Skip to main content

Full text of "La précellence du langage françois"

See other formats


This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 
to make the world's books discoverable online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover. 

Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the 
publisher to a library and finally to y ou. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying. 

We also ask that y ou: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web 



at |http : //books . google . corn/ 



/ÎW' -^y 



-*' ^ 



tjÎ"4V 




î^arfaart ColUge Hibrarg. 



FROM THE 



LUCY OSGOOD LEGACY, 

'*To percha se suc h books as shall be most 

needed for the Collège Library, ao as 

best to promote the objecte 

of the Collège." 






v\/ 




%y 



r 



Digitized 



by Google 



Digitized 



byGoogk 



Digitized 



by Google 



LA PRÉCELLENCE 

DU LANGAGE FRANÇOIS 



Digitized 



by Google 



COULOMMIERS 
Imprimerie Paul Brodah» 



Digitized 



by Google 



HENRI XSTIENNE 

LA PRÉCELLENCE 

DU LANGAGE FRANÇOIS 

Réimprimée avec des notes, une grammaire et un glossaire 

PAR 

EDMOND HUGUET 

Maître de conférences à la Faculté des lettres de Caen 



ET PRECEDEE 

d'une Préface de L. PETIT DE JULLEVILLE 




PARIS 
ARMAND COLIN ET C»% ÉDITEURS 

5, RUE DE MÉZIÊRES, 5 

1896 

Tous droits réservé?. 



Digitized 



by Google 







i 



Digitized 



by Google 



AVANT-PROPOS 



Le Project du livre intitulé De la precellence du lan- 
gage François n'a eu que deux éditions, celle qui fut 
imprimée par Mamert Pâtisson en 1579, et celle qu'a 
publiée en 1850 Léon Feugère. Les exemplaires de 
Tédition originale sont depuis longtemps très rares. 
L'édition Feugère est elle-même épuisée. 11 était 
donc nécessaire d'imprimer pour la troisième fois 
l'ouvrage d'Henri Estienne. 

Cette réimpression n'a d'autre but que d'offrir à 
ceux qui étudient notre langue le texte de la Precel- 
lence^ devenu difficile à trouver. Elle n'a pas la pré- 
tention de faire oublier l'excellente édition de 1850, 
dont il ne m'était pas possible de reproduire les 
utiles indications. J'ai seulement cherché à dire l'in- 
dispensable et à compléter le travail de Léon Feugère. 
Les progrès qu'a faits depuis 1850 la philologie 
française m'ont permis de combler quelques lacunes 
et de donner sur certains points des renseignements 
plus précis. 



Digitized 



by Google 



VI AVANT-PROPOS. 

Ce travail, que les circonstances m'ont obligé à 
faire avec trop de hâte, aurait lui-même besoin d'être 
complété et rectifié. 11 s'adresse à des lecteurs qui 
sauront faire Tun et l'autre. Il serait beaucoup plus 
imparfait si j'avais dû le faire tout entier, et sans 
aucune aide. Je suis heureux de remercier tous ceux 
qui ont bien voulu s'intéresser à cette réimpression 
de la Précellence : M. Petit de JuUeville, dont l'excel- 
lente Préface donne une idée très juste d'Henri 
Estienne et de son livre; M. Ferdinand Brunot, dont 
les conseils et les indications ne m'ont jamais fait 
défaut; M. Delaruelle, agrégé de grammaire, à qui 
je dois tous les rapprochements avec les Dialogues 
du français italianisé^ enfin les étudiants de la 
Sorbonne candidats à l'agrégation de grammaire, 
qui ont corrigé les épreuves avec autant de soin que 
d'intelligence. C'est grâce à eux que j'ai pu repro- 
duire plus exactement que ne l'avait fait Léon Feugère 
l'orthographe, la ponctuation, et même certaines par- 
ticularités typographiques de l'édition originale. 

Edmond Huguet. 



Digitized 



by Google 



PREFACE 



I 



L'abbé d'Olivel, qui fut lui-même un des bons 
grammairiens du xvni« siècle, a proclamé Henri 
Estienne le meilleur grammairien du xvi* siècle; et 
cet éloge est mérité. Ce n'est pas à dire qu'Henri 
Estienne soit de tout point un excellent grammairien, 
au moins selon Tidée que nous nous faisons aujour- 
d'hui de la grammaire. Nous voulons y voir une 
science, rigoureuse dans sa méthode et soumise à 
des lois précises. Sans doute, elle renferme encore 
des parties inachevées; sur plusieurs points, elle 
recourt àThypothèse; mais en faisant ses réserves et 
provisoirement. Riche en faits observés, elle est pru- 
dente en conclusions; elle ne se flatte point dépos- 
séder tous les secrets de la vie du langage; mais elle 
croit que Tétude attentive des phénomènes pourra 
nous en révéler un jour les lois et les causes. 



Digitized 



by Google 



VIII PREFACE. 

Tout autre est la méthode grammaticale d'Henri 
Estienne; ou plutôt il n'a pas de méthode. 11 n'a 
qu'une érudition immense, une curiosité universelle, 
et une ingéniosité féconde. Armé de ces trois instru- 
ments, il s'avance hardiment, à travers les fourrés 
d'une science encore toute nouvelle, et presque à 
naître; il va devant lui, tout droit, bien qu'au hasard; 
mêlant aux aperçus les plus fins et les plus justes, 
des erreurs énormes; amassant tout ce qu'il ren- 
contre; cataloguant tout ce qu'il voit, ou croit voir, 
et hasardant sur toutes choses tout ce qu'il pense ou 
imagine. Entre les mains d'un autre homme, un tel 
procédé, joint à une telle abondance, n'aurait pu 
donner qu'un fatras. Les livres d'Henri Estienne sont 
désordonnés; mais au-dessus de ce désordre, il plane 
un certain bon sens supérieur; et son œuvre philolo- 
gique, par le nombre et la variété, quelquefois aussi 
la justesse des vues, demeure intéressante, agréable 
et même utile à consulter. 

Elle eut, à l'origine, une influence excellente. 
Henri Estienne a contribué plus que personne à 
préserver la bonne santé de la langue française dans 
une phase assez périlleuse de son existence. Son 
patriotisme littéraire, parfois un peu aveugle, eut du 
moins d'heureuses conséquences, et sauva le fran- 
çais d'un sérieux danger, à cette époque où les uns 
n'admiraient que les langues anciennes, et avaient le 
cœur, la mémoire et l'esprit tout farcis de latin, de 
grec et d'hébreu, qu'ils alléguaient sans cesse au 
mépris du pauvre langage vulgaire] où les autres 
affectaient de reconnaître à l'italien tout seul, parmi 



Digitized 



by Google 



PRÉFACE. IX 

les idiomes modernes, les qualités d'un langage civi- 
lisé, poétique, harmonieux. L'imitation italienne 
envahissait la France ; déjà toute la cour, sous une 
reine florentine, s'attachait à travestir son langage et 
ses mœurs k la mode de delà les Alpes. L'intégrité 
du vocabulaire français et celle du caractère national 
(plus précieuse encore) étaient sérieusement mena- 
cées. On ne saurait trop louer Henri Estienne de 
s'être dégagé hardiment de tous les préjugés du 
pédantisme et de la mode. Il ne fut ni des latinisants 
ni des italianisants; il sut défendre obstinément 
contre l'hébreu, le latin, le grec, l'italien, la cause de 
la langue française; et il sut en montrer dans ses 
livres, par le précepte et par l'exemple, comme gram- 
mairien, comme écrivain, l'originaUté, la vigueur, la 
souplesse et l'abondance. 

Aujourd'hui même, il peut encore être utile. On 
avoue qu'il est plein d'erreurs; mais ses livres font 
penser; ils sont, comme on dit maintenant, « émi- 
nenament suggestifs », mots qu'il n'eût pas compris, 
mais dont il aurait bien su se passer, lui, l'infatigable 
chercheur de synonymes et d'équivalents; il eût dit, 
par exemple, que ses livres nous fournissent beau- 
coup d'idées ingénieuses; et qu'ils en font naître 
encore plus qu'ils n'en expriment. Je conviens qu'il 
serait dangereux de commencer une éducation philo- 
logique par les livres d'Henri Estienne. Il apporte à 
Taffirmation du faux une tranquille assurance qui 
pourrait égarer un esprit tout à fait novice. Mais 
quand on est pleinement assuré dans la possession 
et dans l'intelligence des quatre ou cinq principes 



Digitized 



by Google 



X PREFACE. 

fondamentaux qui sont la base solide de la philologie 
française; quand on est, tout d'abord, inébranlable- 
ment persuadé que le français vient du bas-latin, 
non du bas-breton, ou du grec, ou de l'hébreu; que 
tous les mots du fonds populaire ont gardé l'accent 
tonique à la place où il était en bas-latin; que les 
transformations phonétiques se sont faites selon des 
lois fatales, inconscientes, non au hasard ou par 
convention ; que les langues sont des produits natu- 
rels, non le résultat d'un artifice ou d'un contrat; 
quand, dis-je, on est solidement attaché à ces 
colonnes de la doctrine, on peut sans danger, même 
avec plaisir, et avec * fruit, lire Henri Estienne. 
D'abord il est un des plus sûrs témoins de la langue 
de son temps ; et ce qu'il nous apporte de faits, de 
tours, de mots pour la connaissance de l'idiome parlé 
au xvie siècle, est inappréciable. Puis la vie et l'ar- 
deur qu'il met dans ses études sont aussi d'un bon 
exemple; il nous apprend ainsi que la philologie, 
cette science dont l'objet est vivant, veut être traitée 
d'une autre méthode et sur un autre ton que la 
science des choses mortes ou abstraites. Enfin, 
j'oserai dire qu'en voyant un homme d'esprit, et pro- 
digieusement savant, se tromper parfois si complè- 
tement, nous nous instruisons nous-mêmes à être 
circonspects dans nos conclusions, et modestes dans 
l'affirmation; cette leçon a aussi son prix. Morale- 
ment, elle est excellente; scientifiquement, elle peut 
préserver du faux, sinon aider à trouver le vrai. 



Digitized 



by Google 



PREFACE. XI 



II 



Entre tant d'immenses travaux, Henri Estienne a 
consacré cinq ouvrages à la langue française. En 1558, 
il publiait la traduction en latin de la, grammaire fran- 
çoise composée par son père, Robert Estienne. Il don- 
nait en 1565 le Traiclé de la conformité du langage 
f rançon avec le grec, eri^78, ^ewa? dialogues du nou- 
veau langage françois iialiàhïzé et autrement desguizé. 
L'année suivante : le Project du livre intitulé : de la 
precellence du langage françois (1579). Enfm les 
Hypomneses de gallica lingua, qui sont un commeur- 
taire continu de la grammaire française de Robert 
Estienne furent publiés en 1582. Tous ces ouvrages, 
partis de la même main, offrent à peu près les mêmes 
qualités et les mêmes défauts. La Precellence est 
celui qui a le moins vieilli au regard de la science 
philologique actuelle. 

A la fin du second Dialogue du langage françois ita- 
lianizé, Philausone {Vami de l'italien)^ convaincu par 
Geltophile (Vami du français) et par Philalèthe {Va^ni 
de la vérité^ c'est-à-dire Henri Estienne lui-même), se 
déclare prêt à faire amende honorable à notre langue, 
et à n'approuver plus « ceux qui à tous propos met- 
tent des mots italiens en la place des (mots) francès » ; 
mais toutefois, pour se « convertir » tout à fait, il 
exprime le vœu qu'on lui fasse connaître « par vives 
raisons » que « nostre langage francès est aussi bon 
et aussi beau, tant pour tant, que le langage ita- 



Digitized 



by Google 



XII PREFACE. 

lien ». Sinon, au fond du cœur, il continuera de 
penser que « les mots italiens, meslés parmi les 
nostres,. ont quelque garbe {galbé) plus grand que 
n'auroyent les nostres ». Celtophile intervient pour 
appuyer la demande : « Je vous prie, Monsieur Phila- 
lèthe, de prendre Monsieur Philausone au mot; car il 
me semble que desja d'ailleurs vous aviez quelque 
délibération d*en venir la. >> Et Philalèthe se déclare 
prêt à fournir la démonstration requise. « 11 n'est 
pas besoin de m'en prier, car je ne fi jamais chose 
plus volontiers. Seulement faut choisir le jour et le 
lieu; et j'ay espérance de faire encore plus qu'il ne 
requiert; sçavoir demonstrer Texcellence de nostre 
langage estre si grande que non seulement il ne doit 

^^estre postposé à l'italien ; mais luy doit estre préféré; 

j n'en desplaise à toute l'Italie. » ' " 

Ainsi se trouvait annoncé et promis au public un 

nouvel ouvrage sur la langue française, consacré 

expressément à démontrer la supériorité de^notre 

- - idiome sur toutes les langues vivantes. Il l'écrivit en 
France, dans des circonstances singulières. 

Dans V Apologie pour Hérodote^ Henri Estienne 
avait attaqué violemment l'Ëglise catholique ; et dans 
les deux Dialogues du nouveau langage français ita- 
lianizéy la cour de France. Après quoi, il arriva que, 
pour l'un et l'autre ouvrage, il fut inquiété par le 
Conseil à Genève, et dut se réfugier à Paris, où 
le roi Henri III lui fit le meilleur accueil; la cour 
elle-même ne le traita pas trop durement, puisqu'il 
avoue avoir mené, pendant plusieurs mois, en pleine 
sécurité, la vie d'un demi-courtisan {semi aulicus). 



Digitized 



by Google 



PREFACE. Xm 

Henri III, curieux, comme tous les Valois ses pré- 
décesseurs, de tout ce qui touchait aux lettres, pres- 
sait vivement Henri Estienne de donner au public le 
livre qu'il avait promis sur la prééminence de la 
langue française. L'auteur s'excusait en disant qu'il 
avait laissé tous ses papiers à Genève. « Y avez- 
vous laissé votre tête? lui dit le Roi. » Il fallut se 
rendre; et, pour répondre à l'impatience du mo- 
narque, autant qu'aux goûts d'Henri Estienne, qui 
aimait aller vite en besogne, l'ouvrage fut achevé au 
bout de trois mois* ; ou du moins le Projet du livre 
qu'il voulait faire plus tard, à loisir; mais le livre ne 
fut jamais fait. Il est vrai que le Projet est tout autre 
chose qu'une préface, et forme à lui seul un volume 
de trois cents pages. 

Dans la dédicace au Roy (datée du 23 avril 1579), 
l'auteur s'exprime ainsi : « Sire, pour m'aquitter 
de la promesse faicte dernièrement à vostre Majesté, 
je luy présente un project et comme un modelle d'un 
ceuvre que je délibère intituler De la precellence du 
langage françois. Lequel project je la supplie treshum- 
blement vouloir favoriser non moins de sa cen- 
sure que de sa lecture. A quoy j'espère qu'elle sera 
incitée, quand il luy plaira considérer de quelle 
importance est ceste entreprise pour l'honneur de 
son royaume : comme aussi je la puis asseurer qu'elle 
est procedee d'un cueur qui s'est tousjours monstre 
zélateur et comme jaloux de l'honneur de sa nation... 



1. Trois mois d'après Musa monitrix : six semaines d'après 
la préface de la Precellence, 



Digitized 



by Google 



XIV PREFACE. 

D'ailleurs je m'eslois ja obligé à une telle entreprise, 
par mes œuvres precedens, qui appartiennent à 
rillustration des langues Greque et Latine ; ne pou- 
vant raisonnablement denier à celle qui m'est natu- 
relle, autant de bien que j'en avois faict à ces estran- 
geres. » 

La forme n'est pas très modeste ; mais la modestie 
est le moindre souci des hommes du x\V siècle. 
Quant au patriotisme, Henri Estienne est sincère ; et 
quoiqu'il ait passé la plus grande partie de sa vie à 
l'étranger, il n'a jamais aimé que la France, 
^--l^dition princeps * de la Precellence parut en 
1579^)à Paris, chez Marner t Pâtisson, qui avait suc- 
"réde à Robert Estienne II (frère d'Henri). Le livre 
est intitulé : Project du livre intitulé De la precel- 
lence du langage François par Henri Estiene. Ce mot 
de Precellence a été blâmé, à tort, par La Monnoye, 
qui prétend qu'il n'est point français. Le mot est 
très bien fait, très clair; il n'est pas un synonyme 
superflu d'excellence ; Henri Estienne ne prétend pas 
que la langue française soit absolument sans défaut; 
il la croit seulement supérieure à toutes les autres 
langues vivantes. D'ailleurs le mot n'était pas inouï 
à cette époque : on le trouve au livre 1°' des Essais 
de Montaigne, publié quelques mois seulement après 
le livre d'Henri Estienne. 

Pour prouver la precellence du français, l'auteur 
ne s'avise pas de le comparer avec toutes les langues 

i. L'ouvrage n'avait été, jusqu'ici, réimprimé qu'une seule 
fois, après deux cent soixante et onze ans, par les soins de 
Léon Feugère, en 1830, chez Delalain. 



Digitized 



by Google 



PREFACE. XV 

de l'Europe; il le met en parallèle avec la seule-^-^^ 
langue italienne. Le choix de l'adversaire lui était ' 
imposé par l'opinion régnante. Après trois siècles 
d'une littérature polie, raffinée, déjà classique, la 
gloire des écrivains italiens avait rejailli sur leur 
langue, et la plaçait, dans l'admiration publique, au- 
dessus de tout autre idiome. Henri Estienne, avant 
de protester contre cette sorte d'idolâtrie, a soin de 
dire que s'il parvient à prouver la supériorité du 
français sur l'italien, il aura prouvé, par cela même, 
la supériorité du français sur toutes les langues 
vivantes; il répète à ce propos l'adage latin : « Si je 
puis vaincre celui qui vous a vaincu, je vous aurai 
ainsi vaincu vous-même. » 

Quelle que soit, au fond, la valeur de cette compa- 
raison établie entre les deux langues (et je crois 
qu'elle prouve peu de chose, car les langues n'ont 
pas de mesure commune), Henri Estienne était mieux 
qualifié que personne pour essayer un tel parallèle. 
Non seulement il savait le français à merveille, mais 
il ne savait guère moins bien l'italien, ayant voyagé r-i^ 
très longtemps dans le pays, durant sa jeunesse. 
n raconte lui-même que le « sçavoir parler (italien) 
aussi nayfvement que s'il eust esté du pays, fut ce qui 
lui sauva la vie à Naples, pendant que l'Empereur 
Charles le quint tenoit Sienne assiégée contre le Roy 
H^ri second ». Il se rendait de Rome à Naples pour 
''ëpiér Içs événements, et en faire part à M. de Selve, 
Wibassadeur du roi près du pape; reconnu par 
quelqu'un qui l'avait vu à Rome dans la maison de 
l'ambassadeur, et sur le point d'être accusé et con- 



Digitized 



by Google 



XVI PREFACE* 

vaincu d'espionnage, il se lira daffaire en affirmant 
qu'il était Italien, non Français, et en le persuadant à 
tout le monde « par son nayf et comme naturel lan- 
gage Italien ». Il est vrai, ajoute-t-il, qu'il y a long- 
temps de cette aventure, et qu'il a bien pu depuis 
lors oublier un peu de la langue, mais sans doute il 
lui en reste assez pour en parler pertinemment. 

Non plus que dans les autres ouvrages d'Henri 
Estienne, il n'y a pas de plan rigoureux dans la Pré- 
cellence; toutefois les idées suivent une marche un 
peu moins capricieuse , et les digressions qui ne 
manquent pas, entraînent l'auteur moins loin de son 
sujet. 

Henri Estienne énumère les principales qualités 
qui font la beauté d'une langue; et il entreprend de 
montrer que le français possède ces qualités à un 
plus^hawt degré que l'italien. ^ '"^' 

Par exemple : la gravité, la douceur, la grâce, la 
, brièveté, la richesse-^^ Il paraît singulier qu'Henri 
Estienne oublie la clarté^^ qui est à nos yeux la qualité 
propre et particulière du français la plus incontes- 
table. Mais c'est seulement depuis le xvii® siècle que 
le français s'est constamment piqué d'être la langue 
la plus claire de l'Europe; l'honneur d'avoir été 
choisi, ^ous Louis XIV, comme langue commune 
diplomatique put lui inspirer cette prétention, alors 
légitime. Au contraire, la langue du xvi® siècle, parla 
multitude de ses archaïsmes et de ses néologismes, 
la surabondance de son lexique, et les libertés de sa 
syntaxe (où le sens quelquefois semble se dérober, 
tant est grande la souplesse des tours), sans qu'on 



Digitized 



by Google 



PREFACE. XVII 

puisse la dire obscure, n'était pas, en effet, admi- 
rable avant tout pour sa clarté. 

Il n'est pas très aisé de définir ce que Tauteur 
entend par cette gravité dont il fait honneur à notre 
langue par-dessus la langue italienne; c'est quelque 
chose d'analogue, semble-t-il, à ce que d'autres nom- 
ment le nombre. Il n'est pas douteux que l'italien l'ait 
possédé avant le français. Le nombre est bien rare- 
ment dans la phrase française au moyen âge. Mais 
Henri Estienne a raison de reconnaître ce genre de 
mérite chez quelques-uns de ses contemporains; et 
c'est fort à propos qu'il cite ici le beau sonnet de 
Philippe Desportes : 

Un chemin si nouveau n'estonna sa jeunesse, 

Le pouvoir luy faillit et non la hardiesse. 

Il eut pour le brusler des astres le plus beau : 

Il mourut poursuyvant une haute avanture, 
Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture. 
Est-il plus beau dessein, ou plus riche tombeau? 

Certes le mérite des pensées n'est pas grand dans 
ces vers puisqu'ils sont traduits de Sannazar; mais 
le mérite de la forme est rare, et une langue capable 
de si beaux vers si bien faits était entièrement 
« dénouée » et déjà nombreuse. 

Mais Henri Estienne sent ces choses d'instinct, 
plus qu'il ne réussit à les expliquer; à l'italien qui 
vante son accent sonore il oppose l'accent français; 
et ce qu'il en dit montre bien qu'il ne sait pas ce que 
c'est que l'accent; car il le confond avec la quantité; 
les voyelles sont toniques ou atones, longues ou 



Digitized 



by Google 



XVIII PREFACE. 

brèves; ouvertes ou fermées. Il embrouille toutes ces 
qualités. Nous prononçons différemment Va dans 
grâce et dans trace \ dans mâle et dans malle; dans 
pâle et dans patte ; Henri Estienne explique ces diffé- 
rences par Taccent. Or dans ces mots, a est long et 
fermé; ou bien bref et ouvert; mais il est partout 
tonique. 

L'auteur s'efforce ensuite de prouver la gravité du 
français par une série de traductions du latin en ita- 
lien et en français, en prose et en vers, où il s'abuse 
quelquefois sur la supériorité qu'il croit reconnaître 
dans les traductions françaises; il s'abuse surtout 
quand il traduit lui-même envers, car il est médiocre 
poète. 

Il compare ainsi un discours de Tacite traduit 
en italien par Giorgio Dati, avec le même discours 
traduit en français par Biaise de Vigenère. La tra- 
duction italienne est absolument diffuse, et moins 
une traduction qu'une paraphrase. La traduction 
française n'est pas bonne, mais elle est au moins un 
peu plus serrée. Henri Estienne en triomphe, comme 
si ce n'était pas lui qui avait choisi les deux morceaux 
à l'appui de sa thèse, et comme s'il était démontré 
que toute traduction italienne fûinécessairement 
une paraphrase : « Combien est /vîril)le son de ces 
paroles Françoises , et combien (^<r mol celuy des 
Italiennes à comparaison : comment les Françoises 
semblent autant aller de roideur, que les autres aller 
laschement! » 

A défaut de force, au moins l'italien gardera-t-il le 
mérite delà douceur, qu'on lui accorde généralement? 



Digitized 



by Google 



PREFACE. I XIX 

Henri Estienne n'en conviai pas. Cette prétendue 
douceur n'est quefeionotonier. Il raille, avant Voltaire, 
qui cherchera la mïïïïTê^uerelle aux Italiens, l'unifor- 
mité de leurs consonances finales : il s'amuse à com- 
poser une phrase de soixante-douze mots , dont 
quarante finissent en o; et une phrase de trente-huit 
mots, dont vingt-trois finissent en a. Mais ni Voltaire, 
ni Henri Estienne n'ont remarqué que celte mono- 
tonie est plus apparente que réelle, et qu'elle choque 
l'œil bien plus que l'oreille. En effet l'accent italien 
(au rebours de l'accent français) n'est presque jamais 
sur la dernière syllabe; celle-ci est donc atone, la 
plupart du temps, et ne sonne que faiblement, 
comme fait notre e féminin final en français; car la 
moitié de nos mots finissent en e féminin; et les 
étrangers pourraient croire aussi que de là résulte une 
grande uniformité dans l'harmonie de notre langue; 
il n'en est rien parce que cet e final est toujours 
atone. La même observation s'applique à l'a, à l'o, à 
Vi final des Italiens. Voltaire, qui savait l'italien, 
mais qui ne le parlait pas, peut bien ne s'être pas 
rendu compte de cela; mais Henri Estienne qui le 
parlait si familièrement qu'il réussissait même à se 
faire passer pour Italien, pouvait-il ignorer que cette 
langue fait surtout sonner la syllabe tonique, et 
laisse à peine entendre la finale atone? 

n ne reconnaît pas davantage à l'italien le privilège 
de la grâce, ou comme il dit de la gentillesse^ et tou- 
tefois il semble faire consister surtout la grâce d'un 
idiome dans l'abondance des diminutifs, dont il 
raffole avec tout son temps. Il prétend que nous n'en 



V 



Digitized 



by Google 



XX PREFACE. 

avons pas moins que Titalien; que nous en avons 
même davantage. Mais il ne dit pas que c'est à limi- 
tation de ritalien que les poètes du xvi® siècle en 
avaient fait si grand usage ou plutôt si grand abus. Il 
ne prévoit pas que cette floraison devait passer vite; 
et qu'elle était si peu dans le vrai génie de la langue 
que le français, après avoir perdu la plupart des 
diminutifs qui plaisaient tant aux poètes contempo- 
rains d'Estienne, n'a jamais senti, je crois, le regret 
de cette perte. Nous avons conservé les diminutifs 
qui signifient quelque chose; nous continuons k 
appeler maisonnette une petite maison; et moucheron 
une petite mouche; mais nous avons rejeté tous ceux 
qui n'étaient que mignardise de langage, aifectation 
pure. Je m'étonne qu'un esprit sérieux comme Henri 
Estienne ait si fort goûté les tresses blondelettes qui 
ne dit pas plus que les tresses blondes; ou le gentil 
rossignolety qui n'est qu'un rossignol; et les herbes 
nouveletles qui sont les herbes nouvelles^ et rien de 
plus. Partout où le suffixe diminutif ne modifie pas 
réellement la signification du mot simple, le diminutif 
n'est qu'une mièvrerie, et non une beauté. 

Henri Estienne montre assez aisément que le fran- 
çais peut avoir plus de brièveté que l'italien; les mots 
correspondants sont en général plus courts chez 
nous; et notre syntaxe elle-même est un peu plus 
serrée; je crois seulement qu'il exagère la différence; 
et surtout qu'il a tort d'attribuer à l'idiome seul ce 
w qui est encore plutôt reffel du caractère national : les 
Italiens aiment à paraphraser; je crois qu'un Italien 
qui voudrait lutter de brièveté avec le français y 



Digitized 



by Google 



PREFACE. XXI 

pourrait très bien parvenir; mais leur goût est plutôt 
à s'épandre un peu largement. 

La partie la plus intéressante du livre d'Henri 
Estienne est celle où il traite de la richesse du fran- 
çais. Sur la richesse d'un vocabulaire, Henri Estienne 
partage les idées de son temps : une langue n'est 
jamais trop riche, et l'encombrement n'est pas à 
craindre. « Comme on n'appelle pas un homme riche 
qui n'ha que ce qui luy est nécessaire, mais faut qu'il 
ait aussi des choses dont il n'ha point besoin et des- 
quelles il se pourroit bien passer : et quant aux 
nécessaires il luy en faut avoir à rechange. » Voilà 
de la façon que le français est riche : il a tous les 
mots nécessaires, à double et triple rechange, et il 
a voulu « quelque provision curieuse plustost que 
nécessaire d'aucuns (mots) qui sont plus rares que 
les autres ». 

Henri Estienne exagère ici le nombre des syno- 
nymes; il n'y en a pas tant dans une langue bien 
faite; à vrai dire il n'y en a pas du tout, car tout 
l'effort des bons écrivains tend justement à effacer 
la synonymie en distinguant les nuances; et nous 
n'avons pas tant de mots de rechange à notre dispo- 
sition; les mots de rechange abondent seulement 
quand les idées précises font défaut; car il n'y a 
qu'un seul terme propre à rendre exactement une 
idée précise. 

Celte réserve faite, on trouve dans cette partie de 
son livre des choses fort curieuses. Sa thèse est que 
le français, pour l'abondance des mots, ne craint la 
comparaison avec aucune langue. Voyons le grec. Le 



Digitized 



by Google 



XXII PREFACE. 

grammairien Pollux énumère cinq ou six mots pour 
rendre l'idée d'avare : en français nous en aurons 
douze : avare^ avaricieuxy eschars^ taquin^ tenant, 
chiche, vilain, pinsemaille, racledenare, serredenier, 
serremiette, pleurepain. Ils sont charmants, ces vieux 
mots, et nous ne saurions rendre trop de grâces à 
Henri Estienne pour Tabondance de ces expressions 
populaires, vives, pittoresques, amusantes, qu'on 
trouve recueillies dans son ouvrage; mais une fois 
qu'on entre dans cette voie, la liste des équivalents 
peut grossir à Tinfini dans toutes les langues; chaque 
écrivain forgera les siens. 

Des mots, il passe aux phrases. Aide Manuce avait 
énuméré trois manières différentes d'exprimer en 
italien la même idée. Henri Estienne se pique d'hon- 
neur; il traduit d'abord les trois phrases en français, 
puis il en aligne vingt-sept autres, qui expriment 
toutes la même idée de diverses façons; et volontiers 
il en conclurait que le français est dix fois plus abon- 
dant que ritalien. 

Sans doute le procédé n'est pas sûr et ne prouve 
rien. H n'est pas une de ces trente phrases qui ne 
pourrait à son tour être retraduite en italien; et 
fournir autant de phrases différentes. Mais ce qui 
est intéressant ici, ce qui est nouveau, ce qui est 
fécond, c'est cet effort de la langue sur elle-même, 
pour connaître et employer toutes ses ressources; 
c'est cette gymnastique assidue par où elle cherche 
à s'assouplir à tous les besoins et à tous les emplois. 
Rien n'est plus étranger aux habitudes du moyen 
âge, où la première forme venue paraissait suffi- 



Digitized 



by Google 



PREFACE. XXIII 

santé, où le style eut toujours un caractère bien 
fâcheux d'improvisation. 

Henri Estienne a très bien reconnu aussi la facilité 
qu'a le français à former des mois dérivés et com- 
posés, contre Topinion vulgaire qui lui refuse cette 
qualité. Il est vrai que nous avons perdu un trop 
grand nombre de ces dérivés; Henri Estienne énu- 
mère ceux que le français avait formés à Taide du 
préfixe for\ il ne nous en reste pas la moitié : 
forvoxjer^ forlignei\ forclore^ forconier, forsené^ for- 
juger, forconseiller, formariage, forfaict, forfaicture, 
forfaicteur, forbeu, forbourg (dont il reconnaît la 
vraie étymologie, malgré que le mot soit défiguré 
dans l'orthographe). 

n admire le nombre et la richesse de nos com- 
posés. H approuve les poètes de la Pléiade d*en avoir 
créé beaucoup avec des éléments bien français; mais 
il semble avoir discerné l'abus où ils sont tombés en 
employant presque exclusivement ces composés 
comme épithètes, tandis que la tradition et le 
génie de la langue aiment mieux en faire des sub- 
stantifs. « J*ay d'autant plus en recommandation 
l'honneur de ces excellens poètes que je les voy 
s'efforcer à honorer nostre langage... je les prieray 
recevoir cest advertissement touchant la discrétion 
qu'ils doivent avoir en l'usage de tels epithetes : 
c'est qu'ils se souviennent de ce que disoit la gentile 
poetrice Corinne : t9) /ti^X Set (XTcetpeiv, àXXà «jl-J) é»)to tÇ 
QuXaxa). 11 faut semer avec la main et non pas ren- 
verser le sac. » En fait d'épithètes composées, la 
Pléiade, en efl*et, a un peu renversé le sac. 



Digitized 



by Google 



XXIV PREFACE. 

Henri Estienne a très bien reconnu que la princi- 
pale source de Tabondance des mots en français pro- 
vient moins du grand nombre des formes que de 
celui des significations que chaque forme est apte k 
recevoir. En d'autres termes, notre langue a une 
puissance métaphorique très remarquable, et que les 
autres langues ne possèdent pas, tant s'en faut, au 
même degré; il n'est presque pas un mot concret, 
désignant un objet palpable et matériel, qui ne puisse 
être pris, en français, au figuré, et recevoir une accep- 
tion nouvelle et particulière. Nous avons même quan- 
tité de mots abstraits qui, par un procédé analogue 
et contraire, peuvent désigner parfois des objets con- 
crets. Villemain, après Furetière, regrettait ainsi le 
terme énergique d'orgueil employé par les artisans 
pour désigner Tappui qui fait dresser la tête du levier 
et que les savants appelaient du beau mot d'hypomo- 
chlion. 

Henri Estienne admire aussi le grand nombre de 
motsexpressifs que la langue usuelle empruntait des 
"langages techniques et spéciaux; particulièrement 
de celui de la vénerie et de la fauconnerie ; Du Bellay, 
dans la Défense et illustration de la langue française, 
et Ronsard dans la préface de la Franciade l'avaient 
mis sur la voie de cette observation ; mais il a déve- 
loppé largement ce qui ailleurs n'était qu'indiqué. 
Il énumère une foule d^jcgressions pittoresques : 
être aux abbois, rendre les aîbois, prendre Vessort, 
faire une gorge chaude y tenir en mue; des adjectifs 
comme niais, hagard, débonnaire, leurré, esmerillonné ; 
des substantifs : la curée, un hobreau; des verbes : 



Digitized 



by Google 



PRKFACE. XXV 

fureter^ herissonner; et bien d'autres mots empruntés 
directement de la langue des chasseurs. Ce qui fai- 
sait dire à Montaigne : « Il n'est rien qu'on ne feist 
du jargon de nos chasses, qui est un généreux ter- 
rain à emprunter. » 

D'autres vocabulaires techniques n'avaient pas été 
moins féconds; celui des jeux, par exemple, et sur- 
tout du jeu de paume; cest à racler et à bander^ que 
de bond que de volée ^ jouer pardessus la chorde^ courir 
après son esteuf, marquez bien ceste chasse, faire de 
quelqu'un son naquet. Mais il semble que ces expres- 
sions étaient moins enracinées dans la langue géné- 
rale que les termes de vénerie et de fauconnerie ; car 
ceux-ci ont survécu presque tous, et les termes du 
jeu de paume ne sont plus compris; on n'en voit pas 
la raison, car ce jeu était plus répandu encore que 
la chasse dans toutes les classes de la nation. Beau- 
coup des termes que le français, par métaphore, 
empruntait de l'art monétaire, ont également dis^ 
paru ; il reste billon, aloi ; mais Estienne en énumère 
beaucoup d'autres que nous avons laissé perdre. 

Il vient aune autre source de richesses, à cette 
mine à peu près inépuisable des dialectes; comme 
Ronsard il rêve de faire du français une langue com- 
posite, indéfiniment abondante, où l'on ferait entrer 
des mots pris de toutes les provinces, même des pro- 
vinces du Midi : dessein chimérique et dangereux, 
mais dont furent épris tous ces audacieux écrivains 
du xvr siècle. Autant l'époque suivante fera son prin- 
cipal souci d'épurer, de tamiser le vocabulaire, autant 
ceux-ci n'ont d'autre ambition que d'y faire entrer 



Digitized 



by Google 



XXVI PREFACE. 

tout; on choisira ensuite. Après avoir puisé dans les 
dialectes on prendra les proverbes; il en énumère 
cent, qu'il admire avec complaisance; après les pro- 
verbes, on dépouillera les vieux romans pour en 
tirer d'excellents archaïsmes; il s'extasie devant nos 
ipreux fei*vestus\ il regrette le branc acerain, le palais 
marbrin, la ùenr pourp?'ine; et le cheyal passevent; et 
ces verbes expressifs : borgnoyer^ paumoyer, enherber^ 
en joncher, etc. 

Toute cette partie du livre ofifre un vif intérêt : 
c'est un trésor de vieux mots bien choisis, expressifs, 
puisés directement dans les souvenirs de l'auteur, qui 
avait lu avec curiosité les œuvres de notre plus 
ancienne littérature. Il s'est lui-même représenté 
(dans les Dialogues du nouveau langage franco is) assis 
devant « une grande table, chargée de vieux livres, 
Francès, Rommans et autres ; dont la plus grand part 
estet escrite à la main », et il disait à ses visiteurs^ 
« que par la lecture de ces vieux rommans on descou- 
vrèt de grans secrets quant à la cognoissance de l'an- 
cien langage francès ». 

La fin de la Précellence nous satisfait beaucoup 
moins. Henri Estienne revient à l'italien pour le 
prendre à partie une seconde fois, d'une façon très 
injuste. Il accuse les Italiens de s'être enrichis de nos 
dépouilles, et d'avoir pillé la moitié de leurs mots 
dans le vocabulaire français. Rien de plus frivole 
qu'une telle accusation; elle est même doublement 
frivole. D'abord, en général, une langue a mauvaise 
grâce à reprocher à une autre langue les mots qu'elle 
lui a fournis; car enfin, en les prêtant, elle les garde, 



Digitized 



by Google 



PREFACE. XXVU 

et pour enrichir autrui elle ne s'appauvrit pas elle- 
même. Il serait honorable à la langue française 
d'avoir fourni tant de mots à Titalien; mais ce n'est 
pas une raison pour que l'italien en fût déshonoré. 

Mais dans l'espèce l'argumentation d'Henri Estienne 
est absolument mal fondée. Il semble oublier que 
l'italien et le français ne sont, pour ainsi dire, que 
y des transformations simultanées de l'idiome bas- /. 
I latin; et que, par conséquent, leurs innombrables res- 
semblances s'expliquent par leuryorigine commune, f 
sans qu'il soit besoin de supposer 3ê part oïïd'âutre 
un emprunt qui n'existe pas (du moins dans le fonds 
populaire de l'une et de l'autre langue). 

Henri Estienne finit par pousser ses griefs à une 
exagération puérile: il réclame aux Italiens plusieurs 
de ces mots usuels, fondamentaux, nécessaires, qui 
dans une langue existent dès son origine, et lui vien- 
nent forcément de la langue mère, et non d'une 
langue sœur : tête, pied, jambe, cœur, etc. Voici son 
raisonnement : le latin dit caput; l'italien, qui vient 
du latin, devrait dire pour tête, capo] s'il dit testa, 
comme nous tête, c'est évidemment qu'il a pris ce 
mot de nous, et non du latin. 

Tout ce raisonnement ne tient pas debout. D'abord 
on pourrait répondre : il y a aussi longtemps que les 
Italiens disent testa, et que nous-mêmes disons teste; 
nous pourrions aussi bien avoir pris d'eux ce mot, 
qu'eux pourraient l'avoir pris de nous. Mais, en fait, 
nous ne leur devons pas teste; ils ne nous doivent 
pas testa; eux et nous, devons le mot au bas-latin, 
l'ayant hérité simultanément. Hejiri Estienne senïble 



Digitized 



by Google 



XXVIII PREFACE. 

toujours croire que le français et l'italien viennent du 
latin de Cicéron ou de Tite-Live directement; il 
oublie qu'entre le latin et le français, il y a le bas- 
latin mérovingien; de sorte que le français, c'est du 
bas-latin prolongé à l'état vivant, et transformé dans 
sa prononciation. Ainsi cette curieuse métaphore qui 
donne au mot testa (lequel veut dire argile) un sens 
dérivé, celui de vase, puis un autre sens dérivé, celui 
de crâne, enfin celui de tête, est plus ancienne que le 
français et l'italien; elle est déjà pleinement établie 
dans le bas-latin, d'où l'ont reçue les langues 
modernes. 

Il en est de même pour beaucoup de mots qui ne 
sont pas latins d'origine, mais germaniques; ils sont 
entrés dans le bas-latin k l'époque des invasions bar- 
bares; puis, de bas-latins, sont devenus en même 
temps italiens ou français, provençaux ou espagnols. 
Que signifient donc ces plaintes d'Henri Estienne : 
« Et pour monstrer encore davantage comment en 
nostre langage tout leur a esté bon, et qu'ils n'ont 
rien trouvé trop chaud, ni trop froid, j'adjousteray 
qu'ils nous ont pris aussi les mots qu'il est vraysem- 
blable que nous ayons de nos Gaulois [il devait dire 
des Gerînains) comme héberge, ou herberge, » 

Il tire de même une fausse conclusion des rencon- 
tres de sens que peuvent ofifrir l'italien et le français 
dans des mots tirés du latin où ils avaient une autre 
signification. Exemple : le latin dit attendere au sens 
de être attentif. Le français en tire attendre, et l'italien 
attendere au sens de être en attente. Là-dessus Henri 
Estienne triomphe et dit : « S'ils eussent tiré le mot 



Digitized 



by Google 



PRÉFACE. XXIX 

du latin, ils lui auraient laissé son sens latin : être 
attentif. Puisqu'il a le même sens chez eux et chez 
nous, c'est à nous qu'ils l'ont pris. Henri Estienne 
oublie, ou bien ignore, que le mol latin attendere a 
pris son sens actuel dans le bas-latin, et Ta transmis 
ensuite aux langues modernes. N'a-t-il pas même 
gardé une partie du sens ancien, au moins au parti- 
cipe : Attendu que veut dire : Étant considéré avec 
attention. 

Ne va-t-il pas jusqu'à dire : ils nous ont pris notre 
conjonction que « encore qu'ils la desguisent en che ». 
La preuve en est que leur che^ comme notre que^ a 
une foule d'emplois syntaxiques qu'ignore la con- 
jonction latine quam ou le pronom quod. Mais, 
toutefois, que français, che italien viennent de quod 
latin ; et s'ils ont étendu et multiplié leurs emplois, 
c'est pour répondre à des besoins qui sont sem- 
blables dans les deux langues modernes, où la perte 
des cas amène pareillement l'usage plus fréquent des 
tours analytiques. 

Je n'insiste pas sur le singulier reproche que fait 
Henri Estienne aux Italiens d'avoir écorché les mots 
qu'ils nous empruntent; nous disons aventure, ils se 
permettent de dire ventura; comme ils ne nous l'ont 
pas pris, mais au latin, je pense qu'ils en étaient 
bien libres. Dans son acharnement, Henri Estienne 
laisse un peu trop voir qu'il nourrissait contre l'Italie 
d'autres griefs que des griefs philologiques; mais il 
mêle les uns et les autres d'une façon bien amusante. 
Il est toujours le même homme qui écrivait dans les 
Dialogues du nouveau langage : « Il y a certains cas 



Digitized 



byGoogk 



XXX PREFACE. 

esquels il est permis d'italianizer : sçavoir quand on 
parle de choses qui ne se voyent qu'en Italie : ou 
pour le moins, ont leur origine de là, et mesme y 
sont plus fréquentes, ou plus célèbres, ou y ont la 
vogue plus qu'en aucun autre pays, soit pour quelque 
perfection plus grande, ou autrement. » 

Venons aux exemples. Il les énumère lentement, 
avec preuves à l'appui, sur un ton tout grammatical, 
qui rend Tépigramme plus sanglante. Quels sont ces 
noms tout italiens qu'il faut bien conserver pour 
.désigner des choses qui sont aussi tout italiennes? 
Charlatan^ Bouffon^ Assassin^ Supercherie^ Courti- 
sane, Poltronnerie y Forfanterie, Certes, nous aimons 
aujourd'hui un ton plus modéré dans les discussions 
scientifiques; mais, si nous passons condamnation 
sur ces vivacités que l'usage du temps autorisait, la 
page est vraiment jolie. 

Revenant, pour finir, à de meilleurs sentiments, 
Henri Estienne conclut la Précellence en ofifrant un 
accommodement amiable aux Italiens : qu'ils laissent 
la première place aux Français; ceux-ci leur accor- 
deront la seconde, et en banniront l'espagnol qui 
pourrait y prétendre, A ce prix, la paix sera faite. On 
ne dit pas si toutes les nations la ratifieront, et j'en 
doute. Chaque peuple est assez disposé à placer fort 
haut sa propre langue, et, au fait, il n'a pas tort. Car 
ce parallèle de deux langues est une recherche assez 
vaine, au fond; et je doute qu'il puisse aboutir à 
quelque chose de solide : on peut bien comparer 
deux langues, mais peut-on leur donner des rangs? 
Comme nous disions plus haut, il n'y a pas entre elles 



Digitized 



by Google 



PREFACE. XXXI 

de mesure commune. On peut prétendre, sans para- 
doxe, que chaque langue, prise à part, est en elle- 
même excellente et parfaite; du moins pour ceux qui 
la parlent, et pour Tusage qu'ils en font. C'est qu'en 
efifet, l'action et la réaction ne cessent de se produire, 
de la nation sur la langue, et de la langue sur la 
nation; l'une est faite pour l'autre; et celle-ci s'ajuste 
à celle-là. L'instrument se perfectionne entre les 
mains de l'ouvrier. L'ouvrier s'habitue et s'accommode 
à son instrument. Chaque peuple a la langue qu'il 
mérite, et qu'il lui faut avoir. Toute langue est néces- 
sairement la meilleure possible pour le peuple qui la 
parle. 

Cela admis, que peut valoir une comparaison de 
deux langues à l'effet de leur assigner un rang? 
A priori, l'italien convient mieux aux Italiens, le 
français aux Français. En préférant le français, 
Henri Estienne énonce un goût personnel, que nous 
partageons sans doute ; mais cela ne peut rien 
prouver. 

La comparaison n'aurait de sens et de valeur que 
si elle embrassait non seulement les deux langues, 
mais tout l'usage qu'on en a fait : les deux littéra- 
tures. Alors on pourrait essayer de compter les 
richesses et de les apprécier; de rechercher lequel 
des deux peuples a le plus excellé dans la philoso- 
phie ou dans l'éloquence, dans la science ou dans la 
poésie, lequel a fait le plus d'honneur à l'humanité. 
La préférence pour une littérature ou pour une 
nation peut se justifier; la préférence pour une 
langue n'est pas moins légitime, mais elle est plus 



Digitized 



by Google 



XXXII PREFACE. 

embarrassée pour donner ses raisons. Or Henri 
Estienne s'est tenu strictement ^ dans le domaine 
grammatical; il n'a pas dit un mot de la littérature 
et des écrivains. Voilà pourquoi le parallèle entrepris 
manque de base solide. 

Mais il reste à l'auteur le grand honneur d'avoir 
écrit, le premier, des pages excellentes sur les res- 
sources infinies dont dispose la langue française; 
et d'avoir éveillé ainsi, chez ses contemporains, le 
goût du scrupule et de l'attention sur les mots. Rien 
n'était plus nouveau, le procédé commun du moyen 
âge ayant été une continuelle improvisation. Rien 
n'était plus fécond, plus propre à préparer une langue 
classique, et à frayer la voie aux grands écrivains 
du XVII® siècle. 

Quoique l'analyse que nous en avons faite indique 
une sorte de plan, l'ouvrage d'Henri Estienne est, il 
faut l'avouer, très désordonné : les digressions abon- 
dent, sans que l'auteur se mette en peine pour les 
rattacher au sujet : il suffit qu'une idée, qui s'ofifre à 
lui en passant, lui plaise pour qu'il s'y abandonne ; 
quitte à la laisser là, lorsqu'il voit qu'elle l'entraîne 
trop loin. Il rentre alors brusquement dans son 
sujet, mais sans s'excuser, en homme qui croit 
qu'un auteur doit seulement au lecteur de l'instruire 
et de l'intéresser, mais qu'il est toujours maître de 
choisir ses moyens et de tracer son itinéraire. 

Nous aimons à présent dans les ouvrages de science 
un procédé plus scientifique, et ce mélange un peu 
capricieux de la science et de l'agrément, qui ne 
déplaisait pas encore, il y a un demi-siècle, dans la 



Digitized 



by Google 



PRÉFACE. XXXIII 

philologie de Charles Nodier ou de Génin, risquerait 
aujourd'hui de paraître trop austère aux gens du 
monde et trop frivole aux gens studieux. Nous 
aimons que la science aille droit son chemin, sans 
s'amuser à faire des bouquets en route. Mais Tan- 
cienne méthode avait aussi ses avantages : ces livres, 
d'où l'agrément n'était pas banni, trouvaient plus de 
lecteurs, et des lecteurs plus variés. Aujourd'hui, qui 
s'astreint à lire d'un bout à l'autre un livre de philo- 
logie pure, comme VHutoire de la prononciation de 
Thurot ou le Traité de la formation des mots com- 
posés de Darmesteter? Vingt personnes en Europe, 
qui travaillent sur les mêmes questions. Les autres 
connaissent le livre, le consultent, s'en servent au 
besoin; mais le lisent-ils, à proprement parler? 
Disons au moins que l'ancienne méthode a été 
bonne en son temps et même la meilleure ai^xvî« siè- 
cle, à l'époque d'Henri Estienne. Alors ^ était 
avant tout nécessaire de faire aimer la langue fran- ^ 
çaise aux Français, et de leur persuader que cette 
langue était belle, riche, harmonieuse, et capable 
des plus grandes œuvres. Pour faire entendre ces 
choses, alors neuves et hardies, à un plus grand 
nombre de lecteurs, il était bien permis, et peut- 
être était-il sage, de mêler à beaucoup de science 
un peu d'agrément, et même (ce qui ne gâte rien) 
beaucoup d'esprit. 

L. Petit de Julleville. 



Digitized 



by Google 






Digitized 



by Google 



PRblECT bV LIVRE 
iotitulé 

De la precellence 

du langage François. 

PAR HENRI ESTIENE. 



Lcliurcaulc£fccur, 
le fuis ioycHX de pouuoir autant plaire 
^ux bons François , quaux mauuais 
Ifeuxdejplaire, 




A PARIS, 

Par Mamert Patiflbn Imprimeur an Roy. 

M-D.X-XXIX. 

^necprîuilep^dkdiâlfeiff^eur. 



Digitized 



by Google 



Digitized 



by Google 



AU ROY 



Sire, pour m'aquitter de la promesse faicte derniè- 
rement èi vostre Majesté *, je luy présente un project 
et comme un modelle d'un œuvre que je délibère inti- 
tuler DE LA PRECELLENCE DU LANGAGE FRANÇOIS *. Lequel 

project je la supplie treshumblement vouloir favo- 
riser non moins de sa censure que de sa lecture. A 
quoy j'espère qu'elle sera incitée, quand il luy plaira 
considérer de quelle importance est ceste entreprise 
pour l'honneur de son royaume : comme aussi je la 



i. A la fin de 1578, Henri 
Estienne se sentant menacé à 
Genève à cause de quelques 
hardiesses contenues dans ses 
Dialogues du nouveau langage 
français italianizé s'était ré- 
fugié en France où il avait 
reçu d*Henri III le meilleur 
accueil. Il nous a raconté dans 
sa Musa vrincipum monitrix 
comment il entreprit, sur les 
instances du roi, le livre de 
la Précellence, et l'acheva en 
trois mois, sans autre secours 
que celui de sa mémoire : il 
avait laissé à Genève les ma- 
tériaux, les notes, qui auraient 

PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 



pu lui servir. Ce livre n^était, 
dans sa pensée, que l'ébauche 
d'une œuvre plus importante, 
plus solidement construite. 
Mais son projet ne fut jamais 
exécuté. (Voir Frémy, V Acadé- 
mie des derniers Valois, p. 129.) 
2. Le mot précellence, criti- 
qué par La Monnoie, approuvé 
par Goujet, exprime à la fois 
l'idée de supériorité et l'idée 
d'excellence, qui sont deux 
idées très distinctes. L'ancienne 
langue avait d'ailleurs precel- 
lent et p?'eceW«r.(VoirGodefroy, 
Dictionnaire de Vancienne lan- 
gue française.) - 

1 



Digitized 



by Google 



2 EPISTRE . 

puis asseurer qu'elle est procedee d'un cueur qui s'est 
tousjours monstre zélateur et comme jaloux de l'hon- 
neur de sa nation. Ce qui a esté congneu en divers 
temps par les ambassadeurs tant vostres que de vos 
prédécesseurs, père et frères : premièrement en 
Angleterre, puis en Italie, en Allemagne et en 
Suisse : outre-ce-que je l'ay tesmoigné il-y-a plus de 
douze ans, par un traitté De la conformité du lan- 
gage François avec le Grec *. Je puis dire d'avantage, 
Sire, que ceux qui auront veu les escrits de mes père 
et oncle, appercevront que ceste ardante afifection 
d'honorer ma patrie m'est tellement héréditaire, que 
je ne pourrois me la desraciner, sans forligner tota- 
lement *. Et pourtant si l'eflFect est inférieur à un si 
grand désir, j'ay espérance. Sire, que vostre Majesté 
le supportera, et ne me voudra imputer ceste har- 
diesse à présomption : veu que d'ailleurs je m'estois 
ja obligé à une telle entreprise par mes œuvres pre- 
cedens, qui appartiennent à l'illustration des langues 
Greque et Latine : ne pouvant raisonnablement 
denier à celle qui m'est naturelle autant de bien que 
j'en avois faict à ces estrangeres. 

1. La Conformité parut au plit d'immenses travaux, entre 
plus tard en 1565. autres son Thésaurus linguœ 

2. Le fondateur de la dy- latinx, son Dictionarium' la- 
nastie des Estienne est Henri tino-gallicum, sa Grammaire 
Estienne, dit Henri 1"% grand- française. Trois de ses fils ont 
père de Tauteur de la Précel- eu, comme savants et comme 
lence. 11 eut trois fils : Fran- imprimeurs, une célébrité iné- 
çois, mort jeune et sans en- gale. Le plus illustre est Henri 
fants, Robert, dit Robert !*% et Estienne, dit Henri H. Ses 
Charles, qui ne laissa qu'une frères Robert, dit Robert H, et 
fille. Charles est l'oncle dont François, dit François H, ont 
parle ici Henri Estienne. Les fait d'assez importants tra- 
trois frères furent imprimeurs, vaux. (Voir la Biographie géné- 
Le second, Robert 1*% accom- raie publiée par Firmin- Didot. 



Digitized 



by Google 



AU ROY. 3 

Or me sen-je infiniment heureux, Sire, que Tedi- 
tion de ce livre ait ceste bonne rencontre, de se 
trouver soubs le règne de vostre Majesté : pourceque 
l'éloquence d'icelle luy sera un tres-honorable tes- 
moignage de la louange qu'il donne à nostre langue ^ . 
Duquel don vous ne devez moins rendre grâces à 
Dieu (selon mon jugement) que de plusieurs autres 
qui toutesfois de prime face pourroyent sembler plus 
proufitables : ne moins affectueusement requérir 
Taugmentation d'iceluy. Car si l'éloquence est de si 
grande efficace, qu'elle puisse souventesfois com- 
mander mieux aux cueurs des hommes que la force 
des armes, voire ployer les plus endurcis courages : 
si elle peut quelquesfois donner si bien le fil aux 
paroles qu'elle les rend plus trenchantes que l'espee : 
il est certain que le roy à qui Dieu fait la grâce d'un 
si pretieux don, est comme doublement roy, et par 
conséquent doublement obligé à sa bonté et benefi- 
cence. Et ceste obligation est encore d'autant plus 
grande, que l'éloquence d'un roy est trouvée plus 
éloquente que celle de toute autre personne, laquelle 
Dieu n'a exaltée jusques à ce degré. Car si Euripide, 
excellent entre les poètes Grecs, a bien dict, 

L'homme d'autorité, Vhomme qui nen a point, 
Venans à haranguer touchant un mesme poinct, 



1. Voir Frémy, ouvrage cité, avait beaucoup de goût non 

ch. IV. L'auteur cite en parti- seulement pour l'éloquence, 

culier le Traité de l'Eloquence mais aussi pour la grammaire, 

royale, composé par Amyot et que sa vive passion pour 

pour Fusage d'Henri III et sur les discours lui faisait recher- 

ses instances. U montre par cher même les traités des rhé- 

divers témoignages que le roi teurs. 



Digitized 



by Google 



4 EPISTRE 

Encore que tous deux tiennent mesme langage y 
Celuy de l'un sera bien pezé d'avantage *. 

Si (di-je) Euripide a bien dict cela et véritablement, 
combien plus de vertu et d'efficace doivent avoir les 
mesmes mots sortans de la bouche de celuy auquel 
Dieu a donné ce qui est pardessus toute autorité, 
que s'ils venoyent de la bouche d'un autre, en quel- 
que dignité et honneur qu'il pust estre constitué? 

Quant à ceste sentence d'Euripide, nous avons une 
fort belle histoire que nous y pouvons rapporter. Car 
nous lisons en ^Eschine *, orateur Grec, qu'un homme 
qui avoit mauvais bruit, ayant proposé un bon avis 
au conseil des Lacedemoniens, ils le firent proposer 
par un autre, qui estoit en bonne réputation : 
comme ayans opinion que cest avis, encore qu'il fust 
bon, ne pouvoit estre heureusement suivi et mis à 
exécution, sinon qu'il fust autorizé par la bouche de 
cest autre personnage, voire comme emologué et 
authentiqué. 

Et si on veut d'abondant confermer le dire de ce 
poète Grec par celuy d'un Latin, non moins excellent 
en son endroit, nous avons un passage fort propre 
pour ce faire. Car Virgile, parlant de celuy qui se 
doit présenter pour appaiser une sédition esmeue en 
un grand peuple, requiert qu'il soit tel que sa pieté 
et ses bienfaicts luy puissent donner une gravité et 
autorité, qui le rendent respectable. Voyci qu'il dit 



1. Hécube, 294-95 : 2. Le fait est raconté dans le 

Discours contre Timarque, Ora- 
\6yoç Yoip 'i% t' àSoÇovvTwv Iwv /ores a^/ici. Edition Didot. T. II: 
xâx Twv SoxouvTwv auToç où ^schinis oratio contra Timar- 
[xaÙTov (TÔévet. chum, p. 61. 



Digitized 



by Google 



AU ROY. 5 

(autant que j'ay pu exprimer la nayfveté de son 
langage Latin) : 

Comme en une grand'ville abondamment peuplée y 

Qui par sédition vient à estre troublée. 

Quand tout le menu peuple à toute cruauté 

D'un courage mutin est soudain incité, 

Desja volent en Vair et pierres et flambeaux, 

La fureur pour s'armer trouve moyens nouveaux : 

Alors se présentant à eux un personnage y 

Tant pour sa pieté respecté d'avantage. 

Qu'aussi pour ses hienfaicts, on les voit s'arrester, 

Et l'oreille attentive à ses propos prester. 

Luy gouverne leurs cueurs, lui appaise leur ire, 

Par les raisons qu'il sçait en un tel cas déduire *. 

Il est certain que Virgile présuppose que ce person- 
nage soit éloquent : mais il veut que son éloquence 
soit autorisée par ces qualitez. 

Si donc le beau et sage parler d'un tel homme ha 
tel pouvoir, combien plus grand le doit avoir celuy 
d'un roy? Et ne se faut esmerveiller si un prince 
souverain, et spécialement un roy, parlant bien à 
propos et disertement, pénètre plus avant au cueur 
des auditeurs. Car il-y-a une vertu occulte en ses 
paroles, accompagnées de la Majesté tant de l'élo- 
quence que de la royale, quand ils considèrent que 
celuy qu'ils escoutent, n'ha besoin de se faire avouer, 
et ne peut estre contredict ni empesché d'effectuer ce 
qu'il met en avant, et exécuter pleinement sa bonne 
voulonté. Voyla d'où vient qu'au lieu que cela qui 
sortiroit de la bouche d'un autre ne seroit tenu 

« 

I. Enéide, \, 148-153. 



Digitized 



by Google 



6 EPISTRE 

encore que pour dict, on le se représente comme 
desja faict, aussi tost qu'il part de celle du roy. Car 
comme le roy Porus, venu es mains d'Alexandre le 
grand, qui avoit gangné la bataille, interrogé par 
deux fois comment il vouloit qu'il se comportast 
envers luy, ne respondit que ce mot. Royalement * : 
ainsi les subjects qui sont persuadez que leur roy ne 
parle point autrement qu'à la façon royale, et qu'il 
porte une vrayement royale affection à leur bien, ont 
grande occasion d'ancrer leur espérance sur ses 
paroles, et se rendre tres-obeissans à icelles. A quoy 
il faut adjouster, quant à un roy des François, 
l'avantage que luy donne l'inclination naturelle des 
cueurs de son peuple, tesmoignee par ce proverbe 
ancien. 

Parole^ puis qu'un roy Va dicte, 
Ne doit pas estre contredicte *. 

Estans ces deux poincts hors de controverse, l'un, 
que Dieu vous a doué d'éloquence, l'autre, qu'elle est 
d'autant plus proufitable et bienséante à un roy, qu'il 
est eslevé en degré plus eminent que toute autre per- 
sonne : reste un troisième, duquel aucuns pourroyent 
douter, si nostre langage est aussi capable de ceste 
vertu de bien dire, que l'un ou l'autre de ceux qui 
luy veulent faire concurrence, et se rendre ses com- 
pétiteurs. A quoy je respon, qu'outre ce que ceux qui 
auront pu ouir plusieurs de vos subjects haranguer, 



1. Plutarchi Vitae. Edition Livre des proverbes français, 
Didot. Vie d'Alexandre, ch. lx. 2* édition (1859), tome II. page 

2. Voir Le Roux de Lincy, le 480. 



Digitized 



by Google 



AU ROY. 7 

et auront eu aussi cest honneur d'avoir oui vostre 
Majesté discourir, pourront tesmoigner de la suffi- 
sance de nostre langage : il-y-a quelque apparence que 
ce Project, estans bien considérez tous les poincts 
que j'y ay deduicts, leur ostera une grande partie de 
leur doute : en attendant que Tœuvre qui sera faict 
sur iceluy, les en rende entièrement résolus. Peut 
estre aussi que ce-pendant j'auray moyen de monstrer 
à l'une de ces deux nations, qui se veut égaler à la 
nostre en une chose importante beaucoup plus à 
l'honneur de vostre royaume, que sa prétention est 
totalement mal fondée *. 

Je sçay bien. Sire, que plusieurs, oyans ce dernieiv 
propos, et comprenans ce que j'enten, diront que ce 
seroit une cause beaucoup plus digne de vostre 
audience *. Ce que je confesse : adjoustant toutesfois, 
que ceux qui s'esbahiront que vostre Majesté prenne 
aussi plaisir à ouir debatre ceste-ci, qui concerne 
l'honneur de son langage naturel, ils monstreront 
bien ne sçavoir pas combien aucuns des empereurs 
Rommains ont diligemment voire curieusement re- 
cherché le vray usage de leur langue : et nommé- 
ment les deux premiers, Jule César et Auguste ^ : 

1. Ces deux nations sont XIX, lettre xi; voir les criti- 
ritalie et TEspagne, et c'est ques que lui inspire le goût 
de l'Espagne en particulier d'Henri 111 pour la "grammaire, 
qu'il est question ici. H. Es- et l'épigramme qu'il a com- 
tienne fait sans doute allusion posée à ce sujet. 

aux affaires des Pays-Bas. Les 3. Voir entre autres : Aulu- 

catholiques avaient appelé le Celle, Nuits attiques (édition 

duc d'Anjou, frère du roi de Panckoucke) : I, x; iV, xvi; 

France. (Voir Lavisse et Ram- IX, xiv; X, xxiv; XIX, vni; — 

baud, Histoire générale, t. V, Suétone, Vie d'Auguste, 85-89. 

p. i96 et suivantes.) Suétone nous apprend, entre 

2. Estienne Pasquier, livre autres choses, qu'Auguste re- 



Digitized 



by Google 



8 EPISTRE 

dont l'un, asçavoir Jule, en composa mesmement des 
livres *. Le cinquième empereur aussi, nommé Clau- 
dius, pour aider à sa langue, inventa trois lettres *. 
Toutesfois, pour ne venir aux exemples estrangers, 
mais demeurer en ceux de vos prédécesseurs, ne 
lisons-nous pas de Chilperic, qu'il fit le mesme en la 
sienne ^? Et pouf approcher beaucoup plus près de 
nostre temps. Sire, n'avez-vous pas encores aujour- 
d'huy plusieurs bons tesmoins de Tenrichissement 
qu'a receu nostre langage par le moyen de vostre 
ayeul, le grand roy François *? voire jusques à luy 
donner ce los, qu'il a esté le premier qui l'a mis 
.comme hors de page. Ceux donc qui sçauront ces 
choses, ne s'esmerveilleront point que vostre Majesté 
prenne plaisir au présent Discours, au contraire s'es- 
bahiront de l'esbahissement des autres. 

Mais quant à ce que j'ay dict, Sire, estre par moy 
réputé pour un grand heur, que l'édition de ce livre 
se rencontroit sous vostre règne : je suis contrainct 
de vous confesser que la mesme chose qui me donne 

cherchait avant tout la clarté paraît-il, Vantisigma G = 65 ou 

dans le style, qu'il n'aimait ni p^, le v distinct graphiquement 

l'archaïsme ni le néologisme, de I'm, d ; enfln, un son inter- 

qu'il était partisan de l'orlho- médiaire entre i et u H. 

graphe phonétique. Auguste 3. E. Pasquier (Recherches 

avait aussi composé plusieurs de la France^ VIII, Lxni) parle 

ouvrages. d'une tentative de Chilperic 

1. Le traité de V Analogie, pour introduire dans l'alphabet 
en deux livres, était dédié à les lettres doubles des Grecs. 
Gicéron. 11 est probable que 4. Gf. Dialogues, I, p. 60. — 
César voulait faire prévaloir Voir l'article de Ferdinand 
partout en grammaire le prin- Brunot, Un projet d* « enrichir^ 
cipe de l'analogie, dans la magnifier et publier » la la?igue 
construction comme dans les française enl 50 9, A^n^Xd, Bévue 
formes. d^ Histoire littéraire de laFrance^ 

2. Suétone, Vie de Claude, 45 janvier 1894. Cf. Pasquier, 
43. Ces trois lettres étaient, Recherches, VII, v. 



Digitized 



by Google 



AU ROY. 9 

asseurance pour un regard, me met en quelque 
crainte pour un autre. Car d'autant plus vostre 
Majesté fait profession de parler purement et diser- 
tement, d'autant mets-je ce mien livre en plus grand 
danger, pour les fautes qu'elle y pourra remarquer. 
Toutesfois j'ay recours à la douceur et debonnaireté 
qu'il lui a pieu me monstrer, et qui m'a encouragé à 
l'entreprendre : tellement que soubs ceste espérance 
je la suppliray derechef le vouloir favoriser non moins 
de sa censure que de sa lecture : à fin que l'œuvre 
duquel le project aura receu tant de faveur et d'hon- 
neur, puisse avoir d'autant meilleur recueil par tout 
le royaume de sa Majesté : laquelle je prie le Créa- 
teur faire longuement prospérer en la prospérité 
d'iceluy. De Paris, ce xxiii d'Apvril, m. d. lxxix. 



Vostre tres-humble et tres-obeissant 
serviteur et subject, 

Henri Est™^ 



Digitized 



by Google 



AU LECTEUR 

Qui se voudra rendre neutre. 



Entre les beaux et grands avantages que Dieu a 
donnez aux hommes pardessus tous les autres 
animaux, cestuy-ci estant un, qu'ils peuvent s'en- 
trexposer leurs conceptions par le moyen du lan- 
gage : il est certain que ceux qui sçavent mieux faire 
cela, n'ont seulement cest avantage gênerai, ains 
sont aussi avantagez pardessus les autres hommes. 
Mais d'autant que le langage est comme l'instrument 
duquel ils usent, et qu'un bon ouvrier fait d'autant 
meilleur ouvrage qu'il ha meilleur instrument, il 
importe beaucoup, pour parvenir à ceste excellence, 
d'user d'un langage accompli en toutes sortes. Voyla 
pourquoy, si je puis gangner ce poinct, que nostre 
langue Françoise surmonte toutes les vulgaires, et 
pourtant mérite le titre de precellence, il ^'ensuivra 
aussi que nostre nation ha un plus grand preparatif à 
l'éloquence qu'aucune des autres. Or estant ceste 
entreprise non moins haute que belle, et autant 
qu'elle est haute, autant importante à l'honneur et 



Digitized 



by Google 



PREFACE. 11 

au proufît de nostre^ nation, de faire que nostre 
langue soit jugée excellente pardessus les excellentes, 
s'il vous semble, lecteur, que je n'aye pas bien debatu 
ceste cause, je vous prie vous souvenir du proverbe 
Latin, qui dit qu'en grandes entreprises on a beau- 
coup faict quand on a monstre sa bonne volonté *. 
Joinct que j'ay espérance que ce plaidoyer ne sera 
qu'un coup d'essay '. 

Mais en tout événement vous plaise considérer 
outre cela, que comme une bonne cause, estant mal 
plaidee, est en danger d'estre perdue, aussi elle ne 
peut estre gangnee si on ne la met au hazard du 
plaidoyer. Si donc après avoir long temps attendu 
que quelcun de ces fameux et heureux advocats la 
vousist entreprendre, voyant ce retardement estre 
fort préjudiciable, je l'ay hazardee, il me semble que 
si je n'en ay telle issue que j'ay non seulement 
désiré mais aussi espéré, je ne laisse pas d'avoir 
faict le devoir d'un personnage vrayement amateur 
de sa patrie. Je puis alléguer encores autre raison, 
qui mérite n'estre moins considérée : c'est qu'ayant 
congneu que le roy prendroit plaisir à ce plaidoyer, 
si je l'accelerois, et luy ayant promis de ce faire, 
je me suis aucunement persuadé que l'audience, 
laquelle sa Majesté me vouloit donner, porteroit si 
bon heur à ceste cause, que cela pourroit recom- 
penser le défaut d'un plus sufflsant advocat. Quoy 

1. Properce, II, X : ^rf^w^M5- souvent par les poètes. (Voir 

tum : A. Otto : Die Sprichwôrter und 

Quod si deficiant vires, audacia certe sprichwôrtlichen Redensarten 

Laus erit : in magnis et voluisse sat de)' RÔmer. Leipzig, 4890. Page 

[est. 362.) 

La même idée a été exprimée 2. Voir VEpistre au Roy. 



Digitized 



by Google 



12 PREFACE. 

qu'il en soit et qu'il en puisse advenir, bien peu de 
jours après luy avoir fai<ît la promesse, je m'en suis 
aquitté : sçachant bien que nostre proverbe, Qui tost 
donne deux fois donne *, se vérifie principalement à 
l'endroit des princes, et spécialement des rois. Il est 
vray que j'ay usé d'une façon un peu nouvelle, c'est, 
de faire un plaider sommaire comme par provision, 
en attendant la commodité d'un second (par lequel 
je pourrois déduire mes raisons plus au long, en 
faisant aussi production d'autres pièces) mais en 
ayant adverti sadicte Majesté, et voyant qu'elle 
l'avoit approuvée, j'ay estimé que son aveu me seroit 
une tresbonne garentie. 

Or pource que je prevoy que vous désirerez sça- 
voir de quels mémoires et de quelles instructions je 
me suis aidé en ce plaidoyer : je confesse que celles 
que j 'a vois autresfois mises à part, m'ont failli au 
besoin, et qu'il a falu que ma mémoire ait suppléé 
le défaut de tous ces mémoires : lesquels si j'eusse 
pu avoir, je me fusse bazardé de plaider la cause 
tout à faict '. Car pour dire franchement tout ce que 
j'en pense, comme je recongnois que nostre France 
ha un grand nombre d'hommes plus suffisans que 
moy pour ce faire, aussi ne me veux-je pas mettre 
au nombre des plus insuffîsans : où me rengeroyent 
voulontiers ceux qui disent que parler Grec est mieux 

1. Voir de Méry, Histoire celeriter; une phrase de Sénè- 

générale des proverbes, I, 164. que (De Beneficiis, II, 5). L'idée 

Léon Feugère cite en outre un a été exprimée en effet par 

proverbe grec : xa?iç PpaSuTcou; les moralistes de tous les 

axapt;, un vers de Publius temps. 

Syrus (Sentences, 202) : Inopi 2.YoirV Epis treauRoij,paii;ei, 

benefîcium bis dat qui dat note 1. 



Digitized 



by Google 



PREFACE. 13 

nK)n raestier que parler François. Je leur confesse 
librement une partie de leur reproche : sçavoir est, 
que j'ay faict autresfois mestier de parler Grec, et 
nommément à Venise, avec un gentilhomme Grec, 
nommé Michel Sophian : (et que ceste promptitude 
m'estoit venue de ce que j'avois appris la langue 
Greque avant la Latine :) mais je leur nieray l'autre 
partie, que ce langage estranger m'ait gardé de sça- 
voir bien parfer celuy qui m'est naturel *. 

Les mesmes m'objectent aussi les voyages que 
j'ay faicts parcidevant, et que je fay encores ordinai- 
rement es pays loingtains, où on parle un lan- 
gage du tout différent au nostre : comme si ceste 
discontinuation devoit beaucoup incommoder ma 
mémoire (qui est une chose semblable à celle qu'on 
a dicte de Xenophon, pour luy oster l'honneur de 
parler purement) * mais je respon qu'au contraire 
j'expérimente en ceste discontinuation, n'estant point 
trop longue, une telle chose que dit Plutarque des 
peintres : qu'ils jugent mieux de leurs ouvrages, 
quand ils ont esté quelque temps sans les regarder^. 
Et qu'ainsi soit, Ja discontinuation a esté cause de 
me faire prendre garde de plus près à quelques chan- 
gemens et quelques nouveautez de mauvais^ grâce, 
qui eschappent à aucuns mesmement des mieux par- 



1. Voir comment Montaigne C'est là qu'il composa une 
apprit le latin et le grec, grande partie de ses ouvrages. 
(Livre I, ch. xxv : De Vinsti- 11 passa les dernières années 
tution des enfants; vers la fin de sa vie à Corinlhe. 

du chapitre.) 3. Voir Plutarque, De cohi- 

2. Xenophon, exilé pour cause benda ira, dans les Sci-ipUi 
de laconisme, s'était établi à mora/i^, édition Didot, tome I, 
Scillonte, dans le Péloponnèse. 549. 



Digitized 



by Google 



14 PREFACE. 

lans, pour s'y estre peu à peu accoustumez, en ne 
bougeant d'un lieu. 

Nonobstant lesquelles choses, je déclare que je ne 
trouveray point mauvais que ceux qui se sentiront 
estre en meilleur equippage que moy pour emporter 
ceste victoire, se vueillent mettre en ma place : au 
contraire je la leur quitteray de gayeté de cueur. 
Car je n'estimeray avoir peu faict, quand j'auray 
faict prendre envie à quelque autre de faire mieux. 

Il faut aussi que je responde pourquoy sçachant 
que nostre langage avoit deux compétiteurs, l'Italien 
et l'Espagnol, je n'ay combatu que l'un, asçavoir 
l'Italien. Je di donc que je n'ay voulu m'attacher 
qu'à luy : pource que je m'asseurois que luy ayant 
faict quitter la place, je pouvois aisément venir à 
bout de l'Espagnol : veu que je l'estime luy estre 
beaucoup inférieur, pour les raisons que je deduiray 
ailleurs. 

Pour donc ne parler maintenant que des Italiens, 
je di qu'un proverbe fort célèbre nous donne une 
prérogative pardessus eux, quant au chant, non 
moins que pardessus les Espagnols : Balant Italie 
gemunt Hispani, ululant Germanie caniant Galli *. 
laquelle prérogative me semble estre aucunement 
un préjugé pour nous, quant à obtenir la precellence 
dont il s'agit. Et toutesfois je proteste que je ne 
l'eusse point demandée, si je n'eusse veu quelques 
Italiens avoir osé préférer leur langage non seule- 
ment au nostre, et à tous les autres vulgaires qui 

1. Le Roux de Lincy, /e Lfu/'C mands crient et les Français 
des Proverbes français y \, 290 : chantent.Ce proverbe avait sans 
Les Italiens pleurent^les Aile- doute encore d'autres formes. 



s^^i^^Y^' 






Digitized 



by Google 



PREFACE. 



15 



sont aujourdhuy, mais aussi au Grec et au Latin. Car 
je confesse que j'ay pris ceste préférence tant à 
cueur, que j'ay voulu essayer de vérifier sur eux un 
de nos anciens proverbes, Qui monte plus haut qu'il 
ne doit, Descend plus bas qu'il ne voudroit*. Et pour- 
ce que plusieurs ne croiroyent pas aisément qu'ils se 
fussent tant oubliez, je nommeray ici par nom et 
surnom celuy qui a mis les autres en train. Je di 
donc qu'il-y-a environ neuf ans qu'un Florentin, 
nommé Benedetto Varchi *, en un dialogue intitulé 
VHercolano (auquel il discourt généralement des lan- 
gues, et particulièrement de la Toscane), luy donne 
ceste louange : l'appelant la lingua volgare, comme 
aussi il nomme la Florentine : combienque quant à 
l'honneur et au degré il la sépare de la Toscane mes- 
mement. Et celuy qui depuis a escrit un livre qu'il a 
nommé Difesa délia citta di Firenze et de i Fiorentini^ 
contra le calunnie et maledicentie de maligni ', s'arreste 



1. Le Roux de Lincy, ouvrage 
cité, II, 493 : 

Oï l'avés dire sovent 
Ki haut monte de haut descent; 
Froit a le pi è ki plus Testent 
Ke ses covretoirs n'a de lonc. 
{Théâtre français au moyen âge, 
p. 46, XIII*' siècle.) 

2. Benedetto Varchi, né à 
Florence en 1502, suivit les 
Strozzi dans leur exil et fut 
précepteur de leurs enfants. 
Sa renommée le fit rappeler 
par Côme !•% qui l'aida à con- 
stituer l'Académie florentine, 
lui donna une pension, et le 
chargea d'écrire l'histoire des 
derniers temps de la répu- 
blique et de l'origine de la 
puissance des Médicis. Après 



cet ouvrage, dans lequel Varchi 
montre beaucoup d'exactitude 
et d'indépendance, son œuvre 
la plus importante est VErco- 
lano, dialogo net quale si ra- 
giona délie lingue, ed in parti- 
colare délia toscana e délia 
fiorentina. L'un des interlocu- 
teurs est le comte César Erco- 
lani, de Bologne. Varchi était 
devenu prêtre et allait rem- 
placer le curé de Monte-Varchi, 
lorsqu'il mourut, frappé d'apo- 
plexie, en 4565. 

3. ('et écrivain est un mé- 
decin et philosophe florentin, 
nommé Paolo Mini. (Voir Tira- 
\ boschi , Storia délia letlera- • 
j lura italianay t. VII, p. 689, 
' 694, 903.) 



Digitized 



by Google 



1 6 PREFACE. 

à ce jugement de Benedetto Varchi, comme si c'es- 
toyent mots d'évangile. 

Il ne faut pas demander en quel reng mettent 
nostre langue ceux qui veulent faire marcher la 
Oreque et la Latine après la leur: mais il faut de- 
mander pourquoy leur dire ne seroit subject à cau- 
tion : veu mesmement que nous avons pour Thonneur 
de la nostre (outre tant de raisons que j'allègue en 
mon traitté) un tesmoignage qui en vaut une dou- 
zaine : pource qu'il est d'un ancien personnage, qui 
estoit de leur Florence, précepteur du poète Dante. 
Car cestuy-ci, nommé Brunetto Liatino *, a laissé un 
livre composé en langage François, et depuis traduict 
en Italien (où il est nommé il Thesoro :) dedans lequel 
il confesse le parler François eslre non seulement 
plus en usage, mais aussi estre plus plaisant que 
tous les autres. Or je leur laisse penser s'il eust ainsi 
parlé de nostre langue, sinon qu'il eust veu la sienne, 
asçavoir la Florentine, n'estre rien h comparaison, 
non plus que les autres vulgaires. Ils me respondront 
que depuis le temps auquel vivoit ce Brunetto, leur 

1. Brunetto Latini, né à Flo- toire, à la géographie, à Tas- 

rence vers 1212 suivant les uns, tronomie, à la morale, à la 

-en 1230 suivant d'autres, fut politique. Il a été publié en 1863 

exilé par les Gibelins en 1260. dans les Documents inédits sur 

Il passa sept ans au moins à Vhistoire de France. On en cite 

Paris. De retour à Florence en toujours la fameuse phrase : 

1284, il fut nommé secrétaire « Se aucun demandoit por quoi 

•des conseils de la république, cist livres est escriz en romans 

et joua toujours dès lors un selon le langage des François, 

rôle important dans l'Etat. Il puisque nos somes Ytaliens,jç' 

mourut en 1294. Li livres dou diroie que ce est por II rai- 

Tresor, qu'il écrivit en français sons : l'une, car nos somes en 

pendant son séjour à Paris, France, et l'autre por ce que la 

'est une sorte de recueil ency- parleure est plus delitable et 

clopédique qui touche à l'his- plus commune à toutes gens. » 



Digitized 



by Google 



PREFACE. 17 

langue a beaucoup acquis de beauté et de richesse ; 
et moy seray-je muet? ne leur puis-je pas répliquer 
que la nostre a faict le mesme? Voire puis et doi 
adjouster qu'elle peut reprocher à la leur (puisque 
son ingratitude la contraind d'user de reproche) 
qu'une grand' partie de son embellissement et enri- 
chissement vient de ses biens : comme je le monstre 
évidemment en mon livre. Veu donc que la nostre, 
la renouvelant ainsi presque toute, l'a faicte comme 
renaistre, faut-il demander qui est la première des 
deux? Non plus, certainement, qu'on demanderoit 
qui est la première, la mère ou la fille. Joinct que 
quand ceci ne seroit, nous avons des Rommans qui 
pourroyent estre les bisayeulx, voire trisayeulx du 
plus ancien auteur qu'ils ayent. Mais je confesse bien 
qu'entre leur temps (je di des Italiens qui sont au- 
jourdhuy) et le nostre, il s'est faict plus grand remue- 
ment de mesnage en nostre langue qu'en la leur (et 
principalement quant aux terminaisons) comme aussi 
il fut grand entre le temps d'Ennius et de Virgile *. 
Tant y-a que si on considère bien Testât auquel 
leur langage et le nostre sont maintenant, je puis 
alléguer beaucoup de raisons (outre celles que j'ay 
deduictes plus particulièrement) pour lesquelles il 
n'y-a aucune apparence de comparaison entr'eux. 

1. Même avant H. Estienne, de Vorigine de la langue etpoë- 

on commençait à connaître les sies françaises, -npne et romans^ 

vieux auteurs romans. Geoffroy plus les noms et sommaires des 

Tory donne dans son Champ- œuvres de 427 poètes françois 

fleury la liste de ceux que lui vivants avant l'an iSOO, 

a prêtés frère René Massé, de Nous savons aussi qu'Henri 

Vendôme, chroniqueur du roi. Estienne possédait des « ro- 

Claude Fauchet. contemporain mans » anciens dans sa biblio- 

d'H. Estienne, publie le Recueil thèque. 



Digitized 



by Google 



18 



PREFACE. 



Car non seulement nous avons nos langues plus a 
délivre que les leur pour prononcer les mots Grecs 
et Latins que nous empruntons, sans les dépraver 
comme eux (de quoy j'ay amené beaucoup d'exem- 
ples) * mais aussi nous avons un langage qui n'est 
point subject à tels changements qu'on voit avenir 
au leur, et à une telle incertitude '. Car ils ne sont pas 
en débat touchant l'orthographie seulement (lequel 
ils nous pourroyent aussi objecter, encore qu'au- 
jourdhuy il ne soit pas tant eschauffé) ^ mais tou- 
chant plusieurs vocables, que les uns disent estre de 
mise, les autres ne les veulent non plus recevoir que 
fausse monnoye : voire se gardent d*en user (ainsi 
que j'ay monstre par un passage du Tomitan) * comme 



1. Voir plus loin, p. 1\ ; cf. 
Dialogues, 11, 268 et 315-316. 

2. La langue française du 
XVI* siècle pèche justement par 
son défaut de fixité. Rabelais 
y fait probablement allusion 
lorsqu'il dit du langage lan- 
ternois : « Je t'en feray un beau 
petit dictionaire lequel ne du- 
rera gueres plus qu'une paire 
de souliers neufz. » (Livre 111, 
ch. XL VII.) Aussi l'opinion, à la 
fin du siècle, était-elle que les 
ouvrages sérieux ne devaient 
pas être écrits en français. 
Montaigne, 111, ix : « J'escris 
mon livre à peu d'hommes et 
à peu d'années. Si c'eust esté 
une matière de durée, il l'eust 
fallu commettre à un langage 
plus ferme, etc. » Voir A. Dar- 
mesteter et Hatzfeld, Tableau 
de la langue française au 
XVl^ siècle, p. 183. 

3. Depuis le xiv" siècle, il y 
avait dans l'orthographe fran- 



çaise un complet désarroi dû 
à la lutte entre l'orthographe 
phonétique (celle de l'ancien 
français), et l'orthographe éty- 
mologique ou prétendue telle. 
La question n'est pas résolue, 
puisque l'usage actuel est établi 
d'une façon purement arbi- 
traire. (Voir E. Pasquier, Re- 
cherches, m, 1 : De Vorigine de 
nostre vulgaire Fi^ançois, que 
les Anciens appelaient Roman, 
et dont procède la différence de 
f orthographe et du paidey^. — 
Lettres, ÏII, iv : Sçavoir si l'oi^- 
thographe française se doit ac- 
corder avec le parler. 

4. Bernardino Tomitano, 
médecin et littérateur, né à 
Padoue en 1506, mort à Venise, 
en 1576. Ses principales œuvres 
littéraires sont : Quattro libri 
delta lingua toscana, ove si 
prova la filosofia esser neces- 
saria al perfetto oratore e poeta 
(l'ouvrage aont il est question 



Digitized 



by Google 



PREFACE. 



19 



si c'estoyent des paroles propres pour invoquer les 
diables. Et sur cela Dieu sçait les belles raisons qui 
sont mises en campagne tant d'une part que d'autre : 
comme de la part de Castelvetro assaillant, et de 
Annibal Caro * défendant. Lesquels je ne nomme 
point par mespris, ains estant marri que deux tels 
personnages ayent appliqué à cela leur esprit qui 
estoit capable de si grandes choses : et principale- 
ment celuy de Castelvetro. Car je les ay congneus 
tous deux, et mesmes ay eu bonne part en leur 
amitié, de leurs grâces. Et ne préfère point Tun à 
Tautre, à cause du titre qu'il me donne en un sien 
livre (duquel titre je me sen trop chargé), mais pour- 
ce que je puis monstrer la vérité estre telle. Tou- 
tesfois, sans entrer plus avant en ceste comparaison, 
n'est-ce pas grand pitié que deux si grands person- 



ici) : — Esposizione littérale del 
testo di Maiieo evangelista ; — 
Discorso intorno aU*eloquenza^ 
ed airartifizio, délie prediche e 
del predicare di Cotmelio Musso. 
1. Annibal Caro, né à Citta- 
Nova (marche d'Ancône), en 
1507, mort à Rome en 1566, fut 
secrétaire du duc de Parme et 
de Plaisance, Paul-Louis Far- 
nèse, fils du pape Paul III. 
Plus tard il entra dans l'ordre 
de Saint-Jean de Jérusalem et 
obtint de riches commanderies. 
Ses principaux ouvrages sont: 
un recueil de poésies, Le Rime, 
sa belle traduction de V Enéide, 
en vers libres et non rimes, 
une comédie, / Straccioni (les 
Gueux), etc. Ses lettres sont 
considérées comme un des mo- 
dèles de la bonne prose ita- 
lienne. — Luigi Castelvetro, 



né à Modène en 1505, fut mem- 
bre de l'Académie des Intronati, 
à Sienne. Sa querelle avec Caro 
éclata à l'occasion d'une canzowe 
composée par Caro à la louange 
de la maison royale de France. 
Cette canzone fut sévèrement 
critiquée par Castelvetro. Caro 
répondit avec colère. On dit 
(ju'il fut l'auteur des persécu- 
tions dirigées contre Castelve- 
tro, qui s'enfuit, en 1557, pour 
éviter les prisons du Saint- 
Office, et, après bien des aven- 
tures, mourut en exil en 1571. 
Les principaux ouvrages de 
Castelvetro sont sa traduction 
et son commentaire de la Poé- 
tique d'Aristote, sa très inté- 
ressante critique d'Annibal 
Caro : Ragioni di alcune cose 
segnate nella canzone di Anni- 
bal Caro, etc. 



Digitized 



by Google 



20 PREFACE. 

nages, au lieu d'employer le temps à des escrits qui 
les pouvoyent rendre admirables, Fayent employé à 
des disputes touchant leur langage maternel, qui les 
rendent quasi ridicules? Or la-dessus Benedetto Varchi * 
et autres se sont jettez à la traverse, et ont tellement 
/ brouillé les cartes que le vray et nayf langage Italien 
( n'est plus qu'une idée Platonique. Je sçay bien que 
des le temps de Bembo * l'incertitude y estoit grande, 
et luy tant mieux pensoit parler, tant plus estoit 
moqué : (tesmoin Tevesque qui luy demanda en une 
église de Padoue, si elle ne luy sembloit pas molto 
scannevole) ^ mais elle est tant augmentée depuis, 
qu'on trouvera vray ce que je vien de dire. 

Ils ne peuvent pas objecter le mesme à nostre lan- 
gage, car jamais il n'a falu que les plus grands per- 
sonnages de nostre France ayent mis la main à la 
plume pour nous apprendre à parler i^'rançois. Et 
quand ils l'eussent mise, prehans ceste pêne de gayeté 
de cueur, et pour leur plaisir (encore qu'elle n'eust 
pas esté du tout inutile h quelque partie du commun 

1. 11 fut partisan de Caro ouvrage, écrit en dialogues, 
contre Castelvetro,qui a publié que Bembo doit sa renommée 
des critiques contre VErcolano, comme grammairien. Il a écrit 

2. Pietro Bembo (1470-1547), en outre diverses poésies, des 
«rune grande famille véni- dialogues sur l'amour, G/e i4«o- 
tienne,futsecrétairedeLéonX. /ani, ainsi intitulés parce qu'ils 
Paul m le nomma cardinal en furent composés au château 
1539. Il fut célèbre par son d'Asola, et une Histoire de Ve- 
esprit et imita le plus souvent nise. Ses dialogues, GUAsolani, 
Pétrarque. 11 était puriste en traduits en français par J. Mar- 
italien et en latin, évitant de tin en 1545, eurent une grande 
lire son bréviaire de i>eur de célébrité. Ses lettres latines 
gâter son beau style cicéronien. eurent aussi beaucoup de répu- 
Le livre intitulé Le Prose, nelle tation. 

?'uali si rigiona délia volqar 3. Contenant beaucoup de 

inguay divise in tre libri, parut bancs, Bembo abusait de celte 

à Venise en 1525. C'est à cet terminaison vole.\o\T p. 85. 



Digitized 



by Google 



PREFACE. 21 

peuple) il ne leur fust pas advenu, comme à tant dlta- 
liens qui ont escril de leur langue, de se contrarier 
tellement que les lecteurs s'en fussent retournez 
plus incertains que paravant. Si est-ce diront-ils que 
vous ne pouvez nier qu'en vostre langue pareillement 
n'y ait beaucoup de mal, et qu'elle n'ait perdu beaucoup 
de sa pureté. Je sçay bien qu'ils ne peuvent ignorer ce 
mal, veu qu'ils en sont cause en partie : j'enten, quant 
à leurs mots qui se meslent parmi les nostres. Mais 
je respon que le mal (Dieu merci) n'est pas si grand 
qu'ils pensent : veu qu'il n'approche point du cueur 
de noslre France. Car j'estime qu'en cas de langage 
je puis appeler le cueur de la France les lieux où sa 
nayfveté et pureté est le mieux conservée * : de sorte 
que tous y sont d'accord que ces vocables estrangers 
nous doivent servir de passetemps plustost que d'or- 
nement ou enrichissement : et que le langage de ceux 
qui en usent autrement, doit estre déclaré non pas 
François, mais gastefrançois. 

Toutesfois, quand bien ce mal que j'ay dict ne 
seroit non plus en leur langage qu'au nostre, on voit 
par mon Discours qu'il ne se peut aucunement égaler 
à luy *. Lequel Discours ne sera trouvé que trop long 
par celuy d'entr'eux qui voudra y respondre : mais trop 
court par plusieurs François, qui sçauront combien 
d'autres raisons et exemples je pouvois alléguer. Et 
peut estre qu'aucuns, voyans que j'ay estendu plus 
au long le poinct de la richesse que les deux autres 

1 . Voir la préface des Uypom- mencement du XVP siècle. Inivo- 

neses. Cf. E. Pasquier, Lettres, duction, p. lxxxvii et suivantes. 

II, xir: Thurot, Ôe la pronon- 2. Que leur langage ne se peut 

dation française depuis le com- égaler au nôtre. 



Digitized 



by Google 



22 PREFACE. 

qui précèdent, diront [que puisque ainsi estoit, je 
de vois passer plus avant, et parler encore plus am- 
plement de celle qui consiste tant en Tancien langage 
qu'es proverbes * : mais j'ay espérance de faire un 
traitté à part touchant ces deux choses. Et à fm de 
ne rien dissimuler, je confesse que ce qui m'a faict 
discourir plus succintement touchant les deux autres 
poincts (usant d'une façon mieux convenable au titre) 
c'a esté que je n'avois destiné que l'espace de quinze 
jours à ce traitté, à fin de pouvoir m'aquitter de la 
promesse que j'en avois faicte au Roy, et cependant 
ne faillir pas à une autre, faicte à quelques amis tou- 
chant un voyage. 

Mais je croy bien qu'à l'endroit des Italiens je 
n'auray besoin d'aucune excuse touchant cela : et 
qu'au contraire ils diront que par tout je n'ay esté 
que trop prolixe pour eux. Si veux-je bien qu'ils sça- 
chent que je les ay espargnez, et n'ay pas faict du pis 
que j'ay pu (car je leur pouvois oster l'honneur de ce 
mot aussi Sonnetto, et dire que nous avions Sonnet 
avant qu'eux eussent Sonnelto : voire objecter que 
Pétrarque a pris quelques inventions de nos poètes 
Provençaux) ^ mais quand je leur eusse faict du pis 
qu'il m'eust esté possible, cela ne m'eust-il pas 
esté pardonnable, puisqu'il estoit question de gan- 
gner ma cause? Je m'en rapporte aux advocats 
mesmement de leur pays, car je ne doute point que 

1. H. Estienne a publié en 2. Voir, sur cette question : 

1594 : les Prémices, ou le pre- E. Pasquier, Recherches, VII, 

mier livre des pi'overbes epl- iv; 

grammatisez, ou des epigram- A. Jeanroy, Les origines de 

mes proverbiales rangées en la poésie lyrique en France au 

lieux communs, moyen âge. 



Digitized 



by Google 



PREFACE. 23 

ceux-la, aussi bien que les nostres, ne se proposent 
ce vers d'Ovide pour une règle, 

Et qum non prosunt singula, multa juvant *. 

et que quelquesfois aussi, en plaidant (encore qu'ils 
n'y aillent pas ainsi à fer esmoulu comme les nos- 
tres, et principalement ceux qui ont à faire à une 
cour de Parlement de Paris) ils ne se proposent ce 
vers de Virgile, pour le prattiquer, 

... dolus an virtus, quis in hoste requirat? * 

Quant à ce qu'en mon Discours je ne me serois 
attaché qu'à leur langue, laissant l'Espagnole, je 
di (outre ce que j'en ay dict parcidevant) qu'ils le 
doivent interpréter à un tresgrand honneur. Car je 
confesse par cela, priser autant la leur que je mes- 
prise l'Espagnole : comme celle qui n'osera (ou, pour 
le moins, ne devra point oser) comparoir en champ 
de bataille, après qu'une, à qui elle est beaucoup » 
inférieure, aura esté vaincue. Et c'est suivant ceste 
règle : Si vinco vincentem /e, multo magis vincam te. 

D'autant donc que je leur voulois faire cest hon- 
neur de ne m'attacher qu'à leur langue, et qu'il estoit 
impossible de monstrer les raisons pour lesquelles je 
preferois la nostre à elle, sans faire comparaison de 
nos vocables et façons de parler avec les leur, il 
m'a falu en cest examen user d'un peu de rigueur, 
qui me sembloit nécessaire pour gangner ma cause. 
Et c'a esté toutesfois sans poursuivre ceste compa- 

1. Remédia amoris, 420. 2. Enéide, II, 390. 



Digitized 



by Google 



24 PREFACE. 

raison de nostre nation avec la leur, plus avant que 
ce qui concerne le langage. Car outre ce que telle 
chose estoit hors de propos, quand bien Toccasion 
se fust présentée, je ne Teusse point voulu prendre : 
tant pource que ma plume n'a point accoustumé de 
se mettre h telles matières qui font tomber en des 
invectives (encore qu'aucuns m'ayent preste ceste 
charité de me vouloir faire auteur d'une plus dange- 
reuse, moy pouvant prouver mon alibi de cent lieues 
loing) * que pource aussi qu'ayant demeuré quelques 
années en Italie, et distribué ce temps par les prin- 
cipales villes d*icelle, je ne puis ignorer que si Dieu 
a doué nostre nation de quelques grâces que la leur 
n'ait point, il l'a récompensée en quelques autres qui 
leur sont pareillement peculieres. Et toutesfois si je 
me fusse attaché au langage des Espagnols, je ne 
sçay pas s'il m'eust esté possible d'user de la mesme 
discrétion, car je leur sçay d'autant plus mauvais 
gré qu'ils veulent passer encore plus avant que les 
Italiens : tellement qu'on peut bien dire, en se ser- 
vant des paroles du poète Lucain, 

Nec quemquam jam ferre potest Italusve priorem, 
Hispanusve parem *. 



1. Il s*agit du Discours mer- Soyons (Etude sur les écinvains 

veilleux de la vie et des dépor- français de la Réformation) 

tements de Catherine de M edicis, pense que ni le fond ni la 

royne mère auquel sont récités forme ne permettent de le lui 

les moyens qu*elle a tenus pour attribuer. 

usurper le gouvernement du 2. Pharsale, I, 125. Le texte 

royaume de France et ruiner de Lucain est : 

VÉstat d'iceluy, 1574 ou 1575. ^^^ quemquam jam ferre potest 

L'ouvrage a été généralement [Cœsarve priorem, 

attribué à H. Estienne, mais il pompciusve parem. 



n'est pas sûr qu'il soit de lui. 



Digitized 



by Google 



PREFACE. 25 

Mais s'il plaist aux Italiens que nous facions paix 
ensemble, en nous accordant ceste precellence de 
langage que nous prétendons nous appartenir, nous 
leur aiderons à renger les Espagnols en telle sorte, 
qu'au lieu qu'ils vouloyent que le leur marchast le 
premier, jura dios qu'il faudra en la fin qu'il marche 
tout bellement après les autres. Et au cas que les 
Italiens ne vousissent accepter ceste ofTre, que je 
leur fay d'un franc cueur, comme vray François, 
ainsi qu'ils ne devront trouver mauvais que j*aye 
combatu contr'eux, tant qu'il m'a esté possible 
(selon le temps) pour l'honneur de nostre langage, 
aussi trouveray-je bon qu'ils facent le mesme pour 
la réputation du leur, aussi bien contre nous que 
contre les Espagnols : remettant le jugement k ce 
que dit un de nos anciens proverbes François (par 
lequel je conclurray) Chacun dit, j'ay bon droit : 
mais la veue descouvre le faict *. 

1. Philippi Gameri Thesau- couvre le fait. Quisque suum 

rus adagiorum gallico-latino- narrât, sed res oslensa repu- 

rum, 1612. « Chacun dit : J'ay gnat. - (P. 241.) 
bon droit, mais la veuë des- 



Digitized 



by Google 



H. ESTIENE AUX FRANÇOIS, 

TOUCHANT SON LIVRE DE LA PRECELLENCE DE LEUR LANGAGE, 
ET L*ABUS qu'aucuns COMMETTENT EN ICELUY. 



François, j'ay exalté si haut vostre langage, 
Que tous autres sur luy on verra envieux : 
Comme ayant dessus tous un si grand avantage, 
Que si eux disent bien, luy dit encore mieux. . 

Mais à fin que tousjours cest honneur luy demeure, 
Et que dire on le puisse estre tresbien fondé. 
De ces mots estrangers ne m'usez à toute heure, 
Comme s'il luy faloit estre d'ailleurs aidé. 

Car de mots estrangers faisant une meslee, 
Gardez bien qu'un matin ces mots tant pretieux. 
Comme oiseaux passagers, ne prennent leur volée, 
Et cest honneur aussi ne s'envole avec eux. 



Digitized 



by Google 



PROJECT 

DE l'oeuvre intitulé, 

DE LA PRECELLENCE 

DU LANGAGE FRANÇOIS 

PAR HENRI ESTIENE 



A l'entrée de ma préface je respondray à cer- 
taines objections que j'ay preveues : et y satis- 
feray, comme j'espère. Entre lesquelles tiendra 
le premier lieu ceste-ci, Que comme Socrates 
disoit par forme de proverbe, estre aisé de louer 
les Athéniens entre les Athéniens : mais qu'il 
seroit mal-aisé de ce faire entre les Lacedemo- 
niens : ainsi il m'est facile de louer entre les Fran- 
çois leur langage, jusques à luy donner ce titre 
de precellence : (comme estant excellent entre 
les excellens) mais quand j'aurois en teste les 
Italiens et Espagnols, il me seroit difficile de leur 
faire avouer ceste louange. Je respondray que 
ceste objection seroit valable contre ceux qui veu- 
lent qu'on leur croye à crédit : (comme les disciples 



Digitized 



by Google 



28 DE LA PRECELLENCE 

(le Pythagoras se contentoyent de respondre, Luy 
Ta dict *) et non contre ceux qui veulent et peu- 
vent donner de bonnes raisons en payement, 
comme je pense estre celles que je deduiray. Or 
voulant qu'elles soyent bien pesées et bien deba- 
tues, je traitteray cest argument par dialogue : afin 
que partie soit appelée et ouye, et qu'elle ne mette 
rien en avant, à quoy il ne soit respondu. Mesme- 
ment je luy laisseray prendre un advocat tel que 
bon luy semblera : sur lequel, estant fort affec- 
tionné au soustenement de la cause d'icelle, et 
mesmes y ayant interest, ne pourra tomber aucun 
souspeçon de vouloir prevariquer. 

Je m'efforceray consequemment de rendre con- 
tens ceux qui mettront en avant, Que ce beau 
subject meritoit bien d'estre traitté par un person- 
nage bien doué de l'éloquence Françoise : auquel 
don je ne puis dire (à mon grand regret) avoir 
aucune part *. J'emploiray pour ma response ce 
qu'a dict Horace ^, et qu'au paravant avoit respondu 
Isocrates * (quand on s'esmerveilloit qu'il instrui- 



1. Diogenis Laertii Vitœ phi- 4. Voir la Vie des dix ora- 
loisophorum, édition Diclot, leurs, ouvrage attribué à tort 

p. 215 : è©* ou xal to Atjto; epa à Plutarque; Plutarchi Mora- 

7capoiu.iaxov et; tov Btov T)XOev. lia, édition Didot, II, 1022 : 

2. Cf. Conformilé au langage 

français avec le grec, édition Kal Tcpb; tov èpdji.evov SkJti oOx 

L. Feugère, p. 45. àîv aùtb; Ixavbç, àXXouç «oiei, 

3. Ego fungar vico cutis, acutum eïîtev, ôtt xal al àxdvat aùxal ji.àv 
Reddere quae ferrum valet, exsors TepLeïv où ôuvavxai, tov ôe «riôïipov 

[ipsa secandi. TainTixbv 7iotoO(Tiv. 
{Art poétique, 301-305.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 29 

soit si bien ses disciples à plaider les causes, à 
quoy luymesme n'estoit pas propre) 

Je suis comme la queux qui les cousteaux aiguise 
Encore qu'à couper nullement elle duise. 

Et adjousteray, que mon intention n'est pas de 
monstrer seulement que le langage François est 
plus capable d'éloquence, ou capable de plus 
grande éloquence que les autres, quand il est 
question de haranguer : mais que généralement 
en toutes choses esquelles on s'en veut servir, on 
y trouve des commoditez beaucoup plus grandes. 
Ausquelles si j'ay pris garde de plus près que plu- 
sieurs de ceux mesmement qui font profession de 
l'éloquence, je puis venir à ce discours mieux 
garni qu'eux des pièces pour le moins qui con- 
cernent ce poinct. 

En troisième lieu je me defendray contre ceux 
qui m'objecteront qu'aux exemples pris de la 
langue Françoise je n'oppose qu'aucuns de l'Ita- 
lienne, ne laissant moins en arrière l'Espagnole 
que toutes les autres. Et les prieray avoir patience 
qu'ils soyent venus au lieu où je délibère leur 
rendre raison de ceci : et dire pourquoy, encore 
que je mette l'Espagnole en un reng différent des 
autres lesquelles je laisse, toutesfois, quant à pré- 
senter le combat, la nostre n'a deu faire cest 
honneur à autre qu'à l'Italienne. Car comme ceux 

2. 



Digitized 



by Google 



30 DE LA PRECELLENCE 

qui sçauront qu'Achille aura pu si vaillamment 
et rudement combattre Hector, qu'en la fin il 
aura esté par luy abbatu, ne douteront point que 
ce vaillant guerrier ne puisse porter aisément par 
terre un Sarpedon, ou autre par qui Hector estoit 
secondé : ainsi, quand j'auray monstre que nostre 
langue surmonte l'Italienne, à laquelle toutesfois 
doit céder l'Espagnole, il s'ensuyvra que si la 
nostre precelle Tltalienne, ce titre de precellence 
luy est deu encore plus pardessus l'Espagnole. Je 
la prieray donc vouloir, comme les autres, estre 
spectatrice du combat, l'issue duquel luy pourra 
donner quelque bon avis. 

En la response que je feray à la quatrième 
objection, j'imiteray quelques historiographes, 
qui en leurs préfaces exposent les moyens qu'ils 
ont eus de sçavoir la vérité des choses dont ils 
veulent escrire. Car à ceux qui me diront qu'il 
faudroit avoir mangé beaucoup du pain d'Italie, 
premier que pouvoir disputer si avant de son lan- 
gage : et que ce seroit le vray moyen d'en avoir 
telle congnoissance que requiert mon entreprise : 
je respondray qu'ayant donné trois ans* de ma 
jeunesse à l'Italie, j'ay eu non moins le loisir que 
la commodité d'apprendre son langage. Et adjous- 
teray une chose dont j'ay de bons tesmoins, que 
le sçavoir parler aussi nayfvement que si j'eusse 

1. Probablement du commencement de 1547 à la fin de 1549. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS- 31 

esté du pays, fut ce qui me sauva la vie à Naples*, 
pendant que TEmpereur Charles le quint tenoit 
Sienne assiégée contre le Roy Henri second*. Car 
de Romme estant allé là, et par le moyen des 
lettres de recommandation du Cardinal Saincte 
croix (qui depuis estant Pape, fut nommé Marcel 
second) ^ ayant eu accès en quelques lieux où je 
pouvois descouvrir ce que Monsieur de Selve *, lors 
ambassadeur du Roy, desiroit fort sçavoir, pour le 
grand avancement des affaires de sa Majesté : il 
avint qu'un personnage, qui m'avoit veu en la 
maison de cest ambassadeur, dit qu'il me recon- 
gnoissoit. Alors me fut bon besoin de n'avoir mal 
proufité en la congnoissance de leur langue, car 
je ne trouvay autre expédient pour eschaper d'un 
si grand et manifeste danger (auquel m'avoit 
poussé un ardent désir de faire un si grand ser- 
vice à sa Majesté) que de persuader à toute l'as- 
sistance par mon nayf et comme naturel langage 

1. En 1555. nom ont été ambassadeurs à 

2. Il s'agit du siège rendu fa- Rome vers cette époque, Jean- 
meux par Théroïque résistance Paul de Selve et Odet de Selve. 
de Montluc. Ils étaient fils de Jean de Selve, 

3. Marcel Gervin, né à Monte- qui fut premier président du 
Fano en 1501, cardinal en 1539, parlement de Rouen, puis de 
fut un des présidents du con- Bordeaux, puis de Paris, traita 
cile de Trente, et succéda au avec Charles-Quint de la déli- 
pape Jules III le 1 avril 1555. vrance de François I", et mou- 
II projetait de réformer PEglise, rut en 1529. Son fils aîné, Geor- 
mais il mourut frappé d'apo- ges de Selve, nommé à dix-huit 
plexie, ou peut-être empoi- ans évêque deLavaur, apublié 
sonné , après trois semaines des Instructions pastorales, et 
de pontificat. la traduction de huit des Vies 

4. Deux personnages de ce de Plutarque. 



Digitized 



byGoogk 



32 DE LA PRECELLKNCE 

Italien, que cestuy-la s'abusoit grandement en ce 
qu'il me prenoit pour un François *. Je sçay bien 
que la réplique sera promte, Que depuis ce temps 
la j'ay eu loisir d'oublier beaucoup de ce langage. 
Mais aussi la duplique ne sera pas loin, Qu'il me 
suffît d'en avoir réservé autant qu'il m'en peut faloir 
pour respondre à ceux qui me viendront contrôler : 
j'enten contrôler ce que j'auray à en discourir. 

Or combienque il y auroit quelque apparence, 
que ces responses pourroyent satisfaire à ceux 
qui autrement me penseroyent plus insuffisant 
que plusieurs autres pour exécuter l'entreprise 
dont il est question : toutesfois pource que d'ail- 
leurs il est à craindre qu'aucuns Italiens ou Espa- 
gnols n'allèguent incompétence déjuge, et deman- 
dent renvoy, comme si je me voulois faire juge 
en ma cause : je suis content qu'on ait plus 
d'esgard aux raisons que je mettray en avant, 
qu'à tout ce que j'ay respondu à ceux qui me 
voudroyent accuser d'insuffisance. Car j'espère 
qu'estans bien considérées, je gangneray ma 
cause devant tous ceux, l'obstination desquels ne 
combatera point contre icelles : et qui ne vou- 
dront point dire comme l'obstiné Grec, Ou me 
ptiseis, xan peisips'. C'est-à-dire, Je ne seray point 
persuadé, encore que tu me le persuades. 



1. Cf. Confot^mité^ p. 45. Chrémyle à Pénia : où ^àp 

2. Aristophane, Plutus, 600. ireiaeiç, ovS* i^v TueidYjç. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS- 33 

Mais, après avoir respondu aux objections 
qu'on pourra faire contre moy, touchant ce que 
j'ose entreprendre de traitter de La precellence 
de nostre langage, je tiendray aussi ma response 
preste à celles qu'on fera contre luymesme. Elles 
consistent en deux poincts : l'un. Que je loue tant 
un langage, lequel nousmesmes ne sçavons en 
quel lieu de France nous devons prendre, pour 
l'avoir bien entier et nayf *. L'autre poinct, Que 
quand bien nous serons d'accord de ce lieu, nous 
ne pourrons nous accorder de l'orthographe. 
Quant au premier, je les rendray bien-tost éon- 
tens, en leur faisant ce plaisir de leur enseigner 
non le lieu, mais les lieux, et généralement et 
particulièrement. Pour response au second, je 
leur confesseray que quelques-uns disputent non 
simplement de la manière de l'escrire, ains de la 
meilleure manière : mais je leur nieray que tout 
ce qui se met en dispute, demeure incertain. Et 
quant à ce que nous escrivons autrement que ne 
prononceons, je leur monstreray bien que nous 
ne sommes pas les premiers. 

Apres ceci entrant en matière, je diray que je 

1. Voir la préface des Hy- la pureté de la langue « n'est 

pomneses et les Lettres d'E.P&S' restrainte en un certain lieu 

quier, H, 12 : Quelle est la vraie ou pais, ains esparse par toute 

luiifveté de nostre langue et en la France ». Cf. Thurot, Pro- 

quels lieux il la faut chercher, nonciation française depuis le 

Pasquier condamne la langue commencement du XVI" siècle, 

des courtisans. Il est d'avis que Introduction, lxxxvii-civ. 



Digitized 



by Google 



34 DE LA PRECELLENCE 

pensois avoir assis les fondemens de cest œuvre, 
par le livre que je mis en lumière il y a environ 
douze ans *, De la conformité du langage François 
avec le Grec. Car tout-ainsi que quand une dame 
auroit acquis la réputation d'estre perfaicte et 
accomplie en tout ce qu'on appelle bonne grâce, 
celle qui approcheroit le plus près de ses façons 
auroit le second lieu : ainsi, ayant tenu pour con- 
fessé que la langue Grecque est la plus gentile et 
de meilleure grâce qu'aucune autre, et puis ayant 
monstre que le langage François ensuit les jolies, 
gentiles et gaillardes façons Grecques de plus près 
qu'aucun autre : il me sembloit que je pouvois 
faire seurement ma conclusion, qu'il meritoit de 
tenir le second lieu entre tous les langages qui 
ont jamais esté, et le premier entre ceux qui sont 
aujourd'huy. Mais comme pour exalter la beauté 
d'une dame il ne faudroit alléguer qu'elle appro- 
cheroit plus que toute autre de la beauté d'He- 
lene, sinon à ceux qui l'auroyent veue (je di qui 
auroyent vu Hélène), ainsi je confesse que les 
fondemens dont j'ay faict mention, n'auront esté 
assis par moy, sinon pour ceux qui ont telle con- 
gnoissance de ceste langue Grecque, qu'ils peu- 
vent juger si la nostre luy est tant conforme. Et 
puis qu'ainsi est, je protesteray ne vouloir m'aider 
de ce mien traitté, sinon ainsi que d'une pièce 

1. Au plus tard en 1565, quatorze ans avant la Précellence. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 35 

que je produirois (comme d'abondant) après 
toutes les autres : veu mesmement que tant s'en 
faut qu'aucuns Italiens tiennent pour confessé ce 
que j'ay dict en l'honneur de la langue Grecque, 
qu'ils osent préférer la leur à icelle. 

Et ce pendant ceste grande hardiesse d'aucuns 
Italiens de préférer leur langage non seulement 
au Latin, mais aussi au Grec, sera par moy allé- 
guée contre ceux qui voudront dire que j'auray 
assailli ces messieurs de gayeté de cueur. Car 
puisqu'ainsi est, on ne peut nier qu'en ce discours 
je ne sois non pas assaillant, mais défendant : 
entant que j'ay l'honneur de ma patrie en recom- 
mendation : veu que, si on leur vouloit accorder 
que leur langage est plus excellent que le Grec et 
le Latin, il s'ensuyvroit que le nostre ne seroitpas 
digne de comparoir auprès du leur, ni de tenir 
aucun lieu honorable. Mais la chanse sera bien 
tournée si je puis monstrer que le nostre precelle 
le leur, car il faudra qu'ils passent condemnation 
à trois tout en un coup : et que rendans à ces deux 
langages anciens ce qu'ils leur avoyent osté, ils 
confessent que tant s'en faut que le leur puisse 
estre préféré à ces deux, qui tiennent les deux 
premiers rengs, qu'il ne peut pas estre égalé au 
nostre, qui est inférieur à ceux-là, et principale- 
ment au Grec*. Ils seront (di-je) reduicts à cela : 

1. Cf. Conformité, p. 18. 



Digitized 



by Google 



36 DE LA PRECELLENCE 

sinon que, pour se sauver, ils nous vueillent tant 
honorer, que de mettre nostre langage pardessus 
le Grec et le Latin. Mais quand ils en viendroyent 
là, ils ne nous feroyent pas de plaisir. Car la 
naturelle modestie des François ne porte point 
d'admettre un honneur qui ne leur appartient : 
et principalement quand on en veut despouiller 
quelques-uns pour le leur donner. 

Or en ceste dispute je ne m'adresseray point à 
ces Narcisses (j'enten à ceux qui par telle vante- 
rie se sont monstrez aussi estrangement admira- 
teurs et amateurs de la beauté de leur langage, 
que fut Narcisse de la beauté de sa face) mais à 
ceux qui estans du mesme pays, n'ont pas toutes- 
fois un mesme esprit : ains Vont ainsi posé qu'il 
est vray-semblable que tels juges l'ayent volage. 
Car j'espère que ceux-ci confermeront nostre pro- 
verbe François, Sage est le juge qui escoute et tard 
juge : comme ceux-là ont rendu tesmoignage de 
la vérité de cestuy-ci, De fol juge brève sentence \ 
Et qui plus est, j'ay bonne espérance de trouver 
plus grand nombre de ceux que je demande, que 

1. Cf. p. 209. Voir De Méry, prie, bonne gens, qui allez si 

Histoire des proverbes, UI, 107 : vite en besogne, ne sçavez- 

A . temerario judice prœceps vous pas bien le dire d'Aris- 

sententia. Cf. Dialogues, édi- lote, qui adverlit ad pauca fa- 

lion Risteihuber, U, 276, et la ci/eyMdicfl/?— -Saint-Ange. Gela 

noie; — Apologie pour Héro- veut dire en François, de fol 

dote, édition Risteihuber, I, Juge brève sentence. — Le 

10 : De faux juge brève sen- Roux de Lincy, le Livre des 

lence; — - Naudé, Mascurat, proverbes français, I, 273; U, 

p. 358 : Mascurat. Mais je vous 132. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 37 

des autres, car je ne veux aucunement oster cest 
honneur à Fltalie, d'estre bien garnie d'hommes 
posez et rassis, et par conséquent estre ennemie 
des cerveaux légers : encore qu'elle ne se puisse 
du tout garantir de ce mal. 

M'estant adressé à ceux-ci, et leur ayant incon- 
tinent faict condamner la vanterie de leurs com- 
pagnons (s'il les faut appeler leurs compagnons, 
pour estre d'un mesme pays) en ce qu'ils ont 
préféré leur langage non seulement au Latin, mais 
aussi au Grec : je tascheray de les amener peu à peu 
à une autre confession, laquelle je sçay qu'il sera 
beaucoup plus mal-aisé de tirer d'eux : c'est qu'au 
lieu qu'ils mettoyent nostre langage fort arrière, 
par une telle préférence, il doit précéder le leur. 

Quand je seray venu à ceste proposition, et 
qu'il faudra ruer les grands coups de part et 
d'autre, je leur demanderay (afin de ne les prendre 
à despourveu) par où ils voudront commancer la 
comparaison de ces deux langages. Et m'asseure 
que bien-tost nous tomberons d'accord touchant 
les poincts qui doivent estre examinez en icelle : 
a sçavoir. Lequel des deux est le plus grave. 
Lequel est le plus gentil et de meilleure grâce, 
Lequel est le plus riche*. 



1. C'est bien en effet le plan plus longuement développée 
suivi par H. Estienne. Mais la que les deux autres, qui of- 
troisième partie est beaucoup fraient moins d'intérêt. 

rRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 3 



Digitized 



by Google 



38 DE LA PRECELLENCE 

Je ne doute point aussi qu'ils ne vueillent 
garder cest ordre : et pourtant, que les premières 
armes desquelles ils se voudront servir pour me 
repousser, ne soyent les louanges de la gravité du 
langage Italien. Me tenant donc prest contre ceste 
sorte d'armes, je ne leur laisseray prendre cest 
avantage. Que leur langue use d'accens, et les 
observe songneusement en sa prononciation, la 
nostre point du tout. Je ne leur laisseray (di-je) 
prendre cest avantage. Car si je leur passois cela, 
ce seroit autant comme si je permettois à celuy 
que j'aurois deffié, d'user d'une espee plus longue 
que la mienne. Je leur nieray donc tout à plat ce 
poinct : et au cas qu'ils se fissent avouer par quel- 
ques-uns mesmement de nos François, je desa- 
voueray hardiment tels avoueurs, au nom de la 
plus grand voix, et de ceux qui ne veulent parler 
que par raison. Mais tels François me pourront- 
ils amener, que je les feray juges contre eux- 
mesmes. Car quand ils auront prononcé ceste 
sentence, je feray comme celuy qui demanda 
d'estre receu appelant du Roy mal informé, à luy- 
mesme quand il seroit bien informé * : pource que 
j'appelleray de leurs oreilles escoutantes mal, à 
elles mesmes, quand elles escouteront bien : les 
priant, pour l'affection qu'ils portent à l'honneur 



1. Plutarchi Scripta moralia\ édit. Didot, I, 213 : Regum et 
imperatorum apophthegmata; Pkilippi, patris Alexandrie 2i. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 39 

de leur patrie, prendre bien garde s'ils ne font 
pas ceste voyelle a longue, quand ils prononcent 
ce mot Grâce : au contraire, en prononceant Race 
ou Trace, ils ne la font pas brève* : et si, quand on 
ryme Tun de ces deux sur ce premier qui est long 
en la penultime, leurs oreilles sont aussi con- 
tentes que quand on les ryme lun sur Tautre, ou 
sur quelcun qui ait semblablement la première 
syllabe brève \ Je leur proposeray autres exem- 
ples de plusieurs sortes, quant aux mots dissyl- 
labes : et finalement viendray à ceux desquels la 
diverse signification n'est discernée que par l'ac- 
cent : comme on voit en Matin opposé au Soir, et 
Matin dict d'un chien : en Maie pour Masculus.et 
Maie pour Pem : en Pâte, quand on parle de farine 
pestrie, et Pâte, quand on parle du pied d'un 
chien, ou de certaines autres bestes^ Pareillement 
en Pécher, Péché, et Pécheur, pour Peccare, Pecca- 
iiirn, Peccator : et Pécher, Pécheur, pour Piscari, 
Jr'iscator^. Car encore qu'en escrivant on mette la 
lettre S es uns, et non es autres, si est-ce qu'on 
ne la prononce point : et n'y a moyen de distin- 
guer les diverses significations que par l'accent 
divers qu'on leur donne, ainsi que j'ay dict. 

rrançai^^^u'\nf^^^^^^^^^^^^ troduction de M. Petit de Julle- 

2 rol« ^^ 3. Thurot, Prononciahon 

ne 'prouve ?i>^n.''® ?"^ «"i^' française, II, 317 et suivantes, 

cent H Es» ion «."^"^"l*^ ^ l'ac- 651-52. 

cent'et'la m,«n^f»''':\^^«dl'ac- 4. Thurot, Prononciation 

cent et la quantité. (Voir l'M- française, 1, 89-90, 101. 



Digitized 



by Google 



40 DE LA PRECELLENCE 

Apres que, par plusieurs autres exemples (entre 
lesquels seront aucuns vocables qui estans ter- 
minez en E féminin, ont la première longue : en E 
masculin, brève : comme Fosse, Fossé^ : et Pâte, 
Pâté) je leur auray faict accorder que nous obser- 
vons les accens en des mots dissyllabes, et que je 
leur auray proposé aussi des monosyllabes que 
nous prononceons diversement, selon que nous les 
voulons faire longs ou brefs : je parleray de ceux 
aussi qui ayans trois syllabes, ou plus, ont Tac- 
cent, les uns en la pen ultime, les autres en Tan- 
tepenultime : qui est le poinct auquel il-y-a plus 
de contradicteurs. Or n'estimeray-je avoir peu 
faict- pour Thonneur de nostre langage, quand 
j'auray rabatu ces coups. Car (pour dire la vérité) 
si ainsi estoit qu'il ne se reglast aucunement par 
accens, non seulement il ne seroit si grave (qui 
est le poinct duquel il s'agit maintenant) mais 
une telle confusion sentiroit un peu sa barbarie. 

Voyci donc encores un argument contre tous 
ceux qui nous objecteront cela (lequel je gar- 
deray pour la fin) c'est, qu'estant impossible de 
faire de ces vers qu'on appelle mesurez', sans 



1. Thurot, Prononciation sur la poésie françoise, — 
française, 11, 678, I, 245-46, Marty-Laveaux : Notice biogra- 
ilypomneses, 27. phique sur Jean-Antoine de 

2. E. Pasquier, Recherches, Baïf, xxiv. — Plusieurs autres 
VII, XI : Que nostre langue est que Baïf ont composé des vers 
capable des vers mesurez, tels mesurés, entre autres Ronsard 
aue les Grecs et Romains. Cf. et Jodelle. Voir Sainte-Beuve, 
Vil, vn : Quelques observations Tableau historique et critique 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 41 

quelque observation des accens, nous avons 
monstre aux Italiens que nostre langage nous 
permettoit d'en faire, comme eux en avoyent 
faict. Et qu'ainsi soit, long temps y-a qu'un dis- 
tique de Martial fut traduict en ceste sorte de 
vers. Car Martial ayant dict, 

Phosphore redde dlem : cur gaudia nostra moraris ? 
Csesare venturo phosphore redde diem * ; 

Ces deux vers-la furent traduicts en ces deux-ci 
(qui ont pareillement la forme Fun d'hexamètre, 
l'autre de pentamètre) 

Aube rebaille le Jour : pourquoi/ nostr'aise reticns-tu? 
César doit revenir : aube rebaille le jour. 

Et pouvant produire un grand nombre d'autres 
vers mesurez, je me contente ray de ces deux : 
pource qu'estant plus difficile d'en faire de bons 
en traduction (et principalement où on rend non 
seulement vers pour vers, mais aussi mot pour 
mot) que quand on les fait sans ainsi s'astreindre : 
on ne pourra douter que celuy qui se contrai- 
gnant ainsi en ces deux, les a faicts toutesfois si 
doux, et ne sentans aucune contrainte, n'en eust 
pu faire qui se fussent trouvez encore meilleurs, 

de la poésie française an XV/® la versification sur le modèle 

siècle, in-i2, 1843, p. 79-84; des vers grecs et latins. 

Egger, V Hellénisme en France, 1. VUI, 21 : Ad Luciferum, 

12* leçon : Essai pour réformer vel in adventum Cœsaris. 



Digitized 



by Google 



42 DE LA PRECELLENCE 

quand du tout il ne se fust point assubjetti. Mais 
il vaut beaucoup mieux (ce me semble) pour nous 
et nostre postérité, que tant luy que les autres 
excellens poètes de ce temps se soyent voulus 
rendre dignes du laurier par Tautre sorte de com- 
position de vers, qu'on appelle ryme (au lieu de 
dire rhythme : pource que Torigine est le mot 
Grec Rhylhmos) * et que si quelcun d'entr'eux s'est 
voulu amuser à ceste autre, elle ait esté comme 
son parergon, mais ceste-la, ergon. 

Quand j'auray prouvé que nostre langage 
n'ignore point les accens, non plus que celuy des 
Italiens, je protesteray ne vouloir nier pourtant 
que les accens sont observez plus songneusement 
en la pronontiation du leur, et tellement qu'on 
les peut plus facilement appercevoir : comme 
nous voyons qu'ils font beaucoup mieux sonner 
l'antepenultime de Republica, que nous la penul- 
time de Republique : et que l'accent sur ceste syl- 
labe antepenultime leur est plus fréquent qu'à 

1. Rime peut venir soit de mais non rhythmé. Jusqu'au 

rhythmus, soit plutôt de l'an- xvi' siècle, le mot inme parait 

cien haut-allemand, rim, au- s'être opposé à p7'ose et avoir 

]ouTiVhmreim= série, nombre, eu le sens général de vers. 

puis 7'ime. Rhylhmus au moyen poésie. Brunetto Latini écrit : 

âge ne s'applique qu'à la « La grans partisons de touz 

mesure; ve7'sus 7'hythmicus dé- parleors est en ii manières, 

signe d'abord le vers mesuré, une qui est en prose, et une 

puis le vers rimé, la rime, qui autre qui est en rime. >» (Edi- 

n'était d'abord que l'accessoire, lion de 1863, page 481.) Mettre 

étant devenue le principal, en rime signifie mettre en vers. 

D'après Scheler, Hme s'est Voir Littré. Régnier dit encore 

appliqué d'abord au vers nom- (Satire IX) : C'est proser de la 

bré et 7'imé (au sens actuel), rime et rimer de la prose. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 43 

nous : prononçans Dîcono, Pdriano, Chtdmano, 
Pidngono, Caminano^ Seminano (sinon que nous 
accordions quantà^Semmano, ce qu'aucuns disent, 
que l'accent est sur la première, comme en Sémina 
il estoit sur celle-là : au lieu qu'en Camina, Chiama^ 
Piange il est sur la seconde) mais quand je 
leur auray confessé ces choses, je leur nieray 
qu'elles soyent suffisantes pour attribuer à leur 
langage une gravité en laquelle il puisse surpasser 
le nostre. Car il est certain que tout ce qui se 
prononce lentement, ou posément, ou pesamment, 
(je leur donneray le chois de ces trois) ne se 
prononce pas gravement : et qu'il est requis en 
quelques endroits, pour la gravité, que les pa- 
roUes semblent aller de roideur : à quoy ceste pro- 
nontiation-la est contraire. Et d'autre part on peut 
dire (selon mon jugement) que comme il est plus 
seigneurial d'user de peu de paroUes, ainsi les 
plus courtes et qui sont le plus tost prononcées 
sentent mieux leur gravité en quelques endroits : 
(comme j'ay desja usé de ceste restriction.) A 
quoy j'estime que nous pouvons appliquer le pro- 
verbe Grec, qui dit que tout serviteur est mono- 
syllabe à son maistre*. 
Pour les presser encore d'avantage, je leur 

4. De Méry, Hisloire des pro- vent parler à leurs inférieurs 

verbes, I, 445 : « Omnis herus que i)ar monosyllabes. » La 

sit servo monosyllabus. Il ne forme est toute différente, mais 

faut pas se familiariser avec en réalité l'idée est tout à fait 

les valets. Les grands ne doi- la même. 



Digitized 



byGoogk 



44 DE LA PRECELLENCE 

demanderay pourquoy à plusieurs infinitifs qui 
se terminent en E, ils osten^ceste lettre, comme 
en ce passage, Non mi è novo {disse il Cornaro) 
Vudirparlare honoratamente delMartelli\ Pareille- 
ment en cestuy-ci, Ma se pure vi da Vanimo di udire 
intorno à questa facoUa, alcuna cosa, pregar vi 
voglio che talhora vegniate à la Academia^. J'ad- 
vertiray de noter en ces deux passages, qu'un 
mesme verbe au premier ha la queue coupée, non 
au second, car le premier passage ha, udir^ le 
second udire. Et la raison est (comme je croy) 
qu'au premier la queue du mot prochain parlare 
empe^choit (ou pour le moins sembloitempescher) 
la queue du précèdent. Je leur demanderay pareil- 
lement pourquoy ils ostent quelques lettres, au 
bout d'aucuns mots : comme nous voyons gran 
pour grande^ et san pour sano^ et alcun pour 
alcunOy et ben pour bene^ en ce passage qui est 
pris, comme les precedens, du troisième livre de 
ce qui a esté composé touchant la langue Thos- 



i. « Ce n'est pas chose nou- une tragédie intitulée Tullia^ 
velle pour moi, dit Cornaro, une traduction du 40 livre de 
d'entendre parler honorable- V Enéide, des odes et des can- 
ment de Martelli. » Luigi Cor- zoni très estimées. Son frère, 
naro, d'une grande famille Vicenzo Martelli, né dans les 
vénitienne, naquit en 1467, et, premières années du xvi* siècle, 
avec une santé très délicate, mort en 1556, a laissé un vo- 
vécut jusqu'en 1566. Ses Dis- lume de lettres et de poésies, 
com delta vita sobria (Padoue, 2. « Mais si cependant vous 
1558) ont été traduits en plu- avez envie d'entendre quelque 
sieurs langues. — Lodovico chose sur cette faculté, je vous 
Martelli, né à Florence en 1499, prie de vouloir venir quelque- 
mort en 1527, a laissé inachevée fois à l'Académie. » 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 45 

cane, par Bernardin Tomitan (lequel escrit en 
deux sortes son nom mesmement, Bernardino, et 
Bernardin : ayant mis cestuy-la en la seconde 
impression, cestuy-ci en la première) Ilquale, 
corne gran Platonico che egli è, non vorra compor- 
tarvi che Amore sia mai cagione (ïalcun minimo 
diffetto : corne quello che è usato di riprender il 
poetay mentre disse ch' Amor occhio ben san fà 
veder torto^. Je leur feray confesser que ce qu'ils 
coupent ainsi la queue à ces mots, fait gran- 
dement contr'eux. Car quand bien ils voudront 
dire que ce qu'ils font, ce n'est pas leur couper la 
queue, mais la trousser seulement, si est-ce qu'il 
s'ensuyvra qu'à eux-mesmes elle semble trainer. 
Et à la vérité je trouve bon qu'ils troussent ceux 
qui ont apparence d'estre trop longs (comme 
Amore avoit quelque apparence de l'estre : lequel 
toutesfois n'a esté troussé qu'à la seconde fois) et 
non qu'ils facent le mesme à ces pauvres dissyl- 
labes : et principalement quand ils espargnent quel- 
ques polysyllabes qui sont tout auprès. Toutesfois 
laissant cela à leur discrétion, retourneray à ce 
propos, que telle façon de faire répugne à ce qu'ils^ 
mettent en avant touchant la gravité de leur lan- 
gage, s'ils la veulent prouver par ceste tant lente, 

1. Littéralement : lequel, faut : comme celui qui a cou- 
comme grand platonicien qu'il tume (en homme qui a cou- 
est, ne voudra jamais vous tume) de blâmer le poète 
accorder que l'Amour soit d'avoir dit que l'Amour fait 
jamais cause du moindre dé- qu'un œil sain voit de travers. 

3. 



Digitized 



by Google 



46 DE LA PRECELLENCE 

tant posée ou tant pesante prononciation : (car 
derechef je leur baille à choisir de ces trois) veu 
que ce qu'ils font c'est pour la haster un peu. 
Sur quoy il faut noter qu'ils ne peuvent venir à 
bout de leur langage, comme nous venons à bout 
du nostre. car quand quelqu'un traine sa parole, 
ou ses paroles (nous disons ainsi de celuy qui 
parle un peu trop lentement) il s'en peut cor- 
riger, et parler plus vistement, sans changer rien 
de l'ordinaire es mots : mais le leur ne peut estre 
prononcé que lentement (encore qu'il le soit 
moins par les uns que par les autres) jusques 
à ce qu'on ait osté les dernières syllabes de quel- 
ques-uns. Et pour conclusion, quand ils veulent 
corriger un peu ceste pesanteur, force leur est 
d'accoustrer leurs mots à la façon des nostres : 
c'est à dire, les faire terminer en lettres conso- 
nantes, au lieu que leur naturelle terminaison 
estoit en voyelles. Voyla comment au lieu de dire, 
Parlare, Insegnaî^e, Dichiarare^ Mostrare, ils disent 
Parlar, Insegnar, Dichiarar^ Mostrar : ainsi que 
nous disons PaWer, Enseigner^ Déclarer ^ Monstrer : 
et font de mesme es autres. Et sont si bien accous- 
tumez à ceste syncope, ou plustost apocope (que 
j'appelle retranchement) qu'ils en font quel- 
quesfois autant aux dissyllabes, qui n'en peuvent 
mais. Vray est qu'ils ne font pas ce tour à tous les 
vocables d'une clause, mais espargnent les uns, 
les autres non, selon qu'il s'avisent. Et qu'ainsi 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 47 

soit, si un d'eux répète quelque chose en mesmes 
mots, il pourra advenir que la seconde fois il 
usera de retranchement en ceux mesmes qu'il 
aura espargnez la première. Tellement qu'on ne 
peut dire autre chose, sinon qu'il eschappe qui 
peut. Or quant à ce que j'ay dict que ce retran- 
chement estoit pour corriger la pesanteur dont 
j'ay faict mention, je me puis aider de l'autorité 
de leur Bembo : qui en son livre intitulé Le pi^ose, 
parlant de deux passages du Pétrarque, en l'un 
desquels il a dict Huom pour HuomOy en l'autre 
Popol pour Popolo, escrit, Erano Huomo ePopolo 
le intere voci : dalle quali egli leva la vocale loro 
ultima : la quale se egli levata non havesse, elle 
sarebbono state voci alquanto languide e cascanti : 
che hora sono leggiadrette e genHli\ 

Quand ils auront esté déboutez de leur plus 
fondamentale proposition, en ce qu'ils mettoyent 
en avant, la gravité de leur langage estre plus 
grande que celle du nostre, il restera de voir 
quel autre fondement ils luy peuvent donner : 
veu mesmement que je maintiendray qu'au con- 
traire il est aucunement mol, à comparaison du 
nostre : pour le moins n'est pas si nerveux et 
viril. Or ce ne sera point sans parler de la pro- 



1. Huomo et popolo, étaient ils auraient été des mots un 

les mots entiers : desquels on peu languissants et traînants : 

a retranché la dernière voyelle: maintenant ils sont vifs et 

si on ne Tavait pas retranchée, dégagés. 



Digitized 



by Google 



48 DE LA PRECELLENCK 

nonciation : de laquelle je remonstreray qu'ils ne 
s'acquittent pas si bien que nous : ains qu'ils la 
rendent comme efféminée en certaines paroles : 
et mesmement es Latines, qui sont la source de 
celles-là. Car comme ils prononcent affettione en 
leur langage, ainsi plusieurs d'entr eux du Latin 
affectio font affettio : et comme ils disent en 
leur langue massimoy ainsi massimus pour maxi- 
musK 

Quand j'auray aussi parlé de quelques autres 
choses qui donnent gravité à un langage, et que 
j'auray monstre qu'aucunes qui sont de ce nombre, 
se trouvent au nostre, et non au leur, je produiray 
quelques passages des» auteurs Latins, avec les 
deux traductions, Italienne et Françoise : à fin que 
ceste comparaison confermant les choses que 
j'auray proposées, je puisse conclurre (sans leur 
faire tort) que l'honneur de precellence qu'ils don- 
nent à leur langage, quant à la gravité, nous 
appartient. 

Or quand j'auray produict ces passages des 
poètes Latins, avec les traductions d'iceux, tant 
Italiennes, faictes par les plus célèbres poètes du 
pays, que Françoises : (dont les unes seront 
miennes, les autres, des principaux poètes de ce 
temps) et prieray les lecteurs qu'après avoir faict 
un tel examen de toutes deux, que doivent faire 

1. Cf. Hypomnesesj 73. — Dialogues, II, 249-51. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 4î> 

personnes qui se veulent monstrer neutres, ils^ 
facent leur rapport en bonne conscience. 

Et des maintenant leur feray avoir la veue de 
quelques-unes : commençant, quant aux Fran- 
çoises, par les miennes : à fin de garder les meil- 
leures pour la fin. Voyci donc deux vers de Virgile, 
en son 9. livre de T^neide, 

Impastus ceu plena leo per ovilia turbans 
[Suadet enim vesana famés) manditque, trahitque 
Molle pecus^. 

Lesquels Arioste voulant accommoder à son 
propos, en son xvm Chant, a interprétez ainsi, 

Corne impasto leone in stalla piena, 
Che lunga famé habia smagrito, e asciutto, 
Uccide, scanna, mangia, e à stratio mena 
Vinfermo gregge in sua balia condutto '. 

Et long temps après, un^ nommé Cerretani', qui 
a traduit toute TiEneide, les a ainsi rendus. 

Comme digiun leone il chusio ovile 

Turbando va^ da trista famé spinto^ 

E mangiay e à tratlo l'humil gregge mena. 



1. 349-51. remply de brebis, tuë, esgorge^ 

2. St. 178. Traduction F. de mange et deschire ce pauvre et 
Rosset (Paris, de Sommaville débile trouppeau tombé en son 
et Courbé, s. d.) : 162, verso, pouvoir. » 

« Tout ainsi qu'un Lyon mai- 3. Aldobrando Gerretani. V. 

gre et tout exténué de faim, Tiraboschi, ouvrage cité, VU, 

entrant dans un parc tout 1336. 



Digitized 



by Google 



50 DE LA PRECELLKNCE 

Sur lequel dernier vers est rymé le subséquent, 
qui fine en ce mot affrena : et sur les deux autres 
sont rymez deux des precedens. Dequoy j'adverti, 
pource qu'on se pourroit esbahir de ne voir ici 
aucune ryme. 

Les mesmes vers de Virgile furent ainsi traduicts 
par moy, les appliquant (comme Arioste) à mon 
propos, 

Comme un lion que poind d'une grand faim la rage, 
Fait parmi les troupeaux un horrible carnage. 
Entraînant, démembrant, pour son ventre assouvir. 

Duquel troisième vers le commancement se peut 
aussi changer ainsi, avec non moindre gravité. 
Traînant, escartelanL 

De ce passage de Virgile, viendray à cestuy-ci 
d'Ovide, 

Proh superi, quantum mortalia pectora csecas 
Noctis habent *. 

Arioste Ta ainsi traduict, 

O sommo dio, come i giudicii humani 
Spesso offuscati son da un nembo obscuro *. 

Et moy Tavois premièrement traduict ainsi. 

Mon Dieu, que sont en une nuict profonde 
Plongez les cœurs de tous hommes du monde, 

i. Afe7amorpAo«e«, VI, 472-78. jugemens des hommes sontbien 
2. St. 25. Traduction citée : couverts d'une obscure nuée. ■ 
« Dieu souverain, que les 74, verso. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 51 

Depuis Tay traduict en ceste sorte, 

Dieu tout-puissant, que des mortels les cœurs 
Sont entourez de ténèbres d'erreurs. 

Et en ceste façon aussi, me donnant encores un peu 
plus de liberté, 

Que de brouillars offusquons nos esprits^ 
En nos discours nous font estre surpris. 

Et en ceste-ci, 

Qu'une grand nuict, occupant les cerveaux 
De tous humains, leur cause de grans maux. 

J'ay adjousté ceste cinquième traduction, qui est 
encore moins astreinte que les autres, 

Mon Dieu, qu'on voit l'humain entendement 
Se fourvoyer par son aveuglement. 

Il est certain qu'on les pourroit traduire en telle 
sorte qu'ils auroyent encore d'avantage de gravité : 
mais j'espère qu'on me confessera que de ces 
cinq celle qui en ha le moins, en ha plus que 
l'Italienne d'Arioste. 

Entre les traductions des passages de Virgile, 
Ovide, ou autre, faictes par les plus excellens 
poètes François de ce temps (dont je feray compa- 
raison avec les Italiennes) ne sera oubliée celle 
de Pierre Ronsard, d'un lieu que Virgile a pris 



Digitized 



by Google 



52 DE LA PRECELLENCE 

d'Apollonius Rhodius. Et à fin que les lecteurs, 
qui entendront le Grec aussi, prennent plaisir à 
conférer des vers de quatre langues, lesquels ont 
un mesme subject, je commanceray par Apollo- 
nius, au troisième livre de ses Argonau tiques, 

rieX^ou (S; tîç te 8(5(101; èvmâXXeTai «cyXiri 
<î8aTo; è^av'.oûo-a, to Ôyj véov -îjè Xéêyjxt 
r\i 1C0U èv yauXâ) xé-/UTai • y; Ô* ëvôa xal ëv6a 
coxeiY) ffTpoçaXtYYt Tivâco-eTat àiovouo-a *. 

Virgile au commancement de son vin livre de 
TiEneide, avoit ainsi suivi ceste comparaison 
d'Apollonius, 

Sicut aquœ tremulum labris uhi lumen aënis 
Sole repercussum, aut radiantis imagine lunœ, 
Omnia pervolitat latè loca^jàmque sub auras 
Erigitur, summique ferit laquearia tecti*. 

Laquelle Arioste a pris de luy, et Ta mise en ces 
quatre vers, 

Quai (Tacqua chiara il tremolante lume 
Dal solpercossa, o da notturni rai y 
Per gli ampli tetti va con lungo salio 
A des Ira ed à sinistra^ e basso ed alto^. 

Pierre Ronsard, voulant représenter les beaux 



1. 756-759. rayons du Soleil ou de la Lune 

2. 22-25. Cf. Silius Italiens, donnent. Geste lumière fait de 
VIII, 143-i45. longs sauts par les couvertures 

3. St. 7i. « Elles (ses pensées) du logis, à dextre et à senes- 
ressemblent à la clarté qui pro- tre, en bas, et en haut. » Trad. 
cède d'une eau claire, où les citée, 62, verso. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE WtANÇOIS. 53 

traits aussi bien du poète Grec que du Latin, a 
faict ces huict vers, 

Deçà delà virant et tournoyant^ 
Comme l'esclair du soleil flamboyant. 
Ou du croissant, qui tremblotant sautelle^ 
Sur Veau versée au creux d^une platelle : 
Ce prompt esclair ores bas ores haut 
Par la maison voltige de maint saut, 
Et bond sur bond aux soliveaux ondoyé, 
Pirouetant d^une incertaine voye^. 

Il use au quatrième vers de ce mot Platelle, qui 
est usité en quelques lieux qui sont près de Paris : 
et toutesfois il a traduict ces deux vers encores en 
ceste sorte, pour ceux ausquels ce mot-la ne plai- 
roit pas. 

Ou du croissant, faitjallir sa lumière 

Sur l'eau tremblante au creux d'une chaudière. 

Il me semble avoir heureusement exprimé le mot 
Grec slrophalingi, au penultime vers *. 

Voyci un autre passage, pris du second du 
mesme œuvre du mesme poète, 

Vestibulum ante ipsum primoque in limine Pyrrhus 
Exultât, telis et luce coruscus aena : 

l.Franciarfe, ni. 11 yapources 2. C'est plutôt le dernier 
vers de nombreuses variantes, vers qui rendrait l'idée de 
et le texte que donne Estienne axo^dXiyyi, ^TOçâXiyÇ signifie 



Blanchemain (lll, 468-69). ondoyei\ 



Digitized 



by Google 



54 DE LA PRECELLENCE 

Qualis ubi in lucem coluber mala gramina pastus, 
Frigida sub terra tumidum quem bruma tegebat^ 
Nunc positls novus exuçiis^ nitidusque juventa^ 
Lubrica convolvit sublato corpore terga 
Arduus ad solem, et linguis micat ore trisulcis *. 

Arioste, faisant son proufit de ceste comparaison, 
Ta ainsi traduicte en son xvu Chant, 

Sta su la porta il re d*Algier^ lucehte 

Di chiaro acciar^ chel capo gli arma^ e7 busto, 

Como uscito di ténèbre serpente 

Poi c'ha lasciato ogni squalor vetusto, 

Del novo spoglio altero, e che si sente 

RingiovenitOy epiu che mai robusto, 

Tre lingue vibra ^ e ha ne gli occhi foco 

Dovunque passa ^ ogni animal da loco *. 

Et Ronsard Ta estendue en plus de vers, en ceste 
sorte, 

Devant la porte estoit ceste race Ilectoree, 
Luisante en un harnois^ dont la clarté ferrée. 
Du soleil rebatue, esblouissoit les yeux 
D'un tremblant emeri, volant jusques aux deux. 
Elle crespoit un dard en sa dextre superbe. 
Semblable à ce serpent, qui pu de mauvaise herbe 



1. II, 469-475. qu'il se voit muny d'une nou- 

2. SI. 11. * Le Roy d'Arger velle escaille, il est si fier de 
estoit sur la porte, tout relui- se sentir rajeuny et plus ro- 
sant d'un acier qui lui couvroit buste qu'auparavant qu'il jette 
la teste et le corps. Il ressem- une langue à trois poinctes. 
bloit à un serpent qui sort de Ses yeux sont rouges de feu, 
sa caverne. Apres qu'il s'est et chaque animal luy fait place, 
dépouillé de sa vieille peau et quelque part qu'il aille. » 136. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 55 

Sort du creux de la terre ^ et au printemps nouveau. 
Son vieil habit changé, reprend nouvelle peau. 
Droit devers le soleil il dresse sa poitrine, 
Eschaufant les replis de sa glissante eschine : 
Bragard de sa jeunesse, et en cent nœus retors 
Accoure it et alonge et enlace son cors, 
Reliche et repolit ses escailles bien jointes. 
Sifflant à col enflé de sa langue à trois pointes * . 

La comparaison dont use Virgile parlant de 
Pyrrhus, et Arioste, parlant de son Rhodomont, 
est ici par Ronsard accommodée à son Francus : 
et mise en paroles si propres et si graves, qu'il 
semble, en surmontant Arioste, quantetquant 
combatre Virgile. Lequel combat il ne faut 
estimer petit, car outre ce que Virgile s'est heu- 
reusement estudié à gravité, il a usé d'une langue 
qui est grave de soymesme : voire est estimée 
par aucuns surpasser en ceci la Greque : et non 
sans quelque apparence, comme je monstreray 
par le récit d'une dispute que j'en, lors que j'estois 
à Vienne en Austriche, en la cour de l'empereur 
Maximilian*, contre un seigneur Espagnol, non 
moins grand en doctrine, qu'en biens et honneurs. 



1. Léon Feugère n'a pu trou- reur en 1564, mort en 1576. Il 
ver ces vers dans Ronsard. Je fut l'un des protecteurs d'Henri 
n'ai pas été plus heureux que Estienne, l'un de ceux auxquels 
lui. Ils ne peuvent se trouver est dédié le Thesauims linguae 
dans la Franciade qui est écrite ^rsecœ. H. Estienne se trouvait 
en décasyllabes. justement à Vienne en 1576, au 

2. Maximilien II, fils de Fer- moment de la mort de Maxi- 
dinand P% né en 1527, empe- milieu. 



Digitized 



by Google 



56 DE LA PRECELLENCE 

Aux passages que tant Arioste que quelcun de 
nos poètes François auront pris de l'ancienne 
poésie Latine, j'adjousteray quelques-uns que les 
nostres auront pris de luy, ou par imitation, ou 
par traduction. Et en ce nombre sera cestuy-ci, du 
chant xvn. 

Grifon, che gli era appresso, e n'havea cura y 
Lo spinse pur, poi ch'assai fece e disse. 
Contra un gentil guerrier, che s' era mosso. 
Comme si spinge il cane al lupo adosso : 
Che diece passi gli va dietro, ô venti, 
E poi si ferma, ed abbaiando guarda 
Come digrigni i minacciosi denti, 
Come ne gli ochi orribil foco gli arda *. 

Car à ces huict la j'opposeray ces huict d'Amadîs 
Jamin*, 

Grifon, qui estoit preSy et qui en avoit cure, 
Fit tant qu'il le retint, et fit prendre avanture. 
Contre un gentil guerrier, le piquant en avant, \yant. 
Comme on pique un mastin contre un loup poursui- 



1. St. 88-89 : « Griffon qui de feu. » Trad. citée, 143, recto, 
estoit près de luy, soigneux de 2. Amadis Jamyn, probable- 

sa réputation, après avoir fait ment né vers 1530 et mort vers 

et dit beaucoup de ctioses, le 1585, fut Télève de Daurat et 

poussa neantmoins contre un le protégé de Ronsard, qui le 

brave chevalier qui se presen- fît nommer secrétaire de la 

toit: de mesme que Ton pousse chambre du roi. Ses œuvres 

le Chien, qui va dix ou vingt (sonnets, églogues, épîtres, élé- 

pas après le Loup, et puis s'ar- gies, etc.) , ont été publiées 

reste et regarde en abbayant, en 1575, 1577, 1582. Il a tra- 

comme l'autre grince et menace duit en vers treize chants de 

des dents, et comme ses yeux VlUade, et les trois premiers 

jettent d'horribles estincelles de VOdyssée. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 57 

Mais comme le chien va dix ou vingt pas derrière^ 
Et abbaye le loup^ auquel il nen chaut guiere. 
Puis s^arrestCy avisant comme il grince les dens, 
Et comme dans les yeux il ha des feux ardens. 

Apres avoir opposé des rymes Françoises aux 
rymes Italiennes *, pour faire comparaison des unes 
avec les autres, je feray le mesme en la prose : 
pour monstrer que nostre langue n'est pas moins 
propre, et n'ha point moins et de gravité et de 
grâce en cest endroit, qu'en cestuy-la : et ne mérite 
pas moindre louange pardessus les langues vul- 
gaires. Mais pour le présent je me contenteray 
d'une harangue que nous lisons en Tacitus, sous 
le nom d'un nommé Cerealis : l'argument de 
laquelle (à fin que tu la puisses mieux entendre) 
est tel : Les Belges s'estans rebellez sous la con- 
duite de Valentinus, Cerealis, chef des forces 
Rommaines en ces quartiers-la, les alla rencontrer 
près la ville de Confluence *, où la Moselle entre 
dans le Rhin : et les deffit de prime arrivée : prit la 
ville par mesme moyen, que les soldats eussent 
bien voulu ruiner, pour se vanger de Tutor et de 
Classieuse : mais il l'empescha, de peur d'aliéner 



4. Des vers français aux vers lius, Julius Tutor, de la cité 

italiens. des Trévires, chargé de gar- 

2. Il s'agit de Trêves et non der la rive du Rhin, et Ju- 
de Coblentz : Histoires, IV, 72 : lius Classicus, préfet d'un corps 
• Cerialis postero die coloniam de cavalerie trévire, avaient 
Treverorumingressusest,avido abandonné les Romains pour 
milite eruendae civitatis. » se joindre à Givilis. {Histoires, 

3. Après la mort de Vitel- IV, 55 et suiv.) 



Digitized 



by Google 



o8 DE LA PRECELLENCE 

d'avantage les cueurs de ce peuple. Et ladessus 
ayant faict appeler à Taudience publique les députez 
des Triefvois et de Langres, leur tint le langage 
suivant : par lequel il remonstre les maux et cala- 
mitez qui ont accoustumé de s'ensuyvre aux peu- 
ples de leurs révoltes et soulevemens : quand 
persuadez des mutins ils taschent de se rebeller 
et soustraire de Tobeissance de leurs légitimes 
princes : et changer de gouvernement, sous Tespe- 
rance d'une meilleure condition, et d'un plus sup- 
portable fardeau. 

Neque ego unquamfacundiam exercui, etpopuli Romani 
virtutem armis affirmavi : sed quia apud vos verba pluri- 
mùm valent, bonaque ac mala non sua natura, sed vocibus 
seditiosorum œstimantur, stalui pauca disserere qua? 
profligato bello utilius sit vobis audisse, quàm nobis 
dixisse. Terram veslram cœterorumque Gallorum ingressi 
sunt duces imperatoresque Romani nulla cupidine, sed 
majoribus vestris invocantibus, quos discordiœ usque ad 
exitium faiigabant, et acciti auxilio Germani sociis pariter 
atque hostibus servitutem imposueiant. Quot prœliis 
adversus Cimbros Teutonosque, quantis exercitum nos- 
tiorum laboribus, quove eventu Germanica bella tracta- 
verimus, satis clarum. Nec ideo Rhenum insedimus ut 
Italiam tueremur, sed ne quis alius Ariovistus legno Gal- 
liarum poiiretur. An vos chariores Civili Batavisque et 
Transi'henanis gentibus creditis, quàm majoribus eorum 
patres avique vestri fuerunt? Eadem semper causa Ger- 
manis transcendendi in Gallias, libido atque avaritia, et 
mutand«T sedis amor, ut, relictis paludibus et solitudi- 
nibus suis, fœcundissimum hoc solum vosque ipsos pos- 
siderent. Gœterum libertas et speciosa nomina prœtexun- 
tur : nec quisquam alienum servitium et dominationem 
sibi concupivil, ut non eadem ista vocabula usurparet. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 59 

Régna bellaque per Gallias semper fuere, donec in nos- 
trum jus concederetis. Nos, quanquam toties lacessiti, 
jure Victoria) id solum vobis addidimus, quo pacem tue- 
remur : nam neque quies gentium sino armis, neque 
arma sine stipendiis, neque stipendia sine tributis haberi 
queunt. Caetera in communi si ta sunt : ipsi plerumque 
legionibus nostiis prœsidetis, ipsi bas aliasque proviucias 
regitis : nihil separatum clausumve : et laudatorum prin- 
cipum usus ex œquo, quamvis procul agentibus : sœvi 
proximis ingruunt. Quomodo sterilitatem aut nimios 
imbres et cœtera natura} mala, ita luxum vel avaritiam 
dominantium tolerate. Vitia eiunt donec bomines : sed 
neque hsec continua, et meliorum interventu pensantur : 
nisi forte, Tutore et Classico regnantibus, moderatius 
imperium speratis : aut minoribus quam nunc tributis, 
parabuntur exercitus, quibus Germani Britannique ar- 
ceantur. Nam pulsis (quod dii probibeant) Romanis, quid 
aliud quam bella omnium inter se gentium existent? 
Octingentorum annorum fortuna disciplinaque compages 
bœc coaluit, quœ convelli sine exitio convellentium non 
potest. Sed vobis maximum discrimen, pênes quos aurum 
et opes, pra3cipuaî bellorum causa?. Proinde pacem et 
urbem, quam victi victoresque eodem jure obtinemus, 
amate, cobte. Moneant vos utriusque fortunœ documenta, 
ne contumaciam cum pernicie, quam obsequium cum 
securitate, malitis*. 

Voicy comment la précédente harangue Latine 
a esté traduicte par un Florentin, nommé Giorgio 
Dati ^, avec le reste des livres de Tacitus, qui sont 
parvenus jusques à nostre temps. 



1. Histoires, IV, 73-74. de Tacite parut après sa mort, 

2. D'une famille noble de en 1563. Son compatriote, Ber- 
Florence qui a compté plusieurs nard DavanzatiBostichi, auteur 
autres littérateurs ou érudits. d'une traduction de Tacite plus 
11 a aussi traduit Valère- estimée que celle de Dati, parle 
Maxime (1547). Sa. traduction ainsi, dans une lettre, de 



Digitized 



by Google 



60 DE LA PRECELLENCE 

lo per insino à qui non mi sono nelP arte del ben dire 
giamai esercitato, onde io potessi venire à voi con belle ed 
ornate parole : ma bene con Parmi e con la spada ho 
sempre aiutato confermare la vii tù, eU valore del popolo 
Romano : ma vedendo che appresso di voi le parole vagliono 
molto, e che il bene ed il maie non quale egli è per natura 
ma secondo il parlare de'seditiosi è giudicato : quindi 
délibérai espor vi brevemente quelle cose, lequali (poiche 
la guerra è ter^inata) sarannoàvoi piu utile àudire, che 
à me il recitarle. Primieramente, i nostri antichi impera- 
dori e capitani entrarono con gli eserciti loro nel paese 
vostro, ed in quello de' Galh', mossi non da propria cupi- 
dita, ma chiamati da' vostri antecessori, iquali, parte per 
le proprie discordie loro furono sino alF estremo afflitti, 
parte da' (iermani travagliati : il cui aiuto avevano invo- 
cato, ed iquali s' eran sforzati di mettere gli amici ed ini- 
mici parimente sotlo la servitù ed ubbidientia loro. Impe- 
roche quante volte noi habbiamo co' Cimbri e co' Teutoni 
combattuto, e quante faticlie e disagi habbinô i nostri 
eserciti sopportato, e finalmente quel che noi nelle guerre 
co' Germani habbiamo vinto ed acquistato, è noto à bas- 
tanza. Et non siamo perciô per difendere la Italia, stati 
délia riva del Reno occupatori, ma solo perche e' non 
venisse un'altro Ariovisto, e délia Gallia cercasse d'insi 
gnorirsi. Credete voi d'esser piu grati ed accetti à Civile e 
a' Batavi, ed ail' altregenti di là dal Reno, che non furono 
i padri et gli avoli vostri à gli antichi, e predecessori di 
quelli? Fu sempre una cagione medesima, perche i Ger- 
mani passarono in Gallia : e questa fu la libidine, l'ava- 
ritia, e'I desiderio di cercare e possedere nuove habita- 
lioni, accioche, lasciato le paludi, ed i loro diserti, e soli- 
tarii luoghi, possedessero questo vostro fertilissimo ed 
abbondantissimo paese, e finalmente riducessero anchora 
voi sotto il dominio loro : ma e' vengono sempre in campo, 
e ricuopronsi col nome délia liberta, e con altri simi- 

rœuvre de son prédécesseur : large, convenable à son but, 
« Giorgio Dati a traduit Tacite qui était de le rendre très 
<Jans un style abondant et clair. » 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 61 

glianti honesti titoli, per ingannarvi piu agevolmenle : 
imperoche niuno giamai fu, che bramasse porre altri in 
servitù, e à se stesso procacciar signoria, che di cotali 
honorati nomi non s'andasse accomodando. Sempre per 
la Gallia furon guerre, e sempre chi ha cerco signoreg- 
giarla, fmo à che voi venisté sotto la nostra juriditione : 
ma noi, quantunche spesse volte offesi e provocati da 
voi, nulla le piu vi habbiamo imposto (conciosia che per 
ragione délia vittoria dirittamente far lo potessimo) che 
quelle per ilquale la pace publica potessimo conservare : 
imperoche senza l'armi non si puô sostenere la pace tra 
le genti, ne Tarmi senza gli stipendii, ne gli stipendii 
senza i tributi. L'altre cose con essonoi vi sono comuni, 
perche voi stessi le piu volte alla cura délie nostre legioni 
siete preposti, voi per tutto queste e delFaltre provincie 
amministrate. E niuna cosa vi è, che da noi vi sia sepa- 
rata, ô chiusa : e benche voi lunge da Roma habitiate, 
godete nondimeno i buon principi al pari de gli stessi 
Romani : per il contrario quelli che sono crudeli e sce- 
lerati, sempre a' piu propinqui danno addosso. Dovete 
adunque disporvi ed acconciare le spalle vostre à soppor- 
tare la lussuria e Tavaritia di chi vi regge e signoreggia, 
in quella istessa guisa che tollerate la sterilita deir anno, 
le soverchie e terribili pioggie, e gli altri mali ed incom- 
modi délia natura. Fin che al mondo saran de gli huomini, 
saranno ancor de' vitii : questi nondimeno non sempre 
ne Q)ntinuatamente, ma i béni ed i mali vengono à 
vicenda, e con Tavvenimento di cose migliori vannosi 
quelli compensando. Se già voi non pensate che sotto 
rimperio di Classico, e di Tutore, debbino le cose piu 
moderatamente succedere, ô con minore spendio che 
hora, si possino sostener gli eserciti, co' quali i Britanni 
ed i Germani s'abbino à rimuovere, e tener discosto da' 
Galli. Imperoche se i Romani (che noi voglia Iddio) fus- 
sero oppressi ô discacciati , che altro pensate voi che 
n'avverrebbe, se non che tutti i popoli, tutte le nationi, 
s'andrebbero con iscambievoli guerre l'un l'altro distrug- 
gendo. Questa macchina, ed unito componimento del 



Digitized 



byGoogk 



62 DE LA PRECELLENCE 

Romano imperio, sino ad ottocent' anni col mezo délia 
fortuna, délia disciplina ed ubbidienza, si è mantenuto in 
piè, ne dissolvere, ne gastare si puô, se non con rovina 
e destruttione di quel, che dissolverlo, ô guastar lo vor- 
ranno. Ma voi bene, che abbondate d'oro e di richezze, 
che son sempre délie guerre speciali cagioni, siete quelli 
che in gran pericolo vi ritrovate. Perô habbiate davanii à 
gli occhi, amate e riverite la pace ed insieme la città di 
Roma, laquale noi sempre, ô vincilori, ô vinti, con ugual 
titolo possederemo. Muovinvi adunque gli esempi delF 
una e Taltra fortuna, ù prospéra, ô avversa, accio non 
vogliate piu tosto mantenervi con vostra rovina rebelli e 
contumaci, che rendervi pronti ed ubbidienti con vostra 
pace e tranquillità. 

Voyci la mesme harangue traduicte par Biaise 
de Vigenere* : 

Je n'ay jamais faict profession d'haranguer, car la valeur 
du peuple Romain, je l'ay tesmoignee ordinairement par 
les armes. Mais pource que les paroles peuvent beaucoup 
envers vous, et que les choses, bonnes, mauvaises qu'elles 
soyent, n'y sont pas mesurées selon leur nature, ains par 
les crieries des séditieux : j'ay advisé de vous dire en peu 
de paroUes ce que, la guerre ayant pris fin, vous sera 



1. Biaise de Vigenère, 1523- de la première décade deTite- 

1596, fut attaché à la maison Live. Il a rajeuni la langue de 

du duc de Nevers et plus lard Villehardouin, et publié divers 

secrétaire de la chambre traités où l'on trouve tous les 

d'Henri III. Ses principales préjugés de son temps, sur 

traductions sont celles des l'astrologie, l'alchimie, et la 

Chroniques et Annales de Polo- cabale. Ses contemporains fai- 

qne, d'Herbert de Fulstein, saient grand cas ae ses tra- 

1573; des Commentaires de ductions. Il n'a traduit de 

César, 1576; de V Histoire de Tacite que la Germanie, et le 

la Décadence de V Empire grec, passage des Histoires cité par 

de Nicolas Ghalcondyle; des Eslienne se trouve dans les 

Dialogues sur l'Amitié, de notes qui suivent sa traduction 

Platon, Cicéron, Lucien, 1575; de César. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 63 

plus utile d'avoir ouy, qu'à nous de Tavoir remonstré. Les 
Capitaines et chefs Romains entrèrent jadis dedans vos 
limites, et des autres Gaulois aussi : non pour aucun 
désir de piller, mais vos ancestres les y invitans, lors que 
leurs dissensions mutuelles les molestoyent à toute ou- 
trance. Les Allemans pareillement appelez d'eux à leur 
secours, avoyent reduict tout aussi bien les alliez en ser- 
vitude, comme leurs plus mortels ennemis. Par combien 
de grosses batailles contre les Cimbres et les Theutons, 
par quels demesurez travaux de nos exercites, et avec 
quel événement à la fin nous avons faict guerre en la 
Germanie, tout cela est assez notoire. Nous ne nous 
sommes pas venus planter sur le bord du Rhin pour la 
défense de Fltalie, mais de peur qu'un autre Ariovistus 
ne s'emparast du Royaume des Gaules. Guidez-vous don- 
ques estre en plus estroite recommendation à Civilis, ni 
aux Bataves, ni aux peuples de delà le Rhin, que vos 
pères ne furent à leurs ancestres? Tousjours la mesme 
occasion aux Germains a esté de passer es Gaules, l'ava- 
rice à sçavoir, et la convoitise, et certain désir de changer 
de demeure, à ce que leurs marescages et déserts quittez 
là, ils s'emparassent de ce tresfertile fonds et terroir, et 
de vos personnes encore. Surquoy on vous propose une 
liberté pour prétexte, avecques autres semblables tiltres 
merveilleusement beaux en apparance : mais onques 
homme n'aspira de réduire les autres en servitude, et 
establir sa domination dessus eux, qu'il ne s'aidast des 
mesmes mots. Les Royaumes et les guerres ont tousjours 
esté par les Gaules, jusqu'à tant que vous vous soyez 
rengez sous nostre pouvoir : et nous autres tant de fois 
provoquez de vous, suyvant le droit de la victoire, ne vous 
avons neantmoins imposé autre chose, que ce qui conve- 
noit à garder la paix. Car sans les armes, la seureté et 
repos aux peuples, ne les armes sans une solde, ne la 
solde sans quelques impositions et tributs, ne se peuvent 
pas maintenir. Tout le reste est commun aux uns et aux 
autres : il n'y a rien de séparé ne renfermé, car quel- 
ques enfermez que vous estes, jouissez neantmoins des 



Digitized 



by Google 



64 DE LA PRECELLENCE 

bons Princes, aussi bien que nous : là où les félons et 
cruels se descouplent et attachent aux plus prochains 
d'eux. Supportez donques les prodigalitez ou taquineries 
de ceux qui dominent, aussi bien que vous faites la stéri- 
lité d'une année, les pluyes excessives, et les autres injures 
du ciel, et incommoditez de nature. Il y aura des imper- 
fections, tant que le monde durera : mais ce n'est pas un 
mal continuel : car cela se compense par de plus grands 
biens qui arrivent parmi. Si d'aventure vous n'attendez 
un plus doux et meilleur empire, lors que Tutor et Clas- 
sions régneront : et qu'on puisse equipper et entretenir 
des armes à moindre frais, à moins de charge pour le 
peuple, pour repousser les Germains, et ceux de la Grande 
Bretaigne : parce que si les Romains (ce que les Dieux ne 
vueillent) estoyent dechassez, qu'en adviendra-il autre 
chose, sinon une confusion et desordre de guerres de 
tous les peuples l'un contre l'autre? Par le bon-heur et 
discipline de huict cens ans ceste grande masse d'empire 
est ainsi parcreue, laquelle ne se peut mettre bas sans la 
ruine et accablement de ceux qui tascheront àl'esbranler. 
Mais le plus fort du péril vous menace, qui possédez l'or, 
et autres richesses, motifs et allechemens principaux de 
toutes ïes guerres. Au moyen dequoy aimez et rêverez la 
paix et la ville, dont les vaincus et victorieux jouissent 
également : et que les exemples de l'une et de l'autre 
fortune vous servent d'instruction, et apprennent de ne 
vouloir embrasser plustost une endurcie et rebelle opi- 
niastreté, tendant à finale ruine, que de persister en obéis- 
sance avecques toute seureté et repos. 



Je ne veux pas advertir les lecteurs de pi:endre 
garde, en ceste harangue, combien est viriljte son 
de ces paroles Françoises, et combien est mol celuy 
des Italiennes, à comparaison : comment les Fran- 
çoises semblent autant aller de roideur, que les 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 65 

autres aller laschement * : ne aussi de considérer 
autres telles choses qui concernent la gravité : (car 
je m'asseure que d'eux-mesmes ils y prendront 
garde, veu que c*est le poinct duquel il s*agit 
maintenant) noais bien les advertiray-je ici d'une 
chose, de laquelle peut estre qu'ils ne s'advise- 
royent pas : c'est qu'ils considèrent, comme en 
passant, combien approche nostre langue de la 
briefveté d'un auteur qui a parlé plus ou pour le 
moins autant briefvement qu'aucun autre de tous 
les Latins, combien au contraire l'Italienne en est 
eslongnee, et combien on y voit de paroles per- 
dues : sans lesquelles toutesfois (qui est la grand' 
pitié) elle pourroit sembler estre contrainte. Et 
pour mettre les lecteurs en train de ceste considé- 
ration, je leur mettray devant les yeux toute la 
première clause. Car au Latin elle n'ha que ces 
cinq mots, Neque ego unquam facundiam exercui. 
Et au François, que ces six, Je nay jamais faict 
profession d'haranguer : mais en l'Italien ces 
quinze, lo per insino à qui non mi sono neWarte del 
ben dire giamai esercitato. 

Quand j'auray pu emporter ce premier poinct 
touchant la Gravité, je debateray avec plus grand 

1. H. Estienne s'est donné Iradiiotion française elle-même, 

beau jeu en choisissant une est loin d'être bonne, et ce 

traduction italienne qui est n'est pas d'après elle qu'il fau- 

une véritable paraphrase. L'ita- drait juger des qualités de 

lien peut être beaucoup plus notre prose, qui peut être plus 

bref et plus précis. Mais la précise et plus élégante. 

4. 



Digitized 



by Google 



66 DE LA PRECELLENCE 

courage les deux autres : et venant premièrement 
à la gentilesse et bonne grâce, (selon Tordre que 
j'ay proposé) advertiray les lecteurs qu'en ceci ils 
se donnent bien garde de Tapp^arence, pour 
fonder quelque jugement sur icelle. Car ceux que 
j'ay à combatre, mettront incontinent en avant que 
toutes les terminaisons de leurs mots sont en 
voyelles : et diront (ce qui semble vray de prime 
face) qu'elles ont plus de gentilesse que les nos- 
tres, dont une partie est en consonantes. Mais je 
respondray que si la gentilesse du langage doit 
estre mesurée (comme il est certain qu'elle doit) 
par le contentement et la délectation de l'oreille 
délicate, ils se trouveront bien loin de leur comte : 
veu qu'il n'y a chose où la variété soit plus requise 
qu'en ce qui doit donner plaisir à ce sentiment. 
Or, je les prieray de me dire si cinq terminaisons 
(comme il n'y a que cinq voyelles) retournantes 
tout à coup l'une après l'autre, au lieu de nous 
donner ce plaisir, ne nous doivent pas ennuyer, 
comme ce que le proverbe Latin appelle Crambe 
repetita\ Ce qu'on apperçoit incontinent en confe- 



1. Forcellini : crambe, genus cum proverbium 6\ç v,p6L\Loy\ 
brassicœ (chou) tenuioribus eàvaxoç. Allegorice Juvenal, 
foliis et simplicibus densissi- sat. VII, 154 : Occidit miseras 
misque, amarior, sed effica- crambe repetita magistros, h. e. 
cissima (Plinius, XX, 9). Su- millies repetitae declamatio- 
mitur et pro quavis brassica : nés, aliaque quae pueris tra- 
quée bis cocta, seu recale- duntur in schoiis tœdio conû- 
facta, stomachum praegravat, ciunt atque enecant magis- 
concoctu difficilis. Hinc Grae- tros. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 67 

rant leurs rymes avec les nostres. car la variété 
des nostres ne resjouit moins Toreille, que le pré 
donne de plaisir à Tœil par sa diverse tapisserie 
de fleurs : les leur, au contraire, pour avoir peu 
de variété, la font entrer aussi tost en un degous- 
tement. Toutesfois pour ne parler que de la prose, 
l'oreille est bien à plaindre, quand on luy fait ouir 
un grand nombre des paroles d'un mesme son 
(quant à la dernière voyelle) estans bien près 
l'une de l'autre : mais ce luy est bien le grand 
helas, quand elle est assaillie d'une suite de trente 
ou quarante mots qui sont ainsi semblables. S'ils 
font semblant de n'entendre ce que je veux dire, 
voyci dequoy, Signor mio, io dico da vero cKio 
non ho dismentigato emai non dismentigaro Vobligo 
ilquale ho appresso il vostro fratello : e che corne 
fin adesso ho fatto tutto quello cKo potuto per il 
negotio suo, e non ho mancato dal mio dovero in 
officio nessuno : desidero anchora far tanto che sia 
satisfatto, monstrandomi in ogni suo bisogno non 
niarico pronto à servir lo^ che son statoper il tempo 
passato. De quelle patience faut-il que soyent 
armées les pauvres oreilles tant martelées de la 
répétition d'une mesme lettre? Mais pour le langage 
François elles n'ont aucun besoin de telle ar#dre. 
Car il ne donne point de peine aux oreilles, quand 
pour signifier la mesme chose, il dit, (usant d'une 
grande variété de terminaisons) Monsieur^ je 
vous asseure que je nay oublié et n'oublieray 



Digitized 



by Google 



68 DE LA PREGELLENCE 

jamais VobHgation que fay à Vendroit de vostre 
frère : et que comme jusques à présent fay f aie t tout 
mon possible pour son affaire, et nay failli à mon 
devoir en tout ce qui concernoit son service, je désire 
encore faire tant quil soit satisfaict, me monstrant 
en tout ce où il aura besoin de moy, non moins 
prompt à luy obéir que par le passé. Il est vray 
que quand ces messieurs nous ont bien soûlez de 
leurs il ont moyen de nous faire aussi grande 
largesse (ou à peu près) d'une autre sorte de mets : 
à sçavoir de leurs A. comme si, en parlant à 
quelcun (car une si longue suite de mots ayans 
mesme terminaison leur eschappe en parlant, 
plus tost qu'en escrivant) il leur plaist de dire, 
lo prego la signoria vostra per la nostra vecchia e 
intrinseca amicitia, e per quella anchora che mi 
mostrava tutta la famiglia quando stava in casa 
vostra, che per questa volta sia contenta di far mi 
questa cortesia\ Au lieu de ce que nous dirions (en 
retenant toutesfois' leur façon de parler qui est 
au commancement) Je prie vostre seigneurie par 
nostre ancienne et intime amitié, et par celle aussi 



1. H. EsUenne abuse un peu pénultième, comme dans ap- 

des apparences contre la langue pressa, fratello, soit même sur 

italienne. Les Italiens ne pro- l'antépénultième, comme dans 

noncent pas leurs mots en o et famiglia, et Vo ou l'a qui sui- 

en a comme nous les pronon- vent la voyelle tonique, sans 

çons après les leur avoir em- être absolument de même 

pruntés : piano, 5o/o, So//erino, valeur que notre c muet, ont 

opéra, Magenta. L'accent est la une très faible sonorité. (Voir 

plupart du temps soit sur la l'Introduction.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 69 

qv^ me monstroit toute la famille ^ quand je demeu- 
rois en vostre maison, que pour ceste fois il luy 
plaise me faire ceste courtoisie. Quelcun me dira, 
que comme la lettre A se rencontre tant de fois 
en la fin de ces mots Italiens, qui s'entresuyvent, 
ainsi la lettre E est un peu fréquente en la fin de 
ces mots François : mais la response est fort aisée, 
Que la lettre E est une de celles qui ont le son 
doux et plaisant : joinct que nous en avons de 
deux sortes, Tun estant E masculin, Tautre, plus 
fréquent, féminin (laquelle division semble 
admettre quelque subdivision) * et que ces deux 
sortes entremeslees font trouver diversité en une 
mesme lettre. Au contraire, la seule lettre A 
se rencontrant es terminaisons de tant de mots 
contigTis, il est impossible qu'elle n'ennuyé, tant 
pourcequ'un son qui n'est pas si plaisant que 
l'autre, est répété tant de fois coup sur coup : 
qu'aussi pource qu'elle fait d'avantage ouvrir la 
bouche, pour laquelle raison nous voyons que les 
Doriens estoyent moquez par les autres Grecs '. 

1. Thurot {Prononciation un étranger. 
française, I, 37) dislingue en ïla'jffaaÔ', w Svaxavot àvdtvuxa 
effet deux e masculins, Ve fermé [xwTtXXoiffat] 
et Ve ouvert, et deux e fémi- xpxtyôveÇ' *Exxvai<j£OvTt TcXaTstà- 
nins, « l'e féminin fort, comme [(xootaai anavra. (V. 87-88.) 
dans la dernière syllabe de Praxinoa 

ff^rde-le Te féminin faible, ... nao7covva(Tt(TTu'a).e0ix6;- 

comme dans la pénultième de g^p^^gev S'ë^ecrrc, SoxcS, toT; 
9arde-le » — Cf. ilypomneses, [Aa)piée<T<xtv. (V. 92-93). 

p. 11 et suivantes. ^e scholiaste, sur le vers 88 : 

2. Voir Theocnte, Syracu- qI vàp Awptsiç 7rXaTu<XTO(ioO(xt 



Digitized 



by Google 



70 DE LA PRECELLENCE 

Entrant plus avant en comparaison de ces 
deux langages, quant à ce qui concerne la gen- 
tilesse et bonne grâce, j'allegueray que le nostre 
n*ha rien qui rende sa prononciation desplaisante 
aux oreilles : dequoy le leur ne s'oseroit vanter. 
Car ils disent que le vray et nayf parler ne doit 
estre cherché ailleurs qu'en Toscane : adjoustans 
que Florence, qui est le principal lieu de Tos- 
cane, est aussi comme le principal siège de ce 
bon langage Toscan. Or il faut qu'ils me confes- 
sent ce qu'ils ne peuvent nier : c'est que les Flo- 
rentins (principalement s'ils n'ont point despaysé) 
sur tous ont une prononciation la plus esloignee 
de douceur qu'on sçauroit dire, en ce mesmement 
qu'ils parlent fort du gosier : comme si toutes 
leurs lettres estoyent gutturales : au lieu que les 
Hebrieux n'en ont que quatre. Et nous voyons 
d'ailleurs, l'orthographe de quelques Florentins 
estre telle qu'il est impossible que la prononcia- 
tion réglée sur icelle ne soit rude. Voyla d'où 
vient qu'ils sont réduits à ceste nécessité de 
mettre leurs mots en la bouche d'un Sienois : 
s'ils veulent qu'ils soyent bien et deuement pro- 
noncez. Je ne di rien qui ne soit confermé par 
le proverbe assez vulgaire, Parlar Fiorentino in 
bocca Senese : confessant neantmoins que je ne 
puis comprendre ce mystère. Car je ne voy point 
comment il est possible que deux personnes, dont 
l'une ha les mots fort bons, l'autre la prononcia- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 71 

tion d'iceux fort douce, se puissent tellement 
accorder que les mots sortent de tous deux 
ensemble, comme d'un seul et mesme individu*. 
Et toutefois jusques à tant qu'on ait trouvé moyen 
de rendre possible un tel impossible, ce bon lan- 
gage Italien ne peut estre conjoinct avec une 
bonne et douce prononciation. Or je leur demande 
si cependant qu'il est ainsi séparé de sa pronon- 
ciation, il n'est pas comme un corps sans ame. 
Et à propos de prononciation, j'adjousteray qu'au 
contraire en France es lieux où eîst le meilleur et 
plus nayf langage, c'est là volontiers où on prO'- 
nonce le mieux *. Apres ceci, je monstreray 
comme nostre langage, pour rendre sa pronon- 
ciation plus douce, a trouvé moyen d'éviter la 
rencontre des voyelles en vocables contigus 
(comme aussi les anciens Latins l'evitoyent : et 
la lettre qu'ils inseroyent est demeurée en quel- 
ques verbes composez) à quoy l'Italien n'a pas si 
bien pourveu. 

J'advertiray aussi que la liberté ou plustost 
licence que les Italiens ont prise et prennent tous 
les jours de plus en plus en un grand nombre de 

1. Il n*est cependant pas très Fidéal qu'exprime très heureu- 

difficile de se représenter soit sèment le proverbe italien. — 

un Siennois enrichissant sa Cf. De Méry, Histoire générale 

langue des mots et des tours des proverbes, tome \,paif^e 3^^: 

florentins, soit un Florentin Lingua Toscajia in bocca Ro- 

corrigeant sa prononciation en viana. 

imitant celle des Siennois. C'est 2. Voir la note de la page 33. 



Digitized 



by Google 



72 DE LA PRECELLENCE 

leurs vocables, de ne suivre point la trace des 
mots Latins, oste beaucoup de la bonne grâce de 
leur langage*. Mais comment (dira quelcun) ne la 
suivent-ils pas, non-obstant cela, encore de plus 
près que vous, si on veut considérer la généra- 
lité? Je respon que le nostre a pris un autre train, 
et a suivi une autre façon de s'aider des mots 
Latins, que celuy des Italiens : et que selon ceci, 
il s'acquitte mieux de son devoir, en ce qu'il suit 
plus exactement ceste trace, d'aussi près qu'il la 
doit suyvre. Car il faut avoir esgard à ce que les 
' Italiens sont, quant à leur langue, subjects natu- 
i rels des anciens Rommains. ce qu'on ne peut 
I dire de nous qui nous sommes comme donnez à 
eux, quant à ce qui concerne la subjection de 
parler leur langage : ce que nos ancestres appe- 
lèrent parler Romman : voulans monstrer (comme 
je croy) qu'ils laissoyent leur lang^age Gaulois 
pour user de celuy des Rommains, ou pour le 
moins de plusieurs paroles d'iceluy : non pas tou- 
tesfois sans se permettre quelques changemens 
en iceux : non-obstant lesquels ils estimoyent 
leur langage François estre d'autant meilleur que 
plus ils rommanisoyent en iceluy : (c'est à dire, 

1. C'est une idée assez sin- seraient beaucoup plus écartés, 

gulière de reprocher aux Ita- on ne peut apprécier la bonne 

liens de ne point suivre la trace grâce d'une langue d'après sa 

des mots latins, qui sont en ressemblance plus ou moins 

général bien plus reconnais- grande avec la langue mère, 

sables dans leur langue que Éstienne entasse un peu trop 

dans la nôtre. Et quand ils s'en au hasard les arguments. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 73 

qu'ils suivoyent le langage Rommain) et par 
conséquent entremesloyent moins de leur Gau- 
lois, d'où vient que le Romman fut dict pour 
le plus poli langage François (comme aussi les 
Espagnols se sont servis ainsi de ce mot en par- 
lant du leur)*. Or combienque nos ancestres des 
lors ne se soyent en leur Romman astreints du 
tout au parler des Rommains, et depuis y soit 
advenu grand changement : je maintien toutesfois 
qu'on voit plus grande dépravation de quelques 
\ mots Latins au langage Italien, qu'au nostre, si on 
Vcomrîdere ce train ^u'il a pris des le commance- 
ment (car j'enten la façon qu'il a suivie de ne 
s'astreindre tant aux terminaisons et à quelques 
autres choses que celuy des Italiens) et que tant 
pour tant il suit mieux une analogie quant au 
changement des mots Latins, et ne les déprave 
point si vilainement et dangereusement, qu'on 
voit plusieurs estre dépravez par ceux qui fai- 
sans vertu d'un tel vice, s'estiment mieux parler 
que les autres. 
Je n'espargneray pas ici les exemples : lesquels 



1. H. Estienne se méprend formé selon les régions et les 

tout à fait sur le caractère de influences. Dans le roman de 

notre langue. Nous sommes France, ou français, i\ se ironye 

aussi bien que les Italiens -sub- une forte proportion de mots 

jects naturels des anciens Rom- germaniques, avec un certain 

mains ». Ce qu'on appelle le nombre de mots de diverses 

roman, ou les langues romanes, origines. Les mots auxquels on 

c'est tout simplement le latin peut attribuer une origine cel- 

vulgaire, diversement trans- tique sont très peu nombreux. 

PBECELU DU LANGAGE FRANÇOIS. 5 



Digitized 



by Google 



74 DE LA PRECELLENCE 

non seulement esclarciront, mais aussi confor- 
meront la précédente proposition. Je mettray 
donc en avant (entr'autres exemples de ceste 
analogie par nous gardée mieux que par eux es 
terminaisons) que comme du Latin Arbor nous 
avons faict Arbre : ainsi de Marmor, Marbre, de 
Pastor, Pastre (car encore qu'aujourd'huy en ceste 
ville de Paris et en plusieurs autres lieux on die 
Pasteur, si est-ce que Pastre dont usoyent nos 
ancestres, est demeuré en quelques dialectes) * 
mais eux, disans Arbore, pour le latin Arbor, tou- 
tesfois pour Marmor disent ordinairement Marmo 
(duquel le pluriel Marmi, est aussi en usage) plus 
tost que Marmore. 

Toutesfois ce mot aussi Arbore n'est pas sans 
contradiction, car plusieurs trouvent meilleur 
Albero. Or de ceste dépravation je prendray 
occasion de parler des autres, suivant ce que j'ay 
proposé ci-dessus. Et premièrement, avant que 
sortir de ceste lettre R, diray qu'on met aussi D en 
sa place : comme quand on dit Rado pour Raro. 
Quelquesfois aussi on luy fait tenir le lieu deT, et 
mesme de T double : comme quand on use de Hotta 
pour Hora : et en composition, de Allhotla pour 
Allhora. Et réciproquement on met R pour quelque 
autre lettre : et principalement pour L : comme 
quand on aime mieux dire Ubrigato que Obligato : 

1. On sait que pastre et pasteur sont simplement le cas sujet 
et le cas régime, pastor, pastorem. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 75 

et qu'on ne dit pas Rassimigliare ou Rassomigliare, 
mais Rassembrare, (quant à Ramembrare, il signifie 
autre chose, à sçavoir Ricordare : et semble qu'on 
peut mettre ce Ramembrare au nombre des mots 
François que les italiens nous ont pris. Car nos 
Rommans disoyent Se remembrer de quelque 
chose, aucuns aussi Se ramembrer pour Se remé- 
morer, Se remettre en mémoire.) * Quelquesfois 
ils ne mettent pas ceste lettre R en la place d'une 
autre , mais l'adjoustent , en faisant encore 
quelque autre changement : comme quand ils 
disent Cilestro pour Céleste. 

Or ne font-ils pas tels changements es mots 
seulement ausquel s ils prennent plaisir d'adjouster 
ceste lettre R, ou de la changer en une autre, et 
quelquesfois réciproquement de la mettre en la 
place d'une autre, mais font le mesme tort aux 
autres lettres. Et qu'ainsi soit, comme j'ay amené 
tantost un exemple du changement de R en D, en 
ce qu'ils disent Rado pour Raro^ en voyci un du 
changement de D en deux LL, Reliera pour Hedera. 
Mais ces qui pro quo se voyent encore plus es 
voyelles, car, pour commancer par A, au lieu 
de ceste lettre ils mettent quelquefois un E, 
comme en Comperatione pour Comparatione : 

1. H. Eslienne répète à chaque des deux mots, italien et fran- 

instant ce raisonnement, dans çais, n'a pas, le plus souvent, 

la dernière partie de la Pré- d'autre cause que la commu- 

cellence, surtout. Il ne veut nauté d'origine. Voir l'Intro- 

pas voir que la ressemblance duction. 



Digitized 



by Google 



76 DE LA PRECELLENCE 

aucunesfois un 0, comme en Scandolo pour 
Scandalo : en Sodisfare pour Satisfare (où il faut 
prendre garde quant-et-quant au D mis pour T, 
encore qu'en ceci il n'y ait pas si grand mal) en 
Notare pour Nature, Quelquesfois mettent un I en 
sa place, comme en Monico pour Monaco, Quant 
à la voyelle E, ils ne la laissent non plus où les 
Latins Tavoyent mise; car pour Presonlione (qui 
suivoit de près le mot Latin Prœsumptio), ils ont 
faict Prosontione : pour Eguale (qui approchoit 
de yEquale) ils usent de Uguale. La voyelle I n'es- 
chappe non plus que les autres, car ils disent 
Ancude ^ourlncude : et Incontanente ^onr Inconti- 
nente, Aussi n'eschappe 0. car de Domestico ils 
font Dimestico, et Ufficio de Officio, et Ubrigato 
(avec plus grande dépravation) de Obligato, Quant 
à la voyelle U, pource qu'ils l'aiment fort (ainsi 
que nous congnoissons par ces mots, Uguale, 
Ufficio^ Ubrigato^ et par ce aussi qu'ils l'insèrent 
en quelques mots, comme en Huomo, en Buono) 
je pense bien qu'ils la respectent plus que les 
autres. 

Ils usent de changement encore plus grand en 
un mesme mot, quand ils disent Maninconia et 
ManinconicOy foxxr Melancholia et Melancholiquo *. 

Mais encore n'est-ce pas tout, car ils usent aussi 
de transposition de lettres en quelques vocables : 

1. Cf. Dialogues, I, 200. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 77 

comme quand ils disent Empito pour bnpeto. Et 
aucunesfois outre la transposition y-a du chan- 
gement : comme en Agnoli pour Angeli, 

Il y-a d'avantage, et pis : c'est qu'ils ostent à 
quelques mots une consonante du milieu : comme 
quand ils disent Mai pour Mali^ et Natia pour 
Nativa, et Notaio pour Notario^ et Loica pour 
Logica. Et usans de hardiesse encore plus grande, 
ostent à aucuns la première syllabe : disans (pour 
exemple) Nemico ou Nimico plustost que Inimico : 
pareillement Micidio que Homicidio. Aimans aussi 
mieux dire Rede que Herede, et Rena que Harena. 

Encore n'est-ce pas tout, car ils font des syn- 
copes estranges : comme quand ils disent Amista 
pour Amicitia, et Disio pour Desiderio. Mais plus 
estrange, et non seulement estrange mais hor- 
rible est celle du mot Horrevole, quand ils luy don- 
nent la place de Honorevole. 

Il est vray qu'en recompense de ce qu'ils 
ostent ainsi des lettres à quelques mots, ils en 
adjoustent à aucuns : et principalement la voyelle 
I, laquelle ils mettent devant plusieurs : luy 
adjoustans aucunesfois un G. comme quand ils 
disent Ignudo pour Nudo, Il y-a aussi des vocables 
devant lesquels ils ne mettent pas ceste lettre I, 
mais l'insèrent dedans, comme quand ils disent 
Biasimare pour Biasmare^ et Rifiutare pour Rifu- 
tare, et Cervio pour Cervo, On la trouve aussi 
insérée en la première syllabe : comme en Triemo 



Digitized 



byGoogk 



78 DE LA PRECELLENCE 

pour Tremo *. Lequel Triemo tient de la façon du 
langage Espagnol, qui trouve plus beau Miembro 
que Membre, 

Ces vocables ainsi dépravez' en diverses ma- 
nières (aucuns desquels peuvent causer des équi- 
voques dangereux) sont plus usitez les uns que 
les autres : mais tant y-a que ceux qui font pro- 
fession de mieux parler, sont ceux qui plus en 
usent. Et aucuns sont tellement en usage, qu'ils 
confesseront (comme je croy) qu'on n'oit point 
parler autrement. Du nombre desquels je pense 
estre Maninconia et Maninconico. Aussi je croy 
que peu de gens disent autrement que Cagione et 
Aria : desquels mots je n'ay point faict de mention, 
non plus que de plusieurs autres, pour ce qu'ils 
sont communs. 

Or comment est-il possible de persuader que 
ce langage qui déprave ainsi sa belle origine, 
demeure aussi beau, et ait aussi bonne grâce que 

1. Cf. Dialogues, U, 265. Sans les vrais mots d'une langue. Hs 
parler des autres cas, où Vi peuvent avoir subi des trans- 
s'introduit pour diverses rai- formations profondes^ cjui ren- 
sons dans les mots français, la dent souvent leur origine mé- 
diphtongaison de l'ê bref latin connaissable; mais ils ont vécu 
en ie nous offre bien des avec la nation, lui ont toujours 
exemples à opposer aux exem- été familiers, el c'est la pro- 
pies italiens. H. Estienne re- nonciation populaire qui les a 
marque le fait dans les Hypo- insensiblement transformés . 
mneses^ p. 117, mais sans Les mots savants, qui plai- 
songer à le reprocher au fran- raient davantage à H. Estienne, 
çais. sont des nouveaux venus dans 

2. Ces vocables dépravés, la langue, et c'est parce qu'ils 
dont H. Estienne parie avec n'ont pas vécu qu'ils n'ont pas 
tant de dédain, sont en réalité changé. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 79 

le nostre, qui se garde bien de luy faire ce tort? 
Car ce qu'il change les terminaisons des mots 
Latins plus que le leur, ou use de quelques autres 
sortes de changemens, on ne peut dire que ce soit 
une telle dépravation. 

S'ils disent, non-obstant ceci, que la pesle se 
veut moquer du fourgon *, et que nous commettons 
en nostre langue une semblable faute, en quelques 
paroles : je respondray que ceste faute ha d'autant 
plus mauvaise grâce en leur langue qu'en la 
nostre, et est moins pardonnable, qu'ils sont quant 
à icelle comme subjects naturels des Rommains 
(ainsi que j'ay dict cy-dessus) et pourtant ne se 
peuvent tant permettre que nous, dont les ancestres 
se donnèrent à leur empire. Et qui les voudra 
rechercher de plus près, trouvera quelques autres 
sortes d'abus à eux peculiers, lesquels ne doivent 
moins rendre leur langue mal-plaisante : comme 
quand ils disent Testimonio aussi bien pour Tesmoin 
que pour Tesmoignage : et Prigione, aussi bien 
pour Prisonnier que pour Prison. 

Je mettray en avant un troisième poinct, quant 
à ce qui oste beaucoup de la grâce de leur langage, 
et ne se trouve pareillement au nostre. C'est 
quant au changement, ou plustost aux changemens 

1. Cf. De latinitate falso sus- Voir Littré, qui cite un exemple 

pecta, p. 91. Le Roux de Lincy de Montaigne. — De Méry {His- 

(le Livre des proverbes français, toire des proverbes, I, 276) cite 

II, 166) renvoie au Pic^fonnafrc Téquivalent en italien et en 

comique de P.-J. Le Roux. — espagnol. 



Digitized 



byGoogk 



80 DE LA PRECELLENCE 

qu'ils font en la prononciation des Latins, car ils 
la changent en trois sortes, pour le moins (es mots 
pris de leur langage) changeans quantetquaht 
Tescriture : qui est le pis. Et premièrement nous 
voyons comme ils changent la lettre L en I, quand, 
au lieu de ce que les Latins disent Plaga^ Pluma^ 
Flamma, ils disent Piaga^ Piuma, Fiamma : pa- 
reillement FiW7?i^, Fiato, Fiorây Piombo, Pioggia^, 
au lieu de ces paroles Latines, Fhimen, Flaius, 
Flos, Plumbum, Pluvia : bannissans pareillement 
ceste lettre d'une infinité d'autres vocables, et mes- 
mement en autres places : comme quand ils disent 
Tempio pour Tem2)lum, Sempio pour Simplex : au 
lieu que nous, tant es uns qu'es autres retenons 
et prononçons bravement la lettre L, suivans les 
Latins. Quant aux deux autres sortes de change- 
mens qu'ils font en la prononciation, en une 
d'icelles ils la rendent rude : en l'autre, ils la 
rendent comme efféminée. Car il est tout évident 
que Huomo, Fuoco, Luogoy Buono, Fuora, et 
autres mots, ausquels est insérée ceste lettre U, 
contre leur origine Latine, sont beaucoup plus 
rudes que ne seroyent Homo, Foco, et les autres, 
escrits pareillement. En l'autre sorte de change- 
ment, on peut dire qu'ils font le contraire, car 
ils usent d'une autre escriture, suivant laquelle la 
prononciation est plus douce : voire jusques à estre 

1. Cf. Dialogues, II, 264-65. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 81 

comme efféminée, ainsi que j'ay dict en la pre- 
mière partie de ce Project, où je maintenois nostre 
parler estre plus grave. J'enten quand ils disent 
Massimo pour Maximo *, et Affettione pour Affec- 
tione (auquel est semblable Dotto pour Dodo) * et 
quand changeans aussi bien PT que CT en ces 
deux TT, au lieu àe Apto prononcent /l//o^ 

S'ils confessent que Massimo n'ha pas un son 
si fort que Maximo^ et que Affettione est plus mol 
que A/fectione (en faisant sonner ces lettres CT 
comme quand nous prononceons Affection) mais 
adjoustent que ceste prononcialion est d'autant 
plus mignardeque plus est molle (comme de vray, 
prononcer Affettion semble sentir son parler un 
peu mignard et affetté) je di qu'ils se coupent de 
leur Cousteau, veu que la mignardise ne se peut 
accorder avec la gravité : tellement que quant à 
cest honneur, de parler aussi gravement, il faut 
qu'ils nous donnent cause gangnee, si desja ne 
l'avoyent faict. 

Mais que respondront-ils touchant l'autre mal 
qu'amené en aucuns mots ceste dépravation d'es- 
criture et de prononciation? J'enten l'ambiguité 
qui s'y voit, comme (pour exemple) Atto peut 
aussi bien signifier Apte que Un Acte : et mesme 
plus souvent ha ceste signification-la que ceste-ci. 

i. Cf. Dialogues, II, 268. — _Thurot,Prononciaiton, 11,334. 

Thurot, Prononcialion, II, 337. 3. Cf. Dialogues, II, 250. — 

% Cf. Dialogues, II, 249-250. Thurot, Prononciation, II, 362. 



Digitized 



by Google 



82 DE LA PRECELLENCE 

Ainsi Addotto peut signifier non seulement Ad- 
duclusy pour Addotto : mais aussi Adoptavit^ Il 
adopta, pour Adopto-: ainsi qu'en a usé entr' autres 
Giorgio Dati, en sa traduction de Cornélius 
Tacitus: (vray est qu'il Tescritavec un seul D. qui 
est aussi la meilleure escriture) Il me semble que 
la meilleure response qu'ils pourront faire, sera de 
confesser qu'ils voudroyent bien qu'on leur eust 
appris à prononcer aussi bien que nous : afin d'estre 
pareillement exemts de telles ambiguitez, qui ne 
peuvent avoir que mauvaise grâce en leur langage. 
Pour le regard de ce qu'ils nous objectent le 
grand nombre de monosyllabes que nous avons 
en nostre parler, j'espère les amener là qu'il leur 
faudra confesser que si nous en avons trop, eux 
en ont trop peu. Et qu'ainsi soit, pourquoy si sou- 
vent de dissyllabes font-ils des monosyllabes? 
(encore que ceci ne se puisse faire sans cor- 
rompre le naturel de leur langage) de Bene, Ben : 
de Sano, San : de Piano, Pian : (comme au pro- 
verbe, Chi va pian, va san : au lieu de dire, Chiva 
piano, va sano) de Fede, Fe : de Casa, Ca : de 
Frate, Fra. Et quant aux verbes, de Fare, Far : 
de Dire, Dir : de Stare, Star, Ce qu'on peut voir 
eu une infinité d'autres tant Noms que Verbes, 
car je croy que bien peu sont tousjours exemts 
de ce retranchement. Et (qui est bien la pitié) ces 
monosyllabes aussi faicts ainsi par force tombent 
souvent en une ambiguité, laquelle, selon l'endroit 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 83 

OÙ elle se rencontre, peut avoir fort mauvaise 
grâce. Je di comme San^ syncopé pareillement 
de Sano et de Santo : comme Grariy de Grano et 
de Grande : Par, de Pare, tant Verbe que Nom. 
Quant aux vocables qui passent deux syllabes, 
il ne se faut esmerveiller si en ceux-là ils usent 
encore plus souvent de ce retranchement : en 
aucuns mesmement esquels on ne le peut faire 
sans qu'ils deviennent fort rudes, comme quand 
Pétrarque de Poiwlo fait Popol. Or en accoustrant 
ainsi tant les uns que les autres, ils en viennent-là 
quelquesfois (et principalement les poètes) qu'ils 
parlent un Italien qui est François, ou bien un Fran- 
çois qui eM Italien : comme quand ils disent Un, 
Ciascun, Alcun. comme aussi j'ay dict que 
Tomitan, qui a escrit de la langue Toscane, en la 
première impression s'estoit appelé non pas Ber- 
nardino, mais Bernardin : qui est pareillement 
donner au langage Italien la terminaison Françoise. 
Mais principalement les poètes, d'autant qu'ils 
sont plus contraints que ceux qui escrivent en 
prose, ont leur refuge à cest Italien qui est Fran- 
çois : comme quand Arioste dit Un gentil guer- 
rier^ en ce vers qui est au xvn chant. 

Contra un gentil guerrier, che s'era mosso. 

Mais aucuns vocables ayans ainsi la queue 
coupée, ne sont plus ne bon Italien, ne bon Fran- 



Digitized 



by Google 



84 DE LA PREGELLENCE 

çois : comme quand ils disent La man, au lieu de 
dire La mano. car La man est François, mais Fran- 
çois d'une des lisières du pays '. Aucuns aussi après 
ce retranchement sont du vieil François : comme 
quand ils ostent la dernière lettre à Homo, car il 
reste Hom, duquel nos ancestres usoyent pour 
Homme*, Vray est que si on escrit Huomo^ il faut 
aussi escrire Huom : et ainsi se trouve escrit en 
Pétrarque. Ils ont aussi des mots, lesquels encore 
qu'estans ainsi accoustrez, soyent semblables aux 
nostres, ont toutesfois signification fort différente; 
comme Ver pour Vero (au lieu que Fer, mal pro- 
noncé pour Verd, nous signifie Viride) en Arioste, 
au chant preallegué. 

Ch' açendo il ver dal peregrino udito. 

Or combienqu'ils contraignent ainsi quelques 
povres mots d'estre monosyllabes, si est-ce que 
sans ceux-ci, ils en ont assez bon nombre : voire 
tant qu'ils s'en trouvent quelquesfois plus empes- 
chez que nous des nostres : quand nous voulons 
un peu prendre la peine de les bien agencer. 

Afin de ne rien laisser en arrière, tant qu'il me 
sera possible, je leur respondray à ce en quoy ils 
semblent avoir quelque couleur de prétendre leur 
langue avoir de la gentilesse que la nostre n'ha 



1. Cf. Hypomnesesy 3. 

2. Et dont nous avons fait le pronom indéfini on. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 85 

point. Ils disent donc qu'ils ont quelques termi- 
naisons de Noms fort plaisantes et gentiles, des- 
quelles nous sommes destituez. Et la principale 
de celles qu'ils mettent en avant, c'est des mots^ 
qui finent en OLE, comme Piacevole, Favorevole. 
Je confesse que ceste terminaison est belle : mais je 
di qu'une chose belle perd sa grâce quand on en» 
abuse. Or qu'ainsi soit que quelques-uns en abu- 
sent, il appert par la controverse qui est entr'eux 
touchant le mot Capevole, et quelques autres. Car 
tous reçoivent bien Favorevole, Piacevole, Amore- 
voUy Laudevole, Honorevole, Biasmevole, Solazze- 
vole : et plusieurs semblables : mais quant à Ca/)e- 
vole, et quelques autres, ils ne sont pas receus de 
tous, car aucuns disent qu'en ce mot Capevole on 
abuse de ceste terminaison OLE, et qu'il faut dire 
Capace, Et de vray je croy que ceux mesmes qui 
usent de Capevole pour Capace, n'oseroyent dire 
Capevolezza pour Capacita. ce qui monstre bien que 
ce Capevole n'est pas tant en crédit que les autres : 
veuque Convenevole, aulieu duquel aucuns aiment 
mieux dire Conveniente^ est toutesfois suivi de 
Convenevolezza, pour Convenienza. Or quant à 
Capevole (car je ne me veux arrester maintenant 
qu'à cestuy-ci) je sçay bien que leur Bembo en 
use au premier livre du Traitté intitulé Le prose : 
mais on peut dire qu'il ne s'en faut pas fier à luy : 
pour ce qu'il usoit tant des mots ayans ceste ter- 
minaison, qu'il s'en rendoit ridicule. Qu'ainsi soit. 



Digitized 



by Google 



86 DE LA PRECELLENCE 

au commancement de ce premier livre nous lisons 
agevole et malagevole. Et puis bien tost après il 
use de Durevole : un peu après de Agevolmente : et 
puis retourne à son Malagevole. Il se sert aussi de 
Piacevole et Piacevolezza^ de Convenevole et Conve- 
nevolezza : comme aussi usant de Agevole, il use 
pareillement de Agevolezza, Nous y avons plusieurs 
autres : entre lesquels est Laudevole, ou Lodevole : 
et comme j'ay dict qu'il avoit usé de Agevolmente, 
aussi nous y trouvons Lodevolmente et Bastevol- 
mente : où il dit, Si non si vede anchora chi délie 
leggi e regole dello scrivere habbia scritto baste- 
volmente\ Lequel Bastevolmente, pour Suffisam- 
ment présuppose Bastevole pour Suffisant. Quant 
à Capevole, il en use tant, qu'on pourroit penser 
qu'il ait voulu faire despit à ceux aux oreilles des- 
quels ce mot desplaisoit. 

Or est-il certain que comme Bembo usoit trop 
de ces mots, de sorte qu'il rendoit leur beauté 
ennuyeuse, et luy faisoit perdre sa grâce, quelques 
autres aussi ont faict et aucuns encore aujourdhuy 
font le mesme. Mais quant audict Bembo, qu'une 
telle affectation de langage, quant aux mots ayans 
ceste terminaison fust remarquée en luy (lequel 
il est vraysemblable ne les avoir moins aimez en 
son parler qu'en ses escrits) il appert par ce qu'on 
raconte d'un evesque qui luy fît présent d'un tout 

1. On ne voit pas encore d'auteur qui ait traité suffisam- 
ment des lois et des règles de Tart d'écrire. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 87 

nouveau, Scannevole. Car estans entrez luy et 
Fevesque en une église de Padoue, où il y avoit 
beaucoup de bancs, Tevesque luy dit, Stgnor mio, 
non m par che questa chiesa sia moUo scannevole?^ 
Lequel comte j'ouy faire à Romme à un cardinal 
digne de foy. Quoy qu'il ^n soit, il est certain que 
ce personnage, qui, quant au reste, estoit estimé 
bien parler, et n'ignorer rien de ce qui appartenoit 
à l'ornement de son langage naturel, (comme aussi 
nous sçavons qu'il a esté excellent en la langue 
Latine) n'usoit pas sans raison de tels vocables si 
souventesfois : mais estimoit que c'estoyent les 
plus beaux, et qui avoyent meilleure grâce. Et je 
ne doute pas que plusieurs ne soyent de son opi- 
nion, et qu'ils ne confessent n'avoir plus grande 
singularité en tout leur langage. Il faudra donc 
voir si nous en nostre langue n'avons point aussi 
quelques belles terminaisons dont ils soyent des- 
tituez : et je m'asseure qu'il ne les faudra pas long 
temps chercher. 

Ce mesme personnage (je di Bembo) use 
d'Adverbes ayans forme de superlatifs, lesquels je 
confesse que nostre langage n'ha point, encore 
qu'ils semblent avoir bonne grâce. J'enten comme 
Naturalissimamente faict de Naturalrnenie : et Ordi- 
natissimamente de Ordinatamente. Mais je respon, 
premièrement que les Grecs nous ont faict ce 

1. «Monsieur, ne vous parait-il pas que cette église soit bien 
garnie de bancs? » 



Digitized 



by Google 



88 DE LA PRECELLENCE 

plaisir de nous prester une petite particule *, laquelle 
mettans devant les Adverbes, aussi bien que devant 
les Noms, exprimons ceste superlation : tellement 
qu'au lieu de Naturalissimamente nous pouvons 
dire Tresnaturellement, comme au lieu de Bonis- 
simo nous disons Tresbon. Je respon secondement 
que comme ce mot Naturalissimamente est faict à 
plaisir, aussi prenans la mesme liberté nous pou- 
vons dire Naturalissimement^, 

Et à propos de ce que j'ay dict que les Grecs 
nous faisoyent ce plaisir de nous prester une 
petite particule, laquelle mettans devant les Noms 
et Adverbes, exprimons la superlation : disant Très- 
bon, au lieu du mot Italien Bonissimo, la langue 
Italienne se peut elle vanter d'avoir crédit à l'en- 
droit de la Grecque, comme j'ay amplement monstre 
qu'ha la nostre? Et par le moyen de ce crédit elle 
emprunte d'elle plusieurs choses, tant pour estre 
mieux accommodée, qu'aussi pour estre plus ornée. 

Je di donc pour conclusion, que quant à ce qui 
concerne la bonne grâce et gentilesse de langage, 
l'Italien ne se peut accomparer au nostre, tout 
bien conté et rabbatu. |Car pour une gentilesse 

1. Très ne vient pas du grec 2. Voir Darmesteter et Hatz- 

Tpîç, mais du latin Irans, par feld, Le Seizième Siècle en 

le changement très régulier de France, p. 228. Cf. Dialogues, 

a en e, et la chute également I, 285; — E. Pasquier, Lettres, 

régulière de n devant s. Cf. XXH, ii. 
mansionem, meson (maison); 
pensare, peser, etc. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 8^ 

du leur qu'ils allégueront de laquelle nous sommes 
destituez, je leur en allegueray deux du nostre, 
qu'ils n'ont point. Pour exemple, s'ils mettent en 
avant quelque belle sorte de Diminutifs qui ne se 
puissent trouver au nostre, je leur en proposeray 
deux sortes qui ne se trouveront point au leur. 
Les Diminutifs toutesfois sont bien ce dont plus 
ils se peuvent vanter, et principalement pour la 
douceur. Mais prenons le cas que la douceur de leur 
langage se pust trouver plus grande que celle du 
nostre. premièrement ceci rendroit plus vraysem- 
blable ce que j'ay dict de la Gravité (car il est 
bien difficile que celuy qui est fort doux se puisse 
monstrer fortgrave, quand il en est besoin : comme 
ce mot Honorable, s'il n'est pas si doux que Hono- 
revole, aussi est-il plus grave) secondement, je dî 
que le plus doux langage n'est pas tousjours le 
plus beau et le plus gentil, ne dé meilleure grâce : 
comme la plus blanche femme n'est pas tousjours 
la plus belle et gentile : mais comme on l'appelle 
blanche, quand on ne peut pas dire qu'elle soit 
noire : pareillement un langage doit estre tenu 
pour doux, quand on n'ha point d'occasion de 
dire qu'il est rude. Et adjousteray que comme les 
jugemens de l'œil sont divers quant au degré de 
blancheur, auquel la beauté d'un visage féminin 
doit atteindre, (car aucuns ont dict qu'Helene eust 
esté plus belle si elle n'eust pas esté si blanche) ' 

1. Voir Lucien, Le Songe ou le Coq, édition Didot, p. 498. 



Digitized 



byGoogk 



90 DE LA PRECELLENCE 

ainsi les jugemens de Foreille sont fort differens, 
quant au degré de douceur, auquel un langage 
doit parvenir. 

A quoy je n'adjousteray rien, sinon que nostre 
langage ha mieux que le leur, un don, sans lequel 
toutes les sortes de bonne grâce ont peu de grâce : 
à sçavoir le don de brefveté. dequoy je produiray 
lors plusieurs exemples : mais des maintenant, 
j'advertique la traduction Françoise de ïa harangue 
de Tacitus conférée avec Fltalienne (laquelle aussi 
a esté mise ci-dessus) en pourra fournir quelque 
nombre. 



Pour faire le mesme que j'ay faict au bout du 
discours touchant la gravité, il restera de pro- 
poser quelques vers contenans mesme subject tant 
en François qu'en Italien. Et au lieu que là j'ay 
proposé les vers Latins et puis les traductions 
entre ces deux langues, ici, où il ne s'agit de la 
gravité mais de la bonne grâce et gentilesse, (de 
quoy la Latine ne peut nous estre exemple, si bien 
que de la gravité) je me contenteray de mettre 
les vers des poètes Italiens, et puis monstrer com- 
ment ils ont esté traduicts par les François : ce 
qu'aucuns d'entr'eux ont tellement faict, qu'outre 
la grâce plus grande qui accompagne leur langage, 
ils ont adjousté aux vers Italiens encores un peu 
d'une autre, laquelle n'est aux parolles, mais au 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 91 

sens. Et je commanceray par un sonnet de San- 
nazar*, 

Icaro cadde qui : quest' onde il sanno, 
C/te in grembo accolser quelle audaci penne. 
Qui finCl colsOy e quil gran caso avenne, 
Che darà invidia à gli altri che verranno, 

Açenturoso e ben gradito affanno, 
Poi che morendo eterna fania ottenne, 
Felice^ chin tal fato à morte venne : 
Che si bel pregio ricompensi il danno, 

Ben pua di sua ruina esser contenta, 
S'al ciel volando à guisa di colomba, 
Per troppo ardir fu esanimato, e spento. 

Et or del nome suo tutto rimbomba 

Un mar si spatioso, un' e le ment o, 

Chi hebbe al mondo mai si larga tomba?* 

Il a esté ainsi traduict par Philippe des Portes % 
usant de quelque liberté, pour mieux avenir à 
ce que j'ay dict, 

Icare est cheut ici, le jeune audacieux. 
Qui pour isoler au ciel eut assez de courage : 
Ici tomba son corps dégarni de plumage. 
Laissant tous braves cœurs de sa cheute envieux. 



1. Sannazar, né à Naples en De par tu Virginis, Lamentatio 

1458, mort vers 1530, a com- de morte Christi, etc. 

posé une pastorale célèbre, 2. Rime di M. Jacopo Sanna- 

V Arcadie (i^Oi), qui, traduite zaro. In Vinegia. MDCII. Secon- 

en français par J. Martin en da parte, p. 69. 

1544, eut une grande influence 3. Voir Ferdinand Brunot, 

sur notre littérature. Outre La doctrine de Malherbe d^a- 

diverses poésies en italien, il près son commentaire sur Des- 

a laissé des poésies latines : portes. 



Digitized 



by Google 



92 DE LA PRECELLENCE 

O bien-heureux travail cVun esprit glorieux^ 
Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage ! 
O bien-heureux malheur plein de tant d^ avantage, 
Quil rende le vaincu des ans victorieux ! 

Un chemin si nouveau nestonna sa jeunesse. 
Le pouvoir luy faillit et non la hardiesse. 
Il eut pour le brusler des astres le plus beau : 

Il mourut poursuivant une haute avanture. 
Le ciel fut son désir ^ la mer sa sépulture. 
Est' il plus beau dessein y ou plus riche tombeau? ' 

Voyci d'autres vers Italiens, de Bembus* : aus- 
quels pareillement sont adjoustez les François : 

Preso al primo apparir del vostro raggio 
Il cor, cil enfin quel di nulla mi toise, 
Da me partendo à seguir voi si volse : 
Et come chi ritrova in suo viaggio 
Disusato placer, non si ritenne, 
Che fu ne gli occhi, onde la luce uscia, 
Gridando à queste parti amor m'invia, 

Indi tanta baldanza apo voi prese 
L'ardito fuggitivo à poco à poco, 
Ch'ancor per suo destin lascio quel loco 
Dentro passando, e piu oltra si stese, 
Chè'n quello stato à lui non si convenne : 
Fin che poi giunto, ov*era il vostre core, 
Seco s'assise, e più non parve fore. 

Ma quel, come'l movesse un bel désire 
Di non star con altrui del regno à parte, 

1. Amours d'Hippolyte, I. 2. Bembo. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 93 

O fosse l ciel, che lo scorgesse in parte, 
Dov* altro signor mai non devea gire : 
La onde mosse il mio, lieto sen venue, 
Cosi cangiaro albergo : e da queW h or a 
Meco'l cor vostro, el mio con voi dimora * . 

Ils ont esté traduicts en la mesme façon que 
les precedens, par le mesme poète, en ces vers, 

Lorsqu'un de vos rayons doucement me blessa. 
Et que mon ame libre en prison fut reduitte. 
Mon cœur ravi d'amour aussi tost me laissa. 
Et sans autre conseil se mit à vostre suitte. 
Mais comme un voyageur qui s'arreste pour voir 
S'il trouve en son chemin quelque chose nouvelle. 
Alors qu'il veit vos yeux, de passer n'eut pouvoir. 
Et demeura surpris d'une clair té si belle. 

Puis il reprend courage, et s*asseure à la fin. 
Désireux d'achever V entreprise première : 
Soit qu'Amour le guidast, ou son heureux destin. 
Ou que vostre œil luisant luy fournis t de lumière , 
Il ne s*arreste plus, et vient jusques au lieu. 
Siège de vostre cueur, quil embrassa sur l'heure. 
Et me dit en riant un éternel Adieu, 
Ne voulant plus partir de si belle demeure, 

Vostre cueur qui ne veut, plein d'un brave désir. 
Souffrir un compagnon, autre empire pourchasse : 
Et délaissant le sien, d'un lieu se vient saisir. 
Où nul autre que luy ne pourroit avoir place. 
C^ est le lieu que mon cœur plein d'amour et de foy, 
Divinement guidé délaissa pour vous suyvre, 

1. Le Rime, Vcrona, 1750, p. 60. 



Digitized 



by Google 



94 DE LA PRECELLENCE 

Voyla donc comme Amour du depuis nous fait vivre : 
Mon cueur est dedans vous, le vostre est dedans moy^. 

J'adjousteray un sonnet de Pétrarque : et 
pource qu'on se pourra esbahir que ce sonnet 
n'aura esté honoré du premier lieu (pour estre 
d'un tel poète), en recompense de cela, je Thono- 
reray de double traduction. 

Aspro core e selvaggio, cruda voglia 
In dolce, humile, angelica figura. 
Se Vimpreso rigor gran tempo dura, 
Havran di me poco honorata spoglia : 

Che quando nasce e muor fior, herba e foglia, 
Quando e'I di chiaro e quando è notte oscura, 
Piango ad ogni lior. Ben ho di mia ventura, 
Di Madonna e d'Amore onde mi doglia. 

Vivo sol disperanza, rimemhrando 
Che poco humor già per continua prova 
Consumar vidi marmi, e piètre salde. 

Non è si duro cor, che lagrlmando, 
Pregando, amando, ta l h or non si smova : 
Ne si freddo voler, che non si scalde *. 

Philippe des Portes Ta ainsi traduict, 

Aspre et sauvage cueur, trop fiere volonté. 
Dessous une douce, humble, angelique figure. 



1. Diane, L. II, Stances après 2. H Petrarca con nuove spo- 
le sonnet 42. sitioni. In Lyone, 1574. S. 227. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 95 

Si par vostre rigueur plus longuement j'endure y 
Vous n aurez grand honneur de m^ avoir surmonté. 

Car soit quand le Printemps descouvre sa beauté^ 
Soit quand le froid hyver fait mourir la verdure. 
Nuit et Jour je me plains de ma triste avanture. 
De ma Dame et d'Amour sans repos tourmenté. 

Je vi d'un seul espoir, qui naist lors que je pense 
Qu'on voit qu'un peu d'humeur par longue accoustu- 
Cave la pierre ferme et la peut consumer, [mance. 

Il n'y a cœur si dur, qui par constante preuve. 
Pleurant, priant, aimant, à la fin ne s'esmeuve : 
Ny vouloir si glacé quon ne puisse enflammer^. 

Antoine de Bayf ainsi. 

Un cueur sauvage et dur^ et la façon cruelle 
En douce, gracieuse et divine beauté. 
Si le temps n^amolist tant dure cruauté. 
Feront de ma despouille une gloire peu belle. 

Car soit que la verdeur ou sèche ou renouvelle y 
Ou la nuict s'obscurcisse, ou luise la clairté. 
Sans repos je me plain. Ainsi je suis traitté 
De Fortune, d'Amour, et d'une ame rebelle. 

D'un espoir seulement ma vie est maintenue. 
Quand je pense que l'eau peut à la continue. 
Toute molle qnelle est, la roche consumer. 

Il n'y a cueur si dur que le temps n*amolisse. 
Ni tant froide rigueur qu^eschaufer on ne puisse 
A force de plorer, de prier et d'aimer *. 



i. Amours d^Hippoly te, XLWl. ses Amours de J.-A. de Bdif. 
2. Troisième livre des Diver- Édition Marty-Laveaux, I, 392. 



Digitized 



by Google 



€6 DE LA PRECELLENCE 

Ayant proposé des exemples de la bonne grâce 
et gentilesse de nostre langage en gênerai, je 
veux maintenant particularizer : c'est à dire, parler 
aussi particulièrement de la bonne grâce qu'elle 
ha en petites mignardises : à fin que les Italiens 
congnoissent qu'en cest endroit aussi il mérite le 
titre de precellence. 

Estant donc chose asseuree et notoire que les 
mots qu'on appelle diminutifs tiennent le premier 
lieu en mignardises, je les prie ne trouver mau- 
vais si je di que nous en avons meilleure pro- 
vision qu'eux, car je ne diray rien qui ne soit 
aisé à prouver. Mais quand il en faudroit venir 
là, j'advertirois qu'ils ont quelque nombre de 
mots qu'ils ne pourroyent mettre en comte, encore 
qu'ils ayent la forme de diminutifs : comme Fra- 
tello, Avolo, Car ces vocables ne sont non plus 
diminutifs, quant à la signification, que sont Fre7'e 
et Ayeul*, En quoy ils font tort à leur langage, 
pource qu'ils abusent de ceste terminaison, qui 
devroit estre réservée pour les mots dont il s'agit 
maintenant. Et toutesfois ils abusent ainsi de 
quelques noms adjectifs pareillement, car comme 

1. C'est ainsi qu'en français aucune idée de diminution, 

des mots provenant de dirai- Ainsi lionceau est le diminutif 

nutifs latins ont perdu toute de lion, tyranneau, de tyran, 

signification dirainutive:5o/et^, mais tableau n'est plus dimi- 

abeille, oreille, grenouille, etc. nutif de table, ni plateau de 

Dans ces mots le sufflxe n*est plat^ ni manteau de mante, ni 

plus diminutif. Mais d'autres, tombeau de tombe, ni barreau 

même avec un suffixe dimi- de barre, ni cabinet de ca- 

nutif, ne comportent cependant bine, etc. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 97 

ils disent Avolo pour Avo, ainsi Mutolo souvent 
pour Muto : au lieu qu*on penseroit que ce Mutolo 
signifiast ce que les Latins disent Mutilus. Mais 
pour retourner aux diminutifs des noms qu'on 
appelle substantifs, ce que nous disons Oiseau, et 
nos ayeuls ou bisayeuls Oisel, eux le nomment 
Uccello ou Augello : et puis, voulans monstrer une 
diminution, disons Oiselet, le faisans d'Oisel : mais 
eux, prenans une autre forme, disent Uccellino, on 
Augellino. et toutesfois je croy qu'on me confes- 
sera nostre terminaison exprimer mieux la dimi- 
nution. Il y-a un autre poinct, quant à plusieurs 
substantifs de genre féminin, qu'au lieu qu'en 
nostre langue ils sont terminez en E, ils le sont en 
yl, en la leur : comme si je veux faire un dimi- 
nutif qui responde à nostre Chansonnette, il faudra 
dire Canzonetta. Or nous sçavons que TA est d'au- 
tant plus rude que n'est E, qu'il fait plus ouvrir la 
bouche, et ha le son plus fort, et principalement 
que nostre E féminin. Si faudra-il que ce qu'ils 
rymeront sur Canzonnetta soit aussi terminé en A: 
ainsi que nous sur Chansonnette rymerions Dou- 
cette, Joliette, Mignonnette. Il est vray que malai- 
sément ils trouveroyent des mots qui eussent ceste 
mesme signification, et se peussent rymer pareil- 
lement sur leur Canzonetta : mais tant y-a qu'en 
usant ou de ce mot, ou d'un autre, sur lequel ils 
pourroyent plus facilement rymer des diminutifs, 
tousjours faudroit-il qu'ils fussent terminez en A. 

6 



Digitized 



by Google 



98 DE LA PRECELLENCE 

Il y-a bien d'avantage : c'est que nostre lan- 
gage est tellement ployable à toutes sortes de 
mignardises, que nous en faisons tout ce que nous 
voulons : adjoustans souvent diminution sur dimi- 
nution : comme ^rc, Archet^ Archelet : Tendre, Ten- 
dreté Tendrelet : quand nous disons aussi, Hommes 
Hommet, Hommelet \ Et toutesfois, quant à ce mot, 
nous n'avons rien que n'eussent les Grecs et les 
Latins : car les Grecs disoyent^n^Artojrjos, Anthriù- 
piscoSy Anthnojnon ou Anthnoparion (en quoy tou- 
tesfois ce changement de genre est un peu incom- 
mode, et pourroit sembler la superdiminution 
n'avoir si bonne grâce que si elle estoit de mesme 
genre que la diminution) les Latins, Homo, Homu- 
lus, Homunculus et Homuncio. Mais la superdimi- 
nution n'est si évidente en ces deux derniers qu'elle 
seroit en Homululus : et pourroit-on douter si elle est 
en ces deux-la aussi bien qu'en cestuy-ci. Je sçay 
bien donc que (comme j'ay dict) on peut alléguer 
que les Grecs et Latins avoyent ceste sorte de double 
diminution en ces mots : mais j'adjouste que nous 
l'avons en plusieurs où ne les uns ne les autres 
ne l'avoyent : et, quant à aucuns, si bien les Grecs 
l'avoyent, non pas toutesfois les Latins. Et ce qui 
fait que nous avons plusieurs diminutifs de ceste 



1. Ronsard emploie entre delet,pourperet, tendrelet ^ ver- 

autres diminutifs : argentelet, delet, etc. Cf. Brunot, La doc- 

blondelef,doucelet,jumelet^mi- trine de Malherbe diaprés son 

gnardelet, mousse le t, paillar- commentaire sur Desportes, 286. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS, 99 

sorte, c'est que pouvons nous aider d'une autre 
sorte de terminaison : à sçavoir en ILLON. comme 
Oiseau^ Oiselet^ Oisillon : pareillement Carpe, Car- 
peau, Carpillon, Et quelquesfois ceste terminaison 
en ILLON ne sert qu'à la diminution, et venons à 
une autre pour trouver la superdiminution, comme 
quand nous disons Cotte, Cottillon, Cottillonnet. 
Aucuns font le mesme en une autre sorte de termi- 
naison, qui est en SON ou CON, (prononceant le C 
comme S), comme Enfant, Enfançon, Enfançonnet. 
mais quant aux superdiminutifs en ILLON,. nous 
pouvons y adjouster Seiye, Serpette, Serpillon. 

Je n'oublieray pas (entre les avantages que 
nous avons en cest endroit pardessus messieurs 
les Italiens) que nous imitons les Grecs en une 
certaine forme de diminutifs, c'est comme quand 
de ce mot Mousche, nous déduisons cestuy-ci, 
Mouscheron : quand d'une petite vieille, laide, nous 
disons Un laideron : d'une fort jeune fille, U71 ten- 
dron, ou (par forme de superdiminution) Un ten- 
drillon. car les Grecs usent ainsi de genre neutre 
en telle chose. 

Et quant à ce que j'ay dict que nostre langage 
est tellement ployable à toutes sortes de mignar- 
dises, que nous en faisons tout ce que bon nous 
semble, je m'asseure que ces messieurs n'en 
oseroyent autant dire, à la charge de le prouver. 
Car je leur demande (pour exemple) comment ils 
exprimeroyent ceci de Rémi Belleau, 



Digitized 



by Google 



100 DE LA PRECELLENCE 

Ha, que je hay cez mangereaux 
Ces chiquaneurs procuraceaux ^ . 

Nous disons aussi PlaidereauXy par forme de 
diminution, emportant un mespris : et usons ainsi 
de plusieurs autres, terminez les uns en REAU : 
pouvans aussi (par le moyen de ceste commodité 
que j'ay dict estre en nostre langage) user d'aucuns 
en ACEAU, comme ce Procuraceau. Mais je vien- 
dray à des exemples pris du mesme poète, de 
diminutifs ayans autres terminaisons, 

Sur les tresses hlondelettes 
De ma dame, et de son sein. 

Toujours plein 
De mille et mille fleurettes *, 

Un peu après. 

Le gentil rossignolet, 

Doucelet, 
Découpe dessous l'ombrage 
Mille f redons hahillars, 

Fretillars, 
Au doux chant de son ramage ', 

1. La Reconnue^ V, m. Dans par Godefroy. Et bien plus 

la même pièce, Belleau dit : anciennement on trouve les 

mon jeune advocaceau (II, ii), mômes péjoratifs, par exemple 

ces paillardeaux , ces petits dans ces vers de Gautier de 

coquins friandeaux {ibia,). — Goinci cités par Godefroy : 

De Baïf emploie aussi mange- ' ^ , ^ . , -j • 

veau (Mimes, livre 111. Kdit. ^ZnûÂZ '^ttrfl^lt^^^^ 

Marty-Laveaux, V, 172). Le mot ^ ^^""''"*' "^^ serjantenaus. 

est même plus ancien dans la 2. Première Journée de la 

langue (V. Godefroy). — On Bergerie. Avril. Edition Marty- 

trouve aussi plaidereau^ dans Laveaux, I, 202. 

un exemple de Passerat cité 3. Ibid. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRAxNÇOIS. 101 

Ceci est de luy mesme, en son May, 

Pendant que les arondelettes 
De leurs gorges mignardelettes 
Rappellent le plus beau de l'an : 
Et que pour leurs petits façonnent 
Une cuvette, quils maçonnent 
De leur petit bec artisan *, 

Un peu après, 

Et que les brebis camusettes 
Tondent les herbes nouvelettes '. 

Et au Papillon du mesme poète, 

T appendray sur ce ruisselet. 
Qui doucement argentelet 
Coule, etc. ^ 

Ceci est de luy mesme, en sa Bergerie, 

Douce et belle bouchelette. 
Plus fraisclie et plus vermeillette 
Que le bouton aiglantin. 
Au matin *. 

Et ceci pareillement, 



Et que la tresse blondissante 
De Ceres, sous le vent glissante. 
Se frize en menus cresp liions *. 



{.Première Journée de laBer- 4. Première Journée de la 
gerie. May, I, 204. Bergerie, Edit. citée, I, 279. 

2. Ihid, 5! Id. May. I, 205. 

3. Petites inventions et autres 
poésies. I, 51-52. 

6. 



Digitized 



by Google 



102 DE LA PRECELLENCE 

Nous avons aussi, une sorte de diminution en 
ceste partie d'oraison qu'on appelle Verbes, car 
de Sauter nous faisons Sauteler, de Voler, nous 
déduisons Voleter : et de Trembler, Trembloter : de 
Pincer, Pinçoter. Vray est qu'es Verbes de ceste 
sorte il faut considérer que parmi la diminution 
ils ont aucunement la signification de ceux que 
les Latins nommoyent fréquentatifs, principale- 
ment aucuns : comme Sauteler, c'est proprement 
faire plusieurs petits sauts, les uns incontinent 
après les autres. Or faut il tousjours avoir mémoire 
de ce que j'ay dict de la félicité de nostre langage, 
quant à faire recevoir à ses mots tel pli qu'il luy 
plaist leur donner : mais il en vient bien mieux 
à bout, quand il ne faut que suivre l'analogie. 
Pour exemple, tout ainsi qu'il dit Trembloter, 
Pinçoter, Beuvoter (ce que Terence appelle Pitis- 
sare) * ainsi pourra-il îsLire^ Suçoter, de Sucer. Aussi 
n'a faict Belleau aucune difficulté d'en user, 
quand, parlant d'un enfançon (car il use de ce 
diminutif) il dit, 

Tant que sa lèvre mignotte 
A petits souspirs suçotte *. 

[modo mihi, gratia , et degustatum exs- 

l.Namutaliaomittam,pytissando puere. «• Comme le remarque 

Quid vini absumpsit. L. Feugère, sorhillare répond 

{lieaulontimoroumenos, III, i, mieux au mot français : cyathos 

48.) sorbillans, paulatim hune pro- 

Fylissare ne correspond pas ducam diem. (Apulée, dans 

à beuvoter. Forcellini : « nvtîCco, Forcellini.) 

aiiTÛa),ex5pM0.Significatleviter 2. Première Journée de la 

vinum degustare, explorandi Bergerie. Chant d'allaigresse 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 103 

Mais qu'est-il besoin de tant d'exemples pour 
prouver ce que je pense que nos compétiteurs 
n'oseront nier, quand ils voudront avoir la patience 
de lire et considérer les premiers seulement? 
Que s'il advient que j'en rencontre qui ne se vueil- 
lent rendre (comme par tout il-y-a de plus obstinez 
les uns que les autres) je les prieray me repré- 
senter telles mignardises en leur langue. Ce ne 
sera pas sans leur tailler bien de la besongne : voire 
de la besongne dont ils ne viendront jamais à 
bout. Car mesmement ce moi Mignardises, après les 
avoir faict resverlong temps, se trouvera inexpri- 
mable en leur langage. Ce sera bien pis quand ils 
viendront au superdiminutif mignardelet, comme 
où Belleau dit, 

Pendant que les arondelettes 

De leurs gorges mignardelettes, etc. * 

Autant en sera-ce,, quand ils viendront à ceste 
lewe mignotte, qui est au passage allégué naguère : 
quand ils viendront à Mignon, Mignonnette, à 
Joliettey Sadinetie. (car de*Sade,le composé duquel 
est Mausade *, long temps y-a qu'on a dict Sadinet) . 
Et puis quand ils viendront à ceste autre sorte 
d'adjectifs. Doucette, Tendretle, ou Tendrelette, 

sur la naissance de monseigneur f^e ces montagnes jumelettes, 

le marquis du Pont Hem^ de ^"^ ^«* '•*»*^' mignardelettes. 

Lorraine. Edition citée, I, 286. Le moyen âge avait déjà usé et 

1. Première Journée de la a*^"se de ces diminutifs. Voyez 

Bergerie. May. I, 204. Ailleurs l^te?'"'''^^ '''' 

(I, 264), Belleau dit : 2. Ct.D'uilogues,\,^%,ei la note. 



Digitized 



by Google 



104 DE LA PRECELLEiNCE 

MenueUe, Et pour retourner au premier mot, 
quand bien ils auroyent trouvé quelque moyen 
d'exprimer Mignard, Mignardelet, Mignardise y 
encores auroyent-ils peu faict. carie plus fascheux 
leur resteroit, d'en trouver qui exprimassent 
Mignarder, Mignardiser, MignoUer et Amignottei\ 
Et comment pourroyent-ils sortir d'ici, veu que 
tous les jours, quand ils veulent faire que leur 
langage ne cède point au nostre, ils ne peuvent 
eschapper de beaucoup plus beau chemin? 

Pour conclusion, il est certain que s'ils ne 
confessent la debte quant à tous ces mots, pour le 
moins leur sera force de ce faire quant à une 
partie : et les prieray d'adjouster, que la façon 
mesmement de ces mots Mignon, Mignard, Joliy 
Gentil, est mignonne, mignarde, jolie, gentile : et 
qu'on ne peut dire le mesme de leur Vagho, et 
encore moins de leur LeggiadroK 

Estant venu au troisième poinct, qui est tou- 
chant la richesse, je m'efforceray de monstrer 
qu'il faut que le langage Italien cède au nostre 
quant à la richesse aussi : et si ainsi est que j'aye 
pu venir à bout des deux autres poincts, je n'auray 
aucunement peur que je n'emporte ce troisième. 

Pour estre bons estimateurs de ceste richesse, 
il nous faudra considérer quelles choses sont 

1. Cf. Dialogues, I, U8; 126-27. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 105 

requises en un langage pour estre estimé riche : 
et puis voir si le nostre en est bien fourni. Je di 
donc premièrement que comme on n'appelle pas 
un homme riche qui n'ha que ce qui luy est néces- 
saire, mais faut qu'il ait aussi des choses dont il 
n'ha point besoin et desquelles il se pourroit bien 
passer : et quant aux nécessaires, il luy en faut 
avoir à rechange (ce qu'on dit proprement des 
accoustremens) ainsi nostre langage n'est pas 
seulement fourni de mots dont il faut qu'il se 
serve ordinairement, pour exprimer ses concep- 
tions : mais ha aussi quelque provision curieuse 
plus tost que nécessaire d'aucuns qui sont plus 
rares que les autres. Et quant aux nécessaires, on 
peut bien dire qu'il en ha à rechange : veu qu'il 
ha moyen d'exprimer une mesme chose en plu- 
sieurs sortes. 

Je viendray incontinent aux exemples : insistant 
toutesfois principalement, sur ce que j'ay dict des 
mots nécessaires qu'il en ha à rechange. Et pource 
que j'estimerois avoir troj/ bon marché de la 
comparaison qu'il me faut faire, si je la faisois 
avec le langage Italien, je ne craindray point de 
la faire avec le Grec, lequel est à bon droit estimé 
riche pardessus tous les riches. Et craignant 
qu'on ne die que je luy veux rien oster, à fin que 
le nostre puisse plus aisément égaler sa richesse 
en cest endroit, ou pour le moins en approcher, 



Digitized 



by Google 



lOô DE LA PRECELLENCE 

je m'en rapporteray à ce que Pollux * dit touchant 
les diverses paroles et diverses façons dont il use 
pour signifier un homme avare *. Car estant sur 
le propos de richesse, je me suis avisé de parler 
de Tavaricieux, qui est celuy par lequel plus elle 
est désirée. 

Pollux donc commance par ces mots composez, 
Philargyros, Philochrysos, Philochi^^matos, Philo- 
^erdy]s, etc. lesquels signifient Amateur d'argent^ 
Qui aime Vor^ Qui aime lapecune, Amateur du gain. 
Nous, en usant de mots simples (car je reserveray 
les composez pour Farriere-garde) disons Avare ou 
AvaricieicXy Eschars, Taquin, Tenant, Trop tenant, 
Chiche, Vilain ou Chiche-vilain. Quant à ce mot 
Avare, il vient du Latin Avarus, lequel proprement 
respond à ce Grec (piXo^ouo-oç, (c'est à dire Amateur 
de Vor) si on le veut déduire de Avère et Aurum^. 
Quant à Tenant, il vient aussi des Latins, car ils 
disent Tenax, en ceste signification. Eschars est un 
peu esloingné de Parcus, mais si en vient-il : et 



l.Julius Pollux, grammairien Outre son Onomasticon, il a 

et sophiste contemporain de écrit des Déclamations y des 

Marc-Aurèle,naquitàNaucratis, Dissertations sur divers points 

en Egypte, vers 130. 11 vint de de mythologie et d'histoire, un 

bonne heure à Rome où son Eloge de Rome; un Epit ha famé 

éloquence eut une grande à Commode, etc. Son Onomas- 

réputation. 11 fut l'un des thon a beaucoup d'intérêt et 

maîtres de Commode , qui , d'utilité. 

devenu empereur, lui donna 2. Edition Bekker, Berlin, 

la chaire d'éloquence d'Athè- 1846, p. 133 (F, 112). 

nés. Il mourut peu de temps 3. Avarus est un dérivé de 

après Commode, à Athènes, avère, mais non un composé 

âgé de cinquante-huit ans. de avère et de aiirum. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 107 

en approcheroit plus quand, en n'adjoustant point 
d'aspiration au C, on diroit Escars *. Le mot Vilain 
ha la mesme origine qu'on lui donne en sa pre- 
mière signification, ou à Villa ou à Vilis *. Quant 
aux deux autres, leur origine est en controverse^. 

Nos composez sont beaucoup plus signifians 
et ont plus d'emphase que ceux des Grecs, car 
nous disons, Pinsemailley RacledenarCy Serrede- 
nier y Serremiette, Pleurepain, 

Maintenant, comme PoUux, après avoir pro- 
posé en combien de manières les Grecs exprî- 
moyent cela, en usant d'un seul mot, vient à cer- 
taines façons de parler dont ils usoyent pour 
donner à entendre la mesme chose, je mettray 
ici des Françoises, mais en beaucoup plus grand 
nombre, advertissant de celles qui correspondent 
aux Grecques. Mais je commanceray par celles 
qui taxent plus doucement le vice, ce que les 
Grecs appeloyent parler par hypocorisme *. Nous 
disons donc, // est un peu trop songneux de son 
proufU. ou, // est un peu trop attentif à son proufit 
(comme les Latins, Nimium est attentus ad rem) 
nous disons aussi, // est un peu trop espargnant 

1. Il n'y a aucun rapport haut allemand sanAren, disputer 
QTiiVQ escharî Qi parcus ; eschars (néerl. tagghen); d'après d'au- 
esl très probablement un mot très , du haut-allemand zàhe, 
germanique. tenace, avare (en supposant 

2. Vilain ne peut se rattacher un mot bas-allemand taag , 
qu'à villa. tach). — Chiche^ d'après Sche- 

3. D'après Littré , taquin 1er, vient du latin ciccum, 
vient de toc, clou, ce qui bagatelle. 

attache; d'après Scheler, du 4. Voir Dialogues^ I, 103. 



Digitized 



by Google 



408 DE LA PRECELLENCE 

OU respargnant : Il se restreind un peu trop, et 
quelquesfois, Il est un peu trop bon mesnager. De 
tels hypocorismes Grecs PoUux n'amené aucun 
exemple. 

Quant aux autres façons de parler, les unes 
sont bien plus violentes que les autres. 

Avarice luy commande. 
ou. Avarice le maîtrise. 
ou, Avarice le surmonte, 
ou. Avarice luy domine. 
ou. Avarice legangne. 
ou, // est le serf de l'argent. 
ou, Avarice V emporte, 
ou, // se laisse emporter à son avarice. 
ou. Avarice le transporte. 

(Lequel mot transporte est ce que les Latins 
disent Transversum rapit) Or pouvons-nous choisir 
entre ces neuf façons de parler celle que nous 
voudrions mettre en la place d'une seule Grecque 
qui est en PoUux, Elattton chrr\matiùn. Nous disons 
aussi : 



Avarice le mené. 
ou, L^ gain le mené. 
ou, Avarice V aveugle. 



Lesquelles phrases sont semblables aux précé- 
dentes. 

Et quelquesfois , parlans plus doucement , 
disons, 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 109 

// est addonné à V avarice, 
ou, // est addonné au gain. 
ou, // est addonné à l'argent. 

Mais quand on veut user de paroles fort aigres, 
on dit, 

// brûle d'avarice. 
Il sèche d* avarice. 
Il meurt d'avarice. 

Encore plus aigrement se dit : 

// est enragé après l'argent. 

Il fait son Dieu de l'argent, 
ou, // n'/ta autre Dieu que l'argent, 
ou, Il aime mieux un escu que Dieu, 

Il engageroit son amc pour gangner, 

(Ce qui convient avec ces mots de PoUux, T^in 
psychrin an antallaxas tou chrysiou, lesquels mots 
se rapportent du tout à ce que les Latins disoyent, 
Vendere animam lucro,) 

Il engageroit son ame au diable pour en avoir. 
Il quitteroit sa part de paradis pour de l'argent. 

Geste façon de parler n'est pas si aigre, 

// n'estime rien en ce monde que V argent : 

laquelle revient à ce que dit PoUux, chrr^masi tr^n 
eudcemoniam metriùn, 

PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 7 



Digitized 



by Google 



110 DE LA PRECELLENCE 

Quant à ce qu'il dit, Ec pantos chrr^matizomenos, 
nous Texprimons en toutes les sortes suivantes. 

// fait son proufit de tout. 
Rien ne li^y est trop chaud ne trop froid. 
Il prend à toutes mains. 
Il en prend ah hoc et ab hac. 
Tout luy est bon : il ne demande qu^oà il-y-en-a. 
Il en prendroit sur le grand autel. 

Quant à ce Kyminopristy\s * qui est en PoUux, 
c'est une hyperbole semblable à ceste-ci, // parti- 
voit un œuf en deux. Au lieu dequoy nous disons 
aussi, Il partiroit une maille en deux. Il est vray 
que ce Kyminopristr^s est dict encore plus hyper- 
boliquement. Et à ce propos d'hyperbole, ceste 
façon de parler aussi en tient, // trouverait à tondre 
sur un œuf. Et ceste-ci, // ne donnerait pas un 
gros œuf pour un menu. On voit bien qu'aucunes 
des précédentes aussi sont hyperboliques. 

Au lieu de ce que Pollux dit ^schroxerdris, et 
Ouden an aischyntheis Hm Ir^mma prosesti, nous 
avons Vilain, car j'ay opinion que ce mot emporte 
plus qu'on ne pense : et qu'on n'adjouste-pas sans 
cause ce mot de Vilain à Chiche, quand on dit Un 
chiche-vilain : mais pour demonstrer un extrême 
degré de chicheté. On dit aussi, C^est un vilain 
tout outre, et, cest un double vilain , 

1. Littéralement : qui scie un grain de cumin. Le mot est 
employé par Aristote, Morale à Nicomaque, IV, 1. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 111 

Je laisse plusieurs manières de parler, les unes 
pour sentir trop leur populace : les autres pource 
que plusieurs semblent faillir en icelles, comme 
quand on dit, Ce quil tient en une main^ lui 
eschappe de l'autre. Car il faut dire, Il craind que 
ce quil tient en une main, lui eschappe de Vautre. 
Et d'autre part, puisque desja j'ay de ces façons 
de parler plus qu'il ne m'en faut pour surmonter 
PoUux, je me doy bien contenter. On me demandera 
sien surmontant PoUux, je pense avoir surmonté 
la langue Greque quant à ce dont il est question : 
je respondray que sans m'arrester à PoUux (pource 
que je sçay bien en ma conscience que PoUux a 
omis quelques phrases Greques) j'estime que si 
nous ne la surmontons en cest endroit, pour le 
moins nous Tegalons. 

Or d'autant que cest article troisième et dernier, 
ha moins besoin de discours que les deux prece- 
dens, et plus, d'exemples, j'en proposeray encore 
un, m'efforceant, comme au précèdent, de sur- 
monter sinon le langage Grec, au moins PoUux. 

Il commance donc ainsi : Empeiros Episty\mon, 
EthaSy Tribon, Tetrimmenos péri tauta, Entribr^s*. 

Nostre langage, au lieu de ces mots-la, use de 
ceux-ci : 

// est expérimenté en cela. 
ou, // est expert en cela. 

1. Édition cillée, p. 224 (E, 144). 



Digitized 



by Google 



112 DE LA PRECELLENCE 

// est versé en cela. 

Il est stilé, 
ou, // entend ce stlle. 

Il est grand docteur en cela . 

Il est passé maistre en cela. 
ou, // s'en fait appeler maistre. 

Il en ferait leçon, 
ou, // en tiendrait eschole. 

C'est son mestier, 
ou, C'est son premier mestier. 

Il n'est pas apprenti en cela, 
ou, // n'y est pas nouveau, 
ou, // est faict à cela. 

Il s'entend bien en cela, 
ou, // est bien entendu en cela. 

Il en sçait tout ce qu'il en faut scavoir. 

Il en parle comme maistre, 
ou, // n en parle pas comme clerc d'armes *. 

Il en parle comme scavant. 

Il est fort suffisant en cela. 

Il est rusé en cela. 

Il y est leurré. 

Il est vieil routier en cela. 

Nous avons encore quelques autres paroles et 
façons de parler, par lesquelles pouvons expri- 
mer ces mots grecs de PoUux : mais les unes 
sentent trop leur menu peuple, les autres ne plai- 
sent pas à tous les mieux parlans : comme, pour 
exemple, ce mot Routine ; aussi ce mot Prattique : 
quand on dit, // est prattique en cela, ce qu'on 

1. Comme un clerc pourrait parler d'armes. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 113 

peut penser estre pris du langage Italien : veu 
que Prattique nous est un Nom substantif : et pou- 
vons dire, // entend bien la prattique de cela, ou, 
// en ha la prattique. 

Mais pource qu'aucuns Italiens (comme j'ay 
dict) se sont vantez d'avoir un langage plus excel- 
lent que le Grec, non seulement que le Latin, et 
pourtant quand bien j'aurois monstre que le ^ 
nostre surmonteroit le Grec es deux comparaisons > - 
précédentes, ils pourroyent tenir bon, non-obstant 
ceste victoire : je ne m'adresseray plus à PoUux, 
mais à un d'entr'eux, nommé Aldo Manutio*, qui 
a escrit de la richesse du langage Toscan. 

Voyci donc les façons de parler Toscanes, qu'il 
met au titre de Republica. 

Deve ogniuno attendere alla republica, corne al proprio 

interesse. 
Deve ad ogniuno essere à cuore l'intéresse publico, non 

meno che il proprio. 
Dobbiamo amare il ben commune, L' utile délia cita. Il 

1. Aide Manuce le Jeune dailles et les inscriptions. 11 

(1547-1597), petit-fils du grand dirigea de 1565 à 1584, avec 

imprimeur Aide Manuce, et assez de négligence, Timprî- 

fils aine de Paul Manuce, avait mené Aldine à Venise, sa ville 

onze ans lorsqu'il composa son natale, puis professa Téloquence 

traité Eleganze délia lingua àBoIogne, àPise,enfinà Rome. 

toscana e latina, d'où viennent Clément Vlll le chargea en 1592 

les phrases citées par H. Es- de diriger Timprimerie du Va- 

tienne. A quatorze ans, il pu- tican. 11 a écrit des Commen- 

blia un traité d'orthographe iaires sur Cicéron, sur Térence^ 

latine. Orthographias ralio, d*a- des Discours politiques sur Tite- 

près les manuscrits, les mé- Live, etc. 



Digitized 



by Google 



ii4 DE LA PRECELLENCE 

commodo publico, Tutto cio che puo govlare alla repuf 
blica, con queW istesso affetto che amiamo e noi stessi, 
e le cose nostre, 

Voyci autant de Françoises (respondantes à 
ces Toscanes), et en adjousteray beaucoup d'avan- 
tage. 

Chacun doit penser à la republique, comme à chose où 

il ça de son interest. 
Chacun doit avoir à cueur Vinterest du public, non 

moins que le sien propre : ou, Chacun doit prendre à 

cueur rinterest du public. 
Nous devons aimer le bien commun. L'utilité de la ville. 

Le proufit public. Tout ce qui peut aider à la repu-* 

blique, avec ceste mesme affection que nous portons 

à nous mesmes et à nos affaires. 

En voyci trois fois d'avantage, que j'adjouste 
à celles qui respondent aux toscanes d'Aldo 
Manutio, 

// faut que nous ne facions moins nostre devoir pour 
la republique que pour nos familles. 
ou, // faut ne nous mettre moins en tout devoir pour la 
republique que pour nos familles. 
Chacun doit avoir en recommandation ce qui con" 
cerne le bien public, autant que ce qui touche son 
particulier. 
ou, Chacun doit avoir le bien public pour recommandé, 
autant que le sien propre. 
Le bien public nous doit estre d'aussi près que le 
nostre. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 115 

Chacun doit procurer Vavancement du bien public, 

comme du sien, 
ou, Chacun se doit employer à l'avancement du bien 

public. 
Il faut porter au bien public la mesme affection que 

nous portons à nos. affaires, 
ou, // ne se faut moins affectionner à ce qui est pour le 
bien public, quà ce qui concerne le nostre. 
Il ne se faut moins formalizer pour le bien public, 

que pour le nostre. 
Chacun doit pourchasser d'aussi grand courage le 

bien de la republique que le sien. 
Il ne faut pas postposer les affaires du public aux 

nostres; 
OU, // ne faut préférer nos affaires aux publiques. 

Nous ne devons point mettre de différence entre les 

négoces de la republique et les nostres. 
Nous devons mettre les affaires publiques au mesme 

reng que les nostres. 
La raison veut que nous espousions les affaires du 

public comme les nostres. 
Nous devons estimer que les affaires de la republique 

nous touchent autant que les nostres. 
Nous ne devons pas moins faire estât de Vavance- 
ment du bien public que du nostre. 
Il est raisonnable que nous facions estât de ce qui 

importe à la republique, comme s'il importoit à 

nos affaires domestiques. 
Nous sommes tenus d'embrasser les affaires de la 

république comme les nostres. 
Nous ne devons estre moins promts à faire service 

au public, que nous sommes songneux de nostre 

faict. 
Nous devons estre aussi songneux des affaires publi" 

ques que des nostres. 



Digitized 



by Google 



116 DE LA PRECELLENCE 

// nous faut procurer les affaires du public avec 

aussi grand soin et diligence que les nosires. 
Il nest raisonnable que nous prenions moins de 

peine après les affaires de la république qu'après 

les nostres. 
Nous devons regarder d'aussi près aux affaires 

publiques qu'aux nostres. 
Nous devons apporter une aussi grande vigilance et 

affection au maniement des affaires publiques, 

qu'à celuy des nostres. 
Nous ne devons pas nous espargner d'avantage aux 

affaires de la republique qu'aux nostres. 

Je sçay bien que les Italiens diront avoir des 
façons de parler pour exprimer ceste proposition, 
outre celles que met le susdict Aldo Manutio : et je 
ne leur nieray pas qu'ils en peuvent avoir, mais 
je leur diray aussi que nous en avons encore 
plus, que nous pouvons adjouster à ce grand 
nombre, qu'eux n'en peuvent adjouster à ce 
petit. 

Mais j'ay peur de tenir trop long temps le lec- 
teur suspens touchant la provision curieuse de 
nostre langage, dont j'ay faict mention. Car j'ay 
dict, parlant de sa richesse, que comme on ne 
tient pas un homme pour riche, quand il n'ha que 
ce qui luy est nécessaire, ains, pour estre mis au 
nombre de ceux qu'on ne peut pas appeler seule- 
ment bien aisez, mais riches, il luy faut avoir 
beaucoup de choses dont il se pourroit bien 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 117 

passer : ainsi, que ce langage François ha une 
provision curieuse plustost que nécessaire d'un 
bon nombre de vocables plus rares que les autres : 
(entendant aussi des façons de parler.) A quoy je 
puis adjouster que c'est une provision laquelle 
encore que je nomme curieuse, loutesfois est de 
si rares et précieux meubles (car les vocables et 
façons de parler sont comme les meubles dont se 
sert la langue : comme aussi les Latins ont dict, 
Supellex verborum) qu'estans bien considérez, 
peuvent beaucoup aider à obtenir le titre de pre- 
cellence que nous demandons. Car ce sont des 
meubles que nous fournissent deux arts, qu'on 
nomme La vénerie et La fauconnerie * : es termes 
desquels nous avons grande prérogative, quant à 
Fun, pource que nostre nation s'est addonnee à 
l'exercice d'iceluy, plus qu'aucune du temps des 
anciens, ne depuis : quant à l'autre, encore plus 
grande, pource que si elle n'a l'honneur de l'avoir 
inventé, pour le moins ha elle cestuy-ci, que de 
petits commancements elle l'a mis en quelque 
perfection. Car quant à la vénerie (qui est propre- 
ment la chasse à toutes bestes sauvages, mais le 

1. C'est un des rares avan- peu faute de façon : car il 

tages que Budé reconnaissait n'est rien qu*on ne fist du jar- 

au français, et partout nous gon de nos chasses et de nostre 

voyons vantée cette source de guerre, qui est un généreux 

richesses à laquelle peut puiser terrain à emprunter. «• — E. Pas- 

notre langue. — Cf. Hypo- quier, Lettres^ U, xii. — Ville- 

mneseSy Préface. — Montaigne, main, Préface de la 6' édition 

m, V : «« En nostre langage je du Dictionnaire de V Académie, 

trouve assez d'étoffe, mais un 1835, p. xxi. 



Digitized 



by Google 



as DE LA PRECELLENCE 

plus communément s'entend de la chasse aux 
bestes rousses, ou fauves, et aux noires) encore 
que sa grande ancienneté se congnoisse par la 
Bible, et par Hérodote et Xenophon, et que tant 
ces deux historiens que plusieurs autres Grecs et 
Latins tesmoignent que quelques rois mesmement 
s'y addonnoyent (à propos dequoy il me souvient 
que le roy Antiochus*, s'estant esgaré en la chasse 
eut une pareille rencontre et un pareil plaisir que 
le roy François premier) ce non-obstant, si on 
vient à faire comparaison des termes que les 
autres langues ont appropriez à çeste science 
avecque ceux dont est garnie la Françoise, on 
trouvera que ceste-ci surpasse tant les leur, non 
moins en la qualité qu'en la quantité, qu'il sera 
force de confesser nos rois avoir esté maistres, 
tous les autres n'avoir esté qu'apprentis en cest 
exercice. Lequel estant vertueux et noble (pour 
estre cousin germain de celuy de la guerre) ce que 
plusieurs de nos rois s'y sont addonnez beaucoup 
plus que les autres, et y ont pris plus grand plaisir, 
il ne faut douter que ceci ne leur soit procédé 
d'une générosité plus grande. Laquelle ceux de 



1. Plutarque, Regiim et im- gens qui ne le connaissent pas 

peratorum apophthegmata.Èdi- la vérité sur lui-même et sur 

tion Didot. Scripta moralia, I, ses ministres. — François I** 

221. Le roi dont il s'agit est était passionné pour la chasse, 

Antiochus VII, roi de Syrie, comme le prouve l'édit de Lyon 

surnommé le Chasseur. Le (mars 1516), par lequel il prend 

plaisir qu'il éprouve est celui les mesures les plus sévères 

d'entendre dire par de pauvres pour protéger les forêts royales. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. Ii9 

nostre temps ont monstree en ceci mesmement, 
que pouvans user de la harquebouze, ou plustost 
haquebute, contre les bestes rousses (ainsi que font 
aujourd'huy plusieurs princes d'Alemagne) ils ont 
mieux aimé leur faire bonne guerre, et telle que 
faisoyent leurs prédécesseurs. 

Mais autant qu'il y a de diflFerence entre rien et 
peu, d'autant est plus grand l'avantage qu'ha 
nostre langue pardessus les autres, en ce qui con- 
cerne la fauconnerie (qu'on a aussi appelé la 
volerie) que celuy qu'elle ha en ce qui appartient 
à la vénerie *. Car des termes de vénerie elles en 
ont peu à comparaison de la nostre (comme j'ay 
dict ci-dessus) quant à ceux de la fauconnerie, 
les anciennes n'en avoyent point, et de celles aussi 
qui sont aujourd'huy, la plus grand' part n'en ha 
point du tout. Et ne se faut esmerveiller de ceci, 
veu que ceste belle science a esté tellement incon- 
gneue aux anciens tant Grecs que Latins, que 
tous leurs livres ne nous peuvent fournir d'un 
mot assez propre pour la nommer seulement, car 
si tant les uns que les autres revenoyent au 
monde, ceux-là n'entenderoyent pas que seroit 
hieraxix't] technr\y et ceux-ci non plus, que voudroit 
dire A ccijntrariaar s, oxxFalconaria. Quesiquelcun 
pensoit que les Grecs sous le mot de ornithothr^ra 
et les Latins sous le mot de Aucupium eussent 

1. Cf. Hypomneses, Préface. 



Digitized 



by Google 



120 DE LA PRECELLENCE 

compris aussi la fauconnerie, il s'abuseroit et 
grandement et ridiculement, car (outre plusieurs 
autres raisons qu'on peut alléguer au contraire) 
si ainsi eust esté, Platon en la fin de ses loix* 
n'eust pas dict de ce qu'il appelle th/]ran ptrinixin, 
ce que nous en lisons là : à sçavoir que c'est un 
exercice qui est un peu servit : mais faut nécessai- 
rement entendre cela des oiseleurs seulement, 
qui prenoyent les oiseaux aux filets, ou à la glu : 
outre lesquelles inventions plusieurs sont main- 
tenant en usage, dont peut estre qu'aucunes l'es- 
toyent aussi des-lors, ou autres semblables à 
icelles. Au contraire donc de ce que j'ay dict des 
Grecs et Latins, quant à cest art, il est certain que 
depuis fort long temps il a esté en recommanda- 
tion à nostre France : et spécialement aux nobles, 
desquels aussi, pour sa noblesse, il est digne. Et 
qu'ainsi soit, desja (pour le moins) du temps de 
Chilperic, il estoit en honneur : comme il appert 
par le cinquième livre de Grégoire de Tours *. Or 
si ceux qui ont esté depuis, et les princes mesme- 
ment, n'avoyent pris un singulier plaisir à cest 
art, il est certain que tant de gentilshommes, et 
entr'eux quelques grands seigneurs, n'eussent pris 
la peine d'en escrire si diligemment et exactement. 

1. Les Lois, livre VII, page 7'ovingicarum tomi I pars I, 
401 de rédition Didot. 204 : « Veniant equi nostri, et, 

2. Monumenta Ge7vnaniae his- acceptis accipitribus, cum cani- 
iorica, Scriptorum rerum me- bus exerceamur venatione ». 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. ^21 

car qui ne sçait combien estoit grand seigneur 
Gaston surnommé Phebus*? Ceux pour le moins 
qui ont leu Froissard *, ne le peuvent ignorer : ni 
ceux aussi qui ont leu le livre dudict Gaston. Car 
après ce commancement, Au nom de Dieu le Créa- 
teur, etc., il adjouste, Je Gaston par la grâce de 
Dieu surnommé Phebus, comte de Foix, seigneur de 
Beau-ru : qui tout mon temps me suis délecté par 
especial en trois choses, Vune est en amours. Vautre 
est en armes, et Vautre est en chasse. Et puis ayant 
dict ne vouloir point escrire de deux offices (car il 
parle ainsi) d'armes et d'amours, il adjouste, 
Mais du tiers office, duquel je ne doute que faye 
nul muistre : {combien que ce soit vantence) de celuy 
voudroy-je parler, cest de chasse. Mesmement 
quant aux gentils-hommes, en gênerai, que (sui- 
vant ce que nous lisons ici) de tout temps avec 
l'exercice des armes ils se soyent addonnez à la 
chasse, non moins qu'à l'amour (comme si faire 
l'amour estoit aussi une espèce de chasse) il 
appert par l'ancien proverbe. 



i. Gaston III, comte de Foix, chasse des hestes sauvaiges et 
vicomte de Béarn (1331-1391), des oyseaux de proye. Son 
surnommé Phébus, soit à cause style était emphatique et sou- 
de sa beauté, soit à cause de vent obscur, c'est de là, dit-on, 
ses cheveux d'un blond doré, qu'est venue l'expression faire 
eut une existence très belii- du phébus. 
queuse. Dès l'âge de quatorze 2. Gaston-Phébus fut mêlé, 
ans, il faisait ses premières dès 1345, aux événements les 
armes contre les Anglais. Il a plus importants. Aussi est-il 
laissé un livre intitulé Miroir souvent question de lui dans 
de Phebus, des deduiz de la Froissart. 



Digitized 



by Google 



122 DE LA PRECELLENCE 

D'oiseaux^ de chiens, d'armes, d'amours. 
Pour un plaisir mille doulours^. 

Car il est certain que par les oiseaux est entendue 
la fauconnerie (appelée aussi la volerie) comme 
par les chiens la vénerie, et toute autre chasse 
en laquelle on use de chiens. 

Mais pour retourner aux anciens escrits qui 
ont esté faicts touchant la vénerie et fauconnerie, 
ou touchant Tune d'icelles, on trouve encore 
aujourdhuy un livre intitulé Le Romman des 
oiseaux et de leur chasse , composé par Gaces de 
la Vigne % gentilhomme , qui fut du temps des 
rois Philippe de Valois, Jan et Charle cinquième : 
et le composa pour Tinstruction de Philippe, fils 
du roi Jan. Duquel Romman sont ces vers, tou- 
chant deux maladies ausquelles les oiseaux de 
proye sont subjects, 

Ils ont pantais [bien m'en recors) 
Et filandres, dedans le corps. 

Au lieu duquel mot Pantais on escrit Pantois : 
d'où vient Pantoiser, qu'on lit au Romman d'A- 



1. Cf. Hypomneses, 35. Ces tôt de la Bigne, né vers 1428 
deux vers sont de Villon, Grand dans le diocèse de Baveux, fut 
Testament, uv (Édition Jan- chapelain de Philippe de Valois, 
net, p. 45). puis du roi Jean qu'il suivit 
De chiens, d'oyseaulx, d'amies, d'à- dans sa captivité en Angleterre, 

[mours, entin de Charles V. On ignore 

Chascun le dit à la voilée : la date de sa mort. C'est en 

f^ Pour ung plaisir mille doulours. r» Angleterre qu'il commença à 

2. Gaces de la Vigne ou plu- écrire le Roman des Oyseaux, 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 123 

lexandre *, dict du halletement d'un homme tra- 
vaillé. 

Nous avons aussi une fauconnerie de Jan des 
Franchieres *, grand prieur d'Aquitaine, recueillie 
des livres de quatre anciens personnages. 

Laissant pour le présent les autres desquels 
nous avons les escrits touchant ces deux nobles 
arts, ou pour le moins touchant Tun d'iceux, lais- 
sant aussi à penser combien ne sont parvenus 
jusques à nostre temps ne jusques à nostre con- 
gnoissance, je viendray à monstrer combien 
grande richesse et grand ornement Texercice 
d'iceux (j'enten de ces deux arts) a apporté à 
nostre langage, desquels biens il se peut vanter 
non seulement pardessus tous les langages qui 
ont jamais esté, mais aussi pardessus tous ceux 
qui sont aujourdhui. Toutesfois je m'arresteray 
moins à la vénerie qu'à la fauconnerie, tant 
pource que cest art est plus noble que cestuy-la 



i. Le Roman d'Alexandre^ avec une autre fauconnerie de 
écrit en vers de douze syllabes, Guillaume Tardif, plus la vol- 
ai été composé au xii* siècle, lerie d*Arielouche d'Alagona, 
Les auteurs sont Lambert li Davantage un recueil de tous 
Tors et Alexandre de Bernay. les oyseaux de proye servant à 
Voir Paul Meyer, Alexandre le la fauconnerie et vollerie. — 
Grand dans la littérature fran- La première édition, qui est 
çaise du moyen âge. peut-être de 1531, mentionnait 

2. Jean de Franchieres, Fran- seulement « troys maistres faul- 

cières ou Franquières vivait à conniers »»,et le titre se tere 

la cour de Louis XI. Son livre minait par ces mots : Ensemble 

est intitulé dans l'édition de le deduyt des chiens de chasse. 

1517 : La fauconnerie recueillie Les éditions postérieures, 1585, 

des livres de M. Ma-rtino, Malo- etc., sont revenues au texte de 

pin, Michelin, et Amé Cassian, cette première édition. 



Digitized 



by Google 



d24 DE LA PRECELLENCE 

(selon le jugement du susdict seigneur Gaston, 
surnommé Phebus) qu'aussi pourceque nostre 
langage n'ha pas tant de prérogative, quant aux 
termes pris de la vénerie, qu'elle ha quant à 
ceux que luy a baillé la fauconnerie : veu que 
(comme il a esté dict) les anciens tant Grecs que 
Latins ont eu congnoissance de la vénerie, mais 
non de la fauconnerie. 

Si n'oublieray-je pas entre ce peu d'exemples 
que je veux amener, ces façons de parler. Rendre 
les abbois, et Faire rendre les abbois. car c'est un 
des gentils emprunts que nostre langage ait faict 
de messieurs les veneurs : disant d'un homme 
qui n'en peut plus, et pourtant est contraint 
de se rendre, qu'il rend les abbois : ou (comme 
les autres escrivent) les abbais. Et proprement se 
dit du povre cerf, quand ne pouvant plus courir, 
il s'accule en quelque lieu le plus avantageux 
qu'il peut trouver, et là attendant les chiens 
endure d'estre abbaye par eux. Ce qui pourroit 
sembler toutesfois estre plustost Se rendre aux 
abbois^ que Rendre les abbois * : mais tant y-a que 
ces mots, suyvant ceste signification-la, ont bonne 
grâce en ce passage de Belleau, 



1. L'idée est différente. Ni- les chiens Tabbayent. Le con- 

cot : Rendre les abbays, entre traire est au regard du san- 

veneurs, c'est quand le cerf, glier, lequel est dit rendre les 

recreu de trop courre, s'accule abbays quand il sort de sa 

■en un lieu le plus advantageux bauge et gite abbayant aux 

•qu'il peut choisir, endurant que chiens. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 425 

Aussi tost que ces advocas 
Nous ont empiétez unefois. 
Ils nous font rendre les ahbois *. 

Et ne faut douter que ceste façon de parler, Tenir 
quelcun en abboy, (ou en abbay) ne soit aussi 
venue de la vénerie : mais il y-a apparence que 
ce soit des bestes noires plustost que des autres, 
comme quand un sanglier se laisse abbayer par 
les chiens, perdans leur peine. 

Mais, pour venir à quelques autres exemples, 
nous avons aussi ce mot Rut, ou (comme aucuns 
prononcent) Ruit^ qui se dit (selon aucuns) non 
seulement du cerf et des autres bestes rousses, 
mais aussi des bestes noires, quand elles sont en 
amour : mais par le moyen de ce que les Grecs 
appellent métaphore, Tusage de ce mot s'estend 
plus loing. 

Autant faut-il dire de F usage du mot Curée (qui 
est aussi appelée Le droict des chiens) comme 
quand on dit Bonne curée pour signifier 5on butin. 

Le mot Visceratio semble bien se pouvoir accom- 
moder à ceste signification du mot Curée, et à 
celle du mot Fouaille qui est le mesme en la 
chasse du sanglier, que Curée en celle du cerf. 

Traces aussi, Routes et Erres, sont mots qu'on 
peut penser avoir leur origine de la vénerie : et 
principalement Traces, veu que proprement il se 

I. fM Reconnue, Acte V, Se. iir. Cf. Acte I, Se. iv. 



Digitized 



by Google 



d26 DE LA PRECELLENCE 

dit des bestes, pour le latin Vestigia. Mais ceux 
qui ont escrit de cest art, disent que Traces ei Routes 
sont des bestes mordantes, comme sangliers et 
ours : mais Erres, des autres, comme cerfs, che- 
vreuls et daims : encore qu'aucuns aiment mieux 
les nommer Pries, ou Pieds. 

Quant à la Fauconnerie, je pense qu'elle nous 
fournit encore d'avantage de beaux termes et 
belles façons de parler, qui ont fort bonne grâce 
es lieux ausquels nous les accommodons. Et faut 
bien que cest art ait esté encore plus commun à 
nos prédécesseurs qu'il ne nous est, veu qu'ils 
nous ont laissé un langage tellement meslé et 
comme marqueté de ces mots, que nous en appli- 
quons aucuns à nostre parler ordinaire, sans nous 
appercevoir de leur origine. 

Qu'ainsi soit, entre tant de François, qui usent 
tous les jours de ces mots. Niais, (ou Niez) Hagard, 
Débonnaire, Leurré, bien peu prennent garde à leur 
premier usage, et s'apperçoivent qu'ils disent des 
hommes ce qui se dit proprement des oiseaux de 
proye. Et toutesfois tant s'en faut que ces mots, 
et autres, perdent leur grâce, estans ainsi trans- 
ferez d'un usage à un autre, qu'au contraire ils 
semblent l'avoir meilleure : mais elle ne peut 
estre bien goustee que par ceux qui ont quelque 
congnoissance de ceste noble science de Faucon- 
nerie. Car ceux-là sçauront que Niais {on Niez) se 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 127 

dit proprement du faucon, ou autre oiseau de 
proye qui est pris au nid, et n'ayant encore volé : 
auquel est opposé Hagard. Ils sçauront aussi que 
c'est Leurrer un faucon : et pourtant quand ils 
orront dire d'un homme, qu'il est leurré, sçau- 
ront bien que c'est à dire Desniaisé*. 

Quant à ce mot Débonnaire *, c'est celuy duquel 
l'origine pourroit estre encore moins recongneue : 
pource que de trois on n'en a faict qu'un, car on 
dit Débonnaire au lieu de dire de bonne aire, estant, 
par ce mot Aire signifié le nid de l'oiseau de 
proye. Or faut-il bien que Débonnaire ait une 
grande emphase, veu que nos ancestres, pour 
monstrer la bonne nature du roy Louys I. l'appe- 
lèrent (par forme de surnom) Débonnaire ou Le 
débonnaire : choisissans ce mot entre plusieurs, 
comme le plus convenable. Ce qui nous monstre 
la grande commodité qu'apportent à nostre lan- 
gage aucuns vocables tirez de ceste belle science : 
de laquelle commodité toutesfois est privé le lan- 
gage Italien, non moins que les autres. 

Du mot Hobreau on ne peut douter qu'il ne 
vienne de là, quand on dit d'un petit gentil- 
homme, et qui ha bien peu de moyen, Cest un 
hobreau, comme il me souvient avoir ouy dire, 

1. Ce mot n*est plus aujour- nyme de déniaisé serait plutôt 

d'hui synonyme de déniaisé, maintenant déluré, littérale - 

Voir rhistorique de Littré. ment qui ne se laisse plus 

Leurré signifle : trompé par tromper par le leurre. 

de vaines promesses. Le syno- 2. Cf. tiypomneses, 103. 



Digitized 



by Google 



428 DE LA PRECELLENCE 

par une autre sorte de métaphore, C'est un gentil- 
homme à simple tonsure. Mais voulontiers on dit 
Cest un hobreau, de celuy qui ayant peu de 
moyen, fait toutesfois quelque monstre d'en avoir 
beaucoup. Belleau a usé de ceste translation en ce 
passage d'une sienne Comédie : 

L'amoureux est dessus les erres 
De pouvoir tirer hors des erres 
Et des pinces de ce hohreau 
Les plumes de ce jeune oiseau *. 

A propos de ce que j'ay dict du gentilhomme 
qu'on appelle un hobreau, il me souvient qu'on dit. 
Il fait du tiercelet de prince*^ du gentilhomme qui 
veut enjamber pardessus le reng des gentils- 
hommes, et ha quelques façons qui sentent non 
seulement le bien grand seigneur, mais le prince, 
ou, pour le moins, le petit prince. Car, en faucon- 
nerie, le masle s'appelle Tiercelet, comme estant 
un tiers plus menu que la femelle : et se dit Un 
tiercelet de faucon^ au lieu qu'es autres espèces 
d'oiseaux de proye, ceux qui sont de moindre cor- 
sage, et ne différent autrement, retiennent le nom 
des autres, ayant seulement pris la forme de 
diminutif: (comme Sacret, de Sacre : et deLanier, 
Laneret, au lieu de dire Lanieret) ou bien sont 
appelez d'un nom du tout dissemblable : comme 

{ . La Reconnue, Acte V, Se. ii- 

2. Cf. Dialogues^ II, 66, et la note. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 129 

quand le masle de FEspervier est appelé Mouchet. 
Or est une chose non moins esmerveillable que 
notable, que presque en toutes les espèces d'oi- 
seaux de proye le masle est plus menu que la 
femelle, si non du tiers, (d'où j'ay dict que venoit 
ce mot Tiercelet) pour le moins de beaucoup. 

Nostre langage se sert, par métaphore, du nom 
d'un autre oiseau de proye, à sçavoir du Sacre. 
Car nous disons Cest un sacre, ou Cest un merveil- 
leux sacre, de celuy qui, en quelque lieu qu'il 
puisse mettre les mains, happe tout, rifle tout, 
racle tout, et, en somme, auquel rien n'eschappe. 
Et en ceci nous ne parlons pas sans raison, car 
aucuns tiennent le Sacre pour le plus hardi et vail- 
lant entre les oiseaux de proye : qu'on appelle 
aussi oiseaux de rapine. Quoy qu'il en soit, j'ay 
opinion que ce mot Sacre, ainsi que nous en usons 
par métaphore, peut signifier autant tout seul 
que ces trois d'Horace, Tempestas, Pernicies, Bara- 
thrum, où il dit : Tempestas, et perfiicies bara- 
thrumque macelH\ Plante, usant de mesme har- 
diesse que nous, a appelé un homme Accipiter : 
mais le traict est d'autant plus hardi qu'il adjouste 
un génitif (comme il est adjouste par Horace 
après ces trois vocables) disant Accipiter pecu- 
niarum^. Car, encore que la fauconnerie ne fust 



[thrumque macelli]. [in vide]. 

1. Pernicies et tempestas bara- 2. Pocuniœ accipiter, avide atque 
Épiires, I, xv,31. Persa, Ilî, m, 5. 



Digitized 



by Google 



J30 DE LA PRECELLENCE 

lors en usage, le naturel de l'oiseau nommé Acci- 
piter estoit comme en proverbe : lequel nom tou- 
tesfois on n'estime pas avoir esté baillé au Sacre 
seulement, mais aussi aux autres oiseaux de 
proye, ou pour le moins aux principaux. 

Prendre fessort, se dit d'un oiseau de proye, 
quand se laissant aller au vent, il vole plus haut 
qu'il ne doit : et de là vient qu'on dit d'un qui s'en 
est allé au haut et au loing. Il a pris Vessort. 

Tenir en ses serres, se dit proprement de quelcun 
de ces oiseaux quand il tient entre ses griffes 
quelque petit oiseau : (comme Belleau a dict au 
passage que j'ay allégué naguère. De pouvoir tirer 
hors des serres Et des pinces de ce hobreau) mais 
nostre langage use de ceste phrase, parlant de 
celuy qui tient quelcun en sa merci. 

Comme j'ay dict que nous avions pris Curée de 
la vénerie, aussi par une mesme façon de méta- 
phore prise de la fauconnerie, nous disons d'un 
qui recevra une grand' joye de quelque bonne 
aventure qui luy est survenue, Il en fera une gorge 
chaude *. 

Et à propos de ce mot Gorge, quand on dit Je 
ne vole point sur ma gorge, en refusant de danser, 
ou faire quelque autre exercice un peu violent, 

1. Depuis longtemps le mot duc de Saint- Aignan trouva 

s'est éloigné de ce sens et a l'aventure si plaisante qu'il 

pris celui de faire des plaisan- en fit une gorge chaude au 

teries sur tel ou tel sujet, lever du roi. » (Exemple cité 

Saint-Simon disait déjà : « Le par Littré.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 131 

incontinent après le repas, ceste façon de parler 
vient de ce mesme lieu. 

Tenir en mue, vient aussi de la Fauconnerie : 
comme il a esté escrit de quelque personnage, 
qu'il tenoit en mue une putain de haute gresse. 
Mais comme en ceci on suit Tune des significations 
de ce mot Mue, aussi suit on l'autre quand par 
moquerie on appelle La mue d'une femme, la peau 
nouvelle qu'elle se fait venir au visage, ayant 
faict consumer l'autre par le moyen de quelques 
drogues corrosives. 

Mais quant à ce qu'on dit par métaphore, Ceci 
nest pas de vostre gibbier *, aucuns estiment qu'il 
peut estre pris de la vénerie, aussi bien que de la 
fauconnerie : en ne s'arrestant à la première 
signification du mot Gibbier *. 

Nostre langage ne s'est pas contenté de prendre 
des métaphores de la Vénerie et Fauconnerie, mais 
en a pris aussi du naturel d'autres bestes que 



1. Montaigne dit (I, xxv) : sion de sens : « Gibier. Se 
« L'histoire, c'est mon gibier prend proprement en fait de 
en matière de livres, ou la faulconnerie pour tout oiseau 
poésie que j*ayme d'une parti- qu'on vole et prend, et Gibboier 
culière inclination. >. ou Gibbeyer, pour voler et 

2. Le sens du mot, en ancien chasser aux oiseaux, mais on 
français, était celui de chasse, l'estend aussi à toute beste 
et peut-être particulièrement poursuivie et prinse à la chasse 



de chasse au vol. Aller en gibier soitavecoiseauxouavecchiens, 

signifie aller en chasse, et Tex- et soit rousse soit noire. >• 

pression s'applique particu- Pour l'origine du 

îièrement à la fauconnerie, très incertaine, v( 

Mais Nicot constate une exten- naire de Scheler. 



Digitized 



by Google 



132 DE LA PRECELLENCE 

celles dont ces deux exercices peuvent donner la 
congnoissance. A Tun desquels toutesfois (à sça- 
voir à celuy de la Fauconnerie) il faut première- 
ment rapporter le mot Esmerillonné (duquel je n'ay 
point faict mention ci-dessus) pour signifier un 
homme fort vif, fort esveillé et remuant. On dit 
aussi, C'est un esmerillon^ en se servant du nom 
de l'oiseau : comme on se sert du nom d'un autre, 
quand on dit, C'est un sacre : mais pour signifier 
une chose bien différente : comme on peut con- 
gnoistre par ce que j'ay dict ci-dessus. 

Quant à Fureter^ par lequel mot est déclarée la 
nature du Furet, il peut bien estre mis entre les 
appartenances, sinon de la vénerie, au moins de 
ce qu'on appelle généralement Chasse. 

Et avant que sortir de ce propos, j'advertiray 
que nous avons des façons de parler qui sont pro- 
cedees d'une telle congnoissance de la nature des 
animaux, (ou pour le moins de quelque chose qui 
leur est peculiere :) lesquelles on trouve fort 
estranges (encore qu'on les entende aucunement) 
pource qu'on ne descouvre point leur origine. De 
ce nombre est ceste-ci, Cela est chordé, car ces 
mots sont souvent en la bouche du menu peuple 
de ceste ville de Paris, (et autresfois luy estoyent 
encore plus frequens) pour signifier qu'une chose 
a perdu sa saison, et qu'il ne la faut plus cher- 
cher. Il est vray que quelquesfois ils entendent 
simplement qu'on n'en trouve plus. Mais tant y-a 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 133 

que cela vient de ce qu'on a congneu la nature de 
la lamproye estre telle, que depuis qu'elle ha au 
ventre ce qu'on appelle une chorde, ce n'est plus 
un friand manger, quelque sausse qu'on luy 
puisse faire. Voyla comment^ estant la coustume 
de n'apporter plus des lamproyes depuis qu'elles 
se trouvoyent estre chordees, et par conséquent 
ne s'en trouvant plus, le menu peuple a retenu 
ceste façon de parler, de quelque chose que ce soit 
qui a perdu sa saison, ou son cours, et laquelle il 
ne faut plus chercher *. 

Nous avons aussi des mots faicts du nom de 
quelque beste, qui toutesfois représentent plus- 
tost quelle est ceste beste, qu'ils ne monstrent 
son naturel : (entre lesquels est Herissonner) quand 
on dit Se herissonner. Et est aussi beaucoup en 
usage le participe Herissonné, 

Je me garderay bien d'oublier la marine, j'en- 
ten, de monstrer comment nostre langage triomphe 
ici aussi bien qu'ailleurs : encore que je ne vueille 
amener en ce Project tous les exemples que je 
pourrois bien, mais reserver la plus grand'partie 
à l'œuvre entier. 

Mais pour le commancement de ceux que je 



i.D'açrèsLittré,rexpression près de la même façon, devien- 

s'emploie aussi « en parlant nent filandreuses, Littré cite 

de plantes, de racines. Voici aussi l'expression : * Et cordée 

le temps où les raves se cor- comme une lamproye. » (Go-^ 

dent. » Nous dirions, à peu quillart.) 

8 



Digitized 



by Google 



134 DE LA PRECELLENCE 

veux amener ici, pour monstrer comment nous 
usons métaphoriquement des mots aussi de la 
marine, (entendant pareillement Fart de naviguer) 
je prendray Calme, et Bonasse : et le contraire, 
Tempeste. desquels toutesfois je ne veux pas faire 
grand conte, (pource que les mots correspondans 
à ceux-ci es autres langues, sont pareillement 
appliquez à autre usage) mais seulement d'un 
mot Tempestalif. quand on dit un homme tempes- 
tatif. car il n'y a aucun langage ne de ceux qui 
sont, ne de ceux qui ont esté, qui puisse avenir à 
ceste métaphore. 

Nous disons S'embarquer, de celuy qui com- 
mance à mettre en exécution quelque entreprise, 
et principalement quand elle est d'importance. 

Nous disons aussi Son entreprise est venue à 
bon port, de celuy qui en a eu bonne issue, et en 
est venu à son honneur. 

Nous accommodons pareillement le mot Ancre 
à quelques usages, par translation, comme quand 
nous disons, Tay jette Vancre de mon espérance 
sur luy. On dit aussi Jetter Vancre de son repos. 
Et au lieu de dire Jetter Vancre, pouvons nous 
servir de Ancrer : et dire, Tay ancré mon espérance 
sur luy, Tay ancré-la mon repos, ou ma félicité. 

Or outre les mots et façons de parler que nous 
tirons manifestement de la marine, il-y en a qui 
semblent avoir ceste mesme origine, encore que 
quelques uns en puissent douter. Pour exemple : 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 135 

que ce mot Pointe soit un ancien terme des mari^ 
niers, il appert par le livre mesmemeht qui est 
intitulé, Le grand routier ^ pilotage et encrage de 
mer * ; tellement qu'il semble que ceste façon de 
parler, Poursuivre sa pointe, soit prise de là. Mais 
à propos du mot Routier, qui est en ce titre-la, il 
semble qu'on auroit plus de raison de douter tou- 
chant le mot Route, si la terre Ta pris de la marine, 
ou bien elle de la terre : quand on dit. Prendre la 
route d^Angleten^e, ou Tenir la route, quand aussi 
on parle ainsi, Ce vaisseau a esté jette hors de sa 
route, ou de sa droite route. 

Il me tardoit desjà que je vinsse aux jeux : 
c'est à dire, à ce poinct, de monstrer que nostre 
langage a bien sceu faire son proufit de tout : et 
pour trouver des métaphores non moins propres 
que récréatives, il en a tiré mesmement d'aucuns 
jeux ^ Mais je donneray le premier lieu à celuy 
de la paume : auquel on peut aussi dire la nation 
françoise estre plus addonnee qu'aucune autre : 
tesmoin le grand nombre de tripots qui sont en 



1. Grant routier et pilotage vieres et chenalz des parties et 

et enseignement pour ancrer régions dessus dictes avec ung 

tant es par tz^ havres, qu^autres kàlendrier et compost à la fin 

lieux de la mer, fait par Pierre dudit livre tresnecessaire à tous 

garde dit ferrande, tant des compaignons, et les jugemens 

parties de France, Bretaiqne, doleron touchant le fait des 

Angleterre, Espaig ne, Flandres, navires, 

et haultes Allemaignes, avec les 2. Cf. Hypomneses, Préface. La 

dangers des portz, havres, ri- même idée y est indiquée. 



Digitized 



by Google 



136 DE LA PRECELLENCE 

ceste ville de Paris. Et avons bien raison d'y estre 
plus addonnez, tant pour y estre plus habiles et 
adroits, que pour estre un exercice non moins 
beau et honneste que proufitable, et auquel ne 
doit estre accomparé celuy du palemaigle : n'en 
desplaise à Tltalie *. 

Or combienque les métaphores que nostre 
langage a sceu tirer des jeux, et notamment de 
celuy de la paume, ayent esté par moy appelées 
récréatives, si est-ce que je soustien que comme 
en se jouant, il exprime si bien nos conceptions, 
que ritalien, non plus que les autres langages, ne 
pourroit approcher de telle emphase. 

Nous disons donc, C'est à racler et à bander, 
quand nous voulons déclarer que c'est sans rien 
espargner, que c'est à faire du pis qu'on peut. 
Mais j'advertiray ici comme en passant, qu'il 
faut prendre garde de ne mettre l'un de ces mots- 
la devant l'autre : comme ceux qui disent, C'est à 
bander et à racler, car en mettant ainsi la charrue 
devant les bœufs, il faudroit dire aussi, je men 
vay bander pour racler. 

On nous oit aussi dire souvent. Que de bond 
que de volée : ce qu'on auroit grand peine de 
donner à entendre à un qui n'auroit point veu 
jouer à ce jeu. 

1. Maintenant que la mode jeux français, ce sont les mots 

a introduit en France les jeux anglais qui dominent dans la 

anglais, qui souvent ne diffè- désignation des jeux : foot- 

rent que bien peu des anciens 6a//, tennis, etc. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 137 

Quand on dit, Il joue pardessus la chorde, c'est 
ce qu'on dit autrement, // joue au plus seur, ou. 
Il joue à bonne veue. 

Voici une façon de parler laquelle est aussi des 
belles, Je ne veux pas courir après mon esteufy de 
celuy qui pareillement veut jouer au plus seur. 
Comme si on disoit, Je ne me veux pas arrester 
à une chose incertaine. 

Si ceste-la est belle, ceste-ci encore d'avantage, 
Marquez bien ceste chasse : au lieu de dire, Prenez 
bien garde à ce poinct duquel je vous adverti. 

De ce jeu est pris aussi le mot Naquet, en ceste 
façon de parler, // pense faire de moy son naquet. 
Et de ce nom Naquet vient le verbe Naqueter : 
duquel on use quand on dit, Vous me faites naque- 
ter après vous. 

Je m'asseure que quand messieurs les Italiens 
ne confesseront la debte en aucun autre endroit, 
(ce que toutesfois par raison ils devront faire en 
plusieurs) pour le moins la confesseront-ils ici. 

Et toutesfois, s'ils veulent dire la vérité, ils 
^jn'accorderont aussi que combien que souvent ils 
puissent avoir besoin d'exprimer telles choses, 
ils n'oàt rien pour mettre en la place qui soit ne 
tant etnphatique, ne de si bonne grâce. Je sçay 
bien qu'ils empruntent quelques métaphores du 
jeu des eschets : mais nous les pouvons avoir 
aussi bien qu'eux, puisque ce jeu nous est com- 
mun. ^ 

8. 



Digitized 



by Google 



i38 DE LA PRECELLENCE 

Ici je prieray le lecteur considérer combien il 
faut que nostre langage soit riche en tous les 
endroits dont il emprunte tant de beaux mots et 
tant de belles façons de parler, pour les accom- 
moder à autre usage (ce que les Grecs appellent 
Parler par métaphore) veu qu'il n'y a que les 
riches qui puissent beaucoup prester. Et ne faut 
trouver estrange ce mot d'emprunt en cest endroit, 
encore qu'en ce faisant il ne prenne rien hors de 
sa seigneurie. Car ayant richement pourveu 
chacun endroit des termes qui luy conviennent, 
quand après il en prend quelcun pour le faire 
servir à quelque autre usage, c'est à la charge de 
le rendre : et pourtant, j'appelle cela emprunter. 
Pour exemple donc de ce que je vien de dire, le 
lecteur doit considérer comment nostre langage a 
richement pourveu sa vénerie et sa fauconnerie 
des termes qui luy sont convenables : veu qu'elles 
ont moyen de luy en prester si grand nombre, 
choisi parmi un qui est plus grand sans compa- 
raison. 

Mais on se pourra esmerveiller que je ne fay 
aussi mention des termes que nostre langage 
choisit en chacun de ces ars ou mestiers *, pour 
s'en servir en la mesme façon que des prece- 

1. Cf. E. Pasquier, Lettres. H, les notes de ce chapitre, dans 

XII. — Brunot, La doctrine de lesquelles se trouvent plusieurs 

Malherbe d'après son Commen- indications utiles relativement 

taire sur Desportes^ p. 305, et aux mots techniques. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. i 39 

dens : asçavoir par métaphore. Je respon premiè- 
rement, que quand je ne proposerois qu'un seul de 
chacun, ce seroit une chose fort longue : et en 
second lieu que les ars par lesquels on fait une 
mesme sorte d'ouvrage, n'estans par tout sem- 
blables (aumoins totalement), les métaphores ne 
pourroyent estre entendues par ceux qui ont des 
ars differens. Au reste, encore que je confesse 
que les autres nations ont aussi bien des ars, ou 
mestiers, je ne veux pas confesser qu'elles en 
ayent si grand nombre : exceptant seulement 
TAlemande quant au fer : duquel elle s'aide si 
bien et en tant de sortes d'ouvrages, que j'estime, 
les Italiens, pour ce regard principalement, dire 
(comme par forme de proverbe joyeux) que les 
Alemans ont l'esprit aux doits. Je nie aussi que 
les mestiers que les autres nations ont semblables 
aux nostres (ou à peu près) soyent semblable- 
ment fournis de mots nécessaires pour exprimer 
tout ce qui appartient à iceux. 

Et à fin qu'il ne semble qu'il y ait plus de 
vanterie en ce propos que de vérité, je veux 
amener un exemple de ce que j'ay dict : et 
d'autant que je sçay qu'il n'y a presque pays où 
on ne face de la monnoye (ce que nous appelons 
Forger de la monnoye ou Batre de la monnoye) je 
prendray ce mestier pour exemple de la richesse 
que j'attribue à nostre langage. Je di donc que ce 
mestier estant divisé en beaucoup de parties (c'est 



Digitized 



by Google 



140 DE LA PRECELLENCE 

à dire, en plusieurs sortes de manifacture) on ne 
trouvera aucune destituée d'un nom fort conve- 
nable et propre : asseurant le mesme touchant les 
noms des matières dont la monnoye doit estre 
faicte, et les instrumens dont il se faut servir : 
et adjoustant cela encore touchant un troisième 
poinct : à sçavoir touchant ce que tirent les ouvriers 
pour leur loyer, et le prince pour son droit. 

Pour commancer par la matière, ils ont (outre 
le nom qu'ha chacun métal quand il est à part) 
Billon eiAloy. Ils ont aussi Grenaille, qui estbillon 
ou quelque métal à part, qu'on retire de Teau après 
qu'on l'a jette dedans tout chaud, au sortir du 
creuset. Et est nommé Grenaille, pource qu'ordi- 
nairement il est en grains. Mais Culasse, c'est une 
masse d'or ou d'argent fondue dedans un pot, ou 
«n creuset, et qui retient encore la forme du cul 
de pot. Il-y-a aussi d'autres noms qu'on donne à 
la matière dont on se veut servir, selon qu'on l'a 
accoustree et préparée : ainsi qu'on verra par ce 
-qui suit touchant la manifacture. 

Car, quant à ceste manifacture, il faut com- 
mancer par Allie7^ (qui est mesler ensemble les 
>metaux, selon la loy* donnée par le roy.) Apres 



1. C'est bien sans doute la tré), est le substantif verbal de 

.loy qu'H. Ëstienne a voulu aloyer, mettre en conformité 

dire, mais nous dirions aujour- avec la loi. 11 y a eu longtemps 

d'hui Valoi. Ce substantif, très confusion entre l'aloi et la loi, 

.ancien en français (on le ren- et l'on a même cru autrefois 

contre au xm* siècle; voir Lit- que Valoi était une forme cor- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 141 

quoy il faut Fondre (j'enten fondre ces metaux-la 
ensemble.) Puis ce qui a esté fondu il le faut 
JeUer en rayaux (et sont Rayaux des pièces longues 
et estroites qui se font ou dedans des moules, ou 
sur des tuiles de fer qui sont rayonnees en une 
certaine longueur). Lesquels rayaux on taille 
en quarreaux : car les rayaux estans portez à 
l'ouvrier, il les couppe en pièces approchantes 
assez près du poids duquel doit estre la monnoye 
qu'il veut forger : et pource qu'elles sont ordinai- 
rement quarrees, on les appelle Quarreaux. Les- 
quels il faut battre^ flattir^ elizer, rechausser et 
bouer. duquel dernier mot on use, quand on les 
refrappe sur les coins pour les arrondir. Et ces 
carreaux arrondis sont appelez Flaons : lesquels 
estans blanchis, sont baillez pour estre croisez, 
quand on y met la figure de la croix : ou (pour 
parler plus généralement) sont marquez, quand 
on y met telle figure qu'il plaist au prince. Ce 
qu'on appelle Monoyer les flaons : les monnoyeurs 
estans aussi appelez Croiseurs et Marqueurs : qui 
sont noms plus particuliers. Apres tout ceci, le 
flaon, qui n'estoit qu'une pièce de métal applatie 
et arrondie, prend le nom de monnoye et Ae denier, 
suivant ce qu'on dit Denier escu. Denier teston. 

Quant aux instrumens, outre ceux qui ont des 
noms qui sont aussi ailleurs, et dont on se peut 

rompue (V. l'historique de Lit- coup plus probable que le 
Iré, au mot aloï). 11 est beau- contraire a eu lieu. 



Digitized 



by Google 



142 DE LA PRECELLENCE 

aviser (entre lesquels est Creuset) il-y-a Eschope 
(d'où vient Eschopelure, signifiant la pièce qu'on 
levé d'un métal par cest instrument.) Plus Cippeau 
(qui peut sembler estre tiré du Latin Cippus). Item 
Coupelle (d'où vient qu'on dit Argent de coupelle). 
Plus Mate7'a$, qui est une fiole ayant le col ou bec 
fort long : dedans lequel on met de l'eau forte, 
pour espurer l'or aux essais. Et ceste fiole est 
ainsi appelée pour ce qu'elle resemble à une sorte 
de flesche dicte Materas. Ils ont aussi Deneral, qui 
est le poids contre lequel l'ouvrier adjouste ses 
quarreaux, après qu'il les a taillez. 

Quant au troisième poinct, il-y-a premièrement 
Traite^ qui se dit de ce que prend le roy tant pour 
son droit que pour le payement des ouvriers et 
monnoyeurs : mais ce qui luy reste, eux estans 
payez, s'appelle Seigneuriage. comme aussi Mon- 
noyage est le salaire du monnoyeur : qui est comr 
pris sous un gênerai mot Brassage. Car Brassage 
c'est le salaire qu'on baille au maistre qui fait la 
monnoye, lequel distribue ce salaire en trois : 
à sçavoir une partie à l'ouvrier qui taille, forge et 
arrondit les pièces pour faire monnoye : une autre 
partie au monnoyeur, qui est celuy qui marque 
ces pièces : la troisième partie luy demeurant pour 
sa peine des fontes et alliages. 

Encore y-a-il des termes que je n'ay point com- 
pris sous aucun de ces trois poincts. car on 
appelle Moufle une pièce de terre ou de fer qui est 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 143 

en voûte, pour couvrir le creuset, afin que le 
charbon du fourneau ne tombe point dedans. On 
appelle Brève la quantité de l'ouvrage qu'on ha 
accoustumé de bailler à l'ouvrier ou monnoyeur 
pour forger, et ce nom vient de ce qu'elle est 
escrite en bref en un billet. Ils usent aussi de ce 
mot Différent pour signifier une petite marque 
qu'un maistre de monnoye met en quelque coin de 
la pièce pour discerner son ouvrage d'avec celuy 
d'un autre. Aussi est appelée de ce nom la lettre 
qu'on met pour faire congnoistre la ville où la 
monnoye a esté forgée : comme A est pour Paris, 
B pour Rouan, M pour Toulouze*. La légende^ c'est 
l'escriture qui est à l'entour de la monnoye. Je 
n'oublieray aussi ce terme, Pièce poictreuse : (par 
syncope, au lieu de Poictrineuse^ comme si on 
disoit pectorosa) quand elle est relevée par le 
milieu, et menue par les bords. Ce qui est un vice 
es pièces, car estans telles, ne se peuvent pas si 
bien presser l'une sur l'autre. 

Le précèdent discours sera comme un eschan- 
tillon, par lequel pourra le lecteur juger combien 
nostre langage est riche : quand bien il n'auroit 
autre richesse que les termes qu'il a appropriez à 
chacun raestier. Quant à moy, je ne doute point 
que s'il avoit amassé ensemble ceux de tous ses 
mestiers, et celuy des Italiens en avoit faict autant 

1. La liste de ces marques est donnée dans les Bigarrures 
de Tabourot des Accords. 



Digitized 



by Google 



144 DE LA PRECELLENCE 

des siens, il ne se trouvast aussi povre que le 
nostre se trouveroit riche. Mais je prieray le lec- 
teur de considérer en ce discours encores une 
autre chose : à sçavoir comment nostre langage 
sçait aussi de ses vieux mots en faire qui semblent 
nouveaux, par le moyen de ce que les Grecs appe- 
loyent paragôge. car nous avons des exemples de 
ceci en ces mots precedens, Monnoyage^ Brassage 
(qui vient de bras : comme signifiant Le salaire qui 
est deu pour le labeur des bras) Seigneuriage. 
Aussi est remarquable la paragoge qui est en Gre- 
naille, Par le moyen d'elle (toutesfois avec quelque 
différence) est dict ce mot Poictreuse : veu qu'il 
est faict de Poictrine, et pourtant est dict pour 
Poictrineuse, par syncope, comme j'ay adverti ci 
dessus. Il void pareillement comme de Eschope 
nostre langage déduit Eschoj)elure : qui est une 
déduction qui n'ha rien d'extraordinaire. Il peut 
voir aussi comment il se sçait aider de méta- 
phore, quand il est besoin : ayant en Matras un 
bel exemple de ceci. Au reste, comment la langue 
Latine ne luy refuse rien : mais en ce qu'il prend 
d'elle, il use de quelque petit desguisement : de 
sorte que de prime-face il ne peut pas estre reco- 
gneu. Dequoy nous avons exemple en Elizer. car 
il ne faut point douter qu'il ne vienne de Elidere : 
et pourtant quElezer (comme aucuns prononcent) 
ne doive estre rejecté *. Exemple aussi en Cippeau, 
i. Cette étymologie est peu vraisemblable, et la proncm- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 145 

tiré de Cippus. Quanta CoMjoe//e, puisqu'il vient de 
Cupella^ Torigine est plus aisée à recongnoistre que 
des deux autres. Mais pour conclusion de ce 
propos, le lecteur peut juger par la considération 
des diverses sortes des termes precedens, apparte- 
nans au mestier de faire de la monnoye, qu'il 
nest rien impossible à nostre langage, non plus 
en ce qui concerne les mestiers, qu'en toute autre 
chose. 

Toutesfois je veux encore, comme d'abondant, 
monstrer comment nostre langage a sceu tirer de 
ce mestier des façons de parler proverbiales, qui 
sont de bonne grâce : et principalement quand elles 
sont bien entendues. De la monnoye donc vient 
ce qu'on dit. Cela est de mise, ou Cela nest pas de 
mise, qui ha plusieurs usages, par métaphore : 
mais le plus gentil est, quand on dit d'un propos 
qui n'ha aucune apparence, ains est du tout extra- 
vaguant. Ce propos nest pas de mise. 

C'est un fin à dorer se dit aussi ordinairement : 
mais ceux qui n'entendent l'origine de ceste façon 
de parler la corrompent, disans. C'est un fin adoré. 
Car Fin à dorer se dit proprement de l'or qui est 
si fin qu'on s'en peut servir pour dorer : à quoy 
toutesfois il est requis d'employer du plus fin : 

dation blâmée par H. Estienne leissier, elaissier, et le sens du 

est la prononciation primitive, verbe, sous ces diverses formes, 

On trouve en effet dans les est celui d'élai^gir, étendre (V. 

anciens textes es laisier, es lester, les exemples dans le diction- 

eslessier, elaisier, eslaissier, es- naire de Godefroy). 

PRECELL. DU LAMOAGC FRANÇOIS. 9 



Digitized 



by Google 



146 DE LA PRECELLENCE 

tellement que, quand on dit d'un homme qu'il est 
fin à dorer, il faut entendre qu'il est superlative- 
ment fin *. 

Nous avons aussi un Comme pris de ce mesme 
lieu, comme chacun peut voir, pour ce que ce 
Comme est appliqué à une comparaison où il est 
faict mention de la monnoye. car on dit Cela est 
descrié comme la vieille monnoye, de ce qu'on pour- 
roit dire autrement (mais sans user de phrase 
proverbiale) Cela n'est plus en estime, ou. Cela a 
perdu tout son crédit, ou, Cela n'ha plus la vogue, 
ou. Cela n'est plus de requeste. ou, Cela a perdu sa 
saison. Que le Latin diroit, Hoc obsolevit. Mais j'ad- 
jousteray, qu'on se pourroit esbahir pourquoy en 
ce proverbe on fait mention du descriement de la 
vieille monnoye : veu qu'ordinairement la plus 
vieille est la meilleure : (comme aussi du temps des 
Grecs et des Rommains on la deterioroit peu à peu 
plus tost qu'on ne la melioroit) et, qu'ainsi soit, 
on l'aime beaucoup mieux pour la fonte que la 
nouvelle. J'ay donc opinion que ce proverbe soit 
demeuré depuis quelque roy qui tout en un coup, 
fit descrier toute la monnoye de ses prédécesseurs. 



1. Rabelais (II, xvi) dit de Pa- sion. « Fin à dorer signifie 

nurge : « Et pour lors estoit de trompeur, vaurien. Rabelais 

l'eage de trente et cinq ans ou veut dire sans doute que Pa- 

environ, fin à dorer comme nurge était à la fois fin et 

une dague de plomb... » A pro- mauvais : une dague doit être 

DOS de cette phrase, l'édition fine pour qu'on la dore; mais, 

Burgaud desMarets etRathery si elle est de plomb, elle n'en 

interprète autrement Fexpres- vaut pas la peine. «• 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 147 

Quant à ce proverbe, // est des bons, il est marqué 
à rA\ il sent plus son menu peuple, que les autres : 
il est toutesfois fondé sur quelque raison, ou pour 
le moins apparence de raison. Car (comme j'ay 
dict ci-dessus, parlant de ce moi Différent) la mon- 
noye faicte à Paris est marquée d'un A (comme 
celle de certaines autres villes ha d'autres lettres 
pour sa marque), et on ha opinion qu'elle soit la 
meilleure : laquelle opinion vient de ce qu'on 
pense qu'il y-ait plusd'esclaireurs. J'acheveray ce 
discours par une façon de parler qui est allégo- 
rique (afin que le lecteur voye comment nous en 
avons de toutes sortes) car quand on veut donner 
à entendre en termes couverts que quelcun a faict 
de la fausse monnoye, on dit, // a baillé un 
soufflet au roy. 

/ Or quand bien nos compétiteurs nous pour- 
f royent monstrer qu'ils sont aussi bien fournis de 
tous mestiers que nous, pour toutes sortes de 
manifacture, et que ces mestiers n'ont moindre 
provision que les nostres de beaux termes : aucuns 
desquels leur langue transfère à quelqu'autre bel 
usage, ou à quelque façon de parler proverbiale : 
nous leur dirions (et à bon droit) qu'encore n'au- 
royent-ils rien faict, s'ils ne faisoyent plus fort. 
Car nous avons, outre ces mestiers tant diffe- 



1. Voir Quitard, Dictionnaire des proverbes, 1. 



Digitized 



by Google 



148 DE LA PRECELLENCE 

rens, certains offices appartenans à la police : 
comme de vendeurs de vin, de vendeurs de marée, 
de vendeurs de bestail, et autres offices, qui ont 
aussi leur cas à part, quant à certains termes : 
dont aucuns sont beaux au possible. 

Et à propos de la police, s'il falloit que nos com- 
pétiteurs exprimassent en propres termes de leur 
langage plusieurs choses qui la concernent, par 
où commanceroyent-ils? Comment exprimeroyent- 
ils ce que nous appelons Police \ei Ville bien poli- 
cée ? car ils n'ont pas eu tel crédit envers le langage 
Grec que nous, pour impetrer ces mots de luy : au 
contraire, il n'y-a nulle doute qu'il ne soit fort 
offensé de ce qu'ils ont appliqué son vocable tant 
excellent à une chose si différente et qui n'est 
d'aucune importance *. 

Mais encore seroit-ce bien pis quand il leur fau- 
droit trouver des termes appartenans au faict de 
la justice autant que nous en aA'^ons. Entre les- 



1. Le français moderne ne sance d'argent ou autre chose, 
donne plus à police le sens billet, mandat. Le mot italien 
que lui donnait H. Estienne polizza signifie cédule, billet, 11 
et que le mot a conservé long- est à rapprocher de notre mot 
temps après lui. « Quoi! depuis police dans les expressions 
que vous êtes établis en corps comme police d^assurance M^is 
de peuple, vous n'avez pas d'après Diez, ni le mot fran- 
encore le secret d'obliger tous çais employé dans ce sens, ni les 
les riches à faire travailler tous mots espagnol ou italien n'ont 
les pauvres? vous n'en êtes rien de commun avec iroXtTSÎa. 
donc pas encore aux premiers II les rattache au latin pollex, 
éléments de la police? » (Vol- pollicis^ qui dans la basse lati- 
taire dans Littré.) ni té aurait signifié sceau, puis 

2. En espagnol, po/isa signifie par extension pièce munie d'un 
contrat de garantie, reconnais- sceau, (Voir Scheler.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 149 

quels je ne veux comprendre ceux qui concernent 
l'extravagante chiquanerie (à Dieu ne plaise) 
mais enten seulement ceux dont usent aussi les 
cours de Parlement, et qui sont nécessaires pour 
rapporter leur procédure à Tancienne jurispru- 
dence : en ce à quoy la coustume n'a desjà 
pourveu. Il est certain qu'aucuns de ces termes 
sont tels, que la langue Latine mesmement se 
trouve fort empeschee à en dire autant en un mot 
(comme je monstreray par exemples une autre 
fois) tant s'en faut que l'Italienne en pust venir 
à bout : veu qu'en traduisant de nos histoires, elle 
ha desja fort affaire à sortir de quelques passages, 
pour ne pouvoir trouver des mots respondans à 
certains des nostres. 

Et pour monter encore plus haut, que feroit 
leur langage parmi les affaires d'estat, tels que 
ceux de ce royaume? ne faudroit-il pas souvent 
qu'il fist le muet? Pour le moins je m'asseure que 
les plus grands négociateurs d'entr'eux se trouve- 
royent bien empeschez, quand il leur faudroit en 
leurs despesches user de façons de parler non 
moins succinctes que graves, non moins claires 
que succinctes : et telles (pour éviter une longue 
description) qu'on les voit aujourdhuy sortir de la 
plume de messieurs les secrétaires d'estat : les- 
quels, conservans l'honneur de nostre langage, 
monstrent bien (toutes et quantes fois que bon 



Digitized 



by Google 



150 DE LA PHECELLENCE 

leur semble) qu'il n'ha ainsi besoin des autres 
vulgaires, comme eux ont besoin de luy *. 

Or peut estre que nos compétiteurs, se voyaïi^ 
pressez, confesseront que nostre langue "^ 
quelque avantage pardessus la leur quant aux 
termes appartenans aux choses dont je vien de 
faire mention; mais le nieront quant à ceux des 
mestiers : desquels ils diront que les villes 
moindres peuvent estre autant bien fournies que 
les plus grandes, estans pareillement accompa- 
gnez de leurs termes aussi bien en celles-là 
qu'en celles-ci. Mais je ne leur accorderay pas 
cela : ains diray que comme les ouvrages qui se 
font es grandes villes sont meilleurs que ceux qui 
se font es petites, aussi ne faut douter que les 
mestiers ne soyent-là plus perfaicts, ou, pour le 
moins, approchans d'avantage de perfection : et 
par conséquent fournis de plus de sortes d'instru- 
mens. dont aussi il s'ensuit que le nombre des 
termes qui les doivent accompagner soit plus 
grand. Et quant à ce que je di de la différence 
qu'il y-a entre les manifactures des grandes villes 
et celles des petites, je m'aideray de l'auctorité 
d'un grand personnage, asçavoir Xenophon : car 



1. On sait que depuis le traité Rivarol : Discours sur Vuniver- 

«le Nimègue le français est la salité de la langue française, 

seule langue employée dans les 1784, ouvrage qui fut couronné 

relations diplomatiques. Voir par l'Académie de Berlin. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 154 

ceste proposition est sienne, en son huitième 
livre de l'Institution du roy Cyrus *. Où il adjouste 
aussi sa raison, car il dit qu'es petites villes un 
fait plusieurs mestiers ensemble, et encores à 
grand'peine peut-il gangner sa vie : es grandes, 
à cause de la grande multitude, c'est bien ce que 
chacun peut faire que de fournir à un mestier : et 
encore quelquesfois ne le fait pas tout entier, mais 
un fait une partie de ce qui appartient à ce mes- 
tier, laissant le reste à un autre, comme (dit-il) on 
verra quelquesfois que de deux ouvriers l'un ne 
fait que des souliers d'hommes, l'autre, que des 
souliers de femmes : et en quelques lieux le mes- 
tier de l'un sera les tailler, de l'autre, les coudre. 
Lequel endroit de Xenophon (ce que je diray en 
passant) peut faire penser qu'il s'estoit trouvé en 
quelques villes, ou pour le moins en quelque ville, 
où la multitude estoit encore plus grande qu'à 
Paris : lequel toutesfois est estimé ne céder 
aujourdhuy à ville du monde, quant à estre bien 
peuplé. Quoy qu'il en soit, pour le moins il con- 
ferme ce que j'ay dict : tellement qu'il faut que 
nos compétiteurs me l'accordent. 

Si donc ils veulent en la fin passer plus outre, 
et confesser franchement la vérité (comme Awo- 
mini da bene), et dire qu'ils sçavent bien leur lan- 
gage n'estre pourveu, comme le nostre, des 

1. VllI, II, 0. 



Digitized 



by Google 



152 DE LA PRECELLENCE 

termes requis es choses maintenant mention- 
nées : mais adjoustent que si leur Italie èust esté 
une France, et leur Venise ou Milan eust esté un 
Paris (où le gouvernement d'un petit monde et 
les tant diverses actions et façons de vivre requiè- 
rent plus grande diversité de termes), leur lan- 
gage eust eu aussi bonne provision que le nostre : 
je leur nieray formellement ce poinct. 

Car je di que leur langage n'est si heureux à 
forger des vocables que le nostre : lequel de toute 
ancienneté a imité aucunement la liberté des 
Grecs, en ce qui concerne la composition des 
mots : voire jusques à faire ceste Imitation en 
aucuns de mesme signification. Pour exemple, ce 
que les Grecs disent Prodromos, nous l'appelons 
avantcoureur *, usans d'une composition du tout 
semblable. Pareillement ce qu'ils disent Kaxomri- 
chanos nous l'exprimons par ce vocable composé 
songemalice *. 

Mais quant à ce poinct, et plusieurs autres 
appartenans à ce que je vien de mettre en avant, 

1. Avant-coureur est un com- ses de ce genre sont extrême- 
posé formé d'un adverbe déter- ment fréquents. Voir Darme- 
minant et d'un substantif dé- steter, ouvr. cité, p. 168 et 
terminé, comme avant-garde, suivantes, en particulier p. 218 
arinère-cour, etc. Voir A. Dar- et p. 224. La Pléiade a formé 
mesteter, De la formation des beaucoup de composés de ce 
mots composés en français, genre. Ronsard emploie : aime- 
2* édition, revue par G. Paris, laine, aime-fil, atme-rochersy 
p. 151. brise- tombe f couvre - cerveau, 

2. Songe-malice est un com- mange-sujet, ronge-poumon, etc. 
posé formé d'un impératif et Voirie Lexique de Ronsard, pa.r 
d'un complément. Les compo- Mellerio. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 153 

je les renvoyray au livre que j'ay intitulé, De la 
conformité du langage François avec le Grec : et 
les prieray de considérer encore une autre chose : 
à sçavoir, comment nostre langage a bien sceu 
s'aider de quelques petites particules Latines pour 
faire des excellens verbes composez. L'une 
d'icelles est Foras, car quand (pour exemple) de 
Voye il eut faict Envoyer ^ Renvoyer, Convoyer, il 
adjousta Forvoî/er, comme si on disoit Aller for la 
voye, estant For pour Foras : comme si on disoit 
Foras viam ire. Et faut noter que ce For, mesme- 
ment sans estre en composition, ha ceste signi- 
fication en quelques pays des lisières de France. 
Ainsi donc a esté faict aussi Forligner : ainsi For- 
clorre, fort usité en la prattique *. Tel est aussi For- 
conter : quand on dit Se forconter et Un forconte. 
Autant en faut-il dire de Forsené : auquel on pren- 
droit encore moins garde qu'aux precedens. car 
c'est celuy qui est for du sens, c'est-à-dire, hors^ 
du sens : en usant de ce For comme j'ay dict qu'on 
en usoit en quelque lieu. Et s'il plaist à nostre 
langage faire la recherche de ses anciens mots, il 
trouvera de fort beaux composez de ceste mesme 
sorte * : entre lesquels seront Forjuger, pour Mal 

1. Voltaire regrette forclos, forbatre, forbeverie (excès de 
« Ce mot très expressif n'est boisson), forboter (mettre de- 
demeuré qu'au barreau. » (Cité hors), forchargier, forchaucier 
par Godefroy.) (fouler aux pieds), forcomman- 

2. Estienne aurait pu citer der (contraindre), forcorre, etc. 
un grand nombre de vieux (Voir le Dictionnaire de Gode- 
mots : entre autres, forbanir, froy.) 

9. 



Digitized 



by Google 



154 DE LA PRECELLENCE 

juger : F or conseiller, pour Mal conseiller : lequel 
mot ayant trouvé un certain moine, et ayant 
voulu comme représenter la figure d'iceluy a 
(lict Forconsiliare. Entre ses anciens vocables il 
trouvera aussi Forpayser, pour Errer hors son pays. 
(Foù vient qu'en vénerie on use encor de ce mot 
quand on parle d'une beste qui s'eslongne du lieu 
de son repaire, et se jette aux campagnes. Il y 
trouvera pareillement quelques Noms : comme 
Formariage, dict du mariage qui est faict contre la 
la loy ou la coustume. Et à propos des Noms faicts 
par une telle composition, nous en avons aussi 
qui sont plus communs que le Verbe duquel ils 
viennent. Car nous usons de F or faict et de Forfaic- 
ture, Forfaicteur, plus souvent que de Forfaire. 
Geste sorte de composition considérée nous peut 
faire entendre des mots, qui autrement nous pour- 
royent donner beaucoup de peine. Entre lesquels 
est Forbeu. car un cheval forbeu c'est celuy qui a 
beu ayant trop chaud, et pourtant a beu for le 
temps qu'il devoit boire. Aussi voyons-nous qu'il 
y-a grande apparence d'escrire Forbourg, plustost 
que Faux-bourg, car ce qu'on appelle ainsi, est for 
le bourg: (c'est-à-dire, extra burgum), en prenant 
ce mot en la signification qu'il ha en son dérivé 
Bourgeois. Or veux-je bien advertir le lecteur, 
quant aux vocables precedens, que For en aucuns, 
(à sçavoir, en Forfaire, F or conseiller, Forjuger, 
Formariage) se prend tellement pour Mal, qu'il ne 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 155 

laisse pas d'estre rapporté à ceste première signi- 
fication, comme (pour exemple) Forconseî7/er, c'est 
Mal conseiller : pource que celuy qui conseille ce 
qui est hors de raison, conseille mal. 

Mais le principal poinct pour lequel je désire 
que le lecteur considère ceste composition, et 
quelques autres que je luy proposeray quand je 
mettray en lumière Tœuvre entier, c'est pour luy 
monstrer que nous pouvons encore forger des 
mots , en un besoin , à l'imitation de ceux-là : 
après avoir descouvert comment ceux-là ont esté 
foirez. Et di (pour exemple) que comme nous 
trouvons avoir esté dict F or conseiller, Forjuger, 
pour Mal conseiller. Mal juger, et que nous usons 
encore aujourd'huy de For faire, pareillement pour 
Mal faire : aussi je ne doute point que nous ne 
puissions dire Forparler *, pour Mal parler : voire 
qu'il n'ait esté dict. Or pourroit estre mis ce mot 
en la place de l'Italien Straparlar. 

Quant aux mots qui sont appelez Noms, nous 
sommes encores en plus beau chemin, s'il nous 
plaist d'en forger de nouveaux par composition : 
veu mesmement la prérogative que nous donne 
ceste ancienne imitation de quelques composez 
Grecs, dont j'ay faict mention naguère. Car si 
nos ancestres ont pris ceste liberté et hardiesse 
d'imiter certaines compositions de la langue 

1. Godefroy ne donne pas forparler. Lacurne le cite d'après 
Cotgrave et Oudin, 



Digitized 



by Google 



156 DE LA PRECELLENCE 

Greque, jusques à rendre mot pour mot : comme 
Avantcoureur^ pour ProdromoSy et Songemalice, 
pour Kaxom7\chanos : (et ne doute point que Son- 
gec7'euxna,ii esté faict pour respondre pareillement 
à quelcun des leurs) * aurions-nous pas trop peu de 
courage si nous demeurions en si beau chemin? 
Car ce que nos ancestres ont faict en ceux-ci, ils 
l'ont faict aussi en autres (comme j'ay monstre 
ailleurs) je di quant à représenter la composition 
Greque. De quoy j'adverti pourceque quant à 
ceux-ci, je confesse que si les Latins avoyent 
aussi bien des mots respondans k Songemalice et à 
Songecreux, comme ils en ont un qui respond à 
Avantcoureur, on pourroit dire que nous aurions 
imité leur composition, non pas celle des Grecs : 
mais outre ce que nous avons d'autres exemples 
de telle imitation es Noms, quelques Verbes aussi 
nous en fournissent, entre lesquels est Contrefaire. 
car on sçait bien que les Latins n'ont point de 
mot auquel cestuy-ci puisse respondre, comme il 
respond au Grec Parapoiein. Aussi les Italiens ont 
faict ici comme en plusieurs autres endroits où 
ils se sont veus destituez de l'aide des Latins. 



1. n est presque inutile de développement, et d'ailleurs, 

faireremarquer que si cemode dans la plupart des composés 

de composition s'est développé grecs, dans xaxojjirixavoc par 

dans notre langue et y est exemple, le rapport des élé- 

toujours vivant, c'est qu'il était ments composants n'est pas du 

conforme aux tendances natu- tout le même que dans ceux 

relies du français. Le grec n'a de notre langue. (Voir Darmes- 

eu aucune influence sur ce teter, Mots composés.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 157 

car, ayans recours à nous, ont contrefaict nostre 
Contrefaire, en disant Contrafare, 

Cela donc estant posé, que nos ancestres nous 
ont monstre comment il faloit imiter les compo- 
sitions Greques, je di que nous aurions bien faute 
de cueur (encore que nostre nation ait plustost 
faute de toute autre chose que de cela), si nous 
ne poursuivions nostre pointe. Et pour venir aux 
exemples, je di, à propos du mot Ancestres, dont 
je vien d'user, que comme ainsi soit qu'eii 
Bisayeul nous imitons la composition Greque- 
Dipappos, non pas la Latine Proavus : nous serions 
trop peu hardis si, comme nos prédécesseurs ont 
îdiiciBisayeul de Dipappos, nous n osions faire Tri- 
sayeul de Tripappos\ veu mesmement qu'en ce 
aussi que nous disons Mon grand père et Ma grand' 
mère y pour Mon ayeul et Mon ayeule, nous suivons^ 
les Grecs. Je ne di pas cependant que les Latins- 
n'ayent aussi suivi ceste langue en leur Proavus : 
veu qu'elle ha aussi Propappos, lequel est mesme- 
ment plus usité : mais tant-y-a qu'eux ont choisi 
l'un, et nous l'autre V 

Je di bien d'avantage : c'est que nos ancestres- 
nous ont monstre le chemin d'autres imitations-^ 
plus hardies sans comparaison : comme quand 

i. Y, E. Vdisquier, Recherches, des Histoires de Paule Jove, 

Vni, L. D'après lui, trisaïeul a livre trent septiesme », tandis 

été employé pour la première que le Loyal Serviteur emploie 

fois par •« Denis Sauvage, sei- le composé entièrement latin- 

gneur du Parc, en sa traduction terayeul (chapitre I"). 



Digitized 



by Google 



158 DE LA PRECELLENCE 

pour nous représenter ce beau mot d'Homère, 
ChaUochitdines, ils ont dict (en despit de la couar- 
dise des Latins) jPeryes^us*. Etpourquoy ne diroit- 
on Fervestu aussi bien qu'on dit Courtvestut II est 
vray qu'on prononce plustost Courvestu, sans t. 
Ainsi pourquoy ne dira on Porteciel (en parlant 
d'Atlas) pourquoy , en parlant d'Hercule ou 
d'Ulysse, ne dira on Portepene ou Portelabeur, au 
lieu du Grec Polytlasf II feroit beau voir que 
nous eussions fait un composé pour un croche- 
teur, en l'appelant Por^e/*a2a? : pareillement pour un 
paresseux, en l'appelant Fainéant : et que nous 
vousissions demourer courts, quand il seroit ques- 
tion d'honorer la mémoire des gens de bien de 
quelque bel epithete, et principalement de ceux 
qui ont eu un naturel directement contraire à 
celuy des paresseux. Il faut aussi considérer 
qu'entre les mots usitez, composez du verbe 
Porter, nous n'avons pas seulement Portefaix (au 
lieu de ce que les Grecs usent de deux mots, ayans 
une mesme façon de composition et semblable à 
la nostre, Achthophoros et Phortophoros) ^ mais 
aussi Portepanier est fort en usage en ceste ville 
de Paris. Quant à Portenseigne, aussi on sçait qu'il 
«stoit en usage desja du temps de nos ancestres : 
comme aussi Portespee : quand on disoit que le 



1. L'ancienne langue disait était fervestu ou fervesti. C'est 
non seulement fervestu^ mais cette dernière forme qu'emploie 
aussi f'erveslir. Le participe Fauchet. (Voir Godefroy.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. J 59 

connestable estoit portespee du roy. Et depuis ce 
mot a esté appliqué au pendant de la ceinture : 
lequel en quelques lieux on appelle aussi le cein- 
turon. Et en la cour sont assez usitez ces trois, 
Portetable, Portechaire, Portequeue. Nous avons 
aussi quelques autres où on voit telle composition : 
mais quand nous n'aurions que ce premier, Por- 
tefaixy il nous pourroit suffire pour nous faire 
avouer les compositions susdictes : ausquelles 
j'adjouste ceste-ci, Portecharge. car, pour dire la 
vérité, comme je ne ferois non plus de difficulté 
de dire Porielabeur que Portepene, aussi ne crain- 
drois je point d'user de Portecharge, où la ryme le 
requerroit. Je passe plus outre, car je di que de 
■deux princes, dont l'un seroit pacifique, et aimeroit 
la paix (autant qu'on la doit aimer pour le repos 
des subjects) l'autre seroit addonné du tout à la 
guerre, je ne craindrois point de donner à l'un 
l'epithete de Portepaix, à l'autre, celuy de Pointe- 
guerre. Et me souvient, à ce propos, que Joachim 
du Bellay en quelque epistre, servant de préface *, 
monstre avoir quelque crainte que ces deux com- 
posez, Porteloix et Porteciel, par lui forgez (ainsi 
qu'il dit) ne desplaisent aux lecteurs : mais depuis 
la poésie Françoise s'est monstree encore plus 
courageusement hardie : tesmoin celuy qui a dict. 



4. Édition Marty-Laveaux, ï, livres de VEneide de Virgile 
337 , dans Tépître qui pré- (IV et VI). 
•cède la traduction de Deux 



Digitized 



by Google 



160 DE LA PRECELLENCE 

Du ciel porte flambeaux *. J'advertiray toutesfois 
(en passant) qu'il faut (à mon avis) user plustost de 
composez qui ayent au bout le nombre singulier : 
comme ici quand Porteflambeau eust pu estre dict, 
il me semble qu'il eust eu meilleure grâce : mais 
je confesse qu'en parlant du ciel il faloit l'appeler 
Porte flambeaux, en usant du pluriel : comme au 
contraire pour le Dadophoros Grec, ou Dadouchos^ 
ce Porteflambeau seroit justement son cas. Au 
reste, j'ay encore deux beaux composez que je 
veux adjouster aux precedens, Portelumière et 
Portejour : le second, dict de l'aurore (que nous 
appelons l'aube) : le premier, du jour '. 

Or voyons si nous pouvons point faire le 
mesme en quelques autres endroits qu'en cestuy- 
ci. c'est-à-dire si, comme nous avons pris ces com- 
posez, ja usitez de long temps, pour patrons de 
plusieurs autres, ayans un mesme verbe, ainsi 
nous n'en trouverons point par lesquels nous 
puissions estre semblablement guidez. Je di donc 
que nous avons Boutefeu, ja ancien : et que je ne 
craindrois point d'en forger un, à l'exemple de 
cestuy-ci, Bouteguerre : comme parcidevant j'avois 



i . Du Bartas, au commence- apparaître de nouveaux mots 

ment de la Semaine. ainsi composés. Seulement ces 

2. On voit que les idées d'Es- composés ne peuvent vivre que 

tienne sur ce point sont celles comme substantifs, et la faute 

de la Pléiade. Ce procédé de de Ronsard et de la Pléiade a 

formation n'a jamais cessé été d'en faire des adjectifs, 

d'être très vivant chez nous et comme le voudrait encore Es- 

tous les jours nous voyons tienne. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 161 

forgé Porteguerre, aussi bien que Portepaix. 
Pareillement sur YdLiiQ,\QnSongemalice (qui respond 
au Grec Kay,omechanos, comme j'ay dict cidevant) 
j'oserois bien forger Songenouvelle et (comme on 
vient de l'un à l'autre) ne ferois difficulté de forger 
Forgenouvelle, Et quant est de Songemalice, où je 
metrouverois empesché à rymer dessus, je pense- 
rois ne faire desplaisir à mon langage si je met- 
tois en sa place Songefinesse. Je ne doute point 
que l'exemple aussi des cinq que j'ay proposez 
quand je parlois de l'avaricieux, ne nous puisse 
beaucoup proufiter. J'enten ces cinq, Pinsemailley 
Racledenare, Serredenier, Serremiette, Pleurepain, 
lesquels composez je maintien estre autant beaux 
et autant significatifs qu'aucuns que sçauroit faire 
la langue Greque. Quant au dernier Pleurepain, 
il convient fort bien avec la façon de parler dont 
use Plante en ce passage de la comédie qui est 
intitulée Aulularia : où il parle hyperboliquement 
d'un qui estoit avaricieux, 

Aquam hercle plorat, quum lavat^ profundere *, 

Suivant laquelle phrase, Pleurepain seroit Qui 
plorat panem comedere. 

Je produiray une autre fois plus grand nombre 
d'exemples, pour prouver ce que j'ay mis en 
avant touchant le moyen que nous avons de 

1. n, IV, 29. 



Digitized 



by Google 



162 DE LA PRECELLENCE 

forger de beaux composez, j'enten, alors que Dieu 
me fera la grâce de construire l'œuvre dont voyci 
le project. Et cependant je veux bien que le lec- 
teur sçache que ces excellens poètes que nous 
avons aujourdhuy, lui en fourniront beaucoup. 
Mais je ne doute point qu'entre ces compositions 
les unes ne luy plaisent bien plus que les autres. 
De ma part je suis d'opinion que quelquesfois 
(selon les endroits) le monosyllabe ha meilleure 
grâce, au bout d'un mot composé, que le dissyl- 
labe, et le dissyllabe que le trissyllabe. Voyla 
pourquoy Chassevent me plaist fort, et autres qui 
ont ce monosyllabe au bout : aussi Bornemois dict 
de la Lune : et pourquoy de Mercure je dirois plus- 
tost Guidenef que Guidenavire : et de l'hyver, Por- 
te froid^ que Porte froidure. Toutesf ois je ne veux pas 
faire une règle générale : et qu'ainsi soit, en par- 
lant de ce mesme, je trouve meilleur Aimelyre 
ou Portelyre queAimelut ou Portelut. Et c'est pour- 
quoy j'ay dict, Quelquesfois et selon les endroits. 
Car il n'y a point de doute qu'en quelques lieux les 
dissyllabes n'ayent pas si bonne grâce : et que les 
trissyllabes, ou pour le moins si longs qu'ils peu- 
vent sembler trissyllabes, n'en ayent encore moins. 
Ce que nous devons considérer en ce mesmement 
que j'ay dict naguère de ce mot PorteflambeauXy 
qu'il ne sembloit pas estre si agréable à l'oreille 
que seroit Porteflambeau. car ce qui rend ce plu- 
riel moins plaisant, c'est (à mon avis) la longueur. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 163 

Et qu'ainsi soit si parlans du Printemps, nous 
l'appelons Porte fleurs, si nous appelons TAutomne 
Porte fruits, si nous disons que VEsté estPortegrains, 
encore que ces monosyllabes soyent de nombre 
pluriel, ceste compositioo ne laisse pas d'estre 
trouvée douce. Aussi quand on dit du Somme 
qu'il est Charmepenes (la ryme ne permettant de 
dire Charmepene) cestuy-ci pareillement semble 
plus passable à l'oreille que cest autre mentionné 
cidessus. Au demeurant, si ces excellons poètes 
(l'honneur desquels j'ay d'autant plus en recom- 
mandation que je les voy s'efforcer à honorer 
nostre langage) veulent donner lieu au précèdent 
advertissement, je les prieray recevoir encore 
cestuy-ci touchant la discrétion qu'ils doivent 
avoir en l'usage de tels epithetes : c'est qu'ils se 
souviennent de ce que disoit la gentile poetrice 
Corinne : 7Vj chsiri dei sptwtm, alla mr^ holiù toy 
thyla^to *. 

Il me semble que j'ay monstre bien clairement 
et amplement nos grans moyens d'adjouster 
richesse sur richesse, s'il ne tient qu'à forger des 
mots, esquels nous usions de composition : et que 
nous n'avons faute que de hardiesse : or pensons- 
nous que les Italiens puissent dire le mesme de 
leur langage? Dire le pourront-ils : mais le prou- 
ver, non. Je sçay bien qu'ils ont des mots com- 

1. Plutarchi Scripta moralia, édition Didot, De gloria Athe- 
nensium, I, 425. 



Digitized 



by Google 



164 DE LA PRECELLENCE 

posez : et mesme qu'ils en forgent quelquesfois. 
Car il me souvient d'un duquel moymesme suis 
contraint d'user souvent, Ingannavillano : pource 
que j'ay une maison aux champs *, possédée au 
paravant par un gentill\omme Italien : lequel avoit 
nommé ainsi le fruict d'un certain poirier : et 
comme je tien la maison, aussi retien-je ce nom : 
pour ne pouvoir trouver le propre. Or sonne ce 
mot comme si on disoit Trompevilain : d'autant que 
c'est un fort bon fruit, mais n'est jugé tel à la 
veue, et principalement par les lourdaux, qui 
n'ont jamais esté curieux de considérer les 
diverses sortes de poires, et d'ailleurs n'en ont 
guère veu. Cest exemple est un des beaux que je 
pourrois amener : et pourtant n'en ameneray 
point d'autre : mais confessant (comme j'ay desja 
faict) qu'ils ont des mots composez, et qu'ils en 
font aussi quelquesfois, j'adjousteray que beau- 
coup s'en faut qu'ils en ayent tant que nous, et 
qu'ils soyent de si bonne grâce que les nostres. 
Car il faut que pour le moins ils m'accordent deux 
choses : l'une, que tant plus les mots sont longs, 
tant plus sont malaisez à renger en composition 
(et c'est pourquoy le langage Alemand, qui les ha 
courts, est bien fourni de vocables composez) 



i. CeUe maison se trouvait mune de Marlioz, arr. de Saint- 

à Grières. Grières est aujour- Julien (Haute-Savoie). H. Es- 

d*hui un hameau de 72 habi- tienne prenait quelquefois le 

tants, dépendant de la com- nom de sieur de Grières. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 165 

l'autre, qu'ils ne peuvent avoir des composez que 
d'une sorte, au lieu que nous en avons de deux, 
car ils ne les peuvent terminer qu'en voyelle : 
nous, en voyelle et en consonante. Et sans aller 
chercher exemple plus loing, en faisant compa- 
raison de ce Ingannavillano avec nostre Trompe- 
vilain, on peut remarquer ces deux choses que 
j'ay proposées. 

Quand le lecteur aura bien considéré cest avan- 
tage que nous n'avons moins pardessus la langue 
Italienne que les autres ^oïlgaires, quant à forger 
des mots composez * : je le prieray de prendre garde 
encores à une autre chose, qui peut aussi nous 
avantager grandement. C'est que nostre langage 
ayant plus de mots Latins, et (s'il faut ainsi parler) 
plus grande familiarité avec la langue Latine, qu'il 
ne semble, si en un besoin il forge quelques mots 
sur la marque des Latins (en usant de la discrétion 
requise en tel cas) on ne peut appeler ceci autre- 
ment qu'user de privante. 

Quant à ce que j'ay dict, qu'il ha plus grande 
familiarité avec le Latin qu'il ne semble, j'inter- 
prète ainsi les commoditez secrettes qu'il a receues 
de luy. Car (pour parler plus clairement) nous 
avons plusieurs mots pris de la langue Latine, 



1. La langue française se Mais il est inexact qu'elle ait 
prête facilement en effet à la en cela une supériorité sur les 
formation des mots composés, autres langues modernes. 



Digitized 



by Google 



166 DE LA PRECELLENCE 

desquels on ne s'apperçoit pas. comme, à propos du 
verbe dont je parfois naguère, ForpayseVy encore 
qu'il ne semble estre Latin que par ceste particule 
de laquelle on s'est servi pour faire la composi- 
tion, si est-ce qu'il est Latin, outre cela, quant à 
son origine. Car ceste particule ostee, le reste vient 
de Pays : or Pays, de Pagus : comme mais vient 
de magis (j'enten mais pour d'avantage) et comme 
maistre, de magister. Et réciproquement où nostre 
langage met le G qui n'est point es mots Latins : 
comme quand il AU Sergent pour Serviens, et Sage 
pour Sapiens, Et se pourront toutesfois trouver 
des exemples encore plus notables de ce que j'ay 
appelé commoditez secrettes. 

Il est vray que si d'aventure on vouloit cepen- 
dant tourner au deshonneur de nostre langage ce 
que je vien de dire, comme s'il estoit plus subject 
à celuy des Latins que je n'ay dict parcidevant : je 
respon que non-obstant cela il ne s'astreind pas 
tellement à leur langage, qu'il ne se reserve tous- 
jours quelque liberté. Ce qu'on voit en ce qu'usant 
de mots synonymes, ou qui sont presque syno- 
nymes, souventesfois il use d'un qu'il prend du 
Latin, et d'un autre qui ha apparence estre encore 
du langage Gaulois. Pour exemple, quand il dit 
Franchement et librement, il est croyable que le 
premier sort du langage Gaulois *, comme quant au 

1. H. Estienne veut parler de la langue des Francs, qu'il 
confond toujours avec la langue des Gaulois. Voir page 72. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. i67 

second il est notoire qu'il vient du Latin Libère : 
tellement qu'il y auroit du langage Romman avec 
des reliques du Gaulois. Autant en pouvons nous 
dire (selon mon jugement) quand nous disons 
Tromper et décevoir, ou Décevoir et tromper, car 
nous n'observons pas un certain ordre : de sorte 
qu'en l'autre exemple aussi nous pouvons dire 
Librement et franchement^ en faisant du premier 
le second. 



Mais j'ay bonne espérance que quand j'auray 
monstre encore deux autres sortes de richesse de 
nostre langage, le lecteur, qui les aura bien con- 
sidérées, jugera qu'il n'est aucunement en danger 
de tomber en ceste nécessité de forger des mots 
nouveaux, sinon que quelque nouvelle chose se 
presentast. 

A fin donc de venir à l'une de ces deux sortes 
de richesse, dont je n'ay point encore faict men- 
tion, je di que tout ainsi qu'un homme fort riche 
n'ha pas seulement une belle maison et bien meu- 
blée en la ville, mais en ha aussi es champs, en 
divers endroits : desquelles il fait cas, encore que 
le bastiment en soit moindre et moins exquis, et 
qu'elles ne soyent si bien meublées : pour s'y aller 
esbatre quand bon luy semble de changer d'air : 
ainsi nostre langage ha son principal siège au lieu 
principal de son pays : mais en quelques endroits 



Digitized 



by Google 



4 68 DE LA PRECELLENCE 

d'iceluy il en ha d'autres qu'on peut appeler ses 
dialectes *. 

Et comme ceci luy est commun avec la langue 
Creque, aussi en reçoit-il une mesme commodité. 
Car ainsi que les poètes Grecs s'aidoyent au 
besoin de mots peculiers à certains pays de la 
Grèce, ainsi nos poètes François peuvent faire leur 
proufît de plusieurs vocables qui toutesfois ne 
sont en usage qu'en certains endroits de la 
France '. Et ceux mesmement qui escrivent en 
prose, peuvent quelquesfois prendre ceste liberté. 
Je sçay bien que les poètes Grecs passoyent plus 
.avant en l'usage des dialectes, en ce que non seu- 
lement ils prenoyent des mots qui estoyent pecu- 
liers à iceux, mais aussi à quelques-uns des leurs 
donnoyent la terminaison qui estoit peculiere à 
ces dialectes : mais nous avons voulu nous con- 
ienter de ceste autre commodité que j'ay dicte. 

Que si les Italiens se vouloyent vanter de rece- 
voir une pareille commodité de leurs dialectes, je 
leur respondrois que ceux des François ont par 
xaison beaucoup plus grande non seulement 
estendue, mais aussi autorité, que les leurs ne 
peuvent avoir. Car nous sçavons qu'encore que 



1. Cf. HypomneseSy Préface, çois. — Vauquelin de la Fres- 
— E. Pasquier, Lettres^ II, xn. naye, édition Travers, I, 13 : 

2. Cf. Ronsard, édition Marty- Art poétique, chant I. — F. Bru- 
Laveaux, III, 533 : Préface de not, La Doctrine de Malherbe 

2a Franciade; et VI, 451 : d'après son commentaire sur 

Abrégé de Vart poétique fran- Desportes, page 299. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 169 

tout ce qui n'est pas langage Toscan (lequel seul 
est tenu pour le bon et naïf) ne soit pas Berga- 
masque, toutesfois y en a bien peu qu'on vueille 
mesler avec ce Toscan : et y-a mainte sorte d'autre 
langage que le Bergamasque, qu'on n'y voudroit 
mesler non plus que du fer avec de l'or. 

A propos dequoy il me souvient que Bernar- 
dine Tomitano, en son quatrième livre de la 
langue Toscane, parlant des paroUes qu'il faut 
tenir pour barbares, dit, Barbare intendo quelle 
che sono cTuna lingua vile, quali le nostre corrotte e 
guaste, che i Toscani chiamano Lombarde; o vero 
di parlar oltramontano *. Mais encore qu'ici il 
expose ainsi son barbare^ si est-ce qu'ailleurs 
après avoir proposé quelques mots dont usent 
alcuni diligenti ed accurati inteletti (comme aussi 
on les oit dire à aucuns natifs des bonnes villes, 
et qui ont le bruit d'avoir le meilleur langage 
après le Toscan) il dit que plusieurs au contraire 
se gardent bien d'en user, comme si c'estoyent des 
paroUes pestilentieuses, ou propres à invoquer le 
diable. Voyci ces propres mots, AlVincontro molti 
guardarsene, corne fussero voci pestilentiose, o nomi 
da chiamar il dimonio. 

Mais quant au langage de nostre France, il en 



i. La phrase signifie littéra- rompues et gâtées que les 
iement: J'en tends par barbares Toscans appellent lombardes, 
celles qui sont d'une langue ou bien celles du parler ultra- 
vile, comme nos paroles cor- montain. 

10 



Digitized 



by Google 



170 DE LA PUECELLENCE 

va bien autrement, car nous donnons tellement le 
premier lieu au langage de Paris, que nous con- 
fessons que celuy des villes prochaines, qui sont 
aussi comme du cœur de la France, ne s'en 
esloigne guère. Et pource qu'Orléans voudroit bien 
avoir le second lieu. Tours aussi, pareillement 
Vandosmes, et qu'il est demandé aussi par Bourges, 
et Chartres d'autre costé y prétend, et quelques 
autres villes des plus prochaines de Paris : à fin 
que les unes ne portent point d'envie aux autres, 
nous laissons ceste question indécise : et mesme, 
pour bien de paix, ne nous formalizons pas beau- 
coup contre les Guespins*, quand il leureschappe 
de dire qu'ils parlent aussi bon François que nous 
qui sommes Parisiens. Or je présuppose, quand 
je parle ou de nostre langage Parisien, ou de ceux 
que j'appelle les dialectes, qu'on entende qu'il faut 
premièrement oster toutes les corruptions et dépra- 
vations que luy fait le menu peuple : outre-plus, 
que si un mot duquel nous voulons nous aider ha 
une terminaison qui ne sente pas sa pureté Fran- 
çoise,, nous le vestions de celle mesme dont nos 
mots sont vestus. 

Cela se faisant, nous pouvons bien passer encore 
plus outre, et estendre nos dialectes aussi loing 
que s'estend ce qu'on appelle la France : laquelle 

1. Pour l'origine de ce mol^ sont proposées trois étymojo- 
qui désigne les Orléanais, voir gies. Cf. Quitard, Dictionnaire 
le Dictionnaire de Trévoux, où des proverbes, p. 439. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. i^l 

en quelques ordonnances du roy est divisée en 
Langue d'ouy et Langue d'oc *. Toutesfois il est 
certain qu'on ne prononce pas en tous lieux ne ouy^ 
ne oc ou auc. Et pour dire la vérité, il y-a un peu 
de difficulté à bien escrire ce mot, selon qu'il est 
prononcé en divers lieux. Ce sera donc à ceux qui 
ont la mémoire fresche des diverses prononcia- 
tions, de juger si ces différences sont telles qu'un 
nommé Carolus Bovillus '^ les a escrites (lequel 
toutesfois seroit à excuser si depuis on avoit usé 
de quelque changement), en la sorte que s'ensuit, 
sinon quant au dernier. 



Latini, 


Les Latins, 


IT A. 


Flandri, 


Les Flamens, 


I A. 


Helvetii, 


Les Suisses, 


lOTH. 


Lotharingi, 


Les Lorrains, 


A Y. 


Burgundi, 


Les Bourguignons, 


Y. 


Auxitani, 


Ceux de Languedoc, 


A U C et C. 


Parisii, 


Les Parisiens, 


U Y. 


Pictones, 


Les Poitevins, 


U A U. 


Ambiant, 


Ceux d'Amiens, 


OU E. 


Laudunij 


Ceux de Laon, 


A U Y. 


Hannones, 


Les Hannoyers, 


AU. 


Vascones, 


Les Gascons, 


ou B E. 



1. Sur cette dénomination, 
voir Particle de Paul Meyer 
dans les Annales du Midi, 
tomel (1889): La langue romane 
du midi de la Franee et ses 
différents noms. 

2. Charles de Bouelles, Bouil- 
les ou Bouvelles, en latin Bo- 
villus, naquit à Saucourt en 
Picardie vers 1470. Après avoir 
étudié les sciences exactes et 



la métaphysique, il parcourut 
l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne 
et visita les principales villes 
de France. U fut chanoine à 
Saint-Quentin et à Noyon, et 
mourut en 1353. l\ a écrit, 
outre plusieurs ouvrages rela- 
tifs à la philosophie et aux 
mathématiques, un traité inti- 
tulé : Liber de differentia vul- 
garium linguarum et gallici 



Digitized 



by Google 



172 DE LA PRECELLENCE 

Voyci (di-je) les différences, comme cestuy-la 
les a remarquées : sinon qu'il met les noms des 
peuples en Latin seulement : (où il faut noter que 
sous le. nom de quelques-uns, comme des Pari- 
siens, on doit entendre aussi leurs voisins) et 
qu'il a autrement escrit le dernier. Or sçay-je bien 
que touchant quelques-unes on ne sera pas du 
tout d'accord avec luy : mais il faut considérer 
qu'il-y-a difficulté à bien représenter en l'escri- 
ture ces diversitez de prononciation. D'avantage, 
si depuis son temps aucuns de ces peuples 
l'avoyent changée, il devroit estre excusé, comme 
j'ay dict. Quoy qu'il en soit, je n'y ay rien changé, 
sinon qu'au dernier, comme j'ay adverti : car il 
met Aia : et toutesfois leur la (plutost (\nAia) 
signifie autre chose. Quant au mot des Poitevins, 
j'estime qu'il n'avoit pas escrit Ouan, ains que ce 
soit une faute de l'impression. 

Et à propos du mot qu'il dit estre des Suisses, 
comme César a divisé la Gaule en trois parties, 
lesquelles il distingue de trois sortes de noms, 
des Belges, des Celtes, des Aquitains : ainsi eux la 
divisent en trois sortes de mots signifians ce que 
les Latins disent lia : attribuans lo aux Belges : 



sermonis varietate; PsiTiSy 1533; lion de son ouvrage latin : 

— et un ouvrage sur les pro- Proverbes et dicls sententieux, 

verbes : Proverbiorum vulga- avec r interprétation (Vieeux, 

rium libH très. — En 1557, on G. Brunet (dans la Nouvelle 

publia sous son nom un volume Biographie générale) croit à 

qu'on a pris pour une traduc- une supercherie d'éditeur. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 173 

Ouy aux Celtes : Oc aux Aquitains, mais lo est 
plustost des AJemans : Et quant à loth, que cestuy- 
ci attribue aux Suisses, il Tescrit ainsi pource 
qu'ils le prononcent plus rudement que le^ Ale- 
mans. 

Encore faut-il, avant que passer plus outre, 
adjouster ^ quelque chose qu'escrit le mesme 
auteur, laquelle s'accorde avec ceste façon de dis- 
tinguer un peuple d'avec un autre qui luy est 
voisin, par le mot ayant la signification du susdit 
Ita. Car il escrit touchant le nom du pays de 
Hainau (qu'il appelle aussi Hinav) qu'il a esté 
pris du mot, ou plustost des mots dont ils usoyent 
pour affermer * : à fin de mettre différence entre 
ceux de ce pays là qui disoyent hin au, et les cir- 
comvoisins qui usoyent de Hin auy : comme si on 
disoit Certe ita : pource que Hin ha quelque forme 
de jurement : comme si on disoit S ainct Jehan auy. 
Or suyvant ce qu'il dit, il faudroit que ceste cor- 
ruption fust venue de la mauvaise prononciation 
de ce mot Sainct, en prononçant Sin, comme sou- 
vent on l'oit prononcer, car Si7i auroit esté puis- 
après changé facilement en hin. 

Après ceci, venant à la richesse dont il est 
question, à sçavoir qui consiste en ce que nous 

1. Cette étymologie est ab- plutôt son nom à la rivière de 
surde, et, comme le remarque Haine qui coupe ce pays en 
L. Feugère ; « Le Hainaut doit deux. » 

10. 



Digitized 



byGoogk 



174 DE LA PRECELLENCE 

avons plusieurs dialectes : j'advertiray première- 
ment qu'elle est de diverses sortes : car il y-a des 
choses qui sont nommées autrement'en un lieu 
qu'en un autre : il y-en a aussi lesquelles ayans 
un nom en un lieu, ailleurs n'en ont point. Pour 
exemple du premier poinct, on appelle en ceste 
ville de Paris et en quelques autres lieux circom- 
voisins Un atre, ce qu'ailleurs est nommé Un foyer. 
Et à propos de foyer, ce qu'en plusieurs lieux de 
la France est appelé Landier *, est ici nommé 
Chenet. Ce mot aussi Hetoudeau est ici, et en 
quelques lieux voisins, ce qu'ailleurs on appelle 
Chaponneau '. Nous avons aussi Enhazé, lequel 
j'estime estre de nostre dialecte ^. A Orléans, et 
aux environs. Une femme brode signifie une femme 
brunette. Mais, entre les dialectes, les uns plus 
que les autres ont des mots privilégiez : ce qu'on 
peut dire principalement du nostre. tellement 
que tel qui useroit des mots precedens, pourroit 
douter s'il luy seroit licite d'user de ce Brode. Il 
y-a aussi aucuns mots des dialectes, lesquels ils 
ont pris du langage Latin, comme on ne peut 
douter que Appendre ne soit du Latin Appendei^e. 
Duquel Appendre usent les poètes d'aujourdhuy. 

4. Cf. Jaubert, Glossaire du c/iend«. On trouve aussi c/tiene^ 

centre de la France, Il est pro- et ckiennel. (Voir Littré.) 

bable que landier est le mot 2. 0. de Serres, cité par 

le çlus ancien et que chenet Littré, dit chaponneaux ou es- 

désignait un ornement en toudeattx. 

forme de tête de chien. On 3. Cf. Dialogues, U, 222-23, 

aurait dit autrefois landiers à et la note. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 175 

comme où Du bellay dit, Append ici son car- 
quois : et Belleau : J'appendray sur ce ruisselet Et 
mon bonnet et mon chappeaUy En ton honneur, à 
cest ormeau^. Il y-a aussi des dialectes dont aucuns 
mots sont comme descriez, sinon qu'on en use 
par joyeuseté. Et en ce nombre sont plusieurs des 
Picards, comme Caboche pour la Teste (d*où vient 
Cabochard pour Testu ou Testard, c'est-à-dire Opi- 
niastre) Gargathe pour Gorge. Mais ils en ont aussi 
dont nous ne devons point craindre d'user : tou- 
tesfois en prenant garde que ce soyent mots 
n'ayans point le G pour GH, encore moins GH pour 
G. car nos oreilles ne prennent point de plaisir à 
cela : et mesmes à grand'peine peuvent elles 
endurer ceste prononciation quand il faut reciter 
ce qui a esté dict. Ge qui a esté cause de cor- 
rompre quelques proverbes venus de ce pays de 
Picardie. Et du nombre de ceux ausquels cela 
est avenu, est cestuy-ci : De tout poisson, fors 
que la tanche, Pren le dos et laisse le panche '. Gar 
les Picards prononceans Panche, les autres Fran- 
çois Pance, et par ce moyen la ryme se per- 
dant, en la fin sans plus prendre garde à elle, 
on a dict, et laisse le ventre. Or, n'estoit Fin- 
commodité de ceste prononciation, il est certain 
que le parler des Picards, en comprenant aussi 



1. Édition Marty-Laveaux, I, 2. Cf. Rabelais, I, xxxix, et 
31-52 ; Petites inventions. Le Noël Du Fail (Bibliothèque 
Papillon. elzévirienne), I, 108. 



Digitized 



byGoogk 



176 DE LA PRECELLENCE 

les Walons, seroit un dialecte qui pourroit beau- 
coup enrichir nostre langage François *. Mais il 
faut, en laissant les mots où nous avons ceste 
incommodité, user des autres. Pour exemple, je 
ne craindrois point d'user de Benne, (où je verrois 
que mon vers en auroit grand besoin à cause de 
la ryme) au lieu de ce que nous disons Tombe- 
reau : lequel mot semble estre de nostre dialecte. 
Et à propos de ce Benne (puisqu'il s'est présenté à 
ma mémoire) il faut noter deux choses : Tune, 
que certains mots de quelque dialecte nous peu- 
vent sembler estranges, lesquels toutesfois il ne 
seroit pas incroyable avoir esté du vieil François : 
l'autre, que combien que nous n'usions nullement 
d'aucuns, leurs dérivez sont en usage. Lesquelles 
deux choses nous pouvons remarquer en ce Benne. 
car qu'il soit du vieil François (s'il ne faut dire 
Gaulois plustost que vieil François), nous avons le 
tesmoignage de Festus * : Benna lingua Gallica 
genus vehiculi appellatur. unde vocantur Comben- 
nones, in eadem benna sedentes^. Et que sçait on si 
de ce Combennones on auroit point dict première- 
ment CompennonSy en changeant le 6 en j» : et puis 

1. Le picard est en effet, avec tione. Cet abrégé a été encore 
le normand, le dialecte qui a résumé ou plutôt mutilé par 
donné le plus au français. Paul Diacre au ix« siècle. 

2. Festus vivait probable- 3. De significatione verborum^ 
ment au commencement du édition Thewrewk de Ponor, 
rv* siècle après J.-G. Il a abrégé 1890, I, 24. Pour le sens et 
le traité d'un grammairien con- l'emploi du mot benne, voir 
temporain d'Auguste, Verrius Jaubert, Glossaire du centre de 
Flaccus, De verborum significa- la France. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 177 

Compannons, duquel en la fin on seroit venu à 
Compagnons *? Ce qui soit dict par parenthèse, et 
comme par manière de devis : veu mesmement 
que je sçay bien que ce mot ha d'autres etymo- 
logies qui ne sont sans quelque apparence, mes- 
mement pource que Compain se trouve au langage 
Picard *. Pour venir donc à Fautre poinct que nous 
pouvons remarquer en ce Benne, encore que le 
pur langage François n'en use point, si est-ce qu'il 
se sert d'un sien dérivé Bernage, car il ne faut 
douter que Bernage ne soit venu de Benne, en chan- 
geant n en r : et que son premier usage ne soit de 
signifier les hardes qu'on charie. suivant quoy on 
disoit Le bernage de la chasse '. 

J'advertiray tout d'un train que comme ce mot 
Benne d'autant plus aisément doit estre receu par 
nous, que nous le voyons estre de nostre plus 
vieil langage : nous devons faire le semblable es 
paroles prises du Latin ou du Grec, lesquelles 
nous trouvons en quelques dialectes, comme entre 
celles qui sont tirées du Grec est Truffer *. Quant 

1. Élymologie insoutenable, barons, les vassaux, puis la 
Compagnon vient du bas-latin suite, le train, les bagages, par 
companionem ^ qui mange le un développement de sens tout 
pain avec, et par suite com- naturel. Ce qui montre bien 
mensal. que le mot n'a aucun rapport 

2. Compain (aujourd'hui co- avec benne, ce sont ses autres 
pam) est Tancien nominatif de sens: qualité, puissance du 
compagnon. baron, vaillance, sagesse, ex- 

3. Il n'y a rien de commun ploits, etc. (Voir Godefroy.J 
entre benne et bernage, Bernage 4. Truffer ne vient certaine- 
ou barnage se rattache à bei% ment pas du grec. L'ancienne 
baron, et désigne le corps des langue a aussi le substantif 



Digitized 



by Google 



178 DE LA PRECELLENCE 

à celles qui ont leur origine du Latin, le nombre 
en est beaucoup plus grand : et aucunes sont 
aussi ordinaires es anciens Rommans. ce qu'on 
peut dire de Moult, duquel on use à Orléans 
mesmement. 

Maintenant poursuivray de monstrer que la 
richesse de nostre langage, laquelle consiste en 
ce qu'il ha plusieurs dialectes, est de diverses 
sortes. Car j'ay dict que nous avions des choses 
nommées autrement en un lieu qu'en un autre : 
(j'enten en un pays), et aucunes qui ont un nom 
en un lieu, ailleurs en sont destituées. Ayant donc 
amené des exemples du premier poinct, je vien- 
dray à ceux du second : advertissant premièrement 
que de ces mots aucuns sont faicts sur ceux que 
nous avons desja, les autres n'ont rien de com- 
mun avec eux. Pour exemples des premiers, nous 
avons Tempre : comme quand on dit, // est venu 
bien tempre. Nous avons aussi Primer ain *, estant 
dict de quelque fruict. Nous avons aussi Soleiller 
pour Se pourmener au soleil. Il y-a aussi quelques 
beaux composez : comme Tempremeure, d'une fille 
qui est devenue meure (c'est à dire mariable, 
comme en Latin matura virgo) plus tempre qu'on 

truffe, tromperie, plaisanterie, pas moins très incertaine, 
moquerie. Diez pense que le 1. Pï-imeram était moins usité 
mot truffe dans son ancien dans l'ancienne langue que 
sens est le même que le mot premerain. C'est sans doute 
truffe ddiiis le sens très diffé- l'influence latine qui a répandu 
rent que nous lui connais- primerain. (Voir le Diction- 
sons. L'étymologie n'en reste naire de Godefroy.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 179 

n'eust pensé. Quant à l'autre sorte, c'est à dire, 
des autres mots qui n'ont rien de commun avec 
les nostres, et signifient toutesfois quelque chose 
que nous ne pouvons déclarer par aucun des 
nostres, nous en avons un exemple en Tocsin^ 
quand on dit Sonner le tocsin car il est certain 
qu'en toute la France il n'y a que ce seul mot 
pour exprimer ce qu'on veut dire quand on parle 
ainsi. Mais il vaut mieux escrire Toquesin : et 
encore, si en adjoustant un g, on escrit Toqicesing, 
on approchera plus près de l'etymologie. car c'est 
un mot Gascon, composé de Toquer, au lieu de ce 
que nous disons Toucher ou Frapper, et de Sing, 
qui signifie Cloche * et principalement une grosse 
cloche, comme voulontiers en effroy on sonne la 
plus grosse. 

Il faut aussi noter qu'un mot qui signifie une 
chose au bon et pur langage François, en quel- 
ques dialectes en signifie une autre : et quelques- 
fois, luy donnans la mesme signification qu'il ha 
en ce pur langage, luy en donnent aussi une autre, 
comme (à propos de cloche) en quelques endroits 
Clocher n'ha pas seulement la signification ordi- 
naire, ains se prend aussi pour Sonner une cloche 

1. C'est bien en effet Téty- le mot se trouve avec des or- 

mologie, et sin ou sing vient thographes très diverses. On 

évidemment de signum. C'est va jusqu'à l'écrire, sans doute 

ce que dit Fauchet dans ses par une fausse analogie, saint 

Antiquitez et histoires gauloises et sainct (Voir le Dictionnaire 

et françoises, VIII, xvii. Mais de Godefroy.) 



Digitized 



by Google 



180 DE LA PRECELLENCE 

OU une clochette. Et en ceste ville de Paris, 
Voye^ outre ce qu'il signifie par tout, se dit aussi 
d'une chartee. car Une voye de bois, c'est autant 
que si on disoit Une chartee de bois. Et c'est (comme 
je pense) au lieu de dire Voyage, car autant de 
chartees sont autant de voyages. Et ne se faut 
esmerveiller si entre les mots des dialectes je 
mets ce Parisien, et que desja cidessus j'y ay mis 
quelques autres du mesme lieu, car comme on 
n'eust pas receu au langage Attique tous les mots 
qui estoyent du creu d'Athènes, encore que ce 
fust la ville où on parloit le mieux : ainsi ne faut- 
il pas estimer que tout ce qui est du creu de Paris 
soit recevable parmi le pur et nayf langage 
François : et principalement où il est fourni de 
quelque autre mot, qui ha son estendue beaucoup 
plus grande, et n'est en aucune sorte inférieur. 
Car autrement, c'est à dire, se trouvant ou en ce 
dialecte ou en quelque autre, un mot plus beau 
ou plus significatif que celuy duquel les autres 
contrées de France usent pour exprimer la mesme 
chose, il ne faut point douter qu'on ne doive 
prendre celuy du dialecte. Ce qu'on peut dire, à 
mon jugement, du mot Enhazé (dont j'ay faict 
mention ci-dessus) entre ceux qui sont du dialecte 
de Paris. 

Je ne doute point que nostre langage ne se 
puisse aussi aider de la commodité que luy appor- 
tent quelques dialectes quant à la /diversité de 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 181 

terminaison. J'enten principalement telle diversité 
qu'il y-a entre pute et putain, car je ne voy point 
pourquoy, si le vers requiert de dire pute et non 
pas putain, le poète ne se puisse servir de ce voca- 
ble : et principalement, quand il l'appliquera à un 
propos, lequel incontinent pourra donner à en- 
tendre sa signification. 

Mais je doute si nostre langage (j'enten tous- 
jours de celuy qui veut demourer en sa pureté) 
peut faire son proufit de certains mots qu'il trouve 
en quelque dialecte^ et desquels il ha encore les 
dérivez. Pour exemple : nous sçavons que Aiguë, 
en quelque pays, ou plustost en quelques pays, 
signifie Eau (d'où vient le nom d'Aigues-Mortes), 
et le bon François garde son dérivé qui est 
Aiguière * : je di donc qu'il est disputable si un 
poète se peut servir aussi bien de ce moi-la. Aiguë, 
que de cestuy-ci Aiguière. Et sembleroit bien que 
la mesme question se pourroit faire aussi de Eve, 
qui en vieil langage signifie la mesme chose ' : 
veu que nous avons pareillement un sien dérivé 
Evier: toutesfois, si on ne trouvoit £'i;e en quelque 
dialecte, outre ce qu'on le trouve au vieil langage, 
ma voix seroit plustost pour Aiguë. 

i. Cf. aigage,aigaire,aiguade, difTérentes, sans compter la 

aiguail, aiguailler, aigue-ma- forme aclueUe, eau. Cette énu- 

rine, Aiguë-Belle, Aigùes-Bon- mération, en nous montrant 

nés, Aipùe-Perse, etc. les formes intermédiaires, 

2. Aigue et eve viennent éga- nous fait très bien compren- 
lement de aqua. Godefroy dre la parenté de mots si dis- 
indique pour ce mot 51 formes semblables. 

PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. \ { 



Digitized 



by Google 



182 DE LA PRECELLENCE 

Une question amenant l'autre, je di qu'on peut 
aussi disputer si nous pouvons pas faire nostre 
proufit (et principalement en poésie) d'un mot 
tiré de la langue Latine, que nous trouvons en 
quelque dialecte, en luy changeant toutesfois la 
terminaison qu'il ha convenable à ce dialecte, à 
celle qui convient à nostre langage. Pour 
exemple : en Savoye un laboureur s'en allant 
labourer la terre, dit qu'il s'en \a.arar * : (syncopant 
le Latin araré) : or je demande si nous pouvons 
pas, au besoin, en changeant leur a de la fin en 
nostre e, dire Arer. Quant à moy, je n'en ferois 
point de conscience. Or ce mesme pays a retenu 
plusieurs belles paroles de la langue Latine, qui 
ne se trouvent point es autres dialectes, desquelles 
on pourroit faire la mesme question. 

Je n'ay plus qu'une chose à proposer, devant 
que faire ma conclusion : c'est qu'il me semble 
que si nostre langage peut faire son proufit des 
mots qu'il luy plaist choisir parmi ses dialectes, 
il ha la mesme puissance sur les proverbes. Je dî 
(pour exemple) que ce proverbe Latin, Incidit in 
Scyllam, cupiens vitare C/iarybdim ', s'exprimant 

i. Cf. Hypomneses, Préface. Gautier, dit de Chàtilloh quoi- 

2. E. Pasquier (Recherches, que né à Lille en Flandre. Ce 

111, xxix) attribue ce vers à vers est adressé par le poète à 

« Galterus insigne Poète qui Darius fuyantdevantAlexandre: 
escrivit en vers Latins la vie ... Nescis, heu ! perdlte, nescis 

d'Alexandre sous le titre d'A- Quem fugias : hostes incurris, dum 
lexandreide, grand imitateur de [fugis hostem; 

Lucain ». Ce Galterus est un Incidis in Scyllam cupiens vitaro 
poète du XII- s-^ècle, Philippe ^^^^^ y^ iSgS^O^'"- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. i83 

en trois façons proverbiales, Tune desquelles est 
comme Parisienne, nous ne devons pas laisser 
d'user des autres qui sont en nos dialectes. Et à 
fin que ceux qui seront de mon opinion, s'en puis- 
sent servir, je les leur enseigneray. Je di donc 
qu'au lieu qu'on a accoustumé de dire en ceste 
ville de Paris, et en quelques lieux voisins, // est 
tombé de fièvre en chaud mal * : en quelques endroits 
de France on use de ceste façon de parler, qui 
est pareillement proverbiale, // est sauté de la 
poésie en la braise : en quelques autres, de ceste- 
ci, Fuyant le loup il a rencontré la louve*. Ce 
proverbe est aisé à entendre, estant une chose 
qu'on dit communément, que la louve est plus 
cruelle que le loup. Quant au précèdent, il-y-a 
apparence qu'il ait son origine de ce qui advient 
au petit poisson qu'on fricasse vif. c'est que 
la grande chaleur le faisant se jeter hors la 
poésie, quelquesfois en sautelant il tombe en la 
braise. 

Ayant dict, quand j'ay commancé à traitter le 
Project précèdent, que nostre langage avoit 
encore deux sortes de richesse, dont je n'avois 



Cf. De Méry, Histoire gêné- des proverbes français, I, 232. 

raie des proverbes, I, 145 ; — 2. Le Roux de Lincy donne 

Quilard, Dictionnaire des pro- au contraire ce proverbe : 

verbes, 209. « Tel pense fuir la louve qui 

1. Le Roux de Lincy, Le Livre rencontre le loup. » I, 182. 



Digitized 



by Google 



184 DE LA PRECELLENCE 

faict aucune mention : et ayant monstre en quoy 
consiste Tune, il est temps que je contente le 
désir du lecteur, quant à Tautre. 

Comme donc j'ay comparé-là nos dialectes aux 
maisons qu'un homme fort riche ha aux champs, 
desquelles il fait comte, encore qu'elles ne 
soyent si bien basties ne meublées que celles de 
la ville : ainsi maintenant je diray que le vieil 
langage n'est pas du tout mesprisé par celuy que 
nous avons, mais luy est comme seroit à ce riche 
homme, outre tous les autres biens, un grand 
chasteau qui auroit esté de ses ancestres : et 
auquel trouvant quelques beaux membres, 
encore que le bastiment fust à la façon an- 
cienne, il ne le voudroit laisser du tout desha- 
bité. Car il me semble que je puis accomparer 
tant de Rommans anciens qu'ha nostre langage, 
à un tel chasteau : et les beaux vocables et beaux 
traits que nous y trouvons, aux beaux membres 
qu'on trouve en cest édifice, encore qu'il soit à la 
façon antique*. Et pourceque je sçay bien que les 
louanges que je donneray à ce vieil langage, 
seront subjectes à preuve, à cause que plusieurs 
le mesprisent : je ne veux point parler sans 
exemple d'aucune sorte d'icelles. Je comman- 
ceray donc par ce traict pris du Romman 
d'Alexandre, pariant des geans, 

i. Cf. E. Pasquier, Lettres, II, xn. — Brunot, La Doctrine 
de Malhei*be d* après son Commentaire sur Desportes, p. 249. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 185 

Si ne fust Jupiter à sa foudre bruyant^ 
Qui tous les desrocha *. 

A propos duquel passage, plein d'une gravité 
si grande, je prieray le lecteur se remettre en 
mémoire ce bel epithete dont j'ay faict mention 
ci-dessus, quand j'ay parlé des imitations des- 
quelles le chemin nous avoit esté monstre par 
nos ancestres : que pour représenter ce beau mot 
d'Homère Chahochitdynes, ils avoyent dict (en des- 
pit de la couardise des Latins) Fe7*vestus. Il est vray 
que despitans ainsi la couardise des poètes Latins, 
ils n'ont pas laissé d'en prendre (sans faire sem- 
blant de rien) le plus beau et le meilleur, autant 
que leur temps le pouvoit porter, comme nous 
voyons ce beau traict de Virgile, Italiam mettre 
jacens*, avoir esté ainsi représenté. 

Du long comme il estoit mesura la campagne. 

Ainsi est-il de cest autre passage de Virgile, 
terrant ore momordit ^ : car un Romman, par le 
moyen du mot addenter, a bien sceu exprimer 
cela, avec aussi bonne grâce, pour le moins, 
quand il parle d'un auquel on donna si grand 
coup sur son heaume qu'on l'addenta sur son 

1. Voir Godefroy, au mot tiide de ces deux citations nous 
desrochier. rappelle qu'Estienne a composé 

2. Enéide, XU, 360 : Hespe- rapidement la Précellence, sur- 
riam metire jacens. tout à l'aide de sa prodigieuse 

3. Enéide, XI, 418 : Humum mémoire,puisque les notes qu'il 
semel ore momordit. L'inexacti- avait amassées lui manquaient. 



Digitized 



by Google 



186 DE LA PRECELLENCE 

arçon, car ceci est dict d'un qui estoit à cheval *. 
Quant à certains mots aussi, qui sont adjectifs, 
servans quelquesfois d'epithetes, ils les ont telle- 
ment exprimez, que tout en un coup ils ont 
monstre leur hardiesse au langage estranger, et 
ont faict grand honneur au leur. J'enten comme 
quand pour piirpureus ils ont dict pourprin : pour 
marmoreus ils ont àiimarbrin^, et pareillement du 
mot acier ont faict acerain : duquel ils ont usé sou- 
vent avec ce mot branc. Tel est aussi Fresnin, 
pour signifier qui est de fraisne. Et quand jl a esté 
question de trouver des beaux mots composez, ils 
ne se sont monstrez moins braves : voire jusques 
à dire en un mot ce qu'Homère n'avoit pu 
exprimer qu'en trois, car quand Homère parle 
des chevaux de Rhésus, il dit, theein anemoisin 
homoioi^. Mais quand le Romman de Judas Macca- 
beus * appelle un cheval passevent ^, il use d'une 

1. Voir Godefroy, qui cite ques et triomphantes croniques 
entre autres ces deux vers de très louables et moult vei*- 
(Roman (T Alexandre) : tueux faiclz de la saincle hys- 
Si grant cop li dona que son l'arçon loire de bible du très preux et 

[l'adante... valeureux prince Judas macha- 

Si l'a féru del branc qui sor l'arçon beus ung des neuf' preux tres- 

[ladente. vaillant juif. FA aussi de ses 

2. Lesadjectifs de cette forme qualité freines, filz du bienheu- 
sont fréquents au xvi" siècle, reux prince et grand pontif 
Rabelais dit par exemple : Mathias, Paris, 1514. Le tra- 
plume anséiincy coimes bovines^ ducteur (car le roman n'est 
case chaumine, lion marbrin, que la traduction en vers de 
etc. Ronsard : adamantin, al- deux livres de la Bible) est 
bastrin, ivoirin, marbHn, myr- Charles de Sainct Gelays, cha- 
tin, pourprin, etc. noine et esleu de Ângolesme. 

3. Iliade, X, 437. 5. On trouve passebruit, pas- 

4. Les excellentes, magnifi- merveille, passepreux, passe- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 187 

hyperbole encore plus gentile. Quelquesfois en 
composition ils ont imité le Hyper des Grecs : 
comme quand ils ont dict Des chevaliers preux et 
oulrepreux \ Que s'il faut alléguer d'autres epi- 
thetes esquels ils n'usent point de composition, 
en pourroit on excogiter un plus beau de Fortune , 
que de l'appeler nouvelieret II est certain que 
quand les Latins mettront auprès de ceci leur 
novatrix fortuna, on ne sçaura lequel on devra 
choisir *. 

Or comme ils ont des mots ainsi faicts de bonne 
grâce en ceste partie d'oraison qu'on appelle le 
Nom, ainsi en ont-ils en celle qu'on nomme le 
Verbe, comme Esbouelery A bourde 1er, Randonner, 
deRandon : item ^or^noyer pour Regarder de costé, 
à la façon d'un borgne. Cestuy-ci est d'autre sorte, 
Rayer, de Ray ; comme : Si durement, quil luy fit 
le sang rayer par la bouche et par le nez. On diroit 
aujourd'huy couler, lequel mot ne representeroit 
pas si bien à nos yeux la chose. Aussi disent-ils 
Archoyer, de arc, pour Tirer de l'arc. De paume, 
pareillement Paumoyer, comme Paumoyer un bas- 
ton, pour Manier de la main. Proprement, Manier 
de la paume de la main. De ombre, Ombroyer pour 

prouesse^ etc. (Voir Godefroy.) gé, outrecrie?\ outredouté^ ou- 
Le cheval d'un des compagnons trevieux, etc. (Voir le Diction- 
de Roland, Gérer, est appelé naire de Godefroy.) 



Passecerf. (Chanson de Roland, 2. Voir Godefroy, qui cite une 
-"iit. L. Gautier, v. 1380.) phrase de Fauchet exprimant 

1. On trouve aussi outrechar- la même idée. 



Digitized 



byGoogk 



188 DE LA PRECELLENCE 

Faire ombre. De fable y Fabloyer : pour Dire des 
fables, comme, Des autres péut-on bien comter et 
fabloyer. Ils ont aussi plusieurs beaux verbes 
dérivez des Noms, en adjoustant la préposition en 
au commancement, c>ovam^ Entacher une besongne, 
pour Entreprendre. Enflescher, de flesche^ pour 
Percer de flesches. Enjoncher, de joncher y qui 
vient de joncs^ en ce beau vers : 

De morts et de navrez enjonche la campagne ' . 

Enherber aussi est un beau mot, pour Ensorceler 
par certaines herbes ou empoisonner '. Ils usent 
aussi de Envermer : qui est un verbe neutre (pour 
user d'un terme de Fart), en ce vers : 

Conviendra vostre chair pourrir et envermer^. 

Ce vieil langage ha aussi cela de bon entre 
autres choses, qu'il nous peut fournir un grand 
nombre de beaux mots pris du Latin : aucuns 
desquels sont encore aujourdhuy on quelques dia- 
lectes : et principalement J/ow/^ de multum. Quant 
à CervCy pour^une bische, Dubellay en a usé (priant 
toutesfois ne trouver mauvais ce mot * : ne Ende- 

i. C'est un lexte rajeuni. Le 2. Le mot a en Bourbonnais 

vrai texte se trouve dans Gode- le sens de panser avec des 

froy. herbes, en rouchi le sens de 

Des mors et des navres tos li vaus ff^^^^ (Cherbes, 

tenionça. 3. Vostre char convendra porir 

, o41.) [et envermer... 

Remarquons qu'ici le verbe (VopwxrfuPaon, cité par Godefroy.) 

est neutre et a pour sujet tos 4. Édition Marly-Laveaux, 1, 

li vaus. 337. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 189 

mentiers aussi pour Cependant, pris semblablement 
du vieil langage) ils disent aussi Selve, de Sylva : 
et Selve ramee i^ouv Sylva opaca. Quant à Ancelle, 
il n'est pas tant hors d'usage. Il me souvient aussi 
d'avoir leu en une Chronique Charle H baube, au 
lieu que nous disons Charle le bègue. Et est faict 
ce Baube de BalbuSy tout ainsi que Aube, estant 
dict de l'aube du jour, vient de Alba : et Aube 
espinCy de Alba spina. Ainsi un cheval blanc s'ap- 
peloit Aubain : comme nous voyons en ce vers. 

Le destrier fut tout blanc : por ce ot nom Aubain *. 

Mesmement entre les mots pris du Latin aucuns 
gardent en ce vieil langage l'escriture plus appro- 
chante de leur origine. Sur quoy il me souvient 
d'avoir veu cras au lieu de ce que nous disons 
gras, lequel cras retient le c qui est en crassus. 
Il a aussi bien sceu faire son proufit de plusieurs 
beaux Verbes Latins : comme quand de Advespe- 
rascere il a faict Avesprer. Et pour parler en gêne- 
rai de la façon dont il a usé pour se servir de la 
langue Latine, tant es Verbes qu'es Noms, et 
autres parties d'oraison, on trouve qu'il en a tiré 
de beaux vocables, lesquels de prime-face ne sem- 

1. Alixandres monta el destrier nombre de ces mots purs latins 

[castelain. dont usait notre vieille langue, 

Il estoit très tous blans, por çou comme arrfoir (ardere), c/a mer 

iI,omand-Ale.and^ZGoiZy.) (damare) ire (ira) souloir 
^ ' ^ ' (solere), famé (fama), proesmç 

Nous avons perdu un grand (proximum), etc. 

11. 



Digitized 



by Google 



190 DE LA PRECELLENCE 

blent pas avoir leur origine de-la. Quelquesfois il 
a si bien mesnagé qu'il a trouvé le moyen d'ap- 
pliquer une particule Latine à divers usages, 
comme quand du Latin Ultra il a premièrement 
faict Outre, et puis de son Outre il a faict Outrer 
(mot beaucoup plus significatif qu'il ne semble, 
comme quand on dit Outré ou outrée d'amours) et 
puis Outrance, auquel on est contraint d'avoir 
recours quand on parle de jouster à fer esmoulu. 
car on dit (au moins on souloit dire) Jouster à 
outrance : et de là est venue cette phrase, A toute 
outrance, qu'on applique à divers usages. Et non 
content de cela, il s'est tellement servi de ce mot 
Outre en ce qu'on appelle composition, qu'il en a 
faict sortir plusieurs beaux et fort significatifs 
vocables, entre lesquels mérite bien d'estre mis 
celuy duquel j'ay faict mention naguère, Outre- 
preux : adjoustant qu'en ce mot ils ont imité le 
Hyper des Grecs . lequel Hyper vaut autant que Ultra 
et Outre, mais (qui est une chose fort notable) ils 
ont imité le Hyper des Grecs, c'est à dire, la façon 
des mots Grecs composez de Hyper, en se servant 
toutesfois du latin Ultra, Pour exemple, il est cer- 
tain que ce qu'ils appellent Outrepreicx se pourroit 
fort bien exprimer, en usant du mot d'Homère 
hyperthymos. 

Ce petit mot Latin Ultra, duquel je dis que nos 
Rommansont sceu faire si bravement leur proufit, 
me fait souvenir d'un autre encore plus petit. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 191 

duquel ils n'ont guère moins tiré de commodité, 
c'est ce PeVy duquel use la langue Latine en com- 
position, quand elle dit Perlegere. car comme pour 
Légère ils disoyent Lire^ ainsi ne firent point de dif- 
ficulté de dire Perlire ou Parlire pour Perlegere \ 
quand ils voulurent signifier Lire jusques à la fin 
(comme aussi en Parfaire ils suivoyent le Latin 
Perficere) mais quand ils virent qu'ils avoyent 
besoin d'exprimer la mesme chose en quelques 
verbes, esquels les Latins ne l'exprimoyent pas, 
ils prirent la hardiesse de mettre des leurs et 
comme les enter sur ce petit mot Per. (comme 
aussi on peut dire que sur le Ultra des Latins, ils 
ont comme enté ce mot preux, quand ils ont dict 
Outrepreux : et pareillement autres sur cestuy-la 
mesme). Pour exemple : voyans que les Latins 
n'avoyent point de Verbe signifiant Attendre jus- 
ques à la fin, et quand bien ils eussent dict Per- 
expectare, eux ne se pouvoyent servir que de la 
particule mise devant, ils ne firent aucune diffi- 
culté de àiTQ Per attendre : pour signifier ^^^endre 



1. Par est en ancien français trouve beaucoup de mots aux- 

une vraie particule augmen- quels s'est soudée la particule 

tative, qui modifie soit des par : parabatre, paracomplir, 

adjectifs, soit des verbes, soit paramer , pararaoir, paras- 

des adverbes. Généralement sommer, parboiUir, parbriser, 

par ne précède pas immédiate- paradmirable, parcharge, etc. 

ment le mot qu'il détermine, (Voir Godefroy.) Beaucoup des 

et si ce mot est un adverbe, mots composés avec' par se 

par se place après (mouU^ tant, trouvent aussi avec per-, mais 

trop, etc.). Voir de nombreux c'est la première forme qui est 

exemples dans Godefroy. On la vraie forme française. 



Digitized 



by Google 



192 DE LA PRECELLENCE 

jusques à la fin. comme on voit en ce gentil pro- 
verbe, Mal attend qui ne perattend *. J'advertiray 
en passant que j'escri Perattend (plustost que 
Parattend) comme je Tay trouvé escrit en un vieil 
livre, duquel j'ay tiré ce proverbe. Et semble 
qu'encore qu'on escrive (comme aussi on pro- 
nonce) Parlire plustost que Perlire^ toutesfois 
Perattendre soit meilleur que Parattendre, pour 
éviter la rencontre des deux a : laquelle les 
oreilles bien Françoises fuyent tant qu'elles peu- 
vent, quand ils sont si prochains. Et pour retourner 
(après ceste petite parenthèse) à ce que je disois 
que notre ancien langage avoit aussi trouvé le 
moyen de s'accommoder fort bien de ceste parti- 
cule Latine, nous la trouvons en un mot qui sonne 
mieux en temps de guerre, qu'en temps de paix : 
car c'est en ce Verbe, Paroccii\ pour signifier 
Achever d'occir. 

Mais ces Rommans ont trouvé encores un autre 
expédient pour imiter la langue Latine, duquel on 
ne s'appercevroit pas si aisément. Or en avons- 
nous exemple en ce mot Araines, duquel use 
Huom de Meri *, pour signifier une certaine espèce 
de trompette. Et me semble avoir bien choisi ce 
mot pour exemple de ce que j'ay dict, pource 
qu'en luy donnant ceste signification, il s'aide du 

1. Voir Génin, Récréations techri^t.WoirG. PeiTis, La litté- 
philologiques^ II, 233. rature française au moyen âge, 

2. Hûon de Méri a composé p. 161 et 228. Cf. E. Pasquier, 
en 1235 le Toumoyement d'An- Recherches, VII, ra. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 193 

langage Latin, non pas en prenant son mot, mais 
en l'imitant : c'est à dire, en donnant le mesme 
usage à un François, lequel desja, quant à sa pre- 
mière signification, correspondoit au Latin. Car 
nous sçavons que ses, qui proprement signifie 
arain (ou airain, comme aucuns prononcent), se 
prend aussi pour une trompe ou trompette, par 
les poètes (comme nous lisons en Virgile, ^re 
ciere viros) * et que xneatores s'appeloyent ceux 
qui en sonnoyent : pour une mesme raison, à sça- 
voir qu'ils usoyent d'une trompe d'arain. Voyla 
comment ils ont imité la langue Latine, sinon 
qu'au lieu de dire Arain, respondant totalement à 
ses, ils l'ont changé en ce mot Araine. 

Mais, comme bien avisez, encore que leur lan- 
gage fist son proufit de celuy des Latins, en plu- 
sieurs sortes, (d'où vient qu'il donnoyent à leur 
livres le nom de Rommans : et eux aussi qui les 
ont composez sont aujourdhuy appelez Rommans, 
comme j'ay dict ci dessus) ' : ils ne laissoyent pas 
d'en faire une grande provision d'ailleurs aussi : 
outre ce qu'ils n'estoyent cependant moins son- 
gneux de garder les principaux de ceux qui leur 
avoyent esté laissez par les Gaulois leurs ances- 

1. Enéide, IV, 165. roman de France ayant été 

2. Voir page 72. Le mot d'abord des poèmes narratifs, 
roman, appliqué à un livre, a le mot roman s'est spécialisé 
d'abord signifié ouvrage écrit dans ce sens, puis est resté 
en roman, par opposition aux attaché aux récits même lors- 
ouvrages écrits en latin. La qu'on a commencé à les écrire 
plupart des ouvrages écrits en en prose. 



Digitized 



by Google 



194 DE LA PRëCëLLENCE 

très : ou pour le moins estoyent dérivez de ceux- 
là. En quoy ils suivoyent le conseil du proverbe 
qui dit, 

Non minor est virtus quant quwrere, parla tueri*. 

Et desja, avant que j'entrasse en propos touchant 
leur sagesse quant à se servir en plusieurs sortes 
de la langue Latine, j'avois mis en avant quel- 
ques-uns de ces mots-la, parmi les autres : mais 
je veux bien passer plus outre, quant aux compo- 
sitions : et adjouster, qu'eux considerans la pau- 
vreté des Latins en cest endroit, et au contraire la 
richesse des Grecs^ ont eu le cueur en si bon lieu 
qu'ils ont monstre en quelques mots qu'ils aspi- 
royent à une pareille richesse. Et pour un bel 
exemple de ceci je proposeray un beau mot, 
ËntrœiP. car je di qu'il n'a point esté faict à l'imi- 
tation d'un appartenant aux Latins : (veu qu'ils 
n'ont aucun qui signifie ceci), mais que nos Rom- 
mans en un mesme mot ont voulu surpasser les 
uns et égaler les autres : j'entend les Grecs. Il 
est vray qu'il semble que du temps d'Anacreon ' 



1. Ovide, Uart d'aimer, U, 13. mesteter : De la formation des 

2. Le mot est trop ancien mots composés en français, 
dans la langue pour qu'on 2* édition, revue par G. Paris, 
puisse Fattribuer à une imita- p. 149. 

tion voulue du grec. Il est 3. Anacréon, édition Rose, 

d'ailleurs tout à fait conforme p. 18 : 
aux procédés de formation de , , n /- 

notre langue : entr'acte, entité- xo jieffôçpupv 6è tnrj (&oc 
côte, entremets, etc. Voir A. Dar- oia^toicTe iitixe iit<yYe. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 195 

on n'ait pas trouvé le large entrœil si beau que 
nos Rommans le trouvoyent. 

Je ne doute point que les autres langages (et 
celuy principalement qui nous est compétiteur) 
estans meus de quelque envie ne facent difficulté 
d'avouer ce que j'ay dict, que le nostre, en for- 
geant ce mot Entrœil, ou autres tels, se soit pro- 
posé l'imitation des Grecs : mais si faut il qu'ils 
confessent que nous avons tiré plusieurs mots 
d'eux, en gardant les mesmes lettres, ou à peu 
près (outre ceux que nous avons eus par main 
tierce) et quand ils m'accorderont ce poinct, je 
leur diray que la curieuse diligence qu'on voit en 
un endroit peut faire croire l'autre. Car (pour 
exemple) y-a-il plus grande diligence ou habileté 
en cela, qu'en ce qu'ils sont allez chercher leur 
mot Estoch (duquel on use quand on dit Un coup 
(ïestoch) jusques au plus profond de la Grèce, 
trouvans là le mot Stochazesthai, duquel ils l'ont 
tiré*? 

Et cependant je veux bien confesser que parmi 
les mots qu'ils prenoyent des langages Grec et 
Latin, ils mesloyent aussi beaucoup de celuy de la 
langue Gauloise, qui leur avoit esté laissé par 
leurs ancestres. Et peut estre qu'aucuns, l'etymo- 
logie desquels est référée à diverses langues, 
selon la diversité des jugemens, nous sont de- 

1. Estoc vient de l'allemand Stock, bâton. On le trouve avec 
le sens de tige, tronc, même au figuré. 



Digitized 



by Google 



196 DE LA PRECELLENCE 

meurez de ceste-la. Tant y-a que bien souvent 
nous conjoignons des mots dont l'un est manifes- 
tement pris du Latin ou du Grec, Tautre ne peut 
estre ne de Tun ne de Tautre. Et quelquesfois les 
conjoignons comme synonymes : comme quand 
nous disons Franchement et librement : quelquesfois 
aussi, encore qu'ils soyent contraires : comme 
quand nous disons Joureinuict, QudLiïi k Franche- 
ment, je ne doute point (comme j'ay desja dict 
parcidevant) qu'il n'ait son origine du langage 
dont usoyent les Gaulois *. Car il est tout évident 
qu'il vient de Franc, lequel je pense avoir esté un 
de leurs mots : ayant la mesme opinion de plu- 
sieurs monosyllabes : et de Branc, entr'autres : 
lequel est fréquent es Rommans, qui adjoustent 
aussi ordinairement ces mots d'acier, car ils 
disent Un branc d'acier. Quant à Brachmar toutes- 
fois (qui est un de nos anciens mots, qui com- 
mancent fort à perdre tout leur crédit) je demeure 
bien tousjours en ceste opinion qu'il soit dict au 
lieu de Bracmach, estant tiré de deux mots Grecs, 
Bracheia machaira, c'est à dire Courte espee *. ce 

1. Voir page 73 et la note. Si la chose vient d'Allemagne, 

2. Bracmach ne se trouve ni le mot pourrait être aussi d'ori- 
dans l'historique de Littré, ni gine germanique. 

dans Godefroy. Du Gange, au Cependant l'étymologie don- 
mot bragamardus, donne dans née par H. Estienne n'est pas 
les exemples bei^gamas, bra- absolument invraisemblable , 
gamas, bagamars, A braque- car les archéologues rangent 
mardus, il donne cette exprès- le braquemart, à cause de sa 
sion : « Un grant coustel d'Aile- forme, parmi les armes venues 
maigne nommé bracquemart. » d'Orient. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 497 

que signifie aussi nostre mot. Et ne doute non plus 
qu'il ne soit tiré de là, que de Hoqiœton, qu'il ne 
soit pris de Ho chitom, ayant esté dict Hoqueton 
pour Hoche ton, outre le changement de la lettre i 
en e \ Ausquels mots on peut adjouster Escar- 
mouche, estant dict pour Escamouche ou (pour 
approcher encore plus près de Torigine) Sy-ia- 
mâche car je tien pour certain qu'il vient du Grec 
Sy.iamachia *. 

Mais pour retourner à ces monosyllabes, nous 
voyons aussi que Bec, que Suétone "tesmoigne 
estre de nos^ Gaulois^st monosjjllabe^jle n'enten 
pas toutesfois qu'au langàg^Ues Rommans n'ayons 
autres mots des Gaulois qu'aucuns de ceux d'une 
syllabe : mais je di qu'entre ceux ci principale- 
ment je pense aucuns estre des leur. 

Or combienque j'aye dict que nos ancestres 
prenoyent plusieurs mots du Latin, et quelques- 
uns aussi du Grec, si est-ce que je confesse qu'ils 
appeloyent mauffaits * ceux que nous appelons 
diables, suivans le langage Grec. 

1. ffo^i/e/on est le mot co^o/i, 2. Escarmouche vient de 
précédé de l'article arabe, al. l'italien scaramuccia^ d'origine 
De plusieurs exemples, il ré- incertaine. Littré et Scheler in- 
sulte que le mot désignait une diquent l'ancien haut-allemand 
étoffe avant de désigner le skerman, combattre, et rappro- 
vêtement fait de cette étoffe, chent de l'ancien français e*- 
(Voir le Dictionnaire de Littré, carmie, combat, esci^emir, etc. 
et celui de Hatzfeld, Darmes- 3. Suétone, dernière phrase 
teter et Thomas.) L'ancienne de la Vie de Vitellitts. 
forme était auqueton.hau/tetun, 4. La vraie orthographe est 
aqueton, aketon, (Voir Gode- malfé [maufé, mauff'é, etc. Go- 
froy.) defroy). L'orthographe d'Es- 



Digitized 



by Google 



198 DE LA PRECELLENCE 

Et comme ils donnoyent ce vilain nom aux dia- 
bles (et à bon droit) ainsi en donnoyent-ils de 
beaux à certaines choses, et plus beaux qu'elles 
n'ont aujourdhuy. Tel estoit celuy qu'ils don- 
noyent à la bourse quand ils l'appeloyent Une 
aumosniere : lequel nom quelques femmes don- 
nent encore aujourdhuy à leur boursette, pour la 
distinguer d'avec l'autre. Quant à ce mot Bourse, 
il est tout évident qu'il vient de Byrsa, qui est un 
mot Grec, ayant la terminaison Latine, et signifie 
Coriuniy d'où vient cuir. 

Pour signifier tromperie ils usoyent de plu- 
sieurs mots qui ne sont point aujourdhuy en 
usage : entre lesquels estoit Guille. et quelquesfois 
mettoyent aussi barat avec : disans, Il ny a ne 
barat ne guille, comme nous disons, // ny a ne 
fraude ne barat. 

Il me souvient de deux autres mots des Rom- 
mans, qui sont fort notables : l'un est Marinette, 
l'autre est Latinier. Quant à ce mot Marinette, il 
signifie la pierre qui attire le fer : que les Latins 
ont appelée Magnes, suivans les Grecs. Hugues de 
Bersi use de ce mot, en la satyre qu'il composa 
contre les vices regnans de son temps *. Voyci le 
passage : 

tienne vient d'une fausse éty- Guiot de Provins. Ce dernier^ 

mologie. né vers le milieu du xii* siècle, 

1. Le texte cité par Ëstienne alla en pèlerinage à Jérusalem, 

n'est pas de Hugues de Berci, et, à son retour, se fit béné- 

ou plutôt de Berzé, mais de dictin. Il a composé sous le 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 199 

Mais celle estoile ne se muet. 
Un art font qui mentir ne puet, 
Par vertu de la marinette *, 
Une pierre laide et noirette, 
Oà li fers volontiers se joint. 

L'autre mot, qui est Latinier, seroit encore plus 
malaisé à entendre, si on ne voyoit le passage 
duquel je le pren, au Romman d'Alexandre, 

Porus rend Alexandre son hranc fourbi d'acier. 
Et dit en son langage que il l'avoit moult chier, 
Alexandre l'entend, sans autre latinier, 
Car de plusieurs langages s'estoit faict affaitier. 

Il est maintenant aisé à voir qu'il se prend pource- 
que nous appelons trucheman : et croy ceste signi- 
fication avoir esté donnée à ce mot pourceque le 
langage Latin, du temps de nos Rommans, estoit 
celuy duquel les truchemans s'aidoyent quelques- 
fois pour interpréter : fust bon Latin ou mauvais. 



titre de Bible une satire dans Bible, comme celui de Guiot. 

laquelle il attaque les hommes Ce poème, en 838 vers de huit 

de toutes les conditions, sans syllabes, offre un tableau deâ 

ménager l'Église. Sa satire, désordres du temps. (V. G. Pa- 

composée de 2700 vers, est vive ris, ouvr. cité, p. 253 et 179. 

et intéressante. (V. G. Paris, Cf. E. Pasquier, Rechei^ches, 

ouvrage cité, p. 153.) 11 a VII, m.) 

été longtemps confondu avec 1. Au lieu de marinette, les 

Hugues de Berzé, seigneur de manuscrits donnent les uns 

Berzé le Chastel, en Bourgogne, manete, pierre d'aimant, ce 

à qui on attribuait sa Bible, qui est à peu de chose près le 

Hugues de Berzé assistait à la mot latin, les autres manière-, 

prise de Gonstantinople, en môme sens. Le vers suivant, 

1204. A son retour en France, dans ces derniers, au lieu de 

il composa un poème intitulé noiretle, a bruniere. 



Digitized 



byGoogk 



200 DE LA PRECELLENCE 

Je laisse maintenant au jugement des lecteurs, 
de quelle sorte de mots principalement nous pou- 
vons faire nostre proufit, entre ceux que nous 
trouvons es Rommans. Quant à moy, je m'avan- 
ceray bien de dire que marinette, en poésie prin- 
cipalement, seroit celuy duquel je craindrois 
moins user. Mais il y-a des vocables desquels on 
auroit bien raison de disputer, si on en doit user, 
j'enten ceux qui ont aujourdhuy une signification 
ou du tout ou un peu différente de celle qu'ils 
avoyent alors. Du tout différente, comme celuy 
entre les seigneurs que nous honorons aujourdhuy 
du titre de comte, estoit honoré lors du titre de 
queux (comme. Là fut li queux * de Tanquarville) 
duquel mot nous n'usons que pour signifier un 
cuisinier. Aussi pouvons nous dire que Adjourner 
ha une signification du tout différente de celle 
qu'il avoit, quand il s'opposoit à Avesprer *. Et à 
propos de nostre adjourner, la signification qu'ils 
donnoyent à sergent, quand ils appeloyent (pour 
exemple) Moy se sergent de Dieu, est non du tout 
mais un peu différente de celle que nous luy don- 
nons. Je di seulement un peu différente, pource 



{. H. Estienne a mal lu. Le «Pour ce faire, le faudroil voir 

texte est évidemmeni quens, tousces vieux Romans et Poètes 

cas-sujet de comte. (Plus sou- Francoys, ou tu trouverras un 

vent cuens et cons.) ajournei^ pour faire jour (que 

2. Cf. Du Bellay, Deffence et les Praticiens se sont fait 

itlustration de la langue f'ran- propre), anuyter pour faire 

coyse, édition Person, p. 129 : nuit, » 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 201 

que c'est aussi bien serviens * (d'où il vient) que 
c'estoit alors : mais non de la mesme façon. Quant 
à moy, je di qu'il n'y-a quAdjourner duquel je 
ne ferois point difficulté d'user. Et comme je ne 
voudrois user des deux autres, aussi ne vou- 
drois-je dire Sur toute rien, ou Su7^ tout rien, pour 
Sur toutes choses, comme au premier livre d'Ama- 
dis, Toutesfois il est bien deceu. car elle le hait sur 
tout rien. Je ne voudrois (di-je) ainsi parler : 
encore que je sçache bien que Rieii signifie autant 
que Chose, car je nay rien du monde, et je nay 
chose du monde, valent autant l'un que l'autre : 
et approuvant quelques mots et façons de parler, 
que cest auteur prenoit des Rommans (j'enten le 
seigneur Des essars) * ceste-ci est de celles que je 
n'approuve point. 

Le proverbe que j'ay nagueres allégué m'a faict 
aviser d'adjouster un petit discours touchant 
aucuns lesquels entr'autres semblent avoir fort 
bonne grâce, et sentir le style de nos Rommans. Et 



1. Non pas de serviens, mais donna au roman portèrent ce 
de servientem. nombre à douze. La traduction 

2. Nicolas Herberay des Es- française eut, comme Foriginal, 
sarts, commissaire d'artillerie, un grand succès, mérité par le 
traduisit de l'espagnol, de 1540 charme du récit et par Tagré- 
à 1548, V4madis des Gaules. Ce ment du style. Des Essarts a 
roman, inspiré sans doute de traduit en outre de l'espagnol 
nos romans de la Table-Ronde, le 1*' livre de la Chronique de 
avait été composé, vers la Florès de Grèce, V Horloge des 
fin du XV* siècle par Garcia Princes, de Guevara, et du grec 
Ordonez Montalvo, qui écrivit VHistoire des Juifs, de Flavius 
quatre livres. Les suites qu'on Josèphe. 



Digitized 



by Google 



202 DE LA PRECELLENCE 

ceux qui considéreront combien les beaux pro- 
verbes, bien appliquez, ornent le langage de ceux 
qui d'ailleurs sont bien empariez, ne s'esbahiront 
(au moins, ne se devront esbahir) si tirant quel- 
ques pièces de divers magazins de nos Rommans, 
pour monstrer comment par leur moyen nous pou- 
vons adjouster richesse sur richesse, j'en tire 
aussi quelques-unes de cestuy-la *. 

Je commanceray par le susdict, Mal attend qui 
ne perattend : et prieray le lecteur considérer com- 
ment nous pouvons faire nostre proufit de ce pro- 
verbe, en l'alléguant à celuy qui n'aura point eu 
la patience d'attendre jusques à la fin, mais aura 
perdu courage. Et nommément pour les atten- 
dans de la cour ceste leçon est fort bonne, que ce 
n'est pas bien attendu si on n'attend jusques à la 
fin. sinon au cas qu'ils voyent que ceste fin ne 
prenne aucune fin. Une mesme sorte d'enseigne- 
ment est en ce proverbe, // ne se garde pas bien 
qui ne se garde tousjours *. Mais quant à attendre 
je trouve encores un autre proverbe où il y-a aussi 



1. La plupart des proverbes la table des matières du livre 
cités se trouvent dans l'ouvrage de Le Roux de Lincy est in- 
de Le Roux de Lincy. Souvent complète, j'ai renvoyé aux 
le proverbe est simplement pages, afln d'éviter au lecteur 
cité, mais le plus souvent la de trop longues recherches, 
provenance est indiquée. Beau- L'édition à laquelle renvoient 
coup se trouvent dans le Roman les notes est la 2* édition (1859). 
de la Rose, ou le Roman de — Consulter au tome H, p. 547- 
Renard, etc. Souvent aussi le 596, la Bibliographie des Pro- 
même proverbe se présente verbes, 
sous plusieurs formes. Comme 2. Le Roux de Lincy, II, 313. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 203 

une autre sorte de composé, Qui bien attend ne 
surattend *. 

Et à propos de ce que j'ay dict parcidevant, que 
nous avons des façons de parler prises de la con- 
gûoissance du naturel des animaux, j'ameneray 
quelques proverbes aussi, qui sont de ce reng : et 
cestuy-ci sera le premier, On ne peut faire de 
buisart un esprevier*. II est vray qu'on trouve 
escrit buison au lieu qu'on dit aujourdhuy buisart, 
ou busart. Et comme ce proverbe-là concerne la 
fauconnerie, aussi cestuy-ci, Oiseau débonnaire de 
luy-mesme se fait^. Où il faut noter débonnaire dict 
en sa propre signification, au lieu que quand on 
le dit d'un homme, on use de translation : suivant 
ce que j'en ay discouru cidessus : où j'ay aussi 
adverti que débonnaire se disoit pour de bonne 
aire. J'adjousteray deux autres proverbes, qui 
appartiennent à ceste congnoissance de la nature 
des animaux. L'un est, Onques mastin n'aima 
lévrier^. L'autre, Onques bon cheval ne devint rosse ^. 

l.Nicot:« Surattendre aucun, mes le proverbe cité par H. Es- 

id est, cheminant ou chevau- tienne. 

chant tout beUement attendre 2. Le Roux de Lincy, I, 153. 

celui qui vient. Ce n'est pas — Quitard, Dictionnaire des 

attendre tout coy ains à demy proverbes, 1842, p. 350. — 

et allant le petit pas. » Ce sens Philippi Gameri Thésaurus 

trop particulier ne s^accorde Adagiorum Gallico-latinorum 

pas bien avec les exemples (1612), p. 111. 

cités par Godefroy, qui attribue 3. Le Roux de Lincy, I, 188. 

au mot le sens d'o^^endre encore, — Gameri Thésaurus y 538. 

attendre trop, attendre en vain, 4. Le Roux de Lincy, I, 184. 

puis attendre, en général. Voir 5. Id., 1, 162. — Gameri The- 

dans Godefroy sous trois for- saur us, 132. 



Digitized 



by Google 



204 DE LA PRECELLENCE 

Or comme on y trouve des proverbes faicts sur 
une observation du naturel des bestes, aussi en 
ont-ils aucuns faicts sur ce qu'ils ont observé de 
la nature des hommes, et principalement des 
mœurs qu'ils ont naturellement. Et tels proverbes 
sont autant d'advertissemens. De ce nombre est 
cestuy-ci, // n'est si grand despit que de povre 
orgueilleux^. Lequel se dit aussi en ceste sorte, Il 
nest orgueil que de povre enrichi '. 

A l'expérience que j'ay dicte appartient aussi 
ce proverbe, Oignez vilain^ il vous poindra : P oi- 
gnez vilain^ il vous oindra^. En cestuy-ci pareille- 
ment, qui est aussi touchant le vilain, nous avons 
un bel advertissement, // nest danger que de 
vilain^. Et vilain en ces proverbes est Qui ha le 
coeur vilain : veu mesmement qu'un autre proverbe 
dit, Nul nest vilain si le cu^ur ne luy meurt ^. 

Le changement de mœurs qu'on a observé et 
expérimenté en plusieurs, avec le changement 
d'aage, a donné occasion de faire cest autre pro- 
verbe, De jeune angelot vieux diable^. 

Et comme es proverbes qui précèdent cestuy-ci, 
il est parlé du félon et du vilain, aussi en avons- 
nous qui nous advertissent de plusieurs choses 

1. Le Roux de Lincy, II, 317. 4. Le Roux de Lincy, II, 106. 

2. Id., II, 314. — Cf. De Méry, 5. Id., II, 106. Niilneest vilain 
Histoire des proverbes, 1, 274. se du cuer ne H vient. Ce pro- 

— Garneri Ttiesaurus, 531. verbe ne convient pas moins 

3. Le Roux de Lincy, II, 106. à Tidée exprimée par Henri 

— Quitard, ouv. cité, 692. — Estienne. 
Garneri Thésaurus, 769. 6. Id., I, 11. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 205 

qui sont à considérer en la nature des fols : estans 
compris soubs ce mot ceux aussi qu'on appelle 
plus doucement Maladvisez, Et à propos de ce que 
j'ay nagueres allégué un proverbe où on met fol 
au lieu de félon, en voyci un qui tesmoigne qu'ils 
ne se peuvent accorder, Fol et félon ne peuvent 
avoir paix\ Pareillement avec la richesse ne se 
peut il accorder : tesmoin cest autre proverbe, 
Fol et avoir ne se peuvent entravoir*. Car avoir se 
prend pour Richesse ou Biens. Nous lisons aussi, 
Fol devise, et Dieu départ '. Auquel est semblable 
cestuy-ci, De ce que fol pense souvent en demeure^. 
Ils disoyent aussi, Le fol se couppe de son Cous- 
teau^. Quelques autres proverbes nous advertissent 
en quelles choses ne devons nous servir d'un fol : 
car nous trouvons, Ne fay pas d'un fol ton mes- 
sage^. Item, Qui fol envoie, fol attend"^. En voyci 
deux autres qui nous conseillent de les fuir. L'un 
est, Accointance de fol ne vaut rien * : l'autre, Bonne 
journée fait qui de fol se délivre^. Ce nonobstant il 
est dict qu'il faut supporter les fols : On doit 
honorer gens de bien, et supporter les fols *®. Et 



\. Le Roux de Lincy, II, 476. 7. Id., I, 243. — Gameri The- 

2. Id., ibid. saurus, 325. 

3. Le Roux de Lincy donne 8. Le Roux de Lincy, I, 239. 
seulement : Fol devise et fol — Gameri Thésaurus^ 323. 
départ, I, 235. 9. Le Roux de Lincy, II, 

4. Le Roux de Lincy, I, 240. 473. — Gaimeri Thésaurus, 324 

— Gaimeri Thésaurus, 324. et 331. 

5. Le Roux de Lincy, I, 242. 10. GameH Thésaurus, Est 

— Gameri Thesawnis, 329. tolerandus iners, sapiens vir 

6. Le Roux de Lincy, 11,353. habendus honori (p. 331). 

12 



Digitized 



by Google 



206 DE LA PRECELLENCE 

mesmes on leur fait quelque honneur es deux pro- 
verbes suivans. Tun, Un fol avise bien un sage^ : 
l'autre, Au défaut d'un sage monte un fol en 
chaire*. Or est parlé généralement es proverbes 
susdicts : mais cestuy-ci fait mention particulière- 
ment du seigneur fol : au moins, qui ha fol cou- 
rage : Il nest au monde si grand dommage, Que 
seigneur à fol courage '. 

Touchant le sage aussi nous avons des pro- 
verbes, comme, En tout temps le sage veille *. Item, 
Qui est sage il se doute ^. Item, Le sage se conforme 
à la vie de ses compagnons^. Item, Le plus sage se 
taist ^ Mais le sage ne doit avoir ceste opinion de 
soy, qu'il soit sage : tesmoin cest autre proverbe, 
Qtii cuide estre sage, il estfol^. Il faut aussi qu'il ait 
peur d'un fol : tesmoin cestuy-ci. Il n'est pas sage 
qui n'ha peur d'unfoP. Et outre les proverbes que 
nous avons du sage, on luy en peut accommoder 
aucuns de ceux qui sont dicts du fol, en ostant ou 
adjoustant une négation, comme, s'il est vray. Fol 
est qui conseil ne croit *° : il sera vray. Sage est qui 
conseil croit. Le mot aussi de sagesse se trouve en 
aucuns : comme ici. Sagesse vaut mieux que force "; 



4. Le Roux de Lincy, I, 244. 6. Le Roux de Lincy, H, 331. 

— Quitard, ouv. cité, 407. 7. Le Roux de Lincy, H, 331. 

2. Le Roux de Lincy, I, 240. — Gaitien Thésaurus, 664. 

— GameH Thésaurus, 326. 8. Le Roux de Lincy, H, 387. 

3. Le Roux de Lincy, II, 98. 9. Le Roux de Lincy, 1, 239. 

4. Le Roux de Lincy, I, 274. 10. Le Roux de Lincy, II, 476. 

— Gameri Thésaurus, 669. 11. Le Roux de Lincy, 9. Id., 

5. Le Roux de Lincy, II, 391. II, 414. Gameri Thésaurus, 668. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 207 

Et ici. Sagesse et jeunesse ne sont pas ensemble, 
ou, ne demeurent pas ensemble *. 

Pour venir de Sagesse à Science, nos ancestres 
nous ont aussi appris à dire, Science nha ennemis 
que les ignorans *. Item, Science sans fruit ne vaut 
guère '. Item, // n'est thresor que de science, ou, 
richesse que de science *. Toutesfois ils disoyent 
aussi. Diligence passe science^. Mais aucuns aujour- 
dhuy disent. Patience passe science *. 

Entre les proverbes lesquels nous servent d'ex- 
hortations, sont ceux qui nous monstrent les amis 
estre chose plus pretieuse que les richesses. Je 
commanceray par un fort beau, et qui sent bien 
son antiquité. Mieux vaut ami en voye Que argent 
en corroyé \ Cestuy-ci pareillement appartient à 
cela. Nul n'est si riche quil nait mestier d'amis *. 
En voyci un autre. Amis valent mieux. qu'argent^. 
Auquel il faut adjouster cestuy-ci, On ne peut 
avoir trop d'amis ^^. Outre tous ces proverbes ils 
avoyent encore cestuy-ci, pour monstrer combien 

1. Garneri Thésaurus, p. 391 : 148. — Gameri Thésaurus, 219. 
Non in una sede morantur ju- 6. Le Roux de Lincy, II, 148. 
ventus et sapientia. C'est rallitération qu'on a cher- 

2. Le Roux de Lincy, II, 148. chée . — Garneri Thésaurus , 

— Gameri Thésaurus, 674. page 561. 

3. Le Roux de Lincy, II, 148. 7. Le Roux de Lincy, II, 236. 

— Gaimeri Thésaurus, 674. — Gaimeri Thésaurus, 24. 

4. Le Roux de Lincy, II, 316. 8. Le Roux de Lincy, II, 317. 
// n'est richesse que de tcience 9. Id., II, 236. — Garneri 
et santé, — Garneri Thésaurus, Thésaurus, 32. 

648. 10. Le Roux de Lincy, II, 362. 

5. Le Roux de Lincy, II, — Garneri Thésaurus, 29. 



Digitized 



by Google 



208 DE LA PRECELLENCE 

on devoit priser un ami, Bien de sa place part 
qui son ami y laisse*. Encore n'est-ce pas tout, car 
nous trouvons là mesme,// n'est nuls petits amis^. 
et (qui est un advertissement plus fréquent et plus 
nécessaire) // n'est nuls petits ennemis^, A quoy 
se rapporte aussi un proverbe, qui est bien contre 
ceux qui disent, Oderintdummetuant^ (c'est à dire, 
Qu'ils me hayssent, pourveu qu'ils me craignent) 
j'enten cestuy-ci. Qui de ses subjects est hays, 
nest pas seigneur de son pays ^. Ce qui ha encore 
plus d'emphase que si on disoit. Malus domina- 
tionis custos melus : au lieu qu'en Ciceron nous 
avons Malus diuturnitatis custos ^. Mais il faut 
noter en ce dernier proverbe que hays est dict 
pour hay, la lettre S estant superflue : comme 
elle est souvent au langage ancien, et principa- 
lement où la ryme requiert qu'elle soitadjoustee\ 
Or comme ils monstroyent par les proverbes 
susdicts qu'ils estimoyent les amis estre une si 
grande richesse, aussi en avoyent par lesquels ils 
se plaignoyent de la rarité d'iceux. car nous 
lisons, // nest guère de loyaicx amis^. Item, Le 
mort nha point d'ami. Le malade nen ha quun 

1. Le Roux de Lincy, H, 248. 6. De Officiis, II, vu. 

2. Id., II, 314. — Garneri 7. Les règles de Fancienne 
Thésaurus, 25. langue étaient à peu près 

3. Le Roux de Lincy, II, 314. ignorées au xvi" siècle. H. Es- 

— Quitard, ouvr. cité, 343. — tienne ne pouvait reconnaître 
Garneri Thésaurus, 253. dans Vs de hays la caracléris- 

4. Sénèque, De Ira, I, xvi. tique du cas sujet. 

5. Le Roux de Lincy, II, 99. 8. Cf. Quitard, Dictionnaire 

— Garneri Thésaurus, 679. des proverbes, p. 41. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 209 

demi^. Et quant au povre, point 'du tout, Povre 
homs n'ha point d'ami*, ce qui convient aussi avec 
le proverbe tant Grec que Latin' : et pourtant vaut 
mieux suivre ceste escriture d'un vieil exemplaire, 
(estant homs dict à la façon ancienne pour homme) 
que l'autre, Povres gens n'ont guère d'amis*. 

Ils nous ont pourveus aussi de proverbes qui 
monstrent à certaines personnes qui sont en 
office, ou dignité, quel est leur devoir : mais 
notamment aux juges, car ils ne se sont pas con- 
tentez de dire, Be fol juge brève sentence^ : mais 
pour se faire encore mieux entendre, ont dict 
aussi. Sage est le juge qui escoute et tard juge. Ce 
qui me fait souvenir d'un endroit du Romman de 
Perceforest *, où il est dict que le trop haster fait 
entendre mal les choses, lesquelles mal entendues 
font mal juger. Or disoyent-ils aussi. Qui veut 
bien juger ^ il doit la partie escouter \ 

Aussi appartiennent au faict de justice ces pro- 



1. Le Roux de Lincy, II, 330. 4. Le Roux de Lincy, II, 369. 
— Garneri Thésaurus, 285. — Garneri Thésaurus^ 571. 

2. Le Roux de Lincy, I,. 256. 5. Voir page 36. 

3. Erasmi adagiorum chilia- 6. La 1res élégante, délicieuse y 
des quatuor, dans les Opéra mellifiue et tresplaisante hys- 
omnia. Froben,Basileœ,MDXL: toire de tresnohle et victçrieux 
'Kxtùyoxi çtXoi 0Ù6* ol yevvTiTOoec, et excellentissime roy Perce- 
id est, Mendico ne parentes forest, roy de la Grande Bre- 
quidem amici sunt. (thiliadis /azjy/iff, Paris, 1528. Cet ouvrage 
quartœ centuHa II, 51.) La composé très antérieurement 
môme idée a d'ailleurs été sou- à cette date se rattache aux 
vent exprimée par les mora- romans de la Table-Ronde, 
listes et les poètes. 7. Le Roux de Lincy, II, 409. 

12. 



Digitized 



by Google 



210 DE LA PRECELLENCE 

verbes, Droit n^espargne nulli *. Item, Force nest 
pas droit ^. Et, Oii force est raison nha lieu^. ou, 
justice n'Aa lieu. Item, Bon droit ha bon besoin 
d'aide \ Et, Eschars plaidoyeur est hardi pei^deur^. 
Item, Convenance vaut loy *. 

Aucuns proverbes aussi (voire plusieurs) nous 
tesmoignent de la pieté de nos ancestres, notam- 
ment quant à la considération tant de la puissance 
que de la providence divine \ Le premier soit 
cestuy-ci, Il est riche que Dieu aime *. Duquel 
voyci le réciproque (qui contient la mesme sen- 
tence) Il estpovre que Dieu hait *. A ce premier et 
second correspondent les trois suivans (ausquels 
je donneray le troisième, le quatrième, le cin- 
quième lieu) A qui Dieu aide, nul ne peut nuire *°. 
Et, Contre Dieu nul ne peut ".Et, Cil est bien gardé 
qui de Dieu est gardé *V 

Les suivans pareillement nous monstrent ce 
que j'aydict. Le sixième donc soit. En peu d'heure 



1. Cf. Le Roux de Lincy, H, proverbes relatifs à cette idée 
291 : Droit ne se remue, dans ses Proverbes epigram- 

2. Le Roux de Lincy, H, 300. matisez, 

3. Id., Il, 365. — Cf. Quitard, 8. Le Roux de Lincy, I, 20. 
ouvr. cité, 404. — Garneri Thésaurus^ 654. 

4. Le Roux de Lincy, H, 251. 9. Le Roux de Lincy, I, 20. 
— Quitard, ouv. cité, 19. — Gaimeri Thésaurus, 571. 

5. Le Roux de Lincy, II, 146. 10. Le Roux de Lincy, I, 19. 

6. Le Roux de Lincy, II, 277 : — Garneri Thésaurus, 216. 
Convenances vainquent loy, 11. Le Roux de Lincy, I, 19. 

7. H. Estienne a donné plus 12. Le Roux de Lincy, I, 19. 
tard une grande quantité de — Garneri Thésaurus, 256. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 211 

Dieu labeure\ Le Yiiy L'homme propose et Dieu dis- 
pose^, ou, Ce que Vhomme propose ^ Dieu autrement 
dispose '. Le viii (correspondant au septième), Fol 
devise, et Dieu départ : allégué desja ci-dessus. Le 
IX, Dieu paye tout *. ou, Dieu, qui est juste , payera 
selon ce que chacun fera^. Le x, qui est semblable. 
Dieu rendra tout à juste pris *. Le xi, Dieu punit 
tout quand il luy plaist ^ Le xu, Dieu donne le 
bœufj mais non pas la corne *. Le xiii. Là où Dieu 
veut il pleut '. Le xmi, En petite maison ha Dieu 
grand part *^. Le xv. Qui du sien donne, Dieu luy 
redonne^\ Le xvi, // est avare à qui Dieu ne suffit **. 
Le XVII, // ne j)erd rien qui ne perd Dieu *'. Le xviii. 
Servir à Dieu est régner **. Ce qui se dit aussi en 
ceste sorte. Qui sert Dieu, il est roy *^ A quoy appar- 
tient ceci pareillement. Qui sert Dieu, il ha bon 
maistre **. Le xix, Fay ce que tu dois : advienne que 



i. Le Roux de Lincy, I, 20. Cf. Garneri Thésaurus, 217. 

— Garneri Thésaurus, 215. Dieu donne biens et bœuf, mais 

2. Le Roux de Lincy, I, 255. ce n*est pas par la corne. Dat 

— Gaimeri Thésaurus, 624. — Deus omne bonum, sed non 
Cf. Quitard, ouv. cité, 311. per cornua taurum, ce qui s'ac- 

3. Le Roux de Lincy, l, 250. corde avec le texte de 1579. 

4. Le Roux de Lincy, l, 16 : 9. Le Roux de Lincy, 1, 21. 
Dieu paira tout. — Garneri — Garneri Thésaurus, 604. 
Thésaurus, 215. 10. Le Roux de Lincy, 1, 20. 

5. Le Roux de Lincy, l, 17. 11. Le Roux de Lincy, l, 22. 

6. Le Roux de Lincy, l, 17. 12. Le Roux de Lincy, II, 477. 

7. Le Roux de Lincy, l, 17. 13. Le Roux de Lincy, 1, 21. 

— GarneH Thésaurus, 217. — Gaimeri Thésaurus, 582. 

8. Le Roux de Lincy, l, 15. 14. Le Roux de Lincy, l, 22. 

— J'ai adopté la correction 15. Id., ibid. 

faite par L. Feugère. L'édition 16. Id., ibid. — Garneri The- 

de 1579 dit : par la corne. — saurus, 217. 



Digitized 



by Google 



212 DE LA PRECELLENCE 

pourrai Le xx, Vieil péché fait nouvelle honie^. Le 
XXI, Vieilles debles aident^ et vieux péchez nuisent^. 
Le XXII, De telle jjeine est le pécheur puni : Qui en 
son vivant met Dieu en oublia A la mort ne luy sou- 
vient de luy*. Il se dit aussi, Qui en son vivant, etc., 
sans les mots precedens. Le xxiii, Qui bien veut 
mourir y bien vive ^, Le xxiiii, A bien mourir dçit 
chacun tendre ^, Le xxv, Envis meurt qui appris 
ne Va"^. Le xxvi. De telle vie y telle fin. ou, Bonne vie 
attrait bonne fm *. Le xxvii. Il vaut mieux mourir, 
que mal vivre *. Le xxviii, Chacun portera son faix. 
ou, son fardeau *^. Et cestuy-ci (qui fera le xxix),à 
propos de porter son fardeau, Celuy que Dieu 
quitte, bien est heureux. Qui est la mesme chose 
que dit le prophète David". J'adjousteray encores 
un (et ce sera le xxx) qui est pareillement pris de 
la saincte escriture, Quis'abbaisse, Dieu Cessauce^^, 
où essauce (car il est ainsi escrit au vieil exem- 
plaire) signifie exaltât, et non pas exaudit, car 
ceci est pris de ce passage. Qui se humiliât exalta- 



1. Le Roux de Lincy, II, 299. 8. Le Roux de Lincy, 287 et 

— Gameri Thesam^us, 284. 253. — De Méry, Histoire des 

2. Le Roux de Lincy, 11, 495. proverbes^ I, 247. — Garneri 

— Cf. Gameri Thésaurus, 576. Thésaurus, 764. 

3. Le Roux de Lincy, II, 435. 9. Charron a dit plus tard 

— Gameri Thésaurus, 202. (Sagesse, I, 36) : Et un bon 

4. Le Roux de Lincy, 1, 19. mourir vaut mieux qu'un mal 

— Garneri Thésaurus, 215 et vivre (Littré). 

217. 10. Le Roux de Lincy, II, 269. 

5. Le Roux de Lincy, II, 385. — Gamen Thesauf^s, 286. 

— Gameri Thésaurus, 488. 11. Psaume xin. 

6. Le Roux de Lincy, II, 225. 12. Le Roux de Lincy, 1,22 : 

7. Id., II, 298. Ki s'abaisse Diex Vacroist. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 213 

bitur * : et de cestuy-ci, Humilem spiritu suscipiet 
gloria *. On use aujourdhuy plutost de exalter, en 
ceste signification : de essaucer (ou f lusiosi exaucer) 
pour exaudire. 

Nous y trouvons mesmement aucuns proverbes 
qui appartiennent à la médecine, j'enten, à la 
congnoissance de Tart de médecine, comme en 
voyci un, A Vœil malade la lumière nuit^, tiré 
d'une règle générale qu'enseigne Hippocrat, et les 
autres médecins, quant à donner repos à la partie 
du corps qui est malade. 

Touchant la goutte, il-y-a deux proverbes : 
l'un, Au mal de la goutte Les médecins ne voyent 
goutte * (ou, A la fièvre quarte et à la goutte les 
médecins ne voyent goutte) l'autre. Goutte enossee 
est à peine curée ^. Quant au premier, c'est ce que 
dit Ovide aussi en ce vers, Tollere nodosam nescit 
medicina podagram * : ce que le second spécifie, 
vient d'une plus particulière observation. 

Il y-en a qui sont touchant le bon régime et la 
conservation de la santé, comme Apres la poire le 
vin, ou le prestre ^. Et cestuy-ci. Qui vin ne boit 



1. Saint Luc, xiv, H. Cf. — Garneri Thésaurus, page 
Saint Mathieu, xxiii, 12. 359. 

2. Proverbes , xxix , 23 : 5. Le Roux de Lincy, I, 245. 
Humiliter autem sentientes fir- — Garneri Thésaurus, 360. 
mat gloria Dominus, 6. Pontiques, I, m, 23. 

3. Le Roux de Lincy, l, 270. 7. Le Roux de Lincy, I, 82 : 

— Garneri Thésaurus, 522. Après la poire, prestige ou boire; 

4. Le Roux de Lincy, I, 245. — il, 2i3. — Garneri Thésaurus, 

— Quitard, ouvrage cité, 432. 605. 



Digitized 



by Google 



214 DE LA PRECELLENGE 

après salade Est en danger d'estre malade * . Aussi ne 
doit estre omis, Vin sur laict est souhait^ Laict sur 
vin est venin *. Ne ce qu'ils ont dict du foye, Jamais 
homms ne mange foye, que le sien nen ait joye '. 
Encore moins ce qu'ils ont dict du fourmage, 
Tout fourmage est bien sain Qui vient de chiche 
main *. car ceci n'a pas esté oublié entre les pré- 
ceptes des médecins de Salerne '', estant dict là : 
Caseus ille bonus quem dat avara manus. Je con- 
fesse qu'aucuns autres de nos proverbes anciens 
ne nous laissent avoir si mauvaise opinion de 
ceste viande : mais comme entre les médecins 
aucuns ont bien des opinions extravagantes, les- 
quelles on leur pardonne*: aussi est raisonnable 
de pardonner à aucuns de ces proverbes, s'ils ne 
parlent pas tant Hippocratiquement que ceux qui 
sont passez docteurs à Montpeslier. Et ne se faut 
esmerveiller si un fort sçavant médecin de nostre 
temps trouve tant à disputer contre aucuns 
d'iceux, veu que les susdicts préceptes des mede- 



1. Le Roux de Lincy, II, 216 à la fin du xi" siècle. On dési- 
(avec l'exemple d'Estienne). gnait sous le nom de Medicina 

2. Id., II, 221. — Cf. Quitard, salertina seu regimen sanilatis, 
ouv. cité, 696. — Gameri The- un recueil d'âphorismes en 
aaurus, 408. 1239 vers latins qui résumait 

3. Le Roux de Lincy, II, 197, les doctrines de TËcole de Sa- 
sans autre source indiquée que lerne. Ce recueil fut proba- 
ce passage de la Précetlence. blement composé vers l'an 1100 

4. Le Roux de Lincy, II, 198. par Jean de Milan. 11 n'en 

5. L'université de Salerne, restait plus que 373 vers lors- 
célèbre surtout par son école que l'ouvrage fut recueilli au 
de médecine, passait pour avoir xiu* siècle par le médecin Ar- 
ête fondée par Robert Guiscard nault de Villeneuve. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 215 

cins de Salerne, qui estoyent en si grand crédit et 
estime, il n'y a que trente ans, sont maintenant 
tant contredicts. Quoy qu'il en soit, il suffit, 
quant à ceste sorte de richesse de nostre langage, 
qu'entre autres proverbes il en ait qui appartien- 
nent à la médecine, et sont tels qu'ils donnent 
bien à disputer, car rien n'est disputable, qui 
n'ait quelque apparence d'estre soustenable. Et 
quand au fourmage, il ne se faut esbahirque nous 
avons des proverbes qui se contrarient en ce 
qu'ils en disent : veu que nous voyons les grands 
médecins se contrarier en choses qui peuvent 
plus importer à la santé du corps humain. Pour 
exemple : nous voyons que Cornélius Celsus * 
conseille de boire un verre d'eau en la fin du 
repas *. ce que les autres médecins estiment 
estre une hérésie : et de faict, je sçay qu'un de 
mes plus grands amis, pour avoir esté Celsiste 
en cela l'espace seulement de huict ou dix jours, 
fut en danger de me dire le grand adieu. Et à ce 
mesme propos, combien que nostre proverbe die 
Apres la poire le vin, ou le prestre, et qu'il soit con- 
forme à ceste règle, post crudum, purum (encore 

1. A. Cornélius Celsus vécut que son traité De re medica, 

au premier siècle de notre ère. Il en huit livres, 

avait composé une sorte d'en- 2. I, n : « Ubi expletus est 

cyclopédie dans laquelle il aliquis, facilius concoquit, si 

montrait d'égales connaissan- quidquid assumpsit potione 

ces en médecine, en agricul- aquœ frigidœ includit, tum 

ture, en art militaire (V. Quin- paulisperinvigilat,deindebene 

tilien, XII, n). Il ne nous reste dormit. » 



Digitized 



by Google 



216 DE LA PRECELLENCE 

qu'un autre proverbe ne vueille pas qu'on face le 
mesme après la pomme) si est-ce qu'en Italie 
mesmementj'ay trouvé des médecins qui me vou- 
loyent persuader, et à autres aussi, de boire de 
l'eau après le melon. Mais nous rejettions ceste 
opinion, comme du tout erronée et scandaleuse : et 
nous arrestions à l'autre, de boire après le melon 
de la meilleure malvoisie que pouvions trouver : 
jugeans à nostre santé, et celle des autres, qui 
faisoyent le mesme, que ceste opinion estoit la 
saine : encore que ces médecins allegassent des 
raisons qui avoyent quelque couleur et apparence. 
Puisqu'ainsi est, il ne se faut esbahir ne de la 
contrariété, laquelle peut estre qu'on trouveroit 
en aucuns de nos proverbes concernans la science 
de médecine, ne de ce que quelques uns sont con- 
tredicts, voire réfutez. Et d'ailleurs faut pardonner 
aux auteurs d'iceux, veu qu'ils ne faisoyent pas 
grand'profession de médecine : et leur sçavoir bon 
gré de nous avoir faict sçavoir leurs opinions 
telles qu'elles estoyent, par le moyen de ces pro- 
verbes. Pour le moins ne peut-on nier que nous 
n'ayons tresbon conseil où nostre langage nous 
conseille de boire du vin vieil plustost que du 
nouveau : en ce beau proverbe. Vin vieux, ami 
vieux, or vieux *. Et où il nous advertit de ne nous 
morfondre jamais la teste ni les pieds. Non plus 

1. Le Roux de Linc y, H, 221. — Garncri Thésaurus, 775. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 217 

pouvons nier qu'il ne die vérité quand il dit que 
Veau mal cuit et poulets crus Font les cimetières 
iossus\ Aussi nous donne-il bon conseil quand il 
veut qu'en remèdes nous ne laissions jamais le 
certain pour l'incertain : mais nous tenions à ceux 
que nous avons expérimentez. J'enten, où il dit, 
On doit prendre Vherbe quon congnoist *. Item, // 
faut lier à son doigt Vherbe quon congnoist '. 

Et toutesfois quand nostre langage ne nous 
fourniroit autres proverbes que ceux qui nous 
peuvent faire passer des médecins, il faudroit 
confesser que ce seroit beaucoup. Escoutons donc 
par combien de manières il nous recommande la 
sobriété. Premièrement il nous crie, Nature est 
contente de peu *. Puis adjoaste, à fin que nous 
tenions tousjours sur nos gardes, // faut lier le sac 
avant quil soit plein ^ Quand il voit qu'on n'en 
veut rien faire, il dit, pour nous faire penser à 
nous, Gourmandise tue plus de gens, Quespee en 
guerre trenchant ^, Il dit encores en une autre 
manière ce qui vaut à peu près autant, Les goui^- 
mands font leurs fosses à leurs dents ^ 

Mais encores à la fin, esmeu de pitié, nous donne 



1. Le Roux de Lincy (cite 4. Le Roux de Lincy, lî, 352. 
Estienne), II, 218. — ùameri — Garneri Thésaurus, 501. 
Thésaurus, 744. 5. Garneri Thésaurus, 663. 

2. Le Roux de Lincy, I, 76 : 6. Le Roux de Lincy, II, 199 
Herbe congneue soit bien venue, et 324. — Garneri Thésaurus, 

— Garneri Thésaurus, ^li. 359. 

3. Le Roux de Lincy, I, 76. 7. Le Roux de Lincy, II, 199. 

— Garnen Thésaurus, 371 . — Garneri Thésaurus^ 359. 

PRECELL. DU LAWiAGE FRANÇOIS. 13 



Digitized 



by Google 



218 DE LA PRECELLENCE 

des proverbes qui nous monstrent à quels méde- 
cins principalement devons nous adresser : puisque 
nous ne voulons pas faire en sorte que nous n'en 
ayons point (ou bien peu) faute, par le moyen de 
la sobriété, car un est qui dit, Bon est le médecin 
qui se sçait guérir *. comme nous advertissant de 
choisir tousjours un tel médecin, plustost qu'un 
autre : j'enten, qui ha ce bon heur de se sçavoir 
guérir soymesme. Aussi nous conseille ne laisser 
un vieil pour un jeune, ou nouveau, comme il 
l'appelle, quand il dit qu'il fait le cimetière bossu. 
Et par mesme moyen nous advertit touchant le 
jeune advocat. car le proverbe est tel. De jeune 
advocat héritage perdu, et de nouveau médecin 
cimetière bossu ^. En ce qu'il dit, nouveau médecin, 
et non pas jeune, il faut considérer que nouveau 
s'estend plus avant, car un mesmement qui n'est 
pas jeune, peut bien estre nouveau en cest art, 
voire plus nouveau qu'un qui sera beaucoup plus 
jeune. Et pour la mesme raison pourroit-on dire, 
D'advocat nouveau : et est croyable qu'il ait esté 
premièrement ainsi escrit. 

Il faut aussi noter que nous avons des proverbes 
qui respondent à ceux des Grecs, ou des Latins, 
ou bien à tous deux : estant toutesfois ordinaire- 
ment l'origine Greque, 

1. Le Roux de Lincy, I, 265. 2. Le Roux de Lincy, I, 265, 
— Gameri Thesaurm^ 453. II, 115. — Garneri Thésaurus,!^ . 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 219 

Je commanceray par cestuy-ci, Au premier coup 
ne chetpas V arbre * : car le Grec dit, Pollaisiplt\gais 
dry s macra damazetai : le Latin, Multis ictibus 
dejicitur quercus *. 

Le second sera cestuy-ci (en les mettant par 
ordre selon que ma mémoire me les fournit), 
Entre bouche et cuillier vient souvent encombrier ^^ 
ou chet souvent^ comme il se lit en un vieil exem- 
plaire. Et ce chet respond mieux au Grec, Polla 
metaxy petei y.ylicos y.ai cheileos acrou. Car je sous- 
tien qu'il faut escrire petei, non pas pelei, comme 
tous escrivent ordinairement, comme aussi il-y-a 
grande apparence que ceste escriture-là, nonceste- 
ci, ait esté suivie par celuy qui anciennement 
interpréta ainsi ce proverbe Grec, Multa cadunt 
inter calicem supremaque labra *. Au proverbe Fran- 
çois, pour encombrier aucuns disent destourbier. 

Celuy auquel je donneray le troisième lieu, est 
de fort bonne grâce, pource qu'il contient une 
sentence sous une fiction ^sopique (c'est à dire 
qui sent la façon- d'^Esope), en particularisant 
aussi, au lieu de parler généralement. Le loup alla 
à Romme, et y laissa de son poil, et rien de ses cous- 
tûmes ^. Car c'est ce que dit Horace, Cœlum non 
animum mutant qui trans mare currunt ^. 

1. Le Roux de Lincy, I, 57. 4. Erasmi adagiorum chilia- 

2. Erasmi adagiorum chilia- dis primse centuria V, 1. 

dis primae centuria VIII, 94. 5. Le Roux de Lincy, I, 181. 

3. Le Roux de Lincy, 1,211. — Gameri Thésaurus,' A22. 
— QuiiaiTd, Dict. des prov., 166. 6. Epistularmn I, xi, 27. 



Digitized 



by Google 



220 DE LA PRECELLENCE 

Ce un, Beau service fait amis, et vray dire 
ennemis *, pourroit sembler tiré de ces mots de 
Terence, Obsequium amicos, veritas odium parit^. 

Ce V, Compagnon bien parlant Vaut en chemin 
chariot branlant ^, c'est ce que Publius mimogra- 
phus a dict, Cornes facundus pro vehiculo est *. 

Ce VI, Qui ha mestier du feu, à son doit le 
quiert ^, respond à ces mots. Qui igni opus habety 
digito scrutatur. comme il est dict de ce bon com- 
pagnon au Moretum de Virgile, lœsus quem 
denique sensit *. 

Ce vn contient une sentence en beaux termes, 
Onques amour et seigneurie ne se tindrent compa- 
gnie ^ : tout-ainsi qu'Ovide a dict. 

Non bene conveniunt nec in una sede morantur 
Maj estas et amor *. 

Pareillement cest vin, Tard médecine est appres- 
iée A maladie enracinée ', respond à ces paroles 
d'Ovide, 

Sera medlcina paratur, 
Quum ma la per longas invaluere m or as *®. 

1. Le Roux de Lincy, H, 246. 6. Vers 7. Le texte donne 

— Garneri Thésaurus, 687. sentit. 

2. Andria, \, i, 41. 7. Le Roux de Lincy, H, 101- 

3. Le Roux de Lincy, H, 276. 102. — Garneri Thésaurus, 42. 

— Garneri Tliesaurus, 157. 8. Metamorph., Il, 846. 

4. Edition Meyer (1880), 104, 9. Le Roux de Lincy, I, 268. 
p. 24. — Garneri Thésaurus^ 637. 

5. Le Roux de Lincy, H, 380. 10. De Remedio amoris, 91. Le 

— Garneri T/tesaurus, 308. texte donne convaluere. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 221 

Encore ce ix, Chose veee est plus désirée \ res- 
pond totalement à ce qu'a dict ce mesme poète, 
Nitimur in vetitum *. J'escri ainsi, Chose veee, sui- 
vant le vieil exemplaire, auquel sont retenus les 
mots de l'ancien langage : car veer se disoit au 
lieu de veter, qui eust plus approché de Vetare '. 

Ce X, Du diable vint, au diable retourna *, con- 
vient avec ce qui fut dict par un ancien poète, 
Nevius, Malè parta maie dilabuntur ^ : et depuis 
par Ovide ainsi. Non habe eventus sordida prœda 
bonos *. Mais ceste mesme sentence a esté par nos 
François mise en ces mots. Ce qui est venu de 
pille pille, s'en rêva de tire tire ^. 

Cest XI, Nul bien sans peine % est ce que nous 
lisons en Horace, Nil sine magno vita labore dédit 
mortalibus •. 

Ce XII, aussi. Nature ne peut mentir *^, ou, Ce 
que nature donne nul ne le peut oster, convient 
avec ce que dit le mesme poète, Naturam expel- 

1. Le Roux de Lincy, n, 271. wôrter und sprichwôrtlichen 
— Garneri Thésaurus, 144. — RedensarlenderRÔmer.LeiiiziQ, 
DeMéry, Hist, desprov., II, 260. 1890, p. 206. 

2. Amo7'um III, iv, 17 : Niti- 6. Amor, I, x, 48. 

mur in vetitum sempei\ cupi- 7. Le Roux de Lincy, édition 

musqué negata. de 1842, II, 190. Ce proverbe 

3. Veèr se rencontre en effet manque à la place correspon- 
dans les anciens textes avec le dan te dans l'édition de 1859, 
sens de refuser, défendre. Le à laquelle je renvoie ordinai- 
substantif correspondant se rement. — Garneri Thésaurus, 
présente sous les formes veé, 593. 

viéy vet, vé. (Godefroy.) 8. Le Roux de Lincy, II, 356. 

4. Le Roux de Lincy, I, 13 — Garneri Thésaurus, 92. 
(d'après la Précellence). — Qui- 9. Saiir. I, ix, 59-60. 

tard, 308. 10. Le Roux de Lincy, II, 352. 

5. Voir A. Otto iDieSprich- — Garneri Thésaurus, 500. 



Digitized 



by Google 



222 DE LA PRECELLENCE 

las furca, tamen usque recurret *. Et de ceci mesme 
sommes advertis par l'exemple du poulain, ainsi, 

Ce que poulain prend en jeunesse, 
H le continue en vieillesse *. 

Ou ainsi : 

Ce que poulain prend en domture 
Il le maintient autant qu'il dure '. 

La mesme chose s'exprime encores en ceste sorte, 
Le loup mourra en sa peau , qui ne Vescorchera 
vif^. Et pour user des mots anciens, En tel pel corn 
naist li leups morir Cescueut^, Au lieu qu'on diroit 
aujourd'huy. En telle peau qu'ha le loup quand il 
naist, mourir lui eschet ^. Le proverbe Grec dit 
qu'il change bien de poil, mais non de naturel : 
Ho lijxos tr^n tricha alV ou tr\n gniùinrih allattei. en 
Latin, Lupus pilum non ingenium mutât ^ 

Quant à ces mots. Qui est extrait de geline, 
il ne peut qu^il ne gratte ', ils se disent aussi en 



1. Epist, I, X, 24. Au lieu de 5. Le Roux de Lincy, I, 180. 
expellas, lire expelles, 6. Il faut évidemment recon- 

2. Le Roux de Lincy, I, 194. naître dans escueut le verbe 
— Gameri Thésaurus, 500. esiovoir, qui signifie falloir^ 

3. Le Roux de Lincy, I, 194. convenir, et probablement, au 
Dans le texte cité (Gautier de lieu de traduire cette forme 
Coinsi, xu« siècle), on lit en par eschet, comme le fait Es- 
denteure, Littré comprend : tienne, il faudrait rétablir es- 
quand il fait ses dents. Il donne toet ou estuet et traduire par 
plusieurs exemples de l'emploi il faut, il convient. 

du mote/jn/ez/re, et entre autres 7. Erasmi adagioimm chilia- 

cite ce proverbe. V. le lexique, dis tertiœ centuHa III, 19. 

4. Le Roux de Lincy, I, 180- 8. Le Roux de Lincy, I, ITÏ» 
181. — Gameri Thésaurus, 422. — Gameri Thésaurus, 363. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 223 

façon de proverbe : mais pour signifier que Fenfant 
retient de la nature de sa mère. 

Ce xni, A bon vin ne faut point d'enseigne *, 
respond mot pour mot à ce que disent les Latins, 
Vino vendibili suspensa hedera non est opus *. 

Ce xini, En soy moquant dit-on bien vray ', parle 
d'une chose, laquelle Horace aussi avoit dict long 
temps auparavant devoir estre permise : ridentem 
dicere verum Quid vetat *? 

Ce XV, Besoin fait la vieille trotter '^ : et ce 
XVI, contenant une mesme sentence, La faim 
chasse le loup hors du bois * : ces deux proverbes 
(di-je) conviennent avec ces deux Latins, Multa 
docet famés ', et, Hominem' experiri multa pau- 
pertas jubet * : qui sont pris des Grecs. 

Ce XVII, Qui la maison de son voisin voit ardre^ 
doit avoir peur de la sienne • : ou bien (en le 
faisant rymer, suivant Tescriture d'un vieil exem- 
plaire). Qui la maison son voisin ardoir voit, de 
la sienne douter se doit, est ce que dit Horace, 

Nam tua res agitur, paries quumproximus ardet^^. 



1. Le Roux de Lincy, II, 222. 6. Le Roux de Lincy, I, 181. 

— Gameri Thésaurus, 772. — — Gameri Thésaurus, 279. 
Quitard, Dict, des prov,, 343. 7. Erasmi adagiorum chilia- 

2. Gameri Thésaurus, 772. dis quartœ centuria U, 48. 

3. Le Roux de Lincy, II, 294. 8. Publilius Syrus, éd. Meyer, 

— Gameri Thesaw^us, 474. 210, p. 33. 

4. Salir. I, i, 24-25. 9. Le Roux de Lincy, II, 394. 

5. Le Roux de Lincy, II, 247. — Gameri Thésaurus^ 432. 

— Gameri Thésaurus, 87. 10. Epist, 1, xviii, 84. 



Digitized 



by Google 



224 DE LA PRECELLENCE 

Et faut noter La maison son voisin estre dict à 
la façon ancienne, au lieu de dire La maison de 
son voisin *. 

Ce xvni, Chacun quiert son semblable^, convient 
avec ce que disent les Latins, Simile gaudet simili^ : 
et (après Ciceron) Pares cum paribus facile con- 
gregantur * : tant Tun que l'autre estant pris des 
Grecs. 

Ce XIX, (auquel il n'est parlé, comme au pré- 
cèdent, de chercher son semblable, mais de deve- 
nir semblable). On est semblable à ceux avec qui 
on converse ^, a esté fort fréquent entre les Grecs : 
lesquels ont aussi exprimé la mesme chose par 
une comparaison de celuy qui conversant avec 
un boiteux, apprend à clocher. Il est vray que les 
uns ont dict Scazein, qui est Clocher : les autres 
n'ont dict que Hyposcazein, qui est comme si on 
disoit Clocher à demi : An choyloy paroixTisris, 
hyposcazein mathr^sr^. Ce qu'on peut dire en Latin,. 
si juxta claudum habites^ subclaudicare disces *. 

La mesme chose a esté exprimée ainsi par nos 

1. Dans Fancienne langue le 2. Le Roux de Lincy, H, 289. 

cas régime sans préposition — Garneri Thésaurus^ 681. — 

servait souvent à indiquer le Quitard, Dict, des prov., page 

rapport que marque aujour- 629. 

d'hui la préposition de. Il avait 3, Erasmiadagiorumchiliadis 

la valeur du génitif latin. Le primse centuria II, 2i. 

fait se présentait surtout quand 4. De senectute, 3. 

ce génitif était un nom de per- 5. Garneri Thésaurus^ page 

sonne. 11 reste encore des traces 172. 

de Tancien usage : Hôtel-Dieu, 6. Erasmi adagiorum chilia- 

Choisy-le-Roy, Villeneuve-V Ar- dis f)rimœ centtiria X, 73, et 

chevéque, etc. Chiliadis tertiœ centuria II, 4^- 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 225 

ancestres, et plus briefvement, et (selon mon opi- 
nion) avec meilleure grâce, Entre tels tel devien- 
dras *. 

Ce XX (qui ha grande affinité avec le précè- 
dent) Tel maistre tel valet *, est pris des Grecs, 
de mot à mot. car ils ont dict, Hopoia rj despoina, 
total xai therapainides. Ce qu'on a traduict en 
Latin, Qualis hera, taies pedissequae ^. 

Nos ancestres ont dict aussi , Tel seigneur 
telle mesnie^. ou. De tel seigneur telle mesnie. et, 
De nouvel seigneur nouvelle mesnie ^. Je trouve 
aussi, A la mesnie congnoist-on le seigneur. Mais 
aujourdhuy plusieurs escrivent mesgnie. Et quant 
à la prononciation, il me semble qu'en ceste ville 
de Paris nous prononceons M ignée. Duquel M ignée 
on pourroit dire que vient Mignon : mais Mesnage^ 
de Mesnie^ y qui se trouve au vieil exemplaire. 

Ce XXI (à propos de ce qui rencontre ou mérite 
de rencontrer son semblable) A rude asne rude 
asnier ^, convient avec ces mots Latins, lesquels 



1. Le Roux de Lincy, II, 297. mesnée, qui vient d'un dérivé 

2. Le Roux de Lincy, II, 88 demansio^mansionala. Mesnage 
et 230. — Garneri Thésaurus, nevientpasdeme5ni>,maisd'un 
434. autre dérivé de mansiOy ou de 

3. Erasmi adagiorum chilia- meson{maiison),mes{o)nage. Mi- 
dis quartse centuHa V, 63. gnon n'a aucun rapport avec 

4. Le Roux de Lincy, II, 100 ces mots. Littré le rapproche 
et 230. — Garneri Thésaurus, d'une part de mots celtiques, 
679. d'autre part de mots germani- 

5. Le Roux de Lincy, II, 98. ques exprimant l'idée d'ami, 
— Garneri Thésaurus, 679. amitié, amour, 

6. Mignée est comme mesgnie 7. Le Roux de Lincy, I, 140. 
une corruption de mesnie, — Garneri Thésaurus, 59. 

13. 



Digitized 



by Google 



226 DE LA PRECELLENCE 

pareillement se disent par proverbe, Malo nodo 
malus quœrendus est cuneus *. 

Mais nous sommes bien plus riches ici (comme 
aussi ailleurs) que les Latins, car nous disons 
ceste mesme chose encores en trois autres sortes, 
a sçavoir : A dur asne dur aiguillon *. Et, A rebelle 
chien dur lien '. Et, A gros larron grosse corde *. car 
il me semble que ce troisième aussi soit de la 
partie. 

Ce XXII, Au besoin congnoist-on Vami % ou, ^w 
besoin voit-on qui est ami, s'accorde avec ce qu'a 
dict Ennius, Amicus certus in re incerta cernitur^ : 
pareillement avec ceci que nous lisons en Plante : 
Is amicus est qui in re dubia juvat ^ 

Ce xxiii. Belle doctrine prend en luy Qui se 
chastie par autruy *, respond à ce vers, Félix quem 
faciunt aliéna jjericula cautum ®. Et ceci mesme a 
esté dict ainsi par TihnWe, Félix quicumque dolore 
alteriuSy disces posse carere tuo *• : Et par Plante, 
Féliciter is sapit qui alieno perictdo sapit **. Duquel 



1. Erasmi adagioi*um chilia- Enni carminum i*eliquiœ, édit. 
dis primœ centuHa lî, 5. L. Millier, p. 129. 

2. Le Roux de Lincy, I, 140. 7. Epidicus, I, n, 10 : /« est 

— Gameri Thésaurus^ 59. amicuSy qui in re dubia, re 

3. Le Roux de Lincy, I, 166. juvat, ubi re est opus. 

— Garneri Thésaurus, 139. 8. Garneri Thésaurus, 226, 

4. Le Roux de Lincy, II, 171. 668. 

— Gameri Thesautms, 414. 9. D'après L. Feugère, ce rers 

5. Le Roux de Lincy, II, 231- est d'Estienne lui-même (Pré- 
232. — Garneri Thésaurus, 22- face du recueil intitulé virtu- 
23. — Quitard, Dict. des prov., tum Encomia/iol^), 

41. 10. Eleg., lU, vu, 11 et 12. 

6. A. Otlo, ouv. cité, 21. — 11. Mercator, IV, vu, 40. Cette 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 227 

heur se vante celuy qui dit en un poète Grec : 
Blej)iùn pepaideunCeis ta ttùn alltùn xaxa *. Ce que 
Publius a dict, Ex vitio alterius sapiens emendat 
stium * peut bien estre adjousté ici. 

Mais quant à nostre proverbe, on le trouve 
aussi en moins de paroles en quelques vieux exem- 
plaires : ainsi, Bien se chastie qui par autruy se 
chastie. Où bien est ce que Plante (en son proverbe 
que je vien d'alléguer) dit féliciter. Et se peut ainsi 
interpréter, ou utiliter, en quelques autres pro- 
verbes aussi. 

Ce xxviHi, Borgne est roy entre aveugles ', se 
trouve aussi entre les proverbes Grecs : mais il 
n'est pas du nombre des plus anciens. On a ainsi 
interprété les paroles Greques, Inter cœcos régnât 
strabus *. 

Ce XXV, Mieux vaut bon g ardeur que bon amas- 
seur ^, si on disoit seulement, Autant vaut bon gar- 
deur, etc., ce seroit la mesme chose totalement 
qu'a dicte Ovide en ce vers. Non minor est virtuSy 
quant quœrere^ parta tueri ^. Ce qui avoit esté dict 
long temps auparavant par Demosthene '• 

scène n'est probablement pas 4. Erasmi adaqiorum ckilia- 

de Plante. dis tertise cenluna V, 96. 

1. Menandri fragmenta, édit. 5. Gameri Thésaurus, 356. 
Didot, p. 101 (dans le même 6. Art. am. H, 13. 

volume qu'Aristophane). Le 7. L. Feugère n'a trouvé dans 

texte donne ttoXXôv et non Démosthène que la proposition 

aXXwv. contraire (2® Olynthienne). Edi- 

2. Edition Meyer, 150; p. 28. tion Didot, p. 13 : icoXù yàp 

3. Le Roux de Lincy, I, 209. pàov eyovxac çvXaTTeiv \ •».vr\<s9r 
— Gameri Thésaurus, 72. aéai Tcavxa Tcéçyxev. 



Digitized 



byGoogk 



228 DE LA PRECELLENCE 

Ce proverbe se trouve aussi escrit en ceste 
sorte, Mieux vaut bon g ardeur que ne fait bon 
gangneur\ 

Ce XXVI, Mieux vaut engin que force *, con- 
vient avec ce qu'a dict Titinnius, Sapientia guber- 
nator navim torquet, non valentia '. ce qu'il a pris 
d'Homère * : et a usé du mot sapientia pour solertia : 
qui est signifiée ici fSiT engin, selon l'usage ancien. 
Aujourdhuy nous disons, Adresse vaut mieux que 
force : ou. Dextérité vaut mieux que force ^. 

Nos ancestres ont dict aussi, Sagesse vaut mietix 
que force * : où il faut entendre de la sagesse qui 
donne les bons avis et conseils, comme aussi 
sapiens est appelé celuy qui les sçait donner, par 
Ovide, quand il luy opipose pugnacem : en ce vers. 
Qui nisi pugnacem sciret sapiente minorem ^. 

Ce xxvn, Le cri pend le larron, estant ainsi 
entendu, que le cri est cause de faire pendre le 
larron (comme La mauvaise garde paist le loup ', 
c'est à dire, Donne moyen au loup de se paistre) 
pourra avoir quelque affinité avec le Grec, Hoi 
ph(ùres tr^n voy\n, si on entend phovountai : telle- 
ment que ce soit en Latin, Flores clamoremtiment^. 

1. Le Roux de Lincy, II, 347. 5. Le Roux de Lincy, H, 349 : 

— Gameri Thesawnts, 356. Mietix vaut subtilité que force. 

2. Le Roux de Lincy, II, 347. 6. Le Roux de Lincy, II, 414. 

— Gameri Thésaurus, 251. — Gameri Thésaurus, 668. 

3. 0. Ribbeck, Comicorum 7. Metamorph., XIII, 354. 
romanorum fragmenta, Lipsiae, 8. Le Roux de Lincy, I, 181. 
1873. P. 151. — GameH Thésaurus, 421. 

4. Voir Iliade, XXIII, v. 315 9. Erasmi adagiorum chilia- 
et suivants. dis primx centuria II, 6ô. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 229 

Mais on peut entendre après ces paroles Greques 
un autre verbe que phovountai, c'est à dire, d'autre 
signification. 

Ce XXVIII, Fol ne croit jusques à tant qu'il reçoit V 
est presque contraire au xxiii : et n'est autre chose 
que ce qu'on dit en Latin (en interprétant les mots» 
Grecs), Stultus malo accepto sapit ' : et, Piscator 
ictus sapiety car il faut entendre Reçoit des coups. 
On trouve aussi escrit. Fol ne croit jusques à tant 
qu il prend, et, devant qu il prend. Les Grecs disent 
ceci en ceste sorte aussi, qui ha fort bonne grâce i 
Ex hiùn epathen emathen. comme si nous disions, 
// a appris de ce quil a pris, en suivant la signifi- 
cation du mot susdict Prend ^. 

Ce XXIX, // n'est si grand despit que de povre 
orgueilleux *, respond à ce qui a esté dict par Clau- 
dian : - 

Asperius nihil est humili, quum surgit in altum *. 

adjoustant, bientost après, ce qui est encore plus : 

. Nec bellua tetrior ulla est 
Quàm sériai rabies in libéra colla furentis *. 

On dit aussi,// nest orgueil que de povre enrichi"^ : 
ce qui se vérifie autant bien en ce temps que 

1. Le Roux de Lincy, I, page liadis primœ centuria I, 31. 
237. 4. Voir page 204. 

2. Erasmi adagiorum chilia- 5. In Eutropium, I, 181. 

dis primée centuria I, 29. 6. In Eutropium, I, 183-84. • 

3. Erasmi adagiorum chi" 7. Voir page 204. 



Digitized 



by Google 



230 DE LA PRECELLENCE 

sentence aucune qui soit en nos anciens proverbes. 
Mais les autres termes conviennent encore mieux 
avec ce que dit Claudian, car de ce despit vient ce 
qui est appelé par les Latins asperitas. 

Ce XXX, Vertu gist au milieu S est ce qu'on dit 
proverbialement en Latin, In medio consistit virtuSy 
Qui est une règle des philosophes anciens : conte- 
nue aussi en ce vers d'Horace, Virtus est médium 
vitiorum^et utrinque reductum*. Avec ce proverbe- 
la s'accorde cestuy-ci, Trop n'est mie bien : comme 
les Grecs avoyent dict, Ovden agan^ et puis les 
Latins, Ne quid nimis '. 

Ce XXXI, Un barbier rait V autre ^^ est au lieu de 
ce qu'on dict les Grecs, Cheir cheira niptei (c'est à 
dire. Une main lave l'autre), et Cheir cheira cnizeiy 
Une main gratte l'autre ou frotte, ce que les Latins 
ont interprété, Manus manum lavât, et Manus 
manum fricat ^. 

Ce xxxii. Une bonté autre requiert *, convient 
avec ce que dit Euripide , Charis anti charitos 
elthetiù ^. et c'est plustost Gratia gratiam parère 
débet, que Gratia gratiam parit *. Avec cela s'ac- 
corde aussi ceci. Courtoisie qui ne vient que d'un 



1. Le Roux de Lincy, II, 434. dis prima centuria I, 33. — 

— Garneri Thésaurus, 753. De Méry, Hist. des prov., 1, 172. 

2. Epist. I, xvin, 9. — Quilard,DtW. rfes/wov., page 

3. Erasmi adagioi*um chilia- 514. 

dis prima! centuria VI, 96. 6. Le Roux de Lincy, II, 432. 

4. Le Roux de Lincy, II, 118. 7. Hélène, 1234. 

— Garneri Thésaurus, 80. 8. Erasmi adagiorum chilia' 

5. Erasmi adagiorum chilia- dis primas centuria I, 34. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 231 

costé, ne peut longuement durer *. Et Plaute con- 
damne celuy qui ayant receu quelque courtoisie, 
ne rend la pareille où il dit : Improbus est homo 
qui beneficium scit sumere et nescit reddere '. 

Ce xxxni est pareillement touchant ce qu'on 
donne, Chose bien donnée n est jamais perdue^^ et se 
rapporte à ce que dit Plaute : Bonis quod benefit 
haud périt * car bien donnée signifie donnée avec 
discrétion. Or celuy qui use de discrétion regarde 
de ne donner point à ceux lesquels se rendent 
indignes par leur ingratitude : lesquels ne peuvent 
estre appelez boni^ comme les appelle Plaute, et 
Ciceron aussi, où, parlant de la mesme chose, il 
dit, Quamobrem melius apud bonos quam apud for- 
tunatos beneficium collocari puto ^. 

Suivant cela, il ne faut pas douter de la vérité 
de cest autre proverbe, qui est comme réciproque. 
Tout est perdu ce qu'on donne à un fol^. Et contre 
ce qu'on donne à un fol doit estre allégué le vers 
d'Ennius : Benefacta maie locata, malefacta arbi- 
tror\ Et comme il a esté dict, Beneficium perdidit 
qui ingrato dédit, aussi peut-on dire, en parlant 
plus généralement, Beneficium perdidit qui stulto 
dédit. 



i. Le Roux de Lincy, II, 278. 6. Le Roux de Lincy , I , 

2. Persa, I, ii, 10. 244. 

3. Le Roux de Lincy, II, 271. 7. Cité par Cicéron, De offi- 
— Garneri Thésaurus, 230. cm, II, 18. — Enni carminum 

4. Rudens, IV, m, 3-4. reliquiae, édit. L. Mûller, p. 
6. De officiis, II, 20. 129. 



Digitized 



byGoogk 



232 DE LA PRECELLENCE 

Ce xxxim est aussi touchant les dons, Qui tost 
donne, deux fois donne\ Et c'est, mot pour mot, ce 
que les Latins ont dict, Bis dat qui cito dat*: et ce 
qu'a dict Publius le mimographe (mais particuliè- 
rement du don qu'on donne au povre) Beneficium 
inopi bis dat qui dat celeriter ^. 

On dit par réciproque : Petit don, longuement 
attendu, nest pas donné, mais bien vendu. Il est 
vray qu'aucuns ont dict ceci du petit disner, non 
pas du petit don *. 

Et à propos de vendre, ce que nos ancestres 
ont dict, Assez achette qui le demande *', convient 
avec ce qu'ont dict les Latins, Nihil carius emitur 
quam quodprecibus emitur^. Mais ils ont usé encore 
de quelques autres mots qui respondent mieux à 
ceux-ci. 

Ce XXXV, Assez oltroye qui se taist ^, est pris de 
ceste maxime. Qui tacet consentire videtur *. 

Quand nous disons. Nourriture passe nature *, 
(qui sera le xxxvi proverbe), c'est bien plus que si 
nous disions. C'est une seconde nature, comme les 
Latins, Est altéra natura *^ : mais aussi il faut consi- 



1. Le Roux de Lincy, II, 407. 4. Le Roux de Lincy, II, 370. 

— Gameri Thésaurus, 230. — — Garneri Thésaurus, 225. 

De Mérv, Uist. des prov., 1, 164. 5. Gameri Thésaurus, 3. 

Quitard, Dict, des prov,, 323. 6. A. Otto, ouv. cité, p. 124. 



2. Erasmi adaqiorum chilia- 7. Le Roux de Lincy, II, 242. 
dis primx centuna VIII, 91. 8. A. Otto, ouv. cité, p. 339. 

3. Edit. Meyer, 235, p. 35. 9. Le Roux de Lincy, II, 35e. 
Le texte exact est : inopi bene- — Gameri Thésaurus, 515. 
ficium,,, 10. A. Otto, ouv. cité, p. 90. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 233 

derer que nourriture emporte bien plus que le 
mot consuetudo, duquel ils usent. 

Ce xxxvn, Qui perd le sien, il perd le sens \ 
pourroit sembler avoir esté pris de ce vers d'Ovide, 
Et sensus cum re consiliumque fugit '. 

De ce xxxviii, Le feu plus couvert est plus 
ardent ^, on en pourroit dire tout autant, qu'il y-a 
quelque apparence que nos ancestres Fayent pris 
de ce vers : Quoque magis tegitur tanto magis 
aestuat ignis^ : veu que la mesme allégorie est en 
tous deux. 

Ce XXXIX, De ^abondance du cueur la bouche 
parle ^, doit estre mis avec ceux que j'ay dicts 
estre tirez des propres mots de la sainte escriture^ 

Ce XL, Le sainct de la ville nest point oré\ pour- 
roit sembler avoir esté mis en la place de cestuy- 
ci, que nous lisons es evangelistes. Non est pro- 
pheta sine honore nisi in patria sua *. 

Ce XLi, Diligence passe science, ou Diligence 
passe sens *. (comme nous le lisons au Romman de 
Perceforest), en l'accommodant à la guerre, res- 
pond à ceci. Plus aliquando in diligentia quant in 
peritia rei militaris positum est. 

1. Le Roux de Lincy, II, 401. — Le Roux de Lincy, II, 282. 

— Garneri Thésaurus, 581. 6. Saint Mathieu, XII, 34. 

2. Pontigues, IV, xii, 48. 7. Le Roux de Lincy, I, 43. 

3. Le Roux de Lincy, I, 71. — Le texte donné par Le Roux 

— Garneri Thésaurus, 309. de Lincy est aouré, ancienne 

4. Metamorph. IV, 64; tectus forme de arforé, qui est un mot 
au lieu de tanto. savant. 

0. Garneri Thésaurus, 104. 8. Saint Mathieu, XIII, 57. 

— Quitard, Dict, des prov., 6. 9. Voir page 207. 



Digitized 



by Google 



234 DE LA PRECELLENCE 

Ce xLii, La charrue va devant les beufs S est de 
la façon de cestuy-ci, Currus bovem trahit * : qui 
est pris du Grec. 

CexLUi, Si jeunesse sçavoit, si vieillesse pouvoit*, 
attribue la force aux jeunes, non pas le sçavoir, 
qui vient de l'expérience : aux vieux, ce sçavoir, 
non pas la force : suivant ce que les Grecs ont dict, 
Netùn aichmaij y.ai gerontoyn voulai, qu'on a inter- 
prété en latin, Juvenum lancem et senum consilia *. 

Ce xuni, A la touche on esprouve Vor **, estant dict 
de l'espreuve qu'on fait de ceux qui se disent 
amis, emporte autant que ces deux vers d'Ovide : 

Scilicet ut fuhum spectatur in ignibus aurum^ 
Tempore sic duro est inspicienda fides *. 

Ce xLv, Qui d'autruy tromper se met en pêne, 
souvent luy advient la pêne, convient avec ce que 
dit Hésiode, Hoi autio xa^^a teuchei ant^r, alliù r.ma 
teuchtùn ^. 

Ce xLvi, On ne peut homme nud despouiller^,o\ï, 
On ne peut prendre un homme ray aux cheveux, 
peut estre ainsi dict en Latin (en se servant des 
mots de Plante) Non possunt nudo vestimenta 



1. Le Roux de Lincy, I, 62. 4. Erasmi adagiorum chUia- 

— Garneri Thésaurus, 123. dis tertise centuria V, 2. 

2. Erasmi adagiorum chilia- 5. Le Roux de Lincy, I, page 
dis primœ centuHa VII, 28. 80. 

3. Le Roux de Lincy, II, 415. 6. Trist. I, v, 25-26. 

— Garneri Thésaurus, 392. — 7. *'EpYa xal ri(i,6pai, 265. 
DeMéry,^w^ desprov.,\\, 258. 8. Le Roux de Lincy, I, 256. 

— Quitard, Dict. des prov., 481. — Garneri Thésaurus, 211. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 235 

detrahi *. Suivant cela on dict aussi, Oie il ny-a 
rien, le roy perd son droit *, 

Ce XLvii, A bon entendeur il ne faut quun mot ', 
est ce que dict Terence : Dictum sapienti sat est *. 

Ce XLvin, Taime mieux un tien, que deux tu 
Vauras ^, on estime qu'il responde à ce que dit 
Terence, Ego spem ])retio non emo ^. 

Pour ce XLix, Qui d'autruy prend, Subject se 
rend\ nous pouvons dire, en usant des mots de 
Publius, Qui beneficium accipit, libertatem vendit ^. 

Ce L, Bien est malheureux qui est cause de 
son malheur, est au lieu de ce que dict Publius, 
Bis interimitur qui suis armis périt *. 

Pour ce Li, Il faut perdre un veron pour pescher 
unsaumon^^, ou. Il faut despendre qui veutgangner, 
on peut user de ces mots de Plante, Necesse est 
facere sumptum qui quaerit lucrum^\ 

Ce LU, Qui dira tout ce qu'il voudra, orra ce 
qu'il ne luy plaira^^, se peut dire, se servant des 
mots de Terence, Qui quœ vult dicit, quœ non vult 
audiet *^. 

1. Asina7na, I, u, 19 : Nudo 8. Edition Meyer, 48, p. 21 : 
detrahere vestimenta me jubés. Beneficium accipere libertatem 

2. Le Roux de Lincy, II, 94. est vendere, 

— Gameri Thésaurus, 240. 9. Edition Meyer, 66, page 

3. Le Roux de Lincy, II, 226. 22. 

— Gameri Thésaurus, 256. 10. Le Roux de Lincy, 1, 207. 

4. Phormio, III, m, 8. — Gameri Thésaurus, 753. 

5. Le Roux de Lincy, II, 350. 11. Asin., I, m, 65. 

■— Quiiàvû, Dict. des prov.,QQb. 12. Gameri Thésaurus, 220. 

Q.Adelph. 11,11,11. 13. Andna, Y, iv, 17 : Si 

7. Le Roux de Lincy, II, 403. mihi pergit quœ volt dicere, 

— Gameri Thésaurus, 613. ea qux non volt audiet. 



Digitized 



by Google 



236 DE LA PRECELLENCE 

Ce LUI, Qui nha santé, il nha rien : qui ha santéy 
il ha tout\ s accorde avec le dire des Grecs, don- 
nans le premier lieu à la santé. On le peut ainsi 
traduire en Latin, Potissima res est valere. 

Ce Liv, Bonne renommée vaut mieux que cein- 
ture dorée *, contient une louange de la bonne 
renommée semblable à celle-ci de Publius, Hones- 
tus rufnor alterum patrimonium est '. 

Ce LV, Qui trop tost Juge, tost se repent^, est ce 
qu'a dict ce mesme Publius, Ad pœnitendum pro- 
perat, cita quijudicat^. 

Ce Lvi, De brebis comtees mange bien le loup\ 
ou (comme il-y-a au vieil exemplaire), De comtees 
prend bien le leu, se diroit, en suivant Virgile, 

Non curât numerum lupus ^. 

Ce Lvii, A seur dort qui n'ha que perdre ^ res- 
pond à ce qui a esté dict par Juvenal, 

Cantabit vacuus coram latrone viator ®. 

Ce Lvni, // fait bon avoir deux chordes en son 
arc *^, se dit par une métaphore equipolente à ceste- 



1. Le Roux de Lincy, 11,398. 6. Le Roux de Lincy, I, 151. 

— Garneri Thésaurus, 671. — Garneri Thésaurus, 108. 

2. Le Roux de Lincy, II, 157. 7. Eglog, VII, 51-52 : Hic 

— Quitard, Dict. desprov., 194. tantum Borese curamus frigora 

— Garneri Thesawms, 640. quantum Aut numerum lupus, 

3. Edition Meyer, 217, p. 34; aut torrentia flumina ripas. 
lire : alterum est patrimonium. 8. (iarnei^ Thésaurus, 234. 

4. GarneH Thésaurus, 405. 9. Sat, X, 22. 

5. Edition Meyer, 32; p. 19. 10. Le Roux de Lincy, II, 69. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 237 

ci, Bonum est duabus ancoris niti * : ce qui a esté 
pris des Grecs. 

Ce Lix, Qui n'est sage à soymesme, n est pas sage *, 
convient avec ce vers ancien, alleg-ué par Ciceron, 
Qui sibi ipse sapiens prodesse nequit, nequicquam 
sapit ^. 

Ce Lx% Qui ha suffisance ha 2^'f'ou de bien, qui 
71 ha suffisance il n'ha rien *, est ce que les Grecs 
ont dict, Antarxeia megas ploutos. 

Ces soixante proverbes, rapportez à ceux du 
langage Grec ou Latin, (et aucuns à ceux de tous 
les deux) peuvent estre comme la monstre et 
eschantillon de la richesse du nostre, en cest 
endroit aussi. Car on peut juger par ceste colla- 
tion, que nous n'avons pas seulement quelques 
proverbes qui nous sont peculiers, mais en avons 
aussi qui correspondent aux principaux de ces 
deux langues. 

Ce que disant toutesfois, ne veux nier que les 
autres langues vulgaires n'ayent aussi des pro- 
verbes, et nommément l'Italienne : mais je di 
qu'elle n'ha pas si grand nombre d'anciens, ne 
{tant pour tant) de ceux qui ont bonne grâce : et 



1. Erasmi Adagiorum chilia- éd. L. Mûller, p. 117.) Gicéron 
dis quartse centuria VIII, 72. le cite à la fin d'une lettre 

2. Le Roux de Lincy, II, 400. adressée à Trébatius. {Epist, 
— Garneri Thésaurus, 669. fam. VU, 6.) 

3. Ce vers est d'Ennius. 4. Le Roux de Lincy, II-. 381. 
{Voir EnniCarminumreliguix, — Garneri Thésaurus, 680. 



Digitized 



by Google 



238 DE LA PRECELLENCE 

principalement si on excepte ceux qu'elle a pris de 
nous. 

Mais je di bien d'avantage : c'est que comme 
nostre langue adjouste tous les jours richesse sur 
richesse en autres choses, aussi fait elle en ceste- 
ci. car elle en prend des Grecs et des Latins, les- 
quels elle s'approprie si bien qu'ils peuvent sembler 
estre de son creu. comme (pour exemple) on le 
diroit de celuy qui est compris en ce vers : 

Qui se sert de la lampe y au moins de r huile y met *. 

Il en prend aussi, ou plutost reprend, des Rom- 
mans. Je di, reprend, après les avoir laissez 
quelque temps. Et aucuns sont tels qu'ils requiè- 
rent bien qu'on les considère et reconsidère, qu'on 
y pense et repense, comme cestuy-ci, Les cham- 
bres vuides font les sottes dames*, qui se lit au 



1. C'est le dernier vers d'un 
sonnet de Jodelle, la dernière 
chose par luy composée, dit son 
biographe Charles de la Mothe. 
Il le récita « de voix basse et 
mourante, nous priant de l'en- 
voyer au Roy, ce qui ne fut 
pas fait, pour n'avoir eu besoin 
de ce que plus par cholere que 
par nécessité il sembloit re- 

3uerir par iceluv ». Œuvres 
*Es tienne Jodelle , édition 
Marty-Laveaux, I, 8. Ce vers 
a fait beaucoup parler de la 
misère de Jodelle et de l'ava- 
rice de Charles IX. M. Marty- 
Laveaux montre dans sa notice 
que Jodelle ne doit pas être 



compté parmi les poètes que 
la misère a fait périr, et que 
s'il eut souvent besoin, en 
partie grâce à ses désordres 
et à sa prodigalité, d'implorer 
la libéralité de Charles IX, 
l'assistance du roi ne lui fit 
jamais défaut. 

2. Le Roux de Lincy cite ce 
proverbe du xiii* siècle : Wide 
chambre fet foie dame. I, 213. 
Il donne ailleurs une forme 
légèrement différente : Vides 
chambres font femmes folles, 
II, 158. Avec le mot folle le 
proverbe peut avoir deux sens, 
selon qu'on fait de chambre le 
régime ou le sujet : ou bien : 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 239 

Romman de Perceforest. Lequel sur ce propos de 
dames, me fait souvenir d'un autre, fort beau, 
qu'on trouve là mesme, mais ne fait pas ainsi 
songer le lecteur, // nest tant mauvais hoste en la 
chambre d'un prince^ comme d'une femme despite et 
pleine de convoitise. Ces Rommans leur donnent 
aussi un autre bon moyen de s'enrichir en cest 
endroit : en ce qu'ils luy amplifient aucuns pro- 
verbes, voire les rendent comme doubles. Pour 
exemple : nous disons ordinairement, il faut faire 
de nécessité vertu *, sans adjouster autre chose : 
mais au Romman susdict nous trouvons, Faisons 
de nécessité vertu, et de mal jour feste. Ainsi à ce 
proverbe, Besoin fait la vieille trotter^, est adjousté, 
et cremeur fait lièvres tumber : en parlant de ce 
qui se fait autrement que selon le naturel, où 
cremeur se prend pour crainte ^. 

Or entre les proverbes qui nous sont peculiers, 
nous en avons qui sont venus de quelques fort 
profonds discours, et autres qui sont fondez sur 
quelques histoires notables, et toutesfois des 
moins communes, tellement qu'il ne se faut 
esbahir s'ils donnent beaucoup de pêne au lec- 



la folie, le désordre d'une Je premier sens qui paraît le 

femme ruine la maison; ou meilleur, 

bien : la pauvreté pousse une 1. Le Roux de Lincy, II, 299. 

femme à l'inconduite. Littré 2. Le Roux de Lincy, II, 247. 

préfère le second sens, qui est — Garneri Thésaurus, 87. 

en effet plus vraisemblable. 3. Nicot donne encore le 

Mais si l'on adopte, comme mot cremeur, mais comme usité 

H. Estienne, le mot sotie, c'est es livres de Romans, 



Digitized 



by Google 



240 DE LA PRECELLENCE 

teur, OU à Tauditeur, avant qu'il en puisse des- 
couvrir la raison. Et du nombre de ceux que j'ay 
dict estre fondez sur quelque histoire, j'estime 
6stre cestuy-ci, Il nest pas à seur à qui ne mescheut 
onques \ Car nous lisons en la Thalie d'Hérodote *, 
que Polycrates roy de Samos fut si heureux et 
si long temps que cest heur commença à estre 
suspect au roy d'Egypte, nommé Amasis (qui 
estoit son grand ami) voire jusques à le luy 
déclarer par ses lettres, en luy disant, entr'autres 
choses, qu'il ne se souvenoit point d'avoir ouy 
parler d'aucun, auquel, après avoir esté ainsi heu- 
reux en toutes choses, ne fust advenu une ruine 
totale. A quoy il adjoustoit, que s'il vouloit croire 
son conseil, il interromperoit le cours de ceste 
continuelle félicité : et pour ce faire, jetteroit au 
haut et au loing quelque chose dont la perte le 
pourroit beaucoup ennuyer. Polycrates, trouva 
bon son conseil, s'avisa en la fin de jetter en la 
mer une esmeraude, laquelle il portoit au doigt, 
-et luy servoit de cachet. Mais, cinq ou six jours 
après, alors qu'il commanceoit à se contrister de 
ceste perte, un pescheur luy apporta un fort beau 
et grand poisson : au ventre duquel ses serviteurs 
trouvèrent cest anneau. Il manda puis à Amasis 
comment le tout estoit passé. Amasis par ce der- 
nier heur de Polycrates entrant encores en plus 

i. Le Roux de Lincy, II, 315. 

2. Thalie (livre III),* chap. 39 et suivants. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 241 

grand'crainte que paravant de quelque estrange 
et horrible malheur, duquel il ne le pourroit pré- 
server : luy envoya incontinent un héraut pour luy 
déclarer qu'il renonceoit à Tamitié qui estoit 
entr'eux : ce qu'il fît, à fin que, quelque malheur 
si grand tombant sur Polycrates, luy ne tombast 
aussi en une grande tristesse, à cause d'une telle 
amitié, (qui estoit proprement celle qui procedoit 
du bon accueil et bon traittement que sefaisoyent 
ceux qui s'entrelogeoyent allans au pays l'un de 
l'autre). Or qu'avint-il en la fin? Que Polycrates, 
estant pris par Orœtes (ou Orontes)*, satrape du 
roy des Perses, fut crucifié. Il me semble qu'il y-a 
grande apparence que nos ancestres, curieux de 
la lecture des histoires (selon que le temps leur 
pouvoit fournir la traduction des plus notables 
pour le moins), ayent regardé à ceste-ci entr' au- 
tres en ce proverbe. Il nest pas à seur à qui ne 
mescheut onques. ou pour le moins que le dis- 
cours duquel est venu ce proverbe ne soit procédé 
de l'observation de tel evenemens. 

Au demeurant il faut considérer aussi une autre 
chose : c'est que nos prédécesseurs lisoyent fort 
curieusement les fables d'Esope (ce qui a esté 
cause de les faire mettre en vers par plusieurs) ^ et 

1. C'est Oroetes, 'OpoÎTiqç, d'à- logue et lui attribuait sans dis- 
près Hérodote, III, 120 et sui- tinction tous les récits de ce 
vants. genre. Tous les recueils de 

2. Le moyen âge considérait fables portaient le nom d75o- 
Esope comme le père de l'apo- pet^ diminutif du nom d'Esope ; 

li 



Digitized 



by Google 



242 DE LA PRECELLENCE 

de là ont tiré beaucoup de proverbes plaisans et 
de bonne grâce, comme aussi les Grecs : (qui en 
faisoyent fort grand comte) et toutesfois encore 
plus qu'eux, à ce qu'on peut juger par ce qui 
nous en reste, car je ne doute point que le 
nombre des nostres qui avoyent leur origine des 
dictes fables, n'ait esté plus grand sans compa- 
raison que nous ne l'avons. Tant y-a que voyla 
qui fait estre plus souvent en nos proverbes le 
loup, le chien, le renard, et autres bestes, qu'elles 
n'y seroyent. Et à fin qu'on ne doute de ce que 
j'ay dict touchant ceste origine d'une partie de 
nos proverbes, il faut considérer qu'en aucuns est 
faicte mention de la fable, comme en cestuy-ci, 
Ainsi dit le renard des meures, quand il ny put 
advenir *. Ce proverbe mesmement. C'est du temps 
que les bestes parloyent ', est venu (comme je croy) 
de ce qu'en ces fables elles sont introduites comme 
s'entreparlans. Mais nos ancestres non contens 
d'appliquer les noms des bestes à leurs proverbes, 
autant que telle application peut convenir non 
seulement aux fables d'^Esope, mais aussi à son 
siècle (comme quand ils ont dict, A petite occasion 

le plus connu est celui de pée collective qu'on appelle le 

Marie de France. Les récits noman de Renart. V. Gaston 

populaires, les traditions orien- Paris, la Littérature française 

laies se mêlent aux fables grec- au moyen âge, p. H7 et sui- 

ques, et c'est sans doute à cette vantes. 

habitude très ancienne et très 1. Le Roux de Lincy, I, 199. 

répandue de mettre en scène — Garneri Thésaurus, 637. 

les animaux qu'il faut attribuer 2. Le Roux de Lincy, I, page 

la naissance de l'immense épo- 133. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 243 

prend le loup le mouton * : et ^ chair de chien 
sausse de loup * : et, Renard qui dort la matinée, 
n'ha pas la langue emplumeé) ' ont dict aussi, A la 
fin sera le renard moine * : item. Le loup alla à 
Romme, et y laissa de son poil, et rien de ses cous- 
tûmes ^ : et ont usé de mesme liberté en autres 
proverbes, sans avoir esgard au siècle de leur 
maistre : je di, d'JEsope, qui leur avoit tant appris 
des tours que s'entrejouoyent les bestes •. 

Il faut toutesfois adjouster à ce que je vien de 
dire, que nos prédécesseurs par l'observation 
aussi du naturel de quelques bestes, ont dict beau- 
coup de choses, qui sont par succession de temps 
venues en proverbes allégoriques, comme, Onques 
mastin naima lévrier ^ et, Onques chapon naima 
gelines *. Et ceci ainsi couvertement dict, ha meil- 
leure grâce que si on disoit, Jamais un homme 
chastré n'aima les femmes : encore qu'aujourdhuy 
ceste proposition soit contredicte. Aussi Noire 
geline pond blanc œuf ^ , se dit de la femme 



1. Le Roux de Lincy, I, 180. — Garneri Thésaurus y 422. 

— Garneri Thésaurus, 421. 6. C'est que chaque généra- 

2. Le Roux de Lincy, I, 179. lion a beaucoup ajouté aux 

— Garneri Thésaurus, 138. — récits d'Esope, et que beaucoup 
Le proverbe paraît signifier : de nos proverbes nous viennent 
à méchant méchant et demi, du Roman de Renart, ou plutôt 
C'est l'interprétation de L. Feu- des vieux contes dont il s'est 
gère. formé. 

3. Le Roux de Lincy, I, 199. 7. Le Roux de Lincy, I, 184. 

— Garneri Thésaurus, 641. 8. Le Roux de Lincy, 1, 155 : 

4. Le Roux de Lincy, I, 199. Jamais geline n*aima chapon, 

— Garneri Thésaurus, 640. 9. Le Roux de Lincy, 1, 176. 

5. Le Roux de Lincy, I, 181. — Garneri Thésaurus, 611. 



Digitized 



by Google 



244 DE LA PRECELLENCE 

noire, qui ne laisse pas d'avoir des enfants 
blancs. 

Et à propos des proverbes allégoriques, il y-a 
aussi beaucoup de belles allégories d'autre sorte, 
comme, Une bonne verge porte bien aucunesfois un 
mauvais sion : pour signifier que quelquesfois 
avient bien que d'une bonne race sorte un mau- 
vais homme, ou qui soit de nulle valeur, et 
(comme on dit aussi) de néant. Item, On ne doit 
mettre le doigt entre Vescorce et le bois * : contre ceux 
qui mettent des noises et débats entre les per- 
sonnes qui sontproches les unes aux autres * : (j'en- 
ten, entre lesquelles il y-a un lien fort estroict de 
prochaineté) comme entre le père et l'enfant, le 
mari et la femme. Et ceste similitude est fort 
belle, car comme si le doigt se mettoit entre 
Tescorce et le bois, il seroit à craindre que ces 
deux venans à se rejoindre naturellement, il ne 
se trouvast enserré, non sans sentir douleur : 
ainsi celuy qui vient à mettre des noises et dis- 
sensions entre telles personnes, est en danger, 
quand elles retournent à leur naturelle alliance et 
conjonction de volontez, qu'il ne soit comme 
enserré et pressé de la haine que luy porte tant 
Tune que l'autre. Or plus donne de pêne l'expo- 

1. Le Roux de Lincy, I, 60. gnifle qu'il ne faut pas s'ingé- 
— Quitard, Dict, des prov,, rer dans les affaires de per- 
page 323. sonnes étroitement unies, qu'il 

2. Le proverbe a un sens s'agisse de les diviser ou de 
plus large aujourd'hui, et si- les réconcilier. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 245 

sition de ce proverbe (laquelle est selon que j'en 
ay ouy user) plus faut-il qu'il soit excellent : à 
cause mesmement de sa briefveté, au lieu qu'il 
faudroit user de beaucoup de paroles. Voyci 
encores un exemple d'allégorie proverbiale, de fort 
bonne grâce, Trop achette le miel qui sur les 
espines le lèche *. Il y-a aussi des comparaisons 
fort belles : au nombre desquelles on peut mettre 
ceste-ci, Amour en cueur, feu en estouppes. 

Outreplus nous avons quelques proverbes que 
nous pouvons mettre au reng des traits subtils, 
(que les Latins appeloyent acutè dicta) et aucuns 
qui ont ceste subtilité plus en la façon de parler, 
qu'en la sentence, comme cestuy-ci. Qui tout me 
donne, tout me nie *. car ceste manière de parler, 
qui de prime face nous semble conjoindre deux 
contraires, ha fort bonne grâce. 

Nous en avons aussi ausquels nous ne trouve- 
rions point de raison, nous arrestans aux mots 
d'iceux, et entendans tout simplement ce qu'ils 
signifient, sans considérer ce qui s'en ensuit. Pour 
exemple. Qui voit la maison de son seigneur, Il 
n'y-a prou fit ne honneur ^ pourquoy est dict ceci? 
que nuit-il de voir la maison de son seigneur? Il 
faut donc entendre Voir de sa maison celle de son 
seigneur. Or de ce voisinage tant prochain (car il 
ne faut pas entendre de celle qu'on voit, encore 

\, Le Roux de Lincy, I, 79. Qi tute me donne tut me tout. 
2. Le Roux de Lincy, II, 482 : 3. Le Roux de Lincy, II, 100. 

14. 



Digitized 



by Google 



246 DE LA PRECELLENCE 

qu'elle soit fort loin) il est certain qu'il peut venir 
plustost mal que bien : et d'autant plus de mal que 
plus il est dangereux de plaidoyer contre son sei- 
gneur. De quoy nous sont tesmoins trois pro- 
verbes : Jamais homme ne gangue de plaider à son 
seigneur \ et, Jamais ne gangne qui procède à son 
maistre^, et le troisième, Qui faict noces et maison, 
et plaide à son seigneur ^ il met le sien à bandon ^. 
Et puisque je suis tombé en propos de quelques 
proverbes qui de prime face peuvent sembler 
n'avoir point de raison, je parleray d'un duquel 
plusieurs s'esbahissent. J'enten cestuy-ci, // est 
maudict de V Evangile qui ha le choix et prend le 
pire *. Car pourquoy dit-on que cestuy-ci soit mau- 
dict de l'Evangile, veu qu'on n'y trouve point de 
texte où soit tel maudisson? Nous trouverons 
moyen d'excuser nostre proverbe, si nous voulons 
un peu aider à la lettre. Car nous sçavons que le 
Juif est maudict par l'Evangile : lequel Juif ayant 
le choix a pris le pire, quand ayant à son choix 
de sauver nostre seigneur Jésus Christ ou le bri- 
gand nommé Barrabas, aima mieux sauver ce 
meschant. Mais combienque je donne le moyen 
de sortir de ceste difficulté qu'on propose touchant 
ce proverbe, je confesse qu'il ne se faut pas beau- 

1. Gameri Thésaurus, 595. trouvent à la suite du Thresor 

2. Le Roux de Lincy, I, 252. de la langue franc oy se de ^icol, 

3. Le Roux de Lincy dit : on trouve le même texte que 
qui fait nopces en sa maison, dans Estienne. 

— Dans les proverbes qui se 4. Le Roux de Lincy, I, 25. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 247 

coup arrester à aucuns, pour y chercher toute la 
raison qu'on diroit bien : mais considérer qu'il est 
vraysemblable que les uns ne soyent sortis de si 
bonne boutique que les autres. Ce que je di devoir 
estre, considéré pareillement, es proverbes Grecs et 
Latins. 

Or quant à ces proverbes-là, Grecs et Latins, 
encore que je ne vueille égaler les nostres à eux 
(et principalement aux Grecs) si est-ce que je di 
qu'aucuns, outre ce qu'ils contiennent des sen- 
tences fort belles, sont aussi fort beaux quant à 
la façon de parler, et ont une grâce inimitable. 
Au nombre desquels peut estre mis cestuy-ci, qui 
a esté mis en avant ci-dessus, parmi des autres, 
Vhomme propose, et Dieu dispose *. Et cestuy-ci. 
Mal pense qui ne repense ^ Ausquels on peut 
adjouster les deux dont j'ay faict mention au 
commancement de ce discours touchant nos pro- 
verbes : Mal attend qui ne perattend : et, Qui bien 
attend^ ne surattend ^. Et ce composé surattend, me 
fait souvenir d'un autre mot qui ha ceste mesme 
sorte de composition. J'enten le mot Sursomme, 
en ce proverbe, La sursomme abbat Vasne *. Tou- 
tesfois encore plus de pêne auroit-on à exprimer, 
voire à donner seulement à entendre, la façon 
gentile de cestuy-ci. Ce quest venu de pille pille 



1. Le Roux de Lincy, I, 253. 3. Voir page 192. 

2. Le Roux de Lincy, U, 343. 4. Le Roux de Lincy, I, 142. 



Digitized 



by Google 



248 DE LA PRECELLENCE 

s'en rêva de tire tire\ Aucuns aussi ont bonne grâce 
pour une simplicité de langage, conjointe tou- 
tesfois avec une grande propriété. Ce qu'il semble 
qu'on pourroit dire de cestuy-ci, en tr 'autres, 
Aussi bien sont amourettes soubs bureaux que 
soubs brunettes *. 

Quant à tels traits comme ceux-ci, A petit mer- 
cier petit panier^ y et De tel pain telle souppe^, et,// 
ha du sang aux ongles ^, et, // se couvre d'un sac 
mouillé % (qui sont plustost façons de parler pro- 
verbiales, que proverbes contenans sentences, 
telles que nous voyons en ceux qui ont esté pro- 
posez ci-devant) j'ose dire qu'en telle chose aussi 
nostre langue ne cède point à aucune des vul- 
gaires, mais plustost elles luy cèdent. Lequel 
avantage nous avons pardessus le Latin aussi en 
quelques endroits. Pour exemple, ce qu'il dit 
Parvum parva décent ^ nous ne l'exprimons pas 

1. Voir page 221. verbes françois, à la suite du 

2. Le Roux de Lincy, II, 156. Dictionnaire de Nicot: Ce pro- 

— Gameri Thésaurus, 38. vei'be appartient à cetix qui 

3. Le Roux de Lincy, II, 140. jamais ne veulent confesser leur 

— Gameri Thésaurus, 460. faute, et quand on leurmontre, 

4. Le Roux de Lincy, II, 208. allèguent des excuses frivoles, 

— Gaimeri Thésaurus, 702. et aussi propres à leur justifi- 

5. Le Roux de Lincy, I, 273. cation comme si quelqu^un pour 
L'expression équivaut à il a du se garantir de la pluie mettoit 
sang dans les veines. sur sa teste un sac desja tout 

6. Le Roux de Lincy, II, 180. mouillé et dégoûtant Veau, qui 
L. Feugère dit que cette meta- le moûilleroit encore davantage. 
phore est prise aux sculpteurs. De mesmes les excuses justes, 
A son interprétation un peu dont telles personnes se pensent 
trop savante, je préfère l'expli- bien couvrir, ne servent que de 
cation plus simple et plus po- les convaincre de plus en plus. 
pulaire donné dans les Pro- — Cf. Dialogues, 1, 130. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 249 

seulement en ceste façon qu*on voit ci-dessus, A 
petit mercier petit panier : mais nous disons aussi 
pour exprimer la mesme chose, A petit sainct 
petite offrande * : item, A petit chien petit lien *. Mais 
c'est bien pis que ce langage Latin, en quelques 
endroits n'est prouveu d'aucune façon de parler 
proverbiale, au lieu que le nostre en ha plus qu'il 
ne luy en faut pour sa prouvision : et quelquefois 
par le moyen du Grec, duquel il reçoit ceste com- 
modité entre autres. 

Voyci encore un poinct qui est considérable en 
nos proverbes : c'est, que la richesse de nostre 
langue consistant en diverses choses, entre les- 
quelles (comme j'ay dict parcidevant) sont les 
dialectes et le parler ancien : ils nous fournissent 
de Keaux exemples de ces deux : lesquelles leur 
servent beaucoup pour nous apporter une variété 
qui nous puisse resjouir. Quant aux dialectes 
(dont ils n'usent pas tant que des paroles ou ter- 
minaisons anciennes) ils en font leur proufit en 
deux sortes, car quelquesfois ils prennent le mot 
qui est peculier à un dialecte, comme negun (qui 
est pareillement des Espagnols) a esté pris et mis 
en besongne par cestuy-ci. Qui sert commun^ Une 
sert negun ^ Quelquesfois ils usent d'un vocable 

i. Le Roux de Lincy, I, page 3. Le Roux de Lincy, II, 406. 

42. La forme donnée par Le Roux 

2. Le Roux de Lincy, I, 166. de Lincy est nesung au lieu de 

— Gaimeri Thésaurus, 439. negun. 



Digitized 



byGoogk 



250 DE LA PRECELLENCE 

qui ne peutestre dict peculier à un dialecte, sinon 
alors qu'on luy donne une certaine signification, 
autre qu'il n'ha au parler commun. Ce qui se voit 
pareillement au langage des Rommans. pour 
exemple, en ce passage du Romman de Perceforest, 
Le roy avoit bien cent ans d'âge, et ne voulait pas que 
son royaume comparast sa vieillesse, ce cam- 
parast est un mot lequel se trouve souvent au 
commun parler des François, mais non en ceste 
signification. Et qui la veut trouver, il faut s'adres- 
ser à certains dialectes, où on dit, // le com- 
parera bien, pour signifier, Il n'aura pas cela sans 
beaucoup de pêne. Il aura bien de la pêne autant 
que la chose vaut, comme si on disoit. Il achet- 
tera bien cela : en suivant celle signification du 
latin Comparare, en laquelle il se prend pour 
Acheter. Car quant aux mots pris du Latin, il 
advient souvent que le mot duquel ils ont leur 
origine, ayant deux significations, l'une seule- 
ment se retient au commun parler des François, 
l'autre est peculiere à quelque dialecte. 

Quant à ce qui se trouve en nos proverbes 
pris de l'ancien langage, j'en ay desja en quel- 
ques lieux monstre des exemples : mais je veux 
advertir que quelquesfois ce sont les mesmes 
mots, ayans seulement la terminaison différente, 
comme quand au lieu de Lou nous trouvons IjCU * : 

1. La forme leu est la forme picarde. Nous la trouvons en- 
core dans Pexpression à la queue leu leu. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 251 

quand au lieu que nous disons, De nouveau tout 
est beau, nous trouvons, De nouvel tout est bel *. 
Quelquesfois les mots sont autres : comme où 
nous trouvons Goupil pour Renard (comme en ce 
proverbe, A goupil endormi ne chet rien en la 
gueule* : estant ce mot ancien pris du Grec)' item. 
Mire au lieu de nostre Médecin. Il est vray que ce 
mot Mire ^ est retenu en quelques endroits : comme 
ici (où il est nécessaire à cause de la ryme) Qui 
veut la guarison du mire, Il luy convient tout son 
mal dire \ Mais encore l'ancienneté n'est pas du 
tout gardée ici. car il y-a un autre ancien mot, 
meshain, au second vers, selon les vieux registres : 
où nous lisons. Qui veut la guarison du mire, Il 
luy convient son mehain dire. Lequel mot mehain 
se trouve aussi en ce proverbe. Nul poulain nest 
sans mehain. Or veux-je advertir que les proverbes 
ont plus d'autorité en leur ancien langage, qu'en 
l'autre : et principalement aucuns. Pour exemple, 
si nous disons, Moult remaint de ce que fol pense ^, 
ce langage ha plus d'autorité que si nous parlons 
ainsi, De ce que fol pense souvent en demeure. Sur 

1. Le Roux de Lincy, II, 285. 4. Nicot donne le mot Mire 

— Garneri Thésaurus, 515. sans indiquer qu'il ait vieilli. 

2. Le Roux de Lincy, I, 199. Mais il donne aussi sans au- 

— Garneri Thésaurus, 637. cune remarque bien d'autres 

3. Goupil ne vient pas de mots qui avaient certainement 
àXtoTCYjÇ, mais de vulpecula. On cessé d'être employés, par 
trouve le mot sous beaucoup exemple mehaing. 

de formes, entre autres vulpil, 5. Le Roux de Lincy, I, page 

vurpil, volpil, vorpil. (V. Gode- 267. 

froy.) 6. Voir page 205. 



Digitized 



by Google 



252 



DE LA PRECELLENCE 



ce propos de Tancien langage qui est en quelques 
proverbes, il me souvient de quelques-uns qui 
sont corrompus : le premier desquels ha ce mot 
ancien mire pour médecin (qui a aussi esté appelé 
Physicien par nos ancestres) *. Car en quelques 
impressions qui sont des plus récentes, on a mis 
ces mots. De bonne myrrhe playe puante, en la 
place de ceux-ci, Débonnaire mire fait playe 
puante *. Auquel proverbe est semblable cestuy-ci. 
Femme trop piteuse fait souvent fille ligneuse ^. Un 
autre proverbe corrompu, es anciennes impres- 
sions mesmement, c'est. Un fol un enragé, car il 
faut dire, Un fol fait quelques fois enrager un sage^. 
Aussi est dépravé cestuy-ci, que plusieurs ont 
souvent en la bouche, // ne faut pas faire à Dieu 
barbe de paille, car on doit dire Gerbe de paille *. 



1. C'est ce qui ressort des 
exemples donnés par Littré. 
On y voit aussi que physique 
signifiait autrefois méaectne.On 
sait qu'en anglais encore le 
moiphysician signifie médecin, 

2. Léon Feugère explique : 
Un médecin trop bon fait empi- 
rer le mal. Le mot bon a le 
tort d'être trop vague, mais le 
proverbe suivant fait bien com- 
prendre que le mot signifie : 
un médecin sans énergie, qui 
craint de faire soufl'rir le ma- 
lade. Le Roux de Lincy donne 
le proverbe sous deux formes : 
Bon mire fait plaie puante, I, 
265; et Main de médecin trop 
piteux Rend le mal souvent trop 
chancreux, I, 266. Cf. Gameri 
Thésaurus, 454. 



3. Le Roux de Lincy, I, 232. 

4. Ce proverbe se trouve 
dans Le Roux de Lincy, I, 244. 
Mais on trouve à la page sui- 
vante : Ung fol vault ung en- 
ragé. Peut-être serait-il plus 
naturel d'interpréter ainsi le 
proverbe cité par Estienne. 

5. Le Roux de Lincy, I, 23. 
— De Méry, Hist. des prov.y II, 
316. Quitard, Dict. des prov,, 
1D7. — Comme le dit Estienne, 
barbe est ici pour jarbe ou 
gerbe. L'expression signifie au 
propre : il ne faut pas, quand 
on paie la dîme, donner des 
gerbes où il y ait peu de grain 
et beaucoup de paille, et au 
figuré, d'une façon générale, 
il ne faut pas chercher à trom- 
per Dieu. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 253 

Je croy que ceux qui ne voudront point nier 
qu'il face jour en plein midi, ne nieront point 
aussi la precellence de nostre langue, quant à ce 
troisième poinct, qui Qst de la richesse, non plus 
que quant aux deux autres. Laquelle richesse 
estant de diverses sortes, je sçay bien qu'on me 
pourra répliquer, comme touchant les précé- 
dentes, que les autres langues vulgaires y ont 
aussi leur part. Ceci ne nieray-je point : mais en 
adjoustant que (comme es sortes précédentes) 
elles y ont bien petite part, à comparaison de la 
nostre. Et d'autant qu'il s'agit en ceste-ci de pro- 
verbes, je confesseray, outre cela, que si l'Ita- 
lienne ou Espagnole nous pouvoyent estre compe- 
titrices en quelcune, ce ne seroit point en autre. 

Mais, pour faire principalement instance sur la 
principale sorte de richesse d'un langage, laquelle 
requiert qu'il soit bien meublé de beaux vocables, 
je diray touchant ceste-ci, que quand bien j'au- 
rois si mal plaidé ma cause que j'aurois laissé 
emporter le pris à nos compétiteurs, le proufit 
leur en demeureroit, mais l'honneur nous en 
reviendroit. Comment? Pource que s'ils sont 
riches, c'est de nos bienfaicts. Ce que je di tant 
plus hardiment que je me sen avoir bon garant. 
Car leur cardinal Bembo ne me peut denier 
garantie, sans desavouer le livre qu'il a intitulé 
Le Prose, veu qu'il a escrit là, Presero oltre accio 
medesimamente moite voci i Fiorentini huomini da 

PRECELL. DU bANOAOE FRANÇOIS. 15 



Digitized 



by Google 



254 DE LA PRECELLEMCE 

questi (Provenzali) et la loro lingua anchora e 
rozza e povera iscaltrirono ed arrichirono delV 
altrui. Conciosia cosa che Pogiare, Obliare, Ri- 
membrare, Assenibrarey Badare^ Donneare, da gli 
antichi Thoscani delta, e Rijmrare {quando vuoldire 
S tare ed Albergare) e Gloire, sono provenzali, e 
Calere altresi\ Où il commance à confesser une 
partie des mots que les poètes Thoscans avoyent 
pris du langage Provenzal ' : mais confusément, 
d'autant que ces deux, Obliare, et Gioire (qui sont 
nostre Oublier et nostre Jouir), estans fort usitez 
à tout le reste de la France pareillement, sont 
meslez avec les autres mots, peculiers aux Proven- 
çaux, ou qu'ils ont communs avec le vieil langage 
seulement. Quant à Poggiare, la raison veut qu'il 
ait esté faict de Poggio (non pas Poggio de Pog- 
giare), lequel vient de Podium. Or on expose ce 
Poggiare, non pas simplement Monter, mais 
Monter jusques au plus haut d'un tertre, selon le 
vray usage du pays d'où il vient. Rimembrare, est 
une parole des Rommans aussi, et mesmement 
d'aucuns dialectes de France, encoresaujourdhuy, 

1. Car les Florentins en ou- rare(quand il veut dire AC/cnir 
tre prirent également beaucoup et loger), et gioi?*e sont pro- 
de mots à ceux-ci (aux Pro- vençaux, et calere aussi, 
vençaux), et dégourdirent en 2. Voir Pasquier, Recherches, 
'enrichissant du bien d*autrui VII , iv et vm ; — Fauriel, 
eur langue encore grossière Histoire de la poésie provençale, 
et pauvre. Attendu que pog- I, 47 et suiv. — Cf. Deux Dia- 
giare, ohliare, rimembrare, as- logues du nouveau langage 
sembrare, badare, donneare, françoys italianizé, édit. Ris- 
mots du vieux toscan, et ripa- telhuber, I, 24. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 255 

qui disent Se remembrer, pour Se souvenir. Assem- 
ôrare a esté en usage tant pource qu'on dit Assem- 
bler, que pour Resembler, ou Faire resembler. 
Selon ceste première signification a esté dict, 
Vedervi cosi assembrati tutti in un volere *, pour 
Eaunati, Mais selon ceste seconde, Rassembrare et 
Bassomigliare se mettent pour un mesme, par Ber- 
nardino Tomitano. Badare, Perdre temps à atten- 
dre, Attendre en vain, encore qu'on le vueille faire 
venir de Vadari. JDonneare, Hanter les dames et 
les entretenir. Faire la court aux dames. Riparare, 
ce que les Rommans disent Repairer : lequel verbe 
toutesfois est moins usité que le nom Repaire, 
duquel il est venu ^ Et comme Repaire signifie le 
logis, ou le lieu de la demourance, ainsi Rejmirer 
c'est loger en quelque lieu et y faire sa demou- 
rance. Castelvetro toutefois ne veut pas que Rij)a- 
rare soit simplement Stare ed albergare (comme 
Tavoit exposé Bembo), ma stare ed albergare, quando 
con la stànza o con Valbergo ha congiunto il riparo 
e la difesa o da nemici, o dal fr^eddo, o dal càldo, 
dalla poverta, et da simili maleventure ^. Voyla 
comment après nous avoir pris nos mots, et les 
avoir mis en usage, ils disputent encore entr'eux, 

1. Vous voir tous ainsi réu- 3. La phrase signifie : Mais se 
nis en une môme volonté. tenir et loger, quand à l'idée 

2. C'est au contraire repaire de chambre ou de demeure est 
qui vient de repairier, retour- jointe l'idée d'abri et de dé- 
ner dans sa patrie, dans sa fense contre les ennemis, ou 
maison, ilepaire se trouve dans le froid, ou le chaud, ou la 
l'ancienne langue avec le sens pauvreté, et contre un sem- 
•de retour. blable mal. 



Digitized 



by Google 



256 DE LA PRECELLENCE 

quelle est leur signification. Quant à Gioire, il n'y 
a point de doute que ce ne soit ce que nous disons 
Jouir, comme en ce vers de Pétrarque, lo, che 
gioir di tal vista non soglio *. 

Touchant ce mot Calere aussi, Castelvetro n est 
point de l'opinion de Bembo : mais je croy que, 
s'il eust bien entendu le langage François, il en 
eust esté. Car Bembo dit que les anciens Toscans 
voulans signifier que quelcun ne se soucioit point 
de quoy que ce fust, disoyent que lo poneva in non 
calere : ou, à non cale : ou, à non calente. et monstre 
comment Pétrarque mesmement en a usé en ce 
passage, 

Fer una donna ho messo 

Egualmente in non cale ogni pensiero *, 

Il est certain que ho messo in non cale est et 
comme si nous disions, J'ay mis en nonchaloir. et 
que Calere c'est chaloir. Voyla pourquoy je m'esbahi 
que Castelvetro reprend ici Bembo : Et io dico 
(dit-il, après avoir allégué le passage de Bembo), 
che Calere è Latino, anchora in questà signifiça- 
tione : percioche le cose che ci cuocono, ci si fanno 
curare, et quindi Statio disse, Bellator nulli caluù 
deus^. Il adj ouste, Adunque ponere o mettre che 

1. Il Petrarca cou nuove spo- 2. « Pour une dame j'ai mis 

sUioni, In Lyone, 1574. Del également toute pensée en non- 

Trionfod'AmorecavUolo primo, chaloir. » Edition citée, Can- 

V. 16 ; Moi qui n^ai pas cou- zone, XLVllI, v. 33-34. 

tume de jouir d'une telle vue. 3. Et je dis que calere est 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 257 

che sta per non calente, o per non calere, cio è per 
cosa che non cuoca : et per conséquente^ per cosa 
che non sia da curare *. Je m'estonne fort comment 
il a voulu ainsi forcer ce mot à recongnoistre son 
origine du Calere Latin, et mesmement du Calere 
de la cuisine : et au lieu qu'il n'a pas voulu con- 
fesser que sa nation Tait pris de la nostre, je luy 
veux confesser volontairement que c'est un mot 
plustost Gaulois que François : veu que les Ale- 
mans en usent, car ils disent Chat nits quand ils 
veulent dire, Il n'importe point. C'est tout un : 
Perinde est, comme si nous disions, Il n'en chaut 
point. Il est vray qu'ils l'escrivent avec un s 
devant, Schat: et encore quelques-uns mettent un 
d devant t *. 

Pietro Bembo vient encores à un autre dé- 
nombrement de mots pris des Provençaux : Gtd- 
derdone, pour Guerdon : Arnese, pour Harnois : 
SoggiornOy pour Séjour : Orgoglio, pour Orgueil : 
Arringo, pour la lice où on court la lance : com- 

latin, même dans ce sens, 7iuit pas; il n'y a pas de mal, 

parce que les choses que Ton il n'importe pas. Estienne fait 

cuit demandent du soin, et toujours la même confusion 

c'est pourquoi Stace dit : Bel- entre le langage gaulois et les 

latornullicaluitdeus(Theb,\l, langues germaniques. Il n*y a 

356). aucun rapport entre le mot 

l.Doncposer ou mettre quoi allemand et le mot français 

que ce soit en nonchaloir, c'est ou le mot italien. Ces deux 

le considérer comme une chose derniers viennent bien du latin, 

qui ne cuit pas, et par consé- Mais il va sans dire qu'il faut 

quent une chose qui n'est pas rejeter l'explication baroque 

à soigner. de Castelvetro. Chaloir, calere, 

2. L'allemand dit : es schadet signiGe avoir de la chaleur, 

nichts, littéralement : cela ne offrir de l'intérêt. 



Digitized 



by Google 



258 - DE LA PRECELLENCE 

bien qu'on luy donne encore une autre significa- 
tion : et Guisay pour Guise : et Huopo, pour Besoin. 
Et cependant qu'il est en train de confesser, il 
passe bien plus outre, car il adjouste Quadrello 
(que Castelvetro dit estre Saetta che ha il ferro da 
qiiattro aletté) *. et Onta^ pour Honte; et Prode, 
Vaillant, se disant Prode huomo, comme nos Rom- 
mans usent de Prend* homme, pour vaillant. Et 
Talento, pour Talent, ancien mot, pour Volonté : et 
Tenzona, pour Tansement, s'il se peut dire de 
Tanser : et Gaio, pour Gay : eilsnello, pour Promt 
et legier, Viste : et Guari,i^ouT Guère : et Sovente, 
pour Souvent : et A Itresi, pour Aussi, Pareillement, 
et Dottare et Dottanza, pour Douter etDoute. comme 
si je di. Je me doute de cela, ou J'ay doute de 
cela, en signifiant quelque crainte. Et puis, pre- 
nant occasion de ce mot DoUanza, fait un récit de 
plusieurs ayans ceste mesme terminaison : la- 
quelle il dit avoir pieu aux Provençaux première- 
ment, et puis aux Toscans, prenans exemple à 
eux. Il adjouste donc Pietanza, pour ce que nous 
disons Pitié : Pesanza, pour Pesanteur : Beninanza 
et Malinanza, pour Bénignité et Malignité : et 
Aller/ranza, pour Allégresse : et Dilettanza, pour 
Délectation : et Piacenza, pour plaisir : en la signi- 
fication qu'il ha quand on dit Donner du plaisir, 
ou. Prendre du plaisir. Et Valenza, pour Vaillance, 



1. Flèche qui a un fer à quatre arêtes. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 259 

OU Valeur : et Fallenza, pour Tromperie. Il est vray 
que quant à ces mots, et autres de mesme termi- 
naison, il nomme aucuns qui en ont usé devant 
Dante et Boccace, et plus aussi qu'eux. Quant aux 
autres, il use luy mesme d'aucuns en ce livre-la : 
mais principalement de Altresi. car incontinent 
après Tavoir mis en son dénombrement parmi les 
autres, il dit, // quale fine piacendo per imitalione 
altresi à Thoscani \ Et six ou sept lignes après, 
Passa questo uso di fine à JDante, et al Boccacio al- 
tresi^. Il use aussi souvent à^Sovente et de Guisa : 
et guère moins de guari, Voyla comment on voit 
que luy mesme estoit fort friand d'aucunes de ces 
paroles Provençales. 

Il passe encore plus avant en ce dénombre- 
ment : et vient à aucunes desrobees par Dante (car 
luymesme dit, furd Dante da Provenzali) ^, entre 
lesquelles soni^Aranda^ qu'il expose ^^y^eri a * : et 
BozzOy qu'il dit signifier Bastardo e non legitimo. 
Apres ces deux \ieni Gaggio, qui est Gage : après, 
Landa ^ : que Castelvetro pense estre composé de 
l'article La, et de anda, pour andata^. Apres, Mira- 
glio, pour Miroir : après, Smagare, lequel il dit 
signifier Trarre di sentimento e quasi délia jyrimiera 



\. Celte terminaison plai- 3. Dante a dérobé aux Pro- 

sant aussi par imitation aux vençaux. 

Toscans. 4. A peine. 

2. L'usage de cette termi- 5. Plaine, campagne, 

imison a passé à Dante et aussi ^. Andata signifie : Allée, 

à Boccace. marche. 



Digitized 



by Google 



260 DE LA PRECELLENCE 

imagine * : et se prendre aussi simplement pour 
Affannare^, Et dit que non seulement Dante a usé 
souvent de ce Smagare^ mais aussi les autres 
poètes : et Boccace pareillement en ses proses. 
Quant à Pétrarque, seulement une fois : pource 
qu'il luy sembloit rude. Il vient puis à Drudo, à 
Marca, à Vengiare, Giuggiare, Approcciare, Inveg- 
giare et Scoscendere. Apres, à Bieco, Croio, For- 
sennato, à Tracotanza et Oltracotanza, et à Trasco- 
tato ^. Apres ceci, ayant dict pour la seconde fois, 
que Pétrarque avoit esté moins hardi en ces mots 
que les autres, il monstre que nonobstant cela il 
usa de Gaio^ de Lassato, de Sevrare, de Grmnarey 
de Oprire, pour Aprire. Qu'il usa aussi deLigio*^ : 
item de ceste manière de parler, Tanto o quanto, 
qui est (comme je pense) ce que nous disons, 
Tant soit peu. che posera (dit-il) i Provenzali in 
vece di dire Pur un poco ^. Et puis ayant allégué 
un exemple de cest usage, adjouste, Senza che egli 
alquante voci Provenzali, che sono dalle Thoscane in 
alcuna loro parte differenti, usa piu volentieri et 
piu spesso secondo la Provenzal forma che la Thos- 
cana ^ Et puis, pour exemples de cela, dit que 

1. Détourner quelqu'un de 4. Gai, lassé, séparer, attris- 
la pensée et pour ainsi dire de ter, ouvrir, vassal. 

l'image qui l'occupait. 5. Que les Provençaux em- 

2. Chagriner, inquiéter. ploient pour dire un peu. 

3. Amant, marque, venger, 6. En outre, pour quelques 
juger, approcher, envier, écla- mots provençaux qui sont en 
ter (se fendre) ; — louche, gros- quelque partie différents des 
sier, forcené, présomption, ou- mots toscans, il a employé plus 
trecuidance, présomptueux. volontiers et plus souvent la 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 261 

Pétrarque use plus volontiers de Aima, que de 
Anima : de Fora, que Saria : de Ancidere, que Ucci- 
dere : de Augello, que Uccello * : item, de Primiero 
(où il peut), que de Primo. Quant à Conquiso, qui 
est un vocable Provençal, qu'il en a souvent usé : 
de Conquistato, qui est Thoscan, jamais. Il adjouste 
Havia, Solia, Credia *, qu'il dit aussi estre pris des 
Provençaux. Il parle puis d'un certain usage de 
ce mot Ha, et de quelques façons de parler, prises 
pareillement du langage Provençal. 

Mais, avant qu'adjouster cela, je veux mons- 
trer qu'il s'en faut beaucoup qu'il confesse toute 
la debte : voire qu'il n'en confesse pas la centième 
partie, si on veut mettre en avant tous les mots 
que son langage a pris du nostre, sans spécifier 
ceux des Provençaux. 

Et je suis délibéré de commancer par les an- 
ciens : encore que luy (je di le Cardinal Bembo) 
en son dénombrement ait meslé non seulement 
des mots d'autre contrée, mais aussi des modernes 
parmi des anciens. Et pource que nous sommes 
demourez sur Pétrarque, je veux retourner à luy 
mesme. Voyci donc un de ses vers en son 
Triomphe d'Amour, près du commancement, 
Quattro destrier via piic che neve bianchi ^. On 

forme provençale que la fdrme 2. Avait, avait coutume, 
toscane. croyait. 

1. Ame, serait, tuer, oiseau. 3. Quatre destriers plus 

15. 



Digitized 



by Google 



262 DE LA PRECELLENCE 

ne peut nier que Destrier ne soit un des vocables 
de nos Rommans, pour signifier Un cheval de 
guerre : que nous appelons autrement Un cheval 
d'armes. Comme aussi il est certain que leur 
Palafren ou Palafreno est sorti de nostre ancien 
Palefroy^ dont est venu Palefrenier^. Orcemesme 
poète use de Lusingar, tant ailleurs qu'en cest 
endroit, 

Amor con sue promesse lusingando 
Mi ricàndusse à la prigine antica '. 

Il a falu que Pétrarque, ayant ici besoin d'un 
beau mot et bien choisi, le soit venu emprunter 
de nos Rommans, qui disent Loseriger, pour Déce- 
voir, ou pour le moins attraire par blandissemens 
et flatteries : et usent aussi de Losengier et de 
Losenge. (lesquels se trouvent mesmement en l'in- 
terprète de Guillelmus Tyrius^ : interprétant blan- 

blancs que la neige. Edit. cit., mon ancienne prison. •»£(!. cit., 

Del Trionfo (VAmore, I, 22. Sonnet LVII. 

1. Cf. Dialogues, I, 189. Il 3. Guillaume, dit Guillaume 
suffit de rappeler une fois pour de Tyr, naquit soit en Syrie, 
toutes que les accusations por- soit à Jérusalem, vers 1127, étu- 
tées par H. Estienne sont tout dia en Occident, fut nommé 
à fait puériles. La ressem- en 1167 précepteur de Bau- 
blance qui peut exister entre douin, filsdu roi de Jérusalem 
un mot Italien et un mot fran- Amaury, et la même année 
çais n'atteste le plus souvent archidiacre de la métropole 
qu'une communauté d'origine, de Tyr. Après avoir rempli 
On pourrait retourner contre plusieurs missions à Constan- 
H. Estienne la plupart des tinople et à Rome, il devint 
argumentsdont ilsesert. (Voir archevêque de Tyr en 1174, 
l'Introduction.) assista en 1177 au concile de 

2. - Amour, en m'attirant par Latran, dont il écrivit une his- 
ses promesses, me ramena à toire aujourd'hui perdue, prô- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 263 

dimenta par ce mot Losenges) comme aussi les 
Italiens ne se sont pas contentez du verbe Lusin- 
gar, mais ont faict pareillement un Nom Lusinghe, 
du nostre. Et Pétrarque a aussi dict Lusinghier 
(pour Lusinghiero) en ce vers, 

Per servir qiiesto lusinghier crudele *. 

Les Espagnols aussi ont voulu avoir part au butin : 
et ont dict Lisongear, pour Flatter, et Lisongero^ 
pour Flatteur. 

Ce mot que les Espagnols nous ont pris, aussi 
bien que les Italiens, me fait souvenir d'un autre 
qui nous a esté ainsi pillé par toutes ces deux 
nations. C'est Escharnir, pour. Se moquer de 
quelcun. Et toutesfois ce mot Escharnir semble 
estre aucunement différent : veu que l'interprète 
de Tyrius met tous les deux, quand pour ces 
paroles Latines, Probris af/lciebat etcontumelù's, il 
met celles-ci. Ne fmoit d'' escharnir et moquer. Les 
Italiens en ont faict leur Schernire, les Espagnols 
leur Escarnecer : qui usent aussi de Burlar, comme 
les Italiens ^. auquel mot d'autant que nous ne 



cha en Europe une croisade Le nom de son plus ancien 

en 1188 et mourut vers 1193. traducteur n'est pas connu. Il 

II a laissé un ouvrage en la- avait écrit aussi une Histoire 

tin : Historia rerum in partibus des Arabes qui est perdue. 
transmarinis gestarum a tem- 1. « Pour servir ce séducteur 

pore successorum Mahometis cruel. » Canzone XLVIII, ^9. 
usque ad annum Domini fi 84. 2. Cf. Dialogues, I, 4; II, 186. 



Digitized 



by Google 



264 DE LA PRECELLENCE 

prétendons rien, j'en laisse le débat à ces deux 
nations. 

Je ne diray pas le mesme touchant ce mot 
Merci, car il est aussi un de nos anciens, duquel 
toutes ces deux nations ont faict leur proufit. 
Quant à l'Espagnole, il n'en faut point demander 
d'exemples, veu qu'il luy est si fréquent : quant 
à l'Italienne, elle en a encore plus usé (ce me 
semble) qu'elle n'en use : et tousjours en changeant 
la voyelle i en e, (au lieu que quelques Espagnols 
semblent le prononcer comme nous, encore qu'ils 
usent de ceste mesme mutation en escrivant) comme 
en ce passage du second livre des Azolains de 
Bembo, sua dolce merce, dict par forme de paren- 
thèse. Et en cestuy-ci de Boccace, Ch'ella, Iddio 
merce, anchora non mi bisogna ^ En cest autre de 
luy mesme, Voi, la vostra merce, havete honorato 
il mio convito^. Ils disent aussi, La buona merce. 
Or combien que merce soit estimé signifier gratia 
en tels endroits, si est-ce que Bembo met tous les 
deux (mais joignant buona avec gratia) en la fin 
de son epistre devant ses Azolains, Alla cui buona 
gratia e merce inchinevolmente mi raccommando ' : 
escrivant à madonna Lucretia Estense or g ia , 
duchessa illustrissima di Ferrara. Quant à nostre 
merci François, lequel je di que ces deux autres 

1. Je n'ai pas besoin d'elle, 3. A la bonne grâce et merci 
Dieu merci. de laquelle je me recommande 

2. Le sens est : Merci, vous avec respect, 
avez honoré mon festin. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 265 

nations ont imité, nous en avons des exemples en 
nos Rommans, et nommément en celuy de Perce- 
forest. Quant aux deux autres usages de ce mot 
merci, Tun quand nous disons Grand merci, Tautre 
quand on dit Je vous crie merci, il n'est besoin 
d'en aller chercher les exemples si loing, veu que 
nous les oyons tous les jours : et faut noter 
que Boccace n'a pas moins faict son proufît de ces 
deux usages, que de cest autre, car il a dict, 
Dicendo gran mer ce à messer lo frate *. Item Gli 
gridava merce. Et, Lei gridando merce et ajuto *. 
Il y-a encore d'autres de nos paroles que nous 
pouvons trouver en tous ces deux langages, je di, 
tant des Espagnols que des Italiens : (comme je 
monstreray ci-apres) et aucunes aussi dont les 
Espagnols seuls ont faict leur proufît (j'enten, 
outre celles que chacun peut aisément remarquer) 
mais maintenant, me contentant de poursuivre le 
discours commancé, je retourneray aux emprunts 
que Pétrarque a faicts.de nos prédécesseurs (avant 
que parler des vocables dont nous usons aujour- 
dhuy: aucuns desquels, voire plusieurs, nous sont 
communs avec eux) et allegueray ces vers, 

Per le carrière tue fanciulle e vecchi 
Vanno trescando *... 



1. En disant grand merci à 3. « Par tes appartements, 
messire le frère. jeunes filles et vieillards vont 

2. Il lui criait merci. — Lui folâtrant. » Edit. citée, Sonnet 
criant merci et secours. GVI. 



Digitized 



by Google 



266 DE LA PRECELLENCE 

Car je di que ce trescando vient de nos Rom- 
mans. Et qu'ainsi soit, nous lisons au Romman 
d'Alexandre, 

Qui nuit ménestrels sonner maint instrument. 
Et danser et tresquer bien et avenamment. 

Quant à Carolar pareillement on sçait que les 
Italiens Font pris de nous (duquel use Boccace 
tant ailleurs qu'ici, Concio fosse cosa che tutte le 
donne carolar sapessero) * aussi bien que Danser^ 
qui est aujourdhuy beaucoup plus en usage. Et 
de tous les deux ensemble (de peur de faillir) a 
usé le cardinal Bembo en ses Azolains, au second 
livre. Voyla comment la langue Italienne a pris 
de la nostre trois vocables pour signifier une 
mesme chose : et si aujourdhuy nous en prenons 
seulement un d'eux, asçavoir leur Ballar, il semble 
que nous leur facions grand tort*. Et je suis bien 
d'avis qu'on s'en passe, sinon en poésie, où la 
ryme nous rend subjects. 

Je croy que ce mesme poète aura usé aussi de 
Balia, pour Puissance, comme nous le trouvons en 
Bocca,ce y Hammi in sua balia^. Que si quelcun doute 
que ce soit un vocable de nos Rommans, voyciun 
passage de celuy du bon roy Perceforest, Madame 
[dit le chevalier) par ma foy il me peseroit moult si 



1. Attendu que toutes les 2.V.DiaZo^Mffs, 1,269; II, 112. 
dames savaient danser. 3. Il m'a en sa puissance. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 267 

je disoye ou faisoye chose qui vous tournast à 
desplaisir. Et si faict favoye, sachez que Amour le 
me auroit faict faire^ qui rna en sa baillie. Car 
qui rna en sa baillie ne peut signifier autre chose 
que cela, Qui m'a en sa puissance : ou, en sa sei- 
gneurie et domination. Aujourdhuy Bailli est à peu 
près le mesme qui es autres contrées de la France 
est appelé Seneschal. 

Ce mesme endroit de ce Romman me fournira 
deux exemples de mots anciens , qui sont du 
nombre de ceux dont il s'agit. Car nous lisons 
là. Mais que jamais par gabs ne autrement de ce 
ne me ptarlez. Et un peu auparavant elle avoit 
dict, Mais je croy que vous le dites ])ar soûlas. Et 
bientost après, pour signifier la mesme chose, 
elle use du mot esbatement. Je di donc première- 
ment que le Gabbo des Italiens est venu de ce 
Gabs. Duquel Gabbo use Boccace en cest endroit, 
Intese il motto, et quello in festa et in gabbo preso^ 
mise mano in altre fiovelle K Et comme de ce Gabs 
est venu Gaber, aussi Gabbar, de Gabbo. Mais quant 
à ce verbe Gaber, il est encore aujourdhuy en 
usage en quelques lieux, comme aussi Gabeur, 
plustost que Gabs : au lieu duquel on use plus 
volontiers de Gaberie, L'autre mot, Soûlas, est 
encore moins en usage que Gabs : duquel Soûlas 
(je dis Soûlas signifiant Esbatement, Passetemps) 

1. Il comprit le bon mot, le prit gaîment et en plaisanterie, 
et passa à d'autres nouvelles. 



Digitized 



byGoogk 



268 DE LA PRECELLENGE 

les Italiens ont faict leur Solazzo ou Sollazzo, et 
ont dict aussi Solazzar, voyans que nos ancestres 
avoyent faict Soulasser ou Soulassier, de Soûlas, 
Or comme on ne pourroit user de ce mot 
ancien Soûlas en ceste signification -là, sans 
danger de reprehension, pource qu'on le pense- 
roit estre de ceux qu'on escorche aujourdliuy 
du langage Italien à tors et à travers : ainsi en 
avons -nous autres desquels on peut dire le 
mesme. De ce nombre sont non seulement aucuns 
des precedens, mais aussi trois que j'ay gardez 
pour la fin : lesquels seroyent encore plus sus- 
pects de ce que je vien de dire que les autres, et 
par conséquent plus subjects à reprehension. Le 
premier sera Brigade '. car nous trouvons ce mot 
en quelques Rommans, et nommément en celuy 
de Perceforest : Ils s'en partirent de celle brigade. 
c'est à dire de celle compagnie. Voyla comment 
nous pouvons mieux de droit user de Brigade 
que Boccace de Brigata, en le prenant de nostre 
ancien langage. Le second lieu sera donné à Ena- 
mouré, car plusieurs pourroyent penser pareil- 
lement qu'ils fust tiré de l'Italien Inamorato, ou 
pour le moins faict à son exemple : et toutesfois 
nous lisons es Rommans non seulement Enamouré, 
mais aussi S'énamourer *. comme en ce passage, 



4. Cf. Dûz/o^wes, II, 246-47. archaïques, ont depuis com- 

2. Enamouré, s^enamourer, mencé à revivre. Peu après 

qu'Estienne considère comme Régnier écrivait : Tout riait 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 269 

Car ja pieça il se énamoura d'une jeune damoi- 
selle Rommaine. Nous lisons aussi, Je vous ay éna- 
mourée, en cestuy-ci, Car tant vous ay énamourée 
puisque premièrement vous vi. et sont tous les 
deux passages pris du Romman de Perceforest. 
Le troisième mot sera S'embatirK comme en ce 
mesme Romman, Et tellement luy escheut, quil 
s'embatit sur une fontaine, et me souvient que le 
Romman de la rose * aussi use de ce mot. telle- 
ment qu'il ne faut douter que les Italiens ne fa- 
cent leur proufit de cestuy-ci comme des autres, 
quand ils disent, Me son embatuto, ou imbatuto, 
in un tal luogo ^. On me demandera maintenant 
si nous ne pouvons pas user de ces mots pour le 
moins, lesquels encore qu'on puisse penser estre 
tirez du langage Italien, au contraire luy les a 
pris du nostre. Je respondray qu'il ne me semble 
pas qu'en nostre parler ordinaire nous en devions 
servir, non plus que des autres, non usurpez par 
les Italiens : ains encore moins, puisque nous 

auprès d'elle et la terre parée 1. Cf. Dialogues^ I, 133. 
Etait énamourée. (Liltré.) Au 2. Le mot s^ rencontre très 
commencement de nostre siè- souvent. Edition Pierre Mar- 
cle, énamourée est employé : teaux {Bibliothèque orléanaise), 
Paul-Louis Courier : Quelque v. 1670 : 
pauvre énamourée va s'y re- 
paître de doux souvenirs. (Lit- Se j'eusse avant cognéu 
tré.) Plus tard, poètes et pro- Quex sa force ert et sa vertu^ 
sateurs ont fait grand usage Ne m'i fusse jà embatu. 
des mots énamourer, énamouré, 

s'énamourer, qui d'ailleurs Cf. vers 7943, 7970, 8415, 

n'ont, pas de vrais synonymes 10 080, etc. 

et sont par conséquent néces- 3. Je me suis engagé en un 

saires. tel endroit. 



Digitized 



by Google 



270 DE LA PRECELLENCE 

avons esté si mal songneux que nous leur avons 
laissé avoir le droit de prescription sur iceux : et 
d'ailleurs que nous sommes en un temps où Tabus 
de ceux qui escorchent le langage Italien peut 
rendre suspect Tusage de tels vocables, et par 
conséquent odieux, aussi bien que des autres. 
Mais en poésie j'estime devoir estre permis : et 
s'il devoit estre licite de s'aider de quelcun 
ailleurs aussi, je dirois que ce seroit de Ena- 
mouré et de S'énamourer. 

Il me souvient aussi du nom d'une beste, que 
je veux maintenir estre pareillement faict d'un 
de nos anciens vocables, c'est Botta, qui signifie 
ce que nous appelons CrajMud. car je di que nous 
trouvons Botterel en nostre vieil langage, dict 
aussi pour Crapaud. Et d'autant que ce mot Bot- 
terel ha forme diminutive, il est vray-semblable 
qu'on ait dict aussi Botte, ou Bottet K Pour le 
moins quant à Botterel, voyci un passage où il se 
trouve : pris du Tournoyement de l'antechrist, 
composé par Hugues De meri *. et c'est où il parle 
(i'une pierre qu'on nomme Cra])audine. 

Mais celle qui entre les yeux 
Au botterel croist, est plus fine^ 
Quon seult appeler Crapaudine. 



1. Boterel^ qui se dit encore est resté dans quelques patois, 

en Picardie et dans quelques On a employé aussi autrefois 

autres ^régions, est en effet un le diminutif botel. (Godefroy.) 

diminutif de bot, qui lui-même 2. Lire : Huon de Meri. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 271 

J'adjousteray encore, qu'entre les mots que les 
Italiens ont pris de nous, non pas en la signifi- 
cation qui est plus commune maintenant, mais en 
celle qui Testoit plus le temps passé, est cestuy-ci, 
Cheras, car ils n'usent pas de ce mot comme nous 
maintenant, quand nous disons Faire bonne chère 
pour Estre bien traitté : et, Je vous feray bonne 
chère, pour signifier : Je vous traitteray bien, 
mais pour Visage, ainsi qu'on dit. Il m'a faict 
bon visage : et aussi comme on dit. Il ha un 
beau visage *. Et encores aujourdhuy en quelques 
lieux on oit dire Joyeuse chère, pour Visage joyeux, 
mais le temps passé ceste signification estoit plus 
commune : comme nous tesmoigne ce proverbe. 
Belle chère ^ et cueiir arrière *. Et cestuy-ci. Belle 
chère vaut bien un mets ^ Et de celuy aussi le 
visage duquel monstroit de la tristesse, on disoit 
qu'il faisoit mauvaise chère. 

J'ai beaucoup d'autres mots que je pourrois 
adjouster aux precedens : mais il me tarde que je 
vienne à l'autre sorte, asçavoir à ceux dont nous 
usons tous les jours (aucuns desquels, voire plu- 
sieurs, on sçait nous estre communs avec nos 
ancestres) dont les Italiens ont faict et font leur 
proufit, non moins que des precedens, avec bien 

1. Cf. Dialogues du nouveau Lastus adest vultus, sed pia 
langage françois itatianizé, I, corda procul. 

127. 3. Id., ibid. : JEquiparat lœtus 

2. Garneri Thésaurus, 132 : lautissima fercula vultus. 



Digitized 



by Google 



272 DE LA PRECELLENCE 

peu de changement. Mais ils vous nieront (me 
dira quelcun) qu'ils prennent tous ces mots des 
\ostres. Je respon que quand ils ne confesse- 
royent la debte que touchant une moitié, le nombre 
seroit fort grand : et toutesfois il-y-a plus d'appa- 
rence en tous ceux que je mettray en avant, qu'en 
quelques-uns de ceux qu'a confessez leur Bembo. 
j'enten, plus d'apparence d'avoir esté tirez de 
nostre langage. 

Par où donc commanceray-je , parmi un si 
grand nombre? Par un mot qui est en un vers de 
Pétrarque, lequel j'ay allégué tout le premier. 
C'est ce vers, 

Quattro destrier via plu che neve bianc/ii. 

Car qui me pourroit nier que Biancho soit faict 
de nostre Blanct comme aussi en est faict l'Espa- 
gnol Blanco. Et ne faut douter de l'ancienneté de 
ce Blanc, veu mesmement qu'estant monosyllabe, 
il-y-a apparence qu'il soit de ceux qui nous sont 
demourez du langage Gaulois *. 

Nous avons au vers prochainement suivant. 
Un garzon crudo ^ où je croy qu'ils confesseront 
pareillement que ce Garzon est nostre, voire quant 
à la terminaison aussi : il est vray que nous pro- 

1. Le mot blanc est d'origine bares ont pu porter directe- 
germanique. C'est toujours ce ment le mot comme beaucoup 
qu'il faut compreildre quand d'autres en Italie aussi bien 
Éstienne parle du langage gaii- que chez nous. 
lois. Mais les invasions bar- 2. Un enfant cruel. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 275 

nonceons plustost Garson que Garzon. Et toutes- 
fois s'ils le vouloyent nier, ils peuvent estre con~ 
vaincus tant par le primitif Gars (qui ha appa- 
rence, comme le précèdent, d'estre des reliques^ 
de nos Gaulois) que par le féminin Garse : lesquels 
deux nostre langue a voulu se reserver *. 

Au vers troisième nous avons fianchi, tiré pareil- 
lement de nostre langage, car de nostre flanc ils 
ont faict fianco. Duquel flanc nous avons faict 
Flanquer. Et à propos de ce mot, qui est le nom 
d'un de nos membres, je parleray de quelques 
autres que les Italiens ont pris de nous : comman- 
ceant (comme la raison veut) par la Teste. Je di 
donc que ces messieurs de nostre Teste ont faict 
leur Testa : laquelle chose est si manifeste que je 
ne la dirois si ce n'estoit pour en faire souvenir. 
Aussi de nostre Jambe ont-ils faict leur Gamba. Et 
qui doute que quand ils ont dict Pie, pour Pes^ 
c'ait esté aussi à l'imitation des François? Et ce 
Pie est tant pour le singulier Piede que le pluriel 
Piedi, car Boccace dit, Messer Lambertuccio messo 
il pie nella staffa, et montato su *, etc. Lequel en 
use encore plus souvent au pluriel : comme, Pam- 
pinea levatasi in pie '. ailleurs, Et fatta la scusa^ 

l. Uétymologie de gars, ^ar- le sens, bien peu de vraisem- 

çon^ est tout à fait incertaine, blance. 

11 n'est pas impossible que ces 2.MesserLambertuccioayant 

mots aient une origine celtique, mis le pied dans l'étrier et étant 

L'explication donnée par Diez, monté. Journ, VII, nouv. vi. 

qui rattache garçon à un dé- 3. Pampinée se leva. Litté- 

rivé italien dé cardttii^, a, pour ralement : se leva en pied y 



Digitized 



by Google 



74 DE LA PRECELLENCE 

ijyie si levà\ Il dit aussi A pie, en la sorte que 
ous en usons quand nous disons Aller à pié : 
>oveapie partitos'era, a cavallo tomô *. Et mesmes 
Q Piede et Piedi une telle interposition de la lettre 
tient de nostre langag*e. laquelle toutesfois est 
lus Françoise au monosyllabe Pié : pource que 
est comme en Miel, et en Fiel. Il est vray que 
ous en usons en autres que monosyllabes, car 
ous faisons Mien de Meus ^ où aussi les Italiens 
ous ensuivans ont dict Mio. Mais pour retourner 
ux appellations des membres du corps humain 
ue leur langage a pris du nostre, quand ils disent 
^iancho, cest I n'est pas de ce comte, car nous 
isons Flanc, sans ceste voyelle, et ne prenons ce 
îot-ladu Latin, comme ces quatre autres*. Quant 
ux parties intérieures, ils ne peuvent aussi nier 
ue leur Cuor ne soit nostre Cueur, car ne s'arres- 
ins point au changement que nous avions faict 
n ce mot Latin Cor, cordis, ils eussent dict Corde. 
l ne faut pas omettre Fegato, qui vient toutesfois 
on pas de Foye, mais de Fege, ou Feie, comme on 
3 prononce en quelque dialecte François^ : estant 
e I consonant ^, si on Taime mieux ainsi escrire, 

)mme clans l'exemple suivant. 4. L'étymologie du mot flanc 

'ancien français disait aussi est inconnue. Littré croit à 

î leva ou se dressa en pied. une origine germanique. Le 

1 . Et Pexcuse faite, il se leva, mot allemand Flanke, employé 

2. A l'endroit d'où il était comme terme militaire, est 
snu à pied il retourna à che- probablement emprunté au 
il. Jouvn. I, nouv. vu. français. 

3. Mien ne vient pas de meus, 5. En provençal, 
lais de meum, G. C'est-à-dire y. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 275 

qu'avec le G. Or, pour dire la vérité, il eust mieux 
valu que la langue Italienne eust ainsi suivi la 
nostre es appellations des autres membres aussi, 
que, en voulant suivre les Latins, et les suivant 
mal, faire le poète Homère de ce qu'eux nomment 
Humérus, car ils disent Homero, au lieu de dire 
Numéro quand ils veulent signifier ce que nous 
appelons Espaule, et qu'eux aussi quelquesfois 
disent Spala, ou plustost Spalla, 

Ce mot Garzon, duquel j'ay faict mention 
naguère, me fait souvenir d'un autre de mesme 
terminaison, qui est aussi pris de nostre langage. 
C'est Slagion, pour ce que nous disons Saison. 
Sannazar en son Arcadie, Quando talhora à la 
stagion novella Mungo le câpre mie \ 

L'Espagnol a aussi appliqué nostre vocable à 
son usage,* mais le retenant de plus près. Car il 
dit Sazon. comme on voit en ceste traduction*, 

En la sazon, quel ciele raudo inclina 
A l'accidente, y que el dia nuestro buela 
A gente, que quiça lo esta esperando. 

Car ces vers sont au lieu de ceux ci de Pétrarque, 



traduzi- 
ue 



{. Quand parfois, à la saison grand poeta Petrarca, tradu 

nouveUe, je trais mes chèvres, dos de toscano por Salusqi,^ 

Arcadie^ églogue IX v. 61-62. Lusitano. Feugère renvoie pour 

2. D'après Léon Feugère, cette citation et pour celles qui 

cette traduction espagnole est suivent aux pages 69, 16, 103, 

de 1567 : De los Sonetos... del 121, 144. 



Digitized 



by Google 



276 DE LA PRECELLExXCE 

Ne la stagion chel ciel rapido inchina 
Verso accidenté, e che'l di nostro vola 
A gente, che di la for se Vaspetta *. 

Ils usent aussi en la prose de ce mot Stagion, ou 
Stagione, qu'ils ont pris de nous : et leur est bien 
force, veu qu'ils n'en ont point d'autre pour bien 
exprimer une chose de laquelle si souvent il faut 
faire mention. 

Aussi nostre mot Manière a esté pris par toutes 
ces deux nations : l'Italienne en ayant faict 
Maniera, l'Espagnole, Manera. Elles se sont aussi 
accordées quant à nous prendre nostre Guerre : et 
en faire Guerra. Mais au lieu de ce que nous 
disons Guerrier, les Espagnols ont mieux aimé 
dire Guerreador, les Italiens, Guerriero, en adjous- 
tant seulement un à nostre mot. Et encore bien 
souvent disent-ils du tout comme nous, Guerrier-, 
principalement en poésie, comme nous voyons 
en un passage d'Arioste allégué parcidevant. 
Contra un gentil guerrier * . Où si seulement de 
Contra on faisoit Contre, on penseroitplustostlire 
du François que de l'Italien. Et ce passage me 
remet en mémoire plusieurs mots où Pétrarque 
use souvent de la terminaison Françoise, comme 
aussi ils sont pris de nostre langue. Nous en avons 
un exemple ici, Di pensier inpensier. Ainsi dit-il 

1. « Dans le temps où le ciel une nation qui là peut-être 
rapide s'incline vers TOcci- l'attend. » Ed. citée, Canz. IX. 
dent, où notre jour vole vers 2. Voir page 56. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 277 

Leggier : et Consiglier, en ce passage, Di cio me 
stato consigner sol esso * : Et Sentier^ ici, Dolce sen- 
tier che si amaro riesci *. Mais il fait de nos mots (et 
le mesme font les autres) ce que nous n'oserions^ 
pas faire, car il les fait servir au pluriel nombre 
aussi en ceste mesme terminaison, comme, / di 
miei piu leggier che nessun cervo ^. Et au Sonnet 
suivant, caduche s])eranze, o pensier folli *. Ils 
ont pareillement faict leur proufît de nostre 
Mestier, qui est de mesme terminaison, comme 
aussi est Destrier, que j'ay ci-dessus amené de 
Pétrarque. Quant à Piacer, on ne peut pas dire 
le mesme, à sçavoir qu'il ait aussi esté pris de 
nous, car nous disons Plaisir, il est bien vray 
qu'aujourdhuy quelques uns en font Piasir, Et ce 
mot, à cause de L changée en I,me fait souvenir 
de Biada % qui est aussi du nombre des mots dont 
ritalie doit rendre comte à la France. Comme 
ils laissent volontiers la voyelle au bout des mots 
susdicts, aussi le font-ils au bout de plusieurs qui 
sont d'autre terminaison : comme quand ils disent 
Giardin, pour Giardino, usans de la mesme termi- 
naison que nous. Et ostent pareillement la voyelle 
ou la syllabe au mot précèdent, comme ils diront. 
In un giardin^ et Un bel giardin : non pas In uno 

1. Il m'a seul conseillé cela, qu'un cerf. (Ed. citée, sonnet 

2. Doux sentier dont l'issue cclxxix.) 

est si amère. (Ed. citée, sonnet 4. fragiles espérances, ô 
ccLxi.) folles pensées. 

3. iVIes jours plus légers 5. Blé. 

16 



Digitized 



by Google 



278 DE LA PRECELLENCE 

giardin et Un bello giardin. En quelques-uns tou- 
tesfois je croy qu'ils n'ostent point la voyelle qu'ils 
ont coustume d'adjouster à nostre vocable : comme 
à Rijwso pour nostre Repos, Et neantmoins es 
verbes aussi ils ostent souvent ceste voyelle finale, 
comme es noms precedens : tellement que ces 
verbes pareillement sentent tant mieux leur 
langue Françoise. Pour exemple, Gioir^ en ce vers 
de Pétrarque. lo che gior di tal visita non soglio *. 
Et Languir en cestuy-ci de luy-mesme, Beato inso- 
gno, e di languir contento '. 

Or ayant dict ci-dessus que les Italiens se ser- 
voyent de nostre Guerre, je devois adjouster le 
mesme touchant nostre Bataille : de laquelle ils 
ont faict Bataglia, ou Battaglia, en doublant le t. 
comme aussi Muraglia de nostre Muraille^, Ceste 
mesme terminaison est en Maraviglia *, venu pa- 
reillement de nostre langage. 

Beaucoup aussi de leurs mots terminez en aggio 
sont tirez de nostre langue : les uns substantifs, 
comme OltraggiOy Coraggio, Aventaggio, Dannag- 
gio, Viaggio, Servaggio^ Linguaggio, au lieu de ce 
que nous disons Outrage, Courage, Aventage, 
Dommage, Voyage, Servage (qui estoit encore plus 
usité à nos prédécesseurs) Langage : les autres, 
adjectifs, comme Selvaggio, pour nostre Saulvage : 



1. Voir page 82. 3. Cf. Dialogues, H, page 266.. 

2. Heureux en songe et con- 4. Merveille, 
ient de languir. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 279 

MalvaggiOy pour nostre Mauvais. Mais quant à ce 
dernier, on l'escrit plustost avec un g seul, Malva- 
gio. Toutesfois Gaggio aussi, pour Gage (comme 
nous avons veu ci-dessus) et Saggio, pour Sage, ont 
g double. Or comme ils nous prennent les noms, 
aussi prennent-ils les verbes qui sont faicts de 
quelques-uns : comme je monstreray où je par- 
leray de ceste partie d'oraison. Quant à Dannagio *, 
ceux qui l'exposent Danno grande, monstrent bien 
n'avoir descouvert ce secret que je vien de mons- 
trer. 

A quelques-uns de nos mots terminez en oing, 
ils changent la terminaison en ogno. Comme de 
nostre Besoing ils font Bisogno, Mais en Mensogna, 
ou plustost menzogna, ils transposent les deux 
dernières consonantes de nostre Mensonge. 
comme aussi ils font quand pour le Latin Plangere 
ils disent non moins Piagnere que Piangere. 

Ils usent de ceste lettre G devant plusieurs mots 
aussi que nous commançons par I, estant conso- 
nante. comme quand pour nostre Jour ils disent 
Giorno , et pour nostre Joye, Gioia. (comme ci- 
dessus nous avons eu Gioire, et Gioir) et Giltare, 
pour nostre Jetter. 

Outreplus il faut noter qu'ils ont en quelques 
mots deux sortes d'escriture, dont l'une qui suit 
le langage François, est souvent plus volontiers 

1. Dommage. 



Digitized 



by Google 



280 DE LA PRECELLENCE 

suivie par aucuns d'eux, comme quand Pétrarque 
dit Saggio, plustost que Savio : et quand on aime 
mieux escrire Periglio que Pericolo, semblable- 
ment Perigliosa (comme on le trouve escrit par 
Bembo) que Pericolosa. Item Meffato (comme 
luy-mesme Tescrit, suivant ce que nous disons 
Meffaict^ au lieu de Mesfaict) que Malfatto. Aussi 
Disdegnoso (duquel Boccace use quelquesfois) sent 
mieux sa langue Françoise, que Sdegnoso ou Isde- 
gnoso : pourcequ'elle dit Desdaigneux. Pareil- 
lement Reina, qu'on trouve escrit plus souvent 
«que Regina, on voit bien qu'il se conforme mieux 
avec nostre mot François. Ce qu'on peut dire aussi 
de Santa, qu'on nous tesmoigne se trouver es 
vieux exemplaires de Boccace , en quelques 
endroits, car ce dissyllabe s'accorde bien mieux 
avec la parole Françoise, que le trissyllabe Sanita. 
Or ne m'esbahi-je pas beaucoup de toutes ces 
curieuses imitations de nostre langage : ne aussi 
de ce qu'ils ont dict Madama au lieu de Aladonna, 
et Damigella (ou Damigiella, comme il se trouve 
es Azolains de Bembo) plustost que Donzella : ne 
de ce qu'ils ont mieux aimé quelquesfois dire 
Paggio ou Valletto, que Ragazzo * : mais voyci 
dequoy je m'esmerveille grandement : c'est que 
ces messieurs en sont venus jusque-la, pour mieux 
conformer leur langage au nostre, qu'ils ont suivi 
quelques erreurs manifestes de nostre menu 

1. Garçon, domestique, valet, jeune garçon. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 281 

peuple, comme quand au lieu de dire Veneno ils 
ont dit et escrit Veleno : (ainsi qu'en ceste ville 
mesmement une grande partie du peuple prononce 
Velin) * Bembo entre autres et Sannazaro ayans 
usé de ceste escriture, après Boccace. Quant à 
quelques mots, je sçay bien que certains seule- 
ment, et peu, en ont usé : comme de Straniero, 
faict à rimitation de nostre Estranger, car l'ordi- 
naire est Forestiero. Ce que je puis encore mieux 
dire de Aniassar non pas pour Tuer, mais pource 
que nous disons Amasser, qui se lit au comman- 
cement d'un livre intitulé, // thesoro di M. Bru- 
netto Latino Firentino, precettore del divino poeta 
Dante *. Car il commance ainsi. Si corne el signiore 
che vuole in un luogo amassare cpse di grandis- 
simo valorcj non solamente ])er suo diletto, ma per 
cresciere il suo potere, etc. mais il est escrit là, 
ammassare, avec double m. Et par ceci nous con- 
gnoissons combien desja anciennement les Italiens 
se servoyent de nostre langage ^. 

1. Voir Thurot, Prononcia- in-f* de 123 feuilles (très rare). 
tion française, H, 261. Littré Garanla,quiignoraitl'existence 
cite un exemple de saint Ber- de l'édition de Trévise, adonné 
nard : lo velin de la detraction. la sienne comme la première. •• 

2. Biographie universelle de Voici la phrase de Brunetto 
Michaud : « Buono Giamboni^ Latini dont Estienne cite la 

Sui vivait peu de temps après traduction : [Cist livres est ape- 

runetto, a traduit son ouvrage lés Trésors ; car] si corne H sires 

en italien sous ce titi'e : Qui qui vuet en petit leu amasser 

incommencia il Tesoro di Bru- chose de grandisme vaillance, 

netto Latino de Firenze, e parla non pas p6r son délit seulement, 

del nascimento e délia nalura mais por acroistre son pooir. 

di lutte le cose. Cette version 3. Les partisans de l'italia- 

a été imprimée à Trévise, 1474, nisme disaient amasser dans le 

IG. 



Digitized 



by Google 



282 DE LA PRECELLENCE 

Mais parlant des terminaisons, j'ay oublié de 
faire mention d'une en astî^o, en ce mot filiastrOy 
faict de notre filiastre. Car que ceste terminaison 
soit nostre, et non pas à eux, il appert par nos 
deux autres mots parastre et marastre. Toutesfois 
nous ayans pris tant d'autres choses, il ne se faut 
esbahir s'ils ont osé prendre aussi cela. 

Et pour monstrer encore d'avantage comment 
en nostre langage tout leur a esté bon, et qu'ils 
n'ont rien trouvé trop chaud, ni trop froid, (comme 
nous disons en commun proverbe) j'adjousteray 
qu'ils nous ont pris aussi les mots qu'il est 
vraysemblable que nous ayons de nos Gaulois : 
comme Héberge ^ ou Herberrje\ Et quant à cestuy- 
ci, nous avons à nous plaindre pareillement des 
Espagnols, car ils en font leur proufît aussi bien 
que les Italiens : lesquels disent Albergo, et eux, 
Alvergueria. Je di qu'il est vraysemblable que nous 
l'ayons de nos ancestres Gaulois, veu qu'aujour- 
dhuy encore les Alemans en usent : lesquels nous 
suivons de beaucoup plus près, et principalement 
quand nous escrivons Herberge. car il n'y-a autre 
différence entre ce mot et le leur, sinon que nous 
adjoustons un e en la fin. Tant y-a que comme 
nous avons aussi le verbe Héberger^ ou Herberger, 
ainsi les deux nations susdictes oniVxine Albergar^ 
l'autre (à sçavoir l'Espagnole) Alvergar, Je doute 

sens de tuer. Voir Dialogues, I, 1. Le mot est d'origine ger- 
76. ' manique. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 283 

si on pourroit point dire aussi que Fol soit de ceux 
qui nous sont demourez depuis ce temps la. lequel 
est du nombre de ceux que les Italiens nous ont 
tirez, car Pétrarque mesmement en use, où il dit, 
caduche speranze, o pensier folli. Je sçay bien 
toutesfois qu'aucuns estiment que ce Fo/ soit venu 
de <pau)vOç, autres de ooT^xoç * : et ne trouve point 
contre raison qu'estant des Gaulois, il eust néan- 
moins esté pris des Grecs : si ainsi est qu'on trouve 
apparence en Tune ou l'autre de ces etymologies. 
De la mesme hardiesse ont usé les Italiens en un 
mot lequel on voit apertement avoir esté par nous 
tiré du langage Grec. J'enten Martiro, qu'on lit en 
quelques lieux de Pétrarque, aussi pris de nostre 
Martire : au lieu duquel Martiro Boccace a dict 
Martorio, où il y-a une dépravation non moins 
vilaine que manifeste. Mais nous avons aussi cest 
avantage, que nous usons de Martir par méta- 
phore correspondante à celle que nous donnons à 
Martire. 

Quant à Altiero^ il-y auroit (peut estre) quelque 
apparence qu'ils l'eussent faict à nostre exemple : 
c'est à dire, à l'exemple de nostre mot Hautain : 
ayant esté dict Altiero de Alto, comme Hautain 
de Haut, 

Je vien à ceste partie d'oraison qu'on nomme 



1. Le mot vient probable- par métaphore à une personne 
ment de follem, enveloppe, qui a perdu la raison. Voir 



soufflet, ballon, et s'applique Scheler. 



Digitized 



by Google 



284 DE LA PRECELLENCE 

les Verbes : c'est à dire, à monstrer comment les 
Italiens n'ont pas moins faict leur profit de nostre 
langage ici que là : encore que là ils ayent fouillé 
par tout : voire jusques à nous prendre une Touaille 
(dequoy ils ont faict una tovaglia) et emmener 
une lavandière, desguisee en Lavandaia, pour la 
pouvoir faire laver quand elle seroit sale. Il semble 
qu'ils se devoyent contenter de cela : mais ils ont 
bien faict d'avantage, car au lieu qu'on dit ordi- 
nairement de ceux qui n'ont rien laissé, qu'ils ont 
•emporté jusques au chien et au chat, nous voyons 
«qu'eux n'ont pas quitté leur part de nos rats et 
nos souris, les desguisans en ratti et sorici : sans 
•considérer qu'en nostre souris nous abusons du 
mot Latin Sorices * . 

Or est-il certain que si là ils ont trouvé beau- 
•coup à prendre, ils n'ont pas moins trouvé en ce 
quartier où sont les Verbes : aussi ne s'en sont- 
ils pas retournez moins chargez, comme je vous 
feray voir. Et pource que j'ay tantost faict men- 
tion des Noms Oltraggio et Avantaggio, entre ceux 
qui ont ceste terminaison en aggio, (par laquelle 
les Italiens représentent la nostre qui est en âge) 
je commanceray par les Verbes qui sont tirez de 



1. En effet, Forcellini, au clariusque slrepat, et plus affe- 

mot sorex, donne cette défini- rat detrimenti. Plin., 1. 11, c. 50, 

tion : mus agrestis et rusticus^ sorici tribuit caudam in ima 

et, au mot mus, fait cette re- parte setosam,utbubus et leoni: 

marque : « Greditur differre a et, I. 8, c. 57, ex Nigidio tradit 

sorice quod sorex major sit, sorices hieme condi. » 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 285 

ces Noms : à sçavoir par Oltraggiare et Avantag- 
giare : lesquels ont esté faicts sur le portraîct (s'il 
faut ainsi dire) de nos verbes Oultrager et Avan- 
tager, comme Oltraggio et Avantaggio sur celuy de 
nos noms Oultrage et Avantage. Je mettray Trava- 
gliar après, encore que je n'aye point faict men- 
tion du nom TravagliOy d'où il est sorti*. Le car- 
dinal Bembo use de ce verbe au commancement 
de ses Asolains. Il use en ce mesme livre de Proc- 
caciar, incontinent après : il use aussi de Insegnar, 
de Guidary de Guatar, de Risvegliar^ de Surmontar, 
de Ritomar, Raccontar, Rinforzar, Riposar, Abban- 
donar, Sembiar, Traboccar, Dimorar, Ricommin- 
ciar, RicoveraTy Crolar. Qui sont autant de nos 
verbes François habillez à l'Italienne : à sçavoir, 
Pourchasser, Enseigner, Guider, Gueter, Reveil- 
ler, Surmonter, Retourner, Raconter, Renforcer, 
Reposer, Abandonner, Sembler, ïrebuscher, De- 
mourer, Recommancer, Recouvrer, Croler. 

Avant que passer plus outre, j'advertiray, à 
propos de quelques exemples que j'ay amenez de 
Verbes pris par les Italiens, aussi bien que les 
Noms dont ils sont procédez, qu'ils se sont gou- 
vernez diversement en cest endroit, je di quant à 
prendre nos Verbes, car quelquesfois ils n'ont pas 
pris nos Verbes sans prendre aussi nos Noms 
(comme quand ils ont dict Airivar, faict de nostre 

i. Cf. Dialogues, II, 266. 



Digitized 



by Google 



286 DE LA PRECELLENCE 

Arriver^ ayans premièrement dict Riva, comme 
nous Rive : quand ils ont dict Travagliar, Oltrag- 
giar, Avantaggiar, après avoir ja dict Travaglio, 
Oltraggio, Avantaggio, qui sont faicts des nostres) 
quelquesfois ayans pris les Noms du langage Latin, 
mais voyans que les Latins n'en faisoyent point 
des Verbes, comme nous, ils se sont ruez sur les 
nostres. Pour exemple, ils n'ont pas eu de nous 
ce Nom Valle, mais des Latins : toutesfois ils ont 
pris de nous Avallar, non pas d'eux, qui n'ont 
point un tel Verbe. Voyla comment en une mesme 
chose ils se sont aidez de deux langages, du Latin 
Vallis, en leur Nom Val le : de nostre Aval 1er, en 
leur Verbe Avallar, Quant à ce que j'ay dict de 
Riva, qu'ils l'avoyent pris de nous, je sçay bien 
qu'aucuns pourroyent faire difficulté de m'accor- 
der cela, et diroyent qu'il se peut bien faire qu'ils 
l'ayent pris du Latin ripa, aussi bien que nous, en 
usant du mesme changement. Mais je croy que 
ceux qui considéreront combien d'autres mots ils 
ont pris de nostre langue, qui ne les avoit pas eus 
des Latins, plustost que de les prendre d'eux, ne 
mouveront point ceste question. Au reste de ce 
que tant en ces Verbes derniers qu'es precedens, 
je ne mets qu'une sorte d'infinitif, escrivant (pour 
exemple) seulement Arrivar, et non pas Arrivare 
aussi, j'en rendray raison ci-apres. 

Quant aux Verbes tirez du langage ancien, outre 
Rimembrar, que Bembo met entre les mots Pro- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 287 

vençaux, et duquel use souvent Pétrarque : outre 
aussi Lusingar, Schernir, Gabbar (qui est en ce pro- 
verbe, Passato il pericolo, gabbato il santo) * et 
Albergar, Sollazzar^ venans des Noms dont j'ay 
faict mention ci-dessus, et outre plusieurs autres, 
qu'on peut remarquer non seulement en Dante et 
en Pétrarque, mais aussi en Boccace, ils en ont 
un non moins fréquent que notable, Ingombrar, 
Car on auroit tort de révoquer en doute si ce mot 
est venu de nostre Encombrer : qui se trouve mes- 
mement en un ancien proverbe, A haute montée le 
faix encombre *. mais aujourdhuy il est encore 
moins en usage que le Nom Encombrier, duquel il 
est procédé ^. Au contraire les Italiens se servent 
autant (principalement en poésie) de cest Ingom- 
brar^ qu'ils ont forgé sur nostre Encombrer^ que 
d'aucun autre Verbe qu'ils ayent pris de nostre 
ancienne langue, j'enten, de celle de nos ayeulx. 
Et à fin d'en tirer plus de service, ils ont faict un 
autre Verbe, contraire à cestuy-ci, asçavoirZ)z5^om- 
brar, lequel ils luy opposent (comme on oppo- 
seroit Desencombrer à Encombrer) et quand bon 

1. Le danger passé, on se semblable quVncomôî'fervenait 
moque du saint. du verbe, et non le verbe du 

2. Le Roux de Lincy, U, page substantif. Les substantifs cor- 
227. respondant à ce verbe étaient 

3. Le verbe encombrer, très plus nombreux qu*aujourd'hui. 
usité dans l'ancienne langue, Outre encombre et encombre- 
mais avec un sens différent de men<,rancienne langue avait en- 
son sens actuel, paraît en effet combrance, encombrier, encom- 
avoir été pendant assez long- brage, encomhraison, — Cf. Dfa- 
temps en défaveur. Il est vrai- logues, I, 181. 



Digitized 



by Google 



288 DE LA PRECELLENCE 

leur semble, ou la mesure de leur vers requiert 
un dissyllabe, disent Sgombrar. Pétrarque a esté 
de ceux qui en ont faict leur proufit. comme 
nous pouvons voir ici, 

Ogni gravezza del suo petto s go mira : 
Et poi la mensa ingombra 
Di povere vivande *. 

Pareillement en ce vers, 

Di sospir molti mi sgombrava il petto ^. 

Quant à l'autre, qui est trissyllabe, nous Tavons 
en ceste chanson qui est es Asolains de Bembo,. 

Voi date al viver mio l'un fîdo porto : 
Che corné* l sol di luce il mondo ingombra, 
E la nebbia sparisce innanzi al i^ento : 
Cosi mi vien da voi gioia e conforto, 
E cosi d*ogni parte si disgombra 
Per lo vostro apparir noia e tormento ^. 

Un aussi, qui est nommé Francesco Maria Molza *^ 
use de ingombra en ce vers, Quai vago fior che 



1. « Il délivre son cœur de dissipe à rapproche du vent, 
tout souci, puis charge la table ainsi me vient de vous joie et 
de pauvres mets. » (Ed. citée, consolation, et ainsi de toute 
Canz. IX, V. 20-22). part s'en vont, quand vous pa^ 

2. « Il me soulageait le cœur raissez, ennui et tourment. » 
de nombreux soupirs. » (Ed. (Livre III.) 

citée, sonnet lix.) 4. Francesco-Maria Molza, né- 

3. « Vous offrez à ma vie un à Modène, le 18 juin 1489, d'une- 
port fidèle : car, comme le so- famille noble, eut une vie assez 
leil inonde le monde de lu- scandaleuse, et mourut,en 1544, 
mière, et comme la nuée se d*une maladie causée par ses. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 289 

sottil pioggia ingombra\ rymant sg ombra sur ice- 
luy. Encores en un autre lieu, il dit, Se stesso 
di purpuree piume ingombra Vago arbuscello ', 
luy opposant pareillement ce sgombra. Or com- 
bien que la poésie face souvent son proufît de ce 
vocable ingombrar (luy opposant ordinairement 
lun de ces deux) si est-ce que la prose n'en quitte 
pas du tout sa part. Et qu'ainsi soit, le mesme 
Bembo qui en a usé en ces vers que je vien d'al- 
léguer, s'en est servi aussi en la prose du mesme 
livre : tant en autres lieux qu'en cestuy-ci, Quanto 
sarebbe men maie che noi la mente non havessimo 
céleste ed immortale, che non è, havendola^ di ter- 
reno pensiero ingombrarla e quasi sepellirla?^ Ils 
ont passé encore plus outre, car de cest ingombrar 
ils ont faict un Nom, ingombramentOy que nous li- 
sons en ce mesme livre, E sentesi andare in un 
punto d'intomo al cuore uno ingombramento taie 
di soavita che ogni fibra ne riceve ristoro *. sinon 

débauches. 11 fut protégé par née, ont beaucoup d*élégance 
le cardinal Médicis, le cardinal et d'agrément. 
Farnèse, et plusieurs des plus 1. Gomme une fleur, chargée 
hauts personnages de Rome, d'une pluie légère. {Sonnet lix.) 
car son talent et ses qualités 2. Le bel arbuste de lui- 
brillantes lui attiraient Tadmi- même se couvre de fleurs pour- 
ration de tous. Léonard Arétin prées. {Canz, i.) 
fit frapper une médaille en son 3. Combien il serait moins 
honneur; des recueils de vers mal que nous n'eussions pas 
furent publiés à sa louange, l'âme céleste et immortelle, 
Annibal Caro l'a comparé à qu'il ne l'est, en la possédant, 
Homère, à Virgile, à Platon, de l'embarrasser, et, pour ainsi 
Ses œuvres j^rime, capt7o/i, nou- dire, de l'ensevelir, dans des 
velles, poésies latines, lettres) pensées terrestres, 
sont d'une inspiration très va- 4. Et il sentit affluer autour 

PRECELL. DO LANGAGE FRANÇOIS. 17 



Digitized 



by Google 



290 DE LA PRECELLENCE 

qu'on vueille dire que Bembo ait pris le premier la 
hardiesse d'user de ce Nom. Il use aussi de Sgom- 
bra non pas comme Verbe, mais comme Nom 
adjectif, ou Participe (je doy estre excusé en ce que 
j'use des termes de l'art) en ce commancement 
d'une autre chanson, 

^Sel pensier che m'ingombra, 
Com'è dolce e soave 
Nel cor, cosi venisse in queste rime : 
L* anima saria sgomhra 
Del pezo ond'ella è grave : 
El esse ultime van, ch'anderiam prime *. 

Peut estre que sgombra aura esté dict pour sgom- 
brata. Quoy qu'il en soit, par les exemples que 
j'ay alléguez on congnoist estre vray ce que j'ay 
dict, asçavoir que le langage Italien a faict autant 
bien son proufît de ce vocable Encombrier, que 
d'aucun autre qu'il ait eu de nos ayeulx. Toutesfois 
ce qui m'a faict alléguer tant d'exemples, c'a esté 
aussi afin que par mesme moyen on pust tant 
mieux considérer comment ils n'ont pas seule- 
ment usé d'aucuns des mots qu'ils ont forgez à 
l'imitation du nostre, mais aussi abusé : duquel 



de son cœur un tel flot de joie ces vers, mon âme serait sou- 
que chaque fibre s'en trouva lagée du poids qui Taccable ; et 
ravivée. ce seraient mes derniers vers 
1. Si la pensée qui me remplit, qui marcheraient les premiers 
comme elle est douce et suave [ils remporteraient sur ceux 
en mon cœur, passait ainsi dans qui les ont précédés] (livre 11). 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 291 

abus je parleray plus amplement ci-apres, et en- 
semble de quelques autres. 

Maintenant, pour retourner aux Verbes Italiens, 
tirez de ceux qui nous sont autant frequens qu'ils 
estoyent à nos ancestres, je ne m'arresteray point 
à ceux qui sont fort communs (pour exemple, 
Parlar, Cercar, Lasciar, Guardar, Grattar : comme 
Grattar la testa, ou la rongna) * mais à aucuns de 
ceux dont nous n'avons pas les oreilles tant bat- 
tues. Je commanceray donc par un que plusieurs 
de nous n'oseroyent dire, ne Testimans pas estre 
en usage entre les Italiens. C'est Inviluppar, forgé 
sur nostre Envelopper, duquel ils usent aussi 
(comme nous du nostre) autrement qu'en sa 
propre signification, tellement que Finterprete 
de Cornélius Tacitus * a dict, / quali s'erano la 
dentro per loro stessi inviluppati^. Sautant du coq 
à l'asne * (ce qui est permis en telle matière) je 
vien à Confortar et Riconfortar : prenant occasion 
de ce vers que j'ay ci-dessus allégué de Bembo, 

Cosi mi vien da voi gloia et conforto. 

Lequel vers je prieray le lecteur vouloir aussi 
considérer (en passant) estre tel que l'oreille 
autant accoustumee au François qu'à l'Italien, 



1. La gale. 3. Qui s'étaient d'eux-mêmes 

2. Il s'agit de Giorgio Dati. engagés là dedans. 

Voir p. S9. 4. Cf. Dialogues, II, 174. 



Digitized 



by Google 



292 DE LA PRECELLENCE 

recongnoist en chacun mot une meslange de 
ces deux : ou (s'il faut ainsi parler) recongnoist 
un François desguisé. Et qu'ainsi soit, est-il pos- 
sible d'ouir mots approchans plus près les uns 
des autres que ceux-ci approchent de ceux-là? 

Ainsi me vient de vous joye et confort. 

Quant à Confortar etRiconfortar, Boccace entr' au- 
tres en a usé : Pétrarque aussi : et s'il est besoin 
d'exemple, nous en avons de tous deux. Du pre- 
mier, où il dit, E mi conforta e dice che non fue 
Mai *, etc. Du second, où il dit, Speranza mi 
lusinga, e riconforta^. où il use tout-ensemble de 
deux mots pris sur les nostres : mais dont l'un 
estoit en usage à nos ayeulx, plustost qu'il n'est 
à nous : l'autre ne l'est moins à nous qu'à eux. Il 
use au premier vers de ce sonnet (et celuy que 
j'ay allégué est le troisième) de Guidar et de 
Spronar, forgez sur nostre Guider et Esperonner. 
mais en Spronar ils usent d'une syncope, comme 
aussi quand ils disent Sproni pour Speroni. Et, 
pour dire la vérité, quelquesfois nous aussi pro- 
nonceons Es]?rons plustost qu'Jîsperons. Le vers de 
Pétrarque est, Voglia mi sprona, Amor mi guida^ 



1. Il me console et me dit 2. L'espérance me séduit et 
qu'il ne fut jamais. me console. (Sotmet clxxvu.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 293 

€scorge\ (et dit aussi ailleurs, Amor mi sproiia in 
un temjjo ed affrena.) ^Boccace aussi dit Spronar, 
en ce passage, Amor mi sprona ])er si fatta 
maniera^. Ce mesme use deSproni, où il dit, Volse 
il suo ronzino, e tenendo gli sproni stretti al corpo^, 
(où il faut remarquer tout d'un trait ce ronzino^ 
estant aussi un des Noms qu'ils ont pris de nous) 
et en un autre lieu, Buon cavallo e mal cavallo 
vuol sprones^. Il est vray qu'ici aucuns exemplaires 
ont sperone. Or comme nous trouvons deux mots 
François (de ceux qui sont appelez Verbes) en ce 
premier vers, et deux au troisième : aussi en 
avons-nous deux au second, Ti7'ar et Trasporta, 
Il est vray que quelcun pourra douter touchant 
ce Trasporta, disant que l'Italien a eu aussi bien 
que nous le verbe Latin, d'où il a pu le tirer. Mais 
il faut considérer que la signification qu'il luy 
donne, est Françoise, non pas Latine. Toutesfois 
leur faisant grâce de cestuy-la, puisque j'en ay 
tant d'autres qui sont hors de controverse, je 
vien à Aguzzar (forgé sur nostre Aguizer ou 
Aiguizer), que nous avons aussi en Pétrarque, 
et duquel il m'a faict souvenir, usant de Spronar. 



1. Le désir m'éperonne, Ta- 4. Il fit tourner son cheval, 
mour me guide et me conduit, et tenant les éperons serrés aux 

2. L'amour m'éperonne et me flancs... 

retient en même temps. (Ed. 5. Bon cheval et mauvais 

citée, sonnet cxlvi.) cheval veulent Téperon. 

3. L'amour m'éperonne de 
teUe façon... 



Digitized 



by Google 



294 DE LA PRECELLENCE 

Le lieu où il en use est en une chanson, Sempf 
agruzzando il giovenil desio. A Vempia cote *. 

Il ne me faut pas oublier le verbe ^ccompa^/nar, 
qui est de ceux que les Espagnols nous ont pris 
aussi bien que les Italiens. Pétrarque, 

Occhi p lange te, accompagnate il core 
Che di vostro fallir morte sostiene *. 

Les Espagnols disent pareillement Accompanar, 
pour nostre Accompagner, toutesfois il y a Fazed 
compania en ceste traduction, 

Llorad mi oioSy fazed compania 
Al coraçon, che va por vos perdido. 

Or qui douteroit si Accompagner est nostre, il 
devroit aussi douter si Compagnon, d'où vient ce 
Verbe la, nous appartient (duquel pareillement 
les Italiens ont faict Compagno, les Espagnols 
Companero) et toutesfois, ce seroit autant comme 
s'il revoquoit en doute si ceste ville de Paris est 
de la France. 

Toutes ces deux nations se servent aussi de 
nostre Pardonner, comme on peut voir par ce 



1 . Toujours aiguisant le désir 2. « Mes yeux,pleurez; joignez- 

de la jeunesse à la pierre impie, vous à mon cœur, qui, par 

(Edition citée, canz. xlvui, vers votre faute, souffre la mort. » 

36*37.) (Ed. citée, sonnet lxiv.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 295 

passage de Pétrarque, et sa traduction Espagnole, 
car Pétrarque ayant dict, 

Lasso ben so che dolorose prede 

Di nol fa quella^ ch*a nulV huom perdona *, 

ceci a esté ainsi traduict en Espagnol, 

See que haze se nos preai dolorozas 
El que jamas perdona à alcun biviente. 

Et puisque je suis sur le propos du langage 
Espagnol, j'advertiray de ceci en passant, qu'il 
fait pis que Tltalien en plusieurs mots qu'il prend 
de nous : et notamment en ce qu'il oste quelque 
lettre, et mesmes du milieu quelquesfois. Ainsi 
fait-il en Guiar pour Guidar, car interprétant ce 
vers de Pétrarque, 

Voglio mi sprona, Amor mi guida, e scorge 

il dit guia, non pas guida, 

Voluntad me espolea, Amor me guia. 

Voyla comment l'Italien retient bien le d qui est 
en nostre guider, mais l'Espagnol non. Ainsi 
est-il quand de nostre Conforter il fait non pas 
Confortar, comme le langage Italien, mais Conor- 



l.« Hélas! je sais bien qu'elle fait de nous sa douloureuse 
proie, celle qui ne pardonne à aucun homme. ^ {Sonnet hxwi.) 



Digitized 



by Google 



296 DE LA PRECELLENCE 

tar. comme on peut voir pareillement en ce pas- 
sage de Pétrarque, 

Amor mi manda quel dolce pensiero^ 

Che secretario antico è fra noi due y 

E mi conforta, e dice che non fue 

Mai, corn* hor, presto à quel ch'i bramo, e spero '. 

car nous avons conorta, non pas conforta, en 
ceste traduction Espagnole, 

Amor me manda a quel desseo sincero 
Qu'entre ambos secretario antigo hà sido, 
Y me conorta, y dize apercebido 
Nunca assi haver estado a lo que yo espero. 

Mais pour n'entrer point plus avant en Espagne, 
ains retourner en Italie, je di que Pétrarque est 
de ceux qui nous peuvent fournir un fort grand 
nombre de Verbes François, aussi bien que de 
Noms. Cangiar entr autres (quant est de Cam- 
biare ou Scambiare, on peut dire que c'est un cas 
à part) luy est fort fréquent, faict de nostre 
Changer, comme en la première partie du Triom- 
phe d'Amour, E prima cangerai volto, e capelli *. 
Et là mesme, un peu auparavant, havea cangiato 
vista 2. Et en une chanson, Tutto dentro, e di fuor 



1. « Amour m'envoie cette ment et espère. »(Sonn.cxxxvi.) 

douce pensée, car il est entre 2.Et d*abord changeront ton 

nous deux un ancien confident, visage et tes cheveux. (Gap. I, 

et me console et me dit que je v. 70.) 

ne fus jamais si près qu'aujour- 3. Avait changé d'aspect.(/6., 

d'huidecequeje désireardem- 38.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 297 

sento cangiarme *. Et au commancement d'un 
sonnet, Di di in di vo cangiando il visOn el jyelo *. 
Il use en beaucoup d'autres lieux de ce mot, qui 
est forgé sur nostre Changer, plustost que de 
Mutar, faict du latin MiUare, L'Espagnol toutes- 
fois retient le Latin, mettant seulement son d à la 
place du t, car il dit Mudar, Ainsi pour Latrare, il 
dit Ladrar, au lieu que l'Italien se sert de nostre 
Abbayer, car il en fait Abbaiar, 

Et à propos de ce Cangiar, dont j'ay parlé 
naguère, je veux advertir que la langue Italienne 
oste l'aspiration à plusieurs mots qui comman- 
cent par C, ainsi que nous la voyons ostee à ce 
Cangiar. Nous avons (pour exemple) Caccia et Cac- 
ciar, forgez sur nostre Chasse et nostre Chasser 
(duquel Cacciar ils ont aussi faict depuis Scac- 
ciar). Pareillement Carico et Caricar, forgez sur 
nostre Charge et nostre Charger (et quand ils 
disent Scaricar, la lettre S n'est pas mise pour 
plaisir, comme en Scacciar, car Scaricar signifie 
le contraire, asçavoir Descharger) semblable- 
jmeniCamino et Caminar : faicts de nostre Chemin 
et de nostre Cheminer. En quoy ceste langue 
s'est accordée avec l'Espagnole, qui dit pareille- 
ment Camino et Caminar, comme pour nostre 
Charge et nostre Charger, Carga et Cargar : des- 

1. Tout entier, au dedans et 2. De jour en jour changent 
AU dehors, je me sens changer, mon visage et mes cheveux. 
(Ed. citée, canz, xxxi, v. 59.) (Ed. citée, sonnet cLxni.) 

M. 



Digitized 



by Google 



298 DE LA PRECELLENCE 

quels on oit user à quelques Italiens aussi : 
encore que leur langue ait les deux autres sus- 
dicts. 

Quant à ceux qui prennent un G au commance- 
ment, lequel ils mettent devant nostre /*, j'en 
ay adverti ci-dessus au dénombrement des Noms, 
alléguant exemples tant des uns que des autres : 
et me souvient qu'entre les Verbes estoit GittaVy 
faict de nostre Jetter. Mais en aucuns ils usent 
de ceste lettre au milieu, la mettans en la place 
de nostre /, et changeans aussi nostre termi- 
naison : comme quand ils disent Pagar pour 
nostre Payer. Il est vray que si ainsi estoit que 
nostre mot Payer vinst de Pays (comme estans 
les paysans plus subjects et contrains à payer) *, 
alors, d'autant que Pays semble venir de PagnSy 
ce g qui est en Pagar n'y seroit pas sans raison. 
Mais je croirois bien aussi que Payer soit venu 
de Pacare, car le payement appaise les per- 
sonnes : d'où vient que nous disons aussi Con- 
tenter une personne, pour luy donner son paye- 
ment. Et encore selon ceste etymologie ce g 
qui est en ce mot Italien, ne devroit estre trouvé 
estrange : veu qu'ils usent fort souvent de ceste 
lettre au lieu du c. A quoy il faut adjouster que 
nous avons Paguer en quelque dialecte. 



1. Il faut comprendre : qu'ils 2. Cette etymologie est ingé- 
préfèrent à notre j (autrement nieuse, mais c'est la seconde 
dit, i consonne). qui est la bonne. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 299 

Il faut aussi noter qu'ils usent de la significa- 
tion métaphorique (i*aucuns de nos Verbes. Ce que 
fait Pétrarque en ce mot Covai\ faict de nostre 
Couver : quand il dit, 

Nldo di tradimentiy in cui si cova 

Quanto mal per lo mondo hoggi si spande *. 

Et comme j'ay dict qu'entre les Noms qu'ils 
nous avoyent pris, aucuns sont de ceux que la 
langue Greque nous avoit prestez (pour Tamitié 
qu'elle porte à la nostre, de toute ancienneté), 
aussi je di qu'ils ont faict le mesme quant aux 
Verbes : et pour exemple j'allègue Paragorùir, 
duquel use Pétrarque, en ce vers. 

Si paragona pur co i piii perfetd *. 

Car je di que ce Paragonar est venu de nostre 
Parangonner, mot ancien, que nous avons eu des 
Grecs ' : et que, où Ronsard escrit. Je parangonne 
au soleil que f adore L'autre soleil *, c'est faire tort 



1. « Nid de trahison où se raison; Tobler le tire de para- 
couve tout le mal qui se répand gonare, signifiant frotter à la 
aujourd'hui par le monde. » (Ed. pien^e de louche, essayer. Il 
citée, sonnet cvi.) rappelle le verbe Trapaxovab), 

2. « Se compare avec les plus frotter contre, et les au très mots 
parfaits. » (Edition citée, sonnet de la même famille. Quant à 
cccm.) l'étymologie grecque, TrapaYetv, 

3. L'étymologie de parangon qu'on a proposée , elle n'a 
est incertaine. Diez fait venir aucune vraisemblance. 

le mot de l'espagnol, de la pré- 4. Le premier livre des amours, 

position composée para cou, sonnet v. Edit. Marty-Laveaux, 

exprimant une idée de compa- t. I, p. 5. 



Digitized 



by Google 



300 DE LA PRECELLENCE ., 

et à luy et à nos tre langage, de dire qu'il se soit 
servi d'un mot Italien. 

Je veux aussi advertir de prendre garde à 
quelques Verbes qu'ils ont faicts à l'exemple de 
ceux qu'ils avoyent pris de nous. J'enten comme 
quand après avoir pris nostre Embrasser ^ et 
l'avoir desguisé en Imbracciar, ils ont dict aussi 
Abbracciar : et en ont usé plus souvent. Pareil- 
lement, quand ils ne se sont pas contentez de 
prendre nostre Recommander, et en faire Rac- 
commandar (comme desja ils avoyent faict Com- 
mandar, de nostre Commander) ains ont dict 
Siussi A ccommandar en la signification deRaccom- 
mandar. 

Mais je m'avise que tous les Verbes que j'ay 
amenez pour exemple jusques ici, sont d'une 
mesme sorte quant à la terminaison : ayans 
tous ar en la fin, comme ont les Verbes Latins 
de la première conjugaison (en quoy j'use des 
termes de l'art : ce que je prie derechef ne 
trouver mauvais) et pource que quelcun pourroit 
penser que la langue Italienne n'ait faict son 
proufit que de ceux-là, j'ameneray aussi de ceux 
qui sont d'autre sorte. Car encore que desja 
j'aye faict mention d'aucuns, pource que ce n'es- 
toit sur ce propos, il pourra estre ou qu'on n'y 
aura point pris garde, ou qu'on n'en aura pas sou- 
venance. Je di donc que Partir est de cest autre 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 301 

reng : duquel Partir use Pétrarque, au comman- 
cement d'un sien Sonnet : 

/ dolci collij ov' io lasciai me stesso, 
Partendo onde partir giamai non posso, 
Mi vanno innanzi *. 

S avenir et Risovenir sont aussi de ce reng : des- 
quels le second est en un Sonnet de Pétrarque, 
qu'il commance ainsi. L'aura serena, car il dit au 
troisième vers, Fammi risovenir ^. Aussi Istordir, 
et Stordir, doivent estre mis ici, faicts de nostre 
Estourdir, Ainsi use le cardinal Bembo de Stor- 
dir en l'epistre par laquelle il dédie ses Azolains 
à madame Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare, 
Laquai morte si mi stordi, che à guisa di coloro 
che dal foco délie saette tocchi rimangono lungo 
tempo sanza sentimento ^. Lequel passage est bien 
à noter, pourcé qu'en ceux de Boccace, desquels 
on amené des exemples de ce Verbe, il se prend 
neutralement pour Demeurer tout estourdi et 
estonné : au lieu que Bembo en a usé en la signi- 
fication active, comme nous usons de nostre 
Estourdir. Ils disent aussi Assalir, pour nostre 
Assaillir : et comme nous sommes en controverse 



1. •« Les douces collines où je ressouvenir. {Sonnet clxiv.) 
laissai moi-même, en partant 3. Cette mort m'étourdit, de 
de ces lieux d*où je ne puis la même manière que ceux qui 
jamais partir, se présentent sont atteints du feu de la foudre 
devant moi. » {Sonnet clxxv.) restent longtemps privés de 

2. Le doux zéphir. — Fais-moi sentiment. 



Digitized 



by Google 



302 DE LA PRECELLENCE 

s'il faut dire Tassaudrmj ou Tassalliray *, ainsi 

voyons nous que les uns disent Assaliscono, les 

autres Assalgono. Car nous lisons Assaliscono en 

ce passage de Boccace, In quella guisa che glisfre- 

nati cavali e d'amore caldi le cavalle di Parthia 

assaliscono * : mais le cardinal Bembo a mieux 

aimé dire Assalgono^ vers la fin de ses Azolains, 

A tante noie^ che ci assalgono cosi sovente da ogni 

parte '. 

\ Ils disent aussi Fiorh\ pour nostre Feurir : lan- 

^ guiVy ce que nous disons pareillement Languir : et 

\ Gioir, pour nostre Jouir. Je ne veux pas faillir 

j d'adjouster ici Fallir (duquel use Pétrarque en 

' l'un des passages que j'ay alléguez ci-dessus : où 

V est aussi le Verbe Accompagnar) car je tien pour 

certain que ce Fallir aussi vient de nostre Faillir. 

Mais peut estre qu'aucuns seront bien de mon 

opinion quant à ce Fallir^ et quant à Gioir, Partir, 

Stordir, (et autres qu'on ne peut dire que nous 

ayons pris du Latin) qui ne le seront pas touchant 

ceux-là, Florir, et Lan^wir: item, Sovenir eïRiso- 

venir, d'autant qu'ils diront que les Italiens ont 

eu congnoissance du langage Latin, dont ils ont 

1. On dit aujourd'hui fas- sont encore employées par 

5at7/i>ai, mais l'ancien ne langue Malherbe et par Régnier, 

disait fassaudrai : Car le dit 2. De même que les chevaux 

duc assauldroit de son coslé sans frein et brûlant d*amour 

(Commynes, II, xi). Ménage assaillent les cavales des Par- 

recom mande de dire fassaiui' thés. 

ray el non fassaudray (Littré). 3. A tant d'ennuis qui nous 

— On disait au présent fas- assaillent si souvent de toutes 

sausy tu assaus, etc. Ces formes parts. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 303 

pu tirer ces mots, aussi bien que nous. Je leur 
respondray que où ils ont voulu suivre le Latin, 
sans l'avoir par main tierce, c'est à dire, sans le 
prendre de nostre langage, ils n'ont pas usé de 
mesme terminaison que nous : et pourtant, où 
elle se trouve estre mesme, nous pouvons bien 
dire qu'ils ont mieux aimé nous suivre. Pour 
exemple de ce que j'ay dict, pource qu'ils n'ont 
pas voulu nous suivre en ce verbe Gemere et 
en LegerCy pareillement en Eligere, ils n'ont pas 
usé de nostre terminaison, comme ils ont faict es 
autres : et comme les Espagnols la suivent en leur 
verbe aussi qui ha la signification de Gemere : 
car ils disent Gémir, comme nous, et non Gemer, 
Et d'ailleurs, comment seroit-il vraysemblable 
qu'ainsi nous fussions entrerencontrez en tant de 
verbes, tant es terminaisons qu'es changemens? 
comme de Assilire, pourquoy n'eussent-ils dict 
aussitost Assilir que Assalir, n'eust esté nostre 
changement, lequel ils vouloyent suivre? ou plus- 
tost, n'eust esté qu'ils prenoyent nostre mot tel 
qu'il estoit, sans considérer quel changement 
nous y avions faict? Ainsi peut-on dire (à mon 
avis) de Sovenirel Risovenir, qu'ils les prirent tels 
qu'ils les trouvèrent, sans regarder s'ils venoyent 
de la langue Latine, comme aussi plusieurs Fran- 
çois usent tous les jours de ces mots, sans s'ap- 
percevoir qu'ils sont tirez d'icelle : encore qu'ils 
en ayent fort bonne congnoissance. 



Digitized 



by Google 



304 DE LA PRECELLENCE 

Et sans m'arrester à des mots dont rorigine 
Latine soit malaisée à appercevoir, je parleray de 
quelques autres : et premièrement de Attendere. 
car qui est celuy, auquel oyant dire, Ella v attende 
in casa sua, il ne vienne incontinent en mémoire 
que Attendere est un verbe Latin? et toutesfois, 
quand il considérera combien est différente la 
signification du Latin A ttendere, pour Estre attentif, 
et de ritalien Attendere, ipour Expectare, ne faudra- 
il pas qu'il confesse que la langue Italienne a 
suivi Y Attendre des François, et non Y Attendere 
i\es Latins? Je di, quant à ceste signification, car 
quand elle s'en sert pour Stare attenta, comme 
nous, pour Estre attentif , alors on peut dire qu'elle 
l'a pris de la Latine, aussi bien que la nostre. Je 
ne doute pas que le mesme ne se puisse dire de 
leur Guastar, asçavoir qu'ils l'ont tiré de nostre 
Gaster, ou Guaster (encore que l'autre prononcia- 
tion soit beaucoup plus receue, et que ceste-ci sente 
plus son Picard ou Walon. car le Picard semble 
plustost prononcer Waster), non pas de l'ancien 
mot latin Vastare * : veu qu'ils n'usent pas de ce 
Guastar comme les Latins de Vastare, mais en 

1. Le mot gâter et toutes les exemple dans cette phrase de 

formes dialectales viennent Brunetto Latini : Li Sarrasin 

bien réellement du latin vas- de Perse orent grant force 

tare, qui était devenu wastare contre les cr es tiens,' et gasterent 

sous l'influence de l'ancien haut Jérusalem. 11 est facile de cora- 

allemand wa^^an, piller, rava- prendre comment de cet ancien 

ger. L'historique de Littré sens on est venu au sens actuel, 

montre bien que tel a été le si faible qu'il puisse être, dété- 

sens primitif de gaster, par riorer. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 305 

abusent, comme nous de Gaster. Je ne doute (di-je) 
non plus que le Guastar Italien soit procédé de 
nostre Gaster ^ ou Guaster, et Guaina de nostre 
Gaine ou Guaine : que je doute que leur Gardar 
soit venu de nostre Gar^der ou Guarder, que leur 
Guérir soit pris de nostre Garir ou Guarir : encore 
que de ces deux-là l'origine soit Latine, et non pas 
de ces deux-ci. car je di qu'ils n'ont point eu ces 
deux-la du langage Latin immédiatement, ains par 
main tierce, asçavoir par nous. Et le changement 
de V en Gu que nous avons ailleurs, fait aussi 
pour moy : encore que addoucissans la prononcia- 
tion UQus escrivions Ga^ plustost que Gua^ ainsi 
que j'ay dict : comme aussi en Gascons, au lieu de 
dire Guascons, venant de Vascones. J'adjousteray 
aussi leur Menar pour exemple. Car je sçay bien 
qu'on pourroit penser qu'il ait esté pris de ce Verbe 
Minare, qui est du moderne langage Latin : mais 
le composé Dimenar, qu'on ne peut nier estre faict 
sur nostre Démener, me semble monstrer évidem- 
ment que Menar aussi est pris de nostre Mener. 
Duquel Dimenar nous voyons la signification estre 
semblable à celle de nostre Démener, en plusieurs 
lieux de Boccace : dont voyci un, Chi la sera non 
cena, tutta notte sidimena\ Ainsi est Apprender 
ou Apprendere, faict de nostre Apprendre. 

Or ce que nous voyons les Italiens avoir ainsi 

1. Qui le soir ne dîne pas, toute la nuit se démène. 



Digitized 



by Google 



306 DE LA PRECELLENCE 

suivi nostre langage en ces mots, et plusieurs 
autres, a faict que ci-dessus j'ay mis hardiment 
leur Fallir entre ceux qui sont tirez des nostres, 
et non pas des Latins : ayant esgard à ce qu'il 
hâtant la terminaison que la signification de nostre 
Faillir^ et non du Latin Fallere : et qu'ils ont dict 
aussi F allô pour exprimer ce que nous disons 
Faute. Et n'estoit que j'ay ci-dessus dict vouloir 
faire grâce aux Italiens de ce Trasportar, qui est 
au passage de Pétrarque lequel j'ay là allégué, je 
le mettrois du nombre de ceux que nostre langue 
se peut vendiquer, pour le regard de ceste signifi- 
cation, dont elle a esté inventrice, ne . l'ayant 
point trouvée en celle des Latins. Mais, pour ne me 
desdire, je suis content que cestuy-ci soit osté du 
comte : à la charge toutesfois qu'on m'accorde les 
autres susdicts, et leurs semblables : veu mesme- 
ment qu'entre les mots que Bembo confesse avoir 
esté pris des nostres, aucuns sont tels qu'il y 
auroit beaucoup plus grande apparence de nier 
cela touchant iceux que touchant les susdicts. Je 
di, pour exemple, qu'on auroit plus de couleur de 
nier à Bembo que leur Obliar ait esté pris, non du 
Verbe Latin Oblivisci ou du Verbal Oblivio, mais 
du François Oublier (car outre ce que le Provençal 
est François, ce mot est commun à toute la 
France) que de me nier que Attendei\ quand il 
signifie Expectare, soit pris de nostre Attendre. 
Toutes les choses susdictes considérées m'ont 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 307 

faict aussi dire touchant aucuns Noms de leur 
langage, qu'ils semblent estre pris de nous : et 
principalement ce qu'on y voit la parole Latine 
estre changée en la mesme sorte qu'elle est au 
nostre : estant vraysemblable (pour exemple) 
qu'en disant cuor, cest u ait esté adjousté à nos- 
tre imitation : et encore plus, que l'adioustement 
de i en piede soit à nostre exemple : veu que nous 
faisons le mesme en Miel, Fiel, et autres. Et tou- 
tesfois, au pis aller, quand ils me voudroyent nier 
ce que je di de ces noms et de quelques autres, 
asçavoir qu'ils ne les ont eus des Latins que par 
main tierce, asçavoir par nous : et qu'ils vou- 
droyent nier le mesme touchant aucuns des Verbes 
que j'ay proposez : le nombre tant des uns que des 
autres, touchant lesquels il leur seroit force de 
confesser cela, est assez grand pour prouver ce 
que j'ay mis en avant. Je croy bien que les Tos- 
cans qui ont succédé à ces plus anciens, n'ayent 
pas veu volontiers tant de nos mots parmi les 
leurs, mais force leur a esté d'en user, comme 
estans bons : et mesmement de le croire ainsi, in 
fideparentum. 

Je veux advertir le lecteur, avant que passer 
outre, qu'il doit entendre e;i chacun Verbe, la ter- 
minaison en voyelle, aussi bien que l'autre en 
consonante, encore que je ne mette que ceste-ci : 
de laquelle je me contente, tant pour briefveté, 
que pource aussi qu'elle convient mieux avec la 



Digitized 



by Google 



308 DE LA PRECELLENCE 

nostre. Pour exemple, qu'encore que je ne mette 
que Assalir, Sovenir, Fiorir, Caminary Cangiar^ 
CacciaTy il ne doit laisser d'entefadre aussi AssalirCy 
Sovenire, Fiorire, Caminare, Cangiare, Cacciare : 
c'est à dire, entendre que, tant en ces Verbes qu'en 
tous autres, la langue Italienne use quelquesfois de 
ceste terminaison, quelquesfois de ceste-la, qui 
leur est commune avec nous et les Espagnols : 
encore qu'ils en usent comme par licence et contre 
le naturel de leur langage : suivant ce que j'en ay 
discouru par-ci-devant. Et me suffira d'avoir rendu 
ici raison de cela, tant pour le précèdent que pour 
ce qui suit. 

J'ay réservé pour la fin, des exemples d'au- 
cuns Verbes Italiens, qui sont un peu plus, voire 
aucuns beaucoup plus eslongnez des nostres que 
les precedens : encore qu'ils en soyent pareille- 
ment procédez. Je n'enten pas ceci de tels Verbes 
que sont Risparmiar et Costeggiar, qui sont faicts 
des nostres Respargner et Costoyer : (car encore 
que Risparmiar ne retienne pas tant de nostre Res- 
pagner que fait leur autre mot Sparagnar, et que 
Costeggiar ne suive pas de si près Costoyer, que 
Accostar suit Accoster, ils sont aisez à recon- 
gnoistre) mais ce que .j'ay dict doit estre entendu 
de tels que sont Tuffar et Assagiar, et Aggradiar, 
et Aveder, pris des nostres, Estouffer, Essayer, 
Ag gréer. Aviser. Car quant à Tuffar, il pourroit 
sembler que plustost on auroit faict Stuffar de 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 309 

nostre Estou/fer, que Tuffar, Q}XdinikAssagiai\Qn 
auroit bien quelque raison de l'entendre autre- 
ment, de prime face, et de penser que Assagiar 
soit ce que nous disons quelquesfois Assagir *, pour 
Faire sage : veu que Saggio se dit au lieu de Savioy 
par Pétrarque mesmement. Quant à Aggradir, je 
ne m'esbahirois point de ceux qui penseroyent 
qu'il vinst de 6rrarfo, signifiant Degré, quand ils ne 
sçauroyent pas que Crado se trouveroit aussi pour 
ce que nous disons Gré (comme en Boccace, Sô 
io grado alla Fortuna, tout-ainsi que nous dirions, 
Je sçay gré à la Fortune) car ils ne pourroyent 
pas appercevoir comment ce composé a esté faict. 
asçavoir, que comme ils disoyent grado pour 
nostre Nom Gré, aussi pour nostre Verbe A g gréer 
ils ont dict Aggradir. Mais il faut adjouster qu'ils 
ont usé pareillement de A g grado ou A grado, pour 
nostre Aggreable, Ce Y erhe A g gradire semble avoir 
fort pieu à ceux aussi qui ont escrit des vers car 
je le trouve en Pétrarque, Che mal si segue cio 
ch'a gli occhi aggrada *. Bembo aussi en use en une 
chanson de ses Asolains, Amor, se cio f aggrada^. 
Aussi en use Francesco Maria Molza en ses vers. 
Quant à Aveder, duquel ils usent au lieu de 
nostre Aviser, pource qu'on pourroit dire que le 

1. Les différents sens du du bas-lalin exagiare, dérivé 

verbe italien ne nous permet- de exagium, pesage. 

tent pas de le rapprocher du 2. Car mal suit ce qui aux 

verbe assagir, 11 est probable yeuxagrée(Ed.cit.,5onne<Lxxvi). 

que, comme essayei^ il vient 3. Amour, si cela t*agrée. 



Digitized 



by Google 



310 DE LA PRECELLENCE 

langage Italien n'auroit pris ici que nostre forme 
de composition, c'est à dire, qu-il auroit mis 
devant son veder, la préposition que nous met- 
tons devant nostre viser : j'adverti qu'on trouve 
aussi Avider, et qu'il ne faut douter qu'on ne l'ait 
dict premièrement que l'autre. Et pour conclu*- 
sion, aussi tost pourroit-on nier que ^//J^re (au lieu 
de ce que nous disons Aff'ai7'e)(ieusi estre mis entre 
les mots pris du François, quand Boccace dit, Ne 
per grande affare che sopravenisse * : et dire que 
c'est seulement le Fare Italien (faict de Facere)^ 
devant lequel à nostre imitation on auroit mis 
la préposition a. Au reste, je croy bien qu'outre 
Aveder^ et Avider (qui approche encore plus de 
nostre Aviser) ils peuvent dire aussi Avègger. 
pour le moins, je trouve le présent de l'indicatif, 
Aveggo. 3e trouve aussi Aveggio : duquel use 
Pétrarque ici, Menami à morte ^ cKinon me n'a- 
veggio *. 

Il faut aussi considérer une chose quant à la 
recherche dont il est question : c'est qu'il ne faut 
pas regarder de si près à la prononciation qui 
est maintenant, comme si tous les mots Italiens 
qui sont pris de nostre langage, devoyent estre 
du tout conformes à icelle : ne aussi avoir esgard 
à ce qu'aucuns mots sur lesquels on dit les leurs 



1. Ni pour grande affaire 2. Me mène à la mort sans 
{quelque grande affaire) qui que je m'en aperçoive. (Ed. 
survînt. citée, sonnet ccxxvui.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 31 d 

avoir esté faicts, ne sont en usage qu'en Pro- 
vence, ou en quelque autre endroit de France : 
ou bien ne se trouvent qu'en quelques Rommans. 
Car il suffît que lors ils ayent esté usitez au lieu de 
France où ayent demouré aucuns de ces anciens 
Italiens, ou par lequel ils ayent passé : et ne 
faut douter que plusieurs ne fussent en usage lors, 
lesquels depuis on a laissez, les uns plus tost, les 
autres plus tard. Voyla comment aussi on ne se 
doit esbahir s'ils ont aucuns mots que tous Fran- 
çois n'entendent pas. comme peut estre que plu- 
sieurs n'entendroyent pas aggrajopato en Boccace : 
(encore qu'il vienne de nostre Aggrapper : que 
j'estime avoir son origine du mot Grappes *, qu'on 
porte de peur de glisser sur la glace) et ceux 
qui ne sont accoustumez qu'au parler de ceste 
ville, où on ne dit point autrement que Graphi- 
gner, ou Egraphigner^, n'entendroyent pas le Graf- 
fiare dont use Boccace : mais ceux qui voudront 
faire la recherche tant par les dialectes que par 
les Rommans, pourront entendre des autres aussi 
qui sembleroyent encore plus estranges. Et ne 

1. L'élymologie donnée par lacerare) et est encore employé 
Estienne est très exacte, dans le centre de la France. 
Agrapper est en effet composé (Voir Jaubert, Glossaire du 
de à et de grappe. C'est le centre de la France,) Pour la 
même mot que a<7ra/er, qui est forme égraphigner, qui elle 
formé de la même laçon. aussi est encore employée dans 

2. Egraphigner est employé le centre, Jaubert cite un 
par Rabelais, dans le sens exemple de Bonaventure Des 
d^égratiqner. Le mot se trouve Periers. Il cite dans un vers 
dans Nicot (avec le sens de de Ronsard la forme égrafiner. 



Digitized 



by Google 



312 DE LA PRECELLENCE 

faut douter qu'ils ne trouvent là aucuns mesme- 
ment de ceux qu'on ne pense point avoir esté pris 
de nous. Du nombre desquels j'oserois quasi 
mettre Tabarro *. Pour le moins, quant à Gonella *, 
qui est aussi une sorte d'habillement (mais de 
femme plustost que d'homme) encores aujour- 
dhuy il se trouve en un de nos dialectes, ayant ce 
mot de toute ancienneté. Nous sçavons aussi que 
Affanno est un vocable duquel usent ordinaire- 
ment les Italiens : et toutesfois le dialecte de 
nostre France qui use du verbe Affannar^, ne leur 
confessera pas qu'il l'ait pris de leur Affanno. 

Reste la bande des mots qu'on appelle indé- 
clinables : comme sont Adverbes, Conjonctions,^ 
et autres particules. Je di donc pour commancer 
ceste troisième partie par l'ancienneté, (comme 
j'ay faict les deux précédentes) que j'estime le 
M entre des Italiens estre venu de Mentiers^ au lieu 
duquel on trouve ordinairement Endementiers^ es 

1. D'après Godefroy, le tabart gonne. Les exemples cités par 
(ou tabar, tabert, talaire) était Godefroy montrent que le mot 
un manteau long de grosse gonne désignait un vêtement 
étoffe qu'on portait sur Var- long en général, que ce fût une 
mure, et aussi une sofHe de robe de moine ou une casaque 
manteau à Vusage des gens du militaire. 

commun. Le mot ne se trouve 3. Afannar, mot de la langue 

pas dans Nicot. d*oc, dérivé de afan, est évi- 

2. D'après Godefroy la gonelle demment le même mot que 
était une longue cotte qu^on notre vieux verbe ahanner, 
mettait par-dessus Varmure et dérivé de ahan. 

qui descendait à mi-jambe. Le 4. La forme primitive estpeut- 
même mot désignait une robe être dementres, dementiers. 
de femme. Le mot vient de L*étymologie de cet adverbe 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 313 

Rommans. Je di aussi qu'il faut prendre garde 
que comme là nous trouvons Se, au lieu de Si, les 
Italiens aussi disent Se. Pétrarque mesmement 
parle ainsi, au commancement d'un Sonnet, 

Se Virgilio ed Homero havessin visto 

Quel sole, ilquaVvegg*io con gli occhi miei *. 

Encores aujourdhuy plusieurs François pronon- 
cent Se, et mesmement en ceste ville de Paris : 
mais ils ne sont avouez par ceux qui font profes- 
sion de bien et correctement parler. Or comme 
les Italiens ont pris nostre Se, aussi ont il& 
nostre Se non : (estant mal dict au lieu de Si 
non) comme où Boccace dit, Niuna altra cosa 
rispondendo se non. Il mal foro non vuol festa *. 
car nous dirions pareillement. Ne respondant 
autre chose sinon, etc. Mais au lieu qu'eux escri- 
vans ainsi nous entendons fort bien ce qu'ils veu-^ 
lent dire, recongnoissans nostre langage parmi 
le leur, ils usent aussi (au moins depuis quelque 
temps) d'une autre sorte d'escriture : c'est qu'ils 
conjoignent ces deux particules, et adjoustent la 
voyelle e au bout : tellement que A^Se non ils font 
Senone. et semble qu'ils facent cela afin que nostre 



n'est pas sûre. On a supposé avaient vu ce soleil que je vois 

dum interea, dum intérim^ dura de mes yeux. • (Sonnet clhi.) 

intra, avec 1'^ adverbial, ou 2. Ne répondant pas autre 

bien dum intra ipsum. chose, sinon : le mauvais trou 

1. * Si Virgile et Homère ne veut pas de fête. 

18 



Digitized 



by Google 



314 DE LA PRECELLENCE 

vocable estant ainsi desguisé, ou masqué, ne 
puisse estre recongnu par nous : encore que Cas- 
telvetro soit un de ceux qui en usent au livre 
qu'il a intitulé, Correttione d'alcune cose del dia- 
logo délie lingue di Benedetto Varchi * : en ce pas- 
sage, entr'autres, tutta volta de' Ciciliani poco 
altro testimonio ci ha, che à noi rimaso sia, senone 
il grido *. Mais Boccace y allant à la bonne foy, a 
escrit Se non (comme je vien de monstrer) ainsi 
que prononçoyent nos prédécesseurs, au lieu àeSi 
non. Quant à Si, duquel nous usons pour Tant, ils 
Font gardé sans changer ainsi le i en e. Boccace, 
Egli es tato si malvagio huomo che non si vorra 
confessare '. comme nous dirions, Si mauvais 
que, etc. au lieu de dire Tant mauvais. Pétrarque 
aussi en use souvent. 

Nostre Bien aussi leur fait grand bien, car ils 
en font Ben, duquel ils se servent en toutes les 
sortes (ou à peu près) esquelles nous usons de 
nostre Bien. Et pourtant n'y auroit point d'appa- 
rence dédire qu'ils suivent la particule Latine J?(?ne, 
veu qu'elle n'ha point la plus grand part de ces 
significations qu'ont nostre J?ieii et leur Ben. entre 
lesquelles est notable celle que nous leur voyons 



1. Correction de qiœlques d'autre témoignage des Siciliens 
points du dialogue des langues qui nous soit resté, sinon la 
de Benedetto Varchi. L'ouvrage renommée. 

de Varchi critiqué par Gastel- 3. 11 a été si mauvais homme 

vetro est VErcolano. qu'il ne voudra pas se confes- 

2. Toutefois il n'y a guère ser. (Jowm. I, nouv, i.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 315 

avoir : à la nostre, suivant que^ à la leur, suivant 
che^ pour Combienque. Et ainsi en a usé Pétrar- 
que, et après luy Bembo, et autres. Ils disent 
aussi Ancora che, comme nous Ancore que, pour 
Combienque. 

Ils font aussi leur proufit de nostre particule 
Que, (encore qu'ils la desguisent en Che, comme 
on voit en quelques passages precedens) voire en 
font leur proufit en tant de sortes, que s'ils veulent 
confesser la vérité, ils diront que le François ha 
un grand avantage pour entendre tous les usages 
de ceste particule. Car comme nous faisons servir 
nostre Que de diverses particules Latines, ainsi 
eux leur Che. Quant à l'usage qu'il ha en ce lieu 
de Boccace lequel je vien d'alléguer, Egli è stato 
si malvagio huomo che non si vorra confessare, il 
est fort commun : et nous pareillement selon 
nostre parler ordinaire dirions, Si mauvais homme 
qu'il ne voudra pas faire cela. Toutes deux tien- 
nent souvent la place de la particule Latine 
quam : comme en ce passage des Asolains du 
cardinal Bembo, E sono îni sempre gravi le sue 
fatiche {si corne di carissimo amico che egli rtiè) 
foTse non guari meno che elle si sieno allui *. ainsi 
que nous dirions, (usans aussi du mot d'où est 
venu ce ^'Wâ^n) Non guère moins qu'elles sont à luy. 



1. Et toujours ses fatigues sont peut-être guère moins 
(comme celle d'un bien cher pénibles qu'elles ne le sont 
ami qu*il est pour moi) ne me pour lui. 



Digitized 



byGoogk 



316 DE LA PRECELLENCE 

Quelquesfois toutes deux servent de la particule 
Latine ut, comme où Plaute dit, Mïhi suasit 
ut ad te irem, car nous dirions, Il m'a conseillé 
que j'allasse à toy. Et pareillement les Italiens 
useroyent de che. Comme aussi avec le verbe 
Rogavit. ainsi, Rogavit ut id faceret, Il le pria qu'il 
lîst cela, Loprego che facesse quello. Souvent aussi 
tant l'une que l'autre tient le lieu du hoti Grec, 
qu'on exprime par qudd, mais non assez Latine- 
ment : comme, Risjjose colui che lo attenderebbe K 
Quelquesfois aussi, en une mesme période, ceste 
particule ha deux significations diverses, telles 
qu'auroit nostre Que comme en ce passage de 
Boccace, Se egli è cosi tuo corne tu di, che non ti 
fai tu insegnare quello incantesimo? che tu possa 
fare cavalla di me *, etc. car nous dirions aussi. 
Que ne te fais-tu enseigner, etc. au lieu de dire, 
Pourquoi ne te fais-tu enseigner. Item, Que tu 
puisses faire, etc. au lieu de dire, A fin que tu 
puisses faire. Il est vray que nous avons des 
façons de parler ausquelles ce second usage de 
ceste particule convient mieux. Et comme nous 
disons aucunesfois Que^ au lieu de Tellement que, 
ainsi eux usent de leur Che. Exemple, E seconella 
sua cella la mena, che niunapersona se naccorse '. 

1. Celui-ci répondit qu'il que) tu puisses faire de moi 
l'attendrait. une jument. {Journ.lX,nouv.i) 

2. S'il est autant ton ami que 3. Et il la mena avec lui dans 
tu le dis,que ne te fais-tu ensei- sa cave, (de telle façon) que 
gner cet enchantement,que (afin personne ne s'en aperçut. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 317 

Quelcun se pourroit esmerveiller que je m'a- 
muse tant à des particules, et spécialement à 
ceste-ci, qui est si petite : mais ceux qui sçauront 
la pêne qu'a prise le cardinal Bembo à expliquer 
les divers usages d'icelle, et qu'ont prise aussi 
aucuns après luy, ne s'esbahiront point d'une telle 
recherche : et principalement s'ils considèrent que 
delà descouverte que je fay s'ensuit que pour bien 
entendre certains passages des livres Italiens, 
ausquels ces particules sont appliquées, un Fran- 
çois ha plus d'avantage qu'un Italien, car le 
François les entend incontinent, pource qu'il 
recongnoist son naturel langage : (pourveu qu'on 
n'y use point de masque, comme j'ay monstre 
jiaguere avoir esté faict à l'endroict de nostre Se 
non) l'Italien trouvant du langage emprunté 
parmi le sien, y est aussi empesché que les Grecs 
à l'entour de leurs glossvimatica * : et n'en peut 
bonnement venir à bout, qu'en conférant plusieurs 
passages les uns avec les autres. Voyla aussi pour- 
quoy il ne se faut esbahir si quelques paroles et 
quelques façons de parler qui sont tant en Boc- 
cace qu'en Pétrarque, ne nous sont si estranges 
qu'à eux, et ne nous eschapent point si aisément 
de la mémoire. 

Toutesfois à fin de n'estre trop long en ce dis- 
cours, qui est touchant les mots indéclinables, je 

1, Mots vieillis, expressions surannées. 



Digitized 



by Google 



318 DE LA PRECELLENCE 

laisseray le reste que j'aurois à dire de ceste 
particule : advertissant seulement qu'on prenne 
garde, entr'autres choses, qu'ils ont faict aussi 
Per cio che, de nostre Par ce que : et de notre ^ fin 
que, ils ont faict A fine che : et se trouve mesme- 
ment en Tepistre du cardinal Bembo devant ses 
Asolains. Encore adj ouste ray-je ceci, que ceste 
particule Che, non seulement quand elle est ce 
qu'on appelle Adverbe, ou bien ce qu'on nomme 
Conjonction, mais aussi quand elle peut estre mise 
au reng des Noms, ha quelques usages qui sont 
pris de nostre langue, à l'intelligence desquels sont 
fort avantagez ceux qui l'entendent. Et faut noter 
qu'estant Nom, c'est quelquesfois ce que nous 
disons Que^ autresfois ce que nous disons Quoy : 
et qu'on l'applique mesmement à ceste façon de 
parler dont nous usons pourbriefveté. Mais quoy? 
car on dit pareillement Ma che? et ceste façon de 
parler se trouve au second livre des Asolains de 
Bembo. Je di, ma che, sans adjouster autre chose : 
mais celuy qui est François, ou pour le moins est 
accoustumé à la langue Françoise, s'avisera incon- 
tinent de ce qui doit estre là entendu sans dire. 

Et à propos de ce A fine che, (dont j'ay parlé 
naguère, pour nostre A fin que) je dis qu'ils usent 
aussi de Al fine, à l'imitation de ce que nous 
disons A la fin, et A la parfin, et En fin finale, et 
(tout en un mot) Finalement : au lieu du Tandem 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 319 

des Latins, et que Pétrarque pour cela mesme a 
dict Al fine, 

— Un gran miracol fia, 
Se Christo teco al fine non s'adira *. 

J'ay faict mention ici de ces deux petits mots, Al 
fine, pource qu'en ceste signification ils tiennent 
le lieu d'un Adverbe, et tout d'un train en adjous- 
teray d'autres de mesme sorte, c'est-à-dire de 
ceux qui peuvent aussi estre appelez adverbia tem- 
points, comme est ce Tandem, auquel respondeht 
ces deux petits mois Al fine. Le premier sera Final- 
mente, qui ha la mesme signification : estant faict 
sur nostre Finalement. Le second lieu sera pour 
Sovente, et Soventemente : de l'un desquels, à sça- 
voir Sovente, Bembo fait mention, parmi les 
mots qu'il confesse avoir esté pris des Proven- 
çaux : mais il ne parle point de Soventemente, 
duquel toutesfois il use luy mesme au troisième 
livre de ses Asolains, Di cm e io hora fhô ragio- 
nato, et ogniuno piu soventemente ne ragiona *. 
Lequel Soventemente est un mot François, ayant 
une alonge Italienne : je di alonge convenable à 
leurs Adverbes, laquelle n'est pas en ^ l'autre, 
Sovente. . 

Le troisième lieu sera pour Tosto et 'f'antosto. 



1. « Ce serait un grand miracle 2. Ce dont je t'ai parlé tout 
si le Christ à la fin ne s'irritait à l'heure, et dont touit le monde 
pas contre toi. » (Sonnet cviii.) parle plus souvent eicore. 



Digitized 



by Google 



320 DE LA PRECELLENCE 

car comme après avoir esté si hardis que de nous 
prendre nostre Souvent, et en faire Sovente, ils ont 
bien osé changer encore ce Sovente en Sovente- 
mente *, ainsi de Tosto, faict de nostre Tost, ils sont 
venus jusques à Tostamente, et Boccace mesme- 
ment en use. Quant à Tosto, ils s'en sont aussi 
servis en toutes les sortes qu'on se peut servir 
de nostre Tost. car comme nous disons Bien tost, 
ainsi eux molto tosto : et, II piu tosto che tu puoi, 
pour Le plus tost que tu peus. Aussi Piu tosto, en 
comparaison, comme, Piu tosto schernevole riso. 
che pietose lagrime ne vedrei ' : ainsi que nous 
dirions : Plustostun ris que des larmes. Ils ont dict 
aussi. Si tosto corne, et Cosi tosto come, ainsi que 
nous dirions. Si tost que, et Aussi tost que. Et non 
contens de tout cela, ont emmené aussi nostre 
Tantost, le desguisans pareillement en Tantosto. 
Duquel nous voyons que Bembo n'a pas voulu 
quitter sa part, car nous lisons au troisième et 
dernier livre de ses Asolains, E questi, tantosto 
che del jyalagio de la reina sono usciti, s'addormen- 
tano : et cosi dormono fin attanto che essa gli fa 
risvegliare '. Où il faut remarquer tout d'un train 
ceste pbi'ase Fin attanto che, (pour Fin à tanto che) 



1. On a dit autrefois aussi en 3. Ceux-ci, aussitôt qu'ils sont 
français souventement, sortis du palais de la reine, 

2. Tu en verras plutôt naître s'endorment, et dorment ainsi 
un rire mpqueur que des larmes jusqu'à ce qu'elle les fasse ré- 
de pitié. veiller. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 321 

qui est à demi Italienne et à demi Françoise : veu 
que nous disons Jusques à tant que. Ce que les 
Latins diroyent Usquedum : qui est aussi adverbium 
temporis. La quatrième place sera pour Mai et 
Giamaiy lesquels ils ont forgez à l'exemple de nos 
Mais et Jamais, Toutesfois ils usent aussi de Mai 
seul, où nous userions de Jamais^ car pour Mai 
piu, nous dirions Jamais plus. Quant à Giamai, 
encore ne di-je pas assez, qu'il a esté forgé à 
l'exemple de nostre Jamais : veu que c'est une 
mesme chose, sinon qu'il y-a un peu de desguise- 
ment. Lequel (pour dire la vérité) est de meil- 
leure grâce que celuy duquel ils usent en plu- 
sieurs autres paroles : et que n'est aussi celuy 
que nous avons en ceste Espagnole, Jamas, qui 
signifie la mesme chose, duquel neantmoins use 
l'interprète de Pétrarque, comme d'uo fort beau 
mot, El que jamas perdona à alcun bimente *. Le 
cinquième lieu sera pour Anchoray faict de nostre 
Ancore, lequel toutesfois n'a point d'aspiration, 
comme cestuy-la. Le sixième pourra estre pour 
Gia^ qu'ils ont faict de nostre Ja : combien qu'il 
soit aussi en ce composé Giamai, duquel j'ay faict 
mention naguère. 

Le dernier mot dont je vien d'user. Naguère, 
me fait souvenir de leur Guari, qui pourra avoir 
le septième lieu. Bembo le met entre les mots 

L Voir page 295. 



Digitized 



by Google 



322 DE LA PRECELLENCE 

Provençaux, que la langue Italienne avoit pris. Or 
est-il certain qu'il entend ce que nous disons 
Guère, d'où yienic,^ Naguère, (duquel j'ay usé tout 
maintenant) ou // ny-a guère (comme aussi 
Bembo au livre intitulé Le prose, a dict, Non ha 
guari) et se peut bien mettre en trois pièces ainsi, 
Na guère, car c'est autant que si nous disions. Il 
n'y a guère de temps, et est ne plus ne moins que 
si on disoit, Il n'y-a pas beaucoup de temps. Tel- 
lement que Castelvetro ne devoit pas reprendre 
Bembo, de ce qu'il a dict que Guari signifie Molto : 
et ne devoit aussi amener cest exemple de Boc- 
cace, comme faisant pour soy : E fermamente se 
tu lo terrai guari in bocca, egli ti guastera quegli 
che son da lato\ Car c'est ce que nous dirions. Si 
tu le tiens guère en la bouche. Ce qui vaut autant 
que si nous disions, Si tu le tiens long temps en la 
bouche. Mais je sçay bien qu'aucuns François 
aussi s'abusent en la signification de ce mot, 
comme en celle de Rien '. 

Or encore que Guari en cest endroit-la et en 
quelques autres semblables, puisse estre mis au 
nombre des adverbes qui sont appelez adverbia 
temporis (comme on y mettroit nostre Naguère) 
toutesfois proprement il est adverbium quantitatis : 

1. Et certainement si tu la 2.GMè?'eesten effet commeriew, 

gardes longtemps dans tabou- j amais, personne, aucun, elc,, un 

che (une dent), elle te gâtera des mots auxquels le contact 

celles qui sont côté. {Jowm, de la négation a fini par com- 

VII, nouv, IX.) muniquer la valeur négative. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 323 

comme aussi il appert par ce que j'ay dict : 
asçavoir qu'il est faict de nostre Guère ^ qui signifie 
Beaucoup. Ainsi use Bembo de Guari au premier 
livre de ses Asolains, E di lei, che gvari alta non 
era dal terreno *. Ainsi dit-il au second livre, Non 
guari meno, pour non guère moins. 

Entre les adverbes que j'ay dict estre nommez 
adverbia quantitatis, doit estre mis Assai, faict de 
nostre Assez, encore qu'ils ne se servent pas de 
cest Assai pour Assez seulement, mais souvent 
pour Beaucoup. Boccace s'en sert avec Bene et 
avec Sovente, disant Assai bene, comme nous Assez 
bien : et Assai sovente, comme nous disons, Assez 
souvent. Bembo adjouste bastevolmente à assai, en 
ce passage, Ma quanti ne vivono pronti ed accorti 
dicitori il piu, non ne potrebbono assai bastevol- 
mente parlare^. Ils ont pareillement pris leur Troppo 
de nostre Trop, et en ce Trop se sont donnez trop de 
licence, car ils ne se sont pas contentez d'en faire 
ce Troppo, mais en ont faict aussi un nom adjectif, 
de genre féminin : comme nous lisons en Boccace, 
Per troppa gravezza : et Senza troppa difficulta ^. 
Appena aussi doit estre mis au reng des 
adverbes, qui est faict de ce que nous disons A 
pêne : les Latins Vix. On trouve escrit et Appena 
et Apena : mais plus souvent Appena (comme 

1. Et d'elle qui n'était guère parleurs, ils ne pourraient en 
au-dessus du sol. parler suffisamment. 

2. Mais quoiqu'ils soient pour 3. Par trop d'ennui ; — sans 
la plupart de hardis et habiles trop de difficulté. 



Digitized 



by Google 



324 DE LA PRECELLENCE 

nous avons veu cidessus Fin aitanto, avec t double) 
et ainsi Tescrit Bembo, Che appena dire si puo 
che elle ci sieno istate\T!io\xs disons aussi A grand 
pêne. 

Peraventura (par lequel mot ils ont contrefaict 
nostre Paraventure) est aussi de ceux qui doivent 
estre de ce nombre. Mais ils escrivent aussi Per 
aventura en deux mots : Bembo n'en fait qu'un 
mot, tant ailleurs qu'en ce passage du second 
livre de ses Asolains, // che peraventura tanto sara 
quanto se del tutto agevolmente si potesse parlare '. 
Et toutesfois on le trouve escrit en deux mots, en 
cestuy-ci de Boccace, Ma ella per aventura non 
sara menpietosa '. Laquelle escriture je n'approuve 
point, ains estime qu'il faille escrire Peraventura 
en un mot aussi bien ici que là : veu qu'en tous 
les deux lieux il signifie ce que nous disons Para- 
venture, pour Peut estre. Mais quand il se prend 
pour ce que nous disons autrement Par cas fortuit, 
ou Par fortune, alors je trouve bon qu'on escrive 
Per aventura : comme en cest autre lieu de Boc- 
cace, Trovô per aventura il castaldo nella corte*. 
et ici. Solo se n'andô verso la casa délia donna : e 
per aventura trovata la porta aperta, entra d'entro^. 

1. Car à peine peut-on dire 4.11 trouva par hasard l'homme 
qu'elles s'y soient arrêtées. d'affaires dans la cour. {Joum.y^ 

2. Ce qui sera peut-être comme 7//, nouv, 1), 

si Ton pouvait facilement parler 5. Seul il s'en alla vers la 

de tout. maison de la dame, et ayant par 

3. Mais peut-être ne sera-t-elle hasard trouvé la porte ouverte, 
pas moins compatissante. il entra. 



Digitized by CnOOglC 



nu LANGAGE FRANÇOIS. 325 

Car nous aii&si escririons Par aventure, séparé- 
ment : quand nous interpréterions cela ainsi, Ayant 
trouvé par aventure la porte ouverte. Et cependant 
il faut remarquer ici que le langage Italien fait 
son proufit de nostre mot tant en un usage qu'en 
l'autre. Mais en ce second nous disons aussi Par 
cas d'aventure, ou Par coup d'aventure : et D'aven- 
ture, en quoy il n'a pu imiter le nostre. 

Es Adverbes aussi, qui sont nommez Adverbia 
loci^ ils se servent de nostre langage, comme 
quand ils usent de Pressa faict de nostre Près, et 
Appresso de nostre Auprès. Il est vray qu'en leur 
Qui (comme quand ils disent Noi dimoriamo qui) * 
ils Picardizent. car nous sçavons que nos Picards 
disent Iqui, au lieu que nous autres disons Ici. 
Mais ostans la première lettre, ils font Qui de Iqui. 
Et si on veut voir trois adverbes pris de nostre 
langage, qui sont tout auprès l'un de l'autre : c'est 
quand Boccace dit, Assai pressa di qui : car c'est 
ce que nous disons. Assez près d'ici : et en Picard, 
DHqui. Ils ne se servent pas de Qui en la façon 
seulementquej'ay dicte : mais comme les Picards 
diroyent, D'iqui à quinze jours, ainsi eux disent, 
Di qui à quindici giorni. ou quindici di. Ils disent 
aussi Di qua, Di la, au lieu de ce que nous disons 
Deçà, Delà. 

Leur Mica aussi, ou Miga, doit estre mis ici, 



!. Nous demeurons ici. 

PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. jQ 



Digitized 



by Google 



326 DE LA PRECELLENCE 

comme tenant lieu d'Adverbe, et estant tiré de 
nostre Mie : qui s'adj ouste à la négation. Car 
ainsi que nous disons, Je ne le feray mie, ou // 
nest mie sage, ainsi eux, Non lo faro mica, (ou 
miga) et. Non voglio mica, Non e mica savio. Mais 
ceste façon de parler nous est autant rare (sinon 
en quelques dialectes et principalement celuy des 
Picards) qu'elle estoit fréquente à nos prédé- 
cesseurs : au contraire Boccace, entr' autres, use 
souvent de Mica, ou Miga, en ceste sorte. 

J'adjousteray leur préposition Sanza, laquelle 
aussi est fort commune, es lieux où nous userions 
de Sans : et mesmement quand ils disent Sanza 
fallo, au lieu que nous disons Sans faute. Or faut- 
il noter que ceste escriture Sanza (dont use Bembo 
en ses Asolains) est condamnée par plusieurs, 
qui disent que Senza est la vraye escriture. Mais 
elle a esté condamnée sans que partie ait esté 
ouye : asçavoir nostre langue, qui se fust opposée 
à un tel jugement : et encore maintenant est bien 
raison qu'on se tienne à ce qu'elle en dira, veu 
que ce mot a esté faict sur le sien. 

Outre tant de vocables que la langue Italienne 
a empruntez de la nostre (s'il faut appeler em- 
prunter, ce qu'on prend sans jamais rendre) 
elle a faict le mesme d'aucunes de nos façons 
de parler. Mais avant que passer outre, jë~veïï!S 
faire au lecteur mes plaintifs touchant quelques 
choses qui concernent les dicts vocables : esquelles 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 327 

je di qu'elle ne s'est pas gouvernée sagement à 
Fendroict de la nostre, et n'a usé de la discrétion 
qu'elle devoit. 

Le premier plaintif est, que la nostre luy ayant 
preste plusieurs de ses mots, à la charge qu'elle 
ne les employast à autre usage que celuy qu'ils 
souloyent avoir estans en leur pays, elle n'a 
point eu esgard à ceci, ains elle a et usé et abusé 
d'aucuns, quant à la signification : et de quelques- 
uns abusé seulement. Et nonobstant ceste con- 
dition, je croy bien que la nostre n'eust pas 
trouvé trop mauvais qu'elle eust osé changer la 
signification en ceux esquels nos prédécesseurs 
s'estoyent départis de la Latine : mais ce n'a pas 
esté en ceux-ci qu'elle a faict cela (comme pour 
exemple, on voit que nos ancestres, ayans faict 
quitter à ce mot Hoste la signification de Hostis\ 
et prendre celle de Hospes : eux en leur Hoste ont 
ensuivi ceste faute) ains en ceux mesmement 
que nostre langue n'avoit point tirez des Latins. 
Pour venir aux exemples, au lieu que la langue 
Italienne, ayant emprunté Guardar et Riguardar, 
entr'autres, elle devoit employer chacun en ce 
seulement qui est de son office, elle a faict servir 
quelquesfois Guardar de Riguardar aussi : comme 
en ce passage de Pétrarque, E con pieta gardate 

1. Hôte ne vient pas de hostis, mais de hospitem. 



Digitized 



by Google 



328 DE LA PRECELLENCE 

Le lagrime del popol doloroso *. Mesmement 
Guardo quelquesfois a esté mis en la place de 
nostre Regard, Mais encores, est bien pire Tabus 
du mot Gagliard : et tel qu'on ne peut dire autre- 
ment sinon qu'on ait voulu du tout se moquer de 
luy : qui est toutefois un des beaux qu'ait nostre 
langue, et qui se peut vanter, entr'autres choses, 
d'estre de ceux qui luy ont esté donnez et recom- 
mandez par la Greque *. Pour exemple, Giorgio 
Dati Florentin, en sa traduction de Cornélius 
Tacitus, parlant d'un feu, qui estoit non pas feu 
de joye, mais tel qu'il eust pu tirer quelques 
larmes des yeux de la plus cruelle beste sauvage, 
(si aucune l'est plus que le tigre) l'appelle fuoco 
gagliardo : c'est-à-dire Un feu gaillard. Voyci les 
mots de Cornélius Tacitus, escrivant comment 
une grande partie de Romme fut embrasée par ce 
feu, sous l'empire de Néron : et comment il com- 
mança, Ubi per tabernas, qnibus id mercimonium 
inerat quo flamma alitur, simul cœptus ignis, et 
statim validus, ac vento citus, longitudinem Ctrci 
corripuit ^. Giorgio Dati a ainsi interprété ce pas- 
sage, Quindi occupa le botteghe, dentro allequali 

1. Et regardez avec pitié les gère met en note : « ou plutôt 
larmes du peuple malheureux. àYaXXtôfjiat » , qui signifie se 
(Edition citée, canzone xxix, re/o?^t>. L'origine du mot i^ai^ 
vers 88-89.) lard est incertaine. Peut-être 

2. Cf. Conformité, éd. Feu- faut-il le rapprocher de ^a/an/, 
gère, p. 212. D'après Estienne participe du vieux verbe galer, 
.g'ûîV/arrf viendrait de àyàUofJiat, être joyeux, s'amuser. 

se glorifier, se réjouir, et Feu- 3. Annales, XV, xxxviii. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 329 

erano di quelle merci con che nutriscon la fiamma : 
e cosi cominciato, ed in un subito venuto via gagli- 
ardo, e spinto ancora dal vento, si distesse j)er tutte 
le case ed habitationi che son poste per lunghezza del 
Circo. Qui est le François lequel voyant une telle 
application de ce mot Gaillard, estant dict d'un feu 
si horrible, et pourtant bien eslongné de gaillar- 
dise, n'en soit estonné aussi bien que de ce feu? 

On peut remarquer assez d'autres mots pris de 
nostre langage, dont toutesfois ils usent en autre 
signification que nous. Et font ceci en quelques 
anciens mesmement : comme en Baratto, car au 
lieu que no^iv^ Barat, duquel a esté faict ceBaratto, 
signifioit Tromperie (comme encot^es aujourdhuy, 
n'estant totalement hors d'usage, retient ceste 
signification) eux s'en servent pour Change, que 
nous appelons aussi Pennutation. Et s'abusent 
pareillement en ce qu'ils le pensent estre un mot 
des Espagnols. Je ne sçay pas toutesfois s'ils l'au- 
royent point eu d'eux : mais si ainsi estoit, ils 
auroient baillé ce qui n'est point du leur*. 

Et à propos de nos vocables anciens qui sont 
autrement appliquez par eux que par nous, il me 
souvient avoir allégué ci-dessus plusieurs passages 



l.Nicol: 'RdiVaii. Est tromperie^ regrette la perte du mot harat^ 

fraude, principalement en mar- mais remarque que le commun 

chandises... Cesl un moi qran- peuple s'en sert encore. Barat 

dément usité es pays de Langue- se trouve aussi dans Vlnven- 

doCy Prove?ice, et adjacents, ^aeVe deMonet.(Voirle Diction- 

E. Paquier {Recherches, VIII, ui) naire de Godefroy.) 



Digitized 



by Google 



330 DE LA PRECELLENCE 

esquels uous voyons qu'ils n'ont pas usé propre- 
ment du mot Ingombrar, faict du nostre Encom- 
brer, car c'est comme si nous disions Accabler. 

Mais pour retourner à des mots qui ne sentent 
tant leur ancienneté que les precedens, et qui nous 
sont plus ordinaires, desquels les Italiens abusent 
pareillement : nous en avons deux notables exem- 
ples e^nAvisare et Avertire, pareillement en Aviso 
et Avertimento. Je ne di pas en Aviso, comme Boc- 
cace en use, mais comme on en oit user à Venise, 
en la place de sainct Marc, et encore plus en la 
place de Realte, à toutes les heures du jour, car 
ceux qui sont appelez Novellanti (mestier incon- 
gnu à la France) font que jamais ces places n'ont 
faute d'Avisi* : comme ils usent de ce mot, au lieu 
de ce qu'ils devroyent dire Avertimenti, comme 
nous disons Advertissemens : E venuto un aviso di 
Roma, E venuto un aviso di Franza^ E venuto un 
aviso di Spagna. Et réciproquement ils usent de 
Avertimento au lieu de ce qu'ils devroyent dire 
Aviso, comme nous. Avis : tellement que celuy qui 
a traduict Guichardin a esté bien avisé d'inter- 
préter Gli avertimenti Jj^s avis, non pas Les avertis7 
semens*. Quant à cest autre moi Aviso, depuis huict 

1. La phrase de H. Estienne est intitulé Consigli aurei ed 
fait comprendre le sens de avertimenti politlci , Anvers , 
woue/ia7i<i; comme le remarque 1523. Une traduction en fran- 
L. Feugère, il y a longtemps çais, par Charles de Ghantecler, 
que cette profession a cessé maître des requêtes, a été pu- 
(î'étre inconnue en France. bliée à Paris en 1577. Pour le 

2. L'ouvrage de Guichardin sens particulier du mot avis^ 



Digitized 



by Google 



UC LANGAGE FRANÇOIS. 331 

ans (peu plus, peu moins) il a engendré en la 
Cour un Avis, tenant pareillement la place d'Aver- 
tissement : quand on dit, Il est venu au roy un 
avis d'un t^l lieu touchant telle chose, ou. Le roy 
en a eu avis. Voyla comment quelques-uns (car 
il s'en faut beaucoup que tous parlent ainsi) en 
leur langage naturel ensuivent la faute de ces 
estrangers, au lieu de la leur remonstrer. Quant 
à Avertir ou Aver^tire, ils le disent pareillement 
pour cela que nous disons Aviser (comme Avertite 
bene à questa cosa) et au réciproque de Avisar ou 
Avisare, pour Avertir et Avertire. Il est vray que 
nous n'usons pas seulement en une sorte du Verbe 
Aviser, comme du Nom Avis : mais disons aussi, 
Je vous avise que si vous ne faites autrement, il 
vous en prendra mal. 

Pour le regard des mots pris de nostre langage, 
dont eux n'abusent pas seulement, mais quelques- 
fois usent comme il faut, on peut adjouster au 
Verbe Guardar (que j'ay allégué ci-dessus pour 
exemple) cestuy-ci, Sovenir, ou Sovenire : car ils ne 
se contentent pas d'en user pour nostre Souvenir, 
mais en abusent aussi pour Remettre en mémoire. 
Faire souvenir, et cest abus se trouve en Bembo, 
entr'autres. Mais la faute semble plus légère en 
ce mot qu'en l'autre. 



voir Nicot, qui remarque que lien et en espagnol auwo, et cite 
le mot s'emploie dans le sens un exemple emprunté au U* li- 
à^ avertissement^ comme en ita- vre de VAmadis, 



Digitized 



by Google 



332 DE LA PRECELLENCË 

Le second plaintif est/ qu'ils ont dépravé plu- 
sieurs de nos mots, en adjoustant des lettres aux 
uns, et en ostant aux autres. Car ils n'ont pas dict 
seulement Cridar ou Gridar, pour nostre Crier 
(ce qui estoit pardonnable) et Risguardar pour 
nostre Regarder et Giostra^ pour nostre Jouste, 
et Contrastar, pour nostre Contester : mais aussi 
Guadagnar pour Gangner*, et Alloggiar, pour 
Loger, eiAddomandar^onv Demander, eiAppagar 
pour Payer (il est vray qu'ils disent aussi Domandar 
et Pagar sans adjouster à chacun une syllabe) et 
quant aux noms, Guiderdone, pour Guerdon *, et 
Orgoglio, pour Orgueil^. Mais ils ont faict encore 
pis en quelques autres mots, car au lieu qu'à ceux- 
ci, Alloggiar, Addoniarijdar, Ajypagar, ils leur 
avoyent comme mis quelque chose sur la teste , 
ils l'ont couppee à quelques autres, je di de ceux 
mesmement qu'ils avoyent eus de nous : comme 
à Ventura et à Vantaggio. Je sçay bien qu'ils ont 
faict et font ce mesme tort à la langue Latine 
(comme quand ils disent Micidio pour Homicidio) 
et à la Greque (comme quand Castelvetro et 

1. C'est le mot français qui Guerdon vient de Tancien haut 
s'est resserré, puisque gagner allemand Widarlon^ devenu, 
vient de l'ancien haut allemand sans doute sous l'influence de 
waidanjan , latinisé sous la donum^ Widardon, Widerdo- 
forme vuadaniare. De cette num, d'où les formes guedre- 
forme est venu guadognier, qui don, guetredon, guerdon. 
devient successivement guaa- 3. L'accent dans orgoglio est 
gnier,gaagnierfgagnier,eienrin sur la seconde syllabe, et la 
gagner. prononciation du mot ne dif- 

2. C'est encore le mot italien fère en somme qu'assez peu de 
qui est le plus près de l'origine, celle du mot orgueil. 



Digitized 



by Google 



!\- 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 333 

autres ne font point conscience de dire Pistola 
pour Epistola) mais, si elles endurent ce tort sans 
en faire aucune doleance, il ne s'en suit pas que 
nous devions faire le mesme. 

Ils se jouent de nos mots encores en une autre 
façon : comme quand Bembo dit d'une fille, corne 
quella che garzonissima era. Je sçay bien que 
Bembo est fort hardi non seulement à feindre des 
mots terminez en VOLE, ains aussi à faire des 
superlatifs : mais il ne se devoit donner telle har- 
diesse en nostre langage, sans nous demander 
congé. Lequel (pour dire la vérité) je ne sçay si 
nous luy eussions donné, car de Garçon duquel 
ces messieurs ont faict garzon, et garzone, nous 
disons seulement Garçonnière : tellement que, sui- 
vant cela, il eut falu dire corne quella che molto era 
garzoniera. Et si on me dit que ce mot ne seroit 
pas Italien, je respon que celuy dont a usé Bembo, 
n'est ne Italien, ne François : qui est bien pis. 

Tenant promesse, je vien aux exemples de 
quelques façons de parler que les Italiens ont 
prises de nostre langage, aussi bien comme ils 
ont pris une si grande quantité de nos vocables. 
Desja le cardinal Bembo nous advertit de quel- 
ques-unes : entre lesquelles est ceste-ci, de Boc- 
cace. Non ha lungo tempo : comme nous disons. Il 
n'y a pas long temps, et. Quanti sensali ha in 
F irenze? comme nous dirions. Combien desensals 
y-a-il à Florence? S'il nous est licite d'user de ce 

19. 



Digitized 



by Google 



334 DE LA PRECELLENCE 

mot Sensals, au lieu de dire Corratiers. Il remar- 
que aussi cette phrase, lo amo meglio, (comme 
nous disons J'aime mieux :) et l'expose, lo voglio 
put tosto * : monstrant comme Boccace en a vou- 
lontiers usé. 

Mais les façons de parler dont Bembo a faict 
mention, ne sont point Provençales (comme il a 
pensé) c'est-à-dire peculieres aux Provençaux, 
ains sont aussi bien des autres contrées de France. 
Ce qu'il faut estimer de celles aussi que je propo- 
seray : commanceant par une qui est en ce vers de 
Pétrarque, 

Di dl in di vo cangiando il viso elpelo *. 

Ainsi dit Bembo en ses Asolains, Ed udironlami 
ira esse cantare, si corne io Vandava tessendo ^ : par- 
lant d'une chanson. Il est certain que ceste façon 
de parler est prise de nostre langage, auquel elle 
est aussi fréquente, qu'elle y-a bonne grâce : 
comme en ce vers, pris d'une Elégie de Philippe 
Des portes. 

Mais durant qu'en regrets tu te vas consumant^. 



1. Littéralement : je veux Celte construction, très fré- 
plutôt. quente chez Desportes, est con- 

2. Voir page 297. damnée par Malherbe, qui a 

3. Et elles me Tentendirent rayé dans son exemplaire la 
entre elles chanter, comme seconde partie de ce vers.fVoir 
j'allais la composant. Brunot,/a Doctrine de Malherbe 

4. Elégies, livre 1, Discours; d'après son Commentaire sur 
p. 290 de l'édition Michiels. Desportes, p. 416.) 



Digitized 



by Google 



DC LANGAGE FRANÇOIS. 335 

Et en ce passage pris d'une sienne chanson, 

Le plus souvent en vous voyant 
La peur va mes sens effroyant * . 

Geste façon de parler nous est fort ancienne : mais 
les Espagnols y-ont voulu avoir leur part, aussi 
bien que les Italiens : tesmoin celuy qui a traduict 
ainsi le vers de Pétrarque allégué ci-dessus, 

Cadadia voy mudando el gesto y el pelo. 

Sur ce mesme verbe il me souvient d'une autre 
façon de parler dont use Pétrarque, à l'imitation 
aussi de nostre langage, 

I dolcicolli ov' io lasclai me stesso^ 
Partando onde partir giamai non posso, 
Mi vanno innanzi '. 

Car Mi vanno innanzi^ est dict à l'imitation de 
ceste façon de parler dont nous usons ordinaire- 
ment. Me viennent au devant. Ce qu'on dit aussi. 
Me viennent devant les yeux. Mais en parlant ainsi, 
nous suivons ce que disent les Latins, Veniunt 
ante oculos. 

Du devant je viendray au derrière, c'est à dire 
à une phrase où ils font mention du dos, laquelle 
pareillement ils ont prise de nous : c'est quand 
ils disent Dar à dosso : et mesmement en leurs 



l. Les amours (VHippolyte : netxxix.EditionMichiels,p.l85. 
seconde chanson après le son- 2. Voir page 301. 



Digitized 



by Google 



336 DE LA PRECELLENCE 

escrits : comme il me souvient Tavoir leue en 
l'interprétation de Cornélius Tacitus, faicte par 
Giorgio Dati,Fiorentino,^^oscwï diedero addosso 
a'nemiciy ainsi que nous disons, Ils leur donnèrent 
à dos. Il est vray que nous avons d'autres façons 
de parler, desquelles nous usons aussi voulon- 
tiers : mais le propre usage de ceste-ci est quand 
poursuivans l'ennemi fuyant nous le battons. 
Quant à ce que nous disons. Tourner le dos, qui 
est pris du Latin, Terga vertere, eux disent plustost 
le spalle, usans aussi du verbe Voltar : comme en 
cest endroit de ce mesme interprète. Ne per fente 
che ricever potessero^ cederebbero, o voiler ebbero 
le spalle giamai *. 

Je croy que si je di ceste phrase aussi, Ha\)er 
grand torto, ou un grand torto, estre pareillement 
contrefaicte sur nostre Françoise, on ne me con- 
tredira point. Bembo est de ceux qui en usent : 
car nous lisons en son premier livre des Aso- 
lains, Lisa Lisa, tu hai havuto un gran torto. 

Quant à ceste façon de parler, dont use Boc- 
cace entr'autres, lo vi sô grado di quella cosa : 
il ne faut point douter qu'ils ne l'ayent prise de 
nous : pour imiter ce que nous disons. Je vous 
sçay gré de cela, car (comme j'ay monstre ci-des- 



1. Quelques blessures qu'ils mais le dos (litt., les épaules), 
pussent recevoir, ils ne cède- Tacite, Annales, XllI, 24, non 
raient, ni ne tourneraient ja- telis, non vulneribus cessui^oS' 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 337 

§us) ils ont usé de grado pour exprimer ce que 
nous disons gré. 

Comme nous disons Laisser en derrière, de cô 
dont nous ne tenons comte : ainsi eux Lasciar- 
adietro : pour le moins Bernbo en a usé. Nous, 
trouvons aussi en ^es escrits, Ritrarre la briglia, 
dict par métaphore, et pareillement le contraire : 
ainsi que nous disons Lascher la bride, et Retirer la 
bride : et semble bien qu'en prenant de nous le 
mot briglia, ils ayent quandetquand pris ces. 
façons de parler ausquelles nous l'accommodons ; 
sans les aller chercher aux livres des Latins, où 
ils les eussent trouvées aussi bien que nous. Ce 
que je di pareillement de la phrase qui précède 
celles-ci : car il faut considérer que Bembo n'a 
pas esté le premier qui en a usé : et qu'il pourroit 
bien estre que le premier n'estoit pas (comme 
luy) homme pour imiter quelques phrases Latines,. 

Mais quand ce mesme auteur, je di Bembo, 
use de Mestiero et BisognOy contrefaisant nostre 
Mestier et nostre Besoin, alors on ne peut douter 
que luy, aussi bien que les autres, ne vueille user 
de ces mots avec les mesmes verbes que nous. 
Comme aussi nous voyons qu'au commancement 
du livre qu'il a intitulé Le pi^ose, il dit Tè di 
mestiero, ainsi que nous, Il t'est de mestier de 
faire cela : pour signifier, Il t'est besoin ou de 
besoin. Il t'est nécessaire. Et avec le Verbe Fare,,, 



Digitized 



by Google 



338 DE LA PRECELLENCE 

en ses Asolains', Non fa mesliero di moite parole. 
Et vers le commancement de ce mesme livre, 
jiquali quasi per lo continouo et di calamita et di 
scorta non faccia mestiero -. Toutesfois aujourdhuy 
nous n'appliquons guère nostre Verbe Faire avec 
le mot Mestier en ceste façon, Bien peu sont 
ausquels il ne face mestier de telle chose : au lieu 
de dire, Bien peu sont qui n'ayent mestier de telle 
chose. A grand peine aussi diroit-on, Il ne fait pas 
mestier de beaucoup de paroles : pour signifier, 
Il n'est pas besoin. On dit bien, Cela me fait 
mestier. encore qu'on die plus souvent. Cela me 
fait besoin. Mais il est vraysemblable que du temps 
des premiers enrichi sseurs de la langue Italienne 
(c'est à dire de ces anciens auteurs qui enrichis- 
soyent leur langue de la nostre) et es lieux où ils 
estoyent, on appliquoit ce mot encores autrement 
que maintenant : ce qu'il faut aussi penser des 
autres. Pour exemple, on dit aujourdhuy. Donner 
aide. Donner secours, plustost que Prester aide, 
Prester secours : toutesfois ils disent, Frestar 
ajuto, Frestar soccorso : et Boccace mesmement 
en use quelquefois. 

Je retourne à Bembo, qui dit, parlant Italien 
François, Gismondo cosi prese à dire : car ceste 
façon de parler est prise de nostre Prendre : quand 



1. Il n'est pas besoin (litt. : il 2. Qui n'aient pas besoin con- 
ne fait pas métier) de beau- tinuellement et de boussole et 



coup de paroles. de direction. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 339 

nous disons, // se prit à dire. Et faut noter qu'il 
n'a pas exprimé nostre se : mais Boccace aussi ne 
Tavoit pas exprimé, quand il avoit dict, Lauretta 
lietamente prese a dire * ou, addire, comme les 
autres aiment mieux escrire. 

Ce mesme auteur (j'enten Bembo) use d'une 
façon de parler Italienne-françoise fort belle, 
mais laquelle maints Italiens ne pourroyent pas 
entendre, et peu de François faudroyent à 
l'entendre, c'est où il escrit, Quanto egli gia nelV 
entrar de suoi ragionamenti andava tentoni, si 
corne quello che nel buio era^. Car Andava tentoni, 
c'est au lieu de ce que nous disons, Il alloit à 
taston : mais cela est dict ici métaphoriquement : 
et d'autant ha-il meilleure grâce. Quant à ce mot 
Tentoni^ il est tout évident que ceux qui disent A 
tentone, approchent plus près de nostre mot : et 
encore plus près les Napolitains, qui prononcent 
A tantone. 

Entre les phrases qu'ils ont tirées de nostre 
langage, aucunes ne se trouvent qu'en quelcun 
de nos dialectes, comme ceste-ci, lo Vho messo in 
salvOy ou, posto in salvo, alors mesmes qu'ils veu- 
lent signifier simplement ce que nous disons, Je 
l'ay serré. Car ainsi disent les Picards, Je Vay mis 
en saulve. 



1. Laurette gaîment se prit ses raisonnements, il allait à 
à dire... tâtons,ainsiqu'un homme dans 

2. Comme déjà, au début de Tobscurité. 



Digitized by CnOOglC 



340 DE LA PRECELLENCE 

Et à propos de ce qui est confessé par Bembo 
quant aux locutions, que ceste-ci entr autres a 
esté prise par les Italiens du langage Provençal, 
lo anio meglio, pour lo voglio piu tosto, c'est à 
dire J'aime mieux : (comme, lo amo meglio dis- 
piacere a voi, faime mieux vous desplaire), ils 
disent aussi, pour signifier la mesme chose, lo ho 
piu caro, ou havrei piu cat^o : comme les Picards, 
J'aurois plus cher. Boccace, Figliola mia, io havrei 
molto piu caro che tu havessi havuto un tal marito *. 
Mais comme les Provençaux ne sont pas seuls 
qui usent de la façon de parler susdicte, dont 
Bembo fait mention, aussi n'est en usage ceste-ci 
aux Picards seulement : toutesfois ceste-la est plus 
usitée. 

J'en ay gardé une fort aisée à remarquer, pour 
la dernière (car je veux faire ici la fin, encore 
que je ne sois qu'au commancement, au regard 
du grand nombre que je pourrois adjouster) et à 
laquelle toutesfois peut estre que beaucoup de 
François ne prennent pas garde : encore qu'elle 
soit plus, ou, pour le moins, autant en la bouche 
des Italiens, mesme del popolazzo, qu'aucune des 
précédentes. C'est la façon de parler qui rapporte 
à nostre adverbe Pieça, lequel vaut autant que le 
Jamdudum ou Jampridem des Latins. Car nous 
disons Pieça en un mot au lieu de dire separé- 

1. Ma fille, j'aimerais beaucoup mieux que tu eusses eu 
un tel mari. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 341 

ment Pièce y-a : c'est à dire, Pièce de temps y a. 
ou Grand pièce de temps y a. Mais nous disons 
plustost, Grand pièce y-a (sans adjousterces mots,. 
De temps) et, Il y-a grand pièce. Escoutons main- 
tenant comme Boccace contrefait nostre langage, 
Egli ha gran pezzo cKio à te venuta sarei^. Et ici, 
Ma poi che ser Ciappelletto * piangendo hebbe un 
gran pezzo tenuto il f rate cosi sospeso. Il use aussi 
de pezza : et dit buona pezza, ainsi comme nous 
disons Bonne pièce, pour Grand pièce. Mais quant 
à Pezzo, les Italiens en usent aussi en leur 
commun parler, sans rien adjouster. comme 
quand on leur demande touchant quelcun, s'il est 
venu, ils respondent, E un pezzo, ou E gia un 
pezzo. Quoy qu'il en soit, ils n'usent en cest 
endroit d'aucun pezzo, ni d'aucune pezza, qui ne 
soit de nos pièces. 

Je leur pourrois bien monstrer qu'ils sont 
venus iusques à nos Proverbes, et en ont pris 
aucuns (encore que je confesse que sans les noS' 
très ils en ayent assez bonne provision) mais je 
me contenteray qu'ils me confessent la debte 
quant à ce que j'ay mis en avant jusques ici. Et à 
la vérité ils seront contraints d'en confesser pour 
le moins la plus grande partie : de quoy je me 



1. Il y a longtemps que je Ciappelletto eut longtemps par 
serais venue à toi. ses pleurs tenu le frère en sus^ 

2. Mais après que messire pens. {Journée I, nouvelle i.) 



Digitized 



by Google 



342 DE LA PRECELLENCE 

contenteray, ne voulant entrer en dispute du 
reste, car ceci ne se doit entendre seulement des 
mots et façons de parler dont j'ay faict men- 
tion, ains d'un nombre beaucoup plus grand 
d'autres qui sont do mesme condition, et pour- 
tant doivent jouir de mesme droit, asçavoir de 
pouvoir quitter Tltalie toutes et quantes fois que 
bon leur semblera. Or tant plus je considère com- 
bien leur nombre est grand, tant plus je m'esmer- 
veille de Bembo, qui en a si peu confessé : et 
encore plus de ceux qui depuis, luy ont sceu si 
mauvais gré de ceste confession. Peut estre qu'il 
pensoit qu'en confessant ainsi volontairement 
quelque petite partie, on se tiendroit à ce qu'il en 
auroit dict, sans faire aucune recherche : et au 
contraire, ceux qui se sont faschez contre luy de 
ce qu'il avoit dict, ont eu crainte de ce qui est 
advenu. Car ils ont bien pensé que ce petit 
nombre qu'il avoit confessé seroit cause de faire 
rechercher la grande quantité des autres. 

Toutesfois je m'en rapporte à ce qui en est : et 
ne suis pas marri qu'ils ayent faict et qu'ils facent 
encore ci-apres leur proufit de nostre langage : (en 
usant de la discrétion dont j'ay faict mention 
ci-dessus), pourveu qu'en recompense ils luy 
facent honneur : j'enten seulement l'honneur qui 
appartient : qui est de luy accorder le titre de pre- 
cellence. Quant est des mots qu'ils nous ont pris, 
il n'y-en a point dont je m'esbahisse plus et me 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 343 

fasche moins, que de cestuy-ci, Fol, car nous 
n'avons que ceste petite parolette, pour signifier 
ce que les Latins disent stultiis : au lieu qu'eux 
en ont quatre, Pazzo, Matto, Scioccho, Stolto : et 
toutesfois nostre Fol leur a semblé si beau qu'ils 
en ont eu envie, et le desguisans un peu en ont 
faict Folle : lequel Pétrarque et Boccace ont mis 
en monstre, en faisans grande bravade : Bembo 
pareillement après eux. Ils ont aussi emmené 
celle sans laquelle il ne va jamais, qui est Folie , 
et l'ont desguisee en Follia, Que pleust à Dieu 
qu'ils eussent tellement emmené l'un et l'autre, 
qu'on ne les revist jamais en France. Toutesfois 
ils avoyent au contraire besoin non pas de Fol et 
de Folie, mais de Sot et de Sotise, car ils n'ont rien 
en leur langage, qui puisse bonnement tenir la 
place ne de Sot ne de Solise : tellement qu'ils sont 
contrains de la faire tenir par un de ceux que j'ay 
dicts, encore qu'elle ne luy appartienne pas. 
D'une chose leur sçay-je bon gré, que nous, au 
contraire, pour signifier ce que les Latins disent 
Sapiens et Prudens, n'ayans pas seulement ^Sa^^e et 
prudent, mais plusieurs autres vocables equipo- 
lens, ils n'y ont point voulu toucher. 
" Mais ils me diront que s'ils ont pris de nostre 
langage, aussi nous avons pris du leur : et adjous- 
teront toutesfois (par honnesteté) que non pas 
tant. Je les prieray donc faire leur production, 
comme j'ay faict la mienne : à la charge qu'ils ne 



Digitized 



by Google 



344 DE LA PRECELLENCE 

s'aideront d'aucunes pièces qui ne soyent aussi 
bonnes et authentiques que les miennes. Or me 
doutant bien que celles qu'ils estimeront les 
meilleures, seront certains vocables dont nous 
usons en la guerre et es fortifications * (car je croy 
qu'ils auront honte de m'alleguer ceux dont usent 
les gastefrançois) ' je les prieray d'ouir aussi 
patiemment ma response que j'orray la leur 
quand il leur plaira respondre à ce que j'ay mis 
en avant ci-dessus. 

Je di donc qu'il faut nécessairement de deux 
choses l'une : ou qu'ils se vantent nous avoir 
enseigné l'art de la guerre, et pareillement celuy 
des fortifications : ou qu'ils confessent que comme 
nous avons bien sceu apprendre l'un et l'autre 
sans aller à leur eschole, aussi avons-nous eu des 
termes propres, sans les aller chercher en leur 
pays^. Je croy qu'ils ne voudront pas s'aider de 
ce premier poinct : et quand ils voudroyent, je 
ne sçay s'ils oseroyent. quand ils oseroyent, je 
leur opposerois entr'autres choses ce que dit 
Machiavel. Dont s'ensuivra que ou volontiers ou 
par force ils m'accordent le second. Mais à fin 

1. Les expéditions en Italie taire des Allemands est remplie 
ont en effet introduit dans de mots français, et que l'An- 
notre langue beaucoup de mots gleterre nous a donné un grand 
relatifs à la guerre. 11 y a un nombre d'expressions parle- 
rapport étroit entre la nature mentaires, industrielles, com- 
des relations que deux peuples merciales, sportives, etc. 
ont entre eux, et le genre de 2. Cf. Dialogues, I, 125. 
mots qu'ils se communiquent. 3. Cf. Conformité, p. 24; — 
C'est ainsi que la langue mili- Dialogues, 1, 26. 



Digitized 



byGoogk 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 345 

qu'ils ne pensent que les menaçant de Machiavel, 
je leur vueille donner une faulse alarme, je di 
qu'en son dialogue de Tart de la guerre*, il fait 
la guerre à une telle vanterie. Car ayant premiè- 
rement dict en gênerai que les manières de faire 
la guerre estoyent esteintes par tout le monde, 
à comparaison de celles des anciens : parlant 
puis de ritalie particulièrement, dit qu'elles y 
sont du tout perdues, et que s'il y-a encore 
quelque chose qui ait un peu plus de gaillardise, 
elle vient de ce qu'ils ont pris exemple à ceux de 
delà les monts : pour mieux faire, je reciteray 
ses propres paroles, du septième et dernier livre, 
lo vi dico di miovo, che i modi et ordini délia 
gtierra in tutto il mondo, rispetto a quegli degli 
antichi, sono spenti : ma in Italia sono al tutto per- 
dutti : et se ci è cosa un poco piu gagliarda, nasce 
dair essempio degli oltraînontani. Et à fin qu'on ne 
doute point que Machiavel n^ntende les François, 
quand il dit les outremontains (s'il est loisible de 
contrefaire ainsi son mot oltramontani) j'adjous- 
teray ce qu'il dit après, qu'avant que Charles, 
Roy de France, passast en Italie, on bastissoit 
tellement les forteresses qu'elles estoyent fort 
foibles. Voyci ses paroles, Voi potete havere 



1. Machiavel s'est inspiré et même nouvelles pour son 
dans cet ouvrage des livres des temps. Il condamne, par exem- 
anciens. Il exprime aussi beau- pie, remploi des troupes mer- 
coup d'idées très intéressantes cenaires. 



Digitized 



by Google 



346 DE LA PRECELLENCE 

inteso, et questi altri se ne possono ricordare^ con 
quanta debolezza si edificava innanzi che il re Carlo 
di Francia, nel m. cccc. xciuiy passasse in Italia *. 
Joinct qu'après il dit Franciosi plusieurs fois. Et 
que ce edificava se doive entendre ainsi, il appert 
par les exemples qu'il amené. Car il parle de 
trois choses dont les forteresses avoyent besoin, 
selon la façon d'alors, lesquelles il nomme merliy 
balestriere et bombardiere ' : et après avoir monstre 
la faute qu'on y faisoit, il monstre aussi comment 
les François avoyent appris à les corriger. Hora 
(dit il) da' Franciosi si è imparato à fare il merlo 
largo et grosso : et che anchora le bombardiere sieno 
larghe dalla parte di dentro^, etc. Il monstre puis 
assez au long que les François ont beaucoup 
d'autres manières incongneues aux Italiens, par 
lesquelles les places sont rendues fortes : et com- 
mance par ce qu'il appelle des Sarrazinesques. 
Mais comme Bembo n'a pas confessé toute la 
debte quant aux vocables que la langue Italienne 
a pris de la nostre, non pas la centième partie 
(comme j'ay dict et monstre ci-dessus), ainsi est 
vraysemblable que Nicolo Machiavelli n'ait pas 
confessé toutes les choses appartenantes à la 

1. Vous pouvezavoir compris, embrasures pour les bombar- 
et ces autres peuvent se sou- des. 

venir avec quelle faiblesse on 3. Aujourd'hui les Français 

les bâtissait, avant que le roi nous ont appris à faire les cré- 

Charles de France, en 1494, neaux larges et épais, et les 

passât en Italie. embrasures à bombardes larges 

2. Créneaux , meurtrières , du côté intérieur. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 347 

guerre que les Italiens ont apprises des François : Ô 
et peut estre aussi qu'il ne les sçavoit pas, pour 
les pouvoir confesser. 

Mais dira-on point que depuis ce temps-la les 
Italiens nous ayent pu rendre la pareille? qu'ils 
ayentesté nos maistres, quant à Fart de la guerre, 
au lieu qu'ils avoyent esté nos disciples? On le 
pourra bien dire : mais on ne le pourra pas 
prouver, ni mesme le faire approcher de quelque 
verisimilitude. Car s'ils disent que l'Italie s'est 
fort aguerrie depuis : et la France quoy? on sçait 
assez qu'il n'y-a point de comparaison. 

Or pourceque tant eux que plusieurs autres 
pourroyent cependant demeurer esmerveillez d'où 
vient donc que maintenant et ja depuis quelques 
années nous usons de plusieurs de leurs termes 
au faict de la guerre, et auroyent aussi raison de 
me demander où sont les nostres, dont nous usions 
auparavant, et que nous pourrions mettre en la 
place des leurs, quand il nous plairoit les quitter : 
je tascheray de rendre tant les uns que les autres 
contens et satisfaicts touchant ces deux points. 
Quant au premier donc, je di que ce changement 
de termes appartenans à l'art militaire commança 
avec les guerres de Piedmont : d'autant que les 
jeunes soldats François, et principalement les 
jeunes gentils-hommes (car comme nostre nation 
aime plus la nouveauté que les autres, ainsi la 
jeunesse plus que l'autre âge) estoyent fort joyeux 



Digitized 



by Google 



348 DE LA PRECELLENCE 

de pouvoir rapporter jusques à leurs maisons 
quelques termes nouveaux appartenans à ce dont 
ils faisoyent profession. Ce que j'ay plus ample- 
plement déclaré ailleurs *. Quant au second poinct, 
je di que nous avons des livres où nous pouvons 
trouver les termes vrayement François en la place 
desquels nous mettons ces estrangers. Et toutes- 
fois, que rintermission des nostres n'est (Dieu 
merci) depuis si long temps que ne les puissions 
recouvrer aujourdhui en la mémoire de nos plus 
vieux guerriers (encore que les douze dernières 
années nous en ayent beaucoup osté) ausquels 
ces mots qui estoyent usitez en leur jeunesse, 
estans maintenant remis en usage, sembleroyent 
apporter quelque rajeunissement. 

Ils ne doivent toutesfois avoir peur que ces 
vieux guerriers les vueillent ramener jusques à 
la vieille guerre (comme nous usons de ces mots, 
quand nous disons, par une manière de mespris. 
C'est la vieille guerre), ce que diroyent aucuns, si 
on vouloit remettre au-dessus Chevetain, et Avan- 
tîirier, ou bien Souldoyer : et encore plustost si on 
vouloit rappeler Brigand (d'où vient brigandiney 
pour une sorte d'armeure), et /îws/re pareillement. 
Aussi n'y auroit-il aucune raison, ne mesmes 
apparence de raison, d'user maintenant de ces 
deux termes lesquels j'ay alléguez pour exemple. 



1. Cf. Dialogues, I, 29. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 349 

car outre ce que l'usage les a faicts sonner mal 
depuis (et noidimmeni Brigand, auquel, en ce chan- 
gement, est avenu le mesme qu'au Latro des 
Latins) nous ne trouverions pas à qui ces noms 
peussent bien convenir, à cause de la différence 
qui est tant es armes, qu'en la façon de guerroyer. 
Quant aux deux autres, encore qu'on n'en puisse 
pas dire le mesme, si est-ce que par droit leur 
place doit demourer à Capitaine et à Soldat \ puis- 
qu'ils en sont en possession des le temps de nos 
ayeuls : et principalement Capitaine, pource qu'il 
est croyable que Les souldoyers, au lieu de ce que 
nous disons Les soldats, soyent demourez en nos- 
tre vieil langage, encore depuis Chevetain, Lequel 
vocable Souldoyers approchoit plus près du Gaulois, 
Soldurii, que n'en approche cest autre. Soldats *. 
Or ce que j'ay dict touchant ces cinq termes 
anciens, doit estre entendu aussi d'un grand 
nombre d'autres, car il ne faut pas craindre que 
ces vieux guerriers vueillent ramener, quant aux 
machines ou instrumens servans à faire baterie, 
ne les Bricoles (car le jeu de paume s'est emparé 
de ce terme) ne les Domdaines (duquel mot la 
souvenance demeure en ceste façon de parler. 
C'est une grosse domdom) ne ramener les Bacules 

i. Cf. Dialogues, I, 341-42. Comme/i^a/re^ (III, 21), a pu con- 

2. L'ancien mot soldoier était tribuer, par analogie, à fixer le 

plutôt un dérivé de solde. Le sens des mots de cette famille. 

mot 5o/rfz/nM5, dont Texistence Quant au mot soldat, il est 

est attestée par César dans ses d'origine italienne. 

20 

Digitized by VnOOglC 



350 DE LA PRECELLENCE 

(car ce mot a esté depuis transféré à la fortifica- 
tion des portes) ne les Truyes (à cause que ceste 
métaphore offenseroit trop les oreilles) ne Fon- 
delfes, ne Ribaudequins, ne Chats-chateils (comme 
ce mot se trouve escrit en Fhistoire du seigneur 
de Jonville) * ne quelques autres qui ont esté de 
mesme temps, ou environ : quand bien nous n'en 
aurions pas du tout perdu l'usage avec les noms. 
Mais quant aux choses appartenantes au faict de 
la guerre, qui sont demourees jusques à mainte- 
nant, et qui gardoyent encore leur premier nom, 
pendant qu'eux estoyent jeunes, je ne doute point 
que si on veut s'en rapporter à leur jugement, 
ils ne leur facent reprendre ce premier nom, et 
quitter celuy qui est venu d'Italie. Pour exemple, 
quant aux fortifications, je croy que quand il 
s'agira d'un fossé, ils voudront que ces façons de 
parler qui estoyent en crédit eux estans jeunes, 
obtiennent reintegrande : à sçavoir. Fossé en talut, 
ou talus, Fossé à fonds de cuve, La douve d'un fossé, 
ou Les douves (ce qui est dict par une mesme sorte 
de métaphore que nous avons en la façon précé- 
dente : et pourtant semble que donnes, qui se 
trouve aussi, soit ainsi escrit par erreur), La faus- 
sebraye. Les moineaux, Vavant-mur, Et diront (ce 

1. Édition de Wailly, 192 : avoit dous chastiaus devant les 

Pour garder cens qui ouvre- chas et dous massons darrière 

roient à la chaude, fist faire li les chastiaux, pour couvrir ceux 

roys dous beffrois que l'on qui guieteroient. (Voir le Dic- 

appelle chas-chastiaus : car il tionnaire de Godefroy.) 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 351 

qui est vray) que quand on appliquera ces mots 
à leur ancien et propre usage, on n'aura pas grand 
besoin de faire venir d'Italie Scarpe et Contres- 
carpe^ ne Parapet, ne Casemate^, Il est bien vray 
qu'encore mieux nous passerons-nous des trois 
premiers que du dernier. Et en tout événement, 
si leur langage se pouvoit vanter de sa Casemate, 
le nostre se vanteroit de ses Moineaux, Quant à 
Parapet, il est indubitable qu'il ne signifie * ce qu'on 
avoit accoustumé d'appeler Avant-mur : et qu'au- 
cuns appellent aussi Mantelet. 

Mais il nous advient d'estre trompez en ces 
vocables estrangers, ainsi que le sommes en plu- 
sieurs hommes que nous ne congnoissons point : et 
principalement de ceux qui sont courtisans, soit 
du tout, soit à demi, car comme, pour voir en eux 
quelque magnificence d'habits (aujourdhuy que 
tout est loisible en tel cas) il nous semble que 
l'honnesteté nous commande les respecter : jus- 
ques à ce qu'estans informez de leur qualité, 
nous appelons parade et bravade (eux diroyent 
piaffe) ^ ce que nous nommions magnificence. 



1. Cf. Dialogues, 1, 344-45. ter. Surtout chez un helléniste 

2. Il est inutile de rétablir comme lui, cette construction 
ici que ^ comme le propose n'a rien de surprenant. 

L. Feugère : L'expression il est 3. Cf. Dialogues, I, 31 ; II, 

a>ifl?M6i7a6Ze peut être considérée 254-55. — Il n'est pas du tout 

comme une proposition néga- certain que les courtisans aient 

live : Estienne met la négation emprunté le mot piaffe aux 

dans la proposition subordon- Italiens. Mais c'est d'Italie que 

née comme si la proposition nous vient le mot bravade-^ et 

principale était on ne peut dou- parade, selon Littré, nous vient 



Digitized 



by Google 



352 DE LA PRECELLENCE 

comme procédant de quelque grandeur : ainsi, 
quant à ces termes estrangers, appartenans à la 
guerre, desquels nous n'entendons pas la vraye 
signification, il est certain que leur belle appa- 
rence, (que la nouveauté nous fait trouver encore 
plus belle) et ce qu'on les fait sonner si haut, 
sont cause que nous y sommes deceus, et imagi- 
nons soubs iceux quelque grand secret : mais à la 
fin, quand nous venons à descouvrir leur origine, 
au lieu de ce secret par nous imaginé, ne trouvons 
autre chose qu'un son plus mignard que le nos- 
tre, et d'autant moins convenable aux termes de 
la guerre. Il est vray qu'aucuns ont plus de bra- 
vade que de mignardise. Et pour venir aux exem- 
ples (selon ma coustume) je di que comme leur 
Parapetto, que nous changeons en Parapet, est 
composé, aussi l'est nostre Avant-mur, et que ce 
mot Parapetto n'est point plus propre, ne plus 
significatif : mais en la composition d'iceluy on a 
regardé à autre chose : asçavoir à ce pourquoy il a 
esté inventé, car c'est comme si on disoit garde- 
poitrine, de mesme façon que nous disons garde- 
bras. Et ce Parar convient avec ce Parer, duquel 
nous usons en disant Parer les coups, ou Parer 
aux coups. 

Nous sçavons aussi que plusieurs pensent qu'il 
y ait quelque nouveauté cachée soubs ce mot Sen- 

de Tespagnol. Litiré ne cite aucun exemple de ces mots 
antérieur au xvi" siècle. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 353 

tinelles : comme ainsi soit qu'il n'y ait rien en la 
guerre plus ancien : ce qu'ils confesseront quand 
ils auront considéré (et sceu premièrement) que 
ce mot respond au nostre Escoutes : d'autant que 
Sentir ou Sentire en langage Italien se prend quel- 
quesfois pour Escouter. Mais un des plus notables 
exemples de ce que j'ay dict est en Lancespessade, 
ou lancespezzade *. car c'est bien un des mots 
soubs lesquels beaucoup dé personnes imaginen 
quelque nouveau et grand secret : et toutesfois, si 
on examine son origine, pour bien descouvrir sa 
signification, on trouvera que quand ils usent de 
ce mot ils ne parlent de rien qui ne soit vieil. Car 
Lancia spezzata est comme si on disoit Lance des- 
pecee, ou Lance mise en pièces : et se baille ce 
nom à un soldat qui est bien appointé et auquel 
on donne plus de privilège qu'aux autres (aucunes- 
fois aussi est honoré de quelque charge, au défaut 
de ceux ausquels elle appartient) pource que an- 
ciennement celuy qui avoit perdu ses chevaux, et 
n^avoit moyen de se remonter, venant se rendre 
parmi les gens de pied, estoit respecté tant en ce 
qu'il avoit gages extraordinaires, qu'en ce qu'il 
n'estoit subject à tant de courvees que les autres. 
Or est-il certain que tout ceci convient à ceux qui 
sont appelez Soldats ajopointez. Que si quelques- 
uns des Italiens veulent puis non pas user mais 

1. Cf. Dialogues, I, 345. 

20. 



Digitized 



byGoogk 



354 DE LA PRECELLENCE 

abuser de leur lancia spezzada, et pareillement quel- 
ques François de leur mot emprunté Lancespessade, 
c'est à eux (je di, tant aux uns qu'aux autres) de 
rendre raison de leur abus. Et nonobstant ce que 
j'ay dict de l'origine de ce terme, je n'ignore pas 
qu'aucuns luy en donnent une autre, en le faisant 
venir du langage Espagnol : mais c'est en pronon- 
ceant et escrivant autrement que spezzata, lequel 
mot toutesfois nous avons suivi. 

Au reste, je veux aussi advertir le lecteur que 
quand bien nous retiendrions quelques mots Ita- 
liens appartenans au faict de la guerre (comme je 
serois bien d'avis qu'on fist, quant à six ou sept, 
entre lesquels est Gabions^ pour Gabbioni^ qui 
vient de Gabbia^ signifiant Cage : encore que nous 
ayons l'ancien Mannes ou Mandes) cela ne nous 
pourroit rendre suspects de ce que j'ay dict au 
commancement de ce discours, ne porter aucun 
deshonneur : veu que l'Italie, pour un que nous 
retiendrions des siens , s'est appropriée trois 
voire quatre des nostres. Je diray bien d'avan- 
tage (et si diray vray) que ne l'Italie ne l'Espa- 
gne ne sçauroit parler de ce que les Latins appe- 
loyent bellum, ne de ce qu'ils iisoy eni prœlium, 
sans emprunter les termes de la France, car tou- 
tes ces deux nations ont pris nos deux vocables 
Guerre et Bataille : l'une, en ayant faict Guerra et 
Battaglia : l'autre, Guen^a et Batalla, laquelle 
toutesfois ha bien aussi Pelea, mais elle ne s'en 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 355 

aide pas tant que de Batalla, Non plus ne peuvent 
ces deux nations parler à' escarmouche, si nostre 
langue ne leur preste ceste diction*. 

Et pour passer plus avant aux termes de la 
guerre que l'Italie a pris de nous (entre lesquels 
sont plusieurs dont l'Espagne aussi fait son prou- 
fît) ils ne se sont point contentez de Battaglia, 
faict de nostre Bataille, mais pareillement de 
Bataillon ont foici Battaglione. Et n'usans de moins 
grande hardiesse, se sont ruez (pendant que nous 
n'y prenions point garde) sur nostre Avantgarde et 
Arrieregarde : et ont changé l'une en Avantguardia 
ou Vantguardia : l'autre en Retroguardia, Voire 
sont venus jusques à nostre Corps de garde, et en 
ont faict Corpodiguardia, et Coiyo diguarda aussi, 
pour abbreger. En la fin, voyans nostre patience, 
ils ont abusé d'icelle. car ils nous ont pris Un 
hastillon, Un fort, Une forteresse, Un boulever, Un 
remjmrt, Une platte forme, Une canonnière : et en 
ont faict Un bastione, Un forte, Una fortezza. Un 
beluardo. Un riparo^, Una piatta forma, Una canon- 
niera. Et n'ont pas oublié aussi nostre Tranchée, 
qu'ils ont changée en Trincea, et aucuns en Trin- 
chea. Mais il ne se faut pas esmerveiller s'ils ont 

1. C'est au contraire le fran- réparation, remède, et rempart^ 
çais qui a emprunté à l'italien défense. Ne serait-il pas plus 
le mot escarrnouche, en italien simple de rattacher riparo , 
scaramuccia. comme riparamento, au verbe 

2. Le mot Wparo signifie aussi riparare^ qui signifie réparer, 
remède, ressource. De même remédier^ conserver, défendre, 
riparamenlo signifie à la fois garantir, munir, etc.? 



Digitized 



by Google 



356 DE LA PRECELLENCE 

pris la plus grand part de nos termes concernans 
l'art de fortifier, veu qu'il a falu que ce mot mes- 
mement Fortificatione^ ils Tayent emprunté de 
nous. Aussi viennent de nous leur Jifme et Contra- 
mine : leur Batteria^ leur Cornbattere. Ils nous ont 
pris aussi nosir^ Bannière, no^irQ Enseigne ^noUve 
Estandart : et de ce dernier use Arioste entr'autres. 
Encore ne m'esbahi-je pas tant de tous ces mots 
qu'ils ont eus de nous, ne de plusieurs autres 
(voire jusques aux Chariages et aux Vittuailles, 
dont ils ont faict Cariaggi et Vettovaglie) que je 
m'esmerveille de nostre Marcher, j'enten Marcher 
en guerre. Car ils sont venus jusques à ce mot, 
monstrans bien une grande povreté de leur lan- 
gage, s'il n'estoit secouru du nostre. Le dernier 
auquel j'en ay veu user, c'est un nommé Girolamo 
GataneoS (qui est de Novare) en son livre des for- 
tifications. Car il-y-a là un chapitre, le titre du- 
quel est, Del modo che deve tenere l'essercito nel 
marciare et allogiare : et corne si deve fare Valloggia- 
mento ^ En ce mesme chapitre, et ailleurs aussi (à 



1. Architecte et ingénieur, fuochi ar^e/îcfaZi, Brescia, 1564. 

né vers le commencement du L'ouvrage fut traduit et im- 

xvi" siècle, mort après 1584. Il primé par J. de Tournes, Lyon, 

publia plusieurs ouvrages rela- 1574. Une édition augmentée 

tifs à l'art militaire et entre parut à Brescia en 1584 sous ce 

autres : Opéra nuova di fortifi- titre : DelV arle militare, 

care, offendere e defendere e 2. De la méthode que doit 

far g H allogiamenti campali; suivre Tarmée dans la marche 

aggiuntovi un traltato degt esa- et le logement; et comment le 

mini de bombardieri, e di far logement doit se faire. 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 357 

propos de povreté) luy font grand bien nos voca- 
bles Avantage et Desavantage, et leurs enfans 
Avantageux qï Desavantageux, car il use plusieurs 
fois de ceux qui sont faicts sur ceux-là, Vantaggio, 
VantaggiosOy et Disavantaggio, Disavataggioso, ne 
pouvant trouver aucuns autres mots pour expri- 
mer ce qu'il veut dire. De luy mesme, et d'un 
Giacomo Lanteri * (qui a escrit pareillement des 
fortifications) aussi de Machiavel, j'ay pris les 
vocables precedens, qui sont tirez des nostres. 
L'un de ces deux fortificateurs, asçavoir Giacomo 
Lanteri, dit Scarpa (ce que je marque pour ceux 
qui ordinairement usent de Scarpe) et Salita, 
pour une mesme chose. // terrapieno (dit-il) sara^ 
per la minore che si possa fare, piedi quaranta, 
in quarantacinque, con piedi quindici di scarpa, 
overo salita '. Il use aussi de Guastatori, ainsi 
que nous usons de Gastadours. Mais ce que Ma- 
chiavel appelle Merli, au passage allégué ci-des- 



1. Due libri del modo di fare M. Francesco Trevisi Ingegnero 

leFortipcazioni di terra^intomo Veronese con un giovane Bres- 

aile Città e aile Castella per ciano a ragionare dcl modo di 

fortificare, et di fare cosi i forli disegnare le piante délie For- 

in campagna per gli alloggia- lezzesecondoÈuclide,e del modo 

menti degli eserciti, corne anco di compon'e i modelli, e torre 

per andar sotto ad una Teri'a e in disegno le piante délie Città, 

di fare i ripari nelle batterie, Venezia, 1557. — Voir Tira- 

Venezia, 1559. — Lanteri avait boschi, étotia délia letleratura 

composé auparavant un autre italiana, VU, 544. 
ouYrdLge: Due Dialoghidi M. J a- 2. Le terre-plein aura pour 

como de Lanteri da Paratico le moins quarante à quarante- 

Bresciano, ne' ouali s* introduce cinq pieds, avec quinze pieds 

M, Girolamo Catanio Novarese^ d'escarpement ou saillie. 



Digitized 



by Google 



358 DE LA PRECELLENCE 

SUS, tant luy que l'autre le nomment Merloni. qui 
est (ce semble) ce qu'encores aujourdhuy nous appe- 
lons Créneaux, d'où vient ce mot Crénelé : duquel 
on usoit le temps passé, quand on disoit. Murs 
crénelez : comme aussi. Murs crestelez : et Murs 
garitez. Et ce garitez vient de Garite : de laquelle 
on s'aidoit aussi es portes : comme nous voyons 
en cest endroit du Romman de Perceforest, Adonc 
s'en vint la guette aux garites de la porte. Et un 
peu après, où le roy parle. Et si luy di quelle 
vienne parler à nous à la garite. Or pour retourner 
aux termes Italiens touchant la guerre, qui sont 
pris de nostre François, je di que plusieurs autres 
se pourront trouver tant es escrits de Machiavel 
et de ces deux fortificateurs, que d'autres, comme 
il me souvient avoir leu en Boccace trois mots 
de suite, tirez de nostre langage, du nombre aussi 
de ceux qui appartiennent à la guerre, c'est où il 
dit, Andare ad ogni torniamento,ô giostra, à altro 
fatto d'arme, car c'est ce que nous dirions, Aller 
à chacun tournoy , ou j ouste , ou autre faict 
d'armes. 

J'ay bien occasion de faire ici un plaintif tou- 
chant la mesme chose dont je me plaignois ci- 
dessus : pource qu'ils usent de dépravation en 
aucuns aussi des vocables qui peuvent estre mis 
en ce reng : voire jusques à corrompre celuy 
lequel est donné à l'une des plus grandes dignitez 
qui soyent en ce royaume. J'enten ce mot Connes- 



Digitized 



by Google 



DU LANGAGE FRANÇOIS. 359 

table, car nous voyons que Machiavel (entr'autres) 
en a faict par tout Connestabole, Et ne dépravent 
ce mot en ceste sorte seulement, ains aussi en ce 
qu'ils luy changent sa signification \ 

Mais je ne leur feray point d'avantage la guerre 
touchant les mots de la guerre : m'asseurant qu'ils 
se rendront à composition, quand ils auront consi- 
déré que leur fort n'est aucunement tenable : et 
qu'ils seroyent malavisez d'attendre qu'ils fussent 
battus d'un beaucoup plus grand nombre de pièces : 
veu que si peu ont desja faict une telle brèche. Et 
quant à leurs autres forts, ou plustost bloculs, qui 
ont esté assaillis auparavant, je ne pense point 
qu'ils s'y vueillent non plus fier qu'en cestuy-ci : 
les ayans congnus encore plus prenables. 

La composition donc sera que leur langage 
avouera la supériorité et precellence du nostre, 
sans jamais contrevenir à cest aveu, par voye 
directe ne oblique. Moyennant lequel aussi, le 
nostre le déclarera digne du second lieu : et au cas 
que l'Espagnol le voulust quereler, le nostre pren- 
dra l'Italien en sa protection, pour le maintenir 
en ce droit. 

En luy donnant toutesfois six jours de terme 
pour s'en résoudre. Pendant lesquels si leur venoit 
nouvelle aide et secours, nous leur ottroyons de 
gayeté de cueur que la présente composition soit 

1. * En lui donnant le sens de simple commandant et de 
colonel. » (L. Feugère.) 



Digitized 



by Google 



360 DE LA PRECELLENCE DU LANGAGE FRANÇOIS. 

nulle : nous sentans assez courageux et forts pour 
les réduire de vive force à ce poinct qu'ils n'au- 
ront voulu accepter de nostre pure libéralité : et 
esperans, si nous en venons là, leur faire parois- 
tre, moyennant la grâce de Dieu : à laquelle je les 
recommande. 



Fl^ 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES 



1. ORTHOGRAPHE ET PRONON- 
CIATION. — Orthographe étjrmolo- 
giqae et orthographe phonétique. 
— 1. Deux principes orthographiques 
sont on lutte au xvi« siècle comme 
aujourd*hui,le principe étymologique 
et le principe phonétique. Dans 
l'ancienne langue française, Tortho- 
graphe, sans être absolument con- 
forme à la prononciation, était cepen- 
dant, dans une certaine mesure, une 
orthographe phonétique.Au xiv* siè- 
cle, on commence à tenir plus grand 
compte de l'origine des mots, et 
l'on ajoute des lettres dont la pré- 
sence n'est pas toujours jiistiGée par 
rétymologie grecque ou latine. 

2. On a rétabli ainsi des lettres 
latines qui, n'étant plus prononcées, 
avaient cessé d'être écrites ei n'étaient 
représentées par rien : 6 dans debte 
104, soubs 3, subject 6. assubjetti 42, 
subjeclion 72, etc. ; c dans auctorité 
i^O^ project 1, dict 4, e/fect 2, aub- 

ject o, etc. ; d dans nud 234, adjouster 
7, advocata 11, adverti 12, etc.; 
g dans congneu 2, congnoissance^X. 

3. Mais, dans bien des cas, la 
lettre latine avait seulement changé 
de forme, ou bien, en disparaissant, 
avait modifié la voyelle précédente, 
de sorte qu'une fois ajoutée dans le 
mot, elle y est en réalité représentée 
deux fois : c i:eprésenté déjà par t 
dans faicte 1 ; traict 129 ; poincts 6; 
joincts 11; deduicts 7; frtiict 164; 
nuict 51, etc.; g représenté pur i 
d&u9 loingtains 13, etc. ; / représenté 



par u dans fauUe 345 ;p représenté 
par V dans apvril 9. 

4. Les lettres doubles, réduites à 
une simple dans l'ancienne langue, 
se présentent de plus en plus sou- 
vent à partir du xiv« siècle. On 
trouve par exemple dans la Precel- 
lence : appercevront 2; appaiser 4; 
abbattu 30; abbois 124; abbréger 
355 ; aggreable 309; jettez 20 ; prat- 
tiquer 23; traitteray 28; traitté 28; 
conclurre 48 ; addoucisaans 305 ; ap- 
platie 141; aggrappe 311, etc. Plu- 
sieurs de ces mots sont des compo- 
sés français, dans lesquels entre 
comme élément non pas la préposi- 
tion ad, mais la préposition à. Dans 
ces mots, par conséquent, le redou- 
blement n est même pas un retour 
à rétymologie. Il faut voir aussi 
l'influence de l'analogie dans les 
mots Romme 31 ; Bommains 7 ; rom- 
mana 17; deffit 57; equippage 14; 
gibbier 131 ; aecrettea 166. Modellei, 
s'explique par l'italien modello; pour 
aouppe 248, l'allemand a Suppe. On 
peut rapprocher de plat te, dan» 
plaite forme 355, l'allemand platt 
ou PlattCy l'italien pmffo. Mais peut- 
être est-il plus simple de voir dans 
l'orthographe de ces mots dans la 
Precellence l'influence de l'analogie. 

5. La langue du xvi' siècle 
conserve encore cependant bien des 
traces de l'ancienne simplicité ortho- 
graphique. Dans bien des mots les 
consonnes étymologiques qui no se 
prononcent pas n'ont pas été réla- 



1. Voir Darroesleter et Hatzfeld, Tableau de la langue françaùe au IV!» êièt^lr-. — 
BruDOt, Preciê de grammaire historique de la langue françaiêe. Consulter la Biblio- 
yraphie qui »e trouve dans la 3c édition. 



PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 



ei 



Digitized 



by Google 



362 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



blies. Nous trouvons ainsi, dans la 
Preeellence, avenir (infinitif^ iS; 
promte 32 ; comte (compte^ 66 ; 
exemta 82; doits (doigts) 13Ô;pt^ 
273, etc. 

6. On trouve souvent une lettre 
simple dans des mots où l'étymo- 
logie exigerait une lettre double : 
falu 12; /aZotr 32; eschapent 317; 
amolisse 95; etc. Quelquefois aussi 
l'orthographe du xvi" siècle est, en 
employant la lettre simple, plus 
voisine que la nôtre de l'étymo- 
logie : debatre 7; debatu 11; gen- 
tile 34; gentilesse 66; Alemagne 
119; eachaufer 95; quereler 3o9. 
Dans des mots de formation fran- 
çaise, on trouve le préfixe ou la 
terminaison joints au radical du 
mot sans les redoublements usités 
aujourd'hui : resembler 255 ; alonge 
319; gueter^ô. 

Voyelles et diphtliongaes. — 7. 
A et E.. — Estienne lui-même nous 
apprend qu'il existait au xvi« siècle 
une confusion entre le son a et le 
son e, le peuple disant Piarre pour 
Pierre^ les courtisans disant ca- 
therre pour catharre. H. Estienne 
emploie la forme boulever 355 ; c est 
la forme la plus ancienne. Mais il 
emploie une forme savante quand 
il dit perfaicts 150, pour parfaicts. 

11 emploie la forme ancienne arain 
193, pour airain; esclarciront 74, 
pour esclairciront. On trouve, dans 
la PrecellencCy condemnation 35; 
mais aussi condamner 37. 

8. AN et EN. Comme tous ses 
contemporains, H. Estienne paraît 
employer indifféremment an et en. 
Quand il écrit ardant 31 ; ardante 
2; on reconnaît l'ancien participe 
du verbe ardoir ou ardre. Mais 
c'est contrairemiint aux anciennes 
habitudes de la langue aussi bien 
qu'à l'étymologie qu'il écrit com- 
mancer 37 ; commanceray 52 ; com- 
mancement 52; vanger 57, etc. L'or- 
thographe de Flamens 171 ; reng 16 ; 
renger ^; rengeroyent 12; tren- 
chantes 3, peut être autorisée par 
l'ancien De langue, mais rien ne 
justifie recommandation 25 ; garentie 

12 (ailleurs garantir 37). 

9. E, AI, El. On trouve e pour 



ai ou ei et réciproquement : gresse 
131 ; fresche 171 ; pêne 234 ; porte- 
pene 159: aiglantm (dans une cita- 
tion) 101; fraisne 186. Tous ces 
mots se rencontrent dans l'ancienne 
langue ainsi orthographiés. 

10. E, I. C'est aussi une an- 
cienne forme qu'il faut reconnaître 
dans le verbe con fermer, con ferme- 
ront 74, pour confirmeront. La 
forme confirmer est une forme 
savante. 

11. E. Ve supprimé dans la 
prononciation est supprimé aussi 

graphiquement dans les mots ho- 
reau, pour hobereau 127 ; chartée^ 
pour charretée (anciennement cha- 
retée) 180. 

12. 1, U. Estienne emploie i pour 
u dans le mot manifa^ture pour 
manufacture 140. C'est cependant 
cette dernière forme qui était la plus 
usitée au xvi« siècle. 

13. O, AU. On trouve la lettre 
simple dans les mots povre 84 ; 
povreté 356; c'est l'influence sa-' 
vante qui a rétabli la notation au 
par imitation du latin. La pronon- 
ciation du mot povre ou pauvre 
était très indécise. 

14. O, OU. H. Estienne, dans 
les Hypomneses^ p. 34, constate que 
la prononciation hésite entre ou et 
dans plusieurs mots. Il écrit, dans 
la Precellenee, courvees 353, proufit 
249 ; prouktables 3 ; prouvision 249 ; 
voulotité 5; voulontiers 12. 

15. UI, I. La forme vuide pour 
vide se trouve dans un proverbe 
cité par Estienne, 238. Bien que les 
grammairiens du temps ne soient 

Eas tout à fait d'accord, il est pro- 
able que le mot se prononçait 
comme aujourd'hui. 

16. UI, U. La diphthongue ut 
tendait aussi à se réduire, dans 
beaucoup de mots, à la voyelle 
simple M. H. Estienne dit lui-même 
dans la Precellence : Nous avons 
aussi ce mot rut, ou {comme aucuns 
prononcent) ruit 125; et ailleurs : 
on dit aujourd'hui buisart ou bu- 
sart 203. 

17. U, O. On trouve la forme 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



363 



archaïque tumber pour tomber 239, 
mais dans un vieux proverbe : cre- 
meur fait lièvres tumber. La re- 
marque ne peut donc s'appliquer à 
la langue d Eslienne. 

18. I, Y. Il n'y a pas de règle 
ûxe pour l'emploi de y. On trouve 
soit y, soit t dans les désinences 
des imparfaits et des conditionnels, 
dans les pronoms personnels mot, toiy 
etc., dans le mot aujourd'hui^ etc. 
H. Estienne écrit hyver 162; ryme 
42; rymé 50; mais atile^ stilé 112. 

19. EU. Les participes aujour- 
d'hui terminés en u conservent 
encore dans l'orthographe la diph- 
thongue eu, bien que la pronon- 
ciation, à part quelques hésitations, 
soit déjà la même qu'aujourd'hui. 
Estienne écrit congneu 2; reeeu 
180 ; deu 29 ; esmeue 4 ; forbeu 154 ; 
leu 121; meus 1%; pieu 9; sceu 
190; veu 2; etc. 11 écrit aussi la 
veue 25, et conserve au radical du 
verbe asseurer 1, sa diphthongue 
étymologique. 

30. UE. Il y a indécision dans 
la façon de noter le son eu lors- 
qu'il correspond à un o bref latin. 
Estienne écrit vueillent 14; eueur 2. 

21. 01. La diphthongue oi sub- 
siste, et subsistera jusqu'à Vol- 
taire, dans les imparfaits, dans les 
conditionnels, dans beaucoup de 
substantifs, d'adjectifs et de verbes 

3ui s'écrivent maintenant avec la 
iphthongue ai : hamois ^7 ; mon- 
naye 139 ; français 1 ; je recongnois 
12, etc. Cette diphthongue se pro- 
nonce non pas oua^ comme aujour- 
d'hui, mais ouè. Mais déjà, sons 
l'influence italienne, s'introduit la 
prononciation è pour ouè. Plusieurs 
grammairiens s'en plaignent et 
H. Estienne tout le premier. On va 
même plus loin qu'aujourd'hui, 
puisqu'on prononce /red, etret pour 
froid, étroit. 

Voyelles nasales. — 32. Beau- 
coup de mots avaient un son nasal 
qu'ils ont perdu depuis. Ainsi 
Estienne écrit ongn pour oign dans 
les mots eslongnée 65; songneux 
193; tongneusement 42; d'autres, à 
a même époque, écrivent dans les 



mêmes mots oingn. 11 écrit ongn 
pour ogn dans besongne 103. Il 
écrit angn pour agn dans gangner 
6 ; gangneur 228. 

23. La voyelle nasale on rem- 
place la diphthongue nasale oin 
dans le nom propre Jonville, pour 
Joinville 350. 

Consonnes. — G, CH, Q. 24. 
Probablement par suite d'une préoc- 
cupation étymologique, on trouve 
ch au lieu de c : eschole 112; 
chorde 137; chordé 132. 

25. H. Estienne écrit quarreaux, 

Î marrées 141, et l'emploi de ^u au 
ieu de c s'explique à la fois par 
l'étymologie et par l'ancien usage. 
Mais rien ne peut expliquer cet 
emploi de qu au lieu de c dans le 
mot chiquanerie 149. Rabelais écrit 
aussi les Chiquanous, le peuple 
Chiquanourroys. 

26. Le c disparaît devant qu, 
comme dans 1 ancienne langue, 
dans le mot aquitter 1. Pour le 
mot grec, comme pour les autres 
adjectifs terminés parc, H. Estienne 
forme le féminin en remplaçant e 
par que, greque 2, au lieu d'écouter 
que a la forme masculine, comme 
on le faisait souvent au xvi* siècle 
{turcque, publicque, etc.), et comme 
nous le faisons encore aujourd'hui 
pour le mot grecque. Cette forme 
se trouve aussi, quoique plus rare- 
ment, dans la Precellence. 

27. H. Estienne bl&me dans lu 
Precellence (48) et dans les Dialo- 
gues ceux qui assimilent le c au / 
dans le groupe et devenant tt. Il 
écrit pourtant ottroye 232, mais 
dans nn proverbe. Il écrit ailleurs 
vittuailles 356. A la page 81, il 
emploie la forme affetté, mais sans 
doute avec intention, à moins qu'il 
ne faille reconnaître là notre ancien 
verbe affeter. Dans le mot échecs, 
le c final ne se prononçant pas est 
remplacé par un /, eschels 137. 

C, se, S, Z, X. 28. H. Estienne 
écrit par un e, au lieu de ss, facent 
25; facions 25. U se conforme en 
cela à l'étymologie comme à l'an- 
cien usage. 



Digitized 



byGoogk 



364 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



'29. L'emplui de la cédille n'étant 
pas encore au»»! répandu qu'au- 
jourd'hui, il emploie Ve muet pour 
marquer devant a ou o le son de c 
doux, comme nous le faisons encore 
pour le g : nCefforceant 111 ; com- 
menceoit 240 ; prononceona 33 ; pj'o- 
nonceant 354; renonceoit 241. 

30. On trouve sç o \ se au lieu 
de s dans les différentes formes du 
verbe savoir. Il est possible qu'au 
moins à l'origine il y ait eu là 
moins une fausse réforme étymolo- 
gique qu'un essai pour bien marquer 
le son de s forte. On a relevé, dans 
des études sur la langue du xiv^siècle, 
des formes comme tristesce; ou, au 
commencement des mots : scilence, 
sceuz (solus). 

31. On trouve, au lieu de c,» entre 
une consonne et une voyelle : chanse 
35 ; tajiser 258 ; tansement 258 ; entre 
deux voyelles ss : sausse 133. Au 
moins pour le mot sauce, le c n'a 
rien d'étymologique. 

32. S entre une voyelle et une 
consonne est devenue muette depuis 
lonartemps et continue cependant à 
s'écrire : s'esbahiront 8; eschappent 
13; escoutent 5; escrits 2; espar- 
ynez 22; estrangeres 2; estât 17; 
mesnage 17 ; monstre 1 ; ostera 7 ; 
respondit 6 ; tascheray 37 ; tesmoi- 
gné 2; vistement 46, etc. Les com- 
posés viennent non pas de de mais de 
dis : descouvre 25 ; desraciner 2, etc. 
])e même il ne serait pas exact de 
faire venir élever de la forme clas- 
sique elevare, émouvoir de emovere. 
C'est la préposition ex qui sert à 
former les verbes français et c'est 
pour cela que nous avons esmeue 4; 
eslevé 6. etc., formes qui se ren- 
contrent dans les plus anciens textes. 
Dans d'autres cas, Vs ne se trouve 
dans le mot que par analogie, et 
indique que la voyelle précédente 



est longue, comme dans empesché 5. 

33. La lettre «, si souvent rem- 
placée par X, d'une façon tout à fait 
illogique, à la fin des mots, conserve 
sa place dans les substantifs c/io{« 43 ; 
pris (prix) ^3; dans la seconde 
personne tu peus 320; l'article aux 
s'écrit comme aujourd'hui; mais 
H. Estienne conserve la lettre s 
dans le pronom relatif composé 
ausquels 53. 

34. La lettre s est remplacée par; 
dans les mots hasard 11 ; magazins 
202, peut-être sous l'influence de 
l'italien azzardo, magojszino; dans 
les verbes fnzer (dans une cita- 
tion) 101; autoriser 4; particula- 
rizer 96; formaliser 115, peut-être, 
pour ces trpis derniers, par imita- 
tion des finales grecques en iC«>f 
dans le verbe pezer 4. On trouve 
aussi, exceptionnellement, et sous 
l'influence du mot italien, ^ à la 
place de ç dans le moi provensat^i. 

35. Le s, correspondant étymo- 
Ingiquement à ts se trouve comme 
signe du pluriel dans des substan- 
tifs et des participes qui cependant 
ont cessé depuis longtemps de 
s'écrire avec un t an singulier : 
qualitez 5 ; considère zl ; donnez 10; 
esparr/nez 22; jettes 20; monstres 
36, etc. 

D, T '. 36. «Dans les mots qui 
se terminent au singulier par une 
dentale, la dentale disparaît au plu- 
riel devant s. H. Estienne écrit : 
hrouillars 51 ; grans 51 ; advocas 
(citation) 125; ars 139; accens 38; 
changemens 72; contens 28, excel- 
lens 42 ; fondemens 34 ; precedens 44 ; 
parlans 112; suffisans 12, etc. 

37. H. Estienne écn\. pretieux 3; 
pronontiation 42; sans doute sous 
l'influence étymologique. 

L. 38. H. Estienne écrit che- 



i. Le t qui s'intercale aujourd'hui, dans l'écriture comme dans la prononcialion, eolre 
les voyelles finales •« -a, et les pronoms il, elle, on, k la 3*^ personne du singulier, n'e$t pas 
représenté graphiquement : 



. Pour le moins ha elle cestn^f ci. 117. 
. Si faudra- il que. 97. 



Cependant le t se prononçait même avant le temps d'Henri Estienne. (Voir Thurol, Pro- 
nonciation française, II, 242-243.) 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



365 



vreuls pour chevreuils 126. Les gram- 
mairiens nous apprennent que VI ne 
se prononçait pas dans ce mot, 
même au sinfrulier. — Dans une 
citation de Ronsard, on lit jallir 
pour jaillir 53. Encore au xvii» siècle 
on était indécis sur l'orthographe 
et la prononciation de ce mot, qui 
s'est écrit jaZir, jallir et jaillir. 

H. 39. On trouve la troisième 
personne a écrite comme aujour- 
d'hui ou bien avec A, ha, bien que 
les autres formes du verbe avoir 
soient toujours écrites sans Yh éty- 
mologique. Peut-être y a-t-il là non 
pas une influence de Tétymologie, 
mais un désir de donner au mot 
meilleure figure et de le bien dis- 
tinguer de la préposition. — On 
trouve, avec h, harquebouze 119, qui 
s'écrivait aussi sans h. L'indécision 
vient sans doute de ce que ce mot, 
venu de l'italien archibuso, rempla- 
çait notre vieux mot haquebute, qui 
venait, comme le mot italien lui- 
même, de la forme germanique 
hakenbûchse. La lettre h se trouve 
aussi, sans aucune raison, dans les 
mots Rhodomont 55; thoscane 44 ; 
Theutons 63. 

Mètatlièse. — 40. H. Estienne 
écrit prouveu pour pourvu 249. On 
trouve dans les proverbes qu'il cite 
esprevier pour épervier 203; four- 
mage pour fromage 214. Pour le 
mot pourveu notre forme actuelle 
était aussi celle de l'ancienne langue. 
C'est l'influence étymologique qui a 
momentanément rétabli prouvoir. 
Les deux formes étaient employées 
au XVI* siècle. La forme épervier est 
plus conforme à l'étymologie (anc. 
ht. allem. sparvari). Mais c'est la 
forme esprevier qui est usitée dans 
l'ancienne langue. Le mot fourmage 
est plus près de son origine, forma- 
tieum^ que la forme moderne. Les 
deux formes paraissent avoir été 
nsitées dans l'ancien français. 

II. FORMES ET SYNTAXE '. — 
SUBSTANTIFS.41.Henri Estienne 



ne fait pas la même distinction que 
nous entre aïeux et aïeuls : 

Par droit leur place doit demourer à Ca- 
pitaint et à Soldat, puisqu'ils eu sont en 
possession des le temps de nos ayeuls. 349. 

Cette distinction ne s'est établie 
que beaucoup plus tard. Massillon 
écrit encore : 

Le souvenir de leurs aïeuls devient leur 
opprobre. (Littré.) 

42. Certains mots sont, dans la 
Precellence,à'un genre autre qu'au- 
jourd'hui. Affaire, œuvre, épithète 
sont du masculin. 

Que Teroit leur langage parmi les affaires 
d'Estnt tels que ceux «le ce royaume ? 149. 

Un projet et comme un roodelle d'un 
œuvre que je délibère intituler De la pre- 
ceilence du langage Trançois. 1. 

Quand il seroit question d'honorer la 
mémoire des geiu de bien de quelque bel 
epithele. 158. 

Affaire, masculin dans l'ancienne 
langue, est des deux genres au 
XVI" siècle. Œuvre est féminin dans 
Tancienne langue, masculin ou fémi- 
nin au XVI* siècle, masculin surtout 
en parlant d'une œuvre littéraire : 
dans ce sens il est longtemps mas- 
culin. 

Je sais qu'il est indubitable 
Que, pour Tormer œuvre parrait. 
Il rendrait se donner au diable. (Vol- 
taire, dans Littré.) 

Le mot est encore masculin 
aujourd'hui dans certains cas. Le 
mot épithète n'entre dans la langue 
qu'au XVI» siècle, et il y entre 
comme mot masculin : Vau gelas 
même dit encore épithète mal placé 
(Littré). 

Doute, malvoisie, meslange, sont 
du féminin : 

Il n'y a nulle doute. US. 

Et nous arrestions à l'autre, de boire 
apraji le melon de la meilleure malvoisie 
que pouvions trouver. 216. 

L'oreille... recongnoist en chacun mot 
une meslange de ces deux. 392. 

Doute, féminin dans l'ancienne 
langrue, l'est encore dans Malherbe 
et dans Rotrou : 



1. Les citations de Malherbe, Corneille, La Fontaine, Racine, La RoeheFoucauld. Mme de 
Sévigné, La Bruyère sont empruntées en général aux éditions de la Collection des Grand» 
Eertvaint (Hachette). 



Digitized 



by Google 



366 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



Nos doutes seront éclaireies 
Et mentiront les prophéties. 
(Malherbe, dans Littré.) 

MalvoUie était féminin dans Tan- 
cienne langue et au temps d'Es- 
tienne : 

J'ay veu ce pendant qu'on s'eniretenoit «a 
bout d'une table de la beauté d'une Inpis- 
serie, ou du goust de la malvoisie, se penire 
beaucoup de beaux traicts à l'autre bout. 
(Montaigne, I, 25.) 

Meslange est des deux genres au 
XVI* siècle : 

La meslange des couleurs. (Paré, dans 
Littré.) 

ADJECTIFS. 43. On voit plus 
fréquemment qu'aujourd'hui la forme 
f/rand au féminin : grand ville 5 ; 
grand partie 17; grand voix 38; 
grand nuit 51 ; grand joye 130. Mais 
H. Eslienne emploie quelquefois 
l'apostrophe, comme nous le fai- 
sons aujourd'hui dans le mot grand' 
mèrCt ce qui montre qu'il ne songe 
pas à Tancienne similitude du mas- 
culin et du féminin dans les adjec- 
tifs de cette catégorie. 

Les formes fol^ mol, vieil se ren- 
contrent même sans que le mot 
soit suivi d'une voyelle, ou, pour le 
mot fol, même quand il est pris 
substantivement : 

Il Tant aussi qu'il ait peur d'un Toi, tes- 
moin cestuy-ci. 206. 

Combien est viril le son de ces paroles 
françoises, et combien est mol celui des 
italiennes & comparaison. 64. 

Nous le voyons estre de nostre plus vieil 
langage. 177, 

On trouve même la lettre l au 
pluriel, les fols. 

Plusieurs choses qui sont à considérer en 
la nature des fols. 205. 

Fol au lieu de fou s'emploie 
encore au xvii« siècle, et Bossuet 
dit même fols, au pluriel : 

Meilleur est l'enfant pauvre et sage que le 

roi vieux et fol. (Pascal, dans Littré.) 

O soin inutile 1 diront les fols amateurs du 

siècle. (Bossuet, dans Littré.) 

Il est vrai que dans cet exemple 
Bossuet a peut-être voulu distinguer 
l'adjectif du substantif. — Corneille 
emploie encore mol comme au 
xvi" siècle, et vieil se trouve cou- 



ramment devant une consonne au 
XVII" siècle : 



L'outrage que m'eût fait ce mol e 
tement. (Corneille, dans Littré.) 

César était trop vieil, ce me semble, pour 
s'aller amuser à conquérir le monde. (Pascal, 
dans Littré.) 

44. Certains adjectifs : efficaecpre- 
cèdent, semblable sont employés 
substantivement. On peut y joindre 
le pronom mesme : 

Combien plus de vertu et d'efficace. 4. 

Ne lisons-nous pas de Chilperic qu'il fit 
le mesme (la même chose) en la sienne. 8. 

Bt me suffira d'avoir rendu ici raison de 
cela, tant pour le précèdent (ce qui précède) 
que pour ce qui suit. 308. 

Nous devons faire le semblable es paroles 
prises du latin ou du grec. 177. 

Jusques à tant qu'on ait trouvé moyen de 
rendre possible un tel impossible. 71. 

Le même usage se retrouve au 
xvn* siècle. 

On n'ignore pas qu'une louange en grec 
est d'une merveilleuse efiScaee à la tesle 
d'un livre. (Molière, dans Littré.) 

On trouve encore au xvii» siècle 
le même signifiant la même chose : 

C'est quasi le même de converser avec 
ceux des autres siècles que de voyager. 
(Descartes, dans Haase.) 

45. Certains adjectifs se construi- 
sent autrement qu'aujourd'hui. Es- 
tienne écrit différent à 13; propre 
pour 19. Le xvi« siècle a dit non 
seulement différent à, mais aussi 
différer à quelqu'un, et quant à 
l'expression propre pour, on la 
trouve encore beaucoup plus lard : 

Ambroise lui répondit que lui... n'éuit 
pas propre pour être l'entremetteur de 1 ab- 
solution. (Fléchier, dans Haase.) 

46. L'adjectif précède assez sou- 
vent le subsUntif dans des cas où 
nous avons l'habitude de le mettre 
après, notamment quand il est loi- 
même déterminé par un autre mot 
ou quand, au lieu d'un adjectif, il y 
en a deux coordonnés : Eslienne 
dit : l'obstiné Grec 32; leur natu- 
relle terminaison 46; les plus en- 
durcis courages 3 ; leur plus fonda- 
mentale proposition 47 ; le plus poh 
langage français 73 ; la plus blanche 
femme 89 ; une vraiement royale affec- 
tion 6 ; mon nayf et comme naturel 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS ORAMMATICALES. 



367 



langage italien ^i ; plusieurs beaux 
et fort significatifs vocables iw. 
Cette liberté de construction est 
devenue plus rare au.xvii» siècle, 
mais on l'y retrouve encore très 
nette : 

Dieu le» laisse aux diables, ses capitaux 
ennemis. (Bossuet, dans Haase.) 

C'est assurément la plus belle, la plus 
surprenante et la plus enchantée fonvwvlè 
qui se puisse imaginer. (Sévigné, iv, ^i.) 

47. On trouve coordonnés pour 
déterminer un substantif des moU 
de différentes natures : 

11 y-a une tertu occulte en ses paroles, 
accompagnées de la majesté tant de 1 élo- 
quence que de la royale. 5 . 

48. H. Estienne emploie le positif 
d'un adjectif avec la valeur dun 
véritable superlatif : 

C'est un des gentils emprunts que nostre 
langage ait faict de messieurs les veneurs. 
123. 

49. Deux adjectifs au superlatif 
éUnt coordonnés, il ne met le plm 
que devant le premier : la plus belle 
et gentile. 

ARTICLE. 50. La vieille forme es 
se rencontre à chaque instant dans 
la Precellence : es mains 6; es pays 
13; es proverbes^', es tnots 46; e« 
terminaisons 69. Elle est en effet 
constamment employée jusqu a la un 
du xvi« siècle, mais Malherbe en 
restreint l'usage et Vaugelas la 
condamne. (Voir Brunot, Thèse, 
p. 480.) 

51. L'absence de l'article défini 
est encore bien fréquente : que nous 
facions paix fô; tous autres 76; a 
despourveu 37, etc. Encore au 
XVII» siècle il s'en faut de beaucouj) 
que l'omission de l'article soit aussi 
rare qu'aujourd'hui : La confiance 
des grands ne vient le plus souvent 
que de vatiité. (La Rochefoucaud, 

* *' Ce charme inexprimable 

Oui rend le dieu de? vers sur tous autres 

[aimable. (La Fontaine, dans Haase.) 

52. L'article est au contraire 
exprimé dans Charles le Quint 31 ; 
le Pétrarque 47; trouver le moyen 
190. En disant le Pétrarque on sui- 



vait la coutume italienne. On a eu 
le tort d'étendre cet nsage à des 
prénoms, à des noms français, et 
même, pendant quelc^ue temps, a des 
noms grecs et romains. 

53. L'article indéfini manque plus 
souvent encore que l'article défini» 
surtout devant les adjectifs indé- 
finis : même langage A-, autre raison 
11; telle façon 45, etc. De même 
encore au xvii» siècle : Il y a telle 
liaison (Descartes, dans Haase); 
Auriez-vous autre pensée en tête 
(Molière, Tart. I, v.). Mais le même 
fait se produit bien souvent aussi 
avec des substantifs. 

54. L'article partitif manque sou- 
vent aussi, soit au singulier soit au 
pluriel : 

Font trouver diversité. 69. 
Trouve moyens nouveaux 5. • 

En grandes entreprises 11. 
Si c^estoient mots d'évangile 16. 
A tels changements 18, etc. 

On trouve aussi devant l'adjectif 
qui précède le substantif des au 
lieu de de que nous mettrions 
aujourd'hui : des exeellens verbes 
153. Les grammairiens du xvii* siè- 
cle, et Malherbe le premier, ren- 
dent l'usage du partitil obligatoire 
dans beaucoup de cas ou on 
l'omettait au xvi« siècle, et inter- 
disent l'emploi de des devant un 
adjectif précédant un substantif, 
(viir Brunot, thèse, p. 342 et sui- 
vantes.) 

55. L'article défini ou indéfini 
manque souvent devant le second 
de deux subsUntifs coordonnés : 

La liberté ou plu» tost licence.71. 

La monstre et eschantUlon. an. 

Une gravité et autorité, *. etc. 

NOMS DE NOMBRE. 56. Henri 
Estienne dit, en employant le 
nombre ordinal là où nous em- 
ployons le nombre cardinal iBenn 
second 31; Marcel second, di. 
C'est l'habitude de tous les écri- 
vains du XVI» siècle, et cette habi- 
tude se maintient au xvii«. 

PRONOMS. — Pronoma per- 
sonnels. 57. Le pronom personnel 



Digitized 



by Google 



368 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



sujet est souTent omis au xvi* siè- 
cle, comme dans Tancienne lan- 
gue : 

\roire puis et doi adjoQster..., 17. [29 

Et adjousteray que mon intention n'est pas.... 
Nous escrivons autrement que ne pronoo- 
[ceons. 33 
Et quelquesfois luy en donnent aussi une 
[autre. 179, etc. 

Le :sujet est omis en particulier 
dans l'expression y a, pour il y a 
11. On trouve quelquefois, quand 
le pronom sujet est omis, le pro- 
nom moy^ etc., qui est en réalité 
en apposition au sujet sous-en- 
tendu : 

Et moy l'avois tradniet. 50. 
Moy mesme suis contraint. 164. 

Encore au xvii» siècle : 

II est de retour et crois que celte brouil- 
lerie est apaisée. (Malherbe, III, 482.) 

^oi qui écris ceci ai peut être celte 
envie. (Pascal, dans Haase.) 

58. Ellipse du pronom régime 
direct : 

Si je n'en ay telle issue que j'ay non 
seulement désiré mais aussi espéré. 11. 

Si la gemilesse du langage doit estre 
mesurée (comme il est certain qu'elle doit) 
par le contentement et la délectation de 
l'oreille délicate. 66. 

Cette ellipse est encore fré- 
quente au XVII" siècle. 

59. Ellipse de en : 

Il n'a point esté Taict & l'imitation des 
Latins (veu qu'ils n'ont aucun qui signifie 
ceci). 194. ^ ^ 

Encore au xvii* siècle : 

Tous d'une commune voix tous nommè- 
rent, et il n'v eut pas un seul qui vous 
reftisit ses suffrages. (La Bruyère, I, 36-37, 
ror.) 

60. Le pronom personnel sujet 
se trouve employé d'une façon 
pléonastique : 

Ceux qui s'esbahiront... ils monstroront 
bien ne sçavoir pas... 7. 

Qui douleroit si accompagner est nostre, 
il devroit aussi douter si compagnon nous 
appartient. 29Ï. 

Cette dernière construction se 
trouve notamment dans des pro- 
verbes cités par Estienne. Les 
deux tournures sont encore em- 
ployées au xvii« siècle : 



Ceux qui les regardent des yenx corpo- 
rels, ils n'y voient rien que de bas. (Bos- 
suet, dans Haase.) 

Qui interroge, il cherche ; qui cherche, il 
ignore (td. th.), 

61. H. Estienne emploie le pro- 
nom personnel régime indirect 
dans le sens du datif dit datif d*in- 
térêt : 

De ces mots estrangers ne m'usex à tonte 
heure. 26. 

Cette construction, qui s'est res- 
treinte, n'a pas encore aujourd'hui 
cessé d'être usitée. 

63. Estienne emploie le pronom 
personnel se rapportant à un sub- 
stantif indéterminé : 

EI.«tans ces deux poiacls hors de contro- 
verse, l'un que Dieu vous a doué d'élo- 
quence, l'autre qu'elle est d'autant plus 
profitable et bienséante à un roy... 6. 

Le même fait se produit encore 
au xvii* siècle. 

[sois ? 

Seigneur, si j'ai raison, qu'importe à qai je 

Perd-elle de son prix pour emprunter ma 

[voix? (Corneille, Nicomede, 190.) 

63. // s'emploie assez souvent au 
neutre avec le sens de ce, cela : 

Au lien que cela qui sortiroit de la bou- 
che d'un autre ne seroit tenu encore que 
pour dict. on le se représente comme de^a 
faicl aussilost qu'il part de celle du roy. 5. 

Il est raisonnable que nous facions estât 
de ce qui importe à la republique, comme 
s'il importoità nos affaires domestiques. 115. 

Cela est dict ici métaphoriquement et 
d'autant ha-il meilleure grâce. 339. 

Encore au xvii« siècle : 
Voilà qui est bien aisé à dire, je voadrois 

au'il le fût encore plus à faire. (Sériené. 
[, 241.) V 5 , 

Un dernier jonr détruit tout comme si 
jamais il n'avait été. (Bossnet, dans Haase.) 

64. Le pronom il se trouve 
déterminé par une proposition 
relative, mais seulement dans des 
proverbes cités par Estienne. 

Il est riche que Dieu aime. 210. 

Il est avsre à qui Dieu ne suffit. 211. 

Qui sert Dieu, il ha bon maistre. 211. 

Cette construction était d'ailleurs 
assez fréquente au xvi® siècle ; elle 
n'est pas sans exemple même 
au xvii«. 

Il est bien loin de là qui s'emporte dans 
les nues. (Bnliac, dans Uaase.) 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



369 



65. C'est aussi dans un proverbe 
que l'on trouve la forme tonique 
du réfléchi employée au lieu de la 
forme atone : En soy. moquant dit- 
on bien vray. 933. Mais cet emploi 
du refléchi tonique était assez fré- 
quent devant le participe et l'in- 
ûnitif, plus rare devant un mode 
personnel. Au xvii* siècle, le fait 
ne se présente plus, et c'est un 
archaïsme que nous trouvons dans 
La Fontaine : 

Tant ne songeaient au service divin 
Qn'à soi montrer es parloirs aguimpées 
Bien blancbement. (IV, 488.) 

66. H. Eslienne emploie, très 
logiquement, le réfléchi là où nous 
employons le pronom personnel : 

Il a usé d'une langue qui est grave de 
soT-mesme. 55. 

Nous advertissant de choisir toujours un 
tel médecin plustost au'un autre : j'enten 
qui ha ce bon heur de se sçavoir guérir 
soymesme. 218. 

Encore au xvii» siècle : 

Alexandre les traînant après soi perdrait 
une partie de ses avantages. (Vaugelas, 
dans Haase.) 

Arrivé etaex soi, il raconte son aventure à 
ses amis. (La Bruyère, II, 15.) 

67. L'ordre des pronoms régimes 
devant le verbe n'était pas rigou- 
reux comme aujourd'hui. Il était à 

S eu près indifférent de mettre 
'abord le régime direct ou le 
régime indirect : 

On le se représente comme desja faict. 6. 

Encore au xvii» siècle : 

Je les TOUS donne avee plaisir. 

(Baixae, dans Haase.) 
On le m'a dit, mademoiselle. (Voiture, ib.) 

68. Le pronom personnel régime 
d'un infinitif qui dépend d'un autre 
verbe se place d'ordinaire avant le 
premier verbe au lieu de se placer 
comme aujourd'hui devant l'infi- 
nitif : 

Combien plus grand le doit avoir reluy 
[d'un roy. 5. 

Ne se faut esmerveiller. 5. 

Tel que sa pieté et ses bienfaicts luy puis- 
sent donner h. 

Ceux qui me viendront contrôler. 32. 

Et ne me voudra imputer ceste hardiesse a 
présomption. 2. 



Cette construction est encore la 
plus usitée au xvii* siècle. 

Vous m'aimeries, madame, en me voulant 

[haïr. (Racine, Andromaque, 544.) 

Contre tant d'ennemis qui vous pourra de- 

[fendre. {Iphigénie, 1622.) 

C'est leur en dire assex, le reste il le faut 

[taire. {Ibid. 157.) 

Ce même Burrhus qui nous vient écouter. 

(BrUanniout, 1298.) 

Possessifs. 69. Le pronom pos- 
sessif mt>n, etc., se trouve employé 
comme attribut dans des cas où 
nous employons plutôt la tournure 
analytique à moi^ etc. : 

Dont les unes seront miennes. 48. 
Car ceste proposition est sienne. 151. 

Cette construction tend assez vite 
à disparaître. On en trouve encore 
des exemples au xvii" siècle : 

Tout ce qui est bien dit, de quelque part 

qu il vienne, je fais estât qu'il est mien. 

(Malberbe, U.323.) 

70. Le même pronom, joint à l'ar- 
ticle indéfini ou au démonstratif,, 
s'emploie pour déterminer un nom, 
en jouant auprès de ce nom le rôle 
d'épi thè te : 

D'autant mels-je ce mien livre en plus- 
grand danger. 9. 

A cause du titre qu'il me donne en un 
sien livre. 19. 

Belleau a usé de cette translation en c» 
passage d'une sienne comédie. 128. 

Cette tournure, très fréquente au 
xvi« siècle, est un peu archaïque 
au xvii«. Dans la seconde moitié, 
elle n'est usuelle que chez La Fon- 
taine : 

Le capitaine avait fait dessein de la don- 
ner en garde à une sienne sœur. (Voiture, 
dans Haase.) 
Et d'abord, vous prenant pour ce mien 
[camarade. 
Mes sens d'aise aveuglés ont fait cette 
[escapade. (Corneille, Clitandr$, 594.) 

71. H. Estienne ne juge pas néces- 
saire de répéter le possessif devant 
le second de deux substantifs coor- 
donnés : le possessif peut ou bien 
s'accorder avec les deux, ou bien ne 
s'accorder qu'avec le premier. Le- 
pluriel s'emploie quand le possessif 
s'applique à deux individus ou à 
deux objets bien nettement distincts 
l'un de l'autre : 

21. 



Digitized 



by Google 



370 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



Ceux qui auront veu les escriis de mes 
pere et onele. 2. . » 

Doublement obligé à sa bonté et beneB- 
cence. 3. 

Son embellissement et enrieliissement. 17. 

La répétition da possessif devient 
obligatoire au xvii* siècle. Cepen- 
dant on trouve encore des phrases 
comme celle-t?i : 

M. de Trévaly me répond tous les jours 
de votre capacité et fidélité. 

^ (Sévigné, VIII, 41.) 

7:2. On trouve dan» Eslienne le 
pronom posse'ssif déterminant un 
nom et coordonné avec un déter- 
minant d'une autre nature : 

Les ambassadeurs tant vostree que de vos 
prédécesseurs. 2. 

Démonstratifs. 73. Le mot cil ne 
se rencontre que dans un proverbe 
■cité par Estienne : Cil est bien gardé 
qui de Dieu est gardé. 210. Le mot 
-cil était déjà à peu près hors d'usage 
dans la première moitié du xvi* siècle. 
Malherbe le condamne déûnilive- 
anent : « Le mot cil ne vaut du tout 
rien, il est hors d'usage : on doit 
dire celui. » (Brunot, Thèse, p. 393.) 

74. Le pronom iceluy sous ses 
diverses formes est extrêmement 
fréquent dans la Précellence : 

En attendant que l'œuvre qui sera faiet 
sur iceluy les en rende entièrement reso- 
Jus. 7. 

Or me sen-je infiniment heureux, Sire, 
que l'édition de ce livre ait reste bonne 
rencontre, de se trouver soubs le règne de 
rostre Majesté : pource que l'éloquence 
•d'icelie luv sera un très honorable tesmoi- 
gnage de la louange qu'il donne à no^tre 
langue.... 3. 

Quand j'auray prodnict ces passages des 
poètes latins avec les traductions d'iceux. 
%%. 

J'espère qu'estans bien considérées, je 
gangneray ma cause devant tous ceux, l'obs- 
tination desquels ne combatera point contre 
ieelles. 32. 

Ces mots si commodes disparais- 
sent au XVII* siècle, après avoir été 
employés continuellement par tous 
les écrivains de l'époque précé- 
dente. On ne les trouve plus qu'excep- 
tionnellement chez Malherbe : 

Il 7 avoit pour drap de pied un taois 
velu, et dessus un escabeau, et sur icelui 
.un bassin vermeil. (Ed. Lalanne, III, 334.) 

Vau gelas les condamne définiti- 



vement, en déclarant que ce sont 
les plus mauvais mots et les plus 
barbares de la langue. (Edition 
Chnssang, II, 418). 

75. Estienne emploie le pronom 
cestny accompagné des particules 
ci et là. 

Cestuy-ci.nommé Brunetto Latino, a laissé 
un livre composé en langage françois. 16, 

Je ne trouvay autre expédient que de per- 
suader à toute l'assemblée aue cestuy-la 
s'abusoit grandement en ce qu il me prenoit 
pour un François. 31. 

Les contemporains d'Estienne, 
comme ses prédécesseurs, em- 
ployaient couramment cestuy. Mai» 
Malherbe (Brunot, Thèse, 394) sou- 
ligne le mot dans cette expression 
de Desportea : cestuy qui se plaint. 
Lui-même n'emploie que cettui-ci^ 
avec la particule. Et, en 1647, Vau- 
gelas écrit : « Cettui-cy commence 
à n'estre plus guère en usage. » 

76. Le mot ce est plus librement 
qu'aujourd'hui employé comme pro- 
nom : 

Et luy ayant promis de ce faire. 11. 

Encore au xvii* siècle. 

Un jour qu'il faisoit la dépense de quel- 
ques jeux et qu'& ce Taire il esloit secouru 
par la contribution de ses amis. (Malherbe, 
II, 36.) 

77. On trouve dans Estienne le 
mot celle employé comme adjectif, 
dans une citation, il est vrai, mais 
lui-même le répète en expliquant 
la phrase citée : 

Nous trouvons ce mot en quelques ro- 
mans, et nommément en celuy de Percefo- 
re»t. Ile s'en partirent de celle brigade 
c'est-à-dire de celle compagnie. 268. 

Dans la seconde moitié du 
xvi* siècle, l'emploi de celuy^ celle^ 
comme adjectifs, n'est plus atissi 
fréquent que dans la première. 
Cependant, à en croire Nicot (1606), 
cet emploi du mot aurait toujours 
été habituel : « Coluy. C'est un 
pronom démonstratif. Voilà celuy 
frère dont je vous avoys parlé. » 
Mais le mot n'est plus ainsi em- 
ployé, à cette époque, qu'excep- 
tionnellement. 

78. Ceste, accompagné des parti- 
cules ci et là^ est employé comme 
pronom : 



Digitized 



byGoogk 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



371 



Ceux qui s'esbabiront que vostre Majesté 
nrenne aussi plaisir à ouir debatre cesle-ci. « 

Si ceste-là est belle, eesle-ci encore davan- 
tage. 137. 

Cet emploi, très fréquent au 
xvi« siècle, se rencontre encore au 
commencement du xvii" : 

Enceste-ci je ne trouve pas qu'il y ait 
moyen de le défendre. (Malherbe, II, 34.) 

79. Cela se trouve employé 
pour ce : 

Cela qui sortiroit de la bouche d'un autre 
ne seroit tenu encore que pour dict. 5. 

Cet emploi de cela était assez fré- 
quent. Malherbe le blâme chez 
Desporles : « Cela ne se dit point 
devant que; mais ce. » (Brunot, 
Thèse, p. 394.) 

80. Ce a la valeur de cela ou ce 
fait dans l'expression ce que : 

Je leur feray confesser que ce qu'ils cou- 
pent ainsi la queue à ce» mots Hait grande- 
ment contre eux. 43. 

Car ce qu'il change les terminaisons des 
mots latins plus que le leur, on ne peut 
dire que ce soit une telle dépravation. 79. 

Cet emploi de ce était fréquent 
au xvi« siècle, mais le sens du mot 
est toujours allé s'affaiblissant. 

81. L'ellipse de ce est fréquente 
soit devant le pronom relatif, soit 
devant le pronom interrogatif : 

(Ce) qui est une chose semblable & celle 
qn on a dicte de Xenopbon. 13. 

(Ce) qui est pareillement donner au lan- 
gage italien la terminaison françoise. 83. 

Quand on s'esmerveilloit qu'il instruisoit 
si bien ses disciples à plaider les causes, à 
quoy lui-mesme n'estoil pas propre. 29. 

Voyci qu'il dit. i. 

On peut considérer que la même 
«llipse existe lorsqu'il emploie de 
quoy au lieu de ce dont : 

Nous avons nos langues plus à délivre que 
les leurs pour prononcer les mots grecs et 
latins que nous empruntons, sans les dépra- 
ver comme enz, de quoy j'ay amené bean- 
coap d'exemples. 18. 

Cette ellipse, très fréquente pen- 
dant le XVI* siècle comme pendant 
les siècles précédents, se rencontre 
encore assez souvent au xvii* : 

A «e dernier couplet, il parle à elle en 
tierce personne, qui ne me plaît pas. (Mal- 
herbe, IV. 277.) 



Ceux qui avaient charge de le faire mourir 
lui coupèrent la gorge, dont le roi se repen- 
tit après. (Vauçelas, dans Haase.) 
Vous savez bien par votre expérience 
Que c'est d'aimer. (La Fontaine, V, 173.) 

82. Le pronom celui manque assez 
souvent au xvi* siècle quand il 
devrait représenter, devant un com- 
plément déterminatif, un nom pré- 
cédemment exprimé : 

Quant à coupelle, puisqu'il vient de 
cupella, l'origine est plus aisée à recon- 
gnoislre que des deux autres. 145. 

Cette ellipse est fréquente au 
XVII* siècle aussi : 

Nostre amour propre souffre plus impa- 
tiemment la condamnation de nos goûts que 
de nos opinions. (La Rochefoucauld, I, 35.) 

83. Estienne emploie la locution 
comme celui qui^ comme celle qui : 

Je confesse par cela priser autant la leur 
que je mesprise l'espagncle, comme celle 
qui n osera comparoir en champ de bataille. 
23. 

Cette locution, employée déjà 
dans Tancienne langue, semble bien 
plus fréquente dans la seconde 
moitié du xvi* siècle que dans la 
première. Elle est à chaque instant 
employée par Amyot. Au xvii» siècle, 
elle sort insensiblement de l'usage. 
Elle est employée de temps en 
temps, par exemple par Vaugelas : 

Les peuples venaient à l'envi le flatter, 
comme celni qui devait être leur m^tre. 
(Cité dans Haaee.) 

Pronoms relatifs et interrogatifs. 

— 84. Les mots lequel^ laquelle, etc., 
s'emploient très souvent comme 
adjectifs relatifs, surtout au com- 
mencement d'une phrase, pour la 
relier à la précédente : 

On voit par mon discours qu'il ne se 
peut aucunement égaler à luy. Lequel dis- 
cours ne sera trouvé que trop long par 
celuy d'entre eux qni voudra y respondre. 
21. 

Je m'efforceray de rendre contens ceux qui 
mettront en avant, que ce beau subject 
meritoit bien d'estre traitté par un person- 
nage bien doué de l'eloanence françoise : 
auquel don je ne puis dire avoir aucune 
part. 28. 

Sur lequel dernier vers est rymé le sub- 
séquent. 50. 

Il semble, en surmontant Arioste, quant 
et quant combatre Virgile. Lequel combat 
il ne faut estimer petit. 55. 



Digitized 



by Google 



372 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



Ils peuvent ettre eonvaineas Uot par le 
primitif gars que par le feminio garse : les- 
quels deux Dostre langage a touIu se 
reserrer. 273, 

Cette coDstruotioQ permet de 
donner plus de clarté à la phrase. 
C'est pour cela qu'elle est très sou- 
vent employée au xvi* siècle, surtout 
phr Calvin. Au xvii* siècle, elle n*est 
plus guère employée qu'avec les 
mots généraux comme chose, temps, 
etc. 

85. Le pronom lequel, qui, depuis 
le XIV" siècle, est devenu de plus en 
plus fréquent, s'emploie au lieu du 
relatif qui, que, dont, etc., même 
quand il suit immédiatement l'an- 
técédent, c'est-à dire quand l'emploi 
des autres formes ne pourrait donner 
lieu à l'équivoque : 

Celny qui use de diseretion regarde de ne 
doDuer point & ceux lesquels se rendent 
indignes par leur ingratitude. 331. 

Le langage est «omme l'instroment duquel 
ils usent. 10. 

Ces monosyllabes tombent souvent en 
une ambiguïté, laquelle peut avoir fort mau- 
vaise grâce. 82. 

Lequel est souvent encore em- 
ployé ainsi au xvii* siècle : 

Je ne me suis point repenti de cette entre- 
prise, laquelle eu cette saison a semblé 
téméraire à tout le monde. (Voiture, dans 
Haase. ) 

Ce me sera un autre trésor plus précieux 
que celui lequel nous avons trouvé. (La Fon- 
taine, dans Haase.) 

Mais Vaugelas trouve que ce pro- 
nom est rude au nominatif singulier 
et pluriel, et qu'on doit plutôt se 
servir de qui. Malgré les quelques 
exemples qu'on rencontre encore 
après lui, il est certain que cet 
emploi de lequel est tout à fait en 
décadence. 

86. Au lieu de dont, de qui, placés 
comme aujourd'hui après leur anté- 
cédent et avant le mot qu'ils déter- 
minent, on trouve souvent, au 
xvie siècle duquel, de laquelle, etc., 
placés après ce mot déterminé : 

Je la prieray vouloir estre spectatrice du 
combat, l'issue duquel Iny pourra donner 
quelque bon avis. 30. 

Je me contente d'une harangue que noue 
lisons en Taeitus, sons le nom d'un nommé 
Cerealis, l'argument de laquelle est tel. 57. 

Cette construction, qui pouvait 



quelquefois être trèi* commode, 
tend naturellement à disparaître en 
même temps que se restreint par- 
tout l'emploi de lequel. On la trouve 
encore pourtant au xvii* siècle : 

Ce Jean Lelelier a eu cinq héritiers, deux 
desquels ont rendu leurs parts. (Corneille, 
X,i|3t.) *^ 

Il faut remarquer que, dans cet 
exemple, desquels n'estpas un génitif 
possessif mais un génitif partitif. 

87. On trouve le pronom relatif, 
comme le pronom personnel, se 
rapportant à un nom qui n'est pas 
déterminé : 

Ils ne sont pas en débat tondumt l'ortho- 
^raphie seulement (lequel ils nom 
royent aussi objecter, encore qu'aqjot 



graphie seulement (lequel ils nons pour- 
royent aussi objecter, encore qu'aqionrd" 
il ne soit pas tant eschauffé. 18.) 



buy 



88. Comme en latin, le relatif 
placé dans une proposition subor- 
donnée la rattache d'une part à la 
proposition qui précède, et dans 
laquelle se trouve son antécédent, 
d'autre part à une proposition prin- 
cipale qui suit : 

On y trouve des commodités beancoop 
plus grandes. Ausouelles si j'ay pris gard» 
de plus près que plusieurs de ceux mesme- 
meut qui font profession de l'éloquence, je 

Suis venir à ce discours mieux garni qu'eux 
es pièces pour le moins qui concerneot oe 
poinet. 29. 

En luy donnant toutesfois six jours de 
termes pour s'en résoudre. Pendant lesquels 
si leur venoit nouvelle aide et secours, nous 
leur octroyons de gayelé de cueur que la 
présente composition soit nulle. 359. 

On me demandera maintenant si nous Be 
pouvons pas user de ces mots pour le 
moins, lesquels encore qu'on puisse penser 
esire tirez du langage italien, an contraire 
luv les a pris du nostre. 269. 

Les Grecs nous ont fait ce plaisir de nous 

S rester une petite particule, laquelle mettans 
evant les adverbes, aussi bien que devant 
les noms, exprimons ceste superlation. 88. 

Laquelle richesse estant oe diverses sor- 
tes, je sçay bien que... 253. 

Cette construction, imitée du la- 
tin, est fréquente au xvi« siècle, et 
n'a pas tout à fait disparu au xvn<*. 
On la trouve surtout avec les pro- 
positions commençant par si. 

N*avez-vou8 ressenti souvent certaines 
volontés fortes, desquelles si vous suiviez 
l'instinct généreux, nen ne vous serait im- 
possible? (Bossnet, dans Haase.) 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



373 



89. Quand le pronom relatif doit 
précéder deux verbes, et ne pas être 
au même cas devant les deux, il 
arrive cependant que le pronom soit 
sous-entendu devant le second 
verbe : 

Poiycrates s'advisa eo la findejetteren 
a mer une emeraude, laquelle il portoit au 
doigt, et luy servoit de cachet. 2^0. 

Desportes use de la même liberté : 

Celle qu'il changea d'ourse en luisante 
[planetle 

Et sert aux mariniers de guide eu leur 
[chemin. 

Mais Malherbe blâme cette cons- 
truction ; « Où est le nominatif à 
qui doit se rapprocher serfi (Bru- 
not, Thèse, p. 400.) 

90. Proposition relative coor- 
donnée avec un adjectif : 

Les plus courtes et qui sont le plus tost 
prononcées sentent mieux leur gravité en 
quelques endroits. 43. 

Mais estimoit que c'estojent les plus 
beaux et qui avoyent meilleure grâce. 87. 

Quand on dit d'un petit gentilhomme et 
qui ha bien peu de moyen, c'est un hobreau. 
127. 

De pareilles constructions ne sont 

{)as rares, même au xvii" siècle. On 
es rencontre surtout avec l'adjectif 
attribut : 

J'étois pauvre, misérable, chassé de mon 

Kys, et qui ne sa vois ou m'adresser. (Mal- 
rbe, II, 243.) 

C'étolt un prélat beaucoup plus instruit 
des affaires de la cour que des matières 
ecclésiastiques, mais au fund très bon 
homme, fort ami de la paix, et qui eût bien 
voulu, en contentant les jésuites, ne point 
s'attirer les défenseurs de Jansénins sur 
les bras. (Racine, IV, 544.) 

91. On trouve encore, comme 
dans l'ancienne langue, le relatif 
séparé par un ou plusieurs mots 
de l'antécédent : 

Prit la ville par mesme moyen, que les 
soldats eussent bien voulu ruiner. 5i. 

On n'appelle pas un homme riche qui 
n'ha que ce qui luy est nécessaire 105. 

Certains mots de quelques dialectes nous 

Îieuvent sembler estranges, lesquels toutes- 
bis il ne seroit pas incroyable avoir esté du 
vieil fï-ançois. 176. 

Malherbe blâme chez Desportes 
des constructions de ce genre, sur- 
tout quand un verbe est interposé. 



Il se les permet pourtant en prose, 
mais jamais en vers après 1609. 
(V. Brunot. Thèse, p. 401.) 

Vau gelas pense qu'un verbe no 
doit pas s'interposer, mais que « les 
génitifs interposés ne nuisent point ». 
Malgré Malherbe et malgré Vau- 
gelas, la construction continue à 
être employée même par les écri- 
vains les plus corrects, par Racine, 
par exemple : 

Le chemin est court qui mène jusqu'à lui. 
(ni, 664.) 

Le jour de Dieu viendra qui découvrira 
bien des choses. (IV, 516.) 

92. On trouve juxtaposées deux 
propositions dont la première est 
relative, tandis que, dans la seconde, 
le relatif est remplacé par un pro- 
nom personnel : 

Touchant plusieurs vocables, que les uns 
disent estre de mise, les autre» ne les veu- 
lent non plue recevoir que fausse monuoye. 

Or ce ne sera point sans parler de la pro- 
nonciation : de laquelle je remonstreray 
qu'ils ne s'acquittent pas si bien que nous, 
aius qu'ils la rendent comme efféminée en 
certaines paroles. 48. 

Encore au xvii« siècle : 

C'est une herbe que Mercure arracha de 

la terre, et en montra la nature à Ulysse. 

(Racine, dans Uaase.) 

On peut rapprocher de cette 
construction la suivante, qui con- 
siste à remplacer par un adverbe le 
relatif précédé d'une préposition : 

Il y a aussi des vocables devant lesquels 
ils ne mettent pas ceste lettre i, mais i'mse- 
rent dedans. 77. 

93. Qui sans antécédent, sujet 
d'un verbe à la 3« personne du sm- 
gulierj a souvent encore le sens de 
si l'on : 

Et qui la veut trouver, il faut s'adresser 
à certains dialectes. 250. 

Malherbe emploie très couram- 
ment cette construction, qui daiU 
leurs subsiste longtemps après lut : 

Ce n'est rien aujourd'hui de prendre du 
parfum, qui ne le renouvelle deux ou trois 
fois le jour, de peur que l'air ne le rasa» 
évanouir. (Malherbe, II. 671.) 

Qui m'auroit fait voir tout d'une vue tout 
ce que j'ai souffert, je n'anrois jamai» cru y 
résister. (Sévigné; IV, 39.) 



Digitized 



byGoogk 



374 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



94. H. Estienne emploie qui 
interrogatif au lieu de quel : 

NoD plas, eertaineiDdiit qu'on demande- 
roit qui est la première, la mère on la fille. 
17. 

Qui est encore employé ainsi au 
xvn* siècle, el même pour des 
noms de ckiosen. 

Ne m'iaformerai-je point qui sont les 
principes des choses. (Blalberbe, II, 507.) 

Adjectifs-pronoms indéfinis. — 

95. U. Estienne simplifie l'ortho- 
graphe, du mot quelqu'un^ qu'il 
.écrit quelcun^ comme aucun^ cha- 
cun : quelcun de ces fatneux et heu- 
reux advocat». 11. 

96. Quelque^ remplissant acciden- 
tellement devant 1 adjectif le rôle 
d'adverbo, dans les expressions 
«omme quelque grand que^ n'est pas 
invariable mais prend la marque 
du pluriel, dans cette phrase de 
Biaise de Vigeoère, citée par Es- 
tienne : 

Quelques enrermex que tous estes, jouis- 
sez neantmoins des bons princes aussi bien 
•que nous. 63. 

Encore au xvu* siècle, la règle 
que nous suivons aujourd'hui n'est 
pas observée : 

Quelques puissants qu'ils soient, je n'en 
[ai point d'alarmes. (Ck>meille, II, 385.) 

On ne sait pas la distance d'une étoile 
d'avec une autre étoile, quelques voisines 
•qu'elles nous paraissent. (La Bruyère, II, 
ie*.) 

97. Dans l'expression quelque 
chose, les mots ne sont pas encore 
soudés pour former un mot com- 
posé neutre : 

Encore faut-il adjouster quelque chose 
qu'escrit le mesme auteur, laquelle s'accorde 
«vec ceste façon de distinguer un peuple. 
173. 

De même l'orthographe de quel- 
4juesfois indique que nous n'avons 
pas là un adverbe, mais un adjeclit* 
indéûni qualifiant un substantif; il 
en est de même pour toutes fois : 

Si elle peut ouelquesfois donner si bien 
le fil aux paroles qu'elle les rend pins 
Irencbantes que l'espee. 3. 

Et toutesfois je proteste que je ne 
4 'eusse point demandée. 14. 



Le mot chose, dans quelque chose, 
conserve encore son genre îéminin 
au XVII* siècle : 

Cela n'est-il pas merveilleux que j'aie 
quelque chose dans la tête qui pense cent 
choses différentes en nn moment et fait de 
mon corps tout ce qu'elle vent? (Molière, 
Don Juan, III, l) 

98. Chacun s'emploie encore fré- 
quemment comme adjectif : 

Ayant richement pourven chacun endroit 
de» termes qui luy conviennent 138. 

Les termes qu il a appropriez a chacun 
raestier. 143. 

Malherbe, le premier, blâme cet 
emploi de chacun et établit une 
règle que lui-même n'observe pas : 
« Je dirois chaque jour, chaque 
fois, et non chacun jour, chacune 
fois. Chacun se dit absolument et 
non avec un substantif. » La règle 
n'est définitivement posée que par 
Vaugelas. (Brunot.Thése,p. 404.) 

99. Le mot un est souvent em- 
ployé comme pronom indéfini : 

Et de là vient qu'on dit d'un qui s'en est 
allé au haut et an loing : il a prit l'e$9ort 
130. 

Ce qu'on auroit grand peine de donner à 
entencu-e à un qni n'auroit point veu jouer 
à ce jeu. 136. 

Encore au xvu" siècle : 

Ma fantaisie me fait haïr un qui soufQe 
en mangeant. (Pascal, dans Haase.) 

Est-il hommoj messieurs, qui soit pins 
aisé à mener bien loin qu'on qni espère, 
parce qu'il aide lui-même à se tromper; 
(Bossue t, dans Haase.) 

100. H. Estienne, dit autre tel au 
lieu de tel atUre : 

Ne aussi de considérer autres telles 
choses qui concernent la gravité. 65. 

Ces mots se trouvent encore pla- 
cés dans le même ordre au siècle 
suivant : 

Il me semble que par là j'ai trouvé sor 
la terre de l'eau, de I air, du feu, des miné- 
raux, et quelques autres telles choses qui 
sont les plus communes et lee plus simples. 
(Descartes, dans Haase.) 

101. Le mot tout se rapportant 
à deux substantifs coordonnes peat 
n'être pas répété devant le second, 
comme dans cette phrase de Biaise 
de Vigenère : 

Que les exemples de l'une et l'autre for- 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



375 



lune vous apprennent de ne vouloir em- 
bratser plus tost une endurcie et rebelle 
opiniastrete que de persister en obéissance 
avecque toute seureté et repos. 64. 

De même aa xvii* siècle : 

Si TOUS n'avez pas toute la forée et le 
coniage des saints, voas aurez bientôt plus 
de vices et de faiblesses que le reste des 
hommes. (Masàllon, dans Haase.) 

VERBES; FORMES. — Dési- 
nences. — 102. L'« manque sou- 
vent à la l'" personne da singu- 
lier 9u présent ou du parfait de 
rindicatif, où, le plus souvent, elle 
n'est pas étymolofçique : Henri 
Eslienne écrit : ie croy 22 \je dt 14 ; 
je doi 17 ; faaverti 50 ; jenten 7 ; 
je m*e86aAt 256; Vtacri 192; 7e fay 
13 ; je maintien 73 ; je pren 199 ; je 
prevoy 12; je respon 6; je sçay 7 ; 
je me sen 19 ; je m'en vay 136 ; je 
vien 20: je voy 163; j'eubS; etc. 

Cependant, même avant le xvi« siè- 
cle, on avait, par analogie, ajouté 
bien souvent une s à ces premières 
personnes, mais cette orthographe 
o'était pas obligatoire, et l'incerti- 
tude subsiste encore pour un assez 
grand nombre de verbes, même au 
xvii« siècle. 

103. Dans les verbes dans les- 
quels la terminaison -re de Tinfinitir 
présent est précédée d'un r/, il 
arrive qme cette consonne se re- 
trouve, au lien de iy à la 3" per- 
sonne du singulier du présent de 
de l'indicatif : poind 50 ; reatreind 
108 ; eraind 111 ; s'astreind 166. 

104. Dans les verbes delà 1" con- 
jugaison dont le radical est terminé 
par une voyelle, Ye de la terminai- 
son disparaît quelquefois au futur : 
Je suppliray 9 ;femploiray 28 ; je 
renvoyray 153. Cet usage est blâmé 
par Malherbe. (Brunot, Thèse, 410- 
411.) 

105. Au contraire, e s'intercale 
quelquefois au futur ou conditionnel 
entre la dentale et la lettre r, dans 
des verbes de la 4" conjugaison : 
combat er a 32; débat eray 65; enten- 
deroyent 119. Honsard pourtant 
«vait dit déjà : « Tu ne diras point 
prendera pour prendra ». 

106. Demonrer, etc. — Plusieurs 



verbes dans lesquels l'accent tonique 
se déplace ont dans leur radical 
une syllabe variable suivant qu'elle 
est accentuée ou atone. L'unifica- 
tion des formes, qui n'est pas com- 
plète aujourd'hui, était encore bien 
plus imparfaite au temps d'Estienne : 
il écrit, dans la Précellence, demou- 
rer 181 ; demouré 311 ; de même 
qu'il emploie le substantif deniou- 
rance 255. Il écrit aussi, dans un 
proverbe qu'il cite, la 3" personne 
labeure 211. 

107. Achette. — Dans les verbes 
en -elei' et en -e<er, c'est à peu près 
arbitrairement qu'on a décidé au- 
jourd'hui que les uns, quand la 
désinence est muette, s'écriraient 
par -elle^ -ette; les autres par -é/tf, 
-ète, Henri Estienne, dans un pro- 
verbe, écrit achette 232. 

108. Volt. — C'est par une fan- 
taisie orthographique que H. Es- 
lienne, ou ftlutôt Desportes cité par 
lui, écrit veit au lieu de vit 93, au 
passé défini. On écrivait, à cette épo- 
que, /etï, veint^ etc. 

109. Tindrent. — Un d eupho- 
nique s'intercale à la 3» personne 
du pluriel du parfait du verbe tenir^ 
tindrent iSSQ. Cet exemple est dans 
un proverbe, il est vrai, mais cette 
forme était fréquente au xvi'' siècle. 
On trouvait également vindrent au 
lieu de vinrent. 

110. Assaodray. — Henri Estienne 
constate que la langue hésite entre 
les deux formes du futur du verbe 
assaillir : 

Et comme nous sommes eu controverse 
s'il faut dire j'aêtaudray ou fatêaUtray; 
ainFi voyons-nous que les uns disent atta- 
liteono, les autres astalgono. 302. 

Assaudray est l'ancienne forme à 
laquelle l'autre a fini par se substi- 
tuer par analogie. Encore au 
XVII* siècle l'ancienne forme s'em- 
ploie quelquefois. Ménage avertit 
de dire j'asaailliray et non fassau- 
dray. 

111. Orray, orront. — Ce sont 
les formes qu'H. Estienne emploie 
pour le futur du verbe ouïr : 

Je les prieray d'onir aussi patiemment 
ma response que j 'orray la leur. 344. 



Digitized 



by Google 



376 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



Quand ils orront dire d'un homme qu'il 
est leurré, scauront bien que c'est à aire 
d0»niaité. 127« 

Malherbe note dans Desportes la 
forme orra, bien que lui-même dise 
tantôt orra, tantôt oira, (Voir Bru- 
not, Thèse, 411.) 

112. Die. — H. Estienne emploie 
au subjonctif die au lieu de aise : 

Encore qu'auiourdhuy on die pMteur. 74, 
Craignant qu'on ne die que je luy veux 
rien oster. 106. 

Cette forme, même au xvii» siè- 
cle, n'avait rien d'archaïque. Elle 
est employée même par Racine : 

Mais quoique je craignisse, il faut que je 
[le die. (II, *»».) 

110. Yonsit, vonsissions, von- 
sissent. — On hésite pendant tout 
le XVI» siècle entre ces anciennes 
formes et les formes nouvelles de 
l'imparfait du subjonctif du verbe 
vouloir : 

Apres avoir long temps attendu que 
quelcun de ces fameux et heureux advoeats 
la vousist entreprendre. 11. 

Il feroit beau voir que nous vonsissions 
demourer courts. 158. 

Au cas que les Italiens ne vousissent 
accepter ceste offre. 25. 

SYNTAXE. Nature des verbes. 
Emploi des auxiliaires. — 114, 
Moquer employé comme verbe tran- 
sitif : 

Pour laquelle raison nous voyons que 
les Dorions estoyent moquez par les autres 
Grecs. 69. 

Le verbe moquer avait dans l'an- 
cienne langue une forme active : 
On disait moquer quelqu'un et non 
êe moquer de quelqu'un. Au temps 
d*Estienne la forme active a dis- 
paru, mais le passif a survécu long- 
temps et peut même s'employer 
encore aujourd'hui : 

Il est fréquent au xviii» siècle : 

Qui n'a pas été opprimé par les puissants, 
moqué par les faibles, fui et abandonné par 
tous les hommes . (Yauvenargues, dans 
Littré.) 

115. Avoir accoutumé de au lieu 
de avoir coutume de. Il est probable 
que dans les phrases de ce genre 
accoutumé doit être considéré 
comme un véritable attribut : 



II remonstre les maux et ealamitet oui 
ont accoustumé de s'ensuivre aux peuples 
de leurs révoltes et soulèvement. 58. 

Cette construction se retrouva 
d'ailleurs même dans notre siècle : 

Les vierges avaient accoutumé de laver 
leurs robes d'écoree dans ce lieu. (Gbateao- 
briand, dans Littré.) 

116. Estienne emploie porter, 
avec l'auxiliaire être, au lieu de se 
passer : 

Il manda puis à Amasis comment le tont 
estoit passé. 2(0. 

117. H. Estienne écrit être pro- 
cédé de. Il est probable qu'il faut 
voir là un emploi du passif, plutôt 
qu'un emploi de l'auxiliaire être 
pour avoir : 

Je puis asseurer qn'elle est procedee d'iu 
cueur qui s'est tousjours monstre zélateur 
et comme jaloux de l'honneur de sa nation, i. 

118. Dans un proverbe cité par 
Estienne, le verbe sauter est cons- 
truit avec l'auxiliaire être : 

Il est sauté de la poésie en la braise. 
183. 

Littré cite la même tournure dans 
La Fontaine : 

Sa joie araourense 
N'ose éclater : «oyez sûr qu'à mon oon, 
Si j'étais seul, elle seroit sautée. 

119. Le verbe réfléchi s'emploie 
très souvent avec le sens du pas- 
sif, et même peut avoir un com- 
plément construit avec par, comme 
celui du verbe passif : 

Du quel troisième vers le commencement 
se peut aussi changer ainsi. 50. 

Ras$$mbrare Qtraê»omigliare se mettent 
pour un mesme, par Bernardino Tomilano. 
355. 

Encore au xvii* siècle : 

Ce sont des vanités qui ne se peuvent 
même défendre par un ami. (Balzac, dans 
Haase.) 

Ce prétérit se comugue par la plupart de 
cette sorte. (Vaugefas, ibtd.) 

Temps. — 120, Henri Estienne 
emploie l'imparfait du subjonctif 
au lieu du présent : 

Tant s'en faut que l'italienne en pust 
venir & bout liO. 

Le lecteur jugera qu'il n'est aucunement 
en danger de tomber en ceste nécessité de 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



377 



forger des mots nouveaux, siaon aue quel- 
que Douveile chose se présentas!. 167. 

Il faut remarquer que la propo- 
sition principale est de forme ou 
de valeur négative. II en est de 
même au xvii« siècle, où cet 
emploi de l'imparfait du subjonctif 
est encore fréquent : 

Vous ne trouverez pas un homme seul 
qui pût vivre à porte ouverte. (Malherbe, 

Je ne crois pas pourtant qu'il nous fût 
permis d'écrire ainsi. (Vaugelas, dansHaase.x 

131. Après un verbe principal au 
passé défini, on trouve le verbe de 
la proposition subordonnée au par- 
fait du subjonctif, tandis que nous 
le mettrions aujourd'hui à l'impar- 
fait. 

Jamais il n'a falu que les plus grands 
personnaees de nostre France ayent mis la 
main à la plume pour nous apprendre à 
parler françois. 20. 

Il a falu que Pétrarque, ayant besoin 
d'un beau mot et bien choisi, lé soit venu 
emprunter de nos Rommans. 262. 

Il n'est pas rare, même au 
xvii" siècle, de voir ainsi le verbe 
de la proposition subordonnée se 
mettre au même temps que le 
verbe principal : 

Les dieux n'ont pas vonlu qu'il vous aitren- 
[contrée. (Racine, dans Haase.) 

122. C'est de la même façon 

?[u'aprè» un verbe principal au 
utur, le verbe de la proposition 
subordonnée se met au futur anté- 
rieur, au lieu de se mettre au passé 
défini : 

Ceux qui sçauront qu'Achille aura pu si 
vaillamment et rudement combatre Hector 

Îu'en la fin, il aura esté par lui abbatu, ne 
outeront point que ce vaillant guerrier ne 
Suisse porter aisément par terre un Sarpe- 
on. 30. 

De même, au xvii* siècle : 

Et de là, que conclura-t-on ? Que les Juifs 
ou Esdras auront supposé le Pentateuque au 
retour de la captivité. (Bossuet, dans Haase.) 

123. Toujours selon la même 
tendance, on trouve un infinitif 
passé dépendant d'un verbe prin- 
cipal au futur antérieur, quand 
nous mettrions plutôt l'infinitif pré- 
sent : 

Ceux qui auront pu cuir plusieurs de vos 



subjects haranguer, et auront en aussi cest 
honneur d'avoir oui votre Majesté discourir, 
pourront tesmoigner de la suffisance de 
nostre langage. 7. - 

On trouve la même construction 
au XVII" siècle : 

Je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré 
dans mon jardin dix mille écus qu'on me 
rendit hier. (Molière, l'Avare, I, v.) 

Modes. Indicatif. — 134. L'indi- 
catif est employé dans plusieurs 
cas au lieu du subjonctif. 

a). On trouve le présent de l'in- 
dicatif au lieu du présent du sub- 
jonctif : 

Je ne leur nieray pas qu'ils en peuvent 
avoir. 116. 

Il ne se faut esbahir que nous avons des 
proverbes qui se contrarient. 215. 

Je protesteray ne vouloir nier pourtant 
que les accens sont observez plus songneu-» 
sèment en la prononciation du leur. 43. 

Il nous semble que l'honnesteté nous 
commande les respecter, iusques à ce qu'es- 
tans informez de leur qualité, nous appelons 
parade et bravade ce que nous nommions 
magnificence. 351. 

b). L'imparfait de l'indicatif au 
lieu de l'imparfait du subjonctif : 

Quand on s'esraerveilloit qu'il instruisoit si 
bien ses disciples à plaider les causes. 2&. 

Il pourroit bien estre que le premier 
n'estoit pas homme pour imiter quelques 
phrases latines. 337. 

c). Le futur au lieu du présent 
du subjonctif : 

Il pourra advenir que la seconde fois il 
usera de retranchement en ceux mesmee 
qu'il aura espargnez la première. 47. 

d). Le futur antérieur au lieu du 
parfait du subjonctif : 

Pource qu'on se pourra esbahir que ce son- 
net n'aura esté honoré du premier lieu. 94.» 

Non seulement les constructions, 
employées par Henri Estienne sont 
usuelles de son temps, mais on en 
trouve encore de tout à fait sem- 
blables chez les écrivains da 
xvii" siècle. 

a) Je suis ébahi que cet invisible amou- 
reux ne s'avisa d'aimer cette femme devant 
qu'elle fût mariée. (Malherbe, IV, 7.^ 

b) S'il arrivait aujourd'hui que des per- 
sonnes ignoraient les principes de la reli- 
gion... (Pascal, dans Haa<:e.) 

c) Il se peut même qu'il sera un de vo» 
convertis. (Balzac, dans Haase.) 



Digitized 



by Google 



378 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



Conditionnel. — 125. Le condi- 
tionnel se trouve au lieu du sub- 
jonctif avec la conjonction com6te/i 

que : 

Combien que il y auroit quelque appa- 
rence. 32. 

On le trouve aussi dans une pro- 
position dépendant d'une proposi- 
tion dont le verbe est au condi- 
tionnel : 

Quand bîea j'aoroie monstre que la noslre 
surpaaseroit le rree es deux comparaisons 
précédentes. 113. 

Au xvii« siècle, on trouve encore 
le conditionnel au lieu de l'impar- 
fait du subjonctif après les conjonc- 
tions adversatives, mais d'ordinaire 
avec les verbes vouloir^ devoir : 

Bien que vous me traiUex mai et que vos 
mépris me devraient être sensibles, j'ai 
révolu de m'obstiner. (Balzac, dans Uaase.) 

La seconde construction se ren- 
contre assez souvent : 

Il se pourrait bien faire, si je cessais 
totalement de penser, que je cesserais en 
même temps tout à fait de vivre. (Descartes, 
dans Haase.) 

Il se pourrait fort bien faire que vous ne 
seriez pas en humeur de m'écouter. (Mme de 
Sévigné, IV, 96.) 

Subjonctif. — 126. Le subjonctif 
s'emploie très souvent dans les 
propositions subordonnées au lieu 
de l'indicatif : 

J'aj opinion que ce proverbe soit demeuré 
depuis quelque roy qui tout en un coup, fit 
descrier toute la monnoye de ses prédéces- 
seurs. 146. 

Et est croyable qu'il ait esté premiere- 
rement ainsi escrit. 218. 

Laquelle escriture je n'approuve point, 
ains estime qu'il faille e^trire oeravventura 
en un mot aussi bien ici que là. 32V. 

Nous sçavons aussi que plusieurs pensent 
qu'il y ait quelque nouveauté cachée sous 
ce mot. 352. 

Cette construction du subjonctif 
avec des verbes signiflant penser^ 
croire, est usuelle au xvi* siècle et 
se rencontre encore souvent au 
xvii« : 

La plus belle des deux, je crois que ce 
soit iWre. (Corneille, IV, 151.) 

Tons présument qu'il aye un errand sujet 
d'ennui, (/d. III, Ul.) 

La liberté est telle au xvi^ siècle 



que deux verbes coordonnés se 
trouvent à des modes différents : 

J'estime qu'il n'avoit pas escrit ouan' 
ains que ce soit une faute de l'impression' 
172. 

127. Le subjonctif se trouve dans 
quelques phrases où nous mettrions 
aujourd'hui l'infinitif : 

Je n'auray aucunement peur que je n'em- 
porte ce troisième. 104. 

Il me tardoit desja que je vinsse aux 
jeux. 135. 

Il me tarde que je vienne & l'autre sorte. 
271. 

Infinitif. — 128. On trouve chez 
H. Estienne assez souvent l'infinitif 
pris substantivement : 

Si le beau et sage parler d'un tel homme 
ha tel pouvoir. 6. 

C'est de faire un plaider sommaire comme 
par provision. 12. 

Le trop haster fait entendre mal les 
choses. 209. 

Dans l'exemple suivant, le mot 
le peut, être soit l'article détermi- 
nant sçavoir pris substantivement, 
soit le pronom personnel réf^me de 
parler et se rapportant au mot 
langage qui se trouve dans la 
phrase précédente : 

Le sçavoir parler aussi nayfvement que si 
j'eusse esté au pays fut ce qui me sauva la 
vie à Naples. 30. 

Cet emploi de l'infinitif, fréquent 
dans l'ancienne langue comme au 
XVI" siècle, se trouve souvent encore 
chez Malherbe : 

Le pleurer exces^f est marque de vanité. 

(II, un.) 

Le rougir est du nombre de ces infirmités. 
(II, 299.) 

129. L'infinitif sujet placé après 
le verbe, ou l'infinitif régime n'est 
pas toujours, comme dans la langue 
moderne, précédé de la préposi- 
tion de : 

n). Infinitif' tujet ou at'ribut. 

Quand il luy plaira considérer de quelle 
Importance est ceste entreprise. 1. 

Le mestier de l'un sera les tailler, de 
l'autre les coudre. 151. 

Il me souvient avoir allégué ci-dessus 
plusieurs passages. 329. 

b). Infinitif régime. 

Lequel project je la supplie très humble- 
ment vouloir favoriser, non moins de sa 
censure que de sa lecture. 1. 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



379 



Je vous prie voua souvenir du proverbe 
latin. 11. 

Je puis alléguer encore» autre raison qui 
mérite n'estre moins considérée. 11. 

Marinette seroit celuy duquel je crain- 
drois moins user. 200. 

Il nous semble que rUonneslelé nous 
commande les respecter. 351. 

Encore au xvii* siècle : 

à) ...Nos jours criminels ne pourront plus 

' [dorer. 

Ou'antaat qu'à sa clémence il plaira l'en- 

" 4 [durer. (Corneille, m, 3*8.) 

*). Je vous prie, madame, me tant obliger 
que de mettre eu votre paquet la dépêche. 
(Baliac, dans Uaase.) 

130. Il arrive très souvent que le 
sujet logique de l'infinitif ne soit 
pas le même que celui du verbe 
principal. 

N'ave» vous pas encore aujourdhuy plu- 
sieurs bons tesmoins de l'enrichissement 
qu'a receu nostre langage par le moyen de 
vostre «yeul le grand roy François, voire 
jusques à luy donner ce los qu'il a esté le 
premier qui l'a mis comme hors de p«ge? 8. 

II nous faudra considérer quelles choses 
sont requises en un langage pour estre 
estimé riche. 105. ', . 

Et avons bien raison dy estre plus ad- 
donnez, tant pour y estre plus habiles et 
adroits, que pour estre un exercice non 
moins beau et uonneste que proufitable. 136 

Cette construction est encore très 
fréquente au xvii« siècle : 

Elle espère que vous ne la méconnaîtrez 
pas pour être dépouillée de tous autres or- 
nements que les siens. (Corneille, I, 375.) 
On dit que, sous mon nom à l'autel appelée, 
Je ne l'v conduisois que pour être immolée. 
^ ^ *^(Racine, m, 217.) 

131. La proposition infini tive qui, 
assez fréquente même dans l'an- 
cienne langue, a pris une immense 
extension au xvi« siècle et même 
au XV», se rencontre à chaque ins- 
tant dans la Précellence : 

Ceux qui se sentiront estre en meilleur 
equippage que moy. 1*. 

Je l'estime luy estre beaucoup inférieur. 
H. 

Si je n'eusse vu quelques Italiens avoir 
osé préférer leur langage. 14. 

Il confesse le parier françois estre non 
seulement plus en usage, mais aussi estre 
plus plaisant que tous les autres. 16. 

Je puis monstrer la vérité estre telle.. 19. 

En ce qu'ils meltoient en avant la gravité 

de leur laneage «stre plus grande que celle 

du nosire. 47. 

L'emploi de la proposition infini- 



tive se restreint au xvii® siècle, 
mais on la trouve encore souvent : 

Les mages lui sacrifièrent, comme l'esU- 
mant avoir eu quelque chose au-dessus de 
la condition ordinaire de l'humanité. (Mal- 
herbe, II, 481.) 

La vovant si pâle, il la crut être morte. 
(Corneille, I, 233.) 

Participe. — 132. Le participe 
est employé comme substantif 
dans cette phrase : 

Et nommément pour les attendans de la 
cour, ceste leçon est fort bonne. 202. 

133. Le particiï)e présent prend 
la marque du pluriel, et même celle 
du féminin : 

Plusieurs, oyans ce dernier propos et 
comprenans ce que j'enten. 7. 

Rendans à ces deux langages anciens ce 
qu'ils leur avoient esté. 35. 

En une chose imporlanle beaucoup plus 
à l'honneur de vostre royaume. 7. 

J'appelleray de leurs oreilles escoutantes 
mal à elles mesmes quand elles escouteront 
bien. 38. 

Voyci autant de françoises respondantes 
à ces toscanes. 114. 

Il les couppe en pièces approchantes assez 
près du poids duquel doit estre la monnoye 
qu'il veut forger. 141. 

Cet accord du participe présent 
est encore assez fréquent au siècle 
suivant : 

Et les canons, quittants leurs usages fa- 

frouches, 

Ne servent plus ici que d'éclatantes bouches, 

Pour rendre grâce au ciel de cet heureux 

[accord. (Corneille, X, 106.) 

Je vous trouve si pleine de réflexions, si 

stoïcienne, si méprisante les choses du 

monde. (Mme de Sévigné, VI, 336.) 

134. Le participe passé reste 
assez souvent invariable quoique le 
complément direct soit placé avant 
lui : 

En ce qui concerne la fauconnerie (qu'on 
a aussi appelé la volerie). 119. 

Ceux que lui a baillé la fauconnerie. 123. 

La règle formulée par Marot 
n'est pas toujours observée même 
au xvii" siècle : 

Là par un long récit de toutes les misères 
OuB durant notre enfance ont enduré nos 
^ [pères. (Corneille, III, 392.) 

Ceux que le Seigneur avoit choisi pour 
être les colonnes de son Eglise. (Racine, 
V, 591.) 

135. 11 arrive au contraire que le 



Digitized 



by Google 



380 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



participe prenne l'accord quand il 
devrait reater invariable : 

Il vaut beaacoop mieux que tant luy qae 
les autres excellens poètes de ce temps se 
soient voulus rendre dignes du laurier par 
l'autre sorte de composition de vers. 43. 

Et en ce trop se sont donnez trop de 
licence. 323. 

L'usage les a faicts sonner mal depuis. 349. 

On trouve encore au xvii* siècle 
des exemples analogues : 

Il se sont attachés à des patrons excel- 
lents qu'ils se sont proposés d'imiter. (Vau- 
gelas, dans Haase.) 

Ils se sont donnés l'un et l'autre une pro- 
messe de mariage. (Molière, dans Haase.) 

136. Le participe présent, comme 
l'infinitif, se rapporte quelquefois 
à un mot autre que le sujet du 
verbe principal : 

L'accent sur cette syllnbc antepennltime 
leur est plus fréquent qu'à nous : pronon- 
çans dicono, pirlanOy etc. 43. 

Les mesmes vers de Virgile furent ainsi 
traduicts par moy, les appliquant à mon 
propos. 50. 

Approuvant quelques mots et façons de 
parler, que cest auteur prenoit des Rora- 
roans, ceste-ci est de celles que je n'ap- 
prouve point. 201. 

Encore au xvii" siècle : 

Ils avoient toujours été l'objet de ses 
railleries et de son mépris, les appelant 
tantôt grossiers et rustiques, tantôt Phrjgiens 
et Paphlagoniens. (Vaugelas, dans Haase.) 

137. On trouve de nombreux 
exemples de la construction du 
participe absolu : 

Ce Project, ostans bien considérez tous 
les poincts que j'y ay dednicts, leur estera 
une grande partie de leur doute. 7. 

Entre les beaux et grands avantages que 
Dieu a donnez aux hommes... cestuy-ei estant 
un qu'ils peuvent s'entrexposer leurs con- 
ceptions par le moyen du langage, il est 
certain que... 10. 

Estant impossible de faire de ces vers 
qu'on appelle mesurez sans quelque obser- 
vation oes accens, nous avons monstre aux 
Italiens que nostre langage nous permettoit 
d'en faire. 40. 

Yoyla comment, estant la coustume de 
n'apporter plus des Inmproyes depuis qu'elles 
se trouvoicnt estre chordeee, et par consé- 
quent ne s'en trouvant plus, le menu peuple 
a retenu ceste façon de parler. 133. 

Cette construction se maintient 
au xvn« siècle. On la trouve, par 
exemple, chez Racine : 



Elle ne faisoit autte Chose jour et nuit 
que lever les mains au ciel, ne luy restant 
plus aucune espérance de secours de la 
part des hommes. (IV, 466.) 

L'auteur faisoit judicieusement d avertir 
qu'il étoit catholique, n'y ayant Pf/sonne 
qui ne l'eût pris pour un protestant IV, 472. 

Aoord du verbe. — 138. Le verbe 
qui a plusieurs sujets coordonnés 
peut ne s'accorder qu*avec le plus 
rapproché : 

La comparaison dont use Virgile p>rUiit 
de Pyrrhus, et Arioste, parlant de son Rho- 
domont. 55. 

Desportes écrivait : 

Puisque ma servitude et ma foy vous 
[offense. 

Malherbe veut le pluriel. (Voir 
Brunot, Thèse, p. 422.) Cependant 
lui-môme écrit : 

Les délices et la paresse lui ôte le mou- 
vement II, 168. 

Régime du verbe. Anacolnthe. 
Ellipse. — 139. Henri Estienne dit 
croire à quelqu'un, dans le sens de 
se fier à quelqu'un. 11 dit aussi 
dominer à, servir à (ce dernier 
dans un proverbe) : 

Ceste objection seroit valable contre ceux 
qui veulent qu'on leur croye a crédit» 27. 
Avarice luy domine. 108. 
Servir à Dieu est régner. SU. 

Des constructions semblables se 
rencontrent encore au siècle sui- 
vant : 

Allez, ne croyez pas à monsieur votre 
[père. (Molière, TartufTe, H, il) 

Qui eût oit à vos généraux qu un temps 
était proche où ils domineraient en mœurs 
à l'Eglise Universelle. (Pascal, dans làttré.) 

C'est probablement une sorte de 
datif d'intérêt que nous avons dans 
celte phrase: 

Je ne pourrois me la de&raciaer sans 
forligner totalement. 2. 

140. Hençi Estienne écrit changer 
à au lieu de changer pour : 

On peut aussi disputer si nous pouvons 
pas faire nostre proufit d'un mot tiré de la 
langue latine, que nous trouvons en quelque 
dialecte, en luy changeant toutesfois la ter- 
minaison qu'il ha convenable à ee dialecte, 
à celle qui convient à nostre langage. 183. 

Même construction au xvii* siè- 
cle : 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



381 



Et mes désirs brûlants de perdre tout le 

[monde 

Se changent aussitôt à ceux de l'augmenter 

* (Corneille, X, 60.j 

141. Plusieurs verbes qui se 
construisent aujourd'hui avec la 

Ïtréposition à sont construits, dans 
a Precellence, avec de : 

Onques homme n'aspira de réduire les 
autres en servitude qu'il ne s'aidast des 
mesmes mots. 63. ^Dans la citation de Biaise 
de Vigenère.) 

Je me fusse hazardé de plaider la cause 
tout à fait. 12. 

Quand ils taschent de se rebeller et sous- 
traire de l'obéissance de leurs légitimes 
princes. 58. 

Dans la phrase suivante l'infinitif 
construit avec de n'est pas régime, 
mais sujet : 

II restera de voir quel autre fondement ils 
Iny peuvent donner, h"!. 

On trouve au xvii» siècle des 
constructions semblables : 

Elle n'aspire encore d'y arriver que par 
des moyens qui viennent de Dieu même. 
(Pascal, dans Lit tré.) .., . ^. 

Je me suis hasardé d'y ajouter 1 épithete 
d'héroïque. (Corneille, I, 25.) 

Voulant commencer à me soustraire de sa 
domination. (Hamilton, dans Littré.) 

On trouve aussi se résoudre de, 
s'en résoudre, mais non avec le 
sens de se résoudre à ; l'expression 
signifie plutôt : prendre une réso- 
lution sur. 

En luy donnant toutesfols six jours de 
terme pour s'en résoudre. 359. 

Henri Estienne dit aussi : 

Ce Project leur estera une grande partie 
de leur doute : en attendant que l'œuvre 
qui sera faict sur iceluy les en rende entiè- 
rement résolus. 7. 

La phrase signifie : les tire tout 
à fait de leur doute, de leur indé- 
cision. Dans ce sens le verbe 
résoudre est souvent construit de 
la même façon que chez Estienne 
encore au xvii» siècle : 

Nous te prions d'y penser, de t'en résou- 
dre, et de l'en conseiller. (Pascal, dans 
Littré.) 

Mais le xvii" siècle emploie 
encoro plus souvent se résoudre de 
daus le sens de se résoudre à, et 



ne fait d'ailleurs que suivre la tra- 
dition du XVI*. 

142. Les verbes interroger, s'es- 
tonner, se construisent avec com- 
ment : 

Le roy Porus, venu es mains d'Alexandre 
le Granâ, interrogé par deux fois comment 
il vouloit qu'il se comportast avec luy, ne 
respondit que ce mot, rotàlbusnt. 6. 

Je m'estonne fort comment il a voulu 
ainsi forcer ce mot à recongnoislre son ori- 
gine. 257. 

143. Un verbe peut avoir des 
compléments de nature différente, 
un substantif coordonné avec une 
proposition complétive, ou deux 
propositions dissemblables : 

Il me semble que j'ay montré bien clnire- 
ment et amplement nos grans moyens d'ad- 
jouster richesse sur richesse, et que nous 
n'avons faute que de hardiesse. 163. 

Et pour monstrer encore davantage com- 
ment en nostre langage tout leur a esté 
bon, et qu'il n'ont rien trouvé trop chaud ni 
trop froid. 282. 

La même liberté existe encore 
au XVII* siècle : 

Mais je crains des chrétiens les complots et 

[les charmes, 

Et que sur mon époux leur troupeau ramassé 

Ne venjretant de sang que mou père a versé. 

(Corneille, III, 498.) 

J'ai su par «on rapport, et je n'en doutois 

[pas, 

Comme de vos deux fils vous portez le 

[trépas. 

Et que déjà votre ftme étant trop résolue 

Ma consolation vous seroit superflue. 

(Corneille, III, 3'i6.) 

144. Dans la phrase suivante, il 
y a une sorte de pléonasme : 

Ceux qui luy veulent faire concurrence et 
se rendre ses compétiteurs. 7. 

Aujourd'hui, nous serions obligés 
ou bien de placer lui après veulent 
ou bien de répéter ce verbe avant 
le second infinitif. 

145. On voit au xvi« siècle des 
ellipses que nous ne nous permet- 
trions pluâ aujourd'hui : 

Car comme ils disent avolo pour om, 
ainsi mutolo souvent pour muto. 97. 

Si bien les Grecs l'avoyent, non pas tou- 
tesfois les Latins. 98. 

PRÉPOSITIONS ET ADVERBES. 
146. A. — A s'emploie assez tou- 



Digitized 



by Google 



382 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



vent au xvi« siècle avec le sens de 
avec : 

Les pourmands font leurs fosses à leurs 
dents (Proverbe). 217. 

Qui ha mestier du feu à son doigt le 
quiert (Proverbe). 220. 

A peut s'employer aussi pour en 
ou dans : 

Un mot qui signifie une chose au bon et 
pur langage françois, en quelques dialectes 
eu signifie une autre. 179. 

A entre dans des locutions où il 
est remplacé aujourd'hui par une 
autre préposition. 

Je ne veux pas advertir les lecteurs de 
prendre (^arde combien est viril le son de 
ces paroles françoises, et combien est mol 
celui des italiennes à comparaison. 61. 

A conserve cette variété d'emplois 
au XVII» siècle : 

Pourvu qu'à moins de sang nous voulions 
[l'apaiser. 
Elle nous unira, loin de nous diviser. 

(Corneille, III, 294.) 

Je sais bien qu'on répliquera que cela est 

vrai aux choses agréaoles et indifférentes, 

mais que dans les choses ordinaires... (Vau- 

gelas, dans Uaase). 

147. Comme beaucoup d'autres 
déterminants, l'adverbe d'autant se 
trouve placé seulement devant le 
premier de deux termes coordonnés : 

Geste faute a d'autant plus mauvaise 
grâce en leur langue et est moins pardon- 
nable, qu'ils sont ouant à icelle comme sub- 
jects naturels des Roramains. 79. 

148. D(^a souvent le sens de au 
sujet de : 

Ceux qui ont eserit de cest art. 126. 

Ce raesme pays a retenu plusieurs belles 
paroles de la langue latine desquelles on 
pourroit faire la mesme question. 182. 

Il y-a des vocables desquels on auroit 
bien raison de disputer, si on en doit user. 
206. 

De signiûe aussi avec pour mar- 
quer la manière, dans la locution 
très usitée de raideur : 

Les paroles semblent aller de roideur. 6'i. 

De se construit au lieu de par 
avec un verbe passif : 

Persuadez des mutins. 58. 

Car ils sont venus jusques à ce mot, 
monstrans une bien grande povreté de leur 
langage s'il n'estoit secouru du nostre. 356. 



qui ne se peut représenter. (Mme de Sévigne, 



Omission de la préposition de 
après le mot rien : 

Comme ainsi soit qu'il n'y ait rien en la 
guerre plus ancien. 253. 

Omission de la préposition de 
devant le second ae deux mois 
coordonnés : 

Ainsi les subjects ont grande occasion 
d'ancrer leurs espérances sur ses paroles, et 
se rendre très ooeissans à icelles. 6. 

Encore au xvii» siècle on trouve 
de = au sujet de : 

Nous n'avons voulu croire la iraison de 
beaucoup de choses qu'elle nous disoit estre 
superflues. (Malherbe, II, 5^3.) 

De = avec : 

Il dansa d'une perfection, ^d'un arment, 
■ne8ep( ' ' " '"- '- '— 
133.) 

De = par : 

Il a eu le déplaisir d'être contredit 
vous et de Monsieur C. (Voiture, dans 
Haase.) 

De omis après rien : 

Seigneur, réglez si bien ce violent courroux 

Qu^l n'en échappe rien trop indigne de voos. 

(Corneille, V, 78.) 

De omis devant le second de deux 
mots coordonnés : 

On promet de poser les armes et consen- 
tir à tous les avantages. (La Rochefoucauld,. 
II, 38.J.) 

149. Dedans, dessus^ se trouvent 
employés comme prépositions. 

Brunetto Latino a laissé un livre dedans 
lequel il confesse le parler françois estre 
non seulement plus en usage, mais aussi 
estre plus plaisant que tous les autres. 16. 
Comme ayant dessus tons un si grand 
[avantage^ 
Que si eux disent bien, luy dit encore 
[mieux. 26. 

Dessous est dans un sonnet de 
Desportes cité par Estienne : 

Aspre et sauvage eueur, trop flere volonté. 

Dessous une douce, humble, ai^elique 

[figure. 9t. 

Encore chez Corneille les mêmes 
mots sont continuellement employés 
avec cette valeur : 

Ah '. Seigneur, quelque bras qui vous paisse 

[punir. 

Il n'effacera rien dedans mon souvenir. 

(VI, 198. 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



383 



Mais ce même devoir qui le vainquit dans 

[Rome 

Et qui me range ici dessous les lois d'im 

[homme. (III, 510.) 

Dessus mes volontés vous «tes souveraine. 

(IV, 82.) 

150. En s'emploie souvent dans 
le sens de dans : 

Benedetto Varchi, en un dialogue intitulé 
VEreolano, luy donne ceste louange. 15. 

Tesmoin l'evesque qui luy demanda en 
une église de Padoue, si elle ne luy sem- 
bloit pas moUo teannevole. 20. 

En la response que je feray à la quatrième 
objection, j imiteray quelques historiogra- 
phes. 30. 

Nous lisons en Escbine, orateur grec... 4. 

En s'emploie au lieu de à dans 
ces locations : 

Mais en tout événement vous plaise con- 
sidérer outre cela... 11. 

Nostre langage use de ceste phrase par- 
lant de celuy qui tient quelcun en sa merci. 
130. 

Encore au xvii® siècle, en s'em- 
ploie souvent avec le sens de dans : 

N'épargnez pas vos soins à élever en la 
cramte de Dieu les enfants. (Bossnet, dans 
Haase.) 

Cette journée en laquelle le fils de Dieu 
descendra du ciel, (/d., ibid.) 

151. Par tout s'écrit encore en 
doux mots. La soudure n'est pas 
complète entre la préposition et le 
pronom indéfini qui forment une 
locution adverbiale. 

En ceste ville do Paris Foye, outre ce 
qu'il signifie par tout se dit aussi d'une 
ehartee. 180. 

Le fait est général au xvi« siècle, 
où l'on voit encore les deux éléments 
du mot parmi séparés graphique- 
ment. 

152. Il en est de même du mot 
plustost on chacun des deux élé- 
ments conserve son orthographe, 
même quand ces deux mots sont 
soudés. C'est ce que nous avons 
constaté déjà pour quelquesfois, 
touteafois. 

Nostre langage n'est pas seulement fourni 
de mots dont if faut qu'il se serve ordinai- 
rement, pour exprimer ses conceptions : 
mais ha aussi quelque provision curieuse 
plus tost que nécessaire d'aucuns qui sont 
plus rares que les autres. 105. 

La règle actuelle est récente, et 



l'on a continué longtemps après 
l'époque d'Estienne à écrire pZ««fo«t. 
On écrivait également la pluspart. 

153. Pour suivi d'un infinitif est 
beaucoup plus souvent qu'aujour- 
d'hui employé au lieu d'une pro- 
position causale commençant par 
parce que : 

Elle a desja fort affaire à sortir de quel- 
ques passages, pour ne pouvoir trouver des 
mots respondans à certains des nostres. 
U'J. 

Et comme je tien la maison, anssi retien-je 
ce nom, pour ne pouvoir trouver le propre. 

Pour est employé dans la phrase 
suivante au lieu de à dont nous 
nous servirions aujourd'hui. 

Il pourroit bien eslre que le premier 
n'estoit pas comme luy homme pour imiter 
quelques phrases latines. 337. 

L'attribut est construit directe- 
ment avec le verbe avoir dans ce 
proverbe, où le mot pour serait 
aujourd'hui nécessaire : 

Science n'ha ennemis que les ignorans. 
207. 

On trouve encore au xvii» siècle 
des phrases analogues : 

Ma foi I me trouvant las, pour ne pouvoir 

[fournir 

Aux différents emplois où Jupiter m'engage. 

(Molière, Amphitryon. Prologue.) 

Ambroise lui répondit que lui n'étoit pas 
propre pour être l'entremetteur de l'absolu- 
tion. (Fechier, dans ijaase.) 

Je vous supplie d'avoir agréable que ces 
lignes vous aillent trouver. (Balzac, dans 
Uaase.) 

Pourtant (voir le lexique). 

154. Henri Estienne emploie la 
locution adverbiale quant et quant 
qui signifie en même temps : 

La comparaison dont use Virgile parlant 
de Pyrrhus, et Arioste, parlant de son Rho- 
domont, est ici par Ronsard accommodée à 
son Francus, et mise en paroles si propres 
et si graves, qu'il semble, en surmontant 
Arioste, quant et quant combattre Virgile. 
ô5. 

Quant et quant s'emploie encore 
au XV H* siècle : 

Ainsi vous ne cherchiez que l'honnêteté et 
vous avez trouvé quant et quant le délec- 
table. (Balzac, dans Littré.) 



Digitized 



byGoogk 



384 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



155. Qua)^t est de s'emploie au 
lieu de quant à : 

Qunnt esl de cambiare ou êcambiare, on 
peut dire que c'est un cas à part. 296. 

Quant est des mots qu'ils nous ont pris, 
il n'y -en a point dont je m'esbahlsso plus et 
rae fascbe moins que de cestuy-ci, f>l. 3 '♦2. 

Quant est de est d'un emploi très 
fréquent au xvi^ siècle. Rabelais, 
par exemple, dit : 

Quant est de vostre ranczon, je vous la 
donne entièrement (liv. I, ch. 46). 

156. Si est souvent employé dans 
le sens de pourtant : 

Encore qu'en escrivant on mette la lettre 
8 es uns et non e* nutres, si est-ce qu'on 
ne la prononce point. 39. 

Encore au xvii« siècle : 

Je n'ai encore vu personne qui no soit 
chnrmé de vostre Instruction; et si, j'en ai 
ouï parler à bien des gens. (Mme de Main- 
tonon, dans Littré.) 

5i, déterminant deux adjectifs 
coordonnés, n'est pas répété devant 
le second : 

Toutesfois est de si rares et précieux meu- 
bles. 117. 

157. Sous se trouve employé dans 
une expression où nous mettrions 
aujourd'hui dans : sous l'espé- 
rance de : 

Quand ils taschent de changer de gouver- 
nement, sous l'espérance d une meilleure 
condition et d'un plus supportable fardeau. 
38. 

Négations. — 158. La négation ne 
sufût beaucoup plus souvent qu'au- 
jourd'hui à rendre l'idée négative, 
sans avoir besoin d'être accompa- 
gnée d'un mot accessoire : 

Duquel don vous ne devez moins rendre 
grâces à Dieu que de plusieurs autres qui 
toutesfois de nrime face pourroyent sembler 
plus prou6tabIes, 3. 

Pour ne venir aux exemples cstrangers, 8. 

Je n'estiraeray avoir peu faict, quand j'au- 
ray faict prendre envie à quelque autre do 
faire mieux, H. 

Au xvii« siècle : 

Je m'étonne qu'il n'ait lu le Panégyrique 
aa'wa homme do son pays prononça à Rome 
(ml/.ac, dans Haase.) 

159. Cependant les mots pas et 
point ont si bien subi la contagion 



de la négation qu'ils sufûsent sans 
elle à exprimer l'idée négative dans 
les interrogations directes ou indi- 
rectes : 

Si nos ancestres ont pris ceste liberté et 
hardiesse d'imiter certaines compositions de 
la langue greque, aurions-nous pas trop 

Eeu de courage si nous demeurions en si 
eau chemin ? 156. 

Kt que sçait-on si de ce combennones 
on auroit point dict premièrement compen- 
nons? 176. 

Or je demande si nous pouvons pas au 
besoin, en changeant leur a de la fin en 
nostre e, dire arer. 182 

Au xvii' siècle : 

Deviez-vous pas prendre plaisir à me 
procurer un bien à auoi je ne m'attendais 
pas ? (Voiture, dans iJaase.) 

Prenons donc garde si nous nous habillons 
point d'une façon et gouvernons notre mai- 
son de l'autre. (Malherbe, dans Uaase.) 

160. La négation se trouve omise 
dans la proposition qui suit uii 
comparatif et forme le second terme 
de la comparaison : 

Non plus certainement qu'on demanderoit 
qui est la première, la mère ou la Olle, 17. 

Car la variété des nostres ne resjouit 
moins l'oreille, que le pré donne de plaisir 
à l'oeil par sa diverse tapisserie de fleur*. 
67. 

Encore au xvii« siècle : 

J'ai peur d'y demeurer plus que je vou- 
drai. (Voiture,* dans Haase.) 

Le malheur du duc du Maine m'afflige 
plus qu'il m'étonne. (Mme do Maintenon, 
dans Haase.) 

161. La négation n'est pas répétée 
toujours dans la seconde de deux 
propositions coordonnées : 

11 est à craindre qu'aucuns Italiens ou 
Espagnols n'allèguent incompétence de juge 
et demandent renvoy. 32. 

Malherbe, qui note une omission 
de ce genre dans Desporte.«, écrit 
cependant de la même façon. (Voir 
Brunot, Thèse, p. 468.) 

16-2. Non plus se trouve employé 
avec le sens de pas plus : 

Comme je ne ferois non plus de difficulté 
do dire porlelabeur que portepene. 159. 

Non plus se trouve employé seul 
aussi, tandis que nous jugerions 
nécessaire aujourd'hui la négation 
ne : 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



385 



Pour le moins ne peut-on nier que nous 
n'ayons très bon conseil... Non plus pou- 
vons nier qu'il ne die vérité. 216. 

Non plus se trouve aussi employé 
là où nous mettrions simplement 
plus, la négation étant explétive : 

Je ne pense point qu'ilfc s'y vueillont non 
plus Qer qu'en cestuy-ci. 35G. 

Au XVII' siècle, non plus signifie 
souvent la même chose que pas 
plus : 

L'amour prête son nom à un nombre 
infini de commerces, où il n'a non plus de 
part que le Do^e à ce qui se fait à Venise. 
(La Rochefoucauld, dans Haase.) 

163. Nullement se rencontre avec 
toute sa valeur négative, sans la 
négation ne : 

Je suis comme la queux, qui les cousteaux 

(aiguise 

Encore qu'à couper nullement elle duise. 29. 

Dans une phrase de La Bruyère, 
nul a de même à lui seul la valeur 
négative : 

Ne voulant du bien qu'à lui seul, il veut 
persuader qu'il en veut à tous, afin que 
tou-i lui en fassent ou que nul du moius lui 
soit contraire. I, 323. 

Gonjonotions. — 164. Henri Es- 
tienne emploie des locutions con- 
jonctives formées avec le mot ainsi, 
comme ainsi soit que, qui signifie 
de même que et qu'ainsi soit, qui 
signifie à peu près : ce qui prouve 
qu'il en est ainsi : 

Comme ainsi soit qu'en Disiytul, nous 
imitons la composition grecque. 157. 

Et qu'ainsi »oit, si un d'eux répète quelque 
chose en mesmes mots, il pourra advenir 
que la .seconde fois il usera de retranchement 
en ceux mesmes qu'il aura espsrgnex la 
première. 47. 

De cette seconde locution peut 
aussi dépendre une proposition su- 
bordonnée : 

Or qu'ainsi soit que quelques uns en 
abusent, il appert par la controverse qui 
est entre eux. 85. 

Au xvii« siècle, on dit encore : 
comme ainsi soit que, qu'ainsi ne 
soit. Mais la première expression 
paraît de bonne heure pédantesque. 
Les deux expressions sont employées 
par les médecins de Monsieur de 
Pourccauf/nac (1, viii). Mais la se- 



conde est d'un emploi beaucoup 
plus courant. 

165. Estienne emploie la conjonc- 
tion composée avant que devant 
l'infinitif, au lieu de avant de dont 
nous nous servons aujourd'hui : 

Et avant que sortir de ce propos, j'adver- 
tiray que nous avons des façons de parler 
qui sont précédées d'une telle congnoiii- 
sance de la nature des animaux. 132. 

Avant que devant un infinitif est 
très fréquent au xvii« siècle comme 
au xvi", bien que Vaugelas préfère 
avant que de : 

Heureux si je pouvois, avant que m'immoler 
Percer le traître cœur qui m'a pu déceler. 
(Racine, III, 77.) 
On prétend que le vieil Wit, avant que 
mourir, ne cessoit d'encourager son fils à 
l'abaissement de cette maison. ( Jd. V . 72.) 

166. Comme se trouve au lieu de 
que après un mot exprimant une 
comparaison : 

Si je leur passois cela, ce scroit autant 
comme si je permettais à celuy que j'au- 
rois deflé d'user d'une espee plus longue 
que la mienne. 38. 

Comme est employé dans le sens 
de comment dans ce vers de Des- 
portes : 

Voyla donc comme amour du depuis nous 
[fait vivre. 9V. 
Nostre dispute fut... comme les biens 
peuvent être égaux. (Malherbe, II, 511.) 

Comme serait aujourd'hui consi- 
déré comme explétif dans cette 
phrase : 

A l'enlree de ma préface je respondray à 
certaines objections que j'ay preveues, et y 
satisferay, comme j'espère. 27. 

Corneille écrit encore : 

Ce beau feu vous aveugle autant comme il 
[vous brûle. (IV. 46il). 

Tous les rois ne sont rois qu'autant comme 
[il vous plaît. (V. SoG. ) 

Il a changé plusieurs vers pour 
éviter cette expression, condamnée 
])ar Vaugelas, mais il l'a laissée 
dans beaucoup d'autres. 

Comme explétif est fréquent au 
XVII® siècle : 

Je vais, comme je crois, savoir ce qu'il pro- 
[jetle. (Molière, Étourdi, II, vu.) 

Plusieurs propositions peuvent 
22 



Digitized 



by Google 



386 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



dépendre de comme sans que la 
conjouclîon soit répétée : 

G)mme on n'appelle pas un homme riche 
qni n'ha que ce qui loi est nécessaire, mais 
faut qu'il ait anssi des choses dont il n'ha 

Eoiot besoin et desquelles il se pourroit 
ien passer : et quant aux nécessaires il luj 
en faut avoir à rechange (ce qu'on dit pro- 
prement des accoustremens) : ainsi... 105. 

De même, dans Malherbe : 

Comme un homme a tous les sentiments, 
mais ce n'est pas à dire que tous les hom- 
mes aient desyeuxdeLyneiëe, aussi... II, 118. 

167. La conjonction négative ni 
se présente souvent sous la forme 
atone ne : 

Je ne veux pas advertir les lecteurs de 
prendre garde combien est viril le son de 
ces paroles francoises : ne aussi de consi- 
dérer autres telles choses qui concernent la 
gravité. 65. 

Mais aucuns vocables, avans ainsi la queue 
coupée, ne sont plus ne bon italien ne bon 
françois. 83. 

Malherbe a blâmé cette forme 
dans Desportes, bien qu'elle fût 
encore usitée au commencement 
du xvii* siècle. (Voir Brunot, Thèse, 
p. 487). 

168. Estienne emploie outre ce que 
au lieu de outre que : 

Outre-ce-que je l'ay tesmoigné il-y-a plus 
de douze ans. 2. 

Car outre ce que Virgile s'est heureuse- 
ment estudié à gravité, il a usé d'une lan- 
gue qui est gravu de soy-mesme. 55. 

Cette locution a précédé outre que 
qui est elliptique. Ce avait sa valeur 
pleine de pronom : outre cela que. 

169. Premier que s'emploie devant 
rinûnitif dans le même sens que 
avant que (aujourd'hui avant de) : 

A ceux qui me diront qu'il faudroit avoir 
mangé beaucoup du pain d'Italie, premier 
que pouvoir disputer si avant de son lan- 
gage. 30. 

On trouve dans Malherbe : pre- 
mier que de : 

Premier que d'avoir mal ils trouvent le 
[remède. I, 13 . 

170. Puis que s'emploie dans le 
sens de après que dans cet ancien 
proverbe cité par Estienne : 

Parole, puisqu'un roy l'a dicte. 
Ne doit pas estre contredicte. 6. 



Dans l'ancienne langue puis que 
signifie surtout depuis que, 

171. Quand avec le conditionnel 
s'emploie sans aucune valeur adver- 
sative, simplement dans le sens de 
si avec l'imparfait : 

Il m'est facile de louer entre les François 
leur langage : mais quand j'aurois en teste 
les Italiens et les Espagnols, il me seroit 
difficile de leur faire avouer ceste louange. 
27. 

On trouve, mais avec la valeur 
adversative, quand bien au lieu de 
quand même ou quand bien même : 

Le précèdent discours sera comme un 
esehantillon, par lequel pourra le lecteur 
juger combien uostre langage est riche, 
quand bien il n'auroit autre richesse que les 
termes qu'il a appropriez à chacun mestier. 
143. 

Au xvi« siècle quand se trouve 
assez souvent employé sans valeur 
adversative : 

<fnand je le sçauroys, je m'y en iroys en 
plus grande asseurance. (Rabelais, II, 

XXIV.) 

Quand bien se trouve encore au 
xvii« siècle : 

Mais quand bien vous auriei tout lieu de 

[vous en plaindre, 

Sophonisbe, après tout, n'est point pour vous 

[à craindre. (Corneille, VI, 49S.) 

17*3. Que omis devant la seconde 
de deux propositions coordonnées : 

Crardez bien qu'un matin e«f mots tut pre- 
[tieux, 

Comme oiseaux passagers, ne prennent leur 
[volée 

Et cest honneur aussi ne s'envole avec eux. 
[28. 

De même, au xvii» siècle : 

Qui n'eût cru... 

Que les champs se fussent vètns 
Deux fois de robe nouvelle. 
Et le fer eût en javelle 
Deux fois les blés abattus. 

(Malherbe, I, 88.) 

173. De la même façon, «t n'est 
ni répété ni suppléé par que dans 
la phrase suivante : 

Quant à moy, je ne doute point qoe sll 
avoit amassé ensemble ceux de tous ses 
mestiers, et eeluy des Italiens en avoit 
faiet autant des siens, il ne se trouvast 
aussi povre que le nostre se trouveroit 
riche. UZ. 



Digitized 



by Google 



OBSERVATIONS GRAMMATICALES. 



387 



Malherbe dit encore : 

Si quelqu'un, pour se revancher en voire 
endroil a fait ce qui lui est possible, mais 
votre bonne fortune l'en » gardé, vous 
n'avez point eu de sujet d'éprouver un ami. 
II, 230. 

174. Si7ion que est employé avec 
le sens de à moins que... ne : wj 

Comme ayans opinion que cest avis, 
encore qu'il rust bon, ne pouvoit estre heu- 
reusement suivi et mis a exécution, sinon 
qu'il fust autorisé par la bouche de cest 
autre personnage. 4-. 

Sinon que nous accordions, quant à 
seminano, ce qu'aucuns disent, que l'ac- 
cent est sur la première. 43. 

On trouve aussi une proposition 
commençant par • sinon que^ et 
n'ayant d'autre valeur que celle 
d'une proposition commençant par 
si et contenant une négation, ou 
encore celle d'une proposition com- 
mençant par n'eût été que : 

On je leur laisse à penser s'il eust ainsi 

f>arlé de nostre langue, sinon qu'il eui^t vu 
a sienne n'estre rien à comparaison. 16. 

Malherbe dit encore sinon que, 
dans le sens de à moins que... ne : 

Il 7 a de la cacophonie, sinon que vous 
prononciez en gascon. (IV, 416.) 

Ordre d«s mots. — 175. Certaines 
remarques relatives à Tordre des 
mots ont déjà été faites à propos de 
l'adjectif, du pronom personnel, etc. 
Bien que la phrase de Henri E^tienne 
ait ordinairement une construction 
très analogue à la construction 
moderne, il serait trop long d'étu- 
dier en détail les cas où son usage 
diflfère du nôtre. Il suffira d'indiquer 
très largement les principaux cas 
dans lesquels l'ordre des mots dif- 
fère de celui où nous les placerions 
aujourd'hui, sans répéter naturel- 
lement ce qui a été dit déjà : 

a). Place du complément déter- 
minatif du nom : 

Ck)mme un lion que point d'une grand' faim 

[la rage. 50. 

Dieu tout-puissant, que des mortels les 

[cueurs 

Sont entourez de ténèbres d'erreurs. 51. 



Mais, dans les deux cas, l'anomalie 
se trouve dans un vers, de sorte 
que les exemples sont peu carac- 
téristiques. 

b). Place du sujet, du verbe, du 
régime, de l'attribut : 

Entre lesquelles tiendra le premier lieu 

[ceste-ci. 27. 

Dire le pourront-ils, mais le prouver, non. 

[163. 

Et de ce dernier use Arioste entre autre.<«. 

[3.56. 

Non plus ne peuvent ces deux nations 

ftarler d escarmouche si nostre langue ne 
eur preste ceste diction. 355. 

Vray est qu'ils ne font pas ce tour à tous 
les vocables d'une clause. 46. 

Et sont rayaux des pièces longues et 
estroites qui se font ou dedans des moules, 
ou sur des tuiles de fer qui sont rayonnees 
en une certaine longueur. 141. 

c). Place de l'adverbe : 

Il est vray que malaisément ils trouve- 
royent des mots qui eussent ceste mesme 
signiQcation. 97. 

On sait qu'en poésie le complé- 
ment délermluatif du nom n'a pas 
encore cessé d'être placé avant le 
nom déterminé : on trouve dans 
Corneille des inversions beaucoup 
plus fortes que celles qu'on pour- 
rait se permettre aujourd'hui : 

Empêche que l'oubli de ta divine loi. 
L'enfonce du péché dans les plus noirs abl- 
[mes. (IX,-321.) 
Donne à tes serviteurs que tes bontés su- 
blimes. 
De ton sang adorable ont lavés dans les 
[flots... (IX, 479.) 

La plupart des constructions 
citées plus haut ont leurs analogues 
chez lui ou chez ses contemporains: 

... La juste colère 
Où jettent cet amant les mépris de U mère. 
(VI, 52.) 
Souffrir n'ai pu chose tant indécente. (La 
Fontaine, dans Haase.) 
Quand pourra mon amour baigner avec 
tendresse 
Ton firent victorieux de larmes d'allégresse? 
(Corneille, III, 332.) 
Apollon n'a point de mystère 
Et sont profanes ses chansons. (Malherbe, 
1, 65.) 
Ici fut l'arrogance à soy même funeste. (Cor- 
neille, X, 110.) 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX' 



A long' OU bref, 39 ; remplacé par 
e dans les mots italiens, 75 ; — rem- 
placé par t, 76 ; — remplacé par o, 
76 ; — au lieu de t, 76. 

a (marqué à T), 147. 

aliandonner , emprunté par 
Bembo, 285. 

Abliayer, avec un régime direct 
dans une citation d'Amadis Jamyn, 
57 ; au passif, 134. 

La plupart des chiens se contentent de 
l'aboyer [le hérisson], et ne se soucient pas 
de le saisir. Bupfon. (L.) 

- aboyer, emprunté par l'italien, 
abaiar, 397; en réalité les deux 
viennent sans doute d'une forme 
latine populaire, peut -être abba- 
diare. 

abliols (rendre les, faire rendre 
les), 124. 

L'empereur avoit déjà rendu les abbois 
et fait toutes submissions proposées par le 
due Maurice. Garlou, IV, 25 (L.) 

Proverbe : De 
cueur la bouche 



du 



l'abondance 
parle, 333. 

abondant (d*) par surcroît, de 
plus, 4, 35, etc. 

LiTTRÉ : « Cette locution a vieilli, 
mais elle n'est pas inusitée. » 

abourdeler, cité comme vieux 
mot, 187; Le dictionnaire de Gode- 
froy donne abourder, tromper, duper, 
jouer, et bourdeler ou bordeler, 
fréquenter les mauvais lieux. 

abiui que les Italiens font des 
mots français en en changeant la 
signification, 327. 



aeeent, existe en français, 39 
e»i observé plus soigneusement en 
italien, 43. 

aeeolnianeo de fol ne vaut 
rien. Proverbe, 305. 

aeeompafipner , emprunté par 
les Italiens et les Espagnols, 294. 

aceomparcr , comparer, 184. 

Ce à quoy je ponrrois accom parer la 
vieillesse, c'est à un rude et fâcheux hiver. 
tnvent. univ. de Tabar., VIII. Bibl. elz. 

(G.) 



emprunté par les 
Italiens, 308 

aecoiistumanee , coutume , 
habitude (dans un sonnet de Oes- 
portes), 95 : 

L'onction est attachée à l'accoutumance. 
Massillon. (L.) 

aeeoiuitrcnicnts , vêtements, 
sans idée péjorative, l(fô. 

Cktmme les accoustremens nous eschaufeht, 
non de leur chaleur, mais de la nostre qu'ils 
conservent. Charron, Sage$»e, I, 17. (L.) 

- meemn, usage de cette termi- 
naison, 100. 

k ce que signifiant afin que 
(dans la citation de Vigenère), o3 : 

Il écrivit à tous les évèques et archevê- 
ques de France, à ce qu'ils eussent à s y 
conformer. Racine, IV. 504. 

acerain : « Et pareillement du 
mot acier ont fait acerain m, 186. 

acheter : Proverbe : Assez 
achette qui le demande, 332. 

Achille, 30. 



1. Abréviations : G. z= Godefroy, L. = Littré, H. 
Thomas. 



D. T. =: Hatzfeld, Darmesteter et 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



389 



addenter : sens de cet ancien 
mot. 

adjectifs dont se servait l'an- 
cienne langue : pourprin^ marbrin, 
acerairiy fresnin, 186. 

«djourner, opposé à avesprer, 
200. 

Ajourner signifiait faire jour, et 
avesprer, faire nuit, commencer à 
faire nuit. 

Lors comença à ajorner, et l'ouz se eomença 
à armer. Villibardoudi. Edit. de Waillj, 
§184. 

adjonster, ajuster, 142. 

adresse vaut mieux que force ; 
proverbe, 228. 

advanturlor, cité comme vieux 
mot, 848. Les advanturiers étaient 
des soldats : 

Les gens estoient quinze mille hommes 
d'armes, trenie et deox mille chevaux legiers, 
quatre vingts neuf mille harquebousiers, 
eeat quarante mille adventuriers. Rabelais. 
I, il. 

adverbes empruntés par les 
Italiens : adverbes de temps, 319; — 
de quantité, 323; — de lieu, 325. 
Adverbes au superlatif, 87. 

iEsope, 219, 241, 242, 243. 

affaire, emprunté par les Ita- 
liens, 310. La langue française très 
propre aux affaires d'Etat, 149. 

affaltler, instruire, dans une 
citation du Romman d'Alexandre, 
199. Le mot signifiait aussi dans 
l'ancienne langue '.préparer, arran- 
ger, composer, etc. 

afflanno, 312. 

affectueusement, avec zèle, 
ardeur, piété, 3. 

afln que, emprunté par les 
Italiens, 318. 

- a|(e (terminaison) chongée en 
- aqgto par les Italiens, 278. 

ascrapper, accrocher, saisir 
violemment, mot emprunté par la 
langue italienne. C'est le même mot 
que agrafer, 311. 

Ainsi surprins et agrapé. Charles d'Or- 

LIÎAltS. (L.) 

i^SSi'^Abie, emprunté par les 
Italiens, 309. 

assreer, emprunté par les 
Italiens, 308. 

aisue, Aigues-Mortes, aiguière, 
181. H. Estienne pense qu'un poète 



peut encore employer le mot aiguë. 
Rabelais emploie encore aigué, 
mêlé d'eau : 

En banquetant du vin aigué séparoien 
l'eau. I, 34. 

alglantln, de l'églantier (dans 
une citation de Remy Belleau), 101. 

On trouve dans l'ancienne langue 
aiglant, églantier. 

Com flors novole d'aiglant. (G.) 
almelut, almelyre.H. Estienne 
aime mieux le second de ces deux 
composés que le premier, 162. 
ains, mais. 

Et comme sans espoir flotte ma passion, 
Digne non de risée, ains de compassion. 
Rkgmibr. (L.) 
Aint a péri..., il a cédé à un autre mo- 
nosyllabe et oui n'est au plus que son ana- 
gramme. La Brutérb. XIV. 

Ains vient sans doute de anteis, 
pour antea, ou de antius. 

Alexandre, 6. 

Alexandre {Roman d), 123, 
184, 199, 266. 

alléf(Orlques (proverbes), 243. 

allégresse, emprunté par les 
Ilaliens. allegranza, 258. 

Allemands : ont l'esprit aux 
doigts, 139,. — mots allemands, for- 
ment facilement des composés parce 
qu'ils sont courts, 164. 

aller, employé comme auxiliaire 
avec un participe présent, tournure 
imitée par les Italiens, 334. 

allier : « qui est mesler ensemble 
les métaux selon la loy donnée par 
le roy. » 140. 

aloy : « pour commencer par la 
matière, ils ont (outre le nom qu'ha 
chacun métal quand il est à part) 
billon et aluy. » 140. Le mot billon 
désignait un alliage au dessous du 
titre légal, et le mot atot non seule- 
ment le titre, mais la monnaie elle- 
même quand elle était au litre légal : 

O Dieu, ton parler efficace 
Sonne plus clair que fin alloy. 

Marot, Oraiaonê, VI. 

Fin alloy, d'après le lexique de 
l'édition Pierre Janne,signifiem<?f a/ 
de cloche. Dans Ronsard, aloy 
signifie or : 

Celuy qui dignement voudra ehanter ta 
[grâce, 

22. 



Digitized 



by Google 



390 



LEXIQUE-INDEX. 



T« vertu, t«s honneurs, il faudra qu'il se 

[fasse 

\rgentier général ou trésorier d'un roy, 

Ayant tousjours les doigts jaunes de ton 

' aloy. (L.) 

Il y a eu presque de tout temps 
une confusion entre aloi et alliage^ 
et le sens du mot s'en est quelque- 
fois ressenti. 

aima, préféré par Pétrarque à 
antnta, 261. 

aUresl, iUlien, pour aussi, %9. 

Amadta de Oaale, roman, 201 . 

nmnTirrt emprunté par les Ita- 
liens, amassar, 2&i. 

amateur, amourexix, 26. 

Estienne emploie l'expression 
amateur de sa patrie, 11, et dans 
ne sens le mot amateur n'a pas 
d'équivalent exact aujourd'hui : 

On se donne pour amateur de sa patrie. 
Massilloiï. (L.) 

Amblanl* « ceux d'Amiens », 
disent oué pour oui^ 171 . 

amblisalté, de la lanp-ne ita- 
lienne; arfdoWo si frnifiant adductus 
et adoptavity etc. 81 et suiv. 
un exemple, 18. 



Qéante en amène cet exemple. 

Malhbrbb. n, 178. 

amis {proverbes sur les\ *207. 

amignotter , 104. Estienne 
constate que les Italiens n'ont pas 
de mot équivalent. Amignoter qui a 
signifié parer, ajuster, est employé 
par Ronsard dans le sens de rendre 
caressant : 

En cent façons frisa ses tresses blondes. 
Amignota de ses yeux les regards. (G.) 

Le mot a eu aussi Iesensde/?af^/^ : 

Les personnes lesquelles ils amignottent. 
Sauvaigk. Trad. de Plut. (G.) 

amour (proverbes sur V), 220, 
248. 

Anaercon, 192. 

aneelle, servante : « Quant à 
nnceWe,il n'est pas tanthorsd'usage.» 
189. Le mot est employé une fois 
par Ronsard : 

.... Loyse fut celle 
Qu'elle choisit en Dieu pour sa très humble 
[ancelle. (Lex. de Ronsard par Mellerio.) 



aneleiui mets, sont une des 
richesses de la langue française, 184 ; 
— - dans les proverbe8,250;empruntés 
par les Italiens, 262 et suiv. 

aacore, encore, emprunté par 
les Italiens, anchora, 321. 

ancre, ancrer. Métaphores 
tirées de ces deux mots, 134. 

animal, être animé, 10. 

NicOT : Un animal, c'est-à-dire 
une créature ayant âme. 

animaux {proverbes sur les), 
203. 

ansolot: De jeune angelot vieux 
diable. Proverbe, 204. 

Antlochus, 118. 

h peine, emprunté par les Ita- 
liens, appena, 323. 

apocope dans les mots* italiens, 
parlar pour parlare, etc. 46. 

Apollonius de Rhodes, 52. 

apparence, vraisemblance et 
même possibité, 314. 

Il n'y a point d'apparence d'être prodi- 
eue dans la pauvreté. Balzac, liv. V, lett. 
9. (L.) 



ancidere, tuer; préféré 
Pétrarque à uccidere, 161. 



par 



Il n'y avait pas d'apparence d 

mon ami dans un si grand accablement 
d'affaires. Scarron, I, 104. (L.) 

apparoir. 3® pers. du singnl. 
du prés, de l'ind. : il appert, 121. 

Appert-il mieux des dispositions des 
hommes que par un acte signé de leur 
main? La Bbutêrk, XIV. (L.) 

appartenances, ce qui dépend 
de quelque ch., 132. 

Faire les lois, donner les dispenses, sont 
des appartenances de l'autorité souveraine. 

BOSSUBT. (L.) 

appcndre, noté comme un mol 
dialectal dont usent les poètes. 

appointes (soldats), 353 : Fu- 
RETiÈRE : « On appelle à la guerre, 
des soldats appointés, ceux qui ont 
une plus haute paye que les soldats 
ordinaires, pour estre anciens dans 
le service. » 

apprendre, mot emprunté par 
les Italiens, 305. 

approciare, approcher ; em- 
prunt fait par les Italiens aux Pro- 
vençaux, d après Bembo, 260 

Aquitains, disent oc dans le 
sens de ita (oui), 171. 

arain, airain, 193. Voir Thnrot, 
Prononciation française, I, 336. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



391 



aralncfl, trompettes, 192. 

Moult souaèrent bien les arainnes. 
MocsK., Chron., 21771. (G.) 

aranda, à peine, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, d'après 
Bembo, 259. 

arbor, a donné au français arbre^ 
à l'italien arbore, forme à laquelle 
on préfère albero, 74, 

are, arehet, arehelct, 98. 

arehoyer, tirer de l'arc (cité 
comme vieux mot), 187. 

Il amoit archoier en bois. Guillauxb db 
TïB, XV, 22. (G.) 

ardoir, ardre, brûler, 223. 
Ardoir vient régulièrement de ar- 
dëre; pour expliquer ardre il faut 
supposer une forme corrompue, 
ardërc, avec e bref. 

arer, labourer : Estienne dit 
qu'on peut emprunter ce mot au 
dialecte de la Savoie, en changeant 
la terminaison qui est ar au lieu de 
er, 182. Le mot était usité dans 
l'ancienne langue : 

Fai, beaa sire, ta paiz crier. 
Que II vilain puissent arer. 

Bbx. D. de Norm. (G.) 

argenlelet, épithèie d'un riiis- 
selety dans Rémi Belleau. 101. 

Arlosto, 49, 50, 51, 52, 54, 55, 
56, 83, 84, 276. 

amefle, haroois, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, d'après 
Bembo, 257. 

arondelettos,diminutifde aron- 
€?e,aron£fe^e,hirondelledans Belleau, 
101. Au xvii» siècle on disait encore 
arondelle : « arondelle, hirondelle 
heredellesonttous trois bons ; heron- 
delle est le meilleur.» Maro.Buffet. 
Observât., 63. (L.) Primitivement, 
arondel, arondeaux, désignait les 
petits des hirondelles, et Cotgrave 
donne arondelet comme ayant le 
même sens : « Arondelet^ as aron- 
deau ». Mais dans Belleau, le mot 
arondelettes n'est qu^un terme mi~ 
gnard pour désigner les hirondelles. 

arrière, en arrière, derrière, 37. 

Les adherens de Camillus repoul soient 
le sergent arrière de la chaire. 

Amtot, Cam., kl. (L.) 

arriegarde, imité par les Ita- 
liens, retroguardia^ 355. 



arrlngo, « pour la lice où on 
court la lance, » emprunté par les 
Italiens aux Provençaux, d'après 
Bembo, ^7. 

arriver, emprunté par les Ita- 
liens, 285. 

art (termes de 1'), termes tech- 
niques, 290, 300. 

arta et métiers, métaphores 
qu'on en lire, 138. 

aspiration : « La langue ita- 
lienne ôte l'aspiration à plusieurs 
mots qui commencent par c. » Can- 
giar pour changer^ caccia pour 
chasse^ etc., 297. 

assaslar, mot emprunté au 
français essayer ou assagir, 308. 

assaillir, emprunté par les Ita- 
liens, assalir, 301. 

assentbrar, emprunté par les 
Italiens, 255. 

assex, emprunté par les Ita- 
liens, assai, 323. 

assurer (s'), être sûr : 14, 
37, etc., se rassurer, 93 (dans Des- 
portes). 

Etre sûr : Queloue chien enragé l'a 
mordu, je m'assure. Moliérb, Ecole des 
femmes, II, ii, (L.) 

Se rassurer : Princesse, assurez-vous, 
je les prends sous ma garde. Racine, 
Athalie, II, VIL (L.) 

— astre (terminaison) empruntée 
par les Italiens — astro, 282. 

Atlas, 158. 

atre : « On appelle en ceste 
ville de Paris et en quelque:* autres 
lieux circonvoisins un atre ce 
qu'ailleurs est nommé un /byer», 174. 

attend : Mal attend qui ne per- 
attend. Proverbe, 302. 

attendre, emprunté par les Ita- 
liens, attendere, 304. 

attralre, attirer, 262. 

Parfois on peut donner pour les valants 



attraire. Rbgnibr. Sat. 



.(L.) 



Auiialn. « Ainsi un cheval 
blanc s'appeloit Aubain », 189. 

aube, 189. 

aube «Mipine, 189. 

aue, oui, chez les Auxitani, 
a ceux de Languedoc », 171. 

aucuns, quelaues (adj.), quel- 
ques-uns (pron.) 6, 21, 29, 32, etc. 

Plusieurs avaient la tète trop menue. 
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue. 
La Foniainb, Fables, VI, vi. 



Digitized 



byGoogk 



392 



LEXIQUE-INDEX. 



aueuaemeiit, en quelque fa- 
çon, quelque peu, 11, 14, etc. 

J'ajoute à eelle-ci l'épithète de héroïque, 
nour satisfaire aucunement a la ài^té de 
ses personnage». CoRWiaLB, V, *iO. 

audienee : digne de vostre au- 
dience, difrne d'èlre entendu par 
vous, 7. audience «igniûe dans cette 
phrase : attention que Von a en 
écoutant, comme souvent encore au 
XVII* siècle : 

C'est lors que plus il m'aime, et je vois sa 

1 r [raison 

D'une audience avide avaler ce poison. 

[MOLIÉRB. Don Garde, II, i. 

ausello, oiseau, préféré par Pé- 
trarque K uceello, 861. 

Augumte, son goût pour la gram- 
maire, 7. 

aumiMiiilere, 108. 

auprès, emprunté par les Ita- 
liens, appresso, 325. 

autant pour aussi^ devant un 
adjectif ou un adverbe, 229, 326. 

Passons chez Octavie, et donnons lui le 

[reste 

D'un jour autant heureux que je l'ai cru 

[funeste. Raciwk, II, 332. 

authentiquer, terme juridi- 
que, rendre une chose valable en la 
revêtant des formes officielles. Es- 
tienne emploie le mot par méta- 
phore, 4. 

A u propre : Pour authentiquer la con- 
stitution. BossuBT, L»«. quiét., 468. (L.) 

%uxltanl, « ceux de Langue- 
doc «, m. , , „ 

avaller, emprunte par les Ita- 
liens, avallar, 286. 

avantage, avantaseux, em- 
pruntés par les Italiens : aventag- 
nio, 279 ; avantaggio, 284, 286 ; van- 
taggio, 332 et 35t ; vantaggioso, 357. 

avantase (d'), de plus : 2, etc. 

NicoT : D'avantage en m'en allant 
j'ay parlé au serviteur de Chrêmes. 

avantaser, emprunté par les 
Italiens , avantaggiar 286. Etre 
avantagé^ avoir un avantage, 318. 

Lequel vovant son compaigiion mort, et 
le moyne advantaigé sus soy. Rabelais, I, 

XLIV.'(L.) 

aTant-eonreur, 152. 
avant^sarcle, emprunté par les 



Italiens, avanguardia ou vanguar- 
dia, 355. 

avant-mur, Monet : « Prse- 
tensus inœnibu» munis. Exterior 
mûri ambitus mœnibus circumda- 
tus ». — LiTTRK : «< Enceinte de 
murailles la plus éloignée du corps 
de la place ». Estienne dit que les 
« vieux guerriers » pourront vouloir 
que ce mot obtienne reintegrande, 

avare : les diverses façons de 
désigner un homme avare, 106 et 
suiv. ; étymologie du mot, 106. 

aYenamment, gracieusement, 
266 (dans une citation). 

avenir, arriver, atteindre, par- 
venir, 134. 

Quand j'entreprendrois de suivre cet 
autre style, je n y sçaurois advenir. 

Moin-AiGNR, m, 38. 

aventure , emprunté par les 
Italiens, qui ont décapité le mot : 
Ventura, 332. Prendre aventure, se 
risquer, 56 (dans une citation). 

avertir , avertiflsements , 
détournés de leur sens par les Ita- 
liens, 330. 

avesprer, commencer à faire 
nuit, 189 et 200. 

Moult sui joians quant je voi avesprer. 

[Uuon de Bord. 4955. (G.) 

avis, aviser, détournés de leur 
sens par les Italiens, 330; aviser^, 
emprunté par les Italiens, 308 ; avi- 
ser, instruire, conseiller , avertir, 
(dans un proverbe) : Un fol avite 
bien un sagey 206 ; fai advisé rfc, 
j'ai résolu de, itatux (dans la cita- 
tion de Vigenère), 62. 

Avertir : J'en suis utilement advisé par ce 
[récit. MONTAiGHB, I, lOJ. (L.) 

Rétoudre : J'advisay d'en tirer quelvae 
[usage. BioîtTAiGSK, I, 95. (L.) 

avoeat : De jeune advocat , 
héritage perdu. Proverbe, 218. 
avouée : approuver, 5. 

Les Dieux n'avoueront point un combat 
[plein de crimes. Cornbillk, III, 317. 

avoueur, approbateur, 38. On 
trouve dans l'ancienne langue le 
mot avoueur signifiant défen9eur{en 
justice), et même protecteur. (Voir 
Godefroy.) 

iiaeule, bascule, cité comme 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



393 



terme militaire, 349. D'après Littré 
et Schelcr, les éléments du mot 
sont bat-cul, que l'on retrouve en- 
core dans le mot bacul, sorte de 
croupière. 

FuRETiÈRK, au mot bascule : Con- 
trepoids qui sert à lever le pont 
levis d'une ville, d'un chasteau. Ce 
sont de grosses pièces de charpente 
dont une partie s'avance en dehors 
la porte, et soutient des chaînes 
attachées au pont levis; et l'autre 
est en dedans la porte qui en fait 
le contrepoids. Elles se meuvent en 
équilibre sur deux forts pivots 
attachés aux jambages de la porte. 

bAlllI : M Aujourd'hui bailli est 
à peu près le mesme qui es autres 
contrées de la France est appelé 
seneschal », 267. Nicot : Ainsi 
appelé, parce qu'il a en sa baillie, 
c est-à-dire sous son gouvernement 
et jurisdiction ceux de son bailliage. 
Et notez qu'au pais de Langue 
d'ouy on appelle communément 
Bailly celuy que es pays de Lan- 
guedoc et adiacens on appelle Se- 
neschal, combien que audit pays de 
Langue d'ouy il y ait aussi quel- 
ques Seneschaux. 

Iialllle , puissance , !>ei»cneurie 
(cité comme ancien mol), 367. Em- 
prunté par Bembo et Boccace, ba- 
lia, 266. 

Mais fortune qui mlia en sa baillie 
Les ha du lout de mon cueur déboutez. 

Charlks d'Orliîàns. (L.) 

Montesquieu l'emploie encore 
comme terme de droit féodal : 

Lorsque le tuteur ou celui qui avait la 
baillie voulait courir les risques de cette 
procédure. Bêprit de$ Loi», XXVIII, 25. 

ballar, emprunté par les Fran- 
çais aux Italiens, baller, 266. 

Ce fut luy qui le premier inventa la ma- 
nière de bâiler armé. Amtot Nwna, 23. 

(L.) 

Iiandoii (mettre à) : Qui fait 
noces et maison et plaide à son 
seigneur, il met le sien à bandon. 
Proverbe, 246 .Primitivement mettre 
à bandon signifie mettre au pouvoir 
de qqn, bandon signifiant pouvoir, 
autorité; puis livrer d qqn, laisser 
aller, abandonner. Nicot, abban- 



donner : u Est un verbe fait de 
Abbandon, et signifie mettre à 
bandon, c'est-à-dire au plaisir et li- 
berté d'un chascun pour en faire ce 
qu'il voudra ». 

Iianiilère, emprunté par les 
Italiens, 356. 

Iiarat, cité comme vieux mot, 
198 ; emprunté par les Italiens, 329. 

Iiarliarefl, ce que Bernardino 
Tomitano entend par expressions 
barbares, 169. 

Iiarbe : Il ne faut pas faire à 
Dieu barbe de paille, au heu de gerbe 
de paille. Proverbe, 252. 

iMUidUon, bastion. Mot em- 
prunté par les Italiens, 355. Bastil- 
lon est l'ancienne forme française, 
bastion la forme italienne ou pro- 
vençale. 

Iiatallle, emprunté par les Ita- 
liens, bataglia ou battaglia, 278 et 
355. 

Iiatalllon, emprunté par les 
Italiens, battaglione, 355. 

Iiatterle, emprunté par les Ita- 
liens, batteria, 356. 

lêattre les métaux. Voir flattir. 

Bayf (Antoine de), 95. 

Iiaube, bègue Charles li 
Baubes, 189. 

bec, mot gaulois, d'après Sué- 
tone, 197. 

Belge*, disent w pour oui, 171. 

■Bellay (Joachim du), 159, 175, 
188. 

nelleau (Kem\), 99. 100, 101, 
102, 103, 124, 128, 130, 175. 

nembo, 20, 47, 85. 86, 87, 91, 
^3, 256, 257, 261, 264, 266, 280, 
281, 285, 286, 288, 289. 290, 291, 301. 
302, 306, 309, 315, 317, 318, 319, 
320, 321, 322, 323, 324, 326, 333, 
334, 336, 337, 338, 339, 340, 341, 
342, 343, 346. 

Pour rendre grâces et honorer sa libé- 
ralité et beneflcence. Amtot. Publicota, 

36. (L.) , 

Le mot bienfaisance, qui se trouve 
dans un glossaire du xiv" siècle, 
n'a été vraiment créé que par l'abbé 
de Saint-Pierre et figure pour la 
première fois dans le dictionnaire 
de l'Académie en 1762. 

I»eniiiaiixa, bénignité, mot em- 
prunté par les Italiens, 25J8. 



Digitized 



by Google 



394 



LEXIQUE-INDEX. 



wm^^mmmM^ i 11 Jb DC craindfois point 
d'user de benne au lieu de^ce <jue 
nouB disons tombereau », 176. C'est 
le même mot que banne. 

l^rsainaMiae (langage), mau- 
rais italien, 169. Les habiUnts de 
Bergame avaient la réputation de 
parler une langue très corrompue. 
Iienuise, suite, train, équipage, 
177. 
■eral (Hugues de), 198. 
besoin fait la vieille trotter , 
Proverbe, 223. Au besoin congnoist 
on Tami, Proverbe^ 226. Mot em- 
prunté par les Italiens, bisogno, 279. 
Cela me fait besoin plus usité que 
cela me fait mestier, 338. 

listes, proverbes relatifs aux 
bêtes, 243. ^^^ ^ 

beuTOter, diminutif, 10*2, bu- 
votler. , 

Bible (la) nous fait connaître la 
grande ancienneté de la vénerie, 
118. 

bleeo, louche, emprunte par les 
Italiens aux Provençaux, d'après 
Bembo, 260. 

Men, emprunté par les Italiens, 
ben, 314. _ „ 

BISne (Gaces de la), 122. Es- 
tienne l'appelle Gaces de la Vigne. 
Mllon, 140 : NicoT : Est toute 
espèce de monnoye qui ne court 
plus, ou est décriée pour eschar- 
seté (défaut d'une pièce qui n'a pas 
le titre ordonné. G), ou autre dé- 
faut. Ainsi dit-on des espèces de 
monnoyes descriees qu'il faut les 
mettre *au billon, et cizailler. 

bisayeal, formé de la même 
façon que le mot grec Dipappos, 
157. 

blane, emprunté par les Italiens 
et les Espagnols, biancho et blanco, 
272. 

blanchis, 141. Furettère : 
m Blanchir se dit aussi de la neuf- 
vième façon qu'on donne aux flans 
des monnoyes, lorsqu'on leur donne 
la couleur naturelle de leur metail. 
Ce blanchiment se fait par le Mais- 
tre, ou Fermier, qui met les espèces 
d'or, d'argent, de billon, et cuivre 
dans un pot bouillir sur le feu avec 
de l'ean et de la bouture. — Blan- 
chiment, en termes de Monnoye, 
est une façon qu'on donne aux flans 



avant que de les marquer, en les 
faisant bouillir dans de l'eau com- 
mune avec le sel, le tartre ou gra- 
velée; après quoy on les lave, on 
les sèche, et on les essuyé. » 

blandlssemens, à peu près 
synonyme de caresses^ flatteries, 
262. 

Tacher à obtenir quelque chose par blan- 

dissemente, doulces parolles et rtatenes. 

R. ESTIKNXE, Thés. (G.) 

blé, emprunté par les Italiens, 
biada, 277. 

btocals, 359. Le mot vient de 
l'allemand : c'est le même que 
blockhaus. Au xvi« siècle il est tout 
à fait synonyme de fort, comme le 
montre cet exemple de Martin Du 
Bellay : 

Au bout d'iceluy pont les ennemis avoient 
fait un blocu (car ainsi nomment-ils ce que 
nous appelions un fort). (L.) 

blondclettes, les tresses blon- 
delettes^ dans une citation de Rémi 
Belleau, 100. 

Boeeace, 259, 260, S64, 265, 
266, 267, 268, 273, 280, 281, 283, 
287, 292, 293, 301, 302, 305, 309, 
310, 311, 313, 314, 315, 316, 317, 320, 
323, 324, 325, 326, 330, 334, 338, 
339, 340, 313, 358. 

bonasse, calme de la mer après 
un orage (aujourd'hui bonace) 134. 

Je changeai d'un seul mot la tempête en 
[bonace. Cornbili.e, IV, 177. 

bond : Que de bond, que de 
volée, 136 ; métaphore tirée du jeu 
de paume : tant de bond que de 
volée, soit au bond soit à la volée, 
c'est-à-dire comme on peut, d'une 
façon quelconque : 

Si ne voulut-il perdre son desjeuner, 
lequel estoit prest, que de bond que de 
volée. Des Pkriebs, tontes. (L.) 

Soit de bond, soit de volée, que nous en 
cbaut-il, pourvu que nous prenions la ville 
de gloire (le paradis). Pascal, Prot?. IX. 
(L.) 

bonnement, bien, conveoa 
blement, vraiment, 317. 

La nécessité des guerres porte à tous les 
coups do faire le gast, ce qui ne se peut 
faire bonnement en nos biens propres. 

MUKTAIGMS, I, 355. (L.) 

bonté : Une bonté autre re- 
quiert. Proverbe^ 230. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



395 



Borgia (Lucrèce), 301. 

Itorgne est roy entre aveugles. 
Proverbe, 227. 

Itorgnoyor : « pour regarder 
de costé, a la façon aun borgne. » 
H. Ëstienue regrette ce vieux mot. 

Borgnoyant Pbœbus de travers. (Jacques 
Tahureau, dans Lacome.) 



K dict de la lune », 
162. Ce composé plaît à Estienne 
parce qu'il se termine par un mono- 
syllabe. 

Iiotterel, crapaud, 270. 

boueho : Entre bouche etcuillier 
vient souvent encombrier. Proverbe, 
219. 

Iioaehelette, diminntif employé 
par Rémi Belleau, 101. 

Iiouer : « duquel mot on use, 
quand on les refrappe sur les coins 
(les pièces de monnaie) pour les 
arrondir. » 141. Furetière : a Bouer 
se dit de la huitième façon qu'on 
donnoit aux monuoyes qu'on fabri- 
quoit au marteau. On frappoit sur 
un bloc de flans entassé, lequel 
s'affaissoit tout à coup, et faisoit 
joindre, coupler, et toucher d'as- 
siette les deniers de monnoyage, 
afin de les faire couler plus aisé- 
ment au compte et à la main. 
L'Ordonnance enjoint de repeter 
cette façon deux fois, et de recuire 
et rechausser les flans à chacune 
de ces façons, et de boûer une 
troisième fois sans recuire; après 
quoy l'ouvrier met les flans entre 
les mains du Maistre pour les blan- 
chir. » L'opération se faisait avec 
un marteau appelé bouard ou bou- 
vard. Littré voit dans ce nom une 
métaphore et croit que du nom de 
l'instrument est venu le verbe dési- 
gnant l'opération. 11 est possible au 
contraire que bouer soit le mot 
dialectal qui signifiait ereiuer et 

Sue bouard vienne de bouer (H. 
I. T.) 

Itoulever, boulevard, emprunté 
par les Italiens, 355. 

L'espine avec ses apophyses sert coinme 
de boulever et foniflcatioa à la mofille spi- 
nale. Paré, XIV, 12. (L ) 



_ une des villes qui 
prétendent avoir le meilleur lan- 
gage après Paris, 170. 



bourse, vient du erec Byrsa, 
198. Le mot ne vient du grec que 
par l'intermédiaire du bas-latin. 

boatofeu, boutoguerre, 160. 

Néron devenu parricide, boutefeu. MoN- 
TAIGXE, I, 13. (L.) 

BovUlus (de Bouelles), 171. 

boxxo, bâtard, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, d'après 
Bembo, %9. 

braehmar, étymologie du mot, 
196. 

brasard, brave, hardi, fier, 
présomptueux, élégant, joli, paré. 
(Le mot se trouve dans un vers 
qu'Henri Estienne attribue à Ron- 
sard, p. 55.) 

brane, « fréquent es Rommans, 
qui adjoustent aussi ordinairement 
ces mots d^acier, car ils disent un 
branc d'acier ». 196. Le mot dési- 
gnait la lame de l'épée, et l'épée 
elle-même : 

Caint H l'espee dont li brans est forbis 
{Àuberi, dans Godefroy.) 

Item à maistre Ythler, marchant. 
Auquel je me sens bien tenu 
Laisse mon branc d'assier tranchant. 
Villon, PHit Testament, XI. (G.) 

brapMiSe : « C'est le salaire 
qu'on distribue au maistre qui fait 
la monnoye, etc. » 142. Furktière : 
« Terme de Monnoyeur, qui se dit 
de la Manufacture des monnoyes. 
Le brassage est la peine de I ou- 
vrier, dont la plus grande est celle 
de bien remuer avec les bras l'or et 
l'argent en grenaille, qui est dans 
des sacs, quand il y en a de diffé- 
rente valeur, pour en faire un 
meslange fort égal, et avoir la 
monnoye au titre qu'on désire. 
Dans le droit de brassage est com- 
pris le droit du Maistre, du Mon- 
noyeur, et du Tailleur de la mon- 
noye, qui s'appellent particulière- 
ment ouvrage, monnoyage et ser- 
rage. » 

bravade, paraît signifier osten- 
tation dans cette phrase : u Nous 
appelons parade et bravade (eux 
diroient piaffe) ce que nous nom- 
mions magnificence ». 351. Cepen- 
dant d'après Nicot, Monet, Fure- 
tière, Littré, Darmesteter, Hatzfeld 
et Thomas, le mot ne paraît pas 
avoir eu ce sens. Il subit peut-être, 



Digitized 



by Google 



396 



LEXIQUE-INDEX. 



dans Tcsprit de Henri Estienne, l'in- 
lluence de braverie. 

brebis : De brebis comtees 
mange bien le loup. Proverbe, 236. 

bref (en), brièvement, en abrégé, 

143. 

J'ai dit en bref ce que le lieu requeroit. 
Calvin, Inatit. 162. (L.) 

breTO, 143. Du Cange et Fure- 
tière donnent la même définition 
que Henri Estienne. 

brèves, les syllabes brèves en 
français, 40. 

bricoles, ancienne expression 
militaire, empruntée par le jeu de 

Faume, 349. Le mot désignait, dans 
art militaire du moyen âge, une 
machine à lancer des pierres. Il 
désigne ensuite le bond que fait 
la pierre lancée, puis, par assimi- 
lation le bond de la balle au jeu 
de paume, lorsqu'elle a louché une 
des murailles. 

Et nous logerons au plus près de la ville 
que nous pourrons, hors du irnit de leurs 
bricoles. Froissard. III, iv, Ib. (L.) 

brlefveté : la langue française 
est plus capable de brièveté que 
la langue italienne, 65. La brièveté 
est un des principaux mérites de 
notre lansue, 90. 

bride, emprunté par les Italiens, 
briglia, 337. 

brigade, signifiait autrefois com- 
pagnie. Emprunté avec ce sens par 
Boccace, 268. Nicot : «« Brigade. 
Est diction collective, et signifie 
trouppe, compagnie. Une brigade 
de jeunes hommes, Adolescentium 
coitio., cœtus. » 

brigand, brigandine, 348. 
Du Cange, brigancii : « Briî?and, 
c'est une manière de gens d'armes 
courant et apert, à pié. » Nicot, 
Brigand^ anciennement estoit un 
mot militaire signifiant l'homme de 
guerre armé de brigandine. LaVlWe 
de Paris offrit pour la ville et vicomte 
600 glaives et 400 archers, et mille 
Brigands, et pour ce que ces gens 
de pied, allans et venans à la guerre, 
pilloient le peuple, on a prins ce 
mot pour un larron de campagne, 
un voleur de paya, qui exerce le 
brigandage es chemins et voyes 
publiques. » 



Brigandine. Nicot : « Brigandine 
est une espèce d'armure de fer, 
dont les brigans estoient armez, 
faite à lames estroites, qui consent 
aux courbeures et plieures du corps 
de l'homme qui en est armé, ce que 
ne fait le corcelet. » 

brode : « A Orléans , et aux 
environs, une femme brode signifie 
une femme brunette », 174. Le mot 
brode, au xvi« siècle, désignait un 
pain demi-blanc, fait de froment et 
de seigle (G). De là le sens de bis, 
brun. 

bruit, réputation, 4. 

Elle vous Tait tandis cette galanterie 
Pour s'acquérir le bruit de fille bien nourrie. 
GORrtKlLLB, II, 168. 

■runetto l4»tlnl, 16, 281. 

briinettes : aussi bien sont 
amourettes, soubs bureaux que 
soubs brunettes. Proverbe, 248. 
Nicot : « Tantost est adjectif et est 
le diminutif de brune, tantost est 
substantif, et signifie drap noir. 
Comme il estoit veslu d'une fine 
Brunette, c'est-à-dire d'un fin drap 
noir. Nicoles Gilles en la vie du 
Koy Jean, Et ledit prevost print le 
chapperon de mondit S'îipneur le 
Duc, qui estoit de Brunette noire 
orfaverisé d'or. » 

bulsart, on * ne peut faire de 
buisart un esprevier. Proverbe, 203. 
« Il est vray qu'on trouve escrit 
buison, au lieu qu'on dit aujourd'huy 
buisart ou busart. » 

Ainz ne vis faire de buison 
Bon espervier ne bon faucon. 

(RoB. DK Blois, dans Godefroy.) 

Nicot ne donne que la forme 
buisart. 

bureaux (voir brunettes) ; le 
mot ôitreau désigne une grosse étoffe 
de laine. 

Est toulesfois requis d'avoir quelque peu 
de laine noire, pour raesler avec la blnnche, 
en faire des draps gris, ou seule, des bu- 
reaux pour les habits du mesnage. O. vu 
Serres, 317. (L.) 

Durgund't ^^^ Bourguignons, 
disent oy pour oui, 171. 

burlar, se moquer, en espagnol 
et en italien, 263. 

C pour ch ou ch pour c dans le 
dialecte picard, 175. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



397 



eaboelie, eaboehard : « Et 

en ce nombre sont plusieurs des 
Picards, comme caboche pour la 
teste (d*uù vient cabochard pour 
testu ou testardj c'est-à-dire opi- 
niastre) », 175. 

Littré considère caboche comme 
un mot bourguignon. 

ealme, considéré par Estienne 
comme un mot emprunté à la 
marine, 134. Il faut probablement 
se reporter plutôt au mot provençal 
calma désignant, comme en espa- 
gnol et en portugais, le moment le 
plus chaud du jour, le moment de 
la cessation du travail. Bas-latin, 
cauma, chaleur, même sens qu'en 
grec. 

eamuscttesi épithète des brebis 
dans Rémi Belleau, 101. Le mot est 
aussi employé par Du Bellay : 

Les bergiers avec leurs musettes 
Gardant leurs brebis camusettes. (L.) 



D, terme militaire, 
emprunté par les Italiens , 355 ; 
meurtrière, ouverture pour tirer le 
canon. 

II Tailut Taire d'une vieille canonnière une 
porte où la cavalerie peust passer. D'Au- 
BiGHé. Hitt., II, 150. (L.) 

eapltalno, en usage « des le 
temps de nos ayeuls », 349. Littré 
cite des exemples de la forme actuelle 
au XIV» siècle. 

€aro (Annibal), 19. 

earolar, danser, mot que les 
Italiens ont pris au français, 266. 
Asses i ot dencié et quarolé. Lea Loh. (G.) 

earpo, et ses diminutifs, car- 
peau^ carpillon, 99. 

casomate, Henri Estienne se 
plaint qu'on ait emprunté ce mot 
aux Italiens, 351. 

Castolvetro, 19, 255, 256, 258, 
259, 314, 3ii2, 332. 

Cataneo, 356. 

cavor,creuser,dans Desportes,95. 

A mis le pied dans la fosse 
Que lui cavoient les destins. 

Malherbe, I, 2^. 

co, employé comme pronom. (Voir 
Observations grammaticales, 76.) 

ceinturon : a Ce mot (portespee) 
a esté appliqué au pendant de la 
ceinture, lequel en quelques lieux 

PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 



on appelle aussi le ceinturon n, 159» 
Le second sens donné par Cotgrave 
s'accorde avec la phrase d'H. Es- 
tienne : A short, or smdll girdle, 
or side-piece of a paire of hangers. 
Le mot ceinturon ne se trouve ni 
dans Nicot, ni dans Monet. 

Colsus (Cornélius), 215. 

Celtes, 172. 

Cerealls, 57. 

CerrctanI, 49. 

eervo, bische, « Du Bellay en a 
usé (priant toutesfois ne trouver 
mauvais ce mot) », 188. 

César grammairien, 7; divise la 
Gaule en trois parties, 172. 

eestuy (voir Observations gram- 
maticales, /5). 

chaloir, emprunté au français 
par les Italiens, d'après Bembo, 256. 

Chambre : Les chambres vuides 
font les sottes dames, Proverôe, 238. 

changements que les Italiens 
ont fait subir aux mots latins, 73 et 
suiv. ; changements dans les mots 
qu'ils ont empruntés au français, 
277 et suiv. 

changer, devient en italien can- 
giar, 296. 

chansonnette et canzonetta, 
97. 

chapon : oncques chapon n'aima 
gelines. Proverbe, 249. 

chaponneau, 174. 

charge, charg;er, deviennent 
en italien carico, caricar, 297, en 
espagnol carga et cargar, 297. 

charlages, emprunté par les 
Italiens, cariaggi, 356. 

Charle cinquième, roi de 
France, 122. 

Charles TIII, 345. 

Charles le Quint, 31. 

charmepones, épithète du som- 
meil, 163. 

charrue: La charrue va devant 
les bœufs. Proverbe, 234. 

chartée, charretée, 180. 

Chartres, une des villes qui 
prétendent parler la meilleure langue 
après Paris, 170 

ehasse, métaphores empruntées 
à la chasse, 117 et suiv. Métaphore 
tirée du jeu de paume •. Afa^J}*®*. 
bien ceste chasse, «au. Wevi ^^^^^^^^^^ 
ï.renez bien garde a co po\ï^^ ^,?kï -. 
je vous advenir, 1^7. ^t3ï^t5.t^t^* 

23 



Digitized 



by Google 



398 



LEXIQUE-INDEX. 



m Chaste en termes de Joueurs de 
Paume, est une chute de balle à un 
certainendroitdu jeu, qu'on marque, 
au delà duquel il faut que l'autre 
joueur pousse la balle pour pagner 
le coup... On dit proverbialement. 
Marquez cette chasse, pour dire, 
Remarquez bien cette action que 
vous avez faite, je m'en ressentiray 
en temps et lieu ». 

chasse, e^namw, deviennent 
en italien eaccia, cacciar, 297. 

ehasseTent, compose qui plaît a 
H. Estienne parce qu'il se termine 
par un monosyllabe, 162. 

eha»tto:Bien se chastie quMpar 
auslruy se chastie. Proverbe, 227. 

ehaU-ehatellfl, vieux mot mi- 
litaire employé par Joinville, 350. 
GODBPROY : . Sorte de paierie rou- 
lante et flanquée de tours, employée 
pour l'attaque des places fortes ». 
Le mot chat à lui seul désignait 
une galerie roulante, mais non munie 
de tours. . . , 

ehaut, 3« pers. sing. près. ind. 
du verbe chaloir, avoir de l'impor- 
tance (pour qqn), causer du souci, 
57. Ce verbe, qui était autrefois 
complet, ne s'emploie plus qu à cette 
3« personne et à la 3« personne du 
futur. , , 

ehe, que, mot emprunte par les 
Italiens au français. Ses différents 

usages, 315. . 

ehomln,choiiiliier,deviennent 

en italien et en espagnol eamino, 

caminar, 297. 

ehenot, 174. , 

cher (avoir plus), aimer n»eux, 
cité comme expression picarde, 340. 

ehercher, emprunte par les ita- 
liens, cercar, 291. 

ehoro, les Italiens conservent a 
ce mot, chera, son vieux sens^visage, 
qu'il a dans les proverbes Belle chère 
et cueur annere, visage ami et cœur 
hostile. Belle chère vaut bien un 
mets, 271. 
Sa fille a embracee, si la baUe^en l»cbi«£«j 

chef, 3« pers, sing. prés. ind. du 
verbe choir : Au premier coup ne 
chet pas l'arbre. Proverbe, 219. 

Quand quelqu'un chet du haut en bas 
d'une brèche. Paré, X, 1. (L.) 



cheval : Onques bon cheval ne 
devint rosse. Proverbe, 203. 
ehevetaln, capitaine, 348. 

La cent dont il estoit cbeveUin. 

^ Chron. de S. D«n. (G.) 

ehlen : A rebelle chien dur lien. 
Proverbe, 226. A chair de chien 
sauâse de loup. Proverbe, »43. A 
petit chien petit lien. Proverbe, ^9. 

ehler, vieille forme de cher, dans 
une citation, 199. 

Chllpérie, 8, 120. 

ehlquanerlc, chicane, 149. 

Monsieur, je n'entends rien à la chicanerie. 
Rbgnibb, Sot. VIII. (I#.) 

ehorde (jouer par dessus la), 
« jouer au plus seur » 137. Furk- 
TiiRE : « Corde se dit à la Paume, 
de celle qui se tend au milieu du jeu, 
qui sert à marquer les fautes qu on 
fait en mettant dessous : et on dit 
qu'une balle a passé à fleur de eot^e^ 
qu'elle a frisé la corde, pour dire 
que peu s'en est fallu qu elle n ait 
esté dessous. » Il fait bon avoir deux 
chordes en son arc. Prouerôe, 236. 

ehorde, cela est chordé, 132. 

Clcéron, 208, 224, 231. 237. 

eil (Voir Observations grammati- 
cales, 73.) , , . ,. X 

eippeaa, « qui semble estre tire 
du latin cippus. » 144. « Instrument 
avec lequel on rogne un métal quel- 
conque. >• (G). 

Claude, S. 

Claudlen. 229, 230. 

elause, phrase ou proposition 40, 

65. , .. .,., 

LiTTRÉ : « Dans la première moitié 
du xvi« siècle, Maigret, dans son 
traité de grammaire française, appe- 
lait clause la proposition comme 
renfermant une pensée parfaitement 
terminée. » 

clocher : sonner une cloche ou 
une clochette, 179. Godefroy donne, 
dans ce sens, clocheter. 
collation, comparaison, 237. 

Je scay bien qu'il y en a qui veulent 
nrouver par collation des temps que ce soit 
une fable controuvée a plaisir. Amtot, 
Solon, 56. (L.) 

combattere, mot italien, em- 
prunté au français, 356. 
combemioiies, « Unde vocan- 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



tur oombennones in eadem benna 
sedentes. » Festus. 176. H. Estienne 
rapproche ce mot du mot compa- 
gnons. 
comMon que, quoique, 84, etc. 

Il rougit de lui-même et combien qu'il ne 

[sente 

Rien que le ciel présent et la terre présente, 

Pense qu'en se voyant tout le monae l'a tu. 

Malherbe, I, 18. 



r, emprunté par les 
Italiens*, 300, 

eompasnoii bien parlant vaut 
en chemin chariot branlant. Pro- 
verbe, 220. Compagno7if emprunté 
par les Italiens et les Espagnols, 
compagno et companero^ 294. Com- 
pagnons rapproché de combennones, 

eompaln, signalé comme mot 
picard, 177. Cet ancien cas sujet est 
employé par la Pléiade, mais natu- 
rellement sans qu'on tienne compte 
de son ancienne fonction : 

lo, j'entends la brigade, 

J'oy l'aubade 
De nos compaings enjouez. Roxsard.(G.) 

eoniparer, signalé comme ayant 
dans Tancienne langue et dans quel- 
ques dialectes le sens du latin com- 
parare, acheter, 250. 

Nus n'a bien s'il ne le compère. 

R. de la Rose. (G.) 

par extension, payer, être puni de : 

S'il estoit trouvé qu'ils se eussent plaincts 

â tort, ils le doibvent comparer au double. 

• (G.) 

Mais bien sachez qu'elle compère 

Sa malice trop durement. A. delà Rose. (G.) 

eomimrolr, paraître, se pré- 
senter, 23. 



I (mots), en français, 
152 et suiv. ; composés allemands 
abondants et commodes parce que 
les mots sont courts, 164 ; composés 
italiens plus rares et de moins bonne 
grâce que les composés français, 164. 
conférer, comparer, 66. 

Si nous conférons Eve avec Marie. 

BOSSUKT. (L.) 

eonfermcr, conGrmer, 4. 

Ne pouvant revoequer la grâce qui avoit 
•esté faicte par le feu roy, mon seigneur et 
/rere, que j'ay depuis confermee à ceulx du 



399 

Lettr. 



pays de Xaintonge et Angoulmois. 
mi««. de Henri IV, III, 125. (G.) 

La forme moderne est une forme 
savante. 

eonrormlté du langage françois 
avec le grec, 2, 34. 

coiirort, consolation ; conforter, 
consoler, empruntés par les Italiens, 
291. 

Coi^onetlon, union : 

Quelle conjonction et compagnie se pour- 

roit trouver plus estroite que de oeux? 

YvBR, 531. (L.) 

connolstre, voir, reconnaître, 
290. 

... Je connus bientôt qu'elle avoit entrepris 

De l'arrêter au piège où son cœur étoit pris. 

Racine, I, 538. 

eonnestoblo, emprunté et dé- 
tourné de son sens par les Italiens, 
359. 

eonquiso, emprunté par Pétrar- 
que aux Provençaux, 261. 

conseil, dessein, projet (dans 
une citation de Desportes), 93. 

II a de tout conseil son âme dépourvue. 

M.\LUBRBE. I, 8. 

conseiller, emprunté par Pé- 
trarque, consigner, 292. 

consonantes, consonnes, 66. 
Cest le mot le plus usité au xvi'siècle, 
mais Ramus emploie déjà le mot 
consonne. 

content que : je suis content 
que, je veux bien que, 306. 

Ayez le donc [le consentement], et lors, 

[nous expliquant nos vœux, 

Nous verrons qui tiendra mieux parole des 

[deux. 

— Adieu, j'en suis content, (je le veux bien). 

MoLiéRB, Dé p. Àm., II, a. (L.) 

contester, mot dépravé (cor- 
rompu) par les Italiens, contra^tar, 
332. Il n'y a rien de commun entre 
ces deux mots. L'ancien français 
avait contrester, devenu contraster 
sous l'influence du mot italien de 
même origine que lui {contra, stare). 

continue (à la), à la longue, 
dans un sonnet de Baïf, 95. 

Ce qui nous paraissait terrible et singulier. 
S'apprivoise avec notre vue 
Quand ce vient à la continue. 

La Font. Fab. IV, x. (L.) 

Continue signifiait au xvi« siècle 
continuité. 



Digitized 



by Google 



400 



LEXIQUE-INDEX. 



Telles aigreurs avec la continue des 
peines que supportoient ttnt les chefs que 
Tes soldats. D'Aubigné, Hist. I, 302. (L.) 

contraire (au), en sens con- 
traire, 120. ^ . 

L'emploi de cette expression était 
bien plus large qu'aujourd'hui : 

Des monstres en niture, qui n'ont point 
de jambes, ou qui ont les bras tournés au 
contraire. Amyot. De la curiosité, 17. (L.) 

eontrarlor («c), se contredire, 
21. 

Il faut dire que l'Escriture se contrarie 
ou que Dieu regarde les mérites de ceux 
qu'il élit. Calvw. InêtiL 766 (L.) 

eontrefalro, formé à l'imita- 
tion du ffpec, 156, imité par les 
Italiens, 157. 

eontremlne, emprunté par les 
Italiens, contramine, 356. 

contrescarpe : « On n'aura pas 
grand besoin de faire venir d'Italie 
scarpe et contrescarpe », 351. 

eontrister (se), s'attrister, 240. 

Il s'adressa & un do ses familiers qui fai- 
soit le plus de mine de s'en condouloir et 
contriste • avec lui. 

Amyot. Di la tranq. d'dtne, 15. (L.) 

convenir avec, s'accorder avec, 
224. 

La vie contemplative et l'aclivo convien- 
nent très bien l'une avec l'autre. 

Lanoub, 5iO (L.) 

converser avec qqn, vivre avec 
qqn : On est semblable à ceux avec 
qui on converse. Proverbe, 2t4. 

Nous ne conversons plus qu'avec des ours 
[affreux. La Font., Paysan du Danubt. 

convoyer, cité comme verbe 
composé, 153. 
coq & rasne (sauter du], 291. 

Le cervonu luy voltige tellement que, 
sautant du coq à l'asne, il s'oublie en moins 
de quatre mots. Calvix, 31"j. (L.) 

Corinne, 163. 
Comaro, 42. 

corps do garde, emprunté par 
les Italiens, corpo di guardia^ 355, 
corratiers, courtiers, 334. 

A quoy M. le légat servoit de courratier 
pour faire valoir la marchandise. 

Sat. Men., 17i. (L.) 

costoyor, emprunté par les 
Italiens, costeggiar, 308. 



couleur , apparence , raison 
apparente, prétexte, 306. 

Cela donna occasion à Mago de souspe- 

Sonner quelque trahison, avec ce qu'il ne 
emandoit que quelque couleur pour s'en 
aller. Amyot, Ttmol., 30. (L.) 

coup : Au premier coup ne chet 
par l'arbre. Proverbe, 219. 

coupelle « Item coupelle, d'où 
vient qu'on dit argent de coupelle. » 
142. MoNET : M Coupele, afinoire, 
vase à afiner or ' et argeant, coupe 
large, peu creuse, massive, assise 
hur son cul solide, et de la même 
masse, composée d'os de pieds de 
mouton, ou de corne de cerf, brûlés, 
calcinés, pulvérisés, et pétris avec 
eau, servant à aflner or et argeant 
en petite quantité, comme la çandrée 
sert en grande quantité.» Furetière : 
«... Dans ce vaisseau on fait fondre 
l'or, ou l'argent qu'on veut esprou- 
ver ou purger, sur un feu ardent de 
charbon, et on y mesle un peu de 
plomb, lequel s'imbibe dans ce creu- 
set ou s'évapore; et il emporte avec 
luy toute l'impureté du métail.» L'ar- 
gent de coupelle est donc de l'argent 
affiné. 

courage : littéralement c^ispo^t- 
tion du cœur, par extens., casur : 3. 

Ce flls, qui devoit être inceste et parricide. 

Doit avoir un cœur lâche, un courage per- 

[flde. CoaKEn.LE, VI, 179. 

courant, emprunté par les Ita- 
liens, coraggio. 

courir après son esteuf. Voir 
est eu f. 

courtoisie qui ne vient que d'un 
costé ne peut longuement durer. 
Proverbe, 230. 

courtvestu : « Et pourquoi ne 
diroit-on fervestu aussi bien qu'on 
dit courtvestut » 158. 

crampe repetlta, 66. 

crapaudlne (dans une citation 
de Huom de Meri). 270 : Espèce de 
pierre qu'on croyait se trouver dans 
la tète des crapauds, et qui est la 
dent pétrifiée du poisson appelé 
loup marin. (L.) 

cras : « Il me souvient d'avoir 
veu cras au lieu de ce que nous 
disons gras : lequel cras retient le 
c qui est en crassus. » 189. Les deux 
formes ont existé simultanément. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



401 



Le latin populaire avait dit de bonne 
heure grassum au lieu de crassum. 

crodia, croyait, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, d'après 
Bembo, 261. 

eremeur fait lièvres tumber. 
Proverbe, 239. Cremeur, crainte, 
était encore employé au xv» siècle. 

créneaux, «< d'où vient ce mot 
crénelé, duquel on usoit le temps 
passé quand on disoit murs crenelés.n 
358. 

cresper, ajriter(dans un passage 
attribue à Ronsard), 54. 

J'eusse appris & cresper le long bois d'une 
[pique. R. Bklleau, Berg. (L.) 

C'est un des sens de crispare. 

eresplUoiis , petites boucles, 
petites frisures, 101 (dans Rémi 
Belieau). 

L'adjectif crespe signifiait frisé; 
crespelu signifiait frisotté. Le verbe 
cresper avait aussi le sons de friseï" 
(Cf. crépu). 

ercBteleas (murs), signalé comme 
une vieille expression, 358 : entaillé 
en forme de dents : 

Une cité cretelée 
De marbre, à brelesche et à tour. 

Watriquet. (G.) 

ereuset, indiqué comme servant 
à la fabrication des monnaies, 142. 

erl : Le cri pend le larron. 
Proverbe, 228. 

evlev,mo\.dépravé par les Italiens, 
cridar ou (/ridar, 332. 

erlerles^ cris importuns (dans 
la citation de Vigenère), 62. 

Cela émeut une crierie et tumulte. 

AVTOT, Cam., 72, (L.) 

erolo^ grossier, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, 260. 

croiser les flaons, les marquer 
d'une croix, 141. 

croiseurs ; « les monnoyeurs 
estans aussi appelés croiseurs ou 
marqueurs, qui sont noms plus par- 
ticuliers. » 141. 

eroler, crouler, emprunté par les 
Italiens, cro/ar, 285. Le mot signifiait 
remuer, secouer, agiter, ou, au sens 
neutre, remuer, branler. 

Croulnnt sa lance toute teinte du snng 
qui couloit nu long. Amyot, Galba, 32. (L.) 

Pour garder les dents qu'elles s'esbran- 
lent, les affermir cronlans, les nettoier 



estans ordes et .«aies. O. de Serres, 90i. 

(L.) 

et, remplacé dans les mots ita- 
liens par tt, 81. 

cueur, cœur, emprunté par les 
Italiens, cuor, 274. 

culder,croire,63 (dans Vigenère). 

cuir, vient de corium, 198. 

culasse, 140. 

cure, soin, souci (dans une cita- 
tion d'Amadys Jamin), 56. 

Le mot, qui ne s'emploie plus 
dans ce sens que dans une phrase 
négative était d'un emploi bien plus 
large au xvi" siècle. 

Consumer son ame de cures et d'ennuis. 
Amyot, Com. il faut nourrir les enfans, 
J7. (L.) 

curée, soignée (dans un pro- 
verbe), 213. 

Plus on attend, plus s'enracine le mal; 
toutesfois il est encores guérissable, 
moyennant qu'on le cure par les causes 
plustost que par les accidents. Laxoub. (L.) 

' ■*ée, employé par métaphore, 
125. C'est une corruption de outrée : 

Et puis doit-on laisser aller les chiens 
sur le cuir à la cuirée. Modue. (L.) 

curieux, opposé à nécessaire, 
105, 116. — De l'idée do soin qui se 
trouve dans ce mot, on passe faci- 
lement à celle de recherche et, par 
suite de super fluité. On le trouve 
assez souvent au xvi« siècle uni au 
mot superflu, et l'on sait que les 
écrivains de cette époque aimaient 
à associer, pour l'expression d'une 
seule idée, deux mots de sens à peu 
près semblable : 

Un corps bien complexionné n'a que faire, 
ny de nourriture, ny de vesture curieuse et 
superflue. Amyot. Aritt. et Cat., comp. 8. 

(L) 

d pour r dans les mots italiens, 
74 ; — remplacé par II, 75 ; — d 
pour t, 76. 

danger : Il n'est danger que de 
vilain. Proverbe, 204. 

Oante, 16. 259, 260, 281, 287. 

Oati, 59, 82, 291, 328, 336. 

Oavid, 212. 

débonnaire, origine et ancien 
sens du mot, 127. Nicot : « Aire 
est le nid de l'oiseaa de proye, selon 
qu'on en dit par métaphore un 



Digitized 



by Google 



402 



LEXIQUE-INDEX. 



homme débonnaire ou debonaire, 
comme si vous disiez de bon aire, 
pour un homme doux, sans malice, 
courlois, vir boni geniiy ingenui 
animi^ candidus. » 

Soies courtois et doboonaire, 

Comme uns homs estrait de bonne aire. 

J, BauïANT. (L.) 

Débonnaire n'avait pas encore, 
même au xvii« siècle, le sens défa- 
vorable qu'il a maintenant : 

L'autre, tout débonnaire, au milieu du sénat 

A vu iranclier ses jours par un assassinat. 

CORNBILLB, Cinna^ 383. 

delionnaireté, bonté, mansué- 
tude, 9. 

Tout en la manière qu'il est escrint de U 
grande debounaireté de l'empereur Oclavian 
qai seiffneuria tout le monde. 

BouciQ. IV, 9. (L.) 

debtes, dettes : Vieilles debtes 
aident et vieux péchez nuisent. 
Proverbe, 218. 

doeeYOir, employé avec tromper^ 
167. 

deehaasor, chasser (dansVigc- 
nère), 64. 

dcgoiMtement, dép^oùt, 67. 

Après, hantans avec les hommes moins 
connus, nous rencontrions do la douceur et 
un degoustement des fureurs passées. 

Laxoub. (L.) 

dolcetatlon, agrément, plaisir, 
66. 

Il abandonna le labourage disant que 
l'agriculture est de plus grande délectation 
que de grand profit. Amyot, Caton, 45. (L.) 

Le mot n'est plus aujourd'hui 
qu'une expression théologique. 

dellYro (il), 18. Nicot': « Libre- 
ment, libéré, soluté. »Chez Estienne, 
plus à délivre signifle plus libres^ 
plus déliés^ plus à Vaise. 

Et anciennement estoit à Rome la place 
eonsuUire, qu'ils appcUoient la plus hono- 
rable à tible, pour estre plus a délivre et 
plus accessible à ceux qui surviendroient 
pour entretenir celny qui y seroit assis. 

MoxTAioxE, H, 4. (G.) 

domandor, dépravé par les Ita- 
liens, addomandar, 332. 

démener, emprunté par les Ita- 
liens, dimenar^ 305. 

Demosthene, '227. 



demoarcr, emprunté par les 
Italiens, dimorar^ 385. 

deneral, 142. « Poids contre le- 
quel l'on V rier adj ouste ses quarreaux 
après qu'il les a taillés, m Monet : 
« Plaque de monnoie, servant aux 
ouvriers monnoieurs de modèle et 
patron pour ajuster leur ouvrage 
en largeur, espesseur, rondeur, et 
poids. M 

donler, 141. Le mot avait le 
sens général de pièce de monnaie. 
Monet : « Denier, chaque pièce de 
toute sorte de monnoie travaillée es 
monnoies ouvrans. Le denier escu 
était une monnaie d'or ou d'argent 
portant sur une des faces Vécu de 
France ; le denier tes ton était une 
monnaie d'arsjent portant l'effigie, 
la teste du roi. 

départir : Fol devise et Dieu 
départ. Proverbe, 2(KS. 

dépraver un mot, en corrom- 
pre la forme, 18. 

depuis (du), pour depuis, dans 
une citation, 94. 

Je craignois tous ces traits que j'ai sus 
du depuis. Regnikb. Eleg. 3 (L.) 

desaTantase, des avanta- 
geux, empruntés par Girolamu Ca- 
taneo : disavantaggiOy disavantag- 
gioso, 357. 

deseharger. en italien scaricar, 
297. 

deseoupler (se), s'élancer sur 
qqn, 64; cest une métaphore em- 
pruntée à la vénerie : découpler, 
détacher les chiens couplés (attachés 
deux à deux) pour les lancer à la 
poursuite du gibier. 

Li braconier les chiens descopient. 

R. d» Renart, 1221. (L.) 

deserlé. « On dit, cela est descrié 
comme la vieille monnoie, de ce qu'on 
pourroit dire autrement : cela n'est 
plus en estime, etc. » 146. Descrier 
la monnoie c'était en interdire le 
cours, en ordonner la refonte, ou 
en abaisser la valeur. 

deserlement, décri, 146. 

Je fis descrier les pièces de six blancs... 
En ces descrieniens les monnoyenrs doÏTent 
donner de l'argent au roy. 

Gasp. dk Tavaxkes, Mém., 137. (G.) 

Le mot avait un sens plus général : 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX, 



403 



Ce eust esté un descriement et rabaisse- 
ment de mon honneur. 

Paussy, Art de Terre. (G.) 

desdalç^neux, emprunté parles 
Italiens, disdegnoso^ 280; 

doseneomibror, en italien dls- 
gombrar ou sgombrar, 287. 

despayfler> v. n., sortir de son 
pays, 70. 

di^pondre, dépenser : Il faut 
despendre qui veut gangner. Pro- 
verbe, 235. 

Il ne despendoit pas un souI à chaque 
repas. MALUKauii. Il, ^1. 

deflpit : 11 n'est si grand despit 
que de povre orgueilleux. Proverbe, 
204. 

Comme Henri Estienne donne 
comme équivalent de ce proverbe 
cet autre :// n'est orgueil que de povre 
enrichi, il faut peut-être donner au 
mot despit son vieux sens, dédain : 

Si ne tenez pas en despit 
Les genz por ior petit d'avoir. 

Lai du Conseil. (L.) 

deflpite. méchante, de mauvaise 
humeur (dans une citation), 239. 

Ils sont allez Teindre ceste sotte image 
[de la philosophie] triKte, querelleuse, des- 
pite, mineuse... Montaigne, I, 176. (L.) 

Oeuportes, 91, 94, 355. 

di^racinor (se déraciner un 
sentiment), 2. 

desroeher, renverser, cité com- 
me un vieux mot, 185. Le mot se 
trouve encore dans Monet : « Des- 
rocher, dérocher, jeter, faire sauter 
d'une roche en bas... Desrocher un 
cerf. » FuRETiÈRE : « Dérocher ou 
Deroquer. Terme de fauconnerie, 
qui se dit de l'aigle ou des grands 
oiseaux qui, poursuivant les bestes 
à quatre pieds, les contraignent à 
se précipiter de la pointe des rochers 
pour éviter de tomber dans leurs 
serres. De là vient qu'on a dit autre- 
fois Deroquer un homme, pour dire, 
le faire tomber, et deroquer une 
maison, pour dire, l'abattre. » 

destitué, dépourvu, 85, 87. 

Son collègue, qui savait que la témérité, 
outre qu'elle est destituée de raison, avait 
toujours été jusque là très malheureuse. 
RoLLL\, Trait, du» Et., 3e part., 1, (L.) 



deatourbior 



Au proverbe 



françois, pour encombrier aucuns 
disent destourbier. » 219. Obstacle, 
empêchement. 

Or pensez-vous pouvoir estre sans em- 
peschement et sans destourbier? 

Montaigne, III, 9. (G.) 

Le mot est encore dans Monet. 
Furetière le donne, mais comme 
vieux mot. 

destrier, emprunté par les Ita- 
liens, 262. 

devant, de préférence à : 

Quant & ceux qui prennent un g au com- 
mencement, lequel ils mettent devant 
noslre ». 

L'expression signifie : de préfé- 
rence à notre j (t consonne), 298. 
devers, vers : devers le soleil, 55. 

Tourne un peu ton visage devers moi. 

MoLiÉBE, G. nandin, II, i. (L.) 

deviser : Fol devise et Dieu 
départ. Proverbe, 205. Deviser, niême 
mot que diviser, a signifié distri- 
buer, arrangei\ former un plan, un 
projet. 

dextérité, vaut mieux que 
force. Proverbe, 228. Dextérité a 
ici le sens d'adresse, au figuré. 

Il fut venu ki-même avec moi vous chercher 
Si ma dextérité n'eût su l'en empêcher. 

C:ORNEU.LB, III, 397. 

dextre, main droite, 55, dans un 
vers attribué à Ronsard). 

Vous, dignes commandants, vous dextres 
[aguerries. Corneille, X, 211. 

diable, Du diable vint, au diable 
retourna. Proverbe, 221 ; diables, 
appelés autrefois mauffaits, 197. 

dialectes, sont une des richesses 
du français, 107; — les dialectes 
italiens ne peuvent se mêler au 
langage toscan, 168; — les dialectes 
donnent beaucoup de mois aux pro- 
verbes, 249 ; — beaucoup do mots 
italiens sont empruntés à nos dia- 
lectes. 311. 

Itieu, proverbes relatifs à Dieu, 
210, 

différent , sens du mot dans 
la fabrication des monnaies, 143. 
Monet : a Différant, chifie, mar- 
que, propre de chaque tailleur de 
monnoie et orfèvre, dont il dis- 
tingue son ouvrage de celuy des 



Digitized 



by Google 



4Q4 



LEXIQUE-INDEX. 



autres ouvriers... Les tailleurs mar- 

auerontleur Différant en la lepende 
e la monnoie, dans le cercle de 
Tecriteau. » 

dilottonxa, « délectation », 
emprunté par les Italiens aux Pro- 
vençaux, 258. 

dIliKoneo passe science, 207 et 
233. 

dlniinatirs ; le français en est 
mieux pourvu que Titalien, 96. 

dlsputoblc, dont on peut dis- 
puter, 215. 

Tout ce qui n'est point de la foi ni des 
principes est «lisputable. Corneille. II, 117. 

dissyllabes, dont les Italiens 
font des monosyllabes, 82. 

doctrine, enseignement, savoir. 
(Proverbe), 226. 

Vous êtes au comble de la doctrine et de 
la vertu. Malherbe. IV, 88. 

doigt : On ne doit mettre le 
doigt entre lécorce et le bois. Pro- 
verbe, 244. 

domdalnes, vieux mot mili- 
taire, 249. Fauchet, Orig., Il, 120, 
20, éd. de 1611 (G.) : « 11 y avoit un 
autre instrument appelle dondaine 
lequel fçettoit de grosses boulles de 
pierres rondes, qui estoit la cata- 
pulta des anciens, et a donné le 
nom aux femmes grosses et courtes, 
qu'on appelle dondon, et de bedaines 
aux grands vautres de bonne chère, 
comme si on vouloit dire qu'ils 
estoient ou ressembloient aux dou- 
bles don daines. » Les dondaines 
lançaient aussi des traits : 

Et veez ci venir le trait d'une dondaine 
que ceux de l'ost laissèrent aller. 

Froissabd, II, II, 23'». (L.\ 

dommage, emprunté par les 
Italiens, dannaggio, 278. 

domture (dans un proverbe], 
222, dressage. C'est probablement 
à ce sens qu'il faut s'arrêter, même 
si on lit denture, car au moyen 
âge le mot dompture e entre autres 
formes danteure et denteure, et 
dans le proverbe cité par Estienne 
on trouve toutes les formes du 
mot, selon qu'il est cité par tel ou 
tel écrivain. 

«ionneare, emprunté par les 
Italiens aux Provençaux, 255. 



donner, proverbes « touchant 
ce qu'on donne, » 231-232. 

dorer (fin à), explication de 
cette locution, 145. 

Dorlens, 69. 

dormir : à seur dort qui n ha 
que perdre. Proverbe^ 236. 

dos (donner à), expression em- 
pruntée par les Italiens, 336. 

dottansa, dottare, empruntés 
ar les Italiens aux Provençaux, 



g. 



doacelet , diminutif employé 
par R. Belleau, 100. Le mot se 
trouve déjà dans Guillaume de 
Machault : 

Que demande on ces famelettés, 
Elles sont si très douicoilettes... (G.) 

Il est fréquent chez les poètes 
du XVI* siècle. 
doucette, 103. 

Nymphette que j'idolâtre. 
Ma doucette, ma sucrée. 

Ronsard. (G.) 

douter, craindre (dans un pro- 
verbe), 223. 

Je ne m'en flerois pas à ma propre mère, 
doublant que par mesgarde elle ne meist la 
febve noire en cuidant mettre la blanche. 

Amyot, Aie., 40. 

— Doutei' si, se demander si, ne 
pas savoir si, 181. 

(Vos esclaves) Doutent si le vixir vous 
[sert ou vous trahit. Rachib. II, oS5. 

douv€»i, 350. H. Estienne deman- 
de reintegrande pour la douve d'un 
fossé ou les douves. Le mot se 
trouve dans Nicot. 

€lrudo> amant, emprunté par 
le.*» Italiens aux Provençaux. 260, 

dulre, convenir, être propre, 
29 : 

L'exemple de Cyrus ne duira pas mal en 
ce lieu. Montaigne. IV, 10. (L.) 

dupllque,réponse à une réplique 
(terme de procédure), 32. Le mot 
était souvent employé par méta- 
phore, comme l'emploie Estienne : 

On n'a omis que ce que ce premier écrit 
omet, qui est un fatras de répliques et de 
dupliques de part et d'antre. 

Saint-Simon, 398, 116. (L.) 

e masculin ou féminin, 40 et 69; 
e pour a dans les mots italiens. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



405 



75; e remplacé par i, u dans les 
mots italiens, 76. 

offlcaee. subst. Voir Observa- 
tions grammaticales^ 44. 

cgraphlgncr, 311. 

-elcr, suftixe diminutif des ver- 
bes, 102. 

cllser, 141. Furetière : « Eslai- 
zer. Terme de Monnoye, qui se dit 
de la septième façon qu'on donne 
aux monnoyes, quand on les fabrique 
au marteau. C'est presque la même 
chose que flattir, sinon qu'on ne 
pénètre pas tant la pièce, ne faisant 
que la redresser du chaussage ; ce 
qui se fait sur Tenclume avec le 
flattoir. L'ordonnance veut qu'on 
repeie cctle façon deux fois. » 

embarquer (s') , métaphore 
empruntée à la marine, 134. 

cmbatlr (a'), s'engaeer, vieux 
mot emprunté par les Italiens, 269, 

embramner, emprunté par les 
Italiens, imbraciar et abbraciar^ 
300. 

cmerl, le poli, l'éclat, 54 (dans 
un passade attribué à Ronsard). 
Ronsard a écrit ailleurs : 

Les morions, les piques des soldars, 
El les hamois fourbis de toutes pars, 
El l'emery des lames acérées... 
Une lumière envoyent dans les cieux. (L.) 

eiiiol<iguer , homologuer , 4. 
« Ménaffe recommande de ne pas 
dire émolofçuer, qui était en effet 
la forme du xvi« siècle, née du pen- 
chant de la langue à éviter les 
mêmes voyelles dans les syllabes 
consécutives. » (L. ) 

Les deux rois touchèrent à la main, pro- 
meltnns, de pnrole seulement, une trefve, 

aui, pource qu'elle ne fut publiée qu'à la fin 
'avril, ni emologuée de deux mois après. 
D'AUBIONÉ, Hiat., III, 168. (L.) 
émoulu (à fer). Voir fer. 
emparlé (bien) habile à parler ; 
202: 

Il fut seigneur fort débonnaire, "bien em- 
parlé tant en particulier qu'en public. 

Pasqdikr, Lettres, IV, 20. (G.) 

emphase, 125, 136, Monet : 
« Amj.hase, façon de parler flgurée, 
signifiant ou plus ou tout autre que 
ne portent Ips paroles;— amphase, 
«nergie, efficace, nervosité de dire, 
de discourir, paroissant es paroles, 
et an l'action, et au son. » 



empiéter, v. a., dans une cita- 
tion, 125. NicoT : « Empiéter, id 
est, einpoigner de la griffe du pied 
d'un oiseau. Mot de fauconnerie ». 

Il manie à son plaisir ceux qu'il a em- 
piétez. Langue, 172. (L.) 

Ce qui a pu amener le change- 
ment de construction, c'etst une con- 
fusion avec l'idée de mettre le pied 
sur. 

emporter autant que, signifier 
autant que, 234. 

énamourer, cité comme vieux 
mot emprunté par les italiens, em- 
ployé autrefois en français comme 
verbe actif, 270. Nicot donne s'éna- 
mourer, et Monet indique en outre 
énamourer dans le sens de rendre 
amoureux. 

encombrer, cité comme un 
vieux mot emprunté par les Ita- 
liens, tngombrar, 287 ; détourné par 
eux de son sens, 330. 

encombrler, obstacle, empê- 
chement, cité comme peu usité, 
287; employé dans un proverbe, 
219. 

endementlers, vieux mot que 
Du Bellay s'excuse d'employer, 
188; employé « es rommans «,312. 

endroit de (à 1'), à l'égard de, 
68. 

Et le peuple inégal à l'endroit des tyrans, 
S'il les déteste morts, les adore vivants. 

CORNKILLK, III, 393. 

— en son endroit, en son genre, 4. 

enfaneon, diminutif à'enfant, 
102. Le mot était ancien dans la 
langue : 

De bêles dnmes i oissies le criz 
Et de puceles et d'enfansons petis. 

Les Loh. (G.) 

On a dit aussi, et très ancienne- 
ment, enfançonnet. 

enfleseher, cité comme vieux 
mot, 188. 

engin, habileté, adresse, u selon 
l'usase ancien », 228. Autrefois, 
aussi, esprit, intelligence, ingenium: 

Tout son engin, quant à la eongnoissance 
de Dieu, est pure obscurité. Calvin, 197. 

enhasé, sigrnalé comme mot du 
dialecte parisien , 180; Nicot : 
« C'est embesoigné; celui qui est 

23. 



Digitized 



by Google 



406 



LEXIQUE-INDEX. 



Elein d'affaires et chargé de grand 
esoigne «. 

enhorber, cité comme vieux 
mol. 188. 
enjoiicher, id., 188. 
Ennius, 17, 2-26, 231. 
onnuyor, attrister. 240. 
enOMié, qui a pén/^ré dans les 
08, 213. 

Une dolors enossee 
Est dedans mon cors. 

TuiB. IV, Chan: (G.) 

onraser : Un fol fait quel- 
quesfois enrager un sage. Pro- 
verbe, 252. 

enmeigne, emprunté par les 
Italiens, 3. 

enseisncr, emprunté par les 
Italiens, insegnar, 285. 

onsulTro, suivre, imiter, 331. 
NicOT : « Ensnyvre et contrefaire 
l'antiquité, prosequi atque imitari 
antiquitatem. » 

ontoehcr, entreprendre, cite 
comme vieux mot, 188. 

entendeur : A bon entendeur 
il ne faut quun mot. Proverbe^ 
235. 

entreloger (s'), se loger, se 
donnerl'hospitalité réciproquement, 
241. 

entreparler (s'), parler entre 
soi, converser, 242 : 

Tons ces convives s'entre-parloient à 
l'oreille. Yvkb, 620. (L.) 

entrereneontrer (s'), se ren- 
contrer : 

11 apprit les plus communs termes dont 
on use en leur Inngaee pour parler quand 
on s'entrerencontre. àmyot, ^ert., 2. (L.) 

entrexposer (s') , s'exposer 
réciproquement, se communiquer, 
10. 

entrCDll, espace qui se trouve 
entre les yeux, ou entre les sour- 
cils, 194. Palsgrave, Esclairc.y 
273 : « Entrœil, spaco bytweno the 
eyes. » — GLoss. de Salins : 
« Intercllium , entresourcil , en- 
treeuil. » (G.) 

envelopper, emprunté par les 
Italiens, inviluppar, 291. 

envermer, se remplir de vers, 
cité comme vieux mot, 188. 

epistola, Castelvetro et autres 
en font piatola, 333. 



équipage (en meilleur), mieux 
muni, mieux préparé, 14. 
equipolent, équivalent, 236. 

Commutation equipollente à celle qnî 
avoit esté ordonnée par le testament. 

P. PiTHOO, 25. (L.) 

équivoques, se présentent sou- 
vent en italien, 78, 81 et suiv. 

erres, 126, 130, terme de véne- 
rie, les traces d'un cerf, d'un che- 
vreuil, etc. ; s'emploie par méta- 
phore : 

Conduire le duc de Monlpensier sur le» 
airres des vaincus. D'Aubigsk, UUt., I, 
162. (L.) 

eslioueler , éventrer , faire 
sortir les boyaux ; cité comme vieux 
mot, 187. 

Les femmes furent ouvertes et esboulee» 
toutes vives. Trad. de Boccace, éd. de 1515. 
(G.) 

esearmouche, étymologie da 
mot, 197; emprunté par les Ita- 
liens, 355. 

esehamir , se moquer de y 
emprunté par les Italiens et le» 
Espagnols, schemire, escamecery 
263 et 287. Le mot était hors 
d'usage au temps d'Henri Estienne. 

esehars, avare, 106 et 210 : 

La recompense de leurs mérites mal ro- 
co^n^uz par les princes trop esehars à l'en- 
droit des conservateurs de leur éternité. 
Fauchbt, Ânttq. gtul., vol. II, I, i. (G.) 

esehets, échecs ; métaphores 
qu'on en peut tirer, 137. 
Eschine. 4. 

esehope, 142. Mon et : • Es- 
chople, echople, poinçon d'orfèvre, 
outU servant à tailler, reparer, 
repercer, graver, eschopler. » An- 
ciennement eschalpre, de scalpra 
pour scalprum. La forme moderne 
est venue par confusion avec 
eachoppe, petite boutique, de l'alle- 
mand Schoppen. 

esehopelure, ce qu'on leva ave& 
l'eschope, 142. 

eselaireurs, probablement sur- 
veillants, contrôleurs, 147. Le verbe 
esclairer avait à cette époque, et a 
conservé très longtemps, le sens de 
surveiller, épier ; 

Ils avoient craint que Caton ne fnst eleit 
prêteur, de peur qu'il ne les eselairasl d» 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



407 



trop près, ou qu'il n'empeschnst leurs des- 
seings. Amtot. Cat. d'Ut., 55. (L.) 

On m'épia, on m'éclaira de si près, qu'on 
s'aperçut que j'avais avec Celle des entre- 
tiens nocturnes. 

Le Sage, Gusm. d' Al far., VIII. (L.v 

eserlture, orthographe, forme 
(d'un mot), 189; leçon (dans un 
texte), 219; texte, 223. 

Eserituro (sainte), 212, 233. 

escoutcs, sentinelles, 353 : 

Ceux-là sur le soir, s'avançans en vedette 
jusques où se posoient les escoutes des 
ennemis, s'aboucnèrent avec eux. 

D'AUB., UUt., m, 3M. (L.) 

emea. (denier), voir denier. 
eseuout, 222. 

esmeiillon, esmorilloDné, em- 
ployés par métaphore, 132 : 

Vous nous ferier grand plaisir de nous 
donner cette petite émerillonnée, cette 
petite infante qui est à la portière auprès de 
sa mère. Mme db Si^viGirii, V, 208. 

eamorvelUable , surprenant, 
129 : 

Au demourant, si la desrortune de Dio- 

nysius semble estrange, la prospérité de 

limoleon ne fut pas moins esmerveillable. 

Amyot. 

esmorvelller (s'), s'étonner, 
317: 

Et ne se faut pns trop esmerveiller de 
l'incertitude de sa mort. 

Amtot, Rom., 43. (L.) 

eflpagnole (langue), inférieure 
à celle des Italiens, 14, 23 et 29 ; a 
emprunté beaucoup de mots au 
français, 253 et suiv. 

espaulo, en italien spalla, 275. 

eflpceial (par), particulièrement, 
surtout (dans une citation), 121 
NicoT : tt Par especial, Peculia- 
riter, Speciatim, Specialiter. » 

esperonner, espérons, em- 
pruntés par les Italiens, spronar, 
speroni ou sproni, 292. 

esprevier , epervier , 203 
(dans un proverbe). H. Estienne dit 
e$pervier, 129. 

~ I (Herberay desj, 201. 

r, élever, 212 (dans un 
proverbe). H. Estienne note que la 
forme est ancienne. Aujourd'hui 
exhausser. Mais exhausser et exau- 
cer ont la même origine, exaltare, 
et ne font qu'un même mot. 



essayer, emprunté par les Ita- 
liens, assagiar, 308. 

essort, employé par métaphore, 
130. 

€»itanclart, emprunté par les 
Italiens, 356. 

estai de (faire), attacher de 
l'importance à, 115 : 

Les chrétiens font-ils plus d'état des biens 
de terre, ou font-ils moins d'état de la vie 
des hommes que n'en font les idolâtres et 
les infidèles, Pascal, Prov. XIV. (L.) 

Estât : le français est la langue 
qui convient le mieux pour les 
affaires d'Etat, 149. 

esteuf (courir après son), 137. 
FuRETiÈRE : « Balle du jeu de 
longue paume, fort petite, fort dure, 
et couverte ordinairement de cuir... 
On dit qu'il ne faut pas courir après 
son esteuf, pour dire relascher ou 
quitter les seuretez ou nantisse- 
ments qu'on a entre les mains, 
pour n'avoir après cela qu'une 
action incertaine pour les ravoir, 
pour se faire payer. » La locution 
avait pris aussi le sens de s'efforcer 
de ressaisir ce qu'on a laissé 
échapper. Esteuf vient probable* 
ment du german staup, coupe, le 
même mot, en islandais, signitiant à 
la fois coupe et masse ronde. (H. 
D. T.) 

estoeh, origine du mot, 195. 

estoufer, emprunté par les Ita- 
liens, tu/far, 308. ^ 

estourdir, emprunté par les 
Italiens, istordir et stordir, 301. 

estranger, emprunté par quel- 
ques Italiens, straniero; ordinaire- 
ment forestiero, 281. 

-et, -ette, sufûxes diminutifs, 
97. 

Euripide, 3, 4, 230. 

evansellstes, 233. 

eve, eau, cité comme vieux mot, 
181. 

événement, résultat, issue, 63 
(dans Vigenére) : 

La bntaille sans doute alloit être cruelle, 
Et son événement vidoit notre querelle. 

Raci:(b, I, 438. 

evler, dérivé de eve, 181. 
exalter, élever, 3. 

Il est besoin de monstrer ici brièvement 
comment et par quels moyens il [le pape] 



Digitized 



byGoogk 



408 



LEXIQUE-INDEX. 



s'est exalté desjà dès longtemps, pour entre- 
prendre quelque jurisdiction sur les autres 
églises. 

Calvin. Inatit. 899. (L.) 

exeog^tcr, imaginer, 187. 

La plus exécrable trahison que les plus 
meschantes âmes penssent excogiter. 

Lett. miM. de Henri iK, UI, 5. (G.^ 

exerelte, armée, 63 (dans Vige- 
nère). 

Toute la Gnnle à un coup se soubleva et 
meit sus de puissans exerciies. 

Amyot, César. (G.) 

oxpoacr, expliquer, 169. 

L'art d'exposer les signiflances des songes.- 
Amyot, Arist., 66. (L-,) 

exposition, explication, 344. 
tobloyer, cité comme vieux 
mot, 188. 

Aliène, sachant que c'estoit en son ranc 
de Tabloyer, commença ainsi une plaisante 
fable. Larivby, Faeet. Nuicta de Strapa- 
role, IV, 3. (G.) 

telUIr, faire une faute, se trom- 
per, 111. 

Je dénie qu'ils faiilent contre les règles. 
Corneille, IV, 281, 

— faillir à (faudroyent à) 339 : 
manqueraient de, ne* réussiraient 
pas à : 

Ils faillirent à s 'entrerencontrer (ils n'y 
réussirent pas). Amyot. Pyrrhuè. XIV. (L.) 

— faillir, emprunté par les Ita- 
liens, fallir, 302. 

tBim : La faim chasse le loup 
hor« du bois. Proverbe, 223. 

fainéant, 158. 

faire, employé comme suppléant 
d'un autre verbe, 228. 

J'aime autant son esprit que tu fais son 
[visage. Corneille, II, 19 

— faire pour ou contre, prouver 
pour ou contre, être un argument 
pour ou contre, 305, 45. 

La parole donnée, il faut que l'on la tienne 

— Cela fait contre vous : il m'a donné la 

[sienne. Corneille, I, 214. 

faix : Chacun portera son faix. 
Proverbe, 212. 

fallensa, tromperie, emprunté 
par les Italiens aux Provençaux, 



^, métaphores qui 

en sont tirées, 117 et suiv. 

fauMMSiiraye, vieille expression 
militaire, 350. On appelait ainsi 
une muraille extérieure formant la 
seconde enceinte d'une place forte. 

faute, en italien fallo, 306. 

fay ce que tu dois, advienne que 
pourra. Proverbe, 211. 

fege ou feie, foie : forme dia- 
lectale française, d'où les Italiens 
ont tiré fegato, 274. 

fer esmoulu (il), 23. Esmoulu 
est l'ancien participe de esmoudre, 
aiguiser, affiler. Combattre à fer 
émoulu s'employait au xvi* siècle 
au propre et au figuré : 

Socrates... conservant pour son exercice 
la malignité de sa femme, qoi est un essay 
à fer esmoulu. Montaigne, II, 116. (L.) 

ferrée (clarté), clarté du fer, 54 
(dans une citation). Ferré conserve 
ailleurs son sens de ferreus : 

... Je lui feray cognuistre 
A coups ferrer combien poise ma destre. 

Ronsard. (Mellerio.) 

fenrestu, cité comme ancien 
mot, 158. 

Pestus, 176. 

feu (proverbes relatifs au), 220 
et 233. ' 

flel, 274. 

fièvre quarte (proverbe relatif 
à la), 213. 

fil : donner le fil aux paroles, 
métaphore, 3. Le fil d'une lame, 
c'est le tranchant, par comparaison 
avec la ténuité et la délicatesse 
d'un fil. Donner le fil à une lame, 
c'est la rendre tranchante. 

filandres, 122. Nicot : « Fi- 
landres, en faulconnerie, sont cer- 
tains petits filets aigus et perceaos 
comme aiguilles, lesquels s'engen- 
drent dans le corps du faulcon pour 
estre repeu et gouverné de grosses, 
grasses et mauvaises chairs et 
puantes, ou bien i)our s'estre rompu 
aucunes petites veines dans le corps 
en battant trop furieusement sa 
proye, s'espandant le sang par le 
corps et es estraines pour cette 
rompture, puis se caillant et sei- 
chant et tournant en pourriture, 
dont le faulcon vient à mourir s'il 
n'est secouru. » 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



409 



miastre, beau ûls, 282. Estienne 
Pasquiep {Recherches, VIII, 50) 
parle du mot en regreltant qu'il ne 
soit plus usilé. 

fln flnMle (en), 318. Ce pléo- 
nasme était très usité au xv« siècle 
et au xvi« : 

Et repeureat, pour fln fiaalle 
De ce qui estoit appresté. 
Villon, Heime de Mont faucon. (L.) 

fln h dorer, explication de 
cette locution, 146. 

flnalemeiit, emprunté par les 
Italiens, 319. 

flnales retranchées par les Ita- 
liens, 82 et suiv. 

flâne, emprunté par les Italiens, 
fianco, 273. 

flanquer, dérivé de flanc, 273. 

PlandrI, « les Plamens » disent 
ia pour oui, 171. 

flaon, flan, 141. Monet : Flan, 
quarreau, pièce de mêlai, taillée 
an rouelle, à faire une espèce de 
monnoie,.. Le Flan est proprement 
le quarreau d'une espèce de mon- 
noie, qui a receu par le marteau sa 
presque légitime larpeur, espesseur, 
et rondeur, neantmoins, on le prand 
ancore pour le simple quarreau, qui 
n'a receu c»*te façon, ni les précé- 
dantes. » Flan vient de Tanc. h. 
allem. flado, objet plat, et est ainsi 
nommé par analogie avec la pâtis- 
serie du même nom. (H. D. T.) 

flattlr, 141. Monet : u Batre 
une espèce de monnoie sur le tas, 
sur Tanclume, et, la bâtant à cous 
de Flatoir, de marteau, lui faire 
prendre le volume, la largeur, et 
î'espesseur, qu'elle doit avoir puis 
après. » Furetière : « C'est la cin- 
quième façon qu'on donne aux 
monnoyes au marteau, après la- 

auelle les carreaux prennent le nom 
e flans. » 

fleurir, emprunté par les Ita- 
liens, fiorir, 302. 

Florenee, principal siège du 
bon langagu toscan, 70 : rudesse 
de la prononciation des Florentins, 
ibid. 

foie (proverbe relatif au), 214. 

fol; proverbes relalits aux fous, 
205 et suiv., 229, 2:^1 ; étymologie 
du mot, 283; emprunté par les 
Italiens ainsi que folie, 343. 



fondelfe, 350, dérivé de fonde 
(fronde), a eu divers sens : fronde, 
ou même, en général, courroie; — 
instrument propre à lancer d'énor- 
mes pierres; — sorte de canon à 
deux bouches jumelles, — quel- 
quefois le projectile lui-même. (G.) 

fondre les métaux ensemble, 
141. 

fonds, sol, 63. 

fora, serait, plus employé par 
Pétrarque que saria, 261. 

foras, en français for, sert à 
former des verbes composés, 153. 

forbeu, origine du mot, 154. 

forbourg, origine du mot, 154. 

forclorre, exclure ; « fort usité 
en la prattique »• : exclure de faire 
quelque production en justice après 
certains délais, 153. 

foreonselller, mal conseiller, 
154. 

forconte, compte inexact, mau- 
vais compte, 153. 

foreonter, ou se forconter, mal 
compter, se tromper, 153. 

forfaict, et des dérivés, for- 
faicteiir, forfaicture, 154. 

forfalre. moins usité que for- 
faict, forfaicteur, forfaicture^ 154. 

forgenouvelle, 161. 

forjuser, mal juger, 153; le 
mot a signiQé dans l'ancienne langue 
bannir, priver, dépouiller, enlever 
judiciairement qqch., condamner, 
débouter, condamner à tort. (G.) 

forlisner, dégénérer, 153. Le 
mot est employé par H. Estienne, 2. 

S'il faisoit autrement, il forligneroit de 
l'ancienne vertu de ses ancestres. 

Lahivey, Le Laq., III, ra. (G.) 

fomialicer (se), prendre inté- 
rêt, H 5. 

Ce qui feit que les Chalcidiens se forma- 
lisèrent fort affectueusement pour luy, et 
meirent leur ville entre ses mains. 

AuYoT, Flam., 31. (L.) 

formarlase, terme de droit 
féodal, 154. 

forparler, 155, mot proposé 
par Estienne. 

forpayser, errer hors de son 
pays; usage de ce mot en vénerie, 
154; composition du mot, 166. Le 
mot a signiûé, comme verbe actif, _ 
bannir, comme neutre ou réfléchi, ' 
s'expatrier, quitter son pays. (G.) 



Digitized 



by Google 



410 



LEXIQUE-INDEX. 



roi«oné (écrit à tort aujourû'hul 
forcené^ par une fausse analogie), 
153. 

roi^onnato, emprunté par les 
Italiens aux Provençaux, 260. 

fort, fortorc8«e, fortlflca- 
tlon, mots empruntés par les Ita- 
liens, 355-56. 

forvoyer, se fourvoyer, 153. Le 
verbe était employé tantôt comme 
verbe neutre, tantôt comme verbe 
pronominal : 

larce qu'ils n'ont 



Nos conseils 
s d'adresse et 



fourvoyent pi 
5t de but. Me 



OMTAIONE, II, 9. 



11 s'employait aussi, comme au- 
jourd'hui, comme verbe actif, pour 
sifrniller égarer. 

fosse, fossé, prononciation de 
ces mots, 40. 

— fossé en talus et fossé à fond 
de cuve, 350. Le fossé à fond de 
cuve est un fossé sans talus : 

Les fossés sont creusés en talussant, non 
a Tons de cuve et droite pente. O. db Sebrbs, 
7io. (L.) 

Si le lieu de la cisterne est terre ferme, 
la fosse est creusée à plomb, à fous de cuve ; 
si meuvante ou sablon, en pente ou talus. 
ID., 781. (L.) 

fOiialUo, 125; le mot équivaut, 
en parlant du sanglier, au mot curée 
en parlant du cerf. Nigot : « En 
vénerie, c'est le droit qu'on fait 
aux chiens d'un sanglier quand il 
est prius, ainsi dit parce qu'elle se 
fait sur le feu. » Le mot fouel ou 
fouail, était d'abord masculin. 

foiirmase, fromage. Proverbe 
relatif au fromage, 214. 

foyer, s'appelle a Paris atre., 
174. 

frane, mot gaulois, 196. 

franehement, se joint à libre- 
ment, 166, 196. 

Pranchlèri^ (Jean de), 123. 

nrançois (langage), mêlé de 
mots italiens, 21 ; — doit éviter les 
mots étrangers, 26: — se rapproche 
beaucoup du grec, 34; sa gravité, 
38 ; — sa grâce, 66 ; — variété de 
ses désinences, 67 ; — douceur de 
sa prononciation, 66; — sa richesse, 
104; les commodités qu'il tire du 
latin, 153, etc. 
- , François !•', 8, 118. 

Pranéus, 55. 



fresnin, de frêne, 1S6. 

Entre ses puienz tient sa banste fraisnine. 
Roi., 720 (G.) 

fretillard, 100 (dans Rémi Bel- 
leau.) 

Soit que d'une façon gaillarde, 
Avec sa patJe fretil larde, 
Il se frotte le musequin. 

Du Bkllay. (L.) 

fries, ou pieds, traces d'un cerf, 
126. Gaston Phébus dit foyes. C'est 
aussi le mot que donne Nicot. 

Frolssart, 121. 

ftareier, métaphore tirée de la 
chHSse, i32. 

ftayant le loup, il a rencontré 
la louve. Proverbe, 183. 

g pour 7 dans les mots italiens 
empruntés au français, 279 et 298 ; 
{/ au lieu de c dans les mots ita- 
liens, 298. 

gabions, emprunté aux Italiens, 
gabbioni, 354. 

gabs, plaisanteries (et ses déri- 
vés, gaber, gaberie, gabeor), 267; 
gabs et gaber ^ en italien gabbo et 
gabbar, 267 et 287 ; gaber, gabeur^ 
gaberie, encore usités en c(uelques 
lieux, 267. Gaber se trouvait encore 
dans la l"' édition du Dictionnaire 
de l'Académie. 

Caees de la Tlipie ou de la 
Bigne, 122. 

SAgglo, gage, emprunté nar les 
Italiens aux Provençaux, 259, 279. 

gaillard, vif, 34. C'est l'ancien 
sens du mot, mais Nicot n'attribue 
plus à gaillard que le sens de 
joyeux, gai, esbaudi, qui tressaut 
de joye, hilaris. Estienne se plaint 
de l'abus que les Italiens font de 
ce mot en le détournant de son 
sens, 328. 

gaine, imité par les Italiens, 
305. 

galo, gai, emprunté par les Ita- 
liens aux Provençaux, 258 et 260. 

gangner, gagner, dépravé par 
les Italiens, guadagnar, 332. 

gangnenr : Mieux vaut boa 
gardeur que ne fait bon gangneur. 
Prov., 228. 

garçon, emprunté par les Ita- 
liens, 272. 

garçonnière, vaut mieux que 
l'italien gaî'zonissima, 333. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



411 



garde La mauvaise garde 
paisl le loup. Proverbe^ 228. 

garde-bras, armure garanlis- 
saot les bras, 352. 

Et fut ntleint le seigneur de Charny sur 
le grand gardebras. Olivibr de la Mabchb, 
Mim., I, 9. (G.) 

sarde poitrine, équivalent de 
parapet^ 352. 
garder, empêcher, 13. 

Plust à Dieu que l'empereur s'essarast 
de passer le Rosne quant je suis icy ! j en- 
troprendrois bien, sus nm vie, toute femme 
que je suis, de le garder de passer. 

Marc, Lett., 127. (L.) 

garder, emprunté par les Ita- 
liens, 291, 305. 

gardeur. Voir gangneur. 

gai^athe, mot picard signifiant 
gorge^ 175. 

Od granz culteals e od cnignees 
Lur unt les gargates trencniees. 

Wacb, Hou. (G.) 

garite, 358. Nicot : « Propre- 
ment est un lieu de reruge et sau- 
veté en un desastre et déroute. De 
là vient que Garile se prend pour 
fuyte, parce que la fuyte est un 
refuge, rempart et sauveté au dea- 
conût. Selon ce on dit : Prendre la 
garite, et fuyr à vau de route. 
Garite se prend en cette énergie de 
signification pour le donjon d'une 
forteresse, où la prarnison forcée 
fait sa finale relraile. Se prend 
aussi pour une route destournée 
qui meine à Tescart. » Le mol a 
désigné aussi des tourelles de pierre 
ou de bois sur les murs d'une ville 
on d'un château. 

garltec (murs), garnis de gué- 
rites, 358. 

gars, et son féminin garse, mots 
gaulois, 273. Fuhetière, au mot 
garce : « Ce mot n'est devenu 
odieux que depuis quelque temps, 
et en plusieurs provmces, on le dit 
encore i^ir sipritifier une petite 
fille ou servante de chambre. » 

Oascons, disent o ou obe, pour 
oui, 171. 

gastadours, pionniers, em- 
prunté par les Italiens, 357. 

gastcr. emprunté par les Ita- 
liens, qui en abusent comme nous, 
304. 



«aston Phebus, 121, 124. 

gaulois (langage), ce qu'il en 
reste en français, 195. 

geline, poule, 222. Proverbe» 
relatifs aux gelines, 222 et 213. 

gemlr, conserve la même forme 
en tispaernol, et non en italien, 303. 

générosité, noblesse, courage, 
118. 

Et prenant d'un Romain la générosité, 

Sache qu'il n'en est point que le ciel n'ait 

[fait naître 

Pour commander aux rois et pour vivre sans 

[maître. Corneille, III, 428. 

gentil, noble (au figuré) dans 
une citation d'Âmadis Jamyn, 56. 
C'est le sens conforme à l'origine 
du mot et celui qu'il avait autre- 
fois. 

— gentil (féminin gentile), gra- 
cieux, 34 ; gentilesse, grâce, 34. 

gcntllhoninie à simple tonsure 
V, tonsure.) 

gibbler, 131. Nicot : « ... Du 
Fouillons parlant du sanglier : Mai» 
est le vray gibbier des mastins et 
leurs semblables. De là vient qu'on 
dit par Métaphore, cecy n'est pas 
de vostre gibbier, c'est-à-dire chose 
à laquelle vous puissiez ou debviez 
mettre le nez, ni vous en entremettre, 
que nous disons en mesme sens, ce 
sont lettres closes pour vous. » 

glugglare, mot emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, 260. 

gonella, mot emprunté par les 
Italiens à un dialecte français, 312. 

gorge (voler sur sa), métaphore 
empruntée à la fauconnerie, 130. 
D'après Nicot, le moi gorge désigne 
u quelquefois la poche de l'oiseau 
où il met sa viande en serre, dont 
elle est après digérée peu à peu. » 

gorge chaude : littéralement,, 
la chair encore chaude que l'on 
donne aux oiseaux de proie. Emploi 
de l'expression par métaphore, 130. 

goupil, renard. Proverbe relatif 
au gonpil, 251. 

gourmandise (proverbe sur la), 
217. 

gourmands (proverbe sur les), 
217. 

goutte (proverbes relatifs à la),. 
213. 

gramare, attrister, emprunté 
par les Italiens aux Provençaux, 260» 



Digitized 



byGoogk 



412 



LEXIQUE-INDEX. 



içraphigncr. 311. 

grappfMi, 311. 

içrattor, emprunté par les Ita- 
liens, 291. 

gravité du français, 38. 

içré, et savoir gré, empruntés 
par les Italiens, 336. 

«réffolre do Tours, 120. 

içrcnalllo, 140. 

grosso 'do hauto), 131. Un 
chapon de haute graisse se disait 
dun chapon très Rras. On disait 
une volaille de haute graisse^ un 
mouton de haute graisse, etc. Pur 
métaphore l'expression s'emploie 
pour indiquer l'excellence dans tel 
ou tel genre : 

Ces beaux livres de baulte gresse. 

Rabelais, Gargantua, Prologue. 
Moutons de levant, moutons de baulte 
fustaye, moulons de bauite gresse. 

Rabelais, IV, 6. 

«riffon, 56. 

gu pour V dans les mots italien;:, 
305. 

guari, guère, emprunté par les 
Italien!» aux Provençaux, 258. 

gnarir ou ganr, guérir, em- 
prunté par les Italiens, 305. 

guordon, récompense, profit, 
défisruré par les Italiens, guiderdone, 
232. 

guoro, signifiant beaucoup, 322. 
C'est l'ancien sens du mot, dont la 
valeur a changé sous l'influence de 
la négation : 

Et me deplaist d'en dire gueres outre ce 
que j'en crois. Momtaigne, I, 292 (L.) 

guorro, emprunté par les Ita- 
liens, 27fi ; mots relatifs à la guerre 
et anx fortiOnations, 344 et suiv. 

Ciuospins, sobriquet par lequel 
on désignait les habitants d Orléans, 
170. 

Une dame gentille et bonnesle encore 
qu'elle fust guecpine. Bonav. Des Periebs, 
Août.', rear. : D'une dame d'Orléans qui 
aimoit un escolier. (G.) 

guotor, guetter, emprunté par 
les JIji liens, guatar, 285. 

guotto, 358. NicoT : « Guette 
vient de guetter, qui signifie soijrneu- 
sement adviser, et se prend tantosl 
pour la tour où estceluy qui fait le 
guet. Spécula. Selon ce on appelle 
la tourelle plus hautaine de tout le 



chasteau, la guette, car elle descou- 
vre sur toutes et sert pour y faire 
le Kuet. Tantost pour celuy qui y est 
estably pour faire le guet, Specu^ 
lator : Non pas de jour seulement, 
comme aucuns disent, le rendans 
Hemeroscopus et diurnus speculator, 
ains de nuict aussi. Au 3. livre 
d'Amad. Et le sixième jour ensui- 
vant arrivèrent avant l'aube du jour 
près du lac ardant, lors firent se- 
crètement dresser ponts et batteaux 
pour descendre en terre, et ainsi 
qu'ils faisoi^'nt diligence, la guette 
les desconvril. » 

«uichardin, 330. 

guidonaviro , guidenef . H . 
Estienne préfère le second parce 
qu'il ^e termine par un monosvilabe, 
162. 

guidor, emprunté par les Ita- 
liens. 285 et 292, défiguré par les 
Espagnols, guiar, 295. 

guldordono, guerdon, récom- 
pense, emprunté par les Italiens aux 
Provençaux, 257. 

gulllo, tromperie, cité comme 
vieux mot, 198. 

«ulllolmus Tyrius, 262, 263. 

gulsa, guise, empruut«) par les 
Italien» aux Provençaux, ^S. 

gattiiralo. prononciation gut- 
turale des Florentins. 70. 

hagard : mot emprunté à la 
fauconnerie, 126; Nicot : « C'est 
un mot de faulconnerie; dont est 
dit Faulcon hasard, celuy qui n'est 
de l'année, ains a plus d'une mue, 
et a longuement esté à luy, qui a 
este prins de repaire, ou au pas- 
saare, et est le contraire de sor. » 
Hagard pour haiard est une forme 
normanno-picarde qui dérive de haie: 
faucon qui mue dans les haies et 
non en domesticité. (H. D. T.) 

Hainaat, étymologie du mot, 
173. 

hallotomont, action de haleter, 
123. 

Hannonos, les Hannoyers (ha- 
bitants du Hainaut) disent au pour 
oui, 171. 

haquobutoou fuirquebouze,ii9. 
Haquehute est l'ancien ne forme fran- 
çaise (allem. hakenbûchse, boîte à 
crocs). Le vieux mot a été remplacé 
par arquebuse, de l'italien archibuso 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



443 



dont roripine est la même. (H. D. T.) 
Nicot dit Haquehute ou Harquehuze. 

hamola, armure, 54 (dans une 
citation). 

haat, hautain : les Italiens 
ont fait altiero de alto, comme nous 
hautain de haut, 283. 

haute isr<;ase (Voir gresse). 

havia, avait, emprunté par les 
Italiens aux Provençaux, 261. 

hebcree ou herberge, emprunté 
par les Italiens et les Espagnols, 
282. Le mot siprniflait logement, 
hôtellerie. La forme moderne, au- 
berge, est provençale, auberge. 

héberger ou herberger, em- 
prunté par les Italiens et les Espa- 
gnols, 282, 287. 

Hébreux ont quatre gutturales, 
70. 

Hector, 30. 

heetorée (race), 54 (dans une 
citation). 

Hélène, 3 i, 89. 

Helvetll, les Suisses disent ioth 
pour oui, 171. 

Henri II, 31. 

herbe (proverbes relatifs à 1*) 
217. 

Hercule, 158. 

herifHMnner (se), 133. Nicot : 
« Se herissonner et lever son poil, 
Horrere se herissonner et dresser 
son poil de frayeur, Horrere, Inhor- 
rere. » 

Quand oa lisoit quelque chose de la 
f^aincte Escriture devant luy [un possédé], 
il se lierissonoit. se souslevoit, et se tour- 
tnentoit bien plus qu'auparavant. 

Pahé, XIX, 32. (L.) 

Hérodote, 240. 
Hésiode, 234. 

hétoudeau; chaponneau, 174. 
heur, bonheur 8; si bon heur, 
si bonne chance, 11. 

Puisse le juste ciel content de ma ruine 
Combler d'beur et de jours Polyeucle et 
[Pauline ! Corneille, III, 512. 

Le sens de chance e^t encore très 
sensible, par exemple dans nos 
expressions porter bonheur, porter 
malheur , porter bonne ou maie 
chance. 

HIppocrate, 213. 

hlatorlosraphe, historien, 30. 
, métaphore empruntée 



à la fauconnerie, 127. Le hobereau 
était un oiseau de petite taille. 
D'après Monet le mot a été em- 
ployé aussi par métaphore dans le 
sens d'apprentiy novice, peu expé- 
rimentéj homme de peu de considé- 
ration entre ceux de sa condition. 

Homère, 158, 185, 186, 190, 228, 
275. 

homlcidlo, décapité par les Ita- 
liens, micidio, 332. 

homme et ses diminutifs, hom- 
met, hommeletf 98. 

Petit hommet abat grand chesne. 

De Baïf, Mimes. (G.) 
Viens ça, hommelet, de quoi te glorifies-tu, 
terre et cendre ? 

Chavigny, Ui Pléiades, 612. (G.) 

homm€Ni(proverbes relatif S aux), 
204. 

homa, cas sujet de homme, 209. 

hoqueton, étymologie du mot, 
209. 

Horace, 28, 129, 219, 221, 223, 
230. 

hoste, 327. 

Huipies de Bersi, 19S. 

humeur, eau, 95 (dans Des- 
portes). 

Faute d'humeur, nos choux sont morts 
En nos jardins par seicheresse. 

Basselin, X. (L. 

Huom de Merl, 192, 270. 

huopo, besoin, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux. 258. 

hyperboli^, à propos des ava- 
res, 110. 

hyp<lcoriame, atténuation, eu- 
phémisme, 107. C'est le sens du mot 
prec (jTtoxdpiajxa, « terme propre à 
atténuer une chose blâmable, expres- 
sion adoucie. » (Bailly.) 

1 pour a dans les mots italiens, 
76; — i pour 0, 76; i remplacé par 
a, 76; i ou t -h g ajouté au commen- 
cement du mot, 77 ; t inséré dans 
le mot, 77; i pour/, 80; î consonne 
(j) remplacé par g, 298; i intercalé 
a l'imitation du français, 307. 

Iceluy^ etc. Voir Observations 
grammaticales, 74. 

-lUon, suffixe diminutif, 99. 

Impétrer, obtenir, 148. 

Puisque ce sont choses qui roulent encore 
entre les incertitudes du temps à venir, 
pourquoi vcux-je plutôt impétrer de la for- 



Digitized 



by Google 



4i4 



LEXIQUE-INDEX. 



tune qu'elle tne les donne, que de moi, quo 
je ne les demande point? 

Malubbbe, II, 320. 

Sur les diplômes universitaires : 
Signature de l'impétrant. 

Indéelinables (mots) emprun- 
tés par les Italiens, 312. 

inflnltifa italiens sans e, 44. 

IntormlMilon, interruption, in- 
tervalle, discontinuation, 348. 

Après une longue intermission de ces 
petits devoirs, qui sont importuns quand ils 
sont fréquents. 

Balzac, Lettrée, VIII, 25. (L.) 

liivesiSiA>*o« envier, emprunté 
par le;* Italiens aux Provençaux, 260. 

IquI, forme picarde pour ici y 
employée par les Italiens, 325. 

Ire, colère, 5. 

[L'Espagne] Réduite par Unt de combats 
A ne l'oser voir en camp*igne, 
A mis l'ire et les annes bas. 

Malherbe, I, 61. 

Isnello, rapide, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, ^8. Le 
mot est d'origine germanique et se 
rencontre aussi dans la langue d'oïl, 
isnel. Employé par la Pléiade, isnel 
se trouve même encore chez Des- 
portes, mais Malherbe le déclare 
w mauvais mot. » Voir Brunot, 
Thèse, 264. 

laocrMtc^ 28. 

Italien, mots italiens introduits 
en français, 21 ; l'italien déQgure le 
latin, 72: les mots italiens écourtés 
ressemblent aux mots français, 83 ; 
lenteur de l'italien, 45; sa mollesse, 
47; composés italiens trop longs, 
164 ; mots empruntés par 1 italien à 
notre langue, 253 et suiv. 

J remplacé par g dans les mots 
italiens, 298. 

Ja, déjà, 150; emprunté par les 
Italiens, gia, 321. Malherbe le dé- 
clare mauvais mot : « il est vieil et 
ne s'use qu'entre les paysans. » 
Brunot, Thèse, 265. 

Jamais, emprunté par les Ita- 
liens et les Espagnols, giammai, 
jamas, 321. 

Jamlie, emprunté par les Ita- 
liens, gamba, 273. 

JFamyii (Amadis), 56. 

Jardin, emprunté par les Ita- 
liens, giardino ou yiardin, 277. 



JFean (le roi), 122. 

Jeter, emprunté par les Italiens, 
gittare, 298. 

Jeunesse (proverbe sur la), 234. 

Jeux, métaphores tirées des jeux, 
135 et suiv. 

Jollette, diminutif, 103. Le mot 
est vieux : ioliet signiGait gai, 
joyeux, agréable, ce qui était aussi 
le sens de joli. 

JFonvIUe, Joinville, 350. 

Jauer par dessus la ohorde. Voir 
chorde. 

Jouir, en italien gioire ou gioir^ 
278, 302. 

Jour, en italien giorno, 279. 

Jouste, emprunté parles Italiens, 
giostra, 332. 

Joyo, emprunté par les Italiens, 
gioia, 279. 

JFudas Maeeliabee (roman de), 
186. 

iuge,proverbe8 relatifs aux juges. 



209" 



Juger : Qui trop tost juge, tost 
se repent. Proverbe, 236. 

Jvirement, juron, 173; le mot 
si en i 6 ait aussi imprécation, blas- 
phème et, dans un autre ordre 
d'idées, serment. 

Jusques k. tant que, jusqu'à 
ce que, expression imitée par les 
Italiens, 321. 

Justice, termes appartenant au 
faict de la justice, 148. 

JFu vénal, 236. 

1, remplacé par r dans les mots 
italiens, 74 ; — par n, 76; — par t, 
80. 

Ij^où, tandis que, 63. 

Celui qui vit a plus besoin de la vie, là 
où celui qui n'est pas né se passe de la vie 
et de toute autre ctiose. 

Maluebbb, xi, 85. 

labeure, 211 ; anciennement 3« 
pers. sinp. prés. ind. de labourer, tra- 
vailler. Employé dans un vieux pro- 
verbe. 

laisser en derrière, ne pas 
tenir compte de, 337 ; expression imi- 
tée par les Italiens, lasciar aàietro. 

lancespessade,empruntée aux 
Italiens, 353. Le mot est devenu 
anspessade, parce qu'on a pris la 
lettre initiale pour l'article. L'ans- 
pessade était subordonné au caporal. 

landa, lande, plaine, emprunté 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



415 



parles Italiens aux Provençaux, 259. 

landier, chenet, 174. 

lanisase, emprunté par les Ita- 
liens, linguagf/io, 278. 

liansuedoe : ceux de Languedoc 
disent auc et oc pour ouy, 171. 

lansuir, emprunté par les Ita- 
liens, 278. 

lanler et iMoeref , 128. 

EAntcrl, 357. 

larron (proverbes relatifs au), 
226. 

lascber, lascher la bride, imités 
par les Italiens, lasciar^ 291 et 337. 

lassato, lassé, emprunté par les 
Italiens aux Provençaux, 260. 

EAtlnl. les Lai in s, 171. 

liatlnl (Brunetto), 16, 281. 

lafinler, interprète, trucheman 
(par extension de sens), 198. 

liauduni, ceux de Laon disent 
ÇLuy pour oui, 171. 
" lavandière, emprunté par les 
Italiens, la'mndaia, 284. 

Ic^gende, 143. 

leffier, emprunté parles Italiens, 
leggier^ 277. 

leurré, expérimenté, littérale- 
ment dressé au leurre, 112, 126. 
Encore employé par La Fontaine 
dans le sens de rendu habile : 

... Un jeune homme, «près avoir en France 

Etudié, s'en revint à Florence 

Aussi leurré qu'aucun de par delà. (V. 27.) 

NicoT : Leurrer « ... Par méta- 
phore, c'est desniaiser un homme 
neuf, et le faire devenir cault et 
habile, selon ce on dit d'un homme 
jçrossier, qu'il n'a pas encores esté 
leurré. « 

lever une pièce d'un métal, l'en- 
lever, 142. 

librement, employé avec fran- 
chement, 166, 196. 

lieu, place,, 210 (dans un pro- 
verbe). 

Il faut que chaque chose y soit mise en 
«on lieu. BoiLEAU, Art. Poet., 1, (L.) 

— Avoir le cœur en bon lieu, le 
cœur noble, 194. 

llf^o, vassal, homme lige, mot 
provençal, employé par Pétrarque, 

Il pour d dans les mots italiens, 
75. 



loeutlons empruntées par les 
Italiens, 333. 

loger, dépravé par les Italiens, 
allogiar, 332. 

longues et brèves, en français. 
39. 

los, louange, 8. 

Le plus g'rand los que l'on doue aux 
Gracques. Amyot. Le» Gracquea et Agi» 
et Cléom., 1. (L.) 

l<»senger, losenges, vieux 
mots français empruntés par les Ita- 
liens, 262 et 287. Losenge a sipnifiô 
louange et surtout fausse louange, 
flatterie, tromperie ; losengier a si- 
gnifié flatter, tromper par des ca- 
resses : 

Nos ancestres usèrent de barat, guille 
et loxange pour tromperie, et barater, 
guiller et loxanger pour tromper. 

E. Pasquikr. Hech., éd. Feugère, II, 
107. (G.) 

liOtharingl, les Lorrains, disent 
ay pour oui, 171. 

I^ais I" le Débonnaire, 127. 

loup (proverbes relatifs au), 183, 
219, 222, 243. 

i^ucain, 24. 

luisant, brillant, en parlant des 
yeux, 93 (dans Desportes). 

Maeiilavel, 344, 345, 346, 357, 
358, 359. 

madame, emprunté par les Ita- 
liens, 280. 

main : Une main lave l'autre. 
Proverbe, 230. 

mais, davantage, 166. 

C'est son parler ne moins ne mais. 

Villon. Grand Test. (Lj) 

Nous disons encore : N'en pouvoir 
mais. 

— mais, emprunté par les Italiens, 
321. 

maison (Proverbes), 245, 246. 

maistre, vient de magister, 166. 

mal (ndj.), mauvais, 239 (dans 
un proverbe). 

maiadvisé, atténuation de fou, 
205. Nicot, comme équivalents du 
moi maladvisè. nindique que impru- 
dens, inconsultus, tenter arius, impro- 
vidus, incautus. 

maie (masculus) et maie (pera), 
39. 

maliieur : Bien est malheureux 



Digitize'd 



by Google 



416 



LEXIQUE-INDEX. 



qui est c«use de son malheur {Pro- 
verbe). 235. 

mallnanca , malignilé, em- 
prunté par les Italiens aux Proven- 
çaux, 258. 

mandes, 354. Voir mannes. 

manscrean, voleur, pillard, 
100. . 

De DOS inangereaux les malices 
(Ce diroM-Dous) nous esventons. 

De BaTf, Mime$, III (G.) 



, pour mano en italien : res- 
semble à une forme dialectale fran- 
çaise, Si. 

manlcrc emprunté par les Ita- 
liens et les Espagnols, maniera et 
manera, 276. 

manlfaetarc, manufacture, fa- 
brication, 140. (Nicot donne mani- 
facture et manufacture). « C'est la 
façon de quelque ouvrage faicte à la 
main. » 

maniiCA ou mandes. 354; litt* 
paniers^ donné èomme l'équivalent 
de gabions. Mande, panier, est 
encore employé par O. de Serres. 

mantolef , donné comme l'équi- 
valent de parapet ou avant-mur. 351. 

Manuee (Aide), 113, 114, 116. 

marasfre, 282. 

marbrin, dit en ancien français 
pour marmoreus, 186. Ronsard dit 
encore : 

Tout au plus haut des espaules marbrinps. 
Amour», l, 222. (G.) 

marca, marque, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, 260. 

■lareelll, 31. 

marcher (marcher en guerre), 
emprunté parles Italiens, marciare, 
356. 

marine, métaphores emprun- 
tées à la marine, 133. 

marinette, pierre d'aimant, 198. 

marmor, en italien marmo plu- 
tôt que marmore^ 74. 

marque ; forger des mots sur 
la marque des Latins, sur le modèle 
des Latins, 165. 

marqueur, celui qui marque 
les monnaies, 140. 

marquée bien ceste chasse. Voir 
chasse. 

Martelli, 42. 

Martial, 41. 



martirc, emprunté par les Ita- 
liens, 283. 

masiln (proverbe relatif au), 
203 ei 243. 

materas, aujourd'hui matras, 
fiole ou vase à col long et étroit. 
Origine de ce nom, par comparaison 
avec le gros trait appelé materas, 
142. 

matin, « opposé au soir » et 
matin u dit d'un chien, » 39. 

maudiet : Il est maudict de 
l'Evangile qui ha le choix et prend 
le pire. Proverbe, 246. 

maudisson (s. m.), ancienne 
forme de malédiction, 246. Le mot, 
devenu familier, se conserve jus- 
qu'au XVIII* siècle : 

Quand je mourrai, les poëtes feront contre 
moi des è.pigrammes que les dévots larde- 
ront de maudissons, voltaire. (L.) 

mauffalt. diable, démon, 197 ; 

Dedens inter n'a diable ne mnufé 
Que il ne soit de mon grant pnrenté. 

Huon de Bord, 5111. (G.) 

mauvais, emprunté parles Ita- 
liens, malvaggio ou maloagio, 279. 

Maxlmlilen (l'empereur), z^. 

médecine (proverbes relatifs à 
la), 213 et suiv. 

médecins (proverbes relatifs 
aux), 213, 218. 

meffaict, emprunté par les Ita- 
liens, meffato, 280. 

mehain, mal, maladie, 251 (dans 
un proverbe). 

Si je prenois en cure tous cculx qui tom- 
bent en mesliain^ et maladie, ja besoing ne 
seroit mettre teU livres en lumière et im- 
pression. Rabelais, liv. IV {Prol.) 

mellorer, rendre meilleur, 146. 
L'ancienne lantrue avait aussi meil- 
lorer, meilleurer : 

S'il ne la change et ineliore son estât 
impurfaict. Montaignk, I, 23. (G.) 

Elles ne pourroient meilleurer les champs 
stériles. Palissy, De la Marne. (G.) 

La terre d'un fond ne s'ennuje point de 
porter, ny ne s'envieillit point, pourveu 
qu'elle s(»it fumée et meilloree. 

Paradin, UUt. de Lyon, 358. (G.) 

mener, emprunté par les Ita- 
liens, menar, 305. 

mensonge, emprunté par les 
Italiens, mensogna, 279. 

men tiers, emprunté par les 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



417 



Italiens, inentre, 312; endementiers , 
312 ; mentiersoKi mentres, pendant ce 
temps, paraît être une forme abré- 
gée de dementiers, dementres (même 
sens), qui vient peut-être de dum 
intra ipsum, ou de dum interea, 
dum intruy dum intérim, avec Vs 
adverb. 

Endementier» avoit eu vog:ae jusques au 
temps de Jean Le Maire de Belges, car il 
en use fort souvent, pour ce que nous 
disons par une périphrase, en ce pendant; 
Joachim du Bellny dnns sa traduction des 
quart et sixiesme livres de Virgile le voulut 
remettre sus, mais il n'y peut jamais par- 
venir. E. Pasquibb, flech., VIII, 3. (G.) 

menuettc, 104. 

merci, emprunté par les Ila- 
liens et les Espa^^nols, 264. 

mercier : A petit mercier petit 
panier. Proverbe, 248. 

meACheoIr , arriver malheur, 240 
(dans un proverbe). 

Il n'y a si juste à qui il ne puisse mes- 
cbeoir. Marg., Hept., LXU. (G.) 

meslee, mélange, confusion, 26. 

mesmemeiit , surtout , 16 , 
120, etc. 

Une petite taille a de l'incommodité, à 
ceulx mesmement qui ont des commande- 
ments et des charges. Montaigne, III, H. 
(L.) 

Eslienne emploie aussi le mot 
dans le sens de même, 13, etc. 

miNinaser, v. n., 190 : t7 a st 
bien mesnagé, il a fait un si bon 
emploi de ce dont il pouvait dis- 
poser. 

mesiile, ménage, maison, 225 
(dans un proverbe). Le mot désigne 
les personnes qui sont dans la 
maison, parents et serviteurs du 
maître. 

Adverti que le roy de Germanie tout as- 
seuré estoit avec sa femme et privée magnie 
au palais d'Aix. Fauchet, Antiq. gaul., 
VUI, n. (G.) 

Le mot avait beaucoup d'autres 
sens se rattachant à la même idée. 

message, messa 20ger,5 (dans 
un proverbe). 

Sitost comme les messages ouvrirent leurs 
escrins la où ces choses estoient, il sembla 
que toute la chambre feust embansmé. 

JOINVILLB. (G.) 

mesller, besoin, 213. 



Ils entendoient très bien comment il fal- 
loit conduire telles brigue::, et par importu- 
nité de crieries et de voyes de faict, si mes- 
tier estoit, obtenir ce qu'ilz vouloient. 

Amyot, faul- Emile, 60. (L.) 

miNiiirés (vers) en français, 40. 

métaphore : mots et locutions 
employés par métaphore, 117 et 
suiv. 

mie, employé comme élément 
négatif, 230 (proverbe); emprunté 
par les Italiens, 325. 

miel ; Trop achette le miel qui 
sur les espines le lesche. Proverbe, 
245. 

mien, les Italiens disent à notre 
exemple mio, 274. 

mignard, gracieux et délicat, 
81, 104. 

mignardelet, otie, diminutif 
de mignard, 103, 104. 

mlg;nardor, mlgnardlser, 
flatter, caresser, 101. 

Il caressoit les petits chiens que on luy 
mettoit devant et tes mignardoit. 

H. EsTiENNK, Apol. pour Hérodote, 
238. (L.) 

mignardise, ne peut s'accorder 
avec la gravité, 81 ; le mot n'a pas 
d'équivalent en italien, 103. 

mlipioii, mlgnomiette, 103. 

mignot, mignon, gracieux, 102 ; 
mignotei% rendre gracieux ou cares- 
ser, 104. 

... Plus des doucettes voix 
Des migrnots oisillons ne résonnent les bois. 
[De Baïf. Eglogucs, XV. (G.) 
Si l'avisay-je au bord d'une claire onde 
Qui mignotoit sa chevelure blonde. 

[R. Belleau, berg., !'« journ. (G.) 
Toy, mignottant ton dormeur de Latraie. 

[Ronsard, I. 86. (Mellerio.) 

mine, en langage militaire, em- 
prunté par les Italiens, 356. 

miragllo, miroir, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, ^9. 

mire, médecin, %1, 252 (dans 
des proverbes). 

Elle a divers noms, répondit Sylvandre, 
quelques-uns l'appellent orval, d'autres la 
toute bonne, et nos myres sc«rlée. 

D'Urké, Aatrée. (G.) 

mise (être de), métaphore em- 
pruntée au monnoyage, 145. 

moineaux, terme militaire, 351. 
FuRETiÈBE : a Eu termes de Forti- 
fication, c'est un bastion plat basti 



Digitized 



by Google 



418 



LEXIQUE-INDEX. 



au milieu d'une courtine lorsqu'elle 
est trop lon^rue, et que les deux 
bastions des aneles sont trop éloi- 
Koés pour se deffendre l'un l'autre. » 

Molsa, 288, 309. 

monnoye, métaphores emprun- 
lée!< à la fabrication de la monnaye, 
139. 

monnoyas®, salaire du mon- 
noyeur, 144. 

nionosyllalMMi nombreux en 
français, 8'2; trop rares en italien, 
82; plu» aRréahles dans les mots 
comportés, 162; monosyllabes d'ori- 
gine Raiiloise, 196. 

moBUitre, étalage, parade, sem- 
blant, 1-28, spécimen, échantillon, 
237. 

VoD5 nvex beâu faire montre d'une vaine 
intrépidité. 

Massillox. (L.) 
Voilà une petite montre de ce grand com- 
merce de friperie que l'on exerce à U cour. 
Balzac. D • la Cour, B-^ dise. (L.) 

moquer (se) : Fn sov moqnant 
dit on bien vray. Proverbe, 223. 

morfondre, v a., exposer à 
l'hum dite et au froid, glacer, 216. 
On admet généralement comme ori- 
gine du mot morve fondre, en par- 
lant des chevaux. Le froid l'a mor- 
fondu, littéralement : le froid lui 
a fait couler la morve fScheler). 

mort (proverbes relatifs à la), 
212. 

mouehet, en aie de Tépervier, 
129. 

mouOe, définition du mot, 142. 

moult, beaucoup, si (rnalé comme 
ancien mot, 178, employé en quel- 
qiws Hialef'.tes, 188. 

mouvoir une question, soulever 
une question, 286. 

J'ni vu les cens mouvoir 
Deux questions. 

La Fontaine, VI, 137. 

nioyse, 200. 

mue, la mue d'une femme, expres- 
sion ennployée lar moquerie, 131 ; 
tenir en mue, tenir en cage, 131, 
employé par métaphore. Nicot : 
«... Lieu obscur ou cage grnnde à 
larges barreaux où on niet le Faul- 
con estant prest à se de^pouiller 
de ses pennes jusques à ce qu'il 
les ait refaites. Ainsi appelée parce 
qu'il mue dans icelle. On dit aussi 



par mocquerie la mue d'une femme 

Suand une femme surannée avec 
rogues corrosives s'est fait consu- 
mer la peau du visage, pour s'en 
faire venir une toute nouvelle et 
délicate. » 

muet, ancienne orthographe de 
meut, 199 (dans une citation). 

muraille, emprunté par les 
Italiens, muraglia, 278. 

n pour /, 78. 

IVaevIuA, 121. 

naguère, imité par les Italiens, 
non ha guari, 321. 

naqiiet, naqueter, 137. Fure- 
tière : « Na^uet. Vieux mot qui se 
dL«oit autrefois d'un valet qui mar- 
quoit le jeu, et surtout à la paume, 
comme l'a remarqué Fauchet... — 
naqueter : Suivre quelqu'un ou lui 
faire la cour servilement. Il y a bien 
des gens qui vont naqueter à la 
porte des Grands, pour en tirer 
quelque présent, quelque secours, 
quelque protection. Il signifioil ori- 
ginairement. Contester pour des 
choses légères. » Le mot naguet 
s'est aussi confondu un peu avec 
laquais. 

Les autres poètes latins ne sont que 
naquets de ce brave Virjrile. 

Ronsard, 584. (L.) 
Ils naquettent le tyran pour faire leurs 
besouf^nes de ca tyrannie et de la servi- 
tude du peuple. 

La Boétib, Strvit. vol. (L.) 

IVarelMie, 36. 

nature (proverbes sur la), 221. 
navré, blessé, 188 (dans une 

citation). 

Cxsar couvrant son visa^j^e avec sa robbe 

abandonna son corps à qui le voulut navrer. 

Amyot, Brut., ». (L.) 

nayf, naturel, 20. 

Ils font une mine de duc et d'emperear ; 
mais tantost après les voyex devenus valets 
et crochetenrs misérables, qui est leur 
nayfve et originelle condition. 

MONTAIGNB, I, 327. (L.) 

nayfVement,naturellement,30. 

Son frénie [de Voiture] et ce caractère de 
son esprit est, à ce qu'on dit, très naïve- 
ment représenté en la personne de CalU- 
erate. Pbllisson. Hùt. Âcad., IV. (L.) 

Ayfveté, naturel, sens exact. 



21,5. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



419 



ne pour ni. Voir Observations 
grammaticales, 167. 
nosoecs, affaires, 115. 

Il l'avoil en si grande privante receu que 
rien ne luy celoit des menues négoces de 
sa maison. Rabelais, IV, 67. (L.) 

negun, aucun, personne, 249 
(dans un proverbe). 

Jhesn respont moult doucement 
Et sanz negun corrocement, 

La PoHB. du roi Jhesu. (G.) 

IVeron, 328. 

niais, métaphore tirée de la fau- 
connerie, 126. 

Niais est cil [oiseau de chasse] que on a 
Irait don nif, et que on norrit en son ostel 
de sa ju vente. Brun. Lat., Trea., 201. (L.) 

nier, refuser, 245 (dans un pro- 
verbe). 

noms empruntés par les Ita- 
liens en même temps que les verbes 
correspondants, 285. 

nonehaloir (mettre en), négli- 
ger, ne pas s'occuper de, expression 
empruntée par les Italiens, 256. 

Comme si pour les obliger à ce devoir 
nous mettions à nonehaloir tous les autres. 

MONTAIGXB, II, vu. (G.) 

notable, à noter, à remarquer, 
314. 

noarrlfiire,éducation,232(dans 
un proverbe). 

Elle (Rome) a nourri vingt ans un prince 
[votre fils... 
Si vous faites état de celte nourriture, 
Doimex ordre qu'il règne. 

COBMEILLB, V, 536. 

nouTelettes, diminutif employé 
par R. Bellean, 101. 

nouTellère, appliqué à la For- 
tune, 187. 

Ahi, dame fortune, tant estes nonvelière. 

Comment sç^nriez vous mieux représenter 
novatrix latin? Fauchrt, Orig. de la lang. 
la poe$. franc. II, v. (G.) 

nulll, aucun, personne, 210 (dans 
un proverbe). 

La première, dist le beau Père, c'est que 
vous n'en parlerez à nully. Mahg. Hept., 

xxni. 

o lonjç ou bref, 40 ; — pour a, 76 ; 
— pour e, 76; — remplacé par i, 
76; — remplacé par u, 76. 

oe (langue d'), 171. 



œil : A l'œil malade la lumière 
nuit. Proverbe, 213. 

oflDces, en parlant d'armes, d'a- 
ifiours, de chasse, 121. 

ofl^isqaer, empêcher de voir, 
aveugler, 51. 

Que nostre prudence soit offusquée ou 
par le sommeil ou par quelque maladie. 

Montaigne, II, 23. (L.) 

-oing (terminaison) devient en 
italien -ogno, 219. 

Oiseau débonnaire de luy mesme 
se fait. Proverbe, 203. 

oisel, ancienne forme de oiseau, 
97. 

oiselet, diminutif d'oisel, 97. 

-Ole (terminaison) ; les Italiens 
en abusent, 85. 

oltraeotanca, outrecuidance, 
emprunté par les Italiens aux Pro- 
vençaux, 260. 

ombroyer, faire ombre, noté 
comme ancien mot, 187. 

Grands haulblers Tueilluz pour ombroyer 
les passans. D'Auton, Chrou. (G.) 

-on, suf&xe diminutif, 99. 

onques, jamais (dans des pro- 
verbes), 203. 

onta, honte, emprunté par les 
Italiens aux Provençaux, 2o8. 

oprlre, ouvrir, ia., 260. 

or vieux, plus estime, 146, 216. 

oraison (partie d'), partie du 
discours, 187. 

orer, prier, 233 (dans un pro- 
verbe). 

Si lou orerai saintement. 

Passion du Chriat. (G.) 

ores... ores, tantôt., tantôt, 53 
(dans une citation de Ronsard). 

Or ils parlent soldat et ores citoyen. 

Régnier, Sat. XI. (L.) 

orgogllo, orgueil, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, 257. 

orfBuell (proverbes relatifs à V) 
204, 229; mot défieruré par les Ita- 
liens, orgoglio, 332. 

Orléans prétend parler le meil- 
leur français après Paris, 170. 

orthographe (incertitude de 
1'), 18, 33. 

orthOiP*aphle, orthographe,18. 

C'est encore la raison pourquoy j'ay si 
peu curieusement regardé à l'orthograpuie, 



Digitized 



by Google 



420 



LEXIQUE-INDEX. 



la Toyaat aujffird'bujr aussi diverse qu'il 7 
a de sortes d'escrivains. Du Bellay. (L.) 

ot, ancieone forme, eut, 189 (dans 
une citation). 

-otcr, sufûxe diminutif employé 
pour les verbes, i02. 

oublier, emprunté par les Ita- 
liens, obliar^ 306. 

ouf rase, ouf rager ,empru ntés 
par les Italiens, oltraggio^ oltrag- 
giare, 278, 284, 285. 

oufre (passer plus), aller plus 
loin, 159. 

Faudra-t-il que nous tenions eu suspens 

ces premières vérités, sons prétexte qu'eu 

passant plus outre nous trouvons des choses 

que nous avons peine à concilier avec elles. 

BossuKT, Libre arb., 4. (L.) 

oufre plus, de plus, en outre, 
170. 

Outre plus, quand bien il feust arrivé 
premier que les autres, peu de séjour y 
enst il fait sans se rendre odieux. 

Lahoub, 552. (L.) 



I, donné comme 
traduction de oltramontani, 345. On 
avait dit avant Estienne outremon- 
tains, oultremontains, ultramon- 
tains^outremontanSyOultremontains, 
ultrans mont aines, oultremontaign e 
(ces deux derniers employés comme 
adjectifs. (G.) 

ouf reprenx, 187. Nicot : « Qui 
est plus que preux. » 

Combien que je devroye ostre oultre- 
preux en tous les faictz'que j'entreprens 
pour l'amour de celle que j'ayme. 

Perceforeêt, V, 30. (G.) 

ouy (langue d'), 171. 

Ovide, 23, 50, 213, 220, 221, 
227, 228, 233, 234. 

paguer, forme dialectale pour 
payer, 298. 

pain : de tel pain telle soupe. 
Proverbe^ 2i8. 

paleflroy, emprunté par les Ita- 
liens, palafren ou palafreno, 262. 

palemalele, jeu italien, 136, 
NicoT : « Palemaille, Videtur nomen 
habere à palla et malleo, (|uia 
rêvera maliens est quo impelhlur 
globus ligneus. • Monet : « Jeu de 
maille, de boule, avec le maille. » 
D'après Furetière c'est la même 
chose que le jeu de mail. Ménage 



fait dériver le mot de pila et de 
malleus. 

Il jouoit a la balle a emporter, nu au 
ballon, ou au pallemaille, qu'il avoit Tort 
bien en main. 

BaAKTOME, Cap. fr., Henri H. (G.) 

panche, forme picarde depanxe, 
175. 

panfols, pan toiser, 122. Nicot : 
« Pantois : Tantost signifie celuy 
qui haleté et est à la grosse halene, 
comme Ainsi haletant et pantois 
j'eschappay des voleurs, ïta fti- 
giendo spiritu penè prefocatus e 
gt'ossatoribus evasi. Et tantost si- 
gnifie la maladie de difficulté d'ba- 
lene et malaisée respiration, qu'on 
dit aussi le mal du pantois, Spiritus 
prxfocatio. Ce mot est fréquent et 
u<<ité aux faolconniers, qui de cette 
maladie, quant aux oiseaux de 
proye, font trois espèces, l'une du 
pantois qui vient à la gorge, l'autre 
de celuy qui procède de froidure, 
la tierce qui se congrege aux reins 
ou roignons. — Pantoiser, est tra- 
vailler du mal du pantois, Difficili 
spiritus attractu (aborare, Prxfo- 
catione spiritus laborare. Qui est 
avoir la courte halene. Les faulcon- 
niers disentPanfi^erpour le mesme, 
comme fait F. Jean de Franchises 
en son 3. livre. Mais Pantoiser est 
le droict. » 

parasoge (mot grec), dériva- 
tion, 144. 

parangonner, comparer, em- 
prunté par les Italiens, 299. 

parapef, terme militaire em- 
prunté aux Italiens, 351. 

parasfre, 282, s'employait sans 
idée péjorative : 

Un parastre peut bien avoir la garde des 
enfans de sa femme. Couat. gen., I, 137. (L.) 

paraf fendre, attendre jusqu'à 
la fin, 192. 

Mes tout ce seroit perdu qui ne par 
atendroit tant que nostres sires y envotast 
sa grâce. 

GuiLL. DB Ttb. But. de» Croit. (G.) 

parairanf, auparavant, 241. 

Disant que les Grecs pararant décédez 
estoyent privez d'un fort grand plaisir. 

Amyot, Alexandre. (G.) 

paraTenfure, emprunté par 
les Italiens, pcravventura, 324. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



424 



parée que, imité par les Ita- 
liens, percioche, 318. 

parcidevanf, auparavant, ci- 
dessus, plus haut, 276. 

pareroisfre, s'accroître, gran- 
dir, 64 (dans Vigenère). 

Il fault laisser les vices qui sont trop 

forts et parcreus. , ,^ ^ 

Fauchet, Antiq. gaul, IV, 20. (G.) 

pardonner, emprunté par les 
Italiens et les Espagnols, 294. 

parer les coups ou parer aux 
coups, 352. 11 serait plus conforme 
à l^tymologie de dire parei* aux 
coups. Nicot dit parer aux coups de 
son ennemi, et parer l'escu au de- 
vant du coup. Mais Montaigne di- 
sait déjà : 

Il faut eschever aux coups que nous ne 
saurions parer. I, 164. (L.) 

parfaire, formé à l'imitation 
du latin perficere, 191. 

parfln (à la), à la &n, 318; en- 
core employé au xvn® siècle : 

S'il demeure ici plus longtemps, j'ai peur 

qu'il n'y veuille estre le maistre tout à fait 

et qu'il ne nous en chasse à la pariin. 

SoREL. Francio'n, 9. (G.) 

Paris (langaee de) u tient le 
premier lieu, » 170. 

Parisli, les Parisiens, disent ouy 
dans le sens de ita, 171. 

parler, emprunté par les Ita- 
liens, parlar, 291. 

parllre ou perlire, lire jusqu'au 
bout, 191. 

Et (^uant li clers ot parleu les lettres. 
Ltv. de la con7. d^ la Morén, 66. (G.) 

Le 290 jour du mois d'aoust veismes et 
de mot à mot perleusmes unes lettres du 
roy, 1435. Ord. XVIU, 500. (G.) 

paroulr, achever d'ouir, 1^. 

A peine estoient Flament cheu, quant 

pillart et gros varies venoient, qui se bou- 

toient entre les gens d'armes, et portoient 

grandes couslilles dont ils les parochioient. 

Froissart, X, m. (G.) 

parolette, diminutif de parole, 
mot court, 343. 
partir, partager, 110. 

Nous partons le fruict do nostre chasse 
avec nos chiens. Moxtaiqîib. II, 170. (L. ) 

Encore aujourd'hui : avoir maille 
à partir. 



Emprunté parles Italiens, 300. 
passer pl«is avant, aller plus 
avant, plus loin, 168. 

Lltalie passa encore plus avant: l'im- 
piété de rempereur fut cause qu'on lui 
refusa les tributs ordinaires. Bossuet, HiaL, 
I, 11. (L.) 

passer qqn docteur, lui confé- 
rer le grade de docteur ; être passé 
docteur, être reçu, 214. 

passèrent, appliqué à un che- 
val, 186. 

pastre, de pastor, 74 ; indiqué 
comme forme dialectale. 

pâte, farine pétrie, et pâte, pied 
d'un chien, 39. 

pâte et pâté, 40. 

paume (expressions tirées du 
jeu de), 135 et suiv. 

paunioyer, manier, 187. 

Il eust mieux sceu chevaucher un cheval, 
palmoyer une lance, et ferir de l'espee oue 
garder les brebis. Perceforest, III, 93. (G.) 

payer, emprunté par les Italiens, 
pagar, 298; origine du mot, 298, 
dépravé par les Italiens, appagar, 
332. 

pécher, peehé et pécheur 
pour peccare, peccatum, peccator, et 
pécher, pécheur pour piscari, pisca- 
tor, 39. 

péchés, pécheurs (Proverbes), 
212. 

péculler, particulier, 24. 

Voila une grande vertu, si elle n'ostoit 
propre et pecuiiere aux asnes. 

'Tahureau, Prem. dial. du Démocritic, 
201. (G.) 

peeune, argent, 106. 

Mes amans fuiront toutes fortes cupiditez, 
mesmement la concupiscence de la peeune. 
L'Amant resuacité, 109, (L.) 

peine : Nul bien sans peine. 
Proverbe, 221. A peine, emprunté 
par les Italiens, appena, 323. 

pet, ancienne forme de peauj 222 
(dans un proverbe). 

penser : Mal pense qui ne re- 
pense. Proverbe, 247. SijU>st., em- 
prunté par les Italiens, pensier, 276. 

penultlme, pénultième, 39. 

Et dura jusques au samedy ensuyvant 
penultime d'aoust. Comm., VI, 11. (L.) 

La (orme pénultième est une forme 
analogique. 

24 



Digitized 



by Google 



422 



LEXIQUE-INDEX. 



p©r, particule latine; son utilité 
pourformer des mots composés, 191. 

perattondro (V. parattendre). 

Pcreeforest, 209, 233, 239, 250, 
265, -266, 2t58, 269, 358. 

perdeui*, perdant, 210 (dans un 
proverbe). 

perdre •• Qui perd le sien, il 
perd le sens. Proverbe^ 233. 

perfaiet, parfait. 34. 

perigllo, perIgUosa, plus em- 
ployés par les Italiens que pericolo, 
pericolosa, 280. 

perllro. Voir parlire. 

pesanca, pesanteur, emprunté 
par les Italiens aux Provençaux, 
258. 

Pétrarque, 22, 47, 83, 84, 94, 
256, 260, 261, 262, 263, 265, 272, 
275, 276, 277, 278, 280, 283, 287, 
288, 289, 29^-97, 299, 301, 302, 306, 
309, 311, 313, 314, 315, 317, 319. 
321, 327, 334, 335, 343. 

Philippe de Bourgogne, dis du 
roi Jean. i'i2. 

Philippe de Valois, 122. 

plaeensa, plaisir, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, 258. 

piaffe, parade, 351. 

11 y avoil grnnde piaflfe d'officiers du 
Louvre. Gui Patin, Lett., II, i63. (L.) 

Picards, leurs proverbes, 176; 
leur prononciation, 176 et 325 ; leur 
dialecte peut enrichir le langage 
français, 176. 

picardicer, prononcer à la façon 
picarde, 325. 

PIctonea, les Poitevins, disent 
ouau pour oui, 171. 

plé, pied, emprunté par les Ita- 
liens, 274. 

pleça, il y a du temps, depuis 
longtemps, 259. 

Ayant pieça franchi les quarante ans. 
MoNTAiGiïE, n, xva. (G.) 

Origine de la locution : imitation 
qu'en font les Italiens, 340. 

pieds, traces, dans la langue de 
la vénerie, 126 ; le mot a conservé 
ce sens. 

pille pille (Proverbe), pillage, 
vol, 221. Le mot pille signifiait au- 
trefois pillage. 

Il ne fut jamais que les Gascons n'aimas- 
sent la pille. Brantôme. Ed. Lalanne VI, 
210. (G. 



plnçoter, diminutif ou plutôt 
fréquentatif de pincer, pincer sou- 
vent et légèrement, 102. 

Laissons le discourir, sa barbe pinçoter. 

Régnier, Sat. VI IL 

plnsemaille, avare, 107. Nicot : 
« Est composé de pinser (qui signifie 
aussi par translation croquer de- 
niers, Corradere pecunias) et maille 
qui est la moindre espèce de mon- 
noye qu'on ait usé, et signifie 
l'homme ou femme très avare, ser- 
reur de quelque petite somme que 
ce soit n. 

piteux littéralement sensible à la 
pitié, et, par extension, doux, indul- 
gent, 252 (dans un proverbe). 

Comme aux enfans est piteux un bon 
père. Marot, IV, 309. (L.) 

plaider k, plaider contre, 5246. 
plaldorcsaii, dimin. péjoralif de 
plaideur, 100. 
plaidoyer, plaider, 246. 

O homme, qui es-tu, qui plaidoyes con- 
tre ton créateur? Calvin, Prédest., 199. 
Ed. de 1552. (G.) 

Le mot plaidoyer est en effet au- 
jourd'hui un infinitif pris substanti- 
vement. 

plaldoyeur, plaideur, 210 (dans 
un proverbe). 

plaintif, plainte, 326. Nicot : 
V Plainte ou plaintif, Incusatio ». 

Encores qu'il ne s'en face nul plaintif en 
ce monde. Calvin, serm. aur h Deuter., 
817. éd. 1567. (G.) 

plaisant, agréable, 69. 

Pourquoi Dieu vous a-t-il défendu ce qni 
est si plaisant et si Hatteur? Bossubt, 
Elevât, à Dieu, 18« $em. 22. (L.) 

plat (tout à), nettement, tout à 
fait, absolument, 38. 
Il nia le fnict tout à plat. Amtot, Marcell, 

2. (L.) 

platelle, plat, vase, 53 (dans 
Ronsard). 

Platon, 120. .^.^ . 

platte forme, terme militaire 
emprunté par les Italiens , piatta 
forma, 355. 

Plante, 129, 161, 226, 227, 831, 
234, 235, 316. 

pleure-plaln, avare, 107. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



423 



On dit de vous que vous n'estes qu'un 

pleure- pain, et vostre femme une chiche-fnce. 

Choliére, Apré»-din. 2. (L.) 

ployable, qui peut être ployé, 
souple, flexible, 98. 

La raison a 1«nt de formes, esttnnt ploya- 
ble, ondoyante. Charbon. Sageise, I, 39. (L.) 

PlutaWiue, 13. 

poefriee, féminin àe poète, 163. 

Proba Falconia excellente poetrice chres- 
tienne. Tadourot. Bigarr. 216, éd. la8V.(G,) 

poissiare, « monter jusques au 
plus haut d'un tertre », 254. 

pOlSKiO, élévation, 354. 

polctreiise (pièce), étymologie 
du mot, 144. 

pointe (poursuivre sa), méta- 
phore empruntée à la marine, 135. 
Le mot pointe désigne quelquefois 
le cap du navire. (L.) 

Point d'affaire, il poursuit sa pointe jusqu'au 
[bout. Molière. Éiourdi, III, v. (L.) 

L'expression équivaut à aller de 
l'avant. 

poire {Proverbe), 215. 

pollee. organisation politique, 
ordre établi dans un Etat ou dans 
une ville : l'équivalent n'existe pas 
en italien, 1 18. 

polieé, ville bien policée, bien 
administrée, bien organisée : n'a 
pas d'équivalent en italien, 148. 

POUUX (Julius), 106, 107, 108, 
109, 110, 111, 112, 113. 

Polycrate, 240 

populaire (prononciation) des 
Français imitée par les Italiens, 281. 

por, pour, 189 (dans une cita- 
tion). 

port (venir à bon), métaphore 
empruntée à la marine, 134. 

porte - : mots composés formés 
avec le verbe porter^ 158 et suiv. 

portechalre, « assez usité en 
la cour », 159. Chaire, dans ce com- 
posé, signifie chaise à porteurs. 

porteeharge Estienno ne 

craindrait point d'user de ce niot 
« où la ryme le requerroit », 159. 

porteclel, 158. Ronsard l'a dit 
en parlant d'Atlas : «. Atlas yjorte- 
ciel ».— Ed. elzev.V.,276(Mellerio). 

portefaix, 158. 

porteflanilfcaux, moins agréa- 
ble à l'oreille que porte jflambeau, 160. 



porteflcurs , porteft^uits , 
porte|çralii«;H. Estienne trouve 
douce la composition de ces mots 
appliqués nux saisons, IW. 

portcfiHïid, porterroiaure, 
le premier vaut mieux, io2. 

port<5«uerre ; Estienne ne 
craindrait pas d'user de ce composé 
pour l'opposer à portepaix^^ 159. 

portêfoiir applique à l'aurore. 

160. 

portelaiieiir ; Estienne le di- 
rait aussi bien que portepene, 158. 

porteloix, employé par Da 
Bellay, 159. 

portelumlère , appliqué au 
jour, 160. 

porteliit, portelyre; le se- 
cond est meilleur, 161. 

portenseisne, 158 : « Est ce- 
luy qui porte le drappeau d'une 
compagnie de gens do pié ». Nicot. 

portepalx. appliqué à un prince 
pacifique, 159. Anciennement le 
mot a servi à désigner l'étui conte- 
nant la patène, appelée paix. (G.) 

portepanler, colporteur, 158. 

Jongleur, porlepanier , et telles autres 
manières do pens qui hantent les foires et 
marchés. R. Estienxb, Tli«$., Circumfora- 
neus. (G.) 

portequeue, « assez usité ea 
la cour ». 159. Personne chargée 
de porter la queue du manteau d'un 
orrand personnage ou la queue de 
la robe d'une grande dame : 

M. le duc de Berry et M. le duc 
d'Orléans eurent les mêmes portequeue. 
Salnt-Simox, 302, 207. (L.) 

porter, comporter, 36. 

S'ils n'ont pas plus d'esprit que ne port© 
leur condition. La Bruy. IX. (L.) 

portespee, les deux sons du 
mot, 159. NicoT « Est celuy qui 
porte l'espce luy-mesmes, ou celuy 
qui la porte après son maistre. En- 
sifer, Ènsiger. Ainsi le errand Es- 
cuyer de France peut eslre appelé 
port'espee du Roy. » 

portetable, «< assez usité en la 
cour », 159. Furetière dit qu'il y 
avait en la chambre du roi des offi- 
ciers appelés portetables,. mais ne 
dit pas en quoi consistaient exacte- 
ment leurs fonctions. 

Ponia, C. 



Digitized 



by Google 



424 



LEXIQUE-INDEX. 



postposer, melire après, négli- 
ger, 115. 

Ce pendant veilles tousjours à la conser- 
vation de vostre ville, et postposes tout aul- 
ires affaires pour ceste cy. Lett. mi8$. de 
Henri IV, lÛ, 110, 30 déc. 1589. (G.) 

poulain (Proverbes) 222, 251. 
pour co que, parce que, 19. 

3'ai été nourri aux lettres dès mon en- 
fance : et, pour ce qu'on me persuadait que 
par leur moyen, on pouvait acquérir une 
connaissance claire et assurée de tout ce 

3 ni est utile à la vie, j'avais un extrême 
ésir de les apprendre. Desc, JHéth., I, 6. 

pourchasser, chercher à at- 
teindre, à obtenir, 115. 

L'un récent le royaume sans l'avoir pro- 
cbassé, et l'autre l'ayant entre ses mains le 
restitua. Atmyot, iVww» et Lyc, 1. 

pourprin, de couleur de pour- 
pre, 18ô. « L'adjectif de pourpre est 
pourprin ». Ménage, Bemargues 
(L.). Ronsard emploie pourprin, 
pourperet, pourperé, pourpre, pour- 
pré. (Mellerio.) 

poursuivre, continuer, 178. 

Mais ne poursuives point, vous, d'inlerrom- 
[pre ainsi. Moliéhe, Dép. II. vu. (L.) 

pourtant, pour cela, pour cette 
raison, 10. 

Il vou oit bien assommer, mais non pas 
blecer, et pourtant ne combntloit que do 
masse. Montaigne, II, 323. (L.) 

prattique , employé comme 
substantif ou comme adjectif, 112. 
Ronsard emploie pratique comme 
adjectif : 

Je suis du camp d'amour pratique chevalier; 

Pour avoir trop souffert, le mal m'est fnmi- 

[lier. 230 (L.) 

preeeller. v. a., surpasser, 30 : 

Jalouse des vertus qui gisent en la belle 
Qui les hommes en meurs et doctrine pré- 
[celle. E. Pasq. (G.) 

préjugé, ce qui peut contribuer 
d'avance à faire pencher le juge- 
ment dans tel ou tel sens, 14. 

La Chaussée fait de très bons vers, du 
moins d'«ns le genre didactique ; ce n'est pis 
un bon préjugé pour le genre de la comé- 
die. Voltaire, Lett. en vers et en pro«e, 

32 (L.) 



premier que, avant que, avant 
de, 30. Voir Observations grammati- 
cales, 169. On trouve aussi prernlfere- 
ment que : premièrement que l'autre, 
avant l'autre, 310. 

prendre, recevoir, 229. 

preparatif : Nostre lan$rue a un 
plus grand preparatif à l'éloquence, 
10 : est mieux faite pour, a plus de 
ressources, plus de commodités pour 
l'éloquence. 

près, emprunté par les Italiens, 
presso, 325. 

prester aide, secours, moins 
usités que donner aide, secours; 
empruntés par les Italiens, 338. 

presupp€>ser, supposer préala- 
blement, 170. 

Pour entrer dans mon sujet, je présup- 

Êose ici... ce que la foi nous enseigne. 
iQURDALOUE. Carême , III , Béeur. de 
J, C, 309, (L.) 

preud'taoninie,vail1ant homme, 
emprunté par les Italiens, prode 
huomo, 258. 

primeface (de), à première vue, 
tout d'abord, 3. 

Resloit sans plus d'y disposer la femme : 
De prime face elle crut qu'on rioit. 

La Foxt., Mandrag. (L.) 

prlmerain, précoce, en parlant 
« de quelque fruict », 178. Le mot 
premerain a eu tout d'abord le sens 
général de premier. 

primiero, plus employé par 
Pétrarque que primo, 261. 

proeéder h, être en procès avec, 
246 (dans un proverbe). L'expression 
procéder contre est resiée avec le 
sens de poursuivre en justice. 

Le parlement devoit procéder contre moi 
avec la dernière rigueur. J.-J. Rousseau, 
Confessions, XI. (L.) 

— procéder de, venir de, 2 ; dériver 
de. 285. 

Vous voyez donc, Monsieur, d'où çroeède 
son mal? reonard, Fol. amour., IIÎ, VII, 

(L.) 

prochain, proche, voisine, 170. 

De son appartement cette port© est pro- 
chaine, Racine, II, 374. 

proehaineté, parenté, 244. 

Celui qui s'esl porté héritier par bénéfice 
d'inventaire peut se porter héritier absolu, 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



425 



et y sera recea en son jang de prochainelé. 
l'ovt. de Aortn., Nouv. coût, gén., IV, 
U. (G.) 

proeiiraccau, 100, 
procurer, prendre soin de, 115. 

II ne se peut fnire qu'une ame fidèle, 
estant touchée de l'horreur du jugement de 
Dieu, ne procure à se punir soy mesitie. 

Calvin, Irut., 472. (L.) 

prodc, vaillant, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, 258. 

promptitude, aptitude, faci- 
lité, 13. 

J'ai perdu par desaccoulumance la promp- 
titude de m'en pouvoir servir [du latin] à 
parler. Montaigne, III, 39. (L.) 

propos, sujet, 132. 

Il se jette à côté, se met sur le propos 
De Castor et Pollux. 

La Font.. Fab., I, 14. (L.) 

prfMMMS, au pluriel, 260. 
prou, beaucoup, 237 (dans un 
proverbe). 

Prou est un vieux mot françois pour dire 
assez, dont plusieurs usent encore en par- 
lant, mais il ne vaut rien à écrire. 

Yaugelas. Ed. Chassang. II, 465. 

provençaux (mots) empruntés 
par le.«« Italiens, 253 et suiv. 

proverlies, 201 et suiv., jus- 
qu'à 252. 

pt, remplacé par tt, 81. 

pu. nourri, repu, 54 (dans une 
citation). 

Publius HfinMHpraphus, Pu- 
blias Synjs, 220, 227, 232, 235, 236. 

puet, anc. orthog. de peut, 199 
(dans une citation). 

puis, ensuite (placé après le 
verbe), 240. Le sens de puis s'élait 
cependant beaucoup affaibli , puisque 
Tusage, constaté par Nicot, s'était 
introduit de le renforcer du mot 
après. Estienne dit déjà puis après, 
173. 

puisque, depuis que, 269 (dans 
une citation). Au temps d'Eslienne 
puisque n'avait probablement plus 
que le sens causal. C'est le seul qui 
soit indiqué par Nicot. 

pute, putain, 181. Il y a le 
même rapport entre ces deux formes 
qu'entre nonne et nonnain^ Eve, 
Evain, etc. Voir Brunot, Gram- 
maire, p. 243. Pute, comme garce. 



n'avait primitivement aucun sens 
défavorable et signifiait simplement 
jeune fille (V. Litiré etScheler). Mais 
l'idoeiîéjoraiive s'est introduite dans 
ce mot beaucoup plus tôt que pour 
le mot garce. 

Pyrriius, 55. 

Pytiiasore, 28. 

quadrello, emprunté par les 
Italiens aux Provençaux, 258. 

quant (pron. ind.) : toutes et 
qualités fois, 145. 

quant et quant. Voir Obser- 
vations grammaticales. 

quarreaux,141.MoNET : c Quar- 
reau, pièce de métal taillée d'un 
lingot, an roûele, ou an quarré, an 
pentagone, an hexagone, travaillée 
par louvrier pour an faire une 
espèce de monnoie. » 

que, comment les Italiens imi- 
tent les Français dans l'emploi du 
mot correspondant, che, 315. 

queux, pierre à aiguiser, 29, 

La pierre queux ou afSloire fait trancher 
le rasoir et ne tranche pas. 

La Motue Lk Vateb, Dial. d'Or. 
Tubero. (L.) 

quiert, 3« pers. sing. prés. ind. 
de quérir, 224 (dans un proverbe). 

quitter, tenu* quitte, 212 (dans 
un proverbe). 

Ne devaient-ils pas se tenir bien heureux 
que mon ambition ne leur coûtât pas davan- 
tage. On ne les pouvait quitter à meilleur 
marché. 

FoNTEN. Dial. 1«"", ilorU anc. (L. ) 

— quitter, céder, abandonner, 289. 

J'aurois même regret qu'il me quittât 
l'empire. Racine, 1, 449. 

r pour l dans les mots italiens, 
74 ; — remplacé par rf, 75 ; — rem- 
placé par t ou tt, 74; — intercalé 
dans un mot, 75. 

racledonare, avare, racle-de- 
nier, 107. Gui Patin emploie raque- 
denare, mais dans un sens peut- 
être différent du sens indiqué par 
L. Feu gère : qui eradit, corradit 
denarios, celui qui rocrne les deniers. 
Furetière indique un autre sens : 
« Haquedenare. Terme populaire 
qui se dit des gens fort avares qui 
veulent arracher jusqu'au dernier 
denier d'une personne, qui ne luy 

24, 



Digitized 



by Google 



426 



LEXIQUE-INDEX. 



voudroieni pas quitter le moindre 
denier. » , , . . x 

raeler et bander (cest a), 
métaphore tirée du jeu de paume, 
136. Racler, c'est enlever la balle 
pendant qu'elle roule, avec la ra- 
quette ; bander c'est « enlever, jetler 
Sar dessus les mura ou dans les 
let» une balle que ceux du parti 
opposé ont mise sous la corde. » 

FURKTIÈRE. 

raconter, emprunté par les Ita- 
liens, raccontar^ 285. 

raire, raser, 230, 234 (dans des 
proverbes). 

Il ne feit raire qae le devant de sa leste 
seulement. Amtot, TMêet, (G.) 

raison (par), de droit, juste- 
ment, naturellement, raisonnable- 
ment, 168. 

Le royaume de France qui par droite suc- 
cession (le proismeté devoit estre siens par 
raison. Vat., V, 322. (G.) 

ramée (selve) , sylva opaca , 
189. Bamé signifie touff'u : 

De toutes le» forests le branchage ramé. 
RONSABD, Ed. elr., V, 140. (G.) 

randon, randonner, impé- 
tuosité , courir impétueusement , 
187. 

D'une grand violence et d'une aspre 

randon. Vauq. Art Poet., Uî. (G.) 

Il picque après luy tant que son cheval 

pouvoit randonner. Perceprest, UI, 91. (G.) 

rapporter k, rapprocher de, 
comparer avec, 237. 

rarlté, rareté, 208. 

rat, mot emprunté par les Ita- 
liens, 284. 

rayaux, définition du mot, 141 ; 
jeter en rayaux, 141. 

rayer, signifiant autrefois cou- 
ler, 187. 

Avant quA l'enfant tète, il sera bon luy 

faire rayer un petit de laict en la bouche. 

Paré, XVUf, 19 (Ed. Malgaigne). (G.) 

rayonné, rayé, 141. 

-rt^au, suffixe diminutif, 100. 

rechausser, 141. Furetièrc : 
u En terme de Monnoye et d'Orfè- 
vrerie, c'est rebattre une pièce de 
méiail, afin de la rendre plus 
épaisse et de moindre volume... La 
cmquième façon qu'on donne aux 



monnoyes au marteau est de les 
rechausser, c'est-à-dire arrondir et 
rabattre les pointes des carreaux. » 

recommancer, emprunté par 
les Italiens, ricominciar^ 285. 

rf^eommander, emprunté par 
les Italiens, raccommandar, 300. 

), compensation ,77. 



Si Vasquez n'oblige pas les riches de 
donner l'aumône de leur superflu, il les 
oblige en récompense de la donner de leur 
nécessaire. Pascal, Prov., XII. (L.) 

récompenser, compenser, 11. 

Brancas m'a écrit une lettre si excessive- 
ment tendre qu'elle récompense tout son 
oubli passé. Skvigiïé, 19 juillet 1671. (L.) 

réconforter, emprunté par les 
Italiens, riconfortar, 292. 

recors, bien m'en recors, 1^ 
(dans une citation). Je ne vois aucun 
verbe auquel puisse se rattacher 
cette forme. Peut-être H. Estienne, 
citant de mémoire, a-t-il dénaturé le 
texte. On pourrait lire : j'en suis 
recors. Recors signifiait gui se sou- 
vient : 

Mais en estant de son dire recors 
Vous ne craindrez ceux qui tuent les corps. 
Cl. Marot. Serm. du bon Past. (G. ) 

recouTrer, emprunté par les 
Italiens, ricooerar, 285. 

recueil, accueil, 9. 

Parce que l'esternuement vient de la teste 
nous Iny raisons cet honnesie recueil. 

Montaigne, IV, 2. {L.\ 

réduire en prison , amener , 
faire entrer en prison, 93 (dans une 
citation). 

regard, pour le regard ae, 
quant à. 324. 

Les sages disent que pour le regard do 
sçavoir, il n'est que la philosophie, et pour 
le reirard des eflfets que la vertu, qui... 
* Montaigne, I, 290. (L.) 

— pour un regard, sur un points 
d'un côté, 9. 

— pour ce regard, relativement à 
cela, en considération de cela, pour 
cela, 139. 

regarder, emprunté par les 
Italiens, riguardar et risguardar, 
327 et 332. 

régime. Proverbes relatifs au 
bon régime, 213. 

reina, reine, plus fréquent eo 
italien que regina^ 280. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



427 



reintc|p*andc, 350; terme de 
jurisprudence : « Action posses- 
soire par laquelle une personne est 
remiseenjouissanced'uriechosedont 
elle avait perdu la possession. «(L.) 

relictaer, 55 (dans une citation). 
Nicot indique le mot et le traduit 
par relingere. 

reliques, restes, 167. Vau- 
OCLAS : « C'est très bien parler 
français que de dire les reliques du 
naufrage, les reliques d'une armée 
défaite, et autres semblables. » Vau- 
gelas préfère reliques à restes u qui 
est trop commun parmi la lie du 
peuple. » Ed. Chassang. II, 395. 

remaint, 3« pers. sin?. prés, 
ind. de remanoir, rester, demeurer, 
251 (dans un proverbe). 

rememlirer (se), se remettre 
en mémoire, emprunté par les Ita- 
liens, 75, 254. L'ancienne langue 
employait remembrer comme verbe 
actif, rappeler, ou comme verbe 
neutre, se rappeler, et comme verbe 
réfléchi. On disait aussi il me 
remembre comme il me souvient. 

remettre au-dessus, remettre 
en usage, 348. L emploi de au-des- 
sus était beaucoup plus varié 
qu'aujourd'hui . On disait , par 
exemple, venir au-dessus de ses 
ennemis pour triompher de ses 
ennemis. 

rempart, emprunté par les Ita- 
liens, riparo, 355. 

remuement de mesnase, 
remue-ménage, trouble, boulever- 
sement, 17. 

renard (proverbes relatifs au), 
242, 243. 

rencontre, bonne rencontre, 
bonne chance, 3. Le mot signifiait 
conjoncture, occasion, hasard : 

Ce ne fut que par rencontre qu'ils enlrè- 
rent daas la Médie. 

BossuET. Iliêt., III, 3. (L.) 

renforcer, emprunté par les 
Italiens, rinforzar. 285. 

renommée {Proverbe), 236. 

repaire, lo^is, 255. Le mot, 
subst. verb. de repairier, signifiait 
d'abord retour dans la patrie, 
dans la demeure, et demeure, sans 
idée péjorative : 

Li empereres aproismet fon repaire. 
Ch. de Roland, 661. (G.) 



repairer, « loger en quelque 
lieu et y faire sa demourance », 
255. Le verbe repairier (re|>atriare), 
a signifié revenir dans son paySy 
revenir, séjourner. 

En France ad Ais bien repairier devez. 

n 1. 135. (G.) 

Ks«prits maudits des infernalles ombres. 
Qui repairez ceaus soir et matin. 

Larivey, Esprits, IIT, ii, (G.) 

repos, emprunté par les Ita- 
liens, riposo, 278. 

reposer, emprunté par les Ita- 
liens, riposar, 285, # 

rcN|U€Mite (de), qui est très- 
demandé, qui est rare, difficile à 
avoir, 146. Nicot : « Requesle, c'est 
pourchas de quelque marchandise 
qui est requise et remandée de plu- 
sieurs. Comme, le bled n'est pas de 
requeste cette année. » 

respargner , épargner , em- 
prunté par les Italiens, risparmiar, 
308. Nicot : « Respargner. Par 
cerc, Reparcere. » 

ressouvenir , emprunté par 
les Italiens, risovenir, 301. 

retardement, retard, 11. 

Le roi qui n'avait point encore éprouvé 
de revers ni même de retardement dans ses- 
succès, croyait qu'une année lui suffirait 
pour détrôner le czar. 

Volt. Charles XII, 3. (L.> 

retirer la bride, emprunté par- 
les Italiens, ritrarre la briglia, 337. 

retors employé au sens propre, 
55 (dans une citation) : 

Les uns avoient les perruques couvertes 
D'un large pampre aux grandes fueilles 
[vertes^ 
Aux nœuds retors des zephyres ^oufUez. 

[Ronsard. Franc, I, 

retourner, emprunté par les 
Italiens, ritornar, 285. 

retraneiiéfMi (lettres) dans le& 
mots italiens, 77, 295. 

réveiller, emprunté par les 
Italiens, risvegliar, 285. 

Rhésus, 186. 

Rtaodomont, 55. 

rlbaudcïquin, 350 : Froissart : 
M Iceulx ribaudequins sont trois ou 
quatre petits canons rangiez de 
front sur haultes charrettes en 
manière de brouetes devant sur 
deux ou quatre roes bandées de fer- 
à tout longz picqubs de fer devant 



Digitized 



by Google 



428 



LEXIQUE-INDEX. 



en la pointe. » (G.) Dans un pas- 
sajçe de Fauchet, cité par Godefroy, 
le mot paraît être pris comme 
synonyme d'arbaleste de passe. Mais 
tous les exemples s'accordent avec 
la définition donnée par Froissart. 

riche : Nul n'est si riche qu'il 
n'ait mestier d'amis. Proverbe, 207. 

rfeta<ï8«c du français, 104 et 
suiv. 

rien, son ancien sens, chose, 
201 et 322. 

Ne croyez donc pas que ce bon roy vous 
envoyé tant à'amlfhs«adeurs, et vous face 
envoyer ces bons personnapres légats du 
S. Père a autre ioteniion que pour vous 
laire croire qu'il vous ayme sur toutes riens, 
Sat. JMen., Harang. de Pelvé. (G.) 

— Oii il n'y a rien le roy perd son 
droict. Proverbe, 235. 

rfller, voler, piller, rafler, 129. 
NicoT : « Bapere. On n'y a laissé 
ne rifle ne rafle. Omnia cum pulvis' 
€ulo. 

rlTe, emprunté par les Italiens, 
riva, 286. 

roideiir (de), fortement, éner- 
giquement, vivement, 64. 

Des chevaux courans de toute leur roi- 
deur. Montaigne, I, 358. 

romman, sens du mot, 73. 
Presque partout, H. Estienne em- 
ploie le mot pour désigner soit les 
ouvrages écrits en vieux français, 
soit les écrivains eux-mêmes. C'est 
ainsi que l'employaient ses contem- 
porains : 

Te faudroit voir tous ce? vieux romans et 
poêles français. Du Bellay. (L.) 

Ronsard, 51, 52, 5{, 55, 299. 
Rose (Roman de la), 269. 
rossignolet, 100. Ronsard dit 



Le chantre rossignolet 

Nouvelet 
Courti.sant sa bien aimée. (L.) 



1, emprunté par les Ita- 
liens, ronzino, 293. 

route, 135, Estienne se demande 
« si la terre l'a pris de la marine ou 
bien elle de la terre. '» C'est la se- 
conde supposition qui est juste : 
via rupta, voie faite en rompant la 
forêt ou le sol. (Scheler). 

routfïs, 125. NicoT : « Routes 



en pluriel, ce sont en vénerie les 
erres de toutes bestes mordantes, 
tout ainsi que trasses, les erres des 
bestes rousses. » 

routier (vieil), homme qui con- 
naît les chemins, qui a beaucoup de 
pratique (Scheler). 

Routier (Le ^rand), 135. 

rudesse des mots italiens écour- 
tés, 83, 

ruer les grands coups, 37. Ruer 
sisnitie jeter avec force, ruer de 
grands coups, donner de grands 
coups. 

Il avoit rué plusieurs coups de baston sur 
la leste d'un nommé Thomas. 

25 août 1583. (G.) 

ruisselet, 101. Le mot est an- 
cien : 

Ki sûmes d'ni?ues ruscelet. 
Landri DR Waben, Expl. du cant. des 
oant. (G.) 

rustre, employé pour désigner 
des soldats, 348. 

D'autres les ont appelez rustres, ainsi 

âne nous lisons dans le roman de M. de 
ayard, que M. de Bayard dit à ses rustres, 
appellans ainsi ceux auxquels il coramandoit. 
Brant. Cap. Ir. (L.) 

rut OU ruit, 1^. Nicot donne les 
deux formes. 

ryme, orisrine du mot, 42. 

s à la fin des mots français, 208 ; 
ajouté au commencement d'un mot 
italien, 297. 

sac (Proverbes), 217, 248. 

saere^ saeret^ 128; sacre em- 
ployé par métaphore, 182. 

' Ce maréchal de Joyeu!>e était une manière 
de sacre et de brif^and, qui pilhit tant qu'il 
pouvait. Saint-Simon, 278, 6. (L.) 

sade^ sadfnet) sadlnette, 

103 : Sade signifiait gracieux, char- 
mant : 

Je l'ayme de propre nature. 
Et elle moy, la douice sade. 

Villon, Grand Tf$t. (G.) 

Autant qu'une plus blanche il aime une bru- 

[nette. 

Si l'une a plus d'eselat, l'autre est plus sa- 

[dinette. Regnieb, Fat. VU. (G.) 

sase (Proverbes) 206, 237 ; — em- 
prunté par les Italiens, saggio, 279. 
sa«<M9se (Proverbes). 206, 228. 
m»lnet (Proverbes), 233, 249. 
Safnete-Crof X (cardinal), 31. 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



429 



saison, emprunté par les Italiens 
et les Espagnols, stagion et sazon; 
-275. 

jialeme (école de), 214, 215. 

saniç : Il ba du sang aux ongles. 
Proverbe, 248. 

Sannazar, 91, 215, 281. 

sans, sans faute, empruntés 
par les Italiens, sanza, sanza fallo, 
326. 

santé (proverbes relatifs à la) 
213, 236; mot emprunté par les Ita- 
liens, santa ou sanita, 280. 

Sarpédon, 30. 

tMftrrasinesques, 346. C'est le 
même mot que sarrasine. Dans le 
passage de Machiavel, le mot a sans 
doute reçu la désinence si fréquente 
en italien. Comme terme de fortifi- 
cation, le mot désigne la herse que 
l'on abaissait pour défendre l'accès 
d'une porte. 

saulvage, emprunté par les Ita- 
liens, selvaggioy 278. 

saulve (mettre en), serrer, expres- 
sion picarde imitée par les Italiens, 
:i39. Sauve est le substantif verbal 
de sauver. On a dit aussi sauvement 
et sauveté. 

sautcler, faire de petits sauts, 
sautiller, 53, 102. Le mot, encore 
employé au xvii« siècle a été repris 
de nos jours. 

Ua nnin qui... sautelait de saillie en saillie. 
V. Hugo. JS. D. de Paris, IV, n, (G.) 

sauter de la poésie en la braise 
{Proverbe), 183. 

seannevole, 20 et 87. 

searpe, terme militaire emprunté 
aux Italiens, 351. Le mot est devenu 
en français escarpe et désigne la 
muraille qui règne au-dessus du 
fossé du côté de la place. 

licienee (Proverbes) 207. 

iMMiseendere, éclater, emprunté 
parles Italiens aux Provençaux, 260. 

se, en italien, équivaut à si en 
français, 313. 

seconder qqn, être le second, 
venir après lui, 30 : 

Pour ne se pn» vouloir démettre jusque» 
à seconder seulement un homme romain, 
qui fluroit esté son beau-pere, et au demeu- 
rant pouvoir oatre le premier de tous les 
hommes. Amyot, Pomp., 107. (L.) 

seigneuriale, lii. Ce mol qui 



avait signifié seigneurie, puissance 
s'est d'assez bonne heure spécialisé 
dans lesens indiqué par H.Enienne 
Il s'est conservé jusqu'à la Hévolu- 
tion : 

Le droit de .«'eigneuriage ou le revenu 
fondé sur la fabncjt.on, est-.l nécessaire 
est-il raisonnable? Mirabeau. (L.) *'"'^«' 

seiisneurlal, digne d'un sei- 
gneur, majestueux, noble (appliqua 
à une façon de parler), 43. Nicot 
n'indique pas ce sens figure du mot. 
Rabelais, à propos de certaine inven- 
tion de Gargantua enfant, lui faisait 
employer ce mot plaisamment : 

J'ay inventé un moyen le plus seigneurial, 
le plus excellent, le plus expédient que 
jamais feut vu. I, xm. 

selisnenrie, domaine, 138. Nicot 
traduit le mot seigneurie par ditio, 
imperiumt dominatus,et le sens du 
mot français paraît n'avoir pas été 
moins large que celui du mot ditio. 
Il désignait aussi bien la terre sei- 
gneuriale que la puissance du sei- 
gneur. 

selve, forêt, selve ramée, forêt 
touffue, 189. 

Puis s'en va à la tour, si l'a plus tost 

[rampée 

K'escurieus n'ait kesne en la selve ramée. 

[Fierabrtu, 3061. (G.) 

Selve (de) 31. 

sembler, emprunté par les Ita- 
liens, sembiar, 285. 

sens des mots, souvent diffé- 
rent dans les dialectes, 179, et dans 
l'ancienne langue, 200. 

sensals, courtiers, 334. Le mot 
sansal a désigné des agents de 
banque ou de change, et, dans le 
Midi, des intermédiaires entre le 
vigneron et le marchand. 

sentence, pensée, idée, 210. 

sentier, emprunté par les Ita- 
liens, 277. 

sentinelles, emprunté aux Ita- 
liens, 315. 

sergent, serviteur, 200. 

Philippe le Conquérant les chassa de 
France (les Juifs) et confisqua leurs biens 
immeubles, parce qu'ils avoyent des sergents 
et chambrières chresliennes. 

BODIN, Repub. I, 5. (G.) 

serredenier, avare, 107. 
serremiettes, avare, 107. 



Digitized 



by Google 



430 



LEXIQUE-INDEX. 



I (tenir en ses), employé 
par métaphore, 130. 

oervase, emprunté par les Ita- 
liens, servaggio. 

oervfee (Proverbe). 

seTrare, séparer, emprunté par 
les Italiens aux Provençaux, 260. 

si esl-ee que, 39 ; si faut-il, 195 ; 
le mot si conserve dans ces locu- 
tions son ancien sens, pourtant. 

Et encore qu'il y ait en l'homme autre 
chose que la raison, si est-ce néanmoins 
qu'elle est la partie dominante. 

BossuET, Pen». chrêt., 33, (L.) 

Jamais de son pays ne vint lettre de change. 

Et quoiqu'il manée peu, si faut-il bien qu'il 

[mange. Regsahd, Le Bal, 13. (L.) 

Sien (le), son bien, 233 (dans un 
proverbe). 

Ne point mentir, être content du sien. 
C'est le plus sûr. 

[La Foirr., Fab., V, 1. (L.) 

Slennols, leur bonne pronon- 
ciation, 70. 

siniE, cloche, dans toquesing^ 
179. 

sinon que. Voir Observations 
grammaticales, 174. 

Sion, 244 (dans un proverbe). 
NicoT : « Un Sion est jecton d'arbre 
long d'un pied ou d'une coudée, 
qu'on plante en terre, talea, taies. 

sma^are , consterner , em- 
prunté par les Italiens aux Proven- 
çaux, 260. 

sobriété, recommandée par les 
proverbes, 217. 

Soerate, 27. 

sossioi*!^®* séjour, emprunte 
par les Italiens aux Provençaux, 
257. 

soldats appointes!. Voir ap- 
pointez. 

soleiller, se promener au soleil, 
178. Le verbe a signifié surtout 
éclairer, briller (en parlant du soleil), 
exposer au soleil ; solcillé signifiait 
ensoleillé : 

Les costeaux soleillez de pampre sont 
[«îouvers. J. Du Bellay, Regrets. (G.) 

solia, avait coutume, emprunté 
aux Provençaux, 261. 

soniçecreux, 156. Le mot n'a 
plus son ancien sens qui était à peu 
près songefinesse ou songemalice. 
Dans Montaigne, il a déjà un sens 



plus rapproché du sens moderne : 

Je suis de moy me$me non mélancolique 
mais songe-creux. I, 77. (L.) 

songeiUMïSso , 161 ; son^e- 
malice, 156; Nicot : « Un Songe- 
malice, Ca£omechanos. » Le mot 
se trouve aussi dans Cotgrave, 
Mon et, etc. 

soniçcnouvelle. H. Estienne 
forgerait volontiers ce mot, 161. 



soigneux, soigneusement, 107, 38. 
Les formes nasales étaient très 
usitées avant le xvi" siècle. 

sonnet , antérieur à Titaliea 
sonnetto, 22. 

Sophlan (Michel), 13. 

sot, sottise; les Italiens n^ont 
pas de mots équivalents, 343. 

soufflet au roy (bailler un),. 
147. Cet emploi métaphorique de la 
locution est encore mentionné par 
Furetière. Le droit de battre mon- 
naie étant un des principaux attri- 
buts de la souverameté, la locution 
s'explique facilement. 

soûlas, joie, plaisir, divertisse- 
ment, 267. Le mot, devenu d'un 
emploi rare, a pris plus tard un 
?ens voisin de soulagement, conso- 
lation. 

Vain et foible soûlas en un coup si 
[funeste. Corxeille, I, 461. 

Corneille a écrit plus tard : foible 
soulagement. 

soulasser, soulassicr, 267» 
287; réjouir, amuser; puis conso- 
ler; se soulasser e&i encore employé 
au xvi« siècle dans le sens de se 
divertir : 

Vas y tout seul te soulasser. 

' Baïk, EgL, XVin. (G.) 

souldoyer, vieux mot signifiant 
soldat, 348. Nicot ; « Souldoyer se 
prend es vieux romans pour soul- 
dat recevant souldée. » 

Bien en porrat luer ses soldeiers. 

^ Roi., 32. (G.) 

souloir, avoir coutume, 327. 
La BRUYERE, De quelques usages : 
H L'usage a préféré dans les verbes... 
être accoutumé à souloir. » Le mot 
est déjà condamné par Vaugelas, 
(édit. Chassang, 1, 388). 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



431 



I» mot emprunté par les 

taliens, 284. 

floustonement , resté terme 
<îe procédure, est déjà employé 
comme tel, par métaphore, par 
Henri Eslienne, 28. li s'emploie 
aussi comme terme de maçonnerie, 
et son emploi dans ce. sens remonte 
très loin. 

souvenir, emprunté par les 
Italiens, sovenir, 301,- détourné de 
son sens, 331. 

SOUTent, emprunté par les Ita- 
liens, sovente, 319. 

souTenlesrois , maintes fois. 

L'un perd souventefois ce que l'antre con- 
[sei-ve. Mairkt, Sophon., IV, nr. (L.) 

sovonte, emprunté par les Ita- 
liens- aux Provençaux, 258. 

soventemente, 319. 

mm pour x dans les mots italiens, 
81. 

saeotor, employé par R. Bel- 
leau, 102. 

Suétone, 197. 

sufflsanee, ce qui suffit, 237 
(dans un proverbe); suffisance de 
nostre langue, 7 : son aptitude à 
.1 éloquence, au bien dire. 

«njet k, preuve ; qui a besoin 
de preuve; 184. Nous disons d'une 
façon analogue sujet à caution. 

superdimlnution, 98. 

superlatifs en italien et en 
français, 87. 

surattondre, 203. 

surmontor, surpasser, 18 ; vain- 
cre, 9d : 

Quelle nei^e a tant de blancheur 
Que sa gorge ne la surmonte ? 

Malhebde. (L.) 
. Je suis vaincue et surmontée par une 
inclmalion qui m'entraîne malgré moi. 

La pAYETra. Prino. de Cléveg. (L.) 



ontor, emprunté par les 

Italiens, 285. 

sursomme, surcharge, 247 (dans 
un proverbe). Le même proverbe 
est cité sous plusieurs formes par 
Godefroy. 

sns^iens, adj., en suspens, dans 
Imcertitude, 116. 

La plus pénible assiette pour moy, c'est 
û estre suspens es choses qui pressent. 

MoifTAiGHE, m, 47. (L.) 



syllabes retranchées dans les 
mots italiens, 77; ajoutées, 332. 

syneope, suppression de lettre, 
292. 

syneoper, retrancher une lettre, 
182. 

synonymes, 166. 

Syrus. Voir Publius mimogra- 
phus. 

t remplacé par d dans les mots 
italiens, 76; — ^ ou tt pour d, 74. 

taliarro, emprunté au français, 
312. ^ 

Taeito, 57, 59, 82, 291, 328, 336. 

talent, signifiait autrefois vo- 
lonté, 258. NicoT : « C'est grand 
désir, combien que soit aussi sim- 
plement désir, et qu'on die r J'ay 
grand thalent de te festoyer. Ce 
mot est fort usité es païs de Lan- 
guedoc et Provence. » 

talento, emprunté parles Italiens 
aux Provençaux, 258. 

talut ou talus, 358. Nicot donne 
encore les deux orthographes. 

tant pourtant, toutes propor- 
tions gardées, 237. 

Il eat certain que les desbordemens n'ont 
esté tels à beaucoup près en toutes sortes 
d'excès et superfluitez, tant pour tant, au 
commencement de l'nage du monde, qu'on 
les a veus vers le milieu, et qu'on les veoit 
maintenant vers la fin. H. Estœnne. Ânol 
p. Hérodote, IL (G.) 

tantost, emprunté par les Ua- 
liensi tantosto, 320. 

taquin, avare, 106. 

Les courtisans estimoient Louis XII un 

taquin pour estre plus retenu en ses dons. 

E. Pasquier, Lett., XII, vi. (L.) 

tastons (k), emprunté par les 
Italiens, à tentone ou a tantone, 339. 

toi, proverbes commençant par 
ce mot et exprimant un similitude. 
225. * 

tollement, signifiant non pas 
à tel point, mais de telle façon, et 
pouvant servir même à introduire 
une restriction, 154, 228, 345, 170. 

Ceux qui se donnent tellement à Dieu 

qu ils ont toujours un regard pour le monde. 

BossuET, Panég. Saint- Joeeph. (L.) 

tompestotif,s'emploie par méta- 
phore, 134. Au sens propre : 
Vens tempestatifz et oraiges 
Luy ont occis ses enrans tous. 

Miêt. du Vi$l Test., 37371. (G.) 



Digitized 



by Google 



432 



LEXIQUE-INDEX. 



tempre, tempremenre, 178. 
Tempre signiûail tôt, de bonne heure; 
Godefroy ne donne pas tempremeure. 

Que faites vous si tempre levé? 
CoUoquia cum dioUonariolo gex lingua- 
rtim, Anvers, 1588. (G.) 

tenant, trop tenant, avare, 
106. 

On le disoit fort tenant en sa despense. 
Brantôme, Grand» capit. e$tranj., I, vl. 

(G.) 

Il se roonstroit trop tenant et roide pour 
le fisc. Fauchet, Antiq. GauL, V, 2. 

tendre et ses diminutifs, ten- 
dreté tendrelet, 98. 

Une avette sommeillant 
Dans le fond d'une fleurette 
Lui piqua la main tendrette. 
Ronsard, Ed. Elz., II, 71 (Mellerio). 
Ses pieds sont tendrelets. 

Du Bellay, IV, 73. (L.) 

tencona, tansement, action de 
tanser, emprunté par les Italiens 
aux Provençaux, ^8. 

teraycuf, trisayeul, 157. 

Térenee. S20, 335. 

terminaisons italiennes, leur 
monotonie, 66. 

terroir, sol, territoire, 63 (dans 
Viffenère). 

tfïStard, têtu, entêté, 175. 

Gripus, orguilleux, teslars. 

Gloa*. da Salins. (G.) 

teste, emprunté par les Italiens, 
testa, 273. Avoir en teste, avoir pour 
adversaire, 27. 

Dans cette terrible journée où le ciel 
j-erabla vouloir décider du sort de ce prince, 
nù, avec l'élite des troupes, il avoit en tête 
un général si pressant. 

BossuET, Condé. (L.) 

Tibulle, 226. 

tien : J'aime mieux un tien que 
deux tu l'auras {Proverbe)^ 235. 

tiereelet, employé par méta- 
phore, 128. 

Nous nous tenons descouverts bien loin 
autour d'eux [les princes], et autour de cent 
autres, tant nous avons de tiercelets et 
quarlelets de roys. 

Montaigne, I, 338. (L.) 

tiftneux, 252 (Proverbe). 

tire-tire, 248 {Proverbe). Gode- 
froy dit que d'après Scheler, tire tire 
sif^nifie peine et misère. Cependant 
la locution faisant pendant k pille 



pille peut nous faire penser à un 
autre sens. Nous avons l'expression 
voleur à la tire. Dans l'historique 
de LiLtré, on trouve tire à tire et 
tire et tire signifiant vivement, tout 
de suite. 

tirer, emprunté par les Italiens, 
293. 

TItinnius, 228. 

tocsin, origine du mot, 179. 

tomber de fièvre en chaud mal. 
Proverbe, 183. 

tombereau, semble être du 
dialecte parisien, 176. 

Tomitano, 18, 43, 83, 169, 255. 

tonsure (eentilhomme àsimple), 
128. FuRETiÈRE : « Un bénéfice à 
simple tonsure est un bénéfice qui 
se peut posséder par un enfant de 
sept ans qui a seulement la tonsure ». 
Par analo(2:ie avec un ecclésiastique 
à simple tonsure, qui n'en est qu'au 
premier deprré, on a dit gentilhomme 
à simple tonsure pour un petit gen- 
tilhomme : 

11 trouva .un gentilhomme romain fort à 
simple tonsure, qui avec de l'argent s'éloii 
fait faire prince par le pape. 

Saint-Simon, 53, 140. (L.) 

toquer, toucher ou frapper, 179. 
C'est une forme dialectale de tou- 
cher. Littré indique comme encore 
usitée la locution : Qui toque fun 
toque l'autre, qui ofiense l'un, offense 
l'autre. 

tort, avoir grand tort, emprunté 
par les Italiens, 336. 

Toscane, pureté du langage 
toscan, 70. 

tost, emprunté par les italiens. 
319. 

touaille, emprunté par les Ita- 
liens, tooaglia, 284. Le mot signi- 
fiait nappe, serviette, et désignait 
spécialement un linge pour s'es- 
suyer les mains. Nicot : « Touaille 
à mains, Mantile. » 

touche : A la touche on esprouvc 
l'op. Proverbe, 234. 

tournoy, emprunté par les Ita- 
liens, torniamento, 358. 

Tours, prétend parler le meil- 
leur français après Paris, 170. 

tout en un coup, d'un seul 
coup, 146. 

tout d'un train, sans inter- 
ruption, sans retard, 177 : 



Digitized 



by Google 



LEXIQUE-INDEX. 



433 



Parlons tout d'an train, ma fille, de la 
Drévention de Monsieur le Chevalier. 
*^ Skvigné, IX, 222. 

tout outre, tout à fait, extrô- 
memeDt, 110: 

11 estoit tout oullre passionné de l'amour 
d'Aspasia. Amtot. Artaa, 39. (L.) 

tout (du), tout à fait, 13 : 

Que si nos maux passés ont laissé qnelqne 
[reste 
Ils vont du tout finir. 

Malherbe, I, 232. 

traeeSt 1^* Nicot : « Eu pluriel, 
traces entre veneurs signifie les 
erres et routes des bestes mor- 
dantes, comme ours et sangliers. 
Là où celles des cerfs, chèvre ux, 
dains et rangiers s'appellent pieds 
ou foyes. » 

traeotanza, présomption, em- 
prunté par les Italiens aux Pro- 
vençaux, 260. 

train (tout d'un). Voir tout. 

traite, 142 : Furetière : « On 
appelle traitte en matière de mon- 
noyes, une charge excessive qui 
fait la diminution de leur valeur. 
Ce terme comprend le seigneuriage, 
le brassage et le remède de poids 
et de loy ». Ailleurs Furelière définit 
cette dernière expression;elle désigne 
l'indulgence accordée aux fabrica- 
tears de monnoye, dont la monnaie 
peut être un peu au-dessous du 
poids et du titre fixés par Tordon- 
nance. 

tranchée, emprunté par les 
Italiens, trincea^ 355. 

translation, métaphore, 203. 

Quand l'Escriture nomme Dieu, homme 
de guerre : pour ce que sans translation ce 
langnf^ seroit trop dur et aspre. je ne 
doute pas de le prendre comme une simi- 
litude tirée des nommes. 

Calvuc, tnst.. 111*. (L.) 

transporter, emprunté par les 
Italiens, 293. 

transposition de lettres dans 
les mots italiens, 76. 

traseotato, présomptueux, em- 
prunté par les Italiens aux Proven- 
çaux, 250. 

traTallf emprunté par les Ita- 
liens, travaglio^ 285. 

traTallié, souffrant, incommodé, 
fatigué, 123. 

PRECELL. DU LANGAGE FRANÇOIS. 



L'homme est d'autant plus travaillé 
Que le parterre est émaillé 
D'une diversité plus grande. 

Malherbe. (L.) 

travailler, emprunté par les 
Italiens, travagliar, 285. 

trebuseher, emprunté par les 
Italiens, traboccar, 285. 

très, usage de ce mot, 88. 

tresquer, danser, en ancien 
français; emprunté par les Italiens, 
trescar^ 266 : 

Main a main nous prendron, ainsi ane 

[pour treschier. 

CuvEUEB, B. du Gu08cl., 19911. (G.) 

tripot, 135, lieu où Ton joue à la 
paume. Le mot, qui avait signifié 
Mlle, marché, avait d'ordinaire au 
xvi« siècle le sens que lui donne 
Henri Ëstienne. 

trisayeul, 157. 

tromper, employé avec déce- 
voir, 167; Proverbe, ^i. 

trompevllaln, 164. 

trop n'est mie bien, Proverbe, 
230 ; trop emprunté par les Italiens, 
troppo, 323. 

truBSer, vieux mot signifiant «« 
moquer de, railler, 177; le verbe 
s'employait aussi comme neutre et 
comme réfléchi : 

Commença trnpher et moequer maintenant 
les uns mamtenant les autres. 

Rabelais, IV, J». (G.) 
Vous truphez, icy, beuveurs. 

Rabelais, IV, 3S. 
Cessez pourtant icy plus vous trnpher. 

IlABELAIS,IV,38. 

tmye, machine de guerre, 306. 
Froissart : « Un grant engin que 
on appelle truie, lequel engin estoit 
de telle ordonnance que il jetoit 
pierres do faix, et se pouvolent bien 
cent hommes d'armes ordonner de- 
dans ». Il, II, 5 (L.). Cet engin ser- 
vait à battre les murailles et à se 
mettre à couvert en approchant des 
murs. 

tt pour pt ou et dans les mots 
italiens, 81. 

u pour e dans les mots italiens, 
76 ; — pour o, 76 ; u inséré dans les 
mots italiens, 76, 80, 307. 

Ulysse, 158. 

T changé en gu, 305. 

Talensa, vaillance ou valeur, 

25 



Digitized 



by Google 



^u 



LEXIQUE-INDEX. 



einpr unie parles Italiens aux Pro- 
vfin-jiux, 258. 

vàntenee, vanterîe, 121 (dans 
uuâ cilatioii) : 

Kt nifiintx seigneurs (je le dys sans yenUnee) 

liip'ii'â et rrans cerchoient mon accoinctance. 

[d. Mabot, Met. d'Ov. II, 84. (G.) 

Varctai, 15, 16, 20, 314. 

l'aaeones, les Gascons, disent 
n DU obe pour oui, 171. 

1 eau {Proverbe), 217. 

vcée, défendue, refusée, 221 (dans 
nn proverbe). 

Dp si grant amour à ses parens, amis et 
nW\n<- et mesme à ses officiers qu'il n'est 
jlKiM* qu'il leur Toulsist véer (refuser). 
l-FimsT. 0E PiSAK, Charles K, 2e p. ch. 5. (G.) 

lendlquer (se), revendiquer, 
rérlamer comme sa propriété, 306. 

)| vouloit faussement se vendiquer Vir- 
ir-,i]i(ï comme sa serve et son esclave. 
Siim.ET, Diaï.cont. hê folles amours. (G.) 

Vondosme prétend parler le 
ifiÊilleur français après Paris, 170. 

vénerie (métaphores emprun- 
(écaà la), 117 et suiv. 

venglare, venger, emprunté par 
l^îi Italiens aux Provençaux, 260. 

lenir au devant, venir devant 
1rs yeux, emprunté par les Italiens, 

terlies, vieux verbes usités dans 
II* Rommans, 187; vieux verbes dé- 
riva' s des noms en ajoutant au com- 
jriËiicement la préposition en, 188; 
verbes empruntés par les Italiens, 
-iS^i : verbes formés sur le modèle 
(lu français, 300. 

verge, tige, 244 (dans un pro- 
verbe). 

verlsimilitude, vraisemblance, 
'Ail. Nicot donne verisimilitude et 
no donne pas vraisemblance. Les 
dûux sont employés par Montaigne. 

vermelllet, diminutif de ver- 
îiifil, un peu rouge, 101. Le mot, 
qui est ancien dans la langue, est 
t^niploye par Ronsard, Du Bellay, 
elCr Nicot le traduit par rubicundus. 

lerron, vairon, 235 (dans un 
[proverbe). Nicot : « Petit poisson 
l'Dinmun ». 

ver» UMMSiireK en français, 40. 

vertu gist au milieu. Proverbe. 



viande, nourriture, aliment, 214. 
C'est l'ancien sens du mot. 

Un ragoût, une salade de concombre, des 
cerneaux, et autres sortes de viandes. 

SIJVIGNK, IV, 132. 

Vieil laniçase , les richesses 
qu'il offre au français, 184 et suiv. 

vieux mots, plus rapprochés 
du latin que les formes modernes, 
189; vieux mots empruntés par les 
Italiens, 262 et suiv. 

Ylsenere, 62. 

Tifsne (Gaces de la), 122. 

vilain (proverbes relatifs an), 
204. 

vilain, etaiehevilain, avare, 
106. 

Jamais on ne parle de vous que sous les 
noms d'svare, de ladre, de vilain et de 
fesse-mathieu. Molière, Avare, III, v. 

Vin (Proverbes relatifs au), 213, 
214, 216, 223. 

Virgile, 4, 5, 17, 23, 49, 50, 51, 
52, 53, 55, 185, 193, 220, 236. 

viste (adj.), prompt, léger, ra- 
pide. 

Plus vites que les aigles, plus courageux 
que les lions. Bossuet, Condé. (L.) 

vittuailles, emprunté par les 
Italiens, vettovaglie. 356. 
voeable, mot, 40. 
voire, même, 3. 

volerle (métaphores emprun- 
tées à la), 117 et suiv. 

voyage, emprunté par les Ita- 
liens, viaggio, 278. 

voye, employé à Paris comme 
synonyme de chartee, 180. 

voye (en), en roule, en chemin, 
207 (dans un proverbe) : 

Leur bagage étant prêt... 

Nos galants se mettent en voie. 

LaFontaine, IV, 42. 

iralons. leur dialecte peut en' 
richir la langue française, 176. 

X remplacé par ss dans les mots 
italiens, 81. 

Ycnoptaon, 13, 118, 150, 151. 

zélateur, qui a du zèle, qui 
agit avec zèle pour, 2: 
Ce ne sont plus ces anciens zelateuri; de 
la liberté, uniquement attentifs au bien 

aublic et à l'honneur de la nation. 
.OLLiN, Uist. anc. OEuv., VII, 54. (L.) 






Digitized 



by Google 



TABLE DES MATIÈRES 



Avant-propos v 

Préface vu 

Au Roy 1 

Au lecteur iO 

Project de Tœuvre. intitulé de la precellence du langage 

françois par Henri Estiene 2" 

Observations grammaticales 361 

Lexique-index 388 



Coulommiera. — Imp. P. BRODARD. — 786-95. 



Digitized 



by Google 



Digitized 



by Google 



m^ 



I 



Digitized 



byGoogk 



^'^ 



V/ 












ii^i 




020 3S 



097 



THE BORROWER VVJLL BE CH>V»=K3 Eo 
AN OVERDUE FEE JF THIS BOOtC IS 
NOT BETURNED TO THE LIBRARï^V" ON 
OR BEFORE THE LAST DATE STAI\/» F»ED 
BELOW- NON-RECEIPT OF 0VE.F9 K^UB 
NOTICES DOES NOT EXEMPT ~rHE 
BORROWER FROM OVERDUE FEES. 

Harvard C ollège Widener Library 
Cf^&m^^S^^if^^ (617) 495-2-* 13 







• * *'^