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Full text of "La princesse de Lamballe, intime (d'après les confidences de son médecin); sa liaison avec Marie-Antoinette, son role secret pendant la révolution"

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DOCTEUR    CABANES 


?r'mcesse  èe  uauma 


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Da|irès  les  Confidences  Oe  son    MéDecin 


ALBIN  yniCHEL     KDITRUR 

22.  rue  Hu^çbens.  PAK13 

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La 

Princesse  de  Lamballe 

INTIME 


LE    DOCTEUR    S.VIEFERT.    MEDECIN    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE 

Collection  Otto  Friedrichs) 


Docteur    CABANES 


La 

Princesse  de  Lamballe 

INTIME 

(D'après  les  confidences  de  Èon  Médecin) 

SA  LIAISON  AVEC  MARIE=ANTOINETTE.  —  SON  ROLE  SECRET 
PENDANT  LA  RÉVOLUTION. 

Xombreux  document»  inédits  ;  132  illustrationa 


PARIS 

ALBIN    MICHEL,     ÉDITEUR 
22,   rue  Huy}çens,  22 

Tous  «Iroits  de  reproduclion  et  de  tradu<  os  pour  tous  pays 


MAR  25  \968      y;DU  même  auteur 


^/'  ^oCV^  AffvRAOBS   DE  MÉDECINE   HI8T0RIÇUK 


secret  de  l'Histoire,  4  vol. 
discrétions  de  l'Histoire,  6  vol. 
Les  Morts  mystérieuses  de  rHistoire,2  vol 
Marat  inconnu . 
Balzac  ignoré. 
Folie  d'Empereur. 
La  Princesse  de  Lamballe  intime. 
Napoléon  jugé  par  un  Anglais. 
Poisonset  Sortilèges(en  collaboration  avecle  D' L.  Nass), 

2  vol. 
La  Névrose  révolutionnaire  fen  collaboration  avec  le 

D''  L.  Nass),  '1  vol.  (nouvelle  édition). 
Légendes  et  Curiosités  de  l'Histoire,  5  vol. 
Mœurs  intimes  du  passé,  8  vol. 
Fous  couronnés. 

Une  Allemande  à  la  cour  de  France. 
L'Histoire  éclairée  par  la  Clinique. 
Au  Chevet  de  l'Empereur. 
Dans  rintimité  de  1  Empereur. 

OUVRAGES    d'histoire  MÉDICALE 

Les  Curiosités  de  la  Médecine  (nouvelle  édition). 

Remèdes  d'autrefois,  2  vol. 

Remèdes  de  bonne  femme  (en  collaboration  avec  le 

D""  Bakraud). 
L'Esprit  d'Esculape  (en  collaboration  avec  le  D"^  Wix- 

ROWSKl). 

Joyeux  propos   d'Esculape  (en  collaboration  avec  le 

D'"    WlTKOWSRi). 

Chirurgiens  et  Blessés  à  travers  l'Histoire. 

DIVERS 

Souvenirs  d'un  Académicien,  2  vol. 

La  Salle  de  garde  (/ipuise). 

Les  Goutteux  célèbres. 

Le  Costume  du  médecin  (3  séries). 

Poitrinaires  et  Grandes  Amoureuses  (2  séries). 

La  Médecine  en  caricatures. 

sous  PRESSE  OU  EN  PRÉPARATION 

Petites  Misères,  grandes  maladies. 
Les  Curiosités  de  la  médecine  (2®  série). 
La  Médecine  en  caricatures,  2^  fascicule. 


LA  PRINCESSE  DE  LAMBALLE  INTIME 

{Diaprés  les  confidences  de  son  médecin) 


CHAPITRE    PREMIER 


LES  TRIBULATIONS  D  UN   SANS-CULOTTE 
SOUS  LE  RÈGNE  DE  LA  TERREUR 


On  a  parfois  assimilé  les  temps  qui  devan  èrent 
la  guerre  révolutionnaire  —  «  la  guerre  de  la  liberté  » 
comme  disaient  nos  pères  —  avec  ceux  qui  ont 
précédé  «  la  guerre  des  nations  »,  cette  conflagra- 
tion mondiale  qui  s'est  terminée  par  une  paix  encore 
mal  consolidée.  L'analogie  la  plus  frappante  qu'on 
ait  constatée,  c'est  qu'aux  deux  époques  le  même 
peuple  fut  l'agresseur  ;  mais  une  différence  a 
été  signalée,  et  cette  différence  méritait  qu'on 
la  mît  en  évidence.  En  avril  1792,  quand  s'ou- 
vrirent les  hostilités  contre  rAutriche.  et  contre 
hi  Prusse,  aucune  mesure  d'aucune  sorte  ne 
fut  prise  contre  les  sujets  autrichiens  et  prus- 
siens résidant  en  lYance  ;  alors  que,  le  1^"^  août 
1014,  le  jour  même  de  la  déclaration  de  guerre, 
♦  tous  les  sujets  autrichiens  et  allemands  résidant 
(Il  France  ont  été  recensés  et  envoyés  dans  des 
camps  de  concentration' ».  La  Révolution  attendit 


a  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

plusieurs  mois  avant  de  prendre  les  mesures  qu'im- 
posaient les  circonstances.  Nombre  d'étrangers 
étaient  fixés  à  Paris,  considéré  déjà  comme  l'auberge 
du  monde,  le  foyer  autour  duquel  gravitaient  tous 
les  hommes  cultivés  qui  aspiraient  à  vivre  au  sein 
de  la  société  la  plus  brillante,  la  plus  spirituelle,  la 
plus  policée  de  l'univers. 

Les  Allemands  s'étaient  montrés,  entre  tous,  em- 
pressés à  s'installer  chez  nous,  non  pas  tant,  comme 
ils  le  laissaient  à  entendre,  parce  qu'ils  considé- 
raient notre  pays  comme  un  Eden  paradisiaque, 
mais  parce  que  la  France  leur  apparaissait  comme 
la  terre  promise  de  la  liberté,  notre  pays  comme 
le  champion  de Ja  justice  universelle. 

Il  n'y  avait  plus  que  des  hommes,  que  des  frères. 
Le  courant  de  fraternité  humaine  était  si  fort,  qu'un 
Constituant,  l'académicien  Target,  proposait,  le 
30  avril  1790,  de  naturaliser  en  bloc  tous  les 
étrangers  domiciliés  en  France  depuis  cinq  ans 
et  y  possédant  quelque  avoir.  Ce  projet,  qui  fut 
voté  d'enthousiasme  et  sans  débat,  répondait  si 
bien  aux  sentiments  de  l'opinion,  qu'en  mainte, 
localités,  les  municipahtés  avaient,  d'elles-niêmess 
accordé  le  droit  de  suffrage  et  le  droit  d'éligibihté 
aux  étrangers  qui  résidaient  dans  les  villes  qu'ils 
administraient. 

Il  suffisait  d'y  avoir  acquis  un  immeuble  ou  d'avoir 
épousé  une  Française,  d'avoir  fondé  un  établisse- 
ment de  commerce  ou  d'avoir  reçu  des  lettres  de 
bourgeoisie,  pour  obtenir  les  mêmes  droits  que  les 
autochtones.  Étant  donné  cet  état  d'esprit,  on  ne 
saurait  être  surpris  que  l'idée  d'organiser  et  d'armer 
des  légions  franches  composées  d'étrangers,  venant 


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1  !(,.    l.  -^  ANACHARSIS  C1.00T8 


4  I-A  PRINCESSE  DE    LAMIiALLE    INTIME 

se  ranger  sous  les  drapeaux  de  leur  patrie  d'adop- 
lion,  ait  été  accueillie  avec  faveur. 

Les  Belges  et  les  Liégeois  furent  des  premiers  à 
s'enrôler,  après  les  Hollandais,  toutefois,  qui,  avec 
les  Brabançons,  eurent  l'honneur  de  cette  innovation. 

Vinrent  ensuite  les  Allobroges,  groupant  les  Sa- 
voyards, les  Piéinontais  et  les  habitants  du  Va- 
lais. Les  Autrichiens,  Hessois  et  Prussiens,  ne  se 
joignirent  que  plus  tard  à  ceux  qui  leur  avaient 
montré  l'exemple  ;  encore  fallut-il,  pour  les  décider 
à  se  rallier  à  nos  troupes,  user  de  procédés  qu'on 
savait  devoir  entraîner  leur  adhésion,  mieux  que  si 
on  avait  fait  appel  à  l'humaine  solidarité. 

On  assurait  à  tout  sous-offîcier  ou  soldat  qui  con- 
sentait à  venir  servir  dans  les  rangs  de  l'armée  révo- 
lutionnaire une  pension  de  cent  livres,  sans  préju- 
dice d'une  gratification  de  cinquante  livres.  Les  ac- 
tions d'éclat,  les  blessures  leur  valaient  les  mêmes 
récompenses  qu'aux  nationaux. 

Le  décret  de  l'Assemblée  législative  qui  édictait 
ces  avantages,  aussitôt  traduit  en  allemand,  fut 
afïïché  en  tous  lieux,  au  delà  de  la  Lauter,  sur  les 
murs,  sur  les  arbres  des  routes,  à  la  porte  et  dans 
les  latrines  des  cabarets.  On  s'en  servait  pour  enve- 
lopper toutes  les  marchandises  expédiées  en  Alle- 
magne. On  le  collait,  en  guise  d'étiquette  ou  de 
réclame,  sur  des  bouteilles  d'eau-de-vie,  qu'on  dé- 
posait aux  abords  des  avant-postes  ennemis.  Les 
paysans  de  Flandre  le  mettaient  dans  l'intérieur  de 
chaque  miche  de  pain  qu'ils  vendaient  aux  Autri- 
chiens ^  Il  n'y  avait  pas  de  moyen  trop  ingénieux 
pour  servir  la  cause  de  la  patrie  universelle. 

Une   pareille    propagande    ne    pouvait   tarder   à 


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LES   TRIBULATIONS    D  UN    SANS-CULOTTE  7 

porter  ses  fruits.  De  nombreux  déserteurs  allemands 
se  présentèrent,  venant  offrir  leurs  services.  Qu'al- 
lait-on faire  de  ces  hordes  indisciplinées  ? 

Deux  de  leurs  compatriotes,  dont  l'attachement 
à  l'esprit  nouveau  s'était  de  bonne  heure  manifesté, 
offrirent  de  créer  une  légion  germanique.  L'un  se 
proclamait  1'  «  orateur  du  genre  humain  ».  Jean-Bap- 
tiste (qui  s'était  prénommé  lui-même  Anacharsis) 
Cloots  se  disait  le  représentant  de  tous  les  amis  de 
la  Révolution  dans  le  monde.  L'autre,  de  visées  plus 
modestes,  aspirait  à  réaliser  le  bonheur  du  peuple 
en  suivant  une  voie  différente.  Bien  que  tenu,  en 
sa  qualité  de  médecin,  à  consacrer  la  plus  grande 
partie  de  son  activité  aux  malades,  surtout  aux  né- 
cessiteux, le  docteur  Saiffert  avait  trouvé  le  temps 
de  publier  une  gazette  en  langue  allemande,  des- 
tinée à  répandre  dans  son  pays  d'origine  les  nou- 
veaux principes.  Il  avait  traduit  la  Déclaration  des 
droits  de  Vhommey  qu'il  avait  envoyée  à  Francfort, 
à  Leipzig  et  à  Hambourg,  pour  y  être  imprimée  à 
des  milliers  d'exemplaires.  Il  avait  traduit  également 
et  fait  parvenir  à  ses  frais  les  décrets  pris  dans  les 
assemblées  légiférantes,  et  qui  contenaient  des  «dis- 
positions fraternelles  »  à-  l'égard  des  autres  peuples. 
Persuadé,  en  outre,  que  la  prose  frappe  moins  la 
mémoire  que  les  vers,  il  avait  eu  recours  à  la  poésie, 
pour  «  chanter  les  prémisses  de  la  liberté  et  de  l'éga- 
lité, les  jouissances  que  donnent  ces  vertus  >>,  et 
peindre  «  dans  toute  leur  horreur  la  vie  des  oppres- 
seurs ». 

Cet  aède  des  temps  nouveaux  ne  s'était  pas  con- 
Unté  de  composer  une  Marche  pour  la  Légion  ger- 
manique, qu'il  avait  fondée  de  concert  avec  Ana- 


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10  LA    IMilNCKSSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

charsis  Cloots  ;  il  était,  aussi,  l'auteur  d'un  drame 
sur  la  Mort  de  Basseville  et  la  persécution  des  répu- 
blicains français  à  Rome.  Durant  neuf  mois  il  y 
avait  travaillé  sans  relâche,  plusieurs  heures  chaque 
jour,  et  avant  d'en  remettre  une  copie  au  Comité 
d'instruction,  il  avait  cru  devoir  le  soumettre  à 
l'appréciation  de  personnes  qualifiées  par  leur  con- 
naissance de  la  langue  allemande  pour  redresser  ses 
erreurs  de  traduction  et  les  fautes  qui  avaient  pu 
lui  échapper  dans  la  chaleur  de  la  composition. 

Le  beau-frère  du  capucin  Chabot,  le  Mayençais 
Junius  Frey,  que  Saiiïert  —  il  le  consigne  dans  un 
de  ses  mémoires  apologétiques  —  avait  traité  pour 
des  «  rhumatismes  vénériens  »,  après  avoir  entendu 
la  lecture  de  son  poème,  le  prenant  à  part,  eut  la 
franchise  de  lui  dire  :  «  Je  me  suis  bien  trouvé  jadis 
de  vos  conseïls,  suivez  le  mien  à  votre  tour  :  cachez 
votre  pièce  et  bien  vous  en  trouverez.  »  Mais  le  poète- 
médecin,  dédaignant  cet  avis,  qu'on  lui  donnait 
cependant  en  tout  désintéressement,  et  convaincu 
de  l'effet  que  ne  manquerait  pas  de  produire  son 
ouvrage  «  sur  la  raison  égarée  du  peuple  allemand  », 
passa  outre  et  poursuivit  son  dessein  ;  son  arresta- 
tion  inopinée   empêcha   qu'il   le   mît  à    exécution. 

«  Le  16^  jour  du  second  mois  de  l'an  second  de  la 
République  française,  une  et  indivisible  »,  le  Comité 
de  sûreté  générale  décrétait  que  «  le  docteur  Seif- 
fer  (sic).  Saxon,  médecin  de  Philippe  d'Orléans  et 
auparavant  de  la  cy-devant  princesse  de  Lamballe  », 
serait  «  saisi...  et  conduit  dans  une  maison  d'arrêt, 
par  mesure  de  sûreté  publique,  pour  y  rester  jusqu'à  . 
ce  qu'il  en  soit  autrement  ordonné  ».  Ordre  était 
donné,  aux  autorités  civiles  et  militaires,  de  se  trans- 


LES    THIBULATIONS    D  UN    SANS-CULOTTE  II 

porter  au  Palais-Royal,  n^  156,  où  habitait  celui 
que  les  autorités  étaient  requises  d'incarcérer  sans 
délai. 

Saifïert  avait  été  dénoncé  au  Comité  par  un  Ita- 
lien du  nom  de  Pio  3,  ancien  secrétaire  de  l'am- 
bassadeur de  Naples  à  Paris,  et  qui  avait  saisi 
l'occasion  de  manifester  un  zèle  révolutionnaire  d'au- 
tant plus  ardent  qu'il  était  de  fraîche  date.  Le  che- 
valier Pio  était  depuis  peu,  en  effet,  citoyen  français, 
et  il  avait  reçu  presque  aussitôt  un  commandement 
dans  la  garde  nationale  parisienne;  puis  il  avait  été 
employé  aux  bureaux  de  l'Hôtel  de  Ville,  en  quaUté 
de  «  commissaire  pour  les  papiers  des  émigrés  », 
d'où  il  était  passé,  au  début  de  1793,  dans  les  bureaux 
du  ministère  des  Affaires  étrangères  ^.  Pio  avait 
présenté  Saiffert  comme  «  un  homme  très  suspect, 
parce  que  toujours  lié  avec  les  ennemis  de  la  Révo- 
lution ».  Il  avait  signalé  les  concihabulcs  qui  se 
tenaient  au  domicile  du  docteur,  lequel  logeait  alors 
chez  <'  le  fameux  Sainte-Foix  »,  conciliabules  auxquels 
assistaient  le  plus  généralement  le  ministre  de  Russie, 
avec  Talon,  Semonville  et  quelques  autres.  «  Ce 
Saiffert,  ajoutait-il,  a  été  Jacobin,  jusqu'au  temps 
que  les  Brissotins  ont  eu  la  prépondérance,  il  les  a 
quittés  après,  et  il  a  tenu  et  tient  des  propos  contre- 
révolutionnaires  même  au  déposant,  toutes  les  fois 
qu'il  le  rencontre.  » 

Bien  que  cette  accusation  ne  fût  étayée  d'aucune 
preuve,  ordre  fut  donné  de  se  transporter  chez  le 
prévenu,  et  avant  de  s'emparer  de  sa  personne,  de 
procéder  à  l'apposition  des  scellés  sur  les  portes  de 
Tappartemcnt  qu'il  occupait.  Cette  opération  fut 
pratiquée  en  présence  de  l'intéressé,  «  du  citoyen 


12  LA    PRINCESSK    DE    LAMBALLE    INTIME 

Paillard,  homme  de  confiance  du  citoyen  SaifTert, 
et  des  citoyens  Braut,  cavalier  révolutionnaire,  et 
Paret,  son  adjoint  ».  Le  citoyen  Paillard  fut  constitué 
gardien  des  scellés,  «  à  la  charge  de  les  repré- 
senter sains  et  entiers  sous  les  peines  portées  par  la 
loi  ». 

Dès  qu'une  arrestation  était  décidée,  le  Comité 
de  surveillance  de  la  section  où  habitait  le  détenu 
avant  sa  détention  devait  remplir,  dans  le  délai 
maximum  d'une  semaine,  une  sorte  de  question- 
naire, sous  forme  de  tableau,  qu'il  renvoyait,  une 
fois  l'opération  faite,  au  Comité  de  sûreté  générale 
de  la  Convention.  Ce  tableau  indiquait  le  nom  du 
détenu,  son  domicile  avant  sa  détention,  son  âge  ; 
si  le  prévenu  était  veuf,  garçon  ou  marié;  le  nombre 
de  ses  enfants  et  leur  âge  ;  où  ceux-ci  se  trouvaient. 
Dans  d'autres  colonnes  étaient  notés  le  lieu  de  la 
détention,  depuis  quelle  époque  et  par  quel  ordre 
elle  avait  été  accomplie,  le  motif  qui  l'avait  provo- 
quée ;  la  profession  exercée  par  le  sujet;  ses  revenus 
avant  et  depuis  la  Révolution;  ses  relations  et  liai- 
sons; le  caractère  et  les  opinions  politiques  qu'il  avait 
montrés  aux  époques  critiques,  telles  qu'aux  mois 
de  mai,  juillet  et  octobre  1789,  au  10  août,  à  la 
fuite  et  à  la  mort  du  tyran,  au  31  mai,  et  dans  les 
crises  de  la  guerre  ;  s'il  avait  signé  des  pétitions  ou 
arrêtés  liberticides.  Ces  divers  renseignements  ser- 
vaient de  base  à  l'accusation,  base  fragile  qu'il 
restait  à  fortifier  de  témoignages  plus  ou  moins  sus- 
pects. 

Afin  d'établir  ce  premier  acte  de  procédure,  on 
soumettait  le  détenu  à  un  interrogatoire  en  forme, 
qui  ne  laissait  dans  l'ombre  aucun  détail,  voire  le 


LES   TRIBULATIONS    d'uN    SANS-CULOTTE  l3 

plus  menu.  A  toutes  les  questions  Saiflert  répondit 
avec  précision,  sans  ambages  ni  faux-fuyants. 

Agé  de  quarante-six  ans,  il  se  déclara  natif  de 
Leipzig,  électorat  de  Saxe  ;  il  était  en  France  de- 
puis vingt-quatre  ans  et  habitait  Paris  depuis  seize 
à  dix-sept  années. 

Il  a,  dit-il,  toujours  exercé  la  profession  médicale. 
Ce  n'est  que  sur  la  foi  de  sa  réputation,  qu'il  est  de- 
venu médecin  du  ci-devant  duc  d'Orléans,  depuis 
la  mort  du  père  de  cette  Altesse  ;  encore  n'a-t-il 
consenti  à  être  attaché  à  cette  maison  princière, 
qu'après  un  an  de  sollicitations. 

Il  se  défend  d'avoir  eu  avec  le  duc  d'autres  rela- 
tions que  celles  nécessitées  par  sa  santé.  Quand 
celui-ci  était  à  son  conseil,  le  docteur  attendait  tou- 
jours que  la  délibération  fût  tern-iinée  avant  d'être 
introduit  auprès  de  son  chent.  11  reconnaît  avoir 
également  traité  l'épouse  et  les  enfants  de  Phi- 
lippe-Égalité, qu'il  n'a  vus  que  deux  ou  trois  fois. 

Il  était,  en  même  temps,  le  médecin  delà  «  femme 
Lamballe  ».  Il  a  été  appelé  auprès  d'elle  en  1785 
et  lui  a  continué  ses  soins  jusqu'à  sa  mort  ;  dans  la 
dernière  année  de  sa  vie,  il  ne  l'a  vue  qu'  «  à  trois 
reprises  différentes,  pour  cause  d'incommodités  ». 
Nous  aurons  à  revenir  sur  cette  cure,  dont  Saiiïert 
nous  a  conservé  une  relation  des  plus  léalisles; 
mais  n'anticipons   pas. 

A  la  question  s'il  a  pris  la  qualité  de  citoyen  fran- 
çais et  s'il  a  exercé  ses  droits  politiques,  ou  si  au 
contraire  il  a  conservé  sa  qualité  d'étranger,  SailTert 
réj)oiid  que  «  les  lois  de  son  pays  s'opposant  à  ce 
qu'il  pût  se  faire  naturaliser  sans  encourir  I  i  \)c\nc 
de  l'exhérédatioii,  il  n'a  pas,  jus(iu'à  ce  iiininciiL-ci, 


l4  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

pris  la  qualité  de  citoyen  français,  qu'il  attend  que 
la  Constitution  la  lui  accorde  légalement  ;  mais 
qu'au  surplus,  il  a  rempli  tous  les  devoirs  auxquels 
sont  soumis  les  autres  citoyens,  en  payant  toutes  les 
charges  qu'exige  le  droit  de  cité  ».  Depuis  la  Ré- 
volution il  a  cessé  toutes  relations  avec  son  pays 
d'origine,  n'a  entretenu  aucune  correspondance 
à  l'extérieur,  «  pas  même  pour  affaires  relatives  à 
son  état  5  ». 

Parmi  les  pièces  mises  sous  scellés,  et  qu'on  avait 
présentées  à  Saiffert,  on  ne  trouva  qu'une  correspon- 
dance de  la  princesse  de  Lamballe,  relative  surtout 
à  la  santé  de  cette  dernière.  On  avait  remarqué 
que  celle-ci  traite  parfois  son  médecin  de  <<  ré- 
publicain »  et  de  «  démocrate  »,  pour  avoir  laissé 
paraître  devant  elle  quelques  opinions  avancées, 
qu'elle  ne  partageait  point.  Autre  preuve  de  civisme, 
invoquée  par  l'accusé  :  dans  le  courant  de  mars 
1792,  Saiffert  n'avait  pas  hésité  à  faire  part  à  Pétion 
du  complot  tramé  «  entre  Capet  et  compagnie  avec 
le  despote  de  Vienne  »,  et  de  lui  indiquer  la  conduite 
à  tenir,  pour  déjouer  «  les  projets  atroces  que  l'on 
formait  contre  la  République  française  ». 

Une  allusion  ayant  été  faite  à  certain  voyage 
entrepris  à  l'étranger  par  le  prévenu,  en  1790,  notre 
confrère  saxon  convient  qu'il  s'est  rendu,  à  cette 
époque,  auprès  du  ci-devant  duc  d'Orléans,  pour  le 
traiter  d'une  maladie  vénérienne  —  on  ne  lui  en 
demandait  pas  tant  —  et  qu'il  y  a  séjourné  un 
mois.  11  fait  observer,  à  ce  propos,  qu'il  n*a  pas  été 
remboursé  des  frais  de  ce  voyage,  «  non  plus  que  de 
plusieurs  autres  sommes  qui  lui  sont  dues  par  ledit 


LES    TRIBULATIONS    d'uN    SANS-CULOTTE 


l5 


On  a  observé  avec  quelle  désinvolture  le  médi- 
castre  trahit  la  loi  du  secret  professionnel,  dont  nous 


^-^on^^a/^Jel^'-^'^P 


no.  4. 


•  LOUIS-JOSEPH  D'ORLÉANS 
(Par  Bonneville) 


nous  faisons  aujourd'hui  un  devoir  de  ne  point  nous 
départir.  N'en  soyons  pas  autrement  surpris. 
Il  était  assr/  ordiniiic,   .1  ((lie  épcque,   d'en  agir 


l6  LA     PKINCIîSSK    DE    LAMIULLE   INTIME 

ainsi.  Il  sufïit  de  parcourir  les  ouvrages  les  plus  ré- 
pandus à  la  fin  du  xviii^  s'ècle  et  dans  la  première 
moitié  du  siècle  suivant,  pour  voir  combien  leurs 
auteurs  mettaient  peu  de  scrupule  à  dévoiler  les 
maladies  et  les  infirmités  de  leurs  clients  et  clientes. 
Ceux-ci  sont  nommés  en  toutes  lettres,  alors  même 
que  leurs  noms  figurent  dans  l'armoriai,  ou  qu'ils 
occupent  un  rang  éminent  dans  la  société.  SaifTcrt 
ne  faisait  que  se  conformer  à  un  usage  courant,  et 
on  serait  mal  venu  à  lui  faire  un  grief  particulier 
de  ses  indiscrétions.  Peut-être  entrait-il  quelque  cal- 
cul dans  cette  manière  d'agir  :  n'était-ce  pas  donner 
des  gages  au  parti  avancé,  que  de  mettre  à  nu 
les  tares  dont  n'étaient  pas  exempts  les  pires  enne- 
mis du  nouveau  régime,  et  surtout  celles  que  leur 
avait  values  leur  «  crapuleuse  conduite  »  (sic)  ? 

Saiffert  a  toujours  protesté  de  ses  sentiments  dé- 
mocratiques, et  il  tient  à  ce  que  nul  n'en  ignore. 
On  lui  a  reproclié  ses  revenus  :  il  reconnaît  tou- 
cher, en  effet,  une  pension  de  2.000  livres,  qui  lui  est 
servie  par  une  «  personne  dont  il  a  sauvé  la  vie  »  ; 
mais  cela  lui  a  permis  de  rendre  de  nombreux  ser- 
vices aux  malheureux,  auxquels  ilassLirait  non  seule- 
ment des  soins  sans  la  moindre  rémunération,  mais 
à  qui  il  distribuait  gratuitement  des  remèdes. 

«  Il  a  toujours  adopté  les  principes  des  sans- 
culottes  »,  avec  lesquels  il  a  vécu  sur  le  pied  d'une 
parfaite  égalité,  les  admettant  à  sa  table,  consacrant 
tous  les  dimanches  et  mercredis  à  les  recevoir,  et 
ne  conservant  que  ce  qui  lui  était  strictement  néces- 
saire pour  son  existence  frugale.  Il  a  refusé  les  offres 
les  plus  avantageuses,  dans  sa  patrie  et  dans  d'autres 
pays  étrangers,  pour  réserver  ses  talents  à  la  classe 


LES    TRinULATIOXS    D  UN    SANS-CULOTTE  I7 

des  indigents,  «  tout  cela  par  amour  pour  la  Révolu- 
tion »  dont  il  a  chanté  les  principes  et  les  vertus 
S0US  toutes  les  formes,  jusqu'à  composer  un  monu- 
nlent  dramatique  de  dix-huit  cents  vers,  destiné 
à  vouer  à  l'admiration  de  la  postérité  la  plus  reculée 
«  les  législateurs  républicains,  et  à  l'exécration  éter- 
nelle les  tyrans  français  et  leurs  satellites  ». 

Saiffert  ne  se  vantait  pas  en  aiïichant  son  désin- 
téressement dans  l'exercice  de  sa  profession.  Jusque 
dans  la  maison  d'arrêt  où  il  fut  enfermé,  il  avait  conti- 
nué à  nourrir  les  pauvres,  et  il  n'exagère  pas  quand 
il  prétend  que  beaucoup  d'entre  eux  se  désolèrent 
d'être  privés  momentanément  de  ses  bons  ofhces. 
En  prison  depuis  huit  mois,  il  y  méditait  sur  son 
triste  sort,  adressant  requête  sur  requête  au  Comité 
de  sûreté  générale  et  de  surveillance. 

En  vain  protcste-t-il  n'avoir  jamais  cessé  d'être 
«  homme  de  bien,  ami  sincère  de  l'humanité  et  de 
la  vertu  ».  Il  dit  avoir  «  sucé  avec  le  lait  le  mépris 
des  richesses  et  des  grandeurs  de  ce  monde,  et  l'hor- 
reur de  tous  les  vices  ».  Il  a  toujours  pratiqué  la 
sévère  morale  d'Épictète,  «  au  milieu  des  frères  dé- 
naturés et  profanes  ».  On  ne  l'a  jamais  vu  jouer  ni 
fréquenter  les  spectacles  ou  les  femmes.  Sa  sobriété 
(tait  connue  :  il  ne  faisait  qu'un  repas,  et  deux 
bouteilles  de  bière  constituaient  son  dîner  du  soir. 
Le  manque  de  cette  boisson  dans  sa  prison  fut  pour 
lui  une  des  plus  dures  privations,  mais  il  s'était  soumis 
sans  murmure  aux  règlements,  dont  nul  n'avait  du 
reste  le  pouvoir  de  s'affranchir. 

Dès  l'aurore  de  la  Révolution,  avant  môme  qu'elle 
eût  éclaté,  SaifTerl  avait  été  nu'mhre  d'une  Société 
des  amis  de  la  liberté,  celle  qui  dél»Finiii:i  la  crca- 

2 


l8  LA    PRINCESSE    DE    LAM BALLE   INTIME 

lion  des  États  généraux,  et  dont  est  issue  plus  tard 
1'  «  immortelle  Société  des  Jacobins  ». 

Il  avait  été  admis  au  célèbre  club  aussitôt  que 
les  étrangers  y  furent  acceptés.  Chargé,  en  1790, 
de  trouver  un  local  pour  cette  Société,  il  s'était  rendu, 
en  compagnie  du  jeune  duc  de  Chartres,  au  Pan- 
théon ''j  mais  il  fut  fait  choix  d'une  autre  salle  et  le 
monument  de  Soufïlot  reçut  une  autre  destination. 

Particularité  digne  de  remarque,  Saifîert  fut  un 
des  premiers  adeptes  de  la  Franc-Maçonnerie^, 
dont  le  duc  d'Orléans  était  le  Grand-Maître  9, 
et  qui  comprenait  alors  dans  son  sein  d'autres  princes 
et  princesses  du  sang.  Pour  qui  connaît  le  rôle  joué 
par  cette  secte  dans  la  genèse  de  la  Révolution, 
l'observation  est  d'importance.  Le  personnage  que 
nous  étudions  comptait  au  nombre  de  ces  «  illumi- 
nés »  qui  «  n'avaient  de  pensées  que  pour  le  bon- 
heur du  monde...  un  monde  éventuel  qui  doit  exister 
un  jour  »,  et  qui  rêvaient  «  une  Société  de  bâtis- 
seurs occultes  »  d'une  nouvelle  Babel. 

Parmi  les  néophytes  qui  se  déclarèrent  des  pre- 
miers en  faveur  de  ces  doctrines,  où  entrait  une  bonne 
part  de  mysticité,  on  a  la  surprise  de  relever  le  nom 
du  futur  romancier  Charles  Nodier,  alors  dans  toute 
la  fièvre  de  l'adolescence,  et  qu'il  était  facile,  selon 
son  expression,  de  «  faire  monter  sur  les  ailes  mys- 
tiques des  anges  de  Svedenborg  ».  Le  jeune  Bisontin 
n'a  pas  manqué  d'exercer  son  ironie  aux  dépens 
du  «  docteur  Saiftert,  qui  savait  tout  (c'était  un  des 
privilèges  de  l'initiation  »,  mais  «  ne  savait  presque 
pas  de  français  ». 

Nodier  s'était  rencontré  avec  le  médecin  saxon 
chez  le  chevalier  de  Bonneville,  l'ami  de  Fontanes, 


LE  TEMPLE  DE  LA  SAGESSE 

Le  SERENISSIME  GRJND  MAITRE  1.01118^  PHILIPPE  JOSEPH 
D.'ORLEANS  DTTC  DE  CUAUTTLES  JbuJ  ïa^^ta-c  Dd  IXx&a^.e'clivrc  ko 
Tm  Viuuc  Ou  G.:  &.'■  9e  France ,  ûii  tl  .rianalc  -fon  zf/e  ,  c/'j'a  ocherûstte  ^  .  •  a  j-cj 
ràtrj  sont' Je  T/.I.\  G  .••  Adniiuiftxatcnr  ,f^/<r  T.'.R..  G.*.  Confcrvafcur  rt/n^r/VrffJ 
fuir  Iti  '\^p-ilcncc  hnanf^  la  riauc  àc  Minerve  et  la  PruJ-CTaco  in<viiuee<rwsanEi}t?e 
/e  T..R.-.  G.-.  OrtAeni  /u^ure'  par  Callùrpe  prelicnle  uu  S'  G."-  MAÎTB.E  /cj  ttiiOtj 
Mnfes  i/ui  li((/vnt-  hommaae   Je  leun  TalerUC^  • 

Rcjefcn  dci   CE'SARS  Heriiier  de*  TITTJS, 
CHARTREB    de  fe»  A^eùx  retrace  la  mémoire, 
Anmiliro.  dei   Gruideiu-i  tlme^  toti^c  Çn  <rL)irc 
A  Te  montrer  lami   dr«  Aria  ri  dri  Vertus . 

PRESENTE  A  SOU    ALTESSE     SERENISSIME. 
ET   DRDIE   A   TOUS    LES    MM.-.  RIU'DE    FltANCE. 

Par  le  av  :^  Pe  ^crai/iviUc' 
F-  de  la  lé.  .de  THALUi  à  l'O  .,\T.a(ts. 


—    LE    DUC    D0RLKAN8,    GHAND   MAITRE   DE    LA    MAÇONNERIE 
80U8   LES  TMAITS    DE   MINERVE 


20  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

de  Roucher  et  d'André  Chénier,  ie  collaborateur  de 
Fauchet,  évoque  du  Calvados.  A  la  table  de  Bonne- 
ville,  une  «  table  oblongue,  chargée,  à  ses  deux  pô- 
les, de  bronzes,  de  sphères,  de  cartes,  de  portraits  », 
Nodier  avait  coudoyé  «  cet  impénétrable  Seyffert  »>, 
qui  lui  avait  laissé  une  impression  durable,  «  avec  son 
répertoire  de  pensées  mille  fois  plus  profond,  mais 
mille  fois  plus  obscur  que  l'antre  de  Trophonius, 
et  ses  hiéroglyphes  de  mots,  qui  auraient  laissé 
Thèbes  sans  roi,  et  Jocaste  sans  mari  ^°  ».  Parmi 
les  convives  figuraient  aussi  le  Polonais  Kosciuszko 
et  l'Anglais  Thomas  Paine. 

On  ignore  communément  quelle  place  importante 
ont  tenue  les  étrangers  dans  les  prodromes  du  mou- 
vement révolutionnaire,  quelle  part  ils  ont  prise  à 
la  conduite  des  événements  ". 

L'Assemblée  législative,  par  décret  du  26  août 
1792,  avait  accordé  le  titre  de  citoyen  français  à 
dix-sept  étrangers,  parmi  lesquels  les  Allemands 
Campe,  Klopstock,  Anacharsis  Cloots.  Un  membre 
de  l'Assemblée  demanda  qu'on  adjoignît  le  nom  de 
wSchiller.à  la  liste  des  «  amis  de  la  liberté  et  de  la 
fraternité  universelles»;  mais  dans  le  procès-verbal 
de  l'Assemblée,  le  nom  du  célèbre  dramaturge  fut  dé- 
naturé et  transcrit,  par  un  maladroit  copiste,  Giller, 
pour  devenir,  à  la  suite  d'une  nouvelle  transforma- 
tion, Gilliers,  ainsi  que  l'imprima  le  Moniteur  ; 
enfin  il  fut  dénommé  Gille,  dans  le  diplôme,  du 
10  août,  signé  de  Clavière,  et  contre-signe  par 
Danton 

L'auteur  de  Guillaume  Tell  ne  tarda  pas,  d'ail- 
leurs, à  protester  contre  les  excès  de  la  Révolution, 
et  ne  se  montra  pas  très  «  fier  de  ces  sentiments 


LES    TRIBULATIONS    D  UN    SANS-CULOTTE  21 

que  lui  témoignait  un  grand  peuple,  dans  l'enthou- 
siasme des  premiers  jours  de  sa  liberté».  Les  scènes  de 
la  Terreur  refroidirent  son  zèle,  et  son  admiration  des 
premières  heures  ne  tarda  pas  à  faire  place  à  une  froi- 
deur marquée.  Dès  1793,  il  n'hésitait  pas  à  prédire 
la  fin  prochaine  de  la  Révolution.  «  Il  faudrait,  écri- 
vait-il, que  le  peuple  fût  mûr  pour  la  Constitution 
républicaine,  or  il  s'en  faut  de  tout  qu'il  le  soit.  La 
République  finira  aussi  rapidement  qu'elle  est  née; 
la  Constitution  républicaine  aboutira  à  un  état 
d'anarchie,  et  tôt  ou  tard,  un  homme  de  grande 
intelligence,  un  homme  énergique  paraîtra,  n'im- 
porte d'où  il  vienne,  qui  se  fera  le  maître  non  seule- 
ment de  la  France,  mais  de  l'Europe.  »  La  suite  a 
démontré  qu'il  a  été  bon  prophète  ^^. 

Allemand  comme  Schiller,  Saifïert  fut  moins 
prompt  à  se  désabuser.  Il  fut  un  de  ceux  qui  jouèrent 
un  des  rôles  les  plus  actifs  ;  il  se  flatte,  dans  un  de 
ses  mémoires  autobiographiques,  de  ne  s'être  point 
contenté  «  de  propager  les  principes  »,  mais  d'avoir 
veillé  «  à  la  sûreté  des  défenseurs  de  la  hberté  »,  de 
les  avoir  avertis,  en  toutes  circonstances,  de  ce  qu'il 
avait  pu  apprendre  des  projets  des  ennemis  du  peu- 
ple, afin  qu'on  prît  les  précautions  nécessaires  pour 
«  déjouer  leurs  trames  ».  Ainsi  avait-il  dévoilé  la 
teneur  du  traité  de  Pilnitz,  dont  il  s'était  procuré  le 
texte  deux  mois  avant  qu'il  fût  inséré  dans  les  pa- 
piers publics.  Il  s'attribue,  en  outre,  le  mérite 
d'avoir  éventé  le  projet,  qu'avait  formé  la  Cour, 
«  d'emi)loycr  les  troupes  qu'elle  avait  fait  venir 
pour  dissoudre  l'Assemblée  nationale,  faire  rompre 
et  pendre  les  patriotes  comme  des  rebelles  ».  Il  pré- 
tendait tenir  la  connaissance  de  ce  projet  de  deux 


22  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALI.E    INTIME 

de  ses  malades,  «  confidentes  de  l'Autrichienne»,  qui 
avaient,  à  l'en  croire,  vainement  essaya  de  le  déta- 
cher du  club  révolutionnaire  auquel  il  était  affilié,  et 
qu'elles  avaient  qualifié  d'  «  association  d'enragés  i>. 
Saifïert  se  flattait  d'avoir  empêché  Lafayette  d'ob- 
tenir son  admission  aux  Jacobins;  et  si,  après  cette 
déclaration,  on  met  encore  en  doute  son  républi- 
canisme, il  invoquera  qu'il  a  été  menacé,  sous 
l'ancien  régime,  d'être  plongé  dans  les  cachots  de  .a 
Bastille,  que  deux  lettres  de  cachet  lui  ont  signifié 
son  expulsion  du  territoire  français  en  raison  de  ses 
«  opinions  philosophiques  et  philanthropiques  »,  et 
qu'il  n'a  dû  qu'à  de  hautes  protections,  émanant 
de  personnes  qui  lui  devaient  «  la  réparation  de 
leurs  santés  »,  d'échapper  au  sort  qui  le  menaçait. 


NOTES  DU  CHAPITRE  PREMIER 


1.  Albert  Matiiiez,  la  Flévolulion  et  les  étrangers.  Paris,  la 
fienaissance  du  livre,  Avant-propos. 

2.  Arthur  CiiLt,)UET,  la  Légion  gerr»aniqae  (1792-1793).  Paris, 
1904. 

3.  Un  Italien  jacobin  :  le  cïievalier  Louis  Pio,  par  Al- 
bert Mathiez  [Nouvelle  Revue  d'Italie,  25  janvier  1921). 

4.  Frédéric  Masson,  le  Département  des  Affaires  étrangères  pen- 
dant la  Révolution. 

5.  Nous  suivons  le  texte  môme  de  l'interrogatoire  ;  celle 
pièce,  ainsi  que  toutes  celles  que  nous  avons  utiliséesdans 
ce  travail,  ont  été  puisées  dans  le  fonds  des  Archives  nati<  - 
nales  (F7  4775'->  ;  W.  3G9,  dossier  824;  Lb*»  2485,  etc),  et 
nous  avons  lieu  de  les  croire,  pour  la  majeure  partie, 
inédites. 

6.  A.  N.,  cote  F7  47759. 

7.  i/n  an  de  la  vie  de  Louis-Philippe  I",  écrite  par  lui-même,  ou 
Journal  authentique  du  duc  de  Chartres  (1790-1791);  Paris,  Per- 
rotin,  1831,  8',  42. 

8  Cf.  le  Fléau  des  tyrans  et  des  septembriseurs,  ou  Réflexions  sur 
la  Révolution  française,  par  un  vrai  patriote  de  89;  Lausanne, 
1797,  100. 

9.  Il  ne  faisait  plus  partie  de  la  «  Franche-Maçonnerie  •> 
en  1793,  ainsi  que  l'atteste  ce  fragment  d'une  lettre  ccrile 
[)ar  «  le  citoyen  Égalité  au  citoyen  Milscent  »,  et  qui  est  da- 
tée du  22  février  1793  : 

«   LE  CITOYE.N  ÉGALITÉ    AU  CITOÏEN   MILSCENT 

«  Paris,  22  février  1793. 
«...  Voici  mon  histoire  maçonnique  :  Dans  un  temps  où 
assurément,  personne  ne  prévoyait  notre  Révolution,  je 
m'étais  attaché  à  la  lranche-Maçonnerie,qui  oITrait  une  sorte 
(limage  de  l'Égalité,  comme  je  métaisatlaché  aux  Parlemcns 
qui  offraient  une  soiN-  .rimage  de  la  Liberté;  j'ai  depuis 
(juitlé  le  fantôme  pour  la   léalité...  Comme  je  ne   connai»» 


24  LA    PRINCESSE    DE    LAMBAI.LE    INTIME 

pas  la  maniore  dont  le  G.  O.  est  composé,  et  que  d'ailleurs 
Je  pense  qu'il  ne  doit  y  avoir  aucun  mystère  ni  aucune  as- 
semblée secrète  dans  une  République,  surtout  au  commen- 
cement de  son  établissement,  je  ne  veux  plus  me  mêler  en 
rien  du  G.  O.  ni  des  assemblées  de  F. -M...  w  Cette  lettre 
ligure  dans  le  Calalogue  de  livrea  manuscrits  et  imprimés  sur  la 
Franche- Maçonnerie  et  les  Sociétés  secrètes,  provenant  du  cabinet 
de  feu  M.  Lerouge,  dont  la  vente  commencera  le  7  jan- 
vier 183Ô,  Paris,  Leblanc,  rue  des  Beaux-Arts,  6. 

10.  lievue  de  Paris,  1829  (Bruxelles),  220-221  ;  cf.  Souvenirs 
et  Portraits  de  la  Révolution  française,  par  Charles  Nodier. 

11.  Sur  celte  question,  l'opuscule  de  M.  Albert  Mathiez, 
professeur  à  l'Universilé  de  Besançon,  la  Révolution  et  les 
Etrangers,  abonde  en  révélations. 

12.  Aj-f.  Rambaud,  les  Français  sur  le  Rhin,  130  et  S. 


CHAPITRE    II 


LA    CLIENTELE     D  UN     PRATICIEN     ETRANGER 
PENDANT   LA    RÉVOLUTION 


Comment  SailTert  était-il  parvenu  à  acquérir  la 
réputation  d'un  des  plus  habiles  «  guérisseurs  »  de 
son  temps  ?  Nous  ne  saurions  le  déterminer  qu'en 
établissant  son  curriciilum  vilœ,  d'après  ses  propres 
déclarations,  disséminées  dans  de  nombreux  écrits. 
L'uni(iue  objet  de  ses  études,  de  ses  désirs,  de 
son  ambition,  a  toujours  été  l'art  de  guérir,  qu'il 
n'a  cessé  de  pratiquer  pendant  les  vingt-cinq  ou 
vingt-sept  ans  qu'il  a  séjourné  en  France.  «  Les 
lio{)itaux  ont  été  le  berceau  de  son  éducation  :  c'est 
là  qu'il  a  puisé  sa  morale  fraternelle,  sa  charité 
ictive,  qui  sont  les  bases  de  ses  idées  religieuses, 
fortifiées  par  la  pratique  de  son  état  et  la  lec- 
ture des  Philosophes.  Il  a...  rempli  avec  la  plus 
s(TU[)iileuse  observance  les  obligations  qu'il  avait 
«ontracté  (sic)  avec  l'humanité  soulTrante.  11  n'a 
listiiigué  ni  nation,  ni  rehgion,  ni  naissance,  ni  état, 
tant  le  même  avec  tous  les  hommes.  11  n'a  jamais 
dérogé  d'une  syllabe  à  la  pratique  des  principes  qui, 


26  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

pour  le  bonheur  de  l'humanité,  sont  devenus  enfin 
ceux  de  tous  les  cœurs  français  républicains.  » 

Un  médecin,  et  plus  particulièrement  un  médecin 
en  renom,  doit  tenir  sa  porte  ouverte  à  tous  ceux 
qui  se  présentent  à  lui,  «  secourir,  sans  distinction 
même  d'amis  et  d'ennemis,  tous  ceux  qui,  dans  leurs 
souffrances,  demandent  ses  secours,  autant  que  son 
temps  et  sa  propre  santé  le  permettent  ».  Saiiïert  n'a 
jamais  failli,  pour  sa  part,  à  cette  manière  d'agir, 
depuis  le  jour  où  il  pratiquait  la  chirurgie  et  la  Aiéde- 
cine  gratuitement,  dans  une  petite  ville  du  Gâtinais 
et  dans  les  environs  de  la  ci-devant  seigneurie, 
à  une  grande  distance  de  sa  résidence,  principale- 
ment à  Sens,  Joigny,  Villeneuve,  etc.  Il  fournissait 
de  sa  bourse  les  médicaments  aux  indigents,  lais- 
sant à  ceux-ci  la  somme  nécessaire  pour  hâter 
leur  rétablissement,  et  prenant  à  sa  charge  les  frais 
de  ses  déplacements  ;  «  jour  et  nuit,  il  était  à  leur 
service  ». 

Après  avoir  exercé  pendant  cinq  années  la  médecine 
rurale,  il  était  venu  habiter  Pont-sur-Seine,  où,  pen- 
dant deux  ans,  il  avait  rempli  «  ces  mêmes  devoirs 
envers  l'humanité  souffrante  ».  Là,  il  avait  été  atta- 
ché, comme  médecin,  au  prince  Xavier  de  Saxe,  qui 
tout  de  suite  l'honora  de  sa  confiance  et  plus  tard 
de  son  amitié.  Il  donna  ses  soins  à  la  comtesse  de. 
Lusace,  qui  souffrait  d'insomnies  et  de  vapeurs'  ; 
il  resta  en  correspondance  avec  l'Altesse  germa- 
nique, jusqu'au  jour  où  il  offrit  au  prince  sa  dé- 
mission, pour  un  motif  resté  obscur  ;  tout  ce 
qu'on  sait,  c'est  qu'il  fut  signalé,  par  son  ancien 
protecteur,  au  lieutenant  général  de  police,  ainsi 
que  son  intendant    que   le    prince  avait    renvoyé 


LA    CLIENTELE    d'uN    PRATICIEN    ÉTRANGER 


27 


dans  le  même  moment.  Saiffert  parle,  à  ce  propos, 
<t  d'actes  d'injustice  et  de  despotisme»,  sans  préciser 
davantage. 


FUi.    0.  —   LE  DOCTEUn  SAIFFERT 
(Portrait  communiqué   |)ar  M.  Otto  F«ii;t)nicH9.) 


Iji  (|iiill:iiiL  Pont-sur-Seinc,  Saiffert  s'était  rendu 
.\  Paris  et  avait  pris  un  appartement  dans  la  maison 
du  dentiste  Bourdet,  rue  Croix-dcs-Petits-Clianip.s. 


28  LA    rniNCESSE    DE    LAMIULLE    INTIME 

A  peine  y  était-il  installé,  qu'il  se  plaignait  des  per- 
sécutions dont  il  était  l'objet,  de  la  part  du  gouver- 
nement monarchique  ;  mais  les  succès  qu'il  obtint 
dans  sa  pratique  lui  valurent  des  protections  qui 
réduisirent  ses  ennemis  au  silence. 

Le  devoir  d'un  médecin,  il  l'a  proclamé  maintes  fois, 
«  est  de  traiter  la  vie  physique  de  tous  ceux  qui 
s'adressent  à  lui  ;  c'est  à  la  Police  et  à  la  Justice  de 
traiter  le  vice  moral  des  membres  de  la  société  ; 
ce  n'est  pas  l'aiïaire  de  l'officier  de  santé  ».  Voilà 
pourquoi  il  n'a  jamais  distingué  entre  amis  et  ad- 
versaires, n'ayant  jamais  refusé  ses  avis  aux  hommes 
qu'il  méprisait  le  plus,  voire  même  à  ses  ennemis 
les  plus  prononcés. 

Fort  de  la  pureté  de  ses  principes,  Saiffert  a  tou- 
jours méprisé  ses  «  calomniateurs  et  leur  poison  ». 
Il  a  soigné  des  hommes  comme  Deffieux,  Dubuis- 
son,  accusés  d'être  des  agents  de  l'étranger  et  com- 
plices de  tous  les  partis  ^  Il  s'est  opposé,  à  maintes 
reprises,  à  leur  admission  comme  membres  du  club 
dont  il  faisait  partie,  déclarant  qu'il  se  retirerait 
si  on  les  admettait.  Plus  que  quiconque,  il  a  pu 
juger  de  leur  moralité,  les  ayant  tous  traités  — 
lui-même  le  déclare  —  «  de  différentes  maladies 
vénériennes,  et  principalement  Dubuisson...  ».  Ils 
n'avaient  pas  dissimulé  leurs  infâmes  roueries  devant 
le  médecin,  et  «  il  ne  pouvait,  ajoute-t-il,  m'entrer 
dans  l'idée  que  des  hommes  aussi  dépravés  fussent 
convertis  aux  bons  principes  et  à  la  vertu  ». 

Mais  nous  devons  à  Saiffert  d'autres  révélations. 

C'est  lui  qui,  à  Londres,  en  1790,  avait  traité  Phi- 
lippe-Égalité, pour  un  mal  de  nature  peu  avouable. 
Connaissant  l'influence  qu'exerçait  le  médecin  sur 


LA.   CLIENTÈLE    d'uN    PRATICIEN    ÉTRANGER  29 

son  pusillanime  client,  on  avait  profité  de  cette  cir- 
constance pour  le  charger  de  déterminer  ce  dernier  à 


FIG.  7é    —  LA  PRINCESSE    DE  TALLEYRAND 

rentrer  en  France.  Laclos,  l'autc m  ilos  Liaisons  dan- 
gereuses, avait  été  mêlé  à  cette  négociation  K 
Saliïcrt  avait  acheté,  au  nom  du  duc  d'Orléans, 


3o  LA    PRINCESSE    DE    LAMBAI.LE    INTIME 

une  maison  que  celui-ci  possédait  rue  des  Bons- 
Enfants,  à  Paris,  pour  être  cédée  à  un  nommé 
Dufresne,  premier  commis  et  confident  de  Necker. 
Et  «  c'est  par  là  que  les  deux  partis  (modéré  et 
avancé),  divisés  en  apparence,  associés  en  secret, 
communiquaient   et    conspiraient    ensemble  ^  ». 

On  a  été  jusqu'à  prétendre  que  Sailïert  avait  guéri 
d'une  maladie  secrète  Talleyrand  et  sa  future 
épouse,  alors  sa  maîtresse.  Madame  Grant.  Le  libal- 
liste  5  qui  risque  cette  allégation,  plus  que  dou- 
teuse, ajoute  que  le  ministre  fit  bannir  plus  tard 
l'homme  qui  lui  avait  donné  des  soins,  ainsi  qu'à 
son  épouse,  parce  qu'il  en  «  savait  trop  ».  L'exil  du 
docteur  aurait  duré  trois  ans;  mais,  nous  le  répétons, 
nous  ne  nous  portons  pas  garant  d'un  témoignage 
aussi  suspect. 

Des  gens  de  toutes  conditions  affluaient  au  cabinet 
de  Sailïert,  tant  était  grande  la  vogue  dont  jouissait 
le  médecin  étranger.  Il  avait  soigné  Beaumarchais, 
alors  que  le  pamphlétaire  était  interné  à  Saint- 
Lazare.  C'est  au  sujet  de  l'auteur  du  Mariage  de 
Figaro,  que  Marie-Antoinette  dit  à  Sailïert  ces  pa- 
roles où  se  trahissaient  ses  sentiments  à  l'égard 
d'un  des  précurseurs  de  la  Révolution  :  <<  Vous  avez 
beau  le  purger,  vous  ne  lui  ôterez  jamais  toutes  ses 
vilenies  ^  !  » 

Ce  fut  encore  Saifîert^  que  feignit  de  consulter 
Saint- Just,  «  pour  un  sang  calciné  (sic)  par  l'étude, 
qui  lui  causait  un  mal  à  la  tempe  ».  Le  méde- 
cin^ rendit  plusieurs  visites  à  son  malade,  car 
sa  note  d'honoraires  ne  s'éleva  pas  à  moins  de 
deux  cents  livres.  Détail  piquant,  le  jeune  garne- 
ment prit  le  prétexte  de  cette  dette,  pour  dépouiller 


LA    CLIENTÈLE    d'un    PRATICIEN    ÉTRAxNGER 


3i 


sa   mère  de    toute  l'argenterie  qu'elle    possédait  9, 
«  d'une  bague  fine  vaite  en  rose  »,  plus  deux  pistolets 


FIG.  8,   —   SAINT-JUST 


garnis  en  or  et  des  galons  d'argent,  provenant  des 
anciens  uniformes  de  son   père. 

Non  content  de  lui  enlever  ses  objets  les  plus  pré' 
<  ieux,  ce  fils  dénaturé  alla  jusqu'à  injurier  et  mal- 


32  LA    PRLNGESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

traiter  sa  mère^°,  au  point  qu'elle  demanda  et 
obtint  la  réclusion  de  son  enfant  dans  la  maison  de 
santé  de  Madame  de  Sainte-Colombe,  à  Picpus"; 
il  y  resta  dix  mois,  ce  qui  n'empêcha  pas  Saint- 
Just  de  devenir  un  personnage  important  et  de  prési- 
der plus  tard  aux  débats  de  la  Convention  nationale. 

Saiffert  assure  qu'il  avait  refusé  d'être  le  premier 
médecin  de  l'impératrice  de  Russie,  qui  lui  aurait 
offert  50.000  livres  d'appointements  et  le  rang  de 
lieutenant-général  '^ 

A  ce  propos,  il  importe  de  faire  observer  qu'on  a 
souvent  confondu  notre  praticien  teuton  avec  un 
homonj^me  sorti  des  rangs  du  peuple  et  qui  s'était 
élevé  jusqu'au  grade  de  général.  Dumouriez  a  relaté, 
dans  ses  Mémoires,  que  les  Jacobins  avaient  détaché 
auprès  de  lui  divers  émissaires,  pour  l'engager  à 
paraître  à  leurs  séances  ;  parmi  ces  émissaires,  il 
cite  Anacharsis  Cloots  et  «  le  docteur  Sey plier  (sic), 
qui,  depuis,  est  devenu  un  des  généiau.v  de  Vanar- 
chie^^  ».  Mallet  du  Pan  a  conlribué  à  propager  la 
même  erreur,  en  confondant  volontairement  un 
SeyITert,  «  exécuté  dans  la  Vendée  comme  voleur 
de  grand  chemin  »  (nous  reproduisons  l'assertion 
du  docteur)  avec  celui-ci.  Mallet  parle,  dans  un 
de  ses  ouvrages,  de  la  retraite  opérée  par  Wimp- 
fen  en  Normandie  »,  devant  un  empirique  nommé 
Seyfîert,  «  ci-devant  ordonnateur  de  pillules  au 
Palais-Royal,  et  aujourd'hui  général  d'armée '4». 

En  réalité,  il  semble  avoir  existé  deux  généraux 
du  nom  de  Saiffert  ou  Sepher.  L'un,  le  baron  de 
Saifîert,  entré  dès  sa  seizième  année  au  service  de 
la  Saxe,  placé  comme  cadet  dans  un  régiment  d'in- 
fanterie, fut  fait  ofTicier  de  dragons  en  1755,  et  prit 


LA    CLIENTÈLE    d'uN    PRATICIEN    ÉTRANGER  33 

part,  en  cette  qualité,  à  la  guerre  contre  la  Prusse  ; 
deux  années  plus  tard,  il  entrait  dans  le  corps  saxon 
à  la  solde  de  la  France,  sous  les  ordres  du  prince 
Xavier  de  Saxe,  qui  en  fit  son  aide  de  camp.  Après 
la  conclusion  de  la  paix,  en  1763,  il  restait  attaché  à 
la  personne  du  prince;  il  fut  fait  successivement 
major,  lieutenant-colonel  et  colonel  :  c'est  en  cette 
dernière  qualité  qu'il  servit  le  prince  Xavier,  quand 
celui-ci,  désormais  fixé  en  France,  fut  appelé  à  com- 
mander une  division  en  Bretagne  ^^^  L^  docteur 
Saifïert  étant  entré  au  service  de  ce  prince  en 
1774,  on  s'explique  la  confusion. 

On  a  plus  de  peine  à  comprendre  qu'on  ait  pu 
confondre  notre  personnage  avec  Sepher  ou  Scep- 
ferd,  «  cet  ancien  dragon  et  suisse  de  l'église  Saint- 
Eustache,  devenu,  eji  1792,  chef  de  bataillon  de  la 
Halle-aux-Blés,  et,  en  1793,  général  et  comman- 
dant de  la  petite  arniée  qui  vainquit  l'insurrection 
girondine ^^  ».  La  vérité  est,  pour  emprunter  l'ex- 
pression d'un  contemporain  ^7,  que  le  docteur  n'avait 
pas  fait  cette  infidélité  à  Esculape  en  faveur  de 
Mars  ;  et  tandis  que  l'ignorance  de  Sepher  abrégeait 
les  jours  d'un  grand  nombre  de  nos  soldats,  Saiffert 
se  contentait  d'ordonner  à  ses  malades  des  clystères 
et  des  pilules  qui  prolongeaient  leur  vie. 

Ses  malades  ou,  plutôt,  une  certaine  catégorie 
des  malades  du  docteur  SaiiTert  lui  en  témoignèrent 
leur  gratitude  d'une  manière  cflicace,  car  c'est  à 
leurs  démarches  qu'il  dut  son  salut. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  la  société  mondaine, 
où  il  était  pourtant  très  répandu,  que  Saiffert  recru- 
tait la  plus  grande  partie  de  sa  clientèle  :  il  avait, 
certes,  quelques  clients  et  clientes  de  clioix  ;  nous  en 

8 


34  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

avons  cilc  quelques-uns  ;  nous  aurions  pu  aisément 
grossir  cette  liste,  en  puisant  dans  les  Mémoires  du 
temps. 

Le  comte  de  Cheverny  ^^,  qui  fut  introducteur 
des  ambassadeurs  et  lieutenant-général  du  Blai- 
sois,  a  raconté  comment  Saiiïert  donna  ses  soins 
à  madame  de  Lafreté,  qui,  n'ayant  plus  Tron- 
chin,  s'était  mise  entre  les  mains  du  médecin  alle- 
mand, auquel  le  duc  d'Orléans  avait  confié  sa 
santé.  Saiiïert  «  crut  guérir  sa  malade,  en  calmant 
ses  douleurs  imaginaires  par  l'opium  ;  elle  augmenta 
la  dose,  et  l'on  fit  venir  un  Turc  pour  la  lui  admi- 
nistrer. Il  s'ensuivit  que  (quelques  jours  plus  tard),,, 
elle  passa  de  vie  à  trépas,  sans  s'en  douter.  On  l'ou- 
vrit et  l'on  vit  avec  surprise  qu'elle  n'avait  aucune- 
cause  de  mort  ».  Le  comte  de  Cheverny,  comme 
Dumouriez  et  Mallet  du  Pan,  confond  évidem- 
ment notre  Saiffert  avec  le  dragon,  Suisse  et... 
maître-tailleur  (du  moins,  le  docteur  ajoute  ce 
détail,  pour  parfaire  le  signalement  de  son  homo- 
nyme), qui,  s'étant  jeté  à  corps  perdu  dans  le 
mouvement  révolutionnaire,  avait  fini  par  con- 
quérir le  grade  de  général.  Or  Saiffert,  tout  m  se 
proclamant  un  «  des  plus  ardents  amis  de  l'Égahté, 
de  la  Liberté  et  de  la  République  une  et  indivi- 
sible »,  ne  tenait  pas  à  être  confondu  avec  un  vul- 
giaire  rapiéceur  d'habits.  Il  avait  trop  le  sentiment 
de  sa  dignité  pour  ne  pas  protester  contre  une  com- 
paraison qui  l'offensait  à  très  juste  titre. 


NOTES  DU  CFIAPITKE  II 


1.  Correspondance  inédite  du  prince  Xavier  de  Saxe,  par  Thévb- 
tiOT,  311  et  passim.  Il  existe,  aux  Archives  ,de  l'Aube,  dans  le 
fonds  Xavier  de  Saxe,  une  (juarantaine  de  lettres  de  Saiffert 
et  d'autres  médecins,  entre  autres  du  docteur  Tissot,  le 
célèbre  auteur  de  VAvis  au  peuple  sur  sa  santé.  Les  loisirs- 
nous  ont  manqué  pour  consulter  ces  papiers;  nous  sommes 
heureux  de  signaler  cette  piste  à  ceux  qui  songeraient  à  en 
tirer  parti. 

2.  G.  Lenotre,  le  Baron  de  Balz. 

3  Intrigues  secrettes  de  Louis-Philippe-Joseph  d'Orléans,  dans  sa 
résidencu  actuelle  en  Angleterre. 

4.  Les  Conspirateurs  démasqués,  par  l'auteur  de  Nullité  et 
Despotisme,  seconde  édition,  revue  et  corrigée;  A  Turin,  17*J0 
(cette  brochure  est  attribuée  à  Antoine  de  Ferrand). 

5.  GoLDSMiTH,  le  Cabinet  des  Tuileries,  2*  a^tpendice  (note). 

6.  Choix  des  Mémoires  secrets  pour  servir  à  l'Histoire  de  la  Répu- 
blique des  Lettres;  Londres,  1788,  t.  II,  314. 

7.  Il  semblerait,  d'après  d'autres  documents,  que  ce  soit 
un  médecin  de  Sceaux,  du  nom  de  Hichardet,  que  Saint- 
Just  aurait  consulté,  sans  doute  avant  ou  après  Saiffert. 

8.  Le  médecin  qui  avait  traité  Saint-Justécrivit  à  Mme  de 
Saint-Just,  mèie,  pour  rengager  à  faire  faire  la  médecine  à 
son  (ils,  ayant  remarqué  en  lui  de  grandes  dispositions  pour 
cette  science  et  pour  la  physique;  mais  il  conseillait  aupara- 
vant, pour  sa  santé,  un  régime  de  laitage  et  de  légumes, 
pas  de  vin,  etc.,  et  (juelques  mois  de  repos. 

9.  «  Une  écuelle  d'argent  neuve,  marquée  d'une  E  et  une 
H;  un  goblet" d'argent  à  pied  relevez  en  bosse,  marqué  au 
nom  de  Saint-Just;  une  timbale  h  tenir  une  demi-bouteille, 
le  pied  et  le  bord  doré,  m.'4r(|ué  au  nom  de  Robinet,  curé  de 
bécize;  trois  tasses  très  fortes  d'argent...  et  plusieurs  au- 
tres petites  choses  enargent...  •.  Lettre  de  Hobinot,  veuve  de 
Saint-Just,  mère  du  futur  conventionnel,  écrite  de  Bleren- 


36  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

court,  le  17  septembre  1786,  au  chevalier  d'Evry  (Mercure)  de 
France,  15  janvier  1907). 

10.  Elle  fut  longtemps  à  se  rétablir  d'une  fièvre  quarte,  que 
lui  avait  occasionnée  l'inconduite  de  son  fils,  ou  dont  celle- 
ci  retarda,  pour  le  moins,  la  guérison. 

11.  Lettre  de  Brunet  au  président  de  la  Convention  natio- 
nale, publiée  par  Alfred  Bégis  (Paris,  1892),  citée  par 
F.  Funck-Bre>tvn(i,  la  Mort  de  la  Reine. 

12.  Chronique  médicale,  l"  février  1916,  40,  note  1.  Il  avait 
failli  être  appelé  pour  donner  des  soins  à  l'empereur  Jo- 
seph 11,  et  le  prince  de  Ligne  aurait  écrit  à  Marie-Antoinette, 
pour  la  supplier  d'envoyer  le  docteur  Seyffert  {sic)  à  son  au- 
guste père  ;  «  mais  la  maladie  de  Joseph  II  n'était  pas  de 
celles  à  laquelle  (sic)  la  science  humaine  peut  porter  re- 
mède ».  Le  Prince  de  Ligne  et  ses  contemporains,  104. 

13.  Mémoires  du  général  Dumouriez,  écrits  par  lui-même  ;  à  Lon- 
dres, 1794,  1"  partie,  65. 

14.  Considérations  sur  la  nature  de  la  Révolution  de  France,  et 
sur  les  causes  qui  en  prolongent  la  durée,  par  M.  Mallet  du  Pan. 
Londres,  s.  d.  (août  1793). 

15.  Correspondance  inédile  du  Prince  X.  de  Saxe,  par  Théve- 
NOT,  309  et  s.  ;  Documents  pour  servir  à  V Histoire  de  la  Révolution 
française,  par  Ch.  d'Héricault  et  G.  Bord,  2«  série  (1885),  161, 
171,  264. 

16.  A.  Chuquet,  La  Légion  germanique,  9-10. 

17.  Tableau  hist.  de  la  Révolution  de  France,  t.  I,  376. 

18.  Mémoires  sur  les  règnes  de  Louis  XV  et  Louis  XVI  et  sur  la 
Révolution,  par  J.-N.  Dufort,  comte  de  Cheverny,  t.  II, 
(1886),  15. 


CHAPITRE   III 


LES    RELATIONS    POLITIQUES    ET    LITTERAIRES 
DU    D'    SAIFFERT 

Dans  la  montagne  de  papiers  conservés  aux  Ar- 
chives, et  dont  le  dépouillement  réclame  une  inal- 
térable patience,  on  a  parfois  d'heureuses  compensa- 
tions à  un  travail  d'ordinaire  assez  ingrat.  Le  dos- 
sier relatif  à  Saiiïcrt  nous  ménageait  de  curieuses 
surprises  ;  nous  ne  nous  serions  guère  attendu, 
avant  de  le  feuilleter,  à  y  trouver  une  bonne  part 
des  éléments  qui  nous  permettraient  de  reconstituer 
la  biographie  d'un  de  ces  comparses  de  la  Révolution 
dont  le  rôle  restait  à  déterminer.  Les  multiples  re- 
quêtes que  le  détenu  a  rédigées,  et  où  il  a  mis  toute 
son  ardeur,  toute  son  âme,  sont  précieuses  à  plus 
d'un  titre.  Ce  n'est  pas  que  la  psychologie  d'un  homme, 
c'est  celle  de  toute  une  époque,  et  quelle  époque  1 

Saiffert  appartenait  à  cette  espèce  de  philosophes 
qui  rêvaient  d'une  sorte  de  Salente  où  tous  les  abus 
devaient  être  détruits,  où  la  fraternité  régnerait 
en  maîtresse  souveraine  sur  les  cœurs 

Au  début  de  la  Révolution,  ces  idéologues  avaient 


38  LA    PRINCESSE    DE    LAMfiALLE    INTIME 

salué  l'avènement  de  l'âge  d'or  de  la  démocratie  ; 
peut-être  quelques-uns  d'entre  eux  étaient-ils  sin- 
cères, c'était^la  seule  excuse  qu'ils  pussent  invoquer. 

A  entendre  Saiffert,  il  a  toujours  «  bien  mérité 
de  l'humanité  et  des  Français  vraiment  républi- 
cains »  ;  il  en  donne  comme  témoignage,  qu'il  a 
«  cessé  la  pratique  de  la  médecine  pour  les  riches, 
d'un  sentiment  contraire  ou  éloigné  des  principes 
républicains  »  ;  mais  il  a  «  continué  à  soigner  les 
pauvres  et  quelques  vrais  patriotes  »  qui  s'adres- 
saient à  lui.  Voilà,  dira-t-on,  une  singuhère  façon  de 
comprendre  la  fraternité. 

Comment  ne  pas  suspecter  la  bonne  foi  du 
personnage,  lorsque  nous  le  prenons  en  déht  fla- 
grant de  mensonge  ?  Son  revenu,  nous  confie- t-il, 
n'était  que  de  2.000  livres,  montant  de  la  pension 
que  lui  avait  faite  une  malade  (lisez  :  la  princesse  de 
Lamballe,  qu'il  omet  de  nommer).  SaitTert  oublie 
également  de  dire  qu'il  était  propriétaire  de  la  maison 
qu'il  habitait  rue  des  Arcadcs-de-l'Égalité,  au  n^  156, 
et  qu'il  l'avait  payée  plus  de  200.000  livres  :  or,  il 
était  débarqué  de  Saxe  sans  un  sol  vaillant  ;  on  jugera 
de  sa  véracité  quand  il  afîirmera  qu'il  ne  possède 
pas  «  un  sol  à  rentes  ». 

Il  a  toujours  protesté,  dira-t-on,  d'un  amour  im- 
modéré pour  la  France,  cette  terre  classique  de. la 
liberté;  ce  serait  la  payer  en  monnaie  d'ingratitude, 
que  de  parler  un  autre  langage,  mais  les  déclara- 
tions ne  sont  pas  toujours  d'accord  avec  les  senti- 
ments. 

Il  est  une  vertu,  toutefois,  dont  Saiffert  tire  vanité, 
et  dans  le  temps  où  il  vivait,  elle  avait  son  mérite  : 
c'est  sa  tempérance.  Ce  Saxon  était  le  plus  frugal 


RELATIONS  POLITIQUES  ET  LITTÉRAIRES  DE  SAIFFERT       Sq 

des  hommes,  bien  différent  en  cela  de  «  patriotes 
éprouvés  »,  comme  un  Fabre  d'Églantine,  un  Ca- 
mille   Desmoulins,    un    Chabot,    dont    les    mœurs 


fk;.  y.  —  ciiAiioT 


n'avaient  rien  de  spartiate.  Cet  «  austère  républi- 
cain »,  ce  «  défi'0(iué  sans  conscience  »,  nous  parlons 
de  Chabot,  ne  se  faisait-il  par  servir,  le  17  novembre 


40  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

1792,  «  une  soupe,  quatre  côtelettes,  un  poulet  gras, 
une  poire  et  du  raisin  ;  le  18,  une  soupe,  un  bouilli 
et  six  mauviettes  ;  le  7  décembre,  un  perdreau  rouge  ; 
et  le  8,  un  poulet  aux  truffes  et  une  poularde^  »; 
et  de  telles  lippées,  à  l'époque  où  le  peuple  de  Paris 
s'écrasait  à  la  porte  des  boulangers,  sans  parvenir 
à  obtenir  un  morceau  de  pain^  I 

L'ex-capucin  Chabot,  qui  avait  fait  rendre  le 
décret  transformant  Notre-Dame  de  Paris  en  Temple 
de  la  Raison,  qui  demandait,  le  15  septembre  1793, 
une  loi  contre  les  émigrés,  «  si  simple  qu'un  enfant 
pût  en  envoyer  à  la  guillotine  »,  et  qui  se  présentait 
«  à  moitié  nu,  comme  un  boucher  »,  à  l'Assemblée 
nationale,  était  marié  à  une  Autrichienne.  Comme 
à  Capet,  cette  imprudence  devait  lui  coûter  la  vie. 
Chabot  porta,  comme  Louis  XVI,  sa  tête  sous  le 
couperet,  mais  il  fut  loin  d'avoir  une  attitude  aussi 
ferme  que  l'infortuné  monarque.  Pour  échapper  à  une 
mort  ignominieuse,  il  tenta  de  se  la  donner,  mais  à 
peine  avait-il  avalé  le  poison  libérateur,  qu'il  récla- 
mait à  cor  et  à  cri  un  contre-poison  3,  et  c'est  pré- 
cisément Saiffert  qui  le  lui  avait  procuré '^. 

Saifîert  avait  été  également  en  rapport  avec  un 
conventionnel  qui  a  fait  quelque  bruit  dans  le  monde, 
plus  encore  à  cause  de  sa  fin  tragique  que  pour 
s'être  illustré  dans  la  carrière  qu'il  avait  primitive- 
ment embrassée  :  en  assassinant  Marat,  Charlotte 
Corday  ne  se  doutait  pas  qu'elle  conférait  à  ce  pour- 
voyeur  de  la  guillotine  l'auréole  du  martyr. 

De  même  que  Saiffert  était  devenu  le  médecin  du 
duc  d'Orléans,  Marat  avait  été,  durant  un  temps, 
celui  du  comte  d'Artois,  ou  plutôt  le  médecin  de  ses 
gardes  et  non  de  ses  écuries,  comme  des  pamphié- 


RELATIONS  POLITIQUES  ET  LITTERAIRES  DE  SAIFFERT      4^ 

taires  du  parti  adverse  et  quelques  historiens  mal 
informés  se  sont  plu  à  le  répandre.  Comme  Saiffert, 
Marat  compta  des  succès  dans  le  monde  le  plus  aris- 


FIG.   lu,    —   M  A  HAT 


tocratique  ;  longtemps  on  parla  de  la  cure  d'une 
(  1  rtaine  manjuise,  qui  sut  témoigner  à  son  sauveur 
ks  marques  de  sa  reconnaissance,  sans  pré- 
judice de  fructueux  honoraires.  Jean-Paul  Marat, 


42  LA.    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

avait  encore  ce  point  de  commun  avec  Saiffert, 
qu'il  était  étranger,  étant  né  à  Boudry,  de  parents 
sardes,  venus  s'établir  dans  Ja  principauté  de  Neu- 
châtel,  qui  appartenait  alors  à  la  Prusse. 

Saiffert  s'était  rencontré  avec  Marat  au  chevet 
d'  «  une  des  femmes  les  plus  belles  et  les  plus  adorées 
de  Paris  »,  Madame  de  Tournon.  Touché  de  son  état 
pitoyable,  Marat  dit  à  Seffer  (sic)  :  «  Ne  serait-il 
pas  possible  de  la  sauver  ?  Vous  êtes  le  mieux  au 
courant  des  maladies  poitrinaires  (sic),  je  suis  spé- 
cialiste pour  le  foie  ;  soignez  la  poitrine,  moi,  je  me 
chargerai  du  foie,  peut-être  que  nous  la  guérirons.  » 
C'est  dans  une  lettre,  datée  de  Paris  le  12  décembre 
1792,  lettre  qu'un  correspondant  allemand  envoyait 
à  une  revue  de  Hambourg  5,  que  nous  avons  cueilli 
ce  croquis  saisi  sur  le  vif.  Bien  qu'elle  ne  donne  pas 
une  idée  flatteuse  des  talents  médicaux  de  Marat, 
l'anecdote  nous  a  paru  utile  à  conserver. 

La  notoriété  médicale  de  Saiffert  semble  mieux 
établie  que  celle  de  son  redoutable  confrère.  Si  on  ne 
s'en  rapportait  qu'à  lui,  il  n'y  aurait  pas  eu  de  pra- 
ticien plus  répandu  dans  la  capitale  ;  on  assiégeait 
son  cabinet,  on  le  consultait  de  partout,  ses  amis 
n'arrivaient  à  le  voir  que  le  matin,  pendant  qu'il 
était  aux  mains  du  coiffeur.  On  pourrait  prendre,  à 
première  vue,  pour  de  la  vantardise,  ces  déclarations 
intéressées  ;  mais  d'autres  témoignages  les  corro- 
borent, et  notre  impartialité  nous  fait  un  devoir 
de  les  exposer. 

Nous  avons  eu  sous  les  yeux  un  assez  singuher 
ouvrage,  dont  la  singularité  ne  réside  pas  uniquement 
dans  le  titre,  bien  que  celui-ci  sorte  de  la  banalité 
courante  :  «  Hermippus  rediuivus,  ou  le  Triomphe  du 


RELATIONS  POLITIQUES  ET    LITTEHAIRES  DE  SAIFFERT.     43 

Sage  sur  la  vieillesse  et  le  tombeau,  contenant  une 
méthode  pour  prolonger  la  vie  et  la  vigueur  de 
l'homme,  traduction  de  l'anglais,  d'après  le  docteur 
Cohausen  et  la  seconde  édition  de  Londres,  par 
M.  de  la  Place  ^.  »  * 

Le  docteur  Cohausen  exerçait  ses  talents  à  Coes- 
feld  7,  qui  était  alors  la  résidence  d'été  des  princes- 
évêques  de  Munster.  Il  avait  été,  à  la  suite  de  diverses 
publications,  nommé  premier  médecin  de  la  Cour 
et   comblé   d'honneurs  et  de  faveurs  ^. 

Le  but  de  Cohausen  était  de  «  réhabiliter  la 
vieille  théorie  de  la  prolongation  de  la  vie  par 
l'haleine  des  jeunes  filles  »,  théorie  qu'il  sut  déve- 
lopper «  d'une  plume  alerte,  érudite,  spirituelle  et 
avec  une  grande  richesse  d'informations   >>. 

Il  avait  d'abord  exercé  sa  verve  contre  les  priseurs 
et  contre  les  buveurs  de  thé.  Cette  fureur  de  prendre 
du  thé  avec  excès,  qui  sévissait  alors  dans  une  partie 
de  l'Allemagne  du  Nord,  y  avait  été  apportée  par  les 
Hollandais.  La  plupart  des  médecins  allemands  con- 
sidéraient le  thé  comme  une  panacée,  et  il  ne  fallut 
rien  moins  que  les  efforts  réunis  de  Boerhaave  et 
d'Hofmann,  pour  discréditer  cette  coutume  préju- 
diciable à  la  santé. 

Cohausen  prit  paît  à  cette  croisade  salutaire,  en 
proposant  un  certain  nombre  de  succédanés,  nous 
dirions  aujourd'hui  des  ersatz,  pour  remplacer  la 
funeste  boisson.  Il  avait  soixante-quinze  ans,  lors- 
(pi'il  compo.sa  son  Ilermippus  rediuivus.  Cet  Her- 
inippus  avait  atteint  l'âge  de  cent  quinze  ans,  en 
suivant  l'exemple  du  roi  David  qui,  comme  on  sait, 
réchauffa  sa  vieillesse  dans  les  bras  de  la  jeune  Sula- 
mite  Abisag,  méthode  qu'employa  Boerhaave  pour 


44  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

un  vieux  bourgmestre  d'Amsterdam,  qu'il  fit  cou- 
cher entre  deux  jeunes  filles,  et  dont  Cohausen 
n'eut  qu'à  s'inspirer  pour  écrire  sa  fantaisie  mé- 
dico-humouristique.  Dans  la  pensée  de  son  auteur, 
ce  n'était  qu'une  récréation  littéraire,  un  divertis- 
sant paradoxe  ;  on  a  même  prétendu  que  ce  fut 
le  résultat  d'une  gageure.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'ou- 
vrage fut  translaté  en  anglais  par  un  historien 
écossais,  du  nom  de  J.  Campbell,  qui  renchérit 
encore  sur  les  récits  fabuleux  de  l'écrivain  original, 
et  c'est  la  traduction  du  livre  anglais  que  M.  de  la 
Place  donna   au  public  français  en  1789. 

Celle-êi  offre  de  l'intérêt  surtout  en  raison  de  la 
dédicace.  L'ouvrage  est  dédié  «  à  Monsieur  Sayffert, 
premier  médecin  de  Monseigneur  le  Duc  et  de  Ma- 
dame la  Duchesse  d'Orléans,  etc.  ».  La  Place  y  rap- 
pelle qu'il  doit  à  son  bienfaiteur  trois  fois  la  vie, 
et,  de  plus  «  une  espèce  de  renaissance,  tant  de 
corps  que  d'esprit  ».  Au  risque  de  blesser  la  modes- 
tie de  son  sauveur,  il  tient  à  proclamer  que  dix  ou 
douze  autres  malades,  se  trouvant  dans  la  même 
situation  que  lui,  ont  éprouvé  d'aussi  heureux  effets. 
Il  ajoute  qu'en  sa  qualité  de  «  vieux  et  franc  Picard  », 
il  a  tenu  à  lui  rendre  cet  hommage  public  de  grati- 
tude, et  à  mettre  sous  son  égide  cette  production 
«  d'un  autre  ami  de  l'humanité  ».  Et  il  signe  cette 
apologie  :  De  La  Place, «votre  plus  inviolable  ami 
et  serviteur  ». 

Nous  avons  la  preuve  que  gens  de  lettres  9, 
personnages  de  qualité,  jusqu'à  des  princes  et  des 
princesses  du  sang,  recouraient  à  la  science  du  doc-, 
teur  étranger,  mais  c'est  aux  indigents  que  Saifîert 
réservait  son  meilleur  accueil.  Le  duc  d'Orléans  avaic 


RELATIONS    POLITIQUES  ET  LITTÉRAIRES   DE  SAIFFERT    ^5 

fait  un  jour  le  pari,  avec  le  duc  de  Biron,  qu'il  se 
présenterait  à  la  consultation  de  son  médecin,  et  qu'il 
y  serait  reçu  avant  son  tour  :  il  dut  attendre  une 


FIG.    11.  —  Li:  DUC  D'ORLKANS,    (iil   IMlILIPrE-ÉGALlTÉ 


heure  et  demie  avant  d*être  appelé.  Ayant  perdu 
son  pari,  le  prince  laissa  dix  louis  [)f)iir  les  pauvres 
en  se  rolirant. 
Saiffert  ignorait  le  nom  de  la  plupart  de  ceux  qui 


La  prtncesîse  dE  lamballe  intime 

venaient  solliciter  ses  avis,  ne  s'inquiétant  de  leur 
demander  ni  à  quelle  nation  ils  appartenaient,  ni 
quelle  religion  ils  professaient  ;  s'ils  étaient  vicieux 
ou  vertueux,  honnêtes  ou  criminels.  «  Qu'avez-vous  ? 
Où  soufTrez-vous  ?  Comment  votre  maladie  vous 
a-t-clle  pris  ?  Quels  symptômes  éprouvez-vous  ?  )> 
étaient  ses  questions  ordinaires.  Il  ne  voulait  voir 
en  chaque  patient  qu'un  malheureux  qui  réclamait 
ses  soins;  aussi,  quand  il  fut  enfermé  au  Luxem- 
bourg, à  la  suite  d'une  dénonciation,  le  Comité  de 
sûreté  générale  reçut-il  pétitions  sur  pétitions,  éma- 
nant de  gens  du  peuple,  qui  réclamaient  avec  une 
touchante  insistance  la  mise  en  hberté  de  leur  sau- 
veur. 

Dans  ces  requêtes,  se  relèvent  des  phrases  comme 
celles-ci:  «  Saiffert...  n'a  cessé,  depuis  qu'il  est  en 
France,  de  prodiguer  les  secours  de  son  art  et  de  sa 
bourse  à  tous  les  sans-culottes  qui  ont  eu  recours  à 
lui  ;  nous  sommes  du  nombre  de  ceux  qui  en  ont 
fait  l'expérience,  et  lorsqu'il  y  avait  des  Grands  qui 
sollicitaient  ses  soins  au  prix  de  l'or,  il  les  négligeait 
pour  nous  conseiller  et  nous  soulager  de  préférence  ; 
il  n'était  libre  pour  eux  que  quand  nous  n'avions  plus 
besoin  de  lui.  » 

Tous  se  plaignent  de  ne  plus  l'avoir  à  leurs  côtés 
pour  apaiser  leurs  souffrances.  «  Sa  détention,  disent- 
ils,  est  une  calamité  pour  nous  et  pour  ceux  de  nos 
frères  à  qui  il  était  si  utile,  nous  souffrons  tous  de 
son  absence  et  l'humanité  le  réclame.  » 

S'il  est  retenu  pour  des  motifs  pohtiques,  qu'on  le 
mette  provisoirement  en  liberté,  sous  la  garde  d'un 
sans-culotte  de  sa  section,  afin  que  ceux  qui  ont 
besoin  de  ses  soins  puissent  le  consulter   et  conti- 


FIG.   12."— [SOUDERBIELLÈ 


RELATIONS  POLITIQUES  ET  LITTÉRAIRES  DE  SAIFFERT      /Jq 

nuer  ses  traitements.  Et  parmi  les  signataires, 
figurent  une  blanchisseuse,  un  garçon  tonnelier,  des 
mères  de  famille  ;  jusqu'à  une  Turque,  dont  Saiiïert 
assurait  depuis  quatre  ans  la  subsistance  et  qu'il 
logeait  sous  son  propre  toit. 

Saiiïert  trouva  aussi  des  défenseurs  au  sein  de  la 
société  populaire  de  la  section  de  la  Montagne,  dont 
plusieurs  membres  déclarèrent  «  avoir  profité  des 
avantages  de  son  art  ».  Nombre  de  citoyens  et  de 
citoyennes  intervinrent  en  sa  faveur.  Le  citoyen 
Borel,  domicilié  rue  Neuve-des-Petits-Champs,  n^  135, 
atteint  d'une  obstruction  au  foie,  n'a  confiance  qu'en 
son  médecin  habituel  ;  le  citoyen  Paillard,  passage 
Valois,  n^  156,  témoin  depuis  quinze  ans  des  actions 
de  bienfaisance  du  docteur,  dont  il  est  l'homme  de 
confiance,  se  porte  garant  de  son  civisme  ;  le  secré- 
taire-interprète près  le  Comité  de  sûreté  générale 
de  la  Convention,  et  que  celui-ci  a  désigné  pour  exa- 
miner les  papiers  de  Saiiïert  rédigés  en  langue  alle- 
mande, le  dit  animé  du  meilleur  esprit,  et  qu'il  s'est 
toujours  occupé  à  propager  dans  toute  l'Europe  ses 
écrits  patriotiques  et  les  immortels  principes  de 
l'immortelle  I^évolution;  pas  un  de  ses  écrits  qui  ne 
soit  «d'un patriotisme  très  prononcé  et  d'un  républi- 
cain très  éclairé  dans  plus  d'un  genre  ».  Désormais, 
la  cause  était  entendue,  le  chef  d'accusation 
principal  n'était  pas  retenu,  il  était  démontré 
(juc  SailTert  n'était  «  pas  convaincu  d'être  auteur 
ou  complice  de  la  conspiration...  (oiiln'  la  sûreté 
et  la  liberté  du  peuple  français,  tendant  à  trou- 
bler ri^tat  par  une  guerre  civile,  en  armant  les 
'  itoyens  les  uns  contre  les  autres  ».  En  consé- 
«juence,  son  acquittement  fut  pronopcé  et  sa  mise 

i 


50  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

en  liberté  ordonnée,  «  si  toutefois  il  n*est  retenu  pour 
autres  causes  ^°». 

Un  détail  mérite  d'être  signalé  :  parmi  les  jurés 
qui  siégeaient  ce  jour-là  au  tribunal  révolution- 
naire, figurait  un  médecin,  le  lithotomiste  Souber- 
bielle,  cet  ami  de  Danton  et  de  Robespierre  à  qui 
l'on  demandait  un  jour  quel  était  celui  des  deux 
coryphées  révolutionnaires  qui  lui  avait  laissé  le 
meilleur  souvenir.  «  J'étais  décidé  à  condamner 
Danton,  contait  le  vieillard  à  quelqu'un  qui  l'inter- 
rogeait, on  pourrait  dire  l'interviewait  sur  le  rôle 
qu'il  avait  joué  dans  le  grand  drame  ;  j'avais, 
ajoutait-il,  la  preuve  certaine  qu'il  méditait  le  ren- 
versement de  la  République...  Au  contraire,  j'aurais 
donné  ma  vie  pour  sauver  Robespierre,  que  f  ai- 
mais comme  un  frère...  Il  a  été  le  bouc  émissaire  de 
la  Révolution,  mais  il  valait  mieux  que  tous  ".  » 

Peut-être  nos  arrière-petits-neveux  ratifieront-ils 
ce  jugement;  mais  jusqu'à  cette  heure,  s'il  a  ses  ad- 
mirateurs l'énigmatique  tribun  compte  nombre  de 
détracteurs.  Nous  ne  nous  chargerons  pas  de  dépar- 
tager ceux  qui  le  combattent  et  ceux  qui  le  défen- 
dent; la  postérité  prononcera  le  verdict. 


NOTES  DU  CHAPITRE  III 


1.  «  Chabot  le  capucin,  fameux  conventionnel,  aimait 
beaucoup  la  pintade  ;  nous  lui  faisons  prendre  ran^g  parmi 
les  héros  de  la  gueule,  comme  qui  diraient  Rabelais  et  Mon- 
taigne, parce  qu'il  a  créé  l'omelette  trulîée  aux  pointes  d'as- 
perges et  à  la  purée  de  pintade  ».  Philomneste  (Peignot),  le 
Livre  des  singularités  172. 

2.  Docteur  M\x-Billa.rd  {Chr.  med.,1" avril  1916). 

3.  «  Le  17  mars,  vers  3  heures  de  l'après-midi,  les  citoyens 
François  Peyre,  Marius-Félix  Maisse,  Jacques  Forest,  An- 
toine Michel  et  Eustache  Darasoy,  détenus  au  Luxembourg, 
se  trouvaient  dans  la  chambre  de  l' Indivisibilité,  voisine  de 
celle  de  Cliabot,  lorsqu'ils  entendirent  une  des  sonnettes 
placées  sur  le  palier  de  l'escalier  sonner  à  plusieurs  repri- 
ses et  avec  un  mouvement  précipité.  L'un  d'eux  alla  aus- 
sitôt à  la  recherche  du  gardien  Besse.  Celui-ci  prévint  le 
concierge  Benoît  et  tous  deux  entrèrent  dans  la  chambre  de 
Chabot,  qu'ils  trouvèrent  en  proie  à  de  violents  vomisse- 
ments. Deux  olTiciers  de  santé,  Sépher  (c'est  de  Saiffert 
qu'il  s'agit  évidemment)  et  Filliatte,  détenus  eux  aussi^  fu- 
rent mandés  pour  donner  au  malade  les  premiers  soins, 
tandis  que  l'on  faisait  appeler  Marinski  (Markowski)  et 
Soupe,  médecins  de  In  prison.  »  Vicomte  de  Bonai.d,  Fran- 
çois Chabot;  Paris,  l'mile-Paul,  1908,  319-320.  On  lui  fit  boire 
en  abondance  du  lait  et  de  l'Iiuile,  et  pour  calmer  les  vio- 
lentes douleurs  qu'il  épr()ïivait(il  avait, supposait-on, al  sorbe 
du  sublimé),  onluidonna  une  assez  forte  dose  de  laudamim. 
Il  en  réchappa,  mais  ne  traîna  plus,  à  partir  de  ce  moment, 
qu'une  vie  languissante.  (Cf.  la  Névrose  révolutionnaire,  des 
docteurs  Cabanes  et  L.  Nass,  1()5  et  s.) 

4.  Manifeste  de  l'Église  romaine  dans  le  monde  politique  par 
Maohoi.lr  ;  Paris,  Ilauquelin,  ISt.'S,  n"  287. 

5.  La  Minerva,  de  Hambourg  (citée  par  la  Revue  des  euriO' 
sites  révolutionnaire»,  août  1913,  341  et  suiv.). 

a.  A  Bruxelles  et  à  Paris,  chez  Maradan,  etc.,  1789,  2  voL 


53  LA    PRINCESSE    DE   LAMBÂLLE   INTIME 

7.  Aujourd'hui  Kœtfelt,  dans  la  province  de  Westphalie. 

8.  Un  praticien  allemand  au  XVII*  siècle  :  Jean-Henri  Cohausen 
(16G5-17r)0),  par  A.  Beauvois.  Tlièse  de  Paris,  l'JOO. 

9.  SailTert  avait  eu,  entre  autres  clients,  Beaumaicliais 
et  l'agent  de  ce  dernier,  Tliéveneau  de  Francy,  dont  il  eut 
à  traiter  les  imprudences  de  jeunesse.  (Un  locataire  mas- 
qué de  l'iiôtel  de  Hollande,  par  M.  Paul  d'Estrée  :  la  Cité, 
juillet-octobre  1920), 

10.  Arch.  Aat.,  \V  3(59,  824;  Max  Billard,  op..  cit.,  etc. 

11.  Docteur  Poumiès  de  la  Siboltie,  Souvenirs  d'un  médecin 
de  Paris. 


CHAPITRE    IV 

LE    MÉDECIN    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE 
ET    DE    PHILIPPE-ÉGALITÉ 


Les  biographes  les  plus  en  crédit  sont  sobres  de 
détails  sur  notre  héros.  Ouvrez  la  Biographie  uni- 
uerselle\  à  l'article  Seiffert  ou  Saiffert,  vous 
y  lirez  :  «  médecin  allemand,  exerça  son  art  à  Paris, 
à  peu  près  depuis  l'avènement  de  Louis  XVI  au 
trône,  jusqu'aux  premiers  temps  de  la  Révolution 
Il  fut  très  en  vogue,  surtout  dans  les  hautes  classes 
de  la  société.  Il  mourut  à  Paris,  en  1809.  Il  a  laissé 
des  Observations  pratiques  sur  les  maladies  chroni- 
[{ueSy  l^r  vol.,  Paris,  à  l'impriraerie  des  amis  de  la 
langue  allemande  (Brunswick  et  Leipzig),  1804, 
m-8  (en  allemand).  Ce  volume  fut  suivi  d'un  autre, 
contenant  un  petit  Dictionnaire  pour  servir  à  Vex- 
pli  cal  ion  îles  Observations  pratiques,  etc.,  in-8, 
même  date  ».  La  plupart  de  ces  renseignements 
sont  exacts,  ils  demandent  seulement  à  6tre  recti- 
fiés et  complétés. 

Nous  avons  dit  dans  quelles  circonstances  Saiffert 
était  venu  s'installer  en  France.  Après  avoir  prati- 


54  LA     PRINCESSE    DE    LAMBaLLE    INTIME 

que  sept  années  en  province,  il  s'était  établi  à  Paris, 
rue  Croix-des-Petits-Champs,  puis  rue  de  Richelieu 
enfin  aux  Arcades  du  Palais-Royal. 

D'heureuses  cures  le  fiicnt  rapidement  connaître; 
il  ne  fut  bruit  à  la  Ville,  et  bientôt  à  la  Cour,  que 
des  succès  obtenus  par  le  médecin  étranger,  surtout 
dans  le  traitement  de  maladies  reconnues  jusqu'alors 
incurables,  principalement  les  aflections  nerveuses, 
fréquentes  à  une  époque  où  on  les  confondait  à 
peu  près  toutes  sous  le  nom  vague  de  «vapeurs  ». 

Si  le  terme  est  alors  en  pleine  faveur,  le  mal 
qii  il  représente  est  vieux  de  plus  d'un  siècle.  On  en 
parlait  déjà  à  la  Cour  de  Louis  XIII  et  chez  la 
Grande  Mademoiselle  ;  en  cherchant  bien,  on  le 
retrouverait  jusque  dans  les   romans  de  chevalerie. 

La  célèbre  marquise  de  Rambouillet,  comme  Ma- 
dame de  Sévigné  à  ses  heures,  en  fut  atteinte,  et  les  re- 
présentants du  sexe  fort  n'en  étaient  point  exempts. 
On  sait  que  le  plus  majestueux  des  monarques  y 
fut  sujet  ;  c'était  lui  faire  sa  cour  que  de  paraître 
en  être  affligé. 

Ne  cherchez  pas  dans  les  traités  de  nosographie 
une  description  de  cette  étrange  affection  ;  ouvrez 
plutôt  le  Livre  à  la  mode,  de  Caraccioli,  si  vous 
tenez  à  en  connaître  les  symptômes. 

On  était  malade  sans  savoir  où  l'on  avait  mal  ; 
on  souffrait  sans  s'apercevoir  qu'on  souffrait,  mais 
on  le  disait  ;e!:.  le  visage,  s'ajoutant,  au  discours,  on 
mourait  à  chaque  quart  d'heure,  en  mangeant  et 
vivant  toujours. 

Voulait-elle  écarter  un  importun,  ne  pas  recevoir 
un  ta  beux.  Madame  avait  ses  vapeurs.  C'était  la 
maladie  des  oisifs  et  des  blasés  ;  la  tourmente  révolu- 


LE    MEDECIN    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE 


55 


lionnaire  r'cvait  la  faire  dispara'tre,  du  moins  nota- 
Ll^meiil  ralléiuier. 


fk;.  13. 


lADAMi:  Dr.  (;j:.nlis 


Il  vous  souvient  de  la  pi. rase  que  met  dans  la 
1  ouche  de  Suzanne  Tau  leur  du  Mariage  de  Fi- 
garo :  a  Est-ce    que  les  femmes    de    mon  état  ont 


56  LA    PHINGESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

des  vapeurs?  C'est  un  mal  de  condilion,  qu'on  ne 
prend  que  dans  les  boudoirs.  »  Cette  opinion  était 
partagée  par  un  autre  écrivain  que  Beaumarchais, 
un  bas  bleu,  féconde  polygraphe,  qui  avait  trop 
d'attributs  virils  pour  se  laisser  gagner  par  ces  fu- 
mées, enivrantes  tout  au  plus  pour  des  petites-maî- 
tresses. Les  maux  de  nerfs,  dont  Madame  de  Gcnlis 
notait  la  fréqu  nce  chez  ses  contemporaines,  res- 
semblaient fort  à  de  l'hystérie. 

A  l'entendre,  on  était  obligé  de  matelasser  les 
charnbres  des  malades,  pour  prévenir  les  graves  acci- 
dents que  leurs  sauts  merveilleux  faisaient  craindre. 
Ces  accès  prenaient  régulièrement  deux  fois  par 
semaine,  et  constamment  les  mêmes  jours  et  aux 
mêmes  heures  ;  de  sorte  que  les  parents  et  les  amis, 
ainsi  prévenus  avec  sûreté,  pouvaient  se  rendre  chez 
les  malades  au  moment  même  où  commençait  l'ac- 
cès, qui  durait  trois  ou  quatre  heures  comme  un  spec- 
tacle, avec  quelques  repos  qu'on  aurait  pu  comparer 
à  des  entr'actes  ;  les  autres  jours,  les  malades  allaient 
comme  de  coutume  au  bal,  à  la  Cour,  à  l'Opéra,  à 
la  Comédie  et  dans  le  monde  ;  et  cette  surprenante 
maladie  laissait  si  peu  de  traces  sur  leurs  figures, 
qu'on  aurait  cru,  aies  voir,  que  ces  accès  si  violents 
n'avaient  rien  de  réel  ^. 

C'était  encore  de  l'hystérie,  cette  tendance  aux 
larmes  à  propos  de  tout  et  plus  souvent  à  pro- 
pos de  rien.  Les  larmes,  voilà  bien  une  maladie  du 
xviiie  siècle  ;  ce  qu'il  s'en  est  répandu  est  prodi- 
gieux, tant  dans  la  réalité  que  dans  le  roman.  Qu'il 
s'agisse  de  femmes  fortes,  comme  Madame  Roland 
ou  Madame  Necker,  d'hommes  au  cerveau  bien  équi- 
libré tels  que  Diderot  et  Voltaire,  il  n'est  personne 


LE    MÉDECIM    DE    L\    PRINCESSE    DE    LAMBALLE  67 

! 
en  ce  siècle  qui  ne  s'attendrisse  pour  des  bagatelles. 
Il  ne   faut  pas  être  bien  clairvoyant    pour   recon- 


Fir..    14,   —    MADAME   DE  LAMBALLE 

(Dji|tn:s  iiiio  poinlnie  «lu  MuHdc  de  Bloin 


naître  au  fond  de  ces  débauches  de  larmes,  de  cette 
dépense  effrénée  de  sensibilité,  le  nervosismc.  Il  y 


58  I.A    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

eut  une  déperdition  énorme  de  sensibilité  Imagi- 
native ;  le  système  nerveux  el  cérébral  en  fit  les 
frais  ^. 

Faisant  trop  grande  la  part  à  la  simulation, voyant 
une  comédie  jouée  là  où  existait  une  souffrance  réelle, 
prenant  pour  un  malaise  de  bon  ton  une  affection 
non  encore  étiquetée  par  la  science,  on  se  moquait 
de  ces  «  vaporeuses  »,  qui  n'avaient  pas  le 
courage  de  réagir.  Sur  ces  malheureuses  nul  ne 
songeait  à  s'apitoyer.  L'épigramme  et  la  raillerie 
tenaient  lieu  de  médication,  et  l'on  se  refusait  à 
prendre  au  sérieux  les  évanouissements  et  les  cris 
désordonnés  que  suivait  un  abattement  inexpli- 
cable. 

Parmi  ces  infortunées  dont  le  sort  n'émouvait 
ni  n'intéressait  la  pitié  du  monde,  où  elle  occupait 
cependant  un  rang  des  plus  distingués,  Madame  de 
Lamb.'Jle  est  de  celles  dont  le  cas  mérite  de  nous  ar- 
rêter. Celle-là  est  une  malade,  une  vraie  malade 
et   qui  a  tous  les  titres  à  notre  compassion. 

Avant  de  se  déci.'er  à  faire  appel  aux  médecins, 
elle  avait  longtemps  abandonné  à  la  nature  le  soin 
de  soulager  ses  maux.  Tout  d'abord,  on  avait  pris 
pour  de  «  petits  ridicules  »  ou  des  «  affections  pué- 
riles »,  certaines  antipathies  dont  elle  ne  savait  se 
défendre,  comme  de  s'évanouir  en  respirant  un  bou- 
quet de  violettes,  de  tomber  en  pâmoison  à  l'aspect 
d'une  écre visse  ou  d'un  homard,  fût-il  en  peinture. 
«  Alors,  relate  cette  peste  de  Madame  de  Genlis  *, 
elle  fermait  les  yeux  sans  changer  de  couleur  et 
restait  insensible  ainsi  pendant  plus  d'une  demi- 
heure,  malgré  tous  les  secours  qu'on  s'empressait 
à  lui   prodiguer.  »  Au  cours    d'un    séjour  en  Hol- 


Fie;.    15.   —  MARIE-ANTOINETTE 
(D'après    Janinet) 


LE    MÉDECIN    DE    LA     PRINCES*    DE    I.AMBALLE         61 

lande  elle  se  serait  évanouie  dans  un  cabinet  d'ama- 
teur, <(  après  avoir  jeté  les  yeux  sur  un  petit  tableau 
flamand  qui  représentait  une  femme  vendant  des 
homards  »  !  Une  autre  fois,  chez  son  beau-père,  le 
duc  de  Penthièvre,  à  Crécy,  une  demoiselle  contait 
des  histoires  de  revenants,  lorsqu'on  entendit  dans 
Tantichambre  un  valet  bâiller  bruyamment  ;  aus- 
sitôt Madame  de  Lamballe  fut  saisie  d'une  frayeur 
telle  qu'elle  perdit  connaissance.  On  dut,  en  toute 
hâte,  aller  réveiller  le  chirurgien  de  Monseigneur, 
<j  qui  accourut  précipitamment  en  robe  de  chambre  ». 
Il  ne  fallut  rien  moins  que  les  préparatifs  d'une  sai-, 
gnée  pour  la  tirer  de  sa  léthargie.  Madame  de  Genlis 
assure,  mais  nous  avons  de  fortes  raisons  de  douter 
de  la  véracité  de  son  témoignage,  qu'elle  fut«  m  lie 
fois  »  le  moin  de  scènes  de  ce  genre. 

Par  la  suite,  lorsque  les  attaques  de  nerfs,  suivies 
d'évanouissement,  devinrent  une  mode,  Madame  de 
Lamballe  ne  manqua  pas  d'en  avoir  de  régulières 
deux  fois  la  semaine,  aux  mêmes  jours  et  aux  mêmes 
heures,  pendant  toute  une  année.  Ces  jours-là,  sui- 
vant l'usage  des  autres  malades  de  cette  espèce, 
M.  Saiffert,  son  médecin,  arrivait  chez  elle  aux  heures 
convenues  ;  il  frottait  les  tempes  et  les  mains  delà 
[)rinc(ss'  d'une  liqueur  spiriliiciis;',  ciisuilc  la  fai- 
sait mettre  dans  son  lit,  où  elle  restait  deux  heures 
évanouie.  Pendant  ce  temps,  ses  amis  intimes,  for- 
mant un  cercle  autour  de  son  lit,  causaient  tranquil- 
lement jusqu'à  ce  (|ue  la  j)rincesse  sortît  de  sa 
lét'.argic.  Telle  était  la  personne,  conclut  la  peu 
charit  ible  narratrice,  que  la  reine  choisit  pour 
sa  piriiiicrc  amie.  Mais  M  a  rie- Antoinette  aurait 
bientôt  sinti  que  Madame  de   Latnballe  était  l:ors 


62  LA    PRINC»SE    DE    LAMBALLE    INTIME 

d'état  de  donner  un  conseil  utile,  et  même  de  prendre 
part  à  un  entretien  sérieux.  Ce  ne  fut  donc  point 
par  légèreté,  comme  on  l'a  dit,  que  la  reine  ôta  sa 
confiance  à  la  favorite;  elle  la  jugeait  avec  trop  de 
discernement.  Elle  lui  conserva  tous  les  droits  appa- 
rents de  l'intimité,  et  la  place  de  surintendante  de 
sa  maison,  place  qu'on  avait  recréée  pour  elle  5. 

C'était  une  des  charges  les  plus  recherchées  de  la 
Cour,  et  seules  pouvaient  y  prétendre  les  princesses 
du  sang.  On  devine  combien  d'amours-propres 
blessés,  combien  de  convoitises  déçues  cette  nomi- 
nation déchaîna.  Dames  d'honneur,  dames  d'atours, 
dames  du  palais  murmurèrent  à  son  approche,  le 
jour  de  la  cérémonie  d'investiture.  Ce  fut  comme  une 
vague  de  rancunes  et  d'hostilité  qui  monta  vers 
l'heureuse  promue.  Quoi  de  surprenant  que  celle-ci 
ait  été  prise  d'un  tremblement  nerveux,  lorsqu'elle 
se  mit  à  genoux  devant  sa  souveraine,  pour  prêter 
entre  ses  mains  le  serment  d'usage  ?  Madame-  de 
Genlis,  voulant  ridiculiser  plus  encore,  si  faire  se 
pouvait,  celle  qu'en  toutes  circonstances  elle  a 
poursuivie  de  ses  traits  venimeux,  feint  de  s'indi- 
gner que  Marie-Antoinette  ait  embrassé  la  nouvelle 
surintendante,  —  «  ce  qui  n'était  point  du  proto- 
cole »,  —  et  elle  montre  Madame  de  Lamballe,  tirant 
son  mouchoir  et  pleurant,  «  scène  singuHère  que  l'on 
critiqua  beaucoup  ».  Pour  un  être  aussi  dépourvu 
de  sensibilité  qu'était  Madame  le  Gouverneur  des 
princes  d'Orléans,  il  ne  pouvait  y  avoir,  dans  cette 
attitude  si  naturelle,  que  prétexte  à  moquerie.  La 
vérité  est  que  la  ci-devant  Madame  de  Sillery  n'était 
que  l'écho  des  rancœurs  du  Palais-Royal,  foyer  de 
conspiration  contre  la  royauté,  que  cherchait  à  ren- 


LE    MÉDECIN    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE         63 

verser  à  son  profit  le  triste  prétendant  qui  porte  dans 
l'histoire  le  qualificatif  infamant  de  Philippe-Égalité. 


FIG.  16. —  LE   DUC   D'ORLÉANS  (alors  DUC  DE  CHARTRES) 
ET  SA  FAMILLE 

Les  preuves  abondent  du  parti  pris  de  Madame  de 
Genlis  contre  la  princesse  de  Lamballe  et  tout  ce 
qui  touchait  de  près  à  la  Cour  ;  nous  n'en  citerons 


6^1  I.A    PIIINCESSE    DE    LAMBAI-LE    INTIME 

qu'une,  parce  qu'elle  est  peu  connue,  et  que  la  dépo- 
sition émane  d'une  personnalité  particulièrement 
autorisée. 

Le  marquis  de  Clermont-Gallerande,  pair  de 
France,  qui  tenait  un  registre  journalier  des  faits 
dont  il  avait  été  le  témoin,  a  consigné  dans  ses 
Mémoires  l'anecdote  qui  suit^. 

«  Madame  de  Sillery  (c'est  le  nom  que  porta  pen- 
dant quelque  temps  Madame  de  Gcnlis)  était  avec 
ses  élèves  (les  enfants  du  duc  et  de  la  duchesse 
d'Orléans)  sur  la  terrasse  de  la  maison  de  Passy, 
qu'ils  occupaient,  pour  voir  passer  les  brigands  qui 
allaient  à  Versailles  le  5  octobre.  Elle  y  était  aussi 
le  jour  où  le  malheureux  Louis  XVI  se  rendit  à 
l'Hôtel  de  Ville.  //  se  tenait  sur  cette  terrasse  les  pro- 
pos  les  plus  ojjensans  pour  la  Reine  et  pour  Madame 
la  princesse  de  Lamballe.  Ces  propos  furent  entendus 
par  plusieurs  personnes.  » 

La  princesse  ne  se  méprenait  pas  sur  les  sen- 
timents que  professait  à  son  égard  le  précepteur 
en  jupon.  Un  jour  que  celle-ci  saluait,  en  pas- 
sant près  de  son  carrosse,  Madame  de  Lamballe  : 
«  Madame  de  Genlis,  s'écria  la  princesse  avec  un  fré- 
missement qui  tenait  de  l'aversion.  Madame  de 
Genlis,  visage  d'agneau,  cœur  de  loup,  ruse  de  renard  »  ; 
ou,  pour  citer  la  phrase  italienne  qui  sortit  de  la 
bouche  de  la  princesse,  à  qui  cette  langue  était  aussi 
familière  que  la  langue  française  :  colla  jaccia 
d'agnello,  il  cuore  d'un  lupo,  et  la  dritlura  d'ella 
volpe  7. 

Ayant  fait  la  part  de  la  malignité  dans  les  propos 
ou  les  écrits  de  IMadame  de  Genlis  sur  la  princesse 
de  Lamballe,  nous  ne  saurions,  sans  faire  injure  à 


LE   MÉDECIN    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAML5ALLE         65 

la  vérité,  les  tenir  pour  absolument  controuvés. 
Lorsque  le  duc  d'Orléans,  en  1785,  dépêcha  son 
médecin  à  Madame  de  Lamballe,  la  princesse  avait 
déjà  couru  les  empiriques  et  les  charlatans  ;  elle 
plaçait  son  dernier  espoir  dans  un  personnage  dont 
tout  Paris  s'entretenait.  Les  gazettes  annon- 
çaient l'arrivée  prochaine  dans  la  capitale  du  célèbre 
Mesmer. 


NOTES  DU  CHAPITRE  IV 


1.  Biographie  universelle,  ou  Dictionnaire  historique,  etc.,  par 
une  Société  de  sens  de  lettres,  de  professeurs  et  de  biblio- 
graphes. Paris,  Furne,  MDCCCXXXIII  (1833). 

2.  Dictionnaire  des  Etiquettes  delà  Cour,  t.  I. 

3.  Histoire  de  l'Éducation  des  femmes  en  France,  par  Pall 
ROUSSELOT,    t.  II. 

4.  Mémoires,  t.  II,  284  et  s. 

5.  De  l'Esprit  des  Étiquettes  de  Vancienne  Cour,  et  des  usages 
du,  monde  de  ce  temps,  par  M°"  de  Genlis,  publié  par  Ed.  Qles- 
NET.  Bennes,  1885. 

6.  Mme  la  comtesse  de  Genlis  en  miniature,  ou  Abrégé  cri~ 
ique  de  ses  Mémoires,  par  M.-L.  de  Seveunges  (Paris,  182('>), 
71-2,  note. 

7  Mémoires  relatifs  à  la  famille  royale  de  France  (par  Mme  de 
''hoglio-Sol\ui),  t.  I,  10-11. 


CHAPITRE    V 


UNE    RELIGION    NOUVELLE 
MESMER    DIEU,    ET    d'eSLON    SON    PROPHÈTE 


Quel  extraordinaire  roman  d'aventures  que  la 
vie  de  ce  Mesmer  qui,  dès  qu'il  a  mis  le  pied  chez 
nous,  au  mois  de  février  1778,  force  tout  de  suite 
l'attention  publique  ! 

Dès  sa  première  publicatioxi,  parue  en  1766% 
Mesmer  soutient  qu'il  existe  «  une  mutuelle  influence 
entre  les  corps  célestes,  la  terre  et  les  corps  animés  »; 
il  prétend,  en  outre,  que  «  l'action  et  les  vertus  du 
magnétisme  animal  peuvent  être  communiquées  à 
d'autres  corps,  animés  ou  inanimés  ».  Cette  concep- 
tion du  magnétisme  cosmique  et  de  la  transmission 
de  la  vertu  magnétique  devait  donner  l'occasion 
à  plusieurs  caricaturistes  de  railler  le  novateur. 

Une  de  ces  caricatures  que  nous  avons  naguère 
reproduite,  représente,  au  second  plan,  une  Pharmacie 
magnétique  :  l'on  y  voit  un  adepte,  occupé  à  recueil- 
lir dans  le  creux  de  ses  mains  les  effluves  d'une  eau 
magnétisée,  tandis  qu'au-dessus  du  néophyte,  sur 
des  tablettes  en  buis,   s'étalent  une  tête  de  veau 


UNE    RELIGION    NOUVELLE  67 

magnétisée  et  des  pieds  de  cochon  saturés...  de  fluide 
magnétique  ^. 

Au  début,  Mesmer  s'était  contenté  d'exercer  son 
art  sans  charlatanisme  ;  ses  confrères  n'avaient  pas 
encore  eu  lieu  de  se  plaindre  de  l'incorrection  de  ses 
procédés. 

Ce  n'est  que  huit  ans  après  avoir  passé  sa  thèse  de 
doctorat,  qu'il  entreprit,  de  concert  avec  un  Jésuite, 
dont  il  avait  fait  entre  temps  la  connaissance,  la 
cure  des  maladies  nerveuses  à  l'aide  des  fers  ai- 
mantés. Enhardi  par  les  premiers  résultats,  il  se 
faisait  fort  de  guérir  les  affections  reconnues  jus- 
qu'alors incurables.  Du  coup,  la  Faculté  de  Vienne 
se  fâcha,  et  devant  le  toile  qu'il  souleva,  Mesmer  prit 
le  parti  d'abandonner  ses  compatriotes  et  d'aller 
cueillir  à  l'étranger  les  lauriers  qu'on  lui  marchan- 
dait dans  son  pays  d'adoption. 

Après  avoir  parcouru  la  Souabe  et  la  Suisse,  Mes- 
mer arrivait  à  Paris,  au  mois  de  février  1778.  Accom- 
pagné de  son  unique  domestique,  il  descendit  dans 
un  petit  hôtel  de  la  place  Vendôme,  située  dans  un 
quartier  alors  reculé,  et  il  se  contenta  d'y  prendre 
un    modeste    appartement. 

La  curiosité,  plus  qu'un  autre  sentiment,  pousse 
tout  de  suite  nombre  de  Parisiens  et  de  Parisiennes 
à  voir  de  près  celui  qui  se  flattait  de  guérir  tous  les 
maux,  surtout  ceux  que  la  science  oflicielle  se  recon- 
naissait impuissante  à  traiter.  Le  mystère  dont  il 
s'entourait,  l'originaUté  de  ses  méthodes,  mais  plus 
que  tout  cet  appareil  la  cabale  que  montèrent  les 
médecins  contre  ce  concurrent  sans  scrupules,  qui 
venait  chasser  sur  leurs  terres,  augmentèrent  l'en- 
gouement du  public  ;  le  nom  de  Mesmer  vola  de 


68  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

bouche  en  bouche.  L'afïluence  des  malades  fut  telle, 
qu'il  eut  bientôt  une  seconde  installation,  à 
Créteil,  «  où  rien  ne  venait  le  distraire  dans 
les    soins    qu'il     donnait    à    ses    malades  ^   ». 

A  Paris,  ses  consultations  furent  de  plus  en  plus 
suivies.  Noblesse,  tiers  état,  clergé,  les  trois  ordres 
se  retrouvaient  chez  Mesmer. 

Les  jaloux  commençaient  à  s'agiter  ;  les  petites 
gazettes  insérèrent  des  entrefilets  dans  le  genre  de 
celui-ci  :  «  Il  est  venu  ici  depuis  quelque  tems  un 
médecin  nommé  Mesmer,  qui  se  dit  de  la  Faculté  de 
Vienne.  Ce  pays  est  le  théâtre  de  tous  les  charla- 
tans :  celui-ci  prétend  avoir  le  magnétisme  animal, 
c'est-à-dire  une  faculté  de  la  communication  d'un 
principe  analogue,  dont  les  corps  animés  sont  suscep- 
tibles. En  conséquence  de  ce  galimatias,  il  promène 
son  doigt  sur  un  individu  qui  veut  connaître  le 
siège  de  son  mal,  et  lorsqu'il  approche  de  la  partie 
affectée,  le  sujet  y  reçoit  une  commotion  semblable 
à  celle  que  cause  l'électricité.  Il  a  été  en  vogue  pen- 
dant quelque  tems  et  a  gagné  beaucoup  d'argent, 
mais  cette  mode  n'a  pas  duré  ;  il  en  est  réduit  aujour- 
d'hui à  écrire  et  à  publier  un  ouvrages  sur  la  décou- 
verte du  magnétisme  animal"^.  >^  Les  seuls  «  pro- 
diges »  dont  il  se  targue,  c'est  «  de  faire  éprouver 
un  sentiment  de  chaleur,  de  froid,  de  douleur,  etc., 
comme  le  certifient  ceux  qui  l'ont  consulté  ».  Mais 
l'écrivain  anon^^me  ajoute  que  «  des  maux  anciens 
se  sont  renouvelés  tout  à  coup  par  le  seul  contact, 
que  des  maux  cachés  se  sont  développés»;  et  «  les 
médecins  de  la  Faculté  et  autres,  qui  ont  suivi  les 
expériences  de  M.  Mesmer,  prétendent...  que  son 
talent  n'est  appuyé  que  sur  des  prestiges,  sur  la 


UNE   RELIGION    NOUVELLE 


69 


crédulité  des  initiés,  et  qu'il  n'y  a  pas  un  fait,  un  seul 
fait  constant,  pour  lui  donner  quelque  consistance: 


%'• 


FIG.   17.   —    MKSMER 


ils  veulent  qu'il  opère  ces  prestiges,  non  par  aucun 
principe  résidant  en  lui,  mais  plutôt  par  un  agent 
qu'il  sait  habilement  emprunter  des  corps  étrangers  ; 


70  LA    PRINCESSE   DE    LAMBALLE    INTIME 

ils  le  présument  d'autant  mieux,  que  ce  n'est  que 
dans  ses  appartemens,  sans  doute  préparés  à  cet 
elîet,  que  le  charlatan  moderne  produit  des  impres- 
sions marquées  5  ». 

Au  sein  du  corps  médical,  deux  partis  s'étaient 
formés.  Les  uns  taxaient  Mesmer  d'impudent  char- 
latan, les  autres  réclamaient  un  examen  de  son  sys- 
tème. Un  docteur  réputé  de  la  Faculté  de  médecine 
parisienne,  du  nom  de  Deslon  ou  d'Eslon,  soutint 
avec  force,  devant  ses  collègues,  cette  dernière  opi- 
nion, mais  après  délibération  l'assemblée  des  pro- 
fesseurs rejeta  sa  proposition  ^. 

Celle-ci  était  cependant  des  plus  raisonnables. 
Que  demandait  le  docteur  Deslon  ?  Simplement, 
que  sous  les  auspices  du  gouvernement,  on  fît  choix 
de  vingt-quatre  malades,  dont  douze  seraient  réser- 
vés par  la  Faculté  pour  être  traités  suivant  ses  mé- 
thodes ordinaires,  et  les  autres  remis  entre  ses  mains 
et  soumis  à  sa  méthode  particulière.  Il  excluait  de 
ce  nombre  les  maladies  vénériennes  et  ne  faisait 
pas  d'autres  exceptions.  Il  proposait,  pour  éviter 
toute  discussion  et  exception,  que  le  choix  fût  tiré 
par  la  voie  du  sort.  Il  demandait  que  les  personnes 
proposées  par  le  gouvernement,  pour  assister  à  cha- 
que examen  comparatif  des  malades  et  en  signer  les 
procès-verbaux,  fussent  exemptes  de  partialité,  ou 
du  moins  n'en  pussent  être  soupçonnées  :  en  consé- 
quence, il  désirait  qu'elles  ne  fussent  prises  dans 
aucun  corps  de  médecine.  Sa  méthode  exigeait  peu 
de  frais,  M.  Mesmer  ne  réclamant  aucune  récompense 
de  ses  soins  pour  les  douze  malades,  mais  seulement 
que  le  gouvernement  fît  les  dépenses  relatives  à  leur* 
entretien,  et  qu'ils  ne  fussent  pas  à  sa  charge  7. 


UNE    RELIGION    NOUVELLE 


Cette  manière  de  défi  ne  pouvait  qu'indisposer 
la  Faculté.  Il  fut  question  d'interdire  ^  l'audacieux 
collègue  qui  avait  osé  formuler  une  pareille  proposi- 
tion. Mais  le  champion  des  doctrines  mesmériennes 

? 


PIG.   18.   —   LE    BAQUET    DE    MESMER 


ne  s'émut  pas  pour  si  peu,  et  se  riant  de  la  menace, 
courut  offrir  ses  services  à  la  victime  des  persécutions 
odiciellcs. 

Il  semble  bien  que  ce  soit  Deslon  qui  ait  suggéré 
à  Mesmer  l'idée  de  son  fameux  baquet.  Celui-ci 
était,  sous  sa  forme  la  plus  simple,  une  caisse  de  bois 
ronde,  contenant  du  verre  pilé,  de  la  limaille  de  fer. 


72  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

et  des  bouteilles  remplies  d'eau  magnétisée,  rangées 
symétriquement  ;  cette  caisse  était  garnie  de  conduc- 
teurs mobiles,  pour  diriger  le  fluide  ^. 

Afin  d'opérer  sur  un  grand  nombre  de  sujets  à 
la  fois,  Mesmer  leur  faisait  faire  la  chaîne,  comme 
dans  les  expériences  électriques  ;  il  les  rangeait 
autour  de  son  baquet,  ou  d'un  arbre  magnétique 
lorsque  la  saison  le  permettait. 

Le  23  avril  1784,  Mesmer  magnétisait,  à  l'insu  de 
tout  le  monde,  un  cadran  qui  était  dans  la  cour  de 
la  maison  qu'il  habitait  rue  Coq-Héron.  Il  envoya 
une  petite  fille  voir  l'heure  à  ce  cadran  ;  aussitôt 
qu'elle  y  eut  porté  ses  regards,  elle  tomba  dans  une 
crise  des  plus  violentes.  Le  13  juin  de  la  même  année, 
un  receveur  des  gabelles  de  Soissons  racontait  à  un 
de  ses  correspondants  les  effets  extraordinaires  qui 
s'étaient  passés  sous  ses  yeux  à  Buzancy,  près  de  Sois- 
sons,  autour  d'un  orme  magnétisé  par  Puységur,  le 
disciple  et  continuateur  de  Mesmer.  Contentons- 
nous  d'extraire  de  sa  lettre  ce  passage  :  «  Cet  arbre, 
magnétisé  de  temps  immémorial  par  l'amour  du 
plaisir,  l'est  à  présent  par  l'amour  de  l'humanité. 
Messieurs  de  Puységur  lui  ont  imprimé  une  vertu 
salutaire,  active,  pénétrante  ;  ses  émanations  se  dis- 
tribuent au  moyen  de  cordes,  dont  le  corps  et  les 
branches  sont  entourés,  qui  en  appendent  dans  toute 
la  circonférence,  et  se  prolongent  à  volonté.  On  a 
établi  autour  de  l'arbre  mystérieux  plusieurs  bancs 
circulaires  en  pierre,  sur  lesquels  sont  assis  les 
malades,  qui  tous  enlacent  de  la  corde  les  parties 
souffrantes  de  leur  corps.  Alors  l'opération  com- 
mence, tout  le  monde  formant  la  chaîne,  et  se  tenant 
par  le  pouce...  » 


UNE    RELIGION    NOUVELLE 


73 


Le  spectacle  ne  devait  pas  manquer  d'agrément  1 
Afin  de  disposer  ses  malades  à  recevoir  l'action  du 


FIO,    10.    —   l.A    PniNCESSE   DE    CONDÉ,   MÈRE    DU    DUC   D'r.NCIIIEN 


fluide,  le  nouveau  thaumaturge  ne  négligeait  pas  le 
secours  d'une  douce  musique  ;  les  sons  de  l'harmonica 
préparaient  le  calme  des  esprits. 


74  LA    PRINCESSE    DE    LAMRALLE    INTIME 

Dans  son  poème  De  U imagination  ^°,  bien  oublié 
aujourd'hui,  Delille  évoque  le  temps  où 

Mesmer  de  son  art  déployait  les  prodiges. 

Il  avait  renversé  ces  vases,  ces  mortiers 

Où  l'on  broyait  les  sucs  trop  souvent  meurtriers. 

Mais  de  l'heureux  délire  il  nous  versait  la  coupe, 

De  malades  plus  gais  une  docile  troupe  , 

De  cordons  entourés  et  des  fers  sur  le  sein. 

En  cercle  environnaient  le  magique  bassin... 

Qu'on  ne  me  vante  pas  la  boîte  de  Pandore, 

Le  baquet  merveilleux  fut  plus  puissant  encore  : 

Les  maux  n'en  sortaient  pas,  l'espoir  restait  au  fond, 

Autour  la  douce  erreur  et  les  illusions. 

Tous  se  félicitaient  de  leurs  métamorphoses, 

La  vieille  Eglé  croyait  voir  renaître  ses  roses  ; 

Le  vieillard  décrépit,  se  ranimant  un  peu. 

D'un  retour  de  santé  menaçait  son  neveu. 


Mais  quoi  !  chez  les  Français  est-il  rien  de  durable  ? 
Mesmer  courut  ailleurs  porter  son  art  aimable. 

Nous  sommes  loin,  encore,  de  l'époque  où  Mesmer 
méditera  tristement  sur  l'ingratitude  des  foules  ; 
pour  l'instant,  se  trouvant  à  l'étroit  place  Ven- 
dôme, il  vient  de  transporter  ses  pénates  à  l'hôtel 
Bullion  situé,  approximativement,  à  l'intersection 
de  la  rue  Montmartre  et  de  la  rue  J.-J.-Rousseau. 

De  toutes  parts,  se  manifeste  une  noble  émula- 
tion :  c'est  à  qui  confessera  sa  foi  magnétique,  à  qui 
fera  des  prosélytes. 

Une  des  premières,  la  duchesse  de  Bourbon,  la 
mère  du  duc  d'Enghien,  après  en  avoir  fait  sur 
elle-même  l'appUcation,  emploie  tout  son  zèle  à 
recruter  des  adhérents  et  des  adhérentes.  Elle   se 


UNE    RELIGION   NOUVELLE  yS 

constitue  sa  clientèle  d'hystériques  et  de  convul- 
sionnaires,  dont  les  spasmes,  les  suffocations  et  les 
cris  la  captivent  plus  que  ses  lectures,  plus  que 
les  accords  de  sa  harpe  et  les  mélodies  de  son 
clavecin  ". 

La  duchesse  entraîna  un  jour  son  amie,  la  ba- 
ronne d'Oberkirch,  che2i  Mesmer.  Le  pontife  du 
magnétisme  accueillit  l'Altesse  avec  tous  les  égards 
dus  au  rang  qu'elle  occupait;  il  poussa  la  con- 
descendance jusqu'à  opérer,  en  présence  et  à  l'in- 
tention de  ses  visiteuses,  trois  ou  quatre  de  ces  cures 
extraordinaires  que  suffisait  à  réaliser  le  simple  con- 
tact du  magique  baquet  ;  nous  laissons  à  penser  si 
les  deux  dames  furent  dans  le  ravissement. 

La  duchesse  n'eût,  dès  lors,  qu'une  hâte,  ce  fut  de 
mettre  en  pratique  elle-même  les  procédés  qu'elle 
avait  vus  si  bien  réussir  entre  les  mains  de  Mesmer. 

Jamais  disciple  ne  se  montra  plus  docile  aux  leçons 
de  son  -maître.  La  tendance  au  mysticisme  de  cette 
âme  désemparée  ne  pouvait  que  fortifier  sa  croyance 
au  surnaturel;  nul  terrain  ne  fut  mieux  préparé  à  rece- 
voir une  telle  semence.  Encore  la  duchesse  eut-elle 
le  bon  esprit  de  hmiter  sa  puissance  curative  aux 
maladies  des  nerfs  et  aux  plaies  ;  sa  réputation 
était  si  bien  établie  en  cette  spécialité,  qu'elle  reçut, 
dans  sa  maison  de  campagne,  jusqu'à  deux  cents 
malades  par  jour,  qu'elle  pansait  et  aidait  de  sa 
bourse,  lorsqu'ils  étaient  dans  le  besoin. 

Le  monde  blasé,  frivole,  avide  d'émotions,  de  la 
fin  de  l'ancien  régime,  se  disputait  à  prix  d'or  la 
faveur  d'être  traité  par  le  magnétisme.  C'était  parmi 
les  personnages  du  plus  haut  rang  que  Mesmer 
compta  ses   plus  fanatiques   partisans. 


76  LA    PRINCESSE    DE    LAM HALLE    INTIME 

M.  de  Ségur,  au  retour  de  la  guerre  d'Amérique, 
constate  le  délire  qui  s'est  emparé  de  toutes  les  têtes  et 
il  ne  tarde  pas  à  partager  l'enthousiasmegénéral.  «  J'ai 
vu,  confesse-t-il,  en  assistant  à  un  grand  nombre 
d'expériences,  des  impressions  et  des  efTcts  très  réels, 
très  extraordinaires,  dont  la  cause  seulement  ne 
m'a  jamais  été  expliquée.  »  En  conséquence,  il  in- 
vitait les  savants  et  les  philosophes  à  méditer  sur 
les  causes  de  cette  nouvelle  et  étrange  propriété  de 
l'imagination  ;  en  attendant,  il  ne  pouvait  qu'enre- 
gistrer les  faits  qu'il  observait,  dont  le  suivant  n'est 
pas  un  des  moins  caractéristiques  de  la  folie  du  jour. 

Un  des  amis  de  M.  de  Ségur,  allant  à  Versailles, 
rencontre  sur  sa  route  un  homme  qu'on  portait  sur 
un  brancard.  Saisi  du  désir  de  le  soulager,  il  s'élance 
de  voiture,  en  habit  de  bal,  arrête  le  brancard,  magné- 
tise le  patient,  malgré  des  torrents  de  pluie,  aux  yeux 
des  porteurs  étonnés,  et  quand  fatigué  du  peu  de 
succès  de  sa  ferveur,  il  interroge  ces  derniers,  il 
reçoit  pour  toute  réponse  :  «  Malade  ?  il  n'est  plus 
malade,  Monsieur  ;  car,  depuis  trois  jours,  il  est 
mort  !  » 

Le  comte  de  Pilos,  le  conseiller  au  Parlement  de 
Paris  Duval  d'Espréménil,  le  président  de  Sala- 
berry,  tous  gens  du  monde  et  du  meilleur,  ne  juraient 
que  par  Mesmer.  Comme  il  n'y  avait  que  trois  ba- 
quets payants,  et  un  gratuit  pour  les  pauvres,  il 
fallait  retenir  sa  place  d'avance,  ou  prendre  un  baquet 
entier,  afm  d'être  assuré  de  n'en  pas  manquer. 

On  adressait  à  toutes  les  personnes  de  sa  con- 
naissance des  invitations  dans  le  genre  de  la  sui- 
vante :  «  Viendrez- vous  ce  soir  avec  nous  ?  j'ai 
mon  baquet.  » 


UNE    RELIGION    NOUVELLE 


Rarement  des  opposants  faisaient  entendre  leur 
voix.  Il  n'était  que  des  sceptiques  endurcis  pour  résis- 
ter à  remballenieiit  qui  gagnait  de  proche  en  proche  ; 


Fir..  20     —   COMTH   DITFORT   DV.  CIIF.VKI'.NY 

mais  que  ne  mettait-on  pas  en  œuvre  pour  vaincre 
leur  obsliiiMlioii  ?  Le  comte  Dufort  de  Cheverny 
a  relaté  cou  m  un  L  il  se  montra,  pour  sa  part,  réfrac- 
taire  à  toute  tentative  laite  pour  le  gagner  à  la 
religion  nouvelle  ;  son  récit  ne  laisse  pas  d'ûlre 
piquant  '^ 


78  LA   PRINCESSE   DE  LAMBALLE   INTIME 

Au  cours  d'un  dîner  chez  le  docteur  Deslon,  le 
comte  s'était  fait  fort  de  résister  à  toutes  les  sug- 
gestions. On  essaya,  sans  plus  tarder,  de  le  mettre  à 
l'épreuve,  mais  rien  ne  réussit  à  venir  à  bout  de 
sa  résistance. 

Des  amis  lui  proposent  de  le  conduire  chez  Mes- 
mer. Rendez-vous  est  pris,  pour  le  lendemain  midi, 
à  l'hôtel  de  Coigny,  rue  Coq-Héron,  où  Mesmer 
tenait  ses  assises.  La  troupe  s'engage  par  un  petit 
escalier  et  arrive  au  premier  étage.  Mesmer,  prévenli 
de  son  arrivée,  vient  au-devant  de  M.  de  Cheveriiy  et 
lui  dit  avec  son  accent  tudesque  :  «  M.  le  comte  de 
Pilos  et  M.  le  président  de  Salaberry  m'ont  répondu 
que  vous  n'abuseriez  pas  de  la  complaisance  que  j'ai 
pour  eux,  en  vous  laissant  voir  les  effets  du  magné- 
tisme. J'exige  seulement  que  vous  ne  disiez  à  per- 
sonne que  vous  n'avez  pas  été  reçu  ;  vous  direz  que 
je  vous  ai  traité  et  guéri.  »  Le  comte  acquiesce  et 
remercie  le  thaumaturge  de  l'avoir  mis  à  portée  de 
s'instruire.  Sous  ces  réserves,  le  mécréant  est  admis 
à  pénétrer  dans  le  temple. 

Laissons-le  nous  raconter  ses  impressions. 

«  Toutes  les  pièces  étaient  ouvertes  ;  dans  la  pre- 
mière, décorée  comme  une  salle  à  manger,  il  y  avait 
plusieurs  personnes  qui  allaient  et  venaient  ;  on  y 
voyait  un  piano-forte  ouvert  et  deux  ou  trois  gui- 
tares. Dans  la  pièce  à  droite,  faisant  jadis  un  grand 
salon,  étaient  plusieurs  personnes  devisant  très  bas. 
Quelques  gens,  les  uns  malades,  les  autres  croyant 
l'être,  s'apprêtaient  à  entrer  ou  à  s'en  aller.  » 

Le  visiteur  est  ensuite  introduit  dans  la  salle  du 
baquet,  et  la  description  qu'il  en  donne  vaut  le  plus 
exact  des  croquis.  «  Qu'on  s'imagine  une  grande  caisse 


UNE    RELIGION    NOUVELLE  79 

ronde,  haute  d'environ  dix-huit  pouces,  fermée  her- 
métiquement, et  en  gros  bois  de  chêne,  à  peu  près 
comme  un  baquet;  plusieurs  trous  dans  le  couvercle, 
dans  lesquels  entraient  à  l'aise  des  barres  de  fer  cou- 
dées, jouant  à  la  volonté  du  malade  ;  de  grosses 
cordes  d'un  pouce,  passant  de  même  dans  d'autres 
trous,  se  rattachaient  à  la  barre  de  fer  du  milieu. 
Ces  cordes,  plus  ou  moins  longues,  étaient  occupées 
par  des  malades  ou  en  attendaient.  »  Le  reporter 
improvisé  retrouve  là  environ  vingt  personnes  de 
sa  connaissance,  tant  hommes  que  femmes.  «  Les 
uns  dirigeaient  une  barre  de  fer  soit  vers  des  obs- 
tructions, soit  vers  telle  autre  partie  du  corps  qu'ils 
croyaient  malade.  Il  y  avait  des  hommes  penchés, 
des  femmes  en  léthargie;  les  uns  poussant  des  cris 
périodiques,  d'autres  se  livrant  au  sommeil,  d'autres 
à  des  rires  convulsifs.  »  A  ceux  qui  lui  demandent 
quel  est  son  mal,  le  comte  répond  qu'il  n'en  a  plus, 
qu'il  est  complètement  guéri  ;  la  plupart  des  malades 
présents  se  plaignent  de  n'éprouver  aucun  soulage- 
ment, mais  ils  ne  perdent  pas  espoir  pour  cela. 

Voici  qu'un  médecin  s'approche,  reconnaissant 
une  figure  qui  ne  lui  est  pas  familière  :  «  Monsieur, 
dit-il  à  l'inconnu,  prenez  garde,  cette  dame  va  avoir 
des  convulsions  »  ;  celles-ci  ne  tardaient  pas,  en  effet, 
à  se  produire  :  «  elle  se  tordit  les  bras,  roula  les  yeux, 
rit,  cria  ». 

Pour  ces  sortes  de  patients,  il  y  avait  des  chambres 
spéciales,  entièrement  matelassées,  et  dont  les  murs 
et  les  croisées  étaient  à  la  hauteur  de  six  pieds  : 
c'est  là  qu'on  enfermait,  pendant  toute  la  durée  de 
la  crise,  celles  qui  étaient  prises  d'accès  convulsifs. 
Le  mal  de  la  dame  ne  se  calmant  pas  et  allant  au 


80  LA    PRINCESSE    DE    LAM DALLE   INTIME 

contraire  en  augmentant,  «  elle  fut  ficelée  comme  un 
bout  de  tabac  (sic)  ;  trois  gaillards  de  médecins  la 
détachent  et  la  prennent,  malgré  les  efforts  qu'elle 
faisait,  ses  cris,  ses  sanglots  ;  on  ouvre  la  porte,  on 
la  pousse  dans  cette  chambre  ».  Pendant  quelques 
instants,  on  l'entend  crier  sourdement,  puis  c'est  le 
silence... 

Dans  le  lointain,  une  musique  se  fait  entendre,  une 
voix  comme  aérienne  chante  une  ariette  italienne. 
«  Tous  écoutent,  tombent  en  extase,  et  l'on  peut  suivre 
sur  leurs  visages  les  mouvements  de  la  musique,  ou 
gaie  ou  triste.  » 

Tout  ce  qu'il  a  vu  jusqu'ici  provoque,  chez  le  visi- 
teur, cette  réflexion,"  «  qu'il  y  avait  là  bien  des  dupes 
et  beaucoup  de  jongleurs  ».  Il  poursuit  néanmoins 
son  enquête,  tenant  à  se  faire  une  opinion  dégagée 
de  parti  pris.  Il  descend  à  l'étage  inférieur  et  pé- 
nètre «  dans  une  grande  pièce  donnant  sur  le  jardin, 
ayant  deux  croisées  ouvertes,  avec  une  grande  che- 
minée et  un  gros  poêle  ;  elle  avait  l'air  d'avoir  servi 
à  une  serre  chaude  ».  C'était  la  salle  réservée  aux 
petites  bourses;  il  y  avait  là  «  des  individus  assez 
mal  mis,  comme  des  couturières,  etc.,  de  tous  les  âges  ; 
et  brochant  sur  le  tout,  une  quantité  de  commères  ou 
de  gardes-malades.  Le  baquet  était  établi  entre  les 
deux  fenêtres.  Plusieurs  vieilles  femmes,  assises  sur 
des  chaises  de  paille,  étaient  dans  des  assoupis- 
sements profonds  ». 

L'une  d'elles  semblait  paralysée  ;  une  autre,  qui 
avait  les  yeux  fermés,  les  rouvrit,  après  que  le  méde- 
cin lui  eut  passé  plusieurs  fois  l'index  sur  les  pau- 
pières. Elle  «  se  réveilla  et  regarda  tout  le  monde. 
Le  médecin  lui  promena  les  mains,  les  doigts  éten- 


m..   21.  —  CAHICATLKE    COM  HE    MEHMEH 


82  LA    PRINCESSE    DE    LAMUALLE    INTIME 

dus,  à  un  demi  pied  tout  le  long  de  son  corps,  sur- 
tout sur  l'estomac  ;  par  dsgrés  elle  revint  à  elle, 
se  leva,  causa...  Elle  se  fit  donner  un  siège  vis-à- 
vis  la  paralytique  et  la  magnétisa  un  gros  quart 
d'heure,  mais  la  chose  ne  réussissait  pas.  Alors, 
elle  lui  prit  tous  les  membres,  lui  secoua  toutes  les 
articulations,  avec  une  adresse  que  n'aurait  pas  eue 
le  plus  habile  garçon  de  l'Hôtel-Dieu.  La  paraly- 
tique criait,  pleurait,  souffrait  ;  enfin,  l'imagina- 
tion exaltée  opéra  son  effet,  elle  jura  qu'elle  se 
trouvait  mieux  et  se  mit  à  marcher  de  force  et 
avec  un  bras  (?).  Tous  les  regardants  furent  dans 
l'admiration  ».  Mais  l'étonnement  devint  de  la  stu- 
peur, lorsqu'on  vit  l'infirme  se  rajuster  avec  une 
espèce  de  coquetterie,  ne  faire  qu'un  bond  sur  l'ap- 
pui de  la  croisée,  et  de  là  sauter  dans  le  jardin, 
«  où  elle  se  mit  à  folâtrer  et  à  couper  des  fleurs, 
comme  une  femme  qui  avait  gagné  sa  journée.  Plu- 
sieurs autres  furent  magnétisées,  endormies,  ré- 
veillées ». 

Le  comte  Dufort  s'empressa,  une  fois  de  re'-our 
dans  sa  terre  de  Cheverny,  de  faire  construire  un 
baquet  semblable  à  ceux  de  Mesmer,  et  tous  les  boi- 
teux, paralytiques  et  autres  malades  des  bourgs  en- 
vironnants furent  invités  à  essayer  du  remède. 
Comme  l'invitation  était  accompagnée  d'un  secours 
pécuniaire,  les  habitants  des  villages  se  présentèrent 
en  foule,  mais  la  magnétisation  et  toutes  ks  sima- 
grées qui  l'accompagnaient  restèrent  sans  effet. 
C'était  la  faillite  complète  du  système  mesmérien. 

L'apôtre  de  la  rehgion  nouvelle  gardait  cependant 
ses  partisans,  qu'aucun  revers  ne  parvenait  à  décou- 
rager.  M.   de   la  Trémoille  rapporte  qu'un  de  ses 


UNE   RELIGION    NOUVELLE  83 

ancêtres  maternels  ayant  été  guéri  par  Mesmer, 
des  enthousiastes  crièrent  au  miracle.  Le  malade 
avait  passé  sept  à  huit  heures  par  jour  chez  le  médi- 
castre,  sans  en  éprouver  aucun  ennui,  parce  qu'il  n'y 
avait  aucune  drogue  à  prendre,  aucun  topique  à 
appliquer  ^3. 

Les  plus  fortunés  se  mettaient  en  pension  chez 
Mesmer  ;  à  dix  louis  par  mois,  celui-ci  ne  suffisait 
pas  aux  demandes.  D'autres  se  contentaient  d'ache- 
ter des  objets  magnétisés,  dont  la  vertu,  sans  être 
aussi  efficace  que  celle  des  baquets,  produisait  maintes 
guérisons.  Il  se  créa  toute  une  industrie  ;  on  vendait 
des  petits  baquets,  chacun  voulait  avoir  le  sien 
chez  soi,  pour  pouvoir  se  traiter  à  domicile  ;  mais 
afin  de  conserver  les  avantages  de  son  invention, 
Mesmer  se  gardait  de  dévoiler  aux  acheteurs  le  secret 
de    ses    manœuvres. 

Si  ce  secret  allait  disparaître  avec  la  mort  de  son 
inventeur,  quelle  catastrophe  pour  l'humanité  ! 
Comment  envisager  sans  effroi  une  telle  éventualité  ? 
Les  dévots  et  les  dévotes  du  nouveau  Dieu  ne  se 
Jigueraient-ils  pas  pour  conjurer  un  pareil  malheur  ? 
11  suffisait  que  l'un  d'eux  en  prît  l'initiative.  D'où 
celle-ci  partit-elle,  on  l'ignore  ;  toujours  est-il  qu'en 
peu  de  jours,  une  cabale  se  forma,  qui  comprenait 
des  personnages  de  marque,  comme  La  Fayette, 
le  prince  de  Condé,  les  ducs  de  Bourbon  et  de  Coigny  ; 
(le  grandes  dames,  comme  la  marquise  de  Coislin, 
la  duchesse  de  Villeroy,  la  princesse  de  Lamballe. 
Tous  s'engagèrent  à  user  de  leur  inffuence  auprès 
du  ministre  d'État,  pour  qu'il  donnât  à  l'empirique 
une  subvention  suffisante,  qui  lui  permît  de  se  fixer 
définitivement  à  Paris, 


>E    DE   LAMBALLE   INTIME 

M.  de  Maurepas  offrit  à  Mesmer  une  pension 
viagère  de  20.000  francs,  plus  une  somme  de 
10.000  francs  destinée  au  loyer  d'une  maison  où 
seraient  reçus  des  malades  et  formés  des  élèves. 
On  ne  doutait  pas  que  Mesmer  acceptât  avec 
empressement  d'aussi  avantageuses  propositions  ; 
c'était  le  mal  connaître.  Le  souvenir  des  obstacles 
qu'il  avait  rencontrés  au  cours  de  sa  carrière 
l'avaient  rendu  défiant.  La  vogue  dont  il  jouissait 
durerait-elle  toujours  ;  n'était-il  pas  à  craindre  qu'un 
jour  viendrait  où  la  mode  ne  s'en  mêlant  plus,  on 
en  arriverait  à  suspendre  ou  même  à  supprimer  le 
paiement  de  la  pension  qu'on  se  proposait  de  lui 
accorder  ?  N'émettait-il  pas  la  prétention  qu'on 
reconnût  officiellement  la  réalité  et  l'utilité  du 
magnétisme  avant  de  lui  offrir  une  récompense  ? 
N'aurait-il  pas  l'air,  en  agissant  autrement,  de  n'avoir 
en  vue  que  l'intérêt  pécuniaire,  qui  était  loin  de  sa 
pensée  ?  Le  ministre  ayant  refusé  d'entrer  dans 
ses  vues,  le  charlatan  annonça  qu  il  allait  quitter  la 
France  et  transporter  sa  méthode  et  ses  baquets  dan 
un  pays  plus  hospitalier. 

Des  pamphlets  furent  répanaus  en  tous  lieux, 
dépeignant  Mesmer  comme  «  un  imposteur,  un 
impudent,  un  homme  lubrique,  qui,  sous  les  ap- 
parences d'un  bienfaiteur  de  l'humanité,  ne  cher- 
che qu'à  assouvir  sa  paillardise^*  ».  On  accusait 
ouvertement  Mesmer  et  son  compère  Deslon  d'  «  abu- 
ser étrangement  de  leur  prétendu  magnétisme,  de 
tenir  école  de  libertinage,  et  tandis  qu'ils  endorment 
les  vieilles  avec  leur  art,  de  causer  aux  jolies  femmes 
des  titillations  délicieuses,  de  façon  à  s'en  faire 
prôner  et  recherchera^  ». 


UIN'E    RELIGION    NOUVELLE  85 

Des  petits  vers  coururent,  entre  autres  un  vaude- 
ville, sur  l'air  de  Changez-moi  celte  tête,  où  Ton  Lour- 


FIG.   22.   —   COURT    DE   GIBELIN 

nait  en  ridicule  le  mesmérisme  et  ses   deux  prota- 
gonistes : 

Un  tudesque  empirique 
Au  bout  d'un  doigt  magique 
Fait  naître  la  colique 
Ou  la  chasse  à  l'instant. 


86  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

Son  Don  Quichotte  ^^  assure 
Que  la  mort  en  murmure, 
Et  cite  mainte  cure, 
Dont  il  est  seul  garant. 
Changez-moi  ces  deux  têtes. 
Ces  magnétiques  têtes, 
Changez-moi  ces  deux  têtes. 
Têtes  de  charlatan  .  '~ 


Mais  s'il  y  avait  les  détracteurs,  il  est  juste  de 
reconnaître  qu'il  y  eut  ar.ssi  les  fervents,  qui  ne 
savaient  à  quel  moyen  recourir  pour  témoigner  leur 
gratitude. 

L'un  d'eux,  le  savant  auteur  du  Monde  primitif. 
Court  de  Gébelin,  guéri  d'une  longue  et  grave  mala- 
die, grâce  aux  soins  de  Mesmer,  au  lieu  du  neuvième 
tome  de  son  volumineux  ouvrage,  qu'il  devait  adres- 
ser à  ses  soucripteurs,  ne  leur  envoya  qu'une  lettre 
de  46  pages  ^^  où  il  leur  annonçait  qu'au  printemps 
précédent,  il  était  aux  portes  de  la  mort  et  n'attendait 
plus  qu'elle,  lorsqu'il  fut  rappelé  à  la  vie  par  la  ba- 
guette magique  de  son  sauveur;  ce  qui  ne  l'empêchait 
point,  quelques  mois  plus  tard,  de  mourir...  chez 
Mesmer  lui-même,  en  pleine  salle  des  crises!  Il  était 
atteint,  il  est  vrai,  d'un  mal  qui  ne  pardonne  guère  : 
un  épithélioma  de  la  lèvre  supérieure,  compliqué 
d'albuminurie  ^^ 

Uno  avulso,  non  déficit  alter.  Un  autre  malade  de 
Mesmer,  un  avocat  en  renom,  Bergasse,  proclama, 
dans  un  de  ses  écrits,  que  le  moment  était  venu 
d'acquitter  envers  Mesmer  «  la  dette  de  l'huma- 
nité 20  )), 

Suivant  les  conseils  du  banquier  de  Kornmann, 
dont  le  fils  avait  été  guéri  par  Mesmer  d'une  cécité 


UNE    RELIGIOxN    ^OUVELLE  «^7 

presque  complète,  il  lança  l'idée  d'une  souscription 
de  cent  actions,  à  cent  louis  chacune,  soit  2.400  francs 
au  taux  de  la  monnaie  du  jour,  pour  permettre 
à  Mesmer  de  vivre  dans  l'indépendance  et  de  s'oc- 
cuper uniquement  à  vulgariser  sa  découverte.  Envers 
les  souscripteurs,  l'inventeur  s'engageait  à  leur  ré- 
véler sa  méthode,  dont  ils  pourraient  disposer,  par 
la  suite,  comme  d'une  propriété  leur  appartenant. 

Il  ne  fallut  pas  plus  de  six  mois  pour  recuciUir 
plus  de  340.000  francs,  qu'avaient  versés  les  cent 
chevaliers  qui  allaient  constituer  YOrdre  de  VHar- 
wonie.  Nous  reproduisons  le  fac-similé  d'un  de  ces 
contrats,  en  vertu  duquel  Mesmer  prenait  l'engage- 
ment d'  «  instruire  dans  tous  les  principes  qui  consti- 
tuaient cette  doctrine  »  le  souscripteur,  en  l'espèce 
le  marquis  de  La  Fayette,  lequel,  de  son  côté,  pro- 
mettait de  ne  «  former  aucun  élève  »,  de  ne  «  trans- 
mettre, directement  ou  indirectement,  à  qui  que  ce 
puisse  être,  ni  tout  ni  la  moindre  partie  des  connais- 
sances relatives,  sous  quelque  point  de  vue  que  ce 
soit,  à  la  découverte  du  magnétisme  animal  »,  sans 
l'autorisation  de  Mesmer.  Il  ne  pouvait  conclure 
aucun  traité  ou  accord  avec  un  «  prince,  gouver- 
nement ou  communauté  quelconque  »,  relatif  au 
même  magnétisme  ;  instituer  «  aucun  traitement 
public,  ou  assembler  des  malades  »,  qu'il  ne  devait 
voir    et    traiter    qu'isolément    et    en    particulier. 

Un  amateur  éclairé  des  documents  du  passé,  M 
le  docteur  R.  Hélot,  nous  a  fait  connaître  ^^  un 
contrat  semblable  à  celui  que  nous  publions  et  qui, 
celui-ci,  fut  passé  entre  un  médecin  de  rilôtel- 
Dieu,  Jean-Antoine  Rouelle,  qui  avait  suivi  les 
cours  de  Mesmer,   et    ce  dernier.   Notre   confrère 


88  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

fait  justement  remarquer,  à  ce  propos,  qu'il  n*est 
pas  fait  mention,  dans  ces  engagements,  de  la  somme 
qu'avait  à  verser  le  contractant;  sans  doute  était-ce 
pour  ménager  la  délicatesse  de  celui  qui  en  était  le 
bénéficiaire,  el  pour  donner  «  une  preuve  de  confiance 
et  de  noblesse,  en  s'abandonnant  à  sa  bonne  foi  ». 

Le  contrat  ne  mentionne  pas  non  plus  cette  clause, 
que  Mesmer  avait  exigée  :  tout  élève  qui  dévoilait 
sa  doctrine  devait  lui  verser,  à  titre  de  dommages 
et  intérêts,  cinquante  mille  écus  ;  devant  l'énormité 
de  cette  prétention,  imposée  aux  douze  premiers 
souscripteurs,  ceux  qui  vinrent  ensuite  s'étant  regim- 
bes, Mesmer  voulut  bien  se  contenter  de  leur  parole 
d'honneur. 

Le  siège  de  VOrdre  de  IHarmonie  avait  été  établi 
rue  Coq-Héron,  à  l'hôtel  de  Coigny  ;  on  avait  amé- 
nagé celui-ci  sur  le  modèle  d'une  loge  maçonnique  ; 
au  fronton  du  bâtiment,  on  voyait  un  autel  ardent, 
un  ciel  étoile,  avec  la  lune  dans  son  plein,  et  la  devise  : 
Omnia  in  pondère  et  mensura  ^\ 

Parmi  les  premiers  adhérents,  figuraient  des  per- 
sonnages appartenant  à  l'élite  lie  la  nation,  entre 
autres  MM.  de  Noailles,  de  Chastellux  23,  de  Choiseul- 
Gouffier;  même  des  savants,  comme  Cabanis  et 
BerthoUet.  Ce  dernier,  après  avoir  suivi  les  cours  de 
Mesmer  avec  assiduité  pendant  deux  semaines,  quitta 
un  jour  brusquement  la  réunion  avec  éclat,  déclarant 
que  les  effets  du  magnétisme  étaient  dus  à  l'imagi- 
nation, et  que  ses  pratiques  et  ses  doctrines  étaient 
purement  chimériques.  Bans  l'intervalle,  le  coadjuteur 
de  Mesmer,  le  docteur  Deslon,  se  séparait  définiti- 
vement de  son  maître  ^'*,  après  des  brouilles  suivies 
de  raccommodements. 


UNE    RELIGION    NOUVELLE 


«0 


Deslon  logeait  rue  Vivienne,  au  n®  16.  A  rencontre 
de  Mesmer,  qui  faisait  du  magnétisme  une  exploi- 

IN  OUS  fou/Tigncs  .  Antoini  MESMER  ,  Doûcui  ci>  M^Jccinc  ,  donc  part ,   8: 


Moi  .ANTÙiNi   MESMER,  ayaiw  toujours  dt£f é  de  rcpindrc  pirmi  des  perfonncs  honnctel 
u  vcrtucufes,  la  DoAiine  (luM«(,NtTi>Mt  Aniual,jc  confcus.  &  je  m'engage  à  iaibuite 
dam  tous  les  principes  qui  conlbiuent  cette  Doilnne ,  M.    .^i-^/J eut^tAjLA.^^i'Cm-wSu^^CM. — V 
dinommj  ci-dcfTus ,  aui  coodiiions  fuivaiites  : 

1»    Il  oe  pouti»  former  aucun  Elève  ,  uanfme«re  direûement  ou  mdireflcment  ,  à  <jui  que  ce   , 
puilc  ctrc  ,  ni  tout ,  ni  la  moindre  parue  des  connoidances ,  relatives ,  fous  <]uel<]ue  point  de  vue 
que  ce  fuit  ,   à  la  découverte  du   Macnitismi  Animal,   tant  un  confcntcmcnt  pat  écue  , 
£enè  de  mob 

a*.  Il  ne  fera  ,  xw.  aucun  Prince  ,  Gouvernement,  ou  Communauté  quelton<]ue,  m  nJgociaiiOn> 
Di  traité  ,  ni  accord  d'aucune  efpccc  relatifs  au  M  acn  1 1  isME  Animai,  me  réfctvani  tiprcnii» 
tncnt  ic  ptivauvcmcm  cette  faculté 

5*  Il  ne  pourra,  fans  mon  cuiifcmement  exprès  îc  pat  écrit,  établit  aucun  Traitement  publie, 
ou  aÏÏcmbIcr  des  Malades  pour  les  uaiter  <a  commua  pat  ma  Méthode ,  lui  pcrmcttaui  feulement 
de  voit  &.  de  iiaitcr  des  Malades  en  paiticulia  ,  &  d  une  manière  ifOlOe 

4»  Il  s'tngigcra  avec  moi  par  le  ferment  facic  Dt  l'honnei;»  verbal  te.  écrit  ,  i  fc  confor- 
mei  ligoureufcment  ,  fans  reftiiélioo  aucun«  ,  aux  conditions  ci-ddTui ,  je  i  ne  faire  ,  autotifer, 
favoriict ,  diieélcmeiii  ou  indireélcment ,  dans  qudtiuc  partie  du  monde  (ju  U  habite ,  aucun  Etablif- 
feiTKni ,  (ans  mon  aiiaLlic  formelle. 

Et  mot ,  ^Jouruix 
d^iwnimé  ci-dtrtus .  confidéiant  que  U  DoélrtKc  du  M acnî r iSM ï  Animai  eft  la  propriété  de 
M.  M  L  S  M  E  R  fon  Auteur  ,  *'  quil  n'appartient  qua  lui  de  déterminer  les  conditions  auxqucllel 
Il  confeni  de  la  propager  .  )  accepte  en  totalité  les  conditions  énoncées  au  préfcnt  AClc  ,  &  j'engage 
pai  éciit ,  (omme  je  i  aï  lait  veibaicment ,  ma  parole  d  honneur  ta  plus  ûcréc  d'en  obfavei- la 
teneur   de  boniK-foi ,  avec  l'eiaéhtude  la  plus  Icrupuleufc. 

f  A4»  DOi^  «Il  entie  nous  librement ,  fous  nos  feings,  avec  prome/fe  de  ratifier  par-devaot  Isfo» 
tar:  .  à  la   première   téquifition  d  une  des  dcuj  Parues ,   aux  fiais  du    requéiam.    A   Paris, 


FIG.  23.  —  CONTRAT  DE  MEdMEH  AVEC  LAFAYF.TTB 


la  Lion  el  une  spéculation,  son  disciple  s'y  était 
adonné  par  conviction  et  par  dévouement  à  ses  sem- 
blables. 


90  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

Natif  des  Vosges,  où  sa  famille  était  établie, 
Deslon  avait  été  reçu  docteur  à  Besançon.  Après 
avoir  terminé  ses  études  en  province,  il  était  venu 
suivre  des  cours  à  Paris,  notamment  ceux  d'Antoine 
Petit.  Un  jour  que  ce  savant  anatomiste  soutenait, 
devant  ses  élèves,  que  la  plus  grande  jouissance  du 
monde  était  d'être  pendu,  M.  Deslon,  que  Petit 
affectionnait  particulièrement,  lui  dit  :  «Mais,  mon 
cher  maître,  vous  qui  êtes  si  loin  d'être  l'ennemi  des 
plaisirs,  comment  ne  vous  êtes-vous  pas  encore 
procuré  celui-là  ?  —  Mon  ami,  lui  répondit  Petit, 
c'est  que  je  le  garde  pour  la  bonne  bouche.  » 

Deslon  avait  des  prétentions  nobiliaires;  il  se 
vantait  de  descendre  des  Dillon  et  d'appartenir  à 
une  famille  de  gentilshommes  :  d'où  la  particule 
qui  précède  parfois  son  nom.  Il  avait,  «  avec  une 
belle  figure,  une  taille  superbe,  et  autant  de  noblesse 
que  de  grâce  dans  le  ton  et  les  manières...  beaucoup 
d'esprit,  beaucoup  d'instruction,  beaucoup  de  carac- 
tère ».  C'était,  de  tous  les  magnétiseurs,  «  le  plus 
célèbre  et  le  plus  consciencieux  -5  ». 

Autour  de  ses  baquets,  se  trouvaient  toujours 
réunies  trente  ou  quarante  personnes,  appartenant 
presque  toutes  à  la  haute  société.  Là,  se  rencontraient, 
de  midi  à  4  heures  et  de  7  heures  du  soir  à  1 1  heures, 
des  hommes  et  des  dames  plus  ou  moins  titrés,  et 
beaucoup  de  gens  d'esprit  :  les  princes  deBeauffremont 
et  d'Henin,  le  comte  de  Solms  et  le  vicomte  de  Bour- 
sac,  la  vicomtesse  de  Choiseul  et  la  comtesse  de 
Brassac.  Celle-ci,  de  peur  de  manquer  une  séance, 
se  rendait  parfois  au  baquet  au  retour  de  Versailles, 
en  grand  habit  de  cour  2^. 

On  voyait  chez  Deslon  la  présidente  de  Bonne- 


UNE    RELIGION    NOUVELLE 


91 


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N. 


92  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME     . 

ville,  à  laquelle  on  était  sûr  de  déplaire  en  la  con- 
fondant avec  sa  presque  homonyme,  Madame  de 
Bonneuil,  une  des  «  berceuses  »  du  banquier  Beau- 
jon  ;  beaucoup  d'étrangers  et  surtout  d'étrangères  : 
des  Irlandaises,  des'  créoles  de  Saint-Domingue,  s'y 
montraient  assidues.  C'était  une  école  de  bon  ton 
et  de  belles  manières. 

Quiconque  en  avait  le  désir  pouvait  apprendre 
à  magnétiser,  sous  la  direction  d'un  médecin  et  chi- 
rurgien, nommé  Galland,  qui  venait  tous  les  matins 
l'aire  sa  visite.  La  consultation  terminée,  le  «galant» 
docteur  donnait  des  leçons  élémentaires  d'anatomie 
à  qui  voulait  les  suivre,  enseignait  à  examiner  un 
malade,  indiquait  les  moyens  de  le  calmer  s'il 
avait  des  spasmes,  ou  de  combattre  son  atonie  s'il 
manifestait  de  la  faiblesse  nerveuse.  Sagement  il  pro- 
fessait que  le  magnétisme  ne  suffisait  pas  seul  à  faire 
disparaître  le  mal,  mais  qu'il  était  le  meilleur 
agent  curatif,  les  remèdes  ordinaires  ne  devant 
être  considérés  que  comme  ses  auxiliaires.  Deslon 
partageait  le  même  sentiment,  définissant  le  ma- 
gnétisme «  l'action  de  la  volonté  sur  la  matière 
animée  ». 

Ses  contemporains  semblent  généralement  avoir 
tenu  en  plus  haute  estime  Deslon  que  son  maître. 
M.  de  Montjoie,  qu'avait  pourtant  guéri  Mesmer, 
déclarait  que  la  méthode  de  «  ce  charlatan  »  n'était 
qu'un  «  galimatias,  digne  des  livres  cabalistiques  », 
et  qu'on  se  croyait  «  revenu  aux  temps  barbares 
de  l'astrologie  judiciaire  ^^  »,  Mais  cette  protes- 
tation isolée  ne  trouva  pas  d'écho. 

C'était  devenu  plus  qu'une  mode,  une  fureur;  tout 
le  monde  s'en  mêlait  '  hommes,  femmes  et  enfants. 


UNE    RELIGION   NOUVELLE  98 

Un  professeur  de  physique  d'Amiens  enseignait 
''xt  art  à  ses  écoliers,  qui  s'en  amusaient  ;  une  femme 
vaporeuse,  après  avoir  été  longtemps  entre  les  mains 
d'un  docteur  de  la  nouvelle  secte,  lui  avait  dérobé  son 
secret  et  tenait  école  de  magnétisme  chez  elle  ;  un 
Augustin,  prédicateur  en  renom,  le  père  Hervier, 
non  content  de  guérir  les  âmes,  s'ingéra  de  guérir 
les  corps  ^^  <  il  avait,  sur  le  bénéfice  de  ses  sermons, 
prélevé  la  somme  nécessaire  pour  acheter  la  recette 
de  ]\K'snier,  et  appelé  à  Bordeaux  pour  la  station  du 
carême,  il  remplit  son  second  apostolat  en  propageant 
de  son  mieux  le  système  en  vogue  ^9. 

Des  hôpitaux  électriques  s'étaient  fondés,  tel  celui 
de  Ledru,  l'ancêtre  de  Ledru-Rollin.  Ledru-Comus 
fut  un  des  premiers  qui  ait  appliqué,  empiriquement, 
l'électricité  au  traitement  des  maladies  ;  mais  on 
dira  de  Ledru  ce  qu'on  avait  dit  de  Mesmer  et  de 
Deslon,  que  les  cures  qu'ils  opéraient  devaient  être 
attribuées,  plutôt  qu'à  leur  art,  «  au  temps,  à  la 
nature,  aux  circonstances  et  aux  remèdes  connus 
dont  ils  font  usage  aussi  ». 

Entre  temps,  le  gouvernement,  ne  voulant  pas 
paraître  se  désintéresser  d'une  médication  dont  tant 
de  malades  prétendaient  se  bien  trouver,  nommait 
une  commission,  composée  de  quatre  membres  de 
la  Faculté  et  cinq  de  l'Académie  des  sciences.  Plus 
tard,  une  autre  commission  fut  prise  au  sein  de  la 
Société  royale  de  médecine.  Ces  commissions  étaient 
chargées  de  suivre  les  traitements  du  docteur  Des- 
lon 3°,  et  d'en  rendre  compte  à  S.  M. 

On  remarquera  qu'il  n'est  plus  question  de  Mes- 
mer, avec  lequel  la  science  ofTicielle  dédaigne  de  se 
commettre.   A   l'exception   du   naturaliste  de  Jus- 


94  LA.    PRINCESSE   DE    LAMBALLE    INTIME 

sieu  3ï,  la  commission,  après  diverses  expériences 
chez  Franklin,  à  Passy,  concluait  que  «  rien  ne  prouve 
l'existence  du  fluide  magnétique  animal  ;  que  ce 
fluide  sans  existence  est,  par  conséquent,  saris  uti- 
lité ;  que  les  violents  elTets  qu'on  observe  au  traite- 
ment public  appartiennent  à  l'attouchement,  à 
l'imagination  mise  en  action,  et  à  cette  imitation 
machinale  qui  nous  porte  malgré  nous  à  répéter  ce 
qui  frappe  nos  sens  ».  La  commission  mettait 
les  malades  en  garde  contre  un  agent  dont  le 
maniement  n'était  pas  sans  danger,  les  attouche- 
ments étant  susceptibles  de  produire  des  crises  nui- 
sibles. Le  spectacle  même  de  ces  crises  était  reconnu 
dangereux  :  «  par  conséquent,  tout  traitement  public 
oii  les  moyens  de  magnétisme  sont  employés  ne 
peut  avoir  à  la  longue  que  des  effets  funestes  ». 

Lorsqu'on  sait  que  cette  commission  comptait 
au  nombre  de  ses  membres  des  savants  d'une  auto- 
rité et  d'une  loyauté  indiscutables,  comme  Bailly, 
d'Arcet,  Lavoisier,  Guillotin,  on  ne  peut  que  sous- 
crire aux  conclusions  d'un  de  nos  neurologues,  élevé 
à  l'école  de  Charcot,  lorsqu'il  proclame  que  le  rap- 
port de  1784  est  «  une  œuvre  scientifique  de  premier 
ordre,  qui  mérite  encore  d'être  consultée  aujourd'hui, 
par  ceux  qui  s'intéressent  à  l'hypnotisme  et  aux 
maladies  du  système  nerveux». 

Frappé  d'ostracisme  par  la  science  oflicielle,  aban- 
donné par  un  grand  nombre  de  ses  disciples,  Mesmer, 
copieusement  chansonné  32  et  caricaturé,  finit  par 
sombrer  sous  le  ridicule. 

Le  16  novembre  1784,  eut  lieu  la  première  re- 
présentation, par  les  comédiens  italiens  ordinaires 
du  Roi,  d'une  comédie-parade  en  un  acte,  intitulée  : 


AmOIN^  LAXmHNT  LA^'PîSJiaii 


FIG.  25.   —    LAVOISIER 


gô  LA    PRINCESSE   DE    LAMBALLE    INTIME 

les  Docteurs  modernes  33.  Tout  Paris  alla  voir  et 
applaudir  cette  satire  contre  le  mesmérisme,  où  l'on 
relève  des  couplets  comme  le  suivant.  Cassandre 
(Mesmer)  répond  à  son  domestique  Pierrot  : 

Mon  enfant,  conçois  mon  dessein  : 
Peu  m'importe  que  l'on  m'affiche 
Partout  pour  pauvre  médecin, 
Si  je  deviens  médecin  riche... 

A  la  fm  de  la  pièce,  comme  le  public  demandait 
à  grands  cris  le  nom  de  l'auteur  (Radet),  le  régis- 
seur s'avança  vers  la  rampe  et  dit  :  a  Messieurs,  j'ai 
eu  l'honneur  de  vous  annoncer  que  l'auteur  était 
dans  la  salle  des  crises  ;  vos  bontés  l'en  ont  fait 
partir  et  nous  ne  savons  pas  ce  qu'il  est  devenu  ^♦.  » 

Mesmer  avait  fait  comme  l'auteur,  mais  pour  un 
autre  motif  :  il  avait  pris  la  fuite  et  s'était  réfugié 
en  Angleterre  35,  après  avoir  ^ vendu  sa  clientèle  à 
un  médecin  du  duc  d'Orléans,  M.  de  la  Motte.  Il  ne 
paraît  pas  avoir  réussi  chez  les  insulaires,  car  il 
s'empressa  de  quitter  le  sol  britannique,  pour  aller 
fonder  une  clinique  à  Berlin.  Il  serait  revenu  en 
France  en  1793  et  aurait  été  témoin  de  l'agonie  et 
du  supplice,  au  Champ-de-Mars  3^,  de  l'ancien  maire 
de  Paris,  Bailly,  un  des  signataires  du  rapport  contre 
le  magnétisme. 

On  retrouve  ensuite  Mesmer  en  Italie,  puis  à 
Vienne  en  Autriche,  d'où  il  fut  expulsé  à  la  suite 
d'aventures  scandaleuses. 

Il  demanda  dès  lors  asile  à  la  Suisse,  et  sollicita 
du  gouvernement  fédéral  «  une  place  de  médecin 
dans  une  ville  de  la  République,  où  il   existe   un 


UNE    RELIGION    NOUVELLE 


97 


hôpital,  qui  lui  sera  confié,  en  attendant  qu'il 
plaise  au  gouvernement  d'agréer  ses  connaissances 
et  ses  services,  qu'il  se  propose  de  lui  offrir  pour 
le  perfectionnement  de  l'art  de  guérir  37  »,  Sq  ye- 
quête  resta  sans  réponse,  de  même  que  la  pétition 
qu'il  avait  adressée  au  ministre  de  l'Intérieur  de 
France,  le  3  nivôse  an  VII,  et  dans  laquelle  il  deman- 
dait la  nomination  d'un  jury  pour  examiner  sa  doc- 
trine, promettant,  s'il  était  fait  droit  à  sa  demande, 
de  «  professer  le  magnétisme  en  faveur  des  élèves  en 
médecine  et  de  leur  en  enseigner  la  pratique  clinique». 
Retombé  dans  l'oubli,  Mesmer  se  retira  à  Meers- 
bourg,  sur  le  lac  de  Constance,  non  loin  du  village 
d'Iznang,   qui  l'avait   vu    naître. 

Sa  doctrine  ne  paraît  pas  avoir  rencontré  autant 
d'adeptes  en  Allemagne  qu'en  France,  du  moins  si 
l'on  s'en  rapporte  à  la  lettré  qu'il  écrivait,  le  15 
février  1805,  à  une  dame  Cardon,  de  Versailles,  et 
dont  ce  fragment  nous  a  été  conserv  33  ;  «  N'ayant 
d'autre  occupation  que  de  soigner  ma  santé,  je  ne 
suis  sorti  de  chez  moi  depuis  deux  mois.  Absolument 
seul  ici  dans  mon  genre,  je  vis  inconnu  et  méconnu 
de  toute  la  nation  allemande  :  pensez  quelle  société  I 
Je  n'ai  pas  encore  eu  l'occasion  de  parler  de  mes 
découvertes  et  de  mes  connaissances.  » 

Mesmer  succomba  en  1815,  âgé  de  plus  de  80  ans  39, 
après  avoir  fourni  un  des  chapitres  les  plus  acci- 
dentés à  l'histoire  de  la  crédulité  humaine. 


NOTES  DU  CHAPITRE  V 


1.  Et  non  en  1775,  comme  l'a  imprimé  Chereau  (Éphémé- 
rides  médicales,  de  VUnlon  médicale). 

2.  Le  magnétisme  en  images,  par  Henry  Meige  {Nouvelle 
Iconographie  de  la  Salpêtrière,  1889). 

3.  EaNEST  d'Hauterive,  le  Merveilleux  au  XVIII'  siècle.  Paris 
s.d. 

4.  Mémoires  secrets,  etc.  (de  Bachaumont).  A  Londres,  1781, 
t.  XV,  Il  janvier  1780. 

5.  Réponse  d'un  médecin  de  Paris  à  un  médecin  de  pro- 
vince, sur  le  prétendu  magnétisme  animal  de  M.  Mesmer 
(Mém.  secrets,  I.  c,  227;  13  juillet  1780). 

G.  Mémoires  secrets,  7  octobre  1780. 

7.  Id.,  9  octobre  1780. 

8.  Id.,  13  octobre  1780. 

9.  Notice  biographique  sur  Mesmer  (La  vérité  du  magné- 
tisme prouvée  par  les  faits.  Paris,  1829). 

10.  Chant  II,  t.  VIII  des  Œuvres;  Paris,  1833,  65  et  s. 

11.  Comte  Ducos,  la  Mère  du  duc  d'Enghien  (1750-1822).  Paris, 
1900. 

12.  Mémoires  sur  les  règnes  de  Louis  XV  et  Louis  XVI  et  sur  la 
Révolution  (Paris,  Pion,  1886),  t.  II,  chap.  xvi  et  suiv. 

13.  Mon  grand-père  à  la  cour  de  Louis  XV  et  à  celle  de  Louis  XVI; 
Nouvelles  à  la  main,  par  Louis  de  la  Trémoille,  membre  de 
l'Institut.  Paris,  1904. 

14.  Mém.  secrets,  13  septembre  1781. 
15. /d.,  t.  XXIII,  21  juin  1783. 

16.  Le  docteur  Deslon. 

17.  Mém.  secrets,  t.  XXIII,  1"  juillet  1783. 

18.  Id.,  t.  c,  1*'  septembre  1783. 

19.  Cf.  Bulletin  de  la  Soc.  franc.  d'IIist.  de  la  médecine,  t.  V 
n"  2-3  (1906 j,  228-230. 

20.  Considérations  sur  le  magnétisme  animal,  ou  sur  la  théorie  da 
monde  et  des  êtres  organisés  d'après  les  principes  de  Mesmer.  A  La 
Hâve,  1784. 


UNE    RELIGION    NOUVELLE  99 

21.  V.  la  Revue  médicale  de  Normandie,  loc.  cit.  (art.  du  doc- 
teur R.  HtiLOT). 

22.  J)octeur  Eugène  Louis,  les  Origines  de  la  doctrine  du  ma- 
gnélisme  animal  ;  Mesmer  et  la  Société  de  l'Harmonie.  Paris,  1899. 

23.  Souvenirs  du  baron  de  Frénilly,  par  Authlr  Chuquet 
(1908). 

24.  Mém.  secrets,  14  janvier  1784. 

25.  Mémoires  du  général  baron  Thiébaut,  t.  I  (1894),  98. 

26.  Op.  cit.,  87. 

27.  Mém.  secrets,  19  févr.  1784. 

28.  Id.y  25  oct.  1784.  (On  peut  lire  dans  ce  recueil  la  cu- 
rieuse lettre  du  P.  Ilervier  aux  Bordelais.) 

29.  Id.,  9  avril  1784. 

30.  Sur  les  démélésde  Deslom  avec  Mesmeh,  v.  les  Mémoires 
rcrets,  t.  XXVI   (1784). 

31.  Mém.  secrets,  11  décembre  1784. 

32.  Jd.,  17  janvier  et  27  avril  1785. 

33.  Id.,  t.  XXVII,  17.  24  et  30  novembre  ;  7  et  2G  décembre 
1784. 

M.  Éphémérides  du  docteur  Chereau,  16  novembre  1784. 

35.  Auparavant,  il  avait  fait  un  voyage  dans  le  sud-ost  de 
la  France,  notamment  à  Grenoble  et  à  Lyon,  où  il  avait  reçu 
un  accueil  triomphal.  La  roue  avait  tourné  depuis  ! 

3<>.  Ce  détail  a  été  confié,  par  un  certain  docteur  Aubry, 
ami  particulier  de  Mesmer,  au  docteur  loissac,  qui  l'a  re- 
laté (V.  la  note  1  de  la  page  226  de  Rapports  et  Discussions  de 
L  Académie  royale  de  médecine  sur  le  magnétisme  animal,  recueil- 
lis par  un  sténographe,  et  publiés  avec  des  notes  <'\|  !i(  a- 
tives,  par  M.  P.  Fuissac.  Paris,  1833). 

37.  Le  Manuscrit,  2*  année,  n°  10  :  une  note  inédile  de 
Mosraer. 

38.  Feuilles  d'histoire  (directeur  :  Authuu  Ciilquet),  1913  ,t.  I, 
-'.S  2. 

39.  Encore  prétendait-il  qu'il  eût  vécu  dix  ans  de  plus  sans 
ime  saignée  malencontreuse  qu  on  lui  avait  faite  dans  sa 
jeunesse. 


CHAPITRE    VI 


LA    MALADIE   ET   LA    MORT   DU   PRINCE    DE   LAMBALLE 


Au  temps  où  la  vogue  de  Mesmer  battait  son 
plein,  où  malgré  de  cruels  mécomptes  %  les 
adeptes  de  ses  doctrines  se  comptaient  encore  par 
milliers,  un  des  plus  zélés  disciples  du  charlatan, 
celui  que  nous  avons  nommé  son  coadjuteur,  le 
docteur  Deslon,  recevait  un  jour  la  visite  de  deux 
dames,  qui  avaient  tenu  à  s'offrir  le  spectacle  des 
malheureuses,  contorsionnées  par  l'hystérie,  qui  se 
pressaient  autour  du  baquet  mystérieux.  Le  publi- 
ciste  qui  rend  compte  de  cette  visite  ^  enregistre 
que  «  les  femmes  surtout  ont  été  scandalisées  d'une 
semblable  curiosité,  car  ce  sont  elles  qui  éprouvent 
les  plus  singulières  convulsions,  tenant  beaucoup 
des  extases  du  plaisir  ;  aussi  sont-elles  les  plus 
ardentes  à  prôner  le  mesmérisme  ».  Les  deux  dames 
n'étaient  autres  que  la  princesse  de  Lamballe  et 
une  personne  de  sa  suite. 

Madame  de  Lamballe  était-elle  mue  par  une  de 
ces  curiosités  malsaines  dont  on  l'a  parfois  accusée, 
comme  lorsqu'elle  s'était  présentée  à  la  Salpêtrière, 


» 


lie.    2<»,    —    LA     ll:iM   I   --1      m.    I.AMIIAM 

.Mi.  ,.  ,    ,|.     \I,  1/,) 


I02  LA    PlUNGESSE    DE    LAMBALLE    IMIMr: 

pour  y  voir  de  près  les  filles  qui  y  étaJent  eiiferinées  ? 
On  a  relaté  que,  devant  leur  relus  d'accueillir  la  visi- 
teuse, celle-ci  s'était  attirée,  de  la  religieuse  préposée 
à  la  surveillance  des  détenues,  cette  réponse  bles- 
sante, qu'elles  n'étaient  pas  «  condamnées  »  à  la 
recevoir  ^.  En  réalité,  la  princesse  de  Laniballe 
était  une  névropathe,  dont  le  mal  remontait  à  l'en 
fancc,  puisqu'elle  se  plaignait  déjà,  dès  son  plus  jeune 
âge,  d'être  tourmentée  par  de  violentes  céphalées 
qui  ne  diminuèrent  qu'à  la  puberté. 

Ceux  qui  la  soignaient  lui  avaient  laissé  espérer 
que  le  mariage  dissiperait  ces  malaises,  il  ne  fit 
que  les  aggraver. 

Marie-Thérèse-Louise  de  Savoie-Carignan  n'avait 
pas  atteint  sa  seizième  année,  lorsqu'on  l'unit  au 
fils  unique  du  duc  de  Penthièvre,  le  prince  de 
Lamballe,  âgé  à  peine  d'un  an  de  plus  que  sa 
jeune   épouse. 

Nous  passons  sur  les  cérémonies  du  mariage, 
qui  furent  célébrées  avec  la  solennité  habituelle. 
Nous  n'c«  retenons  qu'un  détail,  dont  l'archaïsme 
ne  manque  pas  de  pittoresque  :  après  que  le  grand 
aumônier  du  Roi,  chargé  d'unir  le  couple  princier, 
eut  prononcé  l'allocution  d'usage  et  donné  sa  bé- 
nédiction, les  nouveaux  mariés  passèrent  dans 
l'appartement  de  la  reine,  où,  pour  sacrifier  à 
l'étiquette,  «  la  jeune  princesse  s'étendit  sur  un  lit 
de  parade  auprès  du  prince  de  Carignan,  son  frère, 
dont,  suivant  l'usage,  une  jambe  était  déchaussée, 
et  ('autre  avait  encore  la  botte  et  l'éperon  ^  ». 

Louis-Stanislas  de  Bourbon  nous  est  dépeint, 
comme  «  régulièrement  bien  fait,  grand  et  robuste...  » 
Particularité  physiologique  qui  a  son  importance, 


FIG.   27.    —  LA 
Au  milieu,  la  princesse  de  Lamballe,  entre  son  mari  et  la  duchesse  de 

(D'après  la  peinture  de  van  L< 


l!ON-PENTIIIEVRK 

f  Kd-ur  ;  îi  Kauchc  du  tableau,  le  duc  de  l»enthi 
«niniuniqut-e  par  le  D'  Valcaiiii'). 


(Iroito,  lu  duchesie 


MALADIE    ET    MORT    DU    PRINCE    DE    LAMBALLE       IO7 

il  avait  les  yeux  vairons  ;  «  ses  deux  yeux  n'étaient 
pas  de  la  même  couleur,  ce  qui  donnait  à  &a  physio- 
nomie quelque  chose  d'incompréhensible  »  (étrange 
serait  une  expression  plus  juste)  ;  du  reste,  ajoute 
le  portraitiste  s,  «  il  était  aussi  bien  qu'il  est  [)os- 
sible  de  l'être,  avec  ses  cheveux  roux  ^  ». 

D'aucuns  lui  reconnaissent  «  du  jugement,  de 
l'instruction,  de  l'esprit  »  ;  mais  nous  savons,  d'autre 
source,  qu'il  se  plaisait  à  des  puérilités  ^  ;  que  la 
chasse  était  sa  principale  occupation  ^. 

Lorsque  le  prince  annonça  que  «  le  désir  qu'il 
avait  d'élever  une  petite  meute  pour  courir  le  che- 
vreuil, était  totalement  passé  9  »,  son  père, 
le  vertueux  duc  de  Penthièvre,  considéra  cette 
transformation  dans  les  habitudes  de  son  fils,  comme 
une  <(  résurrection  morale  ^°  ».  Ces  bonnes  disposi- 
tions n'allaient  pas  longtemps  durer. 

On  avait  conservé  l'espoir  que  le  mariage  avec 
une  princesse  aimable,  douce,  pourvue  de  toutes 
les  séductions  du  corps  ",  à  défaut  de  celles  de 
l'esprit  '%  dont  elle  n'était  que  médiocrement  douée, 
retiendrait  dans  le  devoir  cet  écervelé  ^^  qui,  jus- 
qu'alors, avait  mené  une  vie  de  dissipation,  comme 
la  plupart  des  seigneurs  de  son  âge  et  de  son  temps. 
On  chuchotait  hieq  qu'il  avait  contracté  une  union 
secrète  avec  une  personne  qui  n'était  pas  de  son 
rang,  une  paysanne  dont  il  avait  eu  les  prémices, 
mais  à  ers  racontars  '^  il  convient  de  n'accorder 
qu'une  créance  relative. 

Fallait-il  ajouter  davantage  foi  aux  bruits  qui  com- 
mençaient à  ci/culer  dans  Paris,  et  dont  les  indis- 
crets gazcliers  ne  manquèrent  pas  de 'se  faire  les 
propagateurs  ?  Il  n'y  avait  pas  cinq  mois  que  le 


io8  uA  pRiNcr:ssE  de  lamballe  intime 

mariage  avait  eu  lieu,  qu'on  annonçait  que  le 
pctit-fils  du  comte  de  Toulouse  avait  pour  maî- 
tresse une  actrice  de  la  Comédie-Française,  Made- 
moiselle de  la  Cliassaigne  ^\  honorée  des  laveurs 
princièrcs,  bien  qu'elle  fût  «  peu  jolie  et  d'un  talent 
très  médiocre  ». 

Quelques  mois  plus  tard,  on  parlait  de  la  fuite 
précipitée  d'une  courtisane  '^  connue  sous  le  nom 
de  Mademoiselle  de  la  Forest,  «  recommandable 
par  l'excès  de  son  art  et  le  rafllnement  de  son  art 
dans  les  voluptés  ».  Dans  une  heure  de  fol  enivre- 
ment, le  prince  lui  avait  fait  cadeau  des  diamants 
qu'il  avait  dérobés  à  sa  femme  ;  ils  furent  plus 
tard  rapportés  au  duc  de  Penthièvre  ^^^  par  celle 
qui  les  avait  reçus  du  prince. 

Des  rapports  de  police  ^^  parlent  d'autres  créa- 
tures de  la  même  espèce,  qui  avaient  capté  les 
bonnes  grâces  du  prince  de  Lamballe,  notamment 
une  demoiselle  Grand,  figurante  dans  les  ballets  de 
l'Opéra,  qui  lui  avait  soutiré  la  valeur  d'au  moins 
mille  louis,  «  soit  en  diamants,  argent  comptant 
ou  autres  nippes  ».  L'agent  Marais,  qui  avait  dans 
ses  attributions  la  surveillance  des  princes  du  sang, 
signale  encore  une  demoiselle  David,  «  figurante 
aussi  dans  les  ballets  de  l'Opéra  ».  Cette  fille,  con- 
signe-t-il  dans  son  rapport,  «  est  jolie  et  séduisante. 
M.  le  duc  de  Chartres  ci-devant  en  a  été  un  peu 
entiché  et  payait  alors  les  plaisirs  de  M.  le  cheva- 
lier de  Coigny,  qui  s'était  chargé  de  la  maniérer. 
On  la  dit  peu  intéressée...  mais  je  doute  fort  que 
M.  de  Lamballe  ait  trouvé  la  route  de  son  cœur, 
car,  tout  prince  iiu'il  est,  il  est  fort  éloigné  des 
grâces  du  chevalier  de  Coigny  ». 


28.    —   L.   p.   d'OHLKANS,   duc    I>E   <  Iim;ii!|  s 


110  LA    PRINCESSi:    DE    LAMBALLE    INTIME 

On  a  prétendu  que  le  duc  de  Chartres  s'était 
employé,  plus  que  quiconque,  à  débaucher  le  prince 
de  Lamballe.  Celui-ci  assista  souvent,  en  effet,  aux 
soupers  du  jardin  de  Mousseaux  en  assez  mauvaise 
compagnie,  et  on  l'en  avait  parfois  ramené  en  assez 
piteux  état.  On  a  été  jusqu'à  prétendre  «  qu'on 
avait  mélangé  quelque  drogue  cyprine^^  »^  ou  quelque 
mixture  de  spiritueux,  dans  la  boisson  servie  au 
convive  princier,  pour  l'engager  dans  une  funeste 
liaison.  La  vérité  est  que  le  prince  de  Lamballe 
n'avait  eu  besoin  ni  de  l'exemple,  ni  des  conseils 
de  son  beau-frère,  pour  courir,  au-devant  de  sa 
perte  20.  Il  la  dut,  suivant  l'expression  du  policier 
qui  notait  ses  agissements,  «  aux  belles  connaissances 
que  lui  avaient  procurées  M.  de  Duras  »  et  ses  autres 
compagnons  de  •  débauche. 

Le  jeune  prince  n'avait  pas  attendu  les  leçons  du 
duc  de  Chartres,  pour  continuer  à  voir  «  la  demoi- 
selle de  La  Cour,-  entretenue  par  M.  Magon  de  la 
Balme,  qui  demeure  à  la  porte  Saint-Honoré  »; 
encore  n'était-ce  qu'une  feinte  «  pour  mieux  cacher 
une  intrigue,  qui  paraît  bien  plus  sérieuse,  avec  la 
demoiselle  Dubois,  actrice  à  la  Comédie-Française, 
et  dont  cependant  bien  du  monde  est  déjà  instruit  )>. 
Et  l'auteur  de  la  relation,  qui  ne  manque  pas,  comme 
la  plupart  de  ses  collègues,  d'un  certain  sens  psy- 
chologique, ajoute  que  «  cette  demoiselle  le  mènera 
loin  du  côté  de  la  dépense;  mais  il  est  fait  pour  cela 
et  n'en  paraît  pas  plus  aimé  )>. 

Cette  dernière  liaison  devait  lui  être  fatale. .  La 
Dubois  était  connue  pour  ses  dépravations,  et  ses 
adorateurs,  suivant  un  mot  resté  célèbr-e,  achetaient 
souvent    fort    cher    un     repentir.     Il     était     aisé 


MALADIE    ET    MORT    DU    PRINCE    DE    LAMBALLE       111 

de    prévoir    l'issue    de    cette    vie     de     débauche. 

La  princesse  n'avait  pas  été  sans  apprendre  les 
infidélités  réitérées  de  son  mari  ;  c'était  la  fable  de 
la  Cour  comme  de  la  ville.  Elle  en  conçut  un  violent 
dépit  et  tomba  dans  une  mélancolie  profonde  ;  il 
vintbientôt  s'y  ajouter  des  vapeurs  convulsives,  pour 
1  ^squelles  on  eut  recours  à  tous  les  médecins  à  la 
mode.  Mais  la  science  restait  impuissante  devant  les 
manifestations  d'un  nervosisme  dont  la  cause  lui 
échappait.  La  malade  se  mit  alors  entre  les  mains 
d'un  charlatan,  un  nommé  Pittard,  qui  se  vantait 
de  guérir  ces  sortes  de  maux  en  appliquant  des 
emplâtres  sur  le  nombril  ^i!  Plusieurs  femmes  de 
la  Cour  en  avaient  essayé;  la  princesse,  cédant  aux 
instances  de  la  duchesse  de  Mazarin,  finit  par  con- 
sentir à  en  faire  à  son  tour  l'essai. 

Pendant  ce  temps,  le  prince  dépérissait  à  vue 
d'œil,  malgré  les  régimes  qu'on  lui  avait  prescrits  22. 
Hicn  ne  le  corrigeait  et  il  continuait  à  mener  l'exis- 
tence de  désordres  qui  l'avait  mis  dans  le  fâcheux 
état  où  il  se  trouvait. 

Un  jour,  on  apprend  qu'il  a  quitté  l'hôtel  de 
Toulouse  sans  prévenir  personne;  le  duc  de  Pen- 
thièvre  le  fait  rechercher,  on  finit  par  le  trouver 
dans  un  hôtel  garni,  «  où  il  se  faisait  traiter  de  la 
cruelle  maladie,  suite  funeste  d'une  galanterie  trop 
hasardée  ^3.  On  le  dit  dans  l'état  le  plus  déplorable, 
et  l'on  ajoute  que  peut-être  sera-t-il  étrangement 
mutilé  24  »,  Trois  mois  plus  tard,  son  état  s'est 
aggravé,  «  parce  qu'il  s'est  blessé  à  cheval  »,  et  on 
parle  de  lui  faire  subir  une  opération  ^.  Malgré 
cette  rude  leçon,  il  ne  put  vaincre  sa  passion  pour  le 
Ixau  sexe;  il  conserva  auprès  de  lui  la  demoiselle 


112  LA    PRINCKSSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

La  Cour,  dont  il  a  été  question  plus  haut,  et  qu'on 
avait  surnommée  Palais  d'or,  parce  qu'elle  avait 
perdu  le  palais  à  la  suite  d'une  maladie  vénérienne, 
et  qu'il  avait  fallu  lui  en  faire  un  artificiel,  en  or  ^^. 

Un  mois  après,  les  nouvelles  sont  plus  alar- 
mantes. «  M.  le  prince  de  Lamballe  est  absolument 
sans  espérance  et  ne  subsiste  que  par  la  fièvre.  Les 
princesses  n'entrent  plus  dans  son  appartement... 
Il  succombe  sous  les  remèdes  dont  on  l'a  accablé.  » 
De  la  nature  des  remèdes  il  est  aisé  d'induire  la  na- 
ture de  la  maladie  :  «  on  lui  a  administré  sept  livres 
de  mercure,  sans  compter  les  dragées  (mercurielles) 
de  Keyscr,  et  autres  ingrédients  de  charlatans, 
auxquels  Son  Altesse  s'était  livrée  d'abord  ».  Le 
prince  «  tombait  dans  un  assoupissement  léthargi- 
que »  (le  coma)  ^7,  et  il  ne  tardait  pas  à  succomber, 
à  Luciennes  (Louveciennes),  le  6  mai  (1768),  entouré 
de  ses  proches,  consternés  par  une  mort  aussi  pré- 
maturée. Il  avait  20  ans  et  8  mois. 

Son  corps  fut  transporté  à  Rambouillet,  lieu  de 
sépulture  de  sa  famille  ;  la  Cour  prit  le  deuil  pour 
dix  jours  seulement,  conte  un  chroniqueur  du  temps. 

Son  convoi  ne  fut  composé  que  de  100  pauvres, 
d'un  nombre  de  valets  de  pied  portant  des  flam- 
beaux et  de  3  carrosses  à  6  chevaux.  M.  de  Marbeuf, 
l'un  des  gentilshommes  du  prince,  qu'il  déclara  avoir 
provoqué  et  favorisé  son  dérangement,  fut  ignomi- 
nieusement chassé  de  l'hôtel  et  le  chirurgien  qui 
l'avait  traité  de  la  maladie  vénérienne,  à  l'insu  du 
duc  de  Penthièvre,  son  père,  et  sans  l'en  avertir,  fut 
également  disgcacié  ^^. 

On  a  rapporté  que  le  prince  fit  venir  sa  femme  à 
son  lit  de  mort,  pour  lui  demander  pardon  de  ses 


MALADIE    ET    MORT    DU    PRINCE    DE    LAMBALLE       11 3 

égarements.  La  jeune  princesse  se  mit  à  genoux 
au  pied  du  lit,  pour  entendre  la  confession  de 
son  indigne  époux.  Une  des  dames  présentes  fut 
tellement  scandalisée,  dès  les  premières  paroles 
prononcées  par  le  mourant,  qu'elle  fit  sortir  l'in- 
nocente enfant,  déclarant  qu'il  n'était  pas  conve- 
nable de  lui  laisser  entendre  de  pareilles  hor- 
reurs. Les  propos  du  prince  de  Lamballe  avaient 
toujours  été,  comme  sa  conduite,  d'une  effroyable 
licence,  écrit  la  baronne  du  Mon  te  t^^^  et  elle 
ajoute  que  la  princesse  ne  cachait  pas  sa  satisfaction 
d'être  «  délivrée  de  cet  horrible  homme  ». 
^  L'étiquette  ne  permettant  pas  à  une  jeune  prin- 
cesse, non  mariée  ou  veuve,  d'avoir  sa  maison  et 
de  vivre  dans  le  monde  avant  vingt-cinq  ans,  Ma- 
dame de  Lamballe  dut  se  retirer  au  couvent  des 
dames  de  la  rue  Saint-Antoine  ^°  ;  elle  y  avait  un 
très  bel  appartement,  dont  elle  ne  sortait  que  pour 
les  bals  et  cérémonies  de  la  Cour.  Ce  n'est  qu'au  bout 
d'un  certain  temps,  sur  l'insistance  aiïectueuse  de 
son  beau-père,  qu'elle  accepta  l'hospitalité  de  ce 
dernier,  dans  la  fastueuse  résidence  du  duc  de  Pen- 
thièvre,  à  Rambouillet.  Peu  à  peu  elle  reprit  son  exis- 
tence mondaine  et  on  la  vit  assister  aux  i'étcs  du 
mariage  de  l'archiduchesse  Marie-Antoinclle  avec 
le  Dauphin. 

Au  mois  de  février  1771,  le  duc  de  Penthièvre 
lit  les  honneurs  de  l'hôtel  de  Toulouse  au  roi  de 
Danemark,  qui  venait  d'arriver  à  Paris.  La  récep- 
tion de  Christian  VII  soulevait  des  problèmes  d'éti- 
({ucUe  (pii  préoccupaient  singulièrement  le  maître 
de  cérémonie  de  la  Cour.  Les  visites  au  prince  étaient 
réglées  suivant  k'S  rites  d'un  rigoureux  protocole  En 

8 


n4 


LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 


sn  qualité  de  veuve,  la  princesse  de  Lamballe  devait 
allciulre  son  royal  visiteur,  «  couchée  dans  son  lit, 
tendu  de  gris,  entre  deux  draps,  tous  les  rideaux 
tirés,  sauf  un  côté  31  ».   L'usage   voulait,    en  effet, 


.  -'»T' 


o;  (-N 


FIG.    29.  ^—  LE   Dl'C    DE   PENTIIIÈVHE. 


que  les  princesses  veuves  reçussent  le  roi  dans  leur 
lit  et  non  sur  le  lit.  Deux  fauteuils  furent  dispo- 
sés, pour  Christian  VII  et  le  duc  de  Penthièvre,  dans 
«  le  balustre  auprès  du  Ut  »,  tandis  que  les  dames 
'nvitées  assistaient  à  la  visite  en  grand  habit  32. 

Trois  ans  plus  tard,  survenait  la  mort  de  Louis  XV 
(10  mai  1774),  qu'il  avait  été  un  instant  question 


FIG.  31,  —  AUTOliKAI'Hi:  PU  J'HUNCii  p(i  tAMUALLB 


llG  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

d'unir  avec  la  princesse  de  Laniballc.  d  On  avait 
essayé,  à  rarclievéché  de  Paris,  de  concert  avec  le 
duc  de  Pcnthièvre,  de  faire  goûter  au  roi  de  la  com- 
pagnie de  Madame  de  Lamballe...  qui,  en  l'épousant, 
l'eût  rendu  à  l'honnêteté  publique  3^  »  Bien  que  ce 
projet  n'ait  pu  se  réaliser,  il  faisait  déjà  pressentir 
que  Madame  de  Lamballe  était  appelée  à  de  hautes 
destinées. 


NOTKS  DU  CHAPITRE  VI 


1.  Cl.  Nouvellelconographie  de  la  Salpêtricre,  1891,11°  6  ;  gravure 
représentant  les  Tombeaux  parlants  :  Court  de  Gé!)elin,  mai- 
(juise  de  Fleury,  Mme  Le  Blanc. 

2.  Méni.  secrets,  t.  XXV  (24  avril  1784). 

3.  Nouvelles  Promenades  dans  Paris,  de  G.  Cain,  note  2  de 
la  p.  114. 

4.  Le  mariage  de  la  Princesse  de  Lamballe  (le  Fhjaro^ 
17  janvier  rJ14). 

5.  Souvenirs  de  la  marquise  de  Créquy,  t.   IV,  283  et  s. 

0.  La  première  entrevue  de  la  princesse  avec  son*mari 
Mvait  eu  lieu  dans  un  château,  en  Bourgogne,  près  de  CliA- 
leau-Vilain.  Le  prince  assista  incognito  à  son  souper.  La 
princesse  le  distingua  de  prime  abord;  comme  MmedeGué- 
liriant  lui  demandait  à  quoi  elle  l'avait  reconnu  :  «  parce 
qu'il  est  roux  et  laid  »,  répondit-elle. 

7.  Marquis  de  Villexeuve-Juans,  IJisl.  de  suint  Louis,  roi  He 
France,  t.  III,  G54. 

8.  Bulletin  d'autographes,  de  Noël  Chauavay  ;  1.  n.  s.  du 
IS  décembre  17(53. 

9.  Mme  de  Lamballe,  d'après  des  documents  inédits,  par 
Geoikjes  Bertin. 

10.  On  lit  dans  les  Mémoires  secrets,  à  la  date  du  10  jan- 
vier 17()8  :  «    On  annonce  que  le  duc  de  Penthièvre,  étant 

illé  ces  jours-ci  faire  sa  cour  au  Roi,  S.  M.  s'étoit  écriée, 
'  omme  il  s'en  alloit  :  «  Voilà  le  plus  honnête  homme  de 
«  mon  royaume  et  le  plus  malheureux  des  pères  !  » 

11.  On  se  plaît  à  vanter,  dans  les  écrits  de  l'époque,  la 
fraîcheur  de  son  teint,  l'élégance  de  ses  formes,  la  dignité 
lie  sa  démarche,  ses  beaux  yeux   bleus  et   son  admirable 

hevelure  blonde, 

12.  Mém.  secrets  de  Raciialmcj-nt,  t.  X.KV,  41  (lô  jain  icr  1784). 

13.  On  a  publié  des  lettres  de  la  princesse  qu'elle  aurait 
'<  rites  à  sa  mère  dans  les  premiers  temps  de  son  ma- 
riage (février  17(;7),  et  qui  sembleraient  témoigner  que  le 
prince  aurait,   ou  début  du  moins,  cherché  à  s'amender; 


Il8  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

mais  cette  correspondance   est  ^généralement   considérc'e 
comme  apocryphe,  et  on  ne  saurait  en  faire  état. 

14.  C'est  le  plus  que  suspect  auteur  des  Souvenirs  de  Ma- 
dame de  Créquy  qui  se  fait  l'éditeur  de  ce  ragot  ;  nous  ne  l'en- 
registrons qu'en  l'accompagnant  des  plus  expresses  réser- 
ves {Souvenirs,  IV,  302  et  a.). 

16.  Mém.  secrets,  28  juin  1767. 
16. /d.,  26  septembre  17G7. 

17.  Id.,  4  novembre  1767.  , 

18.  Nous  en  devons  la  connaissance  à  M.  Paul  d'Estrée, 
qui  les  a  publiés  dans  la  Revue  et  Revue  des  Revues,  n°  13, 
1«"  juillet  1900,  34  et  s. 

19.  Souvenirs  de  Madame  de  Créquy,  t.  IV,  lot.  cit. 

20.  Le  duc  de  Chartres  était,  dit-on,  intéressé  à  la  mort 
du  jeune  prince,  qui  le  laissait  seul  héritier  de  la  grande 
fortune  de  son  beau-père,  le  duc  de  Penthièvre.  Le  prince 
de  Ligne  a  défendu  le  duc  d'Orléans  contre  ces  imputa- 
lions,  que  paraissent  avoir  propagées  des  mémorialistes 
et  des  libellistes  à  gages.  Le  plus  récent  biographe  de  la 
duchesse  d'Orléans  a  fait  justice  de  ces  calomnies.  (Baron 
André  de  Makicourt,  Lonise-Marie-Adé laide  de  Bourbon-Pen- 
thièvre,  duchesse  d'Orléans;  Paris,  Emile-Paul,  1913,  46-7.) 

21.  Mém.  secrets, ^de  Bachaumont,  5  nov.  1767. 

22.  «  Son  père  l'avait  fait  dispenser  du  maigre  et  le  fai- 
sait placer  à  table  à  côté  de  lui,  pour  surveiller  son  régime 
alimentaire  et  lui  faire  prendre»  les  eaux  de  Forges.  M.  de 
Lamballe  était  là-dessus  d'une  insensibilité  si  parfaite  ou 
d'une  distraction  tellement  exemplaire,  qu'il  ne  s'était  pas 
aperi^u  qu'il  avait  bu  des  eaux  minérales  et  mangé  de  la 
viande  pendant  tout  le  carême.  »  Souvenirs  de  Madame  de 
Créquy,  IV,  note  de  la  p.  314. 

23.  On  n'ignora  pas  dans  le  public,  du  moins  dans  le 
monde  de  la  Cour,  la  nature  de  la  maladie  à  laquelle  suc- 
combait le  prince  de  Lamballe  ;  dans  un  des  pamphlets  les 
plus  rares  qui  nous  soient  passés  sous  les  yeux,  on  prèle 
à  Louise-Marie-Thérôse-Balhilde  dOrléans,  duchesse  de 
Bourbon,  le  propos  suivant  :  «  Ce  fut  dans  ce  temps  que  le 
comte  d'Artois  s'avisa  de  m'en  conter  et  de  vouloir  me 
ranger  au  nombre  des  gredines  qui  formaient  sa  cour  :  je 
le  refusai  avec  mépris,  non  pas  à  cause  de  l'association 
infâme  qu'il  se  proposait  de  faire,  mais  par  un  motif  de 
crainte  La  mort  du  prince  de  Lamballe  iii<;  faisait  Iremhler, 
et  l'assurance  où  j'étais  que  le  crapuleux  libi  rtin  en  était 
une  des   [)rincipales  causes,  me  fit  craindre  pcul-clrc  avec 


MALADIE    ET   MORT    DU    PRINCE  DE  LAMBALLE       II9 

raison  qu'il  ne  voiturât  dans  mon  sang  ce  poison  destruc- 
teur appelé  la  v...,  et  j'aimai  mieux  me  contenter  de  Vusï 
DE  Ge>lis  et  du  voluptueux  de  Conflans  qui,  quoique  fort 
déraniiés,  ne  me  laissaient  pas  envisager  le  même  péril.  » 
Page  35  de  Confessions  générales  des  princesses  de  sang  royal,  au- 
teurs de  la  cabale  aristocratique,  etc.  A  Aristocratie,  chez  Main- 
morte, imprimeur  des  commandements  secrets  de  S.  A.  ft.  Mgr  le 
coude  d'Artois,  1789. 

24.  Mém.  secrets,  5  janvier  1768. 

25.  On  a  prétendu  qu'on  lui  avait  fait  la  castration,  et 
qu'il  serait  mort  des  suites  de  cette  opération  ;  «  les  sei- 
gneurs et  le  public  l'appelèrent  après  cette  opération  le 
prince  sans-balles  ».  Vie  de  Louis-Philippe-Joseph  d'Orléans;  Lon- 
dres, 1789  ;  32-3. 

26  Mém.  secrets,  7  janvier  1768. 

27.  Id.,  6  mai  1768. 

28.  Mes  loisirs,  par  L.-P.  Hardy.  Édition  M.  Tourneux  et 
M.  ViTRAC,  1912,  t.  I  (seul  paru),  96-97. 

29.  Souvenirs  de  la  baronne  du  Montel  (1785-1866)  ;  Paris,  190t, 
310  et  s. 

30.  Elle  dut  se  soumettre,  dès  son  arrivée,  à  un  régime 
particulier;  elle  s'engageait  à  ne  jamais  se  rendre  chez  les 
religieuses,  à  n'en  point  faire  manger  chez  elle,  à  ne  laisser 
pénétrer  personne  dans  les  appartements  qui  lui  étaient  ré- 
servés, sans  en  avoir  référé,  au  préalable,  avec  l'Abbesse  ; 
les  visiteurs  devaient  avoir  quitté  l'abbaye  à  8  heures  et 
demie  en  été,  à  8  heures  au  plus  tard  en  hiver.  >ime  de 
Lamballe  était  tenue  d'avoir  réintégré  son  logis  aux  mêmes 
heures.  Lorsque  la  Princesse  prit  possession  de  son  loge- 
ment, elle  reçut  tous  les  honneurs  dus  au  rang  quelle  oc- 
<  upait  :  tous  ses  parents  ayant  le  rang  de  princes  du  sang, 
.linsique  ses  parentes  ayant  le  même  rang,  furentreçus  avec 
les  mêmes  lionncurs  lorsqu'ils  furent  la  voir.  (Arrangement 
concerté  avec  Mme  l'Abbesse  de  Saint-Antoine,  relaiive- 
iiient  à  la  résidence  de  Mme  de  Lamballe  dans  cette 
abbaye,  et  note  de  M.  de  I*enthièvre  ;  documents  inédits,  ex- 
traits des  Archives  nationales.) 

31.  Les  souverains  étrangers  en  France  (du  x*  au  xvin*  siè- 
cle), par  Ai.uKHT  Iîahi;al,  membre  de  l'Institut  (K.xtrait  de  la 
Hevue  des  questions  historiques). 

32.  Arch.  nal.  K  147,  n"  11  (cité  par  liAnEAi;). 

33.  Hist.  de  la  décadence  de  la  monarchie  française,  etc.,  pur 
J.-L.  boLLAMs  l'alné;  Paris,  Dupral,  1S03  ;  III,  315-6. 


CHAPITRE   VII 


LA     NEVROPATHIE     DE    LA    PRINCESSE    DE     LAMBALI.E 

En  1775,  la  princesse  avait  de  grandes  chances 
d'être  nommée  surintendante  de  la  reine,  en  dépit 
d'intrigues  savamment  et  malignement  ourdies  par 
tout  un  parti  de  la  Cour  qui  lui  était  hostile.  On  fai- 
sait valoir  surtout,  pour  l'éloigner  de  ce  poste  âpre- 
ment  convoité,  son  état  maladif.  «  La  princesse 
de  Lamballe,  mandait  l'ambassadeur  d'Autriche  à 
Marie-Thérèse,  devient  sujette  à  des  maux  de  nerfs, 
qui  lui  occasionnent  souvent  des  faiblesses  et  des 
convulsions.  Si  cet  état  ne  change  point,  il  pourrait 
devenir  un  obstacle  de  plus  à  ce  que  cette  princesse 
obtienne  la  charge  de  surintendante.  »  La  place  était, 
en  effet,  très  recherchée  :  la  comtesse  de  la  Marche 
la  réclamait,  comme  la  plus  ancienne;  la  duchesse  de 
Bourbon,  en  sa  qualité  de  première  princesse  du  sang. 

Madame  de  Lamballe,  qui  avait  accompagné  son 
beau-père  en  Bretagne,  où  il  s'était  rendu  pour 
tenir  les  États,  pendant  que  s'agitaient  ces  intri- 
gues, gagnait  tous  les  cœurs  par  la  grâce  et  l'aménité 
de  ses  manières.  Aussi,  quand  la  reine  la  pria  de  se 


NÉVROPATIIFE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    121 

rendre  chez  elle  dès  son  retour,  on  ne  douta  plus  que 
la  souveraine  n'eût  fixe  son  choix  ;  déjouant  tous  les 
petits  complots  d'antichambre,  Marie-Antoinette 
imposait  au  roi  la  nomination  de  son  amie. 


FK..  32. 


COMTE   DF.    MKHCY-AIKW.NTEAU 


Le  correspondant  de  l'Impératrice  n'avait  cepen- 
(Innt  pas  fardé  la  vérité;  pour  les  yeux  les  moins  pré- 
venus, la  névro|)iilhic  (le  la  princesse  était  manifeste. 

Un  jour, au  cours  d'une  promenade  sui  I;i  livière, 
elle  s'était  évanouie,  parce  que  la  reine  s'était  trouvée 
mal  ;  un  autre  jour  une  fenêtre  étant  venue  à  tomber 


122  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

près  de  Marie-Antoinette,  et  bien  qu'elle  l'eût  à 
peine  effleurée,  sa  compagne  avait  perdu  connais- 
sance et  n'était  revenue  à  elle  que  grâce  à  une  sai- 
gnée. 

«  La  sauté  de  la  princesse  est  très  mauvaise,  écri- 
vait Mercy-Argcnleau  à  Marie-Tliércsc  %  en  1776, 
le  13 avril;  elle  l'oblige  à  des  fréquentes  absences  »; 
et  il  ajoutait  que  Madame  de  Lamballe  allait  se 
rendre  aux  eaux  de  Vichy,  ou  de  Plombières,  où 
elle  resterait  six  semaines  ou  deux  mois.  Le  départ 
pour  cette  dernière  ville  s'effectua  au  mois  de  juin. 

C'est  pendantson  séjour  à  Plombières  que  Madame 
de  Lamballe  fut  atteinte  de  la  rougeole  ;  elle  ne  quitta 
cette  station  thermale  que  le  25  août.  Cette  maladie, 
qui  n'avait  présenté  à  aucun  moment  un  caractère 
de  gravité,  eut,  du  moins,  ce  résultat  de  réveiller 
l'alîection  de  la  reine  pour  sa  surintendante. 

L'année  suivante,  nouveau  voyage  de  la  princesse 
à  Plombières.  Au  retour,  Marie-Antoinette  accueillait 
son  amie  «  avec  beaucoup  de  démonstrations  de 
bonté  ».  Mais  les  pamphlétaires  travestissaient  auda- 
cieusementles  sentiments  qu'éprouvait  la  reine  pour 
sa  surintendante.  D'exécrables  couplets  circulaient, 
qui  atteignaient  également  le  jeune  monarque,  dont 
on  mettait  en  doute  la  virilité.  On  discutait  sur  son 
aptitude  à  donner  des  héritiers  au  trône,  et  après 
avoir  passé  en  revue  les  diverses  causes  d'impuis- 
sance imaginées  par  les  courtisans,  l'auteur  du 
libelle  décidait  pour  la  négative.  Puis  c'étaient  des 
plaisanteries  sur  «  le  goût  puce  »  introduit  à  la  Cour, 
sur  l'amitié  suspecte  de  Marie-Antoinette  pour  la 
princesse  de  Lamballe  -.  Les  plaisirs  les  plus 
innocents  étaient  imuutés  à  crime.  Sa  Majesté  fai- 


FIG.   33.   —  MAUAMi:  DE  POLIGNAC 


124  LA    PniNCi:SSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

sait-elle  des  parties  au  petit  Trianoii,  ou  Peiil  Vienne, 
avec  son'amie,  on  en  jasait  à  Versailles,  parce  qu'elle 
n'y  admettait  que  quelques  dames  de  sa  suite,  sans 
aucun  homme.  D'autres  jours,  elle  est  allée  à 
Sceaux  3  et  y  a  passé  la  journée  entière  en  tête  à 
tête  avec  la  princesse,  ce  qui  ne  laisse  point 
de  donner  naissance  aux  bruits  les  plus,  calom- 
nieux. 

En  1779  tandis  que  Madame  dePolignac  était  à 
Spa,  Madame  de  Lamballe  s'était  dirigée  vers 
Bourbonne.  C'est  en  revenant  de  ces  eaux,  qu'elle 
s'aperçut  de  la  perte  totale  de  sa  faveur  auprès  de 
la  reine.  La  surintendante,  à  entendre  Mercy,  qui 
tenait  enfin  sa  revanche,  «  est  devenue  pour  Sa  Ma- 
jesté un  objet  d'ennui  et  d'embarras  »  et,  malgré  les 
plaintes  de  la  princesse  «  à  ses  confidents  et  confi- 
dentes, qui  les  font  transpirer  dans  le  public»,  on 
prend  «  si  peu  d'intérêt  à  la  surintendante  que  per- 
sonne ne  s'en  occupe,  ni  ne  se  permet  de  réfiexions 
sur  le  changement  de  la  reine  envers  son  ancienne 
favorite  ». 

Certains  lui  voyant  mauvaise  mine,  s'apitoient 
la  croyant  atteinte  «  de  la  poitrine  »  ;  d'autres  moins 
portés  à  la  plaindre  qu'à  la  salir,  s'en  vont  répan- 
dant le  bruit  qu'elle  est  enceinte,  et  elle  doit  monter 
à  cheval  presque  chaque  jour  pour  faire  taire  ces 
rumeurs  méchantes.  A  ses  souffrances  ordinaires 
viennent  s'ajouter  des  douleurs  morales  :  la  perte, 
de  son  frère  aîné  et  la  mésalliance  d'un  autre  de  ses 
frères   achèvent  de  l'abattre. 

Son  médecin  traitant,  et  l'illustre  Tronchin  appelé 
en  consultation,  lui  prodiguent  en  vain  des  «  remèdes 
adoucissants  »  ;  ils  ne  lui  procurent  qu'un  soulage- 


NÉVROPATIHE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     125 

ment  momciiLané,  «  mais  ne  la  calment  jamais  com- 
plètement *  ». 

Au  début  de  l'année  1782,  ses  maux  de  tête  ordi- 
naires s'accompagnent  de  faiblesses  et  de  convulsions. 
Tous  les  médicaments  que  lui  prescrivent  tant 
les  médecins  de  Paris  que  les  médecins  de  la  Cour, 
restent  inefficaces;  son  état  s'aggrave  et,  deux  fois 
dans  la  même  journée,  elle  tombe  dans  des  crises 
dont  elle  ne  revient  que  graduellement;  l'attaque 
finie,  elle  est  «  comme  anéantie  ». 

On  recourt  aux  calmants,  à  tous  les  antispas- 
modiques connus  :  graines  de  pavot,  suc  de  laitue, 
fleurs  de  tilleul  et  fleurs  d'oranger,  feuilles  de  mélisse 
et  de  vulnéraire,  liqueur  d'Hoffmann  et  laudanum 
de  Sydenham,  cam-phre  et  pilules  de  Fuller.  Les 
drogues  les  plus  disparates  de  la  pharmacopée  sont 
mises  à  contribution,  sans  succès. 

Après  la  thériaque,  le  bouillon  de  tortue;  les 
décoctions  de  fleurs  de  sureau  alternent  avec  les 
pilules  d'ipéca,  la  poudre  tempérante  de  Stahl  avec 
la  poudre  de  nénuphar  et  l'esprit  de  nitre  dul- 
cifié  ^  On  aura  une  idée  de  cette  polypharmacie 
par  quelques  formules  :  électuaire  ou  opiat  com- 
posé d'écorce  du  Pérou  (quinquina),  de  racine  de 
valériane,  de  castoréum,  de  poudre  antiépileptique 
de  Guttete,  et  d'une  prise  sufllsante  de  sirop  ara- 
l)ique,  de  fleurs  de  stœchas  citrin.  Une  autre  pres- 
cription comprenait  des  pilules  composées  de  myrrhe, 
galbanum,  gomme  syriaque,  sagapenum  (ou  gonune 
persique),  opoponax,  ammoniaque,  castoréum,  thé- 
riacpic,  assa  fœtida  et  huile  d'ambre  ou  de  ka- 
rabé.  Tout  cet  arsenal  thérapeutique  restait  sans 
action,  et  loin  de  disparaître,  les  accès  semblaient 


126  LE    PRINCKSSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

augmenter.  C'était  à  désespérer  de  la  médecine  et 
de  ses  servants. 

*Ne  sachant  plus  à  quel  saint  ni  à  quel  empirique 
se  vouer,  la  princesse  finit  par  se  rendre  aux  instances 
de  son  beau-frère,  le  duc  de  Chartres,  qui  depuis 
longtemps  lui  proposait  de  lui  envoyer  son  médecin. 

Celui-ci  avait  su  gagner  la  confiance  du  prince,  le 
duc  espérait  que  sa  belle-sœur  la  partagerait.  Ma- 
dame de  Lamballe,  après  beaucoup  d'hésitations, 
consentit  enfin  à  se  mettre  entre  les  mains  du  doc- 
teur Saifîert  et  à  lui  confier  la  direction  de  sa  santé. 
C'est  à  ce  praticien  que  nous  allons  demander  de 
nous  instruire  des  circonstances  dans  lesquelles  il 
fut  fait  appel  .à  ses  lumières.  On  va  voir  le  cas 
qu'il  faisait  du  secret  professionnel. 

En  l'année  1785,  vers  la  fin  du  mois  de  juin,  je  fus, 
relate  Saiffert,  appelé  auprès  d'une  femme  âgée  de 
36  ans  ;  cette  femme  mérite,  en  raison  de  sa  destinée 
malheureuse,  d'être  nommée  :  c'était  la  princesse  de 
Lamballe,  massacrée  d'une  manière  horrible  et  cruelle, 
malgré  son  innocence,  à  Paris,  en  1792,  par  les  septem- 
briseurs. Cette  innocence  et  cette  triste  fin  me  feront 
pardonner  quelques  détails  véridiques  et  utiles  à  l'his- 
toire, bien  qu'ils  ne  se  rapportent  pas  à  mes  traitements 
médicaux  des  affections  chroniques...  Cette  femme  qui 
fut  si  atrocement  mutilée,  avait  été  déclarée  épileptique 
et  incurable  par  les  médecins  qui  la  traitaient  d'habi- 
tude ;  elle  tombait  tous  les  jours  à  la  même  heure  subi- 
tement sans  connaissance,  dans  des  convulsions  qui 
duraient  deux  heures,  elles  étaient  suivies  de  neuf 
heures  de  léthargie  cataleptique,  et  après  onze  mois 
de  traitement,  elle  fut  radicalement  guérie.  Il  était 
naturel  qu'elle  m'engageât  à  continuer  à  rester  son 
médecin. 


FIG.   34.   —     LA    PRINCESSE    DE    LAMnALLE,    SURINTENDANTE 
PE    LA    REIM 


128  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

SaifferL  conte,  à  une  autre  place,  que  c'est  à  la 
suite  de  la  guérison  d'une  jeune  fille  ^  «  que 
ses  parents  avaient  mise  au  couvent  pour  cacher 
sa  triste  maladie  »,  que  la  mère  de  la  jeune  per- 
sonne avait  fait  part  de  cette  heureuse  issue  à  la 
princesse,  en  l'engageant  fortement  à  se  confier  au 
sauveur  de  son  enfant. 

Dès  sa  première  visite,  la  princesse  témoigne  à 
Saiiïert  l'espoir  qu'elle  fonde  sur  sa  science.  «  Au  nom 
de  Dieu,  s'écria-t-elle,  tirez-moi  de  cette  position, 
et  ma  reconnaissance  vous  sera  éternellement  ac- 
quise. » 

—  «  Je  ne  l'entreprendrai,  répliqua  l'interlocu- 
teur de  la  princesse,  qu'à  la  condition  que  vous  vous 
confesserez  à  moi  entièrement,  que  vous  ne  me  ca- 
cherez rien  de  votre  vie  passée;  vous  devrez  répondre 
à  toutes  les  questions  qu'il  me  conviendra  de  vous 
poser;  ce  n'est  que  si  vous  remplissez  ces  conditions, 
qu'il  me  sera  possible  de  reconnaître  la  nature  de 
votre  mal,  et  de  vous  indiquer  les  moyens  de  le  guérir. 
En  échange  de  votre  foi  absolue,  comptez  sur  ma 
discrétion.  Je  tiens  le  devoir  du  secret  pour  aussi 
essentiel  que  la  nécessité  d'une  confiance  sincère 
de  la  part  du  malade  .» 

—  Oh  !  Monsieur,  interrogez,  interrogez,  s'écria  la 
princesse  ;  je  n'ai  rien  à  vous  cacher. 

Après  ce  préambule,  le  médecin  procède  à  l'in- 
terrogatoire du  «  sujet  »  dont  il  se  propose  d'établir 
r  «  observation  ».  La  princesse  raconte  alors  comment 
elle  a  souffert,  dès  sa  plus  tendre  enfance,  de  maux 
de  tête  fréquents,  et  elle  poursuit  en  ces  termes  : 


NÉVROPATHIE   DE   LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     I29 

Ces  douleurs  diminuèrent  avec  l'apparition  des  règles; 
elles  ne  se  firent  sentir  depuis,  plus  ou  moins  fortes, 
que  vers  le  commencement  de  mes«  époques  »;  on  m'as- 
surait que  le  mariage  m'en  délivrerait  entièrement,  on 
se  trompait  et  on  me  trompait  :  elles  ont  été,  depuis, 
plus  violentes  et  plus  prolongées... 

Au  commencement  de  1782,  mes  maux  de  tête  s'ac- 
compagnèrent tout  à  coup  de  faiblesses  et  de  convul- 
sions; les  médecins  de  Paris  et  les  médecins  ordinaires 
de  la  Cour  furent  consultés  successivement,  mais  tous 
les  remèdes  qu'ils  me  prescrivirent,  loin  d'améliorer 
mon  état,  n'ont  réussi  qu'à  l'aggraver,  et  à  me  mettre 
dans  le  triste  état  que  vous  voyez.  Je  tombe.  Mon- 
sieur, tous  les  deux  jours,  après  une  heure,  dans  une 
attaque  d'un  mal  qui  m'est  inconnu,  et  je  reviens  à 
moi  peu  à  peu,  mais  actuellement  au  bout  de  neuf 
heures  seulement,  et  je  reste  comme  brisée. 


La  malade  expose  ensuite  longuement  les  divers 
traitements  auxquels  on  l'a  soumise,  et  dont  nous 
avons  donné  plus  haut  un  aperçu  aussi  bref  que 
substantiel. 

Quelque  réaliste  que  soit  le  dialogue  engagé  entre 
le  médecin  et  la  patiente,  nous  ne  résistons  pas  à  la 
tentation  d'en  citer  au  moins  un  fragment,  qui  en 
donnera  le  ton  : 


D.  —  Vous  rappelez-vous  si  vous  avez  eu  la  teigne 
dans  votre  enfance  ou  votre  jeunesse  ? 

R.  —  Je  ne  m'en  souviens  nullement. 

D.  —  Avez-vous  eu  des  poux  ?  (sic) 

R.  —  Souvent,  on  m'en  a  débarrassée  plus  de  dix  ou 
douze  fois  en  me  saupoudrant  avec  une  poudre  rouge. 

D.  —  Avez-vous  quelquefois  rendu  des  vers  ? 

R.  —  Je  me  souviens  qu'à  cinq  ou  six  ans,  on  me 
donna  des  remèdes  pour  cela,  et  que  j'en  rendis  ainsi 
quelques-uns. 

9 


l30  LA    PRINCESSE    DE    LAM BALLE    INTIME 

A  la  question  posée  par  Sailïert,  si  elle  a  eu  quelque 
maladie  de  peau,  la  princesse  répond  qu'à  part  la 
rougeole,  et  la  petite  vérole  par  inoculation  7,  elle 
ne  se  souvient  pas  d'avoir  eu  d'autres  maladies  érup- 
tives  ;  elle  a  remarqué,  cependant,  qu'il  lui  vient  de 
temps  à  autre  «  des  dartres  farineuses  démangeantes 
aux  cuisses  »,   dont  les  bains  calment  l'irritation. 

Poursuivant  son  questionnaire,  Saifïert  demande 
à  la  malade  comment  fonctionnent  ses  intestins; 
si  elle  est  sujette  aux  hémorroïdes  :  «  elles  sont  sou- 
vent très  douloureuses,  quand  elles  ne  saignent 
pas  »  ;  si  ses  époques  sont  régulières.  Quant  ,à 
la  suite  de  l'entretien,  force  nous  est  de...  gazer,  faute 
de  n'avoir  pas  à  notre  service  la  langue  et  la  plume 
de  Juvénal  ou  de  Martial.  Disons  seulement  que  la 
princesse  révèle  à  l'indiscret  médicastre  certain  vice 
solitaire,  que  nous  aurons  suffisamment  désigné  en 
disant  qu'il  était  assez  fréquent  dans  les  pension- 
nats où  ne  s'exerçait  pas  une  assez  rigoureuse  sur- 
veillance. Ces  pratiques  étaient,  paraît-il,  communes 
parmi  les  femmes  de  la  haute  société  de  l'époque, 
«  dont  les  mœurs  n'étaient  alors  ni  pures,  ni  régu- 
lières ^  ». 

On  sait  les  bruits  qui  avaient  couru,  et  que  les 
pamphlétaires  avaient  malignement  grossis,  de  pré- 
tendues relations,  d'un  caractère  particulièrement 
intime,  entre  la  reine  et  sa  favorite  9.  Madame  de 
Lamballe  se  défend,  avec  une  énergie  dont  la  sincé- 
rité ne  paraît  pas  devoir  être  suspectée,  de  pareilles 
allégations. 

Rien  ne  m'empêcherait,  repartit  la  princesse  avec 
vivacité,  de  vous  les  confier  pour  mon  bien,  s'il  y 
avait  quelque  chose  de  vrai  dans  ces  racontars.   Vous 


NÉVROPATHIE    DE   LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE     l3l 

pouçez  m'en  croire  sur  parole  :   nous   n  avons  jamais 
songé  à  cela  ni  l'une  ni  Vautre  ;  mais  vous  savez  que  je 


FIG.   3j,   —   MADAME    DK    LAMUALLE 


8uis  veuve  et  que,  d'après  les  préjuges  en  cours,  je  ne 
puis  me  remarier  (ju^avcc  un  prince  du  sang  ;  il  est 
rare  que  ces  occasions  se  représentent  deux  fois  dans 


l32  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

une  existence,  on  ne  saurait  donc  me  faire  un  grief 
d*avoir  pris  un  ami,  mais  si  vous  jugez  qu'il  soit  nuisible 
à  ma  santé  de  continuer  mes  rapports  avec  lui,  je  suis 
prête  à  le  sacrifier. 

Sur  le  conseil  que  lui  donna  Saiffert,  la  princesse 
consentit  à  renoncer  à  une  affection  qui  lui  était 
particulièrement  chère. 

Rendez-vous  fut  pris  pour  le  lendemain,  vers  une 
heure  de  l'après-midi  ;  c'était  généralement  à  cette 
heure  que  les  accès  survenaient  et  le  médecin  voulait 
en  être  le  témoin.  Voici  le  spectacle  auquel  il  assista 
et  qu'il  nous  décrit  avec  toute  la  minutie  qu'un  cli- 
nicien peut  apporter  à  un  pareil  examen  : 

Vers  une  heure  cinq  minutes,  elle  (la  princesse) 
devint  pâle  comme  la  mort,  son  pouls  tomba  jusqu'à 
soixante-cinq  pulsations  ;  à  une  heure  dix  minutes, 
ses  paupières  se  fermèrent,  après  s'être  abaissées  trois 
fois  de  suite  ;  puis  il  se  produisit  des  spasmes  précipités 
des  muscles  des  yeux,  auxquels  succédèrent  de  vio- 
lentes secousses  convulsives  de  tout  le  corps.  Elle  tenait 
la  bouche  strictement  fermée,  et  je  n'ai  point  remarqué 
qu'il  s'en  échappât  le  moindre  fdet  de  salive,  contrai- 
rement à  ce  qui  s'ohserçe  dans  V épilepsie. 

A  la  palpation,  Saifîert  constatait  une  rétraction 
manifeste  dans  la  région  du  foie,  et  un  gonflement 
au  niveau  de  la  rate  ;  en  outre,  dans  la  partie  infé- 
rieure de  la  région  duodénale,  il  percevait  «  une  tumé- 
faction dure,  indépendante  de  l'organe,  et  qui  avait 
la  grosseur  de  l'œuf  d'une  oie  ».  Il  en  conclut  à  une 
obstruction  du  pancréas,  qui  n'avait  pas  encore 
dégénéré  en  squirrhe.  Pour  lui,  il  n'y  avait  aucun 
doute  que  cette  tumeur  fût  la  cause  de  la  maladie 
chronique-  de  la  princesse,  et  que  les  secousses  con- 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     l33 

vulsives  trouvassent  là  leur  source.  (Il  est  manifeste 
que  Saiffert  prenait  l'effet  pour  la  cause.) 

Ces  convulsions  ne  durèrent  pas  moins  de  deux 
heures  et  vingt  minutes  ;  elles  furent  suivies  d'un  état 
léthargique  profond,  pendant  lequel  les  membres 
restèrent  dans  la  position  où  le  médecin  les  avait 
lui-même  placés.  Quant  aux  pulsations,  de  soixante- 
cinq  elles  tombèrent  à  cinquante-six,  et  devinrent 
à  la  fm  à  peine  perceptibles. 

Cet  état  léthargique  dura  sept  heures  moins  vingt 
minutes  ;  un  peu  avant  le  réveil,  l'exploration  locale 
révéla  un  utérus  à  peine  plus  gros  que  celui  d'une 
jeune  fille. 

Les  phénomènes  observés  du  côté  du  foie  et  de 
la  rate  disparurent,  et  ces  régions  revinrent  pro- 
gressivement à  leur  état  normal.  La  tuméfaction 
duodénale  se  réduisit  au  quart  de  sa  grosseur,  et  la 
princesse  revint  à  elle,  après  avoir  fait  entendre  un 
sifflement  partant  du  gosier  et  présenté  trois  batte- 
ments convulsifs  des  paupières.  Quand  elle  eut  repris 
complètement  ses  sens,  le  pouls  était  remonté  à 
soixante-seize,  mais  la  malade  se  plaignait  d'une 
grande  prostration. 

Le  docteur  Saiffert  remit  au  lendemain  à  établir 
son  diagnostic  ;  il  désirait  examiner  une  fois  de  plus 
la  princesse  dans  un  moment  d'accalmie.  Ce  qui 
l'avait  frappé  surtout,  c'est  que  la  durée  des  accès, 
depuis  deux  mois,  avait  augmenté  régulièrement 
de  quinze  minutes  à  chaque  nouvelle  attaque; 
cette  remarque  était  de  nature  à  l'éclairer  sur  le  pro- 
nostic. Et  il  conclut: 

En  matière  scientifique,  il  faut»  avant  luules  chuses» 
employer  les  termes  les  plus  exphcites.  On  &,  jusqu'à 


l34  LA    PRINCESSE    DE    LAMB\LLE    INTIME 

présent,  considéré  la  maladie  chronique  de  la  princesse 
comme  une  variété  d'épilepsie,  je  suis  d'avis  qu'elle 
appartient  plutôt  à  l'espèce  des  affections  léthargiques  ; 
pour  parler  un  langage  qui  soit  compris  de  mes  confrères, 
j'estime  que  c'est  une  léthargie  chronico-périodique, 
précédée  de  convulsions  orageuses  et  cataleptiques. 

Muni  de  ces  données,  Saiffert  remit  à  la 
princesse  une  consultation  rédigée  selon  toutes  les 
règles  de  l'art. 

Contrairement  aux  avis  de  ceux  qui  l'avaient  trai- 
tée avant  lui,  Saifîert  promettait  la  guérison  de  la 
malade,  pourvu  que  celle-ci  se  conformât  rigoureu- 
sement au  régime  qui  lui  serait  prescrit,  et  qu'elle 
ne  l'enfreignît  sous  aucun  prétexte.  L'améliora- 
tion ne  serait  peut-être  pas  immédiate  ;  il  se  produirait 
même  quelque  aggravation  de  symptômes  qu'il  n'y 
aurait  pas  lieu  d'en  être  surpris,  mais  on  en  viendrait 
à  bout,  en  leur  opposant  «  patience  et  confiance  ». 
Saiffert  faisait  espérer  à  la  princesse  qu'après  deux 
mois  de  traitement,  il  pourrait  lui  annoncer,  pour 
une  date  fixe,  le  retour  à  la  santé. 

Le  régime  prescrit  à  la  malade  était,  au  demeurant, 
assez  judicieux.  Il  lui  était  recommandé  de  ne  s'ali- 
menter que  de  viandes  maigres  et  blanches  et  de 
poissons  blancs.  Tous  les  légumes  lui  étaient  permis, 
à  part  le  chou^et  l'oseille,  les  fruits  juteux  bien  mûrs, 
les  fromages  doux  et  non  acides.  Étaient  sévèrement 
proscrits  les  aliments  gras,  huileux,  mucilagineux, 
salés,  fumés,  épicés,  et  même,  ce  qui  était  excessif, 
les  viandes  grillées  ou  rôties. 

Les  aliments  farineux,  seuls,  étaient  autorisés,  tels 
que  le  sagou,  le  salep,  les  pommes  de  terre  et  l'orge  ; 
comme  fruits  avec  cosses,  les  lentilles  ;  pas  de  cham- 


FK;.    3<;.   —   1,A    PRINCESSE    DE    LAMDALLE 
(D'après  une  (gravure  anglaise^ 


n 


l36  LA    PH INCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

pignons  d'aucune  sorte  ;  les  œufs  ne  devaient  être 
mangés  que  mollets,  et  non  autrement. 

Parmi  les  aliments  tolérés,  ceux  qui  pouvaient  être 
mangés  froids,  sans  dégoût,  devraient  obtenir  la 
préférence. 

La  boisson  de  table  journalière  consistait  en  un 
vin  blanc  de  Champagne  léger,  additionné  d'une 
forte  quantité  d'eau  froide;  toutes  boissons  chaudes 
et  spiritueuses  seraient  mises  sévèrement  de  côté. 

Du  rôti  froid  constituerait  le  premier  déjeuner 
du  matin,  avec  la  boisson  tolérée.  Entre  les  mets  et 
les  boissons  permises,  on  devait  choisir  de  préférence 
celle  qui  se  digérait  le  plus  facilement. 

Après  le  régime  diététique,  l'ordonnance  magis- 
trale. Voici  quelques-unes  des  fonnules  employées 
par  le  médecin  saxon  ;  elles  donneront  une  idée  de 
la  thérapeutique  en  cours  à  la  fm  de  l'avant-dernier 
siècle. 

I.  —  Sucre 12  demi-onces. 

Gomme  arabique     ....  3         — 

Poudre  de  savon  d'Espagne 
,       purifiée     ......  2  dragmes. 

Sel  de  nitre  purifié  ....  ââ    1  dragme. 

Sel  alcali  purifié 

pour  six  doses  égales,  après  pulvérisation  préalable. 

II.  —  Fiel  de  veau  concentré  par 

l'ébullition 3  dragmes. 

Extraits  de  gentiane  et  de    ) 

valériane [  ââ     1  dragme. 

Fleurs  de  zinc ) 

Triturer  avec  soin,  pour  des  pilules  pesant  trois 
grains,  et  argentées.  On  prendra  dix-huit  pilules  au  com- 
mencement  de   chaque   repas. 


NÉVROPATHIE    DE   LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     187 

S'il  se  produisait,  par  suite  de  l'ingestion  de  tous 
ces  médicaments,  de  l'endure  du  ventre  et  un  em- 
pâtement notable  de  la  langue,  il  était  recommandé  à 
la  malade  d'absorber  une  mixture  à  base  de  ma- 
gnésie anglaise,  sel  de  nitre  purifié,  sirop  d'orgeat, 
etc. 

Une  autre  formule  de  Saifîert,  qui  a  joui  d'une 
certaine  vogue,  même  après  sa  mort  ^°,  consistait 
en  pilules,  dont  suit  la  composition  : 

Prenez  fiel  de  bœuf  épaissi  au  bain-marie  et  dia- 
grède  (?)  savonneux  :  de  chaque,  demi-once  ;  extrait 
de  pensées  du  Rhin  ^',  deux  gros  ;  faites  avec  ce  mé- 
lange des  pilules  de  trois  grains.  La  dose  est  de  cinq  à 
dix-huit  par  jour.  L'usage  doit  en  être  continué  pen- 
dant plusieurs  mois,  avec  un  régime  assez  sévère  ;  on 
le  suspend  dans  la  mauvaise  saison. 

Si  la  bouche  devient  amère,  on  prendra  le  matin  un 
gros  de  tartrite  acidulé  de  potasse  (crème  de  tartre) 
avec  du  sucre.  Siles  coliques  surviennent,  on  absorbera 
une  boisson  mucilagineuse.  M.  Saifîert,  ajoute  le 
rédacteur,  ne  prescrivait  ces  pilules  que  dans  les 
affections  chroniques  des  viscères  abdominaux,  con- 
nues sous  le  nom  d'obstructions,  particulièrement 
celles  du  foie.  Ce  traitement,  est-il  dit  ailleurs  ", 
«  qui  a  joui  d'une  fort  grande  célébrité,  même  en 
France  »,  ne  devait  être  entrepris  qu'à  la  belle  saison 
et  continué  durant  plusieurs  mois.  Tout  le  temps 
qu'il  y  était  soumis,  le  malade  était  astreint  au  ré- 
gime le  plus  sévère; les  acides,  les  œufs,  les  champi- 
gnons, les  farineux,  les  pâtisseries,  les  fritures,  le 
vin,  le  café,  les  liqueurs  lui  étaient  absolument  dé- 
fendus. Ce  traitement,  au  dire  d'un  savant  auto- 


l38  L\    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

risé  ^3,  était  «  assez  énergique  pour  amener  un  chan- 
gement  favorable  dans  certaines  maladies  où  des 
moyens  plus  rationnels,  mais  moins  actifs,  seraient 
restés  sans  effet  ». 

Saiffert  avait  une  foi  trop  grande  dans  l'efTicacité 
de  ses  remèdes  pour  ne  pas  la  faire  partager.  La 
princesse  entendit  ne  confier  désormais  à  aucun 
autre  médecin  le  soin  de  sa  santé,  mais  Saiffert 
invoqua  sa  ijombreuse  clientèle,  les  occupations  mul- 
tiples qu'elle  nécessitait,  et  qui  ne  lui  laissaient  pas 
le  temps  de  se  consacrer  entièrement  à  une  seule 
malade,  il  finit  cependant  par  céder  aux  instances 
de  la  princesse. 

Le  lendemain  de  cette  visite,  le  duc  de  Penthièvre, 
beau-père  de  Madame  de  Lamballe,  se  présentait 
chez  le  médecin  saxon  et  lui  faisait  part  de  ses  inquié- 
tudes. Il  lui  paraissait  téméraire  qu'un  étranger 
voulût  se  mêler  de  soigner  une  princesse  de  sang 
royal  français,  et  il  le  trouvait  singulièrement  hardi 
de  promettre  la  guérison  d'une  affection  que  les  doc- 
teurs les  plus  expérimentés  de  la  capitale  avaient 
été  unanimes  à  déclarer  incurable.  Les  remèdes  qui 
allaient  être  employés  ne  risquaient-ils  pas  d'abréger 
la  vie  de  sa  belle-fille  ?  Il  considérait  qu'il  était  de 
son  devoir  de  s'opposer  à  une  entreprise  aussi  hasar- 
deuse. Saiffert  s'employa,  de  toute  son  éloquence, 
à  calmer  ces  appréhensions  ;  il  n'admettait  pas  qu'on 
mît  en  discussion  ses-  connaissances  médicales  ;  il 
déniait  toute  compétence  à  un  profane,  si  bien  in- 
tentionné fût-il,  et  tout  en  trouvant  légitime  la  sol- 
licitude paternelle,  il  prétendait  n'accepter  de  per- 
sonne une  observation  sur  sa  conduite  profession- 
nelle. La  princesse  était  pour  lui  une  patiente,  et 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMRALLE     iSq 

rien  d'autre;  ni  son  rang,  ni  son  sang,  ni  les  privilèges 
de  naissance  ne  comptaient  aux  yeux  d'un  praticien 
soucieux  de  ses  devoirs  et  fort  de  sa  conscience. 


FIG.  37. 


MAlUE-AMOiNF.TTE 


Informée,  par  Saiiïert,  de  la  démarche  du  duc  de 
Penthièvrc,  la  princesse  s'efforça  d'en  atUimci  l'effet. 
<t  N'y  voyez,  dit-elle  à  son  médecin,  qu'une  preuve 
de  l'intérêt  affectueux  que  mon  beau-père  me  porte... 


l4o  LA    PRINCESSE   DE    LA.MBALLE   INTIME 

ma  confiance  en  votre  savoir  n'en  sera  pas  modi- 
fiée, elle  reste  inébranlable.  »  Et  elle  ne  trouvait 
meilleur  moyen  de  le  lui  prouver,  qu'en  communi- 
quant à  Saiffert  une  lettre,  qu'elle  venait  de  recevoir 
de  la  reine,  où  celle-ci  s'exprimait  en  termes  des  plus 
flatteurs  sur  le  compte  du  médecin  saxon. 

Marie- Antoinette  avait  soumis  la  consultation  de 
ce  dernier  à  son  propre  archiâtre,  Lassone,  lequel 
avait  dit,  sur  un  ton  de  joyeuse  humeur,  en  parlant 
de  son  confrère  :  «  Je  connais  à  fond  cette  tête  d'Al- 
lemand; il  ne  promet  que  ce  qu'il  peut  tenir;  il  a 
promis  de  porter  secours  à  la  princesse,  elle  peut 
compter  sur  sa  promesse;  nous  n'avons,  quant  à 
nous,  rien  autre  chose  à  faire  qu'à  tenir  nos  avis  pour 
nuls.  Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'il  nous  fait  de 
semblables  affronts,  mais  l'honneur  de  la  science 
médicale  prime  toute  autre  considération.  »  L'épître 
de  la  reine  se  terminait  par  ces  mots  :  «  Vous  ne  sau- 
riez vous  figurer,  amie  très  chère,  le  baume  qu'a 
versé  Lassone  dans  mon  cœur,  que  votre  maladie 
afflige  profondément.  » 

Rien  ne  pouvait  mieux  chatouiller  l'amour-propre 
de  l'Allemand  et  l'encourager  à  poursuivre  sa  cure, 
qu'un  appui  lui  venant  d'un  personnage  aussi  con- 
sidérable que  l'était  le  premier  médecin  de  la  famille 
royale.  Il  fut  décidé  que  le  traitement  prescrit  à  la 
princesse  serait  commencé,  sans  plus  attendre,  sous 
la  surveillance  de  son  médecin  habituel  ;  mais  celui- 
ci  l'avait  si  longtemps  bercée  d'illussion,  pour  finale- 
ment lui  déclarer  qu'elle  ne  guérirait  jamais,  qu'elle 
avait  de  la  répugnance  à  rester  sous  sa  direction. 
«  C'est  une  preuve,  répliqua  Sailîert,  qu'il  vous  porte 
de  l'intérêt,  et  je  ne  doute  pas  qu'il  revienne  de 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     l/Jl 

son  opinion  ;  lorsqu'il  constatera  une  amélioration 
dans  votre  état,  il  sera  le  premier  à  s'en  réjouir.  » 
Le  matin  qui  suivit  cet  entretien,  il  se  présentait, 
nu  domicile  du  docteur  Saiffert,  «  un  soi-disant  duc, 
tout  chamarré  de  rubans  »,  qui  lui  tint  l'extraordi- 
naire discours  que  voici  : 

Vous  avez  conquis  déjà  une  assez  grande  renommée 
dans  votre  art,  pour  qu'il  vous  soit  indifférent  de 
chercher  à  l'accroître  par  le  succès  d'une  cure,  si  reten- 
tissante soit-elle.  Vous  risquez,  par  contre,  de  vous  faire 
de  puissants  ennemis  et  de  n'en  recueillir  qu'ingratitude 
et  déboires.  Voulez-vous  vous  assurer  des  amis  haut 
placés  et  obtenir  une  charge  de  fermier  général  des 
douanes  ?  Il  vous  suffira  de  déclarer  que  la  princesse 
de  Lamballe  est  atteinte  d'épilepsie,  que  la  guérison 
de  son  afTection  est  impossible  ;  que  la  vue  seule  de 
son  mal  n'est  pas  sans  danger  pour  des  femmes  enceintes 
qui  l'approcheraient  ;  si  vous  acceptez,  au  jour  fixé  par 
vous  je  vous  apporterai  le  brevet  de  la  fonction  qui  vous 
est  destinée. 

Pour  toute  réponse,  le  médecin,  qu'on  avait  aussi 
grossièrement  tenté  d'acheter,  montrait  la  porte  à 
l'émissaire  qui  venait  de  lui  faire  cette  proposition, 
refusant  d'en  entendre  davantage. 

N'ayant  pas  réussi  dans  leurs  desseins,  les  ennemis 
de  la  princesse,  c'est-à-dire  ceux  qui  convoitaient 
sa  place,  insistèrent  auprès  de  la  reine  pour  qu'elle 
envoyât  au  docteur  Sailîert  un  questionnaire  précis, 
qui  ne  pouvait  manquer  de  l'embarrasser.  Il  s'agis- 
sait de  l'amener  à  formuler  son  opinion  par  écrit,  et 
l'on  comptait  bien  qu'il  y  regarderait  avant  d'ex- 
primer un  avis  contraire  à  celui  de  toute  la  Faculté 
et  de  s'exposer  aux  critiques  qui  ne  pouvaient  man- 


l42  LA    PRINCESSE   DE   LAMBALLE   INTIME 

quer  de  lui  être  adressées.  C'était  mal  connaître  notre 
personnage  ;  l'entêté  Saxon  n'était  pas  de  ceux  qui 
renoncent  aisément  à  leur  opinion  ;  sa  réponse  fut 
catégorique. 

La  maladie  de  la  princesse  pouvait-elle,  en  ,^hors 
des  crises,  agir  sur  la  conception,  autrement  dit  pro- 
voquer l'avortement  chez  une  femme  enceinte  que 
la  malade  approcherait  ?  «  Non,  non  et  non  !  répon- 
dit énergiquement  Saifïert.  Les  accès  ne  se  produi- 
sent, d'ailleurs,  pas  à  l'improviste,  parce  que  ce  n'est 
point,  à  proprement  parler,  de  l'épilepsie,  mais  une 
léthargie  chronique  et  périodique,  toujours  précédée 
de  convulsions  à  forme  cataleptique.  »  Saiffert  avait 
pris  l'engagement  de  guérir  la  princesse,  pourvu 
qu'elle  se  conformât  docilement  à  ses  prescriptions; 
il  n'avait  rien  à  changer  à  son  pronostic. 

Pamphlets,  libelles,  lettres  anonymes,  tous  les 
moyens,  jusqu'aux  plus  perfides,  furent  mis  en  œuvre 
pour  perdre  la  surintendante  dans  l'esprit  de  la  reine. 

Dans  son  entourage,  c'était  à  qui  essayait  de  la 
convaincre  qu'il  y  avait  danger  à  laisser  approcher 
d'elle,  dans  l'état  où  elle  se  trouvait  (Marie-Antoi- 
nette était  alors  enceinte),  une  femme  atteinte  de 
haut  mal;  que  l'enfant  à  venir  pourrait  s'en  ressen- 
tir, etc.  La  reine  avait  fini  par  espacer  ses  visites  à 
sa  surintendante,  mais  elle  ne  pouvait  se  résoudre  à 
la  remplacer.  Elle  fit  demander  au  médecin  qui  soi- 
gnait la  princesse  de  lui  dire,  en  toute  franchise,  ce 
qu'il  pensait  de  soh  état,  et  elle  le  remerciait  peu 
après  du  service  qu'il  lui  avait  rendu,  en  enlevant  de 
sur  ses  yeux  le  voile  qu'on  y  avait  perfidement  sus- 
pendu. Cela  ne  faisait  pas  l'affaire  des  gens  de  Cour, 
qui  se  liguèrent  pour  perdre  à  la  fois  la  princesse  de 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     l43 

Lamballe  et  Saiffert.  On  alla  jusqu'à  menacer  ce 
dernier  de  mort,  s'il  persistait  dans  son  attitude 
Il  méprisa  ces  avertissements  et  ces  menaces. 

Quelques  jours  plus  tard,  son  carrosse  recevait 
une  grêle  de  coups  de  pierre,  et  il  en  rejail- 
lit sur  lui  des  fragments  qui  manquèrent  de  le 
blesser. 

La  soirée  qui  suivit  l'attentat,  Saiffert  était  atta- 
qué de  nouveau,  au  sortir  de  l'hôtel  de  Toulouse, 
après  minuit,  par  trois  gaillards  qui,  bondissant  sur 
lui,  essayèrent  de  le  frapper  «  avec  une  arme  meur- 
trière )).  Des  personnes  étant  accourues  au  bruit,  le 
médecin  put  prendre  la  fuite  et  regagner  sa  voiture. 
A  plusieurs  reprises,  on  en  brisa  les  glaces;  la  vie  de 
l'Allemand  était  de  plus  en  plus  menacée. 

A  l'entendre,  on  alla  jusqu'à  tenter  de  l'empoi- 
sonner. Une  jeune  marquise,  que  Saiffert  avait 
connue  chez  une  de  ses  clientes.  Madame  de  G..., 
insista  pour  lui  verser  un  verre  de  bière;   celle-ci 

avait  une  saveur  bizarre,  laissant  dans  la  bouche 
conime  un  arrière-goût  fade,  que  Saiffert  attribua, 

non  sans  vraisemblance,  à  un  sel  de  plomb  qu'on 
y  aurait  mélangé  II  ne  conserva  plus  aucun  doute, 
quand,  quelques  heures  après  cette  ingestion,  il 
présenta  tous  les  symptômes  de  l'intoxication  plom- 
bique:  éructations,  vomissements,  crampes,  etc.  Nous 
passons  sur  les  traitements  qui  lui  furent  appliqués  : 
vésicatoires,  emplâtres,  saignées,  frictions.  Saiffert 
dut  à  sa  robuste  constitution,  plus  qu'à  ces  mé- 
dications, de  se  tirer,  sans  trop  de  dommage, 
de  l'aventure  ;  il  s'en  ressentit,  néanmoins,  pendant 
environ  une  semaine.  Il  jugea  prudent  de  ne  pas 
ébruiter  l'affaire,   mais  de  se  tenir*  à  l'avenir  sur 


l44  LA    PRINCESSE   DE    LAMBALLE    INTIME 

ses  gardes  et  de  se  défier  un  peu  plus  des  invi- 
tations  faites  avec    une  trop    aimable   insistance. 

La  princesse  tint  à  lui  faire  part,  en  cette  circons- 
tance, des  souhaits  qu'elle  avait  formés  pour  son 
prompt  rétablissement.  «  Beaucoup  de  médecins,  lui 
écrivit-elle,  ne  vous  pardonnent  pas  votre  renom- 
mée ;  ils  sont  capables,  par  basse  envie,  de  commettre 
le  plus  grand  crime.  »  Saifîert  s'empressa  de  la  ras- 
surer, lui  disant  que  ses  précautions  étaient  prises, 
et  qu'avec  un.  peu  de  circonspection,  il  déjouerait 
toutes  ces  manœuvres.  Il  reprit  très  tranquillement 
ses  visites  aux  malades,  comme  par  le  passé,  et  re- 
tourna chez  la  princesse,  dont  l'avait  tenu  éloigné 
pendant  quelques  jours  son  accident. 

Il  ne  constata  chez  elle  presque  aucun  changement  : 
les  accès  avaient  diminué  de  fréquence  et  d'inten- 
sité. Il  pronostiqua  que,  sous  l'influence  de  la 
médication  qu'il  avait  prescrite,  une  amélioration 
notable  ne  tarderait  pas  à  se  produire,  qu'il  en 
répondait.  Le  duc  de  Penthièvre,  l'ayant  appris, 
lui  envoya  une  lettre  des  plus  flatteuses,  s'excusant 
d'avoir  un  instant  méconnu  sa  valeur  scientifique 
et  l'étendue  de  ses  connaissances. 

Saiffert  rapporte,  incidemment,  une  conversation 
qu'il  eut  avec  la  reine,  relativement  à  la  santé  de  la 
princesse.  Marie-Antoinette  lui  avait  manifesté  la 
satisfaction  qu'elle  éprouvait  des  bons  résultats 
obtenus  par  la  médication  qu'il  avait  si  heureuse- 
ment appliquée.  Elle  se  réjouissait  surtout  du  dis- 
crédit qui  allait  en  rejaillir  sur  la  science  médicale 
française,  et  elle  mit  tant  de  vivacité  à  exprimer  ses 
sentiments  à  l'égard  de  cette  dernière,  que  Saiffert 
lui-même  dut  l'inviter  à  plus  de  modération  dans  sea 


NÈVROPATIIIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     l45 

appréciations.  Nous  ne  commenterons  pas  les  propos 
de  JMarie-Antoinette  ^\    mais    comme   ils  éclairent 


FIG.    38-   —    MAHIE-ANTOINETTE 


sa  psychologie  I  II  est  trop  évident  que  l'infortunée 
souveraine  n'a  jamais  su  gagner  le  cœur  du  peuple 
qu'elle  avait  été   appelée   à   gouverner;   peut-Ôtre 


m 


1^|6  LA    PRINCESSE    DE    LAMBAI.LE    INTIME 

faudrait-il  en  chcrclicr  rexcuse,  du  moins  une  expli- 
cation dans  son  incompréhension  absolue  de  notre 
caractère  national. 

Mettant  à  profit  les  bonnes  dispositions  de  sa  royale 
interloculrxe,  Saiffert  lui  fit  part  d'un  projet  qu'il 
nourrissait  depuis  longtemps  et  auquella  reine  ne  pou- 
vait manquer  de  s'intéresser.  Il  s'agissait  de  fonder  un 
hospice  pour  le  traitement  des  maladies  chroniques  ; 
le  praticien  saxon  offrait  le  concours  de  ses  lumières 
et  le  fruit  de  son  expérience  pour  donner  l'élan  à 
cette  œuvre  charitable,  qui  manquait  en  France 
et  pouvait  rendre  les  plus  grands  services.  Marie- 
Antoinette  promit  d'encourager  cette  création,  et  la 
princesse  de  Lamballe  s'engagea,  de  son  côté,  à  pré- 
lever sur  ses  économies  une  somme  importante,  pour 
aider  à  la  fondation  de  l'établissement  projeté  ^5. 
Les  événements  qui  suivirent  empêchèrent  la  réali- 
sation de  cette  charitable  pensée. 

Nous  passons  sur  le  récit,  très  circonstancié,  d'un 
nouvel  attentat  dirigé  contre  le  médecin  saxon  :  son 
frotteur  avait  retrouvé  une  balle  dans  son  cabinet 
de  travail  ;  le  projectile  avait  fait  un  trou  dans  la 
cloison,  juste  en  face  de  la  fenêtre,  à  la  place  où  le 
docteur  se  tenait  habituellement.  Cette  fois  encore, 
Saifïert  ne  manqua  pas  d'attribuer  à  la  j  alousie  confra- 
ternelle cette  tentative  d'assassinat.  Il  nous  paraît  qu'il 
entre  une  bonne  part  d'exagération  dans  cette  allé- 
gation, mais  notre  Saxon  ne  néglige  aucune  occasion 
de  rehausser  l'importance  de  sa  notoriété  et  la  haute 
estime  en  laquelle  il  se  tient.  Afin  de  ne  pas  alarmer 
la  princesse,  il  fut  convenu  qu'on  ne  lui  apprendrait 
rien  de  ce  qui  s'était  passé. 

Sa  santé  allait  en  s'améliorant,  lorsqu'un  accident 


j 


NÉVROPATHIE    DE    LA   PRINCESSE   DE    LAMBALLE     1^7 

banal  faillit  détruire  l'effet  d'un  traitement  qui 
avait  déjà   produit  d'heureux  résultats. 

D'après  la  relation  de  Sailîert,  la  princesse  aurait 
offert  tous  les  symptômes  d'un  .empoisonnement  : 
vomissements,  crampes,  coliques,  accompagnés  de 
syncopes  et  de  convulsions.  Une  courte  enquête  dé- 
montra qu'elle  avait  pris,  à  son  repas  précédent, 
«  quelques  cuillerées  de  soupe,  deux  ailes  de  poulet 
bouilli,  une  très  petite  quantité  d'une  petite  perche, 
une  menue  tranche  de  rôti  de  veau  froid,  la  moitié 
d'une  crêpe,  une  grappe  de  raisin...  et  deux  truffes  ». 
On  incrimina  d'abord  ces  noirs  tubercules,  et  la  prin- 
cesse fut  vivement  admonestée  par  son  médecin, 
pour  avoir  passé  outre  à  ses  recommandations. 
C'était,  répondit-elle  en  manière  d'excuse,  un  cadeau 
qu'elle  avait  reçu  de  Turin.  Elle  dut  promettre  de 
n'en  plus  jamais  accepter  ;  à  cette  condition,  elle 
obtint  son  pardon.  Grâce  à  une  potion  émétique, 
tout  rentra  peu  à  peu  dans  l'ordre,  mais  l'alerte  avait 
été  chaude.  Finalement,  l'empoisonnement  fut  attri- 
bué, d'après  l'hypothèse  la  plus  vraisemblable,  au 
poêlon  de  cuivre  dont  on  s'était  servi  pour  préparer 
les  crêpes  ;  il  fut  décidé  que  l'on  changerait,  sans 
plus  tarder,  toute  la  batterie  de  cuisine  et  que  l'on 
n'emploierait  désormais  que  des  vases  en  fer  blanc. 

On  fit  avaler  des  fragments  des  truffes  suspectes  à 
un  chien,  puis  à  un  chat,  mais  ces  expériences, 
mal  conduites,  ne  donnèrent  que  des  résultats  incer- 
tains :  le  premier  de  ces  animaux  fut  assez  violem- 
ment incommodé,  mais  ne  creva  pas  ;  quant  au 
second,  il  se  montra  moins  résistant,  mais  l'autopsie 
ne  révéla  rien  de  démonstratif.  Sailîert  mit  en  garde 
sa  malade  contre  les  cadeaux  qu'elle  pourrait  rece- 


l48  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

voir  à  l'avenir,  même  s'ils  lui  venaient  d'un  parent 
(dans  le  cas  présent,  c'était  sa  belle-sœur,  Madame 
de  Carignan,  qui  lui  avait  envoyé  les  truffes)  ;  il  lui 
conseilla  de  les  détruire  désormais  par  le  feu,  ou  d« 
les  jeter  aux  cabinets  ^^. 

La  convalescence  de  la  princesse  de  Lamballe  fut 
assez  longue  :  elle  ne  dura  pas  moins  de  sept  se7 
maines  ;  durant  ce  temps,  les  accès  épileptiques 
eurent  la  même  fréquence,  mais  leur  nombre  ne  s'en 
accrut  pas.  Les  digestions  devinrent  meilleures,  les 
évacuations  plus  régulières  ;  en  apparence,  le  réta- 
blissement était  à  peu  près  complet. 

Le  jour,  inoubliable  pour  moi,  de  la  guérison  de  celte 
maladie,  écrit  le  docteur  Saiiïert,  a  été  le  plus  solen- 
nellement marqué  de  ma  vie  ;  je  n'avais  jamais  vu  joie 
plus  cordiale,  et  les  protestations  de  remerciements 
et  de  respect  qu'on  me  marquait  me  touchèrent  plus 
que  tous  les  témoignages  de  reconnaissance  sous 
forme     d'argent. 

Quand  on  sut  que  Saiffert  avait  guéri  la  princesse, 
ce  furent,  de  toutes  parts,  des  manifestations  de 
gratitude.  Le  roi  et  la  reine,  les  princes  du  sang 
envoyèrent  des  pages  aux  nouvelles.  La  princesse  de 
Condé,  les  dames  de  qualité  présentes.  Madame  de 
Lamballe  elle-même,  embrassaient  le  docteur,  plus 
touché  qu'il  ne  voulait  le  paraître  de  cette  explosion 
de  sympathies.  A  Paris,  comme  à  Versailles,  il  n'était 
question  que  de  cette  cure  extraordinaire  d'une 
malade  que  la  Faculté  avait  déclarée  inguérissable. 

Les  médecins  officiels  prétendirent  que  la  guérison 
obtenue  par  Saiffert  était  le  résultat  d'un  hasard  heu- 
reux; les  uns  disaient  que  la  princesse  n'avait  jamais 


NÉVROPATHIE   DE   LA    PRINCESSE   DE   LAMBALLE    l^g 

été  réellement  malade,  que  sa  maladie  était,  en  d'au  très 
termes,  simulée  et  d'autant  plus  facile  à  guérir  ; 


Fir,.   39.  —  LA  PRINCESSE  DE  LAMDALLE 

(IJ  après  une  miniature  de  Canet) 


d'autres,  que  la  recette  des  remèdes  employés  par 
le  médecin  allemand  lui  avait  été  confiée,  avant  sa 
mort,   par  un  vétérinaire  français  ;  d'autres  enfin, 


l50  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

plus  clairvoyants,  arguaient  que  SaifTert  s'était 
tellement  emparé  de  l'esprit  de  sa  cliente,  qu'il  lui 
avait  «  suggéré  »  sa  guérison,  et  que  celle-ci  n'avait 
été  délivrée  de  son  mal  «  par  rien  d'autre  que  par  sa 
foi  dans  une  assurance  audacieuse  de  son  rétablis- 
sement ». 

Il  en  fut  même  pour  insinuer  que  cette  affection 
chronique  était  le  résultat  d'une  vie  d'excès,  et  qu'il 
avait  suffi  de  persuader  à  la  princesse  que,  si  elle  con- 
tinuait, elle  courait  à  une  mort  certaine,  pour  la  faire 
renoncer  à  cette  existence  de  dissipation  et  d'orgie. 
Seul,  le  premier  médecin  Lassone  attribua  le  mérite 
de  la  guérison  à  celui  qui  en  était  l'auteur  ;  il  fut 
le  seul  à  lui  rendre  justice  en  cette  occasion. 

Saiffert  insista  auprès  de  la  princesse  pour  qu'elle 
rappelât  son  médecin  habituel,  qu'elle  avait  cessé 
de  voir  pendant  le  cours  de  sa  maladie  ;  elle  n'y  voulut 
point  consentir,  déclarant  qu'elle  n'avait  de  con- 
fiance qu'en  son  sauveur,  et  qu'elle  n'en  consulte- 
rait pas  d'autre  que  lui.  La  malade  ne  se  plaignait 
d'ailleurs  que  d'une  faiblesse  musculaire,  que  Saiffert 
attribua  aux  crampes  et  aux  convulsions  qui  l'avaient 
si  longtemps  éprouvée. 

L'humeur  dartreuse  s'étant  manifestée  à  nouveau, 
Saiffert  conseilla  l'usage  des  bains  de  mer  et  des 
«douches  de  vagues  »,  sinon  pour  la  faire  disparaître, 
au  moins  pour  en  atténuer  l'irritation.  On  nourris- 
sait encore  le  préjugé,  en  France,  que  les  bains  de 
mer  ne  pouvaient  servir  qu'à  guérir  la  folie  ou  la 
rage.  Nous  avons  conté  ailleurs  '7  que,  chez  les  Ro- 
mains, on  prenait  des  bains  de  mer  «  pour  les  mala- 
dies des  nerfs  »  ;  et  Celse,  qui  se  fait  l'écho  des  doc- 
trines médicales  de  son  époque,  assure  qu'on  plongeait 


NÉVROPATHIE   DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    l5l 

déjà  les  enragés  dans  un  bain  de  mer  ou  de  rivière 
chaud,  «  pour  aider  à  la  transpiration  ». 

Cette  médication,  qui  semble  avoir  perdu  de  son 
crédit  pendant  toute  la  durée  du  moyen  âge,  fut 
reprise  aux  xvi^  et  xvii^  siècles  ;  c'était  une  pratique 
alors  courante  et,  comme  nous  l'avons  écrit  naguère, 
«  princes,  grands  capitaines,  grands  seigneurs,  tous 
s'empressaient  d'aller  à  l'Océan  ou  à  la  Manche,  dès 
qu'ils  avaient  été  mordus  ou  seulement  léchés  ». 
Malgré  les  insuccès  que  certains  hommes  de  science 
eurent  le  courage  de  signaler,  à  rencontre  d'une 
croyance  générale,  la  thérapeutique  de  la  rage  par 
l'eau  marine  conservait  encore  à  la  fm  de  l'avant- 
dernier  siècle  nombre  de  partisans.  Quelques  mé- 
decins y  avaient  recours  comme  antispasmodique: 
c'est  sans  doute  à  ce  titre  que  Saiffert  cmt  devoir 
conseiller  ce  traitement  à  Madame  de  Lamballc  ^^. 

A  la  Cour,  on  fit  des  gorges  chaudes  de  cette  fan- 
taisie de  médicastre  en  mal  d'innovations  ;  la  prin- 
cesse, importunée  de  ces  railleries,  supplia  celui-ci  de 
lui  indiquer  un  autre  remède.  On  essaya  des  bains 
alcalins  et  sulfuro-savonneux,  qui  restèrent  sans 
action,  et  on  dut  bientôt  y  renoncer.  C'est  alors  que 
fut  décidé  le  départ  de  la  princesse  ^'>  pour  la  petite 
ville  balnéaire  de  Brightclmston  ^°,  où  elle  se  rendit 
au  mois  de  juin  1787. 

Saiiïert  l'avait  munie  d'une  lettre  pour  le  médecin 
anglais  qui  se  trouvait  en  permanence,  pendant  la 
saison,  à  la  disposition  de  clients  éventuels.  Entre 
autres  particularités  qu'il  signalait  à  son  confrère 
d'outre-Manche,  Saiffert  prévenait  ce  dernier,  qu'il 
pourrait  survenir,  sous  l'influence  du  traitement  que 
la  malade  allait  suivrez,  quelques  mouvements  de 


l52  LA    PRINCESSE   DE    LAMBALLE    INTIME 

fièvre  et  des  éruptions  à  la  peau,  qu'il  n'y  avait  pas 
iieu  de  s'en  émouvoir,  et  qu'il  suffirait  de  lui  faire 
prendre  des  boissons  pouvant  aider  à  provoquer  la 
transpiration,  et  une  alimentation  légère  et  peu  abon- 
dante, pour  dissiper  ce  malaise. 

Après  avoir  pris  connaissance  de  ces  recommanda- 
tions, la  princesse,  très  alarmée  sur  son  état,  alla 
trouver  le  duc  d'Orléans,  son  beau-frère,  et  le  conjura, 
en  versant  d'abondantes  larmes  "=%  d'autoriser  le 
D^  Saiffert  à  l'accompagner  en  Angleterre  ;  lui  seul 
connaissait  son  tempérament,  lui  seul  était  capable 
de  la  soigner.  Saiffert  eut  beau  représenter  que  ses  fonc- 
tions de  premier  médecin  de  la  maison  d'un  prince  du 
sang  lui  imposaient  des  devoirs,  qu'il  ne  pouvait  aban- 
donner un  poste  qu'il  tenait  de  la  confiance  de  Son 
Altesse,  le  duc  lui  donna  toute  liberté  de  partir,  sauf 
à  lui  désigner  un  remplaçant  et  à  revenir  au  premier 
appel.  Le  praticien  mit  alors  en  avant  sa  très  nom- 
breuse clientèle  ;  allait-il  abandonner  ces  malheu- 
reux en  cours  de  traitement,  et  qui  n'avaient  foi 
qu'en  lui  ?  Même  l'offre  d'une  importante  somme 
d'argent  —  24.000  livres  —  ne  réussissait  pas  à  venir 
à  bout  de  la  résolution  du  docteur  saxon.  La  prin- 
cesse insista  de  nouveau  et  son  éloquence  eut,  cette 
fois,  un  meilleur  résultat.  Saiffert  consentit  à  la 
rejoindre  à  Calais,  où  Madame  de  Lamballe  l'atten- 
drait, et  d'où  ils  partiraient  ensemble  pour  la  station 
but  de  leur  voyage. 

La  reine  avait  promis  de  mettre  à  la  disposition 
du  médecin  de  la  princesse  un  carrosse  à  ses  armes  ; 
des  chevaux  de  poste  seraient  tenus  prêts  dans 
tous  les  relais,  afin  qu'il  pût  la  rejoindre  dans  le  plus 
bref  délai,  i  Trois  jours  après,  relate  Saiffert,  j'étais 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    l53 

à  Calais  ;  nous  nous  embarquâmes  deux  jours  plus 
tard  et  fûmes  portés  par  un  très  bon  vent,  en  trois 
heures,  au  petit  port  anglais  de  la  ville  de  Douvres 


"^i^^ 


m 


FIG.  40.   —    LE   Dl'C   D'ORLÉANS 

(D'après  une  peinture  d*Angéllc8  Kaiikkmann) 


Le  jour  suivant,  dans  la  soirée,  nous  étions  à  Londres 
et   douze   jours   après,    nous  partions    pour   Brigh- 
lelnislon  ».  La  princesse  prit  treize  bains  et  autant 
de  «douches  de  vagues  ». 
Les  symptômes  annoncés  par  Saiflert  se  manifes- 


l5î  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

tèrent  comme  il  l'avait  prévu  :  la  malade  eut  de 
la  fièvre,  en  même  temps  qu'une  éruption  rouge, 
assez  analogue  à  une  éruption  miliaire,  sur  toute 
la  peau  du  corps.  En  cinq  jours,  sous  l'influence 
d'une  tisane  purgative,  il  n'y  paraissait  plus. 

Les  bains  de  mer  furent  continués  journellement,  et 
les  douches  supprimées.  Au  bout  de  six  semaines,  la 
malade  ne  s'était  jamais  sentie  aussi  forte  ;  alors 
qu'elle  était,  auparavant,  essoufllée  quand  elle  avait 
fait  cent  pas,  elle  pouvait  maintenant  faire  une  heure 
de  chemin  sans  lassitude.  Son  état  moral  s'était 
aussi  amélioré.  Elle  envoyait  à  sa  «  chère  petite  » 
amie.  Madame  de  Lâge  de  Volude,  une  épître  des 
plus  enjouées,  où  elle  lui  racontait  qu'elle  se  trouvait 
au  mieux  de  son  traitement,  et  qu'elle  menait  une 
existence  pleine  de  distractions.  Elle  avait  entendu 
une  cantatrice,  qui  avait  naguère  donné  des  repré- 
sentations à  Paris,  Madame  Obant,  dont  la  réputa- 
tion lui  paraissait  des  plus  surfaites.  «  Cette  célèbre 
actrice  jouait  le  rôle  de  Ninon,  mais  d'une  manière 
ridicule,  à  faire  mourir  de  rire.  Elle  se  donnait  tant 
de  peine  dans  la  déclamation,  qu'elle  était  tout  en 
nage.  »  Et  elle  terminait  par  ces  mots  :  «  Adieu,  ma 
petite,  je  vais  me  coucher,  pour  être  demain  de  bonne 
heure  dans  les  bains  '^^.  » 

Dès  que  fut  connu  le  départ  de  Madame  de  Lam- 
b^lle  pour  l'Angleterre,  on  fit  des  «  conjectures  à 
perte  de  vue  »  sur  ce  voyage.  «  L'opinion  la  plus  géaé 
raie  de  la  Cour  »,  contaient  les  folliculaires  ^^  est 
que  «  la  princesse  va  négocier  auprès  de  M.  de  Ga- 
lonné, afin  de  l'empêcher  de  rendre  publics,  dans  son 
Mémoire,  des  articles  faits  pour  rester  dans  le  secret, 
comme  des  secours  d'argent  envoyés  par  l'empe- 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    1 55 

reur  à  son  auguste  sœur,  etc.  Ce  qui  contrarie  un 
peu  cette  opinion,  c'est  que  M.  de  Galonné  est  en 
Hollande,  à  moins  qu'on  ne  suppose  que  la  surin- 
tendante ait  passé  d'abord  en  ce  pays-là,  ou,  pour 
moins  d'alTectation,  ait  assigné  à  l'ex-contrôleur 
général  rendez-vous  dans  la  Grande-Bretagne  ».  En 
réalité,  ce  voyage  ne  reconnaissait  pas  d'autre  motif 
que  la  santé  de  la  princesse,  et  si  celle-ci  fut  chargée, 
occasionnellement,  de  missions  plus  ou  moins  mys- 
térieuses, la  preuve  n'en  est  point  établie. 

Madame  de  Polignac  s'était  rendue  dans  le  même 
temps,  également  pour  les  soins  de  sa  santé,  en  Angle- 
terre. Lorsque  la  reine  eut  accepté  sa  démission, 
qu'elle  lui  avait  plusieurs  fois  offerte,  ce  fut  une  pluie 
d'épigrammes  et  de  quolibets.  Il  restait  toujours  à  la 
Cour  un  parti  qui  ne  consentait  pas  à  désarmer,  sur- 
tout à  l'égard  de  Madame  de  Lamballe.  Afm  de 
I)€rdre  celle-ci  dans  l'esprit  de  Marie-Antoinette,  ses 
ennemis  firent  courir  le  bruit  que  la  princesse  affichait 
son  médecin  et  que  leur  liaison  n'était  pour  personne 
un  mystère  ;  sans  respect  pour  son  rang,  elle  l'éta- 
lait  scandaleusement  aux  yeux  du  public.  Saiffert 
eut  connaissance  de  cette  rumeur  par  un  valet  de 
chambre  du  roi  qui  lui  était  dévoué.  Il  se  garda  d'en 
parler  tout  d'abord  à  l'intéressée,  afin,  dit-il,  de  ne 
pas  l'attrister.  Il  se  proposait  de  faire  taire  la  ca- 
lomnie, lorsqu'il  serait  rentré  à  Paris. 

Pendant  son  séjour  à  Brighton,  SaifTert  eut  de 
fréquents  entretiens  avec  différents  hommes  d'État 
de  l'Angleterre,  entre  autres  avec  le  prince  de  Galles 
et  son  oncle,  le  duc  de  Cumberland,  qu'il  rencontrait 
tous  les  jours.  Comme  SaifTert  soutenait  l'opinion 
qu'un  cataclysme  était  prochain,  ses  interlocuteurs 


l56  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

se  refusaient  à  y  croire,  en  raison  de  la  frivolité 
naturelle  des  Français  et  de  leur  attachement  aux 
institutions   monarchiques. 

Le  docteur  faisait  remonter  l'origine  de  la  Ré- 
volution à  l'intervention  de  Voltaire  dans  l'af- 
faire Calas,  «  première  réaction  contre  la  politique 
religieuse  de  Louis  XIV  et  des  dernières  années 
de  son  règne  »  ;  aux  dettes  et  aux  débauches  de 
Louis  XV,  qui  avait  donné  l'exemple,  un  exemple 
partant  de  haut,  de  la  corruption  des  mœurs,  et 
habitué  le  peuple  à  ne  plus  respecter  ses  souverains. 
Saifîert  expliqua,  en  outre,  à  ses  auditeurs  à  la  suite 
de  quelles  circonstances  Marie-Antoinette  était  de- 
venue impopulaire. 

La  jeune  archiduchesse  arrivée  de  Vienne  avait 
été,  au  début,  généralement  adulée,  mais  elle  n'avait 
pas  tardé  à  commettre  une  de  ces  fautes  qui  lui 
aliénèrent  les  sympathies  des  Français  ;  cette  faute, 
ce  fut  son  frère  qui  s'en  rendit  coupable.  Invoquant 
sa  qualité  de  fils  d'Empereur,  il  refusa  de  rendre,  le 
premier,  visite  aux  princes  de  sang  royal  ;  il  exigea 
que  ceux-ci  prissent  les  devants.  La  reine,  ne  mesu- 
rant pas  l'offense  que  son  frère  faisait  à  des  person- 
nages d'une  fierté  aussi  cha.ouilleuse,  ordonna  leur 
soumission.  Les  princes  ayant  refusé  d'obéir  à  cet 
ordre,  toute  la  noblesse  prit  parti  pour  eux,  et  la 
reine  fut  dès  lors  considérée  comme  une  ennemie  de 
la  France.  A  partir  de  ce  moment,  les  Ubelles  les  plus 
infâmes  furent  imprimés,  puis  répandus  à  profusion  ; 
il  en  fut  distribué  jusqu'aux  marmitons  (sic)^  dans  les 
ateliers  de  la  capitale  et  dans  toutes  les  villes  du 
royaume.  A  la  Cour,  loin  d'endiguer  ce  flot  de  boue, 
on  en  favorisait  l'écoulement,  ne  croyant  pas  qu'en 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    iSj 

fin  de  compte,  il  entraînerait  les  princes  à  leur  tour. 

D'autre  part,  un  certain  nombre  de  dissidents  se 

groupaient  autour  de  la  reine  outragée  et,  sous  sa 

puissante  protection,  répandaient  tout  ce  qui  pou- 


FIG.   41.   —  MADAME  DK  POLIGNAC 


vait  rendre  les  princes  méprisables  ou  odieux.  Tout 

'  ('la  faisait  prévoir,  à  une  échéance  plus  ou  moins 

ipprochée,  la  catastrophe  inéluctable,  la  chute  du 

)Uvoir  royal. 

Une  autre  cause,  d'après  Saiiïcrt,  parmi  celles 
qui  préparèrent  la  Révolution,  était  Tabus   qu'on 


l58  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

avait  fait,  sous  le  règne  précédent,  des  lettres  de 
cachet,  «  que  l'infâme  ministre  La  Vrillière  faisait 
vendre  presque  ouvertement  par  une  fille  publique, 
du  nom  de  Sabastin».  Un  bourgeois,  qui  avait  une 
femme  sur  laquelle  un  fermier  général  ou  un  riche 
financier  avait  jeté  son  dévolu,  courait  à  chaque 
heure  le  risque  d'être  arrêté,  comme  ennemi  du  roi 
ou  traître  d'État  :  de  là,  des  haines  sourdes,  des 
désirs  de  vengeance,  qui  n'attendaient  qu'une  occa- 
sion pour  se  satisfaire. 

La  noblesse  de  cour  s'était,  d'autre  part,  rendue 
méprisable  par  les  mariages  d'argent  qu'elle  contrac 
tait  avec  les  filles  des  traitants,  enrichis  aux 
dépens  du  peuple.  Les  hobereaux  voyaient  d'un 
œil  jaloux  les  meilleures  prébendes,  les  places  les 
plus  lucratives  réservées  à  la  noblesse  de  cour  ; 
quant  à  la  noblesse  de  plume,  ainsi  désignait-on  la 
magistrature,  elle  avait  provoqué  l'hostilité  popu- 
laire, par  ses  impositions  onéreuses  autant  que  tra- 
cassières. 

Les  différents  ministres  qui  s'étaient  succédé  au 
pouvoir  avaient  fait  commerce  de  charges  aussi 
nombreuses  qu'inutiles  et  avaient  porté  à  l'excès  le 
trafic  des  lettres  de  noblesse.  Les  fermiers  généraux 
avaient  acquis  les  plus  belles  propriétés  et  les  plus 
beaux  domaines,  et  ils  se  faisaient  construire,  à  Paris, 
de  superbes  palais.  Saifïert  pari?,  ensuite  du  ministre 
Maurepas,  qui  avait  engagé  Louis  XVI  dans  la  lutte 
que  les  Colombiens  avaient  soutenue  pour  leur  indé- 
pendance. Il  signala,  incidemment,  un  fait  curieux, 
qui,  croyons-nous,  n'a  pas  encore  été  relevé,  comme 
ayant  été  de  quelque  influence  sur  la  Révolution 
française.  Maurepas  avait  favorisé  l'entrée  en  France 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    l59 

d'un  journal  publié  en  Angleterre,  Ig  Courrier  euro- 
p'ien,  qui  faisait  connaître,  sous  une  forme  abrégée, 
toutes  les  mesures  libérales  adoptées  par  la  législa- 


FIG.  42.  —  M.   DE  MaUBEPAS,  MINISTRE  DE   LOUIS  XVI 


tien  anglaise  ;  cela  n'aurait  pas  peu  contribué,  selon 
le  docteur  allemand,  à  gagner  nombre  de  PYançais 
aux  idées  nouvelles,  en  se  réclamant  de  la  constitu- 
tion britannique.  Le  gouvernement  royal  «  aurait  dû 


l6o  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

aussitôt,  pour  son  propre  bien  (ajoutait  Saiiïerl),  in- 
troduire de  grandes  améliorations  ;  et  c'est  ce  qu'il 
ne  fit  pas  ». 

Saifïert  rappela,  en  outre,  le  traité  de  commerce 
conclu  entre  la  France  et  l'Angleterre,  et  dont  les 
causes  étaient  notoirement  préjudiciables  aux  inté- 
rêts français  ;  nos  voisins  d'outre-Manche  trouvèrent 
ainsi  le  moyen  de  se  rembourser  des  pertes  qu'ils 
avaient  subies  en  Amérique,  en  même  temps  qu'ils 
envoyaient  dans  nos  provinces  des  émissaires  se- 
cretS;  munis  de  passeports  de  négociants  qui,  sous 
prétexte  de  commerce,  exploitaient  et  entretenaient 
le  mécontentement  général. 

Sur  ces  entrefaites,  un  ministre  de  la  Guerre,  cou- 
rageux mais  impolitique,  M.  de  Ségur,  portait  au 
pouvoir  royal  le  coup  de  grâce,  en  publiant,  au  nom 
du  roi,  un  décret  en  vertu  duquel  étaient  exclus  de 
toutes  charges  au  delà  de  celles  de  colonel  en  second, 
quiconque  ne  pouvait  justifier  de  quelques  quartiers 
de  noblesse  ;  se  trouvèrent  de  la  sorte  exclus  des  fonc- 
tions supérieures  tous  ceux  qui,  en  dépit  de  leurs 
talents  ou  de  leurs  connaissances,  n'avaient  pas  des 
droits  de  naissance  à  invoquer.  Et  Saifïert  de  con- 
clure, qu'à  part  les  courtisans,  le  haut  clergé,  les 
fermiers  généraux  et  ceux  qui  étaient  pourvus  de 
quelques  privilèges,  tout  le  monde  en  France  était 
mécontent  et  se  plaignait  que  la  dette  publique,  déjà 
accrue  par  la  guerre,  allât  en  augmentant,  par 
suite  des  prodigalités  et  du  luxe  croissants  de  la 
Cour  ;  il  ne  voyait  d'autres  remèdes  à  cette  «  maladie 
d'État  »,  que  d'imposer  tous  les  profiteurs  du  régime 
jusqu'au  rétablissement  complet  des  finances,  et  de 
ne  plus  admettre  les  prérogatives  de  naissance  pour 


NÉVROPATIIIE    DE    LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    l6l 

l'accès  aux  fonctions  jusque-là  réservées  à  ceux  qui 
s'en  réclamaient,  tant  dans  les  services  publics  que 
dans  l'armée.  Toute  autre  médication  n'était  que 
drogues  de  charlatans,  qui  ne  songeaient  qu'à  s'en- 


FIG.  43.  —  MAHIK-AMOINI/ITK 

(D'après  un' portrait  de   son  maître  <J'écri(iire  Bernard,   en  180) 


richir  et  à  se  maintenir  dans  leurs  places  et,  malheu- 
reusement, c'était  à  ces  derniers  que  la  Cour  prêtait 
une  oreille  docile.  De  pareils  propos  ne  pouvaient 
que  rendre  suspect  celui  qui  les  tenait.  On  se  chargea 
(le  les  rapporter  en  France  et  le  bruit  en  parvint  jus- 
qu'à la  Cour. 

n 


l62  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Entre  temps,  la  princesse  de  Lamballc  avait  reçu 
de  la  reine  une  lettre  où  Marie-Antoinette  lui  disait 
en  substance,  qu'elle  avait  appris  avec  joie  son  réta- 
blissement complet,  sous  l'influence  du  traitement 
marin  et  principalement  des  douches  de  vagues  ; 
qu'elle  n'avait,  par  suite,  plus  de  raison  de  conserver 
auprès  d'elle  son  médecin,  dont  la  présence  ne  lui 
était  plus  indispensable  ;  que  ses  malades  le  récla- 
maient, d'ailleurs,  de  tous  les  côtés,  et  que  le  roi  se 
proposait  de  le  rappeler,  s'il  différait  son  retour. 
Cette  lettre  ayant  été  communiquée  par  Madame  de 
Lamballe  au  docteur  Saifïert,  celui-ci  lui  fit  part,  à 
son  tour,  des  avis  qui  lui  étaient  parvenus,  et  qu'il 
avait  cru  devoir  lui  taire,  pour  ne  pas  lui  causer  de 
contrariété.  Il  s'expliquait  que  des  êtres  vicieux 
pussent  lui  prêter  les  sentiments  qu'ils  éprouvaient 
eux-mêmes,  mais  il  était  d'avis  de  leur  opposer  le 
plus  parfait  mépris.  «  Princesse,  lui  dit-il,  en  termi- 
nant l'entretien,  l'ingratitude  que  j'ai  éprouvée  à 
Paris,  de  la  plupart  de  ceux  à  qui  j'ai  prodigué  mes 
soins,  ne  m'a  fait  que  davantage  apprécier  la  recon- 
naissance que  certains  m'ont  exprimée.  Vous  m'en 
avez  donné  des  marques  si  manifestes,  que  je  me 
considérerai  toujours  comme  votre  débiteur.  »  Après 
cette  protestation  mutuelle  de  leurs  sentiments,  ils 
envisagèi^ent  quelle  attitude  ils  devraient  observer  en 
présence  de  l'injonction  du  roi. 

Saifïert  déniait  au  monarque  français  tout  pou- 
voir sur  lui  :  en  sa  qualité  d'étranger,  il  échappait  à 
sa  juridiction.  Rien  ne  l'empêcherait,  au  reste,  de 
s'établir  en  Angleterre,  où  on  lui  offrait  des  avan- 
tages qui  le  dédommageraient  amplement  de  la 
situation  qu'il  perdrait  en  France.  La  princesse  nro- 


I'..  11.  — 


IJI.HIDENCK    DK    LA     lltlNf  ISSE    DE    LAMDALLE,    A     PA88Y 


l64  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

mit  d'écrire  dans  ce  sens  à  la  reine  et,  quelques  jours 
après,  celle-ci  s'excusait  d'avoir  offensé  un  homme 
dont  l'honorabilité  et  le  renom  scientifique  le  met- 
taient au-dessus  de  tout  soupçon.  «  Le  roi,  mandait 
de  son  côté  Louis  XVI  à  sa  «  chère  cousine  »,  s'est 
oublié  un  moment,  vous  obtiendrez  donc  pour  lui 
un  très  facile  pardon  ;  dites  à  cet  homme,  à  bon  droit 
outragé,  que  je  serais  très  peiné  d'avoir  rendu  sa 
résolution  irrévocable  par  une  étourderie  bien  inno- 
cente. Vous  déploierez,  ma  chère  cousine,  je  n'en 
doute  pas,  toute  votre  grâce  et  votre  pouvoir  pour 
obtenir  mon  pardon  ;  vous  emploierez  tout  votre 
zèle  à  faire  ma  paix  avec  lui,  et  à  le  ramener  avec 
vous  à  Paris;  moi  et  la  reine,  comptons  comme  aupa- 
ravant, en  cas  de  besoin,  avec  la  plus  grande  con- 
fiance, sur  ses  conseils  et  son  assistance.  » 

Saiffert  désirait,  avant  de  s'en  retourner,  voir  en 
détail  le  fonctionnement  des  hôpitaux,  non  pas  seu- 
lement ceux  de  Londres,  mais  ceux  des  provinces 
du  Royaume-Uni  ;  il  voulait  pouvoir  établir  une  com- 
paraison entre  ces  établissements  et  ceux  qu'il  avait 
déjà  visités  dans  d'autres  pays  ;  la  princesse  insista 
tellement  pour  l'accompagner,  qu'il  finit  par  céder 
à  ses  instances. 

A  son  retour  à  Paris,  le  docteur  Saifîert  reçut,  du 
roi  et  de  la  reine,  les  marques  les  plus  flatteuses 
d'estime,  en  présence  de  la  princesse  et  d'autres  person- 
nages du  rang  le  plus  élevé  à  la  Cour  ;  il  n'en  fallut 
pas  plus  pour  imposer  silence  aux  calomniateurs  et 
aux  envieux. 

A  s'en  rapporter  au  récit  de  Saifîert,  il  semble 
que  Madame  de  Lamballe,  fatiguée  de  la  vie  factice 
de  la  Cour,  ait  un  moment  songé  à  se  retirer  à  la 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    l65 

campagne,  pour  y  mener  une  existence  paisible, 
loin  des  tracas  et  des  intrigues,  préjudiciables 
à  sa  fragile  santé.  Elle  disait  en  conlidence  à 
son  médecin  qu'elle  était  résolue,  avec  les  écono- 
mies qu'elle  avait  réalisées,  à  acheter  un  domaine. 


FIG.   45,  —   LA    IMUiNCF-SSli    DE    LAMHALLE 

(D'après  uoe  peinlure  de  Bornet) 


OÙ  elle  pourrait  mener  une  existence  tranquille  et 
passer  le  temps  qui  lui  restait  à  vivre  à  soulager  les 
malades  et  les  nécessiteux  ;  elle  avait  même  com- 
mencé à  réaliser  son  projet,  en  faisant  l'acquisition 
de  deux  fermes,  (jui  étaient  entièrement  payées 
peu  de  temps  avant  son  horrible  lin. 

Nulle  femme,  au  dire  de  Saiffert,  n'était  phis  bu n- 
faisante  et  ne  se  rendait  mieux  compte  des  abus 


l66  LA    PKINCESSE    DE    LAMlJALLE    INTIME 

vexatoires  du  gouvernement,  qu'elle  eût  voulu,  si 
elle  en  avait  eu  les  moyens,  contribuer  à  faire 
cesser;  elle  reconnaissait  que  si  le  roi  était  bien 
intentionné,  il  était  loin  d'en  être  de  même  de  la 
reine  et  de  ses  frères. 

Jusqu'aux  premiers  jours  de  la  Révolution,  l'état 
de  santé  de  Madame  de  Lamballe  n'avait  plus 
donné  d'alarmes  à  son  médecin  ^'^.  Dès  que  se  firent 
entendre  les  premiers  grondements  de  l'orage  révo- 
lutionnaire, la  frayeur  fit  retomber  la  malade  dans 
ses  crises  nerveuses.  En  vain  son  médecin  l'assurait-il 
de  l'impossibilité  d'une  rechute,  en  vain  il  lui  admi- 
nistrait les  drogues  qui,  d'ordinaire,  réussissaient 
à  calmer  ses  accès,  entre  autres  cet  esprit  de  nitre 
dulcifié  dont  il  avait  si  souvent  constaté  refiicacité, 
les  deux  nuits  du  12  au  14  juillet  1789,  Saifîert 
dut  les  passer  au  chevet  de  la  princesse,  entourée 
de  ses  femmes  de  service,  qui  ne  la  quittèrent  pas 
un  seul  instant. 

La  princesse  n'était  pas  à  Versailles,  lors  des  évé- 
nements des  5  et  6  octobre,  quand  la  populace  con- 
traignit le  roi  et  la  reine  à  rentrer  à  Paris,  en  les  pré- 
cédant avec  deux  têtes  de  gardes  du  corps,  fichées 
sur  des  piques,  vociférant  d'ignobles  chansons,  in- 
sultant le  boulanger,  la  boulangère  et  le  pelit  mitron. 

Le  roi  supporta  ces  outrages  avec  une  dignité  tran- 
quille, la  reine  brava  l'insulte  avec  fierté,  presque 
avec  défi,  tandis  que  le  dauphin,  sur  ses  genoux, 
soupirait  plaintivement  :  «  J'ai  faim  !  »  Cet  atroce 
spectacle  fut  épargné  à  l'amie  de  la  reine.  Madame 
de  Lamballe  se  retrouva  cependant  aux  côtés  de  sa 
souveraine,  aux  Tuileries,  le  lendemain  de  l'événe- 
ment. On  lui  avait  réservé  un  appartement  au  pavil- 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    167 

Ion  de  Flore,   qu'elle  appelait   en  plaisantant  son 
donjon  ^5. 

Tandis  que  la  haute  société  avait  émigré 
en  masse  au  lendemain  de  la  prise  de  la  Bastille, 
la  princesse  avait  refusé  de  prendre  part  à  ce  decam- 
pativos  général,  comme  Je  qualifiait  Camille  Desmou- 
lins. Elle  se  croyait  aimée  du  peuple  et  en  sécurité 


FFG.  46.  —    LA    PRINCLSSK  DK   LAMDALLE 

(Daprès  un  médaillon  .ipparlenant  à  M.  Otto  Fiueduichs) 

dans  la  capitale.  Un  mois  à  peine  plus  tard  2^  elle 
commençait  à  montrer  moins  d'optimisme.  «  Nous 
sommes,  mandait-elle  à  sa  cousine,  dans  la  narchie 
(sic)  la  plus  affreuse  ;  quelque  plaisir  que  j'aie  à  vous 
voir,  je  ne  vous  conseille  pas  de  venir  cet  hiver, 
i'nris  n'est  plus  qu'une  aiïreuse  habitation  ;  actuol- 
h'MK'iil,  tout  le  monde  s*en  va  en  pays  étranger.  » 
Elle  remerciait  sa  cousine  de  lui  offrir  un  asile,  et  elle 


l68  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

aurait  accepté  sa  proposition,  si  elle  n'avait  été  as- 
surée de  l'amour  que  le  peuple  lui  portait.  «  Le  peuple, 
écrivait-elle,  m'aime  beaucoup;  il  m'a  rendu  justice, 
en  me  distinguant  des  personnes  qu'il  soupçonnait 
lui  être  contraires.  D'ailleurs,  ma  conduite  a  bien 
prouvé  que  je  ne  me  mêlais  de  rien,  ni  ne  voulais 
entrer  dans  aucune  intrigue.  Quoique  ma  position 
soit  des  plus  critiques,  j'ai  été  assez  heureuse  de  m'en 
tirer  sans  me  brouiller  avec  personne.  »  Quelques 
jours  plus  tard,  elle  s'installait  à  Eu,  chez  son  beau- 
père,  le  duc  de  Penthièvre,afin  d'y  refaire  sa  santé, 
«  attendu  que  la  Normandie  est  plus  calme  que 
Paris,  et  qu'il  était  nécessaire  de  changer  d'air 
pour  reprendre  des  forces,  à  quoi  le  tumulte  et  les 
propos  nuisaient  infiniment  ». 

Le  21  août,  Madame  de  Lamballe  reprend  sa  cor- 
respondance avec  sa  parente,  correspondance  qu'elle 
a  dû  interrompre,  par  suite  d'une  fièvre  qui  l'a  tenue 
pendant  «  trente-neuf  maudits  jours  »,  et  qui  l'ont 
mise  «  en  un  état  pitoyable  ».  Ses  forces  sont  reve- 
nues, et  elle  en  profite  pour  remercier  «  l'aimable 
cousinette  »  de  l'intérêt  qu'elle  lui  a  témoigné  pen- 
dant sa  maladie,  et  elle  poursuit; 

Si  j'avais  été  en  santé  pendant  les  malheureux  troubles, 
j'aurais  été  me  réfugier  chez  vous  au  lieu  de  rester  au 
milieu  des  canons  et  des  coups  de  fusils  et  à  voir  passer 
devant  mes  fenêtres  des  têtes  coupées  ;  si  le  bourgeois 
n'avait  pas  pris  les  armes,  Paris  était  saccagé  d'une 
manière  horrible  ainsi  que  les  habitants,  et  c'est  à  la 
conduite  du  prince  fugitif,  à  la  noblesse  et  à  la  société 
du  prince  que  nous  devons  d'avoir  été  dans  une  posi- 
tion qui  inévitablement  fait  encore  frémir  quand  on  y 
songe.  J'attends  la  Constitution  avec  impatience  pour 
sortir  de  la  misérable  situation  où  nous  sommes,  mais 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     169 

ces  messieurs  des  Etats  généraux  paraissent  prendre 
infiniment  plus  d'intérêt  à  faire  paraître  leur  éloquence 
qu'au  bonheur  de  la  nation  et  ne  finissent  à  rien,  ce 
qui  fait  que  nous  sommes  toujours  dans  les  mêmes 
transes;  depuis  un  mois  ils  sont  à  discuter  sur  «  les  droits 
de  l'homme  »  pour  être  mis  en  tête  de  la  Constitution  2^. 

La  princesse  était  à  Eu,  quand  un  courrier, 
arrivé  au  château  le  7  octobre  (1789),  à  9  heures  du 
soir,  apporta  la  nouvelle  de  la  manifestation  de  Ver- 
sailles et  du  retour  du  roi  aux  Tuileries.  Deux  heures 
après.  Madame  de  Lamballe  prenait  la  route  de  la 
capitale,  «  par  un  temps  épouvantable  et  la  plus 
obscure  des  nuits  ^^  »  ;  malgré  une  «  santé  passa- 
blement bonne  »,  elle  s'empressait  de  reprendre  le 
poste  d'honneur  et  de  péril  qu'elle  ne  devait  plus 
quitter,  que  pour  gravir  son  dernier   calvaire 


I^^OTES  DU  CHAPITRE  VII 


1.  Correspondance  aecrèle  entre  Marie-Thérèse  el  Mercy-Anjcn- 
eau  (BiBL.  NA.T.,  Lb  39  11.092). 

2.  Mè m.  secrets,  t.  IX,  48. 

3.  Id.,  t.  XXX II,  34H. 

4.  Pour  la  relation  de  sa  maladie,  nous  suivons  l'obser- 
vation rédigée  par  le  docteur  Saiffert  (6»  observation  de  son 
Traité  des  maladies  chroniques,  t.  I,  pp.  231  et  s.),  traduite  de 
l'allemand  à  notre  intention  par  M.  Louis  Vicat,  dont  la  tra- 
duction a  été  revue  par  M.  Otto  Friedricus.  Nous  possé- 
dons cette  traduction  depuis  1896,  et  si  nous  ne  lavons  uti- 
lisée plus  tôt,  c'est  que  nous  avons  pour  principe  de  n'en- 
treprendre aucune  publication  avant  que  notre  documenta- 
tion soit  aussi  complète  quil  est  possible.  D'autres  ont 
moins  de  scrupules;  nous  ne  modifierons  pas,  pour  cela, 
notre  habituelle  méthode  de  travail. 

5.  Ce  remède,  employé  depuis  longtemps  en  Allemagne, 
était  à  peu  près  inconnu  en  France;  seul,  le  fameux  apothi- 
caire Moyse  Charas  savait  le  préparer.  Les  autres  pharma- 
ciens lui  substituaient  l'esprit  de  nitre  acide,  qui  ne  jouis- 
sait pas  des  mêmes  propriétés,  au  dire  de  Saiffert  qui  faisait 
du  premier  un  fréquent  usage. 

6.  Cette  jeune  fille,  déclarée  par  Saiffert  épileptique,  se 
maria  plus  tard  et  mit  au  monde,  en  cinq  années,  3  enfants, 
parfaitement  sains  ;  mais  était-ce  de  l'épilepsie  vraie?  Saif- 
fert convient  lui-même  qu'il  s'agissait  d'une  •<  léthargie  ca- 
taleptique chronique,  précédée  de  convulsions  »;  cela  res- 
semble fort  à  de  l'hystérie,  ou  tout  au  plus,  à  de  l'hystéro- 
épilepsie. 

7.  Elle  s'était  fait  inoculer  àPassy(G.  Bertin,  i]fme  de  Lam- 
balle,  135). 

8.  Mémoires  du  comte  de  TiUy,  t.  I,  135,  note. 

9.  Les  pamphlets,  même  les  plus  violents,  reconnaissent 
la  vertu  de  la  princesse  :  ainsi  lit-on,  dans  la  Confession  de 
Louis-Henri-Joseph,  duc  de  Bourbon  (pp.  42  et  43  d'un  ra- 
rissime  pamphlet  intitulé  :  Caressions  générales  des  princes  de 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     I7I 

S.  <g  royal,  auteurs  de  la  cabale  aristocratique,  etc.  A  Aristocra- 
tie, chez  Mainmorte,  imprimeur  des  Commandements  se- 
crets de  S.  A.  Royale  Mgr.  le  comte  d'Artois,  178:^)  :  «  Je  por- 
tai mon  encens  dans  la  maison  de  Penthièvre  et  je  fus 
rebuté.  La  farouche  vertu  de  la  princesse  de  Lamballe 
m'effraya.  »  On  a  chuchoté  que  son  mari  lui  aurait  commu- 
niqué son  mal,  aucune  preuve  irrécusable  n'en  a  été  donnée, 
mais  il  n'y  aurait  rien  d'impossible  à  ce  qu'elle  eût  été  con- 
taminée parce  triste  débauché,  qui  eut  le  temps,  avant  de 
mourir,  d'en  infecter  bien  d'autres.  Nous  rappelons,  inci- 
demment, que  Mirabeau  s'était  vanté  d'avoir  obtenu  les  fa- 
veurs de  la  princesse.  Un  des  historiographes  les  plus  do- 
cumentés de  la  vie,  passablement  mouvementée,  du  tribun 
révolutionnaire,  M.  Paul  Cottin,  nous  écrivait  àce  sujet  (le 
18  mai  1902)  :  «  Jusqu'à  preuve  du  contraire,  il  m'est  bien 
difficile  de  croire  à  la  réalité  des  relations  de  Mme  de  Lam- 
balle avec  Mirabeau  :  il  n'était  pas  en  rapports  avec  la  Cour 
à  cette  époque,  et  puis  on  ne  connaît  point  d'amants  à  la 
princesse.  Enfin,  Mirabeau  n'aurait  pas  eu  l'imprudence 
d'écrire  son  nom  en  toutes  lettres,  si  la  chose  eût  été  vraie, 
et  risqué  de  perdre  ainsi  une  protectrice  puissante.  »  Tout 
ce  que  l'on  sait  de  certain,  c'est  qu'en  1777,  la  princesse, 
accompagnée  de  la  duchesse  de  Chartres,  avait  visité  le 
donjon  de  Vincennes.et  qu'à  cette  occasion,  M.  Amelot,  alors 
ministre,  avait  envoyé  une  mercuriale  assez  vive  au  com- 
mandant du  château,  pour  y  avoir  laissé  pénétrer  des  visi- 
teurs sans  un  ordre  du  roi  (Cf.  Archives  historiques,  1889-1890, 
454). 

10.  Journal  de  hiblio'jraphie  médicale,  oct.  1819,  348. 

11.  l»'autres  ont  traduit:  «  Extrait  de  pensée  germanique  ou 
de  Mayence  ».  Cloquet,  infrà  cit.,  372. 

12.  Faune  des  médecins,  par  Hippolyte  Cloquet,  II  (1822),  371. 

13.  n.  Cloquet,  loc.  cit. 

14.  f^lle  en  voulait  surtout  aux  médecins  fran(;ais  de  l'avoir 
«  si  fortement  cflrayée»  au  sujet  de  la  maladie  de  son  amie. 
«  Ils  m'ont,  dit-elle  à  Saiffert,  débité  tant  d'inepties  sur  votre 
traitement,  que  ma  foi  !  j'ai  le  droit  de  montrer  un  peu  mon 
mécontentement  pour  leur  bêtise.  »  Saiffert,  nous  devons 
le  reconnaître,  prit  la  défense  de  la  science  médicale  fran- 
çaise, déclarant  très  loyalement  que  a  Paris  et  Montpellier 
ont  produit  des  maîtres,  avec  lesquels  on  ne  peut  mettre  en 
parallèle  aucun  Allemand  ». 

1.'».  Saiffert  avait  proposé  de  mettre  les  quatre  angles  du  bâ- 
timent dont  il  demandait  la  construction,  à  l'abri  des  quatre 


172  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

vents  principaux,  et  pourse  préserver  notamment  du  vent  di 
sud,   il  voulait  établir  un  cours   d'eau  entre  le  b.Uiment  et 
l'endroit  où  ce  vent  souflait  avec  le  plus  de  violence.  La  plu- 
part des  personnes  à  qui  il  soumit  ses  idées,  les  fiualifiè- 
rent  de  «  superstition  allemande  ». 

15.  L'empoisonnement  aui-ait  eu  lieu  au  mois  de  mai  17S5 
(Cf.  Mém.  historiques  de  Marie-Thérèse- Louise  de  Carignan,  prin- 
cesse de  Lamhalle,  une  des  principales  victimes  immolées  dans  les 
horribles  journées  des  2  et  3  sept.  1792,  par  Mme  Glénard, 
t.  III;  Paris,  -1801;  Si  et  s.).  D'après  la  version  rap- 
portée dans  cet  ouvrag:e,  dont  les  assertions  doivent  être 
contrôlées,  l'intoxication  serait  imputable  au  cuisinier,  qui 
aurait  laissé  refroidir  un  ragoût  dans  une  casserole  de 
cuivre.  Plus  lard,  en  jouant  avec  son  neveu  et  ses  nièces, 
M.  de  Beaujolais  et  ses  frères  et  sœurs,  la  princesse  avait 
eu  son  pied  accroché  par  une  racine,  et  était  tombée  de  sa 
hauteur.  Quelques  jours  après  sa  chute,  des  complications 
survenaient  et  lesmédecins  et  chirurgiens  appelés  parlèrent 
de  lui  faire  subir  l'opération  du  trépan.  Heureusement,  es 
remèdes  employés  suffirent  à  dissiper  les  symptômes  qui 
avaient  un  moment  inquiété  la  Faculté  ;  les  médecins  renon- 
cèrent dès  lors  à  une  intervention  dont  les  suites  pouvaient 
n'être  pas  dépourvues  de  gravité.  Postérieurement,  nous 
ne  trouvons  à  signaler,  dans  l'observation  médicale  de 
Mme  de  I.amballe,  qu'un  mal  de  gorge  assez  violent,  sur- 
venu dans  Ihiver  de  1786.  (Archives  de  Dresde,  dépêche  du 
6  décembre  178G,  citée  par  Jules  Flammeumont,  les  Corres- 
pondances des  agents  diplomatiques  étrangers  en  France  avant  la 
Révolution,  211.) 

17.  Quelques  notes  historiques  sur  la  Thalassothérapie 
{Bulletin  général  de  thérapeutique,  30  sept.  1909). 

18.  Dans  une  autre  circonstance,  Saitïert  se  révéla  précur- 
seur :  appelé  par  la  reine  auprès  du  premier  Dauphin,  at- 
teint de  carie  tuberculeuse  des  vertèbres,  le  médecin  con- 
seilla les  bains  de  mer;  c'était  une  idée  assez  neuve,  pour 
l'époque,  et  qui  fut  d'ailleurs  accueillie  avec  scepticisme  par 
les  médecins  de  la  Cour,  qui  ne  prévoyaient  pas  la  vogue 
future  de  Berck  et  les  bienfaits  de  la  cure  marine  dans  une 
affection  rebelle  à  toute  autre  médication. 

19.  Dans  sa  dépèche  du  18  mai  1787,  le  représentant  du  roi 
de  Saxe  en  France  mandait  à  son  gouvernement,  que  la  prin- 
cesse de  Lamballe  s'apprêtait  à  se  rendre  «  au  mois  de  juil- 
let, en  Angleterre,  y  prendre  les  bains  de  mer,  d'après  l'or- 
donnance du  docteur  Seyffert,  notre  compatriote,     ui  est 


NÉVROPATHIE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAM BALLE     1 78 

fort  en  vogue  ici  ».  Il  dit,  en  outre,  que  la  reine,  depuis  le 
départ  de  Mme  de  Polignac,  passe  trois  jours  de  la  semaine 
chez  la  princesse,  et  les  quatre  autres  jours,  chez  Mme  d'Os- 


no.    47.  —   LADY    I  ITZIIEnHEHT,    FAVOHITE   DE  CEORGE  IV 


sun,"  où  In  société  est  un  peu  plus  resserrée».  Flammeumoht, 
op.  cit.,2\'^. 

20.  Elle  se  rencontra,  durant  son  séjour  A  Brighlon,  avec 
I.idy  Filzhcrbert,  la  favorilc  de  George  IV  d'Angleterre.  «  Le 
prince  soupait  entre  Mme  de  Lamballe  et  Mme  l'ilzherbert, 
quand  on  lui  annonça  le  retour  de  son  frère,  le  duc  d'York, 
«•\ilé  depuis  sept  ans.  Sans  perdre  un  instant,  il  se  mit  en 
route  pour  Windsor.  »  La  princesse  se  trouva  parfaitement 


174  LA    PRINCESSE   DE    LAMBALLE    INTIME 

bien  des  bains,  dit  une  gazette  de  l'époque.  «  La  manière 
noble  dont  S.  A.  a  vécu  à  Brighton,  a  beaucoup  ajouté  à 
l'agrément  de  ce  séjour.  »  Mme  Filzherberl  et  George  IV,  113, 
note  2, 

21.  On  a  insinué  que  la  princesse  aurait  éprouvé  un  sen- 
timent assez  tendre  pour  son  beau-frère  (cf.  Mémoires  de 
Tailleyrand,  t.  I,  162). 

22.  Mme  de  Lamballe,  d'après  des  documents  inédits,  par 
Georges  Bertin,  169. 

23.  Mémoires  secrets  de  Bachaumont,  t.  XXXV,  347. 

24.  Au  mois  de  janvier  1788,  elle  fut  cependant  victime  d'un 
accident  qui  aurait  pu  avoir  les  suiles  les  plus  graves.  Elle 
était,  à  ce  moment,  à  Villers-Cotterets,  chez  son  beau-frère  le 
duc  d'Orléans,  exilé  par  le  roi  à  la  suite  de  sa  résistance 
dans  les  démêlés  des  Parlements.  En  jouant  aux  barr.es, 
qu'on  appelait  alors  le  jeu  du  cerf,  avec  ses  neveux  et  leur 
sœur,  la  princesse,  qui  poursuivait  le  jeune  duc  de  Beaujo- 
lais, vint  à  heurter  le  pied  contre  jn  obstacle,  et  sa  tète 
alla  frapper  violemment  contre  les  racines  d'un  arbre  dessé- 
ché. Cet  accident,  dont  on  n'avait  fait  d'abord  que  rire,  inspira 
bientôt  les  plus  vives  inquiétudes  et  faillit  nécessiter  l'opé- 
ration du  trépan  ;  la  princesse  échappa  heureusement  à 
cette  intervention  chirurgicale  {Modes  et  usages  au  temps  de 
Marie-Antoinette,  du  comte  de  Keiset,  t.  Il,  8  ;  cf.  note  16). 

25.  De  Lescure,  la  Princesse  de  Lamballe. 

26.  Lettre  du  7  août  1789  (la  Révolution  française,  14  septem- 
bre 1900,  273  et  s.) 

27.  Lettres  inédites  de  la  princesse  de  Lamballe,  publiées 
parCh.  ScHMiDT  {la  /îé^uo/uaoAi/mnpaise,  juillet-décembre  1900, 
p.  274). 

28.  G.  Bertin,  op.  cit.,  191. 


FiG.  48.  —  piiii.ii'iT.  i/()i!i.i.  \N-,  Jit  K(;aliti';         "* 


CHAPITRE   VIII 

LE  RETOUR  DE  LA  PRINCESSE  DE  LAMBALLE 

EN  FRANCE 

LA      MISSION      DU      DUC      d'oRLÉANS     A     LONDRl.S 

Quelques  nuages  s'étaient  élevés  entre  la  reine  et 
sa  surintendante,  dont  le  duc  d'Orléans  fut  le 
prétexte.  Marie-Antoinette  avait  exprimé  le  désir 
que  Madame  de  Lamballe  se  rendît  auprès  de  son 
beau-frère,  pour  lui  signifier  qu'il  ne  parût  plus  en 
sa  présence.  On  avait  appris  à  la  Cour  que  le  Palais- 
Royal  était  de  connivence  avec  les  émeutiers  d'oc- 
tobre, et  on  lui  en  gardait   une  légitime  rancune  \ 

La  princesse,  à  qui  répugnait  cette  mission,  eut  un 
instant  la  pensée  de  se  démettre  et  de  rentrer 
dans  la  vie  privée.  Son  médecin  l'y  encourageait, 
mais  le  duc  de  Pciithièvre  s'y  opposa  fermement. 
Ce  n'était  pas  le  moment  où  la  reine  était  accablée 
de  tracas  et  de  peines,  ce  n'était  pas  une  pareille 
lioure  qu'il  convenait  de  choisir  pour  l'abandonner. 
«  Si  votre  cœur,  ma  chère  fille,  écrivait  à  l:i  prin- 
cesse son  beau-père,  garde  encore  pour  moi  de 
cette  amitié  grâce  à  laquelle  vous  m'avez  adouci 

)2 


178  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

tant  de  jours  amers,  vous  prêterez  l'oreille  non  à 
ma  volonté,  mais  à  ma  prière  paternelle,  et  vous 
écrirez  à  mon  beau-fils  (le  duc  d'Orléans)  la  lettre 
que  la  reine  vous  a  demandé  de  lui  transmettre, 
quelque  injustes  que  vous  paraissent  ses  ressenti- 
ments, car  ceux-ci  sont  excusables  dans  la  triste 
situation  où  elle  se  trouve.  J'attends  de  vous  que 
vous  exauciez  ma  prière.»  Ce  futSaiffert  qui  rédigea 
la  réponse  de  la  princesse.  Madame  de  Lamballe 
essaya  encore  de  faire  revenir  son  beau-père  sur  sa 
décision,  mais  la  résolution  de  celui-ci  était  inébran- 
lable. La  princesse  fit  alors  intervenir  auprès  de 
son  beau-frère  le  médecin  de  celui-ci,  qui  était  en 
même  temps  le  sien  ;  Saifïert  fut  chargé  de  cette 
nouvelle  négociation. 

Le  duc  fut,  on  le  conçoit,  très  offensé  des  termes 
blessants  dont  s'était  servi  Marie-Antoinette  à  son 
égard  ;  la  princesse  feignit  de  partager  l'indignation 
de  cette  dernière,  mais  dans  le  fond  elle  prenait 
parti  pour  d'Orléans.  Saifïert,  qui  devenait  de 
plus  en  plus  le  confident  de  ses  pensées  les  plus 
intimes,  ne  fut  certainement  pas  étranger  à  ces 
manœuvres,  auxquelles  s'était  laissée  peu  à  peu  ga- 
gner l'âme  candide  de  sa  cliente  princière. 

Celle-ci  faisait  part  à  son  médecin  de  tout  ce  qu 
se  passait  à  la  Cour,  comptant  sur  une  discrétion 
dont  sa  profession  lui  faisait  un  devoir.  Saiffert  lui  en 
imposait,  en  outre,  par  sa  force  de  caractère,  dont  il 
lui  avait  donné  des  preuves  en  maintes  circons- 
tances. 

La  princesse  confia,  dès  qu'elle  en  eut  connais- 
sance, à  son  médecin,  qui  en  était  peut-être  bien 
instruit  avant  elle,  q^e  son  beau-frère,  le  duc  d'Or- 


FIG.  40.  —    MIRABEAU 


l8o  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

léans,  venait  d'accepter  une  mission  secrète  auprès 
du  gouvernement  anglais,  et  qu'il  était  à  la  veille 
de  partir  pour  Londres. 

La  Cour  avait  saisi  ou  fait  naître,  ce  qui  est  plus 
vraisemblable,  ce  prétexte  pour  éloigner  et  perdre 
un  personnage  qui  lui  était  odieux,  surtout  parce 
qu'il  s'était,  dès  les  premières  heures,  rallié  au  parti 
de  la  Révolution,  et  qu'il  avait  tenté,  par  tous  les 
moyens,  de  saper  l'autorité  et  le  prestige  de  la 
royauté.  On  ne  se  fit  pas  faute,  dans  l'entourage  du 
roi,  de  dire  que  le  duc  d'Orléans  avait  «  les  mœurs 
d'un  laquais,  comme  il  avait  les  idées  d'un  marchand 
et  les  goûts  d'un  jockey  ^  ». 

•  Sur  cette  mission  extraordinaire  du  duc  d'Orléans 
à  Londres,  les  documents  sont  assez  clairse- 
més. Nous  avons  eu  la  bonne  fortune  d'avoir 
communication  d'un  certain  nombre  de  copies  de 
pièces  d'archives,  prises  par  un  de  nos  amis,  qui  avait 
l'intention  de  faire,  du  récit  détaillé  de  cette  mission, 
le  sujet  d'une  thèse  pour  l'École  des  sciences  poli- 
tiques. Son  projet  n'ayant  pas  été  mis  à  exécution, 
par  suite  de  circonstances  qu'il  serait  oiseux  de  faire 
connaître,  nous  allons  puiser  dans  ce  dossier  quel- 
ques informations,  qui  contribueront  à  éclairer  la 
psychologie  du  personnage  connu  dans  l'histoire 
sous  le  nom  de  Philippe-Égaliié,  et  dont  la  physio- 
nomie est  restée  assez  énigmatique. 

Il  paraît  établi  que  Louis  XVI  n'a  donné  au  duc 
d'Orléans  une  mission  en  Angleterre  que  pour  l'éloi- 
gner de  Paris.  Le  roi  nourrissait,  à  l'égard  de  son 
cousin,  une  antipathie  qu'il  ne  cherchait  nullement 
à  dissimuler  3  ;  il  le  lui  fit  sentir,  notamment,  dans 
une  circonstance,  qu'a  relatée  un  témoin  ^  qui  nasse 


RETOUR    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE  lOl 

pour  bien  informé  des  hommes  et  des  événements 
de  la  Révolution. 

Le  duc  s'était  rendu,  un  jour,  au  lever  du  roi, 
à  Versailles.  C'était  alors  l'usage  que  le  premier 
prince  du  sang,  lorsqu'il  était  présent,  présentât  la 
chemise  au  roi  ;  à  cet  effet,  le  gentilhomme  de  la 
chambre  l'olïrit  au  duc  d'Orléans,  pour  la  passer 
au  roi.  Le  duc  s'étant  approché  du  monarque  à  ce 
dessein,  celui-ci  lui  demanda  ce  qu'il  faisait  là.  Un 
peu  interloquée,  l'Altesse  répondit  qu'elle  était  venue 
prendre  les  ordres  de  Sa  Majesté.  —  «  Je  n'ai  rien 
à  vous  dire,  répliqua  brusquement  le  monarque  ; 
retournez  d'où  vous  venez.  »  On  devine  de  quelle 
humeur  était  le  duc  d'Orléans,  à  la  suite  de  cet  entre- 
tien dépourvu  d'aménité.  De  ce  jour,  il  jura  de  se 
venger  de  l'outrage  qu'il  avait  reçu  :  telle  est,  du 
moins,  la  version  d'un  de  ses  apologistes. 

On  ne  fut  pas  longtemps  à  s'apercevoir  qu'il  avait 
mis  ses  menaces  à  exécution.  Ses  menées,  ses  intrigues 
n'étaient  pas  sans  inquiéter  la  Cour.  A  la  suite  des 
journées  des  5  et  6  octobre,  le  parti  orléaniste  se 
trouva  sérieusement  compromis.  Après  une  scène 
des  plus  vives  avec  La  Fayette,  qui  alla  jusqu'à  lever 
la  main  sur  le  prince,  celui-ci,  après  avoir  d'abord 
balbutié,  perdit  toute  contenance  et  finit  par  tomber 
évanoui  dans  son  fauteuil.  En  dépit  des  efforts  de 
Mirabeau  5  pour  empêcher  son  départ,  le  duc,  défé- 
rant aux  injonctions  de  La  Fayette,  consentit  enfin  à 
s'éloigner  du  foyer  de  conspiration  qu'il  ne  cessait 
d'attiser. 

Le  18  octobre  (1789),  il  adressait  au  roi  la  lettre 
suivante  : 

Daignez  agréer  mes  sincères  et  respectueux  renier- 


l82  LA.    PRINCESSE    DE    LAMIJALLE    INTIME 


I 


ciements  pour  la  mission  particulière  dont  V.  M.  vient 
de  me  charger  près  du  roi  d'Angleterre.  Cette  marque 
de  confiance  est,  dans  les  circonstances  présentes,  le 
témoignage  le  plus  flatteur  de  ses  bontés  pour  moi, 
en  même  temps  qu'elle  fait  connaître  à  toute  la  France 
la  justice  que  Votre  Majesté  rend  aux  sentiments  de 
zèle  et  de  dévouement  que  je  n'ai  jamais  cessé  un 
instant  d'avoir  pour  la  personne  de  V.  M,,  sa  gloire, 
ses  véritables  intérêts  et  ceux  de  la  nation  qui  en  sont 
inséparables.  En  exécutant  ses  ordres,  je  vais  m'efTor- 
cer  d'obtenir  la  continuation  de  la  confiance  dont  V.  M. 
m'honore  et  de  conserver  l'estime  de  mes  compatriotes. 

Monseigneur  était  porteur  d'instructions  dont  nous 
nous  contenterons  de  faire  connaître  l'essentiel.  «  Le 
premier  objet  des  recherches  de  M.  le  duc  d'Orléans  » 
sera  de  «  découvrir  jusqu'à  quel  point  la  Cour  de 
Londres  a  cherché  à  fomenter  nçs  troubles,  quels 
moyens  et  quels  agents  elle  a  employés  ».  Le  duc 
fera  «  tout  ce  qui  sera  en  son  pouvoir  pour  savoir, 
avec  toute  la  certitude  possible,  si  le  Ministère 
anglais  a  ordonné  ou  s'il  ordonnera  des  armements 
et  approvisionnements  extraordinaires,  s'il  a  fait 
passer  quelque  ordre  secret  aux  Indes  orientales  et 
occidentales  ».  Le  duc  d'Orléans  devait,  surtout,  assu- 
rer le  gouvernement  britannique  du  désir  de  paix  à 
tout  prix  qu'avait  le  roi  de  France.  «  Ce  vœu  doit  être 
la  base  comme  le  but  du  langage  que  M.  le  duc  d'Or- 
léans tiendra  soit  au  roi  d'Angleterre,  soit  à  ses 
ministres.  »  D'autres  dispositions  avaient  trait  à 
l'attitude  qu'avaient  prise  les  cours  de  Londres 
et  de  Berlin  vis-à-vis  des  «  provinces  Belgiques  », 
dont  les  Cours  paraissaient  entretenir  l'état  d'insur- 
rection et  leurs  tentatives  pour  «  se  soustraire  à 
l'obéissance  de  l'Empereur  ».  On  laissait  entrevoir 


mm  •  M.-tiiiiiiiiiiife 


FIG.   50.  —  LE  PALAIS-ROYAL,    F 


^L,.A..r,     r.A     i  RANGS 


RETOUR    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE  187 

à  l'émissaire  de  cette  négociation,  délicate  entre 
toutes,  qu'il  en  serait  le  bénéficiaire,  et  le  titre  de 
grand-duc  du  Brabant  ne  pouvait  que  sonner  agréa- 
blement aux  oreilles  d'un  prince  dévoré  d'ambition. 
Ces  instructions  se  terminaient  par  ces  lignes  :  «  Mon- 
seigneur le  duc  d'Orléans  correspondra  régulière- 
ment avec  le  Ministre  ayant  le  département  des 
Affaires  étrangères.  Cependant,  il  dépendra  de  ce 
prince  d'écrire  directement  au  roi,  lorsque  les  choses 
dont  il  aura  à  rendre  compte  lui  sembleront  l'exiger.  » 
Dans  le  temps  même  où  ces  instructions  étaient 
remises  à  celui  qu'on  chargeait  de  cette  mission 
extraordinaire,  un  courrier  partait  pour  Londres,  à 
l'adresse  de  l'ambassadeur  de  France  auprès  de  la 
Cour  de  Saint-James  :  M.  de  la  Luzerne  recevait 
l'ordre  «  de  diriger  le  prince,  de  le  surveiller,  d'ex- 
pliquer aux  Anglais  le  caractère  tout  privé  de  sa 
feinte  mission,  d'obtenir  surtout  que  George  III  ne 
conçût  point  d'humeur  de  ce  que,  pour  se  débar 
rasser  du  duc  (sic)^  on  avait  pris  en  France  le  parti 
de  l'envoyer  en  Angleterre  ».  S'il  restait  encore 
quelque  doute  sur  le  véritable  mobile  de  la  détermi- 
nation prise  par  Louis  XVI  à  l'égard  du  prétendant, 
dont  les  alliances  plus  que  suspectes  avec  le  parti 
jacobin  causaient  au  roi  de  sérieuses  appréhensions,  ce 
doute  serait  levé  par  ce  fragment  de  correspondance 
de  l'ambassadeur  La  Luzerne,  mandant  au  ministre, 
M.  de  Montmorin  (le  26  novembre)  :  «  Si  vous  le 
teniez  (un  M.  de  Sainte-Foy,  qui  s'était  proposé 
pour  espionner  le  duc),  vous  seriez  sûr  d'avoir  l'un 
des  meilleurs  espions  qu'il  y  ait  au  monde.  Il  est  le 
premier  homme  que  je  connaisse  pour  mener  un 
tripot.  Il  m*a  donné  des  preuves  du  temps  de  Ma- 


i88 


FA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 


(lame  du  Barry,  et  je  vous  assure  qu'il  mènerait  de 
même  M.  le  duc  d'Orléans  et  Madame  de  Bufîon.  » 
Madame  de  Buffon  était  l'épouse  divorcée  du  fils 
de  Buffon  ^,  et  bien  qu'elle  s'appelât  alors  Madame 
de  Cepoy,  de  son  nom  de  jeune  fille,  les  mémoria- 
listes et  les  libellistes  continuaient  à  l'appeler  Ma- 
dame de  Buffon.  Bravant  les  préjugés,  Madame  de 

Buffon  s'affichait 
ccfmme  la  maîtresse 
en  titre  du  duc 
d'Orléans,  qui,  au 
dire  d'une  amie  de 
ce  dernier,  en  était 
«  amoureux  fou... 
la  menant  tous  les 
jours  promener  en 
cabriolet  et  le  soir 
à  tous  les  specta- 
cles 7  ».  La  du- 
chesse, qui  vivait 
séparée  en  fait,  si- 
non en  droit,  de 
son  mari,  lui  pas- 
sait cette  incartade,  et  le  duc  vivait  conjugale- 
ment avec  sa  maîtresse,  comme  il  avait  vécu 
bourgeoisement  avec  sa  femme  ^.  A  Londres, 
Madame  de  Buffon  présidait  la  table  du  prince  et 
gouvernait  son  salon  9.  Le  duc  oubliait,  dans  les 
bras  de  la  sirène,  toutes  ses  rancœurs,  se  libérait 
de  tous  ses  ennuis. 

Deux  dépêches,  écrites  par  l'ambassadeur  de 
France,  nous  révèlent  cet  état  d'âme.  Leur  contenu 
laconique  est  plus  explicite  que  de  verbeuses  gloses. 


FIG.   51. —  MADAME  DE  BUFFON 


RETOUR    DE   LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE  189 

l^r  jarufier  1790.  —  La  conduite  de  M.  le  duc  d'Or- 
léans me  paraît  inconcevable.  Je  le  vois  peu  et  jamais 
que  chez  moi,   parce   qu'étant  toute  la  journée   chez 


•s?'^««,,, />//,, 


Mme  (le  BufTon,  il  est  toute  la  jouruco  invisible... 

15  janvier.  —  M.  \%  duc  ne  son^^e  plus  à  sa  mission. 
Sa  maîtresse,  le  club  où  il  passe  sa  vie,  le  consolent  de 
tous  les  f.ha^rins  (ju'il  a  éj)rouvés  de  l'autre  cote  de 
la  mer. 


IQO  LA    PRINCESSE    DE    LAMnALLE    INTIME 

Le  temps  qu'il  ne  passait  pas  auprès  de  sa  maî- 
tresse, le  duc  d'Orléans  l'occupait  au  brelan.  «  Le 
jeu  et  Madame  de  Bufïon,  lisons-nous  dans  un  docu- 
ment diplomatique,  lui  font  passer  son  temps  assez 
doucement,  et  sans  quelques  paragraphes  que  les 
aristocrates  font  circuler  journellement,  il  ne  serait 
pas  malheureux.  » 

Le  19  mars,  «  le  duc  songe  à  aller  en  France,  si 
le  roi  va  chasser  à  Compiègne  ou  à  Rambouillet  » 
mais  «  il  a  peur  de  rentrer  en  France  ». 

Les  rapports  de  l'ambassade  deviennent  de  plus  en 
plus  circonstanciés  ;  à  mesure  que  le  séjour  du  duc  se 
prolonge  en  Angleterre,  il  semble  prendre  parti  de  sa 
situation.  «  Le  vin,  les  chevaux,  le  jeu,  les  filles  et  Ma- 
dame de  Buffon  paraissent  occuper  uniquement  ce 
prince.  Il  cherche  par  tous  les  moyens  possibles  à 
s'étourdir  sur  son  sort  présent  et  avenir.»  Il  en  arrive  à 
perdre  toute  mesure,  à  oublier  son  rôle  et  son  rang.  Il 
monte  «  tête  à  tête  dans  un  petit  cabriolet  »  avec 
Madame  de  Bufïon  et  passe  dans  les  voies  les  plus 
fréquentées  de  Londres.  «  S.  M.  et  tout  ce  qu'il  y 
a  de  plus  considérable  en  Angleterre  ont  passé 
dix  fois  devant  lui,  ce  qui  lui  a  paru  la  chose  du  monde 
la  plus  simple.  »  Quand  vient  l'époque  des  courses 
de  chevaux  dans  les  provinces  du  Royaume-Uni, 
il  s'y  rend  avec  son  habituelle  compagne,  et  «  ils 
ne  passent  à  Londres  que  des  moments...  On  assure 
qu'il  est  ivre  tous  les  soirs,  qu'il  boit  une  telle  quan- 
tité de  vin,  que  l'on  croit  qu'il  finira  par  devenir 
hydropique  ».  L'antithèse  serait  plaisante,  si  on 
était  sûr  qu'elle  ait  été  volontaire,  mais  les  diplo- 
mates, dans  leur  langage  officiel,  usent  rarement 
de  cette   arme  à   deux  tranchants    qu'est  l'ironie. 


RETOUR    DE    LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE 


191 


Avant  que  le  duc  eût  débarqué,  et  qu'on  ait  eu  l'oc- 
casion de  l'approcher,  les  Anglais  «de  toutes  les  classes 
et  de  tous  les  ordres  »  avaient  conçu  de  lui  la  plus 
fâcheuse  opinion.  «  Il  s'est  réduit  à  voir  un  très  petit 


HG.  r>3.  —  imiimim'F.-i':(;aliti':,  en  roi  de  pique 
(Collection  <le  r.iiitciir) 


nombre  de  personnes  »,  et  parmi  celles-ci,  on  signale 
entre  autres,  le  sieur  Laclos  :  il  s'agit  de  Choderlos 
de  Laclos,  l'auteur  des  Liaisons  dangereuses^  qui, 
seul,  «  compose  le  conseil  du  prince  et  possède... 
toutes  ses  afîections  politiques,  ne  sort  presque  pas 


192  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIWB 

de  chez  lui  ».  Madame  de  Sillery,  autrement  dit 
Madame  de  Genlis,  qui  a  cependant  de  l'influence 
sur  le  duc,  et  pour  des  raisons  que  l'on  devine,  a 
vainement  essayé  de  l'éloigner  de  cette  fréquenta- 
tion, mais  Laclos  est  son  âme  damnée,  il  le  tient 
par  plusieurs  liens  et  a  reçu  toutes  ses  confidences  V°. 

Cet  aventurier  était  l'homme  des  basses  besognes  : 
ne  se  vantait-il  pas  d'avoir  «  lâché  aux  trousses  du 
Châtelet  l'ordurier  Marat  ",  le  licencieux  Danton  et 
le  fourbe  Linguet  ?  Malheureusement,  La  Fayette 
était  là.  Le  Châtelet  subsiste  encore  et,  qui  pis  est, 
la  procédure  ».  Le  valet  tenait  le  langage  du  maître, 
il  avait  barre  sur  lui,  tout  lui  était  permis.  «  J'ose 
croire.  Monseigneur,  écrivait  un  jour  Laclos  à  d'Or- 
léans, que  ma  lettre  vous  parviendra  dans  l'un  des 
rares  moments  où  Madame  de  BufTon  laisse  votre 
corps  et  votre  esprit  libres.  » 

On  s'est  demandé  si  Madame  de  Bufïon  a'  eu 
sur  son  amant  princier  une  influence  salutaire 
ou  néfaste.  On  l'a  présentée  comme  une  petite 
femme  insignifiante,  étrangère  aux  intrigues,  dé- 
pourvue de  velléités  ambitieuses.  Voici  qui  va  mettre 
les  choses  au  point.  Laissons  d'abord  parler  le  duc, 
qui  s'exprime  en  termes  des  moins  ambigus,  dans 
une  missive  qu'il  ne  prévoyait  pas  destinée  à  une 
publicité  même  posthume. 

J'exige  de  vous,  écrivait-il  à  son  correspondant,  que 
vous  ne  montriez  jamais  cette  lettre  à  Agnès,  elle  me 
dévisagerait,  si  elle  voyait  ces  jérémiades.  Cette  femme 
est  un  diable,  elle  m'aiguillonne  sans  cesse  et,  à  l'en- 
tendre, je  devrais  être  roi  depuis  longtemps  *''^.  Quand 
ces  faibles  créatures  se  sont  mises  les  grandeurs  en 
tête,  elles  sont  cent  fois  plus  ambitieuses  que  les  hommes. 


RETOUR    DE    LA    PRINCESSE    DE    I.AMRAT.LE  193 

Leur  turbulent  instinct  n'est  point  arrêté  parla  réflexion, 
leur  imagination  ardente  franchit  tous  les  obstacles. 
Tout  s'aplanit  devant  elles  et  leur  vanité  convoite  un 
royaume,  comme  s'il  ne  coûtait  pas  plus  qu'un  pom- 
pon. Il  n'y  a  que  l'exécution  qui  leur  plaise  ;  vouloir, 
pour  elles,  c'est  agir  ;  agir,  c'est  réussir.  Les  intermé- 
diaires, les  lieux,  le  temps,  l'espace,  tout  cela  n'est 
compté  pour  rien.  En  vérité,  le  feu  roi  de  Prusse  était 
bien  heureux  de   s'en  passer   ^'^. 

La  société  de  Madame  de  Buffon  ne  suffisait  pas 
à  empêcher  le  duc  de  regretter  sans  cesse  son  éloi- 
gnement  de  Paris. 

Le  séjour  de  Londres,  écrivait  d'Orléans  à  son  fidèle 
Laclos,  nous  ennuie  à  périr.  Le  temps  de  notre  exil 
commence  à  nous  paraître  bien  long.  Ne  voir  personne, 
n'être  reçu  nulle  part,  ne  rencontrer  partout  que  des 
visages  glacés,  ne  recevoir  qu'un  petit  nombre  de  joueurs 
forcenés,  à  qui  il  est  indiiïérent  de  laisser  leurs  guinées 
chez  nous,  pourvu  qu'ils  aient  eu  l'espoir  d'en  gagner 
plus  qu'on  ne  leur  en  a  fait  perdre,  vous  conviendrez 
que  c'est  payer  un  peu  cher  l'honneur  de  passer  pour 
être  chargé  d'une  mission.  Tâchez  donc  de  hâter  le 
moment    de    notre    retour... 

Ce  retour  ne  devait  s'effectuer  que  trois  mois  i)lus 
tard.  Madame  de  Buiîon  avait  contribué,  plus  que 
tout  autre,  à  iaire  prendre  au  duc  cette  résolution. 
«  Cette  femme,  disait  d'elle  Laclos,  avec  de  l'esprit  '*, 
j'en  conviens,  qui  se  croit  un  phénix  en  fait  d'in- 
trigues... voudrait  être  l'héroïne  de  la  pièce.  Mais 
pleine  d'ambition  et  d'orgueil,  elle  ne  demandait 
(jii'à  revenir,  pour  avoir  la  douce  jouissance  de  Inire 
voir  au  pul)lic  de  Paris  qu'au  lieu  d'un  amant,  elle 
trouve  dans  le  prince  riselave  le  plus  asservi  à  ses 
volontés.  » 

13 


194  LA    PRINCESSlî    I)K    LAMIîALM-:    liNTl.ME 

En  dépit  des  remontrances  du  roi  et  des  conseils 
de  ses  vrais  amis,  le  duc  d'Orléans  annonça  qu'il  se 
disposait  à  se  rendre  incessamment  à  Paris,  pour  y 
reprendre  sa  place  de  député  de  l'Assemblée  natio- 
nale, où  son  devoir  l'appelait.  Il  considérait,  quant  à 
lui,  sa  mission  comme  terminée. 

En  débarquant  à  Dieppe,  le  duc  fut  accueilli  par 
les  cris  menaçants  de  :  A  la  lanterne  !  Il  lui  fallut 
quitter  précipitamment  la  table  où  il  s'était  assis, 
abandonner  un  grand  souper  préparé  à  son  inten- 
tion et  on  dut  le  porter,  claquant  de  peur,  dans  sa 
voiture  's.  Il  ne  se  faisait  pas  la  moindre  illusion 
sur  ce  qui  l'attendait  en  France.  A  l'amiral  Payne 
qui  l'accompagnait,  lors  de  son  départ  d'Angleterre, 
jusqu'à  son  yacht,  il  n'avait  pas  caché  ses  appréhen- 
sions. «  Si  je  ne  consultais,  lui  dit-il,  que  mon  incli- 
nation ou  ma  sûreté,  je  resterais  dans  votre  heureuse 
patrie,  mais  on  me  dit  que  mon  honneur  exige  que 
je  retourne  en  France.  Vous  vous  rappellerez  que  je 
ne  m'aveugle  pas  sur  ma  position  et  sur  les  scènes 
dont  je  m'attends  à  être  le  témoin.  Je  ne  serai  utile 
à  personne,  je  mènerai  une  vie  malheureuse  et  je 
périrai  probablement  parmi  les  premiers.  »  Il  ne 
croyait  pas  être  si  bon  prophète. 

Le  duc  d'Orléans  arrivait  à  Paris  le  7  juillet  1790^". 

Le  surlendemain  était  le  jour  de  la  fameuse  Fédé- 
ration. Le  roi  et  la  reine  vinrent  au  Champ-de-Mars, 
où  Talleyrand,  alors  évêque  d'Autun,  dit  la  messe 
en  présence  de  LL.  MM.  Le  duc  d'Orléans  figurait 
dans  le  cortège,  montrant  ostensiblement  qu'il  en- 
tendait ne  rien  abandonner  de  ses  prérogatives,'  et 
nous  pouvons  ajouter  de  ses  ressentiments. 

Il  n'avait  pas  été  longtemps  dupe  de  la  comédie 


~1 


'  H^.  Oi.  -  LA  DUCMESbK  D'OhLfcAN,;*.  lirouSE  DE   IMIILirPE-KOALIl  li 


igfi  LA    PRINCESSE   DE   LAMBALLE    INTIME 

I 

jouée  par  la  Cour.  Quelques  semaines  après  le  départ 
du  duc  d'Orléans  pour  l'Anglelerre,  la  princesse  de 
Lamballe  disait  à  son  médecin  :  «  Non  !  non  !  il  est 
impossible  de  supporter  avec  calme  qu'on  se  moque 
si  radicalement  du  père  de  mon  neveu  (sic)...  Il 
est  contrecarré,  dans  sa  négociation,  par  un  émis- 
saire secret  ;  la  reine  le  raille  tous  les  jours  en  ma 
présence,  elle  J'appelle  un  don  Quichotte  politique. 
Je  n'ai  malheureusement  personne  à  qui  je  puisse 
me  confier  sans  danger,  et  qui  lui  transmettrait  un 
rapport  détaillé  de  tous  ces  faits.  »  Ces  pensées 
tourmentaient  la  princesse  ;  bientôt  une  occasion 
allait  s'offrir  de  faire  connaître  au  duc  l'attitude 
observée  par  la  Cour  à  son  égard. 

Le  docteur  Saiiïert  fut  mandé  à  Londres,  pour 
donner  ses  soins  à  d'Orléans  '7.  Madame  de  Lam- 
balle le  chargea  d'une  missive  pour  son  beau-frère, 
où  elle  exposait  à  celui-ci  qu'il  pouvait  se  confier 
en  toute  sécurité  à  son  médecin,  qui  l'instruirait 
d'un  certain  nombre  de  particularités  le  concernant. 

Saifîert  passa  environ  deux  mois  à  Londres.  Nous 
avons  dit  pour  quelle  maladie  il  traita  son  client: 
rappelons  seulement  que  l'Altesse  avait  mené  une 
existence  assez  agitée,  et  qu'elle  en  avait  gardé  de 
pénibles  souvenirs. 

D'aucuns  ont  assuré,  mais  il  ne  faut  pas  tou- 
jours croire  les  fabricants  de  libelles,  qu'il  avait 
contaminé  sa  femme,  cette  charmante  fille  du  duc 
de  Penthièvre,  le  parfait  modèle  des  épouses,  qui 
«  ne  se  plaignit  jamais...  ne  fit  aucun  reproche  à 
son  mari,  et  ne  cessa  de  lui  donner  des  preuves 
constantes  de  son  amour  et  de  sa  fidélité  ». 

On  a  également  laissé  entendre  que  la  princesse 


RETOUR    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE  I97 

de  Lamballe  aurait  été,  elle  aussi,  infectée  du  virus 
qui  avait  causé  la  mort  prématurée  du  falot  person- 
nage auquel  on  l'avait  unie.  Fut-ce  l'origine  de  sa 
névrose  ?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Si  on  se  le  rappelle, 
elle  en  avait  éprouvé  les  premiers  symptômes  de 
très  bonne  heure,  et  les  médications  du  docteur 
Sailîcrt  ne  réussirent  qu'à  en  atténuer  la  fréquence 
et  la  violence 


NOTES  DU  CHAPITRE  VIII 


1.  D'après  le  comte  d'Estaing,  dont  SaifTert  rapporte  les 
propos,  le  duc  d'Orléans  n'aurait  pas  été  l'instigateur  des 
troubles  populaires  d'octobre.  Celui-ci  s'en  est,  d'ailleurs, 
toujours  défendu,  dans  ses  entretiens  avec  son  médecin. 

2.  Revue  politique  et  littéraire,  1]  mars  1882,  col.  300.  D'après 
un  historiographe  moderne,  qui  s'est  constitué  son  apolo- 
giste (cf.  Revue  des  Études  historiques,  1904,  337  et  S.,  478  et 
s.),  il  aurait  eu  «  plus  de  libertinage  dans  l'esprit  que  de 
corruption  dans  le  corps  ».  Après  tout,  il  n'est  pas  de  mau- 
vaise cause  qui  ne  soit  défendable.  Ce  ne  sont  pas  les 
bons  avocats  qui  manquent. 

3.  Il  fut  un  temps  où,  à  la  suite  d'explications  échangées 
de  part  et  d'autre,  le  duc  d'Orléans  était  revenu  en  faveur  ; 
le  roi  l'avait  même  nommé  grand  amiral  de  France.  Cette 
faveur  fut  de  courte  durée.  Le  roi,  étant  tombé  malade  d'un 
gros  rhume,  gardait  le  lit;  les  courtisans  s'empressaient  à 
venir  prendre  de  ses  nouvelles,  le  duc  d'Orléans  ne  fut  pas 
des  derniers  à  se  présenter  ;  lorsque  le  roi  apprit  sa  pré- 
sence: «  Laissez  approcher  le  duc,  s'écria-t-il  à  voix  haute, 
et  qu'on  écarte  tout  grands  les  rideaux,  pour  qu'il  voie  bien 
que  c'est  moi;  sans  cela,  le  bruit  courrait  dans  Paris  que 
je  me  suis  enfui  et  qu'il  y  a  dans  le  lit  une  autre  personne 
que  le  roi.  »  Bertrand  de  Molleville  rapporte,  dans  ses  Mé- 
moires particuliers  pour  servir  à  l'histoire  de  la  fin  du  règne  de 
Louis  XVI  (t.  I,  175  et  s.),  qu'il  reçut  un  jour  la  visite  du 
duc  d'Orléans,  venu  pour  protester  de  son  innocence  et 
se  justifier  des  projets  qu'on  lui  prêtait  à  l'égard  du  roi 
et  de  la  famille  royale.  Le  ministre  l'aurait  engagé  à  se 
passer  de  son  intermédiaire  et  à  voir  directement  S.  M. 
Louis  XVI  reçut  son  cousin  le  lendemain,  et  parut  satisfait 
de  ses  explications;  le  dimanche  suivant,  au  lever  du  roi, 
les  courtisans,  qui  ignoraient  l'entretien  qu'avaient  eu  les 
deux  personnages  et  l'impression  qu'il  avaitlaissée  dans  l'es- 
prit du  roi,  continuèrent  à  faire  grise  mine  au  duc.  «  On  se 


FIG.  OO.  — 


RETOUR    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE  2o3 

pressa  autour  de  lui,  on  affecta  de  lui  marcher  sur  les  pieds 
et  de  le  pousser  vers  la  porte,  de  manière  à  l'empêcher  de 
rentrer  (chez  le  roi).  Il  descendit  chez  la  reine  où  le  couvert 
était  déjà  mis;  aussitôt  qu'il  y  parut,  on  s'écria  de  toutes 
parts  :  Messieurs,  prenez  garde  aux  plats  !  comme  s'il  avait  eu 
les  poches  pleines  de  poison.  Les  murmures  insultants 
(lu'excitait  partout  sa  présence  le  forcèrent  à  se  retirer  sans 
avoir  vu  la  famille  royale.  On  le  pourchassa  jusqu'à  l'esca- 
lier de  la  reine;  en  le  descendant,  il  reçut  un  crachat  sur  la 
tète,  et  quelques  autres  sur  son  habit.  On  voyait  la  rage  et  le 
dépit  peints  sur  sa  figure  ;  il  sortit  du  château  convaincu  que 
les  outrages  qu'il  y  avait  reçus  venaient  du  roi  et  de  la  reine 
...il  leur  )ura  dès  ce  moment  une  haine  implacable,  et  il  ne 
s'est  montré  que  trop  fidèle  à  cet  horrible  serment.  >»  Bertrand 
de  Molleville,  pour  donner  plus  de  poids  à  son  témoignage» 
ajoute:  «  J'étais  au  château  ce  jour-là,  et  je  fus  témoin 
de  tous  les  faits  que  je  viens  de  rapporter.  >> 

4.  Mémoires  de  Madame  EUiott  sur  la  Révolution  française,  tra" 
duits  par  le  comte  de  Bâillon.  Paris,  1861. 

5.  L'entrevue  de  Mirabeau  avec  le  duc  d'Orléans  est  rap- 
portée avec  détails  par  Saiffert,  dans  les  notes  qui  accom- 
pagnent son  Observation  de  la  maladie  de  la  princesse  de 
Lamballe:  les  éclats  de  voix  des  deux  interlocuteurs  s'en- 
tendaient jusque  dans  l'antichambre,  assez  fort  pour  que 
le  médecin  perçût  distinctement  leur  dialogue,  qu'il  trans- 
crivit le  soir  môme,  pour  ne  pas  l'oublier.  Impatienté  de  son 
attitude,  Mirabeau  disait,  en  parlant  du  duc  :  «Le  lâche  a  la 
convoitise  du  crime,  mais  il  n'en  a  pas  la  puissance.  »  Mis- 
taire  de  VAssemblée  constituante,  par  Ch.  Lacretelle,  156-7. 
Le  môme  historien  donne  maints  détails  sur  l'entrevue  du 
prince  avec  La  Fayette,  chez  la  marquise  de  Coigny  ;  une 
nouvelle  explication  eut  lieu  chez  le  comte  de  Montmorin, 
en  présence  du  duc  de  Liancourt. 

G.  Sur  le  fils  de  ButTon,  v.  la  Hevue  des  Études  historiques^ 
lyOl,  14r>etnote. 

7.  Mémoires  de  iW-  EUiott,  20. 

8.  Mém.  d'outre-tombe,  de  Chateaubriand,  t.  L  296  et  300; 
M.  de  Lescure,  Le  dernieramour  de  Philippe-Lgalité  (f?tfi»*« 
politique  et  littéraire,  1882  ;  cf.  licvue  des  Études  historiques,  lUOl, 
20r>-6), 

y.  Mémoires  de  Tilly. 

10.  V.  dans  les  Annales  des  Scienôes  politiques  (15  sept.  19<.4), 
un  curieux  article  de  M.  Lucien  Liuon  :  Un  précurseur  de 
Talleyrand:  Choderlot  de  Laclos  et  iailiance  anglaise  (17b9-1790). 


zq\  la  princesse  de  lam balle  intime 

Cet  article  donne  d  intéressantes  précisions  sur  cet  épisode 
diplomatique  de  la  vie  passablement  aventureuse  de  Laclos. 
A  retenir  une  confirmation  de  la  collusion  de  Danton  avec 
Égalité  et,  d'autre  part,  avec  l'Angleterre,  montrant  une  fois 
de  plus  ((ue  le  président  du  district  des  Cordeliers  «  tou- 
chait sans  vergogne  de  toutes  les  mains,  se  gaussant  des 
naïfs,   et  tout  en  suivant  obstinément  son  dessein  »>. 

11.  <«  Je  fais  beugler  Marat,  écrivait-il  au  duc  ;  tous  les 
jours,  sa  feuille,  à  la  vérité  très  bien  payée,  annonce  que 
le  14  juillet  prochain  sera  l'époque  d'une  grande  révolution 
dans  le  système  actuel.  Je  fais  crier  parce  qu'il  ne  faut  pas 
rester  en  arrière  et  un  parti  qui  se  tait  est  ordinairement  à  * 
moitié  battu...  Permettez-moi  de  vous  recommander  de 
veiller  exactement  à  ce  que  les  finances  ne  manquent  pas, 
comme  je  vous  jure  de  veiller  avec  le  plus  grand  soin  à  la 
distribution.  »  Cette  lettre,  datée  du  17  juin  1790,  prouve 
que  le  duc  continuait,  bien  qu'éloigné  de  Paris,  à  encou- 
rager le  mouvement  terroriste. 

12.  C'est  pourquoi  Laclos,  très  au  fait  de  ces  querelles, 
peut-on  dire  conjugales,  disait  à  Égalité:  «  Louis  XVI  res- 
tera roi  et  M'i"  de  BulTon  n'aura  jamais  le  plaisir  de  jouer  le 
rôle  de  Montespan.  » 

13.  Lettre  du '10  mai  1790. 

14.  D'après  d'autres  documents,  «  Madame  de  Buffon 
était  jolie,  tendre,  point  jalouse,  mais  elle  avait  peu  d'es- 
prit »).  Ailleurs,  il  est  dit  :  «  M"^"  de  Buffon  n'était  pas  des- 
cendue au  dernier  degré  du  vice.  Ses  habitudes  étaient 
simples.  Une  certaine  candeur  se  remarquait  dans  son  dé- 
sordre. Elle  suivait  sa  destinée,  comme  un  être  faible  qui  a 
débuté  dans  le  crime  et  n'a  pas  assez  de  puissance  pour 
s'arrêter.  »  «  Elle  était  douce  et  tendre»,  rapporte  la  duchesse 
d'Orléans,  qui  resta  dans  les  meilleurs  termes  avec  la  mai- 
tresse  de  son  époux  .  Autant  de  peintres,  autant  de  por- 
traits. 

15.  Lettre  de  Laclos  à  M.  Forth,  27  juillet  1790. 

16.  M°"  Elliott  donne  la  date  du  13  juillet  ;  en  réalité, 
serait  le   7  juillet   que  le  duc  serait  rentré  à  Paris  (Cf.    a 
Famille  d'Orléans  pendant  la  Révolution,  d'après  sa  correspon- 
dance inédite,  par  G.  DU  BoscQde  Beaumont  et  M.  Bernos, 
2»  édition  ;  Paris,  1913,  63). 

17.  «  On  ne  sera  sans  doute  point  surpris,  qu'à  force  de 
mener  la  vie  la  plus  désordonnée,  la  plus  scandaleuse, 
Monseigneur  n'ait  senti  ses  os  calcinés,  brûlés,  pourris  par 
le  fatal  venin  qu'il  avoit  respiré  de  toutes  les  catins  qu'il 


RETOUR    DK    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALI.E  2p5 

avoit  caressées.  Aussi  fut-il  oliligé...  de  penser  sérieuse- 
ment à  se  médicainenler.  Il  le  fit  et  il  était  temps...  »>  Vie  de 
L.  P.J.,  duc  d'Orléans  (Londres,  1789),  24-28.  Les  journaux  de 
la  Cour  et  les  pamphlets  nont  pas  manqué  de  faire  allusion 
à  cette  «  maladie  secrète  »,  dont  on  s'entretenait  publique- 
ment (V.  notamment  le  Petit  Gautier,  3  avril  1792;  le  Pinceau 
d'Apelle,  ou  Tableau  physique  et  moral  de  M.  M.  les  Députés  à 
rAssemblée  Constituante,  etc.  A  Paris,  1792,  etc.). 


CHAPITRE   IX 


LA    FUITE    DE    LA    FAMILLE    ROYALE. 
LE   DÉPART  DE   LA    PRINCESSE  POUR  l'ÉTRANGER 


A  l'époque  où  nous  sommes  arrivés,  la  malade 
jouit  d'une  trêve  dans  ses  souffrances,  et  lorsqu'elle 
va  passer,  en  août  1790,  un  mois  à  Amboise,  avec  le 
duc  de  Penthièvre,  puis  un  peu  plus  tard,  pendant 
son  séjour  dans  le  Maine,  chez  M.  de  Clermont,  sa 
santé  ne  subit  aucune  atteinte. 

Cependant  les  événements  se  précipitaient.  Au 
mois  de  décembre  1790,  on  apprenait  le  départ  d'une 
des  rares  dames  du  palais  restées  fidèles  à  la  reine  ; 
en  février  1791,  ce  fut  le  tour  des  tantes  du  roi.  Le 
mouvement  de  l'émigration  était  commencé,  il  se 
poursuivra  sans  arrêt. 

Le  cardinal  de  Montmorency,  premier  aumônier 
du  roi,  Monseigneur  de  Roquelaure  et  Monseigneur 
de  Sabran,  ses  aumôniers  ordinaires,  les  premiers 
gentilshommes  de  la  chambre,  avaient  abandonné  si- 
multanément leur  poste  de  confiance  et  d'honneur. 
Madame  de  Lamballe,  à  peu  près  seule,  était  restée 
où    le  devoir   la    retenait.    Fut-ce   de    rhéroïsme. 


LA  FUITE  DE  LA  FAMILLE  ROYALE 


207 


n'était-ce  pas  plutôt  inconscience  d'un  périJ  qu'elle 
ne  voyait  pas  ?  Résignée,  sans  vigueur  et  sans  dé- 


FIG.ÔG.    —    MADAME    DE   NORENVAL,  UNE   DES    DAMES    DU    PALAIS, 
LECTRICE    DE   MARIE-ANTOINETTE 

(Collection  Jii  Dr  Vaucaire) 


cision,  elle  voyait  se  dérouler  les  événements,  ne 
doutant  pas  que  la  situation  n'allait  pas  tarder  à 
s'améliorer. 


208  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

La  nouvelle  de  la  fuite  de  la  famille  royaie,  au 
mois  de  juin  1791,  éclatait  comme  un  coup  de  foudre 
dans  un  ciel  serein.  Saiffert  l'avait  annoncée  È<-  la 
princesse  peu  de  temps  avant  que  le  projet  fût  mis 
à  exécution  ;  elle  n'en  avait  voulu  rien  croire.  «  Le 
roi,  répondit-elle  à  son  médecin,  m'a  dit  à  moi- 
même  qu'il  voulait  se  préparer,  avec  la  reine,  à  la 
communion,  et  vivre  pendant  quelques  jours  seul 
et  retiré.  Si  la  reine  m'avait  dit  cela,  un  doute  pour- 
rait me  rester,  mais  le  roi  est  incapable  d'une  telle 
fourberie  ;  il  ne  voudrait  pas  me  laisser  en  butte  au 
danger  auquel  m'exposerait  un  pareil  événement  ; 
non,  vous  êtes  mal  informé  :  le  roi  n'est  pas  dissi- 
mulé à  ce  point.  »  Sur  ces  mots,  elle  regagnait  sa 
maison  de  campagne  de  Passy,  «  située  à  un  quart 
d'heure  de  chemin  des  murs  de  la  ville  de  Paris  ». 
L'infortunée  princesse  fut  cruellement  trompée  dans 
ses  prévisions  ;  au  lendemain  de  l'entretien  que  nous 
venons  de  rapporter,  une  lettre  de  la  reine,  qui  lui 
fut  remise  à  5  heures  du  matin  par  un  envoyé  spé- 
cial, achevait  de  dissiper  ses  dernières  illusions. 

Mon  cœur,  lui  écrivait  Marie-Antoinette,  nous  serons 
déjà  loin  de  l'horrible  ville  de  Paris,  quand  vous  rece- 
vrez ces  lignes.  Le  secret  était  nécessaire  ,  cherchez  à 
vous  sauver  le  plus  promptement  possible,  car  un  mas- 
sacre pourrait  bien  suivre  cette  tentative,  si  longtemps 
cherchée,  et  qui  était  indispensable  pour  restaurer  la 
puissance  royale  ^ 

Saiffert,  qui  reproduit  cette  lettre,  dont  il  avait 
conservé  une  copie,  dit,  en  manière  de  commentaire, 
que  la  reine  s'était  trompée,  car  tout  se  passa  le  plus 
tranquillement  du  monde,  et  l'on  se  contenta  de 


LA    FUITE    DE    LA    FAMILLE    ROYALE  209 

s'écrier  :  «  C'est  toujpurs  quarante  millions  de  gagnés! 
nous  n'avons  pas  besoin  de  roi  ;  qu'on  laisse  Louis 
le  parjure  aller  au  diable  1  » 

La   princesse  ne    pouvait  croire    qu'on    lui   eût 


FIG.    57    —    LA    IMll.NCK.SSE    DE    LAM HALLE 
(Gravure  lioUandaise) 

niancpié  de  confiance.  En  se  rcméniorauL  l'attitude 
de  la  reine  à  la  dernière  entrevue  qu'elle  avait  eue 
avec  elle,  un  indice,  qu'elle  avait  négligé  sur  le  mo- 
ment, putlui  donner  quelque  soupçon  o  Le  dimîinclie 

M 


210  LA    PRINCLSSE    DE    LAMliALLE    INTIME 

qui  précéda  le  départ  de  la  reine,  conte  le  marquis 
de  Clermont-Gallerande  ^,  cette  princesse,  après  son 
jeu,  engagea  Madame  de  Lamballe  à  aller,  dans  la 
semaine,  à  la  campagne  et  lui  prenant  la  main,  lui 
dit  un  adieu  qui,  prononcé  d'un  ton  plus  tendre  que 
de  coutume,  frappa  cette  princesse  au  point  qu'elle 
me  le  dit,  en  rentrant  chez  elle.  Conmie  personne 
ne  parlait  du  départ  du  roi,  nous  n'y  fîmes  pas  une 
attention  sérieuse.  » 

Sans  doute,  Marie-Antoinette  aurait  dû  prévenir 
son  amie,  mais  n'y  avait-il  pas  déjà  trop  de  monde 
dans  le  secret  '?  Et  d'une  femme  nerveuse,  impres- 
sionnable à  l'excès  comme  l'était  la  princesse,  que 
ne  devait-on  pas  redouter  I  Au  surplus,  toute  récri- 
mination était  superflue.  Il  était  temps  de  prendre 
une  détermination  ;  chaque  jour  passé  dans  l'indé- 
cision augmentait  le  danger. 

Madame  de  Lamballe  se  résigna  enfin  à  céder  aux 
sollicitations  de  son  entourage.  Le  21  juin  (1791), 
«  après  avoir  fait  vingt-deux  postes  en  douze  heures  d, 
au  risque  de  voir  se  briser  la  voiture  qui  les  portait 
et  qui  n'était  pas  faite  pour  un  pareil  voyage,  mené 
un  train  d'enfer,  les  fugitifs  arrivaient  à  Auinale, 
devant  la  maison  du  bailli,  où  le  duc  de  Penthièvre 
était  logé  3.  Ils  ne  s'y  arrêtèrent  que  le  temps  de  se 
refaire  par  une  collation  sommaire  ;  une  chaise  de 
poste  était  préparée,  qui  les  transporta,  en  brûlant 
le  pavé,  d'abord  à  Abbeville,  puis  à  Boulogne,  où 
l'on  coucha.  Le  lendemain,  la  princesse  abordait 
à  Douvres,  où  elle  apprenait  l'événement  de  Varennes. 
Elle  se  réembarquait  presque  aussitôt  pour  Ostende, 
où  elle  arrivait  le  25  juin.  Deux  jours  plus  tard,  elle 
mandait  à  sa  cousine,    la    landgravine    de  Hesse, 


LA   rUITE    DE    LA    FAMILLE   ROYALE  211 

l'arrestation  de  la  famille  royale  et  l'informait  de 
sa  situation  présente. 

Je  suis,  lui  disait-elle,  dans  ce  lieu,  sans  femmes  et 
sans  chemises.  Je  partirai  néanmoins  ce  soir  pour 
Bruxelles,  où  sont  Monsieur  et  Madame,  qui  ont  été 
plus  heureux  que  les  autres.  Je  suis  comme  une  imbécile 
et  hors  d'état  de  vous  faire  aucuns  détails  '*... 

De  Bruxelles,  Madame  de  Lamballe  se  rendit  à 
Liège,  où  elle  resta  une  journée  ou  deux  ;  puis  elle  ' 
se  dirigea  sur  Spa,  où  lui  fut  remise  une  somme 
d'argent  envoyée  par  son  beau-père,  en  même  temps 
qu'une  lettre  dans  laquelle  le  duc  de  Penthièvre  la 
oressait  de  revenir  auprès  de  la  reine  et  de  ne  pas 
i'abandonner  dans  le  malheur  qui  la  frappait.  Ne 
sachant  quel  parti  prendre,  la  princesse  écrivit  à 
Saiffert  de  la  conseiller  ;  celui-ci  s'empressa  de  lui 
répondre,  l'engageant  à  rester  où  elle  était,  et  à 
invoquer  comme  prétexte  que  les  eaux  de  Spa  étaient 
nécessaires  pour  remettre  ses  nerfs  troublés.  (<  Pour 
rien  au  monde,  ajoutait-il,  ne  revenez  dans  ce  re- 
paire de  la  Cour,  où  vous  courriez  toute  sorte  de 
dangers.  »  Celle-ci  avait  tellement  accumulé  de  haines,' 
(jue   le   docteur   pressentait  les  pires    catastrophes. 

Nc'écoutez,  mandait-il  à  la  princesse  ,  ni  me- 
«naes,  ni  prières,  ni  ordres,  ni  llatterics...  Croyez- 
en  mon  expérience  ;  on  ne  saurait  vous  reprocher 
de  vous  soigner,  et  nul  ne  songera,  pour  un  tel  mo- 
tif, à  vous  tourner  en  raillerie...  Princesse,  si  j'en 
crois  mes  informations,  Paris  devient  de  plus  en  plus 
redoutable  pour  le  roi  ramené  prisonnier  et  ceux 
(jui  l'ont  accompagné  dans  sa  fuite.  L'État  est 
atteint  d'une  sorte  de  maladie  de  langueur  et  il  ne 


212  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 


« 


se  présente  actuellement  que  des  charlatans  ou  des 
empiriques  pour  proposer  de  le  guérir  ;  les  suites 
m'en  paraissent  devoir  être  des  plus  dangereuses.  » 

Cette  lettre  parvint  à  la  princesse  à  Aix-la-Cha- 
pelle ;  elle  était  descendue,  avec  deux  dames  de  sa 
suite,  dans  une  maison  de  la  rue  Saint-Jacques,  où, 
pour  dissimuler  sa  véritable  personnalité,  elle  s'était 
inscrite  sous  le  nom  de  comtesse  d'Amboise  ;  un  peu 
plus  tard,  elle  quittait  ce  logis  modeste  pour  une 
demeure  plus  confortable,  dans  un  des  quartiers  les 
plus  élégants  de  la  ville,  «  sur  la  grande  rue,  la 
plus  belle  dans  l'endroit  le  plus  large...  tout  près  de 
la  Redoute,  ce  qui  est  commode  pour  aller  jouer  à 
la  rouge  et  noire,  tout  près  des  plus  beaux  bains 
et  des  eaux  ».  Madame  de  Lamballe  s'était  con- 
tentée, dans  cette  luxueuse  résidence,  d'une  simple 
chambre,  «  quoiqu'elle  soit  laide  et  qu'on  ne  puisse 
y  aller  que  par  un  vilain  sale  corridor  ;  mais  elle  a  des 
cabinets  et  de  quoi  loger  des  femmes  autour  d'elle 5». 

D'Aix-la-Chapelle,  elle  écrit  à  sa  cousine,  pour 
la  remercier  encore  de  ses  «  ofîrcs  obligeantes  »; 
elle  préfère  attendre  les  nouvelles  de  France  avant 
de  prendre  une  détermination. 

Il  lui  apparaît  «  que  l'Assemblée  s'est  radoucie 
pour  le  roi  ;  elle  le  regarde  comme  inattaquable, 
mais  il  est  toujours  suspendu  dans  ses  pouvoirs... 
Comme  on  ne  dit  rien  de  la  reine,  (elle)  espère 
qu'on  la  regarde  simplement  comme  femme  du  roi 
et  comme  devant  lui  obéir  et  qu'il  n'en  sera  pas 
question  ».  Elle  va  prendre  les  eaux,  ne  fera  que 
traverser  Coblentz,  si  elle  s'y  rend,  quoique  Monsieur 
et  le  comte  d'Artois  l'aient  maintes  fois  invitée  ; 
si    elle   s'établissait  quelque  part,  ce  serait  à  Turin 


LA    FUITE    DE    LA    FAMILLE    ROYALE 


2l3 


auprès  de  ses  parents  ;  mais  eJle  n'a  formé  aucun 
nouveau  projet  ;  cela  dépendra  des  circonstances. 
En  vain,  la  reine,  de  même  que  SailTert,  lui  écrit- 
elle  lettres  sur  lettres,  pour  l'engager  à  ne  pas 
quitter  l'asile   qu'elle   s'est   choisi  :'  elle  hésite,  elle 


FIG.    58,    —    nOL-SElN    DE    LA    HEINE    MARir-AMOINETTE 


tergiverse,  ne  sachant  quelle  détermination  prendre  ; 
lorsqu'elle  se  décide  à  revenir  en  France,  elle  ne  se 
dissimule  nullement  quel  sort  l'attend,  mais  «  elle 
doit  obéir,  fût-ce  coiilre  sa  volonté  et  toutes  ses 
inclinations»,  alors  même  qu'elle  sait  qu'elle  court  au- 
devant  de  sa  perte.  Comme  le  disait  le  comte  de 
l.is-Cases  à  Napoléon,  qui  l'interrogeait  sur  ce  qui 
b'était  passé  entre  la  reine  et  la  princesse  dans  cette 
circonstance,  «  la  princesse  retourna  dans  la  capi* 


2l4  LA    PRINCESSE    DE    LAMBAI.LE    INTIME 

taie  avec  pleine  connaissauce  du  péril,  clic  est  tom- 
bée victime  de  sa  générosité  et  de  ses  bons  senti- 
ments». Une  preuve  certaine  de  la  véracité  de  cette 
assertion,  c'est  que  le  testament  de  Madame  de 
Lamballc^',  rédigé  à  Aix-la-Chapelle,  porte  la  date  du 
15  octobre  1791.  Ce  serait  donc  bien  aux  sollicita- 
tions de  la  reine  que  la  princesse  aurait  cédé, 
quoique  Marie-Antoinette  ait  toujours  eu  l'appa- 
rence de  refuser  les  offres  de  dévouement  que  lui  re- 
nouvelait sans  cesse  son  amie. 

Des  témoignages  irrécusables  concordent  pour  nous 
fortifier  dans  cette  opinion,  que  la  princesse  a,  comme 
elle  l'a  déclaré  elle-même,  obéi  à  une  invitation  pres- 
sante, qu'elle  «  n'a  pas  quitté  Aix  sans  infiniment 
de  regret  ». 

Je  ne  suis,  écrivait-elle  à  sa  cousine,  un  mois  après  son 
arrivée,  rentrée  dans  ce  chien  de  pays  que  pour  la  reine 
et  pas  du  tout  pour  me  divertir,  on  ne  me  verra  pas 
beaucoup  dans  le  monde.  Il  fallait  tous  mes  sentiments 
pour  elle  pour  me  faire  quitter  le  séjour  d'Aix  et  vaincre 
la  répugnance  que  j'éprouvais  pour  venir  dans  ce  lieu  ; 
mais  du  moment  que  la  reine  m'eut  manifesté  le  désir 
qu'elle  avait  que  je  revinsse  vers  elle,  je  suis  partie  sur- 
le-champ  et  suis  venue  occuper  mon  logement  aux  Tui- 
leries, où  je  (me)  suis  établie  du  jour  même  de  mon  arri- 
vée. Je  suis  venue  seule  ;  je  n'ai  pas  voulu  priver  mes 
dames  de  leur  tranquillité,  et  que  la  noblesse  qui  m'était 
attachée  reçTit  des  choses  humiliantes  par  rapport  à 
moi...  Quant  à  moi,  je  sacrifierai  tout  à  la  R...  (Reine) ^, 

Cette  dernière  phase  est  significative. 


NOTES  DU  CIIAPITKE  IX 


1.  Nous  donnons,  pour  ce  billet,  la  traduction  du  texte  de 
Saiffert,  n'ayant  pu  retrouver  le  document  original  dont  il 
donne  une  copie. 

2.  G.  Bertin,  op.  cit.,  217. 

3.  Mémoires  pour  senu'r  à  la  vie  de  M.  de  Penthièvre,  par  Fou- 
TAiRE,  valet  de  chambre  du  prince. 

4.  Lettre  publiée  par  M.  Ch.  Schmtdt. 

.5  Correspondance  de  Mme  de  Lâge  de  Volude. 

6.  Elle  n'avait  eu  garde  d'oublier,  dans  son  testament,  le 
médecin  qui  lui  avait  donné  ses  soins,  et  auquel  elle  re- 
commandait qu'on  conservât  sa  pension.  Elle  léguait,  en 
outre, deux  mille  francs,  pour  délivrer  des  mois  de  nourrice, 
trois  mille  francs  à  l'Hôtel-Dieu,  «  plus  cent  cinquante 
livres  de  pension  viagère  pour  avoir  soin  de  mes  chiens, 
cette  pension  à  finir  à  la  mort  des  chiens  ».  Enfin,  elle  ter- 
minait par  celte  recommandation,  où  perce  la  crainte  d'être 
inhumée  vivante  :  «  Je  veux  être  gardée  trois  jours,  et  que 
mon  médecin  ou  chirurgien  m'examine  pendant  ces  trois 
jours.  » 

7.  Correspondance  publiée  par  M.  Cb.  Schmidt  [lu  Bévo- 
lulion  française,  loc  cit.). 


FKi.    59.    —    HETOUR   DE    VAl 


CHAPITRE   X 


LE  RETOUR  EN    FRANCE   DE    MADAME    DE    LAMBALLE. 

LES    NÉGOCIATIONS 

DE    LA    COUR    AVEC    LES    CHEFS    DU    PARTI    JACOBIN 


Le  beau-père  de  la  princesse,  le  bienfaisant  duc 
de  Penthièvre,  qui  avait  toujours  engagé  Madame 
de  Lamballe  à  ne  pas  abandonner  ses  maîtres,  se 
réjouit  de  la  voir  rentrer  en  France,  non  sans  mar- 
quer de  l'appréhension  sur  l'avenir  qui  lui  était 
réservé.  «  Je  loue  fort  i'attachement  de  ma  belle- 
fille  pour  la  reine,  s'écria-t-il  en  apprenant  la  nou- 
velle que  lui  apportaient  les  gazettes  de  Paris  ;  elle 
a  fait  un  bien  grand  sacrifice  de  revenir  auprès 
d'elle.  Je  tremble  qu'elle  en  soit  victime.  »  Ce  n'était 
pas  être  prophète,  mais  simplement  clairvoyant  ; 
ne  semble-t-il  pas  qu'il  soit  des  circonstances  où 
l'on  s'épuiserait  en  vain  à  lutter  contre  le  sort  acharné 
à  vous  perdre  ? 

Plus  on  étudie  l'histoire  de  la  Révolution  dans  les 
détails,  plus  on  cherche  à  pénétrer  les  mobiles  aux- 
quels ont  obéi  les  protagonistes  d'un  drame  où  les 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  2I9 

comparses  n'ont  pas  toujours  joué  le  moindre  rôle, 
plus  on  reste  confondu  de  constater  que  ces  prétendus 
géants,  vus  non  point  avec  le  grossissement  que  leur 
confèrent  la  distance  et  le  recul  du  temps,  mais  à  la 
lumière  crue  des  documents  contemporains,  ne  sont, 
en  réalité,  que  des  êtres  humains  taillés  à  notre  me- 
sure ;  ces  colosses  nous  apparaissent  comme  des 
pygmées,  ces  figures  monstrueuses  ou  gigantesques, 
notre  imagination  seule  les  a  déformées,  la  vérité 
nous  les  montre  très  difïérents  ^ 

Voyez  Danton.  Si  on  ne  se  souvient  que  de  son  rôle 
dans  la  politique  extérieure  de  la  France,  de  son 
sursaut  de  patriotisme,  qui  amena  la  victoire  sous 
nos  drapeaux  à  un  moment  où  l'on  désespérait  de 
vaincre,  de  son  audacieux  défi  de  septembre  aux 
nations  coalisées,  Danton  nous  apparaît  grand 
parmi  les  plus  grands  ;  mais  que  nous  soient  admi- 
nistrées les  preuves  de  sa  vénalité,  les  témoignages 
de  sa  corruption,  le  héros  descend  de  son  piédestal, 
la  statue  croule  de  son  socle. 

Disons  tout  de  suite  que  Danton  est  une  des 
figures  les  plus  attachantes  de  la  Révolution.  Ce 
jouisseur,  ce  bon  vivant,  ce  «  Mirabeau  de  la  popu- 
lace »,  comme  on  l'a  nommé,  éveille  en  nous  une 
sympathie  dont  nous  avons  quelque  peine  à  nous 
défendre.  La  physionomie  est  repoussante,  et  pourtant 
elle  nous  attire.  Barère  disait  de  son  collègue  à  la 
Convention  :  «  c'était  un  homme  à  tête  de  fer  »,  et 
il  rappelait  ce  propos,  que  leur  tenait  un  jour  Danton, 
à  Saint-Just  et  à  lui  :  «  La  Révolution,  leur  disait-il, 
a  accouché  de  la  Monarchie  au  10  août,  et  au  2  sep- 
tembre elle  lui  a  arraché  l'arrière-faix.  » 

Cette  verdeur  de  verbe  lui  était  habituelle.  «  Si 


220  LA    PRINCKSSK    DE    LAMDALLE    INTIME 

je  laisais  mes  c...  (traduisons  par  virilité)  à  Robes- 
pierre et  mes  jambes  à  Couthon  (qui  était,  comme  on 
sait,  cui-de-jattc),  ça  pourrait  aller  encore  quelque 
temps  au  Comité  de  salut  public  ^.  * 

Quelqu'un  qui  l'avait  connu  et  vu  de  pri^îs,  mais 
qui  ne  l'aimait  pas,  a  rapporté  3  que  Danton  avait 
rédigé  lui-même  son  épitaphe,  elle  vaut  celle  de 
Sardanapale  que  nous  a  fait  connaître  Aristote  : 
«  Qu'importe  si  je  meurs,  j'ai  bien  joui  dans  la  Révo- 
lution, j'ai  bien  dépensé,  bien  riboté,  bien  caressé 
des  filles,  allons  dormir  !  » 

Quel  mépris  devait  avoir  de  la  vile'  multi- 
tude cet  épicurien  fastueux,  pour  s'écrier,  de- 
vant le  peuple  qui  devait  applaudir  à  son  sup- 
plice :  «  Les  imbéciles,  ils  crieront  :  Vive  la  Répu- 
blique, en  me  voyant  conduire  à  la  guillotine  !  » 

Lorsque  Sain t- Jus t  et  Robespierre  annoncèrent 
que  la  Révolution  allait  suivre  un  autre  cours,  quand 
ils  proclamèrent  que  la  terreur  et  la  vertu  étaient  à 
l'ordre  du  jour,  ce  n'était  pas  seulement  pour  prôner 
l'austérité  des  mœurs  et  le  désintéressement  qu'ils 
tenaient  ce  langage,  ils  entendaient  surtout  viser 
l'immoralité  de  Danton  ;  ils  faisaient  une  allusion 
directe  à  ces  opérations  plus  ou  moins  fructueuses 
dont  le  tribun  avait  tiré  de  larges  profits  et  que  con- 
naissaient de  trop  nombreux  initiés.  Des  inculpa- 
tions portées  contre  Danton  celle-ci  est  évidemment 
la  plus  grave. 

Dar-tofi  s'était  marié  deux  fois  ;  ses  deux  femmes 
furent  passionnément  aimées.  La  dernière  parlait  de 
lui  en  termes  des  plus  flatteurs,  à  qui  lui  demandait 
ses  impressions  sur  son  premier  époux.  On  a  conté 
qu'aune  séance  de  la  Convention,  Danton  répondit  à 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  2^1 

un  des  orateurs  qui  l'avaient  le  plus  violemment  atta- 
qué par  une  de  ces  boutades  qui  désarmaient  ses  pires 
ennemis  :  «  Un  homme  qui...  (satisfait)  sa  femme 
toutes  les  nuits,  ne  conspire  pas.  »  L'argument  était 


FIG.   60.  —    CAMILLi:   DESMOULINS 

inattendu,  mais  il  avait  sa  valeur  ;  seul,  le  misogyne 
Robespierre  était  incapable  d'en  cire  touché. 

Camille  DcsmouHiis  élaiL-il  plus  chaste  que  Dan- 
ton ?  Une  anecdote  qui  le  met  en  scène,  précisément 
avec  Robespierre,  nous  dévoile  un  coin  de  sa  psy- 
chologie, cl  surtout  de  celle  de  l'Incorruptible. 


222  LA    PRINCESSE    DE    LAMIiAI  LE   INTIME 

Un  jour,  en  rentrant  chez  Duplay.le  menuisier  chez 
qui  logeait  le  farouche  dictateur,  celui-ci  trouve,  sur 
la  table  de  sa  fiancée,  «  un  mauvais  livre  ».  Ayant 
demandé  qui  l'avait  apporté,  on  lui  nomme  Camille 
Desmoulins.  Sans  mot  dire,  Robespierre  en  déchira 
les  feuilles,  et  qui  sait,  ajoute  celui  qui  a  raconté  le 
fait  ^,  si  cette  mauvaise  action  n'a  pas  coûté  la  vie 
à  Camille  ? 

Mais  revenons  à  Danton  et  parlons  de  ses  relations 
avec  la  Cour.  Ici,  nous  nous  contenterons  de  repro- 
duire les  allégations  du  docteur  Saiffert  qui,  dans  des 
Notes  et  Appendices,  accompagnant  son  «  Observa- 
tion »  de  la  maladie  de  la  princesse  de  Lamballe, 
nous  a  dévoilé  les  particularités  les  plus  intéressantes 
sur  la  genèse  d'événements  restée  quelque  peu  obs- 
cure; ainsi  se  trouvent  confirmées  certaines  trac- 
tations entre  les  chefs  du  parti  révolutionnaire  et  les 
conseils  de  la  royauté,  qui  nous  étaient  connues  par 
ailleurs,  mais  que  la  déposition  d'un  témoin  impartial 
corrobore  d'autant  mieux  qu'elle  est  spontanée. 

Peu  de  temps  avant  les  journées  d'août  (1792), 
on  avait  conseillé  au  roi  de  faire  appel  aux  hommes 
généralement  reconnus  comme  les  idoles  populaires, 
entre  autres  Pétion,  Robespierre  et  Danton.  On 
pensait  de  la  sorte  les  compromettre  aux  yeux  du 
peuple  et  attirer  sur  eux  la  haine  de  celui-ci.  La 
reine  se  montra  particulièrement  empressée  à  mettre 
ce  projet  à  exécution;  elle  fit  donc  inviter  successi- 
vement les  chefs  du  parti  démocratique  à  se  rendre, 
à  des  heures  fixées,  chez  sa  surintendante,  la  prin- 
cesse de  Lamballe,  sous  le  prétexte  de  s'entretenir 
d'affaires  de  la  plus  haute  importance. 

Pétion  accourut  le  premier  aux  Tuileries.  Quelques 


ï 


M: 


JEU .  V E  T  ION  i>E  vn j j:ni:uvï^ 

Députe  du  ftailSf  de  Chartres 

EtU'Jfai/ti/ff  Aveu-  /c  /8  A^ûoemSre  /  7^> 


Im^t^^m  JX 


"^irrr^ 


FIG.  Gl.  —  PÉTION 


224  LA    PRLNCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

adroites  flatlerics  de  Marie-Antoinette,  relatives  à 
sa  science  du  gouvernement,  à  ses  connaissances 
pour  la  conduite  d'un  État,  eurent  vite  raison  de 
sa  faible  résistance,  et  les  dernières  hésitations  du 
maire  de  Paris  tombèrent  devant  l'offre  qui  lui  fut 
faite  d'un  poste  de  ministre  qu'on  lui  réservait. 

Danton  se  montra  plus  exigeant.  Il  posa  ses  con- 
ditions, «  grandes  et  nombreuses  »,  assure  notre 
informateur.  Il  demanda,  notamment,  le  paiement 
d'une  somme  annuelle  de  deux  millions  de  livres 
monétaires,  à  prendre  sur  les  fonds  secrets,  dont  la 
loi  autorisait  le  roi  à  faire  un  libre  usage.  La  reine 
promit  tout  ;  en  échange,  Danton  s'engageait  à 
faire  rendre  au  roi,  dans  un  bref  délai,  la  plus  grande 
partie  de  la  confiance  qu'il  avait  perdue  et  le  pouvoir 
qui  lui  avait  été  arraché. 

Quant  à  Robespierre,  à  la  perspective  du  porte- 
feuille ministériel  qui  lui  était  promis,  il  n'avait  pas 
dissimulé  la  joie  qu'il  en  éprouvait,  jusqu'à  saisir,  en 
dépit  du  protocole,  la  main  de  la  reine  et  à  la  portera 
ses  lèvres,  en  témoignage  de  reconnaissance.  «  Le  roi, 
aurait-il  déclaré  dans  son  enthousiasme,  saura  qu'il 
m'a  choisi  pour  son  bien  ;  je  vais  préparer  le  discours 
que  je  prononcerai  aux  Jacobins,  et  qui  sera  le  garant 
de  mon  zèle  à  servir  la  cause  royale.  Si  quelqu'un 
s'avisait  de  me  contredire,  je  ne  reculerai  pas  devant 
les  moyens  de  lui  faire  expier  son  audace.  Le  peuple 
m'aime,  mon  influence  peut  faire  taire  beaucoup  de 
mécontents,  et  la  reine  peut  compter  sur  ma  pro- 
messe, que  j'userai  de  tout  mon  pouvoir  pour  réa- 
liser ses  désirs.  » 

Afin  de  dissiper  les  soupçons  qu'auraient  pu  faire 
naître  la  constitution  d'un  ministère  ainsi  composé. 


15 


226  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

il  fut  convenu  qu'on  demanderait  à  un  modéré,  le 
duc  de  la  Rochefoucault  (sic),  d'y  occuper  une 
place.  En  conséquence,  celui-ci  fut  invité  à  se  rendre 
secrètement  chez  la  princesse  de  Lamballe.  On  lui 
dit  ce  qu'on  attendait  de  lui  ;  mais  ce  personnage, 
d'une  intégrité  parfaite,  refusa  de  se  prêter  à  cette 
manœuvre.  Manuel,  le  procureur  de  la  Commune, 
y  mit  moins  de  scrupule,  il  se  hâta  d'accepter  ce 
que  le  duc  avait  refusé. 

C'est  de  la  princesse  de  Lamballe  elle-même 
que  Saifïert  assure  tenir  les  faits  que  nous  venons 
d'exposer,  et  dont  le  récit  est  accompagné  de 
différentes  circonstances  d'ordre  secondaire,  dont 
son  interlocutrice  lui  avait  fait  part.  Elle  lui  aurait 
demandé  ce  qu'il  pensait  d'un  pareil  projet.  Surpris 
par  une  telle  confidence,  le  docteur  se  refusa  tout 
d'abord  à  croire  à  sa  véracité.  «  S'il  en  est  ainsi, 
répHqua  la  princesse,  offensée  de  ce  doute  injurieux, 
soyez  aux  Jacobins  après-demain  ;  Robespierre 
doit  y  expliquer  sa  nouvelle  attitude,  et  vous 
me  ferez  part  des  impressions  que  vous  aurez 
recueillies.  » 

Au  jour  dit,  le  docteur  Saifïert  se  mêlaitvà  l'auditoire 
qui  avait  envahi  la  salle  du  célèbre  club,  et  il  entendit, 
à  sa  grande  stupéfaction,  Robespierre  prononcer  un 
discours  en  faveur  de  la  royauté  et  des  lois  consti- 
tutionnelles. L'impression  et  la  distribution  de  ce 
discours  furent  réclamées  et  adoptées  à  une  forte 
majorité  par  l'assemblée,  malgré  une  violente  oppo- 
sition de  la  minorité.  Saifïert  fut  convaincu,  à  partir 
de  ce  moment,  que  Madame  de  Lamballe  lui  avait 
dit  la  vérité.  Il  ne  lui  en  présenta  pas  moins  des 
doutes  sur  la  réussite  du  projet,  escomptée  par  ceux 


vu:.   03.  —   ROBEHIMIHItl. 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  229 

qui  s'attendaient  à  y  trouver  un  moyen  de  salut. 
Il  estimait,  quant  à  lui,  que  cette  tentative  venait 
trop  tard,  qu'elle  aurait  dû  être  mise  à  exécution 
quelques  mois  plus  tôt.  A  l'heure  présente,  la  mino- 
rité avait  avec  elle  toute  la  lie  populaire,  et  la  bour- 
geoisie se  refuserait  à  entrer  en  lutte  ouverte  avec 
cette  dernière  ;  la  Cour  avait  tort  de  compter  sur 
une  issue  heureuse.  «  Fuyez,  fuyez  sans  délai,  réitéra 
Saiffert  à  la  princesse  ;  vous  courez  les  plus  graves 
périls.  »  Mais  toutes  les  supplications  du  docteur 
restèrent  vaines,  la  princesse  étant  plus  résolue  que 
jamais  à  ne  pas  abandonner  la  reine.  «  Ah  !  répondit- 
elle  en  soupirant,  mon  beau-père  l'exige  ;  je  ne  peux 
pas  quitter  la  place  !  » 

Avant  d'aller  plus  loin  et  d'entamer  le  récit  de 
la  journée  du  10  août,  qui  fut  fatale  à  la  monarchie, 
peut-être  ne  jugera-t-on  pas  superflu  que  nous  re- 
cherchions, dans  les  publications  de  l'époque,  les 
informations  qui  sont  de  nature  à  confirmer  ou  à 
infirmer  les  assertions  du  médecin  saxon,  dont  les 
révélations  mettent  en  posture  assez  fâcheuse  les 
principaux  chefs  du  parti  jacobin  5. 

Pour  Mirabeau,  la  question  ne  se  pose  plus  ;  elle 
a  reçu  depuis  longtemps  sa  solution  ^.  Perdu  de 
dettes,  avide  de  jouissances  sans  cesse  renouvelées, 
celui-là  n'était  pas  difficile  à  corrompre.  Les  condi- 
tions du  marché  sont  aujourd'hui  connues.  Ses 
dettes,  montant  à  300.000  livres,  furent  intégrale- 
ment payées  ;  on  lui  acheta  un  hôtel  de  500.000  livres 
dans  la  rue  Chaussée-d'Antin,  une  maison  de  cam- 
pagne de  2r)0.000,une  terre  de  plus  de  d'un  million, 
et  la  bibliothèque  de  Buffon,  qui  coûta  200.000  livres. 
On  lui  paya,  en  outre,  une  pension  de  50.000  livres 


23o  LA  rniNCEssE  dp:  lamballe  intime 

par  mois,  et  on  lui  promit  une  ambassade,  dès  que 
la  session  serait  terminée  7. 

Passons  à  Danton. 

D'une  lettre  intime  qu'écrivait,  le  10  mars  1791, 
Mirabeau  à  son  ami  le  comte  deLamarck  ^nous  déta- 
chons ces  lignes,  terriblement  accusatrices  :  «  Danton 
a  reçu  hier  30.000  livres,  et  j'ai  la  preuve  que  c'est 
Danton  qui  a  fait  faire  le  dernier  numéro  de  Camille 
Desmoulins...  »  Donc,  conclut  judicieusement  M.  Al- 
bert Mathiez  9,  qui  fait  la  citation,  «  Danton  était, 
dans  ce  mois  de  mars  1791,  un  agent  de  la  liste  civile. 
Nous  nous  expliquons  facilement,  maintenant,  qu'il 
ait  pu  acheter  tant  de  biens  nationaux  avant  le 
remboursement  de  sa  charge.  C'est  le  24  mars  1791, 
juste  quinze  jours  après  qu'il  a  reçu  les  30.000  livres 
dont  parle  Mirabeau,  qu'il  a  acheté  la  ferme  de  Nui- 
sement  pour  48.200  livres,  cette  métairie  dont  il 
parlera  plus  tard  avec  simplicité  ». 

Le  bruit,  en  effet,  s'étant  répandu  que  Danton 
s'était  vendu,  celui-ci  crut  nécessaire  d'y  couper 
court.  Le  20  janvier  1792,  dans  la  séance  de  l'Assem- 
blée électorale  qui  venait  de  l'élire  substitut  du 
procureur  ,de  la  Commune,  Danton  prononça  un 
discours  pour  expliquer  son  retour  à  Paris  et  ré- 
pondre aux  rumeurs  qu'il  taxait  de  calomnieuses. 
Dans  cette  circonstance,  comme  dans  d'autres  plus 
mémorables,  il  crut  de  bonne  tactique  de  payer 
d'audace.  «  L'opinion,  s'écria-t-il,  non  ce  vain  bruit 
qu'une  faction  de  quelques  mois  ne  fait  régner 
qu'autant  qu'elle-même,  l'opinion  indestructible,  celle 
qui  se  fonde  sur  des  faits  qu'on  ne  peut  longtemps 
obscurcir,  cette  opinion  qui  n'accorde  point  d'am- 
nistie aux  traîtres...,  cette  opinion  me  rappelle  du 


FIG.   6t.   —    UN   E 
(On   présente  au   pré 


r.S  HE  PRAIRIAL 

•^    la    tète   d«    Féraud). 


RETOUR    EN    FRANCE    DE    MADAME    DE    LAMBALLE    235 

fond  de  ma  retraite,  où  j'allais  cultiver  cette  métai- 
rie qui,  quoique  obscure  et  acquise  avec  le  rem- 
boursement notoire  d'une  charge  qui  n'existe  plus, 
n'en  a  pas  moins  été  érigéfe  par  mes  détracteurs  en 
domaines  immenses,  payés  par  je  ne  sais  quels  agens 
de  l'Angleterre  et  de  la  Prusse...  »  Ainsi  que  l'a  sen- 
sément remarqué  celui  qui  reproduit  ce  fragment 
oratoire  '°,  Danton  éludait  ;  personne  ne  parlait  alors 
de  ses  intelligences  avec  l'étranger,  mais  bien  de  ses 
relations  avec  la  Cour. 

Une  note  trouvée  dans  les  papiers  de  La  Fayette 
est,  à  ce  sujet,  des  plus  démonstratives.  «  Danton, 
dit  cette  note,  s'était  vendu,  à  condition  qu'on  lui 
achèterait  100.000  livres  sa  charge  d'avocat  au  Con- 
seil..., plus  tard,  il  Yin;ut  beaucoup  d'argent  ;  le 
vendredi  avant  le  10  août,  on  lui  donna  50.000  écus.  » 
Robespierre  n'a-t-il  pas,  d'ailleurs,  prétendu  que 
Danton  lui  eut  «  une  obligation  bien  remarquable  », 
quand  il  lui  fit  rembourser  sa  charge  d'avocat  au 
Conseil  ?  «  On  assure  même,  ajoute- t-il,  que  ce  prix 
lui  en  a  été  payé  deux  fois  ".  »  Veut-on  encore  un 
témoignage  de  contemporain  ?  «  Danton,  relate 
Brissot  "  dans  ses  Mémoires,  recevait  de  toutes 
mains.  J*ai  vu  le  reçu  de  100.000  écus  qui  lui  furent 
comptés  par  Montmorin.  »  L'on  comprend,  dès  lors, 
comment  un  collègue  de  Montmonn  au  ministère, 
Bertrand  de  Molleville,  ait  pu  menacer  Danton  de 
révélations,  lorsqu'il  vit  le  tribun,  «  dont  la  liste 
nvile  avait  acheté  si  chèrement  les  services  »,  se 
montrer  au  nombre  des  plus  violents,  quand  le  procès 
du  roi  fut  mis  en  délibération.  Bertrand  de  Molle- 
ville  menaça  Danton,  s'il  ne  servait  pas  le  roi,  de 
publier  la   preuve   des  sommes  qu'il  avait  reçues 


23G  L\    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

du  Ministère  des  Affaires  étrangères,  et  il  poursuivit 
en  ces  termes  :  «  La  vérité  est  que  M.  de  Montmorin 
m'avait  effectivement  communiqué  toute  cette 
affaire  et  les  pièces,  mais  jamais  il  ne  me  les 
avait  remises.  Danton,  cependant,  qui  savait 
mon  intimité  avec  le  comte  de  Montmorin,  ne 
pouvait  douter,  sur  ma  lettre,  que  je  n'en  fusse 
dépositaire.  11  ne  me  répondit  pas  ;  mais  je  vis 
que,  deux  jours  après  celui  où  il  avait  dû  recevoir 
ma  lettre,  il  se  fit  donner  une  mission  pour  les  dé- 
partements du  Nord  ;  il  ne  revint  à  Paris  que  la 
veille  où  l'on  condamnait  le  roi.  Il  vota  pour  la 
mort  ;  mais,  contre  son  usage,  son  opinion  ne  fuf 
soutenue  d'aucun  discours  ^^.  » 

Continuons  à  dépouiller  notre  dossier,  en  toule 
objectivité  et  sans  prévention  d'aucune  sorte. 

Il  y  a  quelques  années,  au  cours  de  recherche^ 
dans  un  magazine  ^^  nous  relevions  ce  passage,  qui 
retint  tout  de  suite  notre  attention  :  «  Dans  un  ma- 
nuscrit de  Boissy  d'Anglas,  le  publiciste,  le  conven- 
tionnel, le  député  de  l'Ardèche,  illustré  par  son 
héroïque  fermeté  dans  les  journées  de  prairial,  ma- 
nuscrit simplement  intitulé  :  Souvenirs  (48  pages 
in-8o),  on  lit  l'anecdote,  extrêmement  curieuse,  qui 
suit,  sur  la  Révolution  : 

Il  est  très  vrai  que,  lorsque  Danton  fut  arrêté,  il 
avait  le  projet  d'aller  forcer  le  Temple,  de  prendre  le 
fils  de  Louis  XVI,  de  le  proclamer  roi,  et  de  le  porter 
par  la  ville.  On  aurait  nommé  un  Conseil  de  régence, 
dont  Danton  eût  été  le  chef,  et  les  principes  d'humanité 
qui  ont  régné  après  le  9  thermidor  auraient  prévalu 
dès  cette  époque,  c'est-à-dire  quatre  ou  cinq  mois 
plus  tôt...  Fabre  d'Églantine,  Hérault,  Danton,  La- 
croix et  Camille  Desmoulins  étaient  les  auteurs  de  ce 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMIULLE  287 

projet.   Danton  devait  présenter  l'enfant  au  peuple... 
Il  paraît  que  le  Comité  de  Salut  public  en  fut  instruit. 


ru..   G5    —    DANTON 


et  Saint-Just  en  dit  (nichpics  mots  dans  son  rapporf, 
sans  pourtant  entrer  dans  beaucoup  de  détails  *•'. 


238  LA   PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Dans  une  brochure  publiée  en  1834  par  Courtois 
le  fils,  sous  le  titre  :  Af faire  des  Papiers  de  C ex-con- 
ventionnel Courtois,  après  quelques  explications  don- 
nées sur  le  testament  de  Marie-Antoinette,  que 
Courtois  aurait,  au  dire  de  son  fils,  sauvé  de  la  des- 
truction, celui-ci  ajoute  : 

On  concevra  encore  bien  mieux  cette  conduite,  quand 
on  saura  qu'un  projet  d'enlèvement  audacieux  de  la 
reine  devait  être  tenté  par  Danton  et  mon  père,  qui 
en  était  l'ûme.  Marie-Antoinette  et  Madame  Elisabeth 
devaient  être  arrachées  de  vive  force  du  Temple  et 
transportées  à  l'étranger.  La  preuve  de  ce  fait  se  trouve 
dans  une  des  lettres  de  Danton  saisies  par  la  pohce  ^'\ 
Les  moyens  d'exécution  y  sont  discutés  et  ont  le  carac- 
tère d'audace  qui  distinguait  cet  homme  énergique  ^". 

Des  apologistes  du  ministre  de  la  Justice  de  1792 
ont  objecté  que  si  une  preuve  de  la  trahison  de 
Danton  avait  pu  être  établie  par  la  police  robes- 
pierriste,  ou  par  les  agents  royahstes  sous  la  Restau- 
ration, cette  preuve  aurait  été  cent  fois  publiée  ; 
d'où  ils  concluent  en  traitant  de  fable  la  conspiration 
de  Danton  en  faveur  de  la  royauté  ^^.  Eh  bien  1 
nous  ne  conviendrons  pas,  avec  ces  défenseurs  d'une 
mauvaise  cause,  que  celle-ci  est  <<  désormais  entendue 
et  jugée  ^9  ».  Outre  le  fragment  des  Mémoires  de 
Boissy  d'Anglas,  cité  plus  haut,  et  dont  un  des  des- 
cendants de  l'ancien  président  de  la  Convention 
a  confirmé  Lauthenticité  ^°,  nous  avons  eu  sous  les 
yeux  la  déposition  d'un  autre  témoin  à  charge, 
celui-là  membre,  lui  aussi,  de  la  Convention  et  ré- 
dacteur du  Rapport  sur  les  Papiers  de  Robespierre  : 
nous  l'avons  nommé,  c'est  Courtois. 

Peu  de  temps  avant  le  10  août,  écrit  Courtois,  DantoD 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  2".{9 

avait  été  reçu,  secrètement  et  à  l'insu  du  roi,  au  château 
des  Tuileries,  par  la  reine  Marie-Antoinette,  qui  parais- 
sait loin  de  voir  les  périls  qui  la  menaçaient.  L'avenir 


F'f     0" 


LA  Duc:ni:ssi-:  in:  r.n(»iHi;uL 


lui  paraissait  si  pou  alarmant,  (m'en  conprdiant  Dantorit 
elle  lui  dit  paiement  :  «  Kh  bien  !  Mor>sicur  Danton, 
si  nous  ne  sommes  pas  sa{^cs,  il  faudra  rjous  enfermer 
dans   une    tour   jx'ndant    <|uel((u«:s    mois.    » 


240  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

Bien  peu  de  temps  après,  ces  paroles  légères 
étaient  devenues  une  effroyable  réalité.  Danton, 
qu'attristait  cette  dangereuse  sécurité,  prit  congé 
de  la  reine,  en  l'assurant  que,  quelque  chose  qu'il 
arrivât,  lui  et  ses  amis  veilleraient  sur  ses  jours  et 
sur  ceux  de  ses  enfants. 

Courtois  était  très  lié  avec  la  duchesse  de  Choi- 
seul,  femme  de  l'ancien  ministre  de  Louis  XV  et 
amie  de  la  reine.  Après  la  mort  du  roi,  la  duchesse, 
qui  en  avait  reçu  «  un  coup  accablant...  dont  elle 
faillit  mourir  »,  résolut  de  se  vouer  au  salut  de  Marie- 
Antoinette.  Courtois  jugea  l'heure  venue  de  rappeler 
à  Danton  ses  promesses,  et  «  le  projet  d'enlèvement 
fut  définitivement  arrêté  ».  Une  voiture  de  voyage, 
appartenant  à  la  duchesse  de  Choiseul,  reçut  une 
appropriation  particulière  ;  les  passeports  furent  pré- 
parés ;  la  reine  devait  voyager  sous  le  nom  de  la 
veuve  d'un  négociant  allemand,  se  rendant  à  Franc- 
fort dans  sa  famille,  et  Madame  Elisabeth  était  sa 
femme  de  chambre.  L'intérieur  du  Temple  était 
gagné.  Les  dispositions  étaient  si  bien  prises,  que 
l'alarme  n'aurait  été  donnée  que  vingt-quatre  heures 
seulement  après  l'évasion.  Tout  semblait  favoriser 
ce  projet,  quand,  dans  les  premiers  jours  du  mois 
d'août,  la  Commune,  inquiète,  qui  veillait  inces- 
samment sur  les  victimes,  conçut  quelques  soupçons 
et  fit  précipitamment  enlever  Marie-Antoinette,  qui 
fut  aussitôt  transférée  à  la  Conciergerie,  où  la  sur- 
veillance la  plus  active  s'exerça.  De  ce  moment, 
toute  espérance  s'évanouit,  l'enlèvement  était  de- 
venu impossille  -^ 

Un  proverbe  populaire  dit  qu'il  n'y  a  pas  de  fumée 
sans  feu  ;  or,  de  tous  les  côtés,  nous  revient  l'écho 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  24 1 

des  bruits  qui  ont  couru,  à  cette  époque,  de  la  collu- 
sion de  Danton  avec  la  royauté  2^. 

Lorsque  les  Dantonistes,  Chabot,  Fabre  d'Églan- 
tine,  Bazire,  etc.,  furent  arrêtés,  en  compagnie  de 
leur  chef,  l'agent  de  la  République  à  Mayence  écri- 
vait au  ministre  des  Affaires  étrangères,  que  leur 
arrestation  était  «  un  coup  de  foudre  pour  les  émigrés 
et  les  despotes  coalisés,  qui  comptaient  sur  Texécution 
ponctuelle  de  cet  infâme  complot  (c'est-à-dire  l'en- 
lèvement du  fds  de  Louis  XVI)  ».  On  sait,  d'autre 
part,  que  Sémonville,  créé  marquis  par  Louis  XVIII, 
et  plus  tard  appelé  par  le  roi  aux  fonctions  de  grand 
référendaire  à  la  Chambre  des  Pairs,  Sémonville 
fut  chargé,  vers  la  fm  de  l'année  1793,  de  négocia- 
tions secrètes  avec  la  Toscane,  au  sujet  du  préten- 
dant au  trône  de  France.  Le  baron  de  Monnier,  fai- 
sant l'éloge  de  Sémonville,  après  avoir  rappelé  ce 
que  nous  venons  de  dire,  ajoutait  :  «  Il  s'agissait  de 
sauver  les  déplorables  restes  de  la  famille  royale.  11 
y  a  plus,  c'est  notre  collègue  qui  l'atteste  :  Danton, 
le  terrible  Danton,  pour  échapper  à  l'enfer  dont  il 
avait  attisé  les  feux,  songeait  à  se  créer  un  refuge 
au  pied  du  trône  relevé.  Mais  on  ne  sait  par  quel  fatal 
entraînement  de  circonstances,  car  on  ne  saurait 
admettre  la  possibilité  d'un  froid  calcul,  le  gouver- 
nement autrichien  fit  saisir  les  deux  ministres  chargés 
de  cette  mission  et  les  plongea  dans  les  cachots, 
rompant  ainsi  les  fils  d'une  négociation  qui  aurait 
pu  épargner  à  la  France  d'éternels  regrets  ^3.  » 

Qu'après  cela,  et  sans  contester  l'cssentialité  des 
faits,  on  trouve  matière  à  plaider  les  circonstances 
atténuantes,  nous  n'y  mcttroivi  pas  opposition.  Qu'on 
nous  présente  Danton  dans  son  intérieur,  dans  son 

16 


2^2  LA   PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

ménage,  bon  époux,  fils  excellent,  père  affectueux, 
donnant  «  l'exemple  de  toutes  les  vertus  privées  ^^  »  ; 
qu'on  vante  «  son  désintéressement,  sa  modestie,  sa 
générosité  envers  sa  famille  et  ses  amis  »,  nous  n'y 
contredirons  pas.  Mais,  pour  excuser  sa  trahison 
(nous  cherchons  un  autre  mot  et  ne  le  trouvons 
pas),  il  ne  suffit  pas  de  dire  qu'il  n'est  pas  de  sage, 
pas  de  héros  «  qui  n'ait  point  payé  son  tribut  à 
l'infirmité  de  la  nature  humaine  »  ;  il  est  de  ces  actes 
qu'un  homme  d'honneur  et  de  conscience  ne  commet 
pas,  et  c'est  là  un  principe  de  morale  éternelle  que 
nul  ne  saurait  enfreindre.  Nous  le  répétons  une  fois 
de  plus  :  Danton  inspire  de  la  sympathie  et  il  a  trouvé, 
longtemps  même  après  sa  mort,  d'ardents  défen- 
seurs ^5  ;  mais  si  disposé  que  l'on  soit  à  l'indulgence 
pour  ce  bon  colosse,  il  n'en  reste  pas  moins  que 
l'accroissement  de  sa  fortune  a  coïncidé  avec  des 
manœuvres  louches  ^^  et  qu'il  n'est  pas  possible 
aujourd'hui  de  nier  qu'il  ait  entretenu  des  intelli- 
gences avec  la  Cour,  pour  des  mobiles  manifestement 
intéressés  ;  bien  différent  en  cela  de  Barnave,  qui 
avait  été  conquis  par  le  charme  de  la  belle  souveraine 
qu'il  ramenait  prisonnière  à  Paris,  après  l'arresta- 
tion à  Varennes,  et  qui  lui  sacrifia  dès  ce  moment 
sa  popularité,  mieux  encore,  sa  vie  ^^. 

Le  jeune  député  du  Tiers  avait  essayé  tout  d'abord 
de  se  soustraire  à  cette  emprise  dont  il  avait  peine  à 
se  défendre  ;  très  réservé  au  début,  il  détournait  la 
tête,  ou  se  penchait  à  la  portière  de  la  berl'ne,  quand 
Marie- Antoinette  lui  posait  une  question,  afin  d'éviter 
ce  regard  qui  l'attendrissait.  Cette  conquête,  la  reine 
avait  lieu  d'en  être  fière,  elle  était  pure  et  sans 
alliage.  Barnave  n'acquittait  qu'une  dette  de  cœur, 


■ 


M^BARNAVE, 

Praprieùzù'e,  J)éffulé  Ju Dauphme . 

Son  amp  et  ses  discours  i»cspiron(  la  iraucuîsc; 
Rcndj'o  le  peuple  heureux  esl  (ou  plus  g-raud  dcsir. 
Prenons  tous  après  lui  cette  uoble  devise  ; 
Vivre  libre  ou  mourir. 


iitfiitiiiiiffilliiii! 


Pirifi  Jttffff 


FIG.  G7.  —  UARNAVE 


2^^!  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

en  prenant  la  défense  de  la  royauté,  en  consacrant 
son  éloquence  h  faire  restituer  au  roi  le  pouvoir  que 
lui  reconnaissait  la  Constitution. 

Une  correspondance,  récemment  publiée,  montre 
le  rôle  joué  par  le  triumvirat,  composé  d'Alexandre 
Lameth,  Adrien  Duport  et  Barnave,  qui  dirigea  pen- 
dant un  certain  temps  le  ministère  des  Girondins, 
dit  ministère  des  Feuillants.  Cette  correspondance, 
dont  Barnave  a  été  le  rédacteur  principal,  est  tout 
à  l'honneur  de  ce  dernier  ;  par  contre,  il  semble  ré- 
sulter de  sa  lecture,  que  la  Cour  jouait  parfois  dou- 
ble jeu,  et  que  si  elle  entretint  des  relations  avec 
quelques-uns  des  chefs  du  parti  républicain,  ce 
n'était  que  peur  s'en  servir  ^^. 

Les  soins,  les  attentions  que  la  reine  prodiguait  à 
Barnave,  dans  le  voyage  où  ils  se  trouvèrent  pour  la 
première  fois  en  présence,  faisaient  contraste  avec 
l'attitude  qu'elle  observa  vis-à-vis  de  son  autre 
compagnon  de  route,  le  maire  de  Paris,  Jérôme 
Pétion,  ce  Pétion  sur  les  genoux  duquel  elle  n'avait 
pu  laisser  son  fils  ^9,  tellement  la  brutalité  de  ses 
manières  l'avait  indignée  et  olïensée.  Autant  elle 
s'était  montrée  empressée  à  accueillir  le  plan  de 
Barnave,  à  se  prêter  à  ses  suggestions  pour  l'adop^ 
tion  d'une  politique  nouvelle,  franchement  consti- 
tutionnelle, autant  Pétion  lui  avait  inspiré  de  l'éloî-^ 
gnement  pour  sa  personne,  plus  encore  que  pour  ses 
idées.  Ce  n'est  pas  que  Pétion  se  fût  montré  hostile 
à  toute  compromission,  il  s'était  même  montré,  au 
début,  plus  disposé  que  Barnave  à  entrer  en  conver- 
sation 30  ;  mais  les  relations  que  Pétion  entretenait 
avec  le  duc  d'Orléans,  et  plus  particulièrement  avec 
Madame   de   Genlis  3%  qu'il  avait  accompagnée  à 


RETOUR    EN    FRANCE    DE   MADAME   DE    LAMBALLE  245 

Londres,  où  elle  conduisait  son  élève,  Adélaïde  d'Or- 
léans, rendaient,  et  à  bon  droit,  suspect  à  Marie- 
Antoinette  l'homme  qui  rêvait  de  substituer  à 
Louis  XVI,  comme  roi,  le  prince  dont  il  soutenait 
presque  ouvertement  les  intérêts.  Pétion  a-t-il  été 
soudoyé  par  la  Cour,  comme  d'aucuns  l'ont  pré- 
tendu 32  ?Tout  ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  que  cela 
ne  paraît  pas  ressortir  avec  évidence  des  pièces 
jusqu'ici  publiées  33. 

"^es  personnages  mis  en  cause  par  le  docteur  Saif- 
tert,  comme  ayant  pris  part  à  des  négociations  plus 
ou  moins  secrètes  avec  la  Monarchie,  il  en  est  un 
que  l'on  ne  voit  pas  sans  surprise  mêlé  à  ces  négo- 
ciations. Il  s'agit  de  l'homme  qu'on  nous  a  toujours 
présenté  comme  l'Incorruptible,  «  contempteur  de 
l'argent,  contempteur  de  la  corruption  des  anti- 
chambres »  Aces  traits, vous  l'avez  reconnu.  Quoi  ! 
Robespierre  aurait  été,  lui  aussi,  accessible  à  la 
séduction,  non  point,  certes,  de  l'argent,  mais  des 
honneurs  ?  Avant  d'aller  plus  loin,  voici  ce  que  pen- 
sait de  Robespierre  un  de  ses  collègues  au  Comité 
de  Salut  public.  «  Oui,  répondait  Barère  à  un  visi- 
teur, qui  avait  eu  l'idée  de  l'interviewer  à  une 
époque  où  l'interview  n'était  pas  encore  de  mode; 
oui,  Robespierre  fut  longtemps  de  bonne  foi,  quoique 
très  passionné.  Plus  tard,  sur  la  fin,  fai  la  convic- 
tion qu'il  trahissait.  »  Sur  quels  indices  Barère  fon- 
dait-il sa  conviction  ?  Nous  ne  sommes  qu'impar- 
faitement éclairé  sur  ce  point.  L'ancien  président 
de  la  Convention  reconnaissait  à  Robespierre  autant 
de  vertus  que  de  vices  :  à  côté  de  «  la  probité,  l'amour 
de  la  liberté,  la  fermeté  des  principes,  l'amour  de  la 
pauvreté,  le  dévouement  à  la  cause  populaire  »,  il 


alJÔ  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

montrait  *  une  morosité  dangereuse,  un  acharne- 
ment bilieux  contre  ses  ennemis,  une  jalousie  atroce 
contre  les  talents  qui  l'éclipsaient,  une  manie  insup- 
portable de  dominer,  une  défiance  sans  bornes  34  »,etc. 
Des  mots,  tout  cela,  dira-t-on  avec  quelque  raison  ; 
un  jugement  assez  équivoque,  mais  rien  de  positif, 
rien  de  précis.  Venons  donc  aux  faits.  Il  s'agit  d'éta- 
blir s'il  y  a  eu  tentative  de  rapprochement  entre  la 
future  victime  de  thermidor  et  le  monarque  régnant, 
entre  Robespierre  et  Louis  XVI. 

Le  1er  njai  1792  35^  était  annoncée  en  ces 
termes  la  publication  prochaine  d'une  feuille  dont 
Robespierre  devait  être  le  rédacteur  principal  : 
«  On  sait  que  Robespierre  va  faire  un  journal  intitulé: 
Le  Défenseur  de  la  Constitution.  Le  libraire  chargé 
de  l'entreprise  lui  donne  10.000  livres.  On  est  étonné 
de  cette  libéralité  quand  on  connaît  le  libraire.  Il 
se  pourrait  bien  faire  que  la  liste  civile  fît  les  frais 
de  l'entreprise  ;  et  il  serait  réjouissant  pour  le  Comité 
autrichien  de  compter  au  nombre  de  ses  stipendiés 
celui  que  le  peuple  avait  appelé  V incorruptible,  sans 
que  V incorruptible  s'en  doutât  36.  » 

Un  mois  plus  tard,  paraissait  l'organe  annoncé, 
et  ce  n'est  pas  sans  surprise  qu'on  lit  ces  lignes, 
dès  le  premier  numéro  :  «  Le  salut  public  nous 
ordonne  de  nous  réfugier  à  l'abri  de  la  Cons- 
titution, pour  repousser  les  attaques  de  l'ambition 
et  du  despotisme...  J'ai  entendu  des  hommes,  qui  ne 
surent  jamais  que  calomnier  le  peuple  et  combattre 
l'égalité,  faire  retentir  le  mot  République...  j'aime 
mieux  voir  une  Assemblée  populaire  représentative 
et  des  citoyens  libres  et  réputés  avec  un  roi,  qu'un 
peuple  esclave  et  avili  sous  la  verge  d'un  Sénat 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  247 

aristocratique  et  d*un  dictateur.  Est-ce  dans  les 
mots  République  ou  Monarchie  que  réside  la  solu- 
tion du  grand  problème  social  ?...  »  La  conversion 
à  droite  est  ici  manifeste.  Ce  changement  de  front, 
à  quel  mobile  l'attribuer  ?   Robespierre  a-t-il  pu 


*7' 


FIG.   68.   —   ROBESPIERRE 

sincèrement  croire  que  la  République  était  impossible 
en  France,  qu'on  ne  pouvait  brusquement  changer 
le  tempérament  politique  d'un  peuple  depuis  si 
longtemps  monarchique  37  ?  Faut-il  croire,  au  con- 
traire, que  ce  journal,  qui  était  «  une  diversion  habile 
contre  la  Révolution,  en  même  temps  qu'une  ten- 
tative non  dissimulée  d'enrayer  les  hommes  et  les 
choses  »,  était  «  une  trahison  convenue  et  la  condi- 


2-^8  LA    PRINCESSE    DE    LAMFiALLE    INTIME 

lion  mise  par  les  Tuileries  à  la  place  de  gouverneur 
du  dauphin,  dans  le  marchandage  de  Robespierre  ^^  »? 
Un  des  collègues  de  Robespierre  à  la  Convention, 
Harmand  (de  la  Meuse),  a  rapporlé,  dans  un  de  ses 
ouvrages  39,  qui  doit  retenir  d'autant  plus  l'attention 
qu'il  émane  d'un  témoin  des  faits  qu'il  relate,  une 
anecdote  dont  l'importance  historique  doit  se  me- 
surer au  degré  d'authenticité  qu'elle  présente.  Har- 
mand raconte  qu'il  fut  question,  à  un  certain  mo- 
ment, de  confier  l'éducation  du  jeune  prince  royal 
à  Robespierre.  On  avait,  au  début,  prononcé  les 
noms  d'autres  personnages  moins  en  vue,  bien 
qu'assez  notoires,  entre  autres  Condorcet,  Sieyès, 
Pétion  ;  c'est  alors  que  des  partisans  d'une  monar- 
chie constitutionnelle  mirent  en  avant  le  nom  de 
l'homme  qui  semblait,  à  leurs  yeux,  le  plus  popu- 
laire, le  plus  en  mesure,  par  son  influence  sur  les 
masses,  de  faire  réussir  la  tentative  projetée.  On 
s'adressa,  en  conséquence,  à  la  princesse  de  Lam- 
balle,  qui  avait  d'abord  répugné  à  se  charger  de 
pressentir  la  Cour  sur  l'accueil  qu'elle  ferait  à  une 
pareille  proposition.  Finalement,  et  dès  qu'on  lui 
eut  fait  entrevoir  le  service  que  son  dévouement 
pouvait  rendre  à  la  royauté,  elle  se  serait  laissée 
convaincre  et  s'en  serait  ouverte  au  roi.  «  Vous  n'y 
pensez  pas,  ma  cousine  »,  aurait  répliqué  Louis  XVI 
avec  vivacité.  Mais  Madame  de  Lamballe,  bien  pé- 
nétrée des  raisons  qu'on  lui  avait  fait  valoir,  fut  assez 
persuasive  pour  amener  le  roi  à  consentir  à  la  nomi- 
nation du  fougueux  jacobin,  sous  les  conditions  sui- 
vantes, que  les  constitutionnels,  du  reste,  avaient 
posées  eux-mêmes  :  Robespierre  n'exercerait  pas 
les    fonctions     de    gouverneur,    mais     devait    en 


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RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  25l 

porter  le  titre  et  en  toucher  les  émoluments  ;  de 
son  côté,  il  prenait  l'engagement  de  fonder  un 
journal  pour  défendre  les  intérêts  de  la  Cour,  et  de 
prendre  la  parole  dans  le  même  sens  au  club  des 
Jacobins  ;  enfin,  de  donner  sa  démission  d'accusa- 
teur public  '1°. 

L'opposition  de  Ma  rie- Antoinette  fit  tout  échouer. 
Quand  elle  connut  le  projet,  elle  s'emporta,  s'en- 
ferma avec  son  enfant  ;  bref,  le  roi  céda  et  dit 
à  Madame  de  Lamballe  qu'il  ne  voulait  pas  donner 
à  son  fils  un  précepteur  contre  le  gré  de  sa  mère. 
Robespierre,  se  croyant  joué,  cessa  brusquement  sa 
campagne  en  faveur  d'une  monarchie  constitution- 
nelle et  quelques  jours  avant  le  10  août,  bien  que, 
dans  la  journée  du  4  au  6,il  eût  renouvelé  aux  Jaco- 
bins ses  reproches  «  contre  les  agitations,  contre  les 
tumultes  et  contre  les  prétendus  répubhcains  ^^  », 
il  prit  de  nouveau  position,  avec  plus  de  violence 
que  jamais,  contre  la  royauté,  qu'il  s'était  engagé 
conditionnellement  à  défendre. 

Si  on  n'avait  que  l'autorité  de  Harmand  (de  la 
Meuse)  à  l'appui  d'une  aussi  grave  allégation,  elle 
pourrait  être  à  bon  droit  suspectée.  Ses  Anecdotes, 
publiées  en  1814,  se  ressentent  un  peu  trop,  nous 
n'avons  aucune  peine  à  en  convenir,  de  l'époque 
où  le  livre  parut,  des  efforts  que  faisait  l'auteur  pour 
racheter  ce  qu'il  considérait  comme  ses  erreurs  révo- 
lutionnaires *2.  On  doit  n'utiliser  qu'avec  réserves  et 
précautions  une  source  d'informations  où,  à  côté  de 
quelques  vérités,  se  trouvent  nombre  de  «  potins 
contre-révolutionnaires  »  dont  la  véracité  est  des 
plus  sujettes  à  caution. 

On  a  fait  encore  valoir  que,  lorsque  parut  le  journal 


252  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

de  Robespierre,  le  Défenseur,  de  la  Constilulion, 
dont  la  publication  devait  être  «  payée  »  par  la 
fonction  de  gouverneur  du  dauphin,  la  place 
était  occupée  depuis  déjà  six  semaines,  par  M.  de 
Fleurieu,  qui  y  avait  été  nommé  le  18  avril  ^^.  Il 
se  peut,  en  effet,  qu'on  se  soit  trompé  sur  ce 
point  de  détail  ;  mais  il  subsiste,  néanmoins,  le 
fait  des  négociations  auxquelles  la  princesse  de 
Lamballe  ^'^  s'est  trouvée  mêlée,  et  dont  elle  fit,  sur 
le  moment,  la  confidence  à  son  médecin,  le  docteur 
Saiffert. 

Ce  qui  donne  du  poids  au  témoignage  de  ce  der 
nier,  c'est  qu'il  a  consigné  ses  impressions  sur  le 
papier  au  moment  même  où  venaient  de  se  passer 
les  événements  qu'il  raconte,  du  moins  très  peu  de 
temps  après.  Rappelons,  si  nous  l'avons  déjà  dit, 
que  Saiffert  était  rentré  en  Allemagne  aussitôt  qu'il 
avait  pu  le  faire  sans  danger  ;  heureux  d'avoir 
échappé  aux  dangers  qui  menaçaient  sa  vie,  il  se 
félicitait  d'avoir  enfin  le  loisir  de  se  livrer  à  ses  tra- 
vaux médicaux,  de  rédiger  les  observations  que  lui 
avait  values  une  longue  pratique  ^5,  et  qu'il  avait 
pu  poursuivre,  en  dépit  des  persécutions  dont  il 
avait  été  l'objet,  sous  ce  qu'il  appelait  «  la  tyrannie 
robespierriste  ». 

Dans  cette  sorte  de  mémorial,  Saiffert  se  plaint 
d'avoir  subi  une  détention  d'une  année  dans  les  geôles 
révolutionnaires,  comme  suspect  de  roy ah  sme.  Il  incri- 
mine Mallet  du  Pan  et  Dumouriez,  qui  pourtant  1 
connaissaient  comme  médecin,  d'avoir  feint  de  le 
confondre  avec  un  homonyme,  chef  d'armée  mara- 
tien  (sic)  :  ils  savaient  cependant  que  telles  n'étaient 
pas  ses  idées,  et  que,  sans  dénigrer  les  héros  mili- 


I  Ki.   70,   —  U\    riUNClvSSE   DE  LAMIIALLE 


RETOUH    EN    FRANCE   DE   MADAME   DE    LAM BALLE    255 

taires,  pour  tout  au  monde  il  n'aurait  voulu  être  l'un 
d'eux. 

Servir  avec  zèle  l'humanité,  essayer  de  la 
soulager  dans  ses  maladies,  il  n'eut  jamais  d'autre 
ambition.  Dumouriez  qui  rêvait,  au  contraire,  de 
grands  changements  dan  ^  "État,  se  jeta  dans  toutes  les 
intrigues  pour  arriver  à  la  réahsation  de  son  rêve  ; 
quant  à  Mallet  du  Pan,  il  ne  fut  jamais  qu'un  vil 
intrigant,  qui  poursuivit  Dumouriez  de  ses  adu- 
lations, attendant  de  lui  un  portefeuille  de  ministre. 

Les  écrivains  à  gages,  que  ces  deux  personnages  ont 
eus  à  leur  service,  n'avaient  pu  arriver  à  discréditer, 
comme  ils  s'y  étaient  engagés,  le  médecin  Saiffert, 
coupable  seulement  de  n'avoir  pas  voulu  sortir  de 
son  rôle  professionnel,  pour  servir  les  vues  des  deux 
personnages.  Mais  ne  nous  attardons  pas  à  ces  récri- 
minations, par  trop  personnelles,  et  revenons  aux 
motifs  qui  ont,  à  l'entendre,  déterminé  Saiffert  à 
prendre  la  plume  et  à  nous  narrer  les  particularités 
que  ses  fonctions  lui  avaient  permis  de  recueillir. 


9 

NOTES  DU  CHAPITRE  X 


1.  Ces  lignes  étaient  écrites,  quand  nous  tomba  sous  les 
yeux  ce  passage  où  les  Goncourt  {Hisl.  de  la  Société  fran- * 
çaise  pendant  la  Révolution;  Paris,  1880,  409),  expriment  la 
même  idée,  en  termes  grandiloquents  :  «  Ces  hommes  appa- 
rus dans  la  majesté  des  catastrophes  empruntent  à  la 
scène  de  la  Terreur  je  ne  sais  quoi  de  surhumain,  qui  les 
sauve  d'être  mesurés.  Ils  bénéficient  de  la  guilloline  et  ils 
passent  géants  dans  les  souvenirs  émus,  comme  ces  dieux 
que  les  peuples  enfants  faisaient  de  leurs  peurs.  Pourtant, 
ouvrez  ces  tombes,  qu'un  Alexandre  semble  avoir  bâties  de 
sept  pieds  de  long,  pour  faire  croire  à  des  colosses  en- 
fouis, vous  y  trouverez  des  hôtes  moyens  et  ordinaires.  » 

C'est  presque  du  Chateaubriand  ! 

2.  Dauban,  Paris  en  179^f  et  1705;  histoire  de  la  rue,  du 
club,  de  la  famine,  etc,,  328. 

3.  Révélations  puisées  dans  les  cartons  des  Comités  de  salut  pu- 
blic et  de  sûreté  générale,  ou  Mémoires  (inédits)  de  Sénarl,  agent 
du  gouvernement  révolutionnaire,  publiés  par  Alexis  Du  • 
MESNiL  ;  Paris,  2'  édition,  1824,  99. 

4.  Dauban,  Paris  en  i19U  et  1795,  282. 

5.  Les  négociations  avec  les  chefs  jacobins  auraient 
commencé  à  la  fin  du  mois  d'avril  1791  (Cf.  Mémorial  de  Gou- 
verneur Morris,  t.  I,  1842,  311). 

6.  V.  sur  ce  point  les  Mémoires  relatifs  à  la  famille  royale  de 
France  pendant  la  Révolution,  etc.,  publiés  d'après  le  Journal, 
les  Lettres  et  les  Entretiens  de  la  princesse  de  Lamballe, 
par  une  dame  de  qualité  attachée  au  service  confidentiel 
de  cette  infortunée  princesse  (Paris,  1826,  t.  II,  168-170). 

7.  Pièces  de  l'Armoire  de  Fer  (N.  Villiaumé,  tllst.  de  la 
Révolution  française,  t.  I,  1864,  197). 

8.  T.  III  de  la  Correspondance  de  Mirabeau  et  du  comte  de  La 
Marck. 

9.  Bulletin  mensuel  de  la  Société  d'Histoire  moderne,  avril  1912. 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  257 

10.  Les  Avocats  aux  Conseils  du  Roi;  étude  sur  l'ancien 
r«''gime  de  la  France,  par  Emile  Bos  (Paris,  1881),  513. 

11.  Manuscrit  publié  en  1841  (E.  Bos,  op.  cit.). 

12.  II  est  juste  de  dire  que  Brissot  est  lui-même  suspect. 
Sil  faut  en  croire  Gouverneur  Morris,  le  4  août  1792,  aurait 
eu  lieu  une  négociation  entre  Brissot  et  la  Cour,  pour  re- 
larder linsurrection  concertée  entre  les  Jacobins.  Le  9  du 
même  mois,  on  en  était  à  marcbander  avec  Brissot,  qui 
demandait  douze  millions  en  espèces  ou  lettres  de  change 
sur  l'étranger,  pour  empêcher  l'exécution  du  complot  {Mé- 
morial de  Gouverneur  Morris,  342-343). 

13.  Mémoires  secrets  de  Bertrand  de  MoUeville,  t.  III,  183  et  S. 
Londres,  1797. 

14.  Monde  illustré,  2  mai  1863. 

16.  V.  le  rapport  de  Saint-Just,  dans  le  Moniteur,  12  ger- 
minal an  II  (1"  avril  1794). 

16.  C'est  sur  l'ordre  de  M.  Decazes,  qu'avait  élé  effectuée 
cette  opération  policière,  en  1816.  Plus  tard.  Courtois  fils 
publia  sa  brochure,  pour  se  plaindre  de  cette  saisie,  et 
réclama  la  restitution  des  papiers  de  son  père,  ami  et 
parent  de  Danton.  Pour  les  relations  de  Courtois  avec 
Danton,  et  aussi  sur  la  valeur  des  témoignages  de  Cour- 
lois,  V.  le  Conventionnel  E.-B.  Courtois,  par  H.  Labourasse 
(lîar-sur-Aube,  1892),  et  la  Saisie  des  papiers  du  conventionnel 
Courtois,  par  Eug.  Welvert  (Paris,  1891),  op.  de  50  p.  in-8. 
Bourloton,  édit. 

17.  Paris  en  179'i  et  1795,  326. 

18.  Danton  et  Louis  XVII,  par  Paul  Peltier  (L'Événement, 
10  mars  1895). 

li).  V Événement,  24  mars  1895. 

20.  Intermédiaire  des  chercheurs,  30  mars  1901,  col.  528-531. 

21.  Intermédiaire,  15  avril  1901,  col.  642-644. 

22.  Barère  dit  un  jour  de  Danton  :  «  Je  crois  que,  dans 
les  derniers  temps  et  après  un  long  séjour  à  la  campagne, 
Danton  avait  changé  d'idées  et  couvait  quehjue  désir  de 
trahir,  i»f)Ur  se  livrer  enfin  à  des  goûts  de  plaisir  et  de 
dissipation  qui  avaient  toujour-j  existé  en  lui.  Mais  je  ne 
sais  rien  de  certain  ».  Le  Temps,  18  avril  1911  ;  lecture  faite 
par  M.  Ati.AHD,  f^  la  séance  annuelle  de  la  Siiciété  d'histoire 
de  la.  Kévoliilitm,  26  mars  1911  :  une  interview  de  Bertrand 
Barère  en  1810.  N'est-ce  pas  déjà  trop  que  de  pareilles  ru- 
meurs aient  circulé,  et  qu'on  ait  It'nu  le  fait  pour  vraiseni- 
bl.d)le  ? 

23.  InUrmidiaire,  15  février  1901,  col.  273-278. 


258  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 


n 


24.  V1LLIA.UMÉ,  Ilist.  de  la  flévolution  française,  t.  I  (6*  édi- 
tion) ;  Paris,  1864,  333. 

25.  V.  notamment  le  Procès  des  Danlonistes,  par  notre  con- 
frère le  docteur  Robinet,  qui  avait  voué  à  Danton  un  véri- 
table culte,  et  défendit  sa  mémoire  avec  une  passion 
animée  de  la  plus  absolue  conviction. 

26.  Sur  la  fortune  de  Danton,  il  faut,  avant  tout,  lire 
l'étude,  fortement  documentée  et  implacable  comme  un 
réquisitoire,  du  professeur  d'histoire  Albert  Malhiez,  étude 
basée  sur  une  imposante  bibliographie  et  qui  a  paru  dans 
le  Bulletin  mensuel  de  la  Société  d'Histoire  moderne,  (]'avril  1912, 
pp.  107-120. 

27.  Après  le  10  août  1792,  on  retrouva  aux  Tuileries, 
dans  le  secrétaire  du  roi,  un  écrit  intitulé  :  «  Projet  du 
comité  des  ministres,  concerté  avec  MM.  Barnave  et  La- 
meth  »  ;  à  la  suite  de  cette  découverte,  les  deux  députés 
furent  décrétés  d'accusation  :  Lameth  fut  sauvé  par  La 
Fayette  ;  quant  à  Barnave,  arrêté  à  Grenoble,  il  y  fut  détenu 
pendant  un  an  ;  le  28  novembre  1793,  le  tribunal  révolution- 
naire le  condamnait  à  mort,  et  il  fut  exécuté  le  lendemain 
(Cf.  Mémoires  de  Th.  de  Lameth,  publiés  par  Eug.  Welvert  ; 
Paris,  1913,  179  et  passim). 

28.  O.-G.  de  Heidenstam,  Marie-Antoinette,  Fersen  et  Barnave; 
leur  correspondance.  Paris,  s.  d. 

29.  Hisi.  de  Marie-Antoinette,  par  Edmond  et  Jules  de  Con- 
court, nouvelle  édition  (Paris,  1878),  311. 

30.  O.-C.  de  Heidenstam,  op.  cit.,  237. 

31.  La  moralité  ou  plutôt  l'immoralité  de  Mme  de  Genlis 
a  donné  lieu  à  maintes  gloses  (nous  renvoyons  à  YHist.  de 
la  conjuration  de  Louis-Philippe-Joseph  d'Orléans,  etc  ,  par  l'au- 
teur de  YHist.  de  la  conjuration  de  Maximilien  Robespierre ,  Paris- 
1796,  l,  218-219),  et  nous  rappelons  seulement  le  distique  qui 
lui  fut  appliqué  : 

Armaflide  s'épuise  en  efforts  superflus, 

La  vertu  n'en  veut  pas,  le  vice  n'en  veut  plus, 

32.  Cf.  A/ém.  relatifs  à  la  famille  royale  de  France  pendant  la  Ré- 
volution, etc.,  par  la  comtesse  de  Broglio-Solari,  t.  I,  352  et 
suiv. 

33.  Mémoires  inédits  de  Pétion  (Paris,  1866),  185,  189  et  s.,  et 
passim. 

34.  Mémoires  de  B.  Barère,  publiés  par  H.  Carnot  et  David 
d'Angers  (Pans,  1843),  t.  11,  2.S4-5. 

35.  A  ce  moment  même,  les  Révolutions  de  Paris,  de  Prud- 


RETOUR  EN  FRANCE  DE  MADAME  DE  LAMBALLE  269 

homme  (n»  147,  28  avril  au  5  mai  1792)  prenaient  directe- 
ment à  partie  Robespierre  :  «  N'a-t-on  pas  été  jusqu'à  dire 
que  vous,  Robespierre,  vous  vous  êtes  rendu  à  une  confé- 
rence secrète,  qui  s'est  tenue  naguère  chez  la  Lamballe,  en 
présence  de  Médicis-Antoinette,  et  que  c'est  à  la  suite  de 
ce  conciliabule  que  vous  donnâtes  votre  démission  d'accu- 
sateur public?  »  De  son  côté.  Carra,  dans  ses  Annales  pa- 
triotiques (n*  du  15  mai),  se  plaignait  des  menées  du  Comité 
autrichien,  qui  se  tenait  au  Pavillon  de  Flore,  chez  la  prin" 
cesse  de  Lamballe,  et  où  l'on  préparait  «  une  Saint-Barthé- 
lémy des  patriotes  ».  Le  rédacteur  des  Annales  patriotiques 
ayant  été  poursuivi,  invoqua  pour  sa  défense  qu'il  avait 
été  instruit  de  ces  faits  par  trois  membres  de  la  Législative, 
Bazire,  Merlin  et  Chabot.  D'autre  part,  avant  que  parût 
l'article  de  Carra,  Vergniaud,  à  la  tribune  de  l'Assemblée, 
avait  porté  contre  la  Cour  les  mêmes  accusations,  et  dans 
les  séances  des  23  et  28  mai  (1792),  d'autres  Girondins  (Gen- 
sonné,  Brissot,  Chabot)  les  reprenaient.  La  preuve  est  donc 
faite  que  des  conciliabules  secrets  ont  eu  lieu  chez  la 
princesse  de  Lamballe,  pour  détourner  le  coup  qui  se  pré- 
parait contre  la  royauté,  dont  la  journée  du  10  août  con- 
somma la  chute. 

36.  Journal  de  Perlet,  mai  1792. 

37.  La  Révolution  de  Thermidor;  Robespierre  et  le  Comité  de 
Salut  Public  en  l'an  If,  par  Ch.  d'HÉRicvuLT  (Paris,  1876),  27. 

38.  Edm.  et  J.  de  Goncourt,  Hist.  de  la  Société  française  pen- 
dant la  Révolution  (1880),  410-411. 

39.  Anecdotes  relatives  à  quelques  personnages  de  la  Révolution, 
il'aris,  1814),  in-8. 

40.  Intermédiaire  des  Chercheurs  et  Curieux,  26  mai  1887,  col. 
291. 

41.  Harmasd  (de  la  Meuse),  op.  cit.,  51  et  s. 

42.  Intermédiaire,  25  juin  1887,  col,  377-378. 

43.  Id.,  loc.  cit. 

44.  L'abbé  Georgel,  dans  ses  Mémoires,  publiés  après  sa 
mort,  en  1822,  énonce  les  mêmes  assertions  que  le  con- 
ventionnel Harmand,  mais  sans  nommer  Mme  de  Lamballe 
{Intermédiaire,  25  hept.  1887.  col.  561). 

45.  Ce  sont  ces  «  observations  »  qui  ont  paru  dans  l'ou- 
vrage portant  le  titre  suivant  :  Beitrœqe  zur  ubschaftlichen 
Àrztneilehre  der  Suchten  oder soyenannten  langwierigen  Krankhei- 
ten:  Paris,  an  XII  (1804),  2  v.  in-8.  Le  cas  particulier  de  la, 
princesse  [Krnnkheitsgeschichte  der  Princessin  von  Lamballe) 
extrait  du  volume  dont  nous  venons  de  donner  l'indication 


260  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIMB 

bibliographique,  est  exposé  dans  Possel's  Earopœischen  An- 
nalen  (Annales  Européennes  de  Posselt),  de  1805,  qui  figurent 
à  la  ^ibliolhèciue  Nationale  de  Paris,  sous  la  cote:  Inventaire 
G,  168G8.  Cette  môme  bibliothècjue  possède  la  collection  de 
cette  revue,  à  1  exception  de  l'année  de  fondation  (Inv.  G, 
10860  et  suiv.).  A  la  mort  de  son  fondateur,  Ernest-Louis 
Posselt,  survenue  en  1804,  la  revue  fut  rédigée,  pendant 
quelques  mois  seulement,  par  Louis-I'erdinand  Huber,  qui 
mourut  en  décembre  de  la  môme  année  el  fut  remplacé  par 
Charles- Vinceslas  Rotteck,  fils  d'une  mère  française.  L'his- 
toire des  Annales  Européennes  a  été  faite,  par  M.  J.-P.  Ar 
mand  Halin,  dans  les  Annales  des  Sciences  poliliques,  du 
16  mai  1903. 


CHAPITRE  XI 

UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE    DU    10   AOUT 

l'incarcération   de  la    princesse    de  LAMBALLE 

LA    GENÈSE   DES    MASSACRES   DE    SEPTEMBRE 

On  avait  répandu  dans  le  peuple  que  la  maladie 
de  la  princesse  de  Lamballe  était  due  à  des  excès 
qu'il  est  pour  le  moins  inutile  de  qualifier  plus  expressé- 
ment Au  dire  de  notre  Saxon,  on  avait  publié 
un  écrit  infâme,  attribuant  à  cette  princesse  tous  les 
vices  possibles  ;  cet  écrit,  répandu  dans  Paris,  n'au- 
rait pas  peu  contribué  à  désigner,  comme  victime, 
aux  massacreurs,  cette  «  femme  char  nante,  afïec- 
lucuse,  d'un  caractère  très  bienfaisant,  et  toujours 
prête  à  rendre  service  ».  C'est  donc  pour  la  justi- 
lication  de  son  infortunéeclicnte,  que  le  docteur  Saif- 
fert  aurait  entrepris  la  publication  d'un  ouvrage  en 
apparence  technique,  et  qui  fourmille  de  détails 
historiques  d'un  intérêt  inégal,  mais  indéniable. 

Quelle  langue  allait  employer  le  narrateur  pour 
la  rédaction  de  ce  qu'on  pourrait  presque  appeler 
ses  Mémoires  ?  De  môme  qu'Hippocrate  a  écrit  e  i 
grec  pur,  de  même  SaifTert  écrira  dans  un  allemand 


202  LA    PRINCKSSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

pur  et  clair.  Il  fallait  d'abord  supprimer  les  mots 
étrangers  et  leur  substituer  des  mots  allemands 
bien  que  ces  termes  étrangers  eussent  acquis  droit 
de  cité  dans  la  langue  allemande,  SailTert  était 
d'avis  de  les  remplacer  par  des  mots  empruntés  à 
sa  langue  native,  afin  d'être  compris  autant  que 
possible  de  tous,  et  parce  que  «  la  clarté  dans  une 
langue  augmente  et  entretient  le  bonheur  du  peuple 
et  fortifie  la  tranquilHté  de  l'État  »  (sic). 

Il  lui  avait  paru  nécessaire  d'employer  un  langage 
que  tout  le  monde  puisse  comprendre,  lorsqu'il  s'agit 
de  mettre  en  garde  le  peuple  contre  les  traitements 
d'empiriques  ou  de  charlatans  sans  scrupules,  dans 
ces  maladies  chroniques,  dites  de  langueur,  où  ils 
ont  beau  jeu  pour  exercer  leur  coupable  industrie. 

Lorsqu'en  1804,  Saiffert  publia  son  Traité  des 
maladies  chroniques,  il  fut  pris  assez  violemment  à 
partie,  dans  la  revue  dont  il  a  été  question  plus  haut, 
les  Annales  de  Posselt,  et  où  on  lui  reprocha  surtout 
ce  qu'il  avait  rapporté  sur  Robespierre. 

Un  des  amis  du  docteur,  si  ce  n'est  le  docteur 
lui-même,  entreprit  sa  défense  ;  il  fit  observer  combien 
le  style  de  Saiffert  était  original  et  pittoresque,  com- 
bien étaient  savoureuses  la  plupart  des  expressions 
dont  il  faisait  usage  ;  mais  comme  elles  étaient  parfois 
malaisées  à  traduire  en  langage  ordinaire,  c'est  pour 
ce  motif  que  Saiffert  avait  accompagné  son  Traité 
d'un  Dictionnaire  spécial,  permettant  de  comprendre 
les  néologismes  qu'il  avait  employés.  On  devine  les 
difficultés  qu'ont  pu  rencontrer  les  traducteurs,  pour 
rendre  en  un  français  correct  les  hiéroglyphes  du 
lourd  Teuton. 

C'est,  plus  encore  que  dans  le  corps  du  texte,  dans 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNEE    DU    10    AOÛT  203 

des  notes  et  des  appendices,  la  plupart  d'une  cer- 
taine étendue,  que  Saiffert  s'est  livré  à  des  digres- 
sions qui  ne  se  rapportent  que  de  très  loin  au  sujet 
qu'il  s'est  proposé  de  traiter.  Dans  ces  notes,  le  pra- 
ticien, à  qui  sa  situation  particulière  auprès  de  la 
princesse  avait  permis  d'approcher  maints  person- 
nages politiques,  donne  son  appréciation  sur  les 
hommes  et  les  événements  de  la  Révolution.  Nous 
lui  devons,  par  exemple,  un  récit  de  la  journée  du 
10  août,  où  il  expose  à  sa  manière  le  rôle  joué  par 
quelques  membres  influents  du  parti  révolutionnaire 
et  la  conduite  tenue  par  Madame  de  Lamballe  dans 
ces  graves  conjonctures.  Cette  relation  est  assez 
ignorée  pour  qu'il  ne  soit  pas  superflu  de  la  faire 
connaître. 

La  veille  de  l'invasion  des  Tuileries,  Saiffert  appre- 
nait, de  la  bouche  de  trois  de  ses  malades,  qu'il  soi- 
gnait pour  des  affections  chroniques,  que  Robespierre 
Danton,  Pétion  et  quelques  autres,  qui  s'étaient 
montrés  jusque-là  partisans  de  l'envahissement  du 
palais,  s'étaient  prononcés  dans  le  sens  contraire  et 
devant  l'opinion  lu)stilc  de  l'Assemblée,  avaient 
déclaré  se  retirer.  On  mit  généralement  cette  déter- 
mination sur  le  compte  d'un  insuccès,  ne  doutant 
pas  qu'ils  reviendraient  bientôt  sur  leur  décision, 
lorsque,  après  réflexion,  ils  auraient  une  compréhen- 
sion plus  exacte  de  la  situation.  «  On  nous  a  juré  que 
la  royauté  nous  réservait  une  mort  ignominieuse, 
dirent  les  conjurés  à  Saiffert  ;  la  mort  seule  du  roi 
et  de  la  reine  peut  être  notre  salut  ;  elle  sera  une 
leçon  pour  tous  les  souverains.  » 

Sur  ces  entrefaites,  Saiffert  se  rendait  chez  une 
de  ses  malades,  «  une  marquise  de  Balbi,  de  Gênes  » 


:  64  LA    PHINCICSSE    DE    LAMHAI.Li:    INTIMR 

OÙ  il  était  assuré  de  rencontrer  «  le  général,  comte 
de  Witgenstein...,  ami  intime  d'une  Madame  de 
Mackau,  qui,  en  raison  de  ses  fonctions  à  la  Cour, 
habitait  les  Tuileries  ». 

—  «Je  sais,  ditSaiffert  au  général,  que  vous  regar- 
dez la  Cour  comme  complètement  perdue  ;  vous  me 
l'avez  souvent  répété.  J'ai  su,  d'autre  part,  que  de- 
main doit  sonner  le  glas  de  la  monarchie.  Puisque 
le  roi  et  la  reine  persistent  dans  un  entêtement 
qu'on  ne  peut  vaincre,  sauvons  au  moins,  s'il  se 
peut  encore,  ceux  de  nos  amis  qui  sont  à  leurs  côtés: 
la  princesse  deLamballeet  Madame  de  Mackau.  Puis- 
que vous  entrez  librement  au  château,  décidez-ler, 
toutes  deux,  à  quitter  sans  retard  le  palais,  et  à  ne  pas 
rester  cette  nuit  dans  un  édifice  où  elles  courent  les 
plus  affreux  dangers.  »  En  vain  le  comte,  plus  opti- 
miste que  le  docteur,  essaya-t-il  de  le  rassurer.  «  Je 
ne  crois  pas,  lui  dit-il,  que  l'attaque  soit  fixée  à 
d'^main  ;  la  Cour  est,  du  reste,  instruite  de  tout  ce 
qui  se  trame,  et  ses  moyens  de  défense  sont  prêts. 
Elle  peut  compter  sur  les  Suisses  et  sur  seize  com- 
pagnies de  gardes  nationaux.  —  La  garde  natio- 
nale, répliqua  vivement  Saifïert,  n'est  pas  aussi  sûre 
qu'on  le  croit  aux  Tuileries  ;  croyez-m'en,  sauvez 
nos  amis  !  » 

N'ayant  pu  déterminer  les  deux  femmes  à  aban- 
donner leurs  maîtres,  le  comte  passa  la  nuit  au 
palais  ;  le  lendemain,  les  Tuileries  étaient  attaquées. 

Les  gardes  nationaux  ayant  fait  cause  commune 
avec  le  peuple,  les  Suisses  furent  massacrés  après  une 
défense  héroïque.  Quant  à  Witgenstein',  il  parvint 
à  sauver  Madame  de  Mackau,  mais  son  dévouement 
lui  coûta  la  vie  :  dénoncé  comme  chevalier  du  poi- 


Q      ^ 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE    DU    10    AOÛT  267 

gnard,  il  fut  massacré,  sans  interrogatoire  et  malgré 
ses  protestations  d'innocence,  dans  la  prison  où  il 
avait  été  enfermé  ^ 

Saiffert  a  conté  encore  comment  Madame  de  Lam- 
balle  s'était  trouvée,  le  10  août,  d'abord  dans  l'ap- 
partement de  la  reine,  où  la  retenaient  les  devoirs  de 
sa  charge,  puis  avait  accompagné  la  famille  royale 
au  sein  de  l'Assemblée. 

Durant  le  court  trajet  du  palais  aux  Feuillants, 
Marie-Antoinette,  tenant  ses  deux  enfants  par  la 
main,  et  suivie  de  Madame  Elisabeth,  de  Madame  de 
Tourzel  et  de  la  princesse,  dut  passer  entre  la  haie 
des  grenadiers  suisses  et  la  garde  nationale,  qui  ne 
purent  contenir  la  foule  et  empêcher  la  populace 
de  presser  de  si  près  la  reine,  que  sa  montre  et  sa 
bourse  lui  furent  volées  ^.  On  parvint  enfin  à  ouvrir 
un  passage  au  cortège  royal,  qui  fut  reçu  à  la  porte 
de  l'Assemblée  par  une  députation  envoyée  à  sa 
rencontre. 

Nous  passons  sur  les  incidents  de  cette  drama- 
tique séance,  qui  sont  rapportés  dans  tous  les  récits 
de  cette  journée  mémorable  ;  nous  rappellerons 
seulement  que  la  Constitution  interdisant  à  l'As- 
semblée de  délibérer  devant  le  souverain,  celui-ci  fut 
conduit,  avec  sa  suite,  dans  la  loge,  grillée  de 
fer,  située  derrière  le  fauteuil  du  président,  la  loge 
dite  du  Logotachy graphe.  Dans  cet  étroit  réduit,  de 
«  dix  pieds  carrés  sur  six  pieds  d'élévation,  brûlé 
de  soleil  3  »,  furent  entassés  le  roi,  la  reine,  leurs 
enfants,  leurs  ministres,  leurs  serviteurs  restés  fidèles 
et  parmi  ceux-ci,  notre  héroïque  princesse,  qui,  sous 
l'influence  de  la  chaleur  et  aussi  de  l'émotion,  eut 
une  de  ces  attaques  de  nerfs  auxquelles  elle  était 


268  LA    PRINCESSE    DE    LMBALLE   INTIME 

sujette  S  et  qui  l'obligea  de  quitter  pendant  quelques 
instants  celle  à  qui  elle  avait  résolu  de  faire  le  sacri- 
fice de  sa  vie.  Plût  aux  cieux  que  son  attaque,  au 
lieu  d'être  bénigne,  eût  eu  sa  suite  ordinaire  !  Elle 
aurait,  de  son  propre  aveu,  senti  tellement  l'impos- 
sibilité de  se  risquer  à  subir  une  captivité,  qu'elle 
aurait  été  se  remettre  de  ses  alarmes  chez  le  duc  de 
Penthièvre,  son  beau-père,  pour  se  rendre  de  là  en 
Angleterre  5;  mais  le  destin  en  avait  autrement 
décidé. 

Jusqu'à  deux  heures  du  matin,  la  famille  royale 
ne  quitta  pas  la  prison  étouffante  qui  lui  avait  été 
assignée  ;  et  soutenue,  depuis  le  matin,  seulement  par 
quelques  gouttes  d'eau  de  groseille  ^  abîmée  dans  les 
larmes,  trempée  de  sueur,  son  fichu  mouillé,  son 
mouchoir  en  eau,  il  y  avait,  portant  sur  ses  genoux 
la  tête  de  son  fils  endoimi,  une  malheureuse  femme 
qui  avait  été  la  reine  de  France  ^  ! 

Le  lendemain,  puis  le  surlendemain,  Louis  XVI 
et  tous  ceux  qui  l'entouraient  furent  de  nouveau 
enfermés  dans  la  loge  qui  leur  était  réservée  ;  le 
soir,  on  les  ramena  dans  des  chambres  aménagées 
«  à  l'étage  supérieur  du  monastère  des  Feuillants, 
composé  de  quatre  cellules  à  la  suite  les  unes  des 
autres,  et  d'une  autre  cellule  leur  faisant  face  et 
donnant  comme  elles  sur  un  vaste  corridor.  Ces 
chambres  improvisées  étaient  pavées  de  carreaux  de 
briques  et  leurs  murs  étaient  blanchis  à  la  chaux  ^  ». 

Le  lundi  13,  à  six  heures  et  demie  du  soir,  après  une 
journée  passée  dans  l'angoisse  et  dans  l'incertitude 
du  sort  qui  les  attendait,  une  des  grandes  voitures 
de  la  Cour  vint  se  ranger  devant  les  Feuillants  ;  le 
cocher  et  le  valet  de  pied,  habillés  de  gris,  servaient 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE   DU    10   AOÛT  269 

ce  jour-là  leur  maître  pour  la  dernière  fois.  Le  roi 
et  la  reine,  invités  à  monter,  se  placèrent  dans  le 
fond,  avec  le  dauphin  et  Madame  Royale  ;  Madame 
Elisabeth,  la  princesse  de  Lamballe  et  Pétion  sur 


FIG.  72.  —   MAHUEL,   PHOCUnECm   DE  LA    COMMUNE  DE  PARIS, 
LN    1792 


le  devant  ;  Madame  de  Tourzel  et  sa  fille  à  une  des 
deux  portières,  tandis  que  Manuel  et  un  officier 
municipal  occupaient  l'autre.  «  Tous  ces  messieurs 
avaient  le  chapeau  sur  hi  tête  et  traitaient  leurs 
Majestés  de  la  manière  la  plus  révoltante.  »  Sur  toute 


270  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

la  route,  retentirent  les  cris  de  Vive  la  nation  I  Vive 
la  liberté  I  auxquels  s'ajoutaient  les  injures  les  plus 
sales  et  les  plus  grossières  9. 

On  mit  deux  heures  et  demie  à  se  rendre  au  Temple, 
en  passant  par  la  place  Vendôme  et  les  boulevards. 
La  voiture  allait  au  pas  et  s'arrêtait  à  tout  instant, 
pour  permettre  au  peuple  d'approcher  ses  maîtres 
de  la  veille  et  les  accabler  de  ses  invectives.  La  nuit 
tombait,  quand  on  parvint  à  destination.  «  Le  Temple 
présentait  l'aspect  d'une  fête  ;  tout  était  illuminé, 
jusqu'aux  créneaux  des  murailles  des  jardins.  Le 
salon  était  éclairé  par  une  infinité  de  bougies  ^°...  » 

Là  Révolution  avait  le  droit  de  triompher,  elle 
avait  écroué  la  Royauté  I 

La  famille  royale  occupa  d'abord  la  petite  cour 
où  il  n'y  avait  que  deux  chambres  à  chaque  étage  ; 
une  chambre  plus  exiguë  servait  de  passage  de  l'une 
à  l'autre.  La  princesse  de  Lamballe  fut  placée  dans 
la  première,  la  Reine  occupa  la  seconde,  en  face  de 
celle  du  dauphin  ;  le  roi  fut  logé  à  l'étage  au- 
dessus,  et  Madame  Elisabeth  dans  une  cuisine.  On 
se  réunissait  pendant  la  journée  dans  la  chambre 
de  la  reine,  qui  était  la  plus  grande  ;  à  l'heure 
des  repas,  on  descendait  dans  une  pièce  située 
au-dessous  de  cette  chambre  et  qui  servait  de 
salle  à  manger,  à  côté  de  laquelle  se  trouvait  la 
bibliothèque. 

Les  détenus  ne  restèrent  pas  longtemps  réunis  ;  le 
18,  dans  la  soirée,  un  municipal  vint  leur  signifier 
qu'il  avait  reçu  l'ordre  de  conduire  à  la  Commune 
Madame  de  Tourzel  et  sa  fille,  la  princesse  de  Lam- 
balle et  les  femmes  et  valets  de  chambre  qui  entou- 
raient de  leurs  soins  les  souverains  :  un  seul  de  ces 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNEE   DU    10   AOÛT 


27t 


derniers  fut  autorisé,  par  faveur  spéciale,  à  revenir 
au  Temple. 


FKl.   73.  —  MADAME    DE  TOUHZEL 

Trois  fiacres  attendaient  dans  la  cour  ;  un  muni- 
cipal se  tenait  dans  chaque  voiture,  qui  était  escortée 
par  des  gendarmes  et  entourée  de  flambeaux.  «  Rien, 


27i  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

relate  Madame  de  Tourzel,  ne  ressemblait  plus  à 
une  pompe  funèbre  que  notre  translation  du  Temple 
à  l'Hôtel  de  Ville  ;  et  pour  que  rien  ne  manquât 
à  l'impression  qu'on  cherchait  à  nous  faire  éprouver, 
on  nous  fit  entrer  par  cette  horrible  petite  porte, 
par  laquelle  passaient  les  criminels  qui  allaient  subir 
leur  supplice.  » 

Lis  gens  de  service  furent  les  premiers  interrogés; 
puis  ce  fut  le  tour  de  la  princesse,  dont  l'interroga- 
toire fut  très  court  ;  celui  de  Madame  de  Tourzel  fut 
beaucoup  plus  long.  Le  lendemain,  qui  était  un 
dimanche,  tous  les  prisonniers  furent  conduits,  sous 
bjnne  escorte,  à  midi,  afin  que  la  foule  pût  les  dévi- 
sager et  les  injurier  à  l'aise,  de  l'Hôtel  de  Ville 
à  la  Force,  où,  après  que  leurs  noms  eurent  été  ins- 
crits sur  le  registre  du  concierge  de  la  prison,  on  les 
enferma  séparément  dans  les  cachots  qui  leur  étaient 
destinés. 

La  Force  était  la  maison  de  détention  des  filles 
publiques  "  et  des  criminels  de  droit  commun.  «  Cette 
maison,  au  dire  de  Madame  de  Tourzel,  n'était  rem- 
plie que  de  coquins  et  de  coquines  qui  tenaient  des 
propos  abominables  et  chantaient  des  chansons  dé- 
testables ;  les  oreilles  les  moins  chastes  eussent  été 
blessées  de  tout  ce  qui  s'y  entendait  sans  disconti- 
nuer, la  nuit  comme  le  jour...  » 

A  rencontre  de  ce  qu'on  pouvait  craindre,  la  prin- 
cesse de  Lamballe,  loin  de  mal  se  trouver  du  régime 
de  la  prison,  avait  vu  son  état  s'améliorer.  Depuis  la 
crise  qu'elle  avait  eue  le  10  août  dans  la  loge  du 
Logographe,  elle  n'avait  pas  éprouvé  de  nouvelles 
attaques.  Elle  était  cependant  dans  les  conçliUQiis 
les  plus  défavorables. 


UN   RÉCIT   DE    LA   JOURNÉE    DU    10   AOÛT  278 

A  la  Force,  la  princesse  est  «  sans  femme  de  cham- 
bre, elle  se  soigne  elle-même  ;  pour  une  personne  qui 
se  trouve  mal  devant  un  oumard  (sic)  en  peinture, 
c'est  une  rude  position  ».  Qui  raille  de  la  sorte  ?  La 
belle-fille  du  grand  Bufïon,  devenue  la  maîtresse  de 


FIG.  74.   —  MADAME   DE   LAMBALLE  A    LA  FORCE 
(D'après  une  miniature  du  Musée  Carnavalet) 

Philippe-Égalité  !  C'est  dans  une  lettre,  datée  du 
20  août,  où  elle  mande  à  Lauzun,  duc  de  Biron,  ce 
qui  se  passe  à  Paris  '^  que  se  trouve  le  passage  ci- 
dessus  rapporté. 

Cette  indigne  bru  de  l'immortel  naturaliste  mérite 
au  passage  un  coup  de  crayon.  Elle  a  été  diverse- 
ment jugée,  i)eut-ètre  avec  trop  de  sévérité  par  les 
uns,  avec  trop  d'indulgence  par  les  autres. 

18 


274  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

Avant  d'étaler  en  public  une  liaison  dont  les  mœurs 
du  temps  ne  s'accommodaient  pas  encore,  avant  de 
devenir  l'Égérie  d'un  prince  qui  aspirait  à  jouer  un 
rôle  polili(iue  de  premier  plan,  la  jeune  femme  avait 
été  unie  à  «  un  être  brutal  et  bête,  lils  du  plus  pur 
de  nos  écrivains,  mais  du  plus  impur  de  tous  les 
hommes  '^».  Et  comme  si  cette  insinuation  pouvait 
ne  pas  être  comprise  à  demi-mot,  celui  qui  ne  craint 
pas  de  s'en  constituer  l'éditeur,  articule  des  alléga- 
tions d'une  redoutable  précision. «Il  est  pénible,  sans 
doute,  poursuit  l'impitoyable  censeur,  d'avoir  à 
dépouiller  le  génie  de  ce  lustre  de  vertus  qui  ajoute 
tant  à  son  éclat...  Je  dirai  donc  que  le  comte  de 
Bufïon,  devenu  amoureux  fou  de  sa  belle-fille,  essaya 
de  la  corrompre,  brouilla  l'époux  et  l'épouse,  fit  un 
insupportable  enfer  de  la  vie  d'une  jeune  femme  née 
et  élevée  pour  devenir  un  modèle  de  conduite  et 
d'honneur.  »  Ainsi  s'expliquerait  la  chute  de  l'inté- 
ressante créature,  «  douée  des  charmes  ravissants 
de  la  figure,  de  l'esprit  et  du  caractère  »,  entre  les 
bras  d'un  prince  «  qui  sait  embellir  ses  hommages 
d'une  délicatesse  et  d'un  respect  qui  jamais  ne  se 
démentirent  ».  Avant  de  condamner  une  telle  femme, 
toujours  à  entendre  son  apologiste,  «  il  eût  fallu  avoir 
été  placé  dans  la  cruelle  situation  où  les  rigueurs 
de  la  fortune  la  jetèrent  ». 

Sans  nous  arrêter  à  des  insinuations  qui  ne  sont 
pas  même  appuyées  sur  un  commencement  de  preuve, 
nous  n'avons  à  retenir,  des  nombreux  documents 
qui  nous  sont  passés  sous  les  yeux,  que  cette  impres- 
sion, qu'on  a  transformé  de  simples  prévenances  et 
attentions  en  des  sentiments  plus  tendres  et  moins 
avouables.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  durant  son 


n 


UN  RÉCIT  DE  LA  JOURNÉE  DU  lO  AOÛT     277 

séjour  à  Montbard  auprès  de  son  illustre  beau- 
père.  Madame  de  Buffon  reçut  plusieurs  visites  du 
duc  d'Orléans  et  que  s'ébauchèrent,  dès  ce  moment, 
des  relations  qui  devaient,  quelque  temps  plus  tard, 
s*africher  avec  éclat.  Ce  n'est  que  quand  l'outrage 
fut  devenu  public,  que  la  séparation  se  produisit, 
l'intéressé  en  ayant  été,  comrrle  toujours,  le  dernier 
informé. 

Le  fils  de  Buffon  et  Buffon  lui-même  avaient  long- 
temps ignoré  que  Mademoiselle  de  Cepoy  et  sa  mère 
avaient  accompagné  le  duc  d'Orléans  en  Angleterre, 
et  qu'elles  exerçaient  un  grand  empire  sur  l'esprit 
du  prince  ^'^.  Elles  n'y  avaient  guère  de  mérite,  car 
il  n'était  homme  plus  influençable.  D'un  tempéra- 
ment sans  consistance,  d'une  volonté  sans  ressort, 
il  s'abandonnait  à  toutes  les  suggestions,  et  une 
femme  ambitieuse,  comme  l'était  Madame  de  Bufïon, 
eut  vite  fait  de  saisir  le  point  vulnérable  de  ce  prince, 
«  faible,  inappliqué,  dissolu  »,  qui  allait  être  «  conduit, 
de  concession  en  concession,  de  déchéance  en  dé- 
chéance, à  toutes  les  hontes  et  jusqu'au  crime  ^5  ». 

Entre  autres  griefs  dont  on  a  chargé  sa  mémoire, 
il  en  est  un  que  nous  devons  discuter,  comme  se 
rapportant  plus  particulièrement  au  sujet  que  nous 
traitons.  On  a  prétendu  que  le  duc  d'Orléans  n'au- 
rait fait  aucun  effort  pour  dérober  la  princesse  de 
Lamballe  à  la  mort  horrible  qui  lui  était  réservée, 
alors  qu'il  aurait  pu  facilement  user  de  son  influence 
pour  empêcher  cet  atroce  attentat.  L'accusation 
portée  contre  le  duc  est  d'une  gravité  telle  qu'il 
importe  de  l'examiner  de  près.  Celui  qui  l'a  articulée 
avati  été  à  même,  de  par  ses  fonctions,  d'ouvrir  bien 
des  dossiers,  d'examiner  bien  des  pièces  secrètes,  et 


278  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

à  ce  titre,  son  témoignage  n'est  pas  de  ceux  qu'on 
puisse  éliminer  sans  examen  préalable. 

Sénart,  qui  a  rapporté  le  fait  dont  il  va  être  ques- 
tion, dans  des  Mémoires  communément  estimés, 
Sénart  était  secrétaire-rédacteur  du  Comité  de  Sûreté 
générale.  En  cette  qualité,  «  il  a  ouvert  tous  les  car- 
tons et  tenu  dans  ses  mains  les  pièces  originales,  il 
a  assisté  aux  délibérations,  il  a  connu  le  nœud  des 
intrigues,  il  a  recueilli  des  paroles  mystérieuses... 
et  partout  il  sème  ses  récits  de  portraits  frappants  de 
vérité,  d'anecdotes  curieuses,  souvent  tragiques  ^^  ». 
Parlant  des  massacres  de  septembre,  Sénart  n'hésite 
pas  à  écrire  qu'ils  ont  été  l'œuvre  de  Pitt  et  de  la 
faction  d'Orléans.  Et  il  ajoute  :  «  D'Orléans,  monstre 
exécrable  (sic),  trouva  dans  ces  massacres  le  moyen 
de  se  libérer  du  paiement  annuel  d'une  somme  de 
cinq  cent  mille  livres  de  douaire,  qu'il  payait  à  sa 
belle-sœur,  la  princesse  de  Lamballe.  La  mort  était 
une  quittance  ^7.  » 

L'éditeur  même  des  Mémoires  de  Sénart  a  fait 
justice  de  cette  calomnie.  Il  paraît  avéré  que  l'au- 
teur desdits  Mémoires  a  été,  en  cette  circonstance, 
mal  informé.  La  vérité  est  que  le  duc  de  Penthièvre, 
beau-père  de  la  princesse,  faisait  à  celle-ci,  depuis  la 
mort  de  son  mari,  une  pension  viagère  de  trente 
mille  livres,  dont  les  arrérages  lui  furent  très  exac- 
tement payés  jusqu'au  mois  de  septembre  1792. 
Comme,  à  cette  époque,  le  duc  de  Penthièvre  vivait 
encore,  l'extinction  de  la  rente  viagère  ne  pouvait 
profiter  qu'à  lui  et,  après  lui,  à  sa  fdle,  la  duchesse 
d'Orléans,  séparée  de  biens  ^^  d'avec  le  duc,  lequel, 
personnellement,  ne  pouvait  tirer  un  profit  quel- 
conque de  la  mort  de  la   princesse.   L'accusation 


UN   RÉCIT    DE   LA   JOURNÉE    DU    10    AOÛT 


279 


tombe  donc  d'elle-même.  En  réalité,  le  duc  d'Orléans, 
qui  entretenait  avec  sa  belle-sœur  des  relations  affec- 
tueuses ^9,  paraît  s*être  entremis  auprès  de  ceux  qui 


FIG.    7G.    —    MAHAT 


dirigeaient  le  mouvement,  sans  réussir  à  atteindre  le 
but  qu'il  poursuivait. 

A  s'en  rapporter  au  témoignage  que  nous  avons 
souvent  invoqué,  celui  du  docteur  Saiffcrt,  quelques 
personnes  dévouées  à  la  princesse  se  seraient  réunies 
chez  le  duc  d'Orléans,  pour  aviser  aux  moyens  d'as- 
surer le  salut  de  la  belle-sœur  de  ce  dernier.  Saiiïert^ 


28o  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

qui  avait  eu  roccasion  de  donner  ses  soins  à  nombre 
de  sans-culottes,  se  serait  offert  pour  se  rendre 
auprès  des  meneurs  de  la  populace,  dont  la  plupart 
lui  étaient  connus.  Il  importuna  tellement,  s'il  faut 
l'en  croire,  cinq  d'entre  ces  meneurs,  il  leur  prodigua 
tant  d'assurances  que  la  princesse  était  innocente 
des  accusations  dont  on  la  chargeait,  qu'il  emporta 
d'eux  la  promesse  qu'ils  tenteraient  tout  au  monde 
pour  la  sauver.  Trois  seulement  se  refusèrent  à  in- 
tervenir, accusant  Saifîert  d'être  afïilié  à  «  la  bande 
despotique  »,  selon  leur  expression,  et  de  s'être  rendu, 
par  là,  des  plus  suspects  aux  yeux  des  véritables 
amis  de  la  liberté.  Deux  d'entre  eux  seraient  allés 
jusqu'à  le  menacer  d'un  châtiment,  pour  s'être  cons- 
titué le  défenseur  d'une  femme  aussi  compromise  que 
la  princesse,  par  ses  attaches  avec  la  royauté  déchue. 

Nullement  découragé  par  l'échec  de  ses  premières 
démarches,  Saifîert  les  poursuivit  opiniâtrement. 
Nous  avons,  naguère  2°,  relaté  les  visites  qu'il  rendit 
successivement  à  Pétion,  à  Danton,  à  Robespierre 
et  à  Marat.  Depuis,  de  nouvelles  recherches  ^^  n'ont 
fait  que  confirmer  nos  premières  découvertes,  en  les 
complétant  dans  les  détails. 

Lorsque  SailTert  se  présenta  chez  Pétion,  celui-ci 
était  en  train  de  donner  à  boire  aux  insurgés  qui  lui 
servaient  de  gardes  du  corps.  «  Je  n'ai  pas  le  pou- 
voir d'arrêter  les  massacres  »,  répondit  le  maire  de 
Paris  à  son  visiteur  ;  et  comme  celui-ci  pressait  Pétion 
de  faire  appel  à  la  garde  nationale,  qui  n'attendait, 
lui  dit-il,  que  l'ordre  écrit  «  d'arrêter  une  telle  entre- 
prise, dangereuse  pour  la  liberté  et  honteuse  pour  un 
peuple  civilisé  »  :  —  «  Je  n'ai  aucun  pouvoir,  lui 
répondit  cet  «  avocassier  »  ;  je  suis  moi-même,  vous 


UN    RÉCIT    DE   LA    JOURNEE    DU    10    AOtT  281 

le  voyez,  un  prisonnier  du  peuple.  Adressez-vous  à 
ceux  qu'il  laisse  en  liberté.  »  Ici  il  convient  d'ouvrir 
une  parenthèse.  Quelle  a  été  la  part  de  Pétion  dans 
la  genèse  et  la  préparation  des  massacres  de  sep- 
tembre ?  Son  rôle  fut-il  purement  passif  ? 

Dans  un  ouvrage  intitulé  :  les  Crimes  de  Marat 
et  des  autres  égorgeurs  ou  Ma  Résurrection,  etc.  ^^y 
Maton  de  la  Varenne  ne  craint  pas  de  nommer 
Pétion,  Manuel  et  Marat,  comme  les  principaux 
«  fauteurs  »  du  crime  collectif  dont  on  aura 
quelque  peine  à  les  justifier.  Cette  opinion  est 
partagée  par  l'auteur  de  VHistoire  de  là  conjuration 
de  Maiimilien  Robespierre  ^3,  qui  écrit  de  son  côté: 
«  Pétion  et  Manuel  ordonnèrent,  organisèrent,  si  je 
puis  parler  ainsi,  les  massacres  des  2  et  3  septembre  ; 
I  t  à  cette  époque,  ces  deux  bêtes  féroces  étaient 
dévouées  à  Robespierre.  On  voit,  par  les  journaux 
qui  dans  ces  temps-là  rendoient  compte  des  séances 
des  Jacobins,  que,  tandis  que  Pétion  et  Manuel 
aiguisoient  les  poignards,  les  sabres,  les  haches  et 
•  xaltoient  les  têtes  des  exécuteurs,  Robespierre  et 
les  siens  faisoient  crier  par  leurs  émissaires  :  Vive 
Manuel,  vive  Pétion  ou  la  mort  I  et  crioient  eux-mêmes 
(jue  tout  étoit  perdu,  si  le  sol  de  la  liberté  n'étoit 
promptement  purgé  de  tous  les  prêtres  et  les  aris- 
tocrates. Ils  comprenaient,  sous  cette  dernière  qua- 
lification, les  constitutionnels  comme  les  royalistes.  » 

Qu'on  nous  permette  encore  une  citation,  tirée, 
comme  les  précédentes,  d'ouvrages  contemporains 
d<'s événements  :  «Toute  l'Kurope,  remarque  unécri- 

lin  anonyme,  mais  qui  semble  bien  renseigné  *<, 
toute  l'Europe  a  entendu  parler  de  cette  trop  fameuse 
nuit,  et  les  races  futures  auront  peine  à  croire  les 


282 


LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 


horreurs  qui  s'y  sont  commises.  Depuis  longtemps 
elle  était  méditée  p«r  des  monstres  avides  du  sang 
de  leurs  concitoyens.  Les  scélérats  étaient  revêtus 
de  la  confiance  du  peuple.  Pétion,  Manuel  et  beau- 
coup d'autres  en  étaient  les  chefs;  ils  avaient  fait 
emprisonner  plusieurs  personnes  qui  auraient  pu 
nuire  à  leuramb.tion.  Ils  imaginèrent  donc  de  leur 
en  ôter  le  moyen,  en  les  assassinant.  »  Pétion  a 
essayé  de  se  laver  de  ces  imputations  ^\  mais  il  faut 
reconnaître  que  sa  défense  n'a  fait  que  trahir  son 
embarra>. 

Une  Anglaise  de  distinction,  Héîène-Maria  Wil- 
hams,  q.;i  était  hée  avec  la  famille  du  Maiie  de 
Par.s,  a  rapporté,  dans  ses  attachants  Souncnirs  de  la 
Révolution  française  '=^,  le  propos  qui  lui  fut  tenu  par 
Pétion,  lorsqu'il  s'apprêtait  à  fuir  la  capitale  :  «  J'ai, 
lui  dit  il,  un  reproche,  rien  qu'un  à  me  faire;  j'auais 
dû  mourir  pendant  les  massacres  de  septembre. 
J'ai  fait  tout  ce  que  j'ai  pu.  J'étais  sans  moyens  et 
sans  pouvoir,  mais  j'avais  encore  quelque  popula- 
rité. Je  me  suis  précipité  de  prison  en  prison,  et  par- 
tout où  j'ai  été,  les  assassins  suspendaient  leurs 
coups,  sans  que  j'aie  pu  empêcher  qu'ils  recommen- 
çassent après  mon  départ  ^^.  Enfin,  Danton  me  fit 
garder  à  vue  chez  moi  ;  mais  c'est  égal,  j'aurais  dû 
sortir  malgré  la  garde,  j'aurais  dû  mourir.  » 

Sur  la  participation  de  Danton  à  cette  tuerie,  on 
est  fixé  aujourd'hui.  «  Danton  fut  un  des  principaux 
moteurs  (sic)  des  massacres  de  septembre  »,  affirme 
Gouverneur  Morris,  et  si  on  ne  trouve  pas  son  nom  • 
à  côté  de  ceux  de  Panis,  de  Sergent,  de  Marat,  au 
bas  de  l'ordonnance  d'exécution,  le  moins  qu'on 
puisse  dire  de  Danton,  c'est  qu'«  on  est  le  complice 


UN   RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE    DU    10    AOÛT 


283 


des  actes  que  l'on  peut  empêcher,  surtout  lorsqu'on 
est  investi  de  la  puissanp^-  légale  ^s  ».  L'accueil  que 
reçut  Saiffert  auprès  de  Danton  ne  fait  que  confirmer 


FIG.    77.    —    IIKLÉNA    WILLIAMS 


ropinioii,  qu'il  approuvait,  au  moins  tacitement, 
ceux  qu'il  n'osait  publi(iuement  désavouer.  «  Le 
peuple  de  Paris,  répondit  Danton  d'une  voix  cour- 
roucée à  celui  qui  venait  implorer  son  intervention, 
a  ses  représentants,  qui  travaillent  aujourd'hui  pour 


284  LA   PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

l'abolition  de  sa  servitude  et  la  résurrection  de  sa 
liberté.  Seuls,  les  aristocrates  pourraient  s'opposer  à 
la  justice  du  peuple.  » 

Mêmes  sentiments  chez  Robespierre  :  «  Le  peuple 
est  trop  juste  pour  attaquer  l'innocence,  dit  Vlncor- 
rnptihle  à  qui  était  venu  solliciter  sa  pitié,  fiez- 
vous  à  sa  justice.  »  Et  comme  son  interlocuteur 
insistait  auprès  de  lui,  pour  qu'il  arrachât  au  danger 
qui  la  menaçait  une  femme  inoffensive,  venue  d'elle- 
même  reprendre  un  poste  périlleux  à  la  prière  de  son 
beau-père,  qui  l'y  avait  contrainte:  «  Eh  bien  !  s'écria 
brusquement  Robespierre,  puisque  vous  vous  ex- 
primez avec  tant  de  chaleur  sur  le  compte  de  votre 
cliente,  je  vous  promets  de  mettre  tout  en  œuvre 
pour  hâter  la  libération  de  votre  protégée.  »  Devons- 
nous  ajouter  que*  le  dictateur  oublia  complètement 
sa  promesse,  et  que  Saifîert  ne  tarda  pas  à  être 
averti,  par  un  de  ses  malades,  que  Robespierre  lui 
avait  dit  en  propres  termes  :  «  Le  docteur  Saiffert 
n'est  pas  un  ami  de  la  liberté...  Ne  cherchez  pas  à 
l'excuser,  il  s'est  trahi  aujourd'hui;  c'est  peut-être 
un  philanthrope,  ce  n'est  pas  un  ami  de  la  liberté  ^9  !  » 

Est-ce  à  dire  que  Robespierre  ait  eu  une  partici- 
pation directe  aux  massacres  ?  Il  est  reconnu  qu'il 
ne  fut  présent  à  aucune  des  fatales  journées;  «  il 
n'y  eut  d'autre  part  que  d'avoir  opiné  avec  ceux 
qui  les  conseillèrent  et  qui  s'en  réjouirent  3°». 

On  peu,  dire,  néanmoins,  de  Robespierre  comme  de 
Danton,  qu'en  laissant  faire  ce  qu'ils  pouvaient  em- 
pêcher, ils  ont  encouru  le  même  blâme.  D'ailleurs, 
Robespierre  désapprouva-t-il  jamais  «  cette  justice 
prompte  et  terrible,  qu'il  considérait  comme  Tex- 
pression  de  la  volonté  populaire  3'  »  ? 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE   DU    10    AOÛT 


285 


D'autres  que  le  docteur  Saifïert  auraient  été  rebutés 
par  l'insuccès  de  leurs  tentatives  ;  mais  la  ténacité  de 
ce  dernier  et  plus  encore,  la  conscience  de  s'acquitter 


PIG     78  —  SERf.ENT,    DIT   bEIUil  NT-.MAnCEAU 


d'un    devoir,   lui   redonnaient   de   l'espoir   lorsqu'il 
sentait  venir  le  découragement. 

Notre  médecin  saxon  se  détermina  en  Un  à  im- 
plorer l'aide   de  son   confrère  Marat,   mais   Marat 


286  LA   PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

ne  lui  fit  pas  un  meilleur  accueil  que  les  autres  déma- 
gogues. «  Je  reconnais,  lui  dit  l'éncrgumène,  que 
comme  médecin,  vous  pouvez  m'ôtre  supérieur,  mais 
pour  les  affaires  de  l'État  vous  n'avez  aucune  com- 
pétence. Plus  de  quatre  cent  mille  têtes  doivent 
tomber,  si  nous  voulons  conserver  la  liberté;  le  sang 
des  royalistes  doit,  pour  l'éternelle  épouvante  des 
souverains,  couler  dans  toutes  les  ruelles  et  dans 
toutes  les  rues  ;  l'heure  a  sonné  pour  le  peuple  de  se 
délivrer  de  ses  persécuteurs  ;  la  moindre  pitié  serait 
un  crime.  Savez-vous  que  votre  démarche  m'est 
très  suspecte  ?  Tout  ce  que  je  puis  faire  de 
mieux  pour  vous,  c'est  de  la  tenir  cachée.  »  — 
«  Je  n'avais  plus  aucun  espoir,  poursuit  tristement 
Saifîert,  d'arrêter  le  massacre  général  qui  était 
projeté.  » 

En  désespoir  de  cause,  Saifîert  se  rendit  auprès 
de  Manuel,  qui  occupait  «  un  des  premiers  postes 
dans  l'administration  de  la  ville  ».  Dès  les  premiers 
mots,  celui-ci  fit  observer  au  solliciteur  qu'il  était, 
moins  que  tout  autre,  en  sa  quaUté  d'étranger, 
qualifié  pour  intervenir  dans  une  affaire  intérieure 
qui  ne  regardait  que  le  peuple  français,  et  il  rompit 
brusquement  l'entretien,  sans  s'attarder  à  des  expli- 
cations. 

C'est  alors  que,  de  guerre  lasse,  Saiffert  retourna 
chez  le  duc  d'Orléans,  auprès  duquel  il  était  toujours 
assuré  de  trouver  un  appui  ou  un  réconfort.  Il  lui 
exposa  le  résultat  de  ses  démarches,  l'informant  du 
péril  que  courait  la  princesse  ;  le  duc  se  déclara  prêt 
à  lui  venir  en  aide,  mais  que  pouvait-il  faire  ?  «  Écrire 
à  Danton  ;  je  me  charge  de  lui  remettre  la  lettre  », 
répliqua  Saifîert.  Sans  perdre  de  temps,  le  duc  rédigea 


UN  RÉCIT  DE  LA  JOURNÉE  DU  10  AOÛT     287 

le  billet  suivant,  dont  les  termes  nous  ont  été  con- 
servés 32  : 

Je  suis,  bien  qu'à  regret,  le  conseil  qui  m'a  été  si 
impérieusement  donné  de  ne  pas  quitter  ma  chambrei 
Personne  ne  sait  mieux  que  vous,  Monsieur,  ce  que  j'ai 
sacrifié  pour  la  liberté  ;  aussi  serait-ce  une  injustice 
que  de  suspecter  ma  bonne  foi.  Je  me  permets  donc, 
sûr  que  ma  démarche  ne  sera  pas  faussement  inter- 
prétée, d'intervenir  auprès  de  vous  en  faveur  des  dames 
d'honneur  de  ï Autrichienne,  et  en  particulier  de  ma 
bonne  sœur,  la  princesse  de  Lamballe,  qui  n'a  pas  déserté 
son  poste  sur  mon  conseil.  Je  vous  prie  donc  instamment 
d'employer  tout  ce  que  vous  avez  de  pouvoir  et  d'in- 
fluence à  écarter  le  danger  qui  menace  ces  prison- 
nières, et  vous  pouvez  être  assuré  que  ma  reconnais- 
sance sincère  vx)us  sera  à  jamais  acquise. 

A  cette  lettre  Danton  rép  ondit  : 

J'ai  devancé, votre  prière  ;  ce  qui  dépendait  de  moi 
a  été  fait  et  les  femmes  vont  être  mises  en  liberté.  Encore 
que  cela  vous  soit  désagréable,  ne  quittez  pas  votre 
chambre.  Je  ni'ed'orce  d'apaiser  la  colère,  du  peuple. 
J'ai  jeté  votre  billet  au  feu,  faites  subir  le  même  sort 
au    mien. 

Qui  n'aurait  cru  la  partie  gagnée?  Mais  il  est  des 
rirconstances  où  les  événements  sont  plus  forts  que 
les  hommes.  Danton  était  peut-être  de  bonne 
ioi,  le  duc  d'Orléans  a  sans  donlc  fait  ce  qu'il  était 
humainement  possible  de  tenter,  mais  comment 
hittcr  contre  une  horde  de  forcenés  qui,  ayant  reçu 
désordres,  n'étaient  que  trop  prompts  à  les  exécuter  ? 

]j-  fait  est  que  la  princesse  n'a  pu  être  sauvée;  elle 
;i  ctc  la  seule  femme,  ne  l'oublions  pas,  qi:i  ait  péri 


288  LA    PRINCESSE   DE    LAMBALLE    INTIME 

dans  ces  massacres,  auxquels  toutes  les  personnes  d® 
son  sexe  ont  réussi  à  échapper.  II  y  a  là  un  mystère 
qu'il  n'est  pas  indifférent  d'essayer  de  pénétrer. 

On  sait  que  le  duc  de  Penthièvre  a  cherché,  par 
tous  les  moyens,  à  arracher  à  prix  d'or  sa  chère 
belle-fille  au  supplice  horrible  qui  l'attendait.  Il  est 
même  reconnu  aujourd'hui  que  Manuel  a  reçu  une 
somme  d'argent  importante  pour  sauver  Madame  de 
Lamballe  ;  mais  s'étant  rendu  compte,  par  ses  pro- 
pres yeux,  des  dispositions  des  égorgeurs  à  l'égard  de 
l'infortunée  princesse,  il  n'osa  tenir  sa  promesse  et 
la  laissa  massacrer  33.  On  a  donné  le  chiffre  de  la 
somme  versée  34;  cent  cinquante  mille  livres  auraient 
été  comptées  au  procureur  de  la  Commune,  par  les 
représentants  du  duc  de  Penthièvre.  D'après  une 
autre  relation  ^s,  le  duc  aurait  garanti  la  moitié  de 
sa  fortune  à  Manuel,  s'il  parvenait  à  soustraire  la 
princesse  de  Lamballe,  et  les  dames  qui  partageaient 
sa  détention,  au  massacre  général.  Manuel  com- 
mença par  celles  dont  la  sortie  pouvait  le  moins 
attirer  l'attention,  «  réservant,  pour  des  motifs  de 
prudence,  la  Princesse  de  Lamballe  pour  la  der- 
nière ».  Plusieurs  faits  témoignent  en  faveur  des  dis- 
positions bienveillantes  de  Manuel  3^.  Ce  fut  à  son 
intervention  que  la  princesse  dut  d'être  réunie  à 
Madame  de  Tourzel  et  à  sa  fille,  qu'on  avait  d'abord 
séparées  et  qui  se  montrèrent  heureuses  de  partager 
son  infortune.  Ce  fut  encore  le  terrible  procureur 
qui  remit  à  Madame  de  Lamballe  une  lettre  du  duc 
de  Penthièvre,  et  qui  autorisa  le  guichetier  de  la 
prison  à  laisser  promener  les  détenues  dans  la  cour 
de  la  Force.  Dans  le  Journal  de  sa  captivité.  Madame 
a  rapporté  que  Manuel  vint  voir  le  roi,  son  père,  le 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE    DU    10    AOÛT 


289 


3  septembre,  à  10  heures  du  matin,  et  qu'il  lui  assura 
que  la  Princesse  de  Lamballe  et  les  autres  personnes 


II(i.    71).    —    MADA.MK   I)i:    I.AMUALLE 

Estampe  de  l'époque  rivoluliumiaire) 

{{u'on  avait  ôtées  du  Temple  se  portaient  bien  et 
(Laient toutes  ensemble  et  tranquilles  à  la  Force  37. 
Que  se  passa-t-il  donc  pour  rendre  vaines  tant  de 
honncs  volontés  ? 

19 


290  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

En  même  temps  que  Manuel,  et  dans  la  crainte 
que  celui-ci  ne  réussît  pas  à  sauver  la  princesse, 
d'autres  émissaires  du  duc  Penthièvre  s'étaient  ré- 
pandus dans  les  différents  quartiers  de  Paris.  L'un 
d'eux  parvint  à  faire  tenir  à  Madame  de  Lamballe 
un  billet  ainsi  conçu  :  «  Pour  Dieu,  quoi  qu'il  arrive, 
ne  quittez  pas  votre  chambre  et  vous  serez  épargnée. 
Adieu  î  » 

Manuel  ^^,  qui  n'était  pas  au  courant  de  ce  second 
plan,  se  présentait  à  la  prison  et,  après  avoir  fait 
sortir  les  compagnes  de  la  princesse,  vint  trouver  à 
son  tour  Madame  de  Lamballe,lui  annonçant  qu'avait 
sonné  l'heure  de  sa  délivrance;  mais,  en  dépit  de 
toutes  ses  instances,  il  ne  put  la  décider  à  le  suivre. 
Elle  crut  à  un  piège  et  c'est  ce  qui  la  perdit. 

D'après  une  autre  version,  deux  de  ses  valets  de  pied 
poussèrent  le  dévouement  à  leur  maîtresse  jusqu'à 
revêtir  le  C03tumxe  de  ses  assassins,  à  emprunter  leur 
langage,  leurs  manières,  et  à  se  mêler  parmi  eux  sans 
éveiller  les  soupçons.  «  Déjà  ils  avaient  découvert 
le  réduit  où  Madame  de  Lamballe  était  retenue  ;  mais 
malheureusement,  ils  la  trouvèrent  dans  une  des 
attaques  de  nerfs  qu'elle  éprouvait  souvent  et  que 
son  effroi  venait  de  renouveler.  Des  moments  pré- 
cieux s'étaient  écoulés.  Des  monstres  vinrent  s'en 
emparer,  ils  la  traînèrent,  car  elle  ne  pouvait  se  sou- 
tenir, et  à  peine  elle  avait  franchi  les  portes  de  sa 
prison,  qu'elle  était  percée  de  coups  3<?.  » 

S'il  faut  ajouter  foi  aux  dires  de  Saiffert,  celui-ci 
aurait  tenté  une  pressante  démarche  auprès  du  duc 
d'Orléans,  l'engageant  à  le  suivre  à  la  municipalité, 
pour  essayer  de  soustraire  son  infortunée  cliente 
à  ses  bourreaux.  Le  duc  lui  aurait  répété  qu'il  était 


292  LA    PRINCESSE    DE    LA.MBALLE    INTIME 

surveillé,  et  que  s'il  passait  le  seuil  de  sa  porte,  il 
serait  conduit  en  prison.  Eût-il  réussi,  s'il  fût  inter- 
venu, à  obtenir  qu'on  relâchât  la  princesse,  c'est 
plus  que  douteux  ;  son  intervention  était  trop  tar- 
dive pour  avoir  chance  d'être  couronnée  de  succès. 

Le  duc  d'Orléans  parut,  en  tout  cas,  très  pénible- 
ment impressionné  par  cette  mort  4°.  Lorsqu'on  lui 
apporta,  pendant  son  dîner,  au  Palais-Royal,  la  tcte 
de  la  victime  des  septembriseurs,  il  dut  faire  d'amers 
retours  sur  lui-même.  Il  ne  put  s'empêcher  de  recon- 
naître, malgré  ses  relations  et  ses  compromissions 
jacobines,  que  les  révolutions  étaient  «  vraiment 
terribles  pour  ceux  qui  en  étaient  témoins  et  qui  les 
subissaient  ^^  ». 

Comment  la  princesse  de  Lamballe  fut-elle  la  seule 
femme  massacrée  en  septembre  1792  ?  On  peut  main- 
tenant répondre  à  cette  question  :  elle  fut  surtout 
la  victime  d'un  double  malentendu.  Il  n'est  pas 
moins  avéré  qu'elle  était  promise  à  la  mort,  et  il 
eût  fallu  un  hasard  providentiel  pour  la  soustraire 
à  son  sort.  Saifîert,  dans  un  de  ses  écrits,  a  laissé 
entrevoir  une  partie  de  la  vérité  sur  les  causes  réelles 
de  cette  horrible  tragédie. 

«  Robespierre  et  Danton,  non  contents  du  meurtre 
de  celle  qui  avait  été  le  principal  témoin  de  leur  défec- 
tion à  la  cause  républicaine,  avaient  envoyé  des  as- 
sassins à  la  poursuite  du  duc  de  la  Rochefoucauld, 
retiré  dans  ses  terres  ;  mais  ils  délivrèrentles  da  mes 
de  la  Cour  emprisonnées  avec  Madame  de  Lamballe, 
parce  qu'elles  n'étaient  pas  au  courant  desint  rigues 
qui  avaient  précédé  la  chute  de  la  royauté.  Puis,  ils 
firent  répandre  parmi  le  peuple  ce  bruit,  que  la  prin- 
cesse s'était  perdue  elle-même  par  son  orgueil,  en 


UN    RÉCIT    DE   LA.   JOURNÉE    DU    10    AOÛT  298 

refusant,  avec  des  paroles  blessantes,  de  prêter  le 
serment  de  fidélité  à  la  liberté  et  à  l'égalité.  Deux 


F:G.  81.   —  MADAAiK  DE    LAMDALLE 
(Document  communiqué  à  l'auteur  par  VicToniEx  Sardoo). 

qnnlicns  de  la  prison,  que  je  connaissais  bien,  ajoute 
SaiJTert,  m'afïirmèrent  au  contraire,  chacun  sépa- 
rément, uuc  la  malheureuse  orincesse  avait  été  traînée 


29^  LA    PIUNGKSSK    DK    I.AMnAIJ.E    INTFMR 

devant  les  juges  complèlenient  évanoLiic  I^lle  lui 
portée,  après  sa  condamnation  à  mort,  dans  la  rue 
des  Ballets,  où  on  la  massacra  sans  ({u'clle  ail  |  u 
proférer  une  parole.  »  Voilà,  dit  en  terminant  le 
docteur  dont  nous  avons  emprunté  le  récit,  «  la  vérité 
sur  cet  événement,  aussi  triste  qu'inhumain  ». 

Certains  ont  prétendu  que  si  la  princesse  de  Lam- 
balle  fut    horriblement  massacrée,   si   son   cadavre 
subit  d'odieuses  souillures  4-,  c'est  que  le  peuple  ne 
lui  pardonnait  pas  d'avoir  été  1'  «  amie  »  de  l'Autri- 
chienne, la  «  Sapho  de  Trianon  »,  ainsi  que  d'im- 
mondes libelles  la  désignaient.  <<  Une  seule  femme,  écrit 
un  historien  de  cette  sombre  époque  ^\  dont  la  par- 
tialité nous  doit  mettre  en  défiance,  une  seule  femme 
périt  dans  cette  circonstance  ;  mais,  nous  devons  le 
dire,  ses  liaisons  avec  l'ennemie  la  plus  acharnée  de 
la   nation,   avec   Marie-Antoinette    dont  elle    avait 
toujours  été  la  compagne  de  débauche,  justifient  en 
quelque  sorte  les  excès  auxquels  on  s'est  porté  à 
son  égard.  »  Comme   nous  demandions  un  jour  au 
regretté  Victorien  Sardou,  ce  qu'il  pensait  de  cette 
allégation  :  «  A  vrai  dire,  nous  répondit-il,  il  y  a  bien 
des  raisons  à  regorgement  de  Madame  de  Lamballe... 
Je  ne  crois  pas  un  instant  à  l'action  de  Phifippe- 
Égalité,  que  l'on  a  fait  beaucoup  plus  pervers  qu'il 
n'était,  et  que  je  ne  fais  pas  plus  responsable  de  la 
mort  de  la  femme  que  de  celle  du  mari.  Elle  (la  prin- 
cesse) a  été  fort  maladroite.  Par  son  attitude,  elle  a 
paralysé  les  efforts  des  agents  du  duc  de  Penthièvre 
pour  la  sauver,  et  facilité  la  tâche  à  ceux  qui  voulaient 
la  supprimer.  Madame  de  Lamballe  avait  été  associée 
aux  efforts  de  Robespierre,  pour  se  faire  désigner  par 
le  Roi  comme  gouverneur   du  dauphin.  Il  avait  eu, 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNEE    DU    lO    AOÛT  205 

à  cet  effet,  trois  entrevues  avec  Madame  de  Lam- 
balle,  qui  dut  un  jour  lui  déclarer  que  la  reine  avait 
protesté  contre  le  choix  d'un  tel  précepteur.  Que 
Robespierre,  fou  de  vanité,  ambitieux  et  rancunier 
comme  pas  un,  ait  attribué  son  échec  à  la  princesse, 
il  n'y  aurait  là  rien  que  de  très  naturel,  et  il  lui  suffi- 
sait d'un  mot  pour  le  délivrer  d'une  confidenlc  qui 
pouvait  un  jour  le  compromettre...  Je  crois  cela 
bien  plus  probable  que  l'action  d'Égalité.  Ce  qu'on 
peut  reprocher  à  celui-là,  ce  sont  les  pamphlets 
contre  la  reine  et  Madame  de  Lamballe,  soldés  bien 
évidemment  par  l'argent  du  Palais-Royal.  Et  ces 
pamphlets-là  n'ont  pas  peu  contribué  à  Végnryement 
de  la  malheureuse  femme  '*^.  Quant  aux  relations  in- 
times des  deux  femmes,  il  n'y  a  sûrement  rien  de 
positif  dans  les  documents  connus.  »  Émanant  d'une 
personnahté  aussi  renseignée,  cette  opinion  est  de 
celles  que  l'on  peut  d'autant  mieux  partager  qu'elle 
est  en  complet  accord  avec  tout  ce  que  l'on  sait 
de  positif  sur  un  des  problèmes  qui  ont  le  plus  exercé 
la  sagacité  des  physiologistes,  autant  que  celle  des 
historiens. 

Que  les  massacres  de  septembre  aient  été  prémé- 
dités, préparés '♦5,  qu'ils  n'aient  pas  été  une  explosion 
spontanée  du  sentiment  national,  comme  il  a  été 
souvent  prétendu,  pour  tout  esprit  impartial  cela 
est  manifeste. 

La  Commune,  dit  une  relation  attribuée  à  Cham- 
fort,  «  n'attendait  qu'un  prétexte  pour  battre  la 
générale  et  tirer  le  canon  d'alarme.  Le  plus  favo- 
rable qu'elle  pût  saisir,  était  raj)proclîe  précipitée 
(les  ennemis.  Lohgwy  avait  ouvert  ses  portes,  Verdun 
est  aussitôt  assiégée  :  la  nouvelle  en  arrive  au  mi- 


2()G  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

nisLrc  de  la  Guerre  le  2  septembre  au  matin.  Point 
de  délai,  la  Commune  fait  afficher  et  proclamer  un 
arrêté  qui  n'était,  comme  elle  en  est  convenue  depuis, 
qu'un  appel  aux  assassins  ».  L'agent  du  gouverne- 
ment révolutionnaire,  dont  nous  avons  déjà  utilisé 
la  relation,  a  rapporté,  dans  ses  Mémoires,  qu'il  a 
vu  «  des  pièces  écrites,  signées  de  Panis,  Sergent, 
Tallien,  qui  sont  relatives  à  ces  assassinats,  et  ont 
une  connexité  dépendant  l'une  de  l'autre,  qui  dévoi- 
lent le  complot  du  massacre  ^^,  et  prouvent  que  ce 
n'est  pas  l'effet  de  l'erreur  ni  de  l'effervescence  qui 
donna  lieu  à  cet  événement  ».  Au  nombre  de  ces 
lettres,  il  y  en  avait  une,  adressée  à  un  bandit  de  la 
pire  espèce,  un  escroc,  «  passé  aux  verges  et  chassé 
d'un  régiment  pour  vol  »  :  il  s'agit  de  Maillard,  «  chef 
des  coupe-jarrets  de  Paris,  connus  sous  le  nom  de 
Tappe-Durs  ».  Entre  autres  instructions,  il  était 
recommandé  au  destinataire  de  l'épître  de  disposer 
sa  bande  d'une  manière  utile  et  sûre,  de  l'armer  sur- 
tout d'assommoirs,  de  prendre  des  précautions  pour 
empêcher  les  cris  des  mourants,  de  faire  porter  les 
coups  sur  la  tête,  d'expédier  promptement,  de  faire 
emplette  de  vinaigre,  à  cause  de  l'odeur,  pour  en 
laver  les  endroits  où  l'on  tuerait,  de  se  précautionner 
de  balais  de  houx  pour  bien  racler  le  sang,  de  chaux 
vive,  de  voitures  couvertes  pour  transporter  les  cada- 
vres, de  bien  payer  surtout,  et  d'avertir  d'un  ins- 
tant à"  l'autre  de  ce  qui  se  passerait.  Il  existe  des 
quittances  de  paiement;  nous  en  mettons  deux  sous 
les  yeux  de  nos  lecteurs. 

Que  l'alcool  ait  joué  un  rôle  dans  les  massacres 
de  1792,  la  preuve  en  a  été  faite,  sans  réplique  pos^ 
sible*7.  Les  exécuteurs  de  la  «  justice  du  peuple  »  ont 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE    DU    10    AOÛT  207 

été  largement  abreuvés,  des  documents  irrécusables 
en  font  foi.  Lorsqu'on  parcourt  les  divers  récits  des 
massacres,  on  est  frappé  de  ce  fait,  que  les  assassins 


^^' 

•-• 

FIO.   82.   —  STANISLAS  MAILLARD 
(D'après  un  dessin  de  Gabriel) 

sont  presque  tous  «  ivres  de  vin  ».  Un  fait  entre  cent. 

Une  bande  de  forcenés  se  rend  chez  l'ex-ministre 

Roland,  «  les  habits  et  les  mains  ensanglantés,  les 

manches  retroussées  et  couvertes  de  sang  caillé,  les 


29B  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 


^ 


massues  ou  assommoirs  sur  l'épaule,  les  sabres  nus, 
tout  fumants  et  couverts  des  ordures  qu'ils  rece- 
vaient en  coupant  les  intestins  ».  Roland  parvient  à 
se  sauver  par  une  issue  secrète  ;  les  bandits  se  sai- 
sissent d'un  citoyen  de  sa  maison,  un  nommé  Cha- 
retier.  Fiers  de  leur  prise,  ces  deux  cents  courageux  (?) 
citoyens  mènent  en  laisse  cet  homme  sans  défense  : 
celui-ci  ne  parvient  à  se  débarrasser  de  ses  bourreaux 
qu'en  les  promenant  de  cabaret  en  cabaret  ;  à  force 
de  brocs  de  vin  libéralement  distribués,  il  en  vint  à 
bout.  «  Les  uns  restèrent  dormant  dans  les  cabarets, 
les  autres  tombèrent  au  coin  des  rues  et  des  bornes  ; 
ceux-ci  vomissaient,  ceux-là  ne  pouvaient  plus  mar- 
cher ;  et  à  la  faveur  des  ombres  de  la  nuit,  Charetier 
s'enfuit.  La  troupe  meurtrière  se  sépara,  et  Roland 
leur  échappa,  ainsi  que  l'otage  qu'ils  avaient  pris  ^^  ». 
Moins  heureuse,  hélas!  que  le  ministre  girondin  fut 
la  princesse  de  Lamballe,  dont  nous  avons  narré 
ailleurs,  dans  ses  moindres  péripéties,  la  fin  la- 
mentable ^9. 


1. 


I 


ce 

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13 


^^' 


NOTES  DU  CHAPITRE  XI 


1.  On  l'avait  pris  [)Our  io  nommé  \Vilgenko[)f  (no(«  de  Saif- 
fert). 

2.  Mémoires  de  Madame  Campan,  t.  II. 

3.  «  La  loge  qui  servait  de  refuge  au  Roi,  à  sa  famille  et 
aux  Ministres,  était  un  réduit  misérable,  étroit,  ayant 
dix  pieds  de  large  sur  six  de  haut,  et  pouvait  à  peine  con- 
tenir six  personnes.  11  fallait  y  être  toujours  assis,  et  il 
y  régnait  une  vapeur  forte,  dont  la  respiration  était 
oppressée  ».  Hist.  des  événements  qui  ont  eu  lieu  en  France  pen- 
dant les  mois  de  juin,  juillet,  août^  septembre  1792,  par  Mator  de 
LA.  Vareîjne,  116. 

4.  Le  3  août  précédent,  c'est-à-dire  une  semaine  avant 
l'événement  que  nous  relatons,  la  princesse  mandait  à  sa 
cousine  :  «  Ma  santé  va  comme  elle  peut  dans  un  moment 
aussi  dangereux;  nous  avons  un  temps  si  chaud  que  les 
orat;es  se  récidivent  (sic)...  je  ne  vous  donnerai  aucun 
détail  de  mon  inquiétude  dans  le  tourment  qui  est  toujours 
au  moment  de  tomber  sur  nous  d'un  instant  à  l'autre.  » 
Correspondance  publiée  par  M.  Ch.  Schmidt. 

5.  Mémoires  de  Mme  la  duchesse  de  Tourzel,  publiés  par  le  duc 
des  Cars  (Paris,  1893),  tome  second,  note  1  de  la  p.  250-1. 

6.  Revue  Bleue,  10  oct.  1891  (art.  de  M.  Albert  Mallet). 

7.  Mémoires  inédits  du  comte  François  de  la  Rochefoucauld, 
cités  par  les  Go.ncourt,  Hiiloire  de  Marie-Antoinette  (1878), 
372. 

8.  Comte  d'EspiNCHAL,  Journal  des  Événements  remarquables  de 
la  Révolution  (Ms  320  de  la  Bibliothèque  de  Clermont-Fer- 
rand,  cité  par  R.  Arnaud,  la  Princesse  de  Lamballe;  Paris, 
1911,  345). 

9.  Mémoires  de  Madame  de  Tourzel,  II,  239. 

10.  Id.,  240. 

11.  La  prison  de  la  Force  était  divisée  en  deux  parties 
la    Grande    Force,    ouverte    en    1780    pour    remplacer    For 
l'Évèque  qui   tombait  en  ruines,  était  destinée  à  enfermer 


UN  RÉCIT  DE  LA  JOURNÉE  DU  10  AOÛT     3oi 

les  gens  arrêtés  pour  dettes;  les  militaires  pour  faits  de 
discipline  ou  seulement  prévenus  de  désertion  :  les  prison- 
niers de  police,  c'est-à-dire  ceux  qui  étaient  trouvés  dans 
les  rues  ou  dans  les  lieux  publics,  faisant  du  bruit,  exci- 
tant des  rixes  ;  enfin,  les  personnes  suspectes  ou  sans 
aveu.  Sous  l'Empire  et  jusque  sous  le  règne  de  Louis-Plii- 
lippe,  la  Force  resta  en  partie  une  prison  politique.  La 
Petite  Force,  établie  en  1785  pour  recevoir  les  proistituées, 
avait  son  entrée  rue  Pavée,  n'  22  ;  les  deux  prisons  commu- 
niquaient entre  elles  par  une  porte  intérieure. 

12.  fievue  politique  et  parlementaire,  25  mars  1882  :  le  dernier 
amour  de  Philippe-Égalité  ;  la  citoyenne  Buffon^  1789-1793,  par 
M.  de  Lesclre. 

13.  Mém.  du  comte  d'Allonville,  t.  I,  ch.  xvi. 

14.  Voir  Buffon,  sa  famille,  ses  collaborateurs  et  ses  familiers: 
Mémoires  de  M.  Humbert-Bazille,  son  secrétaire,  mis  en 
ordre  par  Henri  Nad.vllt  de  BuffoxN. 

15.  Sainte-Beuve,  Causeries  du  Lundi,  t.  XV  (1862),  196. 

16.  Notice  sur  Sénart  et  ses  Mémoires,  par  Dumes.ml. 

17.  Mémoires  de  Sénart,  chapitre  vu  (Paris,  1824). 

18.  La  sentence  de  séparation  est  du  25  juillet  1792. 

19.  D'aucuns  ont  été  jusqu'à  prétendre  que  ces  relations 
allèrent  jusqu'à  la  plus  grande  intimité  (Cf.  Mémoires  de 
Talleyrand,  t.  I,  162). 

20.  La  Névrose  révolulionnaire,  des  docteurs  Cauanks  et 
L.  Nass,  43  et  s. 

21.  V.  le  journal  le  Temps,  14  septembre  1910. 

22.  Paris,  André,  an  III,  1795. 

23.  P.  79-80. 

24.  Coup  d'œil  sur  Paris,  suivi  de  la  nuit  du  deux  au  trois  sep- 
tembre ;  Paris,  an  III,  22. 

25.  Le  moins  qu'on  puisse  dire,  c'est  que  Pétion  a  montré, 
comme  l'écrit  P.  Fassy,  «  une  faiblesse  déplorable  »>.  Il 
reconnaît  lui-même  avoir  vu  «  une  douzaine  de  bourreaux, 
les  bras  nus,  couverts  de  sang,  les  uns  avec  des  massues, 
les  autres  avec  des  sabres  et  des  coutelas  qui  en  dégout- 
tnient,  exécutant  à  l'in-^lant  des  jugements  »  ;  il  se  déclare 
confondu  d'entendre  les  exécuteurs  de  la  loi  lui  demander 
"  à  être  payés  du  temps  qu'ils  avaient  passé  »  ;  il  leur  en- 
joint de  se  retirer,  mais  ils  reviennent  à  leur  poste,  aussi- 
lôt  qu'il  a  tourné  le  dos,  et  il  ne  trouve  pour  les  flétrir  que 
de.s  accents  d'une  feinte  indignation.  Mais,  s'écriait  Robes- 
pierre (juelques  jours  après  Pétion,  dans  un  discours  pro- 
noncé au  sujet  des  journées  de  septembre,  «  les  magis- 


302  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

trats  pouvaient-ils  arrêter  le  peuple?  »  Car,  ajouta  le  dic- 
tateur, «  celait  un  mouvement  populaire,  et  non  la  sédition 
partielle  de  quelques  scélérats  payés  pour  assassiner  leurs 
semblables  ».  F'aut-il  une  autre  preuve  de  la  complicité,  au 
moins  tacite,  de  Robespierre  ? 

26.  Traduits   de  l'anglais;  Paris,  Dondey-Dupré,  1827,  20. 

27.  «  Le  5  septembre,  Duhem,  Brissot,  Gensonné  et  plu- 
sieurs autres  députés  dînaient  chez  PéLion.  Vers  la  fin  du 
repas,  quinze  tueurs  entrèrent,  les  bras  ensanglantés, 
venant  demander  des  ordres,  relativement  à  quatre-vingts 
prisonniers  qui  restaient  encore  à  massacrer  à  la  Force. 
Le  maire  les  fit  boire  et  les  congédia,  en  leur  disant  de /aiVe 
tout  pour  le  mieux.  «Dépositions  de  Duhem,  de  Fabre  d'Eglan- 
tine  et  de  (Chabot,  dans  le  procès  des  Girondins.  Brissot  cl 
Gensonné,  qui  étaient  présents,  ne  nièrent  pas  le  fait,  qui 
est  rapporté  par  Villiaumé,  Hist.  de  la  Révolution  française, 
t.. II  (1864). 

28.  ViLLiAUMÉ,  lac.  cit.,  170. 

29.  Le  colloque  de  Robespierre  avec  Saiflert  est  résumé 
ici  ;  on  le  trouvera  plus  détaillé  dans  le  premier  récit 
que  nous  avons  donné  de  l'assassinat  de  la  princesse 
(V.  la  Névrose  révoluLionnaire,  loc.  cit.). 

30.  Hist.  de  la  conjuration  de  Maximilien  Robespierre;  Paris, 
an  IV  (1796),  75. 

31.  Discours  du  5  novembre  (1792)  à  la  Convention,  cité 
par  ViLLiAUMÉ,  II,  174. 

32.  V.  le  Temps,  14  septembre  1910. 

33.  Le  Tribunal  révolutionnaire  de  Paris,  par  Emile  Campardon, 
184. 

34.  Cf.  Hist.  des  événements  qui  ont  eu  lieu  en  France  pendant 
les  mois  de  juin,  juillet,  août  et  septembre  il 92,  par  Maton  de  la 
Varenne,  395. 

35.  Mém.  relatifs  à  la  famille  royale  de  France,  t.  II.  338  et  s. 

36.  «  Le  matin  du  2  septembre,  il  consulta  les  listes,  en- 
voya vers  10  heures  Truchon,  dit  le  Grand  Nicolas,  à  la  Pe- 
tite Force  et  en  fit  sortir  Mme  de  Saint-Brice,  alors  en- 
ceinte, et  Mlle  Pauline  de  Tourzel.  Le  3,  vingt-quatre 
femmes,  au  nombre  desquelles  étaient  Mmes  de  Tourzel, 
Thibault,  Bazire,  de  Navarre  et  de  Mackau,  sont  relaxées.» 
La  Princesse  de  Lamballe  et  la  prison  de  la  Force,  par  Paul 
Fassï  (Paris,  1868),  19,  86  et  87. 

37.  Marquis  de  Beaucourt,  Captivité  et  derniers  moments  de 
Louis  XVI,  8 


Oi 


Z     g 


3o4  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

38.  Ou  un  de  ses   agents,  l'avocat  Truchon,  dont  il  a  été 
question  plus  haut. 
31).  Mém.  de  Th.  de  Lamelh  (Paris,1913),  187-8. 

40.  Lorsque  Saiffert  alla  rapporter  au  duc  d'Orléans  les 
circonstances  de  la  mort  de  la  princesse  —  on  l'avait 
abattue  sous  ses  yeux,  devant  la  porte  de  la  prison  —  le 
duc,  déjà  inforrné  du  meurtre  de  sa  belle-sœur,  se  serait 
jeté  en  pleurant  au  cou  de  son  médecin,  et  les  persiennes 
closes,  tous  deux  restèrent  un  certain  temps  dans  l'obscu- 
ité,  abîmés  dans  leur  douleur  commune. 

41.  Mém.  de  Madame  Elliott  (Sainte-Beuve,  Causeries  du  Lundi, 

t.  XV,  ^00). 

42.  Cf.  la  Névrose  révolutionnaire,  loc.  cit. 

43*  jI^:jtgaillard,  Hist.  de  France,  t.  III,  219-220. 

44.  Un  des  premiers  pamphlets  qui  s'occupent  de  la  prin- 
cesse est  la  Galerie  des  Dames  françaises,  pour  servir  de  suite  à 
la  Galerie  des  États-Généraux  (Londres,  1790,  71-75);  elle  y  fi- 
gure sous  le  nom  de  Balzais.  Cet  opuscule  est  des  plus 
anodins;  il  reprochée  la  princesse  quelques  écarts  de  con- 
duite, mais  vante  hautement  sa  bienfaisance.  11  est  fait 
allusion,  mais  sous  une  lorme  encore  très  voilée,  aux  re- 
lations intimes  de  la  reine  avec  Madame  de  Lambalie,  dans 
les  Essais  historiques  sur  la  vie  de  Marie-Antoinette  d'Autriche, 
Reine  de  France  (Paris,  Londres,  1789,  29-31).  Viendront,  plus 
tard,  les  pamphlets  plus  violents,  tels  que  :  Le  Ménage  royal  en 
déroute,  la  Liste  civile  suivie  des  noms  et  qualitét  (sic)  de  ceux 
qui  la  composent  et  la  punition  due  à  leurs  crimes  ;  enfin,  les 
pamphlets  orduriers,  comme  la  Vie  privée,  libertine  et  scanda- 
leuse de  Marie-Antoinette  d'Autriche  (t.  I,  55-()0)  ;  VAlmanach  des 
honnêtes  femmes  pour  Vannée  1790,  qui  range  notre  princesse 
parmi  les  tribades;  mais  il  convient  d'ajouter  que  tout 
l'Armoriai  de  France  est  mis  sur  la  sellette,  et  qu'aucun 
grand  nom  n'échappe  à  cette  inculpation  du  vice  contre 
nature.  Un  des  plus  ignobles  libelles  est  celui  intitulé  :  La 
journée  amoureuse,  ou  les  derniers  plaisirs  de  M....  Ant ,  co- 
médie en  trois  actes,  en  prose,  représentée  pour  la  première  fois  au 
Temple,  le  20  août  1792.  Au  Temple,  chez  Louis  Capet,  l'an  I"  de 
la  République;  on  ne  saurait  en  extraire  seulement  deux  li- 
gnes sans  se  salir.  Il  est  à  remarquer  qu'en  général,  la 
duchesse  de  Polignac  est  bien  plus  souvent  mise  en 
cause  que  la  princesse  de  Lambalie.  Madame  Campan,  qui 
vivait   dans  l'intimité  de  la   reine,    croit  à  l'innocence  des 


UN    RÉCIT    DE    LA    JOURNÉE    DU    10    AOÛT  3o5 

rapports  de  Marie-Antoinette  avec  la  princesse  et,   toutes 
pièces  vues,  nous  partageons  son  opinion. 

45.  Cf.  Mortimer-Teunaux,  HisLoirede   la  Terreur,  t.  III,  etc. 

46.  «  Le  massacre  n'était  point  un  événement  de  circons- 
tance, mais  bien  un  terrible  complot,  dévoilé  par  les  pièces 
que  j'indique.  Si  ce  n'eût  point  été  un  complot,  à  quoi 
bon  ces  précautions  et  ces  ordres?  Or,  n'est-il  pas  bien 
caractérisé  par  les  sanguinaires  ,  circulaires,  écrites  par 
Marat  et  ses  collègues,  pour  inviter  les  départements  à  de 
pareilles  horreurs,  et  par  la  conduite  de  Legendre  et  de 
Manuel?  »  Révélations  puisées  dans  les  carions  des  Comités  de 
salut  public  et  de  sûreté  générale  ou  Mémoires  (inédits)  de  Sénart, 
agent  du  gouvernement  révolutionnaire,  publiés  par  Alexis  Du- 
mesnil  ;  Paris,  1824,  42. 

47.  V.  la  Chron.  médic,  1909,  811-813;  cf.  les  Campagnes  d'un 
avocat,  p.  14. 

48.  Mémoires  de  Senart,i{'). 

49.  V.  la  Aévrose  révolutionnaire,  des  docteurs  Cabanes  et 
L.  Nass  [le  Martyre  de  la  princesse  de  Lamballe,  33  et  s.). 


20 


CHAPITRE   XII 

LE    MEURTRE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE 
RÉCITS    DE    TÉMOINS    OCULAIRES 


On  a  mis  en  doute,  à  ce  sujet,  quelques  détails 
trop  réalistes  ;  on  a  reproché,  notamment,  à  notre 
grand  historien  national,  de  s'être  complu  au  récit 
de  scènes  révoltantes  de  sadisme,  d'avoir  sacrifié 
à  cette  érotomanie  dont,  en  d'autres  circonstances, 
il  a  encouru  le  grief  légitime.  Michelet  pouvait  invo- 
quer une  excuse,  c'est  que  la  plupart,  sinon  tous 
les  faits  qu'il  a  relatés,  sont  appuyés  sur  des 
témoignages  de  contemporains,  et  que  tout  ce 
que  peut  rêver  une  imagination  en  délire  est 
encore  au-dessous  de  la  triste  et  répugnante 
réalité.  Il  peut  y  avoir  eu  des  exagérations,  il  est 
des  témoins  qui  n'offrent  qu'une  garantie  de  véra- 
cité relative,  mais  ces  réserves  faites,  et  miseâ  à 
part  les  relations  fantaisistes  ou  fabriquées  un  long 
temps  après  les  événements,  il  n'en  reste  pas 
moins  acquis  que  le  corps  de  la  malheureuse  prin- 
cesse a  été  horriblement  profané,  et  cette  profana- 


LE   MEURTRE    DE     LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    307 

tion  ne  saurait  trouver  ni  explication  ni  justification. 
Il  semble,  en   outre,  que  toutes  les  formes  de  la 


i 


FIO.    85.  —    LA    PRINCESSE  DE   LAMBALLE 

(D'après  un  desein  au  crayon,  attribué  à  Gabriel) 

justice   aient   été  violées   dans  cette  circonstance. 

Et  d'abord,  on  ne  possède  aucun  texte  authentique 

sur  la  façon  dont  aurait  été  interrogée  Louise  de 


3o8  LA   PRINCESSE    DE    LAMBALT.E   INTIME 

Savoie-Carignan,  le  3  septembre  1792,  dans  la  loge 
(lu  concierge  de  la  Force  K  La  Commune  reçut  bien 
un  rapport  détaillé  des  commissaires  envoyés  par 
elle  à  cette  prison  2,  mais  ce  rapport,  daté  de  la 
nuit  du  2  au  'd  septembie,  n'intéresse  pas,  par  consé- 
quent, la  princesse,  massacrée  dans  la  matinée  du  3. 

Quelqu'un  a-t-il  assisté  au  drame  ?  Deux  déposi- 
tions auraient  été  prétendument  recueillies,  mais  elles 
ne  méritent,  il  faut  le  reconnaître,  qu'une  créance 
relative. 

Le  3  septembre  1792,  rapporte  le  comte  de 
Reiset  3,  Madame  de  Ginestous,  daine  de  la  prin- 
cesse de  Lamballe,  aurait  été  témoin  de  l'assassinat 
de  cette  dernière.  «  Elle  était  Génoise  ;  elle  devint- 
folle  de  douleur  et  se  mit  à  parler  génois  devant  les 
assassins  :  l'un  d'eux,  également  Génois,  étonné 
d'entendre  parler  sa  langue,  la  sauva  comme  sa  com- 
patriote. Elle  rtcouvra  sa  raison  ;  mais  lorsqu'en 
1815,  pendant  les  Cent  Jours,  elle  vit  le  drapeau 
tricolore  flotter  sur  les  Tuileries,  elle  devint  folle 
de  nouveau,  en  se  rappelant  la  mort  de  sa  chère 
maîtresse  et  les  horribles  massacres  de  septembre  1792, 
qu'elle  s'imaginait  être  au  moment  de  recom- 
mencer. » 

L'autre  témoignage  émane  d'un  M.  de  Blanzy, 
qui  avait  vu  la  tuerie  de  ses  fenêtres  ;  il  habitait, 
à  l'époque  des  massacres,  rue  du  Roi-de-Sicile,  «  en 
face  de  la  petite  porte  de  la  Force,  c'est-à-dire  dans 
l'ancienne  maison  qui  remplace  aujourd'hui  celle 
portant  le  numéro  1  ».  D'après  lui,  le  corps  de  la 
princesse  aurait  été  traîné  vers  la  borne  voisine,  et 
ïï  ajoute  que,  «  durant  tout  le  jour,  le  billot  impro- 
visé demeura  maculé  de  sang  et  de  restes  de  chair, 


LE   MEURTRE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBAI.LE     Sog 

et  que  ce  fut  la  fille  d'un  perruquier  de  la  rue  des 
Ballets  qui  vint  la  laver  ».  Selon  une  autre  version, 
c'est  pour  avoir  refusé  de  prêter  serment  à  la  Nation 
sur  un  monceau  de  cadavres  *,  qu'un  perruquier, 
du  nom  de  Charlat,  aurait  fait  sauter  le  bonnet  de 
la  princesse  d'un  coup  de  pique,  l'aurait  blessée 
au  front,  ce  qui  serait  devenu  le  signal  du  massacre. 
«  Chacun  alors...  coupa  un  morceau  de  son  corps..., 
son  cœur  fut  arraché,  et  un  monstre,  par  un  rafiine- 
ment  de  barbarie  la  plus  révoltante,  lui  enleva  les 
parties  génitales  et  les  appliqua  sur  la  garde  de  son 
sabre.  » 

Cet  acharnement  de  la  populace  contre  les  parties 
.sexuelles  est  caractéristique  de  l'état  d'âme  de  cette 
foule;  ne  voulait-elle  pas  laisser  entendre,  par  là, 
qu'elle  s'érigeait  en  justicière  s,  et  qu'elle  entendait 
infliger  à  «  l'amie  de  la  reine  »  un  châtiment  exem- 
plaire, comme  pour  donner  raison  aux  pamphlé- 
taires et  aux  libellistes  qui  avaient  sali  les  deux 
femmes  de  leurs  odieuses  insinuations  ?  Mais  ce 
point  mérite  qu'on  y  revienne  et  on  ne  saurait  inci- 
demment ni  légèrement  le  traiter. 

Nous  ne  referons  pas  le  récit  de  l'itinéraire  des 
restes  de  l'infortunée  princesse,  l'ayant  donné  dans 
un  autre  ouvrage  ^  d'une  manière  aussi  détaillée 
que  le  permettait  la  documentation  à  la  date  où  ce 
récit  fut  composé.  11  y  a  quelques  années,  en  1883, 
existait  à  Paris  un  homme  qui  avait  vu  de  ses  \  i  ux 
cette  mascarade  sanglante,  et  la  sinistre  image  de 
cette  procession  macabre  lui  était  restée  encore  assez 
vivante  dans  la  mémoire,  pour  qu'il  ait  pu  fidèlement 
la  reconstituer.  M.  Dupin,  auteur  dramatique  connu 
qui  devait  succomber  quatre  ans  plus  tard  et  qui 


3lO  LA    PRINCFSSE    DE    LAMBAM.i:    INTIMT: 

était  déjà  fort  âgé  à  cette  époque,  puisqu'il  mourut 
centenaire,  à  la  prière  d'un  journaliste  de  ses  amis 
conta  en  ces  termes  les  faits  dont  il  avait  été,  tout 
enfant,  l'involontaire  témoin  7. 

«  Né  le  1er  septembre  1787  ..  j'avais,  en  1792, 
six  (en  réalité,  cinq  ans)  mais  déjà  ma  petite  tête 
comportait  des  dispositions  aux  souvenirs  vivaces 
qui  ne  m'ont  jamais  fait  défaut  et  que  vous  daignez 
apprécier,  puisque  vous  les  invoquez  en  ce  moment. 

«  En  92,  ma  mère  occupait,  boulevard  du  Temple, 
le  rez-de-chaussée  d'une  maison  avec  terrasse  don- 
nant sur  le  boulevard.  Cette  maison  est  devenue 
depuis  le  café  Turc. 

«  Le  jour  venait  de  finir.  Tout  à  coup  nous  enten- 
dons des  cris,  des  hurlements,  une  foule  féroce  qui 
s'approchait,   se  ruant  vers  la  Bastille. 

«  Ma  mère  se  sauva  dans  son  appartement,  moi 
on  m'oublia. 

«  Ne  comprenant  ni  ne  craignant,  par  conséquent, 
le  danger,  j'étais  resté  et  je  regardais  cette  foule 
promenant  la  tête  d'une  femme  ^.  C'était  celle  de 
la  princesse  de  Lamballe  ! 

«  Je  contemplais  cette  tête  à  laquelle,  pour  bien 
établir  sa  notoriété,  on  avait  rendu  toute  son 
élégance.  Elle  était  coiiïée  et  poudrée  comme  de 
son  vivant,  elle  avait  les  yeux  ouverts,  c'était  une 
tête  charmante...  mais  au  bout  d'une  pique  ! 

«  Cette  tête  est  encore  présente  à  mes  yeux,  car, 
en  me  voyant,  celui  qui  tenait  la  pique  au  milieu 
de  ses  complices  s'approcha  de  moi,  ce  qui  me  fit 
un  peu  peur  et  les  fit  beaucoup  rire;  cette  scène 
me  causa  une  émotion  qui  n'est  jamais  sortie  de 
ma  mémoire....  » 


LE    MEURTRE    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE       3ll 

Avant  d'arriver  boulevard  du  Temple,  et  si  l'on 
s'en  rapporte  aux  versions  qui  passent  pour  les  plus 


FIG.  80.  —  W.   i>LI'lN,    A«    I  I 


II;    liCAM  \  I  lOUE 


véridiqucs,  le  funèbre  cortège  aurait  fait  plusieurs 
stations,  notamment  à  l*abbaye  Saint-Antoine  9,  à 


(fraitJajTiiui  JUtithaji.Jo  von  dzn  ^cbcUcn  m -lurij  a/n  Q..2?.  «.  ^-^ 
J.,Ljiicitoig  dé^r  .Ronici.Q..  Me  Ivonigin  in  dcm  Xur/n  IcTivple  ciL^  u. 
nmi  Lamb cille,  VKir^-'cLutt'  rie  r  JLoni^in  il: crjtc  Jiojdnjnc  toelchi 
ini  b  5'.  I^cihr  ihre^  Cltterd  htnçcr'icht  uyctrcle ,  clcr  Konit^  ii.  Me  Ai  ^ 
Kaixigitx  in  cinc  Ohmnncht  aer-ficl,  &.  der  Ermordctc  fThnùficr^' 
délie,  ivonn  2>oo  Çciftlichc  J'o  den  burgcreid  nidxt  ablcgtiiTL,, 
Citcidell^ia.  :boaoÈr/oncn  So  cbeifib  wegcn.oerdnc/u  inia.^çn,iolu\^ 


FIG.   87.  —    PROMENADE    DES    RIT 
(D'après  une  estampd 


.,     Aa4f      CjraufajTiJtC     ooltxogcn    làurdc — T"» — Q_  -       C^ 

Jlaitpi M .  dit^  Itcr-i,  Ô.Jcr  ent/eette  LécicÂnnm.  der  TrirvM.eiif  in 

"<rtg  oerlnn^crttn^  iuxth.Jo   abcr   (ihacJckla..Qeri.ti.n.bendj  SXfly' 

*c-x.uyttngr>n  Jolrhc  ^cene    cxixx.iuchen,  oor    cleC*en.   CbioUcn  cUe 

cfiT  /Tlnjar  Jbuchtruin  oon  der    JchtocVx.Crocxf-'iic,  cf.   d<u    fttti  „ 

'Atinp^lo-   {jo   florxcn.  Jo  Eirinordct  ioitrdcn,JI  dcr  aupffhcr    r>nm 

uuiyntj!,  gert/ian,u:hino<!r'icht.  -  .  ,. 

Xht,  Iit^i.  J^i/l .  A.y. 


'.    LA    l'HINCESSE    I)K    LAMUALLK 

ollection  de  l'auteur) 


3l4  LA    PRINCESSE    DE    LA.MBALLE    INTIME 

la  prison   du    Temple  ^°,  enfin  au  Palais-Royal  ". 

Selon  une  tradition  restée  longtemps  vivace,  1er 
massacreurs  se  seraient  arrêtés,  au  cours  de  leus 
sinistre  promenade,  dans  la  boutique  d'un  débitant 
de  vin,  qui  occupait  le  rez-de-chaussée  d'un  im- 
meuble de  style  Louis  XVI,  situé  au  n»  113  du  bou- 
levard Beaumarchais,  au  coin  de  la  rue  du  Pont- 
aux-Choux.  D'après  une  coutume  alors  en  usage, 
un  seau  rempli  d'eau  se  trouvait  à  la  porte  du 
marchand  de  vin,  posé  sur  une  petite  chaise. 
«  C'était  une  habitude  alors  et  aussi  une  complai- 
sance envers  les  charretiers,  pour  leur  permettre  de 
donner  à  boire  à  leurs  chevaux,  pendant  qu'eux- 
mêmes  se  désaltéraient  à  l'intérieur.  L'habitude  est 
toujours  courante  aujourd'hui  ^^  » 

Lorsque  la  bande  des  assassins  fut  parvenue  en 
cet  endroit,  la  tête  de  Madame  de  Lamballe  était 
«  rendue  méconnaissable  par  le  sang  coagulé  qui  la 
couvrait  ;  à  plusieurs  reprises,  son  porteur  la  plongea 
pour  la  laver  dans  le  seau  posé  sur  la  chaise,  et  la 
replaça  à  la  pointe  de  son  épieu  ».  Et  à  partir  de  ce 
moment,  le  débitant  aurait  pris  pour  enseigne  l'ins- 
cription qui  s'y  voyait  encore  réceniment  :  A  la 
petite  chaise,  rappelant  l'épisode  que  nous  venons  de 
rapporter.  M.  Lucien  Lambeau,  qui  s'est  fait  l'écho 
de  cette  tradition,  a  soin  d'ajouter  qu'il  ne  s'en  porte 
nullement  garant,  mais  qu'il  a  recueilli  l'anecdote 
de  la  bouche  du  propriétaire  actuel,  lequel  la  tenait 
de  son  grand-père  maternel,  à  qui  son  prédécesseur 
l'avait  lui-même  racontée.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  n'est 
que  vers  les  sept  heures  du  soir  que,  à  bout  de  forces, 
exténuée,  la  troupe  avinée  arrivait  à  la  section  des 
Quinze- Vingts,  siégeant  à  la  chapelle  de  l'hospice  des 


Fir,.  88.  —  QUITTANT  r. H  dis  massacreurs  de  SEPTEMOnE  1792 
(Extrait  da  la  Sévolution  françaitet  par  Cn.  d'HiaicAVLT) 


3l6  LA    PRLNCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

Enfants-Trouvés,  et  y  remettait  les  débris  san- 
glants qu'elle  traînait  depuis  plusieurs  heures  dans 
les  rues  de  la  capitale.  En  môme  temps  qu'eux,  se 
présentait  à  la  section  un  homme  haletant,  à  bout 
de  souffle,  qui  les  suivait  depuis  midi,  qui  avait 
assisté  à  tous  les  préparatifs  de  l'odieux  cortège,  et 
con''ondu  dans  la  foule  des  curieux,  avait  suivi  des 
yeux  cette  tête,  plantée  au  bout  d'une  pique,  qu'on 
promenait  comme  un  trophée.  Cet  homme  était  un 
des  fidèles  serviteurs  du  duc  de  Penthièvre  ;  il  avait 
reçu  mission  de  s'emparer,  coûte  que  coûte,  des  restes 
de  l'infortunée  princesse  et  de  les  faire  convenable- 
ment inhumer.  Il  dut  attendre,  pour  aborder  les 
meurtriers,  que  leur  joie  cannibalesque  fût  amortie 
par  la  satiété  et  la  fatigue  :  alors  seulement,  il 
hasarda  sa  proposition  ;  alors  seulement,  il  osa, 
d'une  main  tremblante,  tendre  à  ces  misérables 
la  somme  qui  devait  être  le  prix  de  cet  infâme 
marché,  et  tandis  que  les  assassins  s'éloignaient  en 
comptant  leurs  assignats,  le  citoyen  Jacques  Pointel, 
demeurant  (comme  l'indique  le  procès-verbal  qui 
fut,  séance  tenante,  dressé)  «  section  de  la  Halle-au- 
Bled,  rue  des  Petits-Champs  »,  se  présentait  au 
comité  de  la  section  des  Quinze- Vingts,  demandant 
qu'on  lui  permît  d'enterrer  le  précieux  débris  «  dont 
il  était  venu  à  bout  de  s'emparer  »,  dans  le  cimetière 
le  plus  voisin.  L-autorisation  lui  fut  incontinent  déli- 
vrée, ainsi  qu'en  témoigne  une  pièce  publiée  en 
1834  ^%  dont  l'original  se  trouve  aujourd'hui  dans  la 
collection  d'un  bibhophile  amateur  ^+. 

Quel  a  été  le  sort  des  restes  de  l'infortunée  prin- 
cesse? On  ne  l'a  jamais  su.  Le  duc  de  Penthièvre 
avait  offert  autant  d'argent  qu'on  en  voudrait,  si 


LE    MEURTKE    DE    LA    PRINCESSE  Dk.    LAMBALLE      3l7 

on  parvenait  à  retrouver  ces  précieux  débris,  et  si 
on  les  apportait  au  curé  de  la  paroisse,  ou  à  son 
chapelain  particulier  pour  les  enterrer  ;  mais  il  fut 
impossible  de  les  reconnaître  d'une  manière  cer- 
taine, parmi  tant  de  victimes  confusément  entassées 
les  unes  sur  les  autres.  Manuel,  qui  n'avait  pas 
réussi  à  la  sauver  de  son  vivant,  Manuel  usa  en  vain 
de  toute  son  autorité  pour  que  le  corps  de  Mme  de 
Lamballe  fut  inhumé  séparément,  «  mais  les  efforts 
qu'il  fit  pour  y  parvenir  l'ayant  presque  rendu  sus- 
pect à  ses  amis  du  tribunal  révolutionnaire,  il  fut 
obligé  d'abandonner  l'entreprise...  Il  ne  restait  pas 
un  lambeau  (de  vêtements)  qui  pût  le  (son  corps)  faire 
distinguer  parmi  les  corps  des  autres  victimes  ^s  », 
Il  y  a  quelques  années  (1904),  le  cimetière  de 
l'hospice  des  Enfants-Trouvés  (hôpital  Trousseau) 
ayant  été  désaffecté,  lorsque  les  ouvriers  appro- 
chèrent de  l'endroit  présumé  où,  le  3  septembre  1792, 
fut  enterrée  la  tête  de  la  princesse  de  Lamballe, 
on  redoubla  d'attention  à  suivre  leurs  travaux. 
Soudain,  un  coup  de  pioche  faisait  sauter,  de  son 
alvéole  de  terre,  «  une  tête  fine,  de  structure  délicate, 
qui  ne  pouvait  être  qu'une  tête  de  femme  en  par- 
fait état  et  encore  ornée  de  toutes  ses  dents  très 
blanches,  et  qui  avaient  dû  être  très  soignées  ».  Cette 
tête,  qui  se  trouvait  environ  à  1  mètre  de  profon- 
deur, était  «  au  milieu  d'ossements  d'enfants  épars  et 
de  quelques  ossements  d'adultes  également  épars '^». 
Se  trouvait-on  en  présence  du  crâne  de  Mme  de 
Lahiballe  ?  La  pièce  fut  soumise  à  des  anthropolo- 
gistes  autorisés,  aux  fins  d'examen.  De  cet  examen 
très  approfondi  il  résulta,  sanscoutcstc  possible,  que 
cette   identification  n'étant  rien   moins  que  prou- 


3l8  LA   PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

vée  ;  l'avis  des  techniciens  ^^  était  des  plus  nets  et 
leurs  conclusions  nous  paraissent  inattaquables. 
On  a  conté,  d'autre  part,  que  le  lendemain  du 
crime,  on  avait  exhumé  la  tête  de  la  princesse, 
qu'elle  fut  mise  dans  une  boîte  en  plomb  et  portée 
à  Dreux  dans  le  caveau  des  Penthièvre.  Or,  le  caveau 
fut  profané  en  1793  :  on  possède  les  détails  les  plus 
précis  sur  cette  profanation  ;  il  n'est  nulle  part 
question  de  ce  débris  anatomique,  et  il  est  vraisem- 
blable qu'il  sera  resté  où,  le  3  septembre  1793,  on 
l'enterra;  mais  on  n'a,  reconnaissons-le,  à  cet  égard, 
que  de  très  vagues  présomptions. 


NOTES  DU  CHAPITRE  XII 


1.  Dans  un  mémoire  inédit,  attribué  à  un  secrétaire  du 
Comité  de  surveillance,  au  2  septembre  (1792),  nous  rele- 
vons ces  lignes,  doù  il  résulterait  que  la  princesse  de  Lam- 
balle  aurait  été  soumise  à  un  interrogatoire  de  plusieurs 
heures  :  »  Deux  femmes  seules  périssent.  Tune  déjà  con- 
damnée pour  avoir  assassiné  son  amant  ;  et  l'autre,  digne 
compagne  des  débauches  de  Marie-Antoinette,  ne  périt 
qu'après  quatre  heures  d' interrogatoire,  pendant  lesquelles, 
toujours  persistant  dans  les  sentiments  de  fidélité  au  roi 
et  à  la  reine,  elle  refusa  absolument  de  proférer  le  mot 
sacré  :  Vive  la  Nation,  la  liberté  et  l'égalité,  obstination  qui 
seule  occasionna  sa  mort.  »  Catalogue  d'une  importante 
collection  d'autog.  hist.  sur  la  Révolution  française,  Pari-s,  1862 
M.  Paul  Fassy  a  donné  le  texte  de  l'interrogatoire,  qu'il 
a  emprunté  aux  Registres  des  séances  de' la  municipalité.  Cet 
interrogatoire  n'occupe  pas  plus  de  deux  pages;  il  aurait 
donc  été  beaucoup  plus  court  que  ne  l'indique  le  document 
précité. 

2.  Procès-verbaux  de  la  Commune  de  Paris,  par  Maurice 
Tour N EUX,  83;  cités  par  Lucien  Lambeau,  Essai  sur  la  mort  de 
la  princesse  de  Lamballe.  Lille,  1902. 

3.  Modes  et  usages  au  temps  de  Marie-Antoinette,  t.  II,  354. 

4.  C'est  d'autant  plus  vraisemblable  que  la  rue  des  Bal- 
ets  était  encombrée  de  cadavres,  qu'on  était  obligé  d'en- 
jamber pour  la  traverser.  Quand  Mme  de  Tourzel  fut  mise 
en  liberté,  et  qu'elle  sortit  de  la  Force,  elle  vit  «  une  mon- 
tagne de  débris  des  corps  de  ceux  qui  avaient  été  massa- 
crés, entourés  d'une  populace  qui  voulait  la  faire  monter 
dessus  pour  crier  :  Vive  la  Nation!  -  Un  autre  «  rescapé  », 
Maton  de  la  Varenne,  conte  qu'il  traversa  ladite  rue,  «  cou- 
verte de  cha((nc  («Ué  d'une  triple  haie  de  gens  des  deux 
sexes  et  de  tous  les  Ages  ».  Parvenu  au  bout,  il  recula 
d'horreur,  en  apercevant  dans  le  ruisseau  un  monceau  de 
cadavres  nus,  souillés  de  boue  et  de  sang,  sur  lesquels  il 


320  LA    PRINCESSE   DE   LAMBALLE    INTIME 

lui  fallut  prêter  serment.  «  Un  égorgeur  était  monté  dessus 
et  animait  les  autres.  » 

5.  C'est  Tallien,  un  des  premiers,  qui  a  osé  écrire,  en  par- 
lant de  Madame  de  Lamballe  :  «  Ses  liaisons  avec  l'en- 
nemie la  plus  acharnée  de  la  nation,  avec  Marie-Antoi- 
nette, dont  elle  avait  toujours  été  la  compagne  de 
débauche,  justifient  en  quelque  sorte  les  excès  auxquels 
on  s'est  porté  à  son  égard.  »  Plus  tard,  quand  vint  \ù  réac- 
tion, on  n'oublia  pas  le  rôle  joué  par  Tallien  en  1792  (a). 
Lorsqu'on  17i)6,  on  exposa  au  Salon  un  portrait  de 
Mme  Tallien,  les  protestations  lurent  si  violentes  qu  on 
dut  le  faire  enlever.  Et  il  courut  ce  couplet  vengeur  : 

On  n'a  pas  ôté  sans  raison 

Ce  portrait,  objet  de  scandale, 

La  scène  était  dans  la  prison 

De  la  malheureuse  Lamballe; 

Et  Cabarrus,  dont  les  desseins 

Ne  sont  pas  d'enhardir  le  crime, 

Tenait,  disait-on,  dans  ses  mains 

Les  cheveux  de  cette  victidie  (6). 
Un  an  plus    tard,  à  l'occasion  d'une  maladie  de  Tallien, 
qui    s'était    manifestée    par    des    hémoptysies,  quelqu'un 
composa  cette  pièce  satirique  : 

Tallien  dit  à  son  médecin  : 

Ma  foi,  je  crains  lort  pour  ma  vie; 

Je  pourrais  bien,  quelque  matin. 

Périr  de  cette  liémorragie. 

—  Vous  plaisantez;  bah!  ce  n'est  rien, 

Dit  le  docteur  avec  malice; 

Moi,  je  trouve  que  c'est  un  bien, 

De  vos  humeurs,  cela  purge  le  vice, 

Et  quand  on  a  bu  tant  de  sang, 

Entre  nous,  n'est-ce  pas  enfant, 

De  s'étonner  qu'on  en  vomisse? 
la)  Sur  ce  rôle,  cf.  P.  Fassy,  op.  cit.,  59-60. 

ib)  Critique  du  Salon  et  des  Tabieaux  en  Vaudevilles  (vers  octobre 
1796). 

6.  V.  la  Névrose  révolutionnaire,  loc.  cit. 

7.  Son  récit  a  paru  originairement  dans  le  Figaro  (1883), 
et  il  a  été  reproduit,  plus  tard,  dans  la  Gazette  Anecdotique 
(1887,  1. 1,  218  et  s.). 

8.  (.  Une  légende  cruelle  a  fait  le  désespoir  du  littérateur 
Tissot,  professeur  au  Collège  de  France  et  membre  de 
l'Académie  Française.  Ses  ennemis  alfirmaient  qu'au  3   sep 


LB  MEURTRE  DE  LA  PRINCESSE  DE  LAMRALLE   321 

timbre  1792,  il  avait  porté  sur  une  pique  la  tète  de  la 
|)rincesse  de  Lamballe,  et  dans  maintes  circonstances  la 
malignité  publique  lui  rappela  rudement  cette  sinistre 
imputation.  Le  dernier  volume  des  Mémoires  du  général 
Tkiébault  s'en  lait  pareillement  l'écho.  D'après  cette  publi- 
cation, Tissot,  remarquant  un  jour,  a  table,  qu'une  de  ses 
voisines  le  regardait  d'un  air  passablement  dédaigneux, 
dit  à  l'un  de  ses  amis  :  «  Cette  dame  porte  la  tète  bien 
haut.  —  C'est  possible,  répliqua  la  dame,  qui  avait  enleiidu 
Tissot;  mais  elle  ne  porte  que  la  sienne.  »  Déjà,  ce  propos 
avait  été  attribué  à  Dupuy  des  ïslets  et  à  bien  d  autres 
contemporains  du  savant  professeur...  IMen  dans  sa  vie 
n'autorise  à  croire  qu'il  lut  l'auteur  de  l'acte  de  canniba- 
lisme qui  lui  fut  si  souvent  et  -:i  amèrement  reproché. 
D'ailleurs,  il  est  à  peu  près  prouvé  auiourd'hui  que,  pen- 
dant les  massacres  de  septembre,  Tissot  était  à  Ver- 
sailles, où  il  s'efforça  vainement  de  prévenir,  quelques 
jours  après,  regorgement  des  prisonniers  d'Orléans.  » 
Correspondance  historique  et  archéologique,  1895,  379-380 

9.  C'est  àl'abbaye  de  Saint-Antoine,  on  se  le  rappelle,  que 
la  princesse  avait  passé  les  premiers  temps  de  son  veu- 
vage. 

10.  Madame  de  Créquy  rapporte,  dans  ses  Souvenirs,  qu'elle 
tenait  du  valet  de  chambre  de  Louis  X'VI,  Thierry  de  Ville 
d'Avray,  que  «  le  corlège  était  arrivé  sous  les  murs  du 
Temple  et  s'était  arrêté  sous  les  fenêtres  de  la  Reine,  que 
cette  épouvantalile  foule  appelait  à  grands  cris,  pour  lui 
faire  voir  les  restes  mutilés  de  sa  parente  et  son  amie. 
N'ayant  pu  réussir  à  la  taire  paraître,  deux  de  ces  bour- 
reaux furent  introduits  dans  la  chambre  de  S.  M.,  par  le 
municipal  à  qui  on  avait  confié  la  garde  de  sa  porte.  - 
«  Nous  voulions  le  montrer  la  tète  de  la  Lambalhs  lui 
dirent-ils  avec  des  éclats  de  rire...  et  la  Hoine  en  cul  un 
évanouissement  Mui  dura  deux  heures  et  se  reproduisit 
plusieurs  fois  pendant  le  reste  de  la  nuit  ».  Sany  doute, 
les  dires  de  Mme  de  Créquy  sont  sujets  û  caution,  ses 
Mémoires  étant  l'œuvre  d'un  fabricant,  un  teinturier,  comme 
on  disait  au  xvui»  siècle;  mais  à  défaut  de  la  f(nmis  le 
fond  en  est  généralement  exact,  ei,  en  l'espèce,  elle  cite  na 
caution.  On  a  prétendu  que  ce  serait  un  des  concierges  de 
Louis  XVI,  le  citoyen  Hocher,  (|ui  aurait  fait  présenter  la 
tête  encore  ensanglantée  de  Mme  de  Lamballe  à  la  ci- 
devant  reine.  Ce  fut  lui  qui  aurait  encouragé  les  seplem 
briseurs  qui  passaient  les  2  et  3  beptembrc  devant  la  porte 

21 


322  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

du  Temple,  en  leur  payant  à  boire  ;  par  récréation^  il  allait 
tous  les  jours  à  la  place  de  la  Révolution,  pour  jouir  du 
spectacle  des  télés  qui  tombaient.  Ces  détails  sont 
extraits  d'un  très  rare  opuscule,  qui  nous  a  été  signalé  par 
M.  Otto  Friedrichs,  et  qui  est  intitulé  :  Gare-le-Mord-aux- 
Dents;  Liste  et  noms  des  meilleurs  chevaux  du  manège;  leurs  qua- 
lités, leur  savoir  faire  et  le  prix  de  leur  marchandise;  in-8',  s.  d. 
(par  Louis  Vérité),  pp.  6  et  7. 

11.  D'après  M.  L.  Lambeau,  qui  a  fait  une  analyse,  très 
judicieuse  et  très  raisonnée,  des  différents  récits  de  la 
promenade  funèbre  des  restes  de  l'infortunée  princesse, 
«  on  ne  pourrait  pas  mettre  sur  pied  un  itinéraire  qui  soit 
exempt  de  critique...  l'on  ne  connaît  rien  des  rues  parcou. 
rues,  en  dehors  des  points,  n  peu  près  indiscutables,  visités 
par  le  cortège  :  le  Temple,  le  Palais-Royal  et  la  section  des 
Quinze-Vingts.  Le  dernier  endroit,  qui  est  le  terminus  de 
la  sinistre  promenade,  semble  même  être,  jusqu'ici,  le 
plus  sûrement  établi  ».  Bulletin  municipal  officiel,  24  mai  1906» 
p.  1853. 

12.  Article  de  M.  L.  Lambeau,  précité,  p.  1852. 

13.  Revue  rétrospective,  1834,  t.  III,  152-3. 

U.  Il  s'agit  de  M.  Arthur  Meyer,  le  directeur  du  Gaulois, 
qui  a  bien  voulu  autoriser  \'Amateurd'autographes(n'de  juil- 
let 1913)  à  reproduire  le  document,  dont  le  cliché  nous  a 
été  gracieusement  communiqué  par  M.  Noël  Charavay  et 
que  l'on  trouvera  p.  321. 

15.  Mém.  relatifs  à  la  famille  royale  de  France,  t.  II,  344  et  S. 

Ifi.  V.  le  journal  VÉclair,  8  sept.  1904. 

17.  Cf.  le  Bulletin  Municipal  officiel,  du  jeudi  2  mars  1905, 
p.  853. 


CHAPITRE   XIII 

LA    PSYCHOLOGIE   DES    MASSACRES   DE    SEPTEMBRE 
LA   PART  DE    1.A   PEUR  ET   DU  SADISME 

En  général,  l'horrible  tragédie  fit  moins  d'impres- 
sion sur  le  peuple  de  Paris  que  ne  s'est  plu  à  l'ima- 
giner l'esprit  fertile  en  inventions  de  certains  his- 
toriens. 

On  dansait  dans  les  guinguettes  des  boulevards, 
au  moment  où  le  sang  coulait  dans  les  prisons.  Bien 
que  les  massacres  eussent  commencé  vers  le  milieu 
de  la  nuit,  on  avait  placardé,  comme  de  coutume, 
les  afliches  des  différents  spectacles.  Dans  la  rue 
Saint-Antoine,  toutes  les  boutiques  étaient  ouvertes  ; 
assises  devant  leurs  portes,  les  femmes  causaient 
entre  voisines,  tout  en  travaillant  à  des  ouvrages  de 
couture  ou  de  tricot.  Les  carrefours  étaient  remplis 
de  monde  et  de  marchands,  comme  à  l'ordinaire. 

De  temps  en  temps,  on  voyait  passer  des  charrettes 
remplies  de  cadavres  à  demi  nus  ;  il  y  eut  un  mo- 
ment de  stupeur,  mais  à  mesure  que  les  chariots 
s'éloignaient,  chacun,  dans  les  rues  ou  dans  les  bou- 
tiques, reprenait  sa  flânerie  ou  son  travail.  «  Il  y 


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326  L\    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

avait  sur  les  visages  des  gens  du  peuple  une  sorte 
d'indifïérence  brutale,  qui  confondait  la  raison... 
On  eût  dit  qu'il  suffisait  aux  uns  de  n'avoir  rien  à 
craindre  pour  eux-mêmes,  tandis  que  les  autres, 
agités  d'une  frayeur  qui  les  rendait  cruels,  sem- 
blaient approuver  ces  massacres,  dans  lesquels  on 
leur  avait  persuadé  que  résidait  leur  salut  ^  » 

A  dire  vrai,  cette  apathie  s'est  toujours  observée 
dans  des  circonstances  analogues.  Il  est  aujourd'hui 
reconnu  que  les  assassins  de  septembre  étaient,  tout 
au  plus,  au  nombre  de  deux  ou  trois  cents  :  la  marche 
d'une  pièce  d'artillerie,  le  bruit  d'un  tambour  aurait 
suffi  pour  les  disperser,  mais  la  masse  était  terrorisée 
et  n'osait  bouger.  «  Les  périls  dont  chacun  se  croyait 
menacé  poussaient  tout  le  monde  vers  un  lâche 
égoïsme  ;  et  jamais  peut-être  cette  honteuse  maladie 
du  cœur  humain  ne  s'est  mieux  révélée  que  dans  cette 
occasion.  »  Ces  remarques  d'un  témoin  de  la  Révolu- 
tion nous  ont  paru  mériter  d'être  tirées  de  l'oubli 
et  consignées  ici. 

Historiens  et  psychologues  se^sont  demandé,  à  la 
distance  des  événements,  si  les  débordements  de  la 
vague  populaire  pouvaient  être  endigués;  si  «la  bonne 
et  saine  partie  du  peuple  »,  encouragée,  rassurée 
par  des  hommes  à  qui  elle  avait  coutume  d'obéir, 
en  qui  elle  avait  placé  sa  confiance,  ne  serait  pas  venue 
à  bout  d'une  minorité  criminelle,  qui  suppléait  au 
nombre  par  l'audace,  remplaçant  les  sanctions  légales 
par  l'action  révolutionnaire.  «  Une  chose  manqua 
à  la  situation...,  un  homme  vraiment  grand,  un  héros. 
Robespierre  avait  autorité,  Danton  avait  force. 
Aucun  d'eux  ne  fut  cet  homme.  Ni  Vun  ni  Vautre 
n'osa^,)>Le  chef  des  Jacobins  aurait  pu  user  de  sa 


LES    MASJ^ACRES    DE    SEPTEMBRE  827 

grande  influence  morale  ;  le  chef  des  Cordcliers,  de 
son  entraînante  énergie  :  ni  l'un  ni  l'autre  ne  voulut 
se  risquer  à  prendre  une  initiative,  ils  préférèrent 
laisser  faire 

C'est  à  qui  esquiverait  ses  responsabilités  :  l'un, 
Sergent,  le  beau-frère  de  l'illustre  Marceau,  s'éclip- 
sait de  Paris  le  matin  du  2  septembre  et  passait 
la  journée  à  la  campagne.  Un  autre  membre  du 
Comité,  Panis,  a  toujours  obéi  servilement  aux  deux 
êtres  qui  étaient  ses  dieux,  Robespierre  et  Maral. 
Que  ses  maîtres  lui  dictassent  des  ordres,  docilement 
et  sans  résistance  il  les  exécutait.  Robespierre  put 
ainsi  se  vanter  de  n'avoir  pas  participé  dùeciemcnt 
aux  massacres,  ce  qui  est  exact  3  ;  mais,  comme  le 
remarque  Michelet,  «  le  1^^  septembre,  il  avait  cou- 
vert les  violents  de  son  autorité  morale...  le  2,  son 
homme,  Panis,  intronisa  à  l'Hôtel  de  Ville  le  meurtre 
personnifié,  l'homme  qui  depuis  trois  ans  demandait 
le  2  septembre.  Le  2  encore,  Robespierre  parla  pen- 
dant :e  massacre,  et  nullement  pour  calmer,  loin  de 
là,  d'une  manière  extrêmement  irritante  ». 

Quant  à  Marat,  si  c'est  illégalement  que  son  nom 
figure  au  bas  de  l'acte  qui  ordonnait  la  tuerie,  au 
moins  eut-il  le  courage  de  son  opinion  ;  non  seule- 
ment il  rédigea  seul  la  circulaire  destinée  aux  dépar- 
tements, qui  glorifiait  les  massacres  de  Paris  et  invi- 
tait la  province  à  imitçr  la  capitale  ;  mais,  seul,  il 
la  signa  de  tous  les  noms  des  membres  du  Comité  de 
surveillance  ;  et  cet  acte,  imprimé  sur  les  presses 
du  journaliste  aux  cent  mille  têtes,  partit  pour 
toute  la  France,  après  avoir  reçu  le  visa  du  minis- 
tre de  la  .Justice,  de  Danton,  qui,  «  peur  de  res- 
ter en  arrière,  peur  de  céder  à  Marat  et  à  Robes- 


..'W/in/  D,-i/îmt,iiKtv   uir    it  <M. 


FIG.    90.  —  MASSA^l 


liens  DE  l'abbaye 


330  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

pierre  la  fonction  d'avant-garde,  peur  de  paraître 
avoir  peur  »,  n'osa  pas  s'opposer  à  cette  barbare 
exécution,  accepta  jusqu'au  bout  «  l'horrible  soli- 
darité ». 

Après  les  acteurs  principaux,  faut-il  nommer  les 
comparses  ?  A  peine  deux  ou  trois  méritent  une 
mention. 

C'est  Collot  d'Herbois,  «  auteur  médiocre  et  fade 
écrivain»,  qui,  après  avoir  passé  sa  vie  dans  une 
ivresse  permanente,  «  toujours  gris  et  souvent  ivre, 
noyé  de  larmes  et  d'eau-de-vie  »,  la  finira  dignement 
par  une  bouteille  «  d'eau-forte  ». 

C'est  Maillard,  «  homme  d'ordre  avant  tout  »,  qui 
tient  à  ce  que  tous  les  aristocrates  soient  extermi- 
nés, mais  dans  les  formes,  «  sur  l'arrêt  bien  cons- 
taté du  peuple,  seul  juge  infaillible  ». 

Sur  le  registre  de  l'Abbaye,  tout  taché  de  sang, 
on  lit,  dans  les  marges,  maintes  fois  répétée,  cette 
formule,  qui  revient  comme  un  leitmotiv  :  «  tué 
par  le  jugement  du  peuple»,  ou  «absous  par  le 
peuple  »,  et  au-dessous  de  ces  mots,  la  signature  : 
Maillard.  Son  écriture  est  belle,  très  grande, 
monumentale,  noble,  posée,  celle  d'un  homme  qui 
se  possède  entièrement,  qui  n'a  ni  trouble,  ni  peur, 
celle  d'un  homme  qui  se  sent  en  «  parfaite  sécurité 
d'âme  et  de  conscience  ^  ».  Nul  doute  que  ce  juriste 
impeccable  ait  agi  spontanément  ;  ayant  des  prin- 
cipes, il  n'avait  nul  besoin  d'être  dirigé. 

Reste  la  masse,   la   foule,  la  lie.  Turba  ruil  /... 

Au  début,  peut-être,  certains  de  ceux  qui  en  fai- 
saient partie  fournirent-ils  la  preuve  de  leur  désinté- 
ressement. Ceux  qui  reconduisaient  un  prisorinier  se 
faisaient  un  scrupule  d'en  rien  recevoir,  se  conten- 


C      rJÎ 


<        - 

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s: 


332  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

tant  tout  au  plus  d'accepter  un  verre  de  vin  des 
amis  ou  des   parents   chez   qui  ils   le  ramenaient. 

Des  sommes  considérables,  en  louis  d'or,  qu'on 
trouva  à  l'Abbaye  sur  les  premières  victimes,  furent 
immédiatement  portées  à  la  Commune.  Il  en  fut  de 
même  aux  Carmes.  Le  savetier  qui  y  était  entré  le  pre- 
mier et  s'était  fait  capitaine,  eut  un  soin  scrupuleux 
de  tout  ce  qu'on  prit.  Un  témoin  oculaire  a  conté  qu'il 
vit,  à  la  nuit,  ce  cordonnier  entrer  avec  sa  bande  dans 
l'église  Saint-Sulpice,  rapportant,  dans  son  tablier 
de  cuir  sanglant,  une  masse  d'or  et  de  bijoux,  des 
anneaux  épiscopaux,  des  bagues  de  grande  valeur. 
Il  remit  fidèlement  le  tout,  par-devant  témoins,  à 
l'autorité.  Mais  cette  probité,  de  combien  courte 
durée  fut-elle  I 

Dès  la  nuit  du  3  au  4,  et  peut-être  avant,  la 
justice  populaire,  à  mesure  qu'elle  devient  plus  sau- 
vage, s'embarrasse  de  moins  de  scrupules.  C'est  alors 
le  débordement  des  pires  instincts  :  il  y  a  des  vols 
et  aussi  des  viols.  Les  alcooliques  se  mêlent  aux  fana- 
tiques, les  excentriques  aux  sadiques. 

Les  massacreurs  offrent  des  types  divers.  Il  y  a 
ceux  qui  se  font  payer  en  assignats,  les  travailleurs  ; 
parmi  eux,  il  en  est  qui  réclament,  en  outre,  des 
brocs  de  vin  à  prendre  chez  les  marchands,  pour  «  les 
animer  à  la  besogne  ».  Il  y  a  ceux  qui,  n'ayant  ni 
bas  ni  souliers,  regardent  avec  envie  les  chaussures 
des  aristocrates,  mais  qui  ne  veulent  pas  les  prendre 
sans  y  être  autorisés.  «  Ils  montèrent  à  la  section, 
dont  le  bureau  siégeait  à  l'Abbaye  même,  demandè- 
rent la  permission  de  mettre  à  leurs  pieds  les  sou- 
liers des  morts.  »  Il  y  a  les  friands  d'un  spectacle 
rare, qui  se  poussent  au  premier  rang  pour  n'en  rien 


LES    MASSACRES    DE    SEPTEMBRE  333 

perdre.  11  y  en  a  qui  jouissent  à  tuer,  d'autres  se 
contentent  de  regarder,  et  ils  n'éprouvent  pas  une 
moindre  jouissance  ;  ils  sont  seulement  moins  blasés. 

Saurait-on  imaginer  plus  délicieuse  récréation  que 
ce  jeu,  sorti  de  quelque  obscure  cervelle  ?  Des  hardes 
sont  entassées  au  milieu  d'une  cour,  en  une  sorte  de 
matelas.  La  victime,  lancée  de  la  porte  dans  cette 
sorte  d'arène,  et  passant  de  sabre  en  sabre,  par  les 
lames  ou  par  les  piques,  vient,  après  quelques  tours, 
tomber  sur  ce  matelas, trempé  et  retrempé  de  sang! 

Les  assistants  s'intéressaient  à  la  manière  dont 
chacun  courait,  criait  et  tombait,  au  courage,  à  la 
lâcheté  qu'avait  montré  tel  ou  tel,  et  jugeaient  en 
connaisseurs.  S'étonnera-t-on  que  les  femmes  y  pris- 
sent plus  de  plaisir  que  leurs  compagnons  ?  «  Leurs 
premières  répugnances  surmontées,  elles  devenaient 
des  spectatrices  terribles,  insatiables,  comme  fu- 
rieuses de  plaisir  et  de  curiosité.  Les  massacreurs, 
charmés  de  l'intérêt  qu'on  prenait  à  leurs  travaux, 
avaient  établi  des  bancs  autour  de  la  cour,  bien 
éclairés  de  lampions  ;  des  bancs,  mais  non  indistincts 
pour  les  spectateurs  des  deux  sexes  :  il  y  avait  bancs 
pour  les  messieurs  et  bancs  pour  les  dames,  dans 
l'inlérêt  de  l'ordre  et  de  la  mot  alité  5.  » 

Cette  décence  relative  ne  devait  pas  être  longtemps 
observée  ;  les  chercheurs  d'émotions  violentes  ne 
pouvaient  se  satisfaire  à  si  bon  compte.  Deux 
insulaires,  débarqués  d'outre-Manche,  durant  toute 
une  nuit  se  tinrent  sur  le  champ  du  carnage, 
distribuant  du  vin  et  de  l'cau-de-vie,  pour  ra- 
fraîchir les  travailleurs  et  les  soutenir  en  cas  de 
défaillance  :  ceux-là  étaient  des  originaux,  qui  ne 
regrettaient  ([ue  d'avo'.r  eu  à  passer  le  détroit  pour 


334  LA    PRINCESSE    DE    LA.MBALLE    INTIME 

s'offrir  une  fantaisie  qui  eût  été  moins  coûteuse  sur 
place  ;  mais  dire  de  ceux  qui  tuaient  des  femmes, 
tuaient  des  enfants,  et  avant  de  les  tuer,  les  souil- 
laient, les  salissaient  I 

Au  grand  Hospice  des  femmes,  à  la  Salpêtrière,  où 
il  y  en  avait  de  tout  âge  et  de  toute  condition,  des 
vieilles  et  des  jeunes,  des  infirmes  et  des  prostituées, 
cette  bande  de  gorilles  en  démence  en  tuèrent  trente, 
«  dont  ils  jouirent  avant  ou  après  la  mort  ».  Et  ce 
ne  fut  pas  assez  :  «  ils  allèrent  au  dortoir  des  petites 
orphelines,  en  violèrent  plusieurs,  dit-on,  en  emme- 
nèrent même  pour  s'en  amuser  ailleurs  ».  Ceci,  devons- 
nous  ajouter,  n'est  qu'une  tradition  ;  car,  au  dire 
de  Tallien,  particulièrement  au  fait  de  ce  qui  s'est 
passé,  en  sa  qualité  de  secrétaire  de  la  Commune,  il 
n'aurait  péri,  dans  tous  les  massacres,  qu'une  seule 
femnje  :  la  princesse  de  Lamballe.  Pourquoi  cette 
exception,  nous  en  avons  donné  les  raisons. 

Ainsi  que  nous  l'avons  exprimé  à  une  autre  place, 
la  haine  qu'on  portait  à  la  reine  et  aux  mauvaises 
mœurs  qu'on  lui  prêtait,  fut  déversée  tout  entière 
sur  la  tête  de  la  surintendante  ;  elle  en  fut  la  triste 
victime.  Si  des  observateurs  obscènes  se  sont  mêlés 
aux  meurtriers,  c'est  qu'ils  croyaient  «  surprendre 
sur  elle  quelque  honteux  mystère,  qui  confirmât 
les  bruits  qui  avaient  couru  ». 

Le  martyre  de  l'infortunée  princesse  est,  comme 
nous  l'avons  écrit  jadis  ^  un  des  plus  affligeants  té- 
moignages de  cette  folie  passagère,  de  cette  ivresse 
sanglante,  que  les  aliénistes  ont  étiquetée  «  le  sadisme 
des  foules  »,  et  ce  n'est  ni  pour  absoudre  le  crime, 
ni  pour  en  atténuer  l'horreur. 

Fait  incroyable,  ces  brigands,  qui  ne  se  sont  pas 


LES   MASSACRES    DE    SEI^TEMBRE  335 

contentés  de  déchiqueter  un  cadavre,  mais  de  I3 
«  mutiler  au  lieu  même  que  tous  doivent  respecter, 
puisque  nous  en  sortons  tous  »,  ces  brigands,  au  moins 
quelques-uns  d'entre  eux,  ont  eu  de  singuliers  scru- 


'tc*^ 


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FIG.  92.  —  LETTRE  AUTOGRAPHE  DE  L.  M.  T.  B.  D'ORLÉAN*»  A 

LA  PRINCESSE  DE  LAMBALLE  ET  RETROUVÉE  DANS  LES  POCHES 

DES  VÊTEMENTS  DE  LA  PRINCESSE  APRÈS  SA  MORT 

pules  de  conscience.  Quand  ils  n*ont  plus  été  sous 
le  coup  du  vertige,  de  Tobnubilation  qui  leur  mas- 
quait l'ignominie  de  leur  conduite,  ils  ont  eu  comme 
un  réveil  d'honnêteté.  Tout  ce  qui  a  été  trouvé  sur 
le  corps  de  la  princesse  de  Lamballe,  un  anneau  d'or, 
nn  étui  en  galuchat  et  autres  objets  précieux,  furent 
apportés  à  la  Commune,  par  un  fort  de  la  Halle 


336  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

et  un  canonnier  volontaire  de  la  section  des  Droits 
de  l'homme,  qui  justement  requirent  qu'il  leur  en 
fût  donné  décharge.  Le  certificat  délivré,  lors  des 
massacres,  au  sans-culotte  préposé  à  la  garde  des 
objets  trouvés  sur  les  victimes  7  et  déposés  dans  une 
pièce  du  logement  du  concierge  de  la  Force,  est 
pour  attester  que  tout  s'est  correctement  passé, 
et  le  citoyen  Jolly  a  mérité  les  éloges  du  «  membre 
du  Conseille  géncralle  (sic)  de  la  Commune  et  com- 
missaire de  la  Force  >>,  pour  avoir  su  empêcher  les 
déprédations. 

Au  nombre  des  papiers  recueillis  dans  la  poche  de 
Madame  de  Lamballe,  au  moment  «  où  elle  vient 
d'être  fait  mourir  par  le  peuple  »,  se  trouvait  une 
lettre,  écrite  tout  entière  de  la  main  de  la  duchesse 
de  Bourbon,  mère  du  duc  d'Enghien,  et  qui  avait 
été  probablement  retirée  du  portefeuille  où  elle  se 
trouvait  par  des  mains  ensanglantées,  car  l'original 
de  cette  lettre  présentait  de  lugubres  maculatures. 

Une  autre  lettre,  adressée  par  la  reine  à  la  prin 
cesse,  et  que  celle-ci  avait  soigneusement  dissimulée 
dans  sa  luxuriante  chevelure,  était,  comme  la  précé- 
dente, tachée  de  sang.  On  ignore  et  on  ignorera  long- 
temps, sans  doute,  entre  quelles  mains  ces  tristes 
reliques  sont  passées. 


NOTES  DU  CHAPITRE  XIII 


1.  Archives  curieuses,  etc.,  par  Guyot  de  Fere  (1830),  t.  II, 
107  et  suiv. 

2.  MiciiELET,  Histoire  delà  Révolution  française,  t.  V,  ch.  iv. 

3.  «  Robespierre  ne  fut  présent  à  aucune  de  ces  journées  ; 
il  n'y  eut  d'autre  part  que  d'avoir  opiné  avec  ceux  qui  les 
conseillèrent,  et  qui  s'en  réjouirent.  »  Histoire  de  la  conju- 
ration de  Maximilien  Robespierre,  Paris,  an  IV,  1796,  p.  75. 

4.  MicuELET,  op.  cit.,  ch.  V. 

5.  Id.,  ch.  VI. 

(').  Cf.  la  Névrose  révolutionnaire. 

7.  Ce  certificat  a  été  publié  par  P.  Fassï  {op  cit.,  59). 


22 


CHAPITRE  XIV 

LE  TESTAMENT  DE    LA   PRINCESSE   DE  L  AMBALLE 
LA  MORT  DU  DOCTEUR   SAIFFERT 


Un  arrêt  du  23  septembre  1792  prescrivait  la 
vente  publique  des  effets  ayant  appartenu  aux  «  vic- 
times de  la  Force  ».  L'opération  judiciaire  fut  confiée 
aux  membres  du  Conseil  général  de  la  Commune  et 
aux  commissaires  des  prisons  de  la  ville   de  Paris. 

Commencée  le  5  octobre,  elle  se  termina  le  7  ;  elle 
produisit  la  somme  de  quatre  mille  cinq  cent  six  livres 
quinze  sols.  Le  même  jour,  un  homme  d'affaires 
«  chargé  de  l'administration,  maison  et  finances  de 
la  princesse  de  Lamballe  »,  le  sieur  Claude-Louis 
Toscan,  se  présentait  à  la  Commune,  pour  faire 
opposition  à  la  délivrance  des  «  deniers  de  la  vente  », 
notamment  ceux  provenant  ou  à  provenir  des 
effets  de  la  dite  dame  de  Lamballe. 

Par  suite  de  la  mort  de  cette  dernière,  son  neveu, 
le  prince  de  Savoie-Carignan,  héritait  de  tous  ses 
biens,  «  tant  mobiliers  qu'autres  »,  sous  la  réserve 
de  distribuer  un  certain  nombre  de  legs,  énumérés 


LE   TESTAMENT    DE   LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     339 

dans  un  testament  daté  d'Aix-la-Chapelle  (a)  et  ré- 
digé par  la  princesse  un  an  environ  (15  octobre  1791) 
avant  sa  fin  tragique, 

La  douce  créature  n'a  oublié  personne;  nul  do- 
cument ne  témoigne  mieux  de  la  bonté  de  ce  cœur 
aimant  qui,  une  fois  qu'il  s'était  livré,  s'était  donné 
pour  ne  plus  se  reprendre. 

La  testatrice  supplie  la  reine  de  recevoir  «  une 
marque  de  reconnaissance  de  celle  à  qui  elle  avait 
donné  le  titre  de  son  amie;  titre  précieux  qui  a  fait  le 
bonheur  de  sa  vie  ».  Elle  lui  demande,  «pour  dernière 
grâce,  d'accepter  une  montre  à  réveil,  pour  luy 
rappeler  l'heure  de  leur  séparation  et  celles  qu'elles 
ont  passées  ensemble  '  ». 

Au  duc  de  Penthièvre,  son  beau-père,  la  princesse 
donne  le  portrait  de  la  reine,  en  émail;  celui  de 
Louis  XVI,  peint  également  en  émail,  avec  une  bague 
de  turquoises,  garnie  de  diamants. 

Ses  deux  belles-sœurs,  la  duchesse  d'Orléans  et 
la  princesse  de  Carignan,  reçoivent  d'autres  bijoux, 
de  non  moindre  valeur.  Sa  tante,  ses  amies,  ses  exé- 
cuteurs testamentaires,  chacun  se  voit  attribuer  un 
legs  conforme  à  ses  goûts  :  des  peintures,  des  livres, 
des  coffrets  de  laque  et  des  cassettes,  etc. 

Puis,  c'est  le  tour  des  personnes  à  son  service  :  la 
dame  d'honneur,  l'écuyer,  les  femmes  de  chambre  et 
les  femmes  de  garde-robe,  les  valets  de  chambre  et 
les  gens  de  livrée  sont  gratifiés  de  pensions  viagères  ; 
l'un  d'eux  touchera,  en  plus,  cent  cinquante  livres 
supplémentaires  et  une  année  de  gages  et  nourri- 
ture, pour  prendre  soin  des  chiens,  jusqu'à  la  mort 
des  bêtes  que  la  princesse  affectionnait. 

(a)  V.  le  texte  de  ce  lestament  à  rAppendice 


340  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Parmi  les  personnes  de  sa  maison,  Madame  de 
Lamballe  n'avait  eu  garde  d'oublier  son  médecin, 
le  docteur  Saifîert  *,  à  qui  fut  conservée  sa  pension  ; 
cette  rente  viagère,  il  l'a  touchée  jusqu'au  jour  de 
son  décès  3. 

D'autre  part,  la  princesse  a  payé  régulièrement 
chaque  mois,  pendant  la  dernière  période  de  sa  vie, 
une  somme  qui,  au  bout  de  chaque  année,  arrivait 
au  total  de  quatre  mille,  puis  de  cinq,  et  une  fois  de 
six  mille  trois  cent  cinq  livres  monétaires,  représen- 
tant la  moitié  des  paiements  qu'elle  a  elïectués 
entre  les  mains  du  pharmacien  ^  chargé  de  distri- 
buer les  médicaments  à  des  malades  atteints  d'af- 
fections chroniques.  La  révélation,  par  Sàiffert,  de 
ce  témoignage*  de  bonté  de  son  ancienne  cliente, 
avait  mis  dans  une  telle  fureur  Robespierre  et  Dan- 
ton que  le  duc  d'Orléans  enjoignit  vivement  à  son 
médecin  de  taire  cet  acte  de  bienfaisance,  a  Taisez- 
vous,  taisez-vous,  lui  dit-il,  en  propres  termes  ;  ce 
qui  ne  pouvait  être  sauvé  est  perdu;  vous  vous  per- 
driez avec  moi  et  les  miens  (à  persister  dans  votre 
altitude)  ;  nous  devons  attendre,  avec  une  patience 
circonspecte,  le  jour  d'une  juste  vengeance  ;  ceux 
qui  détiennent  le  pouvoir  ne  peuvent  longtemps  le 
conserver.  »  Et  Sailïert  promit  de  ne  plus  prononcer 
une  seule  parole,  sur  les  horreurs  dont  il  avait  été 
le  témoin,  jusqu'au  jour  tant  souhaité  par  lui  de  la 
mort  des  tyrans. 

Avec  de  pareils  sentiments,  le  docteur  saxon 
ne  pouvait  être  que  suspect  aux  maîtres  de  l'heure. 
Il  avait  vu  de  trop  près  les  «  austères  »  citoyens  «  qui 
n'avaient  à  la  bouche  que  les  mots  de  vertu  et  de 
patrie  »;  il  les  avait  trop  observés  in  anima  yi/i, ayant 


LE   TESTAMENT   DE   LA    PRINCESSE   DE   LAMBALLE    34 1 

eu  occasion  de  les  soigner  comme  médecins ,  pour 
que  ceux-ci  n'aient  pas  avisé  aux  moyens  de  se  dé- 
barrasser d*un  homme  dont  les  indiscrétions  pou- 
vaient leur  être  fatales. 

Nous  avons  raconté,  au  début  de  ce  livre,  les  per- 
sécutions dont  Saiffcrt  fut  l'objet,  sa  comparution 
devant  le  tribunal  révolutionnaire,  comment  il  fut 
condamné,  puis  relaxé  à  la  suite  des  pétitions  et  des 
requêtes  adressées  par  des  malades  qui  réclamaient 
à   grands   cris  l'acquittement   de   leur  bienfaiteur. 

Mis  en  liberté,  Saiffert  reprit  ses  occupations  profes- 
sionnelles et  retrouva  la  plus  grande  partie  de  sa 
clientèle,  qui  lui  était  restée  fidèle.  Entre  temps,  il 
rédigea  le  mémorandum  qui  a  servi  de  point  de 
départ  à  notre  travail,  sous  la  forme  assez  imprévue 
d'une  observation  pathologique,  entremêlée  de  sou- 
venirs historiques  et  de  digressions  philologiques. 

Rien  de  particuhèrement  intéressant  à  noter  pour 
son  curriculum  vitx  du  jour  où  la  Révolution  est 
terminée,  où  elle  a  fait  place  à  un  régime  nouveau. 

Un  manuscrit  de  la  bibhothèque  de  l'Opéra,  qui 
nous  fut  signalé  par  M.  Paul  d'Estrée,  signale 
qu'en  1802,  le  citoyen  Saiffert,  ancien  docteur  en 
médecine,  rue  Saint-Dominique  n®  25,  est  devenu 
propriétaire  d'un  journal  qui  porte  le  titre,  à  la  fois 
allemand  et  français,  de  Laufhericht  ou  Courrier 
d'annonces.  «  Dans  ce  journal,  rédigé  en  idiome 
allemand,  dit  le  prospectus,  ne  sera  (sic)  inséré  que 
les  actes  du  gouvernement  et  des  articles  concernant 
les  arts  et  les  sciences.  Il  s'imprime  chez  Cramer,  rue 
des  Bons-Enfants.  »  L'année  suivante,  le  28  nivôse 
an  XI,  le  citoyen  Haussner  devenait  le  rédacteur  du 
Laufbericht  qui,  le  28  janvier  1805,  était  continué 


342 


LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 


par  M.  Raux,  interprète  impérial,  au  Musée  des 
Aveugles,  rue  Sainte-Avoye.  Saifîert  était-il  resté 
propriétaire  de  cette  feuille  d'annonces,  nous  n'avons 
à  cet  égard  aucune  notion  précise  ^. 

Dans  la  brève  étude  qu'il  a  consacrée  au  médecin  de 
Madame  de  Lamballe,  le  docteur  Max-Billard  a  relaté  ^ 
que«  Saiffert  mourut  à  Paris  en  1809,  dans  une  petite 
maison  de  la  rue  Saint-Dominique,  n»  25,  alors  si 
recueillie,  si  écartée,  si  paisible,  où  le  sans-culotte 
refroidi  était  allé  chercher  le  silence,  les  senteurs, 
le  calme  des  champs,  à  deux  pas  du  faubourg  Saint- 
Germain  ».  L'information,  si  pittoresque  soit-elle,  de 
notre  érudit  et  regretté  confrère,  est  manifestement 
erronée.  L'acte,  jusqu'ici  inédit,  extrait  du  registre 
des  décès  de  l'église  des  Billettes  (église  évangélique 
de  la  confession  d'Augsbourg,  à  Paris,  pour  le  dépar- 
tement de  la  Seine  et  les  départements  circonvoisins), 
porte  que  Jean-Geoffroy  Saiffert,  «  de  son  vivant 
docteur  en  médecine,  premier  médecin  du  comte  de 
Lusace,  médecin  consultant  du  roi  et  de  la  reine, 
et  premier  médecin  du  duc  d'Orléans  »,  est  mort 
le  26  avril  1810,  à  quatre  heures  de  relevée,  et  que  ses 
obsèques  ont  eu  lieu  au  «  cimetière  dit  du  Père- 
Lachaise  »  le  29  du  présent  mois  ^.  Le  personnage 
était  oublié,  sa  mort  passa  presque  inaperçue  ;  seul, 
parmi  les  organes  de  la  presse,  le  Magasin  encyclo- 
pédique 9,  de  l'archéologue  Millin,  lui  consacra  une 
courte  notice  nécrologique  :  «  M.  Saifîert,  ci-devant 
médecin  du  duc  d'Orléans,  vient  de  mourir  dans  un 
âge  avancé.  On  assure  qu'ennemi  déclaré  du  quin- 
quina, il  a  succombé  à  une  fièvre  qu'il  auroit  pu 
guérir  avec  ce  remède.  »  Le  bon  Teuton  avait 
voulu    mourir    comme  il    avait  vécu,   maintenant 


IGLISE  ÊïilGEllIlUE  DE  LA  CfllfESSION  «'AllGSBOlG,  i  P4EIS 

POUa  LE  DÉPARTtMENT  DE  LA  SEINE  ET  LES  DÉPARTEMENTS  CIRCONVOISINS 


^at^t/t^. 


Besistre 


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les  funérailles  de 


et  fit 


à  l'âge  de. 


nif     \  W<^^H/i-Jcff^*^i<^.Atd^'^  '^/C i/'<K^t^,-^*<^-a 'ïT  ^^^i5**»c^ 


^fe:;. 


Je,  soussigné,  lun  des  Pasteurs  de  l'Eglist    de  la  Confession  d'Augsbourg,  â  l'an», 
lifle  lexlrait  ci-dessus  conforme  â  l'original. 


'Vî/6»«-c^«-x-  I8^<J'. 


^^^t^c..^ 


\ 


IK;.   93.   —    ACTE   DE    DÉCÈS    DU    DOCTEUR    8AII  FEHT 
(Communiqué  par  M.  Otto  Fiiirdriciih) 


344  LA    PRINCfiSSE    DE    I.AMBALLE    INTIME 

jusqu'au   bout  en  harmonie  sa  vie  et  ses  principes. 

L'année  même  de  sa  mort,  paraissait  à  Paris, 
«  chez  J.-L.  ScherlT,  ingénieur,  rue  des  Bons-Enfants, 
n®  30  »,  un  ouvrage  de  Saiffert,  sous  ce  titre 
hermétique  :  Symphorismes  médo physiques  aux  pro- 
grès de  la  conception  idéomatique  des  bases  de  la  science, 
traduit  de  l'allemand  par  D.  A.  S.  Un  libraire  de 
Leipzig,  ayant  demandé  à  l'auteur  de  changer  ce 
titre,  comme  peu  propre  à  exciter  la  curiosité,  s'attira 
cette  réponse  :  «  Les  titres  pompeux  sont  les  enseignes 
de  la  charlatanerie  »  «  En  ce  cas,  répliqua  le  mar- 
chand, il  n'y  aura  pas  grand  profit  à  se  charger  de 
la  distribution  de  l'ouvrage.  »« —  Le  temps,  répliqua 
Saiiïert,  fera  connaître  son  utilité,  et  la  nécessité  dé- 
terminera sa  distribution.  »  «  Et  les  contrefaçons  ? 
répliqua  le  libraire.  »  —  «  Monsieur,  lui  répondit  le 
docteur,  le  public  commence  à  savoir  qu'en  méde- 
cine, elles  deviennent  très  dangereuses  à  la  santé, 
et  que  des  erreurs,  en  apparence  légères,  sont  très 
souvent  mortelles.  Au  reste,  j'ai  pris  des  précau- 
tions pour  garantir  le  public  de  ce  danger,  en  inven- 
tant un  nouveau  caractère  d'imprimerie.  La  mauvaise 
foi  ne  le  contrefera  pas  de  sitôt;  d'ailleurs,  je  n'ai  pas 
écrit  par  spéculation,  mais  par  principes  philanthro- 
piques ^°.  » 

Dans  l'ouvrage  singulier  dont  nous  avons  donné 
le  titre,  au  moins  étrange,  Saiiïert  s'est  attaché  à 
démontrer  que  le  thé,  la  bière,  le  vin,  l'eau  elle- 
même  sont  des  boissons  qui  sont  loin  d'être  inoffen- 
sives, dont  l'emploi  doit  être  judicieusement  réglé, 
et  qui  ne  devraient  être  délivrés  que  sur  prescription 
médicale.  Les  Sgmphorismes  médophysiques,  dans  l'es- 
prit de  Saiffert,  étaient  considérés  comme  la  préface 


LE    TESTAMENT    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     3^5 

nécessaire  à  ce  traité  des  maladies  chroniques,  à  ces 
observations  particulières  de  médecine  pratique,  d'où 
nous  avons  extrait  1'  «  observation  »  de  la  princesse 
de  Lamballe. 

De  quelle  patience  il  a  fallu  s'armer  pour  retirer 
du  fatras  où  elles  sont  noyées  les  révélations,  les 
impressions,  les  remarques  et  aperçus  dont  nous 
avons  essayé  de  tirer  parti,  ce  n'est  pas  à  nous  qu'il 
appartient  de  le  dire,  encore  moins  d'y  insister.  Nous 
serons  largement  récompensé  de  notre  peine,  si  le 
lecteur  a  pris  quelque  intérêt  à  cette  exhumation 
d'un  document  en  grande  partie  inconnu,  et  qui 
apporte,  croyons-nous,  une  contribution  notablement 
importante  à  l'histoire  révolutionnaire. 


NOTES  DU  CHAPITRE  XIV 


1.  Cette  montre  serait-elle  la  même  qu'avait  reçue  la  prin- 
cesse, de  Marie-Antoinette,  et  qui  se  trouvait  (en  1880)  entre 
les  mains  d'une  dame  Bellom,  née  Gouget-Desfontaines  ? 
«  Cette  montre,  nous  écrivait,  il  y  a  quelques  années,  un  de 
nos  obligeants  correspondants,  qui  portait  le  n°  5279  et  trois 
fleurs  de  lys  dans  le  boîtier,  ainsi  que  le  nom  de  Lépine, 
horloger  du  Roy,  fut  achetée  pour  la  somme  de  2.000  francs, 
en  1792,  par  M.  Boursier,  Génovéfain,  dans  la  prison  même 
de  la  Force,  où  il  était  incarcéré  avec  la  princesse  de  Lam- 
baile.  M.  Boursier  ayant  été  élargi  de  la  Force  à  la  mort 
de  Robespierre,  conserva  précieusement  cette  montre, 
qu'il  eût  voulu  remettre  à  quelque  parent  proche  de  la 
malheureuse  princesse,  mais  il  n'en  put  découvrir  ;  à  la 
mort  de  M.  Boursier,  un  de  ses  neveux,  grand-père  de 
Mme  Bellom,  l'acheta  à  sa  succession,  en  1839,  au  même 
prix  de  2.000  francs.  La  reine  Marie-Antoinette  avait  acheté, 
en  1786,  deux  montres  semblables,  l'une  pour  elle,  l'autre 
pour  la  princesse  de  Lamballe.  La  pièce'authentique,  relevée 
sur  le  livre  de  l'horloger  Lépine,  a  été  fournie  sur  la  demande 
de  M.  Gouget-Desfontaines,  père  de  Mme  Bellom,  en  1880, 
lorsqu'il  fit  subir  une  réparation  à  cette  montre.  Voici  la 
copie  de  la  pièce  attestant  l'aulhenticité  de  l'objet  :  «  J'at- 
teste que  la  montre  en  émail  bleu  à  toc,  ornée  de  3  fleurs 
de  lys,  portant  le  n"  5279,  dont  il  est  question  ci-contre,  a 
été  fabriquée  en  1785  pour  la  reine  Marie-Antoinette,  qui  la 
donna  à  la  princesse  de  Lamballe.  Signé  :  Lépine.  Paris,  le 
17  février  1880.  Certifié  par  le  Commissaire  de  police  du 
XI'  arrondissement,  quartier  du  Mail.  »  Cette  montre  a 
figuré  à  VExposition  de  Marie-Antoinette  et  son  temps,  organisée 
à  la  Galerie  Sedelmeyer,  en  1894.  (V.  le  Catalogue  de  cette 
Exposition,  p.  76,  n"  3"  où,  par  erreur,  elle  est  indiquée 
comme  appartenant  à  M.  de  Belhomme  {sic.) 

2.  Elle  donna,  en  outre,  à  l'Hôtel-Dieu,  une  somme  de 


LE   TESTAMENT    DE    LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE     347 

3.000  francs,  plus  2.000  francs  «  pour  délivrer  des  mois  de 
nourrice  »>. 

3.  D'après  les  minutes  du  notaire  Roquebert,  rue  Sainte- 
Anne,  n"  69.  Voici,  dans  sa  teneur,  le  document  principal 
de  la  liasse  :  «  Je  soussigné,  Rodolphe-Emmanuel  Haller, 
propriétaire,  demeurant  à  Paris,  créancier  de  la  succession 
du  S.  Jean-Geoffroy  Saiflert  et  autorisé  à  faire  le  recouvre- 
ment de  toutes  les  créances  actives  de  ladite  succession, 
suivant  l'ordonnance  rendue  par  le  Président  du  tribunal 
(le  première  instance  de  la  Seine,  en  référé,  le  onze  août 
mil  huit  cent  dix,  enregistré  et  à  donner  quittance,  recon- 
nais avoir  reçu  de  M.  Baguenault,  banquier,  la  somme  de 
six  cent  trente-six  francs  trente  centimes  pour  trois  mois 
vingt-six  jours  échus  le  26  avril  dernier,  jour  du  décès  du 
sieur  Saiffert  et  de  la  rente  viagère  de  deux  mille  francs 
par  année  que  devait  M.  Baguenault  à  M.  Saiffert.  Dont 
quittance  à  Paris,  le  29  lévrier  mil  huit  cent  douze.  Signé  ; 
Mailly.  »  La  dernière  quittance  signée  de  Saiffert  porte 
la  date  du  17  janvier  1810.  Saiffert  reconnaît  «  avoir  reçu 
de  M.  Baguenault,  à  l'acquit  de  la  succession  Lamballe,  et 
en  espèces  métalliques,  la  somme  de  mille  livres  tournois 
pour  le  2*  semestre  de  l'an  dix-huit  cent  neuf,  échue  le 
1"  janvier  du  présent  mois  )>,  etc.  11  y  a,  chez  le  même 
tabellion,  une  vingtaine  de  quittances,  presque  toutes  de 
la  main  de  Saiffert;  également  de  Saiffert,  «  un  billet 
au  citoyen  Baguenault,  rue  Montmartre,  n*  5,  près  le 
boulevard  »  ;  de  Lausanne,  le  3  floréal  an  7  ;  et,  un  autre, 
du  27  vendémiaire  an  8. 

4.  Ce  pharmacien,  du  nom  de  Costel  ou  Castel,  fit  voir  au 
docteur  Saiffert  le  registre  où  était  consignée  cette  marque 
des  bienfaits  de  la  princesse,  qu'il  avait  tenue  cachée 
jusque  là. 

5.  Après  avoir  parlé  d'un  certain  Defieux  et  d'un  certain 
Dubuisson,  qui  aspiraient  à  être  membres  du  club  des  Jaco- 
bins, et  à  Kadmission  desquels  Saiffert  s'était  opposé,  le 
doct(îur  ajoute  :  «  Je  connaissais  mieux  que  personne  la 
morale  de  ces  individus,  les  ayant  tous  traités  de  diffé- 
rentes maladies  vénériennes,  et  principalement  Dubuisson. 
Ils  n'avaient  pas  dissimulé  leurs  infAmes  roueries  devant 
le  médecin,  et  il  ne  pouvait  m'enlrer  dans  l'idée  que  des 
hommes  aussi  dépravés  fussent  convertis  aux  «  bons  prin- 
cipes et  h  la  vertu.  »  Chron.  méd.,  1"  avril  1916,  102. 

6.  Chron.  méd.,  1"  juillet  1916,  221. 

7.  Id.,  1"  avril  1916,  108. 


348  LA    PRINCIiSSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

8.  Cet  extrait  a  été  remis,  le  5  février  1896,  par  Tun  des 
pasteurs  de  l'église  de  la  Confession  d'Augsbourg  à  Paris, 
à  M.  Otto  Friedrichs,  qui  a  bien  voulu  nous  le  transmettre, 
aux  fins  de  publication. 

9.  T.  III  (1810),  134. 

10.  Dans  une  des  notes  qui  accompagnent  son  livre,  Saiffert 
fait  parade  de  sa  philanthropie.  «  Je  réservais,  dit-il,  aux 
pauvres,  chaque  semaine  de  ma  pratique,  le  dimanche  et  le 
merci-edi  pour  la  consultation;  ces  deux  jours  leur  étaient 
destinés  d'une  manière  si  sacrée  {sic),  que  le  plus  notable 
et  le  plus  riche  malade  n'aurait  pu  en  distraire  à  son  profit 
une  seule  minute;  on  connaissait  si  bien,  dans  la  grande  ville 
de  Paris,  la  sévérité  rigoureuse  de  mes  principes  à  cet 
égard,  que  nul  n'aurait  osé,  ces  jours-là,  me  déranger  pour 
des  cas  bénins;  on  savait  d'avance  mon  refus  irrévocable. 
Chaque  malade  indigent  était  reçu  à  son  tour  et,  après  un 
examen  approfondi  et  un  interrogatoire  complet,  il  lui 
était  remis  des  prescriptions  de  régime  et  de  remèdes.  >) 
Saiffert  ajoute  qu'il  remettait  le  plus  souvent  de  l'argent  à 
ses  clients,  pour  se  procurer  les  médicaments  que  la 
vacuité  de  leur  bourse  ne  leur  permettait  pas  d'acquérir. 
Trois  pharmaciens  :  Charas,  Costel  et  Tassard,  étaient 
chargés  par  Saiffert  de  délivrer  les  drogues  qu'il  pres- 
crivait et  de  lui  présenter  leur  note  tous  les  trois  mois. 


CHAPITRE  XV 


MADAME     DE     LAMBALLE    A     PASSY 

En  1896,  il  y  a  déjà  un  quart  de  siècle,  nous  eûmes 
la  curiosité  de  voir,  par  nous-même,  ce  qui  pouvait 
subsister  de  l'ancienne  maison  de  campagne  de  Ma- 
dame de  Lamballe,  à  Passy  '.  Cette  propriété,  dont 
il  restait,  nous  avait-on  assuré,  d'imposants  vestiges. 
a  successivement  appartenu  au  duc  de  Lauzun,  qui 
avait  épousé  la  fille  du  maréchal  de  Lorges,  belle- 
sœur  du  duc  de  Saint-Simon,  puis  à  son  héritier, 
le  duc  de  Biron.  La  marquise  de  Brissac  l'avait 
acquise  de  Geneviève  de  Durfort  de  Lorge,  veuve 
d'Antoine  Nompar  de  Caumont  de  Lauzun,  le  9  sep- 
tembre 1734  ;  elle  appartint  ensuite,  en  1773,  à  la 
duchesse  de  Chevreuse.  Le  1^^  février  1783,  la  prin- 
cesse de  Lamballe  se  rendait  acquéreur  du  do- 
maine, qui  lui  fut  vendu  par  le  duc  de  Luynes, 
fils  du  duc  et  de  la  duchesse  de  Chevreuse  ;  celui-ci 
en  était  rentré  en  possession  cinq  années  aupara- 
vant. 

La  princesse  se  plaisait  à  s'y  rendre  dès  qu'elle 
en    avait   le    loisir.    Le    pavillon,    y    compris    les 


352  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

terrasses,  orangeries,  potagers,  jardins  et  les 
autres  bâtiments,  avait  été  payée  la  somme  de 
cent  dix  mille  livres,  dont  trente  mille  pour  le 
mobilier. 

Le  25  février  1793,  la  Commission  des  Arts  faisait 
relever  l'état  des  objets  contenus  dans  la  maison  du 
district  de  Franciade  ;  le  3  août  de  la  même  année, 
un  décret  de  la  Convention  ^  ordonnait  «  la  saisie, 
le  séquestre  et  l'inventaire  de  la  succession  de  la 
ci-devant  princesse  de  Lamballe  »,  et  la  déclarait 
«  réversible  au  Trésor  national  3  ». 

Au  nom  de  la  République,  le  Conseil  exécutif 
provisoire  mandait  et  ordonnait  à  tous  les  corps 
administratifs  et  tribunaux  que  la  présente  loi  serait 
consignée  dans  leurs  registres,  qu'elle  serait  lue, 
publiée,  affichée  et  exécutée  dans  leurs  départements 
et  ressorts  respectifs.  Cette  pièce,  datée  du  4  août 
1793,  est  signée  Bouchotte,  contre-signée  Gohier,  et 
scellée  du  sceau  de  la  République.  Le  séquestre  prit 
fin  en  même  temps  que  la  paix  se  concluait  entre  la 
République  française  et  le  gouvernement  sarde. 

Il  ne  pouvait  être  question  de  rentrer  en  possession 
d'es  objets  qui  avaient  été  vendus  ;  le  prix  seul  en 
était  exigible  par  les  légataires  :  Charles-Emmanuel 
de  Savoie-Carignan,  neveu  de  Madame  de  Lamballe; 
Charlotte  de  Savoie-Carignan,  sa  sœur  ;  Joseph- 
Marie  de  Savoie-Carignan,  mineur.  Les  deux  premiers, 
résidant  à  Turin,  étaient  sujets  du  roi  de  Sardaigne; 
le  troisième,  âgé  de  12  à  13  ans,  ayant  continuelle- 
ment séjourné  en  France,  ne  pouvait  être  atteint  par 
les  lois  sur  l'émigration.  Ce  n'est  que  dans  les  pre- 
miers mois  de  1797  que  les  héritiers  de  la  princesse 
rentrèrent  en  possession  de  ce  qui  avait  appartenu 


MADAME    DE    LAMBALLE    A    PASSY  353 

à  cette  dernière.  Ne  pouvant  habiter  ce  domaine, 
le  prince  de  Carignan  l'avait  cédé,  le  21  thermidor 
an  V,  au  citoyen  Baguenault,  dans  la  famille  duquel 
il  resta  jusque  vers  1845  *. 

L'année  de  la  vente,  la  maison  avait  ••té  louée,  à 
partir  du  le*"  avril,  à  un  sieur  Capron,  «  au  prix  de 
4.000  livres,  plus  200  livres  de  gages  d'une  année 
au  portier  actuel  ».  Capron  l'avait  sous-louée  à  Blan- 
chard, qui  y  établit  un  Wauschaal  d'été,  livi*ant  au 
public  «  cent  cinquante  pieds  d'appartements  ornés 
de  glaces  5  ». 

Mais  ce  n'était  pas  encore  le  dernier  avatar  de 
cette  demeure  historique. 

En  1846,  le  docteur  Esprit  Blanche,  qui  avait 
dirigé  jusque-là  une  maison  de  santé  pour  aliénés 
à  Montmartre  ^  transportait  son  établissement  dans 
l'ancienne  propriété  de  la  princesse  de  Lamballe, 
dont  les  vastes  bâtiments  et  le  parc  en  bordure  de 
la  Seine  étaient  merveilleusement  appropriés  à  leur 
nouvelle  destination.  C'est  là  que  furent  soignées 
maintes  personnalités  de  la  littérature,  de  la  poli- 
tique et  du  théâtre,  qui  vinrent  s'y  faire  traiter  de 
fatigue  nerveuse,  de  surmenage  cérébral,  ou  de  trou- 
bles mentaux  confirmés,  allant  de  la  simple  neuras- 
thénie à  la  folie  démentielle.  Il  nous  suffira  de 
rappeler  les  noms  d'Antony  Deschamps,  le  délicat 
poète  ;  Lassailly,  l'auteur  des  Roueries  de  Trialph,  le 
patito  de  Balzac  ;  Monrose,  l'acteur  impeccable,  si 
gai  à  la  scène,  si  mélancolique  à  la  ville.  «  Dès  qu'un 
écrivain  tombait  frappé,  on  le  conduisait  chez  le 
docteur  Blanche  ;  dès  que  la  mort  en  abattait  un, 
on  le  voyait  rendre  le  dernier  soupir  entre  les  bras 
du  docteur  Blanche  ^  » 

23 


354  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

Gérard  de  Nerval,  le  doux  illuminé,  n'eut  pas  cette 
consolation  suprême  ;  on  sait  que  son  corps  fut 
trouvé  pendu  rue  de  la  Vieille-Lanterne,  et  l'opinion 
se  demanda  s'il  y  avait  eu  crime  ou  suicide  :  cette 
dernière  hypothèse  est  la  plus  vraisemblable,  étant 
donné  son  état  mental.  Gérard  avait  été  interné  à 
plusieurs  reprises  chez  Blanche,  et  en  dernier  lieu 
à  Passy  ;  l'établissement  était  alors  dirigé  par  le 
docteur  Emile  Blanche.  Esprit  Blanche,  le  fondateur 
de  la  dynastie  avait  succombé  en  1852,  regretté  de 
tout  le  monde  littéraire  de  l'époque  ;  on  pleura  l'ami 
autant  que  le  médecin. 

Émrle  Blanche  resta  jusqu'en  1872  à  la  tête  de  la 
maison  de  Passy.  Qu'il  nous  soit  permis  d'évoquer, 
dans  un  lointain  passé,  la  physionomie  de  ce  beau 
vieillard,  l'œil  pétillant  de  malice,  resté  fidèle  aux 
modes  du  temps  de  Louis-PhiHppe,  le  col  cravaté 
haut,  la  longue  redingote  et  le  chapeau  haut  de  forme 
à  bords  plats.  La  valeur  de  ses  travaux  et,  plus  en- 
core, la  notoriété  qu'il  avait  acquise,  l'avaient  dtsigné 
au  choix  de  l'Académie  de  Médecine. 

Son  successeur,  le  docteur  Meuriot,  était  la  droi- 
ture même.  Nous  nous  souvenons  de  la  visite  que 
nous  lui  rendîmes,  à  la  suite  de  la  très  aimable  lettre 
que  nous  en  avions  reçue  quelques  jours  auparavant. 
Nous  avions  demandé  à  voir  le  pavillon  de  Madame 
de  Lamballe,  qu'on  nous  avait  dit  exister  encore 
dans  un  parfait  état  de  conservation.  Voici  ce 
qu'à  notre  requête  répondait  le  sympathique 
docteur  Meuriot  :  sa  lettre  contient  des  détails 
que  l'historiographe  n'a  pas  le  droit  de  négliger  ; 
quelques-uns  sont  connus,  d'autres  sont  dévoilés 
ici  pour  la  première  fois. 


Fl<;.    'JÔ.    —    liOCIII  It     KMILK    HI-ANCIII. 


>  MADAME  DE  LAMBALLE  A  PASSY         357 

Paris- Passy,  17,  rue  Derlon. 

Très  honoré  Confrère, 

L'établissement  qiic  je  dirige,  et  à  la  tête  duquel  se 
trouvait  prcecdeniment  mon  regrette  maître  le  docteur 
Blanche,  a  été,  en  elTet,  la  propriété  de  Madame  la 
princesse  de  Lamballe,  l'amie  de  Marie-Anloinette. 
Elle  avait  acheté  cette  propriété  de  la  famille  de  Luynes, 
qui  la  tenait  de  la  marquise  de  Chcvreuse.  Le  premier 
propriétaire  est  Antoine  Nompar  de  Caumont  de  Lau- 
zun,  qui  s'y  est  retiré  à  l'époque  de  sa  vieillesse,  et  l'on 
raconte  qu'il  se  servait  des  souterrains  qui  existent 
encore  dans  la  propriété  et  qui  proviennent  d'anciennes 
carrières,  pour  se  soustraire  à  ses  créanciers  par  la  fuite. 
Pour  en  revenir  à  la  princesse  de  Lamballe,  celle-ci 
aimait  énormément  cette  propriété  et  les  Mémoires  du 
temps  rapportent  qu'elle  l'avait  achetée  à  cause  des 
trois  terrasses  garnies  de  lilas  qui  dominaient  la  Seine. 
Aujourd'hui,  il  n'y  a  plus  que  deux  de  ces  terrasses, 
la  plus  basse  ayant  été  détruite  lors  de  la  création  du 
quai  de  Passy,  qui  n'existait  pas  alors,  la  propriété 
allant  jusqu'à  la  Seine.  La  partie  centrale  du  principal 
bâtiment  est  encore  décorée  d'un  écusson  portant  les 
initiales  A.  C.  et  la  légende  faisait  dire  que  c'était  les 
initiales  de  la  princesse,  que  l'on  appelait  à  tort  Adé- 
laïde. Ces  initiales  sont  celles  du  premier  propriétaire, 
Antoine  Caumont.  Le  seul  reste  certain  de  cette  époque 
est  un  perron  monumental  en  fer  forgé  Louis  XV,  qui 
est    admirablement    conservé. 

S'il  vous  était  agréable  de  venir  voir  cette  propriété, 
dont  vous  êtes  appelé  à  parler,  je  suis,  très  honoré  con- 
Tère,  et  je  me  mets  à  voire  disposition  tous  les  jours 
de  cette  semaine,  même  le  dimanche,  de  1  h.  1/2  à 
3  h.  1/2. 

Veuillez,     etc. 

Signé  :  D'  Meuriot, 
ce  7  février  1896. 


7358  LA    PRINCESSE    DE    LAM BALLE    INTIME 

Notre  curiosité  était  trop  excitée,  pour  que  nous 
ne  déférions  pas  à  une  aussi  gracieuse  invite. 
Nous  ne  saurions  dire  quelle  émotion  nous 
étreignit,.  à  parcourir  ces  immenses  jardins,  ce  parc 
soigneusement  entretenu,  où  flottait  encore  l'ombre 
charmante  de  l'exquise  créature  qui,  victime  du 
sort  inique,  subit  le  plus  horrible  des  martyrs,  pour 
rester  fidèle  à  la  plus  désintéressée  des  amitiés. 


NOTKS  DU  CHAPITRE  XV 


1.  Celte  propriélé  avait  été  achetée,  nous  le  rappelons, 
avec  les  économies  de  la  princesse;  elle  fut,  après  sa  mort, 
confisquée  comme  propriété  de  l'État;  une  partie  fut  ven- 
due au  profit  du  Trésor,  l'aulre  fut  rachetée  par  le  neveu 
de  Mme  de  Lamballe. 

2.  Danton  était  président  de  la  Convention  à  cette  date; 
François  Chabot,  P.-J.  Audouin  et  Dartigoyte,  secrétaires  de 
l'Assemblée. 

3.  Archives  Nationales,  collection  Rondonneau,  carton X,  18. 

4.  G.  Caix,  Nouvelles  Promenades  dans  Paris,  note  de  la 
page  340. 

5.  E.  et  J.  de  Goncourt,  Hist.  de  la  Société  Française  pendant 
le  Directoire  {Paris,  1880),  209. 

6.  Celte  maison  était  située,  4,  rue  Traînée  ;  c'est  aujour- 
d'hui le  22  de  la  rue  de  Norvins.  Elle  est  occupée  par  un 
Institut  normal  de  jeunes  filles  {la  Maison  du  docteur  Blanche, 
par  E.  DE  Crauzat;  Chron.  méd.,  \"  seplembre  1908,  655). 

7.  Chr.  inéd.,  loc.  cit. 


CHAPITRE   XVI 


LA  VERTU  DE  MA  RIE- ANTOINETTE 


Il  est  de  ces  problèmes  que  l'historien  psychologue 
se  doit  d'aborder  résolument,  sans  fausse  pruderie, 
quelles  que  soient  les  difTicultés  auxquelles  il  se  heurte, 
en  raison  de  la  qualité  du  personnage  mis  en  cause. 
Celui  de  la  vertu,  de  Marie-Antoinette,  de  ses  rela- 
tions masculines  ou  féminines,  est  de  ce  nombre  ;  il 
importe,  pour  ne  rien  sacrifier  à  la  vérité  historique, 
de  ne  pas  se  dérober  et  d'en  poursuivre,  sans  souci 
des  répercussions,  la  solution  en  toute  bonne  foi. 

Sainte-Beuve  S  l'homme  de  la  mesure  en  tout,  et 
dont  le  bon  sens  judicieux  nous  a  si  souvent  servi 
de  guide,  a  bien  fait  le  départ  entre  ceux  qui,  dans 
un  sentiment  chevaleresque,  et  animés  des  plus  droites 
intentions,  se  sont  montrés  déterminés  à  innocenter 
malgré  tout  cette  «  reine  brillante  et  infortunée  », 
à  propos  de  laquelle  ils  se  montrent  «  délicats  et 
chatouilleux  à  tous  les  endroits  »,  n'admettant 
«  aucune  tache  ni  ombre  à  cette  figure  »  ;  et  ceux  qui 
cherchent  à  se  faire  une  opinion  basée  sur  des  faits 
incontestés,   résolus    à    «    ne    se    décider    qu'après 


M  \IU1 


Il<;.    '.)G.    —    MAUlE-ANTOINETTi: 
(Par  M"*   Boizot) 


LA    VERTU    DE    MARIE-.\NTOI>'ETTE  363 

examen  et  toutes  pièces  vues,  toutes  parties  enten- 
dues ^  ». 

A  coup  sûr,  c'est  jouer  un  rôle  ingrat  que  de  porter 
une  main  irrévérencieuse  sur  une  femme  nimbée  de 
l'auréole  du  martyre,  qui  a  gravi  le  plus  rude  des 
calvaires,  a  épuisé  jusqu'à  la  lie  tous  les  calices  ; 
mais  pourquoi  serait-il  interdit  de  «  considérer  la 
vie  et  le  caractère  de  cette  noble  victime  avec  une 
attention  respectueuse  »  ?  Avec  un  jugement 
ferme  et  dépourvu  de  toute  sentimentalité,  ne 
saurait-on  éviter  de  «  heurter  tout  ce  qui  est 
culte  »,  sans  imiter  ces  apologistes  quand  même, 
qui  se  portent  garants,  «  avec  une  confiance  in- 
trépide »,  de  la  vertu  de  Marie-Antoinette,  alors 
que  tant  de  témoignages,  tant  de  documents  con- 
cordent, se  juxtaposent  et  se  multiplient  pour 
leur  donner  tort  ? 

A  trop  exalter  la  souveraine,  ne  risque-t-on  pas  de 
diminuer  la  femme  ;  et  si  l'on  veut  à  tout  prix 
chercher  une  atlénualion  à  ses  fautes,  ne  la  trou- 
vera-t-on  pas  plutôt  à  la  rapprocher  de  l'huma- 
nité, dont  on  connaît  les  faiblesses,  que  de  la  hausser 
à  une  hauteur  inaccessible,  où  elle  n'aurait  même 
pas  pour  excuse  le  vertige  du  pouvoir  suprême, 
puisque,  si  celui-ci  confère  des  droits,  il  impose 
aussi  des  devoirs  ? 

«  C*est  des  ménagements  malheureux  d'une  bien- 
veillance peu  adroite  que  sa  mémoire  a  eu  le  plus 
à  souffrir  »,  écrit  de  Marie-Antoinette  quelqu'un  ^ 
à  qui  on  ne  saurait  reprocher  qu'une  trop  stricte 
objectivité.  Nous  ferons,  quant  à  nous,  la  part  de 
la  calomnie,  mais  nous  entendons  faire  aussi  celle 
de  la  vérité. 


364 


I.A    PniNCKSSR    DE    LAM  BALLE    INTIMK 


On  a  tôt  fait  de  mettre  sur  le  compte  de  la  frivolité, 
de  la  jeunesse  et  de  l'inexpérience  qu'elle  entraîne 
avec  elle,  la  légèreté  de  conduite  d'une  souveraine 
qui,  précisément  parce  qu'elle  était  exposée  à  tous 
les  regards  et  soumise  à  toutes  les  critiques,  devait 

davantage    s'ob- 
-^  i__— -^  server,     se     sur- 

veiller, ne  se  re- 
lâcher en  rien. 
Marie  -  Antoi- 
nette avait  reçu, 
de  sa  mère  Marie- 
Thérèse,  des  aver- 
tissements, des 
conseils  d'un  ca- 
ractère à  la  fois 
maternel  et  royal 
dont  on  ne  peut 
que  reconnaître 
la  perspicacité.  «Il 
faut  savoir  jouer 

FIG.  97. —  l'impératrice  MARIE-THÉRÈSE         SOU       rÔlC,       SÎ       OU 

veut  être  reine  »  ; 
quelle  profonde  leçon  de  sagesse,  et  combien 
d'écarts  celle  à  qui  elle  s'adressait  eût  évités, 
de  combien  d'imprudences  elle  se  fût  gardée, 
si  elle  eût  obéi  à  un  aussi  raisonnable  avis  ! 
«  Je  vous  vois  aller  avec  une  certaine  sûrctô 
et  nonchalance  à  grands  pas  à  vous  perdre,  au 
moins  à  vous  égarer  4.  »  Que  n'a-t-elle  écouté  ceux 
qui  lui  criaient  casse-cou,  mais  les  sermonneurs  sont 
toujours  si  ennuyeux,  qu'on  se  bouche  les  oreilles 
pour  ne  les  point  entendre.  Et  pourtant.  les  tendres 


LA    VERTU    DE    MARIE-ANTOINETTE  365 

mercuriales  d'une  mère  alîectueuse  et  de  sens  droit, 
ne  sont-elles  pas  assez  désintéressées  pour  qu'on  en 
reconnaisse  le  bien-fondé  ?  Lorsque  Marie-Thérèse 
écrit  à  sa  fille  que  son  avenir  «  la  fait  trembler  »,  c'est 
qu'elle  prévoit  déjà  les  catastrophes  futures,  qu'elle 
pressent  les  dangers  que  court  sa  fille  à  ne  vouloir 
point  se  réformer.  Ses  alarmes  et  ses  anxiétés 
n'avaient  rien  d'exagéré,  sa  sollicitude  inquiète  n'était 
que  trop  justifiée. 

Disons,  dès  l'abord,  ou  répétons  que  Marie-Antoi- 
nette peut  invoquer  des  circonstances  atténuantes, 
et  une  entre  autres  ne  lui  sera  pas  refusée.  Cette 
archiduchesse,  que  la  nature  avait  comblée  de  ses 
séductions,  s'était  trouvée  alliée  à  l'homme  le  plus 
incapable  de  la  comprendre,  de  la  guider  dans  ce 
labyrinthe  de  la  Cour,  où  les  chausse-trapes  étaient 
semées  à  chaque  pas  pour  la  faire  trébucher.  A  la  fois 
sans  volonté  et  brutal,  disgracieux  et  grossier,  ce 
lourdaud  5,  pourvu  d'instruction,  et  d'un  rigorisme 
de  mœurs  inattaquable,  n'avait  aucune  des  qualités 
requises  ^our  conquérir  cette  jeune  princesse,  «  ai- 
mable, gftie  et  innocemment  railleuse  ^  »,  que  le 
destin  lui  avait  réservée  pour  épouse.  Cela  dit,  sera- 
t-il  permis  d'ajouter  que  si  Marie-Antoinette  a  eu  toutes 
les  grâces  de  la  jolie  femme,  elle  en  eut  aussi  toutes 
les  faiblesses.  Encore  eût-on  compris  que,  de  premier 
mouvement  expansive,  voire  même  un  peu  impé- 
tueuse de  sentiments,  elle  se  fût  abandonnée  à  quel- 
que excès  de  coquetterie,  excusable  à  son  âge  sinon 
à  son  rang:  «  défauts  de  bourgeoise,  crimes  de  reine  »; 
encore  s'en  fût-elle  toujours  tenue  là  I 

Avant  de  dresser  un  réquisitoire,  il  convient  de 
s'entourer  des  précautions  indispensables  pour  ne 


366  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

s'appuyer  que  sur  d'irrécusables  témoignages,  et  de 
se  rappeler,  «  lorsqu'il  s'agit  de  ces  particularités 
intimes  et  secrètes,  sur  lesquelles  il  est  si  aisé  d'avoir 
maints  propos  et  si  difficile  d'acquérir  une  certitude  7»,' 
de  se  rappeler  le  mot  qu'on  prête  à  une  fille 
naturelle  d'un  Condé,  Madame  de  Lassay,  laquelle, 
entendant  quelqu'un  se  prononcer  avec  assurance 
sur  les  écarts  de  conduite  de  Madame  de  Maintenon, 
ne  put  s'empêcher  de  s'écrier  :  «  Comment  faites- 
vous,  Monsieur,  pour  être  aussi  sûr  de  ces  choses-là  !  » 

A  quelle  époque  a-t-on  commencé  à  jaser  dans  le 
public  sur  Marie-Antoinette  ?  De  quelle  officine  sont 
sortis  les  premiers  libelles  ?  Ce  n'est  pas,  comme  on 
pourrait  le  penser,  du  camp  révolutionnaire  que  sont 
parties  les  premières  accusations  contre  la  reine  ; 
c'est  de  la  Cour  même,  et  de  la  Cour  elles  sont  parve- 
nues à  la  ville,  de  la  ville  elles  sont  descendues  vers 
le  peuple. 

Sans  doute,  Louis  XVI,  par  sa  déplorable  faiblesse, 
enhardissait  à  l'insulte  ^  ;  mais  la  tourbe  des  courti- 
sans qui  vivait  des  bienfaits  de  la  royauté,  com- 
ment la  qualifier,  à  la  voir  marquer  sa  gratitude 
par  tant  de  sarcasmes,  tant  d'épigrammes,  qui 
allaient  ouvrir  la  voie  aux  pamphlets  obscènes,  aux 
anecdotes  scandaleuses  ? 

Au  début,  ce  n'est  pas  le  Palais-Royal,  ce  n'est 
point  Philippe  d'Orléans  qui  ouvre  le  feu,  c'est  dans 
l'entourage  le  plus  direct  de  la  reine  et  du  roi  qu'on 
s'attache  à  les  salir.  «  Monsieur  composait  des  noëls 
et  des  chansons  contre  le  roi  son  frère,  dont  il  était 
le  premier  sujet  ;  le  duc  de  Lauzun,  le  comte  de  Lau- 
raguais,  le  chevalier  de  Boufflers,  le  chevalier  de 
Coigny,  le  soi-disant  marquis  de  Champcenetz,  fils 


vie.   OH.    —   MONSIEUR,   FRKRE    DU    ROI 


LA    VERTU    DE    MARIE-ANTOINETTE  869 

du  gouverneur  des  Tuileries,  se  répandaient  en  quoli- 
bets, en  bons  mots,  en  chansons  contre  le  trône, 
la  magistrature  et  les  lois.  //  était  devenu  de  bon  Ion, 
à  ta  Cour,  de  se  moquer  de  Louis  XVI  9.  »  C'est  un 
contemporain,  un  observateur  bien  placé  pour  juger, 
qui  formule  cette  appréciation,  que  nous  pouvons 
conséquemment  tenir  pour  exacte. 

Sur  Monsieur,  le  futur  Louis  XVIII,  l'opinion 
est  unanime.  Tout  empressé  qu'il  voulût  paraître 
auprès  de  la  reine,  celle-ci  n'a  pas  été  longtemps 
à  reconnaître  son  penchant  à  l'intrigue  et  son  carac- 
tère tortueux.  Généralement  on  convient  que  le 
comte  de  Provence  est  spirituel  mais  fourbe,  galant 
mais  renfermé,  et  avec  cela  une  pointe  de  pédanterie 
tout  à  fait  déplaisante.  «  M.  de  Provence,  tout  jeune 
qu'il  est  (écrivait  avec  une  verve  malicieuse  la  dau- 
phine  à  sa  mère),  est  un  homme  qui  se  livre  très  peu 
et  se  tient  dans  sa  cravate.  Je  n'ose  pas  parler  devant 
lui,  depuis  que  je  l'ai  entendu  à  un  cercle  rei)rendre 
déjà  pour  une  petite  faute  de  langue  la  pauvre  Clo- 
tilde,  qui  ne  savait  où  se  cacher.  »  Incontestablement, 
il  avait  de  l'esprit  et  de  la  mémoire  :  il  apprenait 
tous  ses  rôles  par  cœur  et  savait  aussi  ceux  des 
autres  ;  quand  on  représentait  quelque  comédie  à 
la  Cour,  il  suppléait  à  merveille  au  souflleur  ;  mais 
pour  «  la  bassesse  et  la  fausseté  ^°»,  il  n'avait  pas 
son  pareil 

Tout  dilïércnt  de  son  frère  et  bien  autrement 
sMuisant,  le  galant  comte  d'Artois.  «  Le  comte 
d'Artois  —  c'est  toujours  Marie-Antoinette  qui  nous 
livre  ses  impressions,  d'une  fraîcheur  et  d'une  sin- 
cérité qui  en  doublent  le  prix  —  le  comte  d'Artois 
est  léger  roiiimc  un  page  et  s'inquiète  moins  de  la 

24 


370  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 


grammaire  ni  de  quoi  que  ce  soit...  Le  comte  d'Artois 
hasarde  pendant  les  repas  des  folies  que  le  comte  de 
Provence  appelle  des  entremets...  Il  y  a  des  jours 
qu'il  fait  éclater  d'un  si  gros  rire  M.  le  Dauphin, 
qu'il  nous  en  fait  tous  éclater  en  larmes.  M.  de  Pro- 
vence dit  que  mon  mari  a  le  rire  homérique...  »  On 
voit  cette  scène  de  famille  ;  elle  est  peinte  de  maî- 
tresse main. 

Jusqu'alors  ce  sont  «  plaisirs  de  pensionnaires  », 
selon  l'expression  de  la  jeune  écervelée,  mais  la 
pente  est  glissante  et  douce.  Viendra  le  jour  où 
l'on  s'abandonnera  davantage,  où  le  comte  d'Artois 
jouera  les  amoureux,  avec  sa  belle-sœur  pour  parte- 
naire, sur  la  petite  scène  de  Versailles  ou  de  Trianon, 
avant  de  les  jouer  au  naturel. 

Autant  Marie-Antoinette  se  sentait  d'éloignement 
pour  le  personnage  cauteleux,  dissimulé,  qu'était  son 
beau-frère  Provence,  autant  elle  se  trouvait  en  con- 
formité de  goûts  avec  le  pétulant  mais  compromet- 
tant d'Artois.  Aux  objurgations  de  sa  mère,  qui  la 
met  en  garde  contre  cette  inclination,  dont  on  com- 
mence à  s'entretenir  tout  haut  :  «  Il  est  vrai,  lui 
répond-elle  sans  rien  feindre,  que  le  comte  d'Artois 
est  turbulent  et  n'a  pas  toujours  la  continence  qu'il 
faudrait,  mais  ma  chère  maman  peut  être  assurée 
que  je  sais  l'arrêter  dès  qu'il  commence  ses  polis- 
sonneries (sic)  ;  et  loin  de  me  prêter  à  ses  familia- 
rités, je  lui  ai  fait  plus  d'une>  fois  des  leçons  morti- 
fiantes, en  présence  de  ses  frères  et  de  ses  sœurs.  » 

Cette  lettre  porte  la  date  de  novembre  1774;  le 
11  juillet  précédent,  l'auteur  d'une  Chronique  secrète 
de  Paris  sous  Louis  XVI,  un  défenseur  de  la  mo- 
narchie,    l'abbé    Bandeau,    mentionnait     sur    ses 


LA    VERTU    DE    MARIE-ANTOINETTE 


871 


tablettes:  «  On  tire  à  boulets  rouges  sur  la  reine;  il 
n'y  a  tas  d'horreurs  qu'on  ne  débite,  et  les  plus  con- 


FIG.  99.  —  LE  COiMTE    D'aHTOIS 


tradictoires  sont  admises  par  certaines  gens.  »  Mais 
la  reine  restait  sourde  à  ces  bruits,  dans  J'étourdis- 
sement  de  son  existence  de  plaisirs  ;  elle  ne  prenait 


372  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

pas  davantage  souci  des  reproches  que  lui  adressait 
sa  mère,  sur  ses  courses  continuelles  avec  le  comte 
d'Artois,  au  bois  de  Boulogne  et  ailleurs.  «  Une 
princesse,  lui  disait-elle  sensément,  doit  se  faire 
estimer  dans  ses  moindres  actions,  et  point  faire 
la  petite  maîtresse,  ni  en  parure,  ni  dans  ses  amuse- 
ments. On  nous  épluche  trop  pour  ne  pas  être  toujours 
sur  ses  gardes  ".  »  C'était  la  sagesse  même,  mais  la 
légèreté  et  l'insouciance  de  la  jeune  reine  n'en  avaient 
cure. 

Elle  allait  aux  bals  de  l'Opéra,  un  jour  travestie  en 
amazone  ;  un  autre  jour,  dans  le  domino  vulgaire 
qui  chasse  le  respect  et  attire  l'indiscrétion  ^^.  Qui 
l'accompagnait  ou  qui  retrouvait-elle  certain  jour 
qu'elle  s'y  était  rendue  en  compagnie  de  sa  surinten- 
dante et  de  la  comtesse  de  Provence  ?  Le  comte 
d'Artois  ! 

Un  nouvelliste  bavard,  au  lendemain  d'une  de  ces 
aventures,  rapportait  ce  qui  suit.  La  reine,  aperce- 
vant uii  masque  «  fort  leste  »,  s'avance  vers  lui  : 
«  Qui  es-tu  ?  lui  demande-t-elle.  —  Ton  sujet,  belle 
amazone  I  »  Quel  masque  était  assez  osé...  ?  On  l'a 
deviné  :  d'Artois  !  Il  était,  dira-t-on,  de  la  famille  '3, 
mais  voici  plus  grave  ;  l'anecdote  est  tirée  des 
Mémoires  secrets,  dont  il  faut  assurément  se  défier, 
mais  si  Bachaumont  brode  quelquefois,  le  plus  sou- 
vent il  n'invente  pas  de  toutes  pièces.  Entendons 
Bachaumont. 

Un  masque  fort  extraordinaire  qui,  la  nuit  du  jeudi 
gras,  a  beaucoup  parlé  à  la  reine  durant  le  temps  qu'elle 
a  été  dans  sa  loge  au  bal  de  l'Opéra,  qui  a  singulière- 
ment réjoui  Sa  Majesté,  au  point  d'être  observé  de 
tous  les  spectateurs  et  de  les  avoir  intrigués,  est  encore 


LA    VEIITU    DE    MARIE-ANTOINETTE 


373 


un  problème  à  résoudre.  Ce  masque  était  vêtu  comme 
une  poissarde,  avec  une  coiiïure  déchirée  sur  la  tête 
et  le  reste  de  l'habillement  à  proportion.   Dès  que  la 


VÏC.  100. 


MARIE-ANTOINETTE 


icinc  a  paru,  il  est  venu  au  bas  de  sa  loge,  et  l'a  cntre- 
l)risc  avec  une  famiharité  singulière,  l'appelant  Antoi- 
nette et  la  gourrnaridant  de  n'être  pas  couchée  auprès 
de  son  mari,  qui  ronflait  en  ce  moment.  Il  a  soutenu 


374  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

la  conversation,  que  tout  le  monde  entendait,  sur  ce 
ton  de  liberté  ;  il  y  a  mis  tant  de  gaieté  et  d'intérêt, 
que  Sa  Majesté,  pour  mieux  causer  avec  lui,  se  baissait 
vers  lui  et  lui  laissait  presque  toucher  sa  gorge.  Après 
plus  d'une  demi-heure  de  propos,  elle  l'a  quitté  en 
convenant  qu'elle  ne  s'était  jamais  tant  amusée,  et 
sur  ce  qu'il  lui  reprochait  de  s'en  aller,  elle  lui  a  promis 
de  revenir,  ce  qu'elle  a  fait.  Le  second  entretien  a 
été  aussi  long  et  aussi  public  et  cette  farce  a  fini  par 
l'honneur  qu'eut  l'inconnu  de  baiser  la  main  de  la 
reine,  familiarité  qu'il  a  prise  sans  qu'elle  s'en  soit 
offensée. 

Quel  audacieux  s'était  permis  ce  manque  de  res- 
pect, qu'on  avait,  il  faut  bien  le  dire,  encouragé  ? 
On  l'ignora  un  certain  temps,  mais  on  sut  plus  tard 
que  c'était  Dugazon,  l'acteur  de  la  Comédie-Fran- 
çaise. La  rumeur  publique  l'avait  désigné,  mais  on 
se  refusait  à  y  ajouLcr  foi. 

Les  plus  déterminés  panégyristes  de  la  reine  en 
conviennent  :  elle  ne  regardait  pas  .à  ne  point  ménager 
sa  santé  «  pour  le  plaisir  de  danser,  par  exemple,  à 
l'Opéra  '4,  jusqu'à  cinq  heures  du  matin,  de  rentrer 
à  Versailles  à  six  heures  et  demie,  et  d'en  repartir 
à  dix,  pour  aller  aux  courses  ^5  ». 

C'est  le  comte  d'Artois  —  toujours  lui  !  —  qui 
l'avait  mise  en  goût  de  ces  courses  à  l'anglaise,  où 
elle  se  mêlait  à  la  foule,  «  au  milieu  des  paris  bruyants 
et  des  propos  indécents  des  jeunes  gentilshommes  ». 
C'est  d'Artois  encore  qui  l'avait  entraînée  à  chasser 
le  daim  au  bois  de  Boulogne,  et  s'il  restait  à  dîner 
dans  les  petites  maisons  du  Bois  en  trop  joyeuse 
compagnie,  la  miéchanceté  pouvait  sans  effort  per- 
suader au  public  que  la  reine  y  était  restée  aussi. 

On  ne  se  faisait  pas  faute,  dans  l'entourage  direct 


TA    VERTU    DE   MARIE-ÂNTOINETTE 


375 


de  Marie-Antoinette,  d'opposer  la  dissipation  de 
celle-ci  à  la  sagesse  de  Madame,  sa  belle-sœur,  la 
comtesse  de  Provence.  La  comtesse  de  Lamarck, 
passant  en  revue  la  Cour  de  France,  dans  une  lettre 


FIG.    101.   —  MADAMK,    I  KMMK    DE   LOUIS  XVIII 


qu'elle  adressait  au  roi  de  Suède,  disait,  parlant  de 
la  reine  :  «  La  reine  va  sans  cesse  à  l'Opéra  et  à  la 
Comédie,  fait  des  dettes,  sollicite  des  procès,  s'aiTublc 
de  plumes  et  de  pompons,  et  se  moque  de  tout.  » 

Le  comte  de  La  Marck  se  montre  plus  explicite, 
tout  en  tenant  un  langage  plus  mesuré.  «  C'est  dans 


376  LA    PRINCESSE    DE   LAMI3ALLE    INTIME 

les  méchancetés  et  les  mensonges  répandus,  de  1785 
à  1788,  par  la  Cour  contre  la  reine,  qu'il  faut  aller 
chercher  les  prétextes  des  accusations  au  tribunal 
révolutionnaire,  en  1793,  contre  Marie-Antoinette.  » 

Les  biographes  les  plus  indulgents  ne  peuvent  s'em- 
pêcher de  reconnaître  que  ce  sont  les  refrains  des 
gens  de  cour  qui  accompagneront  à  la  guillotine  les 
époux  royaux.  «  Les  immondices  que  remuera  la 
Révolution,  les  allusions  à  Messaline  et  à  Frédégonde, 
s'étalent  en  couplets  piquants,  aux  rimes  élégantes 
et  poudrées,  et  les  grandes  dames  les  chantent  sur 
les  airs  à  la  mode,  dans  l'intimité  des  fins  soupers. 
Mais  les  fenêtres  sont  ouvertes  ;  les  passants  de  la 
rue  écoutent,  répètent,  et  du  salon  la  chanson  des- 
cend au  cabaret  ;  le  peuple,  à  qui  l'on  enseigne  le 
mépris  des  reines,  des  femmes  et  des  mères,  n'ou- 
bliera  aucune  des  leçons  qu'il  a  reçues  '^.  » 

Sans  doute,  les  noëls  railleurs,  leâ  épigrammes  satiri- 
ques, les  couplets  frondeurs,  c'est  à  Versailles  autant 
qu'au  Palais-Royal  qu'ils  ont  pris  naissance  :  leurs  au- 
teurs en  furent  Maurepas,  le  comte  de  Provence,  le 
duc  d'Orléans,  les  uns  mortifiés,  les  autres  déçus.  Les 
Lauzun,  les  Galonné  en  profitèrent  pour  donner 
libre  cours  à  leurs  rancunes  propres,  ou  à  celles  de 
femmes  de  qualité  qui  leur  étaient  plus  ou  moins 
attachées  ;  tous  et  toutes,  y  compris  les  tantes  du 
roi,  grondeuses  et  peu  bienveillantes,  ont  acheminé 
la  jeune  reine  vers  le  couperet  de  Sanson  ;  mais 
combien  elle  les  a  secondés  elle-même,  nous  ne  dirons 
pas  seulement  par  ses  imprudences,  mais  par  des 
bravades  ou  des  moqueries  plus  ou  moins  mali- 
cieuses 1 

Lors  des  premiers  déchaînements  de  la  médisance 


f   -K 


IK,.    102.    —    LAHCIIIDUC    MAXIMILIKN  FHANÇOI-  \A\  II, 
FRÈRE    DE    MARIE-ANTOINiniL. 


•ii-,ii:an. 


LA.    VERTU    DE    MARIE-ANTOINETTE  879 

contre  Marie-Antoinette,  la  princesse  de  Marsan 
s'était  permis  de  lui  dire  :  «  Madame,  si,  dans  ce 
moment  que  tant  de  bruits  désavantageux  courent 
sur  votre  compte,  vous  deveniez  grosse,  que  pense- 
rait-on? —  On  dirait,  répliqua  la  reine,  que  j'ac- 
coucherai au  bout  de  neuf  mois.  » 

Les  méchants  commentaires  allaient  leur  train; 
Marie-Antoinette  ne  faisait  rien  ou  presque  rien 
pour  imposer  silence  à  la  malveillance. 

Dans  les  bals  où  elle  paraissait,  elle  affectait  de 
rire  à  gorge  déployée  avec  le  comte  d'Artois  et 
l'archiduc  son  frère,  quand  celui-ci  vint  à  Paris; 
et  elle  signalait  à  ce  dernier,  en  accompagnant 
leur  nom  d'épithètes  qui  n'étaient  rien  moins  que 
louangeuses,  les  principales  dames  de  la  Cour; 
ses  propos  transpiraient  autour  d'elle  et  lui  alié- 
naient ceux  ou  celles  sur  qui  elle  avait  daubé. 
C'est  dans  un  de  ces  bals  que  la  reine  jeta  ses 
regards  sur  un  jeune  seigneur,  qui  n'était  «  ni  le 
plus  aimable,  ni  le  plus  spirituel,  ni  le  plus  beau 
danseur  de  ceux  de  son  rang  »,  mais  qui  fut  en  tout 
cas  celui  «  qui  plut  davantage  à  la  reine  »  :  c'élail 
le  comte  de  Dillon,  celui  qu'on  appelait  le  beau  Dillon. 

Un  moment,  toutes  les  préférences  furent  pour  lui. 
On  marquait  de  l'inquiétude  quand  il  ne  paraissait 
pas  et  le  visage  se  reprintanisait  lorsqu'il  arrivait. 
Il  fut  comme  déclaré  le  chevalier  de  la  reine.  La 
reine  obtint  pour  lui,  du  roi,  de  légères  faveurs, 
mais  qui  à  Paris  lui  donnèrent  un  air  de  triom- 
phe. Elle  voulut  que  M.  de  Muy,  alors  ministre 
de  la  Guerre,  le  dispensât  d'aller  à  son  régiment,  sous 
prétexte  qu'on  aurait  besoin  de  lui  pour  les  bals  de 
Tété.  Le  ministre  répondit  qu'il  ne  pouvait  accorder 


38o  LA    PRINGi:SSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

â  M.  de  Dillon  une  grâce  qui  pourrait  nuire  à  la  «  sévé- 
rité de  la  discipline  militaire  ^'  ».  On  reconnaît  h\ 
l'imprudence  de  cette  jeune  reine,  qui  ne  craignait 
pas  de  se  compromettre,  en  affichant  ses  sentiments 
pour  un  bel  officier  en  faveur  duquel  elle  sollicitait  un 
passe-droit  et  qui  ne  s'interdisait  pas  de  proclamer 
en  tous  lieux  sa  bonne  fortune.  La  chronique  ajoute 
que  la  princesse  de  Rohan-Guéméné  succéda  au 
comte  Dillon  dans  les  bonnes  grâces  de  la  reine,  mais 
que  sa  faveur  fut  de  courte  durée  :  «  cet  attachement 
suivit  les  progrès  des  chaleurs  de  l'été  et  s'éteignit 
entièrement  avec  les  premiers  froids  de  l'automne, 
qui  ramena  M.  le  comte  de  Dillon  à  son  régiment  ». 
Le  roi  aurait,  paraît-il,  été  au  courant  de  cette  liai- 
son et,  au  dire  de  certain  pamphlétaire  ^^  —  tenons- 
nous  en  garde  contre  une  assertion  quiijpeut  être 
hasardée!  — ^. Louis  XVI  fournissait  l'argent  néces- 
saire au  comte  pour  faire  la  partie  de  la  reine; 
c'est  dire  qu'il  ne  voyait  pas  d'un  trop  mauvais  œil 
cette  préférence,  nous  allions  dire  ce  flirt  de  la  reine, 
jusqu'au  jour  où  une  imprudencç  perdit  les  deux 
jeunes  gens.  «  La  reine,  à  un  des  bals  qu'elle  donnait 
au  château,  et  pendant  lesquels  elle  ne  dansait 
presque  plus  qu'avec  Dillon,  prétendit  avoir  une 
palpitation  de  cœur  eff^royable;  elle  fit  mettre  la 
main  sur  son  cœur  à  son  auguste  époux,  et  après  lui, 
au  cher  comte,  qui  eut  la  hardiesse  de  s'y  prêter 
en  la  présence  de  son  maître.  Le  roi  prit  mal  la  plai- 
santerie; on  craignait  déjà  pour  Dillon,  mais  l'hu- 
meur ne  tarda  pas  à  disparaître.  L'addroite  (sic) 
Antoinette  apaisa  tout  avec  une  caresse  et  quelques 
mots  tendres;  l'amant  reprit  la  confiance  avec  la 
faveur  et  le  nigaud  de  mari  rentra  dans  son  insou- 


LA    VERTU    DE    MARIE-ANTOINETTE 


38  1 


ciance  et  sa  nullité  ».  C'est  alors  que  Dillon,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  fut  envoyé  dans  un  régi- 


MADAME    CAMPAN 


ment,  et  que  Madame  de  Guéméné  fut  chargée  de 
sécher  les  pleurs  de  la  belle  souveraine.  Quand  le 
beau  militaire  revint  de  l'armée,  la  favorite  intéri- 
mîure  s'empressa  de  lui  céder  la  place. 


382  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Nous  sommes  loin  de  tenir  pour  articles  de  foi 
les  accusations  des  libellistes;  mais  comment  ne 
pas  prendre  au  sérieux  des  allégations  émanant  de 
serviteurs  dévoués,  de  témoins  impartiaux  comme 
Mercy-Argenteau,  l'ambassadeur  d'Autriche  à  la 
Cour  de  France,  qui  établit  ses  rapports  de  ni'^u, 
avec  l'unique  préoccupation  de  renseigner  en  toute 
sincérité  celle  qui  lui  a  accordé  sa  confiance  ?  Or, 
que  dit  Mercy  à  la  date  d'août  1777,  c'est-à-dire 
dès  les  premiers  temps  du  règne  ?  Qu'il  «  s'est  établi 
un  nouveau  genre  d'amusement  peu  convenable, 
mais  qui  heureusement  doit  cesser  avec  la  belle 
saison  ».  Et  quel  est  ce  divertissement  de  mauvais 
goût  ?  Vers  dix  heures  du  soir,  il  y  a  concert  sur  la 
grande  terrasse  de  Versailles,  auquel  participent 
«  les  bandes  de  musique  de  la  garde  française  et  suisse. 
Une  foule  de  monde  se  rendait  sur  cette  terrasse, 
et  la  famille  royale  se  promenait  au  milieu  de  cette 
cohue,  sans  suite  et  presque  déguisée...  Surtout  pour 
la  reine,  de  pareilles  promenades  peuvent  produire 
de  grands  inconvénients  ;  parmi  cette  nation,  où 
la  jeunesse  est  si  étourdie  et  si  inconsidérée,  on  ne 
saurait  être  trop  en  garde  contre  les  occasions  d'être 
méconnue.  C'est  toujours  M.  le  comte  d'Artois  qui 
est  un  des  principaux  promoteurs  de  ces  sories  d'amu- 
sements ^9  », 

Ces  concerts  cessèrent  quand  vint  l'hiver,  mais 
ils  reprirent  les  années  suivantes,  pendant  l'été.  De 
nouveau,  l'avisé  diplomate  déplore  que  le  public  ait 
la  liberté  de  s'y  rendre  r,  «  mais  on  a  pris  un  peu  plus 
de  mesures  que  dans  les  années  précédentes,  pour 
écarter  la  mauvaise  compagnie  et  l'empêcher  de 
s'approcher  de  trop  près  des  princesses  royales  />. 


LA   VERTU    DE    MARIE-ANTOINETTE  383 

Un  mois  plus  tard,  le  vigilant  Mercy  signale  à  son 
impériale  correspondante,  que  «  ces  promenades 
(de  S.  M.  et  des  princesses,  ses  belles-sœurs)  ont 
excité  beaucoup  de  critiques  à  Paris  ».  Ne  conte- 
t-on  pas  que  la  reine  y  a  noué  une  intrigue  avec  «  un 
jeune  commis  des  bureaux  de  la  guerre  »  ?  Ma- 
dame Campan,  dont  les  dires  en  cette  circonstance 
ne  sauraient  être  suspectés  ^o,  prétend  qu'il  était 
«  assez  spirituel  et  de  fort  bon  ton  ».  Admettons, 
avec  la  femme  de  chambre  de  la  reine  ^S  que  l'aven- 
ture n'eut  pas  de  suites  fâcheuses,  bien  que  les 
pamphlétaires  aient  autrement  raconté  l'épisode, 
mais  quelle  singulière  tenue,  pour  une  reine  de  France, 
que  d'aller  engager  la  conversation,  sur  un  banc  de 
jardin,  avec  le  premier  passant  qui  s'offre,  fût-il  poli 
de  manières  et  du  nicilleur  ton  ! 

Il  semble  que  la  reine  ait  pris  un  plaisir  particulier 
à  ces  promenades  nocturnes,  qu'on  lui  a  si  durement 
et  justement  reprochées.  Il  y  eut  surtout  «  ces  fa- 
meuses parties  des  quatre  coins,  où  le  Veto  royal 
(Louis  XVI)  était  toujours  «  le  pot  de  chambre"  », 
et  qui  prêtaient  à  une  trop  facile  critique. 

C'était  une  sorte  de  cohn-maillard,  où  les  femmes 
de  la  Cour,  les  femmes  de  chambre,  les  femmes  des 
premiers  commis,  des  bourgeois,  des  valets  du  châ- 
teau et  même  les  grisettes  se  mêlaient  et  se  prome- 
naient ensemble  dans  l'obscurité.  On  finit  par  se  dé- 
guiser. La  reine,  Monsieur  et  le  comte  d'Artoisettdeurs 
singes  «couraient  la  terrasse  et  même  les  bosquets  : 
les  femmes  avec  des  capotes  et  les  hommes  avec  des 
redingotes  et  de  grands  chapeaux  rabattus  sur  le 
nez.  On  se  perdait,  on  se  retrouvait  et  tout  était 
^  au  mieux  dans  le  meilleur  des  mondes  possible  *^ 


384  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

Ces  nochirnoles,  comme  quelqu'un  les  baptisa  d'un 
expression  assez  imagée,  durèrent  pendant  tout  l'été. 
On  finit  par  interdire  au  public  les  promenades  du 
parc  après  souper,  mais  on  fit  illuminer  une  partie 
des  bosquets  :  c'est  dans  l'un  de  ces  bosquets  qu'on 
installa  un  trône  de  fougères,  et  là  on  se  mit  à  jouer 
à  un  jeu  qui  nous  est  décrit  en  termes  qui  ne 
laissent  malheureusement  aucune  place  à  l'équi- 
voque. 

«  On  élisoit  un  roi...  Il  donnoit  ses  audiences, 
tcnoit  sa  cour  et  rendoit  justice  sur  les  plaintes  qui 
lui  étoient  adressées  par  son  peuple  représenté  par 
les  gens  de  la  Cour...,  par  le  roi  et  la  reine,  qui 
venoient  se  dépouiller  de  leur  grandeur  au  pied  de 
ce  trône  factice.  On  faisoit  au  nouveau  roi  les  plaintes 
plus  originales  les  unes  que  les  autres  :  les  peines  et 
les  récompenses  ne  l'étoient  pas  moins.  Mais  au  bout 
de  ces  plaisanteries,  qui  ne  pouvoient  faire  qu'un 
bon  effet.  Sa  Majesté,  qui  étoit  presque  toujours 
V'judreuil,  prenoit  fantaisie  de  faire  des  mariages; 
il  marioit  le  roi  avec  une  femme  de  la  Cour,  la  reine, 
avec  un  des  hommes  (on  a  remarqué  qu'il  se  l'appro- 
prioit  presque  toujours).  Il  en  faisoit  de  même  pour 
les  autres  hommes  et  femmes  de  la  société  ;  il  les 
faisoit  approcher  par  couples  au  pied  du  trône, 
ordonnoit  que  chacun  se  prît  par  la  main,  et  là... 
on  attendoit  le  mot  sacramentel,  qui  étoit  décam- 
pa!ivr>s.  Aussitôt  prononcé,  chacun  avec  sa  chacune 
fuyoit  à  toutes  jambes  vers  un  des  bosquets  qu'il 
choisissoit  ;  défense,  de  par  le  roi  des  Fougères, 
de  rentrer  avant  deux  heures  dans  la  salle  du  Trône  ; 
défense  d'aller  plus  d'un  couple  ensemble...  défense 
de  se  voir,  d^  se  rencontrer,  de  se  nuire,  de  se  cher- 


LA    VERTU    DE    MARIE-ANTOI.NETTE 


385 


cher,  ni  de  se  parler.  On  assure  que  ce  jeu  plaisait 
fort  au  roi,  qui  trouvait  fort  plaisant  de  se  voir  ainsi 
détrôné  sur  l'herbe  par  Vaudrcuil  ^4.  » 


FIG.  104. 


LE  COMTE   DE  VAI'DHKIJIL 


L'opinion  publique  faisait  fausse  route  :  Vaudrcuil 
aimait  ailleurs.  Le  comte  Rigault  de  Vaudrcuil,  qui 
régnait  dans  le  salon  de  la  comtesse  Jules  de  Poli- 


25 


386  LA    PRINCEîsSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

gnac,  était  un  des  hommes  les  plus  séduisants  de 
la  Cour.  Il  avait  fait  la  guerre  de  Sept  ans  et  s'y 
était  distingué  par  sa  bravoure.  «  Grand,  bien  fait, 
élégant  »,  il  était,  «  dans  la  conversation,  sérieux  ou 
plaisant  à  propos  ;  il  avait  le  mot  juste,  contait  à 
ravir  et  savait  écouter  ».  La  comtesse  d'Hénin  disait 
qu'à  sa  connaissance,  il  n'y  avait  que  deux  hommes 
qui  sussent  parler  aux  femmes  :  l'acteur  tragique 
Lekain  et  Vaudreuil.  Mais  il  gâtait  ces  heureuses 
qualités  par  ses  emportements  coléreux.  «  Personne 
n'a  jamais  poussé  la  violence  si  loin,  écrit  de  lui  Besen- 
val,  la  moindre  contrariété  le  mettait  hors  de  lui.  » 

Il  n'avait  ni  un  jugement  profond,  ni  des  vues  éle- 
vées, mais  on  lui  prêtait  des  goûts  littéraires  et  artis- 
•tiques  ;  il  se  plaisait  dans  la  société  des  écrivains, 
des  peintres  et  des  musiciens,  chantait  lui-même 
agréablement  et  passait  pour  le  meilleur  auteur  mon- 
dain qu'il  y  eût  à  Paris.  Poète  à  ses  heures,  nul  n'ai- 
guisait mieux  l'épigramme.  Marie-Antoinette  se 
montra  un  jour  à  son  bras,  «  en  déshabillé  blanc,  les 
cheveux  en  désordre  »  ;  ce  qui,  on  le  devine,  produisit 
le  plus  déplorable  eflet  sur  celui  qui  en  eut  la 
vision  25. 

C'est  avec  Vaudreuil  que  Marie-Antoinette  joua 
le  Barbier  de  Sévdle,  au  Petit-Trianon,  la  reine  tenant 
le  rôle  de  Rosine,  Vaudreuil  celui  d'Almaviva.  Vau- 
dreuil joua  si  bien  que  «  le  bruit  se  répandit  que 
le  personnage  d'amoureux  de  la  reine  ne  se  bornait 
pas  pour  lui  au  théâtre  ».  On  prétend  cependant 
qu'il  ne  lui  plaisait  guère  et  que,  si  elle  le  combla 
de  faveurs  —  il  avait  été  nommé  gouverneur  de  la 
citadelle  de  Lille,  grand  fauconnier,  etc.  —  c'est 
à  Madame  de  Polignac  qu'il  le  dut.  Toujours  est-il 


LA   VERTU   DE    MARIE-ANTOINETTE 


387 


que,  lorsqu'il  se  mit  sur  les  rangs  pour  être  gouver- 
neur du  dauphin,  le  roi  et  [la  reine  furent  d'accord 


FIG.   105,   —  MADAME  DE  POLIGNAG 


»ur  récarter,  à  cause  de  la  violence  de  son  carac- 
re.  Il  était  arrivé  à  fatiguer  ceux  qui  lui  témoi- 
I aient  le  plus  d'intérêt  par  ses  exigences  et  ses  al- 


388  LA   PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

lures  impérieuses.  Madame  Campan  a  relaté  qu'à 
Trianon,  en  1786,  il  s'oublia  jusqu'à  casser,  dans  un 
accès  dé  colère,  la  queue  de  billard  de  la  reine,  objet 
d'art  d'un  grand  prix  :  taillée  dans  une  dent  d'élé- 
phant, la  crosse  en  était  d'or  et  travaillée  avec 
infiniment  de  goût. 

Amant  en  titre  de  Madame  de  Polignac,  dont  nous 
aurons  à  dire  le  rôle  auprès  de  Marie-Antoinette, 
Vaudreuil,  par  cette  entremise,  Maîfetîsait  autant 
la  reine  que  s'il  l'eût  eue  à  sôri  èÀtîèfè  dévotion; 
Vange,  comme  on  appelait  dans  ï'înÉimi'té  Mme  de 
Polignac,  «  plus  avide  que  tendre  »  (disait  d'elle 
Ma;"ie-Thérèse),  s'entendait  mieux  que  personne  au 
monde  à  faire  la  fortune  de  ceux  qui  lui  étaient  atta- 
chés, soit  par  une  liaison  régulière,  comme  son  mari, 
qu'elle  fit  nommer  sans  retard  grand-officier  de  la 
couronne,  soit  par  des  liens  plus  doux;  èômnie  Vau- 
dreuil, Adhémar  ou  Besenval,  mais  Vaudreiiil  avant 
tous  les  autres.  «  En  tout  cela,  la  jolie  fèmrriè  (la 
Polignac)  était  menée  par  deux  dèmoiis  :  Dîàriè; 
sa  belle-sœur,  bossue,  galante,  d'esprit  malin,  ^èf- 
vers  ;  et  son  ami  Vaudreuil,  un  violent  créole,  colère, 
emporté  ^^,  provocant.  Voilà  les  tnaîttès  ctë  là 
reine  ^7.  »  C'est  à  Diane  de  Polignac  que  ïa  rèînè, 
émue  de  certains  propos  scandaleux  qui  lui  étaient 
revenus  aux  oreilles,  dit  un  jour  :  «  Est-il  vrai  que 
le  bruit  court  que  j'ai  des  amants  ?  —  On  tîertt 
i)îéri  ^'autres  propos  sur  Votre  Majesté,  répondît 
la  comtesse.  —  Lesquels  ?  —  On  dit  que  le  beau 
Fersen  est  le  père  du  dauphin  ;  M.  de  Coigny,  de 
Madame  Royale  ;  le  comte  d'Artois,  de  M.  de 
Normandie.  —  Et  la  reine  d'interrompre  avec 
vivacité .  l'énumération,    pour    demander  :   «  Et  la 


LA  VERTU   DE  MARIE-ANTOINETTE 


389 


fausse   couche  ?  »    Commérages  de  l'Œil-de-Bœuf, 

dit    en    guise   de    commentaire    celui    qui    repro- 


FKi.    100. 


DIANE  DE   rOLrC.NAC 


duit  cctU'  conversation  *^  ;  mais  est-il  confirmation 
meilleure  de  ce  que  nous  avons  déjà  montré,  que 
c'est  dans  son  entourage  môme  que  la  reine  a  compté 
ses  pires  ennemis  ;  comment  eût-il  pu  en  être  autre- 


390 


LA   PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 


•ment,  alors  qu'elle  favorisait  les  uns  au  détriment 
des  autres  ?  Passons  donc  rapidement  en  revue  ceux 
qui  ont  reçu  les  marques  ostensibles  d'une  préférence 
qui  éclatait  à  tous  les  yeux,  au  point  que  les  défen- 
seurs les  plus  obstinés  de  Marie-Antoinette  n'osent 
y  contredire. 


^r^ 


NOTES  DU  CHAPITRE  XVI 


1.  «  La  chevalerie  et  le  roman  sont  contrariés,  qu'y 
faire  ?  Les  pièces  originales  sont  là  telles  quelles  ;  elles 
parlent  ou  elles  se  taisent,  elles  font  foi.  Les  conditions 
modernes  de  l'histoire  sont  à  ce  prix.  »  Nouveaux  Lundis,  X, 
355. 

2.  Nouveaux  Lundis  (Paris,  Michel  Lévy,  1867),  t.  VIIL 

3.  Bévue  rétrospective,  de  Taschereau  (1833). 

4.  Lettre  de  Marie-Thérèse  à  Marie-Antoinetle,  31  octobre 
1771  (Correspondance  publiée  par  Geffroy  et  d'Arneth). 

5.  L'ambassadeur  Mercy-Argenteau  note  que  la  reine  «  se 
formait  une  trop  mince  idée  du  caractère  et  des  facultéK 
morales  de  son  époux  ».  Et  celui  qui  rapporte  ce  jugement 
d'un  des  conseillers  les  plus  clairvoyants  de  Marie-Antoi- 
netle, brosse,  en  manière  de  corollaire,  ce  portrait  fort  bien 
venu  de  Louis  XVI  :  «  Dévoué  au  bien  public,  économe  jus- 
qu'à la  minutie,  réglé  dans  ses  habitudes,  laborieux  et 
appliqué,  sérieusement  instruit,  ses  qualités  mêmes  n'étaient 
pas  de  nature  à  être  appréciées  par  une  petite  tète  frivole 
et  dissipée...  Gauche  dans  ses  manières,  avec  une  dé- 
marche lourde  et  comme  titubante,  d'un  embonpoint  pré- 
coce, d'ailleurs  irrésolu,  débonnaire  jusqu'à  la  faiblesse, 
malgré  des  coups  de  boutoir  parfois  désobligeants,  absolu- 
ment nul  alors  au  point  de  vue  conjugal,  il  n'avait  rien  qui 
pût  inspirer  à  une  jeune  femme  lamour  ou  le  respect. 
Marie-Antoinette  l'appelait  le  pauvre  homme  dans  le  cercle  de 
ses  intimes  où,  quand  il  jouait,  on  avançait  la  pendule 
pour  le  faire  aller  coucher  plus  tôt.  »  Ce  portrait  psycholo- 
gique est  de  tous  points  exact  et,  pour  le  composer, 
M.  Gustave  Desjardins  (Cf.  le  Petit  Trianon,  histoire  et  des- 
cription; Versailles,  1885)  n'a  eu  qu'à  s'insp'irer  des  divers 
Mémoires  du  temps  ;  n'est-ce  pas  dans  un  de  ces  Mémoire», 
qu'on  lit  qu'à  Versailles,  après  son  déjeuner,  le  roi  mon- 
tait, pour  se  distraire,  dans  les  combles  du  palais,  et  de  là> 
avec  une  lorgnette,  épiait  les  rares  carrosses  qui  faisaient 


392  LR    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

leur  apparition  dans  l'immensiLé  vide  de  l'avenue  de  Pans? 
{Souvenirs  (Tun  page,  par  le  comie  F.  d'IlEZECQUEs;  Paris» 
1878,160).  On  sait  que  le  jeu  favori  du  roi,  à  Trianon,  était 
le  loto  :  cela  peint  le  bonhomme. 

6.  C.-A.  Sainte-Bbuve,  Causeries  du  Lundi,  t.  IV  (nouvelle 
édition);  Paris,  Garnier  frères,  252. 

7.  Id.,  255. 

8.  Il  avait  cependant,  parfois,  des  sursauts  d'humeur, 
comme  le  jour  où,  parlant  de  Saint-Cloud,  il  dit  que  le 
séjour  de  celte  ville  lui  répugnait,  parce  quil  n'y  voyait  «  ()ue 
des  croquants  et  des  câlins  ».  M.  de  Lescuhe,  Corresp.  secrète, 
I,  595)  ;  mais  ces  manifestations  de  virilité  étaient  passa- 
gères; le  plus  souvent,  il  fermait  les  yeux  et  ne  sortait  pas 
de  sa  torpeur. 

9.  Le  Nouveau  Paris,  de  Séb.  Mercieb,  nouvelle  édition, 
35-6. 

10.  Lettre  de  Marie-Antoinette,  du  15  décembre  1775. 

11.  Lettre  de  Marie-Thérèse,  du  2  juin  1775. 

12.  P.  de  Nolhac,  la  Peine  Marie-Antoinette,  onzième  édition 
(1899),  30. 

13.  L'auteur  du  Portefeuille  d'un  talon  rouge,  qui  est  resté 
inconnu  (Cf.  Marie-Antoinette  devant  l'histoire,  par  M.  Tourneux; 
2'  édition,  1901,  38),  fait  ce  portrait  du  comte  d'Artois  :  «  Le 
comte  d'Artois,  frère  du  Roi,  était  le  seul  parmi  les  hommes 
dont  elle  parut  être  occupée.  Leur  état,  leur  âge  et  leur  ca- 
ractère les  rapprochaient  trop,  pour  qu'entre  eux  deux  il  ne 
s'établit  pas  une  grande  familiarité.  Leurs  goûts  pour  les 
plaisirs  bruyants,  pour  les  courses,  pour  les  fêtes  et  les 
spectacles,  étaient  les  mêmes.  Leurs  amu^ments  étaient 
certainement  ceux  de  l'innocence  et  leurs  jeux  ressem- 
blaient aux  espiègleries  de  l'enfance,  quoique  déjà,  l'un  et 
l'autre,  dans  un  âge  où  la  nature  a  des  besoins  urgens  et 

.  Continuels,  et  où  un  mauvais  coup  est  bientôt  tait,  surtout 
quand  on  a  la  facilité  de  le  faire.  Le  comte  d'Artois,  partout 
où  il  se  trouvait,  se  mettait  à  son  aise.  La  reine,  de  son 
côté,  se  délivrait,  autant  qu'elle  pouvait,  de  toute  étiquette 
de  cour,  qu'alors  elle  regardait  comme  très  inutile  à  son 
rang  et  dont  les  souveraines  ne  croient  avoir  besoin  que 
quand  elles  commencent  à  vieillir.  Le  chàleaude  Maries  lui 
plaisait  infiniment.  Les  bosquets  de  Cithère  n'eurent  rien  de 
si  délicieux  que  les  jardins  et  le  parc  de  cette  maison  de 
plaisance.  En  1774,  la  Cour  y  établit  son  séjour.  Les  prome- 
nades nocturnes  étaient  un  des  grands  plaisirs  de  la  reine. 
Dans  les  belles  nuits  de  Tété,  elle  aimait,  tantôt  avec  un  petit 


LA    VERTU    DE    MARIE-ANTOINETTE  393 

cortège,  tantôt  p<^ule,  tantôt  avec  le  comte  d'Artoii^,  à  courir 
et  à  s'égarer  dans  les  sombres  et  fraîches  allées  de  ce 
pnrc...  »  Bien  autrement  violents  se  montreront  les  pam- 
phlétaires.  Dans  les  Amours  de  Chariot  et  de  Toinette  (p.  105, 
(lu  tome  II  (\u  Momas  redivivus  ou  les  Saturnales  françaises,  etc., 
A  Latipolis,  2496  :  Enfer  de  la  Bibliothèque  nationale. 
Y  71H-714),  il  est  question  des  amours,  tout  à  fait  charnels, 
du  comte  d'Artois  et  de  la  Reine  :  c'est  une  poésie  très  li- 
cencieuse, par  endroits  assez  spirituelle,  mais  dont  on  ne 
■çeut  tirer  aucune  induction.  La  note  en  est  trop  violente,  trop 
>itrancière,  pour  qu'on  y  attache  une  valeur  quelconque. 
Cette  pièce  parut  en  1789;  c'est  à  peu  près  l'époque  où  a 
commencé  le  débordement  de  libelles  qui  ont  assailli  la 
malheureuse  reine  et  contre  lesquels  elle  se  défendit  si 
maladroitement. 

14.  Ce  fut  à  un  bal  donné  par  M.  de  Viry,  qu'elle  «e  plut  à 
intriguer  un  jeune  seigneur  étranger,  le  marquis  Carnccioli, 
ambassadeur  de  Naples,  et  lui  laissa  prendre  cert.iines  li- 
bertés, au  moins  de  langage.  Le  gentilhomme  fut  confus, 
quand  il  sut  qu'il  avait  eu  alïaire  à  la  reine,  qu'il  n'avait  pas 
reconnue.  * 

15.  NoLHAC,  op.  cit.,  31. 

16.  Id.,  loc.  cit. y  78. 

17.  Le  Portefeuille  d'un  Talon  rouge  (Bibl.  nationale,  Lb  39). 

18.  Essai  historique  sur  la  vie  de  Marie-Antoinette  d'Autriche, 
Reine  de  France,  pour  servir  à  l'histoire  de  cette  princesse. 
Il  en  existe  plusieurs  éditions,  qui  sont  minutieusement  dé- 
crites, au  point  de  vue  bibliographique,  par  Maurice  Touu- 
NEUX,  op.  cit.,  39-45. 

19.  (iEi-KROY  et  d'Arneth,  Corr.  secrète,  t.  III. 

20.  On  sait  que  les  Mémoires  de  Madame  Campan  furent 
«  écrits  de  mémoire  et  bien  longtemps  après  que  s'étaient 
passés  les  événements  qui  y  sont  racontés  ».  II  faut  donc  se 
défier  de  certaines  de  ses  assertions;  mais,  en  ce  qui  con- 
cerne la  Ueine,  elle  aurait  eu  plutôt  de  la  tendance  à  pré- 
senter tous  ses  actes  sous  le  jour  le  plus  innocent,  étant 
«  sous  la  préoccupation  constante  de  faire  de  Marie-Antoi- 
nette le  plus  grand  éloge  possible,  afin  d'effacer  les  accu- 
sations d'infidélité  portées  rrr.xire  elle,  et  d'échapper  aux 
reproches  d  ingratitude  qi::  '.ai  avaient  été  prodigués  ». 
V.  les  Observations  de  J.  ("i.ammeumoîjt,  sur  les  Mémoires  de 
)ladame  Campan  (liibl.  nat.,  L  29  a  41). 

21.  Mme  Campan  s'est  donné  beaucoup  plus  de  crédit 
qu'elle  n'en  avait  en, réalité;  elle  n'était  qu'une  des  douze 


394  LA   PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

femmes  de  chambre  atlachées  au  service  de  In  reine.  Elle 
Ta,  du  reste,  reconnu  elle-même  :  «  Les  douze  femmes 
ordinaires  servaient  quatre  par  semaine  et  deux  par  jour; 
ainsi,  les  quatre  femmes  qui  avaient  servi  une  semaine 
avaient  quinze  jours  de  repos,  à  moins  qu'on  eût  besoin 
d'une  remplaçante;  et,  dans  la  semaine  de  service,  elles 
avcjient  encore  deux  ou  trois  jours  d'intervalle.  »  Mme  Cam- 
pan  n'était  donc  de  service  qu'une  semaine  sur  trois  et,  en 
outre,  dans  cette  semaine,  elle  jouissait  de  deux  jours  de 
repos  :  on  peut  calculer  le  temps  qu'elle  passait  auprès  de 
la  reine;  encore  doit-on  ajouter  que  ses  fonctions  étaient 
subalternes  et  d'ordre  purement  privé;  ceci  dit  pour  ne  pas 
ac:  order  une  créance  absolue  à  tout  ce  que  relate  celle 
mér.iorialisto  en  jupons. 

22.  Description  de  la  Ménagerie  royale  d'animaux  vivants,  etc., 
cité  pur  H.  F'leischmann,  les  Pamphlets  libertins  contre  Marie- 
Antoivelle.  Paris,  s.  d.  (1901)). 

23.  iiist.  de  Madame  du  Barry,  par  Ch.  Vatel,  t.  III, 
383  et  suiv. 

24.  Essais  historiques  sur  la  vie  de  Marie-Antoinette,  48. 

25.  (Joyiversations  recueillies  à  Londres,  pour  servir  à  l'histoire 
d'une  grande  reine.  Paris,  1807,  in-8". 

26.  «  Celui-ci,  écrit  M.  de  Nolhac,  en  parlant  de  Vaudreuil, 
le  meilleur  ami  du  comte  d'Artois,  est  aussi  le  véritable 
maître  du  salon  de  la  favorite.  Il  y  affirme  un  despotisme 
maladif,  qu'expliquent  ses  langueurs,  ses  vapeurs,  ses 
crachements  de  sang.  Il  est  d'ailleups,  quand  il  le  veut,  la 
séduction  même...  Lorsqu'il  parle,  son  visage,  détruit  par 
la  petite  vérole,  s'embellit  et  rayonne...  A  la  moindre  con- 
trariété, il  s'emporte  en  fugitives  colères.  »  Hist.  de  Marie- 
Antoinette,  211-2. 

27.  MicHELET,  Histoire  de  France,  t.  XIX,  chap.  xv. 

28.  M.  DE  Lescuue,  Correspondance  secrète,  etc.,  t.  11,483. 


CHAPITRE  XVII 


LES   AMOUREUX   DE   LA    REINE 


Parmi  les  gentilshommes  qui  papillonnaient  autour 
de  Ja  jeune  souveraine,  il  en  est  un  qui  «  a  eu  un 
moment  assez  de  crédit  pour  combattre  Madame  de 
Polignac,  pas  assez  pour  la  renverser  ^  ».  Il  s'agit  de 
Coigny,  un  fidèle  de  Chanteloup,  que  les  Choiseul 
avaient  placé  auprès  de  la  reine,  pour  y  maintenir 
leur  influence.  Il  faut  supposer,  pour  le  moins,  que 
celle-ci  s'est  compromise  publiquement  avec  «  ce 
seigneur  aimable,  d'une  belle  figure...  et  la  tournure 
la  plus  satisfaisante  »,  pour  qu'on  ait  pu  dire,  à  la 
naissance  du  dauphin,  que  l'enfant  était  de  Coigny. 

«Je  n'obéirai  pas  à  un  fils  de  Coigny  »,  s'était  écrié 
insolemment  le  duc  d'Orléans.  Nous  sommes  sur  ce 
point  de  l'avis  de  Michelet  ^  :  l'imputation,  malgré 
les  apparences,  était  injuste  ;  la  reine,  au  moment 
où  l'enfant  royal  fut  conçu,  venait  de  chasser  un  ami 
de  Coigny  ;  eût-elle  accompli  cet  acte,  si  elle  avait 
redouté  des  représailles  ?  Et  cependant,  il  n'est  pas 
de  fumée  sans  feu.  Il  n'est  pas  douteux  que  Coigny 
occupait  à  la  Cour  une  position  considérable.  Il  était, 


SgÔ  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

au  dire  de  Madame  Campan  elle-même,  aussi  bien  vu 
par  le  roi  que  par  la  reine  ;  et  Mercy  l'accuse,  sans 
réticences,  d'abuser  de  son  influence,  pour  «  extor- 
quer de  cette  princesse  des  grâces  qui  occasionnent 
des  plaintes  continuelles  dans  le  public  ».  Le  Li^re 
louge  porte  à  son  nom,  en  1783,  des  sommes  im- 
portantes. Il  avait,  de  plus,  obtenu  la  survivance 
de  la  charge  de  premier  écuyer  du  roi  pour  son  fils. 
Plus  tard,  lorsqu'on  voulut  lui  retirer  certaines 
des  faveurs  dont  on  l'avait  comblé,  il  eut  une  expli- 
cation très  vive  avec  le  roi,  qui  ne  sut  que  répon- 
dre, à  quelqu'un  qui  s'étonnait  qu'il  ait  pu  tolé- 
rer pareille  attitude  :  «  Nous  sommes  véritable- 
ment fâchés,  le  duc  de  Coigny  et  moi  ;  je  crois 
qu'il  m'aurait  battu,  que  je  le  lui  aurais  passé  !  » 
Cette  exclamation  en  dit  long  sur  la  liberté  qu'étaient 
arrivés  à  prendre  les  favoris  de  la  reine.  Quant  aux 
pamphlétaires,  nous  le  répétons  une  fois  encore, 
on  n'est  pas  tenu  de  les  croire  sur  parole  ;  aussi  ne 
retiendrons-nous  ce  qui  suit  qu'à  titre  d'indice, 
de  présomption  tout  au  plus  :  «  Chacun  raisonne 
sur  cette  grossesse  (lorsque  la  reine  était  enceinte, 
en  1781)...  on  chercha  le  héros,  il  fut  aisé  à  trouver  : 
on  nomma  le  duc  de  Coigny,  et  toutes  les  conjec- 
tures se  réunirent  en  sa  faveur.  Ce  seigneur  aimable, 
d'une  belle  figure,  ayant  les  mœurs  les  plus  douces 
et  la  tournure  la  plus  satisfaisante,  des  yeux  qui 
parlent  beaucoup  et  une  santé  en  tous  points  diffé- 
rente de  l'aspirant  Dilon  (sic)  y  avoit  depuis  quelque 
temps  fixé  les  regards  de  la  reine  ;  il  s'étoit  conduit 
avec  la  plus  grande  circonspection  et  l'auroit  ménagée, 
si  elle  n'eût  pas  elle-même  cherché  la  publicité  par 
ses  imprudences.  On  calcula  l'heure,  le  moment  et 


FIG.   107.   —  Ll:   DUC   DE  COIGNY 


398  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIME 

le  lieu  où  la  grossesse  s*étoit  opérée.  On  rappela  un 
bal  de  l'Opéra,  où  la  reine  s'étoit  masquée  en  ca- 
potte  grise  et  a  voit  fait  masquer  de  même  plusieurs 
femmes  de  sa  suite  ;  le  duc  étoit  seul  dans  une  loge 
aux  secondes  :  à  la  faveur  du  déguisement,  Antoi- 
nette se  perd  parmi  ses  compagnes,  se  glisse  dans  la 
foule  et  vole  à  la  loge.  Quelques  minutes  après,  la 
suite,  inquiète,  cherche  la  princesse  ;  on  la  trouve 
sortant  de  la  loge,  et  si  agitée  de  l'acte  qu'elle  venoit 
de  faire,  qu'elle  tomba  presque  évanouie  sur  l'esca- 
lier... Madame  de  Guéméné,  dont  l'outrage  étoit  le 
plus  récent,  fut  celle  qui  se  contint  le  moins  dans  ses 
propos  ;  elle  fut  disgraciée  avec  dureté,  renvoyée 
de  la  Cour  et  remplacée  dans  sa  charge  de  gouver- 
nante par  Madame  de  Marsan,  malgré  son  sermon 
si  infructueusement  et  si  maladroitement  fait  K  » 

Du  parti  Choiseul  comme  Coigny,  le  duc  de  Guines 
paraît  s'en  être  tenu  à  des  tentatives  malheureuses. 

Sentant  une  résistance  inexpHquée,  Guines  a  voulu 
brusquer  les  choses,  achever  sa  victoire,  trancher  du 
mentor.  Mais  Marie-Antoinette,  qu'on  mène  si  faci- 
lement tant  qu'elle  l'ignore,  ne  veut  même  pas  ad- 
mettre d'être  conseillée.  A  un  voyage  de  Marly, 
Guines  est  si  mal  reçu  qu'il  quitte  la  Cour  brusque- 
ment, sous  le  prétexte  d'une  attaque  de  goutte,  re- 
tourne à  Paris,  et,  huit  jours  durant,  fait  défendre 
sa  porte.  Quand  il  revient,  il  doit  s'estimer  content 
de  n'être  pas  exilé  de  cette  société  qu'il  avait  rêvé 
de  diriger  ^. 

Guines  avait  joui,  pendant  un  certain  temps, 
d'un  réel  ascendant  sur  Marie-Antoinette.  Nommé 
ambassadeur  en  Angleterre,  il  avait  profité  de  ses 
hautes  fonctions  pour  faire  de  la  contrebande,  jouer 


LES    AMOUREUX   DE    LA   REINE  899 

sur  les  fonds  publics,  et  faire  des  paris  illicites  par 
la  divulgation  de  secrets  d'État  ;  sans  l'intervention 
de  la  reine,  qui  s'était  déclarée  pour  lui  contre  les 
ministres,  contre  l'opinion,  contre  le  roi  lui-même, 
il  risquait  de  perdre  une  situation  à  laquelle  il  tenait 
fort.  Son  train  de  vie  fastueux  l'avait  fait  surnom- 
mer, à  Londres,  Guines  le  MagnifiQue.  Très  coquet 
de  sa  personne  et  sentant  l'obésité  le  gagner,  il  com- 
mandait pour  chaque  habit  une  culotte  où  il  fût  à 
l'aise  et  une  autre  plus  étroite.  Lorsqu'il  s'habillait, 
son  valet  de  chambre  lui  demandait  gravement  : 
«  Monsieur  le  Duc  s'asseoit-il  aujourd'hui  ?  »  S'il 
devait  rester  debout,  il  montait  sur  deux  chaises  et 
descendait  dans  la  culotte  étroite  tenue  par  deux 
de  ses  gens.  Il  aimait  le  persiflage,  qu'il  pratiquait 
tout  en  gardant  une  gravité  imperturbable.  Il  était 
amateur  de  musique,  ce  par  quoi  il  avait  beaucoup 
plu  à  Marie-Antoinette,  très  musicienne  comme  on 
sait.  Il  excellait  à  jouer  de  la  flûte,  ce  qui  l'avait 
fait  admettre  dans  l'intimité  du  grand  Frédéric, 
qui  se  piquait  d'être  très  fort  sur  cet  instrument. 

Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  relevé  que  des  griefs 
assez  mal  définis  à  la  charge  de  Marie-Antoinette  ; 
et  cependant,  peut-on  dire  que  l'on  soit  autorisé  à 
incriminer  tout  au  plus  la  fragilité  de  la  femme, 
la  coquetterie  d'une  «  personne  affectueuse  et  vive, 
tout  entière  à  ses  impressions,  amie  des  manières 
élégantes  et  des  formes  chevaleresques,  ayant  besoin 
tout  simplement  aussi  d'épanchement  et  de  protec- 
tion 5  »  ?  N'oublions  pas  qu'il  y  a  autre  chose  que 
des  apparences,  il  y  a  eu  des  insinuations,  plus  ou 
moins  perfides,  et  qu'il  faut  prendre  corps  à  corps 
pour  les  confirmer  ou  en  avoir  raison. 


400  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

«  Aujourd'hui  encore,  écrit  Sainte  Beuve,  lors- 
qu'on veut  citer  quelque  témoignag-i  qui  donne  à 
penser  contre  Marie-Antoinette,  le  ténîoignage  de 
quelqu'un  qui  compte,  c'est  dans  les  Ménioiies  du 
baron  de  Besenval  qu'on  va  le  chercher.  i>  Ce  T>om 
de  Besenval  se  retrouve  dans  une  de  ces  mïV.r,  et 
une  épigrammes  qui  couraient  les  salons  et  la  rue: 

La  reine  dit  imprudemment 
A  Besenval,  son  confident  : 
«  Mon  mari  est  un  pauvre  sire  »  ; 
L'autre  répond,  d'un  ton  léger  : 
«  Chacun  le  pense  sans  le  dire, 
Vous  le  dites  sans  y  penser  ». 

Besenval  avait  été  un  des  quatre  garde-malades  — 
des  trois  autres,  deux  nous  sont  connus:  les  ducs  de 
Coigny  et  de  Guines  ;  le  troisième  est  un  étranger, 
dont  nous  reparlerons,  le  comte  Esterhazy  —  qui 
avaient  été  chargés  de  veiller  Marie-Antoinette  ^, 
à  Versailles  d'abord,  puisàTiianon,  lorsque  la  reine, 
après  la  naissance  de  Madame  Royale,  fut  atteinte 
de  la  rougeole.  On  pense  s'  on  murmura  de  cette 
familiarité  insolite!  Les  femmes  en  charge  protes- 
tèrent contre  leur  exclusion  au  profit  des  courtisans 
d'une  réputation  trop  bien  établie,  et  quelqu'un  se 
serait  malicieusement  écrié  à  cette  nouvelle:  «  Qeulles 
seraient,  au  cas  où  le  roi  tomberait,  malade  les  quatre 
dames  chargées  de  le  garder  ?  » 

C'est  Besenval  lui-même  qui  a  laissé  entendre 
qu'il  aurait  été  le  héros  d'une  aventure  qu'on  s'est 
plu  malignement  à  exploiter  contre  l'honneur  de  la 
reine  et  qui,  véritablement,  ne  résiste  pas  à  l'ana- 
lyse. Voici  les  faits. 


LES   AMOUREUX    DE    LA    REINE 


4oi 


Au  mois  de  mars  1778,  on  apprenait  qu'un  duel 
allait  mettre  aux  prises  le  comte  d'Artois  et  le  duc 
de  Bourbon.  La  dispute,  cause  première  du  duel, 
était   venue  d'un   point  d'étiquette,   sur  lequel  les 


FiG.  108.  —  Le  comte  V'uleiitiii  E^sterhazy 

(D'après   une    miniature   api>ariennnt  6   son   polit  fils; 
l'Ion  et  C'%   éditeurs) 


deux  personnages  n'avaient  pu  se  mettre  d'accord. 
Futile  prétexte,  on  l'avouera.  Le  baron  de  Iksenval 
devait  servir  de  second  à  l'un  des  deux  adversaires  ; 
la  reine,  qui  ne  dissimulait  pas  son  inquiétude  à 
l'endroit  de  son  beau-frère,  demaruln  (uroii  lui  .-mift- 

26 


402  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

nât  Bescnval,  qu'elle  voulait  entretenir  en  particu- 
lier, afin  de  tâcher  d'amener  une  réconciliation  et 
d'empêcher,  si  possible,  la  rencontre.  Mais  elle  tenait 
à  ce  que  le  roi  ne  fût  nullement  instruit  de  la  dé- 
marche, et  que  celle-ci  eût  lieu  dans  le  plus  strict 
secret.  Elle  envoya,  en  conséquence,  chercher  en 
grand  mystère,  par  son  bibliothécaire,  M.  Campan 
(beau-père  de  la  femmedechambre,  à  laquelle  on  doit 
de  connaître  l'incident),  Besenval,  qu'il  conduisit 
avec  un  luxe  de  précautions  que  sa  fatuité  crut 
devoir  favorablement  interpréter,  auprès  de  Marie- 
Antoinette.  Avant  d'entendre  le  récit  de  l'expé- 
dition de  la  bouche  du  baron,  n'oublions  pas  de 
dire  qu'il  était  alors  un  galant  quelque  peu  défraf- 
chi,  étant  âgé  de  plus  de  soixante  ans  à  l'époque 
où  le  fait  se  serait  passé.  Maintenant,  cédons-lui  la 
parole. 

«  A  peine  étais-je  dans  le  cabinet  du  roi,  conte  Be- 
senval, que  j'aperçus  Campan,  secrétaire  du  cabinet 
de  la  reine,  qui  me  fit  un  signe  de  tête  ;  j'allai  à  lui  ; 
il  me  dit,  n'ayant  pas  l'air  de  me  parler  :  «  Suivez- 
«  moi,  mais  de  loin,  pour  qu'on  ne  s'en  aperçoive  pas». 
11  me  fit  passer  par  plusieurs  portes  et  plusieurs  esca- 
liers, qui  m'étaient  entièrement  inconnus,  et  lorsque 
nous  fûmes  hors  d'état  d'être  vus  ni  entendus  : 
«  Monsieur,  me  dit-il,  convenez  que  ceci  a  bon  air  ; 
«  mais  ce  n'est  pas  tout  à  fait  cels?,  car  le  mari  est 
«  dans  la  confidence.  —  Mon  cher  Campan,  lui  ré- 
«  pondis-je,  ce  n'est  pas  quand  on  a  des  cheveux  gris 
«  ou  des  rides,  qu'on  s'attend  qu'une  jeune  et  jolie 
«  reine  de  vingt  ans  vous  fasse  passer  par  des  chemins 
w  aussi  détournés,  pour  autre  chose  que  pour  des  af- 
«  faires.  —  Elle  vous  attend,  reprit-il,  avec  beau- 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE  ^o3 

ft  coup  d'impatience.  »  Il  achevait  à  peine  de  parler, 
que  nous  nous  trouvâmes  à  hauteur  des  toits,  dans 
un  corridor  fort  sale,  vis-à-vis  d'une  vilaine  petite 
porte...  Campan  m'introduisit,  par  une  issue  dé- 
tournée, dans  une  chambre  où  il  y  avait  un  bil- 
lard, que  je  connaissais  pour  y  avoir  souvent  joué 
avec  la  reine,  ensuite  dans  une  autre  que  je  ne 
connaissais  point,  simplement  mais  commodément 
meublée.  Je  fus  étonné  non  pas  que  la  reine  eût 
désiré  tant  de  facilités,  mais  qu'elle  eût  osé  se  les 
procurer.  »  C'est  contre  ce  passage  de  Besenval  que 
Madame  Campan  s'est  indignée,  en  des  termes 
tels  qu'on  a  pu  dire  que  Marie-Antoinette,  loin 
d'être  innocentée,  a  été  compromise  par  sa  trop 
zélée  femme  de  chambre.  Madame  Campan  s'emporte 
jusqu'au  point  d'écrire  :  «  Dix  feuillets  imprimés  de 
la  femme  Lamotte  (celle  de  V Affaire  du  collier), 
dans  ses  impurs  libelles,  ne  contiennent  rien  d'aussi 
nuisible  au  caractère  de  Marie-Antoinette  que  ces 
lignes  écrites  par  un  homme  qu'elle  honorait  d'une 
bienveillance  aussi  peu  méritée.  »  Et  plus  maladroi- 
tement encore,  elle  relate  que  le  baron,  aussi  fat 
que  présomptueux,  avait  osé  faire  une  déclaration 
d'amour  à  la  reine,  ce  qui  était  la  cause  du  refroi- 
dissement dont  Besenval  feignait  d'ignorer  le  motif. 
Or  Besenval  s'était  borné  à  faire  à  la  reine  une  décla- 
ration d'attachement  à  ses  intérêts,  et  il  lui  avait 
déplu  en  voulant  lui  arracher  son  secret  et  en  mani- 
festant l'intention  de  la  gouverner.  Tout  concourt 
à  le  prouver  7.  Comment  la  Reine  l'aurait-elle, 
en  effet,  admis  plus  tard  dans  son  intimité,  au 
point  de  le  choisir  comme  un  de  ses  quatre 
Azardes   du  corps,   dans  les  circonstances  que  nous 


4o4  hA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

avons  rappelées  plus  haut,  s'il  lui  avait  manqué  de 
respect  ? 

Mercy  dit  de  Besenval  qu'il  était  «  avantageux, 
fat  et  léger  »,  et  il  s'étonne  que  la  reine  ait  pu  s'enti- 
cher d'un  pareil  personnage  ;  mais  «  il  avait  une  belle 
taille,  une  figure  agréable,  de  l'esprit,  de  l'audace  »  ; 
toutefois,  «  ses  manières  étaient  trop  libres  et  sa 
galanterie  de  mauvais  ton  ;  même  entre  hommes, 
sa  conversation  était  plus  cynique  que  piquante  et 
sa  gaieté  plus  railleuse  qu'enjouée  ».  C'était,  à  véri- 
tablement parler,  un  intrigant  «  d'autant  plus 
dangereux ,  qu'il  cachait  son  astuce  sous  les 
dehors  de  rondeur  et  de  franchise  d'un  bon  et  brave 
Suisse  ». 

A  propos  de  Besenval,  il  nous  revient  en  mémoire 
un  mot  que  nous  dit,  un  jour,  l'ancien  conser- 
vateur du  Musée  de  Versailles,  le  très  distingué  M.  de 
Nolhac,  à  qui  nous  demandions  son  opinion  sur  Marie- 
Antoinette:  —  «  Aurait-elle  voulu  trahir  la  foi  conju- 
gale, nous  répondit  notre  aimable  interlocuteur, 
qu'elle  ne  l'aurait  pu  ;  la  topo'jraphie  des  lieux  s'y 
opposait.  »  Cependant,  à  lire  la  relation  de  Besenval, 
et  à  s'en  rapporter  à  d'autres  documents^,  cet  argu- 
ment n'est  rien  moins  que  convaincant. 

N'est-ce  pas  un  des  pages  de  Marie-Antoinette, 
le  comte  Félix  d'Hézecques,  qui  raconte  que,  visi- 
tant les  cabinets  de  la  reine  après  le  6  octobre,  il 
parcourut  un  labyrinthe  de  passages  qui  lui  étaient 
inconnus,  et  dont  plusieurs  étaient  encore  matelassés 
et  dans  le  désordre  oii  les  avait  laissés  le  départ  de 
la  reine  ?  «  Je  pénétrai  ainsi,  dit-il,  dans  une  foule 
de  petits  appartements  dépendants  de  celui  de  la 
reine  et  dont  je  ne  soupçonnais  pas  même  l'existence  ; 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE  4o5 

la  plupart  étaient  sombres,  n'ayant  de  jour  que  sur 
de  petites  cours  ;  ils  étaient  simplement  meublés, 


FIO.   109.    —   M.    DE    nEBENVAL 
(Un  des  favoris   de  MorU-AntolneiPt 

presque  tous  en  glaces  et  en  boiseries.  Je  n*y  vis  de 
remarquable  qu'un  tableau  de  Madame  Lebrun  : 
c'était  M.  le  Dauphin  accompagné  de  sa  sœur,  don- 


4o6  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

nant  une  grappe  de  raisin  à  une  chèvre.  »  Cette  multi- 
plicité de  pièces  de  service,  qui  n'étaient  pas  connues 
hors  de  «  l'intérieur  »  de  Marie-Antoinette,  est  bien 
propre  à  donner  de  la  consistance  aux  injurieux  soup- 
çons auxquels  a  donné  lieu  l'aventure  de  Besenval, 
et  c'est  pourquoi  Madame  Campan,  en  ayant  l'air 
de  défendre  sa  maîtresse  contre  ces  insinuations, 
J'accable  davantage  quand  elle  écrit  :  «  Il  (Besenval) 
n'avait  pas  pu  avoir  occasion  de  connaître  l'exis- 
tence de  cet  appartement,  composé  d'une  très 
petite  antichambre,  d'une  chambre  à  coucher  et  d'un 
cabinet  ;  depuis  que  la  reine  occupait  le  sien,  il  était 
destiné  à  loger  la  dame  d'honneur  de  S.  M.  dans  le 
cas  de  couches  ou  de  maladies,  et  servait  à  cet  usage 
lorsque  la  reine  faisait  ses  couches.  //  élaii  si  important 
que  personne  ne  sût  que  la  reine  eût  parlé  au  baron 
avant  le  combat,  qu'elle  avait  imaginé  de  se  rendre, 
par  son  intérieur,  dans  le  petit  appartement  où 
M.  Campan  devait  le  conduire.  »  C'est,  on  peut  le 
dire,  le  pavé  de  l'ours  bien  asséné. 

Madame  Campan  n'était  pas,  autant  qu'elle  l'a 
prétendu,  dans  les  bonnes  grâces  de  la  reine,  qui 
éprouvait  à  son  endroit  non  pas  seulement  de  la  dé- 
fiance, mais  de  la  terreur  9.  Elle  la  soupçonnait 
d'être  en  relations  suivies  avec  les  pires  ennemis  de 
la  monarchie,  comme  Brissot  de  Warville,  Latouche- 
Tréville  et  autres  ;  n'était-ce  pas  assez  pour  justi- 
fier sa  défiance  ? 

Accumulant  maladresses  sur  maladresses.  Ma- 
dame Campan,  toujours  dans  le  dessein  de  prendre 
la  défense  de  Marie-Antoinette,  garantit  intacte 
la  vertu  de  cette  princesse,  en  lui  accordant  le  mérite 
d'avoir  eu  à  se  défendre  contre  de  téméraires  entre- 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE  /jCJ 

prises  ;  n'est-ce  pas  déjà  trop  parler  ?  C'est  ainsi 
qu'à  propos  de  Lauzun,  un  des  soupirants  de  la  reine, 
elle  relate  qu'il  s'attira  un  jour,  à  la  suite  d'un  tête- 
à-tête  avec  celle-ci,  un  :  Sortez,  Monsieur  I  bien 
courroucé,  qui  nous  éclairj  suffisamment  sur  l'atti- 
tude que  Lauzun  avait  dû  prendre  pour  s'attirer 
une  telle  injonction. 

On  a  récemment  ^°  reconstitué  la  scène  de  l'ex- 
pulsion de  Lauzun,  en  la  replaçant  dans  la  pièce 
où  l'on  suppose  qu'elle  s'est  passée.  Lauzun  entre 
par  la  première  antichambre  et  la  petite  chambre 
noire  qui  conduit  aux  cabinets  de  la  reine,  dans  la 
pièce  qui  nous  occupe,  et  où,  selon  Madame  Campan, 
se  tenaient  «  les  femmes  qui  annoncent  dans  Vinlé- 
rieur  de  la  reine  ».  Le  duc  est  introduit  dans  une  pièce 
attenante,  celle  qu'on  appelle  le  cabinet  doré.  Peu 
de  temps  après,  la  reine  ouvre  la  porte  et  dit  le  : 
Sortez,  Monsieur  !  que  l'on  connaît.  Madame  Cam- 
pan, qui  est  dans  la  pièce  des  femmes  de  chamhte, 
voit  Lauzun  s'inchner  profondément  et  disparaître, 
et  Marie-Antoinette  dit,  au  seuil  de  son  cabinet  : 
«  Jamais  cet  homme  n'entrera  chez  moi  !  »  La  scène 
devient  fort  claire...  et  la  narration  de  Madame 
Campan  équivaut  ici  à  un  témoignage  direct. 

S'il  faut  en  croire  Talleyrand,  Lauzun  avait  tous 
les  genres  de  séduction  :  il  était  «  beau,  brave,  géné- 
reux, spirituel  »,  menant  de  front  dix  intrigues  amou- 
reuses. N'ayant  jamais  connu  de  cruelles,  il  avait  été 
(le  bonne  heure  remarqué  par  la  reine,  (pii  le  voyait 
sans  cesse  à  la  chasse  ou  dans  les  salons  de  Madame 
(le  Guéméné.  En  ayant  entendu  parler  par  celle 
dernière  et  par  Madame  Dillon,  Marie-Antoinette  eut 
bientôt  l'ardent  désir  de  le  connaître  de  plus  près. 


4o8  LA.    PRLNCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

A  s'en  rapporter  au  dire  du  principal  intéressé, 
il  serait  devenu  en  moins  de  deux  mois  une  espèce 
de  favori.  Lorsque  le  moment  fut  venu  pour  Lauzun 
de  rejoindre  son  régiment,  la  reine  manifesta  le 
désir  qu'il  ne  s'éloignât  pas  ;  il  ne  crut  pas  «  (devoir) 
consentir  ».  Voyez-vous  le  fat  I  «  Elle  (la  reine)  en 
parut  véritablement  afiligée  et  vint,  dans  l'après- 
dîner  du  même  jour,  à  Montreuil,  chez  Madame  de 
Guéméné,  pour  lui  dire  adieu  et  lui  offrir  de  demander 
au  roi  la  permission  de  le  faire  revenir  à  l'époque  du 
sacre,  ce  qu'il  avait  refusé  I  Mais  la  reine  donna  des 
ordres,  et  le  départ  du  galantin  fut  retardé.  Alors, 
sa  faveur  remonta  au  plus  haut  degré.  La  reine  ne 
croyait  pouvoir  trop  faire  pour  un  homme  qui 
voulait  tout  faire  pour  elle.  » 

Lauzun  se  montra  au  Bois  de  Boulogne  avec  la 
reine,  qui  sortait  rarement  sans  lui,  le  faisait  placer 
près  d'elle  au  jeu,  «  marquait  de  l'humeur,  lorsqu'il 
y  avait  assez  de  monde  pour  gêner  l'occupation  où  elle 
était  presque  toujours  de  lui  ».  Marie- Antoinette,  en  le 
présentant  à  sa  confidente  la  plus  intime,  la  princesse 
de  Lamballe  :  «  Je  vous  demande,  dit-elle  à  son  amie, 
d'aimer  comme  votre  frère  l'homme  du  monde  que 
j'aime  le  mieux,  et  à  qui  je  dois  le  plus  ;  que  votre 
confiance  en  lui  soit  sans  bornes  comme  la  mienne.  » 
Lauzun  conte  ensuite  que  les  attentions  qu'on  lui 
prodiguait,  l'intérêt  qu'on  ne  craignait  pas  de  lui  té- 
moigner, même  en  public,  lui  attirèrent  des  inimitiés 
et  donnèrent  l'essor  à  la  médisance  ;  pour  y  couper 
court,  il  résolut  de  s'éloigner  de  la  Cour  pendant 
quelque  temps  et  de  passer  en  Russie,  où  la  tsarine 
lui  faisait  les  offres  les  plus  avantageuses,  s'il  consen- 
tait à  entrera  son  service.  Mais  la  reine  l'ayant  con- 


LE.i    AMOUREUX    DE    LA    REINE  4^9 

juré  de  ne  pas  l'abandonner,  les  yeux  tout  remplis 
de  larmes,  il  aurait  cédé  à  ses  instances,  touché  lui- 
même  «  jusqu'au  fond  du  cœur  ».  Ici,  il  convient 
de  citer  le  texte,  car  il  est  significatif  :  <<  Elle  me 
tendit  la  main  ;  je  la  baisai  plusieurs  fois  avec  ar- 
deur, sans  changer  de  posture.  Elle  se  pencha  vers 
moi  avec  beaucoup  de  tendresse  ;  elle  était  dans  mes 
bras  lorsque  je  me  levai  ;  je  la  serrai  contre  mon 
cœur,  qui  était  fortement  ému.  Elle  rougit,  mais  je 
ne  vis  point  de  colère  dans  ses  yeux.  —  «  Eh  bien  ! 
('  reprit-elle  en  s'éloignant  un  peu,  n'obtiendrai-je 
«  rien  ?  —  Le  croyez-vous,  répondis-je,  avec  beau- 
«  coup  de  chaleur  ?  Suis-je  à  moi,  n'êtes-vous  pas 
«  tout  pour  moi  ?  C'est  vous  seule  que  je  veux  ser- 
«  vir,  vous  êtes  mon  unique  souveraine.  Oui,  conti- 
«  nuai-je  plus  tranquillement,  vous  êtes  ma  reine, 
«  vous  êtes  la  reine  de  France.  »  Ses  regards  sem- 
blaient me  demander  encore  un  autre  titre.  Je  fus 
lenié  de  jouir  du  bonheur  qui  paraissait  s'offrir.  Deux 
réflexions  nie  retinrent  :  je  n'ai  jamais  voulu  devoir 
une  femme  à  un  instant  dont  elle  pût  se  repentir,  et 
je  n'eusse  pu  supporter  l'idée  que  Madame  Czarto- 
liska  se  crût  sacrifiée  à  l'ambition.  Je  me  remis  donc 
assez  promptement.  »  Ne  ressort-il  pas,  à  l'évidence, 
des  phrases  soulignées,  la  preuve  que,  s'il  y  a  eu 
lutte,  lutte  morale  s'entend,  au  moins  chez  l'un  des 
partenaires,  la  chute  ne  s'est  pas  produite  ? 

Il  y  a  certaine  histoire  d'une  plume  de  héron  blanc, 
que  Lauzun  avait  portée  à  son  casque,  et  que  Marie- 
Antoinette  mourait  d'envie  de  posséder.  Madame  de 
Guéméné  s'empressa  de  la  porter  à  la  reine  qui,  dès 
le  lendemain,  l'arborait.  «  Jamais,  dit-elle  au  dona- 
wur,  je  ne  me  suis  trouvée  si  parée  ;  il  me  semble  que 


^lO  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

je  possède  des  trésors  inestimables.  »  Une  autre 
fois,  voyant  Lauzun  jouer  une  forte  somme  contre 
le  duc  de  Chartres,  Marie-Antoinette  lui  dit  :  «  J'ai 
tant  de  peur  que,  si  je  vous  perds,  je  crois  que 
je  pleurerai.  »  Nous  passons  bien  des  détails  ",  mais 
n'avons-nous  pas  produit  assez  de  preuves  de  l'étour- 
derie,  de  la  légèreté,  des  imprudences  d'une  souve- 
raine encourageant  un  de  ses  sujets  à  aller  aussi 
loin  dans  la  voie  de  la  familiarité  ?  Qu'on  parle, 
après  cela,  «  d'une  amitié  émue,  une  de  ces  affections 
intermédiaires  aux  nuances  indéfinies,  perdues 
comme  les  couleurs  de  l'arc-en-ciel  »,  d'un  de  «  ces 
sentiments  délicats  qui  font  le  désespoir  des  psycho- 
logues'^  »;  qu'il  s'agisse  d'amour  ou  d'amitié  amou- 
reuse, une  épouse,  une  mère,  une  reine  aurait  dû, 
dans  une  Cour  aussi  corrompue  que  celle  de  Ver- 
sailles, se  tenir  à  l'abri  des  tentations  contre  les- 
quelles l'avaient  mise  en  garde  ses  plus  sincères  et 
désintéressés  conseillers  ^^. 

Parmi  ces  conseillers,  il  en  est  un  dont  la  conduite 
et  le  rôle  auprès  de  la  reine  ont  été  diversement  jugés: 
c'est  l'abbé  de  Vermond.  L'abbé  de  Vermond  était 
un  des  hommes  de  confiance  de  Marie-Thérèse,  que 
l'impératrice  avait  placé  auprès  de  sa  fille  pour  diri- 
ger son  éducation  et  la  conseiller.  A  entendre  l'am- 
bassadeur Mercy-Argenteau,  «  personne  ne  connaît 
mieux  la  reine  que  le  digne  et  vertueux  ecclésias- 
tique qui  est  son  lecteur.  Cet  homme,  qui  est  un 
exemple  unique  de  probité,  de  zèle  et  de  lumières, 
ne  respire  que  pour  le  service  et  la  gloire  de  son  au- 
guste maîtresse  ^'^».  Admettons  que  ce  soit  là  une 
opinion  empreinte  de  partialité.  Mercy,  étant  un  des 
agents  de  Marie-Thérèse  auprès  de  Marie-Antoinette, 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE 


4ii 


devait  prendre  nécessairement  la  défense  d'un  de 
ses  collègues,  mais  nous  pouvons  puiser  à  une  autre 


Fin.   110.   —  DinON,    DIT    LAUZUN 


source  d'informations.   Voici  un   porlrail,   dû   à  la 
plume  du  comte  de  La  Marck,  qui  donne  l'impres- 


4l2  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

sion  d'être  croqué  d'après  nature  et  écrit  sans  pré- 
vention : 

C'était,  dit  l'ami  de  Mirabeau,  en  pariant  de  Ver- 
mond,  un  esprit  médiocre,  mais  avec  les  qualités  d'un 
bon  homme  de  cœur  reconnaissant.  Il  était  attaché  à 
la  reine  avec  passion,  très  bavard,  sans  être  indiscret 
cependant.  Marie-Antoinette  le  regardait  comme  un 
homme  fort  ordinaire  d'esprit,  et  comptait  plus  sur  son 
dévouement  que  sur  ses  lumières.  Elle  ne  l'écoutait 
avec  attention  que  lorsqu'il  lui  transmettait  quelque 
message  de  Mercy,  et  alors  elle  ne  prenait  de  ces  mes- 
sages que  ce  qui  lui  paraissait  convenir,  sans  jamais 
permettre  à  l'abbé  d'insister  et  de  revenir  à  la  charge  ^^ 

La  note  malveillante,  c'est  naturellement  Madame 
Campan  qui,  emportée  par  son  zèle  maladroit,  nous 
l'apporte.  Tous  ceux  que  cette  femme  de  service 
soupçonnait  de  contrecarrer  son  inlluence,  elle  leur 
découvrait  de  l'ambition,  elle  les  déclarait  possédés 
du  génie  de  l'intrigue.  Au  début,  Vermond  était  tenu 
en  suspicion  à  la  Cour,  parce  qu'on  savait  qu'il  avait 
collaboré  à  V Encyclopédie  de  d'Alembert  et  Dide- 
rot, et  qu'il  s'était  par  là  même  enrôlé  sous  la  ban- 
nière de  la  philosophie.  Louis  XVI  lui  en  avait 
gardé  rancune,  et  il  serait  resté  dix  ans  sans  lui 
adresser  la  parole  ^^  Mais  l'abbé  devait  plus  tard 
acquérir  a^viez  de  crédit,  grâce  à  la  reine  qui  le  sou- 
tenait en  toute  occasion,  pour  faire  nommer  jusqu'à 
un  archevêque.  A  partir  de  ce  jour,  «  il  demanda  à 
la  reine  qu'elle  voulût  bien  ordonner  que  son  appar- 
tement au  grand  commun  fût  agrandi,  lui  disant 
•qu'étant  obligé  de  donner  des  audiences  à  des  évê- 
ques,  à  des  cardinaux,  à  des  ministres,  il  lui  fallait 
un  logement  convenable  à  sa  position.  La  reine  le 


m.   —   FRONTISPICE    DE    LIVUE    PROVENANT    DE    LA    IMUI.IOTHKOUI, 
DE  MARIE-ANTOINETTE,    DAUPHINE 
(Extrait  de»  Archive^  de»  collectionneur  a  iVex-Ubrit) 


4l4  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

traitait  toujours  comme  avant  l'arrivée  de  l'arche- 
vêque à  la  Cour  ;  l'intérieur  remarqua  une  seule 
nuance  qui  indiquait  plus  d'égards  :  le  mot  Monsieur 
précéda  celui  J.'abbé  ;  et  l'influence  de  la  faveur  fut 
telle  que,  dès  .':et  instant,  et  par  un  mouvement 
spontané,  non  seulement  la  livrée,  mais  les  gens  des 
diverses  antichambres  se  levèrent  au  passage  de 
Monsieur  VAbbé^^)). 

La  vindicative  femme  de  chambre  a  perfidement 
insinué  que  l'abbé  de  Vermond  «  venait  chez  la  reine 
tous  les  jours,  mais  évitait  de  prendre  le  ton  imposant 
d'un  instituteur,  et  ne  voulait  pas  même,  comme  lec- 
teur, conseiller  l'utile  lecture  de  l'histone  ^^  ».  Si  la 
reine  eut,  toute  sa  vie,  de  l'éloignement  pour  les 
livres  sérieux,  c'est  parce  que  l'abbé  n'aurait  pas  lu 
à  son  auguste  élève  un  seul  volume  rentrant  dans 
cette  catégorie.  D'autres  ^^  ont  dit  que  labbé  avait 
indiqué  le  choix  des  ouvrages  que  devait  lire  la 
jeune  reine,  qu'il  avait  pour  tout  dire  constitué 
une  bibliothèque  à  son  usage. 

Le  premier  chef  d'accusation  peut  être  aisément 
écarté.  Vermond  —  la  correspondance  de  Mercy- . 
Argenteau  avec  l'impératrice  ^°  en  témoigne  —  a 
multiplié  au  contraire  ses  instances  auprès  de  la 
reine,  pour  qu'elle  abandonnât  les  lectures  frivoles. 
L'abbé  parvint  même  à  faire  lire  à  sa  royale  élève, 
si  distraite  et  légère,  les  Mémoires  de  VEstoile, 
l'Histoire  romaine  de  Laurent  Echard,  VHistoire 
d'Angleterre,  de  Hume,  et  quelques  autres  livres  du 
même  genre.  Mais  l'abbé  avait  à  lutter  sans  cesse 
contre  l'influence  de  Madame  Campan  et  de  son 
beau-père,  dont  les  affaires  se  seraient  mal  accom- 
modées d'une  reine  sérieuse  et  occupée  de  ses  de- 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE  4^5 

voirs  2^  Il  paraît  avéré  que  l'abbé  de  Vermond  a 
tenté  de  vains  efforts  pour  fixer  l'attention  de  la 
reine  sur  des  sujets  de  piété,  d'histoire  et  de  morale, 
et  que  Marie-Antoinette  a  plutôt  prêté  l'oreille  aux 
suggestions  de  son 
bibliothécaire  en  titre, 
lequel  était  précisé- 
ment M.  Campan  ^^ 
qui  nous  est  repré- 
senté comme  «  un 
homme  de  plaisir,  let- 
tré, aimable,  complai- 
sant surtout...  Il  dut 
y  avoir,  à  ce  sujet, 
entre  l'abbé  et  les 
Campan,  des  querel- 
les dont  la  première  ^«^es  de  m^r/e-antoinette 
femme    de    chambre 

lui  garda  rancune,  car  elle  le  drape  de  belle  façon 
di'v^  s(^s  Mémoires  23». 

Il   est   établi   aujourd'hui   que  c'est 
M.  Campan  qui  a  composé  les  biblio- 
thèques de  Versailles    et   de   Trianon, 
destinées  à  la  reine,  et  dont  l'inventaire 
ofFicicl  a   été  fait  pendant  la  Révolu- 
m         ^^^^  '    quant  aux   livres   trouvés   aux 
niKFRE  DES    Tuileries,  on  les  transporta  en  bloc  à 
LA  miiLiô-    Ï3   Bibliothèque  nationale.    Un    publi- 
TiiÈouE  DE    çjg|-g  contemporain  ^*  a  relaté  l'événe- 
ment  en  ces  termes:  «Les  difTércntes 
collections    de    livres    qui    existaient    au    château 
des   Thuileries    (sic)    viennent    drlic    transportées 
à   la    Bibliothèque    nationale  ^^.    La     plus    consi- 


4l6  LA.    PRINCESSE    DE   LAMBALLE    INTIMB 

dérable  était  celle  de  la  reine  :  elle  consistait  prin- 
cipalement en  un  grand  nombre  d'ouvrages  de  lit- 
térature française,  anglaise  et  italienne.  Les  livres 
étaient  reliés  en  maroquin,  avec  l'écusson  de  France 
et  le  sien  propre,  à  l'exception  des  ouvrages  an- 
glais, qui  ont  une  reliure  anglaise.  On  y  remarque... 
beaucoup  de  beaux  exemplaires  d'ouvrages  sur 
difîérentes  parties  des  sciences,  qui  lui  avaient 
été  offerts  par  leurs  auteurs  ^^,  ou  qui  lui  venaient 
des  souscriptions  faites  par  la  Cour  ;  une  collec- 
tion considérable  de  pièces  de  théâtre  ;  une  suite 
très  curieuse  de  partitions  d'opéras  des  grands 
maîtres  italiens,  et  principalement  la  collection  com- 
plète des  ouvrages  de  Gluck.  Les  ouvrages  de  Lavater 
et  d'autres  écrits  singuliers  se  trouvent  dans  cette 
bibliothèque,  qui  annoncent  un  esprit  curieux  et 
cultivé.  Ce  qui  nous  a  étonnés,  c'a  été  de  n'y  voir 
que  très  peu  de  livres  écrits  en  allemand,  langue  du 
pays  de  Marie-Antoinette.  » 

La  composition  de  cette  bibliothèque,  à  laquelle 
avait  veillé  l'historiographe  Moreau,  sous  la  sur- 
veillance du  roi,  atteste  qu'outre  la  théologie  et  le 
théâtre,  les  belles-lettres,  la  littérature  étrangère 
et  l'histoire  y  occupent  une  large  place.  Par  contre, 
dans  la  collection  du  Petit  Trianon,  dont  le  cata- 
logue a  été  pubhé  =^^  «  les  sujets  amusants  domi- 
nent 2^  ». 

Comme  livres  de  science  proprement  dite,  nous 
n'avons  relevé  que  lo  Dictionnaire  raisonné  universel 
d'histoire  naturelle,  ce  Valmont  de  Bomare  (édition 
de  1776)  ;  les  Mémoires  pour  servir  à  Vhistoire  des 
insectes,  de  Réaumur  (1784)  ;  le  Nouveau  Diction- 
naire universel  et  résumé  de  médecine,  de  chirurgie 


LES    AMOUREUX    DE   LA   REINE  4^7 

et  de  Vart  vétérinaire,  etc.  (1772)  ;  le  Dictionnaire 
portatif  de  santé,  de  Vandermonde  {\112-\111),  et 
V Encyclopédie,  dont  l'exemplaire  se  trouve  à  la  bi- 
bliothèque du  Lycée  de  Versailles.  C'est  tout,  comme 
ouvrages  scientifiques;  et  c'est  bien  peu,  en  compa- 
raison de  tous  les  livres,  frivoles  ou  pires,  comme 
—  pour  ne  citer  que  quelques  titres  —  les  Galan- 
teries des  rois  de  France,  les  Contemporaines,  de  Restif 


'•P:K   'Al'-PAB.TÎ  S 

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'•iirrl^  «a?  awBWRf  jKSrij», 


FIG.    114.    —    EX-LIBRIS    DE    LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE 

de  la  Bretonne,  et  les  Contes,  de  La  Fontaine!  La 
bibliothèque  de  Trianon  était,  il  est  vrai,  la  biblio- 
thèque de  campagne  ;  aux  Tuileries,  le  clioix  avait 
été  plus  sévère. 

Le  roi  empruntait  souvent  les  livres  de  cette  bi- 
bhotlièquc  =^^  ;  sans  doute  fut-il  le  seul  à  consulter 
les  Leçons  de  physique  expérimentale,  les  Recherches 
sur  les  causes  particulières  de  l'électricité,  etc.,  du 
savant  abbé  Nollel  ;  le  Spectacle  de  la  nature,  de 
l'abbé  Pluchc  ;  le  Dictionnaire  botanique  et  pharma- 
ccutique,  du  bénédictin  dom  Nicolas  Alexandre  : 
V Abrégé  de  V histoire  des  plantes  usuelles^  de  Chomcl  ; 

27 


4l8  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

VAvis  au  peuple  sur  sa  santé,  de  Tissot  ;  les  Œu- 
vres physiques  et  anatomiques,  de  Jamain,  bien  que 
Louis  XVI  n'ait  jamais  montré  une  inclination  mar- 
quée pour  la  physique  ou  l'histoire  naturelle  ;  peut- 
être  a-t-il  été  plus  intéressé  par  la  Dissertation  sur 
r inoculation  de  la  petite  vérolle  (sic),  lorsqu'il  se  fut 
résolu  à  faire  inoculer  les  enfants  royaux  ^°. 

Quant  à  la  reine,  on  sait,  de  source  certaine,  qu'où 
tre  qu'elle  lisait  très  peu,  elle  n'avait  aucun  goût  3' 
pour  les  lectures  sérieuses.  Le  baron  de  Besenval, 
un  de  ses  familiers,  prétend  qu'  «  elle  n'a  jamais  ou- 
vert un  livre  ».  C'est,  évidemment,  exagérer.  On 
n'ignore  plus  qu'elle  avait  fait  mettre  à  part,  pour 
les  disposer  dans  un  cabinet  séparé,  un  certain 
nombre  d'ouvrages,  dont  l'ensemble  constituait  ce 
qu'on  a  appelé  les  LiVes  de  boudoir  de  Marie- Antoi- 
nette. N'y  cherchez  pas  Y  Imitation  de  Jésus-Christ, 
pas  davantage  le  Petit  Carême,  de  Massillon,  ni  Mon- 
tesquieu, ni  Bossuet,  ni  Pascal.  Ce  qu'on  lui  donnait 
à  lire,  à  cette  princesse  d'esprit  futile,  ou  ce  qu'elle 
aimait  lire,  c'était  Faublas,  ou  la  Paysanne  per- 
vertie 32,  le  Vice  et  la  Faiblesse,  les  Suites  d'un  moment 
d'erreur,  les  Rendez-vous  du  parc  de  Saint-Cloud, 
les  Confidences  d'une  jolie  femme,  les  Confessions 
d'une  courtisane,  le  théâtre  du  licencieux  Collé, 
ou  les  fantaisies  non  moins  polissonnes  de  Crébillon 
et  de  l'abbé  de  Voiscnon.  Inutile  de  chercher  dés 
boucs  émissaires  —  Campan  ou  Vermond  —  pour 
leur  faire  endosser  une  responsabilité  qui  incombe 
presque  entièrement  à  la  jeune  reine.  Si  on  lui  avait 
connu  des  goûts  différents,  se  serait-on  hasardé  à 
peupler  les  rayons  de  sa  bibliothèque  intime  d'aussi 
misérables   productions  ?  La  vérité  est  qu'on  savait 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE 


419 


lui  plaire  en  flattant  ses  préférences.  Qu'on 
dise,  après  cela,  qu'il  n'y  a  pas  grand  dommage  à  ce 
qu'  «  une  femme  de  trente-cinq  ans,  peu  dévote,  très 
mondaine,  feuillette  sans  grand  scrupule,  pour  se  dis- 
traire, les  livres  à  la  mode,  en  prenant  la  précaution 
de  les  faire  enfermer  à  part  »,  c'est  une  explication, 
ce  ne  saurait  être  une  justification. 

Il  convient  de  faire  observer  qu'on  retrouve 
nombre  d'ouvrages  du 
même  genre  dans  la 
bibliothèque  de  Ma- 
dame de  Lamballe. 
Comme  Marie -Antoi- 
nette, et  l'on  peut  dire 
comme  toutes  les  gran- 
des dames  de  son 
temps.  Madame  de 
Lamballe  avait  une 
bibliothèque  où,  sans 
prédominer,    les    livres 

galants  tenaient  une  fig.  ij5.  —  armoiries  de  la 
place.    A    côté    d'une  princesse  de  lamballe 

collection   considérable 

de  Mémoires  historiques  ;  d'Épistolaires,  comme 
les  Recueils  des  lettres  de  Madame  de  Sévigné, 
de  Madame  de  Grignan  ;  de§  Manuels  de  piété 
et  des  Recueils  de  prières,  attestant  les  senti- 
ments religieux  de  la  princesse  ;  un  certain  nombre 
de  volumes  consacrés  à  l'histoire  naturelle,  aux 
belles-lettres  et  h  la  mythologie,  nous  relevons,  sur 
ce  catalogue  bibliographique,  des  livres  plus  que 
légers,  comme  le  Paysan  perverti,  de  Restif  de  la 
Bretonne  ;  les  Œuvres  badines  complètes  de  M.  de 


^20  LA    PRINCESSE    DE    LAM BALLE    INTIME 

Caylus  ;  Daphnis  et  Chloé,  avec  les  figures  d'Audran, 
d'après  le  Régent  ;  les  Œuvres  complètes  de  Crébilicn 
le  fils,  etc. 

Doit-on  en  conclure  que  cette  rencontre  «  d'ou- 
vrages de  littérature  légère,  et  même  plus  que  lé- 
gère »,  dans  la  bibliothèque  de  la  princesse,  est  pour 
donner  créance  aux  insinuations  outrageantes  dirigées 
contre  leur  détentrice,  nous  n'irons  pas  jusqu'à  le  pré- 
tendre ;  outre  qu'il  n'est  pas  sûr  qu'elle  ait  seule- 
ment lu  la  plupart  de  ces  livres,  le  large  éclectisme 
qui  a  présidé  au  choix  des  exemplaires  composant 
cette  collection,  où  l'on  relève,  au  demeurant,  une 
assez  forte  proportion  d'ouvrages  sérieux,  les  riches 
reliures  dont  la  plupart  sont  habillés,  plaident  en 
faveur  du  goût  de  l'amie  de  la  reine,  et,  n'apportent 
aucun  argument  probant  contre  ses  mœurs,  qui 
n'étaient  ni  meilleures  ni  pires  que  celles  de  son  temps. 

Pour  Marie-Antoinette,  nous  nous  sentons  moins 
disposé  à  l'indulgence.  N'oublions  pas  que  c'est  la 
reine,  et  non  la  femme  que  nous  avons  à  juger,  et  de 
ce  point  de  vue,  nous  sommes  moins  porté  à  l'inno- 
center. 

Ce  qu'on  reproche,  au  surplus,  à  Marie-Antoinette, 
ce  n'est  pas  tant  ses  lectures  que  d'avoir  témoigné 
un  peu  trop  ouvertement  ses  préférences  à  tel  ou 
tel  de  ses  adorateurs  ;  c'est  d'avoir  groupé  autour 
d'elle  «  une  société  dont  les  membres  commencèrent 
par  désirer  d'accaparer  toutes  les  grâces  ^^  et  finirent 
par  se  mêler  de  toutes  les  affaires  de  l'État  34  ».  Et 
le  plus  grave,  c'est  que,  dans  le  nombre,  il  y  eut 
pas  mal  d'étrangers.  L'un  d'entre  eux  mérite  une 
mention  particulière. 

Le  comte  Valentin   Esterhazy,   qui  commandait 


FIG.    116.   —   RELIURE   ARMORIÉE   D*UN  LIVRE  AYANT  APPARTF-NU 
A  LA  PRINCESSE   DE   LAMBALLE 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE  423 

un  régiment  de  hussards,  était  Hongrois  ;  la  reine 
avait  reporté  sur  lui  l'amitié  qu'elle  avait  jusqu'alors 
témoignée  au  baron  de  Besenval.  Elle  entretenait 
avec  le  «  freluquet  Esterhazy  »,  comme  l'appelle 
Mercy,  une  correspondance  que  le  sévère  Mentor 
jugeait  «  bien  humiliante  ».  La  reine  avait  désigné 
Esterhazy  pour  porter  à  Vienne  la  nouvelle  de  la 
naissance  de  Madame  Royale.  Marie-Thérèse,  qui 
avait  marqué  son  mécontentement  de  ce  qli'  «  un 
jeune  homme,  sans  rang  distingué,  ait  le  moyen  de 
s'approcher  de  sa  fille  »,  fit  sentir  l'inconvenance 
qu'il  y  avait  à  charger  un  étranger  d'une  mission 
qui  revenait  de  droit  à  un  Français,  et  son  auguste 
fille  dut,  quoique  à  regret,  se  soumettre  aux  volontés 
de  l'impératrice.  Elle  dédommagea  son  favori,  en 
le  faisant  nommer  chevalier  du  Saint-Esprit,  et  en 
lui  accordant  un  don  de  plus  de  cent  mille  livres, 
qui  aurait,  croit-on,  servi  à  payer  les  dettes  du  bel 
officier. 

Le  prince  de  Ligne,  seigneur  aimable  et  spirituel, 
bien  que  né  dans  les  États  de  Marîe-Thérèsc,  n'ins- 
pirait pas  à  celle-ci  plus  de  sympathie  que  le  comte 
Esterhazy.  L'impératrice  le  savait  galant  et  quelque 
peu  familier  avec  la  reine,  mais  elle  s'alarmait 
à  tort  sur  le  compte  du  prince,  qui  reconnaît 
lui-même  qu'  «  on  n'osait  pas  risquer  devant  elle 
(Marie-Antoinette)  un  propos  trop  libre,  unehistorictte 
trop  gaie  ou  une  grosse  méchanceté  ».  Il  existe, 
du  prince  de  Ligne,  une  page  qu'on  ne  cite  jamais  35, 
et  qui  est  un  des  i)ortraits  psychologiques  les  plus 
achevés  qu'on  ait  faits  de  la  reine  de  France.  Il  y 
a  là  des  remarques  qui  dénotent  une  rare  finesse 
d'observation,    et    qui    nous    aideront     à     mieux 


424  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

connaître  le  personnage  auquel  elles  s'appliquent 
On  a  fait  grief  à  Marie-Antoinette  d'avoir  blessé 
bien  des  gens  par  sa  fierté,  à  quoi  son  panégyriste 
répond  que  «  l'éclat  de  sa  figure  a  fait  tort  à  l'éclat 
de  son  règne;  les  femmes  qu'elle  écrasait  par  la 
beauté  de  son  teint  et  par  son  port  de  tête,  voulant 
par  jalousie  lui  faire  tort  dans  la  société,  lui  en  firent 
comme  reine.  Frédégonde,  Brunehaut,  les  Catherine 
et  Marie  de  Médicis,  les  Anne  et  Thérèse  d'Autriche 
n'avaient  jamais  ri  ;  Marie-Antoinette,  à  quinze  ans, 
riait  beaucoup  :  on  la  déclara  moqueuse.  Elle  se 
défendit  de  deux  grandes  intrigues,  de  deux  partis 
qui  voulaient  chacun  lui  donner  un  amant  :  on  la 
déclara  ennemie  des  Français,  d'autant  plus  qu'elle 
traitait  bien  les  étrangers,  dont  elle  n'avait  aucune 
importunité  ni  pièges  à  craindre.  Une  malheureuse 
dispute  de  visite  de  son  frère,  l'Électeur  de  Cologne, 
avec  les  princes  du  sang,  ignorée  par  elle,  déplaît 
à  l'étiquette  de  la  Cour  :  on  la  déclare  fière.  Elle 
dîne  chez  une  de  ses  amies,  et  vient  quelquefois 
chez  l'autre  après  souper  :  on  la  déclare  familière. 
C'est  ce  que  ne  diront  pas  le  peu  de  personnes  qui 
vivaient  dans  sa  familiarité.  Son  tact  en  imposait 
autant  que  sa  majesté.  Il  était  aussi  impossible  de 
l'oublier  que  de  s'oubher  soi-même. 

«  Elle  est  sensible  à  l'amitié  de  quelques  personnes 
qui  lui  sont  le  plifs  dévouées,  on  la  déclare  amoureuse  ; 
elle  en  exigeait  trop  quelquefois  pour  leur  famille, 
on  la  déclare  inconséquente.  Elle  donne  des  petites 
fêtes  et  fait  travailler  à  son  Petit  Trianon,  on  trouve 
tout  cela  bien  bourgeois.  Elle  fait  acheter  Saint- 
Cloud,  pour  la  santé  de  ses  enfants  et  pour  écarter 
le  mauvais  air  de  Versailles,  on  la  déclare  prodigue. 


.;";\vT.'..     ^.r/H-V     /' 


I  !(,.    11  r.  11.    ri;lN(;i.    I>1.    LIGNE 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE 


427 


«Ses  promenades  le  soir,  sur  la  terrasse,  à  cheval  3^ 
au  Bois  de  Boulogne,  quelquefois  de  la. musique  à 


FIO.    118.   —  MAHIE    LF.CZINSKA 


l'Orangerie,  paraissent  suspectes.  Ses  plaisirs  les  plus 
innocents  paraissent  criminels. 

«Elle  a  une  bienveillance  générale,  on  la  déclare 
coquette.  Elle  craint  de  gagner  en  jouant,  lorsqu'elle 


428  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

y  est  obligée,  et  je  ne  l'ai  jamais  vu  perdre  plus  de 
mille  louis  (une  bagatelle,  quoi  I).  Elle  dépense  les 
trésors  de  l'État,  elle  en  fait  donner  à  l'empereur 
son  frère;  c'est-à-dire  que,  pour  arrêter  une  guerre 
prête  à  s'allumer  entre  le  roi  et  lui,  elle  engage 
M.  de  Vergennes  à  prêter  dix  millions  aux  Hollan- 
dais qui  en  étaient  le  sujet  :  on  la  déclare  traître  à  la 
France  et  plus  sœur  qu'épouse.  »  (Avouez,  prince, 
que  le  reproche  n'était  pas  sans  fondement.) 

Emporté  par  son  zèle  d'apologiste,  Ligne  va  quel- 
quefois un  peu  loin,  mais  écoutons  le  plaidoyer  jus- 
qu'au bout. 

«  Il  n'y  a  pas  de  femme  de  chambre  favorite,  de 
maîtresse  de  roi,  qui  ne  fil  plus  de  dépenses  ('singu- 
lière comparaison  Ij.hR  reine  recevait  600  louis  le 
premier  du  mois  et,  à  la  vérité,  les  employait  si  bien 
à  donner  que,  quinze  jours  après,  souvent  elle  n'avait 
pas  le  sou  ;  et  je  l'ai  vue  emprunter  vingt-cinq  louis 
un  jour  dans  son  antichambre,  pour  une  pauvre 
malheureuse  qui  était  venue  se  jeter  à  ses  pieds.  » 

Tant  qu'elle  riait,  chantait,  dansait,  on  la  décla- 
rait frivole  ;  quand  elle  ne  s'amusa  plus,  on  la  déclara 
intrigante.  Vient  ensuite  un  parallèle,  assez  imprévu, 
avec  la  vertueuse  épouse  de  Louis  XV. 

Marie- Antoinette,  «  prisonnière  d'État  dans  son 
château  de  Versailles,  prenait  quelquefois  la  liberté 
d'en  traverser  à  pied,  suivie  d'un  heyduck,  une  des 
galeries,  pour  aller  chez  Madame  de  Lamballe,  ou 
Madame  de  Polignac  :  quel  scandale  affreux  I  La 
feue  reine  Leczinska  se  rendait  en  chaise  à  porteur 
chez  Madame  de  Talmont,  sa  cousine,  où  elle  trouvait 
assez  mauvaise  compagnie  de  jeunes  Polonais,  pa- 
rents ou  qui  se  disaient  l'être  des  Leczinsky  ». 


' — ;...'.---. 

.4   P.^.\.   ,-h<-' 

f  r„^,,ir  ../  NjpJlij  .  rut  S.  JaCifUéj  j  In  Villii  Jt  ùiutaflt»^ 

.i.p.  D.  n. 

FIG.    llî'.     -    I.'EMPEnEUn    JOSI.IM    M 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE  4^1 

Marie-Antoinette,  sauf  les  jours  d'étiquette,  qui 
réglait  sa  toilette  d'apparat,  ne  craignait  pas  de 
se  montrer  en  cheveux,  ce  qui  faisait  chuchoter. 
Mais  on  ne  disait  rien  de  Marie  Leczinska,  «  vieille 
de  bonne  heure,  assez  laide  »,  toujours  coiffée  de 
bonnet  ou  «  papillon  »,  lorsqu'elle  se  rendait  au  spec- 
tacle où  l'on  représentait  «  des  pièces  un  peu  fortes  ». 
L'argument  est,  on  l'avouera,  assez  mal  choisi,  et 
l'avocat  compromet  sa  cause  à  la  vouloir  trop  dé- 
fendre. Courtisan  supérieur,  enfant  gâté  de  l'art 
de  plaire  37,  le  prince  de  Ligne  parle  de  la  reine  comme 
d'une  femme  qui  lui  a  témoigné  des  attentions  aux- 
quelles il  est  resté  sensible,  et  dont  il  a  conservé  le 
souvenir  reconnaissant.  Ce  cavalier  servant  était  un 
galant  homme. 

Ligne  avait,  du  reste,  en  matière  d'amour,  des 
idées  arrêtées;  «  car  c'était,  sous  sa  légèreté,  une  tête 
fort  raisonnable  et  même  réfléchie  ».  Quand  Marie- 
Antoinette  lui  dit  :  «  Ma  mère  trouve  mauvais  que 
vous  soyez  si  longtemps  à  Versailles  ;  allez  passer 
quelques  jours  à  votre  commandement  ;  écrivez  des 
lettres  à  Vienne,  pour  qu'on  sache  que  vous  y  êtes 
et  revenez  »,  il  versa  d'abord  des  larmes,  mais  il  ne 
tarda  pas  à  se  ressaisir.  «  Comme  je  ne  crois  pas, 
écrit-il,  aux  passions  qu'on  sait  ne  pouvoir  jamais 
devenir  réciproques,  quinze  jours  me  guérirent  de 
ce  que  je  m*avoue  ici  à  moi-même  pour  la  première 
fois,  et  que  je  n'aurais  jamais  avoué  à  personne,  de 
peur  qu'on  se  moquât  de  moi.  » 

Sceptique  sentimental,  tel  nous  apparaît  le  prince, 
1)1(11  (lue  ces  deux  mots  jurent  d'être  accouplés. 
On  no  lui  a  connu  qu'une  afTection  :  son  fils,  dont  la 
mort  le  laissa   ineonsolé.   Marie-Antoinette  exerça 


432  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

sur  lui,  comme  sur  bien  d'autres,  son  magnétisme  ; 
elle  ne  le  conquit  pas,  du  moins,  complètement. 

On  n'en  saurait  dire  autant  du  Suédois  Fersen. 
Pour  celui-là,  le  procès  est  plaidé  et  définitivement 
jugé.  Par  une  sorte  de  pudeur  qui  n'est  plus  de  saison 
dans  un  siècle  où  la  vérité,  quelque  obscurcie  qu'elle 
soit  par  les  préjugés  de  caste  ou  par  des  considé- 
rations extérieures,  finit  toujours  par  se  laisser  décou- 
vrir, on  a  longtemps  hésité  à  imputer  à  la  reine,  dont 
le  martyre  fut  si  héroïquement  supporté,  une  passion 
qui  ternit  dans  quelque  mesure  son  honneur,  quel  que 
soit  le  mobile  qui  l'ait  inspiré  :  ce  mobile,  ce  fut  un 
amour  sincère,  réel,  et  qu'on  a  tout  heu  de  croire  avoir 
été   partagé. 

Si  nous  nous  en  rapportons  à  une  femme  dont  les 
parents  avaient  été  à  portée  de  voir  et  de  savoir  ce 
qui  se  passait  à  la  Cour,  «  la  reine  n'a  eu  qu'un  grand 
sentiment  et  peut-être  une  faiblesse  :  M.  le  comte 
de  Fersen  ».  Quand  ce  «  Suédois,  beau  comme  un 
ange  et  fort  distingué  sous  tous  les  rapports,  vint  à 
la  Cour  de  France,  la  reine  fut  coquette  pour  lui, 
comme  pour  tous  les  étrangers,  car  ils  étaient  à 
la  mode  ;  il  devint  sincèrement  et  passionnément 
amoureux,  elle  en  fut  certainement  touchée,  mais 
résista  à  son  goût  et  le  força  à  s'éloigner.  Il  partit 
pour  l'Amérique,  y  resta  deux  années,  pendant  les- 
quelles il  fut  si  malade  qu'il  revint  à  Versailles,  vieihi 
de  dix  ans  et  ayant  presque  perdu  la  beauté  de  sa 
figure.  On  croit  que  ce  changement  toucha  la  reine  ; 
quelle  qu'en  fut  la  raison,  il  n'était  guère  douteux 
pour  les  intimes  qu'elle  n'eût  cédé  à  la  passion  de 
M.  de  Fersen  3». 
Madame  Campan,  qui  avait  été  fort  avant  dans  les 


OINKI   ii 

l)E  IHiNCi 


FK;.     llO     —  MAMl.   AM.^IM    1   I  I. 

(D'après  Fkedou) 


38 


LES   AMOUREUX    DE    LA    REINE 


435 


confidences  de  Marie-Antoinette,  s'est  montrée  sur 
ce  chapitre  très  réservée,  du  moins  dans  ses  Mémoires; 
elle  a  été  moins  discrète  dans  ses  conversations  que 
dans  ses  écrits.  Par  elle  nous  savons  que  Fersen  était, 


FIG.   121.  —  M.    DE   PERSEN 


dans  le  boudoir  ou  la  chambre  à  coucher  de  la  reine, 
en  tête  à  tête  avec  S.  M.,  pendant  la  fameuse  nuit  du 
6  octobre.  Il  aurait  échappé  à  grand'peine  au  danger 
d*ètre  découvert,  grâce  à  un  déguisement  que  Ma- 
dame Campan  lui  procura  ^'^.  Un  diplomate  anglais  <• 
alfirme  qu'il  tenait  cette  particularité  du  prince  de 


436  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Talleyrand,  auquel  il  répugnait  généralement  «  de  rap- 
porter des  anecdotes  défavorables  à  la  famille  royale 
de  France  ».  Talleyrand  assurait  tenir  lui-même  le 
fait  de  la  bouche  de  Madame  Campan.  Voilà  une 
affirmation  d'une  précision  troublante.  On  sait, 
d'autre  part,  que  l'un  des  descendants  de  Fersen  a 
publié  la  plus  grande  partie  de  la  correspondance 
de  Marie-Antoinette  et  de  son  adorateur  ;  malheu- 
reusement, les  originaux  ont  été  brûlés.  Il  est,  ce- 
pendant,  un  billet  qui  a  échappé  à  cet  autodafé  et, 
au  regard  de  la  critique  historique,  il  a  une  impor- 
tance qu'il  serait  superflu  de  souligner.  Il  ne  porte 
pas  de  date,  mais  il  est  vraisemblablement  de  sep- 
tembre 1791  (ou  1792  ?).  Il  est,  on  va  tout  de  suite 
en  juger,  terriblement  explicite  ^i 


...Je  peux  vous  dire  que  je  vous  aime,  et  je  n'ai  même 
le  temps  que  de  cela.  Je  me  porte  bien,  ne  soyez  pas 
'*  inquiet  de  moi.  Je  voudrais  bien  vous  savoir  de  même. 
Écrivez-moi  un  chiiïre  par  la  poste  ;  l'adresse  à  M.  de 
Brouvne,  une  double  enveloppe  à  M.  Gougeno.  Faites 
mettre  les  adresses  par  votre  valet  de  chambre.  Mandez- 
moi  à  qui  je  dois  adresser  celles  que  je  pourrai  vous 
écrire,  car  je  ne  peux  plus  vivre  sans  cela.  Adieu,  l'e 
plus  aimé  et  le  plus  aimant  des  hommes.  Je  vous  em- 
brasse de  tout  mon  cœur. 


On  a  souvent  reproduit  la  lettre  que  le  comte  de 
Creutz,  ambassadeur  de  Suède,  adressait  à  son  sou- 
verain, et  dont  nous  rappelons  l'extrait  principal  : 
«  Je  dois  confier  à  V.  M.  que  le  comte  de  Fersen  a 
été  si  bien  vu  de  la  reine,  que  cela  a  donné  des  om- 
brages à  plusieurs  personnes.  J'avoue  que  je  ne  puis 
m'empêcher   de   croire   qu'elle   avait   un   penchant 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE 


/Î37 


pour  lui,  j'en  ai  vu  des  indices  trop  sûrs  pour  en 
douter.  »  On  sait  aussi  la  part  prise  par  Fersen  à  la 
préparation  de  l'évasion  de  la  famille  royale  :  ce  fut 


FKi.   122. 


LE    CIlANCLLILIt    l'ASoUIlCH 


lui  qui  conduisit,  déguisé  en  cocher,  la  fameuse  ber- 
line jusqu'à  Bondy  ;  il  revint  en  France  au  mois  de 
février  1792,  époqii<  :i  hnjiK  II»  il  vit  la  reine  pour  la 
dernière  fois,  mais  il  entretint  avec  elle  une  corres- 
pondance suivie,  par  la  suite.  Cette  correspondance, 


438  LA    PRIiNGESSE    DE    LAMBALLE    liNTIME 

on  vient  de  l'apprendre,  était  chiffrée.  En  outre, 
Fersen,  pour  plus  de  précaution,  employait  de  l'encre 
sympathique.  Marie-Antoinette,  de,  son  côté,  pour 
faire  revivre  les  caractères,  avait  recours  à  un  ingré- 
dient chimique,  qui  lui  était  fourni  par  son  «  apo- 
thicaire »,  vraisemblablement  le  savant  Bernard- 
Derosne  '^^  dont  la  pharmacie  n'a  disparu  qu'en  ces 
dernières  années  ;  la  reine  se  plaint  parfois  qu'elle 
n'a  pu  déchiffrer  l'écriture  avec  l'eau  dont  elle  s'était 
servie,  sans  doute  parce  qu'elle  s'était  éventée  et 
avait  perdu  sa  vertu. 

On  a  le  droit  de  s'étonner  que,  dans  les  lettres 
qui  ont  été  livrées  à  la  publicité,  maints  passages 
aient  été  laissés  en  blanc,  ce  qui  a  pu  donner  lieu 
aux  suppositions  les  plus  désavantageuses  pour  la 
mémoire  de  la  reine  :  on  ne  songe  pas  à  expurger 
une  correspondance  qui  n'olïre  rien  de  suspect. 
Est-ce  Fersen  qui  «  a  tiré  un  voile  d'encre  sur  les 
sentiments  et  les  aveux  que  nous  ne  devions  point 
connaître  »  ?  Sont-ce  les  héritiers  de  ses  papiers  ? 
Il  n'importe.  Il  est  bien  d'autres  preuves  de  la  con- 
fiance affectueuse,  pour  ne  pas  dire  plus,  que  la  reine 
ne  cessa  de  témoigner  à  celui  qui,  seul  peut-être,  à 
été  l'élu  de  son  cœur. 

Au  moment  de  la  fuite  de  Varennes,  c'est  à  Fersen 
que  Marie-Antoinette  confia  le  portefeuille  qui  ren- 
fermait ses  plus  précieux  papiers  ;  dans  ce  porte- 
feuille, il  y  avait,  au  dire  de  quelqu'un  qui  l'avait  eu 
entre  les  mains,  un  compartiment  secret,  contenant 
des  choses...  inexpressibles  43.  La  reine  avait  donné  à 
son  amant,  dans  une  autre  circonstance,  un  médaillon 
contenant  de  ses  cheveux  ^4.  Parlera-t-on  encore 
après  cela,  de  «  simple  et  chaste  idylle  »  ? 


FIG.  123.  —  MADAME  DE  DOIGNE 


LES    AMOUREUX    DE    LA    RELNE  4^|1 

Quant  au  désintéressement  de  l'ami  de  la 
reine,  il  y  a  un  document  bien  gênant  pour  ceux  qui 
s'en  portent  garants.  Quelqu'un  a  eu  l'idée  d'ouvrir 
le  Livre  rouge  (ou  liste  des  pensions  secrettes  (sic) 
sur  le  Trésor  public,  contenant  les  noms  et  qualités 
des  pensionnaires,  l'état  de  leurs  services  et  des  ob- 
servations sur  les  motifs  qui  leur  ont  mérité  ce  trai- 
tement +5)^  or  qu'a-t-on  relevé  à  la  page  18  ?  Le 
comte  de  Fersen,  mestre  de  camp,  propriétaire  du 
régiment  de  Royal-Suédois,  est  porté  pour  la  somme 
de  150.000  livres  :  !«  lOO.GOO  livres,  à  la  recomman- 
dation de  la  reine  ;  2»  50.000  livres,  en  considération 
de  la  distinction  de  ses  services.  Le  rédacteur  n'y  a 
certainementpas  mis  d'ironie,  elle  ressort  du  libellé 
même,  rédigé  en  toute  ingénuité. 

Les  contemporains  ont  su,  d'ailleurs,  à  quoi  s'en 
tenir  ;  et,  à  ce  sujet,  il  nous  revient  une  anecdote, 
rapportée  par  Sainte-Beuve  ^^y  et  que  nous  croyons 
peu  connue. 

Un  soir,  on  avait  parlé,  chez  l'ancien  chancelier 
Pasquier,  de  Marie-Antoinette  ;  la  question  de  ses 
amants  avait  été  mise  sur  le  tapis.  M.  Pasquier, 
âgé  de  quatre-vingt-dix  ans,  était  parti  à  ce  pro- 
pos, vif,  brillant,  comme  un  jeune  ancien  roya- 
liste, comme  un  chevalier  de  la  reine  en  89.  Après 
le  dîner  et  dans  la  même  soirée,  M.  Giraud,  de  l'Ins- 
titut, alla  faire  visite  à  Madame  de  Boigne,  qu'il 
trouva  seule,  et  il  se  fit  un  plaisir  de  lui  raconter  la 
belle  vivacité  du  chancelier  et  sa  défense  de  l'imma- 
culée Marie-Antoinette.  Là-dessus,  Madame  de 
i^oignc,  née  au  sein  de  l'ancienne  Cour,  élevée  sur 
les  genoux  de  Mesdames,  filles  de  Louis  XV,  et  au 
fait,  par  la  tradition  directe,  de  tout  cet  intérieur 


442  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

de  Versailles  et  de  Trianon,  n'y  put  tenir,  et  dans  un 
beau  mouvement  d'impatience,  reprenant  le  ton 
d'une  grande  dame  vis-à-vis  de  l'ancien  robin  qui 
parlait  de  ces  choses  avec  tant  d'assurance,  elle 
s'écria  d'un  accent  que  rien  ne  saurait  rendre  : 
«  Et  qu'en  sait-il,  Pasquier  ?  » 

Il  y  a  quelques  années,  dans  un  salon  parisien, 
quelqu'un  mit  en  discussion  si  l'historien  avait  le 
droit  de  tout  dire,  ou  s'il  y  avait  des  «  points  réservés  » 
auxquels  il  lui  était  interdit  de  toucher.  JM.  de 
Nolhac,  le  très  érudit  conservateur  de  Versailles  à 
cette  époque,  et  qu'on  peut  considérer  comme  un 
des  meilleurs  historiens  de  Marie- Antoinette,  avait 
jusque-là  gardé  le  silence  ;  il  le  rompit  tout  à  coup 
pour  s'écrier  :  «  J'ai  dans  mes  tiroirs  les  preuves 
irrécusables  que  Marie-Antoinette  n'était  pas  fidèle 
à  Louis  XVI...  »  A  quelqu'un  qui  lui  demandait 
s'il  possédait  des  documents  sur  le  manque  de 
foi  conjugale  de  la  reine,  il  répondit  qu'il  n'ai- 
derait point,  pour  sa  part,  à  résoudre  la  question 
qu'on  venait  de  soulever,  n'ayant  pas  dans  ses  ti- 
roirs les  pièces  qui  lui  avaient  été  communiquéer, 
mais  il  ajoutait  :  «  Dans  l'état  actuel  de  mes  re- 
cherches, je  crois  que  la  reine  a  aimé  seulement 
M.  de  Fersen  ^'^.  »  C'était  répondre  avec  autant  de 
tact  que  de  prudence;  mais  combien  une  pareille 
déclaration  a  de  poids,  émanée  d'une  bouche  aussi 
discrète  qu'autorisée  1 


NOTES  DU  CHAPITRE  XVII 


1.  M.  DE  NoLHAC,  la  Reine  Marie- Antoinette,  205 

2.  Hist.  de  France,  loc.  cit. 

3.  Essai  historique  sur  la  vie  de  Marie-Antoinette. 

4.  Op.  cit.,  206. 

5.  Sainte-Beuve,  Causeries  du  Lundi,  t.  IV,  254. 

6.  Ces  messieurs  suivaient  Marie-Antoinette  en  qualité 
d'  «  externes  «,  suivant  l'expression  de  Mercy  ;  ils  étaient 
autorisés  à  passer  la  journée  à  Trianon,  sans  y  avoir  de 
logement  cependant.  L'ambassadeur  craignait  que  l'excès 
de  leur  faveur  ne  les  portât  à  quelque  démarche  compro- 
mettante pour  cette  princesse.  (Cf.  (î.  Desjardijis,  le  Petit 
Trianon,  chap.  VI). 

7.  V.  les  Observations  sur  les  Mémoires  de  Madame  Campan, 
par  Flammermont,  85  et  suiv. 

8.  Notamment,  les  Mém.  de  la  Société  des  sciences  morales,  des 
lettres  et  des  arts  de  Seine-et-Oise,  t.  XVI,  57  et  suiv. 

9.  Du  moins  le  prétend  Mme  de  Créquy  (Souvenirs, 
lome  VI,  11]  et  suiv.),  et  l'éditeur  des  Mémoires  de  la  mar- 
fiuise  ajoute  que  «  l'opinion  de  Mme  de  Créquy  a  toujours  été 
celle  de  la  famille  royale  et  celles  de  toutes  les  femmes  at- 
tachées à  la  maison  de  la  Reine-  ».  C'est  au  point  que  la 
duchesse  d'Angouléme  aurait  toujours  refusé  de  lui  accor- 
der une  audience.  Sans  doute,  pardonnait-on  diflicilement 
h  Mme  Campan,  qui  avait  dirigé  la  niaison  d'Ecouen  sous 
le  premier  Empire,  après  avoir  été  comblée  de  faveurs  par 
la  Royauté,  d'avoir  accepté  les  faveurs  de  l'Usurpateur. 

10.  Cf.  Mémoires  de  la  Société  des  sciences  morales,  etc.,  de 
Seine-et-Oise,  tome  cité,  54. 

11.  Pour  qui  sera  curieux  de  les  connaître,  nous  renvoyons 
à  la  lievue  rétrospective  (de  Taschereau),  octobre-décembre 
1883,  !'•  série,  t.  I,  85101. 

12.  Jtevue  des  Deux  Mondes,  t.  XCV  (1889),  673  et  8.;  article 
de  M.  V.  Pu  Bi.BD  :  Un  amour  platonique  au  xviir  siècle. 


444  ^^    PRINCESSE    DE    LAMBALLE   INTIME 

13.  Dès  177G  (le  18  décembre),  Mercy-Argenleau  écrivait  à 
Marie-Thérèse  :  «  Parmi  le  nombre  des  étourdis  auxquels  la 
reine  donne  un  accès  beaucoup  trop  libre,  il  en  est  un  fort 
dangereux  par  son  esprit  remuant  et  par  l'assemblage  de 
toutes  sortes  de  mauvaises  qualités  :  c'est  le  duc  de 
Lauzun...  » 

14.  Mercy,  t.  II,  1G5. 

15.  ID.,  t.  I,  39. 

16.  Mém.  de  Madame  Campan,  I,  211;  Mercy,  t.  III,  285. 

17.  Campan,  t.  II,  27. 

18.  Id.,  t.  I,  73. 

19.  Louis  Lacour,  Catalogue  des  livres  du  boudoir  de  Marie-An- 
toinette. 

20.  Correspondance  (édition  d'ARNETH  et  Geffrot),  t.  I,  73  et 
passim;  t.  II,  4.53;  t.  Ill,  114. 

21.  FlamxiermoiNT,  op.  cit.,  16  et  s. 

22.  Le  beau-père  de  l'auteur  des  Mémoires. 

23.  G.  Desjardins,  le  Petit  Trianon,  137,  138. 

24.  Magasin  encyclopédique,  de  Millin,  année  1792,  169. 

25.  Une  partie  de  ces  livres  fut  transportée  dans  une  ville 
de  province,  à  Périgueux,  lors  de  la  création  des  Écoles 
centrales  du  département,  c'est-à-dire  en  1795.  «  A  cette 
époque,  écrit  M.  Charles  Daubige,  le  Directeur  de  l'Ecole 
centrale  de  la  Dordogne  fut  invité  à  envoyer  à  Paris  une 
pcr.-onne  chaigée  de  choisir  et  de  soumettre  à  l'agrément 
de  l'autorité  supérieure  les  ouvrages  destinés  à  former  les 
premiers  éléments  de  la  bibliothèque  dont  il  s'agissait  de 
doter  l'établissement  nouvellement  fondé.  Arrivé  à  Paris, 
le  délégué  s'en  alla  trouver  le  conventionnel  Pinet,  qui 
élait  de  la  Dordogne,  lequel,  désireux  de  favoriser  son 
compatriote,  obtint  pour  lui  qu'il  fût  mis  en  présence  des 
débris  de  la  bibliothèque  du  tyran  et  des  volumes  qui 
avaient  appartenu  aux  princes  et  aux  princesses  de  sa  fa- 
mille. »  Le  citoyen  délégué  jeta  son  dévolu  sur  les  livres 
qui  faisaient  partie  de  la  bibliothèque  réservée  à  Marie- 
Antoinette  et  qui,  à  la  suppression  de  l'École  centrale,  furent 
versés  à  la  bibliothèque  municipale  de  Périgueux,  où  ils 
doivent  encore  se  trouver.  A  part  quelques  livres  futiles, 
comme  la  Paysanne  parvenue,  du  clievalier  de  Mouy,  ce 
sont  en  général  des  ouvrages  classiques,  comme  les  Géor- 
giques  de  Virgile,  les  Œuvres  de  Fontenelle,  le  théâtre  de 
Regnard,  etc.  «  Ces  volumes,  de  formats  différents,  sont 
uniformément  reliés  en  veau  rouge  sombre,  granités  de 
points  noirs...  reliure  dite  porphyre;  sur  les  plats,  on  voit,im- 


LES    AMOUREUX    DE    LA    REINE  44^ 

primées  en  or,  les  armes  de  France  et  de  la  maison  d'An- 
triche  ;  sur  le  dos,  le  litre  de  l'ouvrage  ;  et  au  bas,  les  let- 
tres Ç.  T.  (château  des  Tuileries),  surmontées  de  la 
couronne  royale;  les  tranches  ne  sont  pas  dorées.  » 

26.  Entre  autres,  un  exemplaire  des  Découvertes  sur  le  feu, 
l'électricité  et  la  lumière,  offert  à  Marie-Antoinette  par  le 
démagogue  Marat,  alors  «  médecin  des  gardes  du  corps  dn 
comte  d'Artois  ».  Cf.  nos  Indiscrétions  de  Vhistoire,  t.  I 

27.  Par  G.  lïESJARDiNs,  op.  cit.,  411-'I61. 

28.  Id.,  ibid.,  13(5. 

29.  Cf.  Bibliothèque  de  Marie-Antoinette  aux  Tuileries,  par  E.  Q. 
B.  (Ernest  Quentin-Beaughart),  p.  V. 

30.  Voir  nos  Légendes  et  Curiosités  de  l'histoire,  t.  I. 

31.  Mercy-Argenteau,  Correspondance,  t.  III  (au  mot  Lectures). 
82.  Desjardins,  op.  cit.,  136. 

33.  Déjà  les  mômes  abus  s'étaient  manifestés  dans  la  so- 
ciété de  la  princesse  de  Lamballe,  à  qui  on  avait  fait  un 
revenu  de  plus  de  300.000  livres.  La  charge  inutile  de  sur- 
inLendante  de  la  Maison  de  la  Reine,  qui  rapportait  au 
moins  150.000  livres,  avait  été  rétablie  pour  la  pr4ncesse; 
son  frère  avait  obtenu  40.000  livres  de  pension  et  un  régi- 
ment, avec  14.000  livres  d'appointements  au  lieu  des 
4.(100  livres  réglementaires.  On  avait  donné  à  la  comtesse 
de  la  Marche,  amie  de  Mme  de  Lamballe,  après  sa  sépara- 
tion d'avec  son  mari,  une  pension  de  60.000  livres.  Il  y 
avait  une  rivalité  continuelle  entre  Mme  de  Polignac  et 
Mme  de  Lamballe,  celle-ci  fatiguant  constamment  la 
reine  de  ses  réclamations,  pour  elle  ou  pour  les  mem- 
bres de  sa  famille;  celle-là  s'y  prenant  plus  adroitement, 
mais  non  moins  avide,  sinon  pour  elle,  au  moins  pour 
ceux  qui  lui  tenaient  au  cœur. 

J4.  Mémoires  du  Prince  de  Montbarey,  t.   III,  264. 

55,  Elle  a  été  recueillie  par  Malte-Brun  {Le  Spectateur^ 
t.  1,  67  et  s.) 

36.  «  C'est  au  cours  d'une  de  ces  promenades  à  cheval, 
qu'il  faisait  tout  seul  avec  la  reine,  que  celle-ci  apprenait  à 
.son  cavalier  tous  les  pièges  qu'on  lui  avait  tendus  pour  lui 
donner  des  amants.  Tantôt,  c'était  la  Maison  de  Noailles, 
(jui  voulait  qu'elle  en  prit  le  vicomte;  tantôt  la  cabale 
Choiseul,  qui  lui  destinait  Biron  (Lauzun)  qui  depuis... 
mais  alors,  il  était  vertueux.  »  S\MK-IiEUVB,  cité  par  DussiBUX» 
le  Château  de  Versailles,  t.  II.  L'I. 

37.  Cf.  la  Revue  critique  des  idées  et  des  livret,  26  juillet  1914 
(Anecdotes  du  Prince  de  Ligne,  par  Pierre  Sildert). 


(4^  LA    PRINCE6SE   DE   LAMBALLE    INTIME 

38.  Mémoires  de  Madame  de  Boigne,  t.  I,  32. 

39.  «  Lorsque  la  calastrophe  arriva,  que  le  palais  fut 
forcé,  la  reine  se  sauva  dans  les  appartements  du  roi;  mais 
son  confident  courut  les  plus  grands  dangers  et  n  échappa  qu'en 
sautant  par  une  fenêtre.  »  Ceci  est  rapporté  au  t,  VI,  pp.  395 
et  s.,  de  la  première  édition  du  Mémorial  de  Sainte-Hélène,  du 
comte  de  Las  Cases,  Paris,  1823.  C'est  au  mois  d'octobre 
1816  que  Napoléon  tint  ce  propos,  et  il  dit,  à  ce  sujet,  à 
ses  compagnons  de  captivité,  que  «  Madame  Campan 
l'avait  souvent  entretenu  des  plus  petits  détails  de  la  vie 
privée  de  la  reine  »,  ajoutant  que  Madame  Campan  «  méri- 
tait d'être  considérée  comme  une  bonne  autorité  ».  Inter- 
médiaire des  chercheurs  et  curieux,  30  mars  1908,  col.  458-9. 

40.  Souvenirs  diplomatiques  de  lord  Holland,  publiés  par  son 
fîls;  traduits  de  l'anglais  par  H.  de  Chonski;  Paris, 1851, 
p.  14,  note. 

41.  Nous  en  devons  la  connaissance  à  M.  Lucien  Maurt, 
qui  l'a  reproduit  dans  la  Bévue  bleue,  du  8  octobre  1910. 

42.  Modes  et  usages  au  temps  de  Marie-Antoinette,  par  le  comte 
de  Reiset,  t.  II,  274. 

43.  Hippolyte  Castille,  Portraits  politiques  au  dix-neuvième 
siècle  :  Michelet  ;  Paris,  1856,  in-32,  p.  32-4. 

44.  Elle  lui  avait  fait  tenir  un  anneau,  «  juste  à  sa  me- 
sure »,  et  qu'elle  avait»'  porté  deux  jours  avant  de  l'em- 
baller »,par  l'entremise  du  comte  Eslerhazy,  en  l'accompa- 
gnant de  mots  très  affectueux  à  l'adresse  de  Fersen  (Cf. 
Mémoires  du  comte  Valentin  Eslerhazy,  par  Ernest  Daudet;  Pa- 
ris, Pion,  1905). 

45.  De  l'Imprimerie  royale,  1790;  prix  :  quatre  livres. 

46.  Elle  se  trouve  dans  les  Cahiers  de  Sainte-Beuve  (Paris, 
1876),  p.  136. 

47.  Lettre  particulière,  à  nous  adressée   le  25  août  1905, 


CHAPITRE  XVIII 


LES    LIAISONS   FEMININES  DE    MARIE-ANTOINETTE 


Les  auteurs  des  libelles  où  la  reine  de  France 
est  traînée  dans  la  fange  se  sont  montrés  beaucoup 
plus  indulgents  à  l'endroit  de  ses  amitiés  mascu- 
lines que  de  ses  liaisons  féminines.  L'écrivain  ano- 
nyme du  Portefeuille  d'un  talon  rouge,  dans  le  lan- 
gage perfide  et  plein  de  sous-entendus  qui  lui  est 
propre,  accuse  Marie-Antoinette  de  s'enfermer  avec 
la  duchesse  de  Polastron  ;  mais,  s'empresse-t-il 
d'ajouter,  Madame  de  Balbi  s'enferme  bien  avec 
Madame  (l'épouse  du  comte  de  Provence),  et  cela 
ne  fait  point  jaser  \  Le  pamphlétaire  parle  ensuite 
de  la  faveur  qu'accorde  la  reine  à  la  duchesse  de 
Péquigny,  devenue  duchesse  de  Chaulnes  ;  mais 
celle-ci  est  une  femme  d'esprit;  sa  conversation, 
toujours  enjouée,  est  assaisonnée  de  divertissantes 
plaisanteries  :  ne  va-t-elle  pas  jusqu'à  railler  son 
époux,  qui  s*est  avisé  de  vouloir  un  jour  «  disséquer, 
anatomiser  »,  et  qui,  après  avoir  renoncé  aux  avan- 
tages de  l'homme  de  cour,  s'est  déterminé  à  se  faire, 
simplement,    philosophe,    chimiste    et    physicien  ? 


448  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

C'est  la  duchesse  de  Chaulnes,  ci-devant  Péquigny, 
qui  disait  un  jour  à  la  dauphine  :  «  Je  ne  sais,  Ma- 
dame, ce  que  c'est  que  le  saiil  de  V anguille  ;  je  ne  l'ai 
jamais  fait  ;  il  demande,  dit-on,  beaucoup  de  sou- 
plesse dans  les  reins  ;  mais  quel  qu'il  soit,  le  plus 
beau  saut  que  j'aye  jamais  vu,  le  plus  grand  et  le 
plus  merveilleux,  est  celui  de  la  Du  Barry  qui,  des 
bras  des  laquais,  est  sautée  dans  ceux  du  roi.  » 
Et  Marie-Antoinette,  à  ces  mots,  de  rire  aux  larmes, 
et  de  répéter  à  son  entourage  les  saillies  de  sa  dame 
d'atours.  Voilà,  semble-t-il,  des  jeux  bien  innocents, 
mais  à  laisser  prendre  cette  familiarité  on  court  le 
risque  d'être  un  jour  soi-même  l'objet  des  railleries 
et  des  sarcasmes.  La  duchesse  de  Péquigny,  dont  on 
convoitait  la  place,  ne  tarda  pas  à  être  sacrifiée  et 
remplacée  par  Madame  de  Saint-Mégrin,  qui  occupa 
peu  de  temps  ce  poste  envié  et  obtenu  par  Madame 
de  Cossé.  Pendant  le  règne  de  ces  trois  dames,  on 
avait  remarqué  que  la  reine  n'avait  jeté  les  yeux  sur 
aucun  des  jeunes  gentilshommes  qui  gravitaient  au- 
tour d'elle,  à  part  le  comte  d'Artois.  Un  moment, 
elle  s'attachait  à  la  comtesse  de  Dillon,  mais  cet 
engouement  fut  de  courte  durée  ^. 

La  reine  avait  pris  et  renvoyé  au  bout  de  peu  de  temps 
Madame  de  Noailles,  celle  qu'elle  avait  surnommée 
Madame  VÉliqvei'e,  puis  elle  s'était  attaché  Madame 
de  Lamballe,  pour  qui  elle  ne  tarda  pas  à  se  prendre 
d'une  très  tendre  affection. 

Les  courses  en  traîneaux  avaient  été  l'occasion  des 
débuts  de  la  faveur  de  la  princesse.  Belle,  rose  et 
blanche,  enveloppée  de  riches  fourrures,  cette  der- 
nière frappait  tous  les  regards  et  réunissait  tous  les 
suffrages.   La  reine  jusque-là  n'y  avait    guère  fait 


LES   LIAISONS    FÉMINLNES   DE   MARIE-ANTOINETTE     4^|9 

attention,  mais  tout  changea  lors  des  courses  en 
traîneaux.  La  princesse  de  Lamballe  parut  avec  une 
gaieté  si  naïve,  avec  tant  de  grâce,  que  Marie-Antoi- 


i4^ 


FIG.    124.    —    MADAME   DE    UALU 


nette  commença  à  désirer  qu'elle  fît  partie  de  sa 
société  intime  \ 

C'était  alors    la   mode  qu'une   femme   n'allât  à 
Versailles,  à  l'Opéra,  ou  dans  le  monde,  qu'accom- 

29 


/|5o  LA    PRINCESSE    DE     LAMBALLE    INTIME 

pagnée  d'une  amie,  d'une  inséparable,  «  à  laquelle 
on  écrivait  au  moins  un  billet  chaque  matin,  et  avec 
laquelle  on  courait  le  reste  de  la  journée  ».  C'est  ainsi 
que  Marie-Antoinette  fit  choix  de  la  princesse,  dont 
on  lui  avait  vanté  la  bonté  de  cœur  et  la  douceur 
de  caractère,  et  que  son  rang,  sa  parenté  avec  la 
famille  royale,  désignaient  plus  que  toute  autre.  On 
ne  lui  prêtait  pas  beaucoup  d'esprit,  mais  elle  jouis- 
sait d'une  réputation  intacte.  Jusque-là,  du  moins, 
la  calomnie  n'avait  pas  mordu  sur  elle. 

On  a  retrouvé,  aux  archives  de  Vienne,  le  récit 
d'une  conversation  entre  l'abbé  de  Vermond  et  la 
reine,  doublement  curieuse  par  la  liberté  de  repro- 
ches que  se  permettait  l'abbé,  et  par  le  peu  de  souci 
que  prenait  la  reine  de  ses  trop  justes  observations. 

Il  était  question  d'un  prêtre  qui  avait  été  le  con- 
fesseur, à  Vienne,  de  la  jeûne  archiduchesse.  «  Il  eût 
voulu,  dit-elle  à  Vermond,  me  rendre  dévote.  — 
Comment  eût-il  fait  ?  répliqua  l'abbé  ;  je  n'ai  pu, 
moi,  vous  rendre  raisonnable...  Par  exemple,  vous 
êtes  devenue  fort  indulgente  sur  les  mœurs  et  la 
réputation  de  vos  amis  et  amies.  Je  pourrais  prouver 
qu'à  votre  âge,  cette  indulgence,  surtout  pour  les 
femmes,  fait  un  mauvais  effet  ;  mais  enfin,  je  passe 
que,  si  vous  ne  prenez  garde  ni  aux  mœurs  ni  à  la  ré- 
putation d'une  femme,  vous  en  fassiez  votre 
société,  votre  amie,  uniquement  parce  qu'elle  est 
aimable.  Certes,  ce  n'est  pas  la  morale  d'un  prêtre; 
mais  que  Tinconduite  en  tout  genre,  les  mauvaises 
mœurs,  les  réputations  tarées  et  perdues  soient  un 
titre  pour  être  admis  dans  votre  société,  voilà  ce  qui 
vous  fait  un  tort  infini.  Depuis  quelque  temps,  vf)us 
n'avez  pas  même  la  prudence  de  conserver  hoison 


I  K..    125.  ^   MARIE-ANTOINETTE,  DAUPHINE 
(Pantel  de  Ducbbux) 


^|52  LA    P::INCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

avec  quelques  femmes  qui  aient  réputation  de  raison 
et  de  bonne  conduite.  »  Vermond  ajoute,  pour  finir, 
que  «  la  rdne  a  éeout^  avec  un  sourire  et  un©  sorte 
d'applaudissement  et  d'aveu  tout  le  sermon,,,  elle 
n'a  relevé  que  le  dernier  article,  en  citant,  comme 
jonne  réputation,  la  seule  Madan^e  ele  Lamballe  ». 
Cette  amitié  de  la  reine  pour  la  princesse  fut-elle 
équivoque  ?  Madame  Gampan  croyait,  avons-nous 
dit,  à  l'innocence  de  leurs  relations  ;  il  est,  teute^ 
fois,  une  phrase  du  comte  de  Merçy-Argenteau,  qui 
serait  matière  à  doutes  ;  parlant  de  la  disgrâce  que 
Madame  de  Lamballe  s'était  attirée  par  ses  exlgence§ 
continuelles,  pour  faire  obte^ùr  toutes  sortes  de  la- 
veurs à  ses  proches,  le  rude  censeur  est  d'avis  qu( 
son  discrédit  vint  surtout  «  des  importunités  en- 
nuyeuses de  sa  jalousie  ».  Qu'est^ce  k  dire  ?  Ce  qu- 
est  certain,  c'est  que,  dès  1776,  courait  un  couplet 
obscène,  où  la  surintendante  était  mise  en  cause 
d'une  façon  assez  fâcheuse  et,  au  dire  du  libraire 
Hardy,  qui  l'a  consigné  dans  son  Journal^  cette  chan- 
son, c'étaient  les  dames  de  la  Cour  qui  l'avaient  mise 
en  circulation  ;  contentons-nous,  faute  de  preuves, 
de  répéter  ce  qu'en  disent  les  Mémoires  sccf^l^  i, 
qu'  «  elle  travestit  criminellement  l'amitié  de  h 
reine  pour  Madame  la  princesse  de  Lamballe  », 

Les  Mémnres  secnU  SOUt  comme  i  le  reflet...  de 
l'Œil-de-Bœuf  et  des  antichambres  de  Versailles  ?  ^^ 
la  gazette  indiscrète,  mais  souvent  véridlque,  de 
ce  qui  se  passe  à  la  Cour.  Or,  qu'y  lit-on  ?  Que 
«  Sa  Majesté  fait  souvent  des  parties  avec  elle  (Ma- 
dame de  Lamballe)  au  Petit  Trianon,  ou  Petit  Vienne, 
et  qu'elle  n'y  admet  que  quelques  dames  de  sa  suite, 
sans   aucun   homme  ».  Lorsque  'a   reine  voulait   se 


LES    LIAISONS    FEMININES    DE   MAHIE-ANtOINETTE    4^3 

libérer  de  toute  étiquette,  c'était  chez  la  surinteii- 
dante  qu'elle  Conviait  ses  invités,  c'était  chez 
Madame  de  Lamballe  que  se  donnaient  les  bals  où 
n'étaient  admis  que  quelques  privilégiés. 

La  princesse  occupait  alors  à  Versailles  un  loge- 
ment de  douze  pièces  et  onze  entre-sols,  au  premier 
étage  (deuxième  sur  la  rue),  à  l'angle  de  railê  du  midi, 
donnant  sur  la  cour  de  Monsieur  et  sur  la  rue  de  la 
Surintendance.  Cet  appartement,  précédemment  oc- 
cupé par  son  beau-père,  le  duc  de  Penthièvre,  avait 
été  abandonné  par  Celui-ci  à  sa  bclle-fille.  L'installation 
de  celle-ci  au  palais  date  de  la  fin  de  1775  ;  l'année 
suivante,  elle  y  apporta  de  grandes  modifications. 

La  princesse  quitta  son  premier  appartement  en 
1778  ;  lorsqu'eBedutle  céder  pour  le  petit  duc  d'An- 
goulôme,  fils  du  comte  d'Artois,  elle  descendit  dans 
celui  qui  était  situé  immédiatement  au-dessous  et 
qui  comprenait  le  même  nombre  de  pièces  ^, 

Marie-Antoinette  n'avait  plus,  à  cette  époque,  ses 
habitudes  chez  la  surintendante  ;  néanmoins,  on  ne 
manquera  pas  de  faire  observer  malignement  que, 
certain  jour,  *«  la  reine  a  soupe  chez  Madame  la 
princesse  de  Lamballe,  où  elles  étaient  douze 
femmes,  sans  aucun  homme,  apparemment  par 
étiquette  ».  Le  venin  si'  faisait  déjà  sentir. 

La  retraite  de  Madame  de  Noailles  déchaîna 
de  nouveaux  libelles;  les  insinuations  se  firent  plus 
précises.  (<  Embrassades,  courses,  signes,  gestes,  vi- 
sites, confidences,  conversations,  privautés,  tout 
était  mal  interprété.  L'œil  malin  du  courtisan  obser- 
vait tout  et  supposait  à  tout  un  but  criminel  vl  Ul 
que  Juvénal  et  saint  Paul  en  parlent,  en  décrivant 
les  mœurs  infâmes  et  les  inclinations  perverses  des 


454  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

dames  de  Rome  7.  »  La  reine,  avertie,  crut  donner 
le  change  et  dissiper  la  calomnie  en  accordant  ses 
préférences  au  chevalier  de  Coigny  ;  l'inspiration 
n'était  pas  heureuse,  car  les  courtisans  s'empressèren" 
d'accourir  en  poste  de  Versailles  au  foyer  de  l'Opéra 
pour  confier  à  des  chanteuses,  leurs  maîtresses,  la 
bonne  fortune  du  chevalier. 

La  reine  devint  enceinte  ;  dès  que  la  grossesse 
fut  déclarée.  Madame  de  Lamballe  reprit  faveur. 
Durant  les  couches,  l'amie  dévouée  ne  quitta  pas  sa 
souveraine,  mais  vint  une  distribution  de  béné- 
fices, ce  furent  encore  les  protégés  de  Coigny  qui 
participèrent  à  la  curée. 

Après  les  relevailles,  les  parties  de  plaisir  reprirent  ; 
les  bruits  calomnieux  recommencèrent  à  circuler,  ils 
visaient  cette  fois  la  nouvelle  favorite,  Madame  de 
Polignac.  Madame  de  Polastron,  mariée  à  un  comte 
de  Polignac,  était  le  type  des  intrigantes  de  Cour. 
«  La  nouvelle  favorite,  par  la  tournure  de  son  esprit 
et  par  la  douceur  de  son  caractère,  a  su  plaire  au 
roi  comme  à  la  reine  ;  elle  a  profité  de  sa  faveur  pour 
faire  entrer,  dit-on,  près  de  deux  millions  de  revenus 
dans  les  différentes  branches  de  la  maison  de  Poli- 
gnac et,  par  là  même,  cette  comtesse  Jule  est  devenue 
en  Cour  un  objet  d'adoration  publique  et  d'envie  se- 
crète. » 

Sur  la  princesse  de  Lamballe,  aucune  articulation 
nette,  rien  que  de  vagues  on-dil  ;  on  l'effleure  en  pas- 
sant :  à  ronger  la  lime  s'usent  les  dents  du  ser- 
pent ;  on  avait  plus  de  prise  sur  Madame  de  Poli- 
gnac, la  séduisante  comtesse  Jvle  ^.  Longtemps  avant 
que  le  titre  de  gouvernante  des  enfants  de  France 
l'eût  rendue  le  point  de  mire  de  l'envie  et  de  la  calom- 


LES    LIAISOxNS    FEMLNLNES    DE    MARIE-ANTOINKTTE     ^^D:^ 

nie,  elle  était  déjà  l'objet  de  gravures,  de  caricatures, 
de  chansons  et  de  pamphlets  de  toute  espèce  ^. 

Comment  avait  débuté  la  liaison  de  la  reine  et  de 
la  favorite  ?  C'est  à  un  de  ses  bals  d'été,  que  Marie- 
Antoinette,  pour  la  première  fois,  avait  remarqué  Ma- 
dame de  Polignac.  Celle  qui  deviendra  la  dépositaire 
de  toutes  ses  pensées,  la  conquit  dès  l'abord  et  main- 
tiendra sur  elle  son  empire  pendant  près  de  quinze 
ans  ^^ 

L'ambassadeur  d'Autriche  en  France  mandait  à 
son  impériale  correspondante,  que  la  reine  se  pro- 
mène dans  les  antichambres  avec  son  amie,  en  la 
tenant  sous  le  bras,  «  ce  qui  produisait  le  plus  mauvais 
efTet  ».  Une  autre  fois,  il  rapporte  que  Marie-Antoi- 
nette est  allée  chez  la  favorite  en  petit  déshabillé, 
ce  qui  a  fortement  choqué  notre  diplomate.  Elle 
s'enferme  plusieurs  heures  dans  son  appartement 
avec  Madame  de  Polignac  ;  cette  intimité  transpire 
bientôt  hors  de  la  Cour,  et  les  mémorialistes  vont  h 
leur  tour  s'en  étonner  et  en  informer  le  ])ublic.  Ils 
impriment,  dans  leurs  gazettes,  qu'un  «  dimanche, 
à  une  heure,  la  reine  s'est  rendue  rue  de  Bourbon, 
chez  sa  favorite,  et  y  a  dîné  en  tête  à  tête  avec  elle  ; 
elle  est  restée  enfermée  jusqu'à  cinq  heures  qu'elle 
est  repartie.  Madame  la  princesse  de  Chimay,  dame 
d'honneur  de  S.  M.,  qui  l'avait  accompagnée,  n'a 
pas  même  assisté  à  l'entrevue  et,  après  avoir  pris 
des  ordres  pour  le  départ,  a  dû  se  retirer.  On  forme 
mille  conjectures  sur  le  tête-à-tôtc  et  sur  les  augustes 
secrets  que  la  souveraine  y  a  déposés  dans  le  sein 
de  l'amitié  ». 

Madame  de  Polignac,  devenue  enceinte,  se  retire 
à  Passy  :  il  est  décidé  que  la  Cour  viendra  passer 


LA    PRINCESSE    DE    LAMHALLE    INTIME 


'à-'m 


neuf  jours  à  la  Muette,  pour  que  la  Reine,  lors 
de  raccouchement,  soit  à  portée  de  son  amie.  On  se 
demande  si  l'enfant  qui  va  naître  est  du  marquis 
de  Vaudreuil,  puisque  le  comte  de  Polignac  est  en 
province  depuis  un  an.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  fa- 
veurs pleuvent  sur  la  comtesse  ;  celle-ci  coûte  à 
l'État  des  sommes  immenses,  et  l'on  évoque  le  sou- 

venir     de    Madame 

de  Pompadour.  Suit 
un  parallèle,  qui  se- 
rait plutôt  à  l'avan- 
tage de  cette  der- 
nière. «  Madame  de 
Pompadour  avoit  des 
amans,  Jule  vit 
publiquement  avec 
M.  de  Vaudreuil,  et 
ce  qu'il  y  a  de  plai- 
sant, c'est  qu'il  est 
aussi  bien  avec  la 
reine  et  le  roi  qu'a- 
vec la  comtesse  Jule. 
Madame  de  Pom- 
padour vendoit  des 
emplois,  des  bénéfices,  des  charges,  des  évêchés, 
etc.,  etc.  Madame  Jule  vend  pareillement  évê- 
chés, bénéfices,  emplois,  charges,  etc.  Madame 
de  Pompadour  enrichit  sa  famille  et  mit  son 
frère  Poisson  au  bleu,  celle-ci  en  fait  autant  ;  au 
moins  commence-t-elle  par  son  mari,  qu'elle  a  fait 
duc...  Cela  est  actuellement  à  un  point  d'indécence 
tel  que  la  famille  des  Polignac  et  celle  des  Grammont 
envahissent  tout,  demandent  tout,  et  que  l'on  ne 


FIG.    126.    —  MADAME  DE   POLIGNAC 


LES    LIAISONS   FEMININES    DE    MARIE-ANTOINETTE    457 

peut  faire  un  pas  sans  les  trouver  dans  son  chemin 
en  opposition  '^  » 

La    comtesse    Jule    accouciie,    Marie-Antoinette 
accourt  à  son  chevet.  On  trouve  singulier   que    la 


p,(.     127.    _   MAIME-CAROLINF.   DE   NAPLÊ6,    SffeUft 
Dt:  MAhtË-ANTOlNfeTTE 


comtesse,  au  lieu  de  s'installôr  chez  son  amant.  n*ait 
pas  lait  ses  couches  au  château  de  Versaine<^,  afin 
d'éviter  un  dérangement  à  sa  royale  amie.  On  laisse 
parler  les  méchantes  langues  et,  bravant  roplnion. 
la  reine  donne  à  Madame  de  Polignac  une  layette 


458  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME  \ 

de  80.000  livres;  le  roi  y  joint  un  présent  en  argent 
de  pareille  somme. 

On  s'est  demandé  quelle  créance  il  fallait  ajouter 
aux  imputations  portées  contre  la  comtesse,  quelle 
a  été  la  nature  de  ses  relations  avec  Marie-Antoi- 
nette. Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  si  la  plupart  des 
pamphlets  —  à  peine  en  peut-on  citer  deux  ou 
trois  qui  font  exception  —  épargnent  la  princesse 
de  Lamballe,  aucun  ne  fait  grâce  à  Madame  de 
Polignac. 

On  a  prétendu  que  des  lettres  échangées  entre  la 
reine  et  la  favorite  et  qui  auraient  donné  peut-être 
la  clé  du  mystère,  les  unes  ont  été  égarées  dans 
l'exil,  les  autres  ont  été  brûlées  par  prudence.  Nous 
pouvoiis,  à  cet  égard,  apporter  une  révélation,  dont 
le  hasard  nous  fit,  il  y  a  quelques  années,  le  confi- 
dent aussi  surpris  qu'intéressé. 

Un  gentilhomme  de  Vienne  (Autriche),  que  le 
hasard  nous  fit  rencontrer  dans  une  maison  amie, 
sachant  que  nous  poursuivions  des  recherches  sur 
Madame  de  Lamballe,  nous  dévoila  qu'il  appar- 
tenait à  une  famille  où  l'on  avait  longtemps  con- 
servé une  correspondance  de  la  duchesse  de  Poli- 
gnac avec  Marie- Antoinette;  il  l'avait  parcourue 
dans  son  entier,  et  sur  ma  foi  de  royaliste,  nous  dit- 
il  avec  conviction  —  nous  croyons  encore  l'en- 
tendre —  je  puis  vous  affirmer  qu'il  n'y  a  aucun  doute 
à  conservr.T  sur  la  nature  intime  de  cette  liaison  ". 

Nous  Jie  conclurons  pas,  notre  opinion  se  dégage 
suffisamment  des  documents  que  nous  avons  pro- 
duits. Si  nous  ajoutons  —  ici  le  physiologiste  re- 
prend son  rôle  —  que  les  filles  de  Marie-Thérèse, 
pour  employer  une  expression  chère  à  notre  toujours 


LES    LIAISONS    FÉML\L\ES    DE    MARIE-ANTOINETTE      ^{SQ 

regretté  V.  Sardou,  n'avaient  pas  la  vertu  dans  le 
sang  ;  que  l'une  des  sœurs  de  Marie-Antoinette, 
Marie-Caroline,  a  mérité  d'être  surnommée  la  Messa- 
line  de  Naples,  appellation  que  lui  avait  valu  son  in- 
timité plus  que  suspecte  avec  lady  Hamilton,  on 
sera  moins  étonné,  si  l'atavisme  n'est  pas  un  vain 
mot,  des  accusations  portées  contre  l'infortunée 
souveraine,  qui  a  payé  trop  chèrement  ses  légè- 
retés et  ses  écarts  de  conduite,  pour  que  nous 
ayons  la  cruauté  de  l'accabler. 


Fie   128.  —   SOULIER  PERDU   PAR   MARIE-ANTOINETTE 
EN   MONTANT  SUR   L'ÉCHAFAUD 


NOTES  DU  CHAPITIRE  XVlIl 


3.  «  Madame...  était  intelligente  et  sérieuse.  Sa  conduite 
prudente,  réservée,  contrastait  avec  les  allures  plus  tapa- 
geuses de  la  Reine  ».  Le  Petit  Trianon,  par  G.  DeSjardins, 
60. 

2.  G.  Desjardins,  op.  cit.,  75. 

3.  Comte  de  t^eisEx,  op.  cit.,  t.  I,  172. 

4.  A  la  date  du  21  février  l77fi. 

5.  H.  FiLfiisctiMÀtili,  les  Pàmphtéh  libertins  contre  Marie-An- 
toinette. Paris,  s.  d^ 

6.  Mémoires  de  la  Société  des  sciences  morales,  des  lettres  et 
des  Arts  de  Seine  et^Olse,  t.  XVI,  81  et  s. 

7.  Le  Portefeuille  d'un  Talon  rouge. 

8.  V.  entre  autres  libelles  dlingés  contre  Madame  de  Lam- 
balle,  la  Correspondance  secreltê  {sic)  de  plusieurs  grands  person- 
nages illustres,  dans  laquelle  on  découvre  les  causes  qui  didisèrent 
les  membres  de  la  famille  royale,  pendant  les  dernières  années  du 
règne  de  Louis  XVI,  et  de  l'intimité  qui  existait  entre  la  reine  et 
Philippe  d'Orléans.  Londres  et  Paris,  Lerouge,  1802,  62-4. 

9.  Mémoires  relatifs  à  la  famille  royale  de  France,  t.  I,  178 
et  suiv. 

10.  Mme  de  Créquy  fait  de  la  comtesse  Jule  un  portrait 
des  plus  séduisants  :  «  Elle  était,  dit-elle,  une  personne 
admirablement  jolie,  affectueusement  polie,  décente,  obli- 
geante et  d'une  exquise  aménité...  Elle  avait  toute  la  peau 
de  la  blancheur  dun  narcisse,  avec  des  yeux  délicieuse- 
ment doux;  et  ses  lèvres  charmantes,  ainsi  que  le  bout  de 
ses  jolis  doigts,  étaient  naturellement  d'un  incarnat  et  d'un 
éclat  aussi  vif  que  du  satin  ponceau.  »  Souvenirs,  t.  VI,  9. 

11.  En  quelques  années,  les  Polignac  eurent  près  de 
cinq  cent  mille  livres  de  revenus.  Le  beau-père  de  la  com- 
tesse Jule  avait  obtenu  l'ambassade  de  Suisse,  pour  être 
éloigné  de  la  Cour,  «  où  sa  présence  gênait  ses  enfants  ». 
La  comtesse  Diane  de  Polignac,  sœur  de  la  favorite,  avait 
été  nommée  chanoinesse  et  dame  d'honneur  de  la  vertueuse 


LES    LIAISONS   FÉMININES    DE   MARIE-ANTOINETTE     4^1 

Madame  Elisabeth,  ce  qui  était  une  véritable  bravade,  car 
elle  avait  une  conduite  libre  jusqu'au  scandale  ».  Quant  à 
la  comtesse  Jule,  elle  avait  obtenu  de  la  reine,  en  1780, 
400.000  livres  pour  payer  ses  dettes,  une  dot  de  800.000  livres 
pour  sa  fille,  avec  le  brevet  de  duc  pour  son  gendre,  une 
grasse  sinécure  pour  son  amant,  la  charge  de  gouvernante 
des  Enfants  de  France  avec  survivance.  On  sait  qu'elle  ne 
paya  sa  bienfaitrice  que  d'ingratitude  :  alors  que  la  prin- 
cesse de  Lamballe  accourait  d'Angleterre,  quand  elle  sut 
sa  royale  amie  en  danger,  la  Polignac  restait  à  Vienne,  où 
elle  s'abstenait  de  parler  de  Celle  à  qui  elle  devait  tout. 
Cette  attitude  suffit  à  la  juger. 

12.  Encore  une  présomption,  si  l'on  veut,  pour  ne  pas 
dire  plus  :  les  Mémoires  secrets  rapportent,  à  la  date  du  9  no- 
vembre 1777,  que  «  Mlle  lUucourt,  l'actrice  célèbre  (tribade 
notoire),  est  protégée  par  la  reine,  qui  n'est,  pas  éloignée 
de  payer  absolument  ses  dettes,  se  montant  à  200.000  li 
vres  ».  T.  XIV,  199,  200,  235-238 


APPENDICE 


MARIE-ANTOINETTE     ETAIT-ELLE     JOLIE 


Pour  avoir  entraîné  dans  son  sillage  un  pareil  cortège 
d'adorateurs,  il  fallait  que  Marie-Antoinette  fût  sinon 
jolie,  dans  le  sens  le  plus  compréhensif  qu'on  donne 
d'ordinaire  à  cette  épithète,  du  moins  qu'elle  eût 
un  indéniable  charme  ;  sur  ce  point,  tous  les  contem- 
porains sont  d'accord.  Elle  exerçait  une  sorte  de 
fascination,  qui  se  manifesta,  dans  une  circonstance, 
sous  une  forme  assez  déplaisante  pour  celle  qui  en 
était  l'objet. 

Durant  quelques  années,  la  reine  inspira  un  amour 
insensé  à  un  ancien  conseiller  au  Parlement  de  Bor- 
deaux, M.  de  Castelnaux,  qui,  pour  la  voir,  la  sui- 
vait partout,  à  la  chapelle,  au  jeu  public,  au  spec- 
tacle. Il  était  au  fait  de  ses  moindres  déplacements 
et  ne  lardait  pas  à  la  rejoindre  à  Fontainebleau,  à 
Saint-Cloud  ;  on  le  trouvait  sur  les  pas  de  la  reine, 
sans  que  jamais  il  osât  lui  adresser  la  parole. 

A  Trianon,  la  passion  de  ce  malheureux  homme 
devenait  encore  plus  importune.  Il  mangeait  à  la  hâte 
un  morceau  chez  quelque  Suisse  et  passait  le  jour 


MARIE-ANTOINETTE    ÉTAIT-ELLE   JOLIE    ?  4^3 

entier,  même  par  la  pluie,  à  faire  le  tour  du  jardin, 
marchant  toujours  au  bord  des  fossés.  La  reine  le 
rencontrait  souvent,  quand  elle  se  promenait  seule 
ou  avec  ses  enfants.  Cependant,  elle  ne  voulait  per- 
mettre aucun  moyen  de  violence,  pour  la  soustraire 
à  cette  insoutenable  importunité. 

On  fit  entendre  à  ce  doux  maniaque,  avec  toutes 
sortes  de  précautions  de  langage,  que  son  insistance 
était  déplacée,  pour  ne  point  dire  injurieuse,  et  que 
la  reine  en  était  très  offensée.  Il  promit  de  se  retirer 
dans  sa  province,  mais  une  demi-heure  après  il  re- 
paraissait, se  déclarant  incapable,  par  le  seul  effet 
de  sa  volonté,  de  cesser  de  voir  la  reine  aussi  souvent 
que  cela  était  possible.  —  «  Eh  bien,  répliqua  Marie- 
Antoinette,  quand  on  lui  porta  la  réponse  du  mal- 
heureux fou,  qu'il  m'ennuie,  mais  qu'on  ne  lui  ravisse 
pas  le  bonheur  d'être  libre  ^  î  » 

On  aimerait  à  connaître  l'appréciation  de  quel- 
qu'un qui  ait  pu  voir  la  reine  de  près  et  nous  resti- 
tuerait son  impression,  sans  souci  de  flatterie  ou 
d'obséquiosité.  Henri  Bouchot,  qui  fut  le  plus  ai- 
mable et  le  plus  obligeant  des  conservateurs  de  bi- 
bliothèque, a  recueilli,  comme  à  point  nommé,  pour 
satisfaire  notre  curiosité,  le  récit  d'un  témoin  ocu- 
laire, un  de  ses  grands-oncles,  consul  de  Sardaigne  à 
Bordeaux,  lequel  se  rappelait  parfaitement  la  reine, 
pour  l'avoir  entrevue,  en  1789,  dans  les  jardins  de  Ver- 
sailles. Il  la  dépeignait*  comme  une  personne  plus 
grande  que  lui  —  il  mesurait  lui-môme  un  peu  plus 
de  cinq  pieds  —  blonde  plutôt  que  brune,  «  encore 
que  la  poudre  empêchât  de  bien  juger  son  cheveu, 
et  marchant,  comme  il  disait,  en  poule,  c'est-à-dire 
en  secouant  à  chaque  pas  la  tête  ^  ».  Elle  ne  lui  avait 


464  LA    PRINCESSE    DE  LAMBALLE    INTIME 

pas,  à  tout  prendre,  paru  jolie,  mais  imposante  et 
pleine  de  majesté. 

Les  peintres  ont  eu  de  la  peine  à  rendre  les  grâces 
et  les  agréments  du  visage  ;  aussi,  lorsqu'on  considère 
les  portraits  de  Marie- Antoinette  dans  le  détail, 
ou  l'on  trouve  le  modèle  exagérément  flatté,  ou 
s'il  se  rapproche  de  la  ressemblance,  on  constate 
qu'il  s'éloigne  sensiblement  de  l'idée  qu'on  aime  à 
s'en  faire    i'après  la   tradition. 

Au  dire  de  sa  femme  de  chambre,  il  n'est  de  por- 
trait exact  de  Marie- Antoinette  qu'une  toile  de 
1785,  où  elle  est  représentée  avec  le  dauphin  et 
Madame  Royale,  Le  roi  de  Suède,  à  qui  cette  toile 
était  destinée,  disait  qu'il  ne  lui  ressemblait  pas  en 
beau,  mais  il  la  retrouvait  telle  qu'il  en  avait 
gardé  la  vision. 

«  Ce  n'était  pas  sûr  que  son  nez  fût  celui  de  son 
visage  »,  dit  plaisamment  un  de  ses  soupirants  *. 
«  Sa  bouche  était  décidément  désagréable  :  cette 
lèvre  épaisse,  avancée  et  quelquefois  tombante  (la 
lippe  autrichienne),  a  été  citée  comme  donnant  à  sa 
physionomie  un  signe  noble  et  distinctif  ;  elle  n'eût 
pu  servir  qu'à  peindre  la  colère  et  l'indignation,  et 
ce  n'est  pas  là  l'expression  habituelle  de  la  beauté. 

Le  caractère  étranger  de  son  visage  avait  frappé  bien 
des  gens  :  ce  type  ne  se  rencontre,  en  efîet,  que  rare- 
ment dans  notre  pays  ;  aussi  les  Parisiens  avaient- 
ils  coutume  de  dire,  en  allant  à  Saint-Cloud,  les 
jours  de  grandes  réjouissances  :  «  Nous  allons  vûir 
les  eaux  et  l'Autrichienne.  » 

Celle-ci  était  la  vivante  reproduction  des  traits 
de  son  père,  l'empereur  François  ;  de  sa  mère,  Marie- 
Thérèse,  elle  tenait  seulement  1«^  regard  perçant  et 


MARIE-ANTOINETTE   ÉTAIT-ELLE   JOLIE   ?  465 

parfois  dur,  la  précocité  d'un  embonpoint  qui  lui 
faisait  la  taille  «  un  peu  pleine  ». 

Elle  avait  une  carnation  merveilleuse,  un  teint 


m;.  \2'J.  —  WAiUL-ANKJi.NLiii; 
(par  PonpORATi,  1796) 


éblouissant  de  fraîcheur  :  «  sa  peau  était  admirable  ». 
Tilly  convient  qu'il  n'a  jamais  revu  d'aussi  beaux 
bras  et  d'aussi   belles  mains. 


30 


^|06  ,     LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Un  heureux  hasard  nous  permit,  il  y  a  quelques 
années,  de  découvrir,  dans  un  magazine  s  où  nous 
ne  songions  guère  à  l'aller  chercher,  un  portrait  de 
Marie-Antoinette,  moins  flatté  ou  moins  flatteur 
que  la  plupart  de  ceux  qu'ont  donnés  ses  thurifé- 
raires et  qui  pourrait,  mieux  que  ces  derniers,  offrir 
les  caractères  de  la  ressemblance.  Il  avait  été  trouvé, 
au  cours  d'un  inventaire  de  papiers  de  famille,  «  au 
milieu  d'une  espèce  de  journal  de  cour,  rédigé  par 
celui  qui  eut  un  emploi  actif  auprès  du  roi  Louis  XVI». 

Le  morceau  vaut  d'être  transcrit,  sans  y  rien  modi- 
fier ;  il  présente,  dans  l'ensemble,  un  grand  air  de 
vérité.  Voici  comment  s'exprime  le  gentilhomme 
qui  avait  dû  certainement  approcher  la  reine,  pour 
en  reproduire  aussi  fidèlement  les  traits  : 

...Je  n'ai  jamais  partagé  l'opinion  assez  générale- 
ment répandue  sur  la, beauté  de  la  reine.  Elle  avait 
ce  qui  vaut  mieux  sur  le  trône  que  la  beauté  parfaite  : 
elle  avait  la  figure  d'une  souveraine  ;  et  cela,  même  dans 
les  instants  où  elle  cherchait  le  plus  à'ne  paraître  qu'une 
joHe  femme.  Ses  yeux  n'étaient  pas  beaux,  niais  ils 
prenaient  toutes  les  expressions  :  la  bienveillance  ou 
l'aversion  se  peignaient  aisément  dans  son  regard, 
comme  la  tendresse  ou  le  mépris,  la  noblesse  ou  la  fami- 
liarité... 

Elle  avait  deux  espèces  de  démarches  :  l'une  ferme, 
un  peu  pressée,  et  toujours  noble  ;  l'autre  plus  molle 
et  plus  balancée,  je  dirai  presque  caressante,  mais 
n'inspirant  pourtant  pas  l'oubli  du  respect. 

On  n'a  jamais  fait  la  révérence  avec  tant  de  grâce, 
saluant  dix  personnes  en  se  ployant  en  une  seule  fois, 
et  donnant,  de  la  tête  et  du  regard,  à  chacun  ce  qui  lui 
revenait.  En  un  mot,  si  je  ne  me  trompe,  comme  on 
offre  une  chaise  aux  autres  femmes,  on  aurait  presque 
toujours  voulu  lui  approcher  un  trône» 


FIG.    130.   _    MAHIE-ANTOINEITH  ET   »Ëb  FRERES 

(Musée  de  Versullle») 


^68  LV    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Ils  peuvent  se  compter,  les  artistes  que  les  préoc- 
cupations courtisanesques  ne  touchent  pas,  surtout 
quand  il  s'agit  d'une  souveraine  jeune,  universellement 
adulée .  Ceux  «  dont  le  talent  est  tout  de  dithy- 
rambes »  se  gardent  de  souligner  les  imperfections. 

Tandis  que  Madame  Vigée-Lebrun,  qui  a  peint  son 
modèle  dans  différentes  attitudes,  donne  à  Marie- 
Antoinette  un  nez  aquilin  aux  lignes  impeccables, 
fait  disparaître  son  menton  et  rapetisse  ses  yeux, 
des  artistes  plus  sincères  nous  montrent  ces  derniers 
pas  très  grands,  mais  saillants  hors  des  paupières, 
avec  un  brin  de  myopie,  ce  qui  la  faisait  juger  inso- 
lente et  moqueuse,  parce  qu'elle  reconnaissait  mal  ; 
et,  sans  y  prendre  malice,  elle  paraissait  avoir  du 
dédain,  alors  qu'elle  avait  seulement  la  vue  basse. 

Son  front  était  haut,  trop  haut,  et  elle  ne  se  faisait 
à  cet  égard  aucune  illusion  :  «  N'allez  pas,  dit-elle 
un  jour  à  Madame  Lebrun,  me  coilïer  bas  ;  on  dirait 
que  c'est  pour  cacher  mon  vilain  front.  »  La  reine 
aurait  voulu  dissimuler  cette  «  place  d'armes  »,  la 
cacher  sous  des  frisottis  ou  sous  des  bandeaux,  mais 
la  mode,  comme  pour  la  contrarier,  s'obstinait  à 
relever  les  coifïures  jusqu'à  l'absurde.  Aussi,  dans 
un  pastel  peint  en  1771,  l'artiste  a-t-il  eu  l'idée  gra- 
cieuse de  placer,  au  sommet  de  la  tête  de  la  jeune  dau- 
phine,  un  petit  bouquet  de  boutons  de  roses,  destiné 
à  masquer  les  lourdes  nattes  enroulées  en  forme  de 
chignon  ;  mais  ce  qu'il  ne  put  dissimuler,  c'est  l'épais- 
seur de  la  lèvre  inférieure  et  la  rondeur  du  menton. 

Nous  avons  parlé  de  son  cou,  une  pure  merveille  : 
un  «  cou  grec  »,  afïïrme  Madame  Vigée-Lebrun  ;  ses 
épaules  étaient  éblouissantes.  On  a  dit  qu'elle  avait 
un  sein  marmoréen  :  il  fut  un  temps  où  la  poitrine 


MARIE- ANTOINETTE    ÉTAIT-ELLI-    JOLIE    ?  4^9 

de  la  reine  répondait  à  ce  signalement,  mais  avec 
rage  elle  prit  de  l'ampleur  ;  de  même  les  hanches 
se  développèrent,  pour  servir  de  fortes  assises  aux 
extravagants  paniers  qui  furent  en  vogue  durant  son 
règne. 

Des  innombrables  effigies  qui  nous  ont  été  conser- 
vées de  Marie-Antoinette,  on  s'est  demandé  quelles 
sont  celles  qui  nous  donnent  «  une  image,  vraie  et 
ressemblante  »,  de  cette  princesse.  Un  chercheur  dont 
la  mort  fut  une  grande  perte  pour  l'érudition,  et  qui 
avait  eu  la  bonne  fortune  d'être  admis  à  voir  tous  les 
tableaux  conservés  dans  les  palais  et  les  châteaux 
impériaux  de  Vienne  et  des  environs  de  cette  capi- 
tale, s'est  livré  à  un  travail  de  critique  dont  il  a 
consigné  les  résultats  dans  une  de  ces  revues  d'art 
où  l'historien  ne  songe  pas  assez  souvent  à  prendre 
ses  informations  ^. 

La  petite  archiduchesse  n'avait  guère  plus  de  deux 
ans  la  première  fois  qu'on  l'a  représentée  dans  un 
groupe  familial,  au  milieu  de  ses  frères  et  sœurs, 
entre  l'empereur  et  l'impératrice. 

A  dix  ans.  Ma  rie- Antoinette  figure  dans  un  ballet 
dansé  au  château  de  Schœnbrunn,  à  l'occasion  du 
second  mariage  de  son  frère  Joseph  II  ;  dans  sa  robe 
à  paniers,  elle  ne  manque  pas  de  grâce,  mais  ses 
traits  n'ont  rien  de  caractérisé. 

Elle  avait  douze  ans,  lorsqu'elle  posa  pour  la  pre- 
mière fois,  seule,  devant  un  peintre  de  la  Cour.  On 
lui  voit,  sur  cette  toile,  des  joues  rebondies,  le  nez 
fort  et  les  yeux  gros,  la  taille  courte  et  grêle. 

11  fut  un  moment  question,  à  la  mort  de  Marie 
Leczinska,  d'un  projet  de  mariage  entre  Louis  XV 
et  Mûrie-Antoinette.  Comme  ses  filles  pressaient  le 


470  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

vieux  roi  de  se  remarier,  espérant  ainsi  le  détacher 
de  la  Du  Barry,  il  parut  y  consentir,  «  pourvu  que 
sa  figure  (celle  de  Marie-Antoinette)  se  trouvât 
telle  qu'elle  ne  lui  déplût  pas  ».  Sur  quoi,  il  fut  décidé 
d'envoyer  à  Vienne  un  peintre  français,  pour  faire 
le  portrait  de  la  jeune  princesse.  On  avait  d'abord 
désigné  Drouais  ;  devant  ses  exigences,  on  fit  choix 
de  Ducreux,  qui  affichait  moins  de  prétentions.  Il 
fut  donc  décidé  que  ce  dernier  partirait  en  compagnie 
d'un  coiffeur,  ou  plutôt  d'un  friseur,  «  pour  accom- 
moder les  cheveux  de  la  future  dauphine  ».  Celle-ci 
avait  le  front  un  peu  haut  et  les  cheveux  assez  mal 
plantés  ;  on  pouvait  espérer  qu'un  homme  «  parfait 
dans  le  métier  »  réussirait  à  «  corriger  ou  du  moins 
à  couvrir  ce  petit  défaut,  soit  par  la  coupe  des  che- 
veux, soit  par  l'usage  de  quelque  remède  innocent, 
qui  avance  la  croissance  des  cheveux,  dont  le  front 
est  dégarni,  soit  enfin  par  le  soin  qu'il  prendrait 
d'arranger  sa  chevelure,  telle  qu'elle  existe,  à  l'air 
du  visage,  en  sorte  que  le  front  paraisse  mieux 
garni  et  que  les  cheveux  prennent  dès  à  présent 
le  pli  le  plus  propre  à  couvrir  cette  petite  imper- 
fection, qui  ne  laisserait  pas  de  paraître  consi- 
dérable dans  un  temps  où  les  fronts  élevés  ne 
sont  plus  à  la  mode  ».  Le  friseur  paraît  s'être 
acquitté  en  conscience  de  sa  tâche  ;  quant  au 
peintre,  il  échoua  complètement  :  la  ressemblance 
fut  manquée  et  une  seconde  tentative  de  l'artiste  ne 
fut  pas  plus  heureuse. 

Beaucoup  plus  réussi  le  portrait  peint,  à  Vienne  7, 
en  1770.  L'artiste  n'a  pas  cherché  à  embellir  son  mo- 
dèle ;  on  y  retrouve  «  le  défaut  du  front  et  celui  de 
la  lèvre  inférieure  ;  le  grand  et  long  cou  est  à  peine 


MARIli-ANTOINETTC    ÉTAÎT-EI  LE   JOLIE   ? 


471 


dissimulé  par  une  gorgerette  de  deux  ruches  de  den- 
telles ». 

En  regard  des  œuvres  peintes,  il  n'est  pas  sans 


Fir;    i;n.  —  MArui:-AM()iM:ri  F,  knfant 


intérêt  de  placer  les  descriptions  de  visu  dues  à  la 
plume  de  contemporains  ;  voici  le  portrait  qu'a 
liMcé,  de  Marie-Antoinette,  une  dame  qui  avait  été 
admise  à   présenter  ses  h()inm:ii>('s  à  la    dMUpliinc, 


4/2  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

au  mois  de  mai  1770,  lors  de  son  passage  à  Stras- 
bourg. 

Madame  la  Daiiphine,  écrit  la  baronne  d'Oberkirch, 
était,  à  cette  époque,  grande  et  bien  faite,  quoiqu'un 
peu  milice.  Elle  n'a  que  très  peu  changé  depuis  :  c'est 
toujours  ce  même  visage  allongé  et  régulier,  ce  nez 
aquilin,  bien  que  pointu  du  bout,  ce  front  haut,  ces 
yeux  bleus  et  vifs.  Sa  bouche,  très  petite,  semblait  déjà 
légèrement  dédaigneuse.  Elle  avait  la  lèvre  autrichienne 
plus  prononcée  que  ceux  de  son  illustre  maison.  Rien 
ne  peut  donner  une  idée  de  l'éclat  de  son  teint,  mêlé, 
bien  à  la  lettre,  de  lys  et  de  roses  ;  ses  cheveux,  d'un 
blond  cendré,  n'avaient  alors  qu'un  petit  œil  de  poudre. 
Son  port  de  tête,  la  majesté  de  sa  taille,  l'élégance  et 
la  grâce  de  toute  sa  personne  étaient  ce  qu'ils  sont  au- 
jourd'hui. Enfin,  tout  en  elle  respirait  la  grandeur  de 
sa  race,  la  douceur  et  la  noblesse  de  son  ûme... 


Bien  que  ce  croquis  ait  été  tracé  de  mémoire,  il 
est  tenu  généralement  pour  exact.  Les  chroniqueurs, 
d'ailleurs,  confirment  l'exactitude  de  cette  esquisse, 
vantent  la  blancheur  éblouissante  de  son  teint  et 
les  couleurs  naturelles  qui  peuvent  la  dispenser 
de  mettre  du  rouge.  Ils  ajoutent  qu'  «  elle  est  d'une 
taille  proportionnée  à  son  âge,  maigre  sans  être  dé- 
charnée, et  telle  que  l'est  une  jeune  personne  qui 
n'est  pas  encore  formée  >>. 

L'année  suivante  (1771),  le  directeur  des  bâtiments 
du  roi,  le  marquis  de  Marigny,  commandait  le  por- 
trait de  la  Dauphine  à  deux  des  plus  grands  artistes 
du  temps,  le  sculpteur  J.-B.  Lemoyne  et  le  peintre 
Michel  Van  Loo.  Ce  dernier  a  manifestement  sacrifié 
au  désir  de  plaire  son  médiocre  souci  de  la  vérité. 

C'est  alors  qu'il  fut  question  de  faire  appel  au  sieur 


MARIE-ANTOINETTE    ETAIT-ELLE     JOLIE 


473 


Liotard,  très  vain  de  ses  talents,  mais  poussant  le 
réalisme  jusqu'à  l'exagérntion  des  moindres  défauts. 


FIG.    132.  —   MARIE-ANTOINETTE,  EN   UÉUÉ 

(Pnr  Dhoi;ais) 


Liolard  a  fait  de  la  Dauphine  un  pastel  qui  n'est 
pas  sans  mérite  :  la  princesse  y  paraît  droite  et  raide 


474  LA    PRINCESSE    DE    LAMBAI.LE    INTIME 

comme  un  piquet,  mais  dans  l'ensemble  elle  est  assez 
ressemblante.  Dans  un  autre  portrait,  également  un 
pastel,  datant  à  peu  près  de  la  même  époque,  Marie- 
Antoinette,  en  habit  de  cheval,  a  une  physionomie 
bien  autrement  agréable  que  dans  le  précédent,  mais 
n'est-ce  pas  aux  dépens  de  la  vérité  ? 

On  doit  à  Lemoyne  un  des  bustes,  les  meilleurs 
qu'on  connaisse,  de  Marie-Antoinette  :  un  connais- 
seur disait  que  l'artiste  avait  fait  «  de  la  chair  de  son 
marbre  ». 

L'année  suivante  (1772),  Drouais,  alors  à  l'apogée 
de  sa  gloire,  peignait  Marie-Antoinette  en  Hébé  et 
sa  belle-sœur,  la  comtesse  de  Provence,  en  Diane. 
On  a  porté  sur  ces  deux  portraits  un  jugement  sévère, 
mais  justifié  :  «  Ils  n'ont,  a-t-on  écrit,  aucun  relief, 
et  les  étoffes  ne  font  aujcune  illusion  ». 

Moreau  le  jeune  a  peint  un  ravissant  portrait  de 
la  reine,  un  profil  où  sont  bien  indiqués  le  front, 
d'une  hauteur  insolite  et  fortem.ent  bombé,  son  œil  à 
fleur  de  tête  et  la  lèvre  forte,  mais  il  s'en  dégage  un 
charme  exquis,  qu'on  ne  retrouve  pas,  par  exemple, 
dans  le  portrait  de  Duplessis,  fait  au  printemps  de 
1775,  et  dont  Marie-Thérèse  fut,  à  bon  droit,  médio- 
crement satisfaite. 

L'air  dédaigneux  de  la  reine  se  trouve  admira- 
blement rendu  dans  le  buste  de  Boizot,  exposé  au 
Salon  en  cette  même  année  1775,  et  plus  accentué 
encore  dans  la  gravure  faite  par  Mademoiselle  M.  L. 
A.  Boizot,  d'après  un  dessin  de  son  frère,  L.  S. 
Boizot.  «  Le  profil,  un  peu  dur,  est  bien  celui  que 
le  maître  sculpteur  a  dû  saisir  dans  un  de  ces 
jours,  déjà  fréquents,  où  la  reine  était  de  mauvaise 
humeur.  »  Elle  était  assez  sujette  à  ces  colères,  qui 


MARIE-ANTOINliTTE    ETAIT-ELLE    JOLIE    ?  47'^ 

faisaient  dire,  par  son  benêt  d'époux,  les  jours  où 
sévissait  l'ouragan  dont  il  avait  peine,  à  se  garan- 
tir :  «  Il  n'y  fait  pas  encore  bon   aujourd'hui  ^.  » 

Nous  ne  parlerons  des  compositions  de  Madame 
Lebrun,  dont  la  première  date  de  1779,  que  pour 
dire,  avec  le  critique  qui  nous  sert  de  guide,  qu'elle 
n'est  parvenue  qu'à  créer  «  ce  visage  idéal  de  Marie- 
Antoinette,  cette  séduisante  figure,  toute  de  conven- 
tion, qui  est  aujourd'hui  considérée  généralement 
comme  étant  l'image  la  plus  vraie  de  cette  malheu- 
reuse reine  ».  Flatterie  manifestement  voulue,  car, 
dans  ses  Mémoires,  Madame  Vigée-Lebrun  représente 
la  souveraine  qu'elle  avait  approchée  tout  autre- 
ment qu'elle  ne  l'a  reproduite  en  peinture. 

De  cette  étude  comparative  de  portraits  à  la- 
quelle nous  nous  sommes  livré,  il  ressort  que 
l'épouse  de  Louis  XVI  n'a  jamais  été  positive- 
ment joUe,  ni  régulièrement  belle.  Mais  sa  figure 
était  charmante,  sauf  lorsqu'un  mouvement  d'hu- 
meur ou  une  fatigue  passagère  altérait  ses  traits. 

Son  port  était  altier,  excepté  quand  rcniuii  d'une 
longue  représentation  la  faisait  se  relâcher  d'une 
application  trop  soutenue.  Mais  ces  défaillances 
étaient  rares,  et  dans  toutes  les  circonstances  où  la 
reine  fut  appelée  à  tenir  un  rôle,  nulle  ne  donna  mieux 
nn'elle  l'impression  de  la  majesté,  alliée  à  la  grâce. 


NOTES  DE  L'APPENDICE 


1.  Mémoires  de  Madame  Campan,  t.  I,  251 

2.  Centenaire  de  Marie-Antoinette  {la  Vie  contemporaine ^ 
l"  octobre  1893). 

3.  Mémoires  de  Tilly,  t.  I,  cli.  vi. 

4.  Marie  Antoinette  était-elle  blonde  ou  rousse,  s'est-on 
demandé.  «  Ses  cheveux,  écrivent  les  Concourt,  étaient 
d'un  blond  rare  et  charmant,  plus  tendre  que  le  châtain 
cendré.  »  Mais,  d'autre  part,  ne  désignait-on  pas  Mario- 
Antoinette  dans  un  certain  clan,  hostile,  il  est  vrai,  à  1 1 
jeune  Dauphine,  sous  le  nom  de  la  petite  rousse  ?  Ce  qu'expli- 
querait le  teint  nacré,  éclatant  de  blancheur,  qu'ami» 
comme  ennemis  de  Marie-Antoinette  s'accordent  à  lui 
reconnaître. 

5.  Le  Monde  illustré,  18  mai  1861, 

6.  Les  portraits  de  Marie-Antoinette,  par  Jules  Flammer- 
MONT  {Gazette  des  Beaux-Arts,  1"  juillet  et  1"  octobre  1897, 
1"  mars  et  1"  mai  1898), 

7.  Par  Waguenschoen,  gravé  par  C.  F.  Fritzch. 

8.  Lettre  de  Mercy  à  Kaunitz,  17  juillet  1775  {Archives 
impériales  de  Vienne"^ 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES 


Testament  de  Mad^  de  Lambai.ie^ 


Cecy  est  mon  Testament 

Au  Nom  du  Père  et  du  fils  et  du  St-Esprit  ainsi 
s  oit-il   {mots  omis  dans  Lescure)  2. 

Je  fais  et  institue  mon  hentieret  Légataire  universel 
Le  Prince  de  Savoye  Carignan  mon  Neveu  de  tous  mes 
Mens  tant  mobiliers  qu'autres  et  à  son  défaut  a  Mon- 
sieur le  Duc  d'Enghien  mon  Cousin  du  côté  de  ma 
mère.  Je  prie  "Monsieur  de  La  Vaupailler  et  Monsieur 
de  Clermont  Gallerande  d'être  exécuteurs  testamen- 
laires. 

Je  supplie  La  Reine  de  recevoir  une  marque  de  re- 
connaissance de  celle  à  qui  Elle  avait  donné  le  ritre 
de  son  amie  ;  Titre  précieux  qui  a  fait  le  Bonheur  de 
ma  vie  et  dont  je  n'ay  jamais  abusé  que  pour  luy  don- 
ner des  témoignages  d'attachement  et  des  preuves 
(le  mon  sentiment  pour  sa  Personne  que  j'ay  toujours 
aimée  et  chérie  jusqu'à  mon  dernier  soupir.  Je  Luy  de- 
iriande  donc  pour  dernierre  grâce  d'accepter  une  montre 
'  réveil  pour  Luy  rappcller  L'heure  de  notre  séparation 


1.  Toutes  les  pitres  qui  vont  suivre  ont  élé  copiées  sur 
les  originaux  par  M.  Orro  KniKORiciis,  qui  a  bien  vouhi  nous 
rornmufiquer  ces  do(:um«*nls,  dont  le  premier  seul  (A)  a 
«•l<^  en  partie  publi<^  par  M.  de  Lkscihu:. 

2.  hans  «or:  ouvrat^e  sur  la  Princfsxc  de  Lnmhalle 


48o  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

et  celles  que  nous  avons  passé  (sic)  ensemble,  en  outre 
une  Madelaine  peinte  en  émail  de  Tounon. 

Je  donne  et  Lègue  à  Monsieur  le  Duc  de  Penthievre 
mon  beau  père  Le  portrait  de  la  Reine  avec  celuy  de 
Louis  XIV  peint  également  en  émail  avec  une  Bague 
de  Turcoise  garnie  de  Diamant,  Bague  que  je  luy 
demande  de  porter  souvent  pour  luy  rappeler  mon 
union  dans  sa  famille  et  ma  tendresse  filiale. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  La  Duchesse  d'Orléans 
ma  belle  sœur  un  déjeuné  avec  la  Cassette  en  laque 
qui  le  renferme,  présent  qui  m'a  été  fait  par  testament 
de  Madame  La  Comtesse  de  Toulouse,  plus  une  boite 
ou  sont  les  portraits  de  ses  enfans,  Messieurs  de  Chartres 
et  de  Montpensier.  Je  me  flate  qu'Elle  voudra  bien 
regarder  ces  deux  Legs  comme  une  marque  d'amitié 
de  ma  part. 

Je  donne  et  Lègue  a  la  Princesse  de  Carignan  ma 
belle  sœur  des  Glands  de  Diamant  et  une  Bague  de 
saphir  garnie  de  Diamant  qui  lui  rappellera  notre 
amitié  et  confiance  réciproque. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  Li  Princesse  de  Conty 
ma  tante  connaissant  son  Goût  pour  la  peinture,  un 
Petit  tableau  peint  en  émail  représentât  un  Paysant. 
Je  la  suplie  d'accepter  cette  marque  de  ma  tendresse 
pour  Elle. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Kercado  une  grande 
ecritoire  verte  et  la  Pendule  qui  est  dans  ma  chambre. 
Je  demande  a  cette  tendre  amie  que  cette  pendule  soit 
déposée  dans  La  chambre  qu'elle  occupera  le  plus  ce 
qui  me  rappellera  toutes  les  heures  a  son  souvenir. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Brenois  deux  ta- 
bleaux L'un  représentant  La  mélancolie  et  L'autre 
Le  Bonheur.  Je  désire  que  ce  dernier  luy  rappelle  celuy 
que  j'éprouvais  d'être  aimé  par  Elle. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Vaubant  mon  Grand 
secrétaire  en  Bois  Jeanne. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Luines  tous  mes 
Livres  de  Limprimerie  de  Didot  et  reliés  par  Derome. 

Je  donne  et  Lègue  a  Monsieur  de  Choiseul  GoufTier 
mes    Cassettes    anglaises    entourées    d'acier,    je    veux 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES  ^gj 

qu' Elles  lui  soient  remises  sans  être  ouvertes  comme 
une  marque  de  mon  amitié  et  confiance  en  luy. 

Je  donne  et  Lègue  a  Monsieur  de  La  Vaupailler  et  a 
Monsieur  de  Clermont  Gallerande  mes  deux  exécu- 
teurs Testamentaires  toutes  mes  Boetes. 

Je  donne  et  Lègue  a  Monsieur  de  Segur  L'ainé  les 
voyages  de  Naples  et  des  deux  Seciles  reliés  en  maro- 
.   quin  par  Derome. 

Je  donne  et  Lègue  au  chevalier  de  Durfort  mon  Ency- 
clopédie. 

Je  donne  et  Lègue  a  la  Baronne  de  Montboissier 
un  Coffre  de  Laque  avec  des  tiroirs  ou  étoient  renfer- 
més mes  Boetes. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Denissant  une  table 
que  la  Reine  m'a  donnée  en  bois  précieux  avec  des 
camées  montés  en  or  moulu  me  venant  (Lcscuredit: 
mais  venant)  d'une  main  chère  je  ne  puis  mieux  en 
disposer  qu'en  La  transmettant  a  mon  amie  intime. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Lascases  nia  Dame 
d'honneur  mon  déjeuné  a  thé,  table  et  tout  ce  qui  le 
compose  et  la  moitié  de  ses  appointemens  en  Pension 
viagère. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  Delage  Volude  la  moi- 
tié de  ses  appointemens  en   Pension  viagère. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Ginestous  mon  ser- 
vice de  Porcelaine  de  Sevré  et  La  moitié  de  ses  appoin- 
temens en   Pension  viagère. 

Je  donne  et  Lègue  a  Madame  de  Brunois  mon  Grand 
Canapé  en  bois  d'acajou  avec  Le  Paravent. 

Je  donne  et  Lègue  a  Monsieur  Dyauville  mon  ecuver 
douze  cent  francs  de  Pension  viagère  avec  deux  che- 
vaux et  ma  belle  voiture. 

Je  donne  et  Lègue  a  mes  trois  femmes  de  chambre 
ma  garderobe  a  partage  égal  entre  Elles  plus  une 
Pension  viagère  de  huit  cent  francs  a  chacune. 

Je  donne  et  Lègue  a  Mademoiselle  Mertens  {tint 
d'après  Lescurc)  ma  première  femme,  mes  robes  en 
Pièces  et  mes  d^n folles  a  partager  avec  Madame  Geste 
iria  troisième  fcniriK;, 

Je  donne  et  Lègue  a  ma  femme  de  Garderobe  unt 

31 


482  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Pension  viagers  de  six  cent  francs  et  partage  avec  mes 
femmes  dans  mes  grands  habits  de  Cour. 

Je  donne  et  Legi  e  a  ma  sous  femme  de  Garderobe 
si  Elle  [est  encore  am  d'après  Lescure]  a  cinq  ans  de 
service  trois  cent  francs  de  Pension  viagère,  sinon 
une  année  de  ses  Gages  et  nouriture  en  gratification 
[au  sieur  ?  d'après  L.) 

Je  donne  et  Lègue  a  Chevalier  mon  valet  de  chambre 
une  Pension  viagère  de  huit  cent  francs. 

Je  donne  et  Lègue  a  Magnath  huit  cent  francs  de 
Pension  viagère. 

Je  donne  et  Lègue  a  mes  autres  valets  de  chambre 
une  année  de  leurs  Gages  en  Gratification. 

Je  donne  et  Lègue  a  mes  Gens  de  livrée  une  année  de 
Gages  en  Gratification  et  a  ceux  qui  auront  dix 
années  de  service  une  Pension  viagère  de  quatre  cent 
francs. 

Je  donne  et  Lègue  a  Aza  six  cent  francs  de  Pension 
viagère  et  une  année  de  ses  gages  et  nouriture  plus 
cent  cinquante  livres  de  Pension  viagère  pour  avoir 
soin  de  mes  chiens,  cette  Pension  a  finir  a  la  mort  des 
chiens. 

Je  donne  et  Lègue  aux  Gens  de  ma  Bouche  une  Pen- 
sion viagère  de  cinq  cent  livres  s'ils  ont  les  années  de 
service  aux  Chefs  et  aux  inférieurs  trois  cent  et  Ceux 
qui  n'auront  pas,  chef  et  autres,  les  années  pour  avoir 
la  Pension,  une  gratification  proportionée  au  tems 
qu'ils  auront  servi. 

Je  donne  et  Lègue  a  mon  trésorier  une  Pension  via- 
gère de   mille    Livres. 

Toutes  Pensions  faites  de  mon  vivant  aux  Person- 
nels de  ma  maison,  comme  mon  médecin  Monsieur 
Seffert  et  autres  mon  intention  est  que  les  dites  Pen- 
sions leur  soient  conservées. 

Je  donne  et  Lègue  a  Lhôtel  de  Dieu  trois  mille  francs 
une    fois    payée. 

Je  donne  et  Lègue  deux  mille  francs  une  fois  payée 
pour  délivrer  des  mois  de  nourice  (interversion  et  rédac- 
tion différente  dans  Lescure). 

Je  veux  être  enterée  dans  la  plus  grande  simplicité 


PIl^CES   JUSTIFICATIVES  ^S't 

et   point   par   des    Prêtres   Sermentaires   ni   dans   une 
paroisse  intru. 

Je  veux  être  gardée  trois  jours  et  que  mon  médecin 
ou   chirurgien   m'examine  pendant  ces   trois  jours. 

Comme  je  laisse  des  Biens  fonds  je  prétends  qu'ils 
soient  vendus  et  Largent  placé  de  manière  que  ce  soit 
les  intérêts  qui  payent  les  Pensions  et  a  mesure  que 
les  Pensionnaires  s'éteindront  alors  les  héritiers  joui- 
ront des  fonds. 

Fait  a  Aix  La  Chapelle  Le  Présent  Testament  aujour- 
d'huy  ce  quinze  octobre  année  mil  sept  cent  quatre 
vingt    onze,    signé    Marie- Louise    Thérèse    de  Savoye. 

Il  est  ainsi  a  L'original  dud.  Testament  Duement  enre- 
gistré par  Lezan  et  Déposé  à  M^  Thion  de  la  Chaume 
l'un  des  Notaires  soussignés  par  procès  verbal  du  pré- 
sident du  tribunal  du  deux®  arrondissement  du  dépar- 
tement de  paris  en  date  du  dix  septembre  mil  sept 
cent  quatre  vingt  douze  duement  enregistré. 

Thion. 


Succession    de    la   Princesse    de   Lamballb, 

Décret  N^  1324 

de  la 
Convention  Nationale, 

Du  3  Août  1793,  l'an  second  de  la  République  Fran- 
çaise, Qui  ordonne  la  saisie,  le  séquestre  et  l'inventaire 
de  la  Succession  de  la  ci-devant  Princesse  Lamballe, 
et  la  déclare  réversible  au  Trésor  national. 

La  Convention  nationale  décrète  que  la  succession 
de  la  ci-devant  princesse  LamMle  sera  saisie  et  séques- 
trée, qu'inventaire  en  sera  faié,  rt  (jir»  lie  sn.i  <li  clarée 
réversible   au   Trésor   national. 
Visé  par  l'inspecteur. 

Signé:   J.   C.   Battellibr. 


484  LA   PRINCESSE   DE   LAMBALLE   INTIME 

Collalionné  à  l'original,  par  nous  président  et  secré- 
taires de  la  Convention  nationale  de  Paris,  les  jour  et 
an  que  dessus.  Signé  Danton,  président  ;  François 
Chakot,  p.  J.  Audouin  &    Dartigoeyte,   secrétaires. 


Au  nom  de  la  République,  le  Conseil  exécutif  pro- 
visoire mande  &  ordonne  à  tous  les  Corps  administra- 
tifs &  Tribunaux,  que  la  présente  loi  ils  fassent  consigner 
dans  leurs  registres,  lire,  publier  ^  afticher,  &  exécuter 
dans  leurs  départemens  «&  ressorts  respectifs  :  en  foi 
de  quoi  nous  y  avons  apposé  notre  signature  &  le  sceau 
de  la  République. 

A  Paris,  le  quatrième  jour  du  mois  d'août  mil  sept 
cent  quatre-vingt-treize,  l'an  second  de  la  République 
Française.  Signé  Bouchotte,  Contresigné  Gohier.  Et 
scellée  du  sceau  de  la  République. 

Certifié  conforme  à  l'original. 
A  Paris 
de  l'imprimerie  nationale  executive  du  Louvre. 
An  11^  de  la  République. 


DIVISION 
Section  LIBERTÉ  ÉGALITÉ 

Nota.  Mettre  en  marge 
de  la  réponse  les  mots 
ci-dessus. 

Bureau  du  Domaine  National 
DU   Département  de  la  Seine 

Vu  1°  le  Mémoire  présenté  par  les  Ç"""^  Colin  et  Cour- 
tois au  nom  des  héritiers  de  Marie  Thérèse  Louise  de 
Savoye  Carignan  Veuve  Lamballe  tendant  a  obtenir 
en  exécution  du  traité  de  paix  fait  avec  le  roi  de  Sar- 
daigne  la  restitution  des  biens  meubles  et  immeubles 
dépendants  de  la  succession  veuve  Lamballe. 

2°  Copie  d'un  traité  du  Directoire  exécutif  en  datte 
du  vingt  quatre  frimaire  an  Cinquième  portant  qu'at- 
tendu que  le  Séquestre  apposé  sur  les  biens  de  la  Veuve 


PIÈCES    JUSTIF.'CATIVES  ^85 

Lambaile  par  décret  du  trois  Aoust  1793  (V.  S.)  pro- 
vient de  la  Guerre  qui  a  existé  entre  le  Gouvernement 
Sarde  et  la  République  française  ;  que  D'après  l'article 
neuf  du  traité  de  Paix  et  D'alliance  entre  les  deux 
Etats  du  trente  floréal  an  4  ce  Séquestre  a  du  cesser, 
que  des  trois  héritiers  deux  sont  résidents  a  Turin 
et  sujets  du  roi  de  Sardaigne  et  le  troisième  étant  âgé 
de  douze  a  treize  ans  et  ayant  continuellement  résidé 
en  france  ne  peut  être  atteint  par  les  lois  sur  L'émigra-  " 
tion,  1°  il  est  donné  Main  Levée  du  Séquestre  apposé 
sur  les  biens  dépendants  de  la  Succession  de  Marie 
Thérèse  Louise  de  Savoye  Carignan  Veuve  du  ci-de- 
vant Prince  Lambaile. 

2®  Que  les  ventes  qui  auroient  été  faites  d'aucun  ? 
des  objets  dépendants  de  la  succession  sont  Maintenues 
et  que  le  prix  seul  en  sera  exigible  parles  héritiers,  ainsi 
que  la  restitution  des  frais  perçus  a  la  déduction  des 
frais  de  Séquestre  et  D'administration. 

3®  L'intitulé  de  L'inventaire  fait  après  Le  décès  de 
la  dame  Marie  Thérèse  Louise  de  Savoye  Carignan 
V®  Lambaile  par  Arutat  et  son  Collègue  notaire  a 
paris  le  dix  sept  janvier  1793  (V.  S.)  et  jours  suivants, 
1°  a  la  requête  de  charles  george  Clermont  Gallerand 
au  non)  et  comme  Exécuteur  testamentaire  de  Lad. 
V®  Lambaile,  2°  a  celle  de  charles  Emmanuel  de  Sa- 
voye Carignan  au  nom  et  comme  habile  a  se  dire  et 
porter  héritier  pour  un  tiers  dans  la  succession  de 
lad.  V®  Lambaile  par  représentation  de  son  père 
Victor  de  Savoye  Carignan  et  encore  comme  son  Léga- 
taire universe',  3*'  a  celle  de  charlotte  de  Savoye  Cari- 
gnan fille  au  I  om  et  comme  habile  a  se  dire  et  porter 
héritierre  pour  in  tiers  deladitle  V®  Lambaile  sa  sœur, 
4"^  enfin  a  la  recjvete  de  jean  Baptiste  Magon  La  Ballue 
au  nom  et  comme  tuteur  de  Joseph  marie  de  Savoye 
Carignan  Mineur»  élu  à  celte  qualité  par  Lettres  Pa- 
tentes rendues  a  Versailles  le  huit  mars  1788,  led.  mi- 
neur habile  a  se  dire  et  porter  héritier  pour  le  dernier 
tiers  de  laditte  V^  Lambaiie  sa  tante  paternelle  par 
représentation  de  feu  £ugeiie  Savoye  Carignan  son 
père. 


/|86  !,A    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

4°  copie  d'un  Jugement  rendu  par  le  tribunal  civil 
du  Dep^  de  la  Seine  quatrième  Section,  le  vingt  huit 
frimaire  an  quatre  duement  enregistré,  duquel  résulte 
que  ledit  Jugement  est  homologatif  d'une  Sentence 
rendue  par  le  juge  de  paix  de  la  Section  de  la  Butte 
des  moulins  le  treize  frimaire  an  quatre  par  Laquelle 
le  C*^"  Nicolas  Louis  magon  Gervaisais  demeurant 
rue  honore  N^  86,  a  été  nommé  D'après  Lavis  de  pa- 
rents et  amis  tuteur  dud.  mineur  Joseph  marie  Savoye 
Carignan  aux  lieu  et  place  dudit  J.  B.  magon  de  la 
Ballue  ci  dessus  nommé  et  qu'il  a  accepté  laditte  charge 
après  avoir  prêté  le  serment  ordinaire  et  que  le  c*^" 
Colin  a  été  confirmé  dans  la  nomination  de  Conseil  de 
la  tutelle. 

50  un  Procès  Verbal  de  Vente  d'un  mobilier  de  la 
cidevant  Princesse  Lamballe  en  son  Domicile  a  passy 
près  paris  fait  par  le  c'"  Delassus  membre  du  Direc- 
toire du  District  de  franciade  et  Commissaire  nommé 
a  cet  effet  en  datte  au  commencement  du  trois  Germi- 
nal an  deux,  duquel  il  resuite  que  la  vente  dudit  mobi- 
lier a  produit  la  somme  de  quatre  vingt  Douze  mille 
quatre  cent  quatre  vingt  sept  livres  dix  sols  assignats, 
suivant  récépissé  du  c^"  Thibault  alors  receveur  a 
Neuilly  le  vingt  sept  Germinal  an  deux. 

Le  Bureau  du  Domaine  National  du  Département 
de  la  Seine  considérant  que  par  L'arrêté  du  Directoire 
Exécutif  ci  dessus  il  est  donné  Main  Levée  du  Séquestre 
apposé  sur  les  Biens  de  la  dame  Marie  Thérèse  louise 
de  Savoye  Carignan  V^  du  cidevant  Prince  Lamballe, 
qu'il  est  ordonné  par  le  même  arrêté  de  restituer  aux 
héritiers  de  La  veuve  Lamballe  les  biens  dépendant 
deladitte  Succession,  en  maintenant  néanmoins  les 
Ventes  qui  auront  été  faites  dont  le  prix  seul  sera 
exigible,  ainsi  que  la  restitution  des  frais  perçus  a  la 
déduction  des  frais  de  Séquestre  et  D'administration, 
considérant  qu'il  appert  par  L'intitulé  de  L'inventaire 
ci  dessus  visé  1°  que  le  citoyen  charles  Georges  Cler- 
mont  Gallerand  est  Exécuteur  testamentaire  de  lad. 
V^  Lamballe,  2°  qu'elle  a  laissé  pour  héritier  Chacun 
pour  un  tiers  1°  charles    Emmanuel  de  Savoye  Cari- 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES  4^7 

gnnn  son  neveu  par  représentation  de  son  père  victor 
de  Savoye  Carignan,  led.  neveu  se  disant  en  outre 
Légataire  universel  de  lad.  V^  Lamballe  2°  charlotte 
de  Savoye  Carignan  sa  sœur  3®  Joseph  marie  Savoye 
Carignan  mineur  par  représentation  de  feu  son  père 
Eugène  Savoye  Carignan  frère  de  lad.  V®  Lamballe, 
considérant  qu'il  a  été  vendu  a  passy  un  mobilier  pro- 
venant de  lad.  V^  Lamballe  lequel  a  Produit  La  somme 
de  quatre  vingt  onze  mille  quatre  cent  quatre  vingt 
sept  livres  dix  sept  sols  assignats  ;  que  cette  somme 
peut  repondre  d^s  frais  de  Séquestre  et  D'administra- 
tion a  la  Charge  des  héritiers  Lamballe,  conformé- 
ment a  L'arrêté  du  Directoire,  considérant  enfin  qu'il 
ne  s'est  présenté  aucun  créancier  qui  Prétendit  avoir 
des  recours  a  exercer  contre  laditte  succession. 
Le  Commissaire  du  Directoire  Exécutif  entendu 
Arrête  1°  qu'en  Execution  de  L'arrêté  du  Directoire 
Executif  cidessus  énoncé  le  Séquestre  et  les  Scellés 
apposés  sur  les  biens  de  laditte  V^  Lamballe  seront 
levés,  qu'a  cet  elFet  le  C*'"  Girardin  son  Commissaire, 
se  transportera  sur  le  Champ  dans  le  domicile  de  lad. 
V^  Lamballe  et  partout  au  Besoin  sera  accompagné 
d'un  Commissaire  de  la  municipalité  du  Canton  et 
d'un  Commissaire  de  toute  autre  autorité  constituée 
qui  auroit  apposé  les  scellés  a  l'elîet  de  requérir  la. 
reconnaissance  et  la  levée  desd.  scellés,  2°  qu'il  remettra 
auxdits  citoyens  Charles  Emmanuel  de  Savoye  Cari- 
gnan, a  la  citoyenne  charlotte  de  Savoye  Carignan, 
au  C*'"  Nicolas  louis  marie  Magon  Gervaisais,  tuteur 
du  mineur  Joseph  marie  Savoye  Carignan,  en  présence 
du  C"  Charles  Georges  Clermont  Gallerand  Exécuteur 
testamentaire  deladitte  V®  Lamballe  et  du  C*^"  Cohn 
Conseil  de  la  tutelle,  tous  les  meubles  et  effets  provenant 
de  lad.  V®  Lamballe  après  avoir  en  présence  des  sus- 
noinniés  procédé  au  recollement  desdils  efTets  sur 
L'inventaire  qui  en  a  été  fait  a  la  Charge  par  les  He- 
clamantsdeiUiimer  au  j)ied  dudit  procès  verbal  recefiissé 
(les  objets  qui  leur  seront  remis  et  encore  sous  la  Con- 
dition expresse  que  la  somme  de  quatre  vingt  onze 
mille   rjiiatre   cent   quatre   \iiigi  sept  livres   dix   sept 


488  LA    PRINCESSE    DE    LAM MALLE   INTIME 

sols  produit  de  la  vente  du  mobilier  deladitte  Veuve 
Lamballe  a  Passy  repondra  des  frais  à  la  Charge  des 
héritiers  lesquels  frais  seront  par  eux  supportés  lors 
du  remboursement  delad.  somme,  3®  que  tous  déposi- 
taires de  titres  papiers  et  contrats  dépendants  de  lad, 
succession  est  autorisé  a  en  faire  la  remise  auxdits 
reclamants  sous  Bonne  et  valable  décharge. 

4°  que  relativement  aux  objets  qui  auroient  pu  être 
transportés  dans  diverses  maisons  nationales  qui  ne 
sont  pas  sous  la  surveillance  immédiate  du  Bureau, 
lesdits  héritiers  Lamballe  sont  renvoyés  pour  en  obte- 
nir la  remise  devant  le  Ministre  des  finances  fait  et 
arrêté  a  paris  le  quinze  nivôse  cinquième  année  répu- 
blicaine. Signé  GuiLLOTiN  et  Letourneur. 

Pour  copie  conforme  délivré  par  nous  Membres  du 
Bureau  du  Domaine  National  du  Département  de  la 
seine  ce  vingt  trois  Nivôse  cinquième  année  Républi- 
caine. 

Bureau  du  Domaine 
Natioqal  de  Paris. 

Le  Tourneur.  Guillotin, 


Procuration  générale,  du  23  avril  1793,  faite  à  Turin, 
au  sieur  jacque  courtois  feu  pierre  de  la  ville  de  chan- 
bery  en  savoïe  demeurant  a  paris  auquel  donne  ample 
pouvoir  de  pour  lui  et  en  son  nom  faire  faire  continuer 
de  procéder  à  la  levée  des  scellés  inventaires,  descrip- 
tion, et  prisées  de  tous  les  meubles  et  effets  dépendants 
de  la  succession  demad.  dame  de  Lamballe  et  à  l'inven- 
taire des  titres  et  papiers  dépendants  de  lad.  succession, 
si  ledit  inventaire  n'est  point  encore  achevé,  faire  éga- 
lement procéder  a  la  vente  desd.  effets  mobiliers,  si 
elle  n'est  pas  encore  commencée,  ou  qu'elle  ne  soit 
point  achevée,  nommer  et  convenir  de  tous  officiers 
gardiens  et  dépositaires  faire  tous  dires,  réquisitions, 
protestations  et  déclarations  et  auquel  il  donne  pou- 
voir de  prendre  communication  de  l'inventaire  après 
le  décès  de  lad.  dame  de  Lamballe,  ainsi  que  des 
papiers  de  la  succession  de  prendre  également  connais- 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES  ^89 

sance  de  son  testament  de  déterminer  la  qualité 
qui  sera  le  plus  convenable  à  ses  intérêts  d'accepter 
par  le  bénéfice  d'inventaire,  ou  simplement  lad.  suc- 
cession cumuler  les  titres  d'héritier,  et  de  légataire 
universel,  et  dans  ce  cas  de  consentire  à  l'exécution 
dud.  testament,  et  de  faire  délivrance  de  tous  les  legs 
y  portés,  ou  bien  renoncera  la  qualité  d'héritier  de  mad. 
tlame  de  Lamballe  pour'  s'en  tenir  a  celle  de  son  léga- 
taire universel  et  dans  ce  cas  demander  et  requérir 
contre  qu'il  appartiendra  la  délivrance  dudit  legs 
universel. 

Agir  dans  la  qualité  qui  aura  été  déterminée  et  en- 
tendue débattre,  et  arretter  les  comptes  d'exécution 
tostam,ntaire  de  vente  du  mobilier  et  de  tous  créan- 
ciers, ou  débiteurs  de  la  succession,  en  toucher  ou  payer 
les  reliquats,  recevoir  toutes  sommes  principales  et 
accessoires  ainsi  que  tous  arrérages  et  revenus  quel- 
conques échus  et  à  échoir. 

Vendre  les  immeubles  de  la  succession,  soit  par  adju- 
dication sur  enchère  soit  de  gré  à  gré  régler  les  prix 
charges  et  conditions  de  la  vente,  toucher  le  prix  de 
ces  allienations,  en  donner  quittance  de  mettre  les  titres, 
consentir  toutes  mentions  et  subrogations,  déléguer 
sur  le  prix  desd.  ventes  entre  les  mains  des  acquéreurs 
dcsd.  immeubles  toutes  les  Rentes,  et  pensions  via- 
gères que  madite  dame  de  Lamballe  a  légué  par  son 
testament  ou  qu'elle  a  accordée  par  des  actes  parti- 
culiers, ou  bien  traiter,  composer  et  transiger  à  fortfait 
avec  les  créanciers  et  pensionnaires  de  mad.  dame  pour 
le  remboursement  et  estimation  de  leurs  pensions  via- 
gères aux  prix  et  conditions  que  le  procureur  constitué 
jugera  convenable,  etc.,  etc. 

Pièce  signée  Blanchard  en  date  du  «  hui  avrille  mil 
sept  cent  quatre  vingt  dix  sept  »  contenant  en  4  p. 
l'inventaiie  de  tout  ce  qui  se  trouvait  dans  la  maison 
de  Passy  dont  Blanchard  était  principal  locataire  comme 
il  résulte  de  la  pièce  suivante  datée  du  7  germinal  an  V. 

Courtois  loue  par  acte  du  18  février  l'an  V  au  sieur 
Capron  pour  une  année  à  partir  du  l^'avrilan  V(1791) 
la  maiso»'  de  Passy  au  prix  de  4.100  livres  plus  200  livres 


/'|90  LA    PRINCESSE    DE    LAMRALLE    INTIME 

de  gages   d'une   année   au  «    porlier  acluel  »,    et    c'est 
Capron,  principal  locataire,  qui  loue  à  Blanchard, 

(Suivent  d'autres  pièces  de  location  pour  l'apparte- 
tnent  du  Dremier."* 


Titres    de  .propriétk    de   la   maison 

AYANT     APPARTENU     A    LA    PRINCESSE     DE    LaMUALLS 

Résultat  de  l'cxainen  des  Titres  de  Propriété  de  la 
maison  à  Passy  dépendante  de  la  succession  de  M''*^  De 
lamballe  vendiie  par  M.  Courtois  comme  fondé  de  pro- 
curation de  M.  Le  Prince  de  Carignan  à  M.    Doniol. 

1^  Cette  maison  a  été  acquise  par  M'^'  De  lamballe 
de  M.  De  luynes  par  contrat  passé  devant  Belargey 
no^e  à  Paris  le  l^r  février  1783.  Elle  consistait  1°  en 
une  grande  maison,  orangerie,  Terrasses,  Jardin,  bâti- 
ment de  voûtes  et  autres  objets  indépendants,  avec 
deux  potagers  séparés  du  jardin  par  une  ruelle  ;  le 
tout  contenant  ensemble  12  arper. :i  t /2  environ:  2*^  une 
portion  de  terrain  non  employée  au  chemin  de  Paris  à 
Versailles,  de  2  arpens  1/2  environ,  tant  en  prez  que 
gravieres  3°  Et  les  droits  de  toute  nature  y  apparte- 
nant. 

2°  Les  Lettres  de  ratilTication  prises  par  M^'"  de 
Lamballe,  sur  son  acquisition  ont  été  scellées  le  15  7  ^^""^ 
1783  à  la  charge  d'oppositions  qui  suivant  L'extrait 
délivré  par  Moimos  Conservateur  des  hypothèques  le 
17  dud.  mois  de  7  ^^^  ont  été  formées  savoir. 

La  1^^  par  marie  Thérèse  d'harencourt  de  Phalaris 
créancière  viagère,  est  morte. 

La  2^  par  Jean  Perroud.        /  ont  donné 

La 3®  par  Antoine  Delamotte  )  consentement, 

La4^parclaudeBricele  Chauve,  esi  mort,  ne  lui  était 
rien   dû. 

La  5®  par  marie  angelique  charlotte  henrielte  Dumon- 
cel  V^®  de  Claude  de  Bec  de  Lièvre  de  Quevilly,  a 
Reçu  et  donné  mainlevée. 


P[;kGE5    JUSTIFICATIVES  49* 

La  6®  par  Pauline  Sophie  D'albert  de  Luynes,  a 
consenti  le  Payement. 

La  7®  p£fr  Jean  Joseph  Delaborde,  a  été  remboursé 
de  son  capital. 

La  8^  et  d^®  par  marie  Thérèse  Laurence  Coupard, 
V®  de  Jean  Louis  Guillemain  de  Kercadon  d'Igny, 
était   créancière   viagère,   est    morte. 

3®  Le  prix  de  la  vente  faitte  à  M*^"  Delamballe  est 
de  110.000  fr.  dont  30.000  fr.  pour  les  meubles  qui 
ont  été  payés  comptant  par  le  contrat,  Et  80.000  pour 
l'Immeuble  qui  ont  été  payées,  par  3  quittances  ensuitte 
de  ce  contrat  à  M"^*^  de  Quevilly  en  l'acquit  de  M.  De 
Luynes  comme  héritier  pour  moitié,  quant  aux  propres 
paternels  de  M*^*^  de  Pecquigny  de  chaulnes  sa  sœur 
et  comme  héritier  aussi  pour  moitié  de  Mad*^  de  Luynes 
sa  mère  qui  étoit  seule  héritière  de  Mad.  d^  De  chaulnes 
sa  fdle,  quant  aux  meubles  et  acquits,  pour  le  rembour- 
sement d'une  rente  de  3.200  fr.  au  principal  de 
80.000  fr.  constituée  par  lad.  d^  de  Chaulnes  au  profit 
de  i\r'"  de  foûilleux  qui  avoit  léguée  cette  rente  à 
M'**'  de  Quevilly  ;  et  ce  payement  a  été  fait  en  vertu 
des  consentements  donnés  par  MM''^'^  Perorud,  Dcla- 
motte.  Le  chauve  et  delaborde,  par  Mad^  De  Kerca- 
don d'Igny  et  par  M^*'  de  Luynes  suivant  les  actes 
dont  expéditions  sont  jointes  aux  pièces  :  Tous  lesquels 
susnommés  avec  lad.  d®  de  Quevilly  et  M*^"  de  Pha- 
laris  étoient  les  seuls  créancières  opposant  au  sceau  des 
lettres  de  ratilfication  prises  par  Mad®  de  Lamballe. 
M'*"  de  Quevilly  a  donné  mainlevée  de  son  opposition 
par  la  quittance  dud^  payement  de  son  remboursement 
mais  il  subsiste  toujours  l'opposition  de  M''"  de  Pha- 
laris. 

Il  auroit  été  possible  de  faire  opérer  la  radiation 
des  oppositions  de  M.  Delaborde  et  de  M***^  de  Que- 
villy par  ce  que  le  consentement  du  1®'  et  la  mainlevée 
pure  et  simple  de  la  d*""  en  contiennent  les  moyens  ; 
mais  quant  aux  autres  ce  ne  sont  que  des  Consentemens 
purs  et  simples  afin  de  payement,  insullisans  dans  leur 
forme  pour  opérer  une  radiation,  qu'il  faut  garder 
avec   grand  soin  et  il  conviendrait  à   cet  égard   que 


492  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIM 

M.  Doniol  pril  des  lettres  de  ratiffication  pour  purger 
déffînitivement  de  la  maison  dont  il  s'agit  des  hypo- 
thèques anciennes  dont  elle  étoit  grevée  et'qui  ont  été 
conservées  par  l'elTet  des  oppositions  subsistantes 
et  non  rayées. 

La  nation  se  trouverra  opposante  en  sous  ordre  a 
cause  de  M.  Delaborde,  mais  heureusement  son  consen- 
tement décharge  les  lettres  de  ratiffication  de  l'eiiet  de 
son  opposition  et  est  suffisant  pour  la  radiation  qu'il 
faut  faire  opérer  avant  que  M.  Doniol  prenne  lui-même 
des  lettres  afin  d'éviter  les  prétentions  et  chicannes 
du  Domaine  et  il  faut  en  faire  autant  pour  l'opposition 
de  M  ^   de  Quevilly. 

L'opposition  de  M'^®  De  Phalaris  subsistant  toujours 
ainsi  que  celles  des  cinq  autres  créanciers  nonobstant 
leur  consentement  afin  de  payement  et  d'un  autre 
coté  y  ayant  aussi  les  créanciers  de  la  succession  de 
M^®  de  Lamballe  à  craindre  sans  compter  ceux  du  ven- 
deur, il  ne  seroit  pas  prudent  à  M.  Doniol  de  rien  payer 
sur  son  acquisition  avant  le  sceau  des  lettres  de  ratiffi- 
cation que  sa  sûreté  l'obHge  à  prendre,  il  pourroit  même 
y  avoir  des  Inconvénients. 

Enfin  la  propriété  est  bien  établie  jusques  et  compris 
M^^  de  saissac,  par  des  pièces  conférées  ;  mais  elle  ne 
l'est  pas  et  il  manque  toutes  les  pièces  qui  doivent 
l'établir  dans  les  personnes  de  Mad.  de  Cheveuse  et 
de  Luynes,  le  l®'"  comme  légataire  universel  de  lad.  d® 
Saissac  sa  grand-tante,  et  M.  Deluynes  tant  comme  hé- 
ritier de  M.  De  chevreuse  son  père  qu'aux  termes  de  la 
Transaction  et  pacte  de  famille  passé  entre  lui  et  ses 
sœurs  datte  et  énoncé  dans  le  contrat  d'acquisition 
de  M^*^  Delamballe. 

Il  manque  aussi  aux  pièces  celles  établissant  le  droit 
de  M"^^  de  Quevilly  à  la  rente  de  3.200  fr.  au  principal 
de  80.000  fr.  qui  lui  a  été  remboursée  du  Consentement 
des  créanciers  cidevant  nommés  avec  le  prix  de  l'ac- 
quisition de  M  '*^  de  Lamballe  :  ces  pièces  sont  néces- 
saires non  seulement  a  cause  de  la  subrogation  opérée 
par  les  quittances  du  Remboursement  de  cette  rente 
et  vu  que  les  oppositions  de  ces  créanciers  sont  subsis» 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES  ^<j3 

tantes,  mais  parce  que  les  consentements  sont  donnés 
en  partie  à  la  charge  expresse  par  M'^^  de  Lamballe 
de  se  faire  justifier  de  ce  droit. 

Et  il  manque  encore  les  pièces  qui  établissent  non 
seulement  la  qualité  de  M.  le  Prince  de  Carignan  comme 
seul  héritier  ou  légataire  universel  de  M^**  de  Lam- 
balle 5  mais  sa  réintégration  dans  les  biens  de  sa  suc- 
cession qui  avoient  été  déclarés  confisqués  et  acquis  au 
profit  de  la  République. 

Inventaire  du  wohilier. 

Cuisine 

un  fourneau  a  douze  réchaux  une  poissonnière  onze 
grille  forgée  garnie  avec  bandes  de  fer  nécessaire  une 
paillasse  a  cotés  un  Cabinet  ou  sont  la  table  et  tablettes 
pour  faire  la  pâtisserie  un  tuyau  de  plomb  avec  son 
robinet  de  cuivre,  venant  d'un  réservoir  dans  la  Cour, 
éclairé  par  deux  croisée  vitrée  et  férées,  six  potence  de 
fer  sept  chevilles  de  bois,  six  potence  en  fer  dans  le 
lavoir,  une  table  portée  par  deux  barres  de  fer  le  tout 
scellé,  a  la  cheminée  de  la  cuisine  deux  landier  en  fer 
pour  trois  broches  une  grande  plaque  de  fonte  et  deux 
meritié,  trois  barreaux  de  fer  scellés,  de  quatre  pieds 
six  pouces  de  long  une  potence  de  fer  tournant  et  cré- 
maillère, un  four  avec  deux  ceinture  une  bouche  de 
four,  sur  la  descente  de  la  cave  et  une  trape  en  deux 
feuille  et  une  grande  feuille  en  fer  avec  barres  d'ar- 
boutans,  toute  la  croisée  dépendante  de  la  cuisine  bien 
vitrée,  il  y  a  cuiriq  careaux  fêllés  et  les  portes  garnies 
de  leur  ferrures,  ferures,  et  clefs. 

Salle  a  coté  du  passage  éclairée  sur  les  deux  cours. 

Le»    Croisée     terés    et    vitrée,    trois   careaux   scellés 
boisés,  tout  le  lambris   en  mauvais  Etat  il  y  manque 
trois  pannaux  de  Carlage  en  très  mauvais  état. 
Salle  n  coté  donnant  sur  les  deux  escaliers. 

Trois  Croisée  une  porte  vitrée  fcréc  et  vitrée  une 
croisée  éclairant  le  grand  Escalier  fcrée  et  vitrée  un 
careau  f elles. 

Antichambre. 

Boisée  Eclairée  par  une  porte  vitrée  et  une  Croisée 


49^  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

vitrée  a  grand  careaii  il  y  a  quatre   petit   careau  fêles, 
une  grille  de  fer  fermant  sur  la  porte  vitrée. 

Partie  d'office  a  coté  de  la  salle  à  Manger. 
Levier  et  table  devant  la  fenêtre  en  marbre  casse, 
une  armoire  garnie  de  tablettes  et  un  dressoir  garnis 
de  cuinq  tablettes  dans  deux  paneaux  il  y  manque  dix 
neuf  careaux  de   fayance  blanche. 
Salle  a  Manger. 
Chambranle   de  cheminée  de  Marbre    cassé  a   difTe- 
rens  endroits  et  la   plaque  de  la   cheminée,   cariée  en 
careaux  noirs  et  blancs  les   croisées    vitrées  et  ferées 
le  tout  en  grands  careaux  et  en   bon  état 
Couloir  donnant  sur  la  Cour. 
Un  poêle  de  fayance  avec  son  tuyau  et  un  buffet  de 
bois  tous  deux  a  dessus  de  marbre  les  Croisée  en  bon 
Etat  ainsi  que  la  porte  vitrée. 
Salon. 
Chambranle  de  Cheminée  de  marbre  blanc  monté  de 
sept  pierres  de  marbre  agatisés.  Le  dit  Salon  garnis  de 
papier  arabesque  les  croisées  en  grands   careaux  et  la 
porte  vitrée,  le  tout  garni  de  leur  ferures  et  en  bon  Etat. 
Un  Cabinet  a  coté  orné  de  papier  Chinois. 
Une  Croisée  garnie  de  sa  ferure    en    grands  careaux, 
Et  en  bon  Etat. 

Chambre   suivante. 
Une    Cheminée    de    marbre    rouge    ornée    de    papier 
éclairée  par  deux  Croisée  a  Grands  Careaux  et   ferés. 
Chambre  a  Coucher. 
Une    Cheminée    de    Marbre    sera   colin  les  Cotés    du 
Chambranle   Cavee,   une   alcôve   ornée   de   sculture  en 
bois  papier  chinois,  deux  Croisée  et  une  porte  vitrée 
le  tout  a  grands  Careaux  et  ferés  en  dehor  et  une  grille 
en  fer  pareille  a  Celle   susditte  il  y  a  un  trou  dans  une 
des  feuille  du  parquet  et  un    Careau  de  fayence  a  la 
Cheminée. 

Cabinet  a  Coté. 
Une  Cheminée  de  Marbre  blanc  deux  armoires  dans 
le  mur  garnies  de  leur  tablettes  et  une  sans  tablettes 
deux  Croisée  garnies  de  leur  ferures  et  vitrées. 


PlèCES    JUSTIFICATIVES  495 

Autre   Cabinet. 

Cheminée  de  Marbre  rouge  la  tablette  écornée  deux 
armoires  garnies  de  leur  tablettes  la  Croisée  en  bon  Etal. 

Deux  autre  Cabinet  dont  un  Communique  a  l'Es- 
calier de  Dégagement  avec  armoire  et  tablette. 

A  la  Suite  est  un  autre  Cabinet  sur  la  Cour  a  deux 
Croisée  et  une  porte  vitrée  a  deux  vantaux  ferée  et 
vitrée  en  bon  état  il  y  a  un  trou  dans  une  des  feuille 
du  parquet,  dans  un  Cabinet  a  coté  fermé  par  une  porte 
a  deux  vantaux  et  ferés  Cuinq  tablettes  avec  potence 
de   bois. 

Dans  leait  appartement  Cuinq  ferures  de  cuivre,  les 
Croisées  ornées  de  volets  et  persiennes  les  dittes  pièces 
parquetées  en  bon  Etat  il  y  a  des  plaques  et  des  Crois- 
sant dans  les  Cheminées  il  y  a  un  Escalier  a  double  ran^ 
en  fer  Conduisant  du  Salon  au  jardin  et  une  tringle  de 
fer  et  poulies  sur  le  balcon  pour  recevoir  une  tante. 

NO  1-2-3. 

Deux  armoires  dans  le  passage  garnies  de  tablettes 
Cuisine  Cheminée  de  pierre  et  plaque,  pierre  à  Côté 
la  Cheminée  de  pierre  deux  Croissant  et  plaque  Cloison 
en  bois,  deux  porte  vitrées  imposte  dessus,  aussi  vitrée, 
deux  Croisée  sur  la  Cour  vitrées  a  grands  Careaux  la 
pièce  ornée  de  papier  fond  blanc.  Pièce  ensuite  avec 
distribution  Cloison  en  bois  trois  portes  vitrées  deux 
impostes  vitrées,  une  armoire  dans  le  mur  garnie  de 
tableltes  N"^  autre  pièce  sur  le  Jardin  Cheminée  de 
piere  dessus  de  marbre  et  plaque,  deux  Cabinet  a  Côté 
avec  distribution  quatre  portes  vitrées  et  des  Cloison 
en  bois  le  tout  orné  de  papier  de  volet  vitré  et  ferés, 
deux  armoires  dans  le  mur  garnie  de  tablettes  deux  per- 
siennes. 


Cheminée  de  pierre  plaque  et  Croissant  une  alcôve, 
doux  Cabinets  avec  les  portes,  dans  un  des  cabinet  trois 
.'irinoires  dans  le  mur  garnies  de  leur  tablettes,  deux 
('roisécs  avec  grands  Careaux  en  bon  Etat  et  toute  leur 
ferures.  Autre  Chambre  a  côte,  plaque  en  plate  <»t  Crois- 


496  LA    PRINCESSE    DE    LAMBAl.LE   INTIME 

sant,  la  pièce  ornée  de  papier  et  baguette  dorée  volets 
et  Persienne   vitrés  et  fercs, 

NO   7 

Une  armoire  a  mettre  un  Lit,  un  Buiïet  en  bois 
quatre  Croisée  vitrées  et  ferées,  sept  Careaux  fêlts 
une  Cheminée  de  Marbre  dont  la  tablette  est  cassée  et 
la  traverse  trois  armoires  dans  le  mur  les  dittes  pièces 
sont  ornées  de  papier,  les  Corridor  bien  carié  deux 
grandes  Croisée  et  trois  evantail  vitrés  et  ferrés  trois 
Careaux  fêlés. 

Nû  8 

Une  Cheminée  de  pierre  une  plaque  de  fonte  une  al- 
côve, la  pièce  tendue  de  papier  fond  blanc  avec  lambris 
d'apui  en  Menuiserie,  éclairée  sur  le  jardin  par  une 
Croisée,  Pièce  ensuite  avec  distribution  porte  vitrée 
imposte,  deux  armoires  dont  une  a  quatre  vantaux  le 
tout  carié  vitré  et  férés. 

N^9 

Cheminée  de  pierre,  plaque  un  Croissant,  éclairée 
par  deux  Croisée  vitrée  et  ferée  en  tout  le  logement, 
a  coté  est  une  pièce  et  deux  Cabinet  avec  porte  vitrée 
imposte  en  vitraux  au  dessus  une  armoire  férée  et  trois 
tablettes  le  tout  carié. 

NO  10 

Cheminée  a  dessus  de  marbre  Cassée  une  plaque  ae 
fonte,  une  alcôve  et  trois  cabinet  une  armoire  garnie 
de  quatre  tablettes,  le  tout  orné  de  papier  et  carié  deux 
Croisée  vitrée  et  ferée. 

NO  11 

Une  alcôve  un  petit  Cabinet  une  armoire  dans  le 
mur  garnie  de  tablettes  une  Cheminée  en  pierre  une 
plaque  une  Croisée  vitrée  et  ferée  la  pièce  est  cariée, 

NO  12 
Une  Cheminée  de  marbre  rouge  la  tablette  est  cassée 


PIÈCES    JUSTIFICATIVES  497 

et  la  traverse  en  deux  une  plaque  et  careaux  de 
fayance,  une  alcôve  et  un  cabinet,  six  armoires  dans 
le  mur  garnies  de  leur  tablettes  deux  Croisée  ferrées 
et  vitrées,  la  pièce  cariée. 

NO  13 

Première  pièce,  trois  armoires  garnies  de  leur  ta* 
blettes  une  cheminée  de  marbre  et  deux  apui  de  croisée 
aussi  de  marbre  les  deux  appui  cassé  la  pièce  tendue  en 
papier  serin,  pièce  suivante,  un  cabinet  orné  de  papier 
Chiné  fermé  d'une  Cloison  vitrée,  autre  pièce  avec 
Cheminée  de  marbre  garnie  de  sa  plaque  et  careaux 
de  fayance  sur  le  jambage  ornée  de  papier  avec  armoire 
garnie  de  tablettes,  autre  Cabinet  orné  de  papier  avec 
armoire  et  quatre  tablettes,  une  autre  chambre  îiv.'ri 
vue  sur  le  jardin  Anglais  une  cheminée  et  deux  tablette? 
de  marbre  aux  Croisée  dont  une  cassée  en  deux,  une 
plaque  et  jambage  de  careaux  de  fayance,  deux  petites 
armoire,  le  papier  serin  très  f'^ais,  deux  serrures  de 
cuivre  aux  portes,  il  y  a  une  Espagnolette  d'une  croisée 
cassée  par  le  bas,  et  un  careau  fêlé  a  un  second  châssis 
de  la  croisée  la  parquetée.  Chambre  a  coucher.  Cheminée 
de  marbre  traverse  cassée  au  milieu,  papier  Chiné  très 
frais,  deux  armoires  dans  les  portes  et  deux  petites 
encoignures  trois  parquet  sans  glace  ni  baguette,  un 
grand  careau  fêlé  toutes  les  Croisée  vitrée  et  ferés. 

Grand  Corridor  deux  Mansard  sur  la  Cour,  il  y  a 
Cuinq  Bai  trois  Careaux  fêles  et  un  écorné  toutes  les 
Croisée  vitrée  et  ferés. 

Petit  Escalier  de  dégagement,  une  rampe  de  fer 
avec  Ecuyer  au  bas,  et  une  porte  vitrée  et  ferée  en  bon 
Etat, 

Commodités  a  L'anglaise,  une  petite  table  de  marbre 
un  petit  réservoir  en  plomb  et  des  petits  tuyaux  de 
j)lomb, 

Dana  la  Cour  rustique  se  trouve  un  réservoir  en 
plomb  pour  recevoir  L'eau  de  la  [)ompe. 

Dans  laditie  Cour  une  Ecurie  fermée  pour  cuinq 
chevaux  avec  Mangeoire  et  ratclicr,  plus  deux  remises 
avec  auvent  ferme  e. 

82 


498  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Sous  le  passage  allant  a  L'orangerie  a  droite  est  une 
Ecurie  de  quatre  Chevaux  avec  mangeoire  et  râtelier 
et  a  gauche  une  de  douze  avec  mangerie  et  râtelier  la 
grille  en  fer  tenant  au  dit  passage  ouvrant  a  deux  van- 
taux cassée  à  la  traverse  et  en  mauvais  état. 

Orangerie 

Le  toit  garnie  de  huit  Croisée  simple  et  une  porte 
a  deux  vantaux  tout  vitré  et  ferrés  il  y  a  trente  careaux 
tant  fêles  que  de  deux  pièce. 

Pavillon  au  bout  de  L'allée  de  la  terrasse  éclairé 
par  sept  croisée  vitrée  et  ferrée  il  y  a  dix  carreaux  fêles 
au  dessous  et  une  serre  parquetée  en  planches  et  au 
pourtour  de  larges  planches  portée  par  des  barres  de 
fer  scellée. 

Office  six  Croisée  vitrée  et  ferrée  trois  Careaux  fcles 
une  armoire  garnie  de  huit  tablettes  a  Coulisse  et  une 
autre  de  quatre,  une  cheminée  un  fourneau  a  trois 
trous  garnis  de  fer,  Manteau  de  four. 

NO  15 

Une  Croisée  et  un  imposte  garnis  de  leur  careaux. 
Cy  devant  Chapelle  Cariée  Croisée  ferée  et  vitrée. 

(        No  14  une  Croisée  ferée  et  vitrée 

Conciergerie  une  pierre  a  laver  dans  la  première 
pièce  une  petite  cuisine  a  côté  fermée  par  une  Cloison 
en  bois  et  des  imposte  vitrée  au  dessus  un  fourneau 
a  deux  trous  une  cheminée  de  pierre  et  une  plaque 
Cassée.  Autre  pièce  Cheminée  de  pierre,  deux  armoires 
dans  le  mur  une  alcôve  toutes  les  Croisées  vitrée  et 
ferrée  trois  Careaux  fêlés  et  tout  carié.  Huit  chambre 
au  dessus  fermées  les  Croisée  vitrée  et  ferrée  huit  Ca' 
reaux   fêlés. 

Il  y  a  des  planches  dans  les  deux  Souterrain  sous  le 
jardin  anglais 

fait  double  a  passi  le  hui  avrille  mil  sept  cent  quatre 
vingt  dix  sept 

Blanchard. 


PIÈCES    JUSTIFICATIVES  499 

Note  du  21  thermidor  an  V,  par  lequel  Jacques 
Courtois,  «  comme  fondé  de  la  procuration  spéciale  à 
l'eiïet  des  présentes  de  Charles  Emmanuel  de  Savoie 
Carignan  »,  vend  la  propriété  à  Charles  Joseph  Ba2;ue- 
nault  pour  le  prix  de  60.000  livres  «  espèces  métal- 
liques francs  deniers  »  en  déduction  de  laquelle  somme 
Courtois  déclare  avoir  reçu  12.000  livres,  «  et  pour 
sacquitter  des  quarante  huit  mille  livres  de  surplus 
le  S^  Baguenault  s'oblige  à  titre  de  composition  et 
forfait  de  servir  et  payer  en  l'acquit  de  M^  Carignan 
en  sad.  qualité  et  tant  qu'elles  auront  tous  les  arrérages 
cchus  à  compter  du  premier  Juillet  mil  sept  cent 
quatre  vingt  dix  sept  vieux  style,  treize  Messidor 
dernier  et  à  échoir  pendant  la  vie  et  jusqu'au  jour  du 
décès  de  chacun  des  rentiers  y  après  nommés  des  rentes 
et  pensions  viagères  que  vont  être  énoncées  dues  par 
la  succession  de  M™®  de  Lamballe  savoir  : 

l^^^    à...    SeiiïerL    Médecin    deux    mille    livres,    telle 
qu'elle  est  due  par  lad.  succession 
etc. 


D 


Pièces  relatives  au  décès   et  a   la   succession 
DU   D""  Saiffert 

Paris,  le  31  Août  1850. 
Roquebert,  Notaire 
Rue  Ste  Anna,  No  69. 

Mon   cher  ami 

Guénin  vient  de  m'envoyer  une  masse  de  pièces» 
desquelles  il  résulte  : 

1°  Que  Jean  Geoffroy  Seiffert  est  mort  le  26  Avril 
1811  ;  il  était  docteur  en  médecine,  et  demeurait  à 
Paris,  me  St  Dominique,  N®  25. 

Je  vais  faire  lever  son  acte  de  décès. 

(Le  reste  concerne  M'^®  Mertons,  M^  Lefournier 
d'Yanviile  et  M^  Loques.) 


500  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Je  vois  qu'avec  cela  nous  avons  satisfaction    &  que 
vous   pourrez  payer.. 
Rien  à  vous 

ROQUEBERT, 

Monsieur 
Monsieur    Rouoo 
Avoué 

Je  soussigné  Rodolphe  Emmanuel  Holler  propr. 
demeurant  à  Paris,  créancier  de  la  succession  du  s^  Jean 
Geoffroy  Saiffert  &  autorisé  à  faire  le  recouvrement 
de  toutes  les  créances  actives  de  lad.  succession  suivant 
l'ordonnance  rendue  par  le  Président  du  tribunal  de 
première  Instance  de  la  seine,  en  référé,  le  onze  Août 
mil  huit  cent  dix,  enreg®  et  à  donner  quittance  recon- 
nais avoir  reçu  de  M^  Baguenaud  Banquier  la  somme 
de  six  cent  trente  six  francs  trente  centimes  pour 
trois  mois  vingt  six  jours  échu  le  vingt  six  as^ril  der- 
nier jour  du  décès  du  sr  Saiffert  de  la  rente  viagère  de 
Deux  mille  francs  par  année  que  devait  M^  BaguenauU 
à  M^  Saiiïert. 

Dont  quittance  à  Paris,  le  vingt  neuf  février  mil 
huit  cent  douze. 

approuvé  l'écriture 

signé  HALLEY. 

Vu  bon  à  payer  pour  solde  de  tous  arrérages  de  la 
rente  Saiffert. 

Paris  le  trois  Mars  1812 
Signé  Daleux. 


Je   certifie   que   la   signature   ci-contre   est   celle   de 
M^  halley  &  qu'il  est  autorisé  à  toucher. 

S.  Masson. 


(Au  crayon  :  n'est-ce  pas  Valton,  avoué,  qui  fesait  les  aff"'  de  M.  Ba- 
guenault  (mots  illisibles). 

(La  signature  à  Moignat  rassemble  en  effet  autant  à  Valton  qu'à  Da- 
leux). Il  faut  lire  Valton. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES  5oi 

Paris,  le  6  Mars  1852. 
Rquebert,  Notaire 
Rue  Ste  Anne,  No  69. 

Mon  cher  confrère, 

Dans  la  quittance  passée  devant  moi  &  devant  vous, 
le  6  T^""®  1850,  du  prix  moyennant  lequel  M'  Roubo 
Avoué  a  acquis  la  propriété  de  la  famille  Sanlot  Ba- 
guenault  à  Passy,  il  a  été  déclaré  que  M.  SeifTert,  Ren- 
tierviager,  subrogé  dans  le  temps  dans  les  droits  des 
auteurs  de  M.  Sanlot  Baguenault,  était  décédé  à  Paris, 
le  26  avril  1810.  Les  recherches  que  j'ai  fait  faire  à  la 
ville,  n'ont  pu  faire  découvrir  l'acte  de  décès  à  la  date 
indiquée.  L'erreur  doit  être  retrouvée  sur  les  anciens 
livres  de  la  maison  Sanlot  Baguenault.  Je  vous  prie 
de  demander  qu'une  recherche  soit  faite.  M""  Roubo 
est  menacé  en  ce  moment  d'une  expropriation  pour 
l'Elargissement  de  la  R^^ute,  et  toute  perte,  qui 
résulterait  du  défaut  de  production  de  cet  acte  de  décès, 
retomberait  sur  ses  vendeurs,  qu'il  serait  obligé  de 
mettre  en  demeure  de  la  lui  fournir. 

Votre  dévoué  confrère 

ROQUEBERT. 

Monsieur 
Monsieur   Guénin 
Notaire 

Lettre  de  M.  Roquebert  à  M.  Roubo,  avoué,  datée 
du  13  Mars  1852  envoyant  la  réponse  de  l'Étude  de 
M.  Guénin  que  voici  : 

Recherche  faite  dans  les  archives  de  la  Maison  Ba» 
guenault  il  en  résulte 

1°  Que  le  dernier  semestre  complet  (1000  fr.  ou  987...) 
de  la  rente  Saiffert  est  celui  échu  au  1"  J®'  1810,  et 
payé  le  1®'  jour  dudit  mois. 

20  Et  que  le  prorata  d'arréragei  couru  delà  jusqu'au 


502 


LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 


décès,  n'a  été  payé  que  le  6  mars  1812  (636  fr.  30  cm. 
aux  mains  de  M.  Masson) 

Il  n'y  a  pour  ce  dernier  pay*,  dans  les  pièces  comp- 
tables, qu'une  note  au  bon  à  payer  de  M.  Baguenaull 
sur  son  caissier,  disant  fai  la  quittance. 

Cette  quittance  par  lui  conservée,  a  pu  être  comprise 
lors  de  l'inv''^  fait  après  son  décès  le  27  fév.  1817, 
soit  dans  la  cotte  43  (anciens  titres  de  prop^"  de  M''" 
de  Passy)  soit  dans  la  cotte  49  (quitt^®"*    &  décharges). 

Cette  quittance  que  M^  Roubo  a  peut-être  dans  les 
titres  à  lui  remis,  fournirait,  on  le  présume,  des  rensei 
gnements  sur  le  décès   de  M^  Seifîert. 

On  peut  au  surplus  remarquer  comme  confirmation 
de  l'énoncé  de  la  date  de  ce  décès  (26  avril  1810)  que 
3  mois  26  j.  donnent  en  efîet  les  636  fr.  30  (ou  644  fr. 
9  sols)  payés  à  sa  succession. 

L.  M.  Masson  qui  a  donné  la  quitt*^®  est  l'ancien 
avoué,  ne  pourrait-on  pas  aller  aux  renseig*^  auprès 
de  lui  ? 

M.  Delacroix  avoué  qui  a  rédigé  l'enchère  pourrait 
dire  aussi  où  il  a  puisé  cette  indication  de  date,  et 
vérifier  si  le  document  qui  l'a  fournie  a  été  bien  lu, 
et  s'il  mentionne  le  domicile  où  est  arrivé  le  décès. 

Roubo 
Avoué  de  1^^  Instance 
45,  Rue  Richelieu 

Mon  cher  Roqueberx, 

J'ai  effectivement  la  quittance  du  29  février  1821 
pour  solde  des  arrérages  de  la  rente  Seyffert  et  je  vous 
en  envoie  copie. 

Mais  c'est  précisément  cette  quittance  qui  nous  a 
induits  en  erreur  à  cause  de  la  fausse  enonciaticn 
qu'elle  contient. 

Ainsi  datée  de  1812,  elle  porte  que  c'est  le  solde  des 
arrérages  au  26  avril  c?ernier, c'est-à-dire  1811  jour  du 
décès  de  M'*  Seyffert. 

Et  dans  l'Intitulé  de  cette  même  quittance  on  dit 


PIÈCES   JUSTIFICATIVES  5o3 

que  Tordonnance  de  référé  qui  nomme  un  adminis- 
trateur à  l'effet  de  faire  Id  recouvrement  de  la  succes- 
sion, est  du  11  août  1810.  Il  est  donc  évident  que  le 
décès  ne  peut  pas  être  du  26  avril  1811. 

Mais  nous  avons  cherché  aux  deux  dates,  26  avril 
1810  et  26  avril  1811,  et  nous  n'avons  rien  trouvé. 

Il  est  évident  que  M^  Seyiïert  est  décédé,  mais  le 

difficile  est  d'en  rapporter  la  preuve  par  la  justification 

de  son  acte  de  décès,  et  c'est  la  représentation  de  cet 

acte  que  je  demande  aux  héritiers  Sanlot  Baguenault. 

Votre  bien  affectionné 

ROUBO. 

15  mars  1852. 

Paris  21  mars  1852. 
Monsieur, 

Je  n'ai  aucun  renseignement  sur  l'époque  de  la  mort 
du  Docteur  Saifîert  auquel  Mad®  la  Princesse  Lam- 
balle  avait  légué  une  rente  viagère  dont  M.  Bague- 
nault avait  été  chargé  par  son  contrat  d'acquisition 
de  Passy,  et  comme  je  n'étais  pas  encore  marié,  il 
ne  peut  m'en  rester  aucun  souvenir.  Mais  il  me  semble 
d'après  le  libellé  de  la  quittance  que  l'on  pourrait  re- 
trouver la  date  de  cette  mort  dans  l'ord^*^  de  référé 
y  relatée,  si  comme  je  le  suppose,  cette  ord*''^  doit  rester 
au  Greffe. 

La  main  levée  a  du  être  donnée  chez  M.  Colin  alors 
ïiotaire  de  M.  Baguenault,  et  doit  mentionner  la  date 
du  décès,  elle  doit  se  trouver  chez  le  successeur  de 
M.  Colin.  Ne  pourrait-on  pas  aussi  trouver  cette  main 
levée  au  B"*"  des  hypothèques  de  St  Denis  ? 

La  quittance  est  certifiée  par  M.  Masson  qui  étail 
sans  doute  avoué  de  la  succession  de  M.  Saiffert,  elle 
est  visée  pour  être  payée  par  ur\  nom  qui  m'est  inconnu, 
et  qui  est  sans  doute  mal  copié,  je  suppose  que  celle 
signature  est  celle  de  M.  Vallon,  avoué  de  M.  Bague- 
nault et  qui  fesait  alors  toutes  ses  affaires. 

Ne  pourrait-on  pas  trouver  la  trace  de  cette  vici!!:' 
affaire  dans  l'une  de  ces  deux  études  ? 

M'  Saiffert  était  un  médecin    fort  en  vogue,   et  il 


5o4  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

serait  possible  qu'on  lui  eut  consacré  un  article  dans 
la  Biographie  Universelle,  quoique  ou  peut-être  parce 
qu'il  passait  pour  un  peu  charlatan,  autant  que  mes 
souvenirs  peuvent  me  le  rappeler. 

SanlotBAGUENAULT, 

Paris,  le  24  Mars  1852. 

RoQCEBEHT,  Notaire 
Rue  Ste  Anne,  N»  69. 

Mon  cher  ami. 

Je  suis  allé  ce  matin  chez  M^*  Ducloux  Notaire, 
successeur  de  M.  Colin  ;  la  lettre  de  M'^  Sanlot  Bague- 
nault  me  laissait  espérer  que  je  trouverais  là  quelques 
Renseignements. 

Mais  mes  recherches  ont  été  inutiles,  et  sans  aucun 
Résultat.  —  Avez-vous  dans  les  pièces  l'Enonciation 
soit  de  l'Inscription  de  M''  Saiffert,  soit  de  l'Inscrip- 
tion d'Office  contre  M.  Baguenault.  —  Si  ouh  en  allant 
aux  hypothèques,  on  trouverait  peut-être  en  marge 
quelque  Renseignement  ;  sinon  je  désespère  d'arriver. 
Bien  à  vous 

ROQUEBERT, 

Dossier  portant   (         ^  ^'     Seiffert 

cette  <       Rente  éteinte  en  1811 

suscription:      (        p^^   j^    ^^^,^    ^^    ^j,    SeiiïeTU 

(Timbre  de  25  c.  de  l'Empire  Français). 

Je  soussigné  reconnais  avoir  reçu  de  Monsieur  Ba- 
guenault a  l'acquit  de  la  succession  Lamballe  et  en 
espèces  métalliques  la  somme  de  mille  Livres  tournois 
pour  le  2®  semestre  de  l'an  dix  huit  cent  neuf,  échue 
le  1^^  janvier  présent  mois,  a  moi  due  par  laditte  suc- 
cession Lamballe,  sans  préjudice  a  mes  droits  sur  la 
ditle  succession,  ni  des  années  antérieures  qui  me  se- 
ront dues  sur  ma  pension. 

A  Paris  ce  17  janvier  dix  huit  cent  dix. 


PIÈCES    JUSTIFICATIVES  5o5 

k  approuver  Lecriture  Saiffert  MD 

delà  main  de  Saifiert)         ^^.     , 

I      Cl  dessus 

(Une  lettre  de  Valton  [du  10  juillet  18091  ^  M.  Ba- 
fTuenault,  banquier,  dit  que  M.  SaifTre  (sic)  demande 
le  payement  du  semestre  échu  le  1®^  courant,  qu'il  lui  a 
remis  la  main  levée  de  l'opposition  de  M.  Masson» 
celle  de  M.  Haller  et  le  Consentement  de  M.  Paillard 
Brunet.  On  peut  donc  valablement  le  payer  à  moins 
d'autres   oppositions.) 

Il  y  a  une  vingtaine  de  quittances  presque  toutes 
entièrement  de   la   main   de   Saiiïert. 

Le  vingt  quatre  ventôse  an  8  il  y  a  une  opposition 
signifiée  au  citoyen  Baguenault  par  Lafrété  relative 
«  au  C®"  Schifer  (sic),  officier  de  santé  a  paris  y  dem^  Rue 
de  Lille  ».  Annulation  de  cette  opposition  par  lettre  de 
Lafrété  datée  de  Paris  le  5  ventôse  an  9  à  M.  «  Bague- 
naut  »,  Banquier. 

.    i         A  Lausane  ce  27  vendémiaire  l'an  8 
de         î  au  Citoyen  Bague*  Saiiïert  Médecin 

^''"■"'■^     '  Salut   et   fraternité 

Vous  voudrez  bien  Citoyen  pour  [Féchu  de  mes 
rentes  sur  quittance  de  mon  chargé  de  piiuvoir  les  dé- 
livrer  au  Citoyen  Brunet  Paillard.  Je  vous  serais  infini- 
iMCiil  obligé. 

Mille  et  Mille  bonjours  Saiffert. 

au  Citoyen  Baguenault 

rue  Montmartre  N^  5 

près   le   boulevard 

a   Paris. 

Je  soussigné,  fondé  de  la  procuration  du  D^'""  Saif- 
fert, reconnois  que  Le  C.  Baguenaud  ma  cejourd'hui 
payé,  entre  les  mains  du  C.  Brunet,  homme  de  con* 
(lance  du  Docteur,  La  somme  de  Mille  francs  pour  les 
six  mois  échus  le  neuf  vendémiaire,  an  8,  de  la  pension 
due  au  D*^'""  par  la  succession  Lamballe  attestant 
on  outre  qu'il  est  a  ma  connaissance  que  led.  Docteur 
Saifiert  est  existant. 

Paris  le  12  Brumaire  an  8.  Real. 


5o6 


LA    PRINCKSSE    DE    LAMBALLE    INTIME 


(De  la  main  de  SaifTerl). 

A  Lausane  en  helvelie  ce  3  floréal  l'an  7  de  la  répu- 
bl.  franc.,  SaifTert  Médecin  au  Citoyen  Baguenault 
Salut  et  fraternité, 

Vous  m'obligerai  Citoyen  de  vouloir  bien  remettre 
au  Citoyen  Real  sur  quittance  en  forme  de  celles  que 
j'ai  signé  jusqua  ce  jour,  la  somme  de  la  pension  échu  ; 
je  lui  ai  laissée  plein  pouvoir  en  règle,  avant  mon  départ 
de  paris  ;  vous  m'avez  dit  de  vous  écrire  j'observerai 
ce  devoir  a  chaque  terme  tant  que  je  serai  absent  de 
paris  ;  si  je  peus  vous  être  bon  a  quelque  chose  dans 
ce  pais  ci,  je  vous  prie  de  m'en  charger  sans  autre 
forme  que  celle  de  me  faire  savoir  en  quoi,  je  m'en 
'^erai  un  vrai  plaisir. 

Saiffert  MD» 

(extrait  d'acte  passé  devant  le  notaire  Oudinot 
d'où  il  appert  que  Saiffert  a  donné  pouvoir  au  C*'" 
Pierre  françois  Real  de  recevoir  de  tous  débiteurs, 
fermiers.  Locataires  et  comptables  qu'il  appartiendra 
tous  arrérages  de  rente,  loyers  et  fermages  échus 
O'  à  echeoir  et  toutes  sommes  Mobiliaires  qui  peuvent 
être  dues  au  Constituant  à  tels  titres  et  pour  quelque 
cause  que  ce  soit,  de  tous  reçus  donner  quittances 
valables.) 

Le  premier  reçu  de   Saiffert  est  libellé  comme  suit  : 

De  la  main  de  SsifTort. 

Je  sousigné  créancier  de  la  Succession  de  Marie 
Louise  Thérèse  de  Savoye  Carignan  V^®  de  Louis 
Bourbon  Lamballe  de  deux  mille  livres  de  rente  viagère 
exempte  de  toute  imposition  ou  retenue  et  payable  par 
quartier  suivant  le  Brevet  reconnois  avoir  reçu  du 
Citoyen  Bagnoulte  (sic)  en  l'acquit  du  Prince  de  savoye 
Carignan  héritier  de  la  susditte  succession  cinq  cent 
livres  pour  un  quartier  échu  le  premier  avril  (vieux 
stile)  ou  12  germinal  de  la  présente  année  dont  quit- 
tance sans  préjudice  à  tous  mes  droits  sur  la  totalité 
de  la  dite  succession  a  paris  le  quinze  germinal  an  six 
ie  la  republique.  Saiffert  Médecin. 


TABLE  DES  GRAVURES 


Images 

1.  Anacharsis  Cloots ^ 

2.  Intérieur  d'un  Comité  révolutionnaire.     ....  ^ 

3.  Un  mandat  d'arrêt  sous  la  Terreur 8-9 

4.  Louis-Philippe-Jo&eph  d'Orléans 15 

5.  Le  duc    d'Orléans,   grand-maître  de  la  Maçon- 

nerie, sous  les  traits  de  Minerve 19 

6.  Le  docteur  Sailîert.     . 27 

7.  La  princesse  de  Talleyiand 29 

8.  Saint-Just 31 

9.  Chabot 39 

10.  Maral 41 

11.  Le  duc  d'Orléans '*•'> 

12.  Souberbielle 47 

13.  Madame  de  Genlis 55 

14.  Madame  de  Lamballc 57 

15.  Marie-Antoinette,  d'après  Janinet  (1777)  ....  59 

16.  Le  duc  de  Chartres  et  sa  famille «3 

17.  Mesmer ^^ 

18.  Le  Baquet  de  Mesmer 71 

19.  La  princesse  de  Condé,  mère  du  duc  d  Ln-lufii.  73 

20.  Comte  Dufort  de  Gheverny 77 

21.  Caricature  contre  Mesmer 81 

22.  Court  de  Gébelin 85 

23.  Contrat  de  Mesmer  avec  La  laycUe 87 

•ii4.  Autographe  de  Mesmer 91 

25.  Lavoisier ^5 

26.  La  princesse  de  Lamballe  (Musée  de  Meîz).  101 

27.  La  famille  de  Bourbon-Penthièvre n  i  lor> 

28.  L.-P.  d'Orléans,  duc  de  Chartres lu? 


5o8  LA    PRINCESSE    DE    LAMBALLE    INTIME 

Pages. 

29.  Le  duc  de  Penthièvre 114 

30.  Mort  du  prince  de  Lainballe 115 

31.  Autographe  du  prince  de  Lamballe 115 

32.  Comte  de  Mercy-Argenteau 121 

33.  Madame  de  Polignac 123 

34.  La  princesse  de  Lamballe,  surintendante  de  la 

Reine 127 

35.  Madame  de  Lamballe 131 

36.  La  princesse  de  Lamballe  (gravure  anglaise  de  1793)  136 

37.  Marie-Antoinette 139 

38.  Marie-Antoinette,  d'après  Boze 145 

39.  La  princesse  de  Lamballe  (miniature  de  Canet)    .  149 

40.  Le  duc  d'Orléans  (peinture  d'A.  Kauffmann)    .    .  153 

41.  Madame  de  Polignac  (d'après  Mme  Vigée-Lebrun).  157 

42.  M.  de  Maurepas  .     .    .    .  ^ 159 

43.  Marie-Antoinette  (d'après  Bernard) l(îl 

44.  Résidence  de  la  princesse  de  Lamballe  à  Passy.  li)3 

45.  La  princesse  de  Lamballe  (peinture  de  Bornet).  165 

46.  Princesse  de  Lamballe  (médaillon) 167 

47.  Lady  Fitzherbert,  favorite  de  George  IV.    .    ,    .  173 

48.  Philippe  d'Orléans,  dit  Ééca/f/é 175 

49.  Mirabeau 179 

50.  Le  Palais-Royal,  à  l'époque  de  la  Révolution  .    184  185 

51.  Madame  de  Buffon 188 

62.  Choderlos  de  Laclos 189 

63.  Philippe-Égalité,  en  Roi  de  Pique 191 

64.  La   duchesse    d'Orléans,    épouse   de     Philippe- 

Égalité  ......  195 

65.  Fête  de  la  Fédération  (1790)    . 200-201 

56.  Madame  de  Norenval 207 

67.  La  princesse  de  Lamballe  (estampe  hoUardiise)  209 

68.  Bol-sein  de  Marie-Antoinette 213 

69.  Le  retour  de  Varennes ^^16-217 

60.  Camille  Desmoulins 221 

61.  Pétion 223 

62.  Le  Club  des  Jacobins 225 

63.  Robespierre 227 

64.  Un  épisode  des  Journées  de  Prairial  ....    232-233 

65.  Danton 235 

66.  La  duchesse  de  Choiseul 239 

67.  Barnave 243 

68.  Robespierre  (croquis  à  la  plume) 247 

6».  Louis  XVII  (gravure  italienne) 249 


» 


TABLE    DES   GRAVURES  5of) 

Pages. 

70.  M.  T.  L.  de  Savoie-Carignan  (princesse  de  Lam- 

balle) 253 

71.  Attaque  des  Tuileries  (10  août  1792) 266 

72.  Manuel 269 

7;i.  Madame  de  Tourzel 271 

74.  Madame  de  Lamballe  à  la  Force  (Musée  Ciirnovalet)  273 

75.  Le  duc  d'Orléans  à  la  tête  de  ses  partisans    .    .  275 

76.  Marat 279 

77.  Héléna  Williams 283 

78.  Sergent,  dit  Sergent-Marceau 285 

79.  Madame  de  Lamballe  (époque  révolutionnaire)  .  289 

80.  Un  épisode  des  massacres  de  Septembre  ...  291 

81.  Madame  de  Lamballe  (collection   Victorien  Sar- 

dou  ;  peinture  de  Danloux,  1791) 293 

82.  Stanislas  Maillard 297 

83.  Bon  de  vin  pour  les  massacreurs 299 

84.  Bon  de  vin  et  de  pain,  pour  les  assassins  de  Sep- 

tembre      ....  ao3 

85.  La  princesse  de  Lamballe  (dessin  attribué  à  Ga- 

briel)        307 

86.  M.  Dupin,  auteur  dramatique,  un  des  témoin? 

de  la  promenade  macabre 311 

87.  Promenade  des   restes  mutilés  de  la  princesse 

de  Lamballe 812-313 

88.  Quittances  des  massacreurs  de  Septembre  (1792)  316 

89.  Procès-verbal   de   l'inhumation   de  la  tête  de  la 

princesse  de  Lamballe 824-325 

90.  Massacre  des  prisonniers  de  l'Abbaye  (septem- 

bre 1792) 328-32' 

91.  Autographe,  signé,  de  Maillard 331 

92.  Lettre  autographe  de  L.  A.  T.  B.  d'Orléans,  à  la 

princesse  de  Lamballe 336 

93.  Acte  de  décès  du  docteur  SaifTert 343 

94.  Maison  de  campagne  de  la  princesse    de   Lam- 

balle, à  Passy 349 

95.  Docteur  Emile  Blanche 855 

96.  Marie-Antoinette  (par  Mlle  Boi^ot) 861 

97.  L'impératrice  Marie-Thérèse 864 

98.  Monsieur,  frère  du  Roi 367 

99.  Le  comte  d'Artois 371 

100.  Marie-Antoinette 873 

101.  Madame,  femme  de  Louis  XN'III 875 

102.  L'archiduc  Maximilien-François-Xavior-Jo8e['li- 

Jenn.  frère  de  Marie-Antoinette 377 


5lO  LA    PRINCESSE    DE    LAM  HALLE    INTIME 

Pages. 

103.  Madame   Campan ,     .     •  381 

104.  Le  comte  de  Vaudreuil •     .     .  •'^85 

10.').  Madame  de  Polignac -^87 

106.  Diane  de  Polignac 389 

107.  Duc  de  Coigny 397 

105.  Le  comte  Esterhazy 401 

109.  Le  baron  de  Besenval 406 

110.  Biron,  dit  Lauzun 4U 

111.  Frontispice  de  livre,  provenant  de  la  Bibliothè- 

que   de   Marie-Antoinette,  Daupliinë 413 

112.  Armes  de    Marie-Antoinette.     ........  415 

113.  Chitîre  des  livres  de  la  Bibliothèque  de  Trianon.  415 

114.  Ex-libris  de  la  princesse  de  Lamballe 4l7 

115.  Armoii-ies  de  la  princesse  de  Lamballe  ....  419 

116.  Keliure  armoriée  d'un  livre  provenant  de   la   bi- 

bliothèque de  la  princesse  de  Lamballe.     .    .  421 

117.  Le  prince  de   Ligne 425 

lis.  Marie    Leczinska 427 

119.  L'empereur    Joseph    IL    irôre    de    Marie-Antoi- 

nette   429 

120.  Marie-Antoinette,    par    Fredou    (collection    Pniil 

Prouté) 433 

121.  M.  de  Fersen 436 

122.  Le  chancelier  Pasquier 437 

123.  Madame   de  Boigne, 439 

124.  Madame  de  Balbi 449 

125.  Marie-Antoinette,  dauphine  (d'après  Ducreux).     .  451 

126.  Madame    de    Polignac 456 

127.  Marie-Caroline  de  Naples,  sœur  de   Marie-Antoi- 

nette   457 

128.  Soulier  de  Marie-Antoinette.     ...-.,..  459 

129.  Marie-Antoinette,  par  Porporati  (1796) 465 

130.  Marie-Antoinette   et  ses    frères  (Musée   de  Ver- 

sailles)    467 

13x.  Marie-Antoinette,  enfant 471 

132.  Marie-Antoinelte,  en  Hébé  (par  Drouais).     .    .     .  473 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Pages. 
CiiAriTREs         I.    Les   tribulations    d'un  sans-culotte 

sous  le   règne   de  la  Terreur    .     .  1 

II.  La  clientèle  d'un  praticien  étranger 

pendant  la  Révolution 25 

—  III.  Les  relations  politiques  e^V  littéraires 

du  docteur  Saiffert    ......        37 

—  IV.  Le  médecin  de  la  princesse  de  Lam- 

balle  et  de  Philippe-Égalité  ...        53 

—  V.  Une   religion    nouvelle    :    Mesmer, 

Dieu,  et  d'Eslon,  son  prophète  .     .       66 

—  VI.  La  maladie  et  la  mort  du  prince  de 

Lamballe 100 

—  VIL  La  névropathie   de  la  princesse  de 

Lamballe T-'O 

—  \lll.   Le  retour  de    la  princesse  de  Lam- 

balle en  France;  la  mission  du  duc 
d'Orléans  à  Londres 177 

—  IX.   La  fuite  delà  famille  royale;  le  d»'- 

part  de  la  princesse  pour  l'étran- 
ger     206 

—  X.  Le  retour  en  PYance  de  madame  de 

Lamballe;  les  négociations  delà 
Cour  avec  les  chefs  du  parti  jaco- 
bin      218 

—  XL  Un  récit  de  la  journée  du  10  Août; 

l'incarcération  de  la  princesse  de 
Lamballe;  la  genèse  des  massacreu 
de  Septembre i6^ 


5 12  LA    PRINCESSE    DE   LAMBALLE   INTIME 

Page» 
Chapitres     XII.  Le  meurtre  de  la  princesse  de  Lam- 

balle  ;  récits  de  témoins  oculaires.      30iî 

—  Xin.  La  psychologie    des  massacres  de 

Septembre;  la  part  de  la  peur  et 

du  sadisme 323 

—  XIV.  Le  testament  de  la  princessede  Lam- 

balle  ;  la  mort  du  docteur  Saiffert.      338 

—  XV.  Madame  de  Lamballe  à  Passy  .    .     .      351 

—  XVI.  La  vertu  de  Marie-Antoinette    .     .    .      360 

—  XVII.  Les  Amoureux  de  la  Reine.     .     .     .      3'J5 

—  XVIII.  Les    liaisons   féminines    de    Marie- 

Antoinette 447 

Appendice  :  Marie-Antoinette  était-elle  jolie  ?     .    .    .  462 

Pièces  justificatives 477 

Table  des  gravures 607 


6001-9  26.  —  Tours,  imprimerie^ Arrault  et  C". 


■INDING  SECT.JUL  11  1968 


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!  DC     Cabanes,  Augustin 

H6       La  princesse  de  Lamballe 
L32C3 

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