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Full text of "La polygynie sororale et le sororat dans la Chine féodale;"

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LA^  POLYGYNIE  SORORALE 

ET  LE  SOKORAT  DAINS  LA  CHIINE  FÉODALE 


A.Nama.  —  im*.  F.  Gaixtier  rr  A.  ThCiirt. 


HCh 

L4 


POLYGYNIE  SimORALE 


ET  LE 


SORORAT  DA.NS  LA  CHlNfi  FÉODALE 


ÉTUDE  SUR  LES  FORMES  ANCIENNES 
DE  LA  POLYGAMIE   CHINOISE 


Marcel  GRANET 

Docteur  ès-Let(res 
Ancien  élève  de  l'Ecole  Normale  supéru'ure. 
Directeur   d'Etudes    "i    l'Enole    des    Hautes-Kt'idf 


«  Je  lui  rôpoudîs  qu'il  voyait  bien,  a 
la  proposition  que  je  lui  faisais,  que  ce 
n'était  pas  le  bien  qui  m'amenait  à  lui, 
ni  même  sa  fille  que  je  n'avais  jamais 
vue.  que  c'était  lui  qui  m'avait  cliarm'é 
et  que  je  voulais  épouser  avec  M™^  de 
Beauviiliers.  «  Mais,  me  dit  il.  si  elle 
o  veut  absolument  être  religieuse?  — 
»  Alors,  répliquais-je,  je  vous  demande 
'«  la  troisième.  - 

Saint-Simon.  Mem  .  Ch.  VUi 


PARIS 

EDITIONS  ERNEST   LEROUX 

28,    RIE   BONAPARTE,    28 

192U 


A    Lucien    HERR 


LA  POLTGYNIE  SORORALE 
ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE 


ÉTUDE  SUR  LES  FORMES  ANCIENNES  DE  Li  POLÏGAMIE  CBIIISE 


ce  Je  lui  répondis  qu'il  voyait  bien,  à 
la  proposition  que  je  lui  faisais,  que  ce 
n'était  pas  le  bien  qui  m'amenait  à  lui, 
ni  même  sa  fille  que  je  n'avais  jamais 
vue,  que  c'était  lui  qui  m'avait  charmé 
et  que  je  voulais  épouser  avec  M"»"  de 
Beauvilliers.  «  Mais,  me  dit-il,  si  elle 
"  veut  absolument  être  religieuse?  — 
"  Alors,  répliquais-je,  je  vous  demande 
«   la  troisième.  » 

Saint-Simon,  Mém.,  Ch.  VIII. 


I 

INTRODUCTION.    —    FAITS    MODERNES 
ET  ANALOGIES  ETHNOGRAPHIQUES 

Voici  comment  mon  attention  a  été  attirée  sur  les  faits 
qui  forment  l'objet  de  ce  travail.  On  sait  que  les  mariages 
se  font  en  Chine  sans  que  les  fiancés  se  soient  choisis  ou 
même  qu'on  leur  ait  donné  l'occasion  de  se  connaître  un 
peu  ;  entrés  en  ménage,  maris  et  femmes  s^  voient  à 
peine;  il  n'y  a  point  entre  eux  une  intimité  conjugale  com- 
parable à  celle  qui  unit  un  couple  de  chez  nous  :  c'est  une 
question  de  savoir  si  l'affection  entre  époux  chinois  peut 
être  nommée  de  l'amour.  Est-ce  un  sentiment  fait  de  ce 
que  chacun  d'eux  éprouve  vivement  le  charme  singulier 
de  l'autre?  Vient-il  de  l'attrait  mutuel  de  deux  personna- 
lités qui  se  conviennent  ?  Ou  bien  cette  affection  n'esl-elle 

1 


2  LA    POLY(JYMK    SORORALE 

rien  dautro  que  le  résultat  d'une  accoutumance  ou  d'une 
obligation  ?  Comme  j'essayais  de  m'informer,  il  me  fut  une 
fois  répondu  que  les  époux  chinois  s'aimaient  assurément 
de  la  même  manière  que  les  nôtres;  à  titre  cîe  preuve  une 
histoire  me  l'ut  contée  :  c'était  celle  d'un  mari  à  tel  point 
amoureux  de  sjt  femme  que,  lorsqu'il  la  perdit,  il  demanda 
tout  aussitôt  à  en  épouser  la  sœur.  —  D'une  autre  manière 
qu'il  ne  pensait,  mon  informateur  répondait  à  la  question  : 
il  me  montrait  (jue  les  qualités  (|ue  les  Chinois  a|)précient 
le  plus  dans  une  épouse,  ce  ne  sont  pas  celles  qui  sont 
individuelles,  mais  impersonnelles  et  familiales.  Une 
chose  me  frappa  surtout,  savoir  le  mariaiçe  d'un  veuf  avec 
la  sœur  de  la  défunte  :  il  était  clair  qu'on  le  considérait 
comme  un  témoignage  suprême  d'amour  conjugal. 

J'obtins  à  quelque  temps  de  là  une  information  ana- 
logue. Ce  fut  en  revenant  d'entendre,  dans  l'église  de 
Pékin,  la  messe  de  Noël  :  j'avais  tâché,  non  sans  peine, 
d'expliquer  ce  qu'était  la  transsubstantiation  a  un  Chinois 
fort  instf  uit  et  d'esprit  curieux  ;  il  voulut  me  remercier  de 
ma  bonne  volonté  à  lui  découvrir  l'un  des  rites  les  plus 
mystérieux  de  ma  nalion  ;  par  courtoisie,  sachant  que  je 
m'occupais  de  la  famille  chinoise,  il  m'en  parla  ;  peut-être 
craignait-il  que  je  ne  jugeasse  avec  défaveur  les  usages  de 
son  pays,  comme  tant  d'étrangers  qui  ont  tout  dit  lors- 
qu'ils ont  reproché  aux  (Chinois  d'avoir  des  concubines  et 
de  mépriser  les  lémmes  :  «  Ne  croyez  pas,  me  dit-il  à  peu 
près,  que  nos  mœurs  soient  si  difT.Tentes  des  vôtres. 
Cliez  nous,  comme  chez  vous,  quand  un  jeune  homme 
demiimie  une  lille  à  son  pcre,  celui-ci  prend  des  informa- 
lions  et  des  garanties  pour  que  son  enfant  soit  licurewse. 
Quand  la  famille  de  la  jeune  (ille  est  considérable  et 
qu'elle  est  en  étal  de  faire  sentir  le  prix  de  son  alliance,  il 
n'est  pas  rare  <|ue  l'on  exige  du  prétendant  qu'il  s'engage 
a   ne   point    pi.ndre  de  concubines   durant   la    vie    de   sa 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  SORORALE        3 

femme  ou  encore,  si  elle  meurt,  a  se  remarier  avec  sa 
sœur.  »  Ainsi,  m'affirmait-on,  un  père  pense  protéger  sa 
fille  en  circonscrivant  par  avance  à  sa  propre  famille 
l'avenir  matrimonial  de  son  gendre.  A  quoi  pouvait  tenir 
cette  faveur  marquée  pour  les  mariages  des  veufs  et  de 
leurs  belles-sœurs  ?  Je  tâchai  de  me  rendre  compte. 

Il  me  fut  facile  de  me  convaincre,  sur  de  nombreux 
exemples,  que  l'union  en  secondes  noces  d'un  veuf  et  de 
la  sœur  de  sa  femme  défunte  était  d'un  usage  général  et 
généralement  bien  vu.  Qui  plus  est,  certaines  règles  juri- 
diques m'amenèrent  à  le  considérer  comme  étant  quasi- 
ment obligatoire. 

Les  lois  chinoises  modernes,  qui  sont  d'une  sévérité 
minutieuse  en  matière  d'inceste,  n'interdisent  point  un  tel 
mariage  :  ce  n'est  pas,  comme  on  pourrait  le  croire  d'après 
ce  que  l'on  sait  de  l'organisation  agnatique  de  la  parenté 
chinoise,  parce  que  l'union  matrimoniale  n'établit  point  de 
liens  entre  le  mari  et  les  proches  de  sa  femme.  Bien  que, 
d'après  le  deuil  porté,  qui  est  le  signe  de  la  proximité 
familiale,  celle-ci  j<araisse  médiocre  entre  le  mari  et  la 
belle-mère,  la  loi  des  Ts'jng  leur  interdit  le  mariage  et 
punit  leur  inceste  de  la  peine  de  strangulation  immé- 
diate (1).  De  même  l'union  incestueuse  avec  la  veuve  d'un 
oncle  maternel  est  punie  par  un  exil  d'un  an  (2).  Au  con- 
traire,   on  peut    valablement    épouser   une   cousine  ger- 

(i)  P.  Pierre  HoaDg,  Le  mariage  cliiiiois  au  point  de  vue  légal.  Varié- 
tés sinologiques,  n°  i4,  voir  page  65.  Le  mariage  est  prohibé  même  s'il 
ne  s'agit  point  de  la  mère  naturelle  de  la  femme,  mais  de  sa  mère  légi- 
time '■Ih)  ^  (femme  légitime  de  son  père)  —  de  sa  marâtre  !FBa  ^ 
(femmes   eu   secondes   noces   de   son    père),    de   la   femme    du    père    qui 

l'a  élevée    /@    ^    (mère  d'/iffection),    ou   de  la   femme   qui    l'a   nourrie 

1^    r^    (mère  nourricière). 
(2)  Ho.iug,  Mar.,  p.  65. 


4  LA    POLYOYNIE    SOHORALF. 

maine,  fille  J'oncle  piilernel  ou  maternel  de  sa  femme,  ou 
fille  tie  lante  paternelle  ou  maternelle  de  sa  femme  :  et  le 
mariage  avec  la  steur  de  celle  ci  loin  d  être  défendu  ou  de 
passer  pour  imonveiiant  ■<  a  été  de  tous  temps  en  usage  et 
l'est  encore  parmi  les  princes  et  les  grands  (1)  •• 

11  est  curieux  (|ue  la  loi  se  relàclie  de  sa  sévérité  pour 
une  telle  union,  et  que  celle-ci  soit  dun  usage  constant  : 
il  est  plus  curieux  encore  de  constater  que  cet  usage  est 
en  relation  avec  une  «outume  (]ui  snri>rend  un  juriste  tel 
que  le  P.  Iloang  (2).  <<  Hieii  qu  il  n'v  ait  aucune  honte, 
dit-il,  pour  une  femme  à  épouser  le  mari  de  sa  sœur,  il 
serait  mal  vu,  dans  la  bonne  société,  qu'elle  allât  en  visite 
chez  le  mari  de  sa  sœur.  C'est  ce  qu'exprime  le  proverbe 

N'  M  ^  ±  ^  ^  PI .  (La  cadette  ne  franchit  pas  la 
porte  du  mari  de  la  sœur  aînée).  »  Cetle  coutume  est  signi- 
ficative, mais  autrement  que  le  1'.  Hoang  ne  le  pense  :  si 
la  sœur  cadette  évite  tout  contact  avec  le  mari  de  l'atnée, 
c'est  qu'elle  doit  le  considérer  comme  un  fiancé  éventuel. 
On  conuuit  cette  règle  de  la  pmleur  chinoise  :  dès  (|u'une 
jeune  fille  est  en  passe  d'être  mariée,  elle  est  obligée  de 
fuir,  non  pas  seulement  son- prétendu  mari  mais  tout  ce  qui 
peut  en  appeler  l'image  ;  il  faut  (|u'elle  s'arrange  pour  ne  le 
point  apercevoir,  ni  sou  portrait,  ni  ses  parents,  ])Our  ne 
point  entendre  prononcer  son  nom  ou  même  lire  le  carac- 
tère (|ui  le  symbolise.  Si  pareils  accidents  arrivaieni  elle 
devrait  à  son  honneur  de  rt>ugir;  témoin  celle  histoire 
citée  dans  le  l'olL-lore  chii.ois  du  I'.  NVicger  (3)  :  Une 
fiancée  ressuscite  dans  le  cadavre  d  tiue  femme  mariée  ;  ce 
n'est  point  a  la  vue  du  mari  étranger  (ju'elle  rougit,  mais 
quand  accourent  lu  visiter  les  parents  de  son  prétendu.  Et 

(l)  Ibld.,  |j.   'ib   et  .'>6.  Voir  Iva  cxciuplrs    hiatoriquei  iatliqui5*  |iar  le 
P.  iio«UK. 

(•J>  Ihlit.,  p.  5(i.  ' 

^^;  \Vie({cr,  Léon,  b.  J.  folk-tore  chinois  moderne,  n'  i;i,   ji    U\. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FEODALE         D 

ceux-ci  considèrent   cette    rougeur   comme   une    preuve 
d'identité  valable  en  justice. 

Ainsi,  si  une  cadette  qui,  fréquemment,  à  la  mort  de 
l'aînée,  est  appelée  à  épouser  son  beau-frère  devenu  veuf, 
doit  toujours  s'abstenir  de  le  rencontrer,  c'est,  sans  doute, 
qu'elle  est,  en  tous  cas,  obligée  de  garder  la  conduite  qui 
convient  à  une  fiancée  prédestinée.  Ne  devons-nous  point, 
dès  lors,  imaginer  que  le  mariage  en  secondes  noces  avec 
la  sœur  de  la  femme  défunte,  si  fréquent  dans  la  pratique, 
a,  en  principe,  un  caractère  obligatoire  ? 

Quand  un  Chinois  se  marie^  en  secondes  noces,  s'il 
n'épouse  pas  sa  belle-sœur,  sa  seconde  femme  n'en  est 
pas  moins  considérée  comme  la  fille  des  parents  de  la 
première  épouse  :  à  tel  point  qu'elle  porte  à  leur  mort  le 
deuil  que  leur  véritable  fille  eut  dû  porter  (1).  De  même, 
il  est  d'usage  que  les  enfants  de  la  deuxième  épouse 
portent  le  deuil  des  parents  de  la  première  et  les  fassent 
passer  dans  les  cérémonies  familiales  avant  leurs  propres 
grands-parents  (2)  ;  leur  mère  est  en  effet  considérée 
comme  entièrement  substituée  à  la  première  épouse,  elle 
en  apparaît  comme  une  espèce  de  sœur  adoptive  ;  pour 
les  parents  de  là  déiunte,  elle  est  comme  une  fille 
retrouvée  (3). 

Les  coutumes  chinoises  modernes  que  je  viens  d'expo- 
ser ne  se  peuvent  guère  comprendre  que  si  on  les  regarde 
comme  les  formes  atténuées  d'un  usage  ancien  imposant 
au  mari  devenu  veuf  l'obligation  d'épouser  la  sœur  de  sa 
première  femme.  Un   tel  usage   doit  être  rapproché   de 

(i)  Hoang,  Mariage,  (4o)  note  l^. 

(a)  lliid.,  note  3. 

(î)  lild.,  note  69.  On  notera  les  .ippellations  données  dans  le  peuple  à 

la  seconde  femme  1111:^0^^:^°^^:^:  lille  suc- 
cédant  dans  la  chambre   .i  coucher. 


6  LA    POLYGYNIE   SORORALE 

l'usage  antitliétique  connu  sous  le  nom  de  lévirat  :  chez 
les  anciens  Hébreux,  par  exemple,  une  veuve  était  obliga- 
toirement mariée  au  frère  caJel  de  son  défunt  mari,  (^ette 
règle,  célèbre  pour  avoir  été  pratiquée  dans  tout  le  monde 
sémitique,  a  été  étudiée  par  Robertson  Sniilli  dans  son 
ouvrage  sur  la  parenté  et  le  mariage  thins  l'Arabie 
ancienne  (1).  Smith,  grâce  à  cette  intuition  concrète  qui 
caractérise  ses  vues  sur  les  phénomènes  primilifs.  a 
vivement  senti  et  mis  en  lumière  les  rapports  du  lévirat 
et  de  la  polyandrie  fraternelle.  Par  la  comparaison  avec 
les  différents  systèmes  de  polyandrie  et  en  particulier 
avec  le  système  tibétain,  Smith  avait  été  amené  à  poser 
le  principe  que  le  lévirat  est  une  trace  du  mariage  de 
groupe  tel  que  Mac-Lennan  et  Morgan  en  avait  lait  la 
théorie.  Moins  systématiques,  mais  conduites  avec  une 
admirable  précision,  les  études  de  M.  Hivers  (2)  sur  les 
Todas  ont  encore  mieux  établi  les  rapports  du  lévirat  et 
de  la  polyandrie  fraternelle. 

Le  fait  inverse,  l'obligation  d'épouser  la  sœur  cadette 
de  la  femme  défunte,  a  beaucoup  moins  attiré  l'attention. 
Le  premier,  M.  Frazer,  dans  Totemism  and  Exogamiy,  a 
groupé  un  assez  grand  nombre  de  témoignages  q»ii  s'y 
rapportent,  et  il  a  proposé  de  donner  à  l'usage  le  nom  de 
sororat  (sororate)  (3).  Sororat  et  lévirat  lui  apparaissent 
comme  I  endroit  et  l'envers  dune  coutume  originale.  «  Si 
le  sororat,  limité  au  droit  il'épouser  la  sœur  d'une  femme 
défunte,  est  certainement  dérivé  d'un  droit  ancien 
dépouser  la  sœur  de  sa  femme  vivante,  il  devient  hau- 


(i)  W.  K.  Siiiilli.  Kinship  and  Mnrringe  in  rarly  .irnhia  (<?dit.  de  ipoS), 
parlii'iilièrciiiriit   rlinp.    V. 

(a)  W.  H.  H.  Kiver»,  The  Todat,  i<)ofi,  cl».  .\.\II,  p..rli.  uliorf  m«-iil 
p.  h09  Slf). 

(1)  J.  G.  Fr«ïi«r,  Tulemism  nnd  Exogamy,  i.,io,  i.  \\\  j,.  ,  (,,  i 
iSi. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE         7 

tement  probable  que  la  coutume  répandue  par  tout  le 
monde  du  lévirat,  laquelle  oblige  une  femme  à  épouser  le 
frère  de  son  mari  défunt,  est,  en  même  manière,  dérivée 
d'un  ancien  droit  d'épouser  le  frère  de  son  mari  vivant. 
Comme  les  deux  coutumes  du  lévirat  et  du  sororat  sont 
communément  pratiquées  par  les  mêmes  gens,  nous  sem- 
blons  justifiés  à  conclure  qu'elles  sont  les  deux  côtés  d'une 
ancienne  institution  unique,  savoir  le  mariage  de  groupe, 
dans  lequel  un  groupe  de  frères  épouse  un  groupe  de 
sœurs  et  possède  les  femmes  en  commun.  »  (1) 

Des  documents  venus  du  passé  chinois  permettent  d'étu- 
dier avec  quelque  précision  les  faits  qui  ont  intéressé 
Robertson  Smith  et  M.  Frazer.  J'emploierai,  dans  leur  ^ 
étude,  les  définitions  suivantes  :  j'appellerai  sororat 
l'usage  d'après  lequel  un  homme  est  obligé  d'épouser  la 
sœur  cadette  de  sa  femme  défunte  et  polygynie  sororale, 
l'usage  d'après  lequel  un  homme  s'unit,  en  un  mariage, 
avec  deux  ou  plusieurs  sœurs  (2). 

Pour  n'être  point  embarrassé  dans  l'analyse  des  docu- 
ments par  des  difficultés  de  textes,  je  donnerai  d'abord  la 
traduction  des  principaux  d'entre  ceux-ci  et  passerai 
ensuite  à  l'étude  des  faits. 


(i)  Ihid.,  p.   1^9. 

(2)  Je  crois  utile  d'établir  celle  distinction  que  M.  Frazer  n'a  point 
faite,  ne  fût-ce  que  pour  apporter  quelque  précision  au  classement  des 
faits.  Au  reste,  il  est  bon  de  n'opposer  sororat  qu'à  lévirat  et,  parlant, 
de  créM-  par  opposition  à  l'expression  consacrée  de  polyandrie  frater- 
nelle celle  de  polygynie  sororale.  J'ai  adopté  l'expression  polygynie  de 
préférence  à  polygamie  parce  que  ce  dernier  mot  laisse  entendre  que  le 
recrutement  des  femmes  multiples  se  fait  à  l'aide  d'une  pluralité  de 
contrats.  On  verra  au  contraire  que  ce  qui  caractérisé  la  polygynie 
sororale  —  au  moins  chez  les  anciens  Chinois  —  c'est  qu'il  suffit  d'un 
seul  contrat  pour  créer  des  relations  matrimoniales  non  pgs  entre  deux 
mais  entre  plusieurs  personnes. 


LA    l'OLVGVNIK    SORORALIÎ 


II 

RECUEIL  DE  TEXTES  RELATIFS 
A  LA  POLYGYNIE  1 

1.1  i-xie  du  l'siiuo  Iclioiian  pl  coiiiineutaires  aou<>xeê  ijestiaés  à  eipli- 
quer  l'acceesiuD  au  pouvoir  du  duc  Vin  de  Lou  (721-71 1  avant  J.-C);  pour- 
quoi ce  prince  ne  ful-il  point  considéré  comme  régnant  pour  son  propre 
compte  mais  au  nom  de  sou  frère  Houan?  Et  pourquoi,  en  conséquence, 
les  chroniques  n'annoucent-elles  point  son  avènement  avec  la  formule 
ordinaire  '.' 

Tsoiio.  Vin.  ]"  n.  {Legge,  p.  3)  [Comp.  S.MJ'  IV,  p.  lOGJ 
La  princesse  épouse  principale  du  duc  Houei  était  Mong 

Tseu  nu.  "r  {Tsett  Vainée).  Mong  Tseii  muurnl  ;  on  lui 
donna  roiiime  Suppléante  lif  ^  remplaçaute  à  la 
chambre  conjugale)  ChengTseu  %  ^  qui  enfanta  le  dut- 
Vin.  Le  duc  Wou  de  Song  engendra  Tchong  Tseu  #  T" 
[Tseu  la  cadêlte).  Tchong  Tseu,  à  sa  naissance,  avait  un 
signe  sur  la  main  .lisant  :  ce  sera  une  princesse  de   Lou. 

(i)  J'ai  (groupé  les  teïtcs  de  façon  que  ceux  qui  proviennent  d'un 
même  auteur  soient  placés  cote  i  cAte.  On  trouvera  d'abord  les  textes 
d  ordre  historique,  puis  cpux  d'ordre  littéraire,  enfin  ceux  qui  .ont 
extraits  des  rituels.  Je  me  suis  arrangé  ponr  que.  les  rèples  principales 
de  l'usaRe  étant  dahord  énoncées,  ou  trouve  ensuite  des  fait,  portant 
tr,uul^'nap,•  que  ces  rcKles  étaient  elTecliTement  suivies,  pour  que  l'on 
pr.Due  enfin  connaissance  des  (ormes  de  détail  du  contrat  polvirvnique 
et  des  rouluraes  de  1,  vie  domestique  qui  correspondent  à  ce  type  dins- 
t.tut.on.  Eu  outre,  les  textes,  comme  je  le»  ai  disposés,  apprendront  les 
variations  des  usages  poIvRvniques  selon  les  diflérentes  classes  de  la 
noblesse,  seigneurs,  Rrands-offiriers,  nobles  ordinaires. 

Les  commentaire,  ,e  rapportant  i  un  texte  cité  sont  pla..-.  s„„s  ,e 
men.e  numéro,  affecté  d'une  lettre,  et  précédé  du  nom  du  con.men.a.eur. 
Poin-  le.  texte,  déjà  tradui.s.  j'ai  renvoyé  à    la  traduction.  SMT  =  Sseu- 

ma    l.ieo,    Mémoires     hiit.irinii.<>      ■..  1      *^i  t  t 

•iiiKiriqiie.,    trnil.     Cliavauoes.     I  .ouo   =   1  souo 
tchouan,  trsd.  I.eggi.. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FEODALE         9 

Aussi  Tchong  Tseu  vint-elle  chez  nous  comme  épouse 
[fiancée  d'abord  au  duc  Yin,  puis  prise  pour  femme  par 
Houei,père  de  celui-ci,  cf.  SMT  IV,  p.  106];  puis  le  duc 
Houei  mourut.  Aussi  le  duc  Yin  établit-il  comme  héritier 
et  présenta-t-il  en  cette  qualité  [le  duc  Houan)  [tout  en 
prenant  lui-même  provisoirement  le  pouvoir). 

I  a  —  Ton  Yii,  ibid.  {Tsouo)  dit  :  «  la  princesse  épouse 
principale  i)  pour  signifier  qu'elle  [Mong  Tseu)  était  la 
princesse  épousée  comme   femme' principale  au  premier 

mariage  (du  duc  Houei)  $0  i^^  7C  /V .  Tseu  J  est  le 
nom  de  famille  (des  seigneurs)  de  Song...  Cheng  est  un 
nom  posthume.  Cheng  Tseu  était  sans  doute  la  nièce  ou 
la  sœur  cadette  de  Mong  Tseu.  Au  premier  mariage  d'un 
seigneur,  les  seigneuries  du  même  nom  de  famille  [que 
celle  où  il  prend  femmes)  envoient  comme  suivantes  des 

nièces  et  des  cadettes  I^if4^H0$^^^.  Quand 
la  pri'ncesse  épouse  principale  meurt,  la  princesse  qui  la 
suit  en  dignité  dirige  à    sa  place  les  affaires  de  la  Maison 

intérieure    y\.  y,\L  •©  7p  1^  ^  ,  mais,  comme  elle  n'a  pas 

droit  à  rappellation  de  7C  /V  fou-jen  [princesse  épouse), 
oh  l'appelle  la  Suppléante...  Les  signes  marqués  par  la 
nature  sur  la  main  (de  Tchong  Tseu)  semblèrent  un  ordre 
du  ciel  :  aussi  la  maria-t-on  à  Lou...  Le  duc  Yin,  fils  de  la 
Suppléante,  aurait  dû  succéder.  A  cause  du  présage  faste 
{de  Tchong  Tseu,  mère  de  Houan),  il  {le  duc  Yin)  accomplit 
après  la  mort  de  son  père  le  vœu  de  celui-ci  et,  comme  le 
duc  Houan  était  encore  trop  jeune,  il  l'établit  comme 
héritier  présomptif  (</«  duc  Houei,  mais  non  comme  duc). 
Les  chefs  et  le  peuple  de  la  seigneurie  le  reconnurent 
comme  tel  à  sa  présentation.  C'est  pour  expliquer  que  le 
Livre  {des  chroniques  de  Lou)  {après  les  mots)  «  la  pre- 
mière année    au  printemps  »    ne  dit  pas  «  {le  duc    Yin) 


10  I.A    POLYOYN'IR    SOROnAI.K 

accéda  à  la  seigneuri*'  »  (|ii'est  fait  i;e  romiiR-ntaire  de 
Tsouo. 

I  //.  —  J/o  IJit-ou,  ibitl.  {Fils)  principal  îo  désigne  les  fils 
de  la  princesse  épouse  principale;  [parmi  les  fils  de  la 
/'■/lime  principale)  il  n'y  a  pas  d'inégalité  de  rang,  c'est 
poun|uoi  on  ciioisit  d'après  l'âge  {m    à  m.  :  la  dentition). 

Fils     i     désigne   les   lils    des  suivantes   de  droite  et  de 

gauche  Ai  aL'>9  ainsi  que  des  nièces  et  des  sœurs 
cadettes  ;  entre  eux  il  y  a  des  dillérences  de  dignité  et  il 
faut  veiller  au  fait  qu'ils  peuveiit  c^lre  du  même  âge  ;  c'est 
pourquoi  on  choisit  d'après  la  noblesse.  Selon  les  Rites, 
quand  la  princesse  épouse  principale  n'a  pas  de  lils,  on 
établit  {comme  successeur)  {It  fils  de)  la  suivante  de  droite, 
a  défaut  {celui  de)  la  suivante  de  gauche,  à  défaut  [celui 
de)  la  nièce  ou  de  la  cadette  de  la  {princesse)  épouse  prin- 
cipale, à  défaut  {celui  de)  la  nièce  ou  la  cadette  de  la  sui- 
vante de  droite,  à  défaut  {celui  de)  la  nièce  où  la  sœur 
cadette  de   la  suivante   de  gauche.  Dans  les  familles  de 

gens  simples  M  ^  {dont  le  principe  d'organisatioi]  est) 

traiter  les  proches  en  j)roches  ^^,  on  établit  d'abord 
{le  fils  de)  la  sœur  cadette.  Dans  les  lainilles  distinguées 

3C  W-  [dont  le  principe  d'organisation  est)  traiter  confor- 
mément à  leuraulorilé  ceux  (|ui  possèdent  l'autorité  ^-  ^ 
{l'autorité  doniesti(/ue,  c.  a.  d.  la  branche  ai  née),  on  établit 
en  prt'micr  lieu  (le  fils  de)  la  nièce  {car  la  nièce  doit  être 

une  fille  du  /n'-re  aine).   Quand    un  lils  principal  8|^    J 
{fils  de  l  épouse  principale)  a  un  [fils  <jui  est  le)  pclit-lils 
{en   Uiine  directe  du  propre  père  de  ce  fils  principal)  et 
que  ce   lils  [principal)   meurt,   dans  les  familles  de   gens 
Bimpb's    [dont  Ir  principe   d'iimanisalion  est)  traiter  les 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        H 

proches  en  proches,  on  établit  {comme  successeur  du  grand- 
père)  le  irère  cadet  [du  fils  principal)  ;  dans  les  lamilles 
distinguées  {dont  le  principe  est  de)  traiter  conformément 
à  leur  autorité  ceux  qui  possèdent  l'autorité,  on  établit 
d'abord  le  petit-fils  {représentant  de  la  branche  aînée). 
Quand  il  naît  des  jumeaux,  dans  les  familles  de  gens 
simples,  on  se  fonde  sur  la  {première)  apparition  et  l'on 
établit  le  premier-né,  dans  les  familles  de  gens  distingués, 
on  se  fonde  sur  l'idée  d'origine  et  l'on  établit  le  der- 
nier-né. 

II.  — Textes  destinés  à  montrer  pourquoi  les  chroniques  de  l>ou  font 
uiention  du  mariage  d'une  cadette. 

Tc/i'ouen  Ts'ieou.  Yin.  2"  a.  {Legge,  pp.  8-iO).  En  hiver, 

au.deuxième  mois,  Po  Ki  10  5|fi  {Ki  l'aînée)  alla  comme 
épouse  à  Ki. 

[Po  Ki,  [plie  aînée  du  duc  Yin  de  Lou.)  {Ki  est  une  sei- 
gneurie de  nom  Kiang  3c).] 

Il  a.  —  Tch'ouen  Ts'ieou.  Yin.l"  a.  {Legge,  pp.  22-23).  Au 

printemps,  au  troisième  mois.  Chou  Ki  '^  512  {Ki  la 
cadette)  alla  comme  épouse  {secondaire)  à  Ki. 

H  b.  —  Tou  Yu,  ibid.  Chou  Ki,  sœur  cadette  W»  de  Po 
Ki  :  ce  ne  fut  qu'à  cette  époque  qu'elle  alla  comme  épouse 
{secondaire  à  Ki).  Elle  attendit  d'avoir  l'âge  {requis)  dans 

le  pays  de  ses  parents  W  ^  M  JX,  W  IS  .  Elle  ne  parti- 
cipa pas  avec  {son  aînée)  la  femme  principale  à  la  pompe 

nuptiale  -^  ^k  ^m  Wr  'TT  ;  c'est  pourquoi  on  fait  mention 
d'elle  {ici). 

II  c.  —  Ho  Hieou  {ibid.  glose  de  Kong  Yang)  Chou  Ki  est 

une  suivante  de  Po  Ki   m  SlE  -O  i)9;  à  cette  date  {seule- 


12  t.A    l'OLYOYME    SORORALE 

ment,  c'rsl-à-c/irr  ,5  uns  après  son  aînée)  elle  alla  ^roninie 
épouse  secondaire  à  Ki)  parce  qu'elle  attendit  d'avoir  l'âge 
dans  le  pays  de  ses  parents.  Une  femme  à  partir  de  huit  ans 

peul  {élre  désignée  pour)  compléter  le  nombre  m  WL  {des 
suivantes  à  fournir  pour  un  mariage  seigneurial);  à  partir 
de  quinze  ans  elle  peut  aller  comme  suivante  ou  femme 

principale  vE  i^  .  A  partir  de  vingt  ans  elle  a  l'honneur  de 
servir  son  seigneur.  Les  suivantes  sont  de  rang  secondaire 

f^  Re  :  on   fait   ici  mention   {d'une  suivante)  parce    que 

Chou  Ki  dans  la  suite  devint  épouse  principale  ^fjfij  et  eut 
la  conduite  d'une  {femme)  Sage. 

1 1  d .  —  /Hu  C/icn  (i:loses  lie  Kou  Leang,  ibid).  La  nièce  et  la 
sœur  cadette  à  partirde  quinze  ans  sont  capables  de  servir 
leur  seigneur.  Il  convient  qu'elles  aillent  à  cet  âge  dans 

sa  seigneurie  'QË .  Quand  elles  ont  vingt  ans,  il  peut  cou- 
cher avec  elles  îflJ . 

[La  plupart  des  glossateurs  chinois  estiment  que, 
pour  une  femme,  vingt  ans  est  l'âge  obligatoire  du 
mariage. Or,  si  l'aînée  est  mariée  à  vingt  ans  précis, 
il  ya  quelque  dilTiculté  à  admettre  que  ses  suivantes, 
cadettes  ou  nièces,  aient  aussi,  en  nit^me  temps, 
vingt  ans.  11  est  vrai  qu'il  ne  s'agit  point  de  sœurs 
au  sens  strict,  mais  de  sœurs  ou  cousines  et,  en  tous 
cas,  (|u'il  ne  s'agit  point  de  sœurs  de  mère.  \'rai- 
semblablemenl,  pour  faire  partie  d'un  même  lot 
d'épouses,  il  devait  suffire  d'être  de  la  même  géné- 
ralion,  et  d'avoir  reçu  l'épingle  de  tête  (svmhole  de 
la  niajorili' '  en  ini'me  h'lnp^i,  d'être  de  la  rnênie  pro- 
motion I 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        13 

III.  —  Textes  relatifs  aux  suivantes  envoyées  à  Po  Ki^  fille  de  la  mai- 
son de  Lou  (de  nom   Ki    %V^]. 

Tch'ouen  Ts'ieou.  Tch'eng.  8*  a.  (Legge.  p.  366)  (584  ac. 

/.  C.)  Des  gens  de  Wei  arrivèrent  avec  la  suivante  7^  il^ . 

(Wei  TO  est  une  seigneurie  de  nom  512  Ki).' 

nia.  —  Tou  Yu,  ibid.  Autrefois  la  princesse  épouse  prin- 
cipale qu'épousait  un  seigneur  et  ses  suivantes  de  gauche 
et  de  droite  avaient  chacune  [avec  elles)  une  nièce  et  une 

sœur  cadette  ^^A^^^^-^^^.  Toutes 
appartenaient  à  des  seigneuries  de  même  nom  ;  elles 
étaient  trois  par  seigneurie,  soit  en  tout  neuf  femmes. 
Elles  servaient  à  augmenter  le  nombre  des  descendants 

JtT  J^  S  -i^S  B9^ .  Lou  [de   nom  Ki)  devant  marier  Po  Ki 

{Kil'ainée)k  Song{de  nom  Tseu  j),  des  gens  de  Wei  vin- 
rent pour  lui  amener  une  suivante  [plus  une  nièce  et  une 
cadette). 

III  b.  —  Tsouo,  ibid.  Des  gens  de  Wei  arrivèrent  avec 
la  suivante  :  contribution  aux  hommages  rituels  dus  à  [Po) 

Ki  ^  >(|fi  /Ta .  En  général,  quand  un  seigneur  marie  sa 
fille,  {des  seigneuries)  de  même  nom  envoient  des  sui- 
vantes; celles  de  nom  différent  ne  le  peuvent  pas.  ra  m 

III  c.  —  Tou  Yu,  ibid.  Il  faut  qu'elles  soient  de  même 
nom,  parce  que  [alors)  toutes  trois  [la  femme  principale  et 
ses  deux  suivantes)  étant  intimement  liées  par  les  liens  du 

sang,  les  conflits  sexuels  sont  apaisés  iîù' kX  |9j  xŒ  ^  • 
III  rf.  —  Ho  Hieou,  ibid.  Selon  les  rites,  un  seigneur  ne 


14  LA    l'OLYGYNlE   SORORALE 

demande  point  <|u'on  envoie  des  suivantes  (à  sa  fille  qu'il 
marie).  Les  seigneurs,  d'eux-mêmes,  envoient  des  sui- 
vantes à  une  princesse  [de  mùine  nom)  ^   >v  >i<  nv  ■  lîff 

B^  H  '1^  7C  /\  ;  ;<  cause  du  renom  de  Sagesse  de  l'o  Ki, 
les  seigneurs  désirèrent  à  1  envi  lui  envoyer  des  suivantes. 

III  e.   —  Tc/i'ouen   Ts'ieou.   Tch'eng.9'  a.  (583  ai'.  /.  C  ) 
{Legge,  p.  37U).  Des  gens  de  Tsin  arrivèrent  avec  la  sui 
vante.  {Tsin  est  de  nom  Ki  comme  Lou  et  Wei). 

111  /.  —  Tsouo,  ibid.  C'était  conforme  aux  rites. 

III  if.  -  Tou  Ytt,  ibid.  Parce  que  (ces  seigneuries 
étaient)  de  même  nom. 

III /(.  —  Tch'ouen  Ts'ieou.  Tch'eng.  lC)«  a.  (.582  ai'.  J. -(.'.) 
[Legge,  p.  373).  Les  gens  de  Ts'i  arrivèrent  avec  une  sui- 
vante (Ts'i  n'est  pas  de  nom  5|E  At,  mais  de  nom^^  Kiang). 

111/.  —  Tou  Vu,  ibid.  (Juand  d  un  pays  de  nom  diffé- 
rent, il  vient  une  suivante,  c'est  contraire  aux  rites. 

111  y.  —  Kong  Yang.  Les  suivantes  ^^d' ordinaire)  ne  sont 
pas  mentionnées  {dans  les  chroniques  de  Lou).  Pourquoi 
en  fait-on  mention  dans  ce  cas?  c'est  qu'on  veut  inscrire 
Po  Ki  dans  les  annales.  Que  do  trois  seigneuries  il 
vienne  des  suivantes  {cl  non  de  deu.t:  seulement^,  cela  est 
contraire  aux  rites.  Pourquoi  {cependatit)  note-t-on  le  (ait 
pour  l'inscrire  dans  les  annales  à  la  louange  de  Po  Ki? 
Pour  une  femme,  le  grand  nombre  des  suivantes  constitue 

la  magnilicence  :  ^i  K)^  $\l  ^  "^  i^  ^  . 

III  A*.  —  Ho  Uieou,  ibid.  La  suprême  Sagesse  de  Po  Ki 
lut  la  cause  |)()ur  laquelles  trois  l'tats  rivalisèrent  pour  lui 
fournir  des  suivantes  :  on  mit  de  la  magnilicence  à  ce  qui 
pouvait  lui  donner  du  prestige.  Seul  le  Fils  du  ciel  épouse 

douze  femmes.  ^  '^  -7^'ic  +  Zl  A" . 

(Le»  priucca  de  Lou,  fier*  de  deiiocndre   de  Trhooii   Koii)(,  uiurjiairDl 
friî.iucmiiicnl  !<■•  |iri»il*({i'i  «le»  l'il»  du  ci»l]. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        15 

)V.  —  Tcliouen  Ts'ieou.  Tchoua'ng.  19®  a.  (675  av.  J.-C.) 
{Legge  p.  98). 

Le  Kong-tseu  Ki  accompagna  à  Kiuan  la  suivante  ^  de 
la  femme  d'une  personne  de  Tch'en. 

[Les  commentateurs  discutent  pour  savoir  si  «  la  personne  de  Tch'en  » 
en  est  le  seigneur,  ou  quelqu'un  de  rang  inférieur  :  les  mots  employés 
donnent  plus  de  poids  à  la  deuxième  opinion.] 

IVr/.  — Kong  Yang,ibid.  Quand  un  prince  se  marie  dans 
une  seigneurie,  deux  autres  seigneuries  envoient  des  sui- 
vantes [à  sa  femme)  et  font  {chacune)  accompagner  {cha- 
cune de)  ces  [deux)  suivantes  par  une  nièce  et  une  sœur 

cadette.  Une  nièce  est  la  fille  d'un  frère  aîné  Jh  ^    i'  ; 

une  sœur  cadette  est  une  cadelte  Wt  ■  Les  Seigneurs  en 
une  seule  alliance  matrimoniale  prennent  neuf  femmes 

0H  ly^  *a  W  7L  I?Ç .  Les  seigneurs  ne  se  remarient  pas. 

\Nb.  —  Ho  Hieou,  ibid.  On  dit  envoyer  des  suivantes  "fî 
^  parce  que,  selon  les  Rites,  un  seigneur  ne  demande  pas 

qu'on  envoie  des  suivantes  (à  sa  fille)  -T*  ^  fr#.  Deux 
seigneuries,  de  leur  propre  mouvement,  envoient  des  sui- 
vantes à  la  princesse  H  '(È  W  tC  A  .  Gela  est  pour 
honorer  cette  princesse  seule.  On  doit  faire  accompagner 
les  suivantes  d'une  nièce  et  d'une  sœur  cadette.  On  désire 
faire  en  sorte  que,  si  une  femme  a  un  fils,  deux  autres  per- 
sonnes s'en  réjouissent  '  A  W  'T' o  — -A  &  lE* .  Par 
là,  en  empêchant  la  jalousie,  on  augmente  le  nombre  des 
descendants;  {envoyer  une  nièce  et  une  cadette  est)  un 
moyen  de  pratiquer  complètement  (à  la  fois  les  deux  prin- 
cipes) :  «  Traiter  en  proches  ses  proches  »  et  <  traiter  con- 
formément à  leur  autorité  ceux  qui  possèdent  une  auto- 


16  LA    l'OLYGYN[E    SOHORALE 

rité.  »    ((/;   11)).  [Un  seigneur  <i  neuf  femmes,  parce  que) 

neuf  est  le  nombre  limite  du  Yang  7t.  ^  .  ■S  Iw  fcX  "(ft  . 
L'n  seigneur  ne  se  remarie  pas,  usage  qui  a  pour  Ijut  de 

régler  les  désirs  humains^  W  J\  Iw  et  d'ouvrir  un  avenir 

aux  suivantes    [>{j  fê  ^  . 

V.  —  Tck'oueu  Js'ieou.  Siang.  23«rt.  (550  av.  J.-C.){Leiige, 

p.  500).  Comme  Tt=in  [de  nom  Ki  SjB  )  allait  marier  sa  fille 

à  Wou  [de  nom  Ki)  le  marquis  de  Ts  i  (de  nom  Kian</  3c  ) 
envoya  Si  I\ouei-fou  accompagner  une  suivante. 

\  a.  — ICong  Ying-ta,  ibid.  Selon  les  rites,  les  suivantes 
doivent  otre  de  même  nom  (c/we  lu  femme  principale).  La 
femme  principale  doit  être  d'un  autre  nom  rjue  le  mari. 
Dans  le  cas  présent,  Tsin  marie  une  liile  a  un  seigneur  de 
môme  nom  ;  et  Ts'i  lui  fournil  une  suivante  de  nom  diffé- 
rent :  tout  cela  est  contraire  aux  rites. 

VI.  —  Tsouo.  Tcliouang.  28*  a.  {Le(;gc,  p.  113).  Le  duc 
Mien  de  Tsin  épousa  deux  femmes  de  la  tribu  des  Jong, 

savoir  Hou  Ki  ^  et  sa  cadette  ^^^.c/.  .s.l/y,  /!',  p.  259. 
Vil.  —  Tsouo.  Min.  l'a.  (Legge,  pp.  126  et  129).  Le  duc 

Min  était  le  fils  de  Chou  Kiang  ^  Se  {Kiang  la  cadette), 

sœur  cadette  ÎM'  de  Ngai  [nom  de  temple)  Kiang. 

(Toutes  lieux  jiriuccsses  de  Ts'i,  nom  Kiaug].  Ct.  .S'.tf/',  IV,  ii|i.  m 
et  1 13  :  Nr»!  Kiang,  |).tr  l'eiilreiiiise  de  sou  aniaot,  essaye  de  faire  accéder 
(1  la  Kci^ueurie  le  tils  de  sa  cadelto. J 

VIII.  —  Tsouo.  Wen.  l'a.  (Leggiu  pp.  2'.7-2'.9l  Mou-po 

se  maria  à  Kieuu    ti    (nom  Sscu   Ci  ^  :  sa  (emme  Tai  Sseu 

eut  un  (ils  nommé  ^\^■^-po;  sa  suiir  c:idette  Xlfl  (^licng 
.Sseu  eut  un  lils  noiiimc  liouci  (]liiiii  (  Tui  ri  (  liem:,  iioiii.<  d>' 
temple). 

IX.  —    Tsouo.  Si/ing.  31"  a.  {Legge,  pp.  .')59-,'ifi3).  \   la 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        17 

mort  du  duc  Siang,  on  établit  comme  successeur  1"  le  fils 
de  la  fille  des  (barbares)  Hou,  King  Kouei,  2»  le  fils  de  la 

sœur  cadette  ??^  de  King  Kouei,  nommée  Ts'i  Kouei. 

X.  —  Tsoao.  A'gai.  11"  a.  [L^gge,  pp.  823-826).  Tsi  s'était 
marié  avec  une  fille  de  Tseu  Tchao  (du  pays)  de    Song, 

dont  la  sœur  cadette  W^  fut  la  favorite  de  Tsi.  Quand 
Tseu  Tchao  quitta  le  pays,  K'ong  Wen-tseu  fit  répudier 
par  Tsi  sa  femme,  et  lui  donna  une  épouse  de  sa  famille. 
Tsi  envoya  un  serviteur  solliciter  la  cadette  de  sa  pre- 
mière femme  B/^^  'W  ^  ^  Wi  et  la  logea  à  Li  où  il  lui 
bâtit  un  palais,  tout  comme  s'il  avait  deux  femmes  V^  — ■ 

■^  Wen-tseu  se  mit  en  colère  et  voulut  l'atlaquer. 
Gonfucius  l'en  empêcha  (Tsi,  chassé  de  son  {)ays  à  la  suite 
de  débauches,  est  remplacé  par  son  frère  Yi,  à  <jui  l'on 
fait  épouser  K'ong  Ki,  la  fille  de  K'ong  Wen-tseu,  précé- 
demment femme  en  secondes  noces  de  Tsi.)  —  Cf.  Kia 

yu.  Ch<>  jE  i^. 

XI.  —  Sseu-ma   Ts'ien.  Mémoires    historiques.    Trad. 
Chavannes,  IV,  pp.  58-59. 

Composition  du  harem  du  duc  Houan  do  Ts'i. 
i°  Trois  femmes  considérées  comme  princesses  zC  A  » 
savoir  Wang  Ki,  Siu  Ki,  Ts'ai  Ki.  2"  Six  femmes  traitées 

comme  des  princesses  :  ÏW  7C  A.  W  savoir,  l'aînée  des 
Wei  Ki  (exactement  l'aînée  des  Ki  de  Wei)  —  la  cadette 

des  Wei  Ki  —  Tch'eng  Ki,  —  Iv'o  Ying—  Mi  Ki  ^  ^  — 
Sone  Houa-tseu. 

[Sur  les   neuf,  deux  sont  assurément  des  sœurs, 

savoir  les  filles  de  Wei;  six  sont  de  nom  Ki  51B-, 
deux  de  nom  Ying,  K'o  Ying  et  Siu  Ki,  une  de  nom 
Tseu.  On  notera  que,  bien  que  le  nom  des  seigneurs 


18  LA    l'OLYGYNIE   SORORALE 

de  Siu  soit  Ying,  leur  fille  (qu'on  devrait  Dominer 
Siu  Ying)  est  appelée  Siu  Ki  :  le  nom  royal  de  Ki 
commence  à  ôtre  employé,  à  titre  honorable,  dans 
la  composition  des  nonis  de  princesses,  à  la  place 
du  nom  de  famille] 

XII.  —  .'^.1/7',  JV,  p.  68.  Le  duc  Ling  de  Ts'i  marie'  à  Lou 
(nom  Ki)  a  eu,  en  outre,  deux  femmes  nommées  Tc/iong  Ki 
et  Jong  Ki;  long  Ki  était  la  favorite.  «  Lorsque  Tchong  Ki 
enfanta  un  fils  nommé  Yu,  elle  le  remit  à  Jong  Ki,  qui 
demanda  qu'il  (ùt  nommé  héritier  présomptif.  »  Le  fils  de 
la  princesse  de  Lou,  ayant  en  fait  réussi  à  prendre  le  pou- 
voir, fit  tuer  Jong  Ki. 

XIII.  —  SMT,  IV,  p.  78,  nomme,  parmi  les  femmes  du 
duc  King  de  Ts'i,  Yen  Ki  et  Jouei  Ki. 

XI\'.  —  .S'.)/7',  IV.  p.  178,  cite  parmi  les  femmes  du  duc 
ISgai  de  Tch'en,  Tchang  Ki  (Ki  l'aînée)  et  Chao  Ki  (Ki  la 
cadette)  (princesses  venues  de  Tcheng,  cf.  Tsouo.  Tchao. 
8* a.)  plus  deux  concubines  désignées  comme  l'aînée  et  la 
cadette. 

Xy.  —  SMT,  IV,  p.  1<.I2.  Le  duc  ïchouang  de  Wei  % 
épouse  des  lilles  de  Ts'i  (nom  Kiang)  et  de  Tch'en  (nom 
Kouei).  De  Tch'en  lui  viennent  une  aînée  et  une  cadette 

jK  Wi     Toutes  deux  ont  un  lils;  la  cadette  meurt;  le  duc 
donne   l'enfant  à   In   fille  de  Tsi,  en    lui  ordonnant  de  le 

considérer  comme  son  fils    t»    TC  A  ^  "î».'  "T"  <I  (glose 

XVI.  —  S.MT,  IV,  p.  2;W.  {Le  Hoi  Tc/i'mg  de  Tc/i'ou  ai/ant 
.srciviru  le  srigm-ur  de   Trlieng,  (/iii  l'in^'ilc  à  un  banquet). 

L<-  mi  «Miieva  deux  lilles  du   seigneur  de  Tcheng  ^  C^5 

-  33£  y*-  Àii  pour  les  emmener  comme  épouses. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        1!) 

<(  les  règles  de  la  séparation  des  sexes    BS  /}"    qui  exigent  que  l'on   pro- 
cède au  mariage  par  cntremelleur.  » 

XVII.  —  SAIT,  IV,  pp.  257  et  259.  Le  duc  Bien  de  Tsin 
marié  à  Ts'i  Kiang  a  de  plus  deux  femmes  Ti,  une  aînée, 

une  cadette  ^  ,  deux  femmes  Li  Jong,  Li  Ki  et  sa  cadette. 

XVIII.  SAIT,  IV.  p.  289.  Le  duc  deTs'in  donne  àTch'ong- 

eul  prétendant  de  Tsin  cinq  filles  de  sa  famille  :^  ^  5. 

Jk   et,    parmi    elles,  la    femme  j)récédemment   mariée  à 
Yii,  neveu  de  Tch'ong-eul. 

XIX.  — SAIT,  IV,  p.  366.  Le  roi  Ling  de  Tch'ou  meurt 
dans  la  maison  de  Chen  Hai.  Chen  Hai  le  fait  suivre  dans 

la  mort  par  ses  deux  filles  et  les  enterre  avec  lui.  W  m 

XX.  —  SAIT,  V,  p.  68.  Wou  Kouang,  voulant  faire 
entrer  sa  fille  dans  le  gynécée  du'roi  Wou  Ling  de  Tchao, 
y  réussit  par  l'intermédiaire  de  la  princesse  femme  prin- 
cipale du  roi  0  ^  A  ft  SS  lÂ' . 

XXI.  —  SAIT,  I,  p.  53.  {Yao)  lui  donna  (à  Choiien)   en 

mariage  ses  deux    filles  ^  ^  — '  I5C ,    cf.  /,  p.  73,  IV, 

p.  169  e/  /F,  p.  26  ^  ^  J;^  ^  ^ . 

XXIa.  —  Mencius  V,  2.  {Legge,  pp.  222-223),  cf.  SAIT,  /, 
p.  75.  [Le  frère  de  Choucii,  Siang,  tente  d'assassiner  Chouen 
et,  croijant  avoir  réussi,  distribue  ainsi  l'héritage  :)  a  Que 
les  bœufs  et  les  moutons  soient  à  mon  père  et  à  ma  mère  ! 
Que  le  magasin  et  le  grenier  soient  à  mon  père  et  à  ma 
mère  !  Que  le  bouclier  et  la  lance  soient  à  moi  !  Que  le 
luth  soit  mien  !  Que  l'arc  soit  mien  I  Que  les  deux  femmes 
prennent  soin  de  mon  lit.  » 

XXII.  (Textes    relatifs    à    la   conception    miraculeuse    de   Kieu    Ti, 

SAIT,  I,  p.  173.  Kien  Ti  était  épouse  de  second  rang  de 


20  LA    POLYGVME    SOROUALE 

l'empereur  Kou  ;  elle  alla  se  baigner  avec  deux  femmes 
{ses  suivantes). 

XXII  a.  —  (jlosc  du  Tchou  cJiou  Ai  m'en.  Kien'Ti,  à 
l'cciuinoxe  de  printemps,  le  jour  du  retourdes  hirondelles, 
alla  à  la  suite  de  l'empereur  (A'oh,  son  mari),  faire  le  sacri- 
fice Kiao  Mei   (sacri/ice  fait  dans  la  banlieue  au  dieu  du 

mariage)  ;  elle  se  baigna  avec  sa  sœur  cadette  ^  ^  5* 
dans  la  rivière  du  tertre  Yuan. 

XXm.—SMT,  m,  ch.  207  {edit.  de  Chang-hai,  ch.  23  p, 
5  /•■>!  [cf.  Biog.  de  Kouan  Tchong,  iùid.,  ch.  62,  p.  1,  v"  et 
Louen  yu,  III,  22). 

Dans  la  maison  de  Kouan  Tchong,  il  y  avait  un  lot  com- 
plet de  [m.  à.  m.  trois  arrivées  de  femmes)  femmes  venues 


de  trois  familles  différentes.  #  #  ^  M  oWi  M  =-  'A\i  . 

.Wlil  </.  —  Tsi  Kiai (citant  l'ao  Vl  }  :  Trois  arrivées  de 
femmes  {veut  dire  que)  :  il  avait  épousé  des  filles  de  trois 

familles.  Pour   une   femme,   se   marier  se  dit  Kouei    ififi 

{arriver).  H  [is^ .  .^  H  M' I^  iË. .  Noter:  Sing— famille 
et  non  pas  nom  de  famille). 

\XI1I  b.  —  (5.1/7'.  Biog.  de  Kouan  Tchong)  Kouan 
Tchong,  en  abondance,  égalait  les  maisons  princières  :  il 
avait  des  femmes  venues  de  trois  familles  et  une  crédence 

{oii  les  visiteurs  déposaient  leurs  tablettes  de  Jade)  W  1T 
XXlll  ^.  —{Lotien  7/11  ;  glose  au  te.rte.)  Wl   K  9i  'M  il 

-Â  mm  ^  n  'jé  -  i* .  4^  n  #  ^-  h  n:  ^  :k 

kX  tn  .  4i  ^^^  ifli»  .  .Si'lon  les  rites,  les  grands-olli<iers, 
bien  (|uils  aient  des  femmes  secondaires,  des  suivantes 
(:=  la  sœur  cadette  et  la  nièce  de  leur  femme  principale)  el 
nue  femme  principale,  prennent  cependant  femmes  dans 


ET    LE    SORORAT    DANS   LA    CHINE   FÉODALE  21 

une  seule  famille.  Kouan  Tchong  avait  pris  pour  femmes 
les  filles  de  trois  familles,  c'est  pourquoi  le  texte  dit  : 
trois  arrivées  de  femmes. 

[Exemple  d'usurpation  :  de  même  que  pour  Po  Ki 

(cf. III),  dans  un  mariage  seigneurial,  on  employa  les 

-règles  particulières  au  mariage  du  Fils  du  Ciel,  de 

même  Kouan  Tchong  se  maria  selon  les  rites  des 

seigneurs  régnants,  c'est  à-dire  qu'il  prit  non  pas  un 

groupe  de  trois  femmes  —^  m  (deux  sœurs,  aînée 
et  cadette,  plus  une  nièce),  mais  trois  groupes  de 
trois    femmes,  venus  de  trjDis  familles   différentes 

(exactement  de  branches  familiales  différentes  ^ 

mais  de  même  nom  de  famille  W£  ).  —  Noter  le  mot 

m  compléter  qui  est  d'un  usage  régulier  pour 
exprimer  que  le  groupe  de  femmes  est  au  complet, 
cf.  Iviuli.ll.  3  inf]. 

XXIV.  —  SMT,  I,  p.  265  et  Kouo  i/u,  Tcheou  yu,  /,  2 

{Textes  identiques  à  quelques  graphies  près;  ^  pour  ^ 

e{''m- pour  ^.  Dans  le  texte  de  SMT  un  caractère  {^) 
s'est  glissé,  par  raison  de  symétrie,  enlevant  tout  sens  à  la 
phrase.  «  Le  roi  Kong  alla  se  promener  sur  la  rivière 
King.  Le  duc  K'ang  de  Mi  l'accompagnait.  Il  y  eut  trois 

filles  qui  s'unirent  à  lui  ^  =:!  lîC  i'r  ^  .Sa  mère  lui  dit  : 
«  11  vous  faut  les  offrir  au  roi.  Les  animaux,  dès  qu'ils  sont 

trois,   forment  un  troupeau  [kiun  ^);  les  hommes,  dès 

qu'ils  sont  trois,  lorment  une  assemblée  [tchong  ^)  ;  les 
femmes,  dès  quelles  sont  trois,  forment  une  parure  (ts'an 

^)  {sur  ce  mot,  voir  J'ang  fong  V  vers  16  e/  la  glose  :  trois 
filles  forment  un  ts'an  :  les  grands-officiers  ont  une  épouse 


22  LA   POLYGYNIE  SORORALE 

et  deux  fi-mmes  secondaires).  Un  roi  à  la  chasse  ne  prend 
pas  un  troupeau  (—  trois  aniniaur).  Un  seigneur  en 
voyage  descend  de  voiture  devant  une  assemblée  (=: /row 
hommes  :  Cf.  Li  AV.  Kiu  li,  I,  5.)  Un  roi.  parmi  ses  femmes, 

{m.  Cl  m.  les  personnes  avec  ijui  il  couche  fiqJ  ),  n'a  pas  trois 
personnes  {qui,  étant  déjà  de  la  mê/nc  branche  fumiliule, 

soient  encore)  de  la    même  génération    i  i^\  -T*  W-  """ 

^.  Une  parure  (=  ts'aii  :  de  trois  femmes)  est  chose  de 
prix.  On  vous  a  remis  cette  chose  de  prix;  mais  quelle 

Vertu  avez-vous  pour  la  mériter  1^  ^  1^  *e  ^  .  Un  roi 
lui-même  n'a  pas  assez  de  mérite  (pour  l'a^'oir)  ;  à  plus 
forte  raison,  vous,  petit  vilain  !  Un  petit  vilain  qui  thé- 
saurise finira  à  coup  sur  par  disparaître  ^J^  Wi  m  Vl  .  ^fv 

ili^  Lj  .  »  Le  duc  K'ang  ne  lit  point  hommage  de  ces 
femmes  au  roj.  La  même  année,  le  roi  détruisit  [sa  sei- 
gneurie de)  Mi.  » 

XXIV  (/.  —  Même  texte  au  Kou  lie  niu  tchouan  (section 

1--  7^ .  Biog.  de  la  mère  du  duc  K'ang  de  Mi)  —  at'ec  un 
passage  tombé  et  un  commentaire. 

Or,  une  parure,  qui  est  une  chose  de  prix,  vous  a  été 

remise Le  sage  dit  :  La  mère  [du  duc)  de   Mi  eut  le 

talent  de  discerner  les  signes  mystérieux  de  l'avenir.  — 
Le  Che  King  dit  [Kouo-fong.  T'ahg  fong  1  in  /.  :  pièce 
rhnntée  aux  fêtes  automnales,  ci.  Fêles  et  cbansons 
anciennes.  Le  rythme  saisonnier)  :  «  Pourtant  gardons  la 
mesure  —  songeons  aux  jours  de  chagrin!  »  Tel  est  le 
sens  de  cette  histoire  {du  duc ICan;/).  —  Léloge  dit  :  I.a 
mère  du  duc  Iv'anj;  diî  Mi  discernait  d'avance  le  succès 
et   la    ruine.    Elit;    hlAma  le   tluc   K'ang   île  recevoir  une 

parure  et  de  ne   point  l'olliir  [l'envoyer  um  :  terme  rarac- 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        23 

téristique  des  envois  de  femmes)  au  roi  Kong.  Un  seigneur 
en  voyage  descend  de  voiture  devant  une  assemblée 
(=:  trois  hommes).  Quand  on  a  la  plénitude  des  biens,  on 

la  réduit  i^^  V^  K!l  M  .  Elle  eût  voulu  que  le  duc  fit 
hommage  [de  sa  parure  de  trois  femmes  au  roi);  elle  ne 
fut  point  obéie  :  Mi  devait  disparaître. 

XXIV  b.  —  Notes  'extraites  des  gloses  de   Wei  Tchao  au 

Kouo  yu.  ■  ^  ^  i  tËi  :  L'expression  Yi  tsou  doit  s'en- 
tendre par  une  génération  (cf.  l'expression  /Loties 
neuf  générations  allant  du  trisaieul  au  fils  de  V arrière- 
petit- fils)  ^:^  3C  FQ  xî  TSi  ,  les  trois  filles  étaient  de  même 
origine  familiale  (cf.  glose  de  Wang  Yuan-souen  dn}^ 
#  in  H  iq  #  iE  HTKK  ck.  529:  f^  veut  dire  nais- 
sance :  Wt  ^  ^  ^  iH».  —    H   "T    équivaut  à  la  même 

naissance:  N  XÎ  JH  ^  1^  WÊ.  ^  ).  Onprendlesfemmes 
d'origine  familiale  différente  (c'est-à-dire:  on  ne  les  prend 
pas  toutes  du  même  père)  [ionr  com^\é\.e.r  {le  lot  régulier  de) 

trois  femmes  i^  ^  ^4  0  11  =  . 

XXIV  f.  —  Tsi  Kiai,  SMT,  I,  p.  265.  —ik.  —^^ 

Yi  tsou  :  doit  s'entendre  par  zine  seule  génération  :  Pour 
compléter  le  nombre  régulier  de  trois  femmes  (prises 
dans  une  branche  familiale)  on  prend  (avec  la  femme 
principale)  sa  sœur  cadette  {qui  est  de  la  même  génération 
quelle)  et  sa  nièce  {qui  est  d'une  autre  origine  familiale 

•^  )&.  :  d'une  génération  différente)  ;  on  ne  les  prend  pas 
toutes  les  trois  de  la  même  génération. 

XXIV  d.  —  Li  Ki.  Kiu  li  Ilinf^'Âi^^^.  0  # 


24  i.A  i'(ilv(;ynie  sohorale 

^n.ir^m^.B  tï  m  'M.ni^  k  B  1  >t 

lilB  ijuaiul  on   lait  (!nlier  une  fille  dans   le  gynécée  du  (ils 

du  .  iel  [glose  :  W  :  ÎX  offrir),  {ou  la  lui  présente)  en 
disant  [qu  elle  vient)  compléter  le  nom\>Te  [des  femmes  des- 
tinées à  accroître  le  nombre)  de  ses  descendants  (glosé  : 

M  ~J'  xi.).  Quand  on  fait  entrer  une  fille  dans  le  gynécée 
d'un  seigneur  [on  la  lui  présenfe)  en  disant  [qu'elle  vient) 
compléter  le  nombre  ides  femmes  chargées)  des  offrandes 
[aux  ancêtres).  Quand  on  fait  entrer  une  femme  dans  le 
gynécée  d'un  grand-ofticier,  [on  la  lui  présente)  en  disant 
qu'elle  vient  compléter  le  nombre  (des  femmes  chargées) 
des  soins  du  balayage  [du  temple  ancestral). 

[Texte  (jui   montre  la   valeur  consacrée  du  terme 

m  compléter  le  nombre  régulier  des  épouses  attri- 
buées par  le  protocole  à  chaque  degré  de  la  hiérar- 
chie féodale.  —  Les  formules  rappelées  par  le  texte 
du  Kiu  li  étaient  employées  lors  d'une  cérémonie, 
faite  trois  mois  après  la  pompe  nuptiale,  et  où  la 
famille  des  femmes  épousées  en  faisait  la  livraison 

tléfinitive   au  mari  3iX  lîC  cf.  Tsotto.  Tch'eng.  8»  a. 

L'expression  m  îi%  figure  dans  le  mémoire  addi- 
tionnel du  chapitre  du  mariage  du  Yi  li  :  Quand  on 

lui  demande  le  nom  H')  ^,  le  pi-re  de  la  lille 
répond  :  Monseigneur,  puisque  vous  l'ordonnez, 
[que  vous  voulez)  qu'elle  lomplète   le  nombre  des 

épouses  tlH  ?f5t  et  que  vous  l'avez  choisie,  (moi),  un 
tel,  je  n'oserai  |)as  m'y  refuser.  [Je  ne  comprends 
fiiiint  ta  trailuction  ilonnée  par  Sterle  de  ce  passage 
II,  p.  :t7.)  l'omp,  XXVI  j 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        25 

XXIV.  Note  1.  Le  texte  a  évidemment  pour  but  de 
montrer  les  raisons  de  la  destruction  de  Ml  :  il  est 
clair  que  cette  destruction  est  mise  en  rapport  avec 
une  affaire  de  femmes. Souvent,  en  effet,  les  femmes 
étaient  considérées  comme  les  causes  de  la  ruine 
des  seigneuries  :  témoin  le  texte  du  Kouo  yu, 
Tcheou  yu  il,  1.  Dans  ce  texte,  précisément,  il  est 
dit  que  la  ruine  d'un  État  nommé  Mi-siu  vint  d'une 

femme  nommée  Po  Ki  1p  î?b   (Ki  l'aînée).  Or,  les 

seigneurs  de  Mi-siu  étaient  de  nom  Ki  5b  :  ils 
périrent  donc,  selon  ce  texte,  pour  avoir  violé  la 
règle  d'exogamie.  Un  commentateur  du  Kouoyu, 
Wang  Yuan-souen  [in  Kouo  yu  Fa  tcli'eng  HTKK 
629)  fait,  sous  forme  dubitative,  l'hypothèse  que 
Po  Ki  était  peut-être  l'une  des  trois  femmes  épou- 
sées sur  la   King  par   le  duc  K'ang  de   Mi   fH  ^b 

^^^  3C  ™  '  J\ .  Cette  hypothèse  suppose 
l'identification  de  Mi  et  de  Mi-siu.  Or,  1"  il  est 
étrange  que  le  Kouo  yu  et  Sseu-ma  Ts'ien  écrivent 
ici  Mi  et  non  Mi-siu,  alors  que  par  ailleurs  ils  parlent 
de  Mi-siu  {Kouo  yu.  Tcheou  yu'II  1.  SMT IV  p.  37)  ; 
2"  Wang  admet  qu'il  s'agit,  dans  le  texte  qni.nous 
occupe,  de  Mi-siu  parce  qu'il  y  est  parlé  de  la  rivière 

King  loi  ,  qui,  selon  lui,  coule  dans  le  Kan-sou,  pré- 
fecture de  Ping-leang,  sous- préfecture  de  Ling-tai; 
c'est  là  que  se  trouverait  aussi,  selon  lui,  la  tombe 
du  duc  K'ang  :  et  ce  serait  là  que,  sous  les  Chang, 
aurait  existé  le  fief  de  Mi-siu.  S'il  en  était  ainsi,  i' 
faudrait  que  Wei  Tchao  se  fût  trompé  lourdement, 

car,  pour  lui,  Mi,  seigneurie  de  nom  Ki  ^J^,  se  trou- 
vait dans  le  Ilo-nan,  préfecture  de  K'ai-fong,  à  70  li 


26  LA    POLYCYNIE    SORORALE 

à  l'est  de  la  sous-préfecture  de  Mi;  S"  IJien  avant  la 
naissance  du  roi  Kong  et  du  duc  K'ang,  la  princi- 
pauté de  Mi-siu  avait  été  détruite  par  le  roi  W'en  : 
SM  r  IV  p.  37;  fait  historique  particulièrement  sur 
puisqu'il  est  affirmé  par  le  Che  King  (Ta  yu  I,  7. 
Couv.  p.  .338);  4»  Dans  la  période  Tch'ouen  Ts'ieou, 
qui  est  celle  où  vécurent  K'ang  et  Kong,  il  n'est 
question  que  de  Mi  et  point  de  Mi-siu.  Sseu-ma 
Ts'ien  mentionne  une  princesse  de  Mi  comme  fai- 
sant partie  du  harem  du  duc  Houan  de  Ts'i  (cf.  XI). 
On  peut  voir  qu'elle  était  à  peu  près  sûrement  de 

nom  Ki  5|fi  :  elle  est  appelée  en  effet  wi  5l£ .  .\insi 
il  est  prali(]uement  certain  que  la  chute  de  Mi  ne 
provint  ni  de  Po  Ki  ni  d'une  violation  de  la  règle 
exogamique. 

A'A7F.  Note2.  —  En  tous  cas,  le  texte  explique  la 
ruine  de  Mi  autrement.  Elle  vint  de  ce  que  le  duc 

K'ang  épousa  trois  filles  d'un  même  Tsou  '  m^  . 
\Vei  Tchao  donne  à   cette   expression  une  valeur 

équivalente  à  "  X-E  .  .Sous  l'inlluence  de  Wang 
Yuan-souen,  on  pourrait  être  tenté  d'admettre  qu'il 

faut  traduire  Ïa^  -^  W-  '  W^  :  «  un  roi,  pour 
femmes,  n'en  a  pas  trois  de  la  même   famille  cjuc 

lui  ».  Mais  ce  serait  oublier  :  1°  que  Tsuu  JpÇ  n'équi- 
vaut jamais  à  Sing  Wi  en  tant  que  ce  dernier  mot 
a  son  sens  de  groupe  familial  porlant  un  même 
nom  ;  2°  (|ue  Wr\  Tchao  expliiiue  l'expression  \\ 

Tsou  A^  parles  mots  ^  "T* ,  c'est-à-dire  :  une 

générniitni  ;  À"  que  Wang  Yuan-souen  lui-même 
lui    lionne    le    même    sens  :    il    explitjue   en   ell'et 

l"J    R'\-  |);ir    PJ  œ    lie   In    mânif    luiisscnirr,    de    la 


ET  LE  SORORAT  DANS  IX    CHINE  FÉODALE        27 

même  origine,  du  même  père  ;  4°  enfin  que  la  note 
des  glossateurs  de  Sseu-ma  Ts'ien  {Tsi  Kiai.)  lè\e 
toute  difficulté  :  Elle  montre  que  la  faute  commise 
par  K'ang  est  d'avoir  épousé  trois  ^œurs  (trois  en- 
fants du  même  père  J)C  "T"  ou  ■""  ^)  alors  que  ré- 
gulièrement il  eut  dû  épouser  deux  sœurs,  aînée  et 
cadette,  plus  une  nièce.  —  Il  faut  noter  en  outre  que 
toute  traduction  autre  que  celle  indiquée  par  le  Tsi 
Kiai  est  impossible,  non  pas  seulement  à  cause  du 
sens  des  mots  mais  en  raison  de  la  syntaxe. 

XXIV.  Note  3.  —  Pourquoi  était-il  interdit  d'épou- 
ser trois  sœurs?  le  texte  en  indique  les  raisons  : 
elles  tiennent  à  la  valeur  caractéristique  du  nombre 
trois.  Trois,  pour  les  Chinois,  est  le  premier  pluriel 
et,  partant,  signe  de  totalité;  trois  animaux  consti- 
tuent un  troupeau;  trois  hommes  suffisent  à  cons- 
tituer une  assemblée.  Un  seigneur  considère  un 
groupe  de  trois  hommes  comme  une  assemblée 
symbolique  de  la  totalité  de  ses  sujets;  c'est  pour- 
quoi il  s'incline  devant  eux  (cf  Li  Ki.  Kiu  li.  I,  5, 
37).  Un  roi  ne  prend  pas  trois  animaux  à  la  chasse  : 
ce  serait  épuiser  les  espèces  vivantes  (cf  Yi  Ring), 
Un  prince  qui  a  fait  périr  trois  hauts  dignitaires, 
«  ne  saurait  y  ajouter  n  [SMT  IV  326).  C'est  un 
crime  réputé  horrible  par  le  code  des  Le  [in  Delous- 
tal  B.  E.  P.  E.  O.  IX  p.  97)  de  faire  périr  trois 
membres  de  la  même  famille,  car  c'est  la  ruiner 
complètement.  Un  honnête  guerrier  ne  tue  pas  plus 
de  trois  hommes  dans  une  bataille  [LiKi.  Couvreur, 
I  p.  325).  Le  troisième  refus  est  définitif.  Le  troi- 
sième étage  des  sources  souterraines  est  au    plus 

profond  de  l'univers  :=-  M  ^  ^  "3  ^  /T^  ;  aussi 
la  troisième  source  ^^  ^  signifie  :  le  plus  profond 


28  LA    POLYGYNIE    SOHORaLE 

{SMT  III  [>.  194  et  IV  p.  705).  Prendre  les  trois 
sœurs,  c'est  accaparer  lotîtes  les  filles  d'une  géné- 
ration, car  trois  est  le  nombre  final  ^^  -W  ?yC  ^ 
''J"*  ^i?  iS» .  Les  nombres  qui  commencent  à  1  et 
finissent  à  10,  ont  leur  perfection  à  .'<  HZ  W  fl^ 
—  .  ^1A-\^.  )&i^=-.Le  Chouo  (ven  définit 3 

le  nombre  parfait,  wC  Wi  vL .  C'est  donc  faire 
preuve  d'une  arrogance  fatale  et  d'esprit  de  per- 
dition que   d'épouser  trois  so'urs    :    c'est   vouloir 

thésauriser    Vm  ^    :    manquer    de  modération,  et, 

ayant  la  plénitude  des  biens  ^  ïjfl  ,  ne  point  vou- 
loir la  réduire,  ne  pas  la  diminuer  par  un  tribut 
envoyé  en  hommage  au  souverain,  telle  est  la  faute 
que  le  duc  Kang  commit,  malgré  les  conseils  de  sa 
prudente  mère. 

XX/V.  Note  4.  Nous  savons  par  le  Kiao  t'ii  cheng 
que  les  tributs  envoyés  au  roi  par  les  seigneurs  à  la 
fête  automnale  où  se  chantait  cet  éloge  de  la  modé- 
ration que  rappelle  la  biographie  de  la  mil-re  du 
duc    de   Mi,   comprenaient    un    envoi    de    femmes 

Îa  3C  {Sur  cette  question,  ^'oir  Fêtes  et  chansons 
anciennes  :  Le  rythme  saisonnier).  Or  cette  fêle 
automnale,  qui  dans  l'organisation  féodale  du  culte 
prit  le  nom  de  l'a  Tcha,  dérive  dos  anciennes  fêtes 
de  la  jeunesse  où  se  faisaient  les  mariages  :  les 
unions  alors  conclues  étaient  désignées  par  le  mot 

TT  s'unir  dans  1rs  champs,  qui  est  précisément 
employé  ici  nit^me  à  propos  du  duc  K'ang  (Voir 
Granet,  Coutumes  matrimoniales  de  l'ancienne  Chine 

in  T'itinii^   pnn  Xlll,  p.  r)Vt   si|(|.).    Elles  se  cmlrac- 


V 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        29 

traient  au  bord  de  l'eau  :  c'est  près  de  la  King  que 
le  duc  de  Mi  s'unit  aux  trois  sœurs.  Enfin  le  terme 
régulier  employé  pour  désigner  les  promenades  au 

bord  de  l'eau'est  'W?  ou  iM:  qui  se  trouve  précisé- 
ment aussi  dans  notre  texte  (cf.  Fêles  et  chansons  et 
particulièrement  la  préface  de  la  chanson  1  du 
Tch'enfong).  Il  convient  donc  de  rapprocher  notre 
texte  du  texte  XXII  où  l'on  voit  Kien  Ti,  la  mère 
de  la  race  des  Yin,  prendre  part  avec  sa  sœur  cadette 
(XXII  rt)  ou  avec  ses  deux  suivantes  (XXII)  à  la  fête 
printanière  des  mariages. 

XXV.  Che  King.  Kouo  fong.  Pei  fong.   14.   Couv.,  p.  45. 

1.  iÊi>  m^  ix>' .  Elle  naît,  la  source  Ts'iuan," 

2.  ^  !^  "î"  VS.  Puis  se  jette  dedans  la  Wei. 

3.  '^  '1^  "T"  TO  .  Voici  que  je  rêve  de  Wei. 

4.  1^   H  ^  <s» .  Il  n'est  de  jour  que  je  n'y  pense. 

5.  ^^mW-.    Que    belles    sont    toutes    ces   sœurs! 

(m.  à  m.  toutes  les  Ki). 

6.  W  M  -w  ^  .  Avec  elles  je  m'entendrai  ! 

[Vers  5,   glose   :    R  Àï  ■^  -t<    les    femmes   du 
môme  nom  de  tamille  ;  la  femme  dont  parle  la  chan- 
son ou  qui  la  chante  est  une  fille  de  Wei  c'est-à- 
dire  de  nom  Ki  W^\. 
XXVI  Che  King.  Kouo  fong.  Wei  fong  3.  Couv.  p.  55. 

1.  'M  ^  W  y¥  .  L'eau  du  Fleuve,  qu'elle  vient  haute! 

2.  Au  Wi  '/ o  'in  .  Vers  le  Nord,  comme  il  coule  à  flots! 

3.  1^  aR  'JSVS.Les  filets,  quel  bruit  quand  ils  tombent! 

4.  iM  ^H  0  ^  .  Les  esturgeons,  qu'ils  sont  nombreux  ! 


30  LA    POLYGYNIE   SORORALE 

5.  R   jR  TÎry  liry  .  Les  joncs  et  roseaux,  qu'ils  sont  hauts! 

6.  Jïïl  ^  ^  ^  •  Les  suivantes,  quel  beau  cortège  ! 

7.  JitJi  it  ^  £& .  Les  gens  d'escorte,  quel  grand  air! 

[C>.  Les  suivantes,  m.  à  m.  les  Kiang,  les  filles  de 
noms  Kiang,  qui  accom|)agnent  Tchouang  Kiaiig  à 
Wei  où  elle  se  marie  (cf.  préface  de  la  chanson)]. 

XX\'I  b.  —  glose  de  Tcheng  K'ang-lch'eng  nu  vers  6.  Les 
Kiaiii^  désignent  les  nièces  et  sœurs  cadettes  :  ft\  ^  BB 
5l  W  .  Les  gens  d'escorte  et  les  femmes  rendent  com- 
plète fi   la  cérémonie  d'alliance.    ±  ic  ï^  ^  îl  '^ 

XXVll.  —  Che  King.  Ta  ya.  III.  7,  Conv.  p.  405. 

1.  ?¥  ^  -^  ^  ■   Le  prince  de  Han  prend  pour  femme 

2.  î^  î  <^  '^ .  La  nièce  du  roi  de  la  Fen, 

3.  W.  JX^  ^  ~T  .  La  fille  du  seigneur  de  Kouei! 

4.  14  ^c  iÛi   Le.   Le  prime  de  Han  vient  à  elle! 

5.  "4    ®K  ^  M  .   Il  vient  au  village  de  Kouei  ! 

<».     H  WÏ  ÏÏ^  B^  .   Cent  chars  roulent  à  grand  tapage  : 

7.  />  Tw  {l#  i|}.  Leurs  huit  sonnailles  font  grand  bruit. 

8.  Ht»  K«  :R  ^  .   Vit-on  rien  de  plus  éclatant? 

;•.  m  'W  VL  ^  Les  sœurs  cadettes  font  escorte, 

10.  1î|>  'jip  «H  jf  .  S'avançant  comme  des  nuées  ! 

11.  '!'?|^  f^-  WÛ   <!  L.-  |)ri   II.  (■  d.-  lin  les  regarde  : 

12.  Mà\    Ui{   l"l.  Leur  spl.ndtM.r.Mni. 1.1  I.-  p;.lais: 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        31 

XXVII  a.  —  Mao  :  glose  aux  vers  9-10. 
Les    seigneurs,    en   un   seul   mariage,    prennent  neuf 
femmes.  Deux  seigneuries  envoient  des  suivantes  [à  la 

femme  principale),    re  1^  ~~'  ^  jL  JK .    -^  ^  n^  ^  . 

XXVII  h.  —  Tcheng  :  glose  aux  vers  9-10. 

Les  suivantes  sont  nécessairement  accompagnées  de 
sœurs  cadettes  et  de  nièces  :  on  ne  nomme  ici  que  les 
sœurs  cadettes  parce  qu'elles  sont  d'un  rang  plus  élevé. 

XXVI II.  Che  King.  Kouo  fong.  Pei  fongd.  Couv.  :  p.  31. 

Pièce  qui  passe  pour  faire  allusion  aux  faits  rapportés  par  Tsouo 
Wen,  i8°  a.  Il  serait  question  de  Tchouang  Kiang,  princesse  mariée  à 
Wei  et  d'une  de  ses  suivantes  (ou  selon  d'autres  d'une  femme  épousée  par 
le  duc  Tchouang  dans  un  autre  mariage  contracté  à  Tcli'en.) 

1.  Jîï5  ftî^  T^  ^ .   L'hirondelle  et  Thirondelle  envolées, 

2.  ^  /ta  A  ^     L'une  vers  l'autre  ont  leurs  ailes  pen- 

chées! 

3.  ^    J     4    ^  .   Cette  fille  qui  s'en  va  se  marier, 

4.  iSîii    J    ^.  Au  loin  je  l'ai  suivie  dans  la  campagne! 

5.  BM  ^  ^  -^  .  Mes  regards  ne  peuvent  plus  l'atteindre, 

6.  )U  W>  5B  I^  .   Mes  pleurs  coulent  comme  la  pluie  ! 

(Le  vers  3,  classique  pour  exprimer  la  pompe 
nuptiale,  est  ici  interprété  par  les  glossateurs 
comme  signifiant  le  retour  d'une  femme  dans  sa 
famille  natale.) 

XXIX.  —  Che  King,  Kouo  fong  Chao  nan,  11.  Couvreur, 

p.  25. 

Pièce  destinée,  dit  la  préface,  à  louer  une  sui- 
vante ^v  fl^  :  La  femme  principale  n'ayant  point 
voulu  d'elle,  pour  compléter  le  nombre  de  ses  sui- 
ntes, ^^  ^  0  ^l#1ii  ii,  elle  n'en  conçut 


va 


32  I.A    l'OLYdYMK    SOItOHALE 

point  de  colère  et  plus  tard  la  femme  principale  se 
repentit. 

1.  yl  ^  VL  .  Le  Fleuve  a  des  bras  secondaires! 

2.  ^  Tr  ifiR .  Cette  fille  en  se  mariant, 

3.  A^  ^K  K^  .  N'a  point  voulu  de  moi  ! 

4.  ^"^  3^  kX  .   N'a  point  voulu  de  moi  ! 

5.  ^^  "K  to  W-   l'uis  voilà  qu'elle  s'en  repent. 

XXX.  —  Che  King,  Kouo  fong,  Chao  nan,  1,  Conv..  p.  16. 

(Cf.  Fêtes  et  chansons  anciennes,  o°  IX  et  les  notes).  D'après  la  pré- 
face, la  Vertu  du  roi  Wen,  après  s'être  étendue  à  sa  femme  T'ai  Sseui 
s'est  répandue,  par  l'intermédiaire  de  celle-ci,  à  toutes  les  femmes 
royales,  puis  à  toutes  les  femmes  du  royaume  :  Voici,  dès  lors,  l'inter- 
prétation symbolique  de  la  chanb.ou.  Le  prince,  par  sa  Sainteté,  a  établi 
sa   domination  (la   pie  a   fait  le  nid)  ;   la   jjrincesse,  par  sa  Vertu,  mérite 

d'être  associée  à  lui  ^u  (le  ramier  occupe  le  nid):  enfin,  les  autres 
femmes  du  roi,  sous  l'influence  de  la  première,  acquièrent  assez  de 
mérite  pour  occuper  aussi  le  nid  (3'  couplet);  en  fait,  le  rythme  de  la 
chanson  indique  que  dans  les  trois  couplets  la  pie  symbolise  la  femme 
principale,  la  fille  qui  se  marie,  et  les  ramiers  les  suivantes  qui  occupent 
les  chars  de  l'escorte. 

1.  7F^  H-sJ  'W  ^ .  C'est  la  pie  qui  a  fait  un  nid  : 

2.  $tfc  W.,3  /S  ^  .  (a-  sont  ramiers  qui  logent  là  ! 

3.  ^    J     4    ifffî .  Cette  fille  tpii  se  marie, 

4.  H  PW  fill J  ^  .   .\vec  cent  chars  accueillez-la  ! 

5.  ^  l^  t3    vil- .  C'est  la  ]ùo.  (|ui  a  fait  un  nid  : 
(■).    J^  W.j  yj  <,  ,  Ce  sont  ramiers  qui  gitent  là  ! 

7.  -O  T'    4     \i\\i  .  Celti'  tille   (|ui  s<-  marie, 

8.  H  [4*1  A^t  <— .   Avec  cent  ihars  escortez-la! 


ET  LE  SORORAT  DAN*  LA  CHINE  FÉODALE         33 

9.  ips  H'^  W  ^ .   C'est  la  pie  qui  a  fait  un  nid. 

10.  ÎPS  ^  "m?  ^  .  Ce  sont  ramiers  plein  ce  nid-là  ! 

11.  ^    jT    i    ^  .  Cette  fille  qui  se  marie,  f 

12.  0  RÎ?  ,^  -w  .   De  cent  chars  d'honneur  comblez-la! 

XXX  a.  —  Mao  :  M  ï^  iÈi .  Tcheng  :  ÏJ^  Combler  (  12'^  v.) 
signifie  le  grand  nombre  des  suivantes,  nièces  et  sœurs 
cadettes.  Comp.  l'expression  rituelle  ;  compléter  le  nombre 
des  suivantes. 

XXX.  Noie.  —  f^P  (4"  v.)doit  être  rapproché  def^P 
le  Cocher  qui,  dans  les  rites  du  mariage  du  Yi  11 

(cf.  XXXII),  joue  le  rôle  de  second  du  mari,   w 

(8»  V.)  est  assimilé  à  5i  :  or,  le  Yi  li  (cf.  XXXII  a) 

assimile  1^  (suivantes)  à  àSs  .  Cent  chars  viennent 
à  la  rencontre  de  la  mariée  ;  autant  l'escortent  ; 
autant  forment  l'ensemble  des  chars  de  la  pompe 
nuptiale.  On  n'y  verra  point  de  difficultés  si,  d'une 
part,  l'on  tient  compte  du  fait  qu'au  Yi  li  le  Suivant 
du  mari  [le  Cocher)  agit  toujours  en  connexion  avec 
la  Suivante  de  la  femme,  et  si,  d'autre  part,  l'on 
rapproche  de  ce  fait  l'usage  pratiqué  aux  fêtes 
anciennes  de  la  jeunesse,  selon  lequel  les  jeunes 
gens  partaient  par  couples  dans  le  même  char 
(Cf.  Fêtes  et  chansons  anciennes,  Chansons  XII  :  les 
mains  jointes  montons  en  char;  XXV,  14  :  en  char 
emmenez-moi  chez  vous  ;  XXVI  :  La  fille  monte  au 
même  char.  Voir  encore  XLV  ;  L,  7  ;  LX,  1  et  2, 
26-30;  LXVI,  35-36  et  surtout  LVlIl,13et  14)  (cf.  Li 
Ki,  Couv.  1,  p.  608  *§,  fiîP  le  fiancé  jouant  person- 
nellement le  rôle  du  cocher.) 
XXXI  Yili.  Mariage  des  nobles.  Steele  I  chap.  III  cl  /(', 

3 


34    .  LA     IcpL^i.VMt    .SOliUlt.VLl; 

p.  2'^.  [Quand  le  /iniiré  tient  m  personne  au  devant  de  la 
fiancée  tc  iïîi  et  que  la  fiancée  l'attend  dans  la  salle  Wf  \ 

vante,  habillée  de  noir  et  portant  un  bandeau  et  l'épingle 
de  tète  avec  un  manteau  blanc  et  noir  passé  sur  les  vêle- 
ments, se  tient  derrière  {la  gouvernante  de  la  mariée, 
c'est-à-dire  en  arrière  de  celle-ci). 

XXXI  a.  -  Tcheng.  lA  #  ^  sl  ^  ^  ^Ê» .  La 

Suivante,  c'est  la  nièce  ou  la  sœur  cadette  {Tclieng 

cite  XX  y II  vers  9). 

XXXll.  Yi  li.   ibid.  Sléele,    p.  23.    [La   fiancée  suit   le 

fiancé  gui  la  fait  monter  en  char;  il  conduit  lui-même  le 

char  pendant  trois  tours  de  roues  [sur  la  valeur  du  nombre 

trois  voir  XXIV  note  3),  puis  descend  du  char].  W  K'  H: . 
Le  Cocher  le  remplace. 

XXXin.  —  Yi  li.  ibid.  Stèele,  p.  24.  [Le  cortège  arrive  à 
la   maison   du   fiancé  qui  fait  entrer  la   fiancée  dans   la 

chambre.  Lit  sont  disposés  des  lavabos].  W^  W  )in    J    ^ 

....  fl§  -(iqj  f5t  hl  j5<.  .  La  Suivante  dispose  une  natte  dans 
le  coin  sud-ouest...  La  Suivante  et  le  Cocher  versent  de 
l'eau  (aux  è()ou.\)  pour  qu'ils  se  lavent  les  mains,  en  croi- 
sant les  places  (cf.  XL). 

XXXIll  a.  —  Tclien<j.    fl^  ^  ili  .   La  Vin-  c'est 

la  Suivante  de  la  femme  iK  ^  "^ /0  M  ^  .  Il 

ni  Ut  "H  .  Le  Cocher,  c'est  le  .Suivant  du  mari.  La 
Suivante  de  la  femme  verse  de  l'eau  au  mari  (|ui  se 
lave  les  mnins  dans  le  lavabo  du  Sud  ;  le  Cocher 
(Suivant  du  mari)  verse  de  l'eau  à  la  femme  (|ui  se 
lave  les  mains  dans  le  lavabo  du  Nord.  Le  m:iri  et 
lit  rfiiiiiK-.  aux  débuts   de   leur   union  .sentinu-ntale. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE         35 

éprouvent  une  pudeur;  la  Suivante  et  le  Cocher,  par 
leur  action   croisée,  ouvrent  la  voie  à  leurs    senti- 

ments.   ^t  t^  ^   1  M  \^  '^^ .  W  "^  ^  B.  t^ 

:itt^.  ^m^fi^  ti ^  m  mk  b m  ^ 

XXXIV.  —  Yi  li,  ibid.  Steele,  p.  25  [Quand  les  préparatifs 

du  repas  coininuniel  des  époux  sont  terminés],  jî^P  Tu  5^ 

/rfi  le  Cocher  dispose  une  natte  correspondante  [à  celle 
qu'a  disposée  la  Suivante  cf.  XXX/II;celle  qu'a  disposée  l'a 
Suii'ante  est  pour  le  mari;  celle  que  dispose  le  Cocher  est 
pour  la  femme). 

XXXV. —  Yi  li,  ibid.  Steele.  p.  26.  [Lf  repas  fini,  les  époux 
quittent  chacun  leur  natte  ;  la  femme  reste  dans  la  chambre, 

le  mari  passe  dans  la  pièce  latérale],  ï  yv  8>t  W  "J    Wî 

^.  m^z.  mxm^^=f'Ê..  m^z.  Le 

mari  enlève  ses  vêtements  dans  la  pièce  latérale,  la  Sui- 
vante les  reçoit.  La  femme  enlève  ses  vêtements  dans  la 
chambre,  le  Cocher  les  reçoit. 

XXXVI.  —  Yi  li,  ibid,  Steele,  p.  26.  f  P  ^î  T  ^  • 

^X  ^  f^V^  W>.  Le  Cocher  étend  la  natte  (de  la  femme) 
dans  le  coin  Sud-Ouest  de  la  chambre.  La  Suivante  étend 
la  natte  du  mari  à  TEst  de  la  premier*. 

XXXVI I.  —   Yi  li.   ibid.  Steele,   p.   27.  [Les  flambeaux 

sont  emportés].  0  It  ±  A  ^^  |^  .    W  Î^M  ^^.  .    ^ 

^M'M^^  Z.  (Dans  la  pièce  latérale),  la  Suivante 
mange  les  restes  du  mari,  le  Cocher  les  restes  de  la  femme. 
Le  maître  de  cérémonie  puise  du  vin  dans  la  jarre  placée 
à  l'extérieur  et  leur  en  donne  [de  même  qu'il  en  a  donné 
au  mari  et  à  la  femme  après  le  repas  de  noces]. 


30  LA    POLVDYNIE    SORORALE 

WXVIII.  -  )7  U,  ibid.  Steele,  p.  27.  B^  ^t  T  /^  ^K 

P'r  >vJ  py  .  La  Suivante  alteiul  en  dehors  de  la  porte  {delà 
clidiubre  des  époui)  de  façon  à  entendre  si  on  l'appelle. 
[Les  f/lossaleurs  estiment  (jiie  le  Cocher  reste  aussi  à 
attend' e\  mais  la  Suivante  est  seule  nommée  parce  que, 
étant  d'un  rang  plus  élevé,  elle  prêtera  mieux  attention  au 
moindre  indice  d'appel.) 

XXXI. K.  —  IV  li.  ibid  Steele,  p.  30.  [La  femme  va  se 
présenter  à  ses  beaux-parents,  en  reçoit  une  coupe  de  vin 
doux,  puis  leur  offre  à  manger  ;  après  quoi,  clic  se  prépare 
à  manger  les  restes  du  beau-père  qui  l'en  cmpèc/w.    F.lle 

mange  alors  ceux  de  la  belle-mère].  ™-  ^  ^  S.  ^  fllll . 
Le  Cocher  l'aide  à  l'aire  l'ofl'rande  des  reliefs,  millet  glu- 
tineux  et  poumon. 

XL.  —  IV  li,  ibid.  Steele,  p.  'M.  [La  fi  mme  emporte  les 

restes  dans  la  pièce  latérale],  fl^  W  î^  ■  M  M   ^     SI 

W^^m^.T-  1  m  itimZ^.  La  Sulvame  et  le 
Cocher  mangent  les  restes.  La  belle-mère  leur  donne  à 
boire.  Même  si  la  Suivante  n'est  pas  la  sœur  cadette  de  la 
femme,  elle  a  le  premier  rang  (par  rapport  au  ('ocher). 
Dans  cette  cérémonie,  il  y  a  la  même  disposition  croisée 
que  dans  le  repas  précédent  (fait  pur  la  suivante  et  le 
cocher  a\>ec  les  restes  des  époux). 

XL  a.  —  Tcheng.  Autrefois  uni'  lille  qui  se  mariait 
était  toujours  accompagnée  de'sa  sœur  cadette  ou 
de  sa  nièce,  (|u'on  appelait  la  Suivante.  La  nièce  est 
une  fille  du  l'rcre  aine  «le  la  femme.  La  sœ.ur  cadette 
»'--t  une  ca<lotte.  La  sœur  cadelte  est  d'un  rang  supé- 
rieur à  celui  de  la  nièce.  Mi^me  si  la  Suivante  n'est 
pas  une  sœur  cadette  {mais  une  nièce),  elle  passe 
avant  le  Cocher  |)arci;  (ju'elle  est  une  hôte.  La  dis- 
position croisée  indi(|ue(|ue  la  Suivante  mange  les 


KT  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE         37 

restes  du  beau-père,  et  le  Cocher  ceux  de  la  belle- 
mère. 
XLl.  —  Li  Ki.  Kiu  li.  Couvreur,  p.  71.  Un  seigneur  n'ap- 
pelle point  par   leurs  noms  personnels  ^  les  ministres 
dits  K'ing  lao  W(>  ^ ,  ni  ses  femmes  de  second  rang  {Che 
fou)  ift  ^.  Un  grand-oflicier   n'appelle  point  par  leurs 

noms  personnels,  un  vassal  héréditaire  W.  H- ,  ni  la  nièce 
et  la  sœur  cadette  de  sa  lemme  [ses  femmes  secondaires). 
Un  noble  n'appelle  pas  par  leurs  noms  personnels  l'inten- 
dant de  sa  maison  et  sa  première  concubine  T<  ^ . 

[K'ong  Ying  ta  est  d'avis  :  i°  que  cette  première  concubine  est  la  sœur 
cadette  de  la  femme;  2°  que  les  femmes  de  second  rang  (Che  fou)  d'un 
seigneur  sont  les  deux  Suivantes  de  sa  femme  (venues  chacune  d'un  état 
différent).]  ' 

XLU.  —  Li  Ki.  Sang  ta  ki.  Couvreur,  II,  p.  236.  Un 
seigneur  touche  de  la  main  {aux  cérémonies  des  funé 
railles,  la  poitrine  de)  celles  de  ses  femmes  les  plus  éle- 
vées en  dignité...  Un  grand-olficier  touche  de  la  main  {la 
poiùrine)  de  la  nièce  et  de  la  sœur  cadette  de  sa  femme 
(ses  femmes  secondaires) . 

XLIII.  —  Li  Ki.  Houen  yi.  Couv.,  Il,  p.  648.  Dans  l'anti- 
quité, la  Reine  {épouse)  du  Fils  du  ciel  plaçait  en  charge 
{les  femmes  du  roi   habitant)  les  six  palais  édifiés  pour 

elles,  {savoir)  les  trois  princesses /oh  y'e//  7C  A,  les  neuf 
femmes  du  troisième  rang  m.  Pin,  les  vingt-sept  femmes 
du  quatrième  rang  Che  fou  ift  ^  et  les  quatre-vingt- 
une  femmes  de  palais  W  ^  ,  l'«  tsi  (Cf.  Li  Ki.  Kiu  li. 
Couvreur,  1,  pp.  86  et  94  s(iq.  et  Tcheou  li.  Tien  Kouan, 

articles  M,1&iê  et  iK  W  in  Biot,  I,  p.  154  sqq. 


38  LA    POLYGVNIE   SORORALE 

[Les  nombres  de  femmes  donnés  par  ces  textes 
sont  assurément  d'ordre  théorique  :  ils  ont  été 
déterminés  par  le  souci  d'établir  une  équivalence 
numérique  entre  la  hiérarchie  féminine  aboutissant 
à  la  reine  et  la  hiérarchie  masculine  aboutissant  au 
roi.. Les  glossateurs  remarquent  que  le  Tcheou  li  ne 

donne  de  nombres  que  pour  les  3  fou  jeu  xC  A.  et 
les  9  pin  %^  ;  ils  concluent  généralement  que  le 
nombre  des  autres  femmes  n'était  point  (ixe  et  que 
les  chiffres  donnés  ici  indiquent  une  espèce  à'opti- 
mtini.  Pour  les  douze  premières  femmes,  ils  en  ex- 
pliquent le  nombre  par  le  fait  que  les  femmes  du 
mariage  royal  venaient  de  quatre  états,  et  de  cha- 
cun, selon  la  règle,  par  groupes  de  trois.  Mais  il  y 
a  une  difflculté  :  la  reine  n'est  pas  comprise  dans 
les/;/«et  les /o?/ yen,  et  comme  il  faut  la  compter,  on 
arrive  au  chiffre  de  treize  femmes.  Je  pense  qu'il 
faut  admettre  que,  à  l'organisation  normale  du 
harem  royal,  savoir  une  reine,  ses  trois  suivantes, 
et  leurs  huit  nièces  ou  sœurs  cadettes,  plus  un 
nombre  indéfini  de  femmes  du  palais,  s'est  substi- 
tuée une  organisation  d'ordre  théorique  (et,  en  fait, 
appliquée  ou  non)  fondée  sur  la  valeur  du  nombre 
trois  et  de  ses  multiples,  3,  9,  27,  8Lj 

XLIV.  Les  érudils  chinois  se  sont  efforcés  de  reconsti- 
tuer les  règles  donnant  l'ordre  sehni  lequel  les  femmes 
approchaient  du  mari  dans  les  différentes  sortes  de 
ménages  polygyniqucs.  Il  y  a  certainement  une  part  d'ar- 
bitraire et  de  théorie  dans  ces  reconstitutions  ;  elles  ont  au 
moins  le  mérite  démontrer  que  pour  les  Chinois  les  rapports 
conjugaux  doii'enlèlrr  strictement  réglementés {Comp.  /'êtes 
et  chansons,  n">  XXXiX  et  LXVII.)  Je  réunis  ici  les  com- 
mentaires les  plus  intéressants. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE         39 

Li  Ki.  Net  Isa,  Couv.  I,  p.  G61.  Une  femme  secondaire, 
même  vieille,  si  elle  n'a  pas  cinquante  ans  {époque  théo- 
rique du  retour  d'âge  en  vertu  de  la  théorie  que  la  vie 
féminine  est  réglée  par  le  nombre  7:7X7  =49  =  50) 
doit  coucîier  avec  son  mari  une  fois  tous  les  cinq  jours. 

XLIV  b. Tcliewy.  Coucher  avec  le  mari  une  fois  tous 

les  cinq  jours  est  un  règlement  propre  (à  la  classe)  des 
seio-neurs.  Les  seigneurs  épousent  neuf  fejnmes.  Les 
nièces  et  sœurs  cadettes  couchent  avec  le  seigneur  deux 
par  deux,  ce  qui  fait  trois  jours;  puis  viennent  les  deux 
suivantes,  ce  qui  fait  quatre  jours;  puis  la  femme  princi- 
pale a  sa  nuit  particulière  #  ^  ,  ce  qui  fait  cinq  jours. 
Le  Fils  du  Ciel  couche  une  fois  tous  les  quinze  jours 
{avec  chacun  de  ses  groupes  de  femmes.) 

XLIV  c.  —  Tcheng  {Glose  au  Tcheou  li,  V  jL  W.).  A 
partir  des  neuf  Pin  {femmes  de  troisième  rang)  les  lemmes 
du  roi  couchent  avec  lui  neuf  par  neuf.  Le  règlement  qui 
détermine  l'ordre  selon  lequel  les  princesses  couchent 
avec  le  roi,  est  fondé  sur  le  fait  que  la  lune  est  le  symbole 
de  la  reine.  Les  femmes  les  moins  nobles  {vont  coucher 
avec  le  roi)  les  premières  {au  début  de  la  lunaison);  puis 

viennent  les  plus  nobles.  Les  femmes  du  palais  JK  W  qui 
sont  Si  {groupées  en  groupes  de  9)  ont  9  nuits  pour  elles  ; 

les  femmes  de  quatrième  rang  Che  fou  W  M  qui  sont  27 

ont  3  nuits  pour  elles  ;  les  neuf  i'i/î  %  m.  qui  sont  9  ont 
une  nuit  pour  elles  ;  les  trois  fou-jen  ont  une  nuit  pour 
elles  ;  et  la  reine  une  nuit  :  soit  un  tour  de  15  jours  :  après 
la  pleine  lune  {nuit  réservée  à  la  reine)  on  suit  l'ordre 
inverse.  {Dans  les  ménages  seigneuriaux)  la  nièce  et  la 
cadette  de  la  femme  principale  {qui  forment  l'un  des 
groupes  de  deux)  étant  moins  nobles  que  les  deux  sui- 
vantes {qui  font  un  autre  groupe)  passent   d'abord.   Les 

4 


'|(l  LA    l'dl.VCYNIK    SOROHALK 

grands-ollifiers  ont  iino  lemiiie  et  deux  femmes  secon- 
daires {cadette  cl  nièce)  :  pour  elles  le  tour  est  de  trois 
jours.  Les  Nobles  ont  une  femme  et  une  femme  secon- 
daire [ordiiuiirement  cadette  de  l'épouse),  le  tour  est  pour 
elles  de  deux  jours.  La  femme  secondaire  ne  doit  pas 
empiéter  sur  le  jour  réservé  à  l'épouse  ;  quand  c'est  son 
tour,  elle  ne  doit  pas/prendre  la  nuit  tout  entière.  Quand 
elle  voit  les  étoiles,  elle  se  retire.  (Cf.  Fêtes  et  chansons, 
la  chanson  des  Petites  Etoiles,  LXVIl,  p.  1V2). 


III 


LA  SOCIÉTÉ   CHINOISE  DES  TEMPS 
FÉODAUX 


Les  textes  que  j'ai  rassemblés  établissent  de  façon  for- 
melle que  la  polygynie  sororale  était  une  coutume  géné- 
ralement suivie,  en  fait,  et  obligatoire,  en  droit,  dans  la 
noblesse,  à  la  période  féodale  de  l'histoire  chinoise,  qu'on 
iKiimne  d'ordinaire  la  période  Tch'ouen  Ts'ieou  et  qui 
correspond  à  la  lin  de  la  dynastie  des  Tcheou  (1).  Les  laits 
que  les  chroniqueurs  nous  ont  conservés  sont  assez  nom- 
breux et  assez  explicites  pour  permettre  une  étude  assez 
détaillée  de  l'usage  ;  mais  ce  n'est  pas  là  peut-être  le  plus 
grand  intérêt  de  ces  faits  chinois:  ils  sont  principalement 
précieux  parce  qu'ils  donnent  le  moyen  de  considérer 
une  instilution  matrimoniale,  connue  jusqu'ici  par  des 
tloniu'fs  illmoLrra|ihi(|ii('s  un  peu  (rni^nu-ntaires,  dans  ses 

(l)  l'i'riiMli'  l'iiiiiiiii'  |.rii]ii|i.iiiiiiiiil  par  le  Tsoiio  l('<ioii:in,  Irailiiit  jiar 
'''BB'i  •■'  parlfii  |iurlii-8  de  l'Histoire  <lr  Sseii  iiin  Ts'ion  roiiteiiuca  d.iiis 
Ips  vulliiiieii  IV   1-1    V    lie  lii  triuluction   ilr  M.  Cli«v.iiiiie«. 


ET    LE    SORORAT    DANS    LA    CHINE    FÉODALE  41 

rapports  avec  un  état  défini  de  l'organisation  familiale  et 
sociale. 

Je  donnerai  d'abord  en  raccourci  les  traits  caractéris- 
tiques de  cette  organisation  (1). 

A  l'époque  féodale,  le  peuple  chinois  se  divise  en  deux 
parts  ;  d'un  côté  la  noblesse  ou  ce  que  les  érudits  indi- 
gènes appellent  les  familles  distinguées  !x  ^  ,  de  l'autre 
le  peuple  des  campagnes,  les  familles  de  gens  simples, 

^  ^  ,  rustiques  (2),  ceux  que  les  textes  désignent  le  plus 

souvent  par  l'expression  X|^  /V  Chou  jen,  la  plèbe. 

Les  rites,  dit  le  Kiu  li  (3),  ne  s'appliquent  pas  aux  gens 
du  peuple  :  en  effet,  les  grands  recueils  rédigés  par  les 
ritualistes  ne  nous  renseignent  point  sur  les  usages 
populaires,  et  nous  ne  posséderions  sur  eux  que  des  indi- 
cations isolées  si  le  Che  Kine:  ne  nous  avait  conservé  un 
ensemble  important  de  vieilles  chansons  oii  nombre  de 
ces  usages  se  sont  inscrits. 

(i)  Aucune  étude  d'ensemble  neu  a  été  faite  :  les  documents  ne 
manquent  pas,  préparés  par  les  traductions  de  Legge^  de  Couvreur  et 
surtout  par  celle  de  Sseu-ma  Ts'ien  et  les  notes  dont  M.  Chavannes  l'a 
enrichie.  J'ai  décrit  le  genre  de  vie  et  les  usages  populaires  dans  les 
Fêtes  et  chansons  anciennes  de  la  Chine,  Une  étude  sur  la  Famille  chi- 
noise des  temps  féodaux,  que  je  publierai  sous  peu,  renseignera  sur  les 
us.iges  de  la  noblesse.  Le  tableau  que  je  donne  ici  de  la  société  à 
l'époque  Tch'ouen  Ts'ieou  est  tiré  des  conclusions  où  m'ont  conduit  ces 
deux  études. 

(2)  Ci.  Ho  Hieou  (1  h).  Cf.  l'expression  -m\  ,<  ]e  paysan  »  ;  Fêtes  et 
chansons,  LXVI. 

(3)  Li  Ki.  Couvreur,  I,  53  fe  'T*  P  Jttt  /v  ;  L'opposition  entre 
les  usages  nobles  et  plébéiens  est  bien  marquée  par  Ho  Hieou  (I  h).  Le 
Po  hout'ong  (chapitre  du  mariage)  note  (et  c'est  un  lait  curieux  et  impor- 
tant) que  les  familles  rustiques  donnaient  la  préléience  à  la  gauche  parce 
qu'elles  prenaient  pour    modèle   l'ordre  céleste,   tandis  que   les  familles 

Jg  ^  tt 

distinguées,    suivant  l'ordre  terrestre,  préféraientla  droite.    ^.    ^*-  1^ 


42  LA   pnr.Yr.vME  sororale 

Les  familles  riisti(|iies  habitaient  la  campagne    3?]"  /V 
hors   de    l'inlUience    du   gouvernement    étaljli    dans   les. 

villes  (1);  elles  y  vivaient  dans  des  villages  enclos  M. 
Li  (2),  réunissant  toutes  les  maisons  d'un  groupe  de 
personnes  (3)  dont  la   parenté  était  indiquée  par  un  nom 

d<!  famille,  Sing  x£ ,  propriété  commune  du  groupe  : 
il  y  a  des  chances  (|ue  ce  nom  de  la  famille  fût  celui  du 
village  familial  (4).  Unis  par  la  communauté  du  nom, 
lien    mystique    qui    leur   a])[)araissait    comme    le    signe 

d"ime    identité    spécifique    1^  ^,  les    parents    vivaient 

dans   une  intimité  complète  de  sentiments    1^  ^Li*    et  de 

désirs  1^  /\i^  5)  ;  ils  formaient  un  groupe  d'une  solidarité 
si  parfaite  que  leur  parenté  n'apparaissait  point  comme  le 
résultat  de  liens  personnels,  mais  quelle  dérivait  sim- 
plement (le  la  vie  en  commun  ;  c'était  une  parenté  de 
groupe  où  ne  se  distinguaient  point  des  rapports  définis; 
le  langage  n'éprouvait  pas  le  besoin  d'attribuer  un  nom 
particulier  au  père  et  un  autre  à  l'onde  ;  le  même  mol 
suffisait  pour  la  femme  de  celui-ci  et  pour  la  mère,  de 
même  qu'il  n'en  (allait  qu'un  pour  désigner  le  fils  et  le 
neveu.  La  nomenclature  de  parenté  n'avait  à  tenir  compte 
(|ue  des  dill'érences  de  sexe,  d'âge  et  de  génération.  Dans 
ce  groupement  strictement  homogène,  pas  de  hiérarchie 
ou  presque  ;  les  membres  du  groupe  se  classaient  d'après 

(i)  Cf.   Yi   li.  Glosts  IriditioDiiellea  du  Clinpilre  sur  !<•»   vêlements  de 
deuil.  Cf.  Steele,  II,  p.    nj. 

(a)  Cf.  Fi'le.i  et  chansons.  Cliauson  .VI.. 
(3)  Cf.  Yi  li.  Sleele,  II,  p.  17. 

f'i     I-o  bi>iiu-p,re  du   priiiri;  Ilan,  Kouci   lou  (le  iiirc   de  Ki.\i.i,  le   rliel 

.Ir  h'oiici   'SîK)    a  aa  rcuiduuce    l.iniiliuli'  hu  vilhiRc    (Li)   de    h',niei.   Cf. 
X.WII,   ver»  3  cl  ,S. 
(S)  Cf.   Kouo  vu.  ïniii  jn,  IV,    ',.  Cf.  le»  joule»,  Fi'tc.i  et  ch,ins„ns. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        43 

l'âge  (1)  M  et  le  doyen  '^  parlait  au  nom  de  tous.  C'était 
par  des  repas  de  famille  que  s'entretenait  le  sens  de  la 
communauté  domestique,  qui  semblait  reposer,  sur  une 
identité  substantielle,  identité  absolue  entre  deux  parents 
de  même  génération  (2);  quand  meurt  le  doyen  d'une 
famille,  s'il  reste  un  membre  de  la  génération  du  mort,  il 
remplit  à  sa  place  les  fonctions  du  disparu  ;  on  ne  peut  pas 
dire  qu'il  lui  succède  ;  il  n'y  a  pas  de  succeission  entre  des 

gens  de  même  génération  :  ils  se  suppléent  ^  par  rang 
d'âge  (3),  trop  indistincts  entre  eux  pour  que  le  passage 
de  l'un  à  l'autre  paraisse  marquer  un  changement. 

La  solidarité  indistincte  qui  unit  les  membres  d'un 
groupe  familial,  se  traduit  d'abord  dans  ces  manifestations 
de  l'unité  domestique  que  sont  les  repas  communiels  ou 
encore  les  réunions  de  toute  la  parenté  à  l'occasion  d'une 
mort  ;  elle  est  surtout  sensible  dans  ce  fait  que  le  groupe 
est  absolument  fermé  ;  même  après  qu'une  organisation 
hiérarchique  s'y  fut  développée,  même  après  l'avènemen- 
d'une  autorité  familiale,  de  type  seigneurial,  et  presque 
aussi  forte  que  la  romaine,  jamais  il  ne  fut  possible  au  chef 
de  famille  d'introduire  des  éléments  étrangers  dans  le 
corps  domestique  :  pour  perpétuer  sa  lignée,  pour  instituer 
un  héritier  du  culte,  il  demeura  toujours  obligé  de  prendre 
son  fils  adoptif  à  l'intérieur  du  cercle  familial  (4).  La  vertu 

(i)   Être    chassé  d'une     famille,    perdre   la    qualité    de   parent   se  dit  : 

^"*    Wi    ne  plus  prendre   sa  place  aux  réunions  familiales   d'après  son 
âge  (m.  à  m.   d'après  ses  dents).  Cf.   Li  Ki.  Yu  tsao.   Couvreur,  I,  691. 

.  mm 

(2)  Les  frères  sont  dits  BH  n'être  qu'un  seul  et  même  corps  :  ou 
les  compare  aux  quatre  membres.  Cf.  Yi  li,  Steele,  II,   17. 

(3)  Cf.  Ho  Hieou  (I  b). 

(4)  Cf.  Yi  li,  Steele,   II,  pp.  I2  et  19. 


ïï  LA    POLYGVNIE   SORORALE 

caractéristique  (I;  d'wne  famille  ^,  qui  est  le  fondement 
de  la  parenté,  est  instransinissible,  incommunicable. 

Les  groupes  familiaux  s'opposent  fortement  entre  eux, 
au  moins  dans  le  cours  ordinaire  de  la  vie:  pendant  la 
bonne  saison,  les  parents  cultivent  en  commun  le  ciiamp 
domestique;  pendant  l'hiver,  ils  s'enferment  tous  dans  le 
village  familial.  Mais  le  printemps  et  l'automne  sont 
l'occasion  de  fêtes  où  ils  se  réunissent  avec  leurs  voisins. 
Dans  ces  rapprochements  solennels,  les  groupes  voisins, 
fermés  d'ordinaire,  séparés  et  hostiles,  s'ouvrent  brus- 
quement au  sentiment  inaccoutumé  d'affinités  qui  les 
relient  entre  eux.  Autant  ils  sont  habituellement  jaloux  de 
leur  indépendance,  autant  ils  se  sentent  obligés,  dans  ces 
fêtes,  à  se  fondre  en  une  communion  complète  et  pathé- 
tique; ces  groupes,  usuellement  impénétrables,  se  mêlent 
alors  de  toute  manière  :  par  un  système  d'échanges  pra- 
tiqués avec  la  plus  large  libéralité,  ils  épuisent  toutes 
leurs  ressources  :  ce  qu'ils  gardaient  jalousement,  ils  le 
livrent  à  l'orgie  commune,  les  proiluits  de  leur  terre,  les 
enfants  de  leur  sang,  .\ucun  d'eux  ne  veut  rien  garder 
q^ui  détruirait  a  son  profit  l'équilibre  des  forces  tradition- 
nelles sur  quoi  repose  l'alliance  des  groupes  voisins,  car, 
de  cette  alliance,  tous  ont  alors  le  sentiment  qu'elle  est 
un   bienfait  suprême  (2).  Ainsi,  grfice  à  des  prestations 

mutuelles  de  type  exhaustif,  des  groupes  locaux  M.  réus- 
sissaient à  se  constituer  en  une  Communauté  de  pays  H  . 

(i)  C(.  Koiio  yu.  Tsiu  yu,  IV,  4.  I.'"-'*  ani'clrt-s  no  iimugenl  iiuc  la  ciii- 
■ine  du  leurs  desccDdants.  Ce  n'est  que  Lindivemeot,  et  à  \i\  suite  du 
déTi'lo|ipcineiit  de»  relnlioiia  Ti^odalos,  <]U0  les  sei^noura  ciivov<Teiil  à  de» 

princes  de    auiii   dill'érenl    1rs   viaudos    sacriliiïes    aux  ancilrc»    -iX   HW 
par  les.jtielle»  se  roniiiiiiniqiiait  le  Konheur  spi'-riiiqne  d'une  race, 
(a)  Cf.  /■VifS  et  chansons^  l.e  rydime  saisonnier. 


ET  LE  SORORÂT  DANS  LA  CHINe'  FÉODALE 


45 


Dans  l'intense  émotion  de  leur  rapprochement  extraordi- 
naire, les  groupes  voisins  arrivaient  à  sentir  dans  leurs 
différents  génies  spécifiques  assez  d'affinités  pour  les 
autoriser  à  s'envoyer  mutuellement  leurs  filles  comme 
épouses.  Les  Communautés  de  pays  avaient  pour  fon- 
dement stable  un  système  équilibré  d'échanges  matri- 
moniaux  opérés  en  bloc  ;  elles  rajeunissaient  périodi- 
quement leur  lorce  par  une   célébration  collective    des 

mariages. 

Il  semble  que  l'organisation  des  Communautés  de  pays 
ait  été  d'abord  très  simple:  très  peu  nombreux  étaient  les 
groupes  familiaux  qui  constituaient  chacune  d'elles,  c'est- 
à-dire   qui   sentaient   assez  d'aifinités  entre  leurs  génies 
spécifiques  pour  pouvoir  s'unir  par  une  alliance  matrimo- 
niale :  pour  prendre  femmes,  le  choix  d'une  famille  déter- 
minée était  limité  à  un  petit  nombre  d'autres  iamiUes  (1). 
Il  y  a  des  raisons  de  croire  qu'a  l  origine  une  Communauté 
ne  comprenait  que  deux  groupes    familiaux  échangeant 
entre  eux  leurs   filles:  celte  hypothèse  est  la  seule  qui 
rende  compte  de  la  nomenclature  de  parenté  chinoise,  ou 
un  seul  mot  suffit  pour  père  et  frère  du   père  3c  ,  pour 
™ère  et  sœur  de  la  mère  #  ,  pour  sœur  du  père  et  belle- 
(rà  ,  pour  frère   de    la  mère    et    beau-père    m  ,  et 


mère 


Cf.  SMT,  IV,  4<i<>- 


46  LA    POLM.VNIK    SOHORALE 

dans  la(nielle  un  homme  ne    distingue   point  entre    son 

prondre  et  le  lîls  de  sa  sœur  ^  (l). 

Pour  résumer,  la  plèbe  chinoise,  telle  qu'elle  m'appa- 
raît,  était  organisée  en  Communautés  de  pays,  et  chaipie 
Communauté  consistait  en  un  couple  de  groupes  locaux 
homogènes  qui  maintenaient  entre  eux  un  équilibre  tra- 
ditionnel, grâce  à  des  prestations  mutuelles  et  pério- 
tli(iues  de  type  exhaustif.  La  principale  de  ces  presta- 
tions était  celle  qui  fondait  l'alliance  matrimoniale, 
savoir  un  échange  régulier  de  toutes  les  filles  du  groupe 
en  âge  d'être  mariées. 

Les  érudits  chinois  ont  bien  marqué  l'opposition  des 
principes  d'organisation  de  la  société  populaire  et  de  la 
noblesse  féodale  :  dans  les  groupes  homogènes  que 
forment  les  gens  des  campagnes,  tout  revient  «  à  traiter 

ses  proches  en  proches  (2)  tBHi  ivC  »  c'est-à-dire  au  senti- 
ment des  liens  domestiques.  Ce  (\u'\  caractérise,  au 
contraire,  la  société  noble,  c'est  le  sentiment  de  la  hiérar- 
chie J^ -©■ ,  la  reconnaissance  d'autorités  constituées, 
dans  l'ordre  politique  comme  dans  l'ordre  familial. 

La  noblesse,  ce  sont  les  habitants  des  villes  seigneu- 
riales (3),  ceux  qui  se  sont  placés  sous  la  recomman- 
dation d'un  seigneur  ^  .  (|ui  sont  ses  vassaux  S  ,  qui 
en  ont  reçu  une  investiture  a]j  ,  qui  lui  doivent  l'hom- 
mage   ^  ,  le  service    ^    «1    le  i  on><fil     u  ,  qui  forment 

(i)  Chez  les  Toihis  II-  niari.ijri'  nornial  i-bI  celui  îles  cousins  (issus  de 
fri-rea  cl  ilc  sœurs)  (miiriage  de  Miitchitiii.  CA.  Rivers,  p.  ftia  sqq.)  el 
ou.le  pratique  par  *ch,iO)fe  de  frères  et  de  sœurs.  l!f.  Ibtd  p.  .Svia  et  les 
exemple». 

(a)  et.  Ho  llirou     I  h). 

(3)  Yi  II,  Mecl.,  II.   p.   M,    W   èî    C      i 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        47 

SOUS  sa  direction  un  groupe  hiérarchisé,  une  cour.  Le 
Seigneur  est  représentant  d'une  race  sacrée,  doLiée  d'une 

Vertu   spécifique  ?§,  Îsl»    qui    l'habilite     à    exercer     une 

Influence  souveraine  tu  sur  un  pays  déterminé.  Par  une 
espèce  de  collégialité  avec  le  lieu  saint  de  son  pays,  le 
seigneur  possède  un  pouvoir  régulateur  dont  dérive  une 
double  autorité  sur  les  hommes  et  sur  les  choses  (1)  ;  en 
raison  de  ce  pouvoir  tutélaire  par  lequel  il  réussit  à 
accorder  le  cours  de  la^  nature  et  les  besoins  humains,  la 
terre  est  considérée  comme  son  domaine  et  les  hommes 

comme  ses  vassaux  ^  ^-tB  ^  H-  .  U  réunit  une  cour 
dans  sa  ville,  à  côté  des  temples  où  il  rend  le  culte  qui 
entretient  en  lui  les  Vertus  de  sa  race  :  ses  vassaux 
l'assistent  dans  ce  culte  et  participent  avec  lui  à  l'in- 
fluence bienfaisante  qui  en  dérive  ;  ils  y  participent 
plus  ou  moins,  selon  l'étroitesse  du  lien  vassalitique 
qui  les  unit  au  seigneur  (2).  Les  fidèles  immédiats,  qui 
communient  avec  lui  dans  les  banquets  sacrificiels  de  la 
façon  la  plus  directe,  obtiennent  de  ce  fait  comme  une 
délégation  de  sa  puissance   régulatrice  :  les  grands-oifi- 

ciers  yC  !7C  reçoivent  une  portion  du  domaine  seigneu- 
rial ;  ils  ont  une  terre  et  des  vassaux  ;  ils  sont  seigneurs, 
mais  à  titre  précaire,  et,  au  moins  théoriquement,  à  titre 
viager.  Communiant  moins  directement  avec  les  forces 
mystiques  qui  constituent  le  pouvoir  du  chef,  les  simples 
nobles   ne   reçoivent   en    principe  qu'un    fief  de    nature 

mobilière  If^  :  il  consiste  essentiellement  dans  la  nour- 
riture,   principalement    dans    les   viandes    de    sacrifice, 


(i)  Voir  Fêles  et  chansons  :  Les  lieux  saiuts. 

(2)  Voir  au  Li   ?vi,  Tsi  t  oug  Couvreur,  Il  p.    Sag    sqq.    le   récit  de  l.i 
comniuuioi)  vassalitique  qui  suit  un  sacrifice. 


4rt  LA    POLYtiVME   ï^OliOHALE 

qu'ils  reçoivent  du  seigneur.  Us  n'ont  point  droit  à  pos- 
séder un  domaine  ou  des  vassaux  [)r()jirement  dits;  mais 
ils  sont  revêtus  d'un  caractère  auguste  qui  leur  permet 
d'avoir,  dans  leur  propre  famille,  figure  de  seigneurs. 

La   (àmille    noble,    comme    la    société,    est  de    forme 
hiérarchique  ;   elle   est  caractérisée  par  l'existence  d'une 

autorité  domestique-^  .  Cette  autorité  appartient  au  repré- 
sentant de  la  droite   lignée   par  primogéniture.    Le   chel 

de  famille  "^  J  est,  avant  tout,  le  chef  du  culte  des 
Ancêtres  ;  grfice  à  ce  culte  qui  le  fait  étroitement  partici- 
per aux  vertus  anceslrales,  il  apparaît  comme  l'incarna- 
tion directe  et  véritable  jt  na.  (1)  des  ancêtres;  il  reçoit 
d'eux    [)ar  délégation     on    l'autorité  qu'il    exerce   sur  la 

j  p  ^ 

parenté  ^.  Comme  pour  les  vassaux,  par  l'ellet  de  la 
communion,  cette  autorité  descend  aux  chefs  des  lignées 

collatérales  ■^i^  i}<  ,  et  jus(|u'au  père  de  famille  ijui,  s'il 
est  lils  aîné,  est  le  seigneur,  ;iu  sens  propre,  de  ses  fils, 
de  ses  neveux  et  de  ses  cadets.  La  famille  noble  est  un 
groupement  féodal  composé  de  sous-groupes  de  vassaux 
dont  les  chefs  obéissent  tous  au  seigneur  commun,  le 
chef  de  famille.  Dans  une  telle  famille,  oii  existe  une 
autorité,  il  y  a  lieu  à  succession:  celle-ci  se  fait,  non  [)oinl 
d'après  l'âge,  en  épuisant  chaque  génération,  mais  dans 
chaque  souche  ("2)  :  le  fîls  aîné  succède  au  pouvoir  sei- 
gneurial du  père,  car  il  est  chef  <lu  culte  de  son  père 
défunt  (3). 

{,)  Yi  li,  Sl.yle,  11,  p.  II. 

(•;!)  Mo  IIIloii     !  /<).   ' 

(3)  Yi  li,  Stvtk-,  II,  |i.  II).  I,,i  fainille  noble  est  pMsoiiliellenicnt  ngon- 
liquc.  Il  va  est  iiulrvnicul  do  la  rniiiille  pléhëioiine  ;  je  lrr*i  la  preuve 
(^Famille  chinoise,  ch.  VII)  que  celle-ci  fui  d'aboril  régie  par  un  «ymèmi 


ET    LE    SORORAT    DANS    LA    CHINE    FÉODALE  49 

Dans  les  villes  seigneuriales,  les  familles  nobles  sont 
rapprochées  en  une  unité  politique  de  forme  plus 
complexe  que  n'est  le  groupement  constitué  par  une 
Communauté  plébéienne.  Le  rang  qu'occupe  leur  chef 
dans  la  hiérarchie  vassalitique  détermine  d'abord  leurs 
rapports  avec  la  famille  seigneuriale.  Ces  rapports  sont 
définis  par  un  protocole  minutieusement  réglé,  que  nous 
connaissons  surtout  en  ce  qui  concerne  le  deuil.  Le 
principe  de  ce  protocole  est  de  conserver  les  distances 
hiérarchiques  grâce  à  un  système  de  prestations  alterna- 
tives réglées;  la  largesse  (1)  seigneuriale  s'étend,  confor- 
mément à  ce  protocole,  à  toutes  les  familles  vassales  ; 
sous  forme  d'hommages  et  de  tributs,  ses  bienfaits  pré- 
caires retournent  ensuite  au  seigneur.  D'autre  part, 
entre  les  familles  de  même  rang,  un  autre  système  de 
prestations  alternatives,  que  régie  aussi  le  protocole, 
permet  d'obtenir  un  état  d'équilibre.  Les  familles  de 
même  classe  nobiliaire  sont  unies  entre  elles  par  des 
liens  analogues  à  ceux  qui  rapprochent  les  familles 
accouplées  d'une  Communauté  plébéienne;  seulement,  la 
valeur  des  prestations  qui  servent  à  obtenir  le  rapproche- 
ment n'est  plus   déterminée    par  le  désir  d'épuiser  tous 


de  fîtiation  utérine.  A  l'époque  où  elle  coexiste  avec  une  famille  noble, 
elle  n'a  point  encore  pris  le  type  agnalique  :  Les  campagnards,  disent 
les  éi'udits,  ne  distinguent  point  entre  leur  mère  et  leur  père  :  il  est  clair 
que  dans  le  système  des  communautés-couples  de  deux  laniilles,  l(^s 
rapports,  pour  être  de  nature  diverse,  ne  sont  pas  moins  étroits  entre 
le  neveu-gendre  et  le  beau-pcre-oncle  maternel  qu'entre  le  fils  et  le  père. 
Noter  le  rôle  joué  encore  aujourd  hui,  surtout  dans  les  familles  du 
peuple  par  le  beau-père  et  l'oncle  maternel. 

(i)  Voir  au  Tsi  T'oug.   Li  Ki  Couv.  II,    pp.  33i    et   34i    l'analyse    des 


notions  de  largesse  et  de  bienfaisance  seigneuriales    ^li»»    ut    I^F  ,  et   de 

la  règle  interdisant  d'accaparer    ^^    >M  .  Voir   Fêles  et  chansaiis    .  Le 
rythme  saisonnier  et  Famille  chinoise,  ch,  IV. 


50  LA    l'OLVr.YNlE   SOHORAtK 

les  moyens  possibles  d'union  ;  elle  est  réglée  eu  égard 
au  statut  nobiliaire  de  chaque  famille  :  à  chaque  classe 
conviennent  des  prestations  définies. 

Les    dilTérentes    familles    seigneuriales    forment   une 

confédération  (1)  placée  sous  la  suzeraineté  du  Roi  i,  du 

Fils  du  Ciel   JZ  TT  ;  certaines  qui  sont  de  même  nom  1^ 

m  ^  IS  se  considèrent  comme  les  branches  d'un  môme 
tronc  :  les  rapports  d'ordre  politique  qui  sont  établis 
entre  elles  sont  réglés  d'après  les  principes  du  droit 
domestique;  par  exemple,  de  même  que  les  parents  s'in- 
terdisent toute  vendetta,  les  seigneuries  de  même  nom 
ne  doivent  point  se  faire  la  guerre.  Pour  celles  qui  sont 
de  nom  différent,  leurs  relations  ressemblent  à  celles 
des  familles  antithétiques  des  Communautés  plébéiennes; 
les  échanges  matrimoniaux  leur  semblent  le  plus  efficace 
moyen  d'atténuer  leur  antagonisme  foncier,  et  le  prin- 
cipe premier  de  toute  alliance.  Certaines  ont  entre  elles 
une  affinité  plus  sensible  et  forment  des  couples  tradi- 
tionnellement unis  par  l'alliance  matrimoniale  ;  même 
quand  elles  sont  d'un  éclectisme  plus  marqué,  toutes 
considèrent  comme  une  faut,e  de  ne  point  rester  fidèles  à 
leurs  anciennes  relations  :  elles  ont  comme  idéal  une 
certaine  stabilité  fondée  sur  la  pratique  continue  des 
mêmes  systèmes  d'alliance  (2).  C'est  uniquement  dans  la 
classe  des  seigneurs  (jue  semblent  avoir  une  force  véri- 
table ces  groupements  de  familles  attestés  par  une  tra- 
dition    suivie    d'intermariages  (3)  :    dans    la   Confédéra- 


(i|  Coarédci.ilKin  rhiiioisc  ost  le  sens   qu'il  laul  iloimcr  à    T^    K 
Cliinc,  aoiiri-iil  Inidiiii  par  li' roviiiiiDi-  on  les  royaiiines  Ju  luili.u. 
(•j)  Voir  Kimo  jii.   r<'lieuu   vu,  II,  l. 
(!)  Cf.  .s.MT.  IV.  f.._i„s. 


ET  LE  SOROKAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        51 

tion  chinoise  f  fâ  ,  les  familles  seigneuriales  retrou- 
vaient en  effet  une  unité  analogue  à  celle  qui  réunis- 
sait en  Communautés  locales  les  familles  plébéiennes.  Les 
familles  de  simple  noblesse  (1),  au  contraire,  dont  les 
chefs  étaient  attachés  par  une  inféodation  à  une  race 
seigneuriale,  ne  pouvaient  posséder,  à  l'intérieur  d'un 
groupe  féodal,  assez  d'indépendance  pour  obtenir  de 
former,  grâce  à  des  alliances  matrimoniales  stables  et 
définitives,  des  groupements  dont  la  puissance  eût  fait 
obstacle  à  l'exercice  du  pou-voir  seigneurial;  seul,  le 
lien  qui  attache  le  vassal  au  suzerain  étant  absolu,  les 
familles  ne  pouvaient  se  lier  entre  elles  par  des  liens 
d'interdépendance  complète,  pas  plus  qu'un  fils  de 
famille,  dès  qu'existe  une  autorité  domestique,  n'est 
laissé  libre  de  contracter  des  amitiés  qui  l'engagent 
jusqu'à  la  mort  (2). 


IV 

LA  POLYGYNJE    DANS  LA  NOBLESSE 
FÉODALE 

Les  érudits  chinois  qui  se  sont  occupés  des  institutions 
matrimoniales,  ont  analysé  les  principes  de  droit  qui 
leur  semblaient  les  fondements  des  usages  polygyniques. 

(i)  Le  seigneur  doit  être  averti  du  mariage  du  vassal.  Cf.  Li  Ki.  Cou- 
vreur, 1,  p.  3i. 

(2)  Uu  fils   soumis    au    pouvoir  paternel  ne    peut   s'engager   dans   une 

amitié  à  mort.    -^  BT  ^   AÏX   yt   Cf.  Li  Ki.  Couvreur,  I,  p.  14  :  C'eût 
été   contraire   au    principe    que    le    père  -est    l'autorité    non    seulement 

35  ]gr         .        .  .      =1r 

suprême   ^t.  -^- ,  mais   unique,   tel   le    ciel   ^v  .  Le  seigneur  est  aussi 

le  ciel    yV    du  vassal.  Cf.   Yi  li,  gloses  aux  textes    sur  le   deuil   pour  le 
père  et  le  seigneur  :  Steele,  H,  p.  ii. 


;;2  LA    POLYGYNIE   SOnOKALE 

Ils  ont  eu  a  cœur  de  justifier  ces  usages  :  ils  les  pré- 
sentent comme  établis  délibérément  par  le  législateur 
et  conformément  au  plan  d'organisation  de  la  société 
fV'odale.  Leurs  conceptions  sont  dominées  par  l'idée  que 
la  durée,   pendant   laquelle  le   pouvoir  appartient  a   une 

race,  manifeste  la  légitimité  de  ce  pouvoir  a(j  ;  cette 
durée  dépend  d'une  force  particulière  à  chaque  famille, 

le  HÎM  Bonheur  idiosyncrasique  propre  à  une  lignée.  Qui 
mérite  d'être  un  chef,  possède  ce  Bonheur  et,  par  là 
même,  est  assuré  de  posséder  une  longue  descendance. 
En  vertu  de  cette  théorie,  toutes  les  règles  matrimoniales 
apparaissent  aux  annotateurs  comme  des  règles  élaborées 
pour  <jue  les  mariages  donnent  de  nombreux  enfants  (1). 
Je  montrerai  plus  loin  que  la  polygynie,  telle  que  la 
pratiquaient  les  différentes  classes  de  la  Noblesse,  dérive 
d'usages  anciens  et  populaires  adaptés  aux  conditions 
nouvelles  de  la  Société  féodale.  Je  ne  puis  donc  y  voir, 
comme  les  auteurs  chinois,  une  invention  législative. 
Mais  les  analyses  qu'ils  en  ont  données  ont  au  moins  un 
mérite  ;  c'est  de  rappeler  ce  fait  essentiel  :  aux  temps 
anciens  de  la  Chine,  le  mariage  était  considéré  comme 
1  acte  fondamental  non  pas  tant  de  la  vie  |)rivée  que  de  la 
vie  publicjue,  ou,  pour  mieux  dire  et  seulement  traduire 
une  formule  alors  admise,  les  alliances  matrimoniales 
étaient  considérées  comme  les  degrés  p  ir  lesquels  péné- 
traient clans  une    Maison    seigneuriale  le   Bonheur  ou   le 

Malheur  if  'M  Wi  ilîM  ^  ^  (2).  On  va  voir  en  cllel  que 
c'est  bien  de  ce  point  ije  vue  (jue  l'on  peut  comprendre 
l'usage  féodal  de  la  polygj'nie. 

(l)\"irji.ir  c».  iii|j1c    le»  .iii.ily>cs    plari    loin    rili'fs    .lu    l'o    lioii  long, 
rliap.  .Muriii^o. 

(a)  Kouo  )ii.  'l'clirou  vu,  i'  «lise. 


j:t  le  sororat  dans  la  chine  féodale  53 

La  polygynie,  pratiquée  dans  la  Noblesse,  y  était  régle- 
mentée par  deux  règles  antithétiques  que  j'étudierai  l'une 
après  l'autre  :  Un  noble,  à  son  mariage,  ne  devait  prendre 
femmes  que  dans  une  famille  et  il  était  plus  ou  moins 
strictement  obligé  de  ne  se  marier  qu'une  fois.  Inverse- 
ment, la  famille  où  il  prenait  femmes  était  tenue  de  lui 
fournir  d'un  coup  un  nombre  d'épouses  déterminé  par 
son  rang  nobiliaire. 

Toutes  les  femmes  qu'un  noble,  d'après  son  rang 
pouvait   épouser  par  un   mariage,   il   devait  les    prendre 

dans  une  même  famille,  N  SÏ  ;  un  noble  ordinaire  ou 
un  grand-officier  les  prenait  dans  une  même  maison  ^, 
dans  une  seule  branche  familiale  ;  pour  un  seigneur  fieffé, 
elles  venaient  de    trois  seigneuries,   c'est-à-dire  de  trois 

branches  familiales  distinctes  yC ,  mais  rameaux  d'une 
même    famille    :    dans    tous    les    cas,    c'était    une   rèerle 

absolue  qu'elles  portassent  le  même  nom  X't ,  signe  véri- 
table de  la  parenté. 

Les  manquements  à  cette  règle  étaient  l'objet  d'un  blâme 
sévère  :  ils  méritaient  d'être  inscrits  dans  les  Annales  au 
même  titre  que  les  violations  de  la  loi  d'exogamie.  Le 
Tch'ouen  Ts'ieou,  par  exemple,  en  cite  deux  cas,  et  dans  les 
deux  cas,  les  annotateurs  remarquent  que  le  faitétait  con- 
traire aux  Rites  (1).  Ils  le  remarquent  même  à  l'occasion 
du  mariage  de  Po  Ki,  princesse  de  Lou,  dont  ils  font^  par 
ailleurs,  ressortir  la  réputation  de  Vertu  et  dont  la 
mémoire  leur  semblait  mériter  d'être  gardée  de  toute 
tache  (2).  Ainsi,  même  dans  une  époque  troublée  et  souvent 
appelée  période  d'anarchie,  ces  défaillances  ne  paraissent 


(i)  Cf.  III  (III  i  et  III  /;)  et  V. 
(2)  et.  III. 


54  LA    POLVGYNIE   SORORALE 

|)as  avoir  élé  très  fréquentes.  Si  l'on  relève  dans  les 
Mémoires  historiques  de  Sseu-nia  Ts'ien  le  nom  des 
femmes  épousées  par  les  seigneurs  dont  1  histoire  y  est 
contée,  on  voit  sans  doute  de  temps  à  autre  figurer  dans 
le  même  gynécée  des  princesses  de  nom  de  famille  diffé- 
rent. Au  reste,  —  tant  la  chose  paraissait  blâmable  — 
j"ai  l'impression  qu'on  essayait  de  la  dissimuler  :  on 
sait  que  d'assez  bonne  heure  (c'est  une  pratique  constante 
dans  le  Kou  lie  niu  Ichouan),  on  prit  l'habitude  de  faire 
figurer  dans  la  désignation  des  princesses,  à  la  place  de 
leur  nom  de  famille,  employé  d'abord  précisément  pour 
montrer  que  le  mariage  était  régulier,  le  nom  de  famille 

de  la  maison  royale  Ivi  Wf-,  employé,  dit-on,  à  titre  d'hon- 
neur. Or,  dans  la  lisle  des  femmes  du  duc  Houan  de  Ts'i, 

(jui  s'était  manifestement  marié  dans  la  famille  Ki  SjÈ , 
figure  une  princesse  que  d'après  la  vieille  règle  on  eût 
du  appeler  Siu  Ying  mais   qu'on   appelle  justement  Siu 

Ki  SIS  ^1),  comme  si  elle  appartenait,  elle  aussi,  a  la  famille 
Ki;  au  reste,  quand  un  gynécée  renferme  des  femmes  de 
nom  différent,  on  peut  constater,  presque  toujours, 
(ju'clles  ne  proviennent  pas  du  même  mariage  :  le  sei- 
gneur —  ceci  est  un  manquement  à  une  autre  règle  qu'on 
étudiera  tout  à  l'heure  —  ne  s'est  point  contenté  d'une 
seule  alliance  matrimoniale;  il  est  d'ailleurs  reinar(]uable 
que,  dans  beaucoup  lie  cas  de  ce  genre,  le  deu.xicme 
mariage  a  été  contracté  avec  des  barbares  (2).  Notons  en 

(0X1. 

(a)  SMT,   lY,  |i.  t!S,   lu  Mi^iirm    iii,iri(-  a   l.oii  ^iiom  Ki    Ifîp)  se  ni;irir 
«■nrorc  clifi   Itrs  .loiif;;   los   Jonj;  s'étnieut    vu  nflVcler,   [jn-ciR^iiicnl   pour 

ri^({liT  le»  illiaiiroo  nmlriinoninleR:  le  nuni  Ki  >lpi  .  —  SMT,  IV.  p.  aSg  ; 
II-  iliu-  IliiMi  ili'  'r»iii,  iii.irii'  à  Ts'i  (iioiii  Kixii;.'),  ôpoutit'  eu  oiilro  deux 
l>arli«rr*  'l'i. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        55 

outre  que,  lorsqu'on  mentionne  de  telles  unions,  c'est 
pour  expliquer  des  troubles  qui  ont  amené  les  seigneuries 
près  de  leur  ruine.  Celle-ci  manque  d'arriver  à  la  suite 
de  querelles  de  succession  où  l'on  voit  les  fils  des  prin- 
cesses de  nom  différent  se  disputer  l'héritage  paternel, 
soutenus  chacun  par  la  famille  de  leur  mère  (1). 

D'après  les  auteurs  chinois,  les  législateurs  avaient 
interdit  de  prendre  femmes  dans  des  familles  diffé- 
rentes afin  d'éviter  les  querelles  de  gynécée  (2).  Seules 
des  femmes  unies  par  des  liens  de  parenté  ne  pouvaient 

pas  être  divisées  par  la  jalousie  W:  ¥S .  La  jalousie,  selon 
eux,  est  la  principale  des  causes  qui  affaiblissent  les 
états.  Ils  l'expliquent  ainsi  :  une  princesse  jalouse 
s'efforce  de  garder  pour  elle  seule  les  faveurs  de  son 
époux  (3);  elle  cherche  à  écarter  les  autres  femmes  du  lit 
seigneurial.  Une  princesse  digne  de  ce  nom,  au  contraire, 
telle  par  exemple  que  T'ai  Sseu,  la  femme  du  roi  Wen, 
fondateur  de  la  dynastie  Tcheou,  permet  à  toutes  les 
autres  épouses  d'approcher  du  seigneur  conformément  à 
l'ordre  établi  par  les  Rites  (4).  Aussitôt  une  jiombreuse 
descendance,  cent  fils  dit-on,  vient  rendre  manifeste  le 
Bonheur  qui  fait  que  la  race  des  Tcheou  mérite  de  régner 
et  la  lignée  princière  apparaît  indestructible,  à  l'égal  d'une 
ra(;e  de  sauterelles,  seuls  animaux  qui  ne  connaissent 
point  la  jalousie  (5). 


(i)  Voir  XI  et  tout  au  long  dans  SMT,  IV,  p.  Sg,  sqq.  l'histoire  de  la 
succession  du  duc  Houan  de  Ts'i. 

(2)  Cf.  IV  /;. 

(3)  Voir  dans  le  Che  King  les  préfaces  des  chansons  du  Tcheou  nan  et 
du  Chao  nan.  Voir  en  particulier  dans  Fêtes  et  chansons  les  n"'  VI, 
LVI. 

(4)  Cf.  Fêtes  et  clmnsons,  XXXIX  et  LVI  et  les  textes  groupés  dans 
la  présente  otude^   in  X.\^l\ . 

(5)  C(.  Sauterelles  ailées.  Fêtes  et  chansons^  u"  VI. 


Ob  LA    POLYiiYMK    POROIULK 

L'iiisloire  l«o<lale  montre  que  bien  souvent,  contraire- 
ment aux  théories  des  j^lossateurs,  les  troubles  dynas- 
li([Uos  sortaient  des  (|uerelles  d'enfants  trop  immljreux; 
mais  elle  montre  surtout  que  ces  querelles  prenaient 
plus  de  gravité  lorsque  des  familles  maternelles  diffé- 
rentes soutenaient  la  lause  des  frères  ennemis.  On  peut 
dès  lors  se  demander  si  l'interdiction  d'épouser  des 
femmes  de  familles  différentes  n'était  pas  une  simple 
conséquence  de  cette  règle  fondamentale  de  la  société 
chinoise  :  Xe  pas  chercher  à  sortir  d'un  système  consacré 
d'alliances,  se  borner,  par  des  intermaria<j;es,  à  conserver 
des  relations  éprouvées (1),  ne  point  cherciier,  en  un  mot, 
à  compliquer  par  des  innovations  dangereuses  les  grou- 
pements traditionnels  de  familles.  Celte  induction  paraîtra 
sans  doute  plus  légitime  si  l'on  considère  que  l'obligation 
de  n'épouher  que  des  femmes  dune  même  faniill  e  se 
doublait  de  l'obligation  de  ne  se  marier  qu'une  seule  fois. 

A  première  vue,  la  règle  (jui  imposait  de  ne  se  marier 
qu'une  fois  contraste  avec  limage  qui  dotait  i'ha(|ue  .Noble 
d'uni'  pluralité    d'épouses  et   qui   l'autorisait   en  outre   à 

acheter  des  concubines  jP[  ^-  ;  mariage  uiiique  et  harem 
nomijreux,  voilà  qui  peut  étonner,  surtout  quand  on  sait 
que  les  auteurs  chinois  voient  dans  l'interdiction  des 
secondes    noces    une    mesure    législative    adoptée    pour 

réfréner  le  goût  de  la  débauche  (2),  — '  ^-  'f^  .  K^  i^  i% 

tE» .  Mais  il  est  facile  de  comprendre  à  (|u<ii  répond  leur 
idée.  Des  concubines  achetées  sont  des  femmes  sans  statut 
juridi<|ue,  sans  importance  et  sans  relations;  ;  si  l'une  d'elles 
devient  une  favorite,    sans  doute  elle  peut  exereor  sur  le 


(i)  (.(.  l'rli-i  ,1  chiiiiaiirii^  I.F«  joiilea.  Voir  Koito  yii,  T»in  jii. 
{■»)  Poitou   l'oiig,  M.iriu){r.  ("f.  IV /. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        37 

seigweur  une  influence  pernicieuse  ;  mais^cetle  influence 
a  des  chances  de  rester  sans  grande  conséquence,  parce 
que  la  concubine  n'a  point  derrière  elle  toute  une  parenté 
pjur  la  soutenir.  Entre  les  femmes  épousées  en  un  seul 
mariage,  il  y  a  un  ordre  de  préséance  établi  dès  avant  les 
noces  et  que  le  mariage  confirme;  d'où  la  possibilité  d'une 
discipline  qui  est  un  obstacle  à  l'influence  exagérée  que 
sa  beauté  pourrait  procurer  à  l'une  d'elles  :  mais  surtout, 
toules  étant  de  même  famille,  toutes  représentant  les 
mêmes  intérêts  extérieurs,  les  rivalités  qui  peuvent  surgir 
entre  elles  ne  sauraient  être  des  facteurs  d'anarchie,  car  ils 
n'ont  point  pour  retentissement  des  conflits  entre  familles. 
Au  contraire,  un  deuxième  mariage  peut  être  l'origine  des 
troubles  les  plus  graves  ;  il  peut  l'être  même  s'il  est 
contracté  dans  la  même  famille  que  le  premier  :  car  il  est 
difficile  d'établir  une  hiérarchie  entre  les  femmes  épousées 
en  deux  fois;  entre  elles,  comme  entre  leurs  enfants,  se 
posent  des  questions  de  préséance,  d'où  peuvent  résulter 
de  terribles  conflits  (1).  Mais,-si  le  '^deuxième  mariage 
amène  à  faire  jouer  dans  la  politique  du  pays  une  deuxième 
influence  familiale,  il  risque  encore  plus  d'entraîner  les 
pires  désordres;  la  rivalité  des  épouses  met  leur  parenté 
en  état  de  çruerre  :  il  en  est  ainsi  chez  le  vulu^aire.  Les 
complaintes  des  femmes  délaissées  au  profit  d'une  nou- 
velle épousée  nous  parlent  toujours  de  l'intervention  des 


(i)  Les  troubles  du  pays  de  Lou  racontés  au  début  du  Tsouo  Tchouan 
proviennent  d'un  deuxième  mariage,  conclu  coptrairement  aux  règles  et 
pour  des  raisops  exceptionnelles,  savoir  un  prodige.  Le  duc  Houei  de 
Lou,  déjà  marié  à  Song  (nom  Tseu)  et  ayant  de  son  premier  mariage 
un  fils  destiné  à  lui  succédel*,  épouse  encore  à  Song  une  princesse  qui 
lui  donne  un  autre  fils  :  d'où  les  troubles  qui  divisèrent  Lou  entre  les 
ducs  Yin  et  Houan.  On  peut  voir,  d'après  les  gloses,  que  la  question 
juridique  était  délicate  :  les  auteurs  chinois  hésitent  pour  savoir  lequel 
des  deux  ducs  était  appelé  par  le  droit  à  prendre  le  pouvoir. 


58  LA    FOLYGYKIE   SCRORALE 

frères  (1).  Cette  intervention,  quand  il  s'agit  de  princes, 
c'est  un  conflit  entre  seigneuries,  c'est  le  mariage  qui 
cesse  d't^tre  un  principe  d'alliance,  favorable  à  tout  un 
pays,  pour  devenir  l'occasion  d'une  vendetta  qui  met  deux 
peujiles  sous  les  armes  (2).  Interdire  à  un  prince  de  se 
marier  plus  dune  fois,  ce  n'est  pas  tatit  lui  interdire  les 
l'anlaisies  de  la  passion,  que  des  concubines  peuvent 
satisfaire,  qu'empôi:her  les  conséquences  néfastes  de 
son  goût,  s'il  voulait  se  manifester  en  caprices  matrimo- 
niaux. 

Ne  se  marier  qu'une  fois  est  une  règle  stricte  :  elle  ne 
veut  pas  seulement  dire  que,  tant  que  vivent  les  femmes 
que  l'on  a  d'abord  épousées,  on  n'a  point  Je  droit  de  se 
marier  à  nouveau  ;  elle    ordonne    que   l'on    ne    se   marie 

(ju'une  fois  dans  sa  vie  (3),  '  ^  tfll  tL  .  L'avenir  matri- 
monial d'un  homme  est  circonscrit  une  fois  pour  toutes 
par  son  mariage:  par  lui,  il  contracte  une  alliance  unique, 
et  c'est  assez.  On  voit  aisément  que  cette  prescription  est 
conforme  au  désir  de  conserver  quelque  stabilité  aux 
groupements  de  familles  seigneuriales  qui  sont  le  fonde- 
ment de  la  politique  féodale.  Aussi,  jiaur  les  seij^neurs, 
cette  règle  est-elle  impérieuse  (4). 

Elle  l'est  moins  pour  les  autres  nobles.  Sans  doute 
l'usage  veut  que  l'on  considère  avec  défaveur  les  seconds 
mariages  :  c'est  un  iiiallieur  que  d'y  être  réduit  (5). 
ICncore  y  a-t-il  un  cas  où  l'on  y  est  obligé,  et  ce  cas  est 

(i)  C(.  <>lic   Kiiig,  l'ci  foiiK   Couv.   p.  .'|o.    Nouvelle   épousée   ^yT  ?*H 
etprcttion  qui  indique  une  dcuxionu-  .illlaucc  m.itriuiouialo.  Voir  encore 
iliid.,  (17,  el  Pi'te.1  et  chansons,  n°  l.XVI. 

(i)  Cf.  SMT,  IV,  r.j. 

(3)  f  u  liou  t'oug,  Mari.ige. 

(0  l'o  I...U  |-..„K.   .M.-,ri»Ke    A  H*  S  ]Ç  ^  ^   ^  . 

(S).  Voir   II   Ki     ('iimriiir     I     |,|.      ,.,      .• 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        59 

instructif.  La  vie  sexuelle  d'un  homme  se  termine,  disent 
les  rites,  à  soixante-dix  ans  (1).  C'est  aussi  l'époque  de 
la  retraite,  tant  pour  la  vie  publique  (2)  que  pour  la  vie 
familiale  :  un  homme  de  soixante-dix  ans  ne  doit  plus  se 
marier  (3)  et  à  plus  forte  raison  se  remarier,  sauf  au  cas 

où  il  est  chef  de  famille  et  chef  de  culte  iif^  "T*  et  où  il  n'a 
point  d'héritier  à  qui  il  puisse  transmettre  ses  fonctions. 
Alors  il  peut  et  il  doit  prendre  une  femme  (4),  car  un  chef 
de  culte  a  besoin,  absolument,  pour  exercer  son  sacerdoce 
de  la  collaboration  d'une  femme  qui  préside  à  ses  côtés 

aux  cérémonies  cultuelles  3E  îiW  . 

Dans  la  famille  des  temps  féodaux,  le  mariage  a  moins 
pour  but  de  permettre  à  la  race  de'se  perpétuer  que  de 
fournir  au  mari  une  collaboratrice  indispensable  dans  le 
service  du  culte  ancestral.  Quand  on  prend  femme,  c'est 
de  cette  nécessité  où  l'on  est  d'avoir  une  collaboratrice  au 
sacerdoce  que  l'on  s'autorise  pour  obtenir  d'une  famille 
qu'elle  donne  un  de  ses  enfants  (5).  Quand  on  répudie  une 
épouse,  c'est  en  prétextant  une  incapacité  de  collaborer 
avec  elle  dans  les  fonctions  sacerdotales  que  l'on  espère 
faire  accepter  son  renvoi  à  sa  famille  natale  (6).  D'où  vient 
la  nécessité  de  cette  collaboration,  indispensable  au  point 
de  rendre  légitime  un  manquement  à  la  règle  qui  interdit 


i)  La  vie  masculine  esl  réglée  par  le  chiffre  8  :  première  dentition 
8  mois,  deuxième  Sans,  puberté  i6  ans  (8X2),  fin  de  la  vie  sexuelle 
70   ans   (8  X  8=  arrondis   70).  Cf.   Li  ki,  Nei  tsô.   Couvreur,    I,    p.  661, 

gloses  de  Tcheng.  Chouo   wen  v»    ui   et  Houang  li  Nei  King,  ch.  I. 

(2)  Cf.  Li  Ki,  Couvreur,  I,  pp.  3i5,  3i6  et  65i. 

(3)  Voir  SMÏ,  V,  287,  les  discussions  relatives  au  mariage  du  père  de 
Confucius. 

(4)  Li  Ki,  Couvreur,  1,   p.  4<8. 

(5)  Cf.  Li  Ki,  Couvreur,  I,  p.  6ofi. 

(6)  Cf.  Li  Ki,   Couvreur,  II,  p.  197. 


GO  LA    POLYGYNIE   SOItOHALE 

les   set-onds    mariages,   comme    à  celle    qui    défend    les 
niariaj^es  lanlifs" 

D'après  k's  ailleurs  (  liinois,  les  cérémonies  du  temple 
ancestral  niellent  en  évidence  deux  principes  antithétiques 
et   solidaires  (1).    Liin   est  celui   de   cette    collaboration 

indispensable  des  époux   yC  Sw  ^  ^ ,   l'autre  est  celui 

qui  contraint  les  époux  à  vivre  strictement  séparés  yC  îm 

^  ^U  .  Ce  deuxième  principe  n'est  pas  autre  chose  que 
l'application  au  ménage  d'une  règle  générale  qui  prescrit 

la  séparation  des  sexes  ^  3C  ^  SU  .  C'est  de  celte  règle 
que  les  Chinois  l'ont  dériver  l'obligation  exogamique. 

Pour  manifester  de  façon  éclatante  le  principe  de  la 
séparation  des  sexes,  fondement  de  toute  l'organisation 
sociale,  il  faut  ne  point  prendre  femmes  parmi  ses 
parentes;  le  mariage  unit  des  personnes  étrangères.  11  ne 
les  raj)pro'-he  pas  au  point  de  supprimer  leur  antagonisme 

fondamental;  les  époux  ne  forment  qu'un  corps  'Wâ 
mais  composé  de  parties  qui,  pour  être  étroitement  unies, 
n'en  sont  pas  moins  foncièrement  antithétiques  (2).  Pour 
maintenir  ensemble  les  parties  adverses  qui  lormenl 
un  nu-nage,  il  ne  faut  rien  de  moins  <|ue  la  pratique  cons- 
tante d'observances  dont  la  rigueur  s'atténue  au  terme  de 
la  vie  sexuelle  (3)  et  (|ui  ne  prennent  véritablement  fin  qu'à 
la  mort  (4),  Iors(|ue  les  éponx  forment  un  couple  ances- 
tral (5).  Celle  série  d'observances  commence  avec  lescéré- 

(i)  lliid..  Il,  pp.  645  »i  3as. 

(a)  Yi  li,  <lloso8  au  cliap.  du  deuil,  tSleolc,   II,  p.   17. 

(î)  Cf.  Li  Ki,  Nci  Isô,  Couvreur,  1,  p.  O60.  Ce  terme  arrive  quand  la 
friiiiiie  n  fio  1111»,  le  mari  70,  c'esl-à-ilire  au  moment  oïl  ce  dernier  prend 
*a  retraite  et  attandonno  le  sncerdoee  dea  ancêtres  à  son  successeur, 

(\)  Clie  King,  t;onvreur,  p.  83.  Voir  FiUe*  et  chansotir,  u"  Xl.lll. 

(ft)  (irace  aiix-ilf  ilT .  Cf.    l.i  Ki,  Couvreur,    I,  |ip.    i3a,  7fio,    71)7  .t 


ET    LE    SORORAT    DANS    LA    CHINE    FÉOnALE  61 

monies  du  mariage;  pour  que  toute  la  chaîne,  qu'elles 
constituent,  conduise  à  une  bonne  fin,  il  importe  que  le 
début  en  soit  régulier.  L'accoutumance  conjugale  néces- 
saire à  la  collaboration  des  époux,  même  si  le  ménage 
s'efforce  de  l'obtenir  par  les  rites  appropriés,  ne  sera 
jamais  parfaite  si  les  époux  n'ont  pas  été  appariés  confor- 
mément aux  règles  prescrites.  L'une  des  plus  importantes 
est  celle  qui  ordonne  de  se  marier  à  un  âge  déterminé.  Il 
n'y  a  de  couple  conjugal  digne  du  sacerdoce  jumelle  qui 
lui  incombe,  que  celui  dont  le  mariage  s'est  fait,  selon  les 
coutumes  féodales,  quand  l'homme  avait  trente  ans  et  la 
femme  vingt  (1).  On  voit  que  c'est  seulement  une  fois  dans 
sa  vie  qu'un  homme  peut  se  marier  de  façon  à  fournir  aux 
ancêtres  la  servante  qu'ils  exigent  :  un  seigneur,  pour  qui 
le  culte  ancestral  a  plus  d'importance  que  pour  personne, 
ne  peut  donc  contracter  qu'un  seul  mariage  valable,  le 
premier. 

Mais,  pourquoi  la  collaboration  d'une  épouse  est-elle 
nécessaire  dans  le  service  du  temple?  Les  règles  de 
l'organisation  du  culte  dérivent  presque  toutes  d'une 
certaine  disposition  du  temple  ancestral.  Les  tablettes  des 
ancêtres  auxquels  se  rend  le  culte  sont  classées  par  géné- 
rations alternées,  celle  du  père  et  du  bisaieul  étant  d'un 
côté  de  l'édifice,  celles  du  grand  père  et  du  trisaïeul  de 
1  autre.  Cette  disposition,  que  les  textes  appellent  l'ordre 

lio  ^  du  temple  ancestral.  implique  que  la  parenté  est 
répartie  en  deux  groupes,  les  membres  de  deux  géné- 
rations successives  ne  faisant  jamais  partie  du  même 
groupe  ;   elle  s'explique  par  un  état  ancien  de  la  famille 


(i)  Cf.  Li  Ki,  Couvreur,  I,  p.  i8.  Voir  Granet,  Jnciennes  coutumes 
matrimoniales  iu  T'om«^' />«o,  XIII,  p.  5^r  et  Fctes  e.l  chanxons,  n""  I, 
XXII. 


02  LA    POLYOYNIE   SORORALE 

chinoise  (1)  dans  lequel,  par  un  effet  delà  filiation  utérine, 
le  fils  ne  pouvait  se  trouver  dans  le  m{*me  groupe  que  son 
père,  tandis  que  le  petit-fils  ét;iit  nécessairement  du  nit^iiie 
{groupe  que  son  grand-père  paternel,  le  mariage  se  faisant 
obligatoirement  entre  cousins  issus  de  frères  et  de  sœurs. 
Il  en  résulte  quun  homme  n'eat  point  qualifié  pour  rendre 
à  lui  seul  les  honneurs  cultuels  à  tous  ses  ancêtres  ;  il  ne 
peut  les  adresser  valablement  qu'à  son  grand-père  et  à 
sou  trisaïeul,  car  il  est  du  même  côté  de  la  parenté  qu'eux- 
mêmes  :  mais,  si  son  mariage  est  normal,  si  sa  femme  est 
la  fille  de  la  sœur  de  son  père,  celte  femme  (qui  fait  néces- 
sairement partie  du  même  groupe  que  son  oncle  maternel 

•^  ,  savoir  son  beau-père)  est  parfaitement  qualifiée  pour 
le  sacerdoce  du  culte  du  père  et  du  bisaïeul.  Et  l'on  voit 
(|u<*  la  collaboration  sacerdotale  des  époux  est  en  effet 
obligatoire  parce  qu'elle  dérive,  comme  les  auteurs  chi- 
nois en  conservaient  la  tradition,  des  prescriptions  an- 
ciennes relatives  à  l'exogamie,  conséquences  elles-mêmes 
de  la  règle  ordonnant  la  séparation  des  sexes.  On  voit 
aussi  que,  pour  obtenir  que  la  femme  fût  une  véritable 
collaboratrice,  il  fallait  qu'elle  appartînt  à  la  même  géné- 
ration que  son  mari.  D  où  l'obligation  de  se  marier  à  âge 
fixe,  qui  revient  à  exiger  que  les  époux  soient  de  la  même 
pron-.olion  (2),  d'où  le  mépris  des  unions  dispropor- 
tionnées (.'3),  d'où  la  prohibition  du  mariage,  quand,  deux 
familles  étant  ilêjà  unies  par  une  allian<'e  matrimoniale,  la 


(i)  On  voudra  bien  .idnieltre  provisoirement  l'explicntion  que  j'indique 
ici  it  graniU  traits  :  elle  ser»  jiistinëe  diuis  le  clmp.  VI  de  l.a  FuiniUr 
ehiiioi»e  de*  temps  féodaux, 

(•i)  C'est-à-dire  que  l'époux  et  l'épouse  .lienl  rec;»  en  même  temps  lo 
bonnet  Tinl  et  ri''piu){le  de  l*le,  signen   tie  la  majorité. 

(î)  tjualifit'es  d'uiiioni  (auTa^eii  :  »-V  O  ,  Voir  SMT.  V,  287,  les 
lioleii  de  M,  (^liaViiiiiic'A  niir  le  iii.ii  I.il;<'  'lu   prre  de  Ouiifueius, 


ET  LS  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        63 

femme  et  celui  qu'elle  épouserait  se  trouvent  classés, 
du  fait  de  l'alliance  établie,  dans  des  générations  diffé- 
rentes (1). 

Ainsi  les  règles  qui  exigent  que  l'on  se  marie  à  l'âo-e 
requis  et  une  seule  fois  dans  sa  vie,  de  façon  à  obtenir  de 
sa  femme  l'aide  cultuelle  dont  on  a  besoin,  se  rattachent  à 
d'anciens  usages  grâce  auxquels  un  certain  état  d'équilibre 
traditionnel  était  assuré,  dans  les  communautés  locales, 
parla  régularité  des  échanges  matrimoniaux.  J'en  conclus 
que,  si  les  nobles  de  l'époque  féodale  étaient  obligés  de 
prendre  femmes  dans  une  seule  famille  et  une  fois  pour 
toutes,  cette  règle  avait  pour  fonction  de  circonscrire  dès 
l'origine  leur  avenir  matrimonial  et  de  donner  par  là 
quelque  stabilité  aux  groupements  d'alliances  qui  for- 
maient le  fondement  de  la  confédération  chinoise.  Et  si, 
précisément,  cette  double  règle  n'est  demeurée  stricte, 
dans  ses  deux  parties,  que  pour  les  seigneurs  seulement, 
c'estque,  pour  les  autres  classes  de  la  noblesse,  la  stabilité 
des  alliances  matrimoniales,  loin  d'aider  à  léquilibre 
général,  eût  fait  obstacle  à  l'exercice  de  la  toute  puissance 
seigneuriale. 

Celui  qui  s'engage  une  fois  pour  toutes  dans  une 
alliance  matrimoniale  avec  une  famille  unique  ne  serait 
point  payé  de  retour,  si  cette  famille  ne  se  donnait  pas  à 
l'alliance  intégralement.  Ainsi  s'explique  l'obligation  où 
celle-ci  se  trouve  de  donner  comme  épouses  non  pas  une 
mais  autant  de  femmes  que  l'exige  le  rang  de  son.  gendre  ; 
car  c'est  d'après  lui  que  se  mesure  l'importance  de  l'al- 
liance offerte, 

(i)  Voir  P.  Hoang,   Le  Mariage  chinois,  p.  (îg  (uote)  et  rapprocher  les 


développements  consacrés  à  l'ordre  flO  '^^  dans  le  Li  Ki,  Couvreur, 
I>  PP-  779>  7''^°  ^l  dans  la  glose  au  chapitre  du  deuil  du  Yi  li  Steele,  II, 
P-  29- 


(•,4  LA    l'OLYCYNIE    SOHORALE 

Un  nol)le  recevait  en  mariage  un  lot  de  femmes  suffisant 
pour  qu'il  lût  assuré  de  toujours  fournir  une  servante  a 
ses  ancêtres.  11  les  épousait  en  une  fois,  par  le  même 
contrat  et  dans  une  cérémonie  unique;  il  les  épousait 
toutes  ensemble  (1)  mais  contractait  avec  chacune  d'elles 
un  lien  particulier  selon  la  hiérarchie  qui  existait  natu- 
rellement entre    elles    d'après    leur    naissance.    L'aînée 

devenait  la  femme  principale  ^ffq  ;  épousée  par  un  seigneur 

elle  avait  seule  le  rangde  princesse  tC  yV  .  C'est  que,  dès 
la  cérémonie  du  mariage,  elle  était  placée  sur  le  même  rang 
(|ue  son  mari.  .\u  repas  des  noces,  l'époux  et  sa  femme 
ainée  se  placent  côte  à  côte,  mangent  ensemble  des  mets 
servis  par  deux  ou  par  moitiés,  font  un  nombre  égal  de 
libations  et  boivent  dans  une  même  calebasse  divisée  en 
deux  parties  égales  (2).  Les  autres  femmes  n'ont  pas  le 
droit  de  manger  avec  leur  seigneur,  elles  ne  communient 
point  avec  lui  sur  un  pied  d'égalité,  elles  mangent  ses 
restes,  comme  fait  un  vassal  (3).  Cette  communion,  plus 
ou  moins  complète,  se  renouvelle,  avec  les  mômes  dill'é- 
rences  hiérarchiques,  après  un  accouchement,  avant  que  le 
mari  rejjrenne  des  relations  sexuelles  avec  l'épouse  déli- 
vrée (4).  Par  ces  rapprochements  substantiels,  toutes  les 
femmes  obtiennent  le  droit  de  venir  [)artager  le  lit  du  sei- 


(i)  Il  IcK  opouse  toutes  l'useiuble  et  par  un  coutr.it  unique  :  de  nièuie, 
k'il  Ic8  répudie,  c'est  aussi  toutes  à  lu  fois.  Voir  X  :  Un  mari  répudie 
par  politique  toutes  les  femmes  épousées  dnus  uu  premier  mariage,  bien 
•|u'il  ait  de  l'amour  pour  la  cailetle  de  l.i  pre'miérc  épouse  ;  par  poli- 
tique Fucorv,  il  se  remarie,  puis,  par  amour,  repreud  la  cadette  :  il  est 
alors  accusé  de  bigamie. 

(a)  iJe  petits  détails  rituels  et  l'ordre  des  actes  de  la  cérémonie 
indiqui-nt  seul»  que  le  ui.iri  a  l.i  préséance.  Voir  Yi  II,  .Mariajje,  et  I.i  Ki, 
llouen  yi. 

(■J)  Cf    XWVII. 

(^)  I.i  Ki,  Couvriiir.  I,  pp.  (liiM  et  li^o. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        65 

gneur;  elles  n'y  vont  pas  toutes  avec  la  même  pompe,  les 
cadettes  moins  souvent  que  l'aînée  et  sans  jamais  rester 
auprès  de  lui  une  nuit  tout  entière  (1).  Une  fois  rappro- 
chées de  l'époux  par  les  rites  nuptiaux,  toutes  pénètrent 
dans  sa  famille  ;  toutes  sont  présentées  aux  beaux-parents  ; 
sans  doute  la  première  épouse  joue  le  rôle  principal  ; 
elle  fait  l'offrande  au  beau-père  et  à  la  belle-mère  et  elle 
mange  la  première  les  restes  ;  mais  les  autres  en  mangent 
à  leur  tour  et  toutes,  selon  leur  rang,  reçoivent  des  parents 
du  mari,  une  coupe  de  liqueur,  signe  qu'ils  les  recon- 
naissent comme  brus,  témoignage  qu'elles  sont  dès  lors 
considérées  comme  appelées  à  succéder  éventuellement 
à  leur  belle-mère  dans  ses  fonctions  de  maîtresse  de  mai- 
son (2).  Enfin  toutes  sont  admises  à  collaborer  au  culte 
ancestral,  l'épouse  principale  pour  y  présider  à  côté  du 
mari,  les  autres  pour  aider  leur  aînée,  de  la  même  façon 
que  les  frères  cadets  viennent,  en  ce  cas,  aider  le  chef  de 
famille  (3). 

Ni  les  ancêtres,  ni  les  beaux-parents,  ni  le  mari  ne  se 
voient  privés  d'une  servante  où  d'une  auxiliaire  indispen- 
sable, si  l'épouse  vient  à  mourir  :  celle  de  ses  suivantes 
qui  vient  immédiatement  après  elle  en  dignité,  est  toute 

prête  pour  la  suppléer.  La  suppléante  ijm  M  (4)  remplit  à 

(i)  Pètes  et  chansons,  n°  LXVII.  Cf.  les  textes  rassemblés  au  n"  XLIV 
part.    XLIV,  b.  ' 

(2)  Yi  li.  Mariage  ;  Rapprocher  l'octroi  de  cette  coupe  de  liqueur  d'un 
geste  rituel  identique  fait  par  le  père  à  la  cérémonie  de  majorité  de 
son  fils.  Cf.  Yi  li,  Majorité  et  Li  Ki,  Kouan  yi. 

(3)  Cf.  Fêtes  et  chansons,  a"  LVI. 

(4)  Femme  qui  succède  dans  la  chambre  conjugale  :  comparer  les 
expressions  modernes  employées  pour  désigner  la  femme  épousée  en 
secondes  noces.  Cf.  p.  6,  n"  3.  —  Une  des  explications  données  par  les 
Chinois  de  l'interdiction  des  secondes  noces  est  qu'elle  est  fondée  sur  le 
droit  des  suivantes    à  suppléer  leur   aînée  :  On  ne  se  remarie  pas,   pour 

ouvrir  un  chemin,  un  avenir,  aux  Suivantes    \)rj    ri^  IPn  . 


66  LA    POLYGYNIE   SOROIIALE 

la  place  de  la  défunte  toutes  les  fonctions  qui  lui  étaient 
dévolues  :  car  elle  est  déjà  accoutumée  au  mari  et  incor- 
porée à  la  vie  familiale.  Elle  tient  la  place  de  l'aînée, 
comme  un  cadet  tient  celle  du  premier-né,  si  celui-ci 
meurt  sans  successeur  (1).  Cadet  ou  suivante  tiennent  la 
place  pour  le  compte  du  mort;  ils  ne  le  remplacent  pas  ; 
ils  n'accèdent  pas  à  une  dignité  nouvelle;  la  Suivante  ne 
|>rend  point  le  titre  de  princesse  (2);  le  gouvernement  du 
cadet  ne  compte  point  pour  un  règne  (3).  Il  n'y  a  de  suc- 
cession qu'entre  générations  différentes;  entre  les  mem- 
bres d'une  même  génération,  il  n'y  a  qu'une  substitution  de 
personnes  qui  n'implique  aucun  changement  de  fond,  tant 
est  resté  puissant,  dans  le  droit  chinois,  ce  principe  hérité 
du  temps  oii  la  parenté  était  une  parenté  de  groupes, 
savoir  qu'ily  a  entre  les  parents  dune  même  génération 
une  identité  substantielle  telle  qu'elle  rend  leurs  person- 
nalités indistinctes,  ou  telle,  si  l'on  veut,  qu'ils  ne  forment 
qu'une  personnalité  juridique  collective. 

Cette  idée,  de  toute  évidence,  est  au  fond  du  type  de  con- 
trat (|ui  rend  possible  l'institution  polygyni(|ue,  institution 
essentielle  dans  un  système  féodal  où  I  idée  d'un  équilibre 
traditionnel  des  gioupements  familiaux  joue  le  rôle  que 
l'on  sait.  Ur,  il  est  clair,  d'autre  part,  que  cette  idée  se 
trouve  en  contradiction  avec  les  principes  juridiques  de  la 
famille  féodale,  dans  laquelle  les  liens  de  parenté  sont 
avant  tout  des  liens  personnels.  Donc,  pour  si  fondamen- 
tale (|ue  soit  cette  idée,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  si  les 
coutumes  polygyniques  n'ont  pas  pu  se  développer  dans  la 


(i)  Cf.  p.  13. 
(a)  Cf.  la. 

(3)  Cf.  I.  Uf  Toh'oinMi  Tsii-oii  s';ilis(ic-iit  il'in.liqiier  rui-cessioii  .m  poii- 
roir   pour   Vin,    prime  de  l.ou  ;    Iloiiaii.  oiUKidêrù  coiiiiiic  file  prinripul 
preiuii-r-ii(î   (Yiii    n'élKiil    r.iiiii'-    que    par  Vûge)  e»l    cen8(t   régner    :    Yin 
i-iiini'itic  piiur  le  roinpie  de    lluunn. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        67 

société  noble  sans  y  porter  atteinte.  Bien  que,  paressence, 
la  polygynie  semble  être  sororale,  les  habitudes  de  la 
noblesse  admettent  dans  un  lot  d'épousées  d'autres 
parentes  que  des  sœurs.  Nous  allons  essayer  de  com- 
prendre les  raisons  précises  d'un  tel  manquement  au 
principe  de  l'usage. 

Une  famille  qui  s'alliait  à  un  noble  ordinaire  devait  lui 
donner  deux  épouses,  trois  à  un  grand  officier,  neuf  à  un 
seigneur,  et,  selon  les  traditions,  neuf  ou  douze  au  roi  (1). 
Ces  différences  marquent  sans  doute  les  valeurs  diverses 
qu'on  attache  à  l'alliance  des  nobles  de  divers  rangs  :  à 
l'alliance  la  plus  honorable,  à  l'allié  le  plus  puissant  et  qui 
peut  le  plus  exiger,  on  donne  le  plus.  Le  plus  riche  a 
droit  aux  prestations  les  plus  abondantes  et  l'abondance 
de  femmes  est  un  des  signes  extérieurs  les  plus  éclatants 
de  la  Fortune  féodale. 

Le  duc  de  Ts'in,  qui  croit  Tch'ong-eul  réservé  à  la  plus 
haute  destinée,  lui  envoie  une  prestation  du  chiffre  excep- 
tionnel de  cinq  femmes  (2).  Houan,  duc  de  Ts'i,  qui  aspire 
à  l'hégémonie,  se  constitue  un  harem  comparable  à  celui 
du  fils  du  Ciel  (3).  Kouan  Tchong,  puissant  ministre,  prend 


(i)  Le  Po  hou  t"ong  indique  les  deux  traditions    J^    4     PB   y?C 

^C  Ai'if^   et   ^'T'^T  —  I^.Ho  Hieou  (cf.  III  k)  affirme 

que  le  fils   du    ciel  et   lui    seul  prenait   douze    femmes      M^   ^^     7      !^C 

I  — '  IsS  .  Cette  deuxième  version  est  la  seule  qui  rende  compréhen- 
sible l'histoire  de  Po  Ki,  HUe  de  Lou,  qui,  allant  comme  épouse  chez 
un  seigneur,  emmena  avec  elle  onze  suivantes.  Il  est  vraisemblable  que 
les  fils  du  ciel,  après  s'être  contentés  du  statut  matrimonial  des  seigneurs 
régnants,  voulurent  se  distinguer  et  firent  passer  le  nombre  de  leurs 
épouses  de  neuf,  chiffre  terrestre,  à  douze,  chiffre  céleste. 

(2)  S.MT,  IV,  289. 

(3)  XI. 


68  LA    POLYGYNIE   SORORALE 

autant  de  feiiimcs  (|uun  seigneur  (l).  Les  seigneurs  de 
Lou,  <]ui  descendent  du  fondateur  de  la  dynastie  Tcheou, 
profitent  du  renom  de  sagesse  de  leur  fille  Po  Ki  pour  lui 
donner  autant  de  suivantes  que  si  elle  eut  fait  un  mariage 
royal  (2).  Le  faste  matrimonial  donne  aux  seigneuries  un 
prestige  dont  est  fait  en  partie  leur  puissance  :  on  le  sent 
bien  à  lire  les  épithalames  du  Che  king  (3).  Celui,  en  par- 
ticulier, qui  fut  fait  pour  le  mariage  du  prince  de  Han, 
donne  nettement  l'impression  que  l'immense  Fortune  de 
ce  seigneur  lui  vint  de  la  gloire  dont  le  couvrit  la  splen- 
deur de  ses  noces.  C'était  donc  par  le  mariage  que  l'on  se 
classait,  et  il  n'y  aurait  plus  eu  aucune  stabilité  dans  la 
hiérarchie  féodale,  si  l'éti(|uette  n'avait  pas  imposé  à  cha- 
cun le  nombre  protocolaire  dépouses  (|ui  correspondait 
à  son  rang,  et  mesurait  au  juste  sa  part  légitime  de  pres- 
tige. 

Ainsi  une  famille  est  tenue  de  iournir  à  son  gendre  le 
nombre  régulier  de  lemmes  auquel  lui  donne  droit  son 
ran<'  nobiliaire.  11  est  remarquable  que,  quel  que  soit  ce 
nombre,  c'est  toujours,  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie 
♦  sauf  un  (4),  un  nombre  représentatif  de  la  totalité.  Un  sei- 
gneur, dit  le  Po  hou  t'ong,  a  droit  à  neuf  femmes  :  il  se 
rc"le  sur  la  terre  (jui  possède  neuf  départements,  lesquels 
suflisent  à  tout  produire  sous  linlluence  de  l'action 
céleste  (5)  ;  de  même  il  ne  faut  pas  au  prince  plus  de  neuf 


(2)111,  111;,',  111   I.. 

(3)  N»«  XXVI  et  XXVII. 

(/|)  Uaas  le  cas  des  Nobles  <iii  miiiH  r  iing. 

(5)   l'o  liou  loni,',  .Maiii>n..     :      ÎÈ^  ^  •    ^    Jl    ^  ■     -^î^^ 


ET    LE    SOKOItAT    DANS    LA    CHINE    FÉODALE  69 

femmes  pour  exercer  son  action  de  façon  complète.  Oui 
avec  neuf  femmes  n'aurait  point  d'entants  n'en  aurait  pas 
plus  avec  cent  (1).  Le  fils  du  Ciel  qui  prend  douze  femmes 
se  règle  sur  le  Ciel  qui  n'a  besoin  que  de  douze  mois  pour 
tout  produire  (2).  Ainsi  c'est  assurément  une  marque  plus 
éclatante  d'honneur  de  prendre  douze  et  non  pas  neuf 
femmes;  mais  avec  neuf  on  a  autant  de  garanties  de  Bon- 
heur féodal  qu'avec  douze.  Avec  trois  femmes  seulement 
un  grand-officier  n'a  pas  moins  de  garanties,  car  si  trois 
est  le  plus  petit  des  nombres  symboliques  de  la  totalité, 
il  est  peut-être  celui  qui  la  représente  le  plus  parfaite- 
ment (3).  Au  reste,  neuf  et  douze  ne  sont  que  des  multiples 
de  trois  :  ils  symbolisent,  si  je  puis  dire,  une  surenchère 
de  la  totalité.  Comme  les  grands-officiers,  seigneurs  et 
fils  du  Ciel  ne  prenaient  pas  plus  de  trois  femmes  dans 
une  seule  branche  familiale  ;  seulement  ce  n'était  point  une 
seule  branche  familiale  qui  était  tenue  de  leur  donner 
en  mariage  un  nombre  de  ses  filles,  représentatif  de  la 
totalité,  c'était  trois  (4)  branches  familiales,  qui  leur 
en  fournissaient  chacune  autant  :  trois  c'est-à-dire  toutes. 
Tandis  qu'un  seul  rameau  familial  épuisait  ses  ressources 
pour  mériter  l'alliance  d'un  grand-officier,  il  fallait  pour 

(i)  Neuf  est,  dans  l'ordre  Yang,  le  symbole  de  la  totalité.  Cf.  IV  /). 

(2)  Po  hou  t'ong,  Mariage.   ïî"  ^  •    "W  — •  "T  /J  •    ^  ^   ^X)^ 

(3)  Cf.  XXIV.  note  3. 

(4)  Quatre  pour  le  fils  du  ciel  dans  le  cas  où  l'on  admet  la  version 
qu'il  recevait  douze  femmes  :  quatre  est  aussi  un  signe  du  tout. 

L'on  peut  dire  que  3x3  égale  en  valeur  symbolique  3X4:  l'bistoire 
de  Chine  hésite  souvent  entre  les  nombres  9  et  V2.  Il  y  a  des  chances 
que  le  fils  du  ciel  ait  d'abord  épousé  neuf  filles  venues  de  trois  Etals; 
puis  il  parut  bon  de  le  distiuguîr  des  seigneurs  ordinaires,  'et  on  lui 
attribua  comme  nombre,  un  nombre  qui  fut,  comme  l'autre,  un  signe  do 
totalité,  mais  d'un  ordre  plus  élevé. 


70  LA    POLYOYNrE   SORORALE 

obtenir  celle  d'un  seigneur,  prince  souverain  dont  le  pres- 
tige rayonne  dans  toute  la  confédération  féodale,  épuiser 
toute  sa  parenté  et  faire  collaborer  aux  prestations,  au 
moins  symboliquement,  toutes  les  seigneuries  de  même 
nom. 

Les  nombres  protocolaires  qui  règlent  les  prestations 
de  l'alliance  matrimoniale  indiquent  emblitmatiquêment 
qu'elles  doiventavoir  un  caractère  complet.  Sans  doute  un 
grand-oflicier  (1)  ne  se  voitfournir  de  femmes  que  par  une 
seule  branche  familiale,  sans  doute  aussi  un  Noble  ordi- 
naire n'a-t-il  droit  qu'à  deux  épouses  (et  deux  n'est  point 
signe  de  la  totalité):  même  pour  eux,  le  terme  employé  pour 
désigner  la  prestation  qui  détermine  l'alliance,  indi(jue 
qu'il  est  de  son  essence  d'être  lomplètc.  Le  mot  rituel  qui 

l'exprime  (2)  est  le  mol    m,  qui  signifie  la  plénitude  et 

la  totalité  (3).  Il  est  l'équivalent  des  mots  m  ,  -^  ,  qui  tous 

(.)   Po   hou  fons.  M.,r.     i<  ^    ^    li   if.  Wj    m  •     ^t    ^tl 

E  ni  ^  -?£  ^  l^t  A  1t  1^  ^  ^.  Uu  graQd.o%ie,- u'oh- 
lient  pus  uu  lot  complet  de  suirautes  parce  qu'uD  vassal,  u'élaut  pas 
souverain,  n'a  point  assez  de  dignité  pour  épuiser  à  son  proGt  toute  une 
parent»'. 

('il  On  l'emploie    pour  li'S  si-ij^neiirs   el  grands. officiers    dans  la  o^-rc- 
nionii'  de  la  délivrance  ilélinitive  des  épouses,  faite  par  leur  famille  trois 

mois  après  les  noces  ^(  Jf\  .  \oir  Li  Ki,  Kiu  li,  II,  1.  Dans  le  maria^'c 
noble   ou    le    retrouve  enijiloyé    dans   la    formule    solennelle  du    rite  des 

li.ini,'aillcs  appelé  «  la  demande  du  nom  "  1'"  "tV  .  Cf.  Yi  li.  Mémoires 
annexes   au    cliap.   du    .Mariage.    Steele,  I,   p.    '!,-   (La    traducliou  donnée 

par  Sieele  de  ce  passa^'o  est  incompréhensible)    Cf.    sur  l'expression    TIfl 


(3)  Sur  la   valeur  de    llll    voir  l.i  Ki,   Couvreur,    I,    pp.  jJflS,   /(.'«.S,    II, 
pp.  3i8,  Vxi.  CI.  XXX  vers  \i. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        71 

donnent  l'idée  de  plein,  de  complet,  de  parfait.  Dans  la 
poésie,  ce  sont  les  cent  chars  de  la  pompe  nuptiale  (i) 
- —  cent  est  un  signe  de  la  totalité  —  qui  reviennent  rituel- 
lement signifier,  par  emblème,  que  la  prestation  est  com- 
plète, comme  il  se  doit. 

C'est  la  pie  qui  a  fait  ua  nid, 

Ce  sont  ramiers  plein  ce  nid-là  ! 

Celte   fille  qui  se  marie 

De  cent  cViars   d'honneur  comhlez-la  ! 

Quand  une  famille  contracte  une  alliance  par  mariage, 
elle  remet  à  son  gendre  autant  de  femmes  que  son  ran»- 
le  mérite  et  que  l'importance  de  l'alliance  l'exige,  mais  la 
prestation  qu'elle  fournit  alors  est  toujours  un  signe 
qu'elle  ne  ménage  rien  pour  se  donner  entièrement  à 
l'alliance  contractée.  Pourtant,  il  est  remarquable  qu'en 
aucun  cas  le  lot  d'épouses  qui  symbolise  numériquement 
le  caractère  intégral  de  l'alliance,  ne  peut  être  pris  entiè- 
rement parmi  les  filles  d'uile  même  génération.  Dans 
chacune  des  branches  familiales  qui  lui  envoient  des 
femmes,  un  seigneur  ni  un  roi  ne  peuvent  prendre  plus 

de  deux  sœurs  ^  W-  — '  t^  (2)  :  quel  que  soit  leur  pres- 
tige, ils  n'en  peuvent  prendre  trois  ;  celui  qui  oserait  le 
faire,  tel  le  duc  K'ang  de  Mi,  donnerait  la  preuve  d'une 
arrogance  qui,  à  coup  sûr,  déterminerait  sa  perte  :  c'est 
un  excès  punissable  qu'épouser  trois  sœurs,  car  c'est 
signifier,  de  manière  symbolique,  que  l'on  prétend  acca- 
parer (3)  toutes  les  ressources  dont  une  famille  dispose. 


(i)  Cf.  XXX  et  XXYII  h, 

(2)  Voir  XXIV. 

(^3)    Il    est    très    curieux    de   retrouver   dans    l'histoire  du   duc    K'ang 

pour  signifier  l'accaparement  total  Dlll  ^  ce  terme  m  qui  désigne 
la  prestation  symboliquement  complète  de  l'alliance  matrimoniale.  Ce 
rapprochement  de  termes  fait  sentir   l'embarras   du  droit  féodal  :  d'une 


/2  LA    POLVGYNIE    SORORALE 

dans  le  présent,  pour  fournir  à  ses  alliances.  Ainsi,  il  faut, 
(l'une  part,  que  l'alliance  soit  intégrale  et,  d'autre  part, 
qu'elle  ne  le  soit  point  absolument.  Cette  règle  contra- 
dictoire s'explique  par  le  double  besoin  qui  était  au  fond 
de  la  société  féodale  :  conserver  la  stabilité  due  aux  grou- 
pements traditionnels  et  laisser  pourtant  une  certaine 
liberté  qui  permette  les  accroissements  de  prestige  et  les 
développements  d'influence. 

C'est  de  ce  besoin  contradictoire  qu'est  sortie  une  trans- 
formation notable  de  l'institution  pol)'gyni<iue.  Les 
Nobles,  soumis  :iu  [jouvoir  seigneurial,  ne  furent  point 
autorisés  à  former  des  groupements  familiaux  trop  étroi- 
tement solidaires;  les  alliances  matrimoniales  qu  ils 
eurent  le  droit  de  former,  ne  le  furent  point  par  des  pres- 
tations d'un  t\  pe  exhaustif:  ils  ne  purent  obtenir  de  leurs 
alliés  que  doux  filles,  garantie  insuffisante  de  l'intégralité 
et  de  la  permanence  des  liens  créés  entre  les  familles  par 
le  mariage  (1).  Chacjue  seigneur  futobligé  de  tenir  compte 
du  désir  qu'avaient  tous  les  autres  d'accroître  leur  champ 
d'influence;  il  n'osa  pas  exiger  des  prestations  qui  fussent 
l'emblème  d'une  alliance  intégrale;  il  obtint  du  moins 
de  recevoir  par  elles  les  gages  d'une  entente  durable  {'2)  : 
les  lots  d'épouses  qui  lui  étaient  dus  ne  comprirent  chacun 
<piedeux  soeurs,  mais  il  furent  complétés  par  l'appoint 


p.Trt,  li>s  pjroiipcmenls  «les  familIpR  repos.iiont  mir  dos  alliaucrs  qui  ôtairni 
tradilioDiiellL-s  et  qui  aviiionl,  par  cela  mémo,  un  caractère  «l'absolue  obli- 
f^ntioD  :  les  ailiers  devaient  mutiielleraent  se  confier  toutes  les  piranlie* 
possibles.  D'autre  part,  le  besoin  d'accroître  ce  prestige  nécessaire  au 
pouvoir  féodal  par  des  alliances  nouvelles  faisait  désirer  qu'il  restât  dans 
les  systèmes  d'alliance  une  possibiliti'  de  jeu. 

(i)  Kn  rovanclic,  les  Nohlos  possèdent  le  droit  de  contracter  des 
mariages  siicceKsifs,  Voir  plus  liant,  —  Les  Nobles  épousent  d'ordi- 
naire deux  sreiirs,  mais  ils  peuvent  aussi  bien,  sous  l'infliionce  des 
uia|{r«  sei({neurinuT,  épouser  une  femme  cl  sa  nièce. 

(a)  Un  aeifjneur  ne  se  niaiio  <|u'une  fois. 


ET  LE  SOnORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        73 

d'une  nièce;  ils  n'épuisaient  point  toute  une  génération, 
mais  ils  apportaient  par  avance  un  lien  avec  la  génération 
suivante.  La  famille  des  femmes  ne  se  donnait  point  abso- 
lument à  l'alliance  conclue,  elle  se  réservait  la  possibilité 
d'autres  alliances  contrebalançant  la  première;  mais  elle 
s'engageait  à  conserver  à  celle-ci  le  premier  rang;  pour 
cela,  elle  donnait  comme  gages,  avec  une  fille  aînée  et  une 

cadette,  leur  nièce,  fille  de  leur  frère  aîné  yL  ^  !5C,  c'est- 
à-dire  un  membre  de  la  droite  lignée  qui  fournit  les  chefs 
de  famille  (1).  Ainsi  les  familles  alliées  se  livraient  incom- 
plètement l'une  à  l'autre  et  prenaient  en  même  temps 
souci  de  l'avenir.  Prendre  une  nièce  dans  un  lot  d'épouses, 
s'emparer  par  avance  de  garanties  sur  la  génération  sui- 
vante, c'est  manifester  le  désir  que  le  rapprochement  des 
familles  soit  durable,  mais  c'est  aussi  indiquer  qu'elles  ne 
forment  point  un  groupement  d'une  permanence  assurée. 
On  voit  assez  bien  comment  les  nécessités  de  l'organi- 
sation féodale  ont  amené  à  compléter  les  lots  d'épouses 
avec  une  nièce:  mais  il  est  clair  que  c'est  là  une  innova- 
tion en  contradiction  avec  les  principes  des  usages 
polygyniques.  Pour  qu'ait  été  possible  la  création,  par  un 
mariage  unique,  des  liens  divers  qui  unissaient  le  mari  à 
toutes  ses  femmes,  pour  qu'elles  aient  pu  se  suppléer 
l'une  l'autre  sans  que  Se  sentît  aucun  changement,  il  faut 

(r)  Cet  avantage  d'être  par  avance  lié  avec  le  successeur  éventuel  du 
chef  de  la  famille  à  laquelle  on  s'unit,  fut  certainement  très  vivement 
senti.  Il  y  eut  en  edet  une  tendance  (cf.  I  h)  à  faire  passer  la  nièce 
avant  la  cadette  ;  cette  tendance  est  d'ailleurs  conforme  aux  principes  de 
la  parenté  féodale,  où  la  sucession  se  fait  par  lignée,  tandis  que  dans  le 
système  populaire  et  ancien,  il  y  a  succession  seulement  quand  la 
génération  la  plus  ancienne,  dont  les  membres  se  suppléent  l'un  après 
l'autre,  est  épuisée.  —  Les  grands  officiers,  dont  le  pouvoir,  bien  que 
précaire  en  théorie,  était  pratiquement  héréditaire,  eurent  aussi  droit  .i 
une  nièce  :  pour  eux,  comme  pour  les  seigneurs,  l'importance  prise  jiar 
l'idée  de  race  amenait  au  premier  plan  le  souci  du  futur. 


74  LA    POLVGYNIE   SORORALE 

supposer  qu'il  existait  entre  elles  une  espèce  d'identité 
foncière  qui  n'est  convenable  qu'entre  sœurs,  et  qui  ne  se 
conçoit  que  dans  le  cas  où  la  parenté  est  une  parenté  de 
groupes.  En  lait,  la  règle  (|ui  impose  une  nièce  comporte 
des  difficultés  que  les  Chinois  ont  senties  :  il  y  a  de  grandes 
chances  qu'il  y  ait  entre  elles  et  ses  tantes  une  assez 
forte  différence  d'âge;  comment  pourront-elles  se  marier 
ensemble  et  toutes  ayant  sensiblement  vingt  ans,  âge 
requis?  Si  la  nièce  attend  d'avoir  l'âge  dans  la  maison 
natale  (1),  autre  difficulté:  comment  peut-elle  être  liée 
par  les  rites  du  contrat  matrimonial?  Comment  peut-il 
y  avoir  mariage  unique,  ce  qui  est  un  des  principes 
essentiels  de  l'institution?  Il  est  du  reste  remarquable 
que  toutes  les  suivantes  dont  nous  parlent  les  chro- 
niques sont  des  cadettes  et  non  des  nièces  (2).  Le  texte 
du  Yi-li  ne  parle  que  de  la  cadette  (3).  Le  Yi  Kini!»  ne 
mentionne  qu'elle  (4).  Elle  est  seule  à  figurer  dans  le  Che 
King  (5).  Le  roi  Ling  de  Tch'ou  fut  enterré  avec  les  deux 
filles  d'un  vassal  fidèle  (|ui  en  fit  ses  épouses  mor- 
tuaires (6).  Chouen  épousa  deux  sœurs,  les  filles  de 
Yao  (7).  Le  duc  K'ang  ne  rencontra  sur  les  bords  de  la 
King  que  des  sœurs  (8).  Kien  Ti  n'était  accompagnée  que 
par  sa  cadette  ([uand  elle  prit  part,  auprès  de  la  rivière 


(i)  Cf.  II. 

(a)  II.  Cliou  Ki,  cadeUe  de  l'o  Ki.  ,—  IV.  Cadellc  de  Hou  Ki.  —  VII. 
Chou  KiuuK,  radcUe  de  N^ai  KiuDf;.  —  VIII.  Clieu),'  Sscu.  cadette  de 
Tai  Sscu.  —  IX.  Ts'i  Kouei,  i-adette  de  Kiiif;  Kouei.  —  XI.  Wci  Ki, 
«îucc  et  cadette.  —  XV,  .Wll. 

(3)  Slcelc,  1,  p.   îi  aqq/et   XXXI  à   XI.. 

f»3:  J.+: 
('))  IlcinKiMiiiiiic    ihli    v?J^  • 

(5)   XXVII,  VITK    .,. 

(«iXIX. 
(7)X.\I 
(K)  XXIV 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        75 

du  tertre   Yuan  aux  fêtes    printanières  du    mariage  (1). 

La  polygynie  que  pratiquait  la  noblesse  féodale  est  loin 
d'être  une  invention  cohérente  du  législateur.  Elle  com- 
mença par  être  strictement  sororale,  puis  prit  une  forme 
plus  compliquée  :  cette  transformation,  qu'expliquent  les 
principes  de  l'organisation  féodale,  put  se  faire  seulement 
lorsque,  d'une  part,  les  groupements  traditionnels  de 
familles  ayant  perdu  leur  caractère  impérieux,  on  voulut 
donner  à  l'alliance  matrimoniale  une  base  moins  large  et 
plus  durable,  et  que,  d'autre  part,  la  reconnaissance  des 
liens  individuels  de  parenté  et  la  primauté  donnée  aux 
lignées  directes  laissèrent  concevoir  autant  d'intimité 
entre  une  nièce  et  sa  tante  qu'entre  deux  sœurs.  Puisque, 
sous  l'influence  du  droit  féodal,  l'institution  dévia  de  ses 
données  premières,  il  y  a  lieu  de  croire  qu'elle  n'est  point 
une  institution  proprement  féodale,  mais  héritée  d'un  droit 
plus  ancien.  Or,  elle  suppose  des  groupements  tradition- 
nels de  familles  obtenus  par  un  système  d'alliances  matri- 
moniales définitives  et  complètes,  stables  et  intégrales, 
que  l'on  retrouve  précisément  dans  le  droit  populaire.  On 
peut  donc  penser  que  la  polygynie  sororale  pratiquée  par 
la  Noblesse  des  temps  féodaux  dérive  des  institutions 
matrimoniales  dû  droit  populaire.  Celui-ci,  en  même  temps 
qu'il  admet  l'existence  de  la  parenté  de  groupe,  ne  con- 
naît point  celle  d'autorités  domestiques  ou  autres.  Il  ne 
connaît  aucun  chef  de  famille  ou  de  culte  autorisé  à  con- 
clure au  bénéfice  de  la  famille,  mais  en  son  nom  personnel, 
une  alliance  matrimoniale  :  en  conséquence,  il  y  a  lieu  de 
supposer  que  le  contrat  matrimonial,  qui,  dans  l'institution 
polygynique,  engageait  d'un  seul  coup  un  groupe  de 
femmes  et,  primitivement,  un  groupe  de  sœurs,  devait 
aussi,  à  l'origine,  engager  d'un  seul  coup  un  groupe  de 

l.)  XXll  „. 


76  LA     fOLV(;YNIE    SOROHALE 

frères.  Peiil-oii  retrouver  les  traces   de  ce   mariage  ool- 
lecliT' 


V 

ORIGINES  ET  HISTOIRE 
DES    INSTITUTIONS    POLYGYNIQUES 

Si  la  polygynie  sororale  dérive  du  mariage  d'un  groupe 
de  frères  et  d'un  groupe  de  sœurs,  on  doit  trouver  les 
témoignages,  au  moins  à  l'état  de  survivances,  d'un  lien 
d'ordre  matrimonial  unissant  beaux-frères etbelles-sœurs. 
Va.  en  eil'et,  il  en  existe  un  (|ui  est  significatif.  On  sait  que 
le  deuil  est  la  principale  caractéristique  des  relations  de 
parenté;  deux  [)ersonnes  qui  portent  le  deuil  l'une  de 
I  autre  sont  parentes  et  n'ont  point  le  connubiuin  :  celui- 
ci  existe,  au  contraire,  entre  ceux  qui  ne  se  doivent  point 
de  deuil.  (  >r,  on  doit  le  deuil  à  toutes  femmes  entrées  par 
mariage  dans  la  famille,  épouses  d'ondes  ou  de  neveux; 
on  n'en  porte  point  |)our  les  belles-sœurs,  et  celles-ci  n'en 
porient  pas  pour  leurs  beaux-frères  (1). 

Cette  absence  de  deuil,  les  auteui's  chinois  la  noient 
avec  insistance  surtout  dans  le  cas  du  frère  cadet  et  de  la 
femme  du  frère  aîné;  ils  l'expliquent  en  disant  qu'on  a 
voulu  ainsi  les  éloigner  l'un  do  l'autre  (2^.  Il  y  a  là,  sans 
doule,  une  trace  du  lévirat.  En  fait,  on  le  voit  à  lire  leurs 
ethnographes,  les  Chinois  ne  manifestent  une  haine  véri- 
table <|ue  pour  le  mariage  du  frère  aîné  avec  la  veuve  du 
cadet  (.j)  et  leur  histoire  od're  quelques  exemples  de  ma- 

fi)  Cf.  Yi  M,  Slceli-,  II,  p.  j;,. 

(,)  u  Ki.  couv  .1.  .r.u.  mUZU  11^  -É.  •  K*^  m  rffi  ^ 

•21.  Cf.  llnH.,  II.  srii. 
(3)  Cf.  H.  V..V.  K.  O.,  VIII.  |..  37fi. 


KT  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        77 

riage  avec  la  femme  d'un  collatéral  (1);  un  seul,  a  vrai  dire, 
est  un  cas  de  lévirat.  Le  frère  de  Chouen,  croyant  celui- 
ci  mort,  opère,  avec  des  formules  qui  ont  l'air  d'être 
rituelles,  l'attribution  des  biens  de  l'héritage  :  il  prend 
pour  lui  les  deux  filles  de  Yao  épousées  par  Chouen  (2). 
Etant  donné  le  développement  du  droit  chinois  en  ma- 
tière d'inceste,  l'interdiction  du  lévirat  ne  peut  pas 
plus  surprendre  que  l'absence  des  témoignages  histo- 
riques sur  cette  pratique.  Resterait  à  voir  s'il  n'e^t  point 
resté  en  usage  dans  le  peuple  ;  sur  ce  point,  nous  sommes 
mal  renseignés  :  Je  ne  connais  qu'un  fait,  assez  suggestif. 
Bien  que  la  loi  chinoise  punisse  de  mort  le  mariage  avec 
la  veuve  d'un  frère,  elle  semble  admettre  des  circonstances 
atténuantes  quand  ce  crime  a  été  commis  dans  une  famille 
pauvre  et  paysanne  (3). 

Une  autre  série  de  faits  mérile  peut-être  davantage  l'at- 
tention :  ce  sont  ceux  qui  sont  relatifs  aux  interdictions  an- 
ciennes qui  séparent  le  cadet  de  la  femme  de  l'aîné.  11  leur 
est  interdit  de  s'adresser  la  parole  (4)  ;  si  l'un  meurt,  l'autre 
n'a  pas  le  droit  de  pratiquer,  comme  il  faut  le  faire  sur 


(i)  Cf.  SMT,  IV,  289.  Tch'odg-eul  épouse,  après  hésitation,  (voir 
Kouo  vu,  Tsin  yu  8'  d.)  la  temme  abandonnée  de  son  neveu  Yu.  De 
même  n°  X. 

(2)  XXI,  cas  double,  polysynie  sororale  et  lévirat. 

(3)  Hoang,  Mariage  chinois,  p.  Sg.  Le  lévirat  est  d'un  usage  constant 
dans  les  tribus  du  Haut  Tonkin  qui  ont  tant  de  parenté  avec  les  Chi- 
nois. Cf.  B.  E.  F.  E.  O.,  VIII,  362  (notede  M.  Bouifacy).  Chez  les  Lolo, 
où  il  est  permis  de  se  marier  avec  les  sœurs  de  sa  femme,  le  lévirat 
se  pratique  aussi  ;  ifciV.,  p.  566.—  Chez  les  aborigènes  du  Kamtchatka, 
l'usage  de  la  polygynie  sororale  est  complétée  par  celui  du  sororat  et 
du  lévirat.  Chez  les  Koryaks  du  N.-E.  de  l'Asie,  la  polygynie  sororale 
est  interdite,  mais  le  sororat  et  le  lévirat  sont  obligatoires.  Cf.  Frazer, 
Totemifni  and  exogamy,  IV,  1/47. 

(4)  Li  Ki,   Couvreur,  1,  p.  2,,    ^  M  A*  M.  V^  ' 


78  LA    POr.YHYNIE   SORORALE 

tDiit  ;tiili<'  (mniit  (léfiiiit.  le  rite  de  l'attouchement  "raf  (1). 
Il  est  impossible  de  ne  pas  rapprocher  cette  règle  de  celle 
(|ui,  de  nos  jours,  interdit  à  la  sœur  cadette  de  la  femme, 
épouse  présomptive  du  mari,  de  passer  la  porte  de  sa 
maison  (2).  Il  est  clair  que  le  beau-frère  cadet  et  la  belle- 
sœur  aînée  agissent,  lun  par  rapport  à  l'autre,  comme 
deux  liancés(3).  Les  progrès  de  la  morale,  <]ui  ont  rendu 
impossible  leur  mariage,  n'ont  point  fait  disparaître  les 
interdictions  qui  semblaient  les  éloigner  l'un  de  l'autre. 
Elles  sont,  en  réalité,  les  traces  d'usages  anciens  les  auto- 
risant à  des  rapports  maritaux  éventuels. 

Si  peu  nombreux  qu'ils  soient  (4),  les  indices  d'une 
pratique  amienne  du  mariage  collectif  que  nous  venons 
d'énumérer  suffisent  à  donner  une  pleine  valeur  a  un  fait 
de  langage,  qui  est  le  suivant.  Une  femme  chinoise  dési- 
gnait de  la  môme  façon  sa  suivante,  épouse  secondaire  de 
son  mari,  et  sa  belle-sœur,  femme  du  frère  cadet  du  mari  : 

tels  sont  en  elfet  les  deux  sens  du  mot  w,  dont  le  sens 
premier  semble  être  celui  de  sœur  cadette  (5).  Or,  la  vieille 

(,) /w.,  II.  .88  ^  ^  il  ^ .  ^r-mtâ. 

(a)  Voir  p.  5-6.  Voir  Frazer,  Toiemism,  IV,  i'|8.  une  interdiction 
analogue,  dans  l'arcliipel  de  la  Louisiane,  où  se  pratique  le  sororat. 

(3)  Coinp.  Howit,  The  native  Trihes  of  Soiilh  East  Jiistraliti,  p.  iga  : 
(tribu  des  Kurnandaburi  où  existe  le  mariage  entre  un  groupe  de  irères  et 
un  proupe  do  eœurs)  u  en  somme,  la  sœur  de  sa  femme  et  la  femme  de 
son  (rèrc  ue  peuvent  tiabiter  dans  le  môme  camp  et  converser  librement; 
mais  il  existe  entre  eux,  en  secret,  des  relations  maritales.  «  L'inceste 
secret  du  beau-frère  et  de  la  belle-sœur  passe  pour  être  froqiiiiil  en 
Chine. 

('4)  Le  petit  nombre  de  témoifjuages  ne  doit  pas  étonner.  Ou  peut  m- 
conTaincre  en  lisant  le  catalogue,  dressé  par  Kraier,  des  laits  de  sorural 
[Tutcmism  ariJ  F.xugamy\  p.  l'Iç)  11  ij^ii  du  t.  IV)  que,  lorsque  celui-ci 
est  pratiqiii!,  le  lérirat  est  le  plus  souvent  interdit  ou   inversement. 

(f))  Le  Yi  li,  chapitre  ilu  deuil,  donne  à  Si'  le  sens  de  belle-sœur 
rndelle  ;  le  (^he  Kin^,  \XVII,  ç),  lui  donne  le  sens  de  suivante.  Le  Yt  li. 
Maringe,  !•■  •..■n'-  ■)••   «■.  im  .il.  ii<-  servant  de  suivante. 


Er  LE  SORORAT  DANS  LA  CHInE  FÉODALE        79 

organisation  plébéienne  suppose  un  échange  régulier  des 
filles  entre  deux  groupes  exoganies,  régis  chacun  parle 
système  de  la  parenté  du  groupe,  et  organisés  de  façon  à 
former  Tin  couple  de  familles  traditionnellement  asso- 
ciées (1).  Il  paraît  donc  légitime  de  penser  que  le  mariage 
primitif  fut  conçu  comme  l'union  collective  d'un  groupe 
de  frères  à  un  groupe  de  sœurs. 

On  ne  doit  pas  penser  que  cette  union  collective  éta- 
blissait entre  tous  les  participants  une  promiscuité  indis- 
tincte :  ce  serait  laisser  sans  explications  possibles  les 
interdictions  qui  séparent  beaux-frères  et  belles-sœurs.  Il 
semble  plutôt  que  de  cette  union  résultait,  en  même 
temps  que  des.droits  secondaires  rendant  possibles  à  cha- 
cun et  à  chacune  des  rapports  maritaux  éventuels,  un 
droit  de  préférence  maritale  par  lequel  étaient  formés  des 
couples  individualisés.  On  sait,  d'après  Howit,  que  tel  est 
le  cas  des  nègres  du  sud-est  australien  (2).  Il  existe  chez 
eux  deux  types  de  relations  matrimoniales;  l'une  nommée 
Tippa-malku  sert  à  former  des  ménages;  l'autre,  nommée 
Pirrauru,  unit  d'un  lien  secondaire  un  groupe  d'époux 
Tippa  malku.  Chaque  femme  devient  une  épouse  Tippa- 
malku  avant  de  devenir  une  épouse  Pirrauru;  une  Pir- 
rauru est  toujours  une  sœur  de  la  femme  ou  une  femme 
du  frère;  la  relation  naît  de  l'échange,  fait  par  les  frères, 
de  leurs  femmes;  pendant  l'absence  du  mari  Tippa- 
malku,  le  mari  Pirrauru  prend  la  femme  du  premier  sous 
sa  protection  :  deux  frères  mariés  à  deux  sœurs  vivent 
habituellement  ensemble  en  un  groupe  matrimonial  de 
quatre  personnes.  Les  Kurnandaburi  pratiquent  les  mêmes 
usages,  mais,  chez  eux,  existent  en  même  temps  que  des 
rapports     maritaux    entre    beaux-frères    et   belles-sœurs 


(i)  Voir  page  45. 

(2)  Howit,  OD.  c.,pp.  181  sqq.  Tribus  Urabunaa,  Dieri,  Kurnandaburi. 


SO  LA    l'OLVCYME   SOUORALIi 

(éj)oux  l'irrauru)  une  interdiction  <|iii  leur  delend  de  sç 
voir  en  public  ou  de  converser  librement  (1).  Chez  les 
Todas,  le  mariage  normal  consiste  en  une  polyandrie  fra- 
ternelle :  mais  il  n'est  pas  rare  que  celle-ci  se  double  de 
polygynie  sororale;  un  groupe  de  frères  forme  avec  un 
grou[)e  de  sœurs  un  ensemljle  matrimonial  dans  lequel  les 
rap[)orls  d'ensemble  n'excluent  point  les  relations  parti- 
culières de  couples  conjugaux.  Les  deux  groupes  ainsi 
réunis  en  un  ensemble  matrimonial  sont  composés  d'en- 
fants de  frères  et  de  sœurs  (matiliuni)  (2). 

Je  pense  que  les  Chinois,  avant  de  passer,  non  pas 
comme  les  Todas  à  la  polyandrie  fraternelle,  mais  à  la 
polygynie  sororale,  ont  pratiqué  un  mariage  de  groupe 
analogue  à  ceux  qui  viennent  d'être  décrits.  Cette  hypo- 
thèse est,  à  mon  sens,  la  seule  qui  puisse  rendre  compte 
des  cérémonies  par  lesquelles  se  contractait  un  mariage 
noble. 

Laissés  à  eux-mômes,  les  époux  prétendus  eussent  été 
incapables  de  réussir  leur  rapprochement  matrimonial  ; 
il  l'allait  à  l'un  et  à  l'autre,  pour  y  arriver,  la  collaboration 
d'un  suivant  et  d'une  suivante  :  ceux-ci,   par  une  action 

croisée,  ^  (3)  ou  ot  (4)  ouvraient  la  voie  ag,  ^  /u»>  à 
leur  union  sentimentale  (5).  Le  suivant  du  mari  aidait  la 
femme,  la  suivante  aidait  le  mari  à  opérer  les  lustrations 
pré|)aratoires  (G);  la  première  disposait  la  natte  où  le 
mari  s'asseyait  pour  le  re|)as  de  noces  (7),  l'autre  étendait 


(i)  Sur  les  mômes  l'iiiu  voir  Spencer  .-iiicl  Gillen,    The  nnlitie    J'rihes  of 
Central  Aiistralia.  Ga  sqq.  et    ."iSq, 
(•i)  Hivers,  The  Todas,  p.    5o3-5i2. 
(î)Cf   .V.VXIIl. 

(4)  Cf.  XI,. 

(5)  XXXlll  a. 

'fi)  XXXIII  .1  XXMII  .1. 
(7)XXXIII. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        81 

celle  de  la  femme  (1);  tous  deux  préparaient  ensemble  la 
couche  nuptiale,  arrangeant  l'un  la  place  de  l'époux, 
l'autre  celle  de  l'épouse  (2).  La  suivante  aidait  le  mari  à  se 
dévêtir  ;  la  femme  remettait  ses  vêtements  au  suivant  du 
mari  (3).  Dans  une  société,  oii  la  séparation  des  sexes  est 
Un  principe  fondamental,  l'intimité  particulière  des  rap- 
ports établis,  par  ces  pratiques,  entre  des  personnes  de 
sexe  différent  ne  peut  se  comprendre  que  s'il  doit  exister 
entre  elles  des  rapports  maritaux;  et,  en  effet,  c'est  grâce 
à  ces  pratiques  que  la  suivante  de  la  femme  est  rappro- 
chée du  mari  et  en  devient  une  épouse  secondaire;  les 
mêmes  pratiques  ne  donnaient-elles  pas  au  suivant  du 
mari  des  droits  secondaires  sur  l'épouse? 

Chez  les  populations  aborigènes  du  Sud  de  la  Chine 
dont  la  civilisation  a  tant  de  parenté  avec  celle  des  Chinois, 
se  retrouve  aussi  dans  les  coutumes  matrimoniales  l'usage 
des  garçons  et  des  filles  d'honneur.  Dans  le  mariage  Man 
Khoangj  la  fille  est  accompagnée  de  deux  amies,  le  garçon 
de  deux  amis  (4)  ;  chez  les  Lolo,  le  mari  est  accompagné 
par  un  camarade,  la  femme  par  une  amie  ;  le  camarade  du 
m^ari  se  conduit  en  tout  comme  lui  ;  chez  les  Thais  les 
compagnons  de  chacun  d'eux  sont  en  plus  grand  nombre, 
et  en  nombre  égal  de  part  et  d'autre  :  on  leur  donne  le 
nom  de pailan  (aller  ensemble) (5).  Dans  tous  ces  usages, 
le  C  Bonifacy  voit  une  trace  du  mariage  par  groupe.  Les 
coutumes  des  T'ou  jen  de  la  région  de  Long  Tcheou  sont 
un  peu  différentes  :  ils  professent  plus  strictement  que  les 
Lolo  la  règle  de  la  séparation  des  sexes  :  mari  et  femme 
ne  sont  aidés  que  par  des  suivantes  ;  celles-ci  sont  prises 

(i)  XXXIV. 
(a)  Cf.  XXXVI. 

(3)  Cf.  XXXV. 

(4)  B.  E.  F.  E,  O.,  VIII.  540. 

(5)  Ibid.,  545. 


82  LA    l'OLVtiYNlE   SOKOHALE 

dans  leurs  familles  respectives.  Le  iiiafiage  x-onsiste 
prinL-ipaiement,  comme  chez  les  Chinois,  clans  un  repas 
conimuniel  des  époux.  Avant  qu'il  n'ait  lieu,  la  suivante 
du  mari  et  la  fiancée  font  le  simulacre  d'un  repas  dans  la 
maison  de  celle-ci  ;  la  suivante  de  la  femme  en  l'ait  ensuite 
un  autre  dans  la  maison  du  mari  (l).  11  est  clair  (jn  il 
s'agit  là  de  survivances  et  (jue  l'usage  primitif  s'est 
déformé,  d'une  part,  pour  ne  plus  mettre  en  contact  des 
personnes  de  se.xe  dilférent,  d'autre  part,  pour  empêcher, 
en  ne  faisant  que  le  simulacre  d'un  repas,  les  ell'ets  de  la 
communion  alimentaire. 

Or,  dans  le  mariage  des  nobles  chinois  et  contraire- 
ment aux  principes  de  la  morale  noble,  on  ne  prenait  point 
les  mûmes  précautions  :  (ju'est-ce  à  dire,  sinon  qu'il  était 
dans  l'essence  du  contrat  matrimonial  d'être  coUectil  et  de 
ne  pouvoir  se  conclure  (|u'entre  un  groupe  d'hommes  et 
un  groupe  de  femmes?  L'époux  et  l'épouse  prenaient  part 
à  un  repas  composé  de  façon  a  symboliser  la  dualité  et 
l'union  du  couple  conjugal;  par  son  ell'et,  ils  devenaient 
deux  moitiés  unies  et  comme  un  seul  corps.  Après  eux  le 
suivant  et  la  suivante  achevaient  le  repas  (2)  :  la  suivante 
mangeait  les  restes  du  mari,  et  communiait  ainsi  secondai- 
rement avec  lui;  [)arce  procédé,  elle  s'habilitait  à  devenir 
une  épouse  de  second  rang  ;  elle  avait  droit,  tant  que  vivait 
l'épouse  principale,  à  entretenir  avec  le  mari,  sans  autant 
d'intimité  que  l'épouse,  des  rapports  conjugaux  ;  la  femme 
principale  morte,  elle  la  suppléait  absolument.  Le  suivant 
se  liait  de  même  avec  l'épouse,  dont  il  mangeait  les  restes. 
Du  même  coup,  il  se  rapprochait  de  la  suivante  et  de 
même  manière  que  le  mari  s'était  rapproché  de  l'épouse  : 
suivant  <'t   suivante,   pour   consonuner  les  restes,  se  pla- 

(i)Cf.  H.  i:.F.  E.  O.,  VII,  •J178  9<iq. 
(a)  X.XXVII 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        83 

çaient  côte  à  côte  sur  les  nattes  conjugales  (1),  et  bénéfi- 
ciaient conjointement  des  effets  symboliques  résultant  de 
l'ordonnance  du  repas  des  noces.  Ensemble  de  rites  incom- 
préhensible, s'ils  ne  se  rapportent  point  à  un  mariage  de 
groupe,  si  le  suivant  n'est  point  uni  à  l'épouse  d'un  lien 
secondaire  analogue  à  celui  qui  unit  le  mari  et  la  suivante, 
si  le  suivant  et  la  suivante  ne  sont  point  unis  d'un  lien 
principal  analogue  au  lien  matrimonial  que  la  communion 
directe  crée  entre  les  époux. 

Dans  le  mariage  noble  du  temps  de  la  polygynie  soro- 
rale,  la  suivante  est  la  cadette  de  l'épouse,  le  suivant  n'est 
qu'un  figurant  pris  parmi  les  domestiques  du  mari.  Celui 
que  l'on  choisit,  c'est  le  cocher:  C'est  lui  qui  conduit  le 
char  de  l'épousée  de  la  maison  natale  jusqu'à  celle  du 
mari  (2).  D'après  ce  que  les  chansons  chinoises  nous 
apprennent  des  mœurs  populaires,  monter  au  même  char 
en  se  joignant  les  mains,  était,  aux  temps  anciens,  le  sym- 
bole même  du  mariage  (3).  Le  mari  venait  en  char  chercher 
l'épouse  et  son  trousseau  (4);  les  rênes  bien  tendues, 
comme  les  cordes  de  luth,  auxquelles  on  les  compare, 
étaient  un  emblème  du  bonheur  conjugal  espéré  (5);  rien 
qu'à  monter  en  char,  l'angoisse  amoureuse  se  dissipait  (6). 
Plus  tard,  avec  l'accroissement  de  dignité  que  la  civilisa- 
tion féodale  donna  à  l'homme,  le  mari  s'interdit  déjouer 
auprès  de  l'épouse  un  rôle  considéré  comme  étant  celui 
d'un  subalterne;  il  se  fit  remplacer  par  un  domestique,  se 
bornant  lui-même  à  conduire  le  char  pendant  trois  tours 


(,)XL. 

(2)  XXXII. 

(3)  Fêles   et  chansons,  XII,  XXXVI,  .XXXV,  XIJ,  L,  7,  LVllI,  ,3-i^. 
LX,  i-a  et  a6  sqq. 

(4)  Ibid.,   LXYI. 

(h)  Ibid..  LXI,   26  sqq. 
(6)  Ibid.,  XM,  iuf. 


84  LA    POLYGYNIE   SORORALE 

de  roue  (1).  N'est-il  pas  remarquable  que  ce  soit  un  cocher 
qu'on  ait  précisément  choisi  comme  figurant  pour  con- 
server aux  cérémonies  nuptiales  la  symétrie  qui  leur  venait 
de  leur  caractère  ancien  de  contrat  collectif  et  dont  la  pré- 
sence d'une  suivante  exigeait  le  maintien  (2).  Ne  doit-on 
pas  penserqu'aux  temps  anciens,  quand  l'époux  et  l'épouse 
montaient  au  même  char,  les  chars  de  l'escorte,  garnis  de 
suivantes,  étaient  conduits  par  leurs  propres  époux?  Et 
quels  pouvaient  ôtre  ces  époux  des  sœurs  cadettes  de  la 
mariée,  puisque  cousins  et  cousines  issus  de  frères  et  de 
sœurs  se  mariaient  ensemble  obligatoirement,  sinon  les 
cadets  du  mari  ?  (3). 

11  y  a  donc  tout  lieu  de  penser  (jue  la  polygynie  soro- 
rale  dérive  d'un  mariage  collectif  unissant  un  groupe  de 
frères  à  un  groupe  de  sœurs,  de  manière  qu'ils  forment 
par  deux  des  couples  conjugaux,  mais  de  manière  aussi 
que  chacun  des  époux  possède  sur  chacune  des  épouses 
des  droits  secondaires.  Comment,  de  ce  mariage,  les 
usages  polygyniques  ont-ils  pu  sortir?  Ce  qui  peut  l'expli- 
quer, ce  sont  les  modifications  survenues  dans  l'institution 
lamiliale. 

La  principale  de  ces  modifications  est  l'apparition  d'une 
autorité  domestique.  La  famille  a  cessé  d'être  un  simple 

(i)  Trois,  succcJaDil-  de  la  totalilé. 

(a)  Le  mol  qiii  sigui(ic  cocher,  conduire  eu  char  W^  osl  le  iii^mc 
i|u  on  L'iiiploie  pour  exprimer  les  rapports  sexuels.  Klaul  doiiué  l'étal 
de»  éludes  élymologiques  eu  cliiuois,  je  me  boruc  à  noter  le  fait,  sans 
essayer  d'eu  rieu  conclure.  On  notera  que,  seule,  la  Suivante  attend  à  la 
porte  de  la  cliumbrc  uuptiale,  X.X.WIII  ;  le  cocher  n'est  point  men- 
tioiiué  :  mai»  les  glossaleurs  ont  l'uir  de  croire  qu'il  reste  auprès  d'elle. 
S  il  n'en  éliil  pas  ainsi  ce  serait  le  seul  uionient  dos  cérémonies  où  la 
symétrie  nVhl  pas  coUNorvée  :  au  dernier  moment,  il  se  révèle  que  le 
cocher  n'est  qu  un  figurant. 

(  <)  Voir  un  ensemble  de  faits  symétrique»  dans  lieports  of  the  Cnm- 
hridj^e  .iiilhrupotogical  E.rpcdition  lo  Torres  Slraits,  pp.  3^7  et -2^1  sqq. 


ET  LE  SORORA.T  DANS  LA  CHINE  FÉODALE        85 

groupement   de  générations    formant    un  groupe   homo- 
gène ;  elle  est  devenue  un   groupement  hiérarchique  de 
lignées  obéissant  au  premier-né  des  ascendants,  au  chef 
de  la  lignée  directe.  Ce  chef  de  la  famille  est  seul  qualifié 
pour  la  représenter  ;  il  conclut  en  son  nom  les  alliances 
matrimoniales    qui    maintiennent    une     union    avec    les 
familles    traditionnellement    associées.    Pour    manifester 
qu'elles  sont  par  nature  stables,  définitives  et  intégrales, 
ces  alliances  se  concluent,  comme  jadis,  à  l'aide  de  presta- 
tions qui  signifient  un   engagement  absolu  et  quî  confè- 
rent des  garanties  durables;  le  chef  de  famille  reçoit  un 
lot  de  filles  suffisant  pour  qu'il  soit  assuré  de  posséder 
toujours   une  collaboratrice  féminine  dans  l'exercice  de 
son  autorité  domestique  et  pourque  ses  alliés  n'aient  point 
à  craindre  de  lui  voir  rechercher  d'autres  alliances.  Plus 
est  élevé    son   rang  social,  plus  on    doit    dépenser  pour 
obtenir  son  alliance  et  la   conserver  :  un  protocole  fixe, 
comme  toutes  les  autres  prestations  féodales,  le  nombre 
de  femmes  auquel  donnent  droit  chaque  rang  nolnliaire 
et  l'étendue  de  chaque  influence  seigneuriale.  Comme  le 
.   régime    féodal     ne    va    point    sans   un   certain    jeu    des 
alliances,  et  comme  le  chef  de  famille  garde  pour  lui  les 
femmes  qu'il  reçoit  et  ne  les  partage  plus  avec  ses  parents, 
le  nombre  de  ces  femmes  est  limité  à  deux  sœurs.  Pour 
les  seigneurs  dont  l'influence  rayonne  dans  toute  la  con- 
fédération, toutes  les  branches  familiales  dispersées  dans 
les  différents  pays  concourent  à  l'alliance  et  trois  d'entre 
elles   lui   fournissent  un   lot  d'épouses.    Dans    chacun   de 
ces  lots  figure  une  nièce,  fille  du  frère  aîné,  qu'on  envoie 
pour   siguifier    que   l'alliance   sera    conservée   lorsque    le 
pouvoir  passera  à  la  génération  inférieure. 

Le  chef  de  famille  est  revêtu  d'une  autorité  qui  rend 
sacré  tout  ce  qui  l'approche;  ce  qu'il  s'approprie  ne  peut 
être  qu'à   lui.  Ses  frères,  qui  le   respectent  à  l'égal  d'un 


86  f-A    POLYGYNrE    SORORAF.E 

|)fre,  n'osent  plus  exercer  les  droits  secondaires  qu'ils 
possédaient  dans  le  .Iroit  ancien  sur  l'épouse  de  l'aîné  : 
les  règles  anciennes  <|ui  les  écartaient  d'elle  comme  d'une 
fiancée  prennent  l'allure  d'interdits  catégoriques.  La 
femme  est  tellement  associée  au  pouvoir  cultuel  du  mari, 
tellement  destinée  à  former  avec  lu!  un  couple  d'ancêtres, 
que  l'on  voit,  en  dépit  de  mœurs  humaines,  tenter  de 
s'établir  la  coutume  de  la  sacrifier  à  la  mort  du  mari  (1)  ; 
elle  doit  en  tout  cas  garder  le  veuvage  :  le  lévirat  est  inter- 
dit.    « 

La  sœur  cadette  vient  d'ordinaire  avec  l'aînée  épouser 
le  mari  commun  ;  elle  tient  la  place  de  la  première  épouse 
à  la  mort  de  celle-ci.  Mais  on  voit  commencer  la  coutume 
de  garder  dans  la  maison  natale  la  cadette  trop  jeune  pour 
servir  d'épouse  (2)  ;  elle  est  engagée  au  mari  de  l'aînée 
par  le  seul  l'ait  du  mariage  de  celui-ci  avec  sa  sœur  :  ce 
sont  les  débuts  du  sororat,  (jui  deviendra  un  fait  juridique 
indépendant  seulement  au  moment  où  les  épousailles  des 
deux  sœurs  se  feront  par  des  contrats  successifs,  tels  que 
le  premier  prédétermine  le  second.  La  liberté  plus  grande 
des  alliances  matrimoniales  rend  possible,  au  moins  pour 
les  nobles  ordinaires,  la  conclusion  d  un  second  niariaire 
dans  une  famille  autfe  ([ue  celle  dont  venait  la  première 
épouse;  les  droits  de  cette  famille  à  ne  point  voir  rompre 
l'ailiance  conclue  amènent  à  considérer  que  la  deuxième 
femme  est  simplement  substituée  à  la  première  et  qu'elle 
garde  à  l'égard  do  la  famille  de  celle-ci  les  mêmes  devoirs 
r|ue  sa  devancière.  Telle  est  l'origine  du  succédané  de 
sororat  prati(|uè  de  nos  jours. 


(i)  Cl.  MX  .1  l.i  Kl,  I,  |i.  -vu,, 
(3)  Ciis  de  Clioii  Ki,  cl.  M. 


ET    LE    SOROKAT    DANS    LA    CHINE    FÉODALE  87 


VI 

CONCLUSION. 

INFLUENCES  LES  USAGES  POLYGYNIQUES 

SUR  L'HISTOIRE 

LES  INSTITUTIONS  LOMESTIQUES 

Si  le  primitif  mariage  de  groupe  s'est  transformé  en 
polygynie  sororale  et  non  en  polyandrie  fraternelle,  c'est 
parce  que  l'avènement  d'une  autorité  domestique  de  type 
seigneurial,  en  même  temps  qu'elle  plaçait  les  cadets 
dans  la  situation  de  vassaux  de  l'aîné,  conférait  à  celui-ci 
le  droit  exclusif  de  disposer  des  femmes  fournies  en 
garantie  par  la  famille  alliée.  Celle-ci,  d'autre  part,  et  cet 
aspect  inverse  est  important,  avait  tout  avantage  à  placer 
auprès  du  chef  de  famille  toutes  celles  de  ses  enfants 
qu'elle  envoyait  pour  représenter  son  influence.  Si  le 
grand  nombre  d'épouses  fait  éclater  la  gloire  du  mari,  le 
prestige  de  la  femme  et  celui  de  sa  famille  dépend  de 
l'abondance  de  suivantes  (1).  Vn  seigneur  n'avait  pas 
à  demander  aux  familles  seigneuriales  portant  le  même 
nom  que  celle  où  il  prenait  femmes  de  lui  fournir  les 
suivantes  réglementaires  (2).  Elles  venaient  spontané- 
ment (3),  le  terme  rituel  est  significatil  ^  HW .  C'était  un 
devoir  de  solidarité  entre  familles  de  même  nom  que 
fournir  de  suivantes  celle  de  leurs  filles  qui  se  mariait. 
Les  suivantes  étaient  les  auxiliaires  de  l'épouse  principale 
et  formaient  avec  elle  un  groupe  solidaire,  s'entr'aidant, 

(0  Cf.  III  j. 

(2)  ^^  5#.cf.  nid. 

(3)  Cf.  ni.  , 


88  LA    POLYOYNIE   SORORALE 

défendant  les  mêmes  intérêts  (1).  Par  ce  côté  la  polygynie 
sororale  a  exercé  une  grande  influence  sur  l'histoire  de  la 
famille  chinoise,  y  conservant  les  elfets  de  la  parenté 
de  groupe,  dont  elle  était  elle-même  une  conséquence, 
mtine  après  l'apparition  de  la  parenté  individuelle. 

Far  lelTot  de  la  polygynie  sororale,  le  gynécée  conserve 

une  homogénéité  incomparable,  le  gynécée   W  ou  plutôt 

la  famille,  car  la  place  des  hommes  est  au  dehors  "y  ,  dans 
les  occupations  de  la  vie  publique  (2).  La  femme  princi- 
pale 5|§  y  jouit  d'une  autorité  naturelle  qu'elle  doit  à  son 
rang  d'aînée  ;  elle  dirige  les  autres  femmes  dans  leurs 

travaux  et  en  toutes  choses  :  elle  est  leur  Dame  I^  ^ 
comme  le  mari  est  un  Seigneur  domestique.  Si  celui-ci  a 
une  autorité  princière,  les  huit  suivantes  forment  à  la 
femme  une  cour  de  vassales  organisée  hiérarchiquement. 
L'épouse  exerce  une  autorité  directe  sur  sa  nièce  et  sa 
cadette  ;  elle  commande  toutes  les  autres  nièces  et  cadettes 

par  l'intermédiaire  des  deux  suivantes  principales  fl^. 
Dans  la  cour  royale,  la  reine  commande  aux  trois  prin- 
cesses xC  /\.  qui  dirigent  chacune  trois  femmes  du  troi- 


(i)  C(.  \X\'IU  et  XXIX. 

(3)  Je  Df  puis  qu  iixliqut'i'  ici  un  fait  de  haule  iinporlaarc  ;  luoilé  de  la 
partie  lùminine  île  la  Limillc  s'oppose  à  une  espèce  de  dualité  qui  divise 
le»  parents  mâles,  les  agnats,  en  deux  groupes  (voir  ce  qui  a  clé  dit 
plus  haut  de  l'ordoiiiiaore  du  tiMuple  ancestral).  Ce  fait  sociologique 
doit  •'•tro  r.ipprorlii''  d'un  autre  :  il  semble  qu'aDcieiiuemeDI  la  surcession 
au  pouvoir  se  soit  faite  par  le  mariage.  Choueii  épousa  les  lilles  de 
Yao,  puis  lui  succéda.  Ce  soot  des  femmes,  K'ai  yuan,  Kien  Ti  qui  sont 
à  l'origine  des  dynasties.  La  parenté  fut  d'abord  utérine.  Il  semble  que 
l'unité  lumiliale  ait  été  surtout  représentée  par  la  dynastie  que  lor- 
mairut  le»  uuilrrssf»  df  luaisnn  :  les  mères  8*eHT)rïBieut  toujours  de 
marier  k-ur   lils  tl.ins  leur  lamillc  natale. 


ET   LE   SORORAT   DANS   LA   CHINE   FÉODALE  89 

sième  rang  %M. ,  lesquelles  ont  autorité  sur  trois  femmes 

du  quatrième  rang  lŒ  5w  ,  etc. 

De  cette  autorité  seigneuriale  de  la  femme  principale 
dérive  son  pouvoir  maternel.  Le  bon  ordre  qu'elle  établit 
dans  le  gynécée  est  le  principe  des  maternités  heureuses 
de  toutes  les  suivantes.  C'est  ainsi  que,  grâce  à  la  fécon- 
dité que  ses  suivantes  devaient  à  son  bon  gouvernement. 

T'ai  Sseu  (1)   eut  cent   fils.   On    considère  la    Dame   3C 

^  comme  la  mère  véritable,  comme  la  matrone  ^  T9-  de 
la  famille;  la  maternité  réelle  n'est  pas  une  cause  véri- 
table de  parenté.  Non-seulement  le  deuil  que  les  enfants 
doivent  porter  pour  la  matrone  est  bien  plus  important 
que  celui  qu'ils  prennent  pour  leur  mère  naturelle  (2), 
mais  au  cas  où,  par  dérogation  aux  usages  polygyniques, 
les  deux  femmes  n'ont  pas  les  mêmes  parents,  la  seule 
maternité  juridique  peut  créer  un  lien  entre  les  enfants 
et  les  grands-parents  paternels;  tous,  quelles  que  soient 
leurs  mères,  ne  portent  que  le  deuil  des  parents  de 
la  matrone  (3).  Les  principes  de  la  parenté  de  groupe 
continuent  à  dominer  si  fortement  la  vie  du  gynécée  que, 
peut-on  dire,  les  sentiments  maternels  n'y  prennent  point 
cet  aspect  exclusif  et  jaloux  qui  semble  leur  caractéris- 
tique naturelle.  Les  auteurs  (4)  affirment  que  posséder 
trois  épouses  de  la  même  famille  est  un  bien  parce  que, 
si  l'une  délies  a  un  enfant,  il  y  a  trois  personnes  pour  en 
prendre  soin,  chacune  aussi  bien  que  si  elle  l'avait  enfanté 

(i)  Voir  Che  King,   Commentaires  des  pièces  du  ïcheou  nan. 

(2)  Cf.  Steele,  II.   p.  Sy. 

(3)  Cf.  Steele,  II,  pp.  35  et  39. 

(4)  Po  hou  t'ong,    Mariage.  ~~'  y\  ^    "v     •    •  /v  x  >   'W  ^^ 


90  LA    POLYGYNIE    SORORALE 

elle-môme.  Et  ceci  n'est  pas  une  affirmation  de  juriste 
pressé  de  justifier  un  usage.  C'est  un  faif.  .XoniJjreuses 
sont  les  anecdotes  liistori(|ues  (1)  où  l'on  voit  une  mère 
conlier  sou  enfant  à  son  aînée  ou  à  une  suivante  mieux  en 
cour  :  c'est  (|ue  le  prestige  de  toutes  les  femmes  est  inté- 
ressé à  la  maternité  de  chacune  d'entr'elles  ;  un  enfant  est 
un  principe  d'influence  dont  tire  indistinctement  profit 
tout  le  groupe  de  femmes  (2).  Dans  un  gynécée  recruté  par 
la  polygynie  sororale,  la  maternité  n'est  point  une  occasion 
de  sentiments  exclusifs  et  de  discorde  :  elle  ne  le  devient 
que  Iorsi|ue  les  règles  de  la  polygynie  ne  sont  plus  res- 
pectées et  qu'elle  se  transforme  en  polygamie  :  alors  se 
montrent  de  terribles  rivalités  maternelles;  mais,  et  cela 
est  significatif,  ce  n  est  point  la  mère  naturelle  qui  se 
montre  toujours  la  plus  âpre  (X)  à  lutter  pour  son  enfant, 
c'est  le  plus  souvent  la  femme  principale  du  groupe  de  la 
mère,  ou  celle  à  qui  les  circonstances  ont  donné  le  plus 
d'autorité. 

Les  ethnographes  s'étonnent  souvent,  et  les  ethno- 
graphes chinois  modernes  tous  les  premiers,  à  constater 
que  les  usages  polyandriques  ou  [)olygyni<|ues  n'en- 
Irainent  point  de  jalousie  (4).  Au  contraire,  pour  les 
anciens  auteurs  chinois,  le  plus  grand  mérite  de  l'institu- 
tion était  d'empêcher  la  jalousie  (.')).  Les  sentiments  natu- 
rels de  deux  sœurs  mariées  aux  même  époux  ne  leur  per- 
mettent point  (le  devenir  jalouses  l'une  de  l'autre.  Il  suffit 

(i)   l'or  ex.  XII. 

(•i)  Cf.  L'ii  ctlliio^T.iplii'  cliiiiois  noie  un  fiiil  •symôlrique  :  dioz  los  Kou 
Taonf;,  qui  praliqueiit  la  polyandrie,  lescar.inls  sonl  coniinuiis  à  tous  le» 
maris.  U.  lî.  K.  K.  O.,  VIII,  373. 

(3)  Cf.  XII.  Voir  riiisloirc  loul  an  lon^',  daua  S.MT,  IV,  68. 

(.'l)  I.C8  frtre»,  mnrii'-s  ù  iioe  même  î-ponni',  riiez  les  Kou  Ttonp  «  ne  se 
qucrellviil  ni  »e  baticat  n  B.  E.  F.  K.  O..   VIII,    3^3. 

(r,^  Pô  hou  X-ouK.  M..riaLM.,    ^  ^Ci»  ^  ^   h^  H   ^ 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE       91 

pour  éviter  les  conflits  sexuels  que,  par  Tautorité  de  la 
Dame,  l'ordre  du  gynécée  soit  respecté,  c'est-à-dire  que 
riiacune  des  épouses  obtienne  exactement  du  mari  les 
faveurs  auxquelles  son  rang  lui  donne  droit.  Chacune  des 
femmes  connaît  d'avance,  par  la  place  qu'elle  occupe  dans 
le  lot  des  suivantes,  tout  ce  que  sera  sa  vie  sexuelle,  si  la 
surveillance  de  la  femme  principale  s'exerce  comme  il  se 
doit.  On  peut  voir,  à  lire  les  réglementations  (1)  de  la  vie 
sexuelle  d'un  gynécée,  telles  que  les  auteurs  chinois  nous 
les  ont  conservées,  que  le  devoir  conjugal  y  est  conçu 
d'une  façon  stricte;  aucune  possibilité  n'est  laissée  ni  aux 
femmes  ni  au  mari  de  s'abandonner  aux  caprices  de  la 
passion;  le  rapprochement  sexuel  est  considéré  comme 
une  obligation  maritale  qui  ne  laisse  place  à  aucun  jeu  : 
chaque  femme  doit  approcher  du  mari  au  jour  convenable 
et  à  l'heure  prescrite;  la  fréquence,  la  date,  la  pompe  (2) 
de  ces  rapprochements  sont  fixées  par  un  protocole  impé- 
rieux. De  même  qu'il  n'y  a  point  de  choix  libre  dans  le 
mariage,  il  n'y  a  point  de  caprice  dans  la  vie  matrimo- 
niale. Dans  leurs  rapports  entre  elles,  comme  dans  leurs 
rapports  avec  l'époux,  ies  femmes  sont  tenues  d'obéir  à 
une  hiérarchie  qui  leur  paraît  trop  naturelle,  puisqu'elles 
ont  appris  à  la  respecter  dès  l'enfance,  pour  permettre 
l'essor  d'aucun  sentiment  personnel. 

Tout  change  dès  que  les  règles  de  la  polygynie  sororale 
ne  sont  plus  respectées.  Les  femmes  venues  de  lamilles 
différentes  ne  forment  plus  un  corps  homogène  ;  il  n'y  a 
plus  entre  elles  une  hiérarchie  naturelle  et  qui  s'impose  à 
leur  cœur;  elles  ne  sont  plus  des  aînées  ou  des  cadettes 
habituées  dès  le  jeune  âge  à  obéir  ou  à^commander  ;  elles 
représentent   les  intérêts  de  familles  diverses  ;  elles  ont 


(i)  Cf.  XLIV. 

(2)  Voir  Frtes  et  chansons,  n"  LXVII. 


92  LA    POLYGYNIE   SORORALE 

chacune  l'attrait  d'une    éducation    particulière    et   d'une 
race  diflerente.    Entre  elles  se   posent  des  questions  de 
préséance    et    de   prestige    et   chacune    est   armée    à    sa 
manière  pour  tenter  de  triompher  de  l'autre.  G  est  alors  le 
règne  des  querelles   de  gynécée  (jui  ne  sont  en  somme 
que  des  conflits  d'influence  familiale  et  le  retentissement 
dan;;  la  vie   privée   des  (|uerelles  [)ubliques,  résultats  de 
l'instabilité  des  alliances  seigneuriales.  En  même  temps 
que  les  seigneurs  épousent  dans  diverses  familles  pour 
accroître  le  rayonnement  de  leur  prestige,  ils  cherchent  à 
donner    un   prestige  plus  grand    à    leur   autorité    par   la 
manifestation  de  leur  luxe  :  ils  se  fournissent  d'un  harem 
splendide;    ils     s'entourent    d  une      cour    éclatante     de 
femmes  ;  on  leur  donne  et  ils  achètent  des  concubines,  en 
grand  nombre  et  les   plus   belles  possible.    Celles-là  ne 
sont  pas  capaides,  comme  les  épouses  des  Ages  où  l'on  se 
conformait   aux  rites  (1),   d'attendre  dons  la   retraite    du 
gynécée  le  temps  fixé  pour  approcher  du  seigneur  :  rien 
ne  les  retient  d'user  de  leurs  charmes    pour  séduire  le 
maître;  elles  cherchent  à  plaire,  à  l'aire  naître  un  amour 
pour  leur  personne,  une  passion  nourrie  d«  sentiments 
particuliers,    qui    sera    e.xclusive    et    qui    provoquera   la 
jalousie.  Dans  la  poésie  de  cour,  éclose  dans  les  harems 
somptueux,     apparaissent    des     sentiments     personnels, 
absents  de  la  vieille  poésie  populaire  ;  ils  correspondent 
à  l'apparition  des  drames  passionnels  déjà  Irequents  dans 
les  hautes  classes  de  la  noblesse.  Et  pourtant,  même  aux 
temps  de  l'anarchie  féodale,  l'influence  des  principes  sur 
les(|uels    reposait   la  polygynie    sororale  continuait  à  se 
faire  sentir  et,  dans  son  fond,  le  lien  matrimonial  déter- 
minait si  peu  de  sentiments  |tersonnels  et  exclusifs  que 
les  épouses  «continuaient  à  se  charger  d'introduire,  sous 

(t)  Voir  Frli'y  l'I  i-hiiti.\ofi.\,  ciiiniiirnl.iirrs  (lu  »■'   \\\IX. 


ET  LE  SORORAT  DANS  LA  CHINE  FÉODALE       93 

leur  patronage,  auprès  de  leur  mari,  les  femmes  nouvelles 
qu'on  leur  offrait  (1). 

La  possibilité  qui  était  laissée  aux  Nobles  de  se  marier 
plus  d'une  fois  fut  apparemment  l'origine  d'une  vie 
passionnelle  dans  les  classes  moyennes  de  la  société 
chinoise  :  en  effet,  les  seuls  accents  personnels  qu'on 
trouve  dans  les  pièces  poétiques  qui  ne  sont  point  des 
poésies  de  cour,  ce  sont  des  épouses  délaissées  pour  une 
épousée  nouvelle  qui  les  font  entendre.  Mais,  précisément 
parce  que  cette  poésie  personnelle  resta  sans  développe- 
ment, il  est  à  présumer  que  la  vie  passionnelle  ne  prit 
jamais  grande  importance  :  en  fait,  la  vie  de  ménage  ne 
cessa  pas  d'être  réglée  comme  aux  temps  anciens;  ce  que 
l'on  continua  d'aimer  chez  sa  femme,  ce  fut  sa  famille  et 
l'alliance  qu'elle  apportait,  si  bien  que,  de  nos  jours 
encore,  il  est  fréquent  qu'un  mari,  heureux  en  ménage, 
s'il  devient  veuf,  croie  remplacer  sa  femme  en  en  prenant 
la  sœur  —  et  nous  fournisse  ainsi  la  démonstration  que 
les  sentiments  impliqués  par  l'antique  organisation  domes- 
tique et  conservés  par  le  tour  que  donne  à  la  vie  conju- 
gale l'institution  de  la  polygynie  sororale,  sont  demeurés 
assez  puissants  pour  déterminer  des  retours  à  l'usage  dont 
ils  expli([uent  l'origine. 

(i)  C'est  par  rintermédiaire  de   l'épouse  principale  quo  Woa  Kouang 
introduit  sa  fille  auprès  du  roi  Wou  Liog.  Cf.  XX    1^    /C   /^  r^  ^-^ 


TABLE  DES   MATIERES 


Pages. 

I.  —  Introduction.  Faits  modernes  et  analogies  ellinographiques.     .     .  J 

II.  —  Recueil  de  testes  relatifs  à  la  polygyoie 8 

III.  —  La  société  chinoise  des  temps  féodaux 40 

IV.  —  La  polygynie  dans  la  noblesse  féodale 51 

V.  —  Origiues  et  histoire  des  institulions  polygyniques 16 

VI.  —  Conclusion,   lolluences  des  usages  polygyuiques   sur   l'histoire 

Lies  institutions  domestiques 87 


ANGERS.    —    lUlKlMEKlE   F.   GAULTIER  ET   A.   TUEUEHT,    4,   HtE    GARNIEK 


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