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î^arfaart ColUge Hibrarg.
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of the Collège."
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LA PRÉCELLENCE
DU LANGAGE FRANÇOIS
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COULOMMIERS
Imprimerie Paul Brodah»
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HENRI XSTIENNE
LA PRÉCELLENCE
DU LANGAGE FRANÇOIS
Réimprimée avec des notes, une grammaire et un glossaire
PAR
EDMOND HUGUET
Maître de conférences à la Faculté des lettres de Caen
ET PRECEDEE
d'une Préface de L. PETIT DE JULLEVILLE
PARIS
ARMAND COLIN ET C»% ÉDITEURS
5, RUE DE MÉZIÊRES, 5
1896
Tous droits réservé?.
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i
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AVANT-PROPOS
Le Project du livre intitulé De la precellence du lan-
gage François n'a eu que deux éditions, celle qui fut
imprimée par Mamert Pâtisson en 1579, et celle qu'a
publiée en 1850 Léon Feugère. Les exemplaires de
Tédition originale sont depuis longtemps très rares.
L'édition Feugère est elle-même épuisée. 11 était
donc nécessaire d'imprimer pour la troisième fois
l'ouvrage d'Henri Estienne.
Cette réimpression n'a d'autre but que d'offrir à
ceux qui étudient notre langue le texte de la Precel-
lence^ devenu difficile à trouver. Elle n'a pas la pré-
tention de faire oublier l'excellente édition de 1850,
dont il ne m'était pas possible de reproduire les
utiles indications. J'ai seulement cherché à dire l'in-
dispensable et à compléter le travail de Léon Feugère.
Les progrès qu'a faits depuis 1850 la philologie
française m'ont permis de combler quelques lacunes
et de donner sur certains points des renseignements
plus précis.
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VI AVANT-PROPOS.
Ce travail, que les circonstances m'ont obligé à
faire avec trop de hâte, aurait lui-même besoin d'être
complété et rectifié. 11 s'adresse à des lecteurs qui
sauront faire Tun et l'autre. Il serait beaucoup plus
imparfait si j'avais dû le faire tout entier, et sans
aucune aide. Je suis heureux de remercier tous ceux
qui ont bien voulu s'intéresser à cette réimpression
de la Précellence : M. Petit de JuUeville, dont l'excel-
lente Préface donne une idée très juste d'Henri
Estienne et de son livre; M. Ferdinand Brunot, dont
les conseils et les indications ne m'ont jamais fait
défaut; M. Delaruelle, agrégé de grammaire, à qui
je dois tous les rapprochements avec les Dialogues
du français italianisé^ enfin les étudiants de la
Sorbonne candidats à l'agrégation de grammaire,
qui ont corrigé les épreuves avec autant de soin que
d'intelligence. C'est grâce à eux que j'ai pu repro-
duire plus exactement que ne l'avait fait Léon Feugère
l'orthographe, la ponctuation, et même certaines par-
ticularités typographiques de l'édition originale.
Edmond Huguet.
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PREFACE
I
L'abbé d'Olivel, qui fut lui-même un des bons
grammairiens du xvni« siècle, a proclamé Henri
Estienne le meilleur grammairien du xvi* siècle; et
cet éloge est mérité. Ce n'est pas à dire qu'Henri
Estienne soit de tout point un excellent grammairien,
au moins selon Tidée que nous nous faisons aujour-
d'hui de la grammaire. Nous voulons y voir une
science, rigoureuse dans sa méthode et soumise à
des lois précises. Sans doute, elle renferme encore
des parties inachevées; sur plusieurs points, elle
recourt àThypothèse; mais en faisant ses réserves et
provisoirement. Riche en faits observés, elle est pru-
dente en conclusions; elle ne se flatte point dépos-
séder tous les secrets de la vie du langage; mais elle
croit que Tétude attentive des phénomènes pourra
nous en révéler un jour les lois et les causes.
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VIII PREFACE.
Tout autre est la méthode grammaticale d'Henri
Estienne; ou plutôt il n'a pas de méthode. 11 n'a
qu'une érudition immense, une curiosité universelle,
et une ingéniosité féconde. Armé de ces trois instru-
ments, il s'avance hardiment, à travers les fourrés
d'une science encore toute nouvelle, et presque à
naître; il va devant lui, tout droit, bien qu'au hasard;
mêlant aux aperçus les plus fins et les plus justes,
des erreurs énormes; amassant tout ce qu'il ren-
contre; cataloguant tout ce qu'il voit, ou croit voir,
et hasardant sur toutes choses tout ce qu'il pense ou
imagine. Entre les mains d'un autre homme, un tel
procédé, joint à une telle abondance, n'aurait pu
donner qu'un fatras. Les livres d'Henri Estienne sont
désordonnés; mais au-dessus de ce désordre, il plane
un certain bon sens supérieur; et son œuvre philolo-
gique, par le nombre et la variété, quelquefois aussi
la justesse des vues, demeure intéressante, agréable
et même utile à consulter.
Elle eut, à l'origine, une influence excellente.
Henri Estienne a contribué plus que personne à
préserver la bonne santé de la langue française dans
une phase assez périlleuse de son existence. Son
patriotisme littéraire, parfois un peu aveugle, eut du
moins d'heureuses conséquences, et sauva le fran-
çais d'un sérieux danger, à cette époque où les uns
n'admiraient que les langues anciennes, et avaient le
cœur, la mémoire et l'esprit tout farcis de latin, de
grec et d'hébreu, qu'ils alléguaient sans cesse au
mépris du pauvre langage vulgaire] où les autres
affectaient de reconnaître à l'italien tout seul, parmi
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PRÉFACE. IX
les idiomes modernes, les qualités d'un langage civi-
lisé, poétique, harmonieux. L'imitation italienne
envahissait la France ; déjà toute la cour, sous une
reine florentine, s'attachait à travestir son langage et
ses mœurs k la mode de delà les Alpes. L'intégrité
du vocabulaire français et celle du caractère national
(plus précieuse encore) étaient sérieusement mena-
cées. On ne saurait trop louer Henri Estienne de
s'être dégagé hardiment de tous les préjugés du
pédantisme et de la mode. Il ne fut ni des latinisants
ni des italianisants; il sut défendre obstinément
contre l'hébreu, le latin, le grec, l'italien, la cause de
la langue française; et il sut en montrer dans ses
livres, par le précepte et par l'exemple, comme gram-
mairien, comme écrivain, l'originaUté, la vigueur, la
souplesse et l'abondance.
Aujourd'hui même, il peut encore être utile. On
avoue qu'il est plein d'erreurs; mais ses livres font
penser; ils sont, comme on dit maintenant, « émi-
nenament suggestifs », mots qu'il n'eût pas compris,
mais dont il aurait bien su se passer, lui, l'infatigable
chercheur de synonymes et d'équivalents; il eût dit,
par exemple, que ses livres nous fournissent beau-
coup d'idées ingénieuses; et qu'ils en font naître
encore plus qu'ils n'en expriment. Je conviens qu'il
serait dangereux de commencer une éducation philo-
logique par les livres d'Henri Estienne. Il apporte à
Taffirmation du faux une tranquille assurance qui
pourrait égarer un esprit tout à fait novice. Mais
quand on est pleinement assuré dans la possession
et dans l'intelligence des quatre ou cinq principes
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X PREFACE.
fondamentaux qui sont la base solide de la philologie
française; quand on est, tout d'abord, inébranlable-
ment persuadé que le français vient du bas-latin,
non du bas-breton, ou du grec, ou de l'hébreu; que
tous les mots du fonds populaire ont gardé l'accent
tonique à la place où il était en bas-latin; que les
transformations phonétiques se sont faites selon des
lois fatales, inconscientes, non au hasard ou par
convention ; que les langues sont des produits natu-
rels, non le résultat d'un artifice ou d'un contrat;
quand, dis-je, on est solidement attaché à ces
colonnes de la doctrine, on peut sans danger, même
avec plaisir, et avec * fruit, lire Henri Estienne.
D'abord il est un des plus sûrs témoins de la langue
de son temps ; et ce qu'il nous apporte de faits, de
tours, de mots pour la connaissance de l'idiome parlé
au xvie siècle, est inappréciable. Puis la vie et l'ar-
deur qu'il met dans ses études sont aussi d'un bon
exemple; il nous apprend ainsi que la philologie,
cette science dont l'objet est vivant, veut être traitée
d'une autre méthode et sur un autre ton que la
science des choses mortes ou abstraites. Enfin,
j'oserai dire qu'en voyant un homme d'esprit, et pro-
digieusement savant, se tromper parfois si complè-
tement, nous nous instruisons nous-mêmes à être
circonspects dans nos conclusions, et modestes dans
l'affirmation; cette leçon a aussi son prix. Morale-
ment, elle est excellente; scientifiquement, elle peut
préserver du faux, sinon aider à trouver le vrai.
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PREFACE. XI
II
Entre tant d'immenses travaux, Henri Estienne a
consacré cinq ouvrages à la langue française. En 1558,
il publiait la traduction en latin de la, grammaire fran-
çoise composée par son père, Robert Estienne. Il don-
nait en 1565 le Traiclé de la conformité du langage
f rançon avec le grec, eri^78, ^ewa? dialogues du nou-
veau langage françois iialiàhïzé et autrement desguizé.
L'année suivante : le Project du livre intitulé : de la
precellence du langage françois (1579). Enfm les
Hypomneses de gallica lingua, qui sont un commeur-
taire continu de la grammaire française de Robert
Estienne furent publiés en 1582. Tous ces ouvrages,
partis de la même main, offrent à peu près les mêmes
qualités et les mêmes défauts. La Precellence est
celui qui a le moins vieilli au regard de la science
philologique actuelle.
A la fin du second Dialogue du langage françois ita-
lianizé, Philausone {Vami de l'italien)^ convaincu par
Geltophile (Vami du français) et par Philalèthe {Va^ni
de la vérité^ c'est-à-dire Henri Estienne lui-même), se
déclare prêt à faire amende honorable à notre langue,
et à n'approuver plus « ceux qui à tous propos met-
tent des mots italiens en la place des (mots) francès » ;
mais toutefois, pour se « convertir » tout à fait, il
exprime le vœu qu'on lui fasse connaître « par vives
raisons » que « nostre langage francès est aussi bon
et aussi beau, tant pour tant, que le langage ita-
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XII PREFACE.
lien ». Sinon, au fond du cœur, il continuera de
penser que « les mots italiens, meslés parmi les
nostres,. ont quelque garbe {galbé) plus grand que
n'auroyent les nostres ». Celtophile intervient pour
appuyer la demande : « Je vous prie, Monsieur Phila-
lèthe, de prendre Monsieur Philausone au mot; car il
me semble que desja d'ailleurs vous aviez quelque
délibération d*en venir la. >> Et Philalèthe se déclare
prêt à fournir la démonstration requise. « 11 n'est
pas besoin de m'en prier, car je ne fi jamais chose
plus volontiers. Seulement faut choisir le jour et le
lieu; et j'ay espérance de faire encore plus qu'il ne
requiert; sçavoir demonstrer Texcellence de nostre
langage estre si grande que non seulement il ne doit
^^estre postposé à l'italien ; mais luy doit estre préféré;
j n'en desplaise à toute l'Italie. » ' "
Ainsi se trouvait annoncé et promis au public un
nouvel ouvrage sur la langue française, consacré
expressément à démontrer la supériorité de^notre
- - idiome sur toutes les langues vivantes. Il l'écrivit en
France, dans des circonstances singulières.
Dans V Apologie pour Hérodote^ Henri Estienne
avait attaqué violemment l'Ëglise catholique ; et dans
les deux Dialogues du nouveau langage français ita-
lianizéy la cour de France. Après quoi, il arriva que,
pour l'un et l'autre ouvrage, il fut inquiété par le
Conseil à Genève, et dut se réfugier à Paris, où
le roi Henri III lui fit le meilleur accueil; la cour
elle-même ne le traita pas trop durement, puisqu'il
avoue avoir mené, pendant plusieurs mois, en pleine
sécurité, la vie d'un demi-courtisan {semi aulicus).
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PREFACE. Xm
Henri III, curieux, comme tous les Valois ses pré-
décesseurs, de tout ce qui touchait aux lettres, pres-
sait vivement Henri Estienne de donner au public le
livre qu'il avait promis sur la prééminence de la
langue française. L'auteur s'excusait en disant qu'il
avait laissé tous ses papiers à Genève. « Y avez-
vous laissé votre tête? lui dit le Roi. » Il fallut se
rendre; et, pour répondre à l'impatience du mo-
narque, autant qu'aux goûts d'Henri Estienne, qui
aimait aller vite en besogne, l'ouvrage fut achevé au
bout de trois mois* ; ou du moins le Projet du livre
qu'il voulait faire plus tard, à loisir; mais le livre ne
fut jamais fait. Il est vrai que le Projet est tout autre
chose qu'une préface, et forme à lui seul un volume
de trois cents pages.
Dans la dédicace au Roy (datée du 23 avril 1579),
l'auteur s'exprime ainsi : « Sire, pour m'aquitter
de la promesse faicte dernièrement à vostre Majesté,
je luy présente un project et comme un modelle d'un
ceuvre que je délibère intituler De la precellence du
langage françois. Lequel project je la supplie treshum-
blement vouloir favoriser non moins de sa cen-
sure que de sa lecture. A quoy j'espère qu'elle sera
incitée, quand il luy plaira considérer de quelle
importance est ceste entreprise pour l'honneur de
son royaume : comme aussi je la puis asseurer qu'elle
est procedee d'un cueur qui s'est tousjours monstre
zélateur et comme jaloux de l'honneur de sa nation...
1. Trois mois d'après Musa monitrix : six semaines d'après
la préface de la Precellence,
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XIV PREFACE.
D'ailleurs je m'eslois ja obligé à une telle entreprise,
par mes œuvres precedens, qui appartiennent à
rillustration des langues Greque et Latine ; ne pou-
vant raisonnablement denier à celle qui m'est natu-
relle, autant de bien que j'en avois faict à ces estran-
geres. »
La forme n'est pas très modeste ; mais la modestie
est le moindre souci des hommes du x\V siècle.
Quant au patriotisme, Henri Estienne est sincère ; et
quoiqu'il ait passé la plus grande partie de sa vie à
l'étranger, il n'a jamais aimé que la France,
^--l^dition princeps * de la Precellence parut en
1579^)à Paris, chez Marner t Pâtisson, qui avait suc-
"réde à Robert Estienne II (frère d'Henri). Le livre
est intitulé : Project du livre intitulé De la precel-
lence du langage François par Henri Estiene. Ce mot
de Precellence a été blâmé, à tort, par La Monnoye,
qui prétend qu'il n'est point français. Le mot est
très bien fait, très clair; il n'est pas un synonyme
superflu d'excellence ; Henri Estienne ne prétend pas
que la langue française soit absolument sans défaut;
il la croit seulement supérieure à toutes les autres
langues vivantes. D'ailleurs le mot n'était pas inouï
à cette époque : on le trouve au livre 1°' des Essais
de Montaigne, publié quelques mois seulement après
le livre d'Henri Estienne.
Pour prouver la precellence du français, l'auteur
ne s'avise pas de le comparer avec toutes les langues
i. L'ouvrage n'avait été, jusqu'ici, réimprimé qu'une seule
fois, après deux cent soixante et onze ans, par les soins de
Léon Feugère, en 1830, chez Delalain.
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PREFACE. XV
de l'Europe; il le met en parallèle avec la seule-^-^^
langue italienne. Le choix de l'adversaire lui était '
imposé par l'opinion régnante. Après trois siècles
d'une littérature polie, raffinée, déjà classique, la
gloire des écrivains italiens avait rejailli sur leur
langue, et la plaçait, dans l'admiration publique, au-
dessus de tout autre idiome. Henri Estienne, avant
de protester contre cette sorte d'idolâtrie, a soin de
dire que s'il parvient à prouver la supériorité du
français sur l'italien, il aura prouvé, par cela même,
la supériorité du français sur toutes les langues
vivantes; il répète à ce propos l'adage latin : « Si je
puis vaincre celui qui vous a vaincu, je vous aurai
ainsi vaincu vous-même. »
Quelle que soit, au fond, la valeur de cette compa-
raison établie entre les deux langues (et je crois
qu'elle prouve peu de chose, car les langues n'ont
pas de mesure commune), Henri Estienne était mieux
qualifié que personne pour essayer un tel parallèle.
Non seulement il savait le français à merveille, mais
il ne savait guère moins bien l'italien, ayant voyagé r-i^
très longtemps dans le pays, durant sa jeunesse.
n raconte lui-même que le « sçavoir parler (italien)
aussi nayfvement que s'il eust esté du pays, fut ce qui
lui sauva la vie à Naples, pendant que l'Empereur
Charles le quint tenoit Sienne assiégée contre le Roy
H^ri second ». Il se rendait de Rome à Naples pour
''ëpiér Içs événements, et en faire part à M. de Selve,
Wibassadeur du roi près du pape; reconnu par
quelqu'un qui l'avait vu à Rome dans la maison de
l'ambassadeur, et sur le point d'être accusé et con-
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XVI PREFACE*
vaincu d'espionnage, il se lira daffaire en affirmant
qu'il était Italien, non Français, et en le persuadant à
tout le monde « par son nayf et comme naturel lan-
gage Italien ». Il est vrai, ajoute-t-il, qu'il y a long-
temps de cette aventure, et qu'il a bien pu depuis
lors oublier un peu de la langue, mais sans doute il
lui en reste assez pour en parler pertinemment.
Non plus que dans les autres ouvrages d'Henri
Estienne, il n'y a pas de plan rigoureux dans la Pré-
cellence; toutefois les idées suivent une marche un
peu moins capricieuse , et les digressions qui ne
manquent pas, entraînent l'auteur moins loin de son
sujet.
Henri Estienne énumère les principales qualités
qui font la beauté d'une langue; et il entreprend de
montrer que le français possède ces qualités à un
plus^hawt degré que l'italien. ^ '"^'
Par exemple : la gravité, la douceur, la grâce, la
, brièveté, la richesse-^^ Il paraît singulier qu'Henri
Estienne oublie la clarté^^ qui est à nos yeux la qualité
propre et particulière du français la plus incontes-
table. Mais c'est seulement depuis le xvii® siècle que
le français s'est constamment piqué d'être la langue
la plus claire de l'Europe; l'honneur d'avoir été
choisi, ^ous Louis XIV, comme langue commune
diplomatique put lui inspirer cette prétention, alors
légitime. Au contraire, la langue du xvi® siècle, parla
multitude de ses archaïsmes et de ses néologismes,
la surabondance de son lexique, et les libertés de sa
syntaxe (où le sens quelquefois semble se dérober,
tant est grande la souplesse des tours), sans qu'on
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PREFACE. XVII
puisse la dire obscure, n'était pas, en effet, admi-
rable avant tout pour sa clarté.
Il n'est pas très aisé de définir ce que Tauteur
entend par cette gravité dont il fait honneur à notre
langue par-dessus la langue italienne; c'est quelque
chose d'analogue, semble-t-il, à ce que d'autres nom-
ment le nombre. Il n'est pas douteux que l'italien l'ait
possédé avant le français. Le nombre est bien rare-
ment dans la phrase française au moyen âge. Mais
Henri Estienne a raison de reconnaître ce genre de
mérite chez quelques-uns de ses contemporains; et
c'est fort à propos qu'il cite ici le beau sonnet de
Philippe Desportes :
Un chemin si nouveau n'estonna sa jeunesse,
Le pouvoir luy faillit et non la hardiesse.
Il eut pour le brusler des astres le plus beau :
Il mourut poursuyvant une haute avanture,
Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture.
Est-il plus beau dessein, ou plus riche tombeau?
Certes le mérite des pensées n'est pas grand dans
ces vers puisqu'ils sont traduits de Sannazar; mais
le mérite de la forme est rare, et une langue capable
de si beaux vers si bien faits était entièrement
« dénouée » et déjà nombreuse.
Mais Henri Estienne sent ces choses d'instinct,
plus qu'il ne réussit à les expliquer; à l'italien qui
vante son accent sonore il oppose l'accent français;
et ce qu'il en dit montre bien qu'il ne sait pas ce que
c'est que l'accent; car il le confond avec la quantité;
les voyelles sont toniques ou atones, longues ou
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XVIII PREFACE.
brèves; ouvertes ou fermées. Il embrouille toutes ces
qualités. Nous prononçons différemment Va dans
grâce et dans trace \ dans mâle et dans malle; dans
pâle et dans patte ; Henri Estienne explique ces diffé-
rences par Taccent. Or dans ces mots, a est long et
fermé; ou bien bref et ouvert; mais il est partout
tonique.
L'auteur s'efforce ensuite de prouver la gravité du
français par une série de traductions du latin en ita-
lien et en français, en prose et en vers, où il s'abuse
quelquefois sur la supériorité qu'il croit reconnaître
dans les traductions françaises; il s'abuse surtout
quand il traduit lui-même envers, car il est médiocre
poète.
Il compare ainsi un discours de Tacite traduit
en italien par Giorgio Dati, avec le même discours
traduit en français par Biaise de Vigenère. La tra-
duction italienne est absolument diffuse, et moins
une traduction qu'une paraphrase. La traduction
française n'est pas bonne, mais elle est au moins un
peu plus serrée. Henri Estienne en triomphe, comme
si ce n'était pas lui qui avait choisi les deux morceaux
à l'appui de sa thèse, et comme s'il était démontré
que toute traduction italienne fûinécessairement
une paraphrase : « Combien est /vîril)le son de ces
paroles Françoises , et combien (^<r mol celuy des
Italiennes à comparaison : comment les Françoises
semblent autant aller de roideur, que les autres aller
laschement! »
A défaut de force, au moins l'italien gardera-t-il le
mérite delà douceur, qu'on lui accorde généralement?
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PREFACE. I XIX
Henri Estienne n'en conviai pas. Cette prétendue
douceur n'est quefeionotonier. Il raille, avant Voltaire,
qui cherchera la mïïïïTê^uerelle aux Italiens, l'unifor-
mité de leurs consonances finales : il s'amuse à com-
poser une phrase de soixante-douze mots , dont
quarante finissent en o; et une phrase de trente-huit
mots, dont vingt-trois finissent en a. Mais ni Voltaire,
ni Henri Estienne n'ont remarqué que celte mono-
tonie est plus apparente que réelle, et qu'elle choque
l'œil bien plus que l'oreille. En effet l'accent italien
(au rebours de l'accent français) n'est presque jamais
sur la dernière syllabe; celle-ci est donc atone, la
plupart du temps, et ne sonne que faiblement,
comme fait notre e féminin final en français; car la
moitié de nos mots finissent en e féminin; et les
étrangers pourraient croire aussi que de là résulte une
grande uniformité dans l'harmonie de notre langue;
il n'en est rien parce que cet e final est toujours
atone. La même observation s'applique à l'a, à l'o, à
Vi final des Italiens. Voltaire, qui savait l'italien,
mais qui ne le parlait pas, peut bien ne s'être pas
rendu compte de cela; mais Henri Estienne qui le
parlait si familièrement qu'il réussissait même à se
faire passer pour Italien, pouvait-il ignorer que cette
langue fait surtout sonner la syllabe tonique, et
laisse à peine entendre la finale atone?
n ne reconnaît pas davantage à l'italien le privilège
de la grâce, ou comme il dit de la gentillesse^ et tou-
tefois il semble faire consister surtout la grâce d'un
idiome dans l'abondance des diminutifs, dont il
raffole avec tout son temps. Il prétend que nous n'en
V
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XX PREFACE.
avons pas moins que Titalien; que nous en avons
même davantage. Mais il ne dit pas que c'est à limi-
tation de ritalien que les poètes du xvi® siècle en
avaient fait si grand usage ou plutôt si grand abus. Il
ne prévoit pas que cette floraison devait passer vite;
et qu'elle était si peu dans le vrai génie de la langue
que le français, après avoir perdu la plupart des
diminutifs qui plaisaient tant aux poètes contempo-
rains d'Estienne, n'a jamais senti, je crois, le regret
de cette perte. Nous avons conservé les diminutifs
qui signifient quelque chose; nous continuons k
appeler maisonnette une petite maison; et moucheron
une petite mouche; mais nous avons rejeté tous ceux
qui n'étaient que mignardise de langage, aifectation
pure. Je m'étonne qu'un esprit sérieux comme Henri
Estienne ait si fort goûté les tresses blondelettes qui
ne dit pas plus que les tresses blondes; ou le gentil
rossignolety qui n'est qu'un rossignol; et les herbes
nouveletles qui sont les herbes nouvelles^ et rien de
plus. Partout où le suffixe diminutif ne modifie pas
réellement la signification du mot simple, le diminutif
n'est qu'une mièvrerie, et non une beauté.
Henri Estienne montre assez aisément que le fran-
çais peut avoir plus de brièveté que l'italien; les mots
correspondants sont en général plus courts chez
nous; et notre syntaxe elle-même est un peu plus
serrée; je crois seulement qu'il exagère la différence;
et surtout qu'il a tort d'attribuer à l'idiome seul ce
w qui est encore plutôt reffel du caractère national : les
Italiens aiment à paraphraser; je crois qu'un Italien
qui voudrait lutter de brièveté avec le français y
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PREFACE. XXI
pourrait très bien parvenir; mais leur goût est plutôt
à s'épandre un peu largement.
La partie la plus intéressante du livre d'Henri
Estienne est celle où il traite de la richesse du fran-
çais. Sur la richesse d'un vocabulaire, Henri Estienne
partage les idées de son temps : une langue n'est
jamais trop riche, et l'encombrement n'est pas à
craindre. « Comme on n'appelle pas un homme riche
qui n'ha que ce qui luy est nécessaire, mais faut qu'il
ait aussi des choses dont il n'ha point besoin et des-
quelles il se pourroit bien passer : et quant aux
nécessaires il luy en faut avoir à rechange. » Voilà
de la façon que le français est riche : il a tous les
mots nécessaires, à double et triple rechange, et il
a voulu « quelque provision curieuse plustost que
nécessaire d'aucuns (mots) qui sont plus rares que
les autres ».
Henri Estienne exagère ici le nombre des syno-
nymes; il n'y en a pas tant dans une langue bien
faite; à vrai dire il n'y en a pas du tout, car tout
l'effort des bons écrivains tend justement à effacer
la synonymie en distinguant les nuances; et nous
n'avons pas tant de mots de rechange à notre dispo-
sition; les mots de rechange abondent seulement
quand les idées précises font défaut; car il n'y a
qu'un seul terme propre à rendre exactement une
idée précise.
Celte réserve faite, on trouve dans cette partie de
son livre des choses fort curieuses. Sa thèse est que
le français, pour l'abondance des mots, ne craint la
comparaison avec aucune langue. Voyons le grec. Le
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XXII PREFACE.
grammairien Pollux énumère cinq ou six mots pour
rendre l'idée d'avare : en français nous en aurons
douze : avare^ avaricieuxy eschars^ taquin^ tenant,
chiche, vilain, pinsemaille, racledenare, serredenier,
serremiette, pleurepain. Ils sont charmants, ces vieux
mots, et nous ne saurions rendre trop de grâces à
Henri Estienne pour Tabondance de ces expressions
populaires, vives, pittoresques, amusantes, qu'on
trouve recueillies dans son ouvrage; mais une fois
qu'on entre dans cette voie, la liste des équivalents
peut grossir à Tinfini dans toutes les langues; chaque
écrivain forgera les siens.
Des mots, il passe aux phrases. Aide Manuce avait
énuméré trois manières différentes d'exprimer en
italien la même idée. Henri Estienne se pique d'hon-
neur; il traduit d'abord les trois phrases en français,
puis il en aligne vingt-sept autres, qui expriment
toutes la même idée de diverses façons; et volontiers
il en conclurait que le français est dix fois plus abon-
dant que ritalien.
Sans doute le procédé n'est pas sûr et ne prouve
rien. H n'est pas une de ces trente phrases qui ne
pourrait à son tour être retraduite en italien; et
fournir autant de phrases différentes. Mais ce qui
est intéressant ici, ce qui est nouveau, ce qui est
fécond, c'est cet effort de la langue sur elle-même,
pour connaître et employer toutes ses ressources;
c'est cette gymnastique assidue par où elle cherche
à s'assouplir à tous les besoins et à tous les emplois.
Rien n'est plus étranger aux habitudes du moyen
âge, où la première forme venue paraissait suffi-
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PREFACE. XXIII
santé, où le style eut toujours un caractère bien
fâcheux d'improvisation.
Henri Estienne a très bien reconnu aussi la facilité
qu'a le français à former des mois dérivés et com-
posés, contre Topinion vulgaire qui lui refuse cette
qualité. Il est vrai que nous avons perdu un trop
grand nombre de ces dérivés; Henri Estienne énu-
mère ceux que le français avait formés à Taide du
préfixe for\ il ne nous en reste pas la moitié :
forvoxjer^ forlignei\ forclore^ forconier, forsené^ for-
juger, forconseiller, formariage, forfaict, forfaicture,
forfaicteur, forbeu, forbourg (dont il reconnaît la
vraie étymologie, malgré que le mot soit défiguré
dans l'orthographe).
n admire le nombre et la richesse de nos com-
posés. H approuve les poètes de la Pléiade d*en avoir
créé beaucoup avec des éléments bien français; mais
il semble avoir discerné l'abus où ils sont tombés en
employant presque exclusivement ces composés
comme épithètes, tandis que la tradition et le
génie de la langue aiment mieux en faire des sub-
stantifs. « J*ay d'autant plus en recommandation
l'honneur de ces excellens poètes que je les voy
s'efforcer à honorer nostre langage... je les prieray
recevoir cest advertissement touchant la discrétion
qu'ils doivent avoir en l'usage de tels epithetes :
c'est qu'ils se souviennent de ce que disoit la gentile
poetrice Corinne : t9) /ti^X Set (XTcetpeiv, àXXà «jl-J) é»)to tÇ
QuXaxa). 11 faut semer avec la main et non pas ren-
verser le sac. » En fait d'épithètes composées, la
Pléiade, en efl*et, a un peu renversé le sac.
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XXIV PREFACE.
Henri Estienne a très bien reconnu que la princi-
pale source de Tabondance des mots en français pro-
vient moins du grand nombre des formes que de
celui des significations que chaque forme est apte k
recevoir. En d'autres termes, notre langue a une
puissance métaphorique très remarquable, et que les
autres langues ne possèdent pas, tant s'en faut, au
même degré; il n'est presque pas un mot concret,
désignant un objet palpable et matériel, qui ne puisse
être pris, en français, au figuré, et recevoir une accep-
tion nouvelle et particulière. Nous avons même quan-
tité de mots abstraits qui, par un procédé analogue
et contraire, peuvent désigner parfois des objets con-
crets. Villemain, après Furetière, regrettait ainsi le
terme énergique d'orgueil employé par les artisans
pour désigner Tappui qui fait dresser la tête du levier
et que les savants appelaient du beau mot d'hypomo-
chlion.
Henri Estienne admire aussi le grand nombre de
motsexpressifs que la langue usuelle empruntait des
"langages techniques et spéciaux; particulièrement
de celui de la vénerie et de la fauconnerie ; Du Bellay,
dans la Défense et illustration de la langue française,
et Ronsard dans la préface de la Franciade l'avaient
mis sur la voie de cette observation ; mais il a déve-
loppé largement ce qui ailleurs n'était qu'indiqué.
Il énumère une foule d^jcgressions pittoresques :
être aux abbois, rendre les aîbois, prendre Vessort,
faire une gorge chaude y tenir en mue; des adjectifs
comme niais, hagard, débonnaire, leurré, esmerillonné ;
des substantifs : la curée, un hobreau; des verbes :
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PRKFACE. XXV
fureter^ herissonner; et bien d'autres mots empruntés
directement de la langue des chasseurs. Ce qui fai-
sait dire à Montaigne : « Il n'est rien qu'on ne feist
du jargon de nos chasses, qui est un généreux ter-
rain à emprunter. »
D'autres vocabulaires techniques n'avaient pas été
moins féconds; celui des jeux, par exemple, et sur-
tout du jeu de paume; cest à racler et à bander^ que
de bond que de volée ^ jouer pardessus la chorde^ courir
après son esteuf, marquez bien ceste chasse, faire de
quelqu'un son naquet. Mais il semble que ces expres-
sions étaient moins enracinées dans la langue géné-
rale que les termes de vénerie et de fauconnerie ; car
ceux-ci ont survécu presque tous, et les termes du
jeu de paume ne sont plus compris; on n'en voit pas
la raison, car ce jeu était plus répandu encore que
la chasse dans toutes les classes de la nation. Beau-
coup des termes que le français, par métaphore,
empruntait de l'art monétaire, ont également dis^
paru ; il reste billon, aloi ; mais Estienne en énumère
beaucoup d'autres que nous avons laissé perdre.
Il vient aune autre source de richesses, à cette
mine à peu près inépuisable des dialectes; comme
Ronsard il rêve de faire du français une langue com-
posite, indéfiniment abondante, où l'on ferait entrer
des mots pris de toutes les provinces, même des pro-
vinces du Midi : dessein chimérique et dangereux,
mais dont furent épris tous ces audacieux écrivains
du xvr siècle. Autant l'époque suivante fera son prin-
cipal souci d'épurer, de tamiser le vocabulaire, autant
ceux-ci n'ont d'autre ambition que d'y faire entrer
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XXVI PREFACE.
tout; on choisira ensuite. Après avoir puisé dans les
dialectes on prendra les proverbes; il en énumère
cent, qu'il admire avec complaisance; après les pro-
verbes, on dépouillera les vieux romans pour en
tirer d'excellents archaïsmes; il s'extasie devant nos
ipreux fei*vestus\ il regrette le branc acerain, le palais
marbrin, la ùenr pourp?'ine; et le cheyal passevent; et
ces verbes expressifs : borgnoyer^ paumoyer, enherber^
en joncher, etc.
Toute cette partie du livre ofifre un vif intérêt :
c'est un trésor de vieux mots bien choisis, expressifs,
puisés directement dans les souvenirs de l'auteur, qui
avait lu avec curiosité les œuvres de notre plus
ancienne littérature. Il s'est lui-même représenté
(dans les Dialogues du nouveau langage franco is) assis
devant « une grande table, chargée de vieux livres,
Francès, Rommans et autres ; dont la plus grand part
estet escrite à la main », et il disait à ses visiteurs^
« que par la lecture de ces vieux rommans on descou-
vrèt de grans secrets quant à la cognoissance de l'an-
cien langage francès ».
La fin de la Précellence nous satisfait beaucoup
moins. Henri Estienne revient à l'italien pour le
prendre à partie une seconde fois, d'une façon très
injuste. Il accuse les Italiens de s'être enrichis de nos
dépouilles, et d'avoir pillé la moitié de leurs mots
dans le vocabulaire français. Rien de plus frivole
qu'une telle accusation; elle est même doublement
frivole. D'abord, en général, une langue a mauvaise
grâce à reprocher à une autre langue les mots qu'elle
lui a fournis; car enfin, en les prêtant, elle les garde,
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PREFACE. XXVU
et pour enrichir autrui elle ne s'appauvrit pas elle-
même. Il serait honorable à la langue française
d'avoir fourni tant de mots à Titalien; mais ce n'est
pas une raison pour que l'italien en fût déshonoré.
Mais dans l'espèce l'argumentation d'Henri Estienne
est absolument mal fondée. Il semble oublier que
l'italien et le français ne sont, pour ainsi dire, que
y des transformations simultanées de l'idiome bas- /.
I latin; et que, par conséquent, leurs innombrables res-
semblances s'expliquent par leuryorigine commune, f
sans qu'il soit besoin de supposer 3ê part oïïd'âutre
un emprunt qui n'existe pas (du moins dans le fonds
populaire de l'une et de l'autre langue).
Henri Estienne finit par pousser ses griefs à une
exagération puérile: il réclame aux Italiens plusieurs
de ces mots usuels, fondamentaux, nécessaires, qui
dans une langue existent dès son origine, et lui vien-
nent forcément de la langue mère, et non d'une
langue sœur : tête, pied, jambe, cœur, etc. Voici son
raisonnement : le latin dit caput; l'italien, qui vient
du latin, devrait dire pour tête, capo] s'il dit testa,
comme nous tête, c'est évidemment qu'il a pris ce
mot de nous, et non du latin.
Tout ce raisonnement ne tient pas debout. D'abord
on pourrait répondre : il y a aussi longtemps que les
Italiens disent testa, et que nous-mêmes disons teste;
nous pourrions aussi bien avoir pris d'eux ce mot,
qu'eux pourraient l'avoir pris de nous. Mais, en fait,
nous ne leur devons pas teste; ils ne nous doivent
pas testa; eux et nous, devons le mot au bas-latin,
l'ayant hérité simultanément. Hejiri Estienne senïble
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XXVIII PREFACE.
toujours croire que le français et l'italien viennent du
latin de Cicéron ou de Tite-Live directement; il
oublie qu'entre le latin et le français, il y a le bas-
latin mérovingien; de sorte que le français, c'est du
bas-latin prolongé à l'état vivant, et transformé dans
sa prononciation. Ainsi cette curieuse métaphore qui
donne au mot testa (lequel veut dire argile) un sens
dérivé, celui de vase, puis un autre sens dérivé, celui
de crâne, enfin celui de tête, est plus ancienne que le
français et l'italien; elle est déjà pleinement établie
dans le bas-latin, d'où l'ont reçue les langues
modernes.
Il en est de même pour beaucoup de mots qui ne
sont pas latins d'origine, mais germaniques; ils sont
entrés dans le bas-latin k l'époque des invasions bar-
bares; puis, de bas-latins, sont devenus en même
temps italiens ou français, provençaux ou espagnols.
Que signifient donc ces plaintes d'Henri Estienne :
« Et pour monstrer encore davantage comment en
nostre langage tout leur a esté bon, et qu'ils n'ont
rien trouvé trop chaud, ni trop froid, j'adjousteray
qu'ils nous ont pris aussi les mots qu'il est vraysem-
blable que nous ayons de nos Gaulois [il devait dire
des Gerînains) comme héberge, ou herberge, »
Il tire de même une fausse conclusion des rencon-
tres de sens que peuvent ofifrir l'italien et le français
dans des mots tirés du latin où ils avaient une autre
signification. Exemple : le latin dit attendere au sens
de être attentif. Le français en tire attendre, et l'italien
attendere au sens de être en attente. Là-dessus Henri
Estienne triomphe et dit : « S'ils eussent tiré le mot
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PRÉFACE. XXIX
du latin, ils lui auraient laissé son sens latin : être
attentif. Puisqu'il a le même sens chez eux et chez
nous, c'est à nous qu'ils l'ont pris. Henri Estienne
oublie, ou bien ignore, que le mol latin attendere a
pris son sens actuel dans le bas-latin, et Ta transmis
ensuite aux langues modernes. N'a-t-il pas même
gardé une partie du sens ancien, au moins au parti-
cipe : Attendu que veut dire : Étant considéré avec
attention.
Ne va-t-il pas jusqu'à dire : ils nous ont pris notre
conjonction que « encore qu'ils la desguisent en che ».
La preuve en est que leur che^ comme notre que^ a
une foule d'emplois syntaxiques qu'ignore la con-
jonction latine quam ou le pronom quod. Mais,
toutefois, que français, che italien viennent de quod
latin ; et s'ils ont étendu et multiplié leurs emplois,
c'est pour répondre à des besoins qui sont sem-
blables dans les deux langues modernes, où la perte
des cas amène pareillement l'usage plus fréquent des
tours analytiques.
Je n'insiste pas sur le singulier reproche que fait
Henri Estienne aux Italiens d'avoir écorché les mots
qu'ils nous empruntent; nous disons aventure, ils se
permettent de dire ventura; comme ils ne nous l'ont
pas pris, mais au latin, je pense qu'ils en étaient
bien libres. Dans son acharnement, Henri Estienne
laisse un peu trop voir qu'il nourrissait contre l'Italie
d'autres griefs que des griefs philologiques; mais il
mêle les uns et les autres d'une façon bien amusante.
Il est toujours le même homme qui écrivait dans les
Dialogues du nouveau langage : « Il y a certains cas
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XXX PREFACE.
esquels il est permis d'italianizer : sçavoir quand on
parle de choses qui ne se voyent qu'en Italie : ou
pour le moins, ont leur origine de là, et mesme y
sont plus fréquentes, ou plus célèbres, ou y ont la
vogue plus qu'en aucun autre pays, soit pour quelque
perfection plus grande, ou autrement. »
Venons aux exemples. Il les énumère lentement,
avec preuves à l'appui, sur un ton tout grammatical,
qui rend Tépigramme plus sanglante. Quels sont ces
noms tout italiens qu'il faut bien conserver pour
.désigner des choses qui sont aussi tout italiennes?
Charlatan^ Bouffon^ Assassin^ Supercherie^ Courti-
sane, Poltronnerie y Forfanterie, Certes, nous aimons
aujourd'hui un ton plus modéré dans les discussions
scientifiques; mais, si nous passons condamnation
sur ces vivacités que l'usage du temps autorisait, la
page est vraiment jolie.
Revenant, pour finir, à de meilleurs sentiments,
Henri Estienne conclut la Précellence en ofifrant un
accommodement amiable aux Italiens : qu'ils laissent
la première place aux Français; ceux-ci leur accor-
deront la seconde, et en banniront l'espagnol qui
pourrait y prétendre, A ce prix, la paix sera faite. On
ne dit pas si toutes les nations la ratifieront, et j'en
doute. Chaque peuple est assez disposé à placer fort
haut sa propre langue, et, au fait, il n'a pas tort. Car
ce parallèle de deux langues est une recherche assez
vaine, au fond; et je doute qu'il puisse aboutir à
quelque chose de solide : on peut bien comparer
deux langues, mais peut-on leur donner des rangs?
Comme nous disions plus haut, il n'y a pas entre elles
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PREFACE. XXXI
de mesure commune. On peut prétendre, sans para-
doxe, que chaque langue, prise à part, est en elle-
même excellente et parfaite; du moins pour ceux qui
la parlent, et pour Tusage qu'ils en font. C'est qu'en
efifet, l'action et la réaction ne cessent de se produire,
de la nation sur la langue, et de la langue sur la
nation; l'une est faite pour l'autre; et celle-ci s'ajuste
à celle-là. L'instrument se perfectionne entre les
mains de l'ouvrier. L'ouvrier s'habitue et s'accommode
à son instrument. Chaque peuple a la langue qu'il
mérite, et qu'il lui faut avoir. Toute langue est néces-
sairement la meilleure possible pour le peuple qui la
parle.
Cela admis, que peut valoir une comparaison de
deux langues à l'effet de leur assigner un rang?
A priori, l'italien convient mieux aux Italiens, le
français aux Français. En préférant le français,
Henri Estienne énonce un goût personnel, que nous
partageons sans doute ; mais cela ne peut rien
prouver.
La comparaison n'aurait de sens et de valeur que
si elle embrassait non seulement les deux langues,
mais tout l'usage qu'on en a fait : les deux littéra-
tures. Alors on pourrait essayer de compter les
richesses et de les apprécier; de rechercher lequel
des deux peuples a le plus excellé dans la philoso-
phie ou dans l'éloquence, dans la science ou dans la
poésie, lequel a fait le plus d'honneur à l'humanité.
La préférence pour une littérature ou pour une
nation peut se justifier; la préférence pour une
langue n'est pas moins légitime, mais elle est plus
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XXXII PREFACE.
embarrassée pour donner ses raisons. Or Henri
Estienne s'est tenu strictement ^ dans le domaine
grammatical; il n'a pas dit un mot de la littérature
et des écrivains. Voilà pourquoi le parallèle entrepris
manque de base solide.
Mais il reste à l'auteur le grand honneur d'avoir
écrit, le premier, des pages excellentes sur les res-
sources infinies dont dispose la langue française;
et d'avoir éveillé ainsi, chez ses contemporains, le
goût du scrupule et de l'attention sur les mots. Rien
n'était plus nouveau, le procédé commun du moyen
âge ayant été une continuelle improvisation. Rien
n'était plus fécond, plus propre à préparer une langue
classique, et à frayer la voie aux grands écrivains
du XVII® siècle.
Quoique l'analyse que nous en avons faite indique
une sorte de plan, l'ouvrage d'Henri Estienne est, il
faut l'avouer, très désordonné : les digressions abon-
dent, sans que l'auteur se mette en peine pour les
rattacher au sujet : il suffit qu'une idée, qui s'ofifre à
lui en passant, lui plaise pour qu'il s'y abandonne ;
quitte à la laisser là, lorsqu'il voit qu'elle l'entraîne
trop loin. Il rentre alors brusquement dans son
sujet, mais sans s'excuser, en homme qui croit
qu'un auteur doit seulement au lecteur de l'instruire
et de l'intéresser, mais qu'il est toujours maître de
choisir ses moyens et de tracer son itinéraire.
Nous aimons à présent dans les ouvrages de science
un procédé plus scientifique, et ce mélange un peu
capricieux de la science et de l'agrément, qui ne
déplaisait pas encore, il y a un demi-siècle, dans la
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PRÉFACE. XXXIII
philologie de Charles Nodier ou de Génin, risquerait
aujourd'hui de paraître trop austère aux gens du
monde et trop frivole aux gens studieux. Nous
aimons que la science aille droit son chemin, sans
s'amuser à faire des bouquets en route. Mais Tan-
cienne méthode avait aussi ses avantages : ces livres,
d'où l'agrément n'était pas banni, trouvaient plus de
lecteurs, et des lecteurs plus variés. Aujourd'hui, qui
s'astreint à lire d'un bout à l'autre un livre de philo-
logie pure, comme VHutoire de la prononciation de
Thurot ou le Traité de la formation des mots com-
posés de Darmesteter? Vingt personnes en Europe,
qui travaillent sur les mêmes questions. Les autres
connaissent le livre, le consultent, s'en servent au
besoin; mais le lisent-ils, à proprement parler?
Disons au moins que l'ancienne méthode a été
bonne en son temps et même la meilleure ai^xvî« siè-
cle, à l'époque d'Henri Estienne. Alors ^ était
avant tout nécessaire de faire aimer la langue fran- ^
çaise aux Français, et de leur persuader que cette
langue était belle, riche, harmonieuse, et capable
des plus grandes œuvres. Pour faire entendre ces
choses, alors neuves et hardies, à un plus grand
nombre de lecteurs, il était bien permis, et peut-
être était-il sage, de mêler à beaucoup de science
un peu d'agrément, et même (ce qui ne gâte rien)
beaucoup d'esprit.
L. Petit de Julleville.
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PRblECT bV LIVRE
iotitulé
De la precellence
du langage François.
PAR HENRI ESTIENE.
Lcliurcaulc£fccur,
le fuis ioycHX de pouuoir autant plaire
^ux bons François , quaux mauuais
Ifeuxdejplaire,
A PARIS,
Par Mamert Patiflbn Imprimeur an Roy.
M-D.X-XXIX.
^necprîuilep^dkdiâlfeiff^eur.
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AU ROY
Sire, pour m'aquitter de la promesse faicte derniè-
rement èi vostre Majesté *, je luy présente un project
et comme un modelle d'un œuvre que je délibère inti-
tuler DE LA PRECELLENCE DU LANGAGE FRANÇOIS *. Lequel
project je la supplie treshumblement vouloir favo-
riser non moins de sa censure que de sa lecture. A
quoy j'espère qu'elle sera incitée, quand il luy plaira
considérer de quelle importance est ceste entreprise
pour l'honneur de son royaume : comme aussi je la
i. A la fin de 1578, Henri
Estienne se sentant menacé à
Genève à cause de quelques
hardiesses contenues dans ses
Dialogues du nouveau langage
français italianizé s'était ré-
fugié en France où il avait
reçu d*Henri III le meilleur
accueil. Il nous a raconté dans
sa Musa vrincipum monitrix
comment il entreprit, sur les
instances du roi, le livre de
la Précellence, et l'acheva en
trois mois, sans autre secours
que celui de sa mémoire : il
avait laissé à Genève les ma-
tériaux, les notes, qui auraient
PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS.
pu lui servir. Ce livre n^était,
dans sa pensée, que l'ébauche
d'une œuvre plus importante,
plus solidement construite.
Mais son projet ne fut jamais
exécuté. (Voir Frémy, V Acadé-
mie des derniers Valois, p. 129.)
2. Le mot précellence, criti-
qué par La Monnoie, approuvé
par Goujet, exprime à la fois
l'idée de supériorité et l'idée
d'excellence, qui sont deux
idées très distinctes. L'ancienne
langue avait d'ailleurs precel-
lent et p?'eceW«r.(VoirGodefroy,
Dictionnaire de Vancienne lan-
gue française.) -
1
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2 EPISTRE .
puis asseurer qu'elle est procedee d'un cueur qui s'est
tousjours monstre zélateur et comme jaloux de l'hon-
neur de sa nation. Ce qui a esté congneu en divers
temps par les ambassadeurs tant vostres que de vos
prédécesseurs, père et frères : premièrement en
Angleterre, puis en Italie, en Allemagne et en
Suisse : outre-ce-que je l'ay tesmoigné il-y-a plus de
douze ans, par un traitté De la conformité du lan-
gage François avec le Grec *. Je puis dire d'avantage,
Sire, que ceux qui auront veu les escrits de mes père
et oncle, appercevront que ceste ardante afifection
d'honorer ma patrie m'est tellement héréditaire, que
je ne pourrois me la desraciner, sans forligner tota-
lement *. Et pourtant si l'eflFect est inférieur à un si
grand désir, j'ay espérance. Sire, que vostre Majesté
le supportera, et ne me voudra imputer ceste har-
diesse à présomption : veu que d'ailleurs je m'estois
ja obligé à une telle entreprise par mes œuvres pre-
cedens, qui appartiennent à l'illustration des langues
Greque et Latine : ne pouvant raisonnablement
denier à celle qui m'est naturelle autant de bien que
j'en avois faict à ces estrangeres.
1. La Conformité parut au plit d'immenses travaux, entre
plus tard en 1565. autres son Thésaurus linguœ
2. Le fondateur de la dy- latinx, son Dictionarium' la-
nastie des Estienne est Henri tino-gallicum, sa Grammaire
Estienne, dit Henri 1"% grand- française. Trois de ses fils ont
père de Tauteur de la Précel- eu, comme savants et comme
lence. 11 eut trois fils : Fran- imprimeurs, une célébrité iné-
çois, mort jeune et sans en- gale. Le plus illustre est Henri
fants, Robert, dit Robert !*% et Estienne, dit Henri H. Ses
Charles, qui ne laissa qu'une frères Robert, dit Robert H, et
fille. Charles est l'oncle dont François, dit François H, ont
parle ici Henri Estienne. Les fait d'assez importants tra-
trois frères furent imprimeurs, vaux. (Voir la Biographie géné-
Le second, Robert 1*% accom- raie publiée par Firmin- Didot.
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AU ROY. 3
Or me sen-je infiniment heureux, Sire, que Tedi-
tion de ce livre ait ceste bonne rencontre, de se
trouver soubs le règne de vostre Majesté : pourceque
l'éloquence d'icelle luy sera un tres-honorable tes-
moignage de la louange qu'il donne à nostre langue ^ .
Duquel don vous ne devez moins rendre grâces à
Dieu (selon mon jugement) que de plusieurs autres
qui toutesfois de prime face pourroyent sembler plus
proufitables : ne moins affectueusement requérir
Taugmentation d'iceluy. Car si l'éloquence est de si
grande efficace, qu'elle puisse souventesfois com-
mander mieux aux cueurs des hommes que la force
des armes, voire ployer les plus endurcis courages :
si elle peut quelquesfois donner si bien le fil aux
paroles qu'elle les rend plus trenchantes que l'espee :
il est certain que le roy à qui Dieu fait la grâce d'un
si pretieux don, est comme doublement roy, et par
conséquent doublement obligé à sa bonté et benefi-
cence. Et ceste obligation est encore d'autant plus
grande, que l'éloquence d'un roy est trouvée plus
éloquente que celle de toute autre personne, laquelle
Dieu n'a exaltée jusques à ce degré. Car si Euripide,
excellent entre les poètes Grecs, a bien dict,
L'homme d'autorité, Vhomme qui nen a point,
Venans à haranguer touchant un mesme poinct,
1. Voir Frémy, ouvrage cité, avait beaucoup de goût non
ch. IV. L'auteur cite en parti- seulement pour l'éloquence,
culier le Traité de l'Eloquence mais aussi pour la grammaire,
royale, composé par Amyot et que sa vive passion pour
pour Fusage d'Henri III et sur les discours lui faisait recher-
ses instances. U montre par cher même les traités des rhé-
divers témoignages que le roi teurs.
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4 EPISTRE
Encore que tous deux tiennent mesme langage y
Celuy de l'un sera bien pezé d'avantage *.
Si (di-je) Euripide a bien dict cela et véritablement,
combien plus de vertu et d'efficace doivent avoir les
mesmes mots sortans de la bouche de celuy auquel
Dieu a donné ce qui est pardessus toute autorité,
que s'ils venoyent de la bouche d'un autre, en quel-
que dignité et honneur qu'il pust estre constitué?
Quant à ceste sentence d'Euripide, nous avons une
fort belle histoire que nous y pouvons rapporter. Car
nous lisons en ^Eschine *, orateur Grec, qu'un homme
qui avoit mauvais bruit, ayant proposé un bon avis
au conseil des Lacedemoniens, ils le firent proposer
par un autre, qui estoit en bonne réputation :
comme ayans opinion que cest avis, encore qu'il fust
bon, ne pouvoit estre heureusement suivi et mis à
exécution, sinon qu'il fust autorizé par la bouche de
cest autre personnage, voire comme emologué et
authentiqué.
Et si on veut d'abondant confermer le dire de ce
poète Grec par celuy d'un Latin, non moins excellent
en son endroit, nous avons un passage fort propre
pour ce faire. Car Virgile, parlant de celuy qui se
doit présenter pour appaiser une sédition esmeue en
un grand peuple, requiert qu'il soit tel que sa pieté
et ses bienfaicts luy puissent donner une gravité et
autorité, qui le rendent respectable. Voyci qu'il dit
1. Hécube, 294-95 : 2. Le fait est raconté dans le
Discours contre Timarque, Ora-
\6yoç Yoip 'i% t' àSoÇovvTwv Iwv /ores a^/ici. Edition Didot. T. II:
xâx Twv SoxouvTwv auToç où ^schinis oratio contra Timar-
[xaÙTov (TÔévet. chum, p. 61.
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AU ROY. 5
(autant que j'ay pu exprimer la nayfveté de son
langage Latin) :
Comme en une grand'ville abondamment peuplée y
Qui par sédition vient à estre troublée.
Quand tout le menu peuple à toute cruauté
D'un courage mutin est soudain incité,
Desja volent en Vair et pierres et flambeaux,
La fureur pour s'armer trouve moyens nouveaux :
Alors se présentant à eux un personnage y
Tant pour sa pieté respecté d'avantage.
Qu'aussi pour ses hienfaicts, on les voit s'arrester,
Et l'oreille attentive à ses propos prester.
Luy gouverne leurs cueurs, lui appaise leur ire,
Par les raisons qu'il sçait en un tel cas déduire *.
Il est certain que Virgile présuppose que ce person-
nage soit éloquent : mais il veut que son éloquence
soit autorisée par ces qualitez.
Si donc le beau et sage parler d'un tel homme ha
tel pouvoir, combien plus grand le doit avoir celuy
d'un roy? Et ne se faut esmerveiller si un prince
souverain, et spécialement un roy, parlant bien à
propos et disertement, pénètre plus avant au cueur
des auditeurs. Car il-y-a une vertu occulte en ses
paroles, accompagnées de la Majesté tant de l'élo-
quence que de la royale, quand ils considèrent que
celuy qu'ils escoutent, n'ha besoin de se faire avouer,
et ne peut estre contredict ni empesché d'effectuer ce
qu'il met en avant, et exécuter pleinement sa bonne
voulonté. Voyla d'où vient qu'au lieu que cela qui
sortiroit de la bouche d'un autre ne seroit tenu
«
I. Enéide, \, 148-153.
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6 EPISTRE
encore que pour dict, on le se représente comme
desja faict, aussi tost qu'il part de celle du roy. Car
comme le roy Porus, venu es mains d'Alexandre le
grand, qui avoit gangné la bataille, interrogé par
deux fois comment il vouloit qu'il se comportast
envers luy, ne respondit que ce mot. Royalement * :
ainsi les subjects qui sont persuadez que leur roy ne
parle point autrement qu'à la façon royale, et qu'il
porte une vrayement royale affection à leur bien, ont
grande occasion d'ancrer leur espérance sur ses
paroles, et se rendre tres-obeissans à icelles. A quoy
il faut adjouster, quant à un roy des François,
l'avantage que luy donne l'inclination naturelle des
cueurs de son peuple, tesmoignee par ce proverbe
ancien.
Parole^ puis qu'un roy Va dicte,
Ne doit pas estre contredicte *.
Estans ces deux poincts hors de controverse, l'un,
que Dieu vous a doué d'éloquence, l'autre, qu'elle est
d'autant plus proufitable et bienséante à un roy, qu'il
est eslevé en degré plus eminent que toute autre per-
sonne : reste un troisième, duquel aucuns pourroyent
douter, si nostre langage est aussi capable de ceste
vertu de bien dire, que l'un ou l'autre de ceux qui
luy veulent faire concurrence, et se rendre ses com-
pétiteurs. A quoy je respon, qu'outre ce que ceux qui
auront pu ouir plusieurs de vos subjects haranguer,
1. Plutarchi Vitae. Edition Livre des proverbes français,
Didot. Vie d'Alexandre, ch. lx. 2* édition (1859), tome II. page
2. Voir Le Roux de Lincy, le 480.
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AU ROY. 7
et auront eu aussi cest honneur d'avoir oui vostre
Majesté discourir, pourront tesmoigner de la suffi-
sance de nostre langage : il-y-a quelque apparence que
ce Project, estans bien considérez tous les poincts
que j'y ay deduicts, leur ostera une grande partie de
leur doute : en attendant que Tœuvre qui sera faict
sur iceluy, les en rende entièrement résolus. Peut
estre aussi que ce-pendant j'auray moyen de monstrer
à l'une de ces deux nations, qui se veut égaler à la
nostre en une chose importante beaucoup plus à
l'honneur de vostre royaume, que sa prétention est
totalement mal fondée *.
Je sçay bien. Sire, que plusieurs, oyans ce dernieiv
propos, et comprenans ce que j'enten, diront que ce
seroit une cause beaucoup plus digne de vostre
audience *. Ce que je confesse : adjoustant toutesfois,
que ceux qui s'esbahiront que vostre Majesté prenne
aussi plaisir à ouir debatre ceste-ci, qui concerne
l'honneur de son langage naturel, ils monstreront
bien ne sçavoir pas combien aucuns des empereurs
Rommains ont diligemment voire curieusement re-
cherché le vray usage de leur langue : et nommé-
ment les deux premiers, Jule César et Auguste ^ :
1. Ces deux nations sont XIX, lettre xi; voir les criti-
ritalie et TEspagne, et c'est ques que lui inspire le goût
de l'Espagne en particulier d'Henri 111 pour la "grammaire,
qu'il est question ici. H. Es- et l'épigramme qu'il a com-
tienne fait sans doute allusion posée à ce sujet.
aux affaires des Pays-Bas. Les 3. Voir entre autres : Aulu-
catholiques avaient appelé le Celle, Nuits attiques (édition
duc d'Anjou, frère du roi de Panckoucke) : I, x; iV, xvi;
France. (Voir Lavisse et Ram- IX, xiv; X, xxiv; XIX, vni; —
baud, Histoire générale, t. V, Suétone, Vie d'Auguste, 85-89.
p. i96 et suivantes.) Suétone nous apprend, entre
2. Estienne Pasquier, livre autres choses, qu'Auguste re-
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8 EPISTRE
dont l'un, asçavoir Jule, en composa mesmement des
livres *. Le cinquième empereur aussi, nommé Clau-
dius, pour aider à sa langue, inventa trois lettres *.
Toutesfois, pour ne venir aux exemples estrangers,
mais demeurer en ceux de vos prédécesseurs, ne
lisons-nous pas de Chilperic, qu'il fit le mesme en la
sienne ^? Et pouf approcher beaucoup plus près de
nostre temps. Sire, n'avez-vous pas encores aujour-
d'huy plusieurs bons tesmoins de Tenrichissement
qu'a receu nostre langage par le moyen de vostre
ayeul, le grand roy François *? voire jusques à luy
donner ce los, qu'il a esté le premier qui l'a mis
.comme hors de page. Ceux donc qui sçauront ces
choses, ne s'esmerveilleront point que vostre Majesté
prenne plaisir au présent Discours, au contraire s'es-
bahiront de l'esbahissement des autres.
Mais quant à ce que j'ay dict, Sire, estre par moy
réputé pour un grand heur, que l'édition de ce livre
se rencontroit sous vostre règne : je suis contrainct
de vous confesser que la mesme chose qui me donne
cherchait avant tout la clarté paraît-il, Vantisigma G = 65 ou
dans le style, qu'il n'aimait ni p^, le v distinct graphiquement
l'archaïsme ni le néologisme, de I'm, d ; enfln, un son inter-
qu'il était partisan de l'orlho- médiaire entre i et u H.
graphe phonétique. Auguste 3. E. Pasquier (Recherches
avait aussi composé plusieurs de la France^ VIII, Lxni) parle
ouvrages. d'une tentative de Chilperic
1. Le traité de V Analogie, pour introduire dans l'alphabet
en deux livres, était dédié à les lettres doubles des Grecs.
Gicéron. 11 est probable que 4. Gf. Dialogues, I, p. 60. —
César voulait faire prévaloir Voir l'article de Ferdinand
partout en grammaire le prin- Brunot, Un projet d* « enrichir^
cipe de l'analogie, dans la magnifier et publier » la la?igue
construction comme dans les française enl 50 9, A^n^Xd, Bévue
formes. d^ Histoire littéraire de laFrance^
2. Suétone, Vie de Claude, 45 janvier 1894. Cf. Pasquier,
43. Ces trois lettres étaient, Recherches, VII, v.
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AU ROY. 9
asseurance pour un regard, me met en quelque
crainte pour un autre. Car d'autant plus vostre
Majesté fait profession de parler purement et diser-
tement, d'autant mets-je ce mien livre en plus grand
danger, pour les fautes qu'elle y pourra remarquer.
Toutesfois j'ay recours à la douceur et debonnaireté
qu'il lui a pieu me monstrer, et qui m'a encouragé à
l'entreprendre : tellement que soubs ceste espérance
je la suppliray derechef le vouloir favoriser non moins
de sa censure que de sa lecture : à fin que l'œuvre
duquel le project aura receu tant de faveur et d'hon-
neur, puisse avoir d'autant meilleur recueil par tout
le royaume de sa Majesté : laquelle je prie le Créa-
teur faire longuement prospérer en la prospérité
d'iceluy. De Paris, ce xxiii d'Apvril, m. d. lxxix.
Vostre tres-humble et tres-obeissant
serviteur et subject,
Henri Est™^
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AU LECTEUR
Qui se voudra rendre neutre.
Entre les beaux et grands avantages que Dieu a
donnez aux hommes pardessus tous les autres
animaux, cestuy-ci estant un, qu'ils peuvent s'en-
trexposer leurs conceptions par le moyen du lan-
gage : il est certain que ceux qui sçavent mieux faire
cela, n'ont seulement cest avantage gênerai, ains
sont aussi avantagez pardessus les autres hommes.
Mais d'autant que le langage est comme l'instrument
duquel ils usent, et qu'un bon ouvrier fait d'autant
meilleur ouvrage qu'il ha meilleur instrument, il
importe beaucoup, pour parvenir à ceste excellence,
d'user d'un langage accompli en toutes sortes. Voyla
pourquoy, si je puis gangner ce poinct, que nostre
langue Françoise surmonte toutes les vulgaires, et
pourtant mérite le titre de precellence, il ^'ensuivra
aussi que nostre nation ha un plus grand preparatif à
l'éloquence qu'aucune des autres. Or estant ceste
entreprise non moins haute que belle, et autant
qu'elle est haute, autant importante à l'honneur et
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PREFACE. 11
au proufît de nostre^ nation, de faire que nostre
langue soit jugée excellente pardessus les excellentes,
s'il vous semble, lecteur, que je n'aye pas bien debatu
ceste cause, je vous prie vous souvenir du proverbe
Latin, qui dit qu'en grandes entreprises on a beau-
coup faict quand on a monstre sa bonne volonté *.
Joinct que j'ay espérance que ce plaidoyer ne sera
qu'un coup d'essay '.
Mais en tout événement vous plaise considérer
outre cela, que comme une bonne cause, estant mal
plaidee, est en danger d'estre perdue, aussi elle ne
peut estre gangnee si on ne la met au hazard du
plaidoyer. Si donc après avoir long temps attendu
que quelcun de ces fameux et heureux advocats la
vousist entreprendre, voyant ce retardement estre
fort préjudiciable, je l'ay hazardee, il me semble que
si je n'en ay telle issue que j'ay non seulement
désiré mais aussi espéré, je ne laisse pas d'avoir
faict le devoir d'un personnage vrayement amateur
de sa patrie. Je puis alléguer encores autre raison,
qui mérite n'estre moins considérée : c'est qu'ayant
congneu que le roy prendroit plaisir à ce plaidoyer,
si je l'accelerois, et luy ayant promis de ce faire,
je me suis aucunement persuadé que l'audience,
laquelle sa Majesté me vouloit donner, porteroit si
bon heur à ceste cause, que cela pourroit recom-
penser le défaut d'un plus sufflsant advocat. Quoy
1. Properce, II, X : ^rf^w^M5- souvent par les poètes. (Voir
tum : A. Otto : Die Sprichwôrter und
Quod si deficiant vires, audacia certe sprichwôrtlichen Redensarten
Laus erit : in magnis et voluisse sat de)' RÔmer. Leipzig, 4890. Page
[est. 362.)
La même idée a été exprimée 2. Voir VEpistre au Roy.
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12 PREFACE.
qu'il en soit et qu'il en puisse advenir, bien peu de
jours après luy avoir fai<ît la promesse, je m'en suis
aquitté : sçachant bien que nostre proverbe, Qui tost
donne deux fois donne *, se vérifie principalement à
l'endroit des princes, et spécialement des rois. Il est
vray que j'ay usé d'une façon un peu nouvelle, c'est,
de faire un plaider sommaire comme par provision,
en attendant la commodité d'un second (par lequel
je pourrois déduire mes raisons plus au long, en
faisant aussi production d'autres pièces) mais en
ayant adverti sadicte Majesté, et voyant qu'elle
l'avoit approuvée, j'ay estimé que son aveu me seroit
une tresbonne garentie.
Or pource que je prevoy que vous désirerez sça-
voir de quels mémoires et de quelles instructions je
me suis aidé en ce plaidoyer : je confesse que celles
que j 'a vois autresfois mises à part, m'ont failli au
besoin, et qu'il a falu que ma mémoire ait suppléé
le défaut de tous ces mémoires : lesquels si j'eusse
pu avoir, je me fusse bazardé de plaider la cause
tout à faict '. Car pour dire franchement tout ce que
j'en pense, comme je recongnois que nostre France
ha un grand nombre d'hommes plus suffisans que
moy pour ce faire, aussi ne me veux-je pas mettre
au nombre des plus insuffîsans : où me rengeroyent
voulontiers ceux qui disent que parler Grec est mieux
1. Voir de Méry, Histoire celeriter; une phrase de Sénè-
générale des proverbes, I, 164. que (De Beneficiis, II, 5). L'idée
Léon Feugère cite en outre un a été exprimée en effet par
proverbe grec : xa?iç PpaSuTcou; les moralistes de tous les
axapt;, un vers de Publius temps.
Syrus (Sentences, 202) : Inopi 2.YoirV Epis treauRoij,paii;ei,
benefîcium bis dat qui dat note 1.
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PREFACE. 13
nK)n raestier que parler François. Je leur confesse
librement une partie de leur reproche : sçavoir est,
que j'ay faict autresfois mestier de parler Grec, et
nommément à Venise, avec un gentilhomme Grec,
nommé Michel Sophian : (et que ceste promptitude
m'estoit venue de ce que j'avois appris la langue
Greque avant la Latine :) mais je leur nieray l'autre
partie, que ce langage estranger m'ait gardé de sça-
voir bien parfer celuy qui m'est naturel *.
Les mesmes m'objectent aussi les voyages que
j'ay faicts parcidevant, et que je fay encores ordinai-
rement es pays loingtains, où on parle un lan-
gage du tout différent au nostre : comme si ceste
discontinuation devoit beaucoup incommoder ma
mémoire (qui est une chose semblable à celle qu'on
a dicte de Xenophon, pour luy oster l'honneur de
parler purement) * mais je respon qu'au contraire
j'expérimente en ceste discontinuation, n'estant point
trop longue, une telle chose que dit Plutarque des
peintres : qu'ils jugent mieux de leurs ouvrages,
quand ils ont esté quelque temps sans les regarder^.
Et qu'ainsi soit, Ja discontinuation a esté cause de
me faire prendre garde de plus près à quelques chan-
gemens et quelques nouveautez de mauvais^ grâce,
qui eschappent à aucuns mesmement des mieux par-
1. Voir comment Montaigne C'est là qu'il composa une
apprit le latin et le grec, grande partie de ses ouvrages.
(Livre I, ch. xxv : De Vinsti- 11 passa les dernières années
tution des enfants; vers la fin de sa vie à Corinlhe.
du chapitre.) 3. Voir Plutarque, De cohi-
2. Xenophon, exilé pour cause benda ira, dans les Sci-ipUi
de laconisme, s'était établi à mora/i^, édition Didot, tome I,
Scillonte, dans le Péloponnèse. 549.
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14 PREFACE.
lans, pour s'y estre peu à peu accoustumez, en ne
bougeant d'un lieu.
Nonobstant lesquelles choses, je déclare que je ne
trouveray point mauvais que ceux qui se sentiront
estre en meilleur equippage que moy pour emporter
ceste victoire, se vueillent mettre en ma place : au
contraire je la leur quitteray de gayeté de cueur.
Car je n'estimeray avoir peu faict, quand j'auray
faict prendre envie à quelque autre de faire mieux.
Il faut aussi que je responde pourquoy sçachant
que nostre langage avoit deux compétiteurs, l'Italien
et l'Espagnol, je n'ay combatu que l'un, asçavoir
l'Italien. Je di donc que je n'ay voulu m'attacher
qu'à luy : pource que je m'asseurois que luy ayant
faict quitter la place, je pouvois aisément venir à
bout de l'Espagnol : veu que je l'estime luy estre
beaucoup inférieur, pour les raisons que je deduiray
ailleurs.
Pour donc ne parler maintenant que des Italiens,
je di qu'un proverbe fort célèbre nous donne une
prérogative pardessus eux, quant au chant, non
moins que pardessus les Espagnols : Balant Italie
gemunt Hispani, ululant Germanie caniant Galli *.
laquelle prérogative me semble estre aucunement
un préjugé pour nous, quant à obtenir la precellence
dont il s'agit. Et toutesfois je proteste que je ne
l'eusse point demandée, si je n'eusse veu quelques
Italiens avoir osé préférer leur langage non seule-
ment au nostre, et à tous les autres vulgaires qui
1. Le Roux de Lincy, /e Lfu/'C mands crient et les Français
des Proverbes français y \, 290 : chantent.Ce proverbe avait sans
Les Italiens pleurent^les Aile- doute encore d'autres formes.
s^^i^^Y^'
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PREFACE.
15
sont aujourdhuy, mais aussi au Grec et au Latin. Car
je confesse que j'ay pris ceste préférence tant à
cueur, que j'ay voulu essayer de vérifier sur eux un
de nos anciens proverbes, Qui monte plus haut qu'il
ne doit, Descend plus bas qu'il ne voudroit*. Et pour-
ce que plusieurs ne croiroyent pas aisément qu'ils se
fussent tant oubliez, je nommeray ici par nom et
surnom celuy qui a mis les autres en train. Je di
donc qu'il-y-a environ neuf ans qu'un Florentin,
nommé Benedetto Varchi *, en un dialogue intitulé
VHercolano (auquel il discourt généralement des lan-
gues, et particulièrement de la Toscane), luy donne
ceste louange : l'appelant la lingua volgare, comme
aussi il nomme la Florentine : combienque quant à
l'honneur et au degré il la sépare de la Toscane mes-
mement. Et celuy qui depuis a escrit un livre qu'il a
nommé Difesa délia citta di Firenze et de i Fiorentini^
contra le calunnie et maledicentie de maligni ', s'arreste
1. Le Roux de Lincy, ouvrage
cité, II, 493 :
Oï l'avés dire sovent
Ki haut monte de haut descent;
Froit a le pi è ki plus Testent
Ke ses covretoirs n'a de lonc.
{Théâtre français au moyen âge,
p. 46, XIII*' siècle.)
2. Benedetto Varchi, né à
Florence en 1502, suivit les
Strozzi dans leur exil et fut
précepteur de leurs enfants.
Sa renommée le fit rappeler
par Côme !•% qui l'aida à con-
stituer l'Académie florentine,
lui donna une pension, et le
chargea d'écrire l'histoire des
derniers temps de la répu-
blique et de l'origine de la
puissance des Médicis. Après
cet ouvrage, dans lequel Varchi
montre beaucoup d'exactitude
et d'indépendance, son œuvre
la plus importante est VErco-
lano, dialogo net quale si ra-
giona délie lingue, ed in parti-
colare délia toscana e délia
fiorentina. L'un des interlocu-
teurs est le comte César Erco-
lani, de Bologne. Varchi était
devenu prêtre et allait rem-
placer le curé de Monte-Varchi,
lorsqu'il mourut, frappé d'apo-
plexie, en 4565.
3. ('et écrivain est un mé-
decin et philosophe florentin,
nommé Paolo Mini. (Voir Tira-
\ boschi , Storia délia letlera- •
j lura italianay t. VII, p. 689,
' 694, 903.)
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1 6 PREFACE.
à ce jugement de Benedetto Varchi, comme si c'es-
toyent mots d'évangile.
Il ne faut pas demander en quel reng mettent
nostre langue ceux qui veulent faire marcher la
Oreque et la Latine après la leur: mais il faut de-
mander pourquoy leur dire ne seroit subject à cau-
tion : veu mesmement que nous avons pour Thonneur
de la nostre (outre tant de raisons que j'allègue en
mon traitté) un tesmoignage qui en vaut une dou-
zaine : pource qu'il est d'un ancien personnage, qui
estoit de leur Florence, précepteur du poète Dante.
Car cestuy-ci, nommé Brunetto Liatino *, a laissé un
livre composé en langage François, et depuis traduict
en Italien (où il est nommé il Thesoro :) dedans lequel
il confesse le parler François eslre non seulement
plus en usage, mais aussi estre plus plaisant que
tous les autres. Or je leur laisse penser s'il eust ainsi
parlé de nostre langue, sinon qu'il eust veu la sienne,
asçavoir la Florentine, n'estre rien h comparaison,
non plus que les autres vulgaires. Ils me respondront
que depuis le temps auquel vivoit ce Brunetto, leur
1. Brunetto Latini, né à Flo- toire, à la géographie, à Tas-
rence vers 1212 suivant les uns, tronomie, à la morale, à la
-en 1230 suivant d'autres, fut politique. Il a été publié en 1863
exilé par les Gibelins en 1260. dans les Documents inédits sur
Il passa sept ans au moins à Vhistoire de France. On en cite
Paris. De retour à Florence en toujours la fameuse phrase :
1284, il fut nommé secrétaire « Se aucun demandoit por quoi
•des conseils de la république, cist livres est escriz en romans
et joua toujours dès lors un selon le langage des François,
rôle important dans l'Etat. Il puisque nos somes Ytaliens,jç'
mourut en 1294. Li livres dou diroie que ce est por II rai-
Tresor, qu'il écrivit en français sons : l'une, car nos somes en
pendant son séjour à Paris, France, et l'autre por ce que la
'est une sorte de recueil ency- parleure est plus delitable et
clopédique qui touche à l'his- plus commune à toutes gens. »
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PREFACE. 17
langue a beaucoup acquis de beauté et de richesse ;
et moy seray-je muet? ne leur puis-je pas répliquer
que la nostre a faict le mesme? Voire puis et doi
adjouster qu'elle peut reprocher à la leur (puisque
son ingratitude la contraind d'user de reproche)
qu'une grand' partie de son embellissement et enri-
chissement vient de ses biens : comme je le monstre
évidemment en mon livre. Veu donc que la nostre,
la renouvelant ainsi presque toute, l'a faicte comme
renaistre, faut-il demander qui est la première des
deux? Non plus, certainement, qu'on demanderoit
qui est la première, la mère ou la fille. Joinct que
quand ceci ne seroit, nous avons des Rommans qui
pourroyent estre les bisayeulx, voire trisayeulx du
plus ancien auteur qu'ils ayent. Mais je confesse bien
qu'entre leur temps (je di des Italiens qui sont au-
jourdhuy) et le nostre, il s'est faict plus grand remue-
ment de mesnage en nostre langue qu'en la leur (et
principalement quant aux terminaisons) comme aussi
il fut grand entre le temps d'Ennius et de Virgile *.
Tant y-a que si on considère bien Testât auquel
leur langage et le nostre sont maintenant, je puis
alléguer beaucoup de raisons (outre celles que j'ay
deduictes plus particulièrement) pour lesquelles il
n'y-a aucune apparence de comparaison entr'eux.
1. Même avant H. Estienne, de Vorigine de la langue etpoë-
on commençait à connaître les sies françaises, -npne et romans^
vieux auteurs romans. Geoffroy plus les noms et sommaires des
Tory donne dans son Champ- œuvres de 427 poètes françois
fleury la liste de ceux que lui vivants avant l'an iSOO,
a prêtés frère René Massé, de Nous savons aussi qu'Henri
Vendôme, chroniqueur du roi. Estienne possédait des « ro-
Claude Fauchet. contemporain mans » anciens dans sa biblio-
d'H. Estienne, publie le Recueil thèque.
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18
PREFACE.
Car non seulement nous avons nos langues plus a
délivre que les leur pour prononcer les mots Grecs
et Latins que nous empruntons, sans les dépraver
comme eux (de quoy j'ay amené beaucoup d'exem-
ples) * mais aussi nous avons un langage qui n'est
point subject à tels changements qu'on voit avenir
au leur, et à une telle incertitude '. Car ils ne sont pas
en débat touchant l'orthographie seulement (lequel
ils nous pourroyent aussi objecter, encore qu'au-
jourdhuy il ne soit pas tant eschauffé) ^ mais tou-
chant plusieurs vocables, que les uns disent estre de
mise, les autres ne les veulent non plus recevoir que
fausse monnoye : voire se gardent d*en user (ainsi
que j'ay monstre par un passage du Tomitan) * comme
1. Voir plus loin, p. 1\ ; cf.
Dialogues, 11, 268 et 315-316.
2. La langue française du
XVI* siècle pèche justement par
son défaut de fixité. Rabelais
y fait probablement allusion
lorsqu'il dit du langage lan-
ternois : « Je t'en feray un beau
petit dictionaire lequel ne du-
rera gueres plus qu'une paire
de souliers neufz. » (Livre 111,
ch. XL VII.) Aussi l'opinion, à la
fin du siècle, était-elle que les
ouvrages sérieux ne devaient
pas être écrits en français.
Montaigne, 111, ix : « J'escris
mon livre à peu d'hommes et
à peu d'années. Si c'eust esté
une matière de durée, il l'eust
fallu commettre à un langage
plus ferme, etc. » Voir A. Dar-
mesteter et Hatzfeld, Tableau
de la langue française au
XVl^ siècle, p. 183.
3. Depuis le xiv" siècle, il y
avait dans l'orthographe fran-
çaise un complet désarroi dû
à la lutte entre l'orthographe
phonétique (celle de l'ancien
français), et l'orthographe éty-
mologique ou prétendue telle.
La question n'est pas résolue,
puisque l'usage actuel est établi
d'une façon purement arbi-
traire. (Voir E. Pasquier, Re-
cherches, m, 1 : De Vorigine de
nostre vulgaire Fi^ançois, que
les Anciens appelaient Roman,
et dont procède la différence de
f orthographe et du paidey^. —
Lettres, ÏII, iv : Sçavoir si l'oi^-
thographe française se doit ac-
corder avec le parler.
4. Bernardino Tomitano,
médecin et littérateur, né à
Padoue en 1506, mort à Venise,
en 1576. Ses principales œuvres
littéraires sont : Quattro libri
delta lingua toscana, ove si
prova la filosofia esser neces-
saria al perfetto oratore e poeta
(l'ouvrage aont il est question
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PREFACE.
19
si c'estoyent des paroles propres pour invoquer les
diables. Et sur cela Dieu sçait les belles raisons qui
sont mises en campagne tant d'une part que d'autre :
comme de la part de Castelvetro assaillant, et de
Annibal Caro * défendant. Lesquels je ne nomme
point par mespris, ains estant marri que deux tels
personnages ayent appliqué à cela leur esprit qui
estoit capable de si grandes choses : et principale-
ment celuy de Castelvetro. Car je les ay congneus
tous deux, et mesmes ay eu bonne part en leur
amitié, de leurs grâces. Et ne préfère point Tun à
Tautre, à cause du titre qu'il me donne en un sien
livre (duquel titre je me sen trop chargé), mais pour-
ce que je puis monstrer la vérité estre telle. Tou-
tesfois, sans entrer plus avant en ceste comparaison,
n'est-ce pas grand pitié que deux si grands person-
ici) : — Esposizione littérale del
testo di Maiieo evangelista ; —
Discorso intorno aU*eloquenza^
ed airartifizio, délie prediche e
del predicare di Cotmelio Musso.
1. Annibal Caro, né à Citta-
Nova (marche d'Ancône), en
1507, mort à Rome en 1566, fut
secrétaire du duc de Parme et
de Plaisance, Paul-Louis Far-
nèse, fils du pape Paul III.
Plus tard il entra dans l'ordre
de Saint-Jean de Jérusalem et
obtint de riches commanderies.
Ses principaux ouvrages sont:
un recueil de poésies, Le Rime,
sa belle traduction de V Enéide,
en vers libres et non rimes,
une comédie, / Straccioni (les
Gueux), etc. Ses lettres sont
considérées comme un des mo-
dèles de la bonne prose ita-
lienne. — Luigi Castelvetro,
né à Modène en 1505, fut mem-
bre de l'Académie des Intronati,
à Sienne. Sa querelle avec Caro
éclata à l'occasion d'une canzowe
composée par Caro à la louange
de la maison royale de France.
Cette canzone fut sévèrement
critiquée par Castelvetro. Caro
répondit avec colère. On dit
(ju'il fut l'auteur des persécu-
tions dirigées contre Castelve-
tro, qui s'enfuit, en 1557, pour
éviter les prisons du Saint-
Office, et, après bien des aven-
tures, mourut en exil en 1571.
Les principaux ouvrages de
Castelvetro sont sa traduction
et son commentaire de la Poé-
tique d'Aristote, sa très inté-
ressante critique d'Annibal
Caro : Ragioni di alcune cose
segnate nella canzone di Anni-
bal Caro, etc.
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20 PREFACE.
nages, au lieu d'employer le temps à des escrits qui
les pouvoyent rendre admirables, Fayent employé à
des disputes touchant leur langage maternel, qui les
rendent quasi ridicules? Or la-dessus Benedetto Varchi *
et autres se sont jettez à la traverse, et ont tellement
/ brouillé les cartes que le vray et nayf langage Italien
( n'est plus qu'une idée Platonique. Je sçay bien que
des le temps de Bembo * l'incertitude y estoit grande,
et luy tant mieux pensoit parler, tant plus estoit
moqué : (tesmoin Tevesque qui luy demanda en une
église de Padoue, si elle ne luy sembloit pas molto
scannevole) ^ mais elle est tant augmentée depuis,
qu'on trouvera vray ce que je vien de dire.
Ils ne peuvent pas objecter le mesme à nostre lan-
gage, car jamais il n'a falu que les plus grands per-
sonnages de nostre France ayent mis la main à la
plume pour nous apprendre à parler i^'rançois. Et
quand ils l'eussent mise, prehans ceste pêne de gayeté
de cueur, et pour leur plaisir (encore qu'elle n'eust
pas esté du tout inutile h quelque partie du commun
1. 11 fut partisan de Caro ouvrage, écrit en dialogues,
contre Castelvetro,qui a publié que Bembo doit sa renommée
des critiques contre VErcolano, comme grammairien. Il a écrit
2. Pietro Bembo (1470-1547), en outre diverses poésies, des
«rune grande famille véni- dialogues sur l'amour, G/e i4«o-
tienne,futsecrétairedeLéonX. /ani, ainsi intitulés parce qu'ils
Paul m le nomma cardinal en furent composés au château
1539. Il fut célèbre par son d'Asola, et une Histoire de Ve-
esprit et imita le plus souvent nise. Ses dialogues, GUAsolani,
Pétrarque. 11 était puriste en traduits en français par J. Mar-
italien et en latin, évitant de tin en 1545, eurent une grande
lire son bréviaire de i>eur de célébrité. Ses lettres latines
gâter son beau style cicéronien. eurent aussi beaucoup de répu-
Le livre intitulé Le Prose, nelle tation.
?'uali si rigiona délia volqar 3. Contenant beaucoup de
inguay divise in tre libri, parut bancs, Bembo abusait de celte
à Venise en 1525. C'est à cet terminaison vole.\o\T p. 85.
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PREFACE. 21
peuple) il ne leur fust pas advenu, comme à tant dlta-
liens qui ont escril de leur langue, de se contrarier
tellement que les lecteurs s'en fussent retournez
plus incertains que paravant. Si est-ce diront-ils que
vous ne pouvez nier qu'en vostre langue pareillement
n'y ait beaucoup de mal, et qu'elle n'ait perdu beaucoup
de sa pureté. Je sçay bien qu'ils ne peuvent ignorer ce
mal, veu qu'ils en sont cause en partie : j'enten, quant
à leurs mots qui se meslent parmi les nostres. Mais
je respon que le mal (Dieu merci) n'est pas si grand
qu'ils pensent : veu qu'il n'approche point du cueur
de noslre France. Car j'estime qu'en cas de langage
je puis appeler le cueur de la France les lieux où sa
nayfveté et pureté est le mieux conservée * : de sorte
que tous y sont d'accord que ces vocables estrangers
nous doivent servir de passetemps plustost que d'or-
nement ou enrichissement : et que le langage de ceux
qui en usent autrement, doit estre déclaré non pas
François, mais gastefrançois.
Toutesfois, quand bien ce mal que j'ay dict ne
seroit non plus en leur langage qu'au nostre, on voit
par mon Discours qu'il ne se peut aucunement égaler
à luy *. Lequel Discours ne sera trouvé que trop long
par celuy d'entr'eux qui voudra y respondre : mais trop
court par plusieurs François, qui sçauront combien
d'autres raisons et exemples je pouvois alléguer. Et
peut estre qu'aucuns, voyans que j'ay estendu plus
au long le poinct de la richesse que les deux autres
1 . Voir la préface des Uypom- mencement du XVP siècle. Inivo-
neses. Cf. E. Pasquier, Lettres, duction, p. lxxxvii et suivantes.
II, xir: Thurot, Ôe la pronon- 2. Que leur langage ne se peut
dation française depuis le com- égaler au nôtre.
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22 PREFACE.
qui précèdent, diront [que puisque ainsi estoit, je
de vois passer plus avant, et parler encore plus am-
plement de celle qui consiste tant en Tancien langage
qu'es proverbes * : mais j'ay espérance de faire un
traitté à part touchant ces deux choses. Et à fm de
ne rien dissimuler, je confesse que ce qui m'a faict
discourir plus succintement touchant les deux autres
poincts (usant d'une façon mieux convenable au titre)
c'a esté que je n'avois destiné que l'espace de quinze
jours à ce traitté, à fin de pouvoir m'aquitter de la
promesse que j'en avois faicte au Roy, et cependant
ne faillir pas à une autre, faicte à quelques amis tou-
chant un voyage.
Mais je croy bien qu'à l'endroit des Italiens je
n'auray besoin d'aucune excuse touchant cela : et
qu'au contraire ils diront que par tout je n'ay esté
que trop prolixe pour eux. Si veux-je bien qu'ils sça-
chent que je les ay espargnez, et n'ay pas faict du pis
que j'ay pu (car je leur pouvois oster l'honneur de ce
mot aussi Sonnetto, et dire que nous avions Sonnet
avant qu'eux eussent Sonnelto : voire objecter que
Pétrarque a pris quelques inventions de nos poètes
Provençaux) ^ mais quand je leur eusse faict du pis
qu'il m'eust esté possible, cela ne m'eust-il pas
esté pardonnable, puisqu'il estoit question de gan-
gner ma cause? Je m'en rapporte aux advocats
mesmement de leur pays, car je ne doute point que
1. H. Estienne a publié en 2. Voir, sur cette question :
1594 : les Prémices, ou le pre- E. Pasquier, Recherches, VII,
mier livre des pi'overbes epl- iv;
grammatisez, ou des epigram- A. Jeanroy, Les origines de
mes proverbiales rangées en la poésie lyrique en France au
lieux communs, moyen âge.
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PREFACE. 23
ceux-la, aussi bien que les nostres, ne se proposent
ce vers d'Ovide pour une règle,
Et qum non prosunt singula, multa juvant *.
et que quelquesfois aussi, en plaidant (encore qu'ils
n'y aillent pas ainsi à fer esmoulu comme les nos-
tres, et principalement ceux qui ont à faire à une
cour de Parlement de Paris) ils ne se proposent ce
vers de Virgile, pour le prattiquer,
... dolus an virtus, quis in hoste requirat? *
Quant à ce qu'en mon Discours je ne me serois
attaché qu'à leur langue, laissant l'Espagnole, je
di (outre ce que j'en ay dict parcidevant) qu'ils le
doivent interpréter à un tresgrand honneur. Car je
confesse par cela, priser autant la leur que je mes-
prise l'Espagnole : comme celle qui n'osera (ou, pour
le moins, ne devra point oser) comparoir en champ
de bataille, après qu'une, à qui elle est beaucoup »
inférieure, aura esté vaincue. Et c'est suivant ceste
règle : Si vinco vincentem /e, multo magis vincam te.
D'autant donc que je leur voulois faire cest hon-
neur de ne m'attacher qu'à leur langue, et qu'il estoit
impossible de monstrer les raisons pour lesquelles je
preferois la nostre à elle, sans faire comparaison de
nos vocables et façons de parler avec les leur, il
m'a falu en cest examen user d'un peu de rigueur,
qui me sembloit nécessaire pour gangner ma cause.
Et c'a esté toutesfois sans poursuivre ceste compa-
1. Remédia amoris, 420. 2. Enéide, II, 390.
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24 PREFACE.
raison de nostre nation avec la leur, plus avant que
ce qui concerne le langage. Car outre ce que telle
chose estoit hors de propos, quand bien Toccasion
se fust présentée, je ne Teusse point voulu prendre :
tant pource que ma plume n'a point accoustumé de
se mettre h telles matières qui font tomber en des
invectives (encore qu'aucuns m'ayent preste ceste
charité de me vouloir faire auteur d'une plus dange-
reuse, moy pouvant prouver mon alibi de cent lieues
loing) * que pource aussi qu'ayant demeuré quelques
années en Italie, et distribué ce temps par les prin-
cipales villes d*icelle, je ne puis ignorer que si Dieu
a doué nostre nation de quelques grâces que la leur
n'ait point, il l'a récompensée en quelques autres qui
leur sont pareillement peculieres. Et toutesfois si je
me fusse attaché au langage des Espagnols, je ne
sçay pas s'il m'eust esté possible d'user de la mesme
discrétion, car je leur sçay d'autant plus mauvais
gré qu'ils veulent passer encore plus avant que les
Italiens : tellement qu'on peut bien dire, en se ser-
vant des paroles du poète Lucain,
Nec quemquam jam ferre potest Italusve priorem,
Hispanusve parem *.
1. Il s*agit du Discours mer- Soyons (Etude sur les écinvains
veilleux de la vie et des dépor- français de la Réformation)
tements de Catherine de M edicis, pense que ni le fond ni la
royne mère auquel sont récités forme ne permettent de le lui
les moyens qu*elle a tenus pour attribuer.
usurper le gouvernement du 2. Pharsale, I, 125. Le texte
royaume de France et ruiner de Lucain est :
VÉstat d'iceluy, 1574 ou 1575. ^^^ quemquam jam ferre potest
L'ouvrage a été généralement [Cœsarve priorem,
attribué à H. Estienne, mais il pompciusve parem.
n'est pas sûr qu'il soit de lui.
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PREFACE. 25
Mais s'il plaist aux Italiens que nous facions paix
ensemble, en nous accordant ceste precellence de
langage que nous prétendons nous appartenir, nous
leur aiderons à renger les Espagnols en telle sorte,
qu'au lieu qu'ils vouloyent que le leur marchast le
premier, jura dios qu'il faudra en la fin qu'il marche
tout bellement après les autres. Et au cas que les
Italiens ne vousissent accepter ceste ofTre, que je
leur fay d'un franc cueur, comme vray François,
ainsi qu'ils ne devront trouver mauvais que j*aye
combatu contr'eux, tant qu'il m'a esté possible
(selon le temps) pour l'honneur de nostre langage,
aussi trouveray-je bon qu'ils facent le mesme pour
la réputation du leur, aussi bien contre nous que
contre les Espagnols : remettant le jugement k ce
que dit un de nos anciens proverbes François (par
lequel je conclurray) Chacun dit, j'ay bon droit :
mais la veue descouvre le faict *.
1. Philippi Gameri Thesau- couvre le fait. Quisque suum
rus adagiorum gallico-latino- narrât, sed res oslensa repu-
rum, 1612. « Chacun dit : J'ay gnat. - (P. 241.)
bon droit, mais la veuë des-
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H. ESTIENE AUX FRANÇOIS,
TOUCHANT SON LIVRE DE LA PRECELLENCE DE LEUR LANGAGE,
ET L*ABUS qu'aucuns COMMETTENT EN ICELUY.
François, j'ay exalté si haut vostre langage,
Que tous autres sur luy on verra envieux :
Comme ayant dessus tous un si grand avantage,
Que si eux disent bien, luy dit encore mieux. .
Mais à fin que tousjours cest honneur luy demeure,
Et que dire on le puisse estre tresbien fondé.
De ces mots estrangers ne m'usez à toute heure,
Comme s'il luy faloit estre d'ailleurs aidé.
Car de mots estrangers faisant une meslee,
Gardez bien qu'un matin ces mots tant pretieux.
Comme oiseaux passagers, ne prennent leur volée,
Et cest honneur aussi ne s'envole avec eux.
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PROJECT
DE l'oeuvre intitulé,
DE LA PRECELLENCE
DU LANGAGE FRANÇOIS
PAR HENRI ESTIENE
A l'entrée de ma préface je respondray à cer-
taines objections que j'ay preveues : et y satis-
feray, comme j'espère. Entre lesquelles tiendra
le premier lieu ceste-ci, Que comme Socrates
disoit par forme de proverbe, estre aisé de louer
les Athéniens entre les Athéniens : mais qu'il
seroit mal-aisé de ce faire entre les Lacedemo-
niens : ainsi il m'est facile de louer entre les Fran-
çois leur langage, jusques à luy donner ce titre
de precellence : (comme estant excellent entre
les excellens) mais quand j'aurois en teste les
Italiens et Espagnols, il me seroit difficile de leur
faire avouer ceste louange. Je respondray que
ceste objection seroit valable contre ceux qui veu-
lent qu'on leur croye à crédit : (comme les disciples
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28 DE LA PRECELLENCE
(le Pythagoras se contentoyent de respondre, Luy
Ta dict *) et non contre ceux qui veulent et peu-
vent donner de bonnes raisons en payement,
comme je pense estre celles que je deduiray. Or
voulant qu'elles soyent bien pesées et bien deba-
tues, je traitteray cest argument par dialogue : afin
que partie soit appelée et ouye, et qu'elle ne mette
rien en avant, à quoy il ne soit respondu. Mesme-
ment je luy laisseray prendre un advocat tel que
bon luy semblera : sur lequel, estant fort affec-
tionné au soustenement de la cause d'icelle, et
mesmes y ayant interest, ne pourra tomber aucun
souspeçon de vouloir prevariquer.
Je m'efforceray consequemment de rendre con-
tens ceux qui mettront en avant, Que ce beau
subject meritoit bien d'estre traitté par un person-
nage bien doué de l'éloquence Françoise : auquel
don je ne puis dire (à mon grand regret) avoir
aucune part *. J'emploiray pour ma response ce
qu'a dict Horace ^, et qu'au paravant avoit respondu
Isocrates * (quand on s'esmerveilloit qu'il instrui-
1. Diogenis Laertii Vitœ phi- 4. Voir la Vie des dix ora-
loisophorum, édition Diclot, leurs, ouvrage attribué à tort
p. 215 : è©* ou xal to Atjto; epa à Plutarque; Plutarchi Mora-
7capoiu.iaxov et; tov Btov T)XOev. lia, édition Didot, II, 1022 :
2. Cf. Conformilé au langage
français avec le grec, édition Kal Tcpb; tov èpdji.evov SkJti oOx
L. Feugère, p. 45. àîv aùtb; Ixavbç, àXXouç «oiei,
3. Ego fungar vico cutis, acutum eïîtev, ôtt xal al àxdvat aùxal ji.àv
Reddere quae ferrum valet, exsors TepLeïv où ôuvavxai, tov ôe «riôïipov
[ipsa secandi. TainTixbv 7iotoO(Tiv.
{Art poétique, 301-305.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 29
soit si bien ses disciples à plaider les causes, à
quoy luymesme n'estoit pas propre)
Je suis comme la queux qui les cousteaux aiguise
Encore qu'à couper nullement elle duise.
Et adjousteray, que mon intention n'est pas de
monstrer seulement que le langage François est
plus capable d'éloquence, ou capable de plus
grande éloquence que les autres, quand il est
question de haranguer : mais que généralement
en toutes choses esquelles on s'en veut servir, on
y trouve des commoditez beaucoup plus grandes.
Ausquelles si j'ay pris garde de plus près que plu-
sieurs de ceux mesmement qui font profession de
l'éloquence, je puis venir à ce discours mieux
garni qu'eux des pièces pour le moins qui con-
cernent ce poinct.
En troisième lieu je me defendray contre ceux
qui m'objecteront qu'aux exemples pris de la
langue Françoise je n'oppose qu'aucuns de l'Ita-
lienne, ne laissant moins en arrière l'Espagnole
que toutes les autres. Et les prieray avoir patience
qu'ils soyent venus au lieu où je délibère leur
rendre raison de ceci : et dire pourquoy, encore
que je mette l'Espagnole en un reng différent des
autres lesquelles je laisse, toutesfois, quant à pré-
senter le combat, la nostre n'a deu faire cest
honneur à autre qu'à l'Italienne. Car comme ceux
2.
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30 DE LA PRECELLENCE
qui sçauront qu'Achille aura pu si vaillamment
et rudement combattre Hector, qu'en la fin il
aura esté par luy abbatu, ne douteront point que
ce vaillant guerrier ne puisse porter aisément par
terre un Sarpedon, ou autre par qui Hector estoit
secondé : ainsi, quand j'auray monstre que nostre
langue surmonte l'Italienne, à laquelle toutesfois
doit céder l'Espagnole, il s'ensuyvra que si la
nostre precelle Tltalienne, ce titre de precellence
luy est deu encore plus pardessus l'Espagnole. Je
la prieray donc vouloir, comme les autres, estre
spectatrice du combat, l'issue duquel luy pourra
donner quelque bon avis.
En la response que je feray à la quatrième
objection, j'imiteray quelques historiographes,
qui en leurs préfaces exposent les moyens qu'ils
ont eus de sçavoir la vérité des choses dont ils
veulent escrire. Car à ceux qui me diront qu'il
faudroit avoir mangé beaucoup du pain d'Italie,
premier que pouvoir disputer si avant de son lan-
gage : et que ce seroit le vray moyen d'en avoir
telle congnoissance que requiert mon entreprise :
je respondray qu'ayant donné trois ans* de ma
jeunesse à l'Italie, j'ay eu non moins le loisir que
la commodité d'apprendre son langage. Et adjous-
teray une chose dont j'ay de bons tesmoins, que
le sçavoir parler aussi nayfvement que si j'eusse
1. Probablement du commencement de 1547 à la fin de 1549.
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DU LANGAGE FRANÇOIS- 31
esté du pays, fut ce qui me sauva la vie à Naples*,
pendant que TEmpereur Charles le quint tenoit
Sienne assiégée contre le Roy Henri second*. Car
de Romme estant allé là, et par le moyen des
lettres de recommandation du Cardinal Saincte
croix (qui depuis estant Pape, fut nommé Marcel
second) ^ ayant eu accès en quelques lieux où je
pouvois descouvrir ce que Monsieur de Selve *, lors
ambassadeur du Roy, desiroit fort sçavoir, pour le
grand avancement des affaires de sa Majesté : il
avint qu'un personnage, qui m'avoit veu en la
maison de cest ambassadeur, dit qu'il me recon-
gnoissoit. Alors me fut bon besoin de n'avoir mal
proufité en la congnoissance de leur langue, car
je ne trouvay autre expédient pour eschaper d'un
si grand et manifeste danger (auquel m'avoit
poussé un ardent désir de faire un si grand ser-
vice à sa Majesté) que de persuader à toute l'as-
sistance par mon nayf et comme naturel langage
1. En 1555. nom ont été ambassadeurs à
2. Il s'agit du siège rendu fa- Rome vers cette époque, Jean-
meux par Théroïque résistance Paul de Selve et Odet de Selve.
de Montluc. Ils étaient fils de Jean de Selve,
3. Marcel Gervin, né à Monte- qui fut premier président du
Fano en 1501, cardinal en 1539, parlement de Rouen, puis de
fut un des présidents du con- Bordeaux, puis de Paris, traita
cile de Trente, et succéda au avec Charles-Quint de la déli-
pape Jules III le 1 avril 1555. vrance de François I", et mou-
II projetait de réformer PEglise, rut en 1529. Son fils aîné, Geor-
mais il mourut frappé d'apo- ges de Selve, nommé à dix-huit
plexie, ou peut-être empoi- ans évêque deLavaur, apublié
sonné , après trois semaines des Instructions pastorales, et
de pontificat. la traduction de huit des Vies
4. Deux personnages de ce de Plutarque.
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32 DE LA PRECELLKNCE
Italien, que cestuy-la s'abusoit grandement en ce
qu'il me prenoit pour un François *. Je sçay bien
que la réplique sera promte, Que depuis ce temps
la j'ay eu loisir d'oublier beaucoup de ce langage.
Mais aussi la duplique ne sera pas loin, Qu'il me
suffît d'en avoir réservé autant qu'il m'en peut faloir
pour respondre à ceux qui me viendront contrôler :
j'enten contrôler ce que j'auray à en discourir.
Or combienque il y auroit quelque apparence,
que ces responses pourroyent satisfaire à ceux
qui autrement me penseroyent plus insuffisant
que plusieurs autres pour exécuter l'entreprise
dont il est question : toutesfois pource que d'ail-
leurs il est à craindre qu'aucuns Italiens ou Espa-
gnols n'allèguent incompétence déjuge, et deman-
dent renvoy, comme si je me voulois faire juge
en ma cause : je suis content qu'on ait plus
d'esgard aux raisons que je mettray en avant,
qu'à tout ce que j'ay respondu à ceux qui me
voudroyent accuser d'insuffisance. Car j'espère
qu'estans bien considérées, je gangneray ma
cause devant tous ceux, l'obstination desquels ne
combatera point contre icelles : et qui ne vou-
dront point dire comme l'obstiné Grec, Ou me
ptiseis, xan peisips'. C'est-à-dire, Je ne seray point
persuadé, encore que tu me le persuades.
1. Cf. Confot^mité^ p. 45. Chrémyle à Pénia : où ^àp
2. Aristophane, Plutus, 600. ireiaeiç, ovS* i^v TueidYjç.
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DU LANGAGE FRANÇOIS- 33
Mais, après avoir respondu aux objections
qu'on pourra faire contre moy, touchant ce que
j'ose entreprendre de traitter de La precellence
de nostre langage, je tiendray aussi ma response
preste à celles qu'on fera contre luymesme. Elles
consistent en deux poincts : l'un. Que je loue tant
un langage, lequel nousmesmes ne sçavons en
quel lieu de France nous devons prendre, pour
l'avoir bien entier et nayf *. L'autre poinct, Que
quand bien nous serons d'accord de ce lieu, nous
ne pourrons nous accorder de l'orthographe.
Quant au premier, je les rendray bien-tost éon-
tens, en leur faisant ce plaisir de leur enseigner
non le lieu, mais les lieux, et généralement et
particulièrement. Pour response au second, je
leur confesseray que quelques-uns disputent non
simplement de la manière de l'escrire, ains de la
meilleure manière : mais je leur nieray que tout
ce qui se met en dispute, demeure incertain. Et
quant à ce que nous escrivons autrement que ne
prononceons, je leur monstreray bien que nous
ne sommes pas les premiers.
Apres ceci entrant en matière, je diray que je
1. Voir la préface des Hy- la pureté de la langue « n'est
pomneses et les Lettres d'E.P&S' restrainte en un certain lieu
quier, H, 12 : Quelle est la vraie ou pais, ains esparse par toute
luiifveté de nostre langue et en la France ». Cf. Thurot, Pro-
quels lieux il la faut chercher, nonciation française depuis le
Pasquier condamne la langue commencement du XVI" siècle,
des courtisans. Il est d'avis que Introduction, lxxxvii-civ.
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34 DE LA PRECELLENCE
pensois avoir assis les fondemens de cest œuvre,
par le livre que je mis en lumière il y a environ
douze ans *, De la conformité du langage François
avec le Grec. Car tout-ainsi que quand une dame
auroit acquis la réputation d'estre perfaicte et
accomplie en tout ce qu'on appelle bonne grâce,
celle qui approcheroit le plus près de ses façons
auroit le second lieu : ainsi, ayant tenu pour con-
fessé que la langue Grecque est la plus gentile et
de meilleure grâce qu'aucune autre, et puis ayant
monstre que le langage François ensuit les jolies,
gentiles et gaillardes façons Grecques de plus près
qu'aucun autre : il me sembloit que je pouvois
faire seurement ma conclusion, qu'il meritoit de
tenir le second lieu entre tous les langages qui
ont jamais esté, et le premier entre ceux qui sont
aujourd'huy. Mais comme pour exalter la beauté
d'une dame il ne faudroit alléguer qu'elle appro-
cheroit plus que toute autre de la beauté d'He-
lene, sinon à ceux qui l'auroyent veue (je di qui
auroyent vu Hélène), ainsi je confesse que les
fondemens dont j'ay faict mention, n'auront esté
assis par moy, sinon pour ceux qui ont telle con-
gnoissance de ceste langue Grecque, qu'ils peu-
vent juger si la nostre luy est tant conforme. Et
puis qu'ainsi est, je protesteray ne vouloir m'aider
de ce mien traitté, sinon ainsi que d'une pièce
1. Au plus tard en 1565, quatorze ans avant la Précellence.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 35
que je produirois (comme d'abondant) après
toutes les autres : veu mesmement que tant s'en
faut qu'aucuns Italiens tiennent pour confessé ce
que j'ay dict en l'honneur de la langue Grecque,
qu'ils osent préférer la leur à icelle.
Et ce pendant ceste grande hardiesse d'aucuns
Italiens de préférer leur langage non seulement
au Latin, mais aussi au Grec, sera par moy allé-
guée contre ceux qui voudront dire que j'auray
assailli ces messieurs de gayeté de cueur. Car
puisqu'ainsi est, on ne peut nier qu'en ce discours
je ne sois non pas assaillant, mais défendant :
entant que j'ay l'honneur de ma patrie en recom-
mendation : veu que, si on leur vouloit accorder
que leur langage est plus excellent que le Grec et
le Latin, il s'ensuyvroit que le nostre ne seroitpas
digne de comparoir auprès du leur, ni de tenir
aucun lieu honorable. Mais la chanse sera bien
tournée si je puis monstrer que le nostre precelle
le leur, car il faudra qu'ils passent condemnation
à trois tout en un coup : et que rendans à ces deux
langages anciens ce qu'ils leur avoyent osté, ils
confessent que tant s'en faut que le leur puisse
estre préféré à ces deux, qui tiennent les deux
premiers rengs, qu'il ne peut pas estre égalé au
nostre, qui est inférieur à ceux-là, et principale-
ment au Grec*. Ils seront (di-je) reduicts à cela :
1. Cf. Conformité, p. 18.
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36 DE LA PRECELLENCE
sinon que, pour se sauver, ils nous vueillent tant
honorer, que de mettre nostre langage pardessus
le Grec et le Latin. Mais quand ils en viendroyent
là, ils ne nous feroyent pas de plaisir. Car la
naturelle modestie des François ne porte point
d'admettre un honneur qui ne leur appartient :
et principalement quand on en veut despouiller
quelques-uns pour le leur donner.
Or en ceste dispute je ne m'adresseray point à
ces Narcisses (j'enten à ceux qui par telle vante-
rie se sont monstrez aussi estrangement admira-
teurs et amateurs de la beauté de leur langage,
que fut Narcisse de la beauté de sa face) mais à
ceux qui estans du mesme pays, n'ont pas toutes-
fois un mesme esprit : ains Vont ainsi posé qu'il
est vray-semblable que tels juges l'ayent volage.
Car j'espère que ceux-ci confermeront nostre pro-
verbe François, Sage est le juge qui escoute et tard
juge : comme ceux-là ont rendu tesmoignage de
la vérité de cestuy-ci, De fol juge brève sentence \
Et qui plus est, j'ay bonne espérance de trouver
plus grand nombre de ceux que je demande, que
1. Cf. p. 209. Voir De Méry, prie, bonne gens, qui allez si
Histoire des proverbes, UI, 107 : vite en besogne, ne sçavez-
A . temerario judice prœceps vous pas bien le dire d'Aris-
sententia. Cf. Dialogues, édi- lote, qui adverlit ad pauca fa-
lion Risteihuber, U, 276, et la ci/eyMdicfl/?— -Saint-Ange. Gela
noie; — Apologie pour Héro- veut dire en François, de fol
dote, édition Risteihuber, I, Juge brève sentence. — Le
10 : De faux juge brève sen- Roux de Lincy, le Livre des
lence; — - Naudé, Mascurat, proverbes français, I, 273; U,
p. 358 : Mascurat. Mais je vous 132.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 37
des autres, car je ne veux aucunement oster cest
honneur à Fltalie, d'estre bien garnie d'hommes
posez et rassis, et par conséquent estre ennemie
des cerveaux légers : encore qu'elle ne se puisse
du tout garantir de ce mal.
M'estant adressé à ceux-ci, et leur ayant incon-
tinent faict condamner la vanterie de leurs com-
pagnons (s'il les faut appeler leurs compagnons,
pour estre d'un mesme pays) en ce qu'ils ont
préféré leur langage non seulement au Latin, mais
aussi au Grec : je tascheray de les amener peu à peu
à une autre confession, laquelle je sçay qu'il sera
beaucoup plus mal-aisé de tirer d'eux : c'est qu'au
lieu qu'ils mettoyent nostre langage fort arrière,
par une telle préférence, il doit précéder le leur.
Quand je seray venu à ceste proposition, et
qu'il faudra ruer les grands coups de part et
d'autre, je leur demanderay (afin de ne les prendre
à despourveu) par où ils voudront commancer la
comparaison de ces deux langages. Et m'asseure
que bien-tost nous tomberons d'accord touchant
les poincts qui doivent estre examinez en icelle :
a sçavoir. Lequel des deux est le plus grave.
Lequel est le plus gentil et de meilleure grâce,
Lequel est le plus riche*.
1. C'est bien en effet le plan plus longuement développée
suivi par H. Estienne. Mais la que les deux autres, qui of-
troisième partie est beaucoup fraient moins d'intérêt.
rRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 3
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38 DE LA PRECELLENCE
Je ne doute point aussi qu'ils ne vueillent
garder cest ordre : et pourtant, que les premières
armes desquelles ils se voudront servir pour me
repousser, ne soyent les louanges de la gravité du
langage Italien. Me tenant donc prest contre ceste
sorte d'armes, je ne leur laisseray prendre cest
avantage. Que leur langue use d'accens, et les
observe songneusement en sa prononciation, la
nostre point du tout. Je ne leur laisseray (di-je)
prendre cest avantage. Car si je leur passois cela,
ce seroit autant comme si je permettois à celuy
que j'aurois deffié, d'user d'une espee plus longue
que la mienne. Je leur nieray donc tout à plat ce
poinct : et au cas qu'ils se fissent avouer par quel-
ques-uns mesmement de nos François, je desa-
voueray hardiment tels avoueurs, au nom de la
plus grand voix, et de ceux qui ne veulent parler
que par raison. Mais tels François me pourront-
ils amener, que je les feray juges contre eux-
mesmes. Car quand ils auront prononcé ceste
sentence, je feray comme celuy qui demanda
d'estre receu appelant du Roy mal informé, à luy-
mesme quand il seroit bien informé * : pource que
j'appelleray de leurs oreilles escoutantes mal, à
elles mesmes, quand elles escouteront bien : les
priant, pour l'affection qu'ils portent à l'honneur
1. Plutarchi Scripta moralia\ édit. Didot, I, 213 : Regum et
imperatorum apophthegmata; Pkilippi, patris Alexandrie 2i.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 39
de leur patrie, prendre bien garde s'ils ne font
pas ceste voyelle a longue, quand ils prononcent
ce mot Grâce : au contraire, en prononceant Race
ou Trace, ils ne la font pas brève* : et si, quand on
ryme Tun de ces deux sur ce premier qui est long
en la penultime, leurs oreilles sont aussi con-
tentes que quand on les ryme lun sur Tautre, ou
sur quelcun qui ait semblablement la première
syllabe brève \ Je leur proposeray autres exem-
ples de plusieurs sortes, quant aux mots dissyl-
labes : et finalement viendray à ceux desquels la
diverse signification n'est discernée que par l'ac-
cent : comme on voit en Matin opposé au Soir, et
Matin dict d'un chien : en Maie pour Masculus.et
Maie pour Pem : en Pâte, quand on parle de farine
pestrie, et Pâte, quand on parle du pied d'un
chien, ou de certaines autres bestes^ Pareillement
en Pécher, Péché, et Pécheur, pour Peccare, Pecca-
iiirn, Peccator : et Pécher, Pécheur, pour Piscari,
Jr'iscator^. Car encore qu'en escrivant on mette la
lettre S es uns, et non es autres, si est-ce qu'on
ne la prononce point : et n'y a moyen de distin-
guer les diverses significations que par l'accent
divers qu'on leur donne, ainsi que j'ay dict.
rrançai^^^u'\nf^^^^^^^^^^^^ troduction de M. Petit de Julle-
2 rol« ^^ 3. Thurot, Prononciahon
ne 'prouve ?i>^n.''® ?"^ «"i^' française, II, 317 et suivantes,
cent H Es» ion «."^"^"l*^ ^ l'ac- 651-52.
cent'et'la m,«n^f»''':\^^«dl'ac- 4. Thurot, Prononciation
cent et la quantité. (Voir l'M- française, 1, 89-90, 101.
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40 DE LA PRECELLENCE
Apres que, par plusieurs autres exemples (entre
lesquels seront aucuns vocables qui estans ter-
minez en E féminin, ont la première longue : en E
masculin, brève : comme Fosse, Fossé^ : et Pâte,
Pâté) je leur auray faict accorder que nous obser-
vons les accens en des mots dissyllabes, et que je
leur auray proposé aussi des monosyllabes que
nous prononceons diversement, selon que nous les
voulons faire longs ou brefs : je parleray de ceux
aussi qui ayans trois syllabes, ou plus, ont Tac-
cent, les uns en la pen ultime, les autres en Tan-
tepenultime : qui est le poinct auquel il-y-a plus
de contradicteurs. Or n'estimeray-je avoir peu
faict- pour Thonneur de nostre langage, quand
j'auray rabatu ces coups. Car (pour dire la vérité)
si ainsi estoit qu'il ne se reglast aucunement par
accens, non seulement il ne seroit si grave (qui
est le poinct duquel il s'agit maintenant) mais
une telle confusion sentiroit un peu sa barbarie.
Voyci donc encores un argument contre tous
ceux qui nous objecteront cela (lequel je gar-
deray pour la fin) c'est, qu'estant impossible de
faire de ces vers qu'on appelle mesurez', sans
1. Thurot, Prononciation sur la poésie françoise, —
française, 11, 678, I, 245-46, Marty-Laveaux : Notice biogra-
ilypomneses, 27. phique sur Jean-Antoine de
2. E. Pasquier, Recherches, Baïf, xxiv. — Plusieurs autres
VII, XI : Que nostre langue est que Baïf ont composé des vers
capable des vers mesurez, tels mesurés, entre autres Ronsard
aue les Grecs et Romains. Cf. et Jodelle. Voir Sainte-Beuve,
Vil, vn : Quelques observations Tableau historique et critique
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 41
quelque observation des accens, nous avons
monstre aux Italiens que nostre langage nous
permettoit d'en faire, comme eux en avoyent
faict. Et qu'ainsi soit, long temps y-a qu'un dis-
tique de Martial fut traduict en ceste sorte de
vers. Car Martial ayant dict,
Phosphore redde dlem : cur gaudia nostra moraris ?
Csesare venturo phosphore redde diem * ;
Ces deux vers-la furent traduicts en ces deux-ci
(qui ont pareillement la forme Fun d'hexamètre,
l'autre de pentamètre)
Aube rebaille le Jour : pourquoi/ nostr'aise reticns-tu?
César doit revenir : aube rebaille le jour.
Et pouvant produire un grand nombre d'autres
vers mesurez, je me contente ray de ces deux :
pource qu'estant plus difficile d'en faire de bons
en traduction (et principalement où on rend non
seulement vers pour vers, mais aussi mot pour
mot) que quand on les fait sans ainsi s'astreindre :
on ne pourra douter que celuy qui se contrai-
gnant ainsi en ces deux, les a faicts toutesfois si
doux, et ne sentans aucune contrainte, n'en eust
pu faire qui se fussent trouvez encore meilleurs,
de la poésie française an XV/® la versification sur le modèle
siècle, in-i2, 1843, p. 79-84; des vers grecs et latins.
Egger, V Hellénisme en France, 1. VUI, 21 : Ad Luciferum,
12* leçon : Essai pour réformer vel in adventum Cœsaris.
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42 DE LA PRECELLENCE
quand du tout il ne se fust point assubjetti. Mais
il vaut beaucoup mieux (ce me semble) pour nous
et nostre postérité, que tant luy que les autres
excellens poètes de ce temps se soyent voulus
rendre dignes du laurier par Tautre sorte de com-
position de vers, qu'on appelle ryme (au lieu de
dire rhythme : pource que Torigine est le mot
Grec Rhylhmos) * et que si quelcun d'entr'eux s'est
voulu amuser à ceste autre, elle ait esté comme
son parergon, mais ceste-la, ergon.
Quand j'auray prouvé que nostre langage
n'ignore point les accens, non plus que celuy des
Italiens, je protesteray ne vouloir nier pourtant
que les accens sont observez plus songneusement
en la pronontiation du leur, et tellement qu'on
les peut plus facilement appercevoir : comme
nous voyons qu'ils font beaucoup mieux sonner
l'antepenultime de Republica, que nous la penul-
time de Republique : et que l'accent sur ceste syl-
labe antepenultime leur est plus fréquent qu'à
1. Rime peut venir soit de mais non rhythmé. Jusqu'au
rhythmus, soit plutôt de l'an- xvi' siècle, le mot inme parait
cien haut-allemand, rim, au- s'être opposé à p7'ose et avoir
]ouTiVhmreim= série, nombre, eu le sens général de vers.
puis 7'ime. Rhylhmus au moyen poésie. Brunetto Latini écrit :
âge ne s'applique qu'à la « La grans partisons de touz
mesure; ve7'sus 7'hythmicus dé- parleors est en ii manières,
signe d'abord le vers mesuré, une qui est en prose, et une
puis le vers rimé, la rime, qui autre qui est en rime. >» (Edi-
n'était d'abord que l'accessoire, lion de 1863, page 481.) Mettre
étant devenue le principal, en rime signifie mettre en vers.
D'après Scheler, Hme s'est Voir Littré. Régnier dit encore
appliqué d'abord au vers nom- (Satire IX) : C'est proser de la
bré et 7'imé (au sens actuel), rime et rimer de la prose.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 43
nous : prononçans Dîcono, Pdriano, Chtdmano,
Pidngono, Caminano^ Seminano (sinon que nous
accordions quantà^Semmano, ce qu'aucuns disent,
que l'accent est sur la première, comme en Sémina
il estoit sur celle-là : au lieu qu'en Camina, Chiama^
Piange il est sur la seconde) mais quand je
leur auray confessé ces choses, je leur nieray
qu'elles soyent suffisantes pour attribuer à leur
langage une gravité en laquelle il puisse surpasser
le nostre. Car il est certain que tout ce qui se
prononce lentement, ou posément, ou pesamment,
(je leur donneray le chois de ces trois) ne se
prononce pas gravement : et qu'il est requis en
quelques endroits, pour la gravité, que les pa-
roUes semblent aller de roideur : à quoy ceste pro-
nontiation-la est contraire. Et d'autre part on peut
dire (selon mon jugement) que comme il est plus
seigneurial d'user de peu de paroUes, ainsi les
plus courtes et qui sont le plus tost prononcées
sentent mieux leur gravité en quelques endroits :
(comme j'ay desja usé de ceste restriction.) A
quoy j'estime que nous pouvons appliquer le pro-
verbe Grec, qui dit que tout serviteur est mono-
syllabe à son maistre*.
Pour les presser encore d'avantage, je leur
4. De Méry, Hisloire des pro- vent parler à leurs inférieurs
verbes, I, 445 : « Omnis herus que i)ar monosyllabes. » La
sit servo monosyllabus. Il ne forme est toute différente, mais
faut pas se familiariser avec en réalité l'idée est tout à fait
les valets. Les grands ne doi- la même.
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44 DE LA PRECELLENCE
demanderay pourquoy à plusieurs infinitifs qui
se terminent en E, ils osten^ceste lettre, comme
en ce passage, Non mi è novo {disse il Cornaro)
Vudirparlare honoratamente delMartelli\ Pareille-
ment en cestuy-ci, Ma se pure vi da Vanimo di udire
intorno à questa facoUa, alcuna cosa, pregar vi
voglio che talhora vegniate à la Academia^. J'ad-
vertiray de noter en ces deux passages, qu'un
mesme verbe au premier ha la queue coupée, non
au second, car le premier passage ha, udir^ le
second udire. Et la raison est (comme je croy)
qu'au premier la queue du mot prochain parlare
empe^choit (ou pour le moins sembloitempescher)
la queue du précèdent. Je leur demanderay pareil-
lement pourquoy ils ostent quelques lettres, au
bout d'aucuns mots : comme nous voyons gran
pour grande^ et san pour sano^ et alcun pour
alcunOy et ben pour bene^ en ce passage qui est
pris, comme les precedens, du troisième livre de
ce qui a esté composé touchant la langue Thos-
i. « Ce n'est pas chose nou- une tragédie intitulée Tullia^
velle pour moi, dit Cornaro, une traduction du 40 livre de
d'entendre parler honorable- V Enéide, des odes et des can-
ment de Martelli. » Luigi Cor- zoni très estimées. Son frère,
naro, d'une grande famille Vicenzo Martelli, né dans les
vénitienne, naquit en 1467, et, premières années du xvi* siècle,
avec une santé très délicate, mort en 1556, a laissé un vo-
vécut jusqu'en 1566. Ses Dis- lume de lettres et de poésies,
com delta vita sobria (Padoue, 2. « Mais si cependant vous
1558) ont été traduits en plu- avez envie d'entendre quelque
sieurs langues. — Lodovico chose sur cette faculté, je vous
Martelli, né à Florence en 1499, prie de vouloir venir quelque-
mort en 1527, a laissé inachevée fois à l'Académie. »
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 45
cane, par Bernardin Tomitan (lequel escrit en
deux sortes son nom mesmement, Bernardino, et
Bernardin : ayant mis cestuy-la en la seconde
impression, cestuy-ci en la première) Ilquale,
corne gran Platonico che egli è, non vorra compor-
tarvi che Amore sia mai cagione (ïalcun minimo
diffetto : corne quello che è usato di riprender il
poetay mentre disse ch' Amor occhio ben san fà
veder torto^. Je leur feray confesser que ce qu'ils
coupent ainsi la queue à ces mots, fait gran-
dement contr'eux. Car quand bien ils voudront
dire que ce qu'ils font, ce n'est pas leur couper la
queue, mais la trousser seulement, si est-ce qu'il
s'ensuyvra qu'à eux-mesmes elle semble trainer.
Et à la vérité je trouve bon qu'ils troussent ceux
qui ont apparence d'estre trop longs (comme
Amore avoit quelque apparence de l'estre : lequel
toutesfois n'a esté troussé qu'à la seconde fois) et
non qu'ils facent le mesme à ces pauvres dissyl-
labes : et principalement quand ils espargnent quel-
ques polysyllabes qui sont tout auprès. Toutesfois
laissant cela à leur discrétion, retourneray à ce
propos, que telle façon de faire répugne à ce qu'ils^
mettent en avant touchant la gravité de leur lan-
gage, s'ils la veulent prouver par ceste tant lente,
1. Littéralement : lequel, faut : comme celui qui a cou-
comme grand platonicien qu'il tume (en homme qui a cou-
est, ne voudra jamais vous tume) de blâmer le poète
accorder que l'Amour soit d'avoir dit que l'Amour fait
jamais cause du moindre dé- qu'un œil sain voit de travers.
3.
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46 DE LA PRECELLENCE
tant posée ou tant pesante prononciation : (car
derechef je leur baille à choisir de ces trois) veu
que ce qu'ils font c'est pour la haster un peu.
Sur quoy il faut noter qu'ils ne peuvent venir à
bout de leur langage, comme nous venons à bout
du nostre. car quand quelqu'un traine sa parole,
ou ses paroles (nous disons ainsi de celuy qui
parle un peu trop lentement) il s'en peut cor-
riger, et parler plus vistement, sans changer rien
de l'ordinaire es mots : mais le leur ne peut estre
prononcé que lentement (encore qu'il le soit
moins par les uns que par les autres) jusques
à ce qu'on ait osté les dernières syllabes de quel-
ques-uns. Et pour conclusion, quand ils veulent
corriger un peu ceste pesanteur, force leur est
d'accoustrer leurs mots à la façon des nostres :
c'est à dire, les faire terminer en lettres conso-
nantes, au lieu que leur naturelle terminaison
estoit en voyelles. Voyla comment au lieu de dire,
Parlare, Insegnaî^e, Dichiarare^ Mostrare, ils disent
Parlar, Insegnar, Dichiarar^ Mostrar : ainsi que
nous disons PaWer, Enseigner^ Déclarer ^ Monstrer :
et font de mesme es autres. Et sont si bien accous-
tumez à ceste syncope, ou plustost apocope (que
j'appelle retranchement) qu'ils en font quel-
quesfois autant aux dissyllabes, qui n'en peuvent
mais. Vray est qu'ils ne font pas ce tour à tous les
vocables d'une clause, mais espargnent les uns,
les autres non, selon qu'il s'avisent. Et qu'ainsi
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 47
soit, si un d'eux répète quelque chose en mesmes
mots, il pourra advenir que la seconde fois il
usera de retranchement en ceux mesmes qu'il
aura espargnez la première. Tellement qu'on ne
peut dire autre chose, sinon qu'il eschappe qui
peut. Or quant à ce que j'ay dict que ce retran-
chement estoit pour corriger la pesanteur dont
j'ay faict mention, je me puis aider de l'autorité
de leur Bembo : qui en son livre intitulé Le pi^ose,
parlant de deux passages du Pétrarque, en l'un
desquels il a dict Huom pour HuomOy en l'autre
Popol pour Popolo, escrit, Erano Huomo ePopolo
le intere voci : dalle quali egli leva la vocale loro
ultima : la quale se egli levata non havesse, elle
sarebbono state voci alquanto languide e cascanti :
che hora sono leggiadrette e genHli\
Quand ils auront esté déboutez de leur plus
fondamentale proposition, en ce qu'ils mettoyent
en avant, la gravité de leur langage estre plus
grande que celle du nostre, il restera de voir
quel autre fondement ils luy peuvent donner :
veu mesmement que je maintiendray qu'au con-
traire il est aucunement mol, à comparaison du
nostre : pour le moins n'est pas si nerveux et
viril. Or ce ne sera point sans parler de la pro-
1. Huomo et popolo, étaient ils auraient été des mots un
les mots entiers : desquels on peu languissants et traînants :
a retranché la dernière voyelle: maintenant ils sont vifs et
si on ne Tavait pas retranchée, dégagés.
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48 DE LA PRECELLENCK
nonciation : de laquelle je remonstreray qu'ils ne
s'acquittent pas si bien que nous : ains qu'ils la
rendent comme efféminée en certaines paroles :
et mesmement es Latines, qui sont la source de
celles-là. Car comme ils prononcent affettione en
leur langage, ainsi plusieurs d'entr eux du Latin
affectio font affettio : et comme ils disent en
leur langue massimoy ainsi massimus pour maxi-
musK
Quand j'auray aussi parlé de quelques autres
choses qui donnent gravité à un langage, et que
j'auray monstre qu'aucunes qui sont de ce nombre,
se trouvent au nostre, et non au leur, je produiray
quelques passages des» auteurs Latins, avec les
deux traductions, Italienne et Françoise : à fin que
ceste comparaison confermant les choses que
j'auray proposées, je puisse conclurre (sans leur
faire tort) que l'honneur de precellence qu'ils don-
nent à leur langage, quant à la gravité, nous
appartient.
Or quand j'auray produict ces passages des
poètes Latins, avec les traductions d'iceux, tant
Italiennes, faictes par les plus célèbres poètes du
pays, que Françoises : (dont les unes seront
miennes, les autres, des principaux poètes de ce
temps) et prieray les lecteurs qu'après avoir faict
un tel examen de toutes deux, que doivent faire
1. Cf. Hypomnesesj 73. — Dialogues, II, 249-51.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 4î>
personnes qui se veulent monstrer neutres, ils^
facent leur rapport en bonne conscience.
Et des maintenant leur feray avoir la veue de
quelques-unes : commençant, quant aux Fran-
çoises, par les miennes : à fin de garder les meil-
leures pour la fin. Voyci donc deux vers de Virgile,
en son 9. livre de T^neide,
Impastus ceu plena leo per ovilia turbans
[Suadet enim vesana famés) manditque, trahitque
Molle pecus^.
Lesquels Arioste voulant accommoder à son
propos, en son xvm Chant, a interprétez ainsi,
Corne impasto leone in stalla piena,
Che lunga famé habia smagrito, e asciutto,
Uccide, scanna, mangia, e à stratio mena
Vinfermo gregge in sua balia condutto '.
Et long temps après, un^ nommé Cerretani', qui
a traduit toute TiEneide, les a ainsi rendus.
Comme digiun leone il chusio ovile
Turbando va^ da trista famé spinto^
E mangiay e à tratlo l'humil gregge mena.
1. 349-51. remply de brebis, tuë, esgorge^
2. St. 178. Traduction F. de mange et deschire ce pauvre et
Rosset (Paris, de Sommaville débile trouppeau tombé en son
et Courbé, s. d.) : 162, verso, pouvoir. »
« Tout ainsi qu'un Lyon mai- 3. Aldobrando Gerretani. V.
gre et tout exténué de faim, Tiraboschi, ouvrage cité, VU,
entrant dans un parc tout 1336.
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50 DE LA PRECELLKNCE
Sur lequel dernier vers est rymé le subséquent,
qui fine en ce mot affrena : et sur les deux autres
sont rymez deux des precedens. Dequoy j'adverti,
pource qu'on se pourroit esbahir de ne voir ici
aucune ryme.
Les mesmes vers de Virgile furent ainsi traduicts
par moy, les appliquant (comme Arioste) à mon
propos,
Comme un lion que poind d'une grand faim la rage,
Fait parmi les troupeaux un horrible carnage.
Entraînant, démembrant, pour son ventre assouvir.
Duquel troisième vers le commancement se peut
aussi changer ainsi, avec non moindre gravité.
Traînant, escartelanL
De ce passage de Virgile, viendray à cestuy-ci
d'Ovide,
Proh superi, quantum mortalia pectora csecas
Noctis habent *.
Arioste Ta ainsi traduict,
O sommo dio, come i giudicii humani
Spesso offuscati son da un nembo obscuro *.
Et moy Tavois premièrement traduict ainsi.
Mon Dieu, que sont en une nuict profonde
Plongez les cœurs de tous hommes du monde,
i. Afe7amorpAo«e«, VI, 472-78. jugemens des hommes sontbien
2. St. 25. Traduction citée : couverts d'une obscure nuée. ■
« Dieu souverain, que les 74, verso.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 51
Depuis Tay traduict en ceste sorte,
Dieu tout-puissant, que des mortels les cœurs
Sont entourez de ténèbres d'erreurs.
Et en ceste façon aussi, me donnant encores un peu
plus de liberté,
Que de brouillars offusquons nos esprits^
En nos discours nous font estre surpris.
Et en ceste-ci,
Qu'une grand nuict, occupant les cerveaux
De tous humains, leur cause de grans maux.
J'ay adjousté ceste cinquième traduction, qui est
encore moins astreinte que les autres,
Mon Dieu, qu'on voit l'humain entendement
Se fourvoyer par son aveuglement.
Il est certain qu'on les pourroit traduire en telle
sorte qu'ils auroyent encore d'avantage de gravité :
mais j'espère qu'on me confessera que de ces
cinq celle qui en ha le moins, en ha plus que
l'Italienne d'Arioste.
Entre les traductions des passages de Virgile,
Ovide, ou autre, faictes par les plus excellens
poètes François de ce temps (dont je feray compa-
raison avec les Italiennes) ne sera oubliée celle
de Pierre Ronsard, d'un lieu que Virgile a pris
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52 DE LA PRECELLENCE
d'Apollonius Rhodius. Et à fin que les lecteurs,
qui entendront le Grec aussi, prennent plaisir à
conférer des vers de quatre langues, lesquels ont
un mesme subject, je commanceray par Apollo-
nius, au troisième livre de ses Argonau tiques,
rieX^ou (S; tîç te 8(5(101; èvmâXXeTai «cyXiri
<î8aTo; è^av'.oûo-a, to Ôyj véov -îjè Xéêyjxt
r\i 1C0U èv yauXâ) xé-/UTai • y; Ô* ëvôa xal ëv6a
coxeiY) ffTpoçaXtYYt Tivâco-eTat àiovouo-a *.
Virgile au commancement de son vin livre de
TiEneide, avoit ainsi suivi ceste comparaison
d'Apollonius,
Sicut aquœ tremulum labris uhi lumen aënis
Sole repercussum, aut radiantis imagine lunœ,
Omnia pervolitat latè loca^jàmque sub auras
Erigitur, summique ferit laquearia tecti*.
Laquelle Arioste a pris de luy, et Ta mise en ces
quatre vers,
Quai (Tacqua chiara il tremolante lume
Dal solpercossa, o da notturni rai y
Per gli ampli tetti va con lungo salio
A des Ira ed à sinistra^ e basso ed alto^.
Pierre Ronsard, voulant représenter les beaux
1. 756-759. rayons du Soleil ou de la Lune
2. 22-25. Cf. Silius Italiens, donnent. Geste lumière fait de
VIII, 143-i45. longs sauts par les couvertures
3. St. 7i. « Elles (ses pensées) du logis, à dextre et à senes-
ressemblent à la clarté qui pro- tre, en bas, et en haut. » Trad.
cède d'une eau claire, où les citée, 62, verso.
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DU LANGAGE WtANÇOIS. 53
traits aussi bien du poète Grec que du Latin, a
faict ces huict vers,
Deçà delà virant et tournoyant^
Comme l'esclair du soleil flamboyant.
Ou du croissant, qui tremblotant sautelle^
Sur Veau versée au creux d^une platelle :
Ce prompt esclair ores bas ores haut
Par la maison voltige de maint saut,
Et bond sur bond aux soliveaux ondoyé,
Pirouetant d^une incertaine voye^.
Il use au quatrième vers de ce mot Platelle, qui
est usité en quelques lieux qui sont près de Paris :
et toutesfois il a traduict ces deux vers encores en
ceste sorte, pour ceux ausquels ce mot-la ne plai-
roit pas.
Ou du croissant, faitjallir sa lumière
Sur l'eau tremblante au creux d'une chaudière.
Il me semble avoir heureusement exprimé le mot
Grec slrophalingi, au penultime vers *.
Voyci un autre passage, pris du second du
mesme œuvre du mesme poète,
Vestibulum ante ipsum primoque in limine Pyrrhus
Exultât, telis et luce coruscus aena :
l.Franciarfe, ni. 11 yapources 2. C'est plutôt le dernier
vers de nombreuses variantes, vers qui rendrait l'idée de
et le texte que donne Estienne axo^dXiyyi, ^TOçâXiyÇ signifie
Blanchemain (lll, 468-69). ondoyei\
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54 DE LA PRECELLENCE
Qualis ubi in lucem coluber mala gramina pastus,
Frigida sub terra tumidum quem bruma tegebat^
Nunc positls novus exuçiis^ nitidusque juventa^
Lubrica convolvit sublato corpore terga
Arduus ad solem, et linguis micat ore trisulcis *.
Arioste, faisant son proufit de ceste comparaison,
Ta ainsi traduicte en son xvu Chant,
Sta su la porta il re d*Algier^ lucehte
Di chiaro acciar^ chel capo gli arma^ e7 busto,
Como uscito di ténèbre serpente
Poi c'ha lasciato ogni squalor vetusto,
Del novo spoglio altero, e che si sente
RingiovenitOy epiu che mai robusto,
Tre lingue vibra ^ e ha ne gli occhi foco
Dovunque passa ^ ogni animal da loco *.
Et Ronsard Ta estendue en plus de vers, en ceste
sorte,
Devant la porte estoit ceste race Ilectoree,
Luisante en un harnois^ dont la clarté ferrée.
Du soleil rebatue, esblouissoit les yeux
D'un tremblant emeri, volant jusques aux deux.
Elle crespoit un dard en sa dextre superbe.
Semblable à ce serpent, qui pu de mauvaise herbe
1. II, 469-475. qu'il se voit muny d'une nou-
2. SI. 11. * Le Roy d'Arger velle escaille, il est si fier de
estoit sur la porte, tout relui- se sentir rajeuny et plus ro-
sant d'un acier qui lui couvroit buste qu'auparavant qu'il jette
la teste et le corps. Il ressem- une langue à trois poinctes.
bloit à un serpent qui sort de Ses yeux sont rouges de feu,
sa caverne. Apres qu'il s'est et chaque animal luy fait place,
dépouillé de sa vieille peau et quelque part qu'il aille. » 136.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 55
Sort du creux de la terre ^ et au printemps nouveau.
Son vieil habit changé, reprend nouvelle peau.
Droit devers le soleil il dresse sa poitrine,
Eschaufant les replis de sa glissante eschine :
Bragard de sa jeunesse, et en cent nœus retors
Accoure it et alonge et enlace son cors,
Reliche et repolit ses escailles bien jointes.
Sifflant à col enflé de sa langue à trois pointes * .
La comparaison dont use Virgile parlant de
Pyrrhus, et Arioste, parlant de son Rhodomont,
est ici par Ronsard accommodée à son Francus :
et mise en paroles si propres et si graves, qu'il
semble, en surmontant Arioste, quantetquant
combatre Virgile. Lequel combat il ne faut
estimer petit, car outre ce que Virgile s'est heu-
reusement estudié à gravité, il a usé d'une langue
qui est grave de soymesme : voire est estimée
par aucuns surpasser en ceci la Greque : et non
sans quelque apparence, comme je monstreray
par le récit d'une dispute que j'en, lors que j'estois
à Vienne en Austriche, en la cour de l'empereur
Maximilian*, contre un seigneur Espagnol, non
moins grand en doctrine, qu'en biens et honneurs.
1. Léon Feugère n'a pu trou- reur en 1564, mort en 1576. Il
ver ces vers dans Ronsard. Je fut l'un des protecteurs d'Henri
n'ai pas été plus heureux que Estienne, l'un de ceux auxquels
lui. Ils ne peuvent se trouver est dédié le Thesauims linguae
dans la Franciade qui est écrite ^rsecœ. H. Estienne se trouvait
en décasyllabes. justement à Vienne en 1576, au
2. Maximilien II, fils de Fer- moment de la mort de Maxi-
dinand P% né en 1527, empe- milieu.
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56 DE LA PRECELLENCE
Aux passages que tant Arioste que quelcun de
nos poètes François auront pris de l'ancienne
poésie Latine, j'adjousteray quelques-uns que les
nostres auront pris de luy, ou par imitation, ou
par traduction. Et en ce nombre sera cestuy-ci, du
chant xvn.
Grifon, che gli era appresso, e n'havea cura y
Lo spinse pur, poi ch'assai fece e disse.
Contra un gentil guerrier, che s' era mosso.
Comme si spinge il cane al lupo adosso :
Che diece passi gli va dietro, ô venti,
E poi si ferma, ed abbaiando guarda
Come digrigni i minacciosi denti,
Come ne gli ochi orribil foco gli arda *.
Car à ces huict la j'opposeray ces huict d'Amadîs
Jamin*,
Grifon, qui estoit preSy et qui en avoit cure,
Fit tant qu'il le retint, et fit prendre avanture.
Contre un gentil guerrier, le piquant en avant, \yant.
Comme on pique un mastin contre un loup poursui-
1. St. 88-89 : « Griffon qui de feu. » Trad. citée, 143, recto,
estoit près de luy, soigneux de 2. Amadis Jamyn, probable-
sa réputation, après avoir fait ment né vers 1530 et mort vers
et dit beaucoup de ctioses, le 1585, fut Télève de Daurat et
poussa neantmoins contre un le protégé de Ronsard, qui le
brave chevalier qui se presen- fît nommer secrétaire de la
toit: de mesme que Ton pousse chambre du roi. Ses œuvres
le Chien, qui va dix ou vingt (sonnets, églogues, épîtres, élé-
pas après le Loup, et puis s'ar- gies, etc.) , ont été publiées
reste et regarde en abbayant, en 1575, 1577, 1582. Il a tra-
comme l'autre grince et menace duit en vers treize chants de
des dents, et comme ses yeux VlUade, et les trois premiers
jettent d'horribles estincelles de VOdyssée.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 57
Mais comme le chien va dix ou vingt pas derrière^
Et abbaye le loup^ auquel il nen chaut guiere.
Puis s^arrestCy avisant comme il grince les dens,
Et comme dans les yeux il ha des feux ardens.
Apres avoir opposé des rymes Françoises aux
rymes Italiennes *, pour faire comparaison des unes
avec les autres, je feray le mesme en la prose :
pour monstrer que nostre langue n'est pas moins
propre, et n'ha point moins et de gravité et de
grâce en cest endroit, qu'en cestuy-la : et ne mérite
pas moindre louange pardessus les langues vul-
gaires. Mais pour le présent je me contenteray
d'une harangue que nous lisons en Tacitus, sous
le nom d'un nommé Cerealis : l'argument de
laquelle (à fin que tu la puisses mieux entendre)
est tel : Les Belges s'estans rebellez sous la con-
duite de Valentinus, Cerealis, chef des forces
Rommaines en ces quartiers-la, les alla rencontrer
près la ville de Confluence *, où la Moselle entre
dans le Rhin : et les deffit de prime arrivée : prit la
ville par mesme moyen, que les soldats eussent
bien voulu ruiner, pour se vanger de Tutor et de
Classieuse : mais il l'empescha, de peur d'aliéner
4. Des vers français aux vers lius, Julius Tutor, de la cité
italiens. des Trévires, chargé de gar-
2. Il s'agit de Trêves et non der la rive du Rhin, et Ju-
de Coblentz : Histoires, IV, 72 : lius Classicus, préfet d'un corps
• Cerialis postero die coloniam de cavalerie trévire, avaient
Treverorumingressusest,avido abandonné les Romains pour
milite eruendae civitatis. » se joindre à Givilis. {Histoires,
3. Après la mort de Vitel- IV, 55 et suiv.)
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o8 DE LA PRECELLENCE
d'avantage les cueurs de ce peuple. Et ladessus
ayant faict appeler à Taudience publique les députez
des Triefvois et de Langres, leur tint le langage
suivant : par lequel il remonstre les maux et cala-
mitez qui ont accoustumé de s'ensuyvre aux peu-
ples de leurs révoltes et soulevemens : quand
persuadez des mutins ils taschent de se rebeller
et soustraire de Tobeissance de leurs légitimes
princes : et changer de gouvernement, sous Tespe-
rance d'une meilleure condition, et d'un plus sup-
portable fardeau.
Neque ego unquamfacundiam exercui, etpopuli Romani
virtutem armis affirmavi : sed quia apud vos verba pluri-
mùm valent, bonaque ac mala non sua natura, sed vocibus
seditiosorum œstimantur, stalui pauca disserere qua?
profligato bello utilius sit vobis audisse, quàm nobis
dixisse. Terram veslram cœterorumque Gallorum ingressi
sunt duces imperatoresque Romani nulla cupidine, sed
majoribus vestris invocantibus, quos discordiœ usque ad
exitium faiigabant, et acciti auxilio Germani sociis pariter
atque hostibus servitutem imposueiant. Quot prœliis
adversus Cimbros Teutonosque, quantis exercitum nos-
tiorum laboribus, quove eventu Germanica bella tracta-
verimus, satis clarum. Nec ideo Rhenum insedimus ut
Italiam tueremur, sed ne quis alius Ariovistus legno Gal-
liarum poiiretur. An vos chariores Civili Batavisque et
Transi'henanis gentibus creditis, quàm majoribus eorum
patres avique vestri fuerunt? Eadem semper causa Ger-
manis transcendendi in Gallias, libido atque avaritia, et
mutand«T sedis amor, ut, relictis paludibus et solitudi-
nibus suis, fœcundissimum hoc solum vosque ipsos pos-
siderent. Gœterum libertas et speciosa nomina prœtexun-
tur : nec quisquam alienum servitium et dominationem
sibi concupivil, ut non eadem ista vocabula usurparet.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 59
Régna bellaque per Gallias semper fuere, donec in nos-
trum jus concederetis. Nos, quanquam toties lacessiti,
jure Victoria) id solum vobis addidimus, quo pacem tue-
remur : nam neque quies gentium sino armis, neque
arma sine stipendiis, neque stipendia sine tributis haberi
queunt. Caetera in communi si ta sunt : ipsi plerumque
legionibus nostiis prœsidetis, ipsi bas aliasque proviucias
regitis : nihil separatum clausumve : et laudatorum prin-
cipum usus ex œquo, quamvis procul agentibus : sœvi
proximis ingruunt. Quomodo sterilitatem aut nimios
imbres et cœtera natura} mala, ita luxum vel avaritiam
dominantium tolerate. Vitia eiunt donec bomines : sed
neque hsec continua, et meliorum interventu pensantur :
nisi forte, Tutore et Classico regnantibus, moderatius
imperium speratis : aut minoribus quam nunc tributis,
parabuntur exercitus, quibus Germani Britannique ar-
ceantur. Nam pulsis (quod dii probibeant) Romanis, quid
aliud quam bella omnium inter se gentium existent?
Octingentorum annorum fortuna disciplinaque compages
bœc coaluit, quœ convelli sine exitio convellentium non
potest. Sed vobis maximum discrimen, pênes quos aurum
et opes, pra3cipuaî bellorum causa?. Proinde pacem et
urbem, quam victi victoresque eodem jure obtinemus,
amate, cobte. Moneant vos utriusque fortunœ documenta,
ne contumaciam cum pernicie, quam obsequium cum
securitate, malitis*.
Voicy comment la précédente harangue Latine
a esté traduicte par un Florentin, nommé Giorgio
Dati ^, avec le reste des livres de Tacitus, qui sont
parvenus jusques à nostre temps.
1. Histoires, IV, 73-74. de Tacite parut après sa mort,
2. D'une famille noble de en 1563. Son compatriote, Ber-
Florence qui a compté plusieurs nard DavanzatiBostichi, auteur
autres littérateurs ou érudits. d'une traduction de Tacite plus
11 a aussi traduit Valère- estimée que celle de Dati, parle
Maxime (1547). Sa. traduction ainsi, dans une lettre, de
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60 DE LA PRECELLENCE
lo per insino à qui non mi sono nelP arte del ben dire
giamai esercitato, onde io potessi venire à voi con belle ed
ornate parole : ma bene con Parmi e con la spada ho
sempre aiutato confermare la vii tù, eU valore del popolo
Romano : ma vedendo che appresso di voi le parole vagliono
molto, e che il bene ed il maie non quale egli è per natura
ma secondo il parlare de'seditiosi è giudicato : quindi
délibérai espor vi brevemente quelle cose, lequali (poiche
la guerra è ter^inata) sarannoàvoi piu utile àudire, che
à me il recitarle. Primieramente, i nostri antichi impera-
dori e capitani entrarono con gli eserciti loro nel paese
vostro, ed in quello de' Galh', mossi non da propria cupi-
dita, ma chiamati da' vostri antecessori, iquali, parte per
le proprie discordie loro furono sino alF estremo afflitti,
parte da' (iermani travagliati : il cui aiuto avevano invo-
cato, ed iquali s' eran sforzati di mettere gli amici ed ini-
mici parimente sotlo la servitù ed ubbidientia loro. Impe-
roche quante volte noi habbiamo co' Cimbri e co' Teutoni
combattuto, e quante faticlie e disagi habbinô i nostri
eserciti sopportato, e finalmente quel che noi nelle guerre
co' Germani habbiamo vinto ed acquistato, è noto à bas-
tanza. Et non siamo perciô per difendere la Italia, stati
délia riva del Reno occupatori, ma solo perche e' non
venisse un'altro Ariovisto, e délia Gallia cercasse d'insi
gnorirsi. Credete voi d'esser piu grati ed accetti à Civile e
a' Batavi, ed ail' altregenti di là dal Reno, che non furono
i padri et gli avoli vostri à gli antichi, e predecessori di
quelli? Fu sempre una cagione medesima, perche i Ger-
mani passarono in Gallia : e questa fu la libidine, l'ava-
ritia, e'I desiderio di cercare e possedere nuove habita-
lioni, accioche, lasciato le paludi, ed i loro diserti, e soli-
tarii luoghi, possedessero questo vostro fertilissimo ed
abbondantissimo paese, e finalmente riducessero anchora
voi sotto il dominio loro : ma e' vengono sempre in campo,
e ricuopronsi col nome délia liberta, e con altri simi-
rœuvre de son prédécesseur : large, convenable à son but,
« Giorgio Dati a traduit Tacite qui était de le rendre très
<Jans un style abondant et clair. »
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 61
glianti honesti titoli, per ingannarvi piu agevolmenle :
imperoche niuno giamai fu, che bramasse porre altri in
servitù, e à se stesso procacciar signoria, che di cotali
honorati nomi non s'andasse accomodando. Sempre per
la Gallia furon guerre, e sempre chi ha cerco signoreg-
giarla, fmo à che voi venisté sotto la nostra juriditione :
ma noi, quantunche spesse volte offesi e provocati da
voi, nulla le piu vi habbiamo imposto (conciosia che per
ragione délia vittoria dirittamente far lo potessimo) che
quelle per ilquale la pace publica potessimo conservare :
imperoche senza l'armi non si puô sostenere la pace tra
le genti, ne Tarmi senza gli stipendii, ne gli stipendii
senza i tributi. L'altre cose con essonoi vi sono comuni,
perche voi stessi le piu volte alla cura délie nostre legioni
siete preposti, voi per tutto queste e delFaltre provincie
amministrate. E niuna cosa vi è, che da noi vi sia sepa-
rata, ô chiusa : e benche voi lunge da Roma habitiate,
godete nondimeno i buon principi al pari de gli stessi
Romani : per il contrario quelli che sono crudeli e sce-
lerati, sempre a' piu propinqui danno addosso. Dovete
adunque disporvi ed acconciare le spalle vostre à soppor-
tare la lussuria e Tavaritia di chi vi regge e signoreggia,
in quella istessa guisa che tollerate la sterilita deir anno,
le soverchie e terribili pioggie, e gli altri mali ed incom-
modi délia natura. Fin che al mondo saran de gli huomini,
saranno ancor de' vitii : questi nondimeno non sempre
ne Q)ntinuatamente, ma i béni ed i mali vengono à
vicenda, e con Tavvenimento di cose migliori vannosi
quelli compensando. Se già voi non pensate che sotto
rimperio di Classico, e di Tutore, debbino le cose piu
moderatamente succedere, ô con minore spendio che
hora, si possino sostener gli eserciti, co' quali i Britanni
ed i Germani s'abbino à rimuovere, e tener discosto da'
Galli. Imperoche se i Romani (che noi voglia Iddio) fus-
sero oppressi ô discacciati , che altro pensate voi che
n'avverrebbe, se non che tutti i popoli, tutte le nationi,
s'andrebbero con iscambievoli guerre l'un l'altro distrug-
gendo. Questa macchina, ed unito componimento del
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62 DE LA PRECELLENCE
Romano imperio, sino ad ottocent' anni col mezo délia
fortuna, délia disciplina ed ubbidienza, si è mantenuto in
piè, ne dissolvere, ne gastare si puô, se non con rovina
e destruttione di quel, che dissolverlo, ô guastar lo vor-
ranno. Ma voi bene, che abbondate d'oro e di richezze,
che son sempre délie guerre speciali cagioni, siete quelli
che in gran pericolo vi ritrovate. Perô habbiate davanii à
gli occhi, amate e riverite la pace ed insieme la città di
Roma, laquale noi sempre, ô vincilori, ô vinti, con ugual
titolo possederemo. Muovinvi adunque gli esempi delF
una e Taltra fortuna, ù prospéra, ô avversa, accio non
vogliate piu tosto mantenervi con vostra rovina rebelli e
contumaci, che rendervi pronti ed ubbidienti con vostra
pace e tranquillità.
Voyci la mesme harangue traduicte par Biaise
de Vigenere* :
Je n'ay jamais faict profession d'haranguer, car la valeur
du peuple Romain, je l'ay tesmoignee ordinairement par
les armes. Mais pource que les paroles peuvent beaucoup
envers vous, et que les choses, bonnes, mauvaises qu'elles
soyent, n'y sont pas mesurées selon leur nature, ains par
les crieries des séditieux : j'ay advisé de vous dire en peu
de paroUes ce que, la guerre ayant pris fin, vous sera
1. Biaise de Vigenère, 1523- de la première décade deTite-
1596, fut attaché à la maison Live. Il a rajeuni la langue de
du duc de Nevers et plus lard Villehardouin, et publié divers
secrétaire de la chambre traités où l'on trouve tous les
d'Henri III. Ses principales préjugés de son temps, sur
traductions sont celles des l'astrologie, l'alchimie, et la
Chroniques et Annales de Polo- cabale. Ses contemporains fai-
qne, d'Herbert de Fulstein, saient grand cas ae ses tra-
1573; des Commentaires de ductions. Il n'a traduit de
César, 1576; de V Histoire de Tacite que la Germanie, et le
la Décadence de V Empire grec, passage des Histoires cité par
de Nicolas Ghalcondyle; des Eslienne se trouve dans les
Dialogues sur l'Amitié, de notes qui suivent sa traduction
Platon, Cicéron, Lucien, 1575; de César.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 63
plus utile d'avoir ouy, qu'à nous de Tavoir remonstré. Les
Capitaines et chefs Romains entrèrent jadis dedans vos
limites, et des autres Gaulois aussi : non pour aucun
désir de piller, mais vos ancestres les y invitans, lors que
leurs dissensions mutuelles les molestoyent à toute ou-
trance. Les Allemans pareillement appelez d'eux à leur
secours, avoyent reduict tout aussi bien les alliez en ser-
vitude, comme leurs plus mortels ennemis. Par combien
de grosses batailles contre les Cimbres et les Theutons,
par quels demesurez travaux de nos exercites, et avec
quel événement à la fin nous avons faict guerre en la
Germanie, tout cela est assez notoire. Nous ne nous
sommes pas venus planter sur le bord du Rhin pour la
défense de Fltalie, mais de peur qu'un autre Ariovistus
ne s'emparast du Royaume des Gaules. Guidez-vous don-
ques estre en plus estroite recommendation à Civilis, ni
aux Bataves, ni aux peuples de delà le Rhin, que vos
pères ne furent à leurs ancestres? Tousjours la mesme
occasion aux Germains a esté de passer es Gaules, l'ava-
rice à sçavoir, et la convoitise, et certain désir de changer
de demeure, à ce que leurs marescages et déserts quittez
là, ils s'emparassent de ce tresfertile fonds et terroir, et
de vos personnes encore. Surquoy on vous propose une
liberté pour prétexte, avecques autres semblables tiltres
merveilleusement beaux en apparance : mais onques
homme n'aspira de réduire les autres en servitude, et
establir sa domination dessus eux, qu'il ne s'aidast des
mesmes mots. Les Royaumes et les guerres ont tousjours
esté par les Gaules, jusqu'à tant que vous vous soyez
rengez sous nostre pouvoir : et nous autres tant de fois
provoquez de vous, suyvant le droit de la victoire, ne vous
avons neantmoins imposé autre chose, que ce qui conve-
noit à garder la paix. Car sans les armes, la seureté et
repos aux peuples, ne les armes sans une solde, ne la
solde sans quelques impositions et tributs, ne se peuvent
pas maintenir. Tout le reste est commun aux uns et aux
autres : il n'y a rien de séparé ne renfermé, car quel-
ques enfermez que vous estes, jouissez neantmoins des
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64 DE LA PRECELLENCE
bons Princes, aussi bien que nous : là où les félons et
cruels se descouplent et attachent aux plus prochains
d'eux. Supportez donques les prodigalitez ou taquineries
de ceux qui dominent, aussi bien que vous faites la stéri-
lité d'une année, les pluyes excessives, et les autres injures
du ciel, et incommoditez de nature. Il y aura des imper-
fections, tant que le monde durera : mais ce n'est pas un
mal continuel : car cela se compense par de plus grands
biens qui arrivent parmi. Si d'aventure vous n'attendez
un plus doux et meilleur empire, lors que Tutor et Clas-
sions régneront : et qu'on puisse equipper et entretenir
des armes à moindre frais, à moins de charge pour le
peuple, pour repousser les Germains, et ceux de la Grande
Bretaigne : parce que si les Romains (ce que les Dieux ne
vueillent) estoyent dechassez, qu'en adviendra-il autre
chose, sinon une confusion et desordre de guerres de
tous les peuples l'un contre l'autre? Par le bon-heur et
discipline de huict cens ans ceste grande masse d'empire
est ainsi parcreue, laquelle ne se peut mettre bas sans la
ruine et accablement de ceux qui tascheront àl'esbranler.
Mais le plus fort du péril vous menace, qui possédez l'or,
et autres richesses, motifs et allechemens principaux de
toutes ïes guerres. Au moyen dequoy aimez et rêverez la
paix et la ville, dont les vaincus et victorieux jouissent
également : et que les exemples de l'une et de l'autre
fortune vous servent d'instruction, et apprennent de ne
vouloir embrasser plustost une endurcie et rebelle opi-
niastreté, tendant à finale ruine, que de persister en obéis-
sance avecques toute seureté et repos.
Je ne veux pas advertir les lecteurs de pi:endre
garde, en ceste harangue, combien est viriljte son
de ces paroles Françoises, et combien est mol celuy
des Italiennes, à comparaison : comment les Fran-
çoises semblent autant aller de roideur, que les
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 65
autres aller laschement * : ne aussi de considérer
autres telles choses qui concernent la gravité : (car
je m'asseure que d'eux-mesmes ils y prendront
garde, veu que c*est le poinct duquel il s*agit
maintenant) noais bien les advertiray-je ici d'une
chose, de laquelle peut estre qu'ils ne s'advise-
royent pas : c'est qu'ils considèrent, comme en
passant, combien approche nostre langue de la
briefveté d'un auteur qui a parlé plus ou pour le
moins autant briefvement qu'aucun autre de tous
les Latins, combien au contraire l'Italienne en est
eslongnee, et combien on y voit de paroles per-
dues : sans lesquelles toutesfois (qui est la grand'
pitié) elle pourroit sembler estre contrainte. Et
pour mettre les lecteurs en train de ceste considé-
ration, je leur mettray devant les yeux toute la
première clause. Car au Latin elle n'ha que ces
cinq mots, Neque ego unquam facundiam exercui.
Et au François, que ces six, Je nay jamais faict
profession d'haranguer : mais en l'Italien ces
quinze, lo per insino à qui non mi sono neWarte del
ben dire giamai esercitato.
Quand j'auray pu emporter ce premier poinct
touchant la Gravité, je debateray avec plus grand
1. H. Estienne s'est donné Iradiiotion française elle-même,
beau jeu en choisissant une est loin d'être bonne, et ce
traduction italienne qui est n'est pas d'après elle qu'il fau-
une véritable paraphrase. L'ita- drait juger des qualités de
lien peut être beaucoup plus notre prose, qui peut être plus
bref et plus précis. Mais la précise et plus élégante.
4.
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66 DE LA PRECELLENCE
courage les deux autres : et venant premièrement
à la gentilesse et bonne grâce, (selon Tordre que
j'ay proposé) advertiray les lecteurs qu'en ceci ils
se donnent bien garde de Tapp^arence, pour
fonder quelque jugement sur icelle. Car ceux que
j'ay à combatre, mettront incontinent en avant que
toutes les terminaisons de leurs mots sont en
voyelles : et diront (ce qui semble vray de prime
face) qu'elles ont plus de gentilesse que les nos-
tres, dont une partie est en consonantes. Mais je
respondray que si la gentilesse du langage doit
estre mesurée (comme il est certain qu'elle doit)
par le contentement et la délectation de l'oreille
délicate, ils se trouveront bien loin de leur comte :
veu qu'il n'y a chose où la variété soit plus requise
qu'en ce qui doit donner plaisir à ce sentiment.
Or, je les prieray de me dire si cinq terminaisons
(comme il n'y a que cinq voyelles) retournantes
tout à coup l'une après l'autre, au lieu de nous
donner ce plaisir, ne nous doivent pas ennuyer,
comme ce que le proverbe Latin appelle Crambe
repetita\ Ce qu'on apperçoit incontinent en confe-
1. Forcellini : crambe, genus cum proverbium 6\ç v,p6L\Loy\
brassicœ (chou) tenuioribus eàvaxoç. Allegorice Juvenal,
foliis et simplicibus densissi- sat. VII, 154 : Occidit miseras
misque, amarior, sed effica- crambe repetita magistros, h. e.
cissima (Plinius, XX, 9). Su- millies repetitae declamatio-
mitur et pro quavis brassica : nés, aliaque quae pueris tra-
quée bis cocta, seu recale- duntur in schoiis tœdio conû-
facta, stomachum praegravat, ciunt atque enecant magis-
concoctu difficilis. Hinc Grae- tros.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 67
rant leurs rymes avec les nostres. car la variété
des nostres ne resjouit moins Toreille, que le pré
donne de plaisir à Tœil par sa diverse tapisserie
de fleurs : les leur, au contraire, pour avoir peu
de variété, la font entrer aussi tost en un degous-
tement. Toutesfois pour ne parler que de la prose,
l'oreille est bien à plaindre, quand on luy fait ouir
un grand nombre des paroles d'un mesme son
(quant à la dernière voyelle) estans bien près
l'une de l'autre : mais ce luy est bien le grand
helas, quand elle est assaillie d'une suite de trente
ou quarante mots qui sont ainsi semblables. S'ils
font semblant de n'entendre ce que je veux dire,
voyci dequoy, Signor mio, io dico da vero cKio
non ho dismentigato emai non dismentigaro Vobligo
ilquale ho appresso il vostro fratello : e che corne
fin adesso ho fatto tutto quello cKo potuto per il
negotio suo, e non ho mancato dal mio dovero in
officio nessuno : desidero anchora far tanto che sia
satisfatto, monstrandomi in ogni suo bisogno non
niarico pronto à servir lo^ che son statoper il tempo
passato. De quelle patience faut-il que soyent
armées les pauvres oreilles tant martelées de la
répétition d'une mesme lettre? Mais pour le langage
François elles n'ont aucun besoin de telle ar#dre.
Car il ne donne point de peine aux oreilles, quand
pour signifier la mesme chose, il dit, (usant d'une
grande variété de terminaisons) Monsieur^ je
vous asseure que je nay oublié et n'oublieray
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68 DE LA PREGELLENCE
jamais VobHgation que fay à Vendroit de vostre
frère : et que comme jusques à présent fay f aie t tout
mon possible pour son affaire, et nay failli à mon
devoir en tout ce qui concernoit son service, je désire
encore faire tant quil soit satisfaict, me monstrant
en tout ce où il aura besoin de moy, non moins
prompt à luy obéir que par le passé. Il est vray
que quand ces messieurs nous ont bien soûlez de
leurs il ont moyen de nous faire aussi grande
largesse (ou à peu près) d'une autre sorte de mets :
à sçavoir de leurs A. comme si, en parlant à
quelcun (car une si longue suite de mots ayans
mesme terminaison leur eschappe en parlant,
plus tost qu'en escrivant) il leur plaist de dire,
lo prego la signoria vostra per la nostra vecchia e
intrinseca amicitia, e per quella anchora che mi
mostrava tutta la famiglia quando stava in casa
vostra, che per questa volta sia contenta di far mi
questa cortesia\ Au lieu de ce que nous dirions (en
retenant toutesfois' leur façon de parler qui est
au commancement) Je prie vostre seigneurie par
nostre ancienne et intime amitié, et par celle aussi
1. H. EsUenne abuse un peu pénultième, comme dans ap-
des apparences contre la langue pressa, fratello, soit même sur
italienne. Les Italiens ne pro- l'antépénultième, comme dans
noncent pas leurs mots en o et famiglia, et Vo ou l'a qui sui-
en a comme nous les pronon- vent la voyelle tonique, sans
çons après les leur avoir em- être absolument de même
pruntés : piano, 5o/o, So//erino, valeur que notre c muet, ont
opéra, Magenta. L'accent est la une très faible sonorité. (Voir
plupart du temps soit sur la l'Introduction.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 69
qv^ me monstroit toute la famille ^ quand je demeu-
rois en vostre maison, que pour ceste fois il luy
plaise me faire ceste courtoisie. Quelcun me dira,
que comme la lettre A se rencontre tant de fois
en la fin de ces mots Italiens, qui s'entresuyvent,
ainsi la lettre E est un peu fréquente en la fin de
ces mots François : mais la response est fort aisée,
Que la lettre E est une de celles qui ont le son
doux et plaisant : joinct que nous en avons de
deux sortes, Tun estant E masculin, Tautre, plus
fréquent, féminin (laquelle division semble
admettre quelque subdivision) * et que ces deux
sortes entremeslees font trouver diversité en une
mesme lettre. Au contraire, la seule lettre A
se rencontrant es terminaisons de tant de mots
contigTis, il est impossible qu'elle n'ennuyé, tant
pourcequ'un son qui n'est pas si plaisant que
l'autre, est répété tant de fois coup sur coup :
qu'aussi pource qu'elle fait d'avantage ouvrir la
bouche, pour laquelle raison nous voyons que les
Doriens estoyent moquez par les autres Grecs '.
1. Thurot {Prononciation un étranger.
française, I, 37) dislingue en ïla'jffaaÔ', w Svaxavot àvdtvuxa
effet deux e masculins, Ve fermé [xwTtXXoiffat]
et Ve ouvert, et deux e fémi- xpxtyôveÇ' *Exxvai<j£OvTt TcXaTstà-
nins, « l'e féminin fort, comme [(xootaai anavra. (V. 87-88.)
dans la dernière syllabe de Praxinoa
ff^rde-le Te féminin faible, ... nao7covva(Tt(TTu'a).e0ix6;-
comme dans la pénultième de g^p^^gev S'ë^ecrrc, SoxcS, toT;
9arde-le » — Cf. ilypomneses, [Aa)piée<T<xtv. (V. 92-93).
p. 11 et suivantes. ^e scholiaste, sur le vers 88 :
2. Voir Theocnte, Syracu- qI vàp Awptsiç 7rXaTu<XTO(ioO(xt
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70 DE LA PRECELLENCE
Entrant plus avant en comparaison de ces
deux langages, quant à ce qui concerne la gen-
tilesse et bonne grâce, j'allegueray que le nostre
n*ha rien qui rende sa prononciation desplaisante
aux oreilles : dequoy le leur ne s'oseroit vanter.
Car ils disent que le vray et nayf parler ne doit
estre cherché ailleurs qu'en Toscane : adjoustans
que Florence, qui est le principal lieu de Tos-
cane, est aussi comme le principal siège de ce
bon langage Toscan. Or il faut qu'ils me confes-
sent ce qu'ils ne peuvent nier : c'est que les Flo-
rentins (principalement s'ils n'ont point despaysé)
sur tous ont une prononciation la plus esloignee
de douceur qu'on sçauroit dire, en ce mesmement
qu'ils parlent fort du gosier : comme si toutes
leurs lettres estoyent gutturales : au lieu que les
Hebrieux n'en ont que quatre. Et nous voyons
d'ailleurs, l'orthographe de quelques Florentins
estre telle qu'il est impossible que la prononcia-
tion réglée sur icelle ne soit rude. Voyla d'où
vient qu'ils sont réduits à ceste nécessité de
mettre leurs mots en la bouche d'un Sienois :
s'ils veulent qu'ils soyent bien et deuement pro-
noncez. Je ne di rien qui ne soit confermé par
le proverbe assez vulgaire, Parlar Fiorentino in
bocca Senese : confessant neantmoins que je ne
puis comprendre ce mystère. Car je ne voy point
comment il est possible que deux personnes, dont
l'une ha les mots fort bons, l'autre la prononcia-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 71
tion d'iceux fort douce, se puissent tellement
accorder que les mots sortent de tous deux
ensemble, comme d'un seul et mesme individu*.
Et toutefois jusques à tant qu'on ait trouvé moyen
de rendre possible un tel impossible, ce bon lan-
gage Italien ne peut estre conjoinct avec une
bonne et douce prononciation. Or je leur demande
si cependant qu'il est ainsi séparé de sa pronon-
ciation, il n'est pas comme un corps sans ame.
Et à propos de prononciation, j'adjousteray qu'au
contraire en France es lieux où eîst le meilleur et
plus nayf langage, c'est là volontiers où on prO'-
nonce le mieux *. Apres ceci, je monstreray
comme nostre langage, pour rendre sa pronon-
ciation plus douce, a trouvé moyen d'éviter la
rencontre des voyelles en vocables contigus
(comme aussi les anciens Latins l'evitoyent : et
la lettre qu'ils inseroyent est demeurée en quel-
ques verbes composez) à quoy l'Italien n'a pas si
bien pourveu.
J'advertiray aussi que la liberté ou plustost
licence que les Italiens ont prise et prennent tous
les jours de plus en plus en un grand nombre de
1. Il n*est cependant pas très Fidéal qu'exprime très heureu-
difficile de se représenter soit sèment le proverbe italien. —
un Siennois enrichissant sa Cf. De Méry, Histoire générale
langue des mots et des tours des proverbes, tome \,paif^e 3^^:
florentins, soit un Florentin Lingua Toscajia in bocca Ro-
corrigeant sa prononciation en viana.
imitant celle des Siennois. C'est 2. Voir la note de la page 33.
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72 DE LA PRECELLENCE
leurs vocables, de ne suivre point la trace des
mots Latins, oste beaucoup de la bonne grâce de
leur langage*. Mais comment (dira quelcun) ne la
suivent-ils pas, non-obstant cela, encore de plus
près que vous, si on veut considérer la généra-
lité? Je respon que le nostre a pris un autre train,
et a suivi une autre façon de s'aider des mots
Latins, que celuy des Italiens : et que selon ceci,
il s'acquitte mieux de son devoir, en ce qu'il suit
plus exactement ceste trace, d'aussi près qu'il la
doit suyvre. Car il faut avoir esgard à ce que les
' Italiens sont, quant à leur langue, subjects natu-
i rels des anciens Rommains. ce qu'on ne peut
I dire de nous qui nous sommes comme donnez à
eux, quant à ce qui concerne la subjection de
parler leur langage : ce que nos ancestres appe-
lèrent parler Romman : voulans monstrer (comme
je croy) qu'ils laissoyent leur lang^age Gaulois
pour user de celuy des Rommains, ou pour le
moins de plusieurs paroles d'iceluy : non pas tou-
tesfois sans se permettre quelques changemens
en iceux : non-obstant lesquels ils estimoyent
leur langage François estre d'autant meilleur que
plus ils rommanisoyent en iceluy : (c'est à dire,
1. C'est une idée assez sin- seraient beaucoup plus écartés,
gulière de reprocher aux Ita- on ne peut apprécier la bonne
liens de ne point suivre la trace grâce d'une langue d'après sa
des mots latins, qui sont en ressemblance plus ou moins
général bien plus reconnais- grande avec la langue mère,
sables dans leur langue que Éstienne entasse un peu trop
dans la nôtre. Et quand ils s'en au hasard les arguments.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 73
qu'ils suivoyent le langage Rommain) et par
conséquent entremesloyent moins de leur Gau-
lois, d'où vient que le Romman fut dict pour
le plus poli langage François (comme aussi les
Espagnols se sont servis ainsi de ce mot en par-
lant du leur)*. Or combienque nos ancestres des
lors ne se soyent en leur Romman astreints du
tout au parler des Rommains, et depuis y soit
advenu grand changement : je maintien toutesfois
qu'on voit plus grande dépravation de quelques
\ mots Latins au langage Italien, qu'au nostre, si on
Vcomrîdere ce train ^u'il a pris des le commance-
ment (car j'enten la façon qu'il a suivie de ne
s'astreindre tant aux terminaisons et à quelques
autres choses que celuy des Italiens) et que tant
pour tant il suit mieux une analogie quant au
changement des mots Latins, et ne les déprave
point si vilainement et dangereusement, qu'on
voit plusieurs estre dépravez par ceux qui fai-
sans vertu d'un tel vice, s'estiment mieux parler
que les autres.
Je n'espargneray pas ici les exemples : lesquels
1. H. Estienne se méprend formé selon les régions et les
tout à fait sur le caractère de influences. Dans le roman de
notre langue. Nous sommes France, ou français, i\ se ironye
aussi bien que les Italiens -sub- une forte proportion de mots
jects naturels des anciens Rom- germaniques, avec un certain
mains ». Ce qu'on appelle le nombre de mots de diverses
roman, ou les langues romanes, origines. Les mots auxquels on
c'est tout simplement le latin peut attribuer une origine cel-
vulgaire, diversement trans- tique sont très peu nombreux.
PBECELU DU LANGAGE FRANÇOIS. 5
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74 DE LA PRECELLENCE
non seulement esclarciront, mais aussi confor-
meront la précédente proposition. Je mettray
donc en avant (entr'autres exemples de ceste
analogie par nous gardée mieux que par eux es
terminaisons) que comme du Latin Arbor nous
avons faict Arbre : ainsi de Marmor, Marbre, de
Pastor, Pastre (car encore qu'aujourd'huy en ceste
ville de Paris et en plusieurs autres lieux on die
Pasteur, si est-ce que Pastre dont usoyent nos
ancestres, est demeuré en quelques dialectes) *
mais eux, disans Arbore, pour le latin Arbor, tou-
tesfois pour Marmor disent ordinairement Marmo
(duquel le pluriel Marmi, est aussi en usage) plus
tost que Marmore.
Toutesfois ce mot aussi Arbore n'est pas sans
contradiction, car plusieurs trouvent meilleur
Albero. Or de ceste dépravation je prendray
occasion de parler des autres, suivant ce que j'ay
proposé ci-dessus. Et premièrement, avant que
sortir de ceste lettre R, diray qu'on met aussi D en
sa place : comme quand on dit Rado pour Raro.
Quelquesfois aussi on luy fait tenir le lieu deT, et
mesme de T double : comme quand on use de Hotta
pour Hora : et en composition, de Allhotla pour
Allhora. Et réciproquement on met R pour quelque
autre lettre : et principalement pour L : comme
quand on aime mieux dire Ubrigato que Obligato :
1. On sait que pastre et pasteur sont simplement le cas sujet
et le cas régime, pastor, pastorem.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 75
et qu'on ne dit pas Rassimigliare ou Rassomigliare,
mais Rassembrare, (quant à Ramembrare, il signifie
autre chose, à sçavoir Ricordare : et semble qu'on
peut mettre ce Ramembrare au nombre des mots
François que les italiens nous ont pris. Car nos
Rommans disoyent Se remembrer de quelque
chose, aucuns aussi Se ramembrer pour Se remé-
morer, Se remettre en mémoire.) * Quelquesfois
ils ne mettent pas ceste lettre R en la place d'une
autre , mais l'adjoustent , en faisant encore
quelque autre changement : comme quand ils
disent Cilestro pour Céleste.
Or ne font-ils pas tels changements es mots
seulement ausquel s ils prennent plaisir d'adjouster
ceste lettre R, ou de la changer en une autre, et
quelquesfois réciproquement de la mettre en la
place d'une autre, mais font le mesme tort aux
autres lettres. Et qu'ainsi soit, comme j'ay amené
tantost un exemple du changement de R en D, en
ce qu'ils disent Rado pour Raro^ en voyci un du
changement de D en deux LL, Reliera pour Hedera.
Mais ces qui pro quo se voyent encore plus es
voyelles, car, pour commancer par A, au lieu
de ceste lettre ils mettent quelquefois un E,
comme en Comperatione pour Comparatione :
1. H. Eslienne répète à chaque des deux mots, italien et fran-
instant ce raisonnement, dans çais, n'a pas, le plus souvent,
la dernière partie de la Pré- d'autre cause que la commu-
cellence, surtout. Il ne veut nauté d'origine. Voir l'Intro-
pas voir que la ressemblance duction.
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76 DE LA PRECELLENCE
aucunesfois un 0, comme en Scandolo pour
Scandalo : en Sodisfare pour Satisfare (où il faut
prendre garde quant-et-quant au D mis pour T,
encore qu'en ceci il n'y ait pas si grand mal) en
Notare pour Nature, Quelquesfois mettent un I en
sa place, comme en Monico pour Monaco, Quant
à la voyelle E, ils ne la laissent non plus où les
Latins Tavoyent mise; car pour Presonlione (qui
suivoit de près le mot Latin Prœsumptio), ils ont
faict Prosontione : pour Eguale (qui approchoit
de yEquale) ils usent de Uguale. La voyelle I n'es-
chappe non plus que les autres, car ils disent
Ancude ^ourlncude : et Incontanente ^onr Inconti-
nente, Aussi n'eschappe 0. car de Domestico ils
font Dimestico, et Ufficio de Officio, et Ubrigato
(avec plus grande dépravation) de Obligato, Quant
à la voyelle U, pource qu'ils l'aiment fort (ainsi
que nous congnoissons par ces mots, Uguale,
Ufficio^ Ubrigato^ et par ce aussi qu'ils l'insèrent
en quelques mots, comme en Huomo, en Buono)
je pense bien qu'ils la respectent plus que les
autres.
Ils usent de changement encore plus grand en
un mesme mot, quand ils disent Maninconia et
ManinconicOy foxxr Melancholia et Melancholiquo *.
Mais encore n'est-ce pas tout, car ils usent aussi
de transposition de lettres en quelques vocables :
1. Cf. Dialogues, I, 200.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 77
comme quand ils disent Empito pour bnpeto. Et
aucunesfois outre la transposition y-a du chan-
gement : comme en Agnoli pour Angeli,
Il y-a d'avantage, et pis : c'est qu'ils ostent à
quelques mots une consonante du milieu : comme
quand ils disent Mai pour Mali^ et Natia pour
Nativa, et Notaio pour Notario^ et Loica pour
Logica. Et usans de hardiesse encore plus grande,
ostent à aucuns la première syllabe : disans (pour
exemple) Nemico ou Nimico plustost que Inimico :
pareillement Micidio que Homicidio. Aimans aussi
mieux dire Rede que Herede, et Rena que Harena.
Encore n'est-ce pas tout, car ils font des syn-
copes estranges : comme quand ils disent Amista
pour Amicitia, et Disio pour Desiderio. Mais plus
estrange, et non seulement estrange mais hor-
rible est celle du mot Horrevole, quand ils luy don-
nent la place de Honorevole.
Il est vray qu'en recompense de ce qu'ils
ostent ainsi des lettres à quelques mots, ils en
adjoustent à aucuns : et principalement la voyelle
I, laquelle ils mettent devant plusieurs : luy
adjoustans aucunesfois un G. comme quand ils
disent Ignudo pour Nudo, Il y-a aussi des vocables
devant lesquels ils ne mettent pas ceste lettre I,
mais l'insèrent dedans, comme quand ils disent
Biasimare pour Biasmare^ et Rifiutare pour Rifu-
tare, et Cervio pour Cervo, On la trouve aussi
insérée en la première syllabe : comme en Triemo
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78 DE LA PRECELLENCE
pour Tremo *. Lequel Triemo tient de la façon du
langage Espagnol, qui trouve plus beau Miembro
que Membre,
Ces vocables ainsi dépravez' en diverses ma-
nières (aucuns desquels peuvent causer des équi-
voques dangereux) sont plus usitez les uns que
les autres : mais tant y-a que ceux qui font pro-
fession de mieux parler, sont ceux qui plus en
usent. Et aucuns sont tellement en usage, qu'ils
confesseront (comme je croy) qu'on n'oit point
parler autrement. Du nombre desquels je pense
estre Maninconia et Maninconico. Aussi je croy
que peu de gens disent autrement que Cagione et
Aria : desquels mots je n'ay point faict de mention,
non plus que de plusieurs autres, pour ce qu'ils
sont communs.
Or comment est-il possible de persuader que
ce langage qui déprave ainsi sa belle origine,
demeure aussi beau, et ait aussi bonne grâce que
1. Cf. Dialogues, U, 265. Sans les vrais mots d'une langue. Hs
parler des autres cas, où Vi peuvent avoir subi des trans-
s'introduit pour diverses rai- formations profondes^ cjui ren-
sons dans les mots français, la dent souvent leur origine mé-
diphtongaison de l'ê bref latin connaissable; mais ils ont vécu
en ie nous offre bien des avec la nation, lui ont toujours
exemples à opposer aux exem- été familiers, el c'est la pro-
pies italiens. H. Estienne re- nonciation populaire qui les a
marque le fait dans les Hypo- insensiblement transformés .
mneses^ p. 117, mais sans Les mots savants, qui plai-
songer à le reprocher au fran- raient davantage à H. Estienne,
çais. sont des nouveaux venus dans
2. Ces vocables dépravés, la langue, et c'est parce qu'ils
dont H. Estienne parie avec n'ont pas vécu qu'ils n'ont pas
tant de dédain, sont en réalité changé.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 79
le nostre, qui se garde bien de luy faire ce tort?
Car ce qu'il change les terminaisons des mots
Latins plus que le leur, ou use de quelques autres
sortes de changemens, on ne peut dire que ce soit
une telle dépravation.
S'ils disent, non-obstant ceci, que la pesle se
veut moquer du fourgon *, et que nous commettons
en nostre langue une semblable faute, en quelques
paroles : je respondray que ceste faute ha d'autant
plus mauvaise grâce en leur langue qu'en la
nostre, et est moins pardonnable, qu'ils sont quant
à icelle comme subjects naturels des Rommains
(ainsi que j'ay dict cy-dessus) et pourtant ne se
peuvent tant permettre que nous, dont les ancestres
se donnèrent à leur empire. Et qui les voudra
rechercher de plus près, trouvera quelques autres
sortes d'abus à eux peculiers, lesquels ne doivent
moins rendre leur langue mal-plaisante : comme
quand ils disent Testimonio aussi bien pour Tesmoin
que pour Tesmoignage : et Prigione, aussi bien
pour Prisonnier que pour Prison.
Je mettray en avant un troisième poinct, quant
à ce qui oste beaucoup de la grâce de leur langage,
et ne se trouve pareillement au nostre. C'est
quant au changement, ou plustost aux changemens
1. Cf. De latinitate falso sus- Voir Littré, qui cite un exemple
pecta, p. 91. Le Roux de Lincy de Montaigne. — De Méry {His-
(le Livre des proverbes français, toire des proverbes, I, 276) cite
II, 166) renvoie au Pic^fonnafrc Téquivalent en italien et en
comique de P.-J. Le Roux. — espagnol.
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80 DE LA PRECELLENCE
qu'ils font en la prononciation des Latins, car ils
la changent en trois sortes, pour le moins (es mots
pris de leur langage) changeans quantetquaht
Tescriture : qui est le pis. Et premièrement nous
voyons comme ils changent la lettre L en I, quand,
au lieu de ce que les Latins disent Plaga^ Pluma^
Flamma, ils disent Piaga^ Piuma, Fiamma : pa-
reillement FiW7?i^, Fiato, Fiorây Piombo, Pioggia^,
au lieu de ces paroles Latines, Fhimen, Flaius,
Flos, Plumbum, Pluvia : bannissans pareillement
ceste lettre d'une infinité d'autres vocables, et mes-
mement en autres places : comme quand ils disent
Tempio pour Tem2)lum, Sempio pour Simplex : au
lieu que nous, tant es uns qu'es autres retenons
et prononçons bravement la lettre L, suivans les
Latins. Quant aux deux autres sortes de change-
mens qu'ils font en la prononciation, en une
d'icelles ils la rendent rude : en l'autre, ils la
rendent comme efféminée. Car il est tout évident
que Huomo, Fuoco, Luogoy Buono, Fuora, et
autres mots, ausquels est insérée ceste lettre U,
contre leur origine Latine, sont beaucoup plus
rudes que ne seroyent Homo, Foco, et les autres,
escrits pareillement. En l'autre sorte de change-
ment, on peut dire qu'ils font le contraire, car
ils usent d'une autre escriture, suivant laquelle la
prononciation est plus douce : voire jusques à estre
1. Cf. Dialogues, II, 264-65.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 81
comme efféminée, ainsi que j'ay dict en la pre-
mière partie de ce Project, où je maintenois nostre
parler estre plus grave. J'enten quand ils disent
Massimo pour Maximo *, et Affettione pour Affec-
tione (auquel est semblable Dotto pour Dodo) * et
quand changeans aussi bien PT que CT en ces
deux TT, au lieu àe Apto prononcent /l//o^
S'ils confessent que Massimo n'ha pas un son
si fort que Maximo^ et que Affettione est plus mol
que A/fectione (en faisant sonner ces lettres CT
comme quand nous prononceons Affection) mais
adjoustent que ceste prononcialion est d'autant
plus mignardeque plus est molle (comme de vray,
prononcer Affettion semble sentir son parler un
peu mignard et affetté) je di qu'ils se coupent de
leur Cousteau, veu que la mignardise ne se peut
accorder avec la gravité : tellement que quant à
cest honneur, de parler aussi gravement, il faut
qu'ils nous donnent cause gangnee, si desja ne
l'avoyent faict.
Mais que respondront-ils touchant l'autre mal
qu'amené en aucuns mots ceste dépravation d'es-
criture et de prononciation? J'enten l'ambiguité
qui s'y voit, comme (pour exemple) Atto peut
aussi bien signifier Apte que Un Acte : et mesme
plus souvent ha ceste signification-la que ceste-ci.
i. Cf. Dialogues, II, 268. — _Thurot,Prononciaiton, 11,334.
Thurot, Prononcialion, II, 337. 3. Cf. Dialogues, II, 250. —
% Cf. Dialogues, II, 249-250. Thurot, Prononciation, II, 362.
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82 DE LA PRECELLENCE
Ainsi Addotto peut signifier non seulement Ad-
duclusy pour Addotto : mais aussi Adoptavit^ Il
adopta, pour Adopto-: ainsi qu'en a usé entr' autres
Giorgio Dati, en sa traduction de Cornélius
Tacitus: (vray est qu'il Tescritavec un seul D. qui
est aussi la meilleure escriture) Il me semble que
la meilleure response qu'ils pourront faire, sera de
confesser qu'ils voudroyent bien qu'on leur eust
appris à prononcer aussi bien que nous : afin d'estre
pareillement exemts de telles ambiguitez, qui ne
peuvent avoir que mauvaise grâce en leur langage.
Pour le regard de ce qu'ils nous objectent le
grand nombre de monosyllabes que nous avons
en nostre parler, j'espère les amener là qu'il leur
faudra confesser que si nous en avons trop, eux
en ont trop peu. Et qu'ainsi soit, pourquoy si sou-
vent de dissyllabes font-ils des monosyllabes?
(encore que ceci ne se puisse faire sans cor-
rompre le naturel de leur langage) de Bene, Ben :
de Sano, San : de Piano, Pian : (comme au pro-
verbe, Chi va pian, va san : au lieu de dire, Chiva
piano, va sano) de Fede, Fe : de Casa, Ca : de
Frate, Fra. Et quant aux verbes, de Fare, Far :
de Dire, Dir : de Stare, Star, Ce qu'on peut voir
eu une infinité d'autres tant Noms que Verbes,
car je croy que bien peu sont tousjours exemts
de ce retranchement. Et (qui est bien la pitié) ces
monosyllabes aussi faicts ainsi par force tombent
souvent en une ambiguité, laquelle, selon l'endroit
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 83
OÙ elle se rencontre, peut avoir fort mauvaise
grâce. Je di comme San^ syncopé pareillement
de Sano et de Santo : comme Grariy de Grano et
de Grande : Par, de Pare, tant Verbe que Nom.
Quant aux vocables qui passent deux syllabes,
il ne se faut esmerveiller si en ceux-là ils usent
encore plus souvent de ce retranchement : en
aucuns mesmement esquels on ne le peut faire
sans qu'ils deviennent fort rudes, comme quand
Pétrarque de Poiwlo fait Popol. Or en accoustrant
ainsi tant les uns que les autres, ils en viennent-là
quelquesfois (et principalement les poètes) qu'ils
parlent un Italien qui est François, ou bien un Fran-
çois qui eM Italien : comme quand ils disent Un,
Ciascun, Alcun. comme aussi j'ay dict que
Tomitan, qui a escrit de la langue Toscane, en la
première impression s'estoit appelé non pas Ber-
nardino, mais Bernardin : qui est pareillement
donner au langage Italien la terminaison Françoise.
Mais principalement les poètes, d'autant qu'ils
sont plus contraints que ceux qui escrivent en
prose, ont leur refuge à cest Italien qui est Fran-
çois : comme quand Arioste dit Un gentil guer-
rier^ en ce vers qui est au xvn chant.
Contra un gentil guerrier, che s'era mosso.
Mais aucuns vocables ayans ainsi la queue
coupée, ne sont plus ne bon Italien, ne bon Fran-
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84 DE LA PREGELLENCE
çois : comme quand ils disent La man, au lieu de
dire La mano. car La man est François, mais Fran-
çois d'une des lisières du pays '. Aucuns aussi après
ce retranchement sont du vieil François : comme
quand ils ostent la dernière lettre à Homo, car il
reste Hom, duquel nos ancestres usoyent pour
Homme*, Vray est que si on escrit Huomo^ il faut
aussi escrire Huom : et ainsi se trouve escrit en
Pétrarque. Ils ont aussi des mots, lesquels encore
qu'estans ainsi accoustrez, soyent semblables aux
nostres, ont toutesfois signification fort différente;
comme Ver pour Vero (au lieu que Fer, mal pro-
noncé pour Verd, nous signifie Viride) en Arioste,
au chant preallegué.
Ch' açendo il ver dal peregrino udito.
Or combienqu'ils contraignent ainsi quelques
povres mots d'estre monosyllabes, si est-ce que
sans ceux-ci, ils en ont assez bon nombre : voire
tant qu'ils s'en trouvent quelquesfois plus empes-
chez que nous des nostres : quand nous voulons
un peu prendre la peine de les bien agencer.
Afin de ne rien laisser en arrière, tant qu'il me
sera possible, je leur respondray à ce en quoy ils
semblent avoir quelque couleur de prétendre leur
langue avoir de la gentilesse que la nostre n'ha
1. Cf. Hypomnesesy 3.
2. Et dont nous avons fait le pronom indéfini on.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 85
point. Ils disent donc qu'ils ont quelques termi-
naisons de Noms fort plaisantes et gentiles, des-
quelles nous sommes destituez. Et la principale
de celles qu'ils mettent en avant, c'est des mots^
qui finent en OLE, comme Piacevole, Favorevole.
Je confesse que ceste terminaison est belle : mais je
di qu'une chose belle perd sa grâce quand on en»
abuse. Or qu'ainsi soit que quelques-uns en abu-
sent, il appert par la controverse qui est entr'eux
touchant le mot Capevole, et quelques autres. Car
tous reçoivent bien Favorevole, Piacevole, Amore-
voUy Laudevole, Honorevole, Biasmevole, Solazze-
vole : et plusieurs semblables : mais quant à Ca/)e-
vole, et quelques autres, ils ne sont pas receus de
tous, car aucuns disent qu'en ce mot Capevole on
abuse de ceste terminaison OLE, et qu'il faut dire
Capace, Et de vray je croy que ceux mesmes qui
usent de Capevole pour Capace, n'oseroyent dire
Capevolezza pour Capacita. ce qui monstre bien que
ce Capevole n'est pas tant en crédit que les autres :
veuque Convenevole, aulieu duquel aucuns aiment
mieux dire Conveniente^ est toutesfois suivi de
Convenevolezza, pour Convenienza. Or quant à
Capevole (car je ne me veux arrester maintenant
qu'à cestuy-ci) je sçay bien que leur Bembo en
use au premier livre du Traitté intitulé Le prose :
mais on peut dire qu'il ne s'en faut pas fier à luy :
pour ce qu'il usoit tant des mots ayans ceste ter-
minaison, qu'il s'en rendoit ridicule. Qu'ainsi soit.
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86 DE LA PRECELLENCE
au commancement de ce premier livre nous lisons
agevole et malagevole. Et puis bien tost après il
use de Durevole : un peu après de Agevolmente : et
puis retourne à son Malagevole. Il se sert aussi de
Piacevole et Piacevolezza^ de Convenevole et Conve-
nevolezza : comme aussi usant de Agevole, il use
pareillement de Agevolezza, Nous y avons plusieurs
autres : entre lesquels est Laudevole, ou Lodevole :
et comme j'ay dict qu'il avoit usé de Agevolmente,
aussi nous y trouvons Lodevolmente et Bastevol-
mente : où il dit, Si non si vede anchora chi délie
leggi e regole dello scrivere habbia scritto baste-
volmente\ Lequel Bastevolmente, pour Suffisam-
ment présuppose Bastevole pour Suffisant. Quant
à Capevole, il en use tant, qu'on pourroit penser
qu'il ait voulu faire despit à ceux aux oreilles des-
quels ce mot desplaisoit.
Or est-il certain que comme Bembo usoit trop
de ces mots, de sorte qu'il rendoit leur beauté
ennuyeuse, et luy faisoit perdre sa grâce, quelques
autres aussi ont faict et aucuns encore aujourdhuy
font le mesme. Mais quant audict Bembo, qu'une
telle affectation de langage, quant aux mots ayans
ceste terminaison fust remarquée en luy (lequel
il est vraysemblable ne les avoir moins aimez en
son parler qu'en ses escrits) il appert par ce qu'on
raconte d'un evesque qui luy fît présent d'un tout
1. On ne voit pas encore d'auteur qui ait traité suffisam-
ment des lois et des règles de Tart d'écrire.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 87
nouveau, Scannevole. Car estans entrez luy et
Fevesque en une église de Padoue, où il y avoit
beaucoup de bancs, Tevesque luy dit, Stgnor mio,
non m par che questa chiesa sia moUo scannevole?^
Lequel comte j'ouy faire à Romme à un cardinal
digne de foy. Quoy qu'il ^n soit, il est certain que
ce personnage, qui, quant au reste, estoit estimé
bien parler, et n'ignorer rien de ce qui appartenoit
à l'ornement de son langage naturel, (comme aussi
nous sçavons qu'il a esté excellent en la langue
Latine) n'usoit pas sans raison de tels vocables si
souventesfois : mais estimoit que c'estoyent les
plus beaux, et qui avoyent meilleure grâce. Et je
ne doute pas que plusieurs ne soyent de son opi-
nion, et qu'ils ne confessent n'avoir plus grande
singularité en tout leur langage. Il faudra donc
voir si nous en nostre langue n'avons point aussi
quelques belles terminaisons dont ils soyent des-
tituez : et je m'asseure qu'il ne les faudra pas long
temps chercher.
Ce mesme personnage (je di Bembo) use
d'Adverbes ayans forme de superlatifs, lesquels je
confesse que nostre langage n'ha point, encore
qu'ils semblent avoir bonne grâce. J'enten comme
Naturalissimamente faict de Naturalrnenie : et Ordi-
natissimamente de Ordinatamente. Mais je respon,
premièrement que les Grecs nous ont faict ce
1. «Monsieur, ne vous parait-il pas que cette église soit bien
garnie de bancs? »
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88 DE LA PRECELLENCE
plaisir de nous prester une petite particule *, laquelle
mettans devant les Adverbes, aussi bien que devant
les Noms, exprimons ceste superlation : tellement
qu'au lieu de Naturalissimamente nous pouvons
dire Tresnaturellement, comme au lieu de Bonis-
simo nous disons Tresbon. Je respon secondement
que comme ce mot Naturalissimamente est faict à
plaisir, aussi prenans la mesme liberté nous pou-
vons dire Naturalissimement^,
Et à propos de ce que j'ay dict que les Grecs
nous faisoyent ce plaisir de nous prester une
petite particule, laquelle mettans devant les Noms
et Adverbes, exprimons la superlation : disant Très-
bon, au lieu du mot Italien Bonissimo, la langue
Italienne se peut elle vanter d'avoir crédit à l'en-
droit de la Grecque, comme j'ay amplement monstre
qu'ha la nostre? Et par le moyen de ce crédit elle
emprunte d'elle plusieurs choses, tant pour estre
mieux accommodée, qu'aussi pour estre plus ornée.
Je di donc pour conclusion, que quant à ce qui
concerne la bonne grâce et gentilesse de langage,
l'Italien ne se peut accomparer au nostre, tout
bien conté et rabbatu. |Car pour une gentilesse
1. Très ne vient pas du grec 2. Voir Darmesteter et Hatz-
Tpîç, mais du latin Irans, par feld, Le Seizième Siècle en
le changement très régulier de France, p. 228. Cf. Dialogues,
a en e, et la chute également I, 285; — E. Pasquier, Lettres,
régulière de n devant s. Cf. XXH, ii.
mansionem, meson (maison);
pensare, peser, etc.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 8^
du leur qu'ils allégueront de laquelle nous sommes
destituez, je leur en allegueray deux du nostre,
qu'ils n'ont point. Pour exemple, s'ils mettent en
avant quelque belle sorte de Diminutifs qui ne se
puissent trouver au nostre, je leur en proposeray
deux sortes qui ne se trouveront point au leur.
Les Diminutifs toutesfois sont bien ce dont plus
ils se peuvent vanter, et principalement pour la
douceur. Mais prenons le cas que la douceur de leur
langage se pust trouver plus grande que celle du
nostre. premièrement ceci rendroit plus vraysem-
blable ce que j'ay dict de la Gravité (car il est
bien difficile que celuy qui est fort doux se puisse
monstrer fortgrave, quand il en est besoin : comme
ce mot Honorable, s'il n'est pas si doux que Hono-
revole, aussi est-il plus grave) secondement, je dî
que le plus doux langage n'est pas tousjours le
plus beau et le plus gentil, ne dé meilleure grâce :
comme la plus blanche femme n'est pas tousjours
la plus belle et gentile : mais comme on l'appelle
blanche, quand on ne peut pas dire qu'elle soit
noire : pareillement un langage doit estre tenu
pour doux, quand on n'ha point d'occasion de
dire qu'il est rude. Et adjousteray que comme les
jugemens de l'œil sont divers quant au degré de
blancheur, auquel la beauté d'un visage féminin
doit atteindre, (car aucuns ont dict qu'Helene eust
esté plus belle si elle n'eust pas esté si blanche) '
1. Voir Lucien, Le Songe ou le Coq, édition Didot, p. 498.
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90 DE LA PRECELLENCE
ainsi les jugemens de Foreille sont fort differens,
quant au degré de douceur, auquel un langage
doit parvenir.
A quoy je n'adjousteray rien, sinon que nostre
langage ha mieux que le leur, un don, sans lequel
toutes les sortes de bonne grâce ont peu de grâce :
à sçavoir le don de brefveté. dequoy je produiray
lors plusieurs exemples : mais des maintenant,
j'advertique la traduction Françoise de ïa harangue
de Tacitus conférée avec Fltalienne (laquelle aussi
a esté mise ci-dessus) en pourra fournir quelque
nombre.
Pour faire le mesme que j'ay faict au bout du
discours touchant la gravité, il restera de pro-
poser quelques vers contenans mesme subject tant
en François qu'en Italien. Et au lieu que là j'ay
proposé les vers Latins et puis les traductions
entre ces deux langues, ici, où il ne s'agit de la
gravité mais de la bonne grâce et gentilesse, (de
quoy la Latine ne peut nous estre exemple, si bien
que de la gravité) je me contenteray de mettre
les vers des poètes Italiens, et puis monstrer com-
ment ils ont esté traduicts par les François : ce
qu'aucuns d'entr'eux ont tellement faict, qu'outre
la grâce plus grande qui accompagne leur langage,
ils ont adjousté aux vers Italiens encores un peu
d'une autre, laquelle n'est aux parolles, mais au
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 91
sens. Et je commanceray par un sonnet de San-
nazar*,
Icaro cadde qui : quest' onde il sanno,
C/te in grembo accolser quelle audaci penne.
Qui finCl colsOy e quil gran caso avenne,
Che darà invidia à gli altri che verranno,
Açenturoso e ben gradito affanno,
Poi che morendo eterna fania ottenne,
Felice^ chin tal fato à morte venne :
Che si bel pregio ricompensi il danno,
Ben pua di sua ruina esser contenta,
S'al ciel volando à guisa di colomba,
Per troppo ardir fu esanimato, e spento.
Et or del nome suo tutto rimbomba
Un mar si spatioso, un' e le ment o,
Chi hebbe al mondo mai si larga tomba?*
Il a esté ainsi traduict par Philippe des Portes %
usant de quelque liberté, pour mieux avenir à
ce que j'ay dict,
Icare est cheut ici, le jeune audacieux.
Qui pour isoler au ciel eut assez de courage :
Ici tomba son corps dégarni de plumage.
Laissant tous braves cœurs de sa cheute envieux.
1. Sannazar, né à Naples en De par tu Virginis, Lamentatio
1458, mort vers 1530, a com- de morte Christi, etc.
posé une pastorale célèbre, 2. Rime di M. Jacopo Sanna-
V Arcadie (i^Oi), qui, traduite zaro. In Vinegia. MDCII. Secon-
en français par J. Martin en da parte, p. 69.
1544, eut une grande influence 3. Voir Ferdinand Brunot,
sur notre littérature. Outre La doctrine de Malherbe d^a-
diverses poésies en italien, il près son commentaire sur Des-
a laissé des poésies latines : portes.
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92 DE LA PRECELLENCE
O bien-heureux travail cVun esprit glorieux^
Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage !
O bien-heureux malheur plein de tant d^ avantage,
Quil rende le vaincu des ans victorieux !
Un chemin si nouveau nestonna sa jeunesse.
Le pouvoir luy faillit et non la hardiesse.
Il eut pour le brusler des astres le plus beau :
Il mourut poursuivant une haute avanture.
Le ciel fut son désir ^ la mer sa sépulture.
Est' il plus beau dessein y ou plus riche tombeau? '
Voyci d'autres vers Italiens, de Bembus* : aus-
quels pareillement sont adjoustez les François :
Preso al primo apparir del vostro raggio
Il cor, cil enfin quel di nulla mi toise,
Da me partendo à seguir voi si volse :
Et come chi ritrova in suo viaggio
Disusato placer, non si ritenne,
Che fu ne gli occhi, onde la luce uscia,
Gridando à queste parti amor m'invia,
Indi tanta baldanza apo voi prese
L'ardito fuggitivo à poco à poco,
Ch'ancor per suo destin lascio quel loco
Dentro passando, e piu oltra si stese,
Chè'n quello stato à lui non si convenne :
Fin che poi giunto, ov*era il vostre core,
Seco s'assise, e più non parve fore.
Ma quel, come'l movesse un bel désire
Di non star con altrui del regno à parte,
1. Amours d'Hippolyte, I. 2. Bembo.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 93
O fosse l ciel, che lo scorgesse in parte,
Dov* altro signor mai non devea gire :
La onde mosse il mio, lieto sen venue,
Cosi cangiaro albergo : e da queW h or a
Meco'l cor vostro, el mio con voi dimora * .
Ils ont esté traduicts en la mesme façon que
les precedens, par le mesme poète, en ces vers,
Lorsqu'un de vos rayons doucement me blessa.
Et que mon ame libre en prison fut reduitte.
Mon cœur ravi d'amour aussi tost me laissa.
Et sans autre conseil se mit à vostre suitte.
Mais comme un voyageur qui s'arreste pour voir
S'il trouve en son chemin quelque chose nouvelle.
Alors qu'il veit vos yeux, de passer n'eut pouvoir.
Et demeura surpris d'une clair té si belle.
Puis il reprend courage, et s*asseure à la fin.
Désireux d'achever V entreprise première :
Soit qu'Amour le guidast, ou son heureux destin.
Ou que vostre œil luisant luy fournis t de lumière ,
Il ne s*arreste plus, et vient jusques au lieu.
Siège de vostre cueur, quil embrassa sur l'heure.
Et me dit en riant un éternel Adieu,
Ne voulant plus partir de si belle demeure,
Vostre cueur qui ne veut, plein d'un brave désir.
Souffrir un compagnon, autre empire pourchasse :
Et délaissant le sien, d'un lieu se vient saisir.
Où nul autre que luy ne pourroit avoir place.
C^ est le lieu que mon cœur plein d'amour et de foy,
Divinement guidé délaissa pour vous suyvre,
1. Le Rime, Vcrona, 1750, p. 60.
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94 DE LA PRECELLENCE
Voyla donc comme Amour du depuis nous fait vivre :
Mon cueur est dedans vous, le vostre est dedans moy^.
J'adjousteray un sonnet de Pétrarque : et
pource qu'on se pourra esbahir que ce sonnet
n'aura esté honoré du premier lieu (pour estre
d'un tel poète), en recompense de cela, je Thono-
reray de double traduction.
Aspro core e selvaggio, cruda voglia
In dolce, humile, angelica figura.
Se Vimpreso rigor gran tempo dura,
Havran di me poco honorata spoglia :
Che quando nasce e muor fior, herba e foglia,
Quando e'I di chiaro e quando è notte oscura,
Piango ad ogni lior. Ben ho di mia ventura,
Di Madonna e d'Amore onde mi doglia.
Vivo sol disperanza, rimemhrando
Che poco humor già per continua prova
Consumar vidi marmi, e piètre salde.
Non è si duro cor, che lagrlmando,
Pregando, amando, ta l h or non si smova :
Ne si freddo voler, che non si scalde *.
Philippe des Portes Ta ainsi traduict,
Aspre et sauvage cueur, trop fiere volonté.
Dessous une douce, humble, angelique figure.
1. Diane, L. II, Stances après 2. H Petrarca con nuove spo-
le sonnet 42. sitioni. In Lyone, 1574. S. 227.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 95
Si par vostre rigueur plus longuement j'endure y
Vous n aurez grand honneur de m^ avoir surmonté.
Car soit quand le Printemps descouvre sa beauté^
Soit quand le froid hyver fait mourir la verdure.
Nuit et Jour je me plains de ma triste avanture.
De ma Dame et d'Amour sans repos tourmenté.
Je vi d'un seul espoir, qui naist lors que je pense
Qu'on voit qu'un peu d'humeur par longue accoustu-
Cave la pierre ferme et la peut consumer, [mance.
Il n'y a cœur si dur, qui par constante preuve.
Pleurant, priant, aimant, à la fin ne s'esmeuve :
Ny vouloir si glacé quon ne puisse enflammer^.
Antoine de Bayf ainsi.
Un cueur sauvage et dur^ et la façon cruelle
En douce, gracieuse et divine beauté.
Si le temps n^amolist tant dure cruauté.
Feront de ma despouille une gloire peu belle.
Car soit que la verdeur ou sèche ou renouvelle y
Ou la nuict s'obscurcisse, ou luise la clairté.
Sans repos je me plain. Ainsi je suis traitté
De Fortune, d'Amour, et d'une ame rebelle.
D'un espoir seulement ma vie est maintenue.
Quand je pense que l'eau peut à la continue.
Toute molle qnelle est, la roche consumer.
Il n'y a cueur si dur que le temps n*amolisse.
Ni tant froide rigueur qu^eschaufer on ne puisse
A force de plorer, de prier et d'aimer *.
i. Amours d^Hippoly te, XLWl. ses Amours de J.-A. de Bdif.
2. Troisième livre des Diver- Édition Marty-Laveaux, I, 392.
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€6 DE LA PRECELLENCE
Ayant proposé des exemples de la bonne grâce
et gentilesse de nostre langage en gênerai, je
veux maintenant particularizer : c'est à dire, parler
aussi particulièrement de la bonne grâce qu'elle
ha en petites mignardises : à fin que les Italiens
congnoissent qu'en cest endroit aussi il mérite le
titre de precellence.
Estant donc chose asseuree et notoire que les
mots qu'on appelle diminutifs tiennent le premier
lieu en mignardises, je les prie ne trouver mau-
vais si je di que nous en avons meilleure pro-
vision qu'eux, car je ne diray rien qui ne soit
aisé à prouver. Mais quand il en faudroit venir
là, j'advertirois qu'ils ont quelque nombre de
mots qu'ils ne pourroyent mettre en comte, encore
qu'ils ayent la forme de diminutifs : comme Fra-
tello, Avolo, Car ces vocables ne sont non plus
diminutifs, quant à la signification, que sont Fre7'e
et Ayeul*, En quoy ils font tort à leur langage,
pource qu'ils abusent de ceste terminaison, qui
devroit estre réservée pour les mots dont il s'agit
maintenant. Et toutesfois ils abusent ainsi de
quelques noms adjectifs pareillement, car comme
1. C'est ainsi qu'en français aucune idée de diminution,
des mots provenant de dirai- Ainsi lionceau est le diminutif
nutifs latins ont perdu toute de lion, tyranneau, de tyran,
signification dirainutive:5o/et^, mais tableau n'est plus dimi-
abeille, oreille, grenouille, etc. nutif de table, ni plateau de
Dans ces mots le sufflxe n*est plat^ ni manteau de mante, ni
plus diminutif. Mais d'autres, tombeau de tombe, ni barreau
même avec un suffixe dimi- de barre, ni cabinet de ca-
nutif, ne comportent cependant bine, etc.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 97
ils disent Avolo pour Avo, ainsi Mutolo souvent
pour Muto : au lieu qu*on penseroit que ce Mutolo
signifiast ce que les Latins disent Mutilus. Mais
pour retourner aux diminutifs des noms qu'on
appelle substantifs, ce que nous disons Oiseau, et
nos ayeuls ou bisayeuls Oisel, eux le nomment
Uccello ou Augello : et puis, voulans monstrer une
diminution, disons Oiselet, le faisans d'Oisel : mais
eux, prenans une autre forme, disent Uccellino, on
Augellino. et toutesfois je croy qu'on me confes-
sera nostre terminaison exprimer mieux la dimi-
nution. Il y-a un autre poinct, quant à plusieurs
substantifs de genre féminin, qu'au lieu qu'en
nostre langue ils sont terminez en E, ils le sont en
yl, en la leur : comme si je veux faire un dimi-
nutif qui responde à nostre Chansonnette, il faudra
dire Canzonetta. Or nous sçavons que TA est d'au-
tant plus rude que n'est E, qu'il fait plus ouvrir la
bouche, et ha le son plus fort, et principalement
que nostre E féminin. Si faudra-il que ce qu'ils
rymeront sur Canzonnetta soit aussi terminé en A:
ainsi que nous sur Chansonnette rymerions Dou-
cette, Joliette, Mignonnette. Il est vray que malai-
sément ils trouveroyent des mots qui eussent ceste
mesme signification, et se peussent rymer pareil-
lement sur leur Canzonetta : mais tant y-a qu'en
usant ou de ce mot, ou d'un autre, sur lequel ils
pourroyent plus facilement rymer des diminutifs,
tousjours faudroit-il qu'ils fussent terminez en A.
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98 DE LA PRECELLENCE
Il y-a bien d'avantage : c'est que nostre lan-
gage est tellement ployable à toutes sortes de
mignardises, que nous en faisons tout ce que nous
voulons : adjoustans souvent diminution sur dimi-
nution : comme ^rc, Archet^ Archelet : Tendre, Ten-
dreté Tendrelet : quand nous disons aussi, Hommes
Hommet, Hommelet \ Et toutesfois, quant à ce mot,
nous n'avons rien que n'eussent les Grecs et les
Latins : car les Grecs disoyent^n^Artojrjos, Anthriù-
piscoSy Anthnojnon ou Anthnoparion (en quoy tou-
tesfois ce changement de genre est un peu incom-
mode, et pourroit sembler la superdiminution
n'avoir si bonne grâce que si elle estoit de mesme
genre que la diminution) les Latins, Homo, Homu-
lus, Homunculus et Homuncio. Mais la superdimi-
nution n'est si évidente en ces deux derniers qu'elle
seroit en Homululus : et pourroit-on douter si elle est
en ces deux-la aussi bien qu'en cestuy-ci. Je sçay
bien donc que (comme j'ay dict) on peut alléguer
que les Grecs et Latins avoyent ceste sorte de double
diminution en ces mots : mais j'adjouste que nous
l'avons en plusieurs où ne les uns ne les autres
ne l'avoyent : et, quant à aucuns, si bien les Grecs
l'avoyent, non pas toutesfois les Latins. Et ce qui
fait que nous avons plusieurs diminutifs de ceste
1. Ronsard emploie entre delet,pourperet, tendrelet ^ ver-
autres diminutifs : argentelet, delet, etc. Cf. Brunot, La doc-
blondelef,doucelet,jumelet^mi- trine de Malherbe diaprés son
gnardelet, mousse le t, paillar- commentaire sur Desportes, 286.
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DU LANGAGE FRANÇOIS, 99
sorte, c'est que pouvons nous aider d'une autre
sorte de terminaison : à sçavoir en ILLON. comme
Oiseau^ Oiselet^ Oisillon : pareillement Carpe, Car-
peau, Carpillon, Et quelquesfois ceste terminaison
en ILLON ne sert qu'à la diminution, et venons à
une autre pour trouver la superdiminution, comme
quand nous disons Cotte, Cottillon, Cottillonnet.
Aucuns font le mesme en une autre sorte de termi-
naison, qui est en SON ou CON, (prononceant le C
comme S), comme Enfant, Enfançon, Enfançonnet.
mais quant aux superdiminutifs en ILLON,. nous
pouvons y adjouster Seiye, Serpette, Serpillon.
Je n'oublieray pas (entre les avantages que
nous avons en cest endroit pardessus messieurs
les Italiens) que nous imitons les Grecs en une
certaine forme de diminutifs, c'est comme quand
de ce mot Mousche, nous déduisons cestuy-ci,
Mouscheron : quand d'une petite vieille, laide, nous
disons Un laideron : d'une fort jeune fille, U71 ten-
dron, ou (par forme de superdiminution) Un ten-
drillon. car les Grecs usent ainsi de genre neutre
en telle chose.
Et quant à ce que j'ay dict que nostre langage
est tellement ployable à toutes sortes de mignar-
dises, que nous en faisons tout ce que bon nous
semble, je m'asseure que ces messieurs n'en
oseroyent autant dire, à la charge de le prouver.
Car je leur demande (pour exemple) comment ils
exprimeroyent ceci de Rémi Belleau,
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100 DE LA PRECELLENCE
Ha, que je hay cez mangereaux
Ces chiquaneurs procuraceaux ^ .
Nous disons aussi PlaidereauXy par forme de
diminution, emportant un mespris : et usons ainsi
de plusieurs autres, terminez les uns en REAU :
pouvans aussi (par le moyen de ceste commodité
que j'ay dict estre en nostre langage) user d'aucuns
en ACEAU, comme ce Procuraceau. Mais je vien-
dray à des exemples pris du mesme poète, de
diminutifs ayans autres terminaisons,
Sur les tresses hlondelettes
De ma dame, et de son sein.
Toujours plein
De mille et mille fleurettes *,
Un peu après.
Le gentil rossignolet,
Doucelet,
Découpe dessous l'ombrage
Mille f redons hahillars,
Fretillars,
Au doux chant de son ramage ',
1. La Reconnue^ V, m. Dans par Godefroy. Et bien plus
la même pièce, Belleau dit : anciennement on trouve les
mon jeune advocaceau (II, ii), mômes péjoratifs, par exemple
ces paillardeaux , ces petits dans ces vers de Gautier de
coquins friandeaux {ibia,). — Goinci cités par Godefroy :
De Baïf emploie aussi mange- ' ^ , ^ . , -j •
veau (Mimes, livre 111. Kdit. ^ZnûÂZ '^ttrfl^lt^^^^
Marty-Laveaux, V, 172). Le mot ^ ^^""''"*' "^^ serjantenaus.
est même plus ancien dans la 2. Première Journée de la
langue (V. Godefroy). — On Bergerie. Avril. Edition Marty-
trouve aussi plaidereau^ dans Laveaux, I, 202.
un exemple de Passerat cité 3. Ibid.
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DU LANGAGE FRAxNÇOIS. 101
Ceci est de luy mesme, en son May,
Pendant que les arondelettes
De leurs gorges mignardelettes
Rappellent le plus beau de l'an :
Et que pour leurs petits façonnent
Une cuvette, quils maçonnent
De leur petit bec artisan *,
Un peu après,
Et que les brebis camusettes
Tondent les herbes nouvelettes '.
Et au Papillon du mesme poète,
T appendray sur ce ruisselet.
Qui doucement argentelet
Coule, etc. ^
Ceci est de luy mesme, en sa Bergerie,
Douce et belle bouchelette.
Plus fraisclie et plus vermeillette
Que le bouton aiglantin.
Au matin *.
Et ceci pareillement,
Et que la tresse blondissante
De Ceres, sous le vent glissante.
Se frize en menus cresp liions *.
{.Première Journée de laBer- 4. Première Journée de la
gerie. May, I, 204. Bergerie, Edit. citée, I, 279.
2. Ihid, 5! Id. May. I, 205.
3. Petites inventions et autres
poésies. I, 51-52.
6.
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102 DE LA PRECELLENCE
Nous avons aussi, une sorte de diminution en
ceste partie d'oraison qu'on appelle Verbes, car
de Sauter nous faisons Sauteler, de Voler, nous
déduisons Voleter : et de Trembler, Trembloter : de
Pincer, Pinçoter. Vray est qu'es Verbes de ceste
sorte il faut considérer que parmi la diminution
ils ont aucunement la signification de ceux que
les Latins nommoyent fréquentatifs, principale-
ment aucuns : comme Sauteler, c'est proprement
faire plusieurs petits sauts, les uns incontinent
après les autres. Or faut il tousjours avoir mémoire
de ce que j'ay dict de la félicité de nostre langage,
quant à faire recevoir à ses mots tel pli qu'il luy
plaist leur donner : mais il en vient bien mieux
à bout, quand il ne faut que suivre l'analogie.
Pour exemple, tout ainsi qu'il dit Trembloter,
Pinçoter, Beuvoter (ce que Terence appelle Pitis-
sare) * ainsi pourra-il îsLire^ Suçoter, de Sucer. Aussi
n'a faict Belleau aucune difficulté d'en user,
quand, parlant d'un enfançon (car il use de ce
diminutif) il dit,
Tant que sa lèvre mignotte
A petits souspirs suçotte *.
[modo mihi, gratia , et degustatum exs-
l.Namutaliaomittam,pytissando puere. «• Comme le remarque
Quid vini absumpsit. L. Feugère, sorhillare répond
{lieaulontimoroumenos, III, i, mieux au mot français : cyathos
48.) sorbillans, paulatim hune pro-
Fylissare ne correspond pas ducam diem. (Apulée, dans
à beuvoter. Forcellini : « nvtîCco, Forcellini.)
aiiTÛa),ex5pM0.Significatleviter 2. Première Journée de la
vinum degustare, explorandi Bergerie. Chant d'allaigresse
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 103
Mais qu'est-il besoin de tant d'exemples pour
prouver ce que je pense que nos compétiteurs
n'oseront nier, quand ils voudront avoir la patience
de lire et considérer les premiers seulement?
Que s'il advient que j'en rencontre qui ne se vueil-
lent rendre (comme par tout il-y-a de plus obstinez
les uns que les autres) je les prieray me repré-
senter telles mignardises en leur langue. Ce ne
sera pas sans leur tailler bien de la besongne : voire
de la besongne dont ils ne viendront jamais à
bout. Car mesmement ce moi Mignardises, après les
avoir faict resverlong temps, se trouvera inexpri-
mable en leur langage. Ce sera bien pis quand ils
viendront au superdiminutif mignardelet, comme
où Belleau dit,
Pendant que les arondelettes
De leurs gorges mignardelettes, etc. *
Autant en sera-ce,, quand ils viendront à ceste
lewe mignotte, qui est au passage allégué naguère :
quand ils viendront à Mignon, Mignonnette, à
Joliettey Sadinetie. (car de*Sade,le composé duquel
est Mausade *, long temps y-a qu'on a dict Sadinet) .
Et puis quand ils viendront à ceste autre sorte
d'adjectifs. Doucette, Tendretle, ou Tendrelette,
sur la naissance de monseigneur f^e ces montagnes jumelettes,
le marquis du Pont Hem^ de ^"^ ^«* '•*»*^' mignardelettes.
Lorraine. Edition citée, I, 286. Le moyen âge avait déjà usé et
1. Première Journée de la a*^"se de ces diminutifs. Voyez
Bergerie. May. I, 204. Ailleurs l^te?'"'''^^ ''''
(I, 264), Belleau dit : 2. Ct.D'uilogues,\,^%,ei la note.
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104 DE LA PRECELLEiNCE
MenueUe, Et pour retourner au premier mot,
quand bien ils auroyent trouvé quelque moyen
d'exprimer Mignard, Mignardelet, Mignardise y
encores auroyent-ils peu faict. carie plus fascheux
leur resteroit, d'en trouver qui exprimassent
Mignarder, Mignardiser, MignoUer et Amignottei\
Et comment pourroyent-ils sortir d'ici, veu que
tous les jours, quand ils veulent faire que leur
langage ne cède point au nostre, ils ne peuvent
eschapper de beaucoup plus beau chemin?
Pour conclusion, il est certain que s'ils ne
confessent la debte quant à tous ces mots, pour le
moins leur sera force de ce faire quant à une
partie : et les prieray d'adjouster, que la façon
mesmement de ces mots Mignon, Mignard, Joliy
Gentil, est mignonne, mignarde, jolie, gentile : et
qu'on ne peut dire le mesme de leur Vagho, et
encore moins de leur LeggiadroK
Estant venu au troisième poinct, qui est tou-
chant la richesse, je m'efforceray de monstrer
qu'il faut que le langage Italien cède au nostre
quant à la richesse aussi : et si ainsi est que j'aye
pu venir à bout des deux autres poincts, je n'auray
aucunement peur que je n'emporte ce troisième.
Pour estre bons estimateurs de ceste richesse,
il nous faudra considérer quelles choses sont
1. Cf. Dialogues, I, U8; 126-27.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 105
requises en un langage pour estre estimé riche :
et puis voir si le nostre en est bien fourni. Je di
donc premièrement que comme on n'appelle pas
un homme riche qui n'ha que ce qui luy est néces-
saire, mais faut qu'il ait aussi des choses dont il
n'ha point besoin et desquelles il se pourroit bien
passer : et quant aux nécessaires, il luy en faut
avoir à rechange (ce qu'on dit proprement des
accoustremens) ainsi nostre langage n'est pas
seulement fourni de mots dont il faut qu'il se
serve ordinairement, pour exprimer ses concep-
tions : mais ha aussi quelque provision curieuse
plus tost que nécessaire d'aucuns qui sont plus
rares que les autres. Et quant aux nécessaires, on
peut bien dire qu'il en ha à rechange : veu qu'il
ha moyen d'exprimer une mesme chose en plu-
sieurs sortes.
Je viendray incontinent aux exemples : insistant
toutesfois principalement, sur ce que j'ay dict des
mots nécessaires qu'il en ha à rechange. Et pource
que j'estimerois avoir troj/ bon marché de la
comparaison qu'il me faut faire, si je la faisois
avec le langage Italien, je ne craindray point de
la faire avec le Grec, lequel est à bon droit estimé
riche pardessus tous les riches. Et craignant
qu'on ne die que je luy veux rien oster, à fin que
le nostre puisse plus aisément égaler sa richesse
en cest endroit, ou pour le moins en approcher,
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lOô DE LA PRECELLENCE
je m'en rapporteray à ce que Pollux * dit touchant
les diverses paroles et diverses façons dont il use
pour signifier un homme avare *. Car estant sur
le propos de richesse, je me suis avisé de parler
de Tavaricieux, qui est celuy par lequel plus elle
est désirée.
Pollux donc commance par ces mots composez,
Philargyros, Philochrysos, Philochi^^matos, Philo-
^erdy]s, etc. lesquels signifient Amateur d'argent^
Qui aime Vor^ Qui aime lapecune, Amateur du gain.
Nous, en usant de mots simples (car je reserveray
les composez pour Farriere-garde) disons Avare ou
AvaricieicXy Eschars, Taquin, Tenant, Trop tenant,
Chiche, Vilain ou Chiche-vilain. Quant à ce mot
Avare, il vient du Latin Avarus, lequel proprement
respond à ce Grec (piXo^ouo-oç, (c'est à dire Amateur
de Vor) si on le veut déduire de Avère et Aurum^.
Quant à Tenant, il vient aussi des Latins, car ils
disent Tenax, en ceste signification. Eschars est un
peu esloingné de Parcus, mais si en vient-il : et
l.Julius Pollux, grammairien Outre son Onomasticon, il a
et sophiste contemporain de écrit des Déclamations y des
Marc-Aurèle,naquitàNaucratis, Dissertations sur divers points
en Egypte, vers 130. 11 vint de de mythologie et d'histoire, un
bonne heure à Rome où son Eloge de Rome; un Epit ha famé
éloquence eut une grande à Commode, etc. Son Onomas-
réputation. 11 fut l'un des thon a beaucoup d'intérêt et
maîtres de Commode , qui , d'utilité.
devenu empereur, lui donna 2. Edition Bekker, Berlin,
la chaire d'éloquence d'Athè- 1846, p. 133 (F, 112).
nés. Il mourut peu de temps 3. Avarus est un dérivé de
après Commode, à Athènes, avère, mais non un composé
âgé de cinquante-huit ans. de avère et de aiirum.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 107
en approcheroit plus quand, en n'adjoustant point
d'aspiration au C, on diroit Escars *. Le mot Vilain
ha la mesme origine qu'on lui donne en sa pre-
mière signification, ou à Villa ou à Vilis *. Quant
aux deux autres, leur origine est en controverse^.
Nos composez sont beaucoup plus signifians
et ont plus d'emphase que ceux des Grecs, car
nous disons, Pinsemailley RacledenarCy Serrede-
nier y Serremiette, Pleurepain,
Maintenant, comme PoUux, après avoir pro-
posé en combien de manières les Grecs exprî-
moyent cela, en usant d'un seul mot, vient à cer-
taines façons de parler dont ils usoyent pour
donner à entendre la mesme chose, je mettray
ici des Françoises, mais en beaucoup plus grand
nombre, advertissant de celles qui correspondent
aux Grecques. Mais je commanceray par celles
qui taxent plus doucement le vice, ce que les
Grecs appeloyent parler par hypocorisme *. Nous
disons donc, // est un peu trop songneux de son
proufU. ou, // est un peu trop attentif à son proufit
(comme les Latins, Nimium est attentus ad rem)
nous disons aussi, // est un peu trop espargnant
1. Il n'y a aucun rapport haut allemand sanAren, disputer
QTiiVQ escharî Qi parcus ; eschars (néerl. tagghen); d'après d'au-
esl très probablement un mot très , du haut-allemand zàhe,
germanique. tenace, avare (en supposant
2. Vilain ne peut se rattacher un mot bas-allemand taag ,
qu'à villa. tach). — Chiche^ d'après Sche-
3. D'après Littré , taquin 1er, vient du latin ciccum,
vient de toc, clou, ce qui bagatelle.
attache; d'après Scheler, du 4. Voir Dialogues^ I, 103.
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408 DE LA PRECELLENCE
OU respargnant : Il se restreind un peu trop, et
quelquesfois, Il est un peu trop bon mesnager. De
tels hypocorismes Grecs PoUux n'amené aucun
exemple.
Quant aux autres façons de parler, les unes
sont bien plus violentes que les autres.
Avarice luy commande.
ou. Avarice le maîtrise.
ou, Avarice le surmonte,
ou. Avarice luy domine.
ou. Avarice legangne.
ou, // est le serf de l'argent.
ou, Avarice V emporte,
ou, // se laisse emporter à son avarice.
ou. Avarice le transporte.
(Lequel mot transporte est ce que les Latins
disent Transversum rapit) Or pouvons-nous choisir
entre ces neuf façons de parler celle que nous
voudrions mettre en la place d'une seule Grecque
qui est en PoUux, Elattton chrr\matiùn. Nous disons
aussi :
Avarice le mené.
ou, L^ gain le mené.
ou, Avarice V aveugle.
Lesquelles phrases sont semblables aux précé-
dentes.
Et quelquesfois , parlans plus doucement ,
disons,
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 109
// est addonné à V avarice,
ou, // est addonné au gain.
ou, // est addonné à l'argent.
Mais quand on veut user de paroles fort aigres,
on dit,
// brûle d'avarice.
Il sèche d* avarice.
Il meurt d'avarice.
Encore plus aigrement se dit :
// est enragé après l'argent.
Il fait son Dieu de l'argent,
ou, // n'/ta autre Dieu que l'argent,
ou, Il aime mieux un escu que Dieu,
Il engageroit son amc pour gangner,
(Ce qui convient avec ces mots de PoUux, T^in
psychrin an antallaxas tou chrysiou, lesquels mots
se rapportent du tout à ce que les Latins disoyent,
Vendere animam lucro,)
Il engageroit son ame au diable pour en avoir.
Il quitteroit sa part de paradis pour de l'argent.
Geste façon de parler n'est pas si aigre,
// n'estime rien en ce monde que V argent :
laquelle revient à ce que dit PoUux, chrr^masi tr^n
eudcemoniam metriùn,
PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 7
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110 DE LA PRECELLENCE
Quant à ce qu'il dit, Ec pantos chrr^matizomenos,
nous Texprimons en toutes les sortes suivantes.
// fait son proufit de tout.
Rien ne li^y est trop chaud ne trop froid.
Il prend à toutes mains.
Il en prend ah hoc et ab hac.
Tout luy est bon : il ne demande qu^oà il-y-en-a.
Il en prendroit sur le grand autel.
Quant à ce Kyminopristy\s * qui est en PoUux,
c'est une hyperbole semblable à ceste-ci, // parti-
voit un œuf en deux. Au lieu dequoy nous disons
aussi, Il partiroit une maille en deux. Il est vray
que ce Kyminopristr^s est dict encore plus hyper-
boliquement. Et à ce propos d'hyperbole, ceste
façon de parler aussi en tient, // trouverait à tondre
sur un œuf. Et ceste-ci, // ne donnerait pas un
gros œuf pour un menu. On voit bien qu'aucunes
des précédentes aussi sont hyperboliques.
Au lieu de ce que Pollux dit ^schroxerdris, et
Ouden an aischyntheis Hm Ir^mma prosesti, nous
avons Vilain, car j'ay opinion que ce mot emporte
plus qu'on ne pense : et qu'on n'adjouste-pas sans
cause ce mot de Vilain à Chiche, quand on dit Un
chiche-vilain : mais pour demonstrer un extrême
degré de chicheté. On dit aussi, C^est un vilain
tout outre, et, cest un double vilain ,
1. Littéralement : qui scie un grain de cumin. Le mot est
employé par Aristote, Morale à Nicomaque, IV, 1.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 111
Je laisse plusieurs manières de parler, les unes
pour sentir trop leur populace : les autres pource
que plusieurs semblent faillir en icelles, comme
quand on dit, Ce quil tient en une main^ lui
eschappe de l'autre. Car il faut dire, Il craind que
ce quil tient en une main, lui eschappe de Vautre.
Et d'autre part, puisque desja j'ay de ces façons
de parler plus qu'il ne m'en faut pour surmonter
PoUux, je me doy bien contenter. On me demandera
sien surmontant PoUux, je pense avoir surmonté
la langue Greque quant à ce dont il est question :
je respondray que sans m'arrester à PoUux (pource
que je sçay bien en ma conscience que PoUux a
omis quelques phrases Greques) j'estime que si
nous ne la surmontons en cest endroit, pour le
moins nous Tegalons.
Or d'autant que cest article troisième et dernier,
ha moins besoin de discours que les deux prece-
dens, et plus, d'exemples, j'en proposeray encore
un, m'efforceant, comme au précèdent, de sur-
monter sinon le langage Grec, au moins PoUux.
Il commance donc ainsi : Empeiros Episty\mon,
EthaSy Tribon, Tetrimmenos péri tauta, Entribr^s*.
Nostre langage, au lieu de ces mots-la, use de
ceux-ci :
// est expérimenté en cela.
ou, // est expert en cela.
1. Édition cillée, p. 224 (E, 144).
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112 DE LA PRECELLENCE
// est versé en cela.
Il est stilé,
ou, // entend ce stlle.
Il est grand docteur en cela .
Il est passé maistre en cela.
ou, // s'en fait appeler maistre.
Il en ferait leçon,
ou, // en tiendrait eschole.
C'est son mestier,
ou, C'est son premier mestier.
Il n'est pas apprenti en cela,
ou, // n'y est pas nouveau,
ou, // est faict à cela.
Il s'entend bien en cela,
ou, // est bien entendu en cela.
Il en sçait tout ce qu'il en faut scavoir.
Il en parle comme maistre,
ou, // n en parle pas comme clerc d'armes *.
Il en parle comme scavant.
Il est fort suffisant en cela.
Il est rusé en cela.
Il y est leurré.
Il est vieil routier en cela.
Nous avons encore quelques autres paroles et
façons de parler, par lesquelles pouvons expri-
mer ces mots grecs de PoUux : mais les unes
sentent trop leur menu peuple, les autres ne plai-
sent pas à tous les mieux parlans : comme, pour
exemple, ce mot Routine ; aussi ce mot Prattique :
quand on dit, // est prattique en cela, ce qu'on
1. Comme un clerc pourrait parler d'armes.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 113
peut penser estre pris du langage Italien : veu
que Prattique nous est un Nom substantif : et pou-
vons dire, // entend bien la prattique de cela, ou,
// en ha la prattique.
Mais pource qu'aucuns Italiens (comme j'ay
dict) se sont vantez d'avoir un langage plus excel-
lent que le Grec, non seulement que le Latin, et
pourtant quand bien j'aurois monstre que le ^
nostre surmonteroit le Grec es deux comparaisons > -
précédentes, ils pourroyent tenir bon, non-obstant
ceste victoire : je ne m'adresseray plus à PoUux,
mais à un d'entr'eux, nommé Aldo Manutio*, qui
a escrit de la richesse du langage Toscan.
Voyci donc les façons de parler Toscanes, qu'il
met au titre de Republica.
Deve ogniuno attendere alla republica, corne al proprio
interesse.
Deve ad ogniuno essere à cuore l'intéresse publico, non
meno che il proprio.
Dobbiamo amare il ben commune, L' utile délia cita. Il
1. Aide Manuce le Jeune dailles et les inscriptions. 11
(1547-1597), petit-fils du grand dirigea de 1565 à 1584, avec
imprimeur Aide Manuce, et assez de négligence, Timprî-
fils aine de Paul Manuce, avait mené Aldine à Venise, sa ville
onze ans lorsqu'il composa son natale, puis professa Téloquence
traité Eleganze délia lingua àBoIogne, àPise,enfinà Rome.
toscana e latina, d'où viennent Clément Vlll le chargea en 1592
les phrases citées par H. Es- de diriger Timprimerie du Va-
tienne. A quatorze ans, il pu- tican. 11 a écrit des Commen-
blia un traité d'orthographe iaires sur Cicéron, sur Térence^
latine. Orthographias ralio, d*a- des Discours politiques sur Tite-
près les manuscrits, les mé- Live, etc.
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ii4 DE LA PRECELLENCE
commodo publico, Tutto cio che puo govlare alla repuf
blica, con queW istesso affetto che amiamo e noi stessi,
e le cose nostre,
Voyci autant de Françoises (respondantes à
ces Toscanes), et en adjousteray beaucoup d'avan-
tage.
Chacun doit penser à la republique, comme à chose où
il ça de son interest.
Chacun doit avoir à cueur Vinterest du public, non
moins que le sien propre : ou, Chacun doit prendre à
cueur rinterest du public.
Nous devons aimer le bien commun. L'utilité de la ville.
Le proufit public. Tout ce qui peut aider à la repu-*
blique, avec ceste mesme affection que nous portons
à nous mesmes et à nos affaires.
En voyci trois fois d'avantage, que j'adjouste
à celles qui respondent aux toscanes d'Aldo
Manutio,
// faut que nous ne facions moins nostre devoir pour
la republique que pour nos familles.
ou, // faut ne nous mettre moins en tout devoir pour la
republique que pour nos familles.
Chacun doit avoir en recommandation ce qui con"
cerne le bien public, autant que ce qui touche son
particulier.
ou, Chacun doit avoir le bien public pour recommandé,
autant que le sien propre.
Le bien public nous doit estre d'aussi près que le
nostre.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 115
Chacun doit procurer Vavancement du bien public,
comme du sien,
ou, Chacun se doit employer à l'avancement du bien
public.
Il faut porter au bien public la mesme affection que
nous portons à nos. affaires,
ou, // ne se faut moins affectionner à ce qui est pour le
bien public, quà ce qui concerne le nostre.
Il ne se faut moins formalizer pour le bien public,
que pour le nostre.
Chacun doit pourchasser d'aussi grand courage le
bien de la republique que le sien.
Il ne faut pas postposer les affaires du public aux
nostres;
OU, // ne faut préférer nos affaires aux publiques.
Nous ne devons point mettre de différence entre les
négoces de la republique et les nostres.
Nous devons mettre les affaires publiques au mesme
reng que les nostres.
La raison veut que nous espousions les affaires du
public comme les nostres.
Nous devons estimer que les affaires de la republique
nous touchent autant que les nostres.
Nous ne devons pas moins faire estât de Vavance-
ment du bien public que du nostre.
Il est raisonnable que nous facions estât de ce qui
importe à la republique, comme s'il importoit à
nos affaires domestiques.
Nous sommes tenus d'embrasser les affaires de la
république comme les nostres.
Nous ne devons estre moins promts à faire service
au public, que nous sommes songneux de nostre
faict.
Nous devons estre aussi songneux des affaires publi"
ques que des nostres.
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116 DE LA PRECELLENCE
// nous faut procurer les affaires du public avec
aussi grand soin et diligence que les nosires.
Il nest raisonnable que nous prenions moins de
peine après les affaires de la république qu'après
les nostres.
Nous devons regarder d'aussi près aux affaires
publiques qu'aux nostres.
Nous devons apporter une aussi grande vigilance et
affection au maniement des affaires publiques,
qu'à celuy des nostres.
Nous ne devons pas nous espargner d'avantage aux
affaires de la republique qu'aux nostres.
Je sçay bien que les Italiens diront avoir des
façons de parler pour exprimer ceste proposition,
outre celles que met le susdict Aldo Manutio : et je
ne leur nieray pas qu'ils en peuvent avoir, mais
je leur diray aussi que nous en avons encore
plus, que nous pouvons adjouster à ce grand
nombre, qu'eux n'en peuvent adjouster à ce
petit.
Mais j'ay peur de tenir trop long temps le lec-
teur suspens touchant la provision curieuse de
nostre langage, dont j'ay faict mention. Car j'ay
dict, parlant de sa richesse, que comme on ne
tient pas un homme pour riche, quand il n'ha que
ce qui luy est nécessaire, ains, pour estre mis au
nombre de ceux qu'on ne peut pas appeler seule-
ment bien aisez, mais riches, il luy faut avoir
beaucoup de choses dont il se pourroit bien
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 117
passer : ainsi, que ce langage François ha une
provision curieuse plustost que nécessaire d'un
bon nombre de vocables plus rares que les autres :
(entendant aussi des façons de parler.) A quoy je
puis adjouster que c'est une provision laquelle
encore que je nomme curieuse, loutesfois est de
si rares et précieux meubles (car les vocables et
façons de parler sont comme les meubles dont se
sert la langue : comme aussi les Latins ont dict,
Supellex verborum) qu'estans bien considérez,
peuvent beaucoup aider à obtenir le titre de pre-
cellence que nous demandons. Car ce sont des
meubles que nous fournissent deux arts, qu'on
nomme La vénerie et La fauconnerie * : es termes
desquels nous avons grande prérogative, quant à
Fun, pource que nostre nation s'est addonnee à
l'exercice d'iceluy, plus qu'aucune du temps des
anciens, ne depuis : quant à l'autre, encore plus
grande, pource que si elle n'a l'honneur de l'avoir
inventé, pour le moins ha elle cestuy-ci, que de
petits commancements elle l'a mis en quelque
perfection. Car quant à la vénerie (qui est propre-
ment la chasse à toutes bestes sauvages, mais le
1. C'est un des rares avan- peu faute de façon : car il
tages que Budé reconnaissait n'est rien qu*on ne fist du jar-
au français, et partout nous gon de nos chasses et de nostre
voyons vantée cette source de guerre, qui est un généreux
richesses à laquelle peut puiser terrain à emprunter. «• — E. Pas-
notre langue. — Cf. Hypo- quier, Lettres^ U, xii. — Ville-
mneseSy Préface. — Montaigne, main, Préface de la 6' édition
m, V : «« En nostre langage je du Dictionnaire de V Académie,
trouve assez d'étoffe, mais un 1835, p. xxi.
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as DE LA PRECELLENCE
plus communément s'entend de la chasse aux
bestes rousses, ou fauves, et aux noires) encore
que sa grande ancienneté se congnoisse par la
Bible, et par Hérodote et Xenophon, et que tant
ces deux historiens que plusieurs autres Grecs et
Latins tesmoignent que quelques rois mesmement
s'y addonnoyent (à propos dequoy il me souvient
que le roy Antiochus*, s'estant esgaré en la chasse
eut une pareille rencontre et un pareil plaisir que
le roy François premier) ce non-obstant, si on
vient à faire comparaison des termes que les
autres langues ont appropriez à çeste science
avecque ceux dont est garnie la Françoise, on
trouvera que ceste-ci surpasse tant les leur, non
moins en la qualité qu'en la quantité, qu'il sera
force de confesser nos rois avoir esté maistres,
tous les autres n'avoir esté qu'apprentis en cest
exercice. Lequel estant vertueux et noble (pour
estre cousin germain de celuy de la guerre) ce que
plusieurs de nos rois s'y sont addonnez beaucoup
plus que les autres, et y ont pris plus grand plaisir,
il ne faut douter que ceci ne leur soit procédé
d'une générosité plus grande. Laquelle ceux de
1. Plutarque, Regiim et im- gens qui ne le connaissent pas
peratorum apophthegmata.Èdi- la vérité sur lui-même et sur
tion Didot. Scripta moralia, I, ses ministres. — François I**
221. Le roi dont il s'agit est était passionné pour la chasse,
Antiochus VII, roi de Syrie, comme le prouve l'édit de Lyon
surnommé le Chasseur. Le (mars 1516), par lequel il prend
plaisir qu'il éprouve est celui les mesures les plus sévères
d'entendre dire par de pauvres pour protéger les forêts royales.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. Ii9
nostre temps ont monstree en ceci mesmement,
que pouvans user de la harquebouze, ou plustost
haquebute, contre les bestes rousses (ainsi que font
aujourd'huy plusieurs princes d'Alemagne) ils ont
mieux aimé leur faire bonne guerre, et telle que
faisoyent leurs prédécesseurs.
Mais autant qu'il y a de diflFerence entre rien et
peu, d'autant est plus grand l'avantage qu'ha
nostre langue pardessus les autres, en ce qui con-
cerne la fauconnerie (qu'on a aussi appelé la
volerie) que celuy qu'elle ha en ce qui appartient
à la vénerie *. Car des termes de vénerie elles en
ont peu à comparaison de la nostre (comme j'ay
dict ci-dessus) quant à ceux de la fauconnerie,
les anciennes n'en avoyent point, et de celles aussi
qui sont aujourd'huy, la plus grand' part n'en ha
point du tout. Et ne se faut esmerveiller de ceci,
veu que ceste belle science a esté tellement incon-
gneue aux anciens tant Grecs que Latins, que
tous leurs livres ne nous peuvent fournir d'un
mot assez propre pour la nommer seulement, car
si tant les uns que les autres revenoyent au
monde, ceux-là n'entenderoyent pas que seroit
hieraxix't] technr\y et ceux-ci non plus, que voudroit
dire A ccijntrariaar s, oxxFalconaria. Quesiquelcun
pensoit que les Grecs sous le mot de ornithothr^ra
et les Latins sous le mot de Aucupium eussent
1. Cf. Hypomneses, Préface.
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120 DE LA PRECELLENCE
compris aussi la fauconnerie, il s'abuseroit et
grandement et ridiculement, car (outre plusieurs
autres raisons qu'on peut alléguer au contraire)
si ainsi eust esté, Platon en la fin de ses loix*
n'eust pas dict de ce qu'il appelle th/]ran ptrinixin,
ce que nous en lisons là : à sçavoir que c'est un
exercice qui est un peu servit : mais faut nécessai-
rement entendre cela des oiseleurs seulement,
qui prenoyent les oiseaux aux filets, ou à la glu :
outre lesquelles inventions plusieurs sont main-
tenant en usage, dont peut estre qu'aucunes l'es-
toyent aussi des-lors, ou autres semblables à
icelles. Au contraire donc de ce que j'ay dict des
Grecs et Latins, quant à cest art, il est certain que
depuis fort long temps il a esté en recommanda-
tion à nostre France : et spécialement aux nobles,
desquels aussi, pour sa noblesse, il est digne. Et
qu'ainsi soit, desja (pour le moins) du temps de
Chilperic, il estoit en honneur : comme il appert
par le cinquième livre de Grégoire de Tours *. Or
si ceux qui ont esté depuis, et les princes mesme-
ment, n'avoyent pris un singulier plaisir à cest
art, il est certain que tant de gentilshommes, et
entr'eux quelques grands seigneurs, n'eussent pris
la peine d'en escrire si diligemment et exactement.
1. Les Lois, livre VII, page 7'ovingicarum tomi I pars I,
401 de rédition Didot. 204 : « Veniant equi nostri, et,
2. Monumenta Ge7vnaniae his- acceptis accipitribus, cum cani-
iorica, Scriptorum rerum me- bus exerceamur venatione ».
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DU LANGAGE FRANÇOIS. ^21
car qui ne sçait combien estoit grand seigneur
Gaston surnommé Phebus*? Ceux pour le moins
qui ont leu Froissard *, ne le peuvent ignorer : ni
ceux aussi qui ont leu le livre dudict Gaston. Car
après ce commancement, Au nom de Dieu le Créa-
teur, etc., il adjouste, Je Gaston par la grâce de
Dieu surnommé Phebus, comte de Foix, seigneur de
Beau-ru : qui tout mon temps me suis délecté par
especial en trois choses, Vune est en amours. Vautre
est en armes, et Vautre est en chasse. Et puis ayant
dict ne vouloir point escrire de deux offices (car il
parle ainsi) d'armes et d'amours, il adjouste,
Mais du tiers office, duquel je ne doute que faye
nul muistre : {combien que ce soit vantence) de celuy
voudroy-je parler, cest de chasse. Mesmement
quant aux gentils-hommes, en gênerai, que (sui-
vant ce que nous lisons ici) de tout temps avec
l'exercice des armes ils se soyent addonnez à la
chasse, non moins qu'à l'amour (comme si faire
l'amour estoit aussi une espèce de chasse) il
appert par l'ancien proverbe.
i. Gaston III, comte de Foix, chasse des hestes sauvaiges et
vicomte de Béarn (1331-1391), des oyseaux de proye. Son
surnommé Phébus, soit à cause style était emphatique et sou-
de sa beauté, soit à cause de vent obscur, c'est de là, dit-on,
ses cheveux d'un blond doré, qu'est venue l'expression faire
eut une existence très belii- du phébus.
queuse. Dès l'âge de quatorze 2. Gaston-Phébus fut mêlé,
ans, il faisait ses premières dès 1345, aux événements les
armes contre les Anglais. Il a plus importants. Aussi est-il
laissé un livre intitulé Miroir souvent question de lui dans
de Phebus, des deduiz de la Froissart.
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122 DE LA PRECELLENCE
D'oiseaux^ de chiens, d'armes, d'amours.
Pour un plaisir mille doulours^.
Car il est certain que par les oiseaux est entendue
la fauconnerie (appelée aussi la volerie) comme
par les chiens la vénerie, et toute autre chasse
en laquelle on use de chiens.
Mais pour retourner aux anciens escrits qui
ont esté faicts touchant la vénerie et fauconnerie,
ou touchant Tune d'icelles, on trouve encore
aujourdhuy un livre intitulé Le Romman des
oiseaux et de leur chasse , composé par Gaces de
la Vigne % gentilhomme , qui fut du temps des
rois Philippe de Valois, Jan et Charle cinquième :
et le composa pour Tinstruction de Philippe, fils
du roi Jan. Duquel Romman sont ces vers, tou-
chant deux maladies ausquelles les oiseaux de
proye sont subjects,
Ils ont pantais [bien m'en recors)
Et filandres, dedans le corps.
Au lieu duquel mot Pantais on escrit Pantois :
d'où vient Pantoiser, qu'on lit au Romman d'A-
1. Cf. Hypomneses, 35. Ces tôt de la Bigne, né vers 1428
deux vers sont de Villon, Grand dans le diocèse de Baveux, fut
Testament, uv (Édition Jan- chapelain de Philippe de Valois,
net, p. 45). puis du roi Jean qu'il suivit
De chiens, d'oyseaulx, d'amies, d'à- dans sa captivité en Angleterre,
[mours, entin de Charles V. On ignore
Chascun le dit à la voilée : la date de sa mort. C'est en
f^ Pour ung plaisir mille doulours. r» Angleterre qu'il commença à
2. Gaces de la Vigne ou plu- écrire le Roman des Oyseaux,
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 123
lexandre *, dict du halletement d'un homme tra-
vaillé.
Nous avons aussi une fauconnerie de Jan des
Franchieres *, grand prieur d'Aquitaine, recueillie
des livres de quatre anciens personnages.
Laissant pour le présent les autres desquels
nous avons les escrits touchant ces deux nobles
arts, ou pour le moins touchant Tun d'iceux, lais-
sant aussi à penser combien ne sont parvenus
jusques à nostre temps ne jusques à nostre con-
gnoissance, je viendray à monstrer combien
grande richesse et grand ornement Texercice
d'iceux (j'enten de ces deux arts) a apporté à
nostre langage, desquels biens il se peut vanter
non seulement pardessus tous les langages qui
ont jamais esté, mais aussi pardessus tous ceux
qui sont aujourdhui. Toutesfois je m'arresteray
moins à la vénerie qu'à la fauconnerie, tant
pource que cest art est plus noble que cestuy-la
i. Le Roman d'Alexandre^ avec une autre fauconnerie de
écrit en vers de douze syllabes, Guillaume Tardif, plus la vol-
ai été composé au xii* siècle, lerie d*Arielouche d'Alagona,
Les auteurs sont Lambert li Davantage un recueil de tous
Tors et Alexandre de Bernay. les oyseaux de proye servant à
Voir Paul Meyer, Alexandre le la fauconnerie et vollerie. —
Grand dans la littérature fran- La première édition, qui est
çaise du moyen âge. peut-être de 1531, mentionnait
2. Jean de Franchieres, Fran- seulement « troys maistres faul-
cières ou Franquières vivait à conniers »»,et le titre se tere
la cour de Louis XI. Son livre minait par ces mots : Ensemble
est intitulé dans l'édition de le deduyt des chiens de chasse.
1517 : La fauconnerie recueillie Les éditions postérieures, 1585,
des livres de M. Ma-rtino, Malo- etc., sont revenues au texte de
pin, Michelin, et Amé Cassian, cette première édition.
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d24 DE LA PRECELLENCE
(selon le jugement du susdict seigneur Gaston,
surnommé Phebus) qu'aussi pourceque nostre
langage n'ha pas tant de prérogative, quant aux
termes pris de la vénerie, qu'elle ha quant à
ceux que luy a baillé la fauconnerie : veu que
(comme il a esté dict) les anciens tant Grecs que
Latins ont eu congnoissance de la vénerie, mais
non de la fauconnerie.
Si n'oublieray-je pas entre ce peu d'exemples
que je veux amener, ces façons de parler. Rendre
les abbois, et Faire rendre les abbois. car c'est un
des gentils emprunts que nostre langage ait faict
de messieurs les veneurs : disant d'un homme
qui n'en peut plus, et pourtant est contraint
de se rendre, qu'il rend les abbois : ou (comme
les autres escrivent) les abbais. Et proprement se
dit du povre cerf, quand ne pouvant plus courir,
il s'accule en quelque lieu le plus avantageux
qu'il peut trouver, et là attendant les chiens
endure d'estre abbaye par eux. Ce qui pourroit
sembler toutesfois estre plustost Se rendre aux
abbois^ que Rendre les abbois * : mais tant y-a que
ces mots, suyvant ceste signification-la, ont bonne
grâce en ce passage de Belleau,
1. L'idée est différente. Ni- les chiens Tabbayent. Le con-
cot : Rendre les abbays, entre traire est au regard du san-
veneurs, c'est quand le cerf, glier, lequel est dit rendre les
recreu de trop courre, s'accule abbays quand il sort de sa
■en un lieu le plus advantageux bauge et gite abbayant aux
•qu'il peut choisir, endurant que chiens.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 425
Aussi tost que ces advocas
Nous ont empiétez unefois.
Ils nous font rendre les ahbois *.
Et ne faut douter que ceste façon de parler, Tenir
quelcun en abboy, (ou en abbay) ne soit aussi
venue de la vénerie : mais il y-a apparence que
ce soit des bestes noires plustost que des autres,
comme quand un sanglier se laisse abbayer par
les chiens, perdans leur peine.
Mais, pour venir à quelques autres exemples,
nous avons aussi ce mot Rut, ou (comme aucuns
prononcent) Ruit^ qui se dit (selon aucuns) non
seulement du cerf et des autres bestes rousses,
mais aussi des bestes noires, quand elles sont en
amour : mais par le moyen de ce que les Grecs
appellent métaphore, Tusage de ce mot s'estend
plus loing.
Autant faut-il dire de F usage du mot Curée (qui
est aussi appelée Le droict des chiens) comme
quand on dit Bonne curée pour signifier 5on butin.
Le mot Visceratio semble bien se pouvoir accom-
moder à ceste signification du mot Curée, et à
celle du mot Fouaille qui est le mesme en la
chasse du sanglier, que Curée en celle du cerf.
Traces aussi, Routes et Erres, sont mots qu'on
peut penser avoir leur origine de la vénerie : et
principalement Traces, veu que proprement il se
I. fM Reconnue, Acte V, Se. iir. Cf. Acte I, Se. iv.
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d26 DE LA PRECELLENCE
dit des bestes, pour le latin Vestigia. Mais ceux
qui ont escrit de cest art, disent que Traces ei Routes
sont des bestes mordantes, comme sangliers et
ours : mais Erres, des autres, comme cerfs, che-
vreuls et daims : encore qu'aucuns aiment mieux
les nommer Pries, ou Pieds.
Quant à la Fauconnerie, je pense qu'elle nous
fournit encore d'avantage de beaux termes et
belles façons de parler, qui ont fort bonne grâce
es lieux ausquels nous les accommodons. Et faut
bien que cest art ait esté encore plus commun à
nos prédécesseurs qu'il ne nous est, veu qu'ils
nous ont laissé un langage tellement meslé et
comme marqueté de ces mots, que nous en appli-
quons aucuns à nostre parler ordinaire, sans nous
appercevoir de leur origine.
Qu'ainsi soit, entre tant de François, qui usent
tous les jours de ces mots. Niais, (ou Niez) Hagard,
Débonnaire, Leurré, bien peu prennent garde à leur
premier usage, et s'apperçoivent qu'ils disent des
hommes ce qui se dit proprement des oiseaux de
proye. Et toutesfois tant s'en faut que ces mots,
et autres, perdent leur grâce, estans ainsi trans-
ferez d'un usage à un autre, qu'au contraire ils
semblent l'avoir meilleure : mais elle ne peut
estre bien goustee que par ceux qui ont quelque
congnoissance de ceste noble science de Faucon-
nerie. Car ceux-là sçauront que Niais {on Niez) se
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 127
dit proprement du faucon, ou autre oiseau de
proye qui est pris au nid, et n'ayant encore volé :
auquel est opposé Hagard. Ils sçauront aussi que
c'est Leurrer un faucon : et pourtant quand ils
orront dire d'un homme, qu'il est leurré, sçau-
ront bien que c'est à dire Desniaisé*.
Quant à ce mot Débonnaire *, c'est celuy duquel
l'origine pourroit estre encore moins recongneue :
pource que de trois on n'en a faict qu'un, car on
dit Débonnaire au lieu de dire de bonne aire, estant,
par ce mot Aire signifié le nid de l'oiseau de
proye. Or faut-il bien que Débonnaire ait une
grande emphase, veu que nos ancestres, pour
monstrer la bonne nature du roy Louys I. l'appe-
lèrent (par forme de surnom) Débonnaire ou Le
débonnaire : choisissans ce mot entre plusieurs,
comme le plus convenable. Ce qui nous monstre
la grande commodité qu'apportent à nostre lan-
gage aucuns vocables tirez de ceste belle science :
de laquelle commodité toutesfois est privé le lan-
gage Italien, non moins que les autres.
Du mot Hobreau on ne peut douter qu'il ne
vienne de là, quand on dit d'un petit gentil-
homme, et qui ha bien peu de moyen, Cest un
hobreau, comme il me souvient avoir ouy dire,
1. Ce mot n*est plus aujour- nyme de déniaisé serait plutôt
d'hui synonyme de déniaisé, maintenant déluré, littérale -
Voir rhistorique de Littré. ment qui ne se laisse plus
Leurré signifle : trompé par tromper par le leurre.
de vaines promesses. Le syno- 2. Cf. tiypomneses, 103.
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428 DE LA PRECELLENCE
par une autre sorte de métaphore, C'est un gentil-
homme à simple tonsure. Mais voulontiers on dit
Cest un hobreau, de celuy qui ayant peu de
moyen, fait toutesfois quelque monstre d'en avoir
beaucoup. Belleau a usé de ceste translation en ce
passage d'une sienne Comédie :
L'amoureux est dessus les erres
De pouvoir tirer hors des erres
Et des pinces de ce hohreau
Les plumes de ce jeune oiseau *.
A propos de ce que j'ay dict du gentilhomme
qu'on appelle un hobreau, il me souvient qu'on dit.
Il fait du tiercelet de prince*^ du gentilhomme qui
veut enjamber pardessus le reng des gentils-
hommes, et ha quelques façons qui sentent non
seulement le bien grand seigneur, mais le prince,
ou, pour le moins, le petit prince. Car, en faucon-
nerie, le masle s'appelle Tiercelet, comme estant
un tiers plus menu que la femelle : et se dit Un
tiercelet de faucon^ au lieu qu'es autres espèces
d'oiseaux de proye, ceux qui sont de moindre cor-
sage, et ne différent autrement, retiennent le nom
des autres, ayant seulement pris la forme de
diminutif: (comme Sacret, de Sacre : et deLanier,
Laneret, au lieu de dire Lanieret) ou bien sont
appelez d'un nom du tout dissemblable : comme
{ . La Reconnue, Acte V, Se. ii-
2. Cf. Dialogues^ II, 66, et la note.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 129
quand le masle de FEspervier est appelé Mouchet.
Or est une chose non moins esmerveillable que
notable, que presque en toutes les espèces d'oi-
seaux de proye le masle est plus menu que la
femelle, si non du tiers, (d'où j'ay dict que venoit
ce mot Tiercelet) pour le moins de beaucoup.
Nostre langage se sert, par métaphore, du nom
d'un autre oiseau de proye, à sçavoir du Sacre.
Car nous disons Cest un sacre, ou Cest un merveil-
leux sacre, de celuy qui, en quelque lieu qu'il
puisse mettre les mains, happe tout, rifle tout,
racle tout, et, en somme, auquel rien n'eschappe.
Et en ceci nous ne parlons pas sans raison, car
aucuns tiennent le Sacre pour le plus hardi et vail-
lant entre les oiseaux de proye : qu'on appelle
aussi oiseaux de rapine. Quoy qu'il en soit, j'ay
opinion que ce mot Sacre, ainsi que nous en usons
par métaphore, peut signifier autant tout seul
que ces trois d'Horace, Tempestas, Pernicies, Bara-
thrum, où il dit : Tempestas, et perfiicies bara-
thrumque macelH\ Plante, usant de mesme har-
diesse que nous, a appelé un homme Accipiter :
mais le traict est d'autant plus hardi qu'il adjouste
un génitif (comme il est adjouste par Horace
après ces trois vocables) disant Accipiter pecu-
niarum^. Car, encore que la fauconnerie ne fust
[thrumque macelli]. [in vide].
1. Pernicies et tempestas bara- 2. Pocuniœ accipiter, avide atque
Épiires, I, xv,31. Persa, Ilî, m, 5.
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J30 DE LA PRECELLENCE
lors en usage, le naturel de l'oiseau nommé Acci-
piter estoit comme en proverbe : lequel nom tou-
tesfois on n'estime pas avoir esté baillé au Sacre
seulement, mais aussi aux autres oiseaux de
proye, ou pour le moins aux principaux.
Prendre fessort, se dit d'un oiseau de proye,
quand se laissant aller au vent, il vole plus haut
qu'il ne doit : et de là vient qu'on dit d'un qui s'en
est allé au haut et au loing. Il a pris Vessort.
Tenir en ses serres, se dit proprement de quelcun
de ces oiseaux quand il tient entre ses griffes
quelque petit oiseau : (comme Belleau a dict au
passage que j'ay allégué naguère. De pouvoir tirer
hors des serres Et des pinces de ce hobreau) mais
nostre langage use de ceste phrase, parlant de
celuy qui tient quelcun en sa merci.
Comme j'ay dict que nous avions pris Curée de
la vénerie, aussi par une mesme façon de méta-
phore prise de la fauconnerie, nous disons d'un
qui recevra une grand' joye de quelque bonne
aventure qui luy est survenue, Il en fera une gorge
chaude *.
Et à propos de ce mot Gorge, quand on dit Je
ne vole point sur ma gorge, en refusant de danser,
ou faire quelque autre exercice un peu violent,
1. Depuis longtemps le mot duc de Saint- Aignan trouva
s'est éloigné de ce sens et a l'aventure si plaisante qu'il
pris celui de faire des plaisan- en fit une gorge chaude au
teries sur tel ou tel sujet, lever du roi. » (Exemple cité
Saint-Simon disait déjà : « Le par Littré.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 131
incontinent après le repas, ceste façon de parler
vient de ce mesme lieu.
Tenir en mue, vient aussi de la Fauconnerie :
comme il a esté escrit de quelque personnage,
qu'il tenoit en mue une putain de haute gresse.
Mais comme en ceci on suit Tune des significations
de ce mot Mue, aussi suit on l'autre quand par
moquerie on appelle La mue d'une femme, la peau
nouvelle qu'elle se fait venir au visage, ayant
faict consumer l'autre par le moyen de quelques
drogues corrosives.
Mais quant à ce qu'on dit par métaphore, Ceci
nest pas de vostre gibbier *, aucuns estiment qu'il
peut estre pris de la vénerie, aussi bien que de la
fauconnerie : en ne s'arrestant à la première
signification du mot Gibbier *.
Nostre langage ne s'est pas contenté de prendre
des métaphores de la Vénerie et Fauconnerie, mais
en a pris aussi du naturel d'autres bestes que
1. Montaigne dit (I, xxv) : sion de sens : « Gibier. Se
« L'histoire, c'est mon gibier prend proprement en fait de
en matière de livres, ou la faulconnerie pour tout oiseau
poésie que j*ayme d'une parti- qu'on vole et prend, et Gibboier
culière inclination. >. ou Gibbeyer, pour voler et
2. Le sens du mot, en ancien chasser aux oiseaux, mais on
français, était celui de chasse, l'estend aussi à toute beste
et peut-être particulièrement poursuivie et prinse à la chasse
de chasse au vol. Aller en gibier soitavecoiseauxouavecchiens,
signifie aller en chasse, et Tex- et soit rousse soit noire. >•
pression s'applique particu- Pour l'origine du
îièrement à la fauconnerie, très incertaine, v(
Mais Nicot constate une exten- naire de Scheler.
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132 DE LA PRECELLENCE
celles dont ces deux exercices peuvent donner la
congnoissance. A Tun desquels toutesfois (à sça-
voir à celuy de la Fauconnerie) il faut première-
ment rapporter le mot Esmerillonné (duquel je n'ay
point faict mention ci-dessus) pour signifier un
homme fort vif, fort esveillé et remuant. On dit
aussi, C'est un esmerillon^ en se servant du nom
de l'oiseau : comme on se sert du nom d'un autre,
quand on dit, C'est un sacre : mais pour signifier
une chose bien différente : comme on peut con-
gnoistre par ce que j'ay dict ci-dessus.
Quant à Fureter^ par lequel mot est déclarée la
nature du Furet, il peut bien estre mis entre les
appartenances, sinon de la vénerie, au moins de
ce qu'on appelle généralement Chasse.
Et avant que sortir de ce propos, j'advertiray
que nous avons des façons de parler qui sont pro-
cedees d'une telle congnoissance de la nature des
animaux, (ou pour le moins de quelque chose qui
leur est peculiere :) lesquelles on trouve fort
estranges (encore qu'on les entende aucunement)
pource qu'on ne descouvre point leur origine. De
ce nombre est ceste-ci, Cela est chordé, car ces
mots sont souvent en la bouche du menu peuple
de ceste ville de Paris, (et autresfois luy estoyent
encore plus frequens) pour signifier qu'une chose
a perdu sa saison, et qu'il ne la faut plus cher-
cher. Il est vray que quelquesfois ils entendent
simplement qu'on n'en trouve plus. Mais tant y-a
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 133
que cela vient de ce qu'on a congneu la nature de
la lamproye estre telle, que depuis qu'elle ha au
ventre ce qu'on appelle une chorde, ce n'est plus
un friand manger, quelque sausse qu'on luy
puisse faire. Voyla comment^ estant la coustume
de n'apporter plus des lamproyes depuis qu'elles
se trouvoyent estre chordees, et par conséquent
ne s'en trouvant plus, le menu peuple a retenu
ceste façon de parler, de quelque chose que ce soit
qui a perdu sa saison, ou son cours, et laquelle il
ne faut plus chercher *.
Nous avons aussi des mots faicts du nom de
quelque beste, qui toutesfois représentent plus-
tost quelle est ceste beste, qu'ils ne monstrent
son naturel : (entre lesquels est Herissonner) quand
on dit Se herissonner. Et est aussi beaucoup en
usage le participe Herissonné,
Je me garderay bien d'oublier la marine, j'en-
ten, de monstrer comment nostre langage triomphe
ici aussi bien qu'ailleurs : encore que je ne vueille
amener en ce Project tous les exemples que je
pourrois bien, mais reserver la plus grand'partie
à l'œuvre entier.
Mais pour le commancement de ceux que je
i.D'açrèsLittré,rexpression près de la même façon, devien-
s'emploie aussi « en parlant nent filandreuses, Littré cite
de plantes, de racines. Voici aussi l'expression : * Et cordée
le temps où les raves se cor- comme une lamproye. » (Go-^
dent. » Nous dirions, à peu quillart.)
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134 DE LA PRECELLENCE
veux amener ici, pour monstrer comment nous
usons métaphoriquement des mots aussi de la
marine, (entendant pareillement Fart de naviguer)
je prendray Calme, et Bonasse : et le contraire,
Tempeste. desquels toutesfois je ne veux pas faire
grand conte, (pource que les mots correspondans
à ceux-ci es autres langues, sont pareillement
appliquez à autre usage) mais seulement d'un
mot Tempestalif. quand on dit un homme tempes-
tatif. car il n'y a aucun langage ne de ceux qui
sont, ne de ceux qui ont esté, qui puisse avenir à
ceste métaphore.
Nous disons S'embarquer, de celuy qui com-
mance à mettre en exécution quelque entreprise,
et principalement quand elle est d'importance.
Nous disons aussi Son entreprise est venue à
bon port, de celuy qui en a eu bonne issue, et en
est venu à son honneur.
Nous accommodons pareillement le mot Ancre
à quelques usages, par translation, comme quand
nous disons, Tay jette Vancre de mon espérance
sur luy. On dit aussi Jetter Vancre de son repos.
Et au lieu de dire Jetter Vancre, pouvons nous
servir de Ancrer : et dire, Tay ancré mon espérance
sur luy, Tay ancré-la mon repos, ou ma félicité.
Or outre les mots et façons de parler que nous
tirons manifestement de la marine, il-y en a qui
semblent avoir ceste mesme origine, encore que
quelques uns en puissent douter. Pour exemple :
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 135
que ce mot Pointe soit un ancien terme des mari^
niers, il appert par le livre mesmemeht qui est
intitulé, Le grand routier ^ pilotage et encrage de
mer * ; tellement qu'il semble que ceste façon de
parler, Poursuivre sa pointe, soit prise de là. Mais
à propos du mot Routier, qui est en ce titre-la, il
semble qu'on auroit plus de raison de douter tou-
chant le mot Route, si la terre Ta pris de la marine,
ou bien elle de la terre : quand on dit. Prendre la
route d^Angleten^e, ou Tenir la route, quand aussi
on parle ainsi, Ce vaisseau a esté jette hors de sa
route, ou de sa droite route.
Il me tardoit desjà que je vinsse aux jeux :
c'est à dire, à ce poinct, de monstrer que nostre
langage a bien sceu faire son proufit de tout : et
pour trouver des métaphores non moins propres
que récréatives, il en a tiré mesmement d'aucuns
jeux ^ Mais je donneray le premier lieu à celuy
de la paume : auquel on peut aussi dire la nation
françoise estre plus addonnee qu'aucune autre :
tesmoin le grand nombre de tripots qui sont en
1. Grant routier et pilotage vieres et chenalz des parties et
et enseignement pour ancrer régions dessus dictes avec ung
tant es par tz^ havres, qu^autres kàlendrier et compost à la fin
lieux de la mer, fait par Pierre dudit livre tresnecessaire à tous
garde dit ferrande, tant des compaignons, et les jugemens
parties de France, Bretaiqne, doleron touchant le fait des
Angleterre, Espaig ne, Flandres, navires,
et haultes Allemaignes, avec les 2. Cf. Hypomneses, Préface. La
dangers des portz, havres, ri- même idée y est indiquée.
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136 DE LA PRECELLENCE
ceste ville de Paris. Et avons bien raison d'y estre
plus addonnez, tant pour y estre plus habiles et
adroits, que pour estre un exercice non moins
beau et honneste que proufitable, et auquel ne
doit estre accomparé celuy du palemaigle : n'en
desplaise à Tltalie *.
Or combienque les métaphores que nostre
langage a sceu tirer des jeux, et notamment de
celuy de la paume, ayent esté par moy appelées
récréatives, si est-ce que je soustien que comme
en se jouant, il exprime si bien nos conceptions,
que ritalien, non plus que les autres langages, ne
pourroit approcher de telle emphase.
Nous disons donc, C'est à racler et à bander,
quand nous voulons déclarer que c'est sans rien
espargner, que c'est à faire du pis qu'on peut.
Mais j'advertiray ici comme en passant, qu'il
faut prendre garde de ne mettre l'un de ces mots-
la devant l'autre : comme ceux qui disent, C'est à
bander et à racler, car en mettant ainsi la charrue
devant les bœufs, il faudroit dire aussi, je men
vay bander pour racler.
On nous oit aussi dire souvent. Que de bond
que de volée : ce qu'on auroit grand peine de
donner à entendre à un qui n'auroit point veu
jouer à ce jeu.
1. Maintenant que la mode jeux français, ce sont les mots
a introduit en France les jeux anglais qui dominent dans la
anglais, qui souvent ne diffè- désignation des jeux : foot-
rent que bien peu des anciens 6a//, tennis, etc.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 137
Quand on dit, Il joue pardessus la chorde, c'est
ce qu'on dit autrement, // joue au plus seur, ou.
Il joue à bonne veue.
Voici une façon de parler laquelle est aussi des
belles, Je ne veux pas courir après mon esteufy de
celuy qui pareillement veut jouer au plus seur.
Comme si on disoit, Je ne me veux pas arrester
à une chose incertaine.
Si ceste-la est belle, ceste-ci encore d'avantage,
Marquez bien ceste chasse : au lieu de dire, Prenez
bien garde à ce poinct duquel je vous adverti.
De ce jeu est pris aussi le mot Naquet, en ceste
façon de parler, // pense faire de moy son naquet.
Et de ce nom Naquet vient le verbe Naqueter :
duquel on use quand on dit, Vous me faites naque-
ter après vous.
Je m'asseure que quand messieurs les Italiens
ne confesseront la debte en aucun autre endroit,
(ce que toutesfois par raison ils devront faire en
plusieurs) pour le moins la confesseront-ils ici.
Et toutesfois, s'ils veulent dire la vérité, ils
^jn'accorderont aussi que combien que souvent ils
puissent avoir besoin d'exprimer telles choses,
ils n'oàt rien pour mettre en la place qui soit ne
tant etnphatique, ne de si bonne grâce. Je sçay
bien qu'ils empruntent quelques métaphores du
jeu des eschets : mais nous les pouvons avoir
aussi bien qu'eux, puisque ce jeu nous est com-
mun. ^
8.
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i38 DE LA PRECELLENCE
Ici je prieray le lecteur considérer combien il
faut que nostre langage soit riche en tous les
endroits dont il emprunte tant de beaux mots et
tant de belles façons de parler, pour les accom-
moder à autre usage (ce que les Grecs appellent
Parler par métaphore) veu qu'il n'y a que les
riches qui puissent beaucoup prester. Et ne faut
trouver estrange ce mot d'emprunt en cest endroit,
encore qu'en ce faisant il ne prenne rien hors de
sa seigneurie. Car ayant richement pourveu
chacun endroit des termes qui luy conviennent,
quand après il en prend quelcun pour le faire
servir à quelque autre usage, c'est à la charge de
le rendre : et pourtant, j'appelle cela emprunter.
Pour exemple donc de ce que je vien de dire, le
lecteur doit considérer comment nostre langage a
richement pourveu sa vénerie et sa fauconnerie
des termes qui luy sont convenables : veu qu'elles
ont moyen de luy en prester si grand nombre,
choisi parmi un qui est plus grand sans compa-
raison.
Mais on se pourra esmerveiller que je ne fay
aussi mention des termes que nostre langage
choisit en chacun de ces ars ou mestiers *, pour
s'en servir en la mesme façon que des prece-
1. Cf. E. Pasquier, Lettres. H, les notes de ce chapitre, dans
XII. — Brunot, La doctrine de lesquelles se trouvent plusieurs
Malherbe d'après son Commen- indications utiles relativement
taire sur Desportes^ p. 305, et aux mots techniques.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. i 39
dens : asçavoir par métaphore. Je respon premiè-
rement, que quand je ne proposerois qu'un seul de
chacun, ce seroit une chose fort longue : et en
second lieu que les ars par lesquels on fait une
mesme sorte d'ouvrage, n'estans par tout sem-
blables (aumoins totalement), les métaphores ne
pourroyent estre entendues par ceux qui ont des
ars differens. Au reste, encore que je confesse
que les autres nations ont aussi bien des ars, ou
mestiers, je ne veux pas confesser qu'elles en
ayent si grand nombre : exceptant seulement
TAlemande quant au fer : duquel elle s'aide si
bien et en tant de sortes d'ouvrages, que j'estime,
les Italiens, pour ce regard principalement, dire
(comme par forme de proverbe joyeux) que les
Alemans ont l'esprit aux doits. Je nie aussi que
les mestiers que les autres nations ont semblables
aux nostres (ou à peu près) soyent semblable-
ment fournis de mots nécessaires pour exprimer
tout ce qui appartient à iceux.
Et à fin qu'il ne semble qu'il y ait plus de
vanterie en ce propos que de vérité, je veux
amener un exemple de ce que j'ay dict : et
d'autant que je sçay qu'il n'y a presque pays où
on ne face de la monnoye (ce que nous appelons
Forger de la monnoye ou Batre de la monnoye) je
prendray ce mestier pour exemple de la richesse
que j'attribue à nostre langage. Je di donc que ce
mestier estant divisé en beaucoup de parties (c'est
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140 DE LA PRECELLENCE
à dire, en plusieurs sortes de manifacture) on ne
trouvera aucune destituée d'un nom fort conve-
nable et propre : asseurant le mesme touchant les
noms des matières dont la monnoye doit estre
faicte, et les instrumens dont il se faut servir :
et adjoustant cela encore touchant un troisième
poinct : à sçavoir touchant ce que tirent les ouvriers
pour leur loyer, et le prince pour son droit.
Pour commancer par la matière, ils ont (outre
le nom qu'ha chacun métal quand il est à part)
Billon eiAloy. Ils ont aussi Grenaille, qui estbillon
ou quelque métal à part, qu'on retire de Teau après
qu'on l'a jette dedans tout chaud, au sortir du
creuset. Et est nommé Grenaille, pource qu'ordi-
nairement il est en grains. Mais Culasse, c'est une
masse d'or ou d'argent fondue dedans un pot, ou
«n creuset, et qui retient encore la forme du cul
de pot. Il-y-a aussi d'autres noms qu'on donne à
la matière dont on se veut servir, selon qu'on l'a
accoustree et préparée : ainsi qu'on verra par ce
-qui suit touchant la manifacture.
Car, quant à ceste manifacture, il faut com-
mancer par Allie7^ (qui est mesler ensemble les
>metaux, selon la loy* donnée par le roy.) Apres
1. C'est bien sans doute la tré), est le substantif verbal de
.loy qu'H. Ëstienne a voulu aloyer, mettre en conformité
dire, mais nous dirions aujour- avec la loi. 11 y a eu longtemps
d'hui Valoi. Ce substantif, très confusion entre l'aloi et la loi,
.ancien en français (on le ren- et l'on a même cru autrefois
contre au xm* siècle; voir Lit- que Valoi était une forme cor-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 141
quoy il faut Fondre (j'enten fondre ces metaux-la
ensemble.) Puis ce qui a esté fondu il le faut
JeUer en rayaux (et sont Rayaux des pièces longues
et estroites qui se font ou dedans des moules, ou
sur des tuiles de fer qui sont rayonnees en une
certaine longueur). Lesquels rayaux on taille
en quarreaux : car les rayaux estans portez à
l'ouvrier, il les couppe en pièces approchantes
assez près du poids duquel doit estre la monnoye
qu'il veut forger : et pource qu'elles sont ordinai-
rement quarrees, on les appelle Quarreaux. Les-
quels il faut battre^ flattir^ elizer, rechausser et
bouer. duquel dernier mot on use, quand on les
refrappe sur les coins pour les arrondir. Et ces
carreaux arrondis sont appelez Flaons : lesquels
estans blanchis, sont baillez pour estre croisez,
quand on y met la figure de la croix : ou (pour
parler plus généralement) sont marquez, quand
on y met telle figure qu'il plaist au prince. Ce
qu'on appelle Monoyer les flaons : les monnoyeurs
estans aussi appelez Croiseurs et Marqueurs : qui
sont noms plus particuliers. Apres tout ceci, le
flaon, qui n'estoit qu'une pièce de métal applatie
et arrondie, prend le nom de monnoye et Ae denier,
suivant ce qu'on dit Denier escu. Denier teston.
Quant aux instrumens, outre ceux qui ont des
noms qui sont aussi ailleurs, et dont on se peut
rompue (V. l'historique de Lit- coup plus probable que le
Iré, au mot aloï). 11 est beau- contraire a eu lieu.
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142 DE LA PRECELLENCE
aviser (entre lesquels est Creuset) il-y-a Eschope
(d'où vient Eschopelure, signifiant la pièce qu'on
levé d'un métal par cest instrument.) Plus Cippeau
(qui peut sembler estre tiré du Latin Cippus). Item
Coupelle (d'où vient qu'on dit Argent de coupelle).
Plus Mate7'a$, qui est une fiole ayant le col ou bec
fort long : dedans lequel on met de l'eau forte,
pour espurer l'or aux essais. Et ceste fiole est
ainsi appelée pour ce qu'elle resemble à une sorte
de flesche dicte Materas. Ils ont aussi Deneral, qui
est le poids contre lequel l'ouvrier adjouste ses
quarreaux, après qu'il les a taillez.
Quant au troisième poinct, il-y-a premièrement
Traite^ qui se dit de ce que prend le roy tant pour
son droit que pour le payement des ouvriers et
monnoyeurs : mais ce qui luy reste, eux estans
payez, s'appelle Seigneuriage. comme aussi Mon-
noyage est le salaire du monnoyeur : qui est comr
pris sous un gênerai mot Brassage. Car Brassage
c'est le salaire qu'on baille au maistre qui fait la
monnoye, lequel distribue ce salaire en trois :
à sçavoir une partie à l'ouvrier qui taille, forge et
arrondit les pièces pour faire monnoye : une autre
partie au monnoyeur, qui est celuy qui marque
ces pièces : la troisième partie luy demeurant pour
sa peine des fontes et alliages.
Encore y-a-il des termes que je n'ay point com-
pris sous aucun de ces trois poincts. car on
appelle Moufle une pièce de terre ou de fer qui est
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 143
en voûte, pour couvrir le creuset, afin que le
charbon du fourneau ne tombe point dedans. On
appelle Brève la quantité de l'ouvrage qu'on ha
accoustumé de bailler à l'ouvrier ou monnoyeur
pour forger, et ce nom vient de ce qu'elle est
escrite en bref en un billet. Ils usent aussi de ce
mot Différent pour signifier une petite marque
qu'un maistre de monnoye met en quelque coin de
la pièce pour discerner son ouvrage d'avec celuy
d'un autre. Aussi est appelée de ce nom la lettre
qu'on met pour faire congnoistre la ville où la
monnoye a esté forgée : comme A est pour Paris,
B pour Rouan, M pour Toulouze*. La légende^ c'est
l'escriture qui est à l'entour de la monnoye. Je
n'oublieray aussi ce terme, Pièce poictreuse : (par
syncope, au lieu de Poictrineuse^ comme si on
disoit pectorosa) quand elle est relevée par le
milieu, et menue par les bords. Ce qui est un vice
es pièces, car estans telles, ne se peuvent pas si
bien presser l'une sur l'autre.
Le précèdent discours sera comme un eschan-
tillon, par lequel pourra le lecteur juger combien
nostre langage est riche : quand bien il n'auroit
autre richesse que les termes qu'il a appropriez à
chacun raestier. Quant à moy, je ne doute point
que s'il avoit amassé ensemble ceux de tous ses
mestiers, et celuy des Italiens en avoit faict autant
1. La liste de ces marques est donnée dans les Bigarrures
de Tabourot des Accords.
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144 DE LA PRECELLENCE
des siens, il ne se trouvast aussi povre que le
nostre se trouveroit riche. Mais je prieray le lec-
teur de considérer en ce discours encores une
autre chose : à sçavoir comment nostre langage
sçait aussi de ses vieux mots en faire qui semblent
nouveaux, par le moyen de ce que les Grecs appe-
loyent paragôge. car nous avons des exemples de
ceci en ces mots precedens, Monnoyage^ Brassage
(qui vient de bras : comme signifiant Le salaire qui
est deu pour le labeur des bras) Seigneuriage.
Aussi est remarquable la paragoge qui est en Gre-
naille, Par le moyen d'elle (toutesfois avec quelque
différence) est dict ce mot Poictreuse : veu qu'il
est faict de Poictrine, et pourtant est dict pour
Poictrineuse, par syncope, comme j'ay adverti ci
dessus. Il void pareillement comme de Eschope
nostre langage déduit Eschoj)elure : qui est une
déduction qui n'ha rien d'extraordinaire. Il peut
voir aussi comment il se sçait aider de méta-
phore, quand il est besoin : ayant en Matras un
bel exemple de ceci. Au reste, comment la langue
Latine ne luy refuse rien : mais en ce qu'il prend
d'elle, il use de quelque petit desguisement : de
sorte que de prime-face il ne peut pas estre reco-
gneu. Dequoy nous avons exemple en Elizer. car
il ne faut point douter qu'il ne vienne de Elidere :
et pourtant quElezer (comme aucuns prononcent)
ne doive estre rejecté *. Exemple aussi en Cippeau,
i. Cette étymologie est peu vraisemblable, et la proncm-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 145
tiré de Cippus. Quanta CoMjoe//e, puisqu'il vient de
Cupella^ Torigine est plus aisée à recongnoistre que
des deux autres. Mais pour conclusion de ce
propos, le lecteur peut juger par la considération
des diverses sortes des termes precedens, apparte-
nans au mestier de faire de la monnoye, qu'il
nest rien impossible à nostre langage, non plus
en ce qui concerne les mestiers, qu'en toute autre
chose.
Toutesfois je veux encore, comme d'abondant,
monstrer comment nostre langage a sceu tirer de
ce mestier des façons de parler proverbiales, qui
sont de bonne grâce : et principalement quand elles
sont bien entendues. De la monnoye donc vient
ce qu'on dit. Cela est de mise, ou Cela nest pas de
mise, qui ha plusieurs usages, par métaphore :
mais le plus gentil est, quand on dit d'un propos
qui n'ha aucune apparence, ains est du tout extra-
vaguant. Ce propos nest pas de mise.
C'est un fin à dorer se dit aussi ordinairement :
mais ceux qui n'entendent l'origine de ceste façon
de parler la corrompent, disans. C'est un fin adoré.
Car Fin à dorer se dit proprement de l'or qui est
si fin qu'on s'en peut servir pour dorer : à quoy
toutesfois il est requis d'employer du plus fin :
dation blâmée par H. Estienne leissier, elaissier, et le sens du
est la prononciation primitive, verbe, sous ces diverses formes,
On trouve en effet dans les est celui d'élai^gir, étendre (V.
anciens textes es laisier, es lester, les exemples dans le diction-
eslessier, elaisier, eslaissier, es- naire de Godefroy).
PRECELL. DU LAMOAGC FRANÇOIS. 9
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146 DE LA PRECELLENCE
tellement que, quand on dit d'un homme qu'il est
fin à dorer, il faut entendre qu'il est superlative-
ment fin *.
Nous avons aussi un Comme pris de ce mesme
lieu, comme chacun peut voir, pour ce que ce
Comme est appliqué à une comparaison où il est
faict mention de la monnoye. car on dit Cela est
descrié comme la vieille monnoye, de ce qu'on pour-
roit dire autrement (mais sans user de phrase
proverbiale) Cela n'est plus en estime, ou. Cela a
perdu tout son crédit, ou, Cela n'ha plus la vogue,
ou. Cela n'est plus de requeste. ou, Cela a perdu sa
saison. Que le Latin diroit, Hoc obsolevit. Mais j'ad-
jousteray, qu'on se pourroit esbahir pourquoy en
ce proverbe on fait mention du descriement de la
vieille monnoye : veu qu'ordinairement la plus
vieille est la meilleure : (comme aussi du temps des
Grecs et des Rommains on la deterioroit peu à peu
plus tost qu'on ne la melioroit) et, qu'ainsi soit,
on l'aime beaucoup mieux pour la fonte que la
nouvelle. J'ay donc opinion que ce proverbe soit
demeuré depuis quelque roy qui tout en un coup,
fit descrier toute la monnoye de ses prédécesseurs.
1. Rabelais (II, xvi) dit de Pa- sion. « Fin à dorer signifie
nurge : « Et pour lors estoit de trompeur, vaurien. Rabelais
l'eage de trente et cinq ans ou veut dire sans doute que Pa-
environ, fin à dorer comme nurge était à la fois fin et
une dague de plomb... » A pro- mauvais : une dague doit être
DOS de cette phrase, l'édition fine pour qu'on la dore; mais,
Burgaud desMarets etRathery si elle est de plomb, elle n'en
interprète autrement Fexpres- vaut pas la peine. «•
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 147
Quant à ce proverbe, // est des bons, il est marqué
à rA\ il sent plus son menu peuple, que les autres :
il est toutesfois fondé sur quelque raison, ou pour
le moins apparence de raison. Car (comme j'ay
dict ci-dessus, parlant de ce moi Différent) la mon-
noye faicte à Paris est marquée d'un A (comme
celle de certaines autres villes ha d'autres lettres
pour sa marque), et on ha opinion qu'elle soit la
meilleure : laquelle opinion vient de ce qu'on
pense qu'il y-ait plusd'esclaireurs. J'acheveray ce
discours par une façon de parler qui est allégo-
rique (afin que le lecteur voye comment nous en
avons de toutes sortes) car quand on veut donner
à entendre en termes couverts que quelcun a faict
de la fausse monnoye, on dit, // a baillé un
soufflet au roy.
/ Or quand bien nos compétiteurs nous pour-
f royent monstrer qu'ils sont aussi bien fournis de
tous mestiers que nous, pour toutes sortes de
manifacture, et que ces mestiers n'ont moindre
provision que les nostres de beaux termes : aucuns
desquels leur langue transfère à quelqu'autre bel
usage, ou à quelque façon de parler proverbiale :
nous leur dirions (et à bon droit) qu'encore n'au-
royent-ils rien faict, s'ils ne faisoyent plus fort.
Car nous avons, outre ces mestiers tant diffe-
1. Voir Quitard, Dictionnaire des proverbes, 1.
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148 DE LA PRECELLENCE
rens, certains offices appartenans à la police :
comme de vendeurs de vin, de vendeurs de marée,
de vendeurs de bestail, et autres offices, qui ont
aussi leur cas à part, quant à certains termes :
dont aucuns sont beaux au possible.
Et à propos de la police, s'il falloit que nos com-
pétiteurs exprimassent en propres termes de leur
langage plusieurs choses qui la concernent, par
où commanceroyent-ils? Comment exprimeroyent-
ils ce que nous appelons Police \ei Ville bien poli-
cée ? car ils n'ont pas eu tel crédit envers le langage
Grec que nous, pour impetrer ces mots de luy : au
contraire, il n'y-a nulle doute qu'il ne soit fort
offensé de ce qu'ils ont appliqué son vocable tant
excellent à une chose si différente et qui n'est
d'aucune importance *.
Mais encore seroit-ce bien pis quand il leur fau-
droit trouver des termes appartenans au faict de
la justice autant que nous en aA'^ons. Entre les-
1. Le français moderne ne sance d'argent ou autre chose,
donne plus à police le sens billet, mandat. Le mot italien
que lui donnait H. Estienne polizza signifie cédule, billet, 11
et que le mot a conservé long- est à rapprocher de notre mot
temps après lui. « Quoi! depuis police dans les expressions
que vous êtes établis en corps comme police d^assurance M^is
de peuple, vous n'avez pas d'après Diez, ni le mot fran-
encore le secret d'obliger tous çais employé dans ce sens, ni les
les riches à faire travailler tous mots espagnol ou italien n'ont
les pauvres? vous n'en êtes rien de commun avec iroXtTSÎa.
donc pas encore aux premiers II les rattache au latin pollex,
éléments de la police? » (Vol- pollicis^ qui dans la basse lati-
taire dans Littré.) ni té aurait signifié sceau, puis
2. En espagnol, po/isa signifie par extension pièce munie d'un
contrat de garantie, reconnais- sceau, (Voir Scheler.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 149
quels je ne veux comprendre ceux qui concernent
l'extravagante chiquanerie (à Dieu ne plaise)
mais enten seulement ceux dont usent aussi les
cours de Parlement, et qui sont nécessaires pour
rapporter leur procédure à Tancienne jurispru-
dence : en ce à quoy la coustume n'a desjà
pourveu. Il est certain qu'aucuns de ces termes
sont tels, que la langue Latine mesmement se
trouve fort empeschee à en dire autant en un mot
(comme je monstreray par exemples une autre
fois) tant s'en faut que l'Italienne en pust venir
à bout : veu qu'en traduisant de nos histoires, elle
ha desja fort affaire à sortir de quelques passages,
pour ne pouvoir trouver des mots respondans à
certains des nostres.
Et pour monter encore plus haut, que feroit
leur langage parmi les affaires d'estat, tels que
ceux de ce royaume? ne faudroit-il pas souvent
qu'il fist le muet? Pour le moins je m'asseure que
les plus grands négociateurs d'entr'eux se trouve-
royent bien empeschez, quand il leur faudroit en
leurs despesches user de façons de parler non
moins succinctes que graves, non moins claires
que succinctes : et telles (pour éviter une longue
description) qu'on les voit aujourdhuy sortir de la
plume de messieurs les secrétaires d'estat : les-
quels, conservans l'honneur de nostre langage,
monstrent bien (toutes et quantes fois que bon
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150 DE LA PHECELLENCE
leur semble) qu'il n'ha ainsi besoin des autres
vulgaires, comme eux ont besoin de luy *.
Or peut estre que nos compétiteurs, se voyaïi^
pressez, confesseront que nostre langue "^
quelque avantage pardessus la leur quant aux
termes appartenans aux choses dont je vien de
faire mention; mais le nieront quant à ceux des
mestiers : desquels ils diront que les villes
moindres peuvent estre autant bien fournies que
les plus grandes, estans pareillement accompa-
gnez de leurs termes aussi bien en celles-là
qu'en celles-ci. Mais je ne leur accorderay pas
cela : ains diray que comme les ouvrages qui se
font es grandes villes sont meilleurs que ceux qui
se font es petites, aussi ne faut douter que les
mestiers ne soyent-là plus perfaicts, ou, pour le
moins, approchans d'avantage de perfection : et
par conséquent fournis de plus de sortes d'instru-
mens. dont aussi il s'ensuit que le nombre des
termes qui les doivent accompagner soit plus
grand. Et quant à ce que je di de la différence
qu'il y-a entre les manifactures des grandes villes
et celles des petites, je m'aideray de l'auctorité
d'un grand personnage, asçavoir Xenophon : car
1. On sait que depuis le traité Rivarol : Discours sur Vuniver-
«le Nimègue le français est la salité de la langue française,
seule langue employée dans les 1784, ouvrage qui fut couronné
relations diplomatiques. Voir par l'Académie de Berlin.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 154
ceste proposition est sienne, en son huitième
livre de l'Institution du roy Cyrus *. Où il adjouste
aussi sa raison, car il dit qu'es petites villes un
fait plusieurs mestiers ensemble, et encores à
grand'peine peut-il gangner sa vie : es grandes,
à cause de la grande multitude, c'est bien ce que
chacun peut faire que de fournir à un mestier : et
encore quelquesfois ne le fait pas tout entier, mais
un fait une partie de ce qui appartient à ce mes-
tier, laissant le reste à un autre, comme (dit-il) on
verra quelquesfois que de deux ouvriers l'un ne
fait que des souliers d'hommes, l'autre, que des
souliers de femmes : et en quelques lieux le mes-
tier de l'un sera les tailler, de l'autre, les coudre.
Lequel endroit de Xenophon (ce que je diray en
passant) peut faire penser qu'il s'estoit trouvé en
quelques villes, ou pour le moins en quelque ville,
où la multitude estoit encore plus grande qu'à
Paris : lequel toutesfois est estimé ne céder
aujourdhuy à ville du monde, quant à estre bien
peuplé. Quoy qu'il en soit, pour le moins il con-
ferme ce que j'ay dict : tellement qu'il faut que
nos compétiteurs me l'accordent.
Si donc ils veulent en la fin passer plus outre,
et confesser franchement la vérité (comme Awo-
mini da bene), et dire qu'ils sçavent bien leur lan-
gage n'estre pourveu, comme le nostre, des
1. VllI, II, 0.
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152 DE LA PRECELLENCE
termes requis es choses maintenant mention-
nées : mais adjoustent que si leur Italie èust esté
une France, et leur Venise ou Milan eust esté un
Paris (où le gouvernement d'un petit monde et
les tant diverses actions et façons de vivre requiè-
rent plus grande diversité de termes), leur lan-
gage eust eu aussi bonne provision que le nostre :
je leur nieray formellement ce poinct.
Car je di que leur langage n'est si heureux à
forger des vocables que le nostre : lequel de toute
ancienneté a imité aucunement la liberté des
Grecs, en ce qui concerne la composition des
mots : voire jusques à faire ceste Imitation en
aucuns de mesme signification. Pour exemple, ce
que les Grecs disent Prodromos, nous l'appelons
avantcoureur *, usans d'une composition du tout
semblable. Pareillement ce qu'ils disent Kaxomri-
chanos nous l'exprimons par ce vocable composé
songemalice *.
Mais quant à ce poinct, et plusieurs autres
appartenans à ce que je vien de mettre en avant,
1. Avant-coureur est un com- ses de ce genre sont extrême-
posé formé d'un adverbe déter- ment fréquents. Voir Darme-
minant et d'un substantif dé- steter, ouvr. cité, p. 168 et
terminé, comme avant-garde, suivantes, en particulier p. 218
arinère-cour, etc. Voir A. Dar- et p. 224. La Pléiade a formé
mesteter, De la formation des beaucoup de composés de ce
mots composés en français, genre. Ronsard emploie : aime-
2* édition, revue par G. Paris, laine, aime-fil, atme-rochersy
p. 151. brise- tombe f couvre - cerveau,
2. Songe-malice est un com- mange-sujet, ronge-poumon, etc.
posé formé d'un impératif et Voirie Lexique de Ronsard, pa.r
d'un complément. Les compo- Mellerio.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 153
je les renvoyray au livre que j'ay intitulé, De la
conformité du langage François avec le Grec : et
les prieray de considérer encore une autre chose :
à sçavoir, comment nostre langage a bien sceu
s'aider de quelques petites particules Latines pour
faire des excellens verbes composez. L'une
d'icelles est Foras, car quand (pour exemple) de
Voye il eut faict Envoyer ^ Renvoyer, Convoyer, il
adjousta Forvoî/er, comme si on disoit Aller for la
voye, estant For pour Foras : comme si on disoit
Foras viam ire. Et faut noter que ce For, mesme-
ment sans estre en composition, ha ceste signi-
fication en quelques pays des lisières de France.
Ainsi donc a esté faict aussi Forligner : ainsi For-
clorre, fort usité en la prattique *. Tel est aussi For-
conter : quand on dit Se forconter et Un forconte.
Autant en faut-il dire de Forsené : auquel on pren-
droit encore moins garde qu'aux precedens. car
c'est celuy qui est for du sens, c'est-à-dire, hors^
du sens : en usant de ce For comme j'ay dict qu'on
en usoit en quelque lieu. Et s'il plaist à nostre
langage faire la recherche de ses anciens mots, il
trouvera de fort beaux composez de ceste mesme
sorte * : entre lesquels seront Forjuger, pour Mal
1. Voltaire regrette forclos, forbatre, forbeverie (excès de
« Ce mot très expressif n'est boisson), forboter (mettre de-
demeuré qu'au barreau. » (Cité hors), forchargier, forchaucier
par Godefroy.) (fouler aux pieds), forcomman-
2. Estienne aurait pu citer der (contraindre), forcorre, etc.
un grand nombre de vieux (Voir le Dictionnaire de Gode-
mots : entre autres, forbanir, froy.)
9.
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154 DE LA PRECELLENCE
juger : F or conseiller, pour Mal conseiller : lequel
mot ayant trouvé un certain moine, et ayant
voulu comme représenter la figure d'iceluy a
(lict Forconsiliare. Entre ses anciens vocables il
trouvera aussi Forpayser, pour Errer hors son pays.
(Foù vient qu'en vénerie on use encor de ce mot
quand on parle d'une beste qui s'eslongne du lieu
de son repaire, et se jette aux campagnes. Il y
trouvera pareillement quelques Noms : comme
Formariage, dict du mariage qui est faict contre la
la loy ou la coustume. Et à propos des Noms faicts
par une telle composition, nous en avons aussi
qui sont plus communs que le Verbe duquel ils
viennent. Car nous usons de F or faict et de Forfaic-
ture, Forfaicteur, plus souvent que de Forfaire.
Geste sorte de composition considérée nous peut
faire entendre des mots, qui autrement nous pour-
royent donner beaucoup de peine. Entre lesquels
est Forbeu. car un cheval forbeu c'est celuy qui a
beu ayant trop chaud, et pourtant a beu for le
temps qu'il devoit boire. Aussi voyons-nous qu'il
y-a grande apparence d'escrire Forbourg, plustost
que Faux-bourg, car ce qu'on appelle ainsi, est for
le bourg: (c'est-à-dire, extra burgum), en prenant
ce mot en la signification qu'il ha en son dérivé
Bourgeois. Or veux-je bien advertir le lecteur,
quant aux vocables precedens, que For en aucuns,
(à sçavoir, en Forfaire, F or conseiller, Forjuger,
Formariage) se prend tellement pour Mal, qu'il ne
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 155
laisse pas d'estre rapporté à ceste première signi-
fication, comme (pour exemple) Forconseî7/er, c'est
Mal conseiller : pource que celuy qui conseille ce
qui est hors de raison, conseille mal.
Mais le principal poinct pour lequel je désire
que le lecteur considère ceste composition, et
quelques autres que je luy proposeray quand je
mettray en lumière Tœuvre entier, c'est pour luy
monstrer que nous pouvons encore forger des
mots , en un besoin , à l'imitation de ceux-là :
après avoir descouvert comment ceux-là ont esté
foirez. Et di (pour exemple) que comme nous
trouvons avoir esté dict F or conseiller, Forjuger,
pour Mal conseiller. Mal juger, et que nous usons
encore aujourd'huy de For faire, pareillement pour
Mal faire : aussi je ne doute point que nous ne
puissions dire Forparler *, pour Mal parler : voire
qu'il n'ait esté dict. Or pourroit estre mis ce mot
en la place de l'Italien Straparlar.
Quant aux mots qui sont appelez Noms, nous
sommes encores en plus beau chemin, s'il nous
plaist d'en forger de nouveaux par composition :
veu mesmement la prérogative que nous donne
ceste ancienne imitation de quelques composez
Grecs, dont j'ay faict mention naguère. Car si
nos ancestres ont pris ceste liberté et hardiesse
d'imiter certaines compositions de la langue
1. Godefroy ne donne pas forparler. Lacurne le cite d'après
Cotgrave et Oudin,
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156 DE LA PRECELLENCE
Greque, jusques à rendre mot pour mot : comme
Avantcoureur^ pour ProdromoSy et Songemalice,
pour Kaxom7\chanos : (et ne doute point que Son-
gec7'euxna,ii esté faict pour respondre pareillement
à quelcun des leurs) * aurions-nous pas trop peu de
courage si nous demeurions en si beau chemin?
Car ce que nos ancestres ont faict en ceux-ci, ils
l'ont faict aussi en autres (comme j'ay monstre
ailleurs) je di quant à représenter la composition
Greque. De quoy j'adverti pourceque quant à
ceux-ci, je confesse que si les Latins avoyent
aussi bien des mots respondans k Songemalice et à
Songecreux, comme ils en ont un qui respond à
Avantcoureur, on pourroit dire que nous aurions
imité leur composition, non pas celle des Grecs :
mais outre ce que nous avons d'autres exemples
de telle imitation es Noms, quelques Verbes aussi
nous en fournissent, entre lesquels est Contrefaire.
car on sçait bien que les Latins n'ont point de
mot auquel cestuy-ci puisse respondre, comme il
respond au Grec Parapoiein. Aussi les Italiens ont
faict ici comme en plusieurs autres endroits où
ils se sont veus destituez de l'aide des Latins.
1. n est presque inutile de développement, et d'ailleurs,
faireremarquer que si cemode dans la plupart des composés
de composition s'est développé grecs, dans xaxojjirixavoc par
dans notre langue et y est exemple, le rapport des élé-
toujours vivant, c'est qu'il était ments composants n'est pas du
conforme aux tendances natu- tout le même que dans ceux
relies du français. Le grec n'a de notre langue. (Voir Darmes-
eu aucune influence sur ce teter, Mots composés.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 157
car, ayans recours à nous, ont contrefaict nostre
Contrefaire, en disant Contrafare,
Cela donc estant posé, que nos ancestres nous
ont monstre comment il faloit imiter les compo-
sitions Greques, je di que nous aurions bien faute
de cueur (encore que nostre nation ait plustost
faute de toute autre chose que de cela), si nous
ne poursuivions nostre pointe. Et pour venir aux
exemples, je di, à propos du mot Ancestres, dont
je vien d'user, que comme ainsi soit qu'eii
Bisayeul nous imitons la composition Greque-
Dipappos, non pas la Latine Proavus : nous serions
trop peu hardis si, comme nos prédécesseurs ont
îdiiciBisayeul de Dipappos, nous n osions faire Tri-
sayeul de Tripappos\ veu mesmement qu'en ce
aussi que nous disons Mon grand père et Ma grand'
mère y pour Mon ayeul et Mon ayeule, nous suivons^
les Grecs. Je ne di pas cependant que les Latins-
n'ayent aussi suivi ceste langue en leur Proavus :
veu qu'elle ha aussi Propappos, lequel est mesme-
ment plus usité : mais tant-y-a qu'eux ont choisi
l'un, et nous l'autre V
Je di bien d'avantage : c'est que nos ancestres-
nous ont monstre le chemin d'autres imitations-^
plus hardies sans comparaison : comme quand
i. Y, E. Vdisquier, Recherches, des Histoires de Paule Jove,
Vni, L. D'après lui, trisaïeul a livre trent septiesme », tandis
été employé pour la première que le Loyal Serviteur emploie
fois par •« Denis Sauvage, sei- le composé entièrement latin-
gneur du Parc, en sa traduction terayeul (chapitre I").
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158 DE LA PRECELLENCE
pour nous représenter ce beau mot d'Homère,
ChaUochitdines, ils ont dict (en despit de la couar-
dise des Latins) jPeryes^us*. Etpourquoy ne diroit-
on Fervestu aussi bien qu'on dit Courtvestut II est
vray qu'on prononce plustost Courvestu, sans t.
Ainsi pourquoy ne dira on Porteciel (en parlant
d'Atlas) pourquoy , en parlant d'Hercule ou
d'Ulysse, ne dira on Portepene ou Portelabeur, au
lieu du Grec Polytlasf II feroit beau voir que
nous eussions fait un composé pour un croche-
teur, en l'appelant Por^e/*a2a? : pareillement pour un
paresseux, en l'appelant Fainéant : et que nous
vousissions demourer courts, quand il seroit ques-
tion d'honorer la mémoire des gens de bien de
quelque bel epithete, et principalement de ceux
qui ont eu un naturel directement contraire à
celuy des paresseux. Il faut aussi considérer
qu'entre les mots usitez, composez du verbe
Porter, nous n'avons pas seulement Portefaix (au
lieu de ce que les Grecs usent de deux mots, ayans
une mesme façon de composition et semblable à
la nostre, Achthophoros et Phortophoros) ^ mais
aussi Portepanier est fort en usage en ceste ville
de Paris. Quant à Portenseigne, aussi on sçait qu'il
«stoit en usage desja du temps de nos ancestres :
comme aussi Portespee : quand on disoit que le
1. L'ancienne langue disait était fervestu ou fervesti. C'est
non seulement fervestu^ mais cette dernière forme qu'emploie
aussi f'erveslir. Le participe Fauchet. (Voir Godefroy.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. J 59
connestable estoit portespee du roy. Et depuis ce
mot a esté appliqué au pendant de la ceinture :
lequel en quelques lieux on appelle aussi le cein-
turon. Et en la cour sont assez usitez ces trois,
Portetable, Portechaire, Portequeue. Nous avons
aussi quelques autres où on voit telle composition :
mais quand nous n'aurions que ce premier, Por-
tefaixy il nous pourroit suffire pour nous faire
avouer les compositions susdictes : ausquelles
j'adjouste ceste-ci, Portecharge. car, pour dire la
vérité, comme je ne ferois non plus de difficulté
de dire Porielabeur que Portepene, aussi ne crain-
drois je point d'user de Portecharge, où la ryme le
requerroit. Je passe plus outre, car je di que de
■deux princes, dont l'un seroit pacifique, et aimeroit
la paix (autant qu'on la doit aimer pour le repos
des subjects) l'autre seroit addonné du tout à la
guerre, je ne craindrois point de donner à l'un
l'epithete de Portepaix, à l'autre, celuy de Pointe-
guerre. Et me souvient, à ce propos, que Joachim
du Bellay en quelque epistre, servant de préface *,
monstre avoir quelque crainte que ces deux com-
posez, Porteloix et Porteciel, par lui forgez (ainsi
qu'il dit) ne desplaisent aux lecteurs : mais depuis
la poésie Françoise s'est monstree encore plus
courageusement hardie : tesmoin celuy qui a dict.
4. Édition Marty-Laveaux, ï, livres de VEneide de Virgile
337 , dans Tépître qui pré- (IV et VI).
•cède la traduction de Deux
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160 DE LA PRECELLENCE
Du ciel porte flambeaux *. J'advertiray toutesfois
(en passant) qu'il faut (à mon avis) user plustost de
composez qui ayent au bout le nombre singulier :
comme ici quand Porteflambeau eust pu estre dict,
il me semble qu'il eust eu meilleure grâce : mais
je confesse qu'en parlant du ciel il faloit l'appeler
Porte flambeaux, en usant du pluriel : comme au
contraire pour le Dadophoros Grec, ou Dadouchos^
ce Porteflambeau seroit justement son cas. Au
reste, j'ay encore deux beaux composez que je
veux adjouster aux precedens, Portelumière et
Portejour : le second, dict de l'aurore (que nous
appelons l'aube) : le premier, du jour '.
Or voyons si nous pouvons point faire le
mesme en quelques autres endroits qu'en cestuy-
ci. c'est-à-dire si, comme nous avons pris ces com-
posez, ja usitez de long temps, pour patrons de
plusieurs autres, ayans un mesme verbe, ainsi
nous n'en trouverons point par lesquels nous
puissions estre semblablement guidez. Je di donc
que nous avons Boutefeu, ja ancien : et que je ne
craindrois point d'en forger un, à l'exemple de
cestuy-ci, Bouteguerre : comme parcidevant j'avois
i . Du Bartas, au commence- apparaître de nouveaux mots
ment de la Semaine. ainsi composés. Seulement ces
2. On voit que les idées d'Es- composés ne peuvent vivre que
tienne sur ce point sont celles comme substantifs, et la faute
de la Pléiade. Ce procédé de de Ronsard et de la Pléiade a
formation n'a jamais cessé été d'en faire des adjectifs,
d'être très vivant chez nous et comme le voudrait encore Es-
tous les jours nous voyons tienne.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 161
forgé Porteguerre, aussi bien que Portepaix.
Pareillement sur YdLiiQ,\QnSongemalice (qui respond
au Grec Kay,omechanos, comme j'ay dict cidevant)
j'oserois bien forger Songenouvelle et (comme on
vient de l'un à l'autre) ne ferois difficulté de forger
Forgenouvelle, Et quant est de Songemalice, où je
metrouverois empesché à rymer dessus, je pense-
rois ne faire desplaisir à mon langage si je met-
tois en sa place Songefinesse. Je ne doute point
que l'exemple aussi des cinq que j'ay proposez
quand je parlois de l'avaricieux, ne nous puisse
beaucoup proufiter. J'enten ces cinq, Pinsemailley
Racledenare, Serredenier, Serremiette, Pleurepain,
lesquels composez je maintien estre autant beaux
et autant significatifs qu'aucuns que sçauroit faire
la langue Greque. Quant au dernier Pleurepain,
il convient fort bien avec la façon de parler dont
use Plante en ce passage de la comédie qui est
intitulée Aulularia : où il parle hyperboliquement
d'un qui estoit avaricieux,
Aquam hercle plorat, quum lavat^ profundere *,
Suivant laquelle phrase, Pleurepain seroit Qui
plorat panem comedere.
Je produiray une autre fois plus grand nombre
d'exemples, pour prouver ce que j'ay mis en
avant touchant le moyen que nous avons de
1. n, IV, 29.
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162 DE LA PRECELLENCE
forger de beaux composez, j'enten, alors que Dieu
me fera la grâce de construire l'œuvre dont voyci
le project. Et cependant je veux bien que le lec-
teur sçache que ces excellens poètes que nous
avons aujourdhuy, lui en fourniront beaucoup.
Mais je ne doute point qu'entre ces compositions
les unes ne luy plaisent bien plus que les autres.
De ma part je suis d'opinion que quelquesfois
(selon les endroits) le monosyllabe ha meilleure
grâce, au bout d'un mot composé, que le dissyl-
labe, et le dissyllabe que le trissyllabe. Voyla
pourquoy Chassevent me plaist fort, et autres qui
ont ce monosyllabe au bout : aussi Bornemois dict
de la Lune : et pourquoy de Mercure je dirois plus-
tost Guidenef que Guidenavire : et de l'hyver, Por-
te froid^ que Porte froidure. Toutesf ois je ne veux pas
faire une règle générale : et qu'ainsi soit, en par-
lant de ce mesme, je trouve meilleur Aimelyre
ou Portelyre queAimelut ou Portelut. Et c'est pour-
quoy j'ay dict, Quelquesfois et selon les endroits.
Car il n'y a point de doute qu'en quelques lieux les
dissyllabes n'ayent pas si bonne grâce : et que les
trissyllabes, ou pour le moins si longs qu'ils peu-
vent sembler trissyllabes, n'en ayent encore moins.
Ce que nous devons considérer en ce mesmement
que j'ay dict naguère de ce mot PorteflambeauXy
qu'il ne sembloit pas estre si agréable à l'oreille
que seroit Porteflambeau. car ce qui rend ce plu-
riel moins plaisant, c'est (à mon avis) la longueur.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 163
Et qu'ainsi soit si parlans du Printemps, nous
l'appelons Porte fleurs, si nous appelons TAutomne
Porte fruits, si nous disons que VEsté estPortegrains,
encore que ces monosyllabes soyent de nombre
pluriel, ceste compositioo ne laisse pas d'estre
trouvée douce. Aussi quand on dit du Somme
qu'il est Charmepenes (la ryme ne permettant de
dire Charmepene) cestuy-ci pareillement semble
plus passable à l'oreille que cest autre mentionné
cidessus. Au demeurant, si ces excellons poètes
(l'honneur desquels j'ay d'autant plus en recom-
mandation que je les voy s'efforcer à honorer
nostre langage) veulent donner lieu au précèdent
advertissement, je les prieray recevoir encore
cestuy-ci touchant la discrétion qu'ils doivent
avoir en l'usage de tels epithetes : c'est qu'ils se
souviennent de ce que disoit la gentile poetrice
Corinne : 7Vj chsiri dei sptwtm, alla mr^ holiù toy
thyla^to *.
Il me semble que j'ay monstre bien clairement
et amplement nos grans moyens d'adjouster
richesse sur richesse, s'il ne tient qu'à forger des
mots, esquels nous usions de composition : et que
nous n'avons faute que de hardiesse : or pensons-
nous que les Italiens puissent dire le mesme de
leur langage? Dire le pourront-ils : mais le prou-
ver, non. Je sçay bien qu'ils ont des mots com-
1. Plutarchi Scripta moralia, édition Didot, De gloria Athe-
nensium, I, 425.
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164 DE LA PRECELLENCE
posez : et mesme qu'ils en forgent quelquesfois.
Car il me souvient d'un duquel moymesme suis
contraint d'user souvent, Ingannavillano : pource
que j'ay une maison aux champs *, possédée au
paravant par un gentill\omme Italien : lequel avoit
nommé ainsi le fruict d'un certain poirier : et
comme je tien la maison, aussi retien-je ce nom :
pour ne pouvoir trouver le propre. Or sonne ce
mot comme si on disoit Trompevilain : d'autant que
c'est un fort bon fruit, mais n'est jugé tel à la
veue, et principalement par les lourdaux, qui
n'ont jamais esté curieux de considérer les
diverses sortes de poires, et d'ailleurs n'en ont
guère veu. Cest exemple est un des beaux que je
pourrois amener : et pourtant n'en ameneray
point d'autre : mais confessant (comme j'ay desja
faict) qu'ils ont des mots composez, et qu'ils en
font aussi quelquesfois, j'adjousteray que beau-
coup s'en faut qu'ils en ayent tant que nous, et
qu'ils soyent de si bonne grâce que les nostres.
Car il faut que pour le moins ils m'accordent deux
choses : l'une, que tant plus les mots sont longs,
tant plus sont malaisez à renger en composition
(et c'est pourquoy le langage Alemand, qui les ha
courts, est bien fourni de vocables composez)
i. CeUe maison se trouvait mune de Marlioz, arr. de Saint-
à Grières. Grières est aujour- Julien (Haute-Savoie). H. Es-
d*hui un hameau de 72 habi- tienne prenait quelquefois le
tants, dépendant de la com- nom de sieur de Grières.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 165
l'autre, qu'ils ne peuvent avoir des composez que
d'une sorte, au lieu que nous en avons de deux,
car ils ne les peuvent terminer qu'en voyelle :
nous, en voyelle et en consonante. Et sans aller
chercher exemple plus loing, en faisant compa-
raison de ce Ingannavillano avec nostre Trompe-
vilain, on peut remarquer ces deux choses que
j'ay proposées.
Quand le lecteur aura bien considéré cest avan-
tage que nous n'avons moins pardessus la langue
Italienne que les autres ^oïlgaires, quant à forger
des mots composez * : je le prieray de prendre garde
encores à une autre chose, qui peut aussi nous
avantager grandement. C'est que nostre langage
ayant plus de mots Latins, et (s'il faut ainsi parler)
plus grande familiarité avec la langue Latine, qu'il
ne semble, si en un besoin il forge quelques mots
sur la marque des Latins (en usant de la discrétion
requise en tel cas) on ne peut appeler ceci autre-
ment qu'user de privante.
Quant à ce que j'ay dict, qu'il ha plus grande
familiarité avec le Latin qu'il ne semble, j'inter-
prète ainsi les commoditez secrettes qu'il a receues
de luy. Car (pour parler plus clairement) nous
avons plusieurs mots pris de la langue Latine,
1. La langue française se Mais il est inexact qu'elle ait
prête facilement en effet à la en cela une supériorité sur les
formation des mots composés, autres langues modernes.
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166 DE LA PRECELLENCE
desquels on ne s'apperçoit pas. comme, à propos du
verbe dont je parfois naguère, ForpayseVy encore
qu'il ne semble estre Latin que par ceste particule
de laquelle on s'est servi pour faire la composi-
tion, si est-ce qu'il est Latin, outre cela, quant à
son origine. Car ceste particule ostee, le reste vient
de Pays : or Pays, de Pagus : comme mais vient
de magis (j'enten mais pour d'avantage) et comme
maistre, de magister. Et réciproquement où nostre
langage met le G qui n'est point es mots Latins :
comme quand il AU Sergent pour Serviens, et Sage
pour Sapiens, Et se pourront toutesfois trouver
des exemples encore plus notables de ce que j'ay
appelé commoditez secrettes.
Il est vray que si d'aventure on vouloit cepen-
dant tourner au deshonneur de nostre langage ce
que je vien de dire, comme s'il estoit plus subject
à celuy des Latins que je n'ay dict parcidevant : je
respon que non-obstant cela il ne s'astreind pas
tellement à leur langage, qu'il ne se reserve tous-
jours quelque liberté. Ce qu'on voit en ce qu'usant
de mots synonymes, ou qui sont presque syno-
nymes, souventesfois il use d'un qu'il prend du
Latin, et d'un autre qui ha apparence estre encore
du langage Gaulois. Pour exemple, quand il dit
Franchement et librement, il est croyable que le
premier sort du langage Gaulois *, comme quant au
1. H. Estienne veut parler de la langue des Francs, qu'il
confond toujours avec la langue des Gaulois. Voir page 72.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. i67
second il est notoire qu'il vient du Latin Libère :
tellement qu'il y auroit du langage Romman avec
des reliques du Gaulois. Autant en pouvons nous
dire (selon mon jugement) quand nous disons
Tromper et décevoir, ou Décevoir et tromper, car
nous n'observons pas un certain ordre : de sorte
qu'en l'autre exemple aussi nous pouvons dire
Librement et franchement^ en faisant du premier
le second.
Mais j'ay bonne espérance que quand j'auray
monstre encore deux autres sortes de richesse de
nostre langage, le lecteur, qui les aura bien con-
sidérées, jugera qu'il n'est aucunement en danger
de tomber en ceste nécessité de forger des mots
nouveaux, sinon que quelque nouvelle chose se
presentast.
A fin donc de venir à l'une de ces deux sortes
de richesse, dont je n'ay point encore faict men-
tion, je di que tout ainsi qu'un homme fort riche
n'ha pas seulement une belle maison et bien meu-
blée en la ville, mais en ha aussi es champs, en
divers endroits : desquelles il fait cas, encore que
le bastiment en soit moindre et moins exquis, et
qu'elles ne soyent si bien meublées : pour s'y aller
esbatre quand bon luy semble de changer d'air :
ainsi nostre langage ha son principal siège au lieu
principal de son pays : mais en quelques endroits
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4 68 DE LA PRECELLENCE
d'iceluy il en ha d'autres qu'on peut appeler ses
dialectes *.
Et comme ceci luy est commun avec la langue
Creque, aussi en reçoit-il une mesme commodité.
Car ainsi que les poètes Grecs s'aidoyent au
besoin de mots peculiers à certains pays de la
Grèce, ainsi nos poètes François peuvent faire leur
proufît de plusieurs vocables qui toutesfois ne
sont en usage qu'en certains endroits de la
France '. Et ceux mesmement qui escrivent en
prose, peuvent quelquesfois prendre ceste liberté.
Je sçay bien que les poètes Grecs passoyent plus
.avant en l'usage des dialectes, en ce que non seu-
lement ils prenoyent des mots qui estoyent pecu-
liers à iceux, mais aussi à quelques-uns des leurs
donnoyent la terminaison qui estoit peculiere à
ces dialectes : mais nous avons voulu nous con-
ienter de ceste autre commodité que j'ay dicte.
Que si les Italiens se vouloyent vanter de rece-
voir une pareille commodité de leurs dialectes, je
leur respondrois que ceux des François ont par
xaison beaucoup plus grande non seulement
estendue, mais aussi autorité, que les leurs ne
peuvent avoir. Car nous sçavons qu'encore que
1. Cf. HypomneseSy Préface, çois. — Vauquelin de la Fres-
— E. Pasquier, Lettres^ II, xn. naye, édition Travers, I, 13 :
2. Cf. Ronsard, édition Marty- Art poétique, chant I. — F. Bru-
Laveaux, III, 533 : Préface de not, La Doctrine de Malherbe
2a Franciade; et VI, 451 : d'après son commentaire sur
Abrégé de Vart poétique fran- Desportes, page 299.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 169
tout ce qui n'est pas langage Toscan (lequel seul
est tenu pour le bon et naïf) ne soit pas Berga-
masque, toutesfois y en a bien peu qu'on vueille
mesler avec ce Toscan : et y-a mainte sorte d'autre
langage que le Bergamasque, qu'on n'y voudroit
mesler non plus que du fer avec de l'or.
A propos dequoy il me souvient que Bernar-
dine Tomitano, en son quatrième livre de la
langue Toscane, parlant des paroUes qu'il faut
tenir pour barbares, dit, Barbare intendo quelle
che sono cTuna lingua vile, quali le nostre corrotte e
guaste, che i Toscani chiamano Lombarde; o vero
di parlar oltramontano *. Mais encore qu'ici il
expose ainsi son barbare^ si est-ce qu'ailleurs
après avoir proposé quelques mots dont usent
alcuni diligenti ed accurati inteletti (comme aussi
on les oit dire à aucuns natifs des bonnes villes,
et qui ont le bruit d'avoir le meilleur langage
après le Toscan) il dit que plusieurs au contraire
se gardent bien d'en user, comme si c'estoyent des
paroUes pestilentieuses, ou propres à invoquer le
diable. Voyci ces propres mots, AlVincontro molti
guardarsene, corne fussero voci pestilentiose, o nomi
da chiamar il dimonio.
Mais quant au langage de nostre France, il en
i. La phrase signifie littéra- rompues et gâtées que les
iement: J'en tends par barbares Toscans appellent lombardes,
celles qui sont d'une langue ou bien celles du parler ultra-
vile, comme nos paroles cor- montain.
10
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170 DE LA PUECELLENCE
va bien autrement, car nous donnons tellement le
premier lieu au langage de Paris, que nous con-
fessons que celuy des villes prochaines, qui sont
aussi comme du cœur de la France, ne s'en
esloigne guère. Et pource qu'Orléans voudroit bien
avoir le second lieu. Tours aussi, pareillement
Vandosmes, et qu'il est demandé aussi par Bourges,
et Chartres d'autre costé y prétend, et quelques
autres villes des plus prochaines de Paris : à fin
que les unes ne portent point d'envie aux autres,
nous laissons ceste question indécise : et mesme,
pour bien de paix, ne nous formalizons pas beau-
coup contre les Guespins*, quand il leureschappe
de dire qu'ils parlent aussi bon François que nous
qui sommes Parisiens. Or je présuppose, quand
je parle ou de nostre langage Parisien, ou de ceux
que j'appelle les dialectes, qu'on entende qu'il faut
premièrement oster toutes les corruptions et dépra-
vations que luy fait le menu peuple : outre-plus,
que si un mot duquel nous voulons nous aider ha
une terminaison qui ne sente pas sa pureté Fran-
çoise,, nous le vestions de celle mesme dont nos
mots sont vestus.
Cela se faisant, nous pouvons bien passer encore
plus outre, et estendre nos dialectes aussi loing
que s'estend ce qu'on appelle la France : laquelle
1. Pour l'origine de ce mol^ sont proposées trois étymojo-
qui désigne les Orléanais, voir gies. Cf. Quitard, Dictionnaire
le Dictionnaire de Trévoux, où des proverbes, p. 439.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. i^l
en quelques ordonnances du roy est divisée en
Langue d'ouy et Langue d'oc *. Toutesfois il est
certain qu'on ne prononce pas en tous lieux ne ouy^
ne oc ou auc. Et pour dire la vérité, il y-a un peu
de difficulté à bien escrire ce mot, selon qu'il est
prononcé en divers lieux. Ce sera donc à ceux qui
ont la mémoire fresche des diverses prononcia-
tions, de juger si ces différences sont telles qu'un
nommé Carolus Bovillus '^ les a escrites (lequel
toutesfois seroit à excuser si depuis on avoit usé
de quelque changement), en la sorte que s'ensuit,
sinon quant au dernier.
Latini,
Les Latins,
IT A.
Flandri,
Les Flamens,
I A.
Helvetii,
Les Suisses,
lOTH.
Lotharingi,
Les Lorrains,
A Y.
Burgundi,
Les Bourguignons,
Y.
Auxitani,
Ceux de Languedoc,
A U C et C.
Parisii,
Les Parisiens,
U Y.
Pictones,
Les Poitevins,
U A U.
Ambiant,
Ceux d'Amiens,
OU E.
Laudunij
Ceux de Laon,
A U Y.
Hannones,
Les Hannoyers,
AU.
Vascones,
Les Gascons,
ou B E.
1. Sur cette dénomination,
voir Particle de Paul Meyer
dans les Annales du Midi,
tomel (1889): La langue romane
du midi de la Franee et ses
différents noms.
2. Charles de Bouelles, Bouil-
les ou Bouvelles, en latin Bo-
villus, naquit à Saucourt en
Picardie vers 1470. Après avoir
étudié les sciences exactes et
la métaphysique, il parcourut
l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne
et visita les principales villes
de France. U fut chanoine à
Saint-Quentin et à Noyon, et
mourut en 1353. l\ a écrit,
outre plusieurs ouvrages rela-
tifs à la philosophie et aux
mathématiques, un traité inti-
tulé : Liber de differentia vul-
garium linguarum et gallici
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172 DE LA PRECELLENCE
Voyci (di-je) les différences, comme cestuy-la
les a remarquées : sinon qu'il met les noms des
peuples en Latin seulement : (où il faut noter que
sous le. nom de quelques-uns, comme des Pari-
siens, on doit entendre aussi leurs voisins) et
qu'il a autrement escrit le dernier. Or sçay-je bien
que touchant quelques-unes on ne sera pas du
tout d'accord avec luy : mais il faut considérer
qu'il-y-a difficulté à bien représenter en l'escri-
ture ces diversitez de prononciation. D'avantage,
si depuis son temps aucuns de ces peuples
l'avoyent changée, il devroit estre excusé, comme
j'ay dict. Quoy qu'il en soit, je n'y ay rien changé,
sinon qu'au dernier, comme j'ay adverti : car il
met Aia : et toutesfois leur la (plutost (\nAia)
signifie autre chose. Quant au mot des Poitevins,
j'estime qu'il n'avoit pas escrit Ouan, ains que ce
soit une faute de l'impression.
Et à propos du mot qu'il dit estre des Suisses,
comme César a divisé la Gaule en trois parties,
lesquelles il distingue de trois sortes de noms,
des Belges, des Celtes, des Aquitains : ainsi eux la
divisent en trois sortes de mots signifians ce que
les Latins disent lia : attribuans lo aux Belges :
sermonis varietate; PsiTiSy 1533; lion de son ouvrage latin :
— et un ouvrage sur les pro- Proverbes et dicls sententieux,
verbes : Proverbiorum vulga- avec r interprétation (Vieeux,
rium libH très. — En 1557, on G. Brunet (dans la Nouvelle
publia sous son nom un volume Biographie générale) croit à
qu'on a pris pour une traduc- une supercherie d'éditeur.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 173
Ouy aux Celtes : Oc aux Aquitains, mais lo est
plustost des AJemans : Et quant à loth, que cestuy-
ci attribue aux Suisses, il Tescrit ainsi pource
qu'ils le prononcent plus rudement que le^ Ale-
mans.
Encore faut-il, avant que passer plus outre,
adjouster ^ quelque chose qu'escrit le mesme
auteur, laquelle s'accorde avec ceste façon de dis-
tinguer un peuple d'avec un autre qui luy est
voisin, par le mot ayant la signification du susdit
Ita. Car il escrit touchant le nom du pays de
Hainau (qu'il appelle aussi Hinav) qu'il a esté
pris du mot, ou plustost des mots dont ils usoyent
pour affermer * : à fin de mettre différence entre
ceux de ce pays là qui disoyent hin au, et les cir-
comvoisins qui usoyent de Hin auy : comme si on
disoit Certe ita : pource que Hin ha quelque forme
de jurement : comme si on disoit S ainct Jehan auy.
Or suyvant ce qu'il dit, il faudroit que ceste cor-
ruption fust venue de la mauvaise prononciation
de ce mot Sainct, en prononçant Sin, comme sou-
vent on l'oit prononcer, car Si7i auroit esté puis-
après changé facilement en hin.
Après ceci, venant à la richesse dont il est
question, à sçavoir qui consiste en ce que nous
1. Cette étymologie est ab- plutôt son nom à la rivière de
surde, et, comme le remarque Haine qui coupe ce pays en
L. Feugère ; « Le Hainaut doit deux. »
10.
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174 DE LA PRECELLENCE
avons plusieurs dialectes : j'advertiray première-
ment qu'elle est de diverses sortes : car il y-a des
choses qui sont nommées autrement'en un lieu
qu'en un autre : il y-en a aussi lesquelles ayans
un nom en un lieu, ailleurs n'en ont point. Pour
exemple du premier poinct, on appelle en ceste
ville de Paris et en quelques autres lieux circom-
voisins Un atre, ce qu'ailleurs est nommé Un foyer.
Et à propos de foyer, ce qu'en plusieurs lieux de
la France est appelé Landier *, est ici nommé
Chenet. Ce mot aussi Hetoudeau est ici, et en
quelques lieux voisins, ce qu'ailleurs on appelle
Chaponneau '. Nous avons aussi Enhazé, lequel
j'estime estre de nostre dialecte ^. A Orléans, et
aux environs. Une femme brode signifie une femme
brunette. Mais, entre les dialectes, les uns plus
que les autres ont des mots privilégiez : ce qu'on
peut dire principalement du nostre. tellement
que tel qui useroit des mots precedens, pourroit
douter s'il luy seroit licite d'user de ce Brode. Il
y-a aussi aucuns mots des dialectes, lesquels ils
ont pris du langage Latin, comme on ne peut
douter que Appendre ne soit du Latin Appendei^e.
Duquel Appendre usent les poètes d'aujourdhuy.
4. Cf. Jaubert, Glossaire du c/iend«. On trouve aussi c/tiene^
centre de la France, Il est pro- et ckiennel. (Voir Littré.)
bable que landier est le mot 2. 0. de Serres, cité par
le çlus ancien et que chenet Littré, dit chaponneaux ou es-
désignait un ornement en toudeattx.
forme de tête de chien. On 3. Cf. Dialogues, U, 222-23,
aurait dit autrefois landiers à et la note.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 175
comme où Du bellay dit, Append ici son car-
quois : et Belleau : J'appendray sur ce ruisselet Et
mon bonnet et mon chappeaUy En ton honneur, à
cest ormeau^. Il y-a aussi des dialectes dont aucuns
mots sont comme descriez, sinon qu'on en use
par joyeuseté. Et en ce nombre sont plusieurs des
Picards, comme Caboche pour la Teste (d*où vient
Cabochard pour Testu ou Testard, c'est-à-dire Opi-
niastre) Gargathe pour Gorge. Mais ils en ont aussi
dont nous ne devons point craindre d'user : tou-
tesfois en prenant garde que ce soyent mots
n'ayans point le G pour GH, encore moins GH pour
G. car nos oreilles ne prennent point de plaisir à
cela : et mesmes à grand'peine peuvent elles
endurer ceste prononciation quand il faut reciter
ce qui a esté dict. Ge qui a esté cause de cor-
rompre quelques proverbes venus de ce pays de
Picardie. Et du nombre de ceux ausquels cela
est avenu, est cestuy-ci : De tout poisson, fors
que la tanche, Pren le dos et laisse le panche '. Gar
les Picards prononceans Panche, les autres Fran-
çois Pance, et par ce moyen la ryme se per-
dant, en la fin sans plus prendre garde à elle,
on a dict, et laisse le ventre. Or, n'estoit Fin-
commodité de ceste prononciation, il est certain
que le parler des Picards, en comprenant aussi
1. Édition Marty-Laveaux, I, 2. Cf. Rabelais, I, xxxix, et
31-52 ; Petites inventions. Le Noël Du Fail (Bibliothèque
Papillon. elzévirienne), I, 108.
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176 DE LA PRECELLENCE
les Walons, seroit un dialecte qui pourroit beau-
coup enrichir nostre langage François *. Mais il
faut, en laissant les mots où nous avons ceste
incommodité, user des autres. Pour exemple, je
ne craindrois point d'user de Benne, (où je verrois
que mon vers en auroit grand besoin à cause de
la ryme) au lieu de ce que nous disons Tombe-
reau : lequel mot semble estre de nostre dialecte.
Et à propos de ce Benne (puisqu'il s'est présenté à
ma mémoire) il faut noter deux choses : Tune,
que certains mots de quelque dialecte nous peu-
vent sembler estranges, lesquels toutesfois il ne
seroit pas incroyable avoir esté du vieil François :
l'autre, que combien que nous n'usions nullement
d'aucuns, leurs dérivez sont en usage. Lesquelles
deux choses nous pouvons remarquer en ce Benne.
car qu'il soit du vieil François (s'il ne faut dire
Gaulois plustost que vieil François), nous avons le
tesmoignage de Festus * : Benna lingua Gallica
genus vehiculi appellatur. unde vocantur Comben-
nones, in eadem benna sedentes^. Et que sçait on si
de ce Combennones on auroit point dict première-
ment CompennonSy en changeant le 6 en j» : et puis
1. Le picard est en effet, avec tione. Cet abrégé a été encore
le normand, le dialecte qui a résumé ou plutôt mutilé par
donné le plus au français. Paul Diacre au ix« siècle.
2. Festus vivait probable- 3. De significatione verborum^
ment au commencement du édition Thewrewk de Ponor,
rv* siècle après J.-G. Il a abrégé 1890, I, 24. Pour le sens et
le traité d'un grammairien con- l'emploi du mot benne, voir
temporain d'Auguste, Verrius Jaubert, Glossaire du centre de
Flaccus, De verborum significa- la France.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 177
Compannons, duquel en la fin on seroit venu à
Compagnons *? Ce qui soit dict par parenthèse, et
comme par manière de devis : veu mesmement
que je sçay bien que ce mot ha d'autres etymo-
logies qui ne sont sans quelque apparence, mes-
mement pource que Compain se trouve au langage
Picard *. Pour venir donc à Fautre poinct que nous
pouvons remarquer en ce Benne, encore que le
pur langage François n'en use point, si est-ce qu'il
se sert d'un sien dérivé Bernage, car il ne faut
douter que Bernage ne soit venu de Benne, en chan-
geant n en r : et que son premier usage ne soit de
signifier les hardes qu'on charie. suivant quoy on
disoit Le bernage de la chasse '.
J'advertiray tout d'un train que comme ce mot
Benne d'autant plus aisément doit estre receu par
nous, que nous le voyons estre de nostre plus
vieil langage : nous devons faire le semblable es
paroles prises du Latin ou du Grec, lesquelles
nous trouvons en quelques dialectes, comme entre
celles qui sont tirées du Grec est Truffer *. Quant
1. Élymologie insoutenable, barons, les vassaux, puis la
Compagnon vient du bas-latin suite, le train, les bagages, par
companionem ^ qui mange le un développement de sens tout
pain avec, et par suite com- naturel. Ce qui montre bien
mensal. que le mot n'a aucun rapport
2. Compain (aujourd'hui co- avec benne, ce sont ses autres
pam) est Tancien nominatif de sens: qualité, puissance du
compagnon. baron, vaillance, sagesse, ex-
3. Il n'y a rien de commun ploits, etc. (Voir Godefroy.J
entre benne et bernage, Bernage 4. Truffer ne vient certaine-
ou barnage se rattache à bei% ment pas du grec. L'ancienne
baron, et désigne le corps des langue a aussi le substantif
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178 DE LA PRECELLENCE
à celles qui ont leur origine du Latin, le nombre
en est beaucoup plus grand : et aucunes sont
aussi ordinaires es anciens Rommans. ce qu'on
peut dire de Moult, duquel on use à Orléans
mesmement.
Maintenant poursuivray de monstrer que la
richesse de nostre langage, laquelle consiste en
ce qu'il ha plusieurs dialectes, est de diverses
sortes. Car j'ay dict que nous avions des choses
nommées autrement en un lieu qu'en un autre :
(j'enten en un pays), et aucunes qui ont un nom
en un lieu, ailleurs en sont destituées. Ayant donc
amené des exemples du premier poinct, je vien-
dray à ceux du second : advertissant premièrement
que de ces mots aucuns sont faicts sur ceux que
nous avons desja, les autres n'ont rien de com-
mun avec eux. Pour exemples des premiers, nous
avons Tempre : comme quand on dit, // est venu
bien tempre. Nous avons aussi Primer ain *, estant
dict de quelque fruict. Nous avons aussi Soleiller
pour Se pourmener au soleil. Il y-a aussi quelques
beaux composez : comme Tempremeure, d'une fille
qui est devenue meure (c'est à dire mariable,
comme en Latin matura virgo) plus tempre qu'on
truffe, tromperie, plaisanterie, pas moins très incertaine,
moquerie. Diez pense que le 1. Pï-imeram était moins usité
mot truffe dans son ancien dans l'ancienne langue que
sens est le même que le mot premerain. C'est sans doute
truffe ddiiis le sens très diffé- l'influence latine qui a répandu
rent que nous lui connais- primerain. (Voir le Diction-
sons. L'étymologie n'en reste naire de Godefroy.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 179
n'eust pensé. Quant à l'autre sorte, c'est à dire,
des autres mots qui n'ont rien de commun avec
les nostres, et signifient toutesfois quelque chose
que nous ne pouvons déclarer par aucun des
nostres, nous en avons un exemple en Tocsin^
quand on dit Sonner le tocsin car il est certain
qu'en toute la France il n'y a que ce seul mot
pour exprimer ce qu'on veut dire quand on parle
ainsi. Mais il vaut mieux escrire Toquesin : et
encore, si en adjoustant un g, on escrit Toqicesing,
on approchera plus près de l'etymologie. car c'est
un mot Gascon, composé de Toquer, au lieu de ce
que nous disons Toucher ou Frapper, et de Sing,
qui signifie Cloche * et principalement une grosse
cloche, comme voulontiers en effroy on sonne la
plus grosse.
Il faut aussi noter qu'un mot qui signifie une
chose au bon et pur langage François, en quel-
ques dialectes en signifie une autre : et quelques-
fois, luy donnans la mesme signification qu'il ha
en ce pur langage, luy en donnent aussi une autre,
comme (à propos de cloche) en quelques endroits
Clocher n'ha pas seulement la signification ordi-
naire, ains se prend aussi pour Sonner une cloche
1. C'est bien en effet Téty- le mot se trouve avec des or-
mologie, et sin ou sing vient thographes très diverses. On
évidemment de signum. C'est va jusqu'à l'écrire, sans doute
ce que dit Fauchet dans ses par une fausse analogie, saint
Antiquitez et histoires gauloises et sainct (Voir le Dictionnaire
et françoises, VIII, xvii. Mais de Godefroy.)
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180 DE LA PRECELLENCE
OU une clochette. Et en ceste ville de Paris,
Voye^ outre ce qu'il signifie par tout, se dit aussi
d'une chartee. car Une voye de bois, c'est autant
que si on disoit Une chartee de bois. Et c'est (comme
je pense) au lieu de dire Voyage, car autant de
chartees sont autant de voyages. Et ne se faut
esmerveiller si entre les mots des dialectes je
mets ce Parisien, et que desja cidessus j'y ay mis
quelques autres du mesme lieu, car comme on
n'eust pas receu au langage Attique tous les mots
qui estoyent du creu d'Athènes, encore que ce
fust la ville où on parloit le mieux : ainsi ne faut-
il pas estimer que tout ce qui est du creu de Paris
soit recevable parmi le pur et nayf langage
François : et principalement où il est fourni de
quelque autre mot, qui ha son estendue beaucoup
plus grande, et n'est en aucune sorte inférieur.
Car autrement, c'est à dire, se trouvant ou en ce
dialecte ou en quelque autre, un mot plus beau
ou plus significatif que celuy duquel les autres
contrées de France usent pour exprimer la mesme
chose, il ne faut point douter qu'on ne doive
prendre celuy du dialecte. Ce qu'on peut dire, à
mon jugement, du mot Enhazé (dont j'ay faict
mention ci-dessus) entre ceux qui sont du dialecte
de Paris.
Je ne doute point que nostre langage ne se
puisse aussi aider de la commodité que luy appor-
tent quelques dialectes quant à la /diversité de
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 181
terminaison. J'enten principalement telle diversité
qu'il y-a entre pute et putain, car je ne voy point
pourquoy, si le vers requiert de dire pute et non
pas putain, le poète ne se puisse servir de ce voca-
ble : et principalement, quand il l'appliquera à un
propos, lequel incontinent pourra donner à en-
tendre sa signification.
Mais je doute si nostre langage (j'enten tous-
jours de celuy qui veut demourer en sa pureté)
peut faire son proufit de certains mots qu'il trouve
en quelque dialecte^ et desquels il ha encore les
dérivez. Pour exemple : nous sçavons que Aiguë,
en quelque pays, ou plustost en quelques pays,
signifie Eau (d'où vient le nom d'Aigues-Mortes),
et le bon François garde son dérivé qui est
Aiguière * : je di donc qu'il est disputable si un
poète se peut servir aussi bien de ce moi-la. Aiguë,
que de cestuy-ci Aiguière. Et sembleroit bien que
la mesme question se pourroit faire aussi de Eve,
qui en vieil langage signifie la mesme chose ' :
veu que nous avons pareillement un sien dérivé
Evier: toutesfois, si on ne trouvoit £'i;e en quelque
dialecte, outre ce qu'on le trouve au vieil langage,
ma voix seroit plustost pour Aiguë.
i. Cf. aigage,aigaire,aiguade, difTérentes, sans compter la
aiguail, aiguailler, aigue-ma- forme aclueUe, eau. Cette énu-
rine, Aiguë-Belle, Aigùes-Bon- mération, en nous montrant
nés, Aipùe-Perse, etc. les formes intermédiaires,
2. Aigue et eve viennent éga- nous fait très bien compren-
lement de aqua. Godefroy dre la parenté de mots si dis-
indique pour ce mot 51 formes semblables.
PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. \ {
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182 DE LA PRECELLENCE
Une question amenant l'autre, je di qu'on peut
aussi disputer si nous pouvons pas faire nostre
proufit (et principalement en poésie) d'un mot
tiré de la langue Latine, que nous trouvons en
quelque dialecte, en luy changeant toutesfois la
terminaison qu'il ha convenable à ce dialecte, à
celle qui convient à nostre langage. Pour
exemple : en Savoye un laboureur s'en allant
labourer la terre, dit qu'il s'en \a.arar * : (syncopant
le Latin araré) : or je demande si nous pouvons
pas, au besoin, en changeant leur a de la fin en
nostre e, dire Arer. Quant à moy, je n'en ferois
point de conscience. Or ce mesme pays a retenu
plusieurs belles paroles de la langue Latine, qui
ne se trouvent point es autres dialectes, desquelles
on pourroit faire la mesme question.
Je n'ay plus qu'une chose à proposer, devant
que faire ma conclusion : c'est qu'il me semble
que si nostre langage peut faire son proufit des
mots qu'il luy plaist choisir parmi ses dialectes,
il ha la mesme puissance sur les proverbes. Je dî
(pour exemple) que ce proverbe Latin, Incidit in
Scyllam, cupiens vitare C/iarybdim ', s'exprimant
i. Cf. Hypomneses, Préface. Gautier, dit de Chàtilloh quoi-
2. E. Pasquier (Recherches, que né à Lille en Flandre. Ce
111, xxix) attribue ce vers à vers est adressé par le poète à
« Galterus insigne Poète qui Darius fuyantdevantAlexandre:
escrivit en vers Latins la vie ... Nescis, heu ! perdlte, nescis
d'Alexandre sous le titre d'A- Quem fugias : hostes incurris, dum
lexandreide, grand imitateur de [fugis hostem;
Lucain ». Ce Galterus est un Incidis in Scyllam cupiens vitaro
poète du XII- s-^ècle, Philippe ^^^^^ y^ iSgS^O^'"-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. i83
en trois façons proverbiales, Tune desquelles est
comme Parisienne, nous ne devons pas laisser
d'user des autres qui sont en nos dialectes. Et à
fin que ceux qui seront de mon opinion, s'en puis-
sent servir, je les leur enseigneray. Je di donc
qu'au lieu qu'on a accoustumé de dire en ceste
ville de Paris, et en quelques lieux voisins, // est
tombé de fièvre en chaud mal * : en quelques endroits
de France on use de ceste façon de parler, qui
est pareillement proverbiale, // est sauté de la
poésie en la braise : en quelques autres, de ceste-
ci, Fuyant le loup il a rencontré la louve*. Ce
proverbe est aisé à entendre, estant une chose
qu'on dit communément, que la louve est plus
cruelle que le loup. Quant au précèdent, il-y-a
apparence qu'il ait son origine de ce qui advient
au petit poisson qu'on fricasse vif. c'est que
la grande chaleur le faisant se jeter hors la
poésie, quelquesfois en sautelant il tombe en la
braise.
Ayant dict, quand j'ay commancé à traitter le
Project précèdent, que nostre langage avoit
encore deux sortes de richesse, dont je n'avois
Cf. De Méry, Histoire gêné- des proverbes français, I, 232.
raie des proverbes, I, 145 ; — 2. Le Roux de Lincy donne
Quilard, Dictionnaire des pro- au contraire ce proverbe :
verbes, 209. « Tel pense fuir la louve qui
1. Le Roux de Lincy, Le Livre rencontre le loup. » I, 182.
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184 DE LA PRECELLENCE
faict aucune mention : et ayant monstre en quoy
consiste Tune, il est temps que je contente le
désir du lecteur, quant à Tautre.
Comme donc j'ay comparé-là nos dialectes aux
maisons qu'un homme fort riche ha aux champs,
desquelles il fait comte, encore qu'elles ne
soyent si bien basties ne meublées que celles de
la ville : ainsi maintenant je diray que le vieil
langage n'est pas du tout mesprisé par celuy que
nous avons, mais luy est comme seroit à ce riche
homme, outre tous les autres biens, un grand
chasteau qui auroit esté de ses ancestres : et
auquel trouvant quelques beaux membres,
encore que le bastiment fust à la façon an-
cienne, il ne le voudroit laisser du tout desha-
bité. Car il me semble que je puis accomparer
tant de Rommans anciens qu'ha nostre langage,
à un tel chasteau : et les beaux vocables et beaux
traits que nous y trouvons, aux beaux membres
qu'on trouve en cest édifice, encore qu'il soit à la
façon antique*. Et pourceque je sçay bien que les
louanges que je donneray à ce vieil langage,
seront subjectes à preuve, à cause que plusieurs
le mesprisent : je ne veux point parler sans
exemple d'aucune sorte d'icelles. Je comman-
ceray donc par ce traict pris du Romman
d'Alexandre, pariant des geans,
i. Cf. E. Pasquier, Lettres, II, xn. — Brunot, La Doctrine
de Malhei*be d* après son Commentaire sur Desportes, p. 249.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 185
Si ne fust Jupiter à sa foudre bruyant^
Qui tous les desrocha *.
A propos duquel passage, plein d'une gravité
si grande, je prieray le lecteur se remettre en
mémoire ce bel epithete dont j'ay faict mention
ci-dessus, quand j'ay parlé des imitations des-
quelles le chemin nous avoit esté monstre par
nos ancestres : que pour représenter ce beau mot
d'Homère Chahochitdynes, ils avoyent dict (en des-
pit de la couardise des Latins) Fe7*vestus. Il est vray
que despitans ainsi la couardise des poètes Latins,
ils n'ont pas laissé d'en prendre (sans faire sem-
blant de rien) le plus beau et le meilleur, autant
que leur temps le pouvoit porter, comme nous
voyons ce beau traict de Virgile, Italiam mettre
jacens*, avoir esté ainsi représenté.
Du long comme il estoit mesura la campagne.
Ainsi est-il de cest autre passage de Virgile,
terrant ore momordit ^ : car un Romman, par le
moyen du mot addenter, a bien sceu exprimer
cela, avec aussi bonne grâce, pour le moins,
quand il parle d'un auquel on donna si grand
coup sur son heaume qu'on l'addenta sur son
1. Voir Godefroy, au mot tiide de ces deux citations nous
desrochier. rappelle qu'Estienne a composé
2. Enéide, XU, 360 : Hespe- rapidement la Précellence, sur-
riam metire jacens. tout à l'aide de sa prodigieuse
3. Enéide, XI, 418 : Humum mémoire,puisque les notes qu'il
semel ore momordit. L'inexacti- avait amassées lui manquaient.
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186 DE LA PRECELLENCE
arçon, car ceci est dict d'un qui estoit à cheval *.
Quant à certains mots aussi, qui sont adjectifs,
servans quelquesfois d'epithetes, ils les ont telle-
ment exprimez, que tout en un coup ils ont
monstre leur hardiesse au langage estranger, et
ont faict grand honneur au leur. J'enten comme
quand pour piirpureus ils ont dict pourprin : pour
marmoreus ils ont àiimarbrin^, et pareillement du
mot acier ont faict acerain : duquel ils ont usé sou-
vent avec ce mot branc. Tel est aussi Fresnin,
pour signifier qui est de fraisne. Et quand jl a esté
question de trouver des beaux mots composez, ils
ne se sont monstrez moins braves : voire jusques
à dire en un mot ce qu'Homère n'avoit pu
exprimer qu'en trois, car quand Homère parle
des chevaux de Rhésus, il dit, theein anemoisin
homoioi^. Mais quand le Romman de Judas Macca-
beus * appelle un cheval passevent ^, il use d'une
1. Voir Godefroy, qui cite ques et triomphantes croniques
entre autres ces deux vers de très louables et moult vei*-
(Roman (T Alexandre) : tueux faiclz de la saincle hys-
Si grant cop li dona que son l'arçon loire de bible du très preux et
[l'adante... valeureux prince Judas macha-
Si l'a féru del branc qui sor l'arçon beus ung des neuf' preux tres-
[ladente. vaillant juif. FA aussi de ses
2. Lesadjectifs de cette forme qualité freines, filz du bienheu-
sont fréquents au xvi" siècle, reux prince et grand pontif
Rabelais dit par exemple : Mathias, Paris, 1514. Le tra-
plume anséiincy coimes bovines^ ducteur (car le roman n'est
case chaumine, lion marbrin, que la traduction en vers de
etc. Ronsard : adamantin, al- deux livres de la Bible) est
bastrin, ivoirin, marbHn, myr- Charles de Sainct Gelays, cha-
tin, pourprin, etc. noine et esleu de Ângolesme.
3. Iliade, X, 437. 5. On trouve passebruit, pas-
4. Les excellentes, magnifi- merveille, passepreux, passe-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 187
hyperbole encore plus gentile. Quelquesfois en
composition ils ont imité le Hyper des Grecs :
comme quand ils ont dict Des chevaliers preux et
oulrepreux \ Que s'il faut alléguer d'autres epi-
thetes esquels ils n'usent point de composition,
en pourroit on excogiter un plus beau de Fortune ,
que de l'appeler nouvelieret II est certain que
quand les Latins mettront auprès de ceci leur
novatrix fortuna, on ne sçaura lequel on devra
choisir *.
Or comme ils ont des mots ainsi faicts de bonne
grâce en ceste partie d'oraison qu'on appelle le
Nom, ainsi en ont-ils en celle qu'on nomme le
Verbe, comme Esbouelery A bourde 1er, Randonner,
deRandon : item ^or^noyer pour Regarder de costé,
à la façon d'un borgne. Cestuy-ci est d'autre sorte,
Rayer, de Ray ; comme : Si durement, quil luy fit
le sang rayer par la bouche et par le nez. On diroit
aujourd'huy couler, lequel mot ne representeroit
pas si bien à nos yeux la chose. Aussi disent-ils
Archoyer, de arc, pour Tirer de l'arc. De paume,
pareillement Paumoyer, comme Paumoyer un bas-
ton, pour Manier de la main. Proprement, Manier
de la paume de la main. De ombre, Ombroyer pour
prouesse^ etc. (Voir Godefroy.) gé, outrecrie?\ outredouté^ ou-
Le cheval d'un des compagnons trevieux, etc. (Voir le Diction-
de Roland, Gérer, est appelé naire de Godefroy.)
Passecerf. (Chanson de Roland, 2. Voir Godefroy, qui cite une
-"iit. L. Gautier, v. 1380.) phrase de Fauchet exprimant
1. On trouve aussi outrechar- la même idée.
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188 DE LA PRECELLENCE
Faire ombre. De fable y Fabloyer : pour Dire des
fables, comme, Des autres péut-on bien comter et
fabloyer. Ils ont aussi plusieurs beaux verbes
dérivez des Noms, en adjoustant la préposition en
au commancement, c>ovam^ Entacher une besongne,
pour Entreprendre. Enflescher, de flesche^ pour
Percer de flesches. Enjoncher, de joncher y qui
vient de joncs^ en ce beau vers :
De morts et de navrez enjonche la campagne ' .
Enherber aussi est un beau mot, pour Ensorceler
par certaines herbes ou empoisonner '. Ils usent
aussi de Envermer : qui est un verbe neutre (pour
user d'un terme de Fart), en ce vers :
Conviendra vostre chair pourrir et envermer^.
Ce vieil langage ha aussi cela de bon entre
autres choses, qu'il nous peut fournir un grand
nombre de beaux mots pris du Latin : aucuns
desquels sont encore aujourdhuy on quelques dia-
lectes : et principalement J/ow/^ de multum. Quant
à CervCy pour^une bische, Dubellay en a usé (priant
toutesfois ne trouver mauvais ce mot * : ne Ende-
i. C'est un lexte rajeuni. Le 2. Le mot a en Bourbonnais
vrai texte se trouve dans Gode- le sens de panser avec des
froy. herbes, en rouchi le sens de
Des mors et des navres tos li vaus ff^^^^ (Cherbes,
tenionça. 3. Vostre char convendra porir
, o41.) [et envermer...
Remarquons qu'ici le verbe (VopwxrfuPaon, cité par Godefroy.)
est neutre et a pour sujet tos 4. Édition Marly-Laveaux, 1,
li vaus. 337.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 189
mentiers aussi pour Cependant, pris semblablement
du vieil langage) ils disent aussi Selve, de Sylva :
et Selve ramee i^ouv Sylva opaca. Quant à Ancelle,
il n'est pas tant hors d'usage. Il me souvient aussi
d'avoir leu en une Chronique Charle H baube, au
lieu que nous disons Charle le bègue. Et est faict
ce Baube de BalbuSy tout ainsi que Aube, estant
dict de l'aube du jour, vient de Alba : et Aube
espinCy de Alba spina. Ainsi un cheval blanc s'ap-
peloit Aubain : comme nous voyons en ce vers.
Le destrier fut tout blanc : por ce ot nom Aubain *.
Mesmement entre les mots pris du Latin aucuns
gardent en ce vieil langage l'escriture plus appro-
chante de leur origine. Sur quoy il me souvient
d'avoir veu cras au lieu de ce que nous disons
gras, lequel cras retient le c qui est en crassus.
Il a aussi bien sceu faire son proufit de plusieurs
beaux Verbes Latins : comme quand de Advespe-
rascere il a faict Avesprer. Et pour parler en gêne-
rai de la façon dont il a usé pour se servir de la
langue Latine, tant es Verbes qu'es Noms, et
autres parties d'oraison, on trouve qu'il en a tiré
de beaux vocables, lesquels de prime-face ne sem-
1. Alixandres monta el destrier nombre de ces mots purs latins
[castelain. dont usait notre vieille langue,
Il estoit très tous blans, por çou comme arrfoir (ardere), c/a mer
iI,omand-Ale.and^ZGoiZy.) (damare) ire (ira) souloir
^ ' ^ ' (solere), famé (fama), proesmç
Nous avons perdu un grand (proximum), etc.
11.
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190 DE LA PRECELLENCE
blent pas avoir leur origine de-la. Quelquesfois il
a si bien mesnagé qu'il a trouvé le moyen d'ap-
pliquer une particule Latine à divers usages,
comme quand du Latin Ultra il a premièrement
faict Outre, et puis de son Outre il a faict Outrer
(mot beaucoup plus significatif qu'il ne semble,
comme quand on dit Outré ou outrée d'amours) et
puis Outrance, auquel on est contraint d'avoir
recours quand on parle de jouster à fer esmoulu.
car on dit (au moins on souloit dire) Jouster à
outrance : et de là est venue cette phrase, A toute
outrance, qu'on applique à divers usages. Et non
content de cela, il s'est tellement servi de ce mot
Outre en ce qu'on appelle composition, qu'il en a
faict sortir plusieurs beaux et fort significatifs
vocables, entre lesquels mérite bien d'estre mis
celuy duquel j'ay faict mention naguère, Outre-
preux : adjoustant qu'en ce mot ils ont imité le
Hyper des Grecs . lequel Hyper vaut autant que Ultra
et Outre, mais (qui est une chose fort notable) ils
ont imité le Hyper des Grecs, c'est à dire, la façon
des mots Grecs composez de Hyper, en se servant
toutesfois du latin Ultra, Pour exemple, il est cer-
tain que ce qu'ils appellent Outrepreicx se pourroit
fort bien exprimer, en usant du mot d'Homère
hyperthymos.
Ce petit mot Latin Ultra, duquel je dis que nos
Rommansont sceu faire si bravement leur proufit,
me fait souvenir d'un autre encore plus petit.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 191
duquel ils n'ont guère moins tiré de commodité,
c'est ce PeVy duquel use la langue Latine en com-
position, quand elle dit Perlegere. car comme pour
Légère ils disoyent Lire^ ainsi ne firent point de dif-
ficulté de dire Perlire ou Parlire pour Perlegere \
quand ils voulurent signifier Lire jusques à la fin
(comme aussi en Parfaire ils suivoyent le Latin
Perficere) mais quand ils virent qu'ils avoyent
besoin d'exprimer la mesme chose en quelques
verbes, esquels les Latins ne l'exprimoyent pas,
ils prirent la hardiesse de mettre des leurs et
comme les enter sur ce petit mot Per. (comme
aussi on peut dire que sur le Ultra des Latins, ils
ont comme enté ce mot preux, quand ils ont dict
Outrepreux : et pareillement autres sur cestuy-la
mesme). Pour exemple : voyans que les Latins
n'avoyent point de Verbe signifiant Attendre jus-
ques à la fin, et quand bien ils eussent dict Per-
expectare, eux ne se pouvoyent servir que de la
particule mise devant, ils ne firent aucune diffi-
culté de àiTQ Per attendre : pour signifier ^^^endre
1. Par est en ancien français trouve beaucoup de mots aux-
une vraie particule augmen- quels s'est soudée la particule
tative, qui modifie soit des par : parabatre, paracomplir,
adjectifs, soit des verbes, soit paramer , pararaoir, paras-
des adverbes. Généralement sommer, parboiUir, parbriser,
par ne précède pas immédiate- paradmirable, parcharge, etc.
ment le mot qu'il détermine, (Voir Godefroy.) Beaucoup des
et si ce mot est un adverbe, mots composés avec' par se
par se place après (mouU^ tant, trouvent aussi avec per-, mais
trop, etc.). Voir de nombreux c'est la première forme qui est
exemples dans Godefroy. On la vraie forme française.
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192 DE LA PRECELLENCE
jusques à la fin. comme on voit en ce gentil pro-
verbe, Mal attend qui ne perattend *. J'advertiray
en passant que j'escri Perattend (plustost que
Parattend) comme je Tay trouvé escrit en un vieil
livre, duquel j'ay tiré ce proverbe. Et semble
qu'encore qu'on escrive (comme aussi on pro-
nonce) Parlire plustost que Perlire^ toutesfois
Perattendre soit meilleur que Parattendre, pour
éviter la rencontre des deux a : laquelle les
oreilles bien Françoises fuyent tant qu'elles peu-
vent, quand ils sont si prochains. Et pour retourner
(après ceste petite parenthèse) à ce que je disois
que notre ancien langage avoit aussi trouvé le
moyen de s'accommoder fort bien de ceste parti-
cule Latine, nous la trouvons en un mot qui sonne
mieux en temps de guerre, qu'en temps de paix :
car c'est en ce Verbe, Paroccii\ pour signifier
Achever d'occir.
Mais ces Rommans ont trouvé encores un autre
expédient pour imiter la langue Latine, duquel on
ne s'appercevroit pas si aisément. Or en avons-
nous exemple en ce mot Araines, duquel use
Huom de Meri *, pour signifier une certaine espèce
de trompette. Et me semble avoir bien choisi ce
mot pour exemple de ce que j'ay dict, pource
qu'en luy donnant ceste signification, il s'aide du
1. Voir Génin, Récréations techri^t.WoirG. PeiTis, La litté-
philologiques^ II, 233. rature française au moyen âge,
2. Hûon de Méri a composé p. 161 et 228. Cf. E. Pasquier,
en 1235 le Toumoyement d'An- Recherches, VII, ra.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 193
langage Latin, non pas en prenant son mot, mais
en l'imitant : c'est à dire, en donnant le mesme
usage à un François, lequel desja, quant à sa pre-
mière signification, correspondoit au Latin. Car
nous sçavons que ses, qui proprement signifie
arain (ou airain, comme aucuns prononcent), se
prend aussi pour une trompe ou trompette, par
les poètes (comme nous lisons en Virgile, ^re
ciere viros) * et que xneatores s'appeloyent ceux
qui en sonnoyent : pour une mesme raison, à sça-
voir qu'ils usoyent d'une trompe d'arain. Voyla
comment ils ont imité la langue Latine, sinon
qu'au lieu de dire Arain, respondant totalement à
ses, ils l'ont changé en ce mot Araine.
Mais, comme bien avisez, encore que leur lan-
gage fist son proufit de celuy des Latins, en plu-
sieurs sortes, (d'où vient qu'il donnoyent à leur
livres le nom de Rommans : et eux aussi qui les
ont composez sont aujourdhuy appelez Rommans,
comme j'ay dict ci dessus) ' : ils ne laissoyent pas
d'en faire une grande provision d'ailleurs aussi :
outre ce qu'ils n'estoyent cependant moins son-
gneux de garder les principaux de ceux qui leur
avoyent esté laissez par les Gaulois leurs ances-
1. Enéide, IV, 165. roman de France ayant été
2. Voir page 72. Le mot d'abord des poèmes narratifs,
roman, appliqué à un livre, a le mot roman s'est spécialisé
d'abord signifié ouvrage écrit dans ce sens, puis est resté
en roman, par opposition aux attaché aux récits même lors-
ouvrages écrits en latin. La qu'on a commencé à les écrire
plupart des ouvrages écrits en en prose.
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194 DE LA PRëCëLLENCE
très : ou pour le moins estoyent dérivez de ceux-
là. En quoy ils suivoyent le conseil du proverbe
qui dit,
Non minor est virtus quant quwrere, parla tueri*.
Et desja, avant que j'entrasse en propos touchant
leur sagesse quant à se servir en plusieurs sortes
de la langue Latine, j'avois mis en avant quel-
ques-uns de ces mots-la, parmi les autres : mais
je veux bien passer plus outre, quant aux compo-
sitions : et adjouster, qu'eux considerans la pau-
vreté des Latins en cest endroit, et au contraire la
richesse des Grecs^ ont eu le cueur en si bon lieu
qu'ils ont monstre en quelques mots qu'ils aspi-
royent à une pareille richesse. Et pour un bel
exemple de ceci je proposeray un beau mot,
ËntrœiP. car je di qu'il n'a point esté faict à l'imi-
tation d'un appartenant aux Latins : (veu qu'ils
n'ont aucun qui signifie ceci), mais que nos Rom-
mans en un mesme mot ont voulu surpasser les
uns et égaler les autres : j'entend les Grecs. Il
est vray qu'il semble que du temps d'Anacreon '
1. Ovide, Uart d'aimer, U, 13. mesteter : De la formation des
2. Le mot est trop ancien mots composés en français,
dans la langue pour qu'on 2* édition, revue par G. Paris,
puisse Fattribuer à une imita- p. 149.
tion voulue du grec. Il est 3. Anacréon, édition Rose,
d'ailleurs tout à fait conforme p. 18 :
aux procédés de formation de , , n /-
notre langue : entr'acte, entité- xo jieffôçpupv 6è tnrj (&oc
côte, entremets, etc. Voir A. Dar- oia^toicTe iitixe iit<yYe.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 195
on n'ait pas trouvé le large entrœil si beau que
nos Rommans le trouvoyent.
Je ne doute point que les autres langages (et
celuy principalement qui nous est compétiteur)
estans meus de quelque envie ne facent difficulté
d'avouer ce que j'ay dict, que le nostre, en for-
geant ce mot Entrœil, ou autres tels, se soit pro-
posé l'imitation des Grecs : mais si faut il qu'ils
confessent que nous avons tiré plusieurs mots
d'eux, en gardant les mesmes lettres, ou à peu
près (outre ceux que nous avons eus par main
tierce) et quand ils m'accorderont ce poinct, je
leur diray que la curieuse diligence qu'on voit en
un endroit peut faire croire l'autre. Car (pour
exemple) y-a-il plus grande diligence ou habileté
en cela, qu'en ce qu'ils sont allez chercher leur
mot Estoch (duquel on use quand on dit Un coup
(ïestoch) jusques au plus profond de la Grèce,
trouvans là le mot Stochazesthai, duquel ils l'ont
tiré*?
Et cependant je veux bien confesser que parmi
les mots qu'ils prenoyent des langages Grec et
Latin, ils mesloyent aussi beaucoup de celuy de la
langue Gauloise, qui leur avoit esté laissé par
leurs ancestres. Et peut estre qu'aucuns, l'etymo-
logie desquels est référée à diverses langues,
selon la diversité des jugemens, nous sont de-
1. Estoc vient de l'allemand Stock, bâton. On le trouve avec
le sens de tige, tronc, même au figuré.
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196 DE LA PRECELLENCE
meurez de ceste-la. Tant y-a que bien souvent
nous conjoignons des mots dont l'un est manifes-
tement pris du Latin ou du Grec, Tautre ne peut
estre ne de Tun ne de Tautre. Et quelquesfois les
conjoignons comme synonymes : comme quand
nous disons Franchement et librement : quelquesfois
aussi, encore qu'ils soyent contraires : comme
quand nous disons Joureinuict, QudLiïi k Franche-
ment, je ne doute point (comme j'ay desja dict
parcidevant) qu'il n'ait son origine du langage
dont usoyent les Gaulois *. Car il est tout évident
qu'il vient de Franc, lequel je pense avoir esté un
de leurs mots : ayant la mesme opinion de plu-
sieurs monosyllabes : et de Branc, entr'autres :
lequel est fréquent es Rommans, qui adjoustent
aussi ordinairement ces mots d'acier, car ils
disent Un branc d'acier. Quant à Brachmar toutes-
fois (qui est un de nos anciens mots, qui com-
mancent fort à perdre tout leur crédit) je demeure
bien tousjours en ceste opinion qu'il soit dict au
lieu de Bracmach, estant tiré de deux mots Grecs,
Bracheia machaira, c'est à dire Courte espee *. ce
1. Voir page 73 et la note. Si la chose vient d'Allemagne,
2. Bracmach ne se trouve ni le mot pourrait être aussi d'ori-
dans l'historique de Littré, ni gine germanique.
dans Godefroy. Du Gange, au Cependant l'étymologie don-
mot bragamardus, donne dans née par H. Estienne n'est pas
les exemples bei^gamas, bra- absolument invraisemblable ,
gamas, bagamars, A braque- car les archéologues rangent
mardus, il donne cette exprès- le braquemart, à cause de sa
sion : « Un grant coustel d'Aile- forme, parmi les armes venues
maigne nommé bracquemart. » d'Orient.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 497
que signifie aussi nostre mot. Et ne doute non plus
qu'il ne soit tiré de là, que de Hoqiœton, qu'il ne
soit pris de Ho chitom, ayant esté dict Hoqueton
pour Hoche ton, outre le changement de la lettre i
en e \ Ausquels mots on peut adjouster Escar-
mouche, estant dict pour Escamouche ou (pour
approcher encore plus près de Torigine) Sy-ia-
mâche car je tien pour certain qu'il vient du Grec
Sy.iamachia *.
Mais pour retourner à ces monosyllabes, nous
voyons aussi que Bec, que Suétone "tesmoigne
estre de nos^ Gaulois^st monosjjllabe^jle n'enten
pas toutesfois qu'au langàg^Ues Rommans n'ayons
autres mots des Gaulois qu'aucuns de ceux d'une
syllabe : mais je di qu'entre ceux ci principale-
ment je pense aucuns estre des leur.
Or combienque j'aye dict que nos ancestres
prenoyent plusieurs mots du Latin, et quelques-
uns aussi du Grec, si est-ce que je confesse qu'ils
appeloyent mauffaits * ceux que nous appelons
diables, suivans le langage Grec.
1. ffo^i/e/on est le mot co^o/i, 2. Escarmouche vient de
précédé de l'article arabe, al. l'italien scaramuccia^ d'origine
De plusieurs exemples, il ré- incertaine. Littré et Scheler in-
sulte que le mot désignait une diquent l'ancien haut-allemand
étoffe avant de désigner le skerman, combattre, et rappro-
vêtement fait de cette étoffe, chent de l'ancien français e*-
(Voir le Dictionnaire de Littré, carmie, combat, esci^emir, etc.
et celui de Hatzfeld, Darmes- 3. Suétone, dernière phrase
teter et Thomas.) L'ancienne de la Vie de Vitellitts.
forme était auqueton.hau/tetun, 4. La vraie orthographe est
aqueton, aketon, (Voir Gode- malfé [maufé, mauff'é, etc. Go-
froy.) defroy). L'orthographe d'Es-
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198 DE LA PRECELLENCE
Et comme ils donnoyent ce vilain nom aux dia-
bles (et à bon droit) ainsi en donnoyent-ils de
beaux à certaines choses, et plus beaux qu'elles
n'ont aujourdhuy. Tel estoit celuy qu'ils don-
noyent à la bourse quand ils l'appeloyent Une
aumosniere : lequel nom quelques femmes don-
nent encore aujourdhuy à leur boursette, pour la
distinguer d'avec l'autre. Quant à ce mot Bourse,
il est tout évident qu'il vient de Byrsa, qui est un
mot Grec, ayant la terminaison Latine, et signifie
Coriuniy d'où vient cuir.
Pour signifier tromperie ils usoyent de plu-
sieurs mots qui ne sont point aujourdhuy en
usage : entre lesquels estoit Guille. et quelquesfois
mettoyent aussi barat avec : disans, Il ny a ne
barat ne guille, comme nous disons, // ny a ne
fraude ne barat.
Il me souvient de deux autres mots des Rom-
mans, qui sont fort notables : l'un est Marinette,
l'autre est Latinier. Quant à ce mot Marinette, il
signifie la pierre qui attire le fer : que les Latins
ont appelée Magnes, suivans les Grecs. Hugues de
Bersi use de ce mot, en la satyre qu'il composa
contre les vices regnans de son temps *. Voyci le
passage :
tienne vient d'une fausse éty- Guiot de Provins. Ce dernier^
mologie. né vers le milieu du xii* siècle,
1. Le texte cité par Ëstienne alla en pèlerinage à Jérusalem,
n'est pas de Hugues de Berci, et, à son retour, se fit béné-
ou plutôt de Berzé, mais de dictin. Il a composé sous le
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 199
Mais celle estoile ne se muet.
Un art font qui mentir ne puet,
Par vertu de la marinette *,
Une pierre laide et noirette,
Oà li fers volontiers se joint.
L'autre mot, qui est Latinier, seroit encore plus
malaisé à entendre, si on ne voyoit le passage
duquel je le pren, au Romman d'Alexandre,
Porus rend Alexandre son hranc fourbi d'acier.
Et dit en son langage que il l'avoit moult chier,
Alexandre l'entend, sans autre latinier,
Car de plusieurs langages s'estoit faict affaitier.
Il est maintenant aisé à voir qu'il se prend pource-
que nous appelons trucheman : et croy ceste signi-
fication avoir esté donnée à ce mot pourceque le
langage Latin, du temps de nos Rommans, estoit
celuy duquel les truchemans s'aidoyent quelques-
fois pour interpréter : fust bon Latin ou mauvais.
titre de Bible une satire dans Bible, comme celui de Guiot.
laquelle il attaque les hommes Ce poème, en 838 vers de huit
de toutes les conditions, sans syllabes, offre un tableau deâ
ménager l'Église. Sa satire, désordres du temps. (V. G. Pa-
composée de 2700 vers, est vive ris, ouvr. cité, p. 253 et 179.
et intéressante. (V. G. Paris, Cf. E. Pasquier, Rechei^ches,
ouvrage cité, p. 153.) 11 a VII, m.)
été longtemps confondu avec 1. Au lieu de marinette, les
Hugues de Berzé, seigneur de manuscrits donnent les uns
Berzé le Chastel, en Bourgogne, manete, pierre d'aimant, ce
à qui on attribuait sa Bible, qui est à peu de chose près le
Hugues de Berzé assistait à la mot latin, les autres manière-,
prise de Gonstantinople, en môme sens. Le vers suivant,
1204. A son retour en France, dans ces derniers, au lieu de
il composa un poème intitulé noiretle, a bruniere.
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200 DE LA PRECELLENCE
Je laisse maintenant au jugement des lecteurs,
de quelle sorte de mots principalement nous pou-
vons faire nostre proufit, entre ceux que nous
trouvons es Rommans. Quant à moy, je m'avan-
ceray bien de dire que marinette, en poésie prin-
cipalement, seroit celuy duquel je craindrois
moins user. Mais il y-a des vocables desquels on
auroit bien raison de disputer, si on en doit user,
j'enten ceux qui ont aujourdhuy une signification
ou du tout ou un peu différente de celle qu'ils
avoyent alors. Du tout différente, comme celuy
entre les seigneurs que nous honorons aujourdhuy
du titre de comte, estoit honoré lors du titre de
queux (comme. Là fut li queux * de Tanquarville)
duquel mot nous n'usons que pour signifier un
cuisinier. Aussi pouvons nous dire que Adjourner
ha une signification du tout différente de celle
qu'il avoit, quand il s'opposoit à Avesprer *. Et à
propos de nostre adjourner, la signification qu'ils
donnoyent à sergent, quand ils appeloyent (pour
exemple) Moy se sergent de Dieu, est non du tout
mais un peu différente de celle que nous luy don-
nons. Je di seulement un peu différente, pource
{. H. Estienne a mal lu. Le «Pour ce faire, le faudroil voir
texte est évidemmeni quens, tousces vieux Romans et Poètes
cas-sujet de comte. (Plus sou- Francoys, ou tu trouverras un
vent cuens et cons.) ajournei^ pour faire jour (que
2. Cf. Du Bellay, Deffence et les Praticiens se sont fait
itlustration de la langue f'ran- propre), anuyter pour faire
coyse, édition Person, p. 129 : nuit, »
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 201
que c'est aussi bien serviens * (d'où il vient) que
c'estoit alors : mais non de la mesme façon. Quant
à moy, je di qu'il n'y-a quAdjourner duquel je
ne ferois point difficulté d'user. Et comme je ne
voudrois user des deux autres, aussi ne vou-
drois-je dire Sur toute rien, ou Su7^ tout rien, pour
Sur toutes choses, comme au premier livre d'Ama-
dis, Toutesfois il est bien deceu. car elle le hait sur
tout rien. Je ne voudrois (di-je) ainsi parler :
encore que je sçache bien que Rieii signifie autant
que Chose, car je nay rien du monde, et je nay
chose du monde, valent autant l'un que l'autre :
et approuvant quelques mots et façons de parler,
que cest auteur prenoit des Rommans (j'enten le
seigneur Des essars) * ceste-ci est de celles que je
n'approuve point.
Le proverbe que j'ay nagueres allégué m'a faict
aviser d'adjouster un petit discours touchant
aucuns lesquels entr'autres semblent avoir fort
bonne grâce, et sentir le style de nos Rommans. Et
1. Non pas de serviens, mais donna au roman portèrent ce
de servientem. nombre à douze. La traduction
2. Nicolas Herberay des Es- française eut, comme Foriginal,
sarts, commissaire d'artillerie, un grand succès, mérité par le
traduisit de l'espagnol, de 1540 charme du récit et par Tagré-
à 1548, V4madis des Gaules. Ce ment du style. Des Essarts a
roman, inspiré sans doute de traduit en outre de l'espagnol
nos romans de la Table-Ronde, le 1*' livre de la Chronique de
avait été composé, vers la Florès de Grèce, V Horloge des
fin du XV* siècle par Garcia Princes, de Guevara, et du grec
Ordonez Montalvo, qui écrivit VHistoire des Juifs, de Flavius
quatre livres. Les suites qu'on Josèphe.
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202 DE LA PRECELLENCE
ceux qui considéreront combien les beaux pro-
verbes, bien appliquez, ornent le langage de ceux
qui d'ailleurs sont bien empariez, ne s'esbahiront
(au moins, ne se devront esbahir) si tirant quel-
ques pièces de divers magazins de nos Rommans,
pour monstrer comment par leur moyen nous pou-
vons adjouster richesse sur richesse, j'en tire
aussi quelques-unes de cestuy-la *.
Je commanceray par le susdict, Mal attend qui
ne perattend : et prieray le lecteur considérer com-
ment nous pouvons faire nostre proufit de ce pro-
verbe, en l'alléguant à celuy qui n'aura point eu
la patience d'attendre jusques à la fin, mais aura
perdu courage. Et nommément pour les atten-
dans de la cour ceste leçon est fort bonne, que ce
n'est pas bien attendu si on n'attend jusques à la
fin. sinon au cas qu'ils voyent que ceste fin ne
prenne aucune fin. Une mesme sorte d'enseigne-
ment est en ce proverbe, // ne se garde pas bien
qui ne se garde tousjours *. Mais quant à attendre
je trouve encores un autre proverbe où il y-a aussi
1. La plupart des proverbes la table des matières du livre
cités se trouvent dans l'ouvrage de Le Roux de Lincy est in-
de Le Roux de Lincy. Souvent complète, j'ai renvoyé aux
le proverbe est simplement pages, afln d'éviter au lecteur
cité, mais le plus souvent la de trop longues recherches,
provenance est indiquée. Beau- L'édition à laquelle renvoient
coup se trouvent dans le Roman les notes est la 2* édition (1859).
de la Rose, ou le Roman de — Consulter au tome H, p. 547-
Renard, etc. Souvent aussi le 596, la Bibliographie des Pro-
même proverbe se présente verbes,
sous plusieurs formes. Comme 2. Le Roux de Lincy, II, 313.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 203
une autre sorte de composé, Qui bien attend ne
surattend *.
Et à propos de ce que j'ay dict parcidevant, que
nous avons des façons de parler prises de la con-
gûoissance du naturel des animaux, j'ameneray
quelques proverbes aussi, qui sont de ce reng : et
cestuy-ci sera le premier, On ne peut faire de
buisart un esprevier*. II est vray qu'on trouve
escrit buison au lieu qu'on dit aujourdhuy buisart,
ou busart. Et comme ce proverbe-là concerne la
fauconnerie, aussi cestuy-ci, Oiseau débonnaire de
luy-mesme se fait^. Où il faut noter débonnaire dict
en sa propre signification, au lieu que quand on
le dit d'un homme, on use de translation : suivant
ce que j'en ay discouru cidessus : où j'ay aussi
adverti que débonnaire se disoit pour de bonne
aire. J'adjousteray deux autres proverbes, qui
appartiennent à ceste congnoissance de la nature
des animaux. L'un est, Onques mastin n'aima
lévrier^. L'autre, Onques bon cheval ne devint rosse ^.
l.Nicot:« Surattendre aucun, mes le proverbe cité par H. Es-
id est, cheminant ou chevau- tienne.
chant tout beUement attendre 2. Le Roux de Lincy, I, 153.
celui qui vient. Ce n'est pas — Quitard, Dictionnaire des
attendre tout coy ains à demy proverbes, 1842, p. 350. —
et allant le petit pas. » Ce sens Philippi Gameri Thésaurus
trop particulier ne s^accorde Adagiorum Gallico-latinorum
pas bien avec les exemples (1612), p. 111.
cités par Godefroy, qui attribue 3. Le Roux de Lincy, I, 188.
au mot le sens d'o^^endre encore, — Gameri Thésaurus y 538.
attendre trop, attendre en vain, 4. Le Roux de Lincy, I, 184.
puis attendre, en général. Voir 5. Id., 1, 162. — Gameri The-
dans Godefroy sous trois for- saur us, 132.
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204 DE LA PRECELLENCE
Or comme on y trouve des proverbes faicts sur
une observation du naturel des bestes, aussi en
ont-ils aucuns faicts sur ce qu'ils ont observé de
la nature des hommes, et principalement des
mœurs qu'ils ont naturellement. Et tels proverbes
sont autant d'advertissemens. De ce nombre est
cestuy-ci, // n'est si grand despit que de povre
orgueilleux^. Lequel se dit aussi en ceste sorte, Il
nest orgueil que de povre enrichi '.
A l'expérience que j'ay dicte appartient aussi
ce proverbe, Oignez vilain^ il vous poindra : P oi-
gnez vilain^ il vous oindra^. En cestuy-ci pareille-
ment, qui est aussi touchant le vilain, nous avons
un bel advertissement, // nest danger que de
vilain^. Et vilain en ces proverbes est Qui ha le
coeur vilain : veu mesmement qu'un autre proverbe
dit, Nul nest vilain si le cu^ur ne luy meurt ^.
Le changement de mœurs qu'on a observé et
expérimenté en plusieurs, avec le changement
d'aage, a donné occasion de faire cest autre pro-
verbe, De jeune angelot vieux diable^.
Et comme es proverbes qui précèdent cestuy-ci,
il est parlé du félon et du vilain, aussi en avons-
nous qui nous advertissent de plusieurs choses
1. Le Roux de Lincy, II, 317. 4. Le Roux de Lincy, II, 106.
2. Id., II, 314. — Cf. De Méry, 5. Id., II, 106. Niilneest vilain
Histoire des proverbes, 1, 274. se du cuer ne H vient. Ce pro-
— Garneri Ttiesaurus, 531. verbe ne convient pas moins
3. Le Roux de Lincy, II, 106. à Tidée exprimée par Henri
— Quitard, ouv. cité, 692. — Estienne.
Garneri Thésaurus, 769. 6. Id., I, 11.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 205
qui sont à considérer en la nature des fols : estans
compris soubs ce mot ceux aussi qu'on appelle
plus doucement Maladvisez, Et à propos de ce que
j'ay nagueres allégué un proverbe où on met fol
au lieu de félon, en voyci un qui tesmoigne qu'ils
ne se peuvent accorder, Fol et félon ne peuvent
avoir paix\ Pareillement avec la richesse ne se
peut il accorder : tesmoin cest autre proverbe,
Fol et avoir ne se peuvent entravoir*. Car avoir se
prend pour Richesse ou Biens. Nous lisons aussi,
Fol devise, et Dieu départ '. Auquel est semblable
cestuy-ci, De ce que fol pense souvent en demeure^.
Ils disoyent aussi, Le fol se couppe de son Cous-
teau^. Quelques autres proverbes nous advertissent
en quelles choses ne devons nous servir d'un fol :
car nous trouvons, Ne fay pas d'un fol ton mes-
sage^. Item, Qui fol envoie, fol attend"^. En voyci
deux autres qui nous conseillent de les fuir. L'un
est, Accointance de fol ne vaut rien * : l'autre, Bonne
journée fait qui de fol se délivre^. Ce nonobstant il
est dict qu'il faut supporter les fols : On doit
honorer gens de bien, et supporter les fols *®. Et
\. Le Roux de Lincy, II, 476. 7. Id., I, 243. — Gameri The-
2. Id., ibid. saurus, 325.
3. Le Roux de Lincy donne 8. Le Roux de Lincy, I, 239.
seulement : Fol devise et fol — Gameri Thésaurus^ 323.
départ, I, 235. 9. Le Roux de Lincy, II,
4. Le Roux de Lincy, I, 240. 473. — Gaimeri Thésaurus, 324
— Gaimeri Thésaurus, 324. et 331.
5. Le Roux de Lincy, I, 242. 10. GameH Thésaurus, Est
— Gameri Thesawnis, 329. tolerandus iners, sapiens vir
6. Le Roux de Lincy, 11,353. habendus honori (p. 331).
12
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206 DE LA PRECELLENCE
mesmes on leur fait quelque honneur es deux pro-
verbes suivans. Tun, Un fol avise bien un sage^ :
l'autre, Au défaut d'un sage monte un fol en
chaire*. Or est parlé généralement es proverbes
susdicts : mais cestuy-ci fait mention particulière-
ment du seigneur fol : au moins, qui ha fol cou-
rage : Il nest au monde si grand dommage, Que
seigneur à fol courage '.
Touchant le sage aussi nous avons des pro-
verbes, comme, En tout temps le sage veille *. Item,
Qui est sage il se doute ^. Item, Le sage se conforme
à la vie de ses compagnons^. Item, Le plus sage se
taist ^ Mais le sage ne doit avoir ceste opinion de
soy, qu'il soit sage : tesmoin cest autre proverbe,
Qtii cuide estre sage, il estfol^. Il faut aussi qu'il ait
peur d'un fol : tesmoin cestuy-ci. Il n'est pas sage
qui n'ha peur d'unfoP. Et outre les proverbes que
nous avons du sage, on luy en peut accommoder
aucuns de ceux qui sont dicts du fol, en ostant ou
adjoustant une négation, comme, s'il est vray. Fol
est qui conseil ne croit *° : il sera vray. Sage est qui
conseil croit. Le mot aussi de sagesse se trouve en
aucuns : comme ici. Sagesse vaut mieux que force ";
4. Le Roux de Lincy, I, 244. 6. Le Roux de Lincy, H, 331.
— Quitard, ouv. cité, 407. 7. Le Roux de Lincy, H, 331.
2. Le Roux de Lincy, I, 240. — Gaitien Thésaurus, 664.
— GameH Thésaurus, 326. 8. Le Roux de Lincy, H, 387.
3. Le Roux de Lincy, II, 98. 9. Le Roux de Lincy, 1, 239.
4. Le Roux de Lincy, I, 274. 10. Le Roux de Lincy, II, 476.
— Gameri Thésaurus, 669. 11. Le Roux de Lincy, 9. Id.,
5. Le Roux de Lincy, II, 391. II, 414. Gameri Thésaurus, 668.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 207
Et ici. Sagesse et jeunesse ne sont pas ensemble,
ou, ne demeurent pas ensemble *.
Pour venir de Sagesse à Science, nos ancestres
nous ont aussi appris à dire, Science nha ennemis
que les ignorans *. Item, Science sans fruit ne vaut
guère '. Item, // n'est thresor que de science, ou,
richesse que de science *. Toutesfois ils disoyent
aussi. Diligence passe science^. Mais aucuns aujour-
dhuy disent. Patience passe science *.
Entre les proverbes lesquels nous servent d'ex-
hortations, sont ceux qui nous monstrent les amis
estre chose plus pretieuse que les richesses. Je
commanceray par un fort beau, et qui sent bien
son antiquité. Mieux vaut ami en voye Que argent
en corroyé \ Cestuy-ci pareillement appartient à
cela. Nul n'est si riche quil nait mestier d'amis *.
En voyci un autre. Amis valent mieux. qu'argent^.
Auquel il faut adjouster cestuy-ci, On ne peut
avoir trop d'amis ^^. Outre tous ces proverbes ils
avoyent encore cestuy-ci, pour monstrer combien
1. Garneri Thésaurus, p. 391 : 148. — Gameri Thésaurus, 219.
Non in una sede morantur ju- 6. Le Roux de Lincy, II, 148.
ventus et sapientia. C'est rallitération qu'on a cher-
2. Le Roux de Lincy, II, 148. chée . — Garneri Thésaurus ,
— Gameri Thésaurus, 674. page 561.
3. Le Roux de Lincy, II, 148. 7. Le Roux de Lincy, II, 236.
— Gaimeri Thésaurus, 674. — Gaimeri Thésaurus, 24.
4. Le Roux de Lincy, II, 316. 8. Le Roux de Lincy, II, 317.
// n'est richesse que de tcience 9. Id., II, 236. — Garneri
et santé, — Garneri Thésaurus, Thésaurus, 32.
648. 10. Le Roux de Lincy, II, 362.
5. Le Roux de Lincy, II, — Garneri Thésaurus, 29.
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208 DE LA PRECELLENCE
on devoit priser un ami, Bien de sa place part
qui son ami y laisse*. Encore n'est-ce pas tout, car
nous trouvons là mesme,// n'est nuls petits amis^.
et (qui est un advertissement plus fréquent et plus
nécessaire) // n'est nuls petits ennemis^, A quoy
se rapporte aussi un proverbe, qui est bien contre
ceux qui disent, Oderintdummetuant^ (c'est à dire,
Qu'ils me hayssent, pourveu qu'ils me craignent)
j'enten cestuy-ci. Qui de ses subjects est hays,
nest pas seigneur de son pays ^. Ce qui ha encore
plus d'emphase que si on disoit. Malus domina-
tionis custos melus : au lieu qu'en Ciceron nous
avons Malus diuturnitatis custos ^. Mais il faut
noter en ce dernier proverbe que hays est dict
pour hay, la lettre S estant superflue : comme
elle est souvent au langage ancien, et principa-
lement où la ryme requiert qu'elle soitadjoustee\
Or comme ils monstroyent par les proverbes
susdicts qu'ils estimoyent les amis estre une si
grande richesse, aussi en avoyent par lesquels ils
se plaignoyent de la rarité d'iceux. car nous
lisons, // nest guère de loyaicx amis^. Item, Le
mort nha point d'ami. Le malade nen ha quun
1. Le Roux de Lincy, H, 248. 6. De Officiis, II, vu.
2. Id., II, 314. — Garneri 7. Les règles de Fancienne
Thésaurus, 25. langue étaient à peu près
3. Le Roux de Lincy, II, 314. ignorées au xvi" siècle. H. Es-
— Quitard, ouvr. cité, 343. — tienne ne pouvait reconnaître
Garneri Thésaurus, 253. dans Vs de hays la caracléris-
4. Sénèque, De Ira, I, xvi. tique du cas sujet.
5. Le Roux de Lincy, II, 99. 8. Cf. Quitard, Dictionnaire
— Garneri Thésaurus, 679. des proverbes, p. 41.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 209
demi^. Et quant au povre, point 'du tout, Povre
homs n'ha point d'ami*, ce qui convient aussi avec
le proverbe tant Grec que Latin' : et pourtant vaut
mieux suivre ceste escriture d'un vieil exemplaire,
(estant homs dict à la façon ancienne pour homme)
que l'autre, Povres gens n'ont guère d'amis*.
Ils nous ont pourveus aussi de proverbes qui
monstrent à certaines personnes qui sont en
office, ou dignité, quel est leur devoir : mais
notamment aux juges, car ils ne se sont pas con-
tentez de dire, Be fol juge brève sentence^ : mais
pour se faire encore mieux entendre, ont dict
aussi. Sage est le juge qui escoute et tard juge. Ce
qui me fait souvenir d'un endroit du Romman de
Perceforest *, où il est dict que le trop haster fait
entendre mal les choses, lesquelles mal entendues
font mal juger. Or disoyent-ils aussi. Qui veut
bien juger ^ il doit la partie escouter \
Aussi appartiennent au faict de justice ces pro-
1. Le Roux de Lincy, II, 330. 4. Le Roux de Lincy, II, 369.
— Garneri Thésaurus, 285. — Garneri Thésaurus^ 571.
2. Le Roux de Lincy, I,. 256. 5. Voir page 36.
3. Erasmi adagiorum chilia- 6. La 1res élégante, délicieuse y
des quatuor, dans les Opéra mellifiue et tresplaisante hys-
omnia. Froben,Basileœ,MDXL: toire de tresnohle et victçrieux
'Kxtùyoxi çtXoi 0Ù6* ol yevvTiTOoec, et excellentissime roy Perce-
id est, Mendico ne parentes forest, roy de la Grande Bre-
quidem amici sunt. (thiliadis /azjy/iff, Paris, 1528. Cet ouvrage
quartœ centuHa II, 51.) La composé très antérieurement
môme idée a d'ailleurs été sou- à cette date se rattache aux
vent exprimée par les mora- romans de la Table-Ronde,
listes et les poètes. 7. Le Roux de Lincy, II, 409.
12.
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210 DE LA PRECELLENCE
verbes, Droit n^espargne nulli *. Item, Force nest
pas droit ^. Et, Oii force est raison nha lieu^. ou,
justice n'Aa lieu. Item, Bon droit ha bon besoin
d'aide \ Et, Eschars plaidoyeur est hardi pei^deur^.
Item, Convenance vaut loy *.
Aucuns proverbes aussi (voire plusieurs) nous
tesmoignent de la pieté de nos ancestres, notam-
ment quant à la considération tant de la puissance
que de la providence divine \ Le premier soit
cestuy-ci, Il est riche que Dieu aime *. Duquel
voyci le réciproque (qui contient la mesme sen-
tence) Il estpovre que Dieu hait *. A ce premier et
second correspondent les trois suivans (ausquels
je donneray le troisième, le quatrième, le cin-
quième lieu) A qui Dieu aide, nul ne peut nuire *°.
Et, Contre Dieu nul ne peut ".Et, Cil est bien gardé
qui de Dieu est gardé *V
Les suivans pareillement nous monstrent ce
que j'aydict. Le sixième donc soit. En peu d'heure
1. Cf. Le Roux de Lincy, H, proverbes relatifs à cette idée
291 : Droit ne se remue, dans ses Proverbes epigram-
2. Le Roux de Lincy, H, 300. matisez,
3. Id., Il, 365. — Cf. Quitard, 8. Le Roux de Lincy, I, 20.
ouvr. cité, 404. — Garneri Thésaurus^ 654.
4. Le Roux de Lincy, H, 251. 9. Le Roux de Lincy, I, 20.
— Quitard, ouv. cité, 19. — Gaimeri Thésaurus, 571.
5. Le Roux de Lincy, II, 146. 10. Le Roux de Lincy, I, 19.
6. Le Roux de Lincy, II, 277 : — Garneri Thésaurus, 216.
Convenances vainquent loy, 11. Le Roux de Lincy, I, 19.
7. H. Estienne a donné plus 12. Le Roux de Lincy, I, 19.
tard une grande quantité de — Garneri Thésaurus, 256.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 211
Dieu labeure\ Le Yiiy L'homme propose et Dieu dis-
pose^, ou, Ce que Vhomme propose ^ Dieu autrement
dispose '. Le viii (correspondant au septième), Fol
devise, et Dieu départ : allégué desja ci-dessus. Le
IX, Dieu paye tout *. ou, Dieu, qui est juste , payera
selon ce que chacun fera^. Le x, qui est semblable.
Dieu rendra tout à juste pris *. Le xi, Dieu punit
tout quand il luy plaist ^ Le xu, Dieu donne le
bœufj mais non pas la corne *. Le xiii. Là où Dieu
veut il pleut '. Le xmi, En petite maison ha Dieu
grand part *^. Le xv. Qui du sien donne, Dieu luy
redonne^\ Le xvi, // est avare à qui Dieu ne suffit **.
Le XVII, // ne j)erd rien qui ne perd Dieu *'. Le xviii.
Servir à Dieu est régner **. Ce qui se dit aussi en
ceste sorte. Qui sert Dieu, il est roy *^ A quoy appar-
tient ceci pareillement. Qui sert Dieu, il ha bon
maistre **. Le xix, Fay ce que tu dois : advienne que
i. Le Roux de Lincy, I, 20. Cf. Garneri Thésaurus, 217.
— Garneri Thésaurus, 215. Dieu donne biens et bœuf, mais
2. Le Roux de Lincy, I, 255. ce n*est pas par la corne. Dat
— Gaimeri Thésaurus, 624. — Deus omne bonum, sed non
Cf. Quitard, ouv. cité, 311. per cornua taurum, ce qui s'ac-
3. Le Roux de Lincy, l, 250. corde avec le texte de 1579.
4. Le Roux de Lincy, l, 16 : 9. Le Roux de Lincy, 1, 21.
Dieu paira tout. — Garneri — Garneri Thésaurus, 604.
Thésaurus, 215. 10. Le Roux de Lincy, 1, 20.
5. Le Roux de Lincy, l, 17. 11. Le Roux de Lincy, l, 22.
6. Le Roux de Lincy, l, 17. 12. Le Roux de Lincy, II, 477.
7. Le Roux de Lincy, l, 17. 13. Le Roux de Lincy, 1, 21.
— GarneH Thésaurus, 217. — Gaimeri Thésaurus, 582.
8. Le Roux de Lincy, l, 15. 14. Le Roux de Lincy, l, 22.
— J'ai adopté la correction 15. Id., ibid.
faite par L. Feugère. L'édition 16. Id., ibid. — Garneri The-
de 1579 dit : par la corne. — saurus, 217.
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212 DE LA PRECELLENCE
pourrai Le xx, Vieil péché fait nouvelle honie^. Le
XXI, Vieilles debles aident^ et vieux péchez nuisent^.
Le XXII, De telle jjeine est le pécheur puni : Qui en
son vivant met Dieu en oublia A la mort ne luy sou-
vient de luy*. Il se dit aussi, Qui en son vivant, etc.,
sans les mots precedens. Le xxiii, Qui bien veut
mourir y bien vive ^, Le xxiiii, A bien mourir dçit
chacun tendre ^, Le xxv, Envis meurt qui appris
ne Va"^. Le xxvi. De telle vie y telle fin. ou, Bonne vie
attrait bonne fm *. Le xxvii. Il vaut mieux mourir,
que mal vivre *. Le xxviii, Chacun portera son faix.
ou, son fardeau *^. Et cestuy-ci (qui fera le xxix),à
propos de porter son fardeau, Celuy que Dieu
quitte, bien est heureux. Qui est la mesme chose
que dit le prophète David". J'adjousteray encores
un (et ce sera le xxx) qui est pareillement pris de
la saincte escriture, Quis'abbaisse, Dieu Cessauce^^,
où essauce (car il est ainsi escrit au vieil exem-
plaire) signifie exaltât, et non pas exaudit, car
ceci est pris de ce passage. Qui se humiliât exalta-
1. Le Roux de Lincy, II, 299. 8. Le Roux de Lincy, 287 et
— Gameri Thesam^us, 284. 253. — De Méry, Histoire des
2. Le Roux de Lincy, 11, 495. proverbes^ I, 247. — Garneri
— Cf. Gameri Thésaurus, 576. Thésaurus, 764.
3. Le Roux de Lincy, II, 435. 9. Charron a dit plus tard
— Gameri Thésaurus, 202. (Sagesse, I, 36) : Et un bon
4. Le Roux de Lincy, 1, 19. mourir vaut mieux qu'un mal
— Garneri Thésaurus, 215 et vivre (Littré).
217. 10. Le Roux de Lincy, II, 269.
5. Le Roux de Lincy, II, 385. — Gamen Thesauf^s, 286.
— Gameri Thésaurus, 488. 11. Psaume xin.
6. Le Roux de Lincy, II, 225. 12. Le Roux de Lincy, 1,22 :
7. Id., II, 298. Ki s'abaisse Diex Vacroist.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 213
bitur * : et de cestuy-ci, Humilem spiritu suscipiet
gloria *. On use aujourdhuy plutost de exalter, en
ceste signification : de essaucer (ou f lusiosi exaucer)
pour exaudire.
Nous y trouvons mesmement aucuns proverbes
qui appartiennent à la médecine, j'enten, à la
congnoissance de Tart de médecine, comme en
voyci un, A Vœil malade la lumière nuit^, tiré
d'une règle générale qu'enseigne Hippocrat, et les
autres médecins, quant à donner repos à la partie
du corps qui est malade.
Touchant la goutte, il-y-a deux proverbes :
l'un, Au mal de la goutte Les médecins ne voyent
goutte * (ou, A la fièvre quarte et à la goutte les
médecins ne voyent goutte) l'autre. Goutte enossee
est à peine curée ^. Quant au premier, c'est ce que
dit Ovide aussi en ce vers, Tollere nodosam nescit
medicina podagram * : ce que le second spécifie,
vient d'une plus particulière observation.
Il y-en a qui sont touchant le bon régime et la
conservation de la santé, comme Apres la poire le
vin, ou le prestre ^. Et cestuy-ci. Qui vin ne boit
1. Saint Luc, xiv, H. Cf. — Garneri Thésaurus, page
Saint Mathieu, xxiii, 12. 359.
2. Proverbes , xxix , 23 : 5. Le Roux de Lincy, I, 245.
Humiliter autem sentientes fir- — Garneri Thésaurus, 360.
mat gloria Dominus, 6. Pontiques, I, m, 23.
3. Le Roux de Lincy, l, 270. 7. Le Roux de Lincy, I, 82 :
— Garneri Thésaurus, 522. Après la poire, prestige ou boire;
4. Le Roux de Lincy, I, 245. — il, 2i3. — Garneri Thésaurus,
— Quitard, ouvrage cité, 432. 605.
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214 DE LA PRECELLENGE
après salade Est en danger d'estre malade * . Aussi ne
doit estre omis, Vin sur laict est souhait^ Laict sur
vin est venin *. Ne ce qu'ils ont dict du foye, Jamais
homms ne mange foye, que le sien nen ait joye '.
Encore moins ce qu'ils ont dict du fourmage,
Tout fourmage est bien sain Qui vient de chiche
main *. car ceci n'a pas esté oublié entre les pré-
ceptes des médecins de Salerne '', estant dict là :
Caseus ille bonus quem dat avara manus. Je con-
fesse qu'aucuns autres de nos proverbes anciens
ne nous laissent avoir si mauvaise opinion de
ceste viande : mais comme entre les médecins
aucuns ont bien des opinions extravagantes, les-
quelles on leur pardonne*: aussi est raisonnable
de pardonner à aucuns de ces proverbes, s'ils ne
parlent pas tant Hippocratiquement que ceux qui
sont passez docteurs à Montpeslier. Et ne se faut
esmerveiller si un fort sçavant médecin de nostre
temps trouve tant à disputer contre aucuns
d'iceux, veu que les susdicts préceptes des mede-
1. Le Roux de Lincy, II, 216 à la fin du xi" siècle. On dési-
(avec l'exemple d'Estienne). gnait sous le nom de Medicina
2. Id., II, 221. — Cf. Quitard, salertina seu regimen sanilatis,
ouv. cité, 696. — Gameri The- un recueil d'âphorismes en
aaurus, 408. 1239 vers latins qui résumait
3. Le Roux de Lincy, II, 197, les doctrines de TËcole de Sa-
sans autre source indiquée que lerne. Ce recueil fut proba-
ce passage de la Précetlence. blement composé vers l'an 1100
4. Le Roux de Lincy, II, 198. par Jean de Milan. 11 n'en
5. L'université de Salerne, restait plus que 373 vers lors-
célèbre surtout par son école que l'ouvrage fut recueilli au
de médecine, passait pour avoir xiu* siècle par le médecin Ar-
ête fondée par Robert Guiscard nault de Villeneuve.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 215
cins de Salerne, qui estoyent en si grand crédit et
estime, il n'y a que trente ans, sont maintenant
tant contredicts. Quoy qu'il en soit, il suffit,
quant à ceste sorte de richesse de nostre langage,
qu'entre autres proverbes il en ait qui appartien-
nent à la médecine, et sont tels qu'ils donnent
bien à disputer, car rien n'est disputable, qui
n'ait quelque apparence d'estre soustenable. Et
quand au fourmage, il ne se faut esbahirque nous
avons des proverbes qui se contrarient en ce
qu'ils en disent : veu que nous voyons les grands
médecins se contrarier en choses qui peuvent
plus importer à la santé du corps humain. Pour
exemple : nous voyons que Cornélius Celsus *
conseille de boire un verre d'eau en la fin du
repas *. ce que les autres médecins estiment
estre une hérésie : et de faict, je sçay qu'un de
mes plus grands amis, pour avoir esté Celsiste
en cela l'espace seulement de huict ou dix jours,
fut en danger de me dire le grand adieu. Et à ce
mesme propos, combien que nostre proverbe die
Apres la poire le vin, ou le prestre, et qu'il soit con-
forme à ceste règle, post crudum, purum (encore
1. A. Cornélius Celsus vécut que son traité De re medica,
au premier siècle de notre ère. Il en huit livres,
avait composé une sorte d'en- 2. I, n : « Ubi expletus est
cyclopédie dans laquelle il aliquis, facilius concoquit, si
montrait d'égales connaissan- quidquid assumpsit potione
ces en médecine, en agricul- aquœ frigidœ includit, tum
ture, en art militaire (V. Quin- paulisperinvigilat,deindebene
tilien, XII, n). Il ne nous reste dormit. »
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216 DE LA PRECELLENCE
qu'un autre proverbe ne vueille pas qu'on face le
mesme après la pomme) si est-ce qu'en Italie
mesmementj'ay trouvé des médecins qui me vou-
loyent persuader, et à autres aussi, de boire de
l'eau après le melon. Mais nous rejettions ceste
opinion, comme du tout erronée et scandaleuse : et
nous arrestions à l'autre, de boire après le melon
de la meilleure malvoisie que pouvions trouver :
jugeans à nostre santé, et celle des autres, qui
faisoyent le mesme, que ceste opinion estoit la
saine : encore que ces médecins allegassent des
raisons qui avoyent quelque couleur et apparence.
Puisqu'ainsi est, il ne se faut esbahir ne de la
contrariété, laquelle peut estre qu'on trouveroit
en aucuns de nos proverbes concernans la science
de médecine, ne de ce que quelques uns sont con-
tredicts, voire réfutez. Et d'ailleurs faut pardonner
aux auteurs d'iceux, veu qu'ils ne faisoyent pas
grand'profession de médecine : et leur sçavoir bon
gré de nous avoir faict sçavoir leurs opinions
telles qu'elles estoyent, par le moyen de ces pro-
verbes. Pour le moins ne peut-on nier que nous
n'ayons tresbon conseil où nostre langage nous
conseille de boire du vin vieil plustost que du
nouveau : en ce beau proverbe. Vin vieux, ami
vieux, or vieux *. Et où il nous advertit de ne nous
morfondre jamais la teste ni les pieds. Non plus
1. Le Roux de Linc y, H, 221. — Garncri Thésaurus, 775.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 217
pouvons nier qu'il ne die vérité quand il dit que
Veau mal cuit et poulets crus Font les cimetières
iossus\ Aussi nous donne-il bon conseil quand il
veut qu'en remèdes nous ne laissions jamais le
certain pour l'incertain : mais nous tenions à ceux
que nous avons expérimentez. J'enten, où il dit,
On doit prendre Vherbe quon congnoist *. Item, //
faut lier à son doigt Vherbe quon congnoist '.
Et toutesfois quand nostre langage ne nous
fourniroit autres proverbes que ceux qui nous
peuvent faire passer des médecins, il faudroit
confesser que ce seroit beaucoup. Escoutons donc
par combien de manières il nous recommande la
sobriété. Premièrement il nous crie, Nature est
contente de peu *. Puis adjoaste, à fin que nous
tenions tousjours sur nos gardes, // faut lier le sac
avant quil soit plein ^ Quand il voit qu'on n'en
veut rien faire, il dit, pour nous faire penser à
nous, Gourmandise tue plus de gens, Quespee en
guerre trenchant ^, Il dit encores en une autre
manière ce qui vaut à peu près autant, Les goui^-
mands font leurs fosses à leurs dents ^
Mais encores à la fin, esmeu de pitié, nous donne
1. Le Roux de Lincy (cite 4. Le Roux de Lincy, lî, 352.
Estienne), II, 218. — ùameri — Garneri Thésaurus, 501.
Thésaurus, 744. 5. Garneri Thésaurus, 663.
2. Le Roux de Lincy, I, 76 : 6. Le Roux de Lincy, II, 199
Herbe congneue soit bien venue, et 324. — Garneri Thésaurus,
— Garneri Thésaurus, ^li. 359.
3. Le Roux de Lincy, I, 76. 7. Le Roux de Lincy, II, 199.
— Garnen Thésaurus, 371 . — Garneri Thésaurus^ 359.
PRECELL. DU LAWiAGE FRANÇOIS. 13
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218 DE LA PRECELLENCE
des proverbes qui nous monstrent à quels méde-
cins principalement devons nous adresser : puisque
nous ne voulons pas faire en sorte que nous n'en
ayons point (ou bien peu) faute, par le moyen de
la sobriété, car un est qui dit, Bon est le médecin
qui se sçait guérir *. comme nous advertissant de
choisir tousjours un tel médecin, plustost qu'un
autre : j'enten, qui ha ce bon heur de se sçavoir
guérir soymesme. Aussi nous conseille ne laisser
un vieil pour un jeune, ou nouveau, comme il
l'appelle, quand il dit qu'il fait le cimetière bossu.
Et par mesme moyen nous advertit touchant le
jeune advocat. car le proverbe est tel. De jeune
advocat héritage perdu, et de nouveau médecin
cimetière bossu ^. En ce qu'il dit, nouveau médecin,
et non pas jeune, il faut considérer que nouveau
s'estend plus avant, car un mesmement qui n'est
pas jeune, peut bien estre nouveau en cest art,
voire plus nouveau qu'un qui sera beaucoup plus
jeune. Et pour la mesme raison pourroit-on dire,
D'advocat nouveau : et est croyable qu'il ait esté
premièrement ainsi escrit.
Il faut aussi noter que nous avons des proverbes
qui respondent à ceux des Grecs, ou des Latins,
ou bien à tous deux : estant toutesfois ordinaire-
ment l'origine Greque,
1. Le Roux de Lincy, I, 265. 2. Le Roux de Lincy, I, 265,
— Gameri Thesaurm^ 453. II, 115. — Garneri Thésaurus,!^ .
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 219
Je commanceray par cestuy-ci, Au premier coup
ne chetpas V arbre * : car le Grec dit, Pollaisiplt\gais
dry s macra damazetai : le Latin, Multis ictibus
dejicitur quercus *.
Le second sera cestuy-ci (en les mettant par
ordre selon que ma mémoire me les fournit),
Entre bouche et cuillier vient souvent encombrier ^^
ou chet souvent^ comme il se lit en un vieil exem-
plaire. Et ce chet respond mieux au Grec, Polla
metaxy petei y.ylicos y.ai cheileos acrou. Car je sous-
tien qu'il faut escrire petei, non pas pelei, comme
tous escrivent ordinairement, comme aussi il-y-a
grande apparence que ceste escriture-là, nonceste-
ci, ait esté suivie par celuy qui anciennement
interpréta ainsi ce proverbe Grec, Multa cadunt
inter calicem supremaque labra *. Au proverbe Fran-
çois, pour encombrier aucuns disent destourbier.
Celuy auquel je donneray le troisième lieu, est
de fort bonne grâce, pource qu'il contient une
sentence sous une fiction ^sopique (c'est à dire
qui sent la façon- d'^Esope), en particularisant
aussi, au lieu de parler généralement. Le loup alla
à Romme, et y laissa de son poil, et rien de ses cous-
tûmes ^. Car c'est ce que dit Horace, Cœlum non
animum mutant qui trans mare currunt ^.
1. Le Roux de Lincy, I, 57. 4. Erasmi adagiorum chilia-
2. Erasmi adagiorum chilia- dis primse centuria V, 1.
dis primae centuria VIII, 94. 5. Le Roux de Lincy, I, 181.
3. Le Roux de Lincy, 1,211. — Gameri Thésaurus,' A22.
— QuiiaiTd, Dict. des prov., 166. 6. Epistularmn I, xi, 27.
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220 DE LA PRECELLENCE
Ce un, Beau service fait amis, et vray dire
ennemis *, pourroit sembler tiré de ces mots de
Terence, Obsequium amicos, veritas odium parit^.
Ce V, Compagnon bien parlant Vaut en chemin
chariot branlant ^, c'est ce que Publius mimogra-
phus a dict, Cornes facundus pro vehiculo est *.
Ce VI, Qui ha mestier du feu, à son doit le
quiert ^, respond à ces mots. Qui igni opus habety
digito scrutatur. comme il est dict de ce bon com-
pagnon au Moretum de Virgile, lœsus quem
denique sensit *.
Ce vn contient une sentence en beaux termes,
Onques amour et seigneurie ne se tindrent compa-
gnie ^ : tout-ainsi qu'Ovide a dict.
Non bene conveniunt nec in una sede morantur
Maj estas et amor *.
Pareillement cest vin, Tard médecine est appres-
iée A maladie enracinée ', respond à ces paroles
d'Ovide,
Sera medlcina paratur,
Quum ma la per longas invaluere m or as *®.
1. Le Roux de Lincy, H, 246. 6. Vers 7. Le texte donne
— Garneri Thésaurus, 687. sentit.
2. Andria, \, i, 41. 7. Le Roux de Lincy, H, 101-
3. Le Roux de Lincy, H, 276. 102. — Garneri Thésaurus, 42.
— Garneri Tliesaurus, 157. 8. Metamorph., Il, 846.
4. Edition Meyer (1880), 104, 9. Le Roux de Lincy, I, 268.
p. 24. — Garneri Thésaurus^ 637.
5. Le Roux de Lincy, H, 380. 10. De Remedio amoris, 91. Le
— Garneri T/tesaurus, 308. texte donne convaluere.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 221
Encore ce ix, Chose veee est plus désirée \ res-
pond totalement à ce qu'a dict ce mesme poète,
Nitimur in vetitum *. J'escri ainsi, Chose veee, sui-
vant le vieil exemplaire, auquel sont retenus les
mots de l'ancien langage : car veer se disoit au
lieu de veter, qui eust plus approché de Vetare '.
Ce X, Du diable vint, au diable retourna *, con-
vient avec ce qui fut dict par un ancien poète,
Nevius, Malè parta maie dilabuntur ^ : et depuis
par Ovide ainsi. Non habe eventus sordida prœda
bonos *. Mais ceste mesme sentence a esté par nos
François mise en ces mots. Ce qui est venu de
pille pille, s'en rêva de tire tire ^.
Cest XI, Nul bien sans peine % est ce que nous
lisons en Horace, Nil sine magno vita labore dédit
mortalibus •.
Ce XII, aussi. Nature ne peut mentir *^, ou, Ce
que nature donne nul ne le peut oster, convient
avec ce que dit le mesme poète, Naturam expel-
1. Le Roux de Lincy, n, 271. wôrter und sprichwôrtlichen
— Garneri Thésaurus, 144. — RedensarlenderRÔmer.LeiiiziQ,
DeMéry, Hist, desprov., II, 260. 1890, p. 206.
2. Amo7'um III, iv, 17 : Niti- 6. Amor, I, x, 48.
mur in vetitum sempei\ cupi- 7. Le Roux de Lincy, édition
musqué negata. de 1842, II, 190. Ce proverbe
3. Veèr se rencontre en effet manque à la place correspon-
dans les anciens textes avec le dan te dans l'édition de 1859,
sens de refuser, défendre. Le à laquelle je renvoie ordinai-
substantif correspondant se rement. — Garneri Thésaurus,
présente sous les formes veé, 593.
viéy vet, vé. (Godefroy.) 8. Le Roux de Lincy, II, 356.
4. Le Roux de Lincy, I, 13 — Garneri Thésaurus, 92.
(d'après la Précellence). — Qui- 9. Saiir. I, ix, 59-60.
tard, 308. 10. Le Roux de Lincy, II, 352.
5. Voir A. Otto iDieSprich- — Garneri Thésaurus, 500.
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222 DE LA PRECELLENCE
las furca, tamen usque recurret *. Et de ceci mesme
sommes advertis par l'exemple du poulain, ainsi,
Ce que poulain prend en jeunesse,
H le continue en vieillesse *.
Ou ainsi :
Ce que poulain prend en domture
Il le maintient autant qu'il dure '.
La mesme chose s'exprime encores en ceste sorte,
Le loup mourra en sa peau , qui ne Vescorchera
vif^. Et pour user des mots anciens, En tel pel corn
naist li leups morir Cescueut^, Au lieu qu'on diroit
aujourd'huy. En telle peau qu'ha le loup quand il
naist, mourir lui eschet ^. Le proverbe Grec dit
qu'il change bien de poil, mais non de naturel :
Ho lijxos tr^n tricha alV ou tr\n gniùinrih allattei. en
Latin, Lupus pilum non ingenium mutât ^
Quant à ces mots. Qui est extrait de geline,
il ne peut qu^il ne gratte ', ils se disent aussi en
1. Epist, I, X, 24. Au lieu de 5. Le Roux de Lincy, I, 180.
expellas, lire expelles, 6. Il faut évidemment recon-
2. Le Roux de Lincy, I, 194. naître dans escueut le verbe
— Gameri Thésaurus, 500. esiovoir, qui signifie falloir^
3. Le Roux de Lincy, I, 194. convenir, et probablement, au
Dans le texte cité (Gautier de lieu de traduire cette forme
Coinsi, xu« siècle), on lit en par eschet, comme le fait Es-
denteure, Littré comprend : tienne, il faudrait rétablir es-
quand il fait ses dents. Il donne toet ou estuet et traduire par
plusieurs exemples de l'emploi il faut, il convient.
du mote/jn/ez/re, et entre autres 7. Erasmi adagioimm chilia-
cite ce proverbe. V. le lexique, dis tertiœ centuHa III, 19.
4. Le Roux de Lincy, I, 180- 8. Le Roux de Lincy, I, ITÏ»
181. — Gameri Thésaurus, 422. — Gameri Thésaurus, 363.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 223
façon de proverbe : mais pour signifier que Fenfant
retient de la nature de sa mère.
Ce xni, A bon vin ne faut point d'enseigne *,
respond mot pour mot à ce que disent les Latins,
Vino vendibili suspensa hedera non est opus *.
Ce xini, En soy moquant dit-on bien vray ', parle
d'une chose, laquelle Horace aussi avoit dict long
temps auparavant devoir estre permise : ridentem
dicere verum Quid vetat *?
Ce XV, Besoin fait la vieille trotter '^ : et ce
XVI, contenant une mesme sentence, La faim
chasse le loup hors du bois * : ces deux proverbes
(di-je) conviennent avec ces deux Latins, Multa
docet famés ', et, Hominem' experiri multa pau-
pertas jubet * : qui sont pris des Grecs.
Ce XVII, Qui la maison de son voisin voit ardre^
doit avoir peur de la sienne • : ou bien (en le
faisant rymer, suivant Tescriture d'un vieil exem-
plaire). Qui la maison son voisin ardoir voit, de
la sienne douter se doit, est ce que dit Horace,
Nam tua res agitur, paries quumproximus ardet^^.
1. Le Roux de Lincy, II, 222. 6. Le Roux de Lincy, I, 181.
— Gameri Thésaurus, 772. — — Gameri Thésaurus, 279.
Quitard, Dict, des prov,, 343. 7. Erasmi adagiorum chilia-
2. Gameri Thésaurus, 772. dis quartœ centuria U, 48.
3. Le Roux de Lincy, II, 294. 8. Publilius Syrus, éd. Meyer,
— Gameri Thesaw^us, 474. 210, p. 33.
4. Salir. I, i, 24-25. 9. Le Roux de Lincy, II, 394.
5. Le Roux de Lincy, II, 247. — Gameri Thésaurus^ 432.
— Gameri Thésaurus, 87. 10. Epist, 1, xviii, 84.
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224 DE LA PRECELLENCE
Et faut noter La maison son voisin estre dict à
la façon ancienne, au lieu de dire La maison de
son voisin *.
Ce xvni, Chacun quiert son semblable^, convient
avec ce que disent les Latins, Simile gaudet simili^ :
et (après Ciceron) Pares cum paribus facile con-
gregantur * : tant Tun que l'autre estant pris des
Grecs.
Ce XIX, (auquel il n'est parlé, comme au pré-
cèdent, de chercher son semblable, mais de deve-
nir semblable). On est semblable à ceux avec qui
on converse ^, a esté fort fréquent entre les Grecs :
lesquels ont aussi exprimé la mesme chose par
une comparaison de celuy qui conversant avec
un boiteux, apprend à clocher. Il est vray que les
uns ont dict Scazein, qui est Clocher : les autres
n'ont dict que Hyposcazein, qui est comme si on
disoit Clocher à demi : An choyloy paroixTisris,
hyposcazein mathr^sr^. Ce qu'on peut dire en Latin,.
si juxta claudum habites^ subclaudicare disces *.
La mesme chose a esté exprimée ainsi par nos
1. Dans Fancienne langue le 2. Le Roux de Lincy, H, 289.
cas régime sans préposition — Garneri Thésaurus^ 681. —
servait souvent à indiquer le Quitard, Dict, des prov., page
rapport que marque aujour- 629.
d'hui la préposition de. Il avait 3, Erasmiadagiorumchiliadis
la valeur du génitif latin. Le primse centuria II, 2i.
fait se présentait surtout quand 4. De senectute, 3.
ce génitif était un nom de per- 5. Garneri Thésaurus^ page
sonne. 11 reste encore des traces 172.
de Tancien usage : Hôtel-Dieu, 6. Erasmi adagiorum chilia-
Choisy-le-Roy, Villeneuve-V Ar- dis f)rimœ centtiria X, 73, et
chevéque, etc. Chiliadis tertiœ centuria II, 4^-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 225
ancestres, et plus briefvement, et (selon mon opi-
nion) avec meilleure grâce, Entre tels tel devien-
dras *.
Ce XX (qui ha grande affinité avec le précè-
dent) Tel maistre tel valet *, est pris des Grecs,
de mot à mot. car ils ont dict, Hopoia rj despoina,
total xai therapainides. Ce qu'on a traduict en
Latin, Qualis hera, taies pedissequae ^.
Nos ancestres ont dict aussi , Tel seigneur
telle mesnie^. ou. De tel seigneur telle mesnie. et,
De nouvel seigneur nouvelle mesnie ^. Je trouve
aussi, A la mesnie congnoist-on le seigneur. Mais
aujourdhuy plusieurs escrivent mesgnie. Et quant
à la prononciation, il me semble qu'en ceste ville
de Paris nous prononceons M ignée. Duquel M ignée
on pourroit dire que vient Mignon : mais Mesnage^
de Mesnie^ y qui se trouve au vieil exemplaire.
Ce XXI (à propos de ce qui rencontre ou mérite
de rencontrer son semblable) A rude asne rude
asnier ^, convient avec ces mots Latins, lesquels
1. Le Roux de Lincy, II, 297. mesnée, qui vient d'un dérivé
2. Le Roux de Lincy, II, 88 demansio^mansionala. Mesnage
et 230. — Garneri Thésaurus, nevientpasdeme5ni>,maisd'un
434. autre dérivé de mansiOy ou de
3. Erasmi adagiorum chilia- meson{maiison),mes{o)nage. Mi-
dis quartse centuHa V, 63. gnon n'a aucun rapport avec
4. Le Roux de Lincy, II, 100 ces mots. Littré le rapproche
et 230. — Garneri Thésaurus, d'une part de mots celtiques,
679. d'autre part de mots germani-
5. Le Roux de Lincy, II, 98. ques exprimant l'idée d'ami,
— Garneri Thésaurus, 679. amitié, amour,
6. Mignée est comme mesgnie 7. Le Roux de Lincy, I, 140.
une corruption de mesnie, — Garneri Thésaurus, 59.
13.
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226 DE LA PRECELLENCE
pareillement se disent par proverbe, Malo nodo
malus quœrendus est cuneus *.
Mais nous sommes bien plus riches ici (comme
aussi ailleurs) que les Latins, car nous disons
ceste mesme chose encores en trois autres sortes,
a sçavoir : A dur asne dur aiguillon *. Et, A rebelle
chien dur lien '. Et, A gros larron grosse corde *. car
il me semble que ce troisième aussi soit de la
partie.
Ce XXII, Au besoin congnoist-on Vami % ou, ^w
besoin voit-on qui est ami, s'accorde avec ce qu'a
dict Ennius, Amicus certus in re incerta cernitur^ :
pareillement avec ceci que nous lisons en Plante :
Is amicus est qui in re dubia juvat ^
Ce xxiii. Belle doctrine prend en luy Qui se
chastie par autruy *, respond à ce vers, Félix quem
faciunt aliéna jjericula cautum ®. Et ceci mesme a
esté dict ainsi par TihnWe, Félix quicumque dolore
alteriuSy disces posse carere tuo *• : Et par Plante,
Féliciter is sapit qui alieno perictdo sapit **. Duquel
1. Erasmi adagioi*um chilia- Enni carminum i*eliquiœ, édit.
dis primœ centuHa lî, 5. L. Millier, p. 129.
2. Le Roux de Lincy, I, 140. 7. Epidicus, I, n, 10 : /« est
— Gameri Thésaurus^ 59. amicuSy qui in re dubia, re
3. Le Roux de Lincy, I, 166. juvat, ubi re est opus.
— Garneri Thésaurus, 139. 8. Garneri Thésaurus, 226,
4. Le Roux de Lincy, II, 171. 668.
— Gameri Thesautms, 414. 9. D'après L. Feugère, ce rers
5. Le Roux de Lincy, II, 231- est d'Estienne lui-même (Pré-
232. — Garneri Thésaurus, 22- face du recueil intitulé virtu-
23. — Quitard, Dict. des prov., tum Encomia/iol^),
41. 10. Eleg., lU, vu, 11 et 12.
6. A. Otlo, ouv. cité, 21. — 11. Mercator, IV, vu, 40. Cette
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 227
heur se vante celuy qui dit en un poète Grec :
Blej)iùn pepaideunCeis ta ttùn alltùn xaxa *. Ce que
Publius a dict, Ex vitio alterius sapiens emendat
stium * peut bien estre adjousté ici.
Mais quant à nostre proverbe, on le trouve
aussi en moins de paroles en quelques vieux exem-
plaires : ainsi, Bien se chastie qui par autruy se
chastie. Où bien est ce que Plante (en son proverbe
que je vien d'alléguer) dit féliciter. Et se peut ainsi
interpréter, ou utiliter, en quelques autres pro-
verbes aussi.
Ce xxviHi, Borgne est roy entre aveugles ', se
trouve aussi entre les proverbes Grecs : mais il
n'est pas du nombre des plus anciens. On a ainsi
interprété les paroles Greques, Inter cœcos régnât
strabus *.
Ce XXV, Mieux vaut bon g ardeur que bon amas-
seur ^, si on disoit seulement, Autant vaut bon gar-
deur, etc., ce seroit la mesme chose totalement
qu'a dicte Ovide en ce vers. Non minor est virtuSy
quant quœrere^ parta tueri ^. Ce qui avoit esté dict
long temps auparavant par Demosthene '•
scène n'est probablement pas 4. Erasmi adaqiorum ckilia-
de Plante. dis tertise cenluna V, 96.
1. Menandri fragmenta, édit. 5. Gameri Thésaurus, 356.
Didot, p. 101 (dans le même 6. Art. am. H, 13.
volume qu'Aristophane). Le 7. L. Feugère n'a trouvé dans
texte donne ttoXXôv et non Démosthène que la proposition
aXXwv. contraire (2® Olynthienne). Edi-
2. Edition Meyer, 150; p. 28. tion Didot, p. 13 : icoXù yàp
3. Le Roux de Lincy, I, 209. pàov eyovxac çvXaTTeiv \ •».vr\<s9r
— Gameri Thésaurus, 72. aéai Tcavxa Tcéçyxev.
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228 DE LA PRECELLENCE
Ce proverbe se trouve aussi escrit en ceste
sorte, Mieux vaut bon g ardeur que ne fait bon
gangneur\
Ce XXVI, Mieux vaut engin que force *, con-
vient avec ce qu'a dict Titinnius, Sapientia guber-
nator navim torquet, non valentia '. ce qu'il a pris
d'Homère * : et a usé du mot sapientia pour solertia :
qui est signifiée ici fSiT engin, selon l'usage ancien.
Aujourdhuy nous disons, Adresse vaut mieux que
force : ou. Dextérité vaut mieux que force ^.
Nos ancestres ont dict aussi, Sagesse vaut mietix
que force * : où il faut entendre de la sagesse qui
donne les bons avis et conseils, comme aussi
sapiens est appelé celuy qui les sçait donner, par
Ovide, quand il luy opipose pugnacem : en ce vers.
Qui nisi pugnacem sciret sapiente minorem ^.
Ce xxvn, Le cri pend le larron, estant ainsi
entendu, que le cri est cause de faire pendre le
larron (comme La mauvaise garde paist le loup ',
c'est à dire, Donne moyen au loup de se paistre)
pourra avoir quelque affinité avec le Grec, Hoi
ph(ùres tr^n voy\n, si on entend phovountai : telle-
ment que ce soit en Latin, Flores clamoremtiment^.
1. Le Roux de Lincy, II, 347. 5. Le Roux de Lincy, H, 349 :
— Gameri Thesawnts, 356. Mietix vaut subtilité que force.
2. Le Roux de Lincy, II, 347. 6. Le Roux de Lincy, II, 414.
— Gameri Thésaurus, 251. — Gameri Thésaurus, 668.
3. 0. Ribbeck, Comicorum 7. Metamorph., XIII, 354.
romanorum fragmenta, Lipsiae, 8. Le Roux de Lincy, I, 181.
1873. P. 151. — GameH Thésaurus, 421.
4. Voir Iliade, XXIII, v. 315 9. Erasmi adagiorum chilia-
et suivants. dis primx centuria II, 6ô.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 229
Mais on peut entendre après ces paroles Greques
un autre verbe que phovountai, c'est à dire, d'autre
signification.
Ce XXVIII, Fol ne croit jusques à tant qu'il reçoit V
est presque contraire au xxiii : et n'est autre chose
que ce qu'on dit en Latin (en interprétant les mots»
Grecs), Stultus malo accepto sapit ' : et, Piscator
ictus sapiety car il faut entendre Reçoit des coups.
On trouve aussi escrit. Fol ne croit jusques à tant
qu il prend, et, devant qu il prend. Les Grecs disent
ceci en ceste sorte aussi, qui ha fort bonne grâce i
Ex hiùn epathen emathen. comme si nous disions,
// a appris de ce quil a pris, en suivant la signifi-
cation du mot susdict Prend ^.
Ce XXIX, // n'est si grand despit que de povre
orgueilleux *, respond à ce qui a esté dict par Clau-
dian : -
Asperius nihil est humili, quum surgit in altum *.
adjoustant, bientost après, ce qui est encore plus :
. Nec bellua tetrior ulla est
Quàm sériai rabies in libéra colla furentis *.
On dit aussi,// nest orgueil que de povre enrichi"^ :
ce qui se vérifie autant bien en ce temps que
1. Le Roux de Lincy, I, page liadis primœ centuria I, 31.
237. 4. Voir page 204.
2. Erasmi adagiorum chilia- 5. In Eutropium, I, 181.
dis primée centuria I, 29. 6. In Eutropium, I, 183-84. •
3. Erasmi adagiorum chi" 7. Voir page 204.
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230 DE LA PRECELLENCE
sentence aucune qui soit en nos anciens proverbes.
Mais les autres termes conviennent encore mieux
avec ce que dit Claudian, car de ce despit vient ce
qui est appelé par les Latins asperitas.
Ce XXX, Vertu gist au milieu S est ce qu'on dit
proverbialement en Latin, In medio consistit virtuSy
Qui est une règle des philosophes anciens : conte-
nue aussi en ce vers d'Horace, Virtus est médium
vitiorum^et utrinque reductum*. Avec ce proverbe-
la s'accorde cestuy-ci, Trop n'est mie bien : comme
les Grecs avoyent dict, Ovden agan^ et puis les
Latins, Ne quid nimis '.
Ce XXXI, Un barbier rait V autre ^^ est au lieu de
ce qu'on dict les Grecs, Cheir cheira niptei (c'est à
dire. Une main lave l'autre), et Cheir cheira cnizeiy
Une main gratte l'autre ou frotte, ce que les Latins
ont interprété, Manus manum lavât, et Manus
manum fricat ^.
Ce xxxii. Une bonté autre requiert *, convient
avec ce que dit Euripide , Charis anti charitos
elthetiù ^. et c'est plustost Gratia gratiam parère
débet, que Gratia gratiam parit *. Avec cela s'ac-
corde aussi ceci. Courtoisie qui ne vient que d'un
1. Le Roux de Lincy, II, 434. dis prima centuria I, 33. —
— Garneri Thésaurus, 753. De Méry, Hist. des prov., 1, 172.
2. Epist. I, xvin, 9. — Quilard,DtW. rfes/wov., page
3. Erasmi adagioi*um chilia- 514.
dis prima! centuria VI, 96. 6. Le Roux de Lincy, II, 432.
4. Le Roux de Lincy, II, 118. 7. Hélène, 1234.
— Garneri Thésaurus, 80. 8. Erasmi adagiorum chilia'
5. Erasmi adagiorum chilia- dis primas centuria I, 34.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 231
costé, ne peut longuement durer *. Et Plaute con-
damne celuy qui ayant receu quelque courtoisie,
ne rend la pareille où il dit : Improbus est homo
qui beneficium scit sumere et nescit reddere '.
Ce xxxni est pareillement touchant ce qu'on
donne, Chose bien donnée n est jamais perdue^^ et se
rapporte à ce que dit Plaute : Bonis quod benefit
haud périt * car bien donnée signifie donnée avec
discrétion. Or celuy qui use de discrétion regarde
de ne donner point à ceux lesquels se rendent
indignes par leur ingratitude : lesquels ne peuvent
estre appelez boni^ comme les appelle Plaute, et
Ciceron aussi, où, parlant de la mesme chose, il
dit, Quamobrem melius apud bonos quam apud for-
tunatos beneficium collocari puto ^.
Suivant cela, il ne faut pas douter de la vérité
de cest autre proverbe, qui est comme réciproque.
Tout est perdu ce qu'on donne à un fol^. Et contre
ce qu'on donne à un fol doit estre allégué le vers
d'Ennius : Benefacta maie locata, malefacta arbi-
tror\ Et comme il a esté dict, Beneficium perdidit
qui ingrato dédit, aussi peut-on dire, en parlant
plus généralement, Beneficium perdidit qui stulto
dédit.
i. Le Roux de Lincy, II, 278. 6. Le Roux de Lincy , I ,
2. Persa, I, ii, 10. 244.
3. Le Roux de Lincy, II, 271. 7. Cité par Cicéron, De offi-
— Garneri Thésaurus, 230. cm, II, 18. — Enni carminum
4. Rudens, IV, m, 3-4. reliquiae, édit. L. Mûller, p.
6. De officiis, II, 20. 129.
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232 DE LA PRECELLENCE
Ce xxxim est aussi touchant les dons, Qui tost
donne, deux fois donne\ Et c'est, mot pour mot, ce
que les Latins ont dict, Bis dat qui cito dat*: et ce
qu'a dict Publius le mimographe (mais particuliè-
rement du don qu'on donne au povre) Beneficium
inopi bis dat qui dat celeriter ^.
On dit par réciproque : Petit don, longuement
attendu, nest pas donné, mais bien vendu. Il est
vray qu'aucuns ont dict ceci du petit disner, non
pas du petit don *.
Et à propos de vendre, ce que nos ancestres
ont dict, Assez achette qui le demande *', convient
avec ce qu'ont dict les Latins, Nihil carius emitur
quam quodprecibus emitur^. Mais ils ont usé encore
de quelques autres mots qui respondent mieux à
ceux-ci.
Ce XXXV, Assez oltroye qui se taist ^, est pris de
ceste maxime. Qui tacet consentire videtur *.
Quand nous disons. Nourriture passe nature *,
(qui sera le xxxvi proverbe), c'est bien plus que si
nous disions. C'est une seconde nature, comme les
Latins, Est altéra natura *^ : mais aussi il faut consi-
1. Le Roux de Lincy, II, 407. 4. Le Roux de Lincy, II, 370.
— Gameri Thésaurus, 230. — — Garneri Thésaurus, 225.
De Mérv, Uist. des prov., 1, 164. 5. Gameri Thésaurus, 3.
Quitard, Dict, des prov,, 323. 6. A. Otto, ouv. cité, p. 124.
2. Erasmi adaqiorum chilia- 7. Le Roux de Lincy, II, 242.
dis primx centuna VIII, 91. 8. A. Otto, ouv. cité, p. 339.
3. Edit. Meyer, 235, p. 35. 9. Le Roux de Lincy, II, 35e.
Le texte exact est : inopi bene- — Gameri Thésaurus, 515.
ficium,,, 10. A. Otto, ouv. cité, p. 90.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 233
derer que nourriture emporte bien plus que le
mot consuetudo, duquel ils usent.
Ce xxxvn, Qui perd le sien, il perd le sens \
pourroit sembler avoir esté pris de ce vers d'Ovide,
Et sensus cum re consiliumque fugit '.
De ce xxxviii, Le feu plus couvert est plus
ardent ^, on en pourroit dire tout autant, qu'il y-a
quelque apparence que nos ancestres Fayent pris
de ce vers : Quoque magis tegitur tanto magis
aestuat ignis^ : veu que la mesme allégorie est en
tous deux.
Ce XXXIX, De ^abondance du cueur la bouche
parle ^, doit estre mis avec ceux que j'ay dicts
estre tirez des propres mots de la sainte escriture^
Ce XL, Le sainct de la ville nest point oré\ pour-
roit sembler avoir esté mis en la place de cestuy-
ci, que nous lisons es evangelistes. Non est pro-
pheta sine honore nisi in patria sua *.
Ce XLi, Diligence passe science, ou Diligence
passe sens *. (comme nous le lisons au Romman de
Perceforest), en l'accommodant à la guerre, res-
pond à ceci. Plus aliquando in diligentia quant in
peritia rei militaris positum est.
1. Le Roux de Lincy, II, 401. — Le Roux de Lincy, II, 282.
— Garneri Thésaurus, 581. 6. Saint Mathieu, XII, 34.
2. Pontigues, IV, xii, 48. 7. Le Roux de Lincy, I, 43.
3. Le Roux de Lincy, I, 71. — Le texte donné par Le Roux
— Garneri Thésaurus, 309. de Lincy est aouré, ancienne
4. Metamorph. IV, 64; tectus forme de arforé, qui est un mot
au lieu de tanto. savant.
0. Garneri Thésaurus, 104. 8. Saint Mathieu, XIII, 57.
— Quitard, Dict, des prov., 6. 9. Voir page 207.
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234 DE LA PRECELLENCE
Ce xLii, La charrue va devant les beufs S est de
la façon de cestuy-ci, Currus bovem trahit * : qui
est pris du Grec.
CexLUi, Si jeunesse sçavoit, si vieillesse pouvoit*,
attribue la force aux jeunes, non pas le sçavoir,
qui vient de l'expérience : aux vieux, ce sçavoir,
non pas la force : suivant ce que les Grecs ont dict,
Netùn aichmaij y.ai gerontoyn voulai, qu'on a inter-
prété en latin, Juvenum lancem et senum consilia *.
Ce xuni, A la touche on esprouve Vor **, estant dict
de l'espreuve qu'on fait de ceux qui se disent
amis, emporte autant que ces deux vers d'Ovide :
Scilicet ut fuhum spectatur in ignibus aurum^
Tempore sic duro est inspicienda fides *.
Ce xLv, Qui d'autruy tromper se met en pêne,
souvent luy advient la pêne, convient avec ce que
dit Hésiode, Hoi autio xa^^a teuchei ant^r, alliù r.ma
teuchtùn ^.
Ce xLvi, On ne peut homme nud despouiller^,o\ï,
On ne peut prendre un homme ray aux cheveux,
peut estre ainsi dict en Latin (en se servant des
mots de Plante) Non possunt nudo vestimenta
1. Le Roux de Lincy, I, 62. 4. Erasmi adagiorum chUia-
— Garneri Thésaurus, 123. dis tertise centuria V, 2.
2. Erasmi adagiorum chilia- 5. Le Roux de Lincy, I, page
dis primœ centuHa VII, 28. 80.
3. Le Roux de Lincy, II, 415. 6. Trist. I, v, 25-26.
— Garneri Thésaurus, 392. — 7. *'EpYa xal ri(i,6pai, 265.
DeMéry,^w^ desprov.,\\, 258. 8. Le Roux de Lincy, I, 256.
— Quitard, Dict. des prov., 481. — Garneri Thésaurus, 211.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 235
detrahi *. Suivant cela on dict aussi, Oie il ny-a
rien, le roy perd son droit *,
Ce XLvii, A bon entendeur il ne faut quun mot ',
est ce que dict Terence : Dictum sapienti sat est *.
Ce XLvin, Taime mieux un tien, que deux tu
Vauras ^, on estime qu'il responde à ce que dit
Terence, Ego spem ])retio non emo ^.
Pour ce XLix, Qui d'autruy prend, Subject se
rend\ nous pouvons dire, en usant des mots de
Publius, Qui beneficium accipit, libertatem vendit ^.
Ce L, Bien est malheureux qui est cause de
son malheur, est au lieu de ce que dict Publius,
Bis interimitur qui suis armis périt *.
Pour ce Li, Il faut perdre un veron pour pescher
unsaumon^^, ou. Il faut despendre qui veutgangner,
on peut user de ces mots de Plante, Necesse est
facere sumptum qui quaerit lucrum^\
Ce LU, Qui dira tout ce qu'il voudra, orra ce
qu'il ne luy plaira^^, se peut dire, se servant des
mots de Terence, Qui quœ vult dicit, quœ non vult
audiet *^.
1. Asina7na, I, u, 19 : Nudo 8. Edition Meyer, 48, p. 21 :
detrahere vestimenta me jubés. Beneficium accipere libertatem
2. Le Roux de Lincy, II, 94. est vendere,
— Gameri Thésaurus, 240. 9. Edition Meyer, 66, page
3. Le Roux de Lincy, II, 226. 22.
— Gameri Thésaurus, 256. 10. Le Roux de Lincy, 1, 207.
4. Phormio, III, m, 8. — Gameri Thésaurus, 753.
5. Le Roux de Lincy, II, 350. 11. Asin., I, m, 65.
■— Quiiàvû, Dict. des prov.,QQb. 12. Gameri Thésaurus, 220.
Q.Adelph. 11,11,11. 13. Andna, Y, iv, 17 : Si
7. Le Roux de Lincy, II, 403. mihi pergit quœ volt dicere,
— Gameri Thésaurus, 613. ea qux non volt audiet.
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236 DE LA PRECELLENCE
Ce LUI, Qui nha santé, il nha rien : qui ha santéy
il ha tout\ s accorde avec le dire des Grecs, don-
nans le premier lieu à la santé. On le peut ainsi
traduire en Latin, Potissima res est valere.
Ce Liv, Bonne renommée vaut mieux que cein-
ture dorée *, contient une louange de la bonne
renommée semblable à celle-ci de Publius, Hones-
tus rufnor alterum patrimonium est '.
Ce LV, Qui trop tost Juge, tost se repent^, est ce
qu'a dict ce mesme Publius, Ad pœnitendum pro-
perat, cita quijudicat^.
Ce Lvi, De brebis comtees mange bien le loup\
ou (comme il-y-a au vieil exemplaire), De comtees
prend bien le leu, se diroit, en suivant Virgile,
Non curât numerum lupus ^.
Ce Lvii, A seur dort qui n'ha que perdre ^ res-
pond à ce qui a esté dict par Juvenal,
Cantabit vacuus coram latrone viator ®.
Ce Lvni, // fait bon avoir deux chordes en son
arc *^, se dit par une métaphore equipolente à ceste-
1. Le Roux de Lincy, 11,398. 6. Le Roux de Lincy, I, 151.
— Garneri Thésaurus, 671. — Garneri Thésaurus, 108.
2. Le Roux de Lincy, II, 157. 7. Eglog, VII, 51-52 : Hic
— Quitard, Dict. desprov., 194. tantum Borese curamus frigora
— Garneri Thesawms, 640. quantum Aut numerum lupus,
3. Edition Meyer, 217, p. 34; aut torrentia flumina ripas.
lire : alterum est patrimonium. 8. (iarnei^ Thésaurus, 234.
4. GarneH Thésaurus, 405. 9. Sat, X, 22.
5. Edition Meyer, 32; p. 19. 10. Le Roux de Lincy, II, 69.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 237
ci, Bonum est duabus ancoris niti * : ce qui a esté
pris des Grecs.
Ce Lix, Qui n'est sage à soymesme, n est pas sage *,
convient avec ce vers ancien, alleg-ué par Ciceron,
Qui sibi ipse sapiens prodesse nequit, nequicquam
sapit ^.
Ce Lx% Qui ha suffisance ha 2^'f'ou de bien, qui
71 ha suffisance il n'ha rien *, est ce que les Grecs
ont dict, Antarxeia megas ploutos.
Ces soixante proverbes, rapportez à ceux du
langage Grec ou Latin, (et aucuns à ceux de tous
les deux) peuvent estre comme la monstre et
eschantillon de la richesse du nostre, en cest
endroit aussi. Car on peut juger par ceste colla-
tion, que nous n'avons pas seulement quelques
proverbes qui nous sont peculiers, mais en avons
aussi qui correspondent aux principaux de ces
deux langues.
Ce que disant toutesfois, ne veux nier que les
autres langues vulgaires n'ayent aussi des pro-
verbes, et nommément l'Italienne : mais je di
qu'elle n'ha pas si grand nombre d'anciens, ne
{tant pour tant) de ceux qui ont bonne grâce : et
1. Erasmi Adagiorum chilia- éd. L. Mûller, p. 117.) Gicéron
dis quartse centuria VIII, 72. le cite à la fin d'une lettre
2. Le Roux de Lincy, II, 400. adressée à Trébatius. {Epist,
— Garneri Thésaurus, 669. fam. VU, 6.)
3. Ce vers est d'Ennius. 4. Le Roux de Lincy, II-. 381.
{Voir EnniCarminumreliguix, — Garneri Thésaurus, 680.
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238 DE LA PRECELLENCE
principalement si on excepte ceux qu'elle a pris de
nous.
Mais je di bien d'avantage : c'est que comme
nostre langue adjouste tous les jours richesse sur
richesse en autres choses, aussi fait elle en ceste-
ci. car elle en prend des Grecs et des Latins, les-
quels elle s'approprie si bien qu'ils peuvent sembler
estre de son creu. comme (pour exemple) on le
diroit de celuy qui est compris en ce vers :
Qui se sert de la lampe y au moins de r huile y met *.
Il en prend aussi, ou plutost reprend, des Rom-
mans. Je di, reprend, après les avoir laissez
quelque temps. Et aucuns sont tels qu'ils requiè-
rent bien qu'on les considère et reconsidère, qu'on
y pense et repense, comme cestuy-ci, Les cham-
bres vuides font les sottes dames*, qui se lit au
1. C'est le dernier vers d'un
sonnet de Jodelle, la dernière
chose par luy composée, dit son
biographe Charles de la Mothe.
Il le récita « de voix basse et
mourante, nous priant de l'en-
voyer au Roy, ce qui ne fut
pas fait, pour n'avoir eu besoin
de ce que plus par cholere que
par nécessité il sembloit re-
3uerir par iceluv ». Œuvres
*Es tienne Jodelle , édition
Marty-Laveaux, I, 8. Ce vers
a fait beaucoup parler de la
misère de Jodelle et de l'ava-
rice de Charles IX. M. Marty-
Laveaux montre dans sa notice
que Jodelle ne doit pas être
compté parmi les poètes que
la misère a fait périr, et que
s'il eut souvent besoin, en
partie grâce à ses désordres
et à sa prodigalité, d'implorer
la libéralité de Charles IX,
l'assistance du roi ne lui fit
jamais défaut.
2. Le Roux de Lincy cite ce
proverbe du xiii* siècle : Wide
chambre fet foie dame. I, 213.
Il donne ailleurs une forme
légèrement différente : Vides
chambres font femmes folles,
II, 158. Avec le mot folle le
proverbe peut avoir deux sens,
selon qu'on fait de chambre le
régime ou le sujet : ou bien :
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 239
Romman de Perceforest. Lequel sur ce propos de
dames, me fait souvenir d'un autre, fort beau,
qu'on trouve là mesme, mais ne fait pas ainsi
songer le lecteur, // nest tant mauvais hoste en la
chambre d'un prince^ comme d'une femme despite et
pleine de convoitise. Ces Rommans leur donnent
aussi un autre bon moyen de s'enrichir en cest
endroit : en ce qu'ils luy amplifient aucuns pro-
verbes, voire les rendent comme doubles. Pour
exemple : nous disons ordinairement, il faut faire
de nécessité vertu *, sans adjouster autre chose :
mais au Romman susdict nous trouvons, Faisons
de nécessité vertu, et de mal jour feste. Ainsi à ce
proverbe, Besoin fait la vieille trotter^, est adjousté,
et cremeur fait lièvres tumber : en parlant de ce
qui se fait autrement que selon le naturel, où
cremeur se prend pour crainte ^.
Or entre les proverbes qui nous sont peculiers,
nous en avons qui sont venus de quelques fort
profonds discours, et autres qui sont fondez sur
quelques histoires notables, et toutesfois des
moins communes, tellement qu'il ne se faut
esbahir s'ils donnent beaucoup de pêne au lec-
la folie, le désordre d'une Je premier sens qui paraît le
femme ruine la maison; ou meilleur,
bien : la pauvreté pousse une 1. Le Roux de Lincy, II, 299.
femme à l'inconduite. Littré 2. Le Roux de Lincy, II, 247.
préfère le second sens, qui est — Garneri Thésaurus, 87.
en effet plus vraisemblable. 3. Nicot donne encore le
Mais si l'on adopte, comme mot cremeur, mais comme usité
H. Estienne, le mot sotie, c'est es livres de Romans,
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240 DE LA PRECELLENCE
teur, OU à Tauditeur, avant qu'il en puisse des-
couvrir la raison. Et du nombre de ceux que j'ay
dict estre fondez sur quelque histoire, j'estime
6stre cestuy-ci, Il nest pas à seur à qui ne mescheut
onques \ Car nous lisons en la Thalie d'Hérodote *,
que Polycrates roy de Samos fut si heureux et
si long temps que cest heur commença à estre
suspect au roy d'Egypte, nommé Amasis (qui
estoit son grand ami) voire jusques à le luy
déclarer par ses lettres, en luy disant, entr'autres
choses, qu'il ne se souvenoit point d'avoir ouy
parler d'aucun, auquel, après avoir esté ainsi heu-
reux en toutes choses, ne fust advenu une ruine
totale. A quoy il adjoustoit, que s'il vouloit croire
son conseil, il interromperoit le cours de ceste
continuelle félicité : et pour ce faire, jetteroit au
haut et au loing quelque chose dont la perte le
pourroit beaucoup ennuyer. Polycrates, trouva
bon son conseil, s'avisa en la fin de jetter en la
mer une esmeraude, laquelle il portoit au doigt,
-et luy servoit de cachet. Mais, cinq ou six jours
après, alors qu'il commanceoit à se contrister de
ceste perte, un pescheur luy apporta un fort beau
et grand poisson : au ventre duquel ses serviteurs
trouvèrent cest anneau. Il manda puis à Amasis
comment le tout estoit passé. Amasis par ce der-
nier heur de Polycrates entrant encores en plus
i. Le Roux de Lincy, II, 315.
2. Thalie (livre III),* chap. 39 et suivants.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 241
grand'crainte que paravant de quelque estrange
et horrible malheur, duquel il ne le pourroit pré-
server : luy envoya incontinent un héraut pour luy
déclarer qu'il renonceoit à Tamitié qui estoit
entr'eux : ce qu'il fît, à fin que, quelque malheur
si grand tombant sur Polycrates, luy ne tombast
aussi en une grande tristesse, à cause d'une telle
amitié, (qui estoit proprement celle qui procedoit
du bon accueil et bon traittement que sefaisoyent
ceux qui s'entrelogeoyent allans au pays l'un de
l'autre). Or qu'avint-il en la fin? Que Polycrates,
estant pris par Orœtes (ou Orontes)*, satrape du
roy des Perses, fut crucifié. Il me semble qu'il y-a
grande apparence que nos ancestres, curieux de
la lecture des histoires (selon que le temps leur
pouvoit fournir la traduction des plus notables
pour le moins), ayent regardé à ceste-ci entr' au-
tres en ce proverbe. Il nest pas à seur à qui ne
mescheut onques. ou pour le moins que le dis-
cours duquel est venu ce proverbe ne soit procédé
de l'observation de tel evenemens.
Au demeurant il faut considérer aussi une autre
chose : c'est que nos prédécesseurs lisoyent fort
curieusement les fables d'Esope (ce qui a esté
cause de les faire mettre en vers par plusieurs) ^ et
1. C'est Oroetes, 'OpoÎTiqç, d'à- logue et lui attribuait sans dis-
près Hérodote, III, 120 et sui- tinction tous les récits de ce
vants. genre. Tous les recueils de
2. Le moyen âge considérait fables portaient le nom d75o-
Esope comme le père de l'apo- pet^ diminutif du nom d'Esope ;
li
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242 DE LA PRECELLENCE
de là ont tiré beaucoup de proverbes plaisans et
de bonne grâce, comme aussi les Grecs : (qui en
faisoyent fort grand comte) et toutesfois encore
plus qu'eux, à ce qu'on peut juger par ce qui
nous en reste, car je ne doute point que le
nombre des nostres qui avoyent leur origine des
dictes fables, n'ait esté plus grand sans compa-
raison que nous ne l'avons. Tant y-a que voyla
qui fait estre plus souvent en nos proverbes le
loup, le chien, le renard, et autres bestes, qu'elles
n'y seroyent. Et à fin qu'on ne doute de ce que
j'ay dict touchant ceste origine d'une partie de
nos proverbes, il faut considérer qu'en aucuns est
faicte mention de la fable, comme en cestuy-ci,
Ainsi dit le renard des meures, quand il ny put
advenir *. Ce proverbe mesmement. C'est du temps
que les bestes parloyent ', est venu (comme je croy)
de ce qu'en ces fables elles sont introduites comme
s'entreparlans. Mais nos ancestres non contens
d'appliquer les noms des bestes à leurs proverbes,
autant que telle application peut convenir non
seulement aux fables d'^Esope, mais aussi à son
siècle (comme quand ils ont dict, A petite occasion
le plus connu est celui de pée collective qu'on appelle le
Marie de France. Les récits noman de Renart. V. Gaston
populaires, les traditions orien- Paris, la Littérature française
laies se mêlent aux fables grec- au moyen âge, p. H7 et sui-
ques, et c'est sans doute à cette vantes.
habitude très ancienne et très 1. Le Roux de Lincy, I, 199.
répandue de mettre en scène — Garneri Thésaurus, 637.
les animaux qu'il faut attribuer 2. Le Roux de Lincy, I, page
la naissance de l'immense épo- 133.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 243
prend le loup le mouton * : et ^ chair de chien
sausse de loup * : et, Renard qui dort la matinée,
n'ha pas la langue emplumeé) ' ont dict aussi, A la
fin sera le renard moine * : item. Le loup alla à
Romme, et y laissa de son poil, et rien de ses cous-
tûmes ^ : et ont usé de mesme liberté en autres
proverbes, sans avoir esgard au siècle de leur
maistre : je di, d'JEsope, qui leur avoit tant appris
des tours que s'entrejouoyent les bestes •.
Il faut toutesfois adjouster à ce que je vien de
dire, que nos prédécesseurs par l'observation
aussi du naturel de quelques bestes, ont dict beau-
coup de choses, qui sont par succession de temps
venues en proverbes allégoriques, comme, Onques
mastin naima lévrier ^ et, Onques chapon naima
gelines *. Et ceci ainsi couvertement dict, ha meil-
leure grâce que si on disoit, Jamais un homme
chastré n'aima les femmes : encore qu'aujourdhuy
ceste proposition soit contredicte. Aussi Noire
geline pond blanc œuf ^ , se dit de la femme
1. Le Roux de Lincy, I, 180. — Garneri Thésaurus y 422.
— Garneri Thésaurus, 421. 6. C'est que chaque généra-
2. Le Roux de Lincy, I, 179. lion a beaucoup ajouté aux
— Garneri Thésaurus, 138. — récits d'Esope, et que beaucoup
Le proverbe paraît signifier : de nos proverbes nous viennent
à méchant méchant et demi, du Roman de Renart, ou plutôt
C'est l'interprétation de L. Feu- des vieux contes dont il s'est
gère. formé.
3. Le Roux de Lincy, I, 199. 7. Le Roux de Lincy, I, 184.
— Garneri Thésaurus, 641. 8. Le Roux de Lincy, 1, 155 :
4. Le Roux de Lincy, I, 199. Jamais geline n*aima chapon,
— Garneri Thésaurus, 640. 9. Le Roux de Lincy, 1, 176.
5. Le Roux de Lincy, I, 181. — Garneri Thésaurus, 611.
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244 DE LA PRECELLENCE
noire, qui ne laisse pas d'avoir des enfants
blancs.
Et à propos des proverbes allégoriques, il y-a
aussi beaucoup de belles allégories d'autre sorte,
comme, Une bonne verge porte bien aucunesfois un
mauvais sion : pour signifier que quelquesfois
avient bien que d'une bonne race sorte un mau-
vais homme, ou qui soit de nulle valeur, et
(comme on dit aussi) de néant. Item, On ne doit
mettre le doigt entre Vescorce et le bois * : contre ceux
qui mettent des noises et débats entre les per-
sonnes qui sontproches les unes aux autres * : (j'en-
ten, entre lesquelles il y-a un lien fort estroict de
prochaineté) comme entre le père et l'enfant, le
mari et la femme. Et ceste similitude est fort
belle, car comme si le doigt se mettoit entre
Tescorce et le bois, il seroit à craindre que ces
deux venans à se rejoindre naturellement, il ne
se trouvast enserré, non sans sentir douleur :
ainsi celuy qui vient à mettre des noises et dis-
sensions entre telles personnes, est en danger,
quand elles retournent à leur naturelle alliance et
conjonction de volontez, qu'il ne soit comme
enserré et pressé de la haine que luy porte tant
Tune que l'autre. Or plus donne de pêne l'expo-
1. Le Roux de Lincy, I, 60. gnifle qu'il ne faut pas s'ingé-
— Quitard, Dict, des prov,, rer dans les affaires de per-
page 323. sonnes étroitement unies, qu'il
2. Le proverbe a un sens s'agisse de les diviser ou de
plus large aujourd'hui, et si- les réconcilier.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 245
sition de ce proverbe (laquelle est selon que j'en
ay ouy user) plus faut-il qu'il soit excellent : à
cause mesmement de sa briefveté, au lieu qu'il
faudroit user de beaucoup de paroles. Voyci
encores un exemple d'allégorie proverbiale, de fort
bonne grâce, Trop achette le miel qui sur les
espines le lèche *. Il y-a aussi des comparaisons
fort belles : au nombre desquelles on peut mettre
ceste-ci, Amour en cueur, feu en estouppes.
Outreplus nous avons quelques proverbes que
nous pouvons mettre au reng des traits subtils,
(que les Latins appeloyent acutè dicta) et aucuns
qui ont ceste subtilité plus en la façon de parler,
qu'en la sentence, comme cestuy-ci. Qui tout me
donne, tout me nie *. car ceste manière de parler,
qui de prime face nous semble conjoindre deux
contraires, ha fort bonne grâce.
Nous en avons aussi ausquels nous ne trouve-
rions point de raison, nous arrestans aux mots
d'iceux, et entendans tout simplement ce qu'ils
signifient, sans considérer ce qui s'en ensuit. Pour
exemple. Qui voit la maison de son seigneur, Il
n'y-a prou fit ne honneur ^ pourquoy est dict ceci?
que nuit-il de voir la maison de son seigneur? Il
faut donc entendre Voir de sa maison celle de son
seigneur. Or de ce voisinage tant prochain (car il
ne faut pas entendre de celle qu'on voit, encore
\, Le Roux de Lincy, I, 79. Qi tute me donne tut me tout.
2. Le Roux de Lincy, II, 482 : 3. Le Roux de Lincy, II, 100.
14.
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246 DE LA PRECELLENCE
qu'elle soit fort loin) il est certain qu'il peut venir
plustost mal que bien : et d'autant plus de mal que
plus il est dangereux de plaidoyer contre son sei-
gneur. De quoy nous sont tesmoins trois pro-
verbes : Jamais homme ne gangue de plaider à son
seigneur \ et, Jamais ne gangne qui procède à son
maistre^, et le troisième, Qui faict noces et maison,
et plaide à son seigneur ^ il met le sien à bandon ^.
Et puisque je suis tombé en propos de quelques
proverbes qui de prime face peuvent sembler
n'avoir point de raison, je parleray d'un duquel
plusieurs s'esbahissent. J'enten cestuy-ci, // est
maudict de V Evangile qui ha le choix et prend le
pire *. Car pourquoy dit-on que cestuy-ci soit mau-
dict de l'Evangile, veu qu'on n'y trouve point de
texte où soit tel maudisson? Nous trouverons
moyen d'excuser nostre proverbe, si nous voulons
un peu aider à la lettre. Car nous sçavons que le
Juif est maudict par l'Evangile : lequel Juif ayant
le choix a pris le pire, quand ayant à son choix
de sauver nostre seigneur Jésus Christ ou le bri-
gand nommé Barrabas, aima mieux sauver ce
meschant. Mais combienque je donne le moyen
de sortir de ceste difficulté qu'on propose touchant
ce proverbe, je confesse qu'il ne se faut pas beau-
1. Gameri Thésaurus, 595. trouvent à la suite du Thresor
2. Le Roux de Lincy, I, 252. de la langue franc oy se de ^icol,
3. Le Roux de Lincy dit : on trouve le même texte que
qui fait nopces en sa maison, dans Estienne.
— Dans les proverbes qui se 4. Le Roux de Lincy, I, 25.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 247
coup arrester à aucuns, pour y chercher toute la
raison qu'on diroit bien : mais considérer qu'il est
vraysemblable que les uns ne soyent sortis de si
bonne boutique que les autres. Ce que je di devoir
estre, considéré pareillement, es proverbes Grecs et
Latins.
Or quant à ces proverbes-là, Grecs et Latins,
encore que je ne vueille égaler les nostres à eux
(et principalement aux Grecs) si est-ce que je di
qu'aucuns, outre ce qu'ils contiennent des sen-
tences fort belles, sont aussi fort beaux quant à
la façon de parler, et ont une grâce inimitable.
Au nombre desquels peut estre mis cestuy-ci, qui
a esté mis en avant ci-dessus, parmi des autres,
Vhomme propose, et Dieu dispose *. Et cestuy-ci.
Mal pense qui ne repense ^ Ausquels on peut
adjouster les deux dont j'ay faict mention au
commancement de ce discours touchant nos pro-
verbes : Mal attend qui ne perattend : et, Qui bien
attend^ ne surattend ^. Et ce composé surattend, me
fait souvenir d'un autre mot qui ha ceste mesme
sorte de composition. J'enten le mot Sursomme,
en ce proverbe, La sursomme abbat Vasne *. Tou-
tesfois encore plus de pêne auroit-on à exprimer,
voire à donner seulement à entendre, la façon
gentile de cestuy-ci. Ce quest venu de pille pille
1. Le Roux de Lincy, I, 253. 3. Voir page 192.
2. Le Roux de Lincy, U, 343. 4. Le Roux de Lincy, I, 142.
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248 DE LA PRECELLENCE
s'en rêva de tire tire\ Aucuns aussi ont bonne grâce
pour une simplicité de langage, conjointe tou-
tesfois avec une grande propriété. Ce qu'il semble
qu'on pourroit dire de cestuy-ci, en tr 'autres,
Aussi bien sont amourettes soubs bureaux que
soubs brunettes *.
Quant à tels traits comme ceux-ci, A petit mer-
cier petit panier^ y et De tel pain telle souppe^, et,//
ha du sang aux ongles ^, et, // se couvre d'un sac
mouillé % (qui sont plustost façons de parler pro-
verbiales, que proverbes contenans sentences,
telles que nous voyons en ceux qui ont esté pro-
posez ci-devant) j'ose dire qu'en telle chose aussi
nostre langue ne cède point à aucune des vul-
gaires, mais plustost elles luy cèdent. Lequel
avantage nous avons pardessus le Latin aussi en
quelques endroits. Pour exemple, ce qu'il dit
Parvum parva décent ^ nous ne l'exprimons pas
1. Voir page 221. verbes françois, à la suite du
2. Le Roux de Lincy, II, 156. Dictionnaire de Nicot: Ce pro-
— Gameri Thésaurus, 38. vei'be appartient à cetix qui
3. Le Roux de Lincy, II, 140. jamais ne veulent confesser leur
— Gameri Thésaurus, 460. faute, et quand on leurmontre,
4. Le Roux de Lincy, II, 208. allèguent des excuses frivoles,
— Gaimeri Thésaurus, 702. et aussi propres à leur justifi-
5. Le Roux de Lincy, I, 273. cation comme si quelqu^un pour
L'expression équivaut à il a du se garantir de la pluie mettoit
sang dans les veines. sur sa teste un sac desja tout
6. Le Roux de Lincy, II, 180. mouillé et dégoûtant Veau, qui
L. Feugère dit que cette meta- le moûilleroit encore davantage.
phore est prise aux sculpteurs. De mesmes les excuses justes,
A son interprétation un peu dont telles personnes se pensent
trop savante, je préfère l'expli- bien couvrir, ne servent que de
cation plus simple et plus po- les convaincre de plus en plus.
pulaire donné dans les Pro- — Cf. Dialogues, 1, 130.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 249
seulement en ceste façon qu*on voit ci-dessus, A
petit mercier petit panier : mais nous disons aussi
pour exprimer la mesme chose, A petit sainct
petite offrande * : item, A petit chien petit lien *. Mais
c'est bien pis que ce langage Latin, en quelques
endroits n'est prouveu d'aucune façon de parler
proverbiale, au lieu que le nostre en ha plus qu'il
ne luy en faut pour sa prouvision : et quelquefois
par le moyen du Grec, duquel il reçoit ceste com-
modité entre autres.
Voyci encore un poinct qui est considérable en
nos proverbes : c'est, que la richesse de nostre
langue consistant en diverses choses, entre les-
quelles (comme j'ay dict parcidevant) sont les
dialectes et le parler ancien : ils nous fournissent
de Keaux exemples de ces deux : lesquelles leur
servent beaucoup pour nous apporter une variété
qui nous puisse resjouir. Quant aux dialectes
(dont ils n'usent pas tant que des paroles ou ter-
minaisons anciennes) ils en font leur proufit en
deux sortes, car quelquesfois ils prennent le mot
qui est peculier à un dialecte, comme negun (qui
est pareillement des Espagnols) a esté pris et mis
en besongne par cestuy-ci. Qui sert commun^ Une
sert negun ^ Quelquesfois ils usent d'un vocable
i. Le Roux de Lincy, I, page 3. Le Roux de Lincy, II, 406.
42. La forme donnée par Le Roux
2. Le Roux de Lincy, I, 166. de Lincy est nesung au lieu de
— Gaimeri Thésaurus, 439. negun.
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250 DE LA PRECELLENCE
qui ne peutestre dict peculier à un dialecte, sinon
alors qu'on luy donne une certaine signification,
autre qu'il n'ha au parler commun. Ce qui se voit
pareillement au langage des Rommans. pour
exemple, en ce passage du Romman de Perceforest,
Le roy avoit bien cent ans d'âge, et ne voulait pas que
son royaume comparast sa vieillesse, ce cam-
parast est un mot lequel se trouve souvent au
commun parler des François, mais non en ceste
signification. Et qui la veut trouver, il faut s'adres-
ser à certains dialectes, où on dit, // le com-
parera bien, pour signifier, Il n'aura pas cela sans
beaucoup de pêne. Il aura bien de la pêne autant
que la chose vaut, comme si on disoit. Il achet-
tera bien cela : en suivant celle signification du
latin Comparare, en laquelle il se prend pour
Acheter. Car quant aux mots pris du Latin, il
advient souvent que le mot duquel ils ont leur
origine, ayant deux significations, l'une seule-
ment se retient au commun parler des François,
l'autre est peculiere à quelque dialecte.
Quant à ce qui se trouve en nos proverbes
pris de l'ancien langage, j'en ay desja en quel-
ques lieux monstre des exemples : mais je veux
advertir que quelquesfois ce sont les mesmes
mots, ayans seulement la terminaison différente,
comme quand au lieu de Lou nous trouvons IjCU * :
1. La forme leu est la forme picarde. Nous la trouvons en-
core dans Pexpression à la queue leu leu.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 251
quand au lieu que nous disons, De nouveau tout
est beau, nous trouvons, De nouvel tout est bel *.
Quelquesfois les mots sont autres : comme où
nous trouvons Goupil pour Renard (comme en ce
proverbe, A goupil endormi ne chet rien en la
gueule* : estant ce mot ancien pris du Grec)' item.
Mire au lieu de nostre Médecin. Il est vray que ce
mot Mire ^ est retenu en quelques endroits : comme
ici (où il est nécessaire à cause de la ryme) Qui
veut la guarison du mire, Il luy convient tout son
mal dire \ Mais encore l'ancienneté n'est pas du
tout gardée ici. car il y-a un autre ancien mot,
meshain, au second vers, selon les vieux registres :
où nous lisons. Qui veut la guarison du mire, Il
luy convient son mehain dire. Lequel mot mehain
se trouve aussi en ce proverbe. Nul poulain nest
sans mehain. Or veux-je advertir que les proverbes
ont plus d'autorité en leur ancien langage, qu'en
l'autre : et principalement aucuns. Pour exemple,
si nous disons, Moult remaint de ce que fol pense ^,
ce langage ha plus d'autorité que si nous parlons
ainsi, De ce que fol pense souvent en demeure. Sur
1. Le Roux de Lincy, II, 285. 4. Nicot donne le mot Mire
— Garneri Thésaurus, 515. sans indiquer qu'il ait vieilli.
2. Le Roux de Lincy, I, 199. Mais il donne aussi sans au-
— Garneri Thésaurus, 637. cune remarque bien d'autres
3. Goupil ne vient pas de mots qui avaient certainement
àXtoTCYjÇ, mais de vulpecula. On cessé d'être employés, par
trouve le mot sous beaucoup exemple mehaing.
de formes, entre autres vulpil, 5. Le Roux de Lincy, I, page
vurpil, volpil, vorpil. (V. Gode- 267.
froy.) 6. Voir page 205.
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252
DE LA PRECELLENCE
ce propos de Tancien langage qui est en quelques
proverbes, il me souvient de quelques-uns qui
sont corrompus : le premier desquels ha ce mot
ancien mire pour médecin (qui a aussi esté appelé
Physicien par nos ancestres) *. Car en quelques
impressions qui sont des plus récentes, on a mis
ces mots. De bonne myrrhe playe puante, en la
place de ceux-ci, Débonnaire mire fait playe
puante *. Auquel proverbe est semblable cestuy-ci.
Femme trop piteuse fait souvent fille ligneuse ^. Un
autre proverbe corrompu, es anciennes impres-
sions mesmement, c'est. Un fol un enragé, car il
faut dire, Un fol fait quelques fois enrager un sage^.
Aussi est dépravé cestuy-ci, que plusieurs ont
souvent en la bouche, // ne faut pas faire à Dieu
barbe de paille, car on doit dire Gerbe de paille *.
1. C'est ce qui ressort des
exemples donnés par Littré.
On y voit aussi que physique
signifiait autrefois méaectne.On
sait qu'en anglais encore le
moiphysician signifie médecin,
2. Léon Feugère explique :
Un médecin trop bon fait empi-
rer le mal. Le mot bon a le
tort d'être trop vague, mais le
proverbe suivant fait bien com-
prendre que le mot signifie :
un médecin sans énergie, qui
craint de faire soufl'rir le ma-
lade. Le Roux de Lincy donne
le proverbe sous deux formes :
Bon mire fait plaie puante, I,
265; et Main de médecin trop
piteux Rend le mal souvent trop
chancreux, I, 266. Cf. Gameri
Thésaurus, 454.
3. Le Roux de Lincy, I, 232.
4. Ce proverbe se trouve
dans Le Roux de Lincy, I, 244.
Mais on trouve à la page sui-
vante : Ung fol vault ung en-
ragé. Peut-être serait-il plus
naturel d'interpréter ainsi le
proverbe cité par Estienne.
5. Le Roux de Lincy, I, 23.
— De Méry, Hist. des prov.y II,
316. Quitard, Dict. des prov,,
1D7. — Comme le dit Estienne,
barbe est ici pour jarbe ou
gerbe. L'expression signifie au
propre : il ne faut pas, quand
on paie la dîme, donner des
gerbes où il y ait peu de grain
et beaucoup de paille, et au
figuré, d'une façon générale,
il ne faut pas chercher à trom-
per Dieu.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 253
Je croy que ceux qui ne voudront point nier
qu'il face jour en plein midi, ne nieront point
aussi la precellence de nostre langue, quant à ce
troisième poinct, qui Qst de la richesse, non plus
que quant aux deux autres. Laquelle richesse
estant de diverses sortes, je sçay bien qu'on me
pourra répliquer, comme touchant les précé-
dentes, que les autres langues vulgaires y ont
aussi leur part. Ceci ne nieray-je point : mais en
adjoustant que (comme es sortes précédentes)
elles y ont bien petite part, à comparaison de la
nostre. Et d'autant qu'il s'agit en ceste-ci de pro-
verbes, je confesseray, outre cela, que si l'Ita-
lienne ou Espagnole nous pouvoyent estre compe-
titrices en quelcune, ce ne seroit point en autre.
Mais, pour faire principalement instance sur la
principale sorte de richesse d'un langage, laquelle
requiert qu'il soit bien meublé de beaux vocables,
je diray touchant ceste-ci, que quand bien j'au-
rois si mal plaidé ma cause que j'aurois laissé
emporter le pris à nos compétiteurs, le proufit
leur en demeureroit, mais l'honneur nous en
reviendroit. Comment? Pource que s'ils sont
riches, c'est de nos bienfaicts. Ce que je di tant
plus hardiment que je me sen avoir bon garant.
Car leur cardinal Bembo ne me peut denier
garantie, sans desavouer le livre qu'il a intitulé
Le Prose, veu qu'il a escrit là, Presero oltre accio
medesimamente moite voci i Fiorentini huomini da
PRECELL. DU bANOAOE FRANÇOIS. 15
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254 DE LA PRECELLEMCE
questi (Provenzali) et la loro lingua anchora e
rozza e povera iscaltrirono ed arrichirono delV
altrui. Conciosia cosa che Pogiare, Obliare, Ri-
membrare, Assenibrarey Badare^ Donneare, da gli
antichi Thoscani delta, e Rijmrare {quando vuoldire
S tare ed Albergare) e Gloire, sono provenzali, e
Calere altresi\ Où il commance à confesser une
partie des mots que les poètes Thoscans avoyent
pris du langage Provenzal ' : mais confusément,
d'autant que ces deux, Obliare, et Gioire (qui sont
nostre Oublier et nostre Jouir), estans fort usitez
à tout le reste de la France pareillement, sont
meslez avec les autres mots, peculiers aux Proven-
çaux, ou qu'ils ont communs avec le vieil langage
seulement. Quant à Poggiare, la raison veut qu'il
ait esté faict de Poggio (non pas Poggio de Pog-
giare), lequel vient de Podium. Or on expose ce
Poggiare, non pas simplement Monter, mais
Monter jusques au plus haut d'un tertre, selon le
vray usage du pays d'où il vient. Rimembrare, est
une parole des Rommans aussi, et mesmement
d'aucuns dialectes de France, encoresaujourdhuy,
1. Car les Florentins en ou- rare(quand il veut dire AC/cnir
tre prirent également beaucoup et loger), et gioi?*e sont pro-
de mots à ceux-ci (aux Pro- vençaux, et calere aussi,
vençaux), et dégourdirent en 2. Voir Pasquier, Recherches,
'enrichissant du bien d*autrui VII , iv et vm ; — Fauriel,
eur langue encore grossière Histoire de la poésie provençale,
et pauvre. Attendu que pog- I, 47 et suiv. — Cf. Deux Dia-
giare, ohliare, rimembrare, as- logues du nouveau langage
sembrare, badare, donneare, françoys italianizé, édit. Ris-
mots du vieux toscan, et ripa- telhuber, I, 24.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 255
qui disent Se remembrer, pour Se souvenir. Assem-
ôrare a esté en usage tant pource qu'on dit Assem-
bler, que pour Resembler, ou Faire resembler.
Selon ceste première signification a esté dict,
Vedervi cosi assembrati tutti in un volere *, pour
Eaunati, Mais selon ceste seconde, Rassembrare et
Bassomigliare se mettent pour un mesme, par Ber-
nardino Tomitano. Badare, Perdre temps à atten-
dre, Attendre en vain, encore qu'on le vueille faire
venir de Vadari. JDonneare, Hanter les dames et
les entretenir. Faire la court aux dames. Riparare,
ce que les Rommans disent Repairer : lequel verbe
toutesfois est moins usité que le nom Repaire,
duquel il est venu ^ Et comme Repaire signifie le
logis, ou le lieu de la demourance, ainsi Rejmirer
c'est loger en quelque lieu et y faire sa demou-
rance. Castelvetro toutefois ne veut pas que Rij)a-
rare soit simplement Stare ed albergare (comme
Tavoit exposé Bembo), ma stare ed albergare, quando
con la stànza o con Valbergo ha congiunto il riparo
e la difesa o da nemici, o dal fr^eddo, o dal càldo,
dalla poverta, et da simili maleventure ^. Voyla
comment après nous avoir pris nos mots, et les
avoir mis en usage, ils disputent encore entr'eux,
1. Vous voir tous ainsi réu- 3. La phrase signifie : Mais se
nis en une môme volonté. tenir et loger, quand à l'idée
2. C'est au contraire repaire de chambre ou de demeure est
qui vient de repairier, retour- jointe l'idée d'abri et de dé-
ner dans sa patrie, dans sa fense contre les ennemis, ou
maison, ilepaire se trouve dans le froid, ou le chaud, ou la
l'ancienne langue avec le sens pauvreté, et contre un sem-
•de retour. blable mal.
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256 DE LA PRECELLENCE
quelle est leur signification. Quant à Gioire, il n'y
a point de doute que ce ne soit ce que nous disons
Jouir, comme en ce vers de Pétrarque, lo, che
gioir di tal vista non soglio *.
Touchant ce mot Calere aussi, Castelvetro n est
point de l'opinion de Bembo : mais je croy que,
s'il eust bien entendu le langage François, il en
eust esté. Car Bembo dit que les anciens Toscans
voulans signifier que quelcun ne se soucioit point
de quoy que ce fust, disoyent que lo poneva in non
calere : ou, à non cale : ou, à non calente. et monstre
comment Pétrarque mesmement en a usé en ce
passage,
Fer una donna ho messo
Egualmente in non cale ogni pensiero *,
Il est certain que ho messo in non cale est et
comme si nous disions, J'ay mis en nonchaloir. et
que Calere c'est chaloir. Voyla pourquoy je m'esbahi
que Castelvetro reprend ici Bembo : Et io dico
(dit-il, après avoir allégué le passage de Bembo),
che Calere è Latino, anchora in questà signifiça-
tione : percioche le cose che ci cuocono, ci si fanno
curare, et quindi Statio disse, Bellator nulli caluù
deus^. Il adj ouste, Adunque ponere o mettre che
1. Il Petrarca cou nuove spo- 2. « Pour une dame j'ai mis
sUioni, In Lyone, 1574. Del également toute pensée en non-
Trionfod'AmorecavUolo primo, chaloir. » Edition citée, Can-
V. 16 ; Moi qui n^ai pas cou- zone, XLVllI, v. 33-34.
tume de jouir d'une telle vue. 3. Et je dis que calere est
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 257
che sta per non calente, o per non calere, cio è per
cosa che non cuoca : et per conséquente^ per cosa
che non sia da curare *. Je m'estonne fort comment
il a voulu ainsi forcer ce mot à recongnoistre son
origine du Calere Latin, et mesmement du Calere
de la cuisine : et au lieu qu'il n'a pas voulu con-
fesser que sa nation Tait pris de la nostre, je luy
veux confesser volontairement que c'est un mot
plustost Gaulois que François : veu que les Ale-
mans en usent, car ils disent Chat nits quand ils
veulent dire, Il n'importe point. C'est tout un :
Perinde est, comme si nous disions, Il n'en chaut
point. Il est vray qu'ils l'escrivent avec un s
devant, Schat: et encore quelques-uns mettent un
d devant t *.
Pietro Bembo vient encores à un autre dé-
nombrement de mots pris des Provençaux : Gtd-
derdone, pour Guerdon : Arnese, pour Harnois :
SoggiornOy pour Séjour : Orgoglio, pour Orgueil :
Arringo, pour la lice où on court la lance : com-
latin, même dans ce sens, 7iuit pas; il n'y a pas de mal,
parce que les choses que Ton il n'importe pas. Estienne fait
cuit demandent du soin, et toujours la même confusion
c'est pourquoi Stace dit : Bel- entre le langage gaulois et les
latornullicaluitdeus(Theb,\l, langues germaniques. Il n*y a
356). aucun rapport entre le mot
l.Doncposer ou mettre quoi allemand et le mot français
que ce soit en nonchaloir, c'est ou le mot italien. Ces deux
le considérer comme une chose derniers viennent bien du latin,
qui ne cuit pas, et par consé- Mais il va sans dire qu'il faut
quent une chose qui n'est pas rejeter l'explication baroque
à soigner. de Castelvetro. Chaloir, calere,
2. L'allemand dit : es schadet signiGe avoir de la chaleur,
nichts, littéralement : cela ne offrir de l'intérêt.
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258 - DE LA PRECELLENCE
bien qu'on luy donne encore une autre significa-
tion : et Guisay pour Guise : et Huopo, pour Besoin.
Et cependant qu'il est en train de confesser, il
passe bien plus outre, car il adjouste Quadrello
(que Castelvetro dit estre Saetta che ha il ferro da
qiiattro aletté) *. et Onta^ pour Honte; et Prode,
Vaillant, se disant Prode huomo, comme nos Rom-
mans usent de Prend* homme, pour vaillant. Et
Talento, pour Talent, ancien mot, pour Volonté : et
Tenzona, pour Tansement, s'il se peut dire de
Tanser : et Gaio, pour Gay : eilsnello, pour Promt
et legier, Viste : et Guari,i^ouT Guère : et Sovente,
pour Souvent : et A Itresi, pour Aussi, Pareillement,
et Dottare et Dottanza, pour Douter etDoute. comme
si je di. Je me doute de cela, ou J'ay doute de
cela, en signifiant quelque crainte. Et puis, pre-
nant occasion de ce mot DoUanza, fait un récit de
plusieurs ayans ceste mesme terminaison : la-
quelle il dit avoir pieu aux Provençaux première-
ment, et puis aux Toscans, prenans exemple à
eux. Il adjouste donc Pietanza, pour ce que nous
disons Pitié : Pesanza, pour Pesanteur : Beninanza
et Malinanza, pour Bénignité et Malignité : et
Aller/ranza, pour Allégresse : et Dilettanza, pour
Délectation : et Piacenza, pour plaisir : en la signi-
fication qu'il ha quand on dit Donner du plaisir,
ou. Prendre du plaisir. Et Valenza, pour Vaillance,
1. Flèche qui a un fer à quatre arêtes.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 259
OU Valeur : et Fallenza, pour Tromperie. Il est vray
que quant à ces mots, et autres de mesme termi-
naison, il nomme aucuns qui en ont usé devant
Dante et Boccace, et plus aussi qu'eux. Quant aux
autres, il use luy mesme d'aucuns en ce livre-la :
mais principalement de Altresi. car incontinent
après Tavoir mis en son dénombrement parmi les
autres, il dit, // quale fine piacendo per imitalione
altresi à Thoscani \ Et six ou sept lignes après,
Passa questo uso di fine à JDante, et al Boccacio al-
tresi^. Il use aussi souvent à^Sovente et de Guisa :
et guère moins de guari, Voyla comment on voit
que luy mesme estoit fort friand d'aucunes de ces
paroles Provençales.
Il passe encore plus avant en ce dénombre-
ment : et vient à aucunes desrobees par Dante (car
luymesme dit, furd Dante da Provenzali) ^, entre
lesquelles soni^Aranda^ qu'il expose ^^y^eri a * : et
BozzOy qu'il dit signifier Bastardo e non legitimo.
Apres ces deux \ieni Gaggio, qui est Gage : après,
Landa ^ : que Castelvetro pense estre composé de
l'article La, et de anda, pour andata^. Apres, Mira-
glio, pour Miroir : après, Smagare, lequel il dit
signifier Trarre di sentimento e quasi délia jyrimiera
\. Celte terminaison plai- 3. Dante a dérobé aux Pro-
sant aussi par imitation aux vençaux.
Toscans. 4. A peine.
2. L'usage de cette termi- 5. Plaine, campagne,
imison a passé à Dante et aussi ^. Andata signifie : Allée,
à Boccace. marche.
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260 DE LA PRECELLENCE
imagine * : et se prendre aussi simplement pour
Affannare^, Et dit que non seulement Dante a usé
souvent de ce Smagare^ mais aussi les autres
poètes : et Boccace pareillement en ses proses.
Quant à Pétrarque, seulement une fois : pource
qu'il luy sembloit rude. Il vient puis à Drudo, à
Marca, à Vengiare, Giuggiare, Approcciare, Inveg-
giare et Scoscendere. Apres, à Bieco, Croio, For-
sennato, à Tracotanza et Oltracotanza, et à Trasco-
tato ^. Apres ceci, ayant dict pour la seconde fois,
que Pétrarque avoit esté moins hardi en ces mots
que les autres, il monstre que nonobstant cela il
usa de Gaio^ de Lassato, de Sevrare, de Grmnarey
de Oprire, pour Aprire. Qu'il usa aussi deLigio*^ :
item de ceste manière de parler, Tanto o quanto,
qui est (comme je pense) ce que nous disons,
Tant soit peu. che posera (dit-il) i Provenzali in
vece di dire Pur un poco ^. Et puis ayant allégué
un exemple de cest usage, adjouste, Senza che egli
alquante voci Provenzali, che sono dalle Thoscane in
alcuna loro parte differenti, usa piu volentieri et
piu spesso secondo la Provenzal forma che la Thos-
cana ^ Et puis, pour exemples de cela, dit que
1. Détourner quelqu'un de 4. Gai, lassé, séparer, attris-
la pensée et pour ainsi dire de ter, ouvrir, vassal.
l'image qui l'occupait. 5. Que les Provençaux em-
2. Chagriner, inquiéter. ploient pour dire un peu.
3. Amant, marque, venger, 6. En outre, pour quelques
juger, approcher, envier, écla- mots provençaux qui sont en
ter (se fendre) ; — louche, gros- quelque partie différents des
sier, forcené, présomption, ou- mots toscans, il a employé plus
trecuidance, présomptueux. volontiers et plus souvent la
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 261
Pétrarque use plus volontiers de Aima, que de
Anima : de Fora, que Saria : de Ancidere, que Ucci-
dere : de Augello, que Uccello * : item, de Primiero
(où il peut), que de Primo. Quant à Conquiso, qui
est un vocable Provençal, qu'il en a souvent usé :
de Conquistato, qui est Thoscan, jamais. Il adjouste
Havia, Solia, Credia *, qu'il dit aussi estre pris des
Provençaux. Il parle puis d'un certain usage de
ce mot Ha, et de quelques façons de parler, prises
pareillement du langage Provençal.
Mais, avant qu'adjouster cela, je veux mons-
trer qu'il s'en faut beaucoup qu'il confesse toute
la debte : voire qu'il n'en confesse pas la centième
partie, si on veut mettre en avant tous les mots
que son langage a pris du nostre, sans spécifier
ceux des Provençaux.
Et je suis délibéré de commancer par les an-
ciens : encore que luy (je di le Cardinal Bembo)
en son dénombrement ait meslé non seulement
des mots d'autre contrée, mais aussi des modernes
parmi des anciens. Et pource que nous sommes
demourez sur Pétrarque, je veux retourner à luy
mesme. Voyci donc un de ses vers en son
Triomphe d'Amour, près du commancement,
Quattro destrier via piic che neve bianchi ^. On
forme provençale que la fdrme 2. Avait, avait coutume,
toscane. croyait.
1. Ame, serait, tuer, oiseau. 3. Quatre destriers plus
15.
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262 DE LA PRECELLENCE
ne peut nier que Destrier ne soit un des vocables
de nos Rommans, pour signifier Un cheval de
guerre : que nous appelons autrement Un cheval
d'armes. Comme aussi il est certain que leur
Palafren ou Palafreno est sorti de nostre ancien
Palefroy^ dont est venu Palefrenier^. Orcemesme
poète use de Lusingar, tant ailleurs qu'en cest
endroit,
Amor con sue promesse lusingando
Mi ricàndusse à la prigine antica '.
Il a falu que Pétrarque, ayant ici besoin d'un
beau mot et bien choisi, le soit venu emprunter
de nos Rommans, qui disent Loseriger, pour Déce-
voir, ou pour le moins attraire par blandissemens
et flatteries : et usent aussi de Losengier et de
Losenge. (lesquels se trouvent mesmement en l'in-
terprète de Guillelmus Tyrius^ : interprétant blan-
blancs que la neige. Edit. cit., mon ancienne prison. •»£(!. cit.,
Del Trionfo (VAmore, I, 22. Sonnet LVII.
1. Cf. Dialogues, I, 189. Il 3. Guillaume, dit Guillaume
suffit de rappeler une fois pour de Tyr, naquit soit en Syrie,
toutes que les accusations por- soit à Jérusalem, vers 1127, étu-
tées par H. Estienne sont tout dia en Occident, fut nommé
à fait puériles. La ressem- en 1167 précepteur de Bau-
blance qui peut exister entre douin, filsdu roi de Jérusalem
un mot Italien et un mot fran- Amaury, et la même année
çais n'atteste le plus souvent archidiacre de la métropole
qu'une communauté d'origine, de Tyr. Après avoir rempli
On pourrait retourner contre plusieurs missions à Constan-
H. Estienne la plupart des tinople et à Rome, il devint
argumentsdont ilsesert. (Voir archevêque de Tyr en 1174,
l'Introduction.) assista en 1177 au concile de
2. - Amour, en m'attirant par Latran, dont il écrivit une his-
ses promesses, me ramena à toire aujourd'hui perdue, prô-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 263
dimenta par ce mot Losenges) comme aussi les
Italiens ne se sont pas contentez du verbe Lusin-
gar, mais ont faict pareillement un Nom Lusinghe,
du nostre. Et Pétrarque a aussi dict Lusinghier
(pour Lusinghiero) en ce vers,
Per servir qiiesto lusinghier crudele *.
Les Espagnols aussi ont voulu avoir part au butin :
et ont dict Lisongear, pour Flatter, et Lisongero^
pour Flatteur.
Ce mot que les Espagnols nous ont pris, aussi
bien que les Italiens, me fait souvenir d'un autre
qui nous a esté ainsi pillé par toutes ces deux
nations. C'est Escharnir, pour. Se moquer de
quelcun. Et toutesfois ce mot Escharnir semble
estre aucunement différent : veu que l'interprète
de Tyrius met tous les deux, quand pour ces
paroles Latines, Probris af/lciebat etcontumelù's, il
met celles-ci. Ne fmoit d'' escharnir et moquer. Les
Italiens en ont faict leur Schernire, les Espagnols
leur Escarnecer : qui usent aussi de Burlar, comme
les Italiens ^. auquel mot d'autant que nous ne
cha en Europe une croisade Le nom de son plus ancien
en 1188 et mourut vers 1193. traducteur n'est pas connu. Il
II a laissé un ouvrage en la- avait écrit aussi une Histoire
tin : Historia rerum in partibus des Arabes qui est perdue.
transmarinis gestarum a tem- 1. « Pour servir ce séducteur
pore successorum Mahometis cruel. » Canzone XLVIII, ^9.
usque ad annum Domini fi 84. 2. Cf. Dialogues, I, 4; II, 186.
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264 DE LA PRECELLENCE
prétendons rien, j'en laisse le débat à ces deux
nations.
Je ne diray pas le mesme touchant ce mot
Merci, car il est aussi un de nos anciens, duquel
toutes ces deux nations ont faict leur proufit.
Quant à l'Espagnole, il n'en faut point demander
d'exemples, veu qu'il luy est si fréquent : quant
à l'Italienne, elle en a encore plus usé (ce me
semble) qu'elle n'en use : et tousjours en changeant
la voyelle i en e, (au lieu que quelques Espagnols
semblent le prononcer comme nous, encore qu'ils
usent de ceste mesme mutation en escrivant) comme
en ce passage du second livre des Azolains de
Bembo, sua dolce merce, dict par forme de paren-
thèse. Et en cestuy-ci de Boccace, Ch'ella, Iddio
merce, anchora non mi bisogna ^ En cest autre de
luy mesme, Voi, la vostra merce, havete honorato
il mio convito^. Ils disent aussi, La buona merce.
Or combien que merce soit estimé signifier gratia
en tels endroits, si est-ce que Bembo met tous les
deux (mais joignant buona avec gratia) en la fin
de son epistre devant ses Azolains, Alla cui buona
gratia e merce inchinevolmente mi raccommando ' :
escrivant à madonna Lucretia Estense or g ia ,
duchessa illustrissima di Ferrara. Quant à nostre
merci François, lequel je di que ces deux autres
1. Je n'ai pas besoin d'elle, 3. A la bonne grâce et merci
Dieu merci. de laquelle je me recommande
2. Le sens est : Merci, vous avec respect,
avez honoré mon festin.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 265
nations ont imité, nous en avons des exemples en
nos Rommans, et nommément en celuy de Perce-
forest. Quant aux deux autres usages de ce mot
merci, Tun quand nous disons Grand merci, Tautre
quand on dit Je vous crie merci, il n'est besoin
d'en aller chercher les exemples si loing, veu que
nous les oyons tous les jours : et faut noter
que Boccace n'a pas moins faict son proufît de ces
deux usages, que de cest autre, car il a dict,
Dicendo gran mer ce à messer lo frate *. Item Gli
gridava merce. Et, Lei gridando merce et ajuto *.
Il y-a encore d'autres de nos paroles que nous
pouvons trouver en tous ces deux langages, je di,
tant des Espagnols que des Italiens : (comme je
monstreray ci-apres) et aucunes aussi dont les
Espagnols seuls ont faict leur proufît (j'enten,
outre celles que chacun peut aisément remarquer)
mais maintenant, me contentant de poursuivre le
discours commancé, je retourneray aux emprunts
que Pétrarque a faicts.de nos prédécesseurs (avant
que parler des vocables dont nous usons aujour-
dhuy: aucuns desquels, voire plusieurs, nous sont
communs avec eux) et allegueray ces vers,
Per le carrière tue fanciulle e vecchi
Vanno trescando *...
1. En disant grand merci à 3. « Par tes appartements,
messire le frère. jeunes filles et vieillards vont
2. Il lui criait merci. — Lui folâtrant. » Edit. citée, Sonnet
criant merci et secours. GVI.
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266 DE LA PRECELLENCE
Car je di que ce trescando vient de nos Rom-
mans. Et qu'ainsi soit, nous lisons au Romman
d'Alexandre,
Qui nuit ménestrels sonner maint instrument.
Et danser et tresquer bien et avenamment.
Quant à Carolar pareillement on sçait que les
Italiens Font pris de nous (duquel use Boccace
tant ailleurs qu'ici, Concio fosse cosa che tutte le
donne carolar sapessero) * aussi bien que Danser^
qui est aujourdhuy beaucoup plus en usage. Et
de tous les deux ensemble (de peur de faillir) a
usé le cardinal Bembo en ses Azolains, au second
livre. Voyla comment la langue Italienne a pris
de la nostre trois vocables pour signifier une
mesme chose : et si aujourdhuy nous en prenons
seulement un d'eux, asçavoir leur Ballar, il semble
que nous leur facions grand tort*. Et je suis bien
d'avis qu'on s'en passe, sinon en poésie, où la
ryme nous rend subjects.
Je croy que ce mesme poète aura usé aussi de
Balia, pour Puissance, comme nous le trouvons en
Bocca,ce y Hammi in sua balia^. Que si quelcun doute
que ce soit un vocable de nos Rommans, voyciun
passage de celuy du bon roy Perceforest, Madame
[dit le chevalier) par ma foy il me peseroit moult si
1. Attendu que toutes les 2.V.DiaZo^Mffs, 1,269; II, 112.
dames savaient danser. 3. Il m'a en sa puissance.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 267
je disoye ou faisoye chose qui vous tournast à
desplaisir. Et si faict favoye, sachez que Amour le
me auroit faict faire^ qui rna en sa baillie. Car
qui rna en sa baillie ne peut signifier autre chose
que cela, Qui m'a en sa puissance : ou, en sa sei-
gneurie et domination. Aujourdhuy Bailli est à peu
près le mesme qui es autres contrées de la France
est appelé Seneschal.
Ce mesme endroit de ce Romman me fournira
deux exemples de mots anciens , qui sont du
nombre de ceux dont il s'agit. Car nous lisons
là. Mais que jamais par gabs ne autrement de ce
ne me ptarlez. Et un peu auparavant elle avoit
dict, Mais je croy que vous le dites ])ar soûlas. Et
bientost après, pour signifier la mesme chose,
elle use du mot esbatement. Je di donc première-
ment que le Gabbo des Italiens est venu de ce
Gabs. Duquel Gabbo use Boccace en cest endroit,
Intese il motto, et quello in festa et in gabbo preso^
mise mano in altre fiovelle K Et comme de ce Gabs
est venu Gaber, aussi Gabbar, de Gabbo. Mais quant
à ce verbe Gaber, il est encore aujourdhuy en
usage en quelques lieux, comme aussi Gabeur,
plustost que Gabs : au lieu duquel on use plus
volontiers de Gaberie, L'autre mot, Soûlas, est
encore moins en usage que Gabs : duquel Soûlas
(je dis Soûlas signifiant Esbatement, Passetemps)
1. Il comprit le bon mot, le prit gaîment et en plaisanterie,
et passa à d'autres nouvelles.
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268 DE LA PRECELLENGE
les Italiens ont faict leur Solazzo ou Sollazzo, et
ont dict aussi Solazzar, voyans que nos ancestres
avoyent faict Soulasser ou Soulassier, de Soûlas,
Or comme on ne pourroit user de ce mot
ancien Soûlas en ceste signification -là, sans
danger de reprehension, pource qu'on le pense-
roit estre de ceux qu'on escorche aujourdliuy
du langage Italien à tors et à travers : ainsi en
avons -nous autres desquels on peut dire le
mesme. De ce nombre sont non seulement aucuns
des precedens, mais aussi trois que j'ay gardez
pour la fin : lesquels seroyent encore plus sus-
pects de ce que je vien de dire que les autres, et
par conséquent plus subjects à reprehension. Le
premier sera Brigade '. car nous trouvons ce mot
en quelques Rommans, et nommément en celuy
de Perceforest : Ils s'en partirent de celle brigade.
c'est à dire de celle compagnie. Voyla comment
nous pouvons mieux de droit user de Brigade
que Boccace de Brigata, en le prenant de nostre
ancien langage. Le second lieu sera donné à Ena-
mouré, car plusieurs pourroyent penser pareil-
lement qu'ils fust tiré de l'Italien Inamorato, ou
pour le moins faict à son exemple : et toutesfois
nous lisons es Rommans non seulement Enamouré,
mais aussi S'énamourer *. comme en ce passage,
4. Cf. Dûz/o^wes, II, 246-47. archaïques, ont depuis com-
2. Enamouré, s^enamourer, mencé à revivre. Peu après
qu'Estienne considère comme Régnier écrivait : Tout riait
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 269
Car ja pieça il se énamoura d'une jeune damoi-
selle Rommaine. Nous lisons aussi, Je vous ay éna-
mourée, en cestuy-ci, Car tant vous ay énamourée
puisque premièrement vous vi. et sont tous les
deux passages pris du Romman de Perceforest.
Le troisième mot sera S'embatirK comme en ce
mesme Romman, Et tellement luy escheut, quil
s'embatit sur une fontaine, et me souvient que le
Romman de la rose * aussi use de ce mot. telle-
ment qu'il ne faut douter que les Italiens ne fa-
cent leur proufit de cestuy-ci comme des autres,
quand ils disent, Me son embatuto, ou imbatuto,
in un tal luogo ^. On me demandera maintenant
si nous ne pouvons pas user de ces mots pour le
moins, lesquels encore qu'on puisse penser estre
tirez du langage Italien, au contraire luy les a
pris du nostre. Je respondray qu'il ne me semble
pas qu'en nostre parler ordinaire nous en devions
servir, non plus que des autres, non usurpez par
les Italiens : ains encore moins, puisque nous
auprès d'elle et la terre parée 1. Cf. Dialogues^ I, 133.
Etait énamourée. (Liltré.) Au 2. Le mot s^ rencontre très
commencement de nostre siè- souvent. Edition Pierre Mar-
cle, énamourée est employé : teaux {Bibliothèque orléanaise),
Paul-Louis Courier : Quelque v. 1670 :
pauvre énamourée va s'y re-
paître de doux souvenirs. (Lit- Se j'eusse avant cognéu
tré.) Plus tard, poètes et pro- Quex sa force ert et sa vertu^
sateurs ont fait grand usage Ne m'i fusse jà embatu.
des mots énamourer, énamouré,
s'énamourer, qui d'ailleurs Cf. vers 7943, 7970, 8415,
n'ont, pas de vrais synonymes 10 080, etc.
et sont par conséquent néces- 3. Je me suis engagé en un
saires. tel endroit.
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270 DE LA PRECELLENCE
avons esté si mal songneux que nous leur avons
laissé avoir le droit de prescription sur iceux : et
d'ailleurs que nous sommes en un temps où Tabus
de ceux qui escorchent le langage Italien peut
rendre suspect Tusage de tels vocables, et par
conséquent odieux, aussi bien que des autres.
Mais en poésie j'estime devoir estre permis : et
s'il devoit estre licite de s'aider de quelcun
ailleurs aussi, je dirois que ce seroit de Ena-
mouré et de S'énamourer.
Il me souvient aussi du nom d'une beste, que
je veux maintenir estre pareillement faict d'un
de nos anciens vocables, c'est Botta, qui signifie
ce que nous appelons CrajMud. car je di que nous
trouvons Botterel en nostre vieil langage, dict
aussi pour Crapaud. Et d'autant que ce mot Bot-
terel ha forme diminutive, il est vray-semblable
qu'on ait dict aussi Botte, ou Bottet K Pour le
moins quant à Botterel, voyci un passage où il se
trouve : pris du Tournoyement de l'antechrist,
composé par Hugues De meri *. et c'est où il parle
(i'une pierre qu'on nomme Cra])audine.
Mais celle qui entre les yeux
Au botterel croist, est plus fine^
Quon seult appeler Crapaudine.
1. Boterel^ qui se dit encore est resté dans quelques patois,
en Picardie et dans quelques On a employé aussi autrefois
autres ^régions, est en effet un le diminutif botel. (Godefroy.)
diminutif de bot, qui lui-même 2. Lire : Huon de Meri.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 271
J'adjousteray encore, qu'entre les mots que les
Italiens ont pris de nous, non pas en la signifi-
cation qui est plus commune maintenant, mais en
celle qui Testoit plus le temps passé, est cestuy-ci,
Cheras, car ils n'usent pas de ce mot comme nous
maintenant, quand nous disons Faire bonne chère
pour Estre bien traitté : et, Je vous feray bonne
chère, pour signifier : Je vous traitteray bien,
mais pour Visage, ainsi qu'on dit. Il m'a faict
bon visage : et aussi comme on dit. Il ha un
beau visage *. Et encores aujourdhuy en quelques
lieux on oit dire Joyeuse chère, pour Visage joyeux,
mais le temps passé ceste signification estoit plus
commune : comme nous tesmoigne ce proverbe.
Belle chère ^ et cueiir arrière *. Et cestuy-ci. Belle
chère vaut bien un mets ^ Et de celuy aussi le
visage duquel monstroit de la tristesse, on disoit
qu'il faisoit mauvaise chère.
J'ai beaucoup d'autres mots que je pourrois
adjouster aux precedens : mais il me tarde que je
vienne à l'autre sorte, asçavoir à ceux dont nous
usons tous les jours (aucuns desquels, voire plu-
sieurs, on sçait nous estre communs avec nos
ancestres) dont les Italiens ont faict et font leur
proufit, non moins que des precedens, avec bien
1. Cf. Dialogues du nouveau Lastus adest vultus, sed pia
langage françois itatianizé, I, corda procul.
127. 3. Id., ibid. : JEquiparat lœtus
2. Garneri Thésaurus, 132 : lautissima fercula vultus.
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272 DE LA PRECELLENCE
peu de changement. Mais ils vous nieront (me
dira quelcun) qu'ils prennent tous ces mots des
\ostres. Je respon que quand ils ne confesse-
royent la debte que touchant une moitié, le nombre
seroit fort grand : et toutesfois il-y-a plus d'appa-
rence en tous ceux que je mettray en avant, qu'en
quelques-uns de ceux qu'a confessez leur Bembo.
j'enten, plus d'apparence d'avoir esté tirez de
nostre langage.
Par où donc commanceray-je , parmi un si
grand nombre? Par un mot qui est en un vers de
Pétrarque, lequel j'ay allégué tout le premier.
C'est ce vers,
Quattro destrier via plu che neve bianc/ii.
Car qui me pourroit nier que Biancho soit faict
de nostre Blanct comme aussi en est faict l'Espa-
gnol Blanco. Et ne faut douter de l'ancienneté de
ce Blanc, veu mesmement qu'estant monosyllabe,
il-y-a apparence qu'il soit de ceux qui nous sont
demourez du langage Gaulois *.
Nous avons au vers prochainement suivant.
Un garzon crudo ^ où je croy qu'ils confesseront
pareillement que ce Garzon est nostre, voire quant
à la terminaison aussi : il est vray que nous pro-
1. Le mot blanc est d'origine bares ont pu porter directe-
germanique. C'est toujours ce ment le mot comme beaucoup
qu'il faut compreildre quand d'autres en Italie aussi bien
Éstienne parle du langage gaii- que chez nous.
lois. Mais les invasions bar- 2. Un enfant cruel.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 275
nonceons plustost Garson que Garzon. Et toutes-
fois s'ils le vouloyent nier, ils peuvent estre con~
vaincus tant par le primitif Gars (qui ha appa-
rence, comme le précèdent, d'estre des reliques^
de nos Gaulois) que par le féminin Garse : lesquels
deux nostre langue a voulu se reserver *.
Au vers troisième nous avons fianchi, tiré pareil-
lement de nostre langage, car de nostre flanc ils
ont faict fianco. Duquel flanc nous avons faict
Flanquer. Et à propos de ce mot, qui est le nom
d'un de nos membres, je parleray de quelques
autres que les Italiens ont pris de nous : comman-
ceant (comme la raison veut) par la Teste. Je di
donc que ces messieurs de nostre Teste ont faict
leur Testa : laquelle chose est si manifeste que je
ne la dirois si ce n'estoit pour en faire souvenir.
Aussi de nostre Jambe ont-ils faict leur Gamba. Et
qui doute que quand ils ont dict Pie, pour Pes^
c'ait esté aussi à l'imitation des François? Et ce
Pie est tant pour le singulier Piede que le pluriel
Piedi, car Boccace dit, Messer Lambertuccio messo
il pie nella staffa, et montato su *, etc. Lequel en
use encore plus souvent au pluriel : comme, Pam-
pinea levatasi in pie '. ailleurs, Et fatta la scusa^
l. Uétymologie de gars, ^ar- le sens, bien peu de vraisem-
çon^ est tout à fait incertaine, blance.
11 n'est pas impossible que ces 2.MesserLambertuccioayant
mots aient une origine celtique, mis le pied dans l'étrier et étant
L'explication donnée par Diez, monté. Journ, VII, nouv. vi.
qui rattache garçon à un dé- 3. Pampinée se leva. Litté-
rivé italien dé cardttii^, a, pour ralement : se leva en pied y
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74 DE LA PRECELLENCE
ijyie si levà\ Il dit aussi A pie, en la sorte que
ous en usons quand nous disons Aller à pié :
>oveapie partitos'era, a cavallo tomô *. Et mesmes
Q Piede et Piedi une telle interposition de la lettre
tient de nostre langag*e. laquelle toutesfois est
lus Françoise au monosyllabe Pié : pource que
est comme en Miel, et en Fiel. Il est vray que
ous en usons en autres que monosyllabes, car
ous faisons Mien de Meus ^ où aussi les Italiens
ous ensuivans ont dict Mio. Mais pour retourner
ux appellations des membres du corps humain
ue leur langage a pris du nostre, quand ils disent
^iancho, cest I n'est pas de ce comte, car nous
isons Flanc, sans ceste voyelle, et ne prenons ce
îot-ladu Latin, comme ces quatre autres*. Quant
ux parties intérieures, ils ne peuvent aussi nier
ue leur Cuor ne soit nostre Cueur, car ne s'arres-
ins point au changement que nous avions faict
n ce mot Latin Cor, cordis, ils eussent dict Corde.
l ne faut pas omettre Fegato, qui vient toutesfois
on pas de Foye, mais de Fege, ou Feie, comme on
3 prononce en quelque dialecte François^ : estant
e I consonant ^, si on Taime mieux ainsi escrire,
)mme clans l'exemple suivant. 4. L'étymologie du mot flanc
'ancien français disait aussi est inconnue. Littré croit à
î leva ou se dressa en pied. une origine germanique. Le
1 . Et Pexcuse faite, il se leva, mot allemand Flanke, employé
2. A l'endroit d'où il était comme terme militaire, est
snu à pied il retourna à che- probablement emprunté au
il. Jouvn. I, nouv. vu. français.
3. Mien ne vient pas de meus, 5. En provençal,
lais de meum, G. C'est-à-dire y.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 275
qu'avec le G. Or, pour dire la vérité, il eust mieux
valu que la langue Italienne eust ainsi suivi la
nostre es appellations des autres membres aussi,
que, en voulant suivre les Latins, et les suivant
mal, faire le poète Homère de ce qu'eux nomment
Humérus, car ils disent Homero, au lieu de dire
Numéro quand ils veulent signifier ce que nous
appelons Espaule, et qu'eux aussi quelquesfois
disent Spala, ou plustost Spalla,
Ce mot Garzon, duquel j'ay faict mention
naguère, me fait souvenir d'un autre de mesme
terminaison, qui est aussi pris de nostre langage.
C'est Slagion, pour ce que nous disons Saison.
Sannazar en son Arcadie, Quando talhora à la
stagion novella Mungo le câpre mie \
L'Espagnol a aussi appliqué nostre vocable à
son usage,* mais le retenant de plus près. Car il
dit Sazon. comme on voit en ceste traduction*,
En la sazon, quel ciele raudo inclina
A l'accidente, y que el dia nuestro buela
A gente, que quiça lo esta esperando.
Car ces vers sont au lieu de ceux ci de Pétrarque,
traduzi-
ue
{. Quand parfois, à la saison grand poeta Petrarca, tradu
nouveUe, je trais mes chèvres, dos de toscano por Salusqi,^
Arcadie^ églogue IX v. 61-62. Lusitano. Feugère renvoie pour
2. D'après Léon Feugère, cette citation et pour celles qui
cette traduction espagnole est suivent aux pages 69, 16, 103,
de 1567 : De los Sonetos... del 121, 144.
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276 DE LA PRECELLExXCE
Ne la stagion chel ciel rapido inchina
Verso accidenté, e che'l di nostro vola
A gente, che di la for se Vaspetta *.
Ils usent aussi en la prose de ce mot Stagion, ou
Stagione, qu'ils ont pris de nous : et leur est bien
force, veu qu'ils n'en ont point d'autre pour bien
exprimer une chose de laquelle si souvent il faut
faire mention.
Aussi nostre mot Manière a esté pris par toutes
ces deux nations : l'Italienne en ayant faict
Maniera, l'Espagnole, Manera. Elles se sont aussi
accordées quant à nous prendre nostre Guerre : et
en faire Guerra. Mais au lieu de ce que nous
disons Guerrier, les Espagnols ont mieux aimé
dire Guerreador, les Italiens, Guerriero, en adjous-
tant seulement un à nostre mot. Et encore bien
souvent disent-ils du tout comme nous, Guerrier-,
principalement en poésie, comme nous voyons
en un passage d'Arioste allégué parcidevant.
Contra un gentil guerrier * . Où si seulement de
Contra on faisoit Contre, on penseroitplustostlire
du François que de l'Italien. Et ce passage me
remet en mémoire plusieurs mots où Pétrarque
use souvent de la terminaison Françoise, comme
aussi ils sont pris de nostre langue. Nous en avons
un exemple ici, Di pensier inpensier. Ainsi dit-il
1. « Dans le temps où le ciel une nation qui là peut-être
rapide s'incline vers TOcci- l'attend. » Ed. citée, Canz. IX.
dent, où notre jour vole vers 2. Voir page 56.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 277
Leggier : et Consiglier, en ce passage, Di cio me
stato consigner sol esso * : Et Sentier^ ici, Dolce sen-
tier che si amaro riesci *. Mais il fait de nos mots (et
le mesme font les autres) ce que nous n'oserions^
pas faire, car il les fait servir au pluriel nombre
aussi en ceste mesme terminaison, comme, / di
miei piu leggier che nessun cervo ^. Et au Sonnet
suivant, caduche s])eranze, o pensier folli *. Ils
ont pareillement faict leur proufît de nostre
Mestier, qui est de mesme terminaison, comme
aussi est Destrier, que j'ay ci-dessus amené de
Pétrarque. Quant à Piacer, on ne peut pas dire
le mesme, à sçavoir qu'il ait aussi esté pris de
nous, car nous disons Plaisir, il est bien vray
qu'aujourdhuy quelques uns en font Piasir, Et ce
mot, à cause de L changée en I,me fait souvenir
de Biada % qui est aussi du nombre des mots dont
ritalie doit rendre comte à la France. Comme
ils laissent volontiers la voyelle au bout des mots
susdicts, aussi le font-ils au bout de plusieurs qui
sont d'autre terminaison : comme quand ils disent
Giardin, pour Giardino, usans de la mesme termi-
naison que nous. Et ostent pareillement la voyelle
ou la syllabe au mot précèdent, comme ils diront.
In un giardin^ et Un bel giardin : non pas In uno
1. Il m'a seul conseillé cela, qu'un cerf. (Ed. citée, sonnet
2. Doux sentier dont l'issue cclxxix.)
est si amère. (Ed. citée, sonnet 4. fragiles espérances, ô
ccLxi.) folles pensées.
3. iVIes jours plus légers 5. Blé.
16
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278 DE LA PRECELLENCE
giardin et Un bello giardin. En quelques-uns tou-
tesfois je croy qu'ils n'ostent point la voyelle qu'ils
ont coustume d'adjouster à nostre vocable : comme
à Rijwso pour nostre Repos, Et neantmoins es
verbes aussi ils ostent souvent ceste voyelle finale,
comme es noms precedens : tellement que ces
verbes pareillement sentent tant mieux leur
langue Françoise. Pour exemple, Gioir^ en ce vers
de Pétrarque. lo che gior di tal visita non soglio *.
Et Languir en cestuy-ci de luy-mesme, Beato inso-
gno, e di languir contento '.
Or ayant dict ci-dessus que les Italiens se ser-
voyent de nostre Guerre, je devois adjouster le
mesme touchant nostre Bataille : de laquelle ils
ont faict Bataglia, ou Battaglia, en doublant le t.
comme aussi Muraglia de nostre Muraille^, Ceste
mesme terminaison est en Maraviglia *, venu pa-
reillement de nostre langage.
Beaucoup aussi de leurs mots terminez en aggio
sont tirez de nostre langue : les uns substantifs,
comme OltraggiOy Coraggio, Aventaggio, Dannag-
gio, Viaggio, Servaggio^ Linguaggio, au lieu de ce
que nous disons Outrage, Courage, Aventage,
Dommage, Voyage, Servage (qui estoit encore plus
usité à nos prédécesseurs) Langage : les autres,
adjectifs, comme Selvaggio, pour nostre Saulvage :
1. Voir page 82. 3. Cf. Dialogues, H, page 266..
2. Heureux en songe et con- 4. Merveille,
ient de languir.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 279
MalvaggiOy pour nostre Mauvais. Mais quant à ce
dernier, on l'escrit plustost avec un g seul, Malva-
gio. Toutesfois Gaggio aussi, pour Gage (comme
nous avons veu ci-dessus) et Saggio, pour Sage, ont
g double. Or comme ils nous prennent les noms,
aussi prennent-ils les verbes qui sont faicts de
quelques-uns : comme je monstreray où je par-
leray de ceste partie d'oraison. Quant à Dannagio *,
ceux qui l'exposent Danno grande, monstrent bien
n'avoir descouvert ce secret que je vien de mons-
trer.
A quelques-uns de nos mots terminez en oing,
ils changent la terminaison en ogno. Comme de
nostre Besoing ils font Bisogno, Mais en Mensogna,
ou plustost menzogna, ils transposent les deux
dernières consonantes de nostre Mensonge.
comme aussi ils font quand pour le Latin Plangere
ils disent non moins Piagnere que Piangere.
Ils usent de ceste lettre G devant plusieurs mots
aussi que nous commançons par I, estant conso-
nante. comme quand pour nostre Jour ils disent
Giorno , et pour nostre Joye, Gioia. (comme ci-
dessus nous avons eu Gioire, et Gioir) et Giltare,
pour nostre Jetter.
Outreplus il faut noter qu'ils ont en quelques
mots deux sortes d'escriture, dont l'une qui suit
le langage François, est souvent plus volontiers
1. Dommage.
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280 DE LA PRECELLENCE
suivie par aucuns d'eux, comme quand Pétrarque
dit Saggio, plustost que Savio : et quand on aime
mieux escrire Periglio que Pericolo, semblable-
ment Perigliosa (comme on le trouve escrit par
Bembo) que Pericolosa. Item Meffato (comme
luy-mesme Tescrit, suivant ce que nous disons
Meffaict^ au lieu de Mesfaict) que Malfatto. Aussi
Disdegnoso (duquel Boccace use quelquesfois) sent
mieux sa langue Françoise, que Sdegnoso ou Isde-
gnoso : pourcequ'elle dit Desdaigneux. Pareil-
lement Reina, qu'on trouve escrit plus souvent
«que Regina, on voit bien qu'il se conforme mieux
avec nostre mot François. Ce qu'on peut dire aussi
de Santa, qu'on nous tesmoigne se trouver es
vieux exemplaires de Boccace , en quelques
endroits, car ce dissyllabe s'accorde bien mieux
avec la parole Françoise, que le trissyllabe Sanita.
Or ne m'esbahi-je pas beaucoup de toutes ces
curieuses imitations de nostre langage : ne aussi
de ce qu'ils ont dict Madama au lieu de Aladonna,
et Damigella (ou Damigiella, comme il se trouve
es Azolains de Bembo) plustost que Donzella : ne
de ce qu'ils ont mieux aimé quelquesfois dire
Paggio ou Valletto, que Ragazzo * : mais voyci
dequoy je m'esmerveille grandement : c'est que
ces messieurs en sont venus jusque-la, pour mieux
conformer leur langage au nostre, qu'ils ont suivi
quelques erreurs manifestes de nostre menu
1. Garçon, domestique, valet, jeune garçon.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 281
peuple, comme quand au lieu de dire Veneno ils
ont dit et escrit Veleno : (ainsi qu'en ceste ville
mesmement une grande partie du peuple prononce
Velin) * Bembo entre autres et Sannazaro ayans
usé de ceste escriture, après Boccace. Quant à
quelques mots, je sçay bien que certains seule-
ment, et peu, en ont usé : comme de Straniero,
faict à rimitation de nostre Estranger, car l'ordi-
naire est Forestiero. Ce que je puis encore mieux
dire de Aniassar non pas pour Tuer, mais pource
que nous disons Amasser, qui se lit au comman-
cement d'un livre intitulé, // thesoro di M. Bru-
netto Latino Firentino, precettore del divino poeta
Dante *. Car il commance ainsi. Si corne el signiore
che vuole in un luogo amassare cpse di grandis-
simo valorcj non solamente ])er suo diletto, ma per
cresciere il suo potere, etc. mais il est escrit là,
ammassare, avec double m. Et par ceci nous con-
gnoissons combien desja anciennement les Italiens
se servoyent de nostre langage ^.
1. Voir Thurot, Prononcia- in-f* de 123 feuilles (très rare).
tion française, H, 261. Littré Garanla,quiignoraitl'existence
cite un exemple de saint Ber- de l'édition de Trévise, adonné
nard : lo velin de la detraction. la sienne comme la première. ••
2. Biographie universelle de Voici la phrase de Brunetto
Michaud : « Buono Giamboni^ Latini dont Estienne cite la
Sui vivait peu de temps après traduction : [Cist livres est ape-
runetto, a traduit son ouvrage lés Trésors ; car] si corne H sires
en italien sous ce titi'e : Qui qui vuet en petit leu amasser
incommencia il Tesoro di Bru- chose de grandisme vaillance,
netto Latino de Firenze, e parla non pas p6r son délit seulement,
del nascimento e délia nalura mais por acroistre son pooir.
di lutte le cose. Cette version 3. Les partisans de l'italia-
a été imprimée à Trévise, 1474, nisme disaient amasser dans le
IG.
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282 DE LA PRECELLENCE
Mais parlant des terminaisons, j'ay oublié de
faire mention d'une en astî^o, en ce mot filiastrOy
faict de notre filiastre. Car que ceste terminaison
soit nostre, et non pas à eux, il appert par nos
deux autres mots parastre et marastre. Toutesfois
nous ayans pris tant d'autres choses, il ne se faut
esbahir s'ils ont osé prendre aussi cela.
Et pour monstrer encore d'avantage comment
en nostre langage tout leur a esté bon, et qu'ils
n'ont rien trouvé trop chaud, ni trop froid, (comme
nous disons en commun proverbe) j'adjousteray
qu'ils nous ont pris aussi les mots qu'il est
vraysemblable que nous ayons de nos Gaulois :
comme Héberge ^ ou Herberrje\ Et quant à cestuy-
ci, nous avons à nous plaindre pareillement des
Espagnols, car ils en font leur proufît aussi bien
que les Italiens : lesquels disent Albergo, et eux,
Alvergueria. Je di qu'il est vraysemblable que nous
l'ayons de nos ancestres Gaulois, veu qu'aujour-
dhuy encore les Alemans en usent : lesquels nous
suivons de beaucoup plus près, et principalement
quand nous escrivons Herberge. car il n'y-a autre
différence entre ce mot et le leur, sinon que nous
adjoustons un e en la fin. Tant y-a que comme
nous avons aussi le verbe Héberger^ ou Herberger,
ainsi les deux nations susdictes oniVxine Albergar^
l'autre (à sçavoir l'Espagnole) Alvergar, Je doute
sens de tuer. Voir Dialogues, I, 1. Le mot est d'origine ger-
76. ' manique.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 283
si on pourroit point dire aussi que Fol soit de ceux
qui nous sont demourez depuis ce temps la. lequel
est du nombre de ceux que les Italiens nous ont
tirez, car Pétrarque mesmement en use, où il dit,
caduche speranze, o pensier folli. Je sçay bien
toutesfois qu'aucuns estiment que ce Fo/ soit venu
de <pau)vOç, autres de ooT^xoç * : et ne trouve point
contre raison qu'estant des Gaulois, il eust néan-
moins esté pris des Grecs : si ainsi est qu'on trouve
apparence en Tune ou l'autre de ces etymologies.
De la mesme hardiesse ont usé les Italiens en un
mot lequel on voit apertement avoir esté par nous
tiré du langage Grec. J'enten Martiro, qu'on lit en
quelques lieux de Pétrarque, aussi pris de nostre
Martire : au lieu duquel Martiro Boccace a dict
Martorio, où il y-a une dépravation non moins
vilaine que manifeste. Mais nous avons aussi cest
avantage, que nous usons de Martir par méta-
phore correspondante à celle que nous donnons à
Martire.
Quant à Altiero^ il-y auroit (peut estre) quelque
apparence qu'ils l'eussent faict à nostre exemple :
c'est à dire, à l'exemple de nostre mot Hautain :
ayant esté dict Altiero de Alto, comme Hautain
de Haut,
Je vien à ceste partie d'oraison qu'on nomme
1. Le mot vient probable- par métaphore à une personne
ment de follem, enveloppe, qui a perdu la raison. Voir
soufflet, ballon, et s'applique Scheler.
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284 DE LA PRECELLENCE
les Verbes : c'est à dire, à monstrer comment les
Italiens n'ont pas moins faict leur profit de nostre
langage ici que là : encore que là ils ayent fouillé
par tout : voire jusques à nous prendre une Touaille
(dequoy ils ont faict una tovaglia) et emmener
une lavandière, desguisee en Lavandaia, pour la
pouvoir faire laver quand elle seroit sale. Il semble
qu'ils se devoyent contenter de cela : mais ils ont
bien faict d'avantage, car au lieu qu'on dit ordi-
nairement de ceux qui n'ont rien laissé, qu'ils ont
•emporté jusques au chien et au chat, nous voyons
«qu'eux n'ont pas quitté leur part de nos rats et
nos souris, les desguisans en ratti et sorici : sans
•considérer qu'en nostre souris nous abusons du
mot Latin Sorices * .
Or est-il certain que si là ils ont trouvé beau-
•coup à prendre, ils n'ont pas moins trouvé en ce
quartier où sont les Verbes : aussi ne s'en sont-
ils pas retournez moins chargez, comme je vous
feray voir. Et pource que j'ay tantost faict men-
tion des Noms Oltraggio et Avantaggio, entre ceux
qui ont ceste terminaison en aggio, (par laquelle
les Italiens représentent la nostre qui est en âge)
je commanceray par les Verbes qui sont tirez de
1. En effet, Forcellini, au clariusque slrepat, et plus affe-
mot sorex, donne cette défini- rat detrimenti. Plin., 1. 11, c. 50,
tion : mus agrestis et rusticus^ sorici tribuit caudam in ima
et, au mot mus, fait cette re- parte setosam,utbubus et leoni:
marque : « Greditur differre a et, I. 8, c. 57, ex Nigidio tradit
sorice quod sorex major sit, sorices hieme condi. »
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 285
ces Noms : à sçavoir par Oltraggiare et Avantag-
giare : lesquels ont esté faicts sur le portraîct (s'il
faut ainsi dire) de nos verbes Oultrager et Avan-
tager, comme Oltraggio et Avantaggio sur celuy de
nos noms Oultrage et Avantage. Je mettray Trava-
gliar après, encore que je n'aye point faict men-
tion du nom TravagliOy d'où il est sorti*. Le car-
dinal Bembo use de ce verbe au commancement
de ses Asolains. Il use en ce mesme livre de Proc-
caciar, incontinent après : il use aussi de Insegnar,
de Guidary de Guatar, de Risvegliar^ de Surmontar,
de Ritomar, Raccontar, Rinforzar, Riposar, Abban-
donar, Sembiar, Traboccar, Dimorar, Ricommin-
ciar, RicoveraTy Crolar. Qui sont autant de nos
verbes François habillez à l'Italienne : à sçavoir,
Pourchasser, Enseigner, Guider, Gueter, Reveil-
ler, Surmonter, Retourner, Raconter, Renforcer,
Reposer, Abandonner, Sembler, ïrebuscher, De-
mourer, Recommancer, Recouvrer, Croler.
Avant que passer plus outre, j'advertiray, à
propos de quelques exemples que j'ay amenez de
Verbes pris par les Italiens, aussi bien que les
Noms dont ils sont procédez, qu'ils se sont gou-
vernez diversement en cest endroit, je di quant à
prendre nos Verbes, car quelquesfois ils n'ont pas
pris nos Verbes sans prendre aussi nos Noms
(comme quand ils ont dict Airivar, faict de nostre
i. Cf. Dialogues, II, 266.
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286 DE LA PRECELLENCE
Arriver^ ayans premièrement dict Riva, comme
nous Rive : quand ils ont dict Travagliar, Oltrag-
giar, Avantaggiar, après avoir ja dict Travaglio,
Oltraggio, Avantaggio, qui sont faicts des nostres)
quelquesfois ayans pris les Noms du langage Latin,
mais voyans que les Latins n'en faisoyent point
des Verbes, comme nous, ils se sont ruez sur les
nostres. Pour exemple, ils n'ont pas eu de nous
ce Nom Valle, mais des Latins : toutesfois ils ont
pris de nous Avallar, non pas d'eux, qui n'ont
point un tel Verbe. Voyla comment en une mesme
chose ils se sont aidez de deux langages, du Latin
Vallis, en leur Nom Val le : de nostre Aval 1er, en
leur Verbe Avallar, Quant à ce que j'ay dict de
Riva, qu'ils l'avoyent pris de nous, je sçay bien
qu'aucuns pourroyent faire difficulté de m'accor-
der cela, et diroyent qu'il se peut bien faire qu'ils
l'ayent pris du Latin ripa, aussi bien que nous, en
usant du mesme changement. Mais je croy que
ceux qui considéreront combien d'autres mots ils
ont pris de nostre langue, qui ne les avoit pas eus
des Latins, plustost que de les prendre d'eux, ne
mouveront point ceste question. Au reste de ce
que tant en ces Verbes derniers qu'es precedens,
je ne mets qu'une sorte d'infinitif, escrivant (pour
exemple) seulement Arrivar, et non pas Arrivare
aussi, j'en rendray raison ci-apres.
Quant aux Verbes tirez du langage ancien, outre
Rimembrar, que Bembo met entre les mots Pro-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 287
vençaux, et duquel use souvent Pétrarque : outre
aussi Lusingar, Schernir, Gabbar (qui est en ce pro-
verbe, Passato il pericolo, gabbato il santo) * et
Albergar, Sollazzar^ venans des Noms dont j'ay
faict mention ci-dessus, et outre plusieurs autres,
qu'on peut remarquer non seulement en Dante et
en Pétrarque, mais aussi en Boccace, ils en ont
un non moins fréquent que notable, Ingombrar,
Car on auroit tort de révoquer en doute si ce mot
est venu de nostre Encombrer : qui se trouve mes-
mement en un ancien proverbe, A haute montée le
faix encombre *. mais aujourdhuy il est encore
moins en usage que le Nom Encombrier, duquel il
est procédé ^. Au contraire les Italiens se servent
autant (principalement en poésie) de cest Ingom-
brar^ qu'ils ont forgé sur nostre Encombrer^ que
d'aucun autre Verbe qu'ils ayent pris de nostre
ancienne langue, j'enten, de celle de nos ayeulx.
Et à fin d'en tirer plus de service, ils ont faict un
autre Verbe, contraire à cestuy-ci, asçavoirZ)z5^om-
brar, lequel ils luy opposent (comme on oppo-
seroit Desencombrer à Encombrer) et quand bon
1. Le danger passé, on se semblable quVncomôî'fervenait
moque du saint. du verbe, et non le verbe du
2. Le Roux de Lincy, U, page substantif. Les substantifs cor-
227. respondant à ce verbe étaient
3. Le verbe encombrer, très plus nombreux qu*aujourd'hui.
usité dans l'ancienne langue, Outre encombre et encombre-
mais avec un sens différent de men<,rancienne langue avait en-
son sens actuel, paraît en effet combrance, encombrier, encom-
avoir été pendant assez long- brage, encomhraison, — Cf. Dfa-
temps en défaveur. Il est vrai- logues, I, 181.
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288 DE LA PRECELLENCE
leur semble, ou la mesure de leur vers requiert
un dissyllabe, disent Sgombrar. Pétrarque a esté
de ceux qui en ont faict leur proufit. comme
nous pouvons voir ici,
Ogni gravezza del suo petto s go mira :
Et poi la mensa ingombra
Di povere vivande *.
Pareillement en ce vers,
Di sospir molti mi sgombrava il petto ^.
Quant à l'autre, qui est trissyllabe, nous Tavons
en ceste chanson qui est es Asolains de Bembo,.
Voi date al viver mio l'un fîdo porto :
Che corné* l sol di luce il mondo ingombra,
E la nebbia sparisce innanzi al i^ento :
Cosi mi vien da voi gioia e conforto,
E cosi d*ogni parte si disgombra
Per lo vostro apparir noia e tormento ^.
Un aussi, qui est nommé Francesco Maria Molza *^
use de ingombra en ce vers, Quai vago fior che
1. « Il délivre son cœur de dissipe à rapproche du vent,
tout souci, puis charge la table ainsi me vient de vous joie et
de pauvres mets. » (Ed. citée, consolation, et ainsi de toute
Canz. IX, V. 20-22). part s'en vont, quand vous pa^
2. « Il me soulageait le cœur raissez, ennui et tourment. »
de nombreux soupirs. » (Ed. (Livre III.)
citée, sonnet lix.) 4. Francesco-Maria Molza, né-
3. « Vous offrez à ma vie un à Modène, le 18 juin 1489, d'une-
port fidèle : car, comme le so- famille noble, eut une vie assez
leil inonde le monde de lu- scandaleuse, et mourut,en 1544,
mière, et comme la nuée se d*une maladie causée par ses.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 289
sottil pioggia ingombra\ rymant sg ombra sur ice-
luy. Encores en un autre lieu, il dit, Se stesso
di purpuree piume ingombra Vago arbuscello ',
luy opposant pareillement ce sgombra. Or com-
bien que la poésie face souvent son proufît de ce
vocable ingombrar (luy opposant ordinairement
lun de ces deux) si est-ce que la prose n'en quitte
pas du tout sa part. Et qu'ainsi soit, le mesme
Bembo qui en a usé en ces vers que je vien d'al-
léguer, s'en est servi aussi en la prose du mesme
livre : tant en autres lieux qu'en cestuy-ci, Quanto
sarebbe men maie che noi la mente non havessimo
céleste ed immortale, che non è, havendola^ di ter-
reno pensiero ingombrarla e quasi sepellirla?^ Ils
ont passé encore plus outre, car de cest ingombrar
ils ont faict un Nom, ingombramentOy que nous li-
sons en ce mesme livre, E sentesi andare in un
punto d'intomo al cuore uno ingombramento taie
di soavita che ogni fibra ne riceve ristoro *. sinon
débauches. 11 fut protégé par née, ont beaucoup d*élégance
le cardinal Médicis, le cardinal et d'agrément.
Farnèse, et plusieurs des plus 1. Gomme une fleur, chargée
hauts personnages de Rome, d'une pluie légère. {Sonnet lix.)
car son talent et ses qualités 2. Le bel arbuste de lui-
brillantes lui attiraient Tadmi- même se couvre de fleurs pour-
ration de tous. Léonard Arétin prées. {Canz, i.)
fit frapper une médaille en son 3. Combien il serait moins
honneur; des recueils de vers mal que nous n'eussions pas
furent publiés à sa louange, l'âme céleste et immortelle,
Annibal Caro l'a comparé à qu'il ne l'est, en la possédant,
Homère, à Virgile, à Platon, de l'embarrasser, et, pour ainsi
Ses œuvres j^rime, capt7o/i, nou- dire, de l'ensevelir, dans des
velles, poésies latines, lettres) pensées terrestres,
sont d'une inspiration très va- 4. Et il sentit affluer autour
PRECELL. DO LANGAGE FRANÇOIS. 17
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290 DE LA PRECELLENCE
qu'on vueille dire que Bembo ait pris le premier la
hardiesse d'user de ce Nom. Il use aussi de Sgom-
bra non pas comme Verbe, mais comme Nom
adjectif, ou Participe (je doy estre excusé en ce que
j'use des termes de l'art) en ce commancement
d'une autre chanson,
^Sel pensier che m'ingombra,
Com'è dolce e soave
Nel cor, cosi venisse in queste rime :
L* anima saria sgomhra
Del pezo ond'ella è grave :
El esse ultime van, ch'anderiam prime *.
Peut estre que sgombra aura esté dict pour sgom-
brata. Quoy qu'il en soit, par les exemples que
j'ay alléguez on congnoist estre vray ce que j'ay
dict, asçavoir que le langage Italien a faict autant
bien son proufît de ce vocable Encombrier, que
d'aucun autre qu'il ait eu de nos ayeulx. Toutesfois
ce qui m'a faict alléguer tant d'exemples, c'a esté
aussi afin que par mesme moyen on pust tant
mieux considérer comment ils n'ont pas seule-
ment usé d'aucuns des mots qu'ils ont forgez à
l'imitation du nostre, mais aussi abusé : duquel
de son cœur un tel flot de joie ces vers, mon âme serait sou-
que chaque fibre s'en trouva lagée du poids qui Taccable ; et
ravivée. ce seraient mes derniers vers
1. Si la pensée qui me remplit, qui marcheraient les premiers
comme elle est douce et suave [ils remporteraient sur ceux
en mon cœur, passait ainsi dans qui les ont précédés] (livre 11).
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 291
abus je parleray plus amplement ci-apres, et en-
semble de quelques autres.
Maintenant, pour retourner aux Verbes Italiens,
tirez de ceux qui nous sont autant frequens qu'ils
estoyent à nos ancestres, je ne m'arresteray point
à ceux qui sont fort communs (pour exemple,
Parlar, Cercar, Lasciar, Guardar, Grattar : comme
Grattar la testa, ou la rongna) * mais à aucuns de
ceux dont nous n'avons pas les oreilles tant bat-
tues. Je commanceray donc par un que plusieurs
de nous n'oseroyent dire, ne Testimans pas estre
en usage entre les Italiens. C'est Inviluppar, forgé
sur nostre Envelopper, duquel ils usent aussi
(comme nous du nostre) autrement qu'en sa
propre signification, tellement que Finterprete
de Cornélius Tacitus * a dict, / quali s'erano la
dentro per loro stessi inviluppati^. Sautant du coq
à l'asne * (ce qui est permis en telle matière) je
vien à Confortar et Riconfortar : prenant occasion
de ce vers que j'ay ci-dessus allégué de Bembo,
Cosi mi vien da voi gloia et conforto.
Lequel vers je prieray le lecteur vouloir aussi
considérer (en passant) estre tel que l'oreille
autant accoustumee au François qu'à l'Italien,
1. La gale. 3. Qui s'étaient d'eux-mêmes
2. Il s'agit de Giorgio Dati. engagés là dedans.
Voir p. S9. 4. Cf. Dialogues, II, 174.
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292 DE LA PRECELLENCE
recongnoist en chacun mot une meslange de
ces deux : ou (s'il faut ainsi parler) recongnoist
un François desguisé. Et qu'ainsi soit, est-il pos-
sible d'ouir mots approchans plus près les uns
des autres que ceux-ci approchent de ceux-là?
Ainsi me vient de vous joye et confort.
Quant à Confortar etRiconfortar, Boccace entr' au-
tres en a usé : Pétrarque aussi : et s'il est besoin
d'exemple, nous en avons de tous deux. Du pre-
mier, où il dit, E mi conforta e dice che non fue
Mai *, etc. Du second, où il dit, Speranza mi
lusinga, e riconforta^. où il use tout-ensemble de
deux mots pris sur les nostres : mais dont l'un
estoit en usage à nos ayeulx, plustost qu'il n'est
à nous : l'autre ne l'est moins à nous qu'à eux. Il
use au premier vers de ce sonnet (et celuy que
j'ay allégué est le troisième) de Guidar et de
Spronar, forgez sur nostre Guider et Esperonner.
mais en Spronar ils usent d'une syncope, comme
aussi quand ils disent Sproni pour Speroni. Et,
pour dire la vérité, quelquesfois nous aussi pro-
nonceons Es]?rons plustost qu'Jîsperons. Le vers de
Pétrarque est, Voglia mi sprona, Amor mi guida^
1. Il me console et me dit 2. L'espérance me séduit et
qu'il ne fut jamais. me console. (Sotmet clxxvu.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 293
€scorge\ (et dit aussi ailleurs, Amor mi sproiia in
un temjjo ed affrena.) ^Boccace aussi dit Spronar,
en ce passage, Amor mi sprona ])er si fatta
maniera^. Ce mesme use deSproni, où il dit, Volse
il suo ronzino, e tenendo gli sproni stretti al corpo^,
(où il faut remarquer tout d'un trait ce ronzino^
estant aussi un des Noms qu'ils ont pris de nous)
et en un autre lieu, Buon cavallo e mal cavallo
vuol sprones^. Il est vray qu'ici aucuns exemplaires
ont sperone. Or comme nous trouvons deux mots
François (de ceux qui sont appelez Verbes) en ce
premier vers, et deux au troisième : aussi en
avons-nous deux au second, Ti7'ar et Trasporta,
Il est vray que quelcun pourra douter touchant
ce Trasporta, disant que l'Italien a eu aussi bien
que nous le verbe Latin, d'où il a pu le tirer. Mais
il faut considérer que la signification qu'il luy
donne, est Françoise, non pas Latine. Toutesfois
leur faisant grâce de cestuy-la, puisque j'en ay
tant d'autres qui sont hors de controverse, je
vien à Aguzzar (forgé sur nostre Aguizer ou
Aiguizer), que nous avons aussi en Pétrarque,
et duquel il m'a faict souvenir, usant de Spronar.
1. Le désir m'éperonne, Ta- 4. Il fit tourner son cheval,
mour me guide et me conduit, et tenant les éperons serrés aux
2. L'amour m'éperonne et me flancs...
retient en même temps. (Ed. 5. Bon cheval et mauvais
citée, sonnet cxlvi.) cheval veulent Téperon.
3. L'amour m'éperonne de
teUe façon...
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294 DE LA PRECELLENCE
Le lieu où il en use est en une chanson, Sempf
agruzzando il giovenil desio. A Vempia cote *.
Il ne me faut pas oublier le verbe ^ccompa^/nar,
qui est de ceux que les Espagnols nous ont pris
aussi bien que les Italiens. Pétrarque,
Occhi p lange te, accompagnate il core
Che di vostro fallir morte sostiene *.
Les Espagnols disent pareillement Accompanar,
pour nostre Accompagner, toutesfois il y a Fazed
compania en ceste traduction,
Llorad mi oioSy fazed compania
Al coraçon, che va por vos perdido.
Or qui douteroit si Accompagner est nostre, il
devroit aussi douter si Compagnon, d'où vient ce
Verbe la, nous appartient (duquel pareillement
les Italiens ont faict Compagno, les Espagnols
Companero) et toutesfois, ce seroit autant comme
s'il revoquoit en doute si ceste ville de Paris est
de la France.
Toutes ces deux nations se servent aussi de
nostre Pardonner, comme on peut voir par ce
1 . Toujours aiguisant le désir 2. « Mes yeux,pleurez; joignez-
de la jeunesse à la pierre impie, vous à mon cœur, qui, par
(Edition citée, canz. xlvui, vers votre faute, souffre la mort. »
36*37.) (Ed. citée, sonnet lxiv.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 295
passage de Pétrarque, et sa traduction Espagnole,
car Pétrarque ayant dict,
Lasso ben so che dolorose prede
Di nol fa quella^ ch*a nulV huom perdona *,
ceci a esté ainsi traduict en Espagnol,
See que haze se nos preai dolorozas
El que jamas perdona à alcun biviente.
Et puisque je suis sur le propos du langage
Espagnol, j'advertiray de ceci en passant, qu'il
fait pis que Tltalien en plusieurs mots qu'il prend
de nous : et notamment en ce qu'il oste quelque
lettre, et mesmes du milieu quelquesfois. Ainsi
fait-il en Guiar pour Guidar, car interprétant ce
vers de Pétrarque,
Voglio mi sprona, Amor mi guida, e scorge
il dit guia, non pas guida,
Voluntad me espolea, Amor me guia.
Voyla comment l'Italien retient bien le d qui est
en nostre guider, mais l'Espagnol non. Ainsi
est-il quand de nostre Conforter il fait non pas
Confortar, comme le langage Italien, mais Conor-
l.« Hélas! je sais bien qu'elle fait de nous sa douloureuse
proie, celle qui ne pardonne à aucun homme. ^ {Sonnet hxwi.)
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296 DE LA PRECELLENCE
tar. comme on peut voir pareillement en ce pas-
sage de Pétrarque,
Amor mi manda quel dolce pensiero^
Che secretario antico è fra noi due y
E mi conforta, e dice che non fue
Mai, corn* hor, presto à quel ch'i bramo, e spero '.
car nous avons conorta, non pas conforta, en
ceste traduction Espagnole,
Amor me manda a quel desseo sincero
Qu'entre ambos secretario antigo hà sido,
Y me conorta, y dize apercebido
Nunca assi haver estado a lo que yo espero.
Mais pour n'entrer point plus avant en Espagne,
ains retourner en Italie, je di que Pétrarque est
de ceux qui nous peuvent fournir un fort grand
nombre de Verbes François, aussi bien que de
Noms. Cangiar entr autres (quant est de Cam-
biare ou Scambiare, on peut dire que c'est un cas
à part) luy est fort fréquent, faict de nostre
Changer, comme en la première partie du Triom-
phe d'Amour, E prima cangerai volto, e capelli *.
Et là mesme, un peu auparavant, havea cangiato
vista 2. Et en une chanson, Tutto dentro, e di fuor
1. « Amour m'envoie cette ment et espère. »(Sonn.cxxxvi.)
douce pensée, car il est entre 2.Et d*abord changeront ton
nous deux un ancien confident, visage et tes cheveux. (Gap. I,
et me console et me dit que je v. 70.)
ne fus jamais si près qu'aujour- 3. Avait changé d'aspect.(/6.,
d'huidecequeje désireardem- 38.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 297
sento cangiarme *. Et au commancement d'un
sonnet, Di di in di vo cangiando il visOn el jyelo *.
Il use en beaucoup d'autres lieux de ce mot, qui
est forgé sur nostre Changer, plustost que de
Mutar, faict du latin MiUare, L'Espagnol toutes-
fois retient le Latin, mettant seulement son d à la
place du t, car il dit Mudar, Ainsi pour Latrare, il
dit Ladrar, au lieu que l'Italien se sert de nostre
Abbayer, car il en fait Abbaiar,
Et à propos de ce Cangiar, dont j'ay parlé
naguère, je veux advertir que la langue Italienne
oste l'aspiration à plusieurs mots qui comman-
cent par C, ainsi que nous la voyons ostee à ce
Cangiar. Nous avons (pour exemple) Caccia et Cac-
ciar, forgez sur nostre Chasse et nostre Chasser
(duquel Cacciar ils ont aussi faict depuis Scac-
ciar). Pareillement Carico et Caricar, forgez sur
nostre Charge et nostre Charger (et quand ils
disent Scaricar, la lettre S n'est pas mise pour
plaisir, comme en Scacciar, car Scaricar signifie
le contraire, asçavoir Descharger) semblable-
jmeniCamino et Caminar : faicts de nostre Chemin
et de nostre Cheminer. En quoy ceste langue
s'est accordée avec l'Espagnole, qui dit pareille-
ment Camino et Caminar, comme pour nostre
Charge et nostre Charger, Carga et Cargar : des-
1. Tout entier, au dedans et 2. De jour en jour changent
AU dehors, je me sens changer, mon visage et mes cheveux.
(Ed. citée, canz, xxxi, v. 59.) (Ed. citée, sonnet cLxni.)
M.
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298 DE LA PRECELLENCE
quels on oit user à quelques Italiens aussi :
encore que leur langue ait les deux autres sus-
dicts.
Quant à ceux qui prennent un G au commance-
ment, lequel ils mettent devant nostre /*, j'en
ay adverti ci-dessus au dénombrement des Noms,
alléguant exemples tant des uns que des autres :
et me souvient qu'entre les Verbes estoit GittaVy
faict de nostre Jetter. Mais en aucuns ils usent
de ceste lettre au milieu, la mettans en la place
de nostre /, et changeans aussi nostre termi-
naison : comme quand ils disent Pagar pour
nostre Payer. Il est vray que si ainsi estoit que
nostre mot Payer vinst de Pays (comme estans
les paysans plus subjects et contrains à payer) *,
alors, d'autant que Pays semble venir de PagnSy
ce g qui est en Pagar n'y seroit pas sans raison.
Mais je croirois bien aussi que Payer soit venu
de Pacare, car le payement appaise les per-
sonnes : d'où vient que nous disons aussi Con-
tenter une personne, pour luy donner son paye-
ment. Et encore selon ceste etymologie ce g
qui est en ce mot Italien, ne devroit estre trouvé
estrange : veu qu'ils usent fort souvent de ceste
lettre au lieu du c. A quoy il faut adjouster que
nous avons Paguer en quelque dialecte.
1. Il faut comprendre : qu'ils 2. Cette etymologie est ingé-
préfèrent à notre j (autrement nieuse, mais c'est la seconde
dit, i consonne). qui est la bonne.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 299
Il faut aussi noter qu'ils usent de la significa-
tion métaphorique (i*aucuns de nos Verbes. Ce que
fait Pétrarque en ce mot Covai\ faict de nostre
Couver : quand il dit,
Nldo di tradimentiy in cui si cova
Quanto mal per lo mondo hoggi si spande *.
Et comme j'ay dict qu'entre les Noms qu'ils
nous avoyent pris, aucuns sont de ceux que la
langue Greque nous avoit prestez (pour Tamitié
qu'elle porte à la nostre, de toute ancienneté),
aussi je di qu'ils ont faict le mesme quant aux
Verbes : et pour exemple j'allègue Paragorùir,
duquel use Pétrarque, en ce vers.
Si paragona pur co i piii perfetd *.
Car je di que ce Paragonar est venu de nostre
Parangonner, mot ancien, que nous avons eu des
Grecs ' : et que, où Ronsard escrit. Je parangonne
au soleil que f adore L'autre soleil *, c'est faire tort
1. « Nid de trahison où se raison; Tobler le tire de para-
couve tout le mal qui se répand gonare, signifiant frotter à la
aujourd'hui par le monde. » (Ed. pien^e de louche, essayer. Il
citée, sonnet cvi.) rappelle le verbe Trapaxovab),
2. « Se compare avec les plus frotter contre, et les au très mots
parfaits. » (Edition citée, sonnet de la même famille. Quant à
cccm.) l'étymologie grecque, TrapaYetv,
3. L'étymologie de parangon qu'on a proposée , elle n'a
est incertaine. Diez fait venir aucune vraisemblance.
le mot de l'espagnol, de la pré- 4. Le premier livre des amours,
position composée para cou, sonnet v. Edit. Marty-Laveaux,
exprimant une idée de compa- t. I, p. 5.
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300 DE LA PRECELLENCE .,
et à luy et à nos tre langage, de dire qu'il se soit
servi d'un mot Italien.
Je veux aussi advertir de prendre garde à
quelques Verbes qu'ils ont faicts à l'exemple de
ceux qu'ils avoyent pris de nous. J'enten comme
quand après avoir pris nostre Embrasser ^ et
l'avoir desguisé en Imbracciar, ils ont dict aussi
Abbracciar : et en ont usé plus souvent. Pareil-
lement, quand ils ne se sont pas contentez de
prendre nostre Recommander, et en faire Rac-
commandar (comme desja ils avoyent faict Com-
mandar, de nostre Commander) ains ont dict
Siussi A ccommandar en la signification deRaccom-
mandar.
Mais je m'avise que tous les Verbes que j'ay
amenez pour exemple jusques ici, sont d'une
mesme sorte quant à la terminaison : ayans
tous ar en la fin, comme ont les Verbes Latins
de la première conjugaison (en quoy j'use des
termes de l'art : ce que je prie derechef ne
trouver mauvais) et pource que quelcun pourroit
penser que la langue Italienne n'ait faict son
proufit que de ceux-là, j'ameneray aussi de ceux
qui sont d'autre sorte. Car encore que desja
j'aye faict mention d'aucuns, pource que ce n'es-
toit sur ce propos, il pourra estre ou qu'on n'y
aura point pris garde, ou qu'on n'en aura pas sou-
venance. Je di donc que Partir est de cest autre
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 301
reng : duquel Partir use Pétrarque, au comman-
cement d'un sien Sonnet :
/ dolci collij ov' io lasciai me stesso,
Partendo onde partir giamai non posso,
Mi vanno innanzi *.
S avenir et Risovenir sont aussi de ce reng : des-
quels le second est en un Sonnet de Pétrarque,
qu'il commance ainsi. L'aura serena, car il dit au
troisième vers, Fammi risovenir ^. Aussi Istordir,
et Stordir, doivent estre mis ici, faicts de nostre
Estourdir, Ainsi use le cardinal Bembo de Stor-
dir en l'epistre par laquelle il dédie ses Azolains
à madame Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare,
Laquai morte si mi stordi, che à guisa di coloro
che dal foco délie saette tocchi rimangono lungo
tempo sanza sentimento ^. Lequel passage est bien
à noter, pourcé qu'en ceux de Boccace, desquels
on amené des exemples de ce Verbe, il se prend
neutralement pour Demeurer tout estourdi et
estonné : au lieu que Bembo en a usé en la signi-
fication active, comme nous usons de nostre
Estourdir. Ils disent aussi Assalir, pour nostre
Assaillir : et comme nous sommes en controverse
1. •« Les douces collines où je ressouvenir. {Sonnet clxiv.)
laissai moi-même, en partant 3. Cette mort m'étourdit, de
de ces lieux d*où je ne puis la même manière que ceux qui
jamais partir, se présentent sont atteints du feu de la foudre
devant moi. » {Sonnet clxxv.) restent longtemps privés de
2. Le doux zéphir. — Fais-moi sentiment.
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302 DE LA PRECELLENCE
s'il faut dire Tassaudrmj ou Tassalliray *, ainsi
voyons nous que les uns disent Assaliscono, les
autres Assalgono. Car nous lisons Assaliscono en
ce passage de Boccace, In quella guisa che glisfre-
nati cavali e d'amore caldi le cavalle di Parthia
assaliscono * : mais le cardinal Bembo a mieux
aimé dire Assalgono^ vers la fin de ses Azolains,
A tante noie^ che ci assalgono cosi sovente da ogni
parte '.
\ Ils disent aussi Fiorh\ pour nostre Feurir : lan-
^ guiVy ce que nous disons pareillement Languir : et
\ Gioir, pour nostre Jouir. Je ne veux pas faillir
j d'adjouster ici Fallir (duquel use Pétrarque en
' l'un des passages que j'ay alléguez ci-dessus : où
V est aussi le Verbe Accompagnar) car je tien pour
certain que ce Fallir aussi vient de nostre Faillir.
Mais peut estre qu'aucuns seront bien de mon
opinion quant à ce Fallir^ et quant à Gioir, Partir,
Stordir, (et autres qu'on ne peut dire que nous
ayons pris du Latin) qui ne le seront pas touchant
ceux-là, Florir, et Lan^wir: item, Sovenir eïRiso-
venir, d'autant qu'ils diront que les Italiens ont
eu congnoissance du langage Latin, dont ils ont
1. On dit aujourd'hui fas- sont encore employées par
5at7/i>ai, mais l'ancien ne langue Malherbe et par Régnier,
disait fassaudrai : Car le dit 2. De même que les chevaux
duc assauldroit de son coslé sans frein et brûlant d*amour
(Commynes, II, xi). Ménage assaillent les cavales des Par-
recom mande de dire fassaiui' thés.
ray el non fassaudray (Littré). 3. A tant d'ennuis qui nous
— On disait au présent fas- assaillent si souvent de toutes
sausy tu assaus, etc. Ces formes parts.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 303
pu tirer ces mots, aussi bien que nous. Je leur
respondray que où ils ont voulu suivre le Latin,
sans l'avoir par main tierce, c'est à dire, sans le
prendre de nostre langage, ils n'ont pas usé de
mesme terminaison que nous : et pourtant, où
elle se trouve estre mesme, nous pouvons bien
dire qu'ils ont mieux aimé nous suivre. Pour
exemple de ce que j'ay dict, pource qu'ils n'ont
pas voulu nous suivre en ce verbe Gemere et
en LegerCy pareillement en Eligere, ils n'ont pas
usé de nostre terminaison, comme ils ont faict es
autres : et comme les Espagnols la suivent en leur
verbe aussi qui ha la signification de Gemere :
car ils disent Gémir, comme nous, et non Gemer,
Et d'ailleurs, comment seroit-il vraysemblable
qu'ainsi nous fussions entrerencontrez en tant de
verbes, tant es terminaisons qu'es changemens?
comme de Assilire, pourquoy n'eussent-ils dict
aussitost Assilir que Assalir, n'eust esté nostre
changement, lequel ils vouloyent suivre? ou plus-
tost, n'eust esté qu'ils prenoyent nostre mot tel
qu'il estoit, sans considérer quel changement
nous y avions faict? Ainsi peut-on dire (à mon
avis) de Sovenirel Risovenir, qu'ils les prirent tels
qu'ils les trouvèrent, sans regarder s'ils venoyent
de la langue Latine, comme aussi plusieurs Fran-
çois usent tous les jours de ces mots, sans s'ap-
percevoir qu'ils sont tirez d'icelle : encore qu'ils
en ayent fort bonne congnoissance.
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304 DE LA PRECELLENCE
Et sans m'arrester à des mots dont rorigine
Latine soit malaisée à appercevoir, je parleray de
quelques autres : et premièrement de Attendere.
car qui est celuy, auquel oyant dire, Ella v attende
in casa sua, il ne vienne incontinent en mémoire
que Attendere est un verbe Latin? et toutesfois,
quand il considérera combien est différente la
signification du Latin A ttendere, pour Estre attentif,
et de ritalien Attendere, ipour Expectare, ne faudra-
il pas qu'il confesse que la langue Italienne a
suivi Y Attendre des François, et non Y Attendere
i\es Latins? Je di, quant à ceste signification, car
quand elle s'en sert pour Stare attenta, comme
nous, pour Estre attentif , alors on peut dire qu'elle
l'a pris de la Latine, aussi bien que la nostre. Je
ne doute pas que le mesme ne se puisse dire de
leur Guastar, asçavoir qu'ils l'ont tiré de nostre
Gaster, ou Guaster (encore que l'autre prononcia-
tion soit beaucoup plus receue, et que ceste-ci sente
plus son Picard ou Walon. car le Picard semble
plustost prononcer Waster), non pas de l'ancien
mot latin Vastare * : veu qu'ils n'usent pas de ce
Guastar comme les Latins de Vastare, mais en
1. Le mot gâter et toutes les exemple dans cette phrase de
formes dialectales viennent Brunetto Latini : Li Sarrasin
bien réellement du latin vas- de Perse orent grant force
tare, qui était devenu wastare contre les cr es tiens,' et gasterent
sous l'influence de l'ancien haut Jérusalem. 11 est facile de cora-
allemand wa^^an, piller, rava- prendre comment de cet ancien
ger. L'historique de Littré sens on est venu au sens actuel,
montre bien que tel a été le si faible qu'il puisse être, dété-
sens primitif de gaster, par riorer.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 305
abusent, comme nous de Gaster. Je ne doute (di-je)
non plus que le Guastar Italien soit procédé de
nostre Gaster ^ ou Guaster, et Guaina de nostre
Gaine ou Guaine : que je doute que leur Gardar
soit venu de nostre Gar^der ou Guarder, que leur
Guérir soit pris de nostre Garir ou Guarir : encore
que de ces deux-là l'origine soit Latine, et non pas
de ces deux-ci. car je di qu'ils n'ont point eu ces
deux-la du langage Latin immédiatement, ains par
main tierce, asçavoir par nous. Et le changement
de V en Gu que nous avons ailleurs, fait aussi
pour moy : encore que addoucissans la prononcia-
tion UQus escrivions Ga^ plustost que Gua^ ainsi
que j'ay dict : comme aussi en Gascons, au lieu de
dire Guascons, venant de Vascones. J'adjousteray
aussi leur Menar pour exemple. Car je sçay bien
qu'on pourroit penser qu'il ait esté pris de ce Verbe
Minare, qui est du moderne langage Latin : mais
le composé Dimenar, qu'on ne peut nier estre faict
sur nostre Démener, me semble monstrer évidem-
ment que Menar aussi est pris de nostre Mener.
Duquel Dimenar nous voyons la signification estre
semblable à celle de nostre Démener, en plusieurs
lieux de Boccace : dont voyci un, Chi la sera non
cena, tutta notte sidimena\ Ainsi est Apprender
ou Apprendere, faict de nostre Apprendre.
Or ce que nous voyons les Italiens avoir ainsi
1. Qui le soir ne dîne pas, toute la nuit se démène.
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306 DE LA PRECELLENCE
suivi nostre langage en ces mots, et plusieurs
autres, a faict que ci-dessus j'ay mis hardiment
leur Fallir entre ceux qui sont tirez des nostres,
et non pas des Latins : ayant esgard à ce qu'il
hâtant la terminaison que la signification de nostre
Faillir^ et non du Latin Fallere : et qu'ils ont dict
aussi F allô pour exprimer ce que nous disons
Faute. Et n'estoit que j'ay ci-dessus dict vouloir
faire grâce aux Italiens de ce Trasportar, qui est
au passage de Pétrarque lequel j'ay là allégué, je
le mettrois du nombre de ceux que nostre langue
se peut vendiquer, pour le regard de ceste signifi-
cation, dont elle a esté inventrice, ne . l'ayant
point trouvée en celle des Latins. Mais, pour ne me
desdire, je suis content que cestuy-ci soit osté du
comte : à la charge toutesfois qu'on m'accorde les
autres susdicts, et leurs semblables : veu mesme-
ment qu'entre les mots que Bembo confesse avoir
esté pris des nostres, aucuns sont tels qu'il y
auroit beaucoup plus grande apparence de nier
cela touchant iceux que touchant les susdicts. Je
di, pour exemple, qu'on auroit plus de couleur de
nier à Bembo que leur Obliar ait esté pris, non du
Verbe Latin Oblivisci ou du Verbal Oblivio, mais
du François Oublier (car outre ce que le Provençal
est François, ce mot est commun à toute la
France) que de me nier que Attendei\ quand il
signifie Expectare, soit pris de nostre Attendre.
Toutes les choses susdictes considérées m'ont
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 307
faict aussi dire touchant aucuns Noms de leur
langage, qu'ils semblent estre pris de nous : et
principalement ce qu'on y voit la parole Latine
estre changée en la mesme sorte qu'elle est au
nostre : estant vraysemblable (pour exemple)
qu'en disant cuor, cest u ait esté adjousté à nos-
tre imitation : et encore plus, que l'adioustement
de i en piede soit à nostre exemple : veu que nous
faisons le mesme en Miel, Fiel, et autres. Et tou-
tesfois, au pis aller, quand ils me voudroyent nier
ce que je di de ces noms et de quelques autres,
asçavoir qu'ils ne les ont eus des Latins que par
main tierce, asçavoir par nous : et qu'ils vou-
droyent nier le mesme touchant aucuns des Verbes
que j'ay proposez : le nombre tant des uns que des
autres, touchant lesquels il leur seroit force de
confesser cela, est assez grand pour prouver ce
que j'ay mis en avant. Je croy bien que les Tos-
cans qui ont succédé à ces plus anciens, n'ayent
pas veu volontiers tant de nos mots parmi les
leurs, mais force leur a esté d'en user, comme
estans bons : et mesmement de le croire ainsi, in
fideparentum.
Je veux advertir le lecteur, avant que passer
outre, qu'il doit entendre e;i chacun Verbe, la ter-
minaison en voyelle, aussi bien que l'autre en
consonante, encore que je ne mette que ceste-ci :
de laquelle je me contente, tant pour briefveté,
que pource aussi qu'elle convient mieux avec la
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308 DE LA PRECELLENCE
nostre. Pour exemple, qu'encore que je ne mette
que Assalir, Sovenir, Fiorir, Caminary Cangiar^
CacciaTy il ne doit laisser d'entefadre aussi AssalirCy
Sovenire, Fiorire, Caminare, Cangiare, Cacciare :
c'est à dire, entendre que, tant en ces Verbes qu'en
tous autres, la langue Italienne use quelquesfois de
ceste terminaison, quelquesfois de ceste-la, qui
leur est commune avec nous et les Espagnols :
encore qu'ils en usent comme par licence et contre
le naturel de leur langage : suivant ce que j'en ay
discouru par-ci-devant. Et me suffira d'avoir rendu
ici raison de cela, tant pour le précèdent que pour
ce qui suit.
J'ay réservé pour la fin, des exemples d'au-
cuns Verbes Italiens, qui sont un peu plus, voire
aucuns beaucoup plus eslongnez des nostres que
les precedens : encore qu'ils en soyent pareille-
ment procédez. Je n'enten pas ceci de tels Verbes
que sont Risparmiar et Costeggiar, qui sont faicts
des nostres Respargner et Costoyer : (car encore
que Risparmiar ne retienne pas tant de nostre Res-
pagner que fait leur autre mot Sparagnar, et que
Costeggiar ne suive pas de si près Costoyer, que
Accostar suit Accoster, ils sont aisez à recon-
gnoistre) mais ce que .j'ay dict doit estre entendu
de tels que sont Tuffar et Assagiar, et Aggradiar,
et Aveder, pris des nostres, Estouffer, Essayer,
Ag gréer. Aviser. Car quant à Tuffar, il pourroit
sembler que plustost on auroit faict Stuffar de
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 309
nostre Estou/fer, que Tuffar, Q}XdinikAssagiai\Qn
auroit bien quelque raison de l'entendre autre-
ment, de prime face, et de penser que Assagiar
soit ce que nous disons quelquesfois Assagir *, pour
Faire sage : veu que Saggio se dit au lieu de Savioy
par Pétrarque mesmement. Quant à Aggradir, je
ne m'esbahirois point de ceux qui penseroyent
qu'il vinst de 6rrarfo, signifiant Degré, quand ils ne
sçauroyent pas que Crado se trouveroit aussi pour
ce que nous disons Gré (comme en Boccace, Sô
io grado alla Fortuna, tout-ainsi que nous dirions,
Je sçay gré à la Fortune) car ils ne pourroyent
pas appercevoir comment ce composé a esté faict.
asçavoir, que comme ils disoyent grado pour
nostre Nom Gré, aussi pour nostre Verbe A g gréer
ils ont dict Aggradir. Mais il faut adjouster qu'ils
ont usé pareillement de A g grado ou A grado, pour
nostre Aggreable, Ce Y erhe A g gradire semble avoir
fort pieu à ceux aussi qui ont escrit des vers car
je le trouve en Pétrarque, Che mal si segue cio
ch'a gli occhi aggrada *. Bembo aussi en use en une
chanson de ses Asolains, Amor, se cio f aggrada^.
Aussi en use Francesco Maria Molza en ses vers.
Quant à Aveder, duquel ils usent au lieu de
nostre Aviser, pource qu'on pourroit dire que le
1. Les différents sens du du bas-lalin exagiare, dérivé
verbe italien ne nous permet- de exagium, pesage.
tent pas de le rapprocher du 2. Car mal suit ce qui aux
verbe assagir, 11 est probable yeuxagrée(Ed.cit.,5onne<Lxxvi).
que, comme essayei^ il vient 3. Amour, si cela t*agrée.
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310 DE LA PRECELLENCE
langage Italien n'auroit pris ici que nostre forme
de composition, c'est à dire, qu-il auroit mis
devant son veder, la préposition que nous met-
tons devant nostre viser : j'adverti qu'on trouve
aussi Avider, et qu'il ne faut douter qu'on ne l'ait
dict premièrement que l'autre. Et pour conclu*-
sion, aussi tost pourroit-on nier que ^//J^re (au lieu
de ce que nous disons Aff'ai7'e)(ieusi estre mis entre
les mots pris du François, quand Boccace dit, Ne
per grande affare che sopravenisse * : et dire que
c'est seulement le Fare Italien (faict de Facere)^
devant lequel à nostre imitation on auroit mis
la préposition a. Au reste, je croy bien qu'outre
Aveder^ et Avider (qui approche encore plus de
nostre Aviser) ils peuvent dire aussi Avègger.
pour le moins, je trouve le présent de l'indicatif,
Aveggo. 3e trouve aussi Aveggio : duquel use
Pétrarque ici, Menami à morte ^ cKinon me n'a-
veggio *.
Il faut aussi considérer une chose quant à la
recherche dont il est question : c'est qu'il ne faut
pas regarder de si près à la prononciation qui
est maintenant, comme si tous les mots Italiens
qui sont pris de nostre langage, devoyent estre
du tout conformes à icelle : ne aussi avoir esgard
à ce qu'aucuns mots sur lesquels on dit les leurs
1. Ni pour grande affaire 2. Me mène à la mort sans
{quelque grande affaire) qui que je m'en aperçoive. (Ed.
survînt. citée, sonnet ccxxvui.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 31 d
avoir esté faicts, ne sont en usage qu'en Pro-
vence, ou en quelque autre endroit de France :
ou bien ne se trouvent qu'en quelques Rommans.
Car il suffît que lors ils ayent esté usitez au lieu de
France où ayent demouré aucuns de ces anciens
Italiens, ou par lequel ils ayent passé : et ne
faut douter que plusieurs ne fussent en usage lors,
lesquels depuis on a laissez, les uns plus tost, les
autres plus tard. Voyla comment aussi on ne se
doit esbahir s'ils ont aucuns mots que tous Fran-
çois n'entendent pas. comme peut estre que plu-
sieurs n'entendroyent pas aggrajopato en Boccace :
(encore qu'il vienne de nostre Aggrapper : que
j'estime avoir son origine du mot Grappes *, qu'on
porte de peur de glisser sur la glace) et ceux
qui ne sont accoustumez qu'au parler de ceste
ville, où on ne dit point autrement que Graphi-
gner, ou Egraphigner^, n'entendroyent pas le Graf-
fiare dont use Boccace : mais ceux qui voudront
faire la recherche tant par les dialectes que par
les Rommans, pourront entendre des autres aussi
qui sembleroyent encore plus estranges. Et ne
1. L'élymologie donnée par lacerare) et est encore employé
Estienne est très exacte, dans le centre de la France.
Agrapper est en effet composé (Voir Jaubert, Glossaire du
de à et de grappe. C'est le centre de la France,) Pour la
même mot que a<7ra/er, qui est forme égraphigner, qui elle
formé de la même laçon. aussi est encore employée dans
2. Egraphigner est employé le centre, Jaubert cite un
par Rabelais, dans le sens exemple de Bonaventure Des
d^égratiqner. Le mot se trouve Periers. Il cite dans un vers
dans Nicot (avec le sens de de Ronsard la forme égrafiner.
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312 DE LA PRECELLENCE
faut douter qu'ils ne trouvent là aucuns mesme-
ment de ceux qu'on ne pense point avoir esté pris
de nous. Du nombre desquels j'oserois quasi
mettre Tabarro *. Pour le moins, quant à Gonella *,
qui est aussi une sorte d'habillement (mais de
femme plustost que d'homme) encores aujour-
dhuy il se trouve en un de nos dialectes, ayant ce
mot de toute ancienneté. Nous sçavons aussi que
Affanno est un vocable duquel usent ordinaire-
ment les Italiens : et toutesfois le dialecte de
nostre France qui use du verbe Affannar^, ne leur
confessera pas qu'il l'ait pris de leur Affanno.
Reste la bande des mots qu'on appelle indé-
clinables : comme sont Adverbes, Conjonctions,^
et autres particules. Je di donc pour commancer
ceste troisième partie par l'ancienneté, (comme
j'ay faict les deux précédentes) que j'estime le
M entre des Italiens estre venu de Mentiers^ au lieu
duquel on trouve ordinairement Endementiers^ es
1. D'après Godefroy, le tabart gonne. Les exemples cités par
(ou tabar, tabert, talaire) était Godefroy montrent que le mot
un manteau long de grosse gonne désignait un vêtement
étoffe qu'on portait sur Var- long en général, que ce fût une
mure, et aussi une sofHe de robe de moine ou une casaque
manteau à Vusage des gens du militaire.
commun. Le mot ne se trouve 3. Afannar, mot de la langue
pas dans Nicot. d*oc, dérivé de afan, est évi-
2. D'après Godefroy la gonelle demment le même mot que
était une longue cotte qu^on notre vieux verbe ahanner,
mettait par-dessus Varmure et dérivé de ahan.
qui descendait à mi-jambe. Le 4. La forme primitive estpeut-
même mot désignait une robe être dementres, dementiers.
de femme. Le mot vient de L*étymologie de cet adverbe
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 313
Rommans. Je di aussi qu'il faut prendre garde
que comme là nous trouvons Se, au lieu de Si, les
Italiens aussi disent Se. Pétrarque mesmement
parle ainsi, au commancement d'un Sonnet,
Se Virgilio ed Homero havessin visto
Quel sole, ilquaVvegg*io con gli occhi miei *.
Encores aujourdhuy plusieurs François pronon-
cent Se, et mesmement en ceste ville de Paris :
mais ils ne sont avouez par ceux qui font profes-
sion de bien et correctement parler. Or comme
les Italiens ont pris nostre Se, aussi ont il&
nostre Se non : (estant mal dict au lieu de Si
non) comme où Boccace dit, Niuna altra cosa
rispondendo se non. Il mal foro non vuol festa *.
car nous dirions pareillement. Ne respondant
autre chose sinon, etc. Mais au lieu qu'eux escri-
vans ainsi nous entendons fort bien ce qu'ils veu-^
lent dire, recongnoissans nostre langage parmi
le leur, ils usent aussi (au moins depuis quelque
temps) d'une autre sorte d'escriture : c'est qu'ils
conjoignent ces deux particules, et adjoustent la
voyelle e au bout : tellement que A^Se non ils font
Senone. et semble qu'ils facent cela afin que nostre
n'est pas sûre. On a supposé avaient vu ce soleil que je vois
dum interea, dum intérim^ dura de mes yeux. • (Sonnet clhi.)
intra, avec 1'^ adverbial, ou 2. Ne répondant pas autre
bien dum intra ipsum. chose, sinon : le mauvais trou
1. * Si Virgile et Homère ne veut pas de fête.
18
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314 DE LA PRECELLENCE
vocable estant ainsi desguisé, ou masqué, ne
puisse estre recongnu par nous : encore que Cas-
telvetro soit un de ceux qui en usent au livre
qu'il a intitulé, Correttione d'alcune cose del dia-
logo délie lingue di Benedetto Varchi * : en ce pas-
sage, entr'autres, tutta volta de' Ciciliani poco
altro testimonio ci ha, che à noi rimaso sia, senone
il grido *. Mais Boccace y allant à la bonne foy, a
escrit Se non (comme je vien de monstrer) ainsi
que prononçoyent nos prédécesseurs, au lieu àeSi
non. Quant à Si, duquel nous usons pour Tant, ils
Font gardé sans changer ainsi le i en e. Boccace,
Egli es tato si malvagio huomo che non si vorra
confessare '. comme nous dirions, Si mauvais
que, etc. au lieu de dire Tant mauvais. Pétrarque
aussi en use souvent.
Nostre Bien aussi leur fait grand bien, car ils
en font Ben, duquel ils se servent en toutes les
sortes (ou à peu près) esquelles nous usons de
nostre Bien. Et pourtant n'y auroit point d'appa-
rence dédire qu'ils suivent la particule Latine J?(?ne,
veu qu'elle n'ha point la plus grand part de ces
significations qu'ont nostre J?ieii et leur Ben. entre
lesquelles est notable celle que nous leur voyons
1. Correction de qiœlques d'autre témoignage des Siciliens
points du dialogue des langues qui nous soit resté, sinon la
de Benedetto Varchi. L'ouvrage renommée.
de Varchi critiqué par Gastel- 3. 11 a été si mauvais homme
vetro est VErcolano. qu'il ne voudra pas se confes-
2. Toutefois il n'y a guère ser. (Jowm. I, nouv, i.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 315
avoir : à la nostre, suivant que^ à la leur, suivant
che^ pour Combienque. Et ainsi en a usé Pétrar-
que, et après luy Bembo, et autres. Ils disent
aussi Ancora che, comme nous Ancore que, pour
Combienque.
Ils font aussi leur proufit de nostre particule
Que, (encore qu'ils la desguisent en Che, comme
on voit en quelques passages precedens) voire en
font leur proufit en tant de sortes, que s'ils veulent
confesser la vérité, ils diront que le François ha
un grand avantage pour entendre tous les usages
de ceste particule. Car comme nous faisons servir
nostre Que de diverses particules Latines, ainsi
eux leur Che. Quant à l'usage qu'il ha en ce lieu
de Boccace lequel je vien d'alléguer, Egli è stato
si malvagio huomo che non si vorra confessare, il
est fort commun : et nous pareillement selon
nostre parler ordinaire dirions, Si mauvais homme
qu'il ne voudra pas faire cela. Toutes deux tien-
nent souvent la place de la particule Latine
quam : comme en ce passage des Asolains du
cardinal Bembo, E sono îni sempre gravi le sue
fatiche {si corne di carissimo amico che egli rtiè)
foTse non guari meno che elle si sieno allui *. ainsi
que nous dirions, (usans aussi du mot d'où est
venu ce ^'Wâ^n) Non guère moins qu'elles sont à luy.
1. Et toujours ses fatigues sont peut-être guère moins
(comme celle d'un bien cher pénibles qu'elles ne le sont
ami qu*il est pour moi) ne me pour lui.
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316 DE LA PRECELLENCE
Quelquesfois toutes deux servent de la particule
Latine ut, comme où Plaute dit, Mïhi suasit
ut ad te irem, car nous dirions, Il m'a conseillé
que j'allasse à toy. Et pareillement les Italiens
useroyent de che. Comme aussi avec le verbe
Rogavit. ainsi, Rogavit ut id faceret, Il le pria qu'il
lîst cela, Loprego che facesse quello. Souvent aussi
tant l'une que l'autre tient le lieu du hoti Grec,
qu'on exprime par qudd, mais non assez Latine-
ment : comme, Risjjose colui che lo attenderebbe K
Quelquesfois aussi, en une mesme période, ceste
particule ha deux significations diverses, telles
qu'auroit nostre Que comme en ce passage de
Boccace, Se egli è cosi tuo corne tu di, che non ti
fai tu insegnare quello incantesimo? che tu possa
fare cavalla di me *, etc. car nous dirions aussi.
Que ne te fais-tu enseigner, etc. au lieu de dire,
Pourquoi ne te fais-tu enseigner. Item, Que tu
puisses faire, etc. au lieu de dire, A fin que tu
puisses faire. Il est vray que nous avons des
façons de parler ausquelles ce second usage de
ceste particule convient mieux. Et comme nous
disons aucunesfois Que^ au lieu de Tellement que,
ainsi eux usent de leur Che. Exemple, E seconella
sua cella la mena, che niunapersona se naccorse '.
1. Celui-ci répondit qu'il que) tu puisses faire de moi
l'attendrait. une jument. {Journ.lX,nouv.i)
2. S'il est autant ton ami que 3. Et il la mena avec lui dans
tu le dis,que ne te fais-tu ensei- sa cave, (de telle façon) que
gner cet enchantement,que (afin personne ne s'en aperçut.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 317
Quelcun se pourroit esmerveiller que je m'a-
muse tant à des particules, et spécialement à
ceste-ci, qui est si petite : mais ceux qui sçauront
la pêne qu'a prise le cardinal Bembo à expliquer
les divers usages d'icelle, et qu'ont prise aussi
aucuns après luy, ne s'esbahiront point d'une telle
recherche : et principalement s'ils considèrent que
delà descouverte que je fay s'ensuit que pour bien
entendre certains passages des livres Italiens,
ausquels ces particules sont appliquées, un Fran-
çois ha plus d'avantage qu'un Italien, car le
François les entend incontinent, pource qu'il
recongnoist son naturel langage : (pourveu qu'on
n'y use point de masque, comme j'ay monstre
jiaguere avoir esté faict à l'endroict de nostre Se
non) l'Italien trouvant du langage emprunté
parmi le sien, y est aussi empesché que les Grecs
à l'entour de leurs glossvimatica * : et n'en peut
bonnement venir à bout, qu'en conférant plusieurs
passages les uns avec les autres. Voyla aussi pour-
quoy il ne se faut esbahir si quelques paroles et
quelques façons de parler qui sont tant en Boc-
cace qu'en Pétrarque, ne nous sont si estranges
qu'à eux, et ne nous eschapent point si aisément
de la mémoire.
Toutesfois à fin de n'estre trop long en ce dis-
cours, qui est touchant les mots indéclinables, je
1, Mots vieillis, expressions surannées.
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318 DE LA PRECELLENCE
laisseray le reste que j'aurois à dire de ceste
particule : advertissant seulement qu'on prenne
garde, entr'autres choses, qu'ils ont faict aussi
Per cio che, de nostre Par ce que : et de notre ^ fin
que, ils ont faict A fine che : et se trouve mesme-
ment en Tepistre du cardinal Bembo devant ses
Asolains. Encore adj ouste ray-je ceci, que ceste
particule Che, non seulement quand elle est ce
qu'on appelle Adverbe, ou bien ce qu'on nomme
Conjonction, mais aussi quand elle peut estre mise
au reng des Noms, ha quelques usages qui sont
pris de nostre langue, à l'intelligence desquels sont
fort avantagez ceux qui l'entendent. Et faut noter
qu'estant Nom, c'est quelquesfois ce que nous
disons Que^ autresfois ce que nous disons Quoy :
et qu'on l'applique mesmement à ceste façon de
parler dont nous usons pourbriefveté. Mais quoy?
car on dit pareillement Ma che? et ceste façon de
parler se trouve au second livre des Asolains de
Bembo. Je di, ma che, sans adjouster autre chose :
mais celuy qui est François, ou pour le moins est
accoustumé à la langue Françoise, s'avisera incon-
tinent de ce qui doit estre là entendu sans dire.
Et à propos de ce A fine che, (dont j'ay parlé
naguère, pour nostre A fin que) je dis qu'ils usent
aussi de Al fine, à l'imitation de ce que nous
disons A la fin, et A la parfin, et En fin finale, et
(tout en un mot) Finalement : au lieu du Tandem
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 319
des Latins, et que Pétrarque pour cela mesme a
dict Al fine,
— Un gran miracol fia,
Se Christo teco al fine non s'adira *.
J'ay faict mention ici de ces deux petits mots, Al
fine, pource qu'en ceste signification ils tiennent
le lieu d'un Adverbe, et tout d'un train en adjous-
teray d'autres de mesme sorte, c'est-à-dire de
ceux qui peuvent aussi estre appelez adverbia tem-
points, comme est ce Tandem, auquel respondeht
ces deux petits mois Al fine. Le premier sera Final-
mente, qui ha la mesme signification : estant faict
sur nostre Finalement. Le second lieu sera pour
Sovente, et Soventemente : de l'un desquels, à sça-
voir Sovente, Bembo fait mention, parmi les
mots qu'il confesse avoir esté pris des Proven-
çaux : mais il ne parle point de Soventemente,
duquel toutesfois il use luy mesme au troisième
livre de ses Asolains, Di cm e io hora fhô ragio-
nato, et ogniuno piu soventemente ne ragiona *.
Lequel Soventemente est un mot François, ayant
une alonge Italienne : je di alonge convenable à
leurs Adverbes, laquelle n'est pas en ^ l'autre,
Sovente. .
Le troisième lieu sera pour Tosto et 'f'antosto.
1. « Ce serait un grand miracle 2. Ce dont je t'ai parlé tout
si le Christ à la fin ne s'irritait à l'heure, et dont touit le monde
pas contre toi. » (Sonnet cviii.) parle plus souvent eicore.
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320 DE LA PRECELLENCE
car comme après avoir esté si hardis que de nous
prendre nostre Souvent, et en faire Sovente, ils ont
bien osé changer encore ce Sovente en Sovente-
mente *, ainsi de Tosto, faict de nostre Tost, ils sont
venus jusques à Tostamente, et Boccace mesme-
ment en use. Quant à Tosto, ils s'en sont aussi
servis en toutes les sortes qu'on se peut servir
de nostre Tost. car comme nous disons Bien tost,
ainsi eux molto tosto : et, II piu tosto che tu puoi,
pour Le plus tost que tu peus. Aussi Piu tosto, en
comparaison, comme, Piu tosto schernevole riso.
che pietose lagrime ne vedrei ' : ainsi que nous
dirions : Plustostun ris que des larmes. Ils ont dict
aussi. Si tosto corne, et Cosi tosto come, ainsi que
nous dirions. Si tost que, et Aussi tost que. Et non
contens de tout cela, ont emmené aussi nostre
Tantost, le desguisans pareillement en Tantosto.
Duquel nous voyons que Bembo n'a pas voulu
quitter sa part, car nous lisons au troisième et
dernier livre de ses Asolains, E questi, tantosto
che del jyalagio de la reina sono usciti, s'addormen-
tano : et cosi dormono fin attanto che essa gli fa
risvegliare '. Où il faut remarquer tout d'un train
ceste pbi'ase Fin attanto che, (pour Fin à tanto che)
1. On a dit autrefois aussi en 3. Ceux-ci, aussitôt qu'ils sont
français souventement, sortis du palais de la reine,
2. Tu en verras plutôt naître s'endorment, et dorment ainsi
un rire mpqueur que des larmes jusqu'à ce qu'elle les fasse ré-
de pitié. veiller.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 321
qui est à demi Italienne et à demi Françoise : veu
que nous disons Jusques à tant que. Ce que les
Latins diroyent Usquedum : qui est aussi adverbium
temporis. La quatrième place sera pour Mai et
Giamaiy lesquels ils ont forgez à l'exemple de nos
Mais et Jamais, Toutesfois ils usent aussi de Mai
seul, où nous userions de Jamais^ car pour Mai
piu, nous dirions Jamais plus. Quant à Giamai,
encore ne di-je pas assez, qu'il a esté forgé à
l'exemple de nostre Jamais : veu que c'est une
mesme chose, sinon qu'il y-a un peu de desguise-
ment. Lequel (pour dire la vérité) est de meil-
leure grâce que celuy duquel ils usent en plu-
sieurs autres paroles : et que n'est aussi celuy
que nous avons en ceste Espagnole, Jamas, qui
signifie la mesme chose, duquel neantmoins use
l'interprète de Pétrarque, comme d'uo fort beau
mot, El que jamas perdona à alcun bimente *. Le
cinquième lieu sera pour Anchoray faict de nostre
Ancore, lequel toutesfois n'a point d'aspiration,
comme cestuy-la. Le sixième pourra estre pour
Gia^ qu'ils ont faict de nostre Ja : combien qu'il
soit aussi en ce composé Giamai, duquel j'ay faict
mention naguère.
Le dernier mot dont je vien d'user. Naguère,
me fait souvenir de leur Guari, qui pourra avoir
le septième lieu. Bembo le met entre les mots
L Voir page 295.
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322 DE LA PRECELLENCE
Provençaux, que la langue Italienne avoit pris. Or
est-il certain qu'il entend ce que nous disons
Guère, d'où yienic,^ Naguère, (duquel j'ay usé tout
maintenant) ou // ny-a guère (comme aussi
Bembo au livre intitulé Le prose, a dict, Non ha
guari) et se peut bien mettre en trois pièces ainsi,
Na guère, car c'est autant que si nous disions. Il
n'y a guère de temps, et est ne plus ne moins que
si on disoit, Il n'y-a pas beaucoup de temps. Tel-
lement que Castelvetro ne devoit pas reprendre
Bembo, de ce qu'il a dict que Guari signifie Molto :
et ne devoit aussi amener cest exemple de Boc-
cace, comme faisant pour soy : E fermamente se
tu lo terrai guari in bocca, egli ti guastera quegli
che son da lato\ Car c'est ce que nous dirions. Si
tu le tiens guère en la bouche. Ce qui vaut autant
que si nous disions, Si tu le tiens long temps en la
bouche. Mais je sçay bien qu'aucuns François
aussi s'abusent en la signification de ce mot,
comme en celle de Rien '.
Or encore que Guari en cest endroit-la et en
quelques autres semblables, puisse estre mis au
nombre des adverbes qui sont appelez adverbia
temporis (comme on y mettroit nostre Naguère)
toutesfois proprement il est adverbium quantitatis :
1. Et certainement si tu la 2.GMè?'eesten effet commeriew,
gardes longtemps dans tabou- j amais, personne, aucun, elc,, un
che (une dent), elle te gâtera des mots auxquels le contact
celles qui sont côté. {Jowm, de la négation a fini par com-
VII, nouv, IX.) muniquer la valeur négative.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 323
comme aussi il appert par ce que j'ay dict :
asçavoir qu'il est faict de nostre Guère ^ qui signifie
Beaucoup. Ainsi use Bembo de Guari au premier
livre de ses Asolains, E di lei, che gvari alta non
era dal terreno *. Ainsi dit-il au second livre, Non
guari meno, pour non guère moins.
Entre les adverbes que j'ay dict estre nommez
adverbia quantitatis, doit estre mis Assai, faict de
nostre Assez, encore qu'ils ne se servent pas de
cest Assai pour Assez seulement, mais souvent
pour Beaucoup. Boccace s'en sert avec Bene et
avec Sovente, disant Assai bene, comme nous Assez
bien : et Assai sovente, comme nous disons, Assez
souvent. Bembo adjouste bastevolmente à assai, en
ce passage, Ma quanti ne vivono pronti ed accorti
dicitori il piu, non ne potrebbono assai bastevol-
mente parlare^. Ils ont pareillement pris leur Troppo
de nostre Trop, et en ce Trop se sont donnez trop de
licence, car ils ne se sont pas contentez d'en faire
ce Troppo, mais en ont faict aussi un nom adjectif,
de genre féminin : comme nous lisons en Boccace,
Per troppa gravezza : et Senza troppa difficulta ^.
Appena aussi doit estre mis au reng des
adverbes, qui est faict de ce que nous disons A
pêne : les Latins Vix. On trouve escrit et Appena
et Apena : mais plus souvent Appena (comme
1. Et d'elle qui n'était guère parleurs, ils ne pourraient en
au-dessus du sol. parler suffisamment.
2. Mais quoiqu'ils soient pour 3. Par trop d'ennui ; — sans
la plupart de hardis et habiles trop de difficulté.
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324 DE LA PRECELLENCE
nous avons veu cidessus Fin aitanto, avec t double)
et ainsi Tescrit Bembo, Che appena dire si puo
che elle ci sieno istate\T!io\xs disons aussi A grand
pêne.
Peraventura (par lequel mot ils ont contrefaict
nostre Paraventure) est aussi de ceux qui doivent
estre de ce nombre. Mais ils escrivent aussi Per
aventura en deux mots : Bembo n'en fait qu'un
mot, tant ailleurs qu'en ce passage du second
livre de ses Asolains, // che peraventura tanto sara
quanto se del tutto agevolmente si potesse parlare '.
Et toutesfois on le trouve escrit en deux mots, en
cestuy-ci de Boccace, Ma ella per aventura non
sara menpietosa '. Laquelle escriture je n'approuve
point, ains estime qu'il faille escrire Peraventura
en un mot aussi bien ici que là : veu qu'en tous
les deux lieux il signifie ce que nous disons Para-
venture, pour Peut estre. Mais quand il se prend
pour ce que nous disons autrement Par cas fortuit,
ou Par fortune, alors je trouve bon qu'on escrive
Per aventura : comme en cest autre lieu de Boc-
cace, Trovô per aventura il castaldo nella corte*.
et ici. Solo se n'andô verso la casa délia donna : e
per aventura trovata la porta aperta, entra d'entro^.
1. Car à peine peut-on dire 4.11 trouva par hasard l'homme
qu'elles s'y soient arrêtées. d'affaires dans la cour. {Joum.y^
2. Ce qui sera peut-être comme 7//, nouv, 1),
si Ton pouvait facilement parler 5. Seul il s'en alla vers la
de tout. maison de la dame, et ayant par
3. Mais peut-être ne sera-t-elle hasard trouvé la porte ouverte,
pas moins compatissante. il entra.
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nu LANGAGE FRANÇOIS. 325
Car nous aii&si escririons Par aventure, séparé-
ment : quand nous interpréterions cela ainsi, Ayant
trouvé par aventure la porte ouverte. Et cependant
il faut remarquer ici que le langage Italien fait
son proufit de nostre mot tant en un usage qu'en
l'autre. Mais en ce second nous disons aussi Par
cas d'aventure, ou Par coup d'aventure : et D'aven-
ture, en quoy il n'a pu imiter le nostre.
Es Adverbes aussi, qui sont nommez Adverbia
loci^ ils se servent de nostre langage, comme
quand ils usent de Pressa faict de nostre Près, et
Appresso de nostre Auprès. Il est vray qu'en leur
Qui (comme quand ils disent Noi dimoriamo qui) *
ils Picardizent. car nous sçavons que nos Picards
disent Iqui, au lieu que nous autres disons Ici.
Mais ostans la première lettre, ils font Qui de Iqui.
Et si on veut voir trois adverbes pris de nostre
langage, qui sont tout auprès l'un de l'autre : c'est
quand Boccace dit, Assai pressa di qui : car c'est
ce que nous disons. Assez près d'ici : et en Picard,
DHqui. Ils ne se servent pas de Qui en la façon
seulementquej'ay dicte : mais comme les Picards
diroyent, D'iqui à quinze jours, ainsi eux disent,
Di qui à quindici giorni. ou quindici di. Ils disent
aussi Di qua, Di la, au lieu de ce que nous disons
Deçà, Delà.
Leur Mica aussi, ou Miga, doit estre mis ici,
!. Nous demeurons ici.
PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. jQ
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326 DE LA PRECELLENCE
comme tenant lieu d'Adverbe, et estant tiré de
nostre Mie : qui s'adj ouste à la négation. Car
ainsi que nous disons, Je ne le feray mie, ou //
nest mie sage, ainsi eux, Non lo faro mica, (ou
miga) et. Non voglio mica, Non e mica savio. Mais
ceste façon de parler nous est autant rare (sinon
en quelques dialectes et principalement celuy des
Picards) qu'elle estoit fréquente à nos prédé-
cesseurs : au contraire Boccace, entr' autres, use
souvent de Mica, ou Miga, en ceste sorte.
J'adjousteray leur préposition Sanza, laquelle
aussi est fort commune, es lieux où nous userions
de Sans : et mesmement quand ils disent Sanza
fallo, au lieu que nous disons Sans faute. Or faut-
il noter que ceste escriture Sanza (dont use Bembo
en ses Asolains) est condamnée par plusieurs,
qui disent que Senza est la vraye escriture. Mais
elle a esté condamnée sans que partie ait esté
ouye : asçavoir nostre langue, qui se fust opposée
à un tel jugement : et encore maintenant est bien
raison qu'on se tienne à ce qu'elle en dira, veu
que ce mot a esté faict sur le sien.
Outre tant de vocables que la langue Italienne
a empruntez de la nostre (s'il faut appeler em-
prunter, ce qu'on prend sans jamais rendre)
elle a faict le mesme d'aucunes de nos façons
de parler. Mais avant que passer outre, jë~veïï!S
faire au lecteur mes plaintifs touchant quelques
choses qui concernent les dicts vocables : esquelles
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 327
je di qu'elle ne s'est pas gouvernée sagement à
Fendroict de la nostre, et n'a usé de la discrétion
qu'elle devoit.
Le premier plaintif est, que la nostre luy ayant
preste plusieurs de ses mots, à la charge qu'elle
ne les employast à autre usage que celuy qu'ils
souloyent avoir estans en leur pays, elle n'a
point eu esgard à ceci, ains elle a et usé et abusé
d'aucuns, quant à la signification : et de quelques-
uns abusé seulement. Et nonobstant ceste con-
dition, je croy bien que la nostre n'eust pas
trouvé trop mauvais qu'elle eust osé changer la
signification en ceux esquels nos prédécesseurs
s'estoyent départis de la Latine : mais ce n'a pas
esté en ceux-ci qu'elle a faict cela (comme pour
exemple, on voit que nos ancestres, ayans faict
quitter à ce mot Hoste la signification de Hostis\
et prendre celle de Hospes : eux en leur Hoste ont
ensuivi ceste faute) ains en ceux mesmement
que nostre langue n'avoit point tirez des Latins.
Pour venir aux exemples, au lieu que la langue
Italienne, ayant emprunté Guardar et Riguardar,
entr'autres, elle devoit employer chacun en ce
seulement qui est de son office, elle a faict servir
quelquesfois Guardar de Riguardar aussi : comme
en ce passage de Pétrarque, E con pieta gardate
1. Hôte ne vient pas de hostis, mais de hospitem.
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328 DE LA PRECELLENCE
Le lagrime del popol doloroso *. Mesmement
Guardo quelquesfois a esté mis en la place de
nostre Regard, Mais encores, est bien pire Tabus
du mot Gagliard : et tel qu'on ne peut dire autre-
ment sinon qu'on ait voulu du tout se moquer de
luy : qui est toutefois un des beaux qu'ait nostre
langue, et qui se peut vanter, entr'autres choses,
d'estre de ceux qui luy ont esté donnez et recom-
mandez par la Greque *. Pour exemple, Giorgio
Dati Florentin, en sa traduction de Cornélius
Tacitus, parlant d'un feu, qui estoit non pas feu
de joye, mais tel qu'il eust pu tirer quelques
larmes des yeux de la plus cruelle beste sauvage,
(si aucune l'est plus que le tigre) l'appelle fuoco
gagliardo : c'est-à-dire Un feu gaillard. Voyci les
mots de Cornélius Tacitus, escrivant comment
une grande partie de Romme fut embrasée par ce
feu, sous l'empire de Néron : et comment il com-
mança, Ubi per tabernas, qnibus id mercimonium
inerat quo flamma alitur, simul cœptus ignis, et
statim validus, ac vento citus, longitudinem Ctrci
corripuit ^. Giorgio Dati a ainsi interprété ce pas-
sage, Quindi occupa le botteghe, dentro allequali
1. Et regardez avec pitié les gère met en note : « ou plutôt
larmes du peuple malheureux. àYaXXtôfjiat » , qui signifie se
(Edition citée, canzone xxix, re/o?^t>. L'origine du mot i^ai^
vers 88-89.) lard est incertaine. Peut-être
2. Cf. Conformité, éd. Feu- faut-il le rapprocher de ^a/an/,
gère, p. 212. D'après Estienne participe du vieux verbe galer,
.g'ûîV/arrf viendrait de àyàUofJiat, être joyeux, s'amuser.
se glorifier, se réjouir, et Feu- 3. Annales, XV, xxxviii.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 329
erano di quelle merci con che nutriscon la fiamma :
e cosi cominciato, ed in un subito venuto via gagli-
ardo, e spinto ancora dal vento, si distesse j)er tutte
le case ed habitationi che son poste per lunghezza del
Circo. Qui est le François lequel voyant une telle
application de ce mot Gaillard, estant dict d'un feu
si horrible, et pourtant bien eslongné de gaillar-
dise, n'en soit estonné aussi bien que de ce feu?
On peut remarquer assez d'autres mots pris de
nostre langage, dont toutesfois ils usent en autre
signification que nous. Et font ceci en quelques
anciens mesmement : comme en Baratto, car au
lieu que no^iv^ Barat, duquel a esté faict ceBaratto,
signifioit Tromperie (comme encot^es aujourdhuy,
n'estant totalement hors d'usage, retient ceste
signification) eux s'en servent pour Change, que
nous appelons aussi Pennutation. Et s'abusent
pareillement en ce qu'ils le pensent estre un mot
des Espagnols. Je ne sçay pas toutesfois s'ils l'au-
royent point eu d'eux : mais si ainsi estoit, ils
auroient baillé ce qui n'est point du leur*.
Et à propos de nos vocables anciens qui sont
autrement appliquez par eux que par nous, il me
souvient avoir allégué ci-dessus plusieurs passages
l.Nicol: 'RdiVaii. Est tromperie^ regrette la perte du mot harat^
fraude, principalement en mar- mais remarque que le commun
chandises... Cesl un moi qran- peuple s'en sert encore. Barat
dément usité es pays de Langue- se trouve aussi dans Vlnven-
doCy Prove?ice, et adjacents, ^aeVe deMonet.(Voirle Diction-
E. Paquier {Recherches, VIII, ui) naire de Godefroy.)
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330 DE LA PRECELLENCE
esquels uous voyons qu'ils n'ont pas usé propre-
ment du mot Ingombrar, faict du nostre Encom-
brer, car c'est comme si nous disions Accabler.
Mais pour retourner à des mots qui ne sentent
tant leur ancienneté que les precedens, et qui nous
sont plus ordinaires, desquels les Italiens abusent
pareillement : nous en avons deux notables exem-
ples e^nAvisare et Avertire, pareillement en Aviso
et Avertimento. Je ne di pas en Aviso, comme Boc-
cace en use, mais comme on en oit user à Venise,
en la place de sainct Marc, et encore plus en la
place de Realte, à toutes les heures du jour, car
ceux qui sont appelez Novellanti (mestier incon-
gnu à la France) font que jamais ces places n'ont
faute d'Avisi* : comme ils usent de ce mot, au lieu
de ce qu'ils devroyent dire Avertimenti, comme
nous disons Advertissemens : E venuto un aviso di
Roma, E venuto un aviso di Franza^ E venuto un
aviso di Spagna. Et réciproquement ils usent de
Avertimento au lieu de ce qu'ils devroyent dire
Aviso, comme nous. Avis : tellement que celuy qui
a traduict Guichardin a esté bien avisé d'inter-
préter Gli avertimenti Jj^s avis, non pas Les avertis7
semens*. Quant à cest autre moi Aviso, depuis huict
1. La phrase de H. Estienne est intitulé Consigli aurei ed
fait comprendre le sens de avertimenti politlci , Anvers ,
woue/ia7i<i; comme le remarque 1523. Une traduction en fran-
L. Feugère, il y a longtemps çais, par Charles de Ghantecler,
que cette profession a cessé maître des requêtes, a été pu-
(î'étre inconnue en France. bliée à Paris en 1577. Pour le
2. L'ouvrage de Guichardin sens particulier du mot avis^
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UC LANGAGE FRANÇOIS. 331
ans (peu plus, peu moins) il a engendré en la
Cour un Avis, tenant pareillement la place d'Aver-
tissement : quand on dit, Il est venu au roy un
avis d'un t^l lieu touchant telle chose, ou. Le roy
en a eu avis. Voyla comment quelques-uns (car
il s'en faut beaucoup que tous parlent ainsi) en
leur langage naturel ensuivent la faute de ces
estrangers, au lieu de la leur remonstrer. Quant
à Avertir ou Aver^tire, ils le disent pareillement
pour cela que nous disons Aviser (comme Avertite
bene à questa cosa) et au réciproque de Avisar ou
Avisare, pour Avertir et Avertire. Il est vray que
nous n'usons pas seulement en une sorte du Verbe
Aviser, comme du Nom Avis : mais disons aussi,
Je vous avise que si vous ne faites autrement, il
vous en prendra mal.
Pour le regard des mots pris de nostre langage,
dont eux n'abusent pas seulement, mais quelques-
fois usent comme il faut, on peut adjouster au
Verbe Guardar (que j'ay allégué ci-dessus pour
exemple) cestuy-ci, Sovenir, ou Sovenire : car ils ne
se contentent pas d'en user pour nostre Souvenir,
mais en abusent aussi pour Remettre en mémoire.
Faire souvenir, et cest abus se trouve en Bembo,
entr'autres. Mais la faute semble plus légère en
ce mot qu'en l'autre.
voir Nicot, qui remarque que lien et en espagnol auwo, et cite
le mot s'emploie dans le sens un exemple emprunté au U* li-
à^ avertissement^ comme en ita- vre de VAmadis,
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332 DE LA PRECELLENCË
Le second plaintif est/ qu'ils ont dépravé plu-
sieurs de nos mots, en adjoustant des lettres aux
uns, et en ostant aux autres. Car ils n'ont pas dict
seulement Cridar ou Gridar, pour nostre Crier
(ce qui estoit pardonnable) et Risguardar pour
nostre Regarder et Giostra^ pour nostre Jouste,
et Contrastar, pour nostre Contester : mais aussi
Guadagnar pour Gangner*, et Alloggiar, pour
Loger, eiAddomandar^onv Demander, eiAppagar
pour Payer (il est vray qu'ils disent aussi Domandar
et Pagar sans adjouster à chacun une syllabe) et
quant aux noms, Guiderdone, pour Guerdon *, et
Orgoglio, pour Orgueil^. Mais ils ont faict encore
pis en quelques autres mots, car au lieu qu'à ceux-
ci, Alloggiar, Addoniarijdar, Ajypagar, ils leur
avoyent comme mis quelque chose sur la teste ,
ils l'ont couppee à quelques autres, je di de ceux
mesmement qu'ils avoyent eus de nous : comme
à Ventura et à Vantaggio. Je sçay bien qu'ils ont
faict et font ce mesme tort à la langue Latine
(comme quand ils disent Micidio pour Homicidio)
et à la Greque (comme quand Castelvetro et
1. C'est le mot français qui Guerdon vient de Tancien haut
s'est resserré, puisque gagner allemand Widarlon^ devenu,
vient de l'ancien haut allemand sans doute sous l'influence de
waidanjan , latinisé sous la donum^ Widardon, Widerdo-
forme vuadaniare. De cette num, d'où les formes guedre-
forme est venu guadognier, qui don, guetredon, guerdon.
devient successivement guaa- 3. L'accent dans orgoglio est
gnier,gaagnierfgagnier,eienrin sur la seconde syllabe, et la
gagner. prononciation du mot ne dif-
2. C'est encore le mot italien fère en somme qu'assez peu de
qui est le plus près de l'origine, celle du mot orgueil.
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!\-
DU LANGAGE FRANÇOIS. 333
autres ne font point conscience de dire Pistola
pour Epistola) mais, si elles endurent ce tort sans
en faire aucune doleance, il ne s'en suit pas que
nous devions faire le mesme.
Ils se jouent de nos mots encores en une autre
façon : comme quand Bembo dit d'une fille, corne
quella che garzonissima era. Je sçay bien que
Bembo est fort hardi non seulement à feindre des
mots terminez en VOLE, ains aussi à faire des
superlatifs : mais il ne se devoit donner telle har-
diesse en nostre langage, sans nous demander
congé. Lequel (pour dire la vérité) je ne sçay si
nous luy eussions donné, car de Garçon duquel
ces messieurs ont faict garzon, et garzone, nous
disons seulement Garçonnière : tellement que, sui-
vant cela, il eut falu dire corne quella che molto era
garzoniera. Et si on me dit que ce mot ne seroit
pas Italien, je respon que celuy dont a usé Bembo,
n'est ne Italien, ne François : qui est bien pis.
Tenant promesse, je vien aux exemples de
quelques façons de parler que les Italiens ont
prises de nostre langage, aussi bien comme ils
ont pris une si grande quantité de nos vocables.
Desja le cardinal Bembo nous advertit de quel-
ques-unes : entre lesquelles est ceste-ci, de Boc-
cace. Non ha lungo tempo : comme nous disons. Il
n'y a pas long temps, et. Quanti sensali ha in
F irenze? comme nous dirions. Combien desensals
y-a-il à Florence? S'il nous est licite d'user de ce
19.
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334 DE LA PRECELLENCE
mot Sensals, au lieu de dire Corratiers. Il remar-
que aussi cette phrase, lo amo meglio, (comme
nous disons J'aime mieux :) et l'expose, lo voglio
put tosto * : monstrant comme Boccace en a vou-
lontiers usé.
Mais les façons de parler dont Bembo a faict
mention, ne sont point Provençales (comme il a
pensé) c'est-à-dire peculieres aux Provençaux,
ains sont aussi bien des autres contrées de France.
Ce qu'il faut estimer de celles aussi que je propo-
seray : commanceant par une qui est en ce vers de
Pétrarque,
Di dl in di vo cangiando il viso elpelo *.
Ainsi dit Bembo en ses Asolains, Ed udironlami
ira esse cantare, si corne io Vandava tessendo ^ : par-
lant d'une chanson. Il est certain que ceste façon
de parler est prise de nostre langage, auquel elle
est aussi fréquente, qu'elle y-a bonne grâce :
comme en ce vers, pris d'une Elégie de Philippe
Des portes.
Mais durant qu'en regrets tu te vas consumant^.
1. Littéralement : je veux Celte construction, très fré-
plutôt. quente chez Desportes, est con-
2. Voir page 297. damnée par Malherbe, qui a
3. Et elles me Tentendirent rayé dans son exemplaire la
entre elles chanter, comme seconde partie de ce vers.fVoir
j'allais la composant. Brunot,/a Doctrine de Malherbe
4. Elégies, livre 1, Discours; d'après son Commentaire sur
p. 290 de l'édition Michiels. Desportes, p. 416.)
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DC LANGAGE FRANÇOIS. 335
Et en ce passage pris d'une sienne chanson,
Le plus souvent en vous voyant
La peur va mes sens effroyant * .
Geste façon de parler nous est fort ancienne : mais
les Espagnols y-ont voulu avoir leur part, aussi
bien que les Italiens : tesmoin celuy qui a traduict
ainsi le vers de Pétrarque allégué ci-dessus,
Cadadia voy mudando el gesto y el pelo.
Sur ce mesme verbe il me souvient d'une autre
façon de parler dont use Pétrarque, à l'imitation
aussi de nostre langage,
I dolcicolli ov' io lasclai me stesso^
Partando onde partir giamai non posso,
Mi vanno innanzi '.
Car Mi vanno innanzi^ est dict à l'imitation de
ceste façon de parler dont nous usons ordinaire-
ment. Me viennent au devant. Ce qu'on dit aussi.
Me viennent devant les yeux. Mais en parlant ainsi,
nous suivons ce que disent les Latins, Veniunt
ante oculos.
Du devant je viendray au derrière, c'est à dire
à une phrase où ils font mention du dos, laquelle
pareillement ils ont prise de nous : c'est quand
ils disent Dar à dosso : et mesmement en leurs
l. Les amours (VHippolyte : netxxix.EditionMichiels,p.l85.
seconde chanson après le son- 2. Voir page 301.
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336 DE LA PRECELLENCE
escrits : comme il me souvient Tavoir leue en
l'interprétation de Cornélius Tacitus, faicte par
Giorgio Dati,Fiorentino,^^oscwï diedero addosso
a'nemiciy ainsi que nous disons, Ils leur donnèrent
à dos. Il est vray que nous avons d'autres façons
de parler, desquelles nous usons aussi voulon-
tiers : mais le propre usage de ceste-ci est quand
poursuivans l'ennemi fuyant nous le battons.
Quant à ce que nous disons. Tourner le dos, qui
est pris du Latin, Terga vertere, eux disent plustost
le spalle, usans aussi du verbe Voltar : comme en
cest endroit de ce mesme interprète. Ne per fente
che ricever potessero^ cederebbero, o voiler ebbero
le spalle giamai *.
Je croy que si je di ceste phrase aussi, Ha\)er
grand torto, ou un grand torto, estre pareillement
contrefaicte sur nostre Françoise, on ne me con-
tredira point. Bembo est de ceux qui en usent :
car nous lisons en son premier livre des Aso-
lains, Lisa Lisa, tu hai havuto un gran torto.
Quant à ceste façon de parler, dont use Boc-
cace entr'autres, lo vi sô grado di quella cosa :
il ne faut point douter qu'ils ne l'ayent prise de
nous : pour imiter ce que nous disons. Je vous
sçay gré de cela, car (comme j'ay monstre ci-des-
1. Quelques blessures qu'ils mais le dos (litt., les épaules),
pussent recevoir, ils ne cède- Tacite, Annales, XllI, 24, non
raient, ni ne tourneraient ja- telis, non vulneribus cessui^oS'
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 337
§us) ils ont usé de grado pour exprimer ce que
nous disons gré.
Comme nous disons Laisser en derrière, de cô
dont nous ne tenons comte : ainsi eux Lasciar-
adietro : pour le moins Bernbo en a usé. Nous,
trouvons aussi en ^es escrits, Ritrarre la briglia,
dict par métaphore, et pareillement le contraire :
ainsi que nous disons Lascher la bride, et Retirer la
bride : et semble bien qu'en prenant de nous le
mot briglia, ils ayent quandetquand pris ces.
façons de parler ausquelles nous l'accommodons ;
sans les aller chercher aux livres des Latins, où
ils les eussent trouvées aussi bien que nous. Ce
que je di pareillement de la phrase qui précède
celles-ci : car il faut considérer que Bembo n'a
pas esté le premier qui en a usé : et qu'il pourroit
bien estre que le premier n'estoit pas (comme
luy) homme pour imiter quelques phrases Latines,.
Mais quand ce mesme auteur, je di Bembo,
use de Mestiero et BisognOy contrefaisant nostre
Mestier et nostre Besoin, alors on ne peut douter
que luy, aussi bien que les autres, ne vueille user
de ces mots avec les mesmes verbes que nous.
Comme aussi nous voyons qu'au commancement
du livre qu'il a intitulé Le pi^ose, il dit Tè di
mestiero, ainsi que nous, Il t'est de mestier de
faire cela : pour signifier, Il t'est besoin ou de
besoin. Il t'est nécessaire. Et avec le Verbe Fare,,,
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338 DE LA PRECELLENCE
en ses Asolains', Non fa mesliero di moite parole.
Et vers le commancement de ce mesme livre,
jiquali quasi per lo continouo et di calamita et di
scorta non faccia mestiero -. Toutesfois aujourdhuy
nous n'appliquons guère nostre Verbe Faire avec
le mot Mestier en ceste façon, Bien peu sont
ausquels il ne face mestier de telle chose : au lieu
de dire, Bien peu sont qui n'ayent mestier de telle
chose. A grand peine aussi diroit-on, Il ne fait pas
mestier de beaucoup de paroles : pour signifier,
Il n'est pas besoin. On dit bien, Cela me fait
mestier. encore qu'on die plus souvent. Cela me
fait besoin. Mais il est vraysemblable que du temps
des premiers enrichi sseurs de la langue Italienne
(c'est à dire de ces anciens auteurs qui enrichis-
soyent leur langue de la nostre) et es lieux où ils
estoyent, on appliquoit ce mot encores autrement
que maintenant : ce qu'il faut aussi penser des
autres. Pour exemple, on dit aujourdhuy. Donner
aide. Donner secours, plustost que Prester aide,
Prester secours : toutesfois ils disent, Frestar
ajuto, Frestar soccorso : et Boccace mesmement
en use quelquefois.
Je retourne à Bembo, qui dit, parlant Italien
François, Gismondo cosi prese à dire : car ceste
façon de parler est prise de nostre Prendre : quand
1. Il n'est pas besoin (litt. : il 2. Qui n'aient pas besoin con-
ne fait pas métier) de beau- tinuellement et de boussole et
coup de paroles. de direction.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 339
nous disons, // se prit à dire. Et faut noter qu'il
n'a pas exprimé nostre se : mais Boccace aussi ne
Tavoit pas exprimé, quand il avoit dict, Lauretta
lietamente prese a dire * ou, addire, comme les
autres aiment mieux escrire.
Ce mesme auteur (j'enten Bembo) use d'une
façon de parler Italienne-françoise fort belle,
mais laquelle maints Italiens ne pourroyent pas
entendre, et peu de François faudroyent à
l'entendre, c'est où il escrit, Quanto egli gia nelV
entrar de suoi ragionamenti andava tentoni, si
corne quello che nel buio era^. Car Andava tentoni,
c'est au lieu de ce que nous disons, Il alloit à
taston : mais cela est dict ici métaphoriquement :
et d'autant ha-il meilleure grâce. Quant à ce mot
Tentoni^ il est tout évident que ceux qui disent A
tentone, approchent plus près de nostre mot : et
encore plus près les Napolitains, qui prononcent
A tantone.
Entre les phrases qu'ils ont tirées de nostre
langage, aucunes ne se trouvent qu'en quelcun
de nos dialectes, comme ceste-ci, lo Vho messo in
salvOy ou, posto in salvo, alors mesmes qu'ils veu-
lent signifier simplement ce que nous disons, Je
l'ay serré. Car ainsi disent les Picards, Je Vay mis
en saulve.
1. Laurette gaîment se prit ses raisonnements, il allait à
à dire... tâtons,ainsiqu'un homme dans
2. Comme déjà, au début de Tobscurité.
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340 DE LA PRECELLENCE
Et à propos de ce qui est confessé par Bembo
quant aux locutions, que ceste-ci entr autres a
esté prise par les Italiens du langage Provençal,
lo anio meglio, pour lo voglio piu tosto, c'est à
dire J'aime mieux : (comme, lo amo meglio dis-
piacere a voi, faime mieux vous desplaire), ils
disent aussi, pour signifier la mesme chose, lo ho
piu caro, ou havrei piu cat^o : comme les Picards,
J'aurois plus cher. Boccace, Figliola mia, io havrei
molto piu caro che tu havessi havuto un tal marito *.
Mais comme les Provençaux ne sont pas seuls
qui usent de la façon de parler susdicte, dont
Bembo fait mention, aussi n'est en usage ceste-ci
aux Picards seulement : toutesfois ceste-la est plus
usitée.
J'en ay gardé une fort aisée à remarquer, pour
la dernière (car je veux faire ici la fin, encore
que je ne sois qu'au commancement, au regard
du grand nombre que je pourrois adjouster) et à
laquelle toutesfois peut estre que beaucoup de
François ne prennent pas garde : encore qu'elle
soit plus, ou, pour le moins, autant en la bouche
des Italiens, mesme del popolazzo, qu'aucune des
précédentes. C'est la façon de parler qui rapporte
à nostre adverbe Pieça, lequel vaut autant que le
Jamdudum ou Jampridem des Latins. Car nous
disons Pieça en un mot au lieu de dire separé-
1. Ma fille, j'aimerais beaucoup mieux que tu eusses eu
un tel mari.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 341
ment Pièce y-a : c'est à dire, Pièce de temps y a.
ou Grand pièce de temps y a. Mais nous disons
plustost, Grand pièce y-a (sans adjousterces mots,.
De temps) et, Il y-a grand pièce. Escoutons main-
tenant comme Boccace contrefait nostre langage,
Egli ha gran pezzo cKio à te venuta sarei^. Et ici,
Ma poi che ser Ciappelletto * piangendo hebbe un
gran pezzo tenuto il f rate cosi sospeso. Il use aussi
de pezza : et dit buona pezza, ainsi comme nous
disons Bonne pièce, pour Grand pièce. Mais quant
à Pezzo, les Italiens en usent aussi en leur
commun parler, sans rien adjouster. comme
quand on leur demande touchant quelcun, s'il est
venu, ils respondent, E un pezzo, ou E gia un
pezzo. Quoy qu'il en soit, ils n'usent en cest
endroit d'aucun pezzo, ni d'aucune pezza, qui ne
soit de nos pièces.
Je leur pourrois bien monstrer qu'ils sont
venus iusques à nos Proverbes, et en ont pris
aucuns (encore que je confesse que sans les noS'
très ils en ayent assez bonne provision) mais je
me contenteray qu'ils me confessent la debte
quant à ce que j'ay mis en avant jusques ici. Et à
la vérité ils seront contraints d'en confesser pour
le moins la plus grande partie : de quoy je me
1. Il y a longtemps que je Ciappelletto eut longtemps par
serais venue à toi. ses pleurs tenu le frère en sus^
2. Mais après que messire pens. {Journée I, nouvelle i.)
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342 DE LA PRECELLENCE
contenteray, ne voulant entrer en dispute du
reste, car ceci ne se doit entendre seulement des
mots et façons de parler dont j'ay faict men-
tion, ains d'un nombre beaucoup plus grand
d'autres qui sont do mesme condition, et pour-
tant doivent jouir de mesme droit, asçavoir de
pouvoir quitter Tltalie toutes et quantes fois que
bon leur semblera. Or tant plus je considère com-
bien leur nombre est grand, tant plus je m'esmer-
veille de Bembo, qui en a si peu confessé : et
encore plus de ceux qui depuis, luy ont sceu si
mauvais gré de ceste confession. Peut estre qu'il
pensoit qu'en confessant ainsi volontairement
quelque petite partie, on se tiendroit à ce qu'il en
auroit dict, sans faire aucune recherche : et au
contraire, ceux qui se sont faschez contre luy de
ce qu'il avoit dict, ont eu crainte de ce qui est
advenu. Car ils ont bien pensé que ce petit
nombre qu'il avoit confessé seroit cause de faire
rechercher la grande quantité des autres.
Toutesfois je m'en rapporte à ce qui en est : et
ne suis pas marri qu'ils ayent faict et qu'ils facent
encore ci-apres leur proufit de nostre langage : (en
usant de la discrétion dont j'ay faict mention
ci-dessus), pourveu qu'en recompense ils luy
facent honneur : j'enten seulement l'honneur qui
appartient : qui est de luy accorder le titre de pre-
cellence. Quant est des mots qu'ils nous ont pris,
il n'y-en a point dont je m'esbahisse plus et me
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 343
fasche moins, que de cestuy-ci, Fol, car nous
n'avons que ceste petite parolette, pour signifier
ce que les Latins disent stultiis : au lieu qu'eux
en ont quatre, Pazzo, Matto, Scioccho, Stolto : et
toutesfois nostre Fol leur a semblé si beau qu'ils
en ont eu envie, et le desguisans un peu en ont
faict Folle : lequel Pétrarque et Boccace ont mis
en monstre, en faisans grande bravade : Bembo
pareillement après eux. Ils ont aussi emmené
celle sans laquelle il ne va jamais, qui est Folie ,
et l'ont desguisee en Follia, Que pleust à Dieu
qu'ils eussent tellement emmené l'un et l'autre,
qu'on ne les revist jamais en France. Toutesfois
ils avoyent au contraire besoin non pas de Fol et
de Folie, mais de Sot et de Sotise, car ils n'ont rien
en leur langage, qui puisse bonnement tenir la
place ne de Sot ne de Solise : tellement qu'ils sont
contrains de la faire tenir par un de ceux que j'ay
dicts, encore qu'elle ne luy appartienne pas.
D'une chose leur sçay-je bon gré, que nous, au
contraire, pour signifier ce que les Latins disent
Sapiens et Prudens, n'ayans pas seulement ^Sa^^e et
prudent, mais plusieurs autres vocables equipo-
lens, ils n'y ont point voulu toucher.
" Mais ils me diront que s'ils ont pris de nostre
langage, aussi nous avons pris du leur : et adjous-
teront toutesfois (par honnesteté) que non pas
tant. Je les prieray donc faire leur production,
comme j'ay faict la mienne : à la charge qu'ils ne
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344 DE LA PRECELLENCE
s'aideront d'aucunes pièces qui ne soyent aussi
bonnes et authentiques que les miennes. Or me
doutant bien que celles qu'ils estimeront les
meilleures, seront certains vocables dont nous
usons en la guerre et es fortifications * (car je croy
qu'ils auront honte de m'alleguer ceux dont usent
les gastefrançois) ' je les prieray d'ouir aussi
patiemment ma response que j'orray la leur
quand il leur plaira respondre à ce que j'ay mis
en avant ci-dessus.
Je di donc qu'il faut nécessairement de deux
choses l'une : ou qu'ils se vantent nous avoir
enseigné l'art de la guerre, et pareillement celuy
des fortifications : ou qu'ils confessent que comme
nous avons bien sceu apprendre l'un et l'autre
sans aller à leur eschole, aussi avons-nous eu des
termes propres, sans les aller chercher en leur
pays^. Je croy qu'ils ne voudront pas s'aider de
ce premier poinct : et quand ils voudroyent, je
ne sçay s'ils oseroyent. quand ils oseroyent, je
leur opposerois entr'autres choses ce que dit
Machiavel. Dont s'ensuivra que ou volontiers ou
par force ils m'accordent le second. Mais à fin
1. Les expéditions en Italie taire des Allemands est remplie
ont en effet introduit dans de mots français, et que l'An-
notre langue beaucoup de mots gleterre nous a donné un grand
relatifs à la guerre. 11 y a un nombre d'expressions parle-
rapport étroit entre la nature mentaires, industrielles, com-
des relations que deux peuples merciales, sportives, etc.
ont entre eux, et le genre de 2. Cf. Dialogues, I, 125.
mots qu'ils se communiquent. 3. Cf. Conformité, p. 24; —
C'est ainsi que la langue mili- Dialogues, 1, 26.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 345
qu'ils ne pensent que les menaçant de Machiavel,
je leur vueille donner une faulse alarme, je di
qu'en son dialogue de Tart de la guerre*, il fait
la guerre à une telle vanterie. Car ayant premiè-
rement dict en gênerai que les manières de faire
la guerre estoyent esteintes par tout le monde,
à comparaison de celles des anciens : parlant
puis de ritalie particulièrement, dit qu'elles y
sont du tout perdues, et que s'il y-a encore
quelque chose qui ait un peu plus de gaillardise,
elle vient de ce qu'ils ont pris exemple à ceux de
delà les monts : pour mieux faire, je reciteray
ses propres paroles, du septième et dernier livre,
lo vi dico di miovo, che i modi et ordini délia
gtierra in tutto il mondo, rispetto a quegli degli
antichi, sono spenti : ma in Italia sono al tutto per-
dutti : et se ci è cosa un poco piu gagliarda, nasce
dair essempio degli oltraînontani. Et à fin qu'on ne
doute point que Machiavel n^ntende les François,
quand il dit les outremontains (s'il est loisible de
contrefaire ainsi son mot oltramontani) j'adjous-
teray ce qu'il dit après, qu'avant que Charles,
Roy de France, passast en Italie, on bastissoit
tellement les forteresses qu'elles estoyent fort
foibles. Voyci ses paroles, Voi potete havere
1. Machiavel s'est inspiré et même nouvelles pour son
dans cet ouvrage des livres des temps. Il condamne, par exem-
anciens. Il exprime aussi beau- pie, remploi des troupes mer-
coup d'idées très intéressantes cenaires.
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346 DE LA PRECELLENCE
inteso, et questi altri se ne possono ricordare^ con
quanta debolezza si edificava innanzi che il re Carlo
di Francia, nel m. cccc. xciuiy passasse in Italia *.
Joinct qu'après il dit Franciosi plusieurs fois. Et
que ce edificava se doive entendre ainsi, il appert
par les exemples qu'il amené. Car il parle de
trois choses dont les forteresses avoyent besoin,
selon la façon d'alors, lesquelles il nomme merliy
balestriere et bombardiere ' : et après avoir monstre
la faute qu'on y faisoit, il monstre aussi comment
les François avoyent appris à les corriger. Hora
(dit il) da' Franciosi si è imparato à fare il merlo
largo et grosso : et che anchora le bombardiere sieno
larghe dalla parte di dentro^, etc. Il monstre puis
assez au long que les François ont beaucoup
d'autres manières incongneues aux Italiens, par
lesquelles les places sont rendues fortes : et com-
mance par ce qu'il appelle des Sarrazinesques.
Mais comme Bembo n'a pas confessé toute la
debte quant aux vocables que la langue Italienne
a pris de la nostre, non pas la centième partie
(comme j'ay dict et monstre ci-dessus), ainsi est
vraysemblable que Nicolo Machiavelli n'ait pas
confessé toutes les choses appartenantes à la
1. Vous pouvezavoir compris, embrasures pour les bombar-
et ces autres peuvent se sou- des.
venir avec quelle faiblesse on 3. Aujourd'hui les Français
les bâtissait, avant que le roi nous ont appris à faire les cré-
Charles de France, en 1494, neaux larges et épais, et les
passât en Italie. embrasures à bombardes larges
2. Créneaux , meurtrières , du côté intérieur.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 347
guerre que les Italiens ont apprises des François : Ô
et peut estre aussi qu'il ne les sçavoit pas, pour
les pouvoir confesser.
Mais dira-on point que depuis ce temps-la les
Italiens nous ayent pu rendre la pareille? qu'ils
ayentesté nos maistres, quant à Fart de la guerre,
au lieu qu'ils avoyent esté nos disciples? On le
pourra bien dire : mais on ne le pourra pas
prouver, ni mesme le faire approcher de quelque
verisimilitude. Car s'ils disent que l'Italie s'est
fort aguerrie depuis : et la France quoy? on sçait
assez qu'il n'y-a point de comparaison.
Or pourceque tant eux que plusieurs autres
pourroyent cependant demeurer esmerveillez d'où
vient donc que maintenant et ja depuis quelques
années nous usons de plusieurs de leurs termes
au faict de la guerre, et auroyent aussi raison de
me demander où sont les nostres, dont nous usions
auparavant, et que nous pourrions mettre en la
place des leurs, quand il nous plairoit les quitter :
je tascheray de rendre tant les uns que les autres
contens et satisfaicts touchant ces deux points.
Quant au premier donc, je di que ce changement
de termes appartenans à l'art militaire commança
avec les guerres de Piedmont : d'autant que les
jeunes soldats François, et principalement les
jeunes gentils-hommes (car comme nostre nation
aime plus la nouveauté que les autres, ainsi la
jeunesse plus que l'autre âge) estoyent fort joyeux
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348 DE LA PRECELLENCE
de pouvoir rapporter jusques à leurs maisons
quelques termes nouveaux appartenans à ce dont
ils faisoyent profession. Ce que j'ay plus ample-
plement déclaré ailleurs *. Quant au second poinct,
je di que nous avons des livres où nous pouvons
trouver les termes vrayement François en la place
desquels nous mettons ces estrangers. Et toutes-
fois, que rintermission des nostres n'est (Dieu
merci) depuis si long temps que ne les puissions
recouvrer aujourdhui en la mémoire de nos plus
vieux guerriers (encore que les douze dernières
années nous en ayent beaucoup osté) ausquels
ces mots qui estoyent usitez en leur jeunesse,
estans maintenant remis en usage, sembleroyent
apporter quelque rajeunissement.
Ils ne doivent toutesfois avoir peur que ces
vieux guerriers les vueillent ramener jusques à
la vieille guerre (comme nous usons de ces mots,
quand nous disons, par une manière de mespris.
C'est la vieille guerre), ce que diroyent aucuns, si
on vouloit remettre au-dessus Chevetain, et Avan-
tîirier, ou bien Souldoyer : et encore plustost si on
vouloit rappeler Brigand (d'où vient brigandiney
pour une sorte d'armeure), et /îws/re pareillement.
Aussi n'y auroit-il aucune raison, ne mesmes
apparence de raison, d'user maintenant de ces
deux termes lesquels j'ay alléguez pour exemple.
1. Cf. Dialogues, I, 29.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 349
car outre ce que l'usage les a faicts sonner mal
depuis (et noidimmeni Brigand, auquel, en ce chan-
gement, est avenu le mesme qu'au Latro des
Latins) nous ne trouverions pas à qui ces noms
peussent bien convenir, à cause de la différence
qui est tant es armes, qu'en la façon de guerroyer.
Quant aux deux autres, encore qu'on n'en puisse
pas dire le mesme, si est-ce que par droit leur
place doit demourer à Capitaine et à Soldat \ puis-
qu'ils en sont en possession des le temps de nos
ayeuls : et principalement Capitaine, pource qu'il
est croyable que Les souldoyers, au lieu de ce que
nous disons Les soldats, soyent demourez en nos-
tre vieil langage, encore depuis Chevetain, Lequel
vocable Souldoyers approchoit plus près du Gaulois,
Soldurii, que n'en approche cest autre. Soldats *.
Or ce que j'ay dict touchant ces cinq termes
anciens, doit estre entendu aussi d'un grand
nombre d'autres, car il ne faut pas craindre que
ces vieux guerriers vueillent ramener, quant aux
machines ou instrumens servans à faire baterie,
ne les Bricoles (car le jeu de paume s'est emparé
de ce terme) ne les Domdaines (duquel mot la
souvenance demeure en ceste façon de parler.
C'est une grosse domdom) ne ramener les Bacules
i. Cf. Dialogues, I, 341-42. Comme/i^a/re^ (III, 21), a pu con-
2. L'ancien mot soldoier était tribuer, par analogie, à fixer le
plutôt un dérivé de solde. Le sens des mots de cette famille.
mot 5o/rfz/nM5, dont Texistence Quant au mot soldat, il est
est attestée par César dans ses d'origine italienne.
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350 DE LA PRECELLENCE
(car ce mot a esté depuis transféré à la fortifica-
tion des portes) ne les Truyes (à cause que ceste
métaphore offenseroit trop les oreilles) ne Fon-
delfes, ne Ribaudequins, ne Chats-chateils (comme
ce mot se trouve escrit en Fhistoire du seigneur
de Jonville) * ne quelques autres qui ont esté de
mesme temps, ou environ : quand bien nous n'en
aurions pas du tout perdu l'usage avec les noms.
Mais quant aux choses appartenantes au faict de
la guerre, qui sont demourees jusques à mainte-
nant, et qui gardoyent encore leur premier nom,
pendant qu'eux estoyent jeunes, je ne doute point
que si on veut s'en rapporter à leur jugement,
ils ne leur facent reprendre ce premier nom, et
quitter celuy qui est venu d'Italie. Pour exemple,
quant aux fortifications, je croy que quand il
s'agira d'un fossé, ils voudront que ces façons de
parler qui estoyent en crédit eux estans jeunes,
obtiennent reintegrande : à sçavoir. Fossé en talut,
ou talus, Fossé à fonds de cuve, La douve d'un fossé,
ou Les douves (ce qui est dict par une mesme sorte
de métaphore que nous avons en la façon précé-
dente : et pourtant semble que donnes, qui se
trouve aussi, soit ainsi escrit par erreur), La faus-
sebraye. Les moineaux, Vavant-mur, Et diront (ce
1. Édition de Wailly, 192 : avoit dous chastiaus devant les
Pour garder cens qui ouvre- chas et dous massons darrière
roient à la chaude, fist faire li les chastiaux, pour couvrir ceux
roys dous beffrois que l'on qui guieteroient. (Voir le Dic-
appelle chas-chastiaus : car il tionnaire de Godefroy.)
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 351
qui est vray) que quand on appliquera ces mots
à leur ancien et propre usage, on n'aura pas grand
besoin de faire venir d'Italie Scarpe et Contres-
carpe^ ne Parapet, ne Casemate^, Il est bien vray
qu'encore mieux nous passerons-nous des trois
premiers que du dernier. Et en tout événement,
si leur langage se pouvoit vanter de sa Casemate,
le nostre se vanteroit de ses Moineaux, Quant à
Parapet, il est indubitable qu'il ne signifie * ce qu'on
avoit accoustumé d'appeler Avant-mur : et qu'au-
cuns appellent aussi Mantelet.
Mais il nous advient d'estre trompez en ces
vocables estrangers, ainsi que le sommes en plu-
sieurs hommes que nous ne congnoissons point : et
principalement de ceux qui sont courtisans, soit
du tout, soit à demi, car comme, pour voir en eux
quelque magnificence d'habits (aujourdhuy que
tout est loisible en tel cas) il nous semble que
l'honnesteté nous commande les respecter : jus-
ques à ce qu'estans informez de leur qualité,
nous appelons parade et bravade (eux diroyent
piaffe) ^ ce que nous nommions magnificence.
1. Cf. Dialogues, 1, 344-45. ter. Surtout chez un helléniste
2. Il est inutile de rétablir comme lui, cette construction
ici que ^ comme le propose n'a rien de surprenant.
L. Feugère : L'expression il est 3. Cf. Dialogues, I, 31 ; II,
a>ifl?M6i7a6Ze peut être considérée 254-55. — Il n'est pas du tout
comme une proposition néga- certain que les courtisans aient
live : Estienne met la négation emprunté le mot piaffe aux
dans la proposition subordon- Italiens. Mais c'est d'Italie que
née comme si la proposition nous vient le mot bravade-^ et
principale était on ne peut dou- parade, selon Littré, nous vient
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352 DE LA PRECELLENCE
comme procédant de quelque grandeur : ainsi,
quant à ces termes estrangers, appartenans à la
guerre, desquels nous n'entendons pas la vraye
signification, il est certain que leur belle appa-
rence, (que la nouveauté nous fait trouver encore
plus belle) et ce qu'on les fait sonner si haut,
sont cause que nous y sommes deceus, et imagi-
nons soubs iceux quelque grand secret : mais à la
fin, quand nous venons à descouvrir leur origine,
au lieu de ce secret par nous imaginé, ne trouvons
autre chose qu'un son plus mignard que le nos-
tre, et d'autant moins convenable aux termes de
la guerre. Il est vray qu'aucuns ont plus de bra-
vade que de mignardise. Et pour venir aux exem-
ples (selon ma coustume) je di que comme leur
Parapetto, que nous changeons en Parapet, est
composé, aussi l'est nostre Avant-mur, et que ce
mot Parapetto n'est point plus propre, ne plus
significatif : mais en la composition d'iceluy on a
regardé à autre chose : asçavoir à ce pourquoy il a
esté inventé, car c'est comme si on disoit garde-
poitrine, de mesme façon que nous disons garde-
bras. Et ce Parar convient avec ce Parer, duquel
nous usons en disant Parer les coups, ou Parer
aux coups.
Nous sçavons aussi que plusieurs pensent qu'il
y ait quelque nouveauté cachée soubs ce mot Sen-
de Tespagnol. Litiré ne cite aucun exemple de ces mots
antérieur au xvi" siècle.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 353
tinelles : comme ainsi soit qu'il n'y ait rien en la
guerre plus ancien : ce qu'ils confesseront quand
ils auront considéré (et sceu premièrement) que
ce mot respond au nostre Escoutes : d'autant que
Sentir ou Sentire en langage Italien se prend quel-
quesfois pour Escouter. Mais un des plus notables
exemples de ce que j'ay dict est en Lancespessade,
ou lancespezzade *. car c'est bien un des mots
soubs lesquels beaucoup dé personnes imaginen
quelque nouveau et grand secret : et toutesfois, si
on examine son origine, pour bien descouvrir sa
signification, on trouvera que quand ils usent de
ce mot ils ne parlent de rien qui ne soit vieil. Car
Lancia spezzata est comme si on disoit Lance des-
pecee, ou Lance mise en pièces : et se baille ce
nom à un soldat qui est bien appointé et auquel
on donne plus de privilège qu'aux autres (aucunes-
fois aussi est honoré de quelque charge, au défaut
de ceux ausquels elle appartient) pource que an-
ciennement celuy qui avoit perdu ses chevaux, et
n^avoit moyen de se remonter, venant se rendre
parmi les gens de pied, estoit respecté tant en ce
qu'il avoit gages extraordinaires, qu'en ce qu'il
n'estoit subject à tant de courvees que les autres.
Or est-il certain que tout ceci convient à ceux qui
sont appelez Soldats ajopointez. Que si quelques-
uns des Italiens veulent puis non pas user mais
1. Cf. Dialogues, I, 345.
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354 DE LA PRECELLENCE
abuser de leur lancia spezzada, et pareillement quel-
ques François de leur mot emprunté Lancespessade,
c'est à eux (je di, tant aux uns qu'aux autres) de
rendre raison de leur abus. Et nonobstant ce que
j'ay dict de l'origine de ce terme, je n'ignore pas
qu'aucuns luy en donnent une autre, en le faisant
venir du langage Espagnol : mais c'est en pronon-
ceant et escrivant autrement que spezzata, lequel
mot toutesfois nous avons suivi.
Au reste, je veux aussi advertir le lecteur que
quand bien nous retiendrions quelques mots Ita-
liens appartenans au faict de la guerre (comme je
serois bien d'avis qu'on fist, quant à six ou sept,
entre lesquels est Gabions^ pour Gabbioni^ qui
vient de Gabbia^ signifiant Cage : encore que nous
ayons l'ancien Mannes ou Mandes) cela ne nous
pourroit rendre suspects de ce que j'ay dict au
commancement de ce discours, ne porter aucun
deshonneur : veu que l'Italie, pour un que nous
retiendrions des siens , s'est appropriée trois
voire quatre des nostres. Je diray bien d'avan-
tage (et si diray vray) que ne l'Italie ne l'Espa-
gne ne sçauroit parler de ce que les Latins appe-
loyent bellum, ne de ce qu'ils iisoy eni prœlium,
sans emprunter les termes de la France, car tou-
tes ces deux nations ont pris nos deux vocables
Guerre et Bataille : l'une, en ayant faict Guerra et
Battaglia : l'autre, Guen^a et Batalla, laquelle
toutesfois ha bien aussi Pelea, mais elle ne s'en
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 355
aide pas tant que de Batalla, Non plus ne peuvent
ces deux nations parler à' escarmouche, si nostre
langue ne leur preste ceste diction*.
Et pour passer plus avant aux termes de la
guerre que l'Italie a pris de nous (entre lesquels
sont plusieurs dont l'Espagne aussi fait son prou-
fît) ils ne se sont point contentez de Battaglia,
faict de nostre Bataille, mais pareillement de
Bataillon ont foici Battaglione. Et n'usans de moins
grande hardiesse, se sont ruez (pendant que nous
n'y prenions point garde) sur nostre Avantgarde et
Arrieregarde : et ont changé l'une en Avantguardia
ou Vantguardia : l'autre en Retroguardia, Voire
sont venus jusques à nostre Corps de garde, et en
ont faict Corpodiguardia, et Coiyo diguarda aussi,
pour abbreger. En la fin, voyans nostre patience,
ils ont abusé d'icelle. car ils nous ont pris Un
hastillon, Un fort, Une forteresse, Un boulever, Un
remjmrt, Une platte forme, Une canonnière : et en
ont faict Un bastione, Un forte, Una fortezza. Un
beluardo. Un riparo^, Una piatta forma, Una canon-
niera. Et n'ont pas oublié aussi nostre Tranchée,
qu'ils ont changée en Trincea, et aucuns en Trin-
chea. Mais il ne se faut pas esmerveiller s'ils ont
1. C'est au contraire le fran- réparation, remède, et rempart^
çais qui a emprunté à l'italien défense. Ne serait-il pas plus
le mot escarrnouche, en italien simple de rattacher riparo ,
scaramuccia. comme riparamento, au verbe
2. Le mot Wparo signifie aussi riparare^ qui signifie réparer,
remède, ressource. De même remédier^ conserver, défendre,
riparamenlo signifie à la fois garantir, munir, etc.?
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356 DE LA PRECELLENCE
pris la plus grand part de nos termes concernans
l'art de fortifier, veu qu'il a falu que ce mot mes-
mement Fortificatione^ ils Tayent emprunté de
nous. Aussi viennent de nous leur Jifme et Contra-
mine : leur Batteria^ leur Cornbattere. Ils nous ont
pris aussi nosir^ Bannière, no^irQ Enseigne ^noUve
Estandart : et de ce dernier use Arioste entr'autres.
Encore ne m'esbahi-je pas tant de tous ces mots
qu'ils ont eus de nous, ne de plusieurs autres
(voire jusques aux Chariages et aux Vittuailles,
dont ils ont faict Cariaggi et Vettovaglie) que je
m'esmerveille de nostre Marcher, j'enten Marcher
en guerre. Car ils sont venus jusques à ce mot,
monstrans bien une grande povreté de leur lan-
gage, s'il n'estoit secouru du nostre. Le dernier
auquel j'en ay veu user, c'est un nommé Girolamo
GataneoS (qui est de Novare) en son livre des for-
tifications. Car il-y-a là un chapitre, le titre du-
quel est, Del modo che deve tenere l'essercito nel
marciare et allogiare : et corne si deve fare Valloggia-
mento ^ En ce mesme chapitre, et ailleurs aussi (à
1. Architecte et ingénieur, fuochi ar^e/îcfaZi, Brescia, 1564.
né vers le commencement du L'ouvrage fut traduit et im-
xvi" siècle, mort après 1584. Il primé par J. de Tournes, Lyon,
publia plusieurs ouvrages rela- 1574. Une édition augmentée
tifs à l'art militaire et entre parut à Brescia en 1584 sous ce
autres : Opéra nuova di fortifi- titre : DelV arle militare,
care, offendere e defendere e 2. De la méthode que doit
far g H allogiamenti campali; suivre Tarmée dans la marche
aggiuntovi un traltato degt esa- et le logement; et comment le
mini de bombardieri, e di far logement doit se faire.
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 357
propos de povreté) luy font grand bien nos voca-
bles Avantage et Desavantage, et leurs enfans
Avantageux qï Desavantageux, car il use plusieurs
fois de ceux qui sont faicts sur ceux-là, Vantaggio,
VantaggiosOy et Disavantaggio, Disavataggioso, ne
pouvant trouver aucuns autres mots pour expri-
mer ce qu'il veut dire. De luy mesme, et d'un
Giacomo Lanteri * (qui a escrit pareillement des
fortifications) aussi de Machiavel, j'ay pris les
vocables precedens, qui sont tirez des nostres.
L'un de ces deux fortificateurs, asçavoir Giacomo
Lanteri, dit Scarpa (ce que je marque pour ceux
qui ordinairement usent de Scarpe) et Salita,
pour une mesme chose. // terrapieno (dit-il) sara^
per la minore che si possa fare, piedi quaranta,
in quarantacinque, con piedi quindici di scarpa,
overo salita '. Il use aussi de Guastatori, ainsi
que nous usons de Gastadours. Mais ce que Ma-
chiavel appelle Merli, au passage allégué ci-des-
1. Due libri del modo di fare M. Francesco Trevisi Ingegnero
leFortipcazioni di terra^intomo Veronese con un giovane Bres-
aile Città e aile Castella per ciano a ragionare dcl modo di
fortificare, et di fare cosi i forli disegnare le piante délie For-
in campagna per gli alloggia- lezzesecondoÈuclide,e del modo
menti degli eserciti, corne anco di compon'e i modelli, e torre
per andar sotto ad una Teri'a e in disegno le piante délie Città,
di fare i ripari nelle batterie, Venezia, 1557. — Voir Tira-
Venezia, 1559. — Lanteri avait boschi, étotia délia letleratura
composé auparavant un autre italiana, VU, 544.
ouYrdLge: Due Dialoghidi M. J a- 2. Le terre-plein aura pour
como de Lanteri da Paratico le moins quarante à quarante-
Bresciano, ne' ouali s* introduce cinq pieds, avec quinze pieds
M, Girolamo Catanio Novarese^ d'escarpement ou saillie.
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358 DE LA PRECELLENCE
SUS, tant luy que l'autre le nomment Merloni. qui
est (ce semble) ce qu'encores aujourdhuy nous appe-
lons Créneaux, d'où vient ce mot Crénelé : duquel
on usoit le temps passé, quand on disoit. Murs
crénelez : comme aussi. Murs crestelez : et Murs
garitez. Et ce garitez vient de Garite : de laquelle
on s'aidoit aussi es portes : comme nous voyons
en cest endroit du Romman de Perceforest, Adonc
s'en vint la guette aux garites de la porte. Et un
peu après, où le roy parle. Et si luy di quelle
vienne parler à nous à la garite. Or pour retourner
aux termes Italiens touchant la guerre, qui sont
pris de nostre François, je di que plusieurs autres
se pourront trouver tant es escrits de Machiavel
et de ces deux fortificateurs, que d'autres, comme
il me souvient avoir leu en Boccace trois mots
de suite, tirez de nostre langage, du nombre aussi
de ceux qui appartiennent à la guerre, c'est où il
dit, Andare ad ogni torniamento,ô giostra, à altro
fatto d'arme, car c'est ce que nous dirions, Aller
à chacun tournoy , ou j ouste , ou autre faict
d'armes.
J'ay bien occasion de faire ici un plaintif tou-
chant la mesme chose dont je me plaignois ci-
dessus : pource qu'ils usent de dépravation en
aucuns aussi des vocables qui peuvent estre mis
en ce reng : voire jusques à corrompre celuy
lequel est donné à l'une des plus grandes dignitez
qui soyent en ce royaume. J'enten ce mot Connes-
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DU LANGAGE FRANÇOIS. 359
table, car nous voyons que Machiavel (entr'autres)
en a faict par tout Connestabole, Et ne dépravent
ce mot en ceste sorte seulement, ains aussi en ce
qu'ils luy changent sa signification \
Mais je ne leur feray point d'avantage la guerre
touchant les mots de la guerre : m'asseurant qu'ils
se rendront à composition, quand ils auront consi-
déré que leur fort n'est aucunement tenable : et
qu'ils seroyent malavisez d'attendre qu'ils fussent
battus d'un beaucoup plus grand nombre de pièces :
veu que si peu ont desja faict une telle brèche. Et
quant à leurs autres forts, ou plustost bloculs, qui
ont esté assaillis auparavant, je ne pense point
qu'ils s'y vueillent non plus fier qu'en cestuy-ci :
les ayans congnus encore plus prenables.
La composition donc sera que leur langage
avouera la supériorité et precellence du nostre,
sans jamais contrevenir à cest aveu, par voye
directe ne oblique. Moyennant lequel aussi, le
nostre le déclarera digne du second lieu : et au cas
que l'Espagnol le voulust quereler, le nostre pren-
dra l'Italien en sa protection, pour le maintenir
en ce droit.
En luy donnant toutesfois six jours de terme
pour s'en résoudre. Pendant lesquels si leur venoit
nouvelle aide et secours, nous leur ottroyons de
gayeté de cueur que la présente composition soit
1. * En lui donnant le sens de simple commandant et de
colonel. » (L. Feugère.)
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360 DE LA PRECELLENCE DU LANGAGE FRANÇOIS.
nulle : nous sentans assez courageux et forts pour
les réduire de vive force à ce poinct qu'ils n'au-
ront voulu accepter de nostre pure libéralité : et
esperans, si nous en venons là, leur faire parois-
tre, moyennant la grâce de Dieu : à laquelle je les
recommande.
Fl^
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES
1. ORTHOGRAPHE ET PRONON-
CIATION. — Orthographe étjrmolo-
giqae et orthographe phonétique.
— 1. Deux principes orthographiques
sont on lutte au xvi« siècle comme
aujourd*hui,le principe étymologique
et le principe phonétique. Dans
l'ancienne langue française, Tortho-
graphe, sans être absolument con-
forme à la prononciation, était cepen-
dant, dans une certaine mesure, une
orthographe phonétique.Au xiv* siè-
cle, on commence à tenir plus grand
compte de l'origine des mots, et
l'on ajoute des lettres dont la pré-
sence n'est pas toujours jiistiGée par
rétymologie grecque ou latine.
2. On a rétabli ainsi des lettres
latines qui, n'étant plus prononcées,
avaient cessé d'être écrites ei n'étaient
représentées par rien : 6 dans debte
104, soubs 3, subject 6. assubjetti 42,
subjeclion 72, etc. ; c dans auctorité
i^O^ project 1, dict 4, e/fect 2, aub-
ject o, etc. ; d dans nud 234, adjouster
7, advocata 11, adverti 12, etc.;
g dans congneu 2, congnoissance^X.
3. Mais, dans bien des cas, la
lettre latine avait seulement changé
de forme, ou bien, en disparaissant,
avait modifié la voyelle précédente,
de sorte qu'une fois ajoutée dans le
mot, elle y est en réalité représentée
deux fois : c i:eprésenté déjà par t
dans faicte 1 ; traict 129 ; poincts 6;
joincts 11; deduicts 7; frtiict 164;
nuict 51, etc.; g représenté pur i
d&u9 loingtains 13, etc. ; / représenté
par u dans fauUe 345 ;p représenté
par V dans apvril 9.
4. Les lettres doubles, réduites à
une simple dans l'ancienne langue,
se présentent de plus en plus sou-
vent à partir du xiv« siècle. On
trouve par exemple dans la Precel-
lence : appercevront 2; appaiser 4;
abbattu 30; abbois 124; abbréger
355 ; aggreable 309; jettez 20 ; prat-
tiquer 23; traitteray 28; traitté 28;
conclurre 48 ; addoucisaans 305 ; ap-
platie 141; aggrappe 311, etc. Plu-
sieurs de ces mots sont des compo-
sés français, dans lesquels entre
comme élément non pas la préposi-
tion ad, mais la préposition à. Dans
ces mots, par conséquent, le redou-
blement n est même pas un retour
à rétymologie. Il faut voir aussi
l'influence de l'analogie dans les
mots Romme 31 ; Bommains 7 ; rom-
mana 17; deffit 57; equippage 14;
gibbier 131 ; aecrettea 166. Modellei,
s'explique par l'italien modello; pour
aouppe 248, l'allemand a Suppe. On
peut rapprocher de plat te, dan»
plaite forme 355, l'allemand platt
ou PlattCy l'italien pmffo. Mais peut-
être est-il plus simple de voir dans
l'orthographe de ces mots dans la
Precellence l'influence de l'analogie.
5. La langue du xvi' siècle
conserve encore cependant bien des
traces de l'ancienne simplicité ortho-
graphique. Dans bien des mots les
consonnes étymologiques qui no se
prononcent pas n'ont pas été réla-
1. Voir Darroesleter et Hatzfeld, Tableau de la langue françaùe au IV!» êièt^lr-. —
BruDOt, Preciê de grammaire historique de la langue françaiêe. Consulter la Biblio-
yraphie qui »e trouve dans la 3c édition.
PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS.
ei
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362
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
blies. Nous trouvons ainsi, dans la
Preeellence, avenir (infinitif^ iS;
promte 32 ; comte (compte^ 66 ;
exemta 82; doits (doigts) 13Ô;pt^
273, etc.
6. On trouve souvent une lettre
simple dans des mots où l'étymo-
logie exigerait une lettre double :
falu 12; /aZotr 32; eschapent 317;
amolisse 95; etc. Quelquefois aussi
l'orthographe du xvi" siècle est, en
employant la lettre simple, plus
voisine que la nôtre de l'étymo-
logie : debatre 7; debatu 11; gen-
tile 34; gentilesse 66; Alemagne
119; eachaufer 95; quereler 3o9.
Dans des mots de formation fran-
çaise, on trouve le préfixe ou la
terminaison joints au radical du
mot sans les redoublements usités
aujourd'hui : resembler 255 ; alonge
319; gueter^ô.
Voyelles et diphtliongaes. — 7.
A et E.. — Estienne lui-même nous
apprend qu'il existait au xvi« siècle
une confusion entre le son a et le
son e, le peuple disant Piarre pour
Pierre^ les courtisans disant ca-
therre pour catharre. H. Estienne
emploie la forme boulever 355 ; c est
la forme la plus ancienne. Mais il
emploie une forme savante quand
il dit perfaicts 150, pour parfaicts.
11 emploie la forme ancienne arain
193, pour airain; esclarciront 74,
pour esclairciront. On trouve, dans
la PrecellencCy condemnation 35;
mais aussi condamner 37.
8. AN et EN. Comme tous ses
contemporains, H. Estienne paraît
employer indifféremment an et en.
Quand il écrit ardant 31 ; ardante
2; on reconnaît l'ancien participe
du verbe ardoir ou ardre. Mais
c'est contrairemiint aux anciennes
habitudes de la langue aussi bien
qu'à l'étymologie qu'il écrit com-
mancer 37 ; commanceray 52 ; com-
mancement 52; vanger 57, etc. L'or-
thographe de Flamens 171 ; reng 16 ;
renger ^; rengeroyent 12; tren-
chantes 3, peut être autorisée par
l'ancien De langue, mais rien ne
justifie recommandation 25 ; garentie
12 (ailleurs garantir 37).
9. E, AI, El. On trouve e pour
ai ou ei et réciproquement : gresse
131 ; fresche 171 ; pêne 234 ; porte-
pene 159: aiglantm (dans une cita-
tion) 101; fraisne 186. Tous ces
mots se rencontrent dans l'ancienne
langue ainsi orthographiés.
10. E, I. C'est aussi une an-
cienne forme qu'il faut reconnaître
dans le verbe con fermer, con ferme-
ront 74, pour confirmeront. La
forme confirmer est une forme
savante.
11. E. Ve supprimé dans la
prononciation est supprimé aussi
graphiquement dans les mots ho-
reau, pour hobereau 127 ; chartée^
pour charretée (anciennement cha-
retée) 180.
12. 1, U. Estienne emploie i pour
u dans le mot manifa^ture pour
manufacture 140. C'est cependant
cette dernière forme qui était la plus
usitée au xvi« siècle.
13. O, AU. On trouve la lettre
simple dans les mots povre 84 ;
povreté 356; c'est l'influence sa-'
vante qui a rétabli la notation au
par imitation du latin. La pronon-
ciation du mot povre ou pauvre
était très indécise.
14. O, OU. H. Estienne, dans
les Hypomneses^ p. 34, constate que
la prononciation hésite entre ou et
dans plusieurs mots. Il écrit, dans
la Precellenee, courvees 353, proufit
249 ; prouktables 3 ; prouvision 249 ;
voulotité 5; voulontiers 12.
15. UI, I. La forme vuide pour
vide se trouve dans un proverbe
cité par Estienne, 238. Bien que les
grammairiens du temps ne soient
Eas tout à fait d'accord, il est pro-
able que le mot se prononçait
comme aujourd'hui.
16. UI, U. La diphthongue ut
tendait aussi à se réduire, dans
beaucoup de mots, à la voyelle
simple M. H. Estienne dit lui-même
dans la Precellence : Nous avons
aussi ce mot rut, ou {comme aucuns
prononcent) ruit 125; et ailleurs :
on dit aujourd'hui buisart ou bu-
sart 203.
17. U, O. On trouve la forme
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
363
archaïque tumber pour tomber 239,
mais dans un vieux proverbe : cre-
meur fait lièvres tumber. La re-
marque ne peut donc s'appliquer à
la langue d Eslienne.
18. I, Y. Il n'y a pas de règle
ûxe pour l'emploi de y. On trouve
soit y, soit t dans les désinences
des imparfaits et des conditionnels,
dans les pronoms personnels mot, toiy
etc., dans le mot aujourd'hui^ etc.
H. Estienne écrit hyver 162; ryme
42; rymé 50; mais atile^ stilé 112.
19. EU. Les participes aujour-
d'hui terminés en u conservent
encore dans l'orthographe la diph-
thongue eu, bien que la pronon-
ciation, à part quelques hésitations,
soit déjà la même qu'aujourd'hui.
Estienne écrit congneu 2; reeeu
180 ; deu 29 ; esmeue 4 ; forbeu 154 ;
leu 121; meus 1%; pieu 9; sceu
190; veu 2; etc. 11 écrit aussi la
veue 25, et conserve au radical du
verbe asseurer 1, sa diphthongue
étymologique.
30. UE. Il y a indécision dans
la façon de noter le son eu lors-
qu'il correspond à un o bref latin.
Estienne écrit vueillent 14; eueur 2.
21. 01. La diphthongue oi sub-
siste, et subsistera jusqu'à Vol-
taire, dans les imparfaits, dans les
conditionnels, dans beaucoup de
substantifs, d'adjectifs et de verbes
3ui s'écrivent maintenant avec la
iphthongue ai : hamois ^7 ; mon-
naye 139 ; français 1 ; je recongnois
12, etc. Cette diphthongue se pro-
nonce non pas oua^ comme aujour-
d'hui, mais ouè. Mais déjà, sons
l'influence italienne, s'introduit la
prononciation è pour ouè. Plusieurs
grammairiens s'en plaignent et
H. Estienne tout le premier. On va
même plus loin qu'aujourd'hui,
puisqu'on prononce /red, etret pour
froid, étroit.
Voyelles nasales. — 32. Beau-
coup de mots avaient un son nasal
qu'ils ont perdu depuis. Ainsi
Estienne écrit ongn pour oign dans
les mots eslongnée 65; songneux
193; tongneusement 42; d'autres, à
a même époque, écrivent dans les
mêmes mots oingn. 11 écrit ongn
pour ogn dans besongne 103. Il
écrit angn pour agn dans gangner
6 ; gangneur 228.
23. La voyelle nasale on rem-
place la diphthongue nasale oin
dans le nom propre Jonville, pour
Joinville 350.
Consonnes. — G, CH, Q. 24.
Probablement par suite d'une préoc-
cupation étymologique, on trouve
ch au lieu de c : eschole 112;
chorde 137; chordé 132.
25. H. Estienne écrit quarreaux,
Î marrées 141, et l'emploi de ^u au
ieu de c s'explique à la fois par
l'étymologie et par l'ancien usage.
Mais rien ne peut expliquer cet
emploi de qu au lieu de c dans le
mot chiquanerie 149. Rabelais écrit
aussi les Chiquanous, le peuple
Chiquanourroys.
26. Le c disparaît devant qu,
comme dans 1 ancienne langue,
dans le mot aquitter 1. Pour le
mot grec, comme pour les autres
adjectifs terminés parc, H. Estienne
forme le féminin en remplaçant e
par que, greque 2, au lieu d'écouter
que a la forme masculine, comme
on le faisait souvent au xvi* siècle
{turcque, publicque, etc.), et comme
nous le faisons encore aujourd'hui
pour le mot grecque. Cette forme
se trouve aussi, quoique plus rare-
ment, dans la Precellence.
27. H. Estienne bl&me dans lu
Precellence (48) et dans les Dialo-
gues ceux qui assimilent le c au /
dans le groupe et devenant tt. Il
écrit pourtant ottroye 232, mais
dans nn proverbe. Il écrit ailleurs
vittuailles 356. A la page 81, il
emploie la forme affetté, mais sans
doute avec intention, à moins qu'il
ne faille reconnaître là notre ancien
verbe affeter. Dans le mot échecs,
le c final ne se prononçant pas est
remplacé par un /, eschels 137.
C, se, S, Z, X. 28. H. Estienne
écrit par un e, au lieu de ss, facent
25; facions 25. U se conforme en
cela à l'étymologie comme à l'an-
cien usage.
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364
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
'29. L'emplui de la cédille n'étant
pas encore au»»! répandu qu'au-
jourd'hui, il emploie Ve muet pour
marquer devant a ou o le son de c
doux, comme nous le faisons encore
pour le g : nCefforceant 111 ; com-
menceoit 240 ; prononceona 33 ; pj'o-
nonceant 354; renonceoit 241.
30. On trouve sç o \ se au lieu
de s dans les différentes formes du
verbe savoir. Il est possible qu'au
moins à l'origine il y ait eu là
moins une fausse réforme étymolo-
gique qu'un essai pour bien marquer
le son de s forte. On a relevé, dans
des études sur la langue du xiv^siècle,
des formes comme tristesce; ou, au
commencement des mots : scilence,
sceuz (solus).
31. On trouve, au lieu de c,» entre
une consonne et une voyelle : chanse
35 ; tajiser 258 ; tansement 258 ; entre
deux voyelles ss : sausse 133. Au
moins pour le mot sauce, le c n'a
rien d'étymologique.
32. S entre une voyelle et une
consonne est devenue muette depuis
lonartemps et continue cependant à
s'écrire : s'esbahiront 8; eschappent
13; escoutent 5; escrits 2; espar-
ynez 22; estrangeres 2; estât 17;
mesnage 17 ; monstre 1 ; ostera 7 ;
respondit 6 ; tascheray 37 ; tesmoi-
gné 2; vistement 46, etc. Les com-
posés viennent non pas de de mais de
dis : descouvre 25 ; desraciner 2, etc.
])e même il ne serait pas exact de
faire venir élever de la forme clas-
sique elevare, émouvoir de emovere.
C'est la préposition ex qui sert à
former les verbes français et c'est
pour cela que nous avons esmeue 4;
eslevé 6. etc., formes qui se ren-
contrent dans les plus anciens textes.
Dans d'autres cas, Vs ne se trouve
dans le mot que par analogie, et
indique que la voyelle précédente
est longue, comme dans empesché 5.
33. La lettre «, si souvent rem-
placée par X, d'une façon tout à fait
illogique, à la fin des mots, conserve
sa place dans les substantifs c/io{« 43 ;
pris (prix) ^3; dans la seconde
personne tu peus 320; l'article aux
s'écrit comme aujourd'hui; mais
H. Estienne conserve la lettre s
dans le pronom relatif composé
ausquels 53.
34. La lettre s est remplacée par;
dans les mots hasard 11 ; magazins
202, peut-être sous l'influence de
l'italien azzardo, magojszino; dans
les verbes fnzer (dans une cita-
tion) 101; autoriser 4; particula-
rizer 96; formaliser 115, peut-être,
pour ces trpis derniers, par imita-
tion des finales grecques en iC«>f
dans le verbe pezer 4. On trouve
aussi, exceptionnellement, et sous
l'influence du mot italien, ^ à la
place de ç dans le moi provensat^i.
35. Le s, correspondant étymo-
Ingiquement à ts se trouve comme
signe du pluriel dans des substan-
tifs et des participes qui cependant
ont cessé depuis longtemps de
s'écrire avec un t an singulier :
qualitez 5 ; considère zl ; donnez 10;
esparr/nez 22; jettes 20; monstres
36, etc.
D, T '. 36. «Dans les mots qui
se terminent au singulier par une
dentale, la dentale disparaît au plu-
riel devant s. H. Estienne écrit :
hrouillars 51 ; grans 51 ; advocas
(citation) 125; ars 139; accens 38;
changemens 72; contens 28, excel-
lens 42 ; fondemens 34 ; precedens 44 ;
parlans 112; suffisans 12, etc.
37. H. Estienne écn\. pretieux 3;
pronontiation 42; sans doute sous
l'influence étymologique.
L. 38. H. Estienne écrit che-
i. Le t qui s'intercale aujourd'hui, dans l'écriture comme dans la prononcialion, eolre
les voyelles finales •« -a, et les pronoms il, elle, on, k la 3*^ personne du singulier, n'e$t pas
représenté graphiquement :
. Pour le moins ha elle cestn^f ci. 117.
. Si faudra- il que. 97.
Cependant le t se prononçait même avant le temps d'Henri Estienne. (Voir Thurol, Pro-
nonciation française, II, 242-243.)
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
365
vreuls pour chevreuils 126. Les gram-
mairiens nous apprennent que VI ne
se prononçait pas dans ce mot,
même au sinfrulier. — Dans une
citation de Ronsard, on lit jallir
pour jaillir 53. Encore au xvii» siècle
on était indécis sur l'orthographe
et la prononciation de ce mot, qui
s'est écrit jaZir, jallir et jaillir.
H. 39. On trouve la troisième
personne a écrite comme aujour-
d'hui ou bien avec A, ha, bien que
les autres formes du verbe avoir
soient toujours écrites sans Yh éty-
mologique. Peut-être y a-t-il là non
pas une influence de Tétymologie,
mais un désir de donner au mot
meilleure figure et de le bien dis-
tinguer de la préposition. — On
trouve, avec h, harquebouze 119, qui
s'écrivait aussi sans h. L'indécision
vient sans doute de ce que ce mot,
venu de l'italien archibuso, rempla-
çait notre vieux mot haquebute, qui
venait, comme le mot italien lui-
même, de la forme germanique
hakenbûchse. La lettre h se trouve
aussi, sans aucune raison, dans les
mots Rhodomont 55; thoscane 44 ;
Theutons 63.
Mètatlièse. — 40. H. Estienne
écrit prouveu pour pourvu 249. On
trouve dans les proverbes qu'il cite
esprevier pour épervier 203; four-
mage pour fromage 214. Pour le
mot pourveu notre forme actuelle
était aussi celle de l'ancienne langue.
C'est l'influence étymologique qui a
momentanément rétabli prouvoir.
Les deux formes étaient employées
au XVI* siècle. La forme épervier est
plus conforme à l'étymologie (anc.
ht. allem. sparvari). Mais c'est la
forme esprevier qui est usitée dans
l'ancienne langue. Le mot fourmage
est plus près de son origine, forma-
tieum^ que la forme moderne. Les
deux formes paraissent avoir été
nsitées dans l'ancien français.
II. FORMES ET SYNTAXE '. —
SUBSTANTIFS.41.Henri Estienne
ne fait pas la même distinction que
nous entre aïeux et aïeuls :
Par droit leur place doit demourer à Ca-
pitaint et à Soldat, puisqu'ils eu sont en
possession des le temps de nos ayeuls. 349.
Cette distinction ne s'est établie
que beaucoup plus tard. Massillon
écrit encore :
Le souvenir de leurs aïeuls devient leur
opprobre. (Littré.)
42. Certains mots sont, dans la
Precellence,à'un genre autre qu'au-
jourd'hui. Affaire, œuvre, épithète
sont du masculin.
Que Teroit leur langage parmi les affaires
d'Estnt tels que ceux «le ce royaume ? 149.
Un projet et comme un roodelle d'un
œuvre que je délibère intituler De la pre-
ceilence du langage Trançois. 1.
Quand il seroit question d'honorer la
mémoire des geiu de bien de quelque bel
epithele. 158.
Affaire, masculin dans l'ancienne
langue, est des deux genres au
XVI" siècle. Œuvre est féminin dans
Tancienne langue, masculin ou fémi-
nin au XVI* siècle, masculin surtout
en parlant d'une œuvre littéraire :
dans ce sens il est longtemps mas-
culin.
Je sais qu'il est indubitable
Que, pour Tormer œuvre parrait.
Il rendrait se donner au diable. (Vol-
taire, dans Littré.)
Le mot est encore masculin
aujourd'hui dans certains cas. Le
mot épithète n'entre dans la langue
qu'au XVI» siècle, et il y entre
comme mot masculin : Vau gelas
même dit encore épithète mal placé
(Littré).
Doute, malvoisie, meslange, sont
du féminin :
Il n'y a nulle doute. US.
Et nous arrestions à l'autre, de boire
apraji le melon de la meilleure malvoisie
que pouvions trouver. 216.
L'oreille... recongnoist en chacun mot
une meslange de ces deux. 392.
Doute, féminin dans l'ancienne
langrue, l'est encore dans Malherbe
et dans Rotrou :
1. Les citations de Malherbe, Corneille, La Fontaine, Racine, La RoeheFoucauld. Mme de
Sévigné, La Bruyère sont empruntées en général aux éditions de la Collection des Grand»
Eertvaint (Hachette).
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366
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
Nos doutes seront éclaireies
Et mentiront les prophéties.
(Malherbe, dans Littré.)
MalvoUie était féminin dans Tan-
cienne langue et au temps d'Es-
tienne :
J'ay veu ce pendant qu'on s'eniretenoit «a
bout d'une table de la beauté d'une Inpis-
serie, ou du goust de la malvoisie, se penire
beaucoup de beaux traicts à l'autre bout.
(Montaigne, I, 25.)
Meslange est des deux genres au
XVI* siècle :
La meslange des couleurs. (Paré, dans
Littré.)
ADJECTIFS. 43. On voit plus
fréquemment qu'aujourd'hui la forme
f/rand au féminin : grand ville 5 ;
grand partie 17; grand voix 38;
grand nuit 51 ; grand joye 130. Mais
H. Eslienne emploie quelquefois
l'apostrophe, comme nous le fai-
sons aujourd'hui dans le mot grand'
mèrCt ce qui montre qu'il ne songe
pas à Tancienne similitude du mas-
culin et du féminin dans les adjec-
tifs de cette catégorie.
Les formes fol^ mol, vieil se ren-
contrent même sans que le mot
soit suivi d'une voyelle, ou, pour le
mot fol, même quand il est pris
substantivement :
Il Tant aussi qu'il ait peur d'un Toi, tes-
moin cestuy-ci. 206.
Combien est viril le son de ces paroles
françoises, et combien est mol celui des
italiennes & comparaison. 64.
Nous le voyons estre de nostre plus vieil
langage. 177,
On trouve même la lettre l au
pluriel, les fols.
Plusieurs choses qui sont à considérer en
la nature des fols. 205.
Fol au lieu de fou s'emploie
encore au xvii« siècle, et Bossuet
dit même fols, au pluriel :
Meilleur est l'enfant pauvre et sage que le
roi vieux et fol. (Pascal, dans Littré.)
O soin inutile 1 diront les fols amateurs du
siècle. (Bossuet, dans Littré.)
Il est vrai que dans cet exemple
Bossuet a peut-être voulu distinguer
l'adjectif du substantif. — Corneille
emploie encore mol comme au
xvi" siècle, et vieil se trouve cou-
ramment devant une consonne au
XVII" siècle :
L'outrage que m'eût fait ce mol e
tement. (Corneille, dans Littré.)
César était trop vieil, ce me semble, pour
s'aller amuser à conquérir le monde. (Pascal,
dans Littré.)
44. Certains adjectifs : efficaecpre-
cèdent, semblable sont employés
substantivement. On peut y joindre
le pronom mesme :
Combien plus de vertu et d'efficace. 4.
Ne lisons-nous pas de Chilperic qu'il fit
le mesme (la même chose) en la sienne. 8.
Bt me suffira d'avoir rendu ici raison de
cela, tant pour le précèdent (ce qui précède)
que pour ce qui suit. 308.
Nous devons faire le semblable es paroles
prises du latin ou du grec. 177.
Jusques à tant qu'on ait trouvé moyen de
rendre possible un tel impossible. 71.
Le même usage se retrouve au
xvn* siècle.
On n'ignore pas qu'une louange en grec
est d'une merveilleuse efiScaee à la tesle
d'un livre. (Molière, dans Littré.)
On trouve encore au xvii» siècle
le même signifiant la même chose :
C'est quasi le même de converser avec
ceux des autres siècles que de voyager.
(Descartes, dans Haase.)
45. Certains adjectifs se construi-
sent autrement qu'aujourd'hui. Es-
tienne écrit différent à 13; propre
pour 19. Le xvi« siècle a dit non
seulement différent à, mais aussi
différer à quelqu'un, et quant à
l'expression propre pour, on la
trouve encore beaucoup plus lard :
Ambroise lui répondit que lui... n'éuit
pas propre pour être l'entremetteur de 1 ab-
solution. (Fléchier, dans Haase.)
46. L'adjectif précède assez sou-
vent le subsUntif dans des cas où
nous avons l'habitude de le mettre
après, notamment quand il est loi-
même déterminé par un autre mot
ou quand, au lieu d'un adjectif, il y
en a deux coordonnés : Eslienne
dit : l'obstiné Grec 32; leur natu-
relle terminaison 46; les plus en-
durcis courages 3 ; leur plus fonda-
mentale proposition 47 ; le plus poh
langage français 73 ; la plus blanche
femme 89 ; une vraiement royale affec-
tion 6 ; mon nayf et comme naturel
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OBSERVATIONS ORAMMATICALES.
367
langage italien ^i ; plusieurs beaux
et fort significatifs vocables iw.
Cette liberté de construction est
devenue plus rare au.xvii» siècle,
mais on l'y retrouve encore très
nette :
Dieu le» laisse aux diables, ses capitaux
ennemis. (Bossuet, dans Haase.)
C'est assurément la plus belle, la plus
surprenante et la plus enchantée fonvwvlè
qui se puisse imaginer. (Sévigné, iv, ^i.)
47. On trouve coordonnés pour
déterminer un substantif des moU
de différentes natures :
11 y-a une tertu occulte en ses paroles,
accompagnées de la majesté tant de 1 élo-
quence que de la royale. 5 .
48. H. Estienne emploie le positif
d'un adjectif avec la valeur dun
véritable superlatif :
C'est un des gentils emprunts que nostre
langage ait faict de messieurs les veneurs.
123.
49. Deux adjectifs au superlatif
éUnt coordonnés, il ne met le plm
que devant le premier : la plus belle
et gentile.
ARTICLE. 50. La vieille forme es
se rencontre à chaque instant dans
la Precellence : es mains 6; es pays
13; es proverbes^', es tnots 46; e«
terminaisons 69. Elle est en effet
constamment employée jusqu a la un
du xvi« siècle, mais Malherbe en
restreint l'usage et Vaugelas la
condamne. (Voir Brunot, Thèse,
p. 480.)
51. L'absence de l'article défini
est encore bien fréquente : que nous
facions paix fô; tous autres 76; a
despourveu 37, etc. Encore au
XVII» siècle il s'en faut de beaucouj)
que l'omission de l'article soit aussi
rare qu'aujourd'hui : La confiance
des grands ne vient le plus souvent
que de vatiité. (La Rochefoucaud,
* *' Ce charme inexprimable
Oui rend le dieu de? vers sur tous autres
[aimable. (La Fontaine, dans Haase.)
52. L'article est au contraire
exprimé dans Charles le Quint 31 ;
le Pétrarque 47; trouver le moyen
190. En disant le Pétrarque on sui-
vait la coutume italienne. On a eu
le tort d'étendre cet nsage à des
prénoms, à des noms français, et
même, pendant quelc^ue temps, a des
noms grecs et romains.
53. L'article indéfini manque plus
souvent encore que l'article défini»
surtout devant les adjectifs indé-
finis : même langage A-, autre raison
11; telle façon 45, etc. De même
encore au xvii» siècle : Il y a telle
liaison (Descartes, dans Haase);
Auriez-vous autre pensée en tête
(Molière, Tart. I, v.). Mais le même
fait se produit bien souvent aussi
avec des substantifs.
54. L'article partitif manque sou-
vent aussi, soit au singulier soit au
pluriel :
Font trouver diversité. 69.
Trouve moyens nouveaux 5. •
En grandes entreprises 11.
Si c^estoient mots d'évangile 16.
A tels changements 18, etc.
On trouve aussi devant l'adjectif
qui précède le substantif des au
lieu de de que nous mettrions
aujourd'hui : des exeellens verbes
153. Les grammairiens du xvii* siè-
cle, et Malherbe le premier, ren-
dent l'usage du partitil obligatoire
dans beaucoup de cas ou on
l'omettait au xvi« siècle, et inter-
disent l'emploi de des devant un
adjectif précédant un substantif,
(viir Brunot, thèse, p. 342 et sui-
vantes.)
55. L'article défini ou indéfini
manque souvent devant le second
de deux subsUntifs coordonnés :
La liberté ou plu» tost licence.71.
La monstre et eschantUlon. an.
Une gravité et autorité, *. etc.
NOMS DE NOMBRE. 56. Henri
Estienne dit, en employant le
nombre ordinal là où nous em-
ployons le nombre cardinal iBenn
second 31; Marcel second, di.
C'est l'habitude de tous les écri-
vains du XVI» siècle, et cette habi-
tude se maintient au xvii«.
PRONOMS. — Pronoma per-
sonnels. 57. Le pronom personnel
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368
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
sujet est souTent omis au xvi* siè-
cle, comme dans Tancienne lan-
gue :
\roire puis et doi adjoQster..., 17. [29
Et adjousteray que mon intention n'est pas....
Nous escrivons autrement que ne pronoo-
[ceons. 33
Et quelquesfois luy en donnent aussi une
[autre. 179, etc.
Le :sujet est omis en particulier
dans l'expression y a, pour il y a
11. On trouve quelquefois, quand
le pronom sujet est omis, le pro-
nom moy^ etc., qui est en réalité
en apposition au sujet sous-en-
tendu :
Et moy l'avois tradniet. 50.
Moy mesme suis contraint. 164.
Encore au xvii» siècle :
II est de retour et crois que celte brouil-
lerie est apaisée. (Malherbe, III, 482.)
^oi qui écris ceci ai peut être celte
envie. (Pascal, dans Haase.)
58. Ellipse du pronom régime
direct :
Si je n'en ay telle issue que j'ay non
seulement désiré mais aussi espéré. 11.
Si la gemilesse du langage doit estre
mesurée (comme il est certain qu'elle doit)
par le contentement et la délectation de
l'oreille délicate. 66.
Cette ellipse est encore fré-
quente au XVII" siècle.
59. Ellipse de en :
Il n'a point esté Taict & l'imitation des
Latins (veu qu'ils n'ont aucun qui signifie
ceci). 194. ^ ^
Encore au xvii* siècle :
Tous d'une commune voix tous nommè-
rent, et il n'v eut pas un seul qui vous
reftisit ses suffrages. (La Bruyère, I, 36-37,
ror.)
60. Le pronom personnel sujet
se trouve employé d'une façon
pléonastique :
Ceux qui s'esbahiront... ils monstroront
bien ne sçavoir pas... 7.
Qui douleroit si accompagner est nostre,
il devroit aussi douter si compagnon nous
appartient. 29Ï.
Cette dernière construction se
trouve notamment dans des pro-
verbes cités par Estienne. Les
deux tournures sont encore em-
ployées au xvii« siècle :
Ceux qui les regardent des yenx corpo-
rels, ils n'y voient rien que de bas. (Bos-
suet, dans Haase.)
Qui interroge, il cherche ; qui cherche, il
ignore (td. th.),
61. H. Estienne emploie le pro-
nom personnel régime indirect
dans le sens du datif dit datif d*in-
térêt :
De ces mots estrangers ne m'usex à tonte
heure. 26.
Cette construction, qui s'est res-
treinte, n'a pas encore aujourd'hui
cessé d'être usitée.
63. Estienne emploie le pronom
personnel se rapportant à un sub-
stantif indéterminé :
EI.«tans ces deux poiacls hors de contro-
verse, l'un que Dieu vous a doué d'élo-
quence, l'autre qu'elle est d'autant plus
profitable et bienséante à un roy... 6.
Le même fait se produit encore
au xvii* siècle.
[sois ?
Seigneur, si j'ai raison, qu'importe à qai je
Perd-elle de son prix pour emprunter ma
[voix? (Corneille, Nicomede, 190.)
63. // s'emploie assez souvent au
neutre avec le sens de ce, cela :
Au lien que cela qui sortiroit de la bou-
che d'un autre ne seroit tenu encore que
pour dict. on le se représente comme de^a
faicl aussilost qu'il part de celle du roy. 5.
Il est raisonnable que nous facions estât
de ce qui importe à la republique, comme
s'il importoità nos affaires domestiques. 115.
Cela est dict ici métaphoriquement et
d'autant ha-il meilleure grâce. 339.
Encore au xvii« siècle :
Voilà qui est bien aisé à dire, je voadrois
au'il le fût encore plus à faire. (Sériené.
[, 241.) V 5 ,
Un dernier jonr détruit tout comme si
jamais il n'avait été. (Bossnet, dans Haase.)
64. Le pronom il se trouve
déterminé par une proposition
relative, mais seulement dans des
proverbes cités par Estienne.
Il est riche que Dieu aime. 210.
Il est avsre à qui Dieu ne suffit. 211.
Qui sert Dieu, il ha bon maistre. 211.
Cette construction était d'ailleurs
assez fréquente au xvi® siècle ; elle
n'est pas sans exemple même
au xvii«.
Il est bien loin de là qui s'emporte dans
les nues. (Bnliac, dans Uaase.)
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
369
65. C'est aussi dans un proverbe
que l'on trouve la forme tonique
du réfléchi employée au lieu de la
forme atone : En soy. moquant dit-
on bien vray. 933. Mais cet emploi
du refléchi tonique était assez fré-
quent devant le participe et l'in-
ûnitif, plus rare devant un mode
personnel. Au xvii* siècle, le fait
ne se présente plus, et c'est un
archaïsme que nous trouvons dans
La Fontaine :
Tant ne songeaient au service divin
Qn'à soi montrer es parloirs aguimpées
Bien blancbement. (IV, 488.)
66. H. Eslienne emploie, très
logiquement, le réfléchi là où nous
employons le pronom personnel :
Il a usé d'une langue qui est grave de
soT-mesme. 55.
Nous advertissant de choisir toujours un
tel médecin plustost au'un autre : j'enten
qui ha ce bon heur de se sçavoir guérir
soymesme. 218.
Encore au xvii» siècle :
Alexandre les traînant après soi perdrait
une partie de ses avantages. (Vaugelas,
dans Haase.)
Arrivé etaex soi, il raconte son aventure à
ses amis. (La Bruyère, II, 15.)
67. L'ordre des pronoms régimes
devant le verbe n'était pas rigou-
reux comme aujourd'hui. Il était à
S eu près indifférent de mettre
'abord le régime direct ou le
régime indirect :
On le se représente comme desja faict. 6.
Encore au xvii» siècle :
Je les TOUS donne avee plaisir.
(Baixae, dans Haase.)
On le m'a dit, mademoiselle. (Voiture, ib.)
68. Le pronom personnel régime
d'un infinitif qui dépend d'un autre
verbe se place d'ordinaire avant le
premier verbe au lieu de se placer
comme aujourd'hui devant l'infi-
nitif :
Combien plus grand le doit avoir reluy
[d'un roy. 5.
Ne se faut esmerveiller. 5.
Tel que sa pieté et ses bienfaicts luy puis-
sent donner h.
Ceux qui me viendront contrôler. 32.
Et ne me voudra imputer ceste hardiesse a
présomption. 2.
Cette construction est encore la
plus usitée au xvii* siècle.
Vous m'aimeries, madame, en me voulant
[haïr. (Racine, Andromaque, 544.)
Contre tant d'ennemis qui vous pourra de-
[fendre. {Iphigénie, 1622.)
C'est leur en dire assex, le reste il le faut
[taire. {Ibid. 157.)
Ce même Burrhus qui nous vient écouter.
(BrUanniout, 1298.)
Possessifs. 69. Le pronom pos-
sessif mt>n, etc., se trouve employé
comme attribut dans des cas où
nous employons plutôt la tournure
analytique à moi^ etc. :
Dont les unes seront miennes. 48.
Car ceste proposition est sienne. 151.
Cette construction tend assez vite
à disparaître. On en trouve encore
des exemples au xvii" siècle :
Tout ce qui est bien dit, de quelque part
qu il vienne, je fais estât qu'il est mien.
(Malberbe, U.323.)
70. Le même pronom, joint à l'ar-
ticle indéfini ou au démonstratif,,
s'emploie pour déterminer un nom,
en jouant auprès de ce nom le rôle
d'épi thè te :
D'autant mels-je ce mien livre en plus-
grand danger. 9.
A cause du titre qu'il me donne en un
sien livre. 19.
Belleau a usé de cette translation en c»
passage d'une sienne comédie. 128.
Cette tournure, très fréquente au
xvi« siècle, est un peu archaïque
au xvii«. Dans la seconde moitié,
elle n'est usuelle que chez La Fon-
taine :
Le capitaine avait fait dessein de la don-
ner en garde à une sienne sœur. (Voiture,
dans Haase.)
Et d'abord, vous prenant pour ce mien
[camarade.
Mes sens d'aise aveuglés ont fait cette
[escapade. (Corneille, Clitandr$, 594.)
71. H. Estienne ne juge pas néces-
saire de répéter le possessif devant
le second de deux substantifs coor-
donnés : le possessif peut ou bien
s'accorder avec les deux, ou bien ne
s'accorder qu'avec le premier. Le-
pluriel s'emploie quand le possessif
s'applique à deux individus ou à
deux objets bien nettement distincts
l'un de l'autre :
21.
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370
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
Ceux qui auront veu les escriis de mes
pere et onele. 2. . »
Doublement obligé à sa bonté et beneB-
cence. 3.
Son embellissement et enrieliissement. 17.
La répétition da possessif devient
obligatoire au xvii* siècle. Cepen-
dant on trouve encore des phrases
comme celle-t?i :
M. de Trévaly me répond tous les jours
de votre capacité et fidélité.
^ (Sévigné, VIII, 41.)
7:2. On trouve dan» Eslienne le
pronom posse'ssif déterminant un
nom et coordonné avec un déter-
minant d'une autre nature :
Les ambassadeurs tant vostree que de vos
prédécesseurs. 2.
Démonstratifs. 73. Le mot cil ne
se rencontre que dans un proverbe
■cité par Estienne : Cil est bien gardé
qui de Dieu est gardé. 210. Le mot
-cil était déjà à peu près hors d'usage
dans la première moitié du xvi* siècle.
Malherbe le condamne déûnilive-
anent : « Le mot cil ne vaut du tout
rien, il est hors d'usage : on doit
dire celui. » (Brunot, Thèse, p. 393.)
74. Le pronom iceluy sous ses
diverses formes est extrêmement
fréquent dans la Précellence :
En attendant que l'œuvre qui sera faiet
sur iceluy les en rende entièrement reso-
Jus. 7.
Or me sen-je infiniment heureux, Sire,
que l'édition de ce livre ait reste bonne
rencontre, de se trouver soubs le règne de
rostre Majesté : pource que l'éloquence
•d'icelie luv sera un très honorable tesmoi-
gnage de la louange qu'il donne à no^tre
langue.... 3.
Quand j'auray prodnict ces passages des
poètes latins avec les traductions d'iceux.
%%.
J'espère qu'estans bien considérées, je
gangneray ma cause devant tous ceux, l'obs-
tination desquels ne combatera point contre
ieelles. 32.
Ces mots si commodes disparais-
sent au XVII* siècle, après avoir été
employés continuellement par tous
les écrivains de l'époque précé-
dente. On ne les trouve plus qu'excep-
tionnellement chez Malherbe :
Il 7 avoit pour drap de pied un taois
velu, et dessus un escabeau, et sur icelui
.un bassin vermeil. (Ed. Lalanne, III, 334.)
Vau gelas les condamne définiti-
vement, en déclarant que ce sont
les plus mauvais mots et les plus
barbares de la langue. (Edition
Chnssang, II, 418).
75. Estienne emploie le pronom
cestny accompagné des particules
ci et là.
Cestuy-ci.nommé Brunetto Latino, a laissé
un livre composé en langage françois. 16,
Je ne trouvay autre expédient que de per-
suader à toute l'assemblée aue cestuy-la
s'abusoit grandement en ce qu il me prenoit
pour un François. 31.
Les contemporains d'Estienne,
comme ses prédécesseurs, em-
ployaient couramment cestuy. Mai»
Malherbe (Brunot, Thèse, 394) sou-
ligne le mot dans cette expression
de Desportea : cestuy qui se plaint.
Lui-même n'emploie que cettui-ci^
avec la particule. Et, en 1647, Vau-
gelas écrit : « Cettui-cy commence
à n'estre plus guère en usage. »
76. Le mot ce est plus librement
qu'aujourd'hui employé comme pro-
nom :
Et luy ayant promis de ce faire. 11.
Encore au xvii* siècle.
Un jour qu'il faisoit la dépense de quel-
ques jeux et qu'& ce Taire il esloit secouru
par la contribution de ses amis. (Malherbe,
II, 36.)
77. On trouve dans Estienne le
mot celle employé comme adjectif,
dans une citation, il est vrai, mais
lui-même le répète en expliquant
la phrase citée :
Nous trouvons ce mot en quelques ro-
mans, et nommément en celuy de Percefo-
re»t. Ile s'en partirent de celle brigade
c'est-à-dire de celle compagnie. 268.
Dans la seconde moitié du
xvi* siècle, l'emploi de celuy^ celle^
comme adjectifs, n'est plus atissi
fréquent que dans la première.
Cependant, à en croire Nicot (1606),
cet emploi du mot aurait toujours
été habituel : « Coluy. C'est un
pronom démonstratif. Voilà celuy
frère dont je vous avoys parlé. »
Mais le mot n'est plus ainsi em-
ployé, à cette époque, qu'excep-
tionnellement.
78. Ceste, accompagné des parti-
cules ci et là^ est employé comme
pronom :
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
371
Ceux qui s'esbabiront que vostre Majesté
nrenne aussi plaisir à ouir debatre cesle-ci. «
Si ceste-là est belle, eesle-ci encore davan-
tage. 137.
Cet emploi, très fréquent au
xvi« siècle, se rencontre encore au
commencement du xvii" :
Enceste-ci je ne trouve pas qu'il y ait
moyen de le défendre. (Malherbe, II, 34.)
79. Cela se trouve employé
pour ce :
Cela qui sortiroit de la bouche d'un autre
ne seroit tenu encore que pour dict. 5.
Cet emploi de cela était assez fré-
quent. Malherbe le blâme chez
Desporles : « Cela ne se dit point
devant que; mais ce. » (Brunot,
Thèse, p. 394.)
80. Ce a la valeur de cela ou ce
fait dans l'expression ce que :
Je leur feray confesser que ce qu'ils cou-
pent ainsi la queue à ce» mots Hait grande-
ment contre eux. 43.
Car ce qu'il change les terminaisons des
mots latins plus que le leur, on ne peut
dire que ce soit une telle dépravation. 79.
Cet emploi de ce était fréquent
au xvi« siècle, mais le sens du mot
est toujours allé s'affaiblissant.
81. L'ellipse de ce est fréquente
soit devant le pronom relatif, soit
devant le pronom interrogatif :
(Ce) qui est une chose semblable & celle
qn on a dicte de Xenopbon. 13.
(Ce) qui est pareillement donner au lan-
gage italien la terminaison françoise. 83.
Quand on s'esmerveilloit qu'il instruisoit
si bien ses disciples à plaider les causes, à
quoy lui-mesme n'estoil pas propre. 29.
Voyci qu'il dit. i.
On peut considérer que la même
«llipse existe lorsqu'il emploie de
quoy au lieu de ce dont :
Nous avons nos langues plus à délivre que
les leurs pour prononcer les mots grecs et
latins que nous empruntons, sans les dépra-
ver comme enz, de quoy j'ay amené bean-
coap d'exemples. 18.
Cette ellipse, très fréquente pen-
dant le XVI* siècle comme pendant
les siècles précédents, se rencontre
encore assez souvent au xvii* :
A «e dernier couplet, il parle à elle en
tierce personne, qui ne me plaît pas. (Mal-
herbe, IV. 277.)
Ceux qui avaient charge de le faire mourir
lui coupèrent la gorge, dont le roi se repen-
tit après. (Vauçelas, dans Haase.)
Vous savez bien par votre expérience
Que c'est d'aimer. (La Fontaine, V, 173.)
82. Le pronom celui manque assez
souvent au xvi* siècle quand il
devrait représenter, devant un com-
plément déterminatif, un nom pré-
cédemment exprimé :
Quant à coupelle, puisqu'il vient de
cupella, l'origine est plus aisée à recon-
gnoislre que des deux autres. 145.
Cette ellipse est fréquente au
XVII* siècle aussi :
Nostre amour propre souffre plus impa-
tiemment la condamnation de nos goûts que
de nos opinions. (La Rochefoucauld, I, 35.)
83. Estienne emploie la locution
comme celui qui^ comme celle qui :
Je confesse par cela priser autant la leur
que je mesprise l'espagncle, comme celle
qui n osera comparoir en champ de bataille.
23.
Cette locution, employée déjà
dans Tancienne langue, semble bien
plus fréquente dans la seconde
moitié du xvi* siècle que dans la
première. Elle est à chaque instant
employée par Amyot. Au xvii» siècle,
elle sort insensiblement de l'usage.
Elle est employée de temps en
temps, par exemple par Vaugelas :
Les peuples venaient à l'envi le flatter,
comme celni qui devait être leur m^tre.
(Cité dans Haaee.)
Pronoms relatifs et interrogatifs.
— 84. Les mots lequel^ laquelle, etc.,
s'emploient très souvent comme
adjectifs relatifs, surtout au com-
mencement d'une phrase, pour la
relier à la précédente :
On voit par mon discours qu'il ne se
peut aucunement égaler à luy. Lequel dis-
cours ne sera trouvé que trop long par
celuy d'entre eux qni voudra y respondre.
21.
Je m'efforceray de rendre contens ceux qui
mettront en avant, que ce beau subject
meritoit bien d'estre traitté par un person-
nage bien doué de l'eloanence françoise :
auquel don je ne puis dire avoir aucune
part. 28.
Sur lequel dernier vers est rymé le sub-
séquent. 50.
Il semble, en surmontant Arioste, quant
et quant combatre Virgile. Lequel combat
il ne faut estimer petit. 55.
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372
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
Ils peuvent ettre eonvaineas Uot par le
primitif gars que par le feminio garse : les-
quels deux Dostre langage a touIu se
reserrer. 273,
Cette coDstruotioQ permet de
donner plus de clarté à la phrase.
C'est pour cela qu'elle est très sou-
vent employée au xvi* siècle, surtout
phr Calvin. Au xvii* siècle, elle n*est
plus guère employée qu'avec les
mots généraux comme chose, temps,
etc.
85. Le pronom lequel, qui, depuis
le XIV" siècle, est devenu de plus en
plus fréquent, s'emploie au lieu du
relatif qui, que, dont, etc., même
quand il suit immédiatement l'an-
técédent, c'est-à dire quand l'emploi
des autres formes ne pourrait donner
lieu à l'équivoque :
Celny qui use de diseretion regarde de ne
doDuer point & ceux lesquels se rendent
indignes par leur ingratitude. 331.
Le langage est «omme l'instroment duquel
ils usent. 10.
Ces monosyllabes tombent souvent en
une ambiguïté, laquelle peut avoir fort mau-
vaise grâce. 82.
Lequel est souvent encore em-
ployé ainsi au xvii* siècle :
Je ne me suis point repenti de cette entre-
prise, laquelle eu cette saison a semblé
téméraire à tout le monde. (Voiture, dans
Haase. )
Ce me sera un autre trésor plus précieux
que celui lequel nous avons trouvé. (La Fon-
taine, dans Haase.)
Mais Vaugelas trouve que ce pro-
nom est rude au nominatif singulier
et pluriel, et qu'on doit plutôt se
servir de qui. Malgré les quelques
exemples qu'on rencontre encore
après lui, il est certain que cet
emploi de lequel est tout à fait en
décadence.
86. Au lieu de dont, de qui, placés
comme aujourd'hui après leur anté-
cédent et avant le mot qu'ils déter-
minent, on trouve souvent, au
xvie siècle duquel, de laquelle, etc.,
placés après ce mot déterminé :
Je la prieray vouloir estre spectatrice du
combat, l'issue duquel Iny pourra donner
quelque bon avis. 30.
Je me contente d'une harangue que noue
lisons en Taeitus, sons le nom d'un nommé
Cerealis, l'argument de laquelle est tel. 57.
Cette construction, qui pouvait
quelquefois être trèi* commode,
tend naturellement à disparaître en
même temps que se restreint par-
tout l'emploi de lequel. On la trouve
encore pourtant au xvii* siècle :
Ce Jean Lelelier a eu cinq héritiers, deux
desquels ont rendu leurs parts. (Corneille,
X,i|3t.) *^
Il faut remarquer que, dans cet
exemple, desquels n'estpas un génitif
possessif mais un génitif partitif.
87. On trouve le pronom relatif,
comme le pronom personnel, se
rapportant à un nom qui n'est pas
déterminé :
Ils ne sont pas en débat tondumt l'ortho-
^raphie seulement (lequel ils nom
royent aussi objecter, encore qu'aqjot
graphie seulement (lequel ils nons pour-
royent aussi objecter, encore qu'aqionrd"
il ne soit pas tant eschauffé. 18.)
buy
88. Comme en latin, le relatif
placé dans une proposition subor-
donnée la rattache d'une part à la
proposition qui précède, et dans
laquelle se trouve son antécédent,
d'autre part à une proposition prin-
cipale qui suit :
On y trouve des commodités beancoop
plus grandes. Ausouelles si j'ay pris gard»
de plus près que plusieurs de ceux mesme-
meut qui font profession de l'éloquence, je
Suis venir à ce discours mieux garni qu'eux
es pièces pour le moins qui concerneot oe
poinet. 29.
En luy donnant toutesfois six jours de
termes pour s'en résoudre. Pendant lesquels
si leur venoit nouvelle aide et secours, nous
leur octroyons de gayelé de cueur que la
présente composition soit nulle. 359.
On me demandera maintenant si nous Be
pouvons pas user de ces mots pour le
moins, lesquels encore qu'on puisse penser
esire tirez du langage italien, an contraire
luv les a pris du nostre. 269.
Les Grecs nous ont fait ce plaisir de nous
S rester une petite particule, laquelle mettans
evant les adverbes, aussi bien que devant
les noms, exprimons ceste superlation. 88.
Laquelle richesse estant oe diverses sor-
tes, je sçay bien que... 253.
Cette construction, imitée du la-
tin, est fréquente au xvi« siècle, et
n'a pas tout à fait disparu au xvn<*.
On la trouve surtout avec les pro-
positions commençant par si.
N*avez-vou8 ressenti souvent certaines
volontés fortes, desquelles si vous suiviez
l'instinct généreux, nen ne vous serait im-
possible? (Bossnet, dans Haase.)
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
373
89. Quand le pronom relatif doit
précéder deux verbes, et ne pas être
au même cas devant les deux, il
arrive cependant que le pronom soit
sous-entendu devant le second
verbe :
Poiycrates s'advisa eo la findejetteren
a mer une emeraude, laquelle il portoit au
doigt, et luy servoit de cachet. 2^0.
Desportes use de la même liberté :
Celle qu'il changea d'ourse en luisante
[planetle
Et sert aux mariniers de guide eu leur
[chemin.
Mais Malherbe blâme cette cons-
truction ; « Où est le nominatif à
qui doit se rapprocher serfi (Bru-
not, Thèse, p. 400.)
90. Proposition relative coor-
donnée avec un adjectif :
Les plus courtes et qui sont le plus tost
prononcées sentent mieux leur gravité en
quelques endroits. 43.
Mais estimoit que c'estojent les plus
beaux et qui avoyent meilleure grâce. 87.
Quand on dit d'un petit gentilhomme et
qui ha bien peu de moyen, c'est un hobreau.
127.
De pareilles constructions ne sont
{)as rares, même au xvii" siècle. On
es rencontre surtout avec l'adjectif
attribut :
J'étois pauvre, misérable, chassé de mon
Kys, et qui ne sa vois ou m'adresser. (Mal-
rbe, II, 243.)
C'étolt un prélat beaucoup plus instruit
des affaires de la cour que des matières
ecclésiastiques, mais au fund très bon
homme, fort ami de la paix, et qui eût bien
voulu, en contentant les jésuites, ne point
s'attirer les défenseurs de Jansénins sur
les bras. (Racine, IV, 544.)
91. On trouve encore, comme
dans l'ancienne langue, le relatif
séparé par un ou plusieurs mots
de l'antécédent :
Prit la ville par mesme moyen, que les
soldats eussent bien voulu ruiner. 5i.
On n'appelle pas un homme riche qui
n'ha que ce qui luy est nécessaire 105.
Certains mots de quelques dialectes nous
Îieuvent sembler estranges, lesquels toutes-
bis il ne seroit pas incroyable avoir esté du
vieil fï-ançois. 176.
Malherbe blâme chez Desportes
des constructions de ce genre, sur-
tout quand un verbe est interposé.
Il se les permet pourtant en prose,
mais jamais en vers après 1609.
(V. Brunot. Thèse, p. 401.)
Vau gelas pense qu'un verbe no
doit pas s'interposer, mais que « les
génitifs interposés ne nuisent point ».
Malgré Malherbe et malgré Vau-
gelas, la construction continue à
être employée même par les écri-
vains les plus corrects, par Racine,
par exemple :
Le chemin est court qui mène jusqu'à lui.
(ni, 664.)
Le jour de Dieu viendra qui découvrira
bien des choses. (IV, 516.)
92. On trouve juxtaposées deux
propositions dont la première est
relative, tandis que, dans la seconde,
le relatif est remplacé par un pro-
nom personnel :
Touchant plusieurs vocables, que les uns
disent estre de mise, les autre» ne les veu-
lent non plue recevoir que fausse monuoye.
Or ce ne sera point sans parler de la pro-
nonciation : de laquelle je remonstreray
qu'ils ne s'acquittent pas si bien que nous,
aius qu'ils la rendent comme efféminée en
certaines paroles. 48.
Encore au xvii« siècle :
C'est une herbe que Mercure arracha de
la terre, et en montra la nature à Ulysse.
(Racine, dans Uaase.)
On peut rapprocher de cette
construction la suivante, qui con-
siste à remplacer par un adverbe le
relatif précédé d'une préposition :
Il y a aussi des vocables devant lesquels
ils ne mettent pas ceste lettre i, mais i'mse-
rent dedans. 77.
93. Qui sans antécédent, sujet
d'un verbe à la 3« personne du sm-
gulierj a souvent encore le sens de
si l'on :
Et qui la veut trouver, il faut s'adresser
à certains dialectes. 250.
Malherbe emploie très couram-
ment cette construction, qui daiU
leurs subsiste longtemps après lut :
Ce n'est rien aujourd'hui de prendre du
parfum, qui ne le renouvelle deux ou trois
fois le jour, de peur que l'air ne le rasa»
évanouir. (Malherbe, II. 671.)
Qui m'auroit fait voir tout d'une vue tout
ce que j'ai souffert, je n'anrois jamai» cru y
résister. (Sévigné; IV, 39.)
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374
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
94. H. Estienne emploie qui
interrogatif au lieu de quel :
NoD plas, eertaineiDdiit qu'on demande-
roit qui est la première, la mère on la fille.
17.
Qui est encore employé ainsi au
xvn* siècle, el même pour des
noms de ckiosen.
Ne m'iaformerai-je point qui sont les
principes des choses. (Blalberbe, II, 507.)
Adjectifs-pronoms indéfinis. —
95. U. Estienne simplifie l'ortho-
graphe, du mot quelqu'un^ qu'il
.écrit quelcun^ comme aucun^ cha-
cun : quelcun de ces fatneux et heu-
reux advocat». 11.
96. Quelque^ remplissant acciden-
tellement devant 1 adjectif le rôle
d'adverbo, dans les expressions
«omme quelque grand que^ n'est pas
invariable mais prend la marque
du pluriel, dans cette phrase de
Biaise de Vigeoère, citée par Es-
tienne :
Quelques enrermex que tous estes, jouis-
sez neantmoins des bons princes aussi bien
•que nous. 63.
Encore au xvu* siècle, la règle
que nous suivons aujourd'hui n'est
pas observée :
Quelques puissants qu'ils soient, je n'en
[ai point d'alarmes. (Ck>meille, II, 385.)
On ne sait pas la distance d'une étoile
d'avec une autre étoile, quelques voisines
•qu'elles nous paraissent. (La Bruyère, II,
ie*.)
97. Dans l'expression quelque
chose, les mots ne sont pas encore
soudés pour former un mot com-
posé neutre :
Encore faut-il adjouster quelque chose
qu'escrit le mesme auteur, laquelle s'accorde
«vec ceste façon de distinguer un peuple.
173.
De même l'orthographe de quel-
4juesfois indique que nous n'avons
pas là un adverbe, mais un adjeclit*
indéûni qualifiant un substantif; il
en est de même pour toutes fois :
Si elle peut ouelquesfois donner si bien
le fil aux paroles qu'elle les rend pins
Irencbantes que l'espee. 3.
Et toutesfois je proteste que je ne
4 'eusse point demandée. 14.
Le mot chose, dans quelque chose,
conserve encore son genre îéminin
au XVII* siècle :
Cela n'est-il pas merveilleux que j'aie
quelque chose dans la tête qui pense cent
choses différentes en nn moment et fait de
mon corps tout ce qu'elle vent? (Molière,
Don Juan, III, l)
98. Chacun s'emploie encore fré-
quemment comme adjectif :
Ayant richement pourven chacun endroit
de» termes qui luy conviennent 138.
Les termes qu il a appropriez a chacun
raestier. 143.
Malherbe, le premier, blâme cet
emploi de chacun et établit une
règle que lui-même n'observe pas :
« Je dirois chaque jour, chaque
fois, et non chacun jour, chacune
fois. Chacun se dit absolument et
non avec un substantif. » La règle
n'est définitivement posée que par
Vaugelas. (Brunot.Thése,p. 404.)
99. Le mot un est souvent em-
ployé comme pronom indéfini :
Et de là vient qu'on dit d'un qui s'en est
allé au haut et an loing : il a prit l'e$9ort
130.
Ce qu'on auroit grand peine de donner à
entencu-e à un qni n'auroit point veu jouer
à ce jeu. 136.
Encore au xvu" siècle :
Ma fantaisie me fait haïr un qui soufQe
en mangeant. (Pascal, dans Haase.)
Est-il hommoj messieurs, qui soit pins
aisé à mener bien loin qu'on qni espère,
parce qu'il aide lui-même à se tromper;
(Bossue t, dans Haase.)
100. H. Estienne, dit autre tel au
lieu de tel atUre :
Ne aussi de considérer autres telles
choses qui concernent la gravité. 65.
Ces mots se trouvent encore pla-
cés dans le même ordre au siècle
suivant :
Il me semble que par là j'ai trouvé sor
la terre de l'eau, de I air, du feu, des miné-
raux, et quelques autres telles choses qui
sont les plus communes et lee plus simples.
(Descartes, dans Haase.)
101. Le mot tout se rapportant
à deux substantifs coordonnes peat
n'être pas répété devant le second,
comme dans cette phrase de Biaise
de Vigenère :
Que les exemples de l'une et l'autre for-
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
375
lune vous apprennent de ne vouloir em-
bratser plus tost une endurcie et rebelle
opiniastrete que de persister en obéissance
avecque toute seureté et repos. 64.
De même aa xvii* siècle :
Si TOUS n'avez pas toute la forée et le
coniage des saints, voas aurez bientôt plus
de vices et de faiblesses que le reste des
hommes. (Masàllon, dans Haase.)
VERBES; FORMES. — Dési-
nences. — 102. L'« manque sou-
vent à la l'" personne da singu-
lier 9u présent ou du parfait de
rindicatif, où, le plus souvent, elle
n'est pas étymolofçique : Henri
Eslienne écrit : ie croy 22 \je dt 14 ;
je doi 17 ; faaverti 50 ; jenten 7 ;
je m*e86aAt 256; Vtacri 192; 7e fay
13 ; je maintien 73 ; je pren 199 ; je
prevoy 12; je respon 6; je sçay 7 ;
je me sen 19 ; je m'en vay 136 ; je
vien 20: je voy 163; j'eubS; etc.
Cependant, même avant le xvi« siè-
cle, on avait, par analogie, ajouté
bien souvent une s à ces premières
personnes, mais cette orthographe
o'était pas obligatoire, et l'incerti-
tude subsiste encore pour un assez
grand nombre de verbes, même au
xvii« siècle.
103. Dans les verbes dans les-
quels la terminaison -re de Tinfinitir
présent est précédée d'un r/, il
arrive qme cette consonne se re-
trouve, au lien de iy à la 3" per-
sonne du singulier du présent de
de l'indicatif : poind 50 ; reatreind
108 ; eraind 111 ; s'astreind 166.
104. Dans les verbes delà 1" con-
jugaison dont le radical est terminé
par une voyelle, Ye de la terminai-
son disparaît quelquefois au futur :
Je suppliray 9 ;femploiray 28 ; je
renvoyray 153. Cet usage est blâmé
par Malherbe. (Brunot, Thèse, 410-
411.)
105. Au contraire, e s'intercale
quelquefois au futur ou conditionnel
entre la dentale et la lettre r, dans
des verbes de la 4" conjugaison :
combat er a 32; débat eray 65; enten-
deroyent 119. Honsard pourtant
«vait dit déjà : « Tu ne diras point
prendera pour prendra ».
106. Demonrer, etc. — Plusieurs
verbes dans lesquels l'accent tonique
se déplace ont dans leur radical
une syllabe variable suivant qu'elle
est accentuée ou atone. L'unifica-
tion des formes, qui n'est pas com-
plète aujourd'hui, était encore bien
plus imparfaite au temps d'Estienne :
il écrit, dans la Précellence, demou-
rer 181 ; demouré 311 ; de même
qu'il emploie le substantif deniou-
rance 255. Il écrit aussi, dans un
proverbe qu'il cite, la 3" personne
labeure 211.
107. Achette. — Dans les verbes
en -elei' et en -e<er, c'est à peu près
arbitrairement qu'on a décidé au-
jourd'hui que les uns, quand la
désinence est muette, s'écriraient
par -elle^ -ette; les autres par -é/tf,
-ète, Henri Estienne, dans un pro-
verbe, écrit achette 232.
108. Volt. — C'est par une fan-
taisie orthographique que H. Es-
lienne, ou ftlutôt Desportes cité par
lui, écrit veit au lieu de vit 93, au
passé défini. On écrivait, à cette épo-
que, /etï, veint^ etc.
109. Tindrent. — Un d eupho-
nique s'intercale à la 3» personne
du pluriel du parfait du verbe tenir^
tindrent iSSQ. Cet exemple est dans
un proverbe, il est vrai, mais cette
forme était fréquente au xvi'' siècle.
On trouvait également vindrent au
lieu de vinrent.
110. Assaodray. — Henri Estienne
constate que la langue hésite entre
les deux formes du futur du verbe
assaillir :
Et comme nous sommes eu controverse
s'il faut dire j'aêtaudray ou fatêaUtray;
ainFi voyons-nous que les uns disent atta-
liteono, les autres astalgono. 302.
Assaudray est l'ancienne forme à
laquelle l'autre a fini par se substi-
tuer par analogie. Encore au
XVII* siècle l'ancienne forme s'em-
ploie quelquefois. Ménage avertit
de dire j'asaailliray et non fassau-
dray.
111. Orray, orront. — Ce sont
les formes qu'H. Estienne emploie
pour le futur du verbe ouïr :
Je les prieray d'onir aussi patiemment
ma response que j 'orray la leur. 344.
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376
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
Quand ils orront dire d'un homme qu'il
est leurré, scauront bien que c'est à aire
d0»niaité. 127«
Malherbe note dans Desportes la
forme orra, bien que lui-même dise
tantôt orra, tantôt oira, (Voir Bru-
not, Thèse, 411.)
112. Die. — H. Estienne emploie
au subjonctif die au lieu de aise :
Encore qu'auiourdhuy on die pMteur. 74,
Craignant qu'on ne die que je luy veux
rien oster. 106.
Cette forme, même au xvii» siè-
cle, n'avait rien d'archaïque. Elle
est employée même par Racine :
Mais quoique je craignisse, il faut que je
[le die. (II, *»».)
110. Yonsit, vonsissions, von-
sissent. — On hésite pendant tout
le XVI» siècle entre ces anciennes
formes et les formes nouvelles de
l'imparfait du subjonctif du verbe
vouloir :
Apres avoir long temps attendu que
quelcun de ces fameux et heureux advoeats
la vousist entreprendre. 11.
Il feroit beau voir que nous vonsissions
demourer courts. 158.
Au cas que les Italiens ne vousissent
accepter ceste offre. 25.
SYNTAXE. Nature des verbes.
Emploi des auxiliaires. — 114,
Moquer employé comme verbe tran-
sitif :
Pour laquelle raison nous voyons que
les Dorions estoyent moquez par les autres
Grecs. 69.
Le verbe moquer avait dans l'an-
cienne langue une forme active :
On disait moquer quelqu'un et non
êe moquer de quelqu'un. Au temps
d*Estienne la forme active a dis-
paru, mais le passif a survécu long-
temps et peut même s'employer
encore aujourd'hui :
Il est fréquent au xviii» siècle :
Qui n'a pas été opprimé par les puissants,
moqué par les faibles, fui et abandonné par
tous les hommes . (Yauvenargues, dans
Littré.)
115. Avoir accoutumé de au lieu
de avoir coutume de. Il est probable
que dans les phrases de ce genre
accoutumé doit être considéré
comme un véritable attribut :
II remonstre les maux et ealamitet oui
ont accoustumé de s'ensuivre aux peuples
de leurs révoltes et soulèvement. 58.
Cette construction se retrouva
d'ailleurs même dans notre siècle :
Les vierges avaient accoutumé de laver
leurs robes d'écoree dans ce lieu. (Gbateao-
briand, dans Littré.)
116. Estienne emploie porter,
avec l'auxiliaire être, au lieu de se
passer :
Il manda puis à Amasis comment le tont
estoit passé. 2(0.
117. H. Estienne écrit être pro-
cédé de. Il est probable qu'il faut
voir là un emploi du passif, plutôt
qu'un emploi de l'auxiliaire être
pour avoir :
Je puis asseurer qn'elle est procedee d'iu
cueur qui s'est tousjours monstre zélateur
et comme jaloux de l'honneur de sa nation, i.
118. Dans un proverbe cité par
Estienne, le verbe sauter est cons-
truit avec l'auxiliaire être :
Il est sauté de la poésie en la braise.
183.
Littré cite la même tournure dans
La Fontaine :
Sa joie araourense
N'ose éclater : «oyez sûr qu'à mon oon,
Si j'étais seul, elle seroit sautée.
119. Le verbe réfléchi s'emploie
très souvent avec le sens du pas-
sif, et même peut avoir un com-
plément construit avec par, comme
celui du verbe passif :
Du quel troisième vers le commencement
se peut aussi changer ainsi. 50.
Ras$$mbrare Qtraê»omigliare se mettent
pour un mesme, par Bernardino Tomilano.
355.
Encore au xvii* siècle :
Ce sont des vanités qui ne se peuvent
même défendre par un ami. (Balzac, dans
Haase.)
Ce prétérit se comugue par la plupart de
cette sorte. (Vaugefas, ibtd.)
Temps. — 120, Henri Estienne
emploie l'imparfait du subjonctif
au lieu du présent :
Tant s'en faut que l'italienne en pust
venir & bout liO.
Le lecteur jugera qu'il n'est aucunement
en danger de tomber en ceste nécessité de
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
377
forger des mots nouveaux, siaon aue quel-
que Douveile chose se présentas!. 167.
Il faut remarquer que la propo-
sition principale est de forme ou
de valeur négative. II en est de
même au xvii« siècle, où cet
emploi de l'imparfait du subjonctif
est encore fréquent :
Vous ne trouverez pas un homme seul
qui pût vivre à porte ouverte. (Malherbe,
Je ne crois pas pourtant qu'il nous fût
permis d'écrire ainsi. (Vaugelas, dansHaase.x
131. Après un verbe principal au
passé défini, on trouve le verbe de
la proposition subordonnée au par-
fait du subjonctif, tandis que nous
le mettrions aujourd'hui à l'impar-
fait.
Jamais il n'a falu que les plus grands
personnaees de nostre France ayent mis la
main à la plume pour nous apprendre à
parler françois. 20.
Il a falu que Pétrarque, ayant besoin
d'un beau mot et bien choisi, lé soit venu
emprunter de nos Rommans. 262.
Il n'est pas rare, même au
xvii" siècle, de voir ainsi le verbe
de la proposition subordonnée se
mettre au même temps que le
verbe principal :
Les dieux n'ont pas vonlu qu'il vous aitren-
[contrée. (Racine, dans Haase.)
122. C'est de la même façon
?[u'aprè» un verbe principal au
utur, le verbe de la proposition
subordonnée se met au futur anté-
rieur, au lieu de se mettre au passé
défini :
Ceux qui sçauront qu'Achille aura pu si
vaillamment et rudement combatre Hector
Îu'en la fin, il aura esté par lui abbatu, ne
outeront point que ce vaillant guerrier ne
Suisse porter aisément par terre un Sarpe-
on. 30.
De même, au xvii* siècle :
Et de là, que conclura-t-on ? Que les Juifs
ou Esdras auront supposé le Pentateuque au
retour de la captivité. (Bossuet, dans Haase.)
123. Toujours selon la même
tendance, on trouve un infinitif
passé dépendant d'un verbe prin-
cipal au futur antérieur, quand
nous mettrions plutôt l'infinitif pré-
sent :
Ceux qui auront pu cuir plusieurs de vos
subjects haranguer, et auront en aussi cest
honneur d'avoir oui votre Majesté discourir,
pourront tesmoigner de la suffisance de
nostre langage. 7. -
On trouve la même construction
au XVII" siècle :
Je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré
dans mon jardin dix mille écus qu'on me
rendit hier. (Molière, l'Avare, I, v.)
Modes. Indicatif. — 134. L'indi-
catif est employé dans plusieurs
cas au lieu du subjonctif.
a). On trouve le présent de l'in-
dicatif au lieu du présent du sub-
jonctif :
Je ne leur nieray pas qu'ils en peuvent
avoir. 116.
Il ne se faut esbahir que nous avons des
proverbes qui se contrarient. 215.
Je protesteray ne vouloir nier pourtant
que les accens sont observez plus songneu-»
sèment en la prononciation du leur. 43.
Il nous semble que l'honnesteté nous
commande les respecter, iusques à ce qu'es-
tans informez de leur qualité, nous appelons
parade et bravade ce que nous nommions
magnificence. 351.
b). L'imparfait de l'indicatif au
lieu de l'imparfait du subjonctif :
Quand on s'esraerveilloit qu'il instruisoit si
bien ses disciples à plaider les causes. 2&.
Il pourroit bien estre que le premier
n'estoit pas homme pour imiter quelques
phrases latines. 337.
c). Le futur au lieu du présent
du subjonctif :
Il pourra advenir que la seconde fois il
usera de retranchement en ceux mesmee
qu'il aura espargnez la première. 47.
d). Le futur antérieur au lieu du
parfait du subjonctif :
Pource qu'on se pourra esbahir que ce son-
net n'aura esté honoré du premier lieu. 94.»
Non seulement les constructions,
employées par Henri Estienne sont
usuelles de son temps, mais on en
trouve encore de tout à fait sem-
blables chez les écrivains da
xvii" siècle.
a) Je suis ébahi que cet invisible amou-
reux ne s'avisa d'aimer cette femme devant
qu'elle fût mariée. (Malherbe, IV, 7.^
b) S'il arrivait aujourd'hui que des per-
sonnes ignoraient les principes de la reli-
gion... (Pascal, dans Haa<:e.)
c) Il se peut même qu'il sera un de vo»
convertis. (Balzac, dans Haase.)
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378
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
Conditionnel. — 125. Le condi-
tionnel se trouve au lieu du sub-
jonctif avec la conjonction com6te/i
que :
Combien que il y auroit quelque appa-
rence. 32.
On le trouve aussi dans une pro-
position dépendant d'une proposi-
tion dont le verbe est au condi-
tionnel :
Quand bîea j'aoroie monstre que la noslre
surpaaseroit le rree es deux comparaisons
précédentes. 113.
Au xvii« siècle, on trouve encore
le conditionnel au lieu de l'impar-
fait du subjonctif après les conjonc-
tions adversatives, mais d'ordinaire
avec les verbes vouloir^ devoir :
Bien que vous me traiUex mai et que vos
mépris me devraient être sensibles, j'ai
révolu de m'obstiner. (Balzac, dans Uaase.)
La seconde construction se ren-
contre assez souvent :
Il se pourrait bien faire, si je cessais
totalement de penser, que je cesserais en
même temps tout à fait de vivre. (Descartes,
dans Haase.)
Il se pourrait fort bien faire que vous ne
seriez pas en humeur de m'écouter. (Mme de
Sévigné, IV, 96.)
Subjonctif. — 126. Le subjonctif
s'emploie très souvent dans les
propositions subordonnées au lieu
de l'indicatif :
J'aj opinion que ce proverbe soit demeuré
depuis quelque roy qui tout en un coup, fit
descrier toute la monnoye de ses prédéces-
seurs. 146.
Et est croyable qu'il ait esté premiere-
rement ainsi escrit. 218.
Laquelle escriture je n'approuve point,
ains estime qu'il faille e^trire oeravventura
en un mot aussi bien ici que là. 32V.
Nous sçavons aussi que plusieurs pensent
qu'il y ait quelque nouveauté cachée sous
ce mot. 352.
Cette construction du subjonctif
avec des verbes signiflant penser^
croire, est usuelle au xvi* siècle et
se rencontre encore souvent au
xvii« :
La plus belle des deux, je crois que ce
soit iWre. (Corneille, IV, 151.)
Tons présument qu'il aye un errand sujet
d'ennui, (/d. III, Ul.)
La liberté est telle au xvi^ siècle
que deux verbes coordonnés se
trouvent à des modes différents :
J'estime qu'il n'avoit pas escrit ouan'
ains que ce soit une faute de l'impression'
172.
127. Le subjonctif se trouve dans
quelques phrases où nous mettrions
aujourd'hui l'infinitif :
Je n'auray aucunement peur que je n'em-
porte ce troisième. 104.
Il me tardoit desja que je vinsse aux
jeux. 135.
Il me tarde que je vienne & l'autre sorte.
271.
Infinitif. — 128. On trouve chez
H. Estienne assez souvent l'infinitif
pris substantivement :
Si le beau et sage parler d'un tel homme
ha tel pouvoir. 6.
C'est de faire un plaider sommaire comme
par provision. 12.
Le trop haster fait entendre mal les
choses. 209.
Dans l'exemple suivant, le mot
le peut, être soit l'article détermi-
nant sçavoir pris substantivement,
soit le pronom personnel réf^me de
parler et se rapportant au mot
langage qui se trouve dans la
phrase précédente :
Le sçavoir parler aussi nayfvement que si
j'eusse esté au pays fut ce qui me sauva la
vie à Naples. 30.
Cet emploi de l'infinitif, fréquent
dans l'ancienne langue comme au
XVI" siècle, se trouve souvent encore
chez Malherbe :
Le pleurer exces^f est marque de vanité.
(II, un.)
Le rougir est du nombre de ces infirmités.
(II, 299.)
129. L'infinitif sujet placé après
le verbe, ou l'infinitif régime n'est
pas toujours, comme dans la langue
moderne, précédé de la préposi-
tion de :
n). Infinitif' tujet ou at'ribut.
Quand il luy plaira considérer de quelle
Importance est ceste entreprise. 1.
Le mestier de l'un sera les tailler, de
l'autre les coudre. 151.
Il me souvient avoir allégué ci-dessus
plusieurs passages. 329.
b). Infinitif régime.
Lequel project je la supplie très humble-
ment vouloir favoriser, non moins de sa
censure que de sa lecture. 1.
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
379
Je vous prie voua souvenir du proverbe
latin. 11.
Je puis alléguer encore» autre raison qui
mérite n'estre moins considérée. 11.
Marinette seroit celuy duquel je crain-
drois moins user. 200.
Il nous semble que rUonneslelé nous
commande les respecter. 351.
Encore au xvii* siècle :
à) ...Nos jours criminels ne pourront plus
' [dorer.
Ou'antaat qu'à sa clémence il plaira l'en-
" 4 [durer. (Corneille, m, 3*8.)
*). Je vous prie, madame, me tant obliger
que de mettre eu votre paquet la dépêche.
(Baliac, dans Uaase.)
130. Il arrive très souvent que le
sujet logique de l'infinitif ne soit
pas le même que celui du verbe
principal.
N'ave» vous pas encore aujourdhuy plu-
sieurs bons tesmoins de l'enrichissement
qu'a receu nostre langage par le moyen de
vostre «yeul le grand roy François, voire
jusques à luy donner ce los qu'il a esté le
premier qui l'a mis comme hors de p«ge? 8.
II nous faudra considérer quelles choses
sont requises en un langage pour estre
estimé riche. 105. ', .
Et avons bien raison dy estre plus ad-
donnez, tant pour y estre plus habiles et
adroits, que pour estre un exercice non
moins beau et uonneste que proufitable. 136
Cette construction est encore très
fréquente au xvii« siècle :
Elle espère que vous ne la méconnaîtrez
pas pour être dépouillée de tous autres or-
nements que les siens. (Corneille, I, 375.)
On dit que, sous mon nom à l'autel appelée,
Je ne l'v conduisois que pour être immolée.
^ ^ *^(Racine, m, 217.)
131. La proposition infini tive qui,
assez fréquente même dans l'an-
cienne langue, a pris une immense
extension au xvi« siècle et même
au XV», se rencontre à chaque ins-
tant dans la Précellence :
Ceux qui se sentiront estre en meilleur
equippage que moy. 1*.
Je l'estime luy estre beaucoup inférieur.
H.
Si je n'eusse vu quelques Italiens avoir
osé préférer leur langage. 14.
Il confesse le parier françois estre non
seulement plus en usage, mais aussi estre
plus plaisant que tous les autres. 16.
Je puis monstrer la vérité estre telle.. 19.
En ce qu'ils meltoient en avant la gravité
de leur laneage «stre plus grande que celle
du nosire. 47.
L'emploi de la proposition infini-
tive se restreint au xvii® siècle,
mais on la trouve encore souvent :
Les mages lui sacrifièrent, comme l'esU-
mant avoir eu quelque chose au-dessus de
la condition ordinaire de l'humanité. (Mal-
herbe, II, 481.)
La vovant si pâle, il la crut être morte.
(Corneille, I, 233.)
Participe. — 132. Le participe
est employé comme substantif
dans cette phrase :
Et nommément pour les attendans de la
cour, ceste leçon est fort bonne. 202.
133. Le particiï)e présent prend
la marque du pluriel, et même celle
du féminin :
Plusieurs, oyans ce dernier propos et
comprenans ce que j'enten. 7.
Rendans à ces deux langages anciens ce
qu'ils leur avoient esté. 35.
En une chose imporlanle beaucoup plus
à l'honneur de vostre royaume. 7.
J'appelleray de leurs oreilles escoutantes
mal à elles mesmes quand elles escouteront
bien. 38.
Voyci autant de françoises respondantes
à ces toscanes. 114.
Il les couppe en pièces approchantes assez
près du poids duquel doit estre la monnoye
qu'il veut forger. 141.
Cet accord du participe présent
est encore assez fréquent au siècle
suivant :
Et les canons, quittants leurs usages fa-
frouches,
Ne servent plus ici que d'éclatantes bouches,
Pour rendre grâce au ciel de cet heureux
[accord. (Corneille, X, 106.)
Je vous trouve si pleine de réflexions, si
stoïcienne, si méprisante les choses du
monde. (Mme de Sévigné, VI, 336.)
134. Le participe passé reste
assez souvent invariable quoique le
complément direct soit placé avant
lui :
En ce qui concerne la fauconnerie (qu'on
a aussi appelé la volerie). 119.
Ceux que lui a baillé la fauconnerie. 123.
La règle formulée par Marot
n'est pas toujours observée même
au xvii" siècle :
Là par un long récit de toutes les misères
OuB durant notre enfance ont enduré nos
^ [pères. (Corneille, III, 392.)
Ceux que le Seigneur avoit choisi pour
être les colonnes de son Eglise. (Racine,
V, 591.)
135. 11 arrive au contraire que le
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380
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
participe prenne l'accord quand il
devrait reater invariable :
Il vaut beaacoop mieux que tant luy qae
les autres excellens poètes de ce temps se
soient voulus rendre dignes du laurier par
l'autre sorte de composition de vers. 43.
Et en ce trop se sont donnez trop de
licence. 323.
L'usage les a faicts sonner mal depuis. 349.
On trouve encore au xvii* siècle
des exemples analogues :
Il se sont attachés à des patrons excel-
lents qu'ils se sont proposés d'imiter. (Vau-
gelas, dans Haase.)
Ils se sont donnés l'un et l'autre une pro-
messe de mariage. (Molière, dans Haase.)
136. Le participe présent, comme
l'infinitif, se rapporte quelquefois
à un mot autre que le sujet du
verbe principal :
L'accent sur cette syllnbc antepennltime
leur est plus fréquent qu'à nous : pronon-
çans dicono, pirlanOy etc. 43.
Les mesmes vers de Virgile furent ainsi
traduicts par moy, les appliquant à mon
propos. 50.
Approuvant quelques mots et façons de
parler, que cest auteur prenoit des Rora-
roans, ceste-ci est de celles que je n'ap-
prouve point. 201.
Encore au xvii" siècle :
Ils avoient toujours été l'objet de ses
railleries et de son mépris, les appelant
tantôt grossiers et rustiques, tantôt Phrjgiens
et Paphlagoniens. (Vaugelas, dans Haase.)
137. On trouve de nombreux
exemples de la construction du
participe absolu :
Ce Project, ostans bien considérez tous
les poincts que j'y ay dednicts, leur estera
une grande partie de leur doute. 7.
Entre les beaux et grands avantages que
Dieu a donnez aux hommes... cestuy-ei estant
un qu'ils peuvent s'entrexposer leurs con-
ceptions par le moyen du langage, il est
certain que... 10.
Estant impossible de faire de ces vers
qu'on appelle mesurez sans quelque obser-
vation oes accens, nous avons monstre aux
Italiens que nostre langage nous permettoit
d'en faire. 40.
Yoyla comment, estant la coustume de
n'apporter plus des Inmproyes depuis qu'elles
se trouvoicnt estre chordeee, et par consé-
quent ne s'en trouvant plus, le menu peuple
a retenu ceste façon de parler. 133.
Cette construction se maintient
au xvn« siècle. On la trouve, par
exemple, chez Racine :
Elle ne faisoit autte Chose jour et nuit
que lever les mains au ciel, ne luy restant
plus aucune espérance de secours de la
part des hommes. (IV, 466.)
L'auteur faisoit judicieusement d avertir
qu'il étoit catholique, n'y ayant Pf/sonne
qui ne l'eût pris pour un protestant IV, 472.
Aoord du verbe. — 138. Le verbe
qui a plusieurs sujets coordonnés
peut ne s'accorder qu*avec le plus
rapproché :
La comparaison dont use Virgile p>rUiit
de Pyrrhus, et Arioste, parlant de son Rho-
domont. 55.
Desportes écrivait :
Puisque ma servitude et ma foy vous
[offense.
Malherbe veut le pluriel. (Voir
Brunot, Thèse, p. 422.) Cependant
lui-môme écrit :
Les délices et la paresse lui ôte le mou-
vement II, 168.
Régime du verbe. Anacolnthe.
Ellipse. — 139. Henri Estienne dit
croire à quelqu'un, dans le sens de
se fier à quelqu'un. 11 dit aussi
dominer à, servir à (ce dernier
dans un proverbe) :
Ceste objection seroit valable contre ceux
qui veulent qu'on leur croye a crédit» 27.
Avarice luy domine. 108.
Servir à Dieu est régner. SU.
Des constructions semblables se
rencontrent encore au siècle sui-
vant :
Allez, ne croyez pas à monsieur votre
[père. (Molière, TartufTe, H, il)
Qui eût oit à vos généraux qu un temps
était proche où ils domineraient en mœurs
à l'Eglise Universelle. (Pascal, dans làttré.)
C'est probablement une sorte de
datif d'intérêt que nous avons dans
celte phrase:
Je ne pourrois me la de&raciaer sans
forligner totalement. 2.
140. Hençi Estienne écrit changer
à au lieu de changer pour :
On peut aussi disputer si nous pouvons
pas faire nostre proufit d'un mot tiré de la
langue latine, que nous trouvons en quelque
dialecte, en luy changeant toutesfois la ter-
minaison qu'il ha convenable à ee dialecte,
à celle qui convient à nostre langage. 183.
Même construction au xvii* siè-
cle :
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
381
Et mes désirs brûlants de perdre tout le
[monde
Se changent aussitôt à ceux de l'augmenter
* (Corneille, X, 60.j
141. Plusieurs verbes qui se
construisent aujourd'hui avec la
Ïtréposition à sont construits, dans
a Precellence, avec de :
Onques homme n'aspira de réduire les
autres en servitude qu'il ne s'aidast des
mesmes mots. 63. ^Dans la citation de Biaise
de Vigenère.)
Je me fusse hazardé de plaider la cause
tout à fait. 12.
Quand ils taschent de se rebeller et sous-
traire de l'obéissance de leurs légitimes
princes. 58.
Dans la phrase suivante l'infinitif
construit avec de n'est pas régime,
mais sujet :
II restera de voir quel autre fondement ils
Iny peuvent donner, h"!.
On trouve au xvii» siècle des
constructions semblables :
Elle n'aspire encore d'y arriver que par
des moyens qui viennent de Dieu même.
(Pascal, dans Lit tré.) .., . ^.
Je me suis hasardé d'y ajouter 1 épithete
d'héroïque. (Corneille, I, 25.)
Voulant commencer à me soustraire de sa
domination. (Hamilton, dans Littré.)
On trouve aussi se résoudre de,
s'en résoudre, mais non avec le
sens de se résoudre à ; l'expression
signifie plutôt : prendre une réso-
lution sur.
En luy donnant toutesfols six jours de
terme pour s'en résoudre. 359.
Henri Estienne dit aussi :
Ce Project leur estera une grande partie
de leur doute : en attendant que l'œuvre
qui sera faict sur iceluy les en rende entiè-
rement résolus. 7.
La phrase signifie : les tire tout
à fait de leur doute, de leur indé-
cision. Dans ce sens le verbe
résoudre est souvent construit de
la même façon que chez Estienne
encore au xvii» siècle :
Nous te prions d'y penser, de t'en résou-
dre, et de l'en conseiller. (Pascal, dans
Littré.)
Mais le xvii" siècle emploie
encoro plus souvent se résoudre de
daus le sens de se résoudre à, et
ne fait d'ailleurs que suivre la tra-
dition du XVI*.
142. Les verbes interroger, s'es-
tonner, se construisent avec com-
ment :
Le roy Porus, venu es mains d'Alexandre
le Granâ, interrogé par deux fois comment
il vouloit qu'il se comportast avec luy, ne
respondit que ce mot, rotàlbusnt. 6.
Je m'estonne fort comment il a voulu
ainsi forcer ce mot à recongnoislre son ori-
gine. 257.
143. Un verbe peut avoir des
compléments de nature différente,
un substantif coordonné avec une
proposition complétive, ou deux
propositions dissemblables :
Il me semble que j'ay montré bien clnire-
ment et amplement nos grans moyens d'ad-
jouster richesse sur richesse, et que nous
n'avons faute que de hardiesse. 163.
Et pour monstrer encore davantage com-
ment en nostre langage tout leur a esté
bon, et qu'il n'ont rien trouvé trop chaud ni
trop froid. 282.
La même liberté existe encore
au XVII* siècle :
Mais je crains des chrétiens les complots et
[les charmes,
Et que sur mon époux leur troupeau ramassé
Ne venjretant de sang que mou père a versé.
(Corneille, III, 498.)
J'ai su par «on rapport, et je n'en doutois
[pas,
Comme de vos deux fils vous portez le
[trépas.
Et que déjà votre ftme étant trop résolue
Ma consolation vous seroit superflue.
(Corneille, III, 3'i6.)
144. Dans la phrase suivante, il
y a une sorte de pléonasme :
Ceux qui luy veulent faire concurrence et
se rendre ses compétiteurs. 7.
Aujourd'hui, nous serions obligés
ou bien de placer lui après veulent
ou bien de répéter ce verbe avant
le second infinitif.
145. On voit au xvi« siècle des
ellipses que nous ne nous permet-
trions pluâ aujourd'hui :
Car comme ils disent avolo pour om,
ainsi mutolo souvent pour muto. 97.
Si bien les Grecs l'avoyent, non pas tou-
tesfois les Latins. 98.
PRÉPOSITIONS ET ADVERBES.
146. A. — A s'emploie assez tou-
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382
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
vent au xvi« siècle avec le sens de
avec :
Les pourmands font leurs fosses à leurs
dents (Proverbe). 217.
Qui ha mestier du feu à son doigt le
quiert (Proverbe). 220.
A peut s'employer aussi pour en
ou dans :
Un mot qui signifie une chose au bon et
pur langage françois, en quelques dialectes
eu signifie une autre. 179.
A entre dans des locutions où il
est remplacé aujourd'hui par une
autre préposition.
Je ne veux pas advertir les lecteurs de
prendre (^arde combien est viril le son de
ces paroles françoises, et combien est mol
celui des italiennes à comparaison. 61.
A conserve cette variété d'emplois
au XVII» siècle :
Pourvu qu'à moins de sang nous voulions
[l'apaiser.
Elle nous unira, loin de nous diviser.
(Corneille, III, 294.)
Je sais bien qu'on répliquera que cela est
vrai aux choses agréaoles et indifférentes,
mais que dans les choses ordinaires... (Vau-
gelas, dans Uaase).
147. Comme beaucoup d'autres
déterminants, l'adverbe d'autant se
trouve placé seulement devant le
premier de deux termes coordonnés :
Geste faute a d'autant plus mauvaise
grâce en leur langue et est moins pardon-
nable, qu'ils sont ouant à icelle comme sub-
jects naturels des Roramains. 79.
148. D(^a souvent le sens de au
sujet de :
Ceux qui ont eserit de cest art. 126.
Ce raesme pays a retenu plusieurs belles
paroles de la langue latine desquelles on
pourroit faire la mesme question. 182.
Il y-a des vocables desquels on auroit
bien raison de disputer, si on en doit user.
206.
De signiûe aussi avec pour mar-
quer la manière, dans la locution
très usitée de raideur :
Les paroles semblent aller de roideur. 6'i.
De se construit au lieu de par
avec un verbe passif :
Persuadez des mutins. 58.
Car ils sont venus jusques à ce mot,
monstrans une bien grande povreté de leur
langage s'il n'estoit secouru du nostre. 356.
qui ne se peut représenter. (Mme de Sévigne,
Omission de la préposition de
après le mot rien :
Comme ainsi soit qu'il n'y ait rien en la
guerre plus ancien. 253.
Omission de la préposition de
devant le second ae deux mois
coordonnés :
Ainsi les subjects ont grande occasion
d'ancrer leurs espérances sur ses paroles, et
se rendre très ooeissans à icelles. 6.
Encore au xvii» siècle on trouve
de = au sujet de :
Nous n'avons voulu croire la iraison de
beaucoup de choses qu'elle nous disoit estre
superflues. (Malherbe, II, 5^3.)
De = avec :
Il dansa d'une perfection, ^d'un arment,
■ne8ep( ' ' " '"- '- '—
133.)
De = par :
Il a eu le déplaisir d'être contredit
vous et de Monsieur C. (Voiture, dans
Haase.)
De omis après rien :
Seigneur, réglez si bien ce violent courroux
Qu^l n'en échappe rien trop indigne de voos.
(Corneille, V, 78.)
De omis devant le second de deux
mots coordonnés :
On promet de poser les armes et consen-
tir à tous les avantages. (La Rochefoucauld,.
II, 38.J.)
149. Dedans, dessus^ se trouvent
employés comme prépositions.
Brunetto Latino a laissé un livre dedans
lequel il confesse le parler françois estre
non seulement plus en usage, mais aussi
estre plus plaisant que tous les autres. 16.
Comme ayant dessus tons un si grand
[avantage^
Que si eux disent bien, luy dit encore
[mieux. 26.
Dessous est dans un sonnet de
Desportes cité par Estienne :
Aspre et sauvage eueur, trop flere volonté.
Dessous une douce, humble, ai^elique
[figure. 9t.
Encore chez Corneille les mêmes
mots sont continuellement employés
avec cette valeur :
Ah '. Seigneur, quelque bras qui vous paisse
[punir.
Il n'effacera rien dedans mon souvenir.
(VI, 198.
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
383
Mais ce même devoir qui le vainquit dans
[Rome
Et qui me range ici dessous les lois d'im
[homme. (III, 510.)
Dessus mes volontés vous «tes souveraine.
(IV, 82.)
150. En s'emploie souvent dans
le sens de dans :
Benedetto Varchi, en un dialogue intitulé
VEreolano, luy donne ceste louange. 15.
Tesmoin l'evesque qui luy demanda en
une église de Padoue, si elle ne luy sem-
bloit pas moUo teannevole. 20.
En la response que je feray à la quatrième
objection, j imiteray quelques historiogra-
phes. 30.
Nous lisons en Escbine, orateur grec... 4.
En s'emploie au lieu de à dans
ces locations :
Mais en tout événement vous plaise con-
sidérer outre cela... 11.
Nostre langage use de ceste phrase par-
lant de celuy qui tient quelcun en sa merci.
130.
Encore au xvii® siècle, en s'em-
ploie souvent avec le sens de dans :
N'épargnez pas vos soins à élever en la
cramte de Dieu les enfants. (Bossnet, dans
Haase.)
Cette journée en laquelle le fils de Dieu
descendra du ciel, (/d., ibid.)
151. Par tout s'écrit encore en
doux mots. La soudure n'est pas
complète entre la préposition et le
pronom indéfini qui forment une
locution adverbiale.
En ceste ville do Paris Foye, outre ce
qu'il signifie par tout se dit aussi d'une
ehartee. 180.
Le fait est général au xvi« siècle,
où l'on voit encore les deux éléments
du mot parmi séparés graphique-
ment.
152. Il en est de même du mot
plustost on chacun des deux élé-
ments conserve son orthographe,
même quand ces deux mots sont
soudés. C'est ce que nous avons
constaté déjà pour quelquesfois,
touteafois.
Nostre langage n'est pas seulement fourni
de mots dont if faut qu'il se serve ordinai-
rement, pour exprimer ses conceptions :
mais ha aussi quelque provision curieuse
plus tost que nécessaire d'aucuns qui sont
plus rares que les autres. 105.
La règle actuelle est récente, et
l'on a continué longtemps après
l'époque d'Estienne à écrire pZ««fo«t.
On écrivait également la pluspart.
153. Pour suivi d'un infinitif est
beaucoup plus souvent qu'aujour-
d'hui employé au lieu d'une pro-
position causale commençant par
parce que :
Elle a desja fort affaire à sortir de quel-
ques passages, pour ne pouvoir trouver des
mots respondans à certains des nostres.
U'J.
Et comme je tien la maison, anssi retien-je
ce nom, pour ne pouvoir trouver le propre.
Pour est employé dans la phrase
suivante au lieu de à dont nous
nous servirions aujourd'hui.
Il pourroit bien eslre que le premier
n'estoit pas comme luy homme pour imiter
quelques phrases latines. 337.
L'attribut est construit directe-
ment avec le verbe avoir dans ce
proverbe, où le mot pour serait
aujourd'hui nécessaire :
Science n'ha ennemis que les ignorans.
207.
On trouve encore au xvii» siècle
des phrases analogues :
Ma foi I me trouvant las, pour ne pouvoir
[fournir
Aux différents emplois où Jupiter m'engage.
(Molière, Amphitryon. Prologue.)
Ambroise lui répondit que lui n'étoit pas
propre pour être l'entremetteur de l'absolu-
tion. (Fechier, dans ijaase.)
Je vous supplie d'avoir agréable que ces
lignes vous aillent trouver. (Balzac, dans
Uaase.)
Pourtant (voir le lexique).
154. Henri Estienne emploie la
locution adverbiale quant et quant
qui signifie en même temps :
La comparaison dont use Virgile parlant
de Pyrrhus, et Arioste, parlant de son Rho-
domont, est ici par Ronsard accommodée à
son Francus, et mise en paroles si propres
et si graves, qu'il semble, en surmontant
Arioste, quant et quant combattre Virgile.
ô5.
Quant et quant s'emploie encore
au XV H* siècle :
Ainsi vous ne cherchiez que l'honnêteté et
vous avez trouvé quant et quant le délec-
table. (Balzac, dans Littré.)
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384
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
155. Qua)^t est de s'emploie au
lieu de quant à :
Qunnt esl de cambiare ou êcambiare, on
peut dire que c'est un cas à part. 296.
Quant est des mots qu'ils nous ont pris,
il n'y -en a point dont je m'esbahlsso plus et
rae fascbe moins que de cestuy-ci, f>l. 3 '♦2.
Quant est de est d'un emploi très
fréquent au xvi^ siècle. Rabelais,
par exemple, dit :
Quant est de vostre ranczon, je vous la
donne entièrement (liv. I, ch. 46).
156. Si est souvent employé dans
le sens de pourtant :
Encore qu'en escrivant on mette la lettre
8 es uns et non e* nutres, si est-ce qu'on
ne la prononce point. 39.
Encore au xvii« siècle :
Je n'ai encore vu personne qui no soit
chnrmé de vostre Instruction; et si, j'en ai
ouï parler à bien des gens. (Mme de Main-
tonon, dans Littré.)
5i, déterminant deux adjectifs
coordonnés, n'est pas répété devant
le second :
Toutesfois est de si rares et précieux meu-
bles. 117.
157. Sous se trouve employé dans
une expression où nous mettrions
aujourd'hui dans : sous l'espé-
rance de :
Quand ils taschent de changer de gouver-
nement, sous l'espérance d une meilleure
condition et d'un plus supportable fardeau.
38.
Négations. — 158. La négation ne
sufût beaucoup plus souvent qu'au-
jourd'hui à rendre l'idée négative,
sans avoir besoin d'être accompa-
gnée d'un mot accessoire :
Duquel don vous ne devez moins rendre
grâces à Dieu que de plusieurs autres qui
toutesfois de nrime face pourroyent sembler
plus prou6tabIes, 3.
Pour ne venir aux exemples cstrangers, 8.
Je n'estiraeray avoir peu faict, quand j'au-
ray faict prendre envie à quelque autre do
faire mieux, H.
Au xvii« siècle :
Je m'étonne qu'il n'ait lu le Panégyrique
aa'wa homme do son pays prononça à Rome
(ml/.ac, dans Haase.)
159. Cependant les mots pas et
point ont si bien subi la contagion
de la négation qu'ils sufûsent sans
elle à exprimer l'idée négative dans
les interrogations directes ou indi-
rectes :
Si nos ancestres ont pris ceste liberté et
hardiesse d'imiter certaines compositions de
la langue greque, aurions-nous pas trop
Eeu de courage si nous demeurions en si
eau chemin ? 156.
Kt que sçait-on si de ce combennones
on auroit point dict premièrement compen-
nons? 176.
Or je demande si nous pouvons pas au
besoin, en changeant leur a de la fin en
nostre e, dire arer. 182
Au xvii' siècle :
Deviez-vous pas prendre plaisir à me
procurer un bien à auoi je ne m'attendais
pas ? (Voiture, dans iJaase.)
Prenons donc garde si nous nous habillons
point d'une façon et gouvernons notre mai-
son de l'autre. (Malherbe, dans Uaase.)
160. La négation se trouve omise
dans la proposition qui suit uii
comparatif et forme le second terme
de la comparaison :
Non plus certainement qu'on demanderoit
qui est la première, la mère ou la Olle, 17.
Car la variété des nostres ne resjouit
moins l'oreille, que le pré donne de plaisir
à l'oeil par sa diverse tapisserie de fleur*.
67.
Encore au xvii« siècle :
J'ai peur d'y demeurer plus que je vou-
drai. (Voiture,* dans Haase.)
Le malheur du duc du Maine m'afflige
plus qu'il m'étonne. (Mme do Maintenon,
dans Haase.)
161. La négation n'est pas répétée
toujours dans la seconde de deux
propositions coordonnées :
11 est à craindre qu'aucuns Italiens ou
Espagnols n'allèguent incompétence de juge
et demandent renvoy. 32.
Malherbe, qui note une omission
de ce genre dans Desporte.«, écrit
cependant de la même façon. (Voir
Brunot, Thèse, p. 468.)
16-2. Non plus se trouve employé
avec le sens de pas plus :
Comme je ne ferois non plus de difficulté
do dire porlelabeur que portepene. 159.
Non plus se trouve employé seul
aussi, tandis que nous jugerions
nécessaire aujourd'hui la négation
ne :
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
385
Pour le moins ne peut-on nier que nous
n'ayons très bon conseil... Non plus pou-
vons nier qu'il ne die vérité. 216.
Non plus se trouve aussi employé
là où nous mettrions simplement
plus, la négation étant explétive :
Je ne pense point qu'ilfc s'y vueillont non
plus Qer qu'en cestuy-ci. 35G.
Au XVII' siècle, non plus signifie
souvent la même chose que pas
plus :
L'amour prête son nom à un nombre
infini de commerces, où il n'a non plus de
part que le Do^e à ce qui se fait à Venise.
(La Rochefoucauld, dans Haase.)
163. Nullement se rencontre avec
toute sa valeur négative, sans la
négation ne :
Je suis comme la queux, qui les cousteaux
(aiguise
Encore qu'à couper nullement elle duise. 29.
Dans une phrase de La Bruyère,
nul a de même à lui seul la valeur
négative :
Ne voulant du bien qu'à lui seul, il veut
persuader qu'il en veut à tous, afin que
tou-i lui en fassent ou que nul du moius lui
soit contraire. I, 323.
Gonjonotions. — 164. Henri Es-
tienne emploie des locutions con-
jonctives formées avec le mot ainsi,
comme ainsi soit que, qui signifie
de même que et qu'ainsi soit, qui
signifie à peu près : ce qui prouve
qu'il en est ainsi :
Comme ainsi soit qu'en Disiytul, nous
imitons la composition grecque. 157.
Et qu'ainsi »oit, si un d'eux répète quelque
chose en mesmes mots, il pourra advenir
que la .seconde fois il usera de retranchement
en ceux mesmes qu'il aura espsrgnex la
première. 47.
De cette seconde locution peut
aussi dépendre une proposition su-
bordonnée :
Or qu'ainsi soit que quelques uns en
abusent, il appert par la controverse qui
est entre eux. 85.
Au xvii« siècle, on dit encore :
comme ainsi soit que, qu'ainsi ne
soit. Mais la première expression
paraît de bonne heure pédantesque.
Les deux expressions sont employées
par les médecins de Monsieur de
Pourccauf/nac (1, viii). Mais la se-
conde est d'un emploi beaucoup
plus courant.
165. Estienne emploie la conjonc-
tion composée avant que devant
l'infinitif, au lieu de avant de dont
nous nous servons aujourd'hui :
Et avant que sortir de ce propos, j'adver-
tiray que nous avons des façons de parler
qui sont précédées d'une telle congnoiii-
sance de la nature des animaux. 132.
Avant que devant un infinitif est
très fréquent au xvii« siècle comme
au xvi", bien que Vaugelas préfère
avant que de :
Heureux si je pouvois, avant que m'immoler
Percer le traître cœur qui m'a pu déceler.
(Racine, III, 77.)
On prétend que le vieil Wit, avant que
mourir, ne cessoit d'encourager son fils à
l'abaissement de cette maison. ( Jd. V . 72.)
166. Comme se trouve au lieu de
que après un mot exprimant une
comparaison :
Si je leur passois cela, ce scroit autant
comme si je permettais à celuy que j'au-
rois deflé d'user d'une espee plus longue
que la mienne. 38.
Comme est employé dans le sens
de comment dans ce vers de Des-
portes :
Voyla donc comme amour du depuis nous
[fait vivre. 9V.
Nostre dispute fut... comme les biens
peuvent être égaux. (Malherbe, II, 511.)
Comme serait aujourd'hui consi-
déré comme explétif dans cette
phrase :
A l'enlree de ma préface je respondray à
certaines objections que j'ay preveues, et y
satisferay, comme j'espère. 27.
Corneille écrit encore :
Ce beau feu vous aveugle autant comme il
[vous brûle. (IV. 46il).
Tous les rois ne sont rois qu'autant comme
[il vous plaît. (V. SoG. )
Il a changé plusieurs vers pour
éviter cette expression, condamnée
])ar Vaugelas, mais il l'a laissée
dans beaucoup d'autres.
Comme explétif est fréquent au
XVII® siècle :
Je vais, comme je crois, savoir ce qu'il pro-
[jetle. (Molière, Étourdi, II, vu.)
Plusieurs propositions peuvent
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386
OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
dépendre de comme sans que la
conjouclîon soit répétée :
G)mme on n'appelle pas un homme riche
qni n'ha que ce qui loi est nécessaire, mais
faut qu'il ait anssi des choses dont il n'ha
Eoiot besoin et desquelles il se pourroit
ien passer : et quant aux nécessaires il luj
en faut avoir à rechange (ce qu'on dit pro-
prement des accoustremens) : ainsi... 105.
De même, dans Malherbe :
Comme un homme a tous les sentiments,
mais ce n'est pas à dire que tous les hom-
mes aient desyeuxdeLyneiëe, aussi... II, 118.
167. La conjonction négative ni
se présente souvent sous la forme
atone ne :
Je ne veux pas advertir les lecteurs de
prendre garde combien est viril le son de
ces paroles francoises : ne aussi de consi-
dérer autres telles choses qui concernent la
gravité. 65.
Mais aucuns vocables, avans ainsi la queue
coupée, ne sont plus ne bon italien ne bon
françois. 83.
Malherbe a blâmé cette forme
dans Desportes, bien qu'elle fût
encore usitée au commencement
du xvii* siècle. (Voir Brunot, Thèse,
p. 487).
168. Estienne emploie outre ce que
au lieu de outre que :
Outre-ce-que je l'ay tesmoigné il-y-a plus
de douze ans. 2.
Car outre ce que Virgile s'est heureuse-
ment estudié à gravité, il a usé d'une lan-
gue qui est gravu de soy-mesme. 55.
Cette locution a précédé outre que
qui est elliptique. Ce avait sa valeur
pleine de pronom : outre cela que.
169. Premier que s'emploie devant
rinûnitif dans le même sens que
avant que (aujourd'hui avant de) :
A ceux qui me diront qu'il faudroit avoir
mangé beaucoup du pain d'Italie, premier
que pouvoir disputer si avant de son lan-
gage. 30.
On trouve dans Malherbe : pre-
mier que de :
Premier que d'avoir mal ils trouvent le
[remède. I, 13 .
170. Puis que s'emploie dans le
sens de après que dans cet ancien
proverbe cité par Estienne :
Parole, puisqu'un roy l'a dicte.
Ne doit pas estre contredicte. 6.
Dans l'ancienne langue puis que
signifie surtout depuis que,
171. Quand avec le conditionnel
s'emploie sans aucune valeur adver-
sative, simplement dans le sens de
si avec l'imparfait :
Il m'est facile de louer entre les François
leur langage : mais quand j'aurois en teste
les Italiens et les Espagnols, il me seroit
difficile de leur faire avouer ceste louange.
27.
On trouve, mais avec la valeur
adversative, quand bien au lieu de
quand même ou quand bien même :
Le précèdent discours sera comme un
esehantillon, par lequel pourra le lecteur
juger combien uostre langage est riche,
quand bien il n'auroit autre richesse que les
termes qu'il a appropriez à chacun mestier.
143.
Au xvi« siècle quand se trouve
assez souvent employé sans valeur
adversative :
<fnand je le sçauroys, je m'y en iroys en
plus grande asseurance. (Rabelais, II,
XXIV.)
Quand bien se trouve encore au
xvii« siècle :
Mais quand bien vous auriei tout lieu de
[vous en plaindre,
Sophonisbe, après tout, n'est point pour vous
[à craindre. (Corneille, VI, 49S.)
17*3. Que omis devant la seconde
de deux propositions coordonnées :
Crardez bien qu'un matin e«f mots tut pre-
[tieux,
Comme oiseaux passagers, ne prennent leur
[volée
Et cest honneur aussi ne s'envole avec eux.
[28.
De même, au xvii» siècle :
Qui n'eût cru...
Que les champs se fussent vètns
Deux fois de robe nouvelle.
Et le fer eût en javelle
Deux fois les blés abattus.
(Malherbe, I, 88.)
173. De la même façon, «t n'est
ni répété ni suppléé par que dans
la phrase suivante :
Quant à moy, je ne doute point qoe sll
avoit amassé ensemble ceux de tous ses
mestiers, et eeluy des Italiens en avoit
faiet autant des siens, il ne se trouvast
aussi povre que le nostre se trouveroit
riche. UZ.
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OBSERVATIONS GRAMMATICALES.
387
Malherbe dit encore :
Si quelqu'un, pour se revancher en voire
endroil a fait ce qui lui est possible, mais
votre bonne fortune l'en » gardé, vous
n'avez point eu de sujet d'éprouver un ami.
II, 230.
174. Si7ion que est employé avec
le sens de à moins que... ne : wj
Comme ayans opinion que cest avis,
encore qu'il rust bon, ne pouvoit estre heu-
reusement suivi et mis a exécution, sinon
qu'il fust autorisé par la bouche de cest
autre personnage. 4-.
Sinon que nous accordions, quant à
seminano, ce qu'aucuns disent, que l'ac-
cent est sur la première. 43.
On trouve aussi une proposition
commençant par • sinon que^ et
n'ayant d'autre valeur que celle
d'une proposition commençant par
si et contenant une négation, ou
encore celle d'une proposition com-
mençant par n'eût été que :
On je leur laisse à penser s'il eust ainsi
f>arlé de nostre langue, sinon qu'il eui^t vu
a sienne n'estre rien à comparaison. 16.
Malherbe dit encore sinon que,
dans le sens de à moins que... ne :
Il 7 a de la cacophonie, sinon que vous
prononciez en gascon. (IV, 416.)
Ordre d«s mots. — 175. Certaines
remarques relatives à Tordre des
mots ont déjà été faites à propos de
l'adjectif, du pronom personnel, etc.
Bien que la phrase de Henri E^tienne
ait ordinairement une construction
très analogue à la construction
moderne, il serait trop long d'étu-
dier en détail les cas où son usage
diflfère du nôtre. Il suffira d'indiquer
très largement les principaux cas
dans lesquels l'ordre des mots dif-
fère de celui où nous les placerions
aujourd'hui, sans répéter naturel-
lement ce qui a été dit déjà :
a). Place du complément déter-
minatif du nom :
Ck)mme un lion que point d'une grand' faim
[la rage. 50.
Dieu tout-puissant, que des mortels les
[cueurs
Sont entourez de ténèbres d'erreurs. 51.
Mais, dans les deux cas, l'anomalie
se trouve dans un vers, de sorte
que les exemples sont peu carac-
téristiques.
b). Place du sujet, du verbe, du
régime, de l'attribut :
Entre lesquelles tiendra le premier lieu
[ceste-ci. 27.
Dire le pourront-ils, mais le prouver, non.
[163.
Et de ce dernier use Arioste entre autre.<«.
[3.56.
Non plus ne peuvent ces deux nations
ftarler d escarmouche si nostre langue ne
eur preste ceste diction. 355.
Vray est qu'ils ne font pas ce tour à tous
les vocables d'une clause. 46.
Et sont rayaux des pièces longues et
estroites qui se font ou dedans des moules,
ou sur des tuiles de fer qui sont rayonnees
en une certaine longueur. 141.
c). Place de l'adverbe :
Il est vray que malaisément ils trouve-
royent des mots qui eussent ceste mesme
signiQcation. 97.
On sait qu'en poésie le complé-
ment délermluatif du nom n'a pas
encore cessé d'être placé avant le
nom déterminé : on trouve dans
Corneille des inversions beaucoup
plus fortes que celles qu'on pour-
rait se permettre aujourd'hui :
Empêche que l'oubli de ta divine loi.
L'enfonce du péché dans les plus noirs abl-
[mes. (IX,-321.)
Donne à tes serviteurs que tes bontés su-
blimes.
De ton sang adorable ont lavés dans les
[flots... (IX, 479.)
La plupart des constructions
citées plus haut ont leurs analogues
chez lui ou chez ses contemporains:
... La juste colère
Où jettent cet amant les mépris de U mère.
(VI, 52.)
Souffrir n'ai pu chose tant indécente. (La
Fontaine, dans Haase.)
Quand pourra mon amour baigner avec
tendresse
Ton firent victorieux de larmes d'allégresse?
(Corneille, III, 332.)
Apollon n'a point de mystère
Et sont profanes ses chansons. (Malherbe,
1, 65.)
Ici fut l'arrogance à soy même funeste. (Cor-
neille, X, 110.)
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LEXIQUE-INDEX'
A long' OU bref, 39 ; remplacé par
e dans les mots italiens, 75 ; — rem-
placé par t, 76 ; — remplacé par o,
76 ; — au lieu de t, 76.
a (marqué à T), 147.
aliandonner , emprunté par
Bembo, 285.
Abliayer, avec un régime direct
dans une citation d'Amadis Jamyn,
57 ; au passif, 134.
La plupart des chiens se contentent de
l'aboyer [le hérisson], et ne se soucient pas
de le saisir. Bupfon. (L.)
- aboyer, emprunté par l'italien,
abaiar, 397; en réalité les deux
viennent sans doute d'une forme
latine populaire, peut -être abba-
diare.
abliols (rendre les, faire rendre
les), 124.
L'empereur avoit déjà rendu les abbois
et fait toutes submissions proposées par le
due Maurice. Garlou, IV, 25 (L.)
Proverbe : De
cueur la bouche
du
l'abondance
parle, 333.
abondant (d*) par surcroît, de
plus, 4, 35, etc.
LiTTRÉ : « Cette locution a vieilli,
mais elle n'est pas inusitée. »
abourdeler, cité comme vieux
mot, 187; Le dictionnaire de Gode-
froy donne abourder, tromper, duper,
jouer, et bourdeler ou bordeler,
fréquenter les mauvais lieux.
abiui que les Italiens font des
mots français en en changeant la
signification, 327.
aeeent, existe en français, 39
e»i observé plus soigneusement en
italien, 43.
aeeolnianeo de fol ne vaut
rien. Proverbe, 305.
aeeompafipner , emprunté par
les Italiens et les Espagnols, 294.
aceomparcr , comparer, 184.
Ce à quoy je ponrrois accom parer la
vieillesse, c'est à un rude et fâcheux hiver.
tnvent. univ. de Tabar., VIII. Bibl. elz.
(G.)
emprunté par les
Italiens, 308
aecoiistumanee , coutume ,
habitude (dans un sonnet de Oes-
portes), 95 :
L'onction est attachée à l'accoutumance.
Massillon. (L.)
aeeoiuitrcnicnts , vêtements,
sans idée péjorative, l(fô.
Cktmme les accoustremens nous eschaufeht,
non de leur chaleur, mais de la nostre qu'ils
conservent. Charron, Sage$»e, I, 17. (L.)
- meemn, usage de cette termi-
naison, 100.
k ce que signifiant afin que
(dans la citation de Vigenère), o3 :
Il écrivit à tous les évèques et archevê-
ques de France, à ce qu'ils eussent à s y
conformer. Racine, IV. 504.
acerain : « Et pareillement du
mot acier ont fait acerain m, 186.
acheter : Proverbe : Assez
achette qui le demande, 332.
Achille, 30.
1. Abréviations : G. z= Godefroy, L. = Littré, H.
Thomas.
D. T. =: Hatzfeld, Darmesteter et
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LEXIQUE-INDEX.
389
addenter : sens de cet ancien
mot.
adjectifs dont se servait l'an-
cienne langue : pourprin^ marbrin,
acerairiy fresnin, 186.
«djourner, opposé à avesprer,
200.
Ajourner signifiait faire jour, et
avesprer, faire nuit, commencer à
faire nuit.
Lors comença à ajorner, et l'ouz se eomença
à armer. Villibardoudi. Edit. de Waillj,
§184.
adjonster, ajuster, 142.
adresse vaut mieux que force ;
proverbe, 228.
advanturlor, cité comme vieux
mot, 848. Les advanturiers étaient
des soldats :
Les gens estoient quinze mille hommes
d'armes, trenie et deox mille chevaux legiers,
quatre vingts neuf mille harquebousiers,
eeat quarante mille adventuriers. Rabelais.
I, il.
adverbes empruntés par les
Italiens : adverbes de temps, 319; —
de quantité, 323; — de lieu, 325.
Adverbes au superlatif, 87.
iEsope, 219, 241, 242, 243.
affaire, emprunté par les Ita-
liens, 310. La langue française très
propre aux affaires d'Etat, 149.
affaltler, instruire, dans une
citation du Romman d'Alexandre,
199. Le mot signifiait aussi dans
l'ancienne langue '.préparer, arran-
ger, composer, etc.
afflanno, 312.
affectueusement, avec zèle,
ardeur, piété, 3.
afln que, emprunté par les
Italiens, 318.
- a|(e (terminaison) chongée en
- aqgto par les Italiens, 278.
ascrapper, accrocher, saisir
violemment, mot emprunté par la
langue italienne. C'est le même mot
que agrafer, 311.
Ainsi surprins et agrapé. Charles d'Or-
LIÎAltS. (L.)
i^SSi'^Abie, emprunté par les
Italiens, 309.
assreer, emprunté par les
Italiens, 308.
aisue, Aigues-Mortes, aiguière,
181. H. Estienne pense qu'un poète
peut encore employer le mot aiguë.
Rabelais emploie encore aigué,
mêlé d'eau :
En banquetant du vin aigué séparoien
l'eau. I, 34.
alglantln, de l'églantier (dans
une citation de Remy Belleau), 101.
On trouve dans l'ancienne langue
aiglant, églantier.
Com flors novole d'aiglant. (G.)
almelut, almelyre.H. Estienne
aime mieux le second de ces deux
composés que le premier, 162.
ains, mais.
Et comme sans espoir flotte ma passion,
Digne non de risée, ains de compassion.
Rkgmibr. (L.)
Aint a péri..., il a cédé à un autre mo-
nosyllabe et oui n'est au plus que son ana-
gramme. La Brutérb. XIV.
Ains vient sans doute de anteis,
pour antea, ou de antius.
Alexandre, 6.
Alexandre {Roman d), 123,
184, 199, 266.
alléf(Orlques (proverbes), 243.
allégresse, emprunté par les
Ilaliens. allegranza, 258.
Allemands : ont l'esprit aux
doigts, 139,. — mots allemands, for-
ment facilement des composés parce
qu'ils sont courts, 164.
aller, employé comme auxiliaire
avec un participe présent, tournure
imitée par les Italiens, 334.
allier : « qui est mesler ensemble
les métaux selon la loy donnée par
le roy. » 140.
aloy : « pour commencer par la
matière, ils ont (outre le nom qu'ha
chacun métal quand il est à part)
billon et aluy. » 140. Le mot billon
désignait un alliage au dessous du
titre légal, et le mot atot non seule-
ment le titre, mais la monnaie elle-
même quand elle était au litre légal :
O Dieu, ton parler efficace
Sonne plus clair que fin alloy.
Marot, Oraiaonê, VI.
Fin alloy, d'après le lexique de
l'édition Pierre Janne,signifiem<?f a/
de cloche. Dans Ronsard, aloy
signifie or :
Celuy qui dignement voudra ehanter ta
[grâce,
22.
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390
LEXIQUE-INDEX.
T« vertu, t«s honneurs, il faudra qu'il se
[fasse
\rgentier général ou trésorier d'un roy,
Ayant tousjours les doigts jaunes de ton
' aloy. (L.)
Il y a eu presque de tout temps
une confusion entre aloi et alliage^
et le sens du mot s'en est quelque-
fois ressenti.
aima, préféré par Pétrarque à
antnta, 261.
aUresl, iUlien, pour aussi, %9.
Amadta de Oaale, roman, 201 .
nmnTirrt emprunté par les Ita-
liens, amassar, 2&i.
amateur, amourexix, 26.
Estienne emploie l'expression
amateur de sa patrie, 11, et dans
ne sens le mot amateur n'a pas
d'équivalent exact aujourd'hui :
On se donne pour amateur de sa patrie.
Massilloiï. (L.)
Amblanl* « ceux d'Amiens »,
disent oué pour oui^ 171 .
amblisalté, de la lanp-ne ita-
lienne; arfdoWo si frnifiant adductus
et adoptavity etc. 81 et suiv.
un exemple, 18.
Qéante en amène cet exemple.
Malhbrbb. n, 178.
amis {proverbes sur les\ *207.
amignotter , 104. Estienne
constate que les Italiens n'ont pas
de mot équivalent. Amignoter qui a
signifié parer, ajuster, est employé
par Ronsard dans le sens de rendre
caressant :
En cent façons frisa ses tresses blondes.
Amignota de ses yeux les regards. (G.)
Le mot a eu aussi Iesensde/?af^/^ :
Les personnes lesquelles ils amignottent.
Sauvaigk. Trad. de Plut. (G.)
amour (proverbes sur V), 220,
248.
Anaercon, 192.
aneelle, servante : « Quant à
nnceWe,il n'est pas tanthorsd'usage.»
189. Le mot est employé une fois
par Ronsard :
.... Loyse fut celle
Qu'elle choisit en Dieu pour sa très humble
[ancelle. (Lex. de Ronsard par Mellerio.)
aneleiui mets, sont une des
richesses de la langue française, 184 ;
— - dans les proverbe8,250;empruntés
par les Italiens, 262 et suiv.
aacore, encore, emprunté par
les Italiens, anchora, 321.
ancre, ancrer. Métaphores
tirées de ces deux mots, 134.
animal, être animé, 10.
NicOT : Un animal, c'est-à-dire
une créature ayant âme.
animaux {proverbes sur les),
203.
ansolot: De jeune angelot vieux
diable. Proverbe, 204.
Antlochus, 118.
h peine, emprunté par les Ita-
liens, appena, 323.
apocope dans les mots* italiens,
parlar pour parlare, etc. 46.
Apollonius de Rhodes, 52.
apparence, vraisemblance et
même possibité, 314.
Il n'y a point d'apparence d'être prodi-
eue dans la pauvreté. Balzac, liv. V, lett.
9. (L.)
ancidere, tuer; préféré
Pétrarque à uccidere, 161.
par
Il n'y avait pas d'apparence d
mon ami dans un si grand accablement
d'affaires. Scarron, I, 104. (L.)
apparoir. 3® pers. du singnl.
du prés, de l'ind. : il appert, 121.
Appert-il mieux des dispositions des
hommes que par un acte signé de leur
main? La Bbutêrk, XIV. (L.)
appartenances, ce qui dépend
de quelque ch., 132.
Faire les lois, donner les dispenses, sont
des appartenances de l'autorité souveraine.
BOSSUBT. (L.)
appcndre, noté comme un mol
dialectal dont usent les poètes.
appointes (soldats), 353 : Fu-
RETiÈRE : « On appelle à la guerre,
des soldats appointés, ceux qui ont
une plus haute paye que les soldats
ordinaires, pour estre anciens dans
le service. »
apprendre, mot emprunté par
les Italiens, 305.
approciare, approcher ; em-
prunt fait par les Italiens aux Pro-
vençaux, d après Bembo, 260
Aquitains, disent oc dans le
sens de ita (oui), 171.
arain, airain, 193. Voir Thnrot,
Prononciation française, I, 336.
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LEXIQUE-INDEX.
391
aralncfl, trompettes, 192.
Moult souaèrent bien les arainnes.
MocsK., Chron., 21771. (G.)
aranda, à peine, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, d'après
Bembo, 259.
arbor, a donné au français arbre^
à l'italien arbore, forme à laquelle
on préfère albero, 74,
are, arehet, arehelct, 98.
arehoyer, tirer de l'arc (cité
comme vieux mot), 187.
Il amoit archoier en bois. Guillauxb db
TïB, XV, 22. (G.)
ardoir, ardre, brûler, 223.
Ardoir vient régulièrement de ar-
dëre; pour expliquer ardre il faut
supposer une forme corrompue,
ardërc, avec e bref.
arer, labourer : Estienne dit
qu'on peut emprunter ce mot au
dialecte de la Savoie, en changeant
la terminaison qui est ar au lieu de
er, 182. Le mot était usité dans
l'ancienne langue :
Fai, beaa sire, ta paiz crier.
Que II vilain puissent arer.
Bbx. D. de Norm. (G.)
argenlelet, épithèie d'un riiis-
selety dans Rémi Belleau. 101.
Arlosto, 49, 50, 51, 52, 54, 55,
56, 83, 84, 276.
amefle, haroois, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, d'après
Bembo, 257.
arondelettos,diminutifde aron-
€?e,aron£fe^e,hirondelledans Belleau,
101. Au xvii» siècle on disait encore
arondelle : « arondelle, hirondelle
heredellesonttous trois bons ; heron-
delle est le meilleur.» Maro.Buffet.
Observât., 63. (L.) Primitivement,
arondel, arondeaux, désignait les
petits des hirondelles, et Cotgrave
donne arondelet comme ayant le
même sens : « Arondelet^ as aron-
deau ». Mais dans Belleau, le mot
arondelettes n'est qu^un terme mi~
gnard pour désigner les hirondelles.
arrière, en arrière, derrière, 37.
Les adherens de Camillus repoul soient
le sergent arrière de la chaire.
Amtot, Cam., kl. (L.)
arriegarde, imité par les Ita-
liens, retroguardia^ 355.
arrlngo, « pour la lice où on
court la lance, » emprunté par les
Italiens aux Provençaux, d'après
Bembo, ^7.
arriver, emprunté par les Ita-
liens, 285.
art (termes de 1'), termes tech-
niques, 290, 300.
arta et métiers, métaphores
qu'on en lire, 138.
aspiration : « La langue ita-
lienne ôte l'aspiration à plusieurs
mots qui commencent par c. » Can-
giar pour changer^ caccia pour
chasse^ etc., 297.
assaslar, mot emprunté au
français essayer ou assagir, 308.
assaillir, emprunté par les Ita-
liens, assalir, 301.
assentbrar, emprunté par les
Italiens, 255.
assex, emprunté par les Ita-
liens, assai, 323.
assurer (s'), être sûr : 14,
37, etc., se rassurer, 93 (dans Des-
portes).
Etre sûr : Queloue chien enragé l'a
mordu, je m'assure. Moliérb, Ecole des
femmes, II, ii, (L.)
Se rassurer : Princesse, assurez-vous,
je les prends sous ma garde. Racine,
Athalie, II, VIL (L.)
— astre (terminaison) empruntée
par les Italiens — astro, 282.
Atlas, 158.
atre : « On appelle en ceste
ville de Paris et en quelque:* autres
lieux circonvoisins un atre ce
qu'ailleurs est nommé un /byer», 174.
attend : Mal attend qui ne per-
attend. Proverbe, 302.
attendre, emprunté par les Ita-
liens, attendere, 304.
attralre, attirer, 262.
Parfois on peut donner pour les valants
attraire. Rbgnibr. Sat.
.(L.)
Auiialn. « Ainsi un cheval
blanc s'appeloit Aubain », 189.
aube, 189.
aube «Mipine, 189.
aue, oui, chez les Auxitani,
a ceux de Languedoc », 171.
aucuns, quelaues (adj.), quel-
ques-uns (pron.) 6, 21, 29, 32, etc.
Plusieurs avaient la tète trop menue.
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
La Foniainb, Fables, VI, vi.
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392
LEXIQUE-INDEX.
aueuaemeiit, en quelque fa-
çon, quelque peu, 11, 14, etc.
J'ajoute à eelle-ci l'épithète de héroïque,
nour satisfaire aucunement a la ài^té de
ses personnage». CoRWiaLB, V, *iO.
audienee : digne de vostre au-
dience, difrne d'èlre entendu par
vous, 7. audience «igniûe dans cette
phrase : attention que Von a en
écoutant, comme souvent encore au
XVII* siècle :
C'est lors que plus il m'aime, et je vois sa
1 r [raison
D'une audience avide avaler ce poison.
[MOLIÉRB. Don Garde, II, i.
ausello, oiseau, préféré par Pé-
trarque K uceello, 861.
Augumte, son goût pour la gram-
maire, 7.
aumiMiiilere, 108.
auprès, emprunté par les Ita-
liens, appresso, 325.
autant pour aussi^ devant un
adjectif ou un adverbe, 229, 326.
Passons chez Octavie, et donnons lui le
[reste
D'un jour autant heureux que je l'ai cru
[funeste. Raciwk, II, 332.
authentiquer, terme juridi-
que, rendre une chose valable en la
revêtant des formes officielles. Es-
tienne emploie le mot par méta-
phore, 4.
A u propre : Pour authentiquer la con-
stitution. BossuBT, L»«. quiét., 468. (L.)
%uxltanl, « ceux de Langue-
doc «, m. , , „
avaller, emprunte par les Ita-
liens, avallar, 286.
avantage, avantaseux, em-
pruntés par les Italiens : aventag-
nio, 279 ; avantaggio, 284, 286 ; van-
taggio, 332 et 35t ; vantaggioso, 357.
avantase (d'), de plus : 2, etc.
NicoT : D'avantage en m'en allant
j'ay parlé au serviteur de Chrêmes.
avantaser, emprunté par les
Italiens , avantaggiar 286. Etre
avantagé^ avoir un avantage, 318.
Lequel vovant son compaigiion mort, et
le moyne advantaigé sus soy. Rabelais, I,
XLIV.'(L.)
aTant-eonreur, 152.
avant^sarcle, emprunté par les
Italiens, avanguardia ou vanguar-
dia, 355.
avant-mur, Monet : « Prse-
tensus inœnibu» munis. Exterior
mûri ambitus mœnibus circumda-
tus ». — LiTTRK : «< Enceinte de
murailles la plus éloignée du corps
de la place ». Estienne dit que les
« vieux guerriers » pourront vouloir
que ce mot obtienne reintegrande,
avare : les diverses façons de
désigner un homme avare, 106 et
suiv. ; étymologie du mot, 106.
aYenamment, gracieusement,
266 (dans une citation).
avenir, arriver, atteindre, par-
venir, 134.
Quand j'entreprendrois de suivre cet
autre style, je n y sçaurois advenir.
Moin-AiGNR, m, 38.
aventure , emprunté par les
Italiens, qui ont décapité le mot :
Ventura, 332. Prendre aventure, se
risquer, 56 (dans une citation).
avertir , avertiflsements ,
détournés de leur sens par les Ita-
liens, 330.
avesprer, commencer à faire
nuit, 189 et 200.
Moult sui joians quant je voi avesprer.
[Uuon de Bord. 4955. (G.)
avis, aviser, détournés de leur
sens par les Italiens, 330; aviser^,
emprunté par les Italiens, 308 ; avi-
ser, instruire, conseiller , avertir,
(dans un proverbe) : Un fol avite
bien un sagey 206 ; fai advisé rfc,
j'ai résolu de, itatux (dans la cita-
tion de Vigenère), 62.
Avertir : J'en suis utilement advisé par ce
[récit. MONTAiGHB, I, lOJ. (L.)
Rétoudre : J'advisay d'en tirer quelvae
[usage. BioîtTAiGSK, I, 95. (L.)
avoeat : De jeune advocat ,
héritage perdu. Proverbe, 218.
avouée : approuver, 5.
Les Dieux n'avoueront point un combat
[plein de crimes. Cornbillk, III, 317.
avoueur, approbateur, 38. On
trouve dans l'ancienne langue le
mot avoueur signifiant défen9eur{en
justice), et même protecteur. (Voir
Godefroy.)
iiaeule, bascule, cité comme
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LEXIQUE-INDEX.
393
terme militaire, 349. D'après Littré
et Schelcr, les éléments du mot
sont bat-cul, que l'on retrouve en-
core dans le mot bacul, sorte de
croupière.
FuRETiÈRK, au mot bascule : Con-
trepoids qui sert à lever le pont
levis d'une ville, d'un chasteau. Ce
sont de grosses pièces de charpente
dont une partie s'avance en dehors
la porte, et soutient des chaînes
attachées au pont levis; et l'autre
est en dedans la porte qui en fait
le contrepoids. Elles se meuvent en
équilibre sur deux forts pivots
attachés aux jambages de la porte.
bAlllI : M Aujourd'hui bailli est
à peu près le mesme qui es autres
contrées de la France est appelé
seneschal », 267. Nicot : Ainsi
appelé, parce qu'il a en sa baillie,
c est-à-dire sous son gouvernement
et jurisdiction ceux de son bailliage.
Et notez qu'au pais de Langue
d'ouy on appelle communément
Bailly celuy que es pays de Lan-
guedoc et adiacens on appelle Se-
neschal, combien que audit pays de
Langue d'ouy il y ait aussi quel-
ques Seneschaux.
Iialllle , puissance , !>ei»cneurie
(cité comme ancien mol), 367. Em-
prunté par Bembo et Boccace, ba-
lia, 266.
Mais fortune qui mlia en sa baillie
Les ha du lout de mon cueur déboutez.
Charlks d'Orliîàns. (L.)
Montesquieu l'emploie encore
comme terme de droit féodal :
Lorsque le tuteur ou celui qui avait la
baillie voulait courir les risques de cette
procédure. Bêprit de$ Loi», XXVIII, 25.
ballar, emprunté par les Fran-
çais aux Italiens, baller, 266.
Ce fut luy qui le premier inventa la ma-
nière de bâiler armé. Amtot Nwna, 23.
(L.)
Iiandoii (mettre à) : Qui fait
noces et maison et plaide à son
seigneur, il met le sien à bandon.
Proverbe, 246 .Primitivement mettre
à bandon signifie mettre au pouvoir
de qqn, bandon signifiant pouvoir,
autorité; puis livrer d qqn, laisser
aller, abandonner. Nicot, abban-
donner : u Est un verbe fait de
Abbandon, et signifie mettre à
bandon, c'est-à-dire au plaisir et li-
berté d'un chascun pour en faire ce
qu'il voudra ».
Iianiilère, emprunté par les
Italiens, 356.
Iiarat, cité comme vieux mot,
198 ; emprunté par les Italiens, 329.
Iiarliarefl, ce que Bernardino
Tomitano entend par expressions
barbares, 169.
Iiarbe : Il ne faut pas faire à
Dieu barbe de paille, au heu de gerbe
de paille. Proverbe, 252.
iMUidUon, bastion. Mot em-
prunté par les Italiens, 355. Bastil-
lon est l'ancienne forme française,
bastion la forme italienne ou pro-
vençale.
Iiatallle, emprunté par les Ita-
liens, bataglia ou battaglia, 278 et
355.
Iiatalllon, emprunté par les
Italiens, battaglione, 355.
Iiatterle, emprunté par les Ita-
liens, batteria, 356.
lêattre les métaux. Voir flattir.
Bayf (Antoine de), 95.
Iiaube, bègue Charles li
Baubes, 189.
bec, mot gaulois, d'après Sué-
tone, 197.
Belge*, disent w pour oui, 171.
■Bellay (Joachim du), 159, 175,
188.
nelleau (Kem\), 99. 100, 101,
102, 103, 124, 128, 130, 175.
nembo, 20, 47, 85. 86, 87, 91,
^3, 256, 257, 261, 264, 266, 280,
281, 285, 286, 288, 289. 290, 291, 301.
302, 306, 309, 315, 317, 318, 319,
320, 321, 322, 323, 324, 326, 333,
334, 336, 337, 338, 339, 340, 341,
342, 343, 346.
Pour rendre grâces et honorer sa libé-
ralité et beneflcence. Amtot. Publicota,
36. (L.) ,
Le mot bienfaisance, qui se trouve
dans un glossaire du xiv" siècle,
n'a été vraiment créé que par l'abbé
de Saint-Pierre et figure pour la
première fois dans le dictionnaire
de l'Académie en 1762.
I»eniiiaiixa, bénignité, mot em-
prunté par les Italiens, 25J8.
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394
LEXIQUE-INDEX.
wm^^mmmM^ i 11 Jb DC craindfois point
d'user de benne au lieu de^ce <jue
nouB disons tombereau », 176. C'est
le même mot que banne.
l^rsainaMiae (langage), mau-
rais italien, 169. Les habiUnts de
Bergame avaient la réputation de
parler une langue très corrompue.
Iienuise, suite, train, équipage,
177.
■eral (Hugues de), 198.
besoin fait la vieille trotter ,
Proverbe, 223. Au besoin congnoist
on Tami, Proverbe^ 226. Mot em-
prunté par les Italiens, bisogno, 279.
Cela me fait besoin plus usité que
cela me fait mestier, 338.
listes, proverbes relatifs aux
bêtes, 243. ^^^ ^
beuTOter, diminutif, 10*2, bu-
votler. ,
Bible (la) nous fait connaître la
grande ancienneté de la vénerie,
118.
bleeo, louche, emprunte par les
Italiens aux Provençaux, d'après
Bembo, 260.
Men, emprunté par les Italiens,
ben, 314. _ „
BISne (Gaces de la), 122. Es-
tienne l'appelle Gaces de la Vigne.
Mllon, 140 : NicoT : Est toute
espèce de monnoye qui ne court
plus, ou est décriée pour eschar-
seté (défaut d'une pièce qui n'a pas
le titre ordonné. G), ou autre dé-
faut. Ainsi dit-on des espèces de
monnoyes descriees qu'il faut les
mettre *au billon, et cizailler.
bisayeal, formé de la même
façon que le mot grec Dipappos,
157.
blane, emprunté par les Italiens
et les Espagnols, biancho et blanco,
272.
blanchis, 141. Furettère :
m Blanchir se dit aussi de la neuf-
vième façon qu'on donne aux flans
des monnoyes, lorsqu'on leur donne
la couleur naturelle de leur metail.
Ce blanchiment se fait par le Mais-
tre, ou Fermier, qui met les espèces
d'or, d'argent, de billon, et cuivre
dans un pot bouillir sur le feu avec
de l'ean et de la bouture. — Blan-
chiment, en termes de Monnoye,
est une façon qu'on donne aux flans
avant que de les marquer, en les
faisant bouillir dans de l'eau com-
mune avec le sel, le tartre ou gra-
velée; après quoy on les lave, on
les sèche, et on les essuyé. »
blandlssemens, à peu près
synonyme de caresses^ flatteries,
262.
Tacher à obtenir quelque chose par blan-
dissemente, doulces parolles et rtatenes.
R. ESTIKNXE, Thés. (G.)
blé, emprunté par les Italiens,
biada, 277.
btocals, 359. Le mot vient de
l'allemand : c'est le même que
blockhaus. Au xvi« siècle il est tout
à fait synonyme de fort, comme le
montre cet exemple de Martin Du
Bellay :
Au bout d'iceluy pont les ennemis avoient
fait un blocu (car ainsi nomment-ils ce que
nous appelions un fort). (L.)
blondclettes, les tresses blon-
delettes^ dans une citation de Rémi
Belleau, 100.
Boeeace, 259, 260, S64, 265,
266, 267, 268, 273, 280, 281, 283,
287, 292, 293, 301, 302, 305, 309,
310, 311, 313, 314, 315, 316, 317, 320,
323, 324, 325, 326, 330, 334, 338,
339, 340, 313, 358.
bonasse, calme de la mer après
un orage (aujourd'hui bonace) 134.
Je changeai d'un seul mot la tempête en
[bonace. Cornbili.e, IV, 177.
bond : Que de bond, que de
volée, 136 ; métaphore tirée du jeu
de paume : tant de bond que de
volée, soit au bond soit à la volée,
c'est-à-dire comme on peut, d'une
façon quelconque :
Si ne voulut-il perdre son desjeuner,
lequel estoit prest, que de bond que de
volée. Des Pkriebs, tontes. (L.)
Soit de bond, soit de volée, que nous en
cbaut-il, pourvu que nous prenions la ville
de gloire (le paradis). Pascal, Prot?. IX.
(L.)
bonnement, bien, conveoa
blement, vraiment, 317.
La nécessité des guerres porte à tous les
coups do faire le gast, ce qui ne se peut
faire bonnement en nos biens propres.
MUKTAIGMS, I, 355. (L.)
bonté : Une bonté autre re-
quiert. Proverbe^ 230.
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LEXIQUE-INDEX.
395
Borgia (Lucrèce), 301.
Itorgne est roy entre aveugles.
Proverbe, 227.
Itorgnoyor : « pour regarder
de costé, a la façon aun borgne. »
H. Ëstienue regrette ce vieux mot.
Borgnoyant Pbœbus de travers. (Jacques
Tahureau, dans Lacome.)
K dict de la lune »,
162. Ce composé plaît à Estienne
parce qu'il se termine par un mono-
syllabe.
Iiotterel, crapaud, 270.
boueho : Entre bouche etcuillier
vient souvent encombrier. Proverbe,
219.
Iioaehelette, diminntif employé
par Rémi Belleau, 101.
Iiouer : « duquel mot on use,
quand on les refrappe sur les coins
(les pièces de monnaie) pour les
arrondir. » 141. Furetière : a Bouer
se dit de la huitième façon qu'on
donnoit aux monuoyes qu'on fabri-
quoit au marteau. On frappoit sur
un bloc de flans entassé, lequel
s'affaissoit tout à coup, et faisoit
joindre, coupler, et toucher d'as-
siette les deniers de monnoyage,
afin de les faire couler plus aisé-
ment au compte et à la main.
L'Ordonnance enjoint de repeter
cette façon deux fois, et de recuire
et rechausser les flans à chacune
de ces façons, et de boûer une
troisième fois sans recuire; après
quoy l'ouvrier met les flans entre
les mains du Maistre pour les blan-
chir. » L'opération se faisait avec
un marteau appelé bouard ou bou-
vard. Littré voit dans ce nom une
métaphore et croit que du nom de
l'instrument est venu le verbe dési-
gnant l'opération. 11 est possible au
contraire que bouer soit le mot
dialectal qui signifiait ereiuer et
Sue bouard vienne de bouer (H.
I. T.)
Itoulever, boulevard, emprunté
par les Italiens, 355.
L'espine avec ses apophyses sert coinme
de boulever et foniflcatioa à la mofille spi-
nale. Paré, XIV, 12. (L )
_ une des villes qui
prétendent avoir le meilleur lan-
gage après Paris, 170.
bourse, vient du erec Byrsa,
198. Le mot ne vient du grec que
par l'intermédiaire du bas-latin.
boatofeu, boutoguerre, 160.
Néron devenu parricide, boutefeu. MoN-
TAIGXE, I, 13. (L.)
BovUlus (de Bouelles), 171.
boxxo, bâtard, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, d'après
Bembo, %9.
braehmar, étymologie du mot,
196.
brasard, brave, hardi, fier,
présomptueux, élégant, joli, paré.
(Le mot se trouve dans un vers
qu'Henri Estienne attribue à Ron-
sard, p. 55.)
brane, « fréquent es Rommans,
qui adjoustent aussi ordinairement
ces mots d^acier, car ils disent un
branc d'acier ». 196. Le mot dési-
gnait la lame de l'épée, et l'épée
elle-même :
Caint H l'espee dont li brans est forbis
{Àuberi, dans Godefroy.)
Item à maistre Ythler, marchant.
Auquel je me sens bien tenu
Laisse mon branc d'assier tranchant.
Villon, PHit Testament, XI. (G.)
brapMiSe : « C'est le salaire
qu'on distribue au maistre qui fait
la monnoye, etc. » 142. Furktière :
« Terme de Monnoyeur, qui se dit
de la Manufacture des monnoyes.
Le brassage est la peine de I ou-
vrier, dont la plus grande est celle
de bien remuer avec les bras l'or et
l'argent en grenaille, qui est dans
des sacs, quand il y en a de diffé-
rente valeur, pour en faire un
meslange fort égal, et avoir la
monnoye au titre qu'on désire.
Dans le droit de brassage est com-
pris le droit du Maistre, du Mon-
noyeur, et du Tailleur de la mon-
noye, qui s'appellent particulière-
ment ouvrage, monnoyage et ser-
rage. »
bravade, paraît signifier osten-
tation dans cette phrase : u Nous
appelons parade et bravade (eux
diroient piaffe) ce que nous nom-
mions magnificence ». 351. Cepen-
dant d'après Nicot, Monet, Fure-
tière, Littré, Darmesteter, Hatzfeld
et Thomas, le mot ne paraît pas
avoir eu ce sens. Il subit peut-être,
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396
LEXIQUE-INDEX.
dans Tcsprit de Henri Estienne, l'in-
lluence de braverie.
brebis : De brebis comtees
mange bien le loup. Proverbe, 236.
bref (en), brièvement, en abrégé,
143.
J'ai dit en bref ce que le lieu requeroit.
Calvin, Inatit. 162. (L.)
breTO, 143. Du Cange et Fure-
tière donnent la même définition
que Henri Estienne.
brèves, les syllabes brèves en
français, 40.
bricoles, ancienne expression
militaire, empruntée par le jeu de
Faume, 349. Le mot désignait, dans
art militaire du moyen âge, une
machine à lancer des pierres. Il
désigne ensuite le bond que fait
la pierre lancée, puis, par assimi-
lation le bond de la balle au jeu
de paume, lorsqu'elle a louché une
des murailles.
Et nous logerons au plus près de la ville
que nous pourrons, hors du irnit de leurs
bricoles. Froissard. III, iv, Ib. (L.)
brlefveté : la langue française
est plus capable de brièveté que
la langue italienne, 65. La brièveté
est un des principaux mérites de
notre lansue, 90.
bride, emprunté par les Italiens,
briglia, 337.
brigade, signifiait autrefois com-
pagnie. Emprunté avec ce sens par
Boccace, 268. Nicot : «« Brigade.
Est diction collective, et signifie
trouppe, compagnie. Une brigade
de jeunes hommes, Adolescentium
coitio., cœtus. »
brigand, brigandine, 348.
Du Cange, brigancii : « Briî?and,
c'est une manière de gens d'armes
courant et apert, à pié. » Nicot,
Brigand^ anciennement estoit un
mot militaire signifiant l'homme de
guerre armé de brigandine. LaVlWe
de Paris offrit pour la ville et vicomte
600 glaives et 400 archers, et mille
Brigands, et pour ce que ces gens
de pied, allans et venans à la guerre,
pilloient le peuple, on a prins ce
mot pour un larron de campagne,
un voleur de paya, qui exerce le
brigandage es chemins et voyes
publiques. »
Brigandine. Nicot : « Brigandine
est une espèce d'armure de fer,
dont les brigans estoient armez,
faite à lames estroites, qui consent
aux courbeures et plieures du corps
de l'homme qui en est armé, ce que
ne fait le corcelet. »
brode : « A Orléans , et aux
environs, une femme brode signifie
une femme brunette », 174. Le mot
brode, au xvi« siècle, désignait un
pain demi-blanc, fait de froment et
de seigle (G). De là le sens de bis,
brun.
bruit, réputation, 4.
Elle vous Tait tandis cette galanterie
Pour s'acquérir le bruit de fille bien nourrie.
GORrtKlLLB, II, 168.
■runetto l4»tlnl, 16, 281.
briinettes : aussi bien sont
amourettes, soubs bureaux que
soubs brunettes. Proverbe, 248.
Nicot : « Tantost est adjectif et est
le diminutif de brune, tantost est
substantif, et signifie drap noir.
Comme il estoit veslu d'une fine
Brunette, c'est-à-dire d'un fin drap
noir. Nicoles Gilles en la vie du
Koy Jean, Et ledit prevost print le
chapperon de mondit S'îipneur le
Duc, qui estoit de Brunette noire
orfaverisé d'or. »
bulsart, on * ne peut faire de
buisart un esprevier. Proverbe, 203.
« Il est vray qu'on trouve escrit
buison, au lieu qu'on dit aujourd'huy
buisart ou busart. »
Ainz ne vis faire de buison
Bon espervier ne bon faucon.
(RoB. DK Blois, dans Godefroy.)
Nicot ne donne que la forme
buisart.
bureaux (voir brunettes) ; le
mot ôitreau désigne une grosse étoffe
de laine.
Est toulesfois requis d'avoir quelque peu
de laine noire, pour raesler avec la blnnche,
en faire des draps gris, ou seule, des bu-
reaux pour les habits du mesnage. O. vu
Serres, 317. (L.)
Durgund't ^^^ Bourguignons,
disent oy pour oui, 171.
burlar, se moquer, en espagnol
et en italien, 263.
C pour ch ou ch pour c dans le
dialecte picard, 175.
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LEXIQUE-INDEX.
397
eaboelie, eaboehard : « Et
en ce nombre sont plusieurs des
Picards, comme caboche pour la
teste (d*uù vient cabochard pour
testu ou testardj c'est-à-dire opi-
niastre) », 175.
Littré considère caboche comme
un mot bourguignon.
ealme, considéré par Estienne
comme un mot emprunté à la
marine, 134. Il faut probablement
se reporter plutôt au mot provençal
calma désignant, comme en espa-
gnol et en portugais, le moment le
plus chaud du jour, le moment de
la cessation du travail. Bas-latin,
cauma, chaleur, même sens qu'en
grec.
eamuscttesi épithète des brebis
dans Rémi Belleau, 101. Le mot est
aussi employé par Du Bellay :
Les bergiers avec leurs musettes
Gardant leurs brebis camusettes. (L.)
D, terme militaire,
emprunté par les Italiens , 355 ;
meurtrière, ouverture pour tirer le
canon.
II Tailut Taire d'une vieille canonnière une
porte où la cavalerie peust passer. D'Au-
BiGHé. Hitt., II, 150. (L.)
eapltalno, en usage « des le
temps de nos ayeuls », 349. Littré
cite des exemples de la forme actuelle
au XIV» siècle.
€aro (Annibal), 19.
earolar, danser, mot que les
Italiens ont pris au français, 266.
Asses i ot dencié et quarolé. Lea Loh. (G.)
earpo, et ses diminutifs, car-
peau^ carpillon, 99.
casomate, Henri Estienne se
plaint qu'on ait emprunté ce mot
aux Italiens, 351.
Castolvetro, 19, 255, 256, 258,
259, 314, 3ii2, 332.
Cataneo, 356.
cavor,creuser,dans Desportes,95.
A mis le pied dans la fosse
Que lui cavoient les destins.
Malherbe, I, 2^.
co, employé comme pronom. (Voir
Observations grammaticales, 76.)
ceinturon : a Ce mot (portespee)
a esté appliqué au pendant de la
ceinture, lequel en quelques lieux
PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS.
on appelle aussi le ceinturon n, 159»
Le second sens donné par Cotgrave
s'accorde avec la phrase d'H. Es-
tienne : A short, or smdll girdle,
or side-piece of a paire of hangers.
Le mot ceinturon ne se trouve ni
dans Nicot, ni dans Monet.
Colsus (Cornélius), 215.
Celtes, 172.
Cerealls, 57.
CerrctanI, 49.
eervo, bische, « Du Bellay en a
usé (priant toutesfois ne trouver
mauvais ce mot) », 188.
César grammairien, 7; divise la
Gaule en trois parties, 172.
eestuy (voir Observations gram-
maticales, /5).
chaloir, emprunté au français
par les Italiens, d'après Bembo, 256.
Chambre : Les chambres vuides
font les sottes dames, Proverôe, 238.
changements que les Italiens
ont fait subir aux mots latins, 73 et
suiv. ; changements dans les mots
qu'ils ont empruntés au français,
277 et suiv.
changer, devient en italien can-
giar, 296.
chansonnette et canzonetta,
97.
chapon : oncques chapon n'aima
gelines. Proverbe, 249.
chaponneau, 174.
charge, charg;er, deviennent
en italien carico, caricar, 297, en
espagnol carga et cargar, 297.
charlages, emprunté par les
Italiens, cariaggi, 356.
Charle cinquième, roi de
France, 122.
Charles TIII, 345.
Charles le Quint, 31.
charmepones, épithète du som-
meil, 163.
charrue: La charrue va devant
les bœufs. Proverbe, 234.
chartée, charretée, 180.
Chartres, une des villes qui
prétendent parler la meilleure langue
après Paris, 170
ehasse, métaphores empruntées
à la chasse, 117 et suiv. Métaphore
tirée du jeu de paume •. Afa^J}*®*.
bien ceste chasse, «au. Wevi ^^^^^^^^^^
ï.renez bien garde a co po\ï^^ ^,?kï -.
je vous advenir, 1^7. ^t3ï^t5.t^t^*
23
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398
LEXIQUE-INDEX.
m Chaste en termes de Joueurs de
Paume, est une chute de balle à un
certainendroitdu jeu, qu'on marque,
au delà duquel il faut que l'autre
joueur pousse la balle pour pagner
le coup... On dit proverbialement.
Marquez cette chasse, pour dire,
Remarquez bien cette action que
vous avez faite, je m'en ressentiray
en temps et lieu ».
chasse, e^namw, deviennent
en italien eaccia, cacciar, 297.
ehasseTent, compose qui plaît a
H. Estienne parce qu'il se termine
par un monosyllabe, 162.
eha»tto:Bien se chastie quMpar
auslruy se chastie. Proverbe, 227.
ehaU-ehatellfl, vieux mot mi-
litaire employé par Joinville, 350.
GODBPROY : . Sorte de paierie rou-
lante et flanquée de tours, employée
pour l'attaque des places fortes ».
Le mot chat à lui seul désignait
une galerie roulante, mais non munie
de tours. . . ,
ehaut, 3« pers. sing. près. ind.
du verbe chaloir, avoir de l'impor-
tance (pour qqn), causer du souci,
57. Ce verbe, qui était autrefois
complet, ne s'emploie plus qu à cette
3« personne et à la 3« personne du
futur. , ,
ehe, que, mot emprunte par les
Italiens au français. Ses différents
usages, 315. .
ehomln,choiiiliier,deviennent
en italien et en espagnol eamino,
caminar, 297.
ehenot, 174. ,
cher (avoir plus), aimer n»eux,
cité comme expression picarde, 340.
ehercher, emprunte par les ita-
liens, cercar, 291.
ehoro, les Italiens conservent a
ce mot, chera, son vieux sens^visage,
qu'il a dans les proverbes Belle chère
et cueur annere, visage ami et cœur
hostile. Belle chère vaut bien un
mets, 271.
Sa fille a embracee, si la baUe^en l»cbi«£«j
chef, 3« pers, sing. prés. ind. du
verbe choir : Au premier coup ne
chet pas l'arbre. Proverbe, 219.
Quand quelqu'un chet du haut en bas
d'une brèche. Paré, X, 1. (L.)
cheval : Onques bon cheval ne
devint rosse. Proverbe, 203.
ehevetaln, capitaine, 348.
La cent dont il estoit cbeveUin.
^ Chron. de S. D«n. (G.)
ehlen : A rebelle chien dur lien.
Proverbe, 226. A chair de chien
sauâse de loup. Proverbe, »43. A
petit chien petit lien. Proverbe, ^9.
ehler, vieille forme de cher, dans
une citation, 199.
Chllpérie, 8, 120.
ehlquanerlc, chicane, 149.
Monsieur, je n'entends rien à la chicanerie.
Rbgnibb, Sot. VIII. (I#.)
ehorde (jouer par dessus la),
« jouer au plus seur » 137. Furk-
TiiRE : « Corde se dit à la Paume,
de celle qui se tend au milieu du jeu,
qui sert à marquer les fautes qu on
fait en mettant dessous : et on dit
qu'une balle a passé à fleur de eot^e^
qu'elle a frisé la corde, pour dire
que peu s'en est fallu qu elle n ait
esté dessous. » Il fait bon avoir deux
chordes en son arc. Prouerôe, 236.
ehorde, cela est chordé, 132.
Clcéron, 208, 224, 231. 237.
eil (Voir Observations grammati-
cales, 73.) , , . ,. X
eippeaa, « qui semble estre tire
du latin cippus. » 144. « Instrument
avec lequel on rogne un métal quel-
conque. >• (G).
Claude, S.
Claudlen. 229, 230.
elause, phrase ou proposition 40,
65. , .. .,.,
LiTTRÉ : « Dans la première moitié
du xvi« siècle, Maigret, dans son
traité de grammaire française, appe-
lait clause la proposition comme
renfermant une pensée parfaitement
terminée. »
clocher : sonner une cloche ou
une clochette, 179. Godefroy donne,
dans ce sens, clocheter.
collation, comparaison, 237.
Je scay bien qu'il y en a qui veulent
nrouver par collation des temps que ce soit
une fable controuvée a plaisir. Amtot,
Solon, 56. (L.)
combattere, mot italien, em-
prunté au français, 356.
combemioiies, « Unde vocan-
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LEXIQUE-INDEX.
tur oombennones in eadem benna
sedentes. » Festus. 176. H. Estienne
rapproche ce mot du mot compa-
gnons.
comMon que, quoique, 84, etc.
Il rougit de lui-même et combien qu'il ne
[sente
Rien que le ciel présent et la terre présente,
Pense qu'en se voyant tout le monae l'a tu.
Malherbe, I, 18.
r, emprunté par les
Italiens*, 300,
eompasnoii bien parlant vaut
en chemin chariot branlant. Pro-
verbe, 220. Compagno7if emprunté
par les Italiens et les Espagnols,
compagno et companero^ 294. Com-
pagnons rapproché de combennones,
eompaln, signalé comme mot
picard, 177. Cet ancien cas sujet est
employé par la Pléiade, mais natu-
rellement sans qu'on tienne compte
de son ancienne fonction :
lo, j'entends la brigade,
J'oy l'aubade
De nos compaings enjouez. Roxsard.(G.)
eoniparer, signalé comme ayant
dans Tancienne langue et dans quel-
ques dialectes le sens du latin com-
parare, acheter, 250.
Nus n'a bien s'il ne le compère.
R. de la Rose. (G.)
par extension, payer, être puni de :
S'il estoit trouvé qu'ils se eussent plaincts
â tort, ils le doibvent comparer au double.
• (G.)
Mais bien sachez qu'elle compère
Sa malice trop durement. A. delà Rose. (G.)
eomimrolr, paraître, se pré-
senter, 23.
I (mots), en français,
152 et suiv. ; composés allemands
abondants et commodes parce que
les mots sont courts, 164 ; composés
italiens plus rares et de moins bonne
grâce que les composés français, 164.
conférer, comparer, 66.
Si nous conférons Eve avec Marie.
BOSSUKT. (L.)
eonfermcr, conGrmer, 4.
Ne pouvant revoequer la grâce qui avoit
•esté faicte par le feu roy, mon seigneur et
/rere, que j'ay depuis confermee à ceulx du
399
Lettr.
pays de Xaintonge et Angoulmois.
mi««. de Henri IV, III, 125. (G.)
La forme moderne est une forme
savante.
eonrormlté du langage françois
avec le grec, 2, 34.
coiirort, consolation ; conforter,
consoler, empruntés par les Italiens,
291.
Coi^onetlon, union :
Quelle conjonction et compagnie se pour-
roit trouver plus estroite que de oeux?
YvBR, 531. (L.)
connolstre, voir, reconnaître,
290.
... Je connus bientôt qu'elle avoit entrepris
De l'arrêter au piège où son cœur étoit pris.
Racine, I, 538.
eonnestoblo, emprunté et dé-
tourné de son sens par les Italiens,
359.
eonquiso, emprunté par Pétrar-
que aux Provençaux, 261.
conseil, dessein, projet (dans
une citation de Desportes), 93.
II a de tout conseil son âme dépourvue.
M.\LUBRBE. I, 8.
conseiller, emprunté par Pé-
trarque, consigner, 292.
consonantes, consonnes, 66.
Cest le mot le plus usité au xvi'siècle,
mais Ramus emploie déjà le mot
consonne.
content que : je suis content
que, je veux bien que, 306.
Ayez le donc [le consentement], et lors,
[nous expliquant nos vœux,
Nous verrons qui tiendra mieux parole des
[deux.
— Adieu, j'en suis content, (je le veux bien).
MoLiéRB, Dé p. Àm., II, a. (L.)
contester, mot dépravé (cor-
rompu) par les Italiens, contra^tar,
332. Il n'y a rien de commun entre
ces deux mots. L'ancien français
avait contrester, devenu contraster
sous l'influence du mot italien de
même origine que lui {contra, stare).
continue (à la), à la longue,
dans un sonnet de Baïf, 95.
Ce qui nous paraissait terrible et singulier.
S'apprivoise avec notre vue
Quand ce vient à la continue.
La Font. Fab. IV, x. (L.)
Continue signifiait au xvi« siècle
continuité.
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400
LEXIQUE-INDEX.
Telles aigreurs avec la continue des
peines que supportoient ttnt les chefs que
Tes soldats. D'Aubigné, Hist. I, 302. (L.)
contraire (au), en sens con-
traire, 120. ^ .
L'emploi de cette expression était
bien plus large qu'aujourd'hui :
Des monstres en niture, qui n'ont point
de jambes, ou qui ont les bras tournés au
contraire. Amyot. De la curiosité, 17. (L.)
eontrarlor («c), se contredire,
21.
Il faut dire que l'Escriture se contrarie
ou que Dieu regarde les mérites de ceux
qu'il élit. Calvw. InêtiL 766 (L.)
eontrefalro, formé à l'imita-
tion du ffpec, 156, imité par les
Italiens, 157.
eontremlne, emprunté par les
Italiens, contramine, 356.
contrescarpe : « On n'aura pas
grand besoin de faire venir d'Italie
scarpe et contrescarpe », 351.
eontrister (se), s'attrister, 240.
Il s'adressa & un do ses familiers qui fai-
soit le plus de mine de s'en condouloir et
contriste • avec lui.
Amyot. Di la tranq. d'dtne, 15. (L.)
convenir avec, s'accorder avec,
224.
La vie contemplative et l'aclivo convien-
nent très bien l'une avec l'autre.
Lanoub, 5iO (L.)
converser avec qqn, vivre avec
qqn : On est semblable à ceux avec
qui on converse. Proverbe, 2t4.
Nous ne conversons plus qu'avec des ours
[affreux. La Font., Paysan du Danubt.
convoyer, cité comme verbe
composé, 153.
coq & rasne (sauter du], 291.
Le cervonu luy voltige tellement que,
sautant du coq à l'asne, il s'oublie en moins
de quatre mots. Calvix, 31"j. (L.)
Corinne, 163.
Comaro, 42.
corps do garde, emprunté par
les Italiens, corpo di guardia^ 355,
corratiers, courtiers, 334.
A quoy M. le légat servoit de courratier
pour faire valoir la marchandise.
Sat. Men., 17i. (L.)
costoyor, emprunté par les
Italiens, costeggiar, 308.
couleur , apparence , raison
apparente, prétexte, 306.
Cela donna occasion à Mago de souspe-
Sonner quelque trahison, avec ce qu'il ne
emandoit que quelque couleur pour s'en
aller. Amyot, Ttmol., 30. (L.)
coup : Au premier coup ne chet
par l'arbre. Proverbe, 219.
coupelle « Item coupelle, d'où
vient qu'on dit argent de coupelle. »
142. MoNET : M Coupele, afinoire,
vase à afiner or ' et argeant, coupe
large, peu creuse, massive, assise
hur son cul solide, et de la même
masse, composée d'os de pieds de
mouton, ou de corne de cerf, brûlés,
calcinés, pulvérisés, et pétris avec
eau, servant à aflner or et argeant
en petite quantité, comme la çandrée
sert en grande quantité.» Furetière :
«... Dans ce vaisseau on fait fondre
l'or, ou l'argent qu'on veut esprou-
ver ou purger, sur un feu ardent de
charbon, et on y mesle un peu de
plomb, lequel s'imbibe dans ce creu-
set ou s'évapore; et il emporte avec
luy toute l'impureté du métail.» L'ar-
gent de coupelle est donc de l'argent
affiné.
courage : littéralement c^ispo^t-
tion du cœur, par extens., casur : 3.
Ce flls, qui devoit être inceste et parricide.
Doit avoir un cœur lâche, un courage per-
[flde. CoaKEn.LE, VI, 179.
courant, emprunté par les Ita-
liens, coraggio.
courir après son esteuf. Voir
est eu f.
courtoisie qui ne vient que d'un
costé ne peut longuement durer.
Proverbe, 230.
courtvestu : « Et pourquoi ne
diroit-on fervestu aussi bien qu'on
dit courtvestut » 158.
crampe repetlta, 66.
crapaudlne (dans une citation
de Huom de Meri). 270 : Espèce de
pierre qu'on croyait se trouver dans
la tète des crapauds, et qui est la
dent pétrifiée du poisson appelé
loup marin. (L.)
cras : « Il me souvient d'avoir
veu cras au lieu de ce que nous
disons gras : lequel cras retient le
c qui est en crassus. » 189. Les deux
formes ont existé simultanément.
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LEXIQUE-INDEX.
401
Le latin populaire avait dit de bonne
heure grassum au lieu de crassum.
crodia, croyait, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, d'après
Bembo, 261.
eremeur fait lièvres tumber.
Proverbe, 239. Cremeur, crainte,
était encore employé au xv» siècle.
créneaux, «< d'où vient ce mot
crénelé, duquel on usoit le temps
passé quand on disoit murs crenelés.n
358.
cresper, ajriter(dans un passage
attribue à Ronsard), 54.
J'eusse appris & cresper le long bois d'une
[pique. R. Bklleau, Berg. (L.)
C'est un des sens de crispare.
eresplUoiis , petites boucles,
petites frisures, 101 (dans Rémi
Belieau).
L'adjectif crespe signifiait frisé;
crespelu signifiait frisotté. Le verbe
cresper avait aussi le sons de friseï"
(Cf. crépu).
ercBteleas (murs), signalé comme
une vieille expression, 358 : entaillé
en forme de dents :
Une cité cretelée
De marbre, à brelesche et à tour.
Watriquet. (G.)
ereuset, indiqué comme servant
à la fabrication des monnaies, 142.
erl : Le cri pend le larron.
Proverbe, 228.
evlev,mo\.dépravé par les Italiens,
cridar ou (/ridar, 332.
erlerles^ cris importuns (dans
la citation de Vigenère), 62.
Cela émeut une crierie et tumulte.
AVTOT, Cam., 72, (L.)
erolo^ grossier, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, 260.
croiser les flaons, les marquer
d'une croix, 141.
croiseurs ; « les monnoyeurs
estans aussi appelés croiseurs ou
marqueurs, qui sont noms plus par-
ticuliers. » 141.
eroler, crouler, emprunté par les
Italiens, cro/ar, 285. Le mot signifiait
remuer, secouer, agiter, ou, au sens
neutre, remuer, branler.
Croulnnt sa lance toute teinte du snng
qui couloit nu long. Amyot, Galba, 32. (L.)
Pour garder les dents qu'elles s'esbran-
lent, les affermir cronlans, les nettoier
estans ordes et .«aies. O. de Serres, 90i.
(L.)
et, remplacé dans les mots ita-
liens par tt, 81.
cueur, cœur, emprunté par les
Italiens, cuor, 274.
culder,croire,63 (dans Vigenère).
cuir, vient de corium, 198.
culasse, 140.
cure, soin, souci (dans une cita-
tion d'Amadys Jamin), 56.
Le mot, qui ne s'emploie plus
dans ce sens que dans une phrase
négative était d'un emploi bien plus
large au xvi" siècle.
Consumer son ame de cures et d'ennuis.
Amyot, Com. il faut nourrir les enfans,
J7. (L.)
curée, soignée (dans un pro-
verbe), 213.
Plus on attend, plus s'enracine le mal;
toutesfois il est encores guérissable,
moyennant qu'on le cure par les causes
plustost que par les accidents. Laxoub. (L.)
' ■*ée, employé par métaphore,
125. C'est une corruption de outrée :
Et puis doit-on laisser aller les chiens
sur le cuir à la cuirée. Modue. (L.)
curieux, opposé à nécessaire,
105, 116. — De l'idée do soin qui se
trouve dans ce mot, on passe faci-
lement à celle de recherche et, par
suite de super fluité. On le trouve
assez souvent au xvi« siècle uni au
mot superflu, et l'on sait que les
écrivains de cette époque aimaient
à associer, pour l'expression d'une
seule idée, deux mots de sens à peu
près semblable :
Un corps bien complexionné n'a que faire,
ny de nourriture, ny de vesture curieuse et
superflue. Amyot. Aritt. et Cat., comp. 8.
(L)
d pour r dans les mots italiens,
74 ; — remplacé par II, 75 ; — d
pour t, 76.
danger : Il n'est danger que de
vilain. Proverbe, 204.
Oante, 16. 259, 260, 281, 287.
Oati, 59, 82, 291, 328, 336.
Oavid, 212.
débonnaire, origine et ancien
sens du mot, 127. Nicot : « Aire
est le nid de l'oiseaa de proye, selon
qu'on en dit par métaphore un
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402
LEXIQUE-INDEX.
homme débonnaire ou debonaire,
comme si vous disiez de bon aire,
pour un homme doux, sans malice,
courlois, vir boni geniiy ingenui
animi^ candidus. »
Soies courtois et doboonaire,
Comme uns homs estrait de bonne aire.
J, BauïANT. (L.)
Débonnaire n'avait pas encore,
même au xvii« siècle, le sens défa-
vorable qu'il a maintenant :
L'autre, tout débonnaire, au milieu du sénat
A vu iranclier ses jours par un assassinat.
CORNBILLB, Cinna^ 383.
delionnaireté, bonté, mansué-
tude, 9.
Tout en la manière qu'il est escrint de U
grande debounaireté de l'empereur Oclavian
qai seiffneuria tout le monde.
BouciQ. IV, 9. (L.)
debtes, dettes : Vieilles debtes
aident et vieux péchez nuisent.
Proverbe, 218.
doeeYOir, employé avec tromper^
167.
deehaasor, chasser (dansVigc-
nère), 64.
dcgoiMtement, dép^oùt, 67.
Après, hantans avec les hommes moins
connus, nous rencontrions do la douceur et
un degoustement des fureurs passées.
Laxoub. (L.)
dolcetatlon, agrément, plaisir,
66.
Il abandonna le labourage disant que
l'agriculture est de plus grande délectation
que de grand profit. Amyot, Caton, 45. (L.)
Le mot n'est plus aujourd'hui
qu'une expression théologique.
dellYro (il), 18. Nicot': « Libre-
ment, libéré, soluté. »Chez Estienne,
plus à délivre signifle plus libres^
plus déliés^ plus à Vaise.
Et anciennement estoit à Rome la place
eonsuUire, qu'ils appcUoient la plus hono-
rable à tible, pour estre plus a délivre et
plus accessible à ceux qui surviendroient
pour entretenir celny qui y seroit assis.
MoxTAioxE, H, 4. (G.)
domandor, dépravé par les Ita-
liens, addomandar, 332.
démener, emprunté par les Ita-
liens, dimenar^ 305.
Demosthene, '227.
demoarcr, emprunté par les
Italiens, dimorar^ 385.
deneral, 142. « Poids contre le-
quel l'on V rier adj ouste ses quarreaux
après qu'il les a taillés, m Monet :
« Plaque de monnoie, servant aux
ouvriers monnoieurs de modèle et
patron pour ajuster leur ouvrage
en largeur, espesseur, rondeur, et
poids. M
donler, 141. Le mot avait le
sens général de pièce de monnaie.
Monet : « Denier, chaque pièce de
toute sorte de monnoie travaillée es
monnoies ouvrans. Le denier escu
était une monnaie d'or ou d'argent
portant sur une des faces Vécu de
France ; le denier tes ton était une
monnaie d'arsjent portant l'effigie,
la teste du roi.
départir : Fol devise et Dieu
départ. Proverbe, 2(KS.
dépraver un mot, en corrom-
pre la forme, 18.
depuis (du), pour depuis, dans
une citation, 94.
Je craignois tous ces traits que j'ai sus
du depuis. Regnikb. Eleg. 3 (L.)
desaTantase, des avanta-
geux, empruntés par Girolamu Ca-
taneo : disavantaggiOy disavantag-
gioso, 357.
deseharger. en italien scaricar,
297.
deseoupler (se), s'élancer sur
qqn, 64; cest une métaphore em-
pruntée à la vénerie : découpler,
détacher les chiens couplés (attachés
deux à deux) pour les lancer à la
poursuite du gibier.
Li braconier les chiens descopient.
R. d» Renart, 1221. (L.)
deserlé. « On dit, cela est descrié
comme la vieille monnoie, de ce qu'on
pourroit dire autrement : cela n'est
plus en estime, etc. » 146. Descrier
la monnoie c'était en interdire le
cours, en ordonner la refonte, ou
en abaisser la valeur.
deserlement, décri, 146.
Je fis descrier les pièces de six blancs...
En ces descrieniens les monnoyenrs doÏTent
donner de l'argent au roy.
Gasp. dk Tavaxkes, Mém., 137. (G.)
Le mot avait un sens plus général :
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LEXIQUE-INDEX,
403
Ce eust esté un descriement et rabaisse-
ment de mon honneur.
Paussy, Art de Terre. (G.)
desdalç^neux, emprunté parles
Italiens, disdegnoso^ 280;
doseneomibror, en italien dls-
gombrar ou sgombrar, 287.
despayfler> v. n., sortir de son
pays, 70.
di^pondre, dépenser : Il faut
despendre qui veut gangner. Pro-
verbe, 235.
Il ne despendoit pas un souI à chaque
repas. MALUKauii. Il, ^1.
deflpit : 11 n'est si grand despit
que de povre orgueilleux. Proverbe,
204.
Comme Henri Estienne donne
comme équivalent de ce proverbe
cet autre :// n'est orgueil que de povre
enrichi, il faut peut-être donner au
mot despit son vieux sens, dédain :
Si ne tenez pas en despit
Les genz por ior petit d'avoir.
Lai du Conseil. (L.)
deflpite. méchante, de mauvaise
humeur (dans une citation), 239.
Ils sont allez Teindre ceste sotte image
[de la philosophie] triKte, querelleuse, des-
pite, mineuse... Montaigne, I, 176. (L.)
Oeuportes, 91, 94, 355.
di^racinor (se déraciner un
sentiment), 2.
desroeher, renverser, cité com-
me un vieux mot, 185. Le mot se
trouve encore dans Monet : « Des-
rocher, dérocher, jeter, faire sauter
d'une roche en bas... Desrocher un
cerf. » FuRETiÈRE : « Dérocher ou
Deroquer. Terme de fauconnerie,
qui se dit de l'aigle ou des grands
oiseaux qui, poursuivant les bestes
à quatre pieds, les contraignent à
se précipiter de la pointe des rochers
pour éviter de tomber dans leurs
serres. De là vient qu'on a dit autre-
fois Deroquer un homme, pour dire,
le faire tomber, et deroquer une
maison, pour dire, l'abattre. »
destitué, dépourvu, 85, 87.
Son collègue, qui savait que la témérité,
outre qu'elle est destituée de raison, avait
toujours été jusque là très malheureuse.
RoLLL\, Trait, du» Et., 3e part., 1, (L.)
deatourbior
Au proverbe
françois, pour encombrier aucuns
disent destourbier. » 219. Obstacle,
empêchement.
Or pensez-vous pouvoir estre sans em-
peschement et sans destourbier?
Montaigne, III, 9. (G.)
Le mot est encore dans Monet.
Furetière le donne, mais comme
vieux mot.
destrier, emprunté par les Ita-
liens, 262.
devant, de préférence à :
Quant & ceux qui prennent un g au com-
mencement, lequel ils mettent devant
noslre ».
L'expression signifie : de préfé-
rence à notre j (t consonne), 298.
devers, vers : devers le soleil, 55.
Tourne un peu ton visage devers moi.
MoLiÉBE, G. nandin, II, i. (L.)
deviser : Fol devise et Dieu
départ. Proverbe, 205. Deviser, niême
mot que diviser, a signifié distri-
buer, arrangei\ former un plan, un
projet.
dextérité, vaut mieux que
force. Proverbe, 228. Dextérité a
ici le sens d'adresse, au figuré.
Il fut venu ki-même avec moi vous chercher
Si ma dextérité n'eût su l'en empêcher.
C:ORNEU.LB, III, 397.
dextre, main droite, 55, dans un
vers attribué à Ronsard).
Vous, dignes commandants, vous dextres
[aguerries. Corneille, X, 211.
diable, Du diable vint, au diable
retourna. Proverbe, 221 ; diables,
appelés autrefois mauffaits, 197.
dialectes, sont une des richesses
du français, 107; — les dialectes
italiens ne peuvent se mêler au
langage toscan, 168; — les dialectes
donnent beaucoup de mois aux pro-
verbes, 249 ; — beaucoup do mots
italiens sont empruntés à nos dia-
lectes. 311.
Itieu, proverbes relatifs à Dieu,
210,
différent , sens du mot dans
la fabrication des monnaies, 143.
Monet : a Différant, chifie, mar-
que, propre de chaque tailleur de
monnoie et orfèvre, dont il dis-
tingue son ouvrage de celuy des
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4Q4
LEXIQUE-INDEX.
autres ouvriers... Les tailleurs mar-
auerontleur Différant en la lepende
e la monnoie, dans le cercle de
Tecriteau. »
dilottonxa, « délectation »,
emprunté par les Italiens aux Pro-
vençaux, 258.
dIliKoneo passe science, 207 et
233.
dlniinatirs ; le français en est
mieux pourvu que Titalien, 96.
dlsputoblc, dont on peut dis-
puter, 215.
Tout ce qui n'est point de la foi ni des
principes est «lisputable. Corneille. II, 117.
dissyllabes, dont les Italiens
font des monosyllabes, 82.
doctrine, enseignement, savoir.
(Proverbe), 226.
Vous êtes au comble de la doctrine et de
la vertu. Malherbe. IV, 88.
doigt : On ne doit mettre le
doigt entre lécorce et le bois. Pro-
verbe, 244.
domdalnes, vieux mot mili-
taire, 249. Fauchet, Orig., Il, 120,
20, éd. de 1611 (G.) : « 11 y avoit un
autre instrument appelle dondaine
lequel fçettoit de grosses boulles de
pierres rondes, qui estoit la cata-
pulta des anciens, et a donné le
nom aux femmes grosses et courtes,
qu'on appelle dondon, et de bedaines
aux grands vautres de bonne chère,
comme si on vouloit dire qu'ils
estoient ou ressembloient aux dou-
bles don daines. » Les dondaines
lançaient aussi des traits :
Et veez ci venir le trait d'une dondaine
que ceux de l'ost laissèrent aller.
Froissabd, II, II, 23'». (L.\
dommage, emprunté par les
Italiens, dannaggio, 278.
domture (dans un proverbe],
222, dressage. C'est probablement
à ce sens qu'il faut s'arrêter, même
si on lit denture, car au moyen
âge le mot dompture e entre autres
formes danteure et denteure, et
dans le proverbe cité par Estienne
on trouve toutes les formes du
mot, selon qu'il est cité par tel ou
tel écrivain.
«ionneare, emprunté par les
Italiens aux Provençaux, 255.
donner, proverbes « touchant
ce qu'on donne, » 231-232.
dorer (fin à), explication de
cette locution, 145.
Dorlens, 69.
dormir : à seur dort qui n ha
que perdre. Proverbe^ 236.
dos (donner à), expression em-
pruntée par les Italiens, 336.
dottansa, dottare, empruntés
ar les Italiens aux Provençaux,
g.
doacelet , diminutif employé
par R. Belleau, 100. Le mot se
trouve déjà dans Guillaume de
Machault :
Que demande on ces famelettés,
Elles sont si très douicoilettes... (G.)
Il est fréquent chez les poètes
du XVI* siècle.
doucette, 103.
Nymphette que j'idolâtre.
Ma doucette, ma sucrée.
Ronsard. (G.)
douter, craindre (dans un pro-
verbe), 223.
Je ne m'en flerois pas à ma propre mère,
doublant que par mesgarde elle ne meist la
febve noire en cuidant mettre la blanche.
Amyot, Aie., 40.
— Doutei' si, se demander si, ne
pas savoir si, 181.
(Vos esclaves) Doutent si le vixir vous
[sert ou vous trahit. Rachib. II, oS5.
douv€»i, 350. H. Estienne deman-
de reintegrande pour la douve d'un
fossé ou les douves. Le mot se
trouve dans Nicot.
€lrudo> amant, emprunté par
le.*» Italiens aux Provençaux. 260,
dulre, convenir, être propre,
29 :
L'exemple de Cyrus ne duira pas mal en
ce lieu. Montaigne. IV, 10. (L.)
dupllque,réponse à une réplique
(terme de procédure), 32. Le mot
était souvent employé par méta-
phore, comme l'emploie Estienne :
On n'a omis que ce que ce premier écrit
omet, qui est un fatras de répliques et de
dupliques de part et d'antre.
Saint-Simon, 398, 116. (L.)
e masculin ou féminin, 40 et 69;
e pour a dans les mots italiens.
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LEXIQUE-INDEX.
405
75; e remplacé par i, u dans les
mots italiens, 76.
offlcaee. subst. Voir Observa-
tions grammaticales^ 44.
cgraphlgncr, 311.
-elcr, suftixe diminutif des ver-
bes, 102.
cllser, 141. Furetière : « Eslai-
zer. Terme de Monnoye, qui se dit
de la septième façon qu'on donne
aux monnoyes, quand on les fabrique
au marteau. C'est presque la même
chose que flattir, sinon qu'on ne
pénètre pas tant la pièce, ne faisant
que la redresser du chaussage ; ce
qui se fait sur Tenclume avec le
flattoir. L'ordonnance veut qu'on
repeie cctle façon deux fois. »
embarquer (s') , métaphore
empruntée à la marine, 134.
cmbatlr (a'), s'engaeer, vieux
mot emprunté par les Italiens, 269,
embramner, emprunté par les
Italiens, imbraciar et abbraciar^
300.
cmerl, le poli, l'éclat, 54 (dans
un passade attribué à Ronsard).
Ronsard a écrit ailleurs :
Les morions, les piques des soldars,
El les hamois fourbis de toutes pars,
El l'emery des lames acérées...
Une lumière envoyent dans les cieux. (L.)
eiiiol<iguer , homologuer , 4.
« Ménaffe recommande de ne pas
dire émolofçuer, qui était en effet
la forme du xvi« siècle, née du pen-
chant de la langue à éviter les
mêmes voyelles dans les syllabes
consécutives. » (L. )
Les deux rois touchèrent à la main, pro-
meltnns, de pnrole seulement, une trefve,
aui, pource qu'elle ne fut publiée qu'à la fin
'avril, ni emologuée de deux mois après.
D'AUBIONÉ, Hiat., III, 168. (L.)
émoulu (à fer). Voir fer.
emparlé (bien) habile à parler ;
202:
Il fut seigneur fort débonnaire, "bien em-
parlé tant en particulier qu'en public.
Pasqdikr, Lettres, IV, 20. (G.)
emphase, 125, 136, Monet :
« Amj.hase, façon de parler flgurée,
signifiant ou plus ou tout autre que
ne portent Ips paroles;— amphase,
«nergie, efficace, nervosité de dire,
de discourir, paroissant es paroles,
et an l'action, et au son. »
empiéter, v. a., dans une cita-
tion, 125. NicoT : « Empiéter, id
est, einpoigner de la griffe du pied
d'un oiseau. Mot de fauconnerie ».
Il manie à son plaisir ceux qu'il a em-
piétez. Langue, 172. (L.)
Ce qui a pu amener le change-
ment de construction, c'etst une con-
fusion avec l'idée de mettre le pied
sur.
emporter autant que, signifier
autant que, 234.
énamourer, cité comme vieux
mot emprunté par les italiens, em-
ployé autrefois en français comme
verbe actif, 270. Nicot donne s'éna-
mourer, et Monet indique en outre
énamourer dans le sens de rendre
amoureux.
encombrer, cité comme un
vieux mot emprunté par les Ita-
liens, tngombrar, 287 ; détourné par
eux de son sens, 330.
encombrler, obstacle, empê-
chement, cité comme peu usité,
287; employé dans un proverbe,
219.
endementlers, vieux mot que
Du Bellay s'excuse d'employer,
188; employé « es rommans «,312.
endroit de (à 1'), à l'égard de,
68.
Et le peuple inégal à l'endroit des tyrans,
S'il les déteste morts, les adore vivants.
CORNKILLK, III, 393.
— en son endroit, en son genre, 4.
enfaneon, diminutif à'enfant,
102. Le mot était ancien dans la
langue :
De bêles dnmes i oissies le criz
Et de puceles et d'enfansons petis.
Les Loh. (G.)
On a dit aussi, et très ancienne-
ment, enfançonnet.
enfleseher, cité comme vieux
mot, 188.
engin, habileté, adresse, u selon
l'usase ancien », 228. Autrefois,
aussi, esprit, intelligence, ingenium:
Tout son engin, quant à la eongnoissance
de Dieu, est pure obscurité. Calvin, 197.
enhasé, sigrnalé comme mot du
dialecte parisien , 180; Nicot :
« C'est embesoigné; celui qui est
23.
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406
LEXIQUE-INDEX.
Elein d'affaires et chargé de grand
esoigne «.
enhorber, cité comme vieux
mol. 188.
enjoiicher, id., 188.
Ennius, 17, 2-26, 231.
onnuyor, attrister. 240.
enOMié, qui a pén/^ré dans les
08, 213.
Une dolors enossee
Est dedans mon cors.
TuiB. IV, Chan: (G.)
onraser : Un fol fait quel-
quesfois enrager un sage. Pro-
verbe, 252.
enmeigne, emprunté par les
Italiens, 3.
enseisncr, emprunté par les
Italiens, insegnar, 285.
onsulTro, suivre, imiter, 331.
NicOT : « Ensnyvre et contrefaire
l'antiquité, prosequi atque imitari
antiquitatem. »
ontoehcr, entreprendre, cite
comme vieux mot, 188.
entendeur : A bon entendeur
il ne faut quun mot. Proverbe^
235.
entreloger (s'), se loger, se
donnerl'hospitalité réciproquement,
241.
entreparler (s'), parler entre
soi, converser, 242 :
Tons ces convives s'entre-parloient à
l'oreille. Yvkb, 620. (L.)
entrereneontrer (s'), se ren-
contrer :
11 apprit les plus communs termes dont
on use en leur Inngaee pour parler quand
on s'entrerencontre. àmyot, ^ert., 2. (L.)
entrexposer (s') , s'exposer
réciproquement, se communiquer,
10.
entrCDll, espace qui se trouve
entre les yeux, ou entre les sour-
cils, 194. Palsgrave, Esclairc.y
273 : « Entrœil, spaco bytweno the
eyes. » — GLoss. de Salins :
« Intercllium , entresourcil , en-
treeuil. » (G.)
envelopper, emprunté par les
Italiens, inviluppar, 291.
envermer, se remplir de vers,
cité comme vieux mot, 188.
epistola, Castelvetro et autres
en font piatola, 333.
équipage (en meilleur), mieux
muni, mieux préparé, 14.
equipolent, équivalent, 236.
Commutation equipollente à celle qnî
avoit esté ordonnée par le testament.
P. PiTHOO, 25. (L.)
équivoques, se présentent sou-
vent en italien, 78, 81 et suiv.
erres, 126, 130, terme de véne-
rie, les traces d'un cerf, d'un che-
vreuil, etc. ; s'emploie par méta-
phore :
Conduire le duc de Monlpensier sur le»
airres des vaincus. D'Aubigsk, UUt., I,
162. (L.)
eslioueler , éventrer , faire
sortir les boyaux ; cité comme vieux
mot, 187.
Les femmes furent ouvertes et esboulee»
toutes vives. Trad. de Boccace, éd. de 1515.
(G.)
esearmouche, étymologie da
mot, 197; emprunté par les Ita-
liens, 355.
esehamir , se moquer de y
emprunté par les Italiens et le»
Espagnols, schemire, escamecery
263 et 287. Le mot était hors
d'usage au temps d'Henri Estienne.
esehars, avare, 106 et 210 :
La recompense de leurs mérites mal ro-
co^n^uz par les princes trop esehars à l'en-
droit des conservateurs de leur éternité.
Fauchbt, Ânttq. gtul., vol. II, I, i. (G.)
esehets, échecs ; métaphores
qu'on en peut tirer, 137.
Eschine. 4.
esehope, 142. Mon et : • Es-
chople, echople, poinçon d'orfèvre,
outU servant à tailler, reparer,
repercer, graver, eschopler. » An-
ciennement eschalpre, de scalpra
pour scalprum. La forme moderne
est venue par confusion avec
eachoppe, petite boutique, de l'alle-
mand Schoppen.
esehopelure, ce qu'on leva ave&
l'eschope, 142.
eselaireurs, probablement sur-
veillants, contrôleurs, 147. Le verbe
esclairer avait à cette époque, et a
conservé très longtemps, le sens de
surveiller, épier ;
Ils avoient craint que Caton ne fnst eleit
prêteur, de peur qu'il ne les eselairasl d»
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LEXIQUE-INDEX.
407
trop près, ou qu'il n'empeschnst leurs des-
seings. Amtot. Cat. d'Ut., 55. (L.)
On m'épia, on m'éclaira de si près, qu'on
s'aperçut que j'avais avec Celle des entre-
tiens nocturnes.
Le Sage, Gusm. d' Al far., VIII. (L.v
eserlture, orthographe, forme
(d'un mot), 189; leçon (dans un
texte), 219; texte, 223.
Eserituro (sainte), 212, 233.
escoutcs, sentinelles, 353 :
Ceux-là sur le soir, s'avançans en vedette
jusques où se posoient les escoutes des
ennemis, s'aboucnèrent avec eux.
D'AUB., UUt., m, 3M. (L.)
emea. (denier), voir denier.
eseuout, 222.
esmeiillon, esmorilloDné, em-
ployés par métaphore, 132 :
Vous nous ferier grand plaisir de nous
donner cette petite émerillonnée, cette
petite infante qui est à la portière auprès de
sa mère. Mme db Si^viGirii, V, 208.
eamorvelUable , surprenant,
129 :
Au demourant, si la desrortune de Dio-
nysius semble estrange, la prospérité de
limoleon ne fut pas moins esmerveillable.
Amyot.
esmorvelller (s'), s'étonner,
317:
Et ne se faut pns trop esmerveiller de
l'incertitude de sa mort.
Amtot, Rom., 43. (L.)
eflpagnole (langue), inférieure
à celle des Italiens, 14, 23 et 29 ; a
emprunté beaucoup de mots au
français, 253 et suiv.
espaulo, en italien spalla, 275.
eflpceial (par), particulièrement,
surtout (dans une citation), 121
NicoT : tt Par especial, Peculia-
riter, Speciatim, Specialiter. »
esperonner, espérons, em-
pruntés par les Italiens, spronar,
speroni ou sproni, 292.
esprevier , epervier , 203
(dans un proverbe). H. Estienne dit
e$pervier, 129.
~ I (Herberay desj, 201.
r, élever, 212 (dans un
proverbe). H. Estienne note que la
forme est ancienne. Aujourd'hui
exhausser. Mais exhausser et exau-
cer ont la même origine, exaltare,
et ne font qu'un même mot.
essayer, emprunté par les Ita-
liens, assagiar, 308.
essort, employé par métaphore,
130.
€»itanclart, emprunté par les
Italiens, 356.
estai de (faire), attacher de
l'importance à, 115 :
Les chrétiens font-ils plus d'état des biens
de terre, ou font-ils moins d'état de la vie
des hommes que n'en font les idolâtres et
les infidèles, Pascal, Prov. XIV. (L.)
Estât : le français est la langue
qui convient le mieux pour les
affaires d'Etat, 149.
esteuf (courir après son), 137.
FuRETiÈRE : « Balle du jeu de
longue paume, fort petite, fort dure,
et couverte ordinairement de cuir...
On dit qu'il ne faut pas courir après
son esteuf, pour dire relascher ou
quitter les seuretez ou nantisse-
ments qu'on a entre les mains,
pour n'avoir après cela qu'une
action incertaine pour les ravoir,
pour se faire payer. » La locution
avait pris aussi le sens de s'efforcer
de ressaisir ce qu'on a laissé
échapper. Esteuf vient probable*
ment du german staup, coupe, le
même mot, en islandais, signitiant à
la fois coupe et masse ronde. (H.
D. T.)
estoeh, origine du mot, 195.
estoufer, emprunté par les Ita-
liens, tu/far, 308. ^
estourdir, emprunté par les
Italiens, istordir et stordir, 301.
estranger, emprunté par quel-
ques Italiens, straniero; ordinaire-
ment forestiero, 281.
-et, -ette, sufûxes diminutifs,
97.
Euripide, 3, 4, 230.
evansellstes, 233.
eve, eau, cité comme vieux mot,
181.
événement, résultat, issue, 63
(dans Vigenére) :
La bntaille sans doute alloit être cruelle,
Et son événement vidoit notre querelle.
Raci:(b, I, 438.
evler, dérivé de eve, 181.
exalter, élever, 3.
Il est besoin de monstrer ici brièvement
comment et par quels moyens il [le pape]
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408
LEXIQUE-INDEX.
s'est exalté desjà dès longtemps, pour entre-
prendre quelque jurisdiction sur les autres
églises.
Calvin. Inatit. 899. (L.)
exeog^tcr, imaginer, 187.
La plus exécrable trahison que les plus
meschantes âmes penssent excogiter.
Lett. miM. de Henri iK, UI, 5. (G.^
exerelte, armée, 63 (dans Vige-
nère).
Toute la Gnnle à un coup se soubleva et
meit sus de puissans exerciies.
Amyot, César. (G.)
oxpoacr, expliquer, 169.
L'art d'exposer les signiflances des songes.-
Amyot, Arist., 66. (L-,)
exposition, explication, 344.
tobloyer, cité comme vieux
mot, 188.
Aliène, sachant que c'estoit en son ranc
de Tabloyer, commença ainsi une plaisante
fable. Larivby, Faeet. Nuicta de Strapa-
role, IV, 3. (G.)
telUIr, faire une faute, se trom-
per, 111.
Je dénie qu'ils faiilent contre les règles.
Corneille, IV, 281,
— faillir à (faudroyent à) 339 :
manqueraient de, ne* réussiraient
pas à :
Ils faillirent à s 'entrerencontrer (ils n'y
réussirent pas). Amyot. Pyrrhuè. XIV. (L.)
— faillir, emprunté par les Ita-
liens, fallir, 302.
tBim : La faim chasse le loup
hor« du bois. Proverbe, 223.
fainéant, 158.
faire, employé comme suppléant
d'un autre verbe, 228.
J'aime autant son esprit que tu fais son
[visage. Corneille, II, 19
— faire pour ou contre, prouver
pour ou contre, être un argument
pour ou contre, 305, 45.
La parole donnée, il faut que l'on la tienne
— Cela fait contre vous : il m'a donné la
[sienne. Corneille, I, 214.
faix : Chacun portera son faix.
Proverbe, 212.
fallensa, tromperie, emprunté
par les Italiens aux Provençaux,
^, métaphores qui
en sont tirées, 117 et suiv.
fauMMSiiraye, vieille expression
militaire, 350. On appelait ainsi
une muraille extérieure formant la
seconde enceinte d'une place forte.
faute, en italien fallo, 306.
fay ce que tu dois, advienne que
pourra. Proverbe, 211.
fege ou feie, foie : forme dia-
lectale française, d'où les Italiens
ont tiré fegato, 274.
fer esmoulu (il), 23. Esmoulu
est l'ancien participe de esmoudre,
aiguiser, affiler. Combattre à fer
émoulu s'employait au xvi* siècle
au propre et au figuré :
Socrates... conservant pour son exercice
la malignité de sa femme, qoi est un essay
à fer esmoulu. Montaigne, II, 116. (L.)
ferrée (clarté), clarté du fer, 54
(dans une citation). Ferré conserve
ailleurs son sens de ferreus :
... Je lui feray cognuistre
A coups ferrer combien poise ma destre.
Ronsard. (Mellerio.)
fenrestu, cité comme ancien
mot, 158.
Pestus, 176.
feu (proverbes relatifs au), 220
et 233. '
flel, 274.
fièvre quarte (proverbe relatif
à la), 213.
fil : donner le fil aux paroles,
métaphore, 3. Le fil d'une lame,
c'est le tranchant, par comparaison
avec la ténuité et la délicatesse
d'un fil. Donner le fil à une lame,
c'est la rendre tranchante.
filandres, 122. Nicot : « Fi-
landres, en faulconnerie, sont cer-
tains petits filets aigus et perceaos
comme aiguilles, lesquels s'engen-
drent dans le corps du faulcon pour
estre repeu et gouverné de grosses,
grasses et mauvaises chairs et
puantes, ou bien i)our s'estre rompu
aucunes petites veines dans le corps
en battant trop furieusement sa
proye, s'espandant le sang par le
corps et es estraines pour cette
rompture, puis se caillant et sei-
chant et tournant en pourriture,
dont le faulcon vient à mourir s'il
n'est secouru. »
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LEXIQUE-INDEX.
409
miastre, beau ûls, 282. Estienne
Pasquiep {Recherches, VIII, 50)
parle du mot en regreltant qu'il ne
soit plus usilé.
fln flnMle (en), 318. Ce pléo-
nasme était très usité au xv« siècle
et au xvi« :
Et repeureat, pour fln fiaalle
De ce qui estoit appresté.
Villon, Heime de Mont faucon. (L.)
fln h dorer, explication de
cette locution, 146.
flnalemeiit, emprunté par les
Italiens, 319.
flnales retranchées par les Ita-
liens, 82 et suiv.
flâne, emprunté par les Italiens,
fianco, 273.
flanquer, dérivé de flanc, 273.
PlandrI, « les Plamens » disent
ia pour oui, 171.
flaon, flan, 141. Monet : Flan,
quarreau, pièce de mêlai, taillée
an rouelle, à faire une espèce de
monnoie,.. Le Flan est proprement
le quarreau d'une espèce de mon-
noie, qui a receu par le marteau sa
presque légitime larpeur, espesseur,
et rondeur, neantmoins, on le prand
ancore pour le simple quarreau, qui
n'a receu c»*te façon, ni les précé-
dantes. » Flan vient de Tanc. h.
allem. flado, objet plat, et est ainsi
nommé par analogie avec la pâtis-
serie du même nom. (H. D. T.)
flattlr, 141. Monet : u Batre
une espèce de monnoie sur le tas,
sur Tanclume, et, la bâtant à cous
de Flatoir, de marteau, lui faire
prendre le volume, la largeur, et
î'espesseur, qu'elle doit avoir puis
après. » Furetière : « C'est la cin-
quième façon qu'on donne aux
monnoyes au marteau, après la-
auelle les carreaux prennent le nom
e flans. »
fleurir, emprunté par les Ita-
liens, fiorir, 302.
Florenee, principal siège du
bon langagu toscan, 70 : rudesse
de la prononciation des Florentins,
ibid.
foie (proverbe relatif au), 214.
fol; proverbes relalits aux fous,
205 et suiv., 229, 2:^1 ; étymologie
du mot, 283; emprunté par les
Italiens ainsi que folie, 343.
fondelfe, 350, dérivé de fonde
(fronde), a eu divers sens : fronde,
ou même, en général, courroie; —
instrument propre à lancer d'énor-
mes pierres; — sorte de canon à
deux bouches jumelles, — quel-
quefois le projectile lui-même. (G.)
fondre les métaux ensemble,
141.
fonds, sol, 63.
fora, serait, plus employé par
Pétrarque que saria, 261.
foras, en français for, sert à
former des verbes composés, 153.
forbeu, origine du mot, 154.
forbourg, origine du mot, 154.
forclorre, exclure ; « fort usité
en la prattique »• : exclure de faire
quelque production en justice après
certains délais, 153.
foreonselller, mal conseiller,
154.
forconte, compte inexact, mau-
vais compte, 153.
foreonter, ou se forconter, mal
compter, se tromper, 153.
forfaict, et des dérivés, for-
faicteiir, forfaicture, 154.
forfalre. moins usité que for-
faict, forfaicteur, forfaicture^ 154.
forgenouvelle, 161.
forjuser, mal juger, 153; le
mot a signiQé dans l'ancienne langue
bannir, priver, dépouiller, enlever
judiciairement qqch., condamner,
débouter, condamner à tort. (G.)
forlisner, dégénérer, 153. Le
mot est employé par H. Estienne, 2.
S'il faisoit autrement, il forligneroit de
l'ancienne vertu de ses ancestres.
Lahivey, Le Laq., III, ra. (G.)
fomialicer (se), prendre inté-
rêt, H 5.
Ce qui feit que les Chalcidiens se forma-
lisèrent fort affectueusement pour luy, et
meirent leur ville entre ses mains.
AuYoT, Flam., 31. (L.)
formarlase, terme de droit
féodal, 154.
forparler, 155, mot proposé
par Estienne.
forpayser, errer hors de son
pays; usage de ce mot en vénerie,
154; composition du mot, 166. Le
mot a signiûé, comme verbe actif, _
bannir, comme neutre ou réfléchi, '
s'expatrier, quitter son pays. (G.)
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410
LEXIQUE-INDEX.
roi«oné (écrit à tort aujourû'hul
forcené^ par une fausse analogie),
153.
roi^onnato, emprunté par les
Italiens aux Provençaux, 260.
fort, fortorc8«e, fortlflca-
tlon, mots empruntés par les Ita-
liens, 355-56.
forvoyer, se fourvoyer, 153. Le
verbe était employé tantôt comme
verbe neutre, tantôt comme verbe
pronominal :
larce qu'ils n'ont
Nos conseils
s d'adresse et
fourvoyent pi
5t de but. Me
OMTAIONE, II, 9.
11 s'employait aussi, comme au-
jourd'hui, comme verbe actif, pour
sifrniller égarer.
fosse, fossé, prononciation de
ces mots, 40.
— fossé en talus et fossé à fond
de cuve, 350. Le fossé à fond de
cuve est un fossé sans talus :
Les fossés sont creusés en talussant, non
a Tons de cuve et droite pente. O. db Sebrbs,
7io. (L.)
Si le lieu de la cisterne est terre ferme,
la fosse est creusée à plomb, à fous de cuve ;
si meuvante ou sablon, en pente ou talus.
ID., 781. (L.)
fOiialUo, 125; le mot équivaut,
en parlant du sanglier, au mot curée
en parlant du cerf. Nigot : « En
vénerie, c'est le droit qu'on fait
aux chiens d'un sanglier quand il
est prius, ainsi dit parce qu'elle se
fait sur le feu. » Le mot fouel ou
fouail, était d'abord masculin.
foiirmase, fromage. Proverbe
relatif au fromage, 214.
foyer, s'appelle a Paris atre.,
174.
frane, mot gaulois, 196.
franehement, se joint à libre-
ment, 166, 196.
Pranchlèri^ (Jean de), 123.
nrançois (langage), mêlé de
mots italiens, 21 ; — doit éviter les
mots étrangers, 26: — se rapproche
beaucoup du grec, 34; sa gravité,
38 ; — sa grâce, 66 ; — variété de
ses désinences, 67 ; — douceur de
sa prononciation, 66; — sa richesse,
104; les commodités qu'il tire du
latin, 153, etc.
- , François !•', 8, 118.
Pranéus, 55.
fresnin, de frêne, 1S6.
Entre ses puienz tient sa banste fraisnine.
Roi., 720 (G.)
fretillard, 100 (dans Rémi Bel-
leau.)
Soit que d'une façon gaillarde,
Avec sa patJe fretil larde,
Il se frotte le musequin.
Du Bkllay. (L.)
fries, ou pieds, traces d'un cerf,
126. Gaston Phébus dit foyes. C'est
aussi le mot que donne Nicot.
Frolssart, 121.
ftareier, métaphore tirée de la
chHSse, i32.
ftayant le loup, il a rencontré
la louve. Proverbe, 183.
g pour 7 dans les mots italiens
empruntés au français, 279 et 298 ;
{/ au lieu de c dans les mots ita-
liens, 298.
gabions, emprunté aux Italiens,
gabbioni, 354.
gabs, plaisanteries (et ses déri-
vés, gaber, gaberie, gabeor), 267;
gabs et gaber ^ en italien gabbo et
gabbar, 267 et 287 ; gaber, gabeur^
gaberie, encore usités en c(uelques
lieux, 267. Gaber se trouvait encore
dans la l"' édition du Dictionnaire
de l'Académie.
Caees de la Tlipie ou de la
Bigne, 122.
SAgglo, gage, emprunté nar les
Italiens aux Provençaux, 259, 279.
gaillard, vif, 34. C'est l'ancien
sens du mot, mais Nicot n'attribue
plus à gaillard que le sens de
joyeux, gai, esbaudi, qui tressaut
de joye, hilaris. Estienne se plaint
de l'abus que les Italiens font de
ce mot en le détournant de son
sens, 328.
gaine, imité par les Italiens,
305.
galo, gai, emprunté par les Ita-
liens aux Provençaux, 258 et 260.
gangner, gagner, dépravé par
les Italiens, guadagnar, 332.
gangnenr : Mieux vaut boa
gardeur que ne fait bon gangneur.
Prov., 228.
garçon, emprunté par les Ita-
liens, 272.
garçonnière, vaut mieux que
l'italien gaî'zonissima, 333.
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LEXIQUE-INDEX.
411
garde La mauvaise garde
paisl le loup. Proverbe^ 228.
garde-bras, armure garanlis-
saot les bras, 352.
Et fut ntleint le seigneur de Charny sur
le grand gardebras. Olivibr de la Mabchb,
Mim., I, 9. (G.)
sarde poitrine, équivalent de
parapet^ 352.
garder, empêcher, 13.
Plust à Dieu que l'empereur s'essarast
de passer le Rosne quant je suis icy ! j en-
troprendrois bien, sus nm vie, toute femme
que je suis, de le garder de passer.
Marc, Lett., 127. (L.)
garder, emprunté par les Ita-
liens, 291, 305.
gardeur. Voir gangneur.
gai^athe, mot picard signifiant
gorge^ 175.
Od granz culteals e od cnignees
Lur unt les gargates trencniees.
Wacb, Hou. (G.)
garite, 358. Nicot : « Propre-
ment est un lieu de reruge et sau-
veté en un desastre et déroute. De
là vient que Garile se prend pour
fuyte, parce que la fuyte est un
refuge, rempart et sauveté au dea-
conût. Selon ce on dit : Prendre la
garite, et fuyr à vau de route.
Garite se prend en cette énergie de
signification pour le donjon d'une
forteresse, où la prarnison forcée
fait sa finale relraile. Se prend
aussi pour une route destournée
qui meine à Tescart. » Le mol a
désigné aussi des tourelles de pierre
ou de bois sur les murs d'une ville
on d'un château.
garltec (murs), garnis de gué-
rites, 358.
gars, et son féminin garse, mots
gaulois, 273. Fuhetière, au mot
garce : « Ce mot n'est devenu
odieux que depuis quelque temps,
et en plusieurs provmces, on le dit
encore i^ir sipritifier une petite
fille ou servante de chambre. »
Oascons, disent o ou obe, pour
oui, 171.
gastadours, pionniers, em-
prunté par les Italiens, 357.
gastcr. emprunté par les Ita-
liens, qui en abusent comme nous,
304.
«aston Phebus, 121, 124.
gaulois (langage), ce qu'il en
reste en français, 195.
geline, poule, 222. Proverbe»
relatifs aux gelines, 222 et 213.
gemlr, conserve la même forme
en tispaernol, et non en italien, 303.
générosité, noblesse, courage,
118.
Et prenant d'un Romain la générosité,
Sache qu'il n'en est point que le ciel n'ait
[fait naître
Pour commander aux rois et pour vivre sans
[maître. Corneille, III, 428.
gentil, noble (au figuré) dans
une citation d'Âmadis Jamyn, 56.
C'est le sens conforme à l'origine
du mot et celui qu'il avait autre-
fois.
— gentil (féminin gentile), gra-
cieux, 34 ; gentilesse, grâce, 34.
gcntllhoninie à simple tonsure
V, tonsure.)
gibbler, 131. Nicot : « ... Du
Fouillons parlant du sanglier : Mai»
est le vray gibbier des mastins et
leurs semblables. De là vient qu'on
dit par Métaphore, cecy n'est pas
de vostre gibbier, c'est-à-dire chose
à laquelle vous puissiez ou debviez
mettre le nez, ni vous en entremettre,
que nous disons en mesme sens, ce
sont lettres closes pour vous. »
glugglare, mot emprunté par
les Italiens aux Provençaux, 260.
gonella, mot emprunté par les
Italiens à un dialecte français, 312.
gorge (voler sur sa), métaphore
empruntée à la fauconnerie, 130.
D'après Nicot, le moi gorge désigne
u quelquefois la poche de l'oiseau
où il met sa viande en serre, dont
elle est après digérée peu à peu. »
gorge chaude : littéralement,,
la chair encore chaude que l'on
donne aux oiseaux de proie. Emploi
de l'expression par métaphore, 130.
goupil, renard. Proverbe relatif
au gonpil, 251.
gourmandise (proverbe sur la),
217.
gourmands (proverbe sur les),
217.
goutte (proverbes relatifs à la),.
213.
gramare, attrister, emprunté
par les Italiens aux Provençaux, 260»
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412
LEXIQUE-INDEX.
içraphigncr. 311.
grappfMi, 311.
içrattor, emprunté par les Ita-
liens, 291.
gravité du français, 38.
içré, et savoir gré, empruntés
par les Italiens, 336.
«réffolre do Tours, 120.
içrcnalllo, 140.
grosso 'do hauto), 131. Un
chapon de haute graisse se disait
dun chapon très Rras. On disait
une volaille de haute graisse^ un
mouton de haute graisse, etc. Pur
métaphore l'expression s'emploie
pour indiquer l'excellence dans tel
ou tel genre :
Ces beaux livres de baulte gresse.
Rabelais, Gargantua, Prologue.
Moutons de levant, moutons de baulte
fustaye, moulons de bauite gresse.
Rabelais, IV, 6.
«riffon, 56.
gu pour V dans les mots italien;:,
305.
guari, guère, emprunté par les
Italien!» aux Provençaux, 258.
gnarir ou ganr, guérir, em-
prunté par les Italiens, 305.
guordon, récompense, profit,
défisruré par les Italiens, guiderdone,
232.
guoro, signifiant beaucoup, 322.
C'est l'ancien sens du mot, dont la
valeur a changé sous l'influence de
la négation :
Et me deplaist d'en dire gueres outre ce
que j'en crois. Momtaigne, I, 292 (L.)
guorro, emprunté par les Ita-
liens, 27fi ; mots relatifs à la guerre
et anx fortiOnations, 344 et suiv.
Ciuospins, sobriquet par lequel
on désignait les habitants d Orléans,
170.
Une dame gentille et bonnesle encore
qu'elle fust guecpine. Bonav. Des Periebs,
Août.', rear. : D'une dame d'Orléans qui
aimoit un escolier. (G.)
guotor, guetter, emprunté par
les JIji liens, guatar, 285.
guotto, 358. NicoT : « Guette
vient de guetter, qui signifie soijrneu-
sement adviser, et se prend tantosl
pour la tour où estceluy qui fait le
guet. Spécula. Selon ce on appelle
la tourelle plus hautaine de tout le
chasteau, la guette, car elle descou-
vre sur toutes et sert pour y faire
le Kuet. Tantost pour celuy qui y est
estably pour faire le guet, Specu^
lator : Non pas de jour seulement,
comme aucuns disent, le rendans
Hemeroscopus et diurnus speculator,
ains de nuict aussi. Au 3. livre
d'Amad. Et le sixième jour ensui-
vant arrivèrent avant l'aube du jour
près du lac ardant, lors firent se-
crètement dresser ponts et batteaux
pour descendre en terre, et ainsi
qu'ils faisoi^'nt diligence, la guette
les desconvril. »
«uichardin, 330.
guidonaviro , guidenef . H .
Estienne préfère le second parce
qu'il ^e termine par un monosvilabe,
162.
guidor, emprunté par les Ita-
liens. 285 et 292, défiguré par les
Espagnols, guiar, 295.
guldordono, guerdon, récom-
pense, emprunté par les Italiens aux
Provençaux, 257.
gulllo, tromperie, cité comme
vieux mot, 198.
«ulllolmus Tyrius, 262, 263.
gulsa, guise, empruut«) par les
Italien» aux Provençaux, ^S.
gattiiralo. prononciation gut-
turale des Florentins. 70.
hagard : mot emprunté à la
fauconnerie, 126; Nicot : « C'est
un mot de faulconnerie; dont est
dit Faulcon hasard, celuy qui n'est
de l'année, ains a plus d'une mue,
et a longuement esté à luy, qui a
este prins de repaire, ou au pas-
saare, et est le contraire de sor. »
Hagard pour haiard est une forme
normanno-picarde qui dérive de haie:
faucon qui mue dans les haies et
non en domesticité. (H. D. T.)
Hainaat, étymologie du mot,
173.
hallotomont, action de haleter,
123.
Hannonos, les Hannoyers (ha-
bitants du Hainaut) disent au pour
oui, 171.
haquobutoou fuirquebouze,ii9.
Haquehute est l'ancien ne forme fran-
çaise (allem. hakenbûchse, boîte à
crocs). Le vieux mot a été remplacé
par arquebuse, de l'italien archibuso
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LEXIQUE-INDEX.
443
dont roripine est la même. (H. D. T.)
Nicot dit Haquehute ou Harquehuze.
hamola, armure, 54 (dans une
citation).
haat, hautain : les Italiens
ont fait altiero de alto, comme nous
hautain de haut, 283.
haute isr<;ase (Voir gresse).
havia, avait, emprunté par les
Italiens aux Provençaux, 261.
hebcree ou herberge, emprunté
par les Italiens et les Espagnols,
282. Le mot siprniflait logement,
hôtellerie. La forme moderne, au-
berge, est provençale, auberge.
héberger ou herberger, em-
prunté par les Italiens et les Espa-
gnols, 282, 287.
Hébreux ont quatre gutturales,
70.
Hector, 30.
heetorée (race), 54 (dans une
citation).
Hélène, 3 i, 89.
Helvetll, les Suisses disent ioth
pour oui, 171.
Henri II, 31.
herbe (proverbes relatifs à 1*)
217.
Hercule, 158.
herifHMnner (se), 133. Nicot :
« Se herissonner et lever son poil,
Horrere se herissonner et dresser
son poil de frayeur, Horrere, Inhor-
rere. »
Quand oa lisoit quelque chose de la
f^aincte Escriture devant luy [un possédé],
il se lierissonoit. se souslevoit, et se tour-
tnentoit bien plus qu'auparavant.
Pahé, XIX, 32. (L.)
Hérodote, 240.
Hésiode, 234.
hétoudeau; chaponneau, 174.
heur, bonheur 8; si bon heur,
si bonne chance, 11.
Puisse le juste ciel content de ma ruine
Combler d'beur et de jours Polyeucle et
[Pauline ! Corneille, III, 512.
Le sens de chance e^t encore très
sensible, par exemple dans nos
expressions porter bonheur, porter
malheur , porter bonne ou maie
chance.
HIppocrate, 213.
hlatorlosraphe, historien, 30.
, métaphore empruntée
à la fauconnerie, 127. Le hobereau
était un oiseau de petite taille.
D'après Monet le mot a été em-
ployé aussi par métaphore dans le
sens d'apprentiy novice, peu expé-
rimentéj homme de peu de considé-
ration entre ceux de sa condition.
Homère, 158, 185, 186, 190, 228,
275.
homlcidlo, décapité par les Ita-
liens, micidio, 332.
homme et ses diminutifs, hom-
met, hommeletf 98.
Petit hommet abat grand chesne.
De Baïf, Mimes. (G.)
Viens ça, hommelet, de quoi te glorifies-tu,
terre et cendre ?
Chavigny, Ui Pléiades, 612. (G.)
homm€Ni(proverbes relatif S aux),
204.
homa, cas sujet de homme, 209.
hoqueton, étymologie du mot,
209.
Horace, 28, 129, 219, 221, 223,
230.
hoste, 327.
Huipies de Bersi, 19S.
humeur, eau, 95 (dans Des-
portes).
Faute d'humeur, nos choux sont morts
En nos jardins par seicheresse.
Basselin, X. (L.
Huom de Merl, 192, 270.
huopo, besoin, emprunté par
les Italiens aux Provençaux. 258.
hyperboli^, à propos des ava-
res, 110.
hyp<lcoriame, atténuation, eu-
phémisme, 107. C'est le sens du mot
prec (jTtoxdpiajxa, « terme propre à
atténuer une chose blâmable, expres-
sion adoucie. » (Bailly.)
1 pour a dans les mots italiens,
76; — i pour 0, 76; i remplacé par
a, 76; i ou t -h g ajouté au commen-
cement du mot, 77 ; t inséré dans
le mot, 77; i pour/, 80; î consonne
(j) remplacé par g, 298; i intercalé
a l'imitation du français, 307.
Iceluy^ etc. Voir Observations
grammaticales, 74.
-lUon, suffixe diminutif, 99.
Impétrer, obtenir, 148.
Puisque ce sont choses qui roulent encore
entre les incertitudes du temps à venir,
pourquoi vcux-je plutôt impétrer de la for-
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4i4
LEXIQUE-INDEX.
tune qu'elle tne les donne, que de moi, quo
je ne les demande point?
Malubbbe, II, 320.
Sur les diplômes universitaires :
Signature de l'impétrant.
Indéelinables (mots) emprun-
tés par les Italiens, 312.
inflnltifa italiens sans e, 44.
IntormlMilon, interruption, in-
tervalle, discontinuation, 348.
Après une longue intermission de ces
petits devoirs, qui sont importuns quand ils
sont fréquents.
Balzac, Lettrée, VIII, 25. (L.)
liivesiSiA>*o« envier, emprunté
par le;* Italiens aux Provençaux, 260.
IquI, forme picarde pour ici y
employée par les Italiens, 325.
Ire, colère, 5.
[L'Espagne] Réduite par Unt de combats
A ne l'oser voir en camp*igne,
A mis l'ire et les annes bas.
Malherbe, I, 61.
Isnello, rapide, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, ^8. Le
mot est d'origine germanique et se
rencontre aussi dans la langue d'oïl,
isnel. Employé par la Pléiade, isnel
se trouve même encore chez Des-
portes, mais Malherbe le déclare
w mauvais mot. » Voir Brunot,
Thèse, 264.
laocrMtc^ 28.
Italien, mots italiens introduits
en français, 21 ; l'italien déQgure le
latin, 72: les mots italiens écourtés
ressemblent aux mots français, 83 ;
lenteur de l'italien, 45; sa mollesse,
47; composés italiens trop longs,
164 ; mots empruntés par 1 italien à
notre langue, 253 et suiv.
J remplacé par g dans les mots
italiens, 298.
Ja, déjà, 150; emprunté par les
Italiens, gia, 321. Malherbe le dé-
clare mauvais mot : « il est vieil et
ne s'use qu'entre les paysans. »
Brunot, Thèse, 265.
Jamais, emprunté par les Ita-
liens et les Espagnols, giammai,
jamas, 321.
Jamlie, emprunté par les Ita-
liens, gamba, 273.
JFamyii (Amadis), 56.
Jardin, emprunté par les Ita-
liens, giardino ou yiardin, 277.
JFean (le roi), 122.
Jeter, emprunté par les Italiens,
gittare, 298.
Jeunesse (proverbe sur la), 234.
Jeux, métaphores tirées des jeux,
135 et suiv.
Jollette, diminutif, 103. Le mot
est vieux : ioliet signiGait gai,
joyeux, agréable, ce qui était aussi
le sens de joli.
JFonvIUe, Joinville, 350.
Jauer par dessus la ohorde. Voir
chorde.
Jouir, en italien gioire ou gioir^
278, 302.
Jour, en italien giorno, 279.
Jouste, emprunté parles Italiens,
giostra, 332.
Joyo, emprunté par les Italiens,
gioia, 279.
JFudas Maeeliabee (roman de),
186.
iuge,proverbe8 relatifs aux juges.
209"
Juger : Qui trop tost juge, tost
se repent. Proverbe, 236.
Jvirement, juron, 173; le mot
si en i 6 ait aussi imprécation, blas-
phème et, dans un autre ordre
d'idées, serment.
Jusques k. tant que, jusqu'à
ce que, expression imitée par les
Italiens, 321.
Justice, termes appartenant au
faict de la justice, 148.
JFu vénal, 236.
1, remplacé par r dans les mots
italiens, 74 ; — par n, 76; — par t,
80.
Ij^où, tandis que, 63.
Celui qui vit a plus besoin de la vie, là
où celui qui n'est pas né se passe de la vie
et de toute autre ctiose.
Maluebbb, xi, 85.
labeure, 211 ; anciennement 3«
pers. sinp. prés. ind. de labourer, tra-
vailler. Employé dans un vieux pro-
verbe.
laisser en derrière, ne pas
tenir compte de, 337 ; expression imi-
tée par les Italiens, lasciar aàietro.
lancespessade,empruntée aux
Italiens, 353. Le mot est devenu
anspessade, parce qu'on a pris la
lettre initiale pour l'article. L'ans-
pessade était subordonné au caporal.
landa, lande, plaine, emprunté
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LEXIQUE-INDEX.
415
parles Italiens aux Provençaux, 259.
landier, chenet, 174.
lanisase, emprunté par les Ita-
liens, linguagf/io, 278.
liansuedoe : ceux de Languedoc
disent auc et oc pour ouy, 171.
lansuir, emprunté par les Ita-
liens, 278.
lanler et iMoeref , 128.
EAntcrl, 357.
larron (proverbes relatifs au),
226.
lascber, lascher la bride, imités
par les Italiens, lasciar^ 291 et 337.
lassato, lassé, emprunté par les
Italiens aux Provençaux, 260.
EAtlnl. les Lai in s, 171.
liatlnl (Brunetto), 16, 281.
lafinler, interprète, trucheman
(par extension de sens), 198.
liauduni, ceux de Laon disent
ÇLuy pour oui, 171.
" lavandière, emprunté par les
Italiens, la'mndaia, 284.
Ic^gende, 143.
leffier, emprunté parles Italiens,
leggier^ 277.
leurré, expérimenté, littérale-
ment dressé au leurre, 112, 126.
Encore employé par La Fontaine
dans le sens de rendu habile :
... Un jeune homme, «près avoir en France
Etudié, s'en revint à Florence
Aussi leurré qu'aucun de par delà. (V. 27.)
NicoT : Leurrer « ... Par méta-
phore, c'est desniaiser un homme
neuf, et le faire devenir cault et
habile, selon ce on dit d'un homme
jçrossier, qu'il n'a pas encores esté
leurré. «
lever une pièce d'un métal, l'en-
lever, 142.
librement, employé avec fran-
chement, 166, 196.
lieu, place,, 210 (dans un pro-
verbe).
Il faut que chaque chose y soit mise en
«on lieu. BoiLEAU, Art. Poet., 1, (L.)
— Avoir le cœur en bon lieu, le
cœur noble, 194.
llf^o, vassal, homme lige, mot
provençal, employé par Pétrarque,
Il pour d dans les mots italiens,
75.
loeutlons empruntées par les
Italiens, 333.
loger, dépravé par les Italiens,
allogiar, 332.
longues et brèves, en français.
39.
los, louange, 8.
Le plus g'rand los que l'on doue aux
Gracques. Amyot. Le» Gracquea et Agi»
et Cléom., 1. (L.)
l<»senger, losenges, vieux
mots français empruntés par les Ita-
liens, 262 et 287. Losenge a sipnifiô
louange et surtout fausse louange,
flatterie, tromperie ; losengier a si-
gnifié flatter, tromper par des ca-
resses :
Nos ancestres usèrent de barat, guille
et loxange pour tromperie, et barater,
guiller et loxanger pour tromper.
E. Pasquikr. Hech., éd. Feugère, II,
107. (G.)
liOtharingl, les Lorrains, disent
ay pour oui, 171.
I^ais I" le Débonnaire, 127.
loup (proverbes relatifs au), 183,
219, 222, 243.
i^ucain, 24.
luisant, brillant, en parlant des
yeux, 93 (dans Desportes).
Maeiilavel, 344, 345, 346, 357,
358, 359.
madame, emprunté par les Ita-
liens, 280.
main : Une main lave l'autre.
Proverbe, 230.
mais, davantage, 166.
C'est son parler ne moins ne mais.
Villon. Grand Test. (Lj)
Nous disons encore : N'en pouvoir
mais.
— mais, emprunté par les Italiens,
321.
maison (Proverbes), 245, 246.
maistre, vient de magister, 166.
mal (ndj.), mauvais, 239 (dans
un proverbe).
maiadvisé, atténuation de fou,
205. Nicot, comme équivalents du
moi maladvisè. nindique que impru-
dens, inconsultus, tenter arius, impro-
vidus, incautus.
maie (masculus) et maie (pera),
39.
maliieur : Bien est malheureux
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416
LEXIQUE-INDEX.
qui est c«use de son malheur {Pro-
verbe). 235.
mallnanca , malignilé, em-
prunté par les Italiens aux Proven-
çaux, 258.
mandes, 354. Voir mannes.
manscrean, voleur, pillard,
100. .
De DOS inangereaux les malices
(Ce diroM-Dous) nous esventons.
De BaTf, Mime$, III (G.)
, pour mano en italien : res-
semble à une forme dialectale fran-
çaise, Si.
manlcrc emprunté par les Ita-
liens et les Espagnols, maniera et
manera, 276.
manlfaetarc, manufacture, fa-
brication, 140. (Nicot donne mani-
facture et manufacture). « C'est la
façon de quelque ouvrage faicte à la
main. »
maniiCA ou mandes. 354; litt*
paniers^ donné èomme l'équivalent
de gabions. Mande, panier, est
encore employé par O. de Serres.
mantolef , donné comme l'équi-
valent de parapet ou avant-mur. 351.
Manuee (Aide), 113, 114, 116.
marasfre, 282.
marbrin, dit en ancien français
pour marmoreus, 186. Ronsard dit
encore :
Tout au plus haut des espaules marbrinps.
Amour», l, 222. (G.)
marca, marque, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, 260.
■lareelll, 31.
marcher (marcher en guerre),
emprunté parles Italiens, marciare,
356.
marine, métaphores emprun-
tées à la marine, 133.
marinette, pierre d'aimant, 198.
marmor, en italien marmo plu-
tôt que marmore^ 74.
marque ; forger des mots sur
la marque des Latins, sur le modèle
des Latins, 165.
marqueur, celui qui marque
les monnaies, 140.
marquée bien ceste chasse. Voir
chasse.
Martelli, 42.
Martial, 41.
martirc, emprunté par les Ita-
liens, 283.
masiln (proverbe relatif au),
203 ei 243.
materas, aujourd'hui matras,
fiole ou vase à col long et étroit.
Origine de ce nom, par comparaison
avec le gros trait appelé materas,
142.
matin, « opposé au soir » et
matin u dit d'un chien, » 39.
maudiet : Il est maudict de
l'Evangile qui ha le choix et prend
le pire. Proverbe, 246.
maudisson (s. m.), ancienne
forme de malédiction, 246. Le mot,
devenu familier, se conserve jus-
qu'au XVIII* siècle :
Quand je mourrai, les poëtes feront contre
moi des è.pigrammes que les dévots larde-
ront de maudissons, voltaire. (L.)
mauffalt. diable, démon, 197 ;
Dedens inter n'a diable ne mnufé
Que il ne soit de mon grant pnrenté.
Huon de Bord, 5111. (G.)
mauvais, emprunté parles Ita-
liens, malvaggio ou maloagio, 279.
Maxlmlilen (l'empereur), z^.
médecine (proverbes relatifs à
la), 213 et suiv.
médecins (proverbes relatifs
aux), 213, 218.
meffaict, emprunté par les Ita-
liens, meffato, 280.
mehain, mal, maladie, 251 (dans
un proverbe).
Si je prenois en cure tous cculx qui tom-
bent en mesliain^ et maladie, ja besoing ne
seroit mettre teU livres en lumière et im-
pression. Rabelais, liv. IV {Prol.)
mellorer, rendre meilleur, 146.
L'ancienne lantrue avait aussi meil-
lorer, meilleurer :
S'il ne la change et ineliore son estât
impurfaict. Montaignk, I, 23. (G.)
Elles ne pourroient meilleurer les champs
stériles. Palissy, De la Marne. (G.)
La terre d'un fond ne s'ennuje point de
porter, ny ne s'envieillit point, pourveu
qu'elle s(»it fumée et meilloree.
Paradin, UUt. de Lyon, 358. (G.)
mener, emprunté par les Ita-
liens, menar, 305.
mensonge, emprunté par les
Italiens, mensogna, 279.
men tiers, emprunté par les
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LEXIQUE-INDEX.
417
Italiens, inentre, 312; endementiers ,
312 ; mentiersoKi mentres, pendant ce
temps, paraît être une forme abré-
gée de dementiers, dementres (même
sens), qui vient peut-être de dum
intra ipsum, ou de dum interea,
dum intruy dum intérim, avec Vs
adverb.
Endementier» avoit eu vog:ae jusques au
temps de Jean Le Maire de Belges, car il
en use fort souvent, pour ce que nous
disons par une périphrase, en ce pendant;
Joachim du Bellny dnns sa traduction des
quart et sixiesme livres de Virgile le voulut
remettre sus, mais il n'y peut jamais par-
venir. E. Pasquibb, flech., VIII, 3. (G.)
menuettc, 104.
merci, emprunté par les Ila-
liens et les Espa^^nols, 264.
mercier : A petit mercier petit
panier. Proverbe, 248.
meACheoIr , arriver malheur, 240
(dans un proverbe).
Il n'y a si juste à qui il ne puisse mes-
cbeoir. Marg., Hept., LXU. (G.)
meslee, mélange, confusion, 26.
mesmemeiit , surtout , 16 ,
120, etc.
Une petite taille a de l'incommodité, à
ceulx mesmement qui ont des commande-
ments et des charges. Montaigne, III, H.
(L.)
Eslienne emploie aussi le mot
dans le sens de même, 13, etc.
miNinaser, v. n., 190 : t7 a st
bien mesnagé, il a fait un si bon
emploi de ce dont il pouvait dis-
poser.
mesiile, ménage, maison, 225
(dans un proverbe). Le mot désigne
les personnes qui sont dans la
maison, parents et serviteurs du
maître.
Adverti que le roy de Germanie tout as-
seuré estoit avec sa femme et privée magnie
au palais d'Aix. Fauchet, Antiq. gaul.,
VUI, n. (G.)
Le mot avait beaucoup d'autres
sens se rattachant à la même idée.
message, messa 20ger,5 (dans
un proverbe).
Sitost comme les messages ouvrirent leurs
escrins la où ces choses estoient, il sembla
que toute la chambre feust embansmé.
JOINVILLB. (G.)
mesller, besoin, 213.
Ils entendoient très bien comment il fal-
loit conduire telles brigue::, et par importu-
nité de crieries et de voyes de faict, si mes-
tier estoit, obtenir ce qu'ilz vouloient.
Amyot, faul- Emile, 60. (L.)
miNiiirés (vers) en français, 40.
métaphore : mots et locutions
employés par métaphore, 117 et
suiv.
mie, employé comme élément
négatif, 230 (proverbe); emprunté
par les Italiens, 325.
miel ; Trop achette le miel qui
sur les espines le lesche. Proverbe,
245.
mien, les Italiens disent à notre
exemple mio, 274.
mignard, gracieux et délicat,
81, 104.
mignardelet, otie, diminutif
de mignard, 103, 104.
mlg;nardor, mlgnardlser,
flatter, caresser, 101.
Il caressoit les petits chiens que on luy
mettoit devant et tes mignardoit.
H. EsTiENNK, Apol. pour Hérodote,
238. (L.)
mignardise, ne peut s'accorder
avec la gravité, 81 ; le mot n'a pas
d'équivalent en italien, 103.
mlipioii, mlgnomiette, 103.
mignot, mignon, gracieux, 102 ;
mignotei% rendre gracieux ou cares-
ser, 104.
... Plus des doucettes voix
Des migrnots oisillons ne résonnent les bois.
[De Baïf. Eglogucs, XV. (G.)
Si l'avisay-je au bord d'une claire onde
Qui mignotoit sa chevelure blonde.
[R. Belleau, berg., !'« journ. (G.)
Toy, mignottant ton dormeur de Latraie.
[Ronsard, I. 86. (Mellerio.)
mine, en langage militaire, em-
prunté par les Italiens, 356.
miragllo, miroir, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, ^9.
mire, médecin, %1, 252 (dans
des proverbes).
Elle a divers noms, répondit Sylvandre,
quelques-uns l'appellent orval, d'autres la
toute bonne, et nos myres sc«rlée.
D'Urké, Aatrée. (G.)
mise (être de), métaphore em-
pruntée au monnoyage, 145.
moineaux, terme militaire, 351.
FuRETiÈBE : a Eu termes de Forti-
fication, c'est un bastion plat basti
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418
LEXIQUE-INDEX.
au milieu d'une courtine lorsqu'elle
est trop lon^rue, et que les deux
bastions des aneles sont trop éloi-
Koés pour se deffendre l'un l'autre. »
Molsa, 288, 309.
monnoye, métaphores emprun-
lée!< à la fabrication de la monnaye,
139.
monnoyas®, salaire du mon-
noyeur, 144.
nionosyllalMMi nombreux en
français, 8'2; trop rares en italien,
82; plu» aRréahles dans les mots
comportés, 162; monosyllabes d'ori-
gine Raiiloise, 196.
moBUitre, étalage, parade, sem-
blant, 1-28, spécimen, échantillon,
237.
VoD5 nvex beâu faire montre d'une vaine
intrépidité.
Massillox. (L.)
Voilà une petite montre de ce grand com-
merce de friperie que l'on exerce à U cour.
Balzac. D • la Cour, B-^ dise. (L.)
moquer (se) : Fn sov moqnant
dit on bien vray. Proverbe, 223.
morfondre, v a., exposer à
l'hum dite et au froid, glacer, 216.
On admet généralement comme ori-
gine du mot morve fondre, en par-
lant des chevaux. Le froid l'a mor-
fondu, littéralement : le froid lui
a fait couler la morve fScheler).
mort (proverbes relatifs à la),
212.
mouehet, en aie de Tépervier,
129.
mouOe, définition du mot, 142.
moult, beaucoup, si (rnalé comme
ancien mot, 178, employé en quel-
qiws Hialef'.tes, 188.
mouvoir une question, soulever
une question, 286.
J'ni vu les cens mouvoir
Deux questions.
La Fontaine, VI, 137.
nioyse, 200.
mue, la mue d'une femme, expres-
sion ennployée lar moquerie, 131 ;
tenir en mue, tenir en cage, 131,
employé par métaphore. Nicot :
«... Lieu obscur ou cage grnnde à
larges barreaux où on niet le Faul-
con estant prest à se de^pouiller
de ses pennes jusques à ce qu'il
les ait refaites. Ainsi appelée parce
qu'il mue dans icelle. On dit aussi
par mocquerie la mue d'une femme
Suand une femme surannée avec
rogues corrosives s'est fait consu-
mer la peau du visage, pour s'en
faire venir une toute nouvelle et
délicate. »
muet, ancienne orthographe de
meut, 199 (dans une citation).
muraille, emprunté par les
Italiens, muraglia, 278.
n pour /, 78.
IVaevIuA, 121.
naguère, imité par les Italiens,
non ha guari, 321.
naqiiet, naqueter, 137. Fure-
tière : « Na^uet. Vieux mot qui se
dL«oit autrefois d'un valet qui mar-
quoit le jeu, et surtout à la paume,
comme l'a remarqué Fauchet... —
naqueter : Suivre quelqu'un ou lui
faire la cour servilement. Il y a bien
des gens qui vont naqueter à la
porte des Grands, pour en tirer
quelque présent, quelque secours,
quelque protection. Il signifioil ori-
ginairement. Contester pour des
choses légères. » Le mot naguet
s'est aussi confondu un peu avec
laquais.
Les autres poètes latins ne sont que
naquets de ce brave Virjrile.
Ronsard, 584. (L.)
Ils naquettent le tyran pour faire leurs
besouf^nes de ca tyrannie et de la servi-
tude du peuple.
La Boétib, Strvit. vol. (L.)
IVarelMie, 36.
nature (proverbes sur la), 221.
navré, blessé, 188 (dans une
citation).
Cxsar couvrant son visa^j^e avec sa robbe
abandonna son corps à qui le voulut navrer.
Amyot, Brut., ». (L.)
nayf, naturel, 20.
Ils font une mine de duc et d'emperear ;
mais tantost après les voyex devenus valets
et crochetenrs misérables, qui est leur
nayfve et originelle condition.
MONTAIGNB, I, 327. (L.)
nayfVement,naturellement,30.
Son frénie [de Voiture] et ce caractère de
son esprit est, à ce qu'on dit, très naïve-
ment représenté en la personne de CalU-
erate. Pbllisson. Hùt. Âcad., IV. (L.)
Ayfveté, naturel, sens exact.
21,5.
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LEXIQUE-INDEX.
419
ne pour ni. Voir Observations
grammaticales, 167.
nosoecs, affaires, 115.
Il l'avoil en si grande privante receu que
rien ne luy celoit des menues négoces de
sa maison. Rabelais, IV, 67. (L.)
negun, aucun, personne, 249
(dans un proverbe).
Jhesn respont moult doucement
Et sanz negun corrocement,
La PoHB. du roi Jhesu. (G.)
IVeron, 328.
niais, métaphore tirée de la fau-
connerie, 126.
Niais est cil [oiseau de chasse] que on a
Irait don nif, et que on norrit en son ostel
de sa ju vente. Brun. Lat., Trea., 201. (L.)
nier, refuser, 245 (dans un pro-
verbe).
noms empruntés par les Ita-
liens en même temps que les verbes
correspondants, 285.
nonehaloir (mettre en), négli-
ger, ne pas s'occuper de, expression
empruntée par les Italiens, 256.
Comme si pour les obliger à ce devoir
nous mettions à nonehaloir tous les autres.
MONTAIGXB, II, vu. (G.)
notable, à noter, à remarquer,
314.
noarrlfiire,éducation,232(dans
un proverbe).
Elle (Rome) a nourri vingt ans un prince
[votre fils...
Si vous faites état de celte nourriture,
Doimex ordre qu'il règne.
COBMEILLB, V, 536.
nouTelettes, diminutif employé
par R. Bellean, 101.
nouTellère, appliqué à la For-
tune, 187.
Ahi, dame fortune, tant estes nonvelière.
Comment sç^nriez vous mieux représenter
novatrix latin? Fauchrt, Orig. de la lang.
la poe$. franc. II, v. (G.)
nulll, aucun, personne, 210 (dans
un proverbe).
La première, dist le beau Père, c'est que
vous n'en parlerez à nully. Mahg. Hept.,
xxni.
o lonjç ou bref, 40 ; — pour a, 76 ;
— pour e, 76; — remplacé par i,
76; — remplacé par u, 76.
oe (langue d'), 171.
œil : A l'œil malade la lumière
nuit. Proverbe, 213.
oflDces, en parlant d'armes, d'a-
ifiours, de chasse, 121.
ofl^isqaer, empêcher de voir,
aveugler, 51.
Que nostre prudence soit offusquée ou
par le sommeil ou par quelque maladie.
Montaigne, II, 23. (L.)
-oing (terminaison) devient en
italien -ogno, 219.
Oiseau débonnaire de luy mesme
se fait. Proverbe, 203.
oisel, ancienne forme de oiseau,
97.
oiselet, diminutif d'oisel, 97.
-Ole (terminaison) ; les Italiens
en abusent, 85.
oltraeotanca, outrecuidance,
emprunté par les Italiens aux Pro-
vençaux, 260.
ombroyer, faire ombre, noté
comme ancien mot, 187.
Grands haulblers Tueilluz pour ombroyer
les passans. D'Auton, Chrou. (G.)
-on, suf&xe diminutif, 99.
onques, jamais (dans des pro-
verbes), 203.
onta, honte, emprunté par les
Italiens aux Provençaux, 2o8.
oprlre, ouvrir, ia., 260.
or vieux, plus estime, 146, 216.
oraison (partie d'), partie du
discours, 187.
orer, prier, 233 (dans un pro-
verbe).
Si lou orerai saintement.
Passion du Chriat. (G.)
ores... ores, tantôt., tantôt, 53
(dans une citation de Ronsard).
Or ils parlent soldat et ores citoyen.
Régnier, Sat. XI. (L.)
orgogllo, orgueil, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, 257.
orfBuell (proverbes relatifs à V)
204, 229; mot défieruré par les Ita-
liens, orgoglio, 332.
Orléans prétend parler le meil-
leur français après Paris, 170.
orthographe (incertitude de
1'), 18, 33.
orthOiP*aphle, orthographe,18.
C'est encore la raison pourquoy j'ay si
peu curieusement regardé à l'orthograpuie,
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420
LEXIQUE-INDEX.
la Toyaat aujffird'bujr aussi diverse qu'il 7
a de sortes d'escrivains. Du Bellay. (L.)
ot, ancieone forme, eut, 189 (dans
une citation).
-otcr, sufûxe diminutif employé
pour les verbes, i02.
oublier, emprunté par les Ita-
liens, obliar^ 306.
ouf rase, ouf rager ,empru ntés
par les Italiens, oltraggio^ oltrag-
giare, 278, 284, 285.
oufre (passer plus), aller plus
loin, 159.
Faudra-t-il que nous tenions eu suspens
ces premières vérités, sons prétexte qu'eu
passant plus outre nous trouvons des choses
que nous avons peine à concilier avec elles.
BossuKT, Libre arb., 4. (L.)
oufre plus, de plus, en outre,
170.
Outre plus, quand bien il feust arrivé
premier que les autres, peu de séjour y
enst il fait sans se rendre odieux.
Lahoub, 552. (L.)
I, donné comme
traduction de oltramontani, 345. On
avait dit avant Estienne outremon-
tains, oultremontains, ultramon-
tains^outremontanSyOultremontains,
ultrans mont aines, oultremontaign e
(ces deux derniers employés comme
adjectifs. (G.)
ouf reprenx, 187. Nicot : « Qui
est plus que preux. »
Combien que je devroye ostre oultre-
preux en tous les faictz'que j'entreprens
pour l'amour de celle que j'ayme.
Perceforeêt, V, 30. (G.)
ouy (langue d'), 171.
Ovide, 23, 50, 213, 220, 221,
227, 228, 233, 234.
paguer, forme dialectale pour
payer, 298.
pain : de tel pain telle soupe.
Proverbe^ 2i8.
paleflroy, emprunté par les Ita-
liens, palafren ou palafreno, 262.
palemalele, jeu italien, 136,
NicoT : « Palemaille, Videtur nomen
habere à palla et malleo, (|uia
rêvera maliens est quo impelhlur
globus ligneus. • Monet : « Jeu de
maille, de boule, avec le maille. »
D'après Furetière c'est la même
chose que le jeu de mail. Ménage
fait dériver le mot de pila et de
malleus.
Il jouoit a la balle a emporter, nu au
ballon, ou au pallemaille, qu'il avoit Tort
bien en main.
BaAKTOME, Cap. fr., Henri H. (G.)
panche, forme picarde depanxe,
175.
panfols, pan toiser, 122. Nicot :
« Pantois : Tantost signifie celuy
qui haleté et est à la grosse halene,
comme Ainsi haletant et pantois
j'eschappay des voleurs, ïta fti-
giendo spiritu penè prefocatus e
gt'ossatoribus evasi. Et tantost si-
gnifie la maladie de difficulté d'ba-
lene et malaisée respiration, qu'on
dit aussi le mal du pantois, Spiritus
prxfocatio. Ce mot est fréquent et
u<<ité aux faolconniers, qui de cette
maladie, quant aux oiseaux de
proye, font trois espèces, l'une du
pantois qui vient à la gorge, l'autre
de celuy qui procède de froidure,
la tierce qui se congrege aux reins
ou roignons. — Pantoiser, est tra-
vailler du mal du pantois, Difficili
spiritus attractu (aborare, Prxfo-
catione spiritus laborare. Qui est
avoir la courte halene. Les faulcon-
niers disentPanfi^erpour le mesme,
comme fait F. Jean de Franchises
en son 3. livre. Mais Pantoiser est
le droict. »
parasoge (mot grec), dériva-
tion, 144.
parangonner, comparer, em-
prunté par les Italiens, 299.
parapef, terme militaire em-
prunté aux Italiens, 351.
parasfre, 282, s'employait sans
idée péjorative :
Un parastre peut bien avoir la garde des
enfans de sa femme. Couat. gen., I, 137. (L.)
paraf fendre, attendre jusqu'à
la fin, 192.
Mes tout ce seroit perdu qui ne par
atendroit tant que nostres sires y envotast
sa grâce.
GuiLL. DB Ttb. But. de» Croit. (G.)
parairanf, auparavant, 241.
Disant que les Grecs pararant décédez
estoyent privez d'un fort grand plaisir.
Amyot, Alexandre. (G.)
paraTenfure, emprunté par
les Italiens, pcravventura, 324.
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LEXIQUE-INDEX.
424
parée que, imité par les Ita-
liens, percioche, 318.
parcidevanf, auparavant, ci-
dessus, plus haut, 276.
pareroisfre, s'accroître, gran-
dir, 64 (dans Vigenère).
Il fault laisser les vices qui sont trop
forts et parcreus. , ,^ ^
Fauchet, Antiq. gaul, IV, 20. (G.)
pardonner, emprunté par les
Italiens et les Espagnols, 294.
parer les coups ou parer aux
coups, 352. 11 serait plus conforme
à l^tymologie de dire parei* aux
coups. Nicot dit parer aux coups de
son ennemi, et parer l'escu au de-
vant du coup. Mais Montaigne di-
sait déjà :
Il faut eschever aux coups que nous ne
saurions parer. I, 164. (L.)
parfaire, formé à l'imitation
du latin perficere, 191.
parfln (à la), à la &n, 318; en-
core employé au xvn® siècle :
S'il demeure ici plus longtemps, j'ai peur
qu'il n'y veuille estre le maistre tout à fait
et qu'il ne nous en chasse à la pariin.
SoREL. Francio'n, 9. (G.)
Paris (langaee de) u tient le
premier lieu, » 170.
Parisli, les Parisiens, disent ouy
dans le sens de ita, 171.
parler, emprunté par les Ita-
liens, parlar, 291.
parllre ou perlire, lire jusqu'au
bout, 191.
Et (^uant li clers ot parleu les lettres.
Ltv. de la con7. d^ la Morén, 66. (G.)
Le 290 jour du mois d'aoust veismes et
de mot à mot perleusmes unes lettres du
roy, 1435. Ord. XVIU, 500. (G.)
paroulr, achever d'ouir, 1^.
A peine estoient Flament cheu, quant
pillart et gros varies venoient, qui se bou-
toient entre les gens d'armes, et portoient
grandes couslilles dont ils les parochioient.
Froissart, X, m. (G.)
parolette, diminutif de parole,
mot court, 343.
partir, partager, 110.
Nous partons le fruict do nostre chasse
avec nos chiens. Moxtaiqîib. II, 170. (L. )
Encore aujourd'hui : avoir maille
à partir.
Emprunté parles Italiens, 300.
passer pl«is avant, aller plus
avant, plus loin, 168.
Lltalie passa encore plus avant: l'im-
piété de rempereur fut cause qu'on lui
refusa les tributs ordinaires. Bossuet, HiaL,
I, 11. (L.)
passer qqn docteur, lui confé-
rer le grade de docteur ; être passé
docteur, être reçu, 214.
passèrent, appliqué à un che-
val, 186.
pastre, de pastor, 74 ; indiqué
comme forme dialectale.
pâte, farine pétrie, et pâte, pied
d'un chien, 39.
pâte et pâté, 40.
paume (expressions tirées du
jeu de), 135 et suiv.
paunioyer, manier, 187.
Il eust mieux sceu chevaucher un cheval,
palmoyer une lance, et ferir de l'espee oue
garder les brebis. Perceforest, III, 93. (G.)
payer, emprunté par les Italiens,
pagar, 298; origine du mot, 298,
dépravé par les Italiens, appagar,
332.
pécher, peehé et pécheur
pour peccare, peccatum, peccator, et
pécher, pécheur pour piscari, pisca-
tor, 39.
péchés, pécheurs (Proverbes),
212.
péculler, particulier, 24.
Voila une grande vertu, si elle n'ostoit
propre et pecuiiere aux asnes.
'Tahureau, Prem. dial. du Démocritic,
201. (G.)
peeune, argent, 106.
Mes amans fuiront toutes fortes cupiditez,
mesmement la concupiscence de la peeune.
L'Amant resuacité, 109, (L.)
peine : Nul bien sans peine.
Proverbe, 221. A peine, emprunté
par les Italiens, appena, 323.
pet, ancienne forme de peauj 222
(dans un proverbe).
penser : Mal pense qui ne re-
pense. Proverbe, 247. SijU>st., em-
prunté par les Italiens, pensier, 276.
penultlme, pénultième, 39.
Et dura jusques au samedy ensuyvant
penultime d'aoust. Comm., VI, 11. (L.)
La (orme pénultième est une forme
analogique.
24
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422
LEXIQUE-INDEX.
p©r, particule latine; son utilité
pourformer des mots composés, 191.
perattondro (V. parattendre).
Pcreeforest, 209, 233, 239, 250,
265, -266, 2t58, 269, 358.
perdeui*, perdant, 210 (dans un
proverbe).
perdre •• Qui perd le sien, il
perd le sens. Proverbe^ 233.
perfaiet, parfait. 34.
perigllo, perIgUosa, plus em-
ployés par les Italiens que pericolo,
pericolosa, 280.
perllro. Voir parlire.
pesanca, pesanteur, emprunté
par les Italiens aux Provençaux,
258.
Pétrarque, 22, 47, 83, 84, 94,
256, 260, 261, 262, 263, 265, 272,
275, 276, 277, 278, 280, 283, 287,
288, 289, 29^-97, 299, 301, 302, 306,
309, 311, 313, 314, 315, 317, 319.
321, 327, 334, 335, 343.
Philippe de Bourgogne, dis du
roi Jean. i'i2.
Philippe de Valois, 122.
plaeensa, plaisir, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, 258.
piaffe, parade, 351.
11 y avoil grnnde piaflfe d'officiers du
Louvre. Gui Patin, Lett., II, i63. (L.)
Picards, leurs proverbes, 176;
leur prononciation, 176 et 325 ; leur
dialecte peut enrichir le langage
français, 176.
picardicer, prononcer à la façon
picarde, 325.
PIctonea, les Poitevins, disent
ouau pour oui, 171.
plé, pied, emprunté par les Ita-
liens, 274.
pleça, il y a du temps, depuis
longtemps, 259.
Ayant pieça franchi les quarante ans.
MoNTAiGiïE, n, xva. (G.)
Origine de la locution : imitation
qu'en font les Italiens, 340.
pieds, traces, dans la langue de
la vénerie, 126 ; le mot a conservé
ce sens.
pille pille (Proverbe), pillage,
vol, 221. Le mot pille signifiait au-
trefois pillage.
Il ne fut jamais que les Gascons n'aimas-
sent la pille. Brantôme. Ed. Lalanne VI,
210. (G.
plnçoter, diminutif ou plutôt
fréquentatif de pincer, pincer sou-
vent et légèrement, 102.
Laissons le discourir, sa barbe pinçoter.
Régnier, Sat. VI IL
plnsemaille, avare, 107. Nicot :
« Est composé de pinser (qui signifie
aussi par translation croquer de-
niers, Corradere pecunias) et maille
qui est la moindre espèce de mon-
noye qu'on ait usé, et signifie
l'homme ou femme très avare, ser-
reur de quelque petite somme que
ce soit n.
piteux littéralement sensible à la
pitié, et, par extension, doux, indul-
gent, 252 (dans un proverbe).
Comme aux enfans est piteux un bon
père. Marot, IV, 309. (L.)
plaider k, plaider contre, 5246.
plaldorcsaii, dimin. péjoralif de
plaideur, 100.
plaidoyer, plaider, 246.
O homme, qui es-tu, qui plaidoyes con-
tre ton créateur? Calvin, Prédest., 199.
Ed. de 1552. (G.)
Le mot plaidoyer est en effet au-
jourd'hui un infinitif pris substanti-
vement.
plaldoyeur, plaideur, 210 (dans
un proverbe).
plaintif, plainte, 326. Nicot :
V Plainte ou plaintif, Incusatio ».
Encores qu'il ne s'en face nul plaintif en
ce monde. Calvin, serm. aur h Deuter.,
817. éd. 1567. (G.)
plaisant, agréable, 69.
Pourquoi Dieu vous a-t-il défendu ce qni
est si plaisant et si Hatteur? Bossubt,
Elevât, à Dieu, 18« $em. 22. (L.)
plat (tout à), nettement, tout à
fait, absolument, 38.
Il nia le fnict tout à plat. Amtot, Marcell,
2. (L.)
platelle, plat, vase, 53 (dans
Ronsard).
Platon, 120. .^.^ .
platte forme, terme militaire
emprunté par les Italiens , piatta
forma, 355.
Plante, 129, 161, 226, 227, 831,
234, 235, 316.
pleure-plaln, avare, 107.
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LEXIQUE-INDEX.
423
On dit de vous que vous n'estes qu'un
pleure- pain, et vostre femme une chiche-fnce.
Choliére, Apré»-din. 2. (L.)
ployable, qui peut être ployé,
souple, flexible, 98.
La raison a 1«nt de formes, esttnnt ploya-
ble, ondoyante. Charbon. Sageise, I, 39. (L.)
PlutaWiue, 13.
poefriee, féminin àe poète, 163.
Proba Falconia excellente poetrice chres-
tienne. Tadourot. Bigarr. 216, éd. la8V.(G,)
poissiare, « monter jusques au
plus haut d'un tertre », 254.
pOlSKiO, élévation, 354.
polctreiise (pièce), étymologie
du mot, 144.
pointe (poursuivre sa), méta-
phore empruntée à la marine, 135.
Le mot pointe désigne quelquefois
le cap du navire. (L.)
Point d'affaire, il poursuit sa pointe jusqu'au
[bout. Molière. Éiourdi, III, v. (L.)
L'expression équivaut à aller de
l'avant.
poire {Proverbe), 215.
pollee. organisation politique,
ordre établi dans un Etat ou dans
une ville : l'équivalent n'existe pas
en italien, 1 18.
polieé, ville bien policée, bien
administrée, bien organisée : n'a
pas d'équivalent en italien, 148.
POUUX (Julius), 106, 107, 108,
109, 110, 111, 112, 113.
Polycrate, 240
populaire (prononciation) des
Français imitée par les Italiens, 281.
por, pour, 189 (dans une cita-
tion).
port (venir à bon), métaphore
empruntée à la marine, 134.
porte - : mots composés formés
avec le verbe porter^ 158 et suiv.
portechalre, « assez usité en
la cour », 159. Chaire, dans ce com-
posé, signifie chaise à porteurs.
porteeharge Estienno ne
craindrait point d'user de ce niot
« où la ryme le requerroit », 159.
porteclel, 158. Ronsard l'a dit
en parlant d'Atlas : «. Atlas yjorte-
ciel ».— Ed. elzev.V.,276(Mellerio).
portefaix, 158.
porteflanilfcaux, moins agréa-
ble à l'oreille que porte jflambeau, 160.
porteflcurs , porteft^uits ,
porte|çralii«;H. Estienne trouve
douce la composition de ces mots
appliqués nux saisons, IW.
portcfiHïid, porterroiaure,
le premier vaut mieux, io2.
port<5«uerre ; Estienne ne
craindrait pas d'user de ce composé
pour l'opposer à portepaix^^ 159.
portêfoiir applique à l'aurore.
160.
portelaiieiir ; Estienne le di-
rait aussi bien que portepene, 158.
porteloix, employé par Da
Bellay, 159.
portelumlère , appliqué au
jour, 160.
porteliit, portelyre; le se-
cond est meilleur, 161.
portenseisne, 158 : « Est ce-
luy qui porte le drappeau d'une
compagnie de gens do pié ». Nicot.
portepalx. appliqué à un prince
pacifique, 159. Anciennement le
mot a servi à désigner l'étui conte-
nant la patène, appelée paix. (G.)
portepanler, colporteur, 158.
Jongleur, porlepanier , et telles autres
manières do pens qui hantent les foires et
marchés. R. Estienxb, Tli«$., Circumfora-
neus. (G.)
portequeue, « assez usité ea
la cour ». 159. Personne chargée
de porter la queue du manteau d'un
orrand personnage ou la queue de
la robe d'une grande dame :
M. le duc de Berry et M. le duc
d'Orléans eurent les mêmes portequeue.
Salnt-Simox, 302, 207. (L.)
porter, comporter, 36.
S'ils n'ont pas plus d'esprit que ne port©
leur condition. La Bruy. IX. (L.)
portespee, les deux sons du
mot, 159. NicoT « Est celuy qui
porte l'espce luy-mesmes, ou celuy
qui la porte après son maistre. En-
sifer, Ènsiger. Ainsi le errand Es-
cuyer de France peut eslre appelé
port'espee du Roy. »
portetable, «< assez usité en la
cour », 159. Furetière dit qu'il y
avait en la chambre du roi des offi-
ciers appelés portetables,. mais ne
dit pas en quoi consistaient exacte-
ment leurs fonctions.
Ponia, C.
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424
LEXIQUE-INDEX.
postposer, melire après, négli-
ger, 115.
Ce pendant veilles tousjours à la conser-
vation de vostre ville, et postposes tout aul-
ires affaires pour ceste cy. Lett. mi8$. de
Henri IV, lÛ, 110, 30 déc. 1589. (G.)
poulain (Proverbes) 222, 251.
pour co que, parce que, 19.
3'ai été nourri aux lettres dès mon en-
fance : et, pour ce qu'on me persuadait que
par leur moyen, on pouvait acquérir une
connaissance claire et assurée de tout ce
3 ni est utile à la vie, j'avais un extrême
ésir de les apprendre. Desc, JHéth., I, 6.
pourchasser, chercher à at-
teindre, à obtenir, 115.
L'un récent le royaume sans l'avoir pro-
cbassé, et l'autre l'ayant entre ses mains le
restitua. Atmyot, iVww» et Lyc, 1.
pourprin, de couleur de pour-
pre, 18ô. « L'adjectif de pourpre est
pourprin ». Ménage, Bemargues
(L.). Ronsard emploie pourprin,
pourperet, pourperé, pourpre, pour-
pré. (Mellerio.)
poursuivre, continuer, 178.
Mais ne poursuives point, vous, d'inlerrom-
[pre ainsi. Moliéhe, Dép. II. vu. (L.)
pourtant, pour cela, pour cette
raison, 10.
Il vou oit bien assommer, mais non pas
blecer, et pourtant ne combntloit que do
masse. Montaigne, II, 323. (L.)
prattique , employé comme
substantif ou comme adjectif, 112.
Ronsard emploie pratique comme
adjectif :
Je suis du camp d'amour pratique chevalier;
Pour avoir trop souffert, le mal m'est fnmi-
[lier. 230 (L.)
preeeller. v. a., surpasser, 30 :
Jalouse des vertus qui gisent en la belle
Qui les hommes en meurs et doctrine pré-
[celle. E. Pasq. (G.)
préjugé, ce qui peut contribuer
d'avance à faire pencher le juge-
ment dans tel ou tel sens, 14.
La Chaussée fait de très bons vers, du
moins d'«ns le genre didactique ; ce n'est pis
un bon préjugé pour le genre de la comé-
die. Voltaire, Lett. en vers et en pro«e,
32 (L.)
premier que, avant que, avant
de, 30. Voir Observations grammati-
cales, 169. On trouve aussi prernlfere-
ment que : premièrement que l'autre,
avant l'autre, 310.
prendre, recevoir, 229.
preparatif : Nostre lan$rue a un
plus grand preparatif à l'éloquence,
10 : est mieux faite pour, a plus de
ressources, plus de commodités pour
l'éloquence.
près, emprunté par les Italiens,
presso, 325.
prester aide, secours, moins
usités que donner aide, secours;
empruntés par les Italiens, 338.
presupp€>ser, supposer préala-
blement, 170.
Pour entrer dans mon sujet, je présup-
Êose ici... ce que la foi nous enseigne.
iQURDALOUE. Carême , III , Béeur. de
J, C, 309, (L.)
preud'taoninie,vail1ant homme,
emprunté par les Italiens, prode
huomo, 258.
primeface (de), à première vue,
tout d'abord, 3.
Resloit sans plus d'y disposer la femme :
De prime face elle crut qu'on rioit.
La Foxt., Mandrag. (L.)
prlmerain, précoce, en parlant
« de quelque fruict », 178. Le mot
premerain a eu tout d'abord le sens
général de premier.
primiero, plus employé par
Pétrarque que primo, 261.
proeéder h, être en procès avec,
246 (dans un proverbe). L'expression
procéder contre est resiée avec le
sens de poursuivre en justice.
Le parlement devoit procéder contre moi
avec la dernière rigueur. J.-J. Rousseau,
Confessions, XI. (L.)
— procéder de, venir de, 2 ; dériver
de. 285.
Vous voyez donc, Monsieur, d'où çroeède
son mal? reonard, Fol. amour., IIÎ, VII,
(L.)
prochain, proche, voisine, 170.
De son appartement cette port© est pro-
chaine, Racine, II, 374.
proehaineté, parenté, 244.
Celui qui s'esl porté héritier par bénéfice
d'inventaire peut se porter héritier absolu,
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LEXIQUE-INDEX.
425
et y sera recea en son jang de prochainelé.
l'ovt. de Aortn., Nouv. coût, gén., IV,
U. (G.)
proeiiraccau, 100,
procurer, prendre soin de, 115.
II ne se peut fnire qu'une ame fidèle,
estant touchée de l'horreur du jugement de
Dieu, ne procure à se punir soy mesitie.
Calvin, Irut., 472. (L.)
prodc, vaillant, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, 258.
promptitude, aptitude, faci-
lité, 13.
J'ai perdu par desaccoulumance la promp-
titude de m'en pouvoir servir [du latin] à
parler. Montaigne, III, 39. (L.)
propos, sujet, 132.
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux.
La Font.. Fab., I, 14. (L.)
prfMMMS, au pluriel, 260.
prou, beaucoup, 237 (dans un
proverbe).
Prou est un vieux mot françois pour dire
assez, dont plusieurs usent encore en par-
lant, mais il ne vaut rien à écrire.
Yaugelas. Ed. Chassang. II, 465.
provençaux (mots) empruntés
par le.«« Italiens, 253 et suiv.
proverlies, 201 et suiv., jus-
qu'à 252.
pt, remplacé par tt, 81.
pu. nourri, repu, 54 (dans une
citation).
Publius HfinMHpraphus, Pu-
blias Synjs, 220, 227, 232, 235, 236.
puet, anc. orthog. de peut, 199
(dans une citation).
puis, ensuite (placé après le
verbe), 240. Le sens de puis s'élait
cependant beaucoup affaibli , puisque
Tusage, constaté par Nicot, s'était
introduit de le renforcer du mot
après. Estienne dit déjà puis après,
173.
puisque, depuis que, 269 (dans
une citation). Au temps d'Eslienne
puisque n'avait probablement plus
que le sens causal. C'est le seul qui
soit indiqué par Nicot.
pute, putain, 181. Il y a le
même rapport entre ces deux formes
qu'entre nonne et nonnain^ Eve,
Evain, etc. Voir Brunot, Gram-
maire, p. 243. Pute, comme garce.
n'avait primitivement aucun sens
défavorable et signifiait simplement
jeune fille (V. Litiré etScheler). Mais
l'idoeiîéjoraiive s'est introduite dans
ce mot beaucoup plus tôt que pour
le mot garce.
Pyrriius, 55.
Pytiiasore, 28.
quadrello, emprunté par les
Italiens aux Provençaux, 258.
quant (pron. ind.) : toutes et
qualités fois, 145.
quant et quant. Voir Obser-
vations grammaticales.
quarreaux,141.MoNET : c Quar-
reau, pièce de métal taillée d'un
lingot, an roûele, ou an quarré, an
pentagone, an hexagone, travaillée
par louvrier pour an faire une
espèce de monnoie. »
que, comment les Italiens imi-
tent les Français dans l'emploi du
mot correspondant, che, 315.
queux, pierre à aiguiser, 29,
La pierre queux ou afSloire fait trancher
le rasoir et ne tranche pas.
La Motue Lk Vateb, Dial. d'Or.
Tubero. (L.)
quiert, 3« pers. sing. prés. ind.
de quérir, 224 (dans un proverbe).
quitter, tenu* quitte, 212 (dans
un proverbe).
Ne devaient-ils pas se tenir bien heureux
que mon ambition ne leur coûtât pas davan-
tage. On ne les pouvait quitter à meilleur
marché.
FoNTEN. Dial. 1«"", ilorU anc. (L. )
— quitter, céder, abandonner, 289.
J'aurois même regret qu'il me quittât
l'empire. Racine, 1, 449.
r pour l dans les mots italiens,
74 ; — remplacé par rf, 75 ; — rem-
placé par t ou tt, 74; — intercalé
dans un mot, 75.
racledonare, avare, racle-de-
nier, 107. Gui Patin emploie raque-
denare, mais dans un sens peut-
être différent du sens indiqué par
L. Feu gère : qui eradit, corradit
denarios, celui qui rocrne les deniers.
Furetière indique un autre sens :
« Haquedenare. Terme populaire
qui se dit des gens fort avares qui
veulent arracher jusqu'au dernier
denier d'une personne, qui ne luy
24,
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426
LEXIQUE-INDEX.
voudroieni pas quitter le moindre
denier. » , , . . x
raeler et bander (cest a),
métaphore tirée du jeu de paume,
136. Racler, c'est enlever la balle
pendant qu'elle roule, avec la ra-
quette ; bander c'est « enlever, jetler
Sar dessus les mura ou dans les
let» une balle que ceux du parti
opposé ont mise sous la corde. »
FURKTIÈRE.
raconter, emprunté par les Ita-
liens, raccontar^ 285.
raire, raser, 230, 234 (dans des
proverbes).
Il ne feit raire qae le devant de sa leste
seulement. Amtot, TMêet, (G.)
raison (par), de droit, juste-
ment, naturellement, raisonnable-
ment, 168.
Le royaume de France qui par droite suc-
cession (le proismeté devoit estre siens par
raison. Vat., V, 322. (G.)
ramée (selve) , sylva opaca ,
189. Bamé signifie touff'u :
De toutes le» forests le branchage ramé.
RONSABD, Ed. elr., V, 140. (G.)
randon, randonner, impé-
tuosité , courir impétueusement ,
187.
D'une grand violence et d'une aspre
randon. Vauq. Art Poet., Uî. (G.)
Il picque après luy tant que son cheval
pouvoit randonner. Perceprest, UI, 91. (G.)
rapporter k, rapprocher de,
comparer avec, 237.
rarlté, rareté, 208.
rat, mot emprunté par les Ita-
liens, 284.
rayaux, définition du mot, 141 ;
jeter en rayaux, 141.
rayer, signifiant autrefois cou-
ler, 187.
Avant quA l'enfant tète, il sera bon luy
faire rayer un petit de laict en la bouche.
Paré, XVUf, 19 (Ed. Malgaigne). (G.)
rayonné, rayé, 141.
-rt^au, suffixe diminutif, 100.
rechausser, 141. Furetièrc :
u En terme de Monnoye et d'Orfè-
vrerie, c'est rebattre une pièce de
méiail, afin de la rendre plus
épaisse et de moindre volume... La
cmquième façon qu'on donne aux
monnoyes au marteau est de les
rechausser, c'est-à-dire arrondir et
rabattre les pointes des carreaux. »
recommancer, emprunté par
les Italiens, ricominciar^ 285.
rf^eommander, emprunté par
les Italiens, raccommandar, 300.
), compensation ,77.
Si Vasquez n'oblige pas les riches de
donner l'aumône de leur superflu, il les
oblige en récompense de la donner de leur
nécessaire. Pascal, Prov., XII. (L.)
récompenser, compenser, 11.
Brancas m'a écrit une lettre si excessive-
ment tendre qu'elle récompense tout son
oubli passé. Skvigiïé, 19 juillet 1671. (L.)
réconforter, emprunté par les
Italiens, riconfortar, 292.
recors, bien m'en recors, 1^
(dans une citation). Je ne vois aucun
verbe auquel puisse se rattacher
cette forme. Peut-être H. Estienne,
citant de mémoire, a-t-il dénaturé le
texte. On pourrait lire : j'en suis
recors. Recors signifiait gui se sou-
vient :
Mais en estant de son dire recors
Vous ne craindrez ceux qui tuent les corps.
Cl. Marot. Serm. du bon Past. (G. )
recouTrer, emprunté par les
Italiens, ricooerar, 285.
recueil, accueil, 9.
Parce que l'esternuement vient de la teste
nous Iny raisons cet honnesie recueil.
Montaigne, IV, 2. {L.\
réduire en prison , amener ,
faire entrer en prison, 93 (dans une
citation).
regard, pour le regard ae,
quant à. 324.
Les sages disent que pour le regard do
sçavoir, il n'est que la philosophie, et pour
le reirard des eflfets que la vertu, qui...
* Montaigne, I, 290. (L.)
— pour un regard, sur un points
d'un côté, 9.
— pour ce regard, relativement à
cela, en considération de cela, pour
cela, 139.
regarder, emprunté par les
Italiens, riguardar et risguardar,
327 et 332.
régime. Proverbes relatifs au
bon régime, 213.
reina, reine, plus fréquent eo
italien que regina^ 280.
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LEXIQUE-INDEX.
427
reintc|p*andc, 350; terme de
jurisprudence : « Action posses-
soire par laquelle une personne est
remiseenjouissanced'uriechosedont
elle avait perdu la possession. «(L.)
relictaer, 55 (dans une citation).
Nicot indique le mot et le traduit
par relingere.
reliques, restes, 167. Vau-
OCLAS : « C'est très bien parler
français que de dire les reliques du
naufrage, les reliques d'une armée
défaite, et autres semblables. » Vau-
gelas préfère reliques à restes u qui
est trop commun parmi la lie du
peuple. » Ed. Chassang. II, 395.
remaint, 3« pers. sin?. prés,
ind. de remanoir, rester, demeurer,
251 (dans un proverbe).
rememlirer (se), se remettre
en mémoire, emprunté par les Ita-
liens, 75, 254. L'ancienne langue
employait remembrer comme verbe
actif, rappeler, ou comme verbe
neutre, se rappeler, et comme verbe
réfléchi. On disait aussi il me
remembre comme il me souvient.
remettre au-dessus, remettre
en usage, 348. L emploi de au-des-
sus était beaucoup plus varié
qu'aujourd'hui . On disait , par
exemple, venir au-dessus de ses
ennemis pour triompher de ses
ennemis.
rempart, emprunté par les Ita-
liens, riparo, 355.
remuement de mesnase,
remue-ménage, trouble, boulever-
sement, 17.
renard (proverbes relatifs au),
242, 243.
rencontre, bonne rencontre,
bonne chance, 3. Le mot signifiait
conjoncture, occasion, hasard :
Ce ne fut que par rencontre qu'ils enlrè-
rent daas la Médie.
BossuET. Iliêt., III, 3. (L.)
renforcer, emprunté par les
Italiens, rinforzar. 285.
renommée {Proverbe), 236.
repaire, lo^is, 255. Le mot,
subst. verb. de repairier, signifiait
d'abord retour dans la patrie,
dans la demeure, et demeure, sans
idée péjorative :
Li empereres aproismet fon repaire.
Ch. de Roland, 661. (G.)
repairer, « loger en quelque
lieu et y faire sa demourance »,
255. Le verbe repairier (re|>atriare),
a signifié revenir dans son paySy
revenir, séjourner.
En France ad Ais bien repairier devez.
n 1. 135. (G.)
Ks«prits maudits des infernalles ombres.
Qui repairez ceaus soir et matin.
Larivey, Esprits, IIT, ii, (G.)
repos, emprunté par les Ita-
liens, riposo, 278.
reposer, emprunté par les Ita-
liens, riposar, 285, #
rcN|U€Mite (de), qui est très-
demandé, qui est rare, difficile à
avoir, 146. Nicot : « Requesle, c'est
pourchas de quelque marchandise
qui est requise et remandée de plu-
sieurs. Comme, le bled n'est pas de
requeste cette année. »
respargner , épargner , em-
prunté par les Italiens, risparmiar,
308. Nicot : « Respargner. Par
cerc, Reparcere. »
ressouvenir , emprunté par
les Italiens, risovenir, 301.
retardement, retard, 11.
Le roi qui n'avait point encore éprouvé
de revers ni même de retardement dans ses-
succès, croyait qu'une année lui suffirait
pour détrôner le czar.
Volt. Charles XII, 3. (L.>
retirer la bride, emprunté par-
les Italiens, ritrarre la briglia, 337.
retors employé au sens propre,
55 (dans une citation) :
Les uns avoient les perruques couvertes
D'un large pampre aux grandes fueilles
[vertes^
Aux nœuds retors des zephyres ^oufUez.
[Ronsard. Franc, I,
retourner, emprunté par les
Italiens, ritornar, 285.
retraneiiéfMi (lettres) dans le&
mots italiens, 77, 295.
réveiller, emprunté par les
Italiens, risvegliar, 285.
Rhésus, 186.
Rtaodomont, 55.
rlbaudcïquin, 350 : Froissart :
M Iceulx ribaudequins sont trois ou
quatre petits canons rangiez de
front sur haultes charrettes en
manière de brouetes devant sur
deux ou quatre roes bandées de fer-
à tout longz picqubs de fer devant
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428
LEXIQUE-INDEX.
en la pointe. » (G.) Dans un pas-
sajçe de Fauchet, cité par Godefroy,
le mot paraît être pris comme
synonyme d'arbaleste de passe. Mais
tous les exemples s'accordent avec
la définition donnée par Froissart.
riche : Nul n'est si riche qu'il
n'ait mestier d'amis. Proverbe, 207.
rfeta<ï8«c du français, 104 et
suiv.
rien, son ancien sens, chose,
201 et 322.
Ne croyez donc pas que ce bon roy vous
envoyé tant à'amlfhs«adeurs, et vous face
envoyer ces bons personnapres légats du
S. Père a autre ioteniion que pour vous
laire croire qu'il vous ayme sur toutes riens,
Sat. JMen., Harang. de Pelvé. (G.)
— Oii il n'y a rien le roy perd son
droict. Proverbe, 235.
rfller, voler, piller, rafler, 129.
NicoT : « Bapere. On n'y a laissé
ne rifle ne rafle. Omnia cum pulvis'
€ulo.
rlTe, emprunté par les Italiens,
riva, 286.
roideiir (de), fortement, éner-
giquement, vivement, 64.
Des chevaux courans de toute leur roi-
deur. Montaigne, I, 358.
romman, sens du mot, 73.
Presque partout, H. Estienne em-
ploie le mot pour désigner soit les
ouvrages écrits en vieux français,
soit les écrivains eux-mêmes. C'est
ainsi que l'employaient ses contem-
porains :
Te faudroit voir tous ce? vieux romans et
poêles français. Du Bellay. (L.)
Ronsard, 51, 52, 5{, 55, 299.
Rose (Roman de la), 269.
rossignolet, 100. Ronsard dit
Le chantre rossignolet
Nouvelet
Courti.sant sa bien aimée. (L.)
1, emprunté par les Ita-
liens, ronzino, 293.
route, 135, Estienne se demande
« si la terre l'a pris de la marine ou
bien elle de la terre. '» C'est la se-
conde supposition qui est juste :
via rupta, voie faite en rompant la
forêt ou le sol. (Scheler).
routfïs, 125. NicoT : « Routes
en pluriel, ce sont en vénerie les
erres de toutes bestes mordantes,
tout ainsi que trasses, les erres des
bestes rousses. »
routier (vieil), homme qui con-
naît les chemins, qui a beaucoup de
pratique (Scheler).
Routier (Le ^rand), 135.
rudesse des mots italiens écour-
tés, 83,
ruer les grands coups, 37. Ruer
sisnitie jeter avec force, ruer de
grands coups, donner de grands
coups.
Il avoit rué plusieurs coups de baston sur
la leste d'un nommé Thomas.
25 août 1583. (G.)
ruisselet, 101. Le mot est an-
cien :
Ki sûmes d'ni?ues ruscelet.
Landri DR Waben, Expl. du cant. des
oant. (G.)
rustre, employé pour désigner
des soldats, 348.
D'autres les ont appelez rustres, ainsi
âne nous lisons dans le roman de M. de
ayard, que M. de Bayard dit à ses rustres,
appellans ainsi ceux auxquels il coramandoit.
Brant. Cap. Ir. (L.)
rut OU ruit, 1^. Nicot donne les
deux formes.
ryme, orisrine du mot, 42.
s à la fin des mots français, 208 ;
ajouté au commencement d'un mot
italien, 297.
sac (Proverbes), 217, 248.
saere^ saeret^ 128; sacre em-
ployé par métaphore, 182.
' Ce maréchal de Joyeu!>e était une manière
de sacre et de brif^and, qui pilhit tant qu'il
pouvait. Saint-Simon, 278, 6. (L.)
sade^ sadfnet) sadlnette,
103 : Sade signifiait gracieux, char-
mant :
Je l'ayme de propre nature.
Et elle moy, la douice sade.
Villon, Grand Tf$t. (G.)
Autant qu'une plus blanche il aime une bru-
[nette.
Si l'une a plus d'eselat, l'autre est plus sa-
[dinette. Regnieb, Fat. VU. (G.)
sase (Proverbes) 206, 237 ; — em-
prunté par les Italiens, saggio, 279.
sa«<M9se (Proverbes). 206, 228.
m»lnet (Proverbes), 233, 249.
Safnete-Crof X (cardinal), 31.
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LEXIQUE-INDEX.
429
saison, emprunté par les Italiens
et les Espagnols, stagion et sazon;
-275.
jialeme (école de), 214, 215.
saniç : Il ba du sang aux ongles.
Proverbe, 248.
Sannazar, 91, 215, 281.
sans, sans faute, empruntés
par les Italiens, sanza, sanza fallo,
326.
santé (proverbes relatifs à la)
213, 236; mot emprunté par les Ita-
liens, santa ou sanita, 280.
Sarpédon, 30.
tMftrrasinesques, 346. C'est le
même mot que sarrasine. Dans le
passage de Machiavel, le mot a sans
doute reçu la désinence si fréquente
en italien. Comme terme de fortifi-
cation, le mot désigne la herse que
l'on abaissait pour défendre l'accès
d'une porte.
saulvage, emprunté par les Ita-
liens, selvaggioy 278.
saulve (mettre en), serrer, expres-
sion picarde imitée par les Italiens,
:i39. Sauve est le substantif verbal
de sauver. On a dit aussi sauvement
et sauveté.
sautcler, faire de petits sauts,
sautiller, 53, 102. Le mot, encore
employé au xvii« siècle a été repris
de nos jours.
Ua nnin qui... sautelait de saillie en saillie.
V. Hugo. JS. D. de Paris, IV, n, (G.)
sauter de la poésie en la braise
{Proverbe), 183.
seannevole, 20 et 87.
searpe, terme militaire emprunté
aux Italiens, 351. Le mot est devenu
en français escarpe et désigne la
muraille qui règne au-dessus du
fossé du côté de la place.
licienee (Proverbes) 207.
iMMiseendere, éclater, emprunté
parles Italiens aux Provençaux, 260.
se, en italien, équivaut à si en
français, 313.
seconder qqn, être le second,
venir après lui, 30 :
Pour ne se pn» vouloir démettre jusque»
à seconder seulement un homme romain,
qui fluroit esté son beau-pere, et au demeu-
rant pouvoir oatre le premier de tous les
hommes. Amyot, Pomp., 107. (L.)
seigneuriale, lii. Ce mol qui
avait signifié seigneurie, puissance
s'est d'assez bonne heure spécialisé
dans lesens indiqué par H.Enienne
Il s'est conservé jusqu'à la Hévolu-
tion :
Le droit de .«'eigneuriage ou le revenu
fondé sur la fabncjt.on, est-.l nécessaire
est-il raisonnable? Mirabeau. (L.) *'"'^«'
seiisneurlal, digne d'un sei-
gneur, majestueux, noble (appliqua
à une façon de parler), 43. Nicot
n'indique pas ce sens figure du mot.
Rabelais, à propos de certaine inven-
tion de Gargantua enfant, lui faisait
employer ce mot plaisamment :
J'ay inventé un moyen le plus seigneurial,
le plus excellent, le plus expédient que
jamais feut vu. I, xm.
selisnenrie, domaine, 138. Nicot
traduit le mot seigneurie par ditio,
imperiumt dominatus,et le sens du
mot français paraît n'avoir pas été
moins large que celui du mot ditio.
Il désignait aussi bien la terre sei-
gneuriale que la puissance du sei-
gneur.
selve, forêt, selve ramée, forêt
touffue, 189.
Puis s'en va à la tour, si l'a plus tost
[rampée
K'escurieus n'ait kesne en la selve ramée.
[Fierabrtu, 3061. (G.)
Selve (de) 31.
sembler, emprunté par les Ita-
liens, sembiar, 285.
sens des mots, souvent diffé-
rent dans les dialectes, 179, et dans
l'ancienne langue, 200.
sensals, courtiers, 334. Le mot
sansal a désigné des agents de
banque ou de change, et, dans le
Midi, des intermédiaires entre le
vigneron et le marchand.
sentence, pensée, idée, 210.
sentier, emprunté par les Ita-
liens, 277.
sentinelles, emprunté aux Ita-
liens, 315.
sergent, serviteur, 200.
Philippe le Conquérant les chassa de
France (les Juifs) et confisqua leurs biens
immeubles, parce qu'ils avoyent des sergents
et chambrières chresliennes.
BODIN, Repub. I, 5. (G.)
serredenier, avare, 107.
serremiettes, avare, 107.
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430
LEXIQUE-INDEX.
I (tenir en ses), employé
par métaphore, 130.
oervase, emprunté par les Ita-
liens, servaggio.
oervfee (Proverbe).
seTrare, séparer, emprunté par
les Italiens aux Provençaux, 260.
si esl-ee que, 39 ; si faut-il, 195 ;
le mot si conserve dans ces locu-
tions son ancien sens, pourtant.
Et encore qu'il y ait en l'homme autre
chose que la raison, si est-ce néanmoins
qu'elle est la partie dominante.
BossuET, Pen». chrêt., 33, (L.)
Jamais de son pays ne vint lettre de change.
Et quoiqu'il manée peu, si faut-il bien qu'il
[mange. Regsahd, Le Bal, 13. (L.)
Sien (le), son bien, 233 (dans un
proverbe).
Ne point mentir, être content du sien.
C'est le plus sûr.
[La Foirr., Fab., V, 1. (L.)
Slennols, leur bonne pronon-
ciation, 70.
siniE, cloche, dans toquesing^
179.
sinon que. Voir Observations
grammaticales, 174.
Sion, 244 (dans un proverbe).
NicoT : « Un Sion est jecton d'arbre
long d'un pied ou d'une coudée,
qu'on plante en terre, talea, taies.
sma^are , consterner , em-
prunté par les Italiens aux Proven-
çaux, 260.
sobriété, recommandée par les
proverbes, 217.
Soerate, 27.
sossioi*!^®* séjour, emprunte
par les Italiens aux Provençaux,
257.
soldats appointes!. Voir ap-
pointez.
soleiller, se promener au soleil,
178. Le verbe a signifié surtout
éclairer, briller (en parlant du soleil),
exposer au soleil ; solcillé signifiait
ensoleillé :
Les costeaux soleillez de pampre sont
[«îouvers. J. Du Bellay, Regrets. (G.)
solia, avait coutume, emprunté
aux Provençaux, 261.
soniçecreux, 156. Le mot n'a
plus son ancien sens qui était à peu
près songefinesse ou songemalice.
Dans Montaigne, il a déjà un sens
plus rapproché du sens moderne :
Je suis de moy me$me non mélancolique
mais songe-creux. I, 77. (L.)
songeiUMïSso , 161 ; son^e-
malice, 156; Nicot : « Un Songe-
malice, Ca£omechanos. » Le mot
se trouve aussi dans Cotgrave,
Mon et, etc.
soniçcnouvelle. H. Estienne
forgerait volontiers ce mot, 161.
soigneux, soigneusement, 107, 38.
Les formes nasales étaient très
usitées avant le xvi" siècle.
sonnet , antérieur à Titaliea
sonnetto, 22.
Sophlan (Michel), 13.
sot, sottise; les Italiens n^ont
pas de mots équivalents, 343.
soufflet au roy (bailler un),.
147. Cet emploi métaphorique de la
locution est encore mentionné par
Furetière. Le droit de battre mon-
naie étant un des principaux attri-
buts de la souverameté, la locution
s'explique facilement.
soûlas, joie, plaisir, divertisse-
ment, 267. Le mot, devenu d'un
emploi rare, a pris plus tard un
?ens voisin de soulagement, conso-
lation.
Vain et foible soûlas en un coup si
[funeste. Corxeille, I, 461.
Corneille a écrit plus tard : foible
soulagement.
soulasser, soulassicr, 267»
287; réjouir, amuser; puis conso-
ler; se soulasser e&i encore employé
au xvi« siècle dans le sens de se
divertir :
Vas y tout seul te soulasser.
' Baïk, EgL, XVin. (G.)
souldoyer, vieux mot signifiant
soldat, 348. Nicot ; « Souldoyer se
prend es vieux romans pour soul-
dat recevant souldée. »
Bien en porrat luer ses soldeiers.
^ Roi., 32. (G.)
souloir, avoir coutume, 327.
La BRUYERE, De quelques usages :
H L'usage a préféré dans les verbes...
être accoutumé à souloir. » Le mot
est déjà condamné par Vaugelas,
(édit. Chassang, 1, 388).
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LEXIQUE-INDEX.
431
I» mot emprunté par les
taliens, 284.
floustonement , resté terme
<îe procédure, est déjà employé
comme tel, par métaphore, par
Henri Eslienne, 28. li s'emploie
aussi comme terme de maçonnerie,
et son emploi dans ce. sens remonte
très loin.
souvenir, emprunté par les
Italiens, sovenir, 301,- détourné de
son sens, 331.
SOUTent, emprunté par les Ita-
liens, sovente, 319.
souTenlesrois , maintes fois.
L'un perd souventefois ce que l'antre con-
[sei-ve. Mairkt, Sophon., IV, nr. (L.)
sovonte, emprunté par les Ita-
liens- aux Provençaux, 258.
soventemente, 319.
mm pour x dans les mots italiens,
81.
saeotor, employé par R. Bel-
leau, 102.
Suétone, 197.
sufflsanee, ce qui suffit, 237
(dans un proverbe); suffisance de
nostre langue, 7 : son aptitude à
.1 éloquence, au bien dire.
«njet k, preuve ; qui a besoin
de preuve; 184. Nous disons d'une
façon analogue sujet à caution.
superdimlnution, 98.
superlatifs en italien et en
français, 87.
surattondre, 203.
surmontor, surpasser, 18 ; vain-
cre, 9d :
Quelle nei^e a tant de blancheur
Que sa gorge ne la surmonte ?
Malhebde. (L.)
. Je suis vaincue et surmontée par une
inclmalion qui m'entraîne malgré moi.
La pAYETra. Prino. de Cléveg. (L.)
ontor, emprunté par les
Italiens, 285.
sursomme, surcharge, 247 (dans
un proverbe). Le même proverbe
est cité sous plusieurs formes par
Godefroy.
sns^iens, adj., en suspens, dans
Imcertitude, 116.
La plus pénible assiette pour moy, c'est
û estre suspens es choses qui pressent.
MoifTAiGHE, m, 47. (L.)
syllabes retranchées dans les
mots italiens, 77; ajoutées, 332.
syneope, suppression de lettre,
292.
syneoper, retrancher une lettre,
182.
synonymes, 166.
Syrus. Voir Publius mimogra-
phus.
t remplacé par d dans les mots
italiens, 76; — ^ ou tt pour d, 74.
taliarro, emprunté au français,
312. ^
Taeito, 57, 59, 82, 291, 328, 336.
talent, signifiait autrefois vo-
lonté, 258. NicoT : « C'est grand
désir, combien que soit aussi sim-
plement désir, et qu'on die r J'ay
grand thalent de te festoyer. Ce
mot est fort usité es païs de Lan-
guedoc et Provence. »
talento, emprunté parles Italiens
aux Provençaux, 258.
talut ou talus, 358. Nicot donne
encore les deux orthographes.
tant pourtant, toutes propor-
tions gardées, 237.
Il eat certain que les desbordemens n'ont
esté tels à beaucoup près en toutes sortes
d'excès et superfluitez, tant pour tant, au
commencement de l'nage du monde, qu'on
les a veus vers le milieu, et qu'on les veoit
maintenant vers la fin. H. Estœnne. Ânol
p. Hérodote, IL (G.)
tantost, emprunté par les Ua-
liensi tantosto, 320.
taquin, avare, 106.
Les courtisans estimoient Louis XII un
taquin pour estre plus retenu en ses dons.
E. Pasquier, Lett., XII, vi. (L.)
tastons (k), emprunté par les
Italiens, à tentone ou a tantone, 339.
toi, proverbes commençant par
ce mot et exprimant un similitude.
225. *
tollement, signifiant non pas
à tel point, mais de telle façon, et
pouvant servir même à introduire
une restriction, 154, 228, 345, 170.
Ceux qui se donnent tellement à Dieu
qu ils ont toujours un regard pour le monde.
BossuET, Panég. Saint- Joeeph. (L.)
tompestotif,s'emploie par méta-
phore, 134. Au sens propre :
Vens tempestatifz et oraiges
Luy ont occis ses enrans tous.
Miêt. du Vi$l Test., 37371. (G.)
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432
LEXIQUE-INDEX.
tempre, tempremenre, 178.
Tempre signiûail tôt, de bonne heure;
Godefroy ne donne pas tempremeure.
Que faites vous si tempre levé?
CoUoquia cum dioUonariolo gex lingua-
rtim, Anvers, 1588. (G.)
tenant, trop tenant, avare,
106.
On le disoit fort tenant en sa despense.
Brantôme, Grand» capit. e$tranj., I, vl.
(G.)
Il se roonstroit trop tenant et roide pour
le fisc. Fauchet, Antiq. GauL, V, 2.
tendre et ses diminutifs, ten-
dreté tendrelet, 98.
Une avette sommeillant
Dans le fond d'une fleurette
Lui piqua la main tendrette.
Ronsard, Ed. Elz., II, 71 (Mellerio).
Ses pieds sont tendrelets.
Du Bellay, IV, 73. (L.)
tencona, tansement, action de
tanser, emprunté par les Italiens
aux Provençaux, ^8.
teraycuf, trisayeul, 157.
Térenee. S20, 335.
terminaisons italiennes, leur
monotonie, 66.
terroir, sol, territoire, 63 (dans
Viffenère).
tfïStard, têtu, entêté, 175.
Gripus, orguilleux, teslars.
Gloa*. da Salins. (G.)
teste, emprunté par les Italiens,
testa, 273. Avoir en teste, avoir pour
adversaire, 27.
Dans cette terrible journée où le ciel
j-erabla vouloir décider du sort de ce prince,
nù, avec l'élite des troupes, il avoit en tête
un général si pressant.
BossuET, Condé. (L.)
Tibulle, 226.
tien : J'aime mieux un tien que
deux tu l'auras {Proverbe)^ 235.
tiereelet, employé par méta-
phore, 128.
Nous nous tenons descouverts bien loin
autour d'eux [les princes], et autour de cent
autres, tant nous avons de tiercelets et
quarlelets de roys.
Montaigne, I, 338. (L.)
tiftneux, 252 (Proverbe).
tire-tire, 248 {Proverbe). Gode-
froy dit que d'après Scheler, tire tire
sif^nifie peine et misère. Cependant
la locution faisant pendant k pille
pille peut nous faire penser à un
autre sens. Nous avons l'expression
voleur à la tire. Dans l'historique
de LiLtré, on trouve tire à tire et
tire et tire signifiant vivement, tout
de suite.
tirer, emprunté par les Italiens,
293.
TItinnius, 228.
tocsin, origine du mot, 179.
tomber de fièvre en chaud mal.
Proverbe, 183.
tombereau, semble être du
dialecte parisien, 176.
Tomitano, 18, 43, 83, 169, 255.
tonsure (eentilhomme àsimple),
128. FuRETiÈRE : « Un bénéfice à
simple tonsure est un bénéfice qui
se peut posséder par un enfant de
sept ans qui a seulement la tonsure ».
Par analo(2:ie avec un ecclésiastique
à simple tonsure, qui n'en est qu'au
premier deprré, on a dit gentilhomme
à simple tonsure pour un petit gen-
tilhomme :
11 trouva .un gentilhomme romain fort à
simple tonsure, qui avec de l'argent s'éloii
fait faire prince par le pape.
Saint-Simon, 53, 140. (L.)
toquer, toucher ou frapper, 179.
C'est une forme dialectale de tou-
cher. Littré indique comme encore
usitée la locution : Qui toque fun
toque l'autre, qui ofiense l'un, offense
l'autre.
tort, avoir grand tort, emprunté
par les Italiens, 336.
Toscane, pureté du langage
toscan, 70.
tost, emprunté par les italiens.
319.
touaille, emprunté par les Ita-
liens, tooaglia, 284. Le mot signi-
fiait nappe, serviette, et désignait
spécialement un linge pour s'es-
suyer les mains. Nicot : « Touaille
à mains, Mantile. »
touche : A la touche on esprouvc
l'op. Proverbe, 234.
tournoy, emprunté par les Ita-
liens, torniamento, 358.
Tours, prétend parler le meil-
leur français après Paris, 170.
tout en un coup, d'un seul
coup, 146.
tout d'un train, sans inter-
ruption, sans retard, 177 :
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LEXIQUE-INDEX.
433
Parlons tout d'an train, ma fille, de la
Drévention de Monsieur le Chevalier.
*^ Skvigné, IX, 222.
tout outre, tout à fait, extrô-
memeDt, 110:
11 estoit tout oullre passionné de l'amour
d'Aspasia. Amtot. Artaa, 39. (L.)
tout (du), tout à fait, 13 :
Que si nos maux passés ont laissé qnelqne
[reste
Ils vont du tout finir.
Malherbe, I, 232.
traeeSt 1^* Nicot : « Eu pluriel,
traces entre veneurs signifie les
erres et routes des bestes mor-
dantes, comme ours et sangliers.
Là où celles des cerfs, chèvre ux,
dains et rangiers s'appellent pieds
ou foyes. »
traeotanza, présomption, em-
prunté par les Italiens aux Pro-
vençaux, 260.
train (tout d'un). Voir tout.
traite, 142 : Furetière : « On
appelle traitte en matière de mon-
noyes, une charge excessive qui
fait la diminution de leur valeur.
Ce terme comprend le seigneuriage,
le brassage et le remède de poids
et de loy ». Ailleurs Furelière définit
cette dernière expression;elle désigne
l'indulgence accordée aux fabrica-
tears de monnoye, dont la monnaie
peut être un peu au-dessous du
poids et du titre fixés par Tordon-
nance.
tranchée, emprunté par les
Italiens, trincea^ 355.
translation, métaphore, 203.
Quand l'Escriture nomme Dieu, homme
de guerre : pour ce que sans translation ce
langnf^ seroit trop dur et aspre. je ne
doute pas de le prendre comme une simi-
litude tirée des nommes.
Calvuc, tnst.. 111*. (L.)
transporter, emprunté par les
Italiens, 293.
transposition de lettres dans
les mots italiens, 76.
traseotato, présomptueux, em-
prunté par les Italiens aux Proven-
çaux, 250.
traTallf emprunté par les Ita-
liens, travaglio^ 285.
traTallié, souffrant, incommodé,
fatigué, 123.
PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS.
L'homme est d'autant plus travaillé
Que le parterre est émaillé
D'une diversité plus grande.
Malherbe. (L.)
travailler, emprunté par les
Italiens, travagliar, 285.
trebuseher, emprunté par les
Italiens, traboccar, 285.
très, usage de ce mot, 88.
tresquer, danser, en ancien
français; emprunté par les Italiens,
trescar^ 266 :
Main a main nous prendron, ainsi ane
[pour treschier.
CuvEUEB, B. du Gu08cl., 19911. (G.)
tripot, 135, lieu où Ton joue à la
paume. Le mot, qui avait signifié
Mlle, marché, avait d'ordinaire au
xvi« siècle le sens que lui donne
Henri Ëstienne.
trisayeul, 157.
tromper, employé avec déce-
voir, 167; Proverbe, ^i.
trompevllaln, 164.
trop n'est mie bien, Proverbe,
230 ; trop emprunté par les Italiens,
troppo, 323.
truBSer, vieux mot signifiant ««
moquer de, railler, 177; le verbe
s'employait aussi comme neutre et
comme réfléchi :
Commença trnpher et moequer maintenant
les uns mamtenant les autres.
Rabelais, IV, J». (G.)
Vous truphez, icy, beuveurs.
Rabelais, IV, 3S.
Cessez pourtant icy plus vous trnpher.
IlABELAIS,IV,38.
tmye, machine de guerre, 306.
Froissart : « Un grant engin que
on appelle truie, lequel engin estoit
de telle ordonnance que il jetoit
pierres do faix, et se pouvolent bien
cent hommes d'armes ordonner de-
dans ». Il, II, 5 (L.). Cet engin ser-
vait à battre les murailles et à se
mettre à couvert en approchant des
murs.
tt pour pt ou et dans les mots
italiens, 81.
u pour e dans les mots italiens,
76 ; — pour o, 76 ; u inséré dans les
mots italiens, 76, 80, 307.
Ulysse, 158.
T changé en gu, 305.
Talensa, vaillance ou valeur,
25
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^u
LEXIQUE-INDEX.
einpr unie parles Italiens aux Pro-
vfin-jiux, 258.
vàntenee, vanterîe, 121 (dans
uuâ cilatioii) :
Kt nifiintx seigneurs (je le dys sans yenUnee)
liip'ii'â et rrans cerchoient mon accoinctance.
[d. Mabot, Met. d'Ov. II, 84. (G.)
Varctai, 15, 16, 20, 314.
l'aaeones, les Gascons, disent
n DU obe pour oui, 171.
1 eau {Proverbe), 217.
vcée, défendue, refusée, 221 (dans
nn proverbe).
Dp si grant amour à ses parens, amis et
nW\n<- et mesme à ses officiers qu'il n'est
jlKiM* qu'il leur Toulsist véer (refuser).
l-FimsT. 0E PiSAK, Charles K, 2e p. ch. 5. (G.)
lendlquer (se), revendiquer,
rérlamer comme sa propriété, 306.
)| vouloit faussement se vendiquer Vir-
ir-,i]i(ï comme sa serve et son esclave.
Siim.ET, Diaï.cont. hê folles amours. (G.)
Vondosme prétend parler le
ifiÊilleur français après Paris, 170.
vénerie (métaphores emprun-
(écaà la), 117 et suiv.
venglare, venger, emprunté par
l^îi Italiens aux Provençaux, 260.
lenir au devant, venir devant
1rs yeux, emprunté par les Italiens,
terlies, vieux verbes usités dans
II* Rommans, 187; vieux verbes dé-
riva' s des noms en ajoutant au com-
jriËiicement la préposition en, 188;
verbes empruntés par les Italiens,
-iS^i : verbes formés sur le modèle
(lu français, 300.
verge, tige, 244 (dans un pro-
verbe).
verlsimilitude, vraisemblance,
'Ail. Nicot donne verisimilitude et
no donne pas vraisemblance. Les
dûux sont employés par Montaigne.
vermelllet, diminutif de ver-
îiifil, un peu rouge, 101. Le mot,
qui est ancien dans la langue, est
t^niploye par Ronsard, Du Bellay,
elCr Nicot le traduit par rubicundus.
lerron, vairon, 235 (dans un
[proverbe). Nicot : « Petit poisson
l'Dinmun ».
ver» UMMSiireK en français, 40.
vertu gist au milieu. Proverbe.
viande, nourriture, aliment, 214.
C'est l'ancien sens du mot.
Un ragoût, une salade de concombre, des
cerneaux, et autres sortes de viandes.
SIJVIGNK, IV, 132.
Vieil laniçase , les richesses
qu'il offre au français, 184 et suiv.
vieux mots, plus rapprochés
du latin que les formes modernes,
189; vieux mots empruntés par les
Italiens, 262 et suiv.
Ylsenere, 62.
Tifsne (Gaces de la), 122.
vilain (proverbes relatifs an),
204.
vilain, etaiehevilain, avare,
106.
Jamais on ne parle de vous que sous les
noms d'svare, de ladre, de vilain et de
fesse-mathieu. Molière, Avare, III, v.
Vin (Proverbes relatifs au), 213,
214, 216, 223.
Virgile, 4, 5, 17, 23, 49, 50, 51,
52, 53, 55, 185, 193, 220, 236.
viste (adj.), prompt, léger, ra-
pide.
Plus vites que les aigles, plus courageux
que les lions. Bossuet, Condé. (L.)
vittuailles, emprunté par les
Italiens, vettovaglie. 356.
voeable, mot, 40.
voire, même, 3.
volerle (métaphores emprun-
tées à la), 117 et suiv.
voyage, emprunté par les Ita-
liens, viaggio, 278.
voye, employé à Paris comme
synonyme de chartee, 180.
voye (en), en roule, en chemin,
207 (dans un proverbe) :
Leur bagage étant prêt...
Nos galants se mettent en voie.
LaFontaine, IV, 42.
iralons. leur dialecte peut en'
richir la langue française, 176.
X remplacé par ss dans les mots
italiens, 81.
Ycnoptaon, 13, 118, 150, 151.
zélateur, qui a du zèle, qui
agit avec zèle pour, 2:
Ce ne sont plus ces anciens zelateuri; de
la liberté, uniquement attentifs au bien
aublic et à l'honneur de la nation.
.OLLiN, Uist. anc. OEuv., VII, 54. (L.)
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TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos v
Préface vu
Au Roy 1
Au lecteur iO
Project de Tœuvre. intitulé de la precellence du langage
françois par Henri Estiene 2"
Observations grammaticales 361
Lexique-index 388
Coulommiera. — Imp. P. BRODARD. — 786-95.
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