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THE BOSTON PUBLIC LIBRARY
JOAN OF ARC COLLECTION
La Première Histoire en date de JEANNE D'ARC
(1625-1630)
HISTOIRE
LA PUCELli D'ORLÉANS
EDMOND RICHER
Docteur de Sorbonne,
Syndic de la Faculté de Théologie de Paris.
TEXTE COLLATIOiNNE ET PUBLIE
d'après le manuscrit
de la bibliothèuue nationale, fonds français, cote 10448
Philippe-Hector DUNAND
Clianoine théologal du Chapitre de Toulouse,
Auteur de l'Histoire complète de Jeanne d'Arc, de la Disseï
sur l'Abjuration de Saint-Ouen
et autres Etudes critiques sur l'histoire de l'héro'iue,
couronnées en 1904 par l'Académie fra^aise.
Prix Marcelin Guérin.
TOME DEUXIEME
PARIS
DESCLÉE, DE BROUWER ET G"*
30, RUE SAINT-SULPICE, 30
191 a
statue monumentale de Jeanne d'Arc
Par H. LOUIS-NOEL
A érigar sur le Fort Sainte-Catherine à Rouen
SOUSCRIPTION liNTERNATIONALE
SIÈGE SOCIAL : 6, RUE GARANCIÈRE, PARIS (vi«)
c o 31 1 T :é:
PRÉSIDENTS d'honneur
MM. Chari.es WOESTE, ministre d'État de Belgi(|ue, membre de la Chambre des représentants
à Bruxelles;
Louis-Onésime l.OnANGER, ancien ministre du gouvernement de Québec, membre du
Bureau des gouverneurs de l'Université Laval, à Montréal.
PRÉSIDENT
M. Emile FI.OURENS, ancien ministre des Affaires étrangères, à Paris.
MM. AusTiN (Alfred), Poète-Lauréat, auteur du sonnet Jeanne d'Arc, à Asliford (Angleterre).
BiNDER (Franlz), directeur des Tablettes historiques et politiques, a. Munich ;
BoiSMOREL (Ozenne de), à Paris;
Clevei.and (Miss Rose-Elisabetli), auteur de Joan of Arc, à New-York.
Déchin (Jules), statuaire, auteur de la Jeanne d'Arc de l'église Saint-Maurice de Cbi'ion
(médaillée au Salon de IdOi)), à Paris;
DuNAND (l'abbé l'Iiiiippe-Hcctori. chanoine théologal, auteur de l'Histoire complète de
Jeanne d'Arc et des Eludes critiques, à Toulouse;
GoYAU (Georges), auteur de Jeanne d'Arc devant l'opinion allemande, à Paris;
JoBiN (le docteur), avocat, a Berne ;
JouiN (l'abbé), curé de Saint-Augustin, auteur du « Mistére » de Jeanne d'Arc, à Pans.
Lannoy (Jean de), membre du Conseil de V Action catholique française, à Paris;
Lespinay (M'"" la marquise de). Présidente du Comité de la Ligue des Femmes fran-
çaises à Paris;
Maugeket (M"« Marie), secrétaire de la Fédération Jeanne d'Arc, à Paris;
Radziwii.l (M"" la princesse Antoine), à Berlin:
RuLAND-GossEi.iN (Dominique), directeur de la Semaine de Borne, à Rome:
Saint-Laurent (U""' la comtesse de), présidente générale de la Ligue des Femmes fran-
çaises, à Lyon;
Véron (M"'o l'amirale), à Paris ;
ViGNAUD (Henry), conseiller honoraire de l'Ambassade des Étals-Unis, l'résideut de la
Société des Americanistes, à Bagneux. près Paris.
TRÉSORIER
L, Gr ii2 L I ^ E T, Administrateur de la Maison du Peuple du Vl« arrondissement,
t, rue de la Planche, Paris.
SECRÉTAIRE GÉNÉRAI,
Hoiiry JOXJIilN', Historien d'Art, 6, rue Garancière, Paris.
Hauteurs : Fort Sainte-Catherine. 130 m. 2(^ ; socle 11 m. iiu ; statue. IG m. 20. ■ • Hauteur
totale : l.ï' ni. 82 au-dessus des quais.
Le monument dominera de 6 m. 70 la (lèche de la Cathédrale de Rouen (loi m. t2l, la plus
élevée de l'Univers. ,,..,, n l- u
Toutes les souscriptions, si minimes qu'elles soient, seront publiées dans la lievue bi-mensuelle
de l'Œuvre, et un numéro parviendra au souscripteur. Aboiincnient à la lievue, 6 francs par
an, de Janvier à Dfcembrc. , , , . .• .
Les souscripteurs ou groupements qui auront verse .'iO francs et plus, seront mentionnes sur
des plaques ilc bronze à l'intéireur du Colosse. Un reçu personnel sera délivré à tout souscrip-
teur d'une somme de 10 (rancs et au-dessus.
HISTOIRE
DE LA
PUCELLE D'ORLÉANS
(1630)
La Preiviiére Histoire en date de JEANNE D'ARC
('l6io-i(>;-i())
HISTOIRE
LA PlICELLE D'OliLÉANS
EDMOND RICHER
Docteur de Sorbonne,
Syndic de la Faculté de Théologie de Paris.
TEXTE COLLATIONNE ET PUBLIE
d'après le manuscrit
; la bibliothèque nationale, fonds français, cote 10448
PAR
Philippe-Hector OUNAND
Clianoiue théolosal du Cliapitre de Toulouse,
Auteur de V Histoire complète de Jeanne d'Arc, de la Dissertation
sur l'Abjuration de Saiut-Ouen
et autres Etudes critiques sur l'histoire de l'héroïne,
couronnées en 1904 par l'Académie française.
Prix Marcelin Guébin.
TOME DEUXIÈME
PARIS
DESGLÉE, DE BROUWER ET G'"
30, RUE SAINT-SULPICE, 30
1912
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HISTOIRE
UE
LÀ PUCELLE D'ORLÉANS
LIVRE II
TROISIESME PARTIE
COxNTENANT LE PROCEZ ORDINAIRE i
Le jeudi vingt-deuxiesme mars 1430, semaine de la Pas-
sion, le conseil s'assembla au logis de l'Evesque, et fut
ordonné que l'on feroit extrait de toutes les responses et
dépositions de la Pucelle, et seroient réduites en forme de
propositions et inductions affirmatives, l'extrait d'icelles
i. Le procès ordinaire ne lut déclaré ouvert et ne commença que le
lundi 26 mars, après le Dimanche des Rameaux. Ce jour-là, au logis
de révoque de Beauvais, en présence de l'inquisiteur Jean Lemaître et
de douze assesseurs, il fut donné lecture des articles du Réquisitoire
que le promoteur avait préparé ; et, dans la même séance :
« Il fut délibéré qu'à la suite du procès d'office qui venait de prendre
fin, on ouvrirait contre ladite Jeanne le procès ordinaire, et qu'elle
serait interrogée et entendue sur les articles dont on venait de donner
lecture. » (J. Quicherat, Procès, t, I, p. 104,195.)
Par conséquent les actes des 22, 24 et 2o mars, que résume E. Ri-
cher, oiit précédé le procès ordinaire. Il s'ouvrit solennellement le
mardi 27 mars dans une pièce voisine de la grande salle du château,
en présence des juges, du promoteur, de trente-sept assesseurs le
mardi, de trente-si.v; le mercredi. Mais ce fut Thomas de Gourcelles,
et non le promoteur d'Estivet. qui donna lecture des articles.
Voir les détails de celte séance d'ouverture dans notre Histoire com-
plète, chap. xx.vvr. et dans J. Qiicherat, Procès, t. I. p. 295 et suiv.
E. Richer passe celte ouverture sous silence, ainsi que les noms des
assesseurs qui furent présents. Trente-trois entendirent le réquisitoire
tout entier.
2 E. niCHEU. LA PUCELLE D Olil.EANS
communiqué à tous les conseillers et assesseurs pour en
avoir leur advis. Qui est à dire que l'on tiendra pour tout
avéré et confessé ce que cette fille aura nié absolument, ainsi
que nous justifierons.
Le samedi vingt-quatriesme mars, la séance est tenue en
la prison, lieu accoutumé, et fait-on lecture à la Pucelle de
tous les interrogatoires qui lui avoient esté faits et de ses
responses aux quinze séances précédentes, et lui fait-on faire
serment de n'y rien adjouster que de véritable. Et pendant
qu'on lui faisoit celte lecture, elle se ressouvint qu'en son
païs on la surnommoit Darc, qui est le surnom de son père,
et llomée, qui est le surnom de sa mère ; pour ce que c'est la
coustume de ces quartiers-là que les filles portent le nom de
leurs mères. Au reste, avoua qu'elle tiendroit pour véritable
tout ce à quoy elle ne contrediroit point : et leur demanda un
habillement de femme pour s'en aller en la maison de sa
mère et sortir de la prison ; argument de sa grande simpli-
cité, semblable à celle d'un enfant. Finalement, après que
lecture lui eust esté faite de tout le procez d'office, asseura
qu'elle pensoit avoir respondu ainsi qu'il estoit escrit au
registre qu'on lui avoit présentement lu. C'estoit.le procez
escrit en françois, et non le latin qui a esté basti longtemps
depuis la mort de cette fille.
Le dimanche vingt-cinquiesme mars, jour des Rameaux au
matin, elle requit instamment qu'on lui permist en ce saint
temps d'ouyr la messe : ce qu'on lui accorda moyennant
qu'elle voulust prendre un habillement de femme. A quoy
elle respondit comme auparavant, sçavoir que par le com-
mandement de Dieu avoit pris celui qu'elle portoit et n'estoit
pas encore conseillée de le quitter. On lui répliqua qu'elle
s"'en conseillast donc avec ses voix, afin qu'elle pust ouyr la
messe à Pasques.
rOuVKnïURK SOLKNNENLE DU PROCEZ ORDINAIRE ET LECTURE
DU réquisitoiue]
Le mardi vingt-septiesme mars 1430, Jean Destivet, pro-
moteur en cette cause, pensionnaire des Anglois, ainsi que
les tesnioins ont déposé, remonstre avoir fait et recueilli du
procez d'office et des rcsponses de la Pucelle certains articles
concernant la foy, en forme de propositions et inductions
affirmatives, selon q.u'il avoit esté ordonné jeudi dernier,
vingt-deuxiesme mars. Donc requiert que lecture en soit
faite à la Pucelle, et au cas qu'elle n'y responde, soit tenue
et déclarée contumace et excommuniée. Gonséquemment,
l'Evesque de Beauvais remonstre à cette fille que tous les assis-
tans lors présents estoient ecclésiastiques très doctes tant en
droit divin que humain, qu'ils vouloient et entendoient pro-
céder en son endroit ainsi qu'ils avoient tousjours accou-
tumé, ne cherchant aucune vengeance ni punition corporelle,
ains seulement son salut et réduction à la voie de vérité. Et
d'autant qu'elle n'estoit de soy-mesme assez capable et ins-
truite aux lettres pour en telles matières si ardues et hautes
prendre conseil de ce qu'elle auroit à faire, pour ces causes
lui permettoit d'eslire et choisir tel conseil qu'elle voudroit
entre les assistans : que si elle n'en pouvoit eslire, ofïroit lui-
mesme de lui en nommer pour la conseiller. Toutes fois, que
pour ce qui estoit de ses propres faits, elle-mesmeen respon-
droit et diroit la vérité. Et sur cela est requise et interpellée
quelle dira vérité.
Faut observer que cette offre de l'Evesque de Beauvais
n'estoit que pour tromper cette fille, tesmoin la trahison de
M^ Nicolas Loyseleur que l'Evesque envoioit desguisé en la
prison, comme pareillement son promoteur Destivet, pour
la déceveoir. Et d'ailleurs qui eust osé lui donner conseil en la
ville de Rouen contre les desseins de cet Evesque, lequel
avoit conjuré sa mort avec les Anglais, mesme auparavant
quelle fust entre ses mains?
Or, sur ces charitables offres et remonstrances, la Pucelle
respond qu'elle remercie Monsieur l'Evesque et toute la com-
pagnie de ce qu'ils l'advertissent de son biep et des choses
qui regardent nostre foy; que son intention n'est point de se
séparer du conseil de Dieu ; que pour le serment qu'on exige
d'elle, est preste de confesser la vérité de tout ce qui appar-
tient au procez. Et le jura ainsi sur les saints Evangiles
qu'elle toucha.
4 E. RICHER. — LA 1>UCELLE D ORLEANS
Le Promoteur lui fit lecture de sa production rédigée par
articles : à quoy furent emploiez deux jours entiers, sçavoir
le mardi vingt-septiesme et le mercredi vingt-huitiesmemars
en la semaine sainte ; et après, cette lecture achevée, requit
qu'elle fusl déclarée sorcière, devineresse, fausse prophète,
invocatrice des démons, conjuratrice, superstitieuse et du
tout adonnée à la magie, sentant mal de la foy catholique,
sacrilège, idolâtre, apostate de la foy, blasphémant contre
Dieu et ses saints, scandaleuse, séditieuse, troublant la paix
et l'empeschant, excitant la guerre, cruelle, désirant l'effu-
sion du sang humain et incitant à l'épandre, ayant du tout
abandonné et despouillé la pudeur et décence du sexe féminin,
pris l'habillement des hommes armez sans aucune honte ni
vergogne; abandonné et méprisé la loy de Dieu, de nature et
la discipline ecclésiastique devant Dieu et les hommes;
séduisant les princes et les peuples, ayant permis et con-
senti qu'on l'adorast et lui baisast les mains et ses veste-
ments, au grand mépris et injure de l'honneur et du culte dû
à Dieu ; demande qu'elle soit déclarée hérétique, ou à tout
le moins grandement suspecte d'hérésie, et punie légitime-
ment selon les constitutions divines et canoniques. Qui est
en somme le contenu porté aux deux sentences que l'Evesque
de Beauvais a prononcées contre la Pucelle ^.
Et après lesdil es conclusions du Promoteur sont registrez les
articles qu'il prétend avoir induits et colligez des dépositions
et responses de cette fille : desquels articles ensuit la teneur.
[AcTii; d'accusation du ProiMoteur ou Réquisitoire]
Article I"
« Que par le di'oit divin, canonique et civil, il appartient à
1. E. Richcf no donne que la substance de l'allocution du promoteur
aux juges et assesseurs.
Celte aliocution'fut suivie d'une délibération l'aile en présence de la
l'ucolle sur les demandes ((ue d'Estivet avait soumises au tribunal.
Cf. J. QuicnEH.\T. Procès, t. I. p. 19-'-20Û, 202-204.
Des articles qui vont passer ^ous les yeux. Riclier ne dira par-
fois que l'indispensable. Ainsi, le premier article complet compte
environ vingt lignes. Richer le résume en six ou buit. De la les etc.
qui vont se rencontrer.
l'Evesque de Beauvais et à l'Inquisiteur de la foy de bannir et
chasser, non seulement des diocèses de Rouen et de Beauvais,
mais aussi de tout le royaume de France, les hérésies, sorceleries.
superstitions et autres crimes ci-dôvant déclarez; comme aussi
tout sorciers, devins, invocateurs de démons et tous leurs fauteurs
et adhérans, de quelque estât, sexe, qualité, et prééminence qu'ils
puissent estre, etc. »
A ce premier article la Pucelle vespond qu'elle croit bien
que notre Saint-Père le Pape, les Evesques et autres gens
d'Eglise sont establis pour conserver la foy catholique et
punir ceux qui errent : que pour son regard et de ses faits,
ne se soumettra qu'à l'Eglise céleste, à sçavoir à Dieu, à la
Vierge Marie et aux saints du paradis, et croit fermement
n'avoir failli ni erré en la foy catholique et seroit bien marrie
d'y avoir choppé.
Nous avons observé ailleurs que ce n'est point erreur en la
foy dire qu'on aye des révélations, pourveu que l'on ne con-
trevienne point ni fasse aucune chose contraire aux vertus
théologales, foy, espérance et charité, et aux traditions de
l'Eglise catholique, apostolique et romaine. A quoy la
Pucelle maintient véritablement n'avoir jamais contrevenu,
ainsi qu'il est justifié par tous les actes de son procez tels que
ses ennemis les ont fait registrer '■.
Article II
« Que ladite Jeanne, non seulement la présente année mais dès
sa première jeunesse, tant es susdits diocèses de Rouen et Beauvais
1. Il n'existe aucune ditïérence sérieuse entre le texte du Réquisi-
toire relevé par J. Quicherat et celui de Richcr. Dans .1. Quicherat, les
articles sont au nombre de soixante-dix ; dans Riclicr, au nombre de
soixante-quatre. Cette différence tient ;
1" A ce que Richcr a omis les articles xiv, xvi, xxu de J. Qui-
clierat :
2» A ce qu'il a fondu en un seul article les cinq dans lesquels J. Qui-
cherat parle de la correspondance de la Pucelle avec le comte d'Ar-
magnac:
> A ce que Richer a fait un article, le dernier, de la conclusion du
promoteur qui, dans J. Quicherat, ne vient qu'après les articles pro-
prement dits.
0 K. HK^HKU, — LA l'UCKLLK D OULEANs
qués environ d'iceiix elcn plusieurs autres endroits dece royaume.
a fait et commis plusieurs sortilèges et superstitions, qu'elle a
deviné et permis qu'on ladorast ; a invoqué les malins esprits,
leur demandant conseil, conversé avec eux, fait des actions et
promesses, se servant d'eux et donnant aux autres qui faisoient le
semblable, conseil, confort, avde et faveur, les induisant à faire de
mesme; croyant et maintenant cela n'estre prohibé ni deffendu,
mais licite, louable et sans aucun péché; ayant induit plusieurs
personnes de divers sexes à commettre semblables erreurs et
maléfices, etc. ; que perpétrant et commettant lesdits erreurs,
elle a esté prise aux limites du diocèse de Beauvais. «
Quant aux sorceleries et autres maléfices ou divinations^
la Pucclle nie absolument y avoir jamais participé et dit ne
sçavoir [ce] que c'est. Touchant ce qu'on lui impute, qu'elle
s'est fait adorer, maintient que si aucuns lui ont quelquefois
baisé les mains ou les vestements, ce n'a esté de sa volonté ;
que mesnie elle donnoit charge à ses gens d'enipescher cela
et qu'on n'approchast d'elle autant qu'elle pouvoit, et nie
absolument tout le reste de l'article.
Le Promoteur, au contraire, pour preuve répliqua que le
samedi troisiesme mars — c'est en la sixième séance — elle
fut interrogée, sçavoir si Slle cognoissoit l'intention de ceux
qui lui baisaient les mains, les pieds et vestemens, et qu'elle
responditque plusieurs gens la voioient volontiers, et qu'ils
lui baisoient les mains et les vestements le moins qu'elle
pouvoit, que pour les pauvres qui venoient à elle, elle les
secouroit de tout son pouvoir, etc.
Davantage : allègue que le samedi dixiesme mars — c'est
en la septiesine séance — interrogée sur la sortie de Com-
piègne quand elle fut prise, si elle avoit eu conseil de ses
voix faire ladite sortie, auroit répondu n'avoir rien sceu ce
jour-là de sa prise, et n'avoir eu aucun commandement de
sortir, mais que ses voix l'avoient tousjours advertie qu'il
falloit qu'elle fust prisonnière, etc.
Lequel article et preuves de ce Promoteur sont aussi rece-
vables que ceux qui de toutes choses voudroient induire et
inférer toutes choses, et de leurs souliers en faire un cha-
peau .
Article III
« Que cette femme est tombée en plusieurs différens et dange-
reux erreurs, approclmns de l'hérésie : a dit et prononcé maintes
propositions fausses, erronées, ressentans l'hérésie contre la foy et
les articles de noslre croyance et l'Evangile, et pareillement contre
les statuts des conciles généraux, droit canon et civil; des propo-
sitions scandaleuses et sacrilèges contre les bonnes mœurs, offen-
sans les oreilles pieuses; qu'elle a semblablement donné conseil et
faveur à ceux qui ont dogmatisé et publié telles et semblables pro-
positions. »
LaPLicellenie absolument tout cet article; au contraire
maintient avoir soustenu l'Eglise de tout son pouvoir. Et à
cela le Promoteur n'a que répliquer.
Article IV
« (jLi'il est vray que cette femme est née en la paroisse de
Greux, au village de Dompremy. sur la rivière de Meuse, bailliage
de Chaumonl en Bassigny, elc. Que son père se nomme .lacques
Darc, sa mère Isabeau, etc. Qu'elle n'a en sa jeunesse appris sa
créance ni les principes de nostre foy, mais qu'elle a esté instruite
par certaines vieilles à faire des sorceleries, divinations, maléfices
et autres superstitieuses et mauvaises œuvres : que plusieurs habi-
tans desdits villages ont esté notez et diffamez de tout temps
d'avoir usé desdits maléfices. Que ladite Jeanne a confessé avoir
ouy dire plusieurs choses à sa marraine des visions et apparitions
des fées; et qu'elle a esté instruite par d'autres en ces maléfices et
pernicieux erreurs : mesme, qu'en ce jugement, en présence des
juges, a recognu quejusquesà ce jour d'huy n'avoit sceu que ces
fées fussent des esprits malins. "
Hespoiid quelle confesse la première partie de cel article
pour le regard du lieu de sa naissance, de ses père et
mère, elc. Mais quant aux dames les fées ne sçait [ce] que
c'est. Pour le regard de sa créance, qu'elle la apprise et a
esté bien et duement instruite en sa jeunesse pour faire
comme un bon enfant doibt faire. Quant à ce qui est proposé
de sa marraine, emploie ce qu'elle a dit ailleurs de cela.
e E. RICHE«. — LA PUCELLE D ORLEANS
Requise de dire son Credo, respond qu'on le demande à son
confesseur auquel ellel'avoit dit.
Remarquez que ce Promoteur prend l'interrogatoire fait à
la Pucelle par l'Evesque de Beauvais touchant les fées pour
la response de cette fille.
Article V
« Qu'auprès du village de Dompremy il y a un gros et ancien
arbre, vulgairement appelé l'Arbre charmé, fée, de Bourlemonl,
et auprès d'icelui une fontaine, alentour desquels arbre et fontaine
on dit que les esprits malins qu'on appelle les fées conversent :
avec lesquelles fées ceux qui s'adonnent à la sorcelerie ont accous-
tumé de danser la nuit tout à l'entour dudit arbre et fontaine. »
La Pucelle respond qu'elle emploie ce qu'elle a déposé ail-
leurs du dit arbre et fontaine, et nie absolument tout le reste
de l'article.
Le Promoteur réplique, pour preuve de son dire, que
samedi treiziesme febvrier dernier, séance Iroisiesme, la
Pucelle a confessé qu'auprès de Dompremy il y avoit un
arbre appelé l'arbre des Dames, etc. Adjoute de plus que le
jeudi premier de mars, elle recognut que ses voix avoient
parlé h elle auprès de cette fontaine ; et que le samedi dix-
septiesme mars, a confessé que sa marraine lui avoit autres
fois recognu avoir veu en ce lieu les fées, etc. Aboyez la troi-
siesme, cinquiesme et quatorziesme séances avec les Adver-
tissements sur icelles. Car tout ce que la Pucelle a déposé ne
la charge aucunement de sorcelerie ni d'autre maléfice quel-
conque. Et ce Promoteur debvoit produire quelque preuve
ou fait bien évident et notoire pour fortifier son induction.
Article VI
« Que la mesme Jeanne avoit accoustumé fréquenter auprès
dudit arbre et fontaine, plus la nuit que le jour, et principalement
aux heures qu'on célébroit à l'Eglise le divin service, afin destre
seule, et que, dansant, elle tom'noit à l'entour de cet arbre et
fontaine. Et après cela, faisoit des bouquets qu'elle attachoit aux
branches de cet arbre de ses propres mains, chantant certaines
A ROUEN. — LE PROCÈS 9
chansons, charmes et invocations de sorcelerie et autres maléfices :
lesquels bouquets disparoissoient au matin et ne se trouvoient
plus. »
La Pucelle oppose que pour l'article du dix-septiesme mars
allégué par le Promoteur, elle emploie ce qu'elle' a autres
fois confessé touchant le dit arbre et fontaine, et nie absolu-
ment tout le reste de cet article sixiesme.
Le Promoteur jréplique que, le samedi vingt-quatriesme
febvrier, la Pucelle a déposé que les malades, aussi tost qu'ils
se peuvent lever, vont se promener vers cet arbre et fon-
taine, etc. ; qu'elle y alloit l'esté se promener avec les autres
filles et y faisoit des bouquets pour Noti-e-Dame de Domp-,
remy; quelle a ouy dire à plusieurs personnes, non pas de
ses parents, mais à une sienne marraine, avoir là veu les
fées : pour elle, ne sçait si elle les y a veues ou ailleurs, mais
a veu mettre et attacher des bouquets aux branches dudit
arbre et y en a mis comme les autres. Voyez la troisiesme
séance et VAdvertissemeni sur icelle qui justifient la Pucelle.
Article VII
ft Que Jeanne a quelquefois accoustumé de porter en son sein une
mandragore, espérant par le moyen d'icelle estre bien fortunée en
richesses et choses temporelles : asseure que cette mandragore a
une telle vertu. »
La Pucelle nie absolument cet article.
Mais le Promoteur repart que le jeudi premier de mars,
estant interrogée ce qu'elle avait fait de sa mandragore,
qu'elle respondit n'en avoir jamais eu aucune : bien avoit-
elle ouy dire qu'il y en avoit une auprès de son village,
elle ne l'a jamais veue, et a ouy dire que c'estoit chose
périlleuse et mauvaise à garder, etc.
Voyez la cinquiesme séance sur la fin, et vous cognoistrez
la malignité noire de ce Promoteur.
Article VIII
« Qu'environ lâge de vingt ans, de sa propre volonté, sans
congé de ses parens, Jeanne alla à Neufchastel en Lorraine où elle
10 E. niGHEU. LA PUCELLE D ORLEANS
lut ({ueUiuc temps en service chez une femme qui tenoisl hostel-
leric, nommée la Rousse, où ordinairement logent des jeunes
gens, des femmes mal nommées [renommées] et des geas de
guerre : que demeurant au logis de ladite femme, conversoit
quelques fois avec lesdites femmes, menoit les brebis aux champs
et les chevaux abreuver, aux prés et à la paslure ; et que c'est où
elle a appris à aller à cheval et l'usage des ai*raes. »
La Pucclle respond qu'elle emploie ce qu'elle a dit et
déposé autres fois sur cela et nie tout le reste. 3Iais pour
preuve, le Promoteur réplique que, le vingt-deuxiesme feb-
vrier, elle a recognu et avoué qu'elle s'en estoit allée de la
, maison de son père à Neufchastel à cause des Bourguignons,
et qu'elle avoit demeuré environ quinze jours chez une
femme nommée la Rousse, etc. Voyez la seconde séance. Il
emploie encore que la Pucelle a confessé le samedi vingt-
quatriesme febvrier, troisiesme séance, qu'elle menoit aux
champs et aux prés le bétail, et mesme en un chasteau
nommé l'Isie.
Mais considérez la calomnie. Postant jeune en la maison de
son père, elle aydoit à mener les bestes aux champs et aux
prés,' ainsi qu'il est porté en la troisiesme séance, et n'a
jamais demeuré plus de quinze jours à Neufchastel à cause
des Bourguignons. Or, aux susdites séances, il n'est fait
aucune mention de tout ce que le Promoteur allègue, sçavoir
que la Pucelle conversoit avec des femmes et personnes mal
renommées, etc. D'ailleurs, son père et sa mère estoient à
Neufchastel et se retirèrent chez ladite Rousse, leur fille avec
eux (seconde séance).
Article IX
» Oiie Jeanne estant en servi(;e à Neurcluislel chez la Rousse, fit
appeler un jeune homme, devant l'official de Toul sur promesse de
maringe ; que ce jeune homme sçachant qu'elle avoit conversé
avec ces femmes mal renommées ne la voulut espouser : que pour
cotte cause, Jeannese retira par dépit du service de la Rousse. »
La Pucelle contredit, emploiant ce qu'elle a autres fois
déposé sur ce subject et nie tout le reste.
A ROUEN. — LE PROCES H
Le Promoteur réplique pour preuve que le douziesme
mars elle avoit confessé qu'un jeune homme l'avoit fait citer
en cause de mariage, etc. Voyez la huitiesme séance laquelle
justifie la Pucelle. Car c'est bien autre chose d'avoir esté
citée ou d'avoir fait citer. L'un est véritable, et l'autre abso-
lument faux.
Article X
« Après que Jeanne se fust retirée du service de cette femme,
elle pul'lia avoir ordinairement depuis cinq ans des visions et
apparitions de saint Michel et de saintes Catherine et Marguerite,
et qu'elles lui avoient spécialement révélé qu'elle feroit lever le
siège d'Orléans, et mèneroit Charles, quelle appelle son Roj, à
Keims pour estre couronné, qu'elle chasseroit tous ses ennemis du
royaume de France. S'estoit retirée de la maison de son père au
desccu d'icelui et de sa mère, et de son propre mouvement et
volonté seroit allée à Robert de Baudricour, capitaine de Vaucou-
leuf, lui faisant entendre que saint Michel et sainte Catherine lui
avoient révélé qu'elle allast au secours du Roy, et le prioit de lui
en donner les moyens. Qu'ayant esté rebutée par deux diverses fois
par Baudricour, elle eut révélation de retourner à lui, lequel pour
la troisiesme fois la receut. »
La Pucelle, pour contredit, emploie la déposition qu'elle
a faite autres fois sur cela. Et le Promoteur allègue pour
preuve tout ce qu'elle a déposé le vingt-deuxiesme febvrier,
séance deuxiesme, et le vingt-quatriesme febvrier séance
troisiesme, le vingt-septiesme febvrier séance quatriesme ;
le jeudi premier jour de mars, séance cinquiesme, concer-
nant ses visions et apparitions; item le lundi douziesme
mars, séance huictiesme, touchant ce qu'elle s'en estoit allée
de la maison de son père et de sa mère sans leur congé, et
des songes que son père avoit eu qu'elle s'en debvoit aller
avec les gens d'armes : auxquelles séances les excuses de la
Pucelle sont bien articulées, ensemble les motifs de toutes
ses actions. Et cet article conféré avec le précédent découvre
une maligne imposture du Promoteur, lequel allègue que la
Pucelle avoit vingt ans quand elle se retira à rseutchastel, et
après qu'elle fust sortie de chez cette femme nommée la
Rousse, qu'elle publia avoir ordinairement des visions
12 E. RICHER. — LA PUCELLE D OIILKANS
depuis cinq ans, etc. De sorte qu'il faudroit que la Pucelle
eust eu ses visions ayant quinze ans, et qu'elle fust venue en
France âgée de plus de vingt ans : et néanmoins elle n'avoit
que dix-sept ans, quand elle y arriva, et est morte âgée de
dix-neuf ans ou environ, car elle e&toit sur sa vingtiesme
année.
Article XI
« Que Jeanne ayant eu familiarité avec Robert de Baudricour,
s'estoit vantée qu'après avoir exécuté les choses que Dieu lui avoil
commandées, elle debvoit avoir trois enfants desquels l'un seroit
pape, l'autre empereur, et l'autre roy. Ce que Baudricour ayant
entendu, il lui dit : Je voudrois bien le faire un de ces enfants,
puisqu'ils doibvent estre de si grande autorité, afin qu'il m'en fust
mieux. Que Jeanne lui repartit : Gentil Robert, nenny, nenny, il
nest pas temps, le Saint-Esprit y opérera. Ce que ledit Robert a
raconté et publié en présence de prélats, grands seigneurs et per-
sonnes notables. »
La Pucelle oppose que pour le regard de Baudricour, elle
se rapporte à ce qu'elle a déposé ailleurs ; mais, quant aux
trois enfants qu'elle debvoit avoir, qu'elle ne s'en est jamais
vantée.
Le Promoteur, en confirmation de sa calomnie et vaux de
ville, allègue que le douziesme mars au matin, interrogée si
ses voix l'appeloient Fille de Dieu, Fille de l'Eglise, Fille au
grand cœur, elle avoit respondu qu'auparavant que le
siège d'Orléans fust levé, elle l'avoient appelée Jeanne la
Pucelle, Fille de Dieu. Mais quelle induction, je vous prie?
N'est-ce pas de toutes choses inférer toutes choses? Qno ces
trois enfants soient un conte fait à plaisir, cela est manifeste
parce qu'il n'y en a aucun vestige ni mention' en tout le pro-
cez d'office. Que si ce Promoteur, aux inductions qu'il tire du
procez d'office, ment et impose si libéralement, ainsi que
nous ferons veoir partout, que doit-on croire de cette propo-
sition qui n'a esté contredite par la Pucelle ni proposée au
procez d'office, auquel en quinze séances cette fille a esté
interrogée et recherchée jusques à ses plus menues pensées ?
Et parloit lors en plus grande liberté qu'en ce procez ordi-
A ROUEN. — LE l'HOCKS 13
naire auquel il ne lui estoit presque permis que de dire
l'affirmative ou la négative de ce qu'on lui objectoit, sinon
qu'elle fust interrogée tout de nouveau. C'est pourquoy ils
lui ont réservé ce plat couvert au procez d'office, afin qu'elle
ne pust s'estendre pour confuter Cette calomnie. Au demeu-
rant, ce vaux de ville répugne totalement à l'interrogatoire
qu'ils lui ont fait de sa virginité, séance quinziesme, sçavoir
si son bonheur en dépendoit et, si elle estoit- mariée, si sa
bonne fortune se perdroit. Adjoustous que les tesmoins ocu-
laires ont déposé qu'on avoit supprimé plusieurs choses qui
estoient à la décharge de la Pucelle, et inséré d'autres pour
la rendre plus criminelle.
Article XII
« Que .Teanne, pour faire réussir son dessein, demanda à Bau-
dricoui" qu'il lui fist faire un habillement d'homme et des armes
propres pour elle : ce qu'il fit malgré lui, détestant cela; mais
tinalement acquiesça à sa demande. Et après que cet habit fut
fait, elle rejetant son habit de femme, fit tondre ses cheveux en
rond et friser à la mode, revestue d'un gippon, d'un haut
de chausse attaché à vingt éguillettes, bottée et esperonnée, ayant
une espée, une dague, une cuirasse, une lance et autres armes que
portent les gens de guerre. Estant ainsi armée, s'est nieslée parmi
les gens d'armes pour faire et exercer la faction de guerre, pu-
bliant qu'elle avoit des révélations de la part de Dieu de faire et
négocier tout cela. »
La Pu(;elle repart que du contenu en cet article elle s'en
rapporte à ce qu'elle a déposé ailleurs sur cette matière.
Pour preuve ce Promoteur allègue que le vingt-deuxiesme
febvrier elle a confessé que ses voix lui avoient dit qu'elle
allast à Baudricour, etc. : que le duc de Lorraine l'avoit
voulu veoir ; qu'elle lui avoit demandé son fils, etc. Voyez la
seconde séance. Oppose encore que le vingt-septiesme feb-
vrier, elle avoit respondu que c'estoit peu de chose que
l'habillement d'homme qu'elle portoit, et l'avoit pris par le
conseil de Dieu, non d'aucun homme (séance quatriesme).
'Voyez aussi la huictiesme et quatorziesme esquelles il est
encore parlé de cet habillement. Et de tout cela le Promo-
14 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLKANS
teur induit la confirmation de son article, duquel la Pucelle
demeure d'accord, hors les calomnies et faussetés.
Article XIII
« Que Jeanne attribue à Dieu et aux saints d'avoir fait des
commandements contraires à l'honnesteté du sexe féminin, et à
la loy de Dieu, et aux constitutions canoniques de l'Eglise qui
dépendent aux 'femmes de porter des habillements d hommes sous
peine d'anathème, etc. Qu'elle a porté non seulement des veste-
ments d'homme contre la décence du sexe féminin, mais pareille-
ment contre celle des hommes morigénez et modestes : s'estant
vestue dissohiment, portant une casaque ouverte des deux costés,
ayant esté prise avec une huque d'or tailladée, ouverte de tous cos-
tés, portant aussi armes offensives: le port desquelles vouloir
attribuer k un commandement de Dieu, des Anges et des saintes
vierges est un blasphème et renverser la loy de Dieu, les saints
canons, scandaliser le sexe féminin et toute honnesteté, introduire
entre les hommes des exemples de toute dissolution et les inviter
à les mettre en pratique. »
La Pucelle réplique n'avoir jamais blasphémé Dieu ni ses
saints.
Le Promoteur, pour confirmer son dire, allègue tous les
interrogatoires faits à la Pucelle sur ce port d'habit et les
responses qu'elle a faites ; lesquelles nous passerons sous
silence, attendu qu'il en a esté parlé en l'article précédent et
responses à icelui. Et faut veoir i'advertissement sur la
quatriesme séance.
Article XIV
« Que Jeanne ayant plusieurs fois requis qu'on lui permist d'en-
tendre la messe, ayant esté admonestée de quitter l'habillement
d'homme quelle porte et qu'on lui permettroit d'ouyr la messe et
de communier, elle n'a jamais voulu acquiescer, aymant mieux
ne pas communier ni participer au divin service que de quitter son
habillement d'homme, feignant cela estre desplaisant à Dieu : en
quoy apparoist son opiniastreté et endurcissement au mal. son
deffaut de charité et désobéissance à l'Eglise, et le mespris des
sacrements de Dieu. »
Et h ce propos, le Promoteur allègue tous les interrogatoires
et les responses faites sur cette matière en la séance sixiesme,
le troisiesme mars, en la treiziesme, le quinziesme mars, en
la quatorziesme, dix-septiesrae mars, lesquelles le lecteur
pourra veoir, ensemble Tadvertissement sur la quatorziesme
séance, auquel toutes ces calomnies sont réfutées.
Article XV
(I Oue Jeanne estant arrivée en la présence de son rov Charles,
hal)illée et armée comme dit est, entre autres choses lui en pro-
mit spécialement trois. Premièrement, qu'elle lèveroit le siège
d'Orléans; secondement, quelle le feroit couronner à Uheims; la
troisième, quelle le vengoroit des ses ennemis, les mettroit tous à
mort ou les chasseroit du royaume de France, soit Anglois ou
Bourguignons. De quo}- elle s'est vantée publiquement en plusieurs
lieux. Et pour faire qu'on lui adjoutast foy, a maintes fois usé de
divinations, descouvranl la vie, mœurs et faits cachés de personnes
vivantes qu'elle navoit jamois veues ni cognues auparavant, se
vantant cognoistre cela par révélation. »
La Pucelle avoue avoir porté de la part du Roy du ciel des
nouvelles à son Roy, que nostre seigneur lui rendroit son
royaume et le feroit couronner à Rheims et chasseroit ses
ennemis : outre, confesse avoir esté la messagère de ces
bonnes nouvelles de la part de Dieu : et dit au Roy qu'il la
mist hardiment en œuvre, et qu'elle lèveroit le siège de
devant Orléans, et délivreroit tout le royaume; et que si le
duc de Bourgogne ne rendoit l'obéissance qu'il debvoit, son
Roy le contraindroit par force. Pour le regard de ce qui est
porté à la fin dudit article, qu'elle avoit cognu Robert de
Baudricour et son Roy, ne les ayant jamais veus auparavant,
elle emploie ce qu'elle en a déposé ailleurs.
Le Promoteur, en confirmation, allègue que le vingt-dou-
xiesme febvrier, séance deuxiesme. elle déposé avoir cognu
Baudricour et son Roy, ne les ayant onques veus, et que ses
voix lui révélèrent, etc. Item, que le mardi, treiziesme mars,
séance dixiesme, elle avoit esté interrogée sur le fait d'un
prestre concubinaire et d'une tasse d'argent qui avoit esté
perdue, et respondit n'avoir onques ouy parler de cela. De
16 E. RICIIER. LA l'UCELLE D ORLi:ANS
sorte que ce l'romoteur prend la négative pour l'aflirma-
tive, ainsi qu'il fait presque tousjours ailleurs.
Article XVI
« Que dui-ant le temps qu'elle a esté avec son Roy, lui a tous-
jours dissuadé, et aux siens pareillement, de faire aucun traité de
paix ni accord avec ses ennemis, les excitant à mettre tout au fil
de Tespée, publiant qu'on n'auroit jamais la paix qu'avec le bout de
la lance, et que Dieu l'avoit ainsi ordonné : que les ennemis du
Roy ne quitteroient jamais autrement ce qu'ils occupoient au
royaume ; que le plus grand bien qui pouvoit arriver à la chres-
tienté estoit de les débeller, ainsi qu'elle disoit. »
La Pucelle repart que, pour le duc de Bourgogne, l'a requis
par lettres et par ses hérauts ou ambassadeurs de faire la
paix avec son Roy ; que, pour les Anglois, on ne pouvoit
avoir paix avec eux, sinon qu'ils se retirassent en leur pais
d'Angleterre. Et pour le reste de cet article, se rapporte à ce
qu'elle a autresfois déclaré.
Le Promoteur, en confirmation de son dire, allègue qu'elle
n'a voulu traiter avec le capitaine de Jargeau, ainsi qu'il est
porté en la séance quatriesme tenue le vingt-septiesme feb-
vrier.
Article XVII
« Que Jeanne, consultant les démons et usant de divinations, a
envoie quérir une espée en l'église de sainte-Catherine-de-Fierbois,
qu'elle mesme avoit malitieusement cachée ou fait cacher en cette
église, afin de tromper et séduire les princes, la noblesse et le
clergé, et leur persuader plus facilement qu'elle auroit eu révéla-
tion que cette espée estoit en ce lieu, à ce que par après on lui
adjoustast plus de foy. »
La Pucelle respond qu'elle se rapporte à ce qu'elle a déposé
le vingt-septiesme febvrier, séance quatre, et nie absolument
tout le reste de l'article.
Or, pour preuve, le Promoteur cote la mesme séance qua-
triesme, que le lecteur verra, car elle ne charge aucunement
cette tille.
17
Article XVIII
« Qu'elle a ensorcelé ses anneaux, son estandart, et quelques
pièces de loile, el les panonceaux qu'elle portoit ou faisoit porter
ù ceux de sa compagnie; el mesnie qu'en la susdite espée trouvée
par révélation, ainsi qu'elle ne prétend, léglise sainte-Catherine-
de-Fierbois. pour la rendre bien fortunée, elle a fait plusieurs
exécrations et conjurations en plusieurs et divers lieux ; disant
publiquement que cela feroil obtenir une grande victoire sur les
ennemis, et que ceux qui porteroient lesdits panonceaux ne pour-
roient eslre blessez ni recevoir infortune quelconque, assaillant
leurs ennemis. Chose qu'elle a spécialement publiée à Compiègne
le jour de devant qu'elle fit sa sortie contre le duc de Bourgogne :
en laquelle sortie plusieurs de ses gens ont esté blessez et pris, et
elle-mesme la esté finalement. Avoit aussi fait publier lesdits
sortilèges à Saint-Denis, excitant l'armée de son Roy d'assaillir
Paris. »
Le vingt-septiesme mars, la Pucelle oppose à cet article
qu'elle emploie ce qu'elle avoit autres fois confessé sur ce
subject. De plus, adjouste qu'en tout ce qu'elle a fait il n'y
a aucune sorcelerie ni maléfice. Et quant à la bonne fortune
de son estandart, s'en rapportoit à Nostre Seigneur qui [la]
lui avoit transmise.
Or, le Promoteur en confirmation produit la séance qua-
triesme tenue le vingt-septiesme febvrier, où il est parlé de
l'espée qu'avoit la Pucelle. Item, la cinquiesme tenue le
premier de mars, où elle est interrogée de ses panonceaux et
d'une toile que ses ennemis feignoient avoir esté portée en
procession, etc. Hem, la quatorziesme et quinziesme où il
est encore parlé desdils anneaux. En toute lesquelles séances
il n'y paroist aucune preuve de toutes les calomnies de ^.e Pro-
moteur ; lequel pour donner quelque apparence à son
dire, ne delavoit pas î^seulement] asseurer celte fille avoir
publiquement fait et publié les sorceleries qu'il lui impute,
présent l'armée du Roy à Saint-Denis où estoit le Roy, des
princes et ecclésiastiques comme l'archevesque de Rheims,
chancelier de France, et infinis autres : car qui veut faire
croire un mensonge le doibt rendre probable. Quant à Com-
[b E. RICHEU. LA l'UCELLl!: u'uhL'CANS
piègnc, lacalomnic de ce Promoteur est encore contestée par
les actes de leur prétendu procez qui nous apprennent que la
Pucelle y entra de grand matin, faisant sa sortie sur la ves-
pre fut prise le mesme jour qu'elle y estoit entrée. Com-
ment donc peut-il eslre qu'elle aye fait publiquement
des sorceleries le jour de devant qu'elle lit sa sortie ? Au moins
debvoit-il dire qu'elle les ;ivoit faites en quelque lieu secret
afin de mieux faire passer cette imposture. Voyez l'article
cinquante-deuxiesme.
Article XIX
« Que, par une grande présomption et témérîlé, elle avoit escrit
des lettres, y ayant apposé en teste ces mots Jésus Maria avec le
signe de la croix, et les avoit envolées au Roy d'Angleterre et au
duc de Bethford, pour lors régent du royaume de France, et à tous
les seigneurs et capitaines tenant le siège d'Orléans : lettres qui
contiennent plusieurs clioses pernicieuses, peu convenantes avec la
foy catholique, desquelles ensuit la teneur, etc. » Ces lettres sont
registrées au premier livre de cette histoire.
Le vingt-septiesme mars, la Pucelle contredit cet article et
maintient n'avoir fait ni envoyé ces lettres par orgueil ou
présomption, mais. par commandement de Notre Seigneur ; et
qu'elle recognoistet approuve tout le contenu esdites lettres,
trois mots exceptez.
Le Promoteur allègue sur cela la deuxiesme séance tenue le
vingt-deuxiesme febvrier, en laquelle est fait mention des-
dites lettres. Jlem, la sixiesme tenue le troisiesme mars, où
elle fut interrogée, à sçavoir si ceux de son parti se persua-
doient qu'elle fust envoyée de Dieu, etc. Et tout cela ne charge
aucunement cette fille.
Quant à la lecture desdites lettres qui fut faite'à la Pucelle,
répliqua que si les Anglois avoientcruàses lettres, ils eussent
fait sagement, ^et que devant sept ans ils cognoistroient bien
la vérité de ce qu'el'e leur a rescrit, et que de tout cela elle
s'en rapporte à ce qu'elle a autrefois déclaré : qui est une
déposition bien notable et prophétique.
A UOL'EN. LE PROCÈS 19
Article XX
■ « Ouô par la teneur desdites lettres on cognoisl clairement que
.leanne a esté séduite par les esprits malins qu'elle consulte sou-
vent en ses affaires pour séduire et tromper le peuple par telles
leintises et menleries. »
La Pacellc nie absolument avoir jamais rien fait par le con-
seil des esprits malins. Et le Promoteur réplique que le vingt-
septiesme febvrier, séance quatriesme, elle a dit qu'elle
aynieroit mieux estre tirée à quatre chevaux que d'estre venue
en France sans l'expresse permission de Dieu. Ce qui est
mettre pour tout avéré et concédé ce qui est en débit, sçavoir
que les révélations de la Pucelle provenoient des esprits
malins.
Article XXI
« Ou elle a abusé de ces noms Jésus Maria, y entremettant le
signe de la croix, et s'en servant pour donner à entendre à ceuxv
auxquels elle rescrivoit, qu'ils ne fissent pas ce qu'elle leur man-
doit, ou qu'ils fissent le contraire. »
Le XXVII^ mars, la Pucelle oppose qu'elle se rapporte à
ce qu'elle a autres fois confessé sur cette matière. Et le Pro-
moteur repart que le dix-septiesme mars, séance quinziesme,
elle avait respondu que les ecclésiastiques, escrivans des
lettres, y mettoient le signe de la croix avec ces deux mots
Jésus Maria. N'est-ce pas là un sjrand crime ? Voyez l'adver-
tissement sur la séance cinquiesme.
Article XXII
« (Ju elle a usurpé l'office des anges, publiant et se vantant
d'estre envoyée de Dieu, mesme pour exercer et parfaire les voies
de fait et espandre le sang humain, et autres choses qui répugnent
du tout à la sainteté et dont une àrae pieuse et timorée aurait
horreur. »
Le mardi vingt-septiesme mars la Pucelle réplique sur cet
article avoir premièrement requis qu'on list la paix, et
20 E. RICIIER. — LA rUCELLE D ORLEANS
remonstré, au cas qu'elle ne fust faite, qu'elle estoit toute
preste de combattre.
Le Promoteur allègue que le vingt-quatriesme febvrier,
séance troisiesme, elle avoit confessé estre envoyée de la part
de Dieu, et qu'elle n'avoit que faire au jugement où elle
estoit devant l'Evesque de Beauvais, et qu'on la renvoyast à
Dieu d'où elle venoit. Plus, le dix-septiesmemars, séance qua-
triesme, avoir dit que Dieu l'avoit envoyée au secours du Koy
de France. Au reste, f'heureux succès des affaires du Roy
confirme que la Pucelle n'a fait aucune chose qui répugne à
la sainteté d'une femme, puisque Debbora et Judith ont eu
mission pour délivrer le peuple de Dieu par voye de fait.
Article XXIII
« Qu'elle a receu des lettres du comte d'Armagnac au mois
d'aoust 1429, estant à Compiègne, dont ensuit la teneur :
« .Ma très chère Dame, je me recommande humblement à vous,
et vous supplie pour Dieu que, attendu la division qui est à pré-
sent en sainte Eglise universelle sur le fait des Papes, car il y a
trois contendans du Papat : l'un demeure à Rome qui se fait
appeler .Martin Quint, auquel tous les roys chrestiens obéissent :
l'autre demeure à Paniscelle au royaume de Valence, lequel se l'ait
appeler pape Clément VII; le tiers on ne sçait où il demeure sinon
seulement le cardinal de Saint-Etienne et peu de gens avec lui,
lequel se fait appeler pape Benoist XIV. Le premier qui se dit
pape Martin fut esleu à Constance par le consentement de toutes
les nations des chrestiens. Celui qui se fait appeler Clément fut
esleu à Paniscelle après la mort du pape Benoist XIII par trois de
ses cardinaux. Le tiers qui se nomme pape Benoist .XIV, à Panis
celle, fut esleu secrètement, mesme par le cardinal de Saint-
Estienne. Veuillez supplier à Nostre Seigneur Jésus-Christ que par
sa miséricorde inflnie nous veuille par vous déclarer qui est des
trois dessus dits vray Pape, auquel plaira qu'on obéisse de ci en
avant, ou à celui qui se dit Martin, ou à celui qui se dit Clément,
ou à celui qui se dit Benoist, auquel nous devons croire; si secrète-
ment ou par aucune dissimulation, ou publique et manifeste. Car
nous serons tous prests de faire le vouloir et plaisir de Nostre Sei-
gneur Jésuchrist.
« Le tout vostre comte d'Armignac. »
Suit la Vesponse de la Pucelle aux dites lettres.
A un L'EN. LE PROCÈS 21
« Comle d'Armignar. mon très cher et bon ami, Jehanne la
l'iicelle vous fait sçavoir que votre messager est venu par devers
moi, lequel ma dit que- Tavez envoyé par deçà pour sravoir de
moj auquel des trois Papes que mandez par mémoire vous deb-
vriez croire. De laquelle chose je ne puis bonnement faire sçavoir
au vray pour le présent, jusques à ce que je sois à Paris où
ailleurs à requoy ; car je suis pour le présent trop empeschée au
fait de la guerre. IMais quand vous sçaurez que je seray à Paris,
envoyez un messager par devers moy, et je vous ferai sçavoir tout
au vray auquel vous debvrez croire, et qu'en auray sceu par le
conseil de mon droiturier et souverain Seigneur le Roy de tout le
monde, et qu'en aurez affaire. A tout mon pouvoir à Dieu vous
commans. Dieu soit garde de vous. Escript à Compiègne le wn"
jour d'aoust. »
De ces lettres le Promoteur induit que la Pucelle pre'sumant
trop de soy et mesprisant l'autorité de l'Eglise universelle,
préfère son dire et conseil à l'autorité de l'Eglise : disantque
dans un certain temps elle donnera certaine response au
comte d'Armagnac auquel des trois Papes il debvra obéir.
Or à tout cela [la Pucelle] repart qu'elle emploie la response
qu'elle a faite autres fois, estant interrogée sur ce subject.
Voyez la cinquiesme séance tenue le premier jour de mars,
laquelle le Promoteur cote ssmblablement pour lui, mais très
mal à propos, attendu qu'elle descharge la Pucelle.
Article XXIV
« Que depuis sa jeunesse, de jour en jour, elle s'est vantée et se
vante encore ordinairement qu'elle a eu et a encore plusieurs
révélations et visions ; et combien qu'elle aye esté plusieurs fois
charitablement, juridiquement et souvent admonestée, et requise
par serment d'en donner des preuves ou signes suffisans de paroles
ou delfect, néantmoinsa tousjours refusé de le faire, y a contredit
comme elle fait encore aujourdhuy, ayant dit plusieurs fois qu'elle
ne révélerait .pas] à ses juges lesdites révélations et visions, quand
mesme elle debvroit perdre la vie et estre mise en quartiers, et
quelle ne déclareroit onques le signe que Dieu lui avoit donné,
au moyen duquel on avoit cognu qu'elle esloit envoyée de Dieu. »
La Pucelle respond avoir bien pu dire quelquefois qu'elle
ne révéleroit pas ce signe ; mais que d'autres fois elle a con-
22 E. UICHER. — LA PUCEIXE D oni.EANS
fessé qu'elle ne le révélcroit jamais sans la permission de
Dieu, et que cela doibt eslre adjouslé en sa confession ou
déposition.
Le Promoteur allègue, pour confirmation de son dire, que
le XXIP febvrier, seconde séance, elle a dit qu'il ne se passe
aucun jour qu'elle n'entende ses voix et quelle en a bien
besoin. Que le XXIV febvrier, séance troisiesme, ses voix
lui dirent beaucoup de choses la nuitpour le bien de son Roy
qu'elle voudroitbien qu'il sceust et qu'elle nedeust boire vin
jusques à Pasques, qu'il en seroit plus joyeux à son disner,
etc. Que le jeudi, premier de mars, séance cinquiesme, inter-
rogée de quelle figure estoit saint Michel, respond qu'elle
ne lui a point vu de couronne et qu'elle ne sçait rien de ses
veslemens. Enquisse s'il estoit tout nud : Pensez-vous, dit-
elle, que NostreSeigneur Jésus-Christ n'aye de quoylevestir?
Item, le jeudi XVP mars, séance treiziesme, interrogée de la
grandeur et stature de l'Ange qui lui apparoissoit. réplique
qu'elle leur répondroit le samedi prochain ce qu'il plairoit à
Dieu lui révéler, etc. Il allégua plusieurs autres sembla-
bles lieux auxquels la Pucelle ne respond [pas directement,
d'autant que cela n'estoit pas du procez, et qu'ellene reco-
gnoissoit pas l'Evesque de Beauvais ni ses assesseurs pour ses
juges, mais pour ennemis mortels. Et d'ailleurs aussi, [parce]
qu'ils lui faisoient infinies questions hors de propos, au lieu
de l'interroger des articles de la foy et de ce que chacun
chrestien est tenu de sçavoir selon sa portée et capacité.
Article XXV
Le Promoteur conclud des clioses qu'il a alléguées sur le pi*écé_
dent article « qu'on peut facilement conjecturer que les préten-
dues visions et apparitions de cette femme proviennent plus tost
des esprits malins que des bons anges, considéré la sévérité.
orgueil, gestes, faits, mensonges et contradictions des propos qui
résultent des articles sus déclarez : que cela fait et doit estre tenu
pour présomption de droit. »
Le mercredi après le dimanche des Rameaux', vingt-
]. La lecturi^ tlu i'<'iiuisiLoire. coinmoncée le mardi 27 mars, se pour-
suivit et s'acheva le lendemain mercredi. Il v eut donc deux srancos
A ROTEX — • 1,15 l'UOCES 23
huitiesme mars, la Pucelle re^pondit qu'elle niait absolument
cet article ; mais au reste soutiendroit jusques à la mort
n'avoir fait aucune chose sinon par la révélation de sainte
('uitherine et Marguerite. Confesse avoir esté conseillée par
aucuns de son parti de mettre ces mots Jésus Maria en
aucune [quelqu'une ' de ses lettres, et en d'autres non. Item,
quand elle a dit que tout ce qu'elle a fait est fait par le con-
seil de Dieu, [elle] entend que Dieu doit avoir tout ce qu'elle a
fait de bien.
Ce mesmejour on lui demanda si, allant devant la ville de
La Charité et de Paris, elle avoit bien ou mal fait. Piéplique
que si elle a mal fait, elle s'en confessera ; et que la noblesse
française avait voulu aller devant Paris, et qu'il lui semble
qu'ils ne faisoient que leur devoir, assaillant leurs ennemis.
Notez qu'en cet article le Promoteur accuse la Pucelle de
sévérité, et conséquemment de gi'avité qu'il appelle injurieu-
sement orgueil. Ce qui sert pour montrer qu'elle n'avoit rien
de léger, contre le naturel de son sexe.
Article XXVI
« Que témérairement et présomptueusement elle s'est vantée et
se vante de sravoir les choses tant futures que passées, et les pré-
sentes occultes ou cachées, s'attribuant elle simple créatare
humaine ce qui est dû et réservé à la seule divinité. »
La Pucelle contredit cet articles asseurant qu'il est au
pouvoir de notre Seigneur de révéler ses secrets à qui il lui
plaist, et que pour le regard de Tespée de sainte Catherine
de Fierbois et autres choses à advenir qu'elle a prédites, a
sceu cela par révélation.
Le Promoteur, pour confirmation de son dire, allègue plu-
sieurs choses futures qu'elle a énoncées, sçavoir que le due
de Bourgogne aura la guerre s'il ne fait ce qu'il doibt; qu'elle
consécutives. Larlicle auquel la IHicelte répond avait été lu le mer-
credi, jour de la seconde séance.
1. Cet article et les suivants ayant été lus publiquement le mercredi
28 mars, c'est ce même jour que la Pucelle y répond. Nous supprimons
la redite : Le 28 mars, etc.
-* E. RICIIER. — LA PUCELLE D ORLEANS
avoit prédit qu'elle feroil lever le siège d'Orléans, el sravoir
bien qu'elle seroit blessée h l'assaut de la bastille des Tour-
nelles ; que devant qu'il soit sept ans les Anglais perdroient
un plus grand gage qu'ils n'avoient fait devant Orléans, etc.;
et propose tout ce qu'elle a prédit, qui est entièrement
registre au procès d'office, et mesme de sa prise, et qu'elle
eust tiré le duc d'Orléans de prison, et de sa délivrance pour
martyre, que ses voix lui disent qu'elle supporte cela de bon
cœur, etc.
Article XXVII
« Que Jeanne persévérant en sa témérité et présomption a dit et
publié qu'elle cognoissoit les voix des Archanges, Anges, saints et
saintes du paradis, et qu'elle les peut discerner d'entre les voix
humaines. »
La Pucelle oppose au susdit article qu'elle emploie ce
qu'elle a autres fois allégué sur ce subject, et pour ce qu'on
l'accuse de témérité et présomption, qu'elle s'en rapporte à
Dieu qui est son juge.
Le Promoteur sur cela guette tous les interrogatoires qu'on
lui a fait des anges et ce qu'elle y a respondu, registre au
procès d'office que le lecteur verra, car tout cela ne charge
point cette fille : que si l'ange s'est manifesté à l'asnesse de
Balaam, pourquoy non à la Pucelle ?
Article XXVIII
« Qu'elle s'est vantée et a dit pouvoir cognoistre et discerner les
hommes que Dieu ayme le plus ou qu'il hait. »
Respond qu'elle se rapporte à ce qu'elle a dit autres fois
de son Roy et du duc d'Orléans; que des autres hommes elle
n'en sçait rien. Item, a dit qu'elle seait bien que Dieu ayme
plus son Roy et le duc d'Orléans qu'elle-mesme pour ce qui
est de l'ayde et garde de leurs corps ; qu'elle seait cela
par révélation. Notez qu'elle parle de leurs corps et non de
l'âme.
Le Promoteur expose là-dessus ce que la Pucelle a déposé
sur cette matière au procez d'office, chose qu'il n'est besoin
A ROUEN. LE PROCÈS 2a
de répéter en ce lieu, veu qu'elle n'a parlé que bien à propos.
Voyez la quatriesnic séance.
Article XXIX
« Qu'elle a dit, publié et s'est vantée que par son moyen plu-
sieurs hommes avoient vrayment cogau sa voix; encore que cette
voix, de sa nature, soit invisible aux créatures humaines. »
LaPucelle dit qu'elle se rapporte du contenu en cet article
à ce qu'elle en a déposé ailleurs. Et le Promoteur allègue
qu'elle a confessé, le vingt-deuxiesnie febvrier, seconde
séance, que ceux de son parti ont bien cognu ses voix, et
qu'elles venoient de la part de Dieu, et que mesme son Roy
l'a bien cognu, etc. Mais le Promoteur use de cavillation et
détorque le dire de la Pucelle en tout autre sens qu'elle ne
l'a proposé. Car elle n'a ;pas] parlé simplement des voix qui
parloient et se manifestoient à elle, mais seulement des effets
d'icelles et signes quelle avoit donnés au Roy, aux prélats et
seigneurs de sa cour, ayant découvert au Roy plusieurs
choses secrètes qu'il n'avoit jamais révélées à personne ;
outre que la levée du siège d'Orléans, le couronnement du
Roy et tant de villes réduites en son obéissance sans effu-
sion de sang, faisoient cognoistre que les voix de la Pucelle
venoient de Dieu, ainsi que nous avons remarqué.
Article XXX
« Que Jeanne ayant confessé plusieurs fois avoir fait le contraire
de ce que les voix quelle se vante avoir de Dieu lui conseilloient,
— comme quand elle partit de Saint-Denis après l'assaut donné à
Paris, et quand elle sauta de la tour du chasteau de Beaurevoir, et
en quelques autres choses, — elle fait cognoistre n'avoir jamais
eu de révélations de la part de Dieu, ou que si elle en a eu, elle les
a aiesprisées, et conséqiiemment aussi le conseil qu'elle dit avoir
de Dieu pour sa direction. De plus, a dit que quand elle fut
incitée de sauter de la tour de Beaurevoir, elle eut commandement
de ne pas le faire, mais qu'il lui fust lors impossible de s'en abste-
nir. En quoy elle monstre avoir une pernicieuse opinion du franc
arbitre des hommes et tenir l'erreur de ceux qui estiment que la
•JO E. RICHER. LA l'UCELLE D ORLEANS
volonté humaine soit forcée et nécessitée par certaines disposi-
tions fatales. »
Respond à cet article qu'elle se rapportoit à la déposition
qu'elle avoit faite autres fois sur cela. Et adjousta que par-
tant de Saint-Denis, elle avoit eu permission de s'en aller.
Enquise si faisant contre le précepte de ses voix, elle
croyoit nr pas pe'cher mortellement, répliqua avoir autres
fois satisfait à cela et emploioit ladite response ; et, pour la
conclusion de l'article, s'en rapportoit à Dieu.
Le Promoteur, pour confirmer son induction, allègue que
le vingt-deuxiesme febvrier, seconde séance, les voix de la
Pucelle lui conseillèrent de demeurer à Saint-Denis, et que
es seigneurs l'emmenèrent malgré elle, etc. Ilem, le samedi
dixiesme mars, séance septiesme, avoir confessé si elle eust
sceu l'heure qu'elle devoit estre prise, qu'elle n'eust fait
librement sa sortie; toutes fois qu'elle eust obéi à ses voix
quoy quil en dust arriver. Plus, que le jeudi quinziesme
mars, séance treiziesme, confessa avoir toujours accompli ce
que ses voix lui avoient commandé autant qu'il lui avoit été
possible; mais pour le saut qu'elle avoit fait de la tour du
chasteau de Beaurevoir, elle l'avoit fait contre leur comman-
dement, etc. Et que la chose en quoi elle les avoit jamais les
plus offensées, estoit d'avoir sauté, etc. Toutes lesquelles
responses sont excuses valables pour la Pucelle ; joint que
les plus saints personnages ont commis plusieurs péchés par
infirmité humaine, ainsi que nous avons prouvé ailleurs :
mesme saint Pierre qui renia par trois fois Notre Seigneur
avec blasphèmes. Au surplus, il n'y a 'pas de répugnance que
ses voix lui ayent conseillé de demeurer à Saint-Denis, el
après rayent laissée en pleine liberté de s'en aller, attendu
sa blessure et que les seigneurs la vouloient avoir avec eux
comme un ange de bonnes nouvelles.
Article XXXI
« Encore que depuis les temps de sa jeunesse .loanne ave dit,
faitel perpétré plusieiu's maux infâmes, scandaleux et peu conve-
nables à son sexe, et beaucoup de crimes et péchés, néanlmoins
A nODKN. LE PROCES 27
elle a mainlcnu que tout ce quelle a fait et qu'elle faii-ail [ti-o-
vienl (le Dieu pai" le moyen des révélations qu'elle dit avoii- des
Anges et (le saintes Catherine el i^Iarguerite. »
La Pucelle réplique qu'elle emploie la déposition qu'elle a
faite autres fois à raison dudit article.
Le Promoteur, pour fortifier ses calomnies, repari que le
vingt-quatriesme febvrier, troisiesme séance, elle a confessé
que n'estoit la grâce de Dieu, elle ne pourroit faire aucune
chose; et qu'étant interrogée s'il y avoit en son village
quelqu'un du parti des Bourguignons, respondit n'y en avoir
qu'un seul à qui elle voudrait voir la teste coupée, s'il plai-
soit à Dieu; et que depuis qu'elle avoit cognu que ses voix
estoient pour le Roy de France, n'avoir pas aymé les Bour-
guignons. One le quinziesme mars, séance treiziesme,
enquise si elle avoit jamais rien fait contre le conseil de ses
voix, déposa qu'étant devant Paris à la requeste de la
noblesse, elle avoit fait une vaillance d'armes, et avoir aussi
esté devant La Charité à la requeste de son Roy, etc. Voyez
les dites séances, ensemble les Adverlissements sur icelles.
Article XXVII
« Encore que le juste tombe sept fois le jour, toutes fois Jeanne
a dit et publié qu'elle n'avoit onques fait et ne croyait avoir fait
les oeuvres de péché mortel : ores toutes fois qu'elle aye commis
tout ce que les gens de guerre ont accoustumé de faire, et plus
encore, ainsi qu'il appert par plusieurs articles précédents etsubsé-
quents. »
La Pucelle emploie contre ledit article ce qu'elle a déposé
ailleurs surjes faits contenus en icelui.
Le Promoteur allègue au contraire que le vingt-quatriesme
febvrier, séance troisiesme, estant enquise si elle estoit en
grâce, avoir respondu : Si je n'y suis, Dieu m'y mette; si j'y
suis, Dieu m'y veuille bien tenir. Et que, si elle sçavoit
n'estre pas en grâce, elle en seroit grandement faschée : et
que si elle estoit en péché mortel, qu'elle pense que ses voix
ne la visiteroient pas, etc. Item, que le premier jour de
mars, séance cinquiesme, elle estoit bien joyeuse ayant ses
2S E. RICHER. LA l'UCELLE D ORLEANS
voix, et qu'il lui sembloit n'eslre [pas] en péché mortel.
Voyez ladite séance sur cette matière, et vous aurez subject
de vous esbahir de l'impudence de ce Promoteur, comme
pareillement de ce qu'il expose qu'elle a fait mourir Franquet
d'Arras, fait assaillir Paris un jour de feste, qu'elle avoit
sauté de la tour de Beaurevoir, qu'elle avoit pris un habit
d'homme et quitté celui de femme, et pris le cheval de TEves-
que de Senlis, etc. C'est en l'onziesme et douziesme séances
tenues le quatorziesme mars, où la Puceile respond si préci-
sément aux dites objections qu'il n'y a que désirer ni
adjouster. Au reste, le texte de l'Escriture qu'il allègue que le
juste tombe sept fois le jour, ne s'entend pas du péché mor-
tel mais véniel.
Article XXXIII
(( Que Jeanne sans avoir soin de son salut, par la persuasion du
diable, n'a pas eu honte de recevoir le corps de Nostre Seigneur
en pkisieurs et divers lieux, ayant un habit viril et dissolu, qui lui
est prohibé et deffendu par la loy de Dieu et de l'Eglise. »
La Puceile contredit, emploiant ce qu'elle a déposé ailleurs
sur le port de cet habillement, et que de cet article s'en rap-
porte à Dieu.
Sur cela le Promoteur allègue ce qui est registre en la
sixiesme séance touchant la déposition de la Puceile, sça-
voir qu'elle a plusieurs fois communié avec l'habit qu'elle
portoit.
Article XXXIV
« Que par désespoir, en haine et mespris des Anglois. et à cause
de la ruine de Compiégne qu'on lui avoit dit estre proche, elle se
précipita du faîte d'une haute tour par l'instigation du diable qui
l'incita de ce faire, ayant plus d'esgard à sauver les corps que les
âmes, tant de soy que d'autrui, s'estant maintes fois vantée qu'elle
se tueroit plus tost que de permettre qu'elle fust livrée entre les
mains des Anglois. »
La Puceile oppose pour response audit article ce qu'elle a
déposé autres fois sur les faits contenus en icelui. Voyez la
A IIUUEN, — Lli l'RUCLS 29
sixiesme séance pareillement alléguée par le Promoteur, la-
quelle ne fait rien pour lui, mais justifie la Pucelle, que Dieu
permit de succomber à une tentation humaine dont par
après il la délivra, ainsi qu'il est arrivé à plusieurs saints
personnages. « Ne soyez prévenu d'aucune tentation sinon
humaine : Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous
soyez tenté par dessus vos force et vous donnera la force d'y
pouvoir résister. » {Première aux Corinthiens, X).
Article XXXV
« Qu"elle a dit et publié que sainte Catherine et sainte Margue-
rite, voire mesme saint Michel, avoient des membres corporels, à
sçavoir une teste, des jeux, un visage, des cheveux, etc., et
qu'elle avoit manié de ses mains et embrassé lesdites sarintes. »
La Pucelle se rapporte à ce qu'elle a dit de cela autres fois.
Et, à ce propos, le Promoteur allègue que le dix-septiesme
mars, elle a confessé avoir embrassé saintes Catherine et
Marguerite, et qu'elles sentoient bon, etc. Voyez les qua-
triesme, quatorziesme et quinziesme séances.
Article XXXVI
« Qu'elle a dit et publié maintes fois que les saints et saintes.'
anges et archanges, parloient le langage françois et non anglois. et
qu'ils ne sont pas du parti anglois, mais du parti françois : asseu-
rant que les saints et saintes qui sont en gloire haïssent un
royaume catholique et une nation adonnée à la vénération des
saints, conformément à l'ordonnance de l'Eglise : [ce] qui est faire
une grande injure aux saints bienheureux. »
Cet article ayant esté lu de mot à mot ;i la Pucelle, respon-
dit qu'elle emploioit ce qu'elle avoit autres fois confessé
sur les faits allégués en icelui.
Et le Promoteur, en confirmation de sa calomnie, cite que
le premier de mars elle déposa que la voix qui la visitoit
esloit belle, douce et humble et qu'elle parloit françois. Et
interrogée si elle parloit anglois, respondit : Et comment
30 E. RICIlEn. — r.A PUCELLE D ORLEANS
parleroit-cUe aiiglois, veuqu'elle n'est pasdu côtédes Anglois?
C'est en la séance cinquiesme.
Mais le calomniateur ne rapporte pas toute la proposition,
et, davantage, il change Testât de l'aiïaire. Car les voix de la
Pucelle lui donnent conseil d'aller au secours du Hoy de
France, et à elle qui est Françoise ne parlent que françois et
s'accommodent à sa capacité. Ses juges iniques changent
Testât de la question pour la troubler et lui demandent si ses
voix parlent anglois. Elle, persistant- en sa première ques-
tion, sçavoir qu'elles lui parloient françois et conseilloient
d'aller au secours du Roy de France, respond selon son sens :
Et comment parleroient-elles anglois, veu qu'elles ne sont
pas de ce cùté-là? Voilà ce qui est contenu en la séance cin-
quiesme.
Depuis, en la quatorziesme tenue le dix-septiesme mars,
pensant surprendre cette fille, [ses juges] lui demandent si
saintes Catherine et 31arguerite haïssent les Anglois. Elle
réplique qu'elles ayment ce que Dieu ayme et haïssent
aussi ce qu'il hait. Interrogée si Dieu hait les Anglois,
repart : Que pour ce qui est de Tamour ou de la haine quant
à leur âme, n'en sçavoir rien, ou de ce qu'il leur fera ; mais
qu'elle sçait bien qu'il seront chassez de France et que
Dieu envoiera une victoire aux François contre les Anglois.
Ils lui demandent encore si Dieu estoit pour les Anglois,
quand ils estoient en prospérité en France, llespond qu'elle
ne sçait pas si Dieu ha'issait les François; qu'elle croit bien
qu'il vouloit permettre qu'ils fussent chastiez pour leurs
péchez, s'ils en avoient. Lesquelles responses font veoir que
cette fillje estoit illuminée de l'esprit de Dieu. Car un théolo-
gien ne sçaurait répondre plus à propos. Et la calomnie de
ce Promoteur demeure pleinement confutée.
Article XXXVII
« Ou'elle s'est vantée et se vante que saintes Catherine et Mar-
guerite lui ont promis de la mener en paradis, et Tont asseurée
qu'elle sera sauvée, pourvu qu'elle garde sa virginité ; et qu'elle en
est bien certaine. »
A ROUEN. — LE PllOCES 3t
Notez que cet article répugne au vau de ville couché au
douziesme article, sçavoir qu'elle auroit dit à Baudricour
qu'elle auroit trois enfants.
La Pucelle sur cela emploie ce quelle a dit et déposé ail-
leurs. Et tout ce que le Promoteur allègue sert à sa justifica-
tion, sçavoir que le vingtdeuxiesme febvrier, séance
deuxiesme, elle a déposé n'avoir jamais demandé à ses voix,
autre chose que le salut de son âme. Et le mercredi quator-
ziesme mars, séance onziesme, qu'elle respondit croire fer-
mement ce que ses voix lui ont dit, sçavoir qu'elle sera
sauvée, et qu'elle tient cela aussi asseuré que si elle estoit
desjà ou royaume des cieux.
Interrogée si après cette révélation elle croit ne pouvoir
pécher mortellement, confesse n'en sçavoir rien et qu'elle
s'en rapporte à Dieu. Et comme on lui dit que cette response
estoit de grand poids, repart qu'elle la tenoit aussi pour un
grand trésor. Et en la séance douziesme tenue le mesme
jour après-midi, elle déclare, pour l'article concernant l'as-
seurance de son salut duquel elle avoit esté interrogée au
matin, l'entendre moyennant qu'elle gardast son serment et
la promesse qu'elle avoit faite à Dieu de bien conserver sa
virginité corporelle et spirituelle. Interrogée si ayant eu
cette révélation qu'elle sera sauvée, il est nécessaire qu'elle
se confesse : respond qu'elle ne sçait si elle a péché mor-
tellement; qu'elle estime, si elle estoit en péché mortel,
que saintes Catherine et Marguerite ne la visiteroient [pas],
et, davantage, qu'on ne sçaurait trop nettoier sa cons-
science, etc.
A quoy faut encore adjouster pour la justification de cette
fille, qu'en la cinquiesme séance, elle asseure que ses voix
lui conseillent tour à tour de se confesser; et qu'estant
interrogée si, quand elle se confessoit, elle croyoit estre en
péché mortel, respondit n'en sçavoir rien, qu'elle ne pensoit
pas en avoir fait les œuvres, et qu'à Dieu ne plaise qu'elle
les fasse jamais, ou qu'elle les aye faites pour lesquelles son
âme soit grevée, etc.
32 E. RICIIER. — LA rUCELLE D ORLEANS
Article XXXVIII
(I Encore que les jugements de Dieu soient inscrutahles et ne
puissent estre cognus, toutes fois Jeanne a dit et publié qu'elle
avoit cognu, cognoissoit et pouvoit discerner qui sont les saints et
saintes, les archanges, anges et esleus de Dieu, et lequel diceux est
tel. >>
La Pucelle contredit qu'elle se rapporte à ce qu'elle a
autres fois déclaré sur cela. Et le Promoteur allègue que le
vingt-septiesme febvrier, séance quatre, elle avoit confessé
sçavoir bien cognoistre et discerner sainte Catherine d'avec
sainte Marguerite. Et le jeudi, premier de mars, cinquiesme
séance, avoit respondu qu'elles lui apparoissoient toujours
d'une mesme forme et figure, qu'elles estoient richement
couronnées; que pour leurs autres habillements elle n'en
parloit pas, et ne sçavoit rien de leurs robes. Que le samedi
troisiesme mars, séance sixiesme, déposa qu'elle a aussi veu
saintes Catherine et Marguerite et les autres saints qui lui
apparoissent, et sçait qu'ils sont saints en paradis. Voyez
lesdites séances et Advertissemenfs sur elles.
Article XXXIX
« Qu'elle a recognu avoir prié affectueusement saintes Catherine
et Marguerite pour ceux de Compiègne, avant qu'elle eust sauté :
leur disant entre autres choses par forme de complainte en cette
manière : Et comment laissera Dieu ainsi mourir mauvaisement
ceux de Compiègne qui sont si loyaux? En quoy apparoissoit son
impatience et irrévérence envers Dieu et les saints. »
La Pucelle emploie ce qu'elle a autres fois déposé sur
cela.
Et le Promoteur propose que le samedi troisiesme mars,
séance sixiesme, elle a confessé qu'étant blessée pour avoir
.sauté de la tour de Beaurevoir, la voix de sainte Catherine
lui dit qu'elle fist bon visage, et qu'elle seroit guérie, et que
ceux de Compiègne auroient du secours. Item, qu'elle avoit
tousjours prié Dieu pour eux avec son conseil.
A ROUEN. — LE PROGKS 33
Or, ces séances justifient la Pucelle, car elle recognoist
avoir sauté par infirmité naturelle, [ce] qui est une tentation
humaine.
Article XL
« Qu'estant mal contente de ce qu'elle sestoit blessée en sautant
de la tour de Beaurevoir, et attendu que cela n'avoit succédé selon
son désir, elle avoit blasphémé et renié avec horreur de tous les
assistans. Que mesme depuis qu'elle fust au chasteau de Rouen,
avoit plusieurs fois blasphémé et renié Dieu, là Vierge Marie, les
saints et saintes, supportant impatiemment et détestant de ce
quelle devoit estre remise entre les mains des ecclésiastiques pour
lui estre fait son procez. »
Elle respond se rapporter à Nostre Seigneur et à ce qu'elle
a autres fois déposé sur le contenu au dit article.
Le Promoteur repart que le samedi troisiesme mars, inter-
rogée si après avoir sauté, estant troublée et en colère, elle
avoit blasphémé le nom de Dieu, elle recognut n'avoir
onques maudit saint ni sainte, et qu'elle n'a point accoustumé
de jurer. Enquise du fait de Soissons, pour ce que le capitaine
ayant rendu la ville au duc de Bourgogne, on disoit qu'elle
avoit renié Dieu disant que si elle tenoit ce capitaine, elle
Teust fait mettre en quatre pièces, elle déposa que ceux qui
avoient rapporté cela avoient mal entendu, et qu'elle n'avoit
onques renié saint ni sainte. Que le mercredi quatorziesme
mars, séance douziesme, interrogée si depuis qu'elle estoit
prisonnière au chasteau de Rouen, elle avoit renié ou mau-
dit Dieu, repartit que non et que ayant dit quelquefois bon
gré Dieu, ou saint Jean, ou Nostre Dame, ceux qui avoient
rapporté cela auroient mal entendu. Or, nous avons déjà
observé que selon le langage de cette fille, bon gré Dieu, etc.,
signifie : Plaise à Dieu ou du bon gré et plaisir de Dieu.
Article XLI
« Qu'elle dit avoir veu et croyoit que les esprits qui lui appa-
roissoient estoient anges, archanges et des saints envoyés de Dieu;
et croire cela aussi fermement comme elle croit la foy chreslienne
et les articles de la foy. Et toutes fois ne rapporte aucun signe
3
^t E. RICIIER. LA PICELF.E D ORMOAN'S
suffisant pour confirmer cela : niesine n"a demandé conseil à
aucun Evesque, curé, on autre prélat de l'Eglise, ou autre per-
sonne ecclésiastique, si elle devoit ajouter foy à tels esprits; ains
au contraire a dit lui avoir esté deffendu par ses voix d'en com-
muniquer sinon à un capitaine de gens d'armes, à son Hov et
autres personnes purement laïques. En quoy elle confesse croire
témérairement des articles de la foy et très mal sentir de leur
certitude ; et conséquemment toutes ses révélations sont suspec-
tes, les ayans voulu cacher aux prélats et gens d'Eglise, et décou-
vrir seulement à personnes laïques. »
Pour contredit [la Pucelle'i allègue avoir respondu aux
faits couchez au dit article, et qu'elle se rapporte à ce qui en
a esté escrit. Quant aux signes, maintient que si ceux qui les
demandent n'en sont pas dignes, n'en pouvoir mais. Au
re!^L^. qu'elle s'est mise plusieurs fois en prière pour ce sub-
ject, à ce qu'il plust à Dieu révéler la vérité à quelques-uns
du parti anglois. Davantage, a recognu n'avoir demandé
conseil à aucun Evesque, curé ou autres, si elle devoit croire
et adjouter foy à ses révélations, crainte qu'on traversast
son dessein. Plus, confesse avoir recognu que c'estoit saint
Michel qui lui apparoissoit, à cause de la bonne doctrine
qu'il lui donnoit.
Interrogée si saint Michel lui avoit déclaré qu'il estoit
saint Michel, réplique avoir respondu ailleurs à cela ; et que
pour la conclusion de l'article, elle s'en rapporte à Notre
Seigneur. Item, a dit aussi croire fermement que Notre Sei-
gneur a souffert mort et passion pour nous racheter des
peines d'enfer, que c'est saint Michel, saint Gabriel et saintes
Catherine et Marguerite que Dieu lui envoie pour la con-
seiller et réconforter.
Le Promoteur allègue au contraire que le samedi vingt-
quatriesme febvrier, elle auroit déposé croire aussi ferme-
ment qu'elle croit la foy chrestienne et que Dieu nous a
rachetez des peines de l'enfer, que cette voix vient de Dieu
et par son ordonnance : c'est en la troisiesme séance. Plus,
que le samedi troisiesme mars, séance sixiesme, elle fut
interrogée si elle croyoit que saints Michel et Gabriel eussent
des testes matérielles. Répliqua qu'elle les avoit veus do ses
A ROUEN. LE PHOCES 35
yeux et croit que ce sont eux aussi fermement que Dieu est.
Interrogée si elle croit que Dieu les aye formés avec ces testes
qu'elle leur a veues, respondit les avoir veus de ses yeux et
qu'elle ne leur diroit autre chose. Enquise si elle croit que
Dieu les aye créez en la forme et manière qu'elle les a veus,
asseure que oui.
Le douziesme.mars, séance huictiesme, interrogée si elle
avoit parlé à son curé ou à quelque autre ecclésiastique de
ses visions, confesse que non, mais seulement à Robert de
Baudricour et à son Roy ; et que ses voix ne l'avoient pas
contrainte de celer ses visions; mais qu'elle craignoit que
les Bourguignons n'empeschassent son voyage, et spéciale-
ment son père. Voyez les dites séances et les Advertisse-
■menls sur icelles. Et notez que les preuves alléguées par le
Promoteur contrarient à son article auquel il dit notamment
que les voix de la Pucelle lui avoient deffendu de communi-
quer ses révélations aux ecclésiastiques ; ce qui est faux, car
elle dit nommément que ses voix ne l'avoient pas empeschée
de déclarer ses visions, etc.
Article XLII
« Que se confiant en sa seule fantaisie, elle a rendu honneur à
ces esprits, baisant la terre par où elle dit qu'ils avoient passé et
fléchissant les genoux, les embrassant, baisant et leur faisant d'au-
tres révérences, joignant les mains, les remerciant et contractant
familiarité avec eux, ne sçachant pas s'ils estoient bons esprits :
veu qu'au contraire, attendu les circonstances ci devant particula-
risées, on les doit tenir plus tost pour malins que pour bons
esprits : lesquelles vénération et révérences semblent estre une
sorte didolatrie et de pacte avec les diables. »
La Pucelle oppose à cet article que pour le commence-
meni elle y a répondu : et quant à la conclusion, elle s'en
rapporte à Notre Seigneur.
Le Promoteur, pour confirmation de sa calomnie, allègue
les séances troisiesme, septiesme, huictiesme et neuviesme,
treiziesme, quatorziesme et quinziesme, èsquelles il est parlé
de ces visions, apparitions, et des révérences et honneurs
que la Pucelle rendoit à saintes Catherine et Marguerite.
36 E. RIGIIER. — LA PUCELLE D ORLEANS
Article XLIII
« Que chacun jour elle fréquenle avec ces esprits, les invoque et
prend conseil d'eux en toutes les affaires particulières qu'elle a,
comme de ce qu'elle doit respondre en jugement et ailleurs : ce
qui semble appartenir et de fait appartient à l'invocation des
démons. »
[Jeanne] répliqua avoir respondii aux faits contenus en
cet article et dit qu'elle a toujours appelé, et tant qu'elle
vivra, appellera à son secours les voix susdites.
^ Interrogée comment elle les requiert, respond qu'elle
réclame premièrement layde de Notre Seigneur et de Notre
Dame à ce qu'ils lui envoyent conseil et consolation. El
qu'alors ils lui envoyent.
On lui demande par quelle forme elle implore ce secours.
Réplique en cette manière, en françois :
« Très doux Dieu, en l'honneur de votre sainte passion, je
vous requiers que si vous m'aymez, vous me révéliez com-
ment je dois respondre à ces gens d'Eglise. Je sray bien,
quant à l'habit d'homme, le commandement comment je l'ay
pris ; mais je ne sçay point par quel moyen je le dois laisser.
Pour ce plaise vous à moy l'enseigner. » Et qu'alors elles
[les voix] viennent.
Plus, a dit que souvent par le moyen de ses voix, elle a
des nouvelles de monseigneur l'Evesque de Beauvais. Et
enquise de ce qu'elles lui disent de nous, respondit qu'elle
le nous diroit à part, et que saintes Catherine et Marguerite
lui ont dit comment elle devoit respondre de cet habit.
Le Promoteur, pour donner lustre à sa calomnie, allègue
tout ce que la Pucelle a déposé du conseil que lui donnoient
ses voix : le samedi vingt-quatriesme febvrier, séance troi-:
siesme, le mardi vingt-septiesme febvrier, séance quatre, le
lundi douziesme mars, séances huit, neuf, le mardi treiziesme
mars, séance dixiesme, le mercredi quatorziesme mars,
séances onziesme et douziesme, lesquelles sont entièrement
registrées au procez d'office.
37
Article XLIV
« Qu'elle ne crainl pas de se vanter que saint Micliel, archange
de Dieu, est venu à elle avec une grande multitude d'Anges, au
chasteau de Cliinon, en la maison d'une certaine femme où elle
logeoit, et qu'il a marché avec elle la tenant par la main, mon-
tant aussi les degrez du chasteau et se promenant par la chambre
de son Ilny; que cet Archange a fait la révérence à son Rô}-, s'in-
clinant devant lui, accompagne d'autres anges comme dit est,
desquels aucuns estoient couronnés, d'autres avoient des aisles.
Lesquelles choses dire et attribuei" aux Anges et Archanges bien-
heureux est une présomption, témérité et imposture : veu mesme
qu'on ne lit point que jamais telle révérence ou inclination ait
esté faite par les anges et archanges à un pur homme, pas mesme
à la Vierge Marie de Dieu. Elle se vante pareillement qu'à sa
prière l'ange susdit, accompagné comme dit est d'autres anges,
avoit apporté une précieuse couronne à son Roy pour estre mise
sur sa teste et qu'elle est maintenant en son trésor, et qu'il en
eust esté couronné à llheims s'il eust voulu attendre quelques
jours. Toutes lesquelles choses sont feintes, controuvées par ladite
Jeanne, à l'instigation du diable qui les a ainsi représentées en
l'imagination d'icelle pour tromper sa curiosité : d'autant qu'elle
cherche choses qui surpassent sa capacité et faculté, feignant lui
estre révélées de Dieu. »
La Pucelle respond avoir ci-devant satisfait à cet article,
quant est de l'ange qui avoit apporté un signe. Et pour le
regard de ce que le Promoteur parle de mille milliers d'An-
ges, ne se souvient d'avoir parlé du nombre, mais bien con-
fesse avoir asseuré qu'elle n'a jamais esté blessée sans rece-
voir une grande consolation, confort et secours de la part
de Dieu et saintes Catherine et Marguerite. Adjouste que pour
la couronne apportée à son Roy, elle .y a respondu. Mais
quant à la conclusion du Promoteur, sçavoir que tout ce
qu'elle fait sont illusions du diable, elle s'en rapporte à
Dieu, comme aussi du lieu où la dite couronne a esté faite et
fabriquée.
Le Promoteur, au contraire, allègue tout ce que la Pucelle
a déposé des anges, du signe et couronne qu'ils ont apportez
3S E. niCIllSU. LA l'UCELLlî D OKI.KANS
h son lîoy, etc. Voyez la séance quatriesme tenue le mardi
vingl-septiesme febvrier, la cinquiesme, le jeudi premier de
mars, la scptiesme, le samedi dixiesme mars, la huicliesme
et neuviesme, le lundi douziesme mars, la dixiesme le mardi
treiziesme mars. Et remarquez qu'en l'article du Promoteur
il n'est fait aucune mention de mille milliers d'anges : à quoy
la Pucolle respond ponctuellement. Et de là peut-on présu-
mer que ledit article a esté autrement proposé qu'il n'est
rédigé par escrit, ainsi que l'on doit juger de plusieurs
autres choses. (lar le procez a esté premièrement fait en
françois, et longtemps après couché en latin par M*' Thomas
de (lourcelles en la forme qu'il est, et l'original fran-
çois supprimé', (^ui est un malin artifice qu'on doit sou-
vent inculquer, considéré que les juges n'ont [pas] délibéré
sur les actes originaux du procez franrois, mais sur d'autres
supposez et falsifiez.
Article XLV
« One par ses inventions et impostures elle a tellement séduit le
peuple catholique, que plusieurs en sa présence l'ont adorée
comme une sainte et actuellement encore l'adorent en son absence,
faisans dire des messes et collectes en son honneur : et davantage,
disent qu'elle est plus grande que tous les saints de Dieu après la
liienheureuse Vierge, mettent et élèvent ses images cl représenta-
tions aux églises des saints, font faire des médailles de plomb et
autre métal à sa représentation, lesquelles ils portent siu- eux,
tout ainsi qu'on a de couslunic faire des saints que l'Eglise a
i. L'orighial franrais n'a pas été suppiimé. du moins tutalement.
puisqu'on trouve plusieurs parties françaises des interrogatoires et du
Réquisitoîre lui-mesme, dans le manuscrit de D'Urio. Mais il a dû être
mis en lieu suret c'est quasi miraculeux qu'une par.ie en soit arrivée
jusqu'à nous. Ce (jue Riclier ajoute, à savoir : « que les juges n'ont pas
délibère sur les actes originaux », doit s'entendre des assesseurs
quant à la minute des interrogatoires.
Les juges véritables, c'est-à-dire l'évr^que de Beauvais et l'inquisiteur
.lean Lemaitre eurent en mains toutes les pièces du procès : les docteurs
de Paris et (iuel(|ues conseillers intimes de P. Cauchon, aussi. Mais les
autres assesseurs n'eurent en main, pour arrêter leur délibération, (jui-
le texte des douze articles envoyés à l'Université de i'aris, articles qui
constituent une des i)ièces principa'es de la cause, mais rédigée de
fa(;on à les induire en erreur.
A ItOUEX. — LE PUOCÈS 39
canonisez; que le peuple a publié et publie qu'elle est messagère
de Dieu, et plus tost un ange qu'une femme. Toutes lesquelles
choses sont grandement pernicieuses en la religion chrestiennc, et
causent de grands scandales au préjudice du salut des âmes. »
LaPucelle respond que pour ce qui est du commencement
de cet article, elle y a satisfait : quant à la conclusion,
qu'elle s'en rapporte à Dieu.
Le Promoteur allègue la séance sixiesme tenue le samedi
troisiesme mars, en laquelle la Pucelle fut interrogée de ce
qui se passa entre elle et le frère Richard en la ville de
Troyes en Cliampagne, et de l'honneur que ceux de son
parti lui rendoient, etc. Toutes lesquelles choses ne la
chargent point, et le susdit article est une pure calomnie.
Article XLVI
« Uuclle s'est témérairement et superbement arrogé le com-
mandement sur les hommes, se faisant chef et capitaine de gens
de guerre, et sur une armée de seize mille hommes où il y avoit
des princes, barons et grand nombre de noblesse qu'elle faisoit
marcher sous elle à la guerre, ne plus ne moins que feroit un
général d'armée. »
Elle respond à cet article, disant qu'elle a satisfait ail-
leurs à ce point d'estre chef de guerre; que si elle l'a esté,
ce a esté atin de battre les Anglois. Pour le regard de la con-
clusion de cet article, s'en rapporte à Nostre Seigneur.
Le Promoteur expose que le vingt-septiesme febvrier,
séance quatriesme, elle a confessé que son Roy, l'ayant
mise en œuvre, lui avoit donné dix ou douze mille hom-
mes, etc.
Article XLVII
« Ayant comme perdu la honte, elle a lousjours conversé parmi
les hommes et refusé de fréquenter parmi les femmes et s'en
servir mesme particulièrement en sa chambre et en ses afl'aires
secrètes : chose qui n'a onques esté veue ni ouye d'une femme
dévole cl pudique. »
40 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
Iteparl que de vérité son gouvernement et service cstoit
par des hommes quant aux affaires de la guerre; toutes fois,
que pour son logis, elle avoit le plus souvent qu elle pouvoit
une femme avec elle. Et quand elle estoit à la guerre, cou-
choit tousjours toute vestue et armée, si elle ne pouvoit
trouver de femme. Que pour la conclusion de l'article, elle
s'en rapportoit à Nostre Seigneur. A tout cela le Promoteur
n'a que contredire.
Article XL VIII
« Qu'elle a grandement abusé des révélations et prophéties
qu'elle feint avoir de Dieu, les convertissant à un luxe et gain
temporel : ayant acquis par le moven dicelles une grande somme
de deniers, et un grand appareil et estât, avec plusieurs officiers,
chevaux, ornemens, et mesme pour ses frères et parens de grans
revenus temporels : àTimitation des faux prophètes lesquels pour
le gain et obtenir la faveur des seigneurs temporels, ont accous-
tumé de publier qu'ils ont des révélations, afin de plaire aux prin-
ces terriens, abusans des oracles divins et atlribuans leurs men-
songes et impostures à Dieu. »
La Pucelle repart avoir autrefois contredit cet article. Et
quant aux dons que son Koy a fait à ses frères, c'est de sa
pure grâce, sans qu'elle l'en aye jamais requis. Pour ce que
le Promoteur l'a chargé en la conclusion de son article
d'avoir abusé de ses révélations tout ainsi que les faux pro-
phètes, dit qu'elle s'en rapporte à Dieu.
Le Promoteur maintient que le samedi, dixiesme mars,
séance septiesme, elle avoit déposé n'avoir onques rien
demandé à son Roy que de bonnes armes, de bons chevaux
et de l'argent pour payer les gens de sa maison ; qu'elle pou-
voit avoir dix ou douze mille francs en valeur, que cela
n'estoit pas un grand trésor pour mener la guerre, etc. ;
qu'elle avoit cinq coursiers, outre des trottiers, et le tout de
l'argent de son Roy. Laquelle déposition ne charge point la
Pucelle : estant chose naturelle que chacun vive de la pro-
fession en laquelle Dieu l'a appelé.
lOUEN. — LE PROCÈS 41
Article XLIX
« Qu'elle s'est maintes fois vantée d'avoir deux conseillers,
qu'elle appelle ses conseillers de la fontaine : lesquels depuis sa
prison sont venus à elle, ainsi que Catherine de la Rochelle a
confessé devant TOfficial de Paris, ayant donné advis que Jeanne
sortiroit de prison par l'entremise du diable, si on ne la gardoit
bien. »
La l'ucelle repart qu'elle se tenoit à ce qu'elle avoit autres
fois déposé sur les faits de cet article. Et pour le regard des
conseillers de la fontaine ne sçait ce que c'est. Croit bien
qu'elle a ouy saintes Catherine et Marguerite auprès de la
fontaine du Beau May. Quant à la conclusion dudit article,
la nie absolument. Et par son serment affirme qu'elle ne
voudroit pas que le diable l'eust fait sortir des prisons.
Enquise si elle cognoissoit Catherine de la Rochelle et si
elle l'avoit vue, respondit que oui, à Jargeau et à Montfau-
con-en-Berry. Interrogée si cette Catherine lui avoit monstre
une Dame vestue de blanc, laquelle cette Catherine disoit lui
apparoir quelques fois, respond que non.
Et le Promoteur expose là-dessus que le samedi troi-
siesme mars, séance sixiesme, la Pucelle fut interrogée du
fait de cette Catherine de La Rochelle et de ce qu'elle disoit
avoir des visions; et qu'elle respondit que ses voix l'avoient
asseuré que tout ce que disoit cette Catherine n'estoit
que badineries et sottises. Voyez cette séance, car elle jus-
tifie la Pucelle.
Article L
« Que le jour de la Xativilé-nostre-Dame Jeanne fit assembler
toute l'armée de son Roy pour assaillir Paris où elle les mena
tous, leur promettant qu'ils le prendraient ce jour-là, et qu'elle le
sçavait par révélation. Tellement qu'elle fit dresser tout l'appareil
qu'elle put pour emporter ladite ville. Ce que toutes fois elle n'a eu
honte de nier en jugement. Pareillement en plusieurs autres lieux,
comme à la ville de La Gharilé-sur-Loire, à Pont-l'Evesque et à
Compiegne, quand elle assaillit l'armée du duc de Bourgogne, elle
promit plusieurs choses, prédisant qu'elles adviendroient, et
42 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉANS
(7u'elle le sçavoit par révélation : néantmoins touL le contraire est
arrive. Toutes lois, elle a nié en jugement avoir fait aucunes pro-
messes ou prédictions, attendu que cela n'a pas réussi selon son
désir. Néantmoins plusieurs personnes dignes de foj tesmoignent
qu'elle a publié et dit que cela adviendroit : et niesme à l'assaut de
Paris que mille milliers d'anges l'a voient assistée et qu'ils estoient
prests de la porter en paradis, si elle fust morte. Et comme on lui
demandoit pourquov sa promesse n'avoit [)as réussi et que Paris
navoit esté pris, vu mesme que plusieurs de l'armée avoient esté
tuez et les autres griefvement blessez, comme aussi elle-mesme,
respondit que Jésus lui avoit manqué de promesse. »
La l'ucelle oppose que pour ce qui est du commencement de
l'ai-ticle elle y a satisfait ailleurs, et que si elle est conseillée
d'y respondre plus amplement, le fera ci-après ; mais que
pour la frn de l'article, que Jésus lui aye manqué, nie abso-
lument en avoir jamais parlé.
Le susdit article est une manifeste imposture forgée par
ses ennemis, lesquels ne l'ont pas servie au procez d'office
duquel doit estre tirée toute la preuve contre la Pucelle, et
non des calomnieuses inductions du Promoteur qui n'allègue
ni lesmoins, ni preuves, ni légitimes informations de son
dire. Et pour réplique à ce que la Pucelle a contredit cet
article, le Promoteur oppose que le samedi iroisiesme mars,
séance sixiesme, elle a confessé avoir fait donner un assaut
à la ville de La Charité, etc. Que le treiziesme mars, séance
dixiesme, elle a déposé avoir esté à l'assaut de Paris et de
Pont l'Evesque, etc. Voyez ces deux séances qui ne chargent
point la Pucelle de tout ce que le Promoteur la veut rendre
coupable. Quant est de la prise de Paris, elle a prédit qu'elle
adviendroit dans sept ans, comme il est arrivé.
Article LI
« Une Jeanne a fait peindre en son ostandart deux anges assis-
tans Dieu qui tient un monde en sa main avec ces deux noms
Jésus Maria, et d'autres peintures; et publie l'avoir fait par le
commandement de Dieu qui lui a révélé cela par les anges et
saintes Catberine et Marguerite. Lequel estandart elle a porté en
l'Eglise de lUieinis auprès de l'autel quand on sacroit son Hoy,
A ROUEN. LE l'ROCIiS 43
voulanl monslrer que son estandart devoit eslre particulièrement
honoré par dessus toutes les autres enseignes : ce qui monstre son
orgueil et vaine gloire. Semblablement, a fait peindre ses armes
auxquelles elle a mis deux lis d'or en champ d'azur, et au milieu
diceux une espée en champ d'argent, avec une poignée, et croisée
d'or ; cette espée ayant la pointe en haut férue d'une couronne
d'or : ce qui semble ressentir son faste et vanité et non pas la
religion, (lar attribuer telles vanités à Uieu et aux anges est contre
la révérence due à IHeu et aux saints. »
[.Jeanne] respontl avoir satisfait à cet article pour ce qui
est de Sun estandart et de la peinture qu'elle y a fait mettre.
Quant au contredit du Promoteur, qu'elle s'en rapporte à
.\otre-Seigneur.
Le Promoteur sur cela allègue par extrait tous les interro-
gatoires qui lui ont esté faits sur sa bannière et les res-
ponscs qu'elle y a faites en la séance quatriesme, sixiesme,
septiesme, quatorziesme et quinziesme, lesquelles justifient
la Pucelîe.
Article LU
" (Jii elle a olVert et fait mettre en l'église Saint-Denis en un
haut lieu les armes qu'elle portoit quand elle alla à l'assaut de
Paris où elle fut blessée; et ce, afin de les faire honorer par le
peuple comme quelques saintes reliques. Auquel lieu elle fit
allumer des chandelles de cire, faisant fondi-e la cire liquéfiée sur
la leste des [)etits enfants, prédisant leur bonne fortune : au
moyen de quoy et par tels sortilèges elle fit plusieurs divina-
Jeannc contredit que pour les armes elle y a satisfait ail-
leurs; et quant aux chandelles allumées et distillées, le nie
absolument. Car c'est encore une manifeste calomnie de
laquelle n'est faite aucune mention au procez d'olfice. Et le
calomniateur n"a que repartir : seulement il parle des armes
que la Pucelle a olîertes à Saint-Denis. Voyez la quatorziesme
séance tenue le dix-septiesme mars. Et remarquez l'iniquité
de ces gens qui controuvent toutes sortes d'impostures pour
rendre criminelle cette lille. Voyez encore ci-dessus l'article
dix-huitiesme et ce que nous y avons remarqué.
44 E. niCHER. — L.\ PUCELLE D ORLÉANS
Article LUI
« Quau grand mespris des commandements et ordonnances de
IKglise, elle a plusieurs fois refusé de jurer en jugement cl de dire
vérité. Au moyen de quoy elle s'est rendue suspecte d'avoir fait
ou dit quelque chose en matière de la foy et de ses révélations
qu'elle n'ose révéler aux juges ecclésiastiques, craignant d'estre
punie, ainsi qu'elle mérite. Ce que mesme elle semble avoir
recognu. ayant allégué devant les juges le commun proverbe,
qu'on est quelquefois pendu pour avoir dit la vérité, leur disant
souventes fois qu'ils ne sauront pas tout, et qu'elle aymeroit mieux
avoir la teste coupée que d'avoir tout déclaré. »
[Jeanne] réplique n'avoir jamais différé de respondre
sinon pour respondre plus asseurément aux choses qu'on
lui demandoit.
Et pour la conclusion du Promoteur, confesse avoir douté
souvent si elle estoit tenue de respondre ; et n'a pris délay
que pour sçavoir si elle devoit dire ce qu'on lui demandoit.
Hue pour le conseil de son Roy, attendu que cela ne touche
point le procez, ne l'a voulu révéler. Et quant au signe
donné à son Roy, elle a fait cette déposition parce que les
gens d'Eglise l'avoient contrainte et condamnée à dire cela.
Notez qu'elle parle de l'ange qu'elle dit avoir apporté une
couronne à son Roy, et que ses juges l'avoient contrainte de
faire la dite déposition allégorique par leurs importuns et
réitérez interrogatoires.
Le Promoteur au contraire propose un extrait de tous les
interrogatoires faits à la Pucelle où elle a décliné et fait diffi-
culté de respondre : comme en la seconde séance, le vingt-
deuxiesme febvrier, en la troisiesme, le vingt-quatriesme
febvrier, en la quatriesme, le vingt-septiesme febvrier, en la
cinquiesme, le premier de mars, et en la huictiesme et neu-
viesme le douziesme mars. De vérité, l'Esveque de Beau-
vais n'estant pas son juge mais son ennemi mortel, ainsi que
l'événement l'a monstre, elle n'estoit obligée ni de droit
ni de fait de respondre devant lui, et par tous moyens pou-
voit décliner.
A ROUEN. LE PUOCES 45
Article LIV
« Oirayant esté advertie de soumettre tous ses faits et dits à la
détermination de l'Eglise militante, et lui ayant esté proposée la
distinction de l'Eglise militante et triomphante, elle a tousjours
respondu qu'elle se soumettoit à l'Eglise triomphante, refusant de
se soumettre à l'Eglise militante, démontrant en cela ne croire
point à cet article de la foy une sainte Eglise catholique, et qu'elle
y erre disant qu'elle est immédiatement subjecte à Dieu, se rap-
portant ;i icelui et aux saints de ses faits, et non au jugement de
l'Eglise. »
Respond qu'elle veut déférer tout l'honneur et révérence
qu'il lui est possible à l'Eglise militante. Mais quant à se
rapportera l'Eglise militante de ses faits, il faut qu'elle s'en
remette à Nostre Seigneur Dieu qui lui a fait faire ce qu'elle
exploite. Enquise si elle se rapporte à l'Eglise militante des
choses qu'elle a faites, réplique : Envoyez-moi samedi pro-
chain un ecclésiastique et je vous respondrai de cela.
Le Promoteur à ce propos allègue tous les interrogatoires
faits à la Pucelle de se soumettre à l'Eglise militante et les
responses qu'elle y a faites, premièrement le quinziesme
mars, séance treiziesme, le samedi dix.-septiesme mars, séance
quatorziesme, etc.
Et d'autant qu'elle avoit promis de répondre samedi pro-
chain, dernierjour de mars, elle fut interrogée si elle se vou-
loit soumettre au jugement de l'Eglise militante de tout ce
qui concernoit son procez. Répliqua qu'elle se soumettroit
volontiers à l'Eglise militanlie pourvu qu'elle ne lui comman-
dast pas] quelque chose d'impossible à faire, c'est à sçavoir
de révoquer ce qu'elle a- fait et dit des révélations qu'elle
maintient avoir eues de la part de Dieu, desquelles est fait
mention en tout le procez; et asseure que pour chose qu'il
lui puisse advenir elle ne les révoquera [pas]. Et pareille-
ment ne cessera pas de faire tout ce que Nostre Seigneur lui
a commandé et commandera, et qu'elle ne le révoquera
pour homme vivant quel qu'il soit, et qu'il lui seroit impos-
sible de révoquer cela, et au cas que l'Eglise lui commandast
de faire quelque chose contre le commandement qu'elle
46 E. RICHER. — LA l'fCELLE D ORLÉANS
dit avoir de la part de Dieu, qu'elle ne le feroit point, quoi
qu'il en dust arriver.
On lui demande, au cas que l'Eglise militante déclare que
ses révélations sont diaboliques, superstitions ou choses
mauvaises, si elle s'en rapportera et croira le jugement de
l'Eglise. Réplique qu'elle se rapporte à Dieu duquel elle fera
tousjours le commandement; et srait bien que tout ce qu'elle
a déposé au procez touchant ses révélations vient de la part
de Dieu. Qu'il lui seroit impossible de faire au contraire de
ce qui est contenu au dit procez qu'elle dit avoir fait par le
couimandement de Dieu, au cas que l'Eglise militante vou-
lust qu'elle fist le contraire ; et de cela ne s'en peut rapporter
à aucun homme du monde sinon à Dieu seul, duquel elle gar-
dera tousjours les bons préceptes.
Enquise si elle ne croit pas estre subjecte à l'Eglise qui
est en terre, c'est à sçavoir à nostre saint père le Pape, aux
Cardinaux, Archevesques, Evesques et autres prélats do
l'Eglise. Respond que oui, mais pourvu que Nostre Seigneur
soit le premier servi.
Interrogée si elle a commandement de ses voix de ne se
point soumettre à l'P^glise militante qui est en terre ni à son
jugement, repart qu'elle ne respond point de sa propre teste,
mais que ce qu'elle a respond u est par le commandement de
ses voix, et qu'elles ne lui commandent pas de ne point
obéir à l'Eglise, pourvu que Dieu soit premièrement servi.
Le mercredi dix-huitiesme avril, on lui remonstra à cause
de l'infirmité qu'elle disoit avoir — parce qu'elle estoit grief-
vement malade, — que tant plus elle craignoit pour sa vie
corporelle, d'autant plus elle devoit estre soigneuse d'amen-
der sa vie, et qu'elle ne jouiroit pas des droits de l'Eglise si
elle ne se sousmettoit à l'Eglise. Respondit : Si mon corps
meurt en la prison, je m'attends que vous le ferez mettre en
terre sainte; que si vous ne le faites, je^m'en rapporte à
Nostre Seigneur Dieu.
Le mesnie jour, ayani requis que l'Eglise lui donnast
le saint sacrement de l'Eucharistie, on lui demande si elle se
vouloit soumettre à l'Eglise et qu'on lui promettoit do lui
donner le saint sacrement. Répliqua qu'elle ne respond roi t
A ROUEN. — LE PROCES 47
autre chose que ce qu'elle avoit dit : qu'elle aymc Dieu, et le
sert, et est bonne chrestienne, et voudroit ayder et soutenir
l'Eglise de tout son pouvoir.
ADVERÏISSEMENT
Ce qu'elle dit se vouloir sousmettre à l'Eglise militante
pourvu que Nostre Seigneur soit premièrement servi, est
conforme à ce que les Pères et docteurs enseignent, expli-
quant le passage de saint Mathieu, 23 : « Les Scribes et les
l*harisiens sont assis sur la chaire de Moïse », et qu'on leur
doibt obéir pourveu qu'ils enseignent selon que la loy de Dieu
ordonne, et non de leur propre teste, ainsi que la glose
porte sur le xvii" chapitre du Dentéronome, verset 18,
« Remarque, dit la glose : on ne dit pas que tu obéisses,
sinon qu'ils enseignent conformément à la loy de Dieu. » Et
pour cette cause Nostre Seigneur a dit que les Scribes et
Pharisiens estoient assis sur la chaire de Moyse. Et par la
chaire de Moyse, les Pères entendent la doctrine de Moyse,
dit Maldonat sur le xxiii" chapitre de saint Mathieu. Et est ne
plus ne moins que si « Nostre Seigneur commandoit tout ce
que les Scribes et les Pharisiens vous enseigneront, confor-
mément à la loy et à ce que Moyse enseigne, gardez-le et le
faites », disent 3Ialdonat et Jansenius.
* Article XLV
« Que Jeanne s'efforce de scandaliser le peuple qu'elle séduit
afin qu'il croye fermement cà tout ce qu'elle dit et dira, s'arro-
geant l'autorité de Dieu et des Anges et s'élevant par dessus toute
puissance ecclésiastique pour tirer les hommes à son erreur,
comme ont accoustumé faire les faux prophètes, introduisans des
sectes d'erreur et de perdition, se séparant de l'unité du corps de
l'Eglise, ce qui est très pernicieux en la religion chrestienne. Et si
les prélats de l'Eglise n'y pourvoyoient, cela subvertiroit toute
l'autorité de l'Eglise, pour ce que de toutes paris se trouvera des
hommes et des femmes qui feindront avoir des révélations de la
part de Dieu et des anges, sèmeront des mensonges et erreurs,
ainsi que l'on a dcsja expérimenté en plusieurs lieux, depuis que
48 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
cette femme a commencé de scandaliser le peuple chrestien et
publier ses fantaisies. »
La Pucelle responci que samedi prochain elle contredira
cet article.
Article LVI
« Qu'elle ne craint pas de mentir en jugement, violant son
propre serment, ayant déposé plusieurs choses de ses révélations
qui sont contraires et répugnent les unes aux autres ; donnant
des mnlédictions contre les seigneurs et personnes notables et
contre une nation entière, proférant sans honte plusieurs moque
ries et choses ridicules qui ne peuvent convenir à une femme
sainte : ce qui fait cognoistre qu'elle est gouvernée et régie par les
esprits malins en toutes ses affaires, et non par le conseil de Dieu
et de ses anges, ainsi qu'elle se vante : Nostre Seigneur ayant dit
des faux prophètes qu'on les cognoistroit par leurs fruits, c'est-è-
dire par leurs œuvres. »
La Pucelle employa ce qu'elle avoit autres fois déclaré tou-
chant les faits contenus en cet article. Et quant à la conclu-
sion d'icelui, s'en rapportoit à Nostre-Seigneur.
Le Promoteur allègue pour preuve que le vingt-septiesme
febvrier, séance quatriesme, elle confesse que depuis Lagny
elle avoit porté l'espée d'un Bourguignon à Compiègne, pour
ce qu'elle estoit bonne pour la guerre et propre à de bonnes
buffes et de bons torchons. Et respondit que de leur dire où
elle avoit laissé cette espée, cela n'estoit pas du procez et n'y
respondroit [pas] présentement. Iteyn, que le jeudi premier de
mars, cinquiesme séance, recognut quelle fust morte,
n'estoit sa révélation qui la confortoit. Interrogée si saint
Michel a des cheveux, respondit : Pourquoy les lui eust-on
coupez? et qu'elle ne l'avoit vu depuis qu'elle partit du
chasteau du Crotoy et ne l'avoit pas vu souventes fois.
N'est-ce pas la un grand crime? La Pucelle ne les reco-
gnoissant pour juges ni de droit ni de fait, a pu légitimement
déclarer leurs interrogatoires importuns, niesme n'estant
[pas] du procez, ainsi qu'elle leur dit. Au demeurant, ce
qu'elle dépose ne pas veoir souvent saint xMichel, c'est à
A ROUEN. — LE l'ROCES 49
comparaison de saintes Catherine et Marguerite que Dieu lui
avoit données pour conseil ordinaire de sa conduite, saint
Michel l'aj^ant preniièrenient advertie de suivre leur direc-
tion, ainsi qu'elle a déclaré en la séance treiziesme.
Article LVII
«Qu'elle se \anle sravoir que Dieu lui avoit pardonné le péché
qu'elle avoit commis par désespoir, à la suscitation du malin
esprit, quand elle se précipita du haut de la tour de Beaurevoir.
Et toutes fois, lEscriture nous enseigne que personne ne sçait
s'il est digne d'amour ou de haine, et conséquemment s'il est net
et justifié de son péché. »
La Pucelle réplique avoir assez respondu en ce point et
qu'elle emploie ladite response : que pour la conclusion,
elle s'en remet à Nostre-Seigneur. Certes, les responses que
la Pucelle leur a faites sur divers interrogatoires qu'ils lui
ont faits touchant qu'elle avoit sauté du haut de la tour de
Beaurevoir, si elle estoit en péché mortel, et asseurée de
son salut, et autres choses semhlables, servent de bons et
suffisans contredits à cet article. Outre qu'on peut maintenir
ceux qui sont gouvernez par une loy particulière estre
exempts de la loy commune. Voyez la séance quatriesme et
VAdvei'lissement.
Article L.VIII
» Quelle a souventes fois dit avoir prié Dieu qu'il lui
cnvojast une révélation expresse des choses qu'elle avoit à faire,
par les anges et saintes Catherine et Marguerite : comme si elle ne
devoit [pasj respondre en jugement la vérité des choses qu'on lui
deniandoit de ses affaires propres et particulières, après avoir
premièrement emplové le jugement et perquisition humaine qui lui
est possible; et principalement en ce qu'elle a sauté de cette tour,
en quoyelle semble avoir manifestement tenté Dieu. »
.Jeanne déclare avoir autres fois respondu à cet article, et
qu'elle ne veut pas dire ce qui lui a esté révélé sans avoir
permission de Dieu, et qu'elle n'implore pas le secours de
Dieu sans nécessité, ainsi qu'il est supposé en cet article. Et
4
uU K. UICHEK. LA PUCELLlî D ORLEANS
voudroil bien que Dieu la visitast encore plus souvent, afin
de faire mieux cognoistre qu'elle est venue de sa part et qu'il
l'a envoyée. Par laquelle responseelle donne assez à cognois-
tre que ce n'est pas sans nécessité qu'elle fait prière à Dieu
de lui donner conseil, estant extrêmement travaillée par ses
ennemis depuis un an qu'elle estoit prisonnière, et encore
les fers aux pieds depuis quatre ou cinq mois, ayant grand
besoin de consolation. \ oyez V AdveiHisseinent sur la seconde
séance.
Article LIX
« Que plusieurs choses susdites répugnent totalement au droit
divin, évangélique, canonique, civil, et aux statuts des Conciles
généraux approuvez : qu'aucunes aussi ressentent formellement la
sorcelerie et les divinations, et d'autres les superstitions, et d'au-
tres l'hérésie et erreurs en la foy, et plusieurs d'icelles induisent à
favoriser l'hérésie ; et les autres tendent à sédition, pour troubler
et empescher la paix, et à espandre le sang humain; et d'autres
ressentent les malédictions et blasphèmes contre Dieu et ses
saints, offensans mesme les oreilles pieuses des hommes. En
toutes lesquelles choses, la susdite criminelle, par l'instinct témé-
raire du diable, offense griefvement Dieu et sa sainte Eglise; à
l'endroit de laquelle elle a excédé, péché et causé un grand scan-
dale, estant notoirement diffamée de toutes ces choses, et consé-
queniment doit être corrigée et chastiée par vous autres, messieurs
les juges de l'Eglise. »
La Pucelle oppose qu'elle est bonne chrestienne, et que de
toutes les charges contenues en cet article elle s'en rapporte
à Nostre Seigneur.
Article LX
« Quelle a commis et perpétré toutes les choses susdites, les a
récitées, dogmatisées, publiées et exéquutées par effet, tant en
votre juridiction qu'en plusieurs et divers autres lieux de ce
royaume, non pas une seule fois, mais plusieurs, en divers temps,
jours et heures, et y est rechue, ayant donné conseil, faveur et
ayde à ceux qui les ont commises et perpétrées. »
La Pucelle nie absolument cet article.
A UOUEX. LE PnOCES M
Article LXI
« Que tant par la renommée publique que par les informations
et enquesles faites sur toutes lesdites choses, les oreilles des juges
ajans esté plusieurs fois rebattues de ce que ladite Jeanne estoil
coupable et criminelle de tant de forfaits, ils auroient ordonné
qu'on feroit enquestes et informations sur lesdites choses, et qu'elle
sçroit citée pour respondre sur lesdits faits dont elle estoit diffa-
mée. »
La Pucelle repart que cet article regarde les juges. Au
reste, il est très faux qu'il y ait jamais eu aucunes informa-
tions faites sur la prétendue infamie des choses alléguées
par Iç Promoteur; et conséquemment l'Evesquede Beauvais,
selon le style de la cour de Rome, n"a dû ni pu procéder
contre la Pucelle, ainsi auemaistre Jean Lohier, auditeur de
Rote, lui remonstra.
Article LXII
.( Qu'elle est grandement suspecte, scandalisée et diffamée à
l'endroit de plusieurs gens de bien et de grans personnages de tous
les crimes susdits. Desquels toutes fois elle n"a pas encore esté
corrigée ni aucunement amendée. Mesme a différé et diffère,
refusé et refuse de s'en corriger et amender, continuant et persévé-
rant aux dites erreurs, nonobstant quelle ayt esté plusieurs fois
charitablement, et par autre voje suffisamment advertie par nota-
bles ecclésiastiques et autres honnestes personnes, mesme sommée
et interpellée de s'en abstenir. »
La Pucelle contredit quelle n'a jamais fait ni commis les
crimes desquels le Promoteur l'accuse, et que de tout le reste
elle s'en rapporte à Nostre Seigneur : et ne pense point avoir
onques commis aucun des crimes proposez contre elle, ni fait
aucune chose contre la foy chrestienne.
Oii lui demande, supposé qu'elle eust fait quelque chose
contre la foy chrestienne, si en cela elle vouloit se sous-
mettre à l'Eglise et à ceux à qui il appartenait de corriger
telles fautes. Réplique qu'elle respondra samedi prochain
après midi à cet interrogatoire.
Au parsus, la Pucelle n'a onques esté diffamée que par
52 K. ItICHEn. — I.A l'UCELLE D ORLEANS
ceux du parti anglois; et les ennemis mortels ne doivent
estre crus, et beaucoup moins peuvent-ils estre juges.
Article LXIII
(' Que toutes les choses susdites et chacune d'icelles sont vérita-
bles, notoires, manifestes, et qu'elle en est publiquement dilïa-
.mée, ayant recognu et confessé plusieui's fois suffisamment en
présence de gens de bien et dignes de foy, tant en jugement
qu'ailleurs, icelles choses estre véritables. »
La Pucelle nie absolument tout cet article, excepté les
choses qu'elle a confessées et recognues pour véritables.
Article LXIV
Et le promoteur conclud à ce que sur les susdites accusations et
autres choses que les juges pourront mieux suppléer, corriger et
réformer par leur prudence, etc., la Pucelle soit interrogée et
condamnée, implorant humblement l'office des juges sur cela, etc. »
[interrogatoire du S.\.MEDI suivant, 31 MARS, DANS LA
PRISON ET ACTES SUBSÉQUENTS]
Le samedi immédiatement suivant, derniers mars, veille
de Pasques, la Pucelle est interrogée par l'Evesque de Beau-
vais, premièrement si elle se veut rapporter au jugement de
l'Eglise qui est en terre, de tout ce qu'elle a fait et dit, soit
bien ou mal, et particulièrement des cas, crimes et délits
qu'on lui impute, et généralement de tout ce qui touche son
procez.
iNous avons rapporté, à l'article XLIV les réponses de la
Pucelle aux questions qui lui furent posées. On y ajousta
cette dernière :
Si au chasteau de Beaurevoir, à Arras ou autre part elle
avoit des limes. Kespond que si elles ont esté trouvées sur
elle, elle n'a que leur respondre de cela.
Après cela, l'Evesque de Beauvais et ses assesseurs se
retirèrent pour aviser au reste de ce qui estoit k faire en ce
procez.
A ROUEN. — LE PROCES 53
Lundi suivant immédiatement, second jour d'avril 1431,
après Pasques, et le mardi et mercredi suivants, l'Evesquc
de Beauvais assisté de ses conseillers qu'il avoit assemblez,
visitèrent et revirent les susdits articles proposés 'par le Pro-
moteur et les responses de la Pucelle sur iceux. Desquels ils
firent un extrait rédigé en douze articles comprenans som-
mairement les propositions et responses tirées de la pro-
duction du Promoteur, afin d'estre envoyez ça et là à plu-
sieurs doctes hommes versez tant en' droit divin qu'hu-
main, pour avoir leur advis sur iceux en faveur de la foy,
ainsi qu'ils parlent : lesquels douze articles ne contiennent
rien de vérité, car ce sont toutes impostures et calomnies,
violemment et calomnieusement détorquées des dépositions
de la Pucelle. et beaucoup plus encore que n'estoient les
articles du Promoteur. Au reste, on recognoit combien
l'Evesque de Beauvais désiroit ardemment la condamnation
de cette fille, ayant travaillé à son procez les festes de Pas-
ques, sans aucune intermission. 3Iaistre Thomas de Cour-
celles a déposé en la revision du procez que maistre Nicolas
Midi, docteur en théologie, avoit fait les susdits douze arti-
cles, lesquels n'ont jamais esté lus ni proposez à la Pucelle,
et conséquemment ne sont d'aucune considération, n'ayant
pas esté contredits, comme il estoit nécessaire.
QIATRIESME PARTIE
LES DOUZE AUTICLES
Le jeudi suivant, cinquiesme avril, semaine de Pasques,
l'Evesque de Beauvais et frère Jean jMagistri, sutTragant de
l'Inquisiteur de la foy, donnent un mandement libellé par
lequel ils requièrent tels et tels, sans nommer personne par
son nom, etc., et les prient instamment en faveur de la
foy :
De donner par escrit et sous leur sceau un conseil salu-
taire sur les propositions suivantes contenues et déclarées
aux douze articles ci après mentionnez : à sçavoir. si toutes
choses bien et mûrement considérées et conférées ensemble,,
et toutes lesdites propositions ou parties d'icelles sont con-
traires à la foy, ou suspectes, et contre la sainte Escriture,
détermination de la sainte Eglise romaine, des docteurs
approuvez de l'Eglise, contre les constitutions canoniques,
scandaleuses, téméraires, trou-blant le repos public, inju-
rieuses, remplies de crimes, contraires aux bonnes mœurs ou
les blessant griefvement, etc.
Fait le jeudi cinquiesme avril après Pasques, l'an de
Nostre Seigneur. 1431.
Ensuit la teneur desdites propositions.
I
« Une certaine femme dit qu'environ l'âge de treize
ans elle a veu de ses yeux corporels saint Michel qui la con-
soloit, et quelquefois aussi saint Gabriel lui apparoissans en
face corporelle. Et depuis aussi, que saintes Catherine et
A ROUKN. r>E PROCF-S ; 0
Marguerite se sont présentées à elle et les a pareillement
veues corporellement. Plus, les voit chacun jour et entend
leurs voix : asseure qu'elle les a quelquefois embrassées et
baisées, les touchant sensiblement et corporellement. Qu'elle
a veu seulement les chefs de ces Anges et saintes ; quant aux
autres parties dicelles ou de leurs veslements. n'en a rien
voulu dire .
Que saintes Catherine et Marguerite ont quelquefois parlé
à elle auprès d'une fontaine et d'un certain grand arbre
communément appelé l'Arbre des fées. Et la commune
renommée est qu'auprès de cet arbre et fontaine mesdames
les fées fréquentent, et que plusieurs ayant la fièvre vont vers
ledit arbre et fontaine pour recouvrer leur santé : encore
que cet arbre et fontaine soient situez en lieu profane, auquel
cette femme a plusieurs fois honoré et fait la révérence aux
susdites saintes.
Confesse pareillement que lesdites saintes lui apparoissent
et se montrent à elle couronnées de belles, riches et pré-
cieuses couronnes. Que depuis le temps qu'elles se sont
manifestées à elle, lui ont déclaré de la part de Dieu quelle
allast à un certain prince temporel lui promettre que par son
entremise, secours et labeur, il recouvreroit par armes un
grand Estât temporel et honneur mondain, et remporteroit
la victoire sur ses ennemis. Et qu'il falloit que ce prince la
recust et lui baillast des armes et une armée pour mettre à
exécution lesdites choses.
Que les susdites saintes ont commandé à cette femme de
la part de Dieu de prendre et de porter un habillement
d homme qu'elle a tousjours porté et qu'elle porte, et
persévère en telle sorte d'obéir et satisfaire à ce com-
mandement; qu'elle a maintenu aimer mieux mourir que
de quitter cet habit, disant aucune fois simplement cela
et d'autres fois, si ce n'estoit du commandement de Dieu.
Outre plus, a mieux aymé ne pas aller à la messe et estre
privée de la sainte communion le propre jour de Pasques,
56 lî. lïlCHER. LA PUCICLLE D ORLEANS
auquel l'Eglise ordonne qu'on recevra la sainte communion,
que de prendre un habillement de femme et quitter celui
d'homme.
Que ces saintes l'ont aydée et favorisée en ce que, au desceu
et contre la volonté de ses parens, ayant dix-sept ans ou
environ, elle seroiL partie de la maison de son père, accom-
pagnée d'une multitude de gens armez, conversant jour et
nuit avec eux, et n'ayant jamais ou rarement avec soy une
femme. Que ces saintes lui ont commandé plusieurs choses
à raison desquelles elle maintient estre envoyée du Dieu du
ciel et de l'Eglise des saints victorieux qui jouissent de la
vie éternelle, auxquels elle sousmet tout ce qu'elle a bien
fait : et a refusé de se sousmettre à l'Eglise militante, ores
qu'elle en ayt esté maintes fois requise et advertie; disant
qu'il lui est impossible de . faire le contraire des choses
qu'elle a dit et a maintenu en son procez avoir fait parle
commandement de Dieu, et que desdites choses ne s'en veut
rapporter au jugement d'aucun homme vivant, mais de Dieu
seulement.
Que ces saintes ont révélé à cette femme qu'elle sera
sauvée en la gloire des bienheureux et ira en paradis, pourvu
qu'elle garde sa virginité, laquelle elle b'urvoua la première
fois qu'elle les vit et entendit : et à raison desquelles révé-
lations elle soustient estre asseurée de son salut ne plus
ne moins que si elle estoit desja au royaume des cieux. »
II
« Item, dépose que le signe au moyen duquel le prince
auquel elle estoit envoyée s'est déterminé à croire ce
qu'elle lui disoit de ses révélations, et de la recevoir pour
faire la guet-re, a esté que saint Michel, accompagné de plu-
sieurs autres anges, est venu aborder ce prince : desquels
anges aucuns avoient des ailes et les autres des couronnes,
et avec eux estoi'^nt saintes (Catherine et Marguerite.
A ROUEN. LE PROCES 57
Et asseure que cet Ange a fait un long chemin par l'esca-
lier et par la chambre de ce prince, cette femme estant avec
lui, les autres anges et saintes leur faisant compagnie; et
qu'ils apportèrent une couronne très précieuse d'or très pur
au mesme prince, laquelle couronne l'Ange lui donna ; et
que cet Ange fit la révérence à ce prince.
Plus, a dit une fois que quand ce prince receut ce signe,
elle pense qu'il esloit lors tout seul, encore qu'il y eut plu-
sieurs personnes auprès de lui ; et une autre fois a déposé
qu'elle croit cette couronne avoir esté mise entre les mains
d'un Archevesque et icelui l'avoir donnée à ce prince
en présence de plusieurs seigneurs temporels qui l'ont
veue. »
II
« Cette femme confesse avoir cognu et estre bien certaine
que celui qui la visite est saint Michel, à cause du bon con-
seil, consolation, confort et instruction qu'il lui donne, et
qu'il lui a dit son nom, l'asseurant qu'il estoit saint Michel.
Et semblablement qu'elle cognoist saintes Catherine et Mar-
guerite et les distingue l'une d'avec l'autre, parce qu'elles se
nomment et la saluent. Dit qu'elle croit estre saint Michel
qui lui apparoist, et ce qu'il lui dit et ce qu'il fait estre bon
et véritable ; [elle le croit] aussi fermement qu'elle croit
Xostre Seigneur Jesuchrist avoir souffert mort et passion pour
nostre salut et rédemption. »
IV
« Maintient et asseure qu'elle est certaine d'aucunes
choses futures du tout contingentes, et qu'elles advi^n-
dront : et en estre aussi certaine que des choses mesmes
qu'elle veoit actuellement devant soy. Et se vante d'avoir eu
et avoir la cognoissance de certaines choses occultes par
o8 E. RICHER. L\ PUCELLK UOULKANS
révélations qui lui ont esté faites verbalement par saintes
Catherine et Marguerite, comme qu'elle seroit délivrée de
prison, que les Français feront en sa compagnie le plus beau
fait de guerre qui ayt onqucs esté fait en toute la chres-
tienté. Dit aussi avoir cognu certains hommes qu'elle n'avoit
jamais cognus ni veus auparavant, sans qu'aucun les lui eust
montrés : et qu'elle a révélé et monstre une certaine cspée
qui estoit cachée en terre. »
« Dit et confesse que par commandement de Dieu et son
bon plaisir, elle a pris, porté, porte et vest ^revêt] continuel-
lement un habillement d'homme. Et, davantage, asseure
qu'ayant eu commandement de Dieu de porter un tel habit,
il falloit qu'elle prist un pourpoint, un chapeau, un gippon,
des chausses h braies avec des éguillettes, et qu'elle fist
tondre ses cheveux en rond, ne laissant rien sur son corps
qui puisse montrer qu'elle soit femme. Asseure avoir plu-
sieurs fois receu la sainte communion, portant cet habille-
ment sans vouloir prendre un habillement de femme, encore
qu'orrl'en aye plusieurs fois charitablement requise, et pro-
teste qu'elle aymeroit mieux mourir que de quitter cet habil-
lement d'homme, ajoustant aucunes fois, sinon par le com-
mandement de Dieu.
Dit que si elle estoit en habit d'homme entre ceux de son
parti pour qui elle a porté les armes, et qu'elle continuast de
faire comme elle faisoit, auparavant sa captivité et sa prison,
que cela seroit une des plus grandes choses qui pourraient
arriver à tout le royaume de France. Asseure que pour aucune
chose du monde ne voudroit faire serment de ne plus porter cet
habillement d'homme ni les armes. Et en toutes les choses
susdites soutient avoir bien fait et bien faire, obéissant à Dieu
et à ses commandements. »
A ROUEN. — LE PROCÈS 59
vr
'( Confesse et recognoist avoir fait escrire plusieurs lettres
esquelles elle faisoit mettre ces deux noms Jésus Maria avec
le signe de la croix : et qu'aucunes fois elle faisoit une croix
pour monstrer à celui auquel elle escrivoit ne vouloir pas
qu'on fist ce qu'elle escrivoit en ces lettres. En d'autres elle
a fait escrire qu'elle feroit tuer ceux qui n'obéiroient pas à
ses lettres et advertissemens, et qu'on verroit aux bons coups
et horions qui auroit meilleur droit du Roy du ciel. Et sou-
ventes fois allègue qu'elle n'a rien fait sinon par révélation
et commandement de Dieu. »
VII
« Dit et confesse qu'estant en l'âge de dix-sept ans ou
environ, de son plein gré et par révélation, comme elle
asseure, avoir eslé trouver un gentilhomme, lequel elle
n'avoit jamais veu, laissant la maison de son père contre la
volonté de ses parcns qui pensèrent perdre l'esprit, ayans
entendu qu'elle s'en estoit allée; et avoir requis ce gentil-
homme qu'il la menast ou la fist mener au prince dont a esté
parlé auparavant. Que ce gentilhomme chef de guerre donna
à cette femme un habillement d'homme et une espée à sa
requeste, et un gentilhomme avec quatre serviteurs pour la
conduire. Lesquels estant arrivez devant ce prince, cette
femme lui dit qu'elle vouloit mener la guerre contre ses
ennemis et lui promit de le mettre et rendre paisible [pos-
sesseur] d'un grand Estât, et de surmonter ses ennemis,
disant que le Dieu du ciel l'avoit envoyéeji ces fins. Et main-
tient en toutes ces choses n'avoir que bien fait et du com-
mandement de Dieu. »
60 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉANS
V[II
« llecognoist et confesse que d'elle-mesme, sans estre pco-
voquée ni contrainte par aucun, elle s'est précipitée d'une
très haute tour, aymant mieux mourir que destre livrée
entre les mains de ses ennemis et de survivre après la ruine
de la ville de Gompiègne. Disant aussi n'avoir pu éviter
qu'elle ne se précipitast. El toutes fois que saintes Catherine
et Marguerite lui avoient expressément deffendu de se préci-
piter ; lesquelles néantmoins oiïenses maintient estre un
grand péché, et sçavoir bien que ce péché lui a esté par-
donné après s'en estre confessée, et qu'elle en a eu révé-
lation. »
IX
« Asseure que saintes Catherine et Marguerite lui ont pro-
mis de la mener en paradis, pourvu quelle garde bien sa
virginité tant de l'ame que du corps qu'elle dit leur avoir
vouée ; et estre aussi certaine d'aller en paradis que si pré-
sentement elle estoit desja avec les bienheureux. Et qu'elle
ne pense avoir fait jamais les œuvres de péché mortel : et
que si elle estoit en péché mortel, saintes Catherine et Mar-
guerite, comme il lui semble, ne la visiteroient [pas| chacun
jour, ainsi qu'elles font. »
X
« Maintient et asseure que Dieu ayme certains viateurs '
[hommes vivants] qu'elle nomme, et mesme plus qu'il ne
l'ayme elle-mesme; et sravoir cela par révélation de saintes
Catherine et Marguerite qui parlent souvent à elle en langue
1. Viateurs. c.-ii-d. homines in via, par opposition à hoinines in 1er
mino salutis.
A ROUEN. — LE PHOCÈS 61
françoise, non angloise, attendu qu'elles ne sont Lpas] du
parti anglois ; et depuis qu'elle a sceu par révélation que ses
voix estoient pour le susdit prince, n'a point aymé les
Bourguignons. »
XI
(' A dit et confessé qu'elle a fait plusieurs fois la révérence
aux esprits susdits qu'elle appelle Michel, Gabriel, Cathe-
rine et Marguerite, se descouvrant la teste, fléchissant les
g'enoux, baisant la terre par où ils ont passé et leur vouant
sa virginité ; embrassant quelquefois les mesmes Catherine
et Marguerite, les baisant et touchant corporellement et sen-
siblement, leur demandant conseil et ayde, les invoquant
aucunes fois, ores qu'ils la visitent souvent sans qu'elle
les invoque, et qu'elle obéit et acquiesce à tous leurs conseils
et commandements. Et dès le commencement y acquiesça
sans en demander conseil à père, ni à mère, ni à son curé, ni
à quelque autre prélat ou ecclésiastique.
Au reste, croit que les voix et révélations qu'elle a par le
moyen de ces saints et saintes viennent de Dieu et par son
ordon-nance, aussi ferm'ement qu'elle croit la foy chrestienne
et que Nostre Seigneur Jesuchrist a soulïert mort et passion
pour nous.
Adjouste encore que si un malin esprit après lui apparois-
soitet qu'il feignist estre saint Michel, elle cognoistroit bien
si ce seroit saint Michel ou non. Outre, dit que sans avoir esté
induite ni poussée par aucuns, elle fit serment à saintes
Catherine et Marguerite qui se manifestoient à elle, de ne
point révéler le signe de la couronne qui devoit estre donnée
à ce prince auquel elle estoit envoyée ; et finalement a dit :
sinon qu'elle eust permission de le révéler. «
XII
« Plus, dit et confesse que si l'Eglise vouloit qu'elle fist
02 E. lUCHER. LA PL'CELLE D ORLEANS
quelque chose contraire au commandement qu'elle prétend
lui avoir esté fait de Dieu, qu'elle ne le feroit pour quelqiie
chose que ce soit : asseurant qu'elle s<;ait bien que ce qu'elle
a déposé au procez vient par l'ordonnance de Dieu, et qu'il
lui seroit impossible de faire au contraire. Et de tout cela ne
s'en veut rapportera l'Eglise militante, ni à quelque homme
du monde que ce soit, mais seulement à Dieu duquel elle
fera tousjours les commandements, principalement quant à
ses révélations et à la matière d'icelles et de tout ce qu'elle
dit avoir fait par révélation.
Maintient, davantage, que les responses qu'elle fait ne pro-
viennent pas de sa teste, mais du conseil et précepte que ses
voix lui donnent. Encore qu'on ait plusieurs fois déclaré à
cette femme l'article de la foy touchant la créance que cha-
cun est tenu d'avoir, qu'il y a une sainte Eglise catholique,
et qu'on lui ait remonstré que tous fidèles chrestiens sont
obligez d'y obéir et de sousmettre tous leurs dits et faits à
l'Eglise militante, principalement aux matières de la foy, et
qui concernent la doctrine sacrée et les constitutions ecclé-
siastiques ^ ».
Advertissement sur lesdits douze articles.
Ces articles sont calomnieusement couchez et n'ont aucune
conformité avec la vérité des responses de la Pucelle articu-
lées au procez d'office, lesquelles responses portent leurs
1. Les douze articles ont été frappés d'une flétrissure spéciale par
les juges de 1456. « Extrait corrompu, dolosif, calomnieux des aveux
de la Pucelle », ils arrêtèrent qu'ils seraient « lacérés judiciaire-
ment ». Pour se rendre compte du bien fondé de celte sentence, il
faut voir le tableau que L'Avordy, dans sa Notice sur le procès, a
dressé du texte de ces articles. Ce tableau est à quatre colonnes. L'une
donne le texte latin des articles, la deuxième la traduction française,
la troisième les qualilicaLions de l'Université de Paris, la quatrième les
observations auxquelles ces trois colonnes donnent lieu.
L'ensemble a pris 40 pages petit in-i".
Voir Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi.
t. III, p. 58-98, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et
Belles-lettres.
A ROUEN. — LE PllOCÈS 63
justes excuses partout. Car, pour exemple, le premier article
représente la Pucelle comme quelque lille rodant parmi les
gens de guerre, ne plus ne moins que si à la première appa-
rition de ses voix elle eust couru après Baudricour, là où
par sa déposition apparoist qu'elle a esté cinq ans entiers à
combattre et résister, disant qu'elle estoit une pauvre fille
qui ne sravoit aller à cheval ni faire la guerre, ni à qui
s'adresser. Et fut tellement pressée qu'elle ne pouvoit demeu-
rer on places, ayant esté jusques par trois diverses fois à
Vaucouleur, et mesme y fut une fois trois semaines entières;
le curé estant venu à elle avec une estole pour l'exorciser,
ainsi que son hostesse a déposé en la revision du procez, et
en a esté fait mention au premier livre.
Davantage, ayant déposé qu'elle estoit envoyée du Roy du
ciel, ils lui font dire qu'elle est envoyée du Dieu du ciel: qui
est une manière de parler des idolâtres, lesquels imaginoient
qu'il y avoit un Dieu des montagnes et un des vallées, un du
ciel et un autre de la terre, etc. Plus, attendu qu'elle avoit
confessé que la cause pour laquelle le Roy s'estoit déterminé
à lui adjouster foy estoit parce quelle lui avoit révélé un
signe de ses propres faits, et ayant protesté qu'elle avoit fait
serment de ne jamais révéler ce signe, ils détorquent cela à
une autre déposition, [celle] de la couronne qu'elle avoit
confessé avoir esté apportée au Roy par l'ange saint Michel,
qui sont toutes malignes chicaneries. Gomme pareillement
ce qu'ils lui imputent qu'elle a absolument préféré de por-
ter un habillement d'homme à communier lejour de Pasques :
sur quoy le lecteur verra l'advertissement sur la quator-
ziesme séance.
.Sil est loisible de faire comparaison des choses humaines
aux divines, proportion gardée, certes lEvesque de Beauvais
en ces prétendus articles a imité les Juifs, ennemis de Nostre
Seigneur, qui l'accusèrent et le firent mourir sous prétexte
qu'il se disoit absolument leur Roy, sans adjouster aucunes
circonstances et qualités de la royauté de Jésus-Christ, lequel'
Ci E. niCHER. — LA l'UCELLE DORLÉAXS
esloit venu au monde pour racheter les âmes de son précieux
sang et leur donner la jouissance d'un royaume tout spiri-
tuel. Cependant Pilate, président en la province, le con-
damna comme voulant empiéter l'Estat de César. Et depuis,
sous ce mesme prétexte, on a fait le procez aux apùtres et à
plusieurs martyrs. Que si l'accusation des Juifs eust esté
nuement proposée et envoyée (;a et là à diverses personnes
ainsi que l'Evesque de Beauvais a envoyé ses prétendus
articles, il n'y a aucun homme qui n'eust jugé que Jésus
Christ eust voulu remuer l'Estat et ne l'eust condamné comme
renversant l'ordre politique et perturbateur du repos
public.
Ce qui nous apprend que les chefs d'accusation contre
quelqu'un doivent estre considérez avec toutes leurs circons-
tances et responses des accusez. Et par ainsi ces articles et les
délibérations intervenues sur iceux, sont de nulle considéra-
tion, quoy que l'Evesque les aye fait register avec ostentation,
pensant par une telle multitude d'hommes partiaux, ennemis
de leur Roy et de leur patrie, couvrir l'inimitié morteUe
qu'il portoit à la Pucelle, ou plus tost à son prince naturel,
au déshonneur et détriment duquel l'Anglois faisoit faire le
procez à cette fille et l'avoit achetée à cet efïet.
Et [il] n'importe de dire que ces délibérations n'ont esté
données que doctrinalement, c'est-à-dire en fait de doctrine,
pour ce qu'elles sont données sur de faux faits et calomnies
recherchées à dessein de faire mourir la Pucelle.
Et n'est de raison ni de justice qu'aucuns opinent en quel-
que procez que ce soit, sinon qu'il ayent assisté à tout le pro-
cez et délibérations, et principalementen matière criminelle.
Ne faut encore omettre que l'Evesque a ordonné que ceux qui
délibéreront sur les divers articles, envoyeront leurs opinions
scellées et cachetées, à dessein de ne s'en pas servir au cas
qu'elles répugnassent à sa conspiration. Et plusieurs ont
tesmoigné qu'il avoit malmené aucuns desdits délibérans pour
avoir allégué les canons et contrevenu à ce qu'il demandoit.
A nOUEN:. LE- PROCES
[Délibérations sur les douze articles.
Or, le jeudi douziesine avril 1431 après l'asques, opinèrent
premièrement sur ces articles les conseillers et assesseurs
ordinaires de l'Evesque de Beauvais assemblez pour cet effet,
qui avoienl assisté et assistoient au procez, sravoir Erard
Emengart, présidant à cette délibération comme plus ancien
docteur, Jean Beaupère, Guillaume le Boucher, Jacques de
Turonia ou de Touraine, Nicolas 3Iidi qui a dressé lesdits
articles, Pierre de Migetio (Migiet), prieur de Longueville,
Maurice du Chesne, Jean de Nibat, Pierre de Houdenc, Jean
Fabri, Pierre Maurice, l'abbé de Mortemer, Gérard Feuillet,
Richard des Prés et Jean Charpentier, tous docteurs- en théo-
logie; Guillaume Haiton, Nicolas Couppequesne, Ysambert
de la Roche et Thomas de Gourcelles, bacheliers en théologie,
disans sur lesdits articles que :
« Attendu la qualité de la personne, ses faits et dits, et
les moyens des apparitions et révélations et autres circons-
tances exprimées èsdits articles et contenues au procez, le
tout conféré et rapporté l'un avec l'autre, bien pesé et'exa-
miné, que toutes les dites apparitions et révélations que cette
femme publie et se vante avoir de la part de Dieu par l'en-
tremise des Anges et saintes, sont au contraire plus tost
pures fictions humainement con trouvées, ou qui procèdent
des esprits malins, et que cette femme na eu aucun signe
valable ni suffisant pour debvoir adjouster foy et cognoistre
telles révélations. Que les susdits articles contiennent plu-
sieurs menteries et choses feintes à plaisir, et que cette
femme a cru de trop léger. Y a pareillement des divinations
superstitieuses, des faits scandaleux et irreligieux, dits et
assertions téméraires, présomptueuses, pleines de jactance
et vanterie, des blasphèmes contre Dieu et les saints, et une
impiété à l'endroit de ses propres parens, et aucunes choses
qui ne s'accordent "pas] avec le précepte de la dilection du
5
66 E. RICHER. — LA l'LCELLE D ORLÉANS
prochain el qui ressentent l'idolâtrie, et outre tendent à faire
schisme, sentent mal de l'unité, autorité et puissance de
l'Eglise, et sont grandement suspectes d'hérésie. Quant à ce
qu'elle tient que ceux qui lui apparaissent sont saint Michel,
saintes Catherine et Marguerite, et que les choses qu'ils lui
disent sont bonnes, et outre asseure croire cela aussi ferme-
ment que la foy chrestienne, on la doit tenir pour suspecte
d'erreur en matière de foy. Car si elle prétend que les arti-
cles de la foy ne doivent estre crus ni tenus plus fermement
que les saints qui lui ont apparu sont saint Michel, saintes
Catherine et Marguerite, et que tout ce qu'elles lui disent est
bon, elle erre en la foy. Plus, asseurant avoir fait par exprès
commandement de Dieu tout ce qui est couché et porté en
l'articlecinquiesme avec le contenu du premier article, sça-
voir qu'elle a bien fait, ne recevant [pas] le sacrement de
l'Eucharistie au temps ordonné de l'Eglise, ensemble tout ce
qui est couché ci-dessus aux dits articles, cela est un grand
blasphème contre Dieu et contre la foy. »
Et voilà en somme la résolution des Docteurs et autres sus-
nommez assesseurs de l'Evesque de Beauvais intervenue sur
ces douze articles, et non sur les dépositions de la Pucelle
contenues au procez. Laquelle résolution, ensemble les dits
douze articles, est une tablature d'iniquité dressée par
l'Evesque de Beauvais pour estre envoyée tant à l'Université
de Paris qu'à plusieurs autres particuliers qui ont donné
leur ad vis sur ces prétendus articles, conformément à la réso-
lution qui leur a servi de préjugé et de tablature. Et quant à
ce qu'ils maintiennent que la Pucelle n'a eu aucun signe
Valable et suffisant pour adjouter foy à ses révélations, nous
avons desmontré le contraire par les règles que les théolo-
giens ont establies pour l'examen et discrétion des esprits,
sur la fin du premier livre de cette histoire.
&7
[Maistres et assesseurs dont les délibérations ont été
envoyées à part'].
Or, ensuivent les noms des opinants, soavoir, maistres
Denis Gastinel, licencie' es droits, Jean Basset, licencié en
droit canon et officiai de Rouen, Gilles, abbé de Fécamp,
docteur en théologie, lesquels ont suivi en tout et partout la
délibération des dits assesseurs et conseillers de l'Evesque de
Beauvais ci-tlessus allégués, comme pareillement maistre
Jacques Guesdon, cordelier, docteur en théologie, maistre
Jacques Maugier, chanoine de Rouen et licencié en droit
canon, maistre Jean Brûlot, licencié en droit canon et chan-
tre de l'église de Rouen, maistre Nicolas de Venderès, licen-
cié en droit canon et archidiacre d'Eu, maistre Gilles Des-
champs, licencié en droit civil, chancelier et chanoine de
l'église de Rouen, maistre Nicolas Caval, licencié en droit
civil, chanoine de Rouen, maistre Robert Barbier, licencié
en droit canon et chanoine de l'église de Rouen, maistre
Jean de Lespée, licencié en droit civil, chanoine de l'église
de Rouen, maistre Jean Hulot de Chastillon, archidiacre et
chanoine de l'église d'Evreux, maistre Jean de Bonesgue,
docteur en théologie, aumosnier de l'abbaye de Fécamp,
maistre Jean Garin, docteur en décret, le chapitre de l'église
de Rouen assemblé en corps, maistre Aubert Morel et Jean
de (Juemino, licenciez en droit canon, advocats en l'officia-
lité de Rouen, onze avocats de la cour séculière de Rouen,
messires Philibert de Coutances, monsieur l'Evesque de
Lisieux, messires Nicolas de Gemeticis et Guillaume de Gor-
neliis, abbez et docteurs en décret, maistres Raoul Roussel,
docteur en droit, maistres Pierre Minier, Jean Pigache et
1. Les maîtres et docteurs dont les noms suivent ci-après ne souscri-
virent pas une même et coiumunc délibération, mais cliacun formula
la sienne, aboutissant en somme au même résultat que la délibération
rapportée plus haut. E. Biclier a jugé inutile de reproduire ces délibé-
rations particulières. On les trouvera dans J. QuicuEnAr. Procès, t. I,
p. 341-374.
68 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLKANS
Richard de Grouchel, bacheliers en théologie, maistre Raoul
Silvestre, bachelier en théologie.
[18 avril. — Exhortation charitable à la Pucelle malade,
dans sa prison '.]
Le mercredi dix-huitiesme avril 1431, l'Evesque de Beau-
vais déclare qu'ayant vu les susdites délibérations contenans
les griefs et grands deffauts contenus aux réponses de Jeanne,
et que si elle ne les corrigeoit, elle s'exposoit à de grans
périls, pour ces causes il a estimé estre à propos de la Aiire
doucement et charitablement admonester par plusieurs gens
de bien et doctes personnages, tant docteurs qu'autres, afin
do la mettre et réduire à la voye de vérité et sincère profes-
sion de nostre foy ; et que, pour cette cause, [il] s'est trans-
porté à la prison assisté de Guillaume Boucher, Jacques de
Touraine, Maurice du Ghesne, Nicolas Midi, Guillaume Ade-
lée, etc., et en leur présence parla en cette sorte à la dite
Jeanne qui disoit estre malade, lui resmontrant que plusieurs
personnes doctes avoient diligemment examiné ses responses
et dépositions, et y avoient remarqué plusieurs choses gran-
dement périlleuses en la foy. Et d'autant qu'elle estoit une
femme qui n'avoit point de lettres et ignoroit les saintes
Escritures, il lui offroit donner des hommes doctes et sça-
vants, et gens de grande probité, afin de l'instruire duement
de ce qu'elle avoit à faire pour le salut de son àme. Que si
elle-mesme en pouvoit eslire aucuns, qu'elle les nommast, etc.
Au reste, qu'ils estoient tous ecclésiastiques et volontaire-
ment désiroient son salut, et faire tout ce qu'il leur seroit
- possible pour elle. Que l'Eglise en semblables choses ne
1. K. Richer ne donne pas de détails sur la maladie ([ui menaea les
jours de la Pucelle dans les premiers jours daviil. 11 se borne à la
nacntionner dans l'avertissement dont il fait suivre le résumé de
l'exhortation charitable, et à rappeler les instructions données aux
mwlecins par le comte de Warwick.
A ROUEN. — LE PROCÈS 69
ferme jamais son sein à ceux qui retournent finalement à
elle, etc.
La Pucelle respond qu'elle les remercioit des bons adver-
tissements qu'ils lui donnoient pour son salut, disant qu'at-
tendu sa grande infirmité, il lui sembloit estre en péril de
mort. Que si Dieu vouloit faire son plaisir d'elle, elle les
prioit de permettre qu'elle fust confessée, et pust recevoir le
saint sacrement de l'Eucharistie, et estre inhumée en terre
sainte.
On lui remonstra que si elle vouloit recevoir les sacrements
de l'Eglise, il falloit comme bonne catholique qu'elle se
confessast; et pareillement se sousmist au jugement de
l'Eglise ; que persévérant en son opinion de ne pas se
sousmettre à l'Eglise, on ne lui pouvoit administrer les
sacrements qu'elle demandoit, excepté le sacrement de péni-
tence qu'on estoit près de lui conférer.
Elle répliqua ne leur pouvoir respondre autre chose.
On lui dit lors que plus elle craignoit de sa vie corporelle
à cause de l'infirmité qui la travailloit, d'autant plus debvoit-
elle amender sa vie, et qu'elle ne jouiroit pas des droits de
l'Eglise, si elle ne se sousmettoit à l'Eglise.
Répliqua, si son corps mouroit en prison, quelle s'atten-
doit qu'ils le feroient mettre en terre sainte; que si ne le fai-
soient, elle s'en rapportoit à Dieu.
On lui remonstra encore qu'elle avoit déposé autres fois
en son procez que si elle avoit dit ou fait quelque chose qui
fust contre la foy chrestienne ordonnée de Dieu, elle ne le
voudroit soustenir.
Repartit qu'elle se rapportoit aux réponses qu'elle avoit
fait sur cela et à Nostre Seigneur.
Et parce qu'elle asseuroit avoir plusieurs révélations de la
part de Dieu faites par saint Michel et saintes Catherines et
Marguerite, on lui demanda s'il venoit quelque bonne
créature qui asseurast avoir des révélations de la part de
Dieu touchant ses faits, si elle lui voudroit adjouster foy.
70 E. RTCHER. — L.\ PUCELf-E D ORLEANS
Maintient qu'il n'y avoit chrestien au monde, s'il venoit
à elle et disoit avoir des révélations, qu'elle ne sceust bien
cognoistre s'il diroit la vérité ou non, et qu'elle srauroit cela
par le moyen de saintes Catherine et Marguerite.
Interrogée si elle imagine que Dieu puisse révéler quelque
chose à une bonne créature qui soit incognue à elle qui res-
pond, elle repartit qu'il est bon de sravoir que oui, mais
qu'elle ne crôiroit à aucun homme ni femme sans avoir au
préalable quelque signe.
On lui demande si elle croit que la sainte Escriture soit révé-
lée de Dieu à son Eglise. Répliqua : Vous scavez bien qu'il
est bon de savoir que oui.
Elle fut sommée, exhortée et requise de prendre un bon
conseil des ecclésiastiques et notables docteurs et de les
croire pour le salut de son âme. Et lui demanda-t-on de-
rechef si elle vouloit sousmettre ses faits à l'Eglise mili-
tante.
llespondit linalement, quoy qu'il lui dust arriver, qu'elle
ne diroit autre chose que ce qu'elle avoit déposé au pro-
cez, etc.
On lui dit que si elle ne se sousmettoit à l'Eglise, elle
seroit abandonnée comme une sarrazine et mescréante.
Repartit qu'elle estoit bonne chrestienne, et avoit esté
bien baptisée, et qu'elle mourroit en bonne chrestienne.
On lui demande, puisquelle désire que l'Eglise lui admi-
nistre le sacrement de l'Eucharistie, si elle veut se sousmettre
à l'Eglise militante, et qu'on lui permettroit de communier.
Réplique que pour cette submission elle ne respondra autre
chose, et qu'elle ayme Dieu, le sert, est bonne chrestienne
et voudroit de tout son pouvoir ayder et soutenir l'Eglise.
On l'interroge si elle vouloit (ju'on ordonnas! une belle et
notable procession pour la réduire à un bon estai, au cas
qu'elle n'y fust.
Respond qu'elle veut bien que l'Eglise et les catholiques
prient pour elle.
A ROUEN'. — LE l'HOCES
Advertissement.
Pendant que la Pucelle fut malade en la prison, les Anglois
esloient en extrême crainte qu'elle ne mourust. De sorte que
maistre Guillaume de la Chambre, docteur en médecine, a
déposé à la revision du procez, que le cardinal de Winthon
(de Winchester) et le comte de Warwic l'envoyèrent quérir
avec maistre (Juillaume Desjardins, aussi docteur en méde-
cine, pour ce qu'ils traitoient la Pucelle en sa maladie, et
que le comte de Warvic leur dit nommément qu'ils prissent
bien garde qu'elle ne mourust de sa mort naturelle, et qu'il
ne la falloit pas saigner, si possible : elle se feroit mourir si
on lui ouvroit la veine. Que le Roy d'Angleterre ne voudroit
pour chose du monde qu'elle mourust de sa mort naturelle,
qu'il l'avoit bien chèrement achetée et la vouloit faire brus-
1er. Chose que l'Evesque de Beauvais sçavait bien, et pour
cette cause travailloit si ardemment à son procez sans lui
donner aucune relasche, mesme après une si grande mala-
die.
[2 mai. — Admonition publique dans une salle du Château
de Rouen]
Le vendredi, second jour de may, l'an 1431, l'Evesque se
transporta en la prison avec ses assesseurs et conseillers, la
Pucelle ayant recouvré sa santé, et députa maistre Jean de
Chastillon, docteur en théologie, archidiacre d'Evreux,
pour l'admonester : à raison de quoy elle fut amenée devant
l'Evesque ^.
Et toutes les exhortations qui lui furent faites ne tendoient qu'à
linduire à se sousmeltre à l'Eglise militante, ensemble tous ses
\. Celte admonition fut très solennelle. Le» deux juges. Pierre Cau-
clion et le vice-inquisiteur, présidaient assis sur le tribunal. Les asses-
seurs étaient au nombre de .soi.vante-trois. L'admonition eut lieu, non
dans la prison de la Pucelle, mais dans une des salles du château
royal.
/2 E. UICHEU. LA PUCELLE D OULEANS
faits et dits. Et lui fut expliqué [ce] que c'tfstoit que l'Eglise mili-
tante, et quel pouvoir et autorité elle avoit de IJieu ; que tous les
chrestiens estoient tenus de s'y sousmettre, conrorméineai à cet
article du symbole, Je crois une sainte Eglise catholique, qui est
toujours régie du saint Esprit et ne peut errer ni deiïaillir, etc.
Que plusieurs docteurs avoient veu et diligemment examiné ses dé-
positions et responses touchant les révélations quelle disoit avoir ;
qu'on avoit conféré avec les ecclésiastiques et autres personnages
qualifiez de son parti touchant la couronne qu'elle disoit avoir
esté apportée à son Roy par un Ange, lesquels tenoient cela pour
un manifeste mensonge ; comme pareillement plusieurs autres
siennes dépositions. Que c'estoit chose bien périlleuse de s'estimer
digne de pareilles apparitions et révélations, et de mentir en ce
qui appartient à Dieu et à la religion, et de rechercher les choses
qui sont au-dessus de sa capacité. Qu'à l'aison de ces fictions et
révélations supposées, elle s'estoit précipitée en plusieurs autres
ci'imes, comme de vouloir presdire les choses futures qui sont
cognues à Dieu seul, etc.
A quoy elle respondit selon sa coutume ordinaire, à sçavoir
qu'elle croyait bien que l'Eglise militante ne pouvoit errer ni
deffaillir, mais que pour le regard de ses faits et dits, elle s'en
rapportoit totalement à Dieu qui lui avoit fait faire tout ce
qu'elle avoit fait, auquel elle se sousmettoit comme à son créateur,
etc.
On lui demanda si elle vouloit dire qu'elle n'eust aucun juge
en terre, et si elle ne recognoissoit pas nostre saint père le Pape
pour juge. Répliqua ne leur pouvoir dire autre chose décela, et
qu'elle avoit un bon maistre, à sçavoir Dieu, auquel elle se com-
mettoit et résignoit du tout.
On lui dit que si elle ne vouloit croire à l'Eglise et à cet article
du symbole, une sainte Eglise catholique, elle estoit hérétique,
soustenant cela, et seroit bruslée par d'autres juges. Respondit
qu'elle ne leur diroit autre chose : et si elle voyoit du feu, quelle
persisteroit constamment en cet advis et ne feroit autre chose.
Interrogée si le saint Concile général, nostre saint père le Pape,
les cardinaux et autres prélats de l'Eglise estoient ici présents,
elle se voudroit sousmettre à eux, dit qu'ils n'auroient autre chose
d'elle.
Enquise si elle se vouloit sousmettre à nostre saint père le Pape,
respondit : Mcnez-moy à lui et je lui respondroy. Et ne voulut
rien dire autre chose.
On lui fait plusieurs interrogatoires sur l'hai)illement d'homme
A UUUKN. LK l'UUCES 7$
qu'elle portoit. A quoy respondit comme elle avoit fait au procez-
d'office, et dit notamment qu'après qu'elle auroit fait ce pour quoy
elle estoit envoyée de la part de Dieu, elle prendroit un habit de
femme, etc.
S'enquièrent, quand saintes Catherine et Marguerite viennent à
elle, si elle tait le signe de la croix. Respond, oui aucunes fois, et
d'autres fois non.
Enquise si elle se vouloit rapporter à l'archevesque de Rheims,
et au mareschal de Boussac, à Charles de Bourbon, au sieur de La
Trémoille,à La Hire et autres auxquels elle a dit avoir monstre cette
couronne dont a esté parlé ci-devant, et qu'ils estoient présents
lorsque l'Ange l'apporta à celui qu'elle appelle son Roy; laquelle
couronne fut mise entre les mains de l'archevesque de Rheims ; ou
bien si elle veut se rapporter à quelques autres de son parti qui
escriront sous leui's scellezs la vérité de ce fait : requit qu'on lui
donnast un messager et qu'elle leur escriroit de tout le procez; et
ne voulut autrement les croire ni s'en rapporter à eux.
Quant à ce qu'on lui disoit touchant la présomption de prédire
des choses futures contingentes, etc., répliqua qu'elle s'en rappor-
toit à son juge nostre seigneur Dieu et à ce qu'elle avoit autres
fois déposé, qui estoit escrit au livre de son procez.
Interrogée si l'on envoyoil trois ou quatre ecclésiastiques de son
parti qui viendront sous un sauf-conduit, [sij elle se voudroit
rapporter à eux touchnnl ses apparitions et autres choses conte-
nues en ce procez : demanda qu'on les fist venir et qu'elle respon-
droit api'ès, et autremout ne se voulut rapporter ni sousmettre à
eux de ce procez.
On lui demanda si elle se vouloit sousmettre à l'église de Poi-
tiers où elle avoit esté examinée. Répliqua : Croyez-vous me
prendre et tirer à vous de cette manière ?
Pour conclusion et d'abondant, elle fut de nouveau générale-
ment advertie de se sousmettre à l'Eglise sous peine d'estre aban-
donnée de l'Eglise. Ce qui arrivant, elle seroit en grand péril pour
son corps et pour son amc, se mettant en danger d'être bruslée
éternellement, quant à son ame, et temporellement quant à son
corps par d'autres juges ^
Elle repartit qu'ils ne feroiçnt pas ce qu'ils disoient contre elle
que mal ne leur en arrivast tant en leurs corps qu'en leurs âmes.
On lui dit qu'elle allé.uast quelque cause pourquoy elle ne se
1. Par les juges séruliers auxquels elle serait abandonnée.
/4 E. RICHEU. — L\ PUCELLE D OP.LEANS
vouloil rapporlcr i\ l'Eglise. Sur t[uoy ne voulut faire aucune res-
ponse, encore que plusieurs docleurs l'exhortassent de sesousmettre
à l'Eglise universelle militante, à nostre saint père le Pape el au
sacré Concile général.
Ce que l'Evesque voyant, il dit à la Pucelle qu'elle prit bien
garde à elle et fist son profit des charitables adverlisseraents
qu'on lui faisoit. Et après cela se retira, et la Pucelle fut ramenée
en la prison.
Âdvertissement.
L'Evesque de Beauvais continue tousjours à faire de cap-
tieux interrogatoires surpassant la capacité de cette lillc,
mesnie durant sa maladie, sçavoir de se.sousmettre à l'Eglise
militante et au (Concile général, qui est à dire au clergé du
parti anglois. Pour le regard du Saint-Père, voilà pour la
seconde fois qu'elle a demandé d'estre menée à lui : h quoy
nulle response.
Frère Isambert de la Roche, l'un des assesseurs de l'Evesque
de Beauvais, qui assista au procez, a tesmoigné que quand on
interrogea la Pucelle de se sousmettre à l'Eglise, qu'elle
n'enlendoit point que cela voulust dire autre chose sinon
qu'elle se sousmist aux ecclésiastiques du parti anglois
qu'elle voyoit devant elle assemblez pour la condamner, et
qu'elle dist nommément à l'Evesque de Beauvais qu'elle ne
se vouloit sousmettre à eux, et principalement h lui ; qu'ils
estoient ses ennemis mortels. Que lui qui parle, voyant la
perplexité où estoit celte fille, lui ayant remonstré qu'elle
pouvoit se soumettre au Concile général de Bùle, auquel y
auroit plusieurs prélats et docteurs du parti de son Roy,
l'Evesque entendant cela dit à lui déposant : Taisez-vous de
par le diable; et que pour cette mesme cause il fut grande-
ment menacé par le comte de Warwic : que la Pucelle
«'estant lors sousmise au Pape, et (luillaume Manchon, pre-
mier notaire, ayant denrandi^ à l'Evesque s'il feroit registre
dtvcette submission, l'Evesque respondit qu'il n'estoit néces-
saire, et qu'alors Jeanne repartit : « Vous escrivez bien ce
qui fnil contre moy, et ne voulez pas qu'on escrive ce qui fait
pour moi ! » A raison de quoy on fit un grand murmure da-ns
l'assemblée.
One, depuis, ayant encore esté plusieurs fois interrogée de
se sousmettre à l'Eglise, finalement maistre Pierre Maurice,
docteur en théologie, voyant qu'elle n'entendoit pas cej que
c'estoit de se sousmettre à l'Eglise, il lui dit bien particuliè-
rement qu'il y avoit une Eglise triomphante et une militante,
et que celle-ci comprenoit le Pape, les cardinaux, archeves-
ques, évesques et autres prélats auxquels elle se delîvoit et
pouvoit asseurément sousmettre; et qu'alors elle dit qu'elle
se sousmettroit au Pape, qu'on la menast à lui, et continua
tousjours en cette résolution jusques au dernier soupir. De
quoy l'Evesque de Beauvais n'a tenu compte, et mesme n'a
permis qu'on en fist registre que par basions rompus et au
désavantage de la Pucelle.
Or, touchant ce qu'ils lui demandent, si elle veut se sous-
mettre à rP2glise de Poitiers où elle a esté examinée, ou bien
se rapporter à ceux de son parti, c'est une pure moquerie
qui ne tendoit qu'à la surprendre, ainsi qu'elle-mesme l'a
recognu. (larpour effectuer canoniquement leur proposition,
il eust fallu revoir tout le procez avec ceux de Poitiers et
entendre parler cette fille, ce que les Anglois n'avoient garde
de permettre. Aussi respond-elle qu'ils lui donnent un mes-
sager, qu'elle leur rescriroit de tout le procez, etc. Dit encore :
<c Pensez-vous me prendre et tirer à vous par cette ma-
nière? » Quant à l'ange saint Michel qui a apporté une cou-
ronne à son Roy, etc., sur quoy ils l'interrogeut derechef,
nous avons dit ailleurs que c'est une allégorie du sacre et
couronnement du Roy, et que les allégories sont les formes
ordinaires desquelles usent ceux qui sont douez de l'esprit
de prophétie; et que la Pucelle estant la messagère de Dieu
et instruite par saint Michel, elle a dit que c'estoit saint
Michel mesme qui avoit apporté cette couronne, etc. Voyez
VAdvej-lissement su?' la dixiesme séance.
ih ii.^ RICHEU. LA PUCELLE D OULEANS
IX et XII mai. — On délibère si on ne soumettra pas la Pucelle
à la torture .
Or, ne restant plus autre chose à l'Evesque de Beauvais
pour ruer son dernier coup que la censure de l'Université de
Paris sur les douze articles registrez ci-devant, et l'attendant
en grande dévotion, voulant gagner le temps, il faisoit faire
de petits interrogatoires à la Pucelle. C'est ainsi que le mer-
credi rieufviesme may 1431, il se transporta en la grosse
tour du chasteau de Rouen et, assisté de son conseil, fit ame-
ner devant soy la Pucelle, et lui fut dit que si elle ne confes-
soit la vérité touchant plusieurs points contenus en son pro-
cez, on lui donneroit la question et qu'on avoit fait préparer
pour cela en ladite tour toutes choses nécessaires. Et lui
fit-on voir les officiers qui estoient prests de la mettre à la
torture pour la ramener à la voye et cognoissance de la
vérité, afin de sauver son corps et son àme; que par ses sub-
terfuges et menteries elle s'exposoit à de grans périls.
Elle respondit que si on la debvoit mettre en quartier et la
faire mourir, elle ne leur confesseroit autre chose. Que si
elle leur disoit maintenant le contraire de ce qu'elle avoit
déposé, après elle se rétracteroit et diroit qu'on l'auroit con-
trainte par les tourments de dire ce qu'elle auroit dit. Clause
bien notable, vu les menaces d'estre bruslée toute vive qu'on
lui a faites souventes fois pour l'intimider.
Elle déposa que tout nouvellement, le jour de sainte Croix,
troisiesme de may, elle eut une grande consolation de saint
Gabriel, et qu'elle croit que ce soit lui-mesme, que ses voix
l'en ont duement asseurée. Auxquelles elle a demandé con-
seil sur ce que les gens d'Eglise la pressoient tant de se sous-
mettre h l'Eglise, et qu'elles lui ont dit, si elle veut estre
aydée et assistée de Dieu, qu'elle se rapporte à lui de tout ce
qu'elle a fait et exploité, vu qu'elle sçait bien que Dieu a
tousjours esté le maistre de toutes ses actions, et que le diable
A ROUEN. LE PROCES 77
n'y avoit jamais eu aucune part ni pouvoir. A recognu
avoir nommément demandé à ses voix si elle seroit bruslée :
qu'elles lui ont respondu qu'elle s'attende à Dieu qui lui
aydera.
On lui demande si elle veut se rapporter à l'archevesque
de Rheims touchant cette couronne qu'elle maintient lui
avoir esté consignée entre mains. Requit qu'on le fist venir
et par après qu'elle leur respondroit, et qu'il n'oseroitdire le
contraire de ce qu'elle leur avoit déclaré.
Ce que considéré, l'Evesque remonstre qu'attendu son
obstination et craignant de ne rien profiter par la géhenne
et tourmens, il avoit sursis de [les] lui faire appliquer, atten-
dant qu'il eust este plus amplement conseillé sur ce fait-là.
Et le samedi suivant douziesme may, il conclut qu'elle ne
seroit [pas] mise à la question. La cause estoit que les Anglois
craignoient qu'elle ne retombast malade et ne mourust entre
les mains des gens d'Eglise.
Aussi bien avoit-elle protesté, au cas qu'ils lui donnassent
la géhenne [torture] pour la contraindre de déposer le con-
traire de ce qu'elle avoit confessé au procez, qu'elle maintien-
droit avoir esté contrainte par les tourmens de se desdire. Ce
qui montre assez ce qu'on doit tenir de la rétractation qu'ils
lui ont fait faire sur peine d'estre bruslée toute vive, et de ce
qu'elle s'est rétractée, et par après a finalement persévéré et
constamment enduré la mort pour rendre tesmoignage de la
vérité de sa mission.
[XIX mai. — Lecture solennelle de la response de l'Université
de Paris et de ses lettres au Roy d'Angleterre].
Le samedi dix-neufviesme may 1431, l'Evesque assembla
tout son conseil ' en la chapelle du chasteau de Rouen, et
déclara avoir depuis un long temps receu les délibérations
\. Les assesseurs présents furent au nombre de cinquante.
j8 E. niCIIEU. LA PUCELLE D ORLEANS
et opinions de plusieurs personnes et docteurs notables en
très grands nombre sur les faits de cette femme contenus
aux dits douze articles; et veu que les susdites délibérations
fussent suffisantes pour procéder à la sentence définitive de
ce procez, néantmoins que pour rendre et déférer l'honneur
du à sa mère l'Université de Paris, et afin de tirer plus
d'éclaircissement sur cette matière, pour la seureté de leurs
consciences et édification du monde, il avoit envoyé ces douze
articles, ensemble les délibérations susdites intervenues sur
icelles, à l'Université de Paris, afin d'avoir son advis sur le
tout, et principalement des Facultez de théologie et de
décret^. Que l'Université de Paris lui avoit envoyé sa censure
doctrinale en bonne et due forme, ayant ratifié et approuvé
en corps la censure des facultez de théologie et de décret, et
en outre envoyé le tout au Roy d'Angleterre avec les lettres
franroises qui ensuivent :
[Lettres de l'Université de Paris]
« A très excellent, très haulL et très puissant prince, le Roy de
France et d'Angleterre, noslre très redoublé elsouverain seigneur.
« Très excellent prince, nostre très redoublé et souverain sei-
gneur et père, voslreroialle Excellence sur toutes choses doibt estre
soigneusement appliquée à conserver Ihonneur, révérence et gloire
de la divine majesté et de la saincle foy catholique entièrement, en
faisant extirper erreurs, faulses doctrines et toutes autres offenses
contraires. En ce continuant, vostre nom en toutes ces affaires
trouvera par effect, ayde, secours et prospéiilé, par grâce haullaine
avec granl accroissement de vostre hauit renom. Aianl à ce consi-
dération, voslre très hàulle magnificence (la mercy souveraine) a
moult bonne œuvre commencé touchant noslre saincle foy; cesl à
assavoir le procez judiciaire contre celle femme que on nomme la
Pucellc, et ses escandes [scandales], faulles cl offenses aussi.
•1. C'était dans la seconde moitié d'avril ([ue les douze articles
avaient été portés avec d'autres pièces du pi-ocès à 1" Université de
Paris par maîtres Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi
et Gérard Feuillet. (P^-ocès, 1. 1, p. 407).
A ROUEX. LE PUOCKS 79
comme manifestes en tout ce royaume, dont nous avons escrit par
plusieurs fois la forme et manière. Duquel procez nous avons sceu
et aussi le contenu et démené d'icellui par les lettres ;\ nous
baillées et la relation faite de par vostre excellence en nostre assem-
blée solennelle par nos supposts très honorez et révérens maistres
.lehan Beaupère, Jacques de Touraine et Nicole Midj, maistres et
docteurs en théologie. Et lesquels aussy nous ont donné et relaté
responce sur les aultres poins dont ils estoient chargiez. Et en
vérité, ouye icelle relation et bien considérée, il nous a semblé
au faict dicelle femme avoir esté tenue grande gravité, saincte et
juste manière de procéder, et dont chacun doibt estre bien content.
Et de toutes ces choses nous rendons grâces très humblement k
icelle Majesté souveraine premièrement: et en après à vostre très
liauUe noblesse, de humbles et loiales affeccions; et finallement à
tous ceux qui, pour la révérence divine, ont mis leur peine, labeur,
diligence en ceste matière au bien d'icelle nostre saincte foy.
Mais, au surplus, nostre très redoubté Seigneur, selon ce que par
nos dictes lettres et par iceulx maistres révérens vous a plu nous
mander, enjoindre et requérir. Nous, après plusieurs convocacions,
grandes et menues délibérations sur les poins, assertions et ar-
ticles qui baillez et exposez nous ont esté, et sommes tousjours
prestsnous emploier entièrement en toute matière touchant direc-
tement nostre dicte foy, comme aussy nostre profession le veut ex-
pressément, et de tout temps lavons monstre de tous nos pouvoirs.
Et si aulcune chose restoit sur ce à dire et exposer de par nous,
iceulx honorez et révérens maistres qui de présent retournent par
devers vostre noble haultesse, et lesquels ont été présens a nos
dictes délibérations, pourront plus amplement déclarer, exposer et
dire selon icelle nostre intention tout ce qu'il appartiendra : aux-
quels il plaira à vostre magnificence adjouter foy en ce que dict
est pour cette fois de par nous, et iceulx avoir singulièrement re-
commandez. Car véritablement ils ont faict es choses dessus dictes
très grande diligence par sainctes et entières affeccions, sans épar-
gner leurs peines, persones et facultez, et sans avoir regart aux
grans et éminents périls qui sont es chemins notoirement. Et
aussy par le moyen de leurs grandes sapiences ordonnées et dis-
crètes prudences, cette matière a esté et sera, se Dieu plaist, con-
duicte jusques en fin sagement, sainctement et raisonnablement.
Toutefois, finalement, nous supplions humblement à vostre excel-
lente haultesse que très diligemment cette matière soit par justice
menée à fin briefvement. Car en vérité la longueur et dilation est
très périlleuse, et si est très nécessaire sur ce notable et grande
^0 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
réparalion, à ce que le peuple qui par icelle femme a esté moult
scandalisé, soit réduict a bonne et saincte doctrine et crédulité.
Tout à lexaltalion et intégrité de nostre dicte foy, et à la louange
d'icelle éternelle divinité, que vostre excellence veuille maintenir
par sa grâce prospérité jusques en gloire perdurable.
« Escript à Paris en nostre congregacion solennellement célé-
brée à sainct Bernard, le quatorzième jour du mois de may. mil
quatre cens trente et un. Vostre très humble fille. lUniversité
de Paris. »
Signé : Hkbert.
Ces lettres adressées au Roy d'Angleterre nous apprennent
que ce prince avoit rescrit à l'Université de Paris et fait
envoyer un extrait du procez; comme pareillement il appert
par autres lettres de la dite Université couchées en latin de
mesmejour et an, adressées à l'Evesque de Beauvais^ qui est
extollé jusques au ciel pour avoir si dignement et diligem-
ment travaillé à ce procez, et davantage instamment prié d'y
mettre la dernière main, jusques à condigne réparation, à
ce que la Majesté divine soit apaisée, que la vérité de la foy
catholique demeure en son entier, que le venin qui s'est
presque espandu par toute la bergerie chrestienne de l'Eglise
occidentale, soit mis et exposé en évidence et estoulTé, et
que les scandales espandus parmi le peuple cessent : à celte
fin que quand le Prince des Pasteurs apparoistra, il récom-
pense d'une éternelle et glorieuse couronne ce digne pré-
lat.
Vostre très , le Recteur et Université de l'estude de
Paris.
Signé : Hébert.
■ L'acte de l'Université énonce qu'elle s'est assemblée aux
Bernardins le vingt-neufviesme avril 1431 pour faire lecture
des lettres du Roy d'Angleterre et entendre certaines choses
qu'on lui proposoit de la part du dit Seigneur touchant le
i. Voir cette pièce dans J. Qiicherat, Procès, t. 1, p. 408-4H.
A ROUEN. LE PROCÈS 81
procez d'une femme surnommée la Pucelle, etc., et douze
articles concernant ce mesme fait. Alors maistre Pierre do
Gonda, recteur de l'Université, ayant remonstré que la qua-
lification et censure desdits articles appartenoit aux Facultés
de théologie et de décret, pour ces causes on leur a mis et
consigné ces articles entre les mains pour en faire ce que de
raison, et satisfaire au désir et commandement du Roy d'An-
gleterre. Tellement que le quatorziesme may, les doyens des
FacuUez de théologie et de décret firent leur rapport à l'Uni-
versité et lui présentèrent leurs censures et qualifications des-
dits douze articles faites respectivement et séparément par
lesdites Facultez : lesquelles censures furent approuvées par
les deux autres Facultés, sçavoir de la Médecine et des Arts,
et envoyées au Roy d'Angleterre sous le nom de ladite Uni-
versité. Mais parce que lesdits douze articles sont registrez
ci-devant, nous représenterons seulement les censures faites
sur iceux, et premièrement de la Faculté de théologie.
[Censure de la Faculté de théologie].
I
Quant au premier article, dit pour sa censure doctrinale,
qu'ayant esgard à la fin, au moyen, à la matière des révéla-
tions, à la qualité de la personne, au lieu et autres circons-
tances : ou que ce sont des choses feintes et trompeuses, et
pernicieux mensonges; ou bien que les susdites apparitions
et révélations sont superstitieuses et procèdent des esprits
malins et diaboliques. Reliai, Satan, Réelzebub.
II
Pour le second, que ce qu'il contient ne semble pas véri-
table, mais au contraire que c'estplus tost un mensonge pré-
somptueux, trompeur, pernicieux etcontrouvé, dérogeant à
la dignité angélique.
G
82 E. RICIIER. — LA PUCELLE d'ûRLÉANS
III
Quant au troisiesme, qu'il ne contient aucuns signes suffi-
sans, et que cette femme croit trop de léger et asseure témé-
rairement; et en outre croit mal, et erre contre la foy en la
comparaison qvi'elle fait.
IV
Que le quatriesme contient une superstition et assertion
présomptueuse de deviner, accompagnée dune vaine jac-
tance et vanterie.
Quant au cinquiesme, cette femme a commis blasphème
contre Dieu, lequel elle mesprise en ses sacrements; préva-
rique contre la loy de Dieu^ sacrée doctrine et décrets de
l'Eglise ; sent mal et erre en la foy et se vante vainement ;
doit estre tenue pour suspecte d'idolâtrie, ayant son propre
sexe en horreur et exécration, imitant la coustume des
gentils, lesquels changeoient de vestements, sacrifians aux
démons.
Pour le sixiesme, que cette femme est une traîtresse, trom-
peuse, cruelle, désirant l'effusion de sang humain, sédi-
ti(>use et provoquant à tyrannie, blasphémant contre Dieu
en ses apparitions, révélations et commandement qu'elle dit
avoir de la part de Dieu.
YII
Quant au septiesme, qu'elle est impie à l'endroit de ses
parents, a prévariqué et péché contre le précepte qui com-
A ROUEN. — LE PROCÈS SS
mande de les honorer. Davantage, est scandaleuse, blas-
phème contre Dieu, erre en la foy, et a fait une téméraire et
présomptueuse promesse.
VIII
Pour le huitiesme, qu'il contient une grande pusillani-
mité, tendant à un désespoir et homicide de soy-mesme, et
une présomptueuse, téméraire et prétendue asseurance que
la coulpe et faute de son jDéché lui est remise; au demeurant^
qu'elle erre et a un mauvais sentiment de la liberté du franc
arbitre.
IX
Le neufviesme contient une présomptueuse et téméraire
assertion et pernicieux mensonge, et contredit au précédent
article, et sent mal de la foy.
X
Le dixiesme contient une présomptueuse assertion, ensem-
ble une téméraire et superstitieuse divination, et blasphème
contre saintes Catherine et Marguerite, viole et transgresse
le précepte de la dilection du prochain.
XI
Quant à l'onziesme, supposant que cette femme ayt eu les
révélations et apparitions qu'elle dit, attendu les choses
déterminées sur le premier article, elle est idolittre, invoque
les démons, erre en la foy, fait une téméraire assertion et un
serment illicite.
XII
Pour le douziesme, cette femme est schismalique et sent
mal de l'unité et autorité de l'Eglise, et jusques à ce jour a
opiniastrement erré en la foy.
84 E. RICIIER. LA PUCELLE D ORLEANS
[Censure de la Faculté du décret]
La Faculté de décret sousmet sa censure à l'ordonnance et
détermination du Saint-Père, du Saint-Siège Apostolique et
du Concile général. Et au cas que cette femme soit saine
d'esprit et ayeopiniastrement affirmé les propositions couchées
aux douze articles ci-dessus registrez et déclarez, et aye fait
et accompli les choses contenues en iceux, dit qu'après avoir
veu diligemment les susdites propositions, semble à la dite
faculté de décret par manière de conseil ou de doctrine cha-
ritable :
I
Premièrement, que cette femme est schismatique, consi-
déré que le schisme est une division par désobéissance qu'on
fait contre l'unité de l'Eglise militante.
II
. Que cette femme erre dans la foy, contredisant a l'article
de la foy couché au petit symbole : Je crois une Eglise catho-
lique. Et comme dit saint Hiérosme, qui contredit â cet article,
il ne se monstre pas seulement ignorant et non catholique,
mais aussi malin et hérétique.
III
Qu'elle est apostate, tant pour ce qu'à une mauvaise fin
elle a fait couper les cheveux que Dieu lui avait donnez pour
lui servir do voile, comme aussi attendu que pour le même
dessein, ayant laissé l'habillement de femme, elle s'est
travestie en homme.
IV
Qu'elle est menteuse et devineresse, assurant être envoyée
de Dieu, et qu'elle parle aux Anges et aux Saints, sans en
A KOUEN. LI-: l'nOCKS 85
donner aucun tcsmoignage spécial, soit par miracle, ou par
texte exprès de l'Ecriture. Car Dieu voulant envoyer Moyse
en Egypte aux enfants d'Israël, afin de leur persuader qu'il
estoit envoyé de Dieu il leur donna pour signe que sa verge
se convertirait en couleuvre, et réciproquement de couleuvre
en verge.
Pareillement, saintJean-Baptiste estant venu pour réformer
donna un tesmoignage spécial tiré de la sainte Ecriture,
disant qu'il estoit la voix criant au désert : Préparez la voie
au Seigneur, comme dit le prophète Isa'ie.
Que par présomption de droitet de droit mesme cette femme
erre en la foi, tant pour ce qu'elle est déclarée anathème par
autorité des canons, et a demeuré en cet estât par un long
espace de temps, comme semblablement pour ce qu'elle dit
aymer mieux ne pas recevoir le corps de nostre Seigneur et ne
se pas confesser au temps ordonné par l'Eglise, que de quitter
l'habillement d'homme et prendre l'habit de femme. Et en
outre est grandement suspecte d'hérésie et doit être diligem-
ment examinée sur les articles de la foy.
VI
Que cette femme erre grandement en ce qu'elle maintient
estre aussi certaine qu'elle ira en paradis, que si elle estoit
déjà en la gloire des bienheureux; veu que nul ne peut estre
certain durant cette vie si on est digne de louange ou de
•peine, chose cognue à Dieu seulement. Donc après que cette
femme aura esté charitablement et duement admonestée par
un juge compétent, au cas qu'elle refuse de se réduire à
l'unité catholique et d'abjurer publiquement son erreur à la
volonté du dit juge, et d'en faire raisonnable et convenable
satisfaction, doibt estre mise entre les mains du juge séculier
et punie selon la qualité de son délit.
«G E. lUCIIliU. — LA l'UCELLE D ÛULKANS
Advertissement
La censure de la faculté de décret nous donne h cognoislre
que les supposts de cette faculté n'estoient si passionnez
Anglois que ceux de la faculté de théologie.
C'e qu'on doit attribuer à ce que ceux de cette faculté estoient
tous séculiers et pour la plupart françois de nation : au con-
traire, grande partie des théologiens estoient Bourguignons,
Flamans, Anglois, etc. Et est fort remarquable qu'ils ont fait
leur délibération, supposant que les douze articles qu'on leur
avoit envoyez de Rouen fussent véritables, jugeant bien qu'ils
estoient supposez pour la plupart. Et d'ailleurs, requièrent
un juge compétent, chose bien notable contre l'Evesque de
Beauvais.
Or, cet Evesque ayant proposé la censure de l'Université
de Paris à ses assesseurs, ils conclurent unanimement que la
Pucelle debvoit estre tenue pour hérétique, et au cas qu'elle ne
se voulut recognoistrc, abandonnée au juge séculier, suivant
la délibération de l'Université de Paris, et qu'elle seroit de
rechef charitablement advertie. Fut adjousté qu'on sçauroit
du promoteur s'il avoit encore quelque chose à dire contre
elle.
Lesdits assesseurs sont ci-devant et au commencement du
procez dénommez : c'est pourquoy nous n'en ferons aucune
mention en ce lieu.
[XXIII mai. — Dernière admonition '. — Conclusion de la cause.]
Le mercredi vingt-troisième may 1431, l'Evesque fait ame-
ner la Pucelle devant soy en une chambre du chasteau de
Rouen, lui fait remonstrer les. erreurs et crimes qu'elle avoit
perpétrez et commis selon qu'ils estoient couchez et articulez
1. Celte admonition fut moins solennelle que la précédente. Ce qui en
fait l'importance, c'est qu'elle fut suivie de la conclusion de la cau^o.
A ROUEN. LE PROCÈS 87
en la censure de l'Université de Paris, l'adverLissanl de se
recognoistre, se corriger, amender et sousmettre au jugement
de nostre mère sainte Eglise ainsi qu'il estoit dit en irançois
en un libelle qui lui fut lu par maistre Pierre Maurice, doc-
teur en théologie et chanoine de Rouen : auquel libelle sonat
contenues par sommaires toutes les choses énoncées aaax
douze articles sur lesquels la faculté de théologie de l*aris a
donné sa censure doctrinale.
(( Premièi-emcnt, toi, Jeanne, as déposé que depuis l'âge de treize
ans ou environ, tuas eu des révélations et apparitions des Anges
et de saintes Catherine et Marguerite, que tu les as veus souvent de
les yeux corporels, qu'ils ont parlé à toj et y parlant encore sou-
vent, et t'ont dit el conseillé maintes choses plus amplement décla-
rées en ton procez. Quant à cet article, les clercs de l'Université de
Paris et autres qui ont examiné et considéré les moyens de telles
révélations et apparitions, leur fin. la matière des choses révélées,
la qualité de ta personne, et, toutes choses considérées qui sont à
considérer, disent que toutes ces choses sont mentcries et fictions
pernicieuses*, inventées pour tromper et séduire le monde; ou que
telles révélations sont superstitieuses, procèdent du diable et des
malins esprits, etc. ».
C'est le premier article de la censure de la Faculté de théo-
logie de Paris, et poursuivent ainsi de faire lecture et induc-
tion de tous les autres articles sur les dépositions de la
Pucelle couchée par extrait aux douze articles coUigez par
Maistre Nicolas Midi; ce qu'il n'est besoin de représenter,
estant aysé de juger de tous les autres par le premier article
ci-devant registre.
Advertissement.
Le lecteur doit estre adverti que, sur ce que l'Univ^rsit'éde
Paris a déclaré en sa censure que les révélations et appari-
tions que la Pucelle disoit avoir, estoient pures fictions,
impostures et menteries, on a de là pris subjcct de publier
que c'estoit une fable semblable à celle de la nymphe Egeria
88 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
qui communiquoit avec Numa Pompilius, et que IJaudricour
et le Bastard d'Orléans avoient instruit la Pucelie de ce
qu'elle avoit à faire et à dire au Roy : qui est ce que Du
llaillan' narre en son histoire, n'ayant [pas] veu les actes du
procez qui font cognoistre la vérité de tout ce qui s'est passé ;
et nous a esté consignée par les Anglois lesquels ont mainte
fois enquis cette fille sur ce fait-là. Mais jusques à l'article de
la mort, elle a toujours persisté et maintenu que les hommes
ni les malins esprits n'avoient aucune part en tout ce qu'elle
avoit fait, pour l'avoir induite à l'entreprendre etexéquuter :
veu d'ailleurs l'expulsion des Anglois de tout le royaume de
France qu'elle a prédite, etc. Raison qui a mu ses ennemis
d'attribuer à sorcelerie ce qu'elle disoit et faisoit, prédisant
les choses futures. En quoy ils se sont contredit eux-mêmes,
attendu qu'il n'y a que Dieu seul qui cognoisse et puisse pré-
dire les choses futures, ou les commettre à qui il lui plaist,
ainsi que la Pucelie respondit à ses juges : ce qtie pareille-
ment les mesmes juges recognoissent par les actes de leur
prétendu procez. Voyez l'interrogatoire de mercredi, second
jour de may 1431.
[Conclusion de la cause.]
Après qu'on eut fait lecture à la Pucelie de la censure de
l'Université de Paris, l'Evesque de Beauvais lui fait faire des
remonstrancespar maistre Pierre Maurice, docteur, aux fins
de se recognoistre et sousmeltre à l'Eglise militante, et qu'elle
n'avoit eu aucun signe suffisant pour adjouster foy aux voix
qu'elle maintenoit lui estre apparues, et que trop légèrement
elle y avoit cru, au lieu de se mettre en prière afin que Dieu
l'inspirast de ce qu'elle avoit à faire, elle qui estoit une jeune
fille ignorante. On lui remonstre encore que si son Roy lui
avoit donné quelque place forte à garder, et que quelqu'un
1. Du Haillan. liisluiien IVanrais ilo la Un <lu x\i« siècle, pou favorable
à In l'uccllf.
à
A ROUEN. — LE PROCES 89
vint à elle disant qu'il seroit envoyé de la part de son Roy à
ce qu'elle le receut en la dite place, si ce ne seroit pas une
grande témérité et folie de le recevoir sans au préalable avoir
veu les lettres, le signe et le cachet de son Roy.
Ayant esté ainsi admonestée, respondit finalement que
pour le regard de ce qu'elle avoit dit et fait, ainsi qu'elle
l'avoit déposé en son procez, elle s'y rapportoit entièrement
et quelle le vouloit soustenir.
On lui demanda si elle ne croyoit pas estre tenue de sous-
mettre tous ses dits et faits à l'Eglise militante ou à quelque
autre qu'à Dieu. Répliqua vouloir maintenir ce qu'elle avoit
toujours dit et déposé au procez : et que si elle estoit en juge-
ment et voyoit le feu allumé, tout le bois préparé et le bour-
reau ou autre prest d'allumer le feu et qu'elle fust au feu, elle
ne diroit autre chose et soustiendroit tousjours jusques à la
mort ce qu'elle a déclaré au procez.
L'Evesque sur cela demande à son promoteur et à la
Pucelle s'ils avoient quelque chose à dire davantage. Ayans
respondu que non, il conclud et assigne le lendemain pour
entendre prononcer la sentence en ce procez et passer outre,
ainsi qu'il sera de droit et de raison.
CINQUIESMK PARTIE
[LKS DEUX SENTENCES, D'ABSOLUTION ET DE RELAPS]
I
[XXIV mai. — Au cimetière de Saint-Ouen. — Première
sentence.]
La mesme année, le jeudi d'après la feste de Pentecoste,
vingt-quatriesme may, l'Evesque de Beauvais se transporte
de matin au lieu public et cimetière de l'Abbaye Saint-Ouen
de Rouen, la Pucelle y ayant esté amenée sur un eschaffault.
Auquel lieu maistre Guillaume Erard, docteur en théologie,
fit une prédication solennelle pour l'advertir de son salut, y
ayant une grande multitude de peuple. L'Evesque estoit
assisté du cardinal de Winthon, vulgairement nommé le
cardinal d'Angleterre, de l'Evesque de ïhérouane, de [celui
de] Norwich en Angleterre, des abbez de la Sainte-Trinité de
Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges, du Bec, de
Saint-Corneille, de Saint-Michel, de Mortemer, de Préaux, des
Prieurs de Longueville-Gilïard, de Saint-Lau de Rouen et de
tous ses autres assesseurs et conseillers. Maistre Erard adres-
sant la parole à la Pucelle, dit :
Voici Messieurs les Juges qui par plusieurs fois vous ont
sommée et requise de vouloir sousmettre tous vos dits et
faits à nostre mère sainte Eglise, et vous ont remontré qu il
y a plusieurs choses en iceux dits et faits que les gens d'Eglise
trouvoient erronées et mal dites.
La Pucelle repart, quant à se sousmettre à l'Eglise, qu'elle
leur avoit respondu sur ce point : désiroit que tous ses faits
et dits fussent envoyez h Rome à nostre saint père le Pape
auquel, etàDieu premièrement, elle se rapporte. Quant à ses
faits et dits, les avoit faits de la part de Dieu.
A ROUEN. — LE PROCES 91
Item, dépose que de ses faits et dits elle n'en chargeoit per-
sonne du monde, ni son Roy, ni autre quelconque, et s'il y
avoit aucun delïaut en iceux, c'estoit à elle et non à autre
(ju'il devoit être imputé.
On lui demande si elle veut révoquer tout ce qu'elle avoit
dit et fait que les ecclésiastiques rejettent. Réplique qu'elle
se rapporte à Dieu et à nostre saint père le Pape.
On lui remonstre que cela ne suffisoit pas, et qu'il ne se
pouvoit faire quon allast quérir nostre saint père le Pape si
loin : vu d'ailleurs qu'il y avoit des juges ordinaires respec-
tivement en chacun diocèse, et par ainsi qu'il estoit nécessaire
qu'elle se rapportast à nostre mère sainte Eglise, et qu'elle
tint ce que les clercs et personnes versées en telles affaires
disoient et avoient déterminé sur ses faits et dits : et fut
advertie de cela par trois diverses fois.
Or lEvesque voyant qu'elle ne vouloit dire autre chose,,
commença à prononcer sa sentence définitive, laquelle ayant
lue et prononcée pour la plus grande partie, la Pucelle com-
mença à parler et dire que tout ce que l'Eglise décerneroit,
« et ce que Nous Evesque de Beau vais, voudrions ordonner
et prononcer, elle obéiroit en tout et partout à nostre or-
donnance. Et répéta plusieurs fois que, puisque les gens
d Eglise maintenoient que les apparitions et révélations
qu'elle disoit avoir eues, n'estoient à soustenir ni à deffendre
et qu'on ny debvoit [pointjadjouster foy, elle ne les vouloit
soustenir, mais s'en rapporter du tout à nostre mère sainte
Eglise et à nous Evesque juge. »
Et alors, en présence des susnommez personnages et d'une
grande multitude d'ecclésiastiques et du peuple, elle fit et pro-
nonça la révocation et abjuration selon le formulaire fran-
çois qui ensuit, lequel elle signa pareillement de sa propre
main. ♦
Formulaire d'abjuration que, d après lEvesque de Beauvais, la
Pucelle auroit. le 24 mai 1431, au cimetière de Saint-Ouen, pro-
noncé et signé.]
« Toute personne qui a erré et mespris en la foy chres-
lienne, et depuis, par la grâce Dieu, est retournée en lumière
92 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
de vérité, et à l'union de nostre mère saincte Eglise, se doibt
moult bien garder que l'ennemy de l'Eglise ne la reboute et
face recheoir en erreur et en damnation. Pour cette cause. Je
Jehanne, communément appelée la Pucelle, misérable péche-
resse, après ce que j'ay cognu les lacs d'erreurs ausquels
j'estois tenue, et que, par la grâce de Dieu, je suis retournée
à nostre mère saincte Eglise, affin qu'on voie que non pas
faintement, mais de bon cœur et de bonne volonté suis
retournée à icelle, je confesse que j'ai très griefvement péché
en feignant mensongeusement avoir eu révélations et appari-
tions de par Dieu, par les anges, et saincte Catherine et
saincte Marguerite, en séduisant les autres, en croyant folle-
ment et légèrement, en faisant superstitieuses divinations,
on blasphémant Dieu, ses saincts et sainctes, en trespassant la
loy divine, la saincte Escripture, les droits canons ; en portant
habit dissolu, difforme et déshonneste, contre la décence de
nature, et cheveux rongnez en rond en guise des hommes,
contre toute honnesteté du sexe de femme ; en portant auss^
armures par grant présomption, en désirant curieusement
effusion de sang humain, en disant que toutes ces choses j'ay
faitpar lecommandementde Dieu,desangesetdes saincts des-
sus dits, et que en ces choses j'ai bien fait et n'ay point mes-
pris; en méprisantDieuetle sacremens, en faisant séditions et
idolâtrant par aourer de mauvais esprits et en invoquant
iceux. Confesse aussy que j'ay esté scismatique et par plu-
sieurs manières ay erré en la foy. Desquels crimes et erreurs,
de bon cœur et sans fiction, de la grâce de nostre seigneur
Dieu retournée que je suis à la voye de vérité par la saincte
doctrine et par le bon conseil de vous et des docteurs etmais-
tres que m'avez envoyez, j'abjure, déteste, renie et de tout y
renonce et m'en dépars. Et sur toutes ces choses devant dic-
tes me Soumets à la correccion, disposicion, amendement
et totale déterminacion de nostre mère saincte Eglise et de
vostre bonne justice. Aussy je vous jure et promets à mon-
sieur sainct Pierre, prince des Apostres, à nostre sainct père
le Pape de Rome son vicaire, à ses successeurs, et à vous
Messeigneurs révérend père en Dieu Monsieur l'Evesque de
Beauvais, et religieuse personne frère Jean Le Maistre, vicaire
A ROUEN. — LE PROCÈS 9J
de Monsieur l'inquisiteur de la foy, comme à mes juges, que
jamais par quelconque exhortement ou autre manière ne
retourneray aux. erreurs devant diz, desquels il a pieu à
Nostre Seigneur moy délivrer et oster, mais à toujours
demoureray en l'union de nostre mère saincte Eglise, et en
l'obéissance de nostre sainct père le Pape de Rome. Et cecy
je dis, afferme et jure par Dieu le Tout-Puissant et par ses
saincts Evangiles. Et en signe de ce j'ay signé cette cedulle d«
mon signe. Ainsy signé : Jehanne -f . »
[Prononcé de la sentence d'absolution.]
Après laquelle révocation et abjuration, receue par l'Eves-
que de Beauvais, tout ainsi qu'elle est ci-dessus couchée, il
prononça sa sentence définitive en cette manière.
« Au nom de nostre Seigneur, ainsi soit-il.
« Tous les pasletu's de l'Eglise qui désirent fidèlement s'acquilter
de leur charge et avoir soin de leur troupeau, d'autanlplus doibvent-
iis employer toutes leurs l'orces et moyens, que le diable s'eflbrce
de perdre la bergerie de Jésus-Christ par des tromperies et fraudes
pestilentes, et s'esludier au contraire, veillant plus soigneusement
pour empescher ses pernicieux efforts : lors principalement qu'il se
présente des temps dangereux auxquels plusieurs faux prophètes,
introduisans des sectes de perdition et d'erreur, viennent au
monde, ainsi que l'Apostre a prédit : lesquels pourroient détourner
du vray chemin et tirer à leurs erreurs et doctrines estrangèresles
fidèles, si nostre mère sainte Eglise, par les moyens et préserva-
tifs de la saine doctrine et des constitutions canoniques, ne s'éver-
luast diligemment à repousser et debeller leurs inventions erronées.
Donc, attendu que toy, Jehanne, vulgairement appelée la Pucelle,
as esté déférée devant moy Pierre, par la grâce divine Evesque de
Beauvais, et frère Jean Magistri, vicaire de niaislre Jean Gravèrent,
inquisiteur de la foy au royaume de France, à cause de plusieurs
crimes pernicieu.<, et tirée au jugement de la foy: après avoir veu
et diligemment considéré la suite de ton procez et de tout ce qui
s'y est passé et a esté agité, les responses, confessions et assertions
que' tu as données ; eu pareillement esgart aux délibérations des
inaistres de la faculté de théologie et de décret de l'Université de
Paris, comme aussi de plusieurs prélats, docteurs, gens sçavants
94 E. RicnEn. — i.\ i'Ucelle d'orléans
tint en la saincle Kscriture qu'au droil canon et civil, résidans en
celte ville de Itouen et ailleurs, qui sont en grand nombre, lesquels
ont donné leur advis sur les qualifications et déterminations de
les assertions, dits et faits : davantage, après avoir pris le conseil
et mure délibération de personnes bien afTectionnées et exercées
au zèle de la foj chrestienne ; ayant mûrement considéré et exa-
miné toutes choses qui sont à considérer en ce fait, et qui peuvent
et doibvent mouvoir quelqu'un k bien juger: nous proposant
nostre Seigneur et l'honneur de la foj orthodoxe devant les veux,
afin que ton jugement cl condamnation sorte de la face de
nostre Seigneur :
0 Nous disons et ordonnons que lu as griefvemenl péché, feignant
par mensonges et impostures que tu as eu desrévélalions et appa-
ritions divines, trompant les autres, et croyant trop de léger et
témérairement, devinant superstitieusement, blasphémant contre
Dieu et ses saincts, prévariquant contre la loy de Dieu, la saincle
Escriture et les constitutions canoniques, mesprisant Dieu en ses
saincts sacrements, excitant des séditions, te révoltant, faisant
schisme et errant en la foy par beaucoup de manièi'es. Mais d'au-
tant qu'après avoir esté plusieurs fois advertie et longuement
attendue, à la parfm, moyennant l'ayde de Dieu, lu es retournée
au giron de nostre mère saincle Eglise de cœur contrit et dune foy
non feinte, ainsi que nous croyons, et as révoqué, rejeté, abjuré
les erreurs de pleine bouche, en un sermon public, par la .propre
confession, de la propre voix, et toute hérésie, selon q.u'il est
pi'escril par les canons et constitutions de l'Eglise : pour ces causes
nous le donnons absolution par ces présentes de toutes sortes
d'excommunications que lu peux avoir encourues; pourvu toutes
fois que tu sois retournée à l'Église d'un cœur contrit et d'une foy
non simulée, et que tu gardes et observes ce que nous t'avons pres-
crit et ordonné.
« Et d'autant que tu as témérairement péché contre Dieu et sa
saincle Eglise, comme il est déclaré en celte sentence, afin que tu
puisses accomplir une salutaire pénitence, Nous le condamnons
finalement et définitivement à prison perpétuelle, jeusnant au
pain de douleur et à l'eau de tristesse, afin que lu pleures les
péchés que lu as commis et que tu n'en commettes plus à l'avenir:
Nous réservant toutes fois de le faire tousjours grâce et de modé-
rer ta pénitence, ainsy que nous verrons estre à faire ».
95
Advertissement.
Les actes du jeudi vingt-quatriesme may qui ont précédé
la sentence de rétractation contiennent plusieurs choses
dignes de remarque.
Et tout premièrement que maistre Guillaume Erard, doc-
teur en théologie, après avoir fait un sermon calomnieux
contre la Pucelle, conformément aux douze articles envoyez
à l'Université de Paris et à la censure d'icelle Université
intervenue sur iceux articles — car j'ay veu et lu ce sermon
plein d'impostures — interrogea cette fille qui estoit sur un
théâtre en présence de tous ses juges prétendus, si elle ne se
vouloit pas sousmettre à l'Eglise, ensemble tous ses faits et
dits que les ecclésiastiques tenoient pour erronez. A quoy
elle respondit désirer que tous ses faits et dits fussent envoyez
à Rome à notre saint père le Pape auquel, et à Dieu premiè-
rement, elle se rapportoit.
Enquise derechef si elle veut révoquer tout ce qu'elle avoit
fait et dit que les ecclésiastiques improuvoient et rejeloient,
répliqua qu'elle se rapportoit à Dieu et à nostre saint père le
Pape.
De manière que ce mesme jour, en un mesme acte, pré-
sents tous ses juges et tout le peuple, elle se sousmet par
deux fois réitérées au saint Siège et à nostre saint père le
Pape. Outre que auparavant elle s'y estoit desjà sousmise
par deux diverses fois, sçavoir en la quinziesme séance, dix-
septiesme mars 1430 après midi, et aux actes du second jour
de may 1431 : auxquelles submissions l'Evesque de Beauvais
n'a onques voulu déférer, mais les a tousjours éludées :
comme en l'acte que nous avons en main du vingt-qua-
triesme may, il fait dire à la Pucelle que cette submission
n'estoit [pas] suffisante, et qu'il ne se pouvoit faire qu'on
allast quérir si loin le Pape, et qu'en chacun diocèse il y
avoit des juges ordinaires ; et par ainsi qu'il estoit néces-
saire qu'elle se rapportast à nostre mère sainte Eglise et tint
ce que les clers et personnes versées en telles affaires
90 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
avoient déterminé sur ses faits et dits : ce qu'on lui répliqua
par trois fois.
D'où nous apprenons que tout ce que ce prélat a fait pro-
poser à cette fille de se sousmettre au Concile général, à
nostre saint père le Pape, aux cardinaux, etc., n'a esté à
autre fin que pour la tromper et décevoir, réduisant l'Eglise
militante à leur seule faction et conspiration ; car cela est
toute mesme chose que quand ils lui ont demandé si elle se
vouloit sousmettre à l'Eglise de Poitiers, de quoy nous avons
parlé ailleurs.
A la vérité, les responses faites par cette fille qui n'enten-
doit [pas] les termes dont on use en justice pour appeler
nommément au saint Siège Apostolique, et qui estoit desti-
tuée de conseil, dévoient estre tenues pour un juste et légi-
time appel, si elle eust eu pour juge un évesqne et non un
loup ravissant. Vu mesme que saint Paul, Actes 2o, ayant
dit « qu'il estoit au tribunal de César et qu'il y devoit estre
jugé », fut tenu pour appelant et délivré des mains des Juifs
ses ennemis mortels.
Donc par les actes susdits il demeure avéré et constant que
cette fille a finalement persévéré de se sousmettre à l'Eglise
militante et au saint Siège Apostolique, et qu'elle n'a onques
refusé de s'y sousmettre qu'en tant qu'elle ne pouvoit cog-
noistre ce que ce terme « Eglise militante » vouloit dire :
jugeant bien qu'on ne [le] lui proposoit à autre fin que pour
estre condamnée par le clergé anglois. Et conséquemment
aussi il est notoire que les sentences de l'Evesque de Beau-
vais contre la Pucelle sont fausses, calomnieuses, en ce qu'il
la condamne comme schismatique pour ne s'estre voulu
sousmettre à l'Eglise et au saint Père, puisque tant de fois
elle a demandé et persévéré d'estre réservée à son juge-
ment.
En second lieu, faut noter que ce docteur Erard, faisant son
sermon, fit une telle ou semblable exclamation, ainsi que
plusieurs tesmoins ont attesté en la revision du procez. « 0
Maison de France qui n'avais jamais eu aucuns monstres
jusques h ce jour d'huy, maintenant que tu as adhéré à cette
A ROUEN. — LE PROCES 97
femme sorcière, hérétique, superstitieuse, etc., tues souillée
d'infamie, etc. » Et que sur le champ la Pucellc respondit
haut et clair en ces propres termes : « Ne parlez pas de mon
Roy, car il est b.on chrestien ».
De plus, pour cette occasion, après le sermon fini, comme
le mesme docteur Erard, interrogeoit cette fille, elle dit
notamment « que de tous ses faits et dits elle ne chargeoit
personne du monde, ni son Roy, ni autre quelconque. Et s'il
y avoit quelque deffaut en iceux, que c'estoit à elle seule et
non à autre qu'il devoit estre imputée ». Qui est un argu-
ment certain de sa grande charité : au contraire de ce qu'on
voit ordinairement arriver aux personnes accusées, qui
tascbent d'évader, enveloppans d'autres personnes en leurs
accusations pour se sauver en tourbe ou prolonger leur vie
pour quelque temps.
Pour troisiesme remarque, la sentence de l'Evesque de
Beauvais est un spécieux prétexte malicieusement recherché
pour desguiser et couvrir la conspiration qu'il avoit concer-
tée avec le conseil d'Angleterre, afin de livrer cette fille au
bras séculier et la faire mourir. Car moyennant cette préten-
due sentence, il a pensé avoir assez de couleur pour faire
croire à la postérité qu'il auroit employé tous moyens pos-
sibles de réduire cette fille au bon chemin duquel elle n'avoit
onques dévoyé. De sorte que ceux mesmes de son parti qui
n'avoient [pas] cognoissance de cette secrète cabale, tenoient
pour tout certain que ce jour-là mesme on dust supplicier la
Pucelle. D'autant que le bourreau estoit lors présent avec sa
charrette, attendant cette proye quand l'Evesque auroit pro-
noncé sa sentence. Et quelques Anglois qui n'entendoient
[pas] ce mystère d'iniquité, reprochèrent à l'Evesque de
Beauvais, présent tout le monde, qu'il estoit un traistre
d'avoir condamné cette fille seulement à une prison perpé-
tuelle.
Sur quoy est nécessaire d'entendre les dépositions de
maistre Guillaume Manchon, premier notaire, qui a instru-
menté au procez et assisté par tout, et pour lors estoit aux
pieds de l'Evesque de Beauvais sur le théâtre; semblable-
7
98 E. RICHER. — LA PUCELLE DORLÉANS
ment du frère Martin Ladvenu, dominicain, bachelier en
théologie, lequel estoit l'un des assesseurs de l'Evesque de
Beauvais, et administra les sacrements de pénitence et de la
sainte Eucharistie à la Pucelle auparavant que d'estre menée
au supplice, et l'assista jusques au dernier soupir; comme
fit pareillement maistre Jean Massieu, exécuteur des ordon-
nances de l'Evesque de Beauvais, lequel alloit quérir en la
prison cette fille pour la mener devant les juges, et la rame-
noit aussi en la prison, estant tousjours auprès d'elle.
Or, ils témoignent, après que maistre Guillaume Erard
eust fait son sermon au cimetière Saint-Ouen, qu'il fit repré-
senter un formulaire d'abjuration à la Pucelle, et lui dit qu'il
falloit qu'elle se rétractast conformément à ce qu'il estoit
couché audit formulaire et qu'elle le signast. Que le dit
Erard consigna ce. formulaire entre les mains de maistre
.lean Massieu pour en faire lecture tout haut et clair à ce que
la Pucelle lentendist. Et déposa ledit Massieu qu'il lut ce
formulaire auquel il se souvient qu'il estoit nommément
porté qu'à l'avenir la Pucelle promettoitde ne plus s'habiller
en iiomnie, de ne plus faire tondre ses cheveux, en rond, de
ne plus porter les armes, et autres choses desquelles il ne se
souvient à présent. Et dit estre bien asseuré que ce formu-
laire estoit escrit en un assez petit papier et tout au plus
qu'il ne contenoit qu'environ huit lignes, et que ce n'estoit
pas le formulaire qui est registre au procez, ayant lu celui-là
et non cestuy-ci.
De plus, dépose que la Pucelle après avoir esté fort pres-
sée et sollicitée par ledit Erard, docteur, de signer ce for-
mulaire, il s'éleva un grand bruit entre ceux qui estoient
présents à cette action sur le théâtre, et qu'il entendit l'Eves-
que de Beauvais disant bien haut à quelqu'un : « Vous me
ferez réparation de cette injure » ; et qu'il ne poursuivroit
davantage le procez jusqu'à ce que réparation lui eust esté
faite. Il parloit à un docteur anglois de la maison du cardi-
nal de Winthon qui estoit sur le théâtre auprès de son mais-
tre, et avoit dit haut et clair à cet Evesque qu'il estoit un
traistre, etc.
Pendant ce trouble, maistre Jean Massieu advertissoit la
A ROUEX. — LE PROCKS 99
Pucelle du péril qu'elle encouroit, signant ce formulaire d'ab-
juration,, lequel elle n'entendoit point ; et que maistre Guil-
laume Erard l'ayant derechef pressée de faire celte abjuration
et signer ce formulaire, elle requit nommément qu'on le fit
voir aux ecclésiastiques entre les mains desquels elledebvoit
estre mise après avoir fait cette abjuration, et que si en cons-
cience ils la conseilloient de faire ladite révocation et de la
signer, pour ce qu'elle ne l'entendoit pas, qu'alors elle le
feroit et signeroit. Ce qu'entendu par le docteur Erard, [il
lui déclara] que si tout présentement et sans autre délay elle
ne faisoit cette rétractation et ne signoit ce formulaire, elle
seroit bruslée. A quoy elle repartit sur le champ aimer beau-
coup mieux le faire et signer que d'oestre bruslée. Et signant
ce formulaire, elle rioit pour l'espérance qu'elle avoit qu'an
lui tiendroit promesse et qu'elle seroit tirée d'entre les
mains des Anglois, mise en une prison ecclésiastique, traitée
humainement, qu'elle entendroit la messe, etc. De manière
qu'après avoir signé, on demanda à l'Evesque de Beauvais
en quel lieu on la devoit ramener. Et l'Evesque répondit
que ce seroit au chasteau de Rouen '.
En quatriesme lieu, nous apprenons des susdites déposi-
tions, que l'Evesque de Beauvais a fait regislrer en ce pré-
tendu procez un autre formulaire d'abjuration que celui qui
fut lut et proposé à la Pucelle pour le prononcer et signer
sur le théâtre- : qui est une notable fausseté sur laquelle
mesme. cet Evesque a pris occasion de condamner cette fille
en tant que relapse. Et néantmoins par toute disposition de
droit divin et humain, aucun ne peut estre tenu pour relaps,
sinon qu'il ayt esté au préalable canoniquement convaincu
d'hérésie et que pareillement il ne l'aye canoniquement
abjurée. Or est-il que par tous les actes du procez, il n'appert
point que la Pucelle ayt esté convaincue d'hérésie, ni sem-
1 . Procès, t. II. p. 14.
2. E. Richer, en rapportant plus haut la scène de la prétendue abju-
ration, reproduit sans observations le texte du procès, comme si
révèquc de Beauvais eût dit l'exacte vérité. Il ne proteste qu'en cet
alinéa-ci, et d'une faron qui eût dû être plus serrée et plus rigoureuse.
100 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
blablement qu'elle l'ayc canoniquement abjurée. Ce que pour
elïectuer et par un préalable de droit, il estoit tout en pre-
mier lieu nécessaire de lui proposer un formulaire d'abjura-
tion, lui faire bien et canoniquement entendre tous les termes
auxquels il estoit conceu, auparavant que de prononcer sen-
tence contre elle, et ne la pas surprendre tumultuairement
sur le théâtre pour l'épouvanter, ni l'intimider et menacer
du feu, ainsi qu'ils ont fait. De manière que tous ces actes
sont obreptices, pleins de violence, de dol, fraude et d'ini-
quité : car l'on fait dire, prononcer et signer à une pauvre
fille mineure ce quelle ne veut et n'entend pas ; et mesme on
lui dénie toute sorte de conseil contre toute disposition de
droit. Au moyen de quoy, elle est grandement excusable et
doit estre tenue pour bien et duement relevée de tout ce
qu'elle peut avoir fait à son préjudice ; attendu les malignes
inductions, fraudes, intimidations, violentes menaces des-
quelles on a usé à son endroit.
Et d'ailleurs la faveuret indulgence des lois à l'endroit des
personnes mineures et en bas âge excuse assez et protège
cette fille. Considéré mesme que saint Pierre ayant si. long-
temps vécu avec Nostre Seigneur Jésus-Christ, veu sa transfi-
guration et infinis autres grands miracles qu'il avoit opérés,
ayant fait ressuciter plusieurs morts et tout nouvellement
Lazare : outre, venoit de manger l'ageau pascal, et avoit
receu de sa propre main la sainte communion de son pré-,
cieux corps et sang, n'estant en semblable ni si extrême ni
si imminent péril que la Pucelle, néantmoins par infirmité
humaine avoit renié Jésus-Christ et abjuré avec blasphèmes,
estant interrogé par uhe simple servante, et non intimidé ou
menacé du feu par des juges. Mais tout ainsi qu'après avoir
amèrement pleuré et fait pénitence de cette abjuration, il fut
receu en grâce par Nostre Seigneur, au cas pareil nous ver-
rons aux actes suivans la Pucelle faire pénitence de cette
rétractation qu'on lui avoit fait faire par violentes menaces, et
protester aymer mieux mourir faisant pénitence de tout ce
qu'on lui avoit fait faire par crainte du feu, que de tenir aucune
chose de tout ce qu'on l'avoit contrainte de rétracter, l'habil-
lement d'homme excepté qu'elle estoit preste de quitter :
A ROUEN. LE PROCES 101
qui est une suffisante response à tout ce que ses ennemis ou
autres pourroient alléguer qu'elle se seroit rétracte'e. Mais
retournons aux actes et voyons la fin de cette sanglante tra-
gédie, et comme tout se passa depuis cette prétendue rétrac-
tation.
lXXIV mai, après midi. — Dans la prison de Jeanne].
Le mesme jeudi vingt-quatriesme may après midi, frère
Jean Magistri, inquisiteur de la foy, se transporte en la pri-
son, assisté de maistre Nicolas Midi, docteur en théologie,
Nicolas Loyseleur, Thomas de Courcelles, Isambert de la
Roche et autres ecclésiastiques, lesquels remonstrèrent à la
Pucelle la grâce que Dieu lui avoit faite ce jour-là, etc.
Pareillement, que les ecclésiastiques qui l'avoient jugée
l'avoient bien humainement traitée : pour cette raison, elle
debvoit humblement obéir à la sentence de ses juges et ne
s'en jamais départir. Autrement, en cas de rechute, quelle
ne devoit plus espérer de grâce, et qu'on l'abandonneroit
totalement au bras séculier. Ils l'advertirent donc de quitter,
son habillement d'homme et d"en prendre un de femme,
ainsi que l'Eglise l'avoit ordonné. A quoy cette femme obéit
incontinent, et fit raser ses cheveux qui estoient tondus en
rond à la façon des hommes, et protesta vouloir obéir en
toutes choses aux gens d'Eglise.
Et voilà tout ce qui se passa le jeudi, vingt-quatriesme
may, incontinent après la sentence de rétractation. Et notez
que la Pucelle pensoit, après avoir quitté son habillement
d'homme etvestu celui de femme, qu'on la dustsur le champ
tirer des mains des Anglois pour loger aux prisons ecclésias-
tiques, ainsi qu'on lui avoit promis et qu'il estoit de justice.
Toutes fois lEvesque de Beauvais agitoit bien d'autres des-
seins en son esprit, et depuis ce jour jusques au lundi sui-
vant ne visita pas cette fille. Pendant lequel temps tout se
passa ainsi que nous l'avons extrait du procez, dont ensui-
vent les actes.
102 E. niCllER. LA PUCELLE D ORLEANS
[LA CAUSE DE RECHUTE]
XXVm-XXX mai.
[L'Evesque de Beauvais dans la prison de la Pucelle
XXVIII mai.
Le lundi suivant, vingt-huitiesme de may 1431, lendemain
de la sainte Trinité, l'Evesque accompagné d'aucuns de ses
conseillers et assesseurs se transporta en la prison pourvoir
en quelle disposition étoit la Pucelle. Et l'ayant trouvée habil-
lée en homme comme auparavant, lui demanda d'où celapro-
cédoit et qui l'avoit mue à reprendre cet habillement. Res-
pondit l'avoir pris naguère et quitté celui de femme.
Enquise pourquoy cela et qui l'avoil induite ù ce luire, i-éplii^iia
que c'estoil de sa propre volonté sans qu'aucun l'eust conlrainle.
et qu'elle aymait davantage cet habillement que celui de femme.
On lui remonstra qu'elle avoit pi-omis et juré de ne jamais
remettre cet habillemeut d"homme. Repart n'avoir onques en-
tendu faire aucun serment de ne plus reprendre Ihabillemenl
d'homme. Adjousta l'avoir repris pour ce que, estant toujours
parmi les hommes, il lui estoit beaucoup plus licite et convenable
d'avoir un habillement d'homme que d'estre habillée en femme.
Et dit nommément l'avoir repris pour ce qu'on ne lui avoit pas
tenu promesse, assavoir qu'elle irait à la messe, qu'elle recevroit
le corps de nostre Seigneur, qu'on lui osteroit les fers des pieds.
Interrogée si elle n'avoit pas fait abjuration ci-devant, et plus
particulièrement de ne plus porter un habillement d'homme, res-
pondit qu'elle aymoit mieux mourir que d'avoir toujours les fers
aux pieds : que si on les lui ostoit, et qu'on lui permist d'aller à
la messe, et qu'on lui donnast une prison gracieuse, qu'acné serait
bonne et ferait tout ce que l'Église voudra.
Et d'autant que l'Evesque de Beauvais avoit ouy dire qu'elle
s'arrestoit encore aux illusions de ses prétendues révélations aux-
quelles elle avoit renoncé auparavant, il l'interrogea si depuis jeudi
dernier — c'est le jour où on lui fit faire cette prétendue abjuration
— elle avoit entendu les voix des saintes Catherine et Marguerite.
Uespond que oui.
Enquise de ce qu'elle lui avoient dit, confessa que Dieu lui avoit
A UOUEiN. — LE PROCÈS 103
fait sçavoir par ces saintes la grande pilié et misère de la grande
trahison à laquelle elle avait consenti, faisant abjuration et révo-
cation pour sauver sa vie, et que s'ayant voulu sauver, elle s'esloit
damnée.
Déposa pareillement qu'auparavant jeudi dernier ses voix lui
avoient dit et révélé tout ce qu'elle feroit ce jour-là et avoit fait
alors.
Davantage, qu'estant sur l'eschafTaut ou théâtre, devant le peuple.
elles lui dirent qu'elle respondit hardiment à ce prédicateur qui
faisoit le sermon, que c'estoit un faux prédicateur, disant qu'elle
avoit fait beaucoup plus de choses qu'elle n'avoit faites. Leur
maintint que si elle leur disoit n'avoir pas été envovée de Dieu,
elle se damnoit, pour ce que Dieu véritablement l'avoit envoyée.
Que ses voix lui avaient remonstré que depuis jeudi elle avoit
commis une grande-faute ou injure, ayant confessé n'avoir pas
bien fait ce quelle avoit fait, Dit nommément que tout ce qu'elle
avoit révoqué jeudi dernier, n'avoit esté que pour crainte du feu.
Interrogée si elle croyoit que les voix qui lui apparoissoient
fussent saintes Catherine et Marguerite, respondit que oui et qu'elles
sont de Dieu.
On lui dit qu'elle recognust la vérité touchant cette couronne
dont a esté fait mention ci-dessus. Répliqua leur avoir dit la
vérité au procez, le mieux qu'elle avoit pu.
Alors lui fut remonstré qu'estant sur l'eschaffaut, au théâtre,
devant les juges et tout le peuple assemblé, faisant abjuration, elle
avoit dit nommément et recognu s'estre vantée par menterie que
.saintes Catherine et Marguerite la visitoient. Repartit qu'elle n'en-
tendoit pas faire ni dire ainsi.
Davantage, maintint n'avoir onques dit ni entendu dire qu'elle
révoquoit ses apparitions et révélations comme n'estant pas saintes
Catherine et Marguerite : et tout ce qu'elle a fait sur cela n'avoit
esté que par crainte .du feu; et n'avoir rien révoqué ni abjuré qui
ne soit contre la vérité. Proteste aymer mieux faire une fois péni-
tence en mourant que de traisner plus longuement sa vie en pri-
son. De plus, qu'elle n'a jamais fait aucune chose contre Dieu ni
contre la foy, etnéantmoins qu'on l'a contrainte d'en faire expresse
révocation : qu'elle n'a point entendu ce qu'estoit contenu audit
formulaire d'abjuration qu'on lui avait fait faire, et n'a jamais
rien entendu révoquer sinon qu'il plust à Dieu.
Finalement a dit que si les juges >vouloient, elle reprendroit
l'habillement de femme ; que pour le reste elle ne fera rien autre
chose.
104 K. mCHER. LA PUCELLE D ORLEANS
Ce que l'Evesqiie ayant entendu, il se relira de la prison où
estoil relie fille, afin de procéder, ainsi qu'il parle, à ce qui se-
roit de raison.
Advertissement.
Cet acte du lundi vingt-huitiesme may nous représenta
quelques petites lumières des responses justificatives de la
Pucelle, au moyen desquelles on peut recognoistre les arti-
fices dont a usé l'Evesque de Beauvais pour la décevoir et
contraindre à se rétracter. Que s'il eust fidèlement fait regis-
trer toutes les dépositions de cette fille, nous ne serions pas
en peine de faire des advertissements pour servir de contre-
dits.
Premièrement, [c'est un] fait à noter que la Pucelle estant
prisonnière depuis un an entier et n'ayant ouy la messe ni
communié depuis que le comte de Luxembourg l'eust aban-
donnée aux Anglois, outre les autres fatigues et travaux
assez notoires qu'elle supportoit ordinairement, on lui fit
entendre que, si elle vouloit se rétracter, elle seroit traitée
gracieusement et tirée d'entre les mains des Anglois pour
estre mise en une prison ecclésiastique, n'auroit plus les fers
aux pieds, seroit visitée par des femmes honnestes, enten-
droit tous les jours la messe et communieroit toutes et quan-
tes fois elle en auroit dévotion; et que si volontairement elle
ne se rétractoit, elle seroit bruslée toute vive. Davantage,
pour la troubler, ils ne cessoient de lui rebattre souvent les
oreilles qus ses voix lui ayant promis qu'elle seroit délivrée
de prison, l'avoient misérablement déceue, l'invitant mesme
de faire bon visage et de parler hardiment aux juges qui
avoient pouvoir de la condamner : que cela estoit un indice
certain que ces voix provenoient de l'esprit malin, et non de
la part de Dieu qui ne trompe personne et ne peut mentir.
Et parce que aux actes de ce jour, l'Evesque de Beauvais
n'a fait registrer que partie de la déposition de la Pucelle S
nous y remarquerons quatre ou cinq points principaux qui
servent grandement à sa justification : comme de ce qu'elle
1. Cette remar.iue d'E. Ric.lier est très importante.
A ROUEN. LE PROCES 105
asseure avoir repris l'habillemenL d'homme de sa propre
volonté, considère' qu'ayant à estre toujours parmi les
hommes, il lui estoit plus licite et convenable d'avoir cet
habit que de porter un habillement de femme. Adjouste aussi
l'avoir repris d'autant qu'on lui avoit fait promesse, à
sçavoir de lui donner permission d'ouyr la messe, de la tirer
des fers et d'entre les mains des Anglois pour estre mise en
une prison eccle'siastique, gracieuse, etc.
L'autre point [est] que Dieu lui avoit fait entendre par ses
voix qu'elle avoit consentie à une grande trahison d'avoir
fait cette prétendue abjuration, et que pensant sauver sa vie,
elle s'estoit damnée.
En troisiesme lieu, qu'auparavant qu'elle fut menée au ci-
metière Saint-Ouen pour faire cette rétractation, ses voix lui
avoient particulièrement révélé ce qu'on lui feroit faire ce
jour-là sur le théâtre, et spécialement l'avoient advertie de
dire à maistre Guillaume Erard qui faisoit le sermon, qu'il
estoit un faux prédicateur et imposteur, disant qu'elle avoit
fait beaucoup de choses qu'elle n'avoit onques faites. Main-
tint que si elle ne se disoit envoyée de Dieu, elle se damnoit,
attendu que véritablement Dieu l'avoit envoyée, etc. Brief,
que tout ce qu'on lui avait fait révoquer, n'avoit esté que
par crainte du feu, etc.
Quatriesmement, qu'elle n'entendoit ce qui estoit porté au
formulaire de rétractation qu'on lui avoit fait prononcer et
signer : lequel contcnoit qu'elle avoit fait plusieurs choses
contre Dieu et contre la foy que néantmoins elle n'avoit pas
faites, et n'avoit onques entendu révoquer ses révélations
comme ne provenant pas de Dieu ; et répéta plusieurs fois que
tout ce qu'elle a fait et révoqué, n'a esté que pour crainte du
feu, et n'a rien révoqué qui ne soit contre la vérité.
Cinquiesmement, ditaymer mieux faire une fois pénitence
en mourant que désire toujours à languir en prison. Que si
les juges veulent, elle reprendra 1 habillement de femme ;
mais quant au reste de tout ce qui est contenu en ce prétendu
formulaire, n'en tiendra ni gardera rien, etc. Qui est le som-
maire de ce que l'Evesque a fait registrer.
Sur quoy 3P Guillaume Manchon, premier notaire, duquel
106 K. lilCHKU. LA l'ICIiLLE U OllLKA.NS
nous avons parlé ailleurs, a bien enchéri sur la revision du
procez, ayant déposé que tout le temps qu'on faisoit le pro-
cez à cette fille, il la entendue plusieurs fois se plaindre à
âEvesque de Beauvais et au comte de Warwic, quand on lin-
terrogeoit pourquoy elle se vestoit en femme, qu'elle nosoit
<iter son haut de chausse, ni se desesguilleter :. qu'ils s(;a-
voient bien que ceux auxquels ils lavoient donnée en garde
l'avaient voulu violer, et qu'une fois, comme elle crioit, le-
dit comte courut à sa clameur et à son ordre, et que s'il ne
fust venu, ils 1 eussent violée. Que le Dimanche de la Trinité,
lui qui parle se transporta au chasteau de Rouen avec ses
compagnons co-notaires par commandement du comte de
"VVarwic, pour ce qu'on disoit que Jeanne estoit relapse —
et avoit repris son habillement d'homme, — et qu ils rencon-
trèrent en la cour du chasteau cinquante Anglois armez qui
leur dirent qu'ils estoient traistres et avoient mal fait le pro-
cez. Et estime que c'estoit à cause que Jeanne n'avoit [pas]
esté bruslée dès la première sentence : tellement qu'ils eurent
bien de la peine d'évader des mains des Anglois.
Que pour cette cause, le lundi suivant, vingt-huictiesme
may, lui qui parle ayant esté mandé pour aller au chasteau
•de Rouen, demanda seureté à l'Evesque et audit comte de
Warwic qui le fit conduire en la prison où Jeanne futinter-
rogée en sa présence par l'Evesque de Beauvais et quelques
autres juges qui estoient en fort petit nombre, pourquoy elle
avoit reprit son habillement d'homme. Etresponditque c'es-
toit pour conserver sa pudicité, n'estant [pas] asseurée avec
un habillement de femme ; queses gardes avoient tasché delà
violer et que maintes fois elle s'en estoit plainte à l'Evesque
de Beauvais et au comte de Warwic. Que les juges lui avoient
promis qu'elle serait mise aux prisons ecclésiastiques, et
-auroit avec soy une femme ; et que s'il plaisoit aux juges de
la mettre en lieu asseuré où elle ne craignist rien, qu elle
estoit preste de s'habiller en femme. Quant à ce qu'on lui
avoir fait abjurer, disoit n'avoir [pas] entendu le formulaire
•qu'on lui avait proposé, et que tout ce qu'elle avoit fait et
rétracté estoit par crainte du feu, voyant le bourreau tout
prest avec sa charrette.
A ROUEN. LE PROCES 107
C'est la déposition du premier notaire, bien différente de
ce que lEvesque a fait registrer, ayant fait omettre tout ce
qui servoitù la justification de la Piicelle. Car il a seulement
rapporté qu'elle aymoit mieux l'habillement viril, comme
plus propre et convenant au lieu où elle estoit entre les
hommes, sans parler de ce qu'on l'avo-it voulu violer. Frère
Martin Ladvenu, bachelier en théologie, dépose avoir ouy
dire à la Pucelle qu'un grand seigneur anglois l'avoit voulu
violer, et que, pour ce subject, avoit repris l'habillement
d'homme depuis la première sentence. Ce grand seigneur ne
pouvoit estre que le comte de Warwic, gouverneur du chas-
teau de Rouen, lequel cette fille n'a osé nommer devant
l'Evesque, craignant d'estre plus mal traitée.
Maistre Jean Massieutesmoignequele Dimanche de la Trini-
té, la Pucelle ayant esté accusée comme relapse, etc., elle res-
ponditqu'estant couchée sursonlit, ses gardes lui avoientosté
ses habillements de femme de dessus son lit, et y avoient remis
ses habillements d'homme; et qu'estant pressée d'aller à ses
nécessitez naturelles, avoit prié ses gardes de lui rapporter ses
habits de femme, leur disant qu'ils sçavoient bien qu'elle les
portait par expresse ordonnance des juges : néantmoins
qu'ils ne voulurent jamais lui donner d autres -habits, et
qu'estant pressée d'aller à ses affaires, fut contrainte de ves-
tir cet habillement d'homme, n'en ayant point d'autre.
Qu'alors maistre André Marguerie, l'un des assesseurs de
l'Evesque de Beauvais, estoit présent, et ayant entendu les
plaintes de cette fille, dit qu'il falloit sgavoir véritablement
pourquoy elle aurait repris l'habillement d'homme : que
pour celte cause, il fut en péril de sa vie : d'autant qu'un
Anglois le voulut frapper de sa hallebarde, s'il ne se fust
retiré bien hastivement du chasteau de Rouen en grande
frayeur, comme firent semblablement quelques autres avec
lui. Et tout cela fut exécuté le Dimanche de la Trinité, en
l'absence de l'Evesque de Beauvais, en présence duquel cette
fille n'osait pas dire qu'un grand seigneur l'avait voulu vio-
ler.
Or, nonobstant que cette déposition semble aucunement
contraire à celle de maistre Guillaume Manchon, premier
108 E. niCHER. — LA l'CCELI.E DOULÉANS
notaire, si est-il aysé de la concilier en distinguant les jours
auxquelles elles ont été faites; car divers tcsmoins déposent
des choses diverses selon les temps qu'ils les ont entendues,
comme est la diversité du Dimanche au lundi suivant que
Guillaume Manchon alla voir la Pucelle, mandé par l'Evcsqué
de Bcauvais et le comte de Warwic. Et semble probable et
possible véritablement que cette supposition d'habit fut faite
la nuit du vendredi au samedi précédent par ceux qui
avoient en garde cette fille, ayant eu ordre de ce faire par le
comte de Warwic et l'Evesque de Beauvais, cherchant quel-
que subject de la faire mourir comme relapse. Et après avoir
esté nécessitée de reprendre cet habillement d'homme, je
tiens pour certain que ce grand seigneur duquel ci-devant a
été fait mention, s'efforça de la violer, et que pour cette rai-
son la Pucelle se résolut depuis, tant qu'elle seroit prison-
nière entre les mains des Anglois, de porter l'habillement
d'homme, voire mesme d'endurer plus tost la mort et d'estre
bruslée toute vive, que de demeurer toujours en tel estât et
d'approuver aucune chose de ce qu'on lui avoit voulu faire
rétracter. Je me persuade encore que ce qu'elle a dit au comte
de Warwic, qu'il sçavoit bien qu'on l'avait voulu violer et
quelle l'eust esté de fait, sinon qu'il fust accouru à ses cla-
meurs, etc., estoit parce qu'elle n'osoit pas le nommer préci-
sément, crainte que pis ne lui arrivast; et estime que les
grandes clameurs et doléances qu'elle fit alors émurent telle-
ment ce grand seigneur qu'il désista de sa mauvaise volonté,
Dieu secourant cette fille.
J'oubliais que les dits tesmoins ont encore attesté avoir ouy
dire à cetEvesque, le lundi vingt-huitiesme may, sortant de
la prison, parlant de ce que la Pucelle avoit repris son habil-
lement d'homme, « que c'estoit à ce coup qu'il la tenoit
comme relapse » ; et qu'aux actes du lundi vingt-huictiesme
may ci-devant produits, il lui fit déposer « qu'elle sera bonne
et fera tout ce que l'Eglise voudra, pourvu qu'on lui oste les
fers des pieds, etc. » Or, je tiens pour chose asseurée qu'il a
fait malignement supprimer ces termes en la déposition do
la Pucelle, sçavoir qu'elle sera bonne fille, afin de ne sembler
rendre aucun tesmoignage positif de sa virginité. Et cela
A ROUEN. LE PROCÈS 109
s'induit parce que les dits termes « bonne fille » sont regis-
trezau procez, séance troisiesme, où elle déclare que le pre-
mier précepte et enseignement que lui donna saint Michel
fut « d'estre bonne fille, de se bien gouverner et d'aller sou-
vent à l'Eglise. » A raison de quoy ils ont supprimé cette
clause : « bonne fille ». Et de là peut-on faire induction de
choses plus sérieuses et importantes desquelles l'Evesque de
Beauvais n'a voulu qu'on tint compte. Mais voyons la suite
des actes.
[Délibération unique de la cause de chute et dernière de tout
le procez]
[XXIX mai 1431.]
Le mardi suivant après la Trinité, vingt neufviesme de
may 1431, l'Evesque fait assembler tous ses assesseurs en la
chapelle du chasteau de Rouen, leur fait un grand narré du
contenu aux actes du lundi xxviii^ niay, et outre raconte tout
ce qu'il avoit fait aux actes précédents par leur advis et con-
seil, et comme les articles de la censure de l'Université de
Paris auroient esté lus particulièrement à la Pucelle, etc. Que
jeudi dernier, vingt-quatriesme may, elle avoit fait un acte
de révocation et d'abjuration de ses erreurs en la place
publique après une solennelle prédication, etc. Mais par l'ins-
tinct et suasion du Diable seroit retombée en ses erreurs,
ayant quitté l'habillement de femme et repris celui d'homme,
etc. Que lui Evesque ayant sceu cela, se seroit transporté en
la prison afin de l'exhorter et remettre en bon chemin de la
vérité, etc. : à quoi elle n'auroit voulu obéir. Que pour ces
causes il leur demandoit conseil de ce qu'il estoit bon de
faire.
L'abbé de Fescamp, docteur en théologie, dit : « Attendu
que la Pucelle avoit déclaré n'avoir pas entendu les termes
auxquels le formulaire qu'on lui avoit fait prononcer et
signer, estoit conceu et couché, qu'il estoit d'advis qu'on lui
proposast de rechef ce formulaire, [qu'on le] lui expliquas!
bien particulièrement, et qu'on usast de remonstrances de la
parole de Dieu en son endroit ; et après cela, qu'au cas
110 R. RICIIElt. — LA F>L'GELLE b'oULÉAXS
qu'elle ne se recognusl, fut condamnée comme relapse et
hérétique et abandonnée à la justice séculière, laquelle on
prieroit de traiter doucement cette femme. »
J)uquel advis la plus grande et saine partie des juges
furent. Etl Evesque de Beauvais les ayant remerciés, conclut
contre la Pucelle comme relapse, sans toutesfois lui avoir au
préalable fait proposer et expliquer ledit formulaire de révo-
cation, ainsi qu'il avoit été résolu à la pluralité des voix :
présomption indubitable que le preslat faisoit tout à sa teste,
et ne se servoitdes conseillers que pour donner couleur à ses
iniques desseins.
[Sur la place du Vieux-Marché].
Ce mesme jour de mardi vingt-neufviesme may, la Pucelle
est citée pour comparoir personnellement au lendemain mer-
credi, trentiesme de may 1431 en la place du Viel Marché de
Rouen, à huit heures du matin — c'estoit la veille de la
Feste-Dieu. — Auquel jour de mercredi, sur les sept heures
du matin, l'Evesque se transporta en la prison, assisté de
plusieurs de ses assesseurs, et en leur présence remonstra à
la Pucelle qu'on la debvoit ce jour-là livrer entre les mains de
la justice séculière, qu'elle ne debvoit plus penser à autre chose
qu'a son salut : et pouvoit bien recognoistre que les révéla-
tions qu elle disoit avoir eues, provenoit de l'Esprit malin qui
l'avoit déceue et trompée, lui promettant qu'elle seroit déli-
vrée de prison. Au reste, qu'il appartenait à l'Eglise déjuger
de telles choses, laquelle tenoit telles révélations pour impos-
tures ou pour illusions diaboliques, et qu'elle se debvoit rap-
porter au jugement de l'Eglise, et maintenant dire et reco-
gnoistre la vérité sans rien desguiser et ne plus penser qu'au
salut de son àme.
Elle fut principalement interrogée sur deux points : le pre-
mier si elle avoit eu de fait aucunes révélations; le second, si
ce qu'elle avoit dit de l'ange saint Michel qui avoit apporté
une couronne à son Roy estoit véritable, etc. A quoy elle res-
pondit et continua en cette réponse jusqu'au dernier soupir;
sçavoir que véritablement elle avoit eu des révélations et
A nOUEN. LE PROCES Ht
apparitions provenant de la part de Dieu; que tout ce qu'elle
avoit fait estoit par l'exprès commandement de Dieu, ne croyoit
point que ses voix l'eussent déceue ni trompée et qu'asseu-
rément elles venoient de la part de Dieu.
C'est la déposition de maistre Guillaume Manchon, pre-
mier notaire, de Jean Massieu et frère Martin Ladvenu, les-
quels ont assisté la Pucelle jusqu'au dernier période de sa
vie.
Quant à ce qui est de la couronne apportée à son Uoy, con-
fessa que tout ce qu'elle avoit déposé, et pareillement de
l'ange saint Michel qui l'avoit apportée, etc., l'avoir entendu
de soy-mesme comme faisant l'office d'ange pour mener le
Roy à lîheims couronnera
Après lesquelles dépositions l'Evesque se retira et la Pucelle
fut confessée par frère Martin Ladvenu, bachelier en théDlo-
gie, dominicain, lequel par après alla notifier audit Evesque
ce qu'il avoit fait et lui déclara que Jeanne demandoit qu'on
lui administrast le saint sacrement. Ce qu'entendu, l'Evesque
asssmbla aucuns de ses conseillers, par l'advis desquels il
donna charge à maistre Jean Massieu d'aller dire à frère Mar-
tin qu'on administrast le sacrement de l'Eucharistie à Jeanne
et tout ce qu'elle demanderoit. Comme de fait il le lui admi-
nistra. Et le receut avec une telle dévotion et profusion de
larmes qu'il seroit impossible de l'exprimer.
Et après cela fust menée au Viel Marché de Rouen, assis-
tée desdits Ladvenu et Massieu, et en tout le chemin faisoit
de si pitoyables prières et lamentations, recommandant si
saintement et si dévotement son âme à Dieu, à saint Michel,
saintes Catherine et Marguerite et à tous les saints du Para-
dis, que tous ceux qui l'entendoient ne pouvoient s'abstenir
de pleurer. Or, amenée qu'elle fut au Viel Marché de Rouen,
1. Manifestcuicnt, il s'est produit une confusion dans les souvenirs
d"E. Richer. 11 a cru qu'un interrogatoire avait été fait, dans sa prison,
à Jeanne, le 30 mai au matin. Or, il n'y a de trace de pareil interroga-
toire, ni au procès de 1431, ni à celui de 14bb-SG. Richer n'a pu que
puiser dans \' Information posthume les éléments de ce faux interroga-
toire, car les dépositions oiTiciellcs.de G. Manchon, de frère Ladvenu,
do Jean Massieu au procès de réhabilitation, n'en disent rien.
di2 E. lUCHEn. LA PUCELLE D ORLÉANS
maistrc Nicolas Midi, docteur en théologie, grandement par-
tial pour l'Anglois, fit la prédication. Et l'Evosque ayant
prononcé sa sentence définitive, le mesme Midi, docteur, dit
tout haut : « Jeanne, l'Eglise ne vous peut plus deiïendre,
«lais elle vous abandonne au bras séculier. »
Ce que la Pucelle ayant entendu se mit à genoux sur le
théâtre, faisant ses prières à Dieu très dévotement, à saint
Michel, saintes Catherine et Marguerite, à tous les saints du
paradis : pria maistre Jean Massieu de lui faire avoir une
croix. Et un certain Anglois lui en fit une avec un baston
qu'il tenoit : laquelle elle prit, baisa dévotement et mit en
son sein par grande dévotion. Plus, demanda encore la croix
de l'Eglise qui lui fut apportée ; et après l'avoir baisée et
embrassée en pleurant, recommanda son ame à Dieu, à saint
Michel, et faisant la révérence à tous les assistans, leur
demandant pardon. Et près avoir derechef embrassé la croix
de l'Eglise, elle descendit du théâtre, frère Martin Ladvenu
l'assistant toujours et l'advertissant de son salut.
L'Evesque de Beauvais et quelques chanoines de l'église de
Rouen s'avancèrent lors sur le théâtre du costé où elle estoit
pour la voir, comme le bourreau s'en vouloit saisir, et lors
elle dit tout haut et clair à TEvesque qu'il estoit la cause de
sa mort, qu'il lui avoit promis de la mettre entre les mains
de l'Eglise, mais qu'il l'avoit livrée à ses ennemis mortels.
Le bourreau s'en saisit incontinent, sans qu'il intervint au
préalable aucune sentence du juge séculier, le bailly de Rouen
ayant dit seulement au bourreau : « Menez-la, menez-la ! »
Tous les spectateurs, et mesme plusieurs Anglois, fon-
doient en larmes. L'Evesque de Thérouane pleura pareille-
ment et dit qu'elle estoit morte bonne catholique, et qu'il
désiroit que son ame fust où il croyoit qu'estoit l'ame de
cette fille 1. Semblablement, TEvesque de Beauvais voyant tant
de personnes pleurer, versa aussi des larmes, hypocrisie ou
sympathie. Et tout le peuple murmuroit de ce quon avoit
fait mourir une si sainte fille. Jamais le bourreau ne put
1. Confusion de personne: c'est maître Jean Alépée, chanoine, de
Rouen qui parla ainsi. Procès, t. III, p. 375.
A ROUKN. LE PRÛCKS 113
faire brusler son cœur, quelque grand feu qu'il fist ; et ores
que tous ses ossements fussent réduits en cendres, son cœur
demeura tout entier plein de sang, criant vengeance contre
les Anglois qui le firent jeter en la rivière avec les cendres de
son corps, craignant que le peuplé n'en fist des reliques.
Pendant qu'elle estoit au feu, on l'entendoit prononcer le
nom de Jésus, et plusieurs tesmoignent avoir veu au milieu
de la flamme de feu ce nom de Jésus. Véritablement, il n'y
eut onques créature, excepté les martyrs de l'Eglise, qui aye
plus monstre de constance et patience en ses adversitez et
lourmens que cette fille, de laquelle Dieu s'est voulu servir
pour réunir l'Estat de France et le remettre en sa splendeur,
ainsi qu'il y a esté restabli sous le règne de Charles VII,
lequel employa son autorité pour la réformation de l'Eglise, à
l'exemple de saint Louis, l'un et l'autre ayans fait une prag-
matique sanction, et fit encore réformer l'Université de Paris
par le cardinal d'Estouteville.
Or, voici la teneur de la sentence de l'Evesque de Beau-
vais.
[Sentence de condamnation et de relaps]
« Au nom de Nostre Seigneur, ainsi soit-il !
« Tous les pasleui's en l'Eglise qui désirent s'acquitter fidèlement
de leur charge, etc. — V^oyez la première sentence; car la préface
est toute semblable jusqu'à ces termes :
« Nous disons que tu es une menteuse et pernicieuse invente-
resse de révélations et apparitions, une présomptueuse séductrice,
croyant de léger, une téméraire et superstitieuse devineresse; que
tu as blasphémé contre Dieu, contre ses saincts et sainctes, que tuas
mesprisé Dieu en ses sacrements, prévariqué contre la loy divine
et sacrée doctrine, contre les sainctes constitutions del'Eg-lise ; que
tu es une séditieuse, cruelle, apostatrice, schismatique; que tu as
erré contre la foy en beaucoup de manières ; et qu'en toutes ces
choses et manières, tu as témérairem(mt péché contre Dieu et
saincte Eglise. Davantage, ayant esté souventes fois advertiede ton
salut, tant par Nous mesme que par plusieurs autres doctes per-
sonnages zélateurs du salut de ton ame, de te vouloir amender et
corriger des susdites fautes, et te sousmettre totalement à la dis
position, détermination et correction de nostre mère saincte Eglise,
H4 E. RIC.HEn. — LA PLCELLE D OULEAXS
lu n"as onques voulu le faire, mais [as] mesprisè cela et ne l'en
es pas souciée; au contraire, par un esprit obstiné et endurci, tu
as opiniastrement rejeté tout cela, et par plusieurs et diverses fois
refusé de le sousmetlre à noslre saint père le Pape et au sacré
Concile. Pour ces causes, en tant que tu es opiniasfre et obstinée
es susdites fautes, excès el erreurs, Nous déclarons que de droit tu
as encouru l'excommunication, que tu es hérétique, et qu'après
avoir abjuré cl rejeté tes erreurs en une prédication publique.
Nous te retranchons de l'Eglise tout ainsi qu'un membre de Snthan
infecté et pourri de [la^ lèpre d'hérésie, afin que tu ne gastes et
corrompes les autres membres de .lesuchrist, et t'abandonnons à
la justice séculière, laquelle nous prions néantmoins d'exercer son
jugement contre toy, hors le cas de mort et de mutilation des
membres : et si elle recognoisl en toy les signes véritables de vraye
pénitence, de te vouloir l'aire administrer le sacrement de péni-
tence. »
Signé : Guillaume Colles, (îuillaume Manchon et Nicolas
ïaquel, notaires apostoliques; les deux premiers esleus par
l'Evesque de Beauvais, et le dernier par frère Jean Magistri.
suffragant de l'inquisiteur de la foy, pour instrumenter en
ce procez, Kt un peu plus bas sont les marques des sceaux
de l'Evesque do Beauvais et dudit docteur Magistri en cire
rouge : ce qui fait cognoistre que c'est l'original du procez
latin, car pour celui qui a esté fait en françois, il ne se trouve
point.
Advertissement.
C'est chose bien mémorable qu'autre personne que l'Eves-
que de Beauvais n'a voulu souiller sa conscience du sang de
celte lille, car il n'est intervenu aucune sentence du juge
séculier. Et mesme le bourreau avoit horreur de lui toucher,
ayant dit à frère Isambert de la Roche, religieux dominicain,
bachelier en théologie, l'un de ceux qui assistèrent au procez
avec l'Inquisiteur, qu'il'craignoit d'estre damné d'avoir fait
mourir une si sainte créature. Au surplus, cetEvesque frappé
d'aveuglement par un juste jugement de Dieu, fait en un
mesme jour et en moins de trois heures deux actes du tout
contraires qui se détruisent l'un l'autre, et renversent tout
A ROUEN. LE PHOCES llo
ce qu'il a fait contre la Pucelle en son prétendu procez et aux
sentences données contre icelle. Par la dernière desquelles
sentences il déclare cette fille excommuniée de droit, relapse,
hérétique, opiniastre et obstinée aux erreurs, crimes et excès
d'hérésie, de schisme, de sorcelerie, idolâtrie, etc. Et néant-
moins, une heure auparavant, s'estant transporté en la pri-
son, lui a fait administrer les saints sacrements de pénitence
et de riùicharistie, sans l'avoir au préalable absoute ou fait
publiquement absoudre de l'excommunication qu'il prétend
qu'elle avait encourue de droit, ainsi qu'il estoit nécessaire,
selon l'usage de l'Eglise ; outre encore que cette fille est
déclarée hérétique, relapse et retranchée de l'Eglise par cette
sentence. A-ton jamais vu ni ouy dire qu'on admette quel-
qu'un aux saints sacrements de l'Eglise, sinon qu'on y voie
des signes certains de repentance et de contrition qui ne
peuvent nullement estre en une personne relapse, obstinée et
opiniastre en erreur, hérésie, sorcelerie, etc. Que si elle
estoit telle comme il l'a condamnée par cette prétendue sen-
tence, certes, en tant qu'hérétique et relapse elle debvoit estre
retranchée de la communion de l'Eglise comme un membre
pourri et corrompu, et ne pouvoit estre traitée ainsi que les
enfants de la maison, ni receue à la sainte communion. Et
posé que l'Evesque l'eustabsoute ou fait absoudre au parquet
de la pénitence, auparavant que de lui faire administrer les
sacrements, il ne devoit donc ni pouvoit canoniquement la
déclarer relapse une heure après par sa sentence. Ce qui fait
cognoistre qu'il tenoit cette fille en sa conscience pour toute
autre qu'il l'a dénoncée par sa prétendue sentence en public;
ou bien qu'il estoit impie ou athée, croyant qu'on peut
admettre une personne hérétique et relapse à la communion
du corps de Nostre-Seigneur. « Quelle convention peut avoir
Jésus-Christ avec Bélial? » dit saint Paul. N'est-ce pas encore
momerie d'exhorter le juge séculier par cette prétendue sen-
tence de faire administrer à cette fille le sacrement de péni-
tence, à laquelle ^lui, Evesque,] avoit fait administrer le sacre-
ment de l'Eucharistie en la prison une heure auparavant^?
1. Si. au premier aboni, les critiquos que E. Riciier adresse on cet
aivertissemonl à l'Evesque de Beauvais ne semblent pas dénuées de
116 E. RICIIER. LA PUCELLE d'oRLKAXS
[DE QUELQUES PIÈCES EXTHA-JUDICIAIRES]
[De l'Information posthume ^j
Tout le peuple qui avoit veu mourir si sainlemenl et si
catholiquement cette fille conceut une telle aversion contre
les juges, et principalement contre l'Evesque de Beauvais,
qu'on avoit horreur de le voir, et chacun le monstroit du
doigt, ainsi que plusieurs tesmoins ont déposé. Or, voulant
divertir ce bruit, il fit faire une certaine information d'office,
le jeudi septiesme juin 1431, huit jours après la mort de la
Pucelle, qui est un acte hors du proeez, non signé ni attesté
d'aucuns greffiers ou notaires, et conséquemment ne peut
faire foy ni servir contre cette fille, mais seulement contre
ledit Evesque, suivant la règle commune, que quelqu'un par-
lant en sa cause et en son fait doibt estre cru de ce qu'il dit
contre lui et non pour lui. Car cet Evesque ayant fait mourir
cette fille n'est plus juge après sa mort, mais partie intéressée,
voulant à tort ou à droit maintenir sa fausse sentence: veu
que ladite Information n'a esté revue par aucun notaire,
ainsi que nous avons desjà remarqué. Et d'ailleurs pour faire
foy, elle debvoit estre faite ])ar devant un autre juge que cet
Evesque. Et puisque au procez il a fait glisser et omettre tout
ce que bon lui a semblé, ainsi que nour avons monstre, que
doibt-on penser de cette prétendue informatioji en laquelle des
tesmoins n'estans libres déposent le contraire de ce qu'ils
ont attesté depuis, estans en seureté et hors de crainte, ainsi
que nous verrons ?
fondement au lîoint de vue juridique, l'on doit reconnaître que la
pratique des tribunaux ecclésiasl,iques et les règles de la procéiiuro
inquisitoriale justifient ici et expliquent la conduite du juge de la
Pucelle. Ces règles elles-mêmes sont fondées sur la distinction qui existe
entre le for de la conscience et le for extérieur et public. Quoique les.
relaps eussent été absous in foro conscienfise par le confesseur, le juge
au moment du prononcé de la sentence, les déclarant excommuniés,
étaitdans son droit parce qu'il visait les faits publics de rechute commis
et constatés judiciairement avant l'absolution.
4. Voii' sur ce sujet la -•> série de nos Eludes cviliques.
A ItÛUEX. LE PROCÈS 117
Le premier de ces tesmoins que l'Evesqne prend à serment,
est maistre Nicolas de Venderès, chanoine et archidiacre de
Rouen, âgé de cinquante-deux ans. Et dépose que mercredi,
pénultiesrae de may 1431, veille du saint-sacrement, Jeanne
estant encore en la prison où elle estoit détenue au chasteau
de Rouen, elle dit : « Attendu que les voix qui venoient à
elle lui avoient promis qu'elle seroit délivrée de prison, et
voyant le contraire, elle cognoissoit et sçavoit avoir esté
trompée per icelles. Hem, disoitet confessoit avoir ouy et vu
de ses yeux et propres oreilles les voix et apparitions des-
quelles est fait mention au procez : qu'elle dit cela en
présence de Nous, Evesque de Beauvais, de maistre Pierre
Maurice, de Thomas de Gourcelles, Nicolas Loyseleur, frère
Martin Ladvenu, Jean Toutniouillé et maistre Jacques le
Camus. »
Ce sont sept tesmoins qui déposent en cette prétendue
information d'office par grande précaution et retenue : qui
est un argument de dol et de fraude, ainsi que tiennent les
jurisconsultes, et leurs dépositions sont conformes à l'inter-
rogatoire que l'Evesque aurait fait à la Pucelle, lui disant
qu'elle voyoit bien que ses voix l'avoient trompée et déceue,
lui ayant promis de la délivrer.
Le second tesmoin est frère Martin Ladvenu, prestre de
l'ordre des frères prescheurs, âgé de trente-trois ans, etc.
Lequel,, pris à serment, a recognu et confessé que le jour
que la dernière sentence fut prononcée contre la Pucelle,
au matin, auparavant qu'on la menast en jugement, elle
dit en présence de maistre Pierre Maurice , de Nicolas
Loyseleur, de Jean Toutniouillé et de lui qui parle, qu'elle
sçavoit et cognoissoit bien que ses voix, dont est fait men-
tion au procez, l'avoient déceue, lui ayans promis qu'elle
seroit délivrée de prison.
L'Evesque demanda au dit Ladvenu pourquoy elle disoit
cela. Respond que lui avec les susnommez Maurice, Loyse-
leur, etc., l'exhortoient de son salut et lui demandoient s'il
estoit vray qu'elle eust des révélations et apparitions. Répli-
qua que oui, persistant toujours en cette response sans déter-
118 E. lUCIlEll. LK PUCELLE D ORLEANS
miner en quelles espèces ou formes elles venoient à elle ; au
moins que lui déposant s'en puisse souvenir. Bien pense lui
avoir ouy dire qu'elles venoient en grande multitude et de
petite quantité; en outre avoir déclaré, puisque les ecclésias-
tiques tenoient et croyoient que si c'estoient quelques esprits
qui venoient à elle, quec'estoit de la part des esprits malins,
qu'elle vouloit aussi croire ce que les ecclésiastiques tenoient
de cela et n'y adjouteroit plus de foy.
Et lui sembloit que Jeanne estoit lors saine d'esprit et en
son bon sens. Plus, elle confessa que tout ce qu'elle avoit
déposé de l'Ange qui avoit apporté une couronne à son Roy,
et de toutes les autres choses concernans cette couronne, les
avoir entendues de soy mesmc, voulant dire qu'elle estoit
l'Ange qui mèneroit à Rheinis son Roy pour estre couronné.
Advertissement.
Le religieux dominicain, duquel nous avons ci-devant plu-
sieurs fois allégué le tesnioignage, a déposé en la revision
du procez, estant en liberté, tout le contraire de ce que l'Eves-
que de Beauvais lui fait maintenant confesser des révélations
de la Pucelle, sçavoir qu'elles venoient de la part de Dieu et
ne l'.avoient point trompée ni déceue, ainsi que nous avons
narré ci-devant, et sera plus amplement justifié au livre troi-
siesme. Ce qui doit faire croire que cet Evesque a fait regis-
trer cette déposition à son advantage comme bon lui a semblé.
D'ailleurs, en cette prétendue déposition, ce dominicain
dépose giiod Johanna non deternilnabal proprie, sallem
guod audiret ipse loguens, in qua specie appariliones venie-
banl nisi^ proul melius recolit, veniebant in magna multitu-
dine et in quaniitale minima.
Ce sont les propres termes latins de l'Information. Or il n'y
avoit que huit jours que ce déposant avoit entendu cela, et
néantmoins confesse ne s'en pas bien souvenir, etc. Et cuide
qu'elle avoit dit que ses apparitions venoient à elle en grande
multitude mais petites de quantité. Brief, il ne dit rien
d'asseuré, et posé que la Pucelle eust dit cela, certes il y a
A ROUEN. LE PllOCKS 119
grande multitude d'étoiles au ciel qui apparaissent à nos yeux
bien petites en quantité. Et partant, cette déposition fondée
seulement sur un comme je pense avoir ont/ et s'il tn'en
souvient bien, est de nulle considération, veu la déposition
aiïirmative que ce Jacobin a faite en la revision duprocez.
Néantmoins nous l'emploierons pour confirmer une autre
déposition faite par le sieur Dolon, disant qu'au siège de saint
Pierre-le-Moustiçr, la Pucelle estant demeurée seule aux fos-
sez de la ville, toute l'armée du Roy s'estant retirée, que lui
accourut à elle pour la faire retirer du grand péril où elle
estoit, seule avec trois ou quatre de ses gens : et qu'elle res-
pondit n'estre seule, mais bien assistée de cinquante mille de
ses gens, ainsi que nous avons narré au premier lirre.
Pour le regard de l'Ange et de la couronne apportée au
Iloy, la Pucelle partant allégoriquement, selon le sens de sa
mission et de l'elïet d'icelle, elle n'a rien dit que de véritable,
ainsi que nous avons remarqué au procez, séance dixiesme.
[L'Information posthume [Suite). \
Le troisiesme tesmoin est maistre Pierre Maurice, docteur
en théologie et chanoine de Rouen, âgé de vingt-huit ans,
etc. Dépose que le jour que la sentence fut donnée contre
Jeanne, icelle estant encore en la prison, lui qui parle l'alla
voir de malin pour l'exhorter du salut de son anie, et lui
demanda [cej que c'estoit de cet Ange qu'elle disoit avoir
apporté une couronne à son Roy, dont est fait mention au
procez. Et qu'elle lui dit qu'elle-mesme estoit cet. Ange. Inter-
rogée de la couronne qu'elle promelloit à son Roy et de la
multitude desanges qui l'accompagnoient, respondit qu'ils lui
avoient apparu sous l'espèce de petites choses. Enquise fina-
lement par le mesmc si ces apparitions esloient réelles,
répliqua que oui; et lui apparaissoient réellement, fussent
bons ou mauvais esprits, disant ainsi en françois : « Soient
bons, soient mauvais esprits, ils me sont apparus. « Asseu-
roit avoir entendu la voix principalement à l'heure de Com-
piles, et au matin, quand les cloches sonnoient. Et lui qui
parle ayant remonstré à Jeanne qu'il apparoissoit bien qaie
120 E. RICHEU. LA PfCELLE D ORLEANS
c'estoienl malins esprits qui lui avoient promis qu'elle seroit
délivrée de prison, elle respondit qu'il esloit vray, qu'elle
avoit esté trompée. Et ledit déposant lui ouyt encore dire
qu'elle se rapportoit aux gens d'Eglise si ces apparitions
estoient bons ou mauvais esprits. Et semble au dit déposant
que Jeanne estoit en son bon sens.
Le quatriesme tesmoin est frère Jean Toutmouillé, prestre
de l'ordre des Jacobins, âgé de cinquante-quatre ans, etc.
Dépose que le jour que la sentence fut prononcée contre
Jeanne, sçavoir le mercredi, veille du saint-sacrement, lui
qui parle assistoit frère Martin Ladvenu, son compagnon, qui
s'estoit dès le matin transporté en la prison pour exhorter
Jeanne du salut de son ame ; et qu'il ouyt dire à Pierre Mau-
rice qui estoit desjà en la prison, que Jeanne avoit recognu
et confessé que ce qu'elle avoit dit de cette couronne n'es-
toit qu'une fiction, et qu'elle-mesme estoit l'Ange, etc.
Après cela, que Jeanne avoit esté interrogée des voix et
apparitions qui venoient à elle; et avoit respondu que réelle-
ment et de fait elle entendoit des voix, principalement lors-
qu'on sonnoit les cloches à l'heure des Compiles et des
Matines. Et que ledit Maurice avoit dit à Jeanne que quelques
fois les hommes pensoient entendre quelques paroles, enten-
dans les cloches sonner. Disoit aussi le déposant que Jeanne
avoit confessé avoir eu des apparitions qui venoient à elle
quelques fois en grande multitude et en petite quantité ou
petites ciioses, ne déclarant pas quelles estoient ces espèces.
Item, ledit Toutmouillé a déposé que ledit jour, après qu'ils
furent arrivez en la prison, comme dit est, Nous, Evesque de
J3eauvais, en présence de monsieur l'Inquisiteur, parlasmes
de cette sorte en François à ladite Jeanne :
« Or, ce, Jeanne, vous nous avez toujours dit que vos voix
vous disoient que vous seriez délivrée; et vous voyez main-
tenant qu'elles vous ont déceue et abusée. Dites-nous à pré-
sent la vérité. »
Ou'alors Jeanne respondit : « Vrayment, je vois bien qu'el-
les m'ont déceue. m
Et outre, a dit le déposant qu'auparavant que nous Eves-
A ROUEN. — LE PROCÈS 121
que fussions arrivé en la prison, on interrogea Jeanne si ella
croyoit que les dites voix et apparitions provinssent de bons
ou malins esprits; qu'elle respondit en françois : a Je ne sçay ,
je m'en attends à ma mère l'Eglise. » Ou en cette sorte : « à
vous autres qui estes gens d'Eglise » Plus, asseurele déposant
avoir ouy dire à ladite Jeanne qu'elle estoit saine d'esprit. .
Le cinquiesme tesmoin est maistre Jacques le Camus, pres-
tre, chanoine de Rheims, âgé de cinquante-quatre ans, etc.
Dépose que mercredi, veille du saint-sacrement, lui qui
parle alla au matin avec nous Evesque en la prison, etc., et
qu'il entendit que Jeanne disoit et confessoit publiquement
et à haute voix, de sorte que tous la pouvoient entendre,
qu'elle avoit veu des apparitions qui venoient à elle, et ouy
des voix, et qu'elles lui avoient promis qu'elle seroit délivrée
de prison ; et par cela recognoissoit bien qu'elles l'avoient
trompée, et que pour cette cause elle croyoit que ce n'estoient
de bonnes voix ni de bonnes choses.
Et que, un peu après, elle confessa ses péchés à frère Mar-
tin Lad venu, jacobin. Et comme ledit frère Martin lui vouloit
donner la sainte communion de l'Eucharistie, tenant l'hostie
consacrée entre ses mains, il lui demanda : « Jeanne, croyez-
vous pas que ce soit le corps de Nostre-Seigneur ?» Elle res-
pondit que oui, et que c'estoit lui seul qui la pouvoit déli-
vrer : qu'elle désiroit et demandoit qu'on [le] lui administrast.
Et que le mesme frère Martin lui demanda après : « Ne
croyez-vous plus en ces voix et apparitions?» Respondit: «Je
crois un seul Dieu et ne veux plus adjouster foy à ces voix
puisqu'elles m'ont ainsi déceue. »
Advertissement.
Ce tesmoin (Jacques le Camus) estoit un des suivans et
domestiques de l'Evesque de Beauvais, et n'a pas esté des con-
seillers et assesseurs, ou autres ministres et officiers du pro-
cez. Et sa déposition doibt estre réglée par celle de frère Mar-
tin Lad venu, en ce qu'il parle des voix et apparitions de la
Pucelle autrement que n'a fait ledit frère 3Iartin, lequel néant-
122 E. RICIIEU. LA l'L-CELLE d'ORLÉANS
.moins il allègue en sa déposition, et conférant l'une avec
l'autre, on voit que ce tesmoin s'est voulu composer, pour
complaire à l'Kvesque de-Heauvais.
[De rinformation posthume {Fia).]
Le sixiesmi; tesmoin est maistre Thomas de Courcelles,
bachelier en théologie, âgé de trente ans, etc.
Dit et dépose que mercredi, veille de la feste-Dieu, lui
qui parle estant avec Nous en la chambre où estoit détenue
prisonnière Jeanne au chasteau de Rouen, il entendit que
NousEvesque demandasmes à. Jeanne si ses voixneluiavoient
pas dit qu'elle seroit délivrée de prison, et quelle fist bon
visage. Et semble au déposant que Jeanne respondit : « Je
vois bien que j'ay esté déceue. » Et qu'alors, Nous Evesque,
ainsi que dit le déposant, dismes à Jeanne qu'elle pouvoit
bien cognoistre que ces voix n'estoient de bons esprits ou
bien qu'elles ne venoient de la part de Dieu; car s'il estoit
ainsi, elles n'eussent jamais dit une chose fausse ou n'eussent
menli.
Le septiesme tesmoin est maistre Nicolas Loyseleur, cha-
noine de l'église de Rouen et de Chartres, âgé de quarante
ans, etc. G'estoit un bon Anglois servant d'Achitophel à
lEvesque de Beauvais, se desguisant pour séduire la Pucelle
en prison, feignant d'estre françois et prisonnier comme
elle, etc.
Il dit donc et dépose que le mercredi, veille du saint
sacrement dernier, il accompagnoit maistre Pierre Mau-
rice, docteur en théologie, venant en la prison où estoit
Jeanne dite la Pucelle pour l'exhorter et advertir de son
salut. Et qu'ayant esté requise dire la vérité de cet Ange dont
est fait mention au procez, qu'elle disoit avoir apporté une
couronne grandement précieuse à son Roy, etc., qu'il falloit
qu'elle dist maintenant la vérité et ne pensast plus qu'au
salut de son âme. Il ouyt qu'elle disoit avoir entendu parler
de soy mesme, sçavoir qu'elle estoit cet Ange et que réelle-
ment son Roy n'avoit eu aucune couronne ; et que par cette
A UÙUEX. LE PKOCKS 125
coiiioniie elle n'entendoit autre chose que la promesse qu'elle
avoil faite à son Roy qu'il seroit couronné.
«Outre, dit le déposant qu'il l'entendoit dire en présence de
Nous, Kvesque de lîeauvais, de maistre Pierre Maurice et de
deux frères prescheurs, qu'elle avoit eu réellement et de fait
des visions et révélations d'esprits et qu'elle y avoit esté
trompée : qu'elle cognoissoit et \oyoit bien cela maintenant,
attendu que ces révélations lui avoient promis qu'elle seroit
délivrée de prison, et qu'elle expérinientoitle contraire, (jue
si ces esprits estoient bons ou mauvais, elle s'en rapportoit
aux ecclésiastiques et qu'elle ny adjousteroit plus de foy.
« Plus encore, dit avoir exhorté Jeanne à confesser publi-
quement quelle avoit esté deceue et abusée, et avoit aussi
trompé le peuple, qu'elle lui demandast pardon de l'erreur
qu'elle avoit semée. Qu'elle auroit respondu que très volon-
tiers elle feroit cela, mais ne pensoit pas s'en pouvoir souve-
nir lorsqu'il le faudroit faire, priant son confesseur de lui
remettre cela en mémoire, et toutes autres choses apparte-
nant à son salut. Et dit encore qu'il lui sembla que ladite
Jeanne esloiten son bon sens et monstroit de grands signes
de pénitence et contrition, demandant pardon aux Anglois
et Bourguignons pour avoir esté cause, comme elle confes-
soit, de les faire tuer, fuir, et de leur apporter beaucoup de
dommage. »
Advertissement.
Pour faire cognoistre avec quelle fidélité nous traitons
cette histoire, j'ay bien voulu produire celte pièce, encore
quelle soit hors du procez et n'ayt esté signée ni receue par
aucuns notaire ou greffiers : aussi n'y a-t-on eu aucun esgard
en la revision du procez. Pour la rendre valable et servir
comme d'un testament de mort, TEve&que de Beauvais
devroit avoir tenu registre par ses notaires de tout ce que
cette fille avoit dit et confessé auparavant que d'estre traînée
au supplice; car on eust vu et recognu la vérité de ses dépo-
sitions que cet Evesque a fait déguiser et falsifier après sa
mort, estant partie et non juge. Et d'ailleurs, frère Martin
124 E. RICIIER. — LA PUCELLE D OULEANS
Ladvcnu qui a confessé, communié et assisté la Pucelle jus-
ques à la mort, semblablemcnt maistre Jean Massieu, et plu-
sieurs autres témoins oculaires ont déposé tout le contraire
de ce qui est contenu en cette prétendue information. Et
davantage, tous lesdits tesmoins varient entre eux, et la plu-
part citent frère Martin Ladvenu comme ayant plus veu et
sçeu que tout autre. De toutes lesdites dépositions, celles de
Nicolas de Venderès, de maistre Pierre Maurice, de maistre
Thomas de Courcelles et dudit Ladvenu sont les moins avan-
tageuses pour le dessein de cet Evesque, lequel n'ayantpu en
tout le procez avoir aucune preuve moyennant laquelle on
recognut que les révélations de la Pucelle proviennent des
malins esprits, il a tasché de feindre et controuver après la
mort de cette fille.
Au demeurant, par toutes lesdites dépositions, on recog-
noist notoirement que l'un des plus grands artifices dont
l'Evesque de Beauvais et ses affidés partisans ayent usé pour
induire la Pucelle à un soupçon que ses révélations et appa-
1 itions ne venoient [pas] de Dieu, a esté de tirer cette inno-
cente créature en son propre intérest et lui faire entendre
que ses voix l'avoient misérablement déceue et trompée, lui
promettant qu'elle seroit délivrée de prison ; car c'est ce
qu'ils rabattent si souvent. Sur quoy le lecteur pourra voir
l'advertissement de l'onziesme séance du procez d'oflice où
nous avons monstre que par le désir que chacun a naturel-
lement de vivre, la Pucelle s'estoit trompée elle-mesme par
infirmité naturelle, a3'ant interprété la délivrance de son àme
de la prison du corps pour une délivrance de la prison en
laquelle elle estoit tenue par les Anglois; et que Dieu ayant
promis au prophète Hîérémie de le rendre si puissant que
les roys de Juda, les prestres et tout le peuple ne lui pour-
roient nuire ni mal faire, ce nonobstant ils l'ont mis prison-
nier et fait mourir misérablement et cruellement.
Au reste, les actes du procez registrez le lundi vingt-hui-
tiesme may convainquent de fausseté cette prétendue infor-
mation. Auxquels actes la Pucelle dépose que ses voix lui ont
fait reproche que, pour sauver sa vie temporelle, elle s'estoit
•exposée au péril de se damner éternellement, et qu'elle estoit
A ROUEN. — LE PRÛCKS 125
résolue de mourir une fois, plus tost que de traisner plus
longtemps sa vie en la prison, les fers aux pieds : et que+quo
chose qui lui pust arriver, ne confesseroit point que ses voix
ne viennent de la part de Dieu. Voyez lesdits actes et les
conférez avec la prétendue information. Et posé qu'elle eust
dit, lorsqu'on lui devoit administrer le saint-sacrement,
qu'elle sousmettoit au jugement de l'Eglise d'ordonner la qua-
lité de ses voix, cette déposition ne doibt estre restreinte aux
ecclésiastiques anglois qui l'avoient condamnée, mais [appli-
quée à nostre saint père le Pape et à l'Eglise catholique
conformément aux actes du jeudi vingt-quatriesme may.
LETTRE DU ROI D'ANGLETERRE
AUX PRÉLATS ET SEIGNEURS DE SON OBÉISSANCE
Le Roy d'Angleterre voulant flestrir l'honneur du Roy de
France pour avoir employé la Pucelle, incontinent qu'elle
fut exécutée n'oublia pas d'envoyer partout des lettres conte-
nant le sommaire de tout ce qui s'estoit passé au procez con-
formément à ses desseins, sçavoir qu'elle avoit esté exécutée
comme hérétique, sorcière, idolâtre, etc. Les lettres qu'il
envoya à l'Empereur Sigismond sont en langue latine, datées
du huictiesme juin 1431. Et d'autant qu'elles sont de mesme
teneur que les françoises qu'il a envoyées au prélats et sei-
gneurs des terres de son obéissance et au duc de Bourgogne,
et les unes et les autres du style de l'Evesque de Beauvais qui
se vouloit non seulement laver et excuser d'avoir fait mou-
rir la Pucelle, mais davantage en recherchoit de la louange,
nous représenterons seulement lesdites lettres françoises qui
sont d'une autre date que celle de l'Empereur.
« Révérend péi-e en Dieu, il est assez commune renommée, ja
comme partout divulguée, comment cette femme qui se faisoit
appeler Jehanne la Pucelle, erronée divineresse, s'estoit deux ans
et plus, contre la loj divine et Testât du sexe féminin, vestue en
habit d'homme, chose à Dieu abominable. Et en tel estât trans-
126 i:. niciiEn. — la pucelle d'ouléans
portée devers nostrc ennemi capital, auquel et à ceulx de son parti,
gens d'Eglise, nobles et populaires, donna souvent à entendre
quelle estoit envoyée par Dieu, en soj présomptueusement vantant
qu'elle avoit souvent communication personnelle et visible avec
saint Michel et grande multitude d'Anges et de saintes du paradis,
comme sainte Catherine et sainte Marguerite. Par lesquels faulx
donnez ii entendre et l'espérance qu'elle promettoit de victoires
futures, divertit plusieurs cuers d'hommes et de femmes de la
voye de vérité, et les convertit à fables et mensonges. Se veslit
aussi d'armes appliquées pour chevaliers et escujers. leva estendart,
et en trop grand oultrage, orgueil et présomption, demanda avoir
et porter les très nobles et excellentes armes de France; ce que en
partie elle obtint, et les porta en plusieurs conflilz et assaulx, et
ses frères [aussi], comme l'on dit: c'est assavoir, un escu à champ
d'azur, avec deux fleurs de lis d'or, et une espée la pointe en hault,
férue en une couronne. En cet estât, s'est mise aux champs, a
conduit gens d'armes et de trait en exercite et grans compaignies,
pour faire et exercer cruaultez inhumaines, en respandant le sang
humain, en foisant séditions et commotions dépeuple, le induisant
à parjurement et pernicieuse rébellion, supersticion, et faulse
créance, en perturbant toute vraye paix et renovellant guerre
mortelle, en se souffrant adourer et révérer de plusieurs comme
femme sanctifiée, et autrement damnablement ouvrant en divers
autres cas, longs à exprimer, qui en plusieiu's lieux ont esté assez
cogneuz, dont presque toute la chrétienté a esté scandalisée. Mais
la divine puissance ayant pitié de son peuple loyal, qui ne l'a
longuement laissé en péril, ne souffert demeurer en vaines, péril-
leuses et nouvelles crudelitez où si légièrement se mettoit, a voulu
permettre de sa grant miséricorde et clémence, que la dicte Jeanne
ayt esté prinse devant Compiègne et mise en nostre obéissance et
domination. Et pour ce que dès lors feusmes requis par l'Evesque
du diocèse duquel elle avoit esté prinse. que icelle femme comme
notée et diffamée de crime de lèse-majesté divine lui fissions déli-
vrer comme à son juge ordinaire ecclésiastique: Nous, tant pour
révérence de nostre mère sainte Eglise, de laquelle voulons les
saintes ordonnances préférer à nos propres faits et volontez, comme
raison est, comme pour l'honneur aussi et exaltacion de nostre
dite sainte foy, lui fismes bailler la dite.ïehanne, afin de lui faire son
procez, sans en vouloir eslre prise par les gens et officiers de nostre
justice séculière aucune vengeance ou punicion, ainsi que faire nous
estoit raisonnablement licite, attendu les grans dommages et incon-
véniens, les horribles homicides et détestables cruaultez, et autres
A UOUEiN. LE l'UUCES 127
maux innumérables qu'elle avoit commis à rencontre de noslre
Seigneurie et loyal peuple obéissant. Lequel Evesque, adjoint avec
lui le vicaire de l'Inquisiteur des erreiu's et hérésies, et appelez
avec eux grant et notable nombre de solennels maistres et docteurs
en théologie et droit canon, commença par grande solennité et
deue gravité le procès d'icelle Jehanne. Et après que lui et ledit
Inquisiteur, juges en cette partie, eurent par plusieurs et diverses
journées interrogé la dite Jeanne, firent les confessions et asser-
cions d'icelle mûrement examiner par lesdils maisti'es et docteurs,
et généralement par toutes les Facultés d'eslude de notre très
chiére et aymée fille TUniversité de Paris, devers laquelle les dites
confessions et assercions ont esté envoyées. Par l'opinion et délibé-
racion desquels trouvèrent les dits juges icelle femme supersti-
tieuse, divineresse, idolâtre et invoqueresse de diables, blaphéme-
resse en Dieu et en ses saints et saintes, scismatique, errant par
moult de fois en la foy de Jesu Crist. Et pour la réduire et rame-
ner à l'unitéet communion denostrc dite sainte Eglise, la purger des
si horribles et détestables et pernicieux crimes et péchiez, guérir
et préserver son ame de perpétuelle peine et damnation, fut sou-
vent et par bien longtemps charitablement et doulcement admo-
nestée, à ce que toutes erreurs par elle rejectées et mises arrière,
voulsist humblement retourner à la voye et droit sentier de vérité;
autrement elle se mettoit en grant péril dame et de corps. Mais le
très périlleux et divisé esprit d'orgueil et d'oultrageuse présomp-
tion qui toujours s'efforce de vouloir empescher et perturber l'union
et seureté des loyaulx chrestiens, tellement occupa et détint en ses
liens le courage d'icelle Jehanne, que pour quelconque saine doc-
trine ou conseil, ne autre doulce exhortation que on lui adminis-
ti'ast, son cuer endurci et obstiné ne se voulut humilier ni amollir.
Mais souvent se vantoit que toutes choses qu'elle avoit faites
estoient bien faites, et les avoit faites du commandement de Dieu
et des dites saintes vierges qui visiblement s'estaient à elle appa-
rues. Et qui pis est, ne recognoissait ne vouloit recognoistre en
terre fors Dieu seulement et les saints du paradis, en refusant et
reboutant le jugement de notre saint père le Pape, du Concile
général et de l'universelle Eglise militante. Et véans les juges
ecclésiastiques son dit courage par tant et si long espace de temps
endurci et obstiné, la firent amener devant le clergé et le peuple
assemblé en très grante multitude en la présence desquels furent
solennellement et publiquement, par ung notable maistre en théo-
logie, ses cas, crimes et errreurs à l'exaltacion de nostre dicte foy,
exlirpacion des dits erreurs, édificacion et amendement du peuple
128 E. RICHER. LA l'UCELLE D ORLEANS
chreslien. preschez, exposez et déclarez. Et derechef fut charita-
blement admonestée de retourner à l'union de sainte Eglise et de
corriger ses fautes et erreurs : en quoy encore demoura perlinace
et obstinée. Et ce considérans les juges dcssusdiz procédèrent à
prononcer la sentence contre elle en tel cas de droit introduite et
ordonnée. Mais devant que icellc sentence feust parleue, elle com-
mença par semblant à muer son courage, disant quelle vouloit
retourner à sainte Eglise. Ce que volontiers et joyeusement
oujrentles juges et clergé dessusdiz qui à ce la receurent bénigne-
ment, espérans par ce moyen son ame et son corps estre rachetez
de perdition et tourment. Adonques se soumit à l'ordonnance de
sainte Eglise, et ses eiTeurs et détestables crimes révoqua de sa
bouche, et abjura publiquement, signant de sa propre main la
cédule de la dite révocacion et abjuracion. Et par ainsi, nostre
pileuse mère sainte Eglise, soyesjouissant sur la pécheresse faisant
pénitence, voulant la brebis recouvrée et retrouvée, qui par le désert
s'estoitesgarée et fourvoyée, ramener avec les autres, icelle Jeanne
pour faire pénitence salutaire condamna en chartre. Mais gueres
de temps ne fut illec. que le feu de son orgueil qui sembloit estre
éteint en elle ne se rembrasast en flammes pestilentes par les
souffiements de l'ennemy. Et ianstot renchent la dicte femme
malheureuse es erreur et faulses enrageries que par avant
avoit proférées, et depuis révoquées et abjurées, comme dit est.
Pour lesquelles choses, selon que les jugemens ou institucions de
sainte Eglise l'ordonnent, afin que d'ores en avant elle ne conti-
nuast à corrompre les autres membres de Jésu Crist, elle fut
derechief preschée publiquement et, comme renchue es crimes et
faultes par elle accoustumez, délaissée à la justice séculière qui la
condamna incontinent à estre bruslée. Et véant approcher son fine-
ment, elle cognut pleinement et confessa que les esprits qu'elle
disait estre apparus à elle souventes fois, estoient mauvais esprits
et mensongers, et que la promesse que iceux esprits lui avoient
par plusieurs fois faite de la délivrer estoit faulse; et ainsi se
confessa par les dits esprits avoir eslé moquée et déceue.
Icy est la fin des œuvres, icy est la fin et issue d'icelle femme
que présentement vous signifions, révérend père en Dieu, pour
vous informer véritablement de cette matière, afin que par les
lieux de vostrc diocèse que bon vous semblera, par sermon et pré-
dicacion publique, et aulremenlvous faites notifier ces choses pour
le bien et exaltacion do nostre dite foy et édificacion du peuple
chrestien qui, à l'occasion des œuvres d'icelle femme, a esté long-
temps déccu et abusé: et que pourvoyez, ainsi qu'à vostre dignité
A ROUEN. — LE PROCES 129
apparlient, que aucuns du peuple à vous soumis ne présument
croire de iégier en telles erreurs et périlleuses supersticions, mesme
en ce présent temps auquel nous véons dresser plusieurs Faulx
prophètes et semeurs de damnées erreurs et folle créance, lesquels
eslevez contre nostre mère sainte Eglise par fol hardement et oul-
trageuse présomption, pourroient par aventure contaminer de
venin périlleux de faulse créance le peuple chrestien, si Jésu Crist
de sa miséricorde nv poui'veoit; et vous et ses ministres, ainsi
qu'il appartient, ne entendez diligemment A, rebouter et punir les
volontez et fols hardements des hommes reprouvez. Donné en
nostre ville de Rouen, le vingt-huictiesme jour de juin. »
Âdvertissement.
Ces lettres ont esté adressées précisément pour la des-
charge de l'Evesque de Beauvais, comme aussi celles de
garantie et de protection que nous ferons voir au troisiesme
livre. A la vérité, depuis la mort de la Pucelle il estoit en
exécration au peuple, et mesme environ dix ans après mou-
rut sans parler, comme on lui faisoit la barbe. Or esdites
lettres sont contenues plusieurs impostures.
Et premièrement, c'est chose faulse que la Pucelle ayt esté
prise au diocèse de Beauvais, ainsi que nous avons justifié
ailleurs. Encore est-il faux que cette fille de son propre
motif se soit attribué les très nobles armes de France, car le
Roy les donna à ses frères avec un honneste train, et anoblit
tout leur lignage. Voyez la septiesme séance du procez d'of-
fice. Plus encore est-il faulx qu'on se soit estudié à remettre
cette fille au bon chemin duquel elle n'a jamais forligné, et
les Anglois avoient conspiré sa mort auparavant mesme
qu'elle fust entre leurs mains, l'ayans tirée en cour d'Eglise
pour avoir plus de prétexte de la faire mourir, en tant que
sorcière et hérétique. C'est encore chose faulse que jamais
elle ayt fait abjuration d'aucunes erreurs après le sermon
du docteur Erard, lequel ayant proposé à cette fille un for-
mulaire d'abjuration, elle ayant demandé du conseil pour
lui faire entendre ce que portoit ledit formulaire, ce docteur
Erard lui dénia absolument le conseil qu'elle demandoit,
9
130 E. RICHER. L\ l'UCELLE D ORLEANS
disant que si elle ne le signoit et approuvoit, elle seroit tout
présentement bruslée, etc.
Davantage, il est faulx qu'elle ayt esté condamnée par la
justice séculière, estant tout notoire qu'elle a passé immé-
diatement de la main de l'Evesquc de Beauvais en celle du
bourreau. Très faulx encore qu'elle ayt jamais positivement
confessé que ses voix et apparitions fussent de mauvais
esprits. Et cette clause nous fait voir à quelle fin l'Evesque
de Beauvais a fait sa prétendue information d'office ci-devant
registrée, parce qu'il n'avoit en tout le procez aucune preuve
ni présomption valable pour montrer que les révélations de
cette fille provenoient des esprits malins.
Sur la fin de ces lettres, le Roy d'Angleterre advertit les
prélats de bien enseigner le peuple en leurs prédications et
par toute autre voye, et de n'adjouster point de foy aux
œuvres de la Pucelle, etc.; parce que tout le monde murmu-
roit lors du supplice qu'on lui avoit fait endurer, et disoit
avoir esté injustement condamnée. Pour ces causes, l'Eves-
que de Beauvais fit faire une information et constituer pri-
sonniers deux religieux jacobins, lesquels le propre jour que
la Pucelle fut suppliciée, avoient maintenu qu'elle avoit esté
injustement condamnée par ledit Evesque. Et pour cette
occasion furent contraints de rétracter publiquement ce
qu'ils avoient dit par sentence dudit Evesque et de frère Jean
Magistri, Inquisiteur de la foy, donnée à Rouen, le huictiesme
aoust 1431 ; laquelle sentence est registrée sur la fin du pro-
cez et sert d'indice pour montrer que l'Evesque de Beauvais
se maintenoit par violence et voye de fait, tout ainsi que les
tyrans. L'un des deux religieux dominicains s'appeloit frère
Pierre Bosquier. Je n'ay pu sçavoir le nom de l'autre lequel
n'est exprimé en ladite sentence ^
Le Roy d'Angleterre envoya pareillement s^u duc de Bour-
gogne les susdites lettres françoises, que Monstrelet a regis-
trées toutes entières en son histoire, et Jacques Meyer en fait
aussi inventaire.
1. J. QuicHEU.vr, Procès, t. 1., p. 4'J'i-4y6. ne parle que d'un seul reli-
gieux.
131
[Des lettres de l'Université de Paris.]
Après ladite sentence contre ces deux religieux Jacobins
suit une copie des lettres latines que l'Université de Paris
envoj'a au Pape et à Messieurs les Cardinaux touchant ce qui
s'estoit passé au procez de la Pucelle pour la descharge de
l'Evesque de Beauvais qui est grandement extollé esdites
lettres. Et spécialement ladite Université chante triomphe
pour avoir donné sa censure contre les faits et dits de la
Pucelle, et déclare qu'elle devoit estre tenue pour supersti-
tieuse, devineresse, invoquant les malins esprits, blasphé-
mant contre Dieu, ses saints et saintes, schismatique, etc. :
qui est en somme tout le contenu dudit procez.
Au mesme temps, sous le pape Eugène, fut indit et célébré
le concile de Basle auquel plusieurs docteurs de l'Université
de Paris furent envoyez de la part de ladite Université, sça-
voir maistre Jean Beaupère, Thomas de Courcelles, Nicolas
Lamy, lequel fut tenu pour procureur syndic audit concile, et
publièrent là tout ce qui s'estoit passé au procez de la
Pucelle à leur advantage et de l'Evesque de Beauvais.
Auquel concile assista pareillement Jean Nyder, allemand,
docteur en théologie, de l'ordre des Jacobins, lequel au cin-
quiesme livre, chapitre huictiesme du livre qu'il a intitulé
« Formicarium — De la nature des fourmis », raconte avoir
ouy desdits docteurs de l'Université de Paris, et nommé-
ment de Nicolas Amici, ambassadeur de ladite Université
audit concile, que la Pucelle estoit sorcière et comme telle
avoitesté bruslée :,et fait mention des lettres que le Roy d'An-
gleterre avoit escrites à l'Empereur Sigismond sur le subject
desquelles nous avons fait ci-devant inventaire. Et le bon
docteur Calvenier, aux notes qu'il a faites sur l'œuvre de
Nyder, apporte une annotation du livre inscrit : Maliens
maleficarum, tome premier, en ces termes : « Sed ex scripto
régis Angliae non est sufftciens probatio, quia lestimonium
hostis ad condemnandum non est validum, imo nec ipso-
rum Parisiensium quitumsub Anglo erant. — Que l'escrit
du Roy d'Angleterre n'est pas une preuve suffisante, pour ce
132 E. lUClIKU. — LA l'LCEI.LE D OHLEANS
que le tesmoignage d'un ennemi n'est valide pour faire con-
damner une personne, ni semblablement le tesmoignage de
l'Université de Paris qui lors obéissoit à l'Anglois. »
En condrniation de cela nous pouvons alléguer ce que nous
avons veu du temps de la Ligue auquel les prédicateurs ne
parloient point autrement du Roy Henry troisiesme de
bonne mémoire, que d'un sorcier, et le fit-on représenter
comme tel en peintures gravées, parce qu'en la chapelle des
Minimes du bois de Vincennes près de Paris, on avoit
trouvé deux chandeliers d'argent faits en forme de satyres
ayant des cornes et pieds de chèvres, lesquels estoient en
la chapelle où le Uoy Henry troisiesme faisoit ordinairement
ses dévotions avec sa noblesse. Et pour lors toute la popu-
lace crut estre véritable ce que les prédicateurs disoient de
ce bon et très catholique prince, faisant montrer au peuple
en leurs prédications de ces ligures de satyres engravées.
Tant il est dangereux d'adjouster foy au témoignage de ceux
qui sont recognus pour ennemis mortels. Le peu de soin
que nos pères ont eu de faire cognoistre la vérité de cette
histoire miraculeuse est cause que plusieurs ont cru que la
Pucelle estoit sorcière, sur les faux bruits et calomnies
semées parles Anglois et leurs partisans.
Toutes fois, parmi cette conjuration contre le Roy Char-
les VII et l'Estat de France, nous avons un très juste subject
d'admirer et bénir la Providence divine d'avoir inspiré
l'Evesque de Beauvais de faire si exactement le procez à
cette fille et de nous en avoir conservé les originaux ; parce
que s'ils l'eussent fait mourir légèrement sans avoir esté
ainsi interrogée, ou que l'on eust supprimé les actes du pro-
cez, certes la postérité eust tenu tant de faits miraculeux
pour délivrer le royaume de France de la tyrannie et usur-
pation des Anglois, pour quelques fourberies ou fiction
fabuleuse semblable à celle de la nymphe Egeria que Numa
Pompilius consultoit, ainsi qu'il faisoit accroire aux Ro-
mains.
FIN UU LIVKE .SECOND ET DU PKOCKS DE CONDAMNATION
DE I.A l'L'CELLE
SUPPLEMENT AU RECIT D'E lUCHER
LA MORT DE JEANNE D'ARC
D'APRÈS LES TÉMOINS OCULAIRES'
Le matin du mercredi 30 mai, Frère Martin Ladvenu et Frère
Jean Toutmouillé, dominicains, sur l'ordre de l'évêque de Beau-
vais, vinrent trouver Jeanne dans sa prison et lui dirent qu'elle eût
à se préparer à mourir. « Quand Frère Ladvenu annonça à la
pauvre fille qu'elle allait être condamnée comme relapse- à mourir
sur un bûcher, elle se mit à crier douloureusement et piteusement,
et à s'arracher les cheveux.
« Hélas! dit-elle, me traite-t-on si horriblement que mon corps
« qui est pur, qui ne fut jamais con-ompu. soit aujourd'hui con-
« sumé et réduit en cendres ! Ah ! j'aimerais mieux être décapitée
« sept fois que d'être ainsi brûlée. Si j'eusse été gardée par les
« gens d'Eglise, non par mes ennemis et adversaires, il ne me fût
« pas si misérablement meschu. Oh ! j'en appelle devant Dieu, le
« grand Juge, des torts et ingravances (injustices, mauvais traite-
« ments) qu'on me fait. »
En ce moment, Pierre Cauchon entra, suivi de plusieurs cha-
noines et docteurs. Dès qu'elle l'aperçut, Jeanne lui dit : « Evêque,
je meurs par vous ! »
« — Ah ! Jeanne, prenez patience, répondit Cauchon. Vous
mourez pour ce que vous n'avez pas tenu ce que vous aviez promis
et que vous êtes retournée à votre premier maléfice. »
1. Extrait du chapitre .\l de notre Hisloire de Jeanne d'Arc, t. IH,
pp. 425-436. — L'éditeur, Ph.-H. D.
2. Procès, t. I, p. 468.
134 SUPPLEMENT AU HÉCIT DE, RICHEH
El la |)aiivre Piicelle lui répondit : « Jlélas! si vous m'eussiez
mise en prison de cour d'Eglise et rendue entre les mains des con-
cierges ecclésiastiques et convenables, ceci ne fût pas advenu. C'est
pourquoi j'appelle de vous devant Dieu '. »
Parmi les maîtres et docteurs présents se trouvait Pierre Mau-
rice, qui avait servi de conseil à la prisonnière et l'avait plusieurs
fois confessée. Jeanne, l'apercevant, lui demanda :
— Ou serai-je ce soir?
— N'avez-vous pas bonne espérance, répondit Pierre Maurice.
— Oui, dit-elle. Dieu aidant, j'espère aller en paradis-.
Dès que Pierre Gauchon et les docteuris se furent retirés, Jeanne se
confessa par deux fois à Frère Ladvenu ; après quoi elle demanda
la sainte communion. Son confesseur n'osa prendre sur lui de la lui
donner et il en référa à lEvêque de Beauvais. Celui-ci, après avoir
consulté, répondit à Jean Massieu : « Allez dire à frère Martin de
donner à la prisonnière la communion et tout ce qu'elle voudra •'. u
Aussitôt un prêtre alla chercher la sainte hostie et la porta sans
apparat. Cette façon d'agir indigna Frère Ladvenu. Sur ses ins-
tances formelles, le prêtre se rendit à l'église voisine et requit le
clergé de porter à Jeanne le corps du Seigneur avec la pompe
accoutumée. On déféra à sa requête et l'on porta processionnelle-
ment la sainte Eucharistie dans la prison de Jeanne avec un grand
nombre de flambeaux. Chemin faisant, on chantait les litanies et
les assistants répondaient : Priez pour elle, priez pour elle '* !
Jeanne reçut la sainte communion avec de tels sentiments de
piété, avec une telle abondance de larmes, une telle émotion, que
frère Martin, témoin de cette scène, renonçait à l'exprimer.
Un peu avant neuf heures, la jeune fille, en habit de femme, un
chaperon sur la tête, prit place, avec Jean Massieu et frère Martin
Ladvenu, sur la charrette qui devait la conduire au Vieux-Marché.
Autour d'elle, les Anglais se pressent, s'agitent avec une sorte de
riu'ie. Cent vingt soldats armés jusqu'aux dents lui servent d'es-
corte. Autour de la place, sept à huit cents hommes attendaient sa
venue. Plus de dix mille spectateurs en avaient envahi les abords et
les rues avoisinantes ''.
1. Procès, t. H, p. 34. Déposition de Fr. Toutinouillé.
2. Procès, t. III, p. 191. — Déposition du curé Riquier.
3. Ibid., t. II, p. 334; t. III, p. 158. — Déposition de J. Massieu.
4. Ibid., t. III; p. 114. — Déposition de Frère Jean de Lenozoles.
5. Procès, t. m. pp. 159, 173 ; t. II, p. 328; ibid.. pp. 14, 363. —
Dépositions de Nicolas Houppevillo, de Manchon, de J. .Massieu et de
P. Migiet.
LA MORT DE JEANNE d'aRC 135
Tout en cheminant, la pauvre enfant se recommandait, en lar-
mes, à Dieu et aux saints, et les gens du peuple pleuraient avec
elle. Nicolas Loiseleur, son perfide conseiller, ne put tenir à ce
spectacle et se précipita vers Jeanne pour lui demander pardon. Les
soldats irrités le repoussent, le maltraitent et sans l'intervention
de Warwick l'auraient tué^. Warwick signifia à Loiseleur qu'il
eût à quitter la ville, sans quoi il ne répondait pas de sa vie.
Cependant on approchait du lieu du supplice; il était environ
neuf heures quand le lugubre cortège y arriva. « Rouen, Rouen,
disait Jeanne de temps à autre, est-ce donc ici que je dois mourir ? »
Sur la place du Vieux-Marché, non loin de l'Eglise de Saint-
Sauveur, quatre estrades avaient été dressées. La première était
occupée par les juges ; la deuxième par le cardinal de \yinches-
ter^, les évéques de Noyon, de Norwich et plusieurs chanoines,
maîtres et docteurs^. Sur la troisième prirent place le bailli de
Rouen, son lieutenant, leurs sergents et officiers. La quatrième
reçut le prédicateur désigné, Nicolas Midi, et Jeanne elle-même. A
quelques pas, on apercevait le bûcher composé de fagots reposant
sur un massif de moellons et de plâtre qui supportait un poteau
élevé. En face de léchafaud de Jeanne, on voyait un tableau avec
cette inscription en grosses lettres :
Jehanne, qui s'est fait nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse,
abuseresse du peuple, devineresse, superstitieuse, blasphémeresse de
Dieu, présomptueuse, malcréant de la foi de Jésus-Christ, vanteresse,
idolâtre, cruelle, dissolue, invocatrice de diables, apostate, schisma-
tique et hérétique ^.
1. Ibid., t. II, p. 320; t. III, p. 162. — Dépositions de Nicolas Taquel
et de Bois-Guillaume.
2. Ibid., t. II, p. 6.
3. Procès, t. I, p. 469. — Le procès-verbal officiel nomme seulement
les évêques de Thérouanne et de Noyon, et les maîtres et docteurs
Jean de Chàtillon, André Marguerie, Nicolas de Venderès, Raoul
Roussel, Denis Gastinel, Guillaume Le Bouchier, Jean Alépée, Pierre
de Houdenc, Guillaume Haiton. le prieur de Longueville et Pierre
Maurice. Cependant, les ecclésiastiques présents étaient fort nom-
breux : Prœsentibus... quain pluribus aliis dominis et magislris,
ecclesiasticis viris. La foule aussi était considérable : in magna mul-
litudine tune in eodem loco exislenle [Procès, t. I, pp. 466, 470).
Le manuscrit de D'Urfé nomme de plus Robert Gilbert, doyen de la
chapelle du roi Henri, et Thomas de Courcelles (Ibid.).
Le plus grand nombre des ecclésiastiques se retirèrent après le
prononcé de la sentence et ne voulurent pas être témoins du supplice.
4. Ibid., t. IV. pp. 439-460.
136 SUPPLEMENT AU UECIT DE. RICHER
La mitre qu'on lui mil sur la têle portail ces mots :
Hérétique, relapse, apostate, idolâtre.
Le prédicateur développa pendant une heure, en l'appliquant à
la condamnée, cette parole de saint Paul : « Si un membre suuffre.
tous les membres souffrent. » Il finit en disant : « Jeanne, va en
paix ! L'Eglise ne peut plus te défendre; elle t'abandonne au bras
séculier'. »
Ce fut alors à l'Evéque de lieauvais de prendre la parole. Et
d'abord il adressa à Jeanne quelques exhortations, l'engageant à
penser à son âme, à faire pénitence, à écouter et à suivre les con-
seils des deux Frères Prêcheurs qu'on lui avait donnés pour l'assis-
ter jusqu'au dernier moment.
Parlant ensuite en son nom d'évéque-juge et au nom du vice-
inquisiteur qui siégeait à ses côtés, Pierre Cauchon rappela les
raisons qui lui faisaient un devoir de condamner l'accusée, l'obsti-
nation de Jeanne dans ses erreurs, la pénitence hypocrite qu'elle
avait feinte, avec parjure du saint nom de Dieu : « Puisque,
ajouta-t-il, elle s'est montrée de la sorte obstinée, hérétique el
relapse, indigne de toute grâce.. . ; tout bien considéré, sur la mûre
délibération de nombreux gens de savoir, nous avons procédé à
notre sentence définitive en ces termes. »
Et l'évéque lut aussitôt la sentence de condamnation rapportée
plus haut.
Dès que la voix de Pierre Cauchon a cessé de se faire entendre,
les Anglais entourent la malheureuse jeune fille, avides de sa mort
et de son supplice. Jusqu'en cette partie du procès, les juges violè-
rent les règles consacrées de la procédure canonique. La sentence
épiscopale prononcée, Jeanne aurait dû être conduite au bailli,
représentant de la puissance séculière, et elle n'aurait dû être
livrée au bourreau qu'après que le bailli aurait de son côté, en
qualité de juge laïque, prononcé une nouvelle sentence. Or, il n'en
fut rien. Le bailli, à la vérité, était pi'ésent, accompagné de son
lieutenant et de plusieurs fonctionnaires civils, mais il ne prononça
de sentence d'aucune sorte. On avait hâte d'en finir. « Sans que le
bailli ou moi, déposait Laurent Guesdon, son lieutenant, eussions
rien ordonné », sans qu'on se mit en peine de mener Jeanne où le
bailli rendait ses sentences, comme cela se pratiquait habituelle^
1. Procès, t. III, p. 159. — Déposition de J. Massieu.
LA MORT DE JEANNE D ARC 137
ment, « le bourreau la prit et!la conduisit k l'endroil où le bûcher
était préparé ^ » .
Dès que son arrêt de mort a été prononcé, Jeanne se jette à
genoux et se met à se lamenter et à prier à haute voix.
« Sainte Trinité, s'écria-t-elle, ayez pitié de moi ! Je crois en
vous ! Jésus, ayez pitié de moi ! »
Elle invoque la Vierge, les saints, les saintes.
« 0 Marie, priez pour moi ! Saint Michel, saint (iabriel, sainte
Catherine, sainte Marguerite, soyez-moi en aide ! »
Elle pardonne le mal qu'on lui a fait ; elle se recommande au
pieux souvenir des prêtres,
« Vous tous qui êtes ici, pardonnez-moi comme je vous par-
donne. Vous, prêtres, dites chacun une messe pour le repos de
mon àme-. »
Elle n'entend pas qu'on s'en prenne au roi.
« Qu'on n'accuse point mon roi; il n'a pas trempé dans ce que
j'ai fait; si j'ai fait mal, il est innocent '^ !
A la pensée des qualifications de schismatique et d'hérétique qui
lui sont appliqués et qui s'étalent au-dessus du bûcher, l'indigna-
tion monte à ses lèvres et elle s'écrie :
< Non, je ne suis pas hérétique, je ne suis pas schismatique ; je
suis une bonne chrétienne *. »
Elle reprend ensuite ses invocations.
1 0 Marie, benoîts saints et saintes du paradis, protégez-moi,
secourez-moi ! Est-ce donc ici que je dois mourir ? »
A ce moment, l'émotion devint universelle. « Il y avait bien dix
mille assistants pleurant et disant que c'était grand pitié ^. »
A peine vit-on quelques Anglais ricaner^. Plusieurs de ces
ennemis de Jeanne ne purent s'empêcher de répandre des larmes.
On vit pleurer Cauchon lui-même, l'évéque de Théronanne et le
cardinal de Winchester, grand oncle du petit roi^.
1. Procès, t. III, pp. 187, 188. Déposition de Laurent Guesdon, ancien
lieutenant du bailli de Rouen. — Procès, t. Il, p. 8. Déposition de Fr.
M. Lavenu.
2. Procès, t. II, p. 19 ; t. III, p. 177. — Dépositions de J. Massieu et
de Jean Lefèvre.
3. Ibid., t. III, p. 36. — Déposition de Jean de Mailly, évèque de
Noyon.
4. Ibid., t. II, p. 303. — Déposition de Frère Isambard.
5. Ibid., t. III, p. 194. — Déposition de Moreau, bourgeois de Rouen.
6. Procès, t. III, p. 53. — Déposition du docteur Delachambre.
7. Ibid., t. II, p. 6 ; t. III, p. 177. — Dépositions de Frère Isambard
et de J. Lefèvre.
138 SUPPLEMEMT AU RECIT DE. KICHER
Jeanne ajant demandé à Jean Massieu qu'on lui procurât une
croix, un Anglais en fait une avec deux morceaux de bois. La
jeune fille la prend, la baise et la met sous ses vêtements, sur sa
chair. Mais ce qu'elle voudrait, c'est la croix avec l'image de Jésus
crucifié. Elle prie Frère Isambard de la Pierre d'aller chercher
celle de l'église voisine. Quand il l'apporte de l'église Saint-Sau-
veur, la pauvre enfant la couvre de baisers et de larmes et la serre
en ses bras. Avant de monter sur le bûcher, elle supplie le bon
religieux de la tenir o élevée tout droit devant ellejusques au pas
de la mort, afin que la croix où Dieu pendit fût, tant qu'elle respi-
rerait, continuellement devant ses jeux ^. »
Cependant la soldatesque s'impatiente. Une demi-heure environ
s'était écoulée depuis que la prédication avait pris fin -. On crie à
Jean Massieu : « Hé ! prêtre, nous ferez-vous dîner ici? » Deux
sergents du roi montent sur l'estrade. La Pucelle embrasse une
dernière fois la croix, salue les assistants et se laisse mener
devant le juge séculier ou bailli. Celui-ci, sans prononcer aucune
sentence, se borne à dire : « Emmenez-la! » Puis, s'adressant au
boun-eau, il ajoute : « Fais ton office^. ■»
Pendant que les Anglais et les clercs de Henri VI la conduisent
au bûcher, Jeanne s'écrie de nouveau : « 0 Rouen, tu seras donc
ma demeure! c'est donc ici que je mourrai *! »
Elle gravit avec Frère Ladvenu les degrés du bûcher et elle est
attachée au poteau. Tandis que le bourreau serre les liens, elle
invoque tout particulièrement saint Michel ^. A la vue de la
foule qui remplit la place et les rues voisines, elle ne peut s'empê-
cher de dire :
€ Ah ! Rouen, Rouen, j'ai grand'peur que tu n'aies à souffrir de
ma mort^ ! »
Une grande quantité de bois avait été entassée sur le bûcher.
Les Anglais entendaient que leur ennemie fût réellement brûlée
vive. Le bourreau y ayant mis le feu, Jeanne aperçut la flamme.
1. Ibid.,i. II, pp. 6, 20. — Dépositions de Fr. Isambard et de J. Mas-
sieu.
2. Ibrd.. t. 11,11, 351.
3. Procès, t. II, pp. 20, 324; t. III, p. 159. — Dépositions de J. Massieu
et de Pierre Bouchier,
4. Ibid., t. II, p. 3o"J ; t. III, pp. 202 et J185. — Dépositions de Frère
Isambard, de Pierre Daron et d'André Marguerie.
5. Ibid., t. IV, p. 459.
6. lbid.,i. II, p. 324. — Déposition de Pierre Bouciiior.
LA. MORT DE JKANNE D ARC 139
« Maître Martin, s'écria-t-elle, descendez; le feu! » Elle ajoute
cependant : « Elevez la croix, que je puisse la voir. » Ladvenu des-
cend et ne cesse, tant que la suppliciée respire, de l'exhorter avec
Frère Isambard de la Pierre, en tenant toujours la croix élevée.
Quand la flamme l'atteint : « De l'eau, de l'eau bénite ! » demande
la jeune fille ^.
Parmi les crépitements du feu, elle invoque à plusieurs reprises
le nom de Jésus ^.
Le feu gagnant toujours, elle s'écrie :
« Saint Michel! saint Michel! non, mes Voix ne m'ont pas
pas trompée ! ma mission était de Dieu ^ ! »
Un peu après, elle dit encore : « Jésus, Jésus, Jésus ! »
Enfin, un dernier cri, poussé d'une voix forte*, dans lequel
s'exhale son âme de vierge, de martyre et de sainte ! « Jésus ! »
C'était le 30 mai 1431.
Jeanne n'avait pas vingt ans.
1. Procès, t. II, p. 8; t. III, pp. 169, 194. — Dépositions de Frère
Martin Ladvenu et de J. Moreau.
2. Jusqu'à six fois, dit le témoin Lcparnientier. Procès, t. lU,
p. 186.
S. Ibid., t. III, p. 170. — Déposition de F. M. Ladvenu.
4. Ibid-, t. III, p. 186. — Déposition de Leparmentier.
LIVRE TU
LE PROCÈS DE REVISION
AVANT-PROPOS DE L'EDITEUR
JEANNE D'ARC ET SA « MISSION DE SURVIE
Comme nous l'avons fait pour le livre second de l'histoire de la
Pucelle par E. Richer, nous traiterons dans un avant-propos spé-
cial deux questions propres à éclaircir le sujet du livre troi-
sième. Elles peuvent se poser ainsi :
1° Pourquoi le roi Charles VII parait-il n'avoir songé à la revi-
sion du procès de Rouen, et na-t-il fait procéder à une enquête
préliminaire qu'une vingtaine d'années après le supplice de la
Pucelle, c'est-à-dire en février 1430?
2° Pourquoi le Saint-Siège na-t-il constitué le tribunal de la
revision que cinq années encore plus tard, c'est-à-dire en 1455 ?
L'examen de ces deux questions en fera surgir une troisième que
nous ne regretterons pas d'avoir rencontrée : celle de Jeanne et de
sa « mission de survie ».
Si nous parvenons à jeter quelque lumière sur cette dernière
question en particulier, le lecteur trouvera peut-être moins éton-
nant qu'un intervalle de vingt-cinq ans se soit écoulé entre la
condamnation judiciaire de Jeanne d'Arc et sa réhabilitation.
Edmond Richer n'aborde pas ces questions. Dans sa préface ou
Advertissement au lecteur, il se borne à dire que si la revision du
procès de 1431 n'a eu lieu qu'en 1455, c'est que « le roy Charles
n'y avait pu faire travailler auparavant, tant à cause des
grandes affaires qu'il avait sur les bras, que pour le différend
survenu entre le concile de Bâle et le pape Eugène IV ». [Op. et
loc. cit., p. 37.)
Au commencement du livre troisième, notre auteur note la paix
LE PROCÈS DE REVISION. — AVANT-PROPOS 141
et la prospérité dont le royaume jouissait après « que les Anglois
eussent esté entièrement chassez de la Normandie et de la
Guyenne ». U se fit alors un mouvement d'opinion qui réveilla le
souvenir des belles actions de la Pucelle et de l'inique procès qui
l'avait condamnée. Il n'en fallut pas davantage, au sentiment de
nicher, pour que le roi « fust conseillé de faire revoir ce prétendu
procez ». Et c'est alors qu'il charge;\ maître (luillaume Bouille d'en
« faire perquisitionner les nuUitez ».
Edmond Hicher aurait pu en dire davantage. Essayons de sup-
pléer à son silence et touchons qvielques mots de la « mission de
survie » de la Pucelle. Nous y serons amené en recherchant quelle
fut l'attitude du roi Charles VU. depuis la mort de l'héroïne jus-
qu'à l'enquête mentionnée tout à l'heure, c'est-à-dire de 1431 à
1450, et quelle fut aussi celle du Saint-Siège. x
IMIEMIERE P.MlïlE
De l'attitude du roi Charles VII de 1431 à 1450.
1
(Juelle fui l'altitude de Charles VII, eu égard à la Pucelle. en
l'année de son supplice et dans les quelques années qui suivirent ?
Cette attitude fut celle qu'il avait observée durant le procès, une
attitude d'inditlérence et d'effacement. C'est un fait malheureuse-
ment indéniable que le roi de France, en ces années 1430, 1431,
n'a rien tenté pour arracher sa bienfaitrice au sort que ses enne-
mis lui préparaient.
De zélés avocats de ce prince, ne pouvant contester le fait, ont
essayé de le justifier et ils ont dit que si Charles n'a eu recours ni
à la voie des négociations, ni à la force des armes pour délivrer la
Pucelle, c'est qu'il y eût eu recours inutilement et qu'aucun moyen
ne lui eût réussi.
Mauvaise, très mauvaise raison. D'abord le pays n'exigeait pas
de son roi qu'il brisât les fers de la captive; il lui demandait seule-
ment de le tenter. L'honneur et la reconnaissance le demandaient
encore plus haut.
Mais ce que sophiste, si retors, si habile fût-il, ne prouvera
jamais, c'est qu'une difficulté quelconque ait empêché le roi de
France d'aviser au moins le pape du cas de la Pucelle. de lui
dénoncer les desseins de l'Angleterre et, puisque les juges de Rouen
142 E. RICHER. — LA l'UCELLE DUKLÉANS
ne tenaient aucun compte de l'appel de l'accusée au Saint-Siège, de
le supplier, au nom des règles les plus sacrées de l'Eglise, d'inter-
venir au procès.
C'est ce moyen qu'Edmond Hicher reproche au roi Charles Vil
de n'avoir pas mis en œuvre, et on ne peut lui contester le mérite,
plus de deux cents ans avant Le Brun de Charmettes et le père
Henri Denifle, d'en avoir montré la lacilité.
Mais écoutons-le lui-même :
« Considérant les efforts des Anglais pour perdre la Pucelle, et
qu'ils n'épargnent or, argent ni aultre chose quelconque pour
obtenir ce qu'ils prétendoient, je suis grandement marry que par
toutes nos histoires, ni mesme au trésor des chartes de France, il
ne se trouve aucun acte public et authentique du debvoir qu'on a
fait ou deu faire d'empescher le dessein des Anglois. Et me sem-
ble, sous correction, que Sa Majesté debvoit lors estre conseillée
d'envoier des hérauts au Roy d'Angleterre prolester de la nullité
de tout ce procez, et demander que cette fille fut envolée au Saint-
Siège apostolique, récusant l'Evesque de Beauvais.
< Possible que ceux qui estoient lors en faveur auprès du Prince
portoient envie aux faits héroïques de la Pucelle et persuadèrent
au Roy que Dieu, l'ayant envolée miraculeusement à son secours,
la délivreroit aussi miraculeusement, et qu'il falloit commettre
toute cette affaire à la Providence de Dieu, que cela seroit
plus glorieux au Roy et tourneroit à la grande confusion des
Anglois. Mais telle voye semblait tenter Dieu, lequel ne fait pas
toujours miracles sur miracles, ains veut que les causes secondes
opèrent de leur costé '. »
A la suite d'Edmond Richer, l'auteur du Chartularium Universi-
tatisParisiensis, le P. H. Denifle éci-ira de nos jours :
« Une lourde responsabilité pèse sur Charles Vil qui, pendant
une année entière (mai 1430 — mai 1431), ne s'est donné aucune
peine pour délivrer la Pucelle. S'il ne pouvait venir avec une
armée, pourquoi lui-même n'a-t-il pas interjeté un appel au
pays, pourquoi n'a-t-il pas informé au moins du procès le Chef
de l'Eglise ? Et cependant le roi ne ' s'est pas privé pour cor-
respondre avec le pape quand il s'agissait de présenter des sup-
pliques pour ses favoris. » {Mémoires de l'Histoire de Paris,
t. XXIV, p. 13-14.)
1. E. RicHEK, op. cit., t. I, p. 227.
LE PROCES DE REVISION. AVANT-PROPOS 143
H
Charles VII n'ayant pas jugé bon, dans les premiers mois de
1431, d'informer le Saint-Siège de la suspicion qui planait sur les
sentiments des juges de Rouen et par suite sur la régularité du
procès lui-même, s'y résolut encore moins au lendemain du sup-
plice de la Pucelle. Très vraisemblablement quelques années, cinq
ou six, s'écoulèrent avant que ses idées subissent de sérieuses
modifications. 11 demeurait sous l'influence néfaste de ses mi-
nistres auprès desquels ne trouvaient grâce ni ses bons sen
timents d'autrefois envers Jeanne, ni sa bonne volonté. D'autre
part, il faut bien en convenir, si sa foi en la mission de l'envoyée
de Dieu quant aux événements accomplis ne fut pas ébranlée, sa
foi en sa mission totale fut mise à une rude épreuve ; et il en fut
de même de tous les personnages, prélats, maîtres en théologie,
seigneurs et capitaines, qui avaient approché l'héroïne, conversé
avec elle et qui l'avaient ouï exposer les grandes choses qu'elle
venait exécuter de par Dieu.
La Voyante n'avait pas seulement annoncé à Chinon et Poitiers
qu'elle ferait lever le siège d'Orléans et qu'elle mènerait sacrer le
dauphin à Reims ; elle avait assuré que les Anglais seraient
« boutés hors de toute France », que Paris rentrerait en l'obéis-
sance du roi, que le duc d'Orléans ne mourrait pas en Angleterre
où il était prisonnier, mais qu'il reviendrait de sa captivité, que
Charles Vil vei'rait de son vivant le territoire délivré et qu'il ren-
trerait en la possession des provinces de son royaume. Justement,
à cause de leur caractère extraordinaire, et parce que le jeune roi
avait été sacré et le siège d'Orléans levé, ces vaticinations étaient
entrées profondément dans la mémoire des loyaux Français. Or,
voilà qu'avant qu'elles aient été accomplies, Jeanne tombe entre
les mains de ses ennemis, et sa mort cruelle semble interdire à
ses compagnons d'armes l'espoir de les voir jamais réalisées.
III
On se souvenait pour désespérer : on eut dû se souvenir, Char-
les VII le premier, pour espérer quand même et demeurer persuadé
que les prédictions de l'envoyée de Dieu s'accompliraient jusqu'au
bout.
Car Jeanne savait bien que sa mission totale ne s'accomplirait
pas de son vivant; qu'elle comprendrait deux parties bien dis-
144 E. RICHEn. — LA PUCELLE D ORLEANS
lincles, lune, « mission de vie o, à laquelle personnellement elle
melli'ail la main, laulre, « mission de survie », qui ne produirait
ses effets qu'après sa mort.
Klle parlait de sa « mission de vie », lorsqu'elle disait au roi
<:iiarles en présence du duc d'Alençon : « (lentil dauphin, je dure-
rai une année, guères plus. Il me faut donc bien employer. » [Procès,
t. 111, p. 99.)
Rn effet, que dura sa « mission de vie »? Une année et un
mois.
11 a fallu vingt-deux ans pour mener à terme sa « mission de
survie ».
Mais l'héroïne n'en certifia pas moins l'importance et l'accom-
plissement.
(> Elle fut, rapporte Mathieu Thomassin, par aucuns interrogée de
sa puissance, si elle dureroit guères, et si les Anglois avoient puis-
sance de la faire mourir. Elle i-espondit que tout estoit au plaisir
de Dieu, et si certifia que s'il lui convenoit mourir avant que ce
pour quoy Dieu lavoit envoyée fust accompli, après sa mort elle
nuyroit plus auxditz Anglois qu'elle n'auroit fait en sa vie et que
non obslant sa mort, tout ce pour quoy elle estoit venue s'accom-
pliroil. »
Et Mathieu Thomassin ajoute :
« Ainsi que a esté fait par grâce de Dieu, comme clairement il
appert et est chose notoire de nostre temps '■. »
Remarque précieuse témoignant que la « mission de survie » de
la Pucelle n'a pas été un vain mot. Le chroniqueur aurait pu
faire observer que cette seconde partie de sa mission totale ne
devait pas rencontrer moins de difficultés que la première.
Dans la « mission de vie », après la campagne de la Loire,
l'échec de Paris mis à part, il ne s'agit que d'une sorte de prome-
nade militaire, de Reims à l'Ile-de-France, sans bataille livrée. La
« mission de survie » demandera des efforts plus soutenus et ren-
contrera de plus grandes difficultés. Jeanne sollicite ces efforts et
signale ces difficultés. Elle annonce par avance les événements
glorieux qui en seront le résultat. L'histoire les nomme la paix
d'Arras, la soumission de Paris, la délivrance du duc d'Orléans, la
prise de Rouen, la conquête de la Normandie, celle de la Guyenne,
la victoire de Castillon où meurt le magnanime Talbot, et l'expul-
sion définitive de l'Anglais.
Parmi les admirateurs de la Pucelle, il y en avait assurément
1. Procès, t. IV, p. 311, 312.
LK PKOCÈS DE IIEVISIOX. AVANT-I'UOPOS 145
qui attendaient avec confiance raccoinplissement de cette pai'tie
de sa mission. Mais ils étaient plus nombreux les indifférents qui
s'en désintéressaient, et les ennemis du royaume qui plus que
jamais qualifiaient de mensongères celles de ces vaticinations que
les événements n'avaient pas encore justifiées.
"iv
11 n'y a pas apparence que durant les cinq ou six années qui
suivirent le drame de Houen, le roi Charles ait gardé bien vivante
sa foi en la mission de survie de la Pucelle, et qu'il en ait attendu
avec une confiance inébranlable l'accomplissement.
On en peut juger d'après les faits que voici :
En avril 1431, Home envoie à titre de légat a latcre le cardinal
de Sainte-Croix, avec mission de travaillera rétablir la paix entre
ces deux puissants princes chrétiens, les souverains de France et
d'Angleterre. C'est au lendemain de la mort de Jeanne. N'était-ce
pas le cas de parler de son procès et d'ébaucher des ouvertures de
paix ? On a cherché dans la correspondance du cardinal si jamais,
au cours de sa mission, le nom de Jeanne a été prononcé, la ques-
tion dé son intervention dans les affaires du royaume traitée ;
les recherches ont été vaines et, si le cardinal s'est trouvé dans ce
cas, il n'en a jamais dit un mot dans sa correspondance diploma-
tique, il en a gardé le secrets
Quelques semaines avant le supplice de Jeanne d'Arc, le pape
Eugène IV avait été promu au souverain pontificat. Notification
fut faite au roi Charles Vil du choix du nouveau chef de l'Eglise.
En réponse à cette notification, le roi députa une ambassade spé-
ciale, à la tête de laquelle fut placé le futur archevêque de Reims,
Jean Juvénal des Ursins-. Mais pas plus que le cardinal de Sainte-
Croix, l'envoyé du roi de France ne fit allusion au procès de
Jeanne : aucun document ne le donne à entendre, et il est plus que
probable qu'on évita de s'aventurer sur ce terrain brûlant.
Il n'y a pas à se faire illusion: à Rome quelques personnages
officiels eussent peut-être par curiosité mis volontiers le sujet de
la conversation sur le cas de la Pucelle : à Paris on ne l'entendait
pas ainsi. Jean Juvénal des Ursins se souvint deux ans plus tard,
en 1433, des instructions qu'il avait rerues en mai 1431. Il était
\. Cf. notre Etude, Jeanne d'Arc et l'Eglise, p. 543. In-8», Paris, 1908.
2. Voir DE Beaujourt, Histoire de Charles VU. t. [I, p. 46'J. et Noël
Valois, Pragmatique sanction, p. LVII.
10
146 E. RICHER. LA PUCËLLE D ORLKANS
alors évéque de Beauvais. Les Etats du royaume s'élant réunis à
Blois. l'ancien ambassadeur leur adressa une longue épître dans
laquelle il parlait du « faict douloureux et très piteux du royaume
de France », et après avoir décrit les fléaux qui le ravageaient, il
proposait les mesures qui, à son avis, devaient y porter remède.
Charles VII n'y est pas oublié. ^Dieu l'aime; il l'a montré par la
protection qu'il lui a accordé; il le montrera de nouveau en lui
continuant cette protection. « Quelles merveilles, en effet, remarque
le prélat, le Ciel n'a-t-il point opérées en sa faveur? Sauvé des
mains de ses ennemis à Paris, Charles a vu la victoire voler a la
suite de ses troupes, à Beaugé, à Orléans, à Compiègne et le con-
duire à Reims où il a reçu l'onction royale. Ce n'est ni a la valeur des
chevaliers, ni aux prières des gens d'Eglise que sont dus ces succès
prodigieux, mais uniquement à la faveur de Dieu qui aime le roi
et qui a donné courage à petite compagnie de vaillants hommes. »
En lisant ces lignes, impossible de ne pas penser à la Pucelle et
de ne pas chercher son nom. L'orateur nomme Orléans qu'elle a
délivré, Reims où elle a mené et fait sacrer Charles Vil, et il ne
nomme pas celle à qui l'honneur en revient. Pourquoi cela? jMani-
festement, parce que ce témoignage public rendu à sa bienfaitrice
eût déplu à Charles Vil.
Depuis son ambassade àRome, Juvénal des Ursins savait à quoi
s'en tenir sur les sentiments du roi à ce sujet. Ces sentiments n'a-
vaient pas changé. Charles affectait d'ignorer Jeanne. Désireux
après sa mort de reconnaître le dévouement des Orléanais pen-
dant le siège, il leur écrit des lettres leur accordant certains
privilèges. Mais en ces lettres il se garde bien de nommer la
Pucelle. Ce malheureux prince la mettait, sinon hors la loi, du
moins hors l'opinion. 11 faut arrivera l'année 1436 pour l'entendre
parler de la jeune fille qui a combattu et souffert pour lui.
« Pucelle m'amye, dit-il à la Dame des Armoises, quand elle tenta
de le surprendre, soyez la très bien venue, au nom de Dieu qui
sait le secret qui est entre vous et moi^. » C'est donc chose très
probable que, avant de prendre la route de Rouen en mai ou
juin 1431, Juvénal des Ursins reçut du chancelier Regnault de
Chartres des instructions catégoriques. Il n'y a pas de témérité à
penser que l'une des principales fut celle-ci : « Surtout ne parlez
pas de la Pucelle-. )>
1. Procès, t. IV, p. 281.
2. Voir sur cette question, l'étude de l'abbé Péchenard, Jean Juvénal
des Ursins, p. 156-162. In-8«, Paris, 1876.
LE PROCKS DE REVISION. AVANT-PROPOS d47
Un autre sujet qui mérite réflexion, c'est la réserve absolue
dans laquelle Charles Vil et ses conseillers ecclésiastiques ou
laïques se tinrent lorsque le gouvernement anglais, après la
mort de son ennemie, s'empressa d'informer par lettres authen-
tiques, les princes de la chrétienté, l'empereur et Home même, du
procès qui venait de se juger. 11 voulait sans perdre un instant pré-
venir et fausser l'opinion. 11 voulait que l'on apprit, non pas com-
ment les choses s'étaient passées, mais de quelle manière on dési-
rait qu'elles fussent envisagées.
Les auteurs de cette propagande du mensonge furent le roi
d'Angleterre, pour ne pas dire l'évéque de Beauvais, et sa « fille
aimée », l'Université de Paris.
Le roi d'Angleterre signa deux lettres adressées, l'une aux princes
chrétiens, l'autre aux prélats et seigneurs ses sujets. L'Université
de Paris écrivit deux autres lettres, l'une au pape, l'autre au col-
lège des cardinaux.
Ces lettres avaient ceci de commun qu'elles présentaient la con-
damnation delà Pucelle sous un jour absolument favorable. Son pro-
cès, disait-on. était en soi un chef-d'œuvrede justice et d'équité. Les
juges de la cause avaient rendu à l'Eglise et à l'Etat le plus grand
des services en livrant cette fille au bûcher. Ils les avaient débar-
rassés d'une aventurière qui ruinait par ses dogmatisations et ses
erreurs la foi des princes et des fidèles^.
Il y avait pour le roi de France, dans la publication de ceslettres,
une belle occasion de protester contre les affirmations menson-
gères qui y étaient contenues, d'opposer la vérité à la calomnie et
d'éclairer les hauts personnages, en particulier le chef de l'Eglise,
qu'on s'attachait à tromper. Ni Charles VU, ni ses ministres, ni
aucun des admirateurs de la Pucelle n'eurent le courage de formu-
ler cette appréciation.
On a écrit qu'il y eût eu imprudence à le faire. En ce qui
regarde le roi, « il craignait sans doute d'assumer sur sa tête, au
préjudice de sa souveraineté renaissante mais encore mal établie,
cette suspicion d'hérésie que les Anglais n'oublièrent pas d'exploiter
contre lui, alors même qu'il ne faisait rien pour la Pucelle, et qu'il
semblait par son silence respecter l'autorité de l'Eglise dans la
personne des juges qui étaienthostiles à son parti. Peut-être dou-
1. Voir ceslettres dans J. Quicherat, Procès, l. I, tout à la fin.
148 E. IlICHER. LA PUCELLE d'oRLKANS
ta-l-il lui-même de la réalilo d'une inspiralion «jiii causait un tel
scandale '. »
Nous n'irons pas jusqu'à penser que Charles \ll ait pu revenir
sur le passé et révoquer en doute l'inspiration de la jeune fille qui
l'avait mené sacrer à Keims. Non, il n'a pas douté de sa t mission
de vie w ; mais il a pu sa demander si, Jeanne livrée aux flammes,
tout n'était pas fini et si, pour l'avenir, il ne luilallait pas renoncer
aux espérances dont la présence de l'envovée de Dieu semblait être
la garantie.
VI
Quelle sera donc l'attitude du jeune roi pendant les cinq à six
années qui suivirent le drame de Houen ?
Ce sera 1 attitude .d'un prince qui a fait un trop beau rêve pour
désespérer. Surpris par la brutalité des événements, il sera
comme écrasé, comme anéanti. Mais l'histoire n'a pas dit son
dernier mol : cinq ans ne s'écouleront pas sans que la martjre et
celui qu'elle appelle son roi se rencontrent de nouveau. Ce sera
d'abord à l'occasion de la paix d'Arras ; puis lorsque Paris rede-
viendra français. Et ce ne sera pas fini. A partir de "ce moment, la
revision du procès de liouen apparaît à Charles Vil comme chose
possible. Bientôt, elle lui apparaîtra comme chose probable. Elle le
deviendra de plus en plus à mesure que Jeanne accomplira sa mis-
sion d'outre-tombe. La délivrance du sol français en serale tei'me;
sa propre réhabilitation en sera le couronnement.
Ainsi, le temps du désarroi moral, d'une sorte de désespérance
aura été de cinq années pour Charles \U, de 1431 à 1435. A cette
date, la lumière commence à briller, elle va croissant et elle finit
par dissiper les ténèbres. Il y eut un premier rajon à la paix d'Ar-
ras, un second à la soumission de la capitale, un troisième à la
mise en forme du procès de condamnation, un quatrième au
retour du duc d'Orléans de sa captivité d'Angleterre, un cinquième
à la prospérité continue des affaires du royaume, un sixième à la
capitulation de Rouen, un septième à la victoire de Formigny et à
la recouvrance de la Normandie, un huitième à la conquête de la
Guyenne et à la prise de possession de Bordeaux, un neuvième
et dernier à la victoire de Castillon et à l'expulsion définitive des
Anglais.
i. Cil. DH Beaihepaiue, liecherclies sur le procès de condamnation,
p. 94. in-8», f\ouen, ISG'J.
LK PROCRS DK UKVISION. — AVANT- l'HOPOS 149
A chacun de ces événements les personnages, princes, seignenrs,
prélats, membres des commissions royales qui se souviennent, le
roi le premier, voient sortir un peu plus de l'ombre la physionomie
de l'envoyée de Dieu qu'a été Jeanne d'Arc, el à chacun d'eux s'af-
firme avec une clarté persuasive l'accomplissement progressif de
sa mission de survie. Lorsque Uouen lui eut ouvert ses portes en
1449, Charles VHne douta plus et n'hésita plus. L'heuredc la répa-
ration était sonnée, il fallait mettre la main à l'œuvre. Ce que
commencerait la France, Rome l'achèverait. El c'est ainsi que par
ordre du roi il fut procédé dansla capitale de la Normandie àl'en-
quèle qui fut comme l'annonce ol le prélude du procès canonique
de la réhabilitation.
SECONDE PARTIE
De lattitude du Saint-Siège après le procès de Jeanne d'Arc. —
Avant les années 1450-1455 le pape était-il dans les conditions
voulues pour faire procéder à la revision du procès de 1431?
La vérité qui nous parait se dégager des réflexions précé-
dentes, c'est que l'intervalle de vingt ans qui s'est écoulé avant le
premier acte de protestation du roi Charles contre la condamnation
inique de la Pucelle, a été indispensable pour lui fournir la preuve
complémentaire de sa mission totale de par Dieu.
La même vérité va se dégager, ce nous semble, des réflexions qui
suivent sur l'attitude du Saint-Siège de 1431 à 1450-55, eu égard
à la mémoire de la suppliciée. Le procès de revisionne pouvait être
utilement ouvert plus tôt qu'il ne l'a été. Entre auti-es témoins
il entendre il y avait la Providence. Elle ne voulait parler qu'à son
heure. Rome attendit qu'elle l'eût fait, et elle s'en est bien trou-
vée. Avec elle la France, l'histoire, la justice éternelle ne peuvent
que s'en l'éjouir.
l
Un des faits caractéristiques à relever dans l'histoire du procès
de la Pucelle c'est que, à nous en rapporter aux documents connus,
le Saint-Siège ne s'en serait occupé ni pendant les débats, ni dans
les années qui suivirent.
Les raisons majeures qui expliiiuent celle abstention pendant les
débats sont la volonté manifeste du gouvernement anglais de tenir
150 E- RICHKK. LA l'L'CEI-LK D UULKAXS
Rome h l'écart et dans l'ignorance de la cause, et. du côté du gou-
vernement français, l'absence de toute démarche directe ou indi-
recte pour saisir le chef de l'Eglise d'un recours motivé.
On ne sait que trop à quels sentiments peu dignes d'un roi de
France, à quelles considérations politiques non moins indignes de
lui, l'on doit attribuer l'attitude que Charles VU observa pendant
le procès. On est pareillement fixé sur le but que la cour d'Angleterre
poursuivait ens'efforçantdetenir Rome dans l'ignorance des débals;
elle ne voulait à aucun prix d'une intervention pontificale qui eût
rendu impossibles ses projets de vengeance et fait juger la préve-
nue par un autre tribunal que celui de Rouen.
En ces années 1430, 1431, deux papes ont occupé le siège de
saint Pierre, Martin V et Eugène IV. Le procès de Jeanne s'ouvrit
sous Martin V, il se termina sous Eugène IV. Ni l'un ni l'autre
de ces papes n'en furent informés par les puissances que cette cause
intéressait ; encore moins furent-ils priés d'intervenir.
Qu'on parcoure le texte du procès : on n'y trouvera pas une seule
page donnant à entendre qu'il y ait eu des explications quel-
conques au sujet de la cause à juger entre Rome et l'Angleterre :
on n'y découvrira pas une seule pièce qui paraisse inviter le chef
de l'Eglise à s'y intéresser, ou bien un ordre, une instruction, un
bref pontifical répondant à cet appel.
Parmi les pièces citées, il y a des lettres du gouvernement anglais,
de l'évêque de Beauvais, de l'Université de Paris. Aucune de ces
lettres ne prend le chemin de Rome et n'est adressée au Saint-
Siège.
Le nom du pape Martin V ne se lit qu'une fois dans tout le pro-
cès ; celui du pape Eugène IV jamais.
Et le nom de Martin V n'y figure que pour préciser la date d'une
séance.
C'est au nom du roi d'Angleterre que Pierre Cauchon engage,
mène, juge le procès, .lamais, au cours des débats, il n'éprouve le
besoin de demander à Rome des instructions. Lorsque l'accusée eu
appelle au pape, l'évêque dédaigne cet appel et n'y répond que par
le sarcasme.
Quant au gouvernement anglais, il ignore le Saint-Siège avant,
durant et même après la cause. Ce n'est pas lui qui annonce au
pape et aux cardinaux la condamnation et le supplice de la Pu-
celle, c'est l'Université de Paris.
Nous avons mentionné plus haut la mission dont le pape Eugène IV
nouvellement élu chargea le cardinal Albergati de Sainte-Croix
en vue d'un rapprochement entre la Fi-ance et l'Angleterre. On
LE l'IlOCES DE REVISION. — AVANT-PROPOS 151
louchait à la fin du procès de Rouen. Or, dans la lettre que le pape
écrivit à son légat a latere la Pucelle n'est pas nommée et aucune
allusion n'y est faite. Ou bien Rome ignorait, ou bien elle estimait
l'abstention chose sage. Si elle ignorait, le roi de France en est
bien un peu cause, mais à l'Angleterre revient une aussi grande
responsabilité.
Cette façon d'agir des deux gouvernements anglais et français
explique suffisamment pourquoi ni Martin V, ni Eugène IV n'in-
tervinrent au procès de la Pucelle, comme Clément V était intervenu
sous Philippe le Bel, dans le procès des Templiers, et comme
Léon X le fit plus tard dans le procès de l'allemand et humaniste
Reuchlin. Les hommes d'Etat d'Angleterre et de France n'igno-
raient pas ce qui s'était passé en 1307 dans l'afTaire des Templiers.
L'Angleterre s'en souvint pour garder les mains libres. Charles VII
ne s'en souvint que pour demeurer sourd à la voix de l'honneur et
aux réclamations de la gratitude.
II
M. Gabriel Hanotaux est déconcerté par le silence du Saint-
Siège durant le procès de Rouen. « Il n'est guère admissible,
remarque-t-il, que pendant les six longs mois des débats, Rome
n'ait rien vu, rien entendu; qu'elle ait tout ignoré, ou qu'elle ait,
depuis, tout oublié. Morosini fait allusion plusieurs fois à des
communications importantes qui auraient été faites à Rome par
Charles VII et par l'Université de Paris au sujet de Jeanne d'Arc.
De fait, il suffisait de quinze ou vingt jours à un messager pour
aller de Rouen ou Paris à Rome, et il était rare que pour les
affaires d'État ou les affaires de l'Église, il n'y eût pas toujours
quelqu'un en route. » (Gabriel Hanotaux, Revue des Deux Mondes,
15 mai 1910.)
L étonnement de Ihonorable académicien est fait lui-même pour
étonner. Le gouvernement anglais tenait à ce que Rome ignorât les
débats et la max'che du procès de Jeanne. Le gouvernement fran-
çais, comme s'il entrait dans les vues de l'Angleterre, n'a rien fait
pour éclairer le Saint-Siège. S'ensuit-il que le gouvernement pon-
tifical ait vraiment tout ignoré? Nul n'en peut rien dire. Il a pu
tout savoir et prendre ses sûretés pour que son sentiment et ses
informations restassent des secrets d'État. Ce ne serait pas la
première fois que le cas se rencontre dans les annales du Saint-
Siège.
II a pu arriver aussi que le chef de l'Église ait jugé inutile de
152 E. niCHEH. LA l'L'CliLLE U OULEA.NS
savoir, précisément à cause de l'éclat de la cause et de la solennité
avec laquelle le tribunal allait procéder. Des juges à la science
desquels les gens les plus difficiles rendaient hommage, des asses-
seurs choisis parmi les suppôts les plus brillants de l'Université de
Paris, l'intérêt que 1 Tniversité même prenait à la cause, autant de
garanties offertes au Souverain l'onlife pour laisser la justice
suivre son cours et avoir confiance dans l'impartialité de ses
représentants, à moins qu'il ne surgit des circonstances et raisons
canoniques mettant en suspicion grave la régularité du procès et
obligeant le juge suprême à tout remettre en question. Mais alors
il fallait non seulement que ces circonstances se produisissent, mais
qu'acte en fût pris et qu'elles fussent dénoncées à qui de droit dans
les formes voulues. Or, les juges de Rouen veillèrent à ce qu'on
n'en fît rien, et vraisemblablement Rome ne fut instruite positive-
ment de ces irrégularités qu'après que Thomas de Courcelles eût
rais le procès en forme. Jusqu'à cette heure-là, comme beaucoup
d'assesseurs, la cour romaine put croire le procès de la Puceile
suffisamment régulier. A partir de ce moment, un changement
se produit : comme nous le disions tout à l'heure, qu'il y ait eu
ignorance ou confiance de la part du Saint-Siège, l'une et l'autre
cessent et, à Rome aussi bien qu'à Paris, on va marcher vers
la pleine lumière.
Quant à la Chronique Morosini, 10, M. llanotaux ne lui prête-t-il
pas une autorité qu'elle ne saurait avoir ? Lorsque les faits dont
elle se porte garant ne sont pas confirmés par d'autres documents
dignes de foi, de sages critiques estiment qu'il y a lieu de les con-
sidérer comme non avenus. Tel est le cas des prétendues commu-
nications de Charles VII dont il est question plus haut. Sur le sujet
présent, nous avons des documents plus sérieux que la chronique
susdite : ce sont les actes de l'Université de Paris dont le père
dominicain Henri Denifle a dressé le Chartulaire. Qu'on prenne la
peine de rechercher dans cet ouvrage, t. IV, quels ont été les faits
et gestes de la puissante Université de l'année 1430 à 1452. Dans
les pièces qui passent sous les yeux, il n'est pas plus question de
Jeanne à propos du Saint-Siège, que si elle n'eût jamais existé.
Nous [n'exceptons que les deux lettres de 1431 reproduites par
J. Quicheral.
Ce terrain du procès de la Puceile était donc bien dangereux
pour qu'aucun des docteurs de Paris n'osât s'y aventurer ? Si en
s'abstenant ils exécutaient une consigne, que faut-il conclure sinon
que l'Université tenait médiocrement à faire la lumière ?
LE PROCES DE REVISKhN. AVANT-PROPOS 153
IIJ
Que, pendant le procès de la Pucellc, le Saint-Siège ait été tenu
au courant de ce qui se tramait à Kouen on qu'il l'ait ignoré, aucun
document ne renseignant sur ce point les historiens, la seule cer-
titude qui demeure, c'est que le chef de l'Eglise ne l'a approuvé ni
blâmé, et qu'il n'est pas sorti d'une réserve absolue.
Au lendemain du procès, son attitude n'a pas été différente. Il a
gardé le silence, il a écouté, car cette fois on est venu à lui, il a
attendu, et tant que la lumière ne s'est point faite, en particulier
tant que la Normandie et sa capitale ne sont pas sorties des mains
des Anglais, on n'a pas recueilli de sa bouche une parole permet-
tant d'espérer que le jugement du tribunal de Rouen serait revisé.
Cet espoir ne s'affirme que le jour où le cardinal d'Estouteville,
légat de Nicolas V, ordonne et préside la première enquête cano-
nique touchant la condamnation de la Pucelle.
Que sied-il de penser de cette conduite du chef de l'Église ?
Faut-il y voir l'effet de l'indifférence ou celui de la politique ?
N'est-elle pas plutôt la seule qu'il pût adopter, la seule que la
nature de la cause à apprécier, les difficultés des temps, la sagesse
et les traditions de la cour romaine lui commandaient d'observer ?
Pour se former une opinion, qu'on ne prenne pas au sérieux des
affirmations sans preuves comme celle-ci : « l'Église a condamné
Jeanne vivante, durant la puissance anglaise ; elle l'a réhabilitée
morte après les victoires des Français. » (A. France, Jeanne
d'Arc, préface, p. 20.) A ne pas sortir du vrai, l'historien acadé-
micien aurait dû écrire : « Des gens d'Église ont condamné Jeanne
vivante; mais l'Église l'a réhabilitée, dès que cet acte de haute jus-
tice a été possible ; il ne l'a été qu'au bout de vingt-cinq ans. »
Un premier fait public, bien propre à montrer combien il était
nécessaire que le Saint-Siège se défiât et n'arrêtât de résolution
qu'à bon escient, c'est l'impudeur avec laquelle, un mois après le
supplice de Jeanne, le roi d'Angleterre et l'Université de Paris, «sa
fille ajmée », s'efforcent de surprendre la bonne foi du pape régnant
et de le tromper. Et ils espéraient d'autant plus y réussir, que
l'Angleterre et l'Université de Paris étaient des puissances avec
lesquelles Rome devait compter.
Un second fait, tout aussi grave, c'est que ces lettres apologé-
tiques du procès de la Pucelle ne provoquent aucune réponse,
aucune protestation. Personne, au royaume de France, ne songe à
mettre le Saint-Siège en garde contre les mensonges et les calom-
154 K. RICHER. — LA PUCELLE U ORLEANS
nies dont ces lettres sont remplies. Charles VII s'en tient au silence
dont il ne s'est pas départi durant le procès, les prélats et docteurs
de la Commission de Poitiers suivent son exemple.
Ainsi, tandis que la voix des bourreaux de la martyre retentit
dans le monde chrétien et dans Rome même, flétrissant l'héroïque
jeune fille et réclamant une admiration spéciale pour le tribunal
qui l'a fait mourir, aucune voix vraiment française ne s'élève pour
donner au jugement rendu par ce tribunal le seul nom qu'il mérite
et que l'impartiale histoire lui infligera, celui d' « assassinat
judiciaire '».
Chose non non moins triste à constater : la haine des ennemis
de la Pucelle ne désarmera pas ; seuls ses amis n'oseront prendre
en main sa défense. Au concile de Bàle, les docteurs qui représen-
tent l'Université de Paris, et dont quelques-uns avaient été les
conseillers intimes de l'Évêque de Beauvais, font parmi les pères
assemblés, de la propagande en faveur des juges de Rouen et sou-
tiennent opiniâtrement l'indignité de leur victime. Edmond
Richer, qui rapporte le fait dans son histoire manuscrite de
Jeanne, ajoute que cette propagande n'eut pas tout le succès auquel
on s'attendait. U n'y eut pas lieu davantage de relever le succès
d'une propagande tendant à réhabiliter la Pucelle, non à Bâle,
mais seulement en France, au cours des années qui suivirent sa
mort. Comment, en ces vingt années, ne s'est-il pas produit un
seul mémoire justificatif de ses faits et gestes ? C'est en l'an-
née 1450 seulement que Guillaume Bouille, doyen de Noyon, rédi-
gea celui qu'il remit plus tard aux juges de la revision.
IV
Quel accueil le pape Eugène IV lît-il aux letti-es de l'Univei'sité
de Paris ? Aucun document ne nous l'apprend. La seule chose à
inférer de ce silence, c'est que le pape et ses conseillers n'expri-
mèrent aucune opinion. S'ils eussent prononcé une parole tant soit
peu favorable, l'Université n'eût pas manqué de s'en prévaloir.
D'où cette première conséquence, peu discutable, que le Souverain
Pontife n'a pas jugé bon de répondre à la démarche de VAlma
mater, et qu'il n'a prononcé aucune parole, produit aucun acte dans
lesquels on puisse voir une ombre d'appi'obation du procès et de la
sentence de Rouen.
1. Expression de L'Averdy.
LE PROCÈS DE REVISION. — AVANT-PROPOS 155
Il n'y en a pas eu non plus dans lesquels on puisse voir une
désapprobation et un blâme. Si Rome n'avait pas la preuve de la
parfaite régularité du procès, elle n'avait pas non plus la preuve
du contraire.
Les choses étant ainsi, que devait faire le chef de l'Eglise, sinon
se taire, se réserver et attendre. Qu'il formulât, sans preuves à
l'appui, un désaveu des juges de la Pucelle, il sortait de l'impar-
tialité sereine qui est le devoir et l'honneur de la première judica-
ture du monde. Il n'avait pas en mains les pièces authentiques de
la cause, car on n'avait eu garde de les lui communiquer. 11 ne
pouvait donc avoir une opinion raisonnée. De toutes façons, il
devait s'en tenir à une attitude expectante.
Au reste, ce n'est pas un mot d'Eugène IV qui pouvait faire la
lumière: il fallait un acte officiel conforme aux règles suivies dans
l'Eglise. C'est un principe de droit public que les jugements rendus
par les tribunaux établis soient réputés justes par leurs souve-
rains respectifs, qu'il s'agisse des Etals temporels ou qu'il s'agisse
de lEglise, tant que l'iniquité n'en a pas été dénoncée et que la
preuve juridique n'en a pas été produite.
Or, ni en 1431, ni dans les années qui suivirent, l'iniquité du
procès de Rouen ne fut signalée au pouvoir suprême ecclésiastique
c'est-à-dire au Saint-Siège par une des voies canoniques d'usage, la
voie d'enquête, la voie d'accusation ou la voie de dénonciation, de
manière à le mettre à même de prononcer s'il y avait lieu de
constituer un tinbunal de revision. La Pucelle ayant été condam-
née par un procès ecclésiastique dont la régularité était mise en
question, ne pouvait être réhabilitée que par un tribunal ecclésias-
tique supérieur. Seul, le pape avait le droit de constituer ce tribu-
nal, de nommer les juges, de leur conférer l'autorité nécessaire
pour reviser le procès incriminé, en relever les vices, en casser la
sentence et réhabiliter la condamnée. Ce droit, les Pontifes régnants
•n'eurent lieu de l'exercer qu'après 1450. Alors seulement on
procéda aux enquêtes préliminaires utiles, celles du cardinal d'Es-
touteville en 1452 ; en 145"o la supplique de la mère etdesfrères de
Jeanne d'Arc fit à la justice suprême du Saint-Siège un appel
auquel donna satisfaction le rescrit de Calixte 111 ordonnant la
revision du procès de 1431.
Ce n'était pas uniquement pour que ces formalités diverses
pussent être effectuées qu'à Rome il avait fallu attendre: il l'avait
fallu encore afin que se réunissent un certain nombre de condi-
tions indispensables sans lesquelles toute tentative de revision eut
été inutile. Quand bien même les temps eussent été pour la France
156 E. niCHER. LA PUOELLE U ORLÉANS
et le Saint-Siège aussi calmes de 1431 à 14ii0 qu'ils furent troublés^
on demeure d'accord aujourd'hui qu'un procès de ce genre eût été
impossible sans la réunion des conditions suivantes :
D'abord un laps de temps qui permit de s'assurer si les événe-
ments compris dans la mission de survie de l'envojée de Dieu
devaient être pris en considération, ou sil fallait désespérer de les
voir accomplis. Leur accomplissement aplanit beaucoup de diffi-
cultés; une attente vaine les eût multipliées.
L'horizon de la revision commença de s'éclaircir en 1435, —
nous l'avons déjA dit — lorsque le roi de France et le duc de Bour-
gogne signèrent le traité d'Arras. Jeanne rentrait en scène ; elle
mettait la main à son œuvre d'outre-tombe.
Elle la poursuivit avec la rentrée de Paris en l'obéissance de
Charles VIL
La soumission de l'Université de Paris au roi de France, la mise
en forme du procès de condamnation par Thomas de Courcelles
ne purent qu'être infiniment agréables à la cour de Rome et faciliter
l'entente avec Charles VII.
C'est ensuite le duc d'Orléans qui revient de sa captivité d'An-
gleterre, preuve nouvelle de la véridicité de Jeanne voyante et
prophétesse.
C'est finalement avec la recouvrance de Rouen, de la Normandie,
delà Guyenne et l'expulsion de l'Anglais, la preuve totale de sa
mission divine. Plus d'obstacle qui s'opposât à la réhabilitation de
la martyre. L^ Providence avait fait son œuvre; Rome n'avait
plus qu'à préparer et qu'à faire la sienne. En 1433, les batailles de
Formigny et de Castillon achevaient de déblayer le terrain.
Trois ans plus tard, en juillet 1456, la réhabilitation de Jeanne
était prononcée.
Pas n'est besoin d'insister sur l'intérêt avec lequel le Saint-
Siège observait la succession de ces événements. Elle l'aidait à
former son opinion ; il voyait à n'en pouvoir douter la lumière
s'ajouter à la lumière et, à partir de ce moment, si aucune pièce
officielle ne mentionne la probabilité d'une revision prochaine, il
n'y a pas témérité à penser que le sujet a été traité plus d'une fois,
dans leurs causeries diplomatiques, par les représentants accrédités
de la cour romaine et de la France.
Lorsque la paix d'Arras brisa les liens qui rattachaient le puis-
sant duc de Bourgogne, ce cousin de Charles VII, ce prince de la
LE PROCES DE REVISION. AVAi\T-l>ROPÛS 157
maison de France, à l'ennemi liéiéditaire, on dul se souvenir à
Rome du mot profond de Jeanne, à savoir que ce traité mènerait
les Anglais à perdre tout en France {Procès, t. 1, p. 84). Jamais
iiomme d'Etat ne jugea la situation avec cette clair vojance.
A la rentrée de Paris en l'obéissance de Charles Vil, la surprise
des diplomates romains ne dut pas être moins grande. Ils purent
savoir que la prisonnière des Anglais en avait marqué la date :
elle ne s'était pas trompée. Elle disait à ses juges que les Anglais,
ce jour-là, perdraient un gage beaucoup plus précieux que celui
d'Orléans : elle avait encore dit vrai. En rapprochant ces souvenirs,
n'était-ce pas chose naturelle que ces Romains à l'esprit aiguisé se
demandassent : est-ce que par hasard le tribunal de Rouen ne se
serait point abusé ?
De cette sorte, à Rome et à Paris, à mesure que les événements
se dérouleront, on aura une image de plus en plus nette de l'hé-
roïne française, de plus en plus saisissante de son action libératrice
et de sa mission de par Dieu.
Une des conséquences providentielles de la soumission de Paris
à son souverain légitime fut la soumission de l'Université au
prince qu'elle avait combattu et la mise en forme du procès de
Rouen. Charles VII devenant dés ce moment le dispensateur des
grâces et des bénéfices, les suppôts de l'Université ne l'oublièrent
pas : ils devinrent les sujets aussi obéissants de l'ancien roi de
Rourges qu'ils l'avaient été du roi d'outre-Manche, et ils ne négli-
gèrent aucune occasion de le lui rappeler. Au surplus, les recteurs,
dignitaires et protecteurs de l'Arma îualer ne se méprirent pas sur
les sacrifices — peu coûteux d'ailleurs — qu'imposait le change-
ment de régime politique : s'ils ne brûlèrent pas ce qu'ils avaient
adoré, ils prirent soin de ne pas soulever les voiles d'un passé irri-
tant et ils renoncèrent à en faire l'apologie.
Charles VII et ses conseillex's intervinrent-ils afin qu'on mît
on forme le procès de la Pucelle ? Ce n'est pas chose avérée,
mais ce n'est pas chose invraisemblable. Tant que l'évêque de
Reauvais et l'Université se sentirent couverts par la protection du
roi d'Angleterre, ils ne songèrent guère à cette précaution. Ils
y songèrent ou on leur en suggéra la pensée lorsque le roi de
France eût fait son entrée solennelle dans sa bonne ville de
Paris.
Entre 1437 et 1440, « longtemps après le drame du Vieux-Mar-
ché », deux des nolaires-grefiiers, Taquel et Manchon, déposèrent
que Thomas de Courcelles eut mission de revoir les pièces de la
procédure, de traduire en latin le français des interrogatoires et
158 E. lUCHER. LA l'UCELLE U ORLIiANS
de rédiger le récit en forme de lettres patentes. Le procès de
Rouen mis ainsi en latin et en forme, il en fut délivré cinq expé-
ditions authentiques, dont une à l'Inquisiteur {Procès, t. III, p.
135). Deux des quatre autres furent destinées à l'évêque de Beau-
vais et au roi d'Angleterre. .Martial d'Auvergne parle d'un exem-
plaire qui fut envoyé à Home peu avant la revision. Mais ne le
fut-il pas auparavant ? En tout cas. soit expéditions authentiques,
soit copies relevées sur une d'elles \ il y a lieu de penser que le roi
de France et le Saint-Siège furent en possession de ce document et
qu'on put, à Rome et à Paris, étudier à fond la mission totale
de l'Envoyée de Dieu, en suivre et en constater l'accomplissement.
VI
Pour cela, ce qu'il fallait faire, c'était encore attendre. Pas de
revision possible tant que les Anglais resteraient maîtres de la
Normandie et de sa capitale. Les premiers témoins à entendre par
les juges d'un procès de revision étaient les assesseurs et officiers
du tribunal de 1431. Or, presque tous habitaient Rouen et là Nor-
mandie. Est-ce que le gouvernement anglais leur eût permis
d'aller déposer contre lui, dans un procès mettant en cause la
loyauté de sa conduite? A ceux qui en auraient eu la velléité il
n'eût pas manqué de rappeler, selon son habitude, que la Seine
n'était pas loin.
Quand donc la Normandie sera-t-elle rendue à son légitime sou-
verain? C'est le secret de Dieu. Mais si Jeanne a dit vrai, son roi
sera plein de vie lorsque cet événement se produira. On peut donc
espérer. Rome sait mettre en pratique l'art profond de patienter.
Tandis qu'elle patiente, une des prédictions les moins vraisembla-
bles de la Voyante s'accomplit. En 1440, le duc d'Orléans, prison-
nier des Anglais, revient de sa captivité. Enfin dix ans plus tard,
Rouen assiégé se x'end au roi de France. Et la confiance aux
dernières prophéties de l'Envoyée de Dieu devient si forte chez
Charles VII qu'il n'en attend pas la réalisation : il l'escompte et
il prépare ouvertement la justification de la jeune fille qui lui rend
son royaume. Lui qui tergiverse toujours et ne se décide jamais,
emble revêtir une nature nouvelle. Il donne l'ordre à son féal
1. Maître Guillaume Bouille, doyen de Noyon, à l'occasion derenquèle
dont Charles Vil le chargea lit, d'après Richer — il le dira plus bas —
exécuter plusieurs copies des actes du procès qui furent envoyées à
divers personnages.
LE PnOCES DE REVISION. — AVANT-PROPOS loi)
conseiller, messire Guillaume Bouille, d'ouvrir la première des
enquêtes qui aboutiront au procès de revision.
Rome partage-t-elle la confiance de Charles Vil? Peut-être, pro-
bablement même, pensons-nous. Mais sa ligne de conduite ne sera
pas changée pour cela. 11 lui faut la pleine lumière. On dirait que
le dernier coup de tonnerre éclate à Castillon, et que l'Angleterre
mène le deuil de son vaillant homme de guerre, le vieux Talbot.
Alors, par exemple, tous les nuages sont dissipés, toutes les hési-
tations cessent, Jeanne est vraiment apparue dans la beauté de sa
mission et la splendeur de son héroïsme. Le Pontife régnant sait
ce qu'il doit faire; lui ou son successeur le feront. Encore trois
ans et la suppliciée de Rouen, réhabilitée, entrera dans la gloire.
Nous pouvons ne pas pousser plus loin notre enquête, nous savons
ce que nous voulions savoir. Il n'a pas dépendu de Charles VII et
des papes régnants d'amoindrir sensiblement l'intervalle qui s'est
écoulé entre la condamnation de la Pucelle et la revision de son
procès : les événements ont été plus forts que les meilleures
volontés. Il n"a pas fallu moins de vingt ans pour que le terrain de
la réhabilitation fût aplani et débarrassé des obstacles majeurs qui
paraissaient la rendre impossible.
Ces obstacles étaient, d'un côté, les mensonges lancés au lende-
main du drame de Rouen par le gouvernement anglais et l'Uni-
versité de Paris pour induire en erreur le Saint-Siège ; c'était, d'un
autre côté, le silence inquiétant gardé sur l'iniquité du procès de
Jeanne par les hauts personnages de la cour de France, princes,
ministres, évêques, et le défaut de toute protestation la dénonçant
au Saint-Siège.
Privé des renseignements nécessaires sur ce point, comme sur
la partie non accomplie de la mission de la Pucelle, ce qui était
aussi le cas de Charles VII, le Saint-Siège fut forcé d'attendre que
la suite des faits lui apprit si Jeanne devait être assimilée aux
aventurières suspectes, ou si Ion devait reconnaître en elle une
àme prédestinée de façon insigne et l'Envoyée de Dieu.
Les années marchèrent et les vaticinations de la martyre sac-
coniplirent au temps voulu.
En 1450-53, ni le roi Charles VII, ni les chefs de l'Eglise ne
purent disconvenir que, vivante ou morte, Jeanne avait tenu
toutes ses promesses; l'Anglais était « mis hors de toute France »,
Charles VII, plein de vie, était rentré en possession des provinces
de son royaume; la mission totale de l'Envoyée de Dieu, sa mis-
sion de survie et sa mission de vie, ne laissaient rien à désirer. Dès
I6U K. aiCllEU. — LA l'UCELLE D UULEANS
ce moment, on pouvait sans crainte, à Paris et à Rome, préparer
l'œuvre de la revision. Et l'on ne voit pas que les historiens, ayant
à se prononcer sur cette question, puissent faire autre chose
que féliciter le Saint-Siège de n'être pas sorti de la réserve que les
circonstances lui avaient commandée et, avant de prendre une réso-
lution décisive, d'avoir su attendre'.
L'éditeur : Ph.-H. Dunaxu.
1. Sur quelques points de vue de ce sujot auxquels, pour cause de
brièveté, nous n'avons pu nous arrêter, on pourra consulter notre Etude
cfllique, Jeanne d'Arc el l'Ef/lise, en particulier le chapitre xii.
TREVISION DU PROCÈS DE [1431 ET RÉHABILITATION
DE JEANNE D'ARCj
[CONSIUKUATIOISS PuiaiMINAIHES |
[Enquête ordonnée par Charles VII en 1450]
Les affaires du Roy Charles VII venues au comble de la
prospérité que la Pucelle avait prédit en esprit de prophétie,
et les Anglois entièrement chassez de la Normandie et de la
Guyenne, et le duc de Bourgogne rangé à son debvoir, la
France jouissant d'une profonde paix, cela estoit cause que
chacun déploroit le désastre de cette fille, et que ceux-là
mesmes qui survivoient et avoient assisté à son procez, cognu
les nuUitez d'iceluy, tant en fait qu'en droit, et la mauvaise
foy et passion de l'évesque de Beauvais et de ses partisans,
concevoient une horreur contre eux pour l'avoir fait mourir
si cruellement et ignominieusement. De sorte que toute la
France et principalement la ville de Rouen, où cette san-
glante tragédie avoit esté exéquutée, retentissoit des cla-
meurs du peuple. Considéré mesme que cet évesque, son
promoteur et tous les autres qui s'étoient passionnez pour
faire mourir cette innocente vierge, avoient misérablement
fini leurs jours. Pour ces causes, le Roy fut conseillé de faire
revoir ce prétendu procez, et l'an 1449, estant à Rouen, fil
expédier des lettres patentes qu'il adressa à maître Guil-
laume Bouille aux fins de faire perquisition des nullitez dudit
procez et de tous les actes et pièces concernant iceluy, etc.,
desquelles lettres ensuit la teneur ^
i. Edmond Richer a tiré co texte du mandement de Charles Vif, de
l'original déposé au Trésor des chartes. Il est regrettable qu'il n'y
ait pas joint les dépositions recueillies par Guillaume, Bouille. Peut-
Il
162 K. UICIIEU. — LA PUCELLE D OUr-KANS
« Charles, par la grâce de Dieu, Roy de France, à nostre
amé et féal inaistre Guillaume Bouille, docteur en théologie,
salut et dileclion. Gomme ja pièça Jeanne la Pucelle eust
esté prinse et appréhendée par nos anciens ennemis et adver-
saires les Anglois. et amenée en cette ville de Rouen: contre
laquelle ils eussent fait faire certain tel quel procez par cer-
taines personnes à ce commises et députées de par eux. En
faisant lequel procez ils eussent et ayent fait et commis plu-
sieurs fautes et abuz, et tellement que moiennant iceluy pro-
cez et la grand'haine que nos dits ennemis avoient contre
elle, ils la firent iniquement et contre raison très cruelle-
ment ' mettre à mort. Et pour ce que nous voulons sçavoir la
vérité dudit procez et la manière comme y a esté procédé,
vous mandons et commandons, et expressément enjoingnons
que vous vous enquérez et informez bien et diligemment
de et sur ce qui dit est. Et l'information par vous sur ce faite
apportez ou envoyez stablement close et scellée, par devers
ùtre ne l'a-t-il pas lait, pour ne paraître pas se servir do pièces non
acceptées par les juges de la revision et non insérées au procès, comme
le furent les infoi mations recueillies à Rouen en 1452. On trouvera ces
dépositions des témoins do 1450, au commencement du tome II de Jules
Quicherat.
Au xvni" siècle il existait deux mamuscrits de ces dépositions : ils
sont égarés aujourd'hui. On conserve à la bibliothèque de l'Arsenal
une copie tronquée et fautive de l'un d'eux. L'Averdy a pu cependant
donner l'enquête tout entière dans sa notice sur les deux procès,
[Extrait des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. III, p. 492]. Il
s'est servi du manuscrit dit de Soubise dans lequel les dépositions
remplissent vingt feuillets.
Dans le manuscrit de l'Arsenal, l'information de 1450 est précédée de
cet avertissement :
«Icy ensuivent les noms, surnommez et disposition de tesmoins par
moy, Guillaume Bouille, docteur en théologie, en vertu et vigueur de
commission que le roy de France m'a donnée sur cette alïaire, l'an et le
jour datiez cy devant, de ceux qui furent jurez et examinez à ce procez,
et invité discrète et notable personne Du Soucy, prêtre sacré en cour
de Rome, et notaire juré en la cour de Msr l'Archevêque de Rouen,
sur aucuns articles déclarez en la commission, du procez de Jeanne la
■Pucelle, qui depuis naguôres a esté brûlée en la cité de Rouan, lors-
qu'elle estoit détenue par les Anglois.» (J. Quicherat, Procès, t. V, p.
4111-423.)
1. On lit traie Ireusement au lieu de 1res cruellement, ei plus bas sem-
blablement au lieu de stablement, dans le manuscrit de l'Université do
Bologne signalé par l'abbé de Villerabel.
PROCES DE REVISION ET UEIIAlilLI l'A ÏION 163
nous et les gens de noire Grant (lonseil : et avec ce tous ceux,
que vous sçaurez qui auront aucunes escritures, pièces ou
autres choses touchant ladite matière, contraignez-les pai"
toutes voies deuës et que verrez estre à faire, à les vous bail-
ler pour les Nous apporter ou envoler, pour pourvoir sur ce
que nous ven-ons ainsi estre à faire et qu'il appartiendia par
raison. De ce faire vous donnons pouvoir, commission et
mandement spécial par ces présentes. Mandons et comman-
dons à tous nos justiciers, officiers et subjects que à vous et
à vos commis et députez en ce faisant obéissent et entendent
diligemment
« Donné à Rouen, le quinziesme jour de febvrier, l'an de
grâce mil quatre cent quarante-neuf^ et de notre règne le
vingt-huictiesme. »
Et au-dessous est escrit :
Par le Roy et à la relation des gens de sou Grand Conseil,
Signé Daniel, avec paraphe et scellé de cire jaune
sur simple queue. Et sur ledit sceau couvert de par-
chemin est escrit :
« Mandatum Régis ad Guillelmum Bouille, Deca-
num Noviomensem super informatione facienda de
processu alias facto contra Johannam dictam La
Pucelle. »
En vertu de ces lettres, maistre Guillaume Bouille- ayant eu
plusieurs advis et cognoissance de tous les actes du procez
1. Vieux style, c'est-à-dire le ISleviier 1450.
2. Ce ne fut pas seulement la haute situation du Doyen de la cathé-
drale de ISoyon qui attira sur lui l'attention de Charles VII. ce furent
aussi ses talents éprouvés et les services rendus. Proviseur du collège de
Beauvais à Paris d'ahord, il devient ensuite procureur de la nation de
France de 14H4 à 1437. recteur de fUniversilé de Paris en 1439, docteur
do la faculté de tiiéologic, membre du Grand Conseil du roi qui le
chargea dune aijibassade à Rouen. Le procès de revision ouvert, nous
l'y retrouverons plusieurs lois. Le mémoire qui l'ut remis aux juges
dès la première journée est de lui (Procès, m. 322). La lin de sa vie fut
des plus édifiantes. En 1466 il renonçait à tous ses bénéfices. 11 mou-
rut en 1476 et, selon ses désirs fut inhumé à Noyon avec la plus
grande simplicité.
A noter la remaniue de Richer sur les copies du procès que G. Bouille
aurait fait exécuter et envoyées « à plusieurs prélats ». Aucun autre
historien n'a mmlionné et; l'ait.
164 E. UIi;ilBll. — LA PUCELLE D OULÉANS
contre la Pucelle, en fit faire plusieurs copies qui furent
envolées à plusieurs prélats et docteurs, tant en théologie
qu'en droit civil et canon, et niesine à deux auditeurs de Hôte,
sçavoir Paulus Pontanus et un nommé Theodoricus, et autres
personnes versées en telles matières, pour en avoir leur ad-
vis. Et à cette revision servit grandement la promotion du
cardinal d'Estouteville <à l'archevêché de Rouen l'an 1452,
lequel succéda ^ au cardinal de Luxembourg, auparavant
evesque de Thérouane, archevesque de Rouen et chancelier
du Roy d'Angleterre en France pendant qu'il tenoit Paris.
Car dès la mesmc année (1452), le cardinal d'Estouteville,
légat du Saint-Siège en France, fit faire à Rouen des infor-
mations préambulaires et dispositives au procez de revision
dont il sera parlé cy-après-. Et sur le rapport qu'on fit à Sa
Majesté des nullitez tant de droit que de fait qui sont audit
procez, Elle résolut d'en faire demander la revision au Saint-
Siège Apostolique sous le nom des parents de la Pucelle, sça-
voir d'Isabelle Romée, mère de cette fille, de Jean et Pierre
d'Arc ses frères, auxquels le Roy avait donné le surnom du
Lis en l'honneur et mémoire des faits héroïques de leur
sœur. Et se joignirent avec eux en ce procez tous leurs autres
parents que le Roy avait anobliz dès l'année 1429 après
qu'il fut retourné de son sacre de Rheims en Berry. Quant à
Jacques d'Arc, père de la Pucelle, et à Jacquemin, son lils
aine, ils moururent de regret quelque temps après la mort
funeste de cette fille.
1. Mais pas iiiiiuûdiateiuent. Le chanoine Raoul Roussel fui entre les
deux.
2. C'est en vertu de ses pouvoirs de légat du Saint-Siège que le car-
dinal d'Estouteville procéda aux enquêtes de 1452. 11 ne fut nommé
Ai-chevèque de Rouen qu'en mai 1453 par Nicolas V. Voir Gallia Chris-
tiana. t. XI, col. 90-93.
E. Richer écrit « de Toutevillc ». Nous nous en somifics tenu à l'ortho-
graphe reçue.
[DU PROCEZ DK REVISION]
[ANALYSE \n: SES NKUK Cil API TUE S]
La revision de ce procez contient neuf chapitres dont voici
le sommaire :
Au premier sont représentées les lettres que les parents de
la Pucelle obtinrent du Pape Calixte IIL afin de procéder à la
revision du procez : [lettres] adressées à messire Jean Juve-
nal des Ursins, archevesque de Ulieims, Guillaume Chartier,
évesque de Paris, et Richard, évesque de Coutances en date
du la juin 1455. Et furent présentées ausdits prélats solen-
nellement assemblez pour cet effet en Téglise de Paris le sep-
tiesme novembre dudit an par les parents de la Pucelle requé-
rans l'exéquulion et entérinement desdites lettres.
Le second chapitre contient les actes de la première assi-
gnation et des citations faites en la ville de Rouen tant aux"
parents ethéritiers de dellunt messire Pierre Cauchon, évesque
de Beauvais, qu'à messire Guillaume de Hélande, son succes-
seur audit évesché de Beauvais ; et semblablement aux
notaires qui avoient instrumenté en ce procez, à ce qu'il eus-
sent à représenter tous les actes et pièces originales dudit pro-
cez. Item, sont aussi compris les actes de la compétence des
juges establis pour la revision de ce procez, et semblablement
des notaires et promoteur nommez à cetelfet. Plus les infor-
mations préambulaires faites par authorité du cardinal d'Es-
touteville, archevesque de Rouen, pour servir de préparatif
à la revision dudit procez.
Le troisiesme représente les demandes du promoteur, à ce
que le premier procez lui soit remis entre les mains et tous
autres actes nécessaires à promouvoir la revision d'icelles
demandes : semblablement aussi la response faite par les
Ibb E. RICIIER. LA PUCELLE D ORLEANS
paients et héritiers de deiïunt messire Cauchon, évesque de
Beauvais.
Leqiiatriesme est la production des griefs et demandes des
parents de la Pucellc, avec les commissions et citations pour
faire informer de la vie de la Pucelle en plusieurs endroits
du royaume de France.
Le cinquiesme fera voir toutes les informations faites tant
à llouen par le cardinal d'Estouteville, qu'au païs natal de la
Pucelle, à l'aris et à llouen, par ordonnance des juges com-
mis du Saint-Siège, etc.
Le sixiesme contient la publication desdites informations,
production des parents de la Pucelle et assignations données
pour alléguer ou dire tout ce que l'on voudra contre les tes-
moins qui ont déposé ausdites informations et contredire
ladite production, comme bon leur semblera.
Le septiesme exhibe les conclusions du promoteur et des
parties avec leurs raisons et motifs de droit, etc.
Le huitiesme est une production de plusieurs traités- faits
par de très doctes prélats, théologiens et praticiens sur l'exa-
men des révélations, faits et dits de la Pucelle, et de tout le
procez conclu par l'évesque de Beauvais, pour montrer la
nullité dudit procez et les iniques sentences intervenues sur
icelui.
Le neuviesme porte que les juges, après avoir veu et exa-
miné diligemment toutes les productions des parties, sravoir
tant le premier procez que celui dont il s'agit, et les traitez
susdits faits par des théologiens, et ayant communiqué le tout
et pris l'advis de plusieurs prélats, docteurs et expers sur
toutes les dites pièces, productions et matières, donnent
assignation aux parties pour entendre la sentence définitive,
laquelle est insérée en suite de cela.
CHAPITRE PRE.VIIER
ENSUIT LA BULLE DU SAINT-SIÈGE DONNÉE POUR COMMETTRE
DES JUGES A LA REVISION DU PROCEZ
ce Calixte, évesque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos
vénérables frères l'archevesque de Rheims, l'évesque de Paris
et de Goutances, salut et bénédiction apostolique. Nous accor-
dons volontiers les vœux et requestes des suppliants, et les
assistons de toute la faveur qui nous est possible. Depuis
naguère il nous a esté présenté une requeste de la part de
Pierre et Jean Darc, laïques, et d'Isabelle, mère, nos biens-
aymez, et de quelques autres de leurs parents et alliez, du
diocèse de Toul, contenant que ores que Jeanne Darc, leur
sœur et fille de ladite Isabelle, aye durant toute sa vie détesté
toute sorte d'iiérésie et qu'elle n'aye jamais cru ou affermé
aucune chose qui sentist l'hérésie et fust contraire à la foy
catholique et aux traditions de la sainte Eglise romaine,
toutefois Guillaume de Estivet ou quelque autre lors pro-
moteur des affaires et causes criminelles en la cour épisco-
pale de Beauvais, ayant esté suborné par quelques malveil-
lans de ladite Jeanne, de ses frères et de sadite mère, comme
il est croyable que Pierre, évesque de Beauvais de bonne
mémoire, et Jean Magistri de l'ordre des frères prescheurs,
sufîragant de l'inquisiteur de la foy en cette province, juges
en cette cause, auroient conclu que ladite Jeanne estant au
diocèse de Beauvais, avoit fait et commis plusieurs hérésies
et autres crimes atroces contraires à la foy : ledit évesque de
Beauvais et Jean Magistri prétendans avoir eu suffisant pou-
voir de procéder contre ladite Jeanne sous le prétexte et faux
rapport dudit promoteur. Et encore qu'il n'y eut aucune noto-
riété de fait, grand soupçon ni clameur publique qui exi-
168 E. HlCIII'lî. LA PUCELLE D ORLEANS
geasl cela, toutefois auroient mis ladite Jeanne en prison. Et
finalement, ores que par leur enquestc il ne fust lors constant
comme il ne le pouvoit estre, que ladite Jeanne eust jamais
esté souillée d'aucune hérésie, ou fait quelque chose contraire
h la foy, ou adhéré à quelque erreur contraire à ladite foy ;
veu que ce qu'ils prétcudoient n'estoit ni contraire à la foy,
ni notoire et véritable ; et d'ailleurs que ladite Jeanne avoit
requis ledit évesque et Jean Magistri que sils prétendoient
icelle avoir dit ou dire quelque chose qui ressentist l'héré-
sie ou qui fust contraire à la foy, d'en remettre l'examen au
Siège Apostolique, duquel elle estoit preste de subir le juge-
ment ; néantmoins auroient osté à ladite Jeanne tout moien
de deffcndre son innocence, et contre tout ordre de justice
fait tout à leur volonté, procédans nullement et de fait,'ayans
donné sentence définitive contre ladite Jeanne, par laquelle
ils l'ont condamnée comme hérétique et enveloppée dans plu-
sieurs autres crimes et excez, et prononcé une sentence ini-
que à raison de laquelle icelle Jeanne, incontinent après,
auroit esté meschamment exéquutée et mise à mort par la
cour séculière, au péril des âmes de ceux qui l'ont condam-
née, grande ignominie, opprobre, offense et injure tant de
ladite Isabelle, mère de ladite Jeanne, que de ses frère et pa-
rents, etc. Partant les frères, mère, parents et alliez susdits,
désirans pourveoir tant à recouvrer leur honneur que celui
de ladite Jeanne, et abolir la note d'inf;imie qu'ils ont indue-
ment encourue, ils nous ont humblement fait supplier de
vouloir commettre aucuns prélats de la province pour co-
gnoistre tant des causes de nullité de ladite sentence, que
des crimes faulsement imposez à ladite Jeanne, etc. ; à quoi
ayant esgard et favorisant ausdites requestes, par cet escrit
Apostolique, Nous mandons à vostre fraternité que vous trois
ou deux ou l'un de vous, appelant avec soy quelqu'un des
Inquisiteurs de la foy députez au royaume de France pour le
diocèse de Beauvais, avec un promoteur des causes et affaires
criminelles de ladite cour, et tous autres qui doivent estre
appelez, entendiez tout ce qui sera dit et proposé de part et
d'autre sur le contenu des choses susdites, et que vous ordon-
niez et décerniez tout ce qui sera de justice sans avoir esgard
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 169
à aucune appellation, faisant validement exéiquuter ce que
vous aurez ordonné par censures; nonobstant toutes consti-
tutions et ordonnances Apostoliques et toutes autres choses
contraires.
« Donné à Home, à Saint-Pierre, l'an de l'Incarnation de
Nostre-Seigneur, mil quatre cens cinquante-cinq, le troi-
siesme des Ides de Juin, la première année de nostrc Pon-
tificat, etc. »
La mère, les frères et autres parents de la Pucelle, assis-
tez de leur conseil, s'estans présentez à Messieurs les Juges
commis par le Saint-Siège Apostolique et prosternez à leurs
pieds, demandans justice, sçavoir à Messieurs l'archevesque
de Uheims, l'évesque de Paris, — l'évesque de Coutances
absent — à frère Jean Brehal, docteur en théologie, de l'or-
dre des Dominicains, appelé comme inquisiteur de la foy,
plusieurs autres abbez et docteurs présents à cette action, les-
dits Commissaires remonstrèrent ausdites parties qu'elles
estoient en une ville où elles ne pouvoient manquer de per-
sonnes capables de leur donner conseil ; que c'estoit chose
facile d'entrer en procez, mais que l'issue en estoit grande-
ment difficile et périlleuse ; que saint Augustin disoit que
pour l'ordinaire ceux qui avoient esté condamnez et con-
vaincus par raison prétertoient toujours avoir eu de mauvais
et iniques juges et que leur sentence estoit nulle ; qu'on ne
doibt pas aysément prêter l'oreille à telles plaintes, ni casser
ce qui a esté une fois jugé, crainte de violer la discipline de
l'Eglise. Qu'encore que l'Eglise se doive monstrer favorable
aux veufves, aux personnes mineures d'âge et affligées,
néantmoins que la cause de la foy et de la justice est beau-
coup plus privilégiée et doibt estre traitée sans avoir esgard
aux personnes quelles qu'elles soient, l'Escriture disant : « que
si ton père, ton fils, ta femme, ton ami te veut pervertir,
que ta main soit contre lui » ; qu'on ne doibt se proposer ni
avoir autre chose devant les yeux que l'honneur de Dieu, la
justice, l'intégrité et sincérité de la foy et la vérité, arrière
toute grâce et faveur. Que le procez de Jeanne avoit esté fait
par personnes graves, doctes et juges ordinaires, et que la
170 E. RICHER. LA PUCELLE D OllLKANS
présomption estoit pour leur sentence. Qu'ils avisassent donc
h prendre conseil de personnes sages et bien entendues ; car
autrement au lieu de fnirc annuler la sentence et justifier la
Pucelle, ils la pourroient bien faire confirmer et accroistre
leur ignominie.
La mère de la l*ucclle, assistée de son conseil, remonstre
par Pierre Maugier, son advocat, que ce n'estoit pas son inten-
tion do dire ou faire quelque chose au préjudice de la foy, de
la discipline ni des jugements de l'Eglise, mais de faire
cognoistre la simplicité et innocence de la Pucelle, quant aux
crimes qui lui sont faulsement imposez sous prétexte de la
foy, et de monstrer l'injustice, violence et nullité du pro-
cez, etc.
Sur cela Pierre Maugier propose les griefs et les fins aus-
quels ils prétendent conclure, que nous ferons vo-ir cy-après
par articles.
Ensuite les parties sont citées pour comparaître à Rouen
où le procez avoit esté fait et parfait contre la Pucelle. Et par
acte des dix-huitiesme et vingt-cinquiesme novembre 1455,
lamèredela Pucelle nomme pour ses procureurs tant en gé-
néral qu'en particulier, sçavoir àParis maistres Jean Loyseur,
Jean Angot, Jean le Gendre, Jean Marat etLouys Pinot; et à
Rouen, Guillaume Prévosteau, Guillaume Lecomte, licenciez
aux droits, advocats ; Pierre Lecomte, Jean le Viel, procu-
reurs à Rouen, Jean Geoffroy, Gérard Folie, Laurent Sureau,
.Jacques Foulques, chanoines de Rouen; et pour Beauvais,
Jean Frocourt, Jean de Granviller, Rodolphe de Fèvre, etc.
CHAPITRE II
ACTES DIVERS
Acte du dix-septiesme novembre par lequel les juges
ordonnent que tous ceux à qui il appartiendra, tant du dio-
cèse de llouen que d'ailleurs, seront citez pour estre enten-
dus et exhiber le procez fait par l'Evesque de Beauvais, et
toutes autres choses nécessaires à l'exéquution des Lettres
apostoliques, etc.
Autre acte du dix-septiesme novembre par lequel les juges
ordonnent que messire Guillaume de Hélande, évesque de
Beauvais, son promoteur audit diocèse, l'Inquisiteur de la
foy dudit diocèse, seront citez au douziesme décembre plai-
doiable ou quinziesme pour comparoir en la salle de l'arche-
vesché de llouen, proposer et alléguer tout ce que bon leur
semblera contre les lettres émanées du Siège Apostolique
pour la revision du procez de la Pucelle. Et au cas que la cita-
tion ne puisse estre faite aux parties assignées, qu'elle soit
affîchée à l'église cathédrale. A laquelle citation messire de
Hélande promet comparoir en personne ou par procureur,
comme fait semblablement le prieur des Jacobins de Beau-
vais, cité à raison de frère Magistri dominicain, qui avait
assisté mespire Pierre Gauchon en tant qu'inquisiteur pour
le diocèse de Beauvais.
Or, l'évesque de Beauvais et son promoteur n'ayans pas
comparus à l'assignation au quinziesme décembre, Guillaume
Prévosteau procureur à Rouen pour Isabelle Romée mère de
la Pucelle requiert qu'ils soient déclarez contumaces, attendu
les griefs et nullitez du procez contre la Pucelle lesquels il
expose et déduit verbalement et sommairement. Ce que con-
sidéré, et attendu que nul n'estoit comparu pour s'opposer ou
172 E. RICHEU. L\ l'UCta.l.K d'oiîi.kans
contredire les Lettres émanées du Saint-Siège, les juges com-
mis déclarent qu'elle seront exéquutées selon leur forme et
teneur.
Et à ces fins establissent pour notaires en ce procez Denys
le Comte et Françoys Fenebouc pour instrumenter et escrire
les actes, et maistre Simon (^hapitault pour promoteur, afin
de faire requérir et conclure tout ce que de raison et de jus-
tice en ce procez. Et après cela, les susdits notaires et promo-
teur fontsermentde bien etduement exercer lesdites charges.
Cela ainsi ordonné, (îuillaume Prévosteau, procureur de la
mère de la I*ucelle,requiertderechef que ceux qui ont faitdef-
faut soient déclarez coutumaces. Sur quoy les juges décernent
qu'il aye à donner par escrit libellé sa demande et ses fins.
Ensuite ledit procureur et Simon (^bapilâult promoteur en
cette cause requièrent que les notaires qui avoient instru-
menté au premier procez, de la nullité duquel il s'agit, soient
appelez, notamment Guillaume Manchon principal notaire,
à ce qu'il aye à représenter tous les actes dudit procez et les
mettre entre les mains de messieurs les juges pour en ordon-
ner ce que de raison. Lsquel commandement fait audit Guil-
laume Manchon, il représenta un certain livre de papier
escrit en françois auquel ces termes sont escrits :
Nova nolula processus quondam facli contra
eamdem Johannam la Pucelle,
et affirme l'avoir escrit de sa propre main, et que le procez
latin avoit esté fait sur icelui. et qu'il l'avoit pareillement
escrit de sa propre main avec maistre Guillaume Colles lios-
guillaume et Nicolas Taquel, notaires apostoliques, lesquels
l'avoient aussi signé, et estoit scellé des sceaulx de l'évesque
de Beauvais et de frère Jean Magistri. Et ledit Manchon et
autres notaires, en l'absence desdits Bosguillaume et Taquel,
recognurent lesdits signes et escritures pour véritables et
mirent lesdits livres entre les mains des Commissaires Apos-
toliques.
Simon Chapitault, promoteur en ce procez, et Guillaume
Prévosteau, procureur d'Isabelle Romée, remonstrent que
PKOCES UE IIKVISIUN ET UEII ABILITATION t73
iiiessire Guillaume d'EstouLeville,ai'chevesque de Rouen, car-
dinal et légat du Saint-Siège de France, auroit fait instruire
certaines informations par devant Philippe de la Rose, tré-
sorier de l'église de Rouen, et Jean Brehal, inquisiteur de la
foy, lequel Messieurs les Commissaires apostoliques se sont
associé en ce procez comme inquisiteur. Donc requièrent
qu'il leur plaira recepvoir Icsdites informations et en reco-
gnoistre et faire approuver les signatures et scellez par
quelques notaires : ainsi qu'elles furent reçues par Guillaume
Manchon et autres notaires apostoliques dénommez en cet
acte.
CHAPITUE III
ACTES DIVKKS. —(Suite).
Ensuite le promoteur requiert que lesdites informations,
ensemble ledit procez contre la Pucelle, lui soient mises et
déposées entre les mains pour instruire et promouvoir la
revision du procez, et que Guillaume Manchon et les autres
notaires soient appelez pour faire lecture et recognoistre avec
ledit promoteur le susdit procez. contre la Pucelle, ensemble
lesdites notes et signatures.
Le seiziesme décembre 1455, le promoteur et le procureur
d'Isabelle Romée remonstrent aux juges, attendu qu'il y
avoit plusieurs tesmoins vieux et valétudinaires tant à Rouen
qu'aux lieux circonvoisins, et qu'il estoit à craindre qu'ils ne
mourussent ou ne s'absentassent; qu'il leur plust ordonner
qu'ils seroient appelez et ouys, à ce que la preuve qu'on
espère tirer d'eux ne dépérisse. Partant fut ordonné que
maistre Nicolas Taquel, Pierre Boucher et autres cy-après
dénommez seroient citez.
Le dix-huitiesme décembre, maistre Guillaume Prévos-
teau, procureur d'Isabelle Romée, donne ses demandes libel-
lées parescrit, ainsi qu'il avoit esté ordonné le quinziesme
décembre précédent, lesquels griefs seront cy-après registrez
par articles.
Au reste les susdits tesmoins sont citez au samedi dix-neuf-
viesme décembre, et les parents et héritiers de deffunt messire
Pierre Cauchon, évesque de Beauvais, depuis évesque de Li-
sieux, au vingtiesme décembre, et comparaissant le vingt-
uniesme par Jacques de Rivel lequel, au nom detouslessusdits
héritiers (il estoit arrière-nepveu dudit Cauchon, évesque de
Beauvais du costé maternel, et fut prudemment fait aux héri-
PROCÈS DE UEVISlOiN KT lUiHABlLITATlON 175
tiers qui portoient le nom de Gauchon de ne paroistre point en
ce procez) déclare qu'ils ne veulent et n'entendent deflendre
ni soustenir les actes dudit procez, que cela ne les touche point :
qu'ils ont ouy dire que la Pucelle avoit esté traitée de la sorte
par envie et haine que lui poitoient les Anglois, pour ce
qu'elle servoit si bien le roy de France et qu'on avoit pris pré-
texte de tirei" son procez en cour d'Eglise en matière de foy ;
d'autant qu'elle apportoit de graves dommages aux Anglois,
et que si elle eust esté de leur parti, on ne l'eust pas ainsi
traitée. Qu'ils supplient que le procez intenté pour leur justi-
fication ne leur puisse préjudicier, comme il ne peut: attendu
les édits du roy pour la réunion de la Normandie à son obéis-
sance, ayant tout pardonné par sa bonté et miséricorde, do
.laquelle lesdits héritiers du defïunt évesque de Beauvais sont
capables et désirent jouir, etc.
Finalement, aucun de tous ceux qui avoicnt été citez
n'ayant comparu, excepté les héritiers susdits de messire
Pierre Gauchon, la mère, les frères et parents de la Pucelle
articulentcertains faits pour faire voir aux juges quels estoient
leurs griefs et leurs fins contre ledit Gauchon, évesque de
Beauvais, Jean d'Estivet, son promoteur, et frère Jean Magis-
tri, inquisiteur de la foy, adjoint audit évesque de Jîeauvais
faisant le procez à la Pucelle : desquels articles ensuit la
teneur.
CHAPITUE IV
[AlVnCLES PRÉSENTÉS AU TlUBUNAL PAR LES AVOCATS
DE LA FAMILLE DARC]
AllTICMî l
Prolestent en premier lieu ne vouloir détracter d'aucune
personne, ni malitieusement attenter à son honneur et re-'
nommée ; mais dire et poursuivre seulement ce qui est de
justice et peut servir à la cause. Qu'ils n'entendent pareille-
ment rien dire ni faire contre ceux qui ont opiné et donné
conseil au procez contre la Pucelle, considéré que ce qu'ils
ont fait a esté sur des actes faulx, corrompus, mensongers
et certains articles qui leur ont esté communiquez pour avoir
leuradvis et conseil, en quoy ils sont excusables. Et enten-
dent seulement parler des juges qui ont donné la sentence
contre la Pucelle, et du promoteur de l'évesque de Beauvais :
et soumettent tout ce qu'ils diront et feront à la correction
et réparation du Saint-Siège Apostolique et de messieurs les
juges qu'il a commis, et tous autres à qui il appartiendra.
Il
(]ela ainsi présupposé, tous lesdits parents maintiennent
qu'eux et Jeanne leur parente sont et ont tousjours esté gens
de bien, de paix, de bonne renommée, de conversation paci-
fique, de vie honneste, et moiennant l'aide de Dieu sans
aucune infamie ou mauvaise note, et qu'ils ont toujours esté
tenus pour tels par tous ceux de leur païs, voisinage et tous
autres qui les ont cognus soit en public ou particulier, et
désirent tousjours continuer toute leur vie.
PROCES DE HKVISIUN ET ISKHA HILITATION 177
III
(jue ladite Pucelle, tant qu'elle a vescu, a tousjours eu (mi
horreur et détesté toute sorte d'hérésie, et n'a jamais rien
cru ou alfirmé qui ressentist l'hérésie ou qui contrariast
aux traditions de la sainte Eglise romaine, et que cela est
certain.
IV
Que véritablement comme une bonne et fidèle catholique,
tant qu'elle a vécu a servi et adoré Dieufidèleinent, fréquenté
les églises et divins offices, oyant dévotement la messe, recep-
vant les saints sacrements, principalement de pénitence et
d'eucharistie souvent, et exerçant les œuvres de miséricorde,
donnant l'aumosne aux pauvres, et ne jurant jamais, ains
reprenant tous ceux qu'elle entendoit jurer, blasphémer,
renier, et que jamais elle ne sest retirée en aucune chose de la
religion catholique, des cérémonies de la foy chrétienne, du
culte, articles et unité de l'Eglise en quelque façon et manière
que ce soit. Que cela est véritable.
Qu'ayant toujours esté bonne et fidèle catholique comme
véritablement elle a esté, il n'a pu précéder aucun soupçon
d'infamie, derreurounote d'hérésie contre elle, veu qu'elle n'a
onques fait paraistre aucun signe qu'elle doubtast de la foy,
ou quelle fust en quelque erreur contraire à la foy : et con-
séquemment il ii'y a pu avoir aucun bruit, renommée, voix
ou notoriété publique précédente qu'elle fust en erreur ou
hérétique ; au moyen de laquelle voix et renommée publique
on pust procéder à faire enqueste et information contre elle
en matière de foy, ainsi qu'il est nécessaire auparavant qu'on
puisse procéder de fait contre quelqu'un, cela estant un préa-
lable et commencement nécessaire de procez. Ce qu'ayant
esté omis, tout ce qui a esté fait est nul, ou à tout le moins
doibt estre cassé par toute disposilion de droit. Ce qui est
véritable.
178 E. RICIIER. LA I-UCELLE D ORLEANS
VI
nue néantmoins Icsdits juges et leur promoleur, agitez de
leur propre passion et d'une haine incroyable contre la
Pucelle, ou bien d'un trop grand désir de favoriser à ses
adversaires, et de nuire au Roy nostre souverain seigneur et
à son Conseil, sans garder aucun ordre de justice, ni faire
aucune enqueste et information légitime, ont tiré la Pucelle
comme hérétique en procez : elle qui estoit mineure, âgée de
dix-neuf ans ou environ, destituée de tout sens acquis et con-
seil humain, et ont procédé et donné sentence contre elle en
tant qu'hérétique, lui imposant faulsement et calomnieu-
sement d'avoir commis des crimes contre la foy et contre
l'Eglise, et qu'elle avoit encouru les peines de droit, qui est un
mensonge et fausseté notoire : chose véritable.
VII
Que la Pucelle estant prisonnière, à la première citation
qui lui fut faite pour comparoir devant lEvesque de Beauvais,
ayant requis qu'on appelast aussi bien des ecclésiastiques et
gens doctes du parti du. lloy de France que du parti du Uoy
d'Angleterre, et qu'il lui fust permis d'ouyr la messe,
l'évesque de Beauvais sans prendre l'advis et délibération de
ceux qu'il avoit appelez pour conseillers à ce procez, lui
dénia absolument d'ouyr la messe, et ne fit aucune mention
de l'autre demande de la Pucelle. Ce qui est véritable.
Vlil
Que principalement frère Jean le Maistre, prétendu suffra-
gant de l'inquisiteur de la foy, a encouru de droit l'excom-
munication, et messire Pierre Cauchon évesque de Beauvais,
suspension de sa charge, pour avoir faussement imputé le
crime d'hérésie à la Pucelle, et commencé leur procez sans
cause, subject légitime et notoriété de fait : conséquemment,
attendu lesdites censures par eux encourues de droit, que
PROCES DE REVISION ET lîKH Abll.n ATION J79
tout le proccz et dépendances d'ioelui sont nuls et de nul
elfet, joinct que tous les actes d'un juge excommunié ou sus-
pendu sont nuls de fait. Ce qui est véritable.
IX
Que ledit Cauchon, ledit Magistri et tous leurs complices,
dès le commencement de leur prétendu procez, ont fait
mettre la Pucelle en une dure prison, plutost pour la tour-
menter que pour la garder, elle qui estoit une jeune fille
mineure : et lui ont fait mettre les fers aux pieds, et l'ont
enchaisnée avec une chaisne de fer, la faisant garder au
chasteau de Rouen en une prison laïque et séculière, ayans
commis pour sa garde des Anglois qui estoient ses ennemis
mortels, lesquels jour et nuit ne cessoient de l'injurier,
se moquer d'elle, la menacer et intimider; au lieu de la
mettre en une prison ecclésiastique et de lui donner d'hon-
nestcs femmes pourcompaigniectdela traiter humainement,
au moins durant ledit procez, ainsi qu'il est ordonné par les
loix et comme l'équité le requiert.
X
(ju'il est véritable que ledit évesque et inquisiteur ont juri-
diquement ordonné que sur ce que la Pucelle prétendoit
estre vierge, elle seroit visitée par des matrones et notables
dames; comme de fait elle a esté visitée, y assistant de
grandes dames ; et qu'elle fut trouvée vierge. Et toutes fois
que pour taire et supprimer malitieusement tout ce qui fai-
soit à la louange et excuse de cette fille, ils n'ont fait aucune
mention en leur procez de leur ordonnance^ ni de la Visita-
tion ensuivie en vertu de leur dite ordonnance, mesmement
d'en faire aucun registre; étant expressément delîendu aux
matrones qui l'avoient visitée de révéler en quelque façon
que ce soit la vérité de ce qu'elles avoient recognu, ayant fal-
sifié leur procez et supprimé la vérité des actes : chose digne
d'cstre bien remarquée.
180 E. RinilKK. — L\ l'UCELLE D ORLEANS
XI
Que la Pucelle estant en prison, comme dit est, en bas âge,
lesdits Gauchon etMagistri lui ont fait infinis interrogatoires
grandement difficiles, séditieux, captieux, pernicieux, impcr-
tinens et hors de propos; n'ayans honte de procéder ainsi
contre elle, entamans diverses matières de la théologie aus-
quelles des hommes bien doctes, jouissans de leur pleine
liberté seroient bien empeschez de respondre, et mesme y
eussent choppé et failli. A raison desquels interrogatoires
ils ont tellement travaillé cette pauvre fille, qu'elle en fut
malade jusques à la mort. Et non seulement elle s'en plai-
gnit, mais aussi plusieurs des conseillers et assesseurs qui
pour cette cause s'abstinrent totalement de plus assister
audit procez, voyans l'estrange et inique façon dont on pro-
cedoit ; et les autres furent chassez. Ce qui est véritable.
XII
Que lesdits accusez, pour faire plus facilement réussir leur
pernicieux dessein, et faire absenter ceux qu'ils pensoient
debvoir favoriser la justice et avoir Dieu devant les yeux, ont
souvent changé le temps et le lieu pour interroger la Pucelle,
l'ayans examinée en la prison, présents les Anglois, y assis-
tans peu de conseillers, lesquels ils changeoient presque à
tous les examens, soit pour interroger ou assister aux inter-
rogatoires selon divers jours et en petit nombre : de quoy
plusieurs personnes doctes, versées en telles matières, ont
fait de grandes plaintes. Ce qui est véritable.
XllI
Oue lesdits Cauchon et Magislri, pour en parler sans injure,
incitez de leur propre meschanceté ou de celle de ceux qu'ils
affectionnoient, eussent esté bien marris que la Pucelle fust
morte de sa mort naturelle, ayans conspiré sa mort et son
infamie perpétuelle : de sorte qu'estant tombée en une péril-
l'UOCES DE IIKVISION KT IIKIIA lill.lTAÏlON 181
leuse maladie, pour la grande rigueur et travail qu'on lui
donnoit, ils estoient en extrême crainte qu'elle ne mourust;
et aucuns des premiers seigneurs anglois dirent nommément
aux médecins qu'ils donnassent ordre à la si bien traiter,
qu'elle mourust pas de sa mort naturelle, etqu'ilsaymeroient
mieux avoir perdu vingt mille nobles à la Rose que [de la
voir] finir autrement ses jours que par le feu et une sentence
de perpétuelle ignominie contre elle. Ce qui est véritable.
\\y
Incontinent qu'elle commen^^^a à se bien porter, lesdits
accusez ne lui donnèrent [pas] loisir de recouvrer ses forces,
mais continuèrent leur prétendu piocez et lui demandèrent
des questions de choses très hautes et très difficiles touchant
les apparitions et visions des anges de lumières, de l'unité
de l'Eglise, de la foy et autres semblables. Ausquels interro-
gatoires elle a néantmoins respondu catholiquement, suffi-
samment et honnestement, selop la condition de son sexe, de
son âge, rudesse et ignorance. Ce qui est véritable.
XV
Tar les responses qu'elle a faites honnestement, paisible-
ment, prudemment, il apparaist que nonobstant l'envie, la
passion, la haine et tourments que lui donnoient ses enne-
mis, elle a souventefois décliné la jurisdiction de l'Evesque
de Beauvais, ce qui est notoire principalement en deux
choses. La première [c'est] qu'elle a expressément récusé les
juges, en tant qu'ils estoient du parti Anglois, ses ennemis
capitaux : au moien de laquelle récusation légitime et vala-
ble, tout le pouvoir et jurisdiction de l'évesque de Beauvais
demeurait suspendu, et les juges ayans procédé sans avoir
au préalable discuté ladite récusation, tout ce qu'ils ont fait
est nul. L'autre cause est que la Pucelle a souvent requis et
demandé d'être renvoiée au jugement du Pape, demande qui
tient lieu d'une légitime appellation, vu que l'Apostre saint
Paul ne dit autre chose pour former un légitime appel, sinon
182 E. RICIIEH. — LA PUCELLE D ORLEANS
qu'il estoit au tribunal de César. D'ailleurs, les grandes
et difficiles causes sont de droit réservées au Saint-Siège. Et
par ainsi le procez et tout ce qui en est ensuivi est nul.
Chose véritable.
XVI
Qu'elle a donné des responses sur les visions qu'elle esti-
moit avoir eues de la part de Dieu, telles qu'on les doibt
moralement, pieusement et catholiquernent présumer : veu
qu'elles ne sont en rien répugnantes ou discordantes à une
sainte et salutaire vérité, ni aux. articles de la foy. Attendu
mesme la simplicité et intégrité de cette fille, la nécessité
grande des choses pour lesquelles elle estoit envolée et les
justes causes d'icelles bien et meurement considérées, sans
passion ou maligne affection, ensemble toutes les autres cir-
constances. Et en tout cola cette fille n'a point erré et ne s'est
aucunement distraite de la vérité de la foy. Chose véri-
table.
XVII
Que la Pucclle destituée de tout conseil humain qu'on lui
a induement dénié, néantmoins inspirée de l'Esprit de Dieu,
comme il est croyable, a sousmis au jugement de l'Eglise par
diverses et plusieurs fois, tout ce qu'elle a dit, fait et pro-
posé, ne se séparant point de l'unité de l'Eglise, et denaan-
dant que ses faits et dits fussent examinez par des ecclésias-
tiques non suspects ni mal alîectionnez, et que le tout fust
déféré au jugement du Pape et du sacré Concile : ce qu'elle a
instamment requis. Chose véritable.
XVIII
Qu'aucuns doctes per.sonnages que l'évesque de Beauvais
avoit appelez pour assesseurs au prétendu procez contre la
Pucelle, esmus de pitié et compassion, attendu les captieux
interrogatoires qu'on faisoit à cette fille, l'ayans conseillée
de se soumettre au sacré Concile de Basle, auquel il y debvait
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 183
avoir des ecclésiastiques de l'obéissance des lîoys de France
et d'Angleterre, l'évesque de Beauvais les auroit cliassez con-
tumélieusement et dit à l'un d'icéux qu'il se tust de par tous
les diables, et en menaça plusieurs, aucuns desquels furent
chassez de la ville de Rouen en danger de leur personne, et
seront nommez cy-après : et depuis n'ont osé assister audit
procez. Ce qui fait clairement cognoistre la passion et mau-
vaise alfection des juges, etc.
XIX
Que lesdits accusez se sont estudiez de faire ignominieuse-
ment mourir la Pucelle, encore qu'elle fust exempte de tous
les crimes qu'ils lui ont imputez, et innocente ainsi qu'il sera
justifié cy-après. .Alesme ils ont fait continuer ledit procez,
incontinent qu'elle fust relevée de maladie : le promoteur de
l'évesque de Beauvais pressant cette affaire le plus qu'il pou-
voit.
XX
Que cette fille ayant esté plusieurs fois interrogée et tra-
vaillée par lesdits accusez, ils ont finalement fait dresser et
coucher certains articles qu'ils prétendent avoir esté extraits
des dépositions etresponses d'icelles, et commencent en cette
sorte : Une certaine femme..., etc. ; lesquels articles ils ont
envoyez à plusieurs notables et doctes personnages pour
capter leur opinion sur lesdits articles, comme ils l'ont
obtenue.
XXI
Que ces articles sont faulsement et calomnieusoment cou-
chez, et nullement conformes à ce que cette fille a confessé
et déposé, et ne contiennent [pas] ses récusations, submis-
sions, excuses, appellations, ni mesme la vérité de ce qu'elle
a confessé : et peut-on dire véritablemment que ceux qui ont
opiné et délibéré sur ces articles ont esté trompez et déceus,
et pour cette raison on ne les en doibtblasmer,mais seulement
184 E. UICHEU. LA PUCKLLK D ORLKANS
ceux qui les ont séduils el trompez nialitieusement, suppo-
sans lesdils articles.
XXII
Encore qu'on eust fait élection de notaires publics dignes
de foy, lesquels avoient escrit en françoys le procez de la
Pucelle et tenu registre de tous les actes, néantmoins d'autres
notaires suspects estoient cachez en un lieu proche desjuges,
qui se sont ingérez d'escrire plusieurs choses faulses ; et est
à présumer que les susdits faulx articles ayent esté escrits
par lesdits notaires cachez, ou colligez de ce qu'ils avoient
escrit. Davantage, a esté fait un autre procez en latin en
forme authentique, grandement dillérent et dissemblable du
premier escrit en françoys. Ce qui est véritable.
XXIII
Et encore que lesdits juges n'ayent pu ni du ainsi procé-
der, principalement en matière de la foy, sur de faulses
escritures, relations, confessions et articles supposez, sinon
nullement et par voye de fait, si est-ce toutefois, inconti-
nent que la Pucelle eut recouvré sa santé, ils l'ont mise en
une très dure et cruelle prison, sans qu'il y eust au préalable
aucune évidence ou notoriété de fait, ou grans et notables
souprons, ou une clameur et renommée publique, et qu'il ne
fust constant, comme il ne l'a jamais esté, qu'elle eust com-
mis quelque hérésie, ou fait et perpétré aucuns crimes con-
traires à la foy, ou y eust jamais adhéré. Et encore qu'elle
eust plusieurs fois requis lévesque et inquisiteur de la ren-
voierau Saint-Siège Apostolique, au cas qu'ils prétendissent
icelle avoir dit ou fait aucune chose qui ressentist l'hérésie,
ou qui fust contraire à la foy, et qu'elle estoit preste d'en
subir le jugement, toutes fois ils ont osté à cette lille tout
moien de deffendre son innocence, et contre toute disposition
de droit qu'ils ont mesprisée, ont. tout fait à leur volonté
audit prétendu procez, nullement et par voye de fait, ayant
donné deux sentences dont l'iniquité est toute manifeste. Ce
qui est véritable.
l'UOCES DE REVISION ET HEHABILITAIIOX 185
XXIV
<Jue par la première desdites sentences il est porté que
plusieurs doctes personnages ont donné leur advis et délibé-
rations sur les prétendus articles, ne plus ne moins que s'ils
avoien testé fidèlement et véritablement extraits des responses
et confessions de laPucelle; et par lesdits articles supposent
faulsement icelle s'estre trouvée coupable, voire mesme
qu'elle a confessé avoir commis et perpétré lesdits crimes,
lesquels ils lui ont voulu faire abjurer, et par voye de fait
ont exécuté leur mauvaise et damnable intention, ores toutes
fois qu'en aucun cas il ne s'agit véritablement d'une matière
de la foy ; et finalement après avoir fait lire un prétendu
formulaire d'abjuration rempli de termes obscurs que cette
fille ne pouvoit entendre, pour montrer leur cruauté à l'en-
droit d'icelle qui estoit innocente des crimes qu'ils lui impo-
soient, nonobstant qu'elle retournast au giron de l'Église,
ainsi qu'ils parlent en leur prétendue sentence, et qu'ils
l'eussent absous des prétendues censures, toutes fois ils la
condamnent sans aucune compassion et miséricorde à une
prison perpétuelle et à ne manger toute sa vie que du pain de
douleur et boire de l'eau de tristesse ; et tout cela inique-
ment par dol, tromperie et voye de fait, etc.
XXV
Ores qu'en la première sentence prétendue ils ayent déclaré
qu'ils se réservoient de faire grâce et de modérer ladite sen-
tence, et que par icelle cette pauvre fille désolée deubst estre
mise en une prison ecclésiastique; toutes fois ils ne l'y ont
pas mise, ni mesme entre les mains de l'Église, ou en la
compagnie de quelques femmes honnesles, ores qu'elle eust
un habillement de femme et qu'on lui eust promis de la trai-
ter humainement et de la mettre hors des fers et des mains
des Anglais; ce nonobstant, ils l'ont toujours laissée en la
garde de ses ennemis mortels et du comte de Warwic qui
estoit capitaine du chasteau de Rouen, portant tousjours les
186 E. RICllEn. LA PUCELLE d'oULÉANS
fers aux pieds et enchaisne'e d'une chaisne de fer, contre toute
charité, contre la forme des procédez usitez en l'Église. Et
est vraysemblable qu'ils l'ont ainsi traitée pour lui donner
occasion de se désespérer et de rencheoir (retomber)
aux. crimes dont ils prétendoient qu'elle avait fait abjura-
tion, etc.
XXVI
Davantage, pour tenter puissamment cette fille, lesdits
accusez et leurs complices ont fait oster la nuit les habille-
ments de femme qu'elle avoit pris, et lui ont mis sur son
lit les vestements d'homme qu'elle portoit auparavant, afin
qu'elle les reprist; de sorte qu'ils ne lui laissèrent aucuns
autres habillements pour couvrir sa nudité, voulant aller au
privé par nécessité, etc.
XXVII
Et ce qui est encore plus inique et a esté attenté contre elle
incontinent après, l'un des ennemis de cette fille se jeta sur
son lit pour la violer. A raison de quoy elle reprit l'habit
d'homme qu'on avoit mis sur son lit, atin que moiennant
icelui elle pust conserver sa virginité et se defïendre de telles
violences.
XXVIII
Or après la susdite sentence, les accusez s'étant transpor-
tez en la prison, et s'efi"orçant d'accuser et interroger cette
fille sur ce qu'ils prétendoient qu'elle estoit relapse, etc., elle
leur respondit très à propos n'avoir jamais rien entendu
abjurer ni révoquer, veu qu'elle n'estoit onques tombée en
aucune espèce d'hérésie ou d'erreur, ainsi qu'il sera montré
cy-après. Et dit encore n'avoir point entendu le formulaire
d'abjuration qu'on lui avoit fait prononcer et signer. D'où il
est évident qu'on ne peut dire qu'elle soit relapse sinon par
voye de fait. Toutes fois les accusez lui ont objecté contre tout
droit et justice qu'elle estoit rechue en hérésie et ont conclu
contre elle en tant que relapse.
PROCES DE REVISION ET REIIABILITATION 187
XXIX
Et ores que celte conclusion de rechute n'aye [point] esté
prise sur la pluralité des voix et n'aye pu ni du estre faite,
ainsi qu'on recognoist par le procez, toutes fois les accusez
ont déclaré par leur prétendue sentence qu'elle debvoit estre
condamnée en tant que relapse, afin de lui faire perdre l'hon-
neur et la réputation, et la rendre à jamais infâme par cette
mort publique qu'ils lui ont fait endurer.
XXX
Lesdits accusez désirant la faire mourir, comme ils en
avaient très grande volonté, en l'espace de six ou huit jours
ils ont donné deux sentences contre elle, et l'ont fait mener
sur la place publique ou l'on a coustume d'exéquuter les
criminels ; et ils donnèrent un jugement contre elle par
lequel iniquement et injustement ils l'ont déclarée relapse en
cas et matière d'hérésie, et abandonnée au bras séculier :
ayant fait faire sur ce subject une solennelle prédication,
remplies de faulses et iniques propositions, accusations,
opprobres et injures contre cette fille, afin de la diffamer en
présence de tout le peuple assemblé et appelé à cet effet.
XXXI
Que c'est une chose grandement déplorable et digne de
compassion qu'une vierge innocente ayt esté publiquement
et ignominieusement condamnée sous prétexte d'hérésie, et
livrée à la justice séculière, ou plustost abandonnée à ses
ennemis mortels, sans qu'il soit au préalable intervenu
aucune sentence ou forme de jugement pour la faire mourir
et jeter dans le feu préparé à cet effet, auquel elle a cruelle-
ment fini ses jours, etc.
XXXII
Qu'après s'estre publiquement confessée à Dieu, répétant
souvente fois le nom de Jésus et de tous les saints, princi -
188 R. lUCHEU. LA l'LCELLE Ij'OKI.ÉANS
paiement de saint Michel, saintes Catherine et Marguerite,
elle a supporté les tourmens du feu avec une patience et
constance incroyables, ainsi qu'une grande naultitude d'as-
sistants, tant amis qu'ennemis, ont témoigné ; et en outre
qu'elle estoit allée au supplice avec un courage asseuré et
résolu, et en une pureté viayment virginale avoit catholi-
quement et constamment fini ses jours : ce qui auroit excité
tout le nionde à pleurer, ainsi qu'il est porté par les infor-
mations qui seront produites en ce procez, etc.
XXXIII
Partant, selon la sainte doctrine de l'Église, ne doit-on pas
inférer que cette fille comme très bonne catholique a passé
sa vie sans aucune tache d'hérésie, voire mesme sans aucun
grand crime ou péché; ayant fini ses jours conformément à
la religion chrestienne, pour obtenir la gloire éternelle
moicnnant la grâce de Nostre-Seigneur Jesu Christ, l'esprit
de Dieu l'ayant toujours assistée et confortée jusqu'au dernier
période de sa vie ? Ce qui est véritable.
XXXIV
Et d'autant que par un si damnable procédé et iniques
sentences, et par la cruelle exéquution qui s'en est ensuivie,
quoyque lesdites sentences soient nulles, faulses et iniques,
plusieurs ont cru, quoyque injustement et à tort, l'innocence
de cette fille avoir esté souillée, et pareillement la renommée
de ses parents blessée et grandement offensée ; pour ces
causes, justement et à bon droit, nostre saint-père le Pape a
envoie un rescrit apostolique à vous, messieurs les juges,
qu'il a commis en cette cause, au moien duquel et de vostre
bonne justice et intégrité, cette fille puisse estre déclarée in-
nocente, et tous ses parents réintégrés entièrement en leur
honneur et bonne renommée, conformément aux fins cy-
après déclarées. Ce qui est juste et véritable.
PROCKS DE RF.VISIOX ET lîEHABlLlTATION 189
XXXV
Et encore que les choses susdites semblent servir de suffi-
sant fondement à ce que les parents de la Pucelle puissent
obtenir les fins qu'ils se proposent, desquelles la preuve et
justification est très claire, tant pour l'inique procédé de
leurs parties adverses, que par les légitimes responses de
cette fille, faisant comparaison d'icelles à la vérité ; comme
aussi par les dépositions de plusieurs tesmoins hors de tout
reproche, et informations fuites et à faire si besoin est;
davantage : encore que la tromperie, iniquité, fraude, haine
et maligne intention des parties adverses ne soient que trop
notoires par leur procédé, manifeste faulseté et nullité de
leurs prétendues sentences, toutes fois pour en faire
cognoistre la vérité, et attendu que tout le fondement de cette
cause en despend, nous ferons voir en bien peu de paroles la
nullité et iniquité maligne de tout ce procédé, et consé-
quemmentque tout ce qui en est ensuivi est nul, inique,
invalide, etc.
XXXVl
Et attendu que tous les jugement consistent en la matière
et en la forme, l'on prouvera clair comme le jour : première-
ment que le procez et les sentences sont nuls selon la forme,
ou à tout le moins qu'ils doibvent estre cassés ; et quant à la
matière, que ce n'est que dol, faulseté, prévarication, injus-
tice et iniquité manifeste. Ce qui est véritable.
XX XV II
Or, puisque la forme donne estre et subsistance aux choses,
et que tout ce qui se fait contre les lois doibt estre tenu pour
nul, Deregulisjuris, lib. 6, il faut premièrement montrer la
nullité dudit procez et sentences et leur instabilité quant à
la forme, et qu'elles doibvent estre cassées pas les raisons et
moyens de droit qui ensuivent : sur cela [les avocats de la
Pucelle] allèguent plusieurs docteurs que nous omettons.
190 E. lïlCllEU. LA l'UCELLE D OIU-EANS
XXXVIII
Allèguent aussi : que l'évesque de Ikauvais n'esloil [pas]
juge compétent de la Pucclle, et qu'elle ne lui esloit subjecle
ni à cause du délit prétendu, ni à cause de son domicile, —
fi raison desqfuels quelqu'un a droit de jurisdiction sur un
autre ; — et que cela est tout constant et notoire par les actes
du procez, etc. ; qu'elle n'a jamais eu domicile au diocèse de
lîeauvais, «et qu'elle n'y a point été priàe, parce que Com-
piègne est du diocèse de Soissons^ ».
XXXIX
Que l'évesque de Bcauvais et Magistri, sufîragantdel'I nquisi-
teur,ayansencourudedroitrexcommunicationpour avoir illé-
gitimement procédé en cas d'hérésie contre la Pucelle, ils n'ont
pu exercer aucun acte de jurisdiction contre elle, attendu
qu'ils lui ont faulsement imputé le crime d'hérésie : allèguent
à ce propos la Clémentine MuUorum de hœreticis, lib. 6.
Voyez cy-dessus l'article huictiesme.
XL
Que la Pucelle a maintes fois récusé l'évesque de Bcau-
vais comme juge incompétent et suspect et son ennemi
mortel, et conséqucmment n'a pu que nullement et par
voye de fait procéder contre elle. Allèguent plusieurs auteurs
à ce propos.
XLI
Et puisqu'il est constant que tout ce qui se fait par force
ou crainte ne peut subsister, Caput de his guœ vi melicsve
causa, etc., et que les Anglois qui assistoient à ce procez ont
menacé ledit prétendu inquisiteur de la foy, pour le faire
consentir à la sentence donnée contre la Pucelle, il s'ensuit
1. Les mots entre guillemets ne sont pas dans le texte de J. Quiche-
rat. E. Hicher n'aurait-il pas cru devoir les ajouter de lui-même?
PnOCES DE REVISION ET REIl AIULITATION 191
que ladite sentence est nulle, ou à tout le moins qu'elle doibt
estre annulée, etc.
XLII
Et d'autant que toutes les loix ordonnent que toutejurisdic-
tion est suspendue par une It^gitime appellation, la Pucelle
ayant appelé de tout le procédé de l'évesque de Beauvais, il
résulte que tout ce qu'il a fait est nul. Or, la Pucelle ayant
réclamé la protection d'un supérieur, et principalement du
Pape auquel elle s'est sousmise, encore que par ignorance et
si mplicité elle n'ait usé des termes d'appellation, toutes fois
son dire doibt tenir lieu de légitime appellation, et consé-
quemment le procez fait contre elle est nul, Cap. adaudien-
tiam de Appellatione et in cap. dilecli filii. Car saint Paul
fut tenu pour appelant, ayant dit seulement : « Je suis au
tribunal de César. « Actes, 25.
XLIll
D'ailleurs, il s'agissoit de choses difficiles et obscures,
principalement des révélations secrètes, occultes et qui sont
incognues aux hommes, et desquelles le jugement est difficile
et doibt estre tenu et réputé entre les plus grandes causes
desquelles le jugement est particulièrement réservé au Siège
apostolique. 24, Quœst., 1, can. Quolies, etc.
XLIV
L'iniquité et malice des juges et la nullité de leurs actes se
manifeste encore par la dureté de la prison et des effroyables
geôliers qu'ils ont donnez à cette fille, mesme estant pupille
et mineure : geôle plus dure à supporter que la mort mesme.
Car elle n'estoit pas en une prison ecclésiastique, ou dépu-
tée à des laïques profanes ou criminels publics, mais en une
grosse tour du chasteau de Rouen, entre les mains de ses
ennemis mortels, exposée à toutes leurs injures, opprobres,
irrisions, moqueries, menaces et terreurs atroces qu'ils lui
192 E. mCHER. LA l'UCKLLE D ORLÉANS
donnoient assiduemenl. Chose qui doibt estrc altfibuée h une
grande injure et violence : veu mesme que ses ennemis qui la
gardoient, estant armez, ont par diverses fois attenté de la
violer et de lui faire perdre sa virginité.
XLV
Que telles injures, prison et terr-eurs atroces, équivall(Mit
et sont comparées aux questions et tortures par lesquelles on
contraint les criminels : et conséqucmment si la Pucellc, à
raison d'un si mauvais et cruel traitement qu'on lui a fait, a
confessé quelque chose à son préjudice, cela doibt estre at-
tribué au trouble et à la terreur qu'on lui a donnez, et consé-
qucmment telle confession ne peut ni doibt lui préjudicier.
D'où il résulte que le procez et la sentence de rétractation ou
de récidive fondées sur telles prétendues confessions sont de
nul poids, efficace et vigueur. Que les loix disent qu'on ne
doibt pas seulement prendre et tenir pour tourments la
peine et travaux du corps, mais bien aussi toute autre dou-
leur, comme la faim et semblables choses urgentes dont
aucun seroit travaillé pour lui faire confesser quelque crime,
comme pourroit estre une prison sordide et cruelle : | De in-
juriis, 1. Item apud Labeonem, | Quœstionem, et | quœstio-
nis. i Ad. senatuscon. Silanianum, 1. i, Quare.'
XL\I
Que pour une autre raison, le procez et ce qui en est en-
suivi est inique et nul. Car cette fille mineure et du tout
ignare, principalement des choses sur lesquelles on l'inter-
rogeoit, n'a jamais esté assisté d'aucun conseil et directeur
qui lui interprétastles termes desquels on usoit pendant tout
le procez, encore qu'on l'interrogeast des plus hautes et
sublimes questions de la foy et de la théologie, et qu'elle
demandast du conseil qu'on lui a dénié : [cej qui est une
grande inhumanité, du tout ennemie et contraire à la justice.
Bien davantage; ceux qui ont assisté au procez tesmoigneiit,
au cas que quelqu'un voulust donner conseil, qu'il estoit in-
PROCES DE IIEVISION ET REHABILITATION 193
jurié, menacé et chassé de l'assemblée. Ce qui montre la
nullité dudit procez, et à ce propos sont invoqués plusieurs
loix et auteurs que nous passons sous silence.
XLVII
La nullité se prouve encore.d'autantque les loixdeffendent
qu'on puisse exéquuter une sentence donnée contre des mi-
neurs au-dessous de vingt-cinq ans, lesquels n'ont [pas] esté
defîendus; et mesme il n'est besoin d'appeler de la sentence :
I de sententia et re judicala. I. Acta. Necpetenda est reslitu-
tiû in integrum. C. siadversus rem judicatam, I. Cum mi-
nores, etc. Or, est-il que la Pucelle estoit mineure, destituée
de tout conseil, curateur- et directeur.
XLVIII
Par toute disposition de droit, les actes d'un procez doib-
vent estre fidèlement registrez par un ou deux notaires pu-
blics; et autrement on n'adjouste point de foy au juge ni à
son procez, et le juge doibt estre puni. Or, est-il qu'au pré-
tendu procez contre la Pucelle l'Évesque de Beauvais n'a pas
seulement esté négligent de garder les loix qui ordonnent
cela, mais bien plus a fait tout le contraire par un malitieux
dessein, faisant retrancher les dépositions de la Pucelle et
omettre ses excuses. Par ainsi tout leur prétendu procez est
vicieux, faulx et nul. Auquel propos sont alléguées plusieurs
autoritez du droit canon.
XLIX
Que l'Évesque de Beauvais a fait extraire du procez et confes-
sions de la Pucelle certains articles faulx, mensongers, impar-
faits et calomnieux, sur lesquels il a fait consulter plusieurs
opinions ; ausquels articles il a malitieusement omis tout ce
qui faisoit à la descharge et excuse de la Pucelle, et notam-
ment qu'elle s'estoit sousmise au jugement de l'Église et du
siège Apostolique, détorquant et tronquant aucunes choses,
194 E. RIGHEK. LA PUCEM.E d'oKLÉANS
et en adjoustant de faulses pour la rendre plus criminelle. Et
surlesdits faiilx articles a fait opiner, et finalement a donné
ses prétendues sentences iniques, faulses et nulles, ainsi qu'il
est clair et notoire en conférant lesdits articles avec les dépo-
sitions et confessions de la Pucelle. Et à ce propos sont allé-
guées plusieurs loix pour montrer la nullité du procez et
desdites sentences.
Cette nullité, iniquité et tromperie est encore toute mani-
feste en ce que certains malitieux et séducteurs conseillers
et directeurs ont esté expressément et à dessein envoyez à
cette fille par lesdits juges, ainsi qu'il esta présumer, veu que
personne ne parloit à elle que du consentement et permis-
sion de l'Evesque de Beauvais, ainsi qu'il ordonna dès la
première séance du procez : lesquels conseillers et directeurs
feignoient estre du parti du roy de France, et donnoient à
entendre à cette fille qu'ils la vouloient fidellement conseiller,
et sur toutes choses qu'elle se gardast bien de se sousmettre à
l'Église. Davantage : a esté dit cy-devant qu'ils lui firent la
nuit oster les habillements de femme qu'elle avoit repris et
au lieu substituèrent les habillements d'homme. Donc, si
elle les a repris et ne s'est pleinement sousmise au jugement
de l'Église, on doit attribuer cela à leur malice et tromperie,
et au conseil calomnieux qu'ils lui ont suggéré. Et puisque
les loix ordonnent que le dol et la fraude ne doibvent profi-
ter à personne, il s'ensuit que lesdites sentences, fondées sur
ce que cette fille est relapse et a repris l'habit viril, et qu'elle
ne s'est voulu sousmettre à l'Église, ne sont d'aucune consi-
dération et ne peuvent avoir aucune force : et à cela sert la
loi première au Gode de advocatis divers . judiciorwm. Certes,
attendu que la Pucelle de son propre mouvement s'est sous-
mise au siège Apostolique et a demandé instamment d'y
estre menée, ainsi que les actes du procez en font foy, il
faut conclure que la sentence donnée contre elle sur un pré-
tendu relaps doibt estre attribuée au damnable conseil qu'on
lui a suggéré et conséquemment est nulle. Sur quoy sont
allégués plusieurs jurisconsultes.
PROCES DE IlEVISIUN ET UEHAUlUTAi'lON 195
Desquels articles, raisons et causes cy-devant alléguées il
résulte que tout le procez et sentences de l'Evesque de Beaii-
vais et de l'inquisiteur qu'il s'est associé sont nuls quant à la
forme et doibvent estre déclarez tels et cassez par messieurs
les juges, et consciencieusement aussi tout ce qui s'en est
ensuivi.
Ll
La matière du procez sont les crimes, erreurs et excez faul-
sement, iniquement et malitieusement imputez à la Pucelle,
et principalement quelle estoit relapse, hérétique, sorcière,
crimes qu'elle n'a jamais commis et ne se peuvent prouver
ni induire de ses confessions et dépositions, ni par autres
preuves ou tesmoins ; icelle ayant tousjours dit et protesté
qu'elle estoit bonne chrestienne et catholique et ne forlignoit
en aucune chose de la foy, ni des ordonnances, détermina-
nations et traditions de l'Eglise. Lesquelles protestations
jointes à la vie innocente de cette fille, debvoient estre prises
et interprétées en bonne part, ainsi que tous les docteurs
enseignent.
LU
En premier lieu, de ce qu'ils l'accusent à cause des révéla-
tions et apparitions qu'elle dit avoir eu, et de ce qu'elle a
adoré ces esprits, et prétendent que ce sont des démons, et
conséquemment l'accusent d'idolâtrie, d'erreur, d'hérésie et
d'avoir invoqué les esprits malins, etc., l'on oppoeeaucontraire
que ces révélations, apparitions, etc., proviennent des anges de
lumière, ce qui est vraysemblable : et par raison humaine
ne peut-on juger autrement, et les juges prétendus n'ont pu
ni du moralement en ordonner autre chose. Car à juger hu-
mainement, il est vraysemblable qu'elle n'a dit aucun men-
songe, ni chose faulse, erronée ou hérétique, asseurant
qu'elle avoit des révélations et apparitions de bons esprits, et
aussi qu'elle n'a commis aucune idolâtrie. Ce qui est véri-
table.
196 E. RICIIER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
LUI
Au reste, ces juges prétendus, aveuglez de passion et de
la haine extrême qu'ils porloient h la Pucelle, n'ont pu
cognoistre si ces révélations et apparitions venoient de Dieu.
Et attendu qu'elles sont occultes et incognues aux hommes,
chose qu'ils ne pouvoient ignorer, ils dévoient suspendre leur
jugement et ne les pas détorquer en mauvaise part, ains
réserver cela à Dieu seul qui cognoist les choses secrètes. Et
n'y a personne quelconque en lerre qui en puisse certainement
juger, parce que Dieu seul cognoist les choses occultes. Gap.
si omnia, 6 quœst. Gap. erubescant cum sua Glossa, 32 dist.
etc. ISam de occuUis Ecclesia non judicat. Gap. sicut tuis,
in fine, de Simonia. Et in occultis Ecclesise judicium sœpe
fallere et falli potest. Gap. a nobis, 28. De sententia ex-
communicationis cum sua glossa, etc.
LIV
Qu'il soit véritable que les révélations et apparitions de la
Pucelle proviennent des bons anges et qu'on le doibt ainsi
tenir moralement par toute sorte de présomption et pieuse
conjecture, les raisons suivantes le démonstrent. Gar, pre-
mièrement, cette fille estoit vierge, et, ayant esté visitée, a
esté trouvée telle par plusieurs nobles matrones, etc. Or est-
il qu'en une vierge innocente et pure et très agréable à Dieu,
l'inspiration du Saint-Esprit est convenable comme estant le
temple de Dieu, ainsi que le dit saint Ambroise : can. tole-
rabitius 32, quœst. 5. Secondement, pour ce qu'elle estoit
humble et simple, ainsi qu'on recognoit par toutes ses res-
ponses. Et d'ailleurs n'a jamais recherché les honneurs mon-
dains, mais seulement le salut de son ame. Or, est-il que la
virginité et humilité jointes ensemble, sont louées avec
admiration. Gan. Haecdiximns, 30, dist. Et super his requi-
escit spiritus Domini.
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 197
LV
En troisiesmc lieu, celte fille a toujours esté d'une vie
louable, honneste et grandement adonne'e à la piété, secou-
rant les pauvres, gardant les jeusnes de l'Eglise, fréquentant
les sacrements, assistant au service divin, et allant souvente
fois à confesse et à la sainte communion. Donc, comme
telle est digne des apparitions et visions des anges de lu-
mière, etc.
LVl
En quatriesme lieu, le principal indice et marque des
bons anges est qu'ils suadent et invitent tousjours aux bonnes
œuvres et actions vertueuses, comme ont fait ceux qui ont
apparu à la Pucelle, l'excitans à fréquenter l'église, à se con-
fesser souvent, à se bien gouverner, à garder sa virginité
tant corporelle que spirituelle, et que par ce moïen elle
obtiendrait la vie éternelle. Toutes lesquelles choses sont des
signes et marques des esprits de lumière : Nostre Seigneur
ayant laissé pour règle cette sentence qu'on les cognoissoit
par leurs œuvres et par leurs fruits. Faut adjouster qu'à
l'arrivée de ces visions et apparitions elle faisait le signe de
la croix, et que ces esprits ne disparaissoient pas, comme font
les démons desquels est fait mention au canon Postea signa-
tur, de consecr. Item, que saint Michel ayant apparu à cette
fille avec une lumière, elle fut espouvantée de premier
abord; mais qu'à son départ, il la laissa grandement conso-
lée, ce qui est le signe d'un bon ange, ainsi que nous lisons
en lEscriture de l'ange qui apparut à la Bienheureuse
Vierge et à plusieurs autres saints personnages, chose no-
toire à tout le monde. Et cette fille a déposé tout cela, comme
pareillement que ces esprits parloient à elle intelligiblement
d'un sens clair et net ; oîi au contraire le malin esprit parle
obscurément, par énigmes, afin que par telles obscuritez il
puisse retenir son autorité et crédit à l'endroit de ceux qu'il
a mis à sa chaisne. Cap. sciendum, 26, quœst. 4. Et cela est
véritable.
198 E. mcHER. — i.\ prr.ELLi': u orleans
LVll
Cinquiesnicmcnl, le signe indubitable des anges de lumière
est que la Pucelie est moFte catholiquement et religieuse-
ment, car elle receut les sacremens de pénitence et de l'Eu-
charislie avec une grande ferveur, dévotion et résignation à
la volonté de Dieu et effusion de larmes. Et estant au milieu
des flammes, elle proféroit'hautement et intelligiblement le
nom glorieux de nostre Sauveur Jesu Christ, de saint Michel,
etc. Au contraire, les esprits malins précipitent ceux qu'ils
ont tirez à leur parti, en enfer, ainsi que tesmoigne saint
Augustin, donnant l'exemple de Saùl qui adora le diable sous
la forme de Samuel qu'une sorcière fit représenter. Can. nec
mirum, 26, quœst. 5, etc.
LVIII
Le sixiesme signe des esprits de lumière fort notable est
que la Pucelie a certainement prédit la vérité de plusieurs
choses, lesquelles ont eu une issue et effet miraculeux. Car
peut-il estre chose plus véritable que ce qu'elle a prédit au
temps où il n'y avoit aucune apparence, et lorsque tout succé-
doit au désir du Roy d'Angleterre, et qu'il estoit beaucoup
plus puissant en forces et en armes que le Roy de France, et
que la plus grande partie du royaume lui obéissoit, et que
tout sembloit conspirer contre Sa Majesté (Charles VII), sçavoir
qu'elle feroit lever le siège d'Orléans, qu'elle mèneroitle Roy à
Rheims pour estre sacré et couronné, et que le Roy de France
recouvreroit son royaume et en chasseroit du tout les An-
glois, etc. Ce qui doibt vrayment estre attribué à un miracle,
attendu la grande puissance et multitude des ennemis, et le
peu de gens que la Pucelie avoit, quand elle fit lever le siège
d'Orléans, etc.
LIX
Que telles et si notables véritez énoncées par cette fille ne
peuvent provenir des esprits malins, mais de Dieu qui seul
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 199
cognoist les choses futures, Nostre-Seigneur ayant dit : « Ce
n'est pas à vous de cognoistre les temps à venir, mais seule-
ment à ceux auxquels mon Père les voudra révéler ». Et ail-
leurs : « Dites-nous les choses qui doibvent advenir, et nous
vous dirons que vous estes dieux. » Et comme saint Bernard
asseure que le plus grand miracle de Jésu Christ est d'avoir
sousmis le monde universel sous la loy évangélique par le
moïen de bien peu de personnes pauvres, idiotes, simples,
ainsi que Ilostiensis et Joannes Andréas rapportent, cap.
venerabilis, de prxbendis ; au cas semblable, on peut dire
que c'est un très grand miracle qu'une simple fille âgée de
dix-huit ans, ne sçachant lire ni escrire, ni [ce] que c'estoit
des armes et de la guerre, issue de pauvres parents et de bas
lieu, au temps que le royaume de France estoit tout désolé,
et que humainement tout sembloit désespéré, néantmoins
aye relevé le courage de tous les Françoys, et par sa valeur
invincible a débellé les ennemis de la France, remis en l'obéis-
sance du Roy sans aucun carnage ni voye d'hostilité les
villes qu'ils avoient occupées. Effet qui ne peut provenir
d'ailleurs que de la main toute-puissante de Dieu et des anges
de lumière, etc.
LX
Au reste ne peut estre blasmée mais [doibt estre] grande-
ment louée de s'estre meslée aux affaires de la guerre pour
secourir son Roy et sa patrie ; veu que la guerre estoit très
juste et méritoire, ayant toutes les conditions d'une juste
guerre dont il est parlé au canon si nulla, î23, quœst. 8, et en
plusieurs autres canons et auteurs alléguez en preuve. Et
tout ce que la Pucelle a fait a esté par privilesge et comman-
dement spécial de Dieu, au nom duquel elle a premièrement
sommé les Anglois de se retirer en leur païs et laisser le Roy
de France [possesseur] paisible de son royaume. Or est-il que
ceux qui sont gouvernez de l'Esprit de Dieu ne sont subjects
a la loy commune. C'est pourquoy Abraham a esté excusé
d'homicide, entreprenant d'immoler son fils ; comme pareil-
lement Samson, etc. Cap. Gaudemus,de divorliis. Cap. licet,
de Regularibus, etc.
200 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
LXI
Bien davantage : supposant ce qui est faulx, S(;avoir que
les révélations de cette fille provinssent de quelques mauvais
esprits et qu'elle en eust esté déceu par erreur, si est-ce tou-
tes fois qu'elle debvroit estre excusée pour ce qu'elle a cru que
c'estoient de bons esprits qui lui apparaissoient en forme
d'anges de lumière, sçavoir saint Michel, saintes (Catherine et
Marguerite, comme tels les a adorez : et pour cela ne debvroit
estre tenue idolâtre. XXIX, quxst. 1, verbo aliter, etiam hoc
pî'obatur,eia.; veu mesme qu'elle s'est sousmise au jugement
de l'Eglise.
LXII
Quant à ce qu'ils la veulent rendre criminelle pour avoir
porté un habillement d'homme contre les canons, Can.si qua
millier, XXX dist., etc., cela n'est d'aucune considération veu
la fin et les circonstances des choses que la Pucelle debvoit
exéquuter par le commandement de Dieu et les raisons qui
ensuivent.
LXIII
Premièrement, pour ce qu'elle estoit envoyée de Dieu. Or
est-il que où l'esprit de Dieu habite, là est la liberté, Can.
licet, de Regularibus. En second lieu, les canons alléguez par
les parties adverses et tous les docteurs parlent de femmes
qui changent d'habillement pour assouvir leur lubricité.
Mais la Pucelle a pris cet habitpour l'éviter et empescher que
les hommes la voyans habillée en femme, ne fussent provo-
quez à concupiscence charnelle. Davantage : c'a esté pour
conserver sa virginité, conversant parmi les hommes, et,
moïennant cet habit, estant prisonnière au chasteau de
Rouen, elle empescha que les Anglais ne la violassent, ainsi
qu'il apparaist par preuves légitimes. Donc à Dieu ne plaise
que les choses que nous faisons pour un bien nous soient
imputez à coulpe. Can. de occidendis, quœst. 5.
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 201
LXIV
En troisiesinc lieu, il est constant que cette fille a souven-
tes fois promis de prendre un habillement de femme, pourveu
qu'elle eust à vivre et demeurer parmi des femmes ou qu'elle
fust aux prisons ecclésiastiques, ou ailleurs qu'entre ses enne-
mis. De plus, elle l'a pris de fait pour obéir au jugement pré-
tendu de ses ennemis, et ne l'a quitté que par nécessité et par
la malice et tromperie de ses ennemis, et pour empescher
qu'on ne la violast, ainsi qu'il a été dit aux articles vingt-six,
vingt-sept.
LXV
Il n'est pas véritable qu'elle ait jamais postposé d'oui'r la
messe à cet habit viril qu'elle portoit: au contraire, il est très
véritable qu'elle a demandé souveriles fois et instamment d'en-
tendre la messe et recepvoir la sainte communion, et qu'on
lui donnast un habillement de femme à la façon d'une fille de
bourgeois. Que si l'on repart qu'elle a dit avoir juré k son
Roy de ne point quitter l'habit viril, il faut présumer : attendu
le commandement qu'elle avoitdeDieu de porter cet habille-
ment; qu'elle n'esloit subjecte à la loy commune de porter un
habillement de femme, ainsi qu'il a esté remarqué en un pré-
cédent article. Et n'est pas merveille si elle s'est trouvée en
perplexité sur l'option qu'on lui a faite de prendre une robe de
femme pour aller à la messe, conférant le commandement
exprès qu'elle tenoit avoir de Dieu de porter l'habillement
d'homme, avec cette permission qu'on lui donnoit d'entendre
la messe. Car encore qu'elle desiroit ardemment d'ouyr la
messe, si est-ce qu'elle craignoit de contrevenir au comman-
dement de Dieu qu'elle avoit de porter cet habit viril, veu le
péril où elle s'exposoit, estant tousjours parmi lesAngloisqui
s'esloient mainte fois efforcez de la violer.
LXVI
Que pour avoir repris Ihabillement d'homme l'on n'adula
condamner, ni mesme la qualifier relapse, veu qu'elle a repris
202 E- UlCHEK. — • LA l'L'CELLE d'oULÉANS
cet habit par fraude, malice, violence et nécessité que ses
ennemis lui ont imposée, tant pour conserver sa virginité
que pour autres causes cy-devant alléguées.
LXVII
Ouant au blasme qu'ils veulent lui imputer de s'en estre
allée sans le congé de ses parents, etc., on respond qu'elle
s'en est confessée sacramentellement et en a demandé pardon
à ses parents qui le lui ont donné. Et conséquemment on ne
lui doibt [point] objecter cela,veu la pénitence qu'elle a faite
et le pardon qu'elle a obtenu.
LXVIIl
Pour le regard de ce qu'ils l'accusent d'avoir mis le nom de
Jésus aux lettres par lesquelles elle donnoit charge de faire
du mal [aux ennemis], comme celle qu'elle écrivit aux An-
glois, etc., elle respond qu'elle n'a fait ni commis aucun
péché en cela, joint quec'estoit en guerre ouverte et juste où
tout se doibt faire et exéquuter en nom de Xostre-Seigneur.
LXIX
Au reste, n'est-ce pas chose frivole l'accuser d'avoir sauté
du haut d'une tour par désespoir, etc. Car, ainsi qu'elle a
fort pertinemment respondu, ce saut n'a point esté par déses-
poir ou par aucune meschanceté, mais sous l'espérance de
se pouvoir sauver et d'aller secourir ceux de Compiègne. Et
sert à ce propos le canon de saint Grégoire, Nervi testiculo-
rum, § est tamen.
LXX
Quant à ceux qui l'accusent d'avoir menti, disant qu'un
ange estoit venu du ciel apporter une précieuse couronne à
son Roy et lui avoit fait la révérence, fléchissant le genou,
etc., on respond : ores qu'il ne soit jamais licite de mentir,
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 203
toutes fois il est permis de respondre prudemment, feignant
et desguisant quelque chose pour en temps et lieu celer la
vérité. Donc, puisque le nom d'ange est un nom d'office et
ne signifie autre chose que messager, d'où vient que l'Escri-
ture dit : Voici, f envoie mon ange, etc., parlant à saint
Jean-Baptiste, pour cette cause, la Pucelle discourant des
choses à quoy Dieu l'avoit destinée, a pu feindre qu'elle estoit
un ange ou messagère apportant à son Roy une couronne,
c'est-à-dire une palme de victoire figurée par cette couronne :
et en cela n'a point menti, mais parlé prudemment. Et mesme
a pu dire que cet ange estoit saint Michel, parce que saint
Michel l'instruisant de ce qu'elle avoit à faire, elle lui pou-
voit attribuer ce qu'elle faisoit suivant la règle : Qui fait
quelque chose par autrui est estimé le faire lui-mesme, etc.
LXXI
Mais, disent-ils, elle a maintenu qu'elle estoit certaine et
croyoit fermement qu'elle seroit sauvée, etc. Cela n'a aucune
absurdité, pourveu que tout ce qu'elle a dit soit assemblé
comme est [ceci], qu'elle gardast bien ce qu'elle avoit promis
à Dieu, sçavoir son serment et sa virginité tant corporelle
que spirituelle. Au reste, celui-là garde sa virginité spiri-
tuelle qui ne pèche point. Can. si enim inquit, de consecr.,
dist.^. N'est-il pas dit : « Oui persévérera jusques à la fin sera
sauvé» ? En saint Mathieu, 10.
LXXII
Quant à ce qu'elle a dit sçavoir les choses futures et qu'elle
seroit délivrée de prison, et qu'on prétend qu'elle a menti, etc.,
il ne sefautesbahirsi elle a pris et interprété cette délivrance
de prison d'un autre sens que ses voix ne l'entendaient, sça-
voir de la délivrance de la prison de cette vie par la mort
qu'elle debvoit souffrir, lui ayant esté prédit qu'elle souffriroit
martyre et qu'elle seroit sauvée. En quoy elles lui ont dit la
vérité. Davantage : c'est chose notoire que tous ceux que
Dieu a douez de l'esprit de prophétie n'ont pas tousjours parlé
204 E. RICIIER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
prophétiquement et véritablement, ainsi que saint Grégoire
remarque sur Ezéchiel, allégué au canon potest discu7'sus,
I in prophétise vlrlule, de consecr . dist. 2.
LXXIII
C'est encore faulsementet à tort qu'elle est blasmée d'avoir
dit que saintes Catherine et Marguerite aymoient les Fran-
çoys et haïssoient les Anglois. Car elle a respondu véritable-
ment qu'elles aymoient ce que Dieu ayme, et qu'elles haïs-
soient ce qu'il hait, et qu'elle n'entendoit parler de leur ame,
mais de ce que les Anglois seroient exterminez de la France.
LXXIV
Aussi n'a-t-elle jamais dit n'avoir eu ou qu'elle n'avoit
aucun péché, mais bien ne passçavoir si elle avoit péché mor-
tellement. « Et à Dieu ne plaise qu'elle aye onques fait ou fasse
quelque chose pour laquelle son ame soit chargée! m Qu'eus-
sent-ils pu dire si elle eust péché sans avoir "lait une digne
pénitence? Bref, elle n'a point péché en toutes ces choses, et
est grandement excusable, ayant parlé et respondu pertine-
ment en questions si ardues et difficiles selon sa capacité.
LXXV
C'est encore faulsementet malilieusement qu'ils ont publié
qu'elle ne s'estoit voulu sousmettreà l'Eglise, ni pareillement
aussi ses faits et dits : veu que le contraire apparoist par son
procez, sçavoir qu'elle s'est sousmise à l'Eglise et au Pape. Et
posé qu'elle ne l'eust fait, elle seroit excusable pour plusieurs
raisons. Premièrement, attendu qu'elle estoit régie de l'Es-
prit de Dieu par révélations, suivant une loy ou privilège
particulier qui i'exemptoit de la loy commune et générale,
cap. gaudemus, de divortiis, etc. ; cap. licel de Regiilaribus.
Et en cela elle a suivi l'Eglise. ^Voyez l'Advertissement sur
la séance quatriesme du livre second.]
PUOCES DE REVISION ET REHABILITATION 205
LXXM
Secondement, posé que ce fust chose doubteuse que ses
révélations et inspirations proviennent des bons ou mauvais
esprits, cela estant incognu aux hommes et cognu à Uieu
seul, l'Eglise n'en peut rien ordonner, can. Eriibescanl,
32 dist.; et capil. sicut tuis ; et cap. tua nos, de simonia. Au
contraire, elle en laisse à Dieu seul le jugement, cap. Inqui-
sitionis de sententia excommunicat . , etc. Donc, la Pucelle
ayant suivi ses révélations, elle n'a point erré.
LXXVII
D'ailleurs c'estoit une jeune fille simple, vierge et igno-
rante, destituée de conseil, laquelle ne pouvoit entendre suf-
fisamment ce que vouloit dire ce mot d'Eglise : ce qui est
nianifeste par le procez auquel [elle] est rapportée avoir dit
qu'elle ne mettoit aucune difi^érence entre l'Église triom-
phante et militante, entre les saints bienheureux et l'Eglise,
et autres choses semblables que plusieurs tesmoins confir-
ment par leurs dépositions. Car quand on lui proposa pre-
mièrement qu'elle eust àse sousmettre à l'Eglise, ne sçachant
pas ce que [cela] vouloit dire etjusques où il s'entendoit, elle
flotta en quelques irrésolutions ; mais après qu'elle eust bien
entendu ce que c'estoit, elle s'y est toujours sousmise et par-
tant est excusable.
LX XVIII
Mais c'est chose bien remarquable à la grand'honte et
confusion des juges, que si aucunes personnes doctes, assis-
tans à ce procez, esmues de quelque piété, charité et com-
passion, par le debvoir de leur propre conscience, donnoient
conseil à cette fille, lui faisans entendre que pour lors le saint
concile de Basle allait s'ouvrir auquel y auroit des ecclésias-
tiques de toutes les nations chrestienneset de l'obéissance de
son Roy, et qu'elle s'y pouvoit asseurément sousmettre etc. ;
206 E. RICHER. LA PUCELLE DORLÉANS
quelesjuges tançoientet reprenoient aigrement ceuxqui don-
noient un tel conseil à cette fille, et principalement TÉvesque de
Beauvais, les ayant chassez avec menaces et injures, de sorte
que s'ils ne se fussent incontinent retirez, ils estoient en dan-
ger d'estre jetez en la rivière ; entre lesquels on peut nom-
mer maistre Nicolas de Houppeville, bachelier en théologie,
Jean Lohier, licencié aux droits, maistre Jean de la Fontaine
licencié au droit canon et maistre es arts, fort versez en la
pratique des cours d'Église, qui furent contraints de sortir
de Rouen, ainsi que l'on fera veoir par le tesmoignage de
plusieurs personnes dignes de foy ^
LXXIX
Sera pareillement prouvé que l'on a suborné certains
traistres hypocrites pour aller en la prison où estoit détenue
la Pucelle, en habit dissimulé, feignans qu'ils estoient du
parti du Roy de France, et conseilloient à cette fille que si
elle désiroit sortir de prison, elle se gardast bien de se sous-
mettre au jugement de l'Église en quelque manière que ce
fust. Partant, si en cet endroit elle a manqué en quelque
chose, il ne lui dolbt estre attribué, mais à ces malins et per-
vers traistres qui l'ont ainsi trompée, et doibt estre excu-
sée, etc. Davantage : on maintient que si on veut bien et deue-
ment considérer toutes ses dépositions et confessions, et
qu'on les prenne en bon sens, ainsi quelles doibvent estre
prises et interprétées, véritablement on n'y trouvera aucune
erreur, opiniastreté ni maléfice contre la foy ou la religion
catholique, etc.
LXXX
Qu'il est constant qu'elle s'est nommément sousmise à
l'Église après qu'on lui eust fait entendre ce que c'estoit que
l'Église et s'y sousmettre. Car elle dit expressément quelle
1. Allusion en ce cas-ci et dans les cas semblables qu'on a pu ren-
contrer, aux faits que les enquêtes de Rouen ou d'ailleurs avaient déjà
révélés ou devaient révéler.
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 207
se sousmettoit au jugement de l'Église et du Concile général.
Mesme requit que le formulaire d'abjuration qu'on lui pro-
posa fustveu et examiné par des ecclésiastiques pour lui don-
ner à entendre ce qu'il contenoit. Toutes fois ses juges ne le
lui voulurent onques accorder. Et conséquemment on peut
dire avec vérité que c'est eux et non elle qui ont mesprisé le
jugement de l'Eglise : chose que l'on prouvera, tant par les
actes du procez que par tesmoins dignes de foy. Davantage :
elle a mainte fois demandé d'estre envolée au Pape pour estre
ouye, auquel le jugement de ce procez appartenoit comme
estant des causes de plus grande importance, joint qu'il
s'agissoit de révélations et d'apparitions qui sont cognues de
Dieu seul. Or, est-il que les grandes et importantes causes
doibvent estre réservées au Siège Apostolique, cap. 7najores
de baptismo, etc. D'ailleurs, conjoignant toutes les responses
qu'elle a faites, interrogée et interpellée de se sousmettre à
l'Eglise, et les prenant au sens qu'elle les a dites selon sa
capacité, ignorance, simplicité et la bonne intention qu'elle
avoit, il est très certain qu'elle s'est sousmise au jugement de
l'Église quand elle a confessé qu'elle ne voudroit rien faire
ni dire qui fust contraire à la foy chrestienneque Nostre-Sei-
gneur a establie, et que si elle avoit fait ou dit quelque chose
ou qui fust mesme sur son corps, que les ecclésiastiques lui
asseurassent estre contre la foy chrestienne, qu'elle ne le
voudroit soustenir, mais le rejeteroit. D'où il est facile de col-
liger qu'elle s'est sousmise au jugement de l'Eglise, c'est à
sçavoir des ecclésiastiques, aux choses esquelles la foy chres-
tienne et l'Eglise veulent qu'elle fust sousmise. Car qui se
sousmet aux ecclésiastiques es choses de la foy, se sousmet
conséquemment à l'Église .
LXXXI
Pour preuve infaillible de cette submission au jugement de
l'Église, c'est que par ordonnance des juges prétendus, la
Pucelle un peu auparavant que de finir ses jours, a receu le
précieux corps de Nostre-Seigneur : chose que lesdits juges
n'eussent eu garde d'ordonner si elle ne se fust sousmise au
208 E. RICHER. L.\ l'UCELLE D ORLÉANS
jugement de l'Église, car elle cust esté en un manifeste et
notoire péché mortel, et ne lui pouvait-on en [aucune] façon
du monde administrer la sainte Eucharistie, cap. si sacerdos,
de Of/îciis ordinarii, et cap. Quotidie, de consecr. dist. 2,
etc.
LXXXll
Que par les actes du procez, il est manifeste que la Pucelle
ne peutestre qualifiée ni appelée ?*e/«j9se. Car icelui est estimé
relaps qui est tombé [desjà] en quelque erreur ou hérésie. Or,
est-il que cette fille n'y est jamais tombée, ainsi qu'il appert
par les choses susdites. Veu mesme qu'elle n"a rien dit qu'on
ne puisse delTendre sans préjudicier à la foy catholique. Et
par conséquent n'est point relap-se.
Lxxxm
Davantage, elle nentendoit point ce qui estoit contenu au
formulaire d'abjuratjon qu'on lui a fait prononcer et signer,
ainsi qu'il est porté par les actes du procez. Or est-il que celui
qui n'entend point ce quil abjure ne peut faire abjuration.
Pour cette raison, l'abbé de Fescamp, suivi de la plus part
des opinans, fut d'advis qu'on lui expliquast ce formulaire
pour sçavoir d'elle si elle l'avoit [ou non] entendu. Ce que
toutes fois on ne trouve avoir esté fait par les actes dudit pro-
cez. Si elle eust entendu ce prétendu formulaire, elle n'eust
jamais confessé et recognu qu'elle estoit suspecte d'hérésie,
qu'elle avoit imposé, menti et commis plusieurs autres grands
crimes exprimez audit formulaire. Partant, si elle n'a pas
entendu ce formulaire, elle ne peut avoir fait aucune abjura-
tion, et conséquemmeut n'est point relapse.
LXXXIV
Faut encore noter que le formulaire de rétractation qui
est aujourd'huy couché au procez, n'est pas celui qui fut pro-
posé à la Pucelle pour le prononcer, quand les juges la con-
traignirent de faire une abjuration à leur mode. Garce for-
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 209
mulaire estoit escrit en un petit morceau de papier bien dis-
semblable à celui qu'ils ont fait après coup registrer audit
procez, comme bon leur a semblé.
LXXXV
Si on examine bien les paroles que cette fille a dites sur ce
qu'on la vouloit réputer relapse, on trouvera qu'elle ne peut
estre tenue pour telle. Car elle dit expressément qu'elle s'es-
toit damnée pour vouloir sauver sa vie, c'est-à-dire qu'elle
s'estoit déclarée hérétique, ne l'ayant jamais esté et ne l'es-
tant pas. Et par ainsi, n'entendant pas ce formulaire, elle
s'estoit condamnée injustement et par ignorance de sa propre
bouche. El a maintenu n'avoir onques entendu rien révo-
quer sinon que Dieu y pourveust et qu'il lui pleust. Il faut
remarquer qu'elle ne dit pas: « Pourveu qu'il plaise aux révé-
lations et aux voix » ; mais « pourveu qu'il plaise à Dieu ».
LXXXVI
Mais c'est chose bien nécessaire d'exposer en évidence les
grandes faulsetez, tromperies et iniquitez commises au procez
et sentences données par les juges, ou pour le moins y ayans
tenu la main. Car ils ont fait extraire de tous les actes du pro-
cez douze articles en nombre, lesquels commencent Une cer-
taine femme, et ont esté envoiez à l'Université de Paris, au
moins à la Faculté de théologie et de décret; sur lesquels
articles ces Facultés ont pris leurs délibérations et donné leurs
censures, encore toutes fois que les dits articles ayent esté
faulsement et calomnieusement extraits du procez : considéré
que la Pucelle n'a jamais rien confessé de ce qui est contenu
en ces articles qui sont du tout contraires à ce qu'elle a dé-
posé, et remplis de faulsetez, impostures et calomnieuses
interprétations, ainsi qu'il parait par la comparaison d'iceux
articles avec ce qu'elle a déposé. Partant les deux sentences
contre cette fille ayans esté données sur lesdits articles et déli-
bérations intervenues sur iceux, il s'ensuit nécessairement
que tout ledit procez et sentences sont nuls, faux, iniques, etc.
14
210 E. RICHER. LA PUCELI.E d'ORLÉANS
LXXXVll
Mais qui pourroit exempter de fraude les délibérations que
l'on a mendiées a Rouen sur lesdits douze faulx, et montrer
qu'il n'y a pas un malitieux dessein caché la dessous pour
parvenir au but et à la fin que l'on prétendoit ? Car on a par-
ticulièrement envoie de maison en maison ces articles avec
mémoires exprès à chacun chanoine de Rouen et autres que
doctes et praticiens de cette ville, à ce qu'ils eussent à envoier
leurs délibérations par escrit, bien scellées et cachetées de
leurs sceaux : au lieu qu'ils doibvent estre tous assemblez et
congregez (réunis) pour leur faire lecture de tous les actes
du procez, à ce qu'ils les examinassent bien et deument, tant
sur la matière que sur la forme, pour après en délibérer
meurement selon raison et justice. Ce qui fait cognoistre que
ce procédé est plein de dol et de fraude, et que l'on a voulu
sonder les opinions et les engager auparavant que de les
faire délibérer en public, à ce que chacun resglast et don-
nast son opinion suivant la passion des juges. Et par ce moïen
aussi l'on ostoit aux délibérans la cognoissance des actes
véritables du procez, au lieu desquels on supposoit ces douze
faulx articles, qui est un merveilleux et malin artifice.
LXXXVIII
Toutes fois les dits opinans et délibérans sont grandement
excusables et exempts de tout blasme , moïennant qu'ils
ayent eu Dieu et leur conscience devant les yeux, ainsi qu'il
est à présumer qu'ils ont eu : veu que sur et conformément
au cas qu'on leur proposoit et limitoit quoyque faulsement,
ils ont donné leur advis. Aussi les parents de la Pucelle ne
prétendent-ils aucune action contre eux, mais seulement
contre les juges et leurs complices, etc.
LXXXIX
Donc, puisque les deux prétendues sentences sont erro-
nées, tanldudit procez et articles faulx, supposez, iniques et
PROCÈS DE REVISION ET REHABILITATION 211
invalides, que des délibérations qui en sont ensuivies, il faut
conclure nécessairement que les dites sentences sont nulles,
iniques, frauduleuses et faulses et ne peuvent par aucun
moïen subsister, et partant doibvent estre cassées, annullées,
révoquées.
XG
Or puisque ces prétendues sentences et la cruelle exéquu-
tion d'icelles, en suite et vertu de laquelle la Pucelle a esté
meschamment, iniquement, injustement et scandaleusement
bruslée, ne peuvent en [aucune^, façon du monde subsister,
mais doibvent estre détestées, condamnées, publiquement
amendées et réparées, etc., il s'ensuit aussi que faulscment
et à tort on a voulu souiller l'innocence de cette fille et lui
faire perdre l'honneur et sa bonne renommée.
XCI
Par ainsi, conformément aux Lettres Apostoliques, l'inté-
grité, innocence et bonne renommée de la Pucelle et de ses
parents doibten tout premier lieu estre réparée et restablie
en son entier, considéré la nullité du procez, des dites sen-
tences et de tout ce qui s'en est ensuivi. Qui est ce à quoy con-
cluent lesparents de la Pucelle, et supplient messieurs les juges
commis par nostre Saint-Père le Pape ordonner juridique-
ment que leur promoteur se joindra à eux pour conclure aux
mesmes fins de la cassation desdites sentences et de tout le
procez et réparation, etc. ; et que pour ces causes, ledit procez
et sentences données contre la Pucelle seront bruslez par
ordonnance du juge séculier en la mesme place où la Pucelle
a fini ses jours, et que la sentence qui interviendra sera
publiée par tout le royaume de France aux prosnes et prédi-
cations solennelles : plus, que l'on érigera des images et épi-
taphes en l'honneur de la Pucelle tant à Rouen qu'ailleurs où il
sera ad visé : voire mesme que l'on fera bastir une chapelle afin
de faire prières pour les trépassez, et que le Roy sera sup-
plié faire registrer la dite sentence de réparation et justifica-
212 E. lUCHEn. — LA PUCELLE D ORLÉANS
lion do la Pucelle et de ses parents aux Chroniques de France
et en son trésor des Chartes, à ce que la mémoire en soit
immortelle, et oultre, que les coupables soient condamnez à
de grosses amendes, etc. K
ACTES SUBSÉQUENTS
[Comparution du procureur de l'évêque de Beauvais et de frère
Calceatoris. dominicain, par devant lévêque de Paris et 1 inqui-
siteur Jean Bréhal. — Enquêtes ordonnées en divers lieux].
Par acte du seiziesme febvrierl4oo (vieux style) estdéclaré
que Simon Chapitault, promoteur en cette cause, nomme
et constitue pour son procureur Maistre Jean Rebouis pour,
en son absence, agir et promouvoir la justification de la
Pucelle, etc.
Et au mesme jour comparaissent à l'assignation maistre
Renaut Bredouille, procureur de messire Guillaume de
llélande, évesque de Beauvais, et promoteur des causes cri-
minelles en l'évesché de Beauvais, avec frère Jacques Calceato-
ris, de l'ordre des frères prescheurs de la ville de Beauvais,
lesquels ont remis au lendemain dix-septiesme febvrier pour
estre ouys. Auquel jour [ils] comparaissent par devant mes-
sire Guillaume, évesque de Paris, et frère Jean Bréhal, inqui-
siteur de la foy au royaume de France (l'archevesque de
Rheims et l'évesque de Coutances absens) : ausquels Renaut
1. Si l'on rapproclie les deu.x; textes d'E. Richer et de J. Quicheral. on
remarquera (luclques différences au fond peu importantes.
E. Richer ne donne que 91 articles ; J. Quiciierat en donne 101.
Mais, tout bien examiné, Richer a supprimé, non dix articles, mais
deux seulement assez peu importants, les art. XL et XLIX de J. Quiche-
rat. Les huit autres suppressions apparentes proviennent de ce que
Richer a réuni plusieurs fois en un seul article deux des articles, une
autre fois quatre, et tout à la fin cinq des articles de J. Quicherat.
Articles de J. Quicherat omis : XL. XLIX.
Articles réunis en un seul dans Richer: LU. LUI: — LXXXI. LXXXII;
— LXXXIIl, LXXXIV, LXXXV, LXXXVI : — XCII. XGIII : — XCVII,
XCVIll, XLIX, G, CI.
En retour, de l'art. LXXVI de J. Quicherat, Richer en fait deux.
Dans le texte même, aucune différence notable.
PROCES DE R&VISION ET REHABILITATION 213
Bredouille et Jacques Calceatoris (ce requérans Guillaume
Prévosteau, procureur des parents de la Pucelle, et Jean
Rebours, promoteur subrogé en cette cause), fut fait lecture
des susdits articles contenant les griefs et fins des parents de
la Pucelle, pour dire et proposer à l'encontre, de parole ou
par escrit, tout ce que bon leur sembleroit. Et requirent les-
dits Prévosteau et Rebours que les susdits Bredouille et Cal-
ceatoris soient contraints d'y respondre, en tant que cela les
pouvoit toucher respectivement ou qu'il les touchoit. Qu'au-
trement et à faute de ce faire, soient déclarez contumaces,
comme semblablement tous les autres qui ne sont comparus
à l'assignation.
Et après que lecture eust esté faite des dits articles par
François Ferrebouc, l'un des notaires instrumentant en ce
procez, les dits Prévosteau et Rebours supplièrent messieurs
les juges vouloir ordonner et nommer des Commissaires à
ce que les tesmoins fussent ouys, examiner sur les dits arti-
cles aux provinces esloingnées, comme à Tours, Orléans,
Poictiers et ailleurs où il seroit besoin.
Et cela ainsi proposé, ledit maistre Renaut Bredouille, tant
comme procureur de révérend père messire Guillaume, éves-
que de Beauvais, qu'en son propre et privé nom, en tant que
promoteur du diocèse de Beauvais, respond qu'il ne pouvoit
croire que le contenu ausdits articles fust véritable, et que le
delïunct évesque de Beauvais aye procédé contre la Pucelle
ainsi qu'il est porté ausdits articles ; qu'au contraire, autant
qu'il estoit tenu de faire, tiré en procez, il nioit et nie de fait
lesdits articles estre en quelque façon véritables, et pour
toutes detfenses, moïens et contredits, il emploie le procez
fait par ledit sieur Cauchon évesque : et au surplus déclare
qu'il n'entendoit à Tadvenir comparoir ni ester à droit en ce
procez, consentant qu'on flst ouyr et examiner les tesmoins
par les Commissaires à ce députez partout où il seroit besoin,
se rapportant du tout à la conscience de messieurs les juges,
protestant de rechef au nom dudit sieur évesque et du sien
propre qu'il ne prétendoit ni vouloit prétendre aucun inte-
rest contre lesdits articles ni en la delfense du procez contre la
Pucelle. Quant à frère Jacques Calceatoris, il remonstra qu'on
214 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
avoit fait plusieurs citations et significations au couvent des
Jacobins de Bcauvais, lesquels on inlerpelloit de faire com-
paroir à ce procez un certain inquisiteur de la foy, etc. Qu'il
prioit messieurs les juges ne permettre qu'on fistà l'advenir
de telles citations et sommations audit couvent, parce que
cela Iroubloit grandement tous les frères du dit couvent, etc.
Après que lesdites parties furent ouyes comme dit est,
l'evesque de Paris, et Jean Bréhal inquisiteur, en présence
du grand vicaire de l'archevesque de Rouen, Nicolas de Bosto
doyen du chapitre de Rouen, de Guillaume Roussel, cha-
noine, etc., ordonnent que les articles susdits proposez par
les parents et procureur de la Pucelle seroient receus comme
ils debvoient estre, et que de fait ils les admettoient, et décla-
roient à tous ceux qui avoient esté citez que pour l'advenir
ils estoient forclos de produire ou opposer aucune chose
contre les dits articles et contenu en iceux : que selon ce que
le procureur des parties et le promoteur avoient requis, on
feroit enqueste et information ; pour laquelle représenter
audit sieur évesque en la ville de Rouen fut assigné le pre-
mier jour plaidoiable d'après Quasimodo, déclarant qu'il
vouloit et entendoit procéder à la dite information au pre-
mier jour plaidoiable après la feste de saint Mathias à Paris
en sa maison épiscopale : auquel jour plaidoiable toutes les
parties et tesmoins furent assignez par devant l'evesque de
Paris, lequel en outre ordonne qu'à l'advenir toutes les cita-
tions et monitions nécessaires en ce procez se feroient par
affiches publiques aux maistresses portes de l'église de
Rouen, etc. Fait le dix-septiesme febvrier 1455. Signé : Dio-
nysius Comitis et François Ferrebouc. Et conformément à
cela les parties et tesmoins sont assignez.
Et attendu qu'il falloit ouyr et examiner plusieurs tesmoins
en divers endroits et villes de France, frère Jehan Bréhal,
inquisiteur, remonstre que ne pouvant assister partout, à son
deffaut il nommoit maistre Thomas Verel, dominicain, doc-
teur en théologie, et sur cela lui fait authentiquement expé-
dier au vicariat le dix-septiesme febvrier 1455, etc.
Le premier jour plaidoiable d'après Quasimodo eschu, qui
PHOCÈS DE REVISION ET REHABILITATION 215
estoit le dernier en mars 1456, aucuns tesmoins ayans esté
ouys et interrogez sur les articles cy-devant produits, Guil-
laume Prévosteau, procureur des parents de la Pucelle, et
Simon Ghapitault, promoteur en cette cause, remonstrant à
messieurs les juges qu'il restoit encore plusieurs austres tes-
moins à examiner tant à Orléans qu'ailleurs, et que pour ce
faire il estoit nécessaire avoir juste et suflisant délay ; donc,
qu'il leur pleust leur donner terme pour représenter l'examen
des dits tesmoins au premier jour plaidoiable après le di-
manche prochain qu'on chantera à \ introït de la messe yw6^-
late, qui est le troisiesme dimanche d'après Pasques. Ce qui
fut ainsi ordonné le dernier jour de mars 1456.
Outre, les dites parties et promoteur, joints ensemblement,
demandent un autre délay pour faire examiner des tesmoins
en diverses provinces de royaume; lequel leur est aussi
accordé par messieurs les juges. Et le mercredi d'après l'As-
cension de Nostre-Seigneur leur est assigné pour représenter
les informations faites sur l'examen desdits tesmoins.
Le jeudi treiziesme mai, le procureur des parents de la
Pucelle et le promoteur joint avec eux remonstrent avoir fait
faire plusieurs enquestes tantau païs natal delaPucelle qu'ail-
leurs, et qu'il leur reste encore beaucoup de tesmoins à faire
ouyr; et nonobstantcela, qu'ils sont prests de produire lesdites
enquestes et informations déjà faites, sauf à parfaire les
autres qui restent. Demandent que tous les tesmoins par eux
appeliez et non comparans soient déclarez contumaces, et que
les enquestes et dépositions des témoins contenues ausdites
informations soient publiées et tenues pour publiées ; et
nonobstant ladite publication, qu'il sera procédé à l'examen
des autres tesmoins qui restent à estre ouys, et que leurs
dépositions seront receues, etc.
Donc, conformément à ladite demande est ordonné que
ceux qui seront refusans de comparoir seront déclarez contu-
maces, et que, par la teneur des présentes, les déposition des
tesmoins seront publiées, et tenues pour publiées, et leurs noms
seront publiez par l'un des notaires et communiquez aux par-
ties et à toutes autres ppersonnes qui prétendent ou veulent
216 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
prétendre quelque intérest en cette cause, sauf à recepvoir
l'examen des autres tesmoins qui seront cy-après ouys,
pourveu qu'ils soient produits auparavant que le procez soit
conclu. Et les parties dénommées ausdites informations
sont assignées aux premiers jours de juin prochain pour
dire tout ce qu'ils voudront à rencontre desdits tesmoins,
ou de leurs dépositions et attestations. Fait le jour et an que
dessus, etc.
CHAPITRE V
DES INFORMATIONS OU ENQUÊTES PRESCRITES A L'OCCASION
DU PROCEZ DE LA PUCELLE
Au reste, il y a trois sortes d'informations en ce procez,
les unes faites au païs natal de la Pucelle, les autres en la
ville d'Orle'ans et lieux circonvoisins, et les austres à Rouen
sur la qualité du procez fait contre la Pucelle. Les informa-
tions faites à Rouen sont les premières, attendu que le cardi-
nal d'Estouteville, archevesque de Rouen et légat du Saint-
Siège Apostolique en France, entendant les plaintes et cla-
meurs publiques qu'on faisoit en son diocèse de l'injuste
condamnation de la Pucelle, et inique et malitieux. procédé
de l'évesque.de Beauvais contre cette fille, il fit faire d'office
information sur lesdites plaintes et clameurs publiques
comme légat du Saint-Siège, appelant avec soy frère Jean
Bréhal, docteur en théologie et inquisiteur de la foy au
royaume de France. Lesquelles informations ont servi comme
d'un dispositif et préparatif à la revision du procez, et furent
commencées l'an mil quatre cent cinquante-deuX, le jeudi
d'après le dimanche qu'on chante à l'Introït de la messe
Jubilate, qui est le troisiesme dimanche d'après Pasques.
Mais ledit sieur cardinal d'Estouteville s'en estant allé à Rome
la mesme année, ne put parachever lesdites informations,
ausquelles il fit seulement ouyr cinq tesmoins sur les douze
articles suivans.
Questionnaire de l'enquête du cardinal d'Estouteville sur le procez
de la Pucelle (1452) .
L Premièrement, que deffunct messire Pierre Cauchon,
évesque de Beauvais, faisant le procez à la Pucelle, estoit
218 E. RICHER. — LA PL'CELLE d'oRLÉANS
porté de mauvaise affection contre elle, d'autant qu'elle avoit
porté les armes contre les Anglois : à l'occasion de quoy il
desiroit sa mort par tous moyens possibles.
II. Secondement, que ledit évesque avoit requis le duc de
Bourgogne et le comte de Ligny, les sommant par lettre de
livrer au roy d'Angteterre cette fille, préposant en cela l'in-
térest dudit Iloy à celui de l'Eglise, et demandant par après
qu'elle lui fust livrée pour lui faire son procez : promettant
de faire donner six mille francs, et puis dix mille, à ceux qui
l'avoient prise, ne se souciant qu'il donnast pourveu qu'il la
pust avoir.
III. Tiercement, que les Anglois craignoient grandement
celte fille, et pour cette cause ne cherchoient qu'à la faire
mourir, afin qu'elle ne leur pust faire à l'advenir aucun dom-
mage.
IV. Que ledit évesque estoit grandement partial pour les
Anglois, et auparavant que de cognoistre du procez de cette
fille, il leur promit qu'elle seroitmise au chasteaude Rouen,
prisonnière en des prisons profanes entre les mains de ses
ennemis, encore qu'il y eut à Rouen de bonnes et propres
prisons ecclésiastiques ausquelles on peut bien et seurement
garder ceux qui ont commis quelques crimes contre la foy,
tant énormes puissent-ils estre.
V. Que ledit évesque n'estoit pas juge compétent, ainsi
mesme que cette fille lui a souvent reproché.
VI. Que cette fille estoit une simple Pucelle, bonne catho-
lique, qui desiroit de confesser souvent ses péchés et d'ouyr
la messe. De sorte que, par la fin qu'elle a faite, tous ceux qui
l'ont vu mourir peuvent tesmoigner qu'elle estoit bonne et
lîdelle chrestienne.
VII. Qu'elle a plusieurs fois confessé en jugement qu'elle
sousmettoit tout ce qu'elle avoit dit et fait au jugement de
l'Eglise et de Nostre Saint-Père le Pape, et que tout ce qu'elle
disoit sembloit plus tost procéder d'un ange de lumière que
du malin esprit.
VIII. Qu'elle n'a pas entendu ce que ce mot Eglise signi-
fioit, quand on la pressoit de se sousmettre à l'Eglise; ni pa-
reillement ce que c'estoit la congrégation des fidelles; mais
PROCÈS DE «EVISION ET RÉHABILITATION 219
que par ce terme d'Eglise, elle entendoit seulement les
ecclésiastiques qui estoient là assemblez et suivoient le parti
anglois.
IX. Pourquoy on l'a condamnée relapse, veu qu'elle se vou-
loit sousmettre à l'Eglise.
X. Qu'après avoir esté condamnée à se rétracter et à prendre
un habillement de femme, elle a esté contrainte de reprendre
l'habillement qu'elle avoit, et que pour cette cause elle a esté
déclarée relapse par ses juges prétendus, lesquels cherchoient
sa mort, non sa réduction.
XI. Encore qu'il fust notoire à ses juges qu'elle s'estoit sous-
mise au jugement et détermination de nostj'e mère sainte
Eglise, et qu'elle estoit fidelle et catholique ; toutes fois,
attendu que lesjuges favorisoient passionnément aux Anglois,
ou qu'ils les craignoient par trop et ne pouvoient résister à
leurs menaces et violences, ils l'ont condamnée comme héré-
tique à estre bruslée toute vive.
XII. Que toutes les choses susdites, et principalement que
cette tille a esté condamnée par la grande haine que lui por-
toient les Anglois, sont le bruit commun, notoire, tant par
toute la ville que par tout le diocèse de Rouen, voire par tout
le royaume de France.
Sur lesquels douze articles, le cardinal d'Estouteville fit
Guyr seulement cinq tesmoins à Rouen, sgavoir :
Guillaume Manchon, notaire apostolique, qui avoit servi de
principal notaire au procez de la Pucelle ;
Frère Pierre Migetii (Migiet), docteur en théologie et prieur
de Longueville-Gitlard ;
Frère Isambert de la Roche, dominicain ,
Pierre Cusquel;
Frère Martin Ladvenu, dominicain.
Et pour ce que ledit sieur cardinal estoit contraint de par-
tir de Rouen, il donna commission à maistre Philippe de la
Rose, trésorier de l'église de Rouen, son grand vicaire, de
parfaire ladite information avec frère Jean Bréhal, inquisi-
teur de la foy, et ce par acte du sixiesme may 1452. A raison
de quoy cette information fut tout de nouveau recommencée.
220 E. RICHER. LA PL'CELLE d'oRLÉANS
et maistre (juillaume Prévosteau esleu par ledit de la Rose
et Bréhal pour promoteur en cette cause; lequel promoteur
donna les vingt sept articles suivans sur lesquels les tes-
moins furent interrogez et examinez.
[Questionnaire de l'enquête dirigée à Rouen par le Chanoine
Philippe delà Rose surleprocez de laPucelle ,Mail452).J
I. Premièrement, que la Pucelle estoit venue au secours du
Roy de France très chrestien, et ayant toujours esté en son
armée contre les Anglois, les Anglois la haïssoient mortelle-
ment et cherchoient par tous moïens de la faire mourir.
II. Que cette fille ayant esté cause que les Anglois avoient
fait des pertes d'hommes et de capitaines en la guerre, ils la
craignoient extrêmement, et pour cette occasion ne desiroient
que sa mort, afin qu'elle ne les travaillast plus et ne leur
apportast aucun dommage.
III. Que pour la faire mourir avec quelque couleur et appa-
rence de justice, ils l'ont fait amener en la ville de Rouen qui
estoit sous. la domination tyrannique des Anglois, et l'ont
mise prisonnière au chasteau de Rouen, procédans contre
elle en matière de la foy, et donnans crainte et impression à
plusieurs personnes.
IV. Que les juges, conseillers, voire mesme le promoteur
et tous autres qui ont assisté au procez contre cette fille, y
ont assisté par force et pour les grandes menaces et terreurs
que leur donnoient les Anglois. De sorte qu'ils n'estoient
point en liberté pour donner leur advis, estans contraints de
faire et dire tout ce que les Anglois vouloient, pour éviter le
péril duquel ils estoient menacez, et mesme la mort.
V. Que les notaires qui ont instrumenté audit procez ne
pouvoient escrire la vérité des dépositions et confessions que
faisoit la Pucelle, à cause des menaces et terreurs que les
Anglois leur donnoient, etc.
VI. Que les notaires, à cause desdites menaces et terreurs,
ne pouvoient escrire fidellement les actes du procez, et qu'on
leur defTendoit d'escrire les choses que la Pucelle disoit pour
sa descharge et escuse; et faisoit-on escrire au contraire des
PROCES DE REVISION ET REHABIMTATIOX 221
choses qui tournoient à son préjudice, qu'elle n'avoit jamais
dit ni confessé.
VIL Qu'à raison desdites menaces et terreurs, nul n'osoit
donner conseil à cette fille ou promouvoir ses affaires pour
l'excuser, instruire et diriger ou deffendre en quelque façon
que ce soit ; et qu'aucuns ayans entrepris de lui dire en pas-
sant quelques mots de conseil, furent pour cela en grand
danger de leur vie, les Anglois les ayans voulu faire jeter à
la rivière comme rebelles, ou faire mourir par autre moïen.
VIII. Qu'ils ont détenu cette fille en des prisons particu-
lières laïques, ayant les fers aux pieds, outre une chaisne
de fer dont elle estoit enchaisnée, et nul ne parloit à elle, de
sorte qu'elle ne se pouvoit deffendre; ayant aussi des Anglois
qui la gardoient très estroitement et cruellement.
IX. Que cette fille vierge n'avoit que dix-neuf ans ou envi-
ron, estoit fort simple, ignorant que c'estoit des affaires de
procez, et ne pouvoit pas de soy-mesme, sans conseil et
directeur, se deffendre en jugement, en une cause de la foy si
difficile, etc.
X. Que les Anglois désirans sa mort alloientde nuit auprès
du lieu où elle estoit détenue prisonnière, feignans parler à
elle par révélation, et lui disans que si elle vouloit sauver
sa vie, elle se gardast bien de se sousmettre au jugement,,
de l'Eglise.
XI. Que ceux qui interrogeoient cette fille, pour la sur-
prendre et faire tomber en quelque erreur, lui proposoient
des questions difficiles et embrouillées : de sorte que le plus
souvent elle ne sçavoit ce qu'on lui demandoit.
XII. Que lesdits examinateurs, afin de la lasser, travailler
et attédier [de Isedium], et que parlant beaucoup, elle se con-
tredist et embarrassast, prononçant quelque chose de sinistre
et mal à propos, ils l'interrogeoient longuement et confusé-
ment pour la surprendre.
XIII. Que souvent elle a dit et protesté, tant en jugement
que hors jugement, ne vouloir rien contre la foy catholique;
et que si elle avoit dit ou fait quelque chose qui forlignast de
la foi, elle vouloit etentendoit la rejeter et s'en rapporter au
jugement des ecclésiastiques.
222 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÊAXS
XIV. Qu'elle a pareillement souventefois déclaré, tant en
jugement que hors jugement, qu'elle sousmettoit tous ses dits
et faits au jugement de l'Eglise et denostre saint père le Pape,
et seroit bien marrie d'avoir dit ou fait aucune chose contraire
à la foy chrestiennc.
XV. Que les Anglois et ceux, qui leur favorisoient n'ont
jamais permis, mais au contraire ont expressément et
faulsement empesché qu'on ne fist registre de ce que cette
fille avoit confessé et protesté qu'elle se sousmettoità l'Église,
combien qu'elle eust souventefois déposé cela, tant en juge-
ment qu'ailleurs.
XVI. Que c'est contre la vérité qu'on a publié que cette fille
avoit protesté ne se vouloir sousmettre au jugement denostre
mère sainte Eglise militante.
XVII. Et en cas mesme qu'il fust constant que cette fille
eust dit ne se vouloir sousmettre au jugement de l'Eglise, le
promoteur maintient qu'elle n'auroit point entendu ce
que signifioit ce mot d'Église, qu'elle ne l'entendoit pas
pour l'assemblée des fidelles,maiscroyoitque l'Église fust les
ecclésiastiques du parti anglois, qui estoient lors assemblez
pour lui faire son procez.
XVIII. Que ledit prétendu procez original a esté fait pre-
mièrement en françoys, et n'a pas esté fidellement traduit
en latin ; qu'on y a omis les excuses servant à la décharge
de la Pucelle, et y a-t-on adjousté plusieurs choses substan-
tielles, etc.
XIX. Et attendu les choses susdites, que ledit prétendu
procez et sentence ne méritent le nom, titre ni la fin de
jugement; veu que cela nepeutestre appelé jugement, où les
juges, conseillers et assesseurs ne sont en liberté de dire ce
qu'ils voudroient selon leur conscience.
XX. Que le procez original en plusieurs de ses parties est
faulx, vicié et corrompu, n'ayant esté parfaitement ni
fidellement escrit, et conséquemment on n'y doibt adjous-
ter aucune foy.
XXI. Davantage, que ledit procez et sentences sont nuls
et injustes, pour ce qu'il n'y a esté gardé aucun ordre de
justice, et contre toute disposition de droit, a esté fait par
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 223
juges incompctens, n'ayant droit ni jurisdiction sur cette
cause, ni contre la personne qu'ils ont condamnée.
XXU. Nullité qui est encore manifeste de ce que en une si
grande et difficile cause et en matière de foy, l'on a dénié à
cette fille tout moïen de se defl'endre, par plusieurs voyes et
artifices recherchez contre le droit de nature.
XXIII. Encore que lesdits juges prétendus sceussent fort
bien que cette fille s'estoit sousmise au jugement et détermi-
nation de l'Eglise, et quelle estoit fidelle et catholique, et
qu'ils lui eussent fait donner comme telle la sainte Commu-
nion du corps de Nostre Seigneur Jésu Christ, si est-ce
toutes fois que favorisans par trop aux Anglois, ou par
crainte qu'ils avoient d"iceux, ils l'ont fait condamner au feu
comme hérétique.
XXIV. Que sans autre sentence du juge séculier, les Anglois
de fait et de force avec nombre de gens armez, s'en saisirent
et en grande fureur la menèrent au supplice.
XXV. Que cette fille a tousjours vescu catholiquement et
saintement et principalement à la fin de sa vie ; recomman-
dant son âme à Dieu et à Nostre Seigneur Jesu Christ, criant
à haute voix, de sorte qu'elle excita tous les assistants, et
mesme plusieurs Anglois, à pleurer de compassion.
XXVI. Que les Anglois, par voye de fait et non de droit, ont
commis toutes les choses susdites pour la crainte et grandes
impressions qu'ils donnoient aux uns et aux autres, parce
qu'ils haïssaient cette fille ; d'autant qu'elle avoit tousjours
soutenu et deffendu le parti du Roy de France, et la crai-
gnoient extrêmement et haïssoient mortellement. Et par ce
moïen taschoientde diffamer le Roy, pour avoir emploie cette
fille à son secours.
XXVII. Que toutes les susdites choses, tant en général
qu'en particulier, sont attestées par la voix et renommée
publique, notoires tant en la ville que diocèse de Rouen, voire
par tout le royaume de France.
Sur lesquels vingt-sept articles ont esté ouys et examinez à
Rouen dix-sept tesmoins qui rendirent tesmoignage confor-
mément aux susdits articles, sçavoir :
Nicolas Taquel,
224 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
Pierre Bouchier,
Nicolas de Ilouppeville,
Jean Massieu,
Nicolas Caval,
Guillaume du Désert,
Guillaume Manchon,
Pierre Cusquel,
Isambeii de la Roche,
André Marguerie,
Richard de Grouchet,
Pierre Migiet,
Martin Ladvenu,
Jean Fabry,
Thomas Marie,
Jean Riquier,
Jean Fave.
Ladite information, signée le dixiesme jour de may ^par]
Socius et Dauvergne, notaires apostoliques, a servi de dispo-
sition et préparation à la revision du procez et justification
de la Pucelle. Auquel procez lesdits tesmoins ont esté dere-
chef examinez par ordonnance des juges commis parle Saint-
Siège et à la requeste des parties, ainsi que nous verrons.
Les susdites informations préambulaires sont registrées au
procez de revision pour plus ample cognoissance de la vérité.
Et d'autant que frère Isambert de la Roche n'a pas déposé en
la dernière information, prévenu de mort ainsi qu'il est
croyable, nous produisons sa déposition en ce lieu comme
fort importante.
Déposition de frère Isambert de la Roche, dominicain,
à l'enquête de Rouen, 1452.
Religieuse et honneste personne, frère Isambert de la
Roche, prestre et baschelier en théologie, de l'ordre des
Dominicains, âgé de soixante ans, dit avoir esté présent à
tout l'examen du procez avec frère Jean Magistri, inquisiteur
de la foy.
Quant au premier article, de la haine que les Anglois por-
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 223
toient à la Pucelle pour estre venue au secours du Roy de
France, dépose estre véritable, comme aussi le second, et
que le bruit couroit à Rouen que les Anglois n'avoient osé
entreprendre d'assiéger Lagny tant que cette fille vivoit.
Quant au troisiesme article, a tesmoigné qu'aucun de ceux
qui avoient assisté au procez, comme l'Évesque de Beauvais,
l'avoient fait pour favoriser aux Anglois, et les autres par un
désir de vengeance, comme certains docteurs anglois. Que
d'autres avoient esté appelez sous espérance de salaire et
récompense, comme ceux qui estoient venus de Paris. Que
les autres y assistoient pour crainte des Anglois, comme
l'inquisiteur et quelques autres desquels il ne se souvient.
Que tout cela se fa,isoit à la sollicitation du roy d'Angleterre,
du cardinal de Winthon, du comte de Warwic et de plusieurs
autres Anglois, lesquels ont fait et paie tous les frais du pro-
cez, et que le reste dudit article est véritable.
Sur le quatriesme,a dit que le Révérend père en Dieu Jean,
évesque d'Avranches, pour n'avoirvouludonner son opinion
en cette matière, fut menacé par un nommé maistre Jean
Benedicite, faisant acte de de promoteur. Et que maistre
Nicolas de Houppeville a esté en péril d'estre banni et envoie
en exil, parce qu'il n'avoit voulu cognoistre de ce procez ni
donner son opinion. Que lui déposant,après la première pré-
dication en laquelle Jeanne sestoit révoquée, alla en la prison
avec maistre Jean de la Fontaine, Guillaume Vallée, de l'ordre
des Jacobins, et quelques-autres ; et ce, par ordonnance des
juges pour donner conseil à Jeanne de persévéïer en sa
bonne résolution ; que les Anglois ayant veu cela, ils les chas-
sèrent du chasteau de Rouen avec leurs armes et à coups de
baston. A raison de quoy ledit La Fontaine s'en alla de Rouen
et n'y retourna plus. Que lui qui parle fut outrageusement
menacé par le comte de Warwic, pour avoir dit à Jeanne
quelle se sousmist au Concile.
Quant au cinquiesme, dépose que Jeanne estant interrogée
si elle ne vouloit pas se sousmettre à Nostre Saint Père le
Pape, elle respondit que oui, pourvu qu'on la menast à lui,
mais qu'elle ne vouloit point se sousmettre à ceux qui assis-
toient au procez. et nommément à l'évesque de Beauvais,
15
225 E. UICHKU. — LA l'UCELI.E D ORLEANS
disant qu'ils esloient ses ennemis mortels. Et alors le dépo-
sant lui ayant remonstré qu'elle se pouvoit sousmettre au
Concile général, qui estoit lors convoqué, auquel il y auroit
plusieurs prélats et docteurs du parti du Roy de France,
l'évesque de Beauvais entendant cela dit au déposant :
« Taisez- vous, de par le diable ». Et maistre Guillaume Man-
chon ayant demandé audit évesque s'il ferait registre de ce
que Jeanne se sousmettoit au Pape, l'évesque respondit qu'il
n'estoit pas nécessaire. Et alors Jeanne repartit : « Ha! vous
escrivez bien ce qui fait contre moy, et ne voulez pas qu'on
escrive les choses qui font pour moy. » Et croit que cela ne fut
point registre. A raison de quoy on fit un grand murmure à
cette séance.
Confesse que le huictiesme article est véritable, et qu'il a
science certaine du contenu en icelui, comme semblablement
du neufviesme ; et que Jeanne n'estoit suffisante de soy pour
respondre aux difficiles questions qu'on lui faisoit.
Pour le dixiesme n'en sçoit rien que du bruit commun qui
couroit.
Que l'onziesme est véritable, comme semblablement
les douziesme, treiziesme et quatorziesme, et qu'il a entendu
Jeanne se sousmettre souvent au jugement de l'Eglise et du
Pape.
Sur le dix-septiesme dit que durant une bonne partie du
procez, quand on interrogeoit Jeanne si elle ne vouloit pas
se sousmettre à l'Eglise, par ce mot d'Église elle entendoit les
juges qui estoient assemblez pour lui faire son procez, jusques
à ce que maistre Pierre Maurice lui enseigna ce que vouloit
dire ce mot d'Eglise. Et qu'après cela ellese sousmit tousjours
au Pape pourveu qu'on la menast à lui. Et croit le déposant
que cequ'elle a du commencement ditféré à se sousmettre à
l'Église n'a esté pour autre chose, sinon qu'elle ne sçavoit
ce qu'on vouloit dire par ce mot d'Église.
Quant au dix-neufviesme, qu'il croit que la sentence a
esté plus tost donnée par désir de vengeance que par zèle de
justice.
Sur le vingt-deuxiesme, dit qu'il pensoit que dès la
première sentence, on dcubst faire brasier cette fille parce
PROCKS DE UEVISION ET REHABILITATION 227
qu'elle faisoit difficulté de prononcer le formulaire d'abjura-
tion et que dès lors le bourreau estoit tout prest ; et fut
menée en une charrette au cimetière de Saint-Ouen.
Que le contenu du vingt-troisiesme article est véritable, et
pareillement le vingt-cinquiesme en tout et partout. De plus
a tesmoigné que lévesque de lieauvais ayant entendu prier
Dieu cette fille avec telle dévotion en pleura, comme pareil-
lement un certain homme d'armes Anglois qui la haïssoit
extrêmement et avoit juré qu'il porteroit de sa propre main
le premier fagot pour la brusler. Ce qu'ayant fait, après
qu'il l'eust veue invoquer si dévotement le nom de Jésus
jusques au dernier soupir, il fut saisi d'un si grand estonne-
ment qu'il en tomba tout pasmé, estant comme en extase, et
le fallut mener à la prochaine taverne qui estoit au Vieil
Marché et lui mettre du vin en la bouche pour lui faire
reprendre ses esprits. Et après le disner, ledit Anglois, par-
lant à un religieux dominicain Anglois, présent le déposant,
confessa avoir grandement failli, et qu'il se repentoit de ce
qu'il avoit fait contre cette fille laquelle il tenoit pour une
bonne femme, et qu'il lui sembloit avoir veu, quand elle ren-
dit le dernier soupir, un pigeon sortant de France ^ du milieu
des flammes.
De plus, dit le déposant, que, ce mosme jour, le bourreau
alla après le disner en leur couvent, et parlant à lui déposant
et à frère Martin Ladvenu, leur dit qu'il avoit grand crainte"
d'estre damné pour avoir bruslé une si sainte femme.
Asseure que le contenu au vingt-sixiesme est véritable, et
confesse que la principale cause qui a induit les Anglois à
entreprendre ce procez n'a esté que pour diffamer le Roy de
France. Que maistre Gullaume Erard a bien fait cognoistre
cela en son sermon, disant que jadis la seule France estoit
exempte de monstres, mais qu'aujourd'huy on y voyoit un
terrible monstre : que celui qui se disoit lloy de France vou-
loit recouvrer son royaume par l'entremise et assistance
d'une femme hérétique, sorcière, etc. Auquel Erard Jeanne
1. Voir sur cette expression a sortant de France» la note de J. Qui-
ciiEiUT. l'roci-s. t. II. p. 352.
228 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
respondit : .( Oh ! prédicateur, vous ne dites pas la vérité. >e
parlez pas de la personne de mon Roy Charles, car il est bon
catholique, etc. »
Sur le vingt-septiesme, dit que tout ce qu'il a déposé est
véritable.
A ce que dessus faut adjouster que frère Thomas Marie,
bachelier en théologie, prieur de Saint-Michel près Rouen, a
déposé avoir ouy dire à plusieurs personnes qu'elles avoient
veu le nom de Jesu Christ au milieu de la flamme du feu
auquel la Pucelle futbruslée.
DE l'eMOUÈTE faite AU PAYS DE LA PUCELLE
Mais reprenons la suite de notre histoire.
Attendu que messire Pierre Cauchon, évesque deBeauvais,
au commencement du procez contre la Pucelle, a fait regis-
trer qu'il avoit montré certaines informations faites au païs
de la Pucelle, à messire Gilles, abbé de Fescamp, Nicolas de
Venderès, Nicolas Loyseleur, etc., et que lesdites informa-
tions ne sont pas registrées audit procez, les juges commis
par le Saint-Siège ordonnent qu'il sera publié des monitoires
et citations pour avoir cognoissance desdites informations et
sçavoir si quelqu'un etmesmeles notaires qui avoient instru-
menté et escrit audit procez les aurait vues, et principale-
ment Guillaume xManchon, premier et principal notaire,
lequel déclare n'en avoir jamais eu auciine cognoissance,
comme font semblablement les autres notaires et plusieurs
autres personnes. De sorte qu'il appert de là que ces infor-
mations estoient à la descharge de la Pucelle, et que, pour
cette raison, ledit évesque les a fait supprimer, ainsi qu'il
sera montré par les actes suivants.
Le vingtiesme décembre 1455, les juges commis du Saint-
Siège ordonnent que maistre Renaut de Chichery, doyen de
l'église ou chapelle de Nostre-Dame de Vaucouleur, au dio-
cèse de Toul, et Walterin Thierry, chanoine de l'église de
Toul, examineront les tesmoins du païs de la Pucelle sur les
douze articles suivants, donnez et libellez par Simon Chapi-
tault, promoteur en cette cause.
PROCKS DE REVISION ET RÉHABILITATION 229
I. Du lieu et paroisse où elle nasquit.
II. Qui estoient ses parents, de quel estât, s'ils estoient bien
renommez et bons catholiques.
III. Qui estoient ses parrains et marraines.
IV. Si dans sa jeunesse elle avoit esté bien instruite et
nourrie en la crainte de Dieu, conformément à son âge et
à la condition de sa personne.
V. Quelles gens elle hantoit depuis l'âge de sept ans
jusques à ce qu'elle sortit de la maison de son père.
VI. Si elle fréquentoit souvent et volontiers l'Église et les
lieux de dévotion.
VII. En quel art et exercice elle s'occupoit durant sa jeu-
nesse.
VIII. Si elle alloit souvent et librement à confesse.
IX. Quel bruit couroit au païs d'un arbre appelé VArbi'e
des Dames : si les jeunes filles ont accoustumé d'y aller jouer
et danser; et ce que c'est d'une fontaine qui est proche dudit
arbre : si la Pucelle en sa jeunesse avec les autres filles fré-
quentoient vers ledit arbre, et pour quelles causes elles y
alloient.
X. Comment elle partit de la maison de son père et de son
village, et quel a esté tout son gouvernement pendant qu'elle
fut sur le chemin.
XI. Si en son païs on avoit fait aucunes informations par
autorité de quelques juges, depuis qu'elle fut prise devant
Compiègne et mise entre les mains des Anglois.
XII. Si, quand la Pucelle se retira de Dompremy à Neuf-
chastel, à cause des gens d'armes, elle ne fut pas tousjours en
la compagnie de ses père et mère.
Ces informations ont esté faites au païs de la Pucelle à la
diligence de Jean Daliz, prévost de Vaucouleur, ainsi qu'il
est porté par les actes, lequel estoit propre frère de la Pucelle
et avoit pris le nom Daliz ou du Liz par permission du Roy :
comme aussi son frère s'appeloit Pierre Daliz, car en ces
quartiers, sur les marches de Champagne et de Lorraine, ils
appellent une fleur de liz fleur Daliz.
En la susdite information ont esté ouys et examinez trente
230 E. lUCIIEH. l..\ PUCELLE D ORLEANS
trois tesmoins, tant à Domrciny qu'à Vaucouleur et ses envi-
rons, ainsi qu'il est porté par les actes publics faits et conclus
le vendredi treiziesine jour de febvrier 14oo (vieux, style;.
Signé Dominicus Dominici, notaire apostolique en la cour
épiscopale de Toul.
Ensuivent les noms desdits tesmoins.
1. Jean Morelli, âgé de soixante ans ou environ, labou-
reur, demeurant en la paroisse de Greux-sur-Meuse, l'un des
parrains de la Pucelle.
"1. Maistre Jacques Dominique, curé de l'église paroissiale
de Moutier-sur-Saulx, diocèse de Toul, âgé de trente-cinq
ans.
3. Béatrix, veuve d'Estelin, laboureur de Dompremy,
âgée de quatre-vingts ans, l'une des marraines de la Pucelle.
4. Jeannette, femme de Thévenin Royer, au village de
Dompremy, âgée de soixante-dix ans, l'une des marraines
de la Pucelle.
5. Jean, surnommé de Moën, demeurant à Dompremy,
âgé de cinquante-six ans.
6. Maistre Estienne de Syonne, prestre et curé de l'église
paroissiale de Uoussay auprès de Neufchastel, âgé de cin-
quante-quatre ans.
7. Jeannette, veuve de Thiestelin, de Vitel, âgée de
soixante ans, l'une des marraines de la Pucelle.
8. Noble homme Louis de Martigny, escuier, âgé de cin-
quante-six ans.
9. Thévenin Royer de Chermisey, demeurant à Dompremy,
âgé de soixante-dix ans.
10. Jacquier de Saint-Amand, laboureur, demeurant à
Dompremy, âgé de soixante ans.
il. Bertrand de la Choppe [ou Lacloppej, de Dompremy,
âgé de quatre-vingt-dix ans.
12. Perrinet Drappier, demeurant à Dompremy, âgé de
soixante ans.
13. Gérard Guillemette, laboureur, demeurant à Domp-
remy, âgé de quarante-cinq ans.
14. Hauviette, femme de Gérard de Syna, laboureur, de-
meurant à Dompremy, âgée de quarante-cinq ans.
PUOCKS DH REVISION ET RÉHA lUMTATlON 231
15. Jean Watterin, de Dompremy, laboureur, âgé de qua-
rante-cinq ans.
16. Gerardin de Spinal, laboureur, de Dompremy, âgé de
soixante ans,
17. Simon iMeusnier [ou Musnier], laboureur, de Dom-
premy, âgé de quarante-quatre ans.
18. Isabeau, femme de Gerardin de Spinal, âgée de cin-
quante ans.
19. 3Iengette, femme de Jean .loyart, laboureur, demeu-
rant à Dompremy, âgée de quarante-six ans.
20. Maistre Jean Colin, curé de l'église paroissiale de
Dompremy, âgé de soixante-six ans.
i\. Colin, fils de Jean Colin, laboureur, demeurant à
Greux, âgé de cinquante ans.
22. Noble homme Jean de Novelonpont, surnommé de
Metz, demeurant à Vaucouleur, âgé de cinquante-sept ans.
C'est Tun des gentilhommes que le sieur de Baudricour
choisit pour mener la Pucelle au Roy.
23. Michel Le Buin, de Dompremy, laboureur à Burey,
âgé de quarante ans.
24. Noble homme Joffroy du Fay, escuier, demeurant à
Vaucouleur, âgé de cinquante ans.
25. Durand, surnommé Laxart, de Burey, laboureur, âgé
de soixante ans. Il estoit oncle de la Pucelle, à cause de sa
femme, et fut celui qui la mena par trois diverses fois au sieur
de Baudricour.
26. Catherine, femme de Henri Royer, de Vaucouleur,
âgée de cinquante-quatre ans. Elle logeoit la Pucelle allant à
Vaucouleur, et la Pucelle y demeura pour une fois plus de
trois sepmaines.
27. Henry Royer, de Vaucouleur, âgé de soixante-quatre
ans^ c'est l'hùte de la Pucelle.
28. Noble homme Albert de Urchiis, seigneur dudit lieu,
demeurant à Toul, âgé de soixante ans.
29. Honorable homme Nicolas Bailly, demeurant à Ande-
lot, du diocèse de Langres, âgé de soixante ans.
30. Guillot Jacquier, de Andelot, âgé de trente ans.
31. Noble homme Bertrand de Polengis, escuier de l'écurie
232 E. RICIIER. LA PL'CIîr.LE d'oRLÉANS
du Roi de France, âgé de soixante-trois ans. C'est l'un des
gentilshommes que lesieurde Baudricourchoisit pour mener
la Pucelle au Roy. Si ledit sieur de Baudricour eust esté en
vie, il eust pareillement rendu tesmoignage en r.ette informa-
tion de ce que la Pucelle lui avoit dit, et lui pareillement res-
pondu à la Pucelle. Ce que j'ay bien voulu remarquer en
passant pour donner advis que ceux-là se trompent gran-
dement qui ont escrit que Baudricour avoit esté fait maré-
chal de France, et avoit vescu jusqu'au règne de Louis XI,
■ ce qui ne peut estre.
32. Maistre Jean le Fumeux, de Vaucouleur, chanoine de
la chapelle Nostre-Dame de Vaucouleur et curé de l'église
paroissiale de Uguey, au diocèse de Toul, âgé de trente-huit
ans.
83. Jean Jacquard, fils de Jean, surnommé Guillemette,
de Greux, âgé de quarante-sept ans ^
Les susdits tesmoins sont de deux sortes d'âges. Les plus
jeunes âgés de quarante à cinquante ans, ont conversé avec
la Pucelle, comme estant de mesme âge avec elle, et ayant
fait ensemblement en jeunesse les mesmes exercices et
esbattemnts sous le Beau May, bu et joué à la fontaine proche
d'icelui, etc. Quant aux plus vieux, ils rendent tesmoignage
tant des parents de la Pucelle que d'elle-mesme, et tous
ensemble de ce qu'ils ont vu et cognu de leur probité,
bonne et sainte vie : toutes lesquelles choses nous avons
sommairement et véritablement proposées au premier livre,
excepté en ce qui concerne le Beau May et la fontaine dont il
est parlé en l'article neufviesme et en l'article onziesme
touchant les informations que les Anglois firent faire aupaïs
de la Pucelle après qu'elle fut prise à Compiègne.
Et pour le regard de l'article neufviesme lesdits tesmoins
déposent :
Que jadis le seigneur du village de Uompremy s'appeloit
Pierre de Bourlemont, qu'il y demeuroit pendant que le
chasteau ou forteresse de Dompremy estoit en estât, et
•1. Au lieu de trente-trois témoins du pays de Jeanne, Jules Quicherat
en compte trente-quatre. Le trente-iiuatrième est Henri Arnolin, prêtre,
de Gondrecourt-le-Giiàteau. Voir Procès, t. II. p. 458.
PROCÈS DE REVISION ET RÉH AltILITATION 233
qu'alors la femme, les enfants et damoiselles de ce seigneur
s'alloient souvent promener et esbattre vers ledit arbre et
fontaine qui sont sur le grand chemin deNeufchastel, et que
cet arbre est admirablement beau, que pour cette raison
il fut appelé l'Arbre des Dames et le Beau May. Qu'il couroit
un vaux de ville que les fëez avoient fréquenté autrefois vers
cet arbre et fontaine, auparavant qu'on y allast en proces-
sion le jour de l'Invention de la Sainte-Croix au mois de
may, et aux Rogations durant la sepmaine de l'Ascension,
et quon y chantoit l'Evangile de saint Jean : que depuis ce
temps les féez n'y avoient jamais hanté. Que c'est la cous-
tume du pais que tous les jeunes gens, depuis que le prin-
temps est venu, s'aillent promener ce jour-là vers ledit
arbre et fontaine, et qu'ils commencent précisément le di-
manche de la mi-caresme qu'on disait à l'église Lœlare Jéru-
salem : lequel dimanche on appelle audit païs le « dimanche
des Fontaines », pour ce que les jeunes gens se vont promener
ce jour-là vers ledit arbre et fontaine, et continuent tout
durant l'esté, y faisans des bouquets et y portans du pain et
quelques fouasses pour gouster sous ledit arbre, buvans de
l'eau de la fontaine qu'ils nomment la fontaine des Rains ;
dansent aussi là et chantent ensemblemont. Que la Pu-
celle en sa jeunesse alloit s'y esbattre avec les autres
filles de son âge et par ensemble y faisoient des bouquets,
dansoient et chantoient comme font jeunes gens. Qui
est en somme ce que lesdits tesmoins ont déposé sur le
neufviesme article. Et pour le regard des conclusions que le
promoteur de l'évesque de Beauvais a tirées de ce que la
Pucelle avoit esté s'esbattre vers cet arbre et fontaine,
voyez V Advertissement sur la troisiesme séance du procez
d'office, au livre second de cette histoire.
Touchant l'article onziesme a esté déposé par lesdits
tesmoins qu'on avoit premièrement envoyé des corde-
tiers au pais de le Pucelle pour s'enquérir quelle estoit sa
vie et ses deportements. Et Nicolas Bailly, tabellion, demeu-
rant à Andelot, a tesmoigné que Jean Tourcenay, bailly de
Chaumont en Bassigny, lui dit avoir commandement de la
part du Roy d'Angleterre, qui se disoit Roy de France, de
234 E- RU;ilEU. LA t'UCErj.E D onLKAXS
faire informer contre la Pucelle, et que ledit ïourcenay lui
donna charge et à («irard Petit, de faire instruire cette infor-
mation en laquelle furent examinez douze ou quinze tesmoins.
Et fut prise par devant Simon de Charmys, lieutenant du
capitaine de Monteclaire. Et pour ce que les tabellions attes-
tèrent audit Simon de (Iharmys avoir véritablement escrit
tout ainsi que les tesmoins avoient déposé, ledit de Char-
mys envoya au bailly de Ghaumont l'information et lui
rescrivit que les tesmoins avoient déposé la vérité. Ce que
recognu par le bailly de Chaumont, il dit que ceux, qu'il
avoit commis pour faire cette information étoient de faux
Armagnacs : nom de partialité et de faction inventé par ceux
qui tenoient le parti du duc de Bourgogne. Et de là on peut
juger qu'es dites informations il n'y avoit rien qui chargeast
la Pucelle.
Entre les tesmoins qui ont esté ouys et examinez à Houen,
desquels nous parlerons cy après, un nommé Jean Moreau,
maistre chaudronnier qui estoit du pais de la Pucelle et
demeuroit à Rouen, a déposé qu'un certain tabellion du
mesme païs estoit venu à Rouen lorsqu'on faisoit le procez à
la Pucelle. Et qu'à cause qu'ils estoient du mesme païs, il
eut grande familiarité avec lui : et lui dit qu'il avoit fait
des informations en cinq ou six paroisses proches de Domp-
remy, et mesme à Dompremy; mais qu'il n'avoit rien trouvé
auxdépositions des tesmoins que tout bien et vertu et aucune
chose qu'il ne voulust bien qu'on trouvast en sa propre sœur,
et que tous avoient déposé que cette fille estoit grandement
dévote et adonnée à la piété : qu'il avoit apporté Icsdites
informations à l'évesque de Beauvais, espérant qu'il seroit
payé de son salaire ; mais que cet évesque au lieu de le faire
contenter de son travail, lui avoit reproché qu'il estoit un
traistre et un meschant homme, et qu'il n'avoit pas fait son
debvoir ainsi qu'on lui avoit commandé de le faire ; telle-
ment qu'il ne pouvoit estre payé pour ce que l'évesque de
Beauvais ne trouvoit pas lesdites informations faites selon
son désir. De manière que par cette déposition, on peut juger
que les Anglois ont fait faire deux sortes d'informations
contre la Pucelle et ne les ont jamais osé produire en leur
PUOCKS DU HEVISIOX KT UKIl AHIMTATION 235
prétendu procez : d'autant qu'elles justifient cette fille.
Ledit Moreau ne s'est pas souvenu du nom de ce tabellion,
après vingt-cinq ans passez que la l'ucelle avoit esté con-
damnée.
Mais attendu que les informations esquelleson fait examen
de tesmoins sont ordinairement remplies de longues et
ennuyeuses redites, parce que plusieurs tesmoins déposent
souvent une même chose, et par ainsi ce seroit chose infinie
et grandement ennuyeuse en une histoire de représenter
en particulier toutes les confessions desdits tesmoins, nous
ferons choix et inventaire seulement de ce qui sera plus
notable et important ausdites dépositions, la vérité des-
quelles nous avons pour la plus part alléguée au premier et
second livre de cette histoire, où quand besoin sera nous
renvoyons le lecteur, et produisons ici plusieurs choses des-
quelles ailleurs n'a esté faite aucune mention.
La susdite information fut faite et conclue à ïoul par Wal-
terin-Thierry, chanoine de Toul, le treiziesme febvrier 1456,
et signée par Dominique Dominici, notaire apostolique en
la cour épiscopale de Toul, etc.
Suit après l'information faite à Orléans par l'archevesque
de Rheims, l'un des juges commis par le Saint-Siège aposto-
lique, et par maistre Guillaume Bouille, docteur en théolo-
gie, et Jean Martin, dominicain, inquisiteur de la foy. En
laquelle information ont esté ouys et examinez trente-neuf
témoins à divers jours sur les faits suivants articulez par maî-
tre Simon Chapitault, promoteur.
L De ladvénement de la Pucelle à la cour, de ce qui s'y
passa à son arrivée à l'endroit du Roy, et comme elle fut
examinée.
IL Quels ont esté ses déportements avec les gens de
guerre.
IIL Si elle s'estoit adonnée à la piété et autres vertus.
IV. S'il y avait apparence qu'elle fut envoyée de Dieu pour
faire la guerre, faire lever le siège d'Orléans, et autres choses
qui sont ensuivies, etc.
236 E. RICHER. — LA. PUCELLE D ORLÉANS
I TESMOINS ENTENDUS A l'eNQUÊTE d'oRLÉANS]
1. Haut et puissant prince Jean, comte de Danois, sei-
gneur de Longueville, Bastard d'Orléans, lieutenant-général
du Roy en ses armées, âgé de cinquante un ans ou environ,
le vingt-deuxième febvrier en 1456 a déposé sur les quatre
articles susdits, conformément à ce que nous avons sommai-
rement narré au premier livre de cette histoire.
2. Comme, pareillement, noble et puissant seigneur Jean de
Gaucourt, grand maistre de l'hostel du Roy, âgé de quatre-
vingt-cinq ans, lequel estoiten cour quand la Pucelle y arriva
et alla avec elle pour faire lever le siège dOrléans, etc.
3. Noble homme maistre François Garivel, conseiller du
Roy et général de ses aydes, âgé de quarante ans.
4. Noble homme Guillaume de Ricarville, maistre d'hostel
du Roy, âgé de soixante ans.
5. Maistre Renaut Thierry, Doyen de l'église collégiale
de Mehun-sur-Yèvre, chirurgien du Roy, âgé de soixante-
quatre ans.
6. Jean Luiller, l'aisné, bourgeois d'Orléans, âgé de cin-
quante-six ans.
7. Jean Hilaire, bourgeois d'Orléans, âgé de soixante-six
ans.
8. Gilles de Saint-Mesmin, bourgeois d'Orléans, âgé de
septante-six ans.
9. Jacques Lesbahy, bourgeois, âgé de cinquante ans.
10. Guillaume le Charron, aussi bourgeois d'Orléans, âgé
de cinquante ans.
11. Cosme de Gommy, bourgeois d'Orléans, âgé de soixante-
quatre ans.
12. Martin de Mauboudet," bourgeois, âgé de cinquante-
sept ans.
13. Jean Volant, bourgeois, âgé de septante ans.
14. Guillaume Postiau, bourgeois d'Orléans, âgé de qua-
rante-quatre ans.
15. Denys Roger, bourgeois d'Orléans, âgé de septante ans.
16. Jacques Thou, bourgeois, âgé de cinquante ans.
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 237
17. Jean Carrelier, bourgeois, âgé de quaranle-quatie ans.
18. Anian de Saint-Mesmin, bourgeois, âgé de quatre-
vingts ans.
19. Jean de Chanipeaux, bourgeois, âgé de cinquante ans.
20. Pierre Jongaut, bourgeois, âgé de cinquante ans.
il. Pierre Hué, bourgeois, âgé de cinquante ans.
22. Jean Aubert, âgé de cinquante-deux ans.
23. Guillaume Rouillard, âgé de quarante-six ans.
24. Gentian Cabu, bourgeois, âgé de cinquante-neuf ans.
25. Pierre Vaillant, bourgeois, âgé de soixante ans.
26. Jean Goulon, âgé de cinquante-six ans.
27. Jean Beauharnais, âgé de cinquante ans.
28. Maistre Robert de Farciaux, prestre, licencié aux
droits et sous-doyen de Téglise de Saint-Aignan d'Orléans,
âgé de soixante ans.
29. Maistre Pierre Compaing, prestre, licencié aux droits,
et chanoine de l'église Saint-Aignan, âgé de cinquante-
cinq ans.
30. 'Maistre Pierre de la Censure, prestre, chanoine et
prévost de l'église Saint-Aignan, âgé de soixante ans '■.
31. Maistre André Bordes, chanoine de Saint-xVignan, âgé
de soixante ans.
32. La femme de Gilles de Saint-Mesmin, âgée de septante
ans.
33. Jeanne, femme de Guidon [Boileau, âgée de soixante
ans.
34. Guillemette, femme de Jean de Coulons, âgée de cin-
quante et un ans.
35. Jeanne, veuve de defïunt Jean de Mouchy, âgée de cin-
quante ans.
36. Charlotte, femme de Guillaume Havet, âgée de trente-
six ans.
37. Renaulde, veuve de deffunt Jean Huré, âgée de cin-
quante ans.
1. Tesmoins passés sous silence par Richer, Raoul Godart, prêtre, et
Hervé Bouart, prieur de Saint-Magloire ijui déposent comme Pierre de
la Censure.
238 K. lUi:ilKK. LA l'UCKLLK U UULKANS
38. l'étronille, femme de Jean Beauharnais, âgée de cin-
quante ans.
39. Massée, femme de Henry Fagoue,agée de cinquante ans.
Cette information fut commencée le vingt-deuxième feb-
vrier et continua jusques au sixième de mars 1456. Et tous
les dits tesmoins respectivement ont déposé conformément à
ce que nous avons rapporté au premier livre de cette his-
toire, les uns tesmoignans d'une chose, les autres d'une
autre, selon que quelqu'un a vu ou bien ouy dire à ceux qui
ont vu quelque chose sur laquelle est fait l'examen des tes-
moins.
[Enuuète de Pauls et tesmoins entendus]
Après ladite information faite à Orléans est produite celle
qui a esté faite à Paris en laquelle ont esté ouys et examinez
vingt tesmoins sur trente-trois des articles cy-devant pro-
duits au quatriesme chapitre de ce procez par Guillaume
Prévosteau, procureur et conseil des parents de la Pucelle
en cette cause : lesquels furent déclarez recevables et de fait
furent receus par messieurs les juges commis par le Saint-
Siège, et contiennent les griefs et nullitez du procez que
l'évesque de Beauvais a fait à la Pucelle, comme aussi les
fins que les parents de la Pucelle prétendent pour sa justifi-
cation. Lesdits articles sont en nombre nonante et un, et les
trente-trois premiers sont ceux sur lesquels on a fait l'infor-
mation tant à Paris qu'à Rouen : d'autant que lesdits tes-
moins examinez à Paris avoient pour la plus part assisté au
procez ^contre la Pucelle fait à Rouen. Au reste ce serait
chose superflue de représenter ici les dits trente-trois arti-
cle€ puisqu'ils sont registrez cy-devant. L'examen desdits
tesmoins a esté fait par messire Guillaume Ghartier, évesque
de Paris, et frère Jean Patin, inquisiteur de la foy, a com-
mencé le deuxiesme avril et fini le douziesme may 1456.
Voici les noms et dépositions des dits tesmoins :
Premièrement, maistre Jean ïiphaine, docteur en méde-
cine et chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris, âgé de
1'»0(;KS de UEVISION ET REIlAlilLITATION 239
soixante ans, dit qu'il fut contraint d'aller à Uouen et d'as-
sister à ce procez malgré lui, encore qu'il s'excusast sur sa
profession de médecine, remonstranl qu'il n'estoit que pour
juger les cho&es de la foy; néantmoins, crainte des Anglois,
qu'il y assista et a vu interroger la Pucelle par tant de
doctes hommes et en telle compagnie eust esté bien empes-
ché de satisfaire : toutes fois qu'elle respondoit merveilleu-
sement bien, et qu'un grand seigneur anglois du nom du-
quel il ne se peut souvenir, l'ayant entendue ainsi parler,
dit : vrayment, ce seroit une brave femme si elle estoit
Angloise. Au reste qu'il l'avait visitée en prison estant ma-
lade et l'avoit vue ayant les fers aux jambes.
âvMaistre Guillaume de Cannera (Delachambre), aussi doc-
teur en médecine, âgé de quarante-huit ans, assista pareille-
ment audit procez, et confesse avoir ouy dire à maistre
Pierre Maurice, docteur en théologie, qu'il avoit entendu
de confession la Pucelle et n'avoir jamais ouy une telle con-
fession, soit d'un docteur ou autre quelconque, et qu'il
croyoit qu'elle marchoit justement et saintement. Qu'il avait
opiné et souscrit à ce procez malgré lui, et s'estant voulu
excuser sur sa profession de médecine, disant qu'elle ne lui
permettoit d'opiner en telle matière, l'évesque de Beauyais
le contraignit et lui fut dit que s'il ne souscrivoit comme les
autres, mal lui prendroit d'être venu à Rouen. Au reste, que
maistre Jean Loliier et maistre Nicolas de Houppeville furent
menacez d'estre jetez en la rivière, pour n'avoir voulu assis-
ter à ce procez.
Qu'il avoit ouy dire que la Pucelle avoit esté visitée et
trouvée vierge, et que selon son art il la tenoit vierge,
l'ayant traitée durant sa maladie et vu presque toute nue,
qu'elle estoit fort estroite par les reins. L'avait pareillement
vu interroger par maistre Jean Beaupère et l'abbé de Fes-
camp qui l'interrogeaient ensemblement et confusément de
plusieurs choses diverses et, n'y pouvant pas respondre, leur
dit qu'ils lui faisaient une grande injure de la travailler de
la sorte, et qu'elle avoit déjà respondu sur ce qu'ils lui pro-
posaient.
240 E. lUCHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
Que cette fille estant malade en la prison, lui qui parle fut
mandé avec Guillaume des Jardins, docteur en médecine, et
autres médecins, et que le cardinal de Winthon qu'on appe-
lait le cardinal d'Angleterre, et le comte de Warwic deman-
dèrent audit déposant et autres médecins en quel estât estoit
cette fille; et ledit comte leur dit nommément qu'ils avisas-
sent bien à elle, et que le Roy ne voudroit pour chose du
monde qu'elle mourust de sa mort naturelle, qu'il l'avoit
achetée bien chèrement et vouloit qu'elle mourust en jus-
tice et qu'elle fust bruslée. Et leur avoit encore dit qu'ils
se gardassent bien de la faire soigner, pour ce qu'elle
estoit cauteleuse et se pourroit bien faire mourir. Toutes
fois, après avoir esté soignée, la fiebvre la quitta et revint
en convalescence. Néantmoins, que Jean d'Estivet, pro-
moteur de l'évesque de Beauvais l'estant venue veoir et
l'ayant appelée p. et paillarde, elle se saisit tellement que
la fiebvre la reprit comme devant . A raison de quoy le
comte de Warwic deffendit à ce promoteur de la plus
injurier, tant ils craignoient qu'elle ne mourust de sa mort
naturelle.
De plus, asseura avoir ouy dire à cette fille qu'elle se sous-
meltoit à nostre saint père le Pape. Quant à l'abjuration
qu'çlle avoit faite, elle différa longtemps auparavant que de
la faire. Et maistre Guillaume Erard l'incitoit disant qu'elle
fist ce qu'il lui conseilloit et qu'elle seroit délivrée de prison ;
et que sous cette condition et non autrement elle avoit fait
ladite rétractation qui estoit en un petit papier contenant
six ou sept lignes, et ledit déposant estoit si proche qu'il
voyoit les lignes et leur grandeur, estant escrites en un
papier reployé.
Dépose avoir ouy dire que les Anglois l'avoient induite à
reprendre son habillement viril, et qu'ils avoient esté d'au-
près d'elle ses habits de femme et substitué au lieu ses habil-
lements d'homme : à raison de quoy on disoit qu'elle avoit
esté condamnée injustement. Que maistre Nicolas Midy, doc-
teur en théologie, fit la dernière prédication au Vieil Marché
de Rouen quand elle fut bruslée, et qu'elle faisoit de grandes
lamentations qui esmeurent plusieurs à pleurer, qu'estant
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 241
dans le feu, elle crioit hautement Jésus et invoquoit saint
Michel et son ayde.
3° Messire Jean de Mailly, évesque de Noyon, lorsque la
Pucelle fut condamnée, 'estoit du parti angloisetlavit mourir.
Et à cette information a déposé avoir soixante ans, et que la
, Pucelle navoit fait rétractât on sinon sur ce que le docteur
Erard lui disoit qu'elle fist ce qu'on lui conseilloit, qu'autre-
ment on la feroit mourir. Que, pour cette occasion la plus
part disoient que ladite abjuration n'estoit d'aucune valeur
et qu'on n'en debvoit faire mise ni recepte. Qu'un certain
docteur anglois qui estoit lors présent reprocha à l'évesque
de Beauvais qu'admettant cette fille à se rétracter il se mon-
troit trop favorable en son endroit, et que l'évesque respondit
à ce docteur qu'il avoit menti. Ce que voyant, le cardinal
d'Angleterre commanda au docteur anglois qu'il se tust.
4" Maistre Thomas de Courcelles, docteur en théologie,
chanoine et pénitencier de l'église de Paris, âgé de cinquante-
six ans, a déposé que l'évesque de Beauvais estoit conseiller
d'Angleterre et qu'il pense icelui évesque avoir entrepris de
faire le procez à la Pucelle pour cette occasion. Et qu'un
nommé Sureau, recepveur, avoit donné quelque présent à
maistre Jean d'Estivet promoteur pour assister à ce procez.
Que lui déposant, estant à Paris, fut mandé par l'évesque de
Beauvais pour assister audit procez avec plusieurs autres
docteurs, et qu'un nommé Reynel faisoit leurs despens sur le
chemin.
Quant aux informations qu'on prétend avoir esté faites au
païs de la Pucelle et exhibées au commencement du procez,
dépose ne se souvenir jamais les avoir veues. Que maistre
Jean Lohier, ayant reconnu la façon de procéder contre la
Pucelle, dit à lui qui parle qu'on ne pouvoit procéder contre
cette fille en matière de foy, sinon qu'au préalable on eust
fait informer sur l'infamie qu'on prétendoit qu'elle avoit
encourue, et que de droit une telle information estoit requise.
Que pour son regard il n'a jamais dit positivement ni déli-
béré qu'elle fust hérétique, mais seulement posé qu'elle ne se
•IG
242 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLÉANS
voulust sousmettre au jugement de l'Eglise par opiniaslreté.
Tesmoigne quelle estoit en la garde d'un Anglois et de ses
serviteurs en la prison, ayant les fers aux jambes, et que plu-
sieurs disoient qu'elle debvoit eslre tirée de là et mise aux
prisons ecclésiastiques ; toutes fois qu'on n'a jamais fait de
délibération sur cela. Et asseure avoir ouy dire à l'évesque
de Beauvais qu'elle avoit esté trouvée vierge : et est certain
que si elle n'eust esté telle, qu'ils n'eussent pas tu cela au
procez et eussent publié qu'elle estoit corrompue. Qu'il se
souvient qu'après -qu'on lui eust fait plusieurs interroga-
toires, il fut résolu qu'à l'advenir on l'interrogeroit en pré-
sence de peu de personnes, et ne sçait pour quelles fins cela
fut ordonné.
Qu'tl est mémoratif icelle avoir esté plusieurs fois interro-
gée de se sousmettre à l'Eglise : sur quoy elle fit plusieurs et
diverses responses qui sont registrées au procez, à quoy il se
rapporte.
Quant aux douze articles qui ont esté extraits du procez,
ce fut maistre Nicolas Midy qui les colligea, et toutes les dé-
libérations sur lesquelles sont intervenues les sentences
contre la Pucelle furent faites et prises sur lesdits douze
articles. Qu'il a maintes fois ouy dire à maistre Nicolas Loy-
seleur qu'il s'estoit plusieurs fois déguisé pour aller parler
à cette fille en la prison en habit dissimulé, et ne sçait pas ce
qu'il lui disoit sinon qu'il l'avoit conseillée de se manifester
à lui et qu'il estoit prestre . et croit qu'elle se confessa au
dit Loyseleur.
Quant au formulaire d'abjuration qui commence Je Jeanne
etc., ne sçait qui l'a dressé. Bien sçait que maistre Nicolas de
Venderès en dressa un qui commençait : Toutes et quantes
fois que l'œil du cœur, etc. Ne peut se souvenir si c'est le for-
mulaire qui a esté registre au procez. Bien a mémoire que
aucuns des assistans dirent à l'évesque de Beauvais que
recepvant cette fille à se retracter, il ne pouvoit pas faire sa
sentence,
5° Maistre Jean Monnet, docteur en théologie et chanoine
de l'église de Paris, confessa avoir esté à Rouen comme ser-
PUOCKS DE REVISION ET REHAUILITATION 243
viteur et en la compagnie de maistre Jean Beaupère, Pierre
Maurice, Thomas de Courcelles et de plusieurs autres docteurs
qui avoient esté mandez pour assister audit procez, et que le
procez de la Pucelle ayant esté commencé, il y assistoit et
escrivoit, non comme notaire, mais comme serviteur de
maistre Jean Beaupère, et que ce qu'il avoit escrit il l'avoit
recognu au procez fait en françois; et se souvient que quel-
quefois lui déposant et les notaires omettans quelque chose
de ce que disoit la Pucelle, elle le faisoit relire et corriger.
Qu'il a mémoire qu'elle fut visitée pour sçavoir si elle estoit
vierge, et qu'elle fut trouvée vierge, et qu'on disoit qu'elle
avoit esté blessée en allant à cheval. Qu'il avoit entendu qu'au-
cuns alloient parler à elle en habit dissimulé.
Au reste, quand on lui proposa le formulaire de rétracta-
tion, qu'il estoit sur le théastre aux pieds de maistre Jean
Beaupère son maistre, et entendit la Pucelle dire que si les
ecclésiastiques lui conseilloient en conscience qu'elle debvoit
faire la dite rétractation, elle feroit volontiers ce qu'ils lui
conseilleroient. Et qu'alors on lui présenta un petit papier
contenant six ou sept lignes; et dit plusieurs fois qu'elle se
rapportoit aux consciences de ceux qui la jugeoient, si elle
debvoit ou non faire une telle révocation, etc.
6° Noble homme Louys de Goûtes, escuier, sieur de Novion
et de llugles, âgé de quarante-deux ans. C'est l'un des escuiers
que le Iloy donna à la Pucelle, et a tousjours esté avec elle
jusques à l'assaut qu'elle fit donner à Paris : sa déposition est
toute conforme à ce que nous avons escrit au premier livre.
7" Noble homme Gobert Thibaut, escuier de l'escurie du
Roy, âgé de cinquante ans, dépose conformément à ce que
nous avons narré au premier livre
8° Noble homme Simon Beaucroix, escuier, âgé de cinquante
ans. Il estoit à monsieur Dolon (d'Aulon) séneschal de Beau-
caire, et sa déposition est conforme à ce que nous avons
exposé au premier livre.
9° Maistre Jean Barbier, advocat du Roy en sa cour du Par-
244 E. RICllER. — I.A PUCELLE D ORLEANS
lement, âgé de cinquante ans, rend lesmoignage de ce qui
s'est passé à Chinon et à Poictiers où il estoit pour lors.
10° Damoiselle Marguerite la Touroude, veuve de feu René
de Bouligny conseiller et trésorier du Uoy, âgée de soixante-
quatre ans. C'est elle qui logeoit la Pucelle quand elle estoit
à Bourges. Sa déposition porte quelle la logée trois ans, qui
est une erreur du notaire : il faut lire trois mois. C'est tout le
temps de l'hyver que la Pucelle a esté en Berry, car, sur le
printemps, elle repassa en France.
1 1° Jean Marcel, bourgeois de Paris, âgé de cinquante-six ans,
déclare avoir esté à Rouen lorsqu'on fit rétracter la Pucelle,
et qu'il avoit ouy dire qu'un nommé maistre Laurent Calot et
quelques autres Anglois, voyans ladite rétractation, avoient
dit à l'évesque de Beauvais qu'il tardoit trop à donner sa sen-
tence définitive et qu'il jugeoit mal; et que ledit évesque leur
avoit respondu qu'ils avoient menti. Qu'il avoit vu la Pucelle
dedans le feu et l'entendit crier à haute voix Jésus, et qu'elle
répéta plusieurs fois. Et la plus part des assistants pleuroient,
disans qu'elle avoit esté condamnée injustement, et qu'elle
estoit morte bonne chrétienne. Ce que ledit déposant asseure
avoir ouy dire aux religieux qui l'assistèrent à la mort.
Au reste ce Laurent Calot estoit secrétaire du Roy d'Angle-
terre, et cette déposition convient avec celle de lévesque de
Noyon et de maistre Thomas de CourCelles, et montre que
l'évesque de Beauvais avoit promis d'abandonner la Pucelle
au bras séculier, et que cette révocation qu'il lui a fait faire
n'estoit que pour servir de prétexte à sa noire malice et ini-
quité, voulant faire entendre au monde qu'il avoit fait tout
ce qu'il avoit pu pour sa réduction ; et aucuns Anglois qui né
scavoient pas le secret de ce mystère d'iniquité, blasmoient
cet évesque comme trahissant leur maistre.
12° Illustre et puissant prince Jean duc d'AIençon, âgé de
cinquante ans. Voyez sa déposition au premier livre.
13'' Vénérable et religieuse personne frère Jean Pasquerel,
de Tordre des Augustins, du couvent de Bayeux, etc. C'est celui
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 24'j
que la Pucelle choisit pour son chapelain, lequel a tous-
jours esté avec elle jusques à sa prise. Nous avons montré
quelle est sa déposition au premier livre de cette histoire.
14" Vénérable et religieuse personne frère Jean de Leno-
zoles, prestre de l'ordre des Célestins, âgé de quarante-cinq
ans, tesmoigne que lorsqu'on faisoit le procez à la Pucelle, il
estoit serviteur de maistre Guillaume Erard et qu'il vint de
Bourgogne avec lui à Rouen. Et quand on prononça la pre-
mière sentence contre cette fille, qu'il entendit dire à son
maistre qu'il avoit charge de faire la prédication, mais que cela
lui déplaisoit grandement, disant" qu'il eust bien voulu estre
en Flandre et que cette matière lui déplaisoit extrêmement.
Qu'il vit le matin, auparavant qu'on menast la Pucelle au
supplice, comme on lui portoit le corps de Nostre-Seigneur,
une grande multitude de torches, et qu'on chantoit les lita-
nies disant Orate pro ea, « priez pour elle », et qu'il se retira
lors : et entendit dire à ceux qui l'avoient vu communier,
qu'elle avoit receu son créateur avec une grande dévotion et
profusion de larmes. Que maistre Nicolas Midy avoit fait la
prédication au Vieil Marché, qu'il avoit vu jeter cette fille
dedans le feu et l'avoit entendu crier plusieurs fois à haute
voix Jésus.
15" Noble et scientifique personne Simon Charles, conseil-
ler du Roy et président en sa Chambre des comptes, âgé de
soixante ans, etc. Sa déposition est semblable à celle de mon-
sieur de Gaucourt, grand maistre de l'hôtel du Roy, auquel il
dit avoir ouy dire que les vivres et gens de guerre estans
arrivez h Orléans avec la Pucelle, tous les capitaines ne trou-
vèrent pas bon qu'on fist aucune entreprise sur les Anglois,
le jour que la bastille de Saint-Loup fut prise sur eux, et que
pour cette raison l'on donna charge au sieur de Gaucourt de
faire garder les portes d'Orléans à ce que personne ne pust
sortir. Que, nonobstant cela, la Pucelle fut de contraire advis,
comme pareillement plusieurs gens de guerre et des bour-
geois qui avoient désir de combattre et d'aller assaillir ladite
bastille. C'est pourquoy la Pucelle courut à la porte de
246 E. RICHER. L\ PL'CELLE d'oRLRANS
Bourgogne et dit au sieur de (îaucourt qu'il estoit un mau-
vois homme et que, voulust ou non, les gens de guerre sorti-
roient et obtiendroient la victoire. Tellement que malgré
ledit seigneur de (îaucourt, ils sortirent et forcèrent ladite
bastille, etc.
16** Noble seigneur Thibaut d'Armagnac, autrement de
Termes, bailly de Chartres, âgé de cinquante ans. Sa déposi-
tion convient avec celle du comte de Dunois, et ils recognois-
sent toutes les actions de la Pucelle au-dessus des forces et de
la capacité humaine.
17° Noble homme Aimond de Macy, âgé de cinquante ans,
dépose avoir esté au service du sieur de Luxembourg, comte
de Ligny, et que plusieuis fois il fut voir la Pucelle au chas-
teau de Beaurevoir où elle estoit détenue prisonnière, y
estant envoie par le comte de Ligny son maistre pour sça-
voir comment elle se portoit, et qu'ayant voulu plusieurs fois
mettre les mains en son sein et lui toucher les mamelles en
se jouant, jamais ne le voulut souffrir. Qu'elle estoit d'une
conversation honneste tant en ses paroles qu'en son port et
son geste.
Qu'icelle estant prisonnière au chasteau de Grotoy, où
estoit pareillement prisonnier maistre Nicolas de Queuville,
chancelier de l'église d'Amiens, docteur aux droits, lequel
célébroit souvent la messe, la Pucelle l'entendoit avec grande
dévotion et se confessoit audit sieur de Queuville, auquel le
déposant asseure avoir ouy dire que cette fille estoit bonne
catholique et très dévote, et en disoit moult de bien.
Tesmoigne pareillement, depuis qu'elle fut mise prison-
nière au chasteau de Rouen, que Monsieur le comte de Ligny
la voulut voir et que les comtes de Warwic et de Suffort,
présent le chancelier du Roy d'Angleterre, lors évesque de
Thérouane, frère du comte de Ligny, le menèrent à la Pu-
celle, lui déposant estant avec ledit comte de Ligny. Lequel
parla en cette manière à la Pucelle : — Jeanne, je suis venu
ici pour vous mettre à financer, moyennant que veuilliez pro-
mettre de ne plus porter les armes contre nous.
PROCKS DK HEVISION ET UEll A lilLITATION 247
Elle respondit : — En nom Dieu, vous vous moquez de moi
et sçay bien que vous n'en avez ni le vouloir ni le pouvoir.
Ce qu'elle répéta plusieurs fois, comme ledit comte lui
vouloit faire croire le contraire. De plus elle dit : — Je sçay
bien que ces Anglois me feront mourir, croyans qu'après ma
ma mort ils gagneront le royaume de France. Mais s'ils
estoient cent mille godons plus qu'ils ne sont de présent, ils
ne l'auront pas le royaume.
Ce qu'entendu, le comte de Suffort lira sa dague à moitié,
tout en colère, pour la frapper; mais le comte de Warwic
l'empescha.
Outre, le déposant asseure avoir esté à Rouen quand on
proposa à la Pucelle qu'elle se révoquas!, et que maistre
Nicolas Midy lui ayant dit que si elle ne se révoquoit, on la
livreroit à la justice séculière, elle respondit qu'elle n'avoit
rien fait de mal, qu'elle croyoit aux douze articles de la foy
et aux dix. commandements de Dieu, et adjousta qu'elle se
rapportoit à la Cour romaine et qu'elle vouloit croire tout ce
que l'Eglise croyoit. Que nonobstant tout cela, elle fut con-
trainte de se révoquer et disoit souvent aux docteurs qui la
pressoient : — Vous avez bien de la peine à me séduire. Et
que pour éviter le péril, elle estoit contente de faire tout ce
qu'ils vouloient. Et qu'alors un secrétaire du Roy d'Angle-
terre nommé Laurent Calot, tira de sa manche un petit
papier escrit qu'il donna à la Pucelle pour le signer, Et elle
respondit ne savoir lire ni escrire. Ce nonobstant, il la pressa
de signer, et elle, comme se moquant prit la plume et fit
quelque rond : et ledit Laurent Calot prit sa main et lui fit
faire un certain seing duquel il ne se peut souvenir. Pour lui
déposant, cette fille doibt estre en paradis.
Ce tesmoin allègue maistre Nicolas lAIidy pour maistre Guil-
laume Erard; car celui-ci fust celui qui fit le sermon du cime-
tière Saint-Ouen, quand la Pucelle fut contrainte de se rétrac-
ter, et maistre Nicolas Midy fit le sermon lorsqu'elle fut
exécutée à mort ^
1. L'observation de Richer ne prouve nullement que Nicolas Midy
n'ait pas tenu à la Pucelle le langage rapporté ci-dessus, L'évêque de
248 K. aiCHKU. — LA l'I'CCLI.E U UHLEAN»
18° Colette, femme de Pierre Milet, greffier des Esleus de
Paris, âgée de cinquante-six ans, tesmoigne de ce qui s'est
passé à la levée du siège d'Orléans, où elle estoitlors, et voyoit
souvent la Pucelle qui parlait ordinairement de Dieu, de piété
et dévotion ; et asseure qu'auparavant daller assaillir les
bastilles de Saint-Loup, de Saint-Jean-le-Blanc, des Augus-
tins, etc., elle lit crier par les héraults qu'on ne fist aucun tort
aux églises ; que ses gestes étoient miraculeux.
19° (Voir la note 1).
iiO° Maistre Aignan Viole, licencié aux loix, advocat au
Parlement, âgé de cinquante ans, tesmoigne semblablement
de la levée du siège d'Orléans comme dessus ; que la Pucelle
alloit souvent à confesse, recepvoit le saint sacrement en
grande dévotion, etc.
[Enqukte faite a Rouen en 1456 et témoins entendus]
Ensuit autre production des informations faites à Rouen
par messieurs l'Archevesque de Rheims, l'évesque de Paris
et frère Jean Bréhal, inquisiteur de la foy, laquelle informa-
tion fut commencée le seiziesme décembre 14oo, st continua
jusqu'au dix-neufviesme may 1456, partie pour les dits sieurs
conjointement, partie aussi séparément paur l'inquisiteur de
la foy : en laquelle dix-sept tesmoins ont déposé sur les
trente-trois articles proposez par maistre Guillaume Prévos-
teau, procureur des parents de la Pucelle et Simon Chapi-
tault, promoteur en ce procez. Voyez le chapitre iv.
[1. Déposition de Pierre Migiet. prieur de Longueville-Giffard,
de l'ordre de Cluny].
Premièrement, frère Pierre Migetii, docteur en théologie,
Beauvais avait indiqué à chacun de ses afiîdés le rôle qu'ils devaient
jouer pour emporter l'abjuration de la Pucelle. Nicolas Midy était un
de ces ai'fidés.
• 1. E. Richerpasse sous silence la déposition de Pierre Milet, mari de
la femme Colette, dix-huitiesme témoin. PieiTe Milet serait donc le dix-
neuvième CVoii' .1. QuicHEUAT, Procès, t. III, p. 123-125).
l'ItOGKS DE HEVISION ET KICH AUILITATION 249
prieur du prieuré de Longueville-GilTard, de l'ordre de Cluny
au diocèse de Rouen, âgé de septante ans, lequel assista au
procez de la Pucelle, asseure qu'il lui semble qu'elle avoit
respondu catholiquement et prudemment des choses concer-
nant la foy, mesme attendu son âge, sa condition, etc. ;
qu'elle estoit grandement simple et croit que si elle eust esté
en sa liberté, elle eust esté autant bonne catholique que toute
autre personne : et a ouy dire que c'estoit elle qui avoit ins-
tamment demandé qu'elle pust recepvoir le corps de Nostre-
Seigneui- auparavant que de mourir. Et le jour qu'elle fut
livrée à la justice séculière, qu'elle cria et implora haulte-
ment et par plusieurs fois le nom de Jésus : ce qui émeut à
compassion plusieurs personnes, et lui déposant se retira
pleurant, ne pouvant voir un tel spectacle, comme aussi plu-
sieurs autres pleurèrent, et principalement l'évesque de Thé-
rouane et le cardinal d'Angleterre.
Quant au cinquiesme article, a déposé qu'il avoit assisté au
procez contre la Pucelle ou à la plus grande partie, et aux
consnltations, et qu'il a entendu parler de certaines informa-
tions faites au païs de la Pucelle, lesquelles il n'a jamais veues
et ne les a pas entendu lire.
Pour le sixiesme a déclaré qu'il voyoit — comme aussi les
effets qui en sont ensuivis l'ont fait voir — que les Anglois
portoient une inimitié mortelle à cette fille et désiroient sa
mort sur toutes choses, d'autant qu'elle avoit secouru le Roy
de France ; et comme il a ouy dire à un gentilhomme anglois,
ils la craignoieut plus que cent honimee armez, et disoient
qu'elle usoit de sorcelerie, et la craignoient à cause des vic-
toires qu'elle avoit remportées sur eux. Et estime ledit dépo-
sant que ce procez n'a esté fait qu'à la poursuite et sollicita-
lion des Anglois qui l'ont toujours détenue prisonnière, sans
vouloir jamais permettre qu'elle fust aux prisons ecclésias-
tiques.
Davantage : qu'après le premier sermon qui fut fait à
Saint-Ouen, comme on l'advertissoit de se rétracter, et qu'elle
différoit et ne vouloit le faire, un certain ecclésiastique
Anglois reprocha à l'évesque de Beauvais qu'il favorisoit
cette fille : et l'évesque lui repartit qu'il avoit menti. Que lui-
2y0 E. RICHER. — h\ l'UCELLK D ORLÉANS
mesme déposant fut déféré au cardinal d'Angleterre comme
favorisant cette fille : de.quoy il s'excusa envers ledit car-
dinal, craignant qu'on entreprit quelque chose contre sa per-
sonne. Et n'y avoit aucun qui eust osé donner conseil à cette
fille. Et croit qu'aucun des juges n'estoient du tout libres :
toutes fois que les autres assisloient à ce procezde leur propre
volonté. Et lui semble, attendu la grande haine que les Anglois
portoient à cette fille, que tout le procez et conséquemment
les sentences intervenues en icelui sont injustes, et que fout
cela ne tendoit qu'au déshonneur et infamie du Hoy de France
qui avoit emploie cette fille.
Ouant au neufviesme article, il estime que cette fille pou-
voit avoir vingt ans; et elle estoit si simple qu'elle croyoit
que les Anglois la délivreroient moyennant quelque somme
d'argent et ne la feroient point mourir.
Pour le quinziesme et dix-septiesme, il se souvient que
cette fille a dit plusieurs fois que de tout ce qu'elle avoit dit
et fait, elle s'en remettoit à nostre saint Père le Pape et a pro-
testé ne vouloir rien tenir qui fust contraire à la foy catho-
lique, et que si en ses dits ou faits il y avoit quelque chose
qui fust contraire à la foy, elle le vouloit rejeter. Et a con-
fessé maintes fois expressément qu'elle se sousmettoit, et
tous ses dits et faits, au jugement de l'Eglise et de nostre
saint Père.
Sur le vingt-deuxiesme, asseure avoir ouy dire que durant
le procez il y avoit quelques-uns cachez derrière les rideaux
ou tapisseries, qui escrivoient les dépositions de la Pucelle ;
qu'il avoit entendu cela de maistre Guillaume Manchon,
notaire qui a escrit le procez, et que lui déposant s'en
plaignit aux juges, disant que cela estoit contre droit et
raison. Quant aux autres notaires, il croit qu'ils ayent
fidèlement exercé leurs charges. Au reste, qu'ayant esté
abandonnée à la justice séculière par les ecclésiastiques, les
Anglois armez s'en saisirent avec une grande furie et la
menèrent au supplice sans qu'au préalable il intervint aucune
sentence du juge séculier.
' Pour le vingt et deuxiesmc article, qu'il a ouy dire à Guil-
laume Manchon, l'un des notaires qui a instrumenté en ce
PROCÈS DE REVISION ET REHAHILITATION 251
procez, que maistre .Nicolas Loyscleur faisoit semblant
d'estre prisonnier et tenir le parti du Roy de France, et alloit
de nuit à cette fille, lui disant qu'elle persistast en ses
dépositions, et que les Anglois ne lui oseroient rien faire.
Quant à rhabillement d'homme quelle a repris, il estime
qu'on n'a pu ni du la condamner pour cela comme hérétique,
au contraire que ceux qui l'auroient jugé telle pour cela
debvroient eux mesnies estre tenus pour hérétiques. Au reste,
que plusieurs qui avoient assisté à ce procez estoient fort
courroucez, et que c'estoit la voix commune que ce juge-
mentestoit inique et meschant.
[2. Déposition de Guillaume Manchon K notaire principal
du procez].
Maistre (îuillaume Manchon, notaire apostolique de la cour
archiépiscopale de Houen et curé de l'église paroissiale de
Saint-Nicolas de Rouen, âgé de soixante ans, dit avoir esté
esleu notaire par l'évesque de Beauvais au procez contre la
Pacelle, avec un autre nommé Guillaume Bosguillaume.
Et lui ayant esté représenté le procez qu'il avoit délivré à
messieurs les juges commis par le Saint-Siège en vertu d'un
compulsoire, il recognut ledit procez estre celui-là mesme
que lui et ses compagnons avoient signé et qu'il contenoit la
vérité, ainsi qu'il disoit, asseurant qu'ils en avoient escrit
deux autres avec celui-là, desquels l'un fut donné à frère
Jean Magistri, inquisiteur de la foy, l'autre au Roy d'Angle-
terre, et le troisiesme à l'évesque de Beauvais. Que les dits
procez avoient esté faits sur une minute originale francoise,
laquelle ledit Manchon disoit avoir mise entre les mains des
juges susdits et l'avoir escrite de sa propre main. Que lesdits
procez ont esté longtemps après la mort de la Pucelle faits
de françois en latin selon la forme qu'on les voit aujourd'huy.
1. Dans ces pages, comme dans celles qui nous font entendre Pierre
Migiet, Jean Massieu, Jean Fabri et frère Martin l.advenu, Riclier
résume les d«3positions multiples de ces témoins. Car Manchon et Mar-
tin Ladvenu deposènnt à toutes les enquêtes, c'est-à-dire quatre fois.
J. Massieu et P. Migiet trois fois, J. Fabri et fr. Isambert deux fois.
252 E. lUCllKll. LA l'UCKLLE D URLKANS
par maislre Thomas de Courcelles et. lui qui parle, le mieux
et utilement qu'il a esté possible, et que ledit de Courcelles
ne s'est guère mesié mesme aux faits licites de ce procez.
La minute françoise originale ayant esté représentée au
dit Manchon, on lui demanda que vouloient dire certaines
notes faites au commencement de plusieurs articles et à quoy
elles servoient. Respondit qu'aux premiers interrogatoires
faits à la Pucelle on fit un grand tumulte, qu'on l'interrogea
en la chapelle du chasteau de Rouen, de sorte qu'on interrom-
pit cette fille presque a chacun mot qu'elle disoit parlant de
ses apparitions. Et pour ce qu'il y avoit la deux ou trois secré-
taires du Roy d'Angleterre qui faisoit registre comme bon
leur sembloit, omettans les dépositions et excuses de cette
fille, et tout ce qui servoit à sa descharge, lui déposant s'en
plaignit disant que si on ne donnoit autre ordre en ce procez,
il ne prendroit pas la charge de l'escrire. Et cela fut cause
que le lendemain on changea de lieu et s'assembla-t-on en
une salle du chasteau de Rouen auprès de la grande salle, et
y avoit deux Anglois qui gardoient la porte; et quand il sur-
venoit quelques difficultez sur les responses de cette fille, lui
qui parle faisoit une marque au commencement de l'article.
Et c'est ce que les dites marques dénotent en cette minute
françoise.
Au reste, que celte fille lui sembloit fort simple, encore
qu'elle respondit aucunes fois bien prudemment et d'autres
fois fort simplement, ainsi qu'on peut juger par le procez. Et
croit qu'en une aussi difficile cause elle n'estoit suffisante de
soy-mesme pour se deffendre contre tant de docteurs si elle
n'eust esté inspirée. Or de dire si elle a vescu catholique-
ment, ne l'ayant cognue sinon depuis le procez, il n'en peut
parler : bien sçait-il que durant ledit procez il l'a entendue
souventes fois demander qu'on lui fist ouyr la messe les
dimanches et jour des Rameaux et de Pasques, et qu'elle
demanda à Pasques d'estre confessée et de recepvoir le corps
de Nostre-Seigneur. Et toutes fois on ne lui permeltoit [pas]
de se confesser sinon à maislre Nicolas Loyseleur, et se plai-
gnoit grandement de ce qu'on lui refusait cela.
Qantaux informations dont est parlé au cinquiesme article.
PIIOCES DE REVISION ET REHABILITATION 253
dit ores qu'il soit fait mention au procez que les juges en
avoient fait faire, il ne se souvient pas de les avoir vues ni
lues, et asseure que si elles eussent esté produites, il les eust
registrées au procez.
Pour le sixiesme article, dit estre bien certain que si la
Pucelle eust esté du parti anglois, ils ne l'eussent pas traitée
ainsi qu'ils ont fait, et qu'elle fust amenée à Rouen pour lui
faire son procez, et non à Paris : d'autant que le Roy d'Angle-
terre et sesprincipax conseillers estoient à Rouen. Et que lui
qui parle fust contraint d'escrire en ce procez, ce qu'il fit
malgré lui, n'osant contredire à messieurs du Conseil d'Angle-
terre. Que tout ce procès a esté fait à leur poursuite et dépens.
Ou'il croit bien que l'évesque de Beauvais et son promoteur
y ont travaillé volontairement et de leur bon gré : quant aux
assesseurs et conseillers, il estime qu'ils n'eussent pas osé
contredire, et n'y avoit aucun qui ne fust en très grande
crainte; que lui déposant remontra maintes fois qu'il falloit
mettre cette fille aux prisons ecclésiastiques, mais qu'on n'en
tint pas compte; et pense que les Anglois et l'évesque de
Beauvais ne vouloient pas qu'elle fust ailleurs qu'au chasteau
de Rouen, et n'y avoit aucun conseiller qui en osast parler.
Comme on travailloit à ce procez, maistre Jean Lohier
estantvenuàRouen, l'évesque de Beauvais lui ayant demandé
son advis sur ledit procez, ne sçait pas ce qu'il respondit au
dit évesque, pour ce qu'il n'estoit lors présent ; mais le len-
demain ayant rencontré ledit Lohier à l'église et demandé
s'il avoit vu ce procez, il respondit l'avoir vu et qu'il estoit nul
et ne se pouvoit soustenir pour ce que cette fille n'estoit aux
prisons de l'église, mais en un chasteau et lieu non asseuré et
libre pour les conseillers, assesseurs, praticiens. Davantage :
qu'en ce procez plusieurs personnes estoient intéressées les-
quelles on n'avoit fait appeler, et que cette fille n'avoit aucun
conseil. Dit encore plusieurs autres moyens et raisons de nul-
lité, et qu'il voyoit bien que leur dessein estoit de faire
mourir cette fille. Et Lohier asseura ledit déposant qu'il sorti-
roit de Rouen, comme il fit, se retirant hors des terres qui
obéissoient à l'AngloiSj.et est chose certaine qu'il n'y eust
pas osé demeuré davantage.
254 E. RICHEll. — LA POCELLE d'oRLÉANs
Or, deux ou trois jours après, les docteurs et conseillers
que l'évesque de Beauvais avoient appelez à ce procez, lui
ayant demandé si ledit Lohier avoit parlé à lui, il leur res-
pondit que oui, mais qu'il avoit voulu rendre leur procez
interlocutoire et l'impugner, et qu'il ne faisoit rien pour lui.
Dépose davantage que maistre Jean de la Fontaine ayant
esté envoyé par l'évesque de Beauvais pour faire certains
interrogatoires à la Pucelle en la prison, avec frère Isambert
de la Hoche et Martin Ladvenu, et iceux. l'ayant voulu induire
à se sousmettre à l'Église, cela estant venu à la cognoissance
du comte de Warwic et de l'évesque de Beauvais, ils furent
mal contents et ledit de la Fontaine se retira de Rouen et n'y
retourna plus, et les deux autres qui l'avoient assisté furent
en grand péril. Comme pareillement maistre Jean de Houp-
peville ayant esté sommé d'assister au procez et l'ayant refusé,
comme aussi Jean 3Iagistri, inquisiteur, lequel refusa tant
qu'il put de s'y trouver et estoit bien marry d'y assister.
Davantage : que maistre Jean de Ghastillon ayant dit que
cette fille n'estait pas tenue de respondre à certains interro-
gatoires qu'on lui faisoit, et à quelque chose dont il ne se
ressouvient, cela déplut grandement à l'évesque et à quel-
ques autres passionnez et ce fut un grand tumulte, l'évesque
ayant dit au dit de Ghastillon qu'il se teusl et laissast parler
les juges. Se souvient aussi que quelque autre voulant don-
ner conseil à cette fille, et l'advertissant de se sousmettre à
l'Église, l'évesque lui dit: Taisez-vous de par le diable. Outre
plus, un jour quelqu'un ayant parlé de cette fille eh termes
qui ne plaisoient pas au comte de Staffort, ce seigneur tira
son espée et poursuivit celui qui avoit ainsi parlé, l'espée
au poing, pour le frapper — ne se souvient de son nom, —
et 1 eust frappé de fait, n'eust esté qu'on remonstra au comte
de Staffort que le lieu où se tenait l'assemblée estoit sacré et
doué d'immunité.
On demanda au déposant qui estoient ceux qui sembloient
passionnez en ce procez. Respondit : les docteurs Beaupère,
Midy et de Turonia.
Sur le neufviesme article a respondu qu'une fois il estoit
entré en la prison avec l'évesque de Beauvais et le comte de
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 255
Warwic pour voir cette fille : laquelle ils trouvèrent ayant les
fers aux pieds, et lors, qu'on lui dit que de nuit elle esloit
enchaînée par le corps à une chaîsne de fer, et ne l'a pas vue
en cet état : qu'en ladite prison il n'y avoit aucun lit, mais
seulement quatre ou cinq misérables hommes qui la gar-
doient.
Pour le onziesme, douziesme, treiziesme et quatorziesme
articles, dépose, après que lui et Bosguillaume eurent esté
nommez pour notaires audit procez, que le comte de Warwic,
lévesque de Beauvais et maîstre Nicolas Loyseleur dirent à
lui déposant et à son compagnon que cette fille parloit avec
admiration de ses révélations, et que pour en sçavoir et
cognoîstre plus pleinement la vérité, ils avoient advisé que
le dit Loyseleur iroit à elle, feroit semblant estre du parti du
Roy et entreroit en la prison ayant un court habillement, et
que les gardes se retireroient, et qu'il seroit en une prison
proche de celle où estoit cette fille en laquelle avoit esté fait
tout exprès un trou, et qu'il falloit que le dit déposant et son
compagnon se trouvassent la lorsque ledit Loyseleur parleroit
à cette fille, pour escrire ce qu'elle diroit : ce qu'ils firent,
présent le comte de Warwic, et ne pouvoient estre vus par
cette fille. Qu'alors Loyseleur commença à l'interroger,
feignant quelque nouvelle de Testât du Roy et de ses révéla-
tions. Et Jeanne lui répondait, estimant qu'il fust du parti du
Roy de France et de son païs. Et que l'évesque et le comte de
Warwic ayant dit au déposant et à son compagnon
qu'ils fissent registre de ce que cette fille avoit dit, le dépo-
sant respondit qu'ils ne le debvoient pas faire, et que cela
n'estoit de raison ni de justice de commencer au pro-
cez par un tel moyen; qui si procédant juridiquement,
elle disoit ces choses-là, volontiers ils en tiendroient registre.
Et que depuis ce temps-là cette fille s'estoit fort fiée audit
Loyseleur lequel, après telles fictions, l'a mainte fois enten-
due de confession : et jamais n'estoit amenée en jugement
que le dit Loyseleur n'eust auparavant parlé à elle.
Au reste, durant tout le procez qu'ils la travailloient gran-
dement, lui faisans des interrogatoires qu'ils continuoient au
matin par trois et quatre heures sans aucune intermission ;
256 E. RICIIER. \.\ PIJCELLE D ORLÉANS
et quelquefois colligeoient auparavant certaines difficiles et
subtiles interrogations pour l'interroger après midi par deux,
ou trois heures, la transportans d'un interrogatoire à l'autre,
changeans subitement la proposition. (Jue nonobstant cela,
elle respondoit prudemment et avoit une merveilleuse mé-
moire, disant souventes fois ; Je vous ai desjà respondu sur
cette matière et m'en rapporte au clerc qui escrit ; parlant
de lui déposant.
Quant au vingtiesme et vingt et uniesme articles, enquis
pourquoy l'on n'a [pas] plus tost fait les délibérations sur les
articles du promoteur D'Estivet produits au procez que sur
les douze articles envoyez à l'Université de Paris, etc.,
respond que les docteurs qui furent appelez de Paris en
avoient esté d'advis et disoient que c'estoit la coustume de
faire un bref extrait de tous les articles et responses et les
réduire à peu d'articles contenans les principales matières,
afin qu'on pust délibérer plus aysément et facilement.
Interrogé comment il s'est pu faire qu'on aye réduit en
douze articles une si grande et différente multitude de matières
et confessions de ladite Jeanne, vu qu'il n'est vraysemblable
que tels et si doctes personnages eussent voulu composer ces
douze articles, réplique que de cela il n'en peut que dire et
s'en rapporte à ceux qui ont composé les dits douze articles,
lesquels il ne cognoist pas, et n'eustpoint osé leur contredire.
Que le procez escrit en français contient la vérité de tous les
interrogatoires et articles donnez par le promoteur et les
juges, ensemble les responses de Jeanne.
On montra lors audit déposant une certaine note qu'il avoit
faite et escrite de sa main, ainsi qu'il recognut, et furent
pareillement appelez Bosguillaume et Nicolas Taquel pour
recognoistre ladite note datée du quatriesme avril 1431. En
laquelle note au procez escrit en françois est discrètement
porté que les dits douze articles n'estoient [pas] bien faits, mais
avoient esté en partie extraits des confessions de Jeanne, et
pour cette cause debvoient estre corrigez. Et semble qu'on
ait adjousté en ladite minute françoise quelques corrections,
et qu'on aye effacé et osté quelque chose. Et toutes fois ces
douze articles n'ont pas esté corrigez suivant ce qui est porté
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 257
en la dite note. Et pour ce subject, les dits trois notaires,
sçavoir Manchon, Bosguillaume et Taquel interrogez respon-
dent qu'ils croient ladite note avoir esté escrite pour ce qu'il
auroit esté appointé et ordonné que lesdits articles seroient
corrigez, et toutes fois n'ont pas mémoire qu'ils l'ayent esté.
On leur demanda pourquoy ils n'avoientpas esté corrigez, et
qui lavoit empesché, et pourquoy ils les avaient registrezau
procez et en la sentence sans estre corrigez, et s'ils ont esté
envoyez corrigez ou sans correction à ceux qui ont délibéré
sur iceux articles. Lesquels trois notaires ont recognu et con-
fessé que la dite note estoit escrite de la main de Guillaume
Manchon, déposant, et qu'ils ne sçavent qui a fait les dits
douze articles. Bien se souviennent qu'on dit lors, que c'estoit
la coustume de coUiger tels articles de la confession de ceux
qui estoient accusez, et qu'on avoit coustume d'en user ainsi
à Paris aux matières de la foy et d'hérésie ; et croient que les
dits articles ont esté envoyez aux délibérans sans estre corri-
gez. Déposent aussi que les délibérations n'ont pas esté faites
sur tout le procez, pour ce qu'il n'estoit pas encore réduit en
forme, et qu'il n'a esté rédigé en latin qu'après la mort de la
Pucelle; et que les délibérations ont esté faites seulement sur
les douze articles, lesquels n'ont pas esté lus à la dite Jeanne,
et qu'il a plu ainsi aux juges ausquels ils n'eussent pas osé
contredire.
Sur le vingt-deuxiesme article dépose que, au commence-
ment du procez, il y avoit quelques notaires cachez vers une
fenestre, et y avoit des rideaux ou tapisseries au-devant afin
qu'on ne les apperceut [pas] ; et croit que maistre Nicolas
Loyseleur estoit avec eux et voyoit ce que les dits notaires
cachez escrivoient, lesquels omettoient les excuses de cette
fille. Quant à lui déposant, il estoit aux pieds des juges avec
Guillaume Colles et le clerc de maistre Jean Beaupère qui
escrivoient ensemblement. Et y avoit une grande différence
entre l'escriture des notaires cachez et celle des notaires qui
estoient aux pieds des juges : à raison de quoy il y avoit sou-
vent grande contention entre eux, et pour cette cause lui
qui parle faisait des marques sur les articles contentieux afin
qu'on interrogeast derechef cette fille.
17
2o8 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLÉANS
Sur les vingt-lroisiesme, vingl-quatriesme, vingt-cin-
quiesme et vingl-sixiesme articles, tesmoigne quand la pre-
mière sentence fut prononcée pour induire Jeanne à sa rétrac-
tation, qu'on lui donna maistre Nicolas Loyseleur qui lui disoit
que si elle vouloit estre sauvée, elle fist tout ce qu'on lui
ordonneroit, qu'autrement elle estoit en danger de sa vie :
que si elle obéissoit, elle seroit délivrée à l'Eglise qui la trai-
teroit doucement. Et qu'alors un Anglois qui estoit au bout
du théâtre sur lequel estoientles ecclésiastiques, dit à l'éves-
que de Beauvais qu'il estoit un traistre : el l'évesque respon-
ditqu'il en avoit menti. Et que pendant cela Jeanne dit quelle
estoit preste de faire ce que l'Eglise lui commanderoit, et
qu'alors on lui fit prononcer ce formulaire d'abjuration qu'on
lui lut; et après la lecture, tout en riant, elle dit qu'elle
disoit la niesme chose. Et alors le bourreau estoit prest et
s'attendoit qu'on la lui deust délivrer pour la brusler. Et a
dit ne se point souvenir qu'on lui ayt expliqué ledit formu-
laire d'abjuration, ni mesme qu'on le lui ayt lu, sinon lors-
qu'on le lui présenta pour faire ladite abjuration.
Quant au vingt-septiesme article, confesse devant le pro-
cez avoir entendu Jeanne se plaindre à l'évesque de Beauvais
et au comte de Warwic, quand on l'interrogeoit pourquoy
elle ne se vestoit en femme, etc., disant qu'elle n'osoit oster
son haut-de-chausse ni se deseguilleter ; qu'ils sçavoient
bien que ceux qu'ils lui avoient donnez pour gardes l'avoient
voulu violer, et qu'une fois, comme elle crioit, ledit comte
estoit venu à sa clameur et à son ayde ; que s'il ne fust venu,
ils l'eussent violée.
Pour les autres articles a déposé que, le dimanche de la
Trinité, lui qui parle fut mandé avec ses autres compagnons
conotaires par le comte de AVarwic pour venir au chasteau
de Rouen, pour ce qu'on disoit que Jeanne estoit relapse et
qu'elle avoit repris son habit d'homme. Et estans arrivez en
la cour du chasteau de Rouen, ils rencontrèrent cinquante
Anglois armez qui dirent au déposant et à ses compagnons
qu'ils estoient des traistres et qu'ils avoient mal fait le pro-
cez : de sorte qu'ils eurent bien de la peine à évader de leurs
mains, les voulans outrager ; et pense que c'estoit à cause
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 259
que Jeanne n'avoit point esté brusie'e dès la première sen-
tence. Que pour cette cause le comte de Warwic et l'évesque
ayant mandé le déposant le lundi suivant pour aller au chas-
leau de Rouen, il demanda seureté, et le firent conduire jus-
qu'en la prison où il trouva lesjuges et aucuns des conseillers
et assesseurs en fort petit nombre. Et que Jeanne ayant esté
interrogée pourquoy elle avoit repris son habillement
d'homme, respondit que c'estoit pour conserver sa pudicité,
et qu'elle n'estoit asseurée portant un habit de femme, que
ses gardes avoient tasché de la violer et qu'elle s'en estoit
plainte maintes fois à l'évesque de Beauvais et au comte de
Warwic : que les juges lui avoient promis qu'elle seroit mise
entre les mains et aux prisons de l'Eglise et qu'elle auroit
avec soy une femme : disant aux juges que s'il leur plaisoit
de la mettre en un lieu asseuré où elle ne craignist rien,
qu'elle estoit preste de s'habiller en femme ; et asseuroit
n'avoir point entendu [compris] le formulaire d'abjuration
qu'on lui avoit proposé ; que tout ce qu'elle avoit fait estoit
crainte du feu, voyant le bourreau tout prest avec sa char-
rette. Et sur cela les juges et conseillers délibérèrent. De
sorte que l'évesque présenta et prononça une seconde sen-
tence le mercredi, ainsi qu'il est plus à plein contenu au
procez.
Le déposant fut interrogé si on avoit administré le saint
sacrement, à la Pucelle. Et respondit que oui, le mercredi
mesme au matin, avant qu'on prononoast ladite sentence
contre elle.
Enquis pourquoy ils lui avoient fait administrer le saint
sacrement, vu que par leur sentence ils la déciaroient excom-
muniée et hérétique, et si elle avoit esté absoute en la forme
de l'Eglise auparavant que de recepvoir le corps de Nostre-
Seigneur, a respondu que Jeanne ayant demandé qu'on lui
administrast le saint sacrement, les juges et conseillers déli-
bérèrent, à sçavoir si on le lui debvoit donner, et qu'elle
debvoit estre absoute au parquet de la pénitence ; toutes fois
qu'il ne vist point qu'on lui donnast aucune autre absolution.
Adjousta qu'après la sentence prononcée par l'évesque de
Beauvais, le bailly de Rouen dit seulement sans aucune
260 E. RICHER. LA PUCELLE d'ORLÉANS
forme de procez ni de sentence : Menez-la, menez-la. Ce que
Jeanne ayant entendu, elle fit tant de pieuses lamentatations
et prières, que presque tous les assistans pleiiroient et
mesme les juges. Que pour son regard, il fut un mois entier
en une perpétuelle terreur, et sçait qu'elle a fait une fin
vrayment catholique, ainsi que tout le monde en jugeoit à ce
que Ion voioit. Et jamais ne voulut révoquer ses révélations,
mais y persista jusqu'à la fin, etc. Que de l'argent qu'il eut
pour ses salaires il en acheta un missel pour avoir
mémoire d'elle et prier Dieu pour elle, disant la messe. Et
ladite déposition lui ayant esté relue, il y persista entière-
ment.
[3. Déposition de Jean Massieu. prestre, huissier au procez.]
Maistre Jean Massieu prestre, curé de l'église paroissiale
de saint Candide-le-Vieil à Rouen, âgé de cinquante ans a
déposé, quand on fit le procez à la Pacelle, qu'il fut nommé
par l'évesque de Beauvais pour exéquuteur de ses comman-
dements et ordonnances durant ledit procez, et qu'il estoit
lors Doyen de chrestientéà Rouen, et faisoit sçavoir aux con-
seillers les jours et heures qu'on travailloit au procez pour y
assister, qu'il y amenoit Jeanne de la prison et par après l'y
ramenoit, et l'a tousjours assistée de cette façon jusqu'au jour
et heure de son supplice, et qu'il avoit pour cette cause une
grande familiarité avec elle. Qu'à la voir, on jugeoit qu'elle
estoit bonne, simple et dévote fille. Qu'un jour la menant
devant les juges, elle lui demanda s'il n'y avoit point sur le
chemin par ou ils passoient quelque chapelle dans le chasteau
de Rouen où le corps de Nostre-Seigneur reposast; et lui ayant
dit que oui, elle le pria instamment de la mener en cette cha-
pelle pour adorer Dieu et faire ses prières : comme il l'y mena
volontiers, où elle fit dévotement ses prières à genoux. De
quoy toutes fois l'évesque de Beauvais fut mal content et def-
fendit à lui qui parle de plus la mener là pour prier Dieu.
Que le bruit couroit que tout ce que faisoit l'évesque de
Beauvais estoit à l'instigation des Anglois qui craignoient
grandement cette fille, et croit que ledit évesque ne faisoit
l'UUCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 261
rien pour zèle de justice, mais pour plaire aux Anglois qui
estoient lors en grand nombre à Rouen où mesme ils aVoient
fait venir le Roy d'Angleterre. Que les conseillers^ se plai-
gnoient que cette fille estoît entre les mains des Anglois,
disans qu'elle debvoit estre entre les mains de l'Eglise : de
quoy ledit évesque ne se soucioit point et la laissoit entre les
mains des Anglois, pour ce qu'il estoit passionnément affecté
à leur parti. Que plusieurs des conseillers estoient en grande
crainte et privez de leur liberté : que Maistre Nicolas de Houp-
peville fut banni pour n'avoir voulu assister au procez, et
plusieurs autres desquels il ne se souvient. Que maistre Jean
Fabri, de l'ordre des Augustins, qui est aujourd'huy évesque
de Démétriade, voyant qu'on travailloit cette fille, lui pro-
posant des interrogatoires [tels que] si elle estoit en estât de
grâce ; et encore qu'elle eust respondu à son jugement fort à
propos, attendu qu'on continuoit tousjours à la molester, il
dit que c'estoit par trop la travailler. A raison de quoy on
lui dit qu'il se tust. Ne se souvient pas qui ce fust; sçait
bien que l'abbé de Fescamp avoit dit qu'il lui sembloit qu'on
procédoit contre cette fille plus tost par haine qu'on lui portoit
et pour estre agréable aux Anglois, que pour zèle de justice.
Que Maistre Jean de Chastillon, lors archidiacre d'Evreux,
ayant dit à lévesque et aux assistans que le procez à la façon
qu'on le faisoit estoit nul (ne sçait pas quels moyens il pro-
posa), il fut deffendu au déposant de plus appeler au juge-
ment de ce procez ledit de Chastillon, et depuis il n'y assista
point. Semblablement aussi maistre Jean de la Fontaine fut
contraint de s'absenter pour avoir dit quelque chose contre
la forme de procéder de l'évesque de Beauvais. Et maistre
Jean Magistri fît tout ce qu'il put pour n'y point assister :
mais aucuns de ses amis lui avoient fait sçavoir que s'il n'y
assistoit, il estoit en danger de sa vie, et lui déposant asseure
avoir plusieurs fois ouy dire audit Magistri, qu'il avoit esté
contraint par les Anglois et que si l'on ne faisoit tout ce qu'ils
vouloient, on estoit en danger de sa vie. Que lui qui parle
ayant un jour esté interrogé ce qu'il pensoit de Jeanne par
1. Dans la bouche de J, Massieu conseillers signilie assesseurs.
202 E. lUCHEU. — LA l'UCELLE D UHLEANS
un chanlre de la chapelle du Uoy d'Angleterre nommé Anque-
til, et ayant respondu qu'il ne cognoissoit en elle que tout
bien et qu'elle lui sembloit une bonne femme, ledit chantre
ayant rapporté cela au comte de Warwic, lui déposant en fut
en grand'peine et fit ses excuses du mieux qu'il pust.
Sur le septiesme article, outre ce qu'il a desja déposé, con-
fesse que durant le procez Jeanne ayant dit à l'évesque de
Beauvais qu'il estoit son adversaire, l'évesque respondit :
Puisque le Roy avoit ordonné qu'il lui fist son procez, qu'il
le feroit.
Pour le huictiesme et neufviesme, tesmoigne que Jeanne
estant en prison avoit les fers aux pieds, et davantage estoit
enchaisnée d'une chaisne de fer attachée à un poteau, que
tout cela fermoità la clef, et en outre qu'il y avoit cinq hous-
paillers anglois qui la gardoient, désirans sa mort et se
moquans d'elle, de quoy elle les reprenoit. De plus asseure
avoir ouy dire à Estienne Gastille, serrurier, qu'il avoit fait
une cage de fer en laquelle on la mettoil toute liée, et qu'e'le
avoit esté en cette cage au chasteau de Rouen jusqu'cà ce
qu'on commence son procez. Dit toutes fois ne l'avoir pas
vue en cet estât, et que quand il l'alloit quérir pour l'amener
en jugement et la ramenoit en la prison, elle n'avoit pas les
fers aux pieds pendant tout ce temps-là, et qu'en la prison
où elle estoit y avoit un lit^
Pour le dixiesme article, asseure qu'il sçait bien qu'elle a
esté visitée par des matrones et des sages-femmes pour sça-
voir si elle estoit vierge ou non, et que ce fut la duchesse de
Bethfort qui la fit visiter, et principalement par Anne Bavon
et une autre matrone de laquelle il a oublié le nom, et que
ces matrones rapportèrent qu'elle estoit vierge, et qu'il l'a
ouy dire à ladite Anne Bavon, et que pour cette cause la
duchesse de Bethford fit deiîendre à ses gardes et à tous
autres de lui faire aucune violence ni injure.
1. Guillaume Manchon a dit plus haut que dans la prison de Jeanne
quand il la vit, il n'y avait pas de lit. Le propos du serrurier Castiile
rapport»; par J. Massiou confirme la remanfue de G. Manchon. De ce
qu'ajoute J. Massieu, il s'ensuiviait que dès le commencement des dé-
bals, on supprima la cage de 1er et on donna un lit à la prisonnière.
l'ROCKS DE REVISION ET RKHA HIMTATIoN 2(J3
Ouant aux onziesme, douziesme, treiziesme et quator-
ziesme articles, dit lorsqu'on interrogeoit cette fille qu'il y
avoit six assistans', outre les juges qui l'interrogeoient, et
d'autres encore; et qu'en l'interrogeant, elle respondait à la
demande qu'on lui faisoit, et qu'un autre interrompoit quel-
quefois sa response : de sorte que souvent elle disoit à ceux
qui l'interrogeoient : Beaux seigneurs, faites l'un après
l'autre.
Sur le dix-septiesme, dit l'avoir oiiy plusieurs fois interro-
ger si elle vouloit se sousmettre à l'Eglise, et responda
qu'elle se sousmettoit au Pape. Et que le commun bruit estoit
que maistrc Nicolas Loyseleur, alloit à elle en habit desguisé
feignant d'estre de son païs des quartiers de Lorraine, pri-
sonnier, et du parti du Roy de France, comme elle; et qu'il
lui persuadoit par ce moyen de dire et faire plusieurs choses
à son désavantage pour l'empescher de se sousmettre à
l'Eglise.
Quanta l'abjuration qu'on lui a fait faire, tesmoigne incon-
tinent que maistre Guillaume Erard eust fait la pre'dication
à Saint-Ouen, qu'il représenta un formulaire d'abjuration et
dit à Jeanne qu'il falloit qu'elle fist et signast cette abjura-
tion ; et bailla le formulaire au déposant pour le lire à
Jeanne, comme il fit. Qu'il se souvient qu'audit formulaire
estoit nommément escrit qu'à l'advenir elle ne porteroit plus
les armes, l'habillement d'homme, ni les cheveux tondus en
rond comme les hommes et autres choses dont il n'a mé-
moire. Bien sçait-il que ledit formulaire ne contenoit qu'en-
viron huit lignes tout au plus, et que ce n'estoit pas celui
qui est inséré au procez, ayant lu celui-là et non celui-cy.
Davantage, dépose que Jeanne ayant esté requise de signer
ce formulaire, il s'esleva un grand bruit entre ceux qui
estoient présents à cette action, et qu'il entendit l'évesque de
Beauvais disant à quelqu'un : Vous me ferez réparation de
cette injure ; et qu'autrement il ne poursuivroit pas davan-
tage le procez jusqu'à ce qu'on lui eust fait réparation. Que
1. Celte remarifue concerne en particulier les interrogatoires qui
eurent lieu dans la prison de l'accusée.
264 E. RICHER. LA l'UCELLK d'uRLÉANS
lui déposant advertissoit Jeanne du péril qu'elle pouvoit
encourir sur la signature dudit formulaire, voyant qu'elle
nentendoit pas le contenu d'icelui ni le péril auquel elle s'ex-
posoit. Et qu'alors estant fort pressée de signer ce formu-
laire, elle respondit qu'on le fit voir par des clercs et ecclé-
siastiques aux mains desquelles elle debvoit estre mise après
cette abjuration, et que s'ils la conseilloient de signer et faire
ce qui est porté par ce formulaire, elle le signeroit volontiers.
Ce qu'entendu par maistre Guillaume Erard, il dit à Jeanne
que si elle ne le signoit tout présentement, elle seroit le jour
mesme bruslée. A quoy elle respondit qu'elle aymoit donc
mieux le signer que d'estre bruslée. Qu'alors il s'éleva un
grand tumulte parmi le peuple assistant à ce spectacle et
jeta-t-on plusieurs pierres, nesçait pas qui ce fut. Et Jeanne,
après avoir signé, demanda au promoteur d'Estivet si elle ne
seroit pas mise entre les mains de l'Eglise et en quel lieu on
la debvoit ramener. Que le promoteur respondit : au chasteau
de Rouen. Où elle fut ramenée et y fut habillée en femme.
Sur le vingt-sixiesme article, recognoitque le dimanche de
la Trinité, Jeanne ayant esté accusée comme relapse, elle res-
pondit qu'estant couchée en son lit, ses gardes lui avoientosté
ses habillements de femme pour se lever et aller à la chaise
percée, et lui dirent qu'elle n'avoit point d'autre habit : et
leur ayant dit qu'ils sçavoient bien que les juges avoient
ordonné qu'elle portast un habillement de femme, néant-
moins qu'ils ne voulurent jamais lui donner d'autres habille-
ments, et que finalement pressée d'aller à ses affaires elle
avoit esté contrainte de prendre ledit habillement et que ce
jour-là n'avoit pu avoir d'autre habit de ses gardes. Et fut
vue avec cet habillement d'homme et à cause de cela jugée
relapse. Car, le jour de la Trinité, on fit venir en la prison
pour la voir en cet habit plusieurs personnes auxquelles elle
disoit ses excuses : et entre les autres, maistre André Mar-
guerie ayant dit qu'il estoit bon de sçavoir pourquoy elle
avoit repris cet habillement d'homme, il fut en péril de sa
vie parce qu'un Anglois le voulut frapper avec sa hallebarde;
ce qui fut cause que ledit Marguerie et plusieurs autres se
retirèrent de frayeur.
PROCÈS UE REVISION ET RÉHABILITATIOX 265
ToLiclianl la mort de Jeanne a déposé que le mercredi
au matin, c'est le jour où elle mourusl, frère Martin Ladvenu
l'entendit de confession et par après alla à l'évesque de Beaii-
vais lui notifier ce qu'il avoit fait, et qu'elle demandoit qu'on
lui administrast le saint sacrement. Que sur cela l'évesque
assembla quelques conseillers, par l'advis desquels l'évesque
donna charge à lui déposant d'aller dire à frère Martin Lad-
venu qu'il lui donnast le sacrement de l'eucharistie, et tout
ce qu'elle demanderoit. Et que lui déposant retourna au
chasleau dire audit Ladvenu ce que l'évesque avoit ordonné.
Et alors en la présence de celui qui parle, ledit Ladvenu com-
munia Jeanne, laquelle après cela fust menée en habit de
femme par lui déposant et ledit Ladvenu jusques au lieu où
elle fut bruslée.
Et en tout le chemin faisoit de si pieuses lamentations que
lui qui parle et frère Martin Ladvenu ne pouvoient s'abstenir
de pleurer : car elle recommandoit si saintement et pieuse-
ment son ame à Dieu et aux saints du paradis, que tous ceux
qui l'entendoient ne se pouvoient empescher d'espandre
des larmes. Et amenée qu'elle fut au Vieil Marché, maistre
Nicolas Midy ayant fait sa prédication, dit à Jeanne : Jeanne,
allez en paix, C Eglise ne vous peut plus deffendre et vous
abandonne au bras séculier.
Cequ'entendu, Jeanne se mit à genoux, faisant ses prières à
Dieu très dévotement, et requit le déposant de lui faire avoir
une croix : qu'alors un certain Anglois en fit une petite avec
un baston, laquelle elle prit, la baisa et mit en son sein avec
une grande dévotion ; et outre cela, demanda la croix de
l'église qui lui fut apportée, et la baisant et embrassant avec
grande dévotion, pleuroit, se recommandant à Dieu, à saint
Michel, sainte Catherine et tous les saints, et de rechef
embrassant la croix, saluant tous les assistans, descendit du
théâtre où elle estoit, frère Martin Ladvenu l'ayant tousjours
assistée jusqu'au lieu du supplice où elle finit sa vie en
grande dévotion. Lui qui parle asseure avoir ouy dire à
Jean Fleury, clerc du bailly et greffier de Rouen, que le bour-
reau avoit rapporté audit bailly que tout le corps de cette
fille estant bruslé et réduit en cendres, son cœur demeura
266 E. RICHER. LA PL'CELLE D ORLEANS
entier et plein de sang, et qu'on lui commanda plusieurs fois
que tout ce qui resteroit de son corps, il le jetast dans la
rivière de Seine, comme il fist.
[i" Déposition de Guillaume Colles, notaire au procezj.
Maistre Guillaume Colles, surnommé Bosguillaume, pres-
tre, notaire apostolique, âgé de soixante-six ans, dépose avoir
esté esleu pour second notaire par l'évesque de Beauvais, afin
d'escrire le procez contre Jeanne, dite la Pucelle. Et ce pro-
cez lui ayant esté représenté, recognut son seing à la'fin d'ice-
lui, disant que c'estoit le vray procez et qu'il en avoit esté
fait cinq semblables desquels celui qu'on lui représentoit en
estoit un. Que ses compagnons et conotaires audit procez
estoient Guillaume Manchon et maistre Nicolas Taquel, qu'ils
avoient ensemblement rédigé fidellement tous les interroga-
toires et responses, et qu'ils avoient de coustume, toutes les
après-disnées, de collationner par ensemble ce qu'ils avoient
escrit. Et quand à faire fidellement leur charge, ils ne crai-
gnoient personne et n'eussent voulu y manquer pour qui
que ce soit. Qu'il se souvient que Jeanne respondoit pru-
demment, et quand on l'interrogeoit de quelque chose dont
elle avoit esté interrogée, disoit avoir desjà respondu et
qu'elle ne respondroit pas davantage, et faisoitlire le registre
où estoient ses dépositions.
Qu'il sçait bien que l'évesque de Beauvais a commencé ce
procez parce qu'il disoit que Jeanne avoit esté prise dedans
son diocèse, et que tout se faisoit aux dépens du Roy d'An-
gleterre et à la sollicitation et poursuite des Anglois. Que le
ditévesque et tous ceux qui ont fait ce procez ont eu des
lettres de garantie du Roy d'Angleterre, lesquelles il a vues
et estoient signées de Laurent Callot, secrétaire du Roy
d'Angleterre.
Et lui ayant esté montré des lettres de garantie, dit
que c'estoient celles-là mesmes qu'il avoit vues, et qu'il
cognoissoit bien le signe de Laurent Callot.
Quant aux informations faites au païs de Jeanne, il n'en a
jamais vu, et ne pense pas qu'on en aye fait aucunes.
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 267
Pour les huictiesme et neufviesmes articles, asseure qu'elle
estoit en une forte prison, les fers aux pieds, avoit "un lit et
des Anglois qui la gardoient, desquels elle se plaignoit gran-
dement, disant qu'ils l'opprimoient et traitoient mal. Que
maistre Nicolas Loyseleur faisoit semblant d'estre prison-
nier, et du parti du Roy de France et du pays de Lorraine,
et avec quelques autres conseilloit à cette fille de ne pas
croire à ces gens d'Eglise, qu'autrement elle estoit ruinée.
Et pense que tout cela se faisoit au sceu de l'évesque de
Beauvais, pour ce que Loyseleur n'eust pas osé entreprendre
cela sinon de son adveu. Que plusieurs qui assistoient à ce
procez murmuroient grandement à lencontre dudit Loyse-
leur. Lequel voyant mener Jeanne au supplice, se repentant
de l'avoir ainsi trahie, monta sur une charrette pour lui
demander pardon : de quoy les Anglois qui estoient là pré-
sents furent fort indignez, de sorte que sans le comte de
Warwic, ledit Loyseleur eust esté tué; et lui fut commandé
par ledit comte de se retirer de Rouen le plus tost qu'il pour-
roit, s'il vouloit sauver sa vie. Au reste que ledit Loyseleur
mourust subitement au concile de Basle.
Semblablement a dit que Jean d'Estivet, promoteur en ce
procez, entra pareillement en habit dissimulé en la prison,
feignant aussi qu'il estoit prisonnier. Qu'il désiroit en tout
et partout complaire aux Anglois, que c'estoit un mauvais
homme qui, durant tout le procez, ne cherchoit qu'à calom-
nier les notaires et tous ceux qu'il cognoissait estre portez à
la justice ; et ordinairement disoit des injures à Jeanne,
l'appelant paillarde et ordure. Et croit que Dieu l'aye finale-
ment puni, attendu qu'il a misérablement fini ses jours,
ayant esté trouvé mort dans un colombier hors des portes
de Rouen.
Dit avoir ouy dire à plusieurs personnes desquelles il a
oublié le nom, que Jeanne avoit esté visitée par des ma-
trones et qu'elle fut trouvée vierge : et que c'estoit la
duchesse de Bethford qui l'avoit fait visiter, et mesme
qu'elle estoit avec le duc son mari en un lieu secret, quand
on fit ladite Visitation, duquel lieu ils voyoient visiter cette
fille.
268 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
Que durant tout le proccz, Jeanne sest mainte fois plainte
des questions subtiles et impertinentes qu'on lui faisoit : et
se souvient qu'on lui demanda une fois si elle estoit en la
grâce de Dieu, et avoir respondu que c'estoit chose bien
difficile de satisfaire à une telle demande et en telle ma-
tière ; finalement qu'elle dit : Si j'y suis, Dieu m'y tienne ;
si je n'y suis pas. Dieu m'y veuille mettre, car j'aymerais
mii'ux mourir que de n'estre pasaymée de Dieu. De laquelle
response ceux qui l'interrogeoient furent grandement
estonnez et cessèrent de l'interroger.
Quant au formulaire d'abjuration, croit que Jeanne n'en-
tendoit pas ce qui estoit contenu en icelui, et qu'il ne lui a
pas esté expliqué. Et dit qu'elle fut longtemps auparavant
que de le vouloir signer. A laparfin, y fut contrainte par la
frayeur qu'on lui donnoit et fit une croix. Quand aux autres
articles, ne s'en souvient et s'en rapporte au procez.
Au demeurant, que l'évesque ayant prononcé sa sentence
par laquelle Jeanne fut déclarée relapse, les séculiers sen
saisirent incontinent et la livrèrent au bourreau pour la
brusler, sans qu'il y eust au préalable aucune sentence du
juge séculier. Et que cette fille faisoit plusieurs invocations,
invoquant le nom de Jésus, de sorte que presque tous les
assistans pleuroient. Tous les juges, voire ceux qui avoient
assisté à cette sentence, furent notez et grandement mal
voulus du peupls. Car après que cette fille eust esté bruslée',
le peuple montroit au doigt tous ceux qui avoient assisté
au procez et concevoit une horreur de les voir. Et lui
déposant dit avoir ouy maintenir que tous ceux qui estoient
coupables de sa mort avoient misérablement fini leurs jours,
sçavoir maistre Nicolas Midy qui fut frappé de la lèpre, peu
de jours après, et l'évesque de Beauvais qui tomba mort subi-
tement comme on lui faisoit la barbe.
[5. Déposition de frère Martin Ladvenu.]
Frère Martin Ladvenu dominicain au couvent de Rouen,
âgé de cinquante-six ans, dépose que la Pucelle pouvoit
avoir vingt ans ou environ, qu'elle estoit fort simple et qu'à
PROCÈS DE REVISION ET REIIAHII-irATION' 269
grand peine sravoit-elle son Pater noster, ores toutes fois
qu'elle respondist prudemment aux interrogatoires qu'on lui
faisoit. Qu'on a fait un procez en matière de foy contre elle ii
la sollicitation et aux frais des Anglois. Et tesmoigne avoir
ouy dire que l'évesque et ses associez à ce procez ont voulu
avoir des lettres de garantie du Roy d'Angleterre. Qu'il sçait
bien qu'aucuns assistoieut à ce procez malgré eux pour
crainte des Anglois, et les autres parce qu'ils afïectionnoient
le parti anglois. Que Maistre Nicolas de Houppeville fut
mis aux prisons royales pour ce qu'il ne vouloit asssister à
ce procez.
Que Jeanne n'a eu aucun conseil ni directeur, sinon sur la
lin du procez, et qu'aucun n'eust osé entreprendre de lui
donner conseil pour la crainte qu'on avoit des Anglois. Que
les juges ayans une fois ordonné qu'aucuns iroient en la pri-
son pour la conseiller, les Anglois les empeschèrent et mena-
cèrent. Et sçait vrayment que Jean Magistri, inquisiteur,
assistoit audit procez malgré lui, comme pareillement lui
déposant qui tenoit compagnie audit inquisiteur. Que frère
Isambert de la Roche du mesme ordre des Jacobins et com-
pagnon de l'inquisiteur, pour avoir voulu une fois donner
conseil à cette fille, fut tancé par l'évesque de Beauvais qui
lui commanda de se taire; et par après on lui dit que si
d'ores en avant il lui arrivoit plus, on lejeteroit en la rivière
de Seine.
Asseure que Jeanne estoit aux prisons laïques, les fers
aux pieds, liée avec une chaisne, et que nul ne pouvoit par-
ler à elle sinon par la permission des Anglois qui jour et nuit
la gardoient. Qu'on lui faisoit des interrogatoires quisurpas-
soient du tout sa capacité et sa condition, trois heures au
matin et autant après midi. Qu'il a plusieurs fois ouy inter-
roger cette fille si elle se vouloit sousmettre au jugement de
l'Eglise, et qu'elle demandoit ce que c'estoit que l'Eglise ; et
que lui ayant esté respondu que c'estoit le pape et les prélats
qui représentoient l'Eglise, elle dit qu'elle se sousmettoit au
jugement du Pape, priant qu'on la menast à lui. Et asseure
lui avoir ouy dire de sa propre bouche, toutes fois hors du
jugement, qu'elle ne voudroit rien tenir contre la foy catho-
270 E. lUCllKK. LA l'L'CELLE u'uULÉANS
lique, et qu'elle vouloil repousser loin de soy tout ce qui se
trouveroit en ses dits et en ses faits contraire à la foy catho-
lique, et s'en rapporter au jugement des clercs.
ïesmoigne avoir esté présent à Saint-Ouen lorsque maistre
Guillaume Erard fit le sermon, et que la pi-emière sentence
fut donnée contre la Pucelle. Et croit fermement que tout ce
qu'on a fait contre elle a esté en haine du Roy très chrestien
et pour le diffamer. Que ledit Erard ayant fail en son ser-
mon une telle ou semblable exclamation : 0 maison de
France qui n'a jamais eu aucuns monstres jusqu'à lui, main-
tenant que tu as adhéré à cette femme, sorcière, hérétique,
superstitieuse, tu es souillée d'infamie. Jeanne l'ayant
entendu repartit en ces propres termes : Ne parlez pas de
mon Roy, il est bon chrestien.
Pour le regard de l'habillement d'homme qu'elle avoit
repris, dépose lui avoir ouy dire qu'un grand seigneur
l'avoit voulu violer, et que pour cette cause elle avoit repris
l'habillement d'homme depuis la première sentence. Au
reste, que le mercredi matin, auparavant qu'elle fut menée
au supplice, il avoit entendu cette fille de confession et lui
avoit administré le saint sacrement de l'Eucharistie par
ordonnance des juges : lequel elle receut avec une telle dévo-
tion et profusion de larmes, qu'il serait impossible de l'ex-
primer. Que depuis qu'il l'eust communiée, il l'assista tous-
jours jusques au dernier soupir. Que presque tous les assis-
tans, esmeus de pitié, pleuroient et principalement l'évesque
de Thérouane, disant qu'il ne doubtoit point qu'elle fust
morte catholiquement, et qu'il voudroit que son ame fust où
il croyoit que l'ame de cette fille estoit. Qu'après la sentence
prononcée, Jeanne descendit du théâtre où elle avoit esté
preschée, et le bourreau s'en saisit sans qu'il intervint aupa-
ravant aucune sentence du juge laïque. Elle ayant vu le feu
allumé pour la brusler, pria le déposant de descendre, et
qu'il levast bien haut la croix, afin qu'elle la pust voir. Et
comme il estoit tousjours auprès d'elle pour Tadvertir de son
salut, l'évesque de Beauvais et quelques chanoines de l'E-
glise de Rouen s'estant avancez pour la voir, elle apercevant
l'évesque lui dit qu'il estoit cause de sa mort, qu'il lui avoit
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 271
promis de la mettre entre les mains de l'Eglise, mais qu'il
l'avoit livrée entre les mains de ses ennemis capitaux.
Adjousta que, deux ans après, un nommé Georget Folenfant
ayant esté livré par sentence de la cour d'Eglise au bras sécu-
lier, lui déposant fut envoyé de la part de l'archevesque de
Rouen et de l'Inquisiteur au bailly de Rouen pour l'advertir
que ledit Folenfant debvoit estre livré au bras séculier, mais
qu'il se gardast bien de faire ainsi qu'il avoit fait à la Pucelle,
et qu'il ne procédast pas à l'exécution sans avoir au préa-
lable donné ineurement une sentence.
De plus, que jusques au dernier soupir elle a tousjours
maintenu que les voix et apparitions qu'elle avoit eues pro-
venoient de Dieu, et que tout ce qu'elle avoit fait l'avoit
exéquuté par exprès commandement de Dieu, et qu'elle ne
croyoit point que ses voix l'eussent déceue, et qu'elles
venoient de la part de Dieu.
[60 Déposition de maistre Nicolas de Houppeville
assesseur au procez]
Maistre Nicolas de Houppeville, bachelier en théologie,
âgé de cinquante-cinq ans, a déposé que Jeanne estoit âgée
d'environ vingt ans, fort simple et ignorante aux façons de
procéder en justice, et d'elle-mesme n'estoit suffisante pour
se deffendre ; que toutes fois elle s'est constamment et cou-
rageusement deffendue, d'où plusieurs inféroient qu'elle
avoit une spéciale assistance et secours du ciel. Que pour son
regard, il n'ajamais estimé que l'évesque de Beauvais ayt
entrepris ce procez en matière de foy par un bon zèle de foy
ou de justice, afin de réduire cette fille, mais pour une haine
particulière qu'il avoit contre elle, attendu qu'il favorisoit
le parti du Roy d'.Vngleterre. Et ne pense pas qu'il aye rien
fait en tout ce procez pour crainte des Anglois, ainsi que plu-
sieurs autres desquels aucuns assistoient volontairement à
ce procez, et entre autres ledit évesque, et les autres par
crainte. Que lui déposant a ouy dire à maistre Musnier,
docteur en théologie, qu'il avoit donné sa délibération par
escrit à l'évesque de Beauvais qui ne l'avoit eue [pour]
•272 E. RICHER. LA PUCELLE D ORLEANS
agréable. Que le comte de Warwic menara frère Isambert de
la Roche dominicain, lequel assistoit au procez de Jeanne,
et lui dit qu'on le jetteroit en la rivière s'il ne se taisoit,
pour ce qu'il dirigeoit cette fille, et qu'il a ouy dire cela à
frère Jean Magistri, suffragant de l'inquisiteur. Que lui-
mesmc qui parle, au commencement du procez assista à
quelques délibérations, et ayant dit son opinion que ni
l'évesque ni tous ceux qui vouloient entreprendre de faire
ce procez ne pouvoient estre juges, et que la façon de pro-
céder qu'on tenoit ne lui sembloit juste ni raisonnable,
sçavoir que ceux qui estoient d'un parti contraire fussent
juges, attendu mesme que cette fille avoit été examinée par
le clergé de Poictiers et par l'archevesque de Rheims, métro-
politain de l'évesque de Beauvais; que pour cette cause lui
déposant encourut l'indignation de l'évesque de Beauvais
qui le fit citer devant lui : et le déposant ayant respondu
qu'il ne lui estoit en rien subject et justiciable et que l'offi-
cial de Rouen estoit son juge, voulant comparoir devant
ledit officiai, il fut pris et mené au chasteau de Rouen et par
après mis aux prisons royales; et demandant pourquoy cela,
on lui dit que c'estoit à la requeste de l'évesque de Beau-
vais. Et croit le déposant que ce fut à cause de ce qu'il avoit
exposé en sa délibération. De quoy maistre Jean de la Fon-
taine, son ami, lui donna advis par un mot de lettre qu'il
lui envoya en la prison, d'oîi finalement il sortit par la
recommandation de l'abbé de Fescamp lequel fléchit l'éves-
que à cela. Et lui qui parle sçeut que ledit évesque avait
tenu conseil entre quelques uns, auquel il fut résolu de
faire envoyer en Angleterre ou ailleurs en exil ledit dépo-
sant : ce que l'abbé de Fescamp et les amis du déposant
empeschèrent.
Davantage : qu'il sçait que Jean Magistri avoit esté con-
traint de prendre cognoissance de ce procez durant lequel il
fut en grande perplexité, et asseure que ledit Magistri lui
avoit dit que cette fille se plaignoit grandement des interro-
gatoires difficiles qu'on lui faisoit, et que cela la travailloit
trop, et principalement ceux qui n'appartenoient en rien au
procez : et disoit-on qu'on empeschoit les notaires d'escrire
PROCKS DE REVISION ET REHABILITATION 273
quelques responses de cette fille. De plus, que ce qu'elle a
quelquefois hésité sur ce qu'on l'interrogeoit si elle ne se
vouloit pas sousmettre à l'Eglise, ne provenoit d'ailleurs que
de ce qu'aucuns alloient à elle en habit dissimulé en la
prison, et lui persuadoient qu'elle se gardast bien de se sous-
mettre à l'Eglise. Et disoit-on que c'estoit maistre Nicolas
Loyseleurqui estoitl'un des séducteurs de cette fille.
Qu'il croit qu'elle estoit bonne catholique, et sçait que le
jour qu'elle mourut, elle receut le corps de Nostre Seigneur.
Qu'il la vit sortir du chasteau de Rouen pour estre menée au
supplice, qu'elle pleuroit abondamment, et y avoit plus de
six vingt hommes armez, aucuns desquels portoient des
lances et les autres des espées Que lui, esmeu de compassion,
ne put aller jusques au lieu où elle fut exéquutée. Et tient que
tout cela a esté fait en haine du Roy de France et pour le
diffamer. Que le commun bruit estoit que l'évesque n'avoit
voulu recevoir les opinions de maistre Richard de Grouchet
et Pierre Pigache, pour ce qu'elles ne lui avoient plu et allé-
guaient des passages du droit canon.
[7" Déposition de Jean Fabri. assesseur au procez ]
Révérend père en Dieu messire Jean Fabri, docteur en théo-
logie, de l'ordre des Augustins, évesque de Démétriade, âgé
de septante ans, dit avoir assisté au procez jusques au sermon
qui fut fait à Saint-Ouen, quand on prononça la première
sentence contre Jeanne. Qu'il lui semble qu'elle pouvoit avoir
vingt ans, qu'elle estoit fort simple. Que lui déposant l'avoit
tenue par trois sepmaines pour inspirée, quand elle parloit si
souvent de ses apparitions et révélations. Qu'il estime que
les Anglois lui faisoient faire son procez par haine qu'ils lui
portoient, et pour ce qu'ils la craignoient extrêmement. Sçait
bien que tout se faisoit aux frais et despens du Roy d'Angle-
terre, et que ceux qui assistoient à ce procez n'estoient pas
en leurliberté, et que personne n'osoit dire ce qu'il pensoit
sans estre incontinent noté. Qu'un jour quelqu'un ayant
demandé à cette fille si elle estoit en grâce, lui déposant ayant
dit que c'estoit une trop grande question pour cette fille et
18
274 E. RIGHER. LA PUCELLE D ORLEANS
qu'elle n'estoit pas obligée d'y respondre, l'évesque repartit
au déposant qu'il cust beaucoup mieux fait de se taire. Davan-
tage, que plusieurs trouvoient fort mauvais de ce qu'on ne
mettoitpas cette fille aux prisons de l'Eglise, et lui qui parle dit
sourdement qu(; ce n'estoit pas bien procéder de la retenir
entre les mains des laïques et principalement des Anglois, vu
qu'elle avoit esté livrée à l'Eglise : de laquelle opinion plu-
sieurs estoient, mais personne n'en osoit parler publique-
ment.
Si elle a esté visitée ou non, il n'en peut parler: bien sçait-il
qu'ayant esté interrogée pourquoy elle se faisoit appeler
Pucelle, elle respondit le pouvoir bien dire et que s'ils en
doubtoient, qu'ils la fissent visiter par sages et honnestes
matrones, ainsi qu'on a de coustume. De 'plus, qu'on faisoit
de profondes et difficiles questions à cette fille, desquelles
toutes fois elle se demesloit fort bien, encore qu'on l'inter-
rompist souvent aux interrogatoires qu'on lui faisoit, passant
de l'un à l'autre pour expérimenter si elle changeroit de pro-
pos. Et la tràvailloit-on de longs interrogatoires, l'espace de
deux et trois heures : de sorte que les docteurs qui assistoient
à ce procez se faschoient et estoient grandement travaillez.
D'autres tronquoient et coupoient si court leurs interroga-
toires qu'à grand'peine cette fille pouvoit y respondre, et le
plus sage homme du monde s'y fust trouvé bien empesché.
Qu'il se souvient que durant le procez on l'interrogeoit sur
ses apparitions et lisoit-on quelque article de ses réponses :
que lui déposant déclara qu'il lui sembloit qu'on n'avoit pas
bien registre sa response et qu'elle avoit autrement respondu.
Et advertit Jeanne de prendre garde à soy : ce qu'elle dit au
notaire, asseurant avoir déposé le contraire de ce qu'il avoit
registre qui fut corrigé. Et alors maistre Guillaume Manchon
dit à la Pucelle qu'elle prist bien garde h ce qu'on escrivoit.
Asseure le déposant ne se point souvenir qu'elle aye refusé
de se sousmettre à l'Eglise, mais qu'il lui a plusieurs fois ouy
déposer qu'elle ne voudroit pas faire ni dire aucune chose qui
fust contre Dieu, et que de tout son pouvoir elle le repousse-
roit. Au demeurant qu'il assista au dernier sermon que fit
maistre Nicolas Midy au Vieil Marché, et que Jeanne finit ses
PROCÈS DE REVISION ET REHABILITATION 275
jours catholiquement, comme il estime, ayant plusieurs fois
crié Jésus, Jésus, faisant des lamentations si pieuses qu'il
pense n'y avoir cœur si dur qui n'eust esté esmeu à compas-
sion et à pleurer, comme fut l'évesque de Thérouane et tous
les assistans qui pleuroient par grande compassion et pitié.
Se souvient encore que Jeanne pria tous les prestres là assis-
tans de lui vouloir donner chascun une messe; et lui dépo-
sant se retira ne pouvant voir un si piteux spectacle.
[Dépositions de dix autres tesmoins.]
Maistre Jean Le Maire, prestre, curé de l'église paroissiale
de saint Vincent de Rouen, âgé de quarante-cinq ans, etc.
Cette déposition ne contient rien de mémorable et ne rap-
porte que pour avoir ouy dire, comme n'ayant point assisté
au procez.
Maistre Nicolas Gavai, licencié aux droits, chanoine de
Rouen, âgé de septante ans, dit avoir assisté au procez par
quelques jours : sa déposition ne contient rien de particulier,
tout y est commun.
Pierre Cusquel laïque, bourgeois, marchand de Rouen, âgé
de cinquante trois ans, etc. Cette déposition ne rapporte
autre chose de mémorable, sinon qu'il dit avoir vu une cage
de fer de la hauteur de Jeanne pour la mettre dedans, et que
cette cage fut pesée en sa boutique: toutes fois qu'il ne l'a
pas vue dans la dite cage. Tout le reste de sa déposition sont
choses communes, excepté qu'il dit avoir ouy dire à cette fille
au premier sermon qui fut fait à Saint-Ouen, qu'elle ne vou-
loit rien tenir contre la foy catholique en tous ses dits et
ses faits, et qu'elle s'en rapportoit au jugement des ecclésias-
tiques. Après qu'elle fut bruslée, asseure avoir vu et
entendu un secrétaire du Roy d'Angleterre nommé maistre
Jean Tressart, retournant du Vieil Marché où cette fille avoit
esté exéquutée, se lamenter et dire qu'ils estoient tous perdus
d'avoir fait brusler une si sainte personne, et qu'il croyoit
qu'elleestoit entre les mains de Dieu bienheureuse, qu'il l'avoit
276 K. niCHEU. LA PUCELLE D OilLEANS
ouy crier hautement le nom de Jésus au milieu des flammes.
Quant à lui déposant, ne voulut assister à un si piteux spec-
tacle, voyant que tout le peuple murmuroit de ce qu'on la
faisoit mourir si injustement.
Maistre André Margueric, archidiacre du Petit Calais, en
l'église de Rouen, licencié aux droits, âgé de soixante-sept ans,
dépose avoir quelquefois assisté au procez de Jeanne et ne dit
rien que de commun, excepté qu'il asseure avoir esté en la
prison lorsqu'on publia que Jeanne avoit repris l'habillement
d'homme, et qu'ayant dit qu'il falloit sçavoir d'elle comment
et pourquoy elle avoit repris cet habit et l'entendre parler,
pour cette occasion les Anglois là présents voulurent outra-
ger lui déposant et plusieurs autres qui furent contraints de
se retirer bien hastivement pour le péril auquel ils
estoient.
Maistre Laurent Guesdon avocat au Présidial de Rouen et
bourgeois ne dépose rien que de commun.
Maistre Jean Riquier, prestre, chapelain en l'église de
Rouen et curé de l'églige paroissiale d'Heudecour, diocèse de
Rouen, âgé de cinquante six ans, ne fait autre déposition
que commune avec les autres, n'ayant pas assisté au procez.
11 dit seulement qu'à la prédication de maistre Guillaume
Erard, la Pucelle ayant entendu qu'il parloit mal du Roy de
France, lui dit tout haut : Parlez de moy et non pas de mon
Roy qui est bon catholique.
Que le jour qu'elle fut menée au supplice, le matin elle dit
à maistre Pierre Maurice, docteur en théologie, qui l'alla voir
en prison, que Dieu aydant elle espéroitestre le soir en para-
dis, ainsi que ledit déposant Tavoit entendu dire audit Mau-
rice. Au parsus, qu'elle avait tousjours crié le nom de Jésus
jusqu'au dernier soupir. Incontinent qu'elle fut étoulTée du
feu, les Anglois qui estoient présents dirent au bourreau qu'il
retirast un peu le feu afin que le peuple assistant la pust voir
morte dans le feu et qu'on nedist pas qu'elle seroit échappée
et délivrée: à quoy le bourreau obéit. Dépose qu'il esloit
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 277
auprès de maistre Jean de TEspée, chanoine de l'église de
Rouen, lequel ayant vu la fin de la Pucelle, dit pleurant lar-
gement : Plust à Dieu que mon âme fust où je crois qu'est
lame de cette femme ! Ledit de l'Espée avoit assisté au
procez.
Honneste homme Jean Moreau, demeurant à Rouen, âgé de
cinquante ans, etc. Il estoit du païs de la Pucelle et dépose ce
qu'il a ouy dire de son départ pour aller au Roy de France. Et
quand on commença son procez à Rouen, tesmoigne qu'il
arriva un honneste homme des quartiers de Lorraine, lequel
s'adressa à lui à cause du païs, et raconta qu'il avoit esté com-
mis pour faire des informations, spécialement au païs natal de
Jeanne, et qu'il avoit apporté les dites informations à l'éves-
que de Beauvais, estimant qu'il le contenteroitde ses salaires,
vacations, et de la dépense qu'il avoit laite en son voiage ; mais
que cet évesque l'avoitappelé traistre et meschant homme, lui
disant qu'il n'avoit pas fait son debvoir. Et nepouvoit estre
contenté de ses salaires parce que cet évesque niait qu'il se
pust servir desdites informations ausquelles celui qui les avoit
faites disoit n'y avoir rien contre la Pucelle qu'il n'eust voulu
trouver en sa propre sœur : qu'elles avoient néantmoins esté
faites en cinq ou six paroisses proches de Dompremy, et
que tous les tesmoins avoient déposé que Jeanne estoit
grandement dévote, et alloit souvent prier Dieu à un ermi-
tage proche de Dompremy.
Pour le reste de la déposition, il n'y a rien que de commun
et qui ne soit contenu aux autres dépositions, sinon qu'il dit
avoir entendu, comme le prédicateur qui prescha à Saint-Ouen
disoit à la Pucelle qu'elle eust à s'abstenir cy-après de faire
les choses qu'elle avoit commises contre la foy et de porter un
habillement d'homme, elle respondit qu'elle avoit pris un
habillement d'homme pour ce qu'elle avoit à estre et conver-
ser parmi les gens de guerre, avec lesquels elle pouvoit vivre
plus seurement habillée en homme que portant un habit de
femme, et que ce qu'elle avoit fait, elle l'avoit bien fait, etc.
Dépose qu'elle demanda de l'eau bénite auparavant que
d'estre jetée au feu.
278 E. RICHEn. — LA PUCELLE d'oRLÉAXS
Maistre Pierre Tasquel, prestre, curé de l'église paroissiale
de Baqueville le Martel, notaire apostolique à Rouen, âgé de
cinquante huit ans. C'est le troisième notaire qui a instru-
menté au procez contre la Fucelle, ainsi qu'il a recognu : et
ne dit rien que de commun pour ce qu'il n'estoit point au
commencement du procez.
Hu&son le Maistre, laïque, maistre chaudronnier à Rouen,
âgé de cinquante ans, etc. Il estoit du pais de la Pucelle et
dépose qu'on la tenoit au païs pour une très bonne fille, très
dévote, et qu'elle estoit en la grâce de Dieu, conduite de son
esprit, etc.
Honorable homme Pierre Daron, lieutenant du bailly de
Rouen, âgé de soixante ans, ne dépose rien que de commun
et toutes les mesmes choses que les ,autres ont déclaré de
la fin de cette fille, sçavoir qu'elle est morte en bonne chres-
tienne, prononçant le nom de Jésus jusques au dernier sou-
pir, et qu'elle fut exéquutée sans qu'il soit intervenu aucune
sentence laïque.
[Déposition de frère Seguin de Seguin, membre de la Commission
de Poitiers]
Frère Seguinus Seguini, professeur en théologie de l'ordre
des Dominicains, Doyen de la faculté de théologie de Poic-
tiers, âgé de soixante-dix ans, etc. C'est l'un des Docteurs
qui assista à l'examen de la Pucelle quand elle fut interrogée
à Poictiers par les ecclésiastiques, ainsi que nous avons
remarqué au premier livre. Au reste, il tesmoigne que con-
sidéré Testât auquel estoient lors les affaires du Roy et du
royaume, tout estant humainement désespéré, et vu les
choses que la Pucelle a exéquutées, sa sainte vie dont a esté
parlé amplement au premier livre, il estime icelle avoir esté
envolée de Dieu pour secourir la France. Qu'elle prédit à
Poictiers, quand on l'examinoit, quatre choses que lui dépo-
sant a vu succéder tout ainsi qu'elle les avoit annoncées.
Premièrement, que le siège d'Orléans seroit levé, et la ville
délivrée des Anglois. — Secondement, que le Roy seroit
PROCÈS DE REVISION ET RKIIAIflIJTATION 279
couronné à llheims. — Tiercement que la ville de Paris seroit
réduite à l'obéissance du Roy. — En qualriesme lieu, que les
Anglois seroient deffails '.
Au demeurant, qu'elle estoit grandement faschée, enten-
dant quelqu'un jurer le nom de Dieu en vain. Qu'elle remons-
troit au sieur de La Ilire qui avoit accoustumé de jurer et
renier Dieu, que c'étoit un grand péché, et qu'il s'abstint
d'ainsi blasphémer : et quand, prévenu de colère, il vou-
droit jurer, qu'il reniast son baston. Que, pour cette raison.
Le Ilire estant en présence de cette fille, disoit tousjours qu'il
renioit son baston, etc.
Frère Jean des Prez, docteur en théologie de l'ordre des
Dominicains, du couvent de Lyon, vice-inquisiteur général
au royaume de France, est commis par Jean, archevesque de
Rheims, et Guillaume, évesque.de Paris pour ouyr et exa-
miner noble et puissant seigneur Jean Dolon, chevalier,
conseiller du Roy, et séneschal de Beaucaire, lequel pour cet
effet se transporta à Lyon oii le dit Des Prez entendit sa
déposition qu'il donna en françois et fut receue par Hugo
Bellieure et Barthélémy Bellieure, notaires apostoliques à
Lyon, le vingt-huictiesme may 1456. Ce seigneur fut choisi
par. le Roy comme le plus sage gentilhomme du royaume
pour avoir soin de laPucelle, ainsi que nous avons narré au
premier livre de cette histoire où nous renvoyons le lecteur.
Et attendu qu'il a plus conversé avec la Pucelle que tout
autre, il en rend fîdelle lesmoignage sans amour, faveur,
haine ou subornation quelconques, mais seulement pour la
seule vérité du fait, qui sont les propres termes de sa dépo-
sition.
1. Frère Seguin mentionne une cinquième prédiction oubliée par
E. Bicher, que le duc dOrléans reviendrait de sa captivité d'An-
gleterre.
CHAPITRE VI
[SUITE DES ACTES DU PROCKZ. — LETTRES DE GARANTIE
DU ROI D'ANGLETERRE]
Acte du pénultième jour de may 1456, par lequel les juges
commis du Saint-Siège donnent pouvoir à Révérend père en
Dieu, messire Jean Kabri, docteur en théologie de l'ordre
des Augustins et évesque de Démétriade, et à vénérable et
discrète personne Hector de Coquerel, docteur en droit.
Doyen de Lisieux et officiai de Rouen, pour entendre tout
ce que les parties amenées voudront dire, opposer et alléguer
contre les tesmoins qui ont déposé aux susdites informations,
et contre les pièces et autres productions que les parents de la
Pucelle fournissent en ce procez. //<?m,pour donner délays et
ordonner toutes choses nécessaires jusques à la conclusion
de ladite affaire, le dit acte signé Dionysius Comitis et Fran-
ciscus Ferrebouc. A raison duquel acte sont assignez mes-
sire Guillaume de Hélande, évesque de Beauvais, et Renaut
Bredouille son promoteur, etTinquisiteur delà foyaudiocèse
de Beauvais, pour dire et opposer tout ce que bon leur sem-
blera tant contre les dits tesmoins que contre les productions
des dites parties : la dite assignation au second jour de juin.
Et les parties assignées n'ayans comparu, le procureur des
parents de la Pucelle demande qu'elles soient déclarées contu-
maces. Sur quoy les juges ordonnent qu'ils seront réassignez
au cinquiesme juin suivant.
Suit après la production faite par les parents de la Pucelle,
et entre autres pièces est produit un certain feuillet de la
main de Guillaume Manchon touchant quelques ratures et
corrections qui doibvent estres faites en certains articles du
procez : le tout escrit de la main du dit Manchon, principal
PROCKS DR nEVI.-ION ET nElIAHILITATLÛN 281
notaire au procez contre la Piicelle : lequel feuillet est
recognu et avéré par le dit Manchon et ses compagnons
conotaires.
Ileyn, produisent les actes entiers dudit procez, tant en
fran(;ois qu'en latin pour en demander la cassation et annu-
lation : comme aussi les bulles du saint père Galixte II[
registrées au commencement de ce procez.
Plus, toutes les informations faites premièrement à Rouen
parle cardinal d'Estouteville, secondement au pais natal de
la Pucelle, et depuis à Paris et à Uouen.
Hem, les lettres de garantisation et protection du Roy
d'Angleterre en faveur de l'évesque de Beauvais et de ceux
qui ont fait le procez à la Pucelle, lesquelles nous représen-
terons ici.
Lettres de garantie du Roy d'Angleterre en faveur de ceux qui
ont fait le procez contre la Pucelle ^
« Henry par la grâce de Dieu Roy de France et d'Angle-
terre, etc. Et pour ce que par adventure aucuns qui pour-
roient avoir eu les erreurs et maléfices de la dite Jeanne
agréables, et autres qui induement s'efforcent ou se vou-
droient efforcer par haine, vengeance ou autrement, trou-
bler les vrays jugements de nostre mère sainte Eglise, de
traire en cause par devant nostre saint père le Pape, le saint
Concile général ou autre part les dits Révérend père en
Dieu, vicaire, les docteurs ou autres qui se sont entremis
de ce procez : Nous qui comme protecteur et deffenseur de
nostre sainte foy catholique, voulons porter, soutenir et
deffendre lesdits juges, docteurs, maistres et autres qui
du dit procez se sont entremis en quelque manière en tout
ce qu'ils ont dit et prononcé en toutes les choses et chacune
d'icelles touchans et concernans le dit procez, ses circons-
I. Nous avons relevé, tome I, page 486 du présent ouvrage, le
reproche que Lenglet-Dufresnoy fait à Riche r d'avoir traité légèrement
son sujet et passé sous silence les lettres de garantie du roi d'Angle,
terre. Le texte que nous donnons au lecteur montrera la mauvaise foi
qui a inspiré ce reproche.
282 E. niCHEH. LA PUCELLE D ORLEANS
tances et despendances, afin que dores en avant tous autres
juges, docteurs, maistres et autres soient plus enclins,
ententifs et encouragiez de vacquier ou entendre sans paour
ou contrainte aux extirpations des erreurs et faulses dog-
matizations, qui, en diverses parties de la chrestienté, sour-
dent et pululent en ces temps présens que douloureusement
récitons; mesmement que nous sommes deuement informez
que le ditprocez a esté fait et conduit meurement et canoni-
quement, justement et saintement, eu sui- ce et sur la matière
d'iceluy procez la délibération de nostre tr^s chère et sainte
fille l'Université de Paris, des docteurs et maistres des
facultez de théologie et de décrets d'icelle Université, et de
plusieurs autres tant évesques, abbez et autres prélats,
comme docteurs, maistres et clercs très expers en droit divin
et canonique, et autres gens d'Eglise en moult grand nom-
bre, lesquels ou la plus grande partie d'iceux ont continuel-
lement assisté et esté présents avec lesdits juges, docteurs,
maistres, clercs, promoteurs, advocats, conseillers, notaires
et autres qui ont besongné audit procez, s'il advenoit qu'ils
fussent traiz en cause pour raison dudit procez ou de ses
dépendances par devant nostre saint père le Pape, le dit
saint Concile général ou autrement; nous ayderons et dépen-
drons, ferons ayder et defïendre en jugement et dehors, tous
les dits juges, docteurs, maistres, clercs, promoteurs, advo-
cats, conseillers, notaires et autres, et à chascun d'eux, à
nos propres coûts et despens à leur cause en cette partie :
Nous pour l'honneur et révérence de Dieu et de notre sainte
mère l'Eglise, et deffense de nostre sainte foy, adjoin-
drons au procez que en voudront intenter contre eux quel-
conques personnes de quelque estât qu'il soit, en quelque
manière que ce soit, et ferons poursuivre la cause en tous
cas et termes de droit et de raison à nos despens. Si don-
nons en mandement à tous nos ambassadeurs et messa-
giers, tant de nostre sang et lignage, comme autres qui se-
roient en cour de Rome ou audit saint Concile général, à tous
évesques, prélats, docteurs, maistres, clercs, promoteurs,
advocats, conseillers, notaires et [autres, et aucuns d'eux qui
seront mis ou traiz en cause par devant nostre dit saint
PnOCKS DE RKVISKIN ET RÉIIA UILITATIÛN 283
Père, le dit saint Concile ou autre part, ils se adjoignent
incontinent pour et en nostre nom à la cause et deftense des
dessus ditz par toutes voyes et manières canoniques et juri-
diques, et requérons nos subjectsde nos dits royaumes estans
lors illec, et aussi ceux des Hoys, princes et seigneurs à nous
alliez et confédérez, qu'ilz donnent en cette matière conseil,
faveur, ayde et assistance par toutes voyes et manières à
eux possiblos sans délay ou difficulté quelconque. En tes-
moin de ce nous avons fait mettre notre scel ordonné en
l'absence du grant, à ces présentes. Donné à Rouen, le
douziesme jour de juin, l'an de grâce mil quatre cens
trente et un et le neufviesme de nostre règne, Par le Roy, a
la relation du grand conseil estant devers lui, auquel estoient
monsieur le cardinal d'Angleterre, vous, les évesques de
Beauvais, de Noyon et de Norvvich, les comtes de Warwic et
SufTort, les Abbez de Fescanip et du Mont-Saint-Michel, les
seigneur de Comwell et de Tipetot, de Saint-Père et autres
plusieurs. Signé : Calot.
Après lesdites lettres patentes du Roy d'Angleterre les
parents de la Pucelle produisent les deux sentences don-
nées par l'évesque de Beauvais, ensemble les douze articles
envolez à l'Université de Paris, et les délibérations inter-
venues sur iceux articles, en vertu desquels articles et déli-
bérations l'évesque de Beauvais a voulu fonder et establir
ses dites sentences contre la Pucelle.
Acte du mercredi neufviesme juin 1456 par lequel maistre
(luillaume Prévosteau, procureur des parens de la Pucelle,
requiert que messire Guillaume, évesque de Beauvais, et
Renaut Bredouille son promoteur, avec l'inquisiteur de la
foy audit diocèse de Beauvais, soient déclarez contumaces,
attendu qu'ayant esté plusieurs fois citez, ils n'ont comparu
ni aucun pour eux. Mais les juges leur donnent encore délay
jusqu'au lendemain dixiesme juin : auquel n'ayant comparu
ils sont déclarés contumacez et forclos de pouvoir ci-après
dire, alléguer ou opposer chose quelconque contre les dites
informations ou pièces produites par les parens de la Pu-
284 E. aiGHER. LA ['UCELLE d'oULÉANS
celle, etc. Laquelle sentence est donnée par messire Jean
Fabri, évesque de Démétriade et Hector Coquerel officiai de
Rouen, en la salle épiscopale de l'Archevesché de Rouen, et
les parties renvoiées à messieurs les juges commis du Saint-
Siège pour conclure audit procez, etc.
CHAPITRE VII
Acteetordonnancc desditsjuges du vendredi dix-huictiesme
juin 145G par lesquels les parties sont citées à Rouen par
devant lesdits juges pour conclure au dit procez le septiesme
juillet 1456.
Et maistre Simon Chapitault, promoteur en cette cause,
comme pareillement Guillaume Prévosteau, procureur des
parens de la Pucelle, donnent leurs moyens de droit pour
conclure audit procez : lesquels moyens sont pour la plus
part extr-aits des griefs et demandes de la Pucelle registrez
cy devant au quatriesme chapitre que le lecteur verra, et
n'est besoin de les représenter encore une fois^
1. Les deux mémoiros juridiques reiuplissent trente-deux pages du
t. 111 de J. Quicherat.
CHAPIÏHE VIll
Production de six traitez ou opuscules latins' : le premier
desquels est de maistre Jean Gerson, chancelier de l'Univer-
sité de Paris, estant lors à Lyon, d'autant que les Anglois
tenoient Paris ; lequel traité il composa le quatorziesme may
(1429) vigile de la Pentecoste, auquel jour il receut la nou-
velle de la levée du siège d'Orléans, et que les Anglois avoient
esté chassez. Cet opuscule est imprimé avec ies œuvres de
Gerson qui mourut la mesme année, le douziesme juillet.
Le second a esté composé par messire Heliasde Bordeilles,
évesque de Périgord, et depuis archevesque de Toui's et car-
dinal.
Le troiziesme ne porte point de nom ; seulement sur la fin
d'iceluy ces trois lettres M. E. N souscrites.
Le quatriesme est de frère Jean Bréhal, docteur en théolo-
gie et inquisiteur de la foy au royaume de France, de l'ordre
des Dominicains, lequel par après comme juge assista à la
revision du procez.
1. Nous avons dil, t. I, p. 201, en parlant du procès de réhabilitation,
qu'E. Riclier n'avait eu entre les mains que deux manuscrits du dit procès,
celui de Notre-Dame qu'on voit à la Bibliothèque nationale, et un autre
« de la bibliothèque de M. Du Lis, conseiller du Roy et avocat-général
en la cour des Aides » .Le manuscrit de Notre-Dame ne contenant d'autre
mémoire que celui de Gerson, c'est dans le manuscrit de Charles Du Lis
que notre auteur a trouvé les sis traités qu'il énumère.
I']n admettant avec J. Quicherat que le mémoire à la lîn duquel on lit
souscrites ces trois capitales: M. E. N. (pour L), soit de Martin, évèque
du Mans (Martinus Episcopus Cenomanensis), trois mémoires, ceux de
Thomas Basin, évèque de Lisieux, de Jean Bochard. évèque d'Avranches,
de Jean do Montigny, docteur en décrets, auraient été inconnus de Richer
et omis dans le manuscrit de Charles Du Lis.
Ces trois mémoires sont joints en elFet aux ciuq cités plus haut et à la
Récollection de Jean Bréhal dans le manuscrit du procès de réhabili-
tation, .^970, fonds français, que possède la Bibliothèque nationale. Voir
J. Quicherat, t. IH. p. 2'J8 et suiv., et t. V, p. 432 et suiv.
PnOCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 287
Le cinquiesme est de maistre Guillaume Bouille, aussi doc-
teur en théologie et Doyen de l'église de Noyon, lequel a
pareillement assisté comme conseiller à la revision du
procez.
Le sixiesme est de maistre Robert Gybole (Ciboule), chan-
celier de l'Université de Paris, docteur en théologie.
Tous lesdits traitez, que j'ai bien exactement lus et en ay
fait des extraits pour servir à cette histoire, montrent la nul-
lité des sentences de l'évesque de Beauvais, et que faulsement
et à tort il a prononcé que la Pucelle avoit feint et supposé
des révélations, qu'elle séduisoit les peuples, qu'elle estoit
présomptueuse et téméraire, croyoit de léger, estoit supers-
titieuse, devineresse, blasphémoit contre Dieu et ses saints et
les saints sacremens, qu'elle mesprisoit la loy divine et les
constitutions de l'Eglise, estoit séditieuse et cruelle, avoit
apostate (apostasie), estoit schismatique, refusant de se sous-
inettre à l'Eglise et au Pape, et avoit erré en diverses façons
contre la foy, qu'elle estoit opiniastre et obstinea, excommu-
niée, hérétique et relapse.
Car ce n'est point hérésie de dire que l'on aye des révéla-
tions, lesquelles on doibt prouver et examiner par les effets
et la bonne et sainte vie de ceux qui maintiennent avoir
telles révélations, ainsi que nous avons montré au premier
livre.
CHAPITRE IX
[PRONONCÉ DF. LA SliNïENCE RÉHABILITANT LA PUCELLE]
Acte du septiesme juillet 1456 par lequel les parens de la
Pucelle, assistez de leur conseil et de maistre Simon Chapi-
tault promoteur, joint avec eux, remonstrent qu'ils ont fait
citer messire Guillaume de Hélande, évesque de Beauvais,
son promoteur, et tous autres qui pouvoient prétendre
quelque intérest en ce procez pour comparoir à Rouen à las-
signation qui leur estoit donnée au septiesme juillet par
ordonnance de messieurs les juges, pour voir prononcer la
sentence définitive : etn'ayans comparu à la dite assignation
ni autres pour eux, les demandeurs et promoteur requièrent
que lesdits assignez soient déclarez contumaces, et que la
sentence définitive soit prononcée contre leur contumace,
ainsi qu'elle fut par Révérend père en Dieu Jean, archevesque
de Rheims : dont ensuit la teneur.
Au NOM DE LA SAINTE ET INDIVISIBLE TrINITÉ, le PèrC, Ic Fils
et le Saint-Esprit, ainsi-soit-il.
Nostre seigneur Jésus Christ Dieu et homme,
ayant par sa divine Providence establi et constitué
saint Pierre et ses successeurs apostoliques au gou-
vernement de son Eglise militante comme premiers
inlendans et spéculateurs d'icelle, pour enseigner
au monde de marcher droit en la voye de justice par
une claire et manifeste lumière de la vérité, proté-
gcans les gens de bien, soulageans et relevans ceux
qui sont opprimez, et par le jugement de la raison
PROCÈS DE REVISION ET REHABILITATION' 289
redressans [au bon chemin tous ceux qui en sont
dévoyez :
Nous Jean, par la grâce de Dieu, archevesque de
Rheims, Guillaume, évesque de Paris, Richard,
évesque de Coutances, et Jean Bréhal, de l'ordre des
Frères prescheurs, professeur en théologie, l'un des
inquisiteurs de la foy au royaume de France, juges
spécialement déléguez en cette cause par commis-
sion de nostre saint-père le Pape, à présent séant
pourvoir et examiner le procez qui a esté solennelle-
ment débattu et discuté devant Nous en vertu du
Mandement apostolique à Nous adressé et receu avec
révérence, pour et au nomd'honneste veuve Isabelle
Darc jadis mère, et de Pierre et Jean Darc, frères
germains naturels et légitimes de défunte Jeanne
Darc de bonne mémoire, communément appelée la
Pucelle ; tant en leurs noms que de tous leurs
parens, demandeurs d'une part ; tant contre le
sous-inquisiteur de la foy establi au diocèse deBeau-
vais, que pareillement contre le promoteur des cas
et affaires criminelles en l'otlicialité de Beauvais, et
semblablement contre Révérend père en Dieu mes-
sire Guillaume de Hélande, évesque de Beauvais, et
tous autres tant en général qu'en particulier qui
peuvent respectivement prétendre un intérest en
cette cause, conjoinctement ou séparément, tous
respectivement deffendeurs, d'autre part :
Vu en premier lieu la citation péremptoire et
l'exploit fait à la requeste desdits demandeurs et
promoteur que nous avons establi d'office et créé en
cette cause, par nous décernez contre lesdits deffen-
deurs pour voir exéquuter ladite commission, l'im-
pugner etdesbattre, respondre et procéder ainsi que
de raison ;
Vu les griefs et fins desdits demandeurs, les^faits
d9
290 E, RICHER. LA PUGELLE d'oRLÉANS
et moyens par eux produits et articulez, tendans à
faire déclarer nul, injurieux et abusif un prétendu
procez cy devant mu et intenté en cette ville de
Rouen contre la dite Pucelle défunte en matière de
la foy par defîunt messire Pierre Cauchon, lors
évesque de Beauvais,JcanMagistri, prétendu vicaire
de l'inquisiteur de la foy audit diocèse, et Jean Des-
tivet, promoteur ou soy disant promoteur audit dio-
cèse de Beauvais ; ou à tout le moins que les procé-
dures, sentences et tout ce qui en seroit ensuivi fust
cassé, abjuré et annulé à la descharge et justification
de la mémoire de ladite defïunte et autres fins con-
tenues et articulées ausdits faits et moyens pro-
duits;
Vus pareillement et par plusieurs et diverses fois
lus de bout à autre, et bien examinez tous les titres,
instruments et enseignements originaux, actes,
minutes et protocoles à nous montrez, exhibez et
délivrez par les notaires et autres officiers en vertu
de nos lettres de compulsoire : lesquels notaires et
officiers auroient recognu leurs seings et escri-
tures ; et après avoir longuement conféré ensemble
avec tous lesdits notaires et officiers establis
audit procez, et conseillers appelez à la décision
d'icelui, desquels nous avons pu avoir la pré-
sence et communication], et 'au préalable après
avoir fait collation et comparaison desdits livres,
notes, minutes et plumitifs ;
Vues aussi les informations préambulaires et pré-
paratoires faites tant par Révérend père en Dieu
Guillaume, cardinal du titre de saint Martin aux
montagnes, pour lors légat en France, appelé avec
lui nostre inquisiteur lesquels auroient vu et visité
les dits livres et papiers ; vu pareillement autres
informations faites par notre ordonnance et par nos
PROCÈS DE REVISION ET REHABILITATION 291
commissaires : comme aussi plusieurs traitez faits
et composez par aucuns prélats, docteurs et prati-
ciens renommez et approuvez, lesquels après avoir
bien vu tout au long et examiné les pièces dudit
procez, auroient trouvé bon et expédient qu'on expli-
quast et esclaircist les doubles et difficultez qui se
rencontrent audit procez : lesquels traitez ont esté
faits et composez par lesdits prélats et docteurs, tant
de l'ordonnance dudit très Révérend père légat du
saint-Siège que de la nostre ;
V^i pareillement les articles et interrogatoires à
nous présentez de la part desdits demandeurs et
promoteurs, après plusieurs délays octroyez pour
faire enqueste ; aussi eu esgard aux dires et déposi-
tions des tesmoins et attestations sur la vie, conver-
sation et deportements de ladite deffunte, et de la
sortie qu'elle fit de son pais natal pour venir trou-
ver le Roy : autres interrogatoires à elle faits par
divers jours tant à Poictiers qu'ailleurs, en présence
de plusieurs prélats, docteurs et sçavants person-
nages, notamment de Très Révérend père messire
Renault, jadis archevesque de Rheims, métropoli-
tain de l'évesque de Beauvais ; et sur l'admirable
délivrance de la ville et siège d'Orléans, du voyage
que le Roy fit à Rheims, et de son sacre et couron-
nement, et autres circonstances dudit procez, quali-
tez des juges et forme de procéder qu'ils ont
tenue ;
Vu aussi plusieurs autres enseignements, lettres
et mémoires, outre les susdites pièces ; plus les
cnquestes et attestations mises par devant nous dans
le délay de produire, forclusion de bailler contre-
dits contre ladite production : et après cela ouy
nostre promoteur auquel le tout communiqué, il
s'est joint en cause avec lesdits demandeurs, et.
292 E. RICHEB. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
comme nostre olïicier a déclaré emploier les pro-
ductions et moyens desdils demandeurs aux fins
portées par leurs escrilures ; toutes fois sous cer-
taines protestations, requestes et réservations faites
tant de sa part que pour lesdils demandeurs ; les-
quelles requestes et demandes nous avons receues et
admises, ensemble quelques motifs de droit produit^
par devant nous pour nous tenir advertis des choses
qui sont plus importantes audit procez ; lesquels
nous avons aussi receus ; conclusion faite au procez
au nom de Jésus Christ, avec l'appointement d'ouyr
droit escheu ce jour d'huy ;
Le tout vu et considéré avec les articles qui com-
mencent : Une certaine femme, lesquels articles les
juges du premier procez prétendent avoir esté
extraits des confessions de ladite deffunte après ledit
procez fait, et furent envoiez à plusieurs personnes
notables pour en délibérer et donner leur opinion
sur iceux ; et ont esté en beaucoup de manières
impugnez et contredits tant par nostre dit promoteur
que par lesdits demandeurs, comme iniques, faux,
supposez, mensongers et grandement contraires
aux confessions et dépositions de ladite delîunte ;
Afin que nostre jugement soit à la gloire de
Dieu, lequel seul cognoist la portée et qualité des
esprits, et juge parfaitement et véritablement des
révélations qu'il inspire et départ à qui bon lui
semble, et parfois choisit les choses basses et imbé-
cilles pour confondre et renverser les plus hautes et
puissantes, et jamais n'abandonne ceux qui espè-
rent en lui, mais se rend leur protecteur et detTen-
seur en temps opportun, quand ils sont en atïïic-
tion;
Donc, après avoir meurement délibéré tant sur
les préparatoires que sur la décision du fond de la
PROCÈS DE REVISION ET RÉHABILITATION 293
cause, et pris conseil des sages expers et craignans
Dieu : considéré semblablement le résultat et con-
clusion prise avec eux, tant sur la conférence des
traitez et livres de divers auteurs qui ont escrit sur
cette matière, comme aussi ayans examiné plusieurs
advis, et délibérations verbales et couchées par
escrit, tant sur la forme de procéder que au fond de
la matière dudit procez : par lesquels traitez, livres,
advis délibérations, les faits et gestes de ladite
deffunte sont plus tost estimez admirables et divins
que subjects à condamnation, comme s'ils prove-
noient d'une personne réprouvée ; à raison de quoy
les susdits auteurs s'esmerveillent et trouvent
grandement à redire sur la sentence donnée contre
ladite deffunte, tant à raison de la matière que de la
forme : vu que c'est chose très difficile de porter un
jugement définitif en de telles révélations, puisque
saint Paul mesme disoit des siennes propres ne sça-
voir point si elles avoient esté faites en son corps ou
en son esprit, et qu'il s'en rapportoit à Dieu ;
Or, en premier lieu. Nous disons et, comme la
justice le requiert, ordonnons, lesdits articles qui
commencent Une certaine femme, etc., registrez
et couchez audit prétendu procez, sur lesquels
ont esté données les prétendues sentences contre la
deffunte, avoir esté et estre extraits et colligez
dudit prétendu procez et des confessions de ladite
deffunte, par corruption, calomnie, dol, fraude et
malice, et qu'en plusieurs points substantiels ils sont
faux, que la vérité y est supprimée, et en son lieu
le mensonge et fausseté articulez : au moyen de
quoy ceux qui ont opiné et délibéré sur lesdits arti-
cles pouvoient estre tirez et comptez pour donner
un advis contre la vérité : attendu plusieurs circons-
E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
tances, confessions et excuses justificatives de ladite
defTunte, lesquelles sont supprimées et entièrement
omises auxdits articles, outre qu'ils font parler cette
fille tout autrement qu'elle fait en ses dépositions,
ce qui pervertit toute la forme; partant Nous cassons
et annulons lesdits articles comme faux, extraits par
dol et fraude, et nullement conformes aux confes-
sions de ladite defîunte, et comme tels avons
ordonné qu'ils seront extraits dudit procez et judi-
ciairement lacérez en nostre présence.
Davantage, vues diligemment les autres procé-
dures du procez, et par espécial les deux prétendues
sentences portant condamnation de la chute et
rechute de cette fille ; pareillement eu esgard à la
qualité desdits juges et de ceux qui avoient en garde
ladite Jeanne estant prisonnière ;
Vues les récusations, submissions, appellations et
réquisitions par elle instamment répétées, à ce
quelle, avec son procez, fust renvoiée au saint
Siège apostolique et à nostre saint père le Pape se
sousmettant à son jugement ;
Considéré aussi sur et en la matièra dudit procez
une prétendue abjuration, faulse, cauteleuse, sup-
posée, extorquée par force et menaces du feu et par
l'assistance du bourreau qui estoit lors présent; à
laquelle abjuration ladite detïunte n'aurait jamais
pensé ni entendu la faire ;
Vu semblablement les traitez et opinions susdites
des prélats et docteurs bien versez tant au droit
divin qu'humain, disans qu'on ne peut induire ni
colliger de la suite de tout ledit procez que ladite
Jeanne aye commis les crimes qui lui sont imputez
par lesdites prétendues sentences et qu'il n'y en a
aucune preuve en tout ledit procez ; outre que
PROCES DE REVISION ET REHABILITATION 295
lesdits prélats et docteurs allèguent fort à propos
plusieurs causes de nullité et d'injustice desdites
sentences;
Le tout vu, et meurement considéré ce qui faisoit
à voir et considérer en cette matière, Nous propo-
sans un seul Uicu devant les yeux et séans au siège
de justice;
Par nostre sentence définitive, Nous disons, pro-
nonçons, arrestons et déclarons lesdits procez et
sentences estre pleins de dol, surprises, calomnies,
injustices, contrariétés manifestes, d'erreurs en fait
et en droit, avec la susdite abjuration, exéquution et
tout ce qui s'en est ensuivi, et conséquemment nulles
et de nul effet et valeur; et autant que besoin est,
selon droit et raison, les cassons, biffons, annulons
et déclarons n'avoir aucune force ; et que ladite
Jeanne et {ses parens demandeurs n'ont encouru ni
contracté aucune note ou tache d'infamie à l'occa-
sion des susdites sentences et exéquution d'icelles,
et les en avons déclarez et déclarons purs, exempts
et innocents, autant que besoin est;
Ordonnons que nostre présente sentence sera
exéquutée incontinent et sans aucun délay, et
publiée solennellement en deux endroits de cette
ville de Rouen : sçavoir est, ce jour d'huy en la
place Saint-Ouen où se fera une procession générale
et y aura sermon solennel ; et le lendemain, jour
suivant, en la place du Vieil Marché oii ladite
Jeanne a esté cruellement et injustement bruslée, où
se fera semblablement une prédication et y sera
dressée une belle croix en mémoire perpétuelle pour
y faire prières tant pour ladite deffunte que pour les
autres trespassez : nous réservans, en mémoire per-
pétuelle des choses susdites, de faire intimer et
exéquuter nostre dite sentence par toutes les bonnes
296 E. niClIKK. LA PUCELLE D ORLEANS
villes et citez de ce royaume, et toutes autres choses
qui sont à faire par raison.
La présente sentence donnée, lue et publiée par messieurs
les juges en présence de Révérend père en Dieu, messire Jean
évesque de Démétriade, de Hector Coquerel, Nicolas du Bois,
Alain Olivier, Jean du Bec, Jean de Gouys, Guillaume Rous-
sel, Laurent Seuray, chanoines; Martin Ladvenu, Jean Rous-
sel, Thomas de FavouUières. De toutes lesquelles choses
maistre Simon Chapitault promoteur, JeanDarc et Guillaume
Prévosteau ont demandé acte pour eux et tous les autres.
Fait au palais archiépiscopal de Rouen, l'an mil quatre cens
cinquante-six, le septiesme du mois de juillet. Signé : Gomitis
et Ferrebouc.
L'on recognoist par cette sentence que les juges ont eu
communication des interrogatoires faits à la Pucelle par
messire Renaut de Chartres, archevesque de Rheims, tant à
Poictiers qu'à Ghinon, et partant que cette fille avoit raison
de renvoier TEvesque de Beauvais au livre de Poictiers,
auquel les responses qu'elle avoit faites aux prélats de France
qui lavoient interrogée estoient registrées. Or, messieurs les
juges commis par le saint-Siège Apostolique se réservent de
faire intimer et exéquuter cette sentence par toutes les bonnes
villes du royaume, et, sans avoir esgard aux demandes
des parens de ,1a Pucelle et du promoteur qui avoient requis
que le prétendu procez fait par l'évesque de Beauvais fust
bruslé en la mesme place où la Pucelle avoit esté bruslée, ils
ont seulement ordonné qu'une belle croix y seroit érigée, etc.
Et ce prudemment, vu qu'il importe pour la mémoire et
innocence de cette vierge que son procez soit conservé entier :
car autrement les Anglois diroient qu'il auroitesté falsifié et
corrompu.
Cette mesme année, le Roy Charles VII en mémoire des
faits héroïques de cette fille et pour sa justification, fit bastir
PROCÈS DE REVISION ET RÉHA lUI.ITATlON 297
deux belles croix, lune, au Vieil Marché de Rouen en la
mesme place oii les Anglois Favoient fait brusler ; en laquelle
place a esté construit le corps ou regard d'une fontaine de
pierre de taille bien polie et élabourée, qui jette de l'eau par
divers tuyaux, et au-dessus de cette fontaine est élevée la
statue de la Pucelle sur des arcades : et en un estage plus
haut fut érigée une belle croix, partie de laquelle est aujour-
d'huy minée par l'injure du temps, depuis environ deux cens
ans qu'elle fut premièrement édifiée. Quant à la statue de la
Pucelle, on la voit encore toute entière et seroit à désirer
qu'on eust plus de soin de faire réparer et mieux entretenir
le tout qu'il n'est à présent, puisque cette fille a tant bien
mérité de la France, et que cela se pourrait faire avec peu de
despense.
L'autre croix que le Roy fit bastir est celle qu'on voit sur
le pont d'Orléans, laquelle messieurs les habitants de cette
ville ont soin de bien entretenir. C'est une Nostre Dame de
pitié qui tient Nostre-Seigneur descendu de la croix entre ses
bras ; et à costé dextre est le Roy Charles VII à genoux, et à
senestre la Pucelle, armez [tous deux] de toutes pièces,
excepté de leurs heaumes qui sont à leurs genoux. Nous avons
dit au premier livre de cette histoire que le Roy Charles VII
avoit fait ériger cette croix en mémoire des prières mentales
qu'il avoit adressées à la Vierge Marie au fort de ses afflic-
tions, et de ce que la Pucelle lui avoit révélé ce secret, lequel
il pensoit n'estre cognu qu'à Dieu seulement. Sous la base
ou piédestal de cette croix on voit trois tables d'attente à
raison desquelles et pour les remplir maints doctes pei-son-
nages ont composé en vers et en prose tant latin quefrançois
plusieurs inscriptions lesquelles maistre Charles du Lys,
conseiller du Roy et son advocat général en la cour des aydes
de Paris, a recueillies et fait imprimer en un livre avec la
représentation de cette croix. La table d'attente qui est au
milieu dessous la Vierge est la plus grande et plus capable ;
les deux autres qui sont sous les statues du Roy Charles VII
298 E. RICHER. — I.A l'UCELLE D ORLEANS
et de la Pucelle sont égales. Et attendu les afflictions du Roy,
ses prières mentales, le secours inespéré que Dieu lui envoie,
il me semble que ces tables d'attente pourroient fort à propos
estre remplies des textes de la Sainte-Escriture qui nous
enseignent à mettre toute nostre espérance en Dieu, et à nous
humilier davantage lorsque nous sommes plus tenaillez et
terrassez d'afflictions. Donc au plus grand tableau nous
enchâsserons cet excellent passage du chapitre xii aux
Hébreux :
« Regardez et vous représentez Jésus-Christ auteur de la
foy, quelle contradiction et anéantissement il a souffert pour
l'amour des pécheurs, estant mort ignominieusement en
l'arbre de la croix pour estre glorifié à la dextre de Dieu son
père. Partant ne vous lassez jamais et ne soyez faillis de
cœur. Qui est celui d'entre vous qui a résisté jusques au sang,
combattant le péché, ainsi que Jésus Christ a fait? N'oubliez-
pas la consolation qu'il vous promet comme à ses en-
fants. ))
Quant au tableau du Roy, vu les prières qu'il a adressées à
la Vierge au comble de ses angoisses et tribulations, nous le
remplirons d'un verset du mesme chapitre aux Hébreux,
comme estant prononcé par la Bienheureuse mère de Dieu
pour consoler le Roy en ses afflictions.
« Mon fils, ne mesprisez point la discipline et le chastiment
que Dieu vous envoie, et ne perdez pas courage, estant repris
de lui ; car il chastie ceux qu'il ayme. »
Pour ce qui est de la Pucelle, nous graverons sur son
tableau le mesme esloge que l'Escriture attribue à Debbora,
vu la déposition de M. de Longueville : scavoir qu'aupara-
vant son arrivée en France, deux cens Anglois faisoient fuir
devant eux mille François ; mais depuis qu'elle eut envoie
ses lettres aux Anglois, que la chance tourna, ainsi que nous
avons montré au premier livre. Cet esloge est au chapitre
cinquiesme des Juges, septiesme verset.
« Les hommes vaillans ont défailli en France jusques à ce
PROCES DE REVISION ET REIIAIÎIIJTATION 299
que la Pucelle s'est levée, voire s'est levée comme la mère des
François. »
Au demeurant, cette croix mérite bien que nous la faisions
ici graver en taille douce pour en donner la cognoissance
aux nations estrangères qui ne la peuvent voir sur le pont
d'Orléans^
1. Projet quE. Richer ne put exécuter, la mort ne lui ayant même
pas laissé le temps de faire imprimer son Histoire.
N. B. — Sous forme (ï Appendices et éclaircissements, le lecteur trouvera
à la fin du volume, sur Pierre Gauchon, sur les juges des deux procès,
sur l'abjuration de Saint-Ouen cl autres questions importantes, les notes
que nous n'avons pu donner au cours des livres II et III de l'œuvre
d'E. Richer.
FIN DU LIVRE TROISIESME
LIVRE TV
ÉLOGES TIREZ DE DIVERS AUTEURS
AVANT-PROPOS DE L'ÉDITEUR
Edmond Uicher est le premiei- historien de la Pucelle qui ail
puisé aux vraies sources les éléments de son récit. Il est le premier
et le seul, jusqu'au dix-neuvième siècle, qui ait abordé et mené h
bonne fin l'exposé critique des deux procès. Mais il n'est pas le
seul ni le premier qui ait réservé un livre entier aux éloges qu'ont
faits de l'héroïne les écrivains français et étrangers des quinzième
et seizième siècles. Jean Hordal l'avait fait avant lui dans la petite
histoire de la Pucelle qui parut à Pont-à-Mousson en 1612. Il avait
même accordé à ces éloges une place si grande, qu'ils formaient
la partie principale de l'opuscule.
E. Richer a donc suivi l'exemple de Jean Hordal, avec cette dif-
férence qu'il offrait en même temps au public une histoire com-
plète de Jeanne et des deux procès, ce que Jean Hordal navait
point fait : et, sous ce rapport, il a lui-même servi de modèle à
deux historiens qui sont venus après lui, M. l'abbé Lenglet-Dufres-
noy et Jules Quicherat.
Au demeurant, on peut considérer ce quatrième livre du docteur
de Sorbonne comme une enquête complémentaire ayant pour but
de préciser l'opinion que les lettrés des quinzième et seizième
siècles avaient conçue de la Pucelle et de son oeuvre.
11 en a été de même du travail de Jean Hordal, enquête de même
nature dont voici l'économie.
I
De l'enquête entreprise par Jean Hordal
11 faut convenir que, pour la plupart, les auteurs cités nont pas
laissé de traces profondes dans la littérature de l'époque : aujour-
ELOGES TIRKS DE DIVERS AUTEURS 30J
d'hui ils sont à peu près oubliés. Mais au temps où Jean Hordal et
Richer écrivaient, ils faisaient bonne figure dans la République des
lettres, et on ne leur contestait ni une honnêteté de bon aloi ni un
certain savoir. Quelques-uns même, en petit nombre il est vrai,
avaient rempli un rôle considérable dans la société et dans l'Église :
tels Gerson, Saint Antonin, ;'Ëneas Svlvius qui fut le pape Pie II, et
le président Estienne Pasquier.
Jean Hordal range en cinq classes les personnages auxquels il se
propose de demander ce qu'ils pensent de la Pucelle.
La première classe est celle des évéques et des théologiens :
quinze, magni noininis et auctoritatis, d'après lui, répondent à son
appel. Seulement parmi ces théologiens figurent des écrivains qui
sei-aient mieux à leur place dans la catégorie des historiens : tels
sont Jacques Meyer, Paul Jove, Robert Gaguin et le jésuite espa-
gnol Mariana.
La deuxième classe est celle des jurisconsultes : ils sont au nom-
bre de six.
La troisième classe comprend les médecins, deux seulement.
La quatrième est celle des historiens : il y en a vingt-six.
La cinquième nous fait entendre les poètes, cinq en tout : parmi
eux Valéran Varanius et Estienne Pasquier dont Hordal cite le
quatrain :
Jana vocor, Gallis numen, Medea Britannis....
A "Valéran Varanius Hordal emprunte une quarantaine de vers.
Les théologiens le plus longuement cités sont :
Robert Gaguin avec 24 pages ;
Philippe de Bergame avec 10 pages;
Jacques Mejer, 6 pages ;
Laziardus Gélestin, 4 pages ;
Forcadel, 12 pages;
Sybilla francica, 2 pages ;
Mariana, 2 pages.
Un seul des 26 historiens figure pour 5 pages ; trois ou quatre
autres pour 2, les autres pour une seule ou pour quelques lignes.
Du pape Pie II, Hordal ne donne que 7 lignes [Histor. Joannœ
Darc, p. 37).
II
Edmond Richer : son enquête.
Edmond Richer, dans son enquête, a procédé de la même manière
que Jean Hordal : lui aussi range ses auteurs en cinq classes : les
302 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
écrivains ecclésiastiques, les jurisconsultes, les médecins, les his-
toriens, les poètes. Mais il n'a pu tenir la promesse qu'il avait
faite au sujet de ces derniers, il n'a pas eu le temps de s'en occu-
per ou bien il n'a pas cru devoir le faire.
Les écrivains ecclésiastiques dont le docteur de Sorbonne invoque
le témoignage sont au nombre de vingt au moins. Toutefois, de ces
vingt il en est quelques-uns, les docteurs de la réhabilitation, par
exemple, aux mémoires desquels il se contente de renvoyer.
Après les écrivains ecclésiastiques viennent les jurisconsultes.
Richer en désigne seize ; mais il ne fait entendre que Forcadel et
Kormannus.
En fait de médecins, il invoque le témoignage de Camperius, de
Jérôme Cardan et de Nicolas Vigner.
Les historiens qu'il cite ou signale sont au nombre de trente.
11 restait à écrire un cinquième chapitre, celui des poètes qui ont
chanté les louanges de la Pucelle. E. Richer se l'était promis à lui-
même : il le promet également au lecteur à certaines pages de cette
quatrième partie. Les citations de Kormannus reproduisent quel-
ques vers de Valéran Varanius. Richer ajoute : « Pour ces vers, nous
en parlerons en son lieu ».
11 fait la même observation à propos du quatrain d'Estienne
Pasquier. « Rel épigramme, dit-il, que nous enchâsserons en son
lieu ».
Arrivé à la dernière page de son Histoire, notre auteur s'aperçoit
et avoue que l'abondance de la matière l'oblige à laisser de côté
bon nombre d'écrivains, et aussi « à omettre des poètes célèbres,
comme Hubertus Momoretanus et Valerandus Varanius, docteur
en théologie de la faculté de Paris, natif d'Abbeville. » Qu'acte
lui soit donné de cette excuse. Mais il est permis de croire que,
s'il n'écrivit pas le chapitre des poètes, les souffrances qui mar-
quèrent les dernières années de sa vie y furent pour quelque chose.
Jean Hordal, pour n'avoir rien à se reprocher, signale au lecteur,
son enquête terminée, cinquante-deux écrivains et plures alios qu'on
pourra consulter. Richer, à son exemple, en indique trente-quatre.
Parmi ceux dont il a donné des extraits, il a, remarque-t-il, cité
de pi'éférence des auteurs étrangers. « C'est qu'il est plus à propos
d'alléguer tout au long les opinions des écrivains estrangers que
des Français, afin qu'on ne pense pas que nous voulions nous payer
de nostre propre bourse. »
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 303
III
De Lenglet-Dufresnoy
Cette réflexion a frappé par sa justesse un autre historien de
la Pucelle, Lenglet-Dufresnoy. Au moment de suivre l'exemple
d'Edmond Richer et de .lean llordal, il s'exprime ainsi :
« Dans tous les témoignages que je vais produire en faveur de
la Pucelle, à peine se trouvera-t-il deux ou trois auteurs français.
« Jappuie principalement sur les Anglais et les Bourguignons. Le
témoignage favorable d'un ennemi vaut seul une douzaine de
témoins qui sont amis. » {Histoire de Jeanne d'Arc, 3^ partie, p. 1-2.
ln-12, Amsterdam, 1759.)
Les écrivains qu'il cite sont en effet :
Le théologien hollandais Henri de Gorcum ;
Lauteur de la Sibylla fravcica, des confins de l'Allemagne :
Le duc de Bedfort lui-même ;
Enguerran de Monstrelet, le chroniqueur Bourguignon ;
L'Italien Philelphe;
Saint Antonin, italien lui aussi et archevêque de Florence ;
-Eneas Sylvius, pape sous le nom de Pie II, dont Lenglet indique
le sentiment sur la Pucalle sans reproduire les pages qu'a citées
E. Richer;
Baptiste Fulgose, doge de Gênes ;
Philippe de Bergame, religieux augustin ;
Jean Nider, dominicain allemand;
Polvdore Virgile, historiographe d'Angleterre ;
Hector Boethius, historiographe d'Ecosse ;
Larrey, historien partisan des Anglais ;
Paul Jove, évêque de Nocera au royaume de Naples ;
Mariana, historien espagnol ;
Jacques Meyer, flamand ;
Pontus Heulerus, prévôt d'Arnheim, partisan de la maison d'Au-
triche ;
Thomas Carte, historiographe pensionné de la ville de Londres ;
Guillaume Postel, auteur d'un livre sur « les très merveilleuses
victoires des femmes ».
Lenglet-Dufresnoy ne range pas les auteurs dont il invoque le
témoignage en diverses catégories, comme l'ont fait ses prédéces-
seurs; mais on remarquera qu'il s'en présente peu dont Edmond
Richer ne se soit déjà occupé, et parfois avec un sens critique beau-
304 E. RICHKR. LA PUCELLE D 0 RLE AXS
coup plus perspicace. Richer ne s'est pas mépris sur l'importance
des pages de Pie 11 ; Lenglel-Duf'resnoj n'a pas lair de s'en être
douté, n'y prenant quune quinzaine de lignes.
IV
De Jules Quicherat. — Une rectification.
L'éditeur des deux procès ne s'est pas contenté, comme Lenglet-
Uufresnoj, des témoignages que llicher avait réunis : il a fait usage
de plusieurs d'entre eux, une douzaine environ ; mais il y en a joint
un nombre considérable qui remplissent, dans les tomes IV et V de
sa publication, quatre cent pages au moins, prose et poésie, sans
compter les chroniques de Perceval de Cagny, du héraut Berri, de
Jean Ghartier, Journal du siège d'Orléans et de la Pucelle.
Après avoir reconnu le mérite de Jules (Juicherat sous ce rapport,
nous nous permettrons une rectification ayant pour objet de réparer
une erreur dont Edmond Richer a été victime C'est à propos des
pages sur la Pucelle empruntées au pape Pie 11.
Ces pages sont tirées du livre VI des mémoires que Pie II avait
composés sur les principaux événements de son temps, et que son
secrétaire intime, Jean Gobelin {Gobellini ou Gobellinus] fit paraître
à Rome en 1484. '< Gomme récit et comme appréciation, ce mor-
ceau, remarque J. Quicherat, [Procès t. IV, p. 507) peut passer
pour ce qui a été écrit de meilleur à l'étranger au xv" siècle sur la
Pucelle. »
Très exact en s'exprimant de la sorte, l'éditeur des deux procès
ne l'est plus quand il ajoute: « Parmi les historiens et collecteurs
de textes sur Jeanne d'Arc, Denys Godefroy est le seul qui ait songé
aux mémoires de Pie II. »
Si J. Quicherat avait pris la peine de feuilleter jusqu'au bout le
manuscrit d'E. Richer, qu'il connaissait fort bien, il aurait cons-
taté que, une quarantaine d'années avant Godefroy, le docteur de
Sorbonne avait tiré des mémoires de Pie II, non pas seulement
« un passage d'assez peu d'intérêt » mais les douze pages que J.
Quicherat lui-même a insérées dans le quatrième volume de son
édition des deux procès (pp. 507-518).
En supposant que J. Quicherat ait lu jusqu'au bout le quatrième
livre de Richer, lorsqu'il a écrit les lignes rapportées plus haut il a
été victime d'un lapsus memoriœ dont il serait bon qu'il ne restât
pas de trace.
ÉLOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 305
V
De la portée des enquêtes dont nous venons de parler.
Les enquêtes de Richer, de Lenglet-Dufresnoy, de Jules Quicherat
dont nous venons de parler ont une double portée. D'une part,
elles projettent sur les faits et dits de la Pucelle, sur l'œuvre extra-
ordinaire qu'elle a exécutée, sur son héroïsme intégral, une lumière
si abondante quil ny a plus de place pour des doutes sérieux. D'au-
tre part, elles font justice des historiens Imaginatifs qui, fermant
les yeux à cette lumière aveuglante, veulent à tout prix que Jeanne
ait été « dès la première heure, et pour toujours peut-être, enfer-
mée dans le buisson fleuri des légendes». (A. France, Vie de Jeanne
d'Arc, t. I, p. 553.)
Lenglet-Dufresnoy fait observer que les témoins invoqués, quoi-
que étrangers, ne disent que du bien de l'héroïne. Ce bien, ils le
savaient par les bruits publics qui se répandaient de tous côtés :
« s'il y avait eu du mal à. dire, ils l'auraient également su, et ils
se seraient faits un plaisir de l'écrire, comme le bien qu'ils en ont
marqué. »
La conséquence à tirer de cet ensemble de témoignages, et tout
particulièrement de ceux qu'a réunis Jules Quicherat, c'est que tous
ces écrivains présentant sous le même jour et comme indubitables
les grands faits et les grandes lignes de la vie de Jeanne d'Arc, son
histoire offre un caractère de certitude qui se rencontre bien rare-
ment au même degré chez les personnages célèbres.
Et ce ne sont pas les quelques légendes ridicules que nous ont
fait connaître tout récemment les éditeurs de la Chronique Moro-
sini, des mémoires d'Eberhard Windecke, et autres érudits, qui
affaibliront cette certitude. Au lieu de rayonner autour d'elles et
de pénétrer dans les masses, ces légendes sont demeurées enfouies
dans les manuscrits dont on vient de les tirer, et on n'en trouve de
traces dans aucun des écrivains français ou étrangers dont le témoi-
gnage va passer sous nos yeux.
N. B. Nous dirons peu de choses des nombreux auteurs cités par
E. Richer : nous ne mentionnerons guère que le temps où ils ont
vécu. Pour ceux qui sont quelque peu célèbres, on trouvera leur
biographie et la liste de leurs principaux ouvrages dans les Diction-
naires historiques connus, tels que ceux de l'abbé Moreri, de
Michaud, de M. le chanoine Ulysse Chevalier, dans le grand ouvrage
de J. Quicherat et autres où nous avons puisé nous-même.
L'Editeur : Pu. -H. Dunand
ÉLOGES TIREZ DE DIVERS AUTEURS
[CHAPriKE préliminaire]
De l'anoblissement de la Pucelle par Charles VII.
L'on dit communément que la vérité est affligée et non
opprimée par le temps. Au cas pareil les calomnies et con-
viées des Anglois contre la Pucelle n'ont pu de sorte préva-
loir sur ses faits et vertus admirables, qu'une infinité d'au-
teurs de toutes les nations chrestiennes n'ayent rendu le fidèle
tesmoignage qui estoit deu aux mérites de cette fille, encore
qu'ils n'ayent jamais vu les actes de son prétendu procez, ni
la revision d'iceluy. Et ce par un singulier privilège de la
nature, ou, pour dire plus chrestiennement, de la provi-
dence divine, laquelle ne permet jamais que le mal puisse
supplanter le bien, et le mensonge tellement opprimer la
vérité qu'elle n'esclate enfin malgré ses ennemis, ainsi que
nous ferons voir en ce livre lequel nous avons dédié aux
éloges : recueil qui nous sera d'autant plus facile que Jean
llordal, professeur de droit à Pont-à-Mousson, en a fait
imprimer un livre latin l'an 1612, ayant eu l'honneur d'estre
issu du lignage de cette héroïque vierge du costé maternel.
Nous représenterons comme lui les auteurs par leurs profes-
sions, sçavoir de théologiens ou ecclésiastiques, juriscon-
sultes, médecins, historiens et poètes, selon le temps où ils
auront vescu, et tiendrons registre de plusieurs auteurs dont
il n'a fait aucune mention.
Premièrement, nous produirons les lettres que le Roy
Charles VII fit expédier en faveur de tout le lignage de cette
fille l'an 1429, incontinent qu'il fust retourné en Berry,
après son sacre et couronnement à Rheims. Lettres que j'ay
tirées du registre de la Chambre des comptes, escrit en par-
Kl.OdES TIIIKS DE DIVERS AUTEURS 307
chemin folio, couvert de basane verte, contenant deux cens
cinquante six feuillets, sur lequel est escrit :
Regislnnn vhartarum compolorum Domini noi^tri
Régis, Biluris.
Car pour lors, la Chambre des comptes estoit transférée à
Bourges, et le Parlement à Poitiers, parce que les Anglois
tenoient la ville de Paris. Au reste, je m'esbahis fort qu'en
ces Lettres le père de la Pucelle soit appelé Jacques Day, au
lieu de Jacques d'Arc, et ne puis conjecturer d'où une telle
erreur est provenue, sinon de quelque vice de clerc, comme
l'on dit.
[Lettres d anoblissement de la Pucelle et de son lignage] '
« Kaholus, Dei gratia Francorum rex, ad perpetuam rei
memoriam. 3Iagnificaturi divinee celsitudinis uberrimas
nitidissimasque gratias celebri ministerio Puelke Johannœ
Day de Dompremeyo, caree et dilectee nostrœ, de ballivia
Calvimontis seu ejus ressortis, nobis elargitas, et, ipsa
divina coopérante clementia, amplificari speratas, decens
arbitramur et opportunum ipsam Puellam et suam, nedum
ejus ûb officii mérita, verum et divinee landis preeconia,
totam parentelam dignis honorum nostrœ regite majestatis
insigniis attollendam et sublimandam, ut divina claritudine
sic illustrata, nostrœ regiœ.liberalitatis aliquod munus egre-
gium generi suo relinquat, quo divina gloria et tantarum
gratiarum fama perpetuis temporibus accrescatet perseveret.
Notum igitur facimus universis prœsentibus et futuris, quod
nos, prœmissis attentis, considérantes insuper laudabilia,
grataque et commodiosa servitia, nobis et regno nostro jam
per dictam Johaijnam Puellam multimode impensa, et quœ
in futurum impendi speramus, cœterisque- aliis causis ad
hoc animum nostrum inducentibus ; prœfatam Puellam ;
Jacobum Day dicti loci de Dompremeyo, patrem ; Ysabellam
1. Voir J. QuiciiERAT. Procès, t. V, p. 150-153.
'2. .]. QricHERAT : certisque au lieu de cœlerisque.
308 E. RICHER. LA PUCELLE DORI-ÉANS
ejus uxoreni, matrem ; Jacqueminum et Joannem Day, et
Petram Pierrelot, fratresipsius Puellœ, et totam suamparen-
telam et lignagium, et in favorem et pro contemplatione
ejusdem, et eorum posteritatem masculinam et femininam,
in legitimo matrimonio natam et nascituram, per pnesentes,
de gratia speciali, et ex nostra certa scientia ac pleniludine
potestatis, nobilitamus et nobilcs facimus; concedentes
expresse ut dicta Puella, dicti Jacobus, Ysabella, Jacquemi-
nus, Johannes et Petrus, et ipsius Puellœ tota parentela et
lignagium, ac ipsorum posteritas nata et nascitura, in suis
actibus, in judicio et extra, ab omnibus pro nobilibus
habeantur et reputentur; et ut privilegiis, libertatibus^
prœrogativis aliisque juribus quibus alii nobiles dicti nostri
regni ex nobili génère procreati uti consueverunt et utun-
tur, gaudeant pacifice et fruantur. Eosdemque et dictam
eorum posteritatem aliorum nobilium dicti nostri regni ex
nobili stirpe procreatorum consortio aggregamus : non
obstante quod ipsi, ut dictum est, ex nobili génère ortum
non sumpserint, et forsan alterius quam liberœ conditionis
existant. Volentes etiam ut iidem prœnominati dictaque
parentela et lignagium supra fatse Puellœ, et eorum poste-
ritas masculina*, dum et quotiens eisdem placuerit, a quo-
cumque milite militiœ cingulum valeant adipisci, seu deco-
rari Insupser concedentes eisdem et eorum posteritati tam
masculinae quam femininœ, in legitimo matrimonio pro-
creatae et procreandee, ut ipsi feoda, et retrofeoda, et res
nobiles a nobilibus et aliis quibuscumque personis acqui-
rant, et tam acquisitas quam acquirendas, retinere, tenere
et possidere perpetuo valeant atque possint, absque eo quod
illas vel illa, nunc vel futuro tempore, extra manum suam
ignobilitatis^ occasione ponere cogantur; necaliquam finan-
ciam nobis, vel successoribus nostris, propter hanc nobili-
tatem^ solvere quovis modo teneantur aut compellantur :
1. On lit dans J. Quicherat, p. 132 : posteritas masculina et ferni-
nina. E. Richer supprime feminina; ce qui s'accorde mieux avec la fin
de la phrase.
2. Dans J. QuiCHERAT : innobilitatis.
;>. Dans J. QiicHERAT : nobilitationem.
ELOGES TIRES DE DIVERS AUTKURS 309
quam quidem financiam, pricmissorum * intuitu et conside-
ralionc, eisdein supranominatis, et dictœ parentelse et ligna-
gio prtedictœ Puellœ, ex. nostra ampliori gratia donavimus
et quitavimus, donamusque et quitamus per prœsentes,
ordinationibus, slatutis, edictis, usu, revocationibus, con-
suetudine, inhibitionibus et mandatis factis vel faciendis ad
hoc contrariis, non obstantibus quibuscumque. Quocirca
dileclis et fidelibus nostris gentibus compotorum nostrorum,
ac thesaurariis necnon generalibus et commissariis super
facto financiarum nostrarum ordinatis seu deputandis, et
ballivo dictai balliviae Galvimontis, ceeterisque justiciariis
nostris, vel eorum locatenentibus preesentibus et futuris, et
cuilibet ipsorum prout ad eum tenuerit, damus harum série
in mandatis quatenus dictam Johannam Puellani, et dictos
Jacobum, Ysabellam, Jacqiieminum, Johannem et Petrum,
ipsiusque Puellse totam paretelam et lignagium, eorumque
posteritatem prcedictain in légitime matrimonio, ut dictum
est, natam et nascituram, nostris preesentibus gratia, nobili-
tatione et concessione uti et gaudere pacifiée nunc et in
posterum faciant et permittant, et contra tenorem praesen-
tium eodem niillatenus impediant, sen molestent, seu impe-
diri patiantur. Ouod ut perpetuœ stabilitatis robur obtineat
nostrum preesentibus apponi fecimus sigillum, in absentia
magni ordinatum ; nostro in aliis, et alieno in omnibus, jure
semper salvo.
« Datum Magduni super Ebrani mense decembri, anno
Domini millesimo quadringentesimo vicesimo nono, regni
vero nostri octavo.
(( Sic signatum : Per regem, episcopo Sagiensi, dominis
de la Tremoille et de Trevis, et aliis preesentibus. Signé :
Malmère.
«Visa expeditas in Caméra compotorum régis... et ibi-
dem registrata, libro chartarum hujus temporis, fol. GXXI.
A. Greelle -.
1. Dans J. QuicHERAT : prœdecessorum.
i. Dans J. Quicherat : Agnelle.
310 E. UlCHEU. LA PUCKLLE d'oUI.ÉANS
Advertissement.
Il se présente plusieurs choses à remarquer sur ces let-
tres. Premièi'cmenl, que par icelles le Koy tesmoigne le
ressentiment qu'il a des grâces que Dieu lui a conférées par
le ministère et entremise de la Pucelle, laquelle pour cette
cause il anoblit avec tout son lignage, leur donnant pour
mission de tenir fiefs et arrière-fiefs, sans estre tenus pour
cela de payer aucunes finances soit à lui, soit aux Roys ses
successeurs. Lequel bénéfice il estend et confère pareillement
à toute leur postérité née en légitime mariage, et en outre
permet aux masles de pouvoir estre faits chevaliers par
quelques chefs de guerre que ce soit. Lesdites lettres sont
ainsi conceues : « Dum et quotiens eisdem placuerit, a quo-
cumque milite militiœ cingulum valeant adipisci seu deco-
rari ». Car ancienaement, il n'appartenoit qu'aux seigneurs
qui actuellement faisoient la faction de la guerre de faire des
chevaliers, et, pour cette raison, le grand roy François vou-
lut estre fait chevalier par le capitaine Bayard ; et l'histoire
du siège d'Orléans porte que le duc d'Alençon, lieutenant-
général de l'armée du Roy Charles Vil, fit le Roy chevalier
auparavant qu'il fut sacré et couronné, ainsi que nous avons
remarqué au premier livre de cette histoire.
En conséquence de cet anoblissement, le Roy permit aux
frères de la Pucelle de porterie surnom Du Liz, et de prendre
pour armes deux fleurs de liz d'or en champ d'azur, avec
une espée d'argent au milieu, férue en une couronne d'or,
ainsi que la Pucelle respondit à ses juges, séance septiesme
du procez.
De quoy le Roy d'Angleterre a fait de grandes plaintes
aux lettres qu'il a envoyées tant à l'empereur Sigismond
qu'aux prélats de son obéissance et au duc de Bourgogne :
lesquelles lettres nous avons produites sur la fin du second
livre de cette histoire. A ce propos, le lecteur pourra voir le
cinquiesme livre des Recherches d'Etienne Pasquier, cha-
pitre huitiesme, où il fait plusieurs belles observations sur
cet anoblissement de la Pucelle et de son lignage, et remarque
que ÛP Charles Du Liz, conseiller du Roy et son advocat
ELOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 311
général en la cour des aydes de Paris, est descendu de Pierre
Darc surnommé Du Liz, l'un des frères de nostre Pucelle qui
est qualifié de chevalier par un ancien titre coté par ledit
Pasquier : duquel sieur Du Liz j'ai eu la communication de
plusieurs titres et enseignements touchant cette histoire,
ainsi que j'ai remarqué ailleurs. Or, c'est chose bien certaine
que les Anglois n'ont pas eu cognoissance de ces lettres
d'anoblissement que le Roy a fait dépescher en faveur de la
Pucelle, car ils n'eussent pas oublié de les détorquer à crime
en leur prétendu procez, lequel n'en fait aucune mention,
mais seulement de l'appoinlement que le Roy avoit donné à
cette fille pour entretenir son train à la guerre (séance sep-
tiesme du procez).
Au surplus, c'est chose digne de grande considération que
par ces lettres le Roy déclare nommément que pour célébrer
et magnifier les éminentes grâces qu'il a plu à Dieu opérer
en son endroit par l'entremise de la Pucelle, il l'anoblit avec
tout son lignage, et leur adonné permission à tous de tenir
fiefs et arrière-fiefs, etc.; estant croyable que si cette fille
eust longtemps vescu, Sa Majesté lui eust conféré quelques
terres et seigneuries. Et conséquemment après cela n'est-il
pas croyable qu'elle eust esté recherchée en mariage par
aucuns seigneurs, et que [il eust esté] possible que par infir-
mité humaine elle se fust portée à vaine gloire et oubliée
comme fit Salomon ; et par ainsi les merveilles qu'il avoit
plu à Dieu parfaire afin de réunir et mettre à repos Testât
de la France moyennant cette bergère, demeureroient
anéanties et tellement obscurcies, qu'on les eust sans doubte
attribuées à une imposture ou à la prudeuce humaine. Car,
pour exemple, si les Apostres eussent esté doctes, éloquents,
riches et puissants, la publication de l'Evangile et conver-
sion des gentils n'eust pas esté attribuée à un miracle. D'où
nous apprenons que les conseils de Dieu sont grandement
différents des conseils des hommes, et qu'aux affaires de la
religion et ordonnances du ciel il faut y procéder le plus
simplement que l'on peut et n'y point mesler la sapience ni
les artifices du monde, ainsi que saint Paul enseigne, pre-
mière aux Corinthiens, chap. i".
312 E. RICHER. LA l'UCELLE D ORLEANS
Et pour confirmation de ce que dessus, je vois que les
voix de la Pucelle ne lui ont jamais rien révélé de sa prison,
sinon après que ces lettres d'anoblissement ont esté homolo-
guées à la Chambre des comptes. Et me persuade aysément
que ce qu'elles lui avoient conseillé de demeurer à Saint-
Denys en France estoit aux fins d'empescher cet anoblisse-
ment, lequel quoyque provenu de la pure grâce et libéralité
du Iloy, sans que cette fille ni ses frères y eussent osé penser
et quoyque le Hoy ayt déclaré nommément que c'estoit pour
magnifier la bonté et grâce de Dieu en son endroit; toutes
fois, attendu que cela semble ne pas s'accorder avec le con-
seil de Dieu qui veut parfaire ses merveilles par choses
simples, réputées basses et viles au monde, je crois qu'afin
de retenir toutes choses en leur debvoir, il a permis que la
Pucelle tombast entre les mains de ses ennemis et qu'ils la
fissent mourir, pour davantage relever par énonciations
prophétiques, ainsi qu'il est arrivé à Hiérémie, aux Apos-
tres et plusieurs autres prophètes. Or, après que l'évangile
eust esté suffisamment publié, comme il n'y avoit aucun inté-
rest pour la gloire de Dieu que les prestres et pasteurs de
l'Eglise fussent doctes, éloquents et possédassent des biens,
au cas semblable quand la Pucelle eust eu accompli et par-
fait tout ce qui estoit de sa mission, et receu commandement
de quitter l'habit d'homme qu'elle portoit par conseil du
ciel, il me semble qu'il n'y avoit aucun inconvénient pour
les merveilles que Dieu avoit voulu exploiter par son moyen,
de recognoistre ses travaux par toute sorte de gralitications :
qui ; telle] est mon opinion, sauf d'en embrasser une meil-
leure, lorsqu'elle se présentera.
Venons maintenant aux Eloges. Et attendu que les Anglois
pourroient en cette cause récuser les auteurs François en
tant qu'intéressez, pour montrer nostre équanimité et can-
deur en leur endroit, nous ne désirons qu'on leur adjouste
aucune foy là où ils seront discordans aux actes publics, tant
de leurprocez prétendu contre la Pucelle, qu'aux informa-
tions faites en la revision d'icelui procez, esquelles infor-
mations [plus de] cent douze tesmoins ont déposé.
CHAPITRE PREMIER
[KLOGES TIREZ DES ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES]
I
Gezson.
Le premier qui a escrit en faveur de cette [fille est maistre
Jean Gerson ^ chancelier de l'Université de Paris, ainsi que
nous avons desja observé tant au premier qu'au troisiesme
livre. Et ce qui est digne de remarque en cet auteur, il a pré-
sagé et prévu ce qui pouvoit humainement arriver à cette
fille, sçavoir qu'elle seroit la proye de ses ennemis mortels,
et qu'ils la feroient mourir : ayant respondu à l'objection
qu'on pouvoit former sur cela, disant que Dieu ne fait pas
tousjours miracle sur miracle par ceux qu'il a eslus pour
accomplir quelques merveilles, ainsi que nous avons vérifié
au premier livre, et spécialement du prophète Hiérémie.
« Neque sequitur, dit-il, semper post primum miraculum
quidquid ab hominibus expectatur vel expectabitur. Prœte-
rea, si frustraretur ab omni expectatione sua, non oportebit
concludere ea quse facta sunt a maligno spiritu vel non a
Deo facta esse, sed vel propter nostram ingratitudinem, vel
blasphemias, aut aliunde justo Dei judicio, licet occulte, pos-
set contingere frustratio 'expectationis nostrse in ira Dei,
quam avertat a nobis et bene omnia vertat, etc. -. »
1 . Jean Gerson, né en 1363, près de Reims, mort à Lyon 1429, docteur
et chancelier de l'Université de Paris, théologien des plus écoutés au
concile de Constance, composa son mémoire sur la Pucelle en mai 1429.
Deux mois après il mourait.
2. J. Quicherat, Procès, t. III, pp. 298-306, donne l'opuscule tout entier.
On le trouve également dans l'édition complète des OEuvres de Gerson,
publiée parEUies Dupin, Paris, 1786, au tome IV, p. 864.
314 E. RICHEH. LA PL'CELLE d'uRLÉANS
II
Henry de Gorkeim ou de Gorcum.
Henry de Gorkeim^ théologien flamand, au mesme temps
des exploits de la Pucelle, fit un petit opuscule auquel on
voit cette clause ;
« Tulit me Dominus quum sequerer gregem, et dixit mihi :
Vade et propheliza adpupulum meum Israël {\^ios,\n, 15).
Populus Israël populus Francîee non incongrue potest spiri-
tualiter nuncupari : quem fide Dei et cultu christianœ reli-
gionis notum est semper floruisse. Ad hujus régis filium
qucedam juvencula, pastoris cujusdam filia, quae et ipsa
gregem ovium secuta fertur, accessit, asserens se missam a
Deo, quatenus per ipsam dictum regnum ad ejus obedien-
tiam reducatur. Ne autem ipsius assertio reputetur temera-
ria, etiam signis superuaturalibus utitur : sicnti revelare
occulta cordium et futura contingentia pra^videre. Refertur
insuper quod sit raso capite ad modum viri, et volens ad
actus bellicos procedere ; vestibus et armis viribilus induta,
ascendit equum ; quœ, dum in equo est, ferens vexillum,
statim mirabili viget industria, quasi peritus dux exer-
citus ad artiliciosam exercitus institutionem. Tune quo-
que sui efficientur animosi ; e contra vero adversarii
timidi, quasi viribus destituti. Ubi autem de equo des-
cendit, solitum habitum reassumens, fit simplicissima,
negotiorum secularium quasi innocens agnus imperita. Fer-
tur etiam quod vixit in castitate, sobrietate et continentia.
1. Henry de Gorkeim (forme allemande), ou de Gorcum (l'orme hollan-
daise), était professeur et vice-chancelier de l'Université de Cologne. 11
écrivit son opuscule au temps le plus brillant de la mission de la
Pucelle. Les copistes lui ont donné pour titre : Opus collativum de quu-
dam Puella quas olim in Franciu equitavit. Imprimé d'abord à la suite
du mémoire de Gerson, Ellies Dupin en trouva le tevte dans un manus-
crit de Sainl-Yictor, et le restitua à son véritable auteur. Il est vrai que
le nom de l'auteur avait été publié en 1606 par Melchior Goldast, avec
son opuscule, dans le recueil de Si/billa francica. Henri de Gorcum pas-
sait pour un théologien profond et un dialecticien subtil. On cite de lui
plus de vingt ouvrages. Il vivait encore en 1460.
ÉLOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 315
Deo devota, prohibens fieri occisiones, rapinas, ctcterasque
violentias omnibus his qui ad dictam obedientiam sevolunt
exhibera. Propter heec ergo et similia, civitates, oppida et
castra se submittunt régis filio, fidelitatem sibi promit-
tentes.
« Quo ita, ut prœfertur, se habente, nonnullas quœstiones
emergunt et ad sui declarationem doctas animas alliciunt,
verbi gratia :
An credi debeat vera naturœ humaniu Puclla, an in simi-
lem efïigiem fantasticam transformata ?
An ea quœ facit possint humanitus fieri ab ipsa, an
per eam ab aliqua superiori causa?
Si per superiorem causam, an per bonam, scilicet spiritum
bonum; au malam, ut puta per spiritum malum ?
An ejus verbis liducia sit exhibenda, et ejus opéra, tan-
quam divinitus facta, sint approbanda, an pythonica et illu-
soria ?
Quia vero circa bas aut sim?ies qutestiunculas alii et alii
aliter et aliter sentiunt, quatenus utrique pro sua defensione
valeant ex sacris litteris testimonia proferre, preesens hoc
opusculum, non asserendo sed collative dictando, offert
quasdam propositiones pro una parte, rursus quasdam pro
alia, modo problematico, provocans subtiliora ingénia ad
intelligentiam profundiorem. Hoc tamen memoriter commen-
dandoquod, ad sententiandum aliquid secure in hac materia,
necesse est hujus Puelkc mores, verba, opéra, cœterosque
gestus, tam quos babet solitaria, quam eos quos habet cum
aliis in publico, et cœteras suie vitae circumstantias ad liqui-
dum prœcognoscere, et an ea quie révélât et prœnuntiat,
sempervera inveniantur ^. »
Le susdit auteur remarque fort bien qu'on doibt juger de
ses révélations par ses mœurs et déportemens, suivant le dire
de Nostre-Seigneur, ce que nous avons observé au premier
livre. Au demeurant il ne parle pas de la prise ni de la mort
i. E. Richer ne donne pas ce que H. de Gorcuiu nomme Praposiliones
pro Puella et Propositiones contra Puellam, en tout sept pages et demie,
mais sans conclure. On les trouvera dans J. Quicherat, au tome III.
p. 413-421.
316 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
de la Pucelle, et de là on doit colliger qu'il a escrit son traité
l'année mesme qu'elle fit lever le siège d'Orléans et mena le
Roy à Rheims : comme fit pareillement un autre théologien
allemand sans nom, duquel le livre porte ce titre : Laudayani
anonymi clericide Sybilla francica Rotuliduo, seu de admi-
rabili Johanna Lolharinga, pastoris filia, duclrice exerci-
tus Francorum sub Carolo Vil, etc. ^; et tout au commence-
ment du premier Rôle, sur le commun bruit qui couroit de
nostre Pucelle par toute l'Europe, il en rend ce tesmoignage.
III
Sibylla francica.
« Exorto nuper rumore, aures audientium qui titillât, de
quadam sibylla in regno Francise, quse exorsa est prophe-
tari, fama rutilante fulgida, bonœ odore opinionis omnium
]. J. Quicherat fait suivre le titre, De Sibylla francica, de ce sous-
titre :
« Dissertations d'un clerc allemand du diocèse de Spire ». Juillet-
Septembre 1429.
L'éditeur des deux procès ajoute : « Laudayani cujusdam anonymi
clerici, de Sibylla francica rotuli duo, quos Goldasto communicavit R.
P. Johannes Myntzenbergius, prior monasterii Carmelitarum apud
Francofurdianos. » Cette phrase, remarque J. Quicherat, nous apprend
tout ce que Melchior Goldast savait de l'auteur et de la provenance.
La Sibylla francica contient deux rôles ou dissertations écrites à peu
d'intervalle l'une de l'autre. Dans la première, l'auteur allègue deux
témoignages, l'un provenant d'un chevalier qui avait combattu en
France au siège d'une ville dont le nom est resté en blanc ; l'autre pro-
venant d'un religieux français prémontré, « avec qui il s'était entre-
tenu à Laudaya. » C'est pour cela peut-être que Goldast a mis dans le
titre : Laudayani cujusdam anonymi clerici ; supposant que telle était
(Lauda, dans le grand duché de Bade) la patrie ou la résidence de l'au-
teur.
La seconde dissertation résume la discussion que l'auteur eut, dans
un château qu'il ne nomme point, avec un docteur en droit revenan
d'Angleterre. Les deux dissertations sont dédiées à Pierre de Grumbach,
vicaire général du diocèse de Spire. (Cf. J. Quicherat, Procès, t. II,
p. i22 et suiv., et t. V, p. 475, 476.)
Melciiior Goldast de Heiminsfeld né dans le pays de Saint-Gall en
1576, mort en 1635, a publié les écrits d'un certain nombre d'historiens
allemands et autres, et tout particulièrement la Sybilla francisca.
ELOGES TIRIÎS DE DIVERS AUTEURS 317
respersa, vita, moribus et conversatione spectabilis ; quani
vulgus sanctitate dicit fulgere, doctam quoque ad bella et
praeliorum eventuum prœsciam. »
Et au mesme Ilole, sur la fin :
« Nobile regnum Francise ruinam passum est ex superflui-
tate vitseetabundantiapanis. propterunius mulieris speciem.
Ut autem ordo réparation is ex merito respondeat prsevarica-
tioni ex delicto, per personam sexu fragilem, vita autem
humilem et Deo devotam, expedit reparari per virginem
quod desertum fuerat per mulierem. Francia enim fastu
tumoris, se potentia et armis extulit super omnia christiano-
rum régna; patrias convicinas ad pacem terruit, ut leo; et
quando fremnit, terras invasit et devastavit ; confidens
nimiuin de sapientia aliorum consiliorum, uti Achitophel. »
Or, ce qu'il rapporte que le royaume de France a esté
ruiné par une femme, et restabli par une vierge, est con-
forme au dire de la Pucelle dont nous avons fait inventaire
ailleurs.
Quelque peu après, discourant de la piété de cette fille :
« Fréquenter purgat et lustrât conscientiam per puram
confessionem, et roboratur in virtute spiritus sapientiœ in
Eucharistise perceptione, conversatione humilis, modesta, et
bonis consentiens, rapinam pauperum valde detestatur,
pupillorum orphanorumque depressionem. Quare honoris
statum in Francia obtinet pro tanto tempore, quo visiones
promissionis propheticse révélât. »
Sur la fin du second Rôle : « Ista virguncula in régna
Francise laudatur ab omnibus in professione fidei catholicœ,
et in cserimoniis invenitur sufîulta ; sacramenta ecclesiastica
valde veneratur; vita laudabili conversatur ; religiosa in
actis etagendis; in nomine Sanctae Trinitatis cuncta opéra
quantumcumque grandia aggreditur, et ad finem perducit
optatum ; firmans pacem, pauperum tollens inopiam, justi-
tiam sectando diligit, nihil vanitatum mundi neque pompa-
rum aut divitiarum exquirit ' »
Cf. Procès, t. III, p. 422, 431-32, 433, 464.
318 E. RICHKU. — UX PLCKI.I.E D'oiiLKAXS
IV
^Les docteurs de la réhabilitation. j
Et d'autant que nous avons produit aux premier et troi-
sicsme livres les opinons de plusieurs doctes prélats et théo-
logiens qui ont escrit en faveur de la Pucelle pour la revision
de son procez, il nous suffira en ce lieu faire seulement
inventaire de leurs noms et qualitez.
Messire Helias de Bordeilles, évesque de Périgueux ;
Thomas Basin, évesque de Lisieux ;
Maistre Jean Bréhal, dominicain, docteur en théologie, et
inquisiteur de la foy ;
Robert Cibole, docteur et chancelier de l'Université de
Paris ;
Guillaume Bouille, aussi docteur de Paris et doyen de
l'église de Noyon.
Outre deux auditeurs de Rote, sçavoir Paulus Pontanus,
Theodoricus (de Leliis), et un quidam désigné par ces trois
lettres, N. E. N. '.
Tesmoignage d un anonyme rapporté par Jacques Meyer
en son Histoire de Flandre.
Jacques Meyer-, en l'histoire do Flandre, produit le tes-
moignage d'un auteur anonyme qui n'estoit pas François de
nation, comme j'estime : lequel auteur asseure avoir esté
consulté par le Roy Charles VII sur les faits et dits de la
Pucelle, et avoir eu commandement dudit seigneur de voir
le procez avec plusieurs autres prélats, théologiens et juris-
consultes. Et d'autant que ce tesmoignage est fort célèbre,
1. Voir plus haut, p. :286, la note sur cet inconnu et sur les docteurs
do la réhabilitation.
P. Pontanus et Th. de Leliis suivirent en France le cardinal d'Estou-
toville lorsqu'il y vint en 1452 en qualité de légat du Saint-Siège.
2. Voir plus loin la not(! sur J. Meyer.
ELOdKS TIRES DE DIVEUS AUTEURS 319
n ayant pu recouvrer le traité de cet auteur, lequel je pense
avoir esté jurisconsulte, j'en produirai seulement l'extrait
registre en l'histoire de Meyer en ces termes :
(( Sed de Puella, synchronum Puellœ scriptorem audiamus
loquentem.
« Ductu Puelkc Franci Victoria potiuntur, et Classidas,
dux Anglorum, submergitur in aqua Ligeris, ex lurri in pro-
(luentem salire coactus, ardente turri. Uuctu Joannse Puellae.
Francus unus mille fugavit Anglos, et duo fugaverunt decem
millia, Dei voluntas erat victoriam poncre in sexu fragili.
Castra hostium expugnata, turres fractœ, sagittœ Anglorum
nihil non ante pénétrantes, retusa acie nihil amplius potu-
erunt. Repente fortunœ immutatus cursus. Francorum res,
qiuo hactenus dejectœ, prostratse ac miserrimee erant, erectœ
protinus sunt aCfaitque divinitus félicitas ; Anglorum vero
res, hactenus secundissimee, rétro dilabi cœperunt. Tantus,
solo Puelbe nomine, eorum animis incessit pavor, ut magno
eorum plurimi firmarent sacramento, quod solo audito ejus
nomine, aut signis ejus conspectis, vires animumque perde-
rent, ita ut nec arcus tendere, nec jacula ella mittere vale-
rent, nec ferire hostes, ut soiiti erant, haberent potestatem.
Mirabilis Deus in sanctis suis. Joannes nothus Aurelianensis,
idem cornes Diinensis in Carnutibus, et Johanna Puella,
duces preecipui omnibus in rébus et bellis erant. Angli omni-
bus ex locis excussi, fusi, fugati, cœsi. Carolus rex, Puellse
ductu, Ilhemis inunctus et coronatus. Trecis Regem hono-
rifice suscepit Joannes Aeatus, episcopus loci laudatissimus.
Rhemi, Gatalaunum, Compendium, Bellovacum, Laudunum,
Suessiones, Senanes, Carnutes aliœque civitates et populi,
pulsis Anglis, in fidem redeunt sola Dei gratia et benignitate. »
Quelques pages après, le mesme Meyer dit : « Scriptor
autem latinus ejus temporis de eadem virgine tradit hoc.
Compendium obsidetur, Puella eruptionem facit et capitur,
Uucta Rhotomagum ubi tune eratHenricusadolescens. Petrus
Cauchon Bellovacorum tune erat episcopus, consiliarius
prœcipuus régis Angliœ. In ejus diœcesi quoniam Puella
capta erat, convenit ut ipse inquisitioneni faceret de Puella
320 E. RICHER. — LA PUGELLE DORLÉANS
quam maleficani esse per invidiam insinuabant et hsereticam.
Quaestio habita a multis theologis et jurisconsultis Lutetia
evocatis. Per multos dies interrogationes et responsa a
labellionibus diligenter conscripta. Admirationi omnibus
erat quod Pueila rusticana de fidei rébus tam sapienter
tamque catholice loquebatur et respondebat. Hoc auteni
inquisitores, qui Anglicœ erant omnes factionis, in primis
curabant ut callidis, versutis et fycatis verbis, et inquisitio-
nibus, et interrogationibus captiosis, sanctam Christi virgi-
nem caperent et de heeresi accusarent. Sed non potuerunt.
Data sunt illi a Domino verba quœ loqueretur, nec spiritui
ejus qui loquebatur potuerunt resistere. Insuper Anglici per
obstetricem suœ factionis inspici curabant virginem. Nec mu-
lieres illse, quamvis maxime cuperent ac virginis gravissi-
mge hostes essent, aliud potuere affirmare quam quod inte-
merata claustra virginalia servatain illa reperissent. Dicitur
enim suam integritatem Deo vovisse, cum adhuc patris sui
grèges in agris pasceret : quibus in agris adeo religion!
addicta erat, ut quoties sonitum campante audiret de conse-
cratione corporis Domini, religiosissima prosterneret se in
terram, diu multumque orans, laudans ac benedicens Deum.
Virilem habitum excusavit ne scilicet militum incontinentia
provocari in illam posset, si femineo usa fuisset habitu. Una
nihilominus omnium Anglorum sententia erat et vox vulga-
ris, nanquam se posse féliciter cum Gallis dimicare aut vic-
toriam reportare, quamdiu Puella ista, quam veneflcam et
sorlilegam vocabant, viveret ; tollendam esse de terra. Hos-
tes ejus judices erant : pars ejus adversa qui eam accusarat,
tulit sententiam. Squalore, calenis et inedia eam macerabant.
Ferunt eam tandem a judicibus adductam ut si vellet abjurare
revelationes quas asserebat sibi factas, eam absolverent et
abire permitterent. Quod fecisse eam tradunt. Sed cum
lamen non dimitteretur, valde increpitam fuisse se dixisse
quod revelationes abnegasset, iterum sibi in carcere appa-
ruisse, scilicet divas Catharinam et Margaretam, ab illisque
quod hoc fecisset objurgatam. Hsec fuit causa mortis. Dice-
bant hostes ejus qui judices erant, relapsam esse in abjura-
tam hœresim. Adduxerunt enim eam ut juraret se ultra non
KLOGES TIRKS DK DIVERS AUTEURS 321
dicturam sibi revelationes factas esse. Data brachio seculari,
Rhotomagi combusta. Gollecti cineres univers! et de ponte in
Sequanam demersi. ne quid forte reliquiarum servari aut
coli posset. Postquani Normannia, pulsis Anglis, in fidem
rediisset, vidimus eum processum et examinavimus. Ex quo
quidem processu non sufficienter constabat ipsam de alicujus
erronei dogmatis, contra veritatem doctrinœ catholicse, asser-
tione convictam, vel injure confessam ; neque perhochsere-
sis atque relapsus satis manifestum fuisse fundamentum.
Quanquam etiam praeter hoc poterat processus hujusmodi ex
multis capitibus argui vitiosus, coram capitalibus inimicis
saepe per eam recusatis (denegato etiam ei omni consilio quge
simplex puella erat) factus et habitus : quemadmodum ex
libello quem desuper, ab eodem Garolo expetito a nobis con-
silio, edidimus. Si cui ad cujus venerit manus légère vaca-
verit, latius poteritpatere. Pulsis enim de Normannia Anglis,
idem Carolus rex per plures regni sui preelatos et divini
atque humani juris doctos homines diligenter processum
prgedictum examinari et discuti fecit, et de ea materia plures
ad eum libellos conscripserunt, quibus coram certis a sede
Apostolica ad cognoscendum et judicandum de hujusmodi
materia, judicibus delegatis, exhibitis et mature perlectis,
per eosdem judices in sententiam quam diximus exstitit
condescensum, et sententia contra eam data sub Anglorum
imperio, cassata et revocata. Missa erat a Deo, ne quis ponat
carnem brachio suo, ne Anglorum superbia suis nimium
fideret viribus. Gloriabantur in suis viribus, Deo non attri-
buebaht suas victorias : ostendereDeusillis voluit quod stulte
et impie, fecerunt, suis dumtaxat fidentes viribus, et victo-
riam ostendit in sexu fragili, sicut in Debbora, Judith,
Esther. Hœc et plura de Puella ille anonymus synchronus,
ait Meyer. »
Nous recueillons de ce discours que l'auteur d'icelui n'es-
toit pas françois, car il ne parle pas de Charles VII en termes
d'un subject à son Roy, ainsi que font les autres prélats et
docteurs françois. Il dit avoir esté consulté de sa part sur le
procez de la Pucelle, et en avoir composé un traité qu'il
21
3-22 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
envoya au Hoy, et mesme que ce traité a esté produit au pro-
cez de revision et vu par les juges déléguez du Saint-Siège. De
sorte qu'outre les six traitez desquels nous avons tenu inven-
taire au huitiesme chapitre de la revision du procez, il faut
nécessairement que d'autres ayent encore esté produits, les-
quels on n'a pas registrez au corps du procez, non plus que
le traité de messire Thonnas Basin, évesque de Lisieux*, ceux
des auditeurs de Rote et celui de cet auteur anonyme lequel
asseure de plus avoir composé quelque autre discours de
l'histoire de nostre Pucelle que Meyer tesmoigne avoir lu et
en avoir tiré le trait qu'il a inséré en son histoire. Et est grand
dommage que ce traité ayt esté perdu, attendu que l'auteur est
fort judicieux et poli pour le temps auquel il a escrit.
VI
[Les tesmoins des enquestes de la révision.]
Aux susdits auteurs nous pouvons adjouster tous les tes-
moins qui ont déposé à la revision du procez pour la justifi-
cation de la Pucelle, qui sont en nombre cent et onze pour le
moins-, sçavoir trente-deux de son païs natal, trente d'Or-
léans, vingt de Paris, dix-huit de Rouen et deux autres d'ail-
leurs, sçavoir Seguin de la faculté de théologie de Poictiers,
et le sieur Dolon ; tesmoins hors de tout reproche, entre les-
quels il y a des princes, plusieurs grands seigneurs, gentils-
hommes et personnes bien qualifiées, qui ont par un long
temps conversé avec la Pucelle tant aux armées qu'ailleurs,
1. Méprise de l'auteur qui l'a mentionné plus haut, paragraphe IV.
2. Que le lecteur ne s'en tienne pas aux nombres donnés par E. Richer ;
ils sont inexacts de plusieurs façons. D'après les nombres donnés, il y
aurait eu, non cent onze, mais cent deux témoins seulement. Il est vrai
que Richer ne compte pas les sept témoins entendus à Rouen en 1450
par maistre Guillaume Bouille. Nous avons rappelé ailleurs que, outre
ces sept témoins, le cardinal d'Estouteville à Rouen en entendit cinq en
1452, l'hilipppe de la Rose dix-sept ; les commissaires de Toul-Dom-
remy, trente-quatre en 1455-56; ceux d'Orléans, quarante-deux: de
Paris, vingt; de Rouen, dix-neuf ; de Lyon, un : total cent quarante-
quatre déposilions recueillies, et cent vingt-cinq témoins entendus, un
certain nombra ayant déposé plusieurs fois.
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 323
et n'y eut onques histoire humaine assistée et fortifiée de
tant de tesmoins, d'auteurs et historiographes.
VII
Le Pape Pie II.
.Eneas Sylvius^ estoit de mesme temps, et quoiqu'il soit
peu affectionné aux Français, si a-t-il rendu un tesmoignage
d'honneur à nostre Pucelle au quarante-troisiesme chapitre
de l'Europe, en ces termes^ :
« In regno ipso Francise quod nostra setate Johanna, virgo
Lotharingensis divinitus, ut creditur, admonita, virilibus
indumentis et armis induta, Gallicas ducens acies, ex Anglo-
rum manibus magna ex parte, mirabile dictu, prima inter
primos primos pugnans, victoriam eripuit. » Eloge qu'il a
escrit auparavant qu'il fust Pape.
Et depuis, estant Pape, après la revision du procez, aux
commentaires latins qu'il a faits des choses mémorables
advenues de son temps, recueillies par Jean Gobelin, vicaire
de Bologne, imprimez à Rouen l'an 1584 et dédiez au pape
Grégoire XIII, rapporte un bel éloge de la Pucelle, car après
avoir parlé des guerres que l'Anglois et le Bourguignon fai-
soient à la France, il descrit en cette manière les faits héroï-
ques de cette fille, au livre sixiesme.
« Interea desperatis pêne Francorum rébus, Puella sexde-
cim annos nata nomine Johanna, pauperis agricoles filia, in
agroTullensi, quum porcos custodiret, divino afflata spiritu,
sicut res ejus gestse demonstrant, relicto grege ac parentibus
posthabitis, ad prsefectum proximi oppidi quod solum ejus
regionis in fide Francorum remanserat, sese confert, ducto-
1. Le pape Pie II avait nom ^Eneas Sylvius et appartenait à la famille
des Piccolomini de Sienne. Né en 1405, il resta laïque jusque vers 1442.
Ordonné prêtre, il fut nommé évèque de Trieste, puis de Sienne. Car-
dinal en 1436, il succéda au pape Cali.ïte III en 1457 et mourut en 1464.
Mêlé aux grandes alYaires de son temps, il fut secrétaire du concile de
Bàle. Ce qui lui fit dire dans sa Bulle de rétractation (1463) : ALneam
rejicile, Pium recipile. U avait prépaie uue croisade contre les Turcs, et
il allait s'embarquer à Ancône, lorsque la mort le frappa.
324 E. lUCHER. LA PUCELLE d'ORLÉANS
resque petit qui sibi ad Delphinum iter demonstrent.
Qua3nt prœfectus itineris causam. Habere se inquit divina
mandata quœ ad illum perferat, sibi et regno salutaria.
Ridet praefectus amentemque putans spernit. Instantem
multis pertcntat modis : fit mora plurium dierum, si forte
mutaret Puella propositum aut in eo aliquid reperiretur
indignum. At ubiconstans et immutabilis, nulliusqueconscia
turpitudinis inventa est : « Quid scio, inquit prœfectus, an
heec Dei voluntas sit? Ssepe regnum Franciœ divina ser-
vavere prœsidia : forsitan et nostris diebus aliquid in cœlo
pro nostrasalute ordinatum est quod per feminam patefiat.»
Selectisque tribus spectatœ fidei servis, Puellam ducendam ad
Delphinum commendat.
(( Decem ferme dierum iter faciendum erat, et agros
medios aut hostis tenebat,aut amicus hosti. Transiit cunctas
difficultates inoffensa virgo, vestibus induta virilibus, Del-
phinumque apud Bituriges morantem adiit : qui fractus
animo tôt cladibus, non jam de regno tuendo, sed de loco
quœrendo ubi securam vitam securus agere posset, anxius
erat. In Hispania régis Castellae ac Legionis ea œtate flo-
rentes opes habebantur, qui cum Delphino et consanguinitatis
et amicitiee vinculo jungebatur. flunc rogare statuerat ut,
regni Francise curam et coronam suscipiens, angulum sibi
aliquem terrœ concederet in quo tuto latitaret. Talia medi-
tantem virgo convenit, et restitutis prœfecti litteris audiri
petiit. Delphinus rei novitate permotus delusionemque
veritus, Castrensi episcopo, confessori sue, inter theologos
apprime docto, Puellam examinandam committit nobili-
busque matronis servandam tradit. Interrogata de fide, ea
respondit quœ christianse religioni conveniunt. Examinata
de moribus, pudica et honestissima reperitur. Fit pluribus
diebus examen : nihil in ea fîctum, nihil dolosum, nihilarte
maligna excogitatum invenitur ; in habitu sola difficultas
manet. Rogata cur vestes viriles mulieri prohibitas induisset,
« virginem esse ait; virgini utrumque habitum convenire :
sibi a Deo mandatum est vestibus ut virilibus uteretur, cul
et arma tractanda essent virilia. »
Sic probata, rursus in conspectu Delphini reddita : « Ego
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 325
ad te, inquit, veni, regum sanguis, Dei jussu, non nieo
consilio. Is mandat ut me sequaris. Si parueris, restituam
tibi tuum solium, Ilemisque propediem tuo capiti coronam
imponam. »
Delphinus rem diffîcilliman quse promitteretur ait. Remo-
rum civitatem in qua reges coronari solerent remotissimam
esse et ab hostibus obtineri ; nec usquam iter patere tutum ;
Aureliam quœ média civitas esset ab Anglicis obsideri, nec
vires Francos habere quilaus miseris obsessis subveniretur;
miilto minus coronationi navare operam posse.
Nihil his mota virgo. « Non vana, inquit, promitto. Si
Deo credis, et mihi crede : ejus nuntia veni ; arma tibi
ministrabo divinitus et invisibili ferro aperiam iter. Pare-
bunt quocumque ieris populi, et ultro tua signa sequentur
nobiles. Nec tu mihi obsidionem Aurelianensem objeceris :
banc ego ante omnia dissolvam, et civitatem liberam dabo ;
tantum mihi hos équités qui te pênes adsunt, concedito. »
Res aliquandiu in consilio diversis sententiis agitata est.
Alii captam mente Puellam, alii dsemonio illusam, alii spi-
ritu sancto plenam putabant. Et ii Bethuliam atque alias
civitates per feminas fuisse salvatas referebant, regnumque
Francise saepe divinitus adjutum; nunc quoque per virginem
quam Deus mitteret, posse defendi ; idque fragili commis-
sum sexui, ne Franci, suo more superbientes, in sua virtute
confidant : nec vesanam Puellam qaoquo modo putandam,
cujus consilia sensu plena essent.
Vicit haec sententia^ et Aurelianensem provinciam Puellee
crediderunt. Dux femina belli facta est. Allata sunt arma,
adducti equi : Puella ferociorem ascendit, et ardens in
armis, hastam vibrans, saltare, currere atque in gyrum se
vertere haud aliter coegit equm, quam de Camilla fabalee
tradunt. Quod cum proceres advertissent, nemo inventus
est qui ducatum feminœ contempserit. Nobilissimusquisque
assumptis armis, percupide sectatus est virginem quœ, pa-
rati.s omnibus, itineri se commisit.
Diffîcillimus per terram ad Aurelianum patebat aditus.
llinera quoque preecluserat Anglicus tribusque urbis portis
trina objecerat castra, eaque fossa et vallo munierat. Puella
326 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉAXS
haud ignara Lygciiin fluvium prujler ma^nia civitatis de-
currere, naves occulto in loco frumenlo onerat atque cum
copiis ingreditur, et obsessis de sua proicctionecommonitis,
veloci remigio et rapidi fluminis usa cursu, prius in cons-
pectu civitatis est visa, quain hostes venturam cognoverint.
Accurrerunt armati Angliei, conscensisque naviculis, frustra
ingressum virginis remorari conati sunt, multisque acceptis
vulneribuus terga dederunt^ 111a urbem ingressa ac summa
civium alacritate suscepta, commeàtum omnis generis jam
famé pereuntibus importavit. Necmorata, sequenti luce, cas-
tra hostium quœ portam preecipuam obsidebant, magno furore
invadit repletisque fossis atque aggere ac vallo disjecto,
Anglos perturbai, ac potita munitionibus, turreset propugna-
cula quae hostes paraverant, incendit ; idemque, confirmatis
oppidanorum animis, per alias portas egressa, in aliis castris
effîcit. Quum divisi Angliei pluribus in locis essent, nec cas-
tra castris subvenire possent, per hune modum soluta et
penitus deleta est Aurelianentis obsidio, ca;sisque hostibus
quicumque ad ea convenerant, ut vix cladis nuntius extiterit.
Nec hujus rei gloria alleri quam PuelUe data, quamvis
strenuissimi ac perilissimi bellatores et qui sœpe ordines
duxerant, interfuere.
Tantam suorum cladem atque ignominiam iniquo animo
Talbotes tulit, inter Anglicos duces fama clarissimus. Qui
assumptis quatuor millibus equitum ex omnibus copiis
delectorum, in Aurelianum duxit congressurus Puellœ, si
ausa esset occurrere, haud dubius quin portas exeuntem vel
caperet, vel occideret; sed longe aliter evenit. Eductis virgo
cohortibus, ut primum hostem conspicata est, sublata
ingenti clamore atque impetu horribili facto, Anglicorum
signa pervadit; inter quos nemo inventus est qui consistere
aut vultum ostendere auderet. Subitus omnes metus atque
horror incessit ; qui, etsi numéro superiores essent, pau-
ciores tamen sese fore arbitrabantur, et innumerabiles copias
Puellee militare putabant. Nec defuere qui puguare angelos
t. Assertion en opposition avec le langage des documents, ainsi que
plusieurs des détails qui suivent (UEclileur).
ELOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 327
in parte adversa existimarent, nuUamque sibi victoriam
promitterent contra Deum prœliantibus. Gecidere de mani-
bus nudi enses : scuta et galeas quisque projecit, levioreni
ut se fugee committeret. Talbotis nec hortamenta audita
sunt, nec mime pensitatœ : facta est fœdissinia fuga; virgini
solum ostensa terga : qiue fugientes insecuta, uni versos aut
cepit, ant interfecit, excepto cum paucis duce, qui postquam
suos de fuga irrevocabiles vidit, velocibus equis impetum
hostis evasit.
Harum rerum fama ad vicinas gentes et deinde ad remo-
tiores delata semperque major itinerando facta, stupore
omnium mentes implevit. Delphinus jam Puelke monitis cre-
dens, cujus dicta firmaverant facta, supplicationes Deo per
omnia templa decrevit et ad suscipiendam coronam sese
accinxit. Nobilitas universi regni, miraculosis Puellae operi-
bus auditis, postquam solemnia coronationis apparari didi-
cit, incredibili cupiditate visendi virginem, tota Gallia
asumptis armis accurrit, atque intra mensem, supra tri-
ginta equitum milliaS propriis stipendiis militatura, ad
Delphinum concessit : qui tantas adesse armatorum copias
magis ac magis Isetatus, ex Biturigibus, apud quos plerum-
que morabatur, arrepto itinere, preecedente in armis et
vexillum regium gestante Puella, in Remos duxit. Media
quseque oppida in potestate hostium erant ; populique
omnes, novis adacti juramentis, fidem servare Anglicani ac
Delphinum hostiliter accipere decreverant. At ubi eum
Puellamqueprope adesse cognoverunt, (mirabile dictu) nemo
contra armatus occurrit, nemo portas clausit, nemo venien-
tibus maledixit. Quocumque ventum est, eiïuste obviam plè-
bes Delphinum tanquam dominum salutarunt, certantes
inter se quonam pacto suum principem majoribushonoribus
affîcere possent,
Quum prope Remos ad quadraginta ferme stadia per-
venisset exercitus, magnopere in civitate trepidatum est.
Nihil Anglico tutum videri, nutare optimales, plebis animos
res novœ allicere. Fuerunt inter Anglicos qui suaderent
1. Nombre de beaucoup exagéré.
328 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
sacrum oleuni quo rex inungitur alio transferendum, ne
perdita civitate rite coronari hostis posset. Opinantur Galli
candidam olim columbam e coelo raissam Beato Remigio,
ejus urbis antistiti, liquorem olei attulisse quo reges inun-
gerenlur, idque summa religione custodiuut neque Imminui
putant, quamvis aCIodoveo usque in haîc tempora permulti
reges illo sint usi, negantque verum esse regem qui hoc oleo
non sit delibutus. Ob eam causam, quum de transportando
liquore s;epius Anglici consuluissent, divina voluntate pra;-
peditum proposituni arbitrantur.
Delphinus, urbi propinquus, caduceatores misit qui civi-
tatem tradi jubeant coronationemque suam Kemensibus
annuntient. Illi primarios cives legant qui tempus consul-
tandi petunt. Puella legatis nihil responderi jubet, nihil
morandum in tempore quod Deus statuisset; cuncta esse
gerenda. Paret Delphinus virgini, retentisque legatis et prœ-
missis ordinibus equitum, céleri cursu civitatem petit. Mira
res et apud posteros fide caritura ! nullus, vel in porta, vel
in urbe reperitur armatus; togati cives extra mœnia accur-
runt. Delphinus sine conditionibus, sine pactis, absque ulla
contradictione patentes portas ingreditur : nemo réclamât,
nemo signum indignationis ostendit, divinum opus cuncti
esse fatentur. Franci dum portam unam ingrediuntur,
Anglici altéra fugiunt. Pacifica et quieta civitas suum domi-
num bénigne amplectitur, et quem paulo ante velut hostem
aspernabatur, nunc tanquam patrem miro affecta et summis
honoribus excolit. Fit magnus circa Delphinum salutantium
concursus, major circa Puellam, quam veluti divinum
aliquod numen intuebantur. Facta sunt hsec die sabbati, in
profesto Marite Magdalenœ; et in ipso festo, apud monaste-
rium sancti Remigii, magna populi frequentia, multis proce-
ribus ac prailatis circumstantibus, Delphinus more majorum
sacro inunctus oleo, regni Francise diadema suscepit accla-
mante multitudine Carolo régi (id enim nomen Delphino
fuit) vitam ac victoriam.
Mansit rex ea in urbe quatriduo, pneter consuetudinem.
Mos enim Franciœ regibus est, die quœ coronationem sequi-
tur, templum quoddam peregrinando petere cui sanctus
ÉLOGES TIUÉS DE DIVERS AUTEURS 329
Marcoul proesidet, atque ibi œgrotos curare. Miraculuin Galli
viilgaverunt, morbum qucindam humano in gutture nasci solo
qui régis tactu et arcanis quibusdam curetur verbis; idque
post coronationem in hoc temple fieri. Non est percgrinatus
statuta die novus rex. Impedimento fuere Burgundoruni
legati, qui salutatuni vénérant, et aliquid ad concordiam
afîerebant. Quibus auditis, quarta die peregrinatio facta est,
in qua de curatione morborum nihil satis compertum
habeo, quamvis Gallici omnia illa credant fieri miraculosa.
Post htjec Puella cum novo rege Laudunum petit neque
resistentia reperitur. Paruerc omnia régi. Idem fecere quae-
cumque oppida intra Parisios Laudununque jacent, populis
ac plebibus universis summa cum exultatione obviam effu-
sis. Fuit et spes data régi Parisiorum urbis capiendse; sed
quum in agros eorum duxisset nec quisquam occurreret,
deceptum se intelligens rétro abiit. Puella vero acriori animo
assumptis quibusdam cohortibus, usque ad portam excurrit
qute ducit ad Forum porcorum, eamque magno impetu, non
sine spe potiundœ civitatis, incendit : ubi, dum fortius quam
cautius pugnat. intusque summa vi resistitur, sagitta in
incertum missa vulneratur Ubi primum sauciatam se ani-
madvertit, e pugna recessit. Comités ab oppugnatione cessa-
runt. Atque hic favor Puelke minui cœpit, quse, inviolabilis
antea tradita, vulnerari potuisset; neque deinceps nomen
ejus tam formidabile Anglicis, aut tam venerabile Francis
fuit. Brevi tamen curato vulnere, rursus in castra venit,
ubi pro veteri consuctudino arma tractans, nihil mirabile
fecijt.
Haud procul ab urbe rex abierat, expectans si forte mutatis
civium animis, revocaretur : nihil ex opinione successit.
DuxGlocestriicS qui tum Parisiisprœerat regnumque Angli-
cis ministrabat, summa diligentia cavit ne quispiam civium
ad Carolum exiret. Ipse vero copias educens, castra castris
opposuit, quingentis circiter passibus ab hoste distans. Spec-
1. Confusion île personnages et de faits. C'est le duc de Bethford,
nigent de France, qui, avant la tentative sur Paris, lit mine de vouloir
combattj-e à Monlépilloy, et en définitive ne combattit pas.
330 E. RICHER. L.\ PUCELLE D URLEANS
tarunt sese l)iduo hostiles exercitus, et quanquain preeludia
queedam furtaque belli commiserint , nunquam tamea
coUatis signis congredi priesumpserunl. Exin pêne intacti,
incertumque cujus niajori dedecore, abierunt. Anglici Pari-
sios revertere, Franci Biturigas, receptis denuo in fidem
quicumque in niedio eranl populis, quum alio itinere rcdiis-
sent.
Puella ubi coronatum regem et in sua sedc satis tuto loca-
tum cognovit, quietis impatiens, in hostes rediit et oppida
multa expugnavit armis : multa in deditionem accepit, non-
nuUa qmjd hostes obsidione premebant céleri subventione
iiberavit. Postremo quum Anglici Compendium obsiderent,
munitissimum oppidum ac Parisiis infensum,cupiens obses-
sis opem ferre, eo se cum copiis confert. 'Sentiuut hostes
adventum atque insidias venienti parant. Iter ei per vineas
faciendum erat et angustas semitas, quas ingressam a tergo
invadunt.
Utcumque sit, captam in bello virginem constat decem
millibus aureis venditam Anglicis, lihotomagumque ductam :
quo in loco diligenter examinata est, an sortilegiis, an die-
monio uteretur, an quicquam de religione prave sentiret.
Nihil inventum est emendalione dignum, nisi virile indu-
mentum quo illa utebatur; neque hoc ultimo supplicio
dignum censuere. Retrusa est in carcere, adjecta necis pœna,
si amplius viriles vestes indueret. Illa quie arma tractare
didicisset et exercitio militari gauderct, a cuslodibus por-
tentata, qui modo sagum militare, modo loricam, modo
thoracem et alias armaturas coram afîerebant, incauta, viri-
libus aliquando et indumentis ac armaturis se adornavit,
nesciens quia mortem indueret^.
Credibile est vivente virgine, quamvis capta. Anglicos se
nunquam satis lutos existimavisse, qui tôt prêeliis ab ea
superati fuissent; timuisse fugam ac prœstigia ; atque
idcirco necis causam quœsivisse. Judices, ubi Puellam viri
1. Note de J. Quicheral : « Cette version de l'infâme guet-apcns ima-
giné pour amener le cas de rechute, doit être celle que les docteurs
normands — et ceux de Paris — avaient répandue au concile de
Bàle. » {Procès. IV. 517. note 3.)
ÉLCX.ES TUiÉS I)E DIVERS AUTEURS 331
habituin récépissé cognoverunt, tanquam relapsam, igni
damnaverunt. Cineres ejus, ne honori aliquando cssent, in
Sequanam fluvium projecere.
SicJoanna obiit, mirabilis et stupenda virgo : quije collap-
sumacpene dissipatuni Francorum regnum restituit; quai
tôt tantasque clades intulit Anglicis ; quœ dux virorum
facta, inter militum turmas pudicitiam servavit illœsam, de
qua nihil unquam indecorum audiliim est. Divinum opus
an humanum inventum fuerit, difficillime affirniaverim.
Nonnulli existimant, quum Franciifi proceres, prospère suc-
cedentibus Angloruni rébus, inter se dissiderent, nec alter
alterius ducatiun ferre dignaretur, abaliquo qui plus saperet
hoc vaframenlum excogitatum, ut virginem divinilus mis-
sam assererent, ducatumque petenti admitterent : neque
enim hominem esse qui Deuin recuset : atque in hune mo-
dum rem bellicam Puellee creditam et armorum imperium
datum. lUud exploratissimum est, Puellam fuisse cujus
ductu Aureliani soluta est obsidio, cujus armis omnis terra
subjecta est inter Bituriges ac Parisios, cujus consilio Re-
menses in potestatem recepti sunt et coronatio apud eos
celebrata, cujus impetu Talbotes fugatus est et ejus exerci-
tus, cujus audacia Parisiensis porta cremata, cujus solertia
atque industria res Francorum in tuto positœ sunt. Digna
res quœ memorite mandaretur, quamvis apud posteros plus
admirationis sithabituraquam fidei. Garolus etsi virginisobi-
tum acerbissimc tulit, non tamen sibi ipse defuit; multa per
se, multa per duces suos, non solum adversus Anglos, verum
et adversus Burgundos prœlia gessit digna memoratu, quœ
forte huic operi inseremus. »
Ce discours est fort naïf et grandement judicieux, et pour
la plus part conforme aux exploits de la Pucelle. Quant aux
choses qui ne s'accordent pas à la vérité de l'histoire, je ne
me veux arrester à les particulariser, parce que le lecteur les
pourra aisément recognoistre et corriger par la conférence
du premier livre de cette histoire. Quelqu'un à la rigueur se
pourroit esbahir de ce que Pius I[ au commencement de
cette narration asseure que « les exploits de cette lille
332 E. RICHER. — LA l'UCKLLE D ORLÉANS
démonstrent qu'elle estoit inspirée de Dieu ; ;> et sur la lin
dit : (c Oue ce soit une œuvre divine ou invention humaine,
il est difTicile de Tasseurer. » Mais à cela nous respondons
que Pias II n'avoit pas vu le procez de la Pucelle, ni la revi-
sion d'icclui décrétée par Galixte III son prédécesseur. Et
d'ailleurs il est certain que la discrétion des esprits est une
chose très difficile, ainsi que nous avons justifié ailleurs ; car
personne n'en peut avoir l'évidence certaine. Davantage : sur
la fin de ce discours il propose des bruits que l'on faisait cou-
rir de la Pucelle, ainsi que doibt faire un historien; mais au
reste partout montre que jamais l'on n'a trouvé que redire
en sa créance, en ses mœurs, intégrité et pudicité, chose
toute notoire par les actes du procez.
Vin
Saint Antonin de Florence.
Antoninus^ archevesque de Florence, vivoit au mesme
temps qu'/Eneas Sylvius, et en la Iroisiesme partie de son
histoire, titre vingt et deux, chapitre neufviesme, section
septiesme, parle en ces termes de la Puqelle sur le discours
qu'il prit des guerres du Roy Charles VII contre l'Anglois et
le Bourguignon.
« Tune autem obtulit se régi Francise quaedam Puella, filia
rustici, assueta gregem pascere, dicens se missam ad juvan-
dum exercitum ejus : tetatis octodecim annorum vel circa.
Quœ in multis eos instruxerat in bellando et civitates capi-
endo. Hœc equitabat apte ut miles, in exercitu ibat cum eis,
insidias inimicorum detegebat, et modum ad capiendas civi-
tates docebat, et multa alla admiratione digna agebat. Quo
autem spiritu ducta vix sciebatur : credebatur magis spiritu
Dei. Hoc patuit ex operibussuis. Nihil enim inhonestum in ea
videbatur, nihil superstiliosum : in nuUo a veritate fidei dis-
crepabat. Sacramenta confessionis et communionis frequen-
■1. Né à Florence en 1389, dominicain à Fiesole. auditeur de Rote,
archevêque de Florence en 4446. mort en 14.Ô9, canonisé en 1523.
ÉLOGES TIRÉS DE DIVKRS AUTEURS 33Î
labat, et orationes. Et post multas victorias régis Franciœ,
in uno conflictu cum Burgundionibus copiarum régis Fran«
cifc capta, ab eis occisa est. Deinde facta est pax, etc.* »
IX
Philippe de Bergame.
Jacques Philippe de Bergame-, de Tordre des Augustins,
florissoit l'an 1494, au siècle auquel vivoit nostrc Pucelle, de
laquelle il escrit des merveilles au livre qu'il a fait De Claris
mulieribus , chapitre cent cinquante-sept. Mais son discours
est pour la plus part fabuleux. Nous ferons seulement extrait
de ce qui est conforme à l'histoire, comme quand il dit :
« Erat brevi quidem statura, rusticana facie et nigra
capillo, sed toto corpore prœvalida : quœ per omnem vitam
suam, illibatam servavit virginitatem, et religionis apprime
custos extitit. Ejus sermo satis, ex more feminarum illius
patrise, lenis erat, quam sani ejus mores plurimum honesta-
bant. Tam rectus sensus atque integer, ut ibi educata ibique
nutrita crederetur, ubi summa prudentia et omnis consilii
ratio vigere videretur.
« Ea itaque tempestate, Henricus, Anglorum rex, atrox hél-
ium Carolo ejus nominis septimo, Francorum régi, intulerat.
Idemque majorem sui partem aderaerat, et jam Aurelianam,
primariam sui regni urbem, summa vi oppugnabat ; et ejus
l.De ces quinze lignes J. Quiclierat, Procès, IV, 506, n'en donne que
quatre ou cinq.
2. Ce religieu.x était né en 1433. Richer a grandement raison de
déclarer fabuleux la plus grande partie de ce qu'il raconte de Jeanne.
Quoiqu'il se réclame d'un témoin oculaire attaché à la cour de Charles
VII, ce n'est pas ce témoin qui a pu lui dire sérieusement que la mission
de la Pucelle avait duré huit ans, qu'elle avait livré trente fois bataille
aux Anglais, et que Louis XI et Pie 11 auraient poursuivi et livré aux
bourreaux un des juges et un des assesseurs survivants du tribunal qui
avait condamné l'héroïne. Ce que Philippe de Bergame avance d inédit
et de son autorité propre ne doit être accepté que sous toutes réserves.
(Voir J. Qlicherat, Procès, IV, 521-522.)
Lenglet-Dufresnoy, dans son Histoire de Jeanne-d'Arc, troisième par-
tie, p. 26 et suiv., a traduit m français le texte de Philippe de Bergame,
(Amsterdam, ITo'J).
334 E. RICHKU. LA PUCELLE D ORLEANS
urbis quotidie gravissima erat oppugnatio ; eoqae undique
circumsessa erat, ncc aditus ostendebatur quo posset talis
obse.ssio solvi. Ineaquippe omnis spesregni versabatur; qua
quidem amissa, de loto regno Galli;u aclum esse videbatur.
In hac itaque difficultate rcx consLitutus, et angore animi
incertus angebatur, nec quod consilium sequcretur ratione
nulla inire poterat.
« Introducta ad regem Palcella Johanna, quum ad ipsius
genua procidisset, majestatem regiam, ex more, omni reve-
rentia salutavit. Salutatoque rege, primoribus cunctis palam
audientibus, sic locuta est : « Gloriosissime rex, ego, aucilla
« tua minima, omissa mei gregis custodia, cui tanquam una
« ex agrestibus preeeram, omnipotentis Dei imperio, ad
« opem tibi ferendam, qua regnum tuum amissum recupe-
« res, hue impigre accessi, divinoque jussu ducem totius tui
« exercitus moiieo me declarari jubeas. Nec mireris quod
« puella inops et agrestis, et hujusce vilissimœ sortis, hue
a prodierim, ausaque fuerim tantum imperium suscipere,
« quia omnipotenti Deo sic visum infirma et contemptibilia
« eligere, ut fortia confundat. »
« Rex autem inquit : « Pulcella, ingénue profiteris te a Deo
« inihi omnino in auxilium missam esse ; sed qua ratione ?
« Tu femina es admodum adolescentula, rerum omnium
« inexperta, et quomodo prœsumis tibi tanti muneris ian-
(( tique exercitus assumere administrationem ? Hoc utique
a non est tui officii et œtatis tenellœ munus, sedjure militari
« peritissimorum exercitatissimorumque virorum. Itaque
« moneo semel atque iterum ut videas etiam atque etiam
« quœ afferas et quœ apportes.
« Constanti vultu et intrepido confestim respondit :
« Maxime rex, obsecro ne plura percontari pergas. Deus,
a a quo missa sum, huic tuœ necessitati consulet. Nec teras
« ultra tempus, si cara tibi est tui regni incolumitas. Et, ut
« verum intelligas, accipe quœ submotis arbitris tibi
« dicam. »
« Postquam verocum rege locuta est, rex, prope stupefac-
lus et incertus quid responderet, e vestigio illam totius sui
exercitus ducem enuntiavit, cunctis primoribus acclaman-
ÉLOGES TIRKS DE DIVERS AUTEURS 335
tibus, Rcs prope incicdibilis et inaudita, et maximo specta-
cnlodigna, si animadverteris tôt principes, regemque ipsum,
in bellis exercitatissimos, sese in imperio adolescentulœ, sede-
cim annos natee, subjicere, qiue ex ovium et suum vel por-
corum gregis cura excepta fuerat, videre eam virilibusindu-
mentis et armis indutam, Gallicas ducere acies. Quumque
taliter indutam et armatam omnis'spectaret exercitus, etequo
intrépide insedentem, visa est omnibus eques quidam e cœlo
demissus. »
Le mesme auteur, après cela, fait un narré de la levée du
siège d'Orléans et de la deffaite des Anglois, mais tout fabu-
leusement. Et de là passe au couronnement du Roy à Rheims,
et puis conclut en cette sorte :
« Ileec igitur Johanna Pulcella virgo, quum magnam glo-
riam in armis esset adepta, et regnum Francorum magna ex
parte deperditum e manibus Anglorum pugnando eripuisset,
in sua florenti œtate constituta, non solum se morituram, sed
et genus suée mortis cunctis prœdixit. Nam ab ipsis Anglis
tandem in prœlio capta, et ad Rhotomagum urbem violen-
ter perducta, ibidem ab ipsis et ipsorum rege veneficii et
artis magicœ vitio incusata, seevissima ignis morte demum
damnata est. Et hic tantœ virginis vitee finis fuit; quo quidem
atrocissimo suppliciohœc taminauditœ virtutis mulier indi-
gne occisa est. Postmultos autem annos, Garolus ipse, opti-
mus sane rex, Rhotomagensium urbe recepta, eo in loco ubi
atrociter concremata fuerat Johanna Pulcella, pro monumento
ettitulo puellarisdecoris, crucem œneam, et quidem eminen-
tissimam, inauratamque poni jussit. »
X
Guillaume Postel.
Guillaume Postel^ professeur du Roy en la langue hébra-
ïque, estoit prestre. Au livre qu'il a composé, De Phaenicum,
1. Né en 1510, mort en 1581 : tète faible, mais l'un des plus savants
hommes de son siècle.
336 E. RICHER. LA PL'CELLE D ORLÉANS
lilteris, imprimé à Paris, 1552, par Martin le jeune et dédié
au cardinal de Lorraine, discourant des grâces et bénédic-
tions que Dieu a départies aux Roys de France, sections 32,
33, il dit :
a At vero quid magis admirandum quam quod solius divi-
nœ christianissimorum regum ordinationis gratia fieri vide-
mus ut cum sithomo cœteris similis rex,tamen solo contactu
hiatro-chocradicus aut scrofularum medicus fuit ? Quod non
tam multi hodie atque olim sanentur aut jvideantur sanari,
hoc vere nostri seculi incredulitas et ubivis consurgendus
atheismus facit. Vidi sane quam plurimos curatos, sed qui
insigni erant fide. — Pro 33. Prodeat in médium sacrosanc-
tœ Puellae Johannœ facinus omnibus seculis ut admirandum
itainauditum, licet impiis nostri seculi invisum. Perieratpene
(ïallia. Rex Galliœ Biturigum rex tantum dicebatur. Validis-
simis Burgundionum, Germanorum et Anglorum exercitibus
oppressa jacebat Gallia, cum unius Puellulse virtute, eo divi-
nitus et miraculose conducta est nobilitas Gallica, alioqui
vix imperii virilis preeter quam in suo rege patiens, ut femin.o
pareret, auspiciis tani felicibus ut intra biennium plura fiant
ejus ductu facinora tam defendendo quam insultando édita :
quœ quivis potentissimus princeps, et centenis hominum
millibus vallatus, toto vix potuisset decennio. Et intérim, si
Diis placet, credemus atheis qui nobis fuisse commentum
affingunt et somniant, ut Rex ductu Puellœ excitaretur, quasi
saxa et bestiœ id temporis homines fuissent : quasi vero non
constet de accusatione contra illam invidise Rhotomagi ab
Anglis intentata, de miraculoso ejus ad Regem adventu, de
Pontificis summi censuris in judices. Heec adhuc média in luce
hominum versantur, in recenti etiamnum sunt memoria, et
ista patitur publiée proscindi Christianissimus rex ! 0 tem-
pora ! Et si falsi aliquam suspicionem habuissent, debebant
ob regiam auctoritatem dissimulari, et nunccumin omnium
hujus temporis scriptorum historiis sint constantissime sine
uUa suspicione falsi scripta, sunt qui vellicare et negare
audeant, tam libenter profecto Christum negaturi et risuri,
si audeant, quam ejus spiritui et virtuti in suis membris
agenti detrahunt. »>
ÉLOGES TIKliS DE DIVERS AUTEUUS 337
Le mesme Postel, en un livre françois qu'il a composé et
intitulé : V histoire mémorable des expéditions depuis le
déluge faites par les Gaulois ou Françoys, imprimé lan 1552
par Sébastien Ninelle, a fait un chapitre contre un livre De
l'art militaire, escrit par le sieur de Langey, lequel estimoit
que tout ce qu'on disoit de la Pucelle fust une fable sem-
blable à celle de la nymphe .Egeria feinte et introduite par
Numa Ponipilius. Auquel chapitre Postel fait un narré fran-
çois de la Pucelle contre cette opinion, qu'il maintient ne
pouvoir tomber en l'esprit d'aucun homme s'il n'est athée, et
qui est cela mesme qu'il a représenté en latin : disant en
outre que par ce moyen on peut décréditer tous les historiens
qui ont jamais escrit et rendu tesmoignages des choses pas-
sées en leurs siècles, et qu'il y en a infinis : comme de vérité
il y en a qui ont narré les faits héroïques de la Pucelle, et sont
aussi croyables que tous les autres historiens qui les ont pré-
cédez et ont rédigé par escrit les affaires de leur temps. Qui
est une raison fort prégnante tirée de la nature de l'histoire
laquelle prend son titre par le tesmoignage de ceux qui en
escrivent^
XI — XIII
Gilbert Génébrard — Arnault de Pontas — H. Morus.
Messire Gilbert Génébrard-, professeur du Roy aux lettres
hébraïques, et depuis archevesque d'Aix en Provence, au
livre quatriesme de sa Chronologie :
« Joanna puella sive virgo, inope pastore in Lotharigarum
Dompremeio pago nata, anno tetatis circiter vigesimo, Aure-
liam urbem obsidione Anglorum, qui Lutetiam magnamque
Galliœ parlem possidebant, libérât anno 1429. Ejus auspiciis
multa prœlia féliciter a Francis gesta sunt. Trecas, Lute-
1. Voir dans Lengiet-DutVesnoy, (Histoire de Jeanne d'Arc citée, livre
troisième) divers passages de Guillaume Postel et les réflexions de lau-
teur, p. 117-120, 131-135.
t. Gilbert Génébuaud, professeur d'hébreu, archevêque d'Aix en Pro-
vence, né à Riom 1537, mort à Semur 1597.
338 K. KICHER. LA PUCELLE DOHLÉANS
tiamque^ cepit, inter prirtios milites in muros ascendens.
Tandem capta Hhotomagi, ut maga combusta est. »
Messire Arnault de Pontas, évesque de Bazas, au livre
second de sa Chronique, dit :
« Johannam Puellam, annorum circiter viginti natam,
Aureliani urbem obsidione Anglorum liberans anno 1429, et
ejus auspiciis, multa prœlia féliciter a Francis gesta esse. »
jlubertus Morus, docteur en théologie de Paris et théolo-
gal de l'église de Reims, au livre troisiesme de sacris imc-
tionibus :
« Nec certe hic lubens omiserim quod bellicosa illa virago
quam Joannam Puellam nostri nominant, ad regnum non
tam conservandum quam restituendum legitimo hteredi
Carolo Vil divinitus excitata, vei ut verbis Meyeri Flandri
scriptoris utar, non creata, non electa, sed a Deo data [ut
vitœ sanctitas, animi generositas et in bello félicitas vel invi-
tos fateri cogunt), numquam eum nisi post consecrationem
regem, sed tantum Delphinum sicut ab aliquis seculis sole-
mus Regum nostrorum primogenitos, vocare audita est ;
quodque numquam cessaret, donec illum quamprimum Rhe-
mo ungendum, etiam contra multorum opinionem, dedu-
ceret : se, ut id faceret, cœlitus admonitam asserens.
« Hand dubie omnipotens Ueus mirabilia operatur ubi,
quando ac quomodo vult; et qui quondam in manu castis-
simee vidute superbum hostem populi suit stravit Holopher-
nem, non est absurdum, nec majestati, nec misericordiœ
illius indignum, si manu quoque Puellse innocentis. Régi
Francorum fidelissimo cultori suo regnum, ut légitime debi-
tum, vindicare dignatus est. Et omnes annales, Anglis fere
semper adversa, Francis vero prospéra, ab eo tempore quo
Rex sacrosanctam cepit unctionem contigisse testantur :
adeo ut illi infra paucos annos, sicut illa initio pnedixerat,
toto Galliœ regno recedere coacti sint. »
1. Erreur do l'auteur cilé. Paris n'a point été pris par la Pucelle.
ÉLOr.ES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 33*.»
XIV-XVI
Mariana. — Martin De]rio. — Jean Candela.
Joannes Mariana ', jésuite espagnol, docte théologien, au
vingtiesme livre de rébus HispanUie :
« Septimum mensem Aurélia obsidebatur, ad Ligerim
nobilissima civitas. Obsessi verum omnium inopia labora-
bant, ac vix mœnibus hostilem vim propulsabant. Joanna
puella, amorum octodecim aut circiter, rébus saluti fuit.
Domremeii, nata, qui pagus in agro TuUensiapud Leucos est,
pâtre Jacobo Darcio, matre Ysabella, atque a prima a;tate
paternas oves pascere solita. Veniens in castra Gallica,
divino se monitu missam ait ad Aureliam periculo et Gal-
liam liberandam Anglorum imperio. Variis et multis inter-
rogationibus versata, ubi fides ab Rege et proceribus est
habita; per hostium munitiones impetu facto, auxilia et
commeatum in urbem infert. Civibus cum spe defensionis
crevit animus, crebrisque ex urbe irruptionibus obsessio
dissipata est ad sextum Galend. junias. Gircumjecta oppida
recepta, levia tantummodo prœlia facta, neque univers! cer-
taminis fortuna tentata : dum vincendi consuetudine Gal-
lorum vires et animi confirmarentur. Rex gallus per medios
hostes Rhemos (quod factum .non erat) ad sacrum Ghrisma
regnique insigne suscipiendum abiit : auctor consilii Puella.
Sic augustior suis, hosti formidolosior est factus. Multis
receptis urbibus, Lutetia tentata capi non potuit, quin ad D.
Honorati portam Puellœ vulnus inflictum est. Belli impetus
versus alio. Gompendium obsidebatur ab Anglis. Puella
successu fidentior animo, suorum cuneo facto in urbem
irruinpit. Sed fortuna tandem in medio cursu deserente,
eruptione facta, in potestate hostium redacta, Rhotomagi
magicee superstitionis rea, causa dicta, igné combusta est.
1. M.\Ki.\NA. (Jean), né à Talavera en 1537, mort en 1624. Entant
trouvé, recueilli par les jésuites, professa à Rouen et à Paris, lb61-
1569; repassa en Espagne, 1577, et y composa son Histoire d' Es-
pagne en 30 livres.
340 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
Petrus Cauchonius, Bellovacorum pontifex, preecipuus con-
citator, nemine pro captiva contradicere auso, lametsi pie-
risque persuasum erat virginem injuria fuisse damnatam,
œternum Galliœ decus, omnibus seculis nobile, ufi dati in
causa judices a Calixto romano pontifice pronuntiaverunt.
Quœ acla in scrinio summiTempIi Lutetiie cum fide servan-
tur. ,'Enea virginis statua, armati militis habitu, in média
Aureliœ ponte cernitur, accepti beneficii monumentum '. »
Martin Delrio ^ jésuite flamand, livre quatriesme, cha-
pitre premier, Des enquestes contre les sorciers^ question
troisiesme, section sixiesme, conclut que la Pucelle estoit
envoyée de Dieu, attendu que tout ce qu'elle a prédit est
arrivé.
« Hinc probantur, dit-il, divinœ fuisse revelationes
Johannse illius virginis Lotharingiœ, quœ dicta Gallis la
Pucelle Jeanne. Quœ Carolum VII, Francorum regem, in
regnum unde Angloruni fuerat armis dejectus restituit, cir-
citer annum millesimum quadringentesimum vigesimum
octavum. Quam pari invidia, crudelitate, calumnia et injus-
titia, stepe ab illa victi profligatique Angli, cum in pugna
vivam cepissent, flammis feralibus quasi maleficam combus-
serunt. Sed postmodum, anno 1456, Galixtus, romanus pon-
tifex, aut juxta alios Plus II, causée cognitionem archiepis-
copo Rbemensi Joanni et Guglielmo Parisiensi delegavit. Hi
vero innumeris testibus, omni exceptione majoribus, de
innocentia, modestia, castilate et religione Johanme audilis,
innocentiam et sententiœ illius injustitiam declararunt.
Judicii acta Parisiis asservari ea in urbe natus Papyrius
Massonus testatur, idque apud Victorinos canonicos regu-
1. Lengi-et-Dufresnov, Histoire de JeiDine d'Arc, livre III, p. 60.
2. Delrio (Martin-Antoine), né à Anvers en 1551, mis au nombre des
enfants prodiges, étudia à Paris, Douai. Louvain, fut reçu docteur a
Salamanque en 1574, et fatigué des agitations de son pays, entra chez
les jésuites à Valladolid. Il mourut à Louvain en 1608. Il parlait
neuf langues et avait pour ami Juste-Lipse. Il a laissé de nombreux
ouvrages dont le plus célèbre parut sous ce titre :
Disquisilionum magicarum libri sex. C'est du quatrième livre de cet
ouvrage que Riclier a détaché la page qu'il cite.
ELOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 341
lares, juxta Belleforcstuni in vita Garoli VII. Favent eisdem,
non Franci modo scriptores, quos ut suspectes Britanni
recipiiint, sed et alienigenœ, itali Graecique, sed et Belga
Meyerus, lib. 16 Annaliuni Flandriœ, parum alias in Fran-
€0s benignus, et Hispanus Mariana, de rébus Hispanicis,
libro vigesimo. »
Adjoustons à Delrio Joannes Candela, de la mesme
société, au discours treiziesme, chapitre ii, de felicitale et
bono statu virginitatis, où il appelle notre Pucelle Amazo-
neni Gallicam, et ideo ad restituendum Gallicum regnum
fuisse electam, quod virgo castissima esset.
CHAPITRE 11
[ELOGES TIREZ DES .1 U R ICONS U ETES].
I
|Des jurisconsultes citez par Jean Hordal].
Jean Hordal, après les théologiens, réduit par inventaire
tous les jurisconsultes qui ont parlé avec honneur de nostre
Pucelle, comme Guido PapaS président du parlement de
Grenoble, en la quatre-vingt-quatriesme question de ses
Décisions. « Eo anno quo doctoratus gradum consequutus
est, asserit se vidisse Puellam Joannam nuncupatam, qu;e
inspiratione divina arma assumens bellica, anno Domini
1429 restauravit regnum Franciae, Anglicos a regno expel-
lendo vi armata, et prœfatum Carolum ad regnum suum
Franciaî restituendo : quœ Puella regnavit tribus aut quatuor
annis. »
Hordal allègue après Boerius, président au parlement de
Bordeaux, au traité de seditiosis, numéro 59, paragraphe 7,
de con&uetudine feudi, où il dit : « Puellam tempore Caroli
VH régis Francorum, purgasse Franciam Anglis. »
Guillaume Bénédict, conseiller au parlement de Toulouse,
in repelitione capitis; — Raynutius, m verbo duas habens
filias, et in verbo, morluo ilaque testatore; et de testamen-
tis. Lequel en outre allègue et approuve ce que Gaguin a
escrit en son histoire des faits héroïques de nostre Pucelle.
\. Ce jurisconsulte dauphinois que J. Quicherat nomme Gui Pape, fut
destitué à l'avènement de Louis XI et mourut en 1476. [Procès, t. IV,
p. 534.)
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 343
André Tiragueau, conseiller au parlement de Paris, au
livre troisiesme Des lois conjugales, nombre 64 : « Joannam
puellam omnibus seculis admirandam preedicat. »
Vincent Sigaut au traité qu'il a composé De factis princi-
pum : « Quid de virgine vocata Jeanne la Pucelle divinitus
transmissa, dicemus? Divina fueruntejus exercitia, et voluit
ipse Deus vincere Anglicos per femellam cum de femella
ageretur. »
[Le mesme Hordal] produit encore Barthélémy Chassanaeus
en la seconde partie du livre Catalogi gloriœ mundi, consi-
deratione octava;
Charles de Prassalio, livre premier des Régales, chap. VII;
Maistre Cosme Puisinier, in glossa Pragmaticse sanctionis
in proemio verbo gratia Dei ;
Papon, au commencement du troisiesme tome de ses
Notaires ;
Neviranus Astensis, jurisconsulte italien, livre quatriesme
Sylva nuptialis;
Franciscus Polletus, jurisconsulte Duacensis, libro 2 Ins-
torise fori romani ;
Petrus Gregorius, lib?'o 34, cap. 24 Synlagmalis juris
universi, et capite undecimo libri septimi, de Bepublica.
II
Estienne Forcadel.
Quant à Etienne Forcadel S professeur en droit à Tou-
louse, voici comment cet auteur parle de la Pucelle, livre
septiesme de Gallorum imperio et philosophia ;
« Superest feminei decoris propugnatrix Johanna Gal-
lica, vel Anglorum annalibus, mirum in modum sed non pro
meritis laudata, etquam Martem muliebrem dicerejure pos-
1. Né à Béziers, 1534, mort 1573, a laissé plusieurs ouvrages de juris-
prudence et des poésies médiocres, publiées par son fils.
344 E. RICHKR. — LA PUCELLE D ORLEANS
simus, atquc rébus magnifiée gestis, prœferre ïclesillœ quae
Argivorum a Cleomene Laconum rege afflictorum muros
tiitata est, sui sexus fréta prœsidio, prœsenti animo hoslium
imprcssionem sustinens, nec bellicis exterrita clamoribus
(Pausanias in Corinthiacis). Atqui Johanna non modo
murorum secura ambitu Anglos profligavit quoad vixit, sed
patenti planitie crebrius tune maxime subveniens, quum
deploratœ viderentur res Francorum. intérim Anglicœ for-
tunœ plane cedentes, postquam ad ipsius curam Garoli VII
régis, boni magis quam felicis, spectare tuitio inceperat.
Namque ïlenricus V Ànglus Galiicos agros, viros et oppid.i
late possidebal, coque angustiarum Carolum perduxerat, ut
interjocos Bituricum regem ipsum appellitare non erubes-
ceret : quia Gallus tantisper fortunie impetum defervescere
sperans, Bituriges tanquam arcem tutissimam elegerat :
ob unam causam bello potitus, quod Normaniam et Aquita-
niam cum Andibus concedere recusasset Anglo qui legatos
miserat olim inclyto Carolo VI, patrise et septimi hujus
parenti amabili, etc. Nihil vero, si singula percurras, tam
firmavit vacillantem Galliam quam adventus Johannae
Puellee fatidicœ, anno salutis 1428. Ex Lotharingia Galliae
suburbana oriunda, vel ex Vaucolore Barrensis ditionis,
nisi cœlestem civem malis conficere, quippe cum supra
humanam virtutem, nedum sexum, sese bellicis factis dic-
lisque sapientissimis extulerit, putasses spartanam virgi-
nem disciplina virili imbutam, aut Camillam alteram, etiam
frustra petila nuptiis juvenum eximiorum, et virginitatis
non minus anxia custos quam fertur Diana extitisse.
« Johanna bono Francorum a Deo édita, nihil prins habuit
quam Carolum regem adiré, mirantem Parisienses aliosque
nobiles viros Anglorum imperium ferre didicisse, qui antea
nec mores quidem ferre poterant. Cumque impune parvo
comitatu, etiam per hostiles terras ad Regem pervenisset,
annos nata circiter viginti, facie non invenusta, vigore ocu-
lorum animique pari, ipsum inter aulicos amictu pretio-
siore fulgentes et dissimulata majestate, ac fere cum regni
statu mœsto cognovit, salutavit venerabunda et colloquium
salutare petiit, etc. At quia Johanna deligens in cœtu proce-
ÉLOGES TinÉS DE DIVERS AUTEURS 345
rum regem minime errasset, id in religione versum est pnc-
sentibus, factumque lubentius ut Puella remotis arbitris in
régis colloquium veniret admoneretque futurorum, ac prœ-
diceret se adjutrice fore ut Angli a Francia abigerentur qua3
victoribus passim arma magis quam animos cesserai. Spé-
cimen suarum virium et virtutis prtebuit Johanna quum
ausa est Aurelianum oppidum long<;e obsidionis tœdio pres-
sum, commeatu importato juvare, Anglis prospectantibus et
mulicbri terrore percitis, ac mirantibus in muliere virilem
audaciam felicitati conjunctam, maxime trajecto flumine cum
lectissimis auxiliarium quibus nota vada, vel utribus tenui
tabulato subjectis, etc. »
J'omets le reste du discours de Forcadel pour ce qu'en
plusieurs choses il est trop hyperbolique et peu conforme à
l'histoire. Une seule chose me semble remarquable : c'est
qu'il asseure que ïalbot, généreux capitaine Anglois, ne fut
onques d'advis que les Anglois souillassent leurs mains du
sang de cette fille, disant que cela tourneroit autant à leur
déshonneur que d'avoir fuy devant elle à la guerre ; et que
les autres seigneurs anglois résistèrent à Talbot, maintenant
qu'elle estoit sorcière, etc. Allègue encore que la Pucelle
mourant laissa par testament aux François un grand dueil,
mais suivi d'une très grande prospérité, comme il est véri-
table.
III
René Chopin. — Estienne Pasquier. — Henri Kormannus.
Le lecteur pourra voir aussi René Chopin, livre premier
De jurisdictione Andegavensi, cap. 79; semblablement
Estienne Pasquier, livre cinquiesme, chapitre huitiesme de
ses Recherches^.
1. René Ghoi'in, né à Bailleul, près la Flèche, en lo37, mort en 1606.
Remarquable par sa mémoire prodigieuse et sa vaste érudition.
Etienne Pasquier, né à Paris en 1329, mort en 1615. Lire au livre VI
des Recherches de la France les chapitres iv et v. Chapitre iv : Du
restablissement de l'Estal. sous Charles septiesme. — Chapitre v : Som-
rnaire du procès de Jeanne la Pucelle.
346 E. RICIIER. I.A PUCELLE d'oRLÉANS
Henricus Kormannus^ ex Kircharna Ghallorum, juriscon-
sultus Germaniœ, libro de miracuUs mroi'um, seu de varia
natura, variis singularitalis proprietalibus, facuUatibus
el signis liominum vivorum, après le milieu du livre, pro-
pose un exemple de la Pucellc d'Orléans en ces termes :
« Elisabeth Darc, Lotharinga femina, ex pago Yaucou-
leur, prœgnans de Johanna puella d'Orléans, somniavit se
parère grande tonitru. Postea accidit quod et voluntate
divina subsidio venerit Aurelianensibus, et pulsaverit
Anglos de Francia miraculose, ut refert Baptista Fulgosius. »
Et le mesme auteur, au livre inscrit Sibylla trygandriana
seu de inrgi7iititale, statu et jure, ca]). quadragesimo primo,
Nu7?i virgo possit esse miles armalus :
« Johanna illa virgo Lotharingica, vulgo dicta Pucelle
d'Orléans, quie inspiratione divina arma bellica assumens,
anno Domini 1430 restauravit regnum Francise, Anglicos
regno expellendo vi armata, et regem Carolum ad suum
regnum Franciœ restituendo. Quœ Puella regnavit tribus vel
quatuor annis. Quam vidisse D. Guido Papa affirmât, et Aure-
liis in ponte statuam meruit quam ipsemet vidi. Testantur
de ea historiée et judicia sub titulo Sibylla francica. Tandem
forte in manus hostium pervenit, qui fortitudinem ejus
divinam magicis artibus attribuentes, atrocissimo crudelitatis
exemplo, eam concremarunt. Sed e rescripto Calixti Papœ,
causœ cognitores constitutif Joannes archiepiscopus Rhe-
mensis, et Gulielmus Parisiensis, innumeros testes, omni
exceptione majores, super ejus sapientia, modestia, innocen-
lia, castitate et religione examinarunt, eamque innocentis-
simam compererunt ac pronimtiarunt, actaque adhuc servan-
tur in scrinio Parisiensis ecclesia}, quod Papyrius Massonus
testatur. Plura de ea egi in opère de miraculis mortuorum,
quo benevolum relego lectorem. »
Le mesme auteur, au livre susdit de miraculis mortuo-
rum, parte tertia, capite 39, de corde Joannœ virginis non
exusto, après avoir allégué ce que dessus, adjouste de sur-
1. Henri Kohmannus, né à Kirchen, duché de Wittenberg, vivait au
commencement du xvii» siècle.
KLOGES TIRKS DE DIVERS AUTEURS 347
croit que cette fille fiist bruslée par les Anglois, « non sine
ingenti tum universœ Gallia) luctu, tuni Anglorum solatio
atque adeo exitio. Neque enim post tam iniquum de inno-
centi capite judicium res illis in Gallia ex animi sententia
cessera : paulatira agitati, divexati, tandem etiam Galliœ
finibus exacti, in siiam regionem crudelitatis pœnam luentes
concessere. Nec leviore Dei vindicta cum iis qui conscii et
actorestam iniquaî sententiœ superfuerant actum est : qui
miserando omnes vit;e exitu, etiam Ludovico XI régnante,
ceciderunt : qua de re extant hi Valerani versus, etc. Et
quod vulgi superat fidem, cum jam cadavere depastus esset
rogus, integrum Puellse cor atque illibatum inventum ab
eodeni Valerano, parisiensi tbeologo, bis verbis traditur.
etc. »
Cet auteur asseure avoir vu la croix que Charles Vil fit
dresser sur le pont d'Orléans, avec sa statue et celle de la
Pucelle en bronze, et allègue infinis auteurs qui ont parlé des
faits héroïques de cette vierge : lesquels nous produisons en
ce livre, outre plusieurs autres desquels ni lui, ni Ilordal
n'ont fait aucune mention. Pour les vers de Valeran qu'il
cite, nous en parlerons en son lieu.
CHAPITRE III
[ÉLOGES TIREZ DES MÉDECINS]
I
S. Camperius.
Symphorianus Camperius, libro de genealogia regum
Franciœ et in tractalu tertio trophxi Gallorum, et in parai-
lelia heroum Gallice, hœc scribit :
« Afïlictis Caroli VII rébus, exoppido Valcolore Puella cir-
citer annorum viginti, cœlesti voce monita, Ilegem adiit,
armisque virilibus instructa, militis obivit munus. Ejus aus-
piciis et ductu, Aurelianensis urbs ab Anglorum obsidione
eximitur et aliquibus in locis prospère pugnatum est. In
Gallia quoque Belgica pleraeque civitates et in iis prœcipua
Rhemensis ubi Carolus more majorum unctus oleo sacro
regium capitis decus accepit. Intérim Puella dum Gallis obses-
sis apud Gompendium subsidio venisset, eruptioneque facta.
in oppidum se reciperet, insidiis excepta venit in hostium
potestatem, quam Joannes Luxemburgus Anglis ut ancillam
vendidit. lUi Rhotomagum deductam ultimo supplicio aifi-
ciunt, adjecta causa quod mulier, oblita sui sexus, habitum
viri sumpsisset. »
II
Cardan.
Hiérosme Cardan S livre huitiesme, chapitre quarante troi-
siesme, Dé rerum varietate :
1. Cardan Jérôme, né à Pavie 1501, mort à Rome 157G. Mathématicien
remarquable, médecin habile, il obtint une pension du pape et une chaire
de mathématiques à Milan.
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 349
« Major videtur de Joanna Gallica, quae supra sexum fortis,
supra œtatem prudens, supra corporis habitum robusta,
docuit Gallos vincere Britannos, victoriis alacres repulit ac
demum Galliam servitute liberavit. Digna res qute perpetuis
monumentis conservaretur, seu miraculi vice, seu sine mira-
culo admiratione majore digna fuerit. liane tamen, cum inci-
disset in hoslium manus, spatium paucorum mensiunm, men-
tita prœgnatione, constat impetrasse : inde cremata publico
judicio. Ouae si divino numine adjuta fuit, cur capta? si non,
quomodo tanta virgo peregit "? Denique, si magicis artibus
supra vires humanas potuit, cur capta non evasit ? si abs-
que..., cur damnala ? Quamobrem non omnino fabulosam
Camillae historiam quis dicat. »
Au reste nous avons deux choses à remarquer en l'opinion
de Cardan. La première qu'il escrit la Pucelle avoir feint
d'estre grosse pour prolonger de quelques mois sa vie ;
imposture inventée par les Anglois, rédigée en leur histoire
par Polydore A'irgile qui escrivoit à leurs gages ; et est clai-
rement confutée par les actes du procez qu'ils ont fait à cette
fille, auquel il n'y apparoist rien, non pas mesme aucune
ombre de soupçon de tout cela ni de chose qui en approche.
Car en l'espace de sept jours, ils ont donné deux sentences
contre la Pucelle, l'une par laquelle elle fut condamnée à se
rétracter S l'autre par laquelle elle fut livrée au bras séculier
et bruslée.
Or, l'autre point notable est que Cardan s'esbahit, si la
Pucelle estoit envoyée de Dieu, pourquoy elle fut prise ? Si
elle n'estoit pas envoyée de Dieu, comment se peut-il faire
qu'estant vierge, elle aye exploitée tant de choses admirables '?
Que si elle estoit magicienne, ainsi que les Anglois ont voulu
persuader, comment a-t-elle pu faire choses surpassant les
forces humaines, et pourquoy ne s'est-elle point pareillement
sauvée de prison ? Et si elle n'estoit pas magicienne, pour-
quoy a-t-elle esté condamnée comme telle '? De vérité voilà
des questions problématiques qui receoivent quelque difïî-
1. Inexactitude. La première sentence n'obligea point la Pucelle à se
rétracter: elle se fonda seulement sur la prétendue rétractation qui lui
avait été arrachée.
3o0 E. RrCHER. LA PUCELf-E d'oHLÉANS
culte entre ceux qui ne sont pas versez en la lecture des Escri-
tures saintes, lesquelles nous apprennent que les prophètes,
apostres et autres serviteurs de Dieu, envolez pour parfaire
quelques grandes merveilles aux yeux du inonde, n'ont pu
laisser pourtant d'estre grandement affligez, voire persécutez
jusques à la mort, ainsi que nous avons montré au premier
livre de cette histoire : Dieu permettant cela pour exercer et
contenir en debvoir ses serviteurs, et montrer aux meschants
qu'on doibt attendre une autre récompense que cette vie
mortelle.
III
Nicolas Vigner.
Nicolas Vigner^ estoit médecin de profession, mais grand,
célèbre et judicieux historien, ainsi que plusieurs livres
qu'il a escrit le démonstrent, et principalement la Bibliothè-
que historiale divisée en trois tomes, au dernier desquels il
descrit véritablement l'histoire de la Pucelle. Et quand à ce
que les Anglois et autres ont faulsement publié d'elle, il con-
fute leurs calomnies par puissantes raisons convenables à
l'histoire en cette manière,
« Quand, dit-il cette fille auroit esté telle que les Anglois
l'ont voulu despeindre à sa mort, sçavoir comme sorcière,
usant d'impostures, etc., si est-ce que c'est chose prodigieuse
et non ouye en aucun siècle précédent, qu'une jeune pucelle
nourrie seulement à garder les brebis, soit devenue en un
instant adroite à manier les armes et chevaux, et à faire office
non seulement de sage capitaine, mais aussi de vaillant com-
battant. Mais quant à ceux qui ont estimé qu'il y a eu en son
fait plus de ruse, d'imposture et de superstition que de miracle
ou de vérité, mesmement qu'aucuns d'eux, comme le seigneur
1. Vignier (Nicolas), né à Troyes en 1530. mort à Paris en 1596,
était médecin du roi et historiographe de France. 11 a laissé une His-
toire ecclésiastique, une Bibliothèque historiale à laquelle il travailla
vingt-cinq ans, un Sommaire de l'Histoire de France, trois volumes de
Chronologie, etc.
KLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 351
Du Bellay, en son livre de Vart militaire, a osé dire que ce
fut un vaillant capitaine ainsi attitré par le Conseil du Roy
pour faire revenir le courage failli au P'rançois, d'autres que
ce fut la garce du Bastard d'Orléans ou du sieur de Baudri-
cour mareschal de France, qui l'avoient instruite deux ou
trois mois devant la délivrance d'Orléans de tout ce qu'elle
debvoit respondre aux demandes qui lui seroient faites,
quand on l'amènerait devant le Roy; je suis, par trop d'ar-
gumens et de tesmoignages, contraint de reporter l'une et
l'autre de ces opinions. Entre lesquels tesmoignages on en
peut proposer trois assez suffisans pour convaincre le plus
opiniastre du monde qui ne seroit totalement privé de juge-
ment naturel, l'un pris de la mort d'icelle qui a pu faire
cognoistre aux Anglois s'ils ont fait brusler un homme pour
une fille : d'autant mesmement que c'étoit leur intention de
faire perdre l'opinion que les François avoient que Dieu les
vouloit miraculeusement délivrer Les deux autres tesmoi-
gnages sont pris du procez que les juges lui firent à Rouen,
procez qui se voit encore entre les mains de plusieurs, et de
l'épitre que le duc de Bethford fit publier, où il déclare les
cas et crimes pour lesquels elle fut trouvée digne de la mort
qu'on lui avoit fait endurer, selon qu'Enguerran de Mons-
trelet l'a insérée dans son histoire. Lesquels tesmoignages
semblent la justifier assez évidemment de cette macule d'im-
pudicité qu'on lui a imposée, ne déclarans point qu'elle aye
esté trouvée atteinte ni taschée : au contraire, on sçait qu'elle
fut diligemment visitée et trouvée vierge. Ce qui eust autant
servi à leur cause et qu'ils eussent pu aussi facilement extor-
quer de sa bouche, que d'autres crimes beaucoup plus griefs
qu'ils lui firent, à leur dire, confesser par la question et tor-
ture. Joint que l'apologue du chat transmué en fille, qui est
en Esope, nous déclare qu'il est imposible qu'une p eust
pu si longtemps jouer le personnage que Jeanne joua devant
un Roy et aux yeux de toute sa cour, de tant d'armées, de
tant de peuples sans se faire cognoistre, ni se montrer si
adroite et courageuse aux assauts, alarmes, rencontres, escar-
mouches, et à tous exploits, exercices et pratiques de guerre,
comme tous les historiens de ce temps qui ont eu occasion
352 E. RICIIER. — LA PUCELLE D ORLEANS
de parler d'elle, tant amis qu'ennemis ou estrangers, ont
unanimement confessé qu'elle fit, sans que la blessure qu'elle
receut à l'alarme qu'elle donna à la ville de Paris ; et sa prise
par les Bourguignons à Compiègne déclare clairement que
ce n'estoit ni phantosme, ni ruse, ni imposture que d'elle.
Par quoy, comme je n'estime pas vice de crédulité ni de niai-
serie de croire que miracles et merveilles extraordinaires se
peuvent vrayment faire tant en vraye qu'en fausse religion :
comme ainsi soit que Dieu par ses conseils incompréhensibles
baille vertu souvente fois au-diable mesme de faire ses mira-
cles avec efficace d'erreur, aussi je n'auroi point de honte de
tenir pour histoire ce que tant de bons historiens ont escrit de
cette pucelle Jeanne, jusques à ce que ceux qui en voudront
faire un miracle aposté ou attitré, nous ayent rendu plus
grande preuve de leur dire par argumens, raisons ettesmoi-
gnages qu'ils n'ont fait jusques icy. Tous les exploits que nous
venons de réciter, avec le siège d'Orléans, sont amplement
descrits en un traité qui en fut lors fait, qui s'est trouvé en la
maison de ville d'Orléans, par homme qui estoit audit siège
et raconte par le menu tout ce qui s'y fit. »
La raison de Vigner est puissante en matière d'histoire
laquelle doibt rendre fidèle tesmoignage des temps. Et
comme ainsi ce seroit un argument d'un esprit mal fait
lequel après tant d'historiens qui nous ont descrit l'histoire
de Pompée et de César, pour exemple, voudroit néantmoins
la contredire et l'accuser de faulseté; semblablement, c'est
une grande témérité et impertinence de contredire et oppu-
gner la vérité des faits de nostre Pucelle après tant de tes-
moins et historiens irréprochables, et de feindre des fables et
contes faits à plaisir d'elle sans aucun fondement, apparence
de raison ni tesmoignage quelconque. Et à propos de ces
gens qui font des contes à plaisir de nostre Pucelle, M. Es-
tienne Pasquier en a composé un bel épigramme qui se voit
au sixiesme livre de ses épigrammes que nous enchâsserons
en son livre.
Jana vocor, Gallo numen, Medaea Britannis,
His meretrix, aliis fabula cauta Numae;
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 3o3
Viva ego quae laceri stabilivi mœnia i-egni
Hei, mihi ! pro meritis mortua nunc laceror.
Le mesme Vïgner a pareillement fait mention de la^Pucelle
au Chroniconldiim renim Burgundionum et en son Histoire
des Roy s de France.
23
CHAPITRE IV
[ÉLOGES TIREZ DES HISTORIENS]
I
François Philelphe.
Nous commencerons par les auteurs ou historiens qui ont
vescu au règne de Charles Vil, auquel Franciscus Philel-
phusS italien, a escrit une épitre sur les faits héroïques de
nostre Pucelle, qui est la dernière du huitiesme livre : dont
ensuit la teneur.
« Dolendumprofecto erat bonis omnibus, RexCarole, quod
christianissimum genus hominum te rege pientissimo tam
diu, tam graviter, tanta malorum mole premeretur. At ego
cum meipsum colligo, et mente diligentius rem volute, facile
videor intelligere id quodam divino consilio factum esse.
Ostendere Deus voluit, ut opinor, nuUam esse humanam po-
tentiam quœ propriis consiliis atque adrainiculis, aut perpé-
tua esse possit, ant diuturna si divino prœsidiocareat. Quam
ob rem idcirco paululum veluti a Francis recedere visus est,
quo etper fidelissimi populi flagella, infidelibus cunctis mini-
taretur interitum, et cum te Francis venerabiliorem, tum
universis tuis hostibus formidabiliorem efficeret. Tua certe
pietate et divina quadam ope et auxilio factum est ut eos
omnes qui perinde atque stulti et ameutes a te defecerant, ad
sanitatem tua cum gloria videas rediisse, Deo ipso duce, im-
peratore vexillifero. Non modo patrium et avitum regnum
cura immortalitatis nomine recuperasti, sed longe id admo-
1. Philelphe Franrois, savant philologue et lettré remarquable, né
en 1398 à Tolentino. mort en 1485. Les XVI livres de ses Epistolse paru-
rent in fi» à Venise en 1492. Il a laissé de nombreux ouvrages.
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 355
dum amplificasti, stabilisti, ornasti ; nam si magna res est
ferocissimos Anglorum impetus sustinere, quanto major
censeri débet Anglos superare, prosternere, interimere. Has
autem taies tantasque victorias, in rébus prôesertim despe-
ratis et perditis existimare debes, neque tuis, neque uUis
humanis opibus adeptum, sed divina potius quadam mente,
(juic christianœ suicque Reipublicae diuturna œgrotatione
morboque confectœ, tuo felicissimo ductu, tuis secundissîmis
auspiciis, jam tandem succurrere mederique constituit. »
Et il conclut ainsi son Epistre :
« Ut reliquis christianis principibus ac regibus dignitate
preestas, ita tibi omni ope atque opéra studendum est ut abso-
lutissima virtute his omnibus et vera gloria sis superior.
Vicisti Anglos, recuperasti patriam, etc. Etpulchrum id certe
fuit ac laudabile : justitiœ enim munus in teipsum tuosque
constituisti, etc. »
Mais peut-il se rapporter rien de plus glorieux pour la
Pucelle que cette clause, sçavoir que les furieux qui sestoient
retirez de l'obéissance du Roy ont recognu leur faute, à la
gloire du Roy, ayant Dieu non seulement pour guide et con-
duite, mais aussi pour général de ses armées, voire lui-
mesme portant l'enseigne : qui est une description des gestes
de nostre Pucelle. Davantage : cet auteur remarque que Dieu
sembloit s'estre pour quelque temps retiré et eslongné des
François, afin que par leur affliction il instruisist les mes-
chants et montrast leur ruine toute certaine, au cas qu'ils ne
fassent pénitence, car, dit saint Paul, « Dieu chastie ceux
qu'il aime (Hébreux, 12), » ainsi que nous voyons qu'il a
souvent affligé le peuple d'Israël qu'il avoit esleu entre toutes
les autres nations du monde.
II
Enguerran de Monstrelet ^
Enguerrand de 3Ioustrelet, quoyque fort partial pour le duc
de Bourgogne, toutesfois a escrit avec honneur de la Pucelle
1. Chroniqueur Bourguignon, 1390-1453, fut prévôt de Cambrai. Voir
ia Biographie universelle de Michaud au mot Monstrelet.
356 E. RICHER. — LA PUCELLE D ORLEANS
au second volume de son histoire, et ce durant le règne de
Charles VII. Nous représenterons par sommaire ce qu'il en
dit, et par ses propres termes.
« Que Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleur
pour le Roy, lui bailla chevaux et quatre ou six compagnons
pour la mener au Roy. Qu'elle se disoit estre inspirée de la
grâce divine, et qu'elle estoit envoyée devers le Roy pour le
remettre en la possession de son royaume dont il estoit des-
chassé et débouté à tout, et estoit en assez pauvre estât.
Par plusieurs fois elle admonestoit le Roy qu'il lui baillast
gens et ayde et reboutteroit ses ennemisL et exauceroit sa
seigneurie. Le roy et son Conseil n'adjoutoient point grand
foy à elle ni à chose qu'elle sceust dire, et la tenoit-on comme
.une folle dévoyée de sa santé. Car a si grands princes et
autres nobles hommes telles ou pareilles paroles sont moult
doutables et périlleuses à croire, tant pour l'ire de Nostre-
Seigneur principalement, comme pour le blasphème qu'on
pourroit avoir des parlers du monde. Néantmoins après
qu'elle eust esté en Testât que dit est un espace, elle fat
aydée et lui furent baillez gens et habillemens de guerre, et
esleva un estendart où elle fit peindre la représentation de
nostre Créateur. Si estoient toutes ses paroles du nom de Dieu :
pour quoy grand partie de ceux qui la voyoient et oyoient
parler, avoient grand credence qu'elle fust inspirée de Dieu
comme elle se disoit estre. Et fut par plusieurs fois examinée
de notables clercs et autres sages hommes de grande autho-
rité, afin de sçavoir plus au plain son intention. Mais tous-
jours elle se tenoit à son propos, disant que si le Roy la vou-
loit croire, elle le remettroit en sa seigneurie. Et depuis ce
temps fit aucunes besongnes dont elle acquit grande renom-
mée : de quelles sera cy après déclaré. Le Roy alla à Poictiers
eticelle Pucelle avec lui, etc. »
Il décrit après ce qui se passa pour secourir la ville d'Or-
léans d'hommes et de vivres sous la conduite de la Pucelle,
et comme elle fit donner l'assaut aux bastilles de saint Loup^
des Augustins et des Tournelles, qui furent prises, démolies
et embrasées : et que de morts et de prisonniers les Anglois
y perdirent de six à huit mille combatlans, et les Francoi?^
KLOUES TIRKS DE DIVERS AUTEURS 357
n"y perdirent qu'environ cent hommes de tous estats. Que
à tous les conseils que tenoient les gens de guerre, la Pucelle
estoit tousjours la première appelée et estoit en grand
règne : qu'à tous les assauts, cliarges et rencontres elle estoit
tousjours au front devant les autres gens de guerre, atout son
estendart; et par toutes les marches de là environ n'estoit
plus grand bruit ni renommée comme il estoit d'elle, et de
nul autre homme de guerre. Que la deffaite des xVnglois à
Patay, la Pucelle y acquit si grand louange et renommée,
qu'il sembloit à toutes gens que les ennemis du Roy n'eus-
sent plus puissance de résister contre elle, et que brief
par son moyen le Roy deubst estre remis et restabli du tout
en son royaume. Que messire Jean Fascot, un des principaux
capitaines Anglois, ayant pris la fuite à la journée de Patay
sans coup férir, fut accusé de lascheté par sire Jean Talbot
devant le duc de Bethford, et pour cette occasion fut privé
de l'ordre du blanc Jarretière.
Descrit après le voyage du Roy à Rheims, et comme partout
où il passoit les villes se rendoient à son obéissance. Que, pour
celte cause, le duc de Bethford envoya au Roy un héraut avec
lettre de deffi pour combattre armée contre armée ou enten-
dre quelque traité de paix : lui reprochant qu'il s'aydoit de
gens superstitieux et réprouvez, comme d'une femme désor-
donnée et diffamée, estant en habit d'homme et gouverne-
ment dissolu; et aussi dun frère mendiant, apostat et sédi-
tieux, tous deux selon la sainte Escrituj-e abominables à
Dieu : qu'il avoit occupé plusieurs villes et chasteaux tant en
Champagne qu'ailleurs, par force d'armes, appartenans au
Roy de France et d'Angleterre, etc. : avoit fait tuer le duc de
Bourgogne à Montereau faut- Yonne, faussant sa foy et son
serment, etc.
Par lesquelles lettres le duc de Bethford avoit plus tost
intention de conserver sa renommée parmi les peuples qui
obéissoient au Roy d'Angleterre, que de hazarder en une
bataille tout Testât de son pupil. Car pour lors toutes les
villes situées sur la rivière de Somme, Corbie, Amiens, Abbe-
ville, Saint-Quentin, etc., ne cherchoient que l'occasion de
se mettre en l'obéissance du Roy, s'il eust avancé de ce costé-
358 E. niCHER. — LA PUCELI.E D ORLEANS
là, ainsi que Monsti-elet tesmoigne. Et dit que le duc de Bour-
gogne y envoya pour les retenir en debvoir, « et que les
Parisiens sçachans combien ils avoient offensé le lîoy,
l'ayans chassé de la ville, et mis à mort plusieurs de ses ser-
viteur»; que le voyans approcher de la ville pour y donner
un assaut, eslimans qu'il les vouloit entièrement destruire,
qu'ils promirent de résister de toute leur puissance jusques à
la mort. » Que le duc de Bourgogne leur avoit envoyé pour
les secourir les sieurs de Créquy. de l'Isle-Adam, messires
Simon de Lalain, de Bonneval avec quatre cens combattans ;
que la Pucelle fut fort blessée h cet assaut, et que tout le jour
demeura aux fossez derrière un dos d'asne jusques à vespres :
à laquelle il impute la prise et la mort de Franquet d'Arras,
fort regretté des Bourguignons, etc.
Quant à la prise de la Pucelle devant Gompiègne, raconte
« que ce fut la veille de l'Ascension qu'elle fit sa sortie, assis-
tée de Poton'le Bourguignon et de cinq à six cens combattans,
et qu'elle s'estant mise sur le derrière pour faire retirer ses
gens et les ramener sans perte, elle fut ruée jus de son che-
val par un archer auprès duquel estoit le bastard de Wan-
donne à qui elle se rendit et donna sa foy; qu'avec elle fut
pris Poton le Bourguignon et quelque peu d'autres.' et fut
menée prisonnière à Margny. De quoy tous les Anglois et
Bourguignons firent une grande joye, plus que s'ils eussent
pris cinq cens des plus vaillans chevaliers ; car ils ne crai-
gnoient ni redouboient nul capitaine ni autre chef de guerre,
tant comme ils avoient fait la Pucelle à ce jour. Et le duc de
Bourgogne partit de Coudun où il estoit logé pour la venir
voir où elle estoit, et parla à elle, présent Monstrelet, ainsi
qu'il asseure : et fut mise en la garde de messire Jean de
Luxembourg qui l'envoya sous bonne garde au chasteau de
Beaulieu et de là à Beaurevoir. »
Par ce discours nous apprenons qu'il y avoit deux Poton
au service du Roy, l'un que Monstrelet appelle toujours Poton
de Sainte-Traille, qui est ce brave guerrier duquel nos his-
toires font souventefois mention, et quelque temps après fut
fait prisonnier des Anglois. Il a esté grand écuyer de France :
c'estoit le compagnon de La Ilire en fait d'armes. L'autre
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 359
Poton estoit Bourguignon et fut pris avec la Pucelle. Ce qui
a donné subject à Meyer et à quelques autres historiens
d'escrire que Poton de Santrailles estoit avec la Pucelle
quand elle fut prise à Compiègne, qui est une équivoque. Au
surplus, le siège de Gompiègne fut levé sur la fin du mois
d'octobre, et la grande bastille des Bourguignons assaillie et
démolie par le grand Poton, et les François donnèrent la
chasse aux Anglois et Bourguignons sous la conduite du duc
de Vendosme et du mareschal de Boussac, etc.
Pour le regard de la sentence et exéquution de mort contre
la Pucelle, Monstrelet asseure que le Roy d'Angleterre par
lettres expresses la fit sçavoir au duc de Bourgogne, afin que
cette exéquution, tant par lui que par les autres princes, fust
publiée en plusieurs lieux, et que leurs gens et subjects
n'eussent d'ores en avant plus de créance en tels ou sembla-
bles erreurs qui avoient régné par l'occasion de la Pucelle.
Lesdites lettres sont tout au long registrées par Monstrelet et
sont les mesmes que l'on voit à la fin du procez de la Pucelle,
et n'y a aucune différence sinon au commencement et à l'ins-
cription des susdites lettres. Celles du duc de Bourgogne
commencent ainsi : « Très chier et très aymé oncle : La fer-
ce vente dilection que sçavons vous avoir comme vray catholi-
« que à notre mère sainte Eglise et à l'exaltation de nostre
« sainte foy, raisonnablement nous exhorte et nous admo-
« neste de vous signifier et escrire, etc.^ »
J'oubliois de remarquer que le mendiant duquel est fait
mention aux lettres de deffi que le duc de Bethford envoya
au Roy, est frère Roch Richard, cordelier, duquel a esté
parlé au premier et second livre de-cette histoire. N'est-ce
pas merveille que pendant qu'il tenoit leur parti, ils l'ado-
roient, et qu'ayant pris celui du Roy, ils l'appellent apostat
et séditieux? M. Estienne Pasquier, au cinquiesme livre de
ses Recherches, chapitre trente-sept, raconte avoir vu une
chronique escrite à la main, portant « que l'an 1429 il pres-
(( cha le jour de saint Marc; qu'on alla en procession de Paris
1. Voir les pages de Monstrelet reproduites par J. Quiclierat, Procès.
IV. 360-405.
360 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
« à Notre-Dame de Boulogne, où il se trouva une très grande
« afrtuence du peuple, hommes et femmes, lesquels il excita
<( tellement à dévotion, que retournez qu'ils furent à Paris,
« en moins de trois ou quatre heures ils allumèrent par les
« rues plus de cent feux esquels ils brusloient tables et
« tabliers, cartes, billes, billards, et les femmes tous leurs
« atours de testes, quittoient leurs cornes, queues et toute
« sortes de pompes, etc. »
III
B. Fulgose. — L. Chalcondyle. — M. A. Coccius. — R. Gaguin.
J. Nauclerus.
Baptista Fulgosius S duc de Gènes, au troisiesme livre
dicloi'um factorumque memorabiliiim, cap. xi.
« Johanna, dit-il, non tutata est solum Galliam, verum
etiam ex Britannorum manibus recepit diu ante a Britannis
oppressam. Régnante enim Carolo Vil, cum Parisiorum
urbem magnamque regni partem Britanni possiderent,
Joanna Jacobo Darco pâtre orta in Lotharingorum pago, qui
Dompremium dicitur, cum nondum quindecim annum
superasset, propter admirandas visiones fatidica putabatur.
A Carolo igitur Lotharingorum principe ad Roberlum Bau-
dricurtium in Vallicolore militarem Gallorum ducem, et ab
ipso ad Carolum VII regem in Gallia designatum missa fuit.
Huic cum large victoriam polliceretur, non ante fides habita
fuit, quam experientia in multis quœ futura praidicebat
verax inventa est. Ita fidem adepta, delatam tandem Gallici
exercitus summam atque imperium suscepit. Armata igitur
1. Baptiste Fulgose, doge de la république de Gênes, ayant été
déposé en 1483, se retira en Provence et écrivit en italien un recueil
dans lequel il parle de Jeanne d"Arc. Cet ouvrage fut traduit en latin et
imprimé en 1509 à Milan. Il a pour titre : De diclis f'actisque mirabi-
libus collée taneu.
J. Quicherat n'a pas cru devoir insérer au tome IV des ses deux
Procès ce témoignage de Fulgose, parce que cet écrivain a tout simple-
ment copié Gaguin lequel n"a rien d'original. Lenglet-Dufresuoy a été
moins sévère. Il n'a pas manqué de reproduire le même passage que
Riclier {op. cil., p. 2i-28), mais en le traduisant en fran(;ais.
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 361
atque ingenti cquo insidens, cum voce gestuque a vero mili-
tari duce non abesset, ingenti animo Aurelianam urbeni
arcta obsidione ab Anglis oppressam liberavit. Ubi pugnando
vulnus in humero accepit. Nec vero armorum fragor, efTusus
in prtolia sanguis, et varia mortis gênera quibus cadere in
prieiio pugnantes intucbatur, virginis animum terruerunt,
sed ceu elïerala anima, et ducis etmilitis munia implevit.
Inde exercitu ad Trecas perducto, urbem eam contra omnium
sententiam adorla cepit. Carolum VII qui designatus rex
erat, diademate ut moris erat Rhemis insigniri ut regem
jussit, salutisque anno quadringentesimo vigesimo nono
supra mille, cum Parisiorum urbem oppugnaret, inter
primos milites in muros ascendit, neque quanquam crure
sagitta trajecto, ab incepto destitit, tantumque formidinis
de se Britannorum animis injecit, ut quemadmodum ante
Britannorum Galli conspectum non sustinebant, ita postea
Puellam Britanni ferre non possent. »
Léonic Chalcondyle ', grec, natif d'Athènes, qui vivait au
siècle de Charles VII, au second livre Des affaires et progrès
des Turcs, discourt en ces termes de notre Pucelle :
« Erat forma haud illiberali, quœ dicebat sibi cum Deo
esse coUoquium. Hœc regebat Gallosqui ipsam sequebantur.
Mulier autem cum foret militie dux, indicabat numinis aus-
picio se scire Britannos cum exercitu accedere. Commissa
tandem pugna, cum Angli victoriam non essent adepti, in
castra se receperunt. Postero die, freti Angli quod mulier
Gallorum exercitum ducturet, pra3lii potestatem faciunt
fugatique sunt in eo prœlio : et Galli, cum recepissent ani-
mos, jamque famam fortitudinis coUegissent, fortiter contra
Britannos dimicantes, urbes suas recuperaverunt, regnum-
que tutati sunt. Quamvis plurimi et maximi exercitus a
1. Léonic Chalcondyle ou Chalcocondyle, grec réfugié dans le
royaume de Naples, écrivit après la prise de Gonstantinople par les
Turcs, une histoire de leurs conquêtes de l'an 1298 à 1433. C'est au
second livre de cet ouvrage qu'il parle des affaires d'occident et de la
Pucelle. Edmond Richer a traduit en latin le fragment que J. Qui-
clierat a donné en français (Procès, t. IV, p. 52'J-535).
362 E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉAXS
Britannia in Galliam transirent, tamen Galli semper viclo-
riam pugnantes invenere, hostes fugcre coegerunt Caletuiu
(jusques à Calaisj, tandemque penitus a Gallia eos repule-
runt. »
- Marcus Antonius Coccius Sabellicus^ libro tertio decimsR
Enneadis.
V In hœc tempora incidisse crediderim Joannam. Gallicœ
virginis facinus illud omni a3vo mcmorabile, cum Gallorum
opes Anglicis bellis fractœ jacerent, Puella, cœlesti voce
monita, ut creditur, virili habitu armisque instructa ductare
cœpit exercitum. Dein cum hostibus sœpius congressa, inter
primos dimicans, multo maximam Francorum regni partem
ex Anglis recepit. »
Robert Gaguin- a escrit l'bistoire des Roys de France en
latin sous le règne de Charles VIII et Louis XII, et a vescu
au siècle que vivoit la Pucelle : de laquelle il a fait une
narration véritable, conforme à ce que nous avons proposé
au premier livre de cette histoire. C'est pourquoy nous ne
représenterons point ce qu'il en dit, car ce seroit chose
inutile et superflue ; suffît seulement d'en tenir inventaire.
Comme semblablement de Nicole Gilles, lequel a escrit au
mesme temps en françois l'histoire de nos Roys et de tous les
faits héroïques de nostre Pucelle en la vie de Charles VII où
nous renvoyons le lecteur. Il est plus à propos d'alléguer tout
au long les opinions des escrivains estrangers que des Fran-
çois, afin qu'on ne pense pas que nous voulions nous payer
de nostre propre bourse.
JoannesNauclerus3 vivoit au mesme temps que Gaguin et
Nicole Gilles, et au second volume de son histoire, généra-
tion 48, il parle en ces termes de la Pucelle.
1. Sabellico, vénitien, professeur de belles-lettres, mort en 1506.
2. Gaguin Robert (142o-io01), trinitairc, général de son ordre en U73,
auteur (l'un Compendium latin de l'histoire de France.
3. Nauclerus Jean, souabe, prévôt de Stuttgart en 1459-60, puis de
Tubingue, chancelier de cette université, auteur de chroniques, mou-
rut en lolO.
ÉLOGES TIHES DE DIVERS AUTEURS 363
« Anno Doniini 1428, venit ad regem Caroliim in Franciam
quiçdam Piiella plebeia et Lotharingia qua3 asseruit se mis-
sam a Deo ut per ipsam dictum regnum quo rex erat fere des-
titus, ad ejus obedientiam deducatur. Erat raro capite ad
niodum viri, et volens ad tumultas bellicos exire, vestibus et
armis virilibus induebatur; rediens autem de bcllo, habitum
muliebrem assumpsit. Rex in tanta perturbationc faciliter
credulus, marescalcum et nonnuUos alios sibi adjunxit, auxi-
lium laturus Aurelianis obsessis : ubi Puella Anglicos ab
obsidione rcpulit, et quemdam magnum Angliœ capitaneum
occidit. xVurelianis liberatis, Anglicos Franci insequuntur,
duce Puella, et oppidum Gergœum capiunt, Anglos truci-
dant, deinde Talbotum eapitaneum supremum abeuntem inse-
quuntur, et commisse prœlio, territi Anglici fngiunt ac ster-
nuntur. Uex Carolus deinde multo nobilium et baronum
comitatu stipatus, ingreditur Rhemos et illic coronatur, in
regemque inungitur. Post coronationem, Soissons. Castrum
Thierry, etalia loca usque ad sanctum Dionysium in Fran-
cia per Anglos oecupata ad obedientiam reduxit. Nam dux
de Bethfordo, pro Anglicis locumteneus, iverat Khotomagum
pro munienda Normannia. Itaque Rex etiam sanctum Diony-
sium récupérât, et tune fuit lœsa Puella justa Parisios. Rex
deinde ibat versus Bituriges. Anno Domini 1430, obsesso
Compendio capta est Puella supradicta per quemdam Picar-
dum qui vendidit eam Anglicis, et Angli eam Rhotomagi
occiderunt incineratam. »
IV
Polydore Virgile.
Polidore Virgile S italien, a escrit l'histoire d'Angleterre,
et quoy qu'il fut stipendié pour ce faire, si est-ce qu'il a
rendu pour la plus part véritable tesmoignage des faits de
•1. Lenglet-Dufresnoy, qui a cité lui aussi le témoignage de cet
historien (Histoii-e de Jeanne d'Arc, p. 42 et suiv.), rappelle qu'il fut
mandé en Angleterre au commencement du xvi« siècle pour écrire
l'histoire de cette nation qui manquait d'écrivains. « Il s'en acquitta
36* E. RICHER. — LA PUCELLE d'oRLÉANS
nostre Pucelle, au livre vingt-troisiesme, faisant l'histoire de
Henry VI roy d'Agleterre. Voici ses termes :
« Dum pacificatoriis legationibus Aurelianensescum hoste
agunt, Garolus copias undique arcessendas, principes Fran-
cos ab Angiorum amicitia omnibus pollicilationibus alienan-
dos curabat. Item commeatum ad obsessos Aurelianeuses
mittero studio parabat, quum ad eum Puella quuedam nomine
Joanna, viginta circiter annos nata, ducitur. Hsec ob serva-
tam virginilatem Puella dicta, et singulari preedita animo
ac falidica, cum ad Carolum adivisset, eum primo vestitu
regalem personam dissimulantem internovisse, deinde ita
salutasse fertur : « Bono, Rex, animo esto atque mitte timo-
rem : vinces enim et, me duce, patriam tandem in libertatem
pristinam vindicabis, si non majestate indignum arbitra-
bere feminœ opéra, etc. »
« Garolus qui rébus suis jam affectis valde timebat, facile
dictis credidit, in spem bonam omnino ingressus, ut qui jam
tum aliquid divinitatis in mente PuelUe sibi persuadebat
inesse, ex eo quod vestitu non régie indutus ab ea fuisset
rex salutatus. Sed aliud fuit quamobrem in eam spem vene-
rit. Puella enim petiit gladium quem divinitus, ut aiebat.
erat facta certior in templo divinœ Catharinœ inTuronibus
inter antiqua donaria pendere. Miratus Garolus gladium
inquiri ac inventum protinus Puellie afferre jussit, et peri-
culi polius ejus virtutis faciendi causa quam quod magno-
pere confideret, facinus aliquod egregium a femina edi
posse, armatorum manum cum parte commeatus attribuit
ut obsessos sublevatum iret. Puella ita armata, dux agminis
Aurelianum proficiscitur, ac sive frustrata custodes, sive
numine divino tecta, noctis silentio inter tela hostium
urbeni ingreditur, cibariaqueintulit sine ullo suorum incom-
modo. Angli interea qui certum habebant cives, ob rei fru-
mentaricC inopiam, non posse diutius obsidionem ferre.
avec beaucoup d'élégance. » On peut le regarder comine Anglais,
puisqu'il tirait pension de la nation britannique. » Son témoignage ne
saurait être indifférent. J. Quicherat ne lui emprunte en note que
quelques lignes sui' la prétendue grossesse de Jeanne au temps de sa
condamnation (Procès, t. IV, p. 477).
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 305
remissius solito urgebant negligentioresque excubias duce-
bant. Sed ubi cognoverunt Joannam Puellam commeatum
supportasse, clsi contemptui habebant feminam quai mili-
taria munera obiret, tamen ob missum subsidium ira accen-
si, acrius multo hostem premendum statuunt. Itaque
duces suos cohortati, ut aliquando pro tantis laboribus fruc-
tum victoriœ caperent, iis qui primi in mœnia ascendisseut
prsetnia proponunt. Qua re pronuntiata, subito ex omnibus
partibusevolant murumque complent, simul tormentis cujus-
que generis, simul telis hostcs a defensione murorum arcen-
tes, idque sine intermissionne faciunt. Hostes, quamvis re
nova perterriti, née tamen non deserebant, nec animos
dimittebant, - cum Joannes nothus per nuntios celeriter
significavit civitatem inopia rei frumentariœ premi, ac usque
eo hostes urgere, ut non possent vires cujusquam satis esse,
atque rem denique in tali periculo versari ut brevi maie
casura esset, ac ne id accideret, positum in ejus diligentia
atque virtule. Ouibus rébus cognitis, Garolus quam celer-
rime potuit et subsidium et commeatus copiam misit. Exer-
citus Aurelianum ductus, ac castra prope ad millia passuum
duo posita. Tum Franci de suo adventu Puellam qute Aure-
liani erat admonent rogantque ut postero die, cum electa
suorum manu, obviam veniat, seque tuto intromittendos
curet. Quod ubi per Anglum fieri licuit, qui ex usu suo fore
dicebat, si quam plurimum in urbe essent in qua jam famés
dominaretur, postridie illius diei omnes uno momento con-
tendentes de urbe erumpunt, proximumque progugnaculuni
continent! impetu petunt, quod post multam factam utrius-
que stragem capiunt atque incendunt. Deinde majoribus
animis, aliud longe majus oppugnant. Hic, quia bene magna
defensorum manus aderat, vehementius depugnatur. Fran-
cus qui numéro prœstabat, facta corona, undique urgebat.
Anglus vitio munitionis quee jam frangi cœperaC, omnibu*
rébus premebatur, fegreque sustinebat : cui ita laboranti ne
Talbotus quidem, qui in propinquo erat, et tertium tenebat
propugnaculum, subsidio ire poterat, veritus ne, se absente,
ea quoque munitio amitteretur. His igitur diffîcultatibus
Angli aliquamdiu pressi, ad ultimum loco summoventur, qui
366 E. rUCHEH. — LA l'IJCELLE U ORLÉANS
facto repente cuneo adTalbotum in lertium propugnaculum
se receperunt. Talbotus, nulla facta mora, cum expedito
exercitu advergus multitudinem contendit, qui non medib-
cri fervore illato, et suos firmavit ut sese ex magno timoré
colligerent, et hostes compressi adeo protinus se intra
mœnia conjecerint. Guides ab Anglo minor facta, quod mu-
nitio minus firma fuerat, in qua primum erumpentium
impetum excepit. llaud ita multo post : Talbotus, convocato
consilio, causas quam multasdocet quamobrem obsidionem
civitatis diu oppressœ, et perinde quasi ope divina defensœ,
aut modis omnibus relinquendam, aut in aliud tempus reji-
ciendam existimet, cum meliore omine id opus tentare licue-
rit, ut ne tempus teratur quod hyeme jam confecta ad bel-
lum magis necessarium eatur.
« Probata non tam libenter quam necessario generatim a
cunctis sententia et dato profectionis signo, Magdunum per-
gunt. Discessu Anglorum omnia repente apud Aurelianenses
ketitia et congratulatione plena sunt, quod tantum pericu-
lum vitasseut. Quare id beneficii Deo acceptum referentes,
in plures dies supplicationibus decretis, orarunt ad cuncta
divorum templa, communem victoriam exposcentes. Hinc
projecto videamus licet, illum aliquoties minus consequi,
qui plus nimio poscit. Equidem Angli vincere potuerunt,
sed existimantes suœ dignitatis non esse admittere Aurelia-
nensium deditionem aliter atque petebant factam, neglexere
victoriam perinde quasi in manu esset. Verum tantum post
abfuit ut Aureliam potiti sint, ut eos nécessitas ab incœpto
9,verterit. Franci autem, ob pulsum hostem gloriantes, reli-
qui negotii gerendi facultatem nequaquam dimittendam sta-
tuunt, qui continue per omnem agrum Aurelianensem per-
currunt, oppida quœ hostis praesidiis tenebat recuperandi
causa, et primum Gergeeum petunt, paucisque post diebus
capiunt, amplius ducentis Anglis interfectis et quadra-
gintacaptis : ex suis vero militibus trecentos desiderarunt. »
Cet auteur raconte la levée du siège d'Orléans, mais il
desguise la matière autant qu'il peut. Premièrement, il est
véritable que la ville d'Orléans s'estoit voulu mettre en la
protection du duc de Bourgogne, mais non pas se donner à
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 367
lAnglois. Et le duc de BeLhford n'ayant voulu souffrir cela,
et, ainsi que raconte Monstrelet, ayant respondu « qu'il
n'entendoit pas l'avoir masché, et que le duc de Bourgogne
n'cust qu'à l'avaler, » cela fit résoudre ceux d'Orléans d'at-
tendre secours du ciel.
Secondement, il est faux que la Pucelle soit entré nuitam-
ment à Orléans par crainte des Anglois : vu que première-
ment elle les somma par ses lettres de se retirer, et à faute
de le faire, leur fit entendre qu'elle estoit preste de les com-
battre à force d'armes. Et de cela mesme font foy les actes
du procez, comme tous les historiens qui ont descrit la levée
du siège d'Orléans. Toutes fois, Polydore Virgile passe cela
sous silence. Comme pareillement que les bastilles qui
estoient du costé de là Sologne avoient esté enlevées de vive
force aux Anglois, et que Glassidas et plusieurs autres capi-
taines de remarque y furent tuez et la Pucelle blessée, ainsi
mesme que les actes du procez tesmoignent. Néantmoins
Polydore Virgile veut persuader que Talbot gardoit la bas-
tille des Tournelles et qu'il se retira sans estre contraint,
persuadant aux Anglois de lever le siège. Talbot estoit du
costé de la Beausse et commandoit à l'armée campée en ce
quartier-là, et non pas aux bastilles devers la Sologne; et
par ainsi cet historien a esté très mal informé, ou bien
sciemment, comme est plus croyable, a voulu desguiser la
vérité, ne parlant que le moins qu'il peut avec une grande
atténuation des exploits de la Pucelle, qui toutes fois sont
assez relevez par les interrogatoires que l'évesque de Beau-
vais lui a faits, articulez en son prétendu procez.
Mais n'est-ce pas mentir délibérément d'escrire que la
Pucelle, pour prolonger sa vie de neuf mois, avoit feint
d'estre grosse? Chose controuvée par Polydore Virgile en
faveur des Anglois desquels il estoit pensionnaire, et qui est
contredite mesme par les actes du procez qui tesmoignent
qu'en l'espace de sept jours deux sentences ont esté données
et exéquutées contre elle, et que par tous les actes du procez
il n'y a aucune preuve de sorcellerie. Aussi n'a-t-elle jamais
esté soupçonnée par autres que par ses ennemis mortels.
Entendons parler cet homme.
368 E. ItICHER. — LA PUCELI.E DORLÉAXS
« HiEC Puella, cum ultra feminte vires, sineque uUa peritia
militaris disciplinte, quam nunquam didicerat, multa faci-
nora et illa quidem egregia faceret, apud vulgus in sus>pi-
cionem venit ut diceretur magicis arlibus ea omnia agere.
Quamobrem in veneficii crimen vocata, primo jubente duce
Sommersctensi diligenter examinata est an bene sentiret de
religione christiana, deinde quia virili usa erat vestitu et
omnino vonefica habebatur, severe daninatur atque combu-
ritur. Sed Puella infelix, priusquam ea pœna affecta sit, memor
humanitatis quie unicuique innata est, simulavit se gravi-
dam esse, quo aut hostes misericordia frangeret, aut faceret
ut mitius supplicium statuèrent. Verum postquam ob eam
causam novem menses est servata ad partum et res vana
apparuit, nihilominus crematur. Visa est ea profecto sen-
tentia in Puellam lata longe post homines nata durissima,
quae neque molliri, neque mitigari tempore potuit. Sane
femina pro patria ad virilia décora excitata, digna favore
videbatur, cum prœsertium permulta extarent parcendi
exempla, et illud potissimum a Porsenna Etruscorun rege
editum. Is enin coraposita cum Romanis pace, cum obside*
accepisset et in his Cleliam virginem, et illa dux agminis
aliarum virginum frustrata custodes, inter tela hostium Tibe-
rin transnassetad suosque confugisset, ac inde ex fœdere res-
tituta fuisset, non alïecit virginem pœna, sed coUaudatam et
parte obsidum donavit, et domum remisit. »
G. Lilius — Chr. Massœus — J. B. Egnatius — R. de Wassebourg
Paul Jove — Paulus iEmilius.
Georgius Lilius ^ Anglois,a fait un livre des Eloges des
hommes illutres de Bretagne et l'a dédié à Paul Jove : à la
fin duquel est une petite chronique des Roys d'Angleterre et
en l'année 1429 narre briefvement les faits de la Pucelle.
1. Lily"(Geoi'ges), chanoine de Saint-Paul à Londres, a laissé plusieurs
ouvrages d'histoire. Il mourut en 1.559. Le savoir de son père avait
rendu déjà son nom illustre.
KLOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 369
« Joanna Puella armala Aurelianenses obsessos commeatu
juvat, coactis hostibus obsidionem relinquere : ad octaviim
idus maii Anglos virililer expulit. Patiense i Patay) prœlium
in quo, ceesis et prodigatis Anglis, Joannes Talebotus capitur.
Puella Garolum legem Rhemis consecrandum ducil. Henricus
cardinalis Winthoniensis a Martino V pontifice legatus in
exercitu contra Bohemos mittitur. Puella Gompendium obses-
sum vi et astu ingressa, cum in hostes eruptionem faceret, a
Joanne Luxemburgensi capitur, Rbotomagumque ad ducem
Sommersetensem mittitur, dein magiie damnata exuritur. »
Christianus Massœus^ estoit du diocèse de Cambrai, et en
sa chronique, l'an 1429, rapporte ce qui s'ensuit.
« Hoc anno obsidentibus Anglis Aurelianos, Puella quae-
dam,. Joanna nomine, venit ad Delphinun et ait : Missa sum
a Domino ut regnuni Franciœ tibi restituam. Mitte ad sanc-
tam Catharinam de Fierbois : est ibi gladius involutus a Deo
missus, afîeratur mihi. AitCarolus : — Unde nosti? — Deus,
inquit, mihi revelavit. Misit ille inventumque gladium Puel-
he dédit. Sumptis ilia militibus, obsidionem Aurelise solvit.
Deinde Delphinum adduxit Rhemos consecrandum, ubi
décima septima Julii, die Dominica, unxit eum Reginaldus
ejus loci prœsul. Et licet comitiis principum non interesset,
sciebat tamen sécréta ipsoruni. Ad omnia sapienter responde-
bat, sœpe confîtebatur. Semel in hebdomada Eucharistiam
sumpsit. Incessanter .\nglos persequuta est etvicit. Burgun-
dos autem superare nequivit. Anno enim sequenti, voluitcos
obsi dentés. Compendium effugare, sed capta fuit ab eis vige-
sima quarta die maii, indictione octava, et Anglis vendita,
qui post multa tormenta combusserunt eam, dicentesmagam
esse atque maleficam. »
Joannes Baptista Egnatius-, vénitien, au livre troisiesme,
chapitre second des Exemples des hommes illustres.
1. Christianus Massaius, né en 1469, mort en 1546, ancien hiérony-
inite, a laissé une clironique en 20 livres qui va jusqu'en lo40.
2. Egnazio (Jean Baptiste, — de son vrai nom Cipoli — né à Venise en
1478, y enseigna les belles-lettres, laissa plusieurs ouvrages d'histoire,
et édita plusieurs classiques.
370 E. UICHER. LA PUCELLE U ORLEANS
« Quis cnim credat Piiellam, vix quindecim annos nalam,
Galliarum regnum a Britannis fere omne oppressum, sua
unius virtute ac liberali assertum manu ? Hsec igitur Joanna
nomine, Puella a Gallis cognomento dicta, Gallorum régi,
quod incredibile videri possit, persuasit ut Aurelianum acer-
rima Britannorun obsidione coaclum ipsa solveret : quod ita
plane accidit, quamvis humerum sagitta transfixa, reliquos
adhortaretur, et sese unam fortissime pugnantem intuiti, de
Victoria minime dubitarent, sed a Britanno hoste regnum vin-
dicare studerent. Quare aucti animis Galli et Aureliam rece-
pere, etTroiamurbem, quod nemo ferecredebat, Puellse unius
auspicio recuperarunt. Unum opus supererat recipiendee
Parisiorum urbis, etc. Tametsi utrumque crus sagitta per-
fossa, prima muros transcendit. CcCterum llhotomagum con-
tendens, cum eam urbem aliquamdiu frustra obsedisset, ab
Anglis eruptione facta capitur^ Eam per summum gaudium
captam, tanquam simulatee religionis ream, comparata
ingenti pyra concremarunt. Galli vero tantse virtutis liber-
tatisque receptae memores, eam ubique pictam, veluti fami-
liare numen, colunt. »
Richard de Wassebourg-, aux Annales de la Belgique, en
deux endroits représente l'histoire que nous avons en main :
sçavoir au commencement où il parle des hommes illustres
de la Gaule belgique, et en l'année 14:29.
Paulus Jovius*, italien, in Britannige descripHone, parlant
de Henry VI et de ses louanges :
« His tantis virtutibus, dit-il, una castrensis gloria deerat,
1. Inutile d'insister sur l'erreur commise par l'auteur en ces lignes.
La Pacelle n'a jamais assiégé Rouen, et ce n'est pas sous ses murs
qu'elle a été prise.
2. Richard de Wassebourg né à saint-Mihiel vers la fin du quinzième
siècle, mourut archidiacre de Verdun. Ses Antiquités de la Gaule bel-
gique parlent un peu de tout, mais nous ont conservé des pièces histo-
riques précieuses.
3. Il était évèque de Nocera au royaume de Naples. Né en 1483 à
Côme, il mourut à Florence, où il s'était retiré, en 1552. Il écrivit une
histoire de son temps. Ses œuvres ont été réunies en 6 vol. in fol.
ELOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS 371
€oncepta jam animo ingenti adauctaque Anglorum studio.
qui sua consueludine bella, prtelia tranquillitati atque otio
prceferebant. Odio scilicet illo in Gallos a majoribus tradito
deflagrantes ; a quibus se Galliae regno et toto fere continente
pulsos indignabantur. Et quod ignominisenomine in fortibus
viris iras accendebat, Puella pr&esertim duce, quee miraculo
quodam, excitatis Gallorum animis, felici ausu superiores vic-
torias atque illa décora Anglicœ virtutis trophœa penitus
evertisset. »
Paulus .Emilius', italien, a fait l'histoire des Roys de
France en latin et discourt en ces ternies de la Pucelle en la
vie de Charles VII.
« Joanna Lotharinga puella, duodeviginti circiter annos"
nata, sub pâtre oves pascere solita, ad regem ducitur praedi-
cans se mente divinitus admonita venire profiterique se
.\nglos Francia exacturam. Mirabundo rege multiplici per-
contatione procerum versata, sempcr sibi constitit, nul-
lumque ei verbum nisi pudicum sanctumque excidit. Consi-
lio ducum sanctorumque non aspernanda res visa. Militari
ergo habitu accepte, ab rege, exercitu ducibusque trajecto
flumine, obsessis per intermissas hostium munitiones septi-
mumjam mensem clausis, auxiliacommeatumque intalit, cre-
brisque eruptionibus obsidionem solvit. Gircumferendoque
bello variis ducum conatibus, circumjectaoppida quee hostis
compararat, recepit levibus preeliis, quee tamen in summam
universœ rei spem proficerent, Anglo fatigato. Ad tria hos-
tium millia ciesa in Belsia (dans la Beausse) anno ejus seculi
undetricesimo. Nec fortuna se offerenti defuit Francus rex :
utqueaugustior suis, hosti formidoLosior fait, auctore ac duce
Puella ad Rhemosad sacrum Ghrisma regnique insignia sus-
cipienda profectus, etc. »
Par après il raconte la prison et la mort de la Pucelle.
« Longe aliam fortunam nacta est Joanna quam quee Aure-
iianum servarat. In oppidum quidem irrupit Compendium.
1. Paulus ^Emilius, né à Vérone, fut attiré en France où par ordre
de Louis XII il écrivit un livre de rébus geslis Francorum (Paris, lo39),
(jui lui valut un canonicat à Notre-Dame.
372 E, lilClIKR. — LA l'LCELLK d'uHLKAXS
Sederuptione facta, postea in polcslatemhostium venit. Ilho-
tomagum ducta ab Anglis, superstitionis falsëcque religion is
insimulata, igné cremala est, hoste judice, nemine eo loco
pro captiva contradicere auso. Aurelianenses PuelUu sta-
tuam posuere. Eam summis laudibus efferunt et admirantur
Pius, pontifex maximus, et Antoninus, Florenlinus pon-
tifex. »
VI
J. Laziardus — J. Aventinus — H. Boetius — J. Ferrerius.
Joannes Laziardus', en son Epitorne de Vhistoire univer-
S(?//e, chapitre 274, représente briefvement et judicieusement
cette histoire.
« Carolus, dit-il, hujus nominis VII. post Carolum M
regno Francorum successit. Quo in tempore tantis calamita-
tibus Franci vexabantur, ut bis attritus populus et obstupe-
factus, quorum partes sequi deberet ignorabat. Itaque régi
Carolo Bituriges tantum parebant, cœleris Francis modo ad
Anglos, modo ad Burgundiones spectantibus. Eo enim tem-
pore llenricus Henrici régis Anglise filius, regnum Francia^
occupabat, quod diceret ex pacto sibi deberi. Carolus vero
compassusjus suum armis defendere semperanimo agitabat.
Unde et Franci milites in armis parati adversus Anglos
repentina prœlia committebant. Variis igitur prœliis commis-
sis, modo Angli, modo Franci superantur. Verum féliciter
gestis adversus Anglos multis bellis, etiam Francis auxilia-
tores Scotorum quinque millia advenerunt, quos perbenigno
et benevolo affectu Hex suscepit. Eisdem temporibus, Angli
multas urbes receperunt, atque non sine magno Francorum
damno, adeo ut uno pnelio apud Vernolium commisso, Beth-
fordus, Anglorum dux, quinque millia Francorum occiderit,
captusque est Alençonius dux cum aliis pluribus Franciae
nobilitatis proceribus. Hac Victoria lœti Angli multa alla
1. Laziardus Jean (Le Jars), de Paris, historien de la fin du
k« siècle.
ÉLOGES TIUKS DE DIVERS AUTEURS 37:}
oppida receperunt. Tum Aurelianos obsidens Tallebotuscum
Salseberiensi comité, quatuor per gyrum munitionesextruxit,
quibus in urbem quicquam inferri veLabat. Aurelianenses
vero semper erectiori anirno se suaque acerriine tuebantur.
Aderat etiam et illis subsidio quam maxime poterat Garolus
rex. Multa tamen diuturnaque obsidione pressi, consilium
capiunt de deditiom facienda, eo pacto ut urbs Burgundo
duci permitteretur. Legatos itaque ad lUirgundos mittentes,
eum de ea recertiorem reddunt. Quibus respondit Burgundus
se perquam libenter urbem recepturum, si Bethfortus assen-
tiat. Itaque Bethfortum legati adeunt, quibus respondit Aure-
lianenses in gratiam non recepturum quoad omnem belli
impensam persolvissent, suteque voluntati eos subdidisset.
Eodem tempore Joanna, cui Puella ob integritatem corporis
cognomento fuit, annos viginti nata,ad Carolumregem veni-
ens, illum brevi in regnum se restiturani pollicita est. Erat
enim hœc virgo excelsi animi, nihil muliebriteragens, sacer-
dotali confessione quaque fere hebdomada conscientiam pur-
gans, divinamque Eucharistiam dévote sumens. Huic itaque
postquam a rege hostes expugnandi negotium datum est,
tanta vi Anglos expugnat, ut non modo Aurelianos ab obsi-
dione removerit, sed et omnes a regno Franciœ deturbarit,
multis occisis, multisque vivis in prœdam captis. Hujus prse-
clara gesta satis ab historicis Francis descripta sunt- Heec
autem post multas Anglorum cœdes tandem apud Compen-
dium, dum suis opem ferre studeret, a Joanne Luxemburgo
capitur, qui eam Anglis venumdedit. A quibus hostiliter
habita, apud Rhotomagum cremata est, quod dicerent eam
viri^li habitu indutam pro Francis decertasse, nullam mortis
causamineainvenientes. Erubescantigitur Angli se a femina,
et quidem catholica, regno pulsos, nec deinceps apudcieteras
gentes suum robur jactent, sed per abrupta fugientes poste-
ris enarrentPuellam, nomineJoannam, non quidem vi armo-
rum, sed proditione deceptam morte mulctasse. Ab hoc igitur
tempore, Angli animo tabescentes laala fortuna semper usi
sunt. Nam, dum Compendium obsiderent, dum se a Francis
mactare conspiciunt, castra deserentes, in sua ut quisque
poterat fugiebat ; atque eo pacto arces et oppida a Francis
•374 K. KICIIEU. — 1>A l'L'CELLE U OULKANS
recepla sunt, mullaque millia Burgundionum et Anglorum
cœsa. »
Joannes Aventinus^ sur la tin du septiesme livre do l'his-
toire de Bavière, fait registre des faits prodigieux de la
Pucelle en cette manière :
« Carolus VII Gallus expulit Anglos victricibus ubique
armis, virginiis ausptciis, F'uella duce cœlitus demissa, ut
credi postularunt illi quorum interfuit, paternumque princi-
patum recuperavit. »
Mais, dira quelqu'un, celte clause, ul credi postularunt ill i
quorum interfuit, rend la chose incertaine. A cela nous res-
pondrons que les François prennent droit de la mission de la
Pucelle sur les actes mesmes du procez que les Anglois, qui
l'ont condamnée, n'ont pu canoniquement ni valablement
contredire, ainsi que nous avons montré ; et Aventin n'ayant
pas vu les dits actes, on ne doibt s'esbahir qu'il ayt ainsi
parlé.
Hector Boetius Deidonanus scotus, livre seiziesme deïHis-
toire des Escossois, nombres 10, 20, 30 :
« Glades maxima Francis fuit undique post victoriam, et
Anglis et Burgundionibus Franciam invadentibus, ac simul
Aureliam obsidentibus : aclumque prorsus de Francorum
nomine fuisset, nisi virgo quaedam, Joanna nomine, virili
vestitu induta, armisque egregie exercitata, Carolum prope
desperantem erexisset atque ad meliora excitasset. Quod
numine divino factum non absurdum est credere. Itaque
omni ope destitutum humana Carolum, cum Joanna per Gam-
paniam Rhemos contendentem, omnes eum Campani exce-
pere volentes, rejecto Anglorum jugo, omniaqueoppida, arces
caslellaque illi tradiderunt. Rhemos quoque accedentem, quo&
tum Anglorum partibus favebatketaexcepitcivitasregemque
i. Aveiitinus (Jean Thurniaicr. dit), (•hroni([ueur bavarois, né 1466,
mort en 1534.
2. Boetius, ou Boethius Hector, né à Dundee en 1470, chanoined'Aher-
deen en laOO.
ELOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 375
solemni ritu salutarunt. Inde Joanna duce, varias Franciœ
partes adiens, niagnam regni partem ab hostibus occupatam
recepit. Félix undique ac prosper successus fuit, donec erup-
tione Joanna cum hostium copiis pugnans, dum victa cum
suis a premente multitudine portam Gompendii oppidi ingredi
prohiberetur, a Joanne Luxemburgensi a Burgundionibus
stante capta est : qui illam continue Anglis vendidit. Angli
vero extemplo Ilhotomaguin eam ducentes, accusarunt quod
violatis humani generis legibus, armis ac veste virili femina
uteretur, ac preeterea magicis artibus ab humano usu pro-
hibitis operam daret; ac dum in foro se excusare conaretur,
subjecto igné concremata est. »
Joannes Ferrerius Pedemontanus, libro 18 historite,
numéro 70 :
« Puello Henrico VI, Franciee et Angliœ rege salutato,
orta discordia inter Burgundos Anglosque tune Franciam
armis occupatam opprimentes, comité Sarisberiensi incerta
machinée bellicœ quam bombardam vocant ictu occiso,
adversa uti fortuna cœpere Franci, ex occasione animum
recipientes, duce femina (Galli vocant Puellam Joannam
nomine), ut non sine divino numine fleri appareret ; fortis-
sime non modo Anglos sustinuerunt,_sed etiam omnibus ferme
prseliis cœperuntesse superiores. »
VII
Jacques Meyer.
Jacobus 31eyer\ au seiziesme livre des Annales de Flan<lre
quoyque extrêmement passionné contre les François, si a-t-
il rendu le tesmoignage du aux vertus et faits héroïques de
nostre Pucelle. C'est en l'année 1428.
« Principio martii, accessit ad Carolum regem, apud Chino-
nem agentem, Joanna illa virgo Gallica, annos nata circiter
1. Jacques Meyer, 1491-lo52, prêtre de Bruges, historien de Flandre,
favorable au parti bourguignon.
376 E. llICHEli. LA PUCELLE D OIU.EAXS
octodecim, dicta ob intactum pudorem Puella, equisonis instar
solita custodire et adaquare eqiios, pauper tarnen et modicis
orta parentibus. Hœc se divinitus afïlatam dicebat, pulsu-
ram se Anglos ab urbe Aurelianensi, regemque perducturam
in Hhenîos ad sacram unctionem. Iirisa primum habitaque
pro fatua. Tandem tamen morum suorum sanctimonia ac
prudentia fidcm fecit, ac verbis quicquid erat pollicita, fac-
tis complevit. Quis non videt hoc Dei fuisse opus? Ouis dubi-
tare potest quin facta haec sint per immensam Dei clemen-
tiam ? Ipse enim est qui non in perpetuum irascitur neque
in œternum comminatur. Regem vehementer pœnituit mo-
rum anteactœ vitœ, quotidieque precibus ac lacrymis
veniam a numine postulabat. Grebras supplicationes per
omnes regni ccclesias indixit. Crediderim per Gallias pios
fuisse homines. quorum preces erant ante Deum exauditte.
Dederat enim Gallia horrendas pœnas, adeo ut a nemine pers-
cribi satis possent. Ostendere Deus optimus maximus volebat
ab se une omnem dari victoriam, eam per feminam, per
sexum fragilem velle sperari, quo vanitatem, superbiam
Galliee Angliœque gentis retunderet, nediutius suis duntaxat
fiderentviribus, suaeinniterenturprudentiœ,sed a cœlopetere
victoriam discerent, eamque nec sibi nec suœ fortunœ, sed
sûlinuminis benignitati adscriberent. »
Le mesme auteur, au commencement de l'année 14!29, dis-r
courant de la levée du siège d'Orléans :
« Hic finem capit félicitas Anglorum in Galliis. Hue usque
nemo illorum telis resistere valuit. Hactenus non vinci, sed
vincere sueti. Grandis nuncmutatio, in qua virtus, robur, for-
tuna victoriaque illorum abiit rétro, ut manifesta appareant
opéra Dei, ut intelligamus quam fortes felicesque sint a qui-
bus stant numina, contra, quam débiles et elumbes qui-
bus cœlum non favet. Aurelianenses vero jam prope famé
domiti, ita rerum omnium laborabant penuria, ut in extrema
agerent necessitate : quibus omni humano destitutis auxilio,
divina benignitas succurrit; quod homo non potuit, Deus
supplevit. Joanna virgo, dux Gallorum, non ascita, non
creata, non electa, sed a Deo data, potestate a Rege accepta,
copias quas potest adunat, copiosum omnis generis commea-
ELOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 377
tum invitis hostibus in urbem importât. Dehinc eruptionem
fortissime facit, omnes munitiooes, vallos, fossas, palos,
aggeres, excitata castella tani multa dissipât, prosternit,
incendit, hostes in fugam propellit, urbem obsidione libérât
mense maii, haud absque multo hostium sanguine. Inde
Magdunum, Gergellum, Bogenciacum. Genovillam capit. Vin-
cit, fundit superatque Anglos ; ad Patœum in Belsia signis
collatis, Anglorum exercitum profligat, Johanem Talbotum,
summum ducem, cum aliis multis capit, interfectis compluri-
bus. Dehinc Altisiodorenses, fanum Florentii, Trecasses,
Catalaunenses recipit, regemque Carolum Rhemos ad sacram
unctionem perducit- Quam ubi a Reginaldo, loci pon-
tifice, mense julio accepisset, statim veluti altéra Pentesilea
aut Semiramis, Velliacum, Prininum, Laudunum, Augustam
Suessionum, Briœ castella et oppida, Crespiacum, Ceesaro-
magum Bellovacorum, victis pulsisque hostibus recipit. Ad
hœc autem perflcienda socii adjutoresque illi fuere rex ipse
Carolus, item dux Borbonii, Arturus, magister equitum,
quanquam hic Rhemis non aderat, Alençonius, Stephanus
Hyrus (La Hirei, Poton Santralla, .Joannes Aurelianensis no-
thus, Reginaldus pontifex Rhemorumi idem Cancellarius
Galliœ, Vindocinensis, Lavallus, Ambrosius Lora, Renatus
Barrensis, Gaucuria, Gravilla, CarolusAlbretuset quidam alii.
Henricus, cardinalis Angli.e, collectum pugnatorum nume-
rum in Bohemiam ducendum in Galliam adduxit auxilio suis
Anglis. Sylvanectuni Puella^tentat; sed propter vires Burgun-
dorum, pugna abstinet. Non enim eadem illi félicitas erat
contra Burgundos, qute contra Gallos. Unde quidam : —
Anglos, inquit vicit : Burgundos vincere nequivit. Sylvanec-
tum tuebantur, pneter Anglos, Jannes Villerius Adamus,
Joannes Crocacus, Joannes Crequiacus, Antonius Betunensis,
Joannes Fossella, Hugo Alvetanus, Simon Lalanus, Savosius
cum septingentis equitibus. Dubia Johanna non pugnandum
suasit. Trecenti circiter levibus prœliis interierunt, et ita
discessum |^est] . »
En l'année 1430 :
« Puella, haud procul Latiniaco, ad amnem Matronam,
capit Franciscum Atrebatem dictum, fortissimum Bargundise
378 E. RICHER. — LA. PUCELLE d'oRLÉANS
partis viruni, quem interfectis multis Burgundis, securi pei-
cussit, haud scio quam ob causam. Eum virum maxime plan-
gebant Burgundi, cœperuntque eam ob rem Puellam magis
odisse, etc. Philippus Burgundi;ie dux, cum esset apud Coudi-
num juxta Gompendium, consilium capit de Gompendio
obsidendo pridie feriarum Ascensionis Dominiez, quœ tum
incidit in nonum Galend. Junias. Hora quinta pomeridiana,
Joanna Puellaet Poton, cum quingentis circiter pugnatoribus
ex Gompendio erumpunt, ut apud Mariniacum obruant Bodo-
nem Noiellam.. Sed Angli et Joannes Luxemburgius qui cum
cohortibus suis non procul aberant, fortiter Bodoni occurrunt
auxilio. Pugnatum est acriter. Sed Galli cum crescentem
hostium suorum numerum perferre nequirent, Gompen-
dium se recipiunt. Burgundiones, propter necem Fran-
cisci Atrebatis Puelke magis infesti, acriter insequuntur,
illamque suos ante se ducentem, priusquam pervenire posset
in oppidum, equo dejectam capiunt, ductamque Mariniacum
tradunt suo duci Joanni Luxemburgensi qui primum apud
Bellumlocum, dein in arce Belloravoris diu illam tenuit capti-
vam. Memorant quidam a Gulielmo Flaviensi, oppidi prœ-
fecto, hostibus venditam eamque proditionem suam statira
secuturam mortem Puellam prœdixisse confirmant. »
Le mesme Meyer, l'année 1431, fait un narré de la mort de
la Pucelle en cette sorte :
« Tertio Galendas Junias, pridie feriarum sanctissimi cor-
poris Ghristi, Rhotomagi, in veteri foro rerum venalium,
cremata igni est Joanna Puella, ob nullam quidem justam
causam, sed per odium solum Anglorum. Ausus est Petrus
Cauc/wn, Anglus génère, Bellovacorum episcopus, in gra-
tiam Betfordii, rectoris Galliœ, innocentem virginem morti
adjudicare. Quid enim non désignant taies episcopi, seu
umbree potius episcoporum? Ecclesia Rhotomagensis epis-
copo tune carebat. Puellae nec adv.ocatum, nec patronum sua
in causa habere licebat. Simplicem ac illitteratam virginem
multis episcopus ejusque collegœ interrogationibus de fide
catholica fatigabant, ut illaquearent et circumvenirent illam
in aliquo lapsu. Sed frustra hœc omnia : respondit ènim
sapienter valde et catholica. Et quamquam famam sparge-
ÉLOGES TIRES DE DIVERS AUTEURS 379
rent magani esse et maleficam, nihil tamen laie poterant in
illa deprehendere. Sed illud in crimen vocabant qiiod virili
uterctur veste : quod tamen facile purgavit, nec usa est eo
amictu nisi in rébus bellicis, quemadmodum divinitus dice-
bat sibi prœceptum. Habebat assessores ille episcopus -Egi-
dium abbatem Fiscampi Lheologuni,Nicolaumabbatem,Gerae-
tiensem jurisconsultum, Petrum Longtcvilla et alios complu-
res quorum nemo ne hisccre quidem ausus est contra Anglo-
rum voluntatem. At inquisitor fidei per Franciam, frater
Joannes, cognomento Magistri, scrupulo conscientiœ prohi-
bitus, sapienter ab horum consessu abstinuit ; quod non
teque Nicolaus Raulinus scholaque Parisiensis tulisse viden-
tur. Bethfordus autem, ut Philippum Burgundiœ ducempla-
caret, hœc ad eum scripsit mendacia, Joannam neminem
super terram voluisse agnoscere prœter solum Deum et sanc-
tos Paradisi, rejecisse slatuta Papœ et judicia auxiliaque
Ecclesiœ; cumque videret se morituram, confessam esse spi-
ritus illos, qui sœpe illi apparuerant, mendaces et falsos esse :
per eos spiritus se esse deceptam qui polliciti erant eani
liberare, etc. Sic periit vindex Galliarum. »
Touchant ce que Meyer allègue qu'un certain historien dit
que la Pucelle a vaincu les Anglois, mais qu'elle n'a pu sur-
monter les Bourguignons, etc., il entend parler de Ghristia-
nus Massœus qui estoit aussi Bourguignon comme lui; et
touchant cstte objection, le lecteur verra ce que nous avons
observé au premier livre. Car Massaeus et Meyer se fondent
sur ce que les Bourguignons ont pris la Pucelle au siège de
Compiègne, et ne considèrent pas que ses voix lui avoient
révélé qu'elle seroit prise, et que Dieu l'avoit ainsi ordonné
pour le mieux, etc.
VIII
Historiens divers.
Jean du Tillet S évesque de Meaux, en un petit chronicon
■1. Ce prélat a laissé de nombreux ouvrages. Sa Chronique des rois de
France, publiée en 1547, va de Pharamond à Henri il.
380 E. UICHER. LA l'UGELLE D ORLEANS
latin qu'il a fait des Roys de France, lequel est imprimé avec
l'histoire de Paulus .Kmilius, sur l'année 1429.
« Aurelianenses, omni auxilio misère destituti, Burgundioni
dedere se statuerant; sed contentione Angloruiu ducum res
infecta fuit, quod .egerrime Burgundio tulit. Joanna Puella
armata obsessos juvat, coactis hostibus obsidionem relin-
quere ad octavum Idus Maïi, eosque virtute minime puellari
expellit. Francis deinde res melius ac felicius procedere
cœperunt. Joannes nothus Aurelianensis Pataiense in Belsia
prîelium ceesis Anglis, Johannes Talbotus capitur. Puella
armis per loca ab hostibus occupata, regem Garolum Rhemis
consecrandum ducit, multasque in itinere urbes recipit.
Bethfordiensis anglus prœlio dimicare velle simulans, regem
Parisios recta contendentem remoratur. In oppugnatione
Lutetiœ, ad portam divi Honorati Puella vulnerata, exercitus
se recipit : quœ illum in alias partes Galliœ ducensadversus
Anglos ob successus et victorias semper celebratur. Compen-
dium obsessum vi et astu ingressa, cum aliquando in hostes
eruptionem faceret, a Joanne Luxemburgensi capitur, Rhoto-
magumque ad ducem Sommersetensem mittitur ; deinde invi-
diaet injuria, artis magiae damnata, exuritur. »
Le mesme sieur du Tillet a semblablement escrit en fran-
çois celte chronique qui est imprimée avec le recueil des
Roys de France et de leurs couronnes fait par son frère sieur
de la Bussière, greffier du Parlement de Paris : lequel, au
premier livre de ses mémoires et recherches, parlant du
règne de Charles VII, fait un ample discours des armes et
faits admirables de cette fille, conformément a ce que nous
en avons escrit au premier livre.
Le lecteur verra semblablement l'histoire de Belleforest en
la vie de Charles VII, Papirius Masso, livre quatriesme de
ses Annales des Roys de France.
Paulus Constantinus Phrigio^ in Chronicoregum regno-
rumque omnium : « Temporibus istis, ex oppido Valcolore,
\. Phryglon né à Sclielestat, était ministre protestant. Il mourut.
Tubingue en lo43.
ELOGES TIRES DE DIVERS ACTEURS 381
puclla annorum circiter viginti, Joanna nomine, armis ins-
sructa, militis subibat munus : cujus auspiciis multis in locis
prospère pugnatum est, Rhemisque recepta, Aurélia obsi-
dione libcrata, («arolus unctus est etcoronatus. Joanna capta
est et Rhotomagi cremata.
Henricus Pantaleon ', physicus Basileensis, Lateranensis
palatii atque ceesarei consistarii cornes, libro 5 diarii histo-
rici scribit Joannam, puellam Lotharingam, Aurelianenses^
sexto mcnse obsessos liberavisse, et hostes profligavisse.
Joannes Functius, Nurimbergenis, in Ghronologia notât
Joannam puellam annornm viginti arma cepisse, regemque
Carolum contra Anglos et Burgundiones magnifiée défendisse^
et captam tandem, ab Anglis Rhotomagi crematam esse.
Lycosthenes-, in Chronico prodigiorum ac portentorum^
eadem refert ad annum 1428.
Petrus Opmeerus\ Amstelodamus, Batavius, in Chrono-
graphia orbis universi :
« Carolus Vlltitulum régis Franciœ et sigillum usurpabat,
quamvis non esset Rheinis consecratus. Porro, cum undique
Rex ab Anglis vexaretur, venit ad eum puella octodecinv
annorum, Joanna nomine, pâtre Jacobo Darco et matre Ysa-
bella, DompremeioLotharingiœ pago orta, atque oves pascere
solita, dicens se missam divinitus ad regem ut ei indicet
gladium esse in tede Dominée Catharinœ Fierbensis apud
Turones, quo accincta, esset Aureliam obsidione solutura.
Itaque virilibus induta vestimentis et armis, Gallicas duce-
bat acies, et ex Anglorum manibus magna ex parte, prima
inter primos pugnans, victoriam eripuit atque urbem obsi-
dione semestri liberavit. Gratitudinis ergo Aurelianenses
posuere Régi Joannœque œneas statuas in ponte Ligeris.
1. Né àBàle en 1522. mort en 1595.
2. Son nom était Wolfhart. Né en Alsace en 1518, mort à Bàle 1561.
3. Opnieer (IMcrre), né à Amsterdam 1525, mort à Delft 1595.
382 E. RICHER. LA PUCELLE d'oRLÉAXS
Deduxit vero et Carolum Rhemos, ubi decimo sexto Calendas
Augusti unxit eum Ileginaldus episcopus in Franciie Regem.
Ciim vero Rurgundos Compcndium obsidentes vellet abigere,
capta fuit nono Calendas Junii et vendita Anglis qui, eam
dicentes magam, combusserunt Rhotomagi in foro. Scripsit
pro ea apologiam Joannes ,Gerson theologus, Cancellarius
Parisiensis : similiteret Ilenricus Gorconius Batavus. »
IX
Pontus Heuterus.
Pontus Heuterus S Delfius, libro quarto rerum Burgundi-
carum, in vita Philippi Boni, ducis Burgundiœ :
« Fortuna, inquit, Francorum populum externo pressum
jugo respirare, resumptoque jam animo Anglicum excutere
imperium voluit, non ductu nec auspiciis Ciesaris, Alexandri,
Pompeii aut Garoli, non prudentia tôt principum primge
nobilitatis, non fortium priefectorum bellandi peritia claro-
rum opéra, sed — quod omnium veterum memorabilia supe-
rat exempla ac facinora — ductu ignotœ, ignobilis ac rus-
ticse puellœ octodecim annorum, quœ ad hoc usque tempus
in patria sua Lotharingia, vaccas, boves ac oves pascere erat
solita, nuUo quam Joannœ nota nomine : quœ a Deo se Régi
in auxilium missam dicens, in ejus consiliique sui conspec-
tum admissa, tam preesenti animo ac prudente causam
adventus sui exposuit, ut statim sexcentis prœficeretur equi-
tibus ; quodque nullus preefectorum regiorum liactenus
potuerat, invitis Anglis, dictis cumequitibus Aureliam intrat,
1. Pontus Heuterus (Héviter), né à Delft en 1535, fut prévôt d'Ar-
nheini en Gueldres. 11 écrivit une histoire latine des ducs de Bourgogne
qui parut en 1583. Ce qu'il raconte de la Pucelle, il l'emprunte à Geor-
ges Ghastellain dont il avait l'ouvrage sous les yeux. Il donna toutefois
d'intéressants détails sur la maison et l'état de la Pucelle, lorsque
Charles VII eut agréé ses services. Il déclare en outre avoir vu et il
décrit le monument qui fut élevé sur le pont d'Orléans : monument
que les Calvinistes détruisirent en 1567.
Lenglet-Dufresnoy cite à peu près les mêmes pages qu'Edmond Richer
{Histoire de Jeanne d'Arc, p. 69-74). J. Quiclierat n'en reproduit qu'une
page [Procès, t. IV, 448, 449).
ÉLOGES TIUES DE DIVERS AUTEUUS 383
coinmeatiique cives ad extremam inopiam redactos juvat,
erumpensque ciim pryesidariis, ac instar viri arinata equo
insidens, inter primos pugnans ciet, tria castella opportunis
Jocis ab Anglis creata expugnat, umnibusque qui intus erant
jugulatis, tandem relinquere obsidionem cogit. Qua Victoria
fidem pênes Regem nacta, eumdem in Rhemos ducit, sancto
sibi oleo veterum Francorum more hoc anno inungi facit,
multaque alia oppida munitaque loca ejus ductu rex Carolus
récupérât, cogiturque Puelke hujus timoré Bethfordius lega-
tos in Flandriam ad Bonum mittere, quo communi consilio
ac viribus viri principes belloque docti rusticœ Puellœ résis-
tèrent. Venit octingentis stipatus equitibus, veteresque fœde-
ris conditiones cum Anglis Bonus rénovât, jurantes se Caro-
lum Valesium, Biturigum regem — sic enim per contume-
liam Angli Carolum VII vocabant — junctis viribus perse-
quuturos, nec pacem alterum sine alterius consensu factu-
res. «
Le mesme auteur raconte la prise de la Pucelle devant
Compiègne en ces termes :
« Cumque Puella Joanna, quingentis comitata equitibus,
obsessis auxilio venisset, secundo die prœsidariis civibus-
que eductis, castellum cui Baudo Noiellus prœerat expu-
gnasset, nisi ex omnibus castris in auxilium advolassent.
Puella multis utrinque interfectis ac vulneratis, urbem expe-
tere cogitur : cumque inter postremos pugnans cœteris
evadendi locum faceret, a signo militari ac veste quam supra
arma ferebat agnita (erat autem ea purpurea byssina, auro
argentoque intertexto flavescens) a robusto équité qui ves-
tem apprehenderat equo detrahitur ; et quamvis Franci
fxtrema vi pro ea liberanda decertarent, pulsi, dedere se
Johanna, cum Potone œconomi sui fratre, filio notho Wan-
donnte domini cogitur, ductaque Marignium, magno cum
Francorum dolore Anglorumque gaudio, arctse custodiae
traditur : neminem e régis Caroli praefectis Angli magis vere-
bantur. Bonus cum eam esset alloquutus, Johanni Luxem-
bùrgio commendat qui Baulii indeque Borevorii eam perdu-
cit ubi ferme biennium detenta, tandem Anglorum régi
(cum eam importunis indesinenter verbis diu petiisset) tra-
384 E. RICHER. — LA PUCELLE DORLÉANS
ditur, éjusquejussu, instanlibus Junii Calendis, anno 1431
Rhotomagcnsi in foro exuritur, magis odio iraque, quod ab
ignobili puella tôt clades viri bello illustres accepissent,
quam quod aliquid eis de tam indignai sœvicque mortis
merito constaret. Accusabant eam veneficii, quodque mali-
gnorum spirituum opéra tractasset bella, proinde a religio-
nis chrislianœ decretis veritateque defecisset, quemadmo-
dum rex Ilenricus qui hoc tempore in Franciam appulerat
sua manu Bono perscripsit.
« Sunt qui fabulam quu3 de Puella Joanne scribimus
putant. Sed pr&eterquam quod recentioris sit memoria;,
omniumque scriptorum libri qui tune vixerunt, mentionem
de ea prœclaram faciunt, vidi ex rneis oculis in ponte Aure-
liano trans Ligerim tedificato, erectam hujus Puellai wneam
imaginem, coma décore per dorsum fluente, utrique genu
coram œneo crucifixi Ghristi simulacro nixam, cum inscrip-
tione positani fuisse hoc tempore, opère sumptuque virgi -
num ac matronarnm Aurelianensium in memoriam libérât;»
ab ea urbis Anglorum obsidione. Ad haec habebam, dum
scriberem, historiam lingua Gallica manuscriptam Georgii
Castellani qui eleganter exacteque vitam Philippi Boni exa-
ravit ; testaturque aliquot locis se hoc temporis vixisse ac
Puellam Joannam vidisse, quœ ex ignota rusticaque puella,
bellicis facinoribus eopervenisset, ut ei rex Carolus suniptus
quibus Comitis familiam ajquaret suppeteret, ne apud viros
militares per causam inopiœ vilesceret. Conspiciebantur
enim ejus in comitatu, prœter nobiles puellas. procurator
(lomus, stabuli prœfectus, nobiles adolescentesque pueri a
manibus, a pedibus, a cubiculis, colebaturque aBege,proce-
ribus, ac imprimis a populo instar divu' : a paucis vero ait
pro venefica prajstigiatrice habitam. »
Il y a cinq choses remarquables au discours de Heuterus :
La première, que le duc de Bethford voyant les expéditions
et progrès que faisait la Pucelle, envoya des ambassadeurs
au duc de Bourgogne pour renouveler l'amitié et confédéra-
tion avec lui, sçachant bien qu'il estoit recherché d'accord
par Charles VII.
KLOGES TinKS DIC DIVEUS AUTEUllS 38î>
I^a seconde est que la Pucelle fut prise avec Poton qui
estoit frère du maistre d'iiostel qui servoit la Pucelle. Les
termes de cet historien portent : cum Potone œconomi sut
fratre. (Test celui que Monstrelet appelle Poton le Bourgui-
gnon, pour le distinguer de Poton de Santrailles qui estoit
gascon aussi bien que La Ilirc.
En troisiesme lieu, il dit que les filles et matrones de la
ville d'Orléans ont fait faire la croix de bronze qui est sur le
pont d'Orléans. De quoyje me suis soigneusement enquis de
plusieurs personnes de la ville d'Orléans et n'en ay pu rien
apprendre do certain. Bien est véritable que l'an I56i2, mon-
sieur de Cl uise assiégeant Orléans que les Huguenots tenoient
et le faisant battre du costé des Tournelles, la statue de la
Pucelle fut abattue d'un coup d'artillerie, et depuis restablie
aux dépens de la ville d'Orléans ^
X
Fr. de Roziers. — Veronius. — G. Braun, etc
François do Roziers-, archidiacre de Toul, au cinquiesme
tome des armes du duc de Lorraine.
« Dum Francia jamjam peritura crederetur, Joanna puella
Lotharinga pascendis pecoribus sub ferula paterna assueta,
ad regem porducitur. Qua^ se a numine monitam dicens,
brevi Anglos exacturam e Francia profitebatur. Ea, licet mul-
tiplici percontatione observata csset, non destitit tamen a
seipsa, sanctepudiceque locuta.Rex mirabundusproceresque
rem divinitus patefactam non aspernandam arbitrati, chla-
mydomilitariquehabitu Puellam induunt, copiasque ac duces
1. Manquent les réfle.vions qualncsiuo et cinquiesme annoncées par
l'L Richcr. On voit, dans le manuscrit une page en blanc, à la suite de
la Iroisièm.e réflexion. Peut-être le copiste a-t-il oublié de combler
la lacune. Peut-être l'auteur se réservait-il de le faire plus tard et en
a-t-il été empêché par la maladie ou par la mort. Car son Histoire
venait à peine d'être terminée qu'il tomba malade et mourut. Au reste
cette lacune n'est pas la seule qu'il y ait lieu de constater. Il en existf^,
à propos des poètes, une plus considérable.
2. Il mourut en 1607.
386 E. RIC.UKR. — LA l'UCELLE D ORLEANS
illi committunt. Brcvi crcbris velitalionibus initis, cominea-
tus, nempc septinio mense postquam obsidebatur, Aiireliam
invexit, liberavitAnglumquc fugavil. Rexdemum ad sacrum
Rhemense cuni Joanna proficisciliir, fanum Florentini mu-
nitionibus firmavitque pnosidio, Tivcenses recepit, Catalau-
nunique subinde nullam dedendi morani fecit. llhemi con-
linuo fidem dedcre, Suessionesque inregiam manum rediere.
Dux Bethfortis cum excrcitu occurrens Régi, incassum tem-
pus trivit. Lutetiam eodem progressa regius miles frustra
perductus. Nam Bethfordiensi reverso ad urbem defenden-
dam, omnis navata est opéra quin Joanna vulnere affecta
Peti'i monasterium eripuit hosti, Is Gompendium eodem
tempore circumduxil: quo cum Joanna se contulisset, irrup-
lione facta, hostis potestati submittitur. Tum capta Khoto-
magumque ducta, religionisadulterinse insimulatur vivaque
comburitur. Aureliani statuam divîc memori;p consecra-
runt.
Sebastianus Veronius, lib. 8 : « Ghristianœ œtatis seculo
XV, Gallia ab Anglis et Burgundis maxima clade affîcitur.
Carolo VII qui anno 1422 Garolo VI successerat, propemo-
dum regno exuto, ac apud Bituriges tantisper delitescere
coacto, quoad Joanna virgine Aurelianensi, militari manu
ereptus ac Rhemos ut coronaretur deductus est : Parisiis
interea proclamato in summo teniplo rege lïenrico Scoto-
Anglo. ))
Georgius Braun ^ et Franciscus (iogenburgius, in indice
libri secundi et tertii de prsecipuis totiics tuiiversi m-bibus :
« Aurélia, florentissima Gallifc urbs, loco admodum
opportuno sita, dives, civibus armis exercitatis potens,
munilissima, non in Gallia modo sed tota etiam Europa cla-
rissima. De memorabili post omnium hominum memo-
riam obsidionc ejus, qua Garolo VII ejus nominis rege, anno
1428 ab Anglis cincta fuit, et miraculose ab Joanna Lotha-
1. Georges Braun, doyen de la cathédrale do Cologne, mourut au
commencement du xvii» siècle. L'ouvrage que cite E. Richer a pour
auteurs Rraunn et Hagcnborg.
Kf.OGES TIRliS DE DIVERS AUTEURS 387
ringa virginc, belli duce liberata. Vide, bénigne lector,
integrum libelluni Jonnnis Ludovici Micquellii, ludimagistri
Aurelianensis, ad Carolum Lotbaringum cardinalem. Iles
enim paucis, ut is locus postulai, referri non potest. In ejus
liberationis perpetuam memoriam, octavo die niaii quotan-
nis totus urbis magistratus, universa plebs et omnes eccle-
siasticorum ordines, gencrali processioncgratulabundi obire
civitatem consuevere. »
Aubertus xMirans', Bruxellensis, in Chronico rerum toto
orbe gestarum, ad annum 428, scripsit quae Papirius Mas-
sœus in vita Caroli \U, et .(oannes Mariana in libro 20 de
rébus Hispanicis referunt.
Jean Hordal, après avoir produit les opinions et narrez
des auteurs susdits, rédige par inventaire plusieurs autres
qui ont escrit ou parlé de l'histoire de nostre Pucelle.
Lesquels nous représenterons en ce lieu, et après mettrons fin
A ce livre.
Donc le lecteur pourra voir :
Alain Ghartier, en l'histoire de Charles VII; — Bouchet,
aux Annales (T Aquitaine ; — la cosmographie de Bellefo-
rest, et son Histoire des neuf Charles;
Jean de Serves, en l'inventaire de l'histoire de France ;
Richard de Wassebouig, aux Annales de la Gaule Belgi-
5'Me ; Benedictus Curius, en l'histoire de Milan;
Joannes de Spinosa, de laudibus mulierum ;
Gertmannus Schedel, in registro libri Chronicorum;
Le premier tome du théâtre de la vie germaine, au cha-
pitre de la fortitude des femmes;
Georges Castellanus-, en la vie de Philippe le Bon, duc de
BoTargogne, duquel auteur Pontus Heuterus fait mention
comme ayant vu la Pucelle, et outre asseure avoir vu ce que
Georgius Castellanus en a escrit :
1. Aubert Le Mire, né à Bruxelles on ioTS, niorl on 1640, l'iait cha-
noine et doyen de l'église d'Anvers.
2. Gooi'go.? Chastollain.
388 E- RICIIEU. — LA PUCELLE D ORLEANS
Le Regislrum annorum pncterHorum : — La mer des
histoires;
Les admirables victoires des femmes du Nouveau Monde;
Tliomas Dossius, livre 8 des Marques de l'Eglise, et au
chapitre 8 du livre contre Machiavel, de robore bellico;
Jean-Louys Miguellet au livre latin qu'il a escrit du siège
d'Orléans;
Legenda Flandrorum ;
Andréas Eboracensis, Lusitanus, tome ± dictorum et fac-
torum memorabilium, titulo de fortitudine ;
Liber factorum memorabilium;
Gilles Corroyet, livre des dits mémorables :
RavisiusTextor, tome premier de ses officines de mulieri-
hus bellicosis et masculœ virtutis ;
Ilistoriarum electio; — Richard Dynolluis, libre de rebiis
et factis memorabilibus;
Frère Pierre Crespet, Célestin, tome second du Jardin
spirituel, au traité de Vexellence delà virginité ;
Gaillardus, in summario temporum et in methodo
legendœ historix ;
Liber Puelltc Aurelianensis restitut»', per Beroaldum Ver-
villanum ;
L'histoire du siège d'Orléans ;
Joanno> Darcia? obsidionis Aurelianensis liberatricis res
gesta^ imago et judiciuni ;
Petrus Matthcous, in additionibus ad octoginta quatuor
decisiones Guidonis Pap»;
André Thcvet, au livre quatriesme. chapitre :29, de^
ho77imes illustres;
Ludovicus Triputius, in Sylva Antiquitatum Aurelianen-
sium:
Guillaume Paradin, aux Annales de Bourgogne augmen-
tées par Louis F*oullus ;
Philippus Camerarius, jurisconsullus, iXorimbergensis
consiliarius, in cap. XI libri secundi Meditationis hisloria-
rum ;
Jean de Marcouville, au livre de la bonté et malice des
femmes ;
KLOGES TlRlis DE DIVERS ACTEURS 389
Un livre espagnol inscrit, la Donzella francesa;
Antoine du Yerdier, tome li'oisiesme i^t livre 8 de sa pro-
sographic.
Ce seroit chose inlinie de vouloir registrer en ce livre tous
les auteurs qui ont escrit ou fait quelque mémoire des faits et
gestes de la Pucclle. C'est pourquoy nous en omettons plu-
sieurs, et mesme des poètes célèbres' qui ont escrit ample-
ment en vers latins sa vie, comme Ilubertus Momoretana,
lequel a composé sept livres en vers héroïques des guerres
que les François ont eu avec les Anglois, esquels livres il a
escrit les vertus et exploits miraculeux de cette fille : et
pareillement aussi Valerandus Varan ius, docteur en théologie
de la Faculté de Paris, natif d'Abbeville, qui vivoit sous le
règne de Louis XII. Maistre Charles du Liz, conseiller au
Roy et son Advocat général en sa Cour des aydes à Paris, a
fait imprimer un recueil des Eloges de cette fille, auquel
infinis doctes personnages de ce temps ont dévoué leur
plume, tant en latin qu'en françois, ainsi que nous avons
desjà remarqué sur la fin du troisiesme livre. Partant, nous
finissons ici cette histoire.
1. En somme, c'est un chapitre entier, celui des poètes, lequel aurait
été le <inquièmc. qu'Edmond Richer pour les raisons données plus haut,
n'a pas jufié bon d'cirire, ou n'a pu écrire. Le lecteur pourra se dédom-
mager en se procurant et en parcourant à loisir les quatre chants du
poème latin de Valérand Varanius. Un éiudit d'Abbeville les a publiés
en 188'J, in- 1:2 de 302 pages, Paris, et M. Alphonse Picard, le libraire
bien connu, 82 rue Bonaparte, en a été l'éditeur. Simples et touchants
sont les premiers vers de ce poème :
Scribere fert animus gestorum pauca Puella?,
quam nimis Anglus amaram
Sonsit, et inlerea dulcissima Francia dulcem.
Virgo iJei genilrix, lux pra'via, dirige doxtrain
Ingeniumque meum.
Frocè.''. t. V, p. 2;i.)
Fr\ DU OUATRIESME LIVRE
ET DE l'histoire DE LX PUCELLE
APPENDICES DE L'EDITEUR
ET
ÉCLAIRCISSEMENTS
APPENDICE PREMIER
DE PIERRE CAUCHON, ÉVÈgUE DE BEAUVAIS ET JUGE
DE JEANNE d'aRC
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Une liislnii'e dans laquelle l'évèque de Beauvais, qui a jugé, et
condamné Jeanne d'Arc, est à chaque page nommé, ne peut pas
laisser le lecteur dans lignorance des faits caractéristiques de la
vie de ce personnage Nous allons les ex[)oser brièvement sous
forme de simples notes biographiques.
I
De la naissance de P. Cauchon à son élévation à l'évêché
de Beauvais (1371-1420).
Pierre Cauchon. « chanoine de Reims, de Chartres, de Chàlons,
de Beauvais, archidiacre de Chartres et de Chàlons, référendaire
du Pape, bénéficier de Saint-Clair, au diocèse de Bajeux, chape-
lain à Dijon de la chapelb^ des ducs de Bourgogne » {Mémoires de
la Société d- /'Histoire de Paris, t. XXIV, p. 16. article du P. Henri
Denifle), évêqae de Beauvais, puis de Lisieux, naquit vers 1371, à
Reims ou aux environs de Reims, et mourut à Rouen, dans l'hôtel
qu'y possédaient les évoques de Lisieux, en 1442.
On infère la date de sa naissance de lâge qu'il avait lorsqu'il fut
nommé chanoine de Reims : d'après les Archives de cette ville, il
le fut en 1409, et il était âgé de trente huit ans. Il avait donc
392 APPENDICE I
soixante an» environ lorsqu'il fil le procèsde la l'ucelle, el soixante
et onze lorsqu'il mourut. Une famille noble du nom de CaucUon
était établie à Reims depuis 1278. Pierre Cauchon appartenait-il ou
non à cette famille ? < l'est une question sur laquolb- les érudits ^e
divisent.
Une particularité montrerait qu'il n'v appartenait pas :
C'est que les armes des Cauchon de Heims et celles de Cauchon
évèque de Beaiivais étaient absolument dissemblables.
Juvénal des Ursins, qui succéda à l'ierre Cauchon sur le siège de
Beauvais et qui fui plus tard archevêque de Reims, dit que le juge
de Jeanne « était de naissance obscure et fils d'un vigneron des
environs de Reims ».
C'est à l'Université de Paris que IMcrrc Cauchon fit ses études el
prit ses grades. En janvier 1398, il était reçu licencié en décret. En
1403, il était étudiant de sixième année en théologie. Ce qui ne
l'empêchait pas de cumuler la cure de l'église paroissiale d'Egri-
selles, au diocèse de Sens, avec un canonicat et une prébende dans
l'église de Chàlons, et de solliciter un bénéfice du chapitre de
lieims. Il prit aussi le grade de maître es arts, et exerça en 1403
les hautes fonctions de Recteur de l'Université.
11 n'y a qu'une voix chez les contemporains sur son savoir, sa
connaissance profonde du droit et son habileté comme praticien. La
manière dont il a conduit le procès de Rouen prouve qu'il méritait
bien cette réputation ; car son savoir et son habileté n'ont été égalés
que par son absence de scrupules et son incrojable audace. Oui,
incroyable, car .Iules Quicherat et son école n'y ont pas cru.
Comme les grands ambitieux, Pierre Cauchon demanda à la poli-
tique les succès et les honneurs dont il était avide. « Sa fortune
commença par la faveur des Cabochiens ; elle s'accrut ensuite par
la confiance illiiuilée de la famille de Lancastre. » (.1. Ol"icheh.\t,
Aperçus nouveaux.... p. 98.)
En 1407, il fit partie de l'ambassade que le roi de France envoya
aux deux papes en présence, Grégoire Xll el Benoît XIII. pour en
finir avec le schisme.
Chanoine de Reims en février 1409, Cauchon fut investi des
fonctions de vhhiinc de la même église et les remplit pendant dix
ans.
A partir de 1411. on voit le futur évêque de Beauvais prendre
position en faveur diz duc de Bourgogne, Jean sans Peur, et se
mettre à la tête des universitaires boin-guignons. Ses violences lui
valurent d'être condamné, à la paix d'Auxerre (U12], avec les per-
sonnages accusés d'avoir fomenté les troubles de la capitale.
p. CAUCHON, livÈQUE DE BEAUVAIS 393
En 14i:j, année qui voit l'avènement des Cabochiens, Pierre «lau-
chon « fut l'un des meneurs de la troupe d'émcutiers qui se rua sur
les hôtels de (liijcnne et d'Artois, pénétra dans la chambre même
du Dauphin et se saisit de ses ortîciers )). (Albert Sarrazin, Pierre
Cauchon, p. 32. ln-8'^. Paris 1901. — De IJeaurepaire. Notes sur les
juges et assesseurs.. . , p. 12.)
Les Armagnacs étaient revenus au pouvoir en 1414. Cauchon fut
banni de Paris le 14 mai, pour la part qu'il avait prise aux violences
des Cabochiens. L'ordonnance du bannissement qualifie les person-
nages condanmés de « traîtres, infâmes, homicides, rebelles, crimi-
nels de lèse-majesté ». {Choix de pièces inédites relatives au règne de
(^harles VI, t. i, pp. 357 et suiv. — Publication de la Société de
/^Histoire de France).
En dédommagement de cette condamnation, le duc Jean l'envoya
au concile de Constance en 1415, avec le titre d'ambassadeur. Cau-
chon ne se contenta pas de ce litre : il se présenta au concile en
qualité d'aumônier de Jean sans Peur et de délégué du cliapitre de
Heauvais, dont il était chanoine.
Les instructions secrètes données à l'ambassadeur du duc de
Bourgogne le chargeaient de détourner le concile de condamner le
cordelier normand Jean Petit, l'apologiste du meurtre du duc
d'Orléans, et ses doctrines en matière de tyrannicide. Sur les ins-
tances de Gerson, ces doctrines venaient d'être condamnées à Paris
(novembre 1413, février 1414). Pierre Cauchon ne put amener les
pères du concile à garderie silence. La condamnation du tyrannicide
l'ut confirmée ; mais ce que Pierre Cauchon et Martin Porée, évêque
d'Arras, obtinrent de la commission de la foi, c'est l'annulation de
la sentence du concile de Paris.
Cependant le futur évèque de Beauvais no cessait d'ajouter les
honneurs aux honneurs, les bénéfices aux bénéfices. Nommé maître
des requêtes en 1418, comme récompense de sa conduite au concile,
il plaidait la même année poiu* obtenir la prévôté de Lille, vacante
par la mort de Jean de Monlreuil. En 1419, il parvenait à l'obtenir.
On voit à cette occasion l" Université de Paris adresser une suppli-
que au Pape à l'effet d'autoriser Pierre Cauchon à réunir divers
bénéfices incompatibles, à titre de récompense pour les travaux
entrepris et les souffrances endurées dans l'intérêt et au service de
l'Eglise (Arch. nation., m. 65", n"^ 10). Cette même année 1419, il
devenait référendaire du pape Martin V.
Après le traité de Troyes (21 mai 1420), Cauchon fut plus que
jamais l'homme du duc de Bourgogne et des Anglais, ses alliés. Le
I" décembre I i20, Henri V d'Angleterre, époux de Catherine, fille
394 APPENDIC1-: I
de Charles \l, régenl el héritier de lu couronne de France, Taisait
avec Fsabeau de Bavière et Charles \l, son entrée solennelle dans
la ville de Paris.
L'évéché de Paris étant devenu vacant par la mort de Gérard de
Montaigu, le monarque anglais chargea Pierre Cauchon de négo-
cier avec le chapitre, afin qu'il choisit un prélat dévoué à la cause
anglaise. Pierre Cauchon échoua dans cette négociation. Henri V ne
lui en tint pas rigueur. A la fin de cette même année 1420, Cau-
chon était nommé à lévêché de Beauvais.
Pierre Cauchon, évêque-comte de Beauvais et Pair ecclésiastique
du royaume (1420-1429 .
L'évéque qui rendait par sa mort le siège vacant était liernard
de Chévenon. Pierre Cauchon ne fut pas son successeur immédiat :
ce fut un certain Eustache de Laître, qui, élu par le chapitre, mourut
avant d'avoir reçu ses bulles. Comment Pierre Cauchon fut-il élu?
On ne le sait pas bien. Sans doute, la haute protection du roi d'An-
gleterre, du duc de Bourgogne et de l'Université de Paris y fut pour
beaucoup. Nous avons, en effet, une lettre de l'Université dans
laquelle elle recommande chaudement au chapitre de Beauvais son
suppôt Pierre Cauchon. [Chartular. Univ. Par., à Tannée 1420),
Mais on ignore si le chapitre se rendit à l'appel de l'Université, ou
bien si, se désintéressant de l'élection, il laissa au pape Martin V
le soin de poiu-voir ci la vacance du siège.
Le nouvel évéque arriva à Beauvais le 12 janvier 1421. il était
accompagné de Henri, évéque de Tournaj, et de Louis de Luxem-
bourg, évéque de Thérouanne. Le duc de Bourgogne honora de sa
présence la prise de possession du nouveau prélat. « Partant de Paris
après la feste de Noël, il s'en alla en la ville de Beauvais^ à la fesie
et entrée de Messire Pierre Cauchon, moult enclin et allecté à la
partie de Bourgogne. » (Monstrklbt, Chronique, livre 1.)
Les habitants de Biiauvais beaucoup plus attachés au parti fran-
çais qu'au parti anglo-boiu'guignon, firent au nouvel évéque (me
réception nullement enthousiaste, froide plutôt. Pour imposer
et affermir son autorité, Pierre Cauchon ne recula pas devant les
mesures de rigueur ; il ne ménagea pas mêtne le chapitre. « On le
vit transformer en tribimal révolutionnaire la cour ecclésiastique
de Beauvais » (Olicherat, loc. cit.). Cependant il prêchait la sou-
p. CAUCHON, EVEOUE DE BEAUVAIS 39:>
mission au roi Henri. Lui-même ne négligeait aucune occasion de
se rendre agréable et de faire la cour à ce prince.
I.e 4 juin 1422, il assistait, dans Ihûtel de Nesles, au conseil qu'y
tint le roi d'Angleterre.
L'évèque nommé par le chapitre de l'aris, Jean Courtecuisse,
s'étant installé à l'évêché, l'évèque de Beauvais fut chargé par le
monarque anglais de faire des remontrances au chapitre La con-
séquence de ces remontrances fut la translation de l'évèque Cour-
tecuisse à l'évêché de tienève (juillet 14. '2).
Les sentiments français du chapitre de Paris étaient pour beau-
coup dans la rancune que gardait à ses membres Pierre Caiichon ;
mais il y avait aussi une question d'intérêt, question de celli's sur
lesquelles lévèque de Beauvais était peu Iraitable. En mourant,
l'évèque de Paris, Gérard de Montaigu, avait légué ses livres et
ornements au chapitre. Cauchon trouva le moyen de se les appro-
prier, moyennant une somme dérisoire. 11 fallut que le chapitre
présentât une requête motivée au Parlement pour renti'er en pos-
session de ces objets. [Arch. nation , LL. 213).
Peu de temps avant sa mort, le roi d'Angleterre députa l'évèque
de Beauvais au sire Jacques d'IIarrourt, capitaine du château du
Crotoy pour le Dauphin, afin de le décidera remettre la place entre
les mains du i*égent de France. Cauchon en fut pour ses frais d'élo-
quence ; le château du Crotoy demeura français.
Le 31 août 1422, le vainqueur d'Azincourt mourait au château de
Vincennes. L'évèque de Ueauvais assista à ses funérailles parmi les
personnages les plus honorés.
Charles VI étant mort le 22 octobre suivant, Pierre Cauchon fut
mis au nombre des exécuteurs testamentaires du feu roi, en compa-
gnie des ducs de Bedford et de Bretagne, de l'évèque de Thérouanne
et de plusieurs autres seigneurs.
Il eut bientôt gagné les bonnes grâces du nouveau régent de
France, le duc de Bedford. En 1423 il devenait conseiller du roi
Henri \l. aux appointements de 1.000 livres, et chancelier de la
reine d'Angleterre. Cette même année, il était nommé conservateur
des privilèges de l'Université de Paris, dignité qu'il garda dix ans.
Investi de charges si nombreuses, plus soucieux'dailleurs de ses
intérêts temporels que des choses spirituelles, l'évèque de Beauvais
résidait ppu en sa ville épiscopale. Unie voyait beaucoup plus sou-
vent à Pai'is et à Rouen, dont il convoitait le siège, qu'à Beauvais.
En mars I42t», il prit part aux négociations qui eurent pour effet de
dépouiller les évèques français du droit de conférer la plupart des
bénéfices et de le transférer au Pape. Martin V le remercia de ses
390 APPENDICE I
bons oflices, ainsi que l'Université de l'ari;;. qui avail secondé
lévéque de Beauvais en ses négociations.
Dans la lettre qu'il lui écrivait ; « vous nous trouverez toujours
accueillant, disait le Pontife, et bien disposé en votre faveur et en
faveur de votre église, en raison de vos fidèles services et de vos
autres vertus. ) (Voir Noël Valois, Pragmatique i^anctlon de liourric^,
p. 58.)
Voilà donc le duc de Bedford, l'Université et Pierre Cauehon fai-
sant campagne contre les évéques du royaume. Ils s'uniront de
même, plus tard, quand il sera question de Juger la Pucelle.
En 1426 aussi, l'évéque de Beauvais interviendra, à Rouen, auprès
du chapitre, à l'occasion de l'élévation de Jean de la Uochetailléc,
archevêque de cette ville, à la dignité de cardinal. Les chanoines
étaient d'avis que les deux dignités de cardinal et darchcvêque
étaient incompatibles. Le duc de Bedford et le Pape étaient dun
avis contraire. Une sentence arbitrale, à laquelle prirent part l'évé-
que de Beauvais et celui de Thérouanne. autorisa l'archevêque de
Rouen î\ recevoir le chapeau cardinalice. 11 le reçut en léglise de
Paris, le 25 février 1427. Mais il dut prendre ses mesures dans les
délais fixés par les arbitres, pour se faire transférer à un autre
siège. Celte translation eut lieu en 1429 ; le nouveau cardinal quitta
Rouen pour Besançon.
En cette année 1429, paraissait Jeanne la Pucelle. Le 8 mai, le
siège d'Orléans était levé. L'envoyée de Dieu s'apprêtait à marcher
sur Reims. Elle y sei*ait sûrement, disait-elle, dans le cours de
l'été prochain. Dès le mois d'avril, cette prophétie était rendue
publique. L'évéque de Beauvais, qui tenait à revoir Reims, n'atten-
dit pas la date que Jeanne avait fixée. Avant la fin du printemps,
il vint dans la ville du sacre. Le 23 mai, à la procession de la Fête-
Dieu, il portait le Saint-Sacrement. (P. CporArr.T, Mémoires, t. ill,
p. 642.)
Dans le courant du mois d'août 1429, sur la lin de la campagne
de l'Ile-de-France, les habitants de Beauvais se déclarèrent pour
Charles VIL
Pierre Cauehon, impuissant à arrêter ce mouvement, dut quitter
sa ville épiscopale — s'il n'en fut pas chassé — et se retirer à Rouen .
Les biens de révé<^hé furent mis sous séquestre et les revenus en
furent perçus au nom du roi Charles. Le duc de Bedford ne voulut
pas que son conseiller souffrit de cette saisie de son teuiporel ; il le
lui reconstitua et il l'augmenta considérablement, en le chargeant
de diverses missions, toutes généreusement rétribuées. Une quit-
tance du 10 janvier 1430 (nouveau slyle'i, dont on conserve précieu-
I'. C.VUCIIÛX, ÉVÈgUli DE llEALVAIS 397
scmenl 1 original, nous montre Pierre Cauchon reconnaissant
« avoir reçu la somme do 070 livres tournois, à l'occasion d'un
voyage fait en Angleterre avec le cardinal d'Angleterre pour les
afïaires et besognes du roi ".
H n'est pas douteux que lévèque de Beauvais ne désirât vivement
prendre sur le siège de llouen la place du cardinal Jean de la Kochc-
lailléc. Le concours du grand conseil d'Angleterre et du duc de Bed-
ford lui était assuré. Mais il commit la maladresse d'entrer en con-
flit avec le chapitre, à l'occasion d'un impôt de 30,000 livres envi-
ron que le gouvernement anglais le chargea de lever sur le clergé
de Normandie.
Pierre Cauclion sélant avisé de fulminer des censures contre les
récalcitrants, le chapitre lui reprocha d'avoir manqué à ses devoirs
et appela <Ie ses sentences au Pape et au Concile.
Ce conflit éclata en 1420. Il fallut du temps pour qu'il s'apaisât,
et Ion arriva ainsi à l'année de la prise de la Pueelle à Compié-
gne.
Lorsque le duc de Ijcdford se fût décidé à faire faire à la captive
un procès en cause de foi, lévéque de Beauvais était tout désigné
pour présider et mener ledit procès. Il était le protégé du régent ;
il était plus Anglais que les Anglais eux-mêmes, réfugié dans une
ville où ils étaient les maîtres. " totalement d'ailleurs à leur dévo-
tion 1). De plus, chose nullement indifférente, « ce prélat exerçait
ime grande autorité sur f Université de Paris, étant son protecteur
ou, comme on disait alors, le Conservateur de ses privilèges »
(.F. OuiCHEKAT, Aporusi nourcaux.... p. 98; et, de plus, juriste de
première force.
Avec lévéque de Beauvais, les Anglais, ennemis de la Pueelle,
avaient le juge qu'il leur fallait. Quoi qu'il en soit des qualités que
ses amis ont louées en lui, » Cauchon ne se révéla dans l'affaire de
Jeanne, de l'aveu de Quicherat lui-même, que comme un homme
passionné, artificieux et r^Drrompu ». [Op. citât., p. 99.) il fut, de
plus inhumain, cruel et faussaire : ce sont des choses â ne point
oublier.
Dès que la Pueelle eût été prise à Compiégne, l Université de
Paris proposa au duc de Bedford de la faire juger en cause de foi
et lui désigna Pierre Cauchon comme le juriste le plus capable de
mener le procès selon les désirs de l'Angleterre. L'évéque de Beau-
vais ne fit aucune opposition. Il s'entremit même pour décider Jean
de Luxembourg à livrer, moyennant une somme déterminée, sa pri-
sonnière au roi Henri VI. Les négociations s'ouvrirent en juillet.
Surin fin d'août les deux partis tombèrent d'accord. Vers la mi-
398 APPENDICE I
novembre lalîaire était réglée et Jeanne, remise enlre les mains des
Anglais, était conduite à Rouen où elle arrivait dans le com-ant de
décembre. Le Ojanvier 1431 (nouveau stjle), l'évéque de Beauvais,
quoique i)rivé de la jiu'idiction indispensable, ouvrait le procès.
m
Après le procès de Jeanne — Pierre Cauchon, évêque
de Lisieux (1431-1442. j
Le lendemain du jour où la Pucelle l'ut brûlée vive, lévéque de
Tîeauvais olliciait pontificalement dans la cathédrale de Rouen, et
y célébrait la messe du Saint-Sacrement (Archives de la Seine-Infé-
rieure, G. 33.)
Le duc de Bedford ne fut pas ingrat envers l'homme qui avait
débarrassé l'Angleterre de son ennemie la plus redoutée. Il ne put
pas ou ne cinit pas devoir le faire nommer au siège archiépiscopal
de Rouen ; mais il le combla d'honneurs et lui confia les missions
les plus importantes.
En juillet 1431, il le désignait, avec l'evêque de Nojon, pour
tenir les assises solennelles de l'Echiquier de Normandie, où la ju.s-
tice était rendue en dernier ressort. Presque en même temps, Cau-
chon était nommé avec lévéque de Norwich, conseiller du roi pour
juger une grave affaire. En septembre, il célébrait à Rouen les
ordinations. Le jour du sacre de Henri Vi dans la cathédrale de
Paris, il j assistait avec Jean de Mailly, évoque de Noyon, en qua-
lité de pair ecclésiastique ; et, la cérémonie achevée, il s'asseyait à
la table du i*oi (décembre 1431).
C'est le 8 août 1432, que le pape Eugène IV, confirmant le choix
qu'avait fait Martin V, (P. H. Denifle, Auctarium Chartid. Unii-crs.
Paris., t. I, p. 93d), transféra Pierre Cauchon au siège de Lisieux.
Conformément au cérémonial usité dans l'église de Lisieux, le nou-
vel évêque fut reçu par le chapitre à la porte de Paris. « Après la
harangue du doyen, il prêta serment, reçut la crosse et s'avança
nu-pieds sous le dais jusqu'à la porte de la cathédrale où il remit
ses chaussures. » (De Formeville, Histoire de lévcchc de Lisieux,
t. I, CVIII.)
Circonstance digne de remarque, Pierre (Cauchon fut remplacé
sur le siège épiscopal de Beauvais par J. Juvénal des Ursins, le
futur archevêque de Reims, qui devait être délégué par le pape
Calixte III, on 1455, pour instruire le procès canonique de revision
1'. CAUCIION, KVKQUK DE lîEAUVAIS 39&
du procès de Rouen, et qui, en 1456, prononça le jugemenl solennel
de réhabilitation ^
Il esl vraisemblable que. se conformant à un usage assez général
en ce quinzième siècle, i'ierre (lauchon confia l'administration du
diocèse à ses vicaires généraux et à une sorte de coadjuleur que les
documents désignent sous le nom d'évêque de Salaltrion, car on le
voit résider beaucoup plus à Rouen qu'il Lisieux. Ses fonctions de
conseiller du roi d'Angleterre et ses relations avec le duc de Bedford
l'y appelant souvent, il était plus simple pour lui d'y demeurer.
I/évêque de Lisieux avait dajis la cité rouennaise un manoir à lui
et une sorte de cathédrale sur laquelle il avait seul juridiction
(l'église de Saint-* lande-le- Vieux). A cette cathédrale se rattachait
une cour ecclésiastique, un oiïicial, un promoteur, un chapitre et
un territoire exempt de la juridiction de l'archevêque de Rouen,
territoire qui ne comprenait pas moins de cinq paroisses.
Le manoir de l'évéque de Lisieux portait le nom dhôtel Saint-
Cande, et les restes en sont connus encore aujom'd'hui sous le nom
d'hôtel de Lisieux. Cauchon en fit sa résidence principale, surtout à
la fin de sa vie, et c'est en cet hôtel qu'il mourut. 11 eut ainsi la
satisfaction de séjourner à Rouen, et de s'en croire, avec un peu de
bonne volonté, comme le second archevêque. .Mais, probablement,
cette illusion ne suffit pas à son bonheur.
Les fonctions de Conservateur des privilèges de l'Université de
Paris gênant le nouvel évêque de Lisieux pour les missions dont ne
cessait de le charger le gouvernement anglais, il son démit et fit
agréer comme son successeur lévêque de Meaux.
En 1436, ces fonctions de Conservateur des privilèges apostoli-
ques de l'Université étaient conférées au successeur même de Pierre
Cauchon siu' le siège de Reauvais, Jean .ïtivénal des Ursins, nommé
plus haut -.
Suivons maintenant le nouvel évêque de Lisieux dans les princi-
pales de ses missions politiques et autres.
En i433, un sauf-conduit du 15 août autorise Pierre Cauchon à se
rendre à Calais avec vingt chevaux, pour assister à une entrevue
qu'avait préparée le duc dOrléans et qui n'aboutit pas.
Des lettres royales du 10 juillet 1434 et du 20 février 1433 le
nomment député de l'Angleterre au concile de Bàle avec une indem-
nité de déplacement de 300 livres : il s'y rencontre avec Reaupêre.
Loiseleur, Thomas de Courcelles.
1. Gallia ChrtsUana, I. I.\. <>ol. Tb.S.
2. Gallia Chrisiiana, l. IX. col. 739.
400 APPENDICE I
En celle ville. Cauchon eut le désagrément d'être avisé par lévé-
que de Fossombrone, trésorier général des finances pontificales,
que, à raison d'une somme de 400 florins d'or dont il était resté
redevable à la cour de Uome, à litre d'annales, lors de sa transla-
tion au siège de Lisieux. et qu'il n'avait point payée, il avait
encouru l'excommunication : de plus, qu'avant quoique excommu-
nié célébré l'olïice divin, il était frappé d'irrégularité. Lenvojé du
roi d'Angleterre ne s'émut pas de cette excommunication et conti-
nua à célébrer, malgré l'irrégularité qu'il encourait. Aucun docu-
ment ne nous apprend qu'il ait versé au trésor pontifical les 400
florins.
C'est peul-élre pour se dérober à ces réclamations liscales et à
l'humiliation qui en pouvait résulter, que révé<iue de Lisieux se
rendit au Congrès d'Arras après avoir quitté Bàle. In mandement
du roi d'Angleterre donné à Mantes le lli octobre 143o constate
celte mission, avec des honoraires de 10 livres tournois par jour.
Cauchon partit de Bâle le 23 juillet 1433. et il revinl à Rouen le
27 septembre suivant.
L'archevêque d'Vork qui devait prendre la parole au congrès
d'Arras étant tombé malade, Cauchon le remplaça et dit à quelles
conditions le roi d'Angleterre traiterait. Jusqu'à la fin du Congrès,
l'évêque soutint le droit exclusif de Henri VI à la couronne de
France et réclama le démembrement du royaume.
Lorsque Cauchon rentra à Rouen, le duc de Bedford venait de
mourir (14 septembre 143li). L'année d'après (19 août 1436). l'ar-
chevêque de Rouen, Hugues d'Oi-ges, expirait à Bàlc. Celle fois-ci.
non plus, ce ne fut pas le juge de la Pucelle qui fut nommé à sa
place, mais Louis de Luxembourg, évêqne de Thérouanne.
En celte même année 1430, Pierre Cauchon était allé a l'aris
réchauffer l'ardeur des partisans de Henri Yl et les engager à ne
point ouvrir à Charles Vil les portes de la capitale. Mais ce fut en
vain : les troupes de Charles y pénétrèrent, et l'évêque et les Anglais
durent se rendre aux lieutenants du roi qui les renvoyèrent à Rouen
« par terre et par eau ".
En 1439, nouvelle mission de l'évêque de Lisieux à la cour de
Henri VI et à Calais, pour traiter de la délivrance du duc d'Orléans.
Le 5 novembre 1440, cette délivrance était un fait accompli.
On dit que, en 1441, l'évêque de Lisieux fil bAlir et orner riche-
ment à ses frais la chapelle de la N'ierge qu'on voit derrière le
chœur de la cathédrale. (On a donné aussi la date de 1432. Le dif-
ficile est de trouver la preuve documentaire de ces dates.) On a
supposé que Cauchon avait construit cette rhapellc en repentir et en
p. CAUCIION, ÉVKQUE Dli: DEAUVAIS 401
expiation de la sentence prononcée contre Jeanne. « C'est, a-l-on
dit, la tradition constante de l'église de Lisieux. » Malaisément on
établira la preuve de cette tradition. L'historien du diocèse de
Lisieux, M. de Formeville, dit « que cette intention d'expiation nesl
prouvée par aucun titre ».
Le juge de la Pucelle mourut tragiquement. Il fut frappé sou-
dain, en son hôtel de Saint-Gande, h Rouen, le 18 décembre 1442,
pendant qu'on lui faisait la barbe. Il avait eu la sagesse, quelque
temps auparavant, de faire son testament et de régler le détail de
ses libéralités et fondations. Son corps fut transporté à Lisieux
et inhumé avec les honneurs accoutumés. On l'ensevelit dans la
chapelle de la Vierge, près de l'autel, du côté de l'évangile. La
Gallia Christiana (t. XI, p. 797) dit qu'il reposait sous une pierre
tombale de marbre noir. Mais cette pierre aurait été enlevée en
1705, d'après un document de la Société Imtoriquc de Lisieux, et
les cendres qu'elle recouvrait, dispersées en 179-2.
il institua pour héritiers un de ses neveux, Jean Bidault, qu'il
avait fait nommer chanoine de Rouen et de Lisieux, et une nièce,
Jeanne Bidault, femme de Jean de Rinel qui fut longtemps secré-
taire du roi Henri VI.
Dans son testament, Cauchon n'oublia aucune des villes dans
lesquelles s'étaient produits les principaux incidents de sa vie.
A Reims, il fonda un obit pour le repos de son âme, (jui fut célé-
bré chaque année le 19 décembre.
A Beauvais, il institua deux obits pour son frère Jean et pour ses
parents, amis et bienfaiteurs.
A Lisieux, il fonda un quatrième vicariat pour la cathédrale, qui
était dédiée à Saint-Pierre, son patron, et une grand'messe qui
devait être chantée tous les jours dans la chapelle Notre-Dame.
Il y fonda aussi un obit qui devait être célébré tous les quinze
jours de l'année.
A la cathédrale de Rouen et au chapitre, il légua une somme de
300 livres, dont le revenu devait être affecté à célébrer un obit le
jour de l'anniversaire de sa mort.
Il laissa pareille somme de 300 livres à son église de Saint-Cande-
le-Vieux, pour messes en l'honneur de la sainte Vierge et offices
solennels pendant l'octave du Saint-Sacrement.
Mais parmi ces legs pieux, pas un seul qui ait pour objet la sup-
pliciée de Rouen et les procédés abominables par lesquels, après
l'avoir livrée aux flammes, l'évêque s'était efforcé de la perdre et
de la déshonorer sans retour aux yeux des contemporains et de la
postérité. Effrayante est l'habileté donl le juge de Jeanne a fait
402 APPENDICE 1
preuve dans le procès de sa viclimc ; plus effrajanle esl encore la
scélératesse tour à tour brutale et raffinée quil y a déployée.
L'influence prépondérante que Pierre Cauchon a exercée siu" des
hommes de la valeur des J. iMirhelet, des J. Quiclierat. des II. Marlin :
la confiance à peu près absolue qu'il a réussi à leur inspirer en sa pro-
bité, sinon de juge, du moins d'historien, pourront fournir un argu-
ment décisif contre les écrivains qui ne lui accordent qu'une habi-
leté médiocre. Elles ne modifieront en rien l'opinion qui voiten lui
le plus inique des juges. Nous craignons que ce ne soit larrél défi
nitii'delhistoire.
IV
Question subsidiaire. — L'évéque de Beauvais a-t-il été
« schismatique » et « excommunié ».
En ces années où Ips populations lètent la Béntification de Jeanne
d'Arc, on a maintes fois entendu des conférenciers et des prédica-
teurs affirmer catégoriquenTent que Pierre Cauchon était schisma-
tique. ei qu'il aurait été frap|jé d'excommunication à Bâle. Que
disent à ce sujat les documents ?
f De Pierre Cauchon « schi>;matique »
En réponse à ce preraipr point, on peut dire, ce nous semble,
sans s'écarter de la vérité historique, que le juge de la Pucellp avait
sur la question du pape et de T Eglise, des idées fausses, à tendance
schismatique, tout comme l'Université de Paris, dont il partageait
les opinions. Mais on ne peut pas dire qu'il ait été srhismatiipie de
fait, même à un moment donné, comme le fut l'Ama Mnler stitdii
Parisifnsis, lorsqu'elle souscrivit à la déposition du pape Eugène IV
et qu'elle prit le parti de l'anti-pape Félix. Si lévèque de Beauvais
n'eut garde, au cours du procès, de dissimuler ses idées peu oi-tho-
doxes, s'il les appliqua ouvertement et sans scrupules, cependant
il ne rompit jamais avec Rome et son chef, il ne fit que paraître à
Bâle, et on ne voit pas qu il se soit jamais prononcé publiquement
en faveur de l'antipape contre le pape légitime.
Pour éviter toute exagération en ce sujet, il ne faut pas oublier
que nous parlons du xv° siècle. Les idées doctrinales de ce temps
n'étaient pas celles du temps présont. Le siècle de Pierre Cauchon
et de .Teanne d'Arc est le siècle du concile de Constance et du grand
schi,sme. du concile de Bâle et de celui de Ehu-ence. il n'y a qu'à
parcourir 1 histoire de ces assises solennelles de la catholiiilé et des
p. CAUCHON, EVEQUE DE 13EAUVAIS 403
lutles doclriniiles (|ui s'y livrèrent, pour avoir la preuve que,
même dans les questions les plus vitales, les théologiens du monde
entier étîiient loin d'être d'accord. Quelque bonne volonté qu'on
apportât, les solutions [troposées dissipèrent si peu les obscurités,
que les doutes subsistèrent dans les siècles suivants, qu'ils provo-
quèrent la fameuse déclaration du clergé de France en 1682, et que
la paix ne s'est établie dans les esprits qu'après les décisions récen-
tes du concile du Vatican.
Il faut rendre cette justice à l'Université de Paris que, à ces épo-
ques ciilïiciles, fidèle aux traditions que ses plus illustres docteurs,
les derson et les Pierre d'Ailly, ne cessèrent de défendre, elle ne
s'écarta jamais du principe qui proclamait la nécessité absolue « de
l'union et de la communion avec le Pape comme chef de l'Église et
centre de l'urlité catholique ». Sa doctrine et sa conduite ont pu être
défectueuses en maintes circonstances, au concile de Bàle par
exenifile ; mais on n'apas pu dire qu'elle ait jamais quitté le rocher
imnmable sur lequel repose la foi de la catholicilé.
De ces considérations générales passons aux pi-euves qui établis-
sent la légitimité des précisions exposées plus haut. Elles. consistent
à dire qu'on peut relever chez le juge de Jeanne des idées fausses
sur la matière du pape et de l'Eglise, idées à tendances schismati-
que, mais aucun document ne pei-met d'ajouter qu'il a été schisma-
tiquc de l'ait : le soutenir, même oraiorio modo, ce serait noussem-
ble-t il, dépasser la mesure.
Quelles étaient donc les idées doctrinales de l'évéque de Beauvais
sur l'Eglise et sur le pape ? Il nous fait connaître les premières dans
ce passage du procès, t. I, p. 17o :
« L'Église militante, y est-il dit, c'est l'Église en tant quelle com-
prend le Pape, vicaire de Dieu sur la terre, les car<linaux, les pré-
lats ecclésiastiques, le clergé et tous bons chrétiens et catholiques ;
lac^uelle Eglise dûment assemblée, ne peut errer et est gouvernée
du Saint-Esprit. »
Cette défiuiiion comprend deux parties, l'une concernant l'Église
militante, partie exacte à la rigueiu-, car on ne peut lui reprocher
que de n'avoir pas mentionné expressément les « évêques, succes-
seui's des apôtres », et de les avoir confondus avec les « prélats
ecclésiastiques » ; l'autre, transformant l'Église militante en Église
enseignante, erronée par conséquent, car elle introduit dans cette
Église » dûment assemblée, infaillible, gouvernée du Sainl-Esprit »,
le clergé inférieur et jusqu'aux bons chrétiens et bons catholiques!
c'est-à-dire les simples fidèles.
Or, une pareille doctrine est en opposition formelle avec l'ensei-
404 APPENDICE I
gnemcnl commun des Ihéologiens. Sa tendance schismatique est
inconlcslable par cela qu'elle identifie avec l'Eglise enseignante
1 Eglise enseignée, avec le pape et les évèques, pasteurs des fidèles,
les simples fidèles eux-mêmes.
Les idées de lévéque de lîeauvaissur le pontife romain , «vicaire
de Dieu ici-bas », ne sont pas moins étranges, il les expose et les
applique principalement dans la scène de l'abjuration, lorsqu'il
refuse de tenir compte de lappel de Jeanne au Pape, et qu'il
s'arroge le droit de prononcer définitivement en sa causÈ qui était
une des causes majeures réservées au tribunal du Chef (/!e l'Eglise.
« L'Église, dit le prélat, c'est nous, les évèques, aussi bjen que le
Pape. Nous sommes juges aussi bien que lui — de toute cause veut-
il dire, même majeure, même après l'appel à Home —chacun dans
notre diocèse. »
Et ce n'est pas tout. Pierre (lauchon ne se contente pas de s'éga-
ler au vicaire de Jésus-Christ ; il étend et prèle son infaillibilité
aux simples clercs et la'i'ques, assesseurs au procès. « Ce n'est pas
seulement à nous, évêque, qu'il faut vous soumettre déclare-t-il à
l'accusée, il faut encore que vous teniez pour vrai ce que les clercs
et gens en ce connaissants — simples laïques, tels que les licenciés
en droit civil — ont déterminé de vos dits et faits. » {Procès, t. 1,
p. 455-456.)
C'est sur celte doctrine, à tendance ouvertement schismatique.
puisqu'elle nie en fait et en droit l'autorité suprême et les privilè-
ges du chef de l'Eglise, que lévéque de Beauvais s'est fondé pour
livrer Jeanne d'Arc au bûcher.
Nous avons dit que, si les tendances schismatiques du juge de la
Pucelle étaient indéniables, il serait inexact et injuste d'ajouter
qu'il a été de fait schismatique. même passagèrement, comme le
furent les docteurs qui prirent part à la déposition d'Eugène IV et
à la nomination de l'antipape Félix, comme le fut l'Université de
Paris par l'approbation qu'elle y donna. Rappelons brièvement les
faits.
Au nombre des députés envoyés au concile de Bàlc par l'Univer-
sité de Paris, l'on comptait trois des assesseurs du procès de Rouen,
maîtres Reaupère, Thomas de Courcelles. Nicolas Loiseleur. Le
choix de l'Université ne se porta pas sur lévéque de Beauvais.
Les deux actes par lesquels les pères de Râle prirent une attitude
ouvertement schismatique, se produisirent en 1433 et 1439. A ces
dates-là, Pierre Cauchon ne se trouvait pas à Râle et n'était point
délégué au concile.
<
j
p. CAUGHON, ÉVÈQUE UE UEAUVAIS 405
Le 13 juillet 1433, douzième session, les pères citaient par décret
Eugène IV à leur barre, le menaçant de le « déclai-er contumace et
incorrigible, de le suspendre et de le déposer ». (Hergeni-oether,
Histoire de l'Eglise, t. IV, p. 603.)
A cette date, l'évêque de Beauvais n'avait point encore paru à
Bàlc.
Le 25 juin 1439, trente-quatrième session, les pères de Bàle
appliquant la doctrine de la supériorité des conciles généraux sur
le pape. » déposaient de toutes dignités et rejetaient Eugène IV,
comme rebelle aux ordres de l'Eglise universelle ».
Pas plus ;i cette date qu'à l'autre, le juge de Jeanne n'était pré-
sent au concile et n'avait qualité pour y prendre part. Il ne put être
de ce fait-là, schismatique. A Lisieux ou à Rouen se prononça-t-il
quand même, et fit-il acte de soumission à l'antipape Félix, comme
le fit 1 Tnivcrsilé? Aucun document n'en témoigne II y aurait donc
inexactitude et injustice à le ranger parmi les prélats rebelles au
pape légitime.
Reste à savoir si son passage à Râle ne lui fournit pas l'occasion
lie poser quelque acte entaché de schisme, en même temps qu'il
encourait l'excommunication.
■2" L'ccéque de Beauvais a-t-il été « excommunié »
Tranchons d'un mot la question.
Non, le passage de l'ancien évéque de Beauvais à Ràlc ne fut pour
lui l'occasion d'aucun acte formellement schismatique.
Seulement on lui rappela qu'il avait encouru l'excommunication.
Mais ce n'était pas à l'occasion du concile. C'était pour n'avoir pa^
versé au trésor pontifical une somme de 400 florins d'or dont il lui
était redevable à titre d'annales à l'occasion de sa translation au
siège de Eisieux.
Mais à quel litre et à quelle date précise Pierre Cauchon parut-
il au concile de Râle ?
Il y fut envoyé en 1434 par le roi Henri \T d'Angleterre pour y
représenter les intérêts anglais. Les lettres de délégation sont du
10 juillet 1434 (Rymer, t. V, pars I^ p. 12, 13.)
A Bàle, le prélat s'y trouva en même temps qu'André, évèqne de
Fossoinbrone, qui était chargé de l'aire rentrer les sommes dues au
trésor pontifical. Comme d'importants délais avaient été accordés
à Pierre «lauchon et que, ces délais écoulés, il ne s'inquiétait pas
de s'acquitter, l'évêque de Fossombrone lui signifia que, par son
refus de payer ce qu'il devait à la cour de Rome, il avait encouru
40G APPENDICE I
rexconimunication : de plus, que s'étant permis quoique excom-
munié, <ie célébrer l'office divin, il avait encouru lirrégularité.
Dans le cas où il ne se mellrait pas en règle, on ferail publier
l'excommunication aux portes de la cathédrale, et 1 on interdirait
aux fidèles toutes relations avec lui jusqu'à ce qu'il eût donné pleine
satisfaction (20 décembre 1434).
Ces menaces furent-elles mises à exécution, nous ne saurions le
dire, tous documents faisant défaut ; pas plus que nous ne pou-
vons présumer les résolutions auxquelles s'arrêta lévêque en fHce
de cette mise en demeiu-e. Ce qui parait hors de doute, c'est que,
rentré à Lisieux , Pierre Cauchon ne changea rien à ses habitudes
ecclésiastiques et ne discontinua pas de remplir ses fonctions épis-
copales. Il resta, d'ailleurs, peu de temps au concile. Au cours de
l'année 1435. Henri VI déléguait « son ami et féal conseiller lévê-
que de Lisieux, pour entendre, en la matière de paix générale, à la
convention qui devait avoir lieu en la ville d'Arras ». [Biblioth.
naiionale, ms. fr. 20. 884, fol. 33.)
Par égard pour sort caractère d'évêque, nous ne supposerons pas
que Pierre Cauchon soit demeuré sourd aux réclamations de lévê-
que de F.)ssombr()ne. et ait opiniâtrement refusé de s'acquitter
envers le trésor pontifical. S'il ne paya par les 400 florins d'or,
nous aimons mieux l'expliquer par une entente amiable avec le
représentant du Saint-Siège, ou par la situation nouvelle que créa
un décret des pères de BAle à propos des annates, eu cette année
1435. Cette dernière explication, proposée que nous sachions poia*
la première fois, olîre 1 avantage d'atténuer, sinon de dcgnger entiè-
rement, la responsabilité du personnage. Car Pierre Cauchon était
encore à Bâie lorsque les pères du concile portèrent leur décret, et
il put émettre, vis-à-vis du Trésorier du Pape, la prétention d'en
bénéficier.
L'envoyé de l'Angleterre ne partit pour Arras que le 23 juil-
let 1435. et c'est le 9 juin que les Pères du concile tinrent la session
(la 21*^] d;ins laquelle ils jugèrent à propos d'abolir les annates; ils
le firent par le décret suivant :
« Le saint concile de BâIe, représentant de l'Eglise universelle,
ordonne au nom du Saint-Esprit que, en ce qui concerne la cour
de R»»me. on n'exigera aucune rétribution, ni devant, ni après, à
raison du sceau, des annates, etc., sous quelque prétexte que ce
soit. Les obligritions, promesses, censures et mandats, et tout ce
qui se fera au préjudice de ce décret, n'auront aucune force et
seront censés nuls (Labbe, Concil., t. XII, p. 552.)
Remarquons — la chose en vaut la peine — que ce décret a été
V. r.AUCIION, EVKQUE DE BEAUVAIS 407
pris dans un temps que le Concile était général et légitime, de
l'aveu de ceux qui lui sont le plus opposés. (Fleury, Histoire de
l'Eglise, t. XV. livre 10G«. n» 136.)
On voit le parti que Pierre Cauchon put tirer du texte de ce
décret. Praticien consommé en fait de chicane, et connaissant à
fond la matière du droit canon, il dut embarrasser singulièrement
son adversaire, s'il se mit à discuter avec lui à l'effet de ne rien
payer. « Hier, c'est vrai, j'étais débiteur de la cour romaine, dut-il
lui dire ; aujourd'hui, 10 juin, je ne le suis plus. » Et, sans doute,
il fit ses visites de congé et ses préparatifs de départ.
Nous nous permettons de soumettre ces considérations aux lec-
teurs que ne rebutent pas les menues questions. Inutile d'insister
sur ce point, qu'il n'existe aucun rapport entre la condamnation
de la Pucelle et l'excommunication de son juge. L'une est de 1431,
l'autre de 1434 nu 1435 Ce ne sont pas non plus des pères du Con-
cile de B;i le qui fulminent l'excommunicalion : c'est un représentant
fiscal de la cour de Uome, qui avise l'évéque de l'excommunication
encourue, à propos dune dette dans laquelle le procès de Rouen
n'est pour rien. A fortiori celle excommunication fut-elle étrangère
aux idées plus ou moins orthodoxes que l'iei're Cauchon professait
sur la matière de l'Eglise. Après les détails dans lesquels nous
sommes entré, il nous semble que les questions posées sont suffi-
samment éclaircies.
APPENDICE II
DU PROGKS DR 1431, DU TRIBUNAL ET DES PRINCIPAUX
ASSESSEURS
Dans le procès de la Pucelle à Rouen (1431), il faut avoir soin de
distinguer les juges et les membres du tribunal des assesseurs,
principalement de ceux dont les juges firent leur conseil privé.
Ce procès étant un procès de l'Ordinaire en cause de foi, les deux
juges lurent l'évêque de Beauvais, qui se disait V « Ordinaii-e de
Jeanne, » raccusée ayant été prise dans les limites du diocèse de
Beauvais, — et le représentant du grand inquisiteur de France,.
Jean Lemaître, vice-inquisiteur du diocèse de lîouen.
Aux deux juges furent adjoints un promoteur, ayant charge de
soutenir l'accusation au nom du tribunal, véritable ministère pu-
blic ; — un examinateur des témoins ; — un exécuteur des com-
mandements des juges ou huissier, — et trois notaires greffiers.
Les prêtres et religieux convoqués à titre d'assesseurs furent très
nombreux. Mais les docteurs envoyés par l'Université de Paris et
trois ou quatre autres composèrent seuls le Conseil privé desjuges,
pour ne pas dire de Tévéque de Beauvais, qui en somme menait le
procès. Ayant donné la biographie de ce personnage, nous nous
occuperons des autres membres du tribunal.
De Jean Le Maître, vice-inquisiteur de Rouen et juge au procès.
Jean Le Maître qui siégea en qualité de juge avec lévêque de
Beauvais au procès de la Pucelle, était vice-inquisiteur au diocèse
de Rouen depuis l'année 1424-. Le grand inquisiteur de Paris, Jean
Gravèrent, le chargea de le représenter et de siéger à sa place, au
cours des débats {Procès, t. 1., p. 3")). On sait avec quelle répu-
gnance il s'acquitta de ce mandat.
Après le supplice de Jeanne, il demeura à Rouen à titre de prieur
DU TRIBUNAL DE 1431 ET DE SES ASSESSEURS 409'
et de vice- inquisiteur. On le voit exercer ces deux fonctions, l'une
en 1436, l'autre en 1441. En même temps, l'archevêque de Kouen
et le Chapitre de la cathédrale le chargent de prêcher divers ser-
mons ou l'y autorisent, preuve de l'estime dont il ne cessa de jouir
comme orateur suivi et comme religieux. La dernière prédication
que l'on connaisse de lui eut lieu le 25 janvier 1453.
Ici se pose la question : était-il encore vivant, lorsque, en mai
de cette année 14'J2, le cardinal d'Estouteville fit procéder aux
deux enquêtes de Rouen sur le cas de la Pucelle. Ch. de Beaure-
paire pense qu'il était encore de ce monde, sans toutefois en don-
ner la preuve. X son avis, en ne le citant pas, on voulut le ména-
ger, ainsi qu'on avait fait pour l'archevêque Roussel, l'ancien tré-
sorier du Chapitre en 1431 .
Les pères dominicains Relon et Balme {Jean Bréhal et la réha-
bilitation de Jeanne d'Arc, p. 67), ne se prononcent pas sur l'an-
née 1452. Mais pour l'année de la réhabilitation (1455), ils sont
d'avis que l'ancien juge de la Pucelle n'était plus de ce monde. Ils
invoquent à cet effet les termes dans lesquels le rescrit apostolique
de Calixte III s'exprime au sujet de Jean Le Maître. En rappelant
l'objet de la supplique des parents de la Pucelle, Calixte III parle de
« feu Jean Le Maître — nccnon quondam Joannis Magiatri. » En
spécifiant les actes qui lui sont reprochés, le rescrit apostolique fait
observer que Le Maître était alors plein de vie — ctiam tune in
humanis agenti. {Procè<, t. II, p. 90.)
Jean Bréhal avait eu sous les veux le texte de la supplique de la
famille d'Arc. D'autre part, il ne devait pas ignorer la mort de
son subordonné. S'il a laissé insérer ces deux expressions opposées
— quondam — etiam tuncin humanis agenti, — dans la supplique,
c'est que le fait de la mort de Jean Le Maître n'était pas douteux.
Il
Dtt promoteur Jean d Estivet
(Surnommé Bcnedicite [Procès, III, 190 .
Jean dEstivet, chanoine de Beauvais et de Baveux, était un des
intimes de lévêque P. Cauchon. Comme il avait été procureur du
diocèse de Beauvais, P. Cauchon fit de lui le promoteur du procès
de Jeanne D'Estivet apporta dans l'exercice de ses fonctions une
passion qui ne recula pas devant les procédés les plus injurieux.
[Procès, III, 49, 52, 162). A l'exemple de Loiseleur, il n'hésita pas
410 APPENDICE II
à se déguiser pour pénétrer dans la prison de la l'ucelle et abuser
de sa ronfiance. «■ C'était un mauvais homme, acharné après les
notaires de la cause et tous ceux qui avaient souci de la justice. »
{Ibid., t62). Au témoignage de G, Manchon, il remit à ce dernier
des honoraires intérieurs à ceux qui étaient convenus. Dl'^stivet
rédigea mais ne lut pas en séance le réquisitoire. Ce n"est un chef-
d'œuvre ni de littérature, ni de vérité.
Après le drame de Saint-Oiien, Jeanne s'attendait à être con-
duite dans les prisons de l'Église : le promoteur donna l'ordre de
la ramener au château.
Si le notaire Bois (iuillaume a dit vrai, la fin de ce personnage
fut digne du rôle qu'il avait joué : « on le trouva mort dans un
égoiit hors des portfs de Kouen » {ibid., 162). U'apres Ch. de Beau-
repaire, au contraire, dans les années qui suivirent 1431. D'Kslivet
aurait résidé à Bajeux et ne serait mort que postérieurement à
l'année 1437. Sa responsabilité n'en serait pas attfnuén pour cela,
et il ne sera ja(nais proposé aux juges, soit laïques soit ecclésiasti-
ques, comme un modèle à imiter. (Ch. de Beaurepaire, Recherches
sur le procès de eondamnaiion de Jeanne d'Arc, p. 122. In-S-", Rouen,
1869).
111
De l'examinateur des témoins, de 1 huissier et des notaires.
.lean de la Fontaine, maître es arts, licencié en droit canon, fut
nommé « commissaire de l'évêque-juge, conseiller et examinateur
des témoins à produire dans la cause de la part du promoteur, »
avec charge de rédiger ou de faire rédiger par écrit leurs déposi-
tions, etc. {Proi-ès. l. 26). Il s'intéressa à la Pucelle et chercha à
l'éclairer. Blâmé véhémentement par lévêque de Beauvais et redou-
tant sa vengeance, il disparut le 27 mars et on ne sut ce qu'il était
devenu.
Jean Massieu, d ijen de chrétienté ou doyen rural, l'ut nommé
parl'évéque de B.;auvais « exécuteur des mandats des juges et des
convocations qu il leiu" conviendrait d'ordonner ». Kn vertu de ses
fonctions, c'est lui qui amenait Jeanne devant le tribunal et la
ramenait en sa prison. H était avec elle sur la charrette qui la
porta au cimetière de Saint Ouen et au Vieux-Marché. Du reste, il
ne cessa de la traiter avec beaucoup d'égards : ce qui lui valut des
observations assez aigres de l'évêque de Beauvais. Il a déposé aux
enquêtes de 1450, 1452 et 1450.
DU TRIBUNAL DE 1431 ET DE SES ASSESSEURS 411
Les notaires-greffiers furent au nombre de trois : deux clioisis
par lévêque de Beauvais, le troisième par le vice-inquisiteur Jean
Lemaîlre.
Guillaume Manchon, notaire d"Eglise, accepta malgré lui les
fonctions de notaire-greffier au procès (Procès, II, 340). Il était
chargé principalement des écritures. Il protesta contre les faux
greffiers apostés aux audiences. Ses dépositions au procès de revi-
sion mettent en lumière et l'honnêteté de sa conduite et bien des
incidents du procès. Il était en 1455 curé de Saint-Nicolas-le-Pain-
teur de Rouen. Quand il instrumenta au procès de 1431, il avait
environ trente ans.
Guillaume Colles, dit Hois-Guillaume, fut successivement curé
de Notre-Dame-la- Konde de Kouen, et de Lacouture de Bernay au
diocèse de Lisieux. Il était notaire de l'officialité de Houen, quand
il fut adjoint à Manchon. C'est celui-ci qui le désigna. 11 parut dans
la prison de Jeanne pour constater la reprise de l'habit d'homme.
Lui et Manchon paraphèrent les grosses du procès.
A ces deux notaires, le 13 mars, on adjoignit, sur la demande
du vice-in'|uisiteur, à titre de notaire lui aussi, Nicolas Taquel,
prêtre de Rouen. Il n'écrivait pas. mais écoutait. Il déposa aux en-
quêtes de 1452 et 1456. Il était curé de Bacqueville-le-Martel.
Lorsque le procès fut traduit en latin, les trois notaires assis-
tèrent Thomas de Courcelles en cette besogne délicate. [Procès, il,
156.)
IV
Des assesseurs appelés au procès, et particulièrement des six
docteurs de Paris.
Pour donner aux débats et à la sentence contre la Pucelle la plus
grande solennité possible, l'évêque de Beauvais eut soin d'inviter
un nombre considérable de consulteurs ou assesseurs. Ordinaire-
ment, dans un procès en matière de foi, trois ou quatre chanoines
désignés par les chapitres, et trois ou quatre avocats ecclésiasti-
ques suivaient avec l'évêque et 1 inquisiteur le cours des débats.
Pour le procès de Jeanne, on a noté la présence de plus de cent
ecclésiastiques: docteiu-s, licenciés, bacheliers ou avocats en cours
d'Église. Si l'on prend les noms dans l'ordre où ils sont cités au
procès, on trouve « cent treize personnages, dont quatre-vingt au
moins et quatre-vingt-six au plus étaient ou avaient été suppôts
412 APPENDICE II
de rUniversilé de l^aris ». Il est vrai que trente et un ne parurent
qu'une fois ; mais cinquante-six donnèrent leur avis dans le procès
pour cause de chute, et quarante-deux dans le procès pour cause
de rechute. Soixante-et-onze ecclésiastiques en tout, soixante-qua-
torze en ■comptant les juges et le promoteur, intervinrent dans les
sentences de l'un et de l'autre procès.
Les assesseurs qui remplirent au procès le rôle le plus considé-
rable furent les docteurs que lévèque de Beauvais pria l'Université
de Paris de lui envoyer. D'après Jean Massicu, on les appelait ses
six clercs. Ils avaient nom Jean Beaupère, Nicolas Midj, Gérard
Feuillet, Jacques de Touraine, Pierre Maurice et Thomas de Cour-
celles. Pierre Cauchon fit d'eux ses conseillers intimes. C'est avec
eux qu'il arrêta secrètement les mesures les plus importantes, celle
des douze articles par exemple et de l'abjuration à imposer à la
Pucelle. Les docteurs de l*aris firent le voyage de Uouen sous la
protection et en la compagnie des Anglais qui en firent les frais et
dont l'un était Jean de Bincl, le secrétaire même du roi d'Angle-
terre. Un mot sur chacun de ces docteurs.
i'-' Jean Beaupère.
Jean Beaupère [Palchri-Patris), chanoine de Rouen J430) et de
Besançon (1431), fut chargé par l'évêquc de Beauvais de diriger les
six interrogatoires publics du procès d'office : mais il n'assista pas
au prononcé du jugement sur la place du Vieux-Marché. Il était
originaire de Nevcrs et docteur en théologie. Uecteur de l'Univer-
sité de Paris en 1412 et 1413, il exerça les fonctions de chancelier
en l'absence de Gerson. Député au concile de Bàle comme repré-
sentant de la nation de Normandie (1431) par l'Université de Paris,
les pères du Uoncile le chargèrent d'aller soumettre au pape
Eugène IV' et aux Cardinaux la supplique qu'ils lui adressaient.
En 143''), il retourna à Bâio pour y représenter le chapitre de Be-
sançon et le Concile l'envoya à titre d'Ambassadeur auprès du roi
d'Angleterre. Le 23 avril 1437, il prenait part, en qualité de cha-
noine à l'élection d'un nouvel archevêque de Besançon. En 1444, on
l'accusa d'avoir adhéré à la déposition du pape : il protesta de son
orthodoxie et soutint qu'il se trouvait alors, non à Bàle, mais à Be-
sançon. En 14^0, il eut encore à défendre son canonicat de Uouen et
à faire la preuve de ses sentiments de bon français. Mandé par
maître Guillaume Bouille à l'enquête que venait d'ordonner Char-
les Vil, il fit la déposition qu'on lit au tome II de l'ouvrage de
J. Ouicheral. Après avoir vécu comblé de bénéfices, grâce à une
DU TRIBUNAL DE 1431 ET DE SES ASSESSEUUS 413
dispense du pape Martin V, il mourut probablement à Besançon
en 1462 ou 1463 à un âge fort avancé, puisque à l'enquête de 1450
il est désigné comme « ayant soixante-dix ans ou environ » {Procès,
l. II. p. 20).
2° Nicolas Midij .
Nicolas Midy (ou Midi), docteur en théologie, était en 1418 rec-
teur de l'Université de Paris. A Rouen il se montra un des asses-
seurs les plus hostiles à la Pucelle. C'est lui qui rédigea les fameux
douze articles. Avec maître Beaupère, Jacques de Touraine et (ié-
rard Feuillet, il les porta en avril à l'Université de Paris pour les
faire qualifier. Ce zèle à poursuivre et à perdre l'ennemie des An-
glais lui valut d'être choisi pour prononcer le sermon du jour du
supplice, et d'être nommé par le roi d'Angleterre chanoine de
Rouen : il fut installé le 19 mai, onze jours avint le drame du Vieux-
Marché.
Du reste il ne demeura pas à Rouen. On le trouve en 1432 à
Bàle, à Amiens en 1436, à Paris en 1437. Soupçonné de s'être rallié
au parti français en 1437, le roi d'Angleterre donna son canonicat
au propre neveu de Pierre Cauchon, Jean Bidault, maître es arts.
L'auteur de l Histoire de i Université de Paris, Du Boulai, repré-
sente Midy comme chargé par les facultés assemblées de haranguer
Charles Vil à, son entrée dans Paris recouvré.
Le père Denifle conteste le fait. « L'examen de tous les docu-
ments, dit-il, ne permet pas de l'admettre. » [Mémoires de la société
de l'Histoire de Paris, t. .VXIV, p. 18-19.)
Le notaire du procès, Guillaume Colles, termine sa déposition
à l'enquête de 1456 en disant que c peu de jours après la mort de
Jeanne, Nicolas Midy fut frappé de la lèpre. » {Procès, III, 165.)
Il ne dit pas qu'il en mourut aussitôt, mais seulement qu'il en fut
frappé, lepra percussus est. La lèpre était une maladie assez com-
mune à Rouen au XV siècle. Le prédicateur du Vieux-Marché a
pu traîner son mal jusqu'en 1438, année où il est signalé encore
comme absent au chapitre de Rouen, et mourir après.
3" Jacques de Touraine.
On sait peu de chose de Jacques de Touraine, dit aussi Jacques
Tenier. Il était frère mineur. En 1426, il prêche à Notre-Dame un
« moult pileux sermon ». Au témoignage de Guillaume Manchon,
maître Beaupère, Midy et Jacques de Touraine étaient les plus pas-
sionnés contre la Pucelle. [Procès, t. 111, p. 140.)
414 APPENDICE II
4" Tho7nas de Courcelles
Thomas de Courcelles élail né à Amiens en 1400. L'un des pro-
lesseurs les plus renommés de l'Université de Paris, à trente ans
il était chanoine d'Amiens et de Thérouanne. C'est sans doute en
partie le désir de soutenir la réputation de savoir et d'austérité
dont il jouissait qui inspira sa conduite au procès de la Pucelle.
11 était recteur de l'Université de Paris lorsqu'elle insistait auprès
de Jean de Luxembourg, afin qu'il livrât sa captive aux Anglais.
A Rouen, il prit part à dix-neuf séances, du procès, il donna son
avis dans toutes les délibérations, il travailla au réqui.sitoire et
en fit la lecture publique. Il fut un des trois assesseurs qui opinè-
rent pour que Jeanne fût mise à la torture. L'inl'ormatinn pos-
thume le range au nombre des docteurs qui déposèrent contre elle
après le supplice. Enfin, il mit le procès en forme, le traduisit en
latin, et à la faveur de cette traduction altéra le texte du dernier
interrogatoire. Nous en avons donné la preuve dans la troisième
série de nos Etudes critiques (Paris. 19o8).
Courcelles fut envoyé en 1434 au concile de Bâle par l'Uni vex"-
sité de Paris et, en juillet 1439. il se joignit à ceux qui déclarèrent le
pape relaps. Honoré de l'auiitié do Charles VU, il prononça son
oraison lunèbre. Lui-même mourut peu après, en 1*69, dijen <iu
chaftitre de Paris. On voudrait croire qu'il regretta la part qu'il
prit au procès et à la condamnation de la Pucelle Malheureuse-
ment, le texte de sa déposition par devant h's délégués du Saint-
Siège laisse le lecteur sous limpressiou opposée.
5" Gérard Feuillet.
Gérard Feuillet était frère miniMir. 11 lut reçu maître en théologie
le 30 mars 1430.
6° Pierre Maurice.
Pierre IVlaurice, ou Morice, s'était rallié de bonne heure au parti
anglais. Il avait été «-n 1428 reiteur de l'Université de Paris Le
5 juin 1430. les chanoines de Rouen le chargèrent de porter la
parole en leur nom devant Henri VI, lors de son entrée solenn.die
en la cathédrale de Rouen. Pierre Maurice mourut à Rouen en
septembre l'f3ti. chanoine de Rouen et de Lisieux. Ce docteur
paraît s'être intéressé à la Pucelle. du moins vers la fin du procès.
H lenlendit en confession et lui servit de conseil. Dans l'exhorta-
lion qu'il lui adressa avant la conclusion de la cause, on sent percer
DU TRIBUNAL DE 1431 ET DE SES ASSESSEURS 415
cet intérêt et on lui en sait gré. Et quand il apprit qu'elle avait
reprit l'habit d'homme, il en lémoigna une vive peine. [Fiocùs, III
164.)
7'^ Du prédicalcuv du cimetière de Saint-Ouen .
Guillaume Erart (il signait ainsi, et non Erard), était originaire
du diocèse de Langres, chanoine de cette église ainsi que de celles
de Laon et de Beauvais et membre de l'Université de Paris. C'est
lui qui fut chargé de prêcher la l'ucelle au cimetière de Saint-Uuen.
Il était docteur en théologie avant \'*^0. Il n'alla point au concile
de Hàle. Nommé chapelain du roi d'Angleterre et doyen du chapitre
de Koucn en 1438, il mourut en Angleterre en 1439. 11 était chanoine
de Uouen depuis 14 i2.
8° De Nicolas de Venderès.
Nicolas de Venderès, licencié en droit canon, né en 1372, était
chanoine de H<>uen depuis 1419, archidiacre d'Eu (1422) et chape-
lain de l'évêque de Beauvais. En 1423. il fut sur le point d'être
nommé à l'archevêché de Rouen. 11 mourut à Rouen, !«■' août 1438.
Pendant le procès de la Pucelle, il se montra préoccupé de plaire
à l'évéque de Beauvais. C'est lui, au rapport de Th. de Courcelles,
qui aurait rédigé le texte de l'abjuration qu'on lit au procès. [Procès,
t. III, fil.) Courcelles aurait vu la pièce entre ses mains, pendant
qu'on pressait .leanne de se soumettre. Cependant, Venderès fut
d'avis que la prisonnière ne fût pas mise à la torture. [Ibid., 1. 4o3.)
9" De Nicolas Loiselcur.
Loiseleur (Nicolas-Aacujyis), maître ès-arts et bachelier en théo-
logie, était né à Chartres en 1390. Chanoine de celte église, il le
devint de l'église de Houen en 1421. Jus(]u fn 1430 il fut fort occupé
des affaires du chapitre et chargé de diverses missions. Au procès
de 1431. avec 1 assentiment de l'évêque de Beau\ais, il se fit les-
pion de la Pue* lie, s'introduisant dans sa prison sous un dégui-
sement et lui donnant des coubcils en vue de la perdre. (Voir les
dépositions du greffier Manchon.) Un a dit qu'il avait été banni de
Rouen à l'occasion du supplice de sa victime, mais on n'en a pas
la preuve ; on a plutôt la preuve du contraire. De même, il ne
mourut pas subitement à Bàle.
Ami de Ni<olas Midy dimt il partageait l'acharnement contre la
prisonnière, il prit possession en son nom (21 avi-il 1431) du cano-
nicat auquel l'avait nommé le roi d'Angleterre.
416 APPENDICE II
Dès 1432, Loiseleur avait été député au concile de Bàle, avec
N. Widy et J. Beaupère; mais il ne s'y rendit que vers 1435. Là il
se rangea du côté des théologiens qui soutenaient la supériorité du
concile sur le pape et lui reconnaissaient le pouvoir de le déposer.
Mécontent de cette attitude, le chapitre de Rouen le rappela, mais
Loiseleur n'en fit rien. Devenu évèque de Lisieux, Pierre Cauchon
demeura en relation avec Loiseleur qu'il visitait souvent à Rouen
et chez qui il logeait. Pourtant ce n'est pas à Rouen, mais à Bâle,
croit-on, que mourut après la réhabilitation l'aflidé de lévéque de
lîeauvais. 11 était mort certainement à la date de 1465.
APPENDICE III
DU PROCÈS DE RÉHABILITATION, DES JUGES
ET DES PERSONNAGES QUI Y PRIRENT PARt]
Les juges que Calixte III choisit pour diriger les débats de la
réhabilitation et prononcer la sentence furent l'archevêque de Reims
Jean Juvénal ' des Ursins, lévêque de Paris Guillaume Chartier, et
l'évéque de Coutances, Richard de Longueil. A ces prélats fut ad-
joint Jean Bréhal, en sa qualité de grand inquisiteur de Fi-ance.
I
Jean Juvénal des Ursins, archevêque de Reims.
L'archevêque de Reims était l'aîné des onze entants de Jean Jou-
venel qui fut prévôt des marchands sous Charles VI. Il naquit en
1388 et mourut en 1473 (et non en 1471, comme l'a écrit J. Qui-
cherat. Procès, t. il, p. 73). Docteur en décret et en droit civil, il fut
nommé maître des requêtes de l'hôtel du Dauphin Charles et con-
seiller du roi en 1416. Forcé de quitter la capitale (1418), il rejoi-
gnit son père à Poitiers où le Parlement avait été transféré. Le
Dauphin le maintint dans sa charge de maître des requêtes et, en
août 1425, il le nomma son avocat général au parlement.
Jean Juvénal occupait ses loisirs à écrire l'histoire de Charles VI :
ses nouvelles fonctions ne l'empêchèrent pas de la poursuivre et de
l'achever. Etait-il à Poitiers lorsque la Pucelle y fut examinée, et
prit-il part à cet examen à titre de docteur in utroque, c'est assez
probable. Peu de temps après il entra dans les ordres et fut nom-
1. Juvénal et non Jouvenel : «Telle est l'orthograplie adoptée par
rarchevcque rnème de Reims dans quelques actes publics auxquels il
apposa sa signature. Son père signait Jehan Jouvenel, ses frères Juvé-
nal des Ursins. » (P. P. Belon et Balme, Jean Bréhal. p. 18, note 2,
in-S, Paris 1893).
27
418 APPENDICE m
mé chapelain du roi. Kugène IV étant monté sur le trône pontifi
cal, Charles Vil mit Jean Juvénal à la tête de lambassade chargée
d'aller, au nom de la France, féliciter de son exaltation le nou-
veau chef de l'Église. L'ambassadeur s'acquitta de sa mission com-
me il convenait, et il était de retour en août 1431.
Nommé sur ces entrefaites au siège de Beauvais à la place de
Pierre Cauchon, il fut sacré à Rouen en mars 1432 et, en novembre
suivant, il fit son entrée solennelle dans sa ville épiscopale [Gallia
christiana, t. IX, colonnes 758, 759). Le nouvel évéque occupa son
siège jusqu'en 1444. De Beauvais, il fut transféré à Laon, et en
1449 de Laon promu à l'archevêché de Reims dont son frère, nom-
mé patriarche d'Antioche. résigna le titre entre ses mains. Six ans
après, en 1455, le pape Calixte lli lui confiait, avec pleins pouvoirs,
la mission de reviser le procès de la Pucelle et, s'il j avait lieu,
d'en casser les sentences et de l'éhabiliter l'héroïne.
« Légat-né du Saint-Siège », — titre qu'il fut le premier arche-
vêque de Reims à se donner, Jean Juvénal justifia la confiance
qu'on avait mise en lui. Quelque mérite qu'on reconnaisse aux
actes de sa vie politique, à ses harangues littéraires, à son admi-
nistration épiscopale, ce n'est pas à ces actes divers, mais à la ma-
nière dont il a mené le procès de réhabilitation qu'il doit d'occu-
per une place exceptionnelle dans l'histoire de la France et dans
celle de l'Église.
On pourra consulter sur ce sujet les ouvrages suivants : Jean Juvé-
nal des Ursins, par l'abbé Péchenard, in-8°, Paris, Ernest Thorin
1876; — J. Ouicherat, Procès, t. II, pp. 72, 73; — des RR. PP. Be-
lon et Balme, Jean Bréhal, pp. 18, 70, 71, etc. ; — Gallia chris-
tiana, t. Vil, IX, XI.
II
Guillaume Chartier, évèque de Paris.
Guillaume Chartier, que l'on suppose frère d'Alain, secrétaire de
Charles VII, et du chroniqueur Jean, religieux de Saint-Denis, était
de Bayeux. Il suivit, aux frais du Dauphin, les leçons delà Faculté
de droit de Paris où il fut i*eçu docteur en droit civil et en décret,
cest-â-dire en droit canon. Fidèle à Charles VII, il alla professer
le droit canon en 1432 à Poitiers. Les bénéfices et les dignités ne
lui firent pas défaut. En 14'*7. le chapitre l'élut à l'unanimité évé-
que de Paris. Il résista vigoureusement aux abus et aux turbulen-
ces du corps universitaire et fut un des médiateurs dans la querelle
DES JUGES ET DU TRIBUNAL DE LA REHABILITATION 419
•des Ordres mendiants. A la fin de sa vie il encourut la disgrâce de
Louis XI, pour avoir conduit l'ambassade que les Parisiens envoyè-
rent aux princes confédérés pendant la guerre du Hien Public. Il
mourut en 1470.
Au cours du procès de revision, Guillaume Chartier entendit les
témoins de Paris et de Rouen. Avec l'archevêque de Reims et l'in-
quisiteur Jean Rréhal, il chargea Jean Bochard, évéqued'Avranches
de composer un mémoire sur le cas de la Pucelle [Procès, III, 318),
Les écritures du procès de revision, au 2 juillet, remarquent que
l'évéque de Paris n'ayant pas de sceau, l'on n'a pu y apposer que
ceux des trois autres juges, Jean Juvénal des Ursins, Richard de
Longueil et Jean Rréhal [Procès, III, 354).
m
Richard de Longueil, évêque de Coutances
Richard Olivier de Longueil appartenait à la noblesse de Nor-
mandie. Il était membre du chapitre de Rouen. Le siège étant
devenu vacant par la mort de l'archevêque Roussel (1452), Richard
de Longueil et Philippe de la Rose eurent chacun un nombre égal
de suffrages ; ce qui les fit se l'écuser. Nicolas V alors nomma Ri-
chard de Longueil à lévêché de Coutances. Lorsque la l'evision du
procès de Jeanne commença, l'évéque de Coutances était en ambas-
sade auprès du duc de Bourgogne : d'où vient que dans tous les
actes'de la procédure il est noté comme absent ; mais il était pré-
sent à la dernière séance et au prononcé du jugement. Le 26 décem-
bre 1455, il fut promu à la dignité de cardinal ; mais les actes de
la revision n'en ont pas fait mention. Peu favorable à la Pragma-
tique, il en parla en des termes qui lui valurent une amende de dix
mille livres. Peu sympathique à Louis XI, l'évêque-cardinal de
Coutances vint passer à Rouen les dernières années de sa vie. 11 y
fut comblé de bénéfices, et il fît de ses immenses revenus un noble
et généreux emploi. Envoyé à Péronne en qualité de légat du Saint-
Siège, il y mourut en 1470. On a dit de lui :
« Quis in dicendo justior ? Quis in interpretationibus jurium ve-
rior ? Quis in suum cuique l'eddendo minus personarum accepter ? »
Eloge que n'amoindrira pas la part que ce prince de l'Eglise a
prise à la réhabilitation de Jeanne d'Arc.
420 APPENDICE III
IV
Jean Bréhal, grand Inqmsiteur.
Jean Bréhal était né en Normandie comme Richard de Longueil,
évéque de Coutances, dans les premières années du quinzième siè-
cle. 11 entra de bonne heure au couvent des dominicains d'Evreux
et y fit profession solennelle. Il y reçut en 1443 le grade de maître
en théologie, et fut nommé probablement grand Inquisiteur de
France peu de temps avant que le cardinal dEstouteville se l'adjoi-
gnit en avril 1452 pour informer au sujet du procès de la Pucelle.
Cette dignité n'empêcha pas les religieux du couvent de Saint-
Jacques à Paris de l'élire pour prieur, et le nouveau prieur d'en
remplir dignement les devoirs.
Jean Bréhal était encore occupé au procès de revision lorsqu'il
eut à intervenir dans la querelle soulevée entre l'Université de Pa-
ris et les Ordi'es mendiants (Dominicains, Franciscains, Carmes et
Augustins). Pour la défense de ces religieux, il composa un traité
sur le droit qu'ils avaient d'entendre les confessions. Vers la fin de
1457, la querelle prit fin et les Fi-ères prêcheurs furent rétablis
dans l'intégrité de leurs droits. En 1474, Jean Bréhal cessa ses
fonctions de grand inquisiteur : il mourut après l'année 1478.
Quant à la pai-t qu'il prit à la cause de la réhabilitation, elle fut
des plus considérables et l'on a pu dire de lui, sans exagération au-
cune, qu'il « fut l'âme de toute la procédure ».
V
Des promoteurs, procureurs, avocats, et&.
1" Guillaume Prévosteau, licencié en décret fut nommé par le
cardinal d'Estouteville et l'inquisiteur Jean Bréhal promoteur de la
cause dans l'enquête de 1452 {Procès, 11, 310). Il rédigea et soumit
aux juges les 27 articles sur lesquels les témoins de la seconde
série eurent à déposer.
En 1455, il ne fut plus promoteur mais procureur, et représentant
de la famille d'Arc. Le 15 décembre, il présentait ses titres aux
délégués du Saint-Siège, et Pierre Maugier celui d'avocat en la
cause. Prévosteau eut la charge principale de l'instance. Le 18
décembre 1455, il remettait aux juges une requête écrite pour sa
partie et le 2 juillet 1456, il en présentait une autre (11, 163 et IIF.
275). 11 demanda aussi acte de la sentence de réhabilitation.
DES JUr.ES ET DU TRIBUNAL DE LA REHABILITATION 421
2*^ Simon Chapitault maître ès-arts et licencié en droit canon,
fut avec Guillaume Bouille témoin des premiers actes du procès
de revision (1455). Peu après il était nommé promoteur des juges et
de la cause. Il seconda de son mieux maître Prévosteau et. en plu-
sieurs cas, ils agirent de concert. On le voit à Orléans auprès d'Isa-
belle d'Arc, pour obtenir que les juges prissent une certaine me-
sure. Il résuma les irrégularités du procès de 1431 (20 décembre
1455). Le2 juillet 145G, il donnait ses conclusions et, comme Pré-
vosteau, il demandait acte de la sentence.
3*^ Les notaires-greffiers choisis par les délégués du Saint-Siège
{Procès, II, 152), Denis Le Comte et François Ferrebouc, prêtres,
étaient, le premier bachelier en droit canonique, le second licencié.
Quoi qu'on ait dit, la rédaction du procès de réhabilitation leur
fait honneur.
4° Pierre Maugier, avocat de la famille de Jeanne d'Arc, était
fils de Robert Maugier, premier président du parlement de Paris
sous Charles VI. Membre en renom de l'Université, il remplit les
fonctions de Recteur en 1427 et 1431, fut député au concile de Bâle,
et remplit un rôle honorable dans la querelle de l'Université et des
Ordres mendiants.
5° Guillaume de Hélande ou de Hellande était archidiacre de
Reims et de Beauvais lorsque, en 1444, il fut appelé à prendre sur
le siège épiscopal de Beauvais la place de Jean Juvénal des Ursins.
Il fit, la même année, en cette ville son entrée solennelle (Gallia
Christiana, t. IX, col. 759). 11 mourut en 1462.
Ce fut le prieur des dominicains d'blvreux, Jacques Ghaussetier
[Calceatoris] qui se pi'ésenta en décembre 1455 aux juges de la revi-
sion pour les dominicains de Beauvais ; sans doute, parce que Jean
Bréhal était fils spirituel du couvent d'Evreux.
APPENDICE IV
DE LA « PRETENDUE ABJURATION » DE LA PUCELLE
AU CIMETIÈRE DE SAINT-OUEN
Nous sommes ici en présence d'une double question, d'une ques-
tion de droit canonique, et d'une question de critique historique.
Et d'abord, cette expression, « abjuration prétendue », n'est pas
de nous: elle est des juges mêmes du procès de réhabilitation. Ils
ont estimé ne pas pouvoir mieux accuser, dans le prononcé de
leur sentence, la nullité canonique de l'acte sur lequel l'évéque de
Beauvais avait fondé le jugement.de relaps qui livrait la Pucelle
au bras séculier, et conséquemment au bûcher.
Mais cette question de droit canonique se double dune question
non moins importante de critique historique concernant le formu-
laire d'abjuration inséré au procès. D'après l'évéque de Beauvais,
ce formulaire serait vraiment authentique : Jeanne l'aurait accepté^
prononcé et signé. D'après des témoins au-dessus de toute suspi-
cion, le formulaire dont il fut donné lecture à l'accusée était abso-
lument difféi'ent, et le texte qu'on lit au procès serait tout simple-
ment un faux en écriture publique.
Sur d'aussi graves sujets, le dernier mot doit rester aux docu-
ments. Recueillons donc leur témoignage. Nous l'avons mis il y a
dix ans (17novembre 1901), sous les yeux des Consulteurs de la Con-
grégation des Rites; nous allons en produire un fidèle résumé.
I
Importance exceptionnelle de la question.
Avant le procès de béatification, aucun des historiens de la
Pucelle, que nous sachions, n'avait remarqué la place exception-
nelle qu'occupe dans son procès l'abjuration du cimetière de Saint-
Ouen. Généralement, ils n'y voyaient qu'un incident fortuit. Or, la
dite abjuration est l'acte visé dès le commencement par l'évéque-
DE LA « PRETENDUE ABJURATION » DE SAINT-OUEN 423
juge, le point central auquel aboutissent les interrogatoires du
procès d'office, le réquisitoire et les délibérations sur les douze
articles. A la vérité, avant le 24 mai 1431, Tévèque de Beauvais
n'en a jamais parlé, du moins en séance ordinaire. Il n'en parlait
jamais, il y pensait toujours.
Et quand la pièce eût été jouée, parce que le dénouement avait
trompé le.s espérances du prélat, tous ses actes tendirent à donner
le change à l'opinion, à propager le bruit que la Pucelle avait béné-
ficié d'une abjuration canonique, qu'elle avait prononcé et signé
un formulaire dans lequel elle se reconnaissait coupable de tous
les crimes dont ses ennemis l'accusaient.
Mais pourquoi l'évêque de Beauvais tenait-il tant à faire passer
pour véritables ces deux accusations aussi fausses l'une que l'autre ?
11 y tenait parce que c'était le seul moyen qui lui permît de donner
au gouvernement anglais la satisfaction que ce gouvernement
attendait de lui. On n'a pas oublié le langage du comte de Warwick
déclarant que le roi d'Angleterre entendait que Jeanne ne mourût
pas de sa mort naturelle, mais qu'elle fût jugée, condamnée et
brûlée. (P/oct'S 111, 51.)
A qui était réservée la tâche de porter cette sentence et de la
faire exécuter ? A l'évêque de Beauvais manifestement.
Mais de quel moyen le prélat disposait-il pour en arriver sûre-
ment à ses fins "? D'un moyen terrible qu'une conscience accommo-
dante pouvait aisément appliquer, car il n'y avait qu'à soulever
contre l'accusée un procès de rechute et à porter la sentence qui,
en pareil cas, était toujours capitale. Pour ouvrir un procès de
rechute, une condition était néanmoins indispensable : il fallait
qu'il se produisit un cas de relaps, et le relaps n'était possible que
subséquemment à une abjuration préalable. Sans abjuration préa-
lable, pas de relaps, sans relaps pas de bûcher. C'est ainsi que
l'abjuration « prétendue » du cimetière de Saint-Ouen est devenue
pour l'évêque de Beauvais, le fait à provoquer à tout prix et le nœud
vital du procès. Pierre Cauchon ne put obtenir la réalité du fait;
il se contenta de l'apparence. Mais il manoeuvra si habilement, il
mit de si habiles gens dans ses intérêts, il truqua si bien les écri-
tures du procès, que cinq cents ans se sont écoulés avant que ses
procédés de faussaire fussent dévoilés et soient apparus dans toute
leur horreur.
A prendre au pied de la lettre le texte du procès tel que la
rédigé l'évêque de Beauvais, il y aurait eu, le 24 mai 1431, sur la
place du cimetière de Saint-Ouen, une abjuration canonique de la
part de la Pucelle. A s'en rapporter à la parole du même prélat,
424 APPENDICE IV
le formulaire qu'on lit dans linstrumenl du procès serait bien celui
que'Jeanne a prononcé et signé.
Tout autre est le langage des documents. Us disent de la façon
la plus nette, i" qu'il n'y a pas eu, le 24 mai, ombre d'abjuration
canonique ; 2" que le formulaire du procès est une pièce fausse
substituée au formulaire authentique par l'évéque de Beauvais :
deux points que nous allons successivement mettre en pleine lu-
mière.
L'abjuration « prétendue » de Saint Ouen
et le droit canonique.
Pour s'assurer si, le 24 mai. au cimetière de Saint-Ouen, la pri-
sonnière des Anglais avait perpétré une véritable abjuration cano-
nique en matière de foi, il y avait un moyen tout indiqué: il con-
sistait simplement à s'enquérir des lois canoniques qui régissaient
la'matière et, ces lois i-econnues, à rechercher si, dans le cas pré-
sent elles avaient été appliquées, ou si on n'en avait eu nul souci.
Il est surprenant que ni J. Quicherat, ni les historiens de la
Pucelle avant 1900. n'aient songé à une précaution si naturelle.
Au quinzième siècle comme aujourdhui, il y avait dans l'ordre
des choses religieuses des abjurations de plusieurs sortes. Sans
sortir du domaine théologique, il se produisait des cas spéciaux
suivant lesquels on se trouvait en présence d'une législation diffé-
rente. L'abjuration d'un hérétique adulte, rentrant de son plein
gré dans le sein de l'Église, était réglée tout autrement que l'abju-
ration d'un hérétique opiniâtre, jugé par un ti-ibunal ecclésias-
tique : hérétique auquel ses juges imposaient une abjuration en
rapport avec les erreurs dont il s'était rendu coupable.
L'abjuration spéciale dont il était indispensable, dans le cas de
la Pucelle, de rechercher et de déterminer les règles, était « l'abju-
ration publique en cause de foi ».
L'Église, dans sa législation, n'abandonne pas les accusés à l'arbi-
traire des juges. Si elle investit ceux-ci d'une autorité redoutable,
elle leur impose aussi des obligations graves ; elle leur trace une
marche de laquelle il leur est défendu de sécarter; elle leur fixe
des règles sans l'observation desquelles leurs sentences sont de nul
effet; elle entend que, ayant à faire acte de justice, ils ne fassent
pas acte d'iniquité, et que, en paraissant poursuivre le châtiment
du crime, ils ne frappent pas des innocents. Une abjuration exigée
DE LA « PUETENDUE ABJURATION )) DE SAINT-OUEN 42ÎJ
en violation des règles canoniques devient nulle soit en elle-même,
soit dans ses conséquences.
Une chose à remarquer, c'est que, dans la plupart des régies qu'il
prescrit, le droit canonique se rencontre avec le droit naturel : telles
sont les régies relatives à la connaissance et à la liberté néces-
saires en toute abjuration. Kappelons-en les principales.
i^Rèyles à observer, d'après le droil, dans une abjuration canonique.
Daltord, qu'est-ce que le droit canonique entend par « abjura-
tion publique en cause de foi ? »
11 entend par là une rétractation extérieure, solennelle, faite en
présence des juges ecclésiastiques, d'erreurs contraires à la foi ou
à l'unité catholique, apostasie, schisme, hérésie, rétractation suivie
de l'engagement de persévérer en ces sentiments, sous peine d'en-
courir les sanctions déterminées par la loi : le tout, rétractation et
promesse sous la foi du serment.
L'abjuration peut être exigée non seulement des hérétiques for-
mels, mais encore des suspects en fait dhérésie.
Dans les procès en cause de foi, c'est aux juges que, d'après le
Direcloriam Inquisitorum (p. 492, C), il appartient de décider, cum
consilio peritorum in jure, s'il y a lieu d'imposer à l'accusé l'obli-
gation d'abjurer.
Cette obligation est formelle s'il s'agit d'un hérétique l'econnu,
ou d'un accusé véhémentement suspect d'hérésie, et dans ce cas
il convient que l'abjuration soit publique.
L'abjuration décidée, les juges doivent faire « annoncer aux
fidèles, quelques jours à l'avance, dans toutes les églises de la cité,
que, tel jour, à telle heure, à tel endroit, il y aura prédication de
circonstance suivie d'une abjuration solennelle. » [Direct. Inquisi.,
pp. 492, 493.)
Préparation des accusés à Vabjuralion. — Ici, deux obligations
s'imposent aux juges, de droit canonique et de droit naturel. Sui-
vant l'une, ils doivent faire comprendre à l'accusé ce qu'est l'abju-
ration qu'on exige de lui. Suivant l'autre, ils n'exerceront sur lui
aucune pression et respecteront absolument sa liberté.
Le principe de cette double obligation découle de la nature et
des conditions essentielles de l'acte même de l'abjuration qui doit
être un acte humain, accompli en pleine connaissance de cause,
avec pleine spontanéité et pleine liberté. Ut hsereticus legitimam
abjurationem faciat, dit Perraris, requiritur ut spontc id faciat,
426 APPENDICE IV
[Prompta Biblioth. canon, t. I, p. 20.) Mais comment un pareil acte
pourrait-il sponte fieri si l'abjurant ne comprenait pas ce que sera
l'abjuration exigée et l'étendue des engagements qui en seront la
conséquence ? De là, pour les juges, l'obligation rigoureuse de
donner par avance ou de faire donner à labjurant les explications
indispensables. De là, pour la même raison, la défense de mettre
en jeu, vis-à-vis de l'accusé, les causes que théologiens et juristes
estiment attentatoires à la liberté des actes humains, au premier
rang desquelles se montrent le dol, l'ignorance, la violence. Les
aveux mêmes arrachés par la torture ne devenaient valables, de
par le droit; qu'après avoir été renouvelés ou ratifiés, hors de la
torture, l'un des jours suivants, en présence du tribunal. [Direct.
cité, p. 486-488.)
De l'abjuration même. — Au jour fixé pour le prononcé de l'abju-
ration, après le sermon prêché devant les membres du tribunal,
le juge lui-même interpellera l'accusé et lui signifiera qu'ayant erré
ou qu'étant véhémentement suspect d'hérésie, il est sommé d'ac-
cepter et de lire la formule d'abjuration qu'on va lui présenter.
Alors, on placera devant l'abjurant le livre des Evangiles sur
lequel il étendra les mains. S'il sait lire couramment, on lui
remettra l'abjuration écrite et il la lira devant tout le peuple. S'il
ne sait pas lire, un des clercs présents la lira, membre de phrase
par membre de phrase, et l'abjurant redira en langue vulgaire ces
membres de phrase l'un après l'autre jusques à la fin. (Direct..
p. 493, C.)
Dans le texte de l'abjuration, l'on aura soin d'énoncer distinc-
tement les articles de foi au sujet desquels l'abjurant a été l'econnu
coupable ou véhémentement suspect.
Enfin, « un des notaires du tribunal rédigera le procès-verbal de
l'abjuration, et mentionnera de quelle manière tout s'est passé,
faisant observer que si l'abjurant retombait de nouveau dans ses
erreurs, il subirait la peine réservée aux relaps.
« Le procès-verbal rédigé, le juge prononcera la sentence. {Op..
et loc. cit.). »
Telles sont les règles juridiques auxquelles les juges de la Pucelle,
le jour de la « prétendue abjuration », auraient dû se conformer.
L'ont-ils fait ? Sil faut s'en l'apporter au récit officiel et aux dépo-
sitions des témoins oculaires, ces règles ont été ou bien inobservées,
ou bien violées ouvertement: on peut voir dans la scène du cime-
tière de Saint-Ouen tout ce qu'on voudra, hormis une abjuration
canonique.
Pour en fournir la preuve, il n'y a qu'à rappeler les faits.
PnÉTENDUE ABJURATION » DE SAINT-OUEN 427
2"^ Ces règles, au cimetière de Saint-Ouen, n'ont pas été observées.
11 eût fallu d'abord que le cas de l'abjuration de Jeanne fût exa-
miné et décidé à l'avance, cum consilio péritorum in jure, dans une
séance officielle. De cela les procès-verbaux ne disent absolument
rien, et aucun témoignage officieux ne supplée à ce silence. L'évè-
que de Beauvais a pu s'entretenir de ce sujet avec ses conseillers
intimes, les docteurs de Paris par exemple ; mais il ne l'a fait que
de façon clandestine, en opposition avec les règles de l'Eglise.
De plus, l'abjuration aurait dû être annoncée aux fidèles quel-
jours à l'avance. Or. elle fut un 'coup de surprise (et pour les habi-
tants de Rouen) et pour les assesseurs qui, le jour même de la pré-
dication, ne s'attendaient qu'au prononcé de la sentence.
Elle fut surtout un coup de surprise pour la Pucelle qui ne sut
rien par avance, ni même au dernier moment. Les juges auraient
dû lui faire expliquer ce que c'était qu'une abjuration : elle l'ignora
jusqu'à la fm. On aurait dû lui communiquer le texte du formu-
laire, le lui expliquer, lui faire bien comprendre à quoi elle s'obli-
geait, et le sort terrible qui l'attendait si elle violait ces engage-
ments. Jeanne arriva au cimetière de Saint-Ouen sans avoir la
moindre idée de toutes ces choses, et si on eut l'air, au moment
voulu, de lui donner des explications, on les interrompit brutale-
ment, de peur qu'elle ne se rendit compte du piège vers lequel on
la poussait. C'est un point sur lequel les témoins de la réhabilita-
tion s'accordent pleinement. A aucun moment de ce drame Jeanne
ne comprit ni ce que c'était que d'abjurer, ni les conséquences de
l'acte qu'on cherchait à lui extorquer.
« La Pucelle, déposait le notaire Bois-Guillaume, ne comprenait
pas la cédule qu'on lui présentait, et elle ne lui fut pas expliquée. »
[Procès, t. III, p. 164). Elle-même disait au prédicateur Erard :
« Mais je ne sais pas ce que c'est qu'abjui'er. » [Ibid., II, 17).
Ce en quoi lévèque de Beauvais est inexcusable, c'est de n'avoir
pas accordé à sa victime le sursis de trois ou quatre jours et les
explications préalables auxquelles elle avait un droit absolu.)
Au jour fixé pour l'abjuration, s'il y en avait eu un, le juge lui-
même, Pierre Cauchon, aurait dû, en présence du tribunal, som-
mer l'accusée d'abjurer, mais loyalement, en respectant sa liberté
et en répudiant les menaces, violences, promesses, qui l'y eussent
amenée malgré elle. Or, il n'en fut rien. Ce n'est aucun des deux
juges, c'est le prédicateur Guillaume Erard, ce sont les affidés de
428 Al'PENDICE IV
l'évêque de Beauvais, maître Jean Beaupère, Nicolas Loyseleur,
Nicolas Midv qui, le premier brutalement, les autres en multipliant
des promesses auxquelles la Pucelle ajoutera foi, mais qu'on se gar-
dera bien de tenir, finiront par arracher un consentement, sinon
à l'abjuration désirée, du moins à un semblant de rétractation que
l'on fera passer pour une abjuration explicite et tout à fait volon-
taire.
« Tu vas abjurer présentement, dit à l'accusée Guillaume Erard,
•ou tu seras brûlée aujourd'hui même. » [Procès, t. II, p. 17).
0 Faites ce qu'on vous demande, ajoutent Loyseleur et Nicolas
Midy, et vous serez remise entre les mains de l'Eglise ; vous aurez
une femme pour compagne ; vous irez à la messe et y recevrez
votre Sauveur; vous serez hors des fers. » [Procès, t. 111, p. 149;
t. 1, p. 455.
Il eût fallu ensuite obliger Jeanne à prononcer son abjuration
sous la foi du serment, les mains sur les saints Evangiles. Or
aucun texte ne mentionne ni ce serment, ni la présence des Evan-
giles sur l'estrade. Ils sont nommés dans le long formulaire qu'on
lit au procès ; mais il n'en est question nulle part ailleurs. Ce foi*-
mulaire étant une pièce fabriquée après coup, tout ce qu'il contient
est frappé de suspicion, surtout les serments qu'il prête à l'ac-
cusée. ^
Dans l'interrogatoire unique du procès de rechute, l'évêque de
Beauvais disant à la Pucelle qu'elle avait juré, à Saml-Ûuen de ne
plus porter l'habit d'homme, la Pucelle répondit qu'elle n'avait
jamais fait ce serment ni aucun autre ce jour-là. [Procès, t. I, p.
455). Si le formulaire dans lequel il est question des saints Évan-
giles et des serments que Jeanne aurait faits eût été véridique,
l'évêque de Beauvais n'aurait eu qu'à placer ce texte sous les regards
de l'accusée et des assesseurs, pour la convaincre de mensonge. Il
se garda bien de le faire, et pour cause. Gomme Jeanne elle-même,
aucun des témoins de la réhabilitation n'a maintenu que, le 24
mai, l'abjurante ait prononcé de serment d'aucune sorte.
Autre omission des règles du droit : il eût fallu que la cédule
d'abjuration spécifiât les hérésies que Jeanne aurait professées ou
dont elle était véhémentement suspecte. Ni dans la fausse cédule,
ni dans la cédule authentique, on ne trouve point d'hérésie spéci-
fiée, comme propre à l'abjurante.
Il eût fallu, enfin, que séance tenante un des notaires rédigeât
le procès-verbal de l'abjuration, exposât de quelle manière elle
s'était faite et joignit au procès-verbal la cédule authentique. Les
Juges se gardèrent bien de se conformer à celte règle du droit :
DE LA « PRETENDUE ABJURATION » DE SAINT-OUEN 429'
c'eut été le renversement de leurs desseins, la mise au jour de leur
iniquité. Les notaires eurent l'ordre de ne pas instrumenter, cl
aucun document n'atteste qu'ils aient rédigé au temps, au lieu et
dans la forme voulue, un procès-verbal véridique et authentique.
L'évéque de Beauvais se réserva de rédiger en son particulier le
texte dont il avait besoin.
C'est donc un fait incontestable que, au cimetière de Saint-Ouen^
le 24 mai 1431, les juges de Jeanne ont contrevenu aux règles pres-
crites par le droit en matière d'abjuration, et par suite que, de ce
chef, ce qui s'est passé en cette scène capitale est tout autre chose
qu'une véritable abjuration canonique en cause de foi. La même
conclusion va ressortir de l'examen du formulaire que Jeanne a pro-
noncé et signé : le texte de ce formulaire ne saurait davantage
constituer un texte véritable d'abjuration canonique.
111
Que le formulaire inséré au procès n'a été ni accepté, ni signé
par la Pucelle : le formulaire prononcé et signé par elle était
tout différent.
Les propositions que nous avons à établir sont celles-ci :
Le long formulaire qu'on lit au procès n'est point celui que la
Pucelle a prononcé et signé, mais un formulaire fabriqué pour les
besoins de la cause ;
Le formulaire que la Pucelle consentit à signer était tout diffé-
rent et ne contenait rien qui engageât sa responsabilité.
i'' Témoig>uiges établissant la première proposition.
Il s'agit de savoir si la preuve existe que le 24 mai 1431, sur
la place du cimetière de Saint-Ouen, en présence des juges, du car-
dinal d'Angleterre, de plusieurs pi'élats, de nombreux assesseurs et
membres du clergé, d'une foule considérable, la Pucelle eut entre
les mains ou sous les jeux le long formulaire du procès ;
S'il lui en fut donné lecture ;
Si elle consentit à le prononcer et à le signer ;
Si, de fait, elle le prononça à haute voix, phrase par phrase, le&
redisant à la suite de l'appariteur .Jean Massieu qui les lisait avant
elle;
Et si, enûn, elle le signa de son nom : Jehanne, ou autrement.
En faveur de la réponse affirmative on ne peut alléguer qu'une
430 APPENDICE IV
seule autorité, qu'une seule parole, l'autorité, la parole de l'évêque
de Beauvais.
En faveur de la réponse négative on invoque cinq témoins qui,
dans un langage des plus catégoriques, rapportent ce qu'ils ont vu
et entendu, et déclarent unanimement que les assertions ci-dessus
sont absolument contraires à la vérité.
Que vaut ici l'autorité, la parole de l'évêque de Beauvais ? Fût-
il le plus honnête des juges, elle ne vaudrait rien parce que nul
n'est juge en sa propre cause, et (ju'il est le seul à produire sans
preuve aucune ces affirmations. Or Pierre Cauchon reste, non le
plus honnête, mais le plus suspect des juges, sa parole est de celles
qui de plein droit excluent toute confiance.
Quand nous disons que l'évêque de Beauvais est le seul qui cer-
tifle l'authencité du long formulaire et les faits ci-dessus, nous
disons une chose dont il est aisé de fournir la preuve. Cent qua-
rante quatre dépositions furent recueillies aux enquêtes de la
revision. Qu'on cherche, parmi ces dépositions, un seul texte dans
lequel le déposant atteste avoir vu au jour de l'abjuration, le long
formulaire dans les mains de Massieu ou de Jeanne, l'avoir ouï
prononcer dans toute sa longueur, ce texte on ne le découvrira pas;
et de texte équivalent, dans les chroniques ou pièces de l'époque
on ne le découvrira pas davantage.
Ce que, par exemple, on trouvera dans les enquêtes de la revi-
sion, c'est la preuve positive de la fausseté du formulaire en ques-
tion. Au cours de ces enquêtes, les délégués du Saint-Siège man-
dèrent à leur tribunal cinq des témoins encore vivants qui, le 24
mai 1431, s'étaient trouvés près delà Pucelleau moment de la rétrac-
tation ; les uns sur l'échafaud même de Jeanne, à ses côtés, les
autres à proximité, de manière à tout voir et entendre. Ces cinq
témoins étaient :
Maître Guillaume Delacharabre. un des médecins qui avaient soi-
gné la Pucelle pendant sa maladie ;
Nicolas ïaquel, un des notaires du procès ;
Pierre Migiet, bénédictin, prieur de Longueville-tiiffard ;
Jean Monnet, chanoine de Paris ;
Jean Massieu, prêtre, exécuteur des commandements du tribu-
nal.
Or, ces cinq témoins firent, sous la foi du serment, des déposi-
tions qui dénoncent l'inauthenticité du formulaire dont se réclame
l'évêque P. Cauchon, et démentent les faits qu'il avance ou sup-
pose dans le récit du procès. En voici la teneur :
Déposition de mailre G. Delachambre: « Ce que Jeanne prononça
DE LK « PRETENDUE ABJURATION )) DE SAINTOUEN 431
c'était le contenu d'une petite cédule de six ou sept lignes, sur une
feuille de papier double : j'étais si près, que je pouvais aisément
voir ces lignes et leur disposition. » {Procès, lll, 52).
Nicolas Taquel : « J 'étais au cimetière de Saint-Ouen lors de la
première prédication, mais je n'étais pas avec les autres notaires
sur l'estrade; j'étais cependant assez proche pour voir et entendre
ce qui se faisait et se disait. Je me souviens d'avoir vu ladite
Jeanne lorsque la cédule d'abjuration lui fut lue : celui qui la lut
fut messire Jean Massieu ; elle contenait environ six lignes de grosse
écriture. Et ladite Jeanne la répétait après Massieu. La cédule d'ab-
juration était en français et commençait ainsi : Je, Jehanne, etc. »
[Ibid., 197).
Pierre Migiet, prieur de Longueville-Giffard. « Quant au fait de
l'abjuration, il dura à peu près ce que dure un Pater noster. » {Ibid.
132).
Jean Monnet, chanoine de Paris, en 1431 au service de Jean
Beaupére. « Moi qui parle j'ai vu la cédule de l'abjuration et il me
semble que c'était une petite cédule de six ou sept lignes. » [Ibid. 65).
La déposition la plus caractéristique est celle du prêtre Jean
Massieu, l'huissier ou appariteur du procès.
Il était en effet sur léchafaud de la Pucelle et à ses côtés.
C'est entre ses mains que le prédicateur, maître Erard, remit la
cédule contenant le texte de l'abjuration exigée de Jeanne d'Arc.
C'est lui qui fut chargé par ledit Erard de la lui expliquer ;
Lui qui, quelques instants après, reçut l'ordre de ne pas continuer ;
Lui qui lut ce texte à haute voix, membre de phrase par mem-
bre de phrase, Jeanne l'edisant les mêmes paroles après lui ;
C'est lui enfm qui, pour qu'elle signât, remit à l'abjurante une
plume avec laquelle elle fil une croix. » [Procès, 11, 17.)
Eh bien, ce personnage s'exprima ainsi au sujet de la cédule de
l'abjuration et de l'abjuration elle-même. « Je sais bien que la dite
cédule contenait environ huit lignes, pas davantage. Ce dont je
suis absolument sûr, c'est que la cédule prononcée par la Pucelle
n'était pas celle dont il est fait mention au procès. Celle dont je
donnai lecture était toute différente de celle qui a été insérée au
procès, et c'est celle-là que Jeanne signa. Et j'ai bonne souve-
nance que dans cette cédule il était spécifié que l'abjurante ne por-
terait pas d'armes, ni l'habit d'homme, ni les cheveux rasés et plu-
sieurs autres choses dont je ne me souviens plus, u {Procès, 111, 156).
N'eùt-on à opposer à la parole de l'évêque de Beauvais que les
déclarations de Jean Massieu. elles suffiraient pour la frapper d'une
incurable suspicion. Quatre autres témoins confirmant ces déclara-
432 APPENDICE IV
lions, ce n'est plus seulement un doute positif qui surgit, cest une
certitude qui dépouille le formulaire inséré au procès de toute om-
bre d'authenticité.
2^ Preuves complémentaires.
L'évèque de Beauvais affirme dans son récit du drame de Saint-
Ouen que le formulaire d'abjuration prononcé par Jeanne est bien
celui qu'il présente « en la forme qui suit », c'est-à-dire le texte
d'environ cinquante lignes en caractères menus que nous lisons au
procès, Ur qui songerait à soutenir que l'on doit identifler cette
longue pièce avec la cédule de six, sept, huit lignes au plus que les
cinq témoins sus-nommés affirment, sous la foi du serment, avoir
eue sous les jeux ? De huit lignes à cinquante la différence est trop
grande pour qu'il puisse j avoir confusion ou erreur.
Différente par sa brièveté du formulaire du procès, la cédule de
six à huit lignes ne l'était pas moins quant au fond même et aux
choses qui y étaient énoncées. Sur ce point le témoignage de Jean
Massieuest capital. Ajant eu la cédule authentique entre ses mains,
l'ayant lue tout entière, ayant commencé à l'expliquer à laPucelle,
l'ayant enfin prononcée à hautevoix, membre de phrase par mem-
bre de phrase, il faut s'incliner devant ce témoignage catégorique :
« Je suis absolument sûr que la cédule prononcée par la Pucelle
n'était pas celle dont il est fait mention au procès; elle en différait
totalement ». [Loco. cit.)
A l'appui de cette conclusion se présente l'impossibilité d'admet-
tre que Massieu ait donné hautement lecture du formulaire de cin-
quante lignes, ainsi que le prétend l'évèque de beauvais dans son
récit de l'abjuration. Ce n'est pas quelques minutes qu'eut exigée
cette lecture, avec la part que devait y prendre l'abjurante, mais
une grosse demi-heure au moins; ce qui ne pouvait passer inaperçu.
Or aucun des témoins qui déposèrent sur le sujet du procès de con-
damnation — et il y en a eu plus de trente — n'a noté le fait et ne
l'a opposé à la déposition rapportée ci-dessus : à savoir qae « le pro-
noncé de l'abjuration dura ce que dure la récitation d'un Pater
aoster. »
Nous ne nous étendrons pas à propos des questions subsidiaires
que soulève le problème historique de la « prétendue abjuration de
Saint-Ouen. » Rappelons seulement que l'évèque de Beauvais fil
préparera l'avance deux cédules, l'une longue, celle du procès, dont
le chanoine Nicolas de Venderès fut le rédacteur, l'autre courte et
anodine, de six à huit lignes, laissant au prédicateur Erard le soin
d"exhil)er celle qui aurait le plus de chance de n'être pas repoussée.
DE LA « PRETENDUE ABJURATION » DE SAINT-OUEN 433
Circonstance non moins frappante, le secrétaire du roi d'Angle-
terre, Laurent Calot, profita du trouble qui se produisit pour mon-
ter sur l'échafaud de Jeanne, lui prendre la main et lui faire apposer
au bas d'une feuille écrite une sorte de signature. [Procès, III, 123).
Que contenait cette feuille ? Sans doute le long formulaire que
L. Calot s'empressa de faire parvenir à l'évêque de Beauvais quand
tout fut fini. Ei'ard, de son côté, lui remit la cédule de huit lignes
au bas de laquelle Jeanne avait tracé une croix. L'évêque détruisit
la cédule authentique, afin qu'on ne pût pas la lui opposer, et il fit
insérer au procès la fausse cédule qu'aucun témoin pourtant na
déclaré avoir vue, pas plus que le nom de « Jehanne » qui, daprès
le prélat, y figurait comme signature.
Ce n'est pas le seul moyen que P. Cauchon ait pris pour accré-
diter l'opinion que la Pucelle avait signé le long formulaire et con-
fessé les crimes qui y sonténumérés. Nous verrons dans les appen-
dices suivants, les interpolations que, à la faveur de la traduction
du procès français en latin, Thomas de Courcelles pratiqua dans
l'unique interrogatoire du procès de rechute, pour qu'on ne doutât
pas des aveux de la relapse ; et puis de quelle manière Pierre Cau-
chon accueillit la requête de l'abbé de Fécamp, réclamant que lec-
ture fût donnée à Jeanne du formulaire de cinquante lignes qu'elle
passait pour avoir accepté et signé.
L'exposé ci-dessus des faits suffit pour mettre en lumière toute la
portée des termes dans lesquels 'les juges de 1456 flétrissent la
scène du cimetière de Saint-Ouen. « Vu, quant à la matière dudit
procès, une certaine abjuration prétendue, entachée de fausseté et de
dol, extorquée par violence et par crainte, en présence du bourreau
et sous la menace du bûcher, sans que ladite défunte l'ait aucune-
ment prévue et comprise... » {Procès, III, 360.)
La pièce « prétendue, entachée de fausselé et de dol, » c'est le
formulaire que Pierre Cauchon a fait insérer au procès.
L'acte « extorqué par violence et par crainte, sans que Jeanne
l'eût aucunement prévu et compris », c'est le prononcé et la signa-
ture de la cédule de huit lignes, qui ne lui fut pas expliquée et
qu'on l'obligea de signer, sous peine d'être livrée sur le champ au
bourreau, et qu'elle signa, non de son nom « Jehanne », mais,
comme l'ont certifié l'huissier J. Massieu et le notaire Colles [Pro-
cès, III, 164), simplement d'une croix ^.
1. Le notaire Colles dit : « Magno tempore recusavit illam schedulam
abjurationis signare, et tandem compulsa, pree timoré signavit et fecit
quamdara crucem. »
La Pucelle savait-elle signer en ce temps-là"/ M. de Maleissye l'assu-
28
434 APPENDICE IV
D'un côté, il n'y a pas eu de véritable abjuration canonique telle
que l'Kglise l'entend, abjuration prévue, comprise, consentie libre-
ment par l'abjurante. De l'autre, ce qui a été arraché à la Pucelle.
l'ayant été par dol, violence et menaces, est nul de plein droit, et la
cédule obtenue le serait elle-même si elle eût contenu quelque arti-
cle dont, en temps ordinaire, on eût pu se prévaloir contre elle.
Mais cela même ne se produisit pas, et il résulte du langage des
témoins de la réhabilitation, amis et ennemis, amis comme Jean
Massieu. Guillaume Manchon, Nicolas Taquel etc., ennemis comme
Jean Beaupére, Thomas de Courcelles, Nicolas Caval et autres afli-
dés de Pierre Cauchon, qu'on n'a pu relever dans la cédule authen-
Ihique aucun engagement qui supposât la perpétration d'un acte
condamné par l'Eglise. (Voir pour plus de détails nolvii Etude criti-
que sur l'abjuration, chapitre v ; in-S"», Paris 1903.)
En définitive, l'acte de la Pucelle au cimetière de Saint-Ouen, se
réduit à « un acte de soumission à l'Eglise simplicitev, ainsi que
l'établissait la Dissertation présentée par les avocats de la cause en
novembre 1902 aux consulteurs delà sacrée Congrégation des Rites.
Ainsi entendue, ladite rétractation, loin d'être entachée de faiblesse,
constituait « un acte de haute vertu, un acte héroïque de prudence,
de sagesse, de justice, de force morale, de patriotisme et de foi. »
[Mémoire des avocats, p. 190 : Rome, imprimerie de la Propagande,
in-4^ 1901.)
•
IV
A quelle date la lumière a été faite sur le problème
de l'abjuration.
Nous ne finirons pas cet Appendice sans dire à quelle date et de
quelle manière la lumière a été faite, au cours du procès de béati-
fication, sur le problème qui nous occupe.
C'est le 17 novembre de l'année 1901 que les Révérends Consul-
rait dans une brochure récente. Mais savait-elle signer couramment...'?
Nous ne le pensons pas, et à, ce moment, terrifiée, bouleversée comme
elle l'était, ses nerfs surexcités rendaient sa main incapable de tracer
les lettres de son nom.
Ne sachant pas d'ailleurs signer couramment, et ne le pouvant qu'a-
vec beaucoup de calme et d'application, Jeanne était véridique et sin-
cère quand elle disait alors à J. Massieu qu' « elle ne savait pas signer ».
{Procès, HII. 331.) Voilà pourquoi, au lieu d'écrire son nom au bas de la
cédule qu'on lui avait lue, elle signa en formant une croi.x : signature
e.Ktorquéc sans nul doute, mais tracée sérieusement et faisant foi.
DE LA « PRETENDUE ABJURATION » DE SAINT-ODEN 435
leurs de la sacrée Congrégation des Rites furent appelés à exami-
ner en séance ciricielie les conclusions présentées sur la « préten-
due » abjuration de Sainl-Ouen. par les avocats de la cause, d'après
une Dissertation canonique et documentaire qu'un récent historien
de Jeanne d'Arc. M. le chanoine D..., théologal du chapitre métro-
politain de Toulouse, venait de composer à la prière de l'évéque
d'Orléans Ms' Touchet, et qu'avait agréée le cardinal ponent.
Me' Parocchi.
Ces conclusions, fondées tout ensemble sur le droit canonique et
sur la discussion des textes, furent en la séance de novembre 1901
l'objet d'un vote favorable. Reprises les années suivantes 1902, 1903
dans les séances préparatoires du tribunal, cette faveur ne fit que
grandir et, le 6 janvier 1904, le souverain Pontife Pie X en consacra
pour ainsi dire la valeur historique par son décret sur l'héroïcité
des vertus de la Vénérable servante de Dieu.
Au point de vue chronologique, c'est donc en 1901 que parut à
la librairie Poussielgue, à Paris, et que fut soumise à l'examen
des RR. Consulteurs romains la première Étude critique dont l'au-
teur, prenant à partie la quasi unanimité des historiens soit catho-
liques, soit rationalistes, établissait d'après les textes qu'il n'y
avait jamais eu d'abjuration canonique de la Pucelle au cimetière
de SaintOuen le 24 mai 1431. et que le long formulaire inséré au
procès, fabriqué par l'évéque de Beauvais pour les besoins de la
.cause, constituait un faux en écriture publique.
En 1902, le Bulletin critique, dirigé par Ms' Baudrillart et autres
savants ecclésiastiques, annonçait dans le numéro du 15 mars que
le problème de l'abjuration de la Pucelle à Saint-Ouen venait enfin
d'être résolu par un historien français ; que cet historien n'avait
pas reculé devant la difficulté de la tâche; « qu'il l'avait remplie
avec une conscience, une puissance d'investigations, une précision
de détails, une sûreté de conclusions qui avaient vivement frappé
le monde religieux comme le monde savant. » {Bulletin cité).
En avril de cette même année 1902, au Congrès des sociétés
savantes à Paris, M. le Chan. Ulysse Chevalier, correspondant de
l'Institut, donnait lecture d'un mémoire sur l'abjuration du 24 mai
1431, qu'il avait préparé, reconnaissait-il loyalement, à la demande
de yi. D. lui-même, et dans lequel il aboutissait, pour les points
essentiels, aux mômes conclusions.
M. U. Chevalier apportait un concours précieux à M. D., mais
il n'arrivait qu'après lui sur le lieu du combat, et il en convenait
de très bonne grâce.
A la section du Congrès qui entendit la lecture du mémoire du
436 APPENDICE IV
correspondant de l'Institut, aucune objection ne fut soulevée con-
tre la solution proposée. Si on ne peut dire qu'elle ait été ap-
prouvée elle ne fut pas combattue.
En revanche, il est une haute approbation dont elle peut se récla-
mer au point de vue religieux et catholique, cest l'approbation de
la première autorité morale du monde, du souverain Pontife, chef
de l'Église universelle.
A la date du 0 janvier 11)04-. sa grande parole annonçait au
monde que l'héroïsme de Jeanne était inattaquable, qu'on ne saurait
par conséquent avoir d'abjuration à lui reprocher.
Nous estimons utile de rappeler les faits qui placent au-dessus
de toute discussion ce point d'histoire critique et littéraire, parce
qu'une parole épiscopale a été écrite qui, prise au sérieux, et tout
éclaircissement faisant défaut, est de nature à induire en erreur
et à donner le change.
Dans une lettre-préface adressée à Tauteur d'une Histoire de la
Bienheureuse, parue seulement en 1905. un évéque a félicité cet
auteur d'avoir en son histoire « résolu le problème de l'abjura-
tion ».
A la date de 1905, ce problème n'était plus à résoudre. L'année
précédente, Pie X avait proclamé qu'il était résolu.
Et si un témoignage récent pouvait, étant données l'impartialité
et la compétence du témoin, dissiper toute difficulté, le comte de
Maleissye, dans une étude sur l'abjuration publiée en 1911, nous
dira :
« A toute tentative future de canonisation, l'évéque de Beauvais
avait dressé un obstacle insurmontable par le seul fait de la pré-
sence au procès de l'abominable cédule qu'on y voit, comme pièce
soi-disant officielle et authentique. Ce ne fut qu'en 1901 qu'une
étude critique de M. l'abbé Dunand établit la thèse jugée néces-
saire par le cardinal Parocchi. » {Etude citée, p. 105-106.) C'est
donc en 1901, non en 1905, que le problème aurait été résolu.
Témoignage non moins décisif: le cardinal Parocchi lui-même
écrivait de Rome, le 12 juillet 1901, à M. le chan. Dunand, une
lettre dans laquelle, à propos de son étude sur L'abjuration de
Jeanne d'Arc, il le remerciait « du zèle déployé à défendre la noble
héroïne », et il l'en félicitait « de tout cœur ».
Les critiques futurs auront à choisir entre les remerciments
motivés du cardinal Parocchi, et les félicitations équivoques adres-
sées à un historien de 1905. Ces félicitations ne changeront pas la
date de la solution du problème.
DE LA « PRETENDUE ABJURATION » DE SAINT-OUEN 437
Deux observations.
1^ 11 n'eût pas été inutile de traiter, en deux Appendices spéciaux, le
sujet du guetapens de la prison qui fournit à l'évêque de Beauvais
le prétendu cas du relaps, et la question de lauthenticité de l'Infor-
mation posthume. L'espace faisant défaut, nous nous permettrons
de renvoyer le lecteur à ce que nous avons dit du premier point en
notre Histoire complète de la Pucelle, et du second dans la 2^ série
de nos Études critiques, pages 523-603, in-8'', Paris 1903, Ch. Pous-
sielgue éditeur.
2° Ne pouvant reproduire la communication faite par M. Noël
Valois â l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dans la
séance du 28 novembre 1906, d'un nouveau témoignage siu" Jeanne
d'Arc, nous ne la passerons pas toutefois sous silence. 11 s'agit de la
Réponse d'un clerc parisien à Vapologie de l'héroïne par Gerson ;
réponse consignée dans le manuscrit 4701 de la Bibliothèque impé-
riale de Vienne. L'auteur était un décrétiste, suppôt de l'Univer-
sité de Paris. Ce factum a été sûrement composé du vivant de la
Pucelle, après l'échec de Paris et avant la sortie de Compiègne très
probablement. C'est une véritable accusation d'hérésie contre
Jeanne, appuyée sur six chefs : le port de l'habit d'homme ; —
l'influence belliqueuse; — l'inobservance des fêtes de l'Église; —
des prédictions mensongères ; — des faits d'idolâtrie ; — l'habi-
tude des sortilèges.
Entre autres fausses prédictions reprochées à Jeanne, il est ques-
tion d'une guerre avant le sacre, que Charles aurait dû avoir avec
d'autres princes. De ces six chefs d'accusation, le clerc parisien
conclut que Jeanne n'était pas envoyée de Dieu.
Voir le texte du document et les réflexions de M. N. Valois dans
le Bulletin de la Société de l'Histoire de France, année 1906, pages
461-179.
APPENDICE V
DES ALTÉRATIONS DÉGOUVKRTES DANS LK TKXTE LATIN
DU DERNIER INTERROGATOIRE
Pour que le plan arrêté par l'évêque de Beauvais pût aboutir, ce
nélait pas assez de faire accroire aux assesseurs et de répandre
l'opinion que la Piicelle avait abjuré canoniquement, accepté et
signé le long formulaire ; il fallait de plus provoquer le fait d'un
relaps apparent, ouvrir un procès de rechute, et durant ce procès,
si coui't fût-il, écarter toute circonstance qui pût occasionnellement
faire éclater la vérité.
L'évêque de Beauvais n'y manqua pas.
Un guet-apens, dénoncé par Jeanne elle-même à Jean Massieu et
à frère Martin Ladvenu, la nécessité de défendre son honneur quelle
invoqua, d'après Guillaume Manchon, dans le dernier interroga-
toire, obligea la prisonnière à reprendre et à garder Ihabit
d'homme: fait qualifié de relaps par les juges.
L'engagement qu'ils lui prêtent de ne plus parler de ses révéla-
tions, et que d'après eux, elle aurait violé, quoique l'ayant pris
sous la foi du seriuenl — chose contraire à la vérité ; — fournit un
second cas de relaps. Dés que les deux eurent été constatés officiel-
lement, le procès de rechute fut ouvert, et l'évêque de Beauvais
n'eut plus qu'à prendre les moyens indispensables pour empêcher
que la lumière éclatât et que la trame de ses desseins iniques fût
découverte.
Quels étaient ces moyens ? L'étude attentive du procès verbal du
dernier interrogatoire et de la dernière séance de la cause va nous
le dire.
Elle nous montrera, d'un côté cinq altérations de textes prati-
quées par Thomas de Courcelles dans la traduction de la minute
française du dernier interrogatoire ; de l'autre l'évêque de Beauvais
refusant défaire donner lecture à la pi'étendue relapse, en présence
des assesseurs qui la réclament, du formulaire qu'elle passait pour
avoir accepté, prononcé et signé : cela, afin que Jeanne ne pût
ALTÉRATIONS PRATIQUEES DANS LE TEXTE DU PROCÈS 439
prolester et, par ses protestations, mettre au grand jour la scélé-
ratesse de son juge.
DU DERiMEU INTERROGATOIRE ET DES ALTERATIONS QUE LE TRA-
DUCTEUR A PRATIQUÉES DANS LA MINUTE FRANÇAISE
C'est un fait avéré que l'original du procès de 1431 était en fran-
çais et qu'il fut traduit en latin par Thomas de Courcelles assez
longtemps après la mort de la Pucellc.
C'est un fait non moins certain que le manuscrit de DUrfé nous a
conservé une partie delà minute française, et spécialement celle de
l'interrogatoire du 28 mai.
C'est un fait dont nous allons donner la preuve que Thomas de
Courcelles n'a point hésité à pratiquer cinq altérations graves dans
la traduction latine, afin que le lecteur demeurât persuadé que la
Pucelle avait abjuré canoniquement et renié ses révélations, le tout
sous la foi du serment en présence du tribunal et du peuple.
Ces altérations avaient échappé aux historiens, aux critiques et aux
paléographes. Nos recherches sur la question nous ayant amené à
confronter phrase par phrase, ligne par ligne, le français de la minute
originale et la traduction latine correspondante, nous nous trou-
vâmes en présence des altérations que nous soumettons au lecteur.
Elles ne portent pas sans doute sur des pages entières ; il ne s'agit que
de mots et de membres de phrase. Mais dans un tel sujet, il ne faut
pas oublier que les mots ont une importance capitale. Ils expriment
des réalités desquelles dépendent la vie ou la mort, l'honneur ou
l'infamie d'une jeune fille, d'une Française. Ne sortons pas de ce
point de vue, si nous tenons à raisonner sainement en cette matière.
I
Première altération de la minute française
C'est une altération par suppression d'un membre de phrase.
Minute française. — « Interrogée si elle avait abjuré, et mes-
mement de celui habit non reprendre, répond qu'elle aimait mieux
mourir que d'estre aux fers. Mais que si on veut la laisser aller à la
messe, et oster hors des fers, et mettre en prison gracieuse, et
qu'elle eust une femme, elle sera bonne et fera ce que l'Eglise vou-
dra. » [Procès, t. I, 4-55-458.)
Thomas de Courcelles a supprimé dans sa traduction les mots
440 APPENDICE V
soulignés : et qu'elle eust une femme. Pourquoi cette suppression ?
Parce que les mots supprimés mentionnaient une chose qui lui
avait été promise, aussi bien que les trois autres dont il est ques-
tion. Telle était l'importance de cette promesse que. si les juges
ne l'eussent pas violée, Jeanne n'eût pas été mise par ses geô-
liers dans la nécessité de reprendre l'habit d'homme, et le fait
matériel du prétendu relaps n'eut pas été posé. Henri Martin ne
s'est pas mépris en ce point. « 11 n'y a rien, dit-il, de plus terrible
contre Courcelles. » [Histoire de France, t. VI, 291, note 3,
Paris 1857.)
II
Deuxième altération de la minute française
Celle-ci consiste dans une interpolation de trois lignes ajoutées
à la traduction latine .
La minute française est d'une ligne et demie.
« Interrogée si, depuis jeudi, elle na point eu ses Voix, respond
que oui. »
Sur cette ligne et demie, Courcelles improvise une traduction de
cinq lignes. ''
« Item, quia ab aliquibus, nos judices, audieramus, quod illusio-
nibus suarum revelationum prœtensarum, quibus ante renunliaverat,
adhuc inhxrebat, interrogavimus an, depost diem Jovis, ipsa
audiverat voces sanctarum Katharinae et Margaretœ. Respondit
quod sic. » [Op. et loc. ait).
Latin dont voici le sens : « Item, parce que nous juges avions oui
dire à quelques personnes que ladite Jeanne persistait encore à rester
attachée aux illusions de ses révélations prétendues, auxquelles elle
avait récemment renoncé, nous lui avons demandé si, depuis jeudi
elle avait entendu les voix des saintes Catherine et Marguerite. Elle
a répondu que oui. »
Pas besoin d'être grand clerc pour saisir le but de celte interpo-
lation de trois lignes. Elle donne comme acquis aux débats trois faits
d'ailleurs absolument faux :
1° Que les révélations de la prisonnière n'étaient, même pour elle,
que des illusions coupables ;
2*^' Qu'elle l'avait reconnu et qu'elle avait renoncé avec serment
à le soutenir au jour de son abjuration ;
3'^ Qu'elle violait son serment en y revenant de nouveau, posant
ainsi le cas du relaps ;
Qui pourrait méconnaître l'importance capitale de ce faux de
i
ALTÉRATIONS PRATIQUÉES DANS LE TEXTE DU PROCÈS 441
trois lignes ? l'évêque de Beauvais a trouvé la moyen d'y faire
entrer sa thèse tout entière.
Ill
Troisième altération encore par interpolation
A la page 456 de Quicherat, Procès, t. 1, on lit dans la minute fran-
çaise : « liem, dit (Jeanne) que de peur du feu elle a dit ce qu'elle
a dit. »
Réponse prudente, de laquelle on ne peut rien inférer contre la
jeune fille.
Cette prudence n'est pas du goût de Courcelles : il préfère une
réponse compromettante et la rend telle, moyennant l'altération
que voici :
« De même, elle dit que tout ce quelle a dit et rétracté, le jour
du jeudi, elle l'a fait uniquement et dit par peur du feu. — Item,
dixit quod quœcumque dixit et revocavit, 4psa die jovis, hoc soUun
fecit et dixit prx timoré ignis. »
Jeanne n'a point parlé de « rétractation ». Le docteur de Paris le
lui fait dire le contraire ; et, pour qu'il n'y ait pas de méprise pos-
sible, il lui fait préciser le jour où la rétractation a eu lieu, « le jour
du jeudi ».
Jeanne ne parle que de « ce qu'elle a dit », sans spécifier quoi
que ce soit. Courcelles la fait parler « de ce qu'elle a dit et fait ».
Ce quelle a fait, d'après ce qu'il veut qu'on entende, c'est l'abju-
ration, la rétractation du jeudi précédent exprimée dans le formu-
laire de cinquante lignes.
N'est-ce pas chose souverainement inique, chose indigne mora-
lement, que de prêter à une accusée de faux aveux dont on usera
comme s'ils étaient vrais "?
IV
Quatrième interpolation de la minute française.
Même page 456 du procès, tout au bas, la minute française s'ex-
prime ainsi : « Et quant à ce qui lui fut dit, que en l'eschaffault
avoit dit que mensongneusement elle s'estoit vantée que c'estoient
saintes Catherine et Marguerite : Respond qu'elle ne l'entendoit
point ainsi faire ou dire. »
Voulant dire par là qu elle n'entendait ni mentir ni se vanter de
ses révélations, mais en affirmer simplement la vérité. En outre,
442 APPENDICE V
le mot « abjuration » n'esl pas même prononcé, et il n'y a pas une
ombre d'allusion au drame de Saint-Ouen.
Ce texte de la minute IVanraise, Thomas de (lourcelles dans sa
traduction latine le déforme ainsi :
« Tune fuit ei dictuni quod ipsa dixeral in scafuldo seu ambone,
coram nobis judicibus, et aliis, et coram populo, quando fecit abju-
rationem, quod mendose se jactaverat quod illaft voces erant sanc-
tse Catliarina et Margarota. Kespondit quod ipsa non intelligebat
sic facere vel dicere. »
Traduction de ce latin : « Alors on lui représenta qu'elle avait dit
sur son échafaud ou ambon, devant nous les juges, et les autres,
et devant le peuple, quand elle fit son abjuration, qu'elle s'était van-
tée mensongèrement que ses voix étaient saintes Catherine et Mar-
guerite. »
Mots ajoutés à la minute française : « ...devant nous les juges, et
les autres, et devant le peuple, quand elle fit son abjuration... »
La voilà donc toujours mentionnée faussement cette abjuration
à laquelle l'évêque P. Cauchon el son confident Thomas de Cour-
celles ont absolument besoin que les assesseurs de la cause et le
bon public croient. Grâce à ces interpolations, le lecteur non averti
estimera que les choses se sont passées comme le rapporte la traduc-
tion latine, et que l'abjuration dont on y parle est une chose au-
dessus detoute discussion. Il en a été ainsi quelque temps. Mais
ici-bas toutes choses, même l'iniquité, même l'imposture ont une
fin.
Cinquième altération de la minute française.
La gravité de cette cinquième altération est exceptionnelle. Le
texte qu'elle concerne est tout à la fin de l'interrogatoire (p. 458).
Les questions posées à la prisonnière des Anglais lui fournissent
l'occasion de revenir sur la fausse accusation des juges concernant
le reniement de ses apparitions et révélations.
« Jeanne répète qu'elle n'a point entendu révoquer ses appari-
tions, et que ce fussent sainte Catherine et Marguerite.
« Elle ne fit jamais chose contre Dieu et contre la foi, quelque
chose qu'on lui ait prescrit de révoquer. »
Mettant sa pensée dans un plus grand jour, elle ajoute « quelle
dit en Vheure, c'est-à-dire au moment même de la rétractation
qu'on lui arrachait, qu'elle n'entendait révoquer quoi que ce fût,
sinon pourvu que cela plût à Dieu. » [Procès, I, 456.)
ALTERATIONS PRATIQUEES DANS LE TEXTE DU PROCÈS 44J
Déclaration du plus haut prix, car elle faisait de la rétractation
de la jeune fille, quelle qu'elle fût, qu'elle en comprit quelque
chose ou qu'elle n'en comprit rien, un acte purement conditionnel,
exempt de toute culpabilité soit grave, soit légère, puisqu'il ex-
cluait tout ce qui pouvait être en opposition avec la volonté de
Dieu. Une condition semblable, stipulée en présence du prédica-
teur Guillaume Krard, du prêtre Jean Massieu, huissier du procès,
des trois notaires-greniers, et des assesseurs qui étaient proches de
l'échaufaud dégageait Jeanne de toute responsabilité quant aux
articles de la cédule qu'elle n'entendait pas. Sa prétendue rétracta-
lion devenait l'acte du monde le plus inoffensif, et c'était se mo-
quer des théologiens, des juristes et du public, que de venir après
cela parler d'abjuration canonique et de relaps. D'autant plus que
Jeanne n'avait rien avancé, ni pris aucun engagement sous la foi
du serment. A Pierre Cauchon qui le lui reprochait, elle opposa
une dénégation que les témoins de la revision et le texte du pro-
cès ne firent que confirmer.
Thomas de Courcelles ne se fit pas illusion sur cet ensemble de
circonstances et sur la portée de ces mots : « Elle dit qu'elle dit en
l'heure, etc., » et celle de la condition mise par la Pucelle à sa
rétractation. Les mots gênants n'eurent pas Ihonneur d'être tra-
duits. Il mit perfidement : « Item, dixit quod ipsa non intendebat
aliquid revocare, nisi proviso quod hoc placeret Deo. Au fait sensi-
ble, attesté par des témoins oculaires, affirmé expressément par la
jeune fille qui l'avait posé, il substitue une intention, phénomène
purement psychologique, impossible à constater, et insuffisant par
lui seul à dépouiller la rétractation de toute interprétation dange-
reuse et de toute culpabilité. C'est à un double faux que le docteur
de Paris nhésite pas à recourir : à un faux par suppression, Jeanne
ne pouvant plus bénéficier de sa protestation : « Et elle dit quelle
dit en l'heure : » et à un faux par substitution, la traduction latine
étant impuissante à remplacer le texte supprimé.
Que" fût-il advenu si la minute française de cet interrogatoire
neùt pas été providentiellement retrouvée ? Il eût été malaisé aux
historiens de répiandre sur ce point une lumière suffisante. En tout
cas, il n'a pas tenu à l'évêque de Beauvais et à Thomas de Cour-
celles, que par leurs suppressions des textes et interpolations, ils
n'aient rejeté la Libératrice du pays dans la foule des hérétiques
opiniâtres, des aventuriers et des relaps.
APPENDICE VI
pu PROCKS DE RECHUTE ET DE LA DERNIÈRE DÉLIBÉRATION
Le procès de rechute nécessaire à l'évéque de Beauvais pour livrer
la Pucelle au bûcher est un procès qui pêche par la base, attendu
que du côté de Jeanne il n'}' avait pas eu de chute : la chute n'exis-
tant pas, la rechute devenait impossible.
La chute ne s'était pas produite, car l'accusée ne s'était rendue
coupable d'aucune hérésie, d'aucune pratique assimilée aux erreurs
contre la foi, la preuve n'en avait pas été faite, et la cédule qu'elle
avait souscrite le 24 mai était une cédule sans conséquence, n'ayant
l'ien de commun avec une abjuration en matière de foi.
D'un autre côté, les faits qualifiés de rechute ne méritaient aucu-
nement cette qualification. La reprise de Ihabit d'homme n'impli-
quait aucune erreur dans la foi. et Jeanne ne s'était pas engagée
par serment à ne pas le reprendre. Elle n'avait pa» davantage
renié ses révélations, ni juré de ne plus les soutenir. L'étude de la
dernière délibération va confirmer ces observations et, de plus,
elle va nous apprendre deux choses :
i° Que l'évéque de Beauvais refusa de faire lire à la Pucelle en
présence des assesseurs le long formulaire du procès, de peur que
sa fourberie et son iniquité ne fussent démasquées ;
"2° Qu'il est faux que « le lendemain du 28 mai, comme l'aflir-
ment l'Histoire de France de M. Lavisse et bon nombre d'historiens,
une assemblée de docteurs ait déclaré que Jeanne, hérétique relapse,
devait être livrée au bras séculier. » {Op. cit., t. IV, p. 09 ; Paris,
Hachette, 1902). Quarante-deux ecclésiastiques composaient cette
assemblée, non compris les deux juges. De ces quarante-deux, plus
de trente n'émirent qu'un vote conditionnel : la condition n'ayant
pas été remplie, le vote demeura nul.
Mais voyons les choses de plus près.
Le mardi 29 mai, les juges de Jeanne assemblèrent dans la cha-
pelle du palais archiépiscopal de Rouen dite « chapelle des Ordres »
DE LA DERNIERE DELIBERATION 445
plus de quarante maîtres et savants hommes soit en théologie, soit
en droit canonique et civil. L'objet de cette convocation était d'ar-
rêter ce qu'il y avait à faire pour procéder « comme de droit et de
raison ». L'évèque de Beauvais fit à sa façon un résumé de ce qui
s'était passé depuis le jeudi 24 mai : comme quoi la Pucelle, après
avoir pris l'habit de femme, « dès qu'elle put mettre la main sur
l'habit d'homme, s'en revêtit », et raconta devant plusieurs témoins
que ses voix et les esprits qui lui apparaissaient lui étaient revenus
et lui avaient dit plusieurs choses.
Après cet exposé, avant que les maîtres présents délibèrent sur
les résolutions à prendre, l'évêque-juge fait donner lecture de l'in-
terrogatoire de la veille et de la cédule d'abjuration insérée au
procès. Mais il na garde de rappeler le guel-apens de la prison qui
obligea la prisonnière à reprendre l'habit d'homme, et les promes-
ses qui, à Saint-Ouen, lui avaient été faites au nom du tribunal,
promesses aussitôt oubliées.
Cette lecture eut lieu en l'absence de Jeanne. Si elle eût été pré-
sente, elle eût prolesté avec indignation et dénoncé la fausseté de
ce formulaire auquel elle était restée tout a fait étrangère. Ce n'est
pas en cette séance du 29 mai, c'est dans l'interrogatoire de la
veille que Pierre Cauchon aurait dû faire lire cette pièce. S'il était
vrai que la prisonnière l'eût prononcée et signée, cette exhibition
avait le double avantage de réduire à néant tout essai de justifica-
tion, et de fournir aux maitres et docteurs la preuve de la culpa-
bilité de la relapse. Mais la pièce étant fausse, l'iniquité de l'évè-
que éclatait, et les protestations de la malheureuse jeune fille l'au-
raient démasquée. C'est à quoi Pierre Cauchon n'avait pas voulu
s'exposer. 11 ne le voulut pas davantage au cours de la délibération
à laquelle, sur son invitation, les assesseurs procédèrent aussitôt.
Le premier qui donna son opinion fut Nicolas de Venderès, archi-
diacre d'Eu et chanoine de Rouen, l'auteur du texte de la longue
cédflle, d'après Thomas de Courcelles. Ce docteur, absolument ac-
quis à l'évèque de Beauvais, émit l'avis « que Jeanne devait être
censée et était hérétique, et qu'il n'y avait qu'à l'abandonner au
bras séculier. » {Procès, 1, 462.)
Après maître Nicolas de Venderès, Messire Gilles Duremort,
abbé du monastère de la Sainte-Trinité de Fécamp ^ prit la parole.
1. Gilles de Duremort, docteur et professeur en théologie, fut d'abord
abbé de Beaupré. C'est en 1423 qu'il fut nommé à l'Abbaye de Fécamp,
la plus considérable de la Normandie après celle de Saint-Ouen. Il ha-
bitait, à Rouen, un bel hôtel situé sur la paroisse Saint- Vincent. Con-
446 ' . APPENDICK VI
C'était un des docteurs en théologie les plus réputés de Normandie:
aussi sa délibération fut-elle écoutée avec la plus grande attention
et, dans son originalité, produisit-elle une impression profonde ;
tellement profonde que la plupart des assesseurs qui opinèrent après
lui, s'en rapportèrent ii sa proposition.
« Jeanne est relapse, dit d'abord l'abbé de Fécamp. » Dans sa
pensée, relapse de fait, mais non en droit. Pour savoir si elle l'était
€n droit, il y avait un moyen bien simple a i)rendre. « Il serait
bon, ajouta l'abbé de Fécamp, que la cédule qu'on vient de lire
(la fausse et longue cédule) fût lue de nouveau en sa présence et
lui fût expliquée, en lui proposant la parole de Dieu. Ces choses
faites, nous n'aurons plus, nous juges, qu'à la déclarer hérétique et
à l'abandonner à la justice séculière, en la priant de traiter avec
douceur ladite Jeanne. — Tamen bonum est quodschcdul'i, naper lecta
legatur iterum coram ipsa, et sibi exponatur, proponendo ei verbum
Dei. Et his peractis, nos jiidices habemus declarare eam hxreticam et
ipsam relinquere justUise seculari, rogando eam ut cum eadem Jo-
hanna mite agat. » [Ibid., 463.)
Ce qui distingue la délibération de l'abbé de Fécamp, c'est
qu'elle n'est point absolue comme l'était celle du chanoine de
Venderès, mais conditionnelle. Avant de déclarer Jeanne héré-
tique relapse et de la livrer au bras séculier, il y a d'après lui
quelque chose à faire, et cette chose est de grande importance. 11
faut :
1" Faire comparaître Jeanne en présence du tribunal ;
2" Lui donner lecture de la cédule du procès, que les assesseurs
viennent d'entendre ;
3° La lui expliquer, afin qu'elle la comprenne bien, car le bruit
courait qu'elle ne l'avait pas comprise.
Ces choses faites — his peractis — mais alors seulement, et si
rien ne se produit qui oblige à surseoir à une sentence définitive,
la condamnée sera livrée au bras séculier.
sellier du roi d'Angleterre en 1428, chargé en 1433 par le roi Henri VI
de traiter de la paix avec la France, il fut nommé évoque de Coutances
en 1439 et uiourut à Rouen le 21) juillet 1444.
L'abbé de Fécamp ne dut pas être surpris de l'accueil que fit à sa
proposition l'évoque de Beauvais. Il ne paraît pas s'être fait illusion sur
ce personnage. Il était « un des assesseurs mécontents du la fai;on dont
était mené le procès et qui, comme Pierre Maurice, coururent un grand
péril pour leur vie. » C'est Jean Lemaire, curé de Saint-Vincent, un des
témoins de la réhabilitation, qui nous à laissé ce renseignement. {Pro-
cès, t. III, p. 178).
DE r.A DERNIERE DEMBERATIOX 447
Des quarante assesseurs qui opinèrent après l'abbé de Fécamp,
plus de trente se rangèrent à son avis ^
C'est un grave spectacle que celui de cette assemblée d'ecclésias-
tiques réclamant des juges de Jeanne, comme mesure préalable de
justice, qu'on donnât lecture à la jeune fille de la cédule qu'on
l'accusait d'avoir signée et des serments qu'elle aurait violés. Car,
pour être plein de déférence, le langage de l'abbé de Fécamp n'en
formulait pas moins une requête véritable. En s'exprimant ainsi,
lui-même et les assesseurs qui se joignirent à lui entendaient
manifestement remplir un devoir de conscience.
On ne saurait croire d'ailleurs que cette quasi-unanimité fût le
simple effet du hasard ; elle suppose des échanges de vues et un
concert préalables. La raison n'en est pas difficile à trouver. Il
fallait éclaircir les doutes sérieux qui avaient surgi dans les esprits
à propos de cette abjuration dont l'évéque de Beauvais voulait
faire à toute force une abjuration authentique et canonique.
Personne n'ignorait que la Pucelle n'avait cessé de protester
quelle n'avait rien compris, ou à peu près, à l'acte qu'on lui avait
arraché. On n'ignorait pas davantage les incidents qui l'avaient
amenée à reprendre l'habit d'homme et {"i le garder. Elle avait
tout raconté à Jean Massieu, et aux dominicains Martin Ladvenu
et Isambard de la Pierre Ceux-ci en avaient dit certainement
quelque chose aux assesseurs leurs collègues, et à Messire Duremort
lui-même, à cause de la confiance qu'il inspirait.
Peut-être le prieur de Longueville Giffard profita-t-il de l'occa-
sion pour faire part de sa remarque touchant la durée du prononcé
de la cédule d'abjuration. Et comme le long formulaire était
connu de quelques assesseurs, il put exprimer son étonnement
qu'une pièce de six à huit lignes se tût transformée en une pièce
de quarante-cinq à cinquante lignes. Que les doutes de l'abbé de
Fécamp et de ses collègues eussent pour objet l'authenticité du long
formulaire, ou l'intelligence que la Pucelle avait eu de la rétrac-
talion acceptée, quelle qu'elle fût, il importait que ces doutes
fussent dissipés. Voilà pourquoi, à la suite de l'abbé de Fécamp,
plus de trente prêti"es sur quarante demandèrent qu'on fît lire à
Jeanne, en présence de l'assemblée, la cédule invoquée ,'par Pierre
Cauchon, et qu'on la lui expliquât. A la façon dont la jeune fille
accueillerait cette lecture, les assesseurs verraient bien si elle len-
1. Voir Procès, I, loc. cil. Les mots : « Prout deliberavit dominas
abbas. Fiscampnensis préedictus », se lisent à peu prés à chaque déli-
bération.
448 APPENDICE VI
tendait pour la première fois, si elle avait ou non juré de ne pas
reprendre l'habit d'homme, de ne plus parler de ses révélations,
si enfin elle avait posé en connaissance de cause le cas de rechute,'
ou si ce cas était une invention de la volonté perverse de lévèque
de Beauvais.
Quel accueil Pierre Cauchon fit-il à la requête quasi-unanime des
maîtres et docteurs ? J. Quicherat dit que « ce veu d'une si grande
majorité était un devoir pour l'évéque-juge. » {Aperçus nouveaux,
143). Ce qui est certain, ce que le texte du procès nous apprend,
c'est qu'il n'en tînt aucun compte, et il n'en tint aucun compte
parce que la lecture de la fausse cédule en présence de la Pucelle
eût ouvert les yeux des assesseurs et mis à nu la scélératesse de
l'évêque de Beauvais.
Uuel eût été l'effet de cette lecture ?
A coup sur Jeanne eût protesté contre l'authenticité du long for-
mulaire, elle en eût avec indignation dénoncé la fausseté. Elle eût
pris à témoin le prédicateur de Saint-Ouen lui-même, les notaires-
greffiers, le prêtre Jean Massieu et les assesseurs qui avaient tout
vu et entendu. Devant ses protestations, un scandale inouï éclatait,
l'évêque de Beauvais était pris en flagrant délit de faux, les Anglais
eussent été au comble de la fureur et les pii'es conséquences étaient
à craindre.
Pieri'e Cauchon n'était pas homme à s'y exposer. La délibéra-
tion conditionnelle des docteurs et la requête qui l'accompagnait
n'obtinrent de lui qu'un accueil glacial. En vertu du droit suprême
dont il était investi, il n'en tint aucun compte et, le lendemain, sur
la place du Vieux-Marché, au nom dune infime minorité seule-
ment, il déclara Jeanne héi'élique relapse, et il la livra au bras sécu-
lier.
Nous sommes loin de cette unanimité invoquée par les récents^
historiens français, Henri Martin^, Ernest Lavisse, laquelle aurait
invité les juges du procès à prononcer cette sentence. L'accession de
la très grande majorité des docteurs à la requête de l'abbé de Fécamp
constitue une véritable protestation contre l'iniquité de l'évêque
Cauchon. Si, malheureusement, le droit ne leur permettait pas de
la rendre efficace, elle n'est pas moins honorable pour ces prêtres,
tous Français, deux exceptés, et elle mérite d'être signalée, dans
les histoires de la Bienheureuse aux amis de l'Église, de la France
et de la vérité.
]. « A lunanimité moins un seul, dit H. Martin, les assesseurs opi-
nèrent pour que les juges abandonuassentJeanne à la justice séculière. »
{Hlsl. de France, VI, 292.)
DE LA DEBNIERE DELIBERATION 449
Selon leur habitude, des critiques indulgents ont essayé de dis-
culper l'évêque de Beauvais. Us ont supposé qu'il avait obtempéré
à sa façon au désir des délibérants. C'est absolument faux. Aucun
texte du procès de condamnation n'appuie cette explication, et
les textes du procès de revision la démentent expressément. Dans
le SS""*^ des articles présentés aux délégués du Saint-Siège nous
lisons ce qui suit:
« Jeanne ne comprit pas la cédule d'abjuration dont au cime-
tière de Saint-Ouen on lui donna lecture. Qu'elle ne l'ait pas com-
prise cela résulte clairement de la dernière délibération du procès.
En cette délibération, l'abbé de Fécamp et la grande majorité des
délibérants dirent tous qu'il fallait demander à l'accusée si elle
avait compris la dite cédule. Or, on n'en fit absolument rien. —
Nihil tamen exinde factum est. » iProcé4, II, 254-255.)
Le procureur de la famille d'Arc, maître Guillaume Prévosteau
expose les mêmes faits dans des termes analogues. « S'en rappor-
tant à la délibération de l'abbé de Fécamp, presque tous les
maîtres et docteurs furent d'avis qu'il fallait demander à la Pucelle
si elle avait compris l'abjuration prétendue. Ce qui est certain,
c'est qu'on ne l'interrogea pas, qu'on ne lui demanda pas, ainsi
qu'il avait été arrêté dans la dite délibération, si vraiment elle
avait compris l'abjuration dont il s'agissait. De tout cela rien ne
fut fait. — Nildl tantea esse factum constat. » [Ibid., 186, 187.)
A chacun ses responsabilités. A l'évêque de Beauvais celle d'avoir
rendu une sentence inique. A la presque unanimité des assesseurs
qui refusèrent de condamner Jeanne sans l'avoir entendue, le
mérite de n'avoir pas été sourds à la voix de la justice ^
1. Sur ces questions, on pourra consulter les 2» et 3» séries de nos
Etudes critiques. In-S», Paris, 1903, 1908.
APPENDICE VII
DU PnOCliS DE RÉHABILITATION
I
De l'instrument authentique du procès de réhabilitation
Linstruinenl authentique du procès de réhabilitation n a pas eu
l'avantage d'être dressé par un Thomas de Couroeiles, ni par un
des docteurs en renom de l'Université de Paris. II fut mis dans la
forme actuelle par deux notaires de VAlma mater, maître Denis
Lecomte et François Ferrebouc. Ils étaient plus aptes que d'autres
à mener ce travail à bonne fin, car ils avaient instrumenté comme
notaires du tribunal durant la cause de la réhabilitation. Maître
Ferrebouc « jouissait en son temps d'une certaine réputation de
lettré [Procès, t. V, p. 434.) » Ce n'est pas la lâche de dresser
l'instrument d'un procès long et compliqué qui pouvait faire valoir
ses droits à cette réputation. Comme œuvre littéraire, le procès de
réhabilitation n'est pas plus remarquable que le procès de condam-
nation. Mais à d'autres points de vue, comme œuvre juridique et
morale, d'une part, comme recueil de documents historiques d'un
prix inestimable de l'autre, le procès de réhabilitation s'élève infi-
niment au-dessus du procès rédigé par Thomas de Courcelles.
Comme œuvre juridique et morale, le procès de réhabilitation
est une œuvre inattaquable de justice et de conscience, tandis que
le procès de condamnation, si habilement qu'il ait été mené,
restera un chef-d'œuvre de mépris du droit, d'impudence et d'ini-
quité.
Comme source de documents historiques, le procès de réhabi-
litation est un trésor du plus grand prix et, sous ce rapport, il
complète merveilleusement les interrogatoires du procès de con-
damnation. Les enquêtes ordonnées par les délégués pontificaux
nous ont valu un recueil de témoignages auquel on ne peut rien
comparer de semblable dans aucune histoire, .lointe aux interro-
DU PUOCES DE RKIIAIULITATION 4b I
galoires du procès de Rouen, ces enquêtes permettent à l'historien
de construire un monument qui, pour la solidité et la richesse des
matériaux, ne le cède à aucun des monuments du même genre.
Gomme œuvre de procédure, le procès de 14-56 est également une
œuvre à laquelle on ne peut que rendre hommage. Si la lecture en
est généralement difficile, cela tient en grande partie à la con-
science presque exagérée avec laquelle les rédacteurs ont traité la
reproduction et la transcription des citations et autres pièces de
procédure proprement dite.
La forme sous laquelle le texte du procès se présente au lecteur
diffère essentiellement de la forme du procès de condamnation.
Cette forme n'est pas celle des lettres patentes adoptées par les
juges de Rouen. Les délégués du Saint-Siège n'exposent pas direc-
tement et parlant à la première personne toute la suite du procès.
€e sont les notaires qui énoncent les faits et les actes : ils parlent
en leur nom, à la première personne, toutes les fois qu'ils inter-
viennent, et quand ils désignent les juges, ils ne les désignent
d'ordinaire qu'à la troisième personne.
11
Ses expéditions authentiques du procès de réhabilitation.
11 en est des minutes et originaux qui servirent à former le dos-
sier du procèe de réhabilitation et à la rédaction de l'instrument
définitif, comme des minutes et originaux du procès de condamna-
tion ; ils sont perdus et il ne parait pas, quoi que dise J. Oiiicherat
{Procès, t. V, p. 433), qu'on en ait retrouvé même la trace.
Dans leur préface (t. Il, p. 76), les notaires Denis Lecomte et
Ferrebouc disent avoir délivré sous leurs seings trois expédi lions
du procès de réhabilitation. L'une d'elles, ajoutent-ils, contenait
le texte entier du procès de condamnation. Cette expédition a été
perdue ; les deux qui nous restent ne contiennent rien des écritures
du premier procès. On peut voir ces deux manuscrits à la Biblio-
thèque nationale. Au bas des feuillets qui les composent se lisent
les signatures Comitis et Ferrebouc, avec la formule sic affîrmo dans
le premier, sans cette formule dans le second.
Dans le premier de ces manuscrits seulement ont été insérés les
huit mémoires présentés aux délégués du Saint-Siège ; dans le
second, propter proUxitatem, on n'a inséré que celui de Gersôn. Ce
second manuscrit est ordinairement désigné sous le nom de manus-
432 AI'l'ENDICK VII
crit de Noire-Dame, parce qu'il resta à Noire-Dame jusqu'en 1785.
{Procès, l. V, p. 449).
L'édileur des deux procès s'esl servi du premier manuscrit pour
la publication de son grand ouvrage ; l'écriture en est beaucoup
plus belle que l'écriture du manuscrit dit de Notre-Dame. Parfois
cependant il s'est servi de ce dernier pour corriger le texte; dans
ce cas, il prévient toujours de lecteur [Procès, t. V p. 448.)
De la rédaction primitive du procès de réhabilitation
D'après .1. Quicherat, le procès de l'éhabilitation tel que nous
lavons décrit ne nous donnerait pas la forme sous laquelle il
aurait été tout d'abord rédigé. Les greffiers Lecomte et Ferrebouc
auraient songé à présenter les actes de ce second procès comme
Thomas de Courcelles avait présenté ceux du procès de Rouen. Ils
auraient donc rédigé « l'instrument de la réhabilitation en forme
de lettres patentes où les juges, parlant à la première personne,
énonçaient toute la suite de la procédure, insertion faite en leur
lieu des actes décernés et des pièces produites. » [Procès, t. Y, pp.
434-435.)
Le savant éditeur trouve la preuve de cette rédaction primitive
dans le manuscrit de D'Urfé de la Bibliothèque nationale. Ce manus-
crit serait tout simplement une copie du procès en cette forme.
Quoiqu'une partie se soit perdue, il en reste néanmoins des frag-
ments considérables que Quicherat a reproduits à la fin du tome
troisième de sa publication.
Cette copie n'obtint pas de consécration authentique. Pour des
motifs difficiles à définir, peut-éti'e uniquement pour mettre une
différence de forme entre les deux procès, les greffiers procédèrent,
d'eux-mêmes ou sur l'avis des juges, à la rédaction que nous ont
transmise les expéditions authentiques.
Le lecteur qui désirerai de plus amples renseignements, les
trouvera dans la notice de J. Quicherat sur les pièces de la réha-
bilitation, t. V p. 438-447. Il trouvera aussi, même tome, pp. 392-
418 et 447-461, la description des principaux manuscrits, soit ori-
ginaux, soit copies qui nous ont été conservés du texte des deux
procès.
J
DU PROCÈS DE RÉHABILITATION 453
IV
Critiques formulées contre le procès de réhabilitation.
Après les détails qui précèdent sur Vinstrument officiel du procès
de réhaltilitation, il ne sera pas inutile de signaler les principales
critiques formulées contre le procès lui-même et de réduire ses
critiques à leur juste valeur.
On a d'abord prétendu que ce procès, comme celui de condam-
nation, avait été purement politique, au moins dans lintention de
Charles Vil et de ses conseillers. .1. Quicherat écrivait là-dessus à
M. de Beaucourt : « Mon opinion est que le procès de réhabilitation
a été dirigé et arrangé de manière à cacher les torts commis envers
la Pucelle, et par le roi et par ses confidents, et par tous les per-
sonnages attachés ou ralliés à son gouvernement. » (Lettre du 17
novembre 1850).
On dit que, en 1433, Juvénal des Ursins, — le futur président
du tribunal de la réhabilitation, — alors évêque de Beauvais, écrivit
aux Etats de Blois une lettre « sur les succès admirables du roi
de France. » Il y rendait grâces à Dieu qui « avait donné à une petite
compagnie de vaillants hommes le courage de les entreprendre » ;
mais il ne nommait pas la Pucelle.
Ce fut un tort de la part de l'orateur courtisan. Mais de 1433 à
1456 il y a loin. Qui pourrait assurer que l'archevêque de Reims n'eut
pas à cœur de réparer l'oubli qu'il avait commis étant évêque de
Beauvais ?
Que la politique se soit immiscée dans les conseils qui précé-
dèrent et décidèrent le procès de réhabilitation, ce n'est pas dou-
teux ; que les juges, un ou plusieurs, se soient préoccupés de pallier
les torts de Charles VU envers la Pucelle, à la rigueur on peut le
croire. Mais qu'en fait, le procès de réhabilitation n'ait pas été ce
qu'il devait être, une justification éclatante de la Pucelle, c'est
absolument faux. Peu importe les vues politiques dont s'inspiraient
juges et conseillers; qu'ils l'aient voulu ou non, Jeannne est sortie
des enquêtes d'Orléans, Paris, Rouen, Domremy, par la seule force
des choses, glorifiée et triomphante.
J. Quicherat et H. Martin disent encore que « les dépositions des
témoins ont l'air d'avoir subi la plupart de nombreux retranche-
ments. » [Aperçus nouveaux..., p. 151.) Ils parlent de « suppres-
sions commandées par les circonstances », de témoins qu'on aurait
pu citer et qui n'ont pas paru, de sujets qu'on aurait pu traiter et
4ij4 APPENDICE VII
qu'on a passé sous silence. {Ibid.). Avec tous le respect dû à des
hommes de la valeur de .1. Quicherat et de H. Martin, nous dirons
que ces ol)servalions ne sont ni fondées, ni sérieuses. Ainsi, pour
les (ledderala indiqués, les juges de la réhabilitation n'onl-ils pas
rencontré des difficultés, des obstacles que nous ne pouvons appré-
cier, à la dislance où nous sommes des événements ? Les juges
n'ont pas fait tout ce qu'ils ont voulu. Aujourd'hui, en plein dix-
neuvième siècle, on ne serait pas embarrassé de citer certains pro-
cès où l'on a été loin de faire la lumière comme on aurait pu et
comme il l'aurait fallu.
Pour les suppressions, mutilations et retranchements dont il est
question plus haut, c'est à la légère que jios critiques en parlent.
Ils seraient bien empêchés si on les priait d'en fournir la preuve.
Cependant des accusations de ce genre sont de celles qu'il faut
justifier: des préventions, des conjectures, des hypothèses ne sont
pas des arguments suffisants. On verra tout à l'heure qu'aucune
preuve à l'appui de ces accusations n'a été fournie.
J. Quicherat est beaucoup plus indulgent pour P. Cauchon que
pour les juges de 1456. 11 ne lui reproche pas d'avoir supprimé des
pièces, d'avoir inventé de faux procès verbaux ; il l'en défend
même en partie. On a formulé à ce sujet une accusation expresse ;
mais les historiens qui l'ont formulée n'ont pas manqué d'en don-
ner la preuve. C'est une preuve semblable qu'on ne saurait pro-
duire contre les juges de la réhabilitation.
Enfin, J. Quicherat, comparant les délégués du Saint-Siège à
l'évêque de Beauvais au point de vue de l'étude approfondie du
dossier, leur assigne un rang d'infériorité ; car, au sentiment de
l'éditeur des deux procès, « les juges de la réhabilitation se mon-
trèrent moins sévères formalistes que Cauchon, ou coulants sur
la formalité des consultations. «
A quelles choses étranges exposent les idées préconçues !
Les délégués du Saint-Siège moins sévères formalistes que l'évêque
de Beauvais ! Combien de règles juridiques violées j^ar les juges de
la réhabilitation J. Quicherat signale-t-il ? Aucune.
Combien de règles juridiques P. Cauchon a-t-il violées ouver-
tement? Au moins douze, d'après les canonistes les moins rigou-
reux.
Les délégués du Saint-Siège plus coulants sur la formalité des
consultations ! Est-ce que l'on oserait comparer les avis motivés
des assesseurs du procès de Rouen, avis exprimés en quelques lignes,
même ceux des docteurs de l'Université de Paris, aux mémoires
approfondis de .Jean Bréhal et autres docteurs et prélats insérés au
UU PROCES DE REHAUlLlTATIUiN 455
procès de réhabililalion et à ceux des canonisles Leliis el Pon-
tanus ?
Quant à l'élude consciencieuse à laquelle les juges délégués se
sont livrés personnellement, qu'on lise les pages 329-332 du
tome m des deux procès que J. Quicherat parait avoir oubliées.
Le paléographe l'rançais semble supposer que les juges délégués
se sont écartés en ce point des règles du droit.
Cette hypothèse est gratuite, ou plutôt contraire à la vérité. On
n"a rien à reprocher aux délégués du Saint-Siège sous ce rapport.
Ce qu'ils ont fait, ils étaient autorisés à le faire. Le livre VI des
Décrétales autorise les juges d'une cause de foi « à mander, s'ils
lestiment bon, des gens de savoir, pour qu'ils les aident de leurs
conseils » ; mais il leur laisse toute latitude. Par les pages du procès
auxquelles nous renvoyons, on verra que les juges de la réhabili-
bilitation se sont entourés d'autant de gens de savoir et de beau-
coup plus de travaux solides que ne l'avait fait l'évéque de Beau-
vais. Au procès de condamnation n'est annexé aucun travail de
valeur; au procès de réhabilitation sont jointes neuf dissertation
qui font honneur aux maîtres qui les ont signées.
APPENDICE VIII
desT'enquètes du procès de réhabilitation
Les enquêtes auxquelles donna lieu la révision du procès de 1431
sont au nombre de huit :
La première, officieuse seulement, eut lieu à Rouen, en 1450 :
elle ne fut pas insérée au procès de réhabilitation.
La deuxième et la troisième se firent à Rouen en 1442, lune par
le cardinal d'Estouteville lui-même; l'autre par son délégué, le
chanoine Philippe de la Rose : à ces deux enquêtes prit part l'in-
quisiteur Jean Bréhal. Elles furent insérées par les délégués du
Saint-Siège au procès de 1455.
La quatrième se fit dans le pays de Jeanne, en 1456 ;
La cinquième, à Orléans ;
La sixième, à Paris ;
La septième, à Rouen ;
La huitième, à Lyon.
f Nous allons donner les noms des témoins qui furent entendus au
cours de ces enquêtes.
Enquête de Rouen ' par maître Guillaume Bouille
[février 1450].
Témoins entendus.
Frère Jehan Toutmouillé, frère prêcheur à Rouen, 42 ans.
Frère Ysambert de la Pierre, frère prêcheur à Rouen, 49 ans.
Frère Martin Ladvenu, frère prêcheur à Rouen.
Frère Guillaume Uuval, frère prêcheur à Rouen, 45 ans.
Maître Guillaume Manchon, notaire au procès, 50 ans.
Maître Jean Massieu, huissier au procès, 50 ans.
1. J. QuiCHERAT. Procès, t. II, p. 3-21.
DES ENQUETES DU PROCES DE aEHAlULITAïlON 457
Maitre Jean Beaupère, chanoine de Rouen, assesseur au procès,
70 ans.
Enquête à Rouen ' en 1452, du cardinal d'Estouteville.
nonce apostolique.
Témoins entendus à Rouen par le cardinal lui-même et frère
Jehan Bréhal. grand inquisiteur, les 2 et 3 mai.
Maître Guillaume Manchon, ci-dessus, 58 ans vel circa.
Pierre Migiet, prieur de Longueville-Giffard, 70 ans.
Bardinus de Petra (Ysambert de la Pierre, ci-dessus), 55 ans.
Pierre Cusquel, bourgeois de Rouen, 55 ans.
F. Martin Ladvenu, ci-dessus, 55 ans.
Autre enquête à Rouen -par le cardinal Philippe de la Rose,
trésorier du chapitre de Rouen et délégué du cardinal d'Estou-
teville (du 8 au 10 mai, même année).
Témoins entendus.
Nicolas Taquel, notaire au procès, 52 ans.
Pierre Bouchier, prêtre, curé de Bourgeauville, 55 ans.
Nicolas de Houppeville, bachelier en théologie, 60 ans vel circa.
Jean Massieu, ci-dessus nommé, 55 ans.
Nicolas Caval, chanoine de Rouen, 60 ans.
Guillaume Dudésert, chanoine de Rouen, 52 ans.
Guillaume Manchon..., 57 ans.
Pierre Cusquel, ci-dessus nommé, 50 ans.
Ysambard de la Pierre, ci-dessus nommé, 60 ans.
André Marguerie, chanoine de Rouen, 76 ans.
Richard de Grouchet, maître es arts, 60 ans.
Pierre Migiet, ci-dessus nommé, 70 ans.
Martin Ladvenu, ci-dessus nommé, 52 ans vel circa.
Jean Lefèvre, évêque de Démétriade.
Thomas Marie, bénédictin, 62 ans vel circa.
Jean Riquier, curé de Heudicourt, 40 ans.
Jean Fave, licencié es droit, 45 ans ve/ circa.
\. Jhid., p. 297-30'J.
2. Procès, H, 317-377.
458 APPENDICE VIII
IV
Enquête faite au pays delà Pucelle, en Tannée 1456.
Témoins entendus.
Jean Morel, de Greux, laboureur, 70 ans.
Dominique Jacob, curé de Moutier-sur-Saulx, 35 ans, vel circa.
Béatrix. veuve Estellin. de Domremy. 80 ans.
Jeannette, femme de Thévenin le Hoyer, de Domremy, 70 ans
environ.
Jean, dit Moeii. de Domremy, charron, 56 ans.
Etienne de Syone, curé de Roussey, près Neufchâteau, 54 ans
environ.
Jeannette, veuve Thiesselin de Vital, clerc à Domremy, 70 ans
environ.
Louis de Martigny, écuyer, 56 ans environ.
Thévenin le Royer (ou le Charron), habitant de Domremy, 70 ans
environ.
Jacquier de Saint-Amant, laboureur, habitant de Domremy, 60 ans
environ.
Bertrand Lacloppe, de Domremy, 90 ans environ.
Perrin le Drappier, de Domremy, 60 ans environ.
Gérard Guillemette de Greux, laboureur, 40 ans environ.
Hauviette, femme de Gérard de Syna ou Syone, laboureur à Dom-
remy, 45 ans envii'on.
Jean Watterin, de Domremy, 45 ans environ.
Gérardin d'Épinal, laboureur à Domremy, 60 ans.
Simonin Musnier, laboureur, de Domremy, 44 ans environ.
Isabelle, femme de Gérardin, laboureur à Domremy, 50 ans
environ.
Mengette, femme de Jean Joyart, laboureur de Domremy, 46 ans
environ.
Jean Colin, curé de Domremy, 66 ans environ.
Colin, fils de Colin de Greux, laboureur, 50 ans environ.
Jean de Novelonpont, dit de Metz, 57 ans environ.
Michel Lebuin. de Domremy, cultivateur à Burey, 44 ans envi-
ron.
Geoffroy du Fay, 50 ans environ.
Durand Laxart, de Burey-le-Petit, laboureur, 60 ans environ.
Catherine, femme de Henri le Royer, de Vaucouleurs, 54 ans
environ.
DES ENQUETES DU PROCES DE REHABILITATION 45^
Henri le Rojer, de Vaucouleurs, 64 ans environ.
Aubert d'Ourciies, chevalier, ùgé de 60 ans.
Nicolas Baillj, d'Andelot, du diocèse de Langres, âgé d'environ
60 ans.
(luillot Jacquier, d'Andelot, 36 ans environ.
Bertrand de Pouiangy, écuyer, 63 ans environ.
Henri Arnolin, de Gondrecourt-le-Château, pi-être, 04 ans envi-
ron.
Jean le Fumeux, de Vaucouleurs, chanoine, 38 ans environ.
Jean Jacquard, de Greux, laboureur, 47 ans environ.
Enquête commencée le 28 janvier et terminée le 11 février 1456.
V
Enquête d Orléans ^commencée le 22 février 1456].
Témoins entendus.
Comte de Dunois.
Haoul de Gaucourt, chevalier, grand mai Ire d'hôtel du roi, 84 ans
environ.
François Garivel, conseiller du roi, 40 ans environ.
Guillaume de Kicarville, maître d'hôtel du roi. 60 ans environ.
Reginald Thierry, chirurgien du roi, 6i ans environ.
Jean Luillier, bourgeois d'Orléans, 56 ans environ.
JeanHilaire, bourgeois d'Orléans, 66 ans environ.
Gilles de Sainl-Mesmin, bourgeois d'Orléans, 74 ans environ.
Jacques L'Esbahy, bourgeois d'Orléans, 50 ans environ.
Guillaume le Charron, bourgeois d'Orléans, 59 ans environ.
Cosme de Commy, bourgeois d'Orléans, 64 ans environ.
Martin de Mauboudet, bourgeois d'Orléans, 67 ans environ.
Jean Volant, bourgeois d'Orléans, 70 ans environ
(iuillaume Postiau, bourgeois d'Orléans, 44 ans environ.
Denys Roger, bourgeois d'Orléans, 70 ans.
Jacques de Thou, bourgeois d'Orléans, 50 ans.
Jean Carrelier, bourgeois d'Orléans, 44 ans.
Aignan de Saint-Mesmin, 87 ans environ.
Jean de Champeaulx, 50 ans.
Pierre Jnugault, bourgeois d'Orléans, 50 ans.
Pierre Hue, bourgeois d'Orléans, 50 ans environ.
Jean Aubert, 52 ans environ.
Guillaume Ronillart, 46 ans.
460 APPENDICE VIII
(ientian i^abu, 39 ans environ.
Pierre Vaillant, bourgeois, 70 ans environ.
.lean Coulon, 56 ans environ.
Jean Beauharnais, 50 ans environ.
Robert de Farciaulx, chanoine de Saint-Aignan. 78 ans.
J'ierre Compaing, chanoine de Saint-Aignan, 50 ans environ.
Pierre de la Censure, chanoine de Saint-Aignan, 60 ans.
Raoul Godart, chanoine de Saint-Aignan, 55 ans.
Hervé Bonart, prieur de Saint-Magloire, 60 ans.
André Bordes, chanoine de Saint-Aignan, 60 ans environ.
Jeanne, femme de Gilles de Saint-Mesmin. 70 ans.
Jeanne, femme de Guidon Bojleaux, 60 ans.
Guilleniette, femme de Jean de Coulons, 51 ans.
Jeanne, veuve de Mouchj, 50 ans.
Charlotte, femme Havet, 36 ans envii'on.
Réginalde, veuve Huré, 50 ans.
Pétronille, femme Beauharnais, 50 ans.
-Massée, femme Fagoue, 50 ans.
VI
Enquête de Paris
Témoins entendus par l'Archevêque de Reims et l'inquisiteiu' Jean
Bréhal ou son délégué Thomas \éve\, des frères prêcheurs.
Jean Tiphaine, maître es arts et en médecine, chanoine de la
Sainte-Chapelle de Paris, 60 ans environ.
Guillaume Delachambre, maître es arts et en médecine, 48 ans
environ.
Jean de Mailly, évêque de IS'ojon, 60 ans environ.
Thomas de Courcelles, chanoine de Paris. 56 ans environ.
Jean Monnet, chanoine de Paris^ 50 ans environ.
Louis de Coûtes, écuyer et page de la Pucelle, 42 ans environ.
Gobert Thibault, écuyer de l'écurie du roi, 50 ans environ.
Simon Beaucroix, écuyer, 50 ans environ.
Jean Barbin, avocat au Parlement, 50 ans.
Marguerite La Touroulde, veuve René de Bouligny, 64 ans envi-
ron.
Jean Marcel, bourgeois de Paris, qui vil .leanne à Saint-Ouen,
56 ans environ.
Le duc d'Alenron, 50 ans environ.
DES ENQUETES DU PROCES DE RÉHA UILITATION 461
Jean Pasquerel, des Ermites de Saint-Augustin, aumônier de
Jeanne.
Jean de Lenozoles, célestin, 58 ans environ.
Simon Charles, président de la Chambre des Comptes, 60 ans
environ.
Théobald d'Armignac ou de Termes, chevalier. 50 ans environ.
Haimond de Macj, chevalier bourguignon, 56 ans environ.
Colette, femme Milet, 56 ans.
Pierre Milet, greffier des élus de Paris, 72 ans environ.
Aignan Viole, avocat au Parlement, 50 ans environ.
Vil
Enquête ouverte à Rouen en 1456 par l'archevêque de Reims,
l'évéque de Paris, délégués du Saint-Siège, et 1 inquisiteur Jean
Bréhal.
Témoins entendus à partir du i2-mai 1456. '
Pierre Migiet, prieur de Longueville-Giffard, 70 ans.
Guillaume .Manchon, nommé plus haut, 60 ans environ.
Jean Massieu, nommé plus haut, 50 ans environ.
Guillaume Colles, notaire au procès, 66 ans environ.
Martin Ladvenu, nommé plus haut, 56 ans environ.
Nicolas de Houppeville, nommé plus haut, 65 ans environ.
Jean Lefèvre, nommé plus haut, 70 ans environ.
Jean Lemaire, curé de Rouen, 45 ans.
Nicolas Caval, chanoine de Rouen, 70 ans environ.
Pierre Cusquel, bourgeois de Rouen, 53 ans environ.
André Marguerie, archidiacre, 76 ans environ.
Maugier Leparmentier, appariteur de la curie archiépiscopale de
Rouen, 56 ans environ.
Laurent Guesdon, bourgeois de Rouen.
.Jean Riquier, nommé plus haut, 47 ans environ.
Jean Moreau, habitant de Rouen, 52 ans.
Nicolas Taquel, nommé plus haut, 58 ans environ.
Husson Lemaître, habitant de Rouen, 50 ans environ.
Pierre Daron, lieutenant du bailli de Rouen, 60 ans environ,
Seguin de Seguin, dominicain, 70 ans environ.
462 APPENDICE VIII
VIII
Déposition reçue à Lyon le 28 mai 1456.
Jean d'Aulon. ancien intendant de la i'ucelle, chevalier et séné-
chal de Beaucaire.
Récaimtulation
Enquête de 1450. Témoins entendus 7
Prenmière enquête de 1452 5
Deuxième — 17
Enquêtes de 1456. Au pays de Jeanne 34
— A Orléans 41
— A Paris 20
— A Rouen 19
— A Lyon 1
Total 144
Quoique les enquêtes réunies aient produit cent quarante-quatre
dépositions distinctes, les témoins entendus ne furent pas aussi
nombreux : plusieurs déposèrent plusieurs fois en difféi'entes
enquêtes.
Guillaume Manchon et Martin Ladvenu déposèrent chacun 4 fois ;
Isambart de la Pierre, Jean Massieu, Pierre Cusquel, Pierre
Migiet, chacun 3 fois ;
Nicolas Houppeville, Jean Lefèvre, Nicolas Gavai, André Mar-
gueric, Jean Kiquier, chacun 2 fois.
Onze témoins firent donc entendre et signèrent trente dépositions.
Ge qui réduit les auteurs des 144 dépositions à 125 personnes
distinctes.
Gonclusion. Il n'y a eu que 125 témoins entendus aux enquêtes;
mais ces 125 témoins ont déposé en tout cent quarante-quatre fois.
IX
Des témoins entendus sur le procès de Rouen.
Recherchons maintenant combien de ces témoins furent interro-
gés sur le procès de Rouen, objet principal de la révision prescrite.
Quatre enquêtes s'en occupèrent spécialement.
L'enquête de 1450 recueillit sept dépositions.
DES ENQUETES DU PROCES DE REHABILITATION 463
Celles de 1452 en recueillirent vingt-deux.
Celle de 1456 à Rouen dix-huit.
A l'enquête de Paris déposèrent sur le procès :
Jean Tiphaine, Guillaume Delachambre, l'évêque de Noyon, Tho-
mas de Courcelles, Jean Monnet, Jean Marcel, Jean de Lenozoles,
le chevalier de Macy : en tout huit dépositions, et avec les précé-
dentes, cinquante cinq.
Mais, ainsi que dans le cas précédent, trente de ces cinquante-
cinq dépositions furent émises par onze personnes seulement. De
là ce résultat final :
Cinquante-cinq dépositions ont été recueillies sur le sujet du pro-
cès de Rouen, mais ces dépositions ne sont dues qu'à trente-six
témoins.
Les enquêtes du pays de Jeanne, d'Orléans, de Paris et de Lyon
n'ofi'rent pas de difficulté de cette nature. En ces enquêtes, il s'est
présenté autant de témoins distincts qu'il y a eu de dépositions
recueillies.
APPENDICE IX
DE LA SENTENCE UE 1456, SON AUTORITÉ
La question la plus importante concernant le procès de réhabi-
litation est celle de son autorité. Défendue jusqu'à .1. Quicherat par
la grande majorité des historiens, elle a été attaquée par l'auteur
des Aperçus nouveaux, et, après sa mort, sa thèse a été reprise à
nouveaux frais par les représentants de son école. Us déclarent
récemment sans ambages que « jamais aucun historien de bon sens
ne regardera le procès de réhabilitation comme faisant autorité »
^Gabriel Monod) .
Essayons de voir ce qu'il en faut penser.
En quoi consiste le procès de réhabilitation.
Ses éléments essentiels.
Et d'abord en quoi consiste essentiellement le procès de réhabi-
litation "?
D'après l'école antitraditionnelle, il consisterait dans les dépo-
sitions recueillies aux diverses enquêtes que les délégués du Saint-
Siège avaient estimées indispensables.
D'après tous les canonistes et historiens qui ont précédé J. Qui-
cherat, il consiste dans un certain nombre d'actes émanant soit des
avocats et procureur, soit du promoteur et des juges.
Tels sont les articles au nombre de cent un présentés au tribunal
par les demandeurs^ et admis au procès ;
Tels les motifs de droit exposés par le promoteur, maître Simon
Ghapitault, et par les avocats des demandeurs ;
Tels les divers plaidoyers et mémoires soit de maître Pierre Mau-
gier, avocat de la famille, soit de maître Prévosteau, procureur en
la cause ;
DE LA SENTENCE DE 1456, SON AUTORITÉ 465
Tel enfin le jugement motivé 'prononcé le 7 juillet 1456 dans le
palais des archevêques de Rouen,
1"^ Idée fausse qu'on donne du procès de réhahililation.
Il n'est pas inutile d'en faire dès à présent l'observation.
Réduire le procès prescrit par le Saint-Siège aux témoignages
consignés dans les diverses enquêtes, c'est fausser la notion et
méconnaître la substance du procès de 1455 ; c'est prendre l'acces-
soire pour le principal, la partie, et une des moindres juridique-
ment, pour le tout.
Par conséquent, quoi quon puisse relever de défectueux dans les
dépositions des enquêtes, laulorité du procès même n'en sera pas
.pour cela diminuée.
Mais alors que faut-il voir dans ces enquêtes et dans les témoi-
gnages recueillis?
11 faut y voir une des pièces importantes, mais non essentielles,
admises et versées aux débats, tout comme les mémoires consulta-
tifs demandés par les juges ou par Charles VII à des prélats et doc-
leurs réputés pour leur savoir. Ces mémoires figurent dans l'instru-
ment du procès aussi bien que les dépositions des enquêtes. Mais
ils pourraient, les uns et les autres, n'y pas figurer, sans que le
jugement final perdît un atome de son autorité, pas plus que le
procès lui-même.
Historiquement, doctrinalemenl parlant, ces pièces, mémoires et
enquêtes, offrent le plus grand intérêt.
Mais considérées comme pièces juridiques, elles n'ont qu'une
valeur accessoire et elles ne sont qu'une partie d'un tout auquel
elles ne sont pas essentielles.
C'est pour cela que nous déclarons fausse l'idée que nos adver-
saires conçoivent du procès qui a réhabilité .Teanne et sa mission.
Et quand bien même l'opinion que les témoignages recueillis dans
les diverses enquêtes méritent peu de créance serait fondée à quel-
ques égards, l'autorité historique et juridique du procès n'en sub-
sisterait pas moins tout entière.
■1" A quoi tient l'autorité de la sentence de réhabilitation.
A quoi tient, en effet, celle autorité ?
Elle tient à la compétence des juges, à la régularité de leurs
actes, au témoignage qu'ils pouvaient se rendre de n'avoir négligé
aucune précaution pour arriver à découvrir la vérité, à la loyauté
30
466 APPENDICE IX
avec laquelle ils indiquaient dans leur sentence la nature de ces
précautions et donnaient dans l'instrument du procès les pièces qui
en constituaient la preuve ; l'autorité du procès tient à tout cela
sans aucun doute, mais elle tient surtout à la précision de la sen-
tence rendue et à l'évidence, à la gravité des deux faits sur lesquels
est fondée cette sentence.
Ces deux faits, dans la perpétration desquels l'évêque de Beauvais
avait dépassé les limites du mépris du droit divin et humain,
étaient en premier lieu la prétendue abjuration du cimetière de
Saint-Ouen extorquée à l'accusée, sans aucune des mesures pi'es-
crites par le droit, sans que l'abjurante eût été prévenue, sans
qu'elle eût reçu aucune explication, « en présence du bourreau et
sous la menace du bûcher )>.
C'était ensuite la pièce des douze articles, « extrait corrompu,
dolosif, calomnieux, frauduleux et inique des aveux de Jeanne »,
soumise aux délibérations des Facultés de Paris et des docteurs de
Rouen, comme si elle avait été un résumé consciencieux et fidèle
du procès ; pièce qui servit de base aux deux sentences portées
contre la suppliciée.
Ces deux faits, violations manifestes des lois divines et humaines,
sont comme le centre auquel aboutissent ou duquel partent toutes
les iniquités du procès : les rappeler, c'était rappeler toutes ces ini-
quités ; et les pi'ésenter comme les motifs principaux de la sentence
portée, c'était placer l'autorité historique et juridique de cette sen-
tence au-dessus de toute discussion.
L école antitraditionnelle et ses objections.
La fausse idée que l'école antitradilionnelle voudrait donner du
procès de réhabilitation ne saurait donc avoir gain de cause : jamais
personne ne prendra la partie pour le tout, l'accessoire pour le prin-
cipal.
Qu'ont fait alors les adeptes de cette école ?
Ils ont entrepris de discréditer les témoignages consignés dans
les enquêtes, et ils ont porté sur ce point tous leurs efforts.
Ces enquêtes ne sont pas le procès lui-même, soit. Mais si elles
étaient discréditées, la plupart des témoignages invoqués par les
historiens de l'école française pour établir la mission divine de la
Pucelle seraient discrédités eux aussi, et la preuve de celte mission
en serait d'autant affaiblie.
DE LA SENTENCE DE 1456, SON AUTORITÉ 467
Et d'abord, que nous apprennent les documents sur ces enquêtes
et sur leurs résultats ?
1^ Des enqtivles de la réhabilitation et des témoignarjea
qu'elles ont recueillis.
Jusqu'à ravènement de l'école de .1. Quicherat, érudits et critiques
ont vu généralement dans les témoignages des enquêtes de 1456
une source historique du plus grand prix. Ces témoignages com-
plètent en bien des points les interrogatoires du procès de Rouen,
par exemple, ceux que rendirent les compatriotes de Jeanne ; et sur
bien d'autres, ils redressent les inexactitudes, les omissions. les
erreurs volontaires commises par l'évêque de Beauvais dans la
rédaction du texte ofïiciei ; telles sont les dépositions des officiers
et des assesseurs du procès.
Les témoignages recueillis sont au nombre de cent quarante-
quatre. Ainsi qu'en toute parole humaine il a pu s'y glisser des
erreurs ; mais on ne saurait, sans tomber dans l'arbitraire et le
parti pris, suspecter la bonne foi de la grande majorité des témoins
entendus ; toutes gens avec qui, au cours de sa vie privée et
publique, de ses campagnes, de sa captivité, l'envoyée de Dieu
s'était trouvée en rapport.
Notons ici, entre l'évêque de Beauvais et les délégués du Saint-
Siège, une différence tout à l'honneur de ces derniers.
Pour gagner à sa cause les contemporains et la postérité, Pierre
Cauchon a pris la précaution d'être tout ensemble le juge de sa vic-
time et son historien. — Les délégués du Saint-Siège n'ont pas
voulu sortir de leur mission de juges : ils n'ont pas été historiens.
Pierre Cauchon prend la parole à la première page du procès de
condamnation et la garde jusqu'à la fin. Témoin et acteur, il
raconte ce qu'il est censé avoir fait et vu.
Les juges de la réhabilitation ne se mettent pas en scène : ils ne
racontent pas, sexprimant à la première personne, la suite et les
incidents de la cause.
L'évêque de Beauvais avait fait pi'océder à des enquêtes dans le
pays de Jeanne. Mais il s'est bien gardé de les insérer ^au procès.
« 11 ne les a même pas, remai-que M. A. Luchaire, communiquées
aux assesseurs qu'il s'était adjoints. » (Article de la Grande Revue,
mars 1908, p. 213.)
Les juges de 1456 ont fait procéder, eux aussi, à de vastes
enquêtes ; mais ils ont eu l'honnêteté de les insérer au procès et
d'en présenter le texte au public. Ils les consulteront avec soin : ils
468 APPENDICK IX
tiendront compte des dépositions qui le méritent, ils rejetteront
celles qui ne le méritent pas.
Et ils n'en couvriront aucune de leur autorité.
S'ils ont ordonné qu'elles prendraient place dans l'instrument
offlciel, c'est affaire de conscience et de probité. Les délégués pon-
tificaux ont tenu à placer sous les yeux des historiens à venir et à
présenter à leur examen, les témoignages qui ont pu contribuer de
quelque manière à la réhabilitation de Jeanne, l'envoyée de Dieu.
2" Let
enquêtes de la réhabUitatioa et Jules Quicheral.
A deux reprises, l'école antitradilionnelle, s'est efforcée de décon-
sidérer les enquêtes de la réhabilitation : en 1850 par la plume de
Jules Quicherat, en 1908 par celle de M. Anatole France.
Résumons les deux, argumentations.
Voici d'abord celle de l'auteur des Aperçus nouveaux. Elle con-
siste à mettre, selon son habitude, un certain nombre daffirma-
tions à la suite les unes des autres ; il n'y a pas lieu d'en être
effrayé, ce sont des « affirmations pures ».
J. Quicheral, en commençant, tient à ne point causer d'alarnie.s.
Sa première parole est des plus rassurantes : la seconde ne l'est
plus autant.
« Les juges de la réhabilitation, dit-il, étaient la probité même ».
On ne peut faire d'éloge plus complet. « Mais — ici l'éloge se réduit
^— parce que c'est là un fait constant, il ne faut pas que la critique
s'abdique devant leur procès, et que tout ce qui est dedans soit
accepté sans observation. » [Aperçus nouveaux..., p. 149-155.)
Et, jetant le masque, l'auteur ajoute :
« Les dépositions des témoins, qui en forment la partie capitale,
ont l'air d'avoir subi la plupart de nombreux retranchements. »
Des insinuations de cette sorte ressemblent fort à des accusa-
tions. Quand on les lance aussi catégoriquement, on doit être en
mesure d'en fournir la preuve. Cette preuve, va-t-on la présenter?...
A quelle condition sera-t-elle satisfaisante ?
D'après le langage même de J. Quicherat, pour que la preuve
fournie soit satisfaisante, il faut qu'elle s'applique à la « plupart »
des dépositions du procès, par conséquent à la moitié plus une.
Ces dépositions se sont élevées au nombre de cent quarante-
quatre. Par conséquent notre critique doit prouver, s'il veut tenir
ses engagements, que soixante-treize dépositions ont été remaniées
ou mutilées.
J. Quicherat l'a-t-il fait?
J
DE LA SENTENCE DE 1456, SON AUTORITÉ 469
|[ ne la pas fait dans le chapitre cité de ses Aperçus, il ne l'a pas
fait ailleurs, et aucun de ses disciples ne l'a fait pour lui.
11 ne produit pas un seul texte, à l'appui de ses accusations.
11 émet quatre observations qui semblent s'y rapporter. Toute
vérification faite, ces observations ne signalent pas un seul témoi-
gnage ayant subi les retranchements dénoncés.
Voici, du reste, ces observations : rien de plus aisé que d'en appré-
cier la portée.
PUE.MIÈRE OBSERVATION
11 ny a. dit.!. Quicherat, qu'une déposition où soit relaté un seul
trait, le seul fourni par la réhabilitation, de toute la partie si igno-
rée do la vie de Jeanne qui s'écoula entre le retour de Paris et sa
captivité. »
Ce début de l'auteur des Aperçus nouveaux n'est pas heureux. H
commet une erreur historique qu'on s'étonne de trouver sous la
plume de l'éditeur des deux procès.
11 n'y a pas qu'une déposition dans la « partie si ignorée de la vie
de Jeanne qui va du retour de Paris à sa captivité » ; il y en a deux :
« celle du chevalier d'Aulon qui nous parle du siège de Saint-Pierre-
le-Moulier, et celle de dame Marguerite La Touroulde, qui fut à
Bourges l'hôtesse de la Pucelle. » [Procès, t. Ill, p. 85-«8.)
Et puis la '( partie de la vie » dont on parle n'est point si ignorée
que cela.
M"insistons pas : constatons seulement qu'on ne nous signale
encore aucune déposition « ayant l'air » d'avoir subi des retran-
chements.
UEUXIÈ.ME OBSERVATION
« Pour tout ce que Gaucourt a dit de la délivrance d'Orléans et
du voyage de Heims, on met seulement qu'il concorde avec le sire
de Uunois. »
Ne pas écrire par deux fois deux textes identiques, c'est éviter. les
redites : ce n'est ni supprimer les dépositions ni les mutiler. Et puis,
il s'agit d'une seule déposition, non de soixante-treize.
TROISIÈME OBSERVATION
« La déposition de (1. Manchon en 1456 ne contient plus certaines
choses ([u'il avait avouées en 1450. » Même explication que tout à
l'heure.
On n'a rien supprimé, on a simplement évité les redites. Expli-
470 APPENDICE IX
cation non moins raisonnable : Manchon n'a peut-être pas jugé
utile de revenir en 1456 sur un point qu'il avait sulfisamment
édairci dans une enquête dont le texte avait été conservé.
(jUATRliîME OBSEIIVATIOX
« Quant au formulaire d'après lequel eurent lieu les interro-
gatoires, tant à Orléans quà Paris et à Rouen, il manque au
procès.
L'assertion de .1. Quicherat fut-elle exacte, en quoi le défaut de
formulaire prouverait-il que 73 dépositions sur 144 ont subi des
retranchements ?
Mais il n'est pas vrai que ce formulaire ait manqué. L'éditeur du
procès de réhabilitation devait le savoir mieux que personne.
Vi'aisemblablement, il a revu les épreuves du tome II. Alors à
la page 229, il a eu sous les jeux la décision des juges de la revi-
sion arrêtant que, aux enquêtes tle Paris, Orléans et Rouen, « les
trente-trois premiers articles des cent un présentés par les avocats
de la famille de Jeanne, serviraient de questionnaire ».
Ce qui résulte de cette brève mais décisive discussion, c'est que
non seulement le chef de la nouvelle école n'apporte pas la preuve
des retranchements qu'il prétend avoir été pratiqués dans 73 dépo-
sitions, mais il n'en produit pas un seul.
11 est plus facile d'affirmer que de prouver.
Une chose que J. Quicherat se refuse k comprendre, c'est qu'il n'y
ait eu que cent quarante-quatre dépositions recueillies : il en vou-
drait cent quarante-cinq au moins.
Il garde rigueur en particulier aux juges de n'avoir pas convoqué
le dominicain et inquisiteur, Pierre Turelure, qui avait pris part à
l'examen de Poitiers.
Pourquoi Pierre Turelure plutôt qu'un autre ? Il ne nous le dit
pas ; mais ce refus d'entendre frère Turelure, tout comme celui de
n'avoir pas fait enquêter dans un plus grand nombre de localités,
à « Compiègne, Senlis, Lagny » par exemple, constitue aux yeux
de notre critique une raison suffisante pour frapper de suspicion
les dépositions recueillies.
J. Quicherat oublie qu'il y a des bornes à tout. Cent quarante-
quatre dépositions, c'est un nombre très honnête. Cinq ou six de
plus, même celle de frère Turelure, n'eussent pas modifié l'impres-
sion qui se dégageait de l'ensemble.
Pour remplir la mission dont ils étaient investis, il fallait aux
juges la plus grande liberté d'action.
DE LA SENTENCE DE 1456, SON AUTORITÉ 471
Jusqu'à preuve du contraire, on doit supposer qu'ils ont l'ait de
leur mieux.
Les érudits, les historiens, les esprits qui ne se paient pas de
mots laisseront au chef de la nouvelle école la responsabilité de ses
accusations sans preuves contre les trois évêques français qui, au
nom de la France et de l'Eglise, ont réhabilité la Bienheureuse ser-
vante de Dieu, Jeanne d'Arc.
La postérité retiendra le premier mot tombé de la plume de
J. Quicherat sur leur compte : les juges de la réhabilitation reste-
ront pour elle, sans atténuation et sans réserves, « la probité
même ».
3° M. G. Monod, M. A. France et les enquêtes de la réhabilitation.
Les représentants actuels de l'école antitraditionnelie n'ont pas
repris en sous-œuvre l'argumentation de l'auteur des Aperçus nou-
veaux : ils ont préféré engager la discussion sur d'autres points que
celui des mutilations pratiquées dans les dépositions de 1456 ; à
devoir fournir la preuve exigible, difficilement ils eussent réussi là
où J. Quicherat avait échoué.
1. — De M. Gabriel Monod.
Le fidèle Achate de M. A. France, M. Gabriel Monod, s'est pru-
demment retranché derrière une de ces généralités vagues, impré-
cises, qui prouvent tout et qui ne prouvent rien, et il n'a eu garde
d'en sortir.
Pour un professeur du Collège de France, c'est trop de timidité.
Il persiste néanmoins à refuser toute autorité, toute créance aux
enquêtes de la réhabilitation pour la raison que voici. Les témoins
n'ont déposé que vingt-cinq ans après les événements. Or, « dans
vingt-cinq ans, les souvenirs ont le temps de se bi'ouiller, de subir
toutes les cristallisations, les superpositions, et les déformations
possibles ». {Revue citée, p. 416.)
C'est là une excellente majeure, une parfaite moitié de raisonne-
ment ; mais on n"en peut rien conclure sans l'autre moitié.
Il eût fallu que M. G. Monod pût ajouter :
Ue fait, les dépositions de 1456 ont subi des cristallisations et
déformations dont voici la preuve.
M. le professeur du Collège de France n'a pas énoncé cette
mineure, probablement parce qu'il se sentait hors d'état d'en four-
nir la preuve. Tant qu'à la pla<;e de ces deux choses il ne mettra
472 APPENDICE IX
que (lu verbiage, les enquêtes qu'il voudrait réduire en poudre con-
tinueront à se porter mieux que jamais'.
En [sera-t-il de même lorsque son alter ego, M. A. France, aura
démasqué ses batteries et fait feu de toutes pièces....?
II. — De M. Anatole France.
L'auteur de la dernière Vie de Jeanne d'Arc tient en mince
estime le procès de réhabilitation et les enquêtes que les délégués
du Saint-Siège ont fait e.Kécuter. Il a bien quelques motifs: car de
l'ensemble de ces enquêtes s'élève une protestation formidable
contre le faux portrait qu'il a peint de l'héroïne.
Sous cette impression désagréable, l'auteur a pris la plume et a
écrit une dizaine de pages dans lesquelles en guise de raisons, il a
exhalé beaucoup de mauvaise humeur. Nous avons lu attentive-
ment ces pages et nous en avons tiré le sujet des observations sui-
vantes. {Op. cit., Préface, p. xx-xxx.)
Lobservalion qui domine toutes les autres c'est que le biographe
académicien na jamais surpris un seul témoin en flagrant délit de
faux témoignage, ou en des circonstances frappant de suspicion sa
sincérité.
Ses critiques sont de deux sortes : les unes à portée générale,
les autres à portée individuelle, visant des personnages connus.
Critiques à portée générale.
1'^ M. A. France. — « Les témoins apportent sans doute des
1. Dans son étude. Jeanne d'Arc guerrière, le général Frédéric Canongu
a résumé et réfuté très clairement les principales difficultés soulevées
contre l'autorité du procès de réhabilitation.
« Ou a prétendu, dit-il, que le procès de réhabilitation constitua une
première forme de ce qu'on a appelé la Légende de la Pucelle.
« On a négligé de le prouver.
« On a allégué les raisons suivantes :
« Le procès a été fait vingt-cinq ans après les événements.
« On a poursuivi un but d'édification.
« Il a pour but des souvenirs que le temps écoulé avait dû modifier.
c La réfutation est facile.
« Les principaux des cent vingt témoins entendus en 1456 n'avaient
pas encore atteint l'âge où le souvenir, surtout de faits anciens aussi
étonnants, peut être sérieusement altéré.
« L'édification devait se dégager naturellement, sans qu'il fût néces-
saire de forcer la mesure, d'un procès en réhabilitation lout]dilférent du
procès de condaumation. [Op. cit., .\vant-propos,. x, .\i.)
DE LA SENTExNCE DE 1456, SON AUTOIUTK 473
l'iarlés sui" une multitude de points ; mais ils ne satisfont pas,
tant sen faut, toutes nos curiosités. «
L'auteur. — On voit bien en ce langage, i"enfant gâté qu'est le
biographe académicien. « Des clartés sur une multitude de points »
ce n'est pas assez. 11 n'est pas content si toutes ses « curiosités ne
sont pas satisfaites ».
Les témoins de la réhabilitation ont eu le tort de ne pas les
satisfaire.
2" M. A. Fha.nce. — Ils en ont eu un autre : celui d'être « sim-
ples à l'excès et sans discernement. » [Op. cit., p. xx.)
L'auteuk. — M. France tient à ce qu'on sache que lui n'est pas
simple et qu'il a du discernement.
3'^ M. A. Fkance. — Tout n'est pas bien sérieux dans ces cent
quarante témoignages. « [Ibid., p. xxi.)
L'auteur. — Réflexion très juste et très piquante chez un écri-
vain qui ne se pique pas d'être toujours (( bien sérieux ».
De ces critiques générales et pas bien méchantes passons aux cri-
tiques visant des personnalités.
Des témoins que M. A. France met en cause.
Les cent quarante-quatre dépositions consignées dans les enquê-
tes de 145G se répartissent en quatre groupes, d'après les pays où
elles furent recueillies.
Dans le pays de Jeanne on en recueillit trente-quatre. Sur ces
trente-quatre, M. A. France en visera deux : les dépositions de Jean
de Metz et de Bertrand de Poulengy, les officiers de Baudricourt
qui menèrent la Pucelle de Vaucouleurs à Chinon.
A Orléans, quarante et un témoins furent entendus. Un seul de
ces témoignages a été pris à partie, mais pas bien sérieusement.
A Paris, vingt témoins déposèrent. Huit de ces dépositions sont,
de la part de M. A. France, l'objet de réflexions que nous rappel-
lerons tout à l'heure.
A Rouen, les trois enquêtes de 1430, 1452, 1456 fournirent un
total de cinquante-cinq dépositions, dont quatre ou cinq n'ont pas
eu l'heur de plaire à notre biographe académicien.
En résumé, sur les cent quarante-quatre témoignages de la.
réhabilitation, il n'y en a que douze auxquels on trouve à repren-
dre.
Et qu'est-ce qu'on y trouve à reprendre ? Des choses sur les-
([uelles les opinions sont libres, des choses qu'on reproche à tort
474 APPENDICE IX
aux témoins, des choses insignifiantes, après ^tout, qui laissent in-
tactes leur sincérité et leur véracité.
Les témoins que l'on prend à partie sous divers prétextes sont
le bâtard d'Orléans, le duc dAlenron, frère Pasquerel, l'aumùnier
de Jeanne, Jean de Metz, Bertrand de Poulengj, Gobert Thibaut,
dame Marguerite La Touroulde, .lean Massieu, et les dominicains
Isambard de la Pierre et Martin Ladvenu.
Au bâtard dOrléans, comte de Dunois, le biographe académicien
reproche de voir des miracles partout. 11 est d'avis que dans la
déposition consignée au procès, ce témoin qu'on disait être " un
des beaux parleurs de France » s'exprime plutôt « comme un cha-
noine de cathédrale ou un marchand drapier, que comme un capi-
taine ». [Ibid., p. xxiii.)
Mais il ne l'accuse pas d'avoir altéré ou faussé la vérité.
Le bon frère Pasquerel, aumônier de la Pucelle est accusé d' « in-
venter des miracles », pour avoir parlé d'une « crue soudaine de
la Loire que personne, à ce que prétend M. France, n'a remarquée
excepté lui ». {Ibid., p. xxii.)
Qui a tort ici, frère Pasquerel ou l'ironiste qui le gourmande ?
Ce nest pas frère Pasquerel.
On lui reproche à tort d'avoir inventé des miracles, car une crue
de la Loire, même soudaine, n'est pas un miracle.
Et on lui reproche, encore plus à tort, d'avoir inventé cette crue
ayant été le seul à la remarquer. Si le biographe avait consulté les
chroniques du temps, il aurait évité l'erreur qu'il commet. Les
pages 28, 29 de la Chronique anonyme du XV° siècle, publiée par
Boucher de Molandon, donnent à sa critique vm démenti formel.
Nous y lisons en effet :
« Et sachant ceulx d'Orléans que elle venait, lurent très joïeiix
et firent habiller challans en puissance.
« Et estoit lors la rivière à plain chantier; et aussi le vent, qui
estoit contraire, se tourna d'aval, et tellement que un challan
menait deux ou trois challans ; qui estoit une chose merveilleuse,
et faloit dire que ce fust miracle de Dieu. »
{La délivrance d'Orléans, chronique anonyme du xv*' siècle,
publiée par Boucher de Molandon, pp. 28, 29. Brochure in- S'^,
Orléans, Herluison, 1883.)
Au duc d'Alençon et à dame La Touroulde M. France fait grise
mine parce que ces témoins font grand cas de l'habileté de l'héroïne
à chevaucher.
Jean de Metz, Bertrand de Poulengy, Gobert Thibaut ont noté l'irra-
diation de chasteté qui se dégageait de la personne de la Pucelle.
DE LA SEiNTEXCE DE 1436, SON AUTORITÉ 475
M. France ne goûte pas du tout celte façon de témoigner ; pas
plus que les dépositions de Jean Massieu sur le guet-apens du relaps,
des dominicains Isambard et Ladvenu sur les attentats <\u\ obli-
gèrent Jeanne î'i reprendre et à garder Ihabit dhomme ; pas plu»
enfin que l'idiotisme, que, à son avis, les juges de la réhabilitation
auraient attribué a la Pucelle pour qu'on vit en elle un « ange de
pureté ».
De toutes ces critiques, il n'y en a pas une seule qui mette en
cause la véracité des témoins, et il n'y en a pas une seule qui puisse
passer pour sérieuse. Aussi le biographe académicien en est-il ré-
duit piteusement à confesser sa déconvenue dans cette conclusion:
« Cette abondante enquête de la réhabilitation doit être consultée
avec prudence, et il ne faut pas s'attendre à y trouver des éclair-
cissements sur toutes les circonstances de la vie de Jeanne. » {Op.
cit., p. xxix-xxx.)
MM. de la Palisse et Joseph Prud'homme neussent pas mieux
dit.
Nous sommes loin, bien loin, de la sentence libellée et rendue
par le directeur de la Revue historique :
« Aucun historien de bon sens ne regardera jamais le procès de
réhabilitation comme faisant autorité. »
Quel sera le dernier mot de cette discussion ?
Nous le demanderons à l'un des savants qui honorent le plus
l'école française traditionnelle et qui, de laveu même de nos
adversaires, la représentent dignement.
Du procès de condamnation et de la suspicion qui l'enveloppe
tout entier, ce savant, François de l'Averdy, nous dira :
f^ il ne saurait y avoir de doute sur l'injustice et la nullité du
procès de condamnation, ainsi que sur l'injustice et la nullité de
la sentence prononcée contre la Pucelle ;
2" Les assertions que les juges lui ont imputées dans les douze
articles étaient fausses ;
3'^ Fausse encore la formule d'abjuration qu'on lit au procès ;
4° Faux le fait du prétendu relaps ;
a» En ce qui regarde les juges de Jeanne, en particulier l'évéque
de Beauvais, il n'y a pas de qualifications suflisantes pour expri-
mer l'horreur qu'on doit concevoir contre eux et contre ceux qui
sont entrés dans un aussi afTi'eux complot;
6" La mort de la Pucelle fut un véritable assassinat prémédité
et exécuté sous l'apparence et l'ordre de la forme judiciaire.
[Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi, t. Ill,
476 APPENDICE IX
p. 432. 44(j, 463. Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres.)
Le même érudit, avec toute l'école française, dira du procès de
réhabilitation :
1'' En ce qui regarde le jugement de 1456, les prélats délégués du
Saint-Siège ont examiné le procès de Rouen jusque dans ses moin-
dres détails. Ils ont motivé les dispositions que la justice leur
prescrivait de prononcer.
2° Il ne peut donc pas y avoir de jugement plus réfléchi, mieux
préparé, ni plus juste en lui-même. [Ibid.)
C'est dire, au demeurant, que l'autorité historique et juridique
du procès de réhabilitation reste et restera toujours au-dessus de
toute discussion.
APPENDICE X
DERNIER MOT DE CETTE HISTOIRE : JEANNE ENVOYÉE DE DIEU
A la fin du premier livre de son Histoire de la Pucelle Edmond
Uicher a jugé bon de dire au lecteur ce qu'il pensait de la jeune
fille dont il venait dexposer la vie extraordinaire. Laissant la
plume de l'historien, il s'est souvenu qu'il était docteur de Sorbonne
et il sest appliqué à montrer, dans une dissertation purement
théologique, qu'aucun argument ne s'opposait à ce qu'on reconnût
à la Pucelle la dignité d' « Envoyée de Dieu », et à l'œuvre qu'elle
avait accomplie, une portée dépassant celle des œuvres purement
naturelles.
Laissant au docteur de Sorbonne tout le mérite de cette disser-
tation, il nous semble qu'il ne serait pas indifférent d'en examiner
la conséquence à la simple clarté des paroles et des actes de Jeanne
elle-même.
La déclaration que la jeune fille ne cessa de faire entendre
depuis Vaucouleurs jusqu'à Rouen, c'est quelle était « venue de par
Dieu pour être en aide au royaume et au roi. »
Cette déclaration la-t-elle justifiée ? Et l'histoire aujourd'hui ne
s'empresse-t-elle pas de le reconnaître ?
En disant à Charles Vil, aux seigneurs de la cour et aux chefs de
guerre qu'elle venait « de par Dieu » combattre les Anglais, les
défaire et relever le royaume, la Pucelle n'a pas demandé qu'on la
crût sur parole; raisonnable avant tout, elle a offert d'en faire la
la preuve. Comme il s'agissait d'une mission divine, cette preuve
devait être d'ordre divin également. Aussi a-t-elle consisté dans
l'annonce d'un certain nombre de faits réputés alors impossibles,
lesquels ne pouvaient être connus d elle que par révélation, et
exécutés par elle qu'avec l'assistance de Dieu.
La preuve offerte dans ces conditions avait une double portée :
une portée prophétique, puisqu'il s'agissait d'un avenir inconnu,
insoupçonné de Charles Vil, de ses conseillers et de ses capitaines;
478 APPENDICE X
et une poi-lée véri fiable, puisque les faits compris dans cet avenir
étaient spécifiés, à brève échéance et devaient, au cas où les vati-
cinationsde la Voyante ne seraient pas accomplies, la déconsidérer
à jamais, car elle eût été convaincue, au regard de la France et
de la chrétienté tout entière, de démence ou dimposture.
Tel n'est pas le jugement que Français et Anglais au quinzième
siècle, que l'Eglise et l'Histoire au vingtième ont porté sur Jeanne
d'Arc. La « Fille de Dieu » a fourni la preuve offerte Cette preuve
a été examinée sous tous les aspects, et elle a paru pleinement
satisfaisante. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler les prédic-
tions énoncées par l'héroïne, et de noter la réponse que leur ont faite
les événements.
Mais ces prédictions quelles sont-elles ?
Pour en juger, présentons-les d'ensemble dans l'ordre chrono-
logique où elles se sont produites. Toutes sans doute n'ont pas la
même importance : mais toutes concourent à metti'e en pleine évi-
dence la « surhumanité » de l'histoire de Jeanne d'Arc et la vérité
de sa mission de par Dieu.
l
Prédictions et faits extraordinaires divers.
A Domremy eL Vaucouleurs.
1" Durant quatre ans, ses « frères du paradis redisent à Jeanne
qu'il lui faudra guerroyer pour recouvi*er le royaume de France »
{Procès, H, 437, 438) ;
2'^ Au cours de l'année 1428, la jeune fille annonce à l'un de ses
compagnons de jeunesse qu'elle fera sacrer le Dauphin à Reims ;
3'^ A un autre, elle dit qu'elle relèvra le sang royal, et elle y
revient plusieurs fois ;
4° A Durant Laxart elle déclare qu'elle est «. la Pucelle des Mar-
ches de Lorraine qui doit sauver le i-oyaume qu'une femme a
perdu » ,:
0" A Catherine Le Royer, elle fait la même déclaration;
6» Au même Laxart, elle assure qu'on a beau vouloir l'empêcher,
elle ira jusqu'au Dauphin et le fera couronner (11, 444) ;
Faits que la Voyante certifie à Robert de Baudricourt :
~'^ Le Dauphin aura secours avant la mi-carême ;
8' Il régnera malgré ses ennemis les Anglais ;
9'^ Une bataille est perdue à Rouvray ;
DERNIER MOT DE CETTE HISTOIRE : JEANiNE ENVOYÉE DE DIEU 479
10° Il n'y a secours que de Jeanne d'Arc pour recouvrer le royaume
de France * ;
1 i°-i2'' Aux deux gentilshommes qui l'accompagnent sur la route
de Chinon, elle garantit deux choses :
Qu'ils échapperont à tous les périls, qu'ils arriveront sans en-
combre à Chinon ;
Que le jeune roi leur fera un accueil favorable (435, 454).
A Chinon.
13° Un soudard insulte Jeanne et blasphème au moment où elle
franchit le seuil du château. La Pucelle lui apprend la mort qui
dans une heure va le frapper ;
14° Avertie par ses Voix, elle reconnaît, au milieu des seigneurs
de la cour, le Dauphin qu'elle n'avait jamais vu ;
15° Elle lui révèle un secret connu de lui seul et de Dieu ;
16° A la suite de cette révélation, elle lui certifie qu'il est fils
légitime et héritier de Charles VI ;
17° Elle prédit que le siège d'Orléans sera levé ;
18° Qu'elle y sera blessée ;
19° Que la blessure cependant ne sera pas mortelle ;
20° Elle parle des révélations dont Charles Vil a été favorisé,
avant qu'il la mît à l'œuvre ;
21° Elle affirme qu'il serait couronné et sacré à Reims;
22° Et que le sacre aurait lieu dans le courant de l'été prochain.
Devant la Commission de Poitiers.
La Pucelle prédit et assure :
23° Que le siège d'Orléans serait levé ;
24° Que les Anglais seraient battus ;
25° Que Charles VU serait sacré à Reims ;
26° Que la ville de Paris rentrerait en son obéissance ;
27° Que le duc d'Orléans reviendrait de sa captivité d'Angleterre ;
28° Renouvellement des prédictions ci-dessus au jeune roi et au
duc d'Alençon.
29° Elle durera un an, guère plus.
30° Le corps de secours entrera dans Orléans sans que les Anglais
puissent l'empêcher ;
1. Pour les références, trop nombreuses à donner, voir notre Étude
critique, Les Visions et les Voix, l" partie, chap. vu. vers la fin
480 APPENDICE X
31" Avertie par ses Voix, Jeanne fait prendre h Fierbois l'épée qui
y était ensevelie ;
32*' Confirmation, dans la Lettre aux Anglais, de la soumission
future de Paris à son roi légitime ;
33^ Annonce de la recouvrance totale du rovaume ;
34" Kt de l'expulsion des Anglais hors de toute France.
A Orléans (l^'-S mai 142'J).
35" Jeanne, devant la ville, annonce le changement du vent ;
36^- Elle annonce aussi la crue du fleuve et sa parole se vérifie;
37'' Vision au château de Reuilly, près Chécy ;
38'' Jeanne garantit à son héraut qu'il reviendra sain et sauf de
la bastille anglaise ;
39° Vision de saint Louis et de saint Charlemagne ;
40" La Pucelle et le docteur Jean de Mascon : elle combat ses
doutes et l'assure qu'Orléans sera délivré ;
41° Affaire de Saint-Loup. La jeune guerrière est réveillée par ses
Voix ;
42° Prédiction du jour précis de la levée du siège ;
43° Prédiction de la mort du capitaine anglais Glasdale ;
44° Prédiction, avec des précisions nouvelles, de la blessure que
la jeune guerrière devait recevoir :
4o° Annonce du retour dans la ville par le pont;
46° Prédiction de la prise de la bastille des Tourelles ;
47° Vision dans un champ, après sa blessure :
48° Rentrée, le soir, dans Orléans parle pont.
D'Orléans à Compiègne.
49° Jeanne et la duchesse d'Alençon : elle lui ramènera son mari
sain et sauf;
50° A Jargeau, elle sauve la vie au jeune duc ;
51"^ Assurance de la victoire de Patay ;
52° Assurance du succès de la campagne de Reims ;
53° Assurance de la soumission de Troyes ;
54° Assurance de la prise de Saint-Pierre-le-Moulier.
Jeanne à Rouen devant ses juges. — Prédictions et révélations.
55° Révélation au sujet de sa prise à Compiègne ;
56° Sa délivrance « par grande victoire » ;
DERNIER MOT DE CETTE HISTOIRE : JEANNE ENVOYÉE DE DIEU 481
07" Certitude de son salut, si elle garde sa virginité d'âme et de
corps :
58" Quoi qu'il advienne, le duc d'Orléans sera délivré:
59*^ Prédiction du traité d'Arras;
60° De la soumission de Paris;
61° Gela, avant que sept ans se soient écoulés ;
62° Grande victoire que Dieu enverra aux Français;
63° Expulsion finale des Anglais;
64° Recouvrance du royaume tout entier par Charles Vil;
65° Tout cela du vivant de son roi.
Prédicti.ons de premier ordre à relever dans ce nombre
de farts prodigieux.
Un pourra faire observer que ces soixante-cinq laits sont loin de
présenter tous la même importance. Nous en conviendrons volon-
tiers; mais, à notre tour, nous remarquerons qu'il est facile de trou-
ver en ce nombre quinze faits de clairvoyance intuitive ou prophé-
tique de premier ordre à tous égards, soit qu'on les considère en eux-
mêmes, soit qu'on les considère dans leur accomplissement. Absolu-
ment certains en tant que faits de clairvoyance prophétique ou intui-
tive précédant les événements, ils ne le sont pas moins en tant que
littéralement justifiés. Tels sont les faits suivants :
i" Annonce de la défaite de Rouvray ;
2° Révélation au roi Charles VII d'un secret connu de lui seul et
de Dieu ;
3° Prédictions de la levée du siège d'Orléans ;
4° De la blessure que Jeanne devait y recevoir;
6° De diverses circonstances du siège, telles que la mort du
capitaine anglais Glasdale, de la levée du siège dans cinq jours, de
la prise des Tourelles, etc. :
6° Du sacre de Reims ;
7° De l'époque précise ou il aurait lieu ;
8° Découverte de l'épée de Fierbois ;
9° Défaite des Anglais à Jargeau, Patay, etc. :
10^ Durée de l'héroïne, un an, guère plus;
11° Prédiction du traité d'Arras ;
12° De la rentrée de Paris en l'obéissance du roi ; détermination
de l'époque ;
482 APPENDICE X
13*^ Retour du duc d'Orléans de sa captivité d'Angleterre ;
14° Grande victoire finale des Français, celle de Castillon ;
i:)o Expulsion des Anglais et recouvrance par Charles Vil de tout
le royaume.
' Ces prédictions diverses sont d'autant plus frappantes que plu-
sieurs n'ont été accomplies qu'après la mort de la Pucelle, au
cours de sa « mission de survie ». Mais toutes l'ont été, et nous
devons noter l'assurance dont Jeanne s'est toujours montrée péné-
trée lorsqu'elle annonçait ces choses extraordinaires.
D'où venaient à la Bienheureuse ces lumières sur l'avenir.
Si, pour répondre à cette question, nous n'avions d'autre guide
que le raisonnement, nous dirions : A coup sûr ces lumières ne lui
venaient ni de sa propre intelligence, ni d'aucune intelligence pure-
ment humaine. L'avenir pour l'homme est un livre fermé. Les intel-
ligences supéiùeures ne l'entrevoient que douteusement, par pro-
nostics ou conjectures. Les prophètes inspirés lisent clairement et
avec certitude dans ce livre, mais parce que Dieu le leur ouvre et
fait briller à leurs yeux sa lumière. Au regard de la Pucelle, Dieu
la faisait briller par l'entremise de ses Voix. C'est elle-même qui
nous l'apprend. « Je ne sais rien, disait-elle, que cela ae vienne par
révélation et commandement de Dieu. » (I, 75, 8a).
A Rouen, ses juges lui demandent : — Vous annoncez des choses
à venir : par qui les savez-vous ?
Jeanne. — Je les sais par sainte Catherine et sainte Marguei'ite
(I, 85).
Le juge. — Vous avez été blessée à l'assaut de la bastille du Pont .
saviez-vous par avance que cela adviendrait?
Jeanne. — Oui, je le savais : sainte Catherine et sainte Margue-
rite me l'avaient révélé (I, 79).
Le juge. — Vous dites que Paris ouvrira ses portes à votre roi :
comment le savez-vous ?
Jeanne. — Je le sais par une révélation qui m'a été faite, et je
sais par cette révélation que cela arrivera avant sept ans (I, 84).
En effet, moins de sept ans après, en 1436, la capitale rentrait en
l'obéissance de Charles VIL
Le juge. — Vous annoncez que Dieu enverra une grande victoire
aux Français : comment le savez-vous ?
Jeanne. — Je le sais par révélation, je le sais aussi bien que je
sais que vous êtes là devant moi.
1
DERNIER MOT DE CETTE HISTOIRE : JKANNE ENVOYÉK DE DIEU 483
Le JCdE. — Quand cela adviendra-t-il ?
Jeanne. — Je ne sais ni le jour ni l'hcui-e ; mais que cela doive
arriver, je le sais par saintes Catherine et Marguerite (i. 84, 85).
Le juge. — N'est-ce pas présomption et témérité, que vous van-
ter do connaître l'avenir, le passé et les choses présentes cachées,
vous attribuant à vous-même, simple et ignorante créature, ce qui
n'appartient quà Dieu "?
Jeannk. — Notre-Seigneur est maître de révéler l'avenir et les
choses cachées à qui il lui plaît. Ce que j'ai dit des choses cachées,
de lépée de Fierbois, par exemple, et des événements à venir, c'est
par révélation (I, 251).
Ni les juges de Houen, ni aucun de nos historiens incrédules
n'ont pu réfuter cette réponse de la Pucelle : la raison et le bon
sens mêmes parlent par sa bouche.
Conclusion.
Pour conclure de façon simple et précise, il suffira des observa-
tions suivantes.
Les prédictions, visions, révélations de la B. servante de Dieu,
forment un ensemble de faits de premier ordre, dûment certifiés,
tels qu'on n'en rencontre pas de pareils et en aussi grand nombre
dans l'histoire daucim autre personnage célèbre.
Des prédictions tombées des lèvres de Jeanne, on n'en saurait
citer aucune qui n'ait point été accomplie.
Et parmi ces prédictions, il en est plus de quinze concernant des
événements d'une importance exceptionnelle, défiant toute prévision,
et figurant au premier rang parmi ceux qui sont la gloire de nos
annales.
Prises en détail ou dans l'ensemble, il n'est pas possible que ces
prédictions aient pu cadrer par hasard avec les événements.
Il n'est pas possible non plus que par le seul effort de son intelli-
gence et le jeu normal de ses facultés. Jeanne ait pu connaître et
annoncer ces événements à venir. Elle avoue ne les avoir connus
que par ses Voix. C'est conséquemment à Dieu seul quelle est rede-
vable de les avoir prédits, de même que c'est à la toute-puissance
divine que la France est redevable de leur accomplissement.
Quel sera donc le dernier mot de cet appendice ?
Ce sera celui-là même par lequel Jeanne d'Arc en face de ses juges
et du bûcher, proclamait le caractère divin de sa mission et de ses
Voix.
484 APPENDICE X
Elle disait : — Oui. mes Voix et mes révélations élaienl de Dieu
[Procès, 111. 170).
Nous dirons après elle : — Oui, .leanne la libératrice, Jeanne la
sainle disait vrai : elle était inspirée et envoyée de Dieu.
Et nous sommes persuadé qu'Edmond RicLer, l'auteur de cette
Histoire, ne nous le reprocherait pas.
NOTE SUR LE DUC D'ORLEANS
CAPTIF EN ANGLETERRE AU TEMPS DE JEANNE D'ARC
Charles, duc d'Orléans, dont la Pucelle a maintes fois annoncé
le retour de sa captivité d'Angleterre, était le fils aîné du frère de
Charles VI que Jean sans Peur fit assassiner. Il naquit à Paris
en 1391. Veuf d'Isabelle, fille de Charles VI, en 1409, l'année sui-
vante il épousait Bonne d'Armagnac, fille de Bernard Vil, comte
d'Armagnac et connétable de France. De là le nom d'Armagnac
donné à son parti et plus lard aux défenseurs de l'héritier légitime
du roi de France, Charles Vil. Blessé et fait prisonnier à Azincourt,
il resta vingt-cinq ans en Angleterre et ne dut sa liberté, en 1440.
qu'à l'intervention du duc et de la duchesse de Bourgogne.
11 revint donc d'Angleterre, comme l'avait assuré la Pucelle. Cette
même année 1440. il épousait en troisièmes noces .Marie de Clèves
dont, en 1461, il eut l'enfant qui fut Louis XII. Sa mort survint
en 1464. On a de lui des poésies dans lesquelles on voudrait qu'il
fût question de Jeanne la bonne Lorraine. Il ne parait pas s'en être
préoccupé.
SUl'PLEMEiNT AU LIVRE PREMIER
DE L'HISTOIRE D EDMOND RIGHER
Préambule de sa Dissertation
sur les révélations et la mission de la Pucelle^.
(Tom.j I, p. 170. Manuscrit, r« 89-0^.)
« Puisque toul le motif de ceux qui l'ont condamnée ne provient
dailleurs que des révélations qu'elle disoit avoir du ciel pour le
salut et repos de la France, auparavant que d'examiner son procez
qui est la plus belle pièce de cette histoire, nous ferons un traité
dogmatique de sa mission suivant les règles de théologie et de
droit canon, lesquelles plusieurs doctes prélats, théologiens et juris-
consultes qui ont vescu en ce siecle-là ont rédigez par escript pour
servir de griefs et contredits à la revision du procez : et traiterons le
tout par ordre et méthode très facile, ce que n'ont pas fait les
autheurs susdits à cause de la rudesse et façon grossière descrire
de leur temps.
Pour donc faire jour à une aussi difficile controverse que celle
de la discrétion des bons ou malins esprits et révélations que plu-
sieurs disent avoir, encore que depuis l'establissement de la reli-
gion chrestienne les prophéties ayant esté moins fréquentes
comme n'estans pas tant nécessaires au salut et conduite des
hommes, Jésus-Christ ayant laissé à l'Eglise son espouse le Saint-
1. Ce préaiuhulo étant assez long et un peu diffus, au lieu de le don-
ner tout entier au commencement de la Dissertation p. 170, t. I, il nous
a paru préterahle d'en dégager seulement la pensée maîtresse et d'en
renvoyer le complet développement à la lin des Appendices du t. II. C'est
également pour ne pas laisser le lecteur sous une impression plutôt
défavorable, que tout à la fin nous avons laissé de côté le dernier para-
graphe d'une vingtaine de lignes, hors d œuvre sans intérêt soit logique,
soit littéraire.
48G SUPPLÉMENT AU LIVRE PREMIER DE LIIISIUIRE d'ë. RICHER
Esprit cl le canon des saintes Escrilures pour règle et direction
infaillible; si est-ce toutes fois quand il plaist à Dieu, il dispense
et départ des privilèges à qui bon lui semble, et envoyé extraordi-
nairement aucunes personnes faibles de nature, mais puissantes et
relevées en grâces, pour opérer des merveilles aux jeux du monde
et confondre les puissances de la ten-e.
Et tout ainsi que jadis en l'ancien Testament, il éleva Moyse,
Debora qui était une femme, David petit berger, Judith, Eslher et
plusieurs autres pour délivrer son peuple de lopprobre et tyrannie
des ennemis ; au cas pareil, en la loy évangélique, il fit choix de
ses apostres et disciples qui avoient tous une mission immédiate,
particulièrement fondée en l'Escriture. Et depuis que l'Evangile
a esté suffisamment publié, Dieu n'a pas laissé aucune fois d'en-
voyer extraordinairement grand nombi-e de saints que lEglise
révère et honore comme organes du Saint-Esprit, qui ont opéré
plusieurs miracles, ainsi que nous apprenons de leurs vies, légendes
et escrits des Anciens. Et d'autant que la mission de telles per-
sonnes n'est pas exprimée en l'Escriture, et conséquemment ne
doibt ni peut estre tenue par i*ègle de foy catholique pour indubi-
table ou nécessaire au salut comme celle de Moyse, des Apostres et
prophètes, et semblablement ne peut estre cognue a priori, c'est-à-
dire par l'évidence et notoriété des quatre causes, sçavoir : si la
chose est véritable, ce que c'est, ses qualités, pour quelle fin ; car
tout cela sont questions de fait, cognues à Dieu seul et aux per-
sonnes auxquelles il lui plaist de communiquer et révéler particu-
lièrement ses seci-ets : donc, il reste d'examiner a posteriori telles
missions extraordinaii'es, c'est-à-dire par les effets, circonstances
et déporlement de la vie, mœurs et actions des personnes qui
publient estre envoyées de Dieu sans moyen (intermédiaire), sous-
mettant le tout au jugement de l'Eglise.
Et en premier lieu faut bien considérer leurs personnes, qui est
le subject et le vase fragile auquel Dieu a déposé ses grâces : com-
ment elles vivent et se comportent, et quelle fin elles se proposent;
joint que la fin est la règle et modèle de toutes les actions
humaines : de plus, si tout ce qu'elles disent et font ne déroge en
rien aux vertus théologales, foy, espérance, charité, et saintes tra-
ditions de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, en laquelle
partons les siècles passez s'est toujours trouvé grand nombre de
personnes nanties de l'esprit de prophétie : argument certain
qu'elle est la vraye Eglise de Dieu. Et sur tous ces moyens est
fondée la question de droit dont Nostre Seigneur a constitué son
Eglise juge, pour arbitrer et ordonner s'il est loisible d'agir et pro-
SUPPLEMENT AU LIVUE PREMIER DE L HISTOIRE D E. RICHER 487
céder en cette manière, et si un tel procédé ne contrevient point
aux règles de la religion et de l'Eglise catholique.
Partant on doibt tenir pour indubitable qu'une personne ne
pèche pas contre la loy et religion catholique, disant avoir des
révélations, moyennant qu'au reste de sa vie elle ne fasse ou com-
mette aucune chose contraire ou discordante aux articles de la loy.
Bien sont dadvis les pères et docteurs spirituels qui traitent de
règles et manière de faire preuve des esprits, que l'on ne croie pas
de léger, que l'on prenne garde si telles personnes sont naturelle-
ment saines de corps et d'esprit, bien timbrées, humbles, non
extravagantes en leui's discours, ni prévenues de quelque faveur,
haine ou autre interest particulier qui les puisse induire à faire ou
dire telles choses ; et d'abondant, après avoir bien espluché sur
toutes ces circonstances, veulent qu'on les blasme comme témé-
raires, présomptueuses et suspectes, de penser et d'oser persuader
que pour elles en particulier Dieu veuille ou doive bastir une ioy
et les exempter de la commune, générale, articulée aux saintes
Escritures et décrets de l'Eglise catholique pour le salut de tous les
hommes qui ont esté, sont et seront à jamais ; qu'on leur reproche
hardiment que c'est un orgueil extrême de présumer cela de soy ;
tout ainsi que si quelque particulier mainlenoit estre exempt de la
loy commune du prince par quelque privilège spécial bien authen-
tique et vérifié ; qui serait une marque d'une grande grâce et
faveur spéciale au-dessus du commun, pour ce que le privilège est
une loy privée et singuliéi-e, disent les jurisconsultes.
Or, tout ainsi que le Sauveur du monde assurait que ses œuvres
rendoient tesmoignage de sa mission pour la gloire de Dieu son
pèi'e, au cas semblable veut-il que l'on fasse preuve des chrestiens
qui sont ses membres par leurs œuvres conformes à l'Evangile et
à la doctrine de l'Eglise, veu que le bon arbre ne produit que bon
fruit ; tel qu'est celui qui part de l'esprit de Dieu, sçavoir charité,
joye, patience, bénignité, bonté, longaminité mansuétude et foy
(GalatesS, et chapitre troisiesmede l'Epître de Saint-Jacques). La
sapience céleste est pudique et chaste, apporte la paix, est modeste,
bien aisée à persuader, s'accorde avec le bien, est remplie, voire
comblée de douceui* et miséricorde, produit quantité de bons
fruits, n'use jamais de dissimulations et desguisements. Les fruits
de la justice ont toujours la paix pour fin, et la donnent à ceux qui
l'ayment et recherchent. Au contraire, la sapience terrestre et dia-
bolique, qui n'a pas pour autheur lepère des lumièi'es, est toujours
rempli de mauvais zèle, de divisions et contentions, de mensonges et
grandes impostures contre la vérité, et de toutes mauvaises œuvres.
488 SUPPLEMENT AU LIVRE PREMIER DE L HISTOIUE D E. RICHER
Donc, quand ces bons et salutaires fruits se trouvent en per-
sonnes catholiques, douées de toutes les parties et qualilez sus-
dites, qui vivent non seulement sans reproche, mais avec louange
et admiration de tous; et que gens bien timbrez, catholiques non
par trop crédules ni prévenus de faveur, haine ou de quelque
autre interest particulier, en rendent bon et fidèle témoignage, ne
vaut-il pas mieux y adjouster foj et les croire sérieusement et
charitablement, que par un esprit opiniastre, aheurté, destitué de
tout sentiment de religion et piété, en juger témérairement et
malignement ? VA bien que les esprits malins qui se transforment
souvent en anges de lumière, contrefassent des singeries de piété
et d'actions vertueuses, ils se font bientost cognoistre, meslans
toujours le mal parmy le bien et le vice parmy quelque étincelle
d'une maligne et esblouissante lumière de dévotion, pour tromper
et décevoir le monde, ne pouvant persévérer ou bien demeurer
constans au chemin de la vertu, car autrement ils destruiroient
leur l'oyaume et mystère d'iniquité.
L'Escriture nous apprend que lantechrist doibt en son temps
contrefaire plusieurs miracles lesquels pourront mesme donner de
très grandes impressions aux âmes des esleus ; toutes fois il se
fera assez tost recognoistre par ses mômeries et par le but qu'il se
proposera, voulant ségaler, voire eslever au-dessus de Dieu pour
se faire adorer et distraire les enfans de Dieu de la vraie religion,
culte et adoration deue seulement au créateur et rédempteur du
monde. Qui est pareillement le dessein de tous les esprits malins,
sorciers et magiciens, qui ne se peuvent longtemps celer.
Mais passant de la thèse à l'hypothèse, du général au particu-
lier, si la Pucelle a eu révélations et si c'est saint Michel, saint
Gabriel, saintes Catherine et Marguerite qui lui ont donné conseil,
tout cela est une question de fait incognu aux hommes, et cognu
de Dieu seul et de cette fille à laquelle il a plu à Dieu de se mani-
fester. Quant à la question de droit, il est loisible d'agir et procé-
der de cette façon : elle doibt estre diligemment et sérieusement
examinée par toutes les circonstances de la personne qui asseure
avoir telles révélations.
En premier lieu, c'est une fille vierge, âgée de treize ans »
[Voir la suite, tome 1, p. 172, La piété de Jeanne d'Arc jeune fille
et ses révélations.)
Fin des Appendices et Eclaircissements.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CE VOLUME
HISTOIRE DE LA PUCELLE D'ORLÉANS
LIVRE II
TROISIÈME PARTIE
CONTENANT LE PROCÈS ORDINAIRE
Pages.
Ouverture solennelle du procès ordinaire et lecture du réquisitoire. 2
Articles du réquisitoire 1-X 3-11
Articles Xl-XX 11-19
Articles XXI-XXX 19-25
Articles XXX-XL 25-33
Articles XLI-L 33-41
Articles LI-LXV 42-52
Interrogatoire du 31 mars dans la prison 52
QUATRIEME PARTIE
LES DOUZE ARTICLES
Adverlissement sur les dits articles 62
Délibération sur les douze articles 65
Maîtres dont les délibérations ont été envoyées à part 67
lixliortation à la Pucelle malade. — 18 avril 68
AdverUssement 71
Admonition publique dans une salle du château. — 2 mai. ... 71
Adverlissement 74
Délibération sur la mise de Jeanne à la torture. — 9-12 mai ... 76
Lecture des lettres de l'Université de Paris. — 19 mai 77
Lettre au Roy d'Angleterre 78
490 TAULE DES MATIKI
Censure de la faculté de thiJologic de Paris
Censure de la faculté de décret .....
AdvertissemenL
Dernière admonition. — 23 mai
Adverlissement
Conclusion de la cause
CINQLMEME PARTIE
LES DEUX SENTENCES
Pages.
81
Au cimetière de Saint-Ouen, première sentence 00
Formulaire d'abjuration inséré au procès .91
Prononcé de la sentence d'alisoiution 93
Adverlissement 95
Dans la prison de Jeanne. — 24 mai, après-midi 101
La cause de rechute.
L'évêque de Beauvais dans la prison de la l'ucell«. — 28 mai . . 102
Adverlissement 104
Dernière délibération lO'J
Sur la place du Vieux-Marché UO
Sentence de condamnation et de relaps 113
Adverlissement H-i
De quelques pièces extra-judicaires.
De l'information posthume 116
Adverlissement 118. 121,123
Lettre du roi d'Angleterre aux seigneurs de son obéissance. . . . 125
Adverlissement 120
Lettre de l'Université de Paris 131
Supplément au récit d'E. Richeu : La mort de Jeanne d'Arc d'après
les témoins oculaires 133
LIVRE m
LE PROCÈS DE REVISION
AvANT-PROPOs DE l'èuiteuu. — Jcaunc d'Arc cl sa « mission de sur-
vie » 1 40
i>mmèrepa;-/?e. — Attitude de Charles Vil de 1431 à 1450 . . . . 141
Seconde partie. — Attitude du Saint-Siège à la même époque. . . 149
[TEXTE D'E. RIGHER]
REVISION UU PROCÈS DE 1431 ET RÉHABILITATION DE JEANNE d'aRC
Considérations préliminaires. — Enquête de 1450 161
Analyse des neuf chapitres du procès de révision 165
TABLE DES MATIÈRES 491
Pages.
Chapithe l'iiEMiKii. — Rescript du pape Calixte III 167
CiiAPiTiiE 11. — Actes divers 171
Ghapitue III. — Actes divers 174
GiiAPiTiiE IV. — Actes présentés aux juges par les avocats de la
famille d'Arc 176
Actes subséi[U(jnts . . . . 212
Chapitre V. — Enquêtes prescrites par les juges de la revision. 217
Questionnaire," du cardinal d'KsLouleville en \'t'.)'2 217
Questionnaire du clianoine Philippe de la Rose, même année. . 220
Déposition du témoin Isambert de La Roche, dominicain. . . . 224
Enquête faite au pays de la Pucelle 228
Enquête d'Orléans, témoins entendus ... 23G
Enquête de Paris, témoins entendus 238
Enquête de Rouen. Témoins entendus et leurs dépositions . . . 248
Pierre iMigiet 248
Guillaume Manchon, notaire principal du procès 251
Jean Massieu, huissier au procès 260
Guillaume Golles, notaire au procès 266
Frère Martin Ladvenu, dominicain 268
Nicolas de tlouppeville, assesseur au procès 271
Jean Fabri, assesseur 273
Jean Le Maire, Nicolas Gavai, Pierre Cusquel et sept autres
témoins 275
Frère Seguin de Seguin, dominicain, et Jean d'Aulon .... 278
GiiAPniiE VI. — Lettres de garantie du Roy dAngleterre. . . . 280
Cii.vpiTHE VU. — Actes divers 285
Gn.\piTi!E Vlll. — Des mémoires produits à la révision 286
Cii.vpiTUE IX. — Sentence réhabilitant la Pucelle 288
LIVRE IV
ÉLOGES TIRÉS DE DIVERS AUTEURS
AvANT-PROPos DE l'éditeup.. — Des enquêtes entreprises par :
Jean llordal 300
Edmond Richer 301
Lenglet-Dufresnoy 303
Jules Quicherat 204
Portée de ces enquêtes 305
[TEXTE DE. RICHER I
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
De l'anoblissement delà Pucelle par Charles VII 306
Texte des lettres d'anoblissement 307
Advertissemenl 310
492 TABLE DES MATIKHKS
l'ages.
Chapitre pkkmieu. — Éloges tirés des écrivains ecclésiastiques . 31o
I. Gcrson 313
II. Henri de Gorkciiu 314
III. Sybilla t'rancica 316
IV. Les docteurs (ie la réhabilitation 318
V. Anonyme cité par J. Meycr 318
VI. Los témoins des enquêtes de la re vision 322
VIL Li' pape Pie II 323
VIIL Saint Antoni de Florence 332
IX. Philippe de BcrRame 333
X. . Guillaume Postel 335
Xl-Xill. Génébiard. — Arnault de Pontas. — H. Morus. ... 337
XIV-XVI. Mariana. — Deirio. — Candcla 339
Ch.vi'itre il — Eloges tirés des jurisconsultes 342
I. Jurisconsultes cités par Jean Hordal 342
IL Estienne Forcadel 343
IIL René Chopin. — Estienne Pasquior. — H. Kormannus . . . 34d
Chapitre IIL — Eloges tirés des médecins 348
1. Gamperius 348
IL Cardan 348
III. Nicolas Vignier 350
Chapitre IV. — Eloges tirés des historiens 354
I. François Pliilelphe 354
IL Enguerran de Monstrelet 355
III. Fulgose. — Ghalcondyle. — Coccius. — Gaguin. — Maucle-
rus .' 360
IV. Polydore Virgile 363
V. Lilius. — Massœus. — Egnatius. — R. de Wassebourg. —
Paul Jove. — Paulus .^ilmiiius 368
VI. Lazardius. — Aventinus. — Boetius. — Ferrerius 372
VIL Jacques Meyer 375
VIII. Historiens divers 379
IX. Pontus Heuterus 382
X. De Roziers. — Véronius. — Braun, etc 385
APPENDICES DE L'ÉDITEUR
ET ÉCLAIRCISSEMENTS
APPENDICE PREMIER
De Pierre Cauchon, évèque de Beauvais, notice biographique.
1. De la naissance de Pierre Cauchon à son élévation à l'évèché de
Beauvais (1371-1420) 391
IL Pierre Cauchon, évoque et comte de Beauvais, pair ecclé-
siastique du royaume 394
TAULE DES MATIERES 493
l'agcs.
III. Apii'S le procès de lionen. — Pierre Cauchon êvèrjue de Lisieux.
— Sa mort en 1442 398
IV. Question subsidiaire. — L'évoque Gauclion a-t-il été « schis-
maticiue » et « excommunié » ■? 402
AI'PENDIC!': Il
Du procès de 1431, du tribunal et des principaux assesseurs.
I. De Jean Lemaître, vice inquisiteur et juge au procès .... 408
il. Du promoteur Jean d'Estivet 40'J
III. De l'examinateur des témoins, de l'huissier et des notaires. . 410
IV. Des assesseurs, et particulièrement des sis docteurs de Paris . 411
De Jean Beaupère 412
De Nicolas Midy et de Jacques de Touraine 413
De Thomas de Gourcelles, Gérard Feuillet et Pierre Maurice . 414
Du prédicateur de Saint-Ouen, de Nicolas de Venderès et de
Nicolas Loiseleur 415
APPENDICE III
Du procès de réhabilitation, des juges et des personnages
qui y prirent part.
I. De Jean Juvénal des Ursins, archevêque de Reims 417
II. De Guillaume Ghartier. évèque de Paris 418
III. De Richard de Longueil, évèque de Goutances 419
IV. De Jean Bréhal, grand inquisiteur 420
V. Des promoteurs, procureurs, avocats, etc 420
APPENDICE lY
De la « prétendue abjuration » de la Pucelle au cimetière
de Saint-Ouen.
I. Importance exceptionnelle de la question 422
II. La « prétendue abjuration » et le droit canonique 424
III. Que le formulaire inséré au procès n'a été ni accepté, ni signé
par la Pucelle : le formulaire signé était tout différent . . . 429
IV. A (luelle date la lumière a été faite sur ce problème 434
APPENDICE V
Des altérations découvertes dans le texte latin du dernier inter-
rogatoire 438
I. Première altération de la minute française 439
II. Deu.xième — — 440
m. Troisième — — 441
IV Quatrième — — 441
V. Cinquième — — 442
494 TAULE DES MATIÈnES
AIM'ENDICI-: VI
Pages.
De la dernière délibération 444
APPENDICE Vil
Du procès de réhabilitation 450
I. De rinslrument authonliquc du procès 4o0
II. Des expéditions aullH-ntiques 451
III. De sa rédaction primitive 452
IV. Critiques formulées contre ce procès 453
APPENDICE VIII
Des enquêtes du procès de réhabilitation 456
I. Enquête de Rouen. 14."iU 456
II. Enquête du cardinal d'Estoutcville, Rouen 145i2 457
III. Enquête du chanoine Pli. de la Rose, Rouen 1452 457
IV. Enquête au pays de la Pucelle, 1456 458
V- Enquête d'Orléans. 1450 . 459
VI. Enquête de Paris, 1456 .460
VII. Enquête de 1456, à Rouen 461
VIII. Déposition du chevalier d"Aulon, à Lyon, 1456 462
IX. Témoins entendus sur le procès do 14;il 462
APPENDICE IX
De la sentence de 1456, son autorité 464
I. Éléments essentiels du procès de réhabilitation 464
II. L'école antitraditionncUe et ses objections 466
Ce que disent : Jules Ouicherat 468
Gabriel Monod 471
M. A. France 472
Conclusion de L'Averdy 475
APPENDICE X
Dernier mot de cette histoire: Jeanne d'Arc envoyée de Dieu. . 476
I. Prédictions et faits extraordinaires qu'offre la vie de la
Pucelle 478
II. Prédictions de premier ordre à y relever 481
Conclusion 483
Note sur le duc dOrléans captif en Angleterre 484
Préambule de la Dissertation d'E. Richer sur les révélations et
la mission de la Pucelle 485
TABLE ANALYTIQUE DLS MATIÈHLS
CONTENUES DANS LES DEUX VOLUMES
Abiîeville I, 141 .
Abjuration (L'... canuniiiue, en qui'l
cas requise). I, 191.
— (L'... prétendue de la Pucelle).
I. l'JS ; H, 42:2 et suiv.
Abkeviitelr (L') du procès. I, 406-
410.
Absolution (Sentence d') à Saint-
Ouen. 1. 198.
Accusés (Droits des... en cause de
foi). 1. 190, 205.
Accusations (Résumé des.., contre
la Pucelle). II. 4.
— établies par bruit public, II.
51.
ACIIITOI'HEL. I, 144.
AiLMONiTioNs PUBLIQUES à la Pucelle.
II, 74 ; II. 197.
AtiuETs (Le baron des). L 160.
Advebtissement de Richer au lecteur.
1.37.
.'Emilius (Paulus), historien, II, 371.
Affaires (Etat désespéré des... publi-
ques). I, o5.
Aimond de Macv, sa déposition, II,
i'46.
Albret (Le Sire d'... tué à Rouvray).
I. 54.
Alençon (Jean duc d') prince du
sang. I, 51.
— assiste à Gliinon à l'examen
de la Pucelle, I, 79.
— donne son opinion snr la prise
des Tournelles. I, 112, 113.
Alencon nommé lieutenant-général.
1.120.
— il Jargeau. F, 120.
— au pont de Meung. I, 123
— se refuse à combattre Riche-
mont. I, 127.
— à Patay. I, 12.j.
— parle à Talbot prisonnier. I,
126.
— à la campagne de Reims. I,
130.
— arme Charles VII chevalier. I,
137.
— à Paris, à la porte Saint-
Honoré. I, 152.
— envoie quérir Jeanne blessée.
1, 152.
— loue Jeanne chef de guerre.
I, 92.
— loue sa chasteté. 1, 83.
— repris par elle pour avoir
juré. I, 60.
— proteste contre la paix. 1, 144.
Alençon (La duchesse d") et la Pu-
celle. I, 120.
Alépée (Jean) chanoine de Rouen, au
Vieux-Marché. II, 112.
Allêgoiue (Jeanne use d'... pour
sauvegarder son secret). I, 309,
310.
-AMBASSADE au duc dc Bourgogne. I.
143.
Ambleville héraut de la Pucelle. I,
91.
AxiEs (Des... insigncment prédesti-
nées). I, 271.
496
TABLE ANALYTIQUE GENERALE
Amiens, I, lit.
Ampoule (La sainte ). I, 136.
Ange (Jeanne... de paix). I, 99.
Anges (Enseignement de lEcriturc
sur les ). I. (i3.
— Protecteurs du rovauiiie. 1.
270.
— (Des... de la lumière.) I, 17:2,
282.
— Apparition des... dans la sainte
Ecriture. I, 345.
— Apparitions... à la l'ucelle. 1,
63, 270.
Angl.\is (Les... en France), l, iJl.
— s"em parent des villes de la
Loire. L 6U,
— devant Orléans. L Si.
— irrités par les lettres de la Pu-
celle. I, 100.
— assiégés dans leurs bastilles.
I, 106.
Angl.\.is (Les archers... les meilleurs
de l'Europe). I, 147.
— Calomnies des... contpe la
Pucelle. I, 137, 210.
— Les... se défient de Paris. 1,
230.
— Ils seront chassés de France,
89,98, 146, 183. 210, 331.
— Et y laisseront de nombreux
cadavres. 1, 211.
Axgleteuue (Armes de 1'... sur les
murs de la Sorbonne. I,
213.
— (L'... fait les frais du procès).
I, 227.
Anneaux (Des... de la Pucelle). 11.
17, 94.
Annib.\^l. I, 117.
Anoblissement de la Pucelle. II, 306,
307, 310.
Anonyme (Ecrivain... cité par J.
Meyer). 11,318.
Antonin (Saint ) de Florence, II,
333.
AroïKES (Les... devant le Sanhé-
drin). I, 373,
— (Les... et l'infirmité humaine).
I, 182.
Ai'i'AitiTioNs (Des... de Notre-Seigneur
et des Saints). I, 63, 205, 269. 270.
284.
Ai'i'EL d'en haut (Jeanne et 1"). I,
388.
Api'El de Jeanne au Pape. I. 373;
II. 72.
Ahbke (Le bel..., ou arbre des dames.
des fées, ou Beau mai). I. 67, 68.
122. 253. 258, 260.
AltGENTKAV (D' I. 1. 127.
AmsTO.Noùs. I, 22.
AitMAGNAG (Le comte d'... connétable
de France). I, 48.
— (Lettres du seigneur d"... à
la Pucelle). I. 275 ; 11,20.
Ak.moises (Charles Vil et la Dame
des ). Il, 146.
AitTicLEs (Les douze ). II, 54 et suiv.
— Qui les a rédigés. I, 196.
— Communiqués aux docteurs de
Houen. I. 197.
— Envoyés à l'Université de Pa-
ris. I, 197, 214.
— Délibération sur les douze...
II. 65.
— Censures de l'Université. II,
81, 84.
— Les... condamnés en 1456. Il,
62.
— Les... et Achille Luchaire. I,
403.
— Présentés par la famille d'Arc
aux juges de 1455. 11, 175,
214, 126, 212.
Akonuel (Le seigneur d' ). I, 204.
Aktigny (L'abbé ), I, 24.
Akt-sur-Meurthe. I, 169, 403.
Ascension (L'... en 1428). I, 69, 161.
Assesseurs (Des... en cause de foi).
I, 188, 191.
— (Des... de l'évêque de Beau-
vais). 1,226.291 ; II, 109.408.
Augustin (Saint... cité). I, 62 ; 11.
169.
Augustins (Prise de la bastille des...).
I, 110.
Aulon (Jean d'... intendant de la
Pucelle). I, 90, 112,157.
— Son témoignage sur Jeanne.
I. 60. 82, 83 : II. 279.
— Jean... et le Conseil de la Pu-
celle. I, 385.
xViNEKiiE (Jeanne à ). 1, 75.
— (L'armée royale à... ). I, 130.
DES DEUX VOLUMES
497
xVvENTiNus (Johanncs). H, o~i.
A\Eiu)Y (L"). I, :20, 25 ; II, 62, 162.
A\ HANCHES (L'évèque d'...). II, 225.
AvMEiiiE (Maître Guillaume) exami-
nateur (lo la Pucelle. I, 88, 89.
AziNcoïKT (Bataille d'), I, lil.
B\.ii.LET (Adrien), auteur d'une vie
de Richer. I, 2, 4, 206.
B viLLv (Nicolas) tabellion d'Andelot.
[I, 233.
Balaam. I, 2;j6, 258.
Bale (Concile de ). 1, 37, 22G et pas-
si m.
— Docteurs de Paris au... ). II,
131.
Banniek (Porte) à Orléans. I, 107.
Baubix (Jean), témoin à la revision,
11,243.
Basin (Thomas), évèque de Lisieux.
I, 40.
Basoie (Gentilhomme) aux Tour-
nelles. \, 112.
Bastilles (Les,.. d'Orléans). I, 32.
107.
Baudkicol'ut (Robert de) capitaine de
Vaucouleurs. I, 65, 69, 73.
Baldiullakt (Mï'). II, 435.
Bavon (Anna) sage-femme et Jeanne
d'Arc. I, 85.
Bayai\d (Qualités du vrai capitaine,
d'après ). I, 161.
Béatification (Procès de). I, 168.
Béaucaire (J. d'Aulon. sénéchal de).
I, 90. '
Bealce (Rive delà). I, loi, 106.
Beaucourt (Du Fresne de). II, 145.
Beaucuoix (Simon), témoin au procès
de revision. II, 243.
Beallieu (Chùteau de... en Verman-
dois). Tentative d'évasion de la
Pucelle, de... I, 163,320.
Beac Mai. Voir au mot Arbre.
Bevumaxoir (Le sire de) à l'arrivée
du roi. I, 123.
Bevui'èhe (Maître Jean) interroga-
teur de la Pucelle. I. 236. 242 ; II,
2.39,410.
Beaiiiecahd (Notre-Dame de). I,
465.
iÎEALiiEi'AïuE (Charles de). II, 148.
Beaukevoiu (Du saut de). I, 290, 339 ;
II, 25, 33, 164, 290, 311.
Beauvais (La ville de) se soumet. I.
147.
— (Territoire du diocèse île...). I.
100, 167.
— (L'évèque de). Voir au mot
Cauchon Pierre.
Beuford (Jean de Lancastre duc de...
et de Sommerset). I, 214. Beau-
frère du duc de Bourgogne. I, 130,
Ses promesses au duc d'Orléans.
I, 52. Sa réponse au duc de Bour-
gogne, L 34. B... et frère Richard.
I, 134. B... en campagne. I, 141.
A Danmartin, I, 146. A Montépil-
loy. I, 149. A Paris. I, 147. Mani-
feste du duc. I, 142.
Bedfokd (La duchesse de) et la vir-
ginité de la Pucelle. I, 85.
Bëelzébub, I, 117.
Belleforest (Gilles de) historien. I.
47, 97, 162, 163,
Bellier (Guillaume) hôte de la Pu-
celle. à Chinon I, 78,
Belo.n et Balme (Les RR. PP.) domi-
nicains. II, 409, 417.
Bermg.nt (Noire -Dame de), I, 59.
462,
Beunouilli. I, 18.
Berthaud (Dom). I, 426.
Bibliothèque nationale (La... et le
manuscrit d'E. Richer). I, 2.
BiLLOHv (Martin) vice-inquisiteur. I,
122, 219, 418.
Blois (Arrivée de Jeanne à). I, 32.
— Bénédiction de la bannière
des hommes d'armes. 1, 196.
— Préparation et départ du corps
de secours. I, 100.
— Retour à... des troupes de
Jeanne. 1, 102.
BucuARD (Jean), évè^iue d'Avranches.
II, 419.
BoETius (Hector). II, 375.
Bois Ches.\u (Le ). I, 122.
BoisY (Gouffier, seigneur de ). I, 412.
Bois-Gl'illaume (Voir Colles, dit). I,
38.
Bologne (Manuscrit de l'Université
de). II, 162.
32
498
TABLE ANALYTIQUE GÉNÉRALE
BoNN\ULT (de), historien. 1, 423, 4?6.
HounEiLLEs (Hélie de). Son int-moiro.
I, 39.
Bossi-ET. I, 2, 14, 23, 31, 384.
BoucHEii (Jacques... d'Orléans). 1.
103.
BoriLi.É (Guillaume). Rédige le pre-
mier mémoire favorable à la Pu-
cellc. II, 40. 161. 163.
Bonuuo.N (Duc de) à Reims. I, 137.
153, 156.
Bourgeois (Le... de Paris). I, 156.
BoiRùEs (Charles, roi de), 1, 22.
— (Assemblée du clergé à). 1.
51.
— (La Pucelle à). I. 103, 136.
BouRiiET (Paul.... cilé)..I, 4.")5.
BountioiiNE (Jean-sans-Peurduc de.. )
I, 43, 47. 206. Ce qu'en dit
la Pucelle, I, 3.32, 335.
— Porte de... à Orléans). I, 102.
107.
— (Philippe-le-Bon, duc de). F.
48.
— Et Isabeau de Bavière. I. 50.
— Lettre de la Pucelle au duc
de). I, 09.
— Autre lettre...). I, 140, 143.
— (Le duc de... envoie 800 hom-
mes à Bedford. I, 141.
— Se prépare à combattre Char-
les VII). I, 137.
— Vient à Paris. I, 130.
— Est choisi parles Parisiens. I.
155, 160.
— Le duc de... et Jeanne à Mar-
gny. I, 163.
— Le duc... et les princes d'An-
gleterre. 1, 212.
— La duchesse de... aux Pays-
Bas. I, 130.
Bjuiir.uiGNON (L'unique... de Domre-
my). I, 238.
— (De ï'épée que la Pucelle enle-
va à un... ). I, 273.
B(>uni;uiG\o.\s (Massacres opérés par
les... dans Paris). I, 48.
Rouhlemont (Le seigneur et la dame
de). 1,07.
BouRNEL (Guillaume). I, 142, 157.
BoossAC (Le maréchal de). I, 52,
137, 109.
Brandons (Dimanche des ). 1, 33.
Bhaun (Georges). II. 386.
Bralx (G. de). I. 461.
Bhéhai, (Jean..., grand inciuisiteur).
I. 40; II, 4-20.
Bretagne (Le duc de... et Clisson).
I, 46.
Brie (Soumission de la .. à Charles
Vil). I, 27.
Bkunetiére (Ferdinand). I. 35.
BrciioN (J. A. C). I, 221.
BiREv-i.E-PETrr. I, 69.
Cacotin (Antoine). I. 423.
Calais (Descente annuelle des An-
glais à). I. 99.
Cai.ixte III et la réhabilitation. I. 9:
II. 167.
C\LOT (Laurent... à Saint-Ouen). II.
244, 247.
Calvenier, annotateur de J. Nyder.
II, 131.
Camperius, II, 348.
Candela (Jean). II, 3il.
CvpiTAixES (Les... à Blois). I, 100.
— (Conseil des... à Orléans). I,
108.
— (Soumission des... à une fem-
me). I, 174.
Cardan. II, 348.
Castillon (Victoire de). Il, 341.
Catherine, sœur de la Pucelle. 1,
57, 180,
Catherine de F^Iaxce. I, 18, 80.
— (Son mariage avec Henri V).
I, 21, 49, 50.
Catherine de La Rochelle. I, 156.
289, 337.
C\L'CHON (Pierre) évèque de Beau-
vais. I. 166, 167, 177.
— Son origine, I, 147.
— Conseiller du roi d'Angleterre.
I, 147, 232.
— Vendu aux Anglais. I, 9, 10.
227
— .^e dit juge ordinaire de la
Pucelle. I, 194.
— Sans juridiction sur elle. I. 40.
— Récusé par elle. I, 2.ï3, 326.
DES DEUX VOLUMES
499
C\rr.iioN(Pierro). Soiiiiuation à Jean
<io Luxciiibourfi. I, 2'2i.
— Deinando au (iia]iitro do Rouen
les pouvoirs néccssaii'cs. I.
233.
— Ses intcrrofîatioiis sur les an-
ges. I, 177.
11. 167.
— Refuse à la i'uiellc d'enlendn'
la messe. 1. 61.
— ... de prendre acte de sa sou-
mission au Coneile de Bàle.
II, 2i'6,
— Convient d(> sa virginité. I..
81.
— Ses calo;nnies contre elle. 1,
3!l7-398.
— En horreur au peuple aprrs
le supplice. II. 1(11.
— Transléré à Lisieux. 11. 398.
— Sa mort. I, 315.
— Le rescript de Calivte III, el...
II, 167.
— Notice biograidiiiiue sur. II,
391.
Causes majeures (Des... et de leurs
juges). I, 188.
Chalconhyte. II, 361.
CiiALONs (l/évèque de). I, 2:27.
— (Le roi à). I, 135.
Chapelain (Le poète). 1, 1.
Chapelle (Jeanne à La). I, loi.
Chapitault (Simon) promoteur du
procès de revision. II, 172. 174.
285, 421.
Gh ARGOT (Le docteur). 1, 17.
Charles VI (Du règne de). I, 45,46,
49,51.
Charles VII, Dauphin. I, 46.
— Tanneguy le sauve. I, 48.
— Premières années de son rè-
gne. I, 51.
— Roi de Bourges. I, 51.
— Songe à se retirer en Castille.
I, 53.
— Ses prières a la Bienheureuse
Vierge. 1, 80.
— Hésite à recevoir la Pucelie. I,
76, 77.
— Lui accorde audience. I, 77.
— Reconnu parmi les seigneurs,
ibid.
Chaules VII. déclaré vi'ai héritier.
1,98.
— Reçoit le rai)port de la Com-
mission de Poitiers. I, 79.
— Fait donner à Jeanne de riches
habits. 1, 93.
— Révélations de Jeanne le con-
cernant. I. 245, 346.
— Faible et peu agissant, I, 180.
— A Saint-Denis. I, 150.
- ...et Jeanne captive. I, 209.
— Recours possible au Pape. II,
141, 142.
— Son altitude de 1431 à 1449.
II, 141.
— Ordonne ren(iuète de 1450. H.
102.
— Bienfaiteur des frères de la Pu-
celie. I, 58.
Charles, duc de Lorraine. 1, 71.
CiivurEiGNES (Guillaume), évèque do
Poitiers. I, 79.
Chartes (Trésors des). I, 227 ; II.
162.
Chartier (.Vlain). I. 383.
— (Jean), chroniqueur. I, 383.
Chartier (Guillaume), évèque «le
Paris, juge du procès de réhabili-
tation. Il, 418.
Chaktrec.x (Aux... de Dijon). I, 261.
Chastellain (Georges), 11,387.
Chastillox (Le sire de... à Reims). I,
135.
— (Jean de). 1. 74-.
Chateaubriand. I, 31,
Ch.vteauurun (Sire de... tué à Rou-
vray).I, 54.
Château-Thierry. I, 93. 141, 145.
Chaumont-en-Bassk.nv. I, 57.
Chécy (Jeanne à... près Orléans) I,
102.
Chevalier (Chanoine Ulvsse). II,
305, 435.
Chichery (Renaut dei. II, iùS.
Chinon (Jeanne à). 1, 21, 75, 79, 82.
— (Le soudard de). 1, 82.
Choisy (Siège de). I, 100.
Chopi.n (René). II, 345.
Chaussetier. prieur des dominicains
dEvreux. II, 421.
500
TAItLE ANALVTIUL'E GENERALE
Ciuoi'LE (Hoborl) tle l'LInivi'isili' ilu
Paris. I, 40.
Ci.vssiDAS (ou Glas(lale). I. 105, 110.
112.
Cléme.nois [Nicolas de). I. 187.
Clf.rmont (le Comle île). I. l>'o. 1 H.
loi>.
Ci.issoN (Olivier de). I, 46.
Glovis et le sacre des ruis de Fi aiicc,
I. 00.
Colette, lem me Milet. II. 248.
CoLix, de Groux. 1, 57.
Colles (dit Bois-Guillaume) notaiiv
au procès. I, 38, 39. Sa d(3i)o.si-
tion au procès de re vision. II,
266, 411.
G0.MIXES comparé à Polybes, 1, 213.
— et les princes de la maison de
Lancastre. I, 212.
C0M.MEUCV (le sire de) à Reims. I,
136.
CcMMissAHiES dcs enquiHcs (Los). II,
213.
CoMPiÈciNE (soumission de ... au roi).
î, 149; et siège de... par les
Anglo-Bourguignons. 1,161.
— Sortie de... et prise de la Pu-
celle, 1, 161, 162, 2'J3.
— Levée du siège de... I, 16i.
— Du diocèse de Soissons, I, 107,
220, 419.
— Paroisse sur la live droile de
rOise. I, 167.
— Croix sur le pont de... I, 166.
CoMPOKTÉ (Porto de... à Troyesj. I,
133.
Conciles (Lois édictées paries...). I,
186.
Conclusion de la cause. I, 197.
CoNcouDATde Léon X et François 1".
I, 51.
CoNFEsSEius (Los... de la Pucelle). I,
72.
CoMouT que Jeanne reçoit de ses
voix. I, 249.
Conseil (Le... royal de Troyes), I,
132.
— Le... des capitaines à Orléans.
I. 109.
Conseil (Le céleste... de laPucelle). I,
362, 365. 383.
— Le céleste... el .loan d"Aulon.
I, 364.
CoNSEiLLEiis (Les... de la fontaine). I,
41.
Constance (Concile de) I, 313.
CONSTANTINOl'LE. I, 361.
CoiiHEIL. I, 142.
CoilNEILLE.I, 23.
CoULDuw (Tour du... à Cliinonj. I. 78,
405.
CouRCELLEs (Tliomas de). II,i;II,414.
— Sa déposition. H, 241.
— iJe la virginité de Jeanne. 1.84.
— il met le procès en forme. I,
213, et assiste au concile de
Bâle. II, 131.
Couronne (Allégorie de la... appor-
tée par un ange). I. 41. j.
Coûtes (Louis de) pagode Jeanne. IL
91, 243.
CuAoN (le Seigneur de) réfugié en
Bretagne. I, 46.
Cresi-v-en-Vallois, I, 147, 149. 161.
Crimes contre la foi (des). I, 186.
Croisade (incitation à une...). 1,98.
Croix sur le pont d'Orléans. II, 297.
Croix sur le vieux marché de Rouen.
H, 296.
— (Du signe de la...). 1,58, 173.
Croix-Morin (la), quartier d'Orléans.
I, 107.
Crotov (la Pucelle au). I, 145, 249.
Cuissard, éditeur du Journal ilu
siège d'Orl., I, 105, 121.
CuLANT (l'amiral de). I, 133.
CusouEL (Pierre) témoin aux enquê-
tes de la révision, II, 275.
I)a.m.\iarti\ (L'armée royale à) I, 146.
Daniel (le prophète). I, 270.
Daron (Pierre) II. 278.
Daui'hin (le... et l'archange Sainl-Mi-
chel). I, 349.
(Pourquoi Jeanne nommait -elle
ainsi le roi). I, 81.
Daunou (article de... sur E. Richer).
1,26. 28. .il.
DKS DKUX VOLUMES
501
David ol le iiroplictc Nallian. I, li'o.
Debiioua. I, -'98 cL passim.
Delachambue (assesseur au proci's).
11,74, 23"J.
Délibération sur les 12 arlicles. 11.
GU.
Dembéhatuin (Ladernirre...). II, lO'J,
4t4.
Delohme (le père Nicaisc) I, ^41.
— (Philibert) 1. i'3.)
Deliuo (Maiiiii). 11,340.
l)ENiKLE(le prreH.). \r22il: II, 1:j2.
Dêmétriaue (l'évi-quc dci I. 83.
Dé.métuii's de Phalère. 1. 1()().
Descautes. I, 384.
Descendants (les... des frères de
Jeanne d'Arc). I. i84.
Desideuata ((juel([ucs... de Riciier)
l,iMS.
Dësiaudins (assesseur au procès) II,
74.
— (Abel, historien de la l'ucelle)
I, 463.
Désolation des Églises de France.
1.181.
Des I'bez (Jean, doiainicain). II. 27'.),
Démons (de l'intervention des). I.
187.
Dieu (Jeanne l'ait tout par coninian-
deinent dc...i. I. 197.
— cache à la Pucellc sa lin cruelle.
1,31b.
Dix A\( Jaciiues de. . . à l'année ro vale) .
1,123.
Dispenses (des) de la loi commune,
I. 205.
DissEBTATiON sur Ics révélatious de
la l'ucelle. I, 168.
— Observations de l'éditeur. I,
168,170.
Divination (de la). I, 187.
Domremv (Jeanne à). I, 57, 368, 481.
— Enquête faite à... II, 228.
Dorez (Léon). I. 46!».
Dhorr (le... canonique et les deuv
procès). I. 18.
Dubois (chan. d'Orléans). I. 107.
Du Lys (Jean), frère de la Pucelle.
II, 229.
De Lvs (Claude) et N. D. de Beaurc-
gard. I, 46;;.
— (Charle.<) I, 169.
DiiMN (Ellies) II, 313. 314.
Dupuv (les trois frères), I, 38, 200.
Durant Laxabt, parent de la l'ucelle.
I, 480.
Duuemort (Gilles), abbé de Fécamp.
11,445.
Docteurs (les) de la réhabilitation. I,
39 ; II, 286, 318.
E
EccLÈsiASTiouEs anglais (Jeanne
prend les... sous sa protection). I,
110.
Ecosse (secours venus de 1') I, bl.
Ecriture (la sainte). 1,82,
Ecrivains ecclésiastiiiues (éloges tirés
des). II, 311.
Editeur (avant-propos de 1"). I, 185.
Il, 100, 311. Appendices. I, 336-
488: II, 391-484.
Edouard d'Angleterre I, 212.
Eglise (l'iionneurde r...etlaPuceile).
I, 19.
— (Jeanne et F).!, 18b.
— Ce que Jeanne entendait par
là). L 185.
— Jeanne et l'Eglise militante;
I, 78, 273.
— Soumission de Jeanne à la dé-
termination de... I, 11, 45,
132, 327, 372.
— Prison d'... refusée à la Pucel-
le, I, 195.
— Du pouvoir judiciaire de 1...
l, 186.
— Du pouvoir législatif. 1, 186.
Egnazio. Il, 369.
Elisée (le prophète), I, 156.
Eloges tirés de divers auteurs. II,
300.
E.MPEREURS (les... romains et la for,
tune), I, 55,
Enkants de France (détresse des). I,
49.
Enouètes (les) de la revision. II, 322,
456.
Envoyée de Dieu (Jeanne). I, 377. 378.
Erart (Guillaume... à Saint Ouen). I,
40 ; II, 228, 41b.
Escorte de Jeanne (P) de Vaucpu-
leurs à Chinon. I, 73.
502
TABLE ANALYTIQUE GEXKr.ALE
KsTiVET (d'...) piùiiiolourdu proct's).
1, 233, 238 : II, 267. 24U, 40'J.
Esc.vLEs (le sire d). I, 124.
L:sprits .malins (Jeanne el le.s). II, 11>.
22. 35, 36, 118.
KsTOUTEViLLE (Ic cardinal d"). II. 113,
164. 173, 420, 457.
JvfAT (rélablissenient de 1"). Il, 113.
liTAT DE MAISON dc la Pucellc I, 90.
i\TEND\Rn (1'... delaPucelle). l, 43, 94,
267. 294, 331 : II, 139.
— au sacre de Reims. 1, 139.
— r.. . ou l'épée. I. 354.
iMiiÈNE IV elle concile de Baie. I. 37.
227.
— et la lettre de l'Université de
Paris. II, 154.
KvÈoL'Es {le3...)juges ordinaires dans
leurs diocèses. I. 88.
EvitEux (le bailli d"... à Beaugency).
I, 24.
Expulsion des Anglais du rovaume,
1,171.
Eymeric (Nicolas) autour du Direc-
torium inquisitorum. 1, 185.
FABui(.Iean...ou Lei'èvre). I. 257,273.
Falstolf à Patay. I, 124, 125.
Fécamp (délibération de l'abbé de). II.
109.
Fées (la Pucelle interrogée sur les).
I, 330.
Fénelon. I. 22.
Ferrebouc (notaire de la revision). II.
421.
Fekrerius (Johannes). II, 375.
FiEUBOis (Sainte-Catherine de). I, 16,
— L'épée de). 1,91,226, 347.
Fille de Dieu (Jeanne). 1, 120, 300, 350.
— de rEGLisE(Jeanne). 1,300, 350.
— AU CRAND COEUR (Jeanne). I, 350.
Flavv (Guillaume de) à Coinjjiégne.
I. 162.
Florent d'Illiers, I. 106.
Foi de Jeanne en ses Voix. 1,256. 257.
— efïet de ses visions. 1, 256.
-7- des jeunes gens plus forte que
celle des hommes faits. 1,256.
D'oi HUMAINE suflisaiite pour croire
aux révélations de Jeanne. I, 394.
Fontaine (Jean de la). 1,234:11, 225,
293, 410.
Fontaine près du Bel arbre. Il, 8.
Fontaines (Dimanche des). 1. 260.
FONTANIEU. I, 24.
Fontenelle. I. 18.
Forcadel (Estienne). H, 343.
FoiiMLLAiRE présenté à la Pucelle. Il,
98.
— inséré au procès. II. 91, 99.
FoucAUT (Jean). 1, 159.
Four aux fées (le). 1,261.
FouRDEUR (le). I, 223.
FouHNiER (messire), curé de Vaucou-
leurs. I. 72.
Français (division des). I, 48.
— ^les faux). 1,396.
France, bras droit de Fiiglise. I, 180.
— refuge du Saint-Siège. I, 180.
— ravagée annuellement par les
Anglais. I, 99.
— La maison de... I, 8.
France (M. Anatole). I. 402.
— (et M. Lang). I, 401.
— (et Jeanne d'Arc). I, 17.
— (et la réhabilitation). II. 153.
472.
Franoueï l'Auras. I. 159,317.
Fuluose, II, 360.
FU.MÉE (Nicolas), évéquc de Beauvais.
I, 425.
FuNCTius, II, 381.
Feuillet (Gérard), un des six doc-
teurs de Paris, assesseurs au pro-
cès. 11.414.
Gaguin (Robert), historien. II, 360,
362.
Garantie (Lettre de... du roi d'Angle-
terre). 1, 127.
Gaucher. I, 160.
Gaucourt (le chevalier de). I. 52, 53,
78, 92. 108.
Génébrari) (Gilbert), II. 327.
Gerson (Jean). I. 48 ; II, 313.
GiAC (le sire de... et Richemont). I.
123.
DES DEUX VOLUMES
503
GiEN (Jeanne à). J, 7."i, "(i.
— (De... à Reims). 1,130, 1:56.
Gm.uiu (Alexandre). I, 206.
GiKESME (Nicolas de). I, dli.
GoDEi-HOY (Denys) I, 12.
GoEKUES, I. 463.
Go(iENBOR(iItIS. II, 386.
GoLDAST (iMelchior). II, 316.
GoND.\ (l'ierrede). II, 81.
GoiiKEiM (Henry de). II. 314.
GoLfi-iER (Voir Boisy).
Gu.vcE (question indiscrète sur la).
I, 367.
Gii.\CEs (les...) e.vtraordinaires ne
suppriment pas les passions. 1, 182.
Ghaville (le sire de). 1, 109.
Gk.wille (Louis Malet de). I, êi.
GlIÉCE I, 100.
Gkeux I, 57.
Guis (.John) gardien de la Pucelle. 1,
241.
Grumbach (l'ierre de). II, 316.
Guesdon (Laurent). II, 277.
Gui Pape. II, 342.
GuiLLAUMETTE (piècc d'artillerie de)
Troyes). I, 146.
GuizoT, (François) I, 31.
GuYE.NNE (le héraut). 1, 91, 99, 100,
105.
Guyenne (la... enlevée aux Anglais).
II, 227.
Habit dhomme (Jeanne et 1"). I, 14,
244, 265, 269, 285. Pris par com-
mandement de Dieu. 1, 270. Jeanne
a-t-elle préféré l'habit d'homme à
l'habit de femme "? 1, 329. De la
reprise de l'habit d'homme. I, 327,
Habit de femme (delà reprise de 1').
I, 327.
— (les gardes enlèvent à Jeanne
I'). Il, 240.
Haillan (du). 1,8, 86, 87.
Hanotaux (M. Gabriel). I, 382, 401 ;
II, 151, 152.
Harcourt (Christophe d'). I, 79, US.
Hardiesse des grands rois. I, 412.
Haren(;s (la journée des). I, 53.
— Jeanne l'apprend à Baudri-
court. I, 73.
Hébert, I, 223.
Hellande (Antoine de...) gouverneur
de Reims, I, i;i8.
Hellande (Guillaume <le...) évêque
tle Beauvais. Il, 421.
Henri V d'Angleterre. I, 50.
Henri VI à Rouen, pendant le procès.
1,214.
Henri m de France, et la ligue. II,
132.
— Le corps de... à Compiègne, I,
167, 425.
Hérésie, crime contre la foi. I, 186.
187. Peines qui la frappent. I, 186
Des procès d'... I, 186. Erreurs
approchant de 1'..., II, 7.
Hérétiques (les) formels et les fau-
teurs d'hérésie. I, 187. Les... et les
lois canoniques. I, 187.
Hérodote, I, 86.
Héroicité des vertus de la Pucelle.
I. 168.
Histoire de Jeanne d'Arc. (Garantie
de 1'...) I, 14. Certitude... I, 37.
Utilité de la faire connaître. 1,129.
La première en date. 1,2. L'...
de Jeanne d'Arc, histoire de sa
mission. I, 387. L'... de Jeanne
d'Arc, chapitre de l'histoire do
l'Eglise, I, 388.
Historiens (Éloges tirés des). II, 234.
Horace. I. 1.
HoRDAL (Jean), I, 7, 22. 42, 300 : II.
300, 301.
Hospital (Le chancelier de 1'). I, 53.
IIottot (Saturnin), I, 38.
HouppEviLLE (Nicolas de), assesseur
au procès. II, 225, 259. Sa déposi-
tion. II, 271.
Hubert, H, 389.
HuQUE (la), de la Pucelle. I. 296.
Husson le Maistre. II, 278.
Ignatius (L'historien). I, 53.
Information sur Jeanne faite par les
Cordeliers. I. 122.
Information préalable au procès,
point de traces. I, 195, 234, 189.
)04
TABLE AXALYTIOUE GÉNÉRALE
Information recueillie en 1431. II.
i'33, 234.
Inlormation poslhuine ( Suspicion
qui frappe 1"...). I, 206: II, 116,
i2'2, 123.
Interrogatoires (Des six... publics).
I, 238. Des neuf... dans la prison.
I, 292. Du 31 mars dans la prison.
II, 52. Du 28 mai. II, 102. Texte
des... lu à la Pucelle. II, 2. Inven-
tion d'un faux... I, 401. Caractère
fatigant, captieux, déconcertant
de ces... I, 19;i, 204, 214. 215. 241.
Introduction de l'Editeur. I, 1-37.
Isabeau de Bavière. 1, 45, 48, 50.
Isabelle de France, fille de Charles
VI. I, 46.
Isambert de la Roche, dominicain
(Déposition d"...). I, 11, 114. 226,
324; II, 224,225.
Isle (Château de 1'...) à Domremy. I.
457.
Isle-Adam (Seigneur de 1'...). I, 48.
Isle-de-France (Jeanne dans 1'...). 1.
156.
Israël (Les rois d"...) et leur sacre. I,
58.
jACQUE.\tiN d'Arc. I, 477.
J.vcQUEs d'Arc. I, 57, 66,
344.
Jacoues de tour.vine. II, 413.
J.4NVILLE. I, 125.
Jakgeau pris par les Anglais. I, 52.
— Repris par les Français. I, 98,
120, 121.
— Questions des juges sur... I,
122.
Jean (bâtard d'Orléans), comte de
Dl'NOis, à Rouvray. I, 53. Auxiliaire
de la Pucelle. l, 56. Lieutenant
général du roi. I, 60. Gouverneur
d'Orléans. I, 76. Sa première en-
trevue avec Jeanne. I, 101. De-
mande aux Anglais les hérauts
de la Pucelle. I, 105. Va au devant
du maréchal de Boussac. I, 105,
lOô. Tient conseil avec Jeanne et
les capitaines. [, 109. Présent à la
campagne de la Loire et à Patay.
I. 12.'). A la campagne do Reims.
I. 130. Fait l'éloge de Jean d'Au-
lon. I. 60. De la Pucelle et de sa
chasteté. I, 84, 92. 350. Duc de Lon-
gueville. I, 56. Ce qu'il dit du Con-
seil divin de la Pucelle. I, 384.
Jean Jcvénal des Ursi.vs, archevêque
de Reims, délégué du Saint-Siège
pour reviser le procès de 1431. II,
146.
Jean d'Arc. I, 478.
Jea.n.ne, dite la Pucelle, d'Arc, du
nom de son père, Rikmée, du nom
de sa mère, date de sa naissance.
I, 57, 58. Ortliograplie du nom
d'Auc. I. 58, 469. Sa famille. I, 467.
Son père Jacques d'Arc. I, 57, 164.
470. Sa mère, Isabelle Romée. l,
57, 470,481. Ses frères : Jacquemin.
I, 58, 164, 477. Jean. I, 58, 478,
482. Pierre ou Pierrelot. I, 58, 478,
483. Sa sœur Catherine. I, 475. Ses
autres parents. I. 478. Armoiries
de la famille de... I, 474. Sa situa-
tion de fortune. I, 471. Jeannette,
son nom d'enfant. I, 58. Française
de nation et d'alïection. I, 57, 62.
La meilleure fille du village. I, 59.
Sa piété, I, 58, 111. Ses confes-
seurs. I, 243; Renonce aux diver-
tissements de son âge. I, 261.
Sa chasteté. I, 83, 81. Naturelle-
ment belle. I, 83. Jeûnait avant
l'âge. I, 59, 247. Vaillante et labo-
rieuse. I, 62. Premières appari-
tions. I, 64. L'appel d'en haut. I,
209. Refuse de se marier. I, 83, 84.
Envoyée de Dieu à Charles VII. I,
56, 77, 97, 260, 342. Lui écrit de
Fierbols. I, 77. Audience de Chi-
non. I, 342. Examinée à Chinon
et Poitiers. I, 79, 383. Ecuyère ha-
bile. 1, 92. Coursier, cadeau du duc
d'Alençon. I. 92. Sa dévotion à la
B. Vierge. 1, 59. Choisie de Dieu
aux extrémités de la France. I, 70.
Vénérée du peuple. II, 38, 45.
Chef de guerre. I, 39, 97, 377. Etat
de maison qui lui est donné. I, 91,
93. A Tours. I, 93. A Blois. I, 96.
Sa lettre aux Anglais. I, 97. Son
aumônier. I, 59. Son céleste con-
DES DEUX VOLUMES
505
seil. I, 38:!. Part pour Orléans. [,
100. Entre dans la ville. I. lOi'.
S'arrête à la cathwlrale. I, 102. Va
au devant du deuxième convoi. I,
106. A la bastille saint Loup, sa
charité. I, 97, 109. Aux Auguslins.
I, 110. Blessée aux Tourelles. I,
IJl, 3:j6. Levée du siège, l. 114.
Campagne de la Loire, l, 116. A
Patay. I, 12o. Campagne et sacre
de Reims. I. 130 et suiv. L'éten-
dard de... au sacre. I, 137. Porte-
bonheur aux Fran<;ais. I, 209. J...
aux genoux du roi. l, 137. En
campagne, se confesse et commu-
nie. I, 59. Comparée à Dcbbora. l,
55. Fait tout par commandement
de Dieu. I, 343. Combat pour une
cause juste. II, 209. J... et l'habit
d'homme. I, 119. Ennemie du pil-
lage. I, 93. L'enfant de Lagny. I,
357. J... et les pauvres gens. II,
356. Aux fossés de Paris. J, io2.
Après Melun s'en rapporte aux
capitaines. I, 146. La première à
l'attaque, la dernière à faire re-
traite. 1, 94, 95. Prise à Compiègne.
I, 161, 163, 209. J... comparée à
Jérémie. I, 182. Vénéi'ation dont
elle est l'objet. I, 146, 178; II, 38.
45. Sa prudence, sa patience dans
l'adversité. I, 179. Son amour de
la paix : l» avec le duc de Bour-
gogne ; 2» avec les Anglais. II, 16.
Sa captivité. I, 209. J... les fers
aux pieds et enchaînée dans une
cage [de fer. I, 239. Sa prétendue
abjuration, 1... devant ses juges,
assistée d'en haut. I, 215, 237, J...
et ses Voix. I, 322, 324. Vénération
envers ses saintes. 1, 159, 160, 360.
Ses rapports avec elles. I, 352. Sa
prière à N.-S. pour que ses Voix
viennent. I, 119, 165. J... en la
grâce de Dieu. I. 252,257. Sa sou-
mission au Concile de Bàle. II,
74. Demande à entendre la messe.
II. 61. Sa maladie, déclaration de
"Warwick. II, 68, 240. Condamnée
avant d'être jugée. I, 127. Guet-
apens de ses gardes. II, 107. J...
reprend et garde l'habit dhomiue
pour défendre sa pudeur. II, 1()6,
107. Sa sainte mort. I. 175: II. 133.
Son cœur n'est pas consumé. II,
Ho. Sa famille demande au Saint-
Siège la revision de son procès
et l'obtient. I. 268.
Jephtè, juge d'Israël. I, 56.
JÉIŒ.MIE (Révélation faite à...). 1,82,
315.
JÉKÔ.ME (Saint... et saint Paul). 1, 183,
258.
.lÉsLs (Jeanne et le nom de...). II.
113.
— Le nom de... au milieu des
ilammes. II, 228.
Jésus-Chhist. I. 176.
Jesus-M.\ri.v (Des noms...). II, 18, 94,
99, 267.
JoN.\s et les Ninivites. I, 177.
JoruN.vL du siège d'Orléans. I, 136.
JovE (Paul), historien. II, 370.
Judith et Holopherne. I. 301.
Juges (Des... en cause de foi). I, 187.
193.
— Les... de la Pucelle et leurs
assesseurs. I, 176, 193 ; II,
JuuicoNsuLTEs (Elogcs tirés des). II,
342.
— Cités par J. Ilordal, ibid.
IvoRMANNus (Henricus). II, 346.
L
Lacédémoniens (Des). I, 93.
La Charité (Siège de). I, 30, 156,
290, 371.
Ladvenu (Frère Martin), sa déposi-
tion au procès de revision. II, 268.
Ladvoc.\.t (L'abbé... ditVosgien). I,
15.
Laony (La Pucelle à...). I, 154.
— (L'entant de...). I. 154.
— ( Les Anglais n'osent assié-
ger...). II, 225.
— (Excursions de la garnison
do..,)I, 158.
La IIhœ. I, 53. 141, 147, 160 et pas-
siiii.
— Jure par son bâton. I, 60.
506
TAULE ANALYTIQUE GEXEUALE
Lv Motie-Sakuam. 1, ICO.
Lamv (Docteur de Paris), à Bùle. II.
131.
La-ncasthe (Blason de la maison de;.
I, 213.
Laon ( Soumission de...) I, 141.
Laval (Seigneui- de...; 1, 12i.
Lavisse (liinesl...) II, 4*4, 448.
La.xaut (Durant...; 1, 69, 341.
Laziauijus. II, 372.
Le Boukg ue Bau. 1, 114-
Le Buln de Chaumettes, historien de
la Pucellc. I, 24, 'Ib, 28, 486.
Le Camus et l'Information posHi.
II. 121.
Le Comte (Denys), notaire de la ré-
vision. I, 39; II, 173, 421.
Ledolble (Chanoine). I, 428.
Lefebvke (Pierre), tabellion. I, 425.
Lekèvue-Pontalis (Germain). I, 98.
Legiiand (Nicolas, évèque de Senlis).
I, 79.
Leibnitz. I, 18.
Le Maço.n (Robert), conseiller du
roi. I. 133.
Le Maire, témoin de la revision. II,
275.
Lemaitke (Jean..., vice-inquisiteur
de Rouen). I, 38:11,408. L...
et Jean Gravèrent. I, 223-
Sommation de prendre part
au procès. I, 227.
— S'adjoint à l'évêque de Beau-
vais. I, 305.
— Se récuse tant qu'il peut. I,
226, 438.
— Rescript de Calixte III et Jean
L... II, 167.
Lesglet-Dufuesnoy. 1, 20, 22, 486 ;
II. 281, 300, 303, 333.
Lenozoles (Jean de), sa déposition.
II, 245.
Lesguisê (Jean), évoque de Troyes.
I, 134.
Lettre de la Pucelle au.x Anglais. I,
81, 96, 97, 99.
— au comte d'Armagnac. L 280.
Lettres p.vtentes du roi d'Angle-
terre. I. 231.
— de garantie. II, 281.
— au duc de Bourgogne, aprt-.s
le supplice. II, 130. Aux
princes chrétiens, seigneurs
et prélats de son obéissance.
1,200; II. 125, 153.
Lii.uE (Troubles de la...) I, 131, 142.
LiLY. historien. II, 368.
Limousin (Seguin parle...) I, 90.
Li\ uÉE de gants distribuée à Reims.
I. 137.
Luches (Jeanne et Charles VII à...)
I, 116.
LoiiiER (Jean), canoniste normand.
I, 226, 228, 239, 241 ; II, 226.
Loi SALIQUE (De la...). I. 6, 50, 78.
Loire (La... a Orléans). I, 100, 107.
— La campagne de la... I, 120.
— Nettoyage des bords de la...
I, 126.
Lois ECCLÉSIASTIQUES (Code des). I.
186.
LoisELEUR (Nicolas), assesseur au
procès. L 325; II. 3, 415.
Londres (Bastille de... à Orléans). 1,
107.
LoNGLEiL (Richard de...), évèque de
Coutances, juge au procès de réha-
bilitation. II, 419.
LoRÉ (.\mbroise de). I, 159.
Louis, duc d'Orléans, assassiné. I, 47.
— frère de Charles VIL I, 45.
Louis XI. I, 22, 49, 460; II. 233.
Louis XII (Histoire écrite par ordre
de). I, 5.
Louis XIV. 1, 23.
Loyer de Ihabit d'homme. I, 370.
LucE (Siméon). I, 460.
LucHAïKE (Achille). I, 401.
LuDE (Le sieur de), tué à Jargeau. I.
120.
LvcosTHENEs, historieu. II. 381.
Lyon {Te Deurn chanté à). I. 115.
Lysandre. I, 52.
Luxembourg (Jean de.... comte de
Ligny). I, 163, 220, 224; II.
246.
— (Louis de..., frère de Jean,
évoque de Thérouanne). II,
Machet (Gérard), confesseur du roi
I. 79. 115. 119.
J
DE^ DEUX VoLUME^
501
Macv (Ainiond de), sa déposition. H.
3.
Mauei.eink (Porte de la... àOiiéaùs).
I, 107.
— (Porte...àTroyes), I. 133.
Magie noire (Delà). I, 187.
Maillv (Jean de), évoque de Noyon.
11,241.
Mmso.n i)k Fu.vnce (xVpostroplie à la).
II. 190.
Maison de Jeanne d'Arc à Doinreuiy.
I, 458.
Maleissye (M. de) et l'abjuration de
Saint-Ouen. II, 433, 436.
Mancho.v (Guillaume), notaire au
procès de 1431. 1, 233, 304,
391; II, 172, 411.
— Sa déposition à lâ, revision du
procès. II, 251.
Mandragoke attribuée à la Pucelle.
I, 278, 283.
Mantes (Le bailli de), noyé. I, 112.
M.v.NusciuT(Lc... du procès et Richer).
I, 200, 201.
Makcel (Jean), témoin de la revi-
sion. II. 2i4.
I, 85, 234, 238. Sa déposition à la
revision du procès. Il, 260,410.
Mahguerie (Chanoine André). Il, 107.
277.
Mauiana, historien espagnol. II, 330.
Marie d'Anjou, reine de France. I,
369.
Marraines (Les... de Jeanne). I, 58.
Martin V, pape. I, 141.
Martin (Henri), il, 448.
Martyre (Du... de la Pucelle). I, 37.j..
Massieu (Jean), huissier au procès.
I. 85, 234, 238. Sa déposition. Il,
260.
.Malgier (Pierre), avocat de la famille
d'Arc. II, 170, 420.
.Maurice (Le docteur de Paris Pierre).
II. 75, 88, 89, 120. 239, 244.
Maxey-sur-Meuse. 1, 405,460.
Meaux fortifié par les Anglais. 1, 146.
Mécomptes des Anglais, après le sup-
plice de Jeanne. I, 201.
Médecins (Eloges tirés des). II, '-Î48.
Mehl'n-sur-Yèyre. I, 156.
Melun (Révélation sur les fossés de).
I. 142. 158, 358.
Merlin (L'enchanteur). I. 122.
Mémoires présentés à la revision. II,
280.
Mendiants (Les frères) de Neufchâ-
teau, I, 59.
Messe le 8 mai, sous les murs d'Or-
léans, en présence de l'ar-
mée. I, 114.
— (De l'audilion de la). 1, 321.
Metz (Jean de) et la Pucelle. I. 70,
83: II, 233.
Meuse (La), fleuve. I, 57.
Meyer (Jacques), historien bourgui-
gnon. I. 40, 76, 128, 160. 162; II.
375.
MiCHAUD (de l'Académie française).
I, 26,28, 29,31; II, 305.
Michelle de France, lille de Charles
VI. I, 46.
Midy (Nicolas). I, 53; 11,112.240,413.
Miciet (Déposition de Pierre). II,
348.
MiyuELLET (Louis). 1, 38.
Minute française (Altération de la...
du procès de condanmalion). II.
438.
Minet, curé de Greux-Domremv. I,
58, 240.
Miracles (Dieu ne fait pas... sur).
I, 228.
MiRANs (Aubert Le Mire). II. 387.
Mission (La... historique de Jeanne)
d'après les documents. I, 146, 184.
Missions (Les deux) de vie et de sur-
vie. I, 81, 178,429; 11, 180.
— Leur objet. I, 431. Jeanne
voyante inspirée. I. 432.
— Guerrière libératrice. I, 437.
— Relèvement moral et patrio-
tique qu'elle opère. I, 440.
— Mission sanctificatricje et ré-
demptrice. I, 442.
Missions (Des) divines. I, 170.
— Les... et l'infirmité humaine.
I, 181.
— Règles pour discerner les vraies
missions divines. I. 171.
Moeurs (Des) de la Pucelle. I, 209.
MoisE et son peuple. I, 62.
Molinier (Auguste) de l'Ecole des
Chartes. I, 35.
Monnet (Jean), sa déposition. II. 242.
TAlM.E ANALYTIQUE GÉXÉUAI,E
MoNsinELET (Engucrran de). I, 23,
48. 86, 87, 145, 132, 141, 142, 147.
Iol,lo9, 162, 354.
MoNOD (Gabriel). M, 471.
MoNTAKiXE (Michel de). I, 458.
MosTÉPiLLOY (Affaire de). I, 148.
Monïeueau-Faut- Yonne. I, 49, 142.
MoNTiÉiiENDEii 611 Champagne. I, '■>!.
Mo.vriGXY (Jean de). I. 40.
Monijoie-saint-Denis. I, 329.
Montpellier (L'évèque de), exami-
nateur de la Pucelle. I, 77.
Moreau (Jean), témoin de la revi-
sion. 11,277.
MouÉiu (Abbé Louis). I, 25; H, 305.
MoiuN (Jourdain), examinateur de
la Pucelle. 1, 79.
MoKUs (Hubert). II, 338.
MoULLNs (Sire do), noyé. I, 112.
N
Nancy (Jeanne à). I, 71.
Nathan et Salomon. I. 55.
Nativité de la sainte Vierce : ten-
tative sur Paris. I, 151.
Nauclekus (Jean). II, 362.
NÉMÊsis (La) des Grecs. I, 221.
Neufchateau en Lorraine (Jeanne à).
I, 59, 247.
NicÉRON, écrivain. I, 39.
NoEL (Chant de) à Crespy-en-Valois.
I, 145.
— (Jeanne à Jargeau, pour les
fêtes de...)
Noms (Des) donnés à la Pucelle. I,
69. 468.
NoRMANiiiE (Anglais en). I, 94, 99.
— (Projet d'une campagne en). 1,
117.
— (Anglais chassés de). II, 161.
Notaires (Les trois) du procès. 1,39.
Notices des manuscrits de la biblio-
thèque du roi. I, 25.
Notre-Dame de Paris (Ouverture du
procès de revision à). II, 16.
Notre-Seigneur (Signes de). I, 177.
— Jeanne s'en rapporte à... I,
354.
Notre-Dame de Pitié, sur le pont
d'Orléans. I, 81.
NoYON (Eglise et diocèse do). 1, 25,
40.
Nyder (dominicain). II, 131.
Office (Des procès d'). I, 190, 195,
238.
Official (Jeanne devant!'... <leToul).
I, 66, 344 ; II, 10.
— (L',.. de Paris) et Calherim-
de La Rochelle. I, 297.
Ogeviller (Henri) bailli des Vosges.
I, 457.
Oise (L'), rivière. I, 166. 167.
Opmeerus (Pierre). II, 381,
OhDiXAiRE (Du procès dil). I, 191,
196, 418; II, 1.
Orléans en 1429. I, 98, 107.
— Siège et blocus d'... par les
Anglais. I, 52.
— Journal du siège d'... I, 13,
37.
— Port d'... I, 108.
— Arrivée du convoi devivresà...
I, 101, 137.
— Entrée de Jeanne dans... I,
102.
— Levée du siège d'... signe de
sa mission. 1, 77.
— Jeanne rentre dans... par le
pont. I, 113.
— Les Anglais se retirent. I,
114.
— Procession d'action de grâces.
I, 114.
— Ueconnaissance des habitants.
I, 116.
— Enquête d'... en 1456. II, 235.
— Le duc d'... prisonnier. I, 5) :
II, 484.
— Dieu l'aime d'un grand amour.
I, 245.
— De sa délivrance. I, lo;!. 356.
— Dessein de Jeanne pour le
délivrer. I. 21.
— Retour du duc prédit à Poi-
tiers. I, 89.
— Jeanne revient à... après Jar-
geau. I, 122.
— D'... à Loches. I, 116.
DES DKUX VOLUMES
509
OuLioANs (EnquiHo de la révision à...)
Ours (Ilùtol de 1"). 1, 159.
l'.V(i.NY-SUK-lMElSE. I, ioT.
I'aix (Gondilion favorable à la). I,
143.
Panonceau.\ (Dos... de Jeanne et de
sa compagnie). I, 2S(J.
Pa.ntaléo.n (Henri). II, 381.
Pape (Appel de- Jeanne au). I. '2S0.
335, 374,
— Jeanne soumise au... II, 220.
I'ahadis (Jeanne et ses frères du). I,
382.
— (Jeanne menée en). U, 30.
Pakis anglo-bourguignon. I, ;»0.
— Gage plus précieu.x; qu'Orlé-
ans. I, 14-2.
— .\nnonce de la soumission
future de... I, 8'J, 98, 275.
— Soumission de... accomplie. I,
317 ; II, 17, 41.
— Assaut de... et échec. I. liil,
307, 371.
— Bastille de... à Orléans. I, 108-
— Enquête de la revision à...
II, 238.
Pakocchi (Cardinal). II, 435, 436.
Parkains (Les... de la Pucelle). I, 38.
pAsijLEKEL (Frère..., religieux augus-
tin) aumônier et confesseur de la
Pucelle. 1, 60, 91, 100... Frère P...
et le soudard de Chinon. I, 82.
Frère P. et la légitimité de Charles
VU. 1, 416. Frère... et le livre dont
parlait Jeanne. I, 384.
Pascal. I, 35.
Pas.jl-iek (Etienne). I, 26, 30, 31, 14^:
II, 34a.
— De frère Richard. I, 132.
— Epigramnie de... II, 3o2.
Patav (Jeanne à). I, 98, 125.
— Combattants de... I. 125.
PATEII NOSTER (JcaUnC ct Ic) . I, o8,
240.
Pays (Le... de la Pucelle). I, 455.
Péché .mortel (Jeanne a-t-elle com-
mis le). II, 27.
Péchenahd (Abbé). Il, 146, 417.
Perses (Défaites des). I, 212.
l'Eirr (Jean). Cordelier. I, 47, 48.
PlMLIPl'E DE BER(iA.ME. Il, 333.
Philipi-e de la Rose, chanoine de
Rouen. H, 457.
Picard (L'annaliste). I, 423.
Pie II. II, 323.
Pie X et Jeanne d'Arc II, 435.
PiEnivE d'Akg, frère de la Pucelle.
à Reims. 1, 136.
PiKisRE DE Versailles. I, 76, 103.
PiTuoi: (Pierre), son jugement sur
Du Ilaillan. L 8, 87.
Pi.iNE-LE-JEUNE (Majcsté de l'histoire).
I, 43.
Pli:tarole (A propos d'Hérodote). I,
86.
PoiriEKs (Le Parlement et l'Univer-
sité à). I, 88.
— Jeanne et Charles VII à... I,
88, UO.
— Prédictions <le Jeanne à... 1,89.
— Jeanne et les habitants de... I..
88.
— Rapport de la Commission
de... I. 90.
PoLYDORE Virgile. I, 87, 106 ; II, 363.
Po.\n>iLius (Numa) et la nymphe
Egério. II, 132.
Pont (Bastille du... à Orléans). I, 10,
107.
— (Rupture des arches du...
d'Orléans). I, 107.
PoNT-.\-Mousso.\. I, 6.
PoxTAuus (Paul), canoniste. I, 40.
160.
Po.nt-l'Evèole, I. 307, 415 ; II, 164.
318.
PoNT.\s (De). II, 339.
Pontoise livré aux Anglais. I, 49.
PoxTUS Helterus. II, 382, 384.
PooLE (Jean et Alexandre la.., à Jar-
geau). I, 120.
Portraits (Des... de la Pucelle). I.
287.
PosTEL (Guillaume). H, 335.
Postulat de bon sens (La mission
de Jeanne venue tien haut...). I,
91, 390.
Pragmatique sanctio.v (Louis XI et
la). 1,22, 51.
lilO
TABLE ANALYTIQUE GENEUALR
Pkéamblm.e (le la dissertation de Ri-
cher. II, 485.
Pkêceptes (Eh cas de conilit de deiix)
I, 330.
PnÉDicTiONs (Principales... de la l'ii-
celle). I, 174.
Pressy (Jean de). II, 333.
PiiÈTRF.s (Des) en rapport avec la
Pucelle. I, 391.
PuKVOSTEMi (Guillaume), procureur
de la famille «rArc, au procès de
réhabilitation : son mémoire juii-
dique. II. 285, 420,
Primxtice (Le). I, 22.
Prison de la PuccUe, à Rouen. I, 2i0.
Prisonnière de guerre (Trailemenl
de. . . refusé à la Pucelle). I, 209.
Privilèhes exemptant de la loi com-
mune. I, 271.
Procès (Des... en cause de foi). I, 209.
— Le... de la Pucelle en français,
I, 213. 214.
— Texte authentique des... «le la
Pucelle. I, 38.
— Edition de la Société de l'His-
toire de France. I, 35.
— Copies authentiques des deux
procès. I, 13, 38.
— Leur nécessité pour l'histoire
delhéroïne. I, 7, 13; II, 1.'52.
Procès d'office et Ordinaire. Voir auv
mots office, ordinaire.
Procès de Rouen (Considérations pré-
liminaires sur le...). I, 209. De ses
cinq parties.
Procureurs (Les... au procès de revi-
sion). IL 170, 212.
Promesses pour amener Jeanne à
abjurer. IL 99, lOi.
Protestations (.\bsence de... contre
la sentence de Rouen). II, lî)5.
Providence (La) et l'Iitat. I, 55, 212.
Provins (Soumission de). I, 141.
Pucelle (Chronique de la) I, 12.
PuYOL (L'abbé... et les idées Ihéolo-
giques d'E. Richer). I, 3, 266.
Question (La... Jeanne d'Arc aux
.xvio et xviii" siècles. I, 396.
Question iLa... aujourd'hui). I, 39G.
Questionnaires des deux enquêtes
de 1452 à Rouen. II, 217,
219.
— pour l'enquiHe au pays de
Jeanne. H, 229.
Questions messéantes posées à la Pu-
celle. I, 294.
QuiCHER.\T (Jules). I, 0. 19, 20, 40,
4 90, 219, 221. 238, 314, 316, 360, 402 ;
II, 305, 468 et passim.
Rabateau (Maître) hôte de la Pucelle.
I, 88.
Racine. I, 23.
RviNs (Fontaine îles) à Domremy. I,
260.
Rameaux (Jeanne le jour des). I, 2.
Rançon (De la... de la Pucelle). I.
219, 220.
Raymond, page de Jeanne. I, 91.
Rays (Le maréchal de). I, 109, 137.
Rebours (Jean). II, 312,
Recouvrance du royaume, ell'et de
la mission de la Pucelle. I, 380.
Références (Supplément aux... de
Richer). I, 488.
Regnault de Chartres à Poitiers. I,
79, 83.
— àTroycs. I, 132.
— à Reims, I, 136,
— et la Pucelle, I, 145, 248.
Reims (Campagne de). I, 117, 119.
— Seigneurs et troupes qui y pri-
rent part. I, 123, 130. '
— Entrée du roi à.... I, 136.
— Sacre de Charles Yll. I, 116.
137.
— Les parents de Jeanne et
Laxart à... I, 136.
— Séjour du roi à... I, 138.
Reine (La... et Jeanne d'Arc». I,
285.
Relaps (Procès de). I, 162, 191, 192,
199: 11,112, 113.
Religieux (Deux) condamnés à se
rétracter à propos du procès de
Jeanne. 1, 206.
Rknaut Bredouille. II, 212.
DES DEUX VOLUMES
5tl
Rewclt (Guillaume) gonlilhomnie
d'Auvorgne. F, 121.
Renk (Le bon roi). I, 71.
RÉiTBUQrE (La... des lettres). I, 11.
Requêtes (Les trois... de Charles Vil
à la Bonne Vierge), l. 405.
Réquisitoire (Le... du promoteur)
L 1 et seq.
Rétractation' (.Jeanne ne compre-
nait pas la). II, 105.
Révélations (Jeanne et ses). 1, iM.
II, 171-172, 367.
— Intéressant le roi. I. oUl, 405.
— Circonstances de ses... I, 173.
— Jeanne n'a rien fait que par...
I, 242. 365.
— Des... intéressant les Etats. I.
205.
Revision (La... du procès de 1431,
pourquoi dilférée vingt ans).
I, 37: II, to'J.
— Du procès de... II. 140. 165.
464.
— Des docteurs de la... II, 318.
— Sentence du procès de... I, 6,
19 ; II, 288.
Revue des Dec.\-Mondes. I, 382.
Revnel, secrétaire du roi d'Angle-
terre. Il, 241.
Richard d'York, roi d'Angleterre. I,
46.
RicHARD (Frère). I, 130-134, 142, 286.
287.
RicHELiEi- l'ait rebâtir la Sorbonne.
I, 213.
— Richer et... I, 2.
Richemont (Arthur de) et La Tré-
moille. I, 123.
— X Beaugency. I, 123, 124.
— Et Charles Vil. I. 123, 124.
— Jeanne obtient la grâce de...
I, 125.
— Dans le Maine. I, 127.
Richer (Edmond). Son histoire de la
Pucelle en 4 livres et en français.
I. 24, 42. Autorité, mérites de cet
ouvrage. I, 19, 20, 43. Ses adver-
lissements au lecteur. I, 13, 16, 26,
27. Son exposé critique des deux
procès. I, 18. R... canoniste et
théologien. I, 15, 16. Son gallica-
nisme étranger à son Histoire. I.
206,2(17. Noiice sur la vie de R...I,
3. R... admirateur de (ierson. 1, 3*
Du manuscrit do son travail. 1,
33,. 34. Sa dissertation sur les ré-
vélations de la l'ucollc. I, 31. 170
R... et J. Quifherat. I, 27. Projet
de R... de publier le texte du pro-
eès. I, 21, 42, 43. Eloges divers
II. 301.
RioriER (Jean..., prêtre), témoin au
procès de revision. II, 276.
Roche-Chouard (Le sire de... tué à
Rouvray). I, 54.
Rogations (Les) au Beau Mai. I, 67.
Roland (Le Dauphin. ... fils de Char-
les VIII). 1, 419.
Romains et Carthaginois. I, Kio.
Ro.«ÉE (Isabelle) mère de la Pucelle
I. 57, 470, 481. Et le rescript apos-
tolique. I. 167
Rotselaer (Le sire de). I, 347.
Rouen (Henri V prend... par famine.
I, 49, 50.
— (Jeanne jugée à... non à Pa-
ris. I, 194. Bastille de... à Orlé-
ans. I, 108. Grande salJe du châ-
teau de... I, 194. Chapelle du châ-
teau de... I, 238. Prise de... par
les Français. 1, 149.
Rousse (La) hôtesse de Jeanne à
Neufchâteau. 1, 243.
Roussel (Raoul), chanoine puis ar-
chevêque de Rouen II. 164. 419.
Rolvrav Saint-Denis (Révélations
de Jeanne à Baudricourt du dé-
sastre de). I, 389.
Rover (La Pucelle chez Henri Le). I,
70, 72.
RoziERs (De). IL 383.
Sacre (Le... de Reims) annoncé. I,
89.
Sabellico (Coccius), historien. II.
362.
SiDoc (Le grand prêtre). I, 85.
Saint-Barthéle.mv. I, 146.
Saint-Denis (Jeanne à). I, 151, 193,
269. La porte... I, 152. Armure
offerte à... I, 152, 371. 372. Eglise
TA15LE ANALYTIQUE GEXEHALE
lie Reims. 1, 137. Charles VU à... I.
153.
Saint Esi'rit (Des personnes organes
du). I. 170.
Saint Gaihuel (Jeanne et les appari-
tions de). I, 345 ; II, 76.
Saint-Flouentin (Soumission de), i,
131.
Saint-Honoré (attaque de la porte).
I. 151.
Saint-Jean-le-Blanc (Bastille de). I.
107.
Saint-Laurent (Bastille de). I. 108.
Saint-Lazake (église d'Orléans). I,
108.
Saint Louis. Il, 22, 113.
Saint Louis et Saint Chakle.mA(;\e.
I, 101.
Saint-Loup (Bastille de). I. 107-10'J.
Saint Marcoul (Le roi à). I, 138.
Saint-Martin d'hiver (Compiègne dé-
livré à la). I, 163.
Saint Mathieu. I, 177.
Saint Michel et Jeanne d'Arc. 1.
326. Premières apparitions. 1,340,
Sous quelle forme. I, 344, 345.
Découvre à J... sa mission. I, 341.
Conseil supérieur de la Pucelle. I,
03... Envoie J... à Baudricourt. I,
65. Ne lui a jamais iailli. I, 349.
Vénération de J... pour l'archange.
I, 301. Ce qu'il lui enseigne. I, 341.
■ Presse J... d'aller au secours du
roi. I, 65. Interrogations sur saint
M... I, 264. Membres corporels
qui lui sont prêtés. II, 29. La pitié
du royaume de France. I, 324. De
saint Michel et des saintes. I. 263,
398. Saint M... protecteur du peu-
ple de Dieu. I, 270. saint M...,
ange gardien du royaume. I, 341 .
Ordre de Saint-Michel fondé par
Louis XL
Saint-Nicolas-du-Port, en Lorraine
(Jeanne et Laxart à). I, 71.
Saint-Ouen (La scène du cimetière
de). II, 227.
Saint-Ouen (Au cimetière de). II, 422.
— Du formulaire accepté par la
Pucelle. II, 429.
— Du lormulaire inséré au pro-
cès. II. 432.
Saint Paterne (Eglise d'Orléans). I,
108.
Saint-Paui.. I, 63, 111, 176. 182, 183,
210, 256, 2;)8.
Saint Pierre et le prince des prêtres.
I, 74.
Saint-Pierue-le-Moutier. I, 155.
Saint-Pol (Le capitaine... à Meauxi.
I. 46.
Saint Remv (.\bbaye de... à Reims).
I, 137.
Saint-Siège (Réserve du... à propos
du procès de Rouen). IL 149-15'.
106. 169.
Saint Thomas et Gerson sur Ihal il
d'homme. I, 272.
Saint-Urbain (Jeanne à l'abbave). 1.
75.
Saint-Valliek (Lesire de... au boule-
vard Saint-Honoré). I, loi.
Saint- Victor (Du manuscrit de). I,
41.
Sainte Acnés (Vision des parents de).
I, 269.
Sainle-Croi.x; (Fèto de la). I, 345.
— (Le cardinal de). II, 148.
Sainte Marine et l'habit d'homme.
I, 272.
Sainte-Sévère (J. de Boussae, sei-
gneur de). I, 52.
Saintes Catherine et Margoeritk
(Apparitions des... à la Pucelle).
I, 348, 350, 351. Son conseil ordi-
naire. L 63. Elles lui apparaissent
près de la fontaine du Bel arbre.
I, 352. Parlent français. II, 29. Ne
sont pas du parti des Anglais. 1,
328. Représentées par des anges.
I, 175. Circonstances de leurs ap-
paritions. I. 276. Leurs belles cou-
ronnes. I, 129. Leurs témoignages
d'affection. 1, 333. Saint Michel
annonce leurs apparitions à Jeanne
et lui recommande de les écouter.
I, 323. Les saintes et l'étendard. 1.
353.
Sainteté (La... de la Pucelle). I, 268,
3S2.
Saints (Les... et l'infirmité humaine).
I, 205.
Sala (Pierre). I, 411.
Salisburv (Le comte de). I. 52.
DES DEUX VOLUMES
513
Salm (Jean, comte de). I, 457.
Salpétrière (La). I. M.
Salut (Jeanne ne demande pour ré-
compense que le... de son àme).
I, 173..
Samuel et David. I, 55.
Satan transformé en ange de lu-
mière. I, 302.
Saijl, roi d'Israël. I, '6li.
Saussay (Martyrologe d'André du).
1,52.
Sceaux (Les... des deux juges). 1,
39, 200, 308.
Schisme (crime contre la foi). 1. 186.
SciPioN en Afrique. I, 117.
Scribes et Pharisiens, l, 177.
Secret du roi (Silence de Jeanne sur
le). 11,413.
Seguin de Seguin, dominicain, de la
commission de Poitiers. I, 60, 80,
90 : II, 278.
Seffonds ou Ceffonds, patrie de
Jacques d'Arc. I, 57, 278.
Seine (La), fleuve. I, 117.
Sénat (Le. . .romain et le roi d'Egypte).
I, 249).
Sens (Soumission de). 1, 137.
Senlis (Du cheval de l'évêque de).
1,318.
Sentences (Des... en cause de foi).
I, 191.
— Des deux... du procès de con-
damnation. Il, 93, 113.
— De réhabilitation. II, 288.
Serment exigé de la Pucelle. I, 240,
242.
— A Saint-Ouen, il n'y eut pas
de... II, 422.
Signe donné au roi. I, 279, 295.
Signature (De la... de Jeanne à Saint-
Ouen). II, 99.
Simon (Charles), sa déposition. II, 245.
SoissoNS (Le gouverneur de). I, 141,
160. 161, 290.
— Diocèse de... Jeanne y a-t-elle
été prise. I, 166, 226.
Sorcellerie (crime contre la foi). I,
162, 186.
Sources allemandes (Les... de l'his-
toire de Jeanne d'Arc). I, 98.
Soucv (Du). II, 162.
Statues qu'on devrait élever en
France à la Pucelle. I, 100.
— De Charles VII et de Jeanne
sur le pont d'Orléans. I, 81
Stuard (Jean et Guillaume... à Ver-
neuil). I, 59. A Houvray. I, .^4.
Suffout (Comte de). I, 12, 122. 123.
161 ; II, 246.
SULLY-SUR-LOIHE. I, 126.
Sulpice-Sévéhe et la vie de saint
Martin. I, 269.
Sureau, receveur du roi d'Angleterre
II, 241.
Sybilla francica. II, 316.
Syndicat d'E. Richer raconté par lui
même. I, 206.
Talbot (John) à Orléans. I, 101. En
route pour la Loire. I, 121, 124.
Prisonnier à Palay. I, 26. Son ju-
gement sur le procès delà Pucelle.
1,26,
Taquel (Nicolas), notaire au procès.
1, 39; II, 278,411.
Te Deum, chanté par les populations.
I, 145.
Témoins entendus à l'enquête de
1450. II, 161.
— Aux enquêtes de 1452, à
Rouen. II, 219, 223.
— De Domremy. II, 230.
— D'Orléans. II, 236. De Paris.
II, 238.
— En 1456 à Rouen. 11,248, 275.
A Lyon. II, 278.
— Leur nombre total. II, 322.
Terentianus Maurus. I, 99.
Termes (Thibaut de). II, 246.
Testaments (Saints personnages des
deux). I, 170.
Theuriet (André). I, 55.
Theoiioricus de Leliis, canoniste ro-
main. I, 40 ; II, 318.
Thibaut (Gobert) et la Pucelle. I, 386.
Théologiens (Enseignement des
grands). 1, 170 et seq.
Thérouanne (L'évêque de). II, 112,
163.
Thiéry (Walterin), chanoine de Toul.
II, 228.
33
514
TABLK ANALVTIQUE GÉNÉRALE
Thou (Jacques Auguste de). 1, 14, 38,
Thouloose (Le père). I, 41.
TiLLET (Du). I, 57; 11,379.
TiPHAixE, assesseur (Déposition de).
Il, 238.
Torture (Jeanne et la). I, 197; II, 76.
ToucHET (M*'), évoque d'Orléans. Il,
435.
ToUL (Du diocèse de). 1, 458.
TouRCEN.w (Jean), bailli de Cliau-
mont en Bassigny. II, 233.
TouRNELLEs (Prlso des). I, 105, 110-
113.
TouRouLDE (Marguerite La). I, 71 ; II,
244.
Tours (Armure de Jeanne à). 1, 93.
— Le roi et la Pucelle à. I, 116.
— De Tours à Blois. I, 96.
TouTMouiLLÉ, dominicain. I, 120.
Tremble-Cour. 1, 160.
Trémoille (La) et Richemont. I, 124.
— Mot de Charles Vil. 1, 127.
— La... à Auxerre. I, 136.
— A Montépilloy. 1, 149.
Trêve avec le duc de Boui-gogne. I,
135.
Trêve (Robert Le Maçon, seigneur
de). I, 79. 118.*
— (La dame de.., et la virginité
de Jeanne). I, 82.
Troves (Traité de). I, 50. L'armée
royale devant). 1, 131, 133. (L'évè-
que de). I, 227. (Soumission de).
I, 134. Les prisonniers français et
la Pucelle. I, 134. (Diocèse de). I,
57. Gouverneur nommé. I, 135.
U
Université (L') de Paris. I, 166. ...
Kt la prise de la Pucelle. I, 194.
Lettre de F... au duc de Bourgo-
gne. I, 118; à Jean de Luxem-
bourg. I, 220. Requiert que la Pu-
celle soit remise à l'évoque de
Beauvais. I, 219 ; et jugée à Paris,
I, 230. L'... et les douze articles. I,
197. Lettre à l'évêque de Beauvais.
I, 228. Au roi d'Angleterre. II, 78.
Au pape et aux cardinaux. I. 206 ;
II, 131. Silence de V... de 1432 à
1450. Soumission à Charles VII.
II, 157. L'... aux xv« et xvii» siècles.
I, 396. Inauence de 1'... en 1429.
I, 47. Ses suppôts et le duc de
Bourgogne. I, 47. L'... et celle
d'aujourd'hui. I. 396.
Urké (Richer n'a pas connu le ma-
nuscrit de D'). I, 20.
Ursi\s. Voir Jean Juvénal des,..
Vailly (Le roi à). I, 141.
Valentine de Milan. I, 47.
Valérand Varanius. I, 471.
VaLLET de VlRIVILLE. I, 415.
Valois (Rois de la branche des). 1,
22, 33.
Valois (Noël), historien. II. 145, 437.
Vaucouleurs (Jeanne à). 1,69-71, 341,
342, 389.
— Les habitants de... et Jeanne.
I, 73.
— De V... à Chinon. I, 75, 342.
— Messages envoyés à V... I, 78.
Versailles (Chapelle de). I, 23.
Venderès (Nicolas de), assesseur au
procès, II, 415.
Vendôme (Le comte de). I, 122, 144 ;
II, 53, 137, 155.
Vermandois (La Hire, bailli de). I,
141.
Veroxius. Il, 386.
Vertus chrétiennes de la Pucelle. I,
179.
Victoire (Jeanne délivrée par gran-
de). I, 135.
Vieux-Marché à Rouen. II, 110-114.
Vigner (Nicolas), médecin. II, 350.
ViGNOLES (Voir La Hire).
ViLLAUMÉ, historien de Jeanne d'Arc.
I, 472.
Villars (Le seigneur de) à Orléans.
I, 166.
ViLLERABEL (Abbédc). II, 162.
Villes enlevées aux Bourguignons.
I, 164.
Vinci (Léonard). I, 23.
Viole (Aignan). H, 248.
DES DEUX VOLUMES
51b
Virginité et cliasteté de l'iiéroïne. I,
82, 173.
Vision (La) et la foi. I, 256.
Visions (Les) et les Voix. I, 184.
Visions et kévél.vtions, causes ma-
jeures. I, 188.
Voi.x (Les... visitent la Pucelle). I,
63, 118. La consolent. 64, 158.
Langue qu'elles parlent. I, 98.
Douceur de leur langage. 1, 281.
Lui donnent deux sortes de con-
seil. I, 64, 65. Jeanne n'en a parlé
qu'à son curé. I, 65. Pourquoi ce
nom de Voix. 1, 339. Les trois
choses qu'elle demandait. I, 312
Les Voix n'ont jamais varié. I
174. Les Voix, anges de lumière
1,172-175. Des... à portée objective
I, 394. Les... et leurs commande
ments. I, 360. Elles venaient de
par Dieu. I, 245. Les .. et la Com-
mission de Poitiers. 1, 383. Inter-
rogatoires de Rouen. I, 250, 366.
De quelle manière Jeanne appe-
lait ses Voix. I, 376. Elles lui com-
mandent de répondre hardiment.
1, 366. Elles ne l'ont pas trompée.
I, 390; 11,271. La belle histoire
des... avant le procès. I, 382. Noms
que ses Voix lui donnaient. I, 300.
Vduthon (Isabelle Romée, originaire
de). I, 57, 470.
-w
Wallon (Henri). I, 311, 392.
VVanuonne (Le bâtard de). I, 226.
Wakwick (Le comte de). I, 85, 163,
241.
— Et Jeanne malade. II, 68, 71.
Wassebourg (Richard de). I, 81 ; II,
370.
Windecke (Eberhard). l, 116.
WiNTHON ou Winchester (Henri, car-
dinal de). I, 141.
Xaintrailles (Poton de), à Orléans.
1, 52. A Rouvray. I, 53. Ambassa-
deur au duc de Rourgogne. I, 54.
A Mitry. I, 147. Gouverneur de
Château-Thierry. 1, 141. Grand
écuyer de France. I, 163.
Yonne (L'..., rivière). I, 117.
L. D.
BVREUX, IMPRI.MER1E CH. HÉHISSEY, PAUL HEBISSSY, SUCC
statue monumentale de Jeanne d'Arc
Par H. LOUIS-NOEL
A ériger sur le Fort Sainte- Catherine à Rouen
^^ I* Ir» E L
[-a France a soif d'honneur, de paix et de liberté.
Une Française incarne dans le passe l'honneur de la femme et 1 abnéjjation
du soldat.
Cette femme est le symbole de la concorde et de l'union. La « grande
pitié ». l'amour immense qu'elle conçut pour la France divisée la conduisirent
de la chaumière de Domrémy au bûcher triomphal de Rouen.
Cette femme, cette enfant fut la Libératrice d'une patrie au.x heures les plu?
sombres de t^on histoire.
Sa vie tient du prodige.
Cependant, la légende n'entre pour aucune part dans l'existence de cet être
surhumain.
Jeanne d'Arc relève exclusivement de l'histoire. Des textes irréfutables
répandent une pleine clarté sur les moindres événements de sa brève carrière.
La critique la plus serrée en a confirme l'exactitude.
Mais, tel est le prestige de la Pucelle. que la poésie s'est éprise de ce type
de vaillance et de patriotisme. I a peinture, la statuaire, la mu.^ique, se sont
inspirées de son image ou de ses hauts faits.
Jeanne d'.Arc est Fran(;aise. mais toutes les nations d'Europe, les peuples
du -Nouveau-Monde ont exalté sa mémoire.
Miss Rose Cleveland. sœur du président des l'^tats-Unis. a. dans un élan
sublime, salué Jeanne d'Arc comme une force immanente entrée dans l'héri-
tage des siècles, une influence etfective, sensible dans la vie de l'humanité,
sans acception de races.
Un tel langage honore la France 11 est beau que le monde civilisé acclame,
dans une enfaut de sang français, l'idéal du courage militaire, du culte de la
patrie, du dévouement poussé jusqu'au martyre.
Aussi la terre natale de la Pucelle ne saurait elle se désintéresser d'une
gloire que lui envient toutes h-s nations.
L'image de Jeanne a pris place sur les autels.
U convient maintenant que la France élève, sur le sol reconquis par la
guerrière, un hommage tangible, une effigie grandiose, prodigieuse, monu-
mentale, LA STATUÉ après des statues.
Dominant le Rhin à Niederwald. se dresse la statue de la Germania ; Munich
a la Bavaria. cest-à-dice l'image de la patrie.
New- York a la Liberlé, c'est-à-dire l'emblème da droit de tout citoyen à sa
part de justice.
La France se doit à elle-même d'ériger, dans des proportions colossales,
l'évocation radieuse de Jeanne rf.4/'c qui. aux yeux des deux mondes, demeu-
rera toujours l'àme visible d'une grande patrie !
Souvenons-nous du cri de guerre de Jeanne : « F.n avant, tout est vôtre ! »
Contiants dans le succès de l'entreprise, à l'œuvre!
Nations d'Allema,'ae. d'Amérique. d'.\ngleterre. d'Autriche-llongrie. de
Belgique, de Danemark di-lspagne. de Hollande, d'Italie. d'Océanie. de Russie,
de Scandinivie. de Suisse, dont les historiens, les poètes, les orateurs ont
célébré la Pucelle d'Orléans, vous voudrez participer a la glorification qui se
piépai-e. La renommée de la vierge lorraine a franchi toutes les frr)ntières.
Jeanne d'.Vrc a des admirateurs sous tomes les latitudes. La statue définitive
de la Libératrice d'une nation, le symbole de l'honneur de a paix et de la
liberté sera l'œuvre universelle des peuples réunis.
LE COMITÉ
HISTOIRE COMPLETE
DE LA BIENHEUREUSE
JEANNE D'ARC
PAR
Philippe-Hector DUNAND
Nouvelle Edition
TO^ME I?IlE3XIEJ=ê
LA JEUNESSE
DE
JEANiNE D'ARC
DE DO M REM Y A ORLÉANS
TOMES II et III : en cours cl'iiiii>ression
TOULOUSE
EDOUARD PRIVAT, EDITEUR
RUE DES ARTS, 14