cette  déli- 
mitation sans  retard.  Vous  avez  toujours  été  d'avis  que 
le  développement  du  Protectorat  devait  avoir  lieu  en 
commençant  par  l'Est,  et  que  l'on  devait  intervenir 
aussi  peu  que  possible  auprès  du  sultan  de  Sokoto, 
étant  donné  qu'il  est  le  chef  des  musulmans  de  la 
Nigeria.  Vous  avez  cependant  convenu  en  1901,  lorsque 
la  question  de  frontière  a  été  discutée,  qu'il  était  très 
important  qu'elle  fût  délimitée,  et  vous  avez  déclaré 
que  vous  étiez  prêt  à  envoyer,  si  c'était  nécessaire, 
une  force  à  Sokoto.  L'attaque  de  Sokoto  n'était  pas 
désirée,  et  l'on  espérait  que  si  une  force  suffisante 
était  envoyée,  le  sultan  n'aurait  pas  la  tentation  d'atta- 
quer les  troupes  anglaises. 

«  Depuis,  la  situation  a  été  changée  par  les  événe- 
ments que  vous  décrivez  dans  votre  correspondance. 
Le  Gouvernement  de  Sa  Majesté  regrette  la  nécessité 
qui  a  obligé  d'entrer  en  campagne  contre  Kano.  Il 
pense  que  vous  auriez  dû  le  tenir  mieux  informé  des 
événements  et  que  vous  auriez  dû  lui  permettre  de 
considérer  plutôt,  avec  la  connaissance  qu'il  a  seul  de 


SIR    FREDERIC    LUGARD    ET    LE    COLONIAL    OFFICE  419 

la  situation  générale  des  autres  parties  de  Tempire, 
s'il  était  nécessaire  d'envoyer  une  expédition  à  Kano, 
et  s'il  était  opportun  de  le  faire  actuellement  et  avec  la 
force  disponible.  Mais  il  admet  avec  vous  qu'étant 
donné  les  circonstances,  le  parti  que  vous  avez  pris 
étaii  inévitable.  Il  a  votre  assurance  que  vous  considé- 
rez suffisantes  les  forces  qui  sont  à  votre  disposition 
pour  accomplir  le  projet  que  vous  poursuivez,  et 
il  espère  que  les  opérations  seront  couronnées  de 
succès.  » 

Devant  l'inévitable,  le  gouvernement  anglais  avait 
fini  par  approuver  l'envoi  d'une  expédition  contre  Kano, 
mais  il  considérait  que  ce  n'était  qu'une  sorte  de  demi- 
mesure  qui  permettrait  de  ramener  le  calme  dans  une 
région  où  le  pouvoir  de  l'Angleterre  ne  se  faisait  pas 
sentir,  et  qu'il  ne  modifierait  cependant  pas  d'une  ma- 
nière absolue  sa  politique  traditionnelle  dans  ces  pays. 
On  considérerait  le  sultan  de  Sokoto  comme  le  grand 
chef  des  Etats  hausas.  Il  n'était  point  question  de 
porter  atteinte  à  son  autorité  ni  d'agir  vis-à-vis  de  lui 
autrement  qu'on  ne  l'avait  fait  jusque-là. 

Dans  le  public  on  se  rendait  compte  cependant  que 
Sir  F.  Lugard  n'était  peut-être  pas  absolument  de  cet 
avis,  et  l'on  en  manifesta  quelque  agitation.  On  était 
très  anxieux  de  voir  les  dépenses  administratives 
rester  le  plus  faibles  possible  dans  les  territoires  dont 
il  semblait  bien  que  l'on  ne  pourrait  avant  longtemps 
tirer  de  ressources  compensatrices.  Le  plus  simple 
et  le  plus  sage  paraissait  de  n'intervenir  que  dans  la 
mesure  la  plus  indispensable.  On  avait,  en  outre, 
une  très  haute  idée  de  l'état  de  civilisation  des  pays 
hausas,  et,  d'une  manière  un  peu  nébuleuse,  on  croyait 


420  LA    NORTHERN    NIGERIA 

qu'il  suffirait  de  donner  de  sages  conseils  aux  grands 
chefs   de  la  Nigeria  pour  qu'ils  administrent  admira- 
blement leur  pays.   On  s'était  habitué  à   entendre  la 
Royal  Niger  Co.  parler  de  ses  bonnes  relations  avec 
Sokoto,  et  à  lui  voir  considérer  les  traités  qu'elle  avait 
passés  avec  le   sultan  comme  un  instrument  suffisant 
pour  permettre  à  l'influence  de  l'Angleterre  de  s'exer- 
cer au  mieux  de  ses  intérêts.  On  fut  fort  ému*  de  voir 
que  Sir  F.  Lugard  considérait,  à  Tencontre  de  ce  qu'a- 
vait assuré  la  Niger  Co.,  que  ces  instruments  n'avaient 
d'autre  valeur  que  de  manifester  le  désir  du  sultan  de 
vivre  en  paix  avec  l'Angleterre,  et  qu'il  déclarait  qu'il 
n'y  avait  plus  lieu  de  continuer  le  payement  des  sub- 
sides qui  en  étaient  le  prix,  du  moment  que  cette  paix 
n'était  plus  observée.  C'est  ainsi  que  le  Colonial  Office 
pouvait  écrire  au  Haut  Commissaire^  :  «  J'ai  l'honneur 
de  vous  envoyer  copie  de  trois  questions  qui  ont  été 
posées  récemment  à  la  Chambre  des  Communes.  Ces 
questions  concernent  les   traités   qui  ont  été   passés 
entre  la  Royal  Niger  Co.  et  le  sultan  de  Sokoto,  et  le 
subside  à  payer  au  sultan  en  vertu  de  ces  traités.  La 
suspension  du  payement  de  ce  subside  a  été  égale- 
ment le  sujet  de  commentaires  dans  la  presse,  et  l'atti- 
tude inamicale  du  sultan  a  été  attribuée  à  cette  cause; 
l'action  du  gouvernement  qui  a  suspendu  ce  payement 
est  considérée  comme  une  violation  du  traité  dont  le 
sultan  a  droit  d'être  mécontent.   Je  sais  que  l'attitude 
actuelle  du  sultan  peut  être  attribuée  à  d'autres  mo- 
tifs... et  que  dans  beaucoup  de  cas  la  déposition  d'é- 

1.  Voir  notamment  W,  A.,  3  janvier  1903. 

2.  Correspondence  relating  to  Kano,  P.  p.,  G.  d.  1433,  u*  10.  Lettre  du 
comte  d'Onsiow  (pour  le  Secr.  d'Etat)  à  S.  F.  Lugard,  2  janvier  1903. 


SIR  FREDERIC  LUGÀRD  ET  LE  COLONIAL  OFFICE     421 

mirs  qui  étaient  en  bons  termes  avec  lui  s^  été  suffisante 
pour  exciter  son  hostilité,  en  dépit  des  efforts  que 
vous  avez  faits  pour  établir  de  bonnes  relations  avec 
lui  en  le  consultant  de  temps  en  temps;  il  n'y  a  donc 
pas  de  difficulté  à  expliquer  l'attitude  actuelle  du  sul- 
tan, et  il  ne  peut  être  manifestement  question  de  re- 
commencer le  payement  du  subside  actuellement.  Je 
possède  cependant  peu  de  renseignements  sur  les  cir- 
constances qui  ont  accompagné  la  première  cessation 
de  payement,  et  la  seule  information  que  j'en  aie  est 
contenue  dans  le  passage  suivant  d'un  de  vos  rapports  : 
«  Pendant  l'année  précédente,  nous  n'avons  eu  pour 
((  ainsi  dire  aucune  relation  avec  Sokoto,  Gando,  Kano 
<c  et  Katsem.Une  traduction  de  la  proclamation  annon- 
«  çant  le  transfert  a  été  envoyée  à  Sokoto,  et  mon  mes- 
«  sager  a  été  indignement  traité.  Le  subside  annuel 
«  payable  à  ces  chefs,  d'après  le  traité  passé  avec  la 
«  Niger  Go.,  est  dû,  je  crois,  depuis  le  1"  janvier  1901, 
«  Il  n'a  pas  encore  été  payé,  et,  étant  donnée  l'attitude 
«  inamicale  de  ces  émirs,  j'hésite  à  continuer  son 
«  payement.  D'après  ce  que  j'ai  compris,  Sir  G.  Goldie 
«  aurait  dit  que,  si  la  Compagnie  avait  continué  son 
«  administration,  le  subside  n'aurait  plus  été  acquitté.  » 
Je  serais  heureux  de  recevoir  de  vous  une  dépêche 
expliquant  quel  parti  vous  avez  pris  au  sujet  des  sub- 
sides que  payait  la  Compagnie  du  Niger  et  me  donnant 
des  détails  particuliers  sur  les  circonstances  qui  vous 
ont  amené  à  suspendre  le  payement  des  subsides  du 
sultan  de  Sokoto.  Je  serais  heureux  aussi  de  recevoir 
les  textes  des  correspondances  qui  ont  été  engagées 
entre  vous  et  le  sultan  de  Sokoto,  afin  d'être  en  posi- 
tion de  pouvoir  répondre  aux  questions  qui  pourraient 


422  LA.    NORTHERN    NIGERIA 

m'être  posées  au  Parlement  sur  la  nature  des  relations 
du  gouvernement  anglais  avec  lui.  » 

-  Nous  devons  prendre  la  liberté  de  rapporter  ici, 
comme  très  symptomatique  de  Tétat  d'esprit  dont  parle 
cette  lettre^'  un  incident  auquel  nous  fûmes  un  peu  mêlé. 

Nous  nous  trouvions  à  Liverpool,  de  retour  d'Afrique 
occidentale,  au  moment  où  Ton  venait  d'apprendre  que 
les  trouples  aiiglaises  se  dirigeaient  vers  Sokoto.  Le 
succès  remporté  à  Kano  avait  montré  que  la  conquête 
de  la  Nigeria  n'était  peut-être  pas  aussi  difficile  qu'on 
l'avait  pensé  tout  d'abord,  et,  beaucoup  d'impérialisme 
aidant,  on  se  demandait  si  Ton  ne  devait  pas,  malgré 
tout,  approuver  la  politique  de  Lugard.  La  Chambre  de 
commerce  de  Manchester,  qui  a  toujours  été  beaucoup 
plus  pacifique  que  sa  puissante  voisine,  restait  irréduc- 
tible, et  ses  membres  assuraient  que  Ton  devait  rappe- 
ler le  Haut  Commissaire. 

Nous  eûmes  la  bonne  fortune  d'assister  alors,  chez 
Sir  Alfred  Jones,  à  des  réunions  des  principaux  com- 
merçants et  industriels  du  Lancashire  intéressés  à 
l'Afrique  occidentale,  réunions  au  cours  desquelles  fut 
fondée  la  «  British  Gotton  Graving  Association  ».  Nous 
devons  avouer  que  nous  ne  pûmes  nous  empêcher  de 
leur  faire  remarquer  qu'ils  manquaient  de  logique.  Ils 
étaient  d'avis  que  l'Angleterre  devait  rétablir  la  paix 
dans  ces  pays  de  la  Nigeria  qui  étaient  ravagés  par  les 
grands  chefs,  chasseurs  d'esclaves;  il  était  difficile  de 
concevoir  comment  elle  pourrait  y  parvenir  sans  battre 
en  brèche  l'autorité  de  ces  chefs,  et  c'était  bien  peu  les 
connaître  que  de  supposer  que  ceux-ci  se  laisseraient 
faire  sans  résistance.  Pour  notre  part,  nous  ne  pou- 


SIR    FREDERIC    LUGA.RD    ET    LE    COLONIAL    OFFICE  423 

viens  qu'admirer  la  façon  dont  Kano  avait  été  occupé 
pour  ainsi  dire  sans  effusion  de  sang,  et  la  prise  de 
Sokoto  m'en  apparaissait  comme  la  conséquence  tout 
au  moins  logique.  Sir  Alfred  Jones,  qui,  à  ce  moment, 
incarnait  bien,  peut-on  dire,  l'opinion  de  LiVerpool, 
déclara  que,  après  tout,  ce  serait  unbusinesslike  que  de 
s'arrêter  et  qu'il  fallait  signifier  à  Manchester  de  cesser 
son  opposition.  Séance  tenante  il  envoya  à  Sir  F.  Lu- 
gard  un  de  ces  télégrammes'  dont  il  était  coutumier 
dans  les  grandes  circonstances  :  «  Mes  plus  sincères 
félicitations  pour  le  succès  de  l'expédition  de  Kano. 
Les  razzias  d'esclaves  doivent  être  arrêtées  à  tout  prix. 
Vous  avez  fait  un  grand  pas  dans  ce  sens  et  pour  l'ou- 
verture au  commerce  de  l'Afrique  centrale.  » 

Le  succès  des  troupes  anglaises  devait  être  aussi 
complet  à  Sokoto  qu'il  l'avait  été  à  Kano  et  justifiait 
toutes  les  prévisions  de  Sir  F.  Lugard.  Il  semble  bien, 
du  reste,  que,  dès  le  début  de  son  administration,  le 
Haut  Commissaire  ait  conçu  le  dessein  d'exiger  la  sou- 
mission des  grands  chefs.  L'exécution  des  différentes 
campagnes  que  nous  venons  de  résumer  ne  fut  que  la 
réalisation  d'un  plan  conçu  d'avance,  probablement  au 
temps  où  le  fondateur  de  la  Northern  Nigeria  était 
au  service  de  la  Royal  Niger  Co.  Il  s'en  est  expliqué  du 
reste  très  ouvertement',  et  il  nous  faut  reproduire  ses 
déclarations,  car  elles  sont  du  plus  haut  intérêt  pour 
expliquer  sa  politique. 

«   Le  mauvais   gouvernement  des  Fulanis,   écrit-il 

11  «  Heartiest  congralulations  success  Kano  expédition.  Slave  raiding 
must  he  dropped  at  any  cosL  Y^oa  hâve  done  a  great  dealin  êhis  direction 
and  towards  opening  iip  Central  Africa  for  trade,  u 

2.  Northern  Nigeria  report  for  190Z  P-  p-  G.  d.  ly'iS,  14,  p.  24. 


424  LA    NORTHERN    NIGERIA 

dans  son  rapport  de  1902,  les  a  rendus  odieux  à  la 
masse  de  la  population,  qui  se  réjouirait  de  leur  chute. 
Les  Fulanis  tenaient  leurs  droits  de  suzeraineté  de  la 
conquête,  et  je  ne  vois  aucune  injustice  à  ce  que  cette 
suzeraineté  soit  transmise  au  gouvernement  anglais 
également  par  droit  de  conquête.  Cette  suzeraineté 
entraîne  le  domaine  éminent  sur  toutes  les  terres,  le 
droit  de  nommer  les  émirs  et  tous  les  fonctionnaires, 
le  droit  de  législation  et  de  perception  des  impôts.  J'ai 
expliqué  à  chacun  des  émirs  que  j'ai  installés  à  Sokoto, 
Kano,  Zaria  et  Katsem,  que  ce  qu'ils  avaient  gagné  par 
conquête^  ils  Font  perdu  par  la  défaite.  Ils  ont  semblé 
accepter  cette  déclaration  comme  un  truisme  incontes- 
table et  être  très  heureux  d'apprendre  que  le  gouver- 
nement voulait  bien  les  considérer  comme  des  chefs 
vassaux  avec  leurs  prérogatives...  Le  cas  de  ces  conqué- 
rants étrangers  est  tout  à  fait  différent  de  celui  des 
anciens  chefs  qui  gouvernent  les  peuples  de  leur  race 
depuis  de  longs  siècles,  comme  les  chefs  du  Yoruba, 
qui  sont  de  la  même  race  que  leurs  sujets  et  qui  ont  un 
système  bien  établi  de  propriété  foncière  commune... 
La  conquête  a  été  faite  par  l'Angleterre  sans  presque 
qu'il  ait  été  répandu  de  sang.  Le  peuple  a  fêté  notre 
avènement.  La  tradition  de  l'Angleterre  a  cependant 
toujours  été,  dans  mon  opinion,  d'empêcher  la  désin- 
tégration des  races  et  de  rétablir  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur  dans  l'organisation  sociale  et  politique  des 
dynasties  conquises,  de  développer  suivant  leur  indi- 
vidualité propre  chacune  des  races  qui  composent  notre 
grand  empire.  Telle  a  été  notre  politique  aux  Indes, 
et  la  Northern  Nigeria,  bien  que  n'ayant  qu'un  tiers 
de  la  dimension  de  notre  grande  dépendance  de  l'Est 


SIR  FREDERIC  LUGARD  ET  LE  COLONIAL  OFFICE     425 

et  de  nombreux  siècles  de  moins,  me  parait  présenter 
de  grandes  analogies  avec  elle.  Je  pense  que  l'avenir 
des  races  vigoureuses  de  ce  Protectorat  repose  princi- 
palement sur  la  régénération  des  Fulanis.  Leur  cérémo- 
nial, leur  peau  colorée,  leur  mode  de  vie  et  leur  façon 
de  penser  frappe  davantage  les  populations  indigènes 
que  ne  pourront  jamais  le  faire  les  habitudes  prosaï- 
ques et  affairées  [businessliké)  des  Anglo-Saxons.  Nous 
n'avons  pas  les  moyens  actuellement  d'administrer  une 
contrée  aussi  vaste.  La  politique  que  je  me  propose  de 
suivre  dans  l'administration  de  la  Northern  Nigeria  est 
de  régénérer  cette  race  valeureuse,  de  lui  inculquer 
des  idées  de  justice  et  de  pitié,  de  façon  que,  dans  une 
génération  à  venir,  sinon  dans  celle-ci,  elle  puisse  de- 
venir un  instrument  précieux  d'administration.  Les 
Fulanis  sont  incapables  actuellement  d'exercer  le  pou- 
voir sans  contrôle;  mais  j'espère  que,  soigneusement 
guidés,  leurs  fils  et  leurs  petits-fils  seront  des  chefs 
précieux  sous  la  surveillance  de  l'Angleterre,  et  que 
leur  intelligence  supérieure  sera  d'une  valeur  pré- 
cieuse pour  leur  administration.  » 

Devant  la  rapidité  et  la  facilité  avec  laquelle  le  Haut 
Commissaire  avait  réalisé  cette  conquête,  sans  effusion 
de  sang,  peut-on  dire,  on  avait  bien  été  obligé  de  re- 
connaître qu'il  avait  eu  raison  d'agir  comme  il  l'avaijt 
fait.  Le  cabinet  libéral,  fidèle  à  la  politique  de  pacifica- 
tion qu'il  veut  imposer  dans  tout  l'Empire,  n'en  a  pas 
moins  continué  à  s'opposer  aux  manifestations  mili- 
taires dont  le  besoin  pouvait  plus  ou  moins  se  faire 
sentir  dans  l'Afrique  centrale  anglaise,  et  une  corres- 
pondance publiée  par  le  gouvernement  anglais^  montre 

1.  Correspondence  relaling  to  affairs  in  Sokoto,  Munshi  and  Hadeija. 


f 


426  LA    NORTHERN    NIGERIA 

comment,  au  cours  des  incidents  qui  ont  signalé  l'an- 
née 1906  et  les  premiers  mois  de  1907,  un  désaccord 
profond  n'a  cessé  d'exister  entre  le  Colonial  Office  et 
son  représentant  dans  la  Nigeria,  jusqu'au  moment  où 
celui-ci  s'est  retiré. 


«   » 


Au  commencement  de  1906,  les  télégrammes  suivants 
arrivaient  coup  sur  coup  au  Colonial  Office,  envoyés 
par  Sir  Frédéric  Lugard. 

3  janvier  :  «  La  tribu  Munshi  a  détruit  le  dépôt  de  la 
Royal  Niger  Company.  La  navigation  de  la  Benué  est 
arrêtée.  Je  fais  des  préparatifs  pouf  une  forte  expédi* 
tion  militaire.  » 

16  février  :  «  Regrette  d'annoncer  qu'un  mahdi  s'est 
levé  près  de  Sokoto.  11  a  complètement  défait  une  com- 
pagnie d'infanterie  montée,  le  14  février,  et  pris  une 
maxim;  Hillary,  Scott,  Klakwoodseraient  tués,  mais  non 
confirmé;  docteur  Ellis  gravement  blessé...  L'émir  de 
Sokoto  probablement  fidèle,  Gando  probablement  hos- 
tile. Situation  des  affaires  me  donne  des  causes  suffi- 
santes d'anxiété.  » 

18  février  :  «  L'attitude  d'une  partie  des  indigènes 
d'Hadeijaa  été  constamment  menaçante,  ajoutant  consi- 
dérablement à  l'anxiété  que  causent  les  présentes  diffi- 
cultés; considère  nécessaire  de  mettre  un  terme  à  ces 
menaces  en  arrêtant  les  leaders.  Je  suis  incertain  de 
l'attitude  que  prendra  l'émir;  il  sera  nécessaire  d'avoir 
une  forte  force  sur  les  lieux  avec  un  officier  supérieur. 
Demande  que  l'on  approuve  mes  propositions  pour 
éviter  d'être  ainsi  constamment  menacé .  » 


SIR    FREDERIC    L17GARD    ET    LB    COLONIAL    OFFICE  427 

Depuis  longtemps  des  motifs  de  querelle  existaient 
entre  les  indigènes  de  la  tribu  locale  des  Jukum  à 
Abinsi  et  les  commerçants  haoussas  qui  résidaient 
dans  ce  village. 

Au  moment  où  l'incident  éclata,  l'adjoint  au  résident 
d'Ibi  était  parti  pour  Abinsi  pour  tâcher  d'y  ramener 
le  calme,  mais  il  arriva  trop  tard. 

Une  contestation  étant  survenue  entre  une  femme 
haoussa  et  un  homme  jukum,  il  fut  décidé  qu'elle 
serait  réglée  .par  une  épreuve  au  moyen  d'une  poule, 
qui  donna  tort  à  la  femme.  Celle-ci  refusa  d'accepter  la 
sentence  et  de  donner  son  gage;  l'homme  essaya  de 
s'emparer,  à  la  place,  de  son  enfant;  elle  voulut  le  dé- 
fendre, et  l'homme  la  tua.  Le  chef  jukum  ordonna  de 
l'arrêter,  dans  le  but  de  le  traduire  devant  le  tribunal 
de  province,  mais  les  Jukums  refusèrent  de  lui  obéir; 
les  Haoussas  essayèrent  d'effectuer  l'arrestation,  et  un 
combat  s'ensuivit.  Les  Haoussas  se  réfugièrent  dans  la 
factorerie  de  la  Niger  Go.,  et  les  Jukums  eurent  pen- 
dant un  instant  le  dessous.  Un  Jukum  blessé  alla  cher- 
cher du  secours  dans  les  villages  munshis  voisins. 
Les  Haoussas  furent  débordés  par  le  nombre,  environ 
50  furent  tués,  et  50  autres  noyés  dans  la  rivière  en 
essayant  de  se  sauver.  Une  trentaine  furent  amenés  en 
captivité.  Parmi  les  tués  fut  la  femme  de  l'agent  noir 
de  la  Compagnie.  Le  lendemain,  après  une  vive  discus- 
sion, il  fut  décidé  que  la  factorerie  serait  détruite  et 
pillée. 

En  apprenant  la  chose.  Sir  Frédéric  Lugard  écrivit 
au  Secrétaire  d'État  que  les  tribus  de  cette  région 
étaient  dans  un  état  de  trouble  permanent  et  sem- 
blaient se   préparer  depuis  longtemps  à  se  soulever. 


428  LA    NORTHBRN    NIGERIA 

Un  commerce  continuel  de  captifs,  d'armes  et  de  spi- 
ritueux, dont  l'importation  est  défendue  dans  la  Nor- 
thern Nigeria,  avait  lieu  avec  les  territoires  du  Sud,  et 
les  Okpotos  étaient  tout  prêts  à  s'unir  aux  Munshis  pour 
résister  aux  Anglais.  Le  Haut  Commissaire  était  d'avis 
de  faire  traverser  par  une  forte  expédition  le  pays  et  de 
l'occuper  sérieusement. 

La  circulation  sur  la  Bénué  devenait  impossible,  et 
il  était  urgent  d'y  remédier. 

Une  colonne  composée  de  45  officiers. ou  sous-offi- 
ciers européens,  633  hommes  d'infanterie  indigène,  2 
canons,  4  maxims  et  950  porteurs  était  mise  en  mou- 
vement*. 

Nous  verrons  comment  Lord  Elgin  limita  les  opéra- 
tions de  cette  troupe  à  la  punition  des  seuls  indigènes 
qui  avaient  participé  à  l'affaire  d'Abinsi.  Le  village  fut 
brûlé;  118  captifs,  sur  163  qui  avaient  été  pris,  rendus 
à  la  liberté  ou  à  leurs  anciens  maîtres,  et,  la  colonne 
ayant  dû  être  dirigée  au  secours  de  Sokoto,  l'afifaire  en 
resta  là. 

On  se  rappelle  comment,  au  début  de  1906,  deux  mi- 
liciens ayant  été  tués  près  du  poste  français  de  Dosso, 
dans  le  Djerma,  une  colonne  de  50  gardes  de  police 
enleva  le  village  de  Kobi  Kitandi  ;  mais  le  lieutenant 
Tailleur  fut  tué  dans  l'action.  Peu  après,  une  insurrec- 
tion éclatait  sur  le  Niger,  au-dessous  de  Zinder,  et  le 
lieutenant  Fabre  était  assassiné  tandis  qu'il  passait  en 
pirogue  sur  le  fleuve. 

On  pensa  tout  d'abord  que  c'était  un  contre-coup  des 
incidents  du  Maroc,  mais  on  a  su  depuis  que  ce  mou- 

1.  Ce  qui  fait  un  Européen  pour  14  hommes.  La  difTérence  est  grande 
avec  les  contingents  de  nos  colonnes  et  toute  à  l'honneur  de  nos  officiers. 


SIR  FREDERIC  LUGARD  ET  LE  COLONIAL  OFFICE     429 

vement  devait  être  attribué  à  un  nommé  Dan  Makafo, 
qui  se  posait  en  mahdi. 

En  février  1904,  un  autre  madhi  se  levait  dans  le  vil- 
lage de  Satiru,  aux  environs  de  Sokoto.  Il  fut  arrêté 
par  Tordre  du  résident,  M.  Burdon,  et  mourut  avant 
son  jugement  devant  le  tribunal  indigène.  Ses  fidèles 
furent  relâchés  sous  serment  de  cesser  toute  agitation. 
Parmi  eux  se  trouvait  son  fils,  qu'il  proclama  «  Annabi 
Isa»,  le  prophète  Jésus. 

Cet  Annabi  Isa  prit  comme  second  Dtan  Makafo  qui, 
des  territoires  français,  était  passé  chez  les  Anglais  par 
Birnin  Kebbi,  et  à  Gando,  où  il  avait  recueilli  des  par-  , 
tisans. 

Satiru  devint  leur  centre  d'action. 

Le  résident  de  Sokoto,  M.  Burdon,  devant  prendre 
son  congé  annuel,  il  semble  que  Ton  attendit  qu'il  eût 
quitté  Sokoto,  et  dès  le  lendemain  de  son  départ  les 
rebelles  partaient  de  Satiru. 

Le  résident  adjoint,  M.  Hillary,  envoyait  aussitôt  un 
de  ses  assistants,  M.  Yertue,  et  le  lieutenant  Esmonde 
avec  24  hommes  de  police,  à  la  suite  de  M.  Burdon, 
pour  le  protéger  en  cas  d'attaque,  et  partait  lui-môme, 
le  14  février,  au-devant  des  rebelles. 

Il  était  accompagné  de  M.  Scott,  son  adjoint,  et  avait 
pris  comme  escorte  69  soldats  indigènes  d'infanterie 
montée,  sous  le  commandement  du  lieutenant  Blackwood 
et  du  sergent  européen  Gosling  assisté  du  docteur  EUis. 
Le  détachement  emmenait  une  maxim  confiée  à  deux 
hommes  et  un  caporal,  mais  cette  mitrailleuse,  partie 
en  retard,  ne  put  rejoindre  la  colonne  et  ne  prit  pas 
part  à  l'action. 

Vers  sept  heures  du  matin,  M.  Hillary  arriva  en  vue 


430  LA    NORTHERN    NIGERIA 

de  Satiru.  Un  rassemblement  fut  efTectué  ;  Tavant-garde, 
que  commandait  le  sergent  Gosling,  était  rappelée,  et 
la  troupe  fit  halte,  probablement  pour  attendre  l'arrivée 
de  la  mitrailleuse.  MM.  Hillary  et  Scott  partirent  en 
avant,  accompagnés  simplement  de  leurs  interprètes  et 
d'un  agent  du  sultan  de  Sokoto  ;  ils  découvrirent  les 
rebelles,  dans  un  bas-fond,  au  nombre  d'environ  2.500, 
groupés  sur  une  ou  deux  lignes  de  front  :  leur  troupe 
était  composée  de  gens  à  pied,  quelques-uns  armés 
d'arcs  et  de  flèches,  mais  la  plupart  de  pioches,  de 
haches  et  d'autres  outils  agricoles  :  ils  étaient  com- 
mandés par  5  cavaliers. 

Lorsque  le  résident  arriva  à  portée  de  voix,  il  essaya 
de  faire  comprendre  qu'il  n'était  pas  venu  dans  le  but 
de  combattre,  mais  de  s'expliquer;  l'ennemi,  sans  res- 
pecter cette  allure  de  parlementaire,  se  mit  aussitôt  en 
mouvement. 

Lorsqu'il  avait  vu  le  résident  s'avancer,  d'une  ma- 
nière qui  lui  parut  imprudente,  le  lieutenant  Blackwood 
partit  à  sa  suite  au  galop  avec  l'infanterie  montée,  et  il 
rattrapa  M.  Scott  resté  un  peu  en  arrière.  Mais  il  était 
trop  tard,  et  la  petite  troupe  fut  prise  et  débordée  par 
les  indigènes.  MM.  Hilary,  Blackvood  et  Scott  furent 
tués.  Seul  le  sergent  Gosling  put  rejoindre  le  docteur 
avec  5  hommes  qu'il  avait  ralliés,  et,  voyant  que  tous 
les  autres  blancs  avaient  été  tués,  ils  jugèrent  que  le 
mieux  était  d'essayer  de  retourner  au  fort,  ce  qu'ils 
parvinrent  à  faire  sans  être  autrement  inquiétés. 

Un  sous-officier  européen,  le  sergent  Slack,  avait  été 
laissé  à  Sokoto.  En  apprenant  le  désastre,  il  organisa 
la  défense,  demanda  secours  à  l'émir  de  Sokoto  et 
partit  au-devant  des  survivants. 


SIR    FREDERIC    LUGARD    ET    LE    COLONIAL    OFFICE  431 

Le  sultan  dépécha  aussitôt  un  messager  à  Jegga,  ou 
se  trouvait  un  détachement  d'infanterie,  pour  annoncer 
le  désastre  en  disant  qu'un  nouveau  mahdi  s'était  levé 
et  que  la  compagnie  d'infanterie  montée  avait  été  anni- 
hilée; le  major  Burdon  fut  rejoint  et  revint  organiser 
la  défense  du  poste. 

La  situation  alors  ne  paraissait  pas  brillante.  Les  sur* 
vivants  de  Tinfanterie  montée  étaient  trop  effrayés  pour 
aller  de  nouveau  à  l'ennemi  ;  la  police  n'avait  jamais  été 
mise  à  l'épreuve  et  pouvait  difficilement  compter  comme 
une  force  de  combat,  et  la  pièce  de  canon  du  fort  ne 
pouvait  être  utilisée  sans  escorte. 

Il  semble  bien,  du  reste  on  Ta  su  depuis,  que  l'arme- 
ment des  hommes  ait  été  des  plus  défectueux,  et  cela 
a  été  peut-être  la  véritable  cause  du  désastre. 

Le  marafa,  le  chef  de  guerre  de  Sokoto,  désirait  aller 
attaquer  les  rebelles,  et,  quelque  fût  l'effet  fâcheux  que 
pouvait  produire  pour  le  prestige  anglais  un  succès 
remporté  par  des  indigènes  sur  une  bande  qui  avait 
défait  des  troupes  commandées  par  des  Européens,  il 
parut  au  major  Burdon  que  le  pire  était  de  laisser  s'ac- 
croître la  force  des  rebelles. 

Le  marafa  et  les  chefs  de  Sokoto  et  des  environs 
attaquèrent  donc  Satiru  le  matin  du  17  avec  environ 
3.000  hommes  montés  ou  non. 

Le  marafa  avait  demandé  qu'un  Européen  l'accompa- 
gnât, pour  qu'il  ne  parut  pas  faire  une  expédition  per- 
sonnelle; cet  Européen  ne  prit  pas  part  à  l'action. 

Les  guerriers  du  marafa  et  ceux  du  chef  de  Yabo 
entrèrent  dans  le  village  et  paraissaient  devoir  l'empor- 
ter lorsque  le  reste  de  la  troupe  les  abandonna,,  et  ils 
ne  purent  s'échapper  eux-mêmes  que  grâce  au  dévoue- 


432  LA    NORTHERN    NIGERIA 

ment  des  deux  tirailleurs  Moma  Wurrikin  et  Moma 
Zaria,  qui  avaient  accompagné  M.  Vertue  et  qui  recom- 
mencèrent leurs  exploits  de  l'avant-veille. 

Il  semble  que  la  débâcle  fut  causée  par  le  fait  quç  le 
marafa  qui  commandait  en  chef  avait  été  perdu  de  vue 
du  gros  de  la  troupe,  qui  le  crut  tué,  ou  bien  peut-être 
à  une  trahison  de  la  «  talakawa  »  (basse  classe). 

Le  major  Burdon  ordonna  donc  d'attendre  de  nou- 
veaux renforts,  et  il  se  borna  à  autoriser  les  chefs 
indigènes  à  entourer  Satiru  et  à  organiser  une  ligne 
de  défense  entre  le  camp  des  rebelles  et  Sokoto. 

Bien  que  le  premier  poste  télégraphique  fût  éloigné 
alors  de  Sokoto  de  150  kilomètres,  le  général  Lugard 
apprit  la  nouvelle  du  désastre  trente-six  heures  après. 

La  plus  grande  partie  des  forces  du  Protectorat  étant 
engagées  contre  les  Munshis,  le  Haut  Commissaire  de- 
manda du  secours  à  Lagos  et  envoya  à  Sokoto  toute  la 
garnison  disponible  de  Zungeru,  75  tirailleurs;  autant 
partirent  de  Kantagoro,  et  cette  troupe  arriva,  sous  le 
commandement  du  major  Goodwin,  à  Sokoto  le  !•'  mars, 
ayant  fait  362  kilomètres  en  huit  jours  et  demi. 

Un  second  détachement,  fort  de  100  hommes,  fut 
envoyé  de  Lokodja  et  arriva  le  10  mars.  Le  4  étaient 
arrivés  200  hommes  de  Tinfanterie  montée  de  Kano 
avec  11  Européens. 

Le  10  mars,  le  major  Goodwin,  avec  517  soldats  et 
30  Européens,  s'avança  contre  Satiru,  qui  fut  pris  à  la 
pointe  de  la  baïonnette.  Les  rebelles,  qui  combattirent 
avec  la  plus  grande  bravoure,  furent  cependant  anéan- 
tis avec  leurs  chefs. 

Pendant  que  ces  incidents  se  déroulaient,  une  vive 
agitation  se  faisait  sentir  au  nord-ëst  de  Kano,  où  elle 


SIR    FREDERIC    LUGARD    ET    LE    COLONIAL    OFFICE  433 

avait  pour  centre  Hadeija,  et  dans  le  Bauchiy  aux  envi- 
rons de  Burmi. 

Dans  le  Bauchi,  un  mallam  avait  commencé  à  prê- 
cher l'extermination  des  infidèles  et  déclarait  qu'il  était 
le  précurseur  du  vrai  mahdi  qui  allait  arriver  dans  un 
mois.  Le  résident  ne  lui  laissa  pas  le  temps  d'agir  et  le 
fit  prisonnier.  Un  second  apparut  aussitôt  après  et  prê- 
cha la  révolte  parmi  les  soldats  du  poste.  Il  fut  aussitôt 
saisi,  et  l'émir  de  Bauchi  et  son  Conseil  le  condamnè- 
rent à  mort;  il  fut  pendu.  Le  principal  agitateur,  ce- 
pendant, ne  put  être  pris.  Une  compagnie  fut  envoyée 
par  le  général  Lugard  renforcer  celle  de  Nafada,  et 
l'affaire  n'eut  pas,  pour  le  moment,  de  suite. 

A  Hadeija,  la  situation  fut  plus  grave. 

Depuis  l'occupation,  cette  ville  était  restée  le  centre 
de  l'agitation  religieuse  du  Katagun,  et,  quoique  l'émir 
parût  assez  bien  disposé  pour  les  Anglais,  tout  son  en- 
tourage restait  nettement  hostile.  Lorsque  le  désastre 
de  Sokoto  fut  connu,  les  chefs  projetèrent  une  attaque 
de  nuit  contre  le  fort.  Un  tirailleur  fut  même  tué  pen- 
dant des  querelles  préliminaires. 

Le  général  Lugard,  considérant  que,  si  le  mouvement 
mahdiste  du  Bauchi  se  développait,  il  serait  fâcheux 
de  ne  pouvoir  disposer  des  250  hommes  composant 
la  garnison  de  Hadeija,  envoya  dans  cette  ville  le  com- 
mandant en  chef  des  troupes  de  la  Nigeria,  le  colo- 
nel Lowry-Cole,  qui  avait  été  rappelé  d'Angleterre, 
et,  sous  son  commandement,  une  force  composée  de 
22  officiers  et  9  sous-officiers  européens,  33  hommes 
d'artillerie  et  2  canons  à  tir  rapide  de  2  p.  95,  186  hom- 
mes d'infanterie  montée  avec  1  maxim,  et  468  hommes 
d'infanterie  avec  2  maxims. 

28 


434  LA    NORTHERN    NIGERIA 

L'émir  fut  sommé  de  remettre  aux  mains  des  Anglais 
les  principaux  agitateurs;  il  fut  en  outre  avisé  que  s'il 
craignait  pour  sa  vie  dans  le  cas  où  il  ferait  exécuter 
cet  ordre,  il  pourrait  être  envoyé  sous  escorte  à  Ka- 
tagun  et  réinstallé  à  Hadeija  lorsque  tout  aurait  été 
réglé. 

Ces  propositions  furent  repoussées,  et  après  un  vio- 
lent combat,  qui  dura  une  heure  et  demie  par  46  degrés 
de  chaleur  à  l'ombre,  la  ville  fut  prise.  L'émir,  ses  fils 
et  les  chefs  visés  dans  l'ultimatum  furent  tués  dans 
Faction. 

Entre  temps,  Sir  Frédéric  Lugard  avait  déposé  l'é- 
mir de  Gando,  qui  avait  promis  assistance  aux  rebelles 
de  Satiru  et  qui  avait  toujours  été  hostile  aux  Anglais. 
Grâce  aux  précautions  prises,  la  chose  se  passa  sans 
incident. 


Au  reçu  du  câblogramme  du  3  janvier  dans  lequel 
Sir  F.  Lugard  annonçait  l'incident  d'Abinsi  et  faisait 
connaître  qu'il  allait  envoyer  une  forte  expédition 
contre  les  Munshis,  on  s'émut  fort  à  Londres.  Allait-on 
voir  rouvrir  l'ère  des  expéditions?  Le  fait  qu'un  dépôt 
de  la  Niger  Co.  avait  été  détruit  et  que  la  navigalîon 
sur  la  Bénué  était  arrêtée  par  les  rebelles,  nécessitait 
cependant  que  des  mesures  quelconques  fussent  pri- 
ses, et  ce  ne  fut  que  quinze  jours  plus  tard  que  le 
Secrétaire  d'Etat,  assez  embarrassé,  envoya  le  télé- 
gramme suivant  : 

«  Suis  anxieux  de  connaître  quelle  sera  l'étendue 
probable  du  pays  qui  sera  couverte  par  les  opérations 
militaires  proposées  et  la  force  du  corps  employé.  » 


SIR    FREDERIC    LUGARD    ET    LE    COLONIAL    OFFICE  435 

Le  19,  le  Haut  Commissaire  répondait  d'une  manière 
un  peu  nerveuse  : 

«  Le  pays  munshi  s'étend  au  sud  de  la  Bénué  de  la 
longitude  8,  un  peu  au-dessous  de  la  longitude  10  avec 
une  petite  région  au  nord  de  la  Bénué.  Pas  d'infor- 
mation actuellement  sur  la  région  incriminée.  Force 
du  corps,  26  officiers,  640  hommes  de  troupe.  Voyez 
ma  lettre  envoyée  par  dernier  courrier.  » 

Après  une  semaine  probablement  passée  en  discus- 
sions entre  les  partisans  de  la  manière  forte  et  ceux 
de  la  persuasion  pacifique,  lord  Elgin  câbla  : 

«  27  janvier.  —  Je  ne  suis  pas  préparé  à  approuver 
l'envoi  d'une  forte  expédition  sans  de  nouvelles  infor- 
mations sur  le  but  poursuivi.  S'il  ne  peut  être  expliqué 
par  télégramme,  la  marche  en  avant  doit  être  limitée 
à  ce  qui  sera  nécessaire  pour  ouvrir  la  navigation  sur 
la  Bénué  et  protéger  les  propriétés,  mais  ne  doit  pas 
être  poussée  plus  loin  sans  mon  approbation.  » 

L'expédition  était  déjà  partie  lorsque  ce  télégramme 
arriva,  et  Sir  F.  Lugard  y  répondit  ainsi  : 

«  Les  Munshîs  ont  brûlé  jusqu'au  sol  le  magasin 
de  la  Compagnie  du  Niger  en  pillant  tout.  D'après  les 
derniers  rapports,  600  corps  gisent  à  Abinsi;  le  nombre 
des  noyés  et  des  captifs  inconnu.  Un  chef  important 
des  Munshis  a  fait  déclaration  d'amitié,  offrant  ses  ser- 
vices. Propose  de  poursuivre  les  coupables,  infliger 
punition,  recouvrer  les  objets  pris,  captifs,  et  ensuite 
traverser  le  pays  munshi.  Si  cela  n'est  pas  fait,  ils  peu- 
vent se  soulever  partout  et  rendre  la  navigation  sur  la 
Bénué  non  sûre.  Les  Allemands  se  servent  de  cette 
route.  La  force  est  très  suffisante  dans  tous  les  cas.  Il 
me  semble  que  c'est  une   opportunité  très  favorable 


436  LA    NORTHERN    NIGERIA 

pour  régler  la  question  une  fois  pour  toutes.  Il  y  a 
toute  raison  de  craindre  qu^à  moins  qu'une  action  éner- 
gique ne  soit  tentée  immédiatement,  les  munshis  de  la 
rive  droite  ainsi  que  les  Okpotos  ne  se  soulèvent.  Beau- 
coup de  regrets  si  j'ai  excédé  l'action  légitime.  Comme 
je  n'ai  pas  reçu  de  nouvelles  instructions  de  votre  part, 
j'ai  supposé  que  l'action  proposée  par  mon  télégramme 
du  3  janvier  était  approuvée.  Je  vous  demande  de  m'in- 
former  immédiatement  si  vous  m'ordonnez  d'arrêter 
l'expédition.  » 

Et  le  Secrétaire  d'État  répondit  : 

«  2  février  :  Je  n'ordonne  pas  de  rappeler  l'expédi- 
tion, mais  il  est  très  désirable  qu'elle  ne  soit  pas  pous- 
sée plus  loin  que  l'objet  immédiat  poursuivi  ne  le  rend 
nécessaire.  » 

Nous  avons  vu  comment  l'agitation  musulmane  dans 
le  Nord  était  venue  tout  aussitôt  s'ajouter  à  celle  des 
tribus  fétichistes  et  justifier  les  craintes  du  Haut  Com- 
missaire. 

Le  11  septembre  1906,  Sir  F.  Lugard,  ayant  terminé 
la  période  de  six  ans  pour  laquelle  il  avait  été  nommé 
titulaire  du  poste  de  gouverneur  de  la  Northern  Nige- 
ria, manifesta  le  désir  de  ne  pas  être  maintenu  plus 
longtemps  dans  ce  poste. 

11  est  bien  probable  que  s'il  n'avait  pris  cette  déci- 
sion, les  Munshis  lui  auraient  donné  de  nouvelles 
causes  de  désaccord  avec  le  Colonial  Office. 

La  Niger  Co.  manifestait,  en  effet,  pour  la  première 
fois  depuis  son  rachat,  dans  son  rapport  annuel  à  ses 
actionnaires,  ses  inquiétudes  au  sujet  de  l'état  politique 
de  la  Nigeria,  et  elle  écrivait  le  23  octobre  au  Secrétaire 


SIR    FREDERIC    LUGÂRD    ET    LE    COLONIAL    OFFICE  437 

d'État  pour  lui  signaler  «  Tétat  non  satisfaisant  »,  au 
point  de  vue  commercial  et  politique,  de  la  situation 
dans  le  pays  munshi.  Elle  demandait  que,  si  le  gouver« 
nement  de  Sa  Majesté  trouvait  «  non  désirable  »  d'en- 
voyer une  force  armée  traverser  et  occuper  ce  pays,  il 
permît  qu'un  premier  pas  fût  fait  par  les  commerçants 
eux-mêmes  avec  l'aide  du  gouvernement.  Dans  ce  but, 
un  poste  fortifié  et  pourvu  d'une  solide  garnison  pour- 
rait être  établi  à  Katsena,  et  la  Niger  Co.  autorisée  à  y 
installer  un  comptoir  dont  les  opérations  rayonneraient 
dans  les  environs. 

■s. 

Lord  Elgin  demanda  conseil  à  Sir  Fr.  Lugard  en  lui 
écrivant,  dans  sa  résidence  d'Abinger  où  il  se  reposait 
depuis  sa  «  résignation  »,  que  comme  la  région  trou- 
blée se  trouvait  dans  la  Basse-Benoué,  il  paraissait  dif- 
ficile d'autoriser  la  création  d'un  poste  dans  le  Haut.  Ce 
serait,  tôt  ou  tard,  rendre  inévitable  l'expédition  que 
l'on  voulait  éviter. 

Et  Sir  F.  Lugard  ne  put  qu'une  fois  de  plus  préco- 
niser sa  méthode  : 

«  C'est  un  fait,  écrivait-il  le  26  novembre,  que  ces 
vigoureuses  et  laborieuses  tribus  semblent,  comme 
presque  tous  les  Africains,  être  incapables  de  rester 
en  paix  tant  qu'elles  n'ont  pas  apprécié  la  force  du 
gouvernement  et  la  dévastation  que  peut  infliger  le 
maxim.  Bien  qu'elles  paraissent,  pour  un  temps,  ani- 
mées de  dispositions  amicales,  la  moindre  difficulté 
momentanée  suffit  à  dissiper  leur  amitié  et  à  causer 
un  soulèvement,  car  elles  considèrent  que  la  crainte  est 
la  seule  raison  possible  pour  notre  indulgence.  Avec 
Tces  truculents  sauvages  qui  se  jugent  invincibles  et 
supérieurs  aux  Européens,  une  longue  expérience  m'a 


438  LA   NORTHERN    NIGERIA 

montré  qu'une  forte  démonstration  faite  dès  le  début 
était  ce  qui  occasionnait  la  plus  petite  effusion  de 
sang...  Lord  Elgin  ne  peut  désirer  plus  que  je  ne  le 
fais  qu'il  soit  possible  d'ouvrir  le  haut  pays  unique- 
ment avec  des  méthodes  pacifiques,  mais  je  n'en  suis 
pas  moins  obligé  de  reconnaître  que  l'expérience  me 
force  de  dire  le  contraire  et  qu'il  y  a  plus  de  chance 
d'arriver  à  une  solution  définitive  avec  moins  de 
sang  versé,  en  faisant  tout  d'abord  parcourir  une  telle 
contrée  avec  des  troupes  et  en  les  y  laissant  quelque 
temps.  » 

En  même  temps  parvenait  au  Colonial  Office  une 
lettre  de  M.  Wallace,  le  gouverneur  intérimaire,  qui 
déclarait  absolument  nécessaire  qu'une  action  vigou- 
reuse fût  effectuée  contre  les  Okpotos,  qui,  depuis  qu'ils 
avaient  vu  rappeler  l'expédition  qui  avait  été  dirigée 
contre  eux,  devenaient  de  plus  en  plus  arrogants  et 
menaçaient  la  paix  de  toute  la  région. 

Lord  Elgin  jugea  enfin  qu'il  devenait  impossible  de 
ne  pas  intervenir  d'une  manière  ou  d'une  autre,  et,  le 
4  janvier  1907,  il  écrivait  à  M.  Wallace  «  qu'il  désirait 
qu'il  ne  fût  toléré  aucune  agression  de  la  part  des 
indigènes,  mais  que  l'on  devait  s'abstenir  de  toute  action 
pouvant  être  considérée  comme  une  attaque  ou  don- 
ner aux  indigènes  des  motifs  de  mécontentement  ».  Il 
autorisait  l'établissement  d'un  poste  à  Katsena,  mais 
non  la  campagne  qu'on  lui  proposait  de  faire  contre 
les  Okpotos  et  les  Munshis. 

De  simples  patrouilles  furent  donc  effectuées  chez 
les  Okpotos  par  une  force  de  146  hommes  divisée  en 
petites  colonnes,  qui  créèrent  sans  combats  une  série 
de   petits  postes  pour  assurer  la  libre  circulation  du 


SIR  FREDERIC  LUGARD  ET  LE  COLONIAL  OFFICE     439 

commerce.  Une  garnison  de  58  hommes  fut  établie  à 
Katsena  Allah. 

Sir  Frédéric  Lugard,  las  probablement  de  l'opposi- 
tion qu'il  trouvait  au  sein  du  Colonial  Office,  demanda 
à  être  relevé  de  ses  fonctions  et  fut  nommé  à  Hong- 
Kong. 

En  lui  désignant  comme  successeur  Sir  P.  Girouard, 
le  Colonial  Office  sembla  marquer  son  désir  de  ne  con- 
sidérer son  représentant  dans  les  États  du  Niger  que 
comme  un  administrateur.  Sir  P.  Girouard  était  célèbre 
par  la  manière  dont  il  avait  créé  le  chemin  de  fer  du 
Soudan  égyptien  et  organisé  le  service  des  transports 
pendant  la  guerre  de  l'Afrique  du  Sud.  Il  semble  bien 
que  ce  fut  surtout  comme  constructeur  de  chemins  de 
fer  qu'il  fut  envoyé  à  la  Nigeria  et  à  l'encontre  des 
projets  de  son  prédécesseur. 

Sir  Frédéric  avait  soutenu,  en  effet,  la  plus  acharnée 
des  polémiques  contre  les  ingénieurs-conseils  du  Colo- 
nial Office,  en  déclarant  qu'il  fallait  se  borner  à  établir 
tout  d'abord  un  tramway  à  voie  étroite  et  légère,  du 
Niger  à  Kano,  avec  les  propres  ressources  du  Protec- 
torat, comme  il  avait  commencé  à  le  faire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Sir  P.  Girouard  était  un  homme 
d'une  trop  haute  valeur  pour  ne  pas  apprécier  à  son 
juste  mérite  l'œuvre  du  créateur  de  la  Nigeria,  et 
celle-ci  avait  été  assez  solidement  établie  pour  qu'il 
n'eût  plus  qu'à  continuer  la  même  politique.  Ses 
successeurs  n'ont,  jusqu'à  présent,  cessé  d'agir  de 
même. 

Peu  à  peu,  par  toute  une  série  de  mesures  dont  l'his- 
toire serait  presque  impossible  à  faire,  parce  qu'elles 
sont  le  résultat  d'une  action  ininterrompue,  l'influence 


440 


LA    NORTHERN    NIGERIA 


anglaise  s'est  établie  dans  les  territoires  de  la  Nigeria, 
et  Torganisation  administrative,  dont  il  nous  reste  à 
esquisser  les  grandes  lignes  telles  qu'elles  ont  été  pré- 
cisées par  Sir  F.  Lugard,  a  su  jusqu'ici  faire  collaborer 
les  indigènes  à  l'œuvre  poursuivie  par  l'Angleterre 
dans  leur  pays. 


CHAPITRE  XXIX 

LA  NORTHERN  NIGERIA 


L'organisation  administrative  et  judiciaire. 

La  situation  des  personnes. 

Le  régime  foncier. 

L'étude  de  la  législation  de  la  Northern  Nigeria  est 
fort  simple,  en  ce  sens  que  cette  législation  a  été  ins- 
tituée de  toutes  pièces,  sous  la  surveillance  d'une 
même  personne,  Sir  F.  Lugard,  et  suivant  sa  propre 
initiative.  Elle  est  fort  intéressante  aussi  parce  qu'elle 
permet  de  se  rendre  compte  du  mécanisme  de  la  créa- 
tion d'une  colonie. 

Le  premier  acte  public  de  la  nouvelle  colonie  fut 
l'Order  in  Council  qui  l'institua  le  27  décembre  1899. 

Cet  ordre  expliquait  comment  la  National  African 
Company,  puis  la  Royal  Niger  Company,  chartered 
and  limited,  avait  acquis  à  l'Angleterre  des  droits  sur 
un  certain  nombre  de  territoires  de  l'Afrique  occiden- 
tale, comment  la  charte  avait  été  révoquée  ;  il  est  im- 
portant d'en  reproduire  les  dispositions  principales, 
parce  qu'elles  montrent  comment,  à  l'inverse  de  ce  qui 
s'est  produit  dans  les  autres  colonies  de  l'Afrique  occi- 
dentale, l'Angleterre  s'est  attribué  le  droit  de  gouver- 
ner entièrement  les  indigènes,  dont  les  chefs  naturels 
n'ont  à  intervenir  que  comme  délégués  du  gouverneur. 

Ce  droit,  non  seulement  comprenait  l'autorité  sur 


442  LA    NORTHERN    NIGERIA. 

les  personnes,  mais  englobait  le  domaine  éminent  du 
sol,  et  ainsi,  par  le  seul  fait  de  rétablissement  du  pou- 
voir anglais,  comme  il  en  a  été  pour  nos  colonies  fran- 
çaises, s'est  trouvé  institué  d'un  seul  coup,  et  du  seul 
fait  de  la  conquête,  le  statut  du  gouvernement  conqué- 
rant, sans  qu'il  ait  dû,  comme  nous  l'avons  vu  dans  les 
pages  précédentes,  être  arraché  par  lambeaux  à  la  cons- 
titution indigène. 

«  Attendu  qu'il  est  nécessaire  de  prendre  des  me- 
sures pour  assurer  la  paix,  l'ordre  et  le  bon  gouverne- 
ment de  ces  territoires  et  de  nommer  un  High  Commis- 
sioner  pour  lesdits  territoires. 

«  Maintenant  donc  que  Sa  Majesté,  en  vertu  et  dans 
l'exercice  des  pouvoirs  qui  sont  attribués  à  Sa  Majesté 
par  «  The  Foreign  Jurisdiction  Act  1890  »  ou  autre- 
ment, veut  bien,  d'après  et  avec  l'avis  de  son  conseil 
privé,  ordonner;  et  il  est  ordonné  ainsi  qu'il  suit  : 

«  1°  Cet  ordre  sera  cité  comme  the  Northern  Nigeria 
Order  in  Council  1899; 

«  2**  Les  limites  de  cet  ordre  sont  les  territoires  qui 
ont  en  Afrique  pour  frontières  la  ligne  suivante  (suit 
l'énoncé  des  délimitations);  ces  territoires  seront  con- 
nus comme  Northern  Nigeria  ; 

«  3^  Sa  Majesté  peut  nommer  un  Haut  Commissaire 
pour  la  Northern  Nigeria,  et  ce  commissaire  pourra 
prendre  ^toutes  les  mesures  qu'il  sera  convenable  dans 
l'intérêt  du  service  de  Sa  Majesté,  en  conformité  avec 
les  instructions  qu'il  pourra  recevoir  de  Sa  Majesté  ou 
par  l'intermédiaire  de  son  Secrétaire  d'État... 

«  4**  Le  Haut  Commissaire  pourra,  avec  l'approbation 
du  Secrétaire  d'État,  nommer  comme  fonctionnaire 
toute  personne  qu'il  lui  paraîtra  convenable.  Il  pourra 


L^ORGANISATION    ADMINISTRATIVE    BT    JUDICIAIRE  443 

de  même  la  révoquer  avec  rapprobation  du  Secrétaire 
d'État... 

a  5**  Dans  l'exercice  des  pouvoirs  qui  lui  sont  conférés, 
le  Haut  Commissaire  peut,  entre  autres  choses,  dispo- 
ser, à  l'aide  de  proclamations,  au  sujet  de  l'administra- 
tion de  la  justice,  de  la  perception  des  impôts  [revenue) 
et  généralement  de  la  paix,  de  Tordre  et  du  bon  gou- 
vernement de  la  Northern  Nigeria  et  de  toutes  les  per- 
sonnes qui  l'habitent.  Il  peut  prohiber  les  actes  qui 
tendent  à  troubler  la  paix  publique. 

«  Le  Haut  Commissaire  devra,  dans  ses  proclama- 
tions, respecter  toutes  les  lois  indigènes  qui  règlent 
les  rapports  civils  [civil  relations)  des  indigènes  et  des 
chefs,  des  populations  qui  sont  sous  la  protection  de 
Sa  Majesté,  en  tant  que  ces  lois  ne  seront  pas  incom- 
patibles avec  l'exercice  légitime  des  pouvoirs  de  Sa 
Majesté  ou  manifestement  contraires  au  bien-être  de 
ces  indigènes. 

«  6**  Chaque  proclamation  devra  être  publiée  dans  la 
Gazette. 

«  7*  Sa  Majesté  pourra  rapporter  en  tout  ou  en  partie 
ces  proclamations  par  des  Orders  in  Council  ou  par 
l'intermédiaire  du  Secrétaire  d'État.  Notification  en 
devra  être  faite  par  le  Haut  Commissaire... 

«  8"  Le  Haut  Commissaire  pourra  exercer  le  droit  de 
pardon  au  nom  de  Sa  Majesté... 

9**  Tous  les  ordres,  règlements  ou  traités,  qui  sont 
régulièrement  en  vigueur  dans  les  territoires  de  la 
Northern  Nigeria  en  vertu  des  décisions  de  Sa  Majesté, 
ou  d'une  commission,  ou  d'une  charte  octroyée  par 
elle,  resteront  en  vigueur... 

<K  En  cas  de  mort,  absence  ou  incapacité  du  Haut  Com* 


__^j 


444  LA    NORTHERN    NIGERIA. 

missaire,  ses  pouvoirs  seront  exercés  par  toute  autre 
personne  qui  sera  désignée  par  Sa  Majesté  ou,  à  son 
défaut,  par  le  plus  ancien  officier  commandant  la  West 
African  Frontier  Force  dans  la  Northern  Nigeria...  » 

La  première  proclamation,  qui  fut  publiée  par  Sir 
F.  Lugard  en  vertu  de  cet  ordre,  fut  Vauthentication 
and  interprétation  proclamation  1900,  qui  disposait  sur 
la  manière  dont  ces  proclamations  devaient  être  ren- 
dues et  promulguées  et  dans  quel  sens  on  devait 
comprendre  les  diverses  expressions  qui  pourraient 
être  usitées. 

Dans  son  premier  rapport,  Sir  F.  Lugard  commenta 
ainsi  le  système  judiciaire  qu'il  inaugurait  : 

«  La  Suprême  Court  sera  compétente,  en  première 
instance  et  en  appel,  en  toutes  matières  concernant  des 
non-natifs  et  dans  tous  les  cantonnements.  Les  juges 
des  tribunaux  inférieurs  sont  commissioners  de  la 
Suprême  Court  sous  sa  juridiction.  Dans  les  provinces 
qui  sont  trop  éloignées  de  la  Suprême  Court  pour  que 
celle-ci  puisse  agir  avec  efficacité,  les  résidents  auront 
Une  juridiction  commune  avec  les  Native  Courts  sur 
les  indigènes,  juridiction  limitée  seulement  par  la 
nécessité  de  confirmation  par  le  High  Commissioner 
dans  tous  les  cas  sérieux. 

Ils  jugent  en  appel,  et  le  High  Commissionner,  assisté 
de  son  conseiller  légal  {légal  adviser)^  peut  renvoyer 
toutes  leurs  causes  devant  la  Suprême  Court.  En  pra- 
tique, là  où  il  est  possible  d'établir  un  tribunal  indi* 
gène  {Native  Court),  ce  tribunal  jugera  tous  les  crimes 
ordinaires  commis  par  les  indigènes  et  les  actions 
civiles  entre  indigènes,  mais  les  crimes  contre  les  lois 
du  Protectorat  {spécifie  laws)^  comme  ceux  qui  seront 


l'organisation  administrative  bt  judiciaire        445 

régis  par  les  proclamations  sur  «  Tesclavage  »,  «  l'al- 
cool »,  les  «  armes  à  feu  »  ou  les  «  personnations  », 
crimes  qui  sont  étrangers  à  la  loi  indigène,  seront  de 
la  compétence  des  Provincial  Courts. 

«  La  Suprême  Court  observera  strictement  la  loi 
anglaise  (strict  law)\  les  Provincial  Courts  observe- 
ront la  loi  anglaise  modifiée  par  les  lois  de  coutume 
indigène.  L'administration  de  la  justice  par  les  rési- 
dents est  souvent  intimement  liée  à  leurs  fonctions 
politiques  et  administratives,  et  les  cas  qu'ils  jugent 
{cause  lists)  sont  soumis  par  conséquent  aux  chefs  de 
l'exécutif,  le  High  Commissioner  assisté  de  son  con- 
seiller légal. 

<c  Je  suis  convaincu  que  ce  système  donne  de  meil- 
leurs résultats  que  ceux  que  l'on  obtiendrait  en  subor- 
donnant davantage  les  Provincial  Courts  à  la  Suprême 
Court,  tandis  qu'il  permet  au  High  Commissioner  de 
rester  en  contact  plus  intime  avec  les  fonctionnaires 
locaux.  » 

11  est  très  important  de  noter  que  le  système  ainsi 
adopté  par  le  fondateur  de  la  Nigeria  a  pour  consé- 
quence de  transformer,  en  pur  droit,  cette  possession 
de  l'Angleterre  en  colonie  de  la  Couronne,  bien  que  le 
titre  de  Protectorat  lui  soit  conservé,  et  qu'administra- 
tivement  elle  soit  traitée  comme  telle. 

La  délégation  du  pouvoir  royal  immédiat  et  direct 
est  constituée  dans  les  Crown  Colonies  par  l'existence 
de  la  Suprême  Court.  Dans  toutes  les  autres  posses- 
sions anglaises  de  l'Afrique  occidentale,  nous  avons  vu 
observer  avec  soin  cette  distinction  entre  la  partie  dé- 
pendant de  la  Couronne  et  celle  que  les  traités  avec  les 
chefs  du  pays  ont  simplement  établie  en  Protectorat. 


446  LA.    NORTHERN    NIGERIA 

Le  système  institué  par  Sir  F.  Lugard  laisse  entière- 
ment à  la  discrétion  de  Taulorité  anglaise  Tadministra- 
lion  de  la  justice,  et,  de  ce  fait,  le  pouvoir  absolu ,  sans 
réserves,  au  profit  des  chefs. 

A  la  manière  dont  elle  a  été  rendue  dans  la  Northern 
Nigeria,  l'ordonnance  sur  la  Suprême  Court  est  la  loi 
fondamentale  en  matière  administrative  aussi  bien  que 
judiciaire,  tout  fonctionnaire  placé  à  la  tête  d'une  cir- 
conscription territoriale  ayant  principalement  un  carac- 
tère judiciaire. 

En  principe,  il  semble  bien  que  la  juridiction  de  la 
Suprême  Court  a  été  établie  uniquement  pour  repré- 
senter la  justice  royale.  L'ordonnance  porte,  en  effet, 
que  sa  juridiction  s'étendra  : 

a  Sur  les  districts  qui  ont  été  déclarés  cantonnements  ; 

«  Sur  toutes  les  causes  dans  lesquelles  un  non-indi- 
gène ou  un  indigène  au  service  du  gouvernement  sera 
partie  ; 

«  Sur  tout  acte  criminel  commis  par  ou  sur  un  homme 
indigène  ou  non-indigène  au  service  du  gouvernement; 

«  Sur  toute  offense  civile  commise  par  une  personne 
soumise  à  la  loi  militaire.  » 

Mais  elle  ajoute  que  le  Haut  Commissaire  pourra  : 

«  Déterminer  les  parties  du  Protectorat  sur  lesquelles 
s'étendra  la  juridiction  de  la  Suprême  Court; 

«  Diviser  le  Protectorat  en  districts  en  vue  de  cette 
juridiction; 

«  Étendre  la  juridiction  de  la  Suprême  Court  au  delà 
des  limites  déterminées  ; 

«  Renvoyer  devant  la  Suprême  Court  toute  cause 
spéciale  qui  serait  en  dehors  de  sa  juridiction  ou  de  sa 
compétence.  » 


l'organisation  administrative  et  judiciaire        447 

De  leur  côté,  les  commîssîoners  de  la  Suprême 
Court  (en  l'espèce  les  résidents)  peuvent  renvoyer,  de 
leur  propre  initiative,  ou,  à  la  suite  de  la  demande  des 
parties,  demander  au  Chief  Justice  de  renvoyer  devant 
la  Suprême  Court  toute  cause  en  instance  devant  eux; 
et  surtout  une  Provincial  Court  peut,  avec  l'approba- 
tion du  Haut  Commissaire,  renvoyer  une  cause  de  sa 
compétence  devant  cette  Suprême  Court. 

La  Suprême  Court  aura  le  droit  d'appliquer  la  loi  et 
les  coutumes  indigènes  lorsqu'elles  n'auront  rien  d'in- 
compatible avec  la  justice  naturelle  et  les  proclamations 
en  vigueur  dans  le  Protectorat.  Cette  loi  et  ces  cou- 
tumes seront  applicables  dans  toutes  les  causes  où  les 
parties  seront  des  indigènes,  notamment  dans  les  ques- 
tions de  mariage,  de  relations  domestiques  et  de  pro- 
priétés foncières.  Elles  seront  invoquées  aussi  dans 
toutes  les  causes  entre  indigènes  et  non-indigènes, 
lorsqu'il  apparaîtra  à  la  cour  qu'une  injustice  serait 
faite  à  une  des  parties  si  la  loi  anglaise  était  stricte- 
ment appliquée.  Aucune  partie  n'aura  le  droit  de  récla- 
mer le  bénéfice  de  l'application  d'une  loi  ou  d'une  cou- 
tume locale  s'il  est  démontré  que,  par  contrat  ou  autre- 
ment, elle  s'est  engagée  à  observer  la  loi  anglaise.  Dans 
les  cas  où  il  n'y  a  pas  de  loi  spéciale  pour  le  règlement 
de  la  controverse,  la  cour  jugera  d'après  les  principes 
de  la  justice,  de  l'équité  et  de  la  bonne  conscience. 

En  somme,  ce  n'est  plus  que  par  une  fiction  que  l'on 
intitule  la  Northern  Nigeria  «  Protectorate  ». 

Le  domaine  éminent  du  sol  et  la  juridiction  sur  les 
personnes  et  leurs  biens  revenant  au  Roi,  le  High  Com- 
missioner  est  en  réalité  le  délégué  du  Roi  dans  une 
colonie  de  la  Couronne. 


448  LA   NORTHERN    NIGERIA 

Ce  caractère  n'est  qu'atténué  d.e  ce  fait  que  la  compé- 
tence judiciaire  immédiate  reste  aux  chefs  indigènes, 
puisque  cette  compétence  peut  leur  échapper  pour  être 
transmise,  au  même  juge  anglais. 

La  Suprême  Court  possède,  indépendamment  de  la 
juridiction  qui  lui  est  conférée  par  l'ordonnance  cons- 
titutive, toute  autre  juridiction  que  peut  exercer  la 
Haute  Cour  de  justice  d'Angleterre,  à  l'exception  de 
celle  conférée  à  la  Haute  Cour  de  l'Amirauté. 

En  tout  ce  qui  ne  sera  pas  contraire  aux  lois  promul- 
guées dans  le  territoire,  la  loi  anglaise  {tlie  common 
laWy  the  doctrines  ofequity  and  the  statutes  of  gênerai 
application)  sera  en  vigueur  dans  le  Protectorat. 

Dans  toute  cause  civile  qui  sera  jugée  parla  Suprême 
Court,  la  loi  et  l'équité  [law  and  equity)  seront  prati- 
quées concurremment.  Dans  toutes  les  matières  où  il 
y  aura  conflit,  les  règles  de  l'équité  prévaudront. 

La  Suprême  Court  n'aura  pas  le  droit  de  faire  exé- 
cuter par  l'indigène  une  obligation  contractée  par  lui 
envers  un  non-indigène  en  exécution  d'une  transaction 
commerciale  basée  sur  le  crédit.  Le  Haut  Commissaire 
pourra  cependant  excepter  de  cette  règle  telle  catégo- 
rie de  transactions  qu'il  estimera  bonne. 

A  la  suite  de  l'ordonnance  sur  la  Suprême  Court,  un 
code  de  la  procédure  à  suivre  devant  elle  a  été  publié. 

En  vertu  de  «  The  Cantonnement  Courts  Proclama- 
tion »,  une  juridiction  spéciale  fut  établie  pour  cer- 
tains points  occupés  par  l'administration,  comme  Lo- 
kodja  et  Egga,  dans  laquelle  la  justice  anglaise  est 
seule  en  vigueur.  Cette  juridiction  est  entre  les  mains 
d'un  fonctionnaire  dénommé  Cantonnement  Magistrate, 


l'organisation  administrative  et  judiciaire        449 

qui  est  un  Commissioner  de  la  Suprême  Court,  et  qui 
par  conséquent  a  les  pouvoirs  d'un  juge  de  la  Suprême 
Court. 

Sa  compétence  s'étend  sur  toute  affaii^e  personnelle 
où  l'objet  du  litige  ne  dépasse  pas  5  livres  sterling, 
toute  question  foncière  dans  laquelle  la  valeur  de  la 
rente  de  Timmeuble  objet  du  litige  ne  dépasse  pas  5 
livres.  En  matière  criminelle  il  juge  toutes  les  contra- 
ventions au  règlement  des  cantonnements  et  tous  les 
délits  qui  ne  doivent  pas  entraîner  un  emprisonnement 
de  plus  de  30  jours  avec  ou  sans  amende  ne  dépassant 
pas  5  livres,  ou  une  flagellation  de  5  coups. 

Le  Cantonnement  Magistrate  a  le  droit  de  renvoyer 
toute  affaire  entre  indigènes  devant  une  Native  Court. 

Les  pouvoirs  judiciaires  des  résidents  sont  fixés  par 
The  Provincial  Courts  Proclamation  1902,  dont  les  prin- 
cipales dispositions  sont  les  suivantes.  Il  sera  établi 
dans  chaque  province  créée  par  le  gouvernement  un 
tribunal  qui  sera  appelé  la  Provincial  Court. 

Ce  tribunal  sera  formé  par  : 

1**  Le  résident  ou  l'assistant  résident  de  la  province  ; 

2**  Tout  autre  résident  ou  assistant  résident  nommé 
dans  la  même  province  et  qui  n'en  aura  pas  la  charge  ; 

3*^  Toute  personne  nommée  juge  de  paix  de  la  pro- 
vince par  le  Haut  Commissaire. 

Chacune  de  ces  personnes  qui  agira  comme  Com- 
missioner de  la  Provincial  Court  aura  la  compétence 
attribuée  à  ce  tribunal. 

Les  lois  en  usage  en  Angleterre  {the  common  Imv 
the  doctrines  of  equity  and  the  statutes  of  gênerai  ap- 
plication) seront  applicables  par  ce  tribunal,  mais  les 

29 


450  LA    NORTHERN    NIGERIA. 

lois  indigènes  seront  applicables  dans  les  mêmes  con- 
ditions que  devant  la  Suprême  Court.  Pour  établir  ces 
lois  ou  ces  coutumes,  le  tribunal  pourra  se  servir  de 
tout  livre  ou  manuscrit  reconnu  par  les  indigènes 
comme  une  autorité  légale,  ou  prendre  Tavis  de  toute 
personne  qu'il  estimera  compétente  en  la  matière. 

La  compétence  des  tribunaux  de  province  s'étend 
dans  leur  district,  en  matière  civile,  à  toute  affaire  per- 
sonnelle dans  laquelle  la  valeur  du  litige  ne  dépasse 
pas  10  livres  sterling,  et  toute  question  foncière  dans 
laquelle  la  valeur  de  la  vente  de  Timmeuble  objet  du 
litige  ne  dépasse  pas  10  livres;  en  matière  criminelle, 
ils  jugent  tous  les  délits  qui  n'entraînent  pas  l'em- 
prisonnement de  plus  de  30  jours  avec  ou  sans 
amende  ne  dépassant  pas  5  livres,  ou  une  flagellation 
de  6  coups,  et  ont  la  charge  des  biens  ou  des  enfants 
abandonnés. 

Ces  tribunaux  peuvent,  avec  l'approbation  du  Haut 
Commissaire,  renvoyer  devant  la  Suprême  Court  toute 
action  intentée  devant  lui,  et  les  résidents  peuvent 
appeler  devant  le  tribunal  de  leur  province  toute  affaire 
adressée  par  un  Commissioher  de  ce  tribunal  ou  par 
une  Native  Court  de  la  province. 

Les  condamnations  à  mort,  la  déportation,  un  empri- 
sonnement pour  plus  de  6  mois,  une  punition  corpo- 
relle dépassant  12  coups,  ne  pourra  être  exécutée 
qu'avec  l'approbation  du  Haut  Commissaire,  sauf  dans 
le  cas  de  rébellion  ou  d'extrême  urgence,  auquel  cas 
des  explications  détaillées  doivent  être  fournies  au 
Haut  Commissaire. 

Aucun  jugement  ne  pourra  être  rendu  conférant  la 
propriété  d'un  terrain  ayant  une  superficie  de  plus  de 


l'organisation  administrative  et  judiciaire        451 

19  acres,  sans  avoir  été  confirmé  par  le  Haut  Commis- 
saire. 

Le  High  Commissioner  a  le  droit  de  confirmer  ou 
de  modifier  tous  les  jugements,  de  les  casser  ou  de 
refaire  juger  une  cause  à  nouveau  devant  le  même 
tribunal  ou  devant  un  autre. 

En  matière  civile,  il  peut  être  fait  appel  des  juge- 
ments des  tribunaux  de  province  devant  la  Suprême 
Court. 

La  compétence  attribuée  à  un  tribunal  de  province 
ne  peut  en.  aucune  manière  affecter  celle  de  la  Suprême 
Court;  mais  celle-ci  a,  en  toute  matière  civile  et  crimi- 
nelle, une  compétence  concurrente  avec  celle  des  Pro- 
vincial Courts.  Aucun  jugement  d'une  Provincial  Court 
ne  pourra  être  attaqué  en  nullité  comme  incompétence 
territoriale. 

Comme  il  est  de  règle  pour  la  Suprême  Court,  les 
tribunaux  de  province  ne  pourront  juger  les  cas  entre 
indigènes  et  non-indigènes  où  il  y  aura  des  questions 
de  crédit  commercial  en  jeu. 

Les  magistrats  des  Provincial  Courts  devront  faire 
tout  leur  possible  pour  amener  les  parties  en  conci- 
liation. 

Une  procédure  spéciale  devant  les  tribunaux  de  pro- 
vince a  été  fixée  par  l'ordonnance  qui  les  a  établis. 

Le  Haut  Commissaire  pourra  nommer,  avec  l'appro- 
bation du  Secrétaire  d'Etat,  une  personne  qu'il  jugera 
apte  à  remplir  les  fonctions  de  résident  et  d'assistant 
résident  dans  les  provinces  du  Protectorat.  En  cas 
d'absence  ou  de  maladie  et  pour  d'autres  causes,  les 
résidents  pourront  nommer  pour  les  remplacer  un 
assistant  résident,  qui  agira  avec  ses  pleins  pouvoirs 


4^2  LA    NORTHBRN    NIGERIA 

en  attendant  la  sanction  du  Haut  Commissaire.  Tout  rési- 
dent agira  dans  sa  province  comme  Goroner;  il  pourra 
nommer  pour  agir  à  sa  place  un  Deputy  Goroner. 

Il  est  du  devoir  du  résident  de  prendre  toutes  les 
mesures  nécessaires  pour  le  maintien,  du  bon  ordre 
dans  sa  province,  et  de  prendra  les  mesures  adminis^ 
tratives  et  diplomatiques  qu'il  conviendra  d'après  les 
circonstances  et  suivant  les  instructions  qu'il  recevra 
verbalement,  ou  par  écrit,  du  Haut  CommissiAire. 
Dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  le  résident  aura  le 
droit  de  faire  appel  pour  l'assister  à  toute  personne, 
même  aux  troupes  du  Protectorat. 

Dans  l'exercice  de  ce  droit,  il  ne  devra  pas  intervenir 
dans  la  discipline  et  la  direction  intérieure  de  la  troupe, 
non  plus  que  dans  la  conduite  des  opérations  militaires. 

Dans  le  cas  d'une  insurrection  armée  ou  d'une 
révolte  générale  de  la  province  rendant  nécessaire  Tu- 
sage  des  troupes,  le  résident  devra  déterminer  l'objet 
pour  lequel  les  troupes  devront  être  employées,  et 
dans  quelle  mesure;  mais  il  devra  en  discuter  autant 
que  possible  avec  l'officier  commandant  et  pourra 
encourir  des  responsabilités  spéciales, 

Dans  toute  ville  indigène  que  choisira  le  résident  de 
la  province  avec  le  consentement  de  l'émir  ou  chef  prin- 
cipal du  territoire  dans  lequel  sera  située  cette  ville, 
ou,  s'il  n'y  a  pas  d'émir  ou  chef  principal,  suivant  la 
volonté  du  résident,  celui*ci  pourra  établir  un  tribunal 
indigène  [Native  Court). 

Ce  tribunal  sera  formé  par  une  ou  plusieurs  per- 
sonnes qui  seront  nommées  avec  l'approbation  du 
résident  par  l'émir  ou  chef  principal,  ou  à  défaut  par 
le  résident  lui-même. 


l'organisation    ADMINISTnATIVK    BT    JUDICIAIRE  453 

Le  High  Commissioner  désignera  dans  la  Gazette  les 
personnes  qui  auront  qualité  pour  agir  à  ce  point  de 
vue  comme  émir  ou  chef  principal. 

»  Le  résident  ou  l'assistant  résident  auront  en  tout 
temps  accès  dans  le  tribunal  et,  sur  la  demande  du 
demandeur  ou  du  défendeur  ou  de  toute  personne  con- 
damnée, ou  de  son  propre  mouvement^  pourront  faire 
recommencer  l'audience  de  la  cause  devant  le  môme 
tribunal,  ou  la  renvoyer  devant  un  autre,  ou  suspendre 
ou  modifier  de  toutes  façons  tout  jugement  ou  déci* 
sion  rendu  par  une  Native  Court. 

Les  Native  Courts  ne  pourront  juger  que  les  causes 
dans  lesquelles  il  n'y  aura  que  des  indigènes  intéressés. 

Les  Native  Courts  n'auront  aucune  compétence  dans 
les  cas  dans  lesquels  seront  en  cause  la  Couronne  ou 
un  non  «indigène,  ainsi  que  des  employés  indigènes 
du  gouvernement  (sauf,  dans  ce  dernier  cas,  l'appro- 
bation du  résident). 

Elles  seront  également  incompétentes  dans  les  can- 
tonnements. La  limite  territoriale  de  leur  juridiction 
sera  fixée  par  le  résident  avec  le  consentement  du  High 
Commissioner. 

La  loi  ou  coutume  indigène  prévalant  dans  le  territoire 
de  la  Native  Court  sera  appliquée  par  elle  dans  tout  ce 
qu'elle  n'aura  pas  de  contraire  à  la  justice  ou  à  l'hu- 
manité, comme  le  seraient  les  tortures,  les  mutilations 
ou  des  punitions  faisant  souffrir  gravement  le  corps. 

Toute  taxe  ou  amende  perçue  régulièrement  par  une 
Native  Court  d'après  le  taux  fixé  par  le  High  Commis^ 
sioner  seront  laissées  à  sa  disposition  et  partagées  sui- 
vant la  proportion  indiquée  par  le  résident  entre  ses 
membres  et  le  scribe  qui  sera  attaché  à  chaque  tribu- 


454  LÀ   NORtHBRN    NIGERIA 

nal  et  qui  conservera  des  minutes  en  haussa  ou  en  arabe 
de  tous  les  cas  jugés. 

Le  résident  adressera  quatre  fois  par  an  au  Haut 
Commissaire  un  rapport  sur  les  cas  particulièrement 
A     intéressants  ainsi    que    la  liste    des    punitions    infli- 
gées. 

Les  Native  Courts  mettront  à  exécution  tous  les 
décrets  ou  ordres  qui  pourront  être  rendus  par  la  Su- 
prême ou  la  Provincial  Court,  et  généralement  leur 
prêteront  toute  l'assistance  demandée.  Elles  saisiront 
et  enverront  au  tribunal  de  province,  le  plus  tôt  qu'il 
leur  sera  possible,  toute  personne  qui,  dans  leur  cir- 
conscription, aura  commis  une  offense  qui  ne  sera  pas 
de  leur  compétence. 

Aucun  conseil,  avocat  ou  avoué,  ne  pourra  assister 
au  civil  et  au  criminel  une  partie  en  cause  devant  une 
Native  Court  sans  Tassentiment  écrit  du  résident. 

Un  code  pénal  très  détaillé  a  été  promulgué*  par  Sir 
F.  Lugard  pour  être  appliqué  par  les  différents  tri- 
bunaux du  Protectorat;  les  différentes  pénalités  sont 
les  suivantes  :  mort  (pendaison),  bastonnade  {flogging)^ 
amendes,  emprisonnement,  fouet  {ivhipping),  dommages- 
intérêts,  remise  de  caution  en  garantie  du  bon  ordre, 
déportation. 

La  situation  des  personnes  a  été  réglée  dans  le  Pro- 
tectorat par  divers  textes. 

Toute  personne  qui  n'est  pas  née  dans  le  Protectorat, 
à  l'exception  de  celles  qui  sont  au  service  du  gouver- 
nement, ainsi  que  toute  compagnie  faisant  des  affaires 
dans  le  pays,  doit  faire  inscrire  son  nom  ainsi  que  ses 

1.  The  criminal  Code  Proclamation  i90k  (30  septembre  1904). 


L*ORGANISATION    ADMINISTRATIVE    ET    JUDICIAIRE  455 

différentes  qualifications  sur  un  registre  tenu  par  un 
fonctionnaire  spécial*. 

Des  dispositions  spéciales  sont  prises  pour  assurer 
la  publicité  de  la  mort  des  non-natifs*. 

L'institution  de  l'esclavage  a  été  réglée  par  les  dis- 
positions suivantes'  : 

L'existence  légale  [légal  status)  de  l'esclavage  est 
supprimée  dans  le  Protectorat. 

Tous  les  enfants  nés  depuis  le  31  mars  1902  sont 
libres.  Le  commerce  des  esclaves  est  interdit. 

Tout  non-natif  du  Protectorat,  ou  esclave  libéré,  qui 
sera  convaincu  d'être  en  possession  d'esclaves,  ou 
d'avoir  prêté  son  concours  à  un  maître  pour  l'aider  à 
rentrer  en  possession  d'un  esclave  fugitif,  sera  punis- 
sable des  mêmes  pénalités  que  s'il  était  un  sujet 
anglais.  Toute  transaction  faite  au  sujet  d'esclaves  qui 
serait  illégale  pour  un  sujet  anglais  l'est  aussi  pour 
tout  non-natif  du  Protectorat  ou  esclave  libéré.  Toute 
personne  convaincue  d'avoir  participé  à  des  opérations 
concernant  le  commerce  des  esclaves  est  punissable 
d'un  emprisonnement  qui  peut  atteindre  sept  ans  de 
prison  avec  ou  sans  travail  forcé,  ou  à  une  amende 
complémentaire  ou  équivalente.  Toute  personne  intro- 
duite dans  la  Nigeria  du  Nord  pour  y  être  traitée 
comme  esclave  deviendra  libre  de  ce  fait.  Tout  contrat 
passé  avant  la  proclamation,  et  qui  aura  pour  but  de 
placer  temporairement  ou  définitivement  une  per- 
sonne à   l'état  d'esclavage  en   garantie   de   dette   ou 

î.  The  Sonnatives  and  Re gis tration Proclamation  1903  (24  mai). 

2.  The  Notification  and  Registralion  of  deaths  Proclamation  1901 
(4  juin). 

3.  The  Slavery  Proclamation  190^  (30  septembre). 


456  LA   NORTHERN    NIGERIA 

autrement,  devient  nulle,  et  à  Tavenir  les  contrats  ana- 
logues  seront  illégaux. 

Il  ne  sera  du  par  le  gouvernement  aucune  compensa- 
tion pour  le  dommage  causé  parla  libération  des  esclaves. 

Les  contrats  de  travail  libre  sont  également  l'objet 
d'une  disposition  législative*. 

Le  recrutement  pour  le  compte  d'un  Etat  étranger 
n^est  autorisé  qu'avec  une  licence  spéciale  du  High 
Commissioner. 

Les  personnes  <{ui  désirent  faire  des  engagements 
pour  l'étranger  ou  pour  une  partie  éloignée  du  Protec- 
torat doivent  obtenir  l'autorisation  du  résident.  L'exis- 
tence des  personnes  qui  sont  à  la  charge  des  engagés 
doit  être  assurée  pendant  leur  absence.  Le  droit  à 
payer  au  gouvernement  est,  par  engagé,  de  5  shillings 
pour  les  engagements  pour  les  régions  éloignées  du 
Protectorat,  et,  pour  l'étranger,  de  1  livre  si  rengage- 
ment ne  doit  pas  dépasser  6  mois,  1  livre  10  shillings 
entre  6  mois  et  1  an,  et  2  livres  au-dessus.  Les  recru- 
teurs doivent  s'engager  à  assurer  le  payement  des 
salaires  des  engagés,  ainsi  que  leur  rapatriement  à 
l'expiration  de  leur  contrat,  et  déposer  caution. 

Toute  tentative  faite  pour  louer  les  services  d'une 
personne  dans  une  région  distante  de  plus  de  100  mil- 
les du  lieu  de  sa  résidence  autrement  que  par  un  con- 
trat régulier,  est  punissable  d'un  emprisonnement  d'un 
an  et  d'une  amende  de  50  livres. 

Les  contrats  de  louage  de  service  autres  que  ceux 
d'apprentissage  ne  devront  pas  être  faits  pour  une 
durée  dépassant  18  mois. 

1.  The  M  aster  and  Servant  Proclamation  1902  (23  septembre),  Proda- 
malion  n«  5  de  1903  et  nM9  de  1904  incorporée. 


l'organisation  administrative  et  judiciaire        457 

S'il  n'est  point  fixé  de  durée  déterminée,  le  contrat 
pourra  être  rompu  sans  avis  préalable  par  chacune  des 
parties  s'il  est  exécuté  dans  le  Protectorat;  dans  le  cas 
contraire,  un  avertissement  préalable  devra  être  donné 
au  moment  du  dernier  payement. 

Si  le  contrat  expire  pendant  la  durée  d'un  voyage,  il 
devra  être  prolongé  jusqu'à  la  fin  de  ce  voyage,  et  l'en- 
gagé recevra  un  salaire  plus  élevé  d'un  quart. 
'    Les  salaires  doivent  être  payés  en  argent,  sauf  con- 
vention contraire. 

Toute  tentative  de  débauchage  est  punie  d'une 
amende  de  10  livres  ou  d'un  mois  de  prison. 

Les  parents  responsables  d'un  enfant  de  9  à  16  ans, 
ou,  à  leur  défaut,  le  résident,  ont  le  droit  de  le  placer 
en  apprentissage  pour  une  période  qui  ne  durera  pas 
5  ans.  Après  Tâge  de  16  ans,  le  contrat  pourra  être 
passé  par  l'enfant  lui-même. 

Toute  tentative  pour  rompre  ou  faire  rompre  le 
contrat  avant  son  expiration  sera  punie  d'un  empri- 
sonnement de  12  mois  ou  d'une  amende  de  100  li- 
vres. 

Toute  contestation  relative  à  la  manière  dont  le  con- 
trat est  observé  ou  rempli  doit  être  soumise  aux  tri- 
bunaux. Ceux-ci  pourront  condamner,  à  l'exclusion  de 
toute  autre  peine,  les  enfants  qui  auront  moins  de 
16  ans  à  une  bastonnade  faite  avec  une  verge  légère 
et  qui  ne  dépassera  pas  12  coups,  ou  à  un  emprisonne- 
nement  d'un  jour.  Lorsque  la  faute  sera  grave,  l'em- 
ployeur ou  l'employé  incriminé  pourra  être  puni  d'un 
emprisonnement  ne  dépassant  pas  3  mois  ou  d'une 
amende  de  20  livres.  Les  amendes  imposées  pourront 
être   payées  entre   les  mains  du  plaignant  à  titre  de 


■fcT  — 


458  LA    NORTHERN    NIGERIA 

dommages-intérêts.  Pendant  la  durée  des  emprisonne- 
ments, le  payement  des  salaires  est  interrompu. 

Le  High  Commissioner  a  le  droit  d'apporter  toute 
dérogation  qui  sera  convenable  à  ces  dispositions. 

La  législation  foncière  instituée  par  Sir  F.  Lugard 
est  fort  simple  dans  le  principe,  mais  elle  devait  entraî- 
ner des  conséquences  fort  graves. 

11  considéra  que  TAngleterre  devenait  le  pouvoir 
souverain  du  pays  et  devait  en  avoir  toutes  les  attribu- 
tions. De  même  qu'il  lui  avait  reconhu  le  droit  de  ren- 
dre la  justice  sur  tous,  de  même  un  de  ses  premiers 
actes*  fut  de  décider  que  le  High  Commissioner  pour- 
rait déclarer  terre  publique  toute  terre  qui  serait  inoc- 
cupée, sur  laquelle  il  ne  pourrait  être  fait  valoir  au- 
cun titre  ou  qui  aurait  appartenu  à  un  chef  conquis  ou 
déposé.  Ces  terres  seraient  administrées  de  la  même 
manière  que  si  elles  étaient  terres  de  la  Couronne,  et 
leur  revenu  fera  partie  du  revenu  général  du  Protectorat. 

En  1897-1898,  la  Niger  Co.,  sentant  que  sa  charte 
allait  lui  être  retirée,  avait  passé,  avec  les  chefs  des 
villages  des  bords  du  Niger,  toute  une  série  de  conven- 
tions en  vertu  desquelles  ceux-ci  lui  cédaient  la  pro- 
priété entière  de  leurs  terres.  Après  le  rachat,  on  s'é- 
mut beaucoup  en  Angleterre  de  ce  que  la  Compagnie 
avait  ainsi  en  propriété  privée  la  possession  de  la  plus 
grande  partie  des  rives  du  fleuve.  Un  arrangement 
intervint  entre  le  gouvernement  et  la  Compagnie,  le  28 
août  1900,  en  vertu  duquel  la  propriété  de  ces  terres 
était  transférée  au  High  Commissioner  et  à  ses  succes- 

1.  The  Land  Proclamation,  n*  1,  janvier  1900. 


l'organisation  administrative  et  judiciaire       459 

seurs,  qui  en  prenaient  possession  au  nom  de  la  Cou- 
ronne, suivant  la  formule  d*après  laquelle  les  terres  des 
colonies  anglaises  deviennent  propriété  publique.  Une 
proclamation*  du  12  août  1902  vint  régler  la  manière 
dont  ces  terres  ainsi  que  toute  autre  partie  du  domaine 
public  dans  le  Protectorat  pourraient  être  concédées  aux 
particuliers. 

Les  concessions  ont  la  forme  de  baux  passés  entre  le 
High  Commissioner  et  les  concessionnaires.  Ceux-ci 
s'engagent  à  maintenir  en  bon  état  les  constructions 
qu'ils  feront  sur  les  terrains  concédés  et  à  les  assurer 
contre  les  incendies.  Le  payement  d'une  rente  annuelle 
est  imposé.  Les  contrats  ont  une  durée  de  21  ans,  et  les 
concessionnaires  ne  peuvent  les  résilier  qu'au  bout  de 
la  septième  ou  de  la  quatorzième  année.  Ils  sont  renou- 
velables à  période  de  21  ans,  mais  le  prix  de  location 
peut  changer. 

D'après  le  système  établi  par  Sir  F.  Lugard,  le  gou- 
vernement ne  devait  pas  intervenir  dans  les  transac- 
tions immobilières  passées  par  les  indigènes  les  uns 
avec  les  autres.  Mais  ceci  devait  être  modifié  par  son 

successeur. 

» 

Et,, par  rapport  aux  étrangers,  le  système  établi  est 
tout  entier  contenu  dans  ces  dispositions  :  «  Aucune 
personne  autre  qu'un  indigène  ne  pourra  acquérir, 
directement  ou  indirectement,  d'un  indigène,  un  inté- 
rêt ou  un  droit  sur  une  terre  de  la  Northern  Nigeria, 
sans  avoir  obtenu  au  préalable  l'autorisation  du  High 
Commissioner,  qui  sera  soumise  à  telle  commission 
que  celui-ci  le  jugera  bon.  » 

1.  The  Crown  Proclamation  1902,  n*  16, 17  août. 


460  LA    KOnTHERN    NIGERIA 

Au  point  de  vue  minier,  Sir  F.  Lugard  a  considéré 
que  le  gouvernement  anglais,  à  l'exclusion  des  indi- 
gènes, avait  le  droit  d'accorder  les  concessions  néces- 
saires aux  recherches  et  aux  prospections,  sous  réserve, 
bien  entendu,  qu'il  ne  pouvait  être  pris  possession  de 
propriétés  privées  sans  l'assentiment  des  indigènes. 

Par  «  Minerais  proclamation  1902  »  (15  mars,  n"*  5),  il 
décida  qu'il  ne  pourrait  être  entretenu  de  prospections 
dans  le  Protectorat  sans  une  licence  accordée  dans  une 
forme  déterminée  par  le  High  Commissioner,  qui  pou- 
vait la  refuser  sans  être  obligé  de  donner  d'explica- 
tions* 

Les  licences  entraînant  un  droit  exclusif  de  prospec- 
tion ne  seront  valables  que  pour  une  superficie  de  3.000 
milles  carrés;  les  licences  pour  la  recherche  de  miné- 
raux différents  pourront  être  accordées  sur  un  même 
terrain.  Les  contestations  qui  pourraient  naître  entre 
les  détenteurs  de  licences  seront  jugées  par  le  High 
Commissioner,  qui  pourra  à  sa  discrétion  les  renvoyer 
devant  la  Suprême  Court. 

Les  permis  d'exploitation  de  mines  ne  pourront  être 
accordés  pour  une  superficie  dépassant  5  milles  carrés 
et  pour  plus  de  90  ans.  Personne  ne  pourra  avoir  con- 
jointement avec  d'autres  le  droit  d'exploiter  plus  de 
20  milles  carrés. 

Il  sera  dû  une  rente  annuelle  de  5  shillings  par  acre 
exploité,  et  un  droit  de  5  p<  100  du  capital  engagé 
sur  les  bénéfices.  Toute  une  série  de  dispositions  sont 
prises  par  la  proclamation  pour  assurer  le  payement  de 
cette  part  des  bénéfices. 

Les  dispositions  de  la  proclamation  ne  s'appliquent 
point  à  l'exploitation  des  carrières  pour  en  extraire  les 


L*ORGANISÂTION   ADMINISTRATIVE    BT    JUDICIAIRE  461 

matériaux  de  construction,  ni  aux  indigènes,  en  ce  qui 
concerne  l'exploitation  du  fer,  du  sel,  de  la  soude  ou  de 
la  potasse. 

La  prise  de  possession,  par  Sir  F.  Lugard,  du  do- 
maine éminent  du  sol  conduisit  son  successeur,  Sir 
Percy  Girouard,  à  penser  qu'il  était  nécessaire  d'en 
régler  l'application  plus  complètement  que  ne  l'avait 
fait  le  fondateur  de  la  Northern  Nigeria.  Cette  propriété 
ne  se  manifeste  pas  en  effet  dans  les  pays  de  l'Afrique 
occidentale  et  centrale  par  la  simple  fiction  qui  autorise 
l'État  à  reprendre,  moyennant  indemnité,  les  terres 
qui  sont  nécessaires  aux  services  publics  :  elle  est  en- 
tière en  ce  sens  que  la  propriété  privée  divise  n'existe 
pas  au  bénéfice  des  particuliers  et  n'est  représentée 
que  par  un  droit  de  détention  autorisé  par  le  pouvoir 
souverain  détenu  par  les  chefs.  Si  donc  le  gouver- 
nement anglais  s'attribuait  le  pouvoir  de  ceux-ci  sur  la 
terre,  cette  détention  devait  dépendre  de  lui,  et  il  devait 
intervenir,  non  seulement,  comme  avait  voulu  le  faire. 
Sir  F.  Lugard,  dans  les  rapports  entre  les  étrangers  et 
les  indigènes  à  son  sujet,  mais  entrb  ceux-ci  mômes. 

Sir  P.  Girouard  pensa  qu'il  ne  pouvait  assumer  la 
responsabilité  d'établir  le  mode  suivant  lequel  ce  droit, 
qu'il  considère  comme  une  obligation,  devait  être 
exercé,  et  il  provoqua  la  nomination  d'une  commission 
présidée  par  Sir  Kenelm  Digby,  qui  examina  la  ques- 
tion en  Angleterre,  et  déposa  devant  le  Parlement  un 
rapports  reconnaissant  l'exactitude  des  principes  que 
nous  venons  d'énoncer,  et  conseilla  qu'une  nouvelle 

1.  Jieport  of  the  Northern  Nigeria  Lands  Commiltee,  P.  p.  Gd.  5012, 
avril  1910.  —  Northern  Nigeria  Lands  Committee  :  minute  of  évidence 
and  appendices^  P.  p.  Gd.  5103,  avril  1910. 


462  LÀ    NORTHERN    NIGERIA 

proclamation  fut  effectuée  pour  déclarer  que  Tensein- 
ble  de  la  terre  de  la  Northern  Nigeria  était  passé  sous 
le  «  Contrôle  et  le  Domaine  »  du  gouvernement  anglais, 
et  que  sa  possession  devait  être  réglée  par  lui  en  con- 
formité avec  les  lois  indigènes. 

Cette  proclamation  fut  prise  en  1910  sous  la  déno- 
mination de  «  The  Natives'  Rights  Proclamation  ».  Elle 
porte  que  Fensemble  des  terres  du  Protectorat,  occu- 
pées ou  inoccupées,  à  l'exception  de  celles  qui  avaient 
été  déclarées  «  Crown  Lands  »,  sont  déclarées  «  Native 
Lands  »  sous  le  contrôle  du  gouverneur,  qui  les  détien- 
dra et  les  administrera  pour  le  bénéfice  des  indigènes 
du  Protectorat,  d'après  la  loi  et  la  coutume  indigènes. 
Le  gouverneur  est  autorisé  à  concéder  des  droits  d'oc- 
cupation aux  indigènes  et  aux  non-indigènes  et  de  de- 
mander une  rente  pour  l'usage  de  la  terre.  Il  peut  tou- 
jours modifier  cette  rente  à  des  intervalles  d'au  moins 
sept  ans,  et  l'occupant  peut  renoncer  à  son  droit  lors- 
.  que  la  rente  est  augmentée,  auquel  cas  il  peut  recevoir 
une  indemnité  correspondant  aux  améliorations  qu'il 
a  apportées  à  la  terre  qu'il  a  reçue.  Le  principe  de  la 
rente  a  été  étendu  aux  terrains  urbains,  auxquels  il  ne 
s'appliquait  pas  précédemment. 

Cette  législation  est  trop  récente  pour  que  l'on  puisse 
juger  dès  maintenant  comment  elle  est  appelée  à  fonc- 
tionner et  dans  quelle  mesure  le  gouvernement  anglais 
entend  l'appliquer.  Nous  dirons  dans  les  conclusions 
de  cet  ouvrage  les  réflexions  qu'elle  nous  suggère. 


CHAPITRE   XXX 

LA  NORTHERN  NIGERIA 


Les  impôts. 

Au  moment  où  l'autorité  anglaise  commença  à  deve- 
nir effective  dans  la  Northern  Nigeria,  le  pouvoir  des 
chefs  fulanis  avait  été  fortement  diminué  par  les  ré- 
voltes intestines  qui  avaient  éclaté  dans  la  plupart  des 
provinces,  et  la  perception  des  impôts  était  devenue  de 
plus  en  plus  difBcile.  L'avènement  du  pouvoir  anglais 
et  la  ruine  de  la  domination  fulani  encouragea  les  pay- 
sans à  se  refuser  à  payer  toute  taxe  à  leurs  chefs  indi- 
gènes. Sir  F.  Lugard  devait  se  préoccuper  de  cet  état 
de  choses,  son  intention  étant  de  maintenir  l'autorité 
indigène  entre  les  mains  des  Fulanis  et  de  conserver 
aux  classes  aristocratiques  leurs  prérogatives.  Il  pensa 
que  la  remise  en  vigueur  de  ce  système  d'impôts  pou- 
vait être  un  excellent  moyen  d'administration  politique, 
en  même  temps  qu'elle  assurerait  à  la  nouvelle  colonie 
une  partie  des  ressources  qui  lui  étaient  nécessaires, 
la  situation  de  la  Northern  Nigeria  dans  l'intérieur  des 
terres  rendant  impossible  toute  perception  douanière 
efficace. 

Sir  F.  Lugard  résolut  donc  de  donner  aux  chefs  les 
moyens  de  prélever  leurs  impôts  comme  par  le  passé, 
en  veillant  seulement  à  ce  qu'aucune  exaction  ne  fiit 
commise,  et  sous  la  condition  qu'il  serait  fait  remise  au 


464  LA    NORTHERN    NIGERIA 

gouvernement  anglais  d'une  partie  des  sommes  ainsi 
perçues.  Partout  où  l'autorité  indigène  aurait  été  com- 
plètement détruite,  les  taxes  seraient  payées  directe- 
ment à  l'administration.  La  matière  fut  réglée  par  h 
proclamation  n^  4  de  1904  (!•' juin)  sur  le  revenu  de  la 
terre  (Land  Revenue).   L'application  du  système  établi 
dans  la  Northern  Nigeria  par  cette  proclamation  doit 
nécessiter  un  personnel  abondant  et  fort  coûteux  ;  mais 
Sir  F.  Lugard  a  considéré  qu'au  début  cette  mesure 
devait  moins  avoir  pour  effet  de  fournir  des  ressources 
abondantes  au  Protectorat  que  de  renforcer  l'autorité 
des  chefs  indigènes,  dont  l'intermédiaire  seul  pouvait 
donner  à  l'administration  anglaise  quelque  eflicacilé. 
L'établissement  et  la  perception  de  cet  impôt  foncier 
aura  pour  principal  effet  de  mettre  les  fonctionnaires 
anglais  en  relation  directe  avec  les  classes  agricoles  et 
les  classes  dirigeantes.  Les  chefs  se  rendront  compte 
de  l'identité  de  leurs  intérêts  avec  ceux  de  l'adminis- 
tration, et  coopéreront  d'une  façon  plus  intime  avec 
elle.  Les  paysans  regarderont  les  fonctionnaires  anglais 
comme  leurs  protecteurs  contre  des  demandes  irrégu- 
lières et  oppressives;  la  sécurité  de  la  vie  et  des  pro- 
priétés, et  la  certitude  que  le  taux  des  impôts  ne  sera 
pas  accru    arbitrairement    sont   des    avantages    assez 
grands  pour  rendre  légère  à  supporter  une  taxe  raison- 
nable. Le  payement  direct  de  la  taxe  par  chaque  village, 
et  par  l'intermédiaire  de  son  chef,  au  chef  du  district, 
aura   pour  effet  pratique,  toujours  dans  l'idée  de  Sir 
F.   Lugard,   d'affranchir  la   plus   grande  partie  de  la 
population  de  l'esclavage  ou  du  servage,  et  de  rempla- 
cer ces   institutions   par   le  sens  des  responsabilités 
individuelles  et  collectives.  11  ne  restera  comme  serfs 


L*IMPÔT  465 

que  ceux  qui  prêteront  allégeance  à  un  chef  résidant 
au  milieu  d'eux. 

Dans  la  perception  de  Timpôt  qu'il  a  ainsi  établi  dans 
la  Nigeria  du  Nord,  Sir  F.  Lugard  s'est  efforcé  de  con- 
server, tout  en  Taméliorant,  le  régime  en  vigueur  dans 
les  Etats  fulanis  avant  Tavènement  de  l'Angleterre. 

Les  principales  taxes  étaient  les  suivantes  : 

1^  Le  Zakka  ou  dime  sur  les  grains,  qui  était  limité 
aux  deux  principales  récoltes  du  pays;  en  théorie,  cet 
impôt  n'était  du  que  par  les  musulmans  et  devait  être 
consacré  à  des  œuvres  charitables  ou  religieuses,  et 
peut-être  aussi  à  des  dépenses  d'État.  En  pratique,  il 
semble  que,  dans  la  plupart  des  provinces,  à  l'exception 
de  celle  de  Sokoto,  il  ait  entièrement  perdu  ce  carac- 
tère et  ait  été  indistinctement  perçu  sur  tous. 

2^  Le  Kurdin  Kasa  ou  taxe  sur  la  terre,  théoriquement 
le  tribut  des  pays  conquis.  Cet  impôt  était  arbitraire- 
ment levé  et  augmenté  à  volonté;  dans  le  Bornu  et  ail- 
leurs, il  avait  une  tendance  à  devenir  un  poU-tax. 

3**  La  Plantation-tax,  levée  sur  toutes  les  récoltes 
autres  que  les  deux  qui  avaient  payé  le  Zakka. 

4®  Le  Jangali  ou  impôt  sur  les  troupeaux,  dont  le  taux 
était  variable  et  dans  quelques  cas  était  établi  par  tête 
de  bétail. 

5**  Le  Sokoto  Gaisua  (ou  somme  variée),  payé  par 
tous  les  autres  émirats  à  Sokoto  et  à  Gando.  Son  ori- 
gine était  probablement  religieuse,  et  il  consistait  en 
une  partie  du  Zakka  ou  du  Kurdin  Kasa;  en  pratique, 
c'était  une  perception  faite  par  l'émir  sur  tous  les  chefs 
qui  lui  étaient  soumis,  et  consistait  surtout  en  chevaux 
et  en  esclaves.  Il  en  retenait  une  part  pour  lui  et  en- 
voyait le  reste  à  Sokoto.  Bien  qu'en  théorie  cette  taxe 

30 


466  LA    NORTHERN    NIGERIA 

I 

ait  été  établie  sur  les  riches  seuls,  elle  devenait  le  pré- 
texte à  exactions  contre  les  paysans.  De  nombreux  émi- 
rats avaient  cessé  de  l'envoyer  ou  l'avaient  fortement 
réduite.  A  Tavènement  de  l'administration  anglaise, 
tous  firent  de  môme.  Sokoto  fut  ainsi  dépourvu  de  ses 
ressources,  aucune  taxe  n'étant  perçue  dans  cette  pro- 
vince musulmane  en  dehors  du  Zakka,  qui  était  consa- 
cré au  culte. 

6**  Le  Kurdin  Sarauta,  ou  taxe  d'avènement,  payé 
par  tout  chef  ou  détenteur  d'un  office  au  moment  de  sa 
nomination;  elle  avait  pour  conséquence  de  faire  don- 
ner les  fonctions  au  plus  riche,  et  d'en  déposséder  les 
détenteurs  pour  créer  des  vacances. 

7**  Le  Gado  ou  impôt  sur  les  décès. 

8^  Le  Haku  Binirun,  perçu  dans  le  Bornu  sur  les  pro- 
priétaires de  maisons,  et  qui  semble  avoir  été  un  impôt 
proportionnel  sur  la  richesse. 

A  côté  de  ces  impôts  principaux  existait  toute  une 
série  d'autres  taxes  sur  les  caravanes,  les  marchés, 
droits  de  justice,  patentes,  etc. 

Les  taxes  étaient  perçues  par  des  fonctionnaires  dont 
les  uns,  nommés  Jakada,  parcouraient  le  pays  au  mo- 
ment de  la  perception  des  taxes,  tandis  que  les  autres, 
nommés  Ajele,  vivaient  dans  la  région.  En  théorie,  ils 
n'avaient  aucun  pouvoir;  en  fait,  ils  dévastaient  et  ter- 
rorisaient le  pays. 

Le  système  établi  par  Sir  F.  Lugard  devait  avoir  pour 
but  de  supprimer  ces  intermédiaires,  de  permettre  au 
chef  de  région  de  recueillir  directement,  des  chefs  des 
villages,  le  montant  de  l'impôt  et  de  le  remettre  à 
l'émir,  qui  payerait  au  gouvernement  la  part  convenue. 
Ce  chef  de  région  est,  en  général,  un  des  anciens  dé- 


l'impôt  467 

lenteurs  de  fiefs,  à  condition  toutefois  qu'il  réside  dans 
le  pays  et  que  son  fief  n'ait  pas  été  partagé  par  les  nou- 
velles divisions  administratives.  Dans  le  cas  contraire, 
c'est  le  chef  de  la  ville  la  plus  importante  et  l'homme 
qui  a  la  plus  grande  influence  locale.  Si  le  détenteur  de 
fiefs  n'accepte  pas  la  situation  de  chef  de  région,  il  rem- 
plit une  fonction  auprès  de  l'émir  à  la  capitale,  ou  il 
devient  un  simple  personnage  dont  les  revenus  vien- 
nent en  partie  de  l'émir  qui  partage  sa  part  du  tribut 
avec  lui,  et  en  partie  de  ses  propriétés  personnelles.  S'il 
devient  chef  de  région,  il  est  autorisé  à  être  titulaire  d'un 
office  à  la  capitale  ;  mais  il  ne  peut  y  résider  que  peu  de 
temps.  De  cette  manière,  les  émirs  ne  seront  point  ten- 
tés, comme  par  le  passé,  de  maintenir  auprès  d'eux  des 
chefs  chargés  de  fonctions  inutiles.  Ceux-ci  devront 
résider  au  milieu  de  leurs  sujets  et  pourront  être  lais- 
sés responsables  de  la  bonne  administration  du  pays. 
Le  premier  devoir  du  gouvernement  anglais  est  donc 
de  limiter  ces  régions,  qui  prennent  le  nom  de  districts, 
et,  avec  l'aide  de  l'émir  et  du  chef,  d'établir  les  difl^é- 
rentes  bases  de  la  perception  de  l'impôt. 

Les  diverses  taxes  agricoles  sont  désormais  suppri- 
mées pour  être  remplacées  par  le  seul  impôt  foncier. 
Le  Sokoto  Gaisua  et  le  Kurdin  Sarauta  sont  cependant 
conservés;  mais  le  premier,  étant  un  signe  de  suzerai- 
neté des  émirs  et  des  chefs,  sera  perçu  par  le  gouver- 
nement anglais  qui  a  succédé  au  pouvoir  du  sultan.  Il 
sera  du  reste  réduit,  et  une  petite  partie  sera  remise  au 
Sokoto  en  reconnaissance  de  sa  situation  de  chef  reli- 
gieux des  musulmans.  Le  montant  de  cet  impôt  sera  du 
restQ  déduit  de  la  part  de  l'impôt  foncier  que  les  chefs 
auront  à  donner  au  gouvernement.  Le  Kurdin  Sarautâ 


1 


468  LA    NORTHERN    NIGERIA. 

sera  très  faible,  et  les  chefs  qui  le  recevront  en  payeront 
la  moitié  au  gouvernement,  en  reconnaissance  de  Tau- 
torité  au  nom  de  laquelle  ils  ont  fait  la  nomination  qui 
a  entraîné  la  perception  de  ce  droit.  Les  diverses  taxes 
payées  par  les  artisans  continueront  à  être  perçues  et 
feront  partie  de  l'impôt  général.  Il  en  sera  probable- 
ment de  même,  dans  Tavenir,  des  droits  sur  les  cara- 
vanes, qui  ne  sont  perçus  actuellement  que  par  le  gou- 
vernement. 

Dans  les  grandes  villes,  une  organisation  spéciale 
sera  en  vigueur;  le  chef  supérieur  aura  une  plus  grande 
initiative;  les  anciennes  taxes  de  marchés,  patentes, 
etc.,  qui  ont  été  abolies  pour  les  campagnes,  seront 
régularisées  et  établies  par  les  soins  de  Témir  et  du 
résident;  il  sera  institué  des  chefs  de  quartiers  qui 
seront  responsables  des  sommes  qu'ils  recueilleront 
par  l'intermédiaire  des  Dillalis  (courtiers),  des  Sirkins 
Hasua  (chefs  de  marché)  et  des  patrons  des  corpora- 
tions. Les  sommes  ainsi  perçues  seront  réparties  entre 
le  gouvernement,  Fémir,  le  chef  des  quartiers  ou 
Maiungwa,  la  quatrième  part  étant  affectée  aux  divers 
besoins  de  la  ville  (assainissement,  etc.). 

Le  système  précédent  s'applique  surtout  aux  États 
musulmans;  les  tribus  fétichistes,  qui  sont  en  grande 
minorité  dans  la  Nigeria  du  Nord,  sont  divisées  en  deux 
catégories  :  d'une  part  celles  qui  obéissent  à  un  chef 
unique  et  qui  sont  dans  un  état  de  civilisation  assez 
avancé,  comme  Argungu  et  Jegga  dans  le  Sokoto,  Gor- 
goram  dans  le  Bornu  occidental,  Bousa  et  Kima  dans  le 
Borgu,  et  quelques-uns  des  centres  Jukom  dans  le  Mari, 
qui  sont  traités  plus  ou  moins  de  la  même  manière  que 
les  Etats  musulmans,  et  d'autre  part  celles  qui  sont  en- 


l'impôt  469 

core  dans  un.  état  de  barbarie  et  qui  payent  au  gouver- 
nement une  taxe  très  faible,  en  manière  de  reconnais- 
sance de  sa  suzeraineté.  Dans  ce  dernier  cas,  l'impôt 
revêt  la  forme  d'une  taxe  de  capitation,  qui  varie  entre 
deux  et  trois  shillings  payés  par  Tintermédiaire  des 
anciens  du  village,  somme  qui,  d'après  Sir  F.  Lugard, 
est  très  légère,  étant  données  les  richesses  agricoles. 
La  politique  du -gouvernement  est  du  reste  de  grouper 
ces  villages  sous  des  chefs  principaux. 

Nous  avons  vu  que  l'application  par  Sir  Percy  Gî- 
rouard  du  système  foncier  organisé  par  Sir  F.  Lugard 
avait  conduit  le  gouvernement  anglais  à  s'attribuer  la 
propriété  du  sol  et  à  assumer  l'octroi  de  sa  possession 
entre  les  indigènes  en  percevant  en  échange  une  taxe. 
La  perception  de  celte  taxe  a  dû  provoquer  une  refonte 
du  système  de  perception  de  l'impôt  foncier  qui  l'en- 
globe en  réalité,  et,  pour  qu'elle  puisse  être  facilement 
effectuée,  on  a  dressé  un  projet  d'établissement  d'une 
sorte  de  cadastre.  Il  semble  que  l'on  veuille  procéder 
d'une  manière  analogue  à  ce  qui  est  pratiqué  aux  Indes, 
mais  au  moment  où  nous  écrivons  ces  lignes  il  n'y  a 
rien  encore  de  bien  défini. 

Indépendamment  de  cet  impôt  général.  Sir  F.  Lugard 
établit  dans  la  Northern  Nigeria  une  taxe  sur  les  cara- 
vanes qui,  nonobstant  les  grands  inconvénients  qu'elle 
présentait  au  point  de  vue  de  la  libre  circulation  des 
marchandises,  offrait  l'avantage  d'être  facile  à  percevoir. 

Cet  impôt  sur  les  caravanes  a  rapporté,  pendant  l'an- 
née financière  1904-1905,  34.473  livres,  mais  il  fut  sup- 
primé en  1906,  comme  apportant  au  commerce  une 
trop  grande  gène. 


470  LA    NORTHERN    NIGERIA 

•  Une  taxe  sur  les  débits  bu  les  fabriques  de  liqueurs 
indigènes  a  été  également  instituée  par  Sir  F.  Lugard. 
La  licence  de  fabrication  est  de  4  livres,  et  celle  de  vente 
de  2  livres.  Cet  impôt  est  évidemment  d'un  recouvre- 
ment très  fictif. 

Enfin,  un  autre  impôt  indigène  est  une  licence  sur 
les  canots,  dont  le  montant  varie,  suivant  la  dimension, 
de  3  1.  à  2  s.  6  d. 

Le  système  que  nous  venons  d'exposer  est  d'applica- 
tion trop  récente  pour  qu'il  nous  soit  possible  de  le 
juger  d'après  ses  résultats  ;  il  semble  bien  cependant 
qu'il  ait  été  accepté  par  tous  à  peu  près  sans  difficulté. 

Il  est  vrai  que  le  gouvernement  anglais  a  apporté 
beaucoup  de  précautions  à  sa  mise  en  vigueur,  et  parait 
ne  pas  s'être  montré  très  exigeant. 


CHAPITRE   XXXI 

LE  NIGER  COAST  PROTECTORATE 
ET  LA  SOUTHERN  NIGERIA 


L'Oil  Rivers  Gonsulate  et  le  roi  Jaja. 

Cest  grâce  à  rîntervention  de  la  Royal  Niger  Co.  que 
l'Angleterre  s'établit  que  dans  une  partie  du  Bas  Niger 
Dans  toute  la  région  des  Oil  Rivers,  elle  exerça  son 
action  plus  directement,  mais  cependant  un  peu  mal- 
gré elle,  et  du  fait  de  l'obstination  de  deux  hommes 
qu'elle  avait  envoyés  dans  ces  pays  comme  simples 
consuls,  M.  Hewett  et  Sir  Harry  Johnston. 

Il  y  a  vingt  ans*,  écrit  un  vieil  officier  de  la  marine 
anglaise,  les  Oil  Rivers  et  l'ensemble  des  territoires  voi- 
sins étaient  véritablement  une  terre  qui  n'appartenait 
à  personne.  Une  quantité  innombrable  de  petits  «  rois  » 
et  chefs  dont  l'autorité  était  quelquefois  nominale,  quel- 
quefois autocratique,  dépensaient  la  plus  grande  par- 
tie de  leur  temps  et  des  vies  de  leurs  sujets  dans  des 
luttes  constantes  les  uns  avec  les  autres.  Sur  les  Oil 
Rivers  étaient  des  factoreries  commerciales  principale- 
ment anglaises;  les  commerçants  jouissaient  du  sobri- 
quet de  «  Palm  Oil  Ruffians  »,  et  quelques-uns  le  méri- 
taient. La  plupart  d'entre  eux  observaient  une  loi  qui 
leur  était  personnelle.  Sur  ces  rivières  le  seul  chef  véri- 
table était  le  consul  anglais,  qui  résidait  pour  la  plus 

1.  W.  A.  M.,  22  et  26  avril  1904,  n"  56  et  57. 


472  LE  NIGER  GOAST  PROTEGTORÀTB 

grande  partie  de  son  temps  à  bord  d'un  bateau  anglais. 
Pourquoi  on  l'appelait  «  consul  »,  personne  ne  Ta  jamais 
su;  ses  fonctions  n'étaient  en  aucun  sens  consulaires. 
Il  n'était  accrédité  auprès  de  personne,  si  ce  n'est  au- 
près du  roi  d'Espagne,  car  il  était,  entre  autres  choses, 
consul  pour  l'île  espagnole  de  Fernando-Po,  et  aucun 
roi  africain  ne  lui  avait  donné  ou  n'avait  été  requis  de 
lui  donner  Vexequatur.  Ses  fonctions  étaient  entière- 
ment indéfinies,  et  ses  jugements,  car  il  rendait  des 
jugements,  étaient  plutôt  équitables  que  légaux.  Il  avait 
une  vaste  influence,  une  énorme  responsabilité  et  un 
petit  salaire.  Aucune  résidence  ne  lui  était  affectée,  et 
du  reste  aucune  résidence  n'était  disponible;  il  n'avait 
aucun  pied-à-terre,  si  ce  n'est  un  lit  dans  une  facto- 
rerie. Il  passait  la  plus  grande  partie  de  son  temps  à 
bord  d'une  canonnière,  où  il  jouissait  d'une  banquette 
dans  la  cabine  du  lieutenant-commandant.  Là,  lorsque 
les  cancrelats  et  les  moustiques  le  laissaient  en  paix,  il 
rédigeait  les  dépêches  pour  le  Foreîgn  OfDce,  qui  les 
examinait  superficiellement  et  les  classait  avec  soin.  Le 
Foreign  Office  savait  peu  de  chose  de  lui,  s'en  souciait 
moins  encore,  et  aurait  été  fort  embarrassé  d'expliquer 
comment  et  de  qui  il  avait  tiré  le  pouvoir  de  donner 
des  amendes  à  des  rois  qui  n'étaient  pas  des  sujets  an- 
glais et  d'assumer  le  rôle  d'autocrate  des  Oil  Rivers. 
«  L'homme  à  qui  l'Angleterre  est  le  plus  redevable 
de  l'acquisition  des  Oil  Rivers  est  M.  Edouard  Hewett. 
Son  influence  sur  les  chefs  indigènes  était  immense. 
Mais  il  n'était  pas  populaire  parmi  les  commerçants  de 
la  rivière,  principalement  parce  qu'il  ne  voyait  pas  tou- 
jours les  choses  à  leur  point  de  vue...  L'énergie  et  l'ac- 
tivité d'Hewet  étaient  admirables,  d'autant  qu'il  était 


L*OIL    RIVBR8    CONSULATE    ET    LE    ROI    JAJA  473 

dans  un  état  presque  constant  de  maladie  ;  personne  ne 
connaissait  mieux  que  lui  les  indigènes.  L'Angleterre 
n'a  jamais  probablement  eu  un  serviteur  mieux  adapté 
au  rôle  qu'il  avait  à  remplir.  Ses  services  furent  consi- 
dérables, mais  ils  ne  furent  jamais  pleinement  recon- 
nus. Il  est  probable  que  si  un  autre  homme  avait  été  à 
sa  place,  Old  Calabar  et  peut-être  une  ou  deux  autres 
rivières  auraient  été  perdues  pour  la  Grande-Bretagne 
au  profit  de  l'Allemagne.  Le  Foreign  Office,  à  cette 
époque,  voyait  d'un  mauvais  œil  l'Afrique  occiden- 
tale et  jetait  de  l'eau  froide  sur  toutes  les  propositions 
d'Hewett.  Le  Protectorat  sur  les  Oil  Rivers  fut  re- 
connu comme  une  désagréable  nécessité,  et  je  crains 
bien  qu'Hewett,  l'homme  qui  l'avait  rendu  possible, 
n'ait  été  regardé  à  Dowing  Street  comme  un  intrigant 
personnage...  Hewett  retourna  en  Angleterre  avec 
une  santé  compromise;  ses  dernières  années  furent 
malheureuses,  non  seulement  à  cause  de  la  maladie, 
mais  encore  parce  qu'il  avait  des  embarras  financiers. 
Il  mourut  ruiné  et  désappointé,  ses  chefs  l'ayant 
oublié,  et  le  public  n'ayant  pas  apprécié  ses  services 
parce  qu'il  ne  les  avait  pas  connus.  » 

Hewett  eut  pour  assistant  comme  vice-consul  un  jeune 
homme  nommé  Harold  A.  White,  qui,  quoique  différant 
totalement  d'Hewett,  fit  de  bonnes  besognes.  Il  dut 
retourner  cependant  peu  de  temps  après  en  Angleterre 
pour  cause  de  maladie.  Ce  fut  Sir  Harry  Johnston  qui 
lui  succéda.  Sa  carrière  est  trop  connue  pour  que  nous 
ayons  à  la  rappeler.  Il  réussit  à  mener  à  bonne  fin  l'œu- 
vre entreprise  par  Hewett. 

Les  agissements  d'un  chef  nommé  Jaja  devaient  l'ame- 
ner à  mettre  un  terme  à  la  situation  politique  à  laquelle 


474  LE    NIGER    COAST    PROTEGTORATB 

ses  prédécesseurs  avaient  eu  à  faire  face  dans  le  Bas- 
Niger. 

Jaja  était  un  ancien  esclave  de  guerre  de  la  famille 
Pepple  de  Bonny.  Grâce  à  son  intelligence,  il  parvint 
peu  à  peu  à  se  créer  une  situation  indépendante,  à 
acquérir  une  certaine  aisance,  et  il  imagina  vers  1869 
de  se  faire  reconnaître  quelques  pouvoirs  comme  chef.  Il 
provoqua  une  scission  parmi  les  Bonny,  et  une  guerre 
civile,  qui  dura  plus  de  18  mois,  s'ensuivit.  Complè- 
tement défait,  il  dut  se  réfugier  auprès  des  Européens 
en  leur  demandant  d'intercéder  pour  qu'il  ait  la  vie 
sauve.  Il  se  plaça  avec  ses  partisans  sous  la  protection 
de  la  c<  cour  d'Equité  »,  formée  par  les  principaux  né- 
gociants. 

Il  obtint  ensuite  la  permission  du  chef  d'Antony  de 
s'installer  au  point  qui  devait  devenir  Opobo.  Il  avait 
compris  toute  l'importance  que  pouvait  acquérir  cette 
place  et  comment,  de  là,  il  pouvait  commander  Taccès 
des  marchés  qui  dépendaient  jusqu'alors  de  Bonny. 

Deux  ou  trois  commerçants  européens  le  suivirent  à 
Opobo,  et  sa  situation  devint  de  plus  en  plus  impor- 
tante. Le  chef  de  Bonny  ne  cessait  cependant  de  le 
considérer  comme  un  rebelle;  mais  Jaja  eut  l'habi- 
leté de  provoquer  l'intervention  du  gouvernement 
anglais. 
-  Le  3  janvier  1873  était  signé,  à  bord  du  bateau  de 
guerre  Piencer,  un  traité  d'après  lequel  les  chefs  d'O- 
pobo  et  de  Bonny  s'engageaient  devant  le  Commodore 
anglais,  le  consul  Livingstone  et  les  chefs  de  New  Cala- 
bar  et  d'Okréka,  à  cesser  les  hostilités. 

Les  marchés  que  devait  fréquenter  chaque  peuplade 
étaient  déterminés,  ainsi  que  les  routes  y  conduisant,  et 


l'oil  rivers  consulats  £t  le  roi  jaja  475 

il  était  convenu  qu'une  amende  de  1.000  «  penchons  » 
d'huile  serait  infligée  par  le  consul  anglais  à  celui  qui 
violerait  les  conventions;  en  cas  de  reprise  des  hosti- 
lités par  une  des  tribus,  l'autre  ne  devait  pas  répondre, 
mais  en  référer  au  consul  anglais. 

Le  consul  Livingstone  passait  au  même  moment  (4 
janvier  1873)  le  traité  fie  commerce  suivant  : 

«  Article  premier.  —  Au  nom  de  Sa  Majesté,  nous 
reconnaissons  Jaja  comme  roi  d'Opobo  et  déclarons 
qu'il  a  droit  à  la  considération  que  comporte  ce  titre. 

«  Art.  2.  —  Les  commerçants  anglais  établis  dans  la 
rivière  Opobo  payeront  la  même  somme  en  «  comey  » 
que  les  commerçants  anglais  établis  à  Bonny.  11  ne 
pourra  être  perçu  sur  eux  ni  taxe  ni  impôt.  Toute  con- 
testation qui  pourra  survenir  entre  eux  et  les  sujets  du 
roi  Jaja  sera  déférée  au  consul  de  Sa  Majesté. 

«  Art.  3.  —  Après  le  5  avril  1873,  le  roi  d'Opobo  n'au- 
torisera l'établissement  d'aucune  factorerie  dans  la 
ville  d'Opobo,  ou  aux  environs,  et  ne  permettra  pas 
aux  bateaux  de  commerce  de  remonter  la  rivière  au 
delà  du  point  appelé  le  «  White  Man's  Beach  »,  opposé 
à  la  creek  de  l'Hippopotame. 

«  Si  quelque  bateau  de  commerce  monte  au-dessus 
de  cette  creek  après  avoir  été  dûment  informé  d'avoir 
à  se  retirer,  il  pourra  être  saisi  ainsi  que  sa  cargaison 
par  le  roi  Jaja,  jusqu'à  payement  d'une  amende  de  1.000 
ponchons  audit  roi.  » 

Dans  la  lettre  par  laquelle  il  transmettait  ce  traité  au 
Foreign  Office,  le  consul  Ch.  Livingstone  donnait  les 
explications  suivantes  : 

«  L'article  3  a  été  rendu  nécessaire  par  suite  de  la  fiè- 
vre qui  causait  une  mortalité  effrayante  chez  les  blancs 


476  LB    NIGER    GOA9T    PROTECTORATB 

de  la  ville  d'Opobo,  qui  est  à  six  milles  dans  Tintérieur 
de  la  rivière,  et  à  cause  de  rextréme  danger  que  cou- 
rent les  marins  de  Sa  Majesté,  qui  exposent  gravement 
leur  santé  en  séjournant  en  ce  point  pour  protéger  les 
commerçants. 

<(  En  outre,  lorsque  les  factoreries  sont  établies  dans 
la  ville,  il  y  a  des  vols  constants  qui  ne  peuvent  être 
punis,  ce  qui  peut  occasionner  des  difficultés  conti- 
nuelles entre  noirs  et  blancs.  En  1870,  les  agents  dési- 
raient se  fixer  en  un  point  plus  sain  près  de  Tembou- 
chure  de  la  rivière,  où  la  brise  rafraîchissante  de  la  mer 
se  fait  sentir,  et  ils  ont  défriché  le  terrain;  mais  Tobs- 
tination  de  la  ferme  Miller  Brothers  les  retint  dans  un 
des  points  les  plus  malsains  de  la  côte. 

«  Un  article  analogue  se  trouve  dans  le  traité  qui  fut 
passé  avec  New  Calabar.  Il  empêche  les  commerçants 
de  revenir  en  un  point  où  tous  ceux  qui  s'y  étaient  éta- 
blis étaient  morts  à  la  suite  .d'une  épidémie.  » 

Il  ne  fallait  pas  être  grand  clerc  en  matières  africaines 
pour  deviner  que  de  pareilles  conventions  seraient  la 
source  de  difficultés  interminables. 

Celles-ci  ne  tardèrent  pas  à  se  produire. 

Un  commerçant  européen  alla  s'établir  dans  la  rivière; 
Jaja  estima  que  c'était  contraire  à  ses  intérêts  en  même 
temps  qu'aux  conventions  qui  avaient  été  passées.  Le 
11  avril  1881  il  envahit  la  rivière  avec  50  canots  de 
guerre,  brûla  7  villages  des  Konbas,  détruisit  leurs  ré- 
coltes, fit  une  centaine  de  prisonniers.  Il  pilla  ensuite 
la  factorerie  de  M.  Watt  et,  retournant  à  Opobo,  fit 
martyriser  ses  prisonniers,  tandis  qu'il  faisait  couper 
par  ses  propres  enfants  la  tête  des  enfants  qui  avaient 
été  faits  captifs,  pour  leur  donner,  disait*il,  le  droit  de 


l'oIL    hivers    CONSrLATB    ET    LE    ROI    JAJA  477 

porter  la  plume  d'aigle  que  seuls  pouvaient  arborer 
ceux  qui  avaient  tué  un  ennemi. 

Aux  observations  qui  lui  furent  faites  par  le  consul 
Hewet,  Jaja  déclara  que  bien  que  les  Koubo  ne  fussent 
pas  sous  ses  ordres,  M.  Watt  n'avait  pas  pour  cela  le 
droit  de  commercer  avec  eux,  car  il  leur  achetait  ainsi 
les  produits  qui  auraient  dû  passer  par  son  intermé* 
diaire,  la  rivière  traversant  dans  son  cours  supérieur 
le  pays  où  était  produite  la  plus  grande  partie  de  Thuile 
qui  parvenait  à  Esenée,  son  plus  grand  marché. 

La  clause  3  du  traité  du  4  janvier  1873  lui  donnait  le 
droit  d'empêcher  les  commerçants  de  s'établir  au  delà 
d'un  certain  point.  Quelle  était  la  valeur  de  ce  droit,  si 
n'importe  qui  pouvait  s'établir  dans  les  rivières  voisines 
des  siennes  et  par  lesquelles  passaient  tous  les  produits 
qui  arrivaient  sur  ses  territoires  ?  Du  reste  les  Ko  Ibos  ne 
pouvaient  en  rien  réclamer  des  droits  sur  ce  commerce, 
étant  donné  qu'ils  étaient  de  simples  pécheurs  et  qu'ils 
n'avaient  songé  à  s'établir  comme  traitants  d'huile  que 
lorsque  M.  Watt  s'était  installé  au  milieu  d'eux.  Les 
sujets  de  Jaja  n'avaient  d'autre  profession  que  d'aller 
chercher  de  l'huile  dans  les  marchés  de  l'intérieur  pour 
venir  la  vendre  aux  commerçants,  et  leur  roi  demandait 
que  l'on  obligeât  M.  Watt  à  se  déplacer. 

Le  Foreign  Office,  qui  paraissait  fort  décidé  à  se  borner 
au  rôle  vague  qu'il  avait  joué  jusque-là  aux  embou- 
chures du  Niger,  était  évidemment  embarrassé  par  le 
texte  du  traité  de  1873,  et  le  consul  Hewett  pouvait 
écrire  que  ce  qu'il  y  avait  de  plus  grave,  c'était  que  les 
cruautés  commises  par  le  roi  Jaja  paraissaient,  aux  yeux 
des  Ibos,  recevoir  l'approbation  du  gouvernement  de 
Sa  Majesté,  qui  avait  fait  d'un  rebelle  le  chef  d'Opôbo. 


kiO  LE    NIGER    C0A5T    PROTECTODATE 

Jaja  se  prévalait  de  ce  titre,  arborait  sur  son  canot  le 
iTrapeaii  anglais,  et  déclarait  qu'il  agissait  avec  l'appro- 
bation du  consul. 

Le  comte  de  Granville  répondit  bien  à  Jaja  qu'il  ne 
pouvait  approuver  ses  prétentions  sur  le  Kolbo,  mais 
ce  ne  Tut  que  deux  ans  après  que,  à  la  suite  d'exactions 
incessantes  de  Jaja,  il  parut  que  l'on  devait,  avant  d'u- 
ser de  rigueur  envers  lui,  modifier  la  nature  des  liens 
qui  l'unissaient  au  gouvernement  anglais. 

Le  19  décembre  1884  était  signé  entre  le  consul 
Hewetl  et  les  chefs  et  roi  d'Opobo,  parmi  lesquels  on 
vit  figurer  à  côté  de  Jaja  le  prince  Saturday  Jaja,  John 
Africa,  l'honorable  Slrongface  et  l'inattendu  duc  de 
Norfolk,  un  traité  dont  les  clauses  principales  étaient 
les  suivantes  : 

«  Article  premier.  ■ —  Sa  Majesté  la  reine  de  Grande- 
Bretagne  et  d'Irlande,  eu  égard  à  la  requête  qui  lui  en 
a  été  faite  par  les  rois,  chefs  et  habitants  d'Opobo,  a 
décidé  d'étendre  à  eux  et  aux  terres  qui  sont  sous 
leur  autorité  et  leur  juridiction  sa  gracieuse  faveur  et 
sa  protection. 

«  Art.  2.  —  Les  rois  et  chefs  d'Opobo  promettent  de 
ne  pas  entrer  en  correspondance  ou  traités  avec  des 
nations  étrangères  sans  que  le  gouvernement  de  Sa 
Majesté  britannique  en  ait  été  informé  et  l'ait  approuvé. 

«  Art.  3.  —  Juridiction  pleine  et  entière  est  réservée 
aux  agents  de  Sa  Majesté  sur  les  sujets  anglais  ou  les 
étrangers  qui  bénéficient  de  la  protection  de  l'Angle- 
terre. 

«  Art.  4.  —  Toute  contestation  entre  le  roi  et  les 
chefs  d'Opobo  ou  entre  eux  et  les  commerçants  anglais 
ou  étrangers,  ou  entre  les  chefs  et  les  tribus  voisines» 


l'oil  hivers  consulats  et  le  roi  jaja  479 

qui  ne  pourront  être  réglées  à  Tamiable,  seront  soumi- 
ses aux  agents  de  Sa  Majesté, 

«  Art.  5.  —  Les  missionnaires  des  religions  chrétien- 
nes auront  le  droit  de  s'établir  dans  les  territoires  des 
chefs  indigènes  et  de  professer  leur  religion.  » 

Le  texte  du  traité,  qui  était  arrivé  sans  doute  tout 
imprimé  de  Londres,  portait  avant  sa  signature  un 
article  ainsi  conçu  : 

«  Art.  6.  —  Les  sujets  ou  citoyens  de  tout  pays  peu- 
vent commercer  en  toute  liberté  dans  tous  les  points 
des  territoires  dépendant  des  chefs  susmentionnés  et 
peuvent  y  construire  des  maisons  d'habitation  et  des 
factoreries.  » 

Cet  article  fut  effacé  sans  doute  parce  que  les  chefs 
refusèrent  de  l'approuver,  mais  aucun  des  documents 
publiés  ne  porte  trace  des  discussions  qui  ont  dû  avoir 
lieu  à  ce  sujet. 

Il  est  probable  que,  ne  désirant  pas  intervenir  encore 
trop  directement  dans  le  Bas-Niger,  le  gouvernement 
anglais  n'insista  pas  à  ce  sujet,  de  peur  d'entrer  en 
conflit  trop  direct  avec  les  chefs.  Il  préféra  rester  dans 
le  vague  des  situations  acquises  qui  lui  permettait  de 
n'intervenir  dans  l'avenir  que  dans  la  mesure  qui  lui 
conviendrait. 

Cela  avait  tout  au  moins  l'inconvénient  fort  grave 
de  laisser  subsister  toutes  les  difficultés  qui  pouvaient 
résulter  des  traités  de  1873. 

Le  nouveau  texte  établissait  bien  d'une  manière  cer- 
taine le  protectorat  de  l'Angleterre  sur  l'Opobo;  mais 
du  fait  de  la  suppression  de  toute  clause  qui  pouvait 
porter  atteinte  aux  droits  et  prérogatives  que  s'attri- 
buaient les  chefs  du  Bas  Niger  en  matière  commer- 


480  I>B    NIGBR    COA9T    PROTECTORATE 

ciale,  il  semblait  bien  que  rien  n'était  changé  à  la  situa- 
tion antérieure. 

Jaja  ne  devait  pas  manquer  de  s'en  prévaloir,  et,  il  faut 
le  reconnaître,  avec  assez  de  raison. 

Un  incident  assez  caractéristique  allait  se  produire. 
Le  prix  de  Thuile  de  palme  ayant  fortement  baissé  en 
Europe,  les  agents  des  cinq  maisons  anglaises  établies 
à  Opolocon  formèrent,  en  octobre  i885,'une  sorte  d'union 
dans  le  but  de  baisser  les  prix  d'achat,  et  décidèrent 
que  la  commission  qu'il  était  d'usage  de  payer  aux  chefs 
sous  le  nom  de  «  Topping  »,  et  qui  consistait  en  une 
remise  de  4  penchons  d'huile  par  20  penchons  achetés, 
serait  ramenée  à  3  penchons  seulement.  L'huile  devait 
être  partagée  entre  chaque  maison. 

Bien  qu'il  fût  d'un  usage  ancien  de  réduire  le  Top* 
ping  lorsque  les  prix  baissaient  en  Europe,  la  décision 
rencontra  la  plus  vive  des  oppositions  de  la  part  du 
roi  Jâja,  qui  déclara  qu'il  arrêterait  le  commerce  de  la 
rivière  pendant  deux  ans,  s'il  était  nécessaire,  et  que 
lui  et  ses  chefs  mangeraient  de  la  vase  s'il  le  fallait 
avant  de  céder. 

11  prit  le  parti  assez  normal  d'expédier  en  Angleterre 
d'assez  grandes  quantités  d'huile^  et  il  parvint  à  décider 
l'agent  de  la  maison  Miller  Brothers  à  rompre  ses  en- 
gagements avec  l'union.  Il  lui  promit  de  lui  vendre 
toute  l'huile  du  pays,  à  condition  qu'il  continuerait  à 
payer  le  Topping  sur  la  base  de  4  ponchons  pour  20. 
.  Le  vice -consul  Johnston  (actuellement  Sir  Uarry 
Johnston)  déclara  que  jusque-là  Jaja  n'avait  point  agi 
d'une  façon  illégitime  et  s'était  borné  à  user  de  ses 
prérogatives;  mais  il  n'en  fut  pltis  de  même  lorsque  les 
quatre  autres  commerçants,  voyant  que  la  lutte  leur 


l'oIL    hivers    consulats    et    le    IlOI    JAJA  481 

était  impossible,  prirent  le  parti  d'abandonner  Opobo 
et,  pensant  que  le  nouveau  traité  rendait  libre  le  com- 
merce dans  la  rivière  Kolbo,  voulurent  aller  s'y  établir. 
Jaja  leur  en  fit  défense,  de  même  que  lorsqu'ils  ^vou- 
lurent s'installer  dans  les  marchés  de  Ka. 

Tout  commerce  devint  impossible  pour  eux;  il  ne 
passait  d'autres  courriers  que  ceux  de  la  maison  Miller; 
ayant  essayé  de  circuler  eux-mêmes  en  dehors  d'Opobo, 
ils  furent  arrêtés  par  une  armée  de  400  hommes. 

Jaja  prétendit  du  reste  qu'il  agissait  ainsi  dans  son 
droit  le  plus  stricbdu  mot  «  protection  »  employé  dans 
le  traité;  il  lui  fut  répondu  que  la  Reine  ne  désirait  pas 
par  là  lui  prendre  son  pays  ni  ses  marchés,  mais  sim- 
plement qu'aucun  autre  ne  pût  le  faire.  Elle  désirait 
lui  accorder  sa  protection  bienveillante  et  lui  laisser  le 
gouvernement  de  son  pays. 

Lorsque  les  commerçants  tentèrent  d'aller  s'établir 
dans  les  marchés  des  environs  d'Opobo,  Jaja  en  écrivit 
directement  au  marquis  de  Salisbury,  lui  disant  : 

«  Je  n'ai  signé  de  traité  avec  Sa  Majesté  la  Reine  d'An- 
gleterre que  pour  qu'elle  soit  ma  protectrice,  mais  je 
n'ai,  à  ma  connaissance,  signé  aucun  traité  qui  permette 
aux  commerçants  anglais  de  s'établir  dans  mes  marchés. 
Je  ne  le  permettrai  pas,  et  je  vous  prie  d'avoir  la  bien-^ 
vèillance  de  demander  aux  directeurs  des  maisons  de 
commerce  établies  dans  ma  région  d'empêcher  leurs 
agents  d'agir  ainsi.  Maintenant  que  j'ai  pris  Sa  Majesté 
la  Reine  pour  protectrice,  je  vous  demanderai,  mon 
Lord,  de  vouloir  bien  donner  des  instructions  à  ses 
consuls  dans  mes  rivières  pour  qu'ils  fassent  justice 
à  tous,  blancs  ou  noirs.  » 

Ces  incidents  se  produisaient  pendant  l'absence  du 

31 


482  L.R  NIGER  COAST  PEOTECTORÀTE 

coasul  Hewett;  lorsqu'il  revint  dans  les  OU  Rivers,  il 
donna  tort  à  Jaja  en  disant  que  le  gouvernement  de  Sa 
Majesté  avait  déclaré  qu'il  n'autoriserait  aucun  mono- 
pole de  commerce  dans  ce  pays  ;  il  condamnait  Jaja  à 
payer  une  amende  de  30  ponctions  de  bonne  huile  de 
palme  pour  avoir  violé  le  traité,  lui  rappelant  que  de- 
puis 1880  il  avait  une  vieille  amende  de  3  ponctions 
qui  lui  avait  été  donnée  par  la  cour  d'Équité  et  qu'il  n'a- 
vait pas  payée,  lui  infligeait  une  amende  supplémen- 
taire de  1  ponchon  pour  ce  retard,  et  lui  demandait 
de  restituer  les  sommes  d'argent  qu'il  avait  indûment 
exigées  des  commerçants  lorsque  ceux-ci  avaient  voulu 
établir  de  nouveaux  comptoirs  dans  ce  pays. 

Le  principal  argument  qu'invoquèrent  les  représen- 
tants de  Sa  Majesté  pour  combattre  les  prétentions  de 
Jaja  était  que  ces  gens  n'étaient  pas  des  producteurs 
qui  auraient  eu  le  droit  de  vendre  leur  huile  comme  ils 
auraient  voulu  et  là  où  ils  auraient  voulu,  mais  simple- 
ment des  intermédiaires  qui  voulaient  empêcher  toute 
relation  entre  les  producteurs  et  les  consommateurs,  ce 
qui  aurait  du  reste  amené  leur  ruine. 

Jaja  prétendait  que  la  clause  111  du  traité  de  1875 
déterminant  les  points  qui  ne  devaient  pas  être  dé- 
.passés  par  les  commerçants  blancs  était  toujours  en 
vigueur,  et  que  la  meilleure  preuve  en  était  que  la 
disposition  qui,  dans  le  traité  de  1883,  aurait  pu  la  sup- 
primer, n'avait  point  été  maintenue  dans  le  texte  défi- 
nitif. 

Le  gouvernement  anglais  répondit  bien  à  cela  que 
ce  serait  constituer  un  monopole  de  commerce  inad- 
missible, mais  il  n'en  paraissait  pas  moins  embarrassé, 
et  il  serait  trop  long  de  donner  les  détails  de  la  corres- 


l'oIL    EIVfiBS    GONSULATE    BT    LB    BOI    JAJA  483 

pondante  échangée  à  ce  sujet  entre  Jaja,  TAmirauté  et 
le  marquis  de  Salisbury.  Jaja,  qui  parut  toujours  consi- 
dérer ce  dernier  comme  son  plus  ferme  soutien,  lui 
envoya  une  députation  en  Angleterre,  ne  cessant  d'assu- 
rer «  qu'il  reconnaissait  parfaitement  les  pouvoirs  que 
Sa  Majesté  devait  avoir  sur  les  autres  nations  »  et  qu'il 
n'avait  aucun  moyen  de  lui  résister,  que  cependant  il 
la  priait  de  considérer  que  si  elle  ouvrait  les  marchés 
de  rintérieur  aux  commerçants  anglais,  il  ne  savait 
ce  que  deviendraient  ses  propres  sujets  qui  n'avaient 
point  de  terre  à  cultiver  et  qui  n'avaient  que  leur  mé- 
tier d'intermédiaires  pour  nourrir  leurs  femmes  et  leurs 
enfants)». 

Du  15  janvier  au  i^aoûl  1887  La  situation  ne  fit  pas  de 
grands  progrès.  Jaja  s'adressait,  à  chaque  nouvel  inci- 
dent, au  Foreign  Office,  et  celui-ci  demandait  de  Bon- 
velles  enquêtes  jusqu'au  jour  où,  perdant  patience  et 
sans  attendre  de  nouvelles  instructions,  Johnston  s'ap- 
pliqua à  passer  avec  Jaja  un  nouveau  traité  pour  faire 
disparaître  les  ambiguïtés  des  précédents.  Il  lui  promit 
de  faire  lever  la  lourde  amende  qu'il  lui  avait  infligée, 
et  y  mit  comme  condition  qu'il  signerait  lin  accord  d'a- 
près lequel  il  se  rendrait  responsable  de  toutes  les  obs- 
tructions qui  pourraient  être  apportées  par  ses  gens 
au  commerce  des  Européens,  et  qu'il  désignerait  un 
chef  qui  irait  avec  le  consul  annoncer  aux  peuples  de 
l'intérieur  que  lui,  Jaja,  acceptait  le  libre  commerce. 
Le  5  août  1887,  Jaja  se  résignait,  mais  en  même  temps 
écrivait  à  Lord  Salisbury  qu'il  aurait  voulu,  avant  de 
signer  une  nouvelle  convention,  savoir  quel  avait  été 
l'accueil  fait  à  sa  déposition.  Il  avait  été  forcé  de  se  sou- 
mettre aux  volontés  du  consul  devant  ses  menaces.  Il 


484  LR  NIGER  COAST  PROTECTORATS 

espérait  que  des  instructions  de  Londres  viendraient 
tout  mettre  au  point.  * 

Comme  il  en  avait  témoigné  l'intention,  le  consul 
Johnston  se  rendit  dans  les  marchés  de  Tintérieur  pour 
proclamer  la  liberté  du  commerce;  mais  il  fut  très  mal 
reçu  par  les  Ibos,  qui  avaient  fini  par  se  niettre  d'accord 
avec  Jaja,  et  il  écrivit  au  Foreign  Office  que  si  Ton  ne 
voulait  pas  se  décider  à  prendre  des  mesures  énergi- 
ques, il  n'y  avait  plus  qu'une  chose  à  faire  :  arrêter  tout 
commerce  dans  la  région,  ce  à  quoi  consentaient  toutes 
•les  maisons  européennes,  sauf  celle  de  Miller  Brothers 
qui  soutenait  Jaja. 

Le  18  août,  l'ordre  suivant  était  publié  : 

«  Notice  est  donnée  à  tous  qu'à  partir  d'aujourd'hui 
•tout  commerce  ou  relations  commerciales  entre  le  roi 
.Jaja  et  ses  sujets,  les  chefs  d'Ohombela  et  leurs  sujets, 
et  les  sujets  ou  protégés  anglais  sont  interdites  jusqu'à 
ce  que  le  roi  Jaja  et  les  chefs  d'Ohombela  aient  satis- 
fait aux  engagements  qu'ils  ont  passés  avec  le  repré- 
sentant de  Sa  Majesté.  » 

Pendant  ce  temps,  le  consul  signait  avec  les  chefs 
d'Obako  un  traité  analogue  à  celui  qui  avait  été  passé 
-en   1888  avec  Jaja,  mais  où  l'article  6  au  sujet  de  la 
liberlé  du  commerce  était  maintenu. 

Comme  il  se  rendait  à  Obako  pour  y  rechercher  un 
emplacement  pour  de  nouvelles  factoreries,  le  consul 
fut  arrêté  par  une  troupe  de  guerriers  de  Jaja  qui  le 
forcèrent  à  retourner  en  arrière. 

Ce  qui  paraissait  le  plus  grave  à  Sir  Harry  Johnston, 
c'est  que  Jaja  déclarait  que  si  ses  envoyés  revenaient 
d'Angleterre  sans  avoir  reçu  pleine  satisfaction,  il  cher- 
cherait à  vendre  son  pays  à  la  France  (où  il  disait  avoir 


l'oil  rivbrs  consulats  et  lb  roi  jajà  485 

envoyé  un  chargé  crafTaires),  ou  bien  il  massacrerait 
tous  les  blancs,  pillerait  les  factoreries  et  se  retirerait 
dans  l'intérieur. 

Le  consul  anglais  proposait  d'expédier  Jaja  à  la  Gold 
Coast  avant  qu'il  ait  pu  mettre' ses  menaces  à  exécution. 

Le  24  septembre  1887,  voyant  que  la  situation  deve- 
nait de  plus  en  plus  dangereuse,  et  devant  les  suppli- 
cations des  indigènes  de  Bonny  et  des  autres  rivières, 
le  consul  profita  d'une  occasion  heureuse,  se  saisit  de 
Jaja  et  s'embarqua  avec  lui  pour  Accra. 

Tous  les  peuples  des  environs  et  les  sujets  de  Jaja 
eux-mêmes  en  marquèrent  la  plus  ample  satisfaction. 

Quant  à  Jaja,  il  envoya  le  télégramme  suivant  au 
Lord  marquis  de  Salisbury,  en  qui  il  ne  cessait  d^avoir 
confiance  : 

«  Injustement  conduit  à  Accra  et  détenu.  Prière 
câbler  au  gouvernement  Jaja  retourne  à  Opobo  pro- 
chain steamer;  répondez.  » 

Il  n'en  sembla  pas  moins  prendre  la  chose  philoso- 
phiquement, et  Sir  Harry  Johnston  écrivait  que  son 
acte  d'autorité  n'avait  jamais  paru  indisposer  Jaja  à 
son  égard,  que  celui-ci  n'avait  jamais  paru  d'aussi 
bonne  humeur,  et  passait  son  temps  à  bord  du  steamer 
à  causer  ayec  lui. 

A  son  arrivée  à  Accra,  il  fut  reçu  avec  beauôoup 
d'égards,  et  le  gouverneur  l'invita  à  dîner  en  compagnie 
des  principaux  chefs  de  service  de  la  colonie;  on  lui 
servit  une  rente  de  800  livres. 

Sir  Harry  Johnston  ne  devait  pas,  pour  ramener  la  paix 
dans  le  Bas-Niger,  s'en  tenir  à  cette  expulsion  de  Jaja, 
mais,  sachant  que  le  Foreign  Of/ice  ne  le  suivrait  pas 
dans  de  nouvelles  tentatives,  il  dut  modérer  son  action. 


486  LE    NIGEn    COAST    PROTECTORATE 

C'est  ainsi  qu'il  écrivait,  le  9  février  1888,  à  Lord 
Salisburv  : 

«  My  Lord, 

«  J*ai  rhonneur  d'inforAaer  Votre  Seigneurie  que  le 
5  janvier  dernier  je  partis,  en  remontant  la  Crow  River, 
avec  le  désir  de  passer  des  traités  avec  les  divers  rois 
et  chefs  établis  sur  ses  rives,  pour  mettre  leur  terri- 
toire  sous  le  protectorat  britannique,  et  je  désirais  aussi 
trancher  par  mon  intervention  plusieurs  querelles  qui 
s'étaient  élevées  entre  le  peuple  de  Calabar  et  les  natu- 
rels de  Crow  River  et  entre  les  diverses  tribus  qui 
habitent  les  contrées  de  TUnion,  Akakuna,  Afîkpo,  Iko 
Morut  et  Arun.  Ces  querelles  et  Tétat  de  guerre  inter- 
mittent auquel  elles  donnaient  lieu  ont  longtemps 
exercé  un  effet  préjudiciable  sur  le  commerce  de  la 
rivière.  Je  suis  heureux  de  dire  que  j'ai  réussi  dans  ces 
deux  entreprises. 

«  J'ai  passé  des  traités  avec  Union  (la  première  contrée 
sur  Efik,  ou  territoire  du  vieux  Calabar),  Akakuna  et 
Iko  Morut,  nous  en  faisant  des  amis  et  distribuant  des 
drapeaux  anglais  au  peuple  des  deux  rives  d'Atam.  J'ai 
tenu  aussi  un  palabre  long  et  pénible  entre  Union  et 
Calabar,  et  j'ai  décidé  le  peuple  d'Union  à  renouer  des 
relations  amicales  avec  Akakuna,  à  faire  la  paix  avec 
Iko  Morut  et  à  reprendre  son  commerce  avec  Arun. 
J'aurais  pu  passer  des  traités  avec  des  peuples  plus  en 
amont,  mais  j'hésitai  à  étendre  plus  loin  dans  Tinté- 
rieur  nos  responsabilités  sans  que  le  gouvernement  de 
Sa  Majesté  ait  décidé  des  moyens  de  gouverner  le  pro- 
tectorat des  Oil  Rivers. 

«  Tout  le  long  de  la  Crow  River  les  chefs  étaient 


l'oIL    RltERS    CONSULATE    BT    LE    ROI    JAJA  487 

prêts  et  bien  disposés  à  passer  des  traités  les  plaçant 
sous  la  protection  de  Sa  Majesté.  Mais  il  était  douteux 
qu'ils  eussent  toujours  compris  les  obligations  qui 
leur  incombaient  de  par  ces  traités.  Et  dans  le  cas 
d'une  infraction  de  quelques-unes  de  leurs  clauses,  je 
n'étais  pas  siir  qu'il  fût  opportun^  dans  ces  circonstan- 
ces, que  le  gouvernement  les  forçât  à  tenir  leurs  enga- 
gements. » 


"~      m    I  lu 


CHAPITRE   XXXII 

LE  NIGER  COAST  PROTECTORATE 
ET  LA  SOUTHERN  NIGERIA 


L'occupation  du  Bas   Niger. 

Dans  l*étude  qu'il  nous  reste  à  faire  des  événements 
qui  marquèrent  rétablissement  définitif  de  TAngleterre 
dans  la  Niger  Coast  Protectorate  et  de  la  Southern 
Nigeria,  nous  n'avons  guère  à  parler  que  des  expédi- 
tions qui  rendirent  nécessaire  cette  occupation  et  à 
mentionner  les  actes  législatifs  dont  l'application  parut 
nécessaire.  Nous  n'avons  point  à  suivre  les  évolutions 
d'une  politique  aux  caractères  divers.  Ici  l'autorité  de 
l'Angleterre  fut  imposée  résolument  aux  indigènes  par 
la  conquête. 

La  nature  même  des  populations  qui  habitent  le 
Niger,  l'extrême  division  de  leurs  groupements,  leurs 
mœurs,  toutes  choses  que  nous  n'avons  pas  à  décrire 
ici,  devaient  obliger  l'Angleterre,  si  elle  voulait  établir 
la  paix  dans  ces  régions  et  proléger  son  commerce,  à 
y  agir  en  maître  et  à  ne  point  tenir  compte  des  institu- 
4ions  locales.  Elle  devait  conquérir,  les  uns  après  les 
autres,  ces  territoires  et  les  occuper  très  fortement,  en 
ne  laissant  aux  chefs  que  le  pouvoir  qu'ils  pouvaient 
retirer  de  son  appui. 

Après  Tacte  énergique  de  Sir  Harry  Johnston,  une 
fois  la  puissance  de  Jaja  détruite,  on  avait  dû  se  de- 


l'occupation    du    bas    NIGER  489 

mander  s'il  ne  convenait  pas  de  faire  de  ce  coup  cl'éclat 
le  point  de  départ  d'une.politique  nouvelle,  et  si  Tinter- 
vention  anglaise  ne  devait  pas  se  faire  sentir  autrement 
que  par  Tintermédiaire  d'un  vague  consulat,  et  d'une 
façon  plus  énergique.  Nous  savons  comment,  une  fois 
repoussées  sur  ces  territoires  les  prétentions  de  la 
Niger  Co.,  le  major  Cl.  MacDonald  fut  chargé  en  1887 
d'examiner  cette  question. 

Lots  de  celte  enquête*,  estimant  que  les  chefs  et 
peuples  du  pays  devaient  être  consultés  sur  le  change- 
ment que  l'on  voulait  apporter  à  la  nature  des  liens  qui 
les  unissaient  à  l'Angleterre,  Sir  Cl.  Mac  Donald  tint 
dans  chaque  rivière  des  meetings  auxquels  assistaient 
tous  les  chefs  et  eut  des  entretiens  avec  les  plus 
influents  d'entre  eux.  Tous  auraient  été  unanimes  à 
désirer  être  soumis  à  une  administration  impériale 
plus  efflcace  que  celle  avec  qui  ils  avaient  été  jusque- 
là  en  rapport. 

Un  gouvernement  fut  organisé  de  toutes  pièces  à 
Londres.  Sir  Claude  MacDonald  fut  nommé  consul 
général  de  «  l'Oil  Rivers  Protectorate  »,  et  il  arriva  au 
Niger  avec  tous  les  fonctionnaires  qui  devaient  l'assis- 
ter, chacun  connaissant  par  avance  la  tâche  qui  lui  était 
assignée. 

Le  premier  acte  du  gouvernement  fut  de  proclamer, 
le  14  août  1891,  un  tarif  des  droits  de  douane.  Seuls 
étaient  taxés  l'alcool,  la  poudre,  les  fusils,  le  tabac  et 
le  sel.  Les  autres  marchandises  ne  supportaient  aucun 
de  ces  droits  ad  valorem  contre  lesquels  les  commer- 
çants de  Liverpool  avaient  tant  protesté  à  propos  des 

1.  Report  on  the  administration  ofthe  Niger  Coast  Protectorate,  février 
1895.  P.  p.  C.  7596. 


490  LE    NIGER    COAST    PROTEGTORATE 

taxes  de  la  Niger  Co.  La  première  année;  ces  droits  rap- 
portaient 87.695  livres,  et  la  seconde  année  135.966  li- 
vres, résultat  merveilleux,  qui  prouvait  la  vitalité  de 
la  nouvelle  colonie  ainsi  que  l'excellente  organisation 
de  son  gouvernement. 

Le  Protectorat  fut  divisé  en  7  districts  :  Old  Calabar, 
Opobo,  Bonny,  New  Calabar,  Brass,  Warri  et  Bénin, 
groupés  sous  la  domination  de  Western  et  Eastern 
district,  d'après  leur  situation  à  Test  ou  à  Touest  du 
Niger. 

A  la  tête  de  chacun  d'eux  était  placé  un  vice-consul 
ou  Deputy  Commissioner,  un  agent  consulaire  le  secon- 
dant et  un  magistrat  chargé  de  la  «  Consular  Court  ». 

Le  vice-consul  devait,  indépendamment  de  ses  attri- 
butions politiques,  qui  consistaient,  d'après  la  formule 
officielle  S  à  entretenir  des  relations  amicales  avec  les 
tribus  du  voisinage,  essayer  d'ouvrir  de  nouveaux  mar- 
chés et  de  nouvelles  routes,  et  généralement  de  main- 
tenir la  paix  et  Tordre  dans  son  district.  »  Il  était  aussi 
en  partie  responsable  du  bon  fonctionnement  des  doua- 
nes, des  postes  et  du  service  de  la  Trésorerie. 

L'œuvre  des  vice-consuls  devait  être ,  surtout  dans 
les  premières  années  du  Protectorat,  d'essayer  de  réa- 
gir contre  les  coutumes  barbares,  scènes  de  canniba- 
lisme, sacrifices  humains  qui  ensanglantaient  le  protec- 
torat. Cependant  dès  1893  Sir  Claude  MacDonald  allait 
avoir  à  se  préoccuper  d'incidents  plus  importants^  no- 
tamment de  la  situation  créée  dans  le  Bénin  par  te  roi 
Nana. 

Comme  Jaja ,   Nana  était  le  chef  d'une  tribu ,   les 

1.  Loco  cit. 


l'occupation    du    bas    NIGER  491 

Jekris,  dont  le  principal  moyen  d'existence  était  de 
servir  d'intermédiaire  entre  les  Sobos  producteurs 
d'^huile  de  palme  et  les  Européens.  Dans  son  rapport 
en  1894*,  le  consul  général  reconnaît  que  tout  le  com- 
merce de  la  rivière  était  entre  ses  mains  grâce  à  un 
régime  de  terreur.  Il  avait  à  cette  époque  une  troupe 
de  3.000  ou  4.000  hommes  et  de  nombreux  canots  pou- 
vant contenir  40  à  50  rameurs  et  transporter  des  canons. 
Il  ne  se  déplaçait  qu'accompagné  de  30  à  40  hommes 
armés  de  winchesters.  Quelques  années  auparavant  il 
arrêta  tout  commerce  pendant  plusieurs  mois  sous  un 
prétexte  futile.  Il  fut  avisé  que  la  première  fois  que  le 
fait  se  renouvellerait  il  serait  puni,  sévèrement  puni*. 

Le  1®'  août  1894,  un  parti  d'Idzos,  sujets  de  Nana, 
attaquait  le  village  d*Oboli,  à  Tentrée  de  la  rivière  du 
Bénin,  le  brûlait  et  entraînait  en  captivité  12  person- 
nes. Le  chef  des  Idzos  reçut  Tordre  de  se  rendre  au 
vice-consulat,  mais,  après  en  avoir  déféré  à  Nana,  il 
n'obéit  pas.  Un  officier  fut  envoyé  avec  l'aviso  FAecto 
pour  l'arrêter.  Le  village,  qui  était  vide,  fut  brûlé,  pour 
montrer  aux  voisins  que  le  fait  de  ne  pas  obéir  aux  or- 
dres du  gouvernement  anglais  pouvait  avoir  de  sérieu- 
ses conséquences,  d'autant  que  les  indigènes  du  dis- 
trict de  Bénin  et  de  Warri  avaient  eu  trop  longtemps 
l'habitude  de  dire  qu'ils  ne  connaissaient  pas  d'autre 
gouvernement  que  celui  du  chef  Nana.  Il  en  fut  Je 
même  pour  le  village  d'Eferona,  qui  était  commandé 
par  un  ami  de  Nana. 

La  situation  n'en  devenait  que  plus  tendue. 

Le  19,  le  consul  général  câblait  au  Foreign  Office  : 

1.  Loco  eU. 
'2.  Correspondance  respecting  the  Dislarbances  in  Bénin.  P.  p.c.  763). 


492  LE    NIGER    COAST    PROTECTORATS  • 

«  Nana  s^obstîne  à  cause  des  difficultés.  Demande  que 
des  instructions  soient  données  pour  qu'une  autre  ca- 
nonnière soit  envoyée  au  Bénin  avec  une  pièce  de  9  prr. 
Je  me  rends  à  Calabar  avec  des  renforts.  Si  nouveau 
déploiements  de  forces  restent  inefficaces,  il  sera  néces- 
saire d'agir  énergîquement;  une  seconde  canonnière 
suffira.  » 

Le  25  août,  une  reconnaissance  faite  par  la  canon- 
nière Electo  pour  examiner  les  abords  de  Brohemîce, 
capitale  de  Nana,  fut  repoussée  par  les  hommes  de 
Nana,  qui  tuèrent  un  Européen  et  en  blessèrent  10. 

Le  capitaine  Powel,  commandant  de  la  flottille,  déclara 
que  Ton  ne  pourrait  prendre  la  ville  qu'à  l'aide  d'une 
force  de  400  blancs  munis  de  rochets  et  de  maxims 
montés  sur  des  trépieds,  l'accès  de  la  contrée  étant 
impossible  à  tout  engin  monté  sur  roues. 

Après  divers  incidents,  le  25  septembre,  Brohemîce 
fut  enfin  prise.  Nana  put  s'enfuir  à  Lagos,  où  il  fut  fait 
prisonnier  le  26  octobre,  renvoyé  à  Old  Calabar,  puis 
déporté  à  la  Gold  Coast. 

Plus  de  2.000  esclaves  natifs  de  la  région  furent 
renvoyés  dans  leurs  familles.  Ceux  qui  étaient  Goubas 
furent  envoyés  dans  un  village  nommé  «  America  », 
oii  étaient  établis  un  certain  nombre  de  leurs  compa- 
triotes. 

11  était  évident  que  depuis  de  longues  années  Nana 
se  préparait  à  repousser  une  intervention  possible 
des  forces  du  gouvernement.  On  trouva  dans  sa  ville 
106  canons,  4^i5  lourds  Owivel  Blunderbusses,  640  fu- 
sils danois,  1.151  fusils  à  capsules,  plus  de  14  tonnes 
de  poudres  et  une  quantité  considérable  de  munitions 
de   toutes  espèces.  D'après  Sir  Ralph  Moor,  le  pou- 


l'occupation  du  bas  nigbr  493 

voir  de  Nana,  qui  s'intitulait  gouverneur  de  Bénin, 
s'étendait  sur  plus  de  100  milles  à  Tintérieur,  sur  une 
largeur  de  50  à  60  milles,  non  seulement  sur  les  indi- 
gènes, mais  encore  sur  les  Européens,  dont  quelques- 
uns  trouvaient  plus  avantageux  de  se  servir  de  son 
pouvoir  que  de  prêter  leur  concours  à  rétablissement 
du  gouvernement  de  la  Reine.  Cela  avait  été  une 
grave  erreur,  de  la  part  du  vice-consul  Blair,  que 
d'avoir  nommé,  en  1885,  Nana  chef  de  Bénin  et  de  lui 
avoir  laissé  usurper  un  pouvoir  qu'il  n'aurait  jamais 
dû  avoir. 

Nous  avons  vu  comment,  en  1895,  les  indigènes  de 
la  région  de  Brass  attaquèrent  les  factoreries  de  la 
Niger  Co.  Bien  que  ces  révoltes  n^'aient  pas  eu  lieu 
dans  les  terres  du  Protectorat,  elles  devaient  cependant 
intéresser  celui-ci.  Nous  savons  comment  Sir  John  Kirk 
expliqua  le  soulèvement.  Il  devait  lui  paraître  grave, 
surtout  en  ce  qu'il  révélait  le  danger  que  présentait  la 
'libre  importation  des  armes  et  des  munitions  dans  le 
bas  Niger. 

Sir  John  Kirk  s'exprimait  ainsi  à  ce  sujet  dans  son 
rapport  de  mission*  : 

«  Le  peuple  de  Brass,  comme  tous  ceux  qui  vivent 
sous  le  Protectorat  de  la  Niger  Coast,  est  bien  armé 
en  carabines,  en  fusils  à  percussion  et  en  canons  inter- 
dits par  les  dispositions  de  l'acte  de  Bruxelles. 

a  Un  des  premiers  actes  de  la  nouvelle  administra- 
tion établie  en  1891  fut  de  renouveler  le  Consular  Or- 
der  du  vice-consul  II.  H.  Johnston,  qui  était  tombé  en 
désuétude,  et  d'interdire  toute  introduction,  à  l'avenir, 

1.  L'oco  cit. 


1 

I 


494  LB   NIGER    COA8T    PROTBCTORATB 

de  fusils  se  chargeant  par  la  culasse,  de  canons,  d'ar- 
mes automatiques;  mais  les  fusils  à  percussion  se  char- 
geant par  la  bouche,  les  carabines,  les  revolvers,  les 
capsules  à  percussion  et  toutes  les  munitions  en  géné- 
ral continuèrent  à  entrer  librement  en  quantité  illimi- 
tée. Les  statistiques  commerciales  de  1892  et  1893 
(V.  Reports  ann.,  séries  n"  1144  et  1618)  montrent 
que  Ton  a  introduit  dans  le  Protectorat,  en  1872, 
62.262  fusils,  dont  18.746  à  percussion,  34.410  cartou- 
ches, 33.770.550  capsules  à  percussion,  637.248  livres 
de  poudre,  et  en  1893,  14.459  fusils  à  percussion  et  le 
chiffre  énorme  de  258.893.750  capsules  à  percussâon. 

ce  Lorsque  je  me  trouvai  à  la  côfe  en  juin  dernier, 
bien  que  Tordonnance  pour  rapplication.de  Facte  de 
Bruxelles  fût  en  vigueur,  les  commerçants  conservaient 
encore  des  armes  et  de  la  poudre  dans  leurs  magasins 
sans  être  inquiétés. 

«  Tout  le  Protectorat  est,  maintenant,  rempli  de  cara- 
bines Snider  et  de  fusils  à  percussion  dont  nous  pou- 
vons imaginer  le  nombre  d'après  l'énorme  importation 
de  capsules  à  percussion  qui  eut  lieu  en  1893.  On  me 
montra  à  Brass  une  statistique  instructive  des  armes 
à  percusssion  et  des  fusils  se  chargeant  par  la  culasse 
déclarés  par  les  habitants  de  trois  vilUages,  les  seuls 
où  rinscription  des  armes  ait  été  appliquée  jusqu'à  ce 
moment.  Elle  montrait  combien  le  district  est  bien 
fourni  d'armes  du  meilleur  type.  Dans  ces  trois  villa- 
ges on  ne  comptait  pas  moins  de  69  carabines  Snider, 
15  martinî,  23  d'autres  types  et  61  fusils  à  percussion; 
Sir  Claude  MacDonald  déclarait  à  Alcana  que  Tarme* 
ment  de  la  contrée  était  phénoménal. 

L'émotion  causée  par  l'incident  de  Brass  était  à  peine 


l'occupation    ou    bas    NIGER  495 

calmée  que  Ton  apprenait  le  massacre  d'une  mission 
anglaise  dans  la  ville  de  Bénin. 

Les  relations  avec  la  «  ville  de  sang  »  furent  toujours 
très  limitées,  à  cause  de  Tétat  de  barbarie  dans  lequel 
vivaient  ses  habitants.  A  la  suite  de  Tabolition  de  la 
traite  des  esclaves,  dont  Bénin  était  un  des  centres  les 
plus  importants,  les  chefs  interdirent  d'une  façon  plus 
stricte  l'accès  de  leur  ville.  Cependant,  après  l'établis* 
sèment  du  vice-consulat,  les  maisons  européennes  éta-- 
blies  dans  les  Oil  Hivers  osèrent  établir  des  comp- 
toirs dans  le  voisinage  de  Bénin  City,  à  Sapele  et  à 
Gwato,  mais  n'entrèrent  en  relation  qu'avec  les  Solos 
et  non  avec  les  Bénis,  à  qui  il  était  défendu  par  leur 
chef  de  passer  l'eau  ou  de  quitter  le  pays. 

En  1892,  le  capitaine  Gallvey  put  visiter  Bénin  City 
et  conclure  un  traité  de  commerce  avec  le  roi;  mais  la 
situation  n'en  fut  pas  améliorée,  et,  après  divers  inci- 
dents, FActing  Consul  gênerai  Philips  estima  '  qu'aucun 
moyen  pacifique  ne  pourrait  réussir  tant  qu'il  ne  serait 
pas  lui-même  entré  dans  la  ville. 

On  sait  comment,  ayant  voulu  mettre  son  projet  à 
exécution,  le  consul  fut  massacré  avec  les  autres  Euro- 
péens. 

Deux  des  membres  de  l'expédition  échappèrent  seuls 
au  massacre. 

La  nouvelle  du  désastre  provoqua  un  véritable  affo- 
lement à  la  côte  et  en  Angleterre.  Bénin  City  avait  tou- 
jours été  considéré  comme  une  forteresse  formidable. 
L'expédition  des  Ashantis  était  à  peine  terminée  ;  les 
forces  de  la  Compagnie  du  Niger  faisaient  campagne 

1.  P.  p.  c.  8677.  Papers  relating  to  the  Massacre  ofBritish  officiais  near 
Bénin,  49. 


496  LB    NIGER    COAST    PROTECTORAÏE 

contre  le  Nupé  et  rilorîn,  et  au  premier  abord  on  pensa 
que  toutes  les  troupes  disponibles  sur  place  étaient 
retenues  loin  de  Bénin.  La  situation  semblait  d'autant 
plus  compliquée  que  Ton  craignait  un  soulèvement  gé- 
néral des  indigènes  du  Bas  Niger. 
Le  14  janvier  1897,  le  Foreign  Office  écrivait  au  War 

Office*  : 

«  La  Royal  Niger  Co.  a  reçu  un  télégramme  qu'elle 
nous  communique,  disant  qu'une  partie  importante  des 
troupes  de  la  Compagnie  est  immobilisée  dans  le  delta, 
par  crainte  d'une  attaque  des  indigènes  du  Niger  Coast 
Protectorate,  et  une  demande  urgente  de  secours  a  été 
faite  par  le  Deputy  governor  auprès  du  gouvernement. 

«  Quoique  lord  Salis bury  n'ait  pas  de  raison  spéciale 
de  partager  les  craintes  de  la  Compagnie,  il  pense  que, 
tandis  que  celle-ci  est  occupée  dans  ses  opérations  du 
•T^upé,  les  indigènes  du  fleuve  pourraient  être  tentés 
de  se  soulever,  si  les  troupes  du  Niger  Coast  Protecto- 
rate devaient  être  envoyées  dans  le  Bénin  sans  que  des 
précautions  aient  été  prises  pour  laisser  au  Niger  une 
force  suffisante.  Il  propose  donc  que  100  hommes  du 
"West  African  Régiment  soient  envoyés  de  Sierra  Leone 
dans  le  delta  du  Niger,  50  devant  être  aflectés  à  Âkassa 
et  50  à  Sabegrega,  aussi  longtemps  que  les  troupes  de 
la  Compagnie  seront  employées  dans  le  Nord.  » 

La  Compagnie  fut  avisée  de  cette  décision',  mais  on 
lui  fit  savoir  en  même  temps  que  Ton  ne  partageait  pas 
ses  craintes  au  sujet  de  la  situation  du  Bas  Niger. 

Elle  répondit  d'assez  mauvaise  humeur'  : 

1.  Loco  cit.,  n*  16. 

2.  Loco  cit.,  n*  31. 

3.  Loco  cit.,  n"  37. 


l'occupation    du    bas    NIGER  497 

«  Tout  en  remerciant  le  gouvernement  de  Sa  Ma- 
jesté de  ce  qu'il'  veut  bien  reconnaître  l'importance 
vitale  qu'il  y  a  dans  les  circonstances  actuelles  à  main- 
tenir la  paix  avec  les  tribus  du  Protectorat,  le  conseil 
de  la  Compagnie  désire  faire  remarquer  que  ses  crain- 
tes proviennent  de  la  conduite  des  indigènes  qui  se 
trouvent  en  dehors  de  ses  territoires,  et  non  de  ceux 
dont  elle  a  charge. 

«  La  Compagnie  s'est  abstenue  jusqu'ici  de  solliciter 
toute  aide  impériale  pour  le  maintien  du  bon  ordre 
dans  les  territoires  qu'elle  a  sous  son  contrôle,  et  n'en 
réclame  point  actuellement.  Elle  sait  quelles  sont  ses 
responsabilités.  Elle  est  prête  à  y  faire  face.  Tout  ce 
qu'elle  demande,  c'est  qu'on  la  protège  contre  les  atta- 
ques qui  pourraient  lui  venir  du  dehors,  et  qu'elle 
reconnaisse  que  l'on  doit  laisser  à  la  discrétion  du 
gouvernement  de  Sa  Majesté  le  soin  d'adopter  telle 
mesure  qu'il  peut  être  nécessaire  de  prendre  pour 
assurer  sa  protection;  elle  désire  faire  remarquer 
qu'elle  suggère  simplement  que  Ton  maintienne  une 
force  suffisante  à  Brass  et  le  stationnement  d'une 
canonnière  à  cette  place,  et  d'une  autre  à  Akassa,  ce 
qui  permettrait  de  retirer  du  delta  les  troupes  de  la 
Compagnie  qui  y  sont  mobilisées  sans  nécessité. 

«  Si  cependant,  pour  des  raisons  stratégiques,  le 
gouvernement  de  Sa  Majesté  juge  nécessaire  de  faire 
occuper  par  les  troupes  impériales  les  stations  de  la 
Compagnie  à  Akassa  et  à  Sabagraé,  le  conseil  est 
tout  disposé  à  prêter  au  gouvernement  de  Sa  Ma- 
jesté tout  le  concours  possible  et  à  prendre  toutes 
les  dispositions  nécessaires  pour  la  réception  des 
troupes.  » 

32 


498  LE    NIGER    COAST    PnOTECTORATE 

Le  Foreîgn  Office  répondît  tout  d'abord*  qu'il  ne  voyait 
point  de  motifs  pour  changer  son  plan  d'action;  mais 
comme  la  Compagnie  insistait  et  déclarait  en  même 
temps  qu'elle  entendait  ne  point  supporter  les  dépen- 
ses occasionnées  par  le  séjour  des  troupes  impériales 
dans  ces  territoires,  il  fut  décidé  que  l'on  enverrait  à 
Brass  une  partie  importante  des  troupes  du  Protecto- 
rat', mais  que  la  Compagnie  aurait  à  sa  charge  les 
sommes  qui  seraient  dépensées  pour  la  protection 
des  territoires  qu'elle  avait  entrepris  d'administrer. 

Neuf  bâtiments  de  guerre  furent  concentrés  dans 
les  eaux  du  Niger,  et  l'amiral  Rawson  reçut  l'ordre  de 
se  porter  au  secours  de  ceux  des  membres  de  l'expé- 
dition qui  pourraient  avoir  survécu  au  massacre,  pren- 
dre la  ville  de  Bénin  et,  si  possible,  s'emparer  du  roi. 

On  sait  comment  la  ville  fut  prise'  le  18  février,  et 
comment  il  se  trouva  que  le  surnom  de  «  ville  du  sang  » 
qu'on  lui  avait  donné  était  pleinement  justifié. 

Les  envois  de  colonnes  contre  Nana  et  contre  Bénin 
ne  devaient  pas  être  des  incidents  isolés.  Les  expé- 
ditions que  le  gouvernement  anglais  a  du  faire  pour 
maintenir  la  paix  dans  le  Niger  se  sont  succédé  jus- 
qu'à ce  jour  presque  sans  arrêt.  Ce  n'est  point  de  con- 
quête proprement  dite  qu'il  s'agit,  mais  plutôt  d'opéra- 
tions de  police.  Les  diverses  tribus,  sans  méconnaître 
l'autorité  anglaise,  s'obstinent  à  pratiquer  leurs  guer- 
res intestines,  leurs  sacrifices  humains,  leurs  procédés 


1.  Loco  ci7.,n*  43. 

2.  Loco  cit.,  n*46. 

3.  The  Bénin  Massacre,  capitaine  Alain  Boisragon,  1898;  Bénin  theeiiy 
of  Blood,  commander  B.  H.  Bacon,  1897. 


' 


l'occupation    du    bas    NIGER  499 

de  justice  barbare,  leur  anthropophagie.  Constamment, 
dans  une  rivière  ou  dans  une  autre,  le  commerce  est 
arrêté,  et  comme,  malgré  tout,  d'une  manière  générale, 
ce  commerce  est  très  prospère,  l'intérêt  qu'il  peut  y 
avoir  à  faire  disparaître  toute  cause  de  trouble  est 
considérable. 

Comme  les  motifs  de  chacune  des  expéditions  qui 
ont  eu  lieu  ces  dernières  années  ont  été  toujours  les 
mêmes,  et  que  ces  expéditions  n'ont  donné  lieu  à  aucun 
incident  notable,  nous  nous  bornerons  à  signaler  les 
principales,  en  nous  servant,  pour  en  établir  la  liste, 
des  comptes  rendus  officiels  qui  en  ont  été  donnés. 
Si  les  déclarations  du  gouvernement  sont  peut-être 
un  peu  trop  optimistes  en  ce  qui  concerne  une  situa- 
tion politique  qui  nécessite  une  surveillance  conti- 
nuelle, elles  se  rapprochent  plus  de  la  vérité  que  les 
assertions  venant  de  Lîverpool,  qui  représentent  la 
Southern  Nigeria  comme  un  pays  constamment  à  feu 
et  à  sang,  et  qui  décrivent  comme  des  expéditions  de 
simples  tournées  d'administrateurs. 

Pendant  la  plus  grande  partie  de  1897*,  les  efforts  de 
l'administration  se  portèrent  surtout  sur  la  pacification 
des  territoires  du  Bénin.  Un  résident  fut  établi  dans  la 
ville  de  Bénin,  le  roi  fut  banni,  et  la  plupart  des  chefs 
qui  avaient  participé  au  massacre  exécutés.  Il  aurait 
peut-être  été  nécessaire  de  pénétrer  dans  le  pays  de 
Nohun,  mais  il  parut  qu'il  serait  prudent  de  ne  pas 
recommencer  l'expérience  de  Bénin  et  d'attendre  que 
le  chef  du  pays  vînt  s'entendre  avec  le  gouverneur.  Le 
rapport  annuel  de  1897  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  : 

1.  p.  p.  C.  9124. 


[ 
1- 


500  LE  NIGBR  COÀST  PROTBCTORATE 

ic  Par  deux  fois  il  a  été  impossible  d'organiser  cette 
entrevue,  et  d'un  autre  côté  la  politique  à  tenir  contre 
les  Nohuns  est  très  délicate ,  car  ces  indigènes  sont 
imbus  de  vieilles  idées  et  de  traditions  qu'ils  observent 
de  temps  immémorial.  D'entreprendre  contre  eux  une 
«  Punitive  action  »  dans  le  but  de  les  civiliser  [in  order 
to  civilize  them)  générait  sérieusement  le  commerce 
du  Protectorat  de  Brass  à  Old  Calabar. 

«  La  seule  «  Punitive  expédition  »  de  quelque  impor- 
tance, continue  le  rapport,  a  été  celle  qui  a  été  entre- 
prise sur  la  Grow  River  en  janvier  et  février  1898.  Cette 
expédition  s'imposait,  carie  commerce  d'une  grande 
partie  des  Grow  Rivers  était  entièrement  arrêté,  les  cul- 
tures et  rivages  des  tribus  amies  étaient  dévastés  par 
les  Tkurces,  les  Tgbos,  les  Asigas  et  les  Npanis.  Ces 
tribus  repoussèrent  toutes  les  propositions  pacifiques 
que  put  leur  faire  Sir  Nalph  Moor  et  ne  cessèrent  de 
déclarer  que  le  seul  moyen  de  terminer  le  palabre  était 
la  guerre,  et  que  plus  tôt  le  gouvernement  les  combat- 
trait serait  le  mieux.  Il  est  satisfaisant  de  noter  que  la 
sévère  punition  qui  leur  a  été  infligée  a  sérieusement 
rehaussé  le  prestige  du  gouvernement,  la  plupart  des 
autres  tribus  attendant  pour  se  soumettre  de  voir  de 
quel  côté  serait  la  victoire.  On  doit  noter,  du  reste, 
que  la  politique  adoptée  par  Sir  Nalph  Moor  a  toujours 
consisté  à  ne  punir  [to  resort  to  punitive  action)  que 
lorsque  tous  les  moyens  pacifiques  avaient  échoué.  » 

Une  nouvelle  tournée  dans  les  Crow  Rivers  fut  néces- 
saire en  janvier  1900*,  et  il  parut  qu'il  serait  toujours 
nécessaire  de  maintenir  une  force  importante  dans  ce 
pays. 

1.  P.  p.  c.  d.,  4317. 


I 


l'occupation    du    bas    NIGER  501 

La  capture  des  chefs  qui  avaient  pris  part  au  mas- 
sacre de  Bénin  et  qui  n'avaient  pu  être  pris,  donna 
lieu  également  pendant  cette  année  à  une  petite  expé- 
dition. 

En  1901,  l'on  résolut  de  refréner  d'une  manière  sé- 
rieuse la  traite  indigène  des  esclaves,  et  le  !•'  avril  1901 
était  publié  ce  The  Slave  Dealing  Proclamation  »,  qui 
considérait  comme  crime  tout  trafic  d'esclaves.  Il  parut 
que  le  pays  le  plus  rebelle  à  la  nouvelle  ordonnance 
était  le  pays  des  Aros,  situé  entre  le  Niger  et  la  Crow 
River.  Une  expédition  longue  et  difficile  fut  entreprise 
dans  cette  région  pour  y  faire  sentir  la  puissance  de 
l'autorité  anglaise. 

Le  rapport  de  1902*  parle  dans  les  termes  suivants 
des  résultats  obtenus  : 

«  Ce  que  l'expédition  a  démontré  de  plus  remarqua- 
ble est  que  les  Âros  n'étaient  pas  une  race  militaire 
et  que  leur  influence  était  due  à  la  supériorité  de  leur 
intelligence  par  rapport  à  celle  des  autres  tribus  indi- 
gènes. La  force  de  cette  influence  était  telle  qu'elle  ne 
se  faisait  pas  sentir  seulement  dans  le  pays  aro,  mais 
encore  dans  un  grand  nombre  de  points  de  la  région 
du  delta  situés  entre  le  Niger  et  le  Crow  River  et  à 
l'est  de  celle-ci.  Lorsqu'une  tribu  essayait  de  se  sous- 
traire à  l'influence  des  Aros,  elle  était  maîtrisée  par  des 
tribus  guerrières  qui  obéissaient  aux  Aros  et  qui  rece- 
vaient pour  récompense  le  droit  de  saisir  et  de  vendre 
les  ennemis  survivants.  Dans  la  région  soumise  à  l'in- 
fluence directe  des  Aros,  aucune  contestation  impor- 
tante ne  pouvait  être  résolue  sans  qu'on  fit  appel  au 

1.  P.  p.  C.  d.,  1778, 10. 


502  LE  NIGER  COA9T  PROTECTORATE 

Juju  OU  bosquet  sacré  situé  dans  un  ravin  près  d'Ebum 
(Aro  Chuku).  Chacune  des  parties  rivales  devait  essayer 
de  se  rendre  favorable  Toracle  par  des  présents  impor* 
tants,  et  ceux  contre  qui  le  jugement  avait  été  rendu 
étaient  censés  anéantis  par  l'oracle,  alors  qu'en  réa- 
lité ils  étaient  vendus  secrètement  comme  esclaves. 
Comme  les  Aros  étaient  censés  favorisés  par  l'oracle^ 
ils  profitaient  à  la  fois  des  offrandes  et  des  esclaves.. 
L'oracle  Juju  leur  permettait  en  outre  de  se  débarras- 
ser de  toute  personne  qui  pouvait  être  accusée  d'at- 
tenter à  leur  puissance.  Les  opérations  de  1902  sup- 
primèrent cet  état  de  choses.  Les  Aros  ne  furent  pas 
anéantis,  mais  montrèrent  leur  intelligence  en  s'adap- 
tant  au  nouveau  genre  de  vie.  Jusqu'ici  ils  avaient  em- 
pêché les  tribus  de  l'intérieur  de -commercer  avec  le 
delta.  Ils  commencent  à  profiter  de  l'expérience  qu'ils 
ont  ainsi  acquise  et,  dans  l'avenir,  ils  seront  ceux  qui 
tireront  probablement  le  plus  d'avantages  de  l'ouver- 
ture de  leur  pays  aux  commerçants.  » 

Le  rapport  de  1903  décrit  ainsi  ce  qui  se  passa  cette 
année-là  : 

«  Une  expédition  dans  l'Tgara  eut  lieu  en  février. 
Son  double  objet  fut  de  punir  une  attaque  qui  avait 
été  faite  contre  le  Commissionner  du  district,  et  de 
donner  un  sentiment  de  sécurité  aux  indigènes  d'une 
région  qui  avait  été  jusque-là  terrorisée  par  un  usur- 
pateur. 

«  A  la  suite  également  d'une  réception  plus  qu'inami- 
cale faite  au  Travelling  Commissioner,  une  expédition 
eut  lieu  le  mois  suivant  dans  l'Omonohaet  l'Uri,  à  l'est 
du  Niger,  pour  les  soumettre. 

«  En  septembre,  il  parut  nécessaire  de  capturer  un 


l'occupation  du  bas  nigbr  503 

pirate  nommé  Bibi  Kala^  qui  jouissait  d'une  réputation 
locale  assez  considérable. 

«  Dans  le  même  mois,  une  démonstration  hostile  fut 
faite  contre  le  Commissioner  du  sous-district  d'Eket, 
situé  entre  le  Kiva  et  les  Crow  Rivers.  L'officier  avait 
difficilement  échappé  à  une  embuscade  pendant  sa 
tournée  dans  le  district.  Il  fallut  un  mois  de  combats 
acharnés  pour  venir  à  bout  de  tous  les  chefs  qui 
avaient  pris  part  à  l'attentat. 

((  Dans  le  mois  suivant,  une  attaque  traîtresse  fut 
dirigée  contre  le  Commissioner  du  district  d'Ifu^  à 
l'ouest  du  Niger.  Cet  officier  fut  attaqué  dans  un  pays 
ami,  mais  il  avait  avec  lui  une  escorte  suffisante  pour 
lui  permettre  de  battre  en  retraite.  Les  villes  coupa- 
bles furent  punies  sans  retard. 

«  Pendant  ce  mois  il  fut  nécessaire  d'entreprendre 
une  expédition  dans  le  Mhpance.  En  dépit  des  efforts 
répétés  du  Commissioner,  les  indigènes  de  cette 
partie  des  Crow  Rivers  refusaient  toute  avance  paci- 
fique, ne  voulant  pas  renoncer  à  un  droit  qu'ils  s'é- 
taient attribué  de  battre  les  voisins  qui  étaient  plus 
faibles  qu'eux.  L'opération  fut  courte  et  décisive  : 
quatre  jours  de  combat  amenèrent  leur  soumission.  » 

Les  troupes  qui  furent  engagées  dans  ces  diverses 
opérations  étaient  composées  de  37  officiers  européens, 
20  officiers  européens  non  commissionnés,  1.354  soldats 
indigènes;  6  Européens  furent  blessés  et  104  indigènes 
furent  tués  ou  blessés. 

En  février  1904  on  apprenait  à  Londres  qu'une  force 
considérable,  composée  de  450  hommes  de  troupes, 
deux  «  millimètres  guns  »,  5  maxims  et  550  porteurs, 
était  partie  d'Etu  sur  le  Crow  River,  le  2  janvier,  pour 


504  LE    NIGER    COAST    PROTECTORATB 

opérer  contre  les   Ibibios  du  Nord  qui  habitaient  le 
sud  de  Bendi. 

Les  personnes  qui  trouvaient  que  les  expéditions 
étaient  par  trop  fréquentes  dans  ces  pays  s'émurent,  et 
le  3  mars  M.  Litleton  répondait  à  la  Chambre  de  com- 
merce à  une  question  que  lui  posait  à  ce  sujet  Sir 
Charles  Dilke  : 

«  L'objet  de  la  tournée  faite  dans  l'ibibio  a  été  de 
placer  ce  pays  sous  le  contrôle  du  gouvernement,  de 
s'emparer  des  canons  et  armes  de  précision  que  pos- 
sédaient les  indigènes,  d'ouvrir  la  contrée  au  commerce 
et  d'arrêter  les  chasses  d'esclaves.  Un  grand  nombre 
de  villages,  qui  avaient  été  désarmés  pendant  l'ex- 
pédition contre  les  Aros  et  étaient  par  conséquent 
incapables  de  se  défendre,  avaient  été  razziés  par 
les  Ibibios.  » 

Cette  dernière  explication  est  assez  curieuse  et  jette 
un  jour  particulier  sur  la  situation  politique  du  Bas- 
Niger  à  cette  époque.  On  pouvait  se  demander  si  l'on 
ne  serait  pas  obligé  de  faire  une  nouvelle  expédition 
pour  protéger  à  leur  tour  les  Ibibios  que  l'on  vient  de 
désarmer,  contre  une  autre  tribu  qui  ne  l'aura  pas  été. 

Pendant  que  cette  expédition  avait  lieu,  des  troubles 
assez  graves  se  produisaient  dans  la  région  d'Assaba, 
provoqués  par  la  société  des  «  Ekumeku  »  (silencieux). 
D'après  M.  Edward  Dennis*,  missionnaire  de  la  Church 
Missionary  Society  d'Assaba,  le  mouvement  était  sé- 
rieux, mais  fut  une  surprise  pour  tout  le  monde.  Le 
soulèvement  n'était  pas  seulement  anti-européen,  mais 
aussi   antichrétien,   car  les  indigènes   chrétiens   sont 

î.  JV.  A.  M. y  11  mars  1904,  n*  50. 


l'occupation    du    bas   NIGER  505 

d'accord  avec  le  gouvernement  pour  condamner  les 
sacrifices  humains,  les  meurtres  de  jumeaux  et  toutes 
autres  formes  de  cérémonies  fétichistes  qui  conduisent 
à  des  crimes.  Ce  soulèvement  avait  été  soigneusement 
préparé  dans  le  plus  grand  secret.  Les  silencieux  for- 
ment une  société  très  bien  organisée,  qui  a  des  sections 
dans  chaque  village.  Les  membres  font  le  serment 
solennel  de  ne  pas  divulguer  le  secret  de  leur  rite,  qui 
est  très  compliqué  et  qui  comporte  des  sacrifices  bar- 
bares^. Les  membres  de  ces  clubs  ne  parlent  jamais, 
discutent  par  signes  et  tiennent  toutes  leurs  réunions 
de  nuit.  Ils  s'appellent  généra^lement  les  uns  les  autres 
au  moyen  de  sonneries  spéciales  de  cors. 

L'Acting  High  Commissioner  de  la  Southern  Nige- 
ria informa  de  l'incident  le  Secrétaire  d'État  aux  colo- 
nies dans  les  termes  suivants  : 

«  J'ai  rhonneur  de  vous  informer  que,  le  3  février, 
j'ai  reçu  un  rapporrt  du  Divisional  Commissioner  de  la 
Central  Division  annonçant  que  l'Elcumelai  Society 
avait  causé  des  actes  de  violence  dans  l'arrière-pays 
d'Assaba,  détruit  des  bâtiments  appartenant  à  des 
missions,  des  tribunaux  indigènes  qui  ne  voulaient 
pas  se  joindre  au  mouvement  ou  qui  restaient  fidèles 
au  gouvernement. 

«  J'ai  appris  ultérieurement  que  presque  toutes  les 
villes  du  pays  ibo,  dans  l'arrière-pays  d'Assaba,  étaient 
impliquées  dans  le  mouvement,  et  que  cette  bande  de 
révoltés  menaçait  les  factoreries  situées  sur  la  rive 
droite  du  Niger.  Le  bruit  ayant  couru  que  plusieurs 
membres  de  la  Church  Missionary  avaient  été  cer- 
nés dans  le  village  d'Idumoje  Ugboko,  Sir  Copland 
Crawford,  le  Divisional  Commissioner,  se  rendit  aus- 


506  LE    NIGER    COÀST    PROTECTORÀTB 

sitôt  à  leur  secours  avec  les  troupes  d'Assaba;  mais  en 
arrivant  à  Issebe  Chu,  il  apprit  que  les  missionnaires 
avaient  pu  parvenir  à  Assaba.  Le  Divisional  Commis- 
sionner  s'établit  dans  une  position  défensive  d'Issebe 
Chu,  et  son  action  opportune  sauva  de  la  destruction 
la  mission  catholique. 

«  Le  capitaine  Pogg,  qui  avait  été  envoyé  punir  les 
villes  du  district  dlfu  de  ce  qu'elles  avaient  attaqué 
M.  Raikes,  le  District  Commissioner,  essaya,  de  retour 
à  Assaba,  de  rétablir  Tordre  dans  la  région  troublée. 
Je  suis  arrivé  moi-même  aussitôt  à  Assaba  avec  trois 
sections  du  West  African  Frontier  Force  et  un  maxim 
avec  trois  ofGciers,  et  j*ai  constaté  que  les  stations  de 
la  Church  Missionary  à  Atuma,  Onitsha  Olona  Ezi, 
Onitsha  Eku  et  Idumuje  Ugboko  avaient  été  détruites 
ainsi  que  diverses  cases  servant  de  tribus  aux  indigè- 
nes. Les  prisonniers  avaient  été  relâchés,  et  tout  com- 
merce arrêté. 

«  L'ordre  a  été  cependant  peu  à  peu  rétabli,  et  un 
nombre  de  chefs  de  la  société  condamnés.  J'espère 
qu'à  la  fin  du  mois  la  rébellion  sera  complètement 
éteinte.  » 

Au  même  moment,  une  expédition  allemande  dirigée 
contre  le  Bari  dans  les  hauts  Cross  Hivers' fut  anéantie, 
et  les  indigènes  pillèrent  les  factoreries  établies  sur  la 
rivière.  Les  Allemands  appelèrent  les  Anglais  à  leur 
secours,  mais  comme  tous  les  postes  avaient  été  dégar- 
nis par  suite  de  l'expédition  contre  l'Ibibio,  il  fut  im- 
possible d'arriver  assez  tôt  pour  empêcher  la  destruc- 
tion de  Nsanakang.  Les  postes  anglais  furent  fortement 
menacés,  et  l'émotion  fut  considérable  en  Angleterre, 
où  il  parut  qu'il  était  fâcheux  que  l'on  ne  pût  dégarnir 


l'occupation    du    bas    NIGER  507 

un  poste  des  troupes  qui  Toccupent  sans  qu'aussitôt  il 
en  résultât  quelque  grave  inconvénient. 

Peu  à  peu  cependant  l'occupation  du  Bas-Niger  devait 
s'effectuer,  et  le  pouvoir  anglais  s'établir  de  plus  en 
plus  fortement,  de  telle  manière  que  Ton  peut  considé- 
rer cette  occupation  comme  à  peu  près  terminée,  sans 
qu'il  y  ait  lieu  d'insister  autrement  sur  les  incidents 
de  nature  purement  militaire  qu'elle  a  provoqués*. 

1.  Notamment,  de  janvier  à  avril  1908,  expédition  dans  le  district  d'Udi 
et  certaine  partie  des  districts  d'OlLigwi,  d'Owerri,  de  Dende  et  d'Abaka- 
lilci;  de  décembre  1908  à  avril  1909,  «  expédition  du  Niger  »,  qui  traversa 
tout  le  pays  situé  à  Touest  d'Udi  jusqu'à  la  frontière  delà  Nigeria  du  Nord; 
de  décembre  1910  à  février  1911,  expédition  dans  lepaysd'Orlu,  et  de  février 
à  juin  1911  opérations  dans  les  districts  d'Owerri,  de  Bende  et  d'Okigwi. 


^r 


CHAPITRE  XXXIII 

LA  SOUTHERN  NIGERIA 


La  législation. 

Tandis  que  les  gouvernements  des  anciennes  colo- 
nies de  Sierra  Leone  et  de  Lagos  se  sont  attachés, 
jusque  dans  ces  derniers  temps,  à  ne  prendre  aucune 
mesure  qui  puisse  porter  atteinte  à  l'autorité  indigène 
dans  les  Protectorats,  le  gouvernement  de  la  Southern 
Nigeria,  comme  aussi  celui  de  la  Northern  Nigeria, 
administre  ses  territoires  en  pays  conquis  et  ne  se 
préoccupe  que  de  l'opportunité  des  mesures  à  pren- 
dre, sans  s'arrêter  à  ce  qu'en  penseront  les  indigènes. 
Npus  ne  rencontrerons  donc  point,  dans  l'analyse  que 
nous  devons  faire  des  dispositions  législatives  qui  ont 
été  prises  dans  ce  pays,  d'incidents  analogues  à  ceux 
qui  ont  marqué  l'établissement  de  l'administration 
anglaise  à  Lagos  ou  à  la  Gold  Coast,  par  exemple. 

Gomme  dans  les  autres  colonies  de  la  côte  d'Afrique, 
une  <i  Suprême  Court  Proclamation  »  a  institué  dans  la 
Southern  Nigeria  une  juridiction  analogue  à  celle  qui 
est  octroyée  à  la  «  High  Court  of  Justice  of  England  » 
sur  toute  personne  qui  n'est  pas  ^native  du  pays.  En 
matière  indigène,  la  Suprême  Court  a  le  droit  de  se 
conformer  aux  coutumes  du  pays,  en  ce  qu'elles  ne 


LÀ    LÉGISLATION  509 

sont  pas  incompatibles  avec  la  justice  naturelle,  Téquité 
et  le  bon  sens, 

La  Commissioner  Proclamation  de  1900  conféra  aux 
District  Courts  les  pouvoirs  de  la  Suprême  Court,  et  les 
pouvoirs  qui  leur  étaient  octroyés  em  matière  de  justice 
indigène  furent  attribués  à  la  Nalive  Court. 

Déjà,  sous  l'administration  du  Niger  Coast  Protecto- 
rate,  huit  Consular  Courts,  présidées  par  les  Commis- 
sioners,  avaient  rendu  la  justice  dans  les  matières  qui 
concernaient  des  personnes  étrangères  au  Protectorat, 
tandis  que  23  Native  Councils  avaient  été  organisés 
pour  s'occuper  des  affaires  entre  indigènes.  Le  consul 
général  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet,  dans  son  rapport  de 
1898  : 

«  Un  grand  nombre  de  cas,  criminels  ou  civils,  ont 
été  examinés  par  ces  tribunaux,  qui,  sous  la  direction 
du  Judicial  Officer,  sont  surveillés  directement  par 
les  District  Officers.  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  de  tels 
tribunaux  n'aient  une  valeur  considérable,  non  seule- 
ment en  ce  qu'ils  apportent  un  concours  matériel  très 
précieux  à  l'administration  dans  la  surveillance  de 
ces  territoires,  mais  encore  en  ce  qu'ils  constituent 
un  excellent  moyen  d'enseigner  aux  indigènes  quelles 
sont  les  bonnes  méthodes  pour  gouverner  et  pour  ren- 
dre la  justice.  Non  seulement  ces  assemblées  de  chefs 
s'occupent  des  questions  judiciaires,  mais  encore  les 
Native  Councils,  en  tant  que  distincts  des  Native  Courts, 
sont  autorisés  à  faire  des  lois  pour  l'administration  des 
territoires  qu'ils  ont  sous  leurs  ordres.  Ils  ont  en 
pratique  l'administration  de  leurs  ressources  sous 
la  surveillance,  naturellement,  des  fonctionnaires  euro- 
péens; le  soin  de  les  dépenser  pour  le  bien  du  pays  et 


510  LA    SOUTHERN    NIGERIA 

des  indigènes  est  une  bonne  leçon  d'administration 
civilisée.  Par  Tintermédiaire  de  ces  assemblées^  des 
maisons  pour  abriter  des  tribunaux  et  de  bonnes 
routes  sont  construites,  pendant  que  d'autres  travaux 
publics  sont  exécutés.  On  peut  espérer  que  la  valeur 
des  travaux  ainsi  faits  ira  en  augmentant  d'année  en 
année,  et  que,  si  on  prend  des  soins  convenables  de 
l'organisation  de  ces  assemblées,  les  fonctionnaires 
européens  pourront  se  décharger  sur  elles  d'une  grande 
partie  de  leurs  travaux  et  s'occuper  de  choses  qu^ils  ne 
pourraient  entreprendre  autrement.  » 

La  proclamation  de  1901  vint  organiser  définitivement 
le  système  des  assemblées  indigènes  (The  Native 
Courts  Protectorale  1901  [29  octobre]).  Ses  principales 
dispositions  sont  les  suivantes  : 

Le  Haut  Commissioner  a  le  droit  d'établir  dans  tous 
districts  une  ou  plusieurs  Native  Courts  qui  seront 
dénommées  «  Native  Councils  »  du  district^  et  aussi 
une  ou  plusieurs  «  Native  Courts  »  subalternes  qui 
seront  dénommées  «  Minor  Courts  ».  Cette  procla- 
mation s'applique  à  toutes  les  Native  Courts  établies 
avant  la  promulgation. 

Le  ressort  des  Councils  ou  Courts  est  ûxé  par  le 
Hîgh  Commissioner. 

Chaque  Native  Council  exercera  une  surveillance  gé- 
nérale sur  toutes  les  Minor  Courts  du  district  et  aura  le 
droit  de  vérifier  les  procès-verbaux  de  leurs  séances. 

Chaque  Native  Council  sera  composé  du  Commis- 
sioner du  district,  président,  et  des  membres  que  nom- 
mera le  High  Commissioner. 

Le  District  Commissioner  pourra  nommer  une  per- 
sonne pour  le  remplacer  comme  président  dans  le  cas 


LÀ    LÉGISLATION  511 

OÙ  il  ne  pourrait  siéger  par  suite  de  maladie  ou  pour 
toute  autre  cause. 

Chaque  Minor  Court  sera  composée  de  membres 
nommés  par  le  High  Commissioner. 

Le  président  d'une  Minor  Court  de  trois  membres  au 
moins  sera  nommé  par  les  membres  de  la  Court  pour 
une  période  de  trois  mois;  en  l'absence  du  président,  le 
membre  le  plus  âgé  présidera. 

La  nomination  des  membres  des  Native  Courts  sera 
faite  pour  les  temps  et  sous  les  conditions  que  le  High 
Commissioner  jugera  bon. 

Le  High  Commissioner  pourra  exiger  qu'un  quorum 
déterminé  soit  atteint  pour  l'examen  d'une  question 
déterminée  ou  pour  toutes  les  délibérations  d'une 
Court. 

Les  Native  Courts  auront  pleine  compétence  dans 
toutes  les  affaires,  civiles  ou  criminelles,  oii  la  loi 
indigène  sera  applicable  et  dans  lesquelles  toutes 
les  parties  seront  indigènes,  et  dans  celles  pour  les- 
quelles toute  personne  non  indigène  déclarera  deman- 
der le  jugement  d'une  Native  Court. 

Partout  où  une  Native  Court  est  établie  dans  un  dis- 
trict, la  juridiction  civile  ou  criminelle  qu'elle  aura  sur 
les  indigènes  ne  pourra  être  exercée  par  aucune  autre 
juridiction  indigène  quelle  qu'elle  soit'. 

Dans  les  limites  définies  par  l'ordonnance,  la  compé- 
tence des  Native  Councils  s'étendra  en  matière  civile  à  : 

Tous  procès  "personnels  dans  lesquels  la  valeur  de 
l'objet  du  litige  ne  dépassera  pas  200  livres  et  dans  les- 
quels le  défenseur  résidera  dans  le  district  du  Council; 

Tous  procès  concernant  des  questions  de  propriété 
foncière  dans  lesquels  la  valeur  du  litige  ne  dépassera 


512  LA    SOUTHBRN    NIGBRIA 

pas  200  livres,  à  condition  que  Timmeuble  sur  lequel 
porte  la  contestation  soit  situé  dans  le  district  de  la 
Court  ; 

Tous  procès  relatifs  aux  successions  de  personnes 
qui  ont  résidé  dans  lé  district  au  moment  de  leur  mort, 
et  dans  lesquels  la  valeur  du  litige  ne  dépasse  pas  200 
livres. 

Au  point  de  vue  criminel,  la  compétence  des  Native 
Gouncils  s'étend  à  toutes  les  offenses  ou  crimes  commis 
dans  le  district  et  pour  lesquels  il  ne  devra  pas  être 
prononcé  une  peine  dépassant  un  emprisonnement  de 
deux  ans,  avec  ou  sans  travaux  forcés, .et,  avec  ou 
sans  flagellation  ne  dépassant  pas  15  coups,  un  empri- 
sonnement d'un  an  et  une  amende  ne  dépassant  pas 
100  livres. 

Dans  les  limites  définies  par  l'ordonnance,  la  com- 
pétence des  Minor  Courts  sera  la  même  que  celle  des 
Native  Courts,  mais  la  valeur  du  litige  ne  devra  pas 
dépasser  25  livres  en  matière  personnelle  et  foncière, 
et  50  livres  en  matière  de  succession.  En  matière 
criminelle,  leur  compétence  s'étend  aux  offenses  pour 
lesquelles  il  ne  devra  pas  être  prononcé  une  peine 
dépassant  un  emprisonnement  de  six  mois  avec  ou 
sans  travaux  forcés,  et  avec  ou  sans  flagellation  ne 
dépassant  pas  15  coups,  ou  un  emprisonnement  de 
trois  mois  avec  une  amende  de  25  livres,  ou  encore 
une  amende  de  50  livres. 

Le  High  pourra  réduire  ou  augmenter  pour  toute 
Native  Court  les  compétences  déterminées  ci-dessus. 

Aucun  jugement  de  Native  Court  ne  pourra  être 
annulé  sous  prétexte  qu'il  a  été  rendu  dans  une  ma- 
tière pour  laquelle  ladite  Court  n'est  pas  compétente. 


LA    LÉGISLATION  513 

à  moins  qu'il  en  ait  été  ainsi  décidé  en  appel  par  la 
Native  Council  ou  la  Suprême  Court. 

Aucun  jugement  ou  décision  d'une  Native  Court  ne 
pourra  être  annulé  pour  cause  d'erreur  dans  la  forma- 
tion de  la  Court. 

Lorsqu'une  Native  Court  jugera  qu'elle  n'est  pas 
compétente  dans  un  cas  déterminé,  elle  pourra  ren- 
voyer ce  cas  devant  la  Court  qu'elle  estimera  compé- 
tente et  pourra  prononcer  les  dépens  qu'elle  jugera 
convenables. 

Toute  Native  Court  pourra  demander  la  collabora- 
tion d'assesseurs  indigènes,  à  qui  il  ne  sera  donné  que 
voix  consultative,  pour  se  renseigner  sur  les  lois  ou 
coutumes  indigènes. 

Aucun  avocat,  conseil,  avoué  ou  fondé  de  pouvoirs 
[advocate,  solicitor,  proctor  or  aUorney)  ne  pourra 
intervenir  dans  les  Native  Courts  sans  autorisation  des 
tribunaux. 

Les  Native  Courts  pourront  autoriser  les  maris  ou 
épouses,  maîtres  ou  serviteurs  des  demandeurs  ou  dé- 
fendeurs à  comparaître  à  la  place  de  ceux-ci. 

Toute  personne  qui  ne  payera  pas  l'amende  à  laquelle 
elle  sera  condamnée  pourra  être  condamnée  à  un  an  de 
prison  ou  à  toute  autre  peine  équivalente,  après  quoi 
il  lui  sera  fait  remise  de  sa  peine. 

L'exécution  de  tout  jugement  rendu  en  matière  civile 
pourra  être  assurée  par  une  garantie  donnée  sur  les 
biens  meubles  ou  immeubles  du  condamné,  ou  par  tout 
autre  moyen  qui  ne  sera  pas  incompatible  avec  les  prin- 
cipes de  droit  naturel  ou  la  loi  anglaise. 

Toute  personne  qui  ne  serait  pas  satisfaite  par  une 
décision  rendue  par  une  Minor  Court  pourra  faire  appel 

33 


514  LA    SOUTHERN    NIGERIA 

dans  les  30  jours  devant  le  Natif  Council  du  district  ;  si 
elle  n'est  pas  satisfaite  de  la  décision  du  District  Coun- 
cil, elle  pourra  demander  dans  les  30  jours  au  District 
Commissioner  Tautorisation  de  faire  appel  devant  la 
Suprême  Court. 

Tout  appel  devant  la  Suprême  Court  devra  être 
entendu  par  un  juge  de  la  Suprême  Court,  siégeant  avec 
au  moins  deux  et  au  plus  cinq  assesseurs  ayant  voix 
consultative,  choisis  par  ce  juge  parmi  les  membres 
des  Native  Councils  ou  des  Minor  Courts. 
.  Le  District  Commissioner  d'un  district  aura  le  droit 
d'arrêter  l'audition  de  toute  cause  civile  ou  criminelle 
soumise  à  une  Minor  Court  ou  District  Court  et  de  la 
soumettre,  suivant  le  cas,  au  Native  Council  du  district 
ou  à  la  Suprême  Court. 

Toute  Native  Court  aura  le  pouvoir  de  maintenir 
l'ordre  en  arrêtant  les  émeutes,  les  échauffourées  et 
désordres  de  toute  sorte,  d'appliquer  dans  le  district 
toute  loi  indigène,  ou  proclamation,  ou  décret  ou  ordre 
de  la  Suprême  Court,  conformément  aux  instructions 
du  Higlî  Commissioner,  de  saisir  et  d'envoyer  devant 
la  Suprême  Court  toute  personne  accusée  de  crimes 
dont  la  punition  dépasserait  sa  compétence. 

Tout  Native  Council  pourra,  avec  Tapprobation  du 
High  Commissioner,  faire  amender  ou  révoquer  des 
règlements  établissant  dans  son  district  des  lois  indi- 
gènes, régularisant  et  tendant  à  développer  le  com- 
merce dans  le  district,  et  d'une  manière  générale  dis- 
posant dans  le  but  de  maintenir  la  paix,  le  bon  ordre  et 
le  bien-être  chez  les  indigènes  du  pays.  Il  pourra  éta- 
blir des  pénalités  ne  dépassant  pas  100  livres  d  amende 
ou  deux  ans  d'emprisonnement,  avec  ou  sans  travaux 


LA    LÉGISLATION  515 

forcés,  et  avec  ou  sans  flagellation  ne  dépassant  pas 
15  coups. 

Le  HighCommissioner  pourra  enlever  à  toute  Native 
Court  tout  ou  partie  d-e  ses  pouvoirs,  s'il  juge  que  ses 
membres  en  ont  abusé  ou  sont  incapables  de  les  exercer. 

De  même  il  pourra  suspendre  ou  révoquer  tout  mem- 
bre d'un  conseil  pour  raison  d'incapacité  ou  pour  tout 
autre  motif.  Sa  décision  devra  être  communiquée  audit 
membre,  qui  devra  être  admis  à  présenter  sa  défense. 

Personne  ne  pourra  siéger  dans  les  Native  Courts 
sans  y  être  autorisé  par  le  High  Commissioner,  et  cela 
à  peine  d'une  amende  de  50  livres  au  plus  ou  d'un 
emprisonnement  de  6  mois  au  plus,  avec  ou  sans  tra- 
vail forcé. 

Toute  personne  qui  acceptera  ou  demandera  pour  lui 
ou  pour  toute  autre  personne  une  gratification  quel- 
,  conque  dans  le  but  de  corrompre  ou  d'influencer  un 
membre  d'une  Native  Court,  sera  passible  d'une  amende 
ne  dépassant  pas  100  livres  ou  d'un  emprisonnement 
ne  dépassant  pas  deux  ans,  avec  ou  sans  travail  forcé. 

Nous  avons  vu  comment  la  Native  Council  Ordinance 
de  Lagos  avait  été  mal  accueillie,  et  comment  en  An- 
gleterre et  dans  la  colonie  on  avait  manifesté  la  crainte 
de  voir  le  gouvernement  se  servir  de  ses  dispositions 
pour  tenir  en  tutelle  les  chefs  indigènes.  Alors  que  Sir 
Willam  MacGregor  déclarait  que  l'ordonnance  avait 
pour  but  de  renforcer  l'autorité  indigène,  le  gouverne- 
ment de  la  Southern  Nigeria  laissait  entendre  qu'il  vou- 
lait bien  laisser  aux  indigènes  l'administration  de  leur 
pays,  mais  à  condition  d'en  garder  complètement  la 
direction  et  le  contrôle. 


516  LA    SOUTHERN    NIGERIA 

En  réalité,  la  proclamation  sur  les  Native  Councils 
donnait  aux  District  Commissioners  pleins  pouvoirs, 
et  constituait  surtout  un  moyen  de  se  rendre  compte 
de  la  mesure  dans  laquelle  on  pourrait  laisser  dans  l'a- 
venir quelque  initiative  aux  chefs  indigènes.  Entre  les 
mains  d'administrateurs  habiles,  elle  permettait,  en 
outre,  d'habituer  les  chefs  à  considérer  le  gouver- 
nement d'un  pays  autrement  que  comme  un  moyen 
d'exaction  et  à  leur  faire  comprendre  peu  à  peu  ce  que 
Ton  attendait  d'eux. 

Les  résultats  obtenus  jusqu'ici  sont  les  plus  encou- 
rageants. Le  gouvernement  déclare  qu'il  est  arrivé  à 
pouvoir  compter  dans  une  certaine  mesure  sur  les 
chefs  pour  surveiller  l'application  des  règlements  dont 
ils  finissent  par  comprendre  la  nécessité.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  qu'une  tentative  a  été  faite  dans  chaque 
tribu  pour  organiser  une  sorte  de  fonds  d'assistance 
pour  les  malades,  les  infirmes  et  les  gens  âgés.  En 
1902,  la  plupart  des  Native  Councils  établirent  comme 
règle  que  les  commerçants  indigènes  devaient  verser 
à  ce  fonds  une  certaine  quote-part  (généralement  5 
p.  100  de  la  valeur  des  produits  qu'ils  vendaient). 

La  (c  Commissioner  Proclamation  1900*  »  conféra  aux 
Commissioners  une  partie  des  pouvoirs  de  la  Suprême 
Court. 

Elle  portait  que  les  Commissioners  seraient  nommés 
par  le  High  Commissioner  avec  l'approbation  du  Secré- 
taire  d'Etat. 

Chaque  Commissioner,  en  tant  que  juge  de  la  Su- 
prême Court,  est  soumis  à  sa  surveillance.  Tous  ses 

1.  N*  8, 1900,  prise  par  Sir  R.  Moor,  22  mars  1900. 


LA    LÉGISLATION  517 

jugements  doivent  être  communiqués  au  Chief  Justice. 

La  compétence  des  Commissioners  s'étendra  à  : 

Tous  cas  civils  en  matière  personnelle  dans  lesquels 
la  valeur  du  litige  ne  dépasse  pas  100  livres  lorsque  la 
dette  est  contestée,  et  tous  ceux  où  la  dette  n'est  pas 
contestée. 

Tous  cas  en  matière  foncière  lorsque  la  valeur  du 
loyer  de  l'immeuble  ne  dépasse  pas  25  livres. 

Ces  fonctionnaires  ont  le  droit  de  délivrer  des  ha^ 
béas  corpus  pour  la  comparution  devant  le  tribunal 
des  personnes  déclarées  sous  serment  innocentes,  de 
nommer  des  gardiens  aux  enfants  abandonnés  et  de 
prendre  les  mesures  nécessaires  pour  conserver  les 
propriétés  abandonnées. 

En  matière  criminelle  ils  ont  le  droit  de  juger  les 
cas  qui  entraînent  une  punition  de  6  mois  de  prison 
au  plus,  avec  ou  sans  travail  forcé,  et  avec  ou  sans 
flagellation  de  15  coups  au  plus,  ou  une  amende  de 
50  livres. 

Les  Commissioners  peuvent,  s'ils  le  jugent  oppor- 
tun, renvoyer  les  procès  entre  les  indigènes  devant  les 
tribunaux  indigènes. 

Le  Chief  Justice  peut,  pour  des  cas  et  pour  une  durée 
déterminée,  étendre  la  compétence  des  Commissioners. 

Chaque  Commissioner  agit  comme  Coroner  dans  le 
district  où  il  est  nommé.  Le  High  Commissioner  peut 
nommer  comme  Deputy  Coroner  toute  personne  qui 
lui  paraîtra  convenable;  en  l'absence  d'un  Deputy  Co- 
roner, le  Commissioner  qui  sera  empêché  d'agir  lui- 
même  comme  Coroner  pourra  nommer  à  cette  fonction 
telle  personne  qu'il  jugera  bon. 

A  la  fin  de  chaque  mois,  les  Commissioners  devront 


518  LA    SOUTHEnN    NIGERIA 

adresser  au  Chief  Justice  la  liste  de  tous  les  cas  ayant 
entraîné  une  pénalité  corporelle  ou  une  amende.  Celte 
liste  agira  comme  une  requête  en  appel,  et,  lorsqu'un 
de  ces  jugements  aura  été  rendu  contrairement  à  la 
loi,  le  Chief  Justice  pourra,  sans  nouvelle  procédure, 
annuler  ou  modifier  ces  jugements  ou  en  réformer  les 
effets.  Il  ne  pourra  en  être  ainsi,  cependant,  lorsqu'un 
Commissioner  aura  réservé  un  point  déterminé  au 
jugement  de  la  Suprême  Court,  ou  lorsqu'un  condamné 
aura  fait  appel  spécialement.  Au  lieu  de  statuer  par 
lui-même  sur  les  cas  portés  sur  la  liste,  le  Chief  Justice 
pourra  les  renvoyer  aussi  au  Commissioner  pour  qu'il 
en'saisisse  la  Suprême  Court. 

Une  ordonnance  spéciale  vint  reconnaître  et  renfor- 
cer Taulorité  des  chefs  indigènes  (The  Native  Ilouse 
Rule  Proclamation  1901). 

Elle  portait  que  chaque  membre  d'une  case  (toute 
personne  qui,  par  naissance  ou  autrement,  est  soumise 
à  l'autorité  d'un  chef  de  «  case  »  (en  réalité  de  famille) 
était  soumis  aux  lois  et  coutumes  indigènes. 

Inversement,  tout  chef  de  case  qui  refuse  ou  néglige 
de  remplir  les  obligations  qui  lui  sont  imposées  par 
les  lois  et  les  coutumes  indigènes  envers  les  membres 
de  sa  case  sera  punissable  également. 

Ce  texte  ne  faisait,  en  somme,  en  donnant  des  sanc- 
tions pénales,  que  définir  une  autorité  qui  est  siinple- 
ment  censée  exister  de  fait  dans  les  autres  colonies. 

Le  régime  foncier  fut  défini  et  réglementé  à  la  même 
date  par  «  The  Southern  Nigérian  Forestry  Proclama- 
lion  ».  Les  dispositions  principales  étaient  les  sui- 
vantes : 


LA    LÉGISLATION  519 

'  Les  terres  incultes  et  les  fot'êts  appartiennent  aux 
communautés  indigènes.  Les  chefs,  en  tant  que  re- 
présentants de  la  communauté,  ont  le  droit  d'accorder 
ces  terres  en  concessions,  mais  seulement  avec  l'ap- 
probation du  gouverneur.  Les  concessions  ne  peuvent 
dépasser  une  étendue  de  9  milles  carrés  et  être  faites 
pour  plus  de  7  ans. 

Le  concessionnaire  devra  payer  à  la  tribu  10  shillings 
par  are  coupé,  et  15  shillings  par  tonne  d'ébène  expor- 
tée, ou  2  pence  par  pied  cube  d'autre  bois  exporté.  Il 
est  tenu  d'entretenir  des  pépinières  pour  assurer  la  re- 
plantalion  des  arbres  coupés,  et  il  lui  est  défendu  de 
détruire  toute  plante  à  caoutchouc,  sous  peine  de  dé- 
chéance de  concession.  Celte  déchéance  sera  également 
prononcée  si  Texploitation  cesse  pendant  plus  de  9  mois. 

L'exploitation  du  caoutchouc  ne  peut  avoir  lieu  que 
par  les  personnes  munies  de  licence  accordée  par  les 
chefs  avec  l'approbation  du  High  Gommissioner.  Les 
indigènes  du  district  ont  à  payer  pour  Foctroi  de  ces 
licences  une  somme  de  10  shillings  par  an  au  Trésor, 
et  les  étrangers  une  livre  10  shillings.  La  moitié  de  ces 
sommes  revient  à  la  communauté. 

Le  gouvernement  possède,  par  voie  de  traité  ou  de 
conquête,  des  terres  qui  constituent  des  «  Forest  Re- 
serves »;  lorsqu'il  en  concède  une  partie,  il  perçoit 
seul  toutes  les  redevances  qui  sont  payées  par  le  con- 
cessionnaire. 

Les  formules  de  licence  délivrées  en  vertu  de  cette 
proclamation  sont  revêtues  de  «  la  signature  des  chefs 
indigènes,  comme  propriétaires  ou  comme  représen- 
tants des  propriétés  indigènes  du  sol;  des  signatures 
des  personnes  à  qui  la  concession  est  accordée  ou  de 


520  LA    SOUTHBRN    NIGERIA 

leurs  agents  autorisés;  de  la  signature  du  High  Corn- 
missioner  sanctionnant  et  confirmant  la  concession  au 
nom  du  gouvernement  de  la  Southern  Nigeria;  des 
signatures  de  témoins  et  interprètes  ». 

Nous  savons  comment  à  Lagos  une  tentative  de  régle- 
mentation du  même  genre  fut  repoussée  par  les  indi- 
gènes. Dans  la  Southern  Nigeria  on  ne  leur  demanda 
pas  leur  avis,  et  les  Européens  furent  seuls  à  protester. 

Sur  l'impulsion  de  Sir  Alfred  Jones,  la  Chambre  de 
commerce  de  Liverpool  adressa  au  Colonial  Office  un 
mémorandum'  dans  lequel  elle  déclarait  que  la  procla- 
mation donnait  des  pouvoirs  trop  grands  aux  conces- 
sionnaires, en  ce  sens  que  les  droits  des  indigènes  ne 
lui  paraissaient  pas  suffisamment  réservés,  et  que,  en 
même  temps,  les  obligations  imposées  à  ces  conces- 
sionnaires, comme  celle  de  constituer  des  pépinières 
et  des  plantations,  étaient  trop  difficiles  à  remplir. 
L'exploitation  des  forêts  du  Bas-Niger  avait  permis 
aux  commerçants  anglais  de  faire  d'excellentes  affaires 
depuis  70  ans.  11  était  probable  que  ces  forêts  conte- 
naient encore  des  richesses  inexploitées.  Ne  valait-il 
pas  mieux  les  faire  connaître  que  d'instituer  des  règles 
gênantes  et  vexatoires?  11  était  nécessaire  de  régle- 
menter les  récoltes  du  caoutchouc,  mais  ce  devait  être 
d'une  manière  plus  simple  que  ne  Tavait  fait  la  procla- 
mation. 

M.  Chamberlain  ayant  répondu  d'une  manière  assez 
évasive*,  la  section  africaine  de  la  Chambre  de  com- 
merce lui  récrivit'  pour  lui  demander  une  carte  de  la 

1.  27  mars  1902.  V.  W,  A.,  12  avril  1902,  n»  69- 

2.  fV.  A.,  25  juillet  1902,  n»  84. 

3.  Loco  cil. 


LA    LÉGISLATION  521 

Southern  Nigeria  montrant  où  étaient  situées  les  terres 
qui  étaient  réservées  par  la  proclanMition  au  gouverne- 
ment et  celles  qui  restaient  à  la  disposition  des  indi- 
gènes. La  section  témoignait,  en  même,  temps,  Tinten-- 
tion  d'obtenir  une  entrevue  du  Secrétaire  d'État  pour 
discuter  la  question  avec  lui. 

M.  Chamberlain  fit  simplement  observer  que\  «  bien 
qu'il  fût  toujours  heureux  d'assister  la  Chambre  de 
commerce  lorsque  c'était  en  son  pouvoir,  il  lui  était 
impossible,  en  tant  que  Secrétaire  d*État,  d'entrepren- 
dre d'interpréter  les  lois  d'une  colonie  ou  d'un  protec- 
torat. Il  n'avait,  du  reste,  point  été  dressé  de  carte  ana- 
logue à  celle  que  réclamait  la  Chambre  de  commerce.  » 

De  son  côté,  l'Aborigine's  Protection  Society  protes- 
tait auprès  «du  Colonial  Office*.  D'après  elle,  la  Pro- 
clamation paraissait  constituer  à  la  Couronne  un  droit 
de  propriété  sur  toutes  les  terres  des  Indigènes  [native 
lands)  définies  comme  «  Terres  vacantes  et  forêts 
placées  à  la  disposition  des  indigènes  »  [wastes  and 
for  est  lands  ai  the  disposai  of  native).  On  privait  ainsi 
virtuellement  les  indigènes  de  tous  les  droits  de  pro- 
priétaires qu'ils  pouvaient  avoir,  à  titre  privé  ou  comme 
membres  d'une  communauté,  dans  toutes  les  régions 
sur  lesquelles  s'étendait  le  protectorat  de  l'Angleterre, 
Ils  he  pouvaient  exercer  ces  droits  qu'à  condition  de 
consentir  à  accepter,  moyennant  une  lourde  redevance, 
la  situation  de  tenanciers  sous  la  dépendance  de  la 
Couronne.  Dans  les  parties  du  Protectorat  qui  étaient 
devenues,  du  fait  de  la  conquête,  possessions  anglaises, 
on  pouvait  invoquer  la  nécessité  de  protéger  les  inté- 

1.  Loco  cit. 

2.  W.A.,ïi*l\. 


522  LA    SOUTHERN    NIGERIA 

rets  des  indigènes  eux-mêmes,  et  le  comité  approuvait 
les  dispositions  équitables  qui  pouvaient  être  prises 
pour  la  protection  des  richesses  naturelles  contre  l'i- 
gnorance des  habitants  ou  Tabsence  de  scrupules  des 
aventuriers.  Cependant  les  conditions  dans  lesquelles 
le  protectorat  de  l'Angleterre  avait  été  accepté  par  la 
plus  grande  partie  des  populations  indigènes  ne  com- 
portait point  de  restrictions  à  Texercice  de  leurs  droits 
de  propriété.  La  société  croyait  devoir  faire,  à  ce  point 
de  vue,  les  mêmes  objections  qu'elle  avait  émises  pour 
Lagos  dans  des  circonstances  analogues. 

Le  Secrétaire  d'État  assura  TAborigine's  Protection 
Society*  qu'il  n'avait  jamais  été  question  de  porter  ai- 
teinte  aux  droits  des  indigènes  sur  les  terres,  et  qu'il 
ne  pourrait  être  donné  à  des  étrangers  la  permission  de 
les  exploiter  qu'avec  l'autorisation  des  chefs.  La  pro- 
clamation n'avait,  du  reste,  pas  pour  objet  de  porter  des 
entraves  à  l'exploitation  de  la  terre  et  de  ses  produits 
par  les  propriétaires  indigènes  eux-mêmes.  Elle  était 
destinée  à  protéger  ceux-ci  contre  les  commerçants 
européens  ou  indigènes  qui  ne  considéraient  que  leurs 
profits  immédiats. 

L'amalgation  de  la  Southern  Nigeria  et  de  Lagos  n'a 
point  eu,  jusqu'ici,  d'influence  sur  la  législation  que 
nous  venons  d'esquisser,  pas  plus  que  sur  les  institu- 
tions propres  à  Lagos.  11  est  bien  probable,  cependant, 
qu'une  certaine  uniformisation  se  produira  de  plus  en 
plus,  en  même  temps  que  les  motifs  politiques,  qui  ont 
été  les  principes  directeurs,  perdront  de  leur  influence 
et  de  leur  portée. 

1.  JF.Â.,  n«74. 


CONCLUSION 


L*impression  qui  ïious  paraît  se  dégager  le  plus  net- 
tement de  cette  étude,  c'est  que  l'Angleterre  a  adopté 
en  Afrique  occidentale  des  politiques  différentes,  non 
seulement  suivant  les  époques,  mais  encore  suivant  les 
régions,  tout  en  n'ayant  pas  cherché  à  se  soumettre 
ainsi  à  des  nécessités  déterminées;  il  nous  apparaît 
bien  que  les  impulsions  diverses  dont  nous  avons  indi- 
qué l'origine  dans  notre  introduction,  ont  été  la  véri- 
table cause  des  régimes  qu'elle  a  adoptés  vis-à-vis  dos 
indigènes,  et  que  les  fluctuations  de  sa  politique  sont 
venues  de  ce  qu'elle  a  opposé  plus  ou  moins  de  résis- 
tance à  ces  impulsions. 

D'une  manière  générale,  on  peut  dire  que,  si  la  créa- 
tion des  Colonies  a  eapour  but  de  donner  une  base 
-définitive  aux  établissements  qui  avaient  été  fondés  à 
la  côte  par  les  commerçants  anglais,  celle  des  Protecto- 
rats répondait  à  la  préoccupation  de  déterminer,  d'une 
façon  précise,  la  part  des  responsabilités  que  l'Angle- 
terre entendait  accepter  vis-à-vis  des  pays  de  l'inté- 
rieur où  elle  avait  été  entraînée  par  la  force  des  choses. 

Ces  responsabilités  ne  devaient  cependant  pas  rester 
dans  les  limites  qu'elle  aurait  voulu  leur  tracer,  et  la 
politique  indigène  de  l'Angleterre  a  été,  en  somme, 
une  succession  d'idées  justes  et  d'illusions  profondes. 


524  CONCLUSION 

m 

L'erreur  la  plus  grave  qu'elle  ait  commise  a  été  de 
croire  que  chacun  de  ses  actes  était  définitif  et,  qu'après 
chaque  incident  nouveau,  elle  pouvait  agir  comme  s'il 
n'avait  laissé  aucune  trace,  comme  si  rien  désormais 
ne  pouvait  troubler  la  paix  rétablie.  Là  s'est  trouvée 
la  cause  de  la  plupart  des  difficultés  que  l'Angleterre 
a  rencontrées  en  Afrique  occidentale. 

Une  dernière  vue  d'ensemble  sur  les  événements 
dont  nous  venons  d'étudier  la  genèse  nous  permettra 
de  synthétiser  cette  politique,  en  même  temps  que  de 
porter  sur  elle  le  jugement  que  nous  avons  réservé 
jusqu'ici. 

Nous  n'aurons  plus  ensuite  qu'à  résumer  les  divers 
systèmes  que  la  métropole  a  appliqués  dans  l'exercice 
de  ses  droits  et  de  ses  devoirs  de  souveraineté  vis-à-vis 
des  indigènes  devenus  ses  sujets,  pour  trouver  l'ensei- 
gnement que  contient  cette  histoire. 

Nous  avons  vu  coinment,  à  Sierra  Leone,  les  gouver- 
neurs Hay  et  Flemming  ne  proposèrent  l'établissement 
d'une  force  armée  dans  l'intérieur  qu'à  titre  d'expé- 
rience. Sir  Frédéric  Cardew,  ayant  réussi  à  installer, 
sans  violence,  des  fonctionnaires  européens  dans  les 
différentes  régions  de  cet  hinterland,  estima  qu'il  pou- 
vait agir,  tout  d'un  coup,  comme  si  ces  fonctionnaires 
avaient  réellement  l'autorité  que  leur  institution  sup- 
posait; le  soulèvement  de  1898  s'ensuivit. 

Nous  savons  comment  les  avis  différèrent  sur  les 
causes  de  ce  soulèvement.  On  l'attribua  d'une  manière 
générale  en  Angleterre,  avec  Sir  David  Chalmers,  à  une 
circonstance  particulière,  à  l'établissement  d'un  impôt 
direct  et  à  la  façon  dont  cet  impôt  avait  été  perçu.  Le 
gouvernement,  et  avec  lui  le  Colonial  Office,  déclara  au 


CONCLUSION  525 

contraire  que  la  révolte  était  due  au  mécontentement 
ressenti  par  les  chefs,  qui  voyaient  disparaître  un  régime 
d'exactions  dont  ils  profitaient.  Le  Commissaire  envoyé 
par  la  métropole  avait  cherché  à  étayer  son  opinion  sur 
les  plus  petits  détails  :  Sir  Frédéric  Cardew  s'était  atta- 
ché à  réfuter  chacune  de  ses  conclusions.  Nous  avons 
exposé  cette  polémique  comme  la  meilleure  des  démons- 
trations de  l'esprit  qui  a  animé  la  politique  anglaise  à 
Sierra  Leone;  mais  nous  nous  en  sommes  tenus  là,  et 
n'avons  cherché  ni  à  faire  la  critique  des  opinions  expri- 
mées, ni  à  indiquer  la  nature  exacte  des  circonstances 
sur  lesquelles  notre  démonstration  s'appuyait.  La  valeur 
de  ces  opinions  et  de  cette  exactitude  n'est  que  relative. 
Toutes  les  explications  données  au  soulèvement 
étaient  également  valables;  mais  ce  qu'il  importait  de 
dire,  et  c'est  ce  qui  a  échappé  à  Sir  David  Chalmers  et 
que  le  gouvernement  n'a  point  voulu  avouer,  c'est  que 
l'occupation  anglaise  elle-même  en  avait  été  la  cause 
effective. 

Sans  doute  les  chefs  avaient  été  mécontents  de  voir 
disparaître  leur  autorité  et  les  institutions  dont  ils  bé- 
néficiaient; sans  doute  le  peuple  devait  d'autant  plus 
facilement  répondre  à  l'appel  de  ses  chefs  que  la  façon 
maladroite  dont  fut  perçue  la  taxe  sur  les  cases  permit 
à  ceux-ci  de  lui  expliquer  qu'il  ne  gagnerait  rien  au 
<:hangement  de  régime.  Mais  c'est  ce  changement  lui- 
même,  indépendamment  de  son  mode  d'application,  qui 
rendait  le  mouvement  inévitable,  du  moment  que  l'An- 
gleterre n'avait  pas  pris  dès  l'abord  les  précautions 
nécessaires  pour  le  prévenir. 

Pendant  de  longues  années,  presque  tout  un  siècle, 
le  pouvoir  anglais  s'était  fait  très  peu  sentir  aux  indî- 


526  CONCI^USION 

gènes  propreinenl  dits.  Une  colonie  s'était  formée,  dans 
toute  Tacception  du  mot,  grâce  à  une  immigration  de 
noirs  habitués  déjà  à  une  administration  européenne. 
Peu  à  peu  ces  noirs  avaient  exercé  une  certaine  influence 
sur  les  indigènes  au  milieu  desquels  ils  vivaient,  les 
avaient  pour  ainsi  dire  assimilés,  et  ces  noirs  avaient 
de  ce  fait  accepté  tout  naturellement  cette  administra- 
tion; mais  ce  n'était  là  qu'un  phénomène  tout  local.  De 
temps  en  temps  les  troupes  anglaises  avaient  pénétré 
dans  Tarrière-pays  pour  réprimer  quelque  incursion  ou 
pour  apaiser  des  troubles  qui  gênaient  trop  le  commerce 
de  la  côte;  mais  les  peuples  de  l'intérieur  n'avaient 
jamais  été  amenés  à  penser  que  cela  pût  avoir  pour  eux 
quelque  conséquence  durable. 

Tout  d'un  coup,  un  gouverneur  particulièrement 
entreprenant  déclare  que  l'anarchie  qui  règne  dans 
l'intérieur  est  un  danger  permanent  pour  la  colonie.  La 
convention  de  1890  a  laissé  à  l'Angleterre  le  droit.d'oc- 
cuper  cet  hinterland  et  suppose  même  cette  occupation, 
en  vertu  de  la  conférence  dé  Berlin  :  l'extension  de 
l'autorité  souveraine  à  la  côte  parut  donc  toute  natu- 
relle. On  se  borna,  tout  d'abord,  à  demander  aux  indi- 
gènes d'ouvrir  leur  pays  au  commerce  européen  et  de 
laisser  le  gouvernement  anglais  juge  des  différends  qui 
pourraient  éclater  entre  les  blancs  et  les  noirs.  Grâce 
à  l'habile  intervention  personnelle  du  gouverneur  Car- 
dew,  les  chefs  admirent  auprès  d'eux  des  résidents 
anglais  dont  le  rôle  était  d'intervenir  dans  ces  relations 
et  de  servir  d'arbitres  dans  les  querelles  entre  tribus. 
L'influence  de  l'Angleterre  n'en  restait  pas  moins  pure- 
ment nominale  :  le  fait  qu'elle  était  établie  en  principe 
parut  suffisant  pour  que  l'on  put  apporter  à  l'organisa- 


CONCLUSION  527 

tien  de  la  société  indigène  les  modifications  profondes 
que  supposait  son  adaptation  à  la  civilisation  euro- 
péenne. L'ordonnance  de  1896,  enlevant  aux  chefs  leur 
pouvoir  souverain  et  sans  contrôle,  Taltribua  au  gou- 
vernement anglais.  Elle  appela  crime  le  commerce  des 
captifs  et  prétendit  faire  disparaître  l'esclavage.  Elle 
proclama  que  l'Angleterre  avait  le  domaine  éminent 
des  terres,  et,  pour  bien  montrer  que  la  domination 
anglaise  était  absolue,  établit  une  taxe  que  devait  sup- 
porter la  plus  modeste  case. 

N'y  avait-îl  pas  Une  certaine  naïveté  à  supposer  que 
ces  chefs,  qui  voyaient  disparaître  leur  prestige  et  leur 
richesse,  s'y  résigneraient  sans  coup  férir,  et  ne  pou- 
vait-on penser  que  leur  résistance  serait  appuyée  par 
tous  les  hommes  libres,  dont  l'opinion  devait  seule 
entrer  en  ligne  de  compte?  Comment  pouvait-on  même 
espérer  que  les  esclaves  verraient  avec  joie  les  réfor- 
mes nouvelles?  La  liberté  n'est-elle  pas,  peut-être,  la 
plus  relative  des  sensations? 

Etait-il  nécessaire  de  faire  une  enquête  aussi  minu- 
tieuse que  celle  à  laquelle  a  procédé  Sir  David  Chal- 
mers,  pour  se  rendre  compte  que  c'était  contre  l'avène- 
ment même  d'un  pouvoir  étranger  que  s'étaient  révoltés 
les  indigènes  de  l'hinterland  de  Sierra  Leone,  contre 
l'avènement  d'un  pouvoir  qui,  quelles  qu'aient  été  les 
apparences,  s'était  manifesté  à  eux  sans  transition? 

Tout  le  soin  possible  avait  bien  été  apporté  à  laisser 
à  ces  indigènes  la  plus  grande  partie  des  institutions 
qui  n'étaient  pas  incompatibles  avec  l'établissement 
même  du  pouvoir  nouveau;  mais  comment  pouvait-on 
espérer  qu'ils  ne  considéreraient  que  ce  qu'on  leur 
avait  laissé,  pour  oublier  ce  qu'ils  avaient  perdu?  G'é- 


528  CONCLUSION 

tait  supposer  qu'ils  apercevraient  de  la  façon  la  plus 
claire  les  avantages  qu'ils  pouvaient  retirer  de  la  subs- 
titution de  notre  civilisation  à  la  leur.  Alors  même  que 
ces  avantages  eussent  dû  être  réels,  pouvait-on  penser 
que  Tespoir  de  les  voir  se  réaliser  l'emporterait  en  eux 
sur  le  ressentiment  qu'ils  éprouvaient  du  changement 
qui  leur  était  imposé? 

Il  est  d'autant  plus  intéressant  de  noter  cette  illusion, 
qui  paraît  bien  avoir  dominé  la  politique  de  l'Angle- 
terre en  Afrique  occidentale,  qu'elle  semble  plus  en 
contradiction  avec  le  désir  incontestable  de  la  métro- 
pole de  n'intervenir  que  le  moins  possible  dans  les 
institutions  des  indigènes  et  de  n'administrer  que 
par  l'intermédiaire  des  chefs.  Il  semble  qu'ayant  le 
sentiment  très  net  et  très  juste  du  seul  rôle  qu'un 
pouvoir  européen  pouvait  espérer  jouer  dans  ces  pays, 
l'Angleterre  aurait  dii  également  comprendre  qu'il  ne 
suffirait  pas  de  proclamer  un  certain  nombre  de  prin- 
cipes, pour  que  leur  application  fût  des  plus  simples. 

L'histoire  des  difficultés  qu'elle  a  éprouvées  à  la  Gold 
Coast  est  des  plus  caractéristiques  à  cet  égard. 

Les  longs  déboires  qu'elle  éprouva  avec  les  Ashantis 
ont  eu  tous  la  même  origine. 

Pendant  des  années,  l'Angleterre  se  borna  à  s'opposer 
à  leurs  déprédations  dans  le  voisinage  des  pays  avec 
lesquels  elle  commerçait  directement.  Elle  leur  montra 
même  qu'elle  était  particulièrement  anxieuse  d'éviter 
vis-à-vis  d'eux  l'emploi  des  moyens  violents. 

Après  chacune  des  expéditions  qu'il  avait  fallu  diri- 
ger contre  eux  pour  arrêter  leurs  incursions,  aucune 
représaille  n'avait  été  exercée,  et  ils  avaient  été  libres 
de  continuer  leur  genre  de  vie.  Ils  avaient  certainement 


COXCLUSION  529 

fini  par  être  bien  persuadés  que  les  blancs  ne  s'instal- 
leraient jamais  dans  leur  pays. 

En  1873,  lorsqu'ils  s'aperçurent  que,  d'une  façon  défi- 
nitive, les  Anglais  avaient  l'intention  de  les  supplanter 
dans  leur  suprématie  sur  les  peuples  de  la  côte,  ils 
essayèrent  une  fois  de  plus  de  les  chasser  de  la  Gold 
Coast.  Le  gouvernement  se  décida  à  agir  plus  sérieu- 
sement, et  l'expédition  la  plus  considérable  que  l'on  ait 
jamais  faite  dans  ces  pays  pénétra  jusqu'au  cœur  de 
l'Âshanti.  Mais  après  la  prise  de  Kumassi  on  se  borna 
à  faire  signeir  au  roi  l'engagement  qu'il  cesserait  ses 
attaques  contre  les  peuples  de  la  côte,  qu'il  ne  ferait 
plus  de  sacrifices  humains  et  qu'il  protégerait  la  liberté 
du  commerce.  On  lui  infligea  bien  une  amende,  mais 
-cette  amende  ne  fut  jamais  perçue. 

Il  n'est  pas  bien  étonnant  que  rien  de  cela  n'ait  suffi 
à  changer  les  mœurs  des  Ashantis.  Ils  avaient  souvent 
signé  des  traités  analogues,  et  l'on  ne  pouvait  ^guère 
compter  que  le  souvenir  de  l'expédition  qui  avait  tra- 
versé leur  pays  durerait  plus  d'une  génération,  et  que, 
vingt  ans  plus  tard,  la  seule  crainte  qu'elle  avait  pu  leur 
•inspirer,  les  déterminât  à  tenir  leurs  engagements. 

Cette  crainte  devait  être  d'autant  moins  efficace  qu'il 
qu'il  ne  fut  apporté  aucune  entrave  sérieuse  aux  exac- 
tions que  les  Ashantis  devaient  recommencer  à  com- 
mettre peu  à  peu.  Nous  avons  vu  commentée  n'est  qu'à 
la  suite  de  l'insistance  des  gouverneurs  locaux  qui,  par 
ce  fait,  encoururent  presque  la  disgrâce,  à  la  suite  des 
efforts  des  Chambres  de  commerce  et  des  mission- 
naires eux-mêmes,  que  l'on  se  décida  à  agir  de  nouveau, 
et  comment  les  préliminaires  de  cette  action  ne  purent 
qu'inciter  les  Ashantis  à  penser  que  le  gouvernement 

34 


530  -  CONCLUSION 

anglais  n'était  pas  désireux  de  changer  de  politique  à 
leur  égard.  Les  agissements  des  «  educated  natives  » 
devaient  du  reste  les  encourager  dans  cette  opinion. 
Le  désir  d'entrer  directement  en  pourparlers  avec  la 
Reine  montre  bien  qu'ils  étaient  persuadés  qu'ils  pou- 
vaient traiter,  pour  ainsi  dire,  d'égal  à  égal  avec  elle 
en  ce  qui  concernait  leur  pays,  et  comme  si  leur  auto- 
nomie même  n'était  pas  en  jeu.  C'est  ainsi  qu'une 
expédition  put  parvenir  jusqu'à  Kumassi  sans  avoir 
éprouvé  de  résistance,  et  la  stupéfaction  que  les 
Ashantis  éprouvèrent  en  voyant  déporter  leur  chef  et 
installer  u^  résident  prouve  qu'ils  n'avaient  jamais 
pensé  que  tel  pût  être  le  résultat  d'une  nouvelle  action 
du  gouvernement  anglais. 

La  surprise  qu'occasionna  au  gouvernement  local  lui« 
même  le  soulèvement  de  1900  est  du  même  ordre  que 
celle  qui  avait  suivi  le  soulèvement  de  1898  à  Sierra 
Leone.  On  ne  comprit  pas  comment  les  indigènes  pou- 
vaient avoir  eu  même  l'idée  de  se  révolter.  A  Sierra 
Leone  on  avait  cru  en  trouver  la  raison  dans  l'établis* 
sèment  d'un  impôt.  A  la  Gold  Coast  ce  fut  à  une  parole 
imprudente  du  gouverneur  que  l'on  crut  pouvoir  l'at- 
tribuer. Dans  les  deux  cas,  ce  besoin  d'attribuer  à  des 
erreurs  commises  par  des  fonctionnaires  les  résistances 
que  la  domination  anglaise  pouvait  éprouver,  est  l'in- 
dice de  cette  incapacité  que  nous  avons  signalée  déjà 
et  qu'a  manifestée  jusqu'à  ces  derniers  temps  l'Angle- 
terre, à  comprendre  comment  les  indigènes  pouvaient 
être  rebelles  à  la  domination  d'un  pouvoir  étranger. 

Et  cependant  ce  soulèvement  de  1900  était  pour  ainsi 
dire  inévitable.  Après  la  prise  de  Kumassi  en  1896  et 
la  déportation  de  leur  roi,  les  Aàhantis  avaient  vu  que 


CONCLUSION  531 

la  politique  anglaise  avait  réellement  changé  à  leur 
égard  et  qu'ils  avaient  perdu  le  droit  d'agir  dans  leur 
pays  comme  ils  l'entendaient.  La  visite  et  le  discours 
de  Sir  F.  M.  Hodgson  ne  fit  que  les  confirmer  dans 
cette  idée.  Ils  avaient  en  réserve  les  munitions  qu'ils 
n'avaient  point  utilisées  en  1896;  aucun  des  hommes 
en  état  de  prendre  les  armes  n'avait  éprouvé  la  force 
anglaise.  Qu'y  a-t-il  d'étonnant  à  ce  qu'ils  aient  essayé 
de  recouvrer  l'indépendance  qu'ils  avaient  perdue? 

Dans  une  seule  de  ses  colonies  de  l'Ouest  africain,  à 
Lagos,  l'Angleterre  ne  devait  pas  user  de  violence 
pour  s'implanter  dans  le  pays  et  y  ramener  la  paix;  il 
faut  reconnaître  que  c'est  là  un  phénomène  unique 
dans  toute  l'Afrique. 

On  ne  peut  dire  que  la  raison  en  a  été  le  caractère 
particulièrement  pacifique  des  habitants,  car  l'histoire 
des  Yorubas  montre  qu'on  peut  les  compter  parmi 
les  peuples  les  plus  guerriers  de  l'Afrique.  On  peut 
penser  que  ce  sont  justement  leurs  discordes  qui  ont 
permis  aux  Anglais  de  s'établir  parmi  eux  sans  qu'ils 
opposent  beaucoup  de  résistance.  Absorbées  comme 
elles  l'étaient  dans  leurs  luttes  intestines,  les  différentes 
tribus  qui  composaient  la  race  yoruba  ne  conçurent 
pas  de  crainte  en  voyant  les  Anglais  annexer  les  pays 
voisins  de  la  côte,  et  ce  fut  par  une  sorte  de  lassitude 
qu'ils  les  acceptèrent  comme  arbitres  dans  leurs  que- 
relles. 

Il  y  a  lieu  cependant  de  noter  que  si,  comme  à  Sierra 
Leone,  cette  intervention  devait  être  le  préliminaire 
de  l'établissement  du  pouvoir  étranger  dans  le  pays, 
les  Yorubas  ne  manquèrent  pas  de  marquer  avec  le 
plus  grand  soin  la  mesure  dans  laquelle  ce  pouvoir 


532  CONCLUSION 

devait  s'exercer.  Nous  avons  vu  les  Egbas  se  refuser 
à  recevoir  un  résident  anglais  à  Abeokuta  et  exiger  que, 
tant  qu'ils  laisseraient  les  Européens  commercer  libre- 
ment dans  leur  pays  et  s'abstiendraient  de  faire  des 
sacrifices  humains,  il  ne  serait  fait  parle  gouvernement 
anglais  aucune  annexion  de  territoire  sans  le  consente- 
ment  des  autorités  du  pays;  leur  indépendance  devait 
être  pleinement  reconnue. 

A  Ibadan,  un  résident  ne  fut  accepté  qu'à  condition 
qu'il  se  bornerait  à  veiller  "à  la  sécurité  du  commerce 
et  que  son  établissement  ne  porterait  en  rien  atteinte 
à  la  liberté  des  institutions  du  pays.  Il  en  fut  de  même 
pour  les  autres  États  yorubas. 

Il  aurait  pu  arriver  que  ces  conventions  ne  fussent 
considérées  que  comme  le  préliminaire  d'une  occupa- 
tion effective,  et  que  l'on  ait  pris  comme  prétexte,  par 
exemple,  le  fait  qu'elles  ne  contenaient  aucune  dispo- 
sition restrictive  de  l'esclavage,  pour  les  tenir  comme 
non  avenues.  Ce  sera  l'honneur  de  Sir  William  Mac- 
Gregor  d'avoir  essayé  d'administrer  le  Protectorat  de 
Lagos  sans  rien  changer  aux  principes  qu'elles  avaient 
posés. 

Il  y  a  pleinement  réussi,  en  ce  sens  que  la  paix  que 
l'Angleterre  voulut  établir  dans  le  pays  yoruba  a  été 
parfaitement  garantie  jusqu'ici  sans  qu'il  ait  été  néces- 
saire d'user  de  violence.  Cependant,  si  l'on  peut  être 
tenté,  au  premier  abord,  de  s'étonner  de  ce  qu'un  pou- 
voir européen  ait  pu  s'établir  en  un  point  de  l'Afrique 
sans  qu'il  en  soit  résulté  des  difficultés  graves  avec  les 
indigènes,  il  y  a  lieu  de  remarquer  que,  pour  ne  pas 
avoir  été  sanglant,  le  conflit  n'en  a  pas  moins  existé. 
A  chacune  des  tentatives  faites  pour  rendre  effective 


CONCLUSION  533 

rintervention  du  pouvoir  anglais  dans  le  Yoruba,  les 
chefs  ont  montré  une  vive  résistance  toutes  les  fois 
qu'ils  ont  pu  penser  qu'il  pourrait  en  résulter  quelque 
inconvénient  pour  Tordre  de  choses  établi  dans  leur 
pays;  ce  n'est  que  parce  que  Ton  a  discuté  avec  eux» 
comme  d'égal  à  égal,  au  point  de  vue  de  la  puissance, 
et  que  la  plupart  du  temps  on  leur  a  donné  satisfaction, 
qu'il  n*y  a  pas  eu  de  crise  violente. 

Et  c'est  ainsi  que  toute  personne  qui,  habituée  aux 
choses  d'Afrique,  examine  les  divers  incidents  auxquels 
a  donné  lieu  cette  politique,  est  certainement  portée  à 
éprouver  un  étonnement  assez  vif  de  la  manière  dont 
Sir  William  MacGregor  a  toujours  paru  considérer  que 
les  chefs  n'avaient  pas  cessé  d'être  indépendants,  et  en 
même  temps  une  certaine  crainte  que  les  chefs  n'aient 
été,  par  suite,  induits  à  penser  que  les  blancs  n'avaient 
sur  leur  pays  aucun  pouvoir. 

En  réalité,  lorsque  l'on  examine,  comme  nous  l'avons 
fait,  la  genèse  de  cette  politique,  on  peut  voir  que  si  Sir 
MacGregor  a  estimé  que  l'Angleterre  n'avait  dans  le 
pays  yoruba  d'autres  droits  que  ceux  que  lui  conféraient 
les  traités  passés  avec  les  chefs,  et  s'il  a  pensé  que  l'ap- 
plication de  ces  traités  devait  être  suffisante  pour  lui 
permettre  d'atteindre  le  but  qu'elle  poursuivait,  il  n'a 
jamais  cessé  de  faire  remarquer  que  l'indépendance 
reconnue  aux  chefs  par  ces  traités  était  subordonnée 
non  seulement  à  la  manière  dont  ils  les  observaient 
-eux-mêmes,  mais  encore  aux  efforts  qu'ils  devaient 
faire  pour  que  rien  ne  vînt  en  gêner  l'application  dans 
l'avenir. 

Administrer  comme  a  voulu  le  faire  Sir  MacGregor 
k  Lagos,  c'est  guider  les  indigènes,   sans  qu'ils  s'eQ. 


534  CONCLUSION 

aperçoivent,  vers  le  but  qui  semble  le  plus  convenable  ; 
c'est  modifier  insensiblement,  comme  il  Ta  fait  par  son 
ordonnance  sur  les  «  conseils  »,  l'organisation  du  pou- 
voir indigène  de  façon  à  se  réserver  le  moyen  d'exercer 
sur  les  chefs  une  influence  continuelle  contre  laquelle 
il  ne  leur  viendrait  pas  l'idée  de  protester,  parce  que 
ceux  d'entre  eux  qui,  pour  des  motifs  quelconques,  se 
montreraient  trop  désireux  de  vouloir  maintenir  l'an- 
cien élat  de  choses,  seraient  éliminés  avec  soin;  c'est 
laisser  croire  aux  indigènes  qu'ils  continuent  à  se  gou- 
verner eux-mêmes,  que  les  fonctionnaires  anglais  ne 
sont  placés  auprès  d'eux  que  pour  leur  dotiner  des  con- 
seils et  leur  enseigner  la  manière  de  tirer  un  meilleur 
parti  des  richesses  de  leur  sol. 

Sir  W.  Egerton  a  su  recueillir  admirablement  la  sue- 
cession  de  cette  politique,  tout  en  s'efïorçant  d'établir  le 
pouvoir  anglais  sur  des  bases  de  plus  en  plus  solides. 

C'est  évidemment  la  politique  idéale;  mais  elle  est 
d'application  bien  difficile,  surtout  parce  qu'elle  exige 
des  fonctionnaires  modèles,  aimant  les  indigènes  et 
tout  imbus  des  mêmes  principes,  et  on  ne  peut  pas 
dire  qu'elle  a  complètement  réussi  à  Lagos,  où  il  sem- 
ble bien  que  Ton  risque  d'éprouver  de  graves  diffi- 
cultés dans  l'avenir. 

La  force  est  incontestablement  le  procédé  le  plus 
simple  et  le  plus  facile  à  mettre  en  vigueur;  c'est  proba- 
blement pour  cela  que  les  Anglais  l'ont  appliqué  dans 
les  pays  de  la  Nigeria,  où  ils  n'étaient  pas  portés  par  une 
politique  ancienne  à  considérer  autre  chose  que  le  but 
de  leur  occupation,  c'est-à-dire  la  pacification,  condition 
essentielle  de  la  mise  en  valeur.  Là  il'y  a  eu  réellement 
conquête,  et  non  pas  seulement  pénétration  progressive. 


CONCLUSION  535 

'  Comme  elle  ravaitfait  ailleurs,  TAngleterre  se  borna 
tout  d'abord,  dans  là  Southern  Nigeria,  à  assurer  la 
liberté  du  commerce.  Son  autorité  ne  s'exerça  pendant 
longtemps  que  sous  une  forme  répressfve  assez  peu 
efficace.  Au  Consulat  des  Oil  Rivers,  dont  l'existence 
même  était  problématique,  succéda  TOil  River  Protçc- 
torate,  encore  plus  mal  défini.  Une  administration 
réelle  ne  fut  organisée  que  grâce  aux  objurgations  des 
commerçants  de  Liverpool,  qui  craignaient  de  voir  tout 
le  Bas  Niger  absorbé  par  la  Niger  Co.  L'établissement 
d'un  gouvernement  véritable  ne  changea  rien  à  la  poli- 
tique adoptée  vis-à-vis  des  chefs,  politique  faite  unique- 
ment d'abstention,  et  ce  furent  les  provocations  mêmes 
de  ces  chefs  qui  amenèrent  l'occupation  progressive  du 
pays.  A  la  suite  de  chaque  incident  nouveau,  révolte  de 
Nana,  révolte  de  Brass,  massacre  du  Bénin,  l'Angleterre 
dut  entreprendre  de  véritables  campagnes,  mais  dans 
le  seul  but  de  protéger  le  commerce  de  ses  nationaux, 
et,  en  somme,  ce  ne  fut  qu'après  le  rachat  de  la  charte 
de  la  Niger  Co,  quand  la  Southern  Nigeria  fut  créée,  que 
le  gouvernement  anglais  vit  la  nécessité  d'avoir  un  plan 
d'action  défini  dans  ces  régions  où  jusqu'alors  il  s'était 
borné  à  subir  les  événements,  au  lieu  de  les  contrôler; 
il  entreprit  alors  réellement  la  conquête  du  pays. 

Il  ne  faut  point  voir  simplement,  dans  ce  fait  que 
l'Angleterre  donna  aux  expéditions  qu'elle  fit  depuis 
celte  époque  le  nom  de  «  tournée  de  police  »,  un  désir 
de  ne  point  effaroucher  l'opinion  publique,  qui  aurait 
pu  protester  en  apprenant  que  cette  conquêle  restait 
à  faire  après  vingt  ans  d'occupation  prétendue;  il  faut 
y  trouver  aussi,  une  fois  de  plus,  la  marque  de  cette 
rllusion  qui  parait  être  la  caractéristique  de  l'action 


536  CONCLUSION 

anglaise  en  Afrique  occidentale  et  qui  poussera  tou- 
jours TAngleterre  à  croire  que,  une  fois  le  Protectorat 
de  TAngleterre  déclaré  sur  un  pays,  ce  pays  ne  peut 
que  lui  être  soumis  réellement. 

La  politique  adoptée  dans  la  Northern  Nigeria  est  de 
mêpne  nature;  elle  a  eu  la  même  origine. 

La'Niger  Go.  n'eut  d'autres  rapports  avec  les  indi- 
gènes que  ceux  qui  étaient  strictement  nécessaires 
pour  lui  assurer  la  liberté  du  commerce  sur  les  rives 
du  Niger  et  de  la  Benue.  Elle  déclara  bien  que  les 
sultans  de  l'intérieur  Tavaient  reconnue  comme  suze- 
raine; mais  Ton  sait  qu'il  n'y  avait  là  rien  que  de  très 
fictif. 

Si  elle  avait  eu  réellement  une  influence  quelconque 
sur  ces  chefs,  et  que  ceux-ci  eussent  été  habitués  déjà 
à  subir  un  certain  contrôle  de  la  part  des  Européens, 
le  gouvernement  anglais,  lorsqu'il  succéda  à  la  Com- 
pagnie du  Niger,  eût  été  tenté  de  continuer  la  même 
politique.  On  aurait  vu  très  probablement,  alors,  se  re- 
produire des  incidents  analogues  à  ceux  qui  ont  amené 
la  conquête  de  l'Ashanti  et  de  l'Hinterland  de  Sierra 
Leone.  Il  arriva,  au  contraire,  que  l'on  s'aperçut  promp- 
tement  que  les  chefs  indigènes  n'admettaient  de  plein 
gré  dans  leur  pays  aucune  action  quelconque  d'un  pou- 
voir étranger.  Cela  n'eût  pas  suffi  à  décider  le  gouver- 
nement anglais  à  occuper  définitivement  ce  pays,  si  son 
représentant  n'avait  brusqué  les  choses  et  si,  malgré 
les  instructions  qu'il  recevait,  il  n'avait  fait  cette  con- 
quête qui  paraissait  dangereuse  et  inutile. 

Maintenant  que  tout  est  terminé  et  que  l'Angleterre 
y  ^  8^S^^  1^  Nigeria,  elle  aurait  mauvaise  grâce  à  ne 
pas  reconnaître  que  tout  l'échafaudage  sur  lequel  repo- 


CONCLUSION  537 

saienl  les  assertions  de  la  Royal  Niger  Go.  était  des  plus 
fragiles,  et  ses  arguments  des  plus  spécieux. 

Dans  toute  cette  histoire,  une  seule  chose  indéniable 
est  le  grand  effort  qui  a  été  fait  pendant  la  première 
partie  du  xix*  siècle  par  les  explorateurs  anglais  pour 
découvrir  le  bassin  du  Niger.  Quant  à  Tinfluence  exer- 
cée par  la  Royal  Niger  Co.  dans  les  pays  de  l'intérieur, 
elle  n'a  jamais  été  que  du  domaine  de  la  légende. 

Seulement  il  est  arrivé  qu'à  la  déclarer  vraie  pen- 
dant vingt  ans  le  Colonial  Office  a  fini  par  croire,  très 
sincèrement,,  sans  doute,  qu'elle  avait  quelque  chose 
d'exact,  que  tous  ces  sultans,  tous  ces  émirs,  avec  qui 
l'on  avait  passé  ces  traités  qui  forment  le  plus  bel  or- 
nement de  la  vénérable  «  Map  of  Africa  by  treatises  » 
d'Herstlett,  avaient  bien  réellement  reconnu  l'influence 
de  l'Angleterre  incarnée  par  la  Compagnie  à  charte. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  si  le  successeur  de  la  Royal 
Niger  Co.  n'avait  été  un  de  ses  propres  soldats,  qui 
savait  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  domination  qu'elle  pré- 
tendait exercer,  s'il  n'avait  eu  une  profonde  connais- 
sance de  l'âme  indigène  et  un  admirable  talent  d'organi- 
sateur d'empire  (le  mot  n'est  pas  trop  fort),  l'Angleterre 
se  serait  exposée  aux  pires  désillusions  et  aurait  subi 
les  plus  graves  désastres,  dans  ces  pays  où  elle  avait 
fini  par  se  croire  chez  elle  avant  d'en  avoir  occupé  un 
pouce  de  territoire. 

Nous  pouvons  bien,  nous  autres  Français,  qui  avons 
été  les  victimes  de  l'affaire,  nous  donner  au  moins  la 
satisfaction  bien  inoffensive  de  sourire  un  peu,  en  cons- 
tatant que  ce  n'est  que  parce  que  le  Haut  Commiss.aire 
a  partagé  notre  manière  d'apprécier  la  réalité  du  pou- 
voir exercé  par  l'Angleterre   dans  ces  pays  et  parce 


538  CONCLUSION 

que  ses  protestalions  ont  succédé  aux  nôtres,  que  la 
Northern  Nigeria  a  pu  réellement  se  constituer. 

Cela  nous  est  d'autant  plus  permis  que  notre  occupa- 
tion des  pays  que  l'Angleterre  nous  a  laissés  au  nord  de 
ses  terres  n'a  eu  d^autre  effet  que  de  faciliter  sa  tâche. 
'  11  est  entendu  qu'il  y  a  un  certain  nombre  de  points 
dont  on  ne  veut  pas  convenir  en  matière  coloniale.  Il 
semble  cependant  difficile  de  trouver  que  notre  action 
d'ans  les  «  territoires  militaires  ».  qui  s'étendent  du 
Niger  an  Tchad  a  un  autre  résultat  que  de  faire  la  police 
du  désert  sur  la  frontière  anglaise.  Nous  ne  sommes 
pas  de  ceux  qui  prétendent  que  nous  devons  abandon- 
ner celte  région  ainsi  que  les  territoires  du  Tchad.  La 
moindre  de  nos  igrandes  villes  dépense  annuellement 
pour  ses  embellissements  plus  que  ne  nous  coûtent  ces 
pays,  et,  puisqu'ils  nous  appartiennent,  agissons-y  réel- 
lement si,  grâce  au  dévouement  de  nos  soldats,  nous 
pouvons  le  faire  à  si  bon  compte;  mais,  si  cela  n'a 
d'autre  résultat  que  d'être  une  école  admirable  d'éner- 
gie pour  quelques-uns  de  nos  jeunes  gens  et  de  faci- 
liter la  tâche  de  nos  amis  les  Anglais,  avouons-le  fran- 
chement et  faisons-en  une  noble  coquetterie  de  grande 
nation,  et  non  point  un  rôle  de  dupe. 

Sir  Frederick  Lugard,  les  mains  liées  par  le  Colonial 
Office,  eût-il  pu  accomplir  son  œuvre  et  anéantir  Rabah 
et  Fad-el-AUah,  si  nous  ne  l'avions  protégé  contre  les 
ennemis  du  dehors? 

A  vrai  dire,  nous  avons  le  plus  grand  intérêt  à  aider 
TAngleterre  dans  son  œuvre  de  pacification  du  centre 
africain. 

Les  incidents  dont  nous  venons  de  relater  les  traits 
principaux  ont  montré  que  le  pouvoir  de  notre  voisine 


CONCLUSION  539 

était  intimement  lié  à  la  fidélité  des  grands  chefs  par 
rintermédiaire  desquels  elle  a  voulu  gouverner.  Au 
premier  trouble  un  peu  grave,  les  administrateurs  de 
la  Nigeria,  et  Sir  Frederick  Lugardiui-ménve,  ont  cepen- 
dant envisagé  la  possibilité  d'un  soulèvement  général. 
Ce  soulèvement  reste  possible. 

Il  aurait  lieu  non  point  particulièrement  contre  l'ad- 
ministration anglaise,  qui  agit  de  la  plus  noble  façon 
vis-à-vis  des  indigènes,  mais  contre  le  pouvoir  du 
blanc,  conquérant  détesté  uniquement  parce  qu'il  est 
le  conquérant,  parce  qu'il  est  d'une  autre  race,  et  cela 
qu'il  s'agisse  de  l'Afrique  ou  de  l'Asie.  Il  se  produira 
d'autant  plus  facilement  que  les  noirs  entendront  les 
excitations  de  l'Islam. 

La  paix, que  l'Europe  a  établie  dans  une  partie  de  l'A- 
frique noit'e  y  fait  connaître,  peu  à  peu,  un  bien-être  que 
ses  habitants  commencent  à  apprécier  et  grâce  auquel 
ils  ressentent  moins  l'amertune  de  la  conquête;  mais 
il  nous  a  toujours  paru  que  notre  action  ressemblait  à 
celle  de  ces  eaux  qui  créent  des  stalactites  légères  et 
transparentes,  qui  ne  deviennent  des  piliers  inébran- 
lables qu'à  la  faveur  du  calme  le  plus  absolu  et  de  la 
persévérance  des  siècles. 


Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  résumer,  pour  les  juger  en 
même  temps,  les  modes  suivant  lesquels  TAngleterre 
à  voulu  administrer  ces  pays;  et  tout  d'abord  il  faut 
mettre  à  part  tout  ce  qui  concerne  la  partie  de  l'Afrique 
occidentale  anglaise  constituée  en  Colonies  de  la  Cou- 
ronne. Nous  avons  vu,  au  courant  de  celte  histoire,  le 


540.  CONCLUSION 

mécanisme  qui  a  présidé  à  leur  formation  dans  les  dif- 
féreivtes  parties  de  la  côte,  et  nous  avons  vérifié  qu'il 
reposait  entièrement  sur  ce  principe  d'assimilatign,  dont 
nous  avons  indiqué  Torigine  dans  notre  introduction  en 
disant  que  cette  assimilation  avait  été  tellement  com- 
plète qu'elle  n'avait  point  laissé  de  place  à  l'institution 
de  politiques  diverses.  11  n'y  a  lieu  d'en  retenir  que  la 
présence,  à  côté  de  territoires  soumis  à  un  régime  tout 
difi*érent,  d'une  véritable  portion  du  sol  anglais  dotée 
de  la  législation  métropolitaine  et  subissant  son  autorité 
comme  une  simple  émanation  du  pouvoir  central.  Nous 
noterons  également  que  ces  noyaux  formés  par  les 
Crown  Colonies,  origine  des  possesàions  de  l'Angle- 
terre qui  les  entourent,  n'ont  été  constitués  qu'en  Gam- 
bie, à  Sierra  Leone  et  à  Lagos,  et  non  point  dans  les 
pays  du  Niger,  tandis  qu'à  la  Gold  Coast  la  partie  éri- 
gée en  Crown  Colonies  ne  l'a  été  que  nominalement. 

En  Gambie,  le  gouvernement  anglais  s'est  attribué, 
au  point  de  vue  administratif,  les  mêmes  pouvoirs  dans 
le  Protectorat  que  ceux  qu'il  possède  dans  la  Colonie. 
Les  chefs  lui  sont  entièrement  soumis  et  ne  sont  quo 
les  agents  responsables  du  bon  ordre,  punissables  et 
révocables.  Le  droit  de  justice  est  entre  les  mains  du 
gouvernement  anglais,  la  juridiction  indigène  étant 
purement  facultative  pour  les  indigènes  du  Protectorat 
qui  conservent  l'usage  de  leurs  coutumes;  mais  les 
tribunaux  de  la  Colonie  sont  compétents  pour  l'appli- 
quer dans  tous  les  cas,  et  la  justice  criminelle  ne  dépend 
que  d'eux.  La  propriété  du  sol  reste  cependant  acquise 
aux  indigènes,  avec  qui  doivent  traiter  les  étrangers,  et 
il  y  a  là  une  anomalie,  puisque  le  gouvernement  anglais 
s'est  institué  leur  pouvoir  souverain  :  anomalie  pure- 


CONCLUSION  541 

m^nt  formelle  du  reste,  puisque  les  litiges  auxquels 
peut  donner  lieu  cette  propriété  peuvent  être  réglés 
par  lui. 

A  Sierra  Leone,  les  chefs  dépendent  également  du 
gouverneur,  qui  administre  par  leur  intermédiaire;  une 
véritable  organisation  indigène  est  instituée  pour  assu- 
rer cette  administration  sous  forme  d'assemblées  de 
chefs,  à  plusieurs  degrés,  toutes  sous  la  dépendance 
directe  du  représentant  du  gouverneur.  Les  chefs  n'en 
gardent  pas  moins  des  droits  précis  :  leur  droit  de  jus- 
tice leur  est  laissé,  en  ce  sens  qu'ils  l'exercent  dans  des 
tribunaux  formés  suivant  la  coutume  et  dans  lesquels 
n'interviennent  pas  les  représentants  du  pouvoir  anglais; 
mais  ce  droit  de  justice  ne  leur  est  confié  qu'en  ce  qui 
concerne  les  indigènes,  leurs  sujets,  et  uniquement 
pour  les  causes  civiles.  Les  délits,  les  crimes  entraînant 
des  peines  graves,  sont  réservés  à  la  justice  anglaise, 
ainsi  que  les  procès  de  quelque  importance  ou  por- 
tant sur  les  questions  d'ordre  foncier  entre  indigènes 
et  étrangers.  Des  tribunaux  mixtes,  composés  d'étran- 
gers et  indigènes,  sont  institués  pour  les  causes  dans 
lesquelles  une  des  parties  est  étrangère.  Leurs  déci- 
sions sont  sans  appel  lorsque  les  juges  sont  unanimes, 
et  leur  direction  est  laissée  entièrement  aux  chefs. 
Même  devant  les  tribunaux  dépendant  des  pouvoirs 
anglais,  la  loi  indigène  reste  applicable  entre  indigènes 
et  étrangers,  et,  si  cette  loi  est  équitable,  le  contraire 
n'a  pas  été  prévu. 

Au  point  de  vue  foncier,  l'Angleterre  s'est  attribué 
le  domaine  éminent  du  sol,  mais  elle  n'en  a  gardé  qu'un 
droit  de  contrôle.  Le  gouvernement  anglais,  ne  dispo- 
sant que  des  terres  vacantes,  ne  peut,  en  effet,  concéder 


542  CONCLUSION 

la  possession  de  la  terre,  et,  sous  réserve  de  son  appro- 
bation, laisse  aux  chefs  le  soin  de  le  faire. 

A  la  Gold  Goast,  la  constitution  d'une  partie  de  cette 
possession  en  colonie  de  la  couronne  n'a  été  réalisée 
que  théoriquement. 

Les  indigènes  du  littoral  sont,  pour  la  plupart,  abso- 
lument autorisés  à  déclarer  qu'ils  ne  doivent  pas  être 
englobés  dans  la  Colonie,  dont  le  gouvernement  est 
d'avis,  au  contraire,  qu'ils  font  partie.  Cette  Colonie 
n'est  composée  réellement  que  des  villes  formées 
autour  des  forts  qui  protégeaient  autrefois  les  commer- 
çants, et  les  tribus  qui  vivent  dans  leur  voisinage  sont 
bien  fondées  à  dire  que  l'Angleterre  n'a  jamais  acquis, 
ni  par  la  force  ni  autrement,  le  droit  de  les  absorber. 

La  meilleure  preuve  en  est  qu'elle  leur  a  laissé  leurs 
institutions  et  la  propriété  de  leur  sol,  alors  que  l'es- 
sence même  des  Crown  Colonies  consiste  dans  l'attri- 
bution  de  cette  propriété  à  la  Couronne. 

C'est  ainsi  que  l'autorité  indigène  reste  organisée  et 
hiérarchisée,  tout  en  dépendant  entièrement,  il  est  vrai, 
du  gouvernement  anglais.  Les  chefs  rendent  la  justice 
entre  indigènes,  alors  que  dans  les  autres  colonies  de 
la  Couronne  elle  revient  aux  magistrats  anglais;  les 
jugements  sont,  il  est  vrai,  tous  passibles  d'appel  de- 
vant la  juridiction  anglaise. 

Quant  à  la  propriété  du  sol,  les  indigènes  restent 
libres  d'en  disposer,  avec  la  seule  restriction  que  l'ap- 
probation de  la  justice  anglaise  est  nécessaire  pour 
valider  les  cessions  qu'ils  font  au  profit  des  étrangers; 
mais  cette  validation  n'a  d'autre  but  que  de  garantir 
la  valeur  de  ces  cessions.  Le  gouvernement  ne  garde 
même  pas  le  droit  de  disposer  des  terres  vacantes. 


CONCLUSION  543 

Dans  rAshanti,  comme  dans  la  Colonie,  le  pouvoir  est 
entièrement  réclamé  par  le  gouvernement  anglais  :  les 
chefs  gardent  cependant  le  droit  de  rendre  la  justice, 
mais  seulement  sur  les  seuls  indigènes  et  pour  dès 
affaires  d'une  importance  limitée;  la  propriété  et  la 
possession  du  sol  sont  régies  de  la  même  manière  que 
dans  la  Colonie,  tandis  que,  dans  les  territoires  du 
Nord,  le  pouvoir  anglais  n'exerce  qu'une  simple  sur- 
veillance auprès  des  chefs  indigènes,  sans  leur  enlever 
aucune  de  leurs  attributions. 

A  La^os,  en  dehors  de  la  partie  constituée  en  Crown 
Colony,  toute  l'administration,  toute  la  politique  a  été 
basée  sur  l'indépendance  des  peuples  protégés  par  l'An- 
gleterre. Les  chefs  ont  conservé  tous  leurs  pouvoirs 
souverains,  et  la  législation  tout  entière  n'a  été  établie 
qu'avec  leur  consentement.  Le  simple  maintien  de  l'or-, 
dre,  qui,  partout  ailleurs,  est  assuré  par  le  gouverne- 
ment, est  laissé  à  leurs  soins.  Pendant  longtemps  ils 
n'ont  même  pas  eu  auprès  d'eux  de  représentant  du 
gouvernement  de  la  colonie,  et,  dans  tous  les  cas,  ce 
représentant  n'est  considéré  que  comme  uu  conseiller. 
Leurs  tribus  constituent  de  véritables  Etats  et  fonction- 
nent avec  les  recettes  qui  leur  sont  propres,  provenant 
d'impôts  perçus  même  sur  les  Européens. 

Ces  chefs  ont  gardé  la  pleine  propriété  de  leur  sol,  et 
le  pouvoir  anglais  n'a  même  pas  pris  le  pouvoir  d'ex- 
propriation pour  cause  d'utilité  publique  :  les  terrains 
qui  lui  sont  nécessaires  pour  ses  chemins  de  fer,  par 
exemple,  lui  sont  accordés  par  traités  spéciaux,  mais 
non  comme  suite  de  l'exercice  d'un  droit.  De  ce  fait, 
naturellement,  la  possession  de  la  terre  n'est  concédée 
que  par  les  chefs,  et  à  titre  purement  temporaire,  car 


544  CONCLUSIOIf 

le  caractère   d'indivision  du   sol   entre  toute  la  tribu 
empêche  qu'il  en  soit  disposé  autrement. 

De  même  la  justice,  apanage  du  pouvoir,  a  été  laissée 
entre  leurs  mains,  entièrement  tout  d'abord,  puis,  plus 
tard,  seulement  dans  les  cas  peu  graves,  pour  les  cau- 
ses où  des  étrangers  et  des  sujets  anglais  interviennent 
comme  parties  avec  les  indigènes. 

Dans  les  pays  du  Bas-Niger  qui  constituent  l'ancienne 
Southern  Nigeria,  les  chefs  ont  perdu  leur  indépen- 
dance, mais  continuent  à  administrer  sous  la  direction 
du  pouvoir  anglais.  En  pratique,  ils  ont  la  gestion  des 
sommes  qu'ils  sont  autorisés  à  percevoir,  sommes  qui 
proviennent  en  grande  parti^  de  l'administration  de  la 
justice.  Le  domaine  éminent  du  sol  leur  a  été  laissé, 
et,  à  l'exception  de  certaines  parties  du  territoire  que 
le  gouvernement  possède  «  par  droit  de  traité  ou  de 
conquête  »,  ils  ont  seuls  le  droit  d'en  concéder  la 
possession  à  des  étrangers  ou  sujets  anglais,  sous 
la  seule  restriction  de  l'autorisation  du  gouvernement 
anglais. 

Ils  ont  gardé  leurs  pouvoirs  judiciaires,  mais  seule- 
ment en  ce  qui  concerne  les  indigènes  et  sous  la  réserve 
de  la  faculté  d'appel  dans  tous  les  cas  devant  la  justice 
anglaise  jugeant  d'après  la  coutume  indigène. 

Dans  la  Nigeria  du  Nord,  le  gouvernement  anglais 
s'est  substitué  complètement  aux  droits  des  chefs  et 
s'est  attribué  leurs  prérogatives.  Ceux-ci  ne  sont  plus 
entre  ses  mains  que  des  instruments  d'administration. 
Ils  continuent  à  rendre  la  justice  sur  les  indigènes, 
mais  comme  par  une  simple  délégation  du  pouvoir 
central  et  sous  sa  surveillance,  les  représentants  du 
gouvernement  anglais  pouvant  renvoyer  toutes  causes 


CONCLUSION  545 

devant  la  justice  anglaise,  à  tout  moment  de  la  procé- 
dure et  môme  après  le  jugement. 

Non  seulement  le  domaine  éminent  du  sol  leur  est 
enlevé,  mais  encore  ils  n'ont  plus  le  droit,  tout  comme 
s'ils  faisaient  partie  d'une  colonie  de  la  Couronne,  de 
concéder  sa  possession  même  à  leurs  sujets.  Ce  soin  a 
été  assumé  par  le  gouvernement  anglais,  qui,  pour  con- 
server le  principe  de  l'indivision,  a  décidé  que  cette 
cession  ne  pourrait  être  faite,  même  aux  indigènes,  que 
pour  un  temps  limité  et  moyennant  le  payement  à  son 
profit  de  la  redevance  auparavant  perçue  par  les  chefs. 

En  somme,  nous  nous  trouvons,  dans  l'Afrique  occi- 
dentale anglaise,  en  présence  d'une  politique  qui  repose 
sur  une  distinction  faite  entre  les  droits  qu'ont  les  indi- 
gènes de  se  gouverner,  droits  que  s'attribue  entière- 
ment le  pouvoir  anglais,  sauf  à  Lagos,  et  ceux  qu'ils 
ont  en  tant  que  collectivité  sur  leurs  terres,  leurs  biens 
et  leur  personne;  mais,  tandis  que  l'Angleterre  s'est 
attribué  partout,  d'une  inanière  à  peu  près  identique, 
l'autorité  souveraine  (sauf  à  Lagos),  elle  a  suivi  des  sys- 
tèmes différents  à  l'égard  de  l'exercice  de  ces  droits. 

Nous  ne  saurions  mieux  juger  quel  est,  parmi  ces 
divers  systèmes,  celui  qui  doit  être  finalement  adopté, 
qu'en  examinant  tout  d'abord  comment  la  France,  dans 
des  circonstances  analogues,  a  procédé  dans  les  mêmes 
pays. 


* 


La  France  s'est  attribué,  en  Afrique  occidentale,  le 
pouvoir  absolu  sur  les  peuples  de  ses  colonies.  Elle  a 
appliqué  simplement  le  droit  de  conquête,  que  l'on  a 
toujours  considéré  comme  entraînant  le  pouvoir,  et  elle 

35 


546  CONCLUSION 

n'a  pas  guidé  sa  politique  sur  l'observation  de  traités 
passés  avec  les  peuples  dont  elle  a  occupé  les  terri- 
toires, ainsi  qu'a  cru  devoir  le  faire  l'Angleterre. 

Elle  a  donc  substitué  complètement  son  pouvoir  à 
celui  des  chefs  qui  se  sont  soumis  à  elle.  Elle  s'est 
attribué  tous  leurs  droits,  sans  aucune  restriction,  et 
s'est  donné  tous  leurs  devoirs;  elle  ne  leur  a  laissé  que 
les  prérogatives  de  leurs  titres  au  point  de  vue  de  l'au- 
torité immédiate  sur  leurs  sujets  et  les  a  transformés 
en  simples  fonctionnaires. 

Enfin,  elle  a  appliqué  ce  principe  d'une  manière  uni- 
forme dans  toute  l'Afrique  occidentale,  sans  connaître 
les  différents  modes  pratiqués  par  l'Angleterre. 

Elle  a  laissé  aux  indigènes  leurs  lois  et  leurs  coutu- 
mes ;  mais  elle  n'a  permis  aux  chefs  de  continuer  à  les 
appliquer  dans  l'exercice  de  la  justice  que  comme  ses 
délégués;  elle  a  organisé  cet  exercice  d'après  la  hiérar- 
chie administrative,  qu'elle  a  substituée  au  pouvoir  des 
chefs  :  tribunaux  de  village,  dans  lesquels  le  chef  est 
juge;  tribunaux  de  province,  composés  du  chef  assisté 
de  deux  notables  nommés  par  le  gouvernement  sur  la 
proposition  du  procureur  général;  tribunaux  de  cer- 
cles présidés  par  l'administrateur;  tribunaux  du  chef- 
lieu  à  forme  métropolitaine,  avec  faculté  d'appel  devant 
ces  juridictions  successives. 

Au  début,  l'exercice  de  cette  justice  fut  entièrement 
entre  les  mains  du  pouvoir  administratif  exécutif,  mais 
il  apparut  que  le  principe  de  la  séparation  des  pouvoirs 
devait  être  aussi  bien  respecté  dans  la  colonie  que 
dans  la  métropole;  on  pensa  qu'il  fallait  rendre  acces- 
sible aux  indigènes  l'organisation  métropolitaine  de  la 
justice,  et  l'on  se  préoccupa  de  créer,  dans  les  différents 


I 

! 
■ 

i 


CONCLUSION  547 

points  de  TAfrique  occidentale,  des  tribunaux  identi- 
ques aux  tribunaux  métropolitains,  composés  de  magis- 
trats de  carrière.  On  voulut  en  même  temps  pouvoir 
rendre  la  justice  aussi  bien  aux  Européens  qu'aux 
indigènes  :  aux  Européens  d'après  la  loi  française, 
même  si  un  indigène  est  en  cause;  aux  indigènes  entre 
eux  d'après  leurs  coutumes  ou,  s'ils  le  désirent,  d'a- 
près la  loi  française. 

Si  Tou  n'étendit  pas  partout  ce  principe  et  si,  dans 
une  grande  partie  de  l'Afrique  occidentale,  on  laissa 
les  administrateurs  présider  les  tribunaux,  on  leur 
donna  cependant  le  titre  de  juge  de  paix  à  compétence 
étendue,  de  manière  à  leur  permettre  de  siéger  comme 
magistrats  et  en  dépouillant  en  quelque  sorte  leurs 
fonctions  administratives. 

Au  point  de  vue  foncier,  furent  appliquées  les  mômes 
doctrines.  Le  gouvernement  français,  s'étant  substitué 
au  gouvernement  indigène,  estima  qu'il  avait  sur  le  sol 
dé  la  colonie  les  mêmes  droits  qu'il  possède  sur  celui 
de  la  métropole;  il  s'en  attribua  le  domaine  éminent  et, 
de  ce  fait,  recueillit  les  terres  vacantes. 

Mais,  tandis  que  l'on  avait  cru  pouvoir,  sans  diffi- 
culté, admettre  comme  un  principe  la  possibilité  pour 
les  indigènes  d'invoquer,  dans  tous  les  cas,  les  lois 
françaises,  on  se  heurta,  au  point  de  vue  de  l'exercice 
des  droits  de  propriété  du  sol,  au  caractère  d'indivision 
sur  lequel  repose  la  société  indigène. 

On  se  décida  finalement  à  ne  pas  voir  dans  ce  caractère 
un  obstacle  absolu.  «  La  propriété,  telle  qu'elle  est  défi- 
nie par  le  code  civil,  étant  encore  inconnue  et  échappant 
môme  à  la  conception  de  la  généralité  des  indigènes  de 
l'Afrique  occidentale,  il  parut  que  l'on  devait  laisser  le 


548  CONCLUSION 

temps  et  Texpérience  faire  leur  œuvre,  maintenir  en 
vigueur  la  coutume  locale  pour  toutes  les  terres  occu- 
pées par  les  indigènes,  ne  pas  hésiter  même  à  tolérer, 
le  cas  échéant,  la  création,  conformément  à  cette  (Cou- 
tume, de  droits  nouveaux  sur  les  terres  vacantes  dont 
le  domaine  n'aurait  pas  encore  fait  emploi,  et  mettre  en 
même  temps  les  occupants  en  mesure  d'obtenir,  lors^ 
qu'ils  le  jugeraient  profitable  à  leurs  intérêts,  et  à  ce 
moment  seulement,  la  consolidation  de  leurs  droits^.  » 

C'est  ce  que  Ton  réalisa,  après  avoir  institué  le  sys- 
tème de  l'immatriculation  en  Afrique  occidentale,  en 
le  rendant  applicable  aux  indigènes  par  cette  simple 
disposition  : 

«  Dans  les  parties  de  l'Afrique  occidentale  française 
où  la  tenure  du  sol  par  les  habitants  ne  présente  pas 
tous  les  caractères  de  la  propriété  privée  telle  qu'elle 
existe  en  France,  le  fait,  par  un  ou  plusieurs  détenteurs 
de  terres,  d'avoir  établi,  par  la  procédure  de  l'imma- 
triculation, l'absence  de  droits  opposables  à  ceux  qu'ils 
invoquent,  a  pour  effet,  quels  que  soient  les  incidents 
de  ladite  procédure,  de  consolider  leurs-  droits  hors 
d'usage  et  de  leur  conférer  les  droits  de  disposition 
reconnus  aux  propriétaires*.  » 


* 


Si,  maintenant,  nous  nous  demandons  lequel  paraît 
le  meilleur,  des  divers  systèmes  employés  par  l'Angle- 
terre, ou  du   système  pratiqué   par   la    France,  nous 

1.  A.  Boudillon,  chef  du  service  de  renreglstremenl  et  du  domaine  en 
Afrique  occidentale  :  RevvCe  coloniale,  avril  1911  :  la  Question  foncière 
et  l'Organisation  du  libre  foncier  en  Afrique  occidentale. 

2.  Article  58,  décret  du  24  juillet  1906. 


CONCLUSION  549 

remarquerons  tout  d'abord  qu'il  semble  bien  que  TAn- 
gleterre  doive  tendre  à  uniformiser  sa  politique  en 
Afrique  occidentale. 

Elle  a  été  conduite  par  les  circonstances  et  les  diffé- 
rents modes  suivant  lesquels  s'est  effectué  son  établis- 
sement dans  ce  pays,  à  intervenir  auprès  des  indigènes 
à  des  degrés  divers.  Elle  a  pu,  d'une  manière  qui 
l'honore  profondément,  se  considérer  liée  par  les  trai- 
tés qu'elle  a  passés  avec  eux  et  obligée  à  conformer  1^ 
constitution  qu'elle  leur  a  donnée  aux  dispositions  de 
ces  traités;  mais  elle  doit  satisfaire  partout  aux  mêmes 
besoins,  et  les  droits  en  face  desquels  elle  se  trouve 
sont,  au  fond,  partout  les  mêmes;  les  distinctions  qui 
peuvent  se  baser  sur  les  droits  de  la  conquête  ou  de 
la  simple  occupation  sont  purement  formelles,  et 
comme,  dans  la  pratique,  l'indépendance  des  indi- 
gènes n'en  disparaît  pas  moins,  il  n'y  a  pas  de  raisons 
pour  ne  pas  tendre  à  une  unité  d'autant  plus  facile  à 
réaliser  que  seront  plus  larges  les  principes  sur  les- 
quels elle  reposera. 

Est-ce  à  dire  que  l'Angleterre  doive  suivre  entière- 
ment la  politique  française  qui  a  réalisé  cette  unité? 
Nous  ne  le  pensons  pas,  parce  que  cette  politique  nous 
parait  comporter  une  grave  erreur  en  ce  qu'elle  tend 
à  donner  aux  indigènes  les  institutions  françaises  et 
que,  en  voulant  introduire  un  principe  aussi  perfec- 
tionné que  celui  de  la  séparation  des  pouvoirs,  elle 
rend  particulièrement  délicat  le  gouvernement  de  ces 
sociétés  indigènes. 

Ce  n'est  qu'une  phrase  vide  de  sens  que  celle  qui  a 
amené  l'établissement  de  la  justice  à  forme  métropoli- 
taine dans  l'Afrique  noire  française,  sous  prétexte  «  de 


550 ,  CONCLUSION 

t 

faire  participer  les  indigènes  aux  bienfaits  de  nos  ins- 
titutions )). 

Avant  que  nos  lois  puissent  s'appliquer  avec  avantage 
aux  besoins  des  noirs,  il  faudra  qu'ils  changent  toute 
la  forme  de  leur  société;  mais  ils  ne  devront  le  faire 
que  lorsque  seront  transformées  les  conditions  mêmes 
de  leur  existence. 

Gela  est  particulièrement  vrai  en  ce  qui  concerne  le 
régime  de  leurs  terres. 

Introduire  la  division  de  la  propriété,  ainsi  qu'a  voulu 
le  rendre  possible  le  système  que  nous  avons  appliqué 
en  Afrique  occidentale,  c'est  vouloir  changer  complè- 
tement les  bases  de  la  société  indigène,  bases  qui  re- 
posent entièrement  sur  l'indivision  et,  dans  une  large 
mesure,  sur  le  communisme;  c'est  par  suite  d'une  sin- 
gulière ignorance  des  choses  d'Afrique  que  Ton  voit 
ceux  mêmes  qui,  en  France,  préconisent  cette  commu- 
nauté si  difficile  à  concilier  avec  notre  civilisation, 
s'acharner  à  la  détruire  dans  ces  pays  où  elle  fonc- 
tionne si  merveilleusement. 

11  ne  faut  point  dire  qu'il  ne  peut  y  avoir  d'inconvé- 
nient à  rendre  simplement  possible  l'application  de  nos 
lois  par  les  indigènes,  sous  prétexte  qu'ils  ne  la  deman- 
deront que  lorsqu'ils  en  sentiront  le  besoin.  Il  est  d'au- 
tant plus  à  craindre  qu'ils  n'attendent  pas  cette  date» 
que  nous  introduisons  dans  leur  pays,  avec  ces  lois^ 
ceux  qui  chez  nous  sont  chargés  de  les  appliquer. 

Ceux-ci  ne  sauront  pas  se  maintenir  dans  un  rôle 
d'expectative.  C'est  à  eux  que  l'on  devra  de  voir  aug- 
menter leurs  propres  attributions,  et  se  multiplier  des 
institutions  qui,  tout  d'abord,  devaient  être  exception- 
nelles. Avec  eux  arriveront  fatalement  ceux  qui  vivent 


CONCLUSION  551 

des  chicanes  que  provoque  leur  présence,  et  qui  auront 
tôt  fait  de  montrer  tout  le  parti  que  les  habiles  peuvent 
tirer  de  nos  lois,  au  détriment  de  la  communauté  elle- 
même. 


En, recherchant  comment,  entre  les  divers  systèmes 
suivis  par  l'Angleterre  en  Afrique  occidentale,  doit  se 
faire  celte  unité,  que  nous  jugeons  nécessaire,  nous 
dirons  en  même  temps  dans  quelle  mesure  doivent  y 
^  être  appliqués  et  généralisés  les  principes  établis  par 
la  France. 

Il  nous  apparaît  tout  d'abord  que,  l'indépendance  des 
tribus  indigènes  élant  contraire  au  fait  de  l'occupation 
étrangère,  et  sa  reconnaissance  n'étant  maintenue  que 
par  une  fiction  dont  l'application  se  heurte  à  des  diffi- 
cultés constantes,  il  vaut  mieux  considérer  que  cette 
indépendance  n'existe  plus.  Il  en  découlera  que  les 
chefs  ne  seront  plus  considérés  que  comme  des  inter- 
médiaires administratifs  auxquels  il  convient,  d'après 
nous,  de  laisser  la  plus  large  responsabilité.  A  ce  point 
de  vue,  la  politique  suivie  par  la  France  est  excellente 
et  peut  servir  de  modèle,  ainsi  que  la  manière  dont  elle 
a  généralisé  la  perception  de  l'impôt. 

Il  n'est  pas  possible  de  concilier  cette  plénitude  des 
droits  du  gouvernement  souverain  étranger  avec  la 
conservation  par  les  indigènes  des  attributions  de  ce 
pouvoir. 

Le  droit  de  rendre  la  justice  est,  par  essence  même, 
le  signe  de  l'autorité  chez  les  peuples  primitifs  :  il  doit 
être  exercé  par  celui  qui  détient  cette  autorité.  De  la 
même  manière,  le  domaine  éminent  du  sol  revient  au 


552  CONCLUSION 

pouvoir  souverain;  c'est  ce  que  nous  avons  admis  en 
Afrique  occidentale  française;  c'est  ce  qui  doit  être  éta- 
bli dans  les  colonies  anglaises  où  il  n'en  est  pas  encore 
ainsi.  Mais  nous  nous  empressons  d'ajouter  que  ces 
droits  nous  paraissent  ne  devoir  être  exercés  que  de  la 
manière  la  plus  limitée  possible.  En  outre,  et  c'est  là 
que  l'on  doit  s'arrêter  dans  l'imitation  du  système  fran- 
çais, cet  exercice  ne  nous  paraît  nullement  entraîner 
avec  lui  l'application  des  institutions  de  la  métropole 
aux  peuples  indigènes. 

Nous  admettons  que  lorsque  nos  nationaux,  ou  les 
individus  que  nous  leur  assimilons,  se  trouvent  en  rap- 
port avec  les  indigènes,  nous  conservions  pour  les  pre- 
miers l'usage  de  nos  lois;  cela  se  justifie  dans  la  même 
mesure  que  le  droit  de  conquête  ;  et  c'est  ainsi  que  nous 
pensons  que  le  jugement  des  tribunaux  indigènes  ne 
saurait  s'étendre,  comme  à  Lagos,  aux  étrangers;  mais 
nous  croyons  qu'il  ne  faut  pas  aller  plus  loin  dans  l'ap- 
plication de  nos  lois. 

Nous  avons  dit  comment  elles  sont  contraires  aux 
principes  mêmes  sur  lesquels  repose  la  société  indi- 
gène. Nous  n'avons  nullement  le  droit  de  modifier  ces 
principes,  car  nous  n'avons  nulle  preuve  que  notre  forme 
de  société  est  la  meilleure,  ni  qu'elle  corresponde  aux 
nécessités  des  pays  sur  lesquels  nous  avons  artificielle- 
ment installé  notre  domination. 

En  outre,  cet  exercice  suppose  une  intervention  bien 
plus"  complète  auprès  des  indigènes  que  nous  ne  pou- 
vons pratiquement  l'exercer,  sans  charger  ces  pays  du 
poids  d'une  administration  qu'ils  ne  peuvent  supporter. 

C'est  à  ce  titre  que  nous  devons  nous  borner  à  un 
rôle  tutélaire  et,  ainsi  que  le  pensait  Mary  Kingsley,  lais- 


V 


CONCLTJSI02f  553 

ser  les  indigènes  régler  entre  eux  les  mille  détails  de 
leur  vie  quotidienne.  C'est  pour  cela  qu'il  nous  paraît 
qu'alors  que  Sir  Frederick  Lugard  avait  admirablement 
défini  la  manière  dont  l'Angleterre  devait  intervenir 
dans^la  Nigeria,  ses  successeurs  sont  allés  trop  loin  en 
voulant  assurer  effectivement  eux-mêmes  tout  le  fonc- 
tionnement de  la  société  indigène  :  nous  sommes  heu- 
reux  de  saluer  le  retour  de  ce  grand  homme  d'Etat  à 
la  tète  de  ces  pays,  parce  que  nous  y  voyons  un  indice 
et  une  assurance  que  cette  unification  de  la  politique 
anglaise  en  Afrique  occidentale,  à  laquelle-  prélude  la 
fusion  des  deux  Nigeria,  se  fera  d'après  ces  principes 
qu'il  avait  lui-même  posés. 

C'est  pour  cela  aussi  que  nous  ne  voyons  qu'un 
moyen  de  réparer,  dans  notre  Afrique  occidentale  fran- 
çaise, la  faute  commise  de  vouloir  donner  aux  indigènes 
notre  justice  et  notre  régime  foncier.  Cette  faute  doit 
être  attribuée,  non  point  à  l'administration  locale,  qui 
s'est  toujours  défendue  contre  cette  intervention  abu- 
sive, mais  à  des  utopies  théoriques  provenant  de  doc- 
trines parlementaires  trop  ignorantes  des  problèmes 
qu'elles  veulent  résoudre.  Ce  moven,  c'est  de  ne  rien 
faire  pour  assurer  pratiquement  l'application  de  cette 
législation.  Il  faut  continuer,  comme  on  l'avait  sagement 
fait  tout  d'abord,  à  gouverner,  administrer  et  rendre  la 
justice  par  l'intermédiaire  des  chefs  indigènes,  sous  la 
seule  surveillance  de  notre  admifiistration,  en  laissant 
magistrats  et  fonctionnaires  judiciaires  et  fonciers 
cantonnés  dans  les  villes  où  l'agglomération  des  Euro- 
péens a,  en  fait,  détruit  la  société  indigène,  mais  il  ne 
faut  pas  permettre  à  ces  magistrats  et  fonctionnaires 
d'étendre  plus  loin  leur  action. 


554  CONCLUSION 

En  parlant  ainsi,  nous  nous  préoccupons  peut-être 
plus  encore  de  l'avenir  de  ces  peuples  auprès  desquels 
nous  nous  sommes  installés,  que  de  leur  situation  pré- 
sente; c'est  pour  l'avenir  surtout  qu'est  engagée  toute 
la  responsabilité  que  nous  avons  assumée  par  notre 
intervention. 


♦ 


Nous  n'avons  point  l'intention  d'insister  ici  sur  la  na- 
ture de  notre  influence  sur  les  noirs;  mais,  sans  craindre 
d'être  accusé  de  parti  pris  ou  de  pessimisme  injustifié, 
nous  pouvons  bien  dire  que,  si  cette  influence  est  très 
réelle,  elle  n'est  peut-être  pas  des  plus  heureuses  à 
tous  les  points  de  vue. 

Le  voyageur  qui  parcourait,  il  y  a  peu  d'années  seu- 
lement, les  terres  de  l'intérieur,  où  les  blancs  venaient 
à  peine  de  pénétrer,  pouvait  être  tenté  de  faire  un  beau 
rêve  :  c'était  une  vie  patriarcale,  celle  des  temps  bibli- 
ques, qui  se  révélait  à  lui.  11  découvrait  des  peuples 
qui  vivaient  heureux  de  leur  agriculture,  formant  une 
sorte  de  société  collectiviste  dans  laquelle  la  seule  cause 
de  misère  était  les  guerres  intestines.  Il  pouvait  penser 
que  si  ces  guerres  étaient  arrêtées,  si  une  sorte  de  pou- 
voir souverain  intervenait  pour  assurer  chez  ces  peu- 
ples la  paix  dont  ils  avaient  besoin^  ils  seraient  parmi 
les  privilégiés  de  la  terre.  Ce  pouvoir  pourrait,  en  même 
temps,  enseigner  à  ces  indigènes  le  moyen  de  mieux 
exploiter  les  richesses  de  leur  sol,  leur  apprendre  à 
soigner  leurs  maladies,  et  tandis  qu'il  augmenterait 
leur  bien-être,  il  trouverait  une  rémunération  de  ses 
peines  dans  le  profit  que  feraient  ses  nationaux  en  com- 
merçant dans  ces' pays. 


CONCLUSION  555 

La  pacification  s'est  faite  en  même  temps  que  la  con- 
quête de  TAfrique.  Les  noirs  ont  été  persuadés  que  les 
blancs  étaient  invincibles,  et  ils  se  sont  soumis;  mais 
alors  on  a  pu  commencer  de  voir  l'effet  qu'allait  pro- 
duire sur  eux  le  contact  de  notre  civilisation. 

Dans  les  régions  très  fréquentées  par  les  Européens, 
cette  influence  devait  être  complètement  désorganisa- 
trice  de  la  société  indigène. 

Ce  sont  moins  les  dispositions  législatives  que  nous 
avons  pu  prendre  qui  ont  agi  dans  ce  sens,  que  les  phé- 
nomènes économiques  qui  ont  accompagné  l'exploita- 
tion de  l'Afrique  occidentale. 

Tant  que  nous  nous  sommes  bornés  à  truquer  nos 
marchandises  contre  les  produits  que  les  noirs  voulaient 
bien  apporter  à  la  côte,  nous  avons  eu  beau  publier 
toutes  les  lois  possibles  sur  Tesclavage,  Tadministra- 
tion  de  la  justice,  le  régime  foncier,  ces  lois  n'ont  eu 
aucune  portée,  parce  que  nous  manquions  des  moyens 
de  les  faire  appliquer  et  que  les  indigènes,  hommes 
libres  ou  captifs,  n'en  voyaient  pas  les  avantages. 

Le  jour,  au  contraire,  où  nous  avons  pénétré  dans 
l'intérieur  autrement  que  pour  le  conquérir,  mais 
aussi  pour  en  exploiter  les  richesses;  lorsque  nous 
avons  entrepris  toute  une  série  de  grands  travaux 
qui  devaient  nous  permettre  de  transporter  ces  pro- 
duits; lorsque,  surtout,  nous  avons  introduit  la  mon- 
naie dans  nos  transactions  avec  les  indigènes,  nous 
avons  occasionné  une  véritable  révolution. 

Ce  jour-là,  les  captifs  ont  pu  vivre  sans  le  soutien  de 
leurs  maîtres,  et  non  seulement  ils  ont  quitté  leur  pays 
pour  venir  travailler  auprès  des  Européens,  mais  encore 
ils  ont  fui  leurs  maîtres  sans  esprit  de  retour.  Les  chefs 


556       '  CONCLUSION 

de  famille,  de  leur  côté,  ont  vu  les  terres  qu'ils  possé- 
daient, dans  les  endroits  où  les  Européens  voulaient 
s'établir,  acquérir  une  valeur  qu'ils  ne  leur  soupçon- 
naient pas.  La  législation  européenne  leur  permettait 
en  efl^t  de  se  les  attribuer  au  détriment  de  leurs  su- 
jets, ils  n'y  ont  pas  manqué.  Ainsi  les  assises  mêmes 
de  la  société,  qui  reposait  entièrement  sur  le  servage  et 
la  communauté  des  biens,  se  sont  trouvées  ébranlées. 

Cette  transformation  se  présente  en  tout  cas  sous  un 
aspect  bien  différent  suivant  qu'il  s'agit  des  colonies 
anglaises  et  des  colonies  françaises. 

Notre  contact,  en  effet,  n'a  pas  produit  sur  les  indi- 
gènes l'impression  qu'ils  ont  ressentie  de  la  fréquen- 
tation des  Anglais.  Partout,  chez  nous,  ils  ont  conservé 
leur  costume,  leurs  usages,  leur  langue.  Cela  vient 
peut-être  simplement  de  ce  qu'en  dehors  du  Sénégal, 
nous  sommes  en  rapports  intimes  avec  eux  depuis  bien 
moins  longtemps  que  les  Anglais.  II  semble  aussi  que 
l'influence  de  nos  missionnaires  ait  été  tput  autre  que 
celle  des  pasteurs  anglais.  Ceux-ci  se  sont  attachés  à 
angliciser  le  plus  possible  les  noirs,  tandis  que  les 
missionnaires  français^  n'ont  travaillé  qu'à  les  conver- 
tir à  leur  religion,  ce  à  quoi  ils  ne  sont  guère  arrivés 
du  reste.  Les  noirs  américains  qui  sont  revenus  en 
Afrique  occidentale  ont  fréquenté  uniquement  les  colo- 
nies anglaises.  Les  indigènes  un  peu  aisés  des  colo- 
nies anglaises  ont  pris  l'habitude  d'envoyer  leurs 
enfants  s'instruire  en  Europe,  exemple  qui  n'a  été  suivi 
pour  ainsi  dire  par  aucun  de  nos  sujets. 

Toutes  ces  causes,  et  peut-être  aussi  la  forme  un  peu 
différente  de  la  civilisation  française  et  de  la  civilisation 
anglaise,  ont  fait  que  la  question  de  V  «  européanisa- 


- 1 

I 


CONCLUSION  557 

tien  »  des  noirs  ne  se  pose  pas  actuellement  de  la  même 
manière  partout,  à  la  côte  et  à  l'intérieur,  et  il  est  bien 
probable  que,  lorsque  l'agitation  causée  actuellement,^ 
dans  rhinterland,  par  Inexécution  des  grands  travaux 
publics  sera  terminée,  la  société  indigène  reprendra 
dans  nos  colonies  sa  forme  normale.  La  vie  de  famille 
se  reconstituera,  et  le  servage,  sinon  l'esclavage,  dans 
le  sens  que  nous  attribuons  à  ce  mot,  continuera  à 
être,  avec  la  communauté  des  biens  fonciers,  le  fon- 
dement de  r  «  organisation  sociale  ». 

Dans  les  parties  des  colonies  anglaises  voisines  de 
la  côte,  on  est  en  droit  de  se  demander  s'il  en  sera  de 
même,  et  c'est  une  question  qu'il  faut  se  poser,  car  elle 
est  très  grave.  Il  y  aura  bien  toujours,  au  moins  pen- 
dant longtemps,  une  partie  de  la  population  qui  sera 
peu  atteinte,  comme  elle  est  restée  jusqu'ici  indemne 
de  toute  modification,  nous  voulons  dire  celle  qui  sera 
éloignée  des  grandes  voies  de  communication  ou  qui 
vivra  dans  les  régions  pauvres;  mais  il  n'en  sera  pas 
ainsi  pour  la  majorité  des  indigènes,  d'autant  que  des 
agitations  politiques  viendront  certainement  augmen- 
ter leur  instabilité. 

Dans  l'intérieur,  en  pays  anglais  comme  en  pays  fran- 
çais, il  en  sera  évidemment  tout  autrement,  car,  d'ici 
longtemps,  les  conditions  économiques  qui  régissent  la 
société  indigène  ne  pourront  subir  des  modifications 
importantes,  et  ce  n'est  pas  le  contact  de  quelques  fonc- 
tionnaires qui  pourra  exercer  une  bien  grande  influence 
sur  la  forme  de  la  société  indigène. 

Par  delà  la  grande  forêt,  une  sorte  d'union  ne  s'en 
fera  pas  moins  entre  les  diverses  races  qui  peuplent  les 
terres  soudanaises.  Nous  leur  avons  donné  une  paix 


560  TABLE    DES    MATIERES 

Chapitre  XVIII.     Lagos.  —  L'organisation  judiciaire 234 

—  XIX.        Lagos.  —  Les  budgets  des  Etats  indigènes -ihk 

—  XX.         Lagos.  —  La  politique  de  Sir  William  Mac  Gre- 

gor  et  celle  de  Sir  Waller  Egerton 257 

—  XXÏ.        A'igen'o.  —  Les  Précurseurs 2t)3 

XXII.      La  Royal  Niger  C°.  —  La  concurrence  étrangère .  3o:> 

—  XXIII.     La  Royal  Niger  C\  —  L'opinion  anglaise 3^*6 

—  XXIV.     La  Royal  Niger  C*.  —  La  Compagnie  et  les  indi- 

gènes      3«iR 

—  XXV.       La  Royal  Niger  C\  —  Son  évolution 364 

—  XXVI.     La  Northern  Nigeria,  —  Les  débuts  de  Toccu- 

palion .* 38» 

—  XXVII.    La  Northern  Nigeria.  —  La  prise  de  Kano  et  de 

Sokoto". 401 

—  XXVIIL  La  Northern  Nigeria.  —  Sir  Frédéric  Lugard 

et  le  Colonial  Office 411 

—  XXIX.      La  Northern  Nigeria.  —  L'organisation  admi- 

nistrative et  judiciaire.  »  La  situation  des 
personnes.  —  Le  régime  foncier 441 

—  XXX.       La  Northern  Nigeria.  —  Les  impôts 463 

—  XXXI.     Le  Niger  Coast  Protectorate  et  la  Soathern  Ni- 

geria,  —  L*011  Hivers  Cousulate  et  le  roi 
Jaja 471 

—  XXXII.   Le  Niger  Coast  Protectorate  et  la  Southern  A7- 

geria.  —  L'occupation  du  Das  Niger 488 

—  XXXIJI.  La  Southern  Nigeria.  —  La  législation 505 

Conclusion 523 


Typ.  Édocard  Privât,  14,  tue  des  Arl»,  Toulouse.