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DOCTEUR CABANES
?r'mcesse èe uauma
^Tiiiiiie
Da|irès les Confidences Oe son MéDecin
ALBIN yniCHEL KDITRUR
22. rue Hu^çbens. PAK13
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La
Princesse de Lamballe
INTIME
LE DOCTEUR S.VIEFERT. MEDECIN DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
Collection Otto Friedrichs)
Docteur CABANES
La
Princesse de Lamballe
INTIME
(D'après les confidences de Èon Médecin)
SA LIAISON AVEC MARIE=ANTOINETTE. — SON ROLE SECRET
PENDANT LA RÉVOLUTION.
Xombreux document» inédits ; 132 illustrationa
PARIS
ALBIN MICHEL, ÉDITEUR
22, rue Huy}çens, 22
Tous «Iroits de reproduclion et de tradu< os pour tous pays
MAR 25 \968 y;DU même auteur
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secret de l'Histoire, 4 vol.
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La Princesse de Lamballe intime.
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LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
{Diaprés les confidences de son médecin)
CHAPITRE PREMIER
LES TRIBULATIONS D UN SANS-CULOTTE
SOUS LE RÈGNE DE LA TERREUR
On a parfois assimilé les temps qui devan èrent
la guerre révolutionnaire — « la guerre de la liberté »
comme disaient nos pères — avec ceux qui ont
précédé « la guerre des nations », cette conflagra-
tion mondiale qui s'est terminée par une paix encore
mal consolidée. L'analogie la plus frappante qu'on
ait constatée, c'est qu'aux deux époques le même
peuple fut l'agresseur ; mais une différence a
été signalée, et cette différence méritait qu'on
la mît en évidence. En avril 1792, quand s'ou-
vrirent les hostilités contre rAutriche. et contre
hi Prusse, aucune mesure d'aucune sorte ne
fut prise contre les sujets autrichiens et prus-
siens résidant en lYance ; alors que, le 1^"^ août
1014, le jour même de la déclaration de guerre,
♦ tous les sujets autrichiens et allemands résidant
(Il France ont été recensés et envoyés dans des
camps de concentration' ». La Révolution attendit
a LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
plusieurs mois avant de prendre les mesures qu'im-
posaient les circonstances. Nombre d'étrangers
étaient fixés à Paris, considéré déjà comme l'auberge
du monde, le foyer autour duquel gravitaient tous
les hommes cultivés qui aspiraient à vivre au sein
de la société la plus brillante, la plus spirituelle, la
plus policée de l'univers.
Les Allemands s'étaient montrés, entre tous, em-
pressés à s'installer chez nous, non pas tant, comme
ils le laissaient à entendre, parce qu'ils considé-
raient notre pays comme un Eden paradisiaque,
mais parce que la France leur apparaissait comme
la terre promise de la liberté, notre pays comme
le champion de Ja justice universelle.
Il n'y avait plus que des hommes, que des frères.
Le courant de fraternité humaine était si fort, qu'un
Constituant, l'académicien Target, proposait, le
30 avril 1790, de naturaliser en bloc tous les
étrangers domiciliés en France depuis cinq ans
et y possédant quelque avoir. Ce projet, qui fut
voté d'enthousiasme et sans débat, répondait si
bien aux sentiments de l'opinion, qu'en mainte,
localités, les municipahtés avaient, d'elles-niêmess
accordé le droit de suffrage et le droit d'éligibihté
aux étrangers qui résidaient dans les villes qu'ils
administraient.
Il suffisait d'y avoir acquis un immeuble ou d'avoir
épousé une Française, d'avoir fondé un établisse-
ment de commerce ou d'avoir reçu des lettres de
bourgeoisie, pour obtenir les mêmes droits que les
autochtones. Étant donné cet état d'esprit, on ne
saurait être surpris que l'idée d'organiser et d'armer
des légions franches composées d'étrangers, venant
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1 !(,. l. -^ ANACHARSIS C1.00T8
4 I-A PRINCESSE DE LAMIiALLE INTIME
se ranger sous les drapeaux de leur patrie d'adop-
lion, ait été accueillie avec faveur.
Les Belges et les Liégeois furent des premiers à
s'enrôler, après les Hollandais, toutefois, qui, avec
les Brabançons, eurent l'honneur de cette innovation.
Vinrent ensuite les Allobroges, groupant les Sa-
voyards, les Piéinontais et les habitants du Va-
lais. Les Autrichiens, Hessois et Prussiens, ne se
joignirent que plus tard à ceux qui leur avaient
montré l'exemple ; encore fallut-il, pour les décider
à se rallier à nos troupes, user de procédés qu'on
savait devoir entraîner leur adhésion, mieux que si
on avait fait appel à l'humaine solidarité.
On assurait à tout sous-offîcier ou soldat qui con-
sentait à venir servir dans les rangs de l'armée révo-
lutionnaire une pension de cent livres, sans préju-
dice d'une gratification de cinquante livres. Les ac-
tions d'éclat, les blessures leur valaient les mêmes
récompenses qu'aux nationaux.
Le décret de l'Assemblée législative qui édictait
ces avantages, aussitôt traduit en allemand, fut
afïïché en tous lieux, au delà de la Lauter, sur les
murs, sur les arbres des routes, à la porte et dans
les latrines des cabarets. On s'en servait pour enve-
lopper toutes les marchandises expédiées en Alle-
magne. On le collait, en guise d'étiquette ou de
réclame, sur des bouteilles d'eau-de-vie, qu'on dé-
posait aux abords des avant-postes ennemis. Les
paysans de Flandre le mettaient dans l'intérieur de
chaque miche de pain qu'ils vendaient aux Autri-
chiens ^ Il n'y avait pas de moyen trop ingénieux
pour servir la cause de la patrie universelle.
Une pareille propagande ne pouvait tarder à
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LES TRIBULATIONS D UN SANS-CULOTTE 7
porter ses fruits. De nombreux déserteurs allemands
se présentèrent, venant offrir leurs services. Qu'al-
lait-on faire de ces hordes indisciplinées ?
Deux de leurs compatriotes, dont l'attachement
à l'esprit nouveau s'était de bonne heure manifesté,
offrirent de créer une légion germanique. L'un se
proclamait 1' « orateur du genre humain ». Jean-Bap-
tiste (qui s'était prénommé lui-même Anacharsis)
Cloots se disait le représentant de tous les amis de
la Révolution dans le monde. L'autre, de visées plus
modestes, aspirait à réaliser le bonheur du peuple
en suivant une voie différente. Bien que tenu, en
sa qualité de médecin, à consacrer la plus grande
partie de son activité aux malades, surtout aux né-
cessiteux, le docteur Saiffert avait trouvé le temps
de publier une gazette en langue allemande, des-
tinée à répandre dans son pays d'origine les nou-
veaux principes. Il avait traduit la Déclaration des
droits de Vhommey qu'il avait envoyée à Francfort,
à Leipzig et à Hambourg, pour y être imprimée à
des milliers d'exemplaires. Il avait traduit également
et fait parvenir à ses frais les décrets pris dans les
assemblées légiférantes, et qui contenaient des «dis-
positions fraternelles » à- l'égard des autres peuples.
Persuadé, en outre, que la prose frappe moins la
mémoire que les vers, il avait eu recours à la poésie,
pour « chanter les prémisses de la liberté et de l'éga-
lité, les jouissances que donnent ces vertus >>, et
peindre « dans toute leur horreur la vie des oppres-
seurs ».
Cet aède des temps nouveaux ne s'était pas con-
Unté de composer une Marche pour la Légion ger-
manique, qu'il avait fondée de concert avec Ana-
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10 LA IMilNCKSSE DE LAMBALLE INTIME
charsis Cloots ; il était, aussi, l'auteur d'un drame
sur la Mort de Basseville et la persécution des répu-
blicains français à Rome. Durant neuf mois il y
avait travaillé sans relâche, plusieurs heures chaque
jour, et avant d'en remettre une copie au Comité
d'instruction, il avait cru devoir le soumettre à
l'appréciation de personnes qualifiées par leur con-
naissance de la langue allemande pour redresser ses
erreurs de traduction et les fautes qui avaient pu
lui échapper dans la chaleur de la composition.
Le beau-frère du capucin Chabot, le Mayençais
Junius Frey, que Saiiïert — il le consigne dans un
de ses mémoires apologétiques — avait traité pour
des « rhumatismes vénériens », après avoir entendu
la lecture de son poème, le prenant à part, eut la
franchise de lui dire : « Je me suis bien trouvé jadis
de vos conseïls, suivez le mien à votre tour : cachez
votre pièce et bien vous en trouverez. » Mais le poète-
médecin, dédaignant cet avis, qu'on lui donnait
cependant en tout désintéressement, et convaincu
de l'effet que ne manquerait pas de produire son
ouvrage « sur la raison égarée du peuple allemand »,
passa outre et poursuivit son dessein ; son arresta-
tion inopinée empêcha qu'il le mît à exécution.
« Le 16^ jour du second mois de l'an second de la
République française, une et indivisible », le Comité
de sûreté générale décrétait que « le docteur Seif-
fer (sic). Saxon, médecin de Philippe d'Orléans et
auparavant de la cy-devant princesse de Lamballe »,
serait « saisi... et conduit dans une maison d'arrêt,
par mesure de sûreté publique, pour y rester jusqu'à .
ce qu'il en soit autrement ordonné ». Ordre était
donné, aux autorités civiles et militaires, de se trans-
LES THIBULATIONS D UN SANS-CULOTTE II
porter au Palais-Royal, n^ 156, où habitait celui
que les autorités étaient requises d'incarcérer sans
délai.
Saifïert avait été dénoncé au Comité par un Ita-
lien du nom de Pio 3, ancien secrétaire de l'am-
bassadeur de Naples à Paris, et qui avait saisi
l'occasion de manifester un zèle révolutionnaire d'au-
tant plus ardent qu'il était de fraîche date. Le che-
valier Pio était depuis peu, en effet, citoyen français,
et il avait reçu presque aussitôt un commandement
dans la garde nationale parisienne; puis il avait été
employé aux bureaux de l'Hôtel de Ville, en quaUté
de « commissaire pour les papiers des émigrés »,
d'où il était passé, au début de 1793, dans les bureaux
du ministère des Affaires étrangères ^. Pio avait
présenté Saiffert comme « un homme très suspect,
parce que toujours lié avec les ennemis de la Révo-
lution ». Il avait signalé les concihabulcs qui se
tenaient au domicile du docteur, lequel logeait alors
chez <' le fameux Sainte-Foix », conciliabules auxquels
assistaient le plus généralement le ministre de Russie,
avec Talon, Semonville et quelques autres. « Ce
Saiffert, ajoutait-il, a été Jacobin, jusqu'au temps
que les Brissotins ont eu la prépondérance, il les a
quittés après, et il a tenu et tient des propos contre-
révolutionnaires même au déposant, toutes les fois
qu'il le rencontre. »
Bien que cette accusation ne fût étayée d'aucune
preuve, ordre fut donné de se transporter chez le
prévenu, et avant de s'emparer de sa personne, de
procéder à l'apposition des scellés sur les portes de
Tappartemcnt qu'il occupait. Cette opération fut
pratiquée en présence de l'intéressé, « du citoyen
12 LA PRINCESSK DE LAMBALLE INTIME
Paillard, homme de confiance du citoyen SaifTert,
et des citoyens Braut, cavalier révolutionnaire, et
Paret, son adjoint ». Le citoyen Paillard fut constitué
gardien des scellés, « à la charge de les repré-
senter sains et entiers sous les peines portées par la
loi ».
Dès qu'une arrestation était décidée, le Comité
de surveillance de la section où habitait le détenu
avant sa détention devait remplir, dans le délai
maximum d'une semaine, une sorte de question-
naire, sous forme de tableau, qu'il renvoyait, une
fois l'opération faite, au Comité de sûreté générale
de la Convention. Ce tableau indiquait le nom du
détenu, son domicile avant sa détention, son âge ;
si le prévenu était veuf, garçon ou marié; le nombre
de ses enfants et leur âge ; où ceux-ci se trouvaient.
Dans d'autres colonnes étaient notés le lieu de la
détention, depuis quelle époque et par quel ordre
elle avait été accomplie, le motif qui l'avait provo-
quée ; la profession exercée par le sujet; ses revenus
avant et depuis la Révolution; ses relations et liai-
sons; le caractère et les opinions politiques qu'il avait
montrés aux époques critiques, telles qu'aux mois
de mai, juillet et octobre 1789, au 10 août, à la
fuite et à la mort du tyran, au 31 mai, et dans les
crises de la guerre ; s'il avait signé des pétitions ou
arrêtés liberticides. Ces divers renseignements ser-
vaient de base à l'accusation, base fragile qu'il
restait à fortifier de témoignages plus ou moins sus-
pects.
Afin d'établir ce premier acte de procédure, on
soumettait le détenu à un interrogatoire en forme,
qui ne laissait dans l'ombre aucun détail, voire le
LES TRIBULATIONS d'uN SANS-CULOTTE l3
plus menu. A toutes les questions Saiflert répondit
avec précision, sans ambages ni faux-fuyants.
Agé de quarante-six ans, il se déclara natif de
Leipzig, électorat de Saxe ; il était en France de-
puis vingt-quatre ans et habitait Paris depuis seize
à dix-sept années.
Il a, dit-il, toujours exercé la profession médicale.
Ce n'est que sur la foi de sa réputation, qu'il est de-
venu médecin du ci-devant duc d'Orléans, depuis
la mort du père de cette Altesse ; encore n'a-t-il
consenti à être attaché à cette maison princière,
qu'après un an de sollicitations.
Il se défend d'avoir eu avec le duc d'autres rela-
tions que celles nécessitées par sa santé. Quand
celui-ci était à son conseil, le docteur attendait tou-
jours que la délibération fût tern-iinée avant d'être
introduit auprès de son chent. 11 reconnaît avoir
également traité l'épouse et les enfants de Phi-
lippe-Égalité, qu'il n'a vus que deux ou trois fois.
Il était, en même temps, le médecin delà « femme
Lamballe ». Il a été appelé auprès d'elle en 1785
et lui a continué ses soins jusqu'à sa mort ; dans la
dernière année de sa vie, il ne l'a vue qu' « à trois
reprises différentes, pour cause d'incommodités ».
Nous aurons à revenir sur cette cure, dont Saiiïert
nous a conservé une relation des plus léalisles;
mais n'anticipons pas.
A la question s'il a pris la qualité de citoyen fran-
çais et s'il a exercé ses droits politiques, ou si au
contraire il a conservé sa qualité d'étranger, SailTert
réj)oiid que « les lois de son pays s'opposant à ce
qu'il pût se faire naturaliser sans encourir I i \)c\nc
de l'exhérédatioii, il n'a pas, jus(iu'à ce iiininciiL-ci,
l4 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
pris la qualité de citoyen français, qu'il attend que
la Constitution la lui accorde légalement ; mais
qu'au surplus, il a rempli tous les devoirs auxquels
sont soumis les autres citoyens, en payant toutes les
charges qu'exige le droit de cité ». Depuis la Ré-
volution il a cessé toutes relations avec son pays
d'origine, n'a entretenu aucune correspondance
à l'extérieur, « pas même pour affaires relatives à
son état 5 ».
Parmi les pièces mises sous scellés, et qu'on avait
présentées à Saiffert, on ne trouva qu'une correspon-
dance de la princesse de Lamballe, relative surtout
à la santé de cette dernière. On avait remarqué
que celle-ci traite parfois son médecin de << ré-
publicain » et de « démocrate », pour avoir laissé
paraître devant elle quelques opinions avancées,
qu'elle ne partageait point. Autre preuve de civisme,
invoquée par l'accusé : dans le courant de mars
1792, Saiffert n'avait pas hésité à faire part à Pétion
du complot tramé « entre Capet et compagnie avec
le despote de Vienne », et de lui indiquer la conduite
à tenir, pour déjouer « les projets atroces que l'on
formait contre la République française ».
Une allusion ayant été faite à certain voyage
entrepris à l'étranger par le prévenu, en 1790, notre
confrère saxon convient qu'il s'est rendu, à cette
époque, auprès du ci-devant duc d'Orléans, pour le
traiter d'une maladie vénérienne — on ne lui en
demandait pas tant — et qu'il y a séjourné un
mois. 11 fait observer, à ce propos, qu'il n*a pas été
remboursé des frais de ce voyage, « non plus que de
plusieurs autres sommes qui lui sont dues par ledit
LES TRIBULATIONS d'uN SANS-CULOTTE
l5
On a observé avec quelle désinvolture le médi-
castre trahit la loi du secret professionnel, dont nous
^-^on^^a/^Jel^'-^'^P
no. 4.
• LOUIS-JOSEPH D'ORLÉANS
(Par Bonneville)
nous faisons aujourd'hui un devoir de ne point nous
départir. N'en soyons pas autrement surpris.
Il était assr/ ordiniiic, .1 ((lie épcque, d'en agir
l6 LA PKINCIîSSK DE LAMIULLE INTIME
ainsi. Il sufïit de parcourir les ouvrages les plus ré-
pandus à la fin du xviii^ s'ècle et dans la première
moitié du siècle suivant, pour voir combien leurs
auteurs mettaient peu de scrupule à dévoiler les
maladies et les infirmités de leurs clients et clientes.
Ceux-ci sont nommés en toutes lettres, alors même
que leurs noms figurent dans l'armoriai, ou qu'ils
occupent un rang éminent dans la société. SaifTcrt
ne faisait que se conformer à un usage courant, et
on serait mal venu à lui faire un grief particulier
de ses indiscrétions. Peut-être entrait-il quelque cal-
cul dans cette manière d'agir : n'était-ce pas donner
des gages au parti avancé, que de mettre à nu
les tares dont n'étaient pas exempts les pires enne-
mis du nouveau régime, et surtout celles que leur
avait values leur « crapuleuse conduite » (sic) ?
Saiffert a toujours protesté de ses sentiments dé-
mocratiques, et il tient à ce que nul n'en ignore.
On lui a reproclié ses revenus : il reconnaît tou-
cher, en effet, une pension de 2.000 livres, qui lui est
servie par une « personne dont il a sauvé la vie » ;
mais cela lui a permis de rendre de nombreux ser-
vices aux malheureux, auxquels ilassLirait non seule-
ment des soins sans la moindre rémunération, mais
à qui il distribuait gratuitement des remèdes.
« Il a toujours adopté les principes des sans-
culottes », avec lesquels il a vécu sur le pied d'une
parfaite égalité, les admettant à sa table, consacrant
tous les dimanches et mercredis à les recevoir, et
ne conservant que ce qui lui était strictement néces-
saire pour son existence frugale. Il a refusé les offres
les plus avantageuses, dans sa patrie et dans d'autres
pays étrangers, pour réserver ses talents à la classe
LES TRinULATIOXS D UN SANS-CULOTTE I7
des indigents, « tout cela par amour pour la Révolu-
tion » dont il a chanté les principes et les vertus
S0US toutes les formes, jusqu'à composer un monu-
nlent dramatique de dix-huit cents vers, destiné
à vouer à l'admiration de la postérité la plus reculée
« les législateurs républicains, et à l'exécration éter-
nelle les tyrans français et leurs satellites ».
Saiffert ne se vantait pas en aiïichant son désin-
téressement dans l'exercice de sa profession. Jusque
dans la maison d'arrêt où il fut enfermé, il avait conti-
nué à nourrir les pauvres, et il n'exagère pas quand
il prétend que beaucoup d'entre eux se désolèrent
d'être privés momentanément de ses bons ofhces.
En prison depuis huit mois, il y méditait sur son
triste sort, adressant requête sur requête au Comité
de sûreté générale et de surveillance.
En vain protcste-t-il n'avoir jamais cessé d'être
« homme de bien, ami sincère de l'humanité et de
la vertu ». Il dit avoir « sucé avec le lait le mépris
des richesses et des grandeurs de ce monde, et l'hor-
reur de tous les vices ». Il a toujours pratiqué la
sévère morale d'Épictète, « au milieu des frères dé-
naturés et profanes ». On ne l'a jamais vu jouer ni
fréquenter les spectacles ou les femmes. Sa sobriété
(tait connue : il ne faisait qu'un repas, et deux
bouteilles de bière constituaient son dîner du soir.
Le manque de cette boisson dans sa prison fut pour
lui une des plus dures privations, mais il s'était soumis
sans murmure aux règlements, dont nul n'avait du
reste le pouvoir de s'affranchir.
Dès l'aurore de la Révolution, avant môme qu'elle
eût éclaté, SaifTerl avait été nu'mhre d'une Société
des amis de la liberté, celle qui dél»Finiii:i la crca-
2
l8 LA PRINCESSE DE LAM BALLE INTIME
lion des États généraux, et dont est issue plus tard
1' « immortelle Société des Jacobins ».
Il avait été admis au célèbre club aussitôt que
les étrangers y furent acceptés. Chargé, en 1790,
de trouver un local pour cette Société, il s'était rendu,
en compagnie du jeune duc de Chartres, au Pan-
théon ''j mais il fut fait choix d'une autre salle et le
monument de Soufïlot reçut une autre destination.
Particularité digne de remarque, Saifîert fut un
des premiers adeptes de la Franc-Maçonnerie^,
dont le duc d'Orléans était le Grand-Maître 9,
et qui comprenait alors dans son sein d'autres princes
et princesses du sang. Pour qui connaît le rôle joué
par cette secte dans la genèse de la Révolution,
l'observation est d'importance. Le personnage que
nous étudions comptait au nombre de ces « illumi-
nés » qui « n'avaient de pensées que pour le bon-
heur du monde... un monde éventuel qui doit exister
un jour », et qui rêvaient « une Société de bâtis-
seurs occultes » d'une nouvelle Babel.
Parmi les néophytes qui se déclarèrent des pre-
miers en faveur de ces doctrines, où entrait une bonne
part de mysticité, on a la surprise de relever le nom
du futur romancier Charles Nodier, alors dans toute
la fièvre de l'adolescence, et qu'il était facile, selon
son expression, de « faire monter sur les ailes mys-
tiques des anges de Svedenborg ». Le jeune Bisontin
n'a pas manqué d'exercer son ironie aux dépens
du « docteur Saiftert, qui savait tout (c'était un des
privilèges de l'initiation », mais « ne savait presque
pas de français ».
Nodier s'était rencontré avec le médecin saxon
chez le chevalier de Bonneville, l'ami de Fontanes,
LE TEMPLE DE LA SAGESSE
Le SERENISSIME GRJND MAITRE 1.01118^ PHILIPPE JOSEPH
D.'ORLEANS DTTC DE CUAUTTLES JbuJ ïa^^ta-c Dd IXx&a^.e'clivrc ko
Tm Viuuc Ou G.: &.'■ 9e France , ûii tl .rianalc -fon zf/e , c/'j'a ocherûstte ^ . • a j-cj
ràtrj sont' Je T/.I.\ G .•• Adniiuiftxatcnr ,f^/<r T.'.R.. G.*. Confcrvafcur rt/n^r/VrffJ
fuir Iti '\^p-ilcncc hnanf^ la riauc àc Minerve et la PruJ-CTaco in<viiuee<rwsanEi}t?e
/e T..R.-. G.-. OrtAeni /u^ure' par Callùrpe prelicnle uu S' G."- MAÎTB.E /cj ttiiOtj
Mnfes i/ui li((/vnt- hommaae Je leun TalerUC^ •
Rcjefcn dci CE'SARS Heriiier de* TITTJS,
CHARTREB de fe» A^eùx retrace la mémoire,
Anmiliro. dei Gruideiu-i tlme^ toti^c Çn <rL)irc
A Te montrer lami dr« Aria ri dri Vertus .
PRESENTE A SOU ALTESSE SERENISSIME.
ET DRDIE A TOUS LES MM.-. RIU'DE FltANCE.
Par le av :^ Pe ^crai/iviUc'
F- de la lé. .de THALUi à l'O .,\T.a(ts.
— LE DUC D0RLKAN8, GHAND MAITRE DE LA MAÇONNERIE
80U8 LES TMAITS DE MINERVE
20 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
de Roucher et d'André Chénier, ie collaborateur de
Fauchet, évoque du Calvados. A la table de Bonne-
ville, une « table oblongue, chargée, à ses deux pô-
les, de bronzes, de sphères, de cartes, de portraits »,
Nodier avait coudoyé « cet impénétrable Seyffert »>,
qui lui avait laissé une impression durable, « avec son
répertoire de pensées mille fois plus profond, mais
mille fois plus obscur que l'antre de Trophonius,
et ses hiéroglyphes de mots, qui auraient laissé
Thèbes sans roi, et Jocaste sans mari ^° ». Parmi
les convives figuraient aussi le Polonais Kosciuszko
et l'Anglais Thomas Paine.
On ignore communément quelle place importante
ont tenue les étrangers dans les prodromes du mou-
vement révolutionnaire, quelle part ils ont prise à
la conduite des événements ".
L'Assemblée législative, par décret du 26 août
1792, avait accordé le titre de citoyen français à
dix-sept étrangers, parmi lesquels les Allemands
Campe, Klopstock, Anacharsis Cloots. Un membre
de l'Assemblée demanda qu'on adjoignît le nom de
wSchiller.à la liste des « amis de la liberté et de la
fraternité universelles»; mais dans le procès-verbal
de l'Assemblée, le nom du célèbre dramaturge fut dé-
naturé et transcrit, par un maladroit copiste, Giller,
pour devenir, à la suite d'une nouvelle transforma-
tion, Gilliers, ainsi que l'imprima le Moniteur ;
enfin il fut dénommé Gille, dans le diplôme, du
10 août, signé de Clavière, et contre-signe par
Danton
L'auteur de Guillaume Tell ne tarda pas, d'ail-
leurs, à protester contre les excès de la Révolution,
et ne se montra pas très « fier de ces sentiments
LES TRIBULATIONS D UN SANS-CULOTTE 21
que lui témoignait un grand peuple, dans l'enthou-
siasme des premiers jours de sa liberté». Les scènes de
la Terreur refroidirent son zèle, et son admiration des
premières heures ne tarda pas à faire place à une froi-
deur marquée. Dès 1793, il n'hésitait pas à prédire
la fin prochaine de la Révolution. « Il faudrait, écri-
vait-il, que le peuple fût mûr pour la Constitution
républicaine, or il s'en faut de tout qu'il le soit. La
République finira aussi rapidement qu'elle est née;
la Constitution républicaine aboutira à un état
d'anarchie, et tôt ou tard, un homme de grande
intelligence, un homme énergique paraîtra, n'im-
porte d'où il vienne, qui se fera le maître non seule-
ment de la France, mais de l'Europe. » La suite a
démontré qu'il a été bon prophète ^^.
Allemand comme Schiller, Saifïert fut moins
prompt à se désabuser. Il fut un de ceux qui jouèrent
un des rôles les plus actifs ; il se flatte, dans un de
ses mémoires autobiographiques, de ne s'être point
contenté « de propager les principes », mais d'avoir
veillé « à la sûreté des défenseurs de la hberté », de
les avoir avertis, en toutes circonstances, de ce qu'il
avait pu apprendre des projets des ennemis du peu-
ple, afin qu'on prît les précautions nécessaires pour
« déjouer leurs trames ». Ainsi avait-il dévoilé la
teneur du traité de Pilnitz, dont il s'était procuré le
texte deux mois avant qu'il fût inséré dans les pa-
piers publics. Il s'attribue, en outre, le mérite
d'avoir éventé le projet, qu'avait formé la Cour,
« d'emi)loycr les troupes qu'elle avait fait venir
pour dissoudre l'Assemblée nationale, faire rompre
et pendre les patriotes comme des rebelles ». Il pré-
tendait tenir la connaissance de ce projet de deux
22 LA PRINCESSE DE LAMBALI.E INTIME
de ses malades, « confidentes de l'Autrichienne», qui
avaient, à l'en croire, vainement essaya de le déta-
cher du club révolutionnaire auquel il était affilié, et
qu'elles avaient qualifié d' « association d'enragés i>.
Saifïert se flattait d'avoir empêché Lafayette d'ob-
tenir son admission aux Jacobins; et si, après cette
déclaration, on met encore en doute son républi-
canisme, il invoquera qu'il a été menacé, sous
l'ancien régime, d'être plongé dans les cachots de .a
Bastille, que deux lettres de cachet lui ont signifié
son expulsion du territoire français en raison de ses
« opinions philosophiques et philanthropiques », et
qu'il n'a dû qu'à de hautes protections, émanant
de personnes qui lui devaient « la réparation de
leurs santés », d'échapper au sort qui le menaçait.
NOTES DU CHAPITRE PREMIER
1. Albert Matiiiez, la Flévolulion et les étrangers. Paris, la
fienaissance du livre, Avant-propos.
2. Arthur CiiLt,)UET, la Légion gerr»aniqae (1792-1793). Paris,
1904.
3. Un Italien jacobin : le cïievalier Louis Pio, par Al-
bert Mathiez [Nouvelle Revue d'Italie, 25 janvier 1921).
4. Frédéric Masson, le Département des Affaires étrangères pen-
dant la Révolution.
5. Nous suivons le texte môme de l'interrogatoire ; celle
pièce, ainsi que toutes celles que nous avons utiliséesdans
ce travail, ont été puisées dans le fonds des Archives nati< -
nales (F7 4775'-> ; W. 3G9, dossier 824; Lb*» 2485, etc), et
nous avons lieu de les croire, pour la majeure partie,
inédites.
6. A. N., cote F7 47759.
7. i/n an de la vie de Louis-Philippe I", écrite par lui-même, ou
Journal authentique du duc de Chartres (1790-1791); Paris, Per-
rotin, 1831, 8', 42.
8 Cf. le Fléau des tyrans et des septembriseurs, ou Réflexions sur
la Révolution française, par un vrai patriote de 89; Lausanne,
1797, 100.
9. Il ne faisait plus partie de la « Franche-Maçonnerie •>
en 1793, ainsi que l'atteste ce fragment d'une lettre ccrile
[)ar « le citoyen Égalité au citoyen Milscent », et qui est da-
tée du 22 février 1793 :
« LE CITOYE.N ÉGALITÉ AU CITOÏEN MILSCENT
« Paris, 22 février 1793.
«... Voici mon histoire maçonnique : Dans un temps où
assurément, personne ne prévoyait notre Révolution, je
m'étais attaché à la lranche-Maçonnerie,qui oITrait une sorte
(limage de l'Égalité, comme je métaisatlaché aux Parlemcns
qui offraient une soiN- .rimage de la Liberté; j'ai depuis
(juitlé le fantôme pour la léalité... Comme je ne connai»»
24 LA PRINCESSE DE LAMBAI.LE INTIME
pas la maniore dont le G. O. est composé, et que d'ailleurs
Je pense qu'il ne doit y avoir aucun mystère ni aucune as-
semblée secrète dans une République, surtout au commen-
cement de son établissement, je ne veux plus me mêler en
rien du G. O. ni des assemblées de F. -M... w Cette lettre
ligure dans le Calalogue de livrea manuscrits et imprimés sur la
Franche- Maçonnerie et les Sociétés secrètes, provenant du cabinet
de feu M. Lerouge, dont la vente commencera le 7 jan-
vier 183Ô, Paris, Leblanc, rue des Beaux-Arts, 6.
10. lievue de Paris, 1829 (Bruxelles), 220-221 ; cf. Souvenirs
et Portraits de la Révolution française, par Charles Nodier.
11. Sur celte question, l'opuscule de M. Albert Mathiez,
professeur à l'Universilé de Besançon, la Révolution et les
Etrangers, abonde en révélations.
12. Aj-f. Rambaud, les Français sur le Rhin, 130 et S.
CHAPITRE II
LA CLIENTELE D UN PRATICIEN ETRANGER
PENDANT LA RÉVOLUTION
Comment SailTert était-il parvenu à acquérir la
réputation d'un des plus habiles « guérisseurs » de
son temps ? Nous ne saurions le déterminer qu'en
établissant son curriciilum vilœ, d'après ses propres
déclarations, disséminées dans de nombreux écrits.
L'uni(iue objet de ses études, de ses désirs, de
son ambition, a toujours été l'art de guérir, qu'il
n'a cessé de pratiquer pendant les vingt-cinq ou
vingt-sept ans qu'il a séjourné en France. « Les
lio{)itaux ont été le berceau de son éducation : c'est
là qu'il a puisé sa morale fraternelle, sa charité
ictive, qui sont les bases de ses idées religieuses,
fortifiées par la pratique de son état et la lec-
ture des Philosophes. Il a... rempli avec la plus
s(TU[)iileuse observance les obligations qu'il avait
«ontracté (sic) avec l'humanité soulTrante. 11 n'a
listiiigué ni nation, ni rehgion, ni naissance, ni état,
tant le même avec tous les hommes. 11 n'a jamais
dérogé d'une syllabe à la pratique des principes qui,
26 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
pour le bonheur de l'humanité, sont devenus enfin
ceux de tous les cœurs français républicains. »
Un médecin, et plus particulièrement un médecin
en renom, doit tenir sa porte ouverte à tous ceux
qui se présentent à lui, « secourir, sans distinction
même d'amis et d'ennemis, tous ceux qui, dans leurs
souffrances, demandent ses secours, autant que son
temps et sa propre santé le permettent ». Saiiïert n'a
jamais failli, pour sa part, à cette manière d'agir,
depuis le jour où il pratiquait la chirurgie et la Aiéde-
cine gratuitement, dans une petite ville du Gâtinais
et dans les environs de la ci-devant seigneurie,
à une grande distance de sa résidence, principale-
ment à Sens, Joigny, Villeneuve, etc. Il fournissait
de sa bourse les médicaments aux indigents, lais-
sant à ceux-ci la somme nécessaire pour hâter
leur rétablissement, et prenant à sa charge les frais
de ses déplacements ; « jour et nuit, il était à leur
service ».
Après avoir exercé pendant cinq années la médecine
rurale, il était venu habiter Pont-sur-Seine, où, pen-
dant deux ans, il avait rempli « ces mêmes devoirs
envers l'humanité souffrante ». Là, il avait été atta-
ché, comme médecin, au prince Xavier de Saxe, qui
tout de suite l'honora de sa confiance et plus tard
de son amitié. Il donna ses soins à la comtesse de.
Lusace, qui souffrait d'insomnies et de vapeurs' ;
il resta en correspondance avec l'Altesse germa-
nique, jusqu'au jour où il offrit au prince sa dé-
mission, pour un motif resté obscur ; tout ce
qu'on sait, c'est qu'il fut signalé, par son ancien
protecteur, au lieutenant général de police, ainsi
que son intendant que le prince avait renvoyé
LA CLIENTELE d'uN PRATICIEN ÉTRANGER
27
dans le même moment. Saiffert parle, à ce propos,
<t d'actes d'injustice et de despotisme», sans préciser
davantage.
FUi. 0. — LE DOCTEUn SAIFFERT
(Portrait communiqué |)ar M. Otto F«ii;t)nicH9.)
Iji (|iiill:iiiL Pont-sur-Seinc, Saiffert s'était rendu
.\ Paris et avait pris un appartement dans la maison
du dentiste Bourdet, rue Croix-dcs-Petits-Clianip.s.
28 LA rniNCESSE DE LAMIULLE INTIME
A peine y était-il installé, qu'il se plaignait des per-
sécutions dont il était l'objet, de la part du gouver-
nement monarchique ; mais les succès qu'il obtint
dans sa pratique lui valurent des protections qui
réduisirent ses ennemis au silence.
Le devoir d'un médecin, il l'a proclamé maintes fois,
« est de traiter la vie physique de tous ceux qui
s'adressent à lui ; c'est à la Police et à la Justice de
traiter le vice moral des membres de la société ;
ce n'est pas l'aiïaire de l'officier de santé ». Voilà
pourquoi il n'a jamais distingué entre amis et ad-
versaires, n'ayant jamais refusé ses avis aux hommes
qu'il méprisait le plus, voire même à ses ennemis
les plus prononcés.
Fort de la pureté de ses principes, Saiffert a tou-
jours méprisé ses « calomniateurs et leur poison ».
Il a soigné des hommes comme Deffieux, Dubuis-
son, accusés d'être des agents de l'étranger et com-
plices de tous les partis ^ Il s'est opposé, à maintes
reprises, à leur admission comme membres du club
dont il faisait partie, déclarant qu'il se retirerait
si on les admettait. Plus que quiconque, il a pu
juger de leur moralité, les ayant tous traités —
lui-même le déclare — « de différentes maladies
vénériennes, et principalement Dubuisson... ». Ils
n'avaient pas dissimulé leurs infâmes roueries devant
le médecin, et « il ne pouvait, ajoute-t-il, m'entrer
dans l'idée que des hommes aussi dépravés fussent
convertis aux bons principes et à la vertu ».
Mais nous devons à Saiffert d'autres révélations.
C'est lui qui, à Londres, en 1790, avait traité Phi-
lippe-Égalité, pour un mal de nature peu avouable.
Connaissant l'influence qu'exerçait le médecin sur
LA. CLIENTÈLE d'uN PRATICIEN ÉTRANGER 29
son pusillanime client, on avait profité de cette cir-
constance pour le charger de déterminer ce dernier à
FIG. 7é — LA PRINCESSE DE TALLEYRAND
rentrer en France. Laclos, l'autc m ilos Liaisons dan-
gereuses, avait été mêlé à cette négociation K
Saliïcrt avait acheté, au nom du duc d'Orléans,
3o LA PRINCESSE DE LAMBAI.LE INTIME
une maison que celui-ci possédait rue des Bons-
Enfants, à Paris, pour être cédée à un nommé
Dufresne, premier commis et confident de Necker.
Et « c'est par là que les deux partis (modéré et
avancé), divisés en apparence, associés en secret,
communiquaient et conspiraient ensemble ^ ».
On a été jusqu'à prétendre que Sailïert avait guéri
d'une maladie secrète Talleyrand et sa future
épouse, alors sa maîtresse. Madame Grant. Le libal-
liste 5 qui risque cette allégation, plus que dou-
teuse, ajoute que le ministre fit bannir plus tard
l'homme qui lui avait donné des soins, ainsi qu'à
son épouse, parce qu'il en « savait trop ». L'exil du
docteur aurait duré trois ans; mais, nous le répétons,
nous ne nous portons pas garant d'un témoignage
aussi suspect.
Des gens de toutes conditions affluaient au cabinet
de Sailïert, tant était grande la vogue dont jouissait
le médecin étranger. Il avait soigné Beaumarchais,
alors que le pamphlétaire était interné à Saint-
Lazare. C'est au sujet de l'auteur du Mariage de
Figaro, que Marie-Antoinette dit à Sailïert ces pa-
roles où se trahissaient ses sentiments à l'égard
d'un des précurseurs de la Révolution : << Vous avez
beau le purger, vous ne lui ôterez jamais toutes ses
vilenies ^ ! »
Ce fut encore Saifîert^ que feignit de consulter
Saint- Just, « pour un sang calciné (sic) par l'étude,
qui lui causait un mal à la tempe ». Le méde-
cin^ rendit plusieurs visites à son malade, car
sa note d'honoraires ne s'éleva pas à moins de
deux cents livres. Détail piquant, le jeune garne-
ment prit le prétexte de cette dette, pour dépouiller
LA CLIENTÈLE d'un PRATICIEN ÉTRAxNGER
3i
sa mère de toute l'argenterie qu'elle possédait 9,
« d'une bague fine vaite en rose », plus deux pistolets
FIG. 8, — SAINT-JUST
garnis en or et des galons d'argent, provenant des
anciens uniformes de son père.
Non content de lui enlever ses objets les plus pré'
< ieux, ce fils dénaturé alla jusqu'à injurier et mal-
32 LA PRLNGESSE DE LAMBALLE INTIME
traiter sa mère^°, au point qu'elle demanda et
obtint la réclusion de son enfant dans la maison de
santé de Madame de Sainte-Colombe, à Picpus";
il y resta dix mois, ce qui n'empêcha pas Saint-
Just de devenir un personnage important et de prési-
der plus tard aux débats de la Convention nationale.
Saiffert assure qu'il avait refusé d'être le premier
médecin de l'impératrice de Russie, qui lui aurait
offert 50.000 livres d'appointements et le rang de
lieutenant-général '^
A ce propos, il importe de faire observer qu'on a
souvent confondu notre praticien teuton avec un
homonj^me sorti des rangs du peuple et qui s'était
élevé jusqu'au grade de général. Dumouriez a relaté,
dans ses Mémoires, que les Jacobins avaient détaché
auprès de lui divers émissaires, pour l'engager à
paraître à leurs séances ; parmi ces émissaires, il
cite Anacharsis Cloots et « le docteur Sey plier (sic),
qui, depuis, est devenu un des généiau.v de Vanar-
chie^^ ». Mallet du Pan a conlribué à propager la
même erreur, en confondant volontairement un
SeyITert, « exécuté dans la Vendée comme voleur
de grand chemin » (nous reproduisons l'assertion
du docteur) avec celui-ci. Mallet parle, dans un
de ses ouvrages, de la retraite opérée par Wimp-
fen en Normandie », devant un empirique nommé
Seyfîert, « ci-devant ordonnateur de pillules au
Palais-Royal, et aujourd'hui général d'armée '4».
En réalité, il semble avoir existé deux généraux
du nom de Saiffert ou Sepher. L'un, le baron de
Saifîert, entré dès sa seizième année au service de
la Saxe, placé comme cadet dans un régiment d'in-
fanterie, fut fait ofTicier de dragons en 1755, et prit
LA CLIENTÈLE d'uN PRATICIEN ÉTRANGER 33
part, en cette qualité, à la guerre contre la Prusse ;
deux années plus tard, il entrait dans le corps saxon
à la solde de la France, sous les ordres du prince
Xavier de Saxe, qui en fit son aide de camp. Après
la conclusion de la paix, en 1763, il restait attaché à
la personne du prince; il fut fait successivement
major, lieutenant-colonel et colonel : c'est en cette
dernière qualité qu'il servit le prince Xavier, quand
celui-ci, désormais fixé en France, fut appelé à com-
mander une division en Bretagne ^^^ L^ docteur
Saifïert étant entré au service de ce prince en
1774, on s'explique la confusion.
On a plus de peine à comprendre qu'on ait pu
confondre notre personnage avec Sepher ou Scep-
ferd, « cet ancien dragon et suisse de l'église Saint-
Eustache, devenu, eji 1792, chef de bataillon de la
Halle-aux-Blés, et, en 1793, général et comman-
dant de la petite arniée qui vainquit l'insurrection
girondine ^^ ». La vérité est, pour emprunter l'ex-
pression d'un contemporain ^7, que le docteur n'avait
pas fait cette infidélité à Esculape en faveur de
Mars ; et tandis que l'ignorance de Sepher abrégeait
les jours d'un grand nombre de nos soldats, Saiffert
se contentait d'ordonner à ses malades des clystères
et des pilules qui prolongeaient leur vie.
Ses malades ou, plutôt, une certaine catégorie
des malades du docteur SaiiTert lui en témoignèrent
leur gratitude d'une manière cflicace, car c'est à
leurs démarches qu'il dut son salut.
Ce n'est pas seulement dans la société mondaine,
où il était pourtant très répandu, que Saiffert recru-
tait la plus grande partie de sa clientèle : il avait,
certes, quelques clients et clientes de clioix ; nous en
8
34 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
avons cilc quelques-uns ; nous aurions pu aisément
grossir cette liste, en puisant dans les Mémoires du
temps.
Le comte de Cheverny ^^, qui fut introducteur
des ambassadeurs et lieutenant-général du Blai-
sois, a raconté comment Saiiïert donna ses soins
à madame de Lafreté, qui, n'ayant plus Tron-
chin, s'était mise entre les mains du médecin alle-
mand, auquel le duc d'Orléans avait confié sa
santé. Saiiïert « crut guérir sa malade, en calmant
ses douleurs imaginaires par l'opium ; elle augmenta
la dose, et l'on fit venir un Turc pour la lui admi-
nistrer. Il s'ensuivit que (quelques jours plus tard),,,
elle passa de vie à trépas, sans s'en douter. On l'ou-
vrit et l'on vit avec surprise qu'elle n'avait aucune-
cause de mort ». Le comte de Cheverny, comme
Dumouriez et Mallet du Pan, confond évidem-
ment notre Saiffert avec le dragon, Suisse et...
maître-tailleur (du moins, le docteur ajoute ce
détail, pour parfaire le signalement de son homo-
nyme), qui, s'étant jeté à corps perdu dans le
mouvement révolutionnaire, avait fini par con-
quérir le grade de général. Or Saiffert, tout m se
proclamant un « des plus ardents amis de l'Égahté,
de la Liberté et de la République une et indivi-
sible », ne tenait pas à être confondu avec un vul-
giaire rapiéceur d'habits. Il avait trop le sentiment
de sa dignité pour ne pas protester contre une com-
paraison qui l'offensait à très juste titre.
NOTES DU CFIAPITKE II
1. Correspondance inédite du prince Xavier de Saxe, par Thévb-
tiOT, 311 et passim. Il existe, aux Archives ,de l'Aube, dans le
fonds Xavier de Saxe, une (juarantaine de lettres de Saiffert
et d'autres médecins, entre autres du docteur Tissot, le
célèbre auteur de VAvis au peuple sur sa santé. Les loisirs-
nous ont manqué pour consulter ces papiers; nous sommes
heureux de signaler cette piste à ceux qui songeraient à en
tirer parti.
2. G. Lenotre, le Baron de Balz.
3 Intrigues secrettes de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans, dans sa
résidencu actuelle en Angleterre.
4. Les Conspirateurs démasqués, par l'auteur de Nullité et
Despotisme, seconde édition, revue et corrigée; A Turin, 17*J0
(cette brochure est attribuée à Antoine de Ferrand).
5. GoLDSMiTH, le Cabinet des Tuileries, 2* a^tpendice (note).
6. Choix des Mémoires secrets pour servir à l'Histoire de la Répu-
blique des Lettres; Londres, 1788, t. II, 314.
7. Il semblerait, d'après d'autres documents, que ce soit
un médecin de Sceaux, du nom de Hichardet, que Saint-
Just aurait consulté, sans doute avant ou après Saiffert.
8. Le médecin qui avait traité Saint-Justécrivit à Mme de
Saint-Just, mèie, pour rengager à faire faire la médecine à
son (ils, ayant remarqué en lui de grandes dispositions pour
cette science et pour la physique; mais il conseillait aupara-
vant, pour sa santé, un régime de laitage et de légumes,
pas de vin, etc., et (juelques mois de repos.
9. « Une écuelle d'argent neuve, marquée d'une E et une
H; un goblet" d'argent à pied relevez en bosse, marqué au
nom de Saint-Just; une timbale h tenir une demi-bouteille,
le pied et le bord doré, m.'4r(|ué au nom de Robinet, curé de
bécize; trois tasses très fortes d'argent... et plusieurs au-
tres petites choses enargent... •. Lettre de Hobinot, veuve de
Saint-Just, mère du futur conventionnel, écrite de Bleren-
36 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
court, le 17 septembre 1786, au chevalier d'Evry (Mercure) de
France, 15 janvier 1907).
10. Elle fut longtemps à se rétablir d'une fièvre quarte, que
lui avait occasionnée l'inconduite de son fils, ou dont celle-
ci retarda, pour le moins, la guérison.
11. Lettre de Brunet au président de la Convention natio-
nale, publiée par Alfred Bégis (Paris, 1892), citée par
F. Funck-Bre>tvn(i, la Mort de la Reine.
12. Chronique médicale, l" février 1916, 40, note 1. Il avait
failli être appelé pour donner des soins à l'empereur Jo-
seph 11, et le prince de Ligne aurait écrit à Marie-Antoinette,
pour la supplier d'envoyer le docteur Seyffert {sic) à son au-
guste père ; « mais la maladie de Joseph II n'était pas de
celles à laquelle (sic) la science humaine peut porter re-
mède ». Le Prince de Ligne et ses contemporains, 104.
13. Mémoires du général Dumouriez, écrits par lui-même ; à Lon-
dres, 1794, 1" partie, 65.
14. Considérations sur la nature de la Révolution de France, et
sur les causes qui en prolongent la durée, par M. Mallet du Pan.
Londres, s. d. (août 1793).
15. Correspondance inédile du Prince X. de Saxe, par Théve-
NOT, 309 et s. ; Documents pour servir à V Histoire de la Révolution
française, par Ch. d'Héricault et G. Bord, 2« série (1885), 161,
171, 264.
16. A. Chuquet, La Légion germanique, 9-10.
17. Tableau hist. de la Révolution de France, t. I, 376.
18. Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la
Révolution, par J.-N. Dufort, comte de Cheverny, t. II,
(1886), 15.
CHAPITRE III
LES RELATIONS POLITIQUES ET LITTERAIRES
DU D' SAIFFERT
Dans la montagne de papiers conservés aux Ar-
chives, et dont le dépouillement réclame une inal-
térable patience, on a parfois d'heureuses compensa-
tions à un travail d'ordinaire assez ingrat. Le dos-
sier relatif à Saiiïcrt nous ménageait de curieuses
surprises ; nous ne nous serions guère attendu,
avant de le feuilleter, à y trouver une bonne part
des éléments qui nous permettraient de reconstituer
la biographie d'un de ces comparses de la Révolution
dont le rôle restait à déterminer. Les multiples re-
quêtes que le détenu a rédigées, et où il a mis toute
son ardeur, toute son âme, sont précieuses à plus
d'un titre. Ce n'est pas que la psychologie d'un homme,
c'est celle de toute une époque, et quelle époque 1
Saiffert appartenait à cette espèce de philosophes
qui rêvaient d'une sorte de Salente où tous les abus
devaient être détruits, où la fraternité régnerait
en maîtresse souveraine sur les cœurs
Au début de la Révolution, ces idéologues avaient
38 LA PRINCESSE DE LAMfiALLE INTIME
salué l'avènement de l'âge d'or de la démocratie ;
peut-être quelques-uns d'entre eux étaient-ils sin-
cères, c'était^la seule excuse qu'ils pussent invoquer.
A entendre Saiffert, il a toujours « bien mérité
de l'humanité et des Français vraiment républi-
cains » ; il en donne comme témoignage, qu'il a
« cessé la pratique de la médecine pour les riches,
d'un sentiment contraire ou éloigné des principes
républicains » ; mais il a « continué à soigner les
pauvres et quelques vrais patriotes » qui s'adres-
saient à lui. Voilà, dira-t-on, une singuhère façon de
comprendre la fraternité.
Comment ne pas suspecter la bonne foi du
personnage, lorsque nous le prenons en déht fla-
grant de mensonge ? Son revenu, nous confie- t-il,
n'était que de 2.000 livres, montant de la pension
que lui avait faite une malade (lisez : la princesse de
Lamballe, qu'il omet de nommer). SaitTert oublie
également de dire qu'il était propriétaire de la maison
qu'il habitait rue des Arcadcs-de-l'Égalité, au n^ 156,
et qu'il l'avait payée plus de 200.000 livres : or, il
était débarqué de Saxe sans un sol vaillant ; on jugera
de sa véracité quand il afîirmera qu'il ne possède
pas « un sol à rentes ».
Il a toujours protesté, dira-t-on, d'un amour im-
modéré pour la France, cette terre classique de. la
liberté; ce serait la payer en monnaie d'ingratitude,
que de parler un autre langage, mais les déclara-
tions ne sont pas toujours d'accord avec les senti-
ments.
Il est une vertu, toutefois, dont Saiffert tire vanité,
et dans le temps où il vivait, elle avait son mérite :
c'est sa tempérance. Ce Saxon était le plus frugal
RELATIONS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES DE SAIFFERT Sq
des hommes, bien différent en cela de « patriotes
éprouvés », comme un Fabre d'Églantine, un Ca-
mille Desmoulins, un Chabot, dont les mœurs
fk;. y. — ciiAiioT
n'avaient rien de spartiate. Cet « austère républi-
cain », ce « défi'0(iué sans conscience », nous parlons
de Chabot, ne se faisait-il par servir, le 17 novembre
40 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
1792, « une soupe, quatre côtelettes, un poulet gras,
une poire et du raisin ; le 18, une soupe, un bouilli
et six mauviettes ; le 7 décembre, un perdreau rouge ;
et le 8, un poulet aux truffes et une poularde^ »;
et de telles lippées, à l'époque où le peuple de Paris
s'écrasait à la porte des boulangers, sans parvenir
à obtenir un morceau de pain^ I
L'ex-capucin Chabot, qui avait fait rendre le
décret transformant Notre-Dame de Paris en Temple
de la Raison, qui demandait, le 15 septembre 1793,
une loi contre les émigrés, « si simple qu'un enfant
pût en envoyer à la guillotine », et qui se présentait
« à moitié nu, comme un boucher », à l'Assemblée
nationale, était marié à une Autrichienne. Comme
à Capet, cette imprudence devait lui coûter la vie.
Chabot porta, comme Louis XVI, sa tête sous le
couperet, mais il fut loin d'avoir une attitude aussi
ferme que l'infortuné monarque. Pour échapper à une
mort ignominieuse, il tenta de se la donner, mais à
peine avait-il avalé le poison libérateur, qu'il récla-
mait à cor et à cri un contre-poison 3, et c'est pré-
cisément Saiffert qui le lui avait procuré '^.
Saifîert avait été également en rapport avec un
conventionnel qui a fait quelque bruit dans le monde,
plus encore à cause de sa fin tragique que pour
s'être illustré dans la carrière qu'il avait primitive-
ment embrassée : en assassinant Marat, Charlotte
Corday ne se doutait pas qu'elle conférait à ce pour-
voyeur de la guillotine l'auréole du martyr.
De même que Saiffert était devenu le médecin du
duc d'Orléans, Marat avait été, durant un temps,
celui du comte d'Artois, ou plutôt le médecin de ses
gardes et non de ses écuries, comme des pamphié-
RELATIONS POLITIQUES ET LITTERAIRES DE SAIFFERT 4^
taires du parti adverse et quelques historiens mal
informés se sont plu à le répandre. Comme Saiffert,
Marat compta des succès dans le monde le plus aris-
FIG. lu, — M A HAT
tocratique ; longtemps on parla de la cure d'une
( 1 rtaine manjuise, qui sut témoigner à son sauveur
ks marques de sa reconnaissance, sans pré-
judice de fructueux honoraires. Jean-Paul Marat,
42 LA. PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
avait encore ce point de commun avec Saiffert,
qu'il était étranger, étant né à Boudry, de parents
sardes, venus s'établir dans Ja principauté de Neu-
châtel, qui appartenait alors à la Prusse.
Saiffert s'était rencontré avec Marat au chevet
d' « une des femmes les plus belles et les plus adorées
de Paris », Madame de Tournon. Touché de son état
pitoyable, Marat dit à Seffer (sic) : « Ne serait-il
pas possible de la sauver ? Vous êtes le mieux au
courant des maladies poitrinaires (sic), je suis spé-
cialiste pour le foie ; soignez la poitrine, moi, je me
chargerai du foie, peut-être que nous la guérirons. »
C'est dans une lettre, datée de Paris le 12 décembre
1792, lettre qu'un correspondant allemand envoyait
à une revue de Hambourg 5, que nous avons cueilli
ce croquis saisi sur le vif. Bien qu'elle ne donne pas
une idée flatteuse des talents médicaux de Marat,
l'anecdote nous a paru utile à conserver.
La notoriété médicale de Saiffert semble mieux
établie que celle de son redoutable confrère. Si on ne
s'en rapportait qu'à lui, il n'y aurait pas eu de pra-
ticien plus répandu dans la capitale ; on assiégeait
son cabinet, on le consultait de partout, ses amis
n'arrivaient à le voir que le matin, pendant qu'il
était aux mains du coiffeur. On pourrait prendre, à
première vue, pour de la vantardise, ces déclarations
intéressées ; mais d'autres témoignages les corro-
borent, et notre impartialité nous fait un devoir
de les exposer.
Nous avons eu sous les yeux un assez singuher
ouvrage, dont la singularité ne réside pas uniquement
dans le titre, bien que celui-ci sorte de la banalité
courante : « Hermippus rediuivus, ou le Triomphe du
RELATIONS POLITIQUES ET LITTEHAIRES DE SAIFFERT. 43
Sage sur la vieillesse et le tombeau, contenant une
méthode pour prolonger la vie et la vigueur de
l'homme, traduction de l'anglais, d'après le docteur
Cohausen et la seconde édition de Londres, par
M. de la Place ^. » *
Le docteur Cohausen exerçait ses talents à Coes-
feld 7, qui était alors la résidence d'été des princes-
évêques de Munster. Il avait été, à la suite de diverses
publications, nommé premier médecin de la Cour
et comblé d'honneurs et de faveurs ^.
Le but de Cohausen était de « réhabiliter la
vieille théorie de la prolongation de la vie par
l'haleine des jeunes filles », théorie qu'il sut déve-
lopper « d'une plume alerte, érudite, spirituelle et
avec une grande richesse d'informations >>.
Il avait d'abord exercé sa verve contre les priseurs
et contre les buveurs de thé. Cette fureur de prendre
du thé avec excès, qui sévissait alors dans une partie
de l'Allemagne du Nord, y avait été apportée par les
Hollandais. La plupart des médecins allemands con-
sidéraient le thé comme une panacée, et il ne fallut
rien moins que les efforts réunis de Boerhaave et
d'Hofmann, pour discréditer cette coutume préju-
diciable à la santé.
Cohausen prit paît à cette croisade salutaire, en
proposant un certain nombre de succédanés, nous
dirions aujourd'hui des ersatz, pour remplacer la
funeste boisson. Il avait soixante-quinze ans, lors-
(pi'il compo.sa son Ilermippus rediuivus. Cet Her-
inippus avait atteint l'âge de cent quinze ans, en
suivant l'exemple du roi David qui, comme on sait,
réchauffa sa vieillesse dans les bras de la jeune Sula-
mite Abisag, méthode qu'employa Boerhaave pour
44 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
un vieux bourgmestre d'Amsterdam, qu'il fit cou-
cher entre deux jeunes filles, et dont Cohausen
n'eut qu'à s'inspirer pour écrire sa fantaisie mé-
dico-humouristique. Dans la pensée de son auteur,
ce n'était qu'une récréation littéraire, un divertis-
sant paradoxe ; on a même prétendu que ce fut
le résultat d'une gageure. Quoi qu'il en soit, l'ou-
vrage fut translaté en anglais par un historien
écossais, du nom de J. Campbell, qui renchérit
encore sur les récits fabuleux de l'écrivain original,
et c'est la traduction du livre anglais que M. de la
Place donna au public français en 1789.
Celle-êi offre de l'intérêt surtout en raison de la
dédicace. L'ouvrage est dédié « à Monsieur Sayffert,
premier médecin de Monseigneur le Duc et de Ma-
dame la Duchesse d'Orléans, etc. ». La Place y rap-
pelle qu'il doit à son bienfaiteur trois fois la vie,
et, de plus « une espèce de renaissance, tant de
corps que d'esprit ». Au risque de blesser la modes-
tie de son sauveur, il tient à proclamer que dix ou
douze autres malades, se trouvant dans la même
situation que lui, ont éprouvé d'aussi heureux effets.
Il ajoute qu'en sa qualité de « vieux et franc Picard »,
il a tenu à lui rendre cet hommage public de grati-
tude, et à mettre sous son égide cette production
« d'un autre ami de l'humanité ». Et il signe cette
apologie : De La Place, «votre plus inviolable ami
et serviteur ».
Nous avons la preuve que gens de lettres 9,
personnages de qualité, jusqu'à des princes et des
princesses du sang, recouraient à la science du doc-,
teur étranger, mais c'est aux indigents que Saifîert
réservait son meilleur accueil. Le duc d'Orléans avaic
RELATIONS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES DE SAIFFERT ^5
fait un jour le pari, avec le duc de Biron, qu'il se
présenterait à la consultation de son médecin, et qu'il
y serait reçu avant son tour : il dut attendre une
FIG. 11. — Li: DUC D'ORLKANS, (iil IMlILIPrE-ÉGALlTÉ
heure et demie avant d*être appelé. Ayant perdu
son pari, le prince laissa dix louis [)f)iir les pauvres
en se rolirant.
Saiffert ignorait le nom de la plupart de ceux qui
La prtncesîse dE lamballe intime
venaient solliciter ses avis, ne s'inquiétant de leur
demander ni à quelle nation ils appartenaient, ni
quelle religion ils professaient ; s'ils étaient vicieux
ou vertueux, honnêtes ou criminels. « Qu'avez-vous ?
Où soufTrez-vous ? Comment votre maladie vous
a-t-clle pris ? Quels symptômes éprouvez-vous ? )>
étaient ses questions ordinaires. Il ne voulait voir
en chaque patient qu'un malheureux qui réclamait
ses soins; aussi, quand il fut enfermé au Luxem-
bourg, à la suite d'une dénonciation, le Comité de
sûreté générale reçut-il pétitions sur pétitions, éma-
nant de gens du peuple, qui réclamaient avec une
touchante insistance la mise en hberté de leur sau-
veur.
Dans ces requêtes, se relèvent des phrases comme
celles-ci: « Saiffert... n'a cessé, depuis qu'il est en
France, de prodiguer les secours de son art et de sa
bourse à tous les sans-culottes qui ont eu recours à
lui ; nous sommes du nombre de ceux qui en ont
fait l'expérience, et lorsqu'il y avait des Grands qui
sollicitaient ses soins au prix de l'or, il les négligeait
pour nous conseiller et nous soulager de préférence ;
il n'était libre pour eux que quand nous n'avions plus
besoin de lui. »
Tous se plaignent de ne plus l'avoir à leurs côtés
pour apaiser leurs souffrances. « Sa détention, disent-
ils, est une calamité pour nous et pour ceux de nos
frères à qui il était si utile, nous souffrons tous de
son absence et l'humanité le réclame. »
S'il est retenu pour des motifs pohtiques, qu'on le
mette provisoirement en liberté, sous la garde d'un
sans-culotte de sa section, afin que ceux qui ont
besoin de ses soins puissent le consulter et conti-
FIG. 12."— [SOUDERBIELLÈ
RELATIONS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES DE SAIFFERT /Jq
nuer ses traitements. Et parmi les signataires,
figurent une blanchisseuse, un garçon tonnelier, des
mères de famille ; jusqu'à une Turque, dont Saiiïert
assurait depuis quatre ans la subsistance et qu'il
logeait sous son propre toit.
Saiiïert trouva aussi des défenseurs au sein de la
société populaire de la section de la Montagne, dont
plusieurs membres déclarèrent « avoir profité des
avantages de son art ». Nombre de citoyens et de
citoyennes intervinrent en sa faveur. Le citoyen
Borel, domicilié rue Neuve-des-Petits-Champs, n^ 135,
atteint d'une obstruction au foie, n'a confiance qu'en
son médecin habituel ; le citoyen Paillard, passage
Valois, n^ 156, témoin depuis quinze ans des actions
de bienfaisance du docteur, dont il est l'homme de
confiance, se porte garant de son civisme ; le secré-
taire-interprète près le Comité de sûreté générale
de la Convention, et que celui-ci a désigné pour exa-
miner les papiers de Saiiïert rédigés en langue alle-
mande, le dit animé du meilleur esprit, et qu'il s'est
toujours occupé à propager dans toute l'Europe ses
écrits patriotiques et les immortels principes de
l'immortelle I^évolution; pas un de ses écrits qui ne
soit «d'un patriotisme très prononcé et d'un républi-
cain très éclairé dans plus d'un genre ». Désormais,
la cause était entendue, le chef d'accusation
principal n'était pas retenu, il était démontré
(juc SailTert n'était « pas convaincu d'être auteur
ou complice de la conspiration... (oiiln' la sûreté
et la liberté du peuple français, tendant à trou-
bler ri^tat par une guerre civile, en armant les
' itoyens les uns contre les autres ». En consé-
«juence, son acquittement fut pronopcé et sa mise
i
50 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
en liberté ordonnée, « si toutefois il n*est retenu pour
autres causes ^°».
Un détail mérite d'être signalé : parmi les jurés
qui siégeaient ce jour-là au tribunal révolution-
naire, figurait un médecin, le lithotomiste Souber-
bielle, cet ami de Danton et de Robespierre à qui
l'on demandait un jour quel était celui des deux
coryphées révolutionnaires qui lui avait laissé le
meilleur souvenir. « J'étais décidé à condamner
Danton, contait le vieillard à quelqu'un qui l'inter-
rogeait, on pourrait dire l'interviewait sur le rôle
qu'il avait joué dans le grand drame ; j'avais,
ajoutait-il, la preuve certaine qu'il méditait le ren-
versement de la République... Au contraire, j'aurais
donné ma vie pour sauver Robespierre, que f ai-
mais comme un frère... Il a été le bouc émissaire de
la Révolution, mais il valait mieux que tous ". »
Peut-être nos arrière-petits-neveux ratifieront-ils
ce jugement; mais jusqu'à cette heure, s'il a ses ad-
mirateurs l'énigmatique tribun compte nombre de
détracteurs. Nous ne nous chargerons pas de dépar-
tager ceux qui le combattent et ceux qui le défen-
dent; la postérité prononcera le verdict.
NOTES DU CHAPITRE III
1. « Chabot le capucin, fameux conventionnel, aimait
beaucoup la pintade ; nous lui faisons prendre ran^g parmi
les héros de la gueule, comme qui diraient Rabelais et Mon-
taigne, parce qu'il a créé l'omelette trulîée aux pointes d'as-
perges et à la purée de pintade ». Philomneste (Peignot), le
Livre des singularités 172.
2. Docteur M\x-Billa.rd {Chr. med.,1" avril 1916).
3. « Le 17 mars, vers 3 heures de l'après-midi, les citoyens
François Peyre, Marius-Félix Maisse, Jacques Forest, An-
toine Michel et Eustache Darasoy, détenus au Luxembourg,
se trouvaient dans la chambre de l' Indivisibilité, voisine de
celle de Cliabot, lorsqu'ils entendirent une des sonnettes
placées sur le palier de l'escalier sonner à plusieurs repri-
ses et avec un mouvement précipité. L'un d'eux alla aus-
sitôt à la recherche du gardien Besse. Celui-ci prévint le
concierge Benoît et tous deux entrèrent dans la chambre de
Chabot, qu'ils trouvèrent en proie à de violents vomisse-
ments. Deux olTiciers de santé, Sépher (c'est de Saiffert
qu'il s'agit évidemment) et Filliatte, détenus eux aussi^ fu-
rent mandés pour donner au malade les premiers soins,
tandis que l'on faisait appeler Marinski (Markowski) et
Soupe, médecins de In prison. » Vicomte de Bonai.d, Fran-
çois Chabot; Paris, l'mile-Paul, 1908, 319-320. On lui fit boire
en abondance du lait et de l'Iiuile, et pour calmer les vio-
lentes douleurs qu'il épr()ïivait(il avait, supposait-on, al sorbe
du sublimé), onluidonna une assez forte dose de laudamim.
Il en réchappa, mais ne traîna plus, à partir de ce moment,
qu'une vie languissante. (Cf. la Névrose révolutionnaire, des
docteurs Cabanes et L. Nass, 1()5 et s.)
4. Manifeste de l'Église romaine dans le monde politique par
Maohoi.lr ; Paris, Ilauquelin, ISt.'S, n" 287.
5. La Minerva, de Hambourg (citée par la Revue des euriO'
sites révolutionnaire», août 1913, 341 et suiv.).
a. A Bruxelles et à Paris, chez Maradan, etc., 1789, 2 voL
53 LA PRINCESSE DE LAMBÂLLE INTIME
7. Aujourd'hui Kœtfelt, dans la province de Westphalie.
8. Un praticien allemand au XVII* siècle : Jean-Henri Cohausen
(16G5-17r)0), par A. Beauvois. Tlièse de Paris, l'JOO.
9. SailTert avait eu, entre autres clients, Beaumaicliais
et l'agent de ce dernier, Tliéveneau de Francy, dont il eut
à traiter les imprudences de jeunesse. (Un locataire mas-
qué de l'iiôtel de Hollande, par M. Paul d'Estrée : la Cité,
juillet-octobre 1920),
10. Arch. Aat., \V 3(59, 824; Max Billard, op.. cit., etc.
11. Docteur Poumiès de la Siboltie, Souvenirs d'un médecin
de Paris.
CHAPITRE IV
LE MÉDECIN DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
ET DE PHILIPPE-ÉGALITÉ
Les biographes les plus en crédit sont sobres de
détails sur notre héros. Ouvrez la Biographie uni-
uerselle\ à l'article Seiffert ou Saiffert, vous
y lirez : « médecin allemand, exerça son art à Paris,
à peu près depuis l'avènement de Louis XVI au
trône, jusqu'aux premiers temps de la Révolution
Il fut très en vogue, surtout dans les hautes classes
de la société. Il mourut à Paris, en 1809. Il a laissé
des Observations pratiques sur les maladies chroni-
[{ueSy l^r vol., Paris, à l'impriraerie des amis de la
langue allemande (Brunswick et Leipzig), 1804,
m-8 (en allemand). Ce volume fut suivi d'un autre,
contenant un petit Dictionnaire pour servir à Vex-
pli cal ion îles Observations pratiques, etc., in-8,
même date ». La plupart de ces renseignements
sont exacts, ils demandent seulement à 6tre recti-
fiés et complétés.
Nous avons dit dans quelles circonstances Saiffert
était venu s'installer en France. Après avoir prati-
54 LA PRINCESSE DE LAMBaLLE INTIME
que sept années en province, il s'était établi à Paris,
rue Croix-des-Petits-Champs, puis rue de Richelieu
enfin aux Arcades du Palais-Royal.
D'heureuses cures le fiicnt rapidement connaître;
il ne fut bruit à la Ville, et bientôt à la Cour, que
des succès obtenus par le médecin étranger, surtout
dans le traitement de maladies reconnues jusqu'alors
incurables, principalement les aflections nerveuses,
fréquentes à une époque où on les confondait à
peu près toutes sous le nom vague de «vapeurs ».
Si le terme est alors en pleine faveur, le mal
qii il représente est vieux de plus d'un siècle. On en
parlait déjà à la Cour de Louis XIII et chez la
Grande Mademoiselle ; en cherchant bien, on le
retrouverait jusque dans les romans de chevalerie.
La célèbre marquise de Rambouillet, comme Ma-
dame de Sévigné à ses heures, en fut atteinte, et les re-
présentants du sexe fort n'en étaient point exempts.
On sait que le plus majestueux des monarques y
fut sujet ; c'était lui faire sa cour que de paraître
en être affligé.
Ne cherchez pas dans les traités de nosographie
une description de cette étrange affection ; ouvrez
plutôt le Livre à la mode, de Caraccioli, si vous
tenez à en connaître les symptômes.
On était malade sans savoir où l'on avait mal ;
on souffrait sans s'apercevoir qu'on souffrait, mais
on le disait ;e!:. le visage, s'ajoutant, au discours, on
mourait à chaque quart d'heure, en mangeant et
vivant toujours.
Voulait-elle écarter un importun, ne pas recevoir
un ta beux. Madame avait ses vapeurs. C'était la
maladie des oisifs et des blasés ; la tourmente révolu-
LE MEDECIN DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
55
lionnaire r'cvait la faire dispara'tre, du moins nota-
Ll^meiil ralléiuier.
fk;. 13.
lADAMi: Dr. (;j:.nlis
Il vous souvient de la pi. rase que met dans la
1 ouche de Suzanne Tau leur du Mariage de Fi-
garo : a Est-ce que les femmes de mon état ont
56 LA PHINGESSE DE LAMBALLE INTIME
des vapeurs? C'est un mal de condilion, qu'on ne
prend que dans les boudoirs. » Cette opinion était
partagée par un autre écrivain que Beaumarchais,
un bas bleu, féconde polygraphe, qui avait trop
d'attributs virils pour se laisser gagner par ces fu-
mées, enivrantes tout au plus pour des petites-maî-
tresses. Les maux de nerfs, dont Madame de Gcnlis
notait la fréqu nce chez ses contemporaines, res-
semblaient fort à de l'hystérie.
A l'entendre, on était obligé de matelasser les
charnbres des malades, pour prévenir les graves acci-
dents que leurs sauts merveilleux faisaient craindre.
Ces accès prenaient régulièrement deux fois par
semaine, et constamment les mêmes jours et aux
mêmes heures ; de sorte que les parents et les amis,
ainsi prévenus avec sûreté, pouvaient se rendre chez
les malades au moment même où commençait l'ac-
cès, qui durait trois ou quatre heures comme un spec-
tacle, avec quelques repos qu'on aurait pu comparer
à des entr'actes ; les autres jours, les malades allaient
comme de coutume au bal, à la Cour, à l'Opéra, à
la Comédie et dans le monde ; et cette surprenante
maladie laissait si peu de traces sur leurs figures,
qu'on aurait cru, aies voir, que ces accès si violents
n'avaient rien de réel ^.
C'était encore de l'hystérie, cette tendance aux
larmes à propos de tout et plus souvent à pro-
pos de rien. Les larmes, voilà bien une maladie du
xviiie siècle ; ce qu'il s'en est répandu est prodi-
gieux, tant dans la réalité que dans le roman. Qu'il
s'agisse de femmes fortes, comme Madame Roland
ou Madame Necker, d'hommes au cerveau bien équi-
libré tels que Diderot et Voltaire, il n'est personne
LE MÉDECIM DE L\ PRINCESSE DE LAMBALLE 67
!
en ce siècle qui ne s'attendrisse pour des bagatelles.
Il ne faut pas être bien clairvoyant pour recon-
Fir.. 14, — MADAME DE LAMBALLE
(Dji|tn:s iiiio poinlnie «lu MuHdc de Bloin
naître au fond de ces débauches de larmes, de cette
dépense effrénée de sensibilité, le nervosismc. Il y
58 I.A PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
eut une déperdition énorme de sensibilité Imagi-
native ; le système nerveux el cérébral en fit les
frais ^.
Faisant trop grande la part à la simulation, voyant
une comédie jouée là où existait une souffrance réelle,
prenant pour un malaise de bon ton une affection
non encore étiquetée par la science, on se moquait
de ces « vaporeuses », qui n'avaient pas le
courage de réagir. Sur ces malheureuses nul ne
songeait à s'apitoyer. L'épigramme et la raillerie
tenaient lieu de médication, et l'on se refusait à
prendre au sérieux les évanouissements et les cris
désordonnés que suivait un abattement inexpli-
cable.
Parmi ces infortunées dont le sort n'émouvait
ni n'intéressait la pitié du monde, où elle occupait
cependant un rang des plus distingués, Madame de
Lamb.'Jle est de celles dont le cas mérite de nous ar-
rêter. Celle-là est une malade, une vraie malade
et qui a tous les titres à notre compassion.
Avant de se déci.'er à faire appel aux médecins,
elle avait longtemps abandonné à la nature le soin
de soulager ses maux. Tout d'abord, on avait pris
pour de « petits ridicules » ou des « affections pué-
riles », certaines antipathies dont elle ne savait se
défendre, comme de s'évanouir en respirant un bou-
quet de violettes, de tomber en pâmoison à l'aspect
d'une écre visse ou d'un homard, fût-il en peinture.
« Alors, relate cette peste de Madame de Genlis *,
elle fermait les yeux sans changer de couleur et
restait insensible ainsi pendant plus d'une demi-
heure, malgré tous les secours qu'on s'empressait
à lui prodiguer. » Au cours d'un séjour en Hol-
Fie;. 15. — MARIE-ANTOINETTE
(D'après Janinet)
LE MÉDECIN DE LA PRINCES* DE I.AMBALLE 61
lande elle se serait évanouie dans un cabinet d'ama-
teur, <( après avoir jeté les yeux sur un petit tableau
flamand qui représentait une femme vendant des
homards » ! Une autre fois, chez son beau-père, le
duc de Penthièvre, à Crécy, une demoiselle contait
des histoires de revenants, lorsqu'on entendit dans
Tantichambre un valet bâiller bruyamment ; aus-
sitôt Madame de Lamballe fut saisie d'une frayeur
telle qu'elle perdit connaissance. On dut, en toute
hâte, aller réveiller le chirurgien de Monseigneur,
<j qui accourut précipitamment en robe de chambre ».
Il ne fallut rien moins que les préparatifs d'une sai-,
gnée pour la tirer de sa léthargie. Madame de Genlis
assure, mais nous avons de fortes raisons de douter
de la véracité de son témoignage, qu'elle fut« m lie
fois » le moin de scènes de ce genre.
Par la suite, lorsque les attaques de nerfs, suivies
d'évanouissement, devinrent une mode, Madame de
Lamballe ne manqua pas d'en avoir de régulières
deux fois la semaine, aux mêmes jours et aux mêmes
heures, pendant toute une année. Ces jours-là, sui-
vant l'usage des autres malades de cette espèce,
M. Saiffert, son médecin, arrivait chez elle aux heures
convenues ; il frottait les tempes et les mains delà
[)rinc(ss' d'une liqueur spiriliiciis;', ciisuilc la fai-
sait mettre dans son lit, où elle restait deux heures
évanouie. Pendant ce temps, ses amis intimes, for-
mant un cercle autour de son lit, causaient tranquil-
lement jusqu'à ce (|ue la j)rincesse sortît de sa
lét'.argic. Telle était la personne, conclut la peu
charit ible narratrice, que la reine choisit pour
sa piriiiicrc amie. Mais M a rie- Antoinette aurait
bientôt sinti que Madame de Latnballe était l:ors
62 LA PRINC»SE DE LAMBALLE INTIME
d'état de donner un conseil utile, et même de prendre
part à un entretien sérieux. Ce ne fut donc point
par légèreté, comme on l'a dit, que la reine ôta sa
confiance à la favorite; elle la jugeait avec trop de
discernement. Elle lui conserva tous les droits appa-
rents de l'intimité, et la place de surintendante de
sa maison, place qu'on avait recréée pour elle 5.
C'était une des charges les plus recherchées de la
Cour, et seules pouvaient y prétendre les princesses
du sang. On devine combien d'amours-propres
blessés, combien de convoitises déçues cette nomi-
nation déchaîna. Dames d'honneur, dames d'atours,
dames du palais murmurèrent à son approche, le
jour de la cérémonie d'investiture. Ce fut comme une
vague de rancunes et d'hostilité qui monta vers
l'heureuse promue. Quoi de surprenant que celle-ci
ait été prise d'un tremblement nerveux, lorsqu'elle
se mit à genoux devant sa souveraine, pour prêter
entre ses mains le serment d'usage ? Madame- de
Genlis, voulant ridiculiser plus encore, si faire se
pouvait, celle qu'en toutes circonstances elle a
poursuivie de ses traits venimeux, feint de s'indi-
gner que Marie-Antoinette ait embrassé la nouvelle
surintendante, — « ce qui n'était point du proto-
cole », — et elle montre Madame de Lamballe, tirant
son mouchoir et pleurant, « scène singuHère que l'on
critiqua beaucoup ». Pour un être aussi dépourvu
de sensibilité qu'était Madame le Gouverneur des
princes d'Orléans, il ne pouvait y avoir, dans cette
attitude si naturelle, que prétexte à moquerie. La
vérité est que la ci-devant Madame de Sillery n'était
que l'écho des rancœurs du Palais-Royal, foyer de
conspiration contre la royauté, que cherchait à ren-
LE MÉDECIN DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 63
verser à son profit le triste prétendant qui porte dans
l'histoire le qualificatif infamant de Philippe-Égalité.
FIG. 16. — LE DUC D'ORLÉANS (alors DUC DE CHARTRES)
ET SA FAMILLE
Les preuves abondent du parti pris de Madame de
Genlis contre la princesse de Lamballe et tout ce
qui touchait de près à la Cour ; nous n'en citerons
6^1 I.A PIIINCESSE DE LAMBAI-LE INTIME
qu'une, parce qu'elle est peu connue, et que la dépo-
sition émane d'une personnalité particulièrement
autorisée.
Le marquis de Clermont-Gallerande, pair de
France, qui tenait un registre journalier des faits
dont il avait été le témoin, a consigné dans ses
Mémoires l'anecdote qui suit^.
« Madame de Sillery (c'est le nom que porta pen-
dant quelque temps Madame de Gcnlis) était avec
ses élèves (les enfants du duc et de la duchesse
d'Orléans) sur la terrasse de la maison de Passy,
qu'ils occupaient, pour voir passer les brigands qui
allaient à Versailles le 5 octobre. Elle y était aussi
le jour où le malheureux Louis XVI se rendit à
l'Hôtel de Ville. // se tenait sur cette terrasse les pro-
pos les plus ojjensans pour la Reine et pour Madame
la princesse de Lamballe. Ces propos furent entendus
par plusieurs personnes. »
La princesse ne se méprenait pas sur les sen-
timents que professait à son égard le précepteur
en jupon. Un jour que celle-ci saluait, en pas-
sant près de son carrosse, Madame de Lamballe :
« Madame de Genlis, s'écria la princesse avec un fré-
missement qui tenait de l'aversion. Madame de
Genlis, visage d'agneau, cœur de loup, ruse de renard » ;
ou, pour citer la phrase italienne qui sortit de la
bouche de la princesse, à qui cette langue était aussi
familière que la langue française : colla jaccia
d'agnello, il cuore d'un lupo, et la dritlura d'ella
volpe 7.
Ayant fait la part de la malignité dans les propos
ou les écrits de IMadame de Genlis sur la princesse
de Lamballe, nous ne saurions, sans faire injure à
LE MÉDECIN DE LA PRINCESSE DE LAML5ALLE 65
la vérité, les tenir pour absolument controuvés.
Lorsque le duc d'Orléans, en 1785, dépêcha son
médecin à Madame de Lamballe, la princesse avait
déjà couru les empiriques et les charlatans ; elle
plaçait son dernier espoir dans un personnage dont
tout Paris s'entretenait. Les gazettes annon-
çaient l'arrivée prochaine dans la capitale du célèbre
Mesmer.
NOTES DU CHAPITRE IV
1. Biographie universelle, ou Dictionnaire historique, etc., par
une Société de sens de lettres, de professeurs et de biblio-
graphes. Paris, Furne, MDCCCXXXIII (1833).
2. Dictionnaire des Etiquettes delà Cour, t. I.
3. Histoire de l'Éducation des femmes en France, par Pall
ROUSSELOT, t. II.
4. Mémoires, t. II, 284 et s.
5. De l'Esprit des Étiquettes de Vancienne Cour, et des usages
du, monde de ce temps, par M°" de Genlis, publié par Ed. Qles-
NET. Bennes, 1885.
6. Mme la comtesse de Genlis en miniature, ou Abrégé cri~
ique de ses Mémoires, par M.-L. de Seveunges (Paris, 182('>),
71-2, note.
7 Mémoires relatifs à la famille royale de France (par Mme de
''hoglio-Sol\ui), t. I, 10-11.
CHAPITRE V
UNE RELIGION NOUVELLE
MESMER DIEU, ET d'eSLON SON PROPHÈTE
Quel extraordinaire roman d'aventures que la
vie de ce Mesmer qui, dès qu'il a mis le pied chez
nous, au mois de février 1778, force tout de suite
l'attention publique !
Dès sa première publicatioxi, parue en 1766%
Mesmer soutient qu'il existe « une mutuelle influence
entre les corps célestes, la terre et les corps animés »;
il prétend, en outre, que « l'action et les vertus du
magnétisme animal peuvent être communiquées à
d'autres corps, animés ou inanimés ». Cette concep-
tion du magnétisme cosmique et de la transmission
de la vertu magnétique devait donner l'occasion
à plusieurs caricaturistes de railler le novateur.
Une de ces caricatures que nous avons naguère
reproduite, représente, au second plan, une Pharmacie
magnétique : l'on y voit un adepte, occupé à recueil-
lir dans le creux de ses mains les effluves d'une eau
magnétisée, tandis qu'au-dessus du néophyte, sur
des tablettes en buis, s'étalent une tête de veau
UNE RELIGION NOUVELLE 67
magnétisée et des pieds de cochon saturés... de fluide
magnétique ^.
Au début, Mesmer s'était contenté d'exercer son
art sans charlatanisme ; ses confrères n'avaient pas
encore eu lieu de se plaindre de l'incorrection de ses
procédés.
Ce n'est que huit ans après avoir passé sa thèse de
doctorat, qu'il entreprit, de concert avec un Jésuite,
dont il avait fait entre temps la connaissance, la
cure des maladies nerveuses à l'aide des fers ai-
mantés. Enhardi par les premiers résultats, il se
faisait fort de guérir les affections reconnues jus-
qu'alors incurables. Du coup, la Faculté de Vienne
se fâcha, et devant le toile qu'il souleva, Mesmer prit
le parti d'abandonner ses compatriotes et d'aller
cueillir à l'étranger les lauriers qu'on lui marchan-
dait dans son pays d'adoption.
Après avoir parcouru la Souabe et la Suisse, Mes-
mer arrivait à Paris, au mois de février 1778. Accom-
pagné de son unique domestique, il descendit dans
un petit hôtel de la place Vendôme, située dans un
quartier alors reculé, et il se contenta d'y prendre
un modeste appartement.
La curiosité, plus qu'un autre sentiment, pousse
tout de suite nombre de Parisiens et de Parisiennes
à voir de près celui qui se flattait de guérir tous les
maux, surtout ceux que la science oflicielle se recon-
naissait impuissante à traiter. Le mystère dont il
s'entourait, l'originaUté de ses méthodes, mais plus
que tout cet appareil la cabale que montèrent les
médecins contre ce concurrent sans scrupules, qui
venait chasser sur leurs terres, augmentèrent l'en-
gouement du public ; le nom de Mesmer vola de
68 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
bouche en bouche. L'afïluence des malades fut telle,
qu'il eut bientôt une seconde installation, à
Créteil, « où rien ne venait le distraire dans
les soins qu'il donnait à ses malades ^ ».
A Paris, ses consultations furent de plus en plus
suivies. Noblesse, tiers état, clergé, les trois ordres
se retrouvaient chez Mesmer.
Les jaloux commençaient à s'agiter ; les petites
gazettes insérèrent des entrefilets dans le genre de
celui-ci : « Il est venu ici depuis quelque tems un
médecin nommé Mesmer, qui se dit de la Faculté de
Vienne. Ce pays est le théâtre de tous les charla-
tans : celui-ci prétend avoir le magnétisme animal,
c'est-à-dire une faculté de la communication d'un
principe analogue, dont les corps animés sont suscep-
tibles. En conséquence de ce galimatias, il promène
son doigt sur un individu qui veut connaître le
siège de son mal, et lorsqu'il approche de la partie
affectée, le sujet y reçoit une commotion semblable
à celle que cause l'électricité. Il a été en vogue pen-
dant quelque tems et a gagné beaucoup d'argent,
mais cette mode n'a pas duré ; il en est réduit aujour-
d'hui à écrire et à publier un ouvrages sur la décou-
verte du magnétisme animal"^. >^ Les seuls « pro-
diges » dont il se targue, c'est « de faire éprouver
un sentiment de chaleur, de froid, de douleur, etc.,
comme le certifient ceux qui l'ont consulté ». Mais
l'écrivain anon^^me ajoute que « des maux anciens
se sont renouvelés tout à coup par le seul contact,
que des maux cachés se sont développés»; et « les
médecins de la Faculté et autres, qui ont suivi les
expériences de M. Mesmer, prétendent... que son
talent n'est appuyé que sur des prestiges, sur la
UNE RELIGION NOUVELLE
69
crédulité des initiés, et qu'il n'y a pas un fait, un seul
fait constant, pour lui donner quelque consistance:
%'•
FIG. 17. — MKSMER
ils veulent qu'il opère ces prestiges, non par aucun
principe résidant en lui, mais plutôt par un agent
qu'il sait habilement emprunter des corps étrangers ;
70 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
ils le présument d'autant mieux, que ce n'est que
dans ses appartemens, sans doute préparés à cet
elîet, que le charlatan moderne produit des impres-
sions marquées 5 ».
Au sein du corps médical, deux partis s'étaient
formés. Les uns taxaient Mesmer d'impudent char-
latan, les autres réclamaient un examen de son sys-
tème. Un docteur réputé de la Faculté de médecine
parisienne, du nom de Deslon ou d'Eslon, soutint
avec force, devant ses collègues, cette dernière opi-
nion, mais après délibération l'assemblée des pro-
fesseurs rejeta sa proposition ^.
Celle-ci était cependant des plus raisonnables.
Que demandait le docteur Deslon ? Simplement,
que sous les auspices du gouvernement, on fît choix
de vingt-quatre malades, dont douze seraient réser-
vés par la Faculté pour être traités suivant ses mé-
thodes ordinaires, et les autres remis entre ses mains
et soumis à sa méthode particulière. Il excluait de
ce nombre les maladies vénériennes et ne faisait
pas d'autres exceptions. Il proposait, pour éviter
toute discussion et exception, que le choix fût tiré
par la voie du sort. Il demandait que les personnes
proposées par le gouvernement, pour assister à cha-
que examen comparatif des malades et en signer les
procès-verbaux, fussent exemptes de partialité, ou
du moins n'en pussent être soupçonnées : en consé-
quence, il désirait qu'elles ne fussent prises dans
aucun corps de médecine. Sa méthode exigeait peu
de frais, M. Mesmer ne réclamant aucune récompense
de ses soins pour les douze malades, mais seulement
que le gouvernement fît les dépenses relatives à leur*
entretien, et qu'ils ne fussent pas à sa charge 7.
UNE RELIGION NOUVELLE
Cette manière de défi ne pouvait qu'indisposer
la Faculté. Il fut question d'interdire ^ l'audacieux
collègue qui avait osé formuler une pareille proposi-
tion. Mais le champion des doctrines mesmériennes
?
PIG. 18. — LE BAQUET DE MESMER
ne s'émut pas pour si peu, et se riant de la menace,
courut offrir ses services à la victime des persécutions
odiciellcs.
Il semble bien que ce soit Deslon qui ait suggéré
à Mesmer l'idée de son fameux baquet. Celui-ci
était, sous sa forme la plus simple, une caisse de bois
ronde, contenant du verre pilé, de la limaille de fer.
72 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
et des bouteilles remplies d'eau magnétisée, rangées
symétriquement ; cette caisse était garnie de conduc-
teurs mobiles, pour diriger le fluide ^.
Afin d'opérer sur un grand nombre de sujets à
la fois, Mesmer leur faisait faire la chaîne, comme
dans les expériences électriques ; il les rangeait
autour de son baquet, ou d'un arbre magnétique
lorsque la saison le permettait.
Le 23 avril 1784, Mesmer magnétisait, à l'insu de
tout le monde, un cadran qui était dans la cour de
la maison qu'il habitait rue Coq-Héron. Il envoya
une petite fille voir l'heure à ce cadran ; aussitôt
qu'elle y eut porté ses regards, elle tomba dans une
crise des plus violentes. Le 13 juin de la même année,
un receveur des gabelles de Soissons racontait à un
de ses correspondants les effets extraordinaires qui
s'étaient passés sous ses yeux à Buzancy, près de Sois-
sons, autour d'un orme magnétisé par Puységur, le
disciple et continuateur de Mesmer. Contentons-
nous d'extraire de sa lettre ce passage : « Cet arbre,
magnétisé de temps immémorial par l'amour du
plaisir, l'est à présent par l'amour de l'humanité.
Messieurs de Puységur lui ont imprimé une vertu
salutaire, active, pénétrante ; ses émanations se dis-
tribuent au moyen de cordes, dont le corps et les
branches sont entourés, qui en appendent dans toute
la circonférence, et se prolongent à volonté. On a
établi autour de l'arbre mystérieux plusieurs bancs
circulaires en pierre, sur lesquels sont assis les
malades, qui tous enlacent de la corde les parties
souffrantes de leur corps. Alors l'opération com-
mence, tout le monde formant la chaîne, et se tenant
par le pouce... »
UNE RELIGION NOUVELLE
73
Le spectacle ne devait pas manquer d'agrément 1
Afin de disposer ses malades à recevoir l'action du
FIO, 10. — l.A PniNCESSE DE CONDÉ, MÈRE DU DUC D'r.NCIIIEN
fluide, le nouveau thaumaturge ne négligeait pas le
secours d'une douce musique ; les sons de l'harmonica
préparaient le calme des esprits.
74 LA PRINCESSE DE LAMRALLE INTIME
Dans son poème De U imagination ^°, bien oublié
aujourd'hui, Delille évoque le temps où
Mesmer de son art déployait les prodiges.
Il avait renversé ces vases, ces mortiers
Où l'on broyait les sucs trop souvent meurtriers.
Mais de l'heureux délire il nous versait la coupe,
De malades plus gais une docile troupe ,
De cordons entourés et des fers sur le sein.
En cercle environnaient le magique bassin...
Qu'on ne me vante pas la boîte de Pandore,
Le baquet merveilleux fut plus puissant encore :
Les maux n'en sortaient pas, l'espoir restait au fond,
Autour la douce erreur et les illusions.
Tous se félicitaient de leurs métamorphoses,
La vieille Eglé croyait voir renaître ses roses ;
Le vieillard décrépit, se ranimant un peu.
D'un retour de santé menaçait son neveu.
Mais quoi ! chez les Français est-il rien de durable ?
Mesmer courut ailleurs porter son art aimable.
Nous sommes loin, encore, de l'époque où Mesmer
méditera tristement sur l'ingratitude des foules ;
pour l'instant, se trouvant à l'étroit place Ven-
dôme, il vient de transporter ses pénates à l'hôtel
Bullion situé, approximativement, à l'intersection
de la rue Montmartre et de la rue J.-J.-Rousseau.
De toutes parts, se manifeste une noble émula-
tion : c'est à qui confessera sa foi magnétique, à qui
fera des prosélytes.
Une des premières, la duchesse de Bourbon, la
mère du duc d'Enghien, après en avoir fait sur
elle-même l'appUcation, emploie tout son zèle à
recruter des adhérents et des adhérentes. Elle se
UNE RELIGION NOUVELLE yS
constitue sa clientèle d'hystériques et de convul-
sionnaires, dont les spasmes, les suffocations et les
cris la captivent plus que ses lectures, plus que
les accords de sa harpe et les mélodies de son
clavecin ".
La duchesse entraîna un jour son amie, la ba-
ronne d'Oberkirch, che2i Mesmer. Le pontife du
magnétisme accueillit l'Altesse avec tous les égards
dus au rang qu'elle occupait; il poussa la con-
descendance jusqu'à opérer, en présence et à l'in-
tention de ses visiteuses, trois ou quatre de ces cures
extraordinaires que suffisait à réaliser le simple con-
tact du magique baquet ; nous laissons à penser si
les deux dames furent dans le ravissement.
La duchesse n'eût, dès lors, qu'une hâte, ce fut de
mettre en pratique elle-même les procédés qu'elle
avait vus si bien réussir entre les mains de Mesmer.
Jamais disciple ne se montra plus docile aux leçons
de son -maître. La tendance au mysticisme de cette
âme désemparée ne pouvait que fortifier sa croyance
au surnaturel; nul terrain ne fut mieux préparé à rece-
voir une telle semence. Encore la duchesse eut-elle
le bon esprit de hmiter sa puissance curative aux
maladies des nerfs et aux plaies ; sa réputation
était si bien établie en cette spécialité, qu'elle reçut,
dans sa maison de campagne, jusqu'à deux cents
malades par jour, qu'elle pansait et aidait de sa
bourse, lorsqu'ils étaient dans le besoin.
Le monde blasé, frivole, avide d'émotions, de la
fin de l'ancien régime, se disputait à prix d'or la
faveur d'être traité par le magnétisme. C'était parmi
les personnages du plus haut rang que Mesmer
compta ses plus fanatiques partisans.
76 LA PRINCESSE DE LAM HALLE INTIME
M. de Ségur, au retour de la guerre d'Amérique,
constate le délire qui s'est emparé de toutes les têtes et
il ne tarde pas à partager l'enthousiasmegénéral. « J'ai
vu, confesse-t-il, en assistant à un grand nombre
d'expériences, des impressions et des efTcts très réels,
très extraordinaires, dont la cause seulement ne
m'a jamais été expliquée. » En conséquence, il in-
vitait les savants et les philosophes à méditer sur
les causes de cette nouvelle et étrange propriété de
l'imagination ; en attendant, il ne pouvait qu'enre-
gistrer les faits qu'il observait, dont le suivant n'est
pas un des moins caractéristiques de la folie du jour.
Un des amis de M. de Ségur, allant à Versailles,
rencontre sur sa route un homme qu'on portait sur
un brancard. Saisi du désir de le soulager, il s'élance
de voiture, en habit de bal, arrête le brancard, magné-
tise le patient, malgré des torrents de pluie, aux yeux
des porteurs étonnés, et quand fatigué du peu de
succès de sa ferveur, il interroge ces derniers, il
reçoit pour toute réponse : « Malade ? il n'est plus
malade, Monsieur ; car, depuis trois jours, il est
mort ! »
Le comte de Pilos, le conseiller au Parlement de
Paris Duval d'Espréménil, le président de Sala-
berry, tous gens du monde et du meilleur, ne juraient
que par Mesmer. Comme il n'y avait que trois ba-
quets payants, et un gratuit pour les pauvres, il
fallait retenir sa place d'avance, ou prendre un baquet
entier, afm d'être assuré de n'en pas manquer.
On adressait à toutes les personnes de sa con-
naissance des invitations dans le genre de la sui-
vante : « Viendrez- vous ce soir avec nous ? j'ai
mon baquet. »
UNE RELIGION NOUVELLE
Rarement des opposants faisaient entendre leur
voix. Il n'était que des sceptiques endurcis pour résis-
ter à remballenieiit qui gagnait de proche en proche ;
Fir.. 20 — COMTH DITFORT DV. CIIF.VKI'.NY
mais que ne mettait-on pas en œuvre pour vaincre
leur obsliiiMlioii ? Le comte Dufort de Cheverny
a relaté cou m un L il se montra, pour sa part, réfrac-
taire à toute tentative laite pour le gagner à la
religion nouvelle ; son récit ne laisse pas d'ûlre
piquant '^
78 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Au cours d'un dîner chez le docteur Deslon, le
comte s'était fait fort de résister à toutes les sug-
gestions. On essaya, sans plus tarder, de le mettre à
l'épreuve, mais rien ne réussit à venir à bout de
sa résistance.
Des amis lui proposent de le conduire chez Mes-
mer. Rendez-vous est pris, pour le lendemain midi,
à l'hôtel de Coigny, rue Coq-Héron, où Mesmer
tenait ses assises. La troupe s'engage par un petit
escalier et arrive au premier étage. Mesmer, prévenli
de son arrivée, vient au-devant de M. de Cheveriiy et
lui dit avec son accent tudesque : « M. le comte de
Pilos et M. le président de Salaberry m'ont répondu
que vous n'abuseriez pas de la complaisance que j'ai
pour eux, en vous laissant voir les effets du magné-
tisme. J'exige seulement que vous ne disiez à per-
sonne que vous n'avez pas été reçu ; vous direz que
je vous ai traité et guéri. » Le comte acquiesce et
remercie le thaumaturge de l'avoir mis à portée de
s'instruire. Sous ces réserves, le mécréant est admis
à pénétrer dans le temple.
Laissons-le nous raconter ses impressions.
« Toutes les pièces étaient ouvertes ; dans la pre-
mière, décorée comme une salle à manger, il y avait
plusieurs personnes qui allaient et venaient ; on y
voyait un piano-forte ouvert et deux ou trois gui-
tares. Dans la pièce à droite, faisant jadis un grand
salon, étaient plusieurs personnes devisant très bas.
Quelques gens, les uns malades, les autres croyant
l'être, s'apprêtaient à entrer ou à s'en aller. »
Le visiteur est ensuite introduit dans la salle du
baquet, et la description qu'il en donne vaut le plus
exact des croquis. « Qu'on s'imagine une grande caisse
UNE RELIGION NOUVELLE 79
ronde, haute d'environ dix-huit pouces, fermée her-
métiquement, et en gros bois de chêne, à peu près
comme un baquet; plusieurs trous dans le couvercle,
dans lesquels entraient à l'aise des barres de fer cou-
dées, jouant à la volonté du malade ; de grosses
cordes d'un pouce, passant de même dans d'autres
trous, se rattachaient à la barre de fer du milieu.
Ces cordes, plus ou moins longues, étaient occupées
par des malades ou en attendaient. » Le reporter
improvisé retrouve là environ vingt personnes de
sa connaissance, tant hommes que femmes. « Les
uns dirigeaient une barre de fer soit vers des obs-
tructions, soit vers telle autre partie du corps qu'ils
croyaient malade. Il y avait des hommes penchés,
des femmes en léthargie; les uns poussant des cris
périodiques, d'autres se livrant au sommeil, d'autres
à des rires convulsifs. » A ceux qui lui demandent
quel est son mal, le comte répond qu'il n'en a plus,
qu'il est complètement guéri ; la plupart des malades
présents se plaignent de n'éprouver aucun soulage-
ment, mais ils ne perdent pas espoir pour cela.
Voici qu'un médecin s'approche, reconnaissant
une figure qui ne lui est pas familière : « Monsieur,
dit-il à l'inconnu, prenez garde, cette dame va avoir
des convulsions » ; celles-ci ne tardaient pas, en effet,
à se produire : « elle se tordit les bras, roula les yeux,
rit, cria ».
Pour ces sortes de patients, il y avait des chambres
spéciales, entièrement matelassées, et dont les murs
et les croisées étaient à la hauteur de six pieds :
c'est là qu'on enfermait, pendant toute la durée de
la crise, celles qui étaient prises d'accès convulsifs.
Le mal de la dame ne se calmant pas et allant au
80 LA PRINCESSE DE LAM DALLE INTIME
contraire en augmentant, « elle fut ficelée comme un
bout de tabac (sic) ; trois gaillards de médecins la
détachent et la prennent, malgré les efforts qu'elle
faisait, ses cris, ses sanglots ; on ouvre la porte, on
la pousse dans cette chambre ». Pendant quelques
instants, on l'entend crier sourdement, puis c'est le
silence...
Dans le lointain, une musique se fait entendre, une
voix comme aérienne chante une ariette italienne.
« Tous écoutent, tombent en extase, et l'on peut suivre
sur leurs visages les mouvements de la musique, ou
gaie ou triste. »
Tout ce qu'il a vu jusqu'ici provoque, chez le visi-
teur, cette réflexion," « qu'il y avait là bien des dupes
et beaucoup de jongleurs ». Il poursuit néanmoins
son enquête, tenant à se faire une opinion dégagée
de parti pris. Il descend à l'étage inférieur et pé-
nètre « dans une grande pièce donnant sur le jardin,
ayant deux croisées ouvertes, avec une grande che-
minée et un gros poêle ; elle avait l'air d'avoir servi
à une serre chaude ». C'était la salle réservée aux
petites bourses; il y avait là « des individus assez
mal mis, comme des couturières, etc., de tous les âges ;
et brochant sur le tout, une quantité de commères ou
de gardes-malades. Le baquet était établi entre les
deux fenêtres. Plusieurs vieilles femmes, assises sur
des chaises de paille, étaient dans des assoupis-
sements profonds ».
L'une d'elles semblait paralysée ; une autre, qui
avait les yeux fermés, les rouvrit, après que le méde-
cin lui eut passé plusieurs fois l'index sur les pau-
pières. Elle « se réveilla et regarda tout le monde.
Le médecin lui promena les mains, les doigts éten-
m.. 21. — CAHICATLKE COM HE MEHMEH
82 LA PRINCESSE DE LAMUALLE INTIME
dus, à un demi pied tout le long de son corps, sur-
tout sur l'estomac ; par dsgrés elle revint à elle,
se leva, causa... Elle se fit donner un siège vis-à-
vis la paralytique et la magnétisa un gros quart
d'heure, mais la chose ne réussissait pas. Alors,
elle lui prit tous les membres, lui secoua toutes les
articulations, avec une adresse que n'aurait pas eue
le plus habile garçon de l'Hôtel-Dieu. La paraly-
tique criait, pleurait, souffrait ; enfin, l'imagina-
tion exaltée opéra son effet, elle jura qu'elle se
trouvait mieux et se mit à marcher de force et
avec un bras (?). Tous les regardants furent dans
l'admiration ». Mais l'étonnement devint de la stu-
peur, lorsqu'on vit l'infirme se rajuster avec une
espèce de coquetterie, ne faire qu'un bond sur l'ap-
pui de la croisée, et de là sauter dans le jardin,
« où elle se mit à folâtrer et à couper des fleurs,
comme une femme qui avait gagné sa journée. Plu-
sieurs autres furent magnétisées, endormies, ré-
veillées ».
Le comte Dufort s'empressa, une fois de re'-our
dans sa terre de Cheverny, de faire construire un
baquet semblable à ceux de Mesmer, et tous les boi-
teux, paralytiques et autres malades des bourgs en-
vironnants furent invités à essayer du remède.
Comme l'invitation était accompagnée d'un secours
pécuniaire, les habitants des villages se présentèrent
en foule, mais la magnétisation et toutes ks sima-
grées qui l'accompagnaient restèrent sans effet.
C'était la faillite complète du système mesmérien.
L'apôtre de la rehgion nouvelle gardait cependant
ses partisans, qu'aucun revers ne parvenait à décou-
rager. M. de la Trémoille rapporte qu'un de ses
UNE RELIGION NOUVELLE 83
ancêtres maternels ayant été guéri par Mesmer,
des enthousiastes crièrent au miracle. Le malade
avait passé sept à huit heures par jour chez le médi-
castre, sans en éprouver aucun ennui, parce qu'il n'y
avait aucune drogue à prendre, aucun topique à
appliquer ^3.
Les plus fortunés se mettaient en pension chez
Mesmer ; à dix louis par mois, celui-ci ne suffisait
pas aux demandes. D'autres se contentaient d'ache-
ter des objets magnétisés, dont la vertu, sans être
aussi efficace que celle des baquets, produisait maintes
guérisons. Il se créa toute une industrie ; on vendait
des petits baquets, chacun voulait avoir le sien
chez soi, pour pouvoir se traiter à domicile ; mais
afin de conserver les avantages de son invention,
Mesmer se gardait de dévoiler aux acheteurs le secret
de ses manœuvres.
Si ce secret allait disparaître avec la mort de son
inventeur, quelle catastrophe pour l'humanité !
Comment envisager sans effroi une telle éventualité ?
Les dévots et les dévotes du nouveau Dieu ne se
Jigueraient-ils pas pour conjurer un pareil malheur ?
11 suffisait que l'un d'eux en prît l'initiative. D'où
celle-ci partit-elle, on l'ignore ; toujours est-il qu'en
peu de jours, une cabale se forma, qui comprenait
des personnages de marque, comme La Fayette,
le prince de Condé, les ducs de Bourbon et de Coigny ;
(le grandes dames, comme la marquise de Coislin,
la duchesse de Villeroy, la princesse de Lamballe.
Tous s'engagèrent à user de leur inffuence auprès
du ministre d'État, pour qu'il donnât à l'empirique
une subvention suffisante, qui lui permît de se fixer
définitivement à Paris,
>E DE LAMBALLE INTIME
M. de Maurepas offrit à Mesmer une pension
viagère de 20.000 francs, plus une somme de
10.000 francs destinée au loyer d'une maison où
seraient reçus des malades et formés des élèves.
On ne doutait pas que Mesmer acceptât avec
empressement d'aussi avantageuses propositions ;
c'était le mal connaître. Le souvenir des obstacles
qu'il avait rencontrés au cours de sa carrière
l'avaient rendu défiant. La vogue dont il jouissait
durerait-elle toujours ; n'était-il pas à craindre qu'un
jour viendrait où la mode ne s'en mêlant plus, on
en arriverait à suspendre ou même à supprimer le
paiement de la pension qu'on se proposait de lui
accorder ? N'émettait-il pas la prétention qu'on
reconnût officiellement la réalité et l'utilité du
magnétisme avant de lui offrir une récompense ?
N'aurait-il pas l'air, en agissant autrement, de n'avoir
en vue que l'intérêt pécuniaire, qui était loin de sa
pensée ? Le ministre ayant refusé d'entrer dans
ses vues, le charlatan annonça qu il allait quitter la
France et transporter sa méthode et ses baquets dan
un pays plus hospitalier.
Des pamphlets furent répanaus en tous lieux,
dépeignant Mesmer comme « un imposteur, un
impudent, un homme lubrique, qui, sous les ap-
parences d'un bienfaiteur de l'humanité, ne cher-
che qu'à assouvir sa paillardise^* ». On accusait
ouvertement Mesmer et son compère Deslon d' « abu-
ser étrangement de leur prétendu magnétisme, de
tenir école de libertinage, et tandis qu'ils endorment
les vieilles avec leur art, de causer aux jolies femmes
des titillations délicieuses, de façon à s'en faire
prôner et recherchera^ ».
UIN'E RELIGION NOUVELLE 85
Des petits vers coururent, entre autres un vaude-
ville, sur l'air de Changez-moi celte tête, où Ton Lour-
FIG. 22. — COURT DE GIBELIN
nait en ridicule le mesmérisme et ses deux prota-
gonistes :
Un tudesque empirique
Au bout d'un doigt magique
Fait naître la colique
Ou la chasse à l'instant.
86 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Son Don Quichotte ^^ assure
Que la mort en murmure,
Et cite mainte cure,
Dont il est seul garant.
Changez-moi ces deux têtes.
Ces magnétiques têtes,
Changez-moi ces deux têtes.
Têtes de charlatan . '~
Mais s'il y avait les détracteurs, il est juste de
reconnaître qu'il y eut ar.ssi les fervents, qui ne
savaient à quel moyen recourir pour témoigner leur
gratitude.
L'un d'eux, le savant auteur du Monde primitif.
Court de Gébelin, guéri d'une longue et grave mala-
die, grâce aux soins de Mesmer, au lieu du neuvième
tome de son volumineux ouvrage, qu'il devait adres-
ser à ses soucripteurs, ne leur envoya qu'une lettre
de 46 pages ^^ où il leur annonçait qu'au printemps
précédent, il était aux portes de la mort et n'attendait
plus qu'elle, lorsqu'il fut rappelé à la vie par la ba-
guette magique de son sauveur; ce qui ne l'empêchait
point, quelques mois plus tard, de mourir... chez
Mesmer lui-même, en pleine salle des crises! Il était
atteint, il est vrai, d'un mal qui ne pardonne guère :
un épithélioma de la lèvre supérieure, compliqué
d'albuminurie ^^
Uno avulso, non déficit alter. Un autre malade de
Mesmer, un avocat en renom, Bergasse, proclama,
dans un de ses écrits, que le moment était venu
d'acquitter envers Mesmer « la dette de l'huma-
nité 20 )),
Suivant les conseils du banquier de Kornmann,
dont le fils avait été guéri par Mesmer d'une cécité
UNE RELIGIOxN ^OUVELLE «^7
presque complète, il lança l'idée d'une souscription
de cent actions, à cent louis chacune, soit 2.400 francs
au taux de la monnaie du jour, pour permettre
à Mesmer de vivre dans l'indépendance et de s'oc-
cuper uniquement à vulgariser sa découverte. Envers
les souscripteurs, l'inventeur s'engageait à leur ré-
véler sa méthode, dont ils pourraient disposer, par
la suite, comme d'une propriété leur appartenant.
Il ne fallut pas plus de six mois pour recuciUir
plus de 340.000 francs, qu'avaient versés les cent
chevaliers qui allaient constituer YOrdre de VHar-
wonie. Nous reproduisons le fac-similé d'un de ces
contrats, en vertu duquel Mesmer prenait l'engage-
ment d' « instruire dans tous les principes qui consti-
tuaient cette doctrine » le souscripteur, en l'espèce
le marquis de La Fayette, lequel, de son côté, pro-
mettait de ne « former aucun élève », de ne « trans-
mettre, directement ou indirectement, à qui que ce
puisse être, ni tout ni la moindre partie des connais-
sances relatives, sous quelque point de vue que ce
soit, à la découverte du magnétisme animal », sans
l'autorisation de Mesmer. Il ne pouvait conclure
aucun traité ou accord avec un « prince, gouver-
nement ou communauté quelconque », relatif au
même magnétisme ; instituer « aucun traitement
public, ou assembler des malades », qu'il ne devait
voir et traiter qu'isolément et en particulier.
Un amateur éclairé des documents du passé, M
le docteur R. Hélot, nous a fait connaître ^^ un
contrat semblable à celui que nous publions et qui,
celui-ci, fut passé entre un médecin de rilôtel-
Dieu, Jean-Antoine Rouelle, qui avait suivi les
cours de Mesmer, et ce dernier. Notre confrère
88 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
fait justement remarquer, à ce propos, qu'il n*est
pas fait mention, dans ces engagements, de la somme
qu'avait à verser le contractant; sans doute était-ce
pour ménager la délicatesse de celui qui en était le
bénéficiaire, el pour donner « une preuve de confiance
et de noblesse, en s'abandonnant à sa bonne foi ».
Le contrat ne mentionne pas non plus cette clause,
que Mesmer avait exigée : tout élève qui dévoilait
sa doctrine devait lui verser, à titre de dommages
et intérêts, cinquante mille écus ; devant l'énormité
de cette prétention, imposée aux douze premiers
souscripteurs, ceux qui vinrent ensuite s'étant regim-
bes, Mesmer voulut bien se contenter de leur parole
d'honneur.
Le siège de VOrdre de IHarmonie avait été établi
rue Coq-Héron, à l'hôtel de Coigny ; on avait amé-
nagé celui-ci sur le modèle d'une loge maçonnique ;
au fronton du bâtiment, on voyait un autel ardent,
un ciel étoile, avec la lune dans son plein, et la devise :
Omnia in pondère et mensura ^\
Parmi les premiers adhérents, figuraient des per-
sonnages appartenant à l'élite lie la nation, entre
autres MM. de Noailles, de Chastellux 23, de Choiseul-
Gouffier; même des savants, comme Cabanis et
BerthoUet. Ce dernier, après avoir suivi les cours de
Mesmer avec assiduité pendant deux semaines, quitta
un jour brusquement la réunion avec éclat, déclarant
que les effets du magnétisme étaient dus à l'imagi-
nation, et que ses pratiques et ses doctrines étaient
purement chimériques. Bans l'intervalle, le coadjuteur
de Mesmer, le docteur Deslon, se séparait définiti-
vement de son maître ^'*, après des brouilles suivies
de raccommodements.
UNE RELIGION NOUVELLE
«0
Deslon logeait rue Vivienne, au n® 16. A rencontre
de Mesmer, qui faisait du magnétisme une exploi-
IN OUS fou/Tigncs . Antoini MESMER , Doûcui ci> M^Jccinc , donc part , 8:
Moi .ANTÙiNi MESMER, ayaiw toujours dt£f é de rcpindrc pirmi des perfonncs honnctel
u vcrtucufes, la DoAiine (luM«(,NtTi>Mt Aniual,jc confcus. & je m'engage à iaibuite
dam tous les principes qui conlbiuent cette Doilnne , M. .^i-^/J eut^tAjLA.^^i'Cm-wSu^^CM. — V
dinommj ci-dcfTus , aui coodiiions fuivaiites :
1» Il oe pouti» former aucun Elève , uanfme«re direûement ou mdireflcment , à <jui que ce ,
puilc ctrc , ni tout , ni la moindre parue des connoidances , relatives , fous <]uel<]ue point de vue
que ce fuit , à la découverte du Macnitismi Animal, tant un confcntcmcnt pat écue ,
£enè de mob
a*. Il ne fera , xw. aucun Prince , Gouvernement, ou Communauté quelton<]ue, m nJgociaiiOn>
Di traité , ni accord d'aucune efpccc relatifs au M acn 1 1 isME Animai, me réfctvani tiprcnii»
tncnt ic ptivauvcmcm cette faculté
5* Il ne pourra, fans mon cuiifcmement exprès îc pat écrit, établit aucun Traitement publie,
ou aÏÏcmbIcr des Malades pour les uaiter <a commua pat ma Méthode , lui pcrmcttaui feulement
de voit &. de iiaitcr des Malades en paiticulia , & d une manière ifOlOe
4» Il s'tngigcra avec moi par le ferment facic Dt l'honnei;» verbal te. écrit , i fc confor-
mei ligoureufcment , fans reftiiélioo aucun« , aux conditions ci-ddTui , je i ne faire , autotifer,
favoriict , diieélcmeiii ou indireélcment , dans qudtiuc partie du monde (ju U habite , aucun Etablif-
feiTKni , (ans mon aiiaLlic formelle.
Et mot , ^Jouruix
d^iwnimé ci-dtrtus . confidéiant que U DoélrtKc du M acnî r iSM ï Animai eft la propriété de
M. M L S M E R fon Auteur , *' quil n'appartient qua lui de déterminer les conditions auxqucllel
Il confeni de la propager . ) accepte en totalité les conditions énoncées au préfcnt AClc , & j'engage
pai éciit , (omme je i aï lait veibaicment , ma parole d honneur ta plus ûcréc d'en obfavei- la
teneur de boniK-foi , avec l'eiaéhtude la plus Icrupuleufc.
f A4» DOi^ «Il entie nous librement , fous nos feings, avec prome/fe de ratifier par-devaot Isfo»
tar: . à la première téquifition d une des dcuj Parues , aux fiais du requéiam. A Paris,
FIG. 23. — CONTRAT DE MEdMEH AVEC LAFAYF.TTB
la Lion el une spéculation, son disciple s'y était
adonné par conviction et par dévouement à ses sem-
blables.
90 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Natif des Vosges, où sa famille était établie,
Deslon avait été reçu docteur à Besançon. Après
avoir terminé ses études en province, il était venu
suivre des cours à Paris, notamment ceux d'Antoine
Petit. Un jour que ce savant anatomiste soutenait,
devant ses élèves, que la plus grande jouissance du
monde était d'être pendu, M. Deslon, que Petit
affectionnait particulièrement, lui dit : «Mais, mon
cher maître, vous qui êtes si loin d'être l'ennemi des
plaisirs, comment ne vous êtes-vous pas encore
procuré celui-là ? — Mon ami, lui répondit Petit,
c'est que je le garde pour la bonne bouche. »
Deslon avait des prétentions nobiliaires; il se
vantait de descendre des Dillon et d'appartenir à
une famille de gentilshommes : d'où la particule
qui précède parfois son nom. Il avait, « avec une
belle figure, une taille superbe, et autant de noblesse
que de grâce dans le ton et les manières... beaucoup
d'esprit, beaucoup d'instruction, beaucoup de carac-
tère ». C'était, de tous les magnétiseurs, « le plus
célèbre et le plus consciencieux -5 ».
Autour de ses baquets, se trouvaient toujours
réunies trente ou quarante personnes, appartenant
presque toutes à la haute société. Là, se rencontraient,
de midi à 4 heures et de 7 heures du soir à 1 1 heures,
des hommes et des dames plus ou moins titrés, et
beaucoup de gens d'esprit : les princes deBeauffremont
et d'Henin, le comte de Solms et le vicomte de Bour-
sac, la vicomtesse de Choiseul et la comtesse de
Brassac. Celle-ci, de peur de manquer une séance,
se rendait parfois au baquet au retour de Versailles,
en grand habit de cour 2^.
On voyait chez Deslon la présidente de Bonne-
UNE RELIGION NOUVELLE
91
^
h H ^ i
f'
N.
92 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME .
ville, à laquelle on était sûr de déplaire en la con-
fondant avec sa presque homonyme, Madame de
Bonneuil, une des « berceuses » du banquier Beau-
jon ; beaucoup d'étrangers et surtout d'étrangères :
des Irlandaises, des' créoles de Saint-Domingue, s'y
montraient assidues. C'était une école de bon ton
et de belles manières.
Quiconque en avait le désir pouvait apprendre
à magnétiser, sous la direction d'un médecin et chi-
rurgien, nommé Galland, qui venait tous les matins
l'aire sa visite. La consultation terminée, le «galant»
docteur donnait des leçons élémentaires d'anatomie
à qui voulait les suivre, enseignait à examiner un
malade, indiquait les moyens de le calmer s'il
avait des spasmes, ou de combattre son atonie s'il
manifestait de la faiblesse nerveuse. Sagement il pro-
fessait que le magnétisme ne suffisait pas seul à faire
disparaître le mal, mais qu'il était le meilleur
agent curatif, les remèdes ordinaires ne devant
être considérés que comme ses auxiliaires. Deslon
partageait le même sentiment, définissant le ma-
gnétisme « l'action de la volonté sur la matière
animée ».
Ses contemporains semblent généralement avoir
tenu en plus haute estime Deslon que son maître.
M. de Montjoie, qu'avait pourtant guéri Mesmer,
déclarait que la méthode de « ce charlatan » n'était
qu'un « galimatias, digne des livres cabalistiques »,
et qu'on se croyait « revenu aux temps barbares
de l'astrologie judiciaire ^^ », Mais cette protes-
tation isolée ne trouva pas d'écho.
C'était devenu plus qu'une mode, une fureur; tout
le monde s'en mêlait ' hommes, femmes et enfants.
UNE RELIGION NOUVELLE 98
Un professeur de physique d'Amiens enseignait
''xt art à ses écoliers, qui s'en amusaient ; une femme
vaporeuse, après avoir été longtemps entre les mains
d'un docteur de la nouvelle secte, lui avait dérobé son
secret et tenait école de magnétisme chez elle ; un
Augustin, prédicateur en renom, le père Hervier,
non content de guérir les âmes, s'ingéra de guérir
les corps ^^ < il avait, sur le bénéfice de ses sermons,
prélevé la somme nécessaire pour acheter la recette
de ]\K'snier, et appelé à Bordeaux pour la station du
carême, il remplit son second apostolat en propageant
de son mieux le système en vogue ^9.
Des hôpitaux électriques s'étaient fondés, tel celui
de Ledru, l'ancêtre de Ledru-Rollin. Ledru-Comus
fut un des premiers qui ait appliqué, empiriquement,
l'électricité au traitement des maladies ; mais on
dira de Ledru ce qu'on avait dit de Mesmer et de
Deslon, que les cures qu'ils opéraient devaient être
attribuées, plutôt qu'à leur art, « au temps, à la
nature, aux circonstances et aux remèdes connus
dont ils font usage aussi ».
Entre temps, le gouvernement, ne voulant pas
paraître se désintéresser d'une médication dont tant
de malades prétendaient se bien trouver, nommait
une commission, composée de quatre membres de
la Faculté et cinq de l'Académie des sciences. Plus
tard, une autre commission fut prise au sein de la
Société royale de médecine. Ces commissions étaient
chargées de suivre les traitements du docteur Des-
lon 3°, et d'en rendre compte à S. M.
On remarquera qu'il n'est plus question de Mes-
mer, avec lequel la science ofTicielle dédaigne de se
commettre. A l'exception du naturaliste de Jus-
94 LA. PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
sieu 3ï, la commission, après diverses expériences
chez Franklin, à Passy, concluait que « rien ne prouve
l'existence du fluide magnétique animal ; que ce
fluide sans existence est, par conséquent, saris uti-
lité ; que les violents elTets qu'on observe au traite-
ment public appartiennent à l'attouchement, à
l'imagination mise en action, et à cette imitation
machinale qui nous porte malgré nous à répéter ce
qui frappe nos sens ». La commission mettait
les malades en garde contre un agent dont le
maniement n'était pas sans danger, les attouche-
ments étant susceptibles de produire des crises nui-
sibles. Le spectacle même de ces crises était reconnu
dangereux : « par conséquent, tout traitement public
oii les moyens de magnétisme sont employés ne
peut avoir à la longue que des effets funestes ».
Lorsqu'on sait que cette commission comptait
au nombre de ses membres des savants d'une auto-
rité et d'une loyauté indiscutables, comme Bailly,
d'Arcet, Lavoisier, Guillotin, on ne peut que sous-
crire aux conclusions d'un de nos neurologues, élevé
à l'école de Charcot, lorsqu'il proclame que le rap-
port de 1784 est « une œuvre scientifique de premier
ordre, qui mérite encore d'être consultée aujourd'hui,
par ceux qui s'intéressent à l'hypnotisme et aux
maladies du système nerveux».
Frappé d'ostracisme par la science oflicielle, aban-
donné par un grand nombre de ses disciples, Mesmer,
copieusement chansonné 32 et caricaturé, finit par
sombrer sous le ridicule.
Le 16 novembre 1784, eut lieu la première re-
présentation, par les comédiens italiens ordinaires
du Roi, d'une comédie-parade en un acte, intitulée :
AmOIN^ LAXmHNT LA^'PîSJiaii
FIG. 25. — LAVOISIER
gô LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
les Docteurs modernes 33. Tout Paris alla voir et
applaudir cette satire contre le mesmérisme, où l'on
relève des couplets comme le suivant. Cassandre
(Mesmer) répond à son domestique Pierrot :
Mon enfant, conçois mon dessein :
Peu m'importe que l'on m'affiche
Partout pour pauvre médecin,
Si je deviens médecin riche...
A la fm de la pièce, comme le public demandait
à grands cris le nom de l'auteur (Radet), le régis-
seur s'avança vers la rampe et dit : a Messieurs, j'ai
eu l'honneur de vous annoncer que l'auteur était
dans la salle des crises ; vos bontés l'en ont fait
partir et nous ne savons pas ce qu'il est devenu ^♦. »
Mesmer avait fait comme l'auteur, mais pour un
autre motif : il avait pris la fuite et s'était réfugié
en Angleterre 35, après avoir ^ vendu sa clientèle à
un médecin du duc d'Orléans, M. de la Motte. Il ne
paraît pas avoir réussi chez les insulaires, car il
s'empressa de quitter le sol britannique, pour aller
fonder une clinique à Berlin. Il serait revenu en
France en 1793 et aurait été témoin de l'agonie et
du supplice, au Champ-de-Mars 3^, de l'ancien maire
de Paris, Bailly, un des signataires du rapport contre
le magnétisme.
On retrouve ensuite Mesmer en Italie, puis à
Vienne en Autriche, d'où il fut expulsé à la suite
d'aventures scandaleuses.
Il demanda dès lors asile à la Suisse, et sollicita
du gouvernement fédéral « une place de médecin
dans une ville de la République, où il existe un
UNE RELIGION NOUVELLE
97
hôpital, qui lui sera confié, en attendant qu'il
plaise au gouvernement d'agréer ses connaissances
et ses services, qu'il se propose de lui offrir pour
le perfectionnement de l'art de guérir 37 », Sq ye-
quête resta sans réponse, de même que la pétition
qu'il avait adressée au ministre de l'Intérieur de
France, le 3 nivôse an VII, et dans laquelle il deman-
dait la nomination d'un jury pour examiner sa doc-
trine, promettant, s'il était fait droit à sa demande,
de « professer le magnétisme en faveur des élèves en
médecine et de leur en enseigner la pratique clinique».
Retombé dans l'oubli, Mesmer se retira à Meers-
bourg, sur le lac de Constance, non loin du village
d'Iznang, qui l'avait vu naître.
Sa doctrine ne paraît pas avoir rencontré autant
d'adeptes en Allemagne qu'en France, du moins si
l'on s'en rapporte à la lettré qu'il écrivait, le 15
février 1805, à une dame Cardon, de Versailles, et
dont ce fragment nous a été conserv 33 ; « N'ayant
d'autre occupation que de soigner ma santé, je ne
suis sorti de chez moi depuis deux mois. Absolument
seul ici dans mon genre, je vis inconnu et méconnu
de toute la nation allemande : pensez quelle société I
Je n'ai pas encore eu l'occasion de parler de mes
découvertes et de mes connaissances. »
Mesmer succomba en 1815, âgé de plus de 80 ans 39,
après avoir fourni un des chapitres les plus acci-
dentés à l'histoire de la crédulité humaine.
NOTES DU CHAPITRE V
1. Et non en 1775, comme l'a imprimé Chereau (Éphémé-
rides médicales, de VUnlon médicale).
2. Le magnétisme en images, par Henry Meige {Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière, 1889).
3. EaNEST d'Hauterive, le Merveilleux au XVIII' siècle. Paris
s.d.
4. Mémoires secrets, etc. (de Bachaumont). A Londres, 1781,
t. XV, Il janvier 1780.
5. Réponse d'un médecin de Paris à un médecin de pro-
vince, sur le prétendu magnétisme animal de M. Mesmer
(Mém. secrets, I. c, 227; 13 juillet 1780).
G. Mémoires secrets, 7 octobre 1780.
7. Id., 9 octobre 1780.
8. Id., 13 octobre 1780.
9. Notice biographique sur Mesmer (La vérité du magné-
tisme prouvée par les faits. Paris, 1829).
10. Chant II, t. VIII des Œuvres; Paris, 1833, 65 et s.
11. Comte Ducos, la Mère du duc d'Enghien (1750-1822). Paris,
1900.
12. Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la
Révolution (Paris, Pion, 1886), t. II, chap. xvi et suiv.
13. Mon grand-père à la cour de Louis XV et à celle de Louis XVI;
Nouvelles à la main, par Louis de la Trémoille, membre de
l'Institut. Paris, 1904.
14. Mém. secrets, 13 septembre 1781.
15. /d., t. XXIII, 21 juin 1783.
16. Le docteur Deslon.
17. Mém. secrets, t. XXIII, 1" juillet 1783.
18. Id., t. c, 1*' septembre 1783.
19. Cf. Bulletin de la Soc. franc. d'IIist. de la médecine, t. V
n" 2-3 (1906 j, 228-230.
20. Considérations sur le magnétisme animal, ou sur la théorie da
monde et des êtres organisés d'après les principes de Mesmer. A La
Hâve, 1784.
UNE RELIGION NOUVELLE 99
21. V. la Revue médicale de Normandie, loc. cit. (art. du doc-
teur R. HtiLOT).
22. J)octeur Eugène Louis, les Origines de la doctrine du ma-
gnélisme animal ; Mesmer et la Société de l'Harmonie. Paris, 1899.
23. Souvenirs du baron de Frénilly, par Authlr Chuquet
(1908).
24. Mém. secrets, 14 janvier 1784.
25. Mémoires du général baron Thiébaut, t. I (1894), 98.
26. Op. cit., 87.
27. Mém. secrets, 19 févr. 1784.
28. Id.y 25 oct. 1784. (On peut lire dans ce recueil la cu-
rieuse lettre du P. Ilervier aux Bordelais.)
29. Id., 9 avril 1784.
30. Sur les démélésde Deslom avec Mesmeh, v. les Mémoires
rcrets, t. XXVI (1784).
31. Mém. secrets, 11 décembre 1784.
32. Jd., 17 janvier et 27 avril 1785.
33. Id., t. XXVII, 17. 24 et 30 novembre ; 7 et 2G décembre
1784.
M. Éphémérides du docteur Chereau, 16 novembre 1784.
35. Auparavant, il avait fait un voyage dans le sud-ost de
la France, notamment à Grenoble et à Lyon, où il avait reçu
un accueil triomphal. La roue avait tourné depuis !
3<>. Ce détail a été confié, par un certain docteur Aubry,
ami particulier de Mesmer, au docteur loissac, qui l'a re-
laté (V. la note 1 de la page 226 de Rapports et Discussions de
L Académie royale de médecine sur le magnétisme animal, recueil-
lis par un sténographe, et publiés avec des notes <'\| !i( a-
tives, par M. P. Fuissac. Paris, 1833).
37. Le Manuscrit, 2* année, n° 10 : une note inédile de
Mosraer.
38. Feuilles d'histoire (directeur : Authuu Ciilquet), 1913 ,t. I,
-'.S 2.
39. Encore prétendait-il qu'il eût vécu dix ans de plus sans
ime saignée malencontreuse qu on lui avait faite dans sa
jeunesse.
CHAPITRE VI
LA MALADIE ET LA MORT DU PRINCE DE LAMBALLE
Au temps où la vogue de Mesmer battait son
plein, où malgré de cruels mécomptes % les
adeptes de ses doctrines se comptaient encore par
milliers, un des plus zélés disciples du charlatan,
celui que nous avons nommé son coadjuteur, le
docteur Deslon, recevait un jour la visite de deux
dames, qui avaient tenu à s'offrir le spectacle des
malheureuses, contorsionnées par l'hystérie, qui se
pressaient autour du baquet mystérieux. Le publi-
ciste qui rend compte de cette visite ^ enregistre
que « les femmes surtout ont été scandalisées d'une
semblable curiosité, car ce sont elles qui éprouvent
les plus singulières convulsions, tenant beaucoup
des extases du plaisir ; aussi sont-elles les plus
ardentes à prôner le mesmérisme ». Les deux dames
n'étaient autres que la princesse de Lamballe et
une personne de sa suite.
Madame de Lamballe était-elle mue par une de
ces curiosités malsaines dont on l'a parfois accusée,
comme lorsqu'elle s'était présentée à la Salpêtrière,
»
lie. 2<», — LA ll:iM I --1 m. I.AMIIAM
.Mi. ,. , ,|. \I, 1/,)
I02 LA PlUNGESSE DE LAMBALLE IMIMr:
pour y voir de près les filles qui y étaJent eiiferinées ?
On a relaté que, devant leur relus d'accueillir la visi-
teuse, celle-ci s'était attirée, de la religieuse préposée
à la surveillance des détenues, cette réponse bles-
sante, qu'elles n'étaient pas « condamnées » à la
recevoir ^. En réalité, la princesse de Laniballe
était une névropathe, dont le mal remontait à l'en
fancc, puisqu'elle se plaignait déjà, dès son plus jeune
âge, d'être tourmentée par de violentes céphalées
qui ne diminuèrent qu'à la puberté.
Ceux qui la soignaient lui avaient laissé espérer
que le mariage dissiperait ces malaises, il ne fit
que les aggraver.
Marie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan n'avait
pas atteint sa seizième année, lorsqu'on l'unit au
fils unique du duc de Penthièvre, le prince de
Lamballe, âgé à peine d'un an de plus que sa
jeune épouse.
Nous passons sur les cérémonies du mariage,
qui furent célébrées avec la solennité habituelle.
Nous n'c« retenons qu'un détail, dont l'archaïsme
ne manque pas de pittoresque : après que le grand
aumônier du Roi, chargé d'unir le couple princier,
eut prononcé l'allocution d'usage et donné sa bé-
nédiction, les nouveaux mariés passèrent dans
l'appartement de la reine, où, pour sacrifier à
l'étiquette, « la jeune princesse s'étendit sur un lit
de parade auprès du prince de Carignan, son frère,
dont, suivant l'usage, une jambe était déchaussée,
et ('autre avait encore la botte et l'éperon ^ ».
Louis-Stanislas de Bourbon nous est dépeint,
comme « régulièrement bien fait, grand et robuste... »
Particularité physiologique qui a son importance,
FIG. 27. — LA
Au milieu, la princesse de Lamballe, entre son mari et la duchesse de
(D'après la peinture de van L<
l!ON-PENTIIIEVRK
f Kd-ur ; îi Kauchc du tableau, le duc de l»enthi
«niniuniqut-e par le D' Valcaiiii').
(Iroito, lu duchesie
MALADIE ET MORT DU PRINCE DE LAMBALLE IO7
il avait les yeux vairons ; « ses deux yeux n'étaient
pas de la même couleur, ce qui donnait à &a physio-
nomie quelque chose d'incompréhensible » (étrange
serait une expression plus juste) ; du reste, ajoute
le portraitiste s, « il était aussi bien qu'il est [)os-
sible de l'être, avec ses cheveux roux ^ ».
D'aucuns lui reconnaissent « du jugement, de
l'instruction, de l'esprit » ; mais nous savons, d'autre
source, qu'il se plaisait à des puérilités ^ ; que la
chasse était sa principale occupation ^.
Lorsque le prince annonça que « le désir qu'il
avait d'élever une petite meute pour courir le che-
vreuil, était totalement passé 9 », son père,
le vertueux duc de Penthièvre, considéra cette
transformation dans les habitudes de son fils, comme
une <( résurrection morale ^° ». Ces bonnes disposi-
tions n'allaient pas longtemps durer.
On avait conservé l'espoir que le mariage avec
une princesse aimable, douce, pourvue de toutes
les séductions du corps ", à défaut de celles de
l'esprit '% dont elle n'était que médiocrement douée,
retiendrait dans le devoir cet écervelé ^^ qui, jus-
qu'alors, avait mené une vie de dissipation, comme
la plupart des seigneurs de son âge et de son temps.
On chuchotait hieq qu'il avait contracté une union
secrète avec une personne qui n'était pas de son
rang, une paysanne dont il avait eu les prémices,
mais à ers racontars '^ il convient de n'accorder
qu'une créance relative.
Fallait-il ajouter davantage foi aux bruits qui com-
mençaient à ci/culer dans Paris, et dont les indis-
crets gazcliers ne manquèrent pas de 'se faire les
propagateurs ? Il n'y avait pas cinq mois que le
io8 uA pRiNcr:ssE de lamballe intime
mariage avait eu lieu, qu'on annonçait que le
pctit-fils du comte de Toulouse avait pour maî-
tresse une actrice de la Comédie-Française, Made-
moiselle de la Cliassaigne ^\ honorée des laveurs
princièrcs, bien qu'elle fût « peu jolie et d'un talent
très médiocre ».
Quelques mois plus tard, on parlait de la fuite
précipitée d'une courtisane '^ connue sous le nom
de Mademoiselle de la Forest, « recommandable
par l'excès de son art et le rafllnement de son art
dans les voluptés ». Dans une heure de fol enivre-
ment, le prince lui avait fait cadeau des diamants
qu'il avait dérobés à sa femme ; ils furent plus
tard rapportés au duc de Penthièvre ^^^ par celle
qui les avait reçus du prince.
Des rapports de police ^^ parlent d'autres créa-
tures de la même espèce, qui avaient capté les
bonnes grâces du prince de Lamballe, notamment
une demoiselle Grand, figurante dans les ballets de
l'Opéra, qui lui avait soutiré la valeur d'au moins
mille louis, « soit en diamants, argent comptant
ou autres nippes ». L'agent Marais, qui avait dans
ses attributions la surveillance des princes du sang,
signale encore une demoiselle David, « figurante
aussi dans les ballets de l'Opéra ». Cette fille, con-
signe-t-il dans son rapport, « est jolie et séduisante.
M. le duc de Chartres ci-devant en a été un peu
entiché et payait alors les plaisirs de M. le cheva-
lier de Coigny, qui s'était chargé de la maniérer.
On la dit peu intéressée... mais je doute fort que
M. de Lamballe ait trouvé la route de son cœur,
car, tout prince iiu'il est, il est fort éloigné des
grâces du chevalier de Coigny ».
28. — L. p. d'OHLKANS, duc I>E < Iim;ii!| s
110 LA PRINCESSi: DE LAMBALLE INTIME
On a prétendu que le duc de Chartres s'était
employé, plus que quiconque, à débaucher le prince
de Lamballe. Celui-ci assista souvent, en effet, aux
soupers du jardin de Mousseaux en assez mauvaise
compagnie, et on l'en avait parfois ramené en assez
piteux état. On a été jusqu'à prétendre « qu'on
avait mélangé quelque drogue cyprine^^ »^ ou quelque
mixture de spiritueux, dans la boisson servie au
convive princier, pour l'engager dans une funeste
liaison. La vérité est que le prince de Lamballe
n'avait eu besoin ni de l'exemple, ni des conseils
de son beau-frère, pour courir, au-devant de sa
perte 20. Il la dut, suivant l'expression du policier
qui notait ses agissements, « aux belles connaissances
que lui avaient procurées M. de Duras » et ses autres
compagnons de • débauche.
Le jeune prince n'avait pas attendu les leçons du
duc de Chartres, pour continuer à voir « la demoi-
selle de La Cour,- entretenue par M. Magon de la
Balme, qui demeure à la porte Saint-Honoré »;
encore n'était-ce qu'une feinte « pour mieux cacher
une intrigue, qui paraît bien plus sérieuse, avec la
demoiselle Dubois, actrice à la Comédie-Française,
et dont cependant bien du monde est déjà instruit )>.
Et l'auteur de la relation, qui ne manque pas, comme
la plupart de ses collègues, d'un certain sens psy-
chologique, ajoute que « cette demoiselle le mènera
loin du côté de la dépense; mais il est fait pour cela
et n'en paraît pas plus aimé )>.
Cette dernière liaison devait lui être fatale. . La
Dubois était connue pour ses dépravations, et ses
adorateurs, suivant un mot resté célèbr-e, achetaient
souvent fort cher un repentir. Il était aisé
MALADIE ET MORT DU PRINCE DE LAMBALLE 111
de prévoir l'issue de cette vie de débauche.
La princesse n'avait pas été sans apprendre les
infidélités réitérées de son mari ; c'était la fable de
la Cour comme de la ville. Elle en conçut un violent
dépit et tomba dans une mélancolie profonde ; il
vintbientôt s'y ajouter des vapeurs convulsives, pour
1 ^squelles on eut recours à tous les médecins à la
mode. Mais la science restait impuissante devant les
manifestations d'un nervosisme dont la cause lui
échappait. La malade se mit alors entre les mains
d'un charlatan, un nommé Pittard, qui se vantait
de guérir ces sortes de maux en appliquant des
emplâtres sur le nombril ^i! Plusieurs femmes de
la Cour en avaient essayé; la princesse, cédant aux
instances de la duchesse de Mazarin, finit par con-
sentir à en faire à son tour l'essai.
Pendant ce temps, le prince dépérissait à vue
d'œil, malgré les régimes qu'on lui avait prescrits 22.
Hicn ne le corrigeait et il continuait à mener l'exis-
tence de désordres qui l'avait mis dans le fâcheux
état où il se trouvait.
Un jour, on apprend qu'il a quitté l'hôtel de
Toulouse sans prévenir personne; le duc de Pen-
thièvre le fait rechercher, on finit par le trouver
dans un hôtel garni, « où il se faisait traiter de la
cruelle maladie, suite funeste d'une galanterie trop
hasardée ^3. On le dit dans l'état le plus déplorable,
et l'on ajoute que peut-être sera-t-il étrangement
mutilé 24 », Trois mois plus tard, son état s'est
aggravé, « parce qu'il s'est blessé à cheval », et on
parle de lui faire subir une opération ^. Malgré
cette rude leçon, il ne put vaincre sa passion pour le
Ixau sexe; il conserva auprès de lui la demoiselle
112 LA PRINCKSSE DE LAMBALLE INTIME
La Cour, dont il a été question plus haut, et qu'on
avait surnommée Palais d'or, parce qu'elle avait
perdu le palais à la suite d'une maladie vénérienne,
et qu'il avait fallu lui en faire un artificiel, en or ^^.
Un mois après, les nouvelles sont plus alar-
mantes. « M. le prince de Lamballe est absolument
sans espérance et ne subsiste que par la fièvre. Les
princesses n'entrent plus dans son appartement...
Il succombe sous les remèdes dont on l'a accablé. »
De la nature des remèdes il est aisé d'induire la na-
ture de la maladie : « on lui a administré sept livres
de mercure, sans compter les dragées (mercurielles)
de Keyscr, et autres ingrédients de charlatans,
auxquels Son Altesse s'était livrée d'abord ». Le
prince « tombait dans un assoupissement léthargi-
que » (le coma) ^7, et il ne tardait pas à succomber,
à Luciennes (Louveciennes), le 6 mai (1768), entouré
de ses proches, consternés par une mort aussi pré-
maturée. Il avait 20 ans et 8 mois.
Son corps fut transporté à Rambouillet, lieu de
sépulture de sa famille ; la Cour prit le deuil pour
dix jours seulement, conte un chroniqueur du temps.
Son convoi ne fut composé que de 100 pauvres,
d'un nombre de valets de pied portant des flam-
beaux et de 3 carrosses à 6 chevaux. M. de Marbeuf,
l'un des gentilshommes du prince, qu'il déclara avoir
provoqué et favorisé son dérangement, fut ignomi-
nieusement chassé de l'hôtel et le chirurgien qui
l'avait traité de la maladie vénérienne, à l'insu du
duc de Penthièvre, son père, et sans l'en avertir, fut
également disgcacié ^^.
On a rapporté que le prince fit venir sa femme à
son lit de mort, pour lui demander pardon de ses
MALADIE ET MORT DU PRINCE DE LAMBALLE 11 3
égarements. La jeune princesse se mit à genoux
au pied du lit, pour entendre la confession de
son indigne époux. Une des dames présentes fut
tellement scandalisée, dès les premières paroles
prononcées par le mourant, qu'elle fit sortir l'in-
nocente enfant, déclarant qu'il n'était pas conve-
nable de lui laisser entendre de pareilles hor-
reurs. Les propos du prince de Lamballe avaient
toujours été, comme sa conduite, d'une effroyable
licence, écrit la baronne du Mon te t^^^ et elle
ajoute que la princesse ne cachait pas sa satisfaction
d'être « délivrée de cet horrible homme ».
^ L'étiquette ne permettant pas à une jeune prin-
cesse, non mariée ou veuve, d'avoir sa maison et
de vivre dans le monde avant vingt-cinq ans, Ma-
dame de Lamballe dut se retirer au couvent des
dames de la rue Saint-Antoine ^° ; elle y avait un
très bel appartement, dont elle ne sortait que pour
les bals et cérémonies de la Cour. Ce n'est qu'au bout
d'un certain temps, sur l'insistance aiïectueuse de
son beau-père, qu'elle accepta l'hospitalité de ce
dernier, dans la fastueuse résidence du duc de Pen-
thièvre, à Rambouillet. Peu à peu elle reprit son exis-
tence mondaine et on la vit assister aux i'étcs du
mariage de l'archiduchesse Marie-Antoinclle avec
le Dauphin.
Au mois de février 1771, le duc de Penthièvre
lit les honneurs de l'hôtel de Toulouse au roi de
Danemark, qui venait d'arriver à Paris. La récep-
tion de Christian VII soulevait des problèmes d'éti-
({ucUe (pii préoccupaient singulièrement le maître
de cérémonie de la Cour. Les visites au prince étaient
réglées suivant k'S rites d'un rigoureux protocole En
8
n4
LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
sn qualité de veuve, la princesse de Lamballe devait
allciulre son royal visiteur, « couchée dans son lit,
tendu de gris, entre deux draps, tous les rideaux
tirés, sauf un côté 31 ». L'usage voulait, en effet,
. -'»T'
o; (-N
FIG. 29. ^— LE Dl'C DE PENTIIIÈVHE.
que les princesses veuves reçussent le roi dans leur
lit et non sur le lit. Deux fauteuils furent dispo-
sés, pour Christian VII et le duc de Penthièvre, dans
« le balustre auprès du Ut », tandis que les dames
'nvitées assistaient à la visite en grand habit 32.
Trois ans plus tard, survenait la mort de Louis XV
(10 mai 1774), qu'il avait été un instant question
FIG. 31, — AUTOliKAI'Hi: PU J'HUNCii p(i tAMUALLB
llG LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
d'unir avec la princesse de Laniballc. d On avait
essayé, à rarclievéché de Paris, de concert avec le
duc de Pcnthièvre, de faire goûter au roi de la com-
pagnie de Madame de Lamballe... qui, en l'épousant,
l'eût rendu à l'honnêteté publique 3^ » Bien que ce
projet n'ait pu se réaliser, il faisait déjà pressentir
que Madame de Lamballe était appelée à de hautes
destinées.
NOTKS DU CHAPITRE VI
1. Cl. Nouvellelconographie de la Salpêtricre, 1891,11° 6 ; gravure
représentant les Tombeaux parlants : Court de Gé!)elin, mai-
(juise de Fleury, Mme Le Blanc.
2. Méni. secrets, t. XXV (24 avril 1784).
3. Nouvelles Promenades dans Paris, de G. Cain, note 2 de
la p. 114.
4. Le mariage de la Princesse de Lamballe (le Fhjaro^
17 janvier rJ14).
5. Souvenirs de la marquise de Créquy, t. IV, 283 et s.
0. La première entrevue de la princesse avec son*mari
Mvait eu lieu dans un château, en Bourgogne, près de CliA-
leau-Vilain. Le prince assista incognito à son souper. La
princesse le distingua de prime abord; comme MmedeGué-
liriant lui demandait à quoi elle l'avait reconnu : « parce
qu'il est roux et laid », répondit-elle.
7. Marquis de Villexeuve-Juans, IJisl. de suint Louis, roi He
France, t. III, G54.
8. Bulletin d'autographes, de Noël Chauavay ; 1. n. s. du
IS décembre 17(53.
9. Mme de Lamballe, d'après des documents inédits, par
Geoikjes Bertin.
10. On lit dans les Mémoires secrets, à la date du 10 jan-
vier 17()8 : « On annonce que le duc de Penthièvre, étant
illé ces jours-ci faire sa cour au Roi, S. M. s'étoit écriée,
' omme il s'en alloit : « Voilà le plus honnête homme de
« mon royaume et le plus malheureux des pères ! »
11. On se plaît à vanter, dans les écrits de l'époque, la
fraîcheur de son teint, l'élégance de ses formes, la dignité
lie sa démarche, ses beaux yeux bleus et son admirable
hevelure blonde,
12. Mém. secrets de Raciialmcj-nt, t. X.KV, 41 (lô jain icr 1784).
13. On a publié des lettres de la princesse qu'elle aurait
'< rites à sa mère dans les premiers temps de son ma-
riage (février 17(;7), et qui sembleraient témoigner que le
prince aurait, ou début du moins, cherché à s'amender;
Il8 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
mais cette correspondance est ^généralement considérc'e
comme apocryphe, et on ne saurait en faire état.
14. C'est le plus que suspect auteur des Souvenirs de Ma-
dame de Créquy qui se fait l'éditeur de ce ragot ; nous ne l'en-
registrons qu'en l'accompagnant des plus expresses réser-
ves {Souvenirs, IV, 302 et a.).
16. Mém. secrets, 28 juin 1767.
16. /d., 26 septembre 17G7.
17. Id., 4 novembre 1767. ,
18. Nous en devons la connaissance à M. Paul d'Estrée,
qui les a publiés dans la Revue et Revue des Revues, n° 13,
1«" juillet 1900, 34 et s.
19. Souvenirs de Madame de Créquy, t. IV, lot. cit.
20. Le duc de Chartres était, dit-on, intéressé à la mort
du jeune prince, qui le laissait seul héritier de la grande
fortune de son beau-père, le duc de Penthièvre. Le prince
de Ligne a défendu le duc d'Orléans contre ces imputa-
lions, que paraissent avoir propagées des mémorialistes
et des libellistes à gages. Le plus récent biographe de la
duchesse d'Orléans a fait justice de ces calomnies. (Baron
André de Makicourt, Lonise-Marie-Adé laide de Bourbon-Pen-
thièvre, duchesse d'Orléans; Paris, Emile-Paul, 1913, 46-7.)
21. Mém. secrets, ^de Bachaumont, 5 nov. 1767.
22. « Son père l'avait fait dispenser du maigre et le fai-
sait placer à table à côté de lui, pour surveiller son régime
alimentaire et lui faire prendre» les eaux de Forges. M. de
Lamballe était là-dessus d'une insensibilité si parfaite ou
d'une distraction tellement exemplaire, qu'il ne s'était pas
aperi^u qu'il avait bu des eaux minérales et mangé de la
viande pendant tout le carême. » Souvenirs de Madame de
Créquy, IV, note de la p. 314.
23. On n'ignora pas dans le public, du moins dans le
monde de la Cour, la nature de la maladie à laquelle suc-
combait le prince de Lamballe ; dans un des pamphlets les
plus rares qui nous soient passés sous les yeux, on prèle
à Louise-Marie-Thérôse-Balhilde dOrléans, duchesse de
Bourbon, le propos suivant : « Ce fut dans ce temps que le
comte d'Artois s'avisa de m'en conter et de vouloir me
ranger au nombre des gredines qui formaient sa cour : je
le refusai avec mépris, non pas à cause de l'association
infâme qu'il se proposait de faire, mais par un motif de
crainte La mort du prince de Lamballe iii<; faisait Iremhler,
et l'assurance où j'étais que le crapuleux libi rtin en était
une des [)rincipales causes, me fit craindre pcul-clrc avec
MALADIE ET MORT DU PRINCE DE LAMBALLE II9
raison qu'il ne voiturât dans mon sang ce poison destruc-
teur appelé la v..., et j'aimai mieux me contenter de Vusï
DE Ge>lis et du voluptueux de Conflans qui, quoique fort
déraniiés, ne me laissaient pas envisager le même péril. »
Page 35 de Confessions générales des princesses de sang royal, au-
teurs de la cabale aristocratique, etc. A Aristocratie, chez Main-
morte, imprimeur des commandements secrets de S. A. ft. Mgr le
coude d'Artois, 1789.
24. Mém. secrets, 5 janvier 1768.
25. On a prétendu qu'on lui avait fait la castration, et
qu'il serait mort des suites de cette opération ; « les sei-
gneurs et le public l'appelèrent après cette opération le
prince sans-balles ». Vie de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans; Lon-
dres, 1789 ; 32-3.
26 Mém. secrets, 7 janvier 1768.
27. Id., 6 mai 1768.
28. Mes loisirs, par L.-P. Hardy. Édition M. Tourneux et
M. ViTRAC, 1912, t. I (seul paru), 96-97.
29. Souvenirs de la baronne du Montel (1785-1866) ; Paris, 190t,
310 et s.
30. Elle dut se soumettre, dès son arrivée, à un régime
particulier; elle s'engageait à ne jamais se rendre chez les
religieuses, à n'en point faire manger chez elle, à ne laisser
pénétrer personne dans les appartements qui lui étaient ré-
servés, sans en avoir référé, au préalable, avec l'Abbesse ;
les visiteurs devaient avoir quitté l'abbaye à 8 heures et
demie en été, à 8 heures au plus tard en hiver. >ime de
Lamballe était tenue d'avoir réintégré son logis aux mêmes
heures. Lorsque la Princesse prit possession de son loge-
ment, elle reçut tous les honneurs dus au rang quelle oc-
< upait : tous ses parents ayant le rang de princes du sang,
.linsique ses parentes ayant le même rang, furentreçus avec
les mêmes lionncurs lorsqu'ils furent la voir. (Arrangement
concerté avec Mme l'Abbesse de Saint-Antoine, relaiive-
iiient à la résidence de Mme de Lamballe dans cette
abbaye, et note de M. de I*enthièvre ; documents inédits, ex-
traits des Archives nationales.)
31. Les souverains étrangers en France (du x* au xvin* siè-
cle), par Ai.uKHT Iîahi;al, membre de l'Institut (K.xtrait de la
Hevue des questions historiques).
32. Arch. nal. K 147, n" 11 (cité par liAnEAi;).
33. Hist. de la décadence de la monarchie française, etc., pur
J.-L. boLLAMs l'alné; Paris, Dupral, 1S03 ; III, 315-6.
CHAPITRE VII
LA NEVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALI.E
En 1775, la princesse avait de grandes chances
d'être nommée surintendante de la reine, en dépit
d'intrigues savamment et malignement ourdies par
tout un parti de la Cour qui lui était hostile. On fai-
sait valoir surtout, pour l'éloigner de ce poste âpre-
ment convoité, son état maladif. « La princesse
de Lamballe, mandait l'ambassadeur d'Autriche à
Marie-Thérèse, devient sujette à des maux de nerfs,
qui lui occasionnent souvent des faiblesses et des
convulsions. Si cet état ne change point, il pourrait
devenir un obstacle de plus à ce que cette princesse
obtienne la charge de surintendante. » La place était,
en effet, très recherchée : la comtesse de la Marche
la réclamait, comme la plus ancienne; la duchesse de
Bourbon, en sa qualité de première princesse du sang.
Madame de Lamballe, qui avait accompagné son
beau-père en Bretagne, où il s'était rendu pour
tenir les États, pendant que s'agitaient ces intri-
gues, gagnait tous les cœurs par la grâce et l'aménité
de ses manières. Aussi, quand la reine la pria de se
NÉVROPATIIFE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 121
rendre chez elle dès son retour, on ne douta plus que
la souveraine n'eût fixe son choix ; déjouant tous les
petits complots d'antichambre, Marie-Antoinette
imposait au roi la nomination de son amie.
FK.. 32.
COMTE DF. MKHCY-AIKW.NTEAU
Le correspondant de l'Impératrice n'avait cepen-
(Innt pas fardé la vérité; pour les yeux les moins pré-
venus, la névro|)iilhic (le la princesse était manifeste.
Un jour, au cours d'une promenade sui I;i livière,
elle s'était évanouie, parce que la reine s'était trouvée
mal ; un autre jour une fenêtre étant venue à tomber
122 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
près de Marie-Antoinette, et bien qu'elle l'eût à
peine effleurée, sa compagne avait perdu connais-
sance et n'était revenue à elle que grâce à une sai-
gnée.
« La sauté de la princesse est très mauvaise, écri-
vait Mercy-Argcnleau à Marie-Tliércsc % en 1776,
le 13 avril; elle l'oblige à des fréquentes absences »;
et il ajoutait que Madame de Lamballe allait se
rendre aux eaux de Vichy, ou de Plombières, où
elle resterait six semaines ou deux mois. Le départ
pour cette dernière ville s'effectua au mois de juin.
C'est pendantson séjour à Plombières que Madame
de Lamballe fut atteinte de la rougeole ; elle ne quitta
cette station thermale que le 25 août. Cette maladie,
qui n'avait présenté à aucun moment un caractère
de gravité, eut, du moins, ce résultat de réveiller
l'alîection de la reine pour sa surintendante.
L'année suivante, nouveau voyage de la princesse
à Plombières. Au retour, Marie-Antoinette accueillait
son amie « avec beaucoup de démonstrations de
bonté ». Mais les pamphlétaires travestissaient auda-
cieusementles sentiments qu'éprouvait la reine pour
sa surintendante. D'exécrables couplets circulaient,
qui atteignaient également le jeune monarque, dont
on mettait en doute la virilité. On discutait sur son
aptitude à donner des héritiers au trône, et après
avoir passé en revue les diverses causes d'impuis-
sance imaginées par les courtisans, l'auteur du
libelle décidait pour la négative. Puis c'étaient des
plaisanteries sur « le goût puce » introduit à la Cour,
sur l'amitié suspecte de Marie-Antoinette pour la
princesse de Lamballe -. Les plaisirs les plus
innocents étaient imuutés à crime. Sa Majesté fai-
FIG. 33. — MAUAMi: DE POLIGNAC
124 LA PniNCi:SSE DE LAMBALLE INTIME
sait-elle des parties au petit Trianoii, ou Peiil Vienne,
avec son'amie, on en jasait à Versailles, parce qu'elle
n'y admettait que quelques dames de sa suite, sans
aucun homme. D'autres jours, elle est allée à
Sceaux 3 et y a passé la journée entière en tête à
tête avec la princesse, ce qui ne laisse point
de donner naissance aux bruits les plus, calom-
nieux.
En 1779 tandis que Madame dePolignac était à
Spa, Madame de Lamballe s'était dirigée vers
Bourbonne. C'est en revenant de ces eaux, qu'elle
s'aperçut de la perte totale de sa faveur auprès de
la reine. La surintendante, à entendre Mercy, qui
tenait enfin sa revanche, « est devenue pour Sa Ma-
jesté un objet d'ennui et d'embarras » et, malgré les
plaintes de la princesse « à ses confidents et confi-
dentes, qui les font transpirer dans le public», on
prend « si peu d'intérêt à la surintendante que per-
sonne ne s'en occupe, ni ne se permet de réfiexions
sur le changement de la reine envers son ancienne
favorite ».
Certains lui voyant mauvaise mine, s'apitoient
la croyant atteinte « de la poitrine » ; d'autres moins
portés à la plaindre qu'à la salir, s'en vont répan-
dant le bruit qu'elle est enceinte, et elle doit monter
à cheval presque chaque jour pour faire taire ces
rumeurs méchantes. A ses souffrances ordinaires
viennent s'ajouter des douleurs morales : la perte,
de son frère aîné et la mésalliance d'un autre de ses
frères achèvent de l'abattre.
Son médecin traitant, et l'illustre Tronchin appelé
en consultation, lui prodiguent en vain des « remèdes
adoucissants » ; ils ne lui procurent qu'un soulage-
NÉVROPATIHE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 125
ment momciiLané, « mais ne la calment jamais com-
plètement * ».
Au début de l'année 1782, ses maux de tête ordi-
naires s'accompagnent de faiblesses et de convulsions.
Tous les médicaments que lui prescrivent tant
les médecins de Paris que les médecins de la Cour,
restent inefficaces; son état s'aggrave et, deux fois
dans la même journée, elle tombe dans des crises
dont elle ne revient que graduellement; l'attaque
finie, elle est « comme anéantie ».
On recourt aux calmants, à tous les antispas-
modiques connus : graines de pavot, suc de laitue,
fleurs de tilleul et fleurs d'oranger, feuilles de mélisse
et de vulnéraire, liqueur d'Hoffmann et laudanum
de Sydenham, cam-phre et pilules de Fuller. Les
drogues les plus disparates de la pharmacopée sont
mises à contribution, sans succès.
Après la thériaque, le bouillon de tortue; les
décoctions de fleurs de sureau alternent avec les
pilules d'ipéca, la poudre tempérante de Stahl avec
la poudre de nénuphar et l'esprit de nitre dul-
cifié ^ On aura une idée de cette polypharmacie
par quelques formules : électuaire ou opiat com-
posé d'écorce du Pérou (quinquina), de racine de
valériane, de castoréum, de poudre antiépileptique
de Guttete, et d'une prise sufllsante de sirop ara-
l)ique, de fleurs de stœchas citrin. Une autre pres-
cription comprenait des pilules composées de myrrhe,
galbanum, gomme syriaque, sagapenum (ou gonune
persique), opoponax, ammoniaque, castoréum, thé-
riacpic, assa fœtida et huile d'ambre ou de ka-
rabé. Tout cet arsenal thérapeutique restait sans
action, et loin de disparaître, les accès semblaient
126 LE PRINCKSSE DE LAMBALLE INTIME
augmenter. C'était à désespérer de la médecine et
de ses servants.
*Ne sachant plus à quel saint ni à quel empirique
se vouer, la princesse finit par se rendre aux instances
de son beau-frère, le duc de Chartres, qui depuis
longtemps lui proposait de lui envoyer son médecin.
Celui-ci avait su gagner la confiance du prince, le
duc espérait que sa belle-sœur la partagerait. Ma-
dame de Lamballe, après beaucoup d'hésitations,
consentit enfin à se mettre entre les mains du doc-
teur Saifîert et à lui confier la direction de sa santé.
C'est à ce praticien que nous allons demander de
nous instruire des circonstances dans lesquelles il
fut fait appel .à ses lumières. On va voir le cas
qu'il faisait du secret professionnel.
En l'année 1785, vers la fin du mois de juin, je fus,
relate Saiffert, appelé auprès d'une femme âgée de
36 ans ; cette femme mérite, en raison de sa destinée
malheureuse, d'être nommée : c'était la princesse de
Lamballe, massacrée d'une manière horrible et cruelle,
malgré son innocence, à Paris, en 1792, par les septem-
briseurs. Cette innocence et cette triste fin me feront
pardonner quelques détails véridiques et utiles à l'his-
toire, bien qu'ils ne se rapportent pas à mes traitements
médicaux des affections chroniques... Cette femme qui
fut si atrocement mutilée, avait été déclarée épileptique
et incurable par les médecins qui la traitaient d'habi-
tude ; elle tombait tous les jours à la même heure subi-
tement sans connaissance, dans des convulsions qui
duraient deux heures, elles étaient suivies de neuf
heures de léthargie cataleptique, et après onze mois
de traitement, elle fut radicalement guérie. Il était
naturel qu'elle m'engageât à continuer à rester son
médecin.
FIG. 34. — LA PRINCESSE DE LAMnALLE, SURINTENDANTE
PE LA REIM
128 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
SaifferL conte, à une autre place, que c'est à la
suite de la guérison d'une jeune fille ^ « que
ses parents avaient mise au couvent pour cacher
sa triste maladie », que la mère de la jeune per-
sonne avait fait part de cette heureuse issue à la
princesse, en l'engageant fortement à se confier au
sauveur de son enfant.
Dès sa première visite, la princesse témoigne à
Saiiïert l'espoir qu'elle fonde sur sa science. « Au nom
de Dieu, s'écria-t-elle, tirez-moi de cette position,
et ma reconnaissance vous sera éternellement ac-
quise. »
— « Je ne l'entreprendrai, répliqua l'interlocu-
teur de la princesse, qu'à la condition que vous vous
confesserez à moi entièrement, que vous ne me ca-
cherez rien de votre vie passée; vous devrez répondre
à toutes les questions qu'il me conviendra de vous
poser; ce n'est que si vous remplissez ces conditions,
qu'il me sera possible de reconnaître la nature de
votre mal, et de vous indiquer les moyens de le guérir.
En échange de votre foi absolue, comptez sur ma
discrétion. Je tiens le devoir du secret pour aussi
essentiel que la nécessité d'une confiance sincère
de la part du malade .»
— Oh ! Monsieur, interrogez, interrogez, s'écria la
princesse ; je n'ai rien à vous cacher.
Après ce préambule, le médecin procède à l'in-
terrogatoire du « sujet » dont il se propose d'établir
r « observation ». La princesse raconte alors comment
elle a souffert, dès sa plus tendre enfance, de maux
de tête fréquents, et elle poursuit en ces termes :
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE I29
Ces douleurs diminuèrent avec l'apparition des règles;
elles ne se firent sentir depuis, plus ou moins fortes,
que vers le commencement de mes« époques »; on m'as-
surait que le mariage m'en délivrerait entièrement, on
se trompait et on me trompait : elles ont été, depuis,
plus violentes et plus prolongées...
Au commencement de 1782, mes maux de tête s'ac-
compagnèrent tout à coup de faiblesses et de convul-
sions; les médecins de Paris et les médecins ordinaires
de la Cour furent consultés successivement, mais tous
les remèdes qu'ils me prescrivirent, loin d'améliorer
mon état, n'ont réussi qu'à l'aggraver, et à me mettre
dans le triste état que vous voyez. Je tombe. Mon-
sieur, tous les deux jours, après une heure, dans une
attaque d'un mal qui m'est inconnu, et je reviens à
moi peu à peu, mais actuellement au bout de neuf
heures seulement, et je reste comme brisée.
La malade expose ensuite longuement les divers
traitements auxquels on l'a soumise, et dont nous
avons donné plus haut un aperçu aussi bref que
substantiel.
Quelque réaliste que soit le dialogue engagé entre
le médecin et la patiente, nous ne résistons pas à la
tentation d'en citer au moins un fragment, qui en
donnera le ton :
D. — Vous rappelez-vous si vous avez eu la teigne
dans votre enfance ou votre jeunesse ?
R. — Je ne m'en souviens nullement.
D. — Avez-vous eu des poux ? (sic)
R. — Souvent, on m'en a débarrassée plus de dix ou
douze fois en me saupoudrant avec une poudre rouge.
D. — Avez-vous quelquefois rendu des vers ?
R. — Je me souviens qu'à cinq ou six ans, on me
donna des remèdes pour cela, et que j'en rendis ainsi
quelques-uns.
9
l30 LA PRINCESSE DE LAM BALLE INTIME
A la question posée par Sailïert, si elle a eu quelque
maladie de peau, la princesse répond qu'à part la
rougeole, et la petite vérole par inoculation 7, elle
ne se souvient pas d'avoir eu d'autres maladies érup-
tives ; elle a remarqué, cependant, qu'il lui vient de
temps à autre « des dartres farineuses démangeantes
aux cuisses », dont les bains calment l'irritation.
Poursuivant son questionnaire, Saifïert demande
à la malade comment fonctionnent ses intestins;
si elle est sujette aux hémorroïdes : « elles sont sou-
vent très douloureuses, quand elles ne saignent
pas » ; si ses époques sont régulières. Quant ,à
la suite de l'entretien, force nous est de... gazer, faute
de n'avoir pas à notre service la langue et la plume
de Juvénal ou de Martial. Disons seulement que la
princesse révèle à l'indiscret médicastre certain vice
solitaire, que nous aurons suffisamment désigné en
disant qu'il était assez fréquent dans les pension-
nats où ne s'exerçait pas une assez rigoureuse sur-
veillance. Ces pratiques étaient, paraît-il, communes
parmi les femmes de la haute société de l'époque,
« dont les mœurs n'étaient alors ni pures, ni régu-
lières ^ ».
On sait les bruits qui avaient couru, et que les
pamphlétaires avaient malignement grossis, de pré-
tendues relations, d'un caractère particulièrement
intime, entre la reine et sa favorite 9. Madame de
Lamballe se défend, avec une énergie dont la sincé-
rité ne paraît pas devoir être suspectée, de pareilles
allégations.
Rien ne m'empêcherait, repartit la princesse avec
vivacité, de vous les confier pour mon bien, s'il y
avait quelque chose de vrai dans ces racontars. Vous
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l3l
pouçez m'en croire sur parole : nous n avons jamais
songé à cela ni l'une ni Vautre ; mais vous savez que je
FIG. 3j, — MADAME DK LAMUALLE
8uis veuve et que, d'après les préjuges en cours, je ne
puis me remarier (ju^avcc un prince du sang ; il est
rare que ces occasions se représentent deux fois dans
l32 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
une existence, on ne saurait donc me faire un grief
d*avoir pris un ami, mais si vous jugez qu'il soit nuisible
à ma santé de continuer mes rapports avec lui, je suis
prête à le sacrifier.
Sur le conseil que lui donna Saiffert, la princesse
consentit à renoncer à une affection qui lui était
particulièrement chère.
Rendez-vous fut pris pour le lendemain, vers une
heure de l'après-midi ; c'était généralement à cette
heure que les accès survenaient et le médecin voulait
en être le témoin. Voici le spectacle auquel il assista
et qu'il nous décrit avec toute la minutie qu'un cli-
nicien peut apporter à un pareil examen :
Vers une heure cinq minutes, elle (la princesse)
devint pâle comme la mort, son pouls tomba jusqu'à
soixante-cinq pulsations ; à une heure dix minutes,
ses paupières se fermèrent, après s'être abaissées trois
fois de suite ; puis il se produisit des spasmes précipités
des muscles des yeux, auxquels succédèrent de vio-
lentes secousses convulsives de tout le corps. Elle tenait
la bouche strictement fermée, et je n'ai point remarqué
qu'il s'en échappât le moindre fdet de salive, contrai-
rement à ce qui s'ohserçe dans V épilepsie.
A la palpation, Saifîert constatait une rétraction
manifeste dans la région du foie, et un gonflement
au niveau de la rate ; en outre, dans la partie infé-
rieure de la région duodénale, il percevait « une tumé-
faction dure, indépendante de l'organe, et qui avait
la grosseur de l'œuf d'une oie ». Il en conclut à une
obstruction du pancréas, qui n'avait pas encore
dégénéré en squirrhe. Pour lui, il n'y avait aucun
doute que cette tumeur fût la cause de la maladie
chronique- de la princesse, et que les secousses con-
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l33
vulsives trouvassent là leur source. (Il est manifeste
que Saiffert prenait l'effet pour la cause.)
Ces convulsions ne durèrent pas moins de deux
heures et vingt minutes ; elles furent suivies d'un état
léthargique profond, pendant lequel les membres
restèrent dans la position où le médecin les avait
lui-même placés. Quant aux pulsations, de soixante-
cinq elles tombèrent à cinquante-six, et devinrent
à la fm à peine perceptibles.
Cet état léthargique dura sept heures moins vingt
minutes ; un peu avant le réveil, l'exploration locale
révéla un utérus à peine plus gros que celui d'une
jeune fille.
Les phénomènes observés du côté du foie et de
la rate disparurent, et ces régions revinrent pro-
gressivement à leur état normal. La tuméfaction
duodénale se réduisit au quart de sa grosseur, et la
princesse revint à elle, après avoir fait entendre un
sifflement partant du gosier et présenté trois batte-
ments convulsifs des paupières. Quand elle eut repris
complètement ses sens, le pouls était remonté à
soixante-seize, mais la malade se plaignait d'une
grande prostration.
Le docteur Saiffert remit au lendemain à établir
son diagnostic ; il désirait examiner une fois de plus
la princesse dans un moment d'accalmie. Ce qui
l'avait frappé surtout, c'est que la durée des accès,
depuis deux mois, avait augmenté régulièrement
de quinze minutes à chaque nouvelle attaque;
cette remarque était de nature à l'éclairer sur le pro-
nostic. Et il conclut:
En matière scientifique, il faut» avant luules chuses»
employer les termes les plus exphcites. On &, jusqu'à
l34 LA PRINCESSE DE LAMB\LLE INTIME
présent, considéré la maladie chronique de la princesse
comme une variété d'épilepsie, je suis d'avis qu'elle
appartient plutôt à l'espèce des affections léthargiques ;
pour parler un langage qui soit compris de mes confrères,
j'estime que c'est une léthargie chronico-périodique,
précédée de convulsions orageuses et cataleptiques.
Muni de ces données, Saiffert remit à la
princesse une consultation rédigée selon toutes les
règles de l'art.
Contrairement aux avis de ceux qui l'avaient trai-
tée avant lui, Saifîert promettait la guérison de la
malade, pourvu que celle-ci se conformât rigoureu-
sement au régime qui lui serait prescrit, et qu'elle
ne l'enfreignît sous aucun prétexte. L'améliora-
tion ne serait peut-être pas immédiate ; il se produirait
même quelque aggravation de symptômes qu'il n'y
aurait pas lieu d'en être surpris, mais on en viendrait
à bout, en leur opposant « patience et confiance ».
Saiffert faisait espérer à la princesse qu'après deux
mois de traitement, il pourrait lui annoncer, pour
une date fixe, le retour à la santé.
Le régime prescrit à la malade était, au demeurant,
assez judicieux. Il lui était recommandé de ne s'ali-
menter que de viandes maigres et blanches et de
poissons blancs. Tous les légumes lui étaient permis,
à part le chou^et l'oseille, les fruits juteux bien mûrs,
les fromages doux et non acides. Étaient sévèrement
proscrits les aliments gras, huileux, mucilagineux,
salés, fumés, épicés, et même, ce qui était excessif,
les viandes grillées ou rôties.
Les aliments farineux, seuls, étaient autorisés, tels
que le sagou, le salep, les pommes de terre et l'orge ;
comme fruits avec cosses, les lentilles ; pas de cham-
FK;. 3<;. — 1,A PRINCESSE DE LAMDALLE
(D'après une (gravure anglaise^
n
l36 LA PH INCESSE DE LAMBALLE INTIME
pignons d'aucune sorte ; les œufs ne devaient être
mangés que mollets, et non autrement.
Parmi les aliments tolérés, ceux qui pouvaient être
mangés froids, sans dégoût, devraient obtenir la
préférence.
La boisson de table journalière consistait en un
vin blanc de Champagne léger, additionné d'une
forte quantité d'eau froide; toutes boissons chaudes
et spiritueuses seraient mises sévèrement de côté.
Du rôti froid constituerait le premier déjeuner
du matin, avec la boisson tolérée. Entre les mets et
les boissons permises, on devait choisir de préférence
celle qui se digérait le plus facilement.
Après le régime diététique, l'ordonnance magis-
trale. Voici quelques-unes des fonnules employées
par le médecin saxon ; elles donneront une idée de
la thérapeutique en cours à la fm de l'avant-dernier
siècle.
I. — Sucre 12 demi-onces.
Gomme arabique .... 3 —
Poudre de savon d'Espagne
, purifiée ...... 2 dragmes.
Sel de nitre purifié .... ââ 1 dragme.
Sel alcali purifié
pour six doses égales, après pulvérisation préalable.
II. — Fiel de veau concentré par
l'ébullition 3 dragmes.
Extraits de gentiane et de )
valériane [ ââ 1 dragme.
Fleurs de zinc )
Triturer avec soin, pour des pilules pesant trois
grains, et argentées. On prendra dix-huit pilules au com-
mencement de chaque repas.
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 187
S'il se produisait, par suite de l'ingestion de tous
ces médicaments, de l'endure du ventre et un em-
pâtement notable de la langue, il était recommandé à
la malade d'absorber une mixture à base de ma-
gnésie anglaise, sel de nitre purifié, sirop d'orgeat,
etc.
Une autre formule de Saifîert, qui a joui d'une
certaine vogue, même après sa mort ^°, consistait
en pilules, dont suit la composition :
Prenez fiel de bœuf épaissi au bain-marie et dia-
grède (?) savonneux : de chaque, demi-once ; extrait
de pensées du Rhin ^', deux gros ; faites avec ce mé-
lange des pilules de trois grains. La dose est de cinq à
dix-huit par jour. L'usage doit en être continué pen-
dant plusieurs mois, avec un régime assez sévère ; on
le suspend dans la mauvaise saison.
Si la bouche devient amère, on prendra le matin un
gros de tartrite acidulé de potasse (crème de tartre)
avec du sucre. Siles coliques surviennent, on absorbera
une boisson mucilagineuse. M. Saifîert, ajoute le
rédacteur, ne prescrivait ces pilules que dans les
affections chroniques des viscères abdominaux, con-
nues sous le nom d'obstructions, particulièrement
celles du foie. Ce traitement, est-il dit ailleurs ",
« qui a joui d'une fort grande célébrité, même en
France », ne devait être entrepris qu'à la belle saison
et continué durant plusieurs mois. Tout le temps
qu'il y était soumis, le malade était astreint au ré-
gime le plus sévère; les acides, les œufs, les champi-
gnons, les farineux, les pâtisseries, les fritures, le
vin, le café, les liqueurs lui étaient absolument dé-
fendus. Ce traitement, au dire d'un savant auto-
l38 L\ PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
risé ^3, était « assez énergique pour amener un chan-
gement favorable dans certaines maladies où des
moyens plus rationnels, mais moins actifs, seraient
restés sans effet ».
Saiffert avait une foi trop grande dans l'efTicacité
de ses remèdes pour ne pas la faire partager. La
princesse entendit ne confier désormais à aucun
autre médecin le soin de sa santé, mais Saiffert
invoqua sa ijombreuse clientèle, les occupations mul-
tiples qu'elle nécessitait, et qui ne lui laissaient pas
le temps de se consacrer entièrement à une seule
malade, il finit cependant par céder aux instances
de la princesse.
Le lendemain de cette visite, le duc de Penthièvre,
beau-père de Madame de Lamballe, se présentait
chez le médecin saxon et lui faisait part de ses inquié-
tudes. Il lui paraissait téméraire qu'un étranger
voulût se mêler de soigner une princesse de sang
royal français, et il le trouvait singulièrement hardi
de promettre la guérison d'une affection que les doc-
teurs les plus expérimentés de la capitale avaient
été unanimes à déclarer incurable. Les remèdes qui
allaient être employés ne risquaient-ils pas d'abréger
la vie de sa belle-fille ? Il considérait qu'il était de
son devoir de s'opposer à une entreprise aussi hasar-
deuse. Saiffert s'employa, de toute son éloquence,
à calmer ces appréhensions ; il n'admettait pas qu'on
mît en discussion ses- connaissances médicales ; il
déniait toute compétence à un profane, si bien in-
tentionné fût-il, et tout en trouvant légitime la sol-
licitude paternelle, il prétendait n'accepter de per-
sonne une observation sur sa conduite profession-
nelle. La princesse était pour lui une patiente, et
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMRALLE iSq
rien d'autre; ni son rang, ni son sang, ni les privilèges
de naissance ne comptaient aux yeux d'un praticien
soucieux de ses devoirs et fort de sa conscience.
FIG. 37.
MAlUE-AMOiNF.TTE
Informée, par Saiiïert, de la démarche du duc de
Penthièvrc, la princesse s'efforça d'en atUimci l'effet.
<t N'y voyez, dit-elle à son médecin, qu'une preuve
de l'intérêt affectueux que mon beau-père me porte...
l4o LA PRINCESSE DE LA.MBALLE INTIME
ma confiance en votre savoir n'en sera pas modi-
fiée, elle reste inébranlable. » Et elle ne trouvait
meilleur moyen de le lui prouver, qu'en communi-
quant à Saiffert une lettre, qu'elle venait de recevoir
de la reine, où celle-ci s'exprimait en termes des plus
flatteurs sur le compte du médecin saxon.
Marie- Antoinette avait soumis la consultation de
ce dernier à son propre archiâtre, Lassone, lequel
avait dit, sur un ton de joyeuse humeur, en parlant
de son confrère : « Je connais à fond cette tête d'Al-
lemand; il ne promet que ce qu'il peut tenir; il a
promis de porter secours à la princesse, elle peut
compter sur sa promesse; nous n'avons, quant à
nous, rien autre chose à faire qu'à tenir nos avis pour
nuls. Ce n'est pas la première fois qu'il nous fait de
semblables affronts, mais l'honneur de la science
médicale prime toute autre considération. » L'épître
de la reine se terminait par ces mots : « Vous ne sau-
riez vous figurer, amie très chère, le baume qu'a
versé Lassone dans mon cœur, que votre maladie
afflige profondément. »
Rien ne pouvait mieux chatouiller l'amour-propre
de l'Allemand et l'encourager à poursuivre sa cure,
qu'un appui lui venant d'un personnage aussi con-
sidérable que l'était le premier médecin de la famille
royale. Il fut décidé que le traitement prescrit à la
princesse serait commencé, sans plus attendre, sous
la surveillance de son médecin habituel ; mais celui-
ci l'avait si longtemps bercée d'illussion, pour finale-
ment lui déclarer qu'elle ne guérirait jamais, qu'elle
avait de la répugnance à rester sous sa direction.
« C'est une preuve, répliqua Sailîert, qu'il vous porte
de l'intérêt, et je ne doute pas qu'il revienne de
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l/Jl
son opinion ; lorsqu'il constatera une amélioration
dans votre état, il sera le premier à s'en réjouir. »
Le matin qui suivit cet entretien, il se présentait,
nu domicile du docteur Saiffert, « un soi-disant duc,
tout chamarré de rubans », qui lui tint l'extraordi-
naire discours que voici :
Vous avez conquis déjà une assez grande renommée
dans votre art, pour qu'il vous soit indifférent de
chercher à l'accroître par le succès d'une cure, si reten-
tissante soit-elle. Vous risquez, par contre, de vous faire
de puissants ennemis et de n'en recueillir qu'ingratitude
et déboires. Voulez-vous vous assurer des amis haut
placés et obtenir une charge de fermier général des
douanes ? Il vous suffira de déclarer que la princesse
de Lamballe est atteinte d'épilepsie, que la guérison
de son afTection est impossible ; que la vue seule de
son mal n'est pas sans danger pour des femmes enceintes
qui l'approcheraient ; si vous acceptez, au jour fixé par
vous je vous apporterai le brevet de la fonction qui vous
est destinée.
Pour toute réponse, le médecin, qu'on avait aussi
grossièrement tenté d'acheter, montrait la porte à
l'émissaire qui venait de lui faire cette proposition,
refusant d'en entendre davantage.
N'ayant pas réussi dans leurs desseins, les ennemis
de la princesse, c'est-à-dire ceux qui convoitaient
sa place, insistèrent auprès de la reine pour qu'elle
envoyât au docteur Sailîert un questionnaire précis,
qui ne pouvait manquer de l'embarrasser. Il s'agis-
sait de l'amener à formuler son opinion par écrit, et
l'on comptait bien qu'il y regarderait avant d'ex-
primer un avis contraire à celui de toute la Faculté
et de s'exposer aux critiques qui ne pouvaient man-
l42 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
quer de lui être adressées. C'était mal connaître notre
personnage ; l'entêté Saxon n'était pas de ceux qui
renoncent aisément à leur opinion ; sa réponse fut
catégorique.
La maladie de la princesse pouvait-elle, en ,^hors
des crises, agir sur la conception, autrement dit pro-
voquer l'avortement chez une femme enceinte que
la malade approcherait ? « Non, non et non ! répon-
dit énergiquement Saifïert. Les accès ne se produi-
sent, d'ailleurs, pas à l'improviste, parce que ce n'est
point, à proprement parler, de l'épilepsie, mais une
léthargie chronique et périodique, toujours précédée
de convulsions à forme cataleptique. » Saiffert avait
pris l'engagement de guérir la princesse, pourvu
qu'elle se conformât docilement à ses prescriptions;
il n'avait rien à changer à son pronostic.
Pamphlets, libelles, lettres anonymes, tous les
moyens, jusqu'aux plus perfides, furent mis en œuvre
pour perdre la surintendante dans l'esprit de la reine.
Dans son entourage, c'était à qui essayait de la
convaincre qu'il y avait danger à laisser approcher
d'elle, dans l'état où elle se trouvait (Marie-Antoi-
nette était alors enceinte), une femme atteinte de
haut mal; que l'enfant à venir pourrait s'en ressen-
tir, etc. La reine avait fini par espacer ses visites à
sa surintendante, mais elle ne pouvait se résoudre à
la remplacer. Elle fit demander au médecin qui soi-
gnait la princesse de lui dire, en toute franchise, ce
qu'il pensait de soh état, et elle le remerciait peu
après du service qu'il lui avait rendu, en enlevant de
sur ses yeux le voile qu'on y avait perfidement sus-
pendu. Cela ne faisait pas l'affaire des gens de Cour,
qui se liguèrent pour perdre à la fois la princesse de
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l43
Lamballe et Saiffert. On alla jusqu'à menacer ce
dernier de mort, s'il persistait dans son attitude
Il méprisa ces avertissements et ces menaces.
Quelques jours plus tard, son carrosse recevait
une grêle de coups de pierre, et il en rejail-
lit sur lui des fragments qui manquèrent de le
blesser.
La soirée qui suivit l'attentat, Saiffert était atta-
qué de nouveau, au sortir de l'hôtel de Toulouse,
après minuit, par trois gaillards qui, bondissant sur
lui, essayèrent de le frapper « avec une arme meur-
trière )). Des personnes étant accourues au bruit, le
médecin put prendre la fuite et regagner sa voiture.
A plusieurs reprises, on en brisa les glaces; la vie de
l'Allemand était de plus en plus menacée.
A l'entendre, on alla jusqu'à tenter de l'empoi-
sonner. Une jeune marquise, que Saiffert avait
connue chez une de ses clientes. Madame de G...,
insista pour lui verser un verre de bière; celle-ci
avait une saveur bizarre, laissant dans la bouche
conime un arrière-goût fade, que Saiffert attribua,
non sans vraisemblance, à un sel de plomb qu'on
y aurait mélangé II ne conserva plus aucun doute,
quand, quelques heures après cette ingestion, il
présenta tous les symptômes de l'intoxication plom-
bique: éructations, vomissements, crampes, etc. Nous
passons sur les traitements qui lui furent appliqués :
vésicatoires, emplâtres, saignées, frictions. Saiffert
dut à sa robuste constitution, plus qu'à ces mé-
dications, de se tirer, sans trop de dommage,
de l'aventure ; il s'en ressentit, néanmoins, pendant
environ une semaine. Il jugea prudent de ne pas
ébruiter l'affaire, mais de se tenir* à l'avenir sur
l44 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
ses gardes et de se défier un peu plus des invi-
tations faites avec une trop aimable insistance.
La princesse tint à lui faire part, en cette circons-
tance, des souhaits qu'elle avait formés pour son
prompt rétablissement. « Beaucoup de médecins, lui
écrivit-elle, ne vous pardonnent pas votre renom-
mée ; ils sont capables, par basse envie, de commettre
le plus grand crime. » Saifîert s'empressa de la ras-
surer, lui disant que ses précautions étaient prises,
et qu'avec un. peu de circonspection, il déjouerait
toutes ces manœuvres. Il reprit très tranquillement
ses visites aux malades, comme par le passé, et re-
tourna chez la princesse, dont l'avait tenu éloigné
pendant quelques jours son accident.
Il ne constata chez elle presque aucun changement :
les accès avaient diminué de fréquence et d'inten-
sité. Il pronostiqua que, sous l'influence de la
médication qu'il avait prescrite, une amélioration
notable ne tarderait pas à se produire, qu'il en
répondait. Le duc de Penthièvre, l'ayant appris,
lui envoya une lettre des plus flatteuses, s'excusant
d'avoir un instant méconnu sa valeur scientifique
et l'étendue de ses connaissances.
Saiffert rapporte, incidemment, une conversation
qu'il eut avec la reine, relativement à la santé de la
princesse. Marie-Antoinette lui avait manifesté la
satisfaction qu'elle éprouvait des bons résultats
obtenus par la médication qu'il avait si heureuse-
ment appliquée. Elle se réjouissait surtout du dis-
crédit qui allait en rejaillir sur la science médicale
française, et elle mit tant de vivacité à exprimer ses
sentiments à l'égard de cette dernière, que Saiffert
lui-même dut l'inviter à plus de modération dans sea
NÈVROPATIIIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l45
appréciations. Nous ne commenterons pas les propos
de JMarie-Antoinette ^\ mais comme ils éclairent
FIG. 38- — MAHIE-ANTOINETTE
sa psychologie I II est trop évident que l'infortunée
souveraine n'a jamais su gagner le cœur du peuple
qu'elle avait été appelée à gouverner; peut-Ôtre
m
1^|6 LA PRINCESSE DE LAMBAI.LE INTIME
faudrait-il en chcrclicr rexcuse, du moins une expli-
cation dans son incompréhension absolue de notre
caractère national.
Mettant à profit les bonnes dispositions de sa royale
interloculrxe, Saiffert lui fit part d'un projet qu'il
nourrissait depuis longtemps et auquella reine ne pou-
vait manquer de s'intéresser. Il s'agissait de fonder un
hospice pour le traitement des maladies chroniques ;
le praticien saxon offrait le concours de ses lumières
et le fruit de son expérience pour donner l'élan à
cette œuvre charitable, qui manquait en France
et pouvait rendre les plus grands services. Marie-
Antoinette promit d'encourager cette création, et la
princesse de Lamballe s'engagea, de son côté, à pré-
lever sur ses économies une somme importante, pour
aider à la fondation de l'établissement projeté ^5.
Les événements qui suivirent empêchèrent la réali-
sation de cette charitable pensée.
Nous passons sur le récit, très circonstancié, d'un
nouvel attentat dirigé contre le médecin saxon : son
frotteur avait retrouvé une balle dans son cabinet
de travail ; le projectile avait fait un trou dans la
cloison, juste en face de la fenêtre, à la place où le
docteur se tenait habituellement. Cette fois encore,
Saifïert ne manqua pas d'attribuer à la j alousie confra-
ternelle cette tentative d'assassinat. Il nous paraît qu'il
entre une bonne part d'exagération dans cette allé-
gation, mais notre Saxon ne néglige aucune occasion
de rehausser l'importance de sa notoriété et la haute
estime en laquelle il se tient. Afin de ne pas alarmer
la princesse, il fut convenu qu'on ne lui apprendrait
rien de ce qui s'était passé.
Sa santé allait en s'améliorant, lorsqu'un accident
j
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 1^7
banal faillit détruire l'effet d'un traitement qui
avait déjà produit d'heureux résultats.
D'après la relation de Sailîert, la princesse aurait
offert tous les symptômes d'un .empoisonnement :
vomissements, crampes, coliques, accompagnés de
syncopes et de convulsions. Une courte enquête dé-
montra qu'elle avait pris, à son repas précédent,
« quelques cuillerées de soupe, deux ailes de poulet
bouilli, une très petite quantité d'une petite perche,
une menue tranche de rôti de veau froid, la moitié
d'une crêpe, une grappe de raisin... et deux truffes ».
On incrimina d'abord ces noirs tubercules, et la prin-
cesse fut vivement admonestée par son médecin,
pour avoir passé outre à ses recommandations.
C'était, répondit-elle en manière d'excuse, un cadeau
qu'elle avait reçu de Turin. Elle dut promettre de
n'en plus jamais accepter ; à cette condition, elle
obtint son pardon. Grâce à une potion émétique,
tout rentra peu à peu dans l'ordre, mais l'alerte avait
été chaude. Finalement, l'empoisonnement fut attri-
bué, d'après l'hypothèse la plus vraisemblable, au
poêlon de cuivre dont on s'était servi pour préparer
les crêpes ; il fut décidé que l'on changerait, sans
plus tarder, toute la batterie de cuisine et que l'on
n'emploierait désormais que des vases en fer blanc.
On fit avaler des fragments des truffes suspectes à
un chien, puis à un chat, mais ces expériences,
mal conduites, ne donnèrent que des résultats incer-
tains : le premier de ces animaux fut assez violem-
ment incommodé, mais ne creva pas ; quant au
second, il se montra moins résistant, mais l'autopsie
ne révéla rien de démonstratif. Sailîert mit en garde
sa malade contre les cadeaux qu'elle pourrait rece-
l48 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
voir à l'avenir, même s'ils lui venaient d'un parent
(dans le cas présent, c'était sa belle-sœur, Madame
de Carignan, qui lui avait envoyé les truffes) ; il lui
conseilla de les détruire désormais par le feu, ou d«
les jeter aux cabinets ^^.
La convalescence de la princesse de Lamballe fut
assez longue : elle ne dura pas moins de sept se7
maines ; durant ce temps, les accès épileptiques
eurent la même fréquence, mais leur nombre ne s'en
accrut pas. Les digestions devinrent meilleures, les
évacuations plus régulières ; en apparence, le réta-
blissement était à peu près complet.
Le jour, inoubliable pour moi, de la guérison de celte
maladie, écrit le docteur Saiiïert, a été le plus solen-
nellement marqué de ma vie ; je n'avais jamais vu joie
plus cordiale, et les protestations de remerciements
et de respect qu'on me marquait me touchèrent plus
que tous les témoignages de reconnaissance sous
forme d'argent.
Quand on sut que Saiffert avait guéri la princesse,
ce furent, de toutes parts, des manifestations de
gratitude. Le roi et la reine, les princes du sang
envoyèrent des pages aux nouvelles. La princesse de
Condé, les dames de qualité présentes. Madame de
Lamballe elle-même, embrassaient le docteur, plus
touché qu'il ne voulait le paraître de cette explosion
de sympathies. A Paris, comme à Versailles, il n'était
question que de cette cure extraordinaire d'une
malade que la Faculté avait déclarée inguérissable.
Les médecins officiels prétendirent que la guérison
obtenue par Saiffert était le résultat d'un hasard heu-
reux; les uns disaient que la princesse n'avait jamais
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l^g
été réellement malade, que sa maladie était, en d'au très
termes, simulée et d'autant plus facile à guérir ;
Fir,. 39. — LA PRINCESSE DE LAMDALLE
(IJ après une miniature de Canet)
d'autres, que la recette des remèdes employés par
le médecin allemand lui avait été confiée, avant sa
mort, par un vétérinaire français ; d'autres enfin,
l50 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
plus clairvoyants, arguaient que SaifTert s'était
tellement emparé de l'esprit de sa cliente, qu'il lui
avait « suggéré » sa guérison, et que celle-ci n'avait
été délivrée de son mal « par rien d'autre que par sa
foi dans une assurance audacieuse de son rétablis-
sement ».
Il en fut même pour insinuer que cette affection
chronique était le résultat d'une vie d'excès, et qu'il
avait suffi de persuader à la princesse que, si elle con-
tinuait, elle courait à une mort certaine, pour la faire
renoncer à cette existence de dissipation et d'orgie.
Seul, le premier médecin Lassone attribua le mérite
de la guérison à celui qui en était l'auteur ; il fut
le seul à lui rendre justice en cette occasion.
Saiffert insista auprès de la princesse pour qu'elle
rappelât son médecin habituel, qu'elle avait cessé
de voir pendant le cours de sa maladie ; elle n'y voulut
point consentir, déclarant qu'elle n'avait de con-
fiance qu'en son sauveur, et qu'elle n'en consulte-
rait pas d'autre que lui. La malade ne se plaignait
d'ailleurs que d'une faiblesse musculaire, que Saiffert
attribua aux crampes et aux convulsions qui l'avaient
si longtemps éprouvée.
L'humeur dartreuse s'étant manifestée à nouveau,
Saiffert conseilla l'usage des bains de mer et des
«douches de vagues », sinon pour la faire disparaître,
au moins pour en atténuer l'irritation. On nourris-
sait encore le préjugé, en France, que les bains de
mer ne pouvaient servir qu'à guérir la folie ou la
rage. Nous avons conté ailleurs '7 que, chez les Ro-
mains, on prenait des bains de mer « pour les mala-
dies des nerfs » ; et Celse, qui se fait l'écho des doc-
trines médicales de son époque, assure qu'on plongeait
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l5l
déjà les enragés dans un bain de mer ou de rivière
chaud, « pour aider à la transpiration ».
Cette médication, qui semble avoir perdu de son
crédit pendant toute la durée du moyen âge, fut
reprise aux xvi^ et xvii^ siècles ; c'était une pratique
alors courante et, comme nous l'avons écrit naguère,
« princes, grands capitaines, grands seigneurs, tous
s'empressaient d'aller à l'Océan ou à la Manche, dès
qu'ils avaient été mordus ou seulement léchés ».
Malgré les insuccès que certains hommes de science
eurent le courage de signaler, à rencontre d'une
croyance générale, la thérapeutique de la rage par
l'eau marine conservait encore à la fm de l'avant-
dernier siècle nombre de partisans. Quelques mé-
decins y avaient recours comme antispasmodique:
c'est sans doute à ce titre que Saiffert cmt devoir
conseiller ce traitement à Madame de Lamballc ^^.
A la Cour, on fit des gorges chaudes de cette fan-
taisie de médicastre en mal d'innovations ; la prin-
cesse, importunée de ces railleries, supplia celui-ci de
lui indiquer un autre remède. On essaya des bains
alcalins et sulfuro-savonneux, qui restèrent sans
action, et on dut bientôt y renoncer. C'est alors que
fut décidé le départ de la princesse ^'> pour la petite
ville balnéaire de Brightclmston ^°, où elle se rendit
au mois de juin 1787.
Saiiïert l'avait munie d'une lettre pour le médecin
anglais qui se trouvait en permanence, pendant la
saison, à la disposition de clients éventuels. Entre
autres particularités qu'il signalait à son confrère
d'outre-Manche, Saiffert prévenait ce dernier, qu'il
pourrait survenir, sous l'influence du traitement que
la malade allait suivrez, quelques mouvements de
l52 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
fièvre et des éruptions à la peau, qu'il n'y avait pas
iieu de s'en émouvoir, et qu'il suffirait de lui faire
prendre des boissons pouvant aider à provoquer la
transpiration, et une alimentation légère et peu abon-
dante, pour dissiper ce malaise.
Après avoir pris connaissance de ces recommanda-
tions, la princesse, très alarmée sur son état, alla
trouver le duc d'Orléans, son beau-frère, et le conjura,
en versant d'abondantes larmes "=% d'autoriser le
D^ Saiffert à l'accompagner en Angleterre ; lui seul
connaissait son tempérament, lui seul était capable
de la soigner. Saiffert eut beau représenter que ses fonc-
tions de premier médecin de la maison d'un prince du
sang lui imposaient des devoirs, qu'il ne pouvait aban-
donner un poste qu'il tenait de la confiance de Son
Altesse, le duc lui donna toute liberté de partir, sauf
à lui désigner un remplaçant et à revenir au premier
appel. Le praticien mit alors en avant sa très nom-
breuse clientèle ; allait-il abandonner ces malheu-
reux en cours de traitement, et qui n'avaient foi
qu'en lui ? Même l'offre d'une importante somme
d'argent — 24.000 livres — ne réussissait pas à venir
à bout de la résolution du docteur saxon. La prin-
cesse insista de nouveau et son éloquence eut, cette
fois, un meilleur résultat. Saiffert consentit à la
rejoindre à Calais, où Madame de Lamballe l'atten-
drait, et d'où ils partiraient ensemble pour la station
but de leur voyage.
La reine avait promis de mettre à la disposition
du médecin de la princesse un carrosse à ses armes ;
des chevaux de poste seraient tenus prêts dans
tous les relais, afin qu'il pût la rejoindre dans le plus
bref délai, i Trois jours après, relate Saiffert, j'étais
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l53
à Calais ; nous nous embarquâmes deux jours plus
tard et fûmes portés par un très bon vent, en trois
heures, au petit port anglais de la ville de Douvres
"^i^^
m
FIG. 40. — LE Dl'C D'ORLÉANS
(D'après une peinture d*Angéllc8 Kaiikkmann)
Le jour suivant, dans la soirée, nous étions à Londres
et douze jours après, nous partions pour Brigh-
lelnislon ». La princesse prit treize bains et autant
de «douches de vagues ».
Les symptômes annoncés par Saiflert se manifes-
l5î LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
tèrent comme il l'avait prévu : la malade eut de
la fièvre, en même temps qu'une éruption rouge,
assez analogue à une éruption miliaire, sur toute
la peau du corps. En cinq jours, sous l'influence
d'une tisane purgative, il n'y paraissait plus.
Les bains de mer furent continués journellement, et
les douches supprimées. Au bout de six semaines, la
malade ne s'était jamais sentie aussi forte ; alors
qu'elle était, auparavant, essoufllée quand elle avait
fait cent pas, elle pouvait maintenant faire une heure
de chemin sans lassitude. Son état moral s'était
aussi amélioré. Elle envoyait à sa « chère petite »
amie. Madame de Lâge de Volude, une épître des
plus enjouées, où elle lui racontait qu'elle se trouvait
au mieux de son traitement, et qu'elle menait une
existence pleine de distractions. Elle avait entendu
une cantatrice, qui avait naguère donné des repré-
sentations à Paris, Madame Obant, dont la réputa-
tion lui paraissait des plus surfaites. « Cette célèbre
actrice jouait le rôle de Ninon, mais d'une manière
ridicule, à faire mourir de rire. Elle se donnait tant
de peine dans la déclamation, qu'elle était tout en
nage. » Et elle terminait par ces mots : « Adieu, ma
petite, je vais me coucher, pour être demain de bonne
heure dans les bains '^^. »
Dès que fut connu le départ de Madame de Lam-
b^lle pour l'Angleterre, on fit des « conjectures à
perte de vue » sur ce voyage. « L'opinion la plus géaé
raie de la Cour », contaient les folliculaires ^^ est
que « la princesse va négocier auprès de M. de Ga-
lonné, afin de l'empêcher de rendre publics, dans son
Mémoire, des articles faits pour rester dans le secret,
comme des secours d'argent envoyés par l'empe-
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 1 55
reur à son auguste sœur, etc. Ce qui contrarie un
peu cette opinion, c'est que M. de Galonné est en
Hollande, à moins qu'on ne suppose que la surin-
tendante ait passé d'abord en ce pays-là, ou, pour
moins d'alTectation, ait assigné à l'ex-contrôleur
général rendez-vous dans la Grande-Bretagne ». En
réalité, ce voyage ne reconnaissait pas d'autre motif
que la santé de la princesse, et si celle-ci fut chargée,
occasionnellement, de missions plus ou moins mys-
térieuses, la preuve n'en est point établie.
Madame de Polignac s'était rendue dans le même
temps, également pour les soins de sa santé, en Angle-
terre. Lorsque la reine eut accepté sa démission,
qu'elle lui avait plusieurs fois offerte, ce fut une pluie
d'épigrammes et de quolibets. Il restait toujours à la
Cour un parti qui ne consentait pas à désarmer, sur-
tout à l'égard de Madame de Lamballe. Afm de
I)€rdre celle-ci dans l'esprit de Marie-Antoinette, ses
ennemis firent courir le bruit que la princesse affichait
son médecin et que leur liaison n'était pour personne
un mystère ; sans respect pour son rang, elle l'éta-
lait scandaleusement aux yeux du public. Saiffert
eut connaissance de cette rumeur par un valet de
chambre du roi qui lui était dévoué. Il se garda d'en
parler tout d'abord à l'intéressée, afin, dit-il, de ne
pas l'attrister. Il se proposait de faire taire la ca-
lomnie, lorsqu'il serait rentré à Paris.
Pendant son séjour à Brighton, SaifTert eut de
fréquents entretiens avec différents hommes d'État
de l'Angleterre, entre autres avec le prince de Galles
et son oncle, le duc de Cumberland, qu'il rencontrait
tous les jours. Comme SaifTert soutenait l'opinion
qu'un cataclysme était prochain, ses interlocuteurs
l56 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
se refusaient à y croire, en raison de la frivolité
naturelle des Français et de leur attachement aux
institutions monarchiques.
Le docteur faisait remonter l'origine de la Ré-
volution à l'intervention de Voltaire dans l'af-
faire Calas, « première réaction contre la politique
religieuse de Louis XIV et des dernières années
de son règne » ; aux dettes et aux débauches de
Louis XV, qui avait donné l'exemple, un exemple
partant de haut, de la corruption des mœurs, et
habitué le peuple à ne plus respecter ses souverains.
Saifîert expliqua, en outre, à ses auditeurs à la suite
de quelles circonstances Marie-Antoinette était de-
venue impopulaire.
La jeune archiduchesse arrivée de Vienne avait
été, au début, généralement adulée, mais elle n'avait
pas tardé à commettre une de ces fautes qui lui
aliénèrent les sympathies des Français ; cette faute,
ce fut son frère qui s'en rendit coupable. Invoquant
sa qualité de fils d'Empereur, il refusa de rendre, le
premier, visite aux princes de sang royal ; il exigea
que ceux-ci prissent les devants. La reine, ne mesu-
rant pas l'offense que son frère faisait à des person-
nages d'une fierté aussi cha.ouilleuse, ordonna leur
soumission. Les princes ayant refusé d'obéir à cet
ordre, toute la noblesse prit parti pour eux, et la
reine fut dès lors considérée comme une ennemie de
la France. A partir de ce moment, les Ubelles les plus
infâmes furent imprimés, puis répandus à profusion ;
il en fut distribué jusqu'aux marmitons (sic)^ dans les
ateliers de la capitale et dans toutes les villes du
royaume. A la Cour, loin d'endiguer ce flot de boue,
on en favorisait l'écoulement, ne croyant pas qu'en
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE iSj
fin de compte, il entraînerait les princes à leur tour.
D'autre part, un certain nombre de dissidents se
groupaient autour de la reine outragée et, sous sa
puissante protection, répandaient tout ce qui pou-
FIG. 41. — MADAME DK POLIGNAC
vait rendre les princes méprisables ou odieux. Tout
' ('la faisait prévoir, à une échéance plus ou moins
ipprochée, la catastrophe inéluctable, la chute du
)Uvoir royal.
Une autre cause, d'après Saiiïcrt, parmi celles
qui préparèrent la Révolution, était Tabus qu'on
l58 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
avait fait, sous le règne précédent, des lettres de
cachet, « que l'infâme ministre La Vrillière faisait
vendre presque ouvertement par une fille publique,
du nom de Sabastin». Un bourgeois, qui avait une
femme sur laquelle un fermier général ou un riche
financier avait jeté son dévolu, courait à chaque
heure le risque d'être arrêté, comme ennemi du roi
ou traître d'État : de là, des haines sourdes, des
désirs de vengeance, qui n'attendaient qu'une occa-
sion pour se satisfaire.
La noblesse de cour s'était, d'autre part, rendue
méprisable par les mariages d'argent qu'elle contrac
tait avec les filles des traitants, enrichis aux
dépens du peuple. Les hobereaux voyaient d'un
œil jaloux les meilleures prébendes, les places les
plus lucratives réservées à la noblesse de cour ;
quant à la noblesse de plume, ainsi désignait-on la
magistrature, elle avait provoqué l'hostilité popu-
laire, par ses impositions onéreuses autant que tra-
cassières.
Les différents ministres qui s'étaient succédé au
pouvoir avaient fait commerce de charges aussi
nombreuses qu'inutiles et avaient porté à l'excès le
trafic des lettres de noblesse. Les fermiers généraux
avaient acquis les plus belles propriétés et les plus
beaux domaines, et ils se faisaient construire, à Paris,
de superbes palais. Saifïert pari?, ensuite du ministre
Maurepas, qui avait engagé Louis XVI dans la lutte
que les Colombiens avaient soutenue pour leur indé-
pendance. Il signala, incidemment, un fait curieux,
qui, croyons-nous, n'a pas encore été relevé, comme
ayant été de quelque influence sur la Révolution
française. Maurepas avait favorisé l'entrée en France
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l59
d'un journal publié en Angleterre, Ig Courrier euro-
p'ien, qui faisait connaître, sous une forme abrégée,
toutes les mesures libérales adoptées par la législa-
FIG. 42. — M. DE MaUBEPAS, MINISTRE DE LOUIS XVI
tien anglaise ; cela n'aurait pas peu contribué, selon
le docteur allemand, à gagner nombre de PYançais
aux idées nouvelles, en se réclamant de la constitu-
tion britannique. Le gouvernement royal « aurait dû
l6o LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
aussitôt, pour son propre bien (ajoutait Saiiïerl), in-
troduire de grandes améliorations ; et c'est ce qu'il
ne fit pas ».
Saifïert rappela, en outre, le traité de commerce
conclu entre la France et l'Angleterre, et dont les
causes étaient notoirement préjudiciables aux inté-
rêts français ; nos voisins d'outre-Manche trouvèrent
ainsi le moyen de se rembourser des pertes qu'ils
avaient subies en Amérique, en même temps qu'ils
envoyaient dans nos provinces des émissaires se-
cretS; munis de passeports de négociants qui, sous
prétexte de commerce, exploitaient et entretenaient
le mécontentement général.
Sur ces entrefaites, un ministre de la Guerre, cou-
rageux mais impolitique, M. de Ségur, portait au
pouvoir royal le coup de grâce, en publiant, au nom
du roi, un décret en vertu duquel étaient exclus de
toutes charges au delà de celles de colonel en second,
quiconque ne pouvait justifier de quelques quartiers
de noblesse ; se trouvèrent de la sorte exclus des fonc-
tions supérieures tous ceux qui, en dépit de leurs
talents ou de leurs connaissances, n'avaient pas des
droits de naissance à invoquer. Et Saifïert de con-
clure, qu'à part les courtisans, le haut clergé, les
fermiers généraux et ceux qui étaient pourvus de
quelques privilèges, tout le monde en France était
mécontent et se plaignait que la dette publique, déjà
accrue par la guerre, allât en augmentant, par
suite des prodigalités et du luxe croissants de la
Cour ; il ne voyait d'autres remèdes à cette « maladie
d'État », que d'imposer tous les profiteurs du régime
jusqu'au rétablissement complet des finances, et de
ne plus admettre les prérogatives de naissance pour
NÉVROPATIIIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l6l
l'accès aux fonctions jusque-là réservées à ceux qui
s'en réclamaient, tant dans les services publics que
dans l'armée. Toute autre médication n'était que
drogues de charlatans, qui ne songeaient qu'à s'en-
FIG. 43. — MAHIK-AMOINI/ITK
(D'après un' portrait de son maître <J'écri(iire Bernard, en 180)
richir et à se maintenir dans leurs places et, malheu-
reusement, c'était à ces derniers que la Cour prêtait
une oreille docile. De pareils propos ne pouvaient
que rendre suspect celui qui les tenait. On se chargea
(le les rapporter en France et le bruit en parvint jus-
qu'à la Cour.
n
l62 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Entre temps, la princesse de Lamballc avait reçu
de la reine une lettre où Marie-Antoinette lui disait
en substance, qu'elle avait appris avec joie son réta-
blissement complet, sous l'influence du traitement
marin et principalement des douches de vagues ;
qu'elle n'avait, par suite, plus de raison de conserver
auprès d'elle son médecin, dont la présence ne lui
était plus indispensable ; que ses malades le récla-
maient, d'ailleurs, de tous les côtés, et que le roi se
proposait de le rappeler, s'il différait son retour.
Cette lettre ayant été communiquée par Madame de
Lamballe au docteur Saifïert, celui-ci lui fit part, à
son tour, des avis qui lui étaient parvenus, et qu'il
avait cru devoir lui taire, pour ne pas lui causer de
contrariété. Il s'expliquait que des êtres vicieux
pussent lui prêter les sentiments qu'ils éprouvaient
eux-mêmes, mais il était d'avis de leur opposer le
plus parfait mépris. « Princesse, lui dit-il, en termi-
nant l'entretien, l'ingratitude que j'ai éprouvée à
Paris, de la plupart de ceux à qui j'ai prodigué mes
soins, ne m'a fait que davantage apprécier la recon-
naissance que certains m'ont exprimée. Vous m'en
avez donné des marques si manifestes, que je me
considérerai toujours comme votre débiteur. » Après
cette protestation mutuelle de leurs sentiments, ils
envisagèi^ent quelle attitude ils devraient observer en
présence de l'injonction du roi.
Saifïert déniait au monarque français tout pou-
voir sur lui : en sa qualité d'étranger, il échappait à
sa juridiction. Rien ne l'empêcherait, au reste, de
s'établir en Angleterre, où on lui offrait des avan-
tages qui le dédommageraient amplement de la
situation qu'il perdrait en France. La princesse nro-
I'.. 11. —
IJI.HIDENCK DK LA lltlNf ISSE DE LAMDALLE, A PA88Y
l64 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
mit d'écrire dans ce sens à la reine et, quelques jours
après, celle-ci s'excusait d'avoir offensé un homme
dont l'honorabilité et le renom scientifique le met-
taient au-dessus de tout soupçon. « Le roi, mandait
de son côté Louis XVI à sa « chère cousine », s'est
oublié un moment, vous obtiendrez donc pour lui
un très facile pardon ; dites à cet homme, à bon droit
outragé, que je serais très peiné d'avoir rendu sa
résolution irrévocable par une étourderie bien inno-
cente. Vous déploierez, ma chère cousine, je n'en
doute pas, toute votre grâce et votre pouvoir pour
obtenir mon pardon ; vous emploierez tout votre
zèle à faire ma paix avec lui, et à le ramener avec
vous à Paris; moi et la reine, comptons comme aupa-
ravant, en cas de besoin, avec la plus grande con-
fiance, sur ses conseils et son assistance. »
Saiffert désirait, avant de s'en retourner, voir en
détail le fonctionnement des hôpitaux, non pas seu-
lement ceux de Londres, mais ceux des provinces
du Royaume-Uni ; il voulait pouvoir établir une com-
paraison entre ces établissements et ceux qu'il avait
déjà visités dans d'autres pays ; la princesse insista
tellement pour l'accompagner, qu'il finit par céder
à ses instances.
A son retour à Paris, le docteur Saifîert reçut, du
roi et de la reine, les marques les plus flatteuses
d'estime, en présence de la princesse et d'autres person-
nages du rang le plus élevé à la Cour ; il n'en fallut
pas plus pour imposer silence aux calomniateurs et
aux envieux.
A s'en rapporter au récit de Saifîert, il semble
que Madame de Lamballe, fatiguée de la vie factice
de la Cour, ait un moment songé à se retirer à la
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE l65
campagne, pour y mener une existence paisible,
loin des tracas et des intrigues, préjudiciables
à sa fragile santé. Elle disait en conlidence à
son médecin qu'elle était résolue, avec les écono-
mies qu'elle avait réalisées, à acheter un domaine.
FIG. 45, — LA IMUiNCF-SSli DE LAMHALLE
(D'après uoe peinlure de Bornet)
OÙ elle pourrait mener une existence tranquille et
passer le temps qui lui restait à vivre à soulager les
malades et les nécessiteux ; elle avait même com-
mencé à réaliser son projet, en faisant l'acquisition
de deux fermes, (jui étaient entièrement payées
peu de temps avant son horrible lin.
Nulle femme, au dire de Saiffert, n'était phis bu n-
faisante et ne se rendait mieux compte des abus
l66 LA PKINCESSE DE LAMlJALLE INTIME
vexatoires du gouvernement, qu'elle eût voulu, si
elle en avait eu les moyens, contribuer à faire
cesser; elle reconnaissait que si le roi était bien
intentionné, il était loin d'en être de même de la
reine et de ses frères.
Jusqu'aux premiers jours de la Révolution, l'état
de santé de Madame de Lamballe n'avait plus
donné d'alarmes à son médecin ^'^. Dès que se firent
entendre les premiers grondements de l'orage révo-
lutionnaire, la frayeur fit retomber la malade dans
ses crises nerveuses. En vain son médecin l'assurait-il
de l'impossibilité d'une rechute, en vain il lui admi-
nistrait les drogues qui, d'ordinaire, réussissaient
à calmer ses accès, entre autres cet esprit de nitre
dulcifié dont il avait si souvent constaté refiicacité,
les deux nuits du 12 au 14 juillet 1789, Saifîert
dut les passer au chevet de la princesse, entourée
de ses femmes de service, qui ne la quittèrent pas
un seul instant.
La princesse n'était pas à Versailles, lors des évé-
nements des 5 et 6 octobre, quand la populace con-
traignit le roi et la reine à rentrer à Paris, en les pré-
cédant avec deux têtes de gardes du corps, fichées
sur des piques, vociférant d'ignobles chansons, in-
sultant le boulanger, la boulangère et le pelit mitron.
Le roi supporta ces outrages avec une dignité tran-
quille, la reine brava l'insulte avec fierté, presque
avec défi, tandis que le dauphin, sur ses genoux,
soupirait plaintivement : « J'ai faim ! » Cet atroce
spectacle fut épargné à l'amie de la reine. Madame
de Lamballe se retrouva cependant aux côtés de sa
souveraine, aux Tuileries, le lendemain de l'événe-
ment. On lui avait réservé un appartement au pavil-
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 167
Ion de Flore, qu'elle appelait en plaisantant son
donjon ^5.
Tandis que la haute société avait émigré
en masse au lendemain de la prise de la Bastille,
la princesse avait refusé de prendre part à ce decam-
pativos général, comme Je qualifiait Camille Desmou-
lins. Elle se croyait aimée du peuple et en sécurité
FFG. 46. — LA PRINCLSSK DK LAMDALLE
(Daprès un médaillon .ipparlenant à M. Otto Fiueduichs)
dans la capitale. Un mois à peine plus tard 2^ elle
commençait à montrer moins d'optimisme. « Nous
sommes, mandait-elle à sa cousine, dans la narchie
(sic) la plus affreuse ; quelque plaisir que j'aie à vous
voir, je ne vous conseille pas de venir cet hiver,
i'nris n'est plus qu'une aiïreuse habitation ; actuol-
h'MK'iil, tout le monde s*en va en pays étranger. »
Elle remerciait sa cousine de lui offrir un asile, et elle
l68 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
aurait accepté sa proposition, si elle n'avait été as-
surée de l'amour que le peuple lui portait. « Le peuple,
écrivait-elle, m'aime beaucoup; il m'a rendu justice,
en me distinguant des personnes qu'il soupçonnait
lui être contraires. D'ailleurs, ma conduite a bien
prouvé que je ne me mêlais de rien, ni ne voulais
entrer dans aucune intrigue. Quoique ma position
soit des plus critiques, j'ai été assez heureuse de m'en
tirer sans me brouiller avec personne. » Quelques
jours plus tard, elle s'installait à Eu, chez son beau-
père, le duc de Penthièvre,afin d'y refaire sa santé,
« attendu que la Normandie est plus calme que
Paris, et qu'il était nécessaire de changer d'air
pour reprendre des forces, à quoi le tumulte et les
propos nuisaient infiniment ».
Le 21 août, Madame de Lamballe reprend sa cor-
respondance avec sa parente, correspondance qu'elle
a dû interrompre, par suite d'une fièvre qui l'a tenue
pendant « trente-neuf maudits jours », et qui l'ont
mise « en un état pitoyable ». Ses forces sont reve-
nues, et elle en profite pour remercier « l'aimable
cousinette » de l'intérêt qu'elle lui a témoigné pen-
dant sa maladie, et elle poursuit;
Si j'avais été en santé pendant les malheureux troubles,
j'aurais été me réfugier chez vous au lieu de rester au
milieu des canons et des coups de fusils et à voir passer
devant mes fenêtres des têtes coupées ; si le bourgeois
n'avait pas pris les armes, Paris était saccagé d'une
manière horrible ainsi que les habitants, et c'est à la
conduite du prince fugitif, à la noblesse et à la société
du prince que nous devons d'avoir été dans une posi-
tion qui inévitablement fait encore frémir quand on y
songe. J'attends la Constitution avec impatience pour
sortir de la misérable situation où nous sommes, mais
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 169
ces messieurs des Etats généraux paraissent prendre
infiniment plus d'intérêt à faire paraître leur éloquence
qu'au bonheur de la nation et ne finissent à rien, ce
qui fait que nous sommes toujours dans les mêmes
transes; depuis un mois ils sont à discuter sur « les droits
de l'homme » pour être mis en tête de la Constitution 2^.
La princesse était à Eu, quand un courrier,
arrivé au château le 7 octobre (1789), à 9 heures du
soir, apporta la nouvelle de la manifestation de Ver-
sailles et du retour du roi aux Tuileries. Deux heures
après. Madame de Lamballe prenait la route de la
capitale, « par un temps épouvantable et la plus
obscure des nuits ^^ » ; malgré une « santé passa-
blement bonne », elle s'empressait de reprendre le
poste d'honneur et de péril qu'elle ne devait plus
quitter, que pour gravir son dernier calvaire
I^^OTES DU CHAPITRE VII
1. Correspondance aecrèle entre Marie-Thérèse el Mercy-Anjcn-
eau (BiBL. NA.T., Lb 39 11.092).
2. Mè m. secrets, t. IX, 48.
3. Id., t. XXX II, 34H.
4. Pour la relation de sa maladie, nous suivons l'obser-
vation rédigée par le docteur Saiffert (6» observation de son
Traité des maladies chroniques, t. I, pp. 231 et s.), traduite de
l'allemand à notre intention par M. Louis Vicat, dont la tra-
duction a été revue par M. Otto Friedricus. Nous possé-
dons cette traduction depuis 1896, et si nous ne lavons uti-
lisée plus tôt, c'est que nous avons pour principe de n'en-
treprendre aucune publication avant que notre documenta-
tion soit aussi complète quil est possible. D'autres ont
moins de scrupules; nous ne modifierons pas, pour cela,
notre habituelle méthode de travail.
5. Ce remède, employé depuis longtemps en Allemagne,
était à peu près inconnu en France; seul, le fameux apothi-
caire Moyse Charas savait le préparer. Les autres pharma-
ciens lui substituaient l'esprit de nitre acide, qui ne jouis-
sait pas des mêmes propriétés, au dire de Saiffert qui faisait
du premier un fréquent usage.
6. Cette jeune fille, déclarée par Saiffert épileptique, se
maria plus tard et mit au monde, en cinq années, 3 enfants,
parfaitement sains ; mais était-ce de l'épilepsie vraie? Saif-
fert convient lui-même qu'il s'agissait d'une •< léthargie ca-
taleptique chronique, précédée de convulsions »; cela res-
semble fort à de l'hystérie, ou tout au plus, à de l'hystéro-
épilepsie.
7. Elle s'était fait inoculer àPassy(G. Bertin, i]fme de Lam-
balle, 135).
8. Mémoires du comte de TiUy, t. I, 135, note.
9. Les pamphlets, même les plus violents, reconnaissent
la vertu de la princesse : ainsi lit-on, dans la Confession de
Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon (pp. 42 et 43 d'un ra-
rissime pamphlet intitulé : Caressions générales des princes de
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE I7I
S. <g royal, auteurs de la cabale aristocratique, etc. A Aristocra-
tie, chez Mainmorte, imprimeur des Commandements se-
crets de S. A. Royale Mgr. le comte d'Artois, 178:^) : « Je por-
tai mon encens dans la maison de Penthièvre et je fus
rebuté. La farouche vertu de la princesse de Lamballe
m'effraya. » On a chuchoté que son mari lui aurait commu-
niqué son mal, aucune preuve irrécusable n'en a été donnée,
mais il n'y aurait rien d'impossible à ce qu'elle eût été con-
taminée parce triste débauché, qui eut le temps, avant de
mourir, d'en infecter bien d'autres. Nous rappelons, inci-
demment, que Mirabeau s'était vanté d'avoir obtenu les fa-
veurs de la princesse. Un des historiographes les plus do-
cumentés de la vie, passablement mouvementée, du tribun
révolutionnaire, M. Paul Cottin, nous écrivait àce sujet (le
18 mai 1902) : « Jusqu'à preuve du contraire, il m'est bien
difficile de croire à la réalité des relations de Mme de Lam-
balle avec Mirabeau : il n'était pas en rapports avec la Cour
à cette époque, et puis on ne connaît point d'amants à la
princesse. Enfin, Mirabeau n'aurait pas eu l'imprudence
d'écrire son nom en toutes lettres, si la chose eût été vraie,
et risqué de perdre ainsi une protectrice puissante. » Tout
ce que l'on sait de certain, c'est qu'en 1777, la princesse,
accompagnée de la duchesse de Chartres, avait visité le
donjon de Vincennes.et qu'à cette occasion, M. Amelot, alors
ministre, avait envoyé une mercuriale assez vive au com-
mandant du château, pour y avoir laissé pénétrer des visi-
teurs sans un ordre du roi (Cf. Archives historiques, 1889-1890,
454).
10. Journal de hiblio'jraphie médicale, oct. 1819, 348.
11. l»'autres ont traduit: « Extrait de pensée germanique ou
de Mayence ». Cloquet, infrà cit., 372.
12. Faune des médecins, par Hippolyte Cloquet, II (1822), 371.
13. n. Cloquet, loc. cit.
14. f^lle en voulait surtout aux médecins fran(;ais de l'avoir
« si fortement cflrayée» au sujet de la maladie de son amie.
« Ils m'ont, dit-elle à Saiffert, débité tant d'inepties sur votre
traitement, que ma foi ! j'ai le droit de montrer un peu mon
mécontentement pour leur bêtise. » Saiffert, nous devons
le reconnaître, prit la défense de la science médicale fran-
çaise, déclarant très loyalement que a Paris et Montpellier
ont produit des maîtres, avec lesquels on ne peut mettre en
parallèle aucun Allemand ».
1.'». Saiffert avait proposé de mettre les quatre angles du bâ-
timent dont il demandait la construction, à l'abri des quatre
172 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
vents principaux, et pourse préserver notamment du vent di
sud, il voulait établir un cours d'eau entre le b.Uiment et
l'endroit où ce vent souflait avec le plus de violence. La plu-
part des personnes à qui il soumit ses idées, les fiualifiè-
rent de « superstition allemande ».
15. L'empoisonnement aui-ait eu lieu au mois de mai 17S5
(Cf. Mém. historiques de Marie-Thérèse- Louise de Carignan, prin-
cesse de Lamhalle, une des principales victimes immolées dans les
horribles journées des 2 et 3 sept. 1792, par Mme Glénard,
t. III; Paris, -1801; Si et s.). D'après la version rap-
portée dans cet ouvrag:e, dont les assertions doivent être
contrôlées, l'intoxication serait imputable au cuisinier, qui
aurait laissé refroidir un ragoût dans une casserole de
cuivre. Plus lard, en jouant avec son neveu et ses nièces,
M. de Beaujolais et ses frères et sœurs, la princesse avait
eu son pied accroché par une racine, et était tombée de sa
hauteur. Quelques jours après sa chute, des complications
survenaient et lesmédecins et chirurgiens appelés parlèrent
de lui faire subir l'opération du trépan. Heureusement, es
remèdes employés suffirent à dissiper les symptômes qui
avaient un moment inquiété la Faculté ; les médecins renon-
cèrent dès lors à une intervention dont les suites pouvaient
n'être pas dépourvues de gravité. Postérieurement, nous
ne trouvons à signaler, dans l'observation médicale de
Mme de I.amballe, qu'un mal de gorge assez violent, sur-
venu dans Ihiver de 1786. (Archives de Dresde, dépêche du
6 décembre 178G, citée par Jules Flammeumont, les Corres-
pondances des agents diplomatiques étrangers en France avant la
Révolution, 211.)
17. Quelques notes historiques sur la Thalassothérapie
{Bulletin général de thérapeutique, 30 sept. 1909).
18. Dans une autre circonstance, Saitïert se révéla précur-
seur : appelé par la reine auprès du premier Dauphin, at-
teint de carie tuberculeuse des vertèbres, le médecin con-
seilla les bains de mer; c'était une idée assez neuve, pour
l'époque, et qui fut d'ailleurs accueillie avec scepticisme par
les médecins de la Cour, qui ne prévoyaient pas la vogue
future de Berck et les bienfaits de la cure marine dans une
affection rebelle à toute autre médication.
19. Dans sa dépèche du 18 mai 1787, le représentant du roi
de Saxe en France mandait à son gouvernement, que la prin-
cesse de Lamballe s'apprêtait à se rendre « au mois de juil-
let, en Angleterre, y prendre les bains de mer, d'après l'or-
donnance du docteur Seyffert, notre compatriote, ui est
NÉVROPATHIE DE LA PRINCESSE DE LAM BALLE 1 78
fort en vogue ici ». Il dit, en outre, que la reine, depuis le
départ de Mme de Polignac, passe trois jours de la semaine
chez la princesse, et les quatre autres jours, chez Mme d'Os-
no. 47. — LADY I ITZIIEnHEHT, FAVOHITE DE CEORGE IV
sun," où In société est un peu plus resserrée». Flammeumoht,
op. cit.,2\'^.
20. Elle se rencontra, durant son séjour A Brighlon, avec
I.idy Filzhcrbert, la favorilc de George IV d'Angleterre. « Le
prince soupait entre Mme de Lamballe et Mme l'ilzherbert,
quand on lui annonça le retour de son frère, le duc d'York,
«•\ilé depuis sept ans. Sans perdre un instant, il se mit en
route pour Windsor. » La princesse se trouva parfaitement
174 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
bien des bains, dit une gazette de l'époque. « La manière
noble dont S. A. a vécu à Brighton, a beaucoup ajouté à
l'agrément de ce séjour. » Mme Filzherberl et George IV, 113,
note 2,
21. On a insinué que la princesse aurait éprouvé un sen-
timent assez tendre pour son beau-frère (cf. Mémoires de
Tailleyrand, t. I, 162).
22. Mme de Lamballe, d'après des documents inédits, par
Georges Bertin, 169.
23. Mémoires secrets de Bachaumont, t. XXXV, 347.
24. Au mois de janvier 1788, elle fut cependant victime d'un
accident qui aurait pu avoir les suiles les plus graves. Elle
était, à ce moment, à Villers-Cotterets, chez son beau-frère le
duc d'Orléans, exilé par le roi à la suite de sa résistance
dans les démêlés des Parlements. En jouant aux barr.es,
qu'on appelait alors le jeu du cerf, avec ses neveux et leur
sœur, la princesse, qui poursuivait le jeune duc de Beaujo-
lais, vint à heurter le pied contre jn obstacle, et sa tète
alla frapper violemment contre les racines d'un arbre dessé-
ché. Cet accident, dont on n'avait fait d'abord que rire, inspira
bientôt les plus vives inquiétudes et faillit nécessiter l'opé-
ration du trépan ; la princesse échappa heureusement à
cette intervention chirurgicale {Modes et usages au temps de
Marie-Antoinette, du comte de Keiset, t. Il, 8 ; cf. note 16).
25. De Lescure, la Princesse de Lamballe.
26. Lettre du 7 août 1789 (la Révolution française, 14 septem-
bre 1900, 273 et s.)
27. Lettres inédites de la princesse de Lamballe, publiées
parCh. ScHMiDT {la /îé^uo/uaoAi/mnpaise, juillet-décembre 1900,
p. 274).
28. G. Bertin, op. cit., 191.
FiG. 48. — piiii.ii'iT. i/()i!i.i. \N-, Jit K(;aliti'; "*
CHAPITRE VIII
LE RETOUR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
EN FRANCE
LA MISSION DU DUC d'oRLÉANS A LONDRl.S
Quelques nuages s'étaient élevés entre la reine et
sa surintendante, dont le duc d'Orléans fut le
prétexte. Marie-Antoinette avait exprimé le désir
que Madame de Lamballe se rendît auprès de son
beau-frère, pour lui signifier qu'il ne parût plus en
sa présence. On avait appris à la Cour que le Palais-
Royal était de connivence avec les émeutiers d'oc-
tobre, et on lui en gardait une légitime rancune \
La princesse, à qui répugnait cette mission, eut un
instant la pensée de se démettre et de rentrer
dans la vie privée. Son médecin l'y encourageait,
mais le duc de Pciithièvre s'y opposa fermement.
Ce n'était pas le moment où la reine était accablée
de tracas et de peines, ce n'était pas une pareille
lioure qu'il convenait de choisir pour l'abandonner.
« Si votre cœur, ma chère fille, écrivait à l:i prin-
cesse son beau-père, garde encore pour moi de
cette amitié grâce à laquelle vous m'avez adouci
)2
178 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
tant de jours amers, vous prêterez l'oreille non à
ma volonté, mais à ma prière paternelle, et vous
écrirez à mon beau-fils (le duc d'Orléans) la lettre
que la reine vous a demandé de lui transmettre,
quelque injustes que vous paraissent ses ressenti-
ments, car ceux-ci sont excusables dans la triste
situation où elle se trouve. J'attends de vous que
vous exauciez ma prière.» Ce futSaiffert qui rédigea
la réponse de la princesse. Madame de Lamballe
essaya encore de faire revenir son beau-père sur sa
décision, mais la résolution de celui-ci était inébran-
lable. La princesse fit alors intervenir auprès de
son beau-frère le médecin de celui-ci, qui était en
même temps le sien ; Saifïert fut chargé de cette
nouvelle négociation.
Le duc fut, on le conçoit, très offensé des termes
blessants dont s'était servi Marie-Antoinette à son
égard ; la princesse feignit de partager l'indignation
de cette dernière, mais dans le fond elle prenait
parti pour d'Orléans. Saifïert, qui devenait de
plus en plus le confident de ses pensées les plus
intimes, ne fut certainement pas étranger à ces
manœuvres, auxquelles s'était laissée peu à peu ga-
gner l'âme candide de sa cliente princière.
Celle-ci faisait part à son médecin de tout ce qu
se passait à la Cour, comptant sur une discrétion
dont sa profession lui faisait un devoir. Saiffert lui en
imposait, en outre, par sa force de caractère, dont il
lui avait donné des preuves en maintes circons-
tances.
La princesse confia, dès qu'elle en eut connais-
sance, à son médecin, qui en était peut-être bien
instruit avant elle, q^e son beau-frère, le duc d'Or-
FIG. 40. — MIRABEAU
l8o LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
léans, venait d'accepter une mission secrète auprès
du gouvernement anglais, et qu'il était à la veille
de partir pour Londres.
La Cour avait saisi ou fait naître, ce qui est plus
vraisemblable, ce prétexte pour éloigner et perdre
un personnage qui lui était odieux, surtout parce
qu'il s'était, dès les premières heures, rallié au parti
de la Révolution, et qu'il avait tenté, par tous les
moyens, de saper l'autorité et le prestige de la
royauté. On ne se fit pas faute, dans l'entourage du
roi, de dire que le duc d'Orléans avait « les mœurs
d'un laquais, comme il avait les idées d'un marchand
et les goûts d'un jockey ^ ».
• Sur cette mission extraordinaire du duc d'Orléans
à Londres, les documents sont assez clairse-
més. Nous avons eu la bonne fortune d'avoir
communication d'un certain nombre de copies de
pièces d'archives, prises par un de nos amis, qui avait
l'intention de faire, du récit détaillé de cette mission,
le sujet d'une thèse pour l'École des sciences poli-
tiques. Son projet n'ayant pas été mis à exécution,
par suite de circonstances qu'il serait oiseux de faire
connaître, nous allons puiser dans ce dossier quel-
ques informations, qui contribueront à éclairer la
psychologie du personnage connu dans l'histoire
sous le nom de Philippe-Égaliié, et dont la physio-
nomie est restée assez énigmatique.
Il paraît établi que Louis XVI n'a donné au duc
d'Orléans une mission en Angleterre que pour l'éloi-
gner de Paris. Le roi nourrissait, à l'égard de son
cousin, une antipathie qu'il ne cherchait nullement
à dissimuler 3 ; il le lui fit sentir, notamment, dans
une circonstance, qu'a relatée un témoin ^ qui nasse
RETOUR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE lOl
pour bien informé des hommes et des événements
de la Révolution.
Le duc s'était rendu, un jour, au lever du roi,
à Versailles. C'était alors l'usage que le premier
prince du sang, lorsqu'il était présent, présentât la
chemise au roi ; à cet effet, le gentilhomme de la
chambre l'olïrit au duc d'Orléans, pour la passer
au roi. Le duc s'étant approché du monarque à ce
dessein, celui-ci lui demanda ce qu'il faisait là. Un
peu interloquée, l'Altesse répondit qu'elle était venue
prendre les ordres de Sa Majesté. — « Je n'ai rien
à vous dire, répliqua brusquement le monarque ;
retournez d'où vous venez. » On devine de quelle
humeur était le duc d'Orléans, à la suite de cet entre-
tien dépourvu d'aménité. De ce jour, il jura de se
venger de l'outrage qu'il avait reçu : telle est, du
moins, la version d'un de ses apologistes.
On ne fut pas longtemps à s'apercevoir qu'il avait
mis ses menaces à exécution. Ses menées, ses intrigues
n'étaient pas sans inquiéter la Cour. A la suite des
journées des 5 et 6 octobre, le parti orléaniste se
trouva sérieusement compromis. Après une scène
des plus vives avec La Fayette, qui alla jusqu'à lever
la main sur le prince, celui-ci, après avoir d'abord
balbutié, perdit toute contenance et finit par tomber
évanoui dans son fauteuil. En dépit des efforts de
Mirabeau 5 pour empêcher son départ, le duc, défé-
rant aux injonctions de La Fayette, consentit enfin à
s'éloigner du foyer de conspiration qu'il ne cessait
d'attiser.
Le 18 octobre (1789), il adressait au roi la lettre
suivante :
Daignez agréer mes sincères et respectueux renier-
l82 LA. PRINCESSE DE LAMIJALLE INTIME
I
ciements pour la mission particulière dont V. M. vient
de me charger près du roi d'Angleterre. Cette marque
de confiance est, dans les circonstances présentes, le
témoignage le plus flatteur de ses bontés pour moi,
en même temps qu'elle fait connaître à toute la France
la justice que Votre Majesté rend aux sentiments de
zèle et de dévouement que je n'ai jamais cessé un
instant d'avoir pour la personne de V. M,, sa gloire,
ses véritables intérêts et ceux de la nation qui en sont
inséparables. En exécutant ses ordres, je vais m'efTor-
cer d'obtenir la continuation de la confiance dont V. M.
m'honore et de conserver l'estime de mes compatriotes.
Monseigneur était porteur d'instructions dont nous
nous contenterons de faire connaître l'essentiel. « Le
premier objet des recherches de M. le duc d'Orléans »
sera de « découvrir jusqu'à quel point la Cour de
Londres a cherché à fomenter nçs troubles, quels
moyens et quels agents elle a employés ». Le duc
fera « tout ce qui sera en son pouvoir pour savoir,
avec toute la certitude possible, si le Ministère
anglais a ordonné ou s'il ordonnera des armements
et approvisionnements extraordinaires, s'il a fait
passer quelque ordre secret aux Indes orientales et
occidentales ». Le duc d'Orléans devait, surtout, assu-
rer le gouvernement britannique du désir de paix à
tout prix qu'avait le roi de France. « Ce vœu doit être
la base comme le but du langage que M. le duc d'Or-
léans tiendra soit au roi d'Angleterre, soit à ses
ministres. » D'autres dispositions avaient trait à
l'attitude qu'avaient prise les cours de Londres
et de Berlin vis-à-vis des « provinces Belgiques »,
dont les Cours paraissaient entretenir l'état d'insur-
rection et leurs tentatives pour « se soustraire à
l'obéissance de l'Empereur ». On laissait entrevoir
mm • M.-tiiiiiiiiiiife
FIG. 50. — LE PALAIS-ROYAL, F
^L,.A..r, r.A i RANGS
RETOUR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 187
à l'émissaire de cette négociation, délicate entre
toutes, qu'il en serait le bénéficiaire, et le titre de
grand-duc du Brabant ne pouvait que sonner agréa-
blement aux oreilles d'un prince dévoré d'ambition.
Ces instructions se terminaient par ces lignes : « Mon-
seigneur le duc d'Orléans correspondra régulière-
ment avec le Ministre ayant le département des
Affaires étrangères. Cependant, il dépendra de ce
prince d'écrire directement au roi, lorsque les choses
dont il aura à rendre compte lui sembleront l'exiger. »
Dans le temps même où ces instructions étaient
remises à celui qu'on chargeait de cette mission
extraordinaire, un courrier partait pour Londres, à
l'adresse de l'ambassadeur de France auprès de la
Cour de Saint-James : M. de la Luzerne recevait
l'ordre « de diriger le prince, de le surveiller, d'ex-
pliquer aux Anglais le caractère tout privé de sa
feinte mission, d'obtenir surtout que George III ne
conçût point d'humeur de ce que, pour se débar
rasser du duc (sic)^ on avait pris en France le parti
de l'envoyer en Angleterre ». S'il restait encore
quelque doute sur le véritable mobile de la détermi-
nation prise par Louis XVI à l'égard du prétendant,
dont les alliances plus que suspectes avec le parti
jacobin causaient au roi de sérieuses appréhensions, ce
doute serait levé par ce fragment de correspondance
de l'ambassadeur La Luzerne, mandant au ministre,
M. de Montmorin (le 26 novembre) : « Si vous le
teniez (un M. de Sainte-Foy, qui s'était proposé
pour espionner le duc), vous seriez sûr d'avoir l'un
des meilleurs espions qu'il y ait au monde. Il est le
premier homme que je connaisse pour mener un
tripot. Il m*a donné des preuves du temps de Ma-
i88
FA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
(lame du Barry, et je vous assure qu'il mènerait de
même M. le duc d'Orléans et Madame de Bufîon. »
Madame de Buffon était l'épouse divorcée du fils
de Buffon ^, et bien qu'elle s'appelât alors Madame
de Cepoy, de son nom de jeune fille, les mémoria-
listes et les libellistes continuaient à l'appeler Ma-
dame de Buffon. Bravant les préjugés, Madame de
Buffon s'affichait
ccfmme la maîtresse
en titre du duc
d'Orléans, qui, au
dire d'une amie de
ce dernier, en était
« amoureux fou...
la menant tous les
jours promener en
cabriolet et le soir
à tous les specta-
cles 7 ». La du-
chesse, qui vivait
séparée en fait, si-
non en droit, de
son mari, lui pas-
sait cette incartade, et le duc vivait conjugale-
ment avec sa maîtresse, comme il avait vécu
bourgeoisement avec sa femme ^. A Londres,
Madame de Buffon présidait la table du prince et
gouvernait son salon 9. Le duc oubliait, dans les
bras de la sirène, toutes ses rancœurs, se libérait
de tous ses ennuis.
Deux dépêches, écrites par l'ambassadeur de
France, nous révèlent cet état d'âme. Leur contenu
laconique est plus explicite que de verbeuses gloses.
FIG. 51. — MADAME DE BUFFON
RETOUR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 189
l^r jarufier 1790. — La conduite de M. le duc d'Or-
léans me paraît inconcevable. Je le vois peu et jamais
que chez moi, parce qu'étant toute la journée chez
•s?'^««,,, />//,,
Mme (le BufTon, il est toute la jouruco invisible...
15 janvier. — M. \% duc ne son^^e plus à sa mission.
Sa maîtresse, le club où il passe sa vie, le consolent de
tous les f.ha^rins (ju'il a éj)rouvés de l'autre cote de
la mer.
IQO LA PRINCESSE DE LAMnALLE INTIME
Le temps qu'il ne passait pas auprès de sa maî-
tresse, le duc d'Orléans l'occupait au brelan. « Le
jeu et Madame de Bufïon, lisons-nous dans un docu-
ment diplomatique, lui font passer son temps assez
doucement, et sans quelques paragraphes que les
aristocrates font circuler journellement, il ne serait
pas malheureux. »
Le 19 mars, « le duc songe à aller en France, si
le roi va chasser à Compiègne ou à Rambouillet »
mais « il a peur de rentrer en France ».
Les rapports de l'ambassade deviennent de plus en
plus circonstanciés ; à mesure que le séjour du duc se
prolonge en Angleterre, il semble prendre parti de sa
situation. « Le vin, les chevaux, le jeu, les filles et Ma-
dame de Buffon paraissent occuper uniquement ce
prince. Il cherche par tous les moyens possibles à
s'étourdir sur son sort présent et avenir.» Il en arrive à
perdre toute mesure, à oublier son rôle et son rang. Il
monte « tête à tête dans un petit cabriolet » avec
Madame de Bufïon et passe dans les voies les plus
fréquentées de Londres. « S. M. et tout ce qu'il y
a de plus considérable en Angleterre ont passé
dix fois devant lui, ce qui lui a paru la chose du monde
la plus simple. » Quand vient l'époque des courses
de chevaux dans les provinces du Royaume-Uni,
il s'y rend avec son habituelle compagne, et « ils
ne passent à Londres que des moments... On assure
qu'il est ivre tous les soirs, qu'il boit une telle quan-
tité de vin, que l'on croit qu'il finira par devenir
hydropique ». L'antithèse serait plaisante, si on
était sûr qu'elle ait été volontaire, mais les diplo-
mates, dans leur langage officiel, usent rarement
de cette arme à deux tranchants qu'est l'ironie.
RETOUR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
191
Avant que le duc eût débarqué, et qu'on ait eu l'oc-
casion de l'approcher, les Anglais «de toutes les classes
et de tous les ordres » avaient conçu de lui la plus
fâcheuse opinion. « Il s'est réduit à voir un très petit
HG. r>3. — imiimim'F.-i':(;aliti':, en roi de pique
(Collection <le r.iiitciir)
nombre de personnes », et parmi celles-ci, on signale
entre autres, le sieur Laclos : il s'agit de Choderlos
de Laclos, l'auteur des Liaisons dangereuses^ qui,
seul, « compose le conseil du prince et possède...
toutes ses afîections politiques, ne sort presque pas
192 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIWB
de chez lui ». Madame de Sillery, autrement dit
Madame de Genlis, qui a cependant de l'influence
sur le duc, et pour des raisons que l'on devine, a
vainement essayé de l'éloigner de cette fréquenta-
tion, mais Laclos est son âme damnée, il le tient
par plusieurs liens et a reçu toutes ses confidences V°.
Cet aventurier était l'homme des basses besognes :
ne se vantait-il pas d'avoir « lâché aux trousses du
Châtelet l'ordurier Marat ", le licencieux Danton et
le fourbe Linguet ? Malheureusement, La Fayette
était là. Le Châtelet subsiste encore et, qui pis est,
la procédure ». Le valet tenait le langage du maître,
il avait barre sur lui, tout lui était permis. « J'ose
croire. Monseigneur, écrivait un jour Laclos à d'Or-
léans, que ma lettre vous parviendra dans l'un des
rares moments où Madame de BufTon laisse votre
corps et votre esprit libres. »
On s'est demandé si Madame de Bufïon a' eu
sur son amant princier une influence salutaire
ou néfaste. On l'a présentée comme une petite
femme insignifiante, étrangère aux intrigues, dé-
pourvue de velléités ambitieuses. Voici qui va mettre
les choses au point. Laissons d'abord parler le duc,
qui s'exprime en termes des moins ambigus, dans
une missive qu'il ne prévoyait pas destinée à une
publicité même posthume.
J'exige de vous, écrivait-il à son correspondant, que
vous ne montriez jamais cette lettre à Agnès, elle me
dévisagerait, si elle voyait ces jérémiades. Cette femme
est un diable, elle m'aiguillonne sans cesse et, à l'en-
tendre, je devrais être roi depuis longtemps *''^. Quand
ces faibles créatures se sont mises les grandeurs en
tête, elles sont cent fois plus ambitieuses que les hommes.
RETOUR DE LA PRINCESSE DE I.AMRAT.LE 193
Leur turbulent instinct n'est point arrêté parla réflexion,
leur imagination ardente franchit tous les obstacles.
Tout s'aplanit devant elles et leur vanité convoite un
royaume, comme s'il ne coûtait pas plus qu'un pom-
pon. Il n'y a que l'exécution qui leur plaise ; vouloir,
pour elles, c'est agir ; agir, c'est réussir. Les intermé-
diaires, les lieux, le temps, l'espace, tout cela n'est
compté pour rien. En vérité, le feu roi de Prusse était
bien heureux de s'en passer ^'^.
La société de Madame de Buffon ne suffisait pas
à empêcher le duc de regretter sans cesse son éloi-
gnement de Paris.
Le séjour de Londres, écrivait d'Orléans à son fidèle
Laclos, nous ennuie à périr. Le temps de notre exil
commence à nous paraître bien long. Ne voir personne,
n'être reçu nulle part, ne rencontrer partout que des
visages glacés, ne recevoir qu'un petit nombre de joueurs
forcenés, à qui il est indiiïérent de laisser leurs guinées
chez nous, pourvu qu'ils aient eu l'espoir d'en gagner
plus qu'on ne leur en a fait perdre, vous conviendrez
que c'est payer un peu cher l'honneur de passer pour
être chargé d'une mission. Tâchez donc de hâter le
moment de notre retour...
Ce retour ne devait s'effectuer que trois mois i)lus
tard. Madame de Buiîon avait contribué, plus que
tout autre, à iaire prendre au duc cette résolution.
« Cette femme, disait d'elle Laclos, avec de l'esprit '*,
j'en conviens, qui se croit un phénix en fait d'in-
trigues... voudrait être l'héroïne de la pièce. Mais
pleine d'ambition et d'orgueil, elle ne demandait
(jii'à revenir, pour avoir la douce jouissance de Inire
voir au pul)lic de Paris qu'au lieu d'un amant, elle
trouve dans le prince riselave le plus asservi à ses
volontés. »
13
194 LA PRINCESSlî I)K LAMIîALM-: liNTl.ME
En dépit des remontrances du roi et des conseils
de ses vrais amis, le duc d'Orléans annonça qu'il se
disposait à se rendre incessamment à Paris, pour y
reprendre sa place de député de l'Assemblée natio-
nale, où son devoir l'appelait. Il considérait, quant à
lui, sa mission comme terminée.
En débarquant à Dieppe, le duc fut accueilli par
les cris menaçants de : A la lanterne ! Il lui fallut
quitter précipitamment la table où il s'était assis,
abandonner un grand souper préparé à son inten-
tion et on dut le porter, claquant de peur, dans sa
voiture 's. Il ne se faisait pas la moindre illusion
sur ce qui l'attendait en France. A l'amiral Payne
qui l'accompagnait, lors de son départ d'Angleterre,
jusqu'à son yacht, il n'avait pas caché ses appréhen-
sions. « Si je ne consultais, lui dit-il, que mon incli-
nation ou ma sûreté, je resterais dans votre heureuse
patrie, mais on me dit que mon honneur exige que
je retourne en France. Vous vous rappellerez que je
ne m'aveugle pas sur ma position et sur les scènes
dont je m'attends à être le témoin. Je ne serai utile
à personne, je mènerai une vie malheureuse et je
périrai probablement parmi les premiers. » Il ne
croyait pas être si bon prophète.
Le duc d'Orléans arrivait à Paris le 7 juillet 1790^".
Le surlendemain était le jour de la fameuse Fédé-
ration. Le roi et la reine vinrent au Champ-de-Mars,
où Talleyrand, alors évêque d'Autun, dit la messe
en présence de LL. MM. Le duc d'Orléans figurait
dans le cortège, montrant ostensiblement qu'il en-
tendait ne rien abandonner de ses prérogatives,' et
nous pouvons ajouter de ses ressentiments.
Il n'avait pas été longtemps dupe de la comédie
~1
' H^. Oi. - LA DUCMESbK D'OhLfcAN,;*. lirouSE DE IMIILirPE-KOALIl li
igfi LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
I
jouée par la Cour. Quelques semaines après le départ
du duc d'Orléans pour l'Anglelerre, la princesse de
Lamballe disait à son médecin : « Non ! non ! il est
impossible de supporter avec calme qu'on se moque
si radicalement du père de mon neveu (sic)... Il
est contrecarré, dans sa négociation, par un émis-
saire secret ; la reine le raille tous les jours en ma
présence, elle J'appelle un don Quichotte politique.
Je n'ai malheureusement personne à qui je puisse
me confier sans danger, et qui lui transmettrait un
rapport détaillé de tous ces faits. » Ces pensées
tourmentaient la princesse ; bientôt une occasion
allait s'offrir de faire connaître au duc l'attitude
observée par la Cour à son égard.
Le docteur Saiiïert fut mandé à Londres, pour
donner ses soins à d'Orléans '7. Madame de Lam-
balle le chargea d'une missive pour son beau-frère,
où elle exposait à celui-ci qu'il pouvait se confier
en toute sécurité à son médecin, qui l'instruirait
d'un certain nombre de particularités le concernant.
Saifîert passa environ deux mois à Londres. Nous
avons dit pour quelle maladie il traita son client:
rappelons seulement que l'Altesse avait mené une
existence assez agitée, et qu'elle en avait gardé de
pénibles souvenirs.
D'aucuns ont assuré, mais il ne faut pas tou-
jours croire les fabricants de libelles, qu'il avait
contaminé sa femme, cette charmante fille du duc
de Penthièvre, le parfait modèle des épouses, qui
« ne se plaignit jamais... ne fit aucun reproche à
son mari, et ne cessa de lui donner des preuves
constantes de son amour et de sa fidélité ».
On a également laissé entendre que la princesse
RETOUR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE I97
de Lamballe aurait été, elle aussi, infectée du virus
qui avait causé la mort prématurée du falot person-
nage auquel on l'avait unie. Fut-ce l'origine de sa
névrose ? Nous ne le pensons pas. Si on se le rappelle,
elle en avait éprouvé les premiers symptômes de
très bonne heure, et les médications du docteur
Sailîcrt ne réussirent qu'à en atténuer la fréquence
et la violence
NOTES DU CHAPITRE VIII
1. D'après le comte d'Estaing, dont SaifTert rapporte les
propos, le duc d'Orléans n'aurait pas été l'instigateur des
troubles populaires d'octobre. Celui-ci s'en est, d'ailleurs,
toujours défendu, dans ses entretiens avec son médecin.
2. Revue politique et littéraire, 1] mars 1882, col. 300. D'après
un historiographe moderne, qui s'est constitué son apolo-
giste (cf. Revue des Études historiques, 1904, 337 et S., 478 et
s.), il aurait eu « plus de libertinage dans l'esprit que de
corruption dans le corps ». Après tout, il n'est pas de mau-
vaise cause qui ne soit défendable. Ce ne sont pas les
bons avocats qui manquent.
3. Il fut un temps où, à la suite d'explications échangées
de part et d'autre, le duc d'Orléans était revenu en faveur ;
le roi l'avait même nommé grand amiral de France. Cette
faveur fut de courte durée. Le roi, étant tombé malade d'un
gros rhume, gardait le lit; les courtisans s'empressaient à
venir prendre de ses nouvelles, le duc d'Orléans ne fut pas
des derniers à se présenter ; lorsque le roi apprit sa pré-
sence: « Laissez approcher le duc, s'écria-t-il à voix haute,
et qu'on écarte tout grands les rideaux, pour qu'il voie bien
que c'est moi; sans cela, le bruit courrait dans Paris que
je me suis enfui et qu'il y a dans le lit une autre personne
que le roi. » Bertrand de Molleville rapporte, dans ses Mé-
moires particuliers pour servir à l'histoire de la fin du règne de
Louis XVI (t. I, 175 et s.), qu'il reçut un jour la visite du
duc d'Orléans, venu pour protester de son innocence et
se justifier des projets qu'on lui prêtait à l'égard du roi
et de la famille royale. Le ministre l'aurait engagé à se
passer de son intermédiaire et à voir directement S. M.
Louis XVI reçut son cousin le lendemain, et parut satisfait
de ses explications; le dimanche suivant, au lever du roi,
les courtisans, qui ignoraient l'entretien qu'avaient eu les
deux personnages et l'impression qu'il avaitlaissée dans l'es-
prit du roi, continuèrent à faire grise mine au duc. « On se
FIG. OO. —
RETOUR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 2o3
pressa autour de lui, on affecta de lui marcher sur les pieds
et de le pousser vers la porte, de manière à l'empêcher de
rentrer (chez le roi). Il descendit chez la reine où le couvert
était déjà mis; aussitôt qu'il y parut, on s'écria de toutes
parts : Messieurs, prenez garde aux plats ! comme s'il avait eu
les poches pleines de poison. Les murmures insultants
(lu'excitait partout sa présence le forcèrent à se retirer sans
avoir vu la famille royale. On le pourchassa jusqu'à l'esca-
lier de la reine; en le descendant, il reçut un crachat sur la
tète, et quelques autres sur son habit. On voyait la rage et le
dépit peints sur sa figure ; il sortit du château convaincu que
les outrages qu'il y avait reçus venaient du roi et de la reine
...il leur )ura dès ce moment une haine implacable, et il ne
s'est montré que trop fidèle à cet horrible serment. >» Bertrand
de Molleville, pour donner plus de poids à son témoignage»
ajoute: « J'étais au château ce jour-là, et je fus témoin
de tous les faits que je viens de rapporter. >>
4. Mémoires de Madame EUiott sur la Révolution française, tra"
duits par le comte de Bâillon. Paris, 1861.
5. L'entrevue de Mirabeau avec le duc d'Orléans est rap-
portée avec détails par Saiffert, dans les notes qui accom-
pagnent son Observation de la maladie de la princesse de
Lamballe: les éclats de voix des deux interlocuteurs s'en-
tendaient jusque dans l'antichambre, assez fort pour que
le médecin perçût distinctement leur dialogue, qu'il trans-
crivit le soir môme, pour ne pas l'oublier. Impatienté de son
attitude, Mirabeau disait, en parlant du duc : «Le lâche a la
convoitise du crime, mais il n'en a pas la puissance. » Mis-
taire de VAssemblée constituante, par Ch. Lacretelle, 156-7.
Le môme historien donne maints détails sur l'entrevue du
prince avec La Fayette, chez la marquise de Coigny ; une
nouvelle explication eut lieu chez le comte de Montmorin,
en présence du duc de Liancourt.
G. Sur le fils de ButTon, v. la Hevue des Études historiques^
lyOl, 14r>etnote.
7. Mémoires de iW- EUiott, 20.
8. Mém. d'outre-tombe, de Chateaubriand, t. L 296 et 300;
M. de Lescure, Le dernieramour de Philippe-Lgalité (f?tfi»*«
politique et littéraire, 1882 ; cf. licvue des Études historiques, lUOl,
20r>-6),
y. Mémoires de Tilly.
10. V. dans les Annales des Scienôes politiques (15 sept. 19<.4),
un curieux article de M. Lucien Liuon : Un précurseur de
Talleyrand: Choderlot de Laclos et iailiance anglaise (17b9-1790).
zq\ la princesse de lam balle intime
Cet article donne d intéressantes précisions sur cet épisode
diplomatique de la vie passablement aventureuse de Laclos.
A retenir une confirmation de la collusion de Danton avec
Égalité et, d'autre part, avec l'Angleterre, montrant une fois
de plus ((ue le président du district des Cordeliers « tou-
chait sans vergogne de toutes les mains, se gaussant des
naïfs, et tout en suivant obstinément son dessein »>.
11. <« Je fais beugler Marat, écrivait-il au duc ; tous les
jours, sa feuille, à la vérité très bien payée, annonce que
le 14 juillet prochain sera l'époque d'une grande révolution
dans le système actuel. Je fais crier parce qu'il ne faut pas
rester en arrière et un parti qui se tait est ordinairement à *
moitié battu... Permettez-moi de vous recommander de
veiller exactement à ce que les finances ne manquent pas,
comme je vous jure de veiller avec le plus grand soin à la
distribution. » Cette lettre, datée du 17 juin 1790, prouve
que le duc continuait, bien qu'éloigné de Paris, à encou-
rager le mouvement terroriste.
12. C'est pourquoi Laclos, très au fait de ces querelles,
peut-on dire conjugales, disait à Égalité: « Louis XVI res-
tera roi et M'i" de BulTon n'aura jamais le plaisir de jouer le
rôle de Montespan. »
13. Lettre du '10 mai 1790.
14. D'après d'autres documents, « Madame de Buffon
était jolie, tendre, point jalouse, mais elle avait peu d'es-
prit »). Ailleurs, il est dit : « M"^" de Buffon n'était pas des-
cendue au dernier degré du vice. Ses habitudes étaient
simples. Une certaine candeur se remarquait dans son dé-
sordre. Elle suivait sa destinée, comme un être faible qui a
débuté dans le crime et n'a pas assez de puissance pour
s'arrêter. » « Elle était douce et tendre», rapporte la duchesse
d'Orléans, qui resta dans les meilleurs termes avec la mai-
tresse de son époux . Autant de peintres, autant de por-
traits.
15. Lettre de Laclos à M. Forth, 27 juillet 1790.
16. M°" Elliott donne la date du 13 juillet ; en réalité,
serait le 7 juillet que le duc serait rentré à Paris (Cf. a
Famille d'Orléans pendant la Révolution, d'après sa correspon-
dance inédite, par G. DU BoscQde Beaumont et M. Bernos,
2» édition ; Paris, 1913, 63).
17. « On ne sera sans doute point surpris, qu'à force de
mener la vie la plus désordonnée, la plus scandaleuse,
Monseigneur n'ait senti ses os calcinés, brûlés, pourris par
le fatal venin qu'il avoit respiré de toutes les catins qu'il
RETOUR DK LA PRINCESSE DE LAMBALI.E 2p5
avoit caressées. Aussi fut-il oliligé... de penser sérieuse-
ment à se médicainenler. Il le fit et il était temps... »> Vie de
L. P.J., duc d'Orléans (Londres, 1789), 24-28. Les journaux de
la Cour et les pamphlets nont pas manqué de faire allusion
à cette « maladie secrète », dont on s'entretenait publique-
ment (V. notamment le Petit Gautier, 3 avril 1792; le Pinceau
d'Apelle, ou Tableau physique et moral de M. M. les Députés à
rAssemblée Constituante, etc. A Paris, 1792, etc.).
CHAPITRE IX
LA FUITE DE LA FAMILLE ROYALE.
LE DÉPART DE LA PRINCESSE POUR l'ÉTRANGER
A l'époque où nous sommes arrivés, la malade
jouit d'une trêve dans ses souffrances, et lorsqu'elle
va passer, en août 1790, un mois à Amboise, avec le
duc de Penthièvre, puis un peu plus tard, pendant
son séjour dans le Maine, chez M. de Clermont, sa
santé ne subit aucune atteinte.
Cependant les événements se précipitaient. Au
mois de décembre 1790, on apprenait le départ d'une
des rares dames du palais restées fidèles à la reine ;
en février 1791, ce fut le tour des tantes du roi. Le
mouvement de l'émigration était commencé, il se
poursuivra sans arrêt.
Le cardinal de Montmorency, premier aumônier
du roi, Monseigneur de Roquelaure et Monseigneur
de Sabran, ses aumôniers ordinaires, les premiers
gentilshommes de la chambre, avaient abandonné si-
multanément leur poste de confiance et d'honneur.
Madame de Lamballe, à peu près seule, était restée
où le devoir la retenait. Fut-ce de rhéroïsme.
LA FUITE DE LA FAMILLE ROYALE
207
n'était-ce pas plutôt inconscience d'un périJ qu'elle
ne voyait pas ? Résignée, sans vigueur et sans dé-
FIG.ÔG. — MADAME DE NORENVAL, UNE DES DAMES DU PALAIS,
LECTRICE DE MARIE-ANTOINETTE
(Collection Jii Dr Vaucaire)
cision, elle voyait se dérouler les événements, ne
doutant pas que la situation n'allait pas tarder à
s'améliorer.
208 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
La nouvelle de la fuite de la famille royaie, au
mois de juin 1791, éclatait comme un coup de foudre
dans un ciel serein. Saiffert l'avait annoncée È<- la
princesse peu de temps avant que le projet fût mis
à exécution ; elle n'en avait voulu rien croire. « Le
roi, répondit-elle à son médecin, m'a dit à moi-
même qu'il voulait se préparer, avec la reine, à la
communion, et vivre pendant quelques jours seul
et retiré. Si la reine m'avait dit cela, un doute pour-
rait me rester, mais le roi est incapable d'une telle
fourberie ; il ne voudrait pas me laisser en butte au
danger auquel m'exposerait un pareil événement ;
non, vous êtes mal informé : le roi n'est pas dissi-
mulé à ce point. » Sur ces mots, elle regagnait sa
maison de campagne de Passy, « située à un quart
d'heure de chemin des murs de la ville de Paris ».
L'infortunée princesse fut cruellement trompée dans
ses prévisions ; au lendemain de l'entretien que nous
venons de rapporter, une lettre de la reine, qui lui
fut remise à 5 heures du matin par un envoyé spé-
cial, achevait de dissiper ses dernières illusions.
Mon cœur, lui écrivait Marie-Antoinette, nous serons
déjà loin de l'horrible ville de Paris, quand vous rece-
vrez ces lignes. Le secret était nécessaire , cherchez à
vous sauver le plus promptement possible, car un mas-
sacre pourrait bien suivre cette tentative, si longtemps
cherchée, et qui était indispensable pour restaurer la
puissance royale ^
Saiffert, qui reproduit cette lettre, dont il avait
conservé une copie, dit, en manière de commentaire,
que la reine s'était trompée, car tout se passa le plus
tranquillement du monde, et l'on se contenta de
LA FUITE DE LA FAMILLE ROYALE 209
s'écrier : « C'est toujpurs quarante millions de gagnés!
nous n'avons pas besoin de roi ; qu'on laisse Louis
le parjure aller au diable 1 »
La princesse ne pouvait croire qu'on lui eût
FIG. 57 — LA IMll.NCK.SSE DE LAM HALLE
(Gravure lioUandaise)
niancpié de confiance. En se rcméniorauL l'attitude
de la reine à la dernière entrevue qu'elle avait eue
avec elle, un indice, qu'elle avait négligé sur le mo-
ment, putlui donner quelque soupçon o Le dimîinclie
M
210 LA PRINCLSSE DE LAMliALLE INTIME
qui précéda le départ de la reine, conte le marquis
de Clermont-Gallerande ^, cette princesse, après son
jeu, engagea Madame de Lamballe à aller, dans la
semaine, à la campagne et lui prenant la main, lui
dit un adieu qui, prononcé d'un ton plus tendre que
de coutume, frappa cette princesse au point qu'elle
me le dit, en rentrant chez elle. Conmie personne
ne parlait du départ du roi, nous n'y fîmes pas une
attention sérieuse. »
Sans doute, Marie-Antoinette aurait dû prévenir
son amie, mais n'y avait-il pas déjà trop de monde
dans le secret '? Et d'une femme nerveuse, impres-
sionnable à l'excès comme l'était la princesse, que
ne devait-on pas redouter I Au surplus, toute récri-
mination était superflue. Il était temps de prendre
une détermination ; chaque jour passé dans l'indé-
cision augmentait le danger.
Madame de Lamballe se résigna enfin à céder aux
sollicitations de son entourage. Le 21 juin (1791),
« après avoir fait vingt-deux postes en douze heures d,
au risque de voir se briser la voiture qui les portait
et qui n'était pas faite pour un pareil voyage, mené
un train d'enfer, les fugitifs arrivaient à Auinale,
devant la maison du bailli, où le duc de Penthièvre
était logé 3. Ils ne s'y arrêtèrent que le temps de se
refaire par une collation sommaire ; une chaise de
poste était préparée, qui les transporta, en brûlant
le pavé, d'abord à Abbeville, puis à Boulogne, où
l'on coucha. Le lendemain, la princesse abordait
à Douvres, où elle apprenait l'événement de Varennes.
Elle se réembarquait presque aussitôt pour Ostende,
où elle arrivait le 25 juin. Deux jours plus tard, elle
mandait à sa cousine, la landgravine de Hesse,
LA rUITE DE LA FAMILLE ROYALE 211
l'arrestation de la famille royale et l'informait de
sa situation présente.
Je suis, lui disait-elle, dans ce lieu, sans femmes et
sans chemises. Je partirai néanmoins ce soir pour
Bruxelles, où sont Monsieur et Madame, qui ont été
plus heureux que les autres. Je suis comme une imbécile
et hors d'état de vous faire aucuns détails '*...
De Bruxelles, Madame de Lamballe se rendit à
Liège, où elle resta une journée ou deux ; puis elle '
se dirigea sur Spa, où lui fut remise une somme
d'argent envoyée par son beau-père, en même temps
qu'une lettre dans laquelle le duc de Penthièvre la
oressait de revenir auprès de la reine et de ne pas
i'abandonner dans le malheur qui la frappait. Ne
sachant quel parti prendre, la princesse écrivit à
Saiffert de la conseiller ; celui-ci s'empressa de lui
répondre, l'engageant à rester où elle était, et à
invoquer comme prétexte que les eaux de Spa étaient
nécessaires pour remettre ses nerfs troublés. (< Pour
rien au monde, ajoutait-il, ne revenez dans ce re-
paire de la Cour, où vous courriez toute sorte de
dangers. » Celle-ci avait tellement accumulé de haines,'
(jue le docteur pressentait les pires catastrophes.
Nc'écoutez, mandait-il à la princesse , ni me-
«naes, ni prières, ni ordres, ni llatterics... Croyez-
en mon expérience ; on ne saurait vous reprocher
de vous soigner, et nul ne songera, pour un tel mo-
tif, à vous tourner en raillerie... Princesse, si j'en
crois mes informations, Paris devient de plus en plus
redoutable pour le roi ramené prisonnier et ceux
(jui l'ont accompagné dans sa fuite. L'État est
atteint d'une sorte de maladie de langueur et il ne
212 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
«
se présente actuellement que des charlatans ou des
empiriques pour proposer de le guérir ; les suites
m'en paraissent devoir être des plus dangereuses. »
Cette lettre parvint à la princesse à Aix-la-Cha-
pelle ; elle était descendue, avec deux dames de sa
suite, dans une maison de la rue Saint-Jacques, où,
pour dissimuler sa véritable personnalité, elle s'était
inscrite sous le nom de comtesse d'Amboise ; un peu
plus tard, elle quittait ce logis modeste pour une
demeure plus confortable, dans un des quartiers les
plus élégants de la ville, « sur la grande rue, la
plus belle dans l'endroit le plus large... tout près de
la Redoute, ce qui est commode pour aller jouer à
la rouge et noire, tout près des plus beaux bains
et des eaux ». Madame de Lamballe s'était con-
tentée, dans cette luxueuse résidence, d'une simple
chambre, « quoiqu'elle soit laide et qu'on ne puisse
y aller que par un vilain sale corridor ; mais elle a des
cabinets et de quoi loger des femmes autour d'elle 5».
D'Aix-la-Chapelle, elle écrit à sa cousine, pour
la remercier encore de ses « ofîrcs obligeantes »;
elle préfère attendre les nouvelles de France avant
de prendre une détermination.
Il lui apparaît « que l'Assemblée s'est radoucie
pour le roi ; elle le regarde comme inattaquable,
mais il est toujours suspendu dans ses pouvoirs...
Comme on ne dit rien de la reine, (elle) espère
qu'on la regarde simplement comme femme du roi
et comme devant lui obéir et qu'il n'en sera pas
question ». Elle va prendre les eaux, ne fera que
traverser Coblentz, si elle s'y rend, quoique Monsieur
et le comte d'Artois l'aient maintes fois invitée ;
si elle s'établissait quelque part, ce serait à Turin
LA FUITE DE LA FAMILLE ROYALE
2l3
auprès de ses parents ; mais eJle n'a formé aucun
nouveau projet ; cela dépendra des circonstances.
En vain, la reine, de même que SailTert, lui écrit-
elle lettres sur lettres, pour l'engager à ne pas
quitter l'asile qu'elle s'est choisi :' elle hésite, elle
FIG. 58, — nOL-SElN DE LA HEINE MARir-AMOINETTE
tergiverse, ne sachant quelle détermination prendre ;
lorsqu'elle se décide à revenir en France, elle ne se
dissimule nullement quel sort l'attend, mais « elle
doit obéir, fût-ce coiilre sa volonté et toutes ses
inclinations», alors même qu'elle sait qu'elle court au-
devant de sa perte. Comme le disait le comte de
l.is-Cases à Napoléon, qui l'interrogeait sur ce qui
b'était passé entre la reine et la princesse dans cette
circonstance, « la princesse retourna dans la capi*
2l4 LA PRINCESSE DE LAMBAI.LE INTIME
taie avec pleine connaissauce du péril, clic est tom-
bée victime de sa générosité et de ses bons senti-
ments». Une preuve certaine de la véracité de cette
assertion, c'est que le testament de Madame de
Lamballc^', rédigé à Aix-la-Chapelle, porte la date du
15 octobre 1791. Ce serait donc bien aux sollicita-
tions de la reine que la princesse aurait cédé,
quoique Marie-Antoinette ait toujours eu l'appa-
rence de refuser les offres de dévouement que lui re-
nouvelait sans cesse son amie.
Des témoignages irrécusables concordent pour nous
fortifier dans cette opinion, que la princesse a, comme
elle l'a déclaré elle-même, obéi à une invitation pres-
sante, qu'elle « n'a pas quitté Aix sans infiniment
de regret ».
Je ne suis, écrivait-elle à sa cousine, un mois après son
arrivée, rentrée dans ce chien de pays que pour la reine
et pas du tout pour me divertir, on ne me verra pas
beaucoup dans le monde. Il fallait tous mes sentiments
pour elle pour me faire quitter le séjour d'Aix et vaincre
la répugnance que j'éprouvais pour venir dans ce lieu ;
mais du moment que la reine m'eut manifesté le désir
qu'elle avait que je revinsse vers elle, je suis partie sur-
le-champ et suis venue occuper mon logement aux Tui-
leries, où je (me) suis établie du jour même de mon arri-
vée. Je suis venue seule ; je n'ai pas voulu priver mes
dames de leur tranquillité, et que la noblesse qui m'était
attachée reçTit des choses humiliantes par rapport à
moi... Quant à moi, je sacrifierai tout à la R... (Reine) ^,
Cette dernière phase est significative.
NOTES DU CIIAPITKE IX
1. Nous donnons, pour ce billet, la traduction du texte de
Saiffert, n'ayant pu retrouver le document original dont il
donne une copie.
2. G. Bertin, op. cit., 217.
3. Mémoires pour senu'r à la vie de M. de Penthièvre, par Fou-
TAiRE, valet de chambre du prince.
4. Lettre publiée par M. Ch. Schmtdt.
.5 Correspondance de Mme de Lâge de Volude.
6. Elle n'avait eu garde d'oublier, dans son testament, le
médecin qui lui avait donné ses soins, et auquel elle re-
commandait qu'on conservât sa pension. Elle léguait, en
outre, deux mille francs, pour délivrer des mois de nourrice,
trois mille francs à l'Hôtel-Dieu, « plus cent cinquante
livres de pension viagère pour avoir soin de mes chiens,
cette pension à finir à la mort des chiens ». Enfin, elle ter-
minait par celte recommandation, où perce la crainte d'être
inhumée vivante : « Je veux être gardée trois jours, et que
mon médecin ou chirurgien m'examine pendant ces trois
jours. »
7. Correspondance publiée par M. Cb. Schmidt [lu Bévo-
lulion française, loc cit.).
FKi. 59. — HETOUR DE VAl
CHAPITRE X
LE RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE.
LES NÉGOCIATIONS
DE LA COUR AVEC LES CHEFS DU PARTI JACOBIN
Le beau-père de la princesse, le bienfaisant duc
de Penthièvre, qui avait toujours engagé Madame
de Lamballe à ne pas abandonner ses maîtres, se
réjouit de la voir rentrer en France, non sans mar-
quer de l'appréhension sur l'avenir qui lui était
réservé. « Je loue fort i'attachement de ma belle-
fille pour la reine, s'écria-t-il en apprenant la nou-
velle que lui apportaient les gazettes de Paris ; elle
a fait un bien grand sacrifice de revenir auprès
d'elle. Je tremble qu'elle en soit victime. » Ce n'était
pas être prophète, mais simplement clairvoyant ;
ne semble-t-il pas qu'il soit des circonstances où
l'on s'épuiserait en vain à lutter contre le sort acharné
à vous perdre ?
Plus on étudie l'histoire de la Révolution dans les
détails, plus on cherche à pénétrer les mobiles aux-
quels ont obéi les protagonistes d'un drame où les
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 2I9
comparses n'ont pas toujours joué le moindre rôle,
plus on reste confondu de constater que ces prétendus
géants, vus non point avec le grossissement que leur
confèrent la distance et le recul du temps, mais à la
lumière crue des documents contemporains, ne sont,
en réalité, que des êtres humains taillés à notre me-
sure ; ces colosses nous apparaissent comme des
pygmées, ces figures monstrueuses ou gigantesques,
notre imagination seule les a déformées, la vérité
nous les montre très difïérents ^
Voyez Danton. Si on ne se souvient que de son rôle
dans la politique extérieure de la France, de son
sursaut de patriotisme, qui amena la victoire sous
nos drapeaux à un moment où l'on désespérait de
vaincre, de son audacieux défi de septembre aux
nations coalisées, Danton nous apparaît grand
parmi les plus grands ; mais que nous soient admi-
nistrées les preuves de sa vénalité, les témoignages
de sa corruption, le héros descend de son piédestal,
la statue croule de son socle.
Disons tout de suite que Danton est une des
figures les plus attachantes de la Révolution. Ce
jouisseur, ce bon vivant, ce « Mirabeau de la popu-
lace », comme on l'a nommé, éveille en nous une
sympathie dont nous avons quelque peine à nous
défendre. La physionomie est repoussante, et pourtant
elle nous attire. Barère disait de son collègue à la
Convention : « c'était un homme à tête de fer », et
il rappelait ce propos, que leur tenait un jour Danton,
à Saint-Just et à lui : « La Révolution, leur disait-il,
a accouché de la Monarchie au 10 août, et au 2 sep-
tembre elle lui a arraché l'arrière-faix. »
Cette verdeur de verbe lui était habituelle. « Si
220 LA PRINCKSSK DE LAMDALLE INTIME
je laisais mes c... (traduisons par virilité) à Robes-
pierre et mes jambes à Couthon (qui était, comme on
sait, cui-de-jattc), ça pourrait aller encore quelque
temps au Comité de salut public ^. *
Quelqu'un qui l'avait connu et vu de pri^îs, mais
qui ne l'aimait pas, a rapporté 3 que Danton avait
rédigé lui-même son épitaphe, elle vaut celle de
Sardanapale que nous a fait connaître Aristote :
« Qu'importe si je meurs, j'ai bien joui dans la Révo-
lution, j'ai bien dépensé, bien riboté, bien caressé
des filles, allons dormir ! »
Quel mépris devait avoir de la vile' multi-
tude cet épicurien fastueux, pour s'écrier, de-
vant le peuple qui devait applaudir à son sup-
plice : « Les imbéciles, ils crieront : Vive la Répu-
blique, en me voyant conduire à la guillotine ! »
Lorsque Sain t- Jus t et Robespierre annoncèrent
que la Révolution allait suivre un autre cours, quand
ils proclamèrent que la terreur et la vertu étaient à
l'ordre du jour, ce n'était pas seulement pour prôner
l'austérité des mœurs et le désintéressement qu'ils
tenaient ce langage, ils entendaient surtout viser
l'immoralité de Danton ; ils faisaient une allusion
directe à ces opérations plus ou moins fructueuses
dont le tribun avait tiré de larges profits et que con-
naissaient de trop nombreux initiés. Des inculpa-
tions portées contre Danton celle-ci est évidemment
la plus grave.
Dar-tofi s'était marié deux fois ; ses deux femmes
furent passionnément aimées. La dernière parlait de
lui en termes des plus flatteurs, à qui lui demandait
ses impressions sur son premier époux. On a conté
qu'aune séance de la Convention, Danton répondit à
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 2^1
un des orateurs qui l'avaient le plus violemment atta-
qué par une de ces boutades qui désarmaient ses pires
ennemis : « Un homme qui... (satisfait) sa femme
toutes les nuits, ne conspire pas. » L'argument était
FIG. 60. — CAMILLi: DESMOULINS
inattendu, mais il avait sa valeur ; seul, le misogyne
Robespierre était incapable d'en cire touché.
Camille DcsmouHiis élaiL-il plus chaste que Dan-
ton ? Une anecdote qui le met en scène, précisément
avec Robespierre, nous dévoile un coin de sa psy-
chologie, cl surtout de celle de l'Incorruptible.
222 LA PRINCESSE DE LAMIiAI LE INTIME
Un jour, en rentrant chez Duplay.le menuisier chez
qui logeait le farouche dictateur, celui-ci trouve, sur
la table de sa fiancée, « un mauvais livre ». Ayant
demandé qui l'avait apporté, on lui nomme Camille
Desmoulins. Sans mot dire, Robespierre en déchira
les feuilles, et qui sait, ajoute celui qui a raconté le
fait ^, si cette mauvaise action n'a pas coûté la vie
à Camille ?
Mais revenons à Danton et parlons de ses relations
avec la Cour. Ici, nous nous contenterons de repro-
duire les allégations du docteur Saiffert qui, dans des
Notes et Appendices, accompagnant son « Observa-
tion » de la maladie de la princesse de Lamballe,
nous a dévoilé les particularités les plus intéressantes
sur la genèse d'événements restée quelque peu obs-
cure; ainsi se trouvent confirmées certaines trac-
tations entre les chefs du parti révolutionnaire et les
conseils de la royauté, qui nous étaient connues par
ailleurs, mais que la déposition d'un témoin impartial
corrobore d'autant mieux qu'elle est spontanée.
Peu de temps avant les journées d'août (1792),
on avait conseillé au roi de faire appel aux hommes
généralement reconnus comme les idoles populaires,
entre autres Pétion, Robespierre et Danton. On
pensait de la sorte les compromettre aux yeux du
peuple et attirer sur eux la haine de celui-ci. La
reine se montra particulièrement empressée à mettre
ce projet à exécution; elle fit donc inviter successi-
vement les chefs du parti démocratique à se rendre,
à des heures fixées, chez sa surintendante, la prin-
cesse de Lamballe, sous le prétexte de s'entretenir
d'affaires de la plus haute importance.
Pétion accourut le premier aux Tuileries. Quelques
ï
M:
JEU . V E T ION i>E vn j j:ni:uvï^
Députe du ftailSf de Chartres
EtU'Jfai/ti/ff Aveu- /c /8 A^ûoemSre / 7^>
Im^t^^m JX
"^irrr^
FIG. Gl. — PÉTION
224 LA PRLNCESSE DE LAMBALLE INTIME
adroites flatlerics de Marie-Antoinette, relatives à
sa science du gouvernement, à ses connaissances
pour la conduite d'un État, eurent vite raison de
sa faible résistance, et les dernières hésitations du
maire de Paris tombèrent devant l'offre qui lui fut
faite d'un poste de ministre qu'on lui réservait.
Danton se montra plus exigeant. Il posa ses con-
ditions, « grandes et nombreuses », assure notre
informateur. Il demanda, notamment, le paiement
d'une somme annuelle de deux millions de livres
monétaires, à prendre sur les fonds secrets, dont la
loi autorisait le roi à faire un libre usage. La reine
promit tout ; en échange, Danton s'engageait à
faire rendre au roi, dans un bref délai, la plus grande
partie de la confiance qu'il avait perdue et le pouvoir
qui lui avait été arraché.
Quant à Robespierre, à la perspective du porte-
feuille ministériel qui lui était promis, il n'avait pas
dissimulé la joie qu'il en éprouvait, jusqu'à saisir, en
dépit du protocole, la main de la reine et à la portera
ses lèvres, en témoignage de reconnaissance. « Le roi,
aurait-il déclaré dans son enthousiasme, saura qu'il
m'a choisi pour son bien ; je vais préparer le discours
que je prononcerai aux Jacobins, et qui sera le garant
de mon zèle à servir la cause royale. Si quelqu'un
s'avisait de me contredire, je ne reculerai pas devant
les moyens de lui faire expier son audace. Le peuple
m'aime, mon influence peut faire taire beaucoup de
mécontents, et la reine peut compter sur ma pro-
messe, que j'userai de tout mon pouvoir pour réa-
liser ses désirs. »
Afin de dissiper les soupçons qu'auraient pu faire
naître la constitution d'un ministère ainsi composé.
15
226 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
il fut convenu qu'on demanderait à un modéré, le
duc de la Rochefoucault (sic), d'y occuper une
place. En conséquence, celui-ci fut invité à se rendre
secrètement chez la princesse de Lamballe. On lui
dit ce qu'on attendait de lui ; mais ce personnage,
d'une intégrité parfaite, refusa de se prêter à cette
manœuvre. Manuel, le procureur de la Commune,
y mit moins de scrupule, il se hâta d'accepter ce
que le duc avait refusé.
C'est de la princesse de Lamballe elle-même
que Saifïert assure tenir les faits que nous venons
d'exposer, et dont le récit est accompagné de
différentes circonstances d'ordre secondaire, dont
son interlocutrice lui avait fait part. Elle lui aurait
demandé ce qu'il pensait d'un pareil projet. Surpris
par une telle confidence, le docteur se refusa tout
d'abord à croire à sa véracité. « S'il en est ainsi,
répHqua la princesse, offensée de ce doute injurieux,
soyez aux Jacobins après-demain ; Robespierre
doit y expliquer sa nouvelle attitude, et vous
me ferez part des impressions que vous aurez
recueillies. »
Au jour dit, le docteur Saifïert se mêlaitvà l'auditoire
qui avait envahi la salle du célèbre club, et il entendit,
à sa grande stupéfaction, Robespierre prononcer un
discours en faveur de la royauté et des lois consti-
tutionnelles. L'impression et la distribution de ce
discours furent réclamées et adoptées à une forte
majorité par l'assemblée, malgré une violente oppo-
sition de la minorité. Saifïert fut convaincu, à partir
de ce moment, que Madame de Lamballe lui avait
dit la vérité. Il ne lui en présenta pas moins des
doutes sur la réussite du projet, escomptée par ceux
vu:. 03. — ROBEHIMIHItl.
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 229
qui s'attendaient à y trouver un moyen de salut.
Il estimait, quant à lui, que cette tentative venait
trop tard, qu'elle aurait dû être mise à exécution
quelques mois plus tôt. A l'heure présente, la mino-
rité avait avec elle toute la lie populaire, et la bour-
geoisie se refuserait à entrer en lutte ouverte avec
cette dernière ; la Cour avait tort de compter sur
une issue heureuse. « Fuyez, fuyez sans délai, réitéra
Saiffert à la princesse ; vous courez les plus graves
périls. » Mais toutes les supplications du docteur
restèrent vaines, la princesse étant plus résolue que
jamais à ne pas abandonner la reine. « Ah ! répondit-
elle en soupirant, mon beau-père l'exige ; je ne peux
pas quitter la place ! »
Avant d'aller plus loin et d'entamer le récit de
la journée du 10 août, qui fut fatale à la monarchie,
peut-être ne jugera-t-on pas superflu que nous re-
cherchions, dans les publications de l'époque, les
informations qui sont de nature à confirmer ou à
infirmer les assertions du médecin saxon, dont les
révélations mettent en posture assez fâcheuse les
principaux chefs du parti jacobin 5.
Pour Mirabeau, la question ne se pose plus ; elle
a reçu depuis longtemps sa solution ^. Perdu de
dettes, avide de jouissances sans cesse renouvelées,
celui-là n'était pas difficile à corrompre. Les condi-
tions du marché sont aujourd'hui connues. Ses
dettes, montant à 300.000 livres, furent intégrale-
ment payées ; on lui acheta un hôtel de 500.000 livres
dans la rue Chaussée-d'Antin, une maison de cam-
pagne de 2r)0.000,une terre de plus de d'un million,
et la bibliothèque de Buffon, qui coûta 200.000 livres.
On lui paya, en outre, une pension de 50.000 livres
23o LA rniNCEssE dp: lamballe intime
par mois, et on lui promit une ambassade, dès que
la session serait terminée 7.
Passons à Danton.
D'une lettre intime qu'écrivait, le 10 mars 1791,
Mirabeau à son ami le comte deLamarck ^nous déta-
chons ces lignes, terriblement accusatrices : « Danton
a reçu hier 30.000 livres, et j'ai la preuve que c'est
Danton qui a fait faire le dernier numéro de Camille
Desmoulins... » Donc, conclut judicieusement M. Al-
bert Mathiez 9, qui fait la citation, « Danton était,
dans ce mois de mars 1791, un agent de la liste civile.
Nous nous expliquons facilement, maintenant, qu'il
ait pu acheter tant de biens nationaux avant le
remboursement de sa charge. C'est le 24 mars 1791,
juste quinze jours après qu'il a reçu les 30.000 livres
dont parle Mirabeau, qu'il a acheté la ferme de Nui-
sement pour 48.200 livres, cette métairie dont il
parlera plus tard avec simplicité ».
Le bruit, en effet, s'étant répandu que Danton
s'était vendu, celui-ci crut nécessaire d'y couper
court. Le 20 janvier 1792, dans la séance de l'Assem-
blée électorale qui venait de l'élire substitut du
procureur ,de la Commune, Danton prononça un
discours pour expliquer son retour à Paris et ré-
pondre aux rumeurs qu'il taxait de calomnieuses.
Dans cette circonstance, comme dans d'autres plus
mémorables, il crut de bonne tactique de payer
d'audace. « L'opinion, s'écria-t-il, non ce vain bruit
qu'une faction de quelques mois ne fait régner
qu'autant qu'elle-même, l'opinion indestructible, celle
qui se fonde sur des faits qu'on ne peut longtemps
obscurcir, cette opinion qui n'accorde point d'am-
nistie aux traîtres..., cette opinion me rappelle du
FIG. 6t. — UN E
(On présente au pré
r.S HE PRAIRIAL
•^ la tète d« Féraud).
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 235
fond de ma retraite, où j'allais cultiver cette métai-
rie qui, quoique obscure et acquise avec le rem-
boursement notoire d'une charge qui n'existe plus,
n'en a pas moins été érigéfe par mes détracteurs en
domaines immenses, payés par je ne sais quels agens
de l'Angleterre et de la Prusse... » Ainsi que l'a sen-
sément remarqué celui qui reproduit ce fragment
oratoire '°, Danton éludait ; personne ne parlait alors
de ses intelligences avec l'étranger, mais bien de ses
relations avec la Cour.
Une note trouvée dans les papiers de La Fayette
est, à ce sujet, des plus démonstratives. « Danton,
dit cette note, s'était vendu, à condition qu'on lui
achèterait 100.000 livres sa charge d'avocat au Con-
seil..., plus tard, il Yin;ut beaucoup d'argent ; le
vendredi avant le 10 août, on lui donna 50.000 écus. »
Robespierre n'a-t-il pas, d'ailleurs, prétendu que
Danton lui eut « une obligation bien remarquable »,
quand il lui fit rembourser sa charge d'avocat au
Conseil ? « On assure même, ajoute- t-il, que ce prix
lui en a été payé deux fois ". » Veut-on encore un
témoignage de contemporain ? « Danton, relate
Brissot " dans ses Mémoires, recevait de toutes
mains. J*ai vu le reçu de 100.000 écus qui lui furent
comptés par Montmorin. » L'on comprend, dès lors,
comment un collègue de Montmonn au ministère,
Bertrand de Molleville, ait pu menacer Danton de
révélations, lorsqu'il vit le tribun, « dont la liste
nvile avait acheté si chèrement les services », se
montrer au nombre des plus violents, quand le procès
du roi fut mis en délibération. Bertrand de Molle-
ville menaça Danton, s'il ne servait pas le roi, de
publier la preuve des sommes qu'il avait reçues
23G L\ PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
du Ministère des Affaires étrangères, et il poursuivit
en ces termes : « La vérité est que M. de Montmorin
m'avait effectivement communiqué toute cette
affaire et les pièces, mais jamais il ne me les
avait remises. Danton, cependant, qui savait
mon intimité avec le comte de Montmorin, ne
pouvait douter, sur ma lettre, que je n'en fusse
dépositaire. 11 ne me répondit pas ; mais je vis
que, deux jours après celui où il avait dû recevoir
ma lettre, il se fit donner une mission pour les dé-
partements du Nord ; il ne revint à Paris que la
veille où l'on condamnait le roi. Il vota pour la
mort ; mais, contre son usage, son opinion ne fuf
soutenue d'aucun discours ^^. »
Continuons à dépouiller notre dossier, en toule
objectivité et sans prévention d'aucune sorte.
Il y a quelques années, au cours de recherche^
dans un magazine ^^ nous relevions ce passage, qui
retint tout de suite notre attention : « Dans un ma-
nuscrit de Boissy d'Anglas, le publiciste, le conven-
tionnel, le député de l'Ardèche, illustré par son
héroïque fermeté dans les journées de prairial, ma-
nuscrit simplement intitulé : Souvenirs (48 pages
in-8o), on lit l'anecdote, extrêmement curieuse, qui
suit, sur la Révolution :
Il est très vrai que, lorsque Danton fut arrêté, il
avait le projet d'aller forcer le Temple, de prendre le
fils de Louis XVI, de le proclamer roi, et de le porter
par la ville. On aurait nommé un Conseil de régence,
dont Danton eût été le chef, et les principes d'humanité
qui ont régné après le 9 thermidor auraient prévalu
dès cette époque, c'est-à-dire quatre ou cinq mois
plus tôt... Fabre d'Églantine, Hérault, Danton, La-
croix et Camille Desmoulins étaient les auteurs de ce
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMIULLE 287
projet. Danton devait présenter l'enfant au peuple...
Il paraît que le Comité de Salut public en fut instruit.
ru.. G5 — DANTON
et Saint-Just en dit (nichpics mots dans son rapporf,
sans pourtant entrer dans beaucoup de détails *•'.
238 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Dans une brochure publiée en 1834 par Courtois
le fils, sous le titre : Af faire des Papiers de C ex-con-
ventionnel Courtois, après quelques explications don-
nées sur le testament de Marie-Antoinette, que
Courtois aurait, au dire de son fils, sauvé de la des-
truction, celui-ci ajoute :
On concevra encore bien mieux cette conduite, quand
on saura qu'un projet d'enlèvement audacieux de la
reine devait être tenté par Danton et mon père, qui
en était l'ûme. Marie-Antoinette et Madame Elisabeth
devaient être arrachées de vive force du Temple et
transportées à l'étranger. La preuve de ce fait se trouve
dans une des lettres de Danton saisies par la pohce ^'\
Les moyens d'exécution y sont discutés et ont le carac-
tère d'audace qui distinguait cet homme énergique ^".
Des apologistes du ministre de la Justice de 1792
ont objecté que si une preuve de la trahison de
Danton avait pu être établie par la police robes-
pierriste, ou par les agents royahstes sous la Restau-
ration, cette preuve aurait été cent fois publiée ;
d'où ils concluent en traitant de fable la conspiration
de Danton en faveur de la royauté ^^. Eh bien 1
nous ne conviendrons pas, avec ces défenseurs d'une
mauvaise cause, que celle-ci est << désormais entendue
et jugée ^9 ». Outre le fragment des Mémoires de
Boissy d'Anglas, cité plus haut, et dont un des des-
cendants de l'ancien président de la Convention
a confirmé Lauthenticité ^°, nous avons eu sous les
yeux la déposition d'un autre témoin à charge,
celui-là membre, lui aussi, de la Convention et ré-
dacteur du Rapport sur les Papiers de Robespierre :
nous l'avons nommé, c'est Courtois.
Peu de temps avant le 10 août, écrit Courtois, DantoD
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 2".{9
avait été reçu, secrètement et à l'insu du roi, au château
des Tuileries, par la reine Marie-Antoinette, qui parais-
sait loin de voir les périls qui la menaçaient. L'avenir
F'f 0"
LA Duc:ni:ssi-: in: r.n(»iHi;uL
lui paraissait si pou alarmant, (m'en conprdiant Dantorit
elle lui dit paiement : « Kh bien ! Mor>sicur Danton,
si nous ne sommes pas sa{^cs, il faudra rjous enfermer
dans une tour jx'ndant <|uel((u«:s mois. »
240 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Bien peu de temps après, ces paroles légères
étaient devenues une effroyable réalité. Danton,
qu'attristait cette dangereuse sécurité, prit congé
de la reine, en l'assurant que, quelque chose qu'il
arrivât, lui et ses amis veilleraient sur ses jours et
sur ceux de ses enfants.
Courtois était très lié avec la duchesse de Choi-
seul, femme de l'ancien ministre de Louis XV et
amie de la reine. Après la mort du roi, la duchesse,
qui en avait reçu « un coup accablant... dont elle
faillit mourir », résolut de se vouer au salut de Marie-
Antoinette. Courtois jugea l'heure venue de rappeler
à Danton ses promesses, et « le projet d'enlèvement
fut définitivement arrêté ». Une voiture de voyage,
appartenant à la duchesse de Choiseul, reçut une
appropriation particulière ; les passeports furent pré-
parés ; la reine devait voyager sous le nom de la
veuve d'un négociant allemand, se rendant à Franc-
fort dans sa famille, et Madame Elisabeth était sa
femme de chambre. L'intérieur du Temple était
gagné. Les dispositions étaient si bien prises, que
l'alarme n'aurait été donnée que vingt-quatre heures
seulement après l'évasion. Tout semblait favoriser
ce projet, quand, dans les premiers jours du mois
d'août, la Commune, inquiète, qui veillait inces-
samment sur les victimes, conçut quelques soupçons
et fit précipitamment enlever Marie-Antoinette, qui
fut aussitôt transférée à la Conciergerie, où la sur-
veillance la plus active s'exerça. De ce moment,
toute espérance s'évanouit, l'enlèvement était de-
venu impossille -^
Un proverbe populaire dit qu'il n'y a pas de fumée
sans feu ; or, de tous les côtés, nous revient l'écho
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 24 1
des bruits qui ont couru, à cette époque, de la collu-
sion de Danton avec la royauté 2^.
Lorsque les Dantonistes, Chabot, Fabre d'Églan-
tine, Bazire, etc., furent arrêtés, en compagnie de
leur chef, l'agent de la République à Mayence écri-
vait au ministre des Affaires étrangères, que leur
arrestation était « un coup de foudre pour les émigrés
et les despotes coalisés, qui comptaient sur Texécution
ponctuelle de cet infâme complot (c'est-à-dire l'en-
lèvement du fds de Louis XVI) ». On sait, d'autre
part, que Sémonville, créé marquis par Louis XVIII,
et plus tard appelé par le roi aux fonctions de grand
référendaire à la Chambre des Pairs, Sémonville
fut chargé, vers la fm de l'année 1793, de négocia-
tions secrètes avec la Toscane, au sujet du préten-
dant au trône de France. Le baron de Monnier, fai-
sant l'éloge de Sémonville, après avoir rappelé ce
que nous venons de dire, ajoutait : « Il s'agissait de
sauver les déplorables restes de la famille royale. 11
y a plus, c'est notre collègue qui l'atteste : Danton,
le terrible Danton, pour échapper à l'enfer dont il
avait attisé les feux, songeait à se créer un refuge
au pied du trône relevé. Mais on ne sait par quel fatal
entraînement de circonstances, car on ne saurait
admettre la possibilité d'un froid calcul, le gouver-
nement autrichien fit saisir les deux ministres chargés
de cette mission et les plongea dans les cachots,
rompant ainsi les fils d'une négociation qui aurait
pu épargner à la France d'éternels regrets ^3. »
Qu'après cela, et sans contester l'cssentialité des
faits, on trouve matière à plaider les circonstances
atténuantes, nous n'y mcttroivi pas opposition. Qu'on
nous présente Danton dans son intérieur, dans son
16
2^2 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
ménage, bon époux, fils excellent, père affectueux,
donnant « l'exemple de toutes les vertus privées ^^ » ;
qu'on vante « son désintéressement, sa modestie, sa
générosité envers sa famille et ses amis », nous n'y
contredirons pas. Mais, pour excuser sa trahison
(nous cherchons un autre mot et ne le trouvons
pas), il ne suffit pas de dire qu'il n'est pas de sage,
pas de héros « qui n'ait point payé son tribut à
l'infirmité de la nature humaine » ; il est de ces actes
qu'un homme d'honneur et de conscience ne commet
pas, et c'est là un principe de morale éternelle que
nul ne saurait enfreindre. Nous le répétons une fois
de plus : Danton inspire de la sympathie et il a trouvé,
longtemps même après sa mort, d'ardents défen-
seurs ^5 ; mais si disposé que l'on soit à l'indulgence
pour ce bon colosse, il n'en reste pas moins que
l'accroissement de sa fortune a coïncidé avec des
manœuvres louches ^^ et qu'il n'est pas possible
aujourd'hui de nier qu'il ait entretenu des intelli-
gences avec la Cour, pour des mobiles manifestement
intéressés ; bien différent en cela de Barnave, qui
avait été conquis par le charme de la belle souveraine
qu'il ramenait prisonnière à Paris, après l'arresta-
tion à Varennes, et qui lui sacrifia dès ce moment
sa popularité, mieux encore, sa vie ^^.
Le jeune député du Tiers avait essayé tout d'abord
de se soustraire à cette emprise dont il avait peine à
se défendre ; très réservé au début, il détournait la
tête, ou se penchait à la portière de la berl'ne, quand
Marie- Antoinette lui posait une question, afin d'éviter
ce regard qui l'attendrissait. Cette conquête, la reine
avait lieu d'en être fière, elle était pure et sans
alliage. Barnave n'acquittait qu'une dette de cœur,
■
M^BARNAVE,
Praprieùzù'e, J)éffulé Ju Dauphme .
Son amp et ses discours i»cspiron( la iraucuîsc;
Rcndj'o le peuple heureux esl (ou plus g-raud dcsir.
Prenons tous après lui cette uoble devise ;
Vivre libre ou mourir.
iitfiitiiiiiffilliiii!
Pirifi Jttffff
FIG. G7. — UARNAVE
2^^! LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
en prenant la défense de la royauté, en consacrant
son éloquence h faire restituer au roi le pouvoir que
lui reconnaissait la Constitution.
Une correspondance, récemment publiée, montre
le rôle joué par le triumvirat, composé d'Alexandre
Lameth, Adrien Duport et Barnave, qui dirigea pen-
dant un certain temps le ministère des Girondins,
dit ministère des Feuillants. Cette correspondance,
dont Barnave a été le rédacteur principal, est tout
à l'honneur de ce dernier ; par contre, il semble ré-
sulter de sa lecture, que la Cour jouait parfois dou-
ble jeu, et que si elle entretint des relations avec
quelques-uns des chefs du parti républicain, ce
n'était que peur s'en servir ^^.
Les soins, les attentions que la reine prodiguait à
Barnave, dans le voyage où ils se trouvèrent pour la
première fois en présence, faisaient contraste avec
l'attitude qu'elle observa vis-à-vis de son autre
compagnon de route, le maire de Paris, Jérôme
Pétion, ce Pétion sur les genoux duquel elle n'avait
pu laisser son fils ^9, tellement la brutalité de ses
manières l'avait indignée et olïensée. Autant elle
s'était montrée empressée à accueillir le plan de
Barnave, à se prêter à ses suggestions pour l'adop^
tion d'une politique nouvelle, franchement consti-
tutionnelle, autant Pétion lui avait inspiré de l'éloî-^
gnement pour sa personne, plus encore que pour ses
idées. Ce n'est pas que Pétion se fût montré hostile
à toute compromission, il s'était même montré, au
début, plus disposé que Barnave à entrer en conver-
sation 30 ; mais les relations que Pétion entretenait
avec le duc d'Orléans, et plus particulièrement avec
Madame de Genlis 3% qu'il avait accompagnée à
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 245
Londres, où elle conduisait son élève, Adélaïde d'Or-
léans, rendaient, et à bon droit, suspect à Marie-
Antoinette l'homme qui rêvait de substituer à
Louis XVI, comme roi, le prince dont il soutenait
presque ouvertement les intérêts. Pétion a-t-il été
soudoyé par la Cour, comme d'aucuns l'ont pré-
tendu 32 ?Tout ce que l'on peut dire, c'est que cela
ne paraît pas ressortir avec évidence des pièces
jusqu'ici publiées 33.
"^es personnages mis en cause par le docteur Saif-
tert, comme ayant pris part à des négociations plus
ou moins secrètes avec la Monarchie, il en est un
que l'on ne voit pas sans surprise mêlé à ces négo-
ciations. Il s'agit de l'homme qu'on nous a toujours
présenté comme l'Incorruptible, « contempteur de
l'argent, contempteur de la corruption des anti-
chambres » Aces traits, vous l'avez reconnu. Quoi !
Robespierre aurait été, lui aussi, accessible à la
séduction, non point, certes, de l'argent, mais des
honneurs ? Avant d'aller plus loin, voici ce que pen-
sait de Robespierre un de ses collègues au Comité
de Salut public. « Oui, répondait Barère à un visi-
teur, qui avait eu l'idée de l'interviewer à une
époque où l'interview n'était pas encore de mode;
oui, Robespierre fut longtemps de bonne foi, quoique
très passionné. Plus tard, sur la fin, fai la convic-
tion qu'il trahissait. » Sur quels indices Barère fon-
dait-il sa conviction ? Nous ne sommes qu'impar-
faitement éclairé sur ce point. L'ancien président
de la Convention reconnaissait à Robespierre autant
de vertus que de vices : à côté de « la probité, l'amour
de la liberté, la fermeté des principes, l'amour de la
pauvreté, le dévouement à la cause populaire », il
alJÔ LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
montrait * une morosité dangereuse, un acharne-
ment bilieux contre ses ennemis, une jalousie atroce
contre les talents qui l'éclipsaient, une manie insup-
portable de dominer, une défiance sans bornes 34 »,etc.
Des mots, tout cela, dira-t-on avec quelque raison ;
un jugement assez équivoque, mais rien de positif,
rien de précis. Venons donc aux faits. Il s'agit d'éta-
blir s'il y a eu tentative de rapprochement entre la
future victime de thermidor et le monarque régnant,
entre Robespierre et Louis XVI.
Le 1er njai 1792 35^ était annoncée en ces
termes la publication prochaine d'une feuille dont
Robespierre devait être le rédacteur principal :
« On sait que Robespierre va faire un journal intitulé:
Le Défenseur de la Constitution. Le libraire chargé
de l'entreprise lui donne 10.000 livres. On est étonné
de cette libéralité quand on connaît le libraire. Il
se pourrait bien faire que la liste civile fît les frais
de l'entreprise ; et il serait réjouissant pour le Comité
autrichien de compter au nombre de ses stipendiés
celui que le peuple avait appelé V incorruptible, sans
que V incorruptible s'en doutât 36. »
Un mois plus tard, paraissait l'organe annoncé,
et ce n'est pas sans surprise qu'on lit ces lignes,
dès le premier numéro : « Le salut public nous
ordonne de nous réfugier à l'abri de la Cons-
titution, pour repousser les attaques de l'ambition
et du despotisme... J'ai entendu des hommes, qui ne
surent jamais que calomnier le peuple et combattre
l'égalité, faire retentir le mot République... j'aime
mieux voir une Assemblée populaire représentative
et des citoyens libres et réputés avec un roi, qu'un
peuple esclave et avili sous la verge d'un Sénat
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 247
aristocratique et d*un dictateur. Est-ce dans les
mots République ou Monarchie que réside la solu-
tion du grand problème social ?... » La conversion
à droite est ici manifeste. Ce changement de front,
à quel mobile l'attribuer ? Robespierre a-t-il pu
*7'
FIG. 68. — ROBESPIERRE
sincèrement croire que la République était impossible
en France, qu'on ne pouvait brusquement changer
le tempérament politique d'un peuple depuis si
longtemps monarchique 37 ? Faut-il croire, au con-
traire, que ce journal, qui était « une diversion habile
contre la Révolution, en même temps qu'une ten-
tative non dissimulée d'enrayer les hommes et les
choses », était « une trahison convenue et la condi-
2-^8 LA PRINCESSE DE LAMFiALLE INTIME
lion mise par les Tuileries à la place de gouverneur
du dauphin, dans le marchandage de Robespierre ^^ »?
Un des collègues de Robespierre à la Convention,
Harmand (de la Meuse), a rapporlé, dans un de ses
ouvrages 39, qui doit retenir d'autant plus l'attention
qu'il émane d'un témoin des faits qu'il relate, une
anecdote dont l'importance historique doit se me-
surer au degré d'authenticité qu'elle présente. Har-
mand raconte qu'il fut question, à un certain mo-
ment, de confier l'éducation du jeune prince royal
à Robespierre. On avait, au début, prononcé les
noms d'autres personnages moins en vue, bien
qu'assez notoires, entre autres Condorcet, Sieyès,
Pétion ; c'est alors que des partisans d'une monar-
chie constitutionnelle mirent en avant le nom de
l'homme qui semblait, à leurs yeux, le plus popu-
laire, le plus en mesure, par son influence sur les
masses, de faire réussir la tentative projetée. On
s'adressa, en conséquence, à la princesse de Lam-
balle, qui avait d'abord répugné à se charger de
pressentir la Cour sur l'accueil qu'elle ferait à une
pareille proposition. Finalement, et dès qu'on lui
eut fait entrevoir le service que son dévouement
pouvait rendre à la royauté, elle se serait laissée
convaincre et s'en serait ouverte au roi. « Vous n'y
pensez pas, ma cousine », aurait répliqué Louis XVI
avec vivacité. Mais Madame de Lamballe, bien pé-
nétrée des raisons qu'on lui avait fait valoir, fut assez
persuasive pour amener le roi à consentir à la nomi-
nation du fougueux jacobin, sous les conditions sui-
vantes, que les constitutionnels, du reste, avaient
posées eux-mêmes : Robespierre n'exercerait pas
les fonctions de gouverneur, mais devait en
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FiG. 09, — LOUIS xvn
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 25l
porter le titre et en toucher les émoluments ; de
son côté, il prenait l'engagement de fonder un
journal pour défendre les intérêts de la Cour, et de
prendre la parole dans le même sens au club des
Jacobins ; enfin, de donner sa démission d'accusa-
teur public '1°.
L'opposition de Ma rie- Antoinette fit tout échouer.
Quand elle connut le projet, elle s'emporta, s'en-
ferma avec son enfant ; bref, le roi céda et dit
à Madame de Lamballe qu'il ne voulait pas donner
à son fils un précepteur contre le gré de sa mère.
Robespierre, se croyant joué, cessa brusquement sa
campagne en faveur d'une monarchie constitution-
nelle et quelques jours avant le 10 août, bien que,
dans la journée du 4 au 6,il eût renouvelé aux Jaco-
bins ses reproches « contre les agitations, contre les
tumultes et contre les prétendus répubhcains ^^ »,
il prit de nouveau position, avec plus de violence
que jamais, contre la royauté, qu'il s'était engagé
conditionnellement à défendre.
Si on n'avait que l'autorité de Harmand (de la
Meuse) à l'appui d'une aussi grave allégation, elle
pourrait être à bon droit suspectée. Ses Anecdotes,
publiées en 1814, se ressentent un peu trop, nous
n'avons aucune peine à en convenir, de l'époque
où le livre parut, des efforts que faisait l'auteur pour
racheter ce qu'il considérait comme ses erreurs révo-
lutionnaires *2. On doit n'utiliser qu'avec réserves et
précautions une source d'informations où, à côté de
quelques vérités, se trouvent nombre de « potins
contre-révolutionnaires » dont la véracité est des
plus sujettes à caution.
On a fait encore valoir que, lorsque parut le journal
252 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
de Robespierre, le Défenseur, de la Constilulion,
dont la publication devait être « payée » par la
fonction de gouverneur du dauphin, la place
était occupée depuis déjà six semaines, par M. de
Fleurieu, qui y avait été nommé le 18 avril ^^. Il
se peut, en effet, qu'on se soit trompé sur ce
point de détail ; mais il subsiste, néanmoins, le
fait des négociations auxquelles la princesse de
Lamballe ^'^ s'est trouvée mêlée, et dont elle fit, sur
le moment, la confidence à son médecin, le docteur
Saiffert.
Ce qui donne du poids au témoignage de ce der
nier, c'est qu'il a consigné ses impressions sur le
papier au moment même où venaient de se passer
les événements qu'il raconte, du moins très peu de
temps après. Rappelons, si nous l'avons déjà dit,
que Saiffert était rentré en Allemagne aussitôt qu'il
avait pu le faire sans danger ; heureux d'avoir
échappé aux dangers qui menaçaient sa vie, il se
félicitait d'avoir enfin le loisir de se livrer à ses tra-
vaux médicaux, de rédiger les observations que lui
avait values une longue pratique ^5, et qu'il avait
pu poursuivre, en dépit des persécutions dont il
avait été l'objet, sous ce qu'il appelait « la tyrannie
robespierriste ».
Dans cette sorte de mémorial, Saiffert se plaint
d'avoir subi une détention d'une année dans les geôles
révolutionnaires, comme suspect de roy ah sme. Il incri-
mine Mallet du Pan et Dumouriez, qui pourtant 1
connaissaient comme médecin, d'avoir feint de le
confondre avec un homonyme, chef d'armée mara-
tien (sic) : ils savaient cependant que telles n'étaient
pas ses idées, et que, sans dénigrer les héros mili-
I Ki. 70, — U\ riUNClvSSE DE LAMIIALLE
RETOUH EN FRANCE DE MADAME DE LAM BALLE 255
taires, pour tout au monde il n'aurait voulu être l'un
d'eux.
Servir avec zèle l'humanité, essayer de la
soulager dans ses maladies, il n'eut jamais d'autre
ambition. Dumouriez qui rêvait, au contraire, de
grands changements dan ^ "État, se jeta dans toutes les
intrigues pour arriver à la réahsation de son rêve ;
quant à Mallet du Pan, il ne fut jamais qu'un vil
intrigant, qui poursuivit Dumouriez de ses adu-
lations, attendant de lui un portefeuille de ministre.
Les écrivains à gages, que ces deux personnages ont
eus à leur service, n'avaient pu arriver à discréditer,
comme ils s'y étaient engagés, le médecin Saiffert,
coupable seulement de n'avoir pas voulu sortir de
son rôle professionnel, pour servir les vues des deux
personnages. Mais ne nous attardons pas à ces récri-
minations, par trop personnelles, et revenons aux
motifs qui ont, à l'entendre, déterminé Saiffert à
prendre la plume et à nous narrer les particularités
que ses fonctions lui avaient permis de recueillir.
9
NOTES DU CHAPITRE X
1. Ces lignes étaient écrites, quand nous tomba sous les
yeux ce passage où les Goncourt {Hisl. de la Société fran- *
çaise pendant la Révolution; Paris, 1880, 409), expriment la
même idée, en termes grandiloquents : « Ces hommes appa-
rus dans la majesté des catastrophes empruntent à la
scène de la Terreur je ne sais quoi de surhumain, qui les
sauve d'être mesurés. Ils bénéficient de la guilloline et ils
passent géants dans les souvenirs émus, comme ces dieux
que les peuples enfants faisaient de leurs peurs. Pourtant,
ouvrez ces tombes, qu'un Alexandre semble avoir bâties de
sept pieds de long, pour faire croire à des colosses en-
fouis, vous y trouverez des hôtes moyens et ordinaires. »
C'est presque du Chateaubriand !
2. Dauban, Paris en 179^f et 1705; histoire de la rue, du
club, de la famine, etc,, 328.
3. Révélations puisées dans les cartons des Comités de salut pu-
blic et de sûreté générale, ou Mémoires (inédits) de Sénarl, agent
du gouvernement révolutionnaire, publiés par Alexis Du •
MESNiL ; Paris, 2' édition, 1824, 99.
4. Dauban, Paris en i19U et 1795, 282.
5. Les négociations avec les chefs jacobins auraient
commencé à la fin du mois d'avril 1791 (Cf. Mémorial de Gou-
verneur Morris, t. I, 1842, 311).
6. V. sur ce point les Mémoires relatifs à la famille royale de
France pendant la Révolution, etc., publiés d'après le Journal,
les Lettres et les Entretiens de la princesse de Lamballe,
par une dame de qualité attachée au service confidentiel
de cette infortunée princesse (Paris, 1826, t. II, 168-170).
7. Pièces de l'Armoire de Fer (N. Villiaumé, tllst. de la
Révolution française, t. I, 1864, 197).
8. T. III de la Correspondance de Mirabeau et du comte de La
Marck.
9. Bulletin mensuel de la Société d'Histoire moderne, avril 1912.
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 257
10. Les Avocats aux Conseils du Roi; étude sur l'ancien
r«''gime de la France, par Emile Bos (Paris, 1881), 513.
11. Manuscrit publié en 1841 (E. Bos, op. cit.).
12. II est juste de dire que Brissot est lui-même suspect.
Sil faut en croire Gouverneur Morris, le 4 août 1792, aurait
eu lieu une négociation entre Brissot et la Cour, pour re-
larder linsurrection concertée entre les Jacobins. Le 9 du
même mois, on en était à marcbander avec Brissot, qui
demandait douze millions en espèces ou lettres de change
sur l'étranger, pour empêcher l'exécution du complot {Mé-
morial de Gouverneur Morris, 342-343).
13. Mémoires secrets de Bertrand de MoUeville, t. III, 183 et S.
Londres, 1797.
14. Monde illustré, 2 mai 1863.
16. V. le rapport de Saint-Just, dans le Moniteur, 12 ger-
minal an II (1" avril 1794).
16. C'est sur l'ordre de M. Decazes, qu'avait élé effectuée
cette opération policière, en 1816. Plus tard. Courtois fils
publia sa brochure, pour se plaindre de cette saisie, et
réclama la restitution des papiers de son père, ami et
parent de Danton. Pour les relations de Courtois avec
Danton, et aussi sur la valeur des témoignages de Cour-
lois, V. le Conventionnel E.-B. Courtois, par H. Labourasse
(lîar-sur-Aube, 1892), et la Saisie des papiers du conventionnel
Courtois, par Eug. Welvert (Paris, 1891), op. de 50 p. in-8.
Bourloton, édit.
17. Paris en 179'i et 1795, 326.
18. Danton et Louis XVII, par Paul Peltier (L'Événement,
10 mars 1895).
li). V Événement, 24 mars 1895.
20. Intermédiaire des chercheurs, 30 mars 1901, col. 528-531.
21. Intermédiaire, 15 avril 1901, col. 642-644.
22. Barère dit un jour de Danton : « Je crois que, dans
les derniers temps et après un long séjour à la campagne,
Danton avait changé d'idées et couvait quehjue désir de
trahir, i»f)Ur se livrer enfin à des goûts de plaisir et de
dissipation qui avaient toujour-j existé en lui. Mais je ne
sais rien de certain ». Le Temps, 18 avril 1911 ; lecture faite
par M. Ati.AHD, f^ la séance annuelle de la Siiciété d'histoire
de la. Kévoliilitm, 26 mars 1911 : une interview de Bertrand
Barère en 1810. N'est-ce pas déjà trop que de pareilles ru-
meurs aient circulé, et qu'on ait It'nu le fait pour vraiseni-
bl.d)le ?
23. InUrmidiaire, 15 février 1901, col. 273-278.
258 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
n
24. V1LLIA.UMÉ, Ilist. de la flévolution française, t. I (6* édi-
tion) ; Paris, 1864, 333.
25. V. notamment le Procès des Danlonistes, par notre con-
frère le docteur Robinet, qui avait voué à Danton un véri-
table culte, et défendit sa mémoire avec une passion
animée de la plus absolue conviction.
26. Sur la fortune de Danton, il faut, avant tout, lire
l'étude, fortement documentée et implacable comme un
réquisitoire, du professeur d'histoire Albert Malhiez, étude
basée sur une imposante bibliographie et qui a paru dans
le Bulletin mensuel de la Société d'Histoire moderne, (]'avril 1912,
pp. 107-120.
27. Après le 10 août 1792, on retrouva aux Tuileries,
dans le secrétaire du roi, un écrit intitulé : « Projet du
comité des ministres, concerté avec MM. Barnave et La-
meth » ; à la suite de cette découverte, les deux députés
furent décrétés d'accusation : Lameth fut sauvé par La
Fayette ; quant à Barnave, arrêté à Grenoble, il y fut détenu
pendant un an ; le 28 novembre 1793, le tribunal révolution-
naire le condamnait à mort, et il fut exécuté le lendemain
(Cf. Mémoires de Th. de Lameth, publiés par Eug. Welvert ;
Paris, 1913, 179 et passim).
28. O.-G. de Heidenstam, Marie-Antoinette, Fersen et Barnave;
leur correspondance. Paris, s. d.
29. Hisi. de Marie-Antoinette, par Edmond et Jules de Con-
court, nouvelle édition (Paris, 1878), 311.
30. O.-C. de Heidenstam, op. cit., 237.
31. La moralité ou plutôt l'immoralité de Mme de Genlis
a donné lieu à maintes gloses (nous renvoyons à YHist. de
la conjuration de Louis-Philippe-Joseph d'Orléans, etc , par l'au-
teur de YHist. de la conjuration de Maximilien Robespierre , Paris-
1796, l, 218-219), et nous rappelons seulement le distique qui
lui fut appliqué :
Armaflide s'épuise en efforts superflus,
La vertu n'en veut pas, le vice n'en veut plus,
32. Cf. A/ém. relatifs à la famille royale de France pendant la Ré-
volution, etc., par la comtesse de Broglio-Solari, t. I, 352 et
suiv.
33. Mémoires inédits de Pétion (Paris, 1866), 185, 189 et s., et
passim.
34. Mémoires de B. Barère, publiés par H. Carnot et David
d'Angers (Pans, 1843), t. 11, 2.S4-5.
35. A ce moment même, les Révolutions de Paris, de Prud-
RETOUR EN FRANCE DE MADAME DE LAMBALLE 269
homme (n» 147, 28 avril au 5 mai 1792) prenaient directe-
ment à partie Robespierre : « N'a-t-on pas été jusqu'à dire
que vous, Robespierre, vous vous êtes rendu à une confé-
rence secrète, qui s'est tenue naguère chez la Lamballe, en
présence de Médicis-Antoinette, et que c'est à la suite de
ce conciliabule que vous donnâtes votre démission d'accu-
sateur public? » De son côté. Carra, dans ses Annales pa-
triotiques (n* du 15 mai), se plaignait des menées du Comité
autrichien, qui se tenait au Pavillon de Flore, chez la prin"
cesse de Lamballe, et où l'on préparait « une Saint-Barthé-
lémy des patriotes ». Le rédacteur des Annales patriotiques
ayant été poursuivi, invoqua pour sa défense qu'il avait
été instruit de ces faits par trois membres de la Législative,
Bazire, Merlin et Chabot. D'autre part, avant que parût
l'article de Carra, Vergniaud, à la tribune de l'Assemblée,
avait porté contre la Cour les mêmes accusations, et dans
les séances des 23 et 28 mai (1792), d'autres Girondins (Gen-
sonné, Brissot, Chabot) les reprenaient. La preuve est donc
faite que des conciliabules secrets ont eu lieu chez la
princesse de Lamballe, pour détourner le coup qui se pré-
parait contre la royauté, dont la journée du 10 août con-
somma la chute.
36. Journal de Perlet, mai 1792.
37. La Révolution de Thermidor; Robespierre et le Comité de
Salut Public en l'an If, par Ch. d'HÉRicvuLT (Paris, 1876), 27.
38. Edm. et J. de Goncourt, Hist. de la Société française pen-
dant la Révolution (1880), 410-411.
39. Anecdotes relatives à quelques personnages de la Révolution,
il'aris, 1814), in-8.
40. Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 26 mai 1887, col.
291.
41. Harmasd (de la Meuse), op. cit., 51 et s.
42. Intermédiaire, 25 juin 1887, col, 377-378.
43. Id., loc. cit.
44. L'abbé Georgel, dans ses Mémoires, publiés après sa
mort, en 1822, énonce les mêmes assertions que le con-
ventionnel Harmand, mais sans nommer Mme de Lamballe
{Intermédiaire, 25 hept. 1887. col. 561).
45. Ce sont ces « observations » qui ont paru dans l'ou-
vrage portant le titre suivant : Beitrœqe zur ubschaftlichen
Àrztneilehre der Suchten oder soyenannten langwierigen Krankhei-
ten: Paris, an XII (1804), 2 v. in-8. Le cas particulier de la,
princesse [Krnnkheitsgeschichte der Princessin von Lamballe)
extrait du volume dont nous venons de donner l'indication
260 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIMB
bibliographique, est exposé dans Possel's Earopœischen An-
nalen (Annales Européennes de Posselt), de 1805, qui figurent
à la ^ibliolhèciue Nationale de Paris, sous la cote: Inventaire
G, 168G8. Cette môme bibliothècjue possède la collection de
cette revue, à 1 exception de l'année de fondation (Inv. G,
10860 et suiv.). A la mort de son fondateur, Ernest-Louis
Posselt, survenue en 1804, la revue fut rédigée, pendant
quelques mois seulement, par Louis-I'erdinand Huber, qui
mourut en décembre de la môme année el fut remplacé par
Charles- Vinceslas Rotteck, fils d'une mère française. L'his-
toire des Annales Européennes a été faite, par M. J.-P. Ar
mand Halin, dans les Annales des Sciences poliliques, du
16 mai 1903.
CHAPITRE XI
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOUT
l'incarcération de la princesse de LAMBALLE
LA GENÈSE DES MASSACRES DE SEPTEMBRE
On avait répandu dans le peuple que la maladie
de la princesse de Lamballe était due à des excès
qu'il est pour le moins inutile de qualifier plus expressé-
ment Au dire de notre Saxon, on avait publié
un écrit infâme, attribuant à cette princesse tous les
vices possibles ; cet écrit, répandu dans Paris, n'au-
rait pas peu contribué à désigner, comme victime,
aux massacreurs, cette « femme char nante, afïec-
lucuse, d'un caractère très bienfaisant, et toujours
prête à rendre service ». C'est donc pour la justi-
lication de son infortunéeclicnte, que le docteur Saif-
fert aurait entrepris la publication d'un ouvrage en
apparence technique, et qui fourmille de détails
historiques d'un intérêt inégal, mais indéniable.
Quelle langue allait employer le narrateur pour
la rédaction de ce qu'on pourrait presque appeler
ses Mémoires ? De môme qu'Hippocrate a écrit e i
grec pur, de même SaifTert écrira dans un allemand
202 LA PRINCKSSE DE LAMBALLE INTIME
pur et clair. Il fallait d'abord supprimer les mots
étrangers et leur substituer des mots allemands
bien que ces termes étrangers eussent acquis droit
de cité dans la langue allemande, SailTert était
d'avis de les remplacer par des mots empruntés à
sa langue native, afin d'être compris autant que
possible de tous, et parce que « la clarté dans une
langue augmente et entretient le bonheur du peuple
et fortifie la tranquilHté de l'État » (sic).
Il lui avait paru nécessaire d'employer un langage
que tout le monde puisse comprendre, lorsqu'il s'agit
de mettre en garde le peuple contre les traitements
d'empiriques ou de charlatans sans scrupules, dans
ces maladies chroniques, dites de langueur, où ils
ont beau jeu pour exercer leur coupable industrie.
Lorsqu'en 1804, Saiffert publia son Traité des
maladies chroniques, il fut pris assez violemment à
partie, dans la revue dont il a été question plus haut,
les Annales de Posselt, et où on lui reprocha surtout
ce qu'il avait rapporté sur Robespierre.
Un des amis du docteur, si ce n'est le docteur
lui-même, entreprit sa défense ; il fit observer combien
le style de Saiffert était original et pittoresque, com-
bien étaient savoureuses la plupart des expressions
dont il faisait usage ; mais comme elles étaient parfois
malaisées à traduire en langage ordinaire, c'est pour
ce motif que Saiffert avait accompagné son Traité
d'un Dictionnaire spécial, permettant de comprendre
les néologismes qu'il avait employés. On devine les
difficultés qu'ont pu rencontrer les traducteurs, pour
rendre en un français correct les hiéroglyphes du
lourd Teuton.
C'est, plus encore que dans le corps du texte, dans
UN RÉCIT DE LA JOURNEE DU 10 AOÛT 203
des notes et des appendices, la plupart d'une cer-
taine étendue, que Saiffert s'est livré à des digres-
sions qui ne se rapportent que de très loin au sujet
qu'il s'est proposé de traiter. Dans ces notes, le pra-
ticien, à qui sa situation particulière auprès de la
princesse avait permis d'approcher maints person-
nages politiques, donne son appréciation sur les
hommes et les événements de la Révolution. Nous
lui devons, par exemple, un récit de la journée du
10 août, où il expose à sa manière le rôle joué par
quelques membres influents du parti révolutionnaire
et la conduite tenue par Madame de Lamballe dans
ces graves conjonctures. Cette relation est assez
ignorée pour qu'il ne soit pas superflu de la faire
connaître.
La veille de l'invasion des Tuileries, Saiffert appre-
nait, de la bouche de trois de ses malades, qu'il soi-
gnait pour des affections chroniques, que Robespierre
Danton, Pétion et quelques autres, qui s'étaient
montrés jusque-là partisans de l'envahissement du
palais, s'étaient prononcés dans le sens contraire et
devant l'opinion lu)stilc de l'Assemblée, avaient
déclaré se retirer. On mit généralement cette déter-
mination sur le compte d'un insuccès, ne doutant
pas qu'ils reviendraient bientôt sur leur décision,
lorsque, après réflexion, ils auraient une compréhen-
sion plus exacte de la situation. « On nous a juré que
la royauté nous réservait une mort ignominieuse,
dirent les conjurés à Saiffert ; la mort seule du roi
et de la reine peut être notre salut ; elle sera une
leçon pour tous les souverains. »
Sur ces entrefaites, Saiffert se rendait chez une
de ses malades, « une marquise de Balbi, de Gênes »
: 64 LA PHINCICSSE DE LAMHAI.Li: INTIMR
OÙ il était assuré de rencontrer « le général, comte
de Witgenstein..., ami intime d'une Madame de
Mackau, qui, en raison de ses fonctions à la Cour,
habitait les Tuileries ».
— «Je sais, ditSaiffert au général, que vous regar-
dez la Cour comme complètement perdue ; vous me
l'avez souvent répété. J'ai su, d'autre part, que de-
main doit sonner le glas de la monarchie. Puisque
le roi et la reine persistent dans un entêtement
qu'on ne peut vaincre, sauvons au moins, s'il se
peut encore, ceux de nos amis qui sont à leurs côtés:
la princesse deLamballeet Madame de Mackau. Puis-
que vous entrez librement au château, décidez-ler,
toutes deux, à quitter sans retard le palais, et à ne pas
rester cette nuit dans un édifice où elles courent les
plus affreux dangers. » En vain le comte, plus opti-
miste que le docteur, essaya-t-il de le rassurer. « Je
ne crois pas, lui dit-il, que l'attaque soit fixée à
d'^main ; la Cour est, du reste, instruite de tout ce
qui se trame, et ses moyens de défense sont prêts.
Elle peut compter sur les Suisses et sur seize com-
pagnies de gardes nationaux. — La garde natio-
nale, répliqua vivement Saifïert, n'est pas aussi sûre
qu'on le croit aux Tuileries ; croyez-m'en, sauvez
nos amis ! »
N'ayant pu déterminer les deux femmes à aban-
donner leurs maîtres, le comte passa la nuit au
palais ; le lendemain, les Tuileries étaient attaquées.
Les gardes nationaux ayant fait cause commune
avec le peuple, les Suisses furent massacrés après une
défense héroïque. Quant à Witgenstein', il parvint
à sauver Madame de Mackau, mais son dévouement
lui coûta la vie : dénoncé comme chevalier du poi-
Q ^
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 267
gnard, il fut massacré, sans interrogatoire et malgré
ses protestations d'innocence, dans la prison où il
avait été enfermé ^
Saiffert a conté encore comment Madame de Lam-
balle s'était trouvée, le 10 août, d'abord dans l'ap-
partement de la reine, où la retenaient les devoirs de
sa charge, puis avait accompagné la famille royale
au sein de l'Assemblée.
Durant le court trajet du palais aux Feuillants,
Marie-Antoinette, tenant ses deux enfants par la
main, et suivie de Madame Elisabeth, de Madame de
Tourzel et de la princesse, dut passer entre la haie
des grenadiers suisses et la garde nationale, qui ne
purent contenir la foule et empêcher la populace
de presser de si près la reine, que sa montre et sa
bourse lui furent volées ^. On parvint enfin à ouvrir
un passage au cortège royal, qui fut reçu à la porte
de l'Assemblée par une députation envoyée à sa
rencontre.
Nous passons sur les incidents de cette drama-
tique séance, qui sont rapportés dans tous les récits
de cette journée mémorable ; nous rappellerons
seulement que la Constitution interdisant à l'As-
semblée de délibérer devant le souverain, celui-ci fut
conduit, avec sa suite, dans la loge, grillée de
fer, située derrière le fauteuil du président, la loge
dite du Logotachy graphe. Dans cet étroit réduit, de
« dix pieds carrés sur six pieds d'élévation, brûlé
de soleil 3 », furent entassés le roi, la reine, leurs
enfants, leurs ministres, leurs serviteurs restés fidèles
et parmi ceux-ci, notre héroïque princesse, qui, sous
l'influence de la chaleur et aussi de l'émotion, eut
une de ces attaques de nerfs auxquelles elle était
268 LA PRINCESSE DE LMBALLE INTIME
sujette S et qui l'obligea de quitter pendant quelques
instants celle à qui elle avait résolu de faire le sacri-
fice de sa vie. Plût aux cieux que son attaque, au
lieu d'être bénigne, eût eu sa suite ordinaire ! Elle
aurait, de son propre aveu, senti tellement l'impos-
sibilité de se risquer à subir une captivité, qu'elle
aurait été se remettre de ses alarmes chez le duc de
Penthièvre, son beau-père, pour se rendre de là en
Angleterre 5; mais le destin en avait autrement
décidé.
Jusqu'à deux heures du matin, la famille royale
ne quitta pas la prison étouffante qui lui avait été
assignée ; et soutenue, depuis le matin, seulement par
quelques gouttes d'eau de groseille ^ abîmée dans les
larmes, trempée de sueur, son fichu mouillé, son
mouchoir en eau, il y avait, portant sur ses genoux
la tête de son fils endoimi, une malheureuse femme
qui avait été la reine de France ^ !
Le lendemain, puis le surlendemain, Louis XVI
et tous ceux qui l'entouraient furent de nouveau
enfermés dans la loge qui leur était réservée ; le
soir, on les ramena dans des chambres aménagées
« à l'étage supérieur du monastère des Feuillants,
composé de quatre cellules à la suite les unes des
autres, et d'une autre cellule leur faisant face et
donnant comme elles sur un vaste corridor. Ces
chambres improvisées étaient pavées de carreaux de
briques et leurs murs étaient blanchis à la chaux ^ ».
Le lundi 13, à six heures et demie du soir, après une
journée passée dans l'angoisse et dans l'incertitude
du sort qui les attendait, une des grandes voitures
de la Cour vint se ranger devant les Feuillants ; le
cocher et le valet de pied, habillés de gris, servaient
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 269
ce jour-là leur maître pour la dernière fois. Le roi
et la reine, invités à monter, se placèrent dans le
fond, avec le dauphin et Madame Royale ; Madame
Elisabeth, la princesse de Lamballe et Pétion sur
FIG. 72. — MAHUEL, PHOCUnECm DE LA COMMUNE DE PARIS,
LN 1792
le devant ; Madame de Tourzel et sa fille à une des
deux portières, tandis que Manuel et un officier
municipal occupaient l'autre. « Tous ces messieurs
avaient le chapeau sur hi tête et traitaient leurs
Majestés de la manière la plus révoltante. » Sur toute
270 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
la route, retentirent les cris de Vive la nation I Vive
la liberté I auxquels s'ajoutaient les injures les plus
sales et les plus grossières 9.
On mit deux heures et demie à se rendre au Temple,
en passant par la place Vendôme et les boulevards.
La voiture allait au pas et s'arrêtait à tout instant,
pour permettre au peuple d'approcher ses maîtres
de la veille et les accabler de ses invectives. La nuit
tombait, quand on parvint à destination. « Le Temple
présentait l'aspect d'une fête ; tout était illuminé,
jusqu'aux créneaux des murailles des jardins. Le
salon était éclairé par une infinité de bougies ^°... »
Là Révolution avait le droit de triompher, elle
avait écroué la Royauté I
La famille royale occupa d'abord la petite cour
où il n'y avait que deux chambres à chaque étage ;
une chambre plus exiguë servait de passage de l'une
à l'autre. La princesse de Lamballe fut placée dans
la première, la Reine occupa la seconde, en face de
celle du dauphin ; le roi fut logé à l'étage au-
dessus, et Madame Elisabeth dans une cuisine. On
se réunissait pendant la journée dans la chambre
de la reine, qui était la plus grande ; à l'heure
des repas, on descendait dans une pièce située
au-dessous de cette chambre et qui servait de
salle à manger, à côté de laquelle se trouvait la
bibliothèque.
Les détenus ne restèrent pas longtemps réunis ; le
18, dans la soirée, un municipal vint leur signifier
qu'il avait reçu l'ordre de conduire à la Commune
Madame de Tourzel et sa fille, la princesse de Lam-
balle et les femmes et valets de chambre qui entou-
raient de leurs soins les souverains : un seul de ces
UN RÉCIT DE LA JOURNEE DU 10 AOÛT
27t
derniers fut autorisé, par faveur spéciale, à revenir
au Temple.
FKl. 73. — MADAME DE TOUHZEL
Trois fiacres attendaient dans la cour ; un muni-
cipal se tenait dans chaque voiture, qui était escortée
par des gendarmes et entourée de flambeaux. « Rien,
27i LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
relate Madame de Tourzel, ne ressemblait plus à
une pompe funèbre que notre translation du Temple
à l'Hôtel de Ville ; et pour que rien ne manquât
à l'impression qu'on cherchait à nous faire éprouver,
on nous fit entrer par cette horrible petite porte,
par laquelle passaient les criminels qui allaient subir
leur supplice. »
Lis gens de service furent les premiers interrogés;
puis ce fut le tour de la princesse, dont l'interroga-
toire fut très court ; celui de Madame de Tourzel fut
beaucoup plus long. Le lendemain, qui était un
dimanche, tous les prisonniers furent conduits, sous
bjnne escorte, à midi, afin que la foule pût les dévi-
sager et les injurier à l'aise, de l'Hôtel de Ville
à la Force, où, après que leurs noms eurent été ins-
crits sur le registre du concierge de la prison, on les
enferma séparément dans les cachots qui leur étaient
destinés.
La Force était la maison de détention des filles
publiques " et des criminels de droit commun. « Cette
maison, au dire de Madame de Tourzel, n'était rem-
plie que de coquins et de coquines qui tenaient des
propos abominables et chantaient des chansons dé-
testables ; les oreilles les moins chastes eussent été
blessées de tout ce qui s'y entendait sans disconti-
nuer, la nuit comme le jour... »
A rencontre de ce qu'on pouvait craindre, la prin-
cesse de Lamballe, loin de mal se trouver du régime
de la prison, avait vu son état s'améliorer. Depuis la
crise qu'elle avait eue le 10 août dans la loge du
Logographe, elle n'avait pas éprouvé de nouvelles
attaques. Elle était cependant dans les conçliUQiis
les plus défavorables.
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 278
A la Force, la princesse est « sans femme de cham-
bre, elle se soigne elle-même ; pour une personne qui
se trouve mal devant un oumard (sic) en peinture,
c'est une rude position ». Qui raille de la sorte ? La
belle-fille du grand Bufïon, devenue la maîtresse de
FIG. 74. — MADAME DE LAMBALLE A LA FORCE
(D'après une miniature du Musée Carnavalet)
Philippe-Égalité ! C'est dans une lettre, datée du
20 août, où elle mande à Lauzun, duc de Biron, ce
qui se passe à Paris '^ que se trouve le passage ci-
dessus rapporté.
Cette indigne bru de l'immortel naturaliste mérite
au passage un coup de crayon. Elle a été diverse-
ment jugée, i)eut-ètre avec trop de sévérité par les
uns, avec trop d'indulgence par les autres.
18
274 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Avant d'étaler en public une liaison dont les mœurs
du temps ne s'accommodaient pas encore, avant de
devenir l'Égérie d'un prince qui aspirait à jouer un
rôle polili(iue de premier plan, la jeune femme avait
été unie à « un être brutal et bête, lils du plus pur
de nos écrivains, mais du plus impur de tous les
hommes '^». Et comme si cette insinuation pouvait
ne pas être comprise à demi-mot, celui qui ne craint
pas de s'en constituer l'éditeur, articule des alléga-
tions d'une redoutable précision. «Il est pénible, sans
doute, poursuit l'impitoyable censeur, d'avoir à
dépouiller le génie de ce lustre de vertus qui ajoute
tant à son éclat... Je dirai donc que le comte de
Bufïon, devenu amoureux fou de sa belle-fille, essaya
de la corrompre, brouilla l'époux et l'épouse, fit un
insupportable enfer de la vie d'une jeune femme née
et élevée pour devenir un modèle de conduite et
d'honneur. » Ainsi s'expliquerait la chute de l'inté-
ressante créature, « douée des charmes ravissants
de la figure, de l'esprit et du caractère », entre les
bras d'un prince « qui sait embellir ses hommages
d'une délicatesse et d'un respect qui jamais ne se
démentirent ». Avant de condamner une telle femme,
toujours à entendre son apologiste, « il eût fallu avoir
été placé dans la cruelle situation où les rigueurs
de la fortune la jetèrent ».
Sans nous arrêter à des insinuations qui ne sont
pas même appuyées sur un commencement de preuve,
nous n'avons à retenir, des nombreux documents
qui nous sont passés sous les yeux, que cette impres-
sion, qu'on a transformé de simples prévenances et
attentions en des sentiments plus tendres et moins
avouables. Ce qui est certain, c'est que durant son
n
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU lO AOÛT 277
séjour à Montbard auprès de son illustre beau-
père. Madame de Buffon reçut plusieurs visites du
duc d'Orléans et que s'ébauchèrent, dès ce moment,
des relations qui devaient, quelque temps plus tard,
s*africher avec éclat. Ce n'est que quand l'outrage
fut devenu public, que la séparation se produisit,
l'intéressé en ayant été, comrrle toujours, le dernier
informé.
Le fils de Buffon et Buffon lui-même avaient long-
temps ignoré que Mademoiselle de Cepoy et sa mère
avaient accompagné le duc d'Orléans en Angleterre,
et qu'elles exerçaient un grand empire sur l'esprit
du prince ^'^. Elles n'y avaient guère de mérite, car
il n'était homme plus influençable. D'un tempéra-
ment sans consistance, d'une volonté sans ressort,
il s'abandonnait à toutes les suggestions, et une
femme ambitieuse, comme l'était Madame de Bufïon,
eut vite fait de saisir le point vulnérable de ce prince,
« faible, inappliqué, dissolu », qui allait être « conduit,
de concession en concession, de déchéance en dé-
chéance, à toutes les hontes et jusqu'au crime ^5 ».
Entre autres griefs dont on a chargé sa mémoire,
il en est un que nous devons discuter, comme se
rapportant plus particulièrement au sujet que nous
traitons. On a prétendu que le duc d'Orléans n'au-
rait fait aucun effort pour dérober la princesse de
Lamballe à la mort horrible qui lui était réservée,
alors qu'il aurait pu facilement user de son influence
pour empêcher cet atroce attentat. L'accusation
portée contre le duc est d'une gravité telle qu'il
importe de l'examiner de près. Celui qui l'a articulée
avati été à même, de par ses fonctions, d'ouvrir bien
des dossiers, d'examiner bien des pièces secrètes, et
278 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
à ce titre, son témoignage n'est pas de ceux qu'on
puisse éliminer sans examen préalable.
Sénart, qui a rapporté le fait dont il va être ques-
tion, dans des Mémoires communément estimés,
Sénart était secrétaire-rédacteur du Comité de Sûreté
générale. En cette qualité, « il a ouvert tous les car-
tons et tenu dans ses mains les pièces originales, il
a assisté aux délibérations, il a connu le nœud des
intrigues, il a recueilli des paroles mystérieuses...
et partout il sème ses récits de portraits frappants de
vérité, d'anecdotes curieuses, souvent tragiques ^^ ».
Parlant des massacres de septembre, Sénart n'hésite
pas à écrire qu'ils ont été l'œuvre de Pitt et de la
faction d'Orléans. Et il ajoute : « D'Orléans, monstre
exécrable (sic), trouva dans ces massacres le moyen
de se libérer du paiement annuel d'une somme de
cinq cent mille livres de douaire, qu'il payait à sa
belle-sœur, la princesse de Lamballe. La mort était
une quittance ^7. »
L'éditeur même des Mémoires de Sénart a fait
justice de cette calomnie. Il paraît avéré que l'au-
teur desdits Mémoires a été, en cette circonstance,
mal informé. La vérité est que le duc de Penthièvre,
beau-père de la princesse, faisait à celle-ci, depuis la
mort de son mari, une pension viagère de trente
mille livres, dont les arrérages lui furent très exac-
tement payés jusqu'au mois de septembre 1792.
Comme, à cette époque, le duc de Penthièvre vivait
encore, l'extinction de la rente viagère ne pouvait
profiter qu'à lui et, après lui, à sa fdle, la duchesse
d'Orléans, séparée de biens ^^ d'avec le duc, lequel,
personnellement, ne pouvait tirer un profit quel-
conque de la mort de la princesse. L'accusation
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT
279
tombe donc d'elle-même. En réalité, le duc d'Orléans,
qui entretenait avec sa belle-sœur des relations affec-
tueuses ^9, paraît s*être entremis auprès de ceux qui
FIG. 7G. — MAHAT
dirigeaient le mouvement, sans réussir à atteindre le
but qu'il poursuivait.
A s'en rapporter au témoignage que nous avons
souvent invoqué, celui du docteur Saiffcrt, quelques
personnes dévouées à la princesse se seraient réunies
chez le duc d'Orléans, pour aviser aux moyens d'as-
surer le salut de la belle-sœur de ce dernier. Saiiïert^
28o LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
qui avait eu roccasion de donner ses soins à nombre
de sans-culottes, se serait offert pour se rendre
auprès des meneurs de la populace, dont la plupart
lui étaient connus. Il importuna tellement, s'il faut
l'en croire, cinq d'entre ces meneurs, il leur prodigua
tant d'assurances que la princesse était innocente
des accusations dont on la chargeait, qu'il emporta
d'eux la promesse qu'ils tenteraient tout au monde
pour la sauver. Trois seulement se refusèrent à in-
tervenir, accusant Saifîert d'être afïilié à « la bande
despotique », selon leur expression, et de s'être rendu,
par là, des plus suspects aux yeux des véritables
amis de la liberté. Deux d'entre eux seraient allés
jusqu'à le menacer d'un châtiment, pour s'être cons-
titué le défenseur d'une femme aussi compromise que
la princesse, par ses attaches avec la royauté déchue.
Nullement découragé par l'échec de ses premières
démarches, Saifîert les poursuivit opiniâtrement.
Nous avons, naguère 2°, relaté les visites qu'il rendit
successivement à Pétion, à Danton, à Robespierre
et à Marat. Depuis, de nouvelles recherches ^^ n'ont
fait que confirmer nos premières découvertes, en les
complétant dans les détails.
Lorsque SailTert se présenta chez Pétion, celui-ci
était en train de donner à boire aux insurgés qui lui
servaient de gardes du corps. « Je n'ai pas le pou-
voir d'arrêter les massacres », répondit le maire de
Paris à son visiteur ; et comme celui-ci pressait Pétion
de faire appel à la garde nationale, qui n'attendait,
lui dit-il, que l'ordre écrit « d'arrêter une telle entre-
prise, dangereuse pour la liberté et honteuse pour un
peuple civilisé » : — « Je n'ai aucun pouvoir, lui
répondit cet « avocassier » ; je suis moi-même, vous
UN RÉCIT DE LA JOURNEE DU 10 AOtT 281
le voyez, un prisonnier du peuple. Adressez-vous à
ceux qu'il laisse en liberté. » Ici il convient d'ouvrir
une parenthèse. Quelle a été la part de Pétion dans
la genèse et la préparation des massacres de sep-
tembre ? Son rôle fut-il purement passif ?
Dans un ouvrage intitulé : les Crimes de Marat
et des autres égorgeurs ou Ma Résurrection, etc. ^^y
Maton de la Varenne ne craint pas de nommer
Pétion, Manuel et Marat, comme les principaux
« fauteurs » du crime collectif dont on aura
quelque peine à les justifier. Cette opinion est
partagée par l'auteur de VHistoire de là conjuration
de Maiimilien Robespierre ^3, qui écrit de son côté:
« Pétion et Manuel ordonnèrent, organisèrent, si je
puis parler ainsi, les massacres des 2 et 3 septembre ;
I t à cette époque, ces deux bêtes féroces étaient
dévouées à Robespierre. On voit, par les journaux
qui dans ces temps-là rendoient compte des séances
des Jacobins, que, tandis que Pétion et Manuel
aiguisoient les poignards, les sabres, les haches et
• xaltoient les têtes des exécuteurs, Robespierre et
les siens faisoient crier par leurs émissaires : Vive
Manuel, vive Pétion ou la mort I et crioient eux-mêmes
(jue tout étoit perdu, si le sol de la liberté n'étoit
promptement purgé de tous les prêtres et les aris-
tocrates. Ils comprenaient, sous cette dernière qua-
lification, les constitutionnels comme les royalistes. »
Qu'on nous permette encore une citation, tirée,
comme les précédentes, d'ouvrages contemporains
d<'s événements : «Toute l'Kurope, remarque unécri-
lin anonyme, mais qui semble bien renseigné *<,
toute l'Europe a entendu parler de cette trop fameuse
nuit, et les races futures auront peine à croire les
282
LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
horreurs qui s'y sont commises. Depuis longtemps
elle était méditée p«r des monstres avides du sang
de leurs concitoyens. Les scélérats étaient revêtus
de la confiance du peuple. Pétion, Manuel et beau-
coup d'autres en étaient les chefs; ils avaient fait
emprisonner plusieurs personnes qui auraient pu
nuire à leuramb.tion. Ils imaginèrent donc de leur
en ôter le moyen, en les assassinant. » Pétion a
essayé de se laver de ces imputations ^\ mais il faut
reconnaître que sa défense n'a fait que trahir son
embarra>.
Une Anglaise de distinction, Héîène-Maria Wil-
hams, q.;i était hée avec la famille du Maiie de
Par.s, a rapporté, dans ses attachants Souncnirs de la
Révolution française '=^, le propos qui lui fut tenu par
Pétion, lorsqu'il s'apprêtait à fuir la capitale : « J'ai,
lui dit il, un reproche, rien qu'un à me faire; j'auais
dû mourir pendant les massacres de septembre.
J'ai fait tout ce que j'ai pu. J'étais sans moyens et
sans pouvoir, mais j'avais encore quelque popula-
rité. Je me suis précipité de prison en prison, et par-
tout où j'ai été, les assassins suspendaient leurs
coups, sans que j'aie pu empêcher qu'ils recommen-
çassent après mon départ ^^. Enfin, Danton me fit
garder à vue chez moi ; mais c'est égal, j'aurais dû
sortir malgré la garde, j'aurais dû mourir. »
Sur la participation de Danton à cette tuerie, on
est fixé aujourd'hui. « Danton fut un des principaux
moteurs (sic) des massacres de septembre », affirme
Gouverneur Morris, et si on ne trouve pas son nom •
à côté de ceux de Panis, de Sergent, de Marat, au
bas de l'ordonnance d'exécution, le moins qu'on
puisse dire de Danton, c'est qu'« on est le complice
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT
283
des actes que l'on peut empêcher, surtout lorsqu'on
est investi de la puissanp^- légale ^s ». L'accueil que
reçut Saiffert auprès de Danton ne fait que confirmer
FIG. 77. — IIKLÉNA WILLIAMS
ropinioii, qu'il approuvait, au moins tacitement,
ceux qu'il n'osait publi(iuement désavouer. « Le
peuple de Paris, répondit Danton d'une voix cour-
roucée à celui qui venait implorer son intervention,
a ses représentants, qui travaillent aujourd'hui pour
284 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
l'abolition de sa servitude et la résurrection de sa
liberté. Seuls, les aristocrates pourraient s'opposer à
la justice du peuple. »
Mêmes sentiments chez Robespierre : « Le peuple
est trop juste pour attaquer l'innocence, dit Vlncor-
rnptihle à qui était venu solliciter sa pitié, fiez-
vous à sa justice. » Et comme son interlocuteur
insistait auprès de lui, pour qu'il arrachât au danger
qui la menaçait une femme inoffensive, venue d'elle-
même reprendre un poste périlleux à la prière de son
beau-père, qui l'y avait contrainte: « Eh bien ! s'écria
brusquement Robespierre, puisque vous vous ex-
primez avec tant de chaleur sur le compte de votre
cliente, je vous promets de mettre tout en œuvre
pour hâter la libération de votre protégée. » Devons-
nous ajouter que* le dictateur oublia complètement
sa promesse, et que Saifîert ne tarda pas à être
averti, par un de ses malades, que Robespierre lui
avait dit en propres termes : « Le docteur Saiffert
n'est pas un ami de la liberté... Ne cherchez pas à
l'excuser, il s'est trahi aujourd'hui; c'est peut-être
un philanthrope, ce n'est pas un ami de la liberté ^9 ! »
Est-ce à dire que Robespierre ait eu une partici-
pation directe aux massacres ? Il est reconnu qu'il
ne fut présent à aucune des fatales journées; « il
n'y eut d'autre part que d'avoir opiné avec ceux
qui les conseillèrent et qui s'en réjouirent 3°».
On peu, dire, néanmoins, de Robespierre comme de
Danton, qu'en laissant faire ce qu'ils pouvaient em-
pêcher, ils ont encouru le même blâme. D'ailleurs,
Robespierre désapprouva-t-il jamais « cette justice
prompte et terrible, qu'il considérait comme Tex-
pression de la volonté populaire 3' » ?
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT
285
D'autres que le docteur Saifïert auraient été rebutés
par l'insuccès de leurs tentatives ; mais la ténacité de
ce dernier et plus encore, la conscience de s'acquitter
PIG 78 — SERf.ENT, DIT bEIUil NT-.MAnCEAU
d'un devoir, lui redonnaient de l'espoir lorsqu'il
sentait venir le découragement.
Notre médecin saxon se détermina en Un à im-
plorer l'aide de son confrère Marat, mais Marat
286 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
ne lui fit pas un meilleur accueil que les autres déma-
gogues. « Je reconnais, lui dit l'éncrgumène, que
comme médecin, vous pouvez m'ôtre supérieur, mais
pour les affaires de l'État vous n'avez aucune com-
pétence. Plus de quatre cent mille têtes doivent
tomber, si nous voulons conserver la liberté; le sang
des royalistes doit, pour l'éternelle épouvante des
souverains, couler dans toutes les ruelles et dans
toutes les rues ; l'heure a sonné pour le peuple de se
délivrer de ses persécuteurs ; la moindre pitié serait
un crime. Savez-vous que votre démarche m'est
très suspecte ? Tout ce que je puis faire de
mieux pour vous, c'est de la tenir cachée. » —
« Je n'avais plus aucun espoir, poursuit tristement
Saifîert, d'arrêter le massacre général qui était
projeté. »
En désespoir de cause, Saifîert se rendit auprès
de Manuel, qui occupait « un des premiers postes
dans l'administration de la ville ». Dès les premiers
mots, celui-ci fit observer au solliciteur qu'il était,
moins que tout autre, en sa quaUté d'étranger,
qualifié pour intervenir dans une affaire intérieure
qui ne regardait que le peuple français, et il rompit
brusquement l'entretien, sans s'attarder à des expli-
cations.
C'est alors que, de guerre lasse, Saiffert retourna
chez le duc d'Orléans, auprès duquel il était toujours
assuré de trouver un appui ou un réconfort. Il lui
exposa le résultat de ses démarches, l'informant du
péril que courait la princesse ; le duc se déclara prêt
à lui venir en aide, mais que pouvait-il faire ? « Écrire
à Danton ; je me charge de lui remettre la lettre »,
répliqua Saifîert. Sans perdre de temps, le duc rédigea
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 287
le billet suivant, dont les termes nous ont été con-
servés 32 :
Je suis, bien qu'à regret, le conseil qui m'a été si
impérieusement donné de ne pas quitter ma chambrei
Personne ne sait mieux que vous, Monsieur, ce que j'ai
sacrifié pour la liberté ; aussi serait-ce une injustice
que de suspecter ma bonne foi. Je me permets donc,
sûr que ma démarche ne sera pas faussement inter-
prétée, d'intervenir auprès de vous en faveur des dames
d'honneur de ï Autrichienne, et en particulier de ma
bonne sœur, la princesse de Lamballe, qui n'a pas déserté
son poste sur mon conseil. Je vous prie donc instamment
d'employer tout ce que vous avez de pouvoir et d'in-
fluence à écarter le danger qui menace ces prison-
nières, et vous pouvez être assuré que ma reconnais-
sance sincère vx)us sera à jamais acquise.
A cette lettre Danton rép ondit :
J'ai devancé, votre prière ; ce qui dépendait de moi
a été fait et les femmes vont être mises en liberté. Encore
que cela vous soit désagréable, ne quittez pas votre
chambre. Je ni'ed'orce d'apaiser la colère, du peuple.
J'ai jeté votre billet au feu, faites subir le même sort
au mien.
Qui n'aurait cru la partie gagnée? Mais il est des
rirconstances où les événements sont plus forts que
les hommes. Danton était peut-être de bonne
ioi, le duc d'Orléans a sans donlc fait ce qu'il était
humainement possible de tenter, mais comment
hittcr contre une horde de forcenés qui, ayant reçu
désordres, n'étaient que trop prompts à les exécuter ?
]j- fait est que la princesse n'a pu être sauvée; elle
;i ctc la seule femme, ne l'oublions pas, qi:i ait péri
288 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
dans ces massacres, auxquels toutes les personnes d®
son sexe ont réussi à échapper. II y a là un mystère
qu'il n'est pas indifférent d'essayer de pénétrer.
On sait que le duc de Penthièvre a cherché, par
tous les moyens, à arracher à prix d'or sa chère
belle-fille au supplice horrible qui l'attendait. Il est
même reconnu aujourd'hui que Manuel a reçu une
somme d'argent importante pour sauver Madame de
Lamballe ; mais s'étant rendu compte, par ses pro-
pres yeux, des dispositions des égorgeurs à l'égard de
l'infortunée princesse, il n'osa tenir sa promesse et
la laissa massacrer 33. On a donné le chiffre de la
somme versée 34; cent cinquante mille livres auraient
été comptées au procureur de la Commune, par les
représentants du duc de Penthièvre. D'après une
autre relation ^s, le duc aurait garanti la moitié de
sa fortune à Manuel, s'il parvenait à soustraire la
princesse de Lamballe, et les dames qui partageaient
sa détention, au massacre général. Manuel com-
mença par celles dont la sortie pouvait le moins
attirer l'attention, « réservant, pour des motifs de
prudence, la Princesse de Lamballe pour la der-
nière ». Plusieurs faits témoignent en faveur des dis-
positions bienveillantes de Manuel 3^. Ce fut à son
intervention que la princesse dut d'être réunie à
Madame de Tourzel et à sa fille, qu'on avait d'abord
séparées et qui se montrèrent heureuses de partager
son infortune. Ce fut encore le terrible procureur
qui remit à Madame de Lamballe une lettre du duc
de Penthièvre, et qui autorisa le guichetier de la
prison à laisser promener les détenues dans la cour
de la Force. Dans le Journal de sa captivité. Madame
a rapporté que Manuel vint voir le roi, son père, le
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT
289
3 septembre, à 10 heures du matin, et qu'il lui assura
que la Princesse de Lamballe et les autres personnes
II(i. 71). — MADA.MK I)i: I.AMUALLE
Estampe de l'époque rivoluliumiaire)
{{u'on avait ôtées du Temple se portaient bien et
(Laient toutes ensemble et tranquilles à la Force 37.
Que se passa-t-il donc pour rendre vaines tant de
honncs volontés ?
19
290 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
En même temps que Manuel, et dans la crainte
que celui-ci ne réussît pas à sauver la princesse,
d'autres émissaires du duc Penthièvre s'étaient ré-
pandus dans les différents quartiers de Paris. L'un
d'eux parvint à faire tenir à Madame de Lamballe
un billet ainsi conçu : « Pour Dieu, quoi qu'il arrive,
ne quittez pas votre chambre et vous serez épargnée.
Adieu î »
Manuel ^^, qui n'était pas au courant de ce second
plan, se présentait à la prison et, après avoir fait
sortir les compagnes de la princesse, vint trouver à
son tour Madame de Lamballe,lui annonçant qu'avait
sonné l'heure de sa délivrance; mais, en dépit de
toutes ses instances, il ne put la décider à le suivre.
Elle crut à un piège et c'est ce qui la perdit.
D'après une autre version, deux de ses valets de pied
poussèrent le dévouement à leur maîtresse jusqu'à
revêtir le C03tumxe de ses assassins, à emprunter leur
langage, leurs manières, et à se mêler parmi eux sans
éveiller les soupçons. « Déjà ils avaient découvert
le réduit où Madame de Lamballe était retenue ; mais
malheureusement, ils la trouvèrent dans une des
attaques de nerfs qu'elle éprouvait souvent et que
son effroi venait de renouveler. Des moments pré-
cieux s'étaient écoulés. Des monstres vinrent s'en
emparer, ils la traînèrent, car elle ne pouvait se sou-
tenir, et à peine elle avait franchi les portes de sa
prison, qu'elle était percée de coups 3<?. »
S'il faut ajouter foi aux dires de Saiffert, celui-ci
aurait tenté une pressante démarche auprès du duc
d'Orléans, l'engageant à le suivre à la municipalité,
pour essayer de soustraire son infortunée cliente
à ses bourreaux. Le duc lui aurait répété qu'il était
292 LA PRINCESSE DE LA.MBALLE INTIME
surveillé, et que s'il passait le seuil de sa porte, il
serait conduit en prison. Eût-il réussi, s'il fût inter-
venu, à obtenir qu'on relâchât la princesse, c'est
plus que douteux ; son intervention était trop tar-
dive pour avoir chance d'être couronnée de succès.
Le duc d'Orléans parut, en tout cas, très pénible-
ment impressionné par cette mort 4°. Lorsqu'on lui
apporta, pendant son dîner, au Palais-Royal, la tcte
de la victime des septembriseurs, il dut faire d'amers
retours sur lui-même. Il ne put s'empêcher de recon-
naître, malgré ses relations et ses compromissions
jacobines, que les révolutions étaient « vraiment
terribles pour ceux qui en étaient témoins et qui les
subissaient ^^ ».
Comment la princesse de Lamballe fut-elle la seule
femme massacrée en septembre 1792 ? On peut main-
tenant répondre à cette question : elle fut surtout
la victime d'un double malentendu. Il n'est pas
moins avéré qu'elle était promise à la mort, et il
eût fallu un hasard providentiel pour la soustraire
à son sort. Saifîert, dans un de ses écrits, a laissé
entrevoir une partie de la vérité sur les causes réelles
de cette horrible tragédie.
« Robespierre et Danton, non contents du meurtre
de celle qui avait été le principal témoin de leur défec-
tion à la cause républicaine, avaient envoyé des as-
sassins à la poursuite du duc de la Rochefoucauld,
retiré dans ses terres ; mais ils délivrèrentles da mes
de la Cour emprisonnées avec Madame de Lamballe,
parce qu'elles n'étaient pas au courant desint rigues
qui avaient précédé la chute de la royauté. Puis, ils
firent répandre parmi le peuple ce bruit, que la prin-
cesse s'était perdue elle-même par son orgueil, en
UN RÉCIT DE LA. JOURNÉE DU 10 AOÛT 298
refusant, avec des paroles blessantes, de prêter le
serment de fidélité à la liberté et à l'égalité. Deux
F:G. 81. — MADAAiK DE LAMDALLE
(Document communiqué à l'auteur par VicToniEx Sardoo).
qnnlicns de la prison, que je connaissais bien, ajoute
SaiJTert, m'afïirmèrent au contraire, chacun sépa-
rément, uuc la malheureuse orincesse avait été traînée
29^ LA PIUNGKSSK DK I.AMnAIJ.E INTFMR
devant les juges complèlenient évanoLiic I^lle lui
portée, après sa condamnation à mort, dans la rue
des Ballets, où on la massacra sans ({u'clle ail | u
proférer une parole. » Voilà, dit en terminant le
docteur dont nous avons emprunté le récit, « la vérité
sur cet événement, aussi triste qu'inhumain ».
Certains ont prétendu que si la princesse de Lam-
balle fut horriblement massacrée, si son cadavre
subit d'odieuses souillures 4-, c'est que le peuple ne
lui pardonnait pas d'avoir été 1' « amie » de l'Autri-
chienne, la « Sapho de Trianon », ainsi que d'im-
mondes libelles la désignaient. << Une seule femme, écrit
un historien de cette sombre époque ^\ dont la par-
tialité nous doit mettre en défiance, une seule femme
périt dans cette circonstance ; mais, nous devons le
dire, ses liaisons avec l'ennemie la plus acharnée de
la nation, avec Marie-Antoinette dont elle avait
toujours été la compagne de débauche, justifient en
quelque sorte les excès auxquels on s'est porté à
son égard. » Comme nous demandions un jour au
regretté Victorien Sardou, ce qu'il pensait de cette
allégation : « A vrai dire, nous répondit-il, il y a bien
des raisons à regorgement de Madame de Lamballe...
Je ne crois pas un instant à l'action de Phifippe-
Égalité, que l'on a fait beaucoup plus pervers qu'il
n'était, et que je ne fais pas plus responsable de la
mort de la femme que de celle du mari. Elle (la prin-
cesse) a été fort maladroite. Par son attitude, elle a
paralysé les efforts des agents du duc de Penthièvre
pour la sauver, et facilité la tâche à ceux qui voulaient
la supprimer. Madame de Lamballe avait été associée
aux efforts de Robespierre, pour se faire désigner par
le Roi comme gouverneur du dauphin. Il avait eu,
UN RÉCIT DE LA JOURNEE DU lO AOÛT 205
à cet effet, trois entrevues avec Madame de Lam-
balle, qui dut un jour lui déclarer que la reine avait
protesté contre le choix d'un tel précepteur. Que
Robespierre, fou de vanité, ambitieux et rancunier
comme pas un, ait attribué son échec à la princesse,
il n'y aurait là rien que de très naturel, et il lui suffi-
sait d'un mot pour le délivrer d'une confidenlc qui
pouvait un jour le compromettre... Je crois cela
bien plus probable que l'action d'Égalité. Ce qu'on
peut reprocher à celui-là, ce sont les pamphlets
contre la reine et Madame de Lamballe, soldés bien
évidemment par l'argent du Palais-Royal. Et ces
pamphlets-là n'ont pas peu contribué à Végnryement
de la malheureuse femme '*^. Quant aux relations in-
times des deux femmes, il n'y a sûrement rien de
positif dans les documents connus. » Émanant d'une
personnahté aussi renseignée, cette opinion est de
celles que l'on peut d'autant mieux partager qu'elle
est en complet accord avec tout ce que l'on sait
de positif sur un des problèmes qui ont le plus exercé
la sagacité des physiologistes, autant que celle des
historiens.
Que les massacres de septembre aient été prémé-
dités, préparés '♦5, qu'ils n'aient pas été une explosion
spontanée du sentiment national, comme il a été
souvent prétendu, pour tout esprit impartial cela
est manifeste.
La Commune, dit une relation attribuée à Cham-
fort, « n'attendait qu'un prétexte pour battre la
générale et tirer le canon d'alarme. Le plus favo-
rable qu'elle pût saisir, était raj)proclîe précipitée
(les ennemis. Lohgwy avait ouvert ses portes, Verdun
est aussitôt assiégée : la nouvelle en arrive au mi-
2()G LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
nisLrc de la Guerre le 2 septembre au matin. Point
de délai, la Commune fait afficher et proclamer un
arrêté qui n'était, comme elle en est convenue depuis,
qu'un appel aux assassins ». L'agent du gouverne-
ment révolutionnaire, dont nous avons déjà utilisé
la relation, a rapporté, dans ses Mémoires, qu'il a
vu « des pièces écrites, signées de Panis, Sergent,
Tallien, qui sont relatives à ces assassinats, et ont
une connexité dépendant l'une de l'autre, qui dévoi-
lent le complot du massacre ^^, et prouvent que ce
n'est pas l'effet de l'erreur ni de l'effervescence qui
donna lieu à cet événement ». Au nombre de ces
lettres, il y en avait une, adressée à un bandit de la
pire espèce, un escroc, « passé aux verges et chassé
d'un régiment pour vol » : il s'agit de Maillard, « chef
des coupe-jarrets de Paris, connus sous le nom de
Tappe-Durs ». Entre autres instructions, il était
recommandé au destinataire de l'épître de disposer
sa bande d'une manière utile et sûre, de l'armer sur-
tout d'assommoirs, de prendre des précautions pour
empêcher les cris des mourants, de faire porter les
coups sur la tête, d'expédier promptement, de faire
emplette de vinaigre, à cause de l'odeur, pour en
laver les endroits où l'on tuerait, de se précautionner
de balais de houx pour bien racler le sang, de chaux
vive, de voitures couvertes pour transporter les cada-
vres, de bien payer surtout, et d'avertir d'un ins-
tant à" l'autre de ce qui se passerait. Il existe des
quittances de paiement; nous en mettons deux sous
les yeux de nos lecteurs.
Que l'alcool ait joué un rôle dans les massacres
de 1792, la preuve en a été faite, sans réplique pos^
sible*7. Les exécuteurs de la « justice du peuple » ont
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 207
été largement abreuvés, des documents irrécusables
en font foi. Lorsqu'on parcourt les divers récits des
massacres, on est frappé de ce fait, que les assassins
^^'
•-•
FIO. 82. — STANISLAS MAILLARD
(D'après un dessin de Gabriel)
sont presque tous « ivres de vin ». Un fait entre cent.
Une bande de forcenés se rend chez l'ex-ministre
Roland, « les habits et les mains ensanglantés, les
manches retroussées et couvertes de sang caillé, les
29B LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
^
massues ou assommoirs sur l'épaule, les sabres nus,
tout fumants et couverts des ordures qu'ils rece-
vaient en coupant les intestins ». Roland parvient à
se sauver par une issue secrète ; les bandits se sai-
sissent d'un citoyen de sa maison, un nommé Cha-
retier. Fiers de leur prise, ces deux cents courageux (?)
citoyens mènent en laisse cet homme sans défense :
celui-ci ne parvient à se débarrasser de ses bourreaux
qu'en les promenant de cabaret en cabaret ; à force
de brocs de vin libéralement distribués, il en vint à
bout. « Les uns restèrent dormant dans les cabarets,
les autres tombèrent au coin des rues et des bornes ;
ceux-ci vomissaient, ceux-là ne pouvaient plus mar-
cher ; et à la faveur des ombres de la nuit, Charetier
s'enfuit. La troupe meurtrière se sépara, et Roland
leur échappa, ainsi que l'otage qu'ils avaient pris ^^ ».
Moins heureuse, hélas! que le ministre girondin fut
la princesse de Lamballe, dont nous avons narré
ailleurs, dans ses moindres péripéties, la fin la-
mentable ^9.
1.
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ce
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13
^^'
NOTES DU CHAPITRE XI
1. On l'avait pris [)Our io nommé \Vilgenko[)f (no(« de Saif-
fert).
2. Mémoires de Madame Campan, t. II.
3. « La loge qui servait de refuge au Roi, à sa famille et
aux Ministres, était un réduit misérable, étroit, ayant
dix pieds de large sur six de haut, et pouvait à peine con-
tenir six personnes. 11 fallait y être toujours assis, et il
y régnait une vapeur forte, dont la respiration était
oppressée ». Hist. des événements qui ont eu lieu en France pen-
dant les mois de juin, juillet, août^ septembre 1792, par Mator de
LA. Vareîjne, 116.
4. Le 3 août précédent, c'est-à-dire une semaine avant
l'événement que nous relatons, la princesse mandait à sa
cousine : « Ma santé va comme elle peut dans un moment
aussi dangereux; nous avons un temps si chaud que les
orat;es se récidivent (sic)... je ne vous donnerai aucun
détail de mon inquiétude dans le tourment qui est toujours
au moment de tomber sur nous d'un instant à l'autre. »
Correspondance publiée par M. Ch. Schmidt.
5. Mémoires de Mme la duchesse de Tourzel, publiés par le duc
des Cars (Paris, 1893), tome second, note 1 de la p. 250-1.
6. Revue Bleue, 10 oct. 1891 (art. de M. Albert Mallet).
7. Mémoires inédits du comte François de la Rochefoucauld,
cités par les Go.ncourt, Hiiloire de Marie-Antoinette (1878),
372.
8. Comte d'EspiNCHAL, Journal des Événements remarquables de
la Révolution (Ms 320 de la Bibliothèque de Clermont-Fer-
rand, cité par R. Arnaud, la Princesse de Lamballe; Paris,
1911, 345).
9. Mémoires de Madame de Tourzel, II, 239.
10. Id., 240.
11. La prison de la Force était divisée en deux parties
la Grande Force, ouverte en 1780 pour remplacer For
l'Évèque qui tombait en ruines, était destinée à enfermer
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 3oi
les gens arrêtés pour dettes; les militaires pour faits de
discipline ou seulement prévenus de désertion : les prison-
niers de police, c'est-à-dire ceux qui étaient trouvés dans
les rues ou dans les lieux publics, faisant du bruit, exci-
tant des rixes ; enfin, les personnes suspectes ou sans
aveu. Sous l'Empire et jusque sous le règne de Louis-Plii-
lippe, la Force resta en partie une prison politique. La
Petite Force, établie en 1785 pour recevoir les proistituées,
avait son entrée rue Pavée, n' 22 ; les deux prisons commu-
niquaient entre elles par une porte intérieure.
12. fievue politique et parlementaire, 25 mars 1882 : le dernier
amour de Philippe-Égalité ; la citoyenne Buffon^ 1789-1793, par
M. de Lesclre.
13. Mém. du comte d'Allonville, t. I, ch. xvi.
14. Voir Buffon, sa famille, ses collaborateurs et ses familiers:
Mémoires de M. Humbert-Bazille, son secrétaire, mis en
ordre par Henri Nad.vllt de BuffoxN.
15. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. XV (1862), 196.
16. Notice sur Sénart et ses Mémoires, par Dumes.ml.
17. Mémoires de Sénart, chapitre vu (Paris, 1824).
18. La sentence de séparation est du 25 juillet 1792.
19. D'aucuns ont été jusqu'à prétendre que ces relations
allèrent jusqu'à la plus grande intimité (Cf. Mémoires de
Talleyrand, t. I, 162).
20. La Névrose révolulionnaire, des docteurs Cauanks et
L. Nass, 43 et s.
21. V. le journal le Temps, 14 septembre 1910.
22. Paris, André, an III, 1795.
23. P. 79-80.
24. Coup d'œil sur Paris, suivi de la nuit du deux au trois sep-
tembre ; Paris, an III, 22.
25. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Pétion a montré,
comme l'écrit P. Fassy, « une faiblesse déplorable »>. Il
reconnaît lui-même avoir vu « une douzaine de bourreaux,
les bras nus, couverts de sang, les uns avec des massues,
les autres avec des sabres et des coutelas qui en dégout-
tnient, exécutant à l'in-^lant des jugements » ; il se déclare
confondu d'entendre les exécuteurs de la loi lui demander
" à être payés du temps qu'ils avaient passé » ; il leur en-
joint de se retirer, mais ils reviennent à leur poste, aussi-
lôt qu'il a tourné le dos, et il ne trouve pour les flétrir que
de.s accents d'une feinte indignation. Mais, s'écriait Robes-
pierre (juelques jours après Pétion, dans un discours pro-
noncé au sujet des journées de septembre, « les magis-
302 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
trats pouvaient-ils arrêter le peuple? » Car, ajouta le dic-
tateur, « celait un mouvement populaire, et non la sédition
partielle de quelques scélérats payés pour assassiner leurs
semblables ». F'aut-il une autre preuve de la complicité, au
moins tacite, de Robespierre ?
26. Traduits de l'anglais; Paris, Dondey-Dupré, 1827, 20.
27. « Le 5 septembre, Duhem, Brissot, Gensonné et plu-
sieurs autres députés dînaient chez PéLion. Vers la fin du
repas, quinze tueurs entrèrent, les bras ensanglantés,
venant demander des ordres, relativement à quatre-vingts
prisonniers qui restaient encore à massacrer à la Force.
Le maire les fit boire et les congédia, en leur disant de /aiVe
tout pour le mieux. «Dépositions de Duhem, de Fabre d'Eglan-
tine et de (Chabot, dans le procès des Girondins. Brissot cl
Gensonné, qui étaient présents, ne nièrent pas le fait, qui
est rapporté par Villiaumé, Hist. de la Révolution française,
t.. II (1864).
28. ViLLiAUMÉ, lac. cit., 170.
29. Le colloque de Robespierre avec Saiflert est résumé
ici ; on le trouvera plus détaillé dans le premier récit
que nous avons donné de l'assassinat de la princesse
(V. la Névrose révoluLionnaire, loc. cit.).
30. Hist. de la conjuration de Maximilien Robespierre; Paris,
an IV (1796), 75.
31. Discours du 5 novembre (1792) à la Convention, cité
par ViLLiAUMÉ, II, 174.
32. V. le Temps, 14 septembre 1910.
33. Le Tribunal révolutionnaire de Paris, par Emile Campardon,
184.
34. Cf. Hist. des événements qui ont eu lieu en France pendant
les mois de juin, juillet, août et septembre il 92, par Maton de la
Varenne, 395.
35. Mém. relatifs à la famille royale de France, t. II. 338 et s.
36. « Le matin du 2 septembre, il consulta les listes, en-
voya vers 10 heures Truchon, dit le Grand Nicolas, à la Pe-
tite Force et en fit sortir Mme de Saint-Brice, alors en-
ceinte, et Mlle Pauline de Tourzel. Le 3, vingt-quatre
femmes, au nombre desquelles étaient Mmes de Tourzel,
Thibault, Bazire, de Navarre et de Mackau, sont relaxées.»
La Princesse de Lamballe et la prison de la Force, par Paul
Fassï (Paris, 1868), 19, 86 et 87.
37. Marquis de Beaucourt, Captivité et derniers moments de
Louis XVI, 8
Oi
Z g
3o4 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
38. Ou un de ses agents, l'avocat Truchon, dont il a été
question plus haut.
31). Mém. de Th. de Lamelh (Paris,1913), 187-8.
40. Lorsque Saiffert alla rapporter au duc d'Orléans les
circonstances de la mort de la princesse — on l'avait
abattue sous ses yeux, devant la porte de la prison — le
duc, déjà inforrné du meurtre de sa belle-sœur, se serait
jeté en pleurant au cou de son médecin, et les persiennes
closes, tous deux restèrent un certain temps dans l'obscu-
ité, abîmés dans leur douleur commune.
41. Mém. de Madame Elliott (Sainte-Beuve, Causeries du Lundi,
t. XV, ^00).
42. Cf. la Névrose révolutionnaire, loc. cit.
43* jI^:jtgaillard, Hist. de France, t. III, 219-220.
44. Un des premiers pamphlets qui s'occupent de la prin-
cesse est la Galerie des Dames françaises, pour servir de suite à
la Galerie des États-Généraux (Londres, 1790, 71-75); elle y fi-
gure sous le nom de Balzais. Cet opuscule est des plus
anodins; il reprochée la princesse quelques écarts de con-
duite, mais vante hautement sa bienfaisance. 11 est fait
allusion, mais sous une lorme encore très voilée, aux re-
lations intimes de la reine avec Madame de Lambalie, dans
les Essais historiques sur la vie de Marie-Antoinette d'Autriche,
Reine de France (Paris, Londres, 1789, 29-31). Viendront, plus
tard, les pamphlets plus violents, tels que : Le Ménage royal en
déroute, la Liste civile suivie des noms et qualitét (sic) de ceux
qui la composent et la punition due à leurs crimes ; enfin, les
pamphlets orduriers, comme la Vie privée, libertine et scanda-
leuse de Marie-Antoinette d'Autriche (t. I, 55-()0) ; VAlmanach des
honnêtes femmes pour Vannée 1790, qui range notre princesse
parmi les tribades; mais il convient d'ajouter que tout
l'Armoriai de France est mis sur la sellette, et qu'aucun
grand nom n'échappe à cette inculpation du vice contre
nature. Un des plus ignobles libelles est celui intitulé : La
journée amoureuse, ou les derniers plaisirs de M.... Ant , co-
médie en trois actes, en prose, représentée pour la première fois au
Temple, le 20 août 1792. Au Temple, chez Louis Capet, l'an I" de
la République; on ne saurait en extraire seulement deux li-
gnes sans se salir. Il est à remarquer qu'en général, la
duchesse de Polignac est bien plus souvent mise en
cause que la princesse de Lambalie. Madame Campan, qui
vivait dans l'intimité de la reine, croit à l'innocence des
UN RÉCIT DE LA JOURNÉE DU 10 AOÛT 3o5
rapports de Marie-Antoinette avec la princesse et, toutes
pièces vues, nous partageons son opinion.
45. Cf. Mortimer-Teunaux, HisLoirede la Terreur, t. III, etc.
46. « Le massacre n'était point un événement de circons-
tance, mais bien un terrible complot, dévoilé par les pièces
que j'indique. Si ce n'eût point été un complot, à quoi
bon ces précautions et ces ordres? Or, n'est-il pas bien
caractérisé par les sanguinaires , circulaires, écrites par
Marat et ses collègues, pour inviter les départements à de
pareilles horreurs, et par la conduite de Legendre et de
Manuel? » Révélations puisées dans les carions des Comités de
salut public et de sûreté générale ou Mémoires (inédits) de Sénart,
agent du gouvernement révolutionnaire, publiés par Alexis Du-
mesnil ; Paris, 1824, 42.
47. V. la Chron. médic, 1909, 811-813; cf. les Campagnes d'un
avocat, p. 14.
48. Mémoires de Senart,i{').
49. V. la Aévrose révolutionnaire, des docteurs Cabanes et
L. Nass [le Martyre de la princesse de Lamballe, 33 et s.).
20
CHAPITRE XII
LE MEURTRE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
RÉCITS DE TÉMOINS OCULAIRES
On a mis en doute, à ce sujet, quelques détails
trop réalistes ; on a reproché, notamment, à notre
grand historien national, de s'être complu au récit
de scènes révoltantes de sadisme, d'avoir sacrifié
à cette érotomanie dont, en d'autres circonstances,
il a encouru le grief légitime. Michelet pouvait invo-
quer une excuse, c'est que la plupart, sinon tous
les faits qu'il a relatés, sont appuyés sur des
témoignages de contemporains, et que tout ce
que peut rêver une imagination en délire est
encore au-dessous de la triste et répugnante
réalité. Il peut y avoir eu des exagérations, il est
des témoins qui n'offrent qu'une garantie de véra-
cité relative, mais ces réserves faites, et miseâ à
part les relations fantaisistes ou fabriquées un long
temps après les événements, il n'en reste pas
moins acquis que le corps de la malheureuse prin-
cesse a été horriblement profané, et cette profana-
LE MEURTRE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 307
tion ne saurait trouver ni explication ni justification.
Il semble, en outre, que toutes les formes de la
i
FIO. 85. — LA PRINCESSE DE LAMBALLE
(D'après un desein au crayon, attribué à Gabriel)
justice aient été violées dans cette circonstance.
Et d'abord, on ne possède aucun texte authentique
sur la façon dont aurait été interrogée Louise de
3o8 LA PRINCESSE DE LAMBALT.E INTIME
Savoie-Carignan, le 3 septembre 1792, dans la loge
(lu concierge de la Force K La Commune reçut bien
un rapport détaillé des commissaires envoyés par
elle à cette prison 2, mais ce rapport, daté de la
nuit du 2 au 'd septembie, n'intéresse pas, par consé-
quent, la princesse, massacrée dans la matinée du 3.
Quelqu'un a-t-il assisté au drame ? Deux déposi-
tions auraient été prétendument recueillies, mais elles
ne méritent, il faut le reconnaître, qu'une créance
relative.
Le 3 septembre 1792, rapporte le comte de
Reiset 3, Madame de Ginestous, daine de la prin-
cesse de Lamballe, aurait été témoin de l'assassinat
de cette dernière. « Elle était Génoise ; elle devint-
folle de douleur et se mit à parler génois devant les
assassins : l'un d'eux, également Génois, étonné
d'entendre parler sa langue, la sauva comme sa com-
patriote. Elle rtcouvra sa raison ; mais lorsqu'en
1815, pendant les Cent Jours, elle vit le drapeau
tricolore flotter sur les Tuileries, elle devint folle
de nouveau, en se rappelant la mort de sa chère
maîtresse et les horribles massacres de septembre 1792,
qu'elle s'imaginait être au moment de recom-
mencer. »
L'autre témoignage émane d'un M. de Blanzy,
qui avait vu la tuerie de ses fenêtres ; il habitait,
à l'époque des massacres, rue du Roi-de-Sicile, « en
face de la petite porte de la Force, c'est-à-dire dans
l'ancienne maison qui remplace aujourd'hui celle
portant le numéro 1 ». D'après lui, le corps de la
princesse aurait été traîné vers la borne voisine, et
ïï ajoute que, « durant tout le jour, le billot impro-
visé demeura maculé de sang et de restes de chair,
LE MEURTRE DE LA PRINCESSE DE LAMBAI.LE Sog
et que ce fut la fille d'un perruquier de la rue des
Ballets qui vint la laver ». Selon une autre version,
c'est pour avoir refusé de prêter serment à la Nation
sur un monceau de cadavres *, qu'un perruquier,
du nom de Charlat, aurait fait sauter le bonnet de
la princesse d'un coup de pique, l'aurait blessée
au front, ce qui serait devenu le signal du massacre.
« Chacun alors... coupa un morceau de son corps...,
son cœur fut arraché, et un monstre, par un rafiine-
ment de barbarie la plus révoltante, lui enleva les
parties génitales et les appliqua sur la garde de son
sabre. »
Cet acharnement de la populace contre les parties
.sexuelles est caractéristique de l'état d'âme de cette
foule; ne voulait-elle pas laisser entendre, par là,
qu'elle s'érigeait en justicière s, et qu'elle entendait
infliger à « l'amie de la reine » un châtiment exem-
plaire, comme pour donner raison aux pamphlé-
taires et aux libellistes qui avaient sali les deux
femmes de leurs odieuses insinuations ? Mais ce
point mérite qu'on y revienne et on ne saurait inci-
demment ni légèrement le traiter.
Nous ne referons pas le récit de l'itinéraire des
restes de l'infortunée princesse, l'ayant donné dans
un autre ouvrage ^ d'une manière aussi détaillée
que le permettait la documentation à la date où ce
récit fut composé. 11 y a quelques années, en 1883,
existait à Paris un homme qui avait vu de ses \ i ux
cette mascarade sanglante, et la sinistre image de
cette procession macabre lui était restée encore assez
vivante dans la mémoire, pour qu'il ait pu fidèlement
la reconstituer. M. Dupin, auteur dramatique connu
qui devait succomber quatre ans plus tard et qui
3lO LA PRINCFSSE DE LAMBAM.i: INTIMT:
était déjà fort âgé à cette époque, puisqu'il mourut
centenaire, à la prière d'un journaliste de ses amis
conta en ces termes les faits dont il avait été, tout
enfant, l'involontaire témoin 7.
« Né le 1er septembre 1787 .. j'avais, en 1792,
six (en réalité, cinq ans) mais déjà ma petite tête
comportait des dispositions aux souvenirs vivaces
qui ne m'ont jamais fait défaut et que vous daignez
apprécier, puisque vous les invoquez en ce moment.
« En 92, ma mère occupait, boulevard du Temple,
le rez-de-chaussée d'une maison avec terrasse don-
nant sur le boulevard. Cette maison est devenue
depuis le café Turc.
« Le jour venait de finir. Tout à coup nous enten-
dons des cris, des hurlements, une foule féroce qui
s'approchait, se ruant vers la Bastille.
« Ma mère se sauva dans son appartement, moi
on m'oublia.
« Ne comprenant ni ne craignant, par conséquent,
le danger, j'étais resté et je regardais cette foule
promenant la tête d'une femme ^. C'était celle de
la princesse de Lamballe !
« Je contemplais cette tête à laquelle, pour bien
établir sa notoriété, on avait rendu toute son
élégance. Elle était coiiïée et poudrée comme de
son vivant, elle avait les yeux ouverts, c'était une
tête charmante... mais au bout d'une pique !
« Cette tête est encore présente à mes yeux, car,
en me voyant, celui qui tenait la pique au milieu
de ses complices s'approcha de moi, ce qui me fit
un peu peur et les fit beaucoup rire; cette scène
me causa une émotion qui n'est jamais sortie de
ma mémoire.... »
LE MEURTRE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 3ll
Avant d'arriver boulevard du Temple, et si l'on
s'en rapporte aux versions qui passent pour les plus
FIG. 80. — W. i>LI'lN, A« I I
II; liCAM \ I lOUE
véridiqucs, le funèbre cortège aurait fait plusieurs
stations, notamment à l*abbaye Saint-Antoine 9, à
(fraitJajTiiui JUtithaji.Jo von dzn ^cbcUcn m -lurij a/n Q..2?. «. ^-^
J.,Ljiicitoig dé^r .Ronici.Q.. Me Ivonigin in dcm Xur/n IcTivple ciL^ u.
nmi Lamb cille, VKir^-'cLutt' rie r JLoni^in il: crjtc Jiojdnjnc toelchi
ini b 5'. I^cihr ihre^ Cltterd htnçcr'icht uyctrcle , clcr Konit^ ii. Me Ai ^
Kaixigitx in cinc Ohmnncht aer-ficl, &. der Ermordctc fThnùficr^'
délie, ivonn 2>oo Çciftlichc J'o den burgcreid nidxt ablcgtiiTL,,
Citcidell^ia. :boaoÈr/oncn So cbeifib wegcn.oerdnc/u inia.^çn,iolu\^
FIG. 87. — PROMENADE DES RIT
(D'après une estampd
., Aa4f CjraufajTiJtC ooltxogcn làurdc — T"» — Q_ - C^
Jlaitpi M . dit^ Itcr-i, Ô.Jcr ent/eette LécicÂnnm. der TrirvM.eiif in
"<rtg oerlnn^crttn^ iuxth.Jo abcr (ihacJckla..Qeri.ti.n.bendj SXfly'
*c-x.uyttngr>n Jolrhc ^cene cxixx.iuchen, oor cleC*en. CbioUcn cUe
cfiT /Tlnjar Jbuchtruin oon der JchtocVx.Crocxf-'iic, cf. d<u fttti „
'Atinp^lo- {jo florxcn. Jo Eirinordct ioitrdcn,JI dcr aupffhcr r>nm
uuiyntj!, gert/ian,u:hino<!r'icht. - . ,.
Xht, Iit^i. J^i/l . A.y.
'. LA l'HINCESSE I)K LAMUALLK
ollection de l'auteur)
3l4 LA PRINCESSE DE LA.MBALLE INTIME
la prison du Temple ^°, enfin au Palais-Royal ".
Selon une tradition restée longtemps vivace, 1er
massacreurs se seraient arrêtés, au cours de leus
sinistre promenade, dans la boutique d'un débitant
de vin, qui occupait le rez-de-chaussée d'un im-
meuble de style Louis XVI, situé au n» 113 du bou-
levard Beaumarchais, au coin de la rue du Pont-
aux-Choux. D'après une coutume alors en usage,
un seau rempli d'eau se trouvait à la porte du
marchand de vin, posé sur une petite chaise.
« C'était une habitude alors et aussi une complai-
sance envers les charretiers, pour leur permettre de
donner à boire à leurs chevaux, pendant qu'eux-
mêmes se désaltéraient à l'intérieur. L'habitude est
toujours courante aujourd'hui ^^ »
Lorsque la bande des assassins fut parvenue en
cet endroit, la tête de Madame de Lamballe était
« rendue méconnaissable par le sang coagulé qui la
couvrait ; à plusieurs reprises, son porteur la plongea
pour la laver dans le seau posé sur la chaise, et la
replaça à la pointe de son épieu ». Et à partir de ce
moment, le débitant aurait pris pour enseigne l'ins-
cription qui s'y voyait encore réceniment : A la
petite chaise, rappelant l'épisode que nous venons de
rapporter. M. Lucien Lambeau, qui s'est fait l'écho
de cette tradition, a soin d'ajouter qu'il ne s'en porte
nullement garant, mais qu'il a recueilli l'anecdote
de la bouche du propriétaire actuel, lequel la tenait
de son grand-père maternel, à qui son prédécesseur
l'avait lui-même racontée. Quoi qu'il en soit, ce n'est
que vers les sept heures du soir que, à bout de forces,
exténuée, la troupe avinée arrivait à la section des
Quinze- Vingts, siégeant à la chapelle de l'hospice des
Fir,. 88. — QUITTANT r. H dis massacreurs de SEPTEMOnE 1792
(Extrait da la Sévolution françaitet par Cn. d'HiaicAVLT)
3l6 LA PRLNCESSE DE LAMBALLE INTIME
Enfants-Trouvés, et y remettait les débris san-
glants qu'elle traînait depuis plusieurs heures dans
les rues de la capitale. En môme temps qu'eux, se
présentait à la section un homme haletant, à bout
de souffle, qui les suivait depuis midi, qui avait
assisté à tous les préparatifs de l'odieux cortège, et
con''ondu dans la foule des curieux, avait suivi des
yeux cette tête, plantée au bout d'une pique, qu'on
promenait comme un trophée. Cet homme était un
des fidèles serviteurs du duc de Penthièvre ; il avait
reçu mission de s'emparer, coûte que coûte, des restes
de l'infortunée princesse et de les faire convenable-
ment inhumer. Il dut attendre, pour aborder les
meurtriers, que leur joie cannibalesque fût amortie
par la satiété et la fatigue : alors seulement, il
hasarda sa proposition ; alors seulement, il osa,
d'une main tremblante, tendre à ces misérables
la somme qui devait être le prix de cet infâme
marché, et tandis que les assassins s'éloignaient en
comptant leurs assignats, le citoyen Jacques Pointel,
demeurant (comme l'indique le procès-verbal qui
fut, séance tenante, dressé) « section de la Halle-au-
Bled, rue des Petits-Champs », se présentait au
comité de la section des Quinze- Vingts, demandant
qu'on lui permît d'enterrer le précieux débris « dont
il était venu à bout de s'emparer », dans le cimetière
le plus voisin. L-autorisation lui fut incontinent déli-
vrée, ainsi qu'en témoigne une pièce publiée en
1834 ^% dont l'original se trouve aujourd'hui dans la
collection d'un bibhophile amateur ^+.
Quel a été le sort des restes de l'infortunée prin-
cesse? On ne l'a jamais su. Le duc de Penthièvre
avait offert autant d'argent qu'on en voudrait, si
LE MEURTKE DE LA PRINCESSE Dk. LAMBALLE 3l7
on parvenait à retrouver ces précieux débris, et si
on les apportait au curé de la paroisse, ou à son
chapelain particulier pour les enterrer ; mais il fut
impossible de les reconnaître d'une manière cer-
taine, parmi tant de victimes confusément entassées
les unes sur les autres. Manuel, qui n'avait pas
réussi à la sauver de son vivant, Manuel usa en vain
de toute son autorité pour que le corps de Mme de
Lamballe fut inhumé séparément, « mais les efforts
qu'il fit pour y parvenir l'ayant presque rendu sus-
pect à ses amis du tribunal révolutionnaire, il fut
obligé d'abandonner l'entreprise... Il ne restait pas
un lambeau (de vêtements) qui pût le (son corps) faire
distinguer parmi les corps des autres victimes ^s »,
Il y a quelques années (1904), le cimetière de
l'hospice des Enfants-Trouvés (hôpital Trousseau)
ayant été désaffecté, lorsque les ouvriers appro-
chèrent de l'endroit présumé où, le 3 septembre 1792,
fut enterrée la tête de la princesse de Lamballe,
on redoubla d'attention à suivre leurs travaux.
Soudain, un coup de pioche faisait sauter, de son
alvéole de terre, « une tête fine, de structure délicate,
qui ne pouvait être qu'une tête de femme en par-
fait état et encore ornée de toutes ses dents très
blanches, et qui avaient dû être très soignées ». Cette
tête, qui se trouvait environ à 1 mètre de profon-
deur, était « au milieu d'ossements d'enfants épars et
de quelques ossements d'adultes également épars '^».
Se trouvait-on en présence du crâne de Mme de
Lahiballe ? La pièce fut soumise à des anthropolo-
gistes autorisés, aux fins d'examen. De cet examen
très approfondi il résulta, sanscoutcstc possible, que
cette identification n'étant rien moins que prou-
3l8 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
vée ; l'avis des techniciens ^^ était des plus nets et
leurs conclusions nous paraissent inattaquables.
On a conté, d'autre part, que le lendemain du
crime, on avait exhumé la tête de la princesse,
qu'elle fut mise dans une boîte en plomb et portée
à Dreux dans le caveau des Penthièvre. Or, le caveau
fut profané en 1793 : on possède les détails les plus
précis sur cette profanation ; il n'est nulle part
question de ce débris anatomique, et il est vraisem-
blable qu'il sera resté où, le 3 septembre 1793, on
l'enterra; mais on n'a, reconnaissons-le, à cet égard,
que de très vagues présomptions.
NOTES DU CHAPITRE XII
1. Dans un mémoire inédit, attribué à un secrétaire du
Comité de surveillance, au 2 septembre (1792), nous rele-
vons ces lignes, doù il résulterait que la princesse de Lam-
balle aurait été soumise à un interrogatoire de plusieurs
heures : » Deux femmes seules périssent. Tune déjà con-
damnée pour avoir assassiné son amant ; et l'autre, digne
compagne des débauches de Marie-Antoinette, ne périt
qu'après quatre heures d' interrogatoire, pendant lesquelles,
toujours persistant dans les sentiments de fidélité au roi
et à la reine, elle refusa absolument de proférer le mot
sacré : Vive la Nation, la liberté et l'égalité, obstination qui
seule occasionna sa mort. » Catalogue d'une importante
collection d'autog. hist. sur la Révolution française, Pari-s, 1862
M. Paul Fassy a donné le texte de l'interrogatoire, qu'il
a emprunté aux Registres des séances de' la municipalité. Cet
interrogatoire n'occupe pas plus de deux pages; il aurait
donc été beaucoup plus court que ne l'indique le document
précité.
2. Procès-verbaux de la Commune de Paris, par Maurice
Tour N EUX, 83; cités par Lucien Lambeau, Essai sur la mort de
la princesse de Lamballe. Lille, 1902.
3. Modes et usages au temps de Marie-Antoinette, t. II, 354.
4. C'est d'autant plus vraisemblable que la rue des Bal-
ets était encombrée de cadavres, qu'on était obligé d'en-
jamber pour la traverser. Quand Mme de Tourzel fut mise
en liberté, et qu'elle sortit de la Force, elle vit « une mon-
tagne de débris des corps de ceux qui avaient été massa-
crés, entourés d'une populace qui voulait la faire monter
dessus pour crier : Vive la Nation! - Un autre « rescapé »,
Maton de la Varenne, conte qu'il traversa ladite rue, « cou-
verte de cha((nc («Ué d'une triple haie de gens des deux
sexes et de tous les Ages ». Parvenu au bout, il recula
d'horreur, en apercevant dans le ruisseau un monceau de
cadavres nus, souillés de boue et de sang, sur lesquels il
320 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
lui fallut prêter serment. « Un égorgeur était monté dessus
et animait les autres. »
5. C'est Tallien, un des premiers, qui a osé écrire, en par-
lant de Madame de Lamballe : « Ses liaisons avec l'en-
nemie la plus acharnée de la nation, avec Marie-Antoi-
nette, dont elle avait toujours été la compagne de
débauche, justifient en quelque sorte les excès auxquels
on s'est porté à son égard. » Plus tard, quand vint \ù réac-
tion, on n'oublia pas le rôle joué par Tallien en 1792 (a).
Lorsqu'on 17i)6, on exposa au Salon un portrait de
Mme Tallien, les protestations lurent si violentes qu on
dut le faire enlever. Et il courut ce couplet vengeur :
On n'a pas ôté sans raison
Ce portrait, objet de scandale,
La scène était dans la prison
De la malheureuse Lamballe;
Et Cabarrus, dont les desseins
Ne sont pas d'enhardir le crime,
Tenait, disait-on, dans ses mains
Les cheveux de cette victidie (6).
Un an plus tard, à l'occasion d'une maladie de Tallien,
qui s'était manifestée par des hémoptysies, quelqu'un
composa cette pièce satirique :
Tallien dit à son médecin :
Ma foi, je crains lort pour ma vie;
Je pourrais bien, quelque matin.
Périr de cette liémorragie.
— Vous plaisantez; bah! ce n'est rien,
Dit le docteur avec malice;
Moi, je trouve que c'est un bien,
De vos humeurs, cela purge le vice,
Et quand on a bu tant de sang,
Entre nous, n'est-ce pas enfant,
De s'étonner qu'on en vomisse?
la) Sur ce rôle, cf. P. Fassy, op. cit., 59-60.
ib) Critique du Salon et des Tabieaux en Vaudevilles (vers octobre
1796).
6. V. la Névrose révolutionnaire, loc. cit.
7. Son récit a paru originairement dans le Figaro (1883),
et il a été reproduit, plus tard, dans la Gazette Anecdotique
(1887, 1. 1, 218 et s.).
8. (. Une légende cruelle a fait le désespoir du littérateur
Tissot, professeur au Collège de France et membre de
l'Académie Française. Ses ennemis alfirmaient qu'au 3 sep
LB MEURTRE DE LA PRINCESSE DE LAMRALLE 321
timbre 1792, il avait porté sur une pique la tète de la
|)rincesse de Lamballe, et dans maintes circonstances la
malignité publique lui rappela rudement cette sinistre
imputation. Le dernier volume des Mémoires du général
Tkiébault s'en lait pareillement l'écho. D'après cette publi-
cation, Tissot, remarquant un jour, a table, qu'une de ses
voisines le regardait d'un air passablement dédaigneux,
dit à l'un de ses amis : « Cette dame porte la tète bien
haut. — C'est possible, répliqua la dame, qui avait enleiidu
Tissot; mais elle ne porte que la sienne. » Déjà, ce propos
avait été attribué à Dupuy des ïslets et à bien d autres
contemporains du savant professeur... IMen dans sa vie
n'autorise à croire qu'il lut l'auteur de l'acte de canniba-
lisme qui lui fut si souvent et -:i amèrement reproché.
D'ailleurs, il est à peu près prouvé auiourd'hui que, pen-
dant les massacres de septembre, Tissot était à Ver-
sailles, où il s'efforça vainement de prévenir, quelques
jours après, regorgement des prisonniers d'Orléans. »
Correspondance historique et archéologique, 1895, 379-380
9. C'est àl'abbaye de Saint-Antoine, on se le rappelle, que
la princesse avait passé les premiers temps de son veu-
vage.
10. Madame de Créquy rapporte, dans ses Souvenirs, qu'elle
tenait du valet de chambre de Louis X'VI, Thierry de Ville
d'Avray, que « le corlège était arrivé sous les murs du
Temple et s'était arrêté sous les fenêtres de la Reine, que
cette épouvantalile foule appelait à grands cris, pour lui
faire voir les restes mutilés de sa parente et son amie.
N'ayant pu réussir à la taire paraître, deux de ces bour-
reaux furent introduits dans la chambre de S. M., par le
municipal à qui on avait confié la garde de sa porte. -
« Nous voulions le montrer la tète de la Lambalhs lui
dirent-ils avec des éclats de rire... et la Hoine en cul un
évanouissement Mui dura deux heures et se reproduisit
plusieurs fois pendant le reste de la nuit ». Sany doute,
les dires de Mme de Créquy sont sujets û caution, ses
Mémoires étant l'œuvre d'un fabricant, un teinturier, comme
on disait au xvui» siècle; mais à défaut de la f(nmis le
fond en est généralement exact, ei, en l'espèce, elle cite na
caution. On a prétendu que ce serait un des concierges de
Louis XVI, le citoyen Hocher, (|ui aurait fait présenter la
tête encore ensanglantée de Mme de Lamballe à la ci-
devant reine. Ce fut lui qui aurait encouragé les seplem
briseurs qui passaient les 2 et 3 beptembrc devant la porte
21
322 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
du Temple, en leur payant à boire ; par récréation^ il allait
tous les jours à la place de la Révolution, pour jouir du
spectacle des télés qui tombaient. Ces détails sont
extraits d'un très rare opuscule, qui nous a été signalé par
M. Otto Friedrichs, et qui est intitulé : Gare-le-Mord-aux-
Dents; Liste et noms des meilleurs chevaux du manège; leurs qua-
lités, leur savoir faire et le prix de leur marchandise; in-8', s. d.
(par Louis Vérité), pp. 6 et 7.
11. D'après M. L. Lambeau, qui a fait une analyse, très
judicieuse et très raisonnée, des différents récits de la
promenade funèbre des restes de l'infortunée princesse,
« on ne pourrait pas mettre sur pied un itinéraire qui soit
exempt de critique... l'on ne connaît rien des rues parcou.
rues, en dehors des points, n peu près indiscutables, visités
par le cortège : le Temple, le Palais-Royal et la section des
Quinze-Vingts. Le dernier endroit, qui est le terminus de
la sinistre promenade, semble même être, jusqu'ici, le
plus sûrement établi ». Bulletin municipal officiel, 24 mai 1906»
p. 1853.
12. Article de M. L. Lambeau, précité, p. 1852.
13. Revue rétrospective, 1834, t. III, 152-3.
U. Il s'agit de M. Arthur Meyer, le directeur du Gaulois,
qui a bien voulu autoriser \'Amateurd'autographes(n'de juil-
let 1913) à reproduire le document, dont le cliché nous a
été gracieusement communiqué par M. Noël Charavay et
que l'on trouvera p. 321.
15. Mém. relatifs à la famille royale de France, t. II, 344 et S.
Ifi. V. le journal VÉclair, 8 sept. 1904.
17. Cf. le Bulletin Municipal officiel, du jeudi 2 mars 1905,
p. 853.
CHAPITRE XIII
LA PSYCHOLOGIE DES MASSACRES DE SEPTEMBRE
LA PART DE 1.A PEUR ET DU SADISME
En général, l'horrible tragédie fit moins d'impres-
sion sur le peuple de Paris que ne s'est plu à l'ima-
giner l'esprit fertile en inventions de certains his-
toriens.
On dansait dans les guinguettes des boulevards,
au moment où le sang coulait dans les prisons. Bien
que les massacres eussent commencé vers le milieu
de la nuit, on avait placardé, comme de coutume,
les afliches des différents spectacles. Dans la rue
Saint-Antoine, toutes les boutiques étaient ouvertes ;
assises devant leurs portes, les femmes causaient
entre voisines, tout en travaillant à des ouvrages de
couture ou de tricot. Les carrefours étaient remplis
de monde et de marchands, comme à l'ordinaire.
De temps en temps, on voyait passer des charrettes
remplies de cadavres à demi nus ; il y eut un mo-
ment de stupeur, mais à mesure que les chariots
s'éloignaient, chacun, dans les rues ou dans les bou-
tiques, reprenait sa flânerie ou son travail. « Il y
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326 L\ PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
avait sur les visages des gens du peuple une sorte
d'indifïérence brutale, qui confondait la raison...
On eût dit qu'il suffisait aux uns de n'avoir rien à
craindre pour eux-mêmes, tandis que les autres,
agités d'une frayeur qui les rendait cruels, sem-
blaient approuver ces massacres, dans lesquels on
leur avait persuadé que résidait leur salut ^ »
A dire vrai, cette apathie s'est toujours observée
dans des circonstances analogues. Il est aujourd'hui
reconnu que les assassins de septembre étaient, tout
au plus, au nombre de deux ou trois cents : la marche
d'une pièce d'artillerie, le bruit d'un tambour aurait
suffi pour les disperser, mais la masse était terrorisée
et n'osait bouger. « Les périls dont chacun se croyait
menacé poussaient tout le monde vers un lâche
égoïsme ; et jamais peut-être cette honteuse maladie
du cœur humain ne s'est mieux révélée que dans cette
occasion. » Ces remarques d'un témoin de la Révolu-
tion nous ont paru mériter d'être tirées de l'oubli
et consignées ici.
Historiens et psychologues se^sont demandé, à la
distance des événements, si les débordements de la
vague populaire pouvaient être endigués; si «la bonne
et saine partie du peuple », encouragée, rassurée
par des hommes à qui elle avait coutume d'obéir,
en qui elle avait placé sa confiance, ne serait pas venue
à bout d'une minorité criminelle, qui suppléait au
nombre par l'audace, remplaçant les sanctions légales
par l'action révolutionnaire. « Une chose manqua
à la situation..., un homme vraiment grand, un héros.
Robespierre avait autorité, Danton avait force.
Aucun d'eux ne fut cet homme. Ni Vun ni Vautre
n'osa^,)>Le chef des Jacobins aurait pu user de sa
LES MASJ^ACRES DE SEPTEMBRE 827
grande influence morale ; le chef des Cordcliers, de
son entraînante énergie : ni l'un ni l'autre ne voulut
se risquer à prendre une initiative, ils préférèrent
laisser faire
C'est à qui esquiverait ses responsabilités : l'un,
Sergent, le beau-frère de l'illustre Marceau, s'éclip-
sait de Paris le matin du 2 septembre et passait
la journée à la campagne. Un autre membre du
Comité, Panis, a toujours obéi servilement aux deux
êtres qui étaient ses dieux, Robespierre et Maral.
Que ses maîtres lui dictassent des ordres, docilement
et sans résistance il les exécutait. Robespierre put
ainsi se vanter de n'avoir pas participé dùeciemcnt
aux massacres, ce qui est exact 3 ; mais, comme le
remarque Michelet, « le 1^^ septembre, il avait cou-
vert les violents de son autorité morale... le 2, son
homme, Panis, intronisa à l'Hôtel de Ville le meurtre
personnifié, l'homme qui depuis trois ans demandait
le 2 septembre. Le 2 encore, Robespierre parla pen-
dant :e massacre, et nullement pour calmer, loin de
là, d'une manière extrêmement irritante ».
Quant à Marat, si c'est illégalement que son nom
figure au bas de l'acte qui ordonnait la tuerie, au
moins eut-il le courage de son opinion ; non seule-
ment il rédigea seul la circulaire destinée aux dépar-
tements, qui glorifiait les massacres de Paris et invi-
tait la province à imitçr la capitale ; mais, seul, il
la signa de tous les noms des membres du Comité de
surveillance ; et cet acte, imprimé sur les presses
du journaliste aux cent mille têtes, partit pour
toute la France, après avoir reçu le visa du minis-
tre de la .Justice, de Danton, qui, « peur de res-
ter en arrière, peur de céder à Marat et à Robes-
..'W/in/ D,-i/îmt,iiKtv uir it <M.
FIG. 90. — MASSA^l
liens DE l'abbaye
330 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
pierre la fonction d'avant-garde, peur de paraître
avoir peur », n'osa pas s'opposer à cette barbare
exécution, accepta jusqu'au bout « l'horrible soli-
darité ».
Après les acteurs principaux, faut-il nommer les
comparses ? A peine deux ou trois méritent une
mention.
C'est Collot d'Herbois, « auteur médiocre et fade
écrivain», qui, après avoir passé sa vie dans une
ivresse permanente, « toujours gris et souvent ivre,
noyé de larmes et d'eau-de-vie », la finira dignement
par une bouteille « d'eau-forte ».
C'est Maillard, « homme d'ordre avant tout », qui
tient à ce que tous les aristocrates soient extermi-
nés, mais dans les formes, « sur l'arrêt bien cons-
taté du peuple, seul juge infaillible ».
Sur le registre de l'Abbaye, tout taché de sang,
on lit, dans les marges, maintes fois répétée, cette
formule, qui revient comme un leitmotiv : « tué
par le jugement du peuple», ou «absous par le
peuple », et au-dessous de ces mots, la signature :
Maillard. Son écriture est belle, très grande,
monumentale, noble, posée, celle d'un homme qui
se possède entièrement, qui n'a ni trouble, ni peur,
celle d'un homme qui se sent en « parfaite sécurité
d'âme et de conscience ^ ». Nul doute que ce juriste
impeccable ait agi spontanément ; ayant des prin-
cipes, il n'avait nul besoin d'être dirigé.
Reste la masse, la foule, la lie. Turba ruil /...
Au début, peut-être, certains de ceux qui en fai-
saient partie fournirent-ils la preuve de leur désinté-
ressement. Ceux qui reconduisaient un prisorinier se
faisaient un scrupule d'en rien recevoir, se conten-
C rJÎ
< -
SI
s:
332 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
tant tout au plus d'accepter un verre de vin des
amis ou des parents chez qui ils le ramenaient.
Des sommes considérables, en louis d'or, qu'on
trouva à l'Abbaye sur les premières victimes, furent
immédiatement portées à la Commune. Il en fut de
même aux Carmes. Le savetier qui y était entré le pre-
mier et s'était fait capitaine, eut un soin scrupuleux
de tout ce qu'on prit. Un témoin oculaire a conté qu'il
vit, à la nuit, ce cordonnier entrer avec sa bande dans
l'église Saint-Sulpice, rapportant, dans son tablier
de cuir sanglant, une masse d'or et de bijoux, des
anneaux épiscopaux, des bagues de grande valeur.
Il remit fidèlement le tout, par-devant témoins, à
l'autorité. Mais cette probité, de combien courte
durée fut-elle I
Dès la nuit du 3 au 4, et peut-être avant, la
justice populaire, à mesure qu'elle devient plus sau-
vage, s'embarrasse de moins de scrupules. C'est alors
le débordement des pires instincts : il y a des vols
et aussi des viols. Les alcooliques se mêlent aux fana-
tiques, les excentriques aux sadiques.
Les massacreurs offrent des types divers. Il y a
ceux qui se font payer en assignats, les travailleurs ;
parmi eux, il en est qui réclament, en outre, des
brocs de vin à prendre chez les marchands, pour « les
animer à la besogne ». Il y a ceux qui, n'ayant ni
bas ni souliers, regardent avec envie les chaussures
des aristocrates, mais qui ne veulent pas les prendre
sans y être autorisés. « Ils montèrent à la section,
dont le bureau siégeait à l'Abbaye même, demandè-
rent la permission de mettre à leurs pieds les sou-
liers des morts. » Il y a les friands d'un spectacle
rare, qui se poussent au premier rang pour n'en rien
LES MASSACRES DE SEPTEMBRE 333
perdre. 11 y en a qui jouissent à tuer, d'autres se
contentent de regarder, et ils n'éprouvent pas une
moindre jouissance ; ils sont seulement moins blasés.
Saurait-on imaginer plus délicieuse récréation que
ce jeu, sorti de quelque obscure cervelle ? Des hardes
sont entassées au milieu d'une cour, en une sorte de
matelas. La victime, lancée de la porte dans cette
sorte d'arène, et passant de sabre en sabre, par les
lames ou par les piques, vient, après quelques tours,
tomber sur ce matelas, trempé et retrempé de sang!
Les assistants s'intéressaient à la manière dont
chacun courait, criait et tombait, au courage, à la
lâcheté qu'avait montré tel ou tel, et jugeaient en
connaisseurs. S'étonnera-t-on que les femmes y pris-
sent plus de plaisir que leurs compagnons ? « Leurs
premières répugnances surmontées, elles devenaient
des spectatrices terribles, insatiables, comme fu-
rieuses de plaisir et de curiosité. Les massacreurs,
charmés de l'intérêt qu'on prenait à leurs travaux,
avaient établi des bancs autour de la cour, bien
éclairés de lampions ; des bancs, mais non indistincts
pour les spectateurs des deux sexes : il y avait bancs
pour les messieurs et bancs pour les dames, dans
l'inlérêt de l'ordre et de la mot alité 5. »
Cette décence relative ne devait pas être longtemps
observée ; les chercheurs d'émotions violentes ne
pouvaient se satisfaire à si bon compte. Deux
insulaires, débarqués d'outre-Manche, durant toute
une nuit se tinrent sur le champ du carnage,
distribuant du vin et de l'cau-de-vie, pour ra-
fraîchir les travailleurs et les soutenir en cas de
défaillance : ceux-là étaient des originaux, qui ne
regrettaient ([ue d'avo'.r eu à passer le détroit pour
334 LA PRINCESSE DE LA.MBALLE INTIME
s'offrir une fantaisie qui eût été moins coûteuse sur
place ; mais dire de ceux qui tuaient des femmes,
tuaient des enfants, et avant de les tuer, les souil-
laient, les salissaient I
Au grand Hospice des femmes, à la Salpêtrière, où
il y en avait de tout âge et de toute condition, des
vieilles et des jeunes, des infirmes et des prostituées,
cette bande de gorilles en démence en tuèrent trente,
« dont ils jouirent avant ou après la mort ». Et ce
ne fut pas assez : « ils allèrent au dortoir des petites
orphelines, en violèrent plusieurs, dit-on, en emme-
nèrent même pour s'en amuser ailleurs ». Ceci, devons-
nous ajouter, n'est qu'une tradition ; car, au dire
de Tallien, particulièrement au fait de ce qui s'est
passé, en sa qualité de secrétaire de la Commune, il
n'aurait péri, dans tous les massacres, qu'une seule
femnje : la princesse de Lamballe. Pourquoi cette
exception, nous en avons donné les raisons.
Ainsi que nous l'avons exprimé à une autre place,
la haine qu'on portait à la reine et aux mauvaises
mœurs qu'on lui prêtait, fut déversée tout entière
sur la tête de la surintendante ; elle en fut la triste
victime. Si des observateurs obscènes se sont mêlés
aux meurtriers, c'est qu'ils croyaient « surprendre
sur elle quelque honteux mystère, qui confirmât
les bruits qui avaient couru ».
Le martyre de l'infortunée princesse est, comme
nous l'avons écrit jadis ^ un des plus affligeants té-
moignages de cette folie passagère, de cette ivresse
sanglante, que les aliénistes ont étiquetée « le sadisme
des foules », et ce n'est ni pour absoudre le crime,
ni pour en atténuer l'horreur.
Fait incroyable, ces brigands, qui ne se sont pas
LES MASSACRES DE SEI^TEMBRE 335
contentés de déchiqueter un cadavre, mais de I3
« mutiler au lieu même que tous doivent respecter,
puisque nous en sortons tous », ces brigands, au moins
quelques-uns d'entre eux, ont eu de singuliers scru-
'tc*^
z?^.^
v*v«-»^
. >^ i£^^ '^v^U^^^c^ ^^^^^ ^f"^-^ •^«-H»-^
FIG. 92. — LETTRE AUTOGRAPHE DE L. M. T. B. D'ORLÉAN*» A
LA PRINCESSE DE LAMBALLE ET RETROUVÉE DANS LES POCHES
DES VÊTEMENTS DE LA PRINCESSE APRÈS SA MORT
pules de conscience. Quand ils n*ont plus été sous
le coup du vertige, de Tobnubilation qui leur mas-
quait l'ignominie de leur conduite, ils ont eu comme
un réveil d'honnêteté. Tout ce qui a été trouvé sur
le corps de la princesse de Lamballe, un anneau d'or,
nn étui en galuchat et autres objets précieux, furent
apportés à la Commune, par un fort de la Halle
336 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
et un canonnier volontaire de la section des Droits
de l'homme, qui justement requirent qu'il leur en
fût donné décharge. Le certificat délivré, lors des
massacres, au sans-culotte préposé à la garde des
objets trouvés sur les victimes 7 et déposés dans une
pièce du logement du concierge de la Force, est
pour attester que tout s'est correctement passé,
et le citoyen Jolly a mérité les éloges du « membre
du Conseille géncralle (sic) de la Commune et com-
missaire de la Force >>, pour avoir su empêcher les
déprédations.
Au nombre des papiers recueillis dans la poche de
Madame de Lamballe, au moment « où elle vient
d'être fait mourir par le peuple », se trouvait une
lettre, écrite tout entière de la main de la duchesse
de Bourbon, mère du duc d'Enghien, et qui avait
été probablement retirée du portefeuille où elle se
trouvait par des mains ensanglantées, car l'original
de cette lettre présentait de lugubres maculatures.
Une autre lettre, adressée par la reine à la prin
cesse, et que celle-ci avait soigneusement dissimulée
dans sa luxuriante chevelure, était, comme la précé-
dente, tachée de sang. On ignore et on ignorera long-
temps, sans doute, entre quelles mains ces tristes
reliques sont passées.
NOTES DU CHAPITRE XIII
1. Archives curieuses, etc., par Guyot de Fere (1830), t. II,
107 et suiv.
2. MiciiELET, Histoire delà Révolution française, t. V, ch. iv.
3. « Robespierre ne fut présent à aucune de ces journées ;
il n'y eut d'autre part que d'avoir opiné avec ceux qui les
conseillèrent, et qui s'en réjouirent. » Histoire de la conju-
ration de Maximilien Robespierre, Paris, an IV, 1796, p. 75.
4. MicuELET, op. cit., ch. V.
5. Id., ch. VI.
('). Cf. la Névrose révolutionnaire.
7. Ce certificat a été publié par P. Fassï {op cit., 59).
22
CHAPITRE XIV
LE TESTAMENT DE LA PRINCESSE DE L AMBALLE
LA MORT DU DOCTEUR SAIFFERT
Un arrêt du 23 septembre 1792 prescrivait la
vente publique des effets ayant appartenu aux « vic-
times de la Force ». L'opération judiciaire fut confiée
aux membres du Conseil général de la Commune et
aux commissaires des prisons de la ville de Paris.
Commencée le 5 octobre, elle se termina le 7 ; elle
produisit la somme de quatre mille cinq cent six livres
quinze sols. Le même jour, un homme d'affaires
« chargé de l'administration, maison et finances de
la princesse de Lamballe », le sieur Claude-Louis
Toscan, se présentait à la Commune, pour faire
opposition à la délivrance des « deniers de la vente »,
notamment ceux provenant ou à provenir des
effets de la dite dame de Lamballe.
Par suite de la mort de cette dernière, son neveu,
le prince de Savoie-Carignan, héritait de tous ses
biens, « tant mobiliers qu'autres », sous la réserve
de distribuer un certain nombre de legs, énumérés
LE TESTAMENT DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 339
dans un testament daté d'Aix-la-Chapelle (a) et ré-
digé par la princesse un an environ (15 octobre 1791)
avant sa fin tragique,
La douce créature n'a oublié personne; nul do-
cument ne témoigne mieux de la bonté de ce cœur
aimant qui, une fois qu'il s'était livré, s'était donné
pour ne plus se reprendre.
La testatrice supplie la reine de recevoir « une
marque de reconnaissance de celle à qui elle avait
donné le titre de son amie; titre précieux qui a fait le
bonheur de sa vie ». Elle lui demande, «pour dernière
grâce, d'accepter une montre à réveil, pour luy
rappeler l'heure de leur séparation et celles qu'elles
ont passées ensemble ' ».
Au duc de Penthièvre, son beau-père, la princesse
donne le portrait de la reine, en émail; celui de
Louis XVI, peint également en émail, avec une bague
de turquoises, garnie de diamants.
Ses deux belles-sœurs, la duchesse d'Orléans et
la princesse de Carignan, reçoivent d'autres bijoux,
de non moindre valeur. Sa tante, ses amies, ses exé-
cuteurs testamentaires, chacun se voit attribuer un
legs conforme à ses goûts : des peintures, des livres,
des coffrets de laque et des cassettes, etc.
Puis, c'est le tour des personnes à son service : la
dame d'honneur, l'écuyer, les femmes de chambre et
les femmes de garde-robe, les valets de chambre et
les gens de livrée sont gratifiés de pensions viagères ;
l'un d'eux touchera, en plus, cent cinquante livres
supplémentaires et une année de gages et nourri-
ture, pour prendre soin des chiens, jusqu'à la mort
des bêtes que la princesse affectionnait.
(a) V. le texte de ce lestament à rAppendice
340 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Parmi les personnes de sa maison, Madame de
Lamballe n'avait eu garde d'oublier son médecin,
le docteur Saifîert *, à qui fut conservée sa pension ;
cette rente viagère, il l'a touchée jusqu'au jour de
son décès 3.
D'autre part, la princesse a payé régulièrement
chaque mois, pendant la dernière période de sa vie,
une somme qui, au bout de chaque année, arrivait
au total de quatre mille, puis de cinq, et une fois de
six mille trois cent cinq livres monétaires, représen-
tant la moitié des paiements qu'elle a elïectués
entre les mains du pharmacien ^ chargé de distri-
buer les médicaments à des malades atteints d'af-
fections chroniques. La révélation, par Sàiffert, de
ce témoignage* de bonté de son ancienne cliente,
avait mis dans une telle fureur Robespierre et Dan-
ton que le duc d'Orléans enjoignit vivement à son
médecin de taire cet acte de bienfaisance, a Taisez-
vous, taisez-vous, lui dit-il, en propres termes ; ce
qui ne pouvait être sauvé est perdu; vous vous per-
driez avec moi et les miens (à persister dans votre
altitude) ; nous devons attendre, avec une patience
circonspecte, le jour d'une juste vengeance ; ceux
qui détiennent le pouvoir ne peuvent longtemps le
conserver. » Et Sailïert promit de ne plus prononcer
une seule parole, sur les horreurs dont il avait été
le témoin, jusqu'au jour tant souhaité par lui de la
mort des tyrans.
Avec de pareils sentiments, le docteur saxon
ne pouvait être que suspect aux maîtres de l'heure.
Il avait vu de trop près les « austères » citoyens « qui
n'avaient à la bouche que les mots de vertu et de
patrie »; il les avait trop observés in anima yi/i, ayant
LE TESTAMENT DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 34 1
eu occasion de les soigner comme médecins , pour
que ceux-ci n'aient pas avisé aux moyens de se dé-
barrasser d*un homme dont les indiscrétions pou-
vaient leur être fatales.
Nous avons raconté, au début de ce livre, les per-
sécutions dont Saiffcrt fut l'objet, sa comparution
devant le tribunal révolutionnaire, comment il fut
condamné, puis relaxé à la suite des pétitions et des
requêtes adressées par des malades qui réclamaient
à grands cris l'acquittement de leur bienfaiteur.
Mis en liberté, Saiffert reprit ses occupations profes-
sionnelles et retrouva la plus grande partie de sa
clientèle, qui lui était restée fidèle. Entre temps, il
rédigea le mémorandum qui a servi de point de
départ à notre travail, sous la forme assez imprévue
d'une observation pathologique, entremêlée de sou-
venirs historiques et de digressions philologiques.
Rien de particuhèrement intéressant à noter pour
son curriculum vitx du jour où la Révolution est
terminée, où elle a fait place à un régime nouveau.
Un manuscrit de la bibhothèque de l'Opéra, qui
nous fut signalé par M. Paul d'Estrée, signale
qu'en 1802, le citoyen Saiffert, ancien docteur en
médecine, rue Saint-Dominique n® 25, est devenu
propriétaire d'un journal qui porte le titre, à la fois
allemand et français, de Laufhericht ou Courrier
d'annonces. « Dans ce journal, rédigé en idiome
allemand, dit le prospectus, ne sera (sic) inséré que
les actes du gouvernement et des articles concernant
les arts et les sciences. Il s'imprime chez Cramer, rue
des Bons-Enfants. » L'année suivante, le 28 nivôse
an XI, le citoyen Haussner devenait le rédacteur du
Laufbericht qui, le 28 janvier 1805, était continué
342
LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
par M. Raux, interprète impérial, au Musée des
Aveugles, rue Sainte-Avoye. Saifîert était-il resté
propriétaire de cette feuille d'annonces, nous n'avons
à cet égard aucune notion précise ^.
Dans la brève étude qu'il a consacrée au médecin de
Madame de Lamballe, le docteur Max-Billard a relaté ^
que« Saiffert mourut à Paris en 1809, dans une petite
maison de la rue Saint-Dominique, n» 25, alors si
recueillie, si écartée, si paisible, où le sans-culotte
refroidi était allé chercher le silence, les senteurs,
le calme des champs, à deux pas du faubourg Saint-
Germain ». L'information, si pittoresque soit-elle, de
notre érudit et regretté confrère, est manifestement
erronée. L'acte, jusqu'ici inédit, extrait du registre
des décès de l'église des Billettes (église évangélique
de la confession d'Augsbourg, à Paris, pour le dépar-
tement de la Seine et les départements circonvoisins),
porte que Jean-Geoffroy Saiffert, « de son vivant
docteur en médecine, premier médecin du comte de
Lusace, médecin consultant du roi et de la reine,
et premier médecin du duc d'Orléans », est mort
le 26 avril 1810, à quatre heures de relevée, et que ses
obsèques ont eu lieu au « cimetière dit du Père-
Lachaise » le 29 du présent mois ^. Le personnage
était oublié, sa mort passa presque inaperçue ; seul,
parmi les organes de la presse, le Magasin encyclo-
pédique 9, de l'archéologue Millin, lui consacra une
courte notice nécrologique : « M. Saifîert, ci-devant
médecin du duc d'Orléans, vient de mourir dans un
âge avancé. On assure qu'ennemi déclaré du quin-
quina, il a succombé à une fièvre qu'il auroit pu
guérir avec ce remède. » Le bon Teuton avait
voulu mourir comme il avait vécu, maintenant
IGLISE ÊïilGEllIlUE DE LA CfllfESSION «'AllGSBOlG, i P4EIS
POUa LE DÉPARTtMENT DE LA SEINE ET LES DÉPARTEMENTS CIRCONVOISINS
^at^t/t^.
Besistre
_A-
_ÎL
les funérailles de
et fit
à l'âge de.
nif \ W<^^H/i-Jcff^*^i<^.Atd^'^ '^/C i/'<K^t^,-^*<^-a 'ïT ^^^i5**»c^
^fe:;.
Je, soussigné, lun des Pasteurs de l'Eglist de la Confession d'Augsbourg, â l'an»,
lifle lexlrait ci-dessus conforme â l'original.
'Vî/6»«-c^«-x- I8^<J'.
^^^t^c..^
\
IK;. 93. — ACTE DE DÉCÈS DU DOCTEUR 8AII FEHT
(Communiqué par M. Otto Fiiirdriciih)
344 LA PRINCfiSSE DE I.AMBALLE INTIME
jusqu'au bout en harmonie sa vie et ses principes.
L'année même de sa mort, paraissait à Paris,
« chez J.-L. ScherlT, ingénieur, rue des Bons-Enfants,
n® 30 », un ouvrage de Saiffert, sous ce titre
hermétique : Symphorismes médo physiques aux pro-
grès de la conception idéomatique des bases de la science,
traduit de l'allemand par D. A. S. Un libraire de
Leipzig, ayant demandé à l'auteur de changer ce
titre, comme peu propre à exciter la curiosité, s'attira
cette réponse : « Les titres pompeux sont les enseignes
de la charlatanerie » « En ce cas, répliqua le mar-
chand, il n'y aura pas grand profit à se charger de
la distribution de l'ouvrage. »« — Le temps, répliqua
Saiiïert, fera connaître son utilité, et la nécessité dé-
terminera sa distribution. » « Et les contrefaçons ?
répliqua le libraire. » — « Monsieur, lui répondit le
docteur, le public commence à savoir qu'en méde-
cine, elles deviennent très dangereuses à la santé,
et que des erreurs, en apparence légères, sont très
souvent mortelles. Au reste, j'ai pris des précau-
tions pour garantir le public de ce danger, en inven-
tant un nouveau caractère d'imprimerie. La mauvaise
foi ne le contrefera pas de sitôt; d'ailleurs, je n'ai pas
écrit par spéculation, mais par principes philanthro-
piques ^°. »
Dans l'ouvrage singulier dont nous avons donné
le titre, au moins étrange, Saiiïert s'est attaché à
démontrer que le thé, la bière, le vin, l'eau elle-
même sont des boissons qui sont loin d'être inoffen-
sives, dont l'emploi doit être judicieusement réglé,
et qui ne devraient être délivrés que sur prescription
médicale. Les Sgmphorismes médophysiques, dans l'es-
prit de Saiffert, étaient considérés comme la préface
LE TESTAMENT DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 3^5
nécessaire à ce traité des maladies chroniques, à ces
observations particulières de médecine pratique, d'où
nous avons extrait 1' « observation » de la princesse
de Lamballe.
De quelle patience il a fallu s'armer pour retirer
du fatras où elles sont noyées les révélations, les
impressions, les remarques et aperçus dont nous
avons essayé de tirer parti, ce n'est pas à nous qu'il
appartient de le dire, encore moins d'y insister. Nous
serons largement récompensé de notre peine, si le
lecteur a pris quelque intérêt à cette exhumation
d'un document en grande partie inconnu, et qui
apporte, croyons-nous, une contribution notablement
importante à l'histoire révolutionnaire.
NOTES DU CHAPITRE XIV
1. Cette montre serait-elle la même qu'avait reçue la prin-
cesse, de Marie-Antoinette, et qui se trouvait (en 1880) entre
les mains d'une dame Bellom, née Gouget-Desfontaines ?
« Cette montre, nous écrivait, il y a quelques années, un de
nos obligeants correspondants, qui portait le n° 5279 et trois
fleurs de lys dans le boîtier, ainsi que le nom de Lépine,
horloger du Roy, fut achetée pour la somme de 2.000 francs,
en 1792, par M. Boursier, Génovéfain, dans la prison même
de la Force, où il était incarcéré avec la princesse de Lam-
baile. M. Boursier ayant été élargi de la Force à la mort
de Robespierre, conserva précieusement cette montre,
qu'il eût voulu remettre à quelque parent proche de la
malheureuse princesse, mais il n'en put découvrir ; à la
mort de M. Boursier, un de ses neveux, grand-père de
Mme Bellom, l'acheta à sa succession, en 1839, au même
prix de 2.000 francs. La reine Marie-Antoinette avait acheté,
en 1786, deux montres semblables, l'une pour elle, l'autre
pour la princesse de Lamballe. La pièce'authentique, relevée
sur le livre de l'horloger Lépine, a été fournie sur la demande
de M. Gouget-Desfontaines, père de Mme Bellom, en 1880,
lorsqu'il fit subir une réparation à cette montre. Voici la
copie de la pièce attestant l'aulhenticité de l'objet : « J'at-
teste que la montre en émail bleu à toc, ornée de 3 fleurs
de lys, portant le n" 5279, dont il est question ci-contre, a
été fabriquée en 1785 pour la reine Marie-Antoinette, qui la
donna à la princesse de Lamballe. Signé : Lépine. Paris, le
17 février 1880. Certifié par le Commissaire de police du
XI' arrondissement, quartier du Mail. » Cette montre a
figuré à VExposition de Marie-Antoinette et son temps, organisée
à la Galerie Sedelmeyer, en 1894. (V. le Catalogue de cette
Exposition, p. 76, n" 3" où, par erreur, elle est indiquée
comme appartenant à M. de Belhomme {sic.)
2. Elle donna, en outre, à l'Hôtel-Dieu, une somme de
LE TESTAMENT DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE 347
3.000 francs, plus 2.000 francs « pour délivrer des mois de
nourrice »>.
3. D'après les minutes du notaire Roquebert, rue Sainte-
Anne, n" 69. Voici, dans sa teneur, le document principal
de la liasse : « Je soussigné, Rodolphe-Emmanuel Haller,
propriétaire, demeurant à Paris, créancier de la succession
du S. Jean-Geoffroy Saiflert et autorisé à faire le recouvre-
ment de toutes les créances actives de ladite succession,
suivant l'ordonnance rendue par le Président du tribunal
(le première instance de la Seine, en référé, le onze août
mil huit cent dix, enregistré et à donner quittance, recon-
nais avoir reçu de M. Baguenault, banquier, la somme de
six cent trente-six francs trente centimes pour trois mois
vingt-six jours échus le 26 avril dernier, jour du décès du
sieur Saiffert et de la rente viagère de deux mille francs
par année que devait M. Baguenault à M. Saiffert. Dont
quittance à Paris, le 29 lévrier mil huit cent douze. Signé ;
Mailly. » La dernière quittance signée de Saiffert porte
la date du 17 janvier 1810. Saiffert reconnaît « avoir reçu
de M. Baguenault, à l'acquit de la succession Lamballe, et
en espèces métalliques, la somme de mille livres tournois
pour le 2* semestre de l'an dix-huit cent neuf, échue le
1" janvier du présent mois )>, etc. 11 y a, chez le même
tabellion, une vingtaine de quittances, presque toutes de
la main de Saiffert; également de Saiffert, « un billet
au citoyen Baguenault, rue Montmartre, n* 5, près le
boulevard » ; de Lausanne, le 3 floréal an 7 ; et, un autre,
du 27 vendémiaire an 8.
4. Ce pharmacien, du nom de Costel ou Castel, fit voir au
docteur Saiffert le registre où était consignée cette marque
des bienfaits de la princesse, qu'il avait tenue cachée
jusque là.
5. Après avoir parlé d'un certain Defieux et d'un certain
Dubuisson, qui aspiraient à être membres du club des Jaco-
bins, et à Kadmission desquels Saiffert s'était opposé, le
doct(îur ajoute : « Je connaissais mieux que personne la
morale de ces individus, les ayant tous traités de diffé-
rentes maladies vénériennes, et principalement Dubuisson.
Ils n'avaient pas dissimulé leurs infAmes roueries devant
le médecin, et il ne pouvait m'enlrer dans l'idée que des
hommes aussi dépravés fussent convertis aux « bons prin-
cipes et h la vertu. » Chron. méd., 1" avril 1916, 102.
6. Chron. méd., 1" juillet 1916, 221.
7. Id., 1" avril 1916, 108.
348 LA PRINCIiSSE DE LAMBALLE INTIME
8. Cet extrait a été remis, le 5 février 1896, par Tun des
pasteurs de l'église de la Confession d'Augsbourg à Paris,
à M. Otto Friedrichs, qui a bien voulu nous le transmettre,
aux fins de publication.
9. T. III (1810), 134.
10. Dans une des notes qui accompagnent son livre, Saiffert
fait parade de sa philanthropie. « Je réservais, dit-il, aux
pauvres, chaque semaine de ma pratique, le dimanche et le
merci-edi pour la consultation; ces deux jours leur étaient
destinés d'une manière si sacrée {sic), que le plus notable
et le plus riche malade n'aurait pu en distraire à son profit
une seule minute; on connaissait si bien, dans la grande ville
de Paris, la sévérité rigoureuse de mes principes à cet
égard, que nul n'aurait osé, ces jours-là, me déranger pour
des cas bénins; on savait d'avance mon refus irrévocable.
Chaque malade indigent était reçu à son tour et, après un
examen approfondi et un interrogatoire complet, il lui
était remis des prescriptions de régime et de remèdes. >)
Saiffert ajoute qu'il remettait le plus souvent de l'argent à
ses clients, pour se procurer les médicaments que la
vacuité de leur bourse ne leur permettait pas d'acquérir.
Trois pharmaciens : Charas, Costel et Tassard, étaient
chargés par Saiffert de délivrer les drogues qu'il pres-
crivait et de lui présenter leur note tous les trois mois.
CHAPITRE XV
MADAME DE LAMBALLE A PASSY
En 1896, il y a déjà un quart de siècle, nous eûmes
la curiosité de voir, par nous-même, ce qui pouvait
subsister de l'ancienne maison de campagne de Ma-
dame de Lamballe, à Passy '. Cette propriété, dont
il restait, nous avait-on assuré, d'imposants vestiges.
a successivement appartenu au duc de Lauzun, qui
avait épousé la fille du maréchal de Lorges, belle-
sœur du duc de Saint-Simon, puis à son héritier,
le duc de Biron. La marquise de Brissac l'avait
acquise de Geneviève de Durfort de Lorge, veuve
d'Antoine Nompar de Caumont de Lauzun, le 9 sep-
tembre 1734 ; elle appartint ensuite, en 1773, à la
duchesse de Chevreuse. Le 1^^ février 1783, la prin-
cesse de Lamballe se rendait acquéreur du do-
maine, qui lui fut vendu par le duc de Luynes,
fils du duc et de la duchesse de Chevreuse ; celui-ci
en était rentré en possession cinq années aupara-
vant.
La princesse se plaisait à s'y rendre dès qu'elle
en avait le loisir. Le pavillon, y compris les
352 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
terrasses, orangeries, potagers, jardins et les
autres bâtiments, avait été payée la somme de
cent dix mille livres, dont trente mille pour le
mobilier.
Le 25 février 1793, la Commission des Arts faisait
relever l'état des objets contenus dans la maison du
district de Franciade ; le 3 août de la même année,
un décret de la Convention ^ ordonnait « la saisie,
le séquestre et l'inventaire de la succession de la
ci-devant princesse de Lamballe », et la déclarait
« réversible au Trésor national 3 ».
Au nom de la République, le Conseil exécutif
provisoire mandait et ordonnait à tous les corps
administratifs et tribunaux que la présente loi serait
consignée dans leurs registres, qu'elle serait lue,
publiée, affichée et exécutée dans leurs départements
et ressorts respectifs. Cette pièce, datée du 4 août
1793, est signée Bouchotte, contre-signée Gohier, et
scellée du sceau de la République. Le séquestre prit
fin en même temps que la paix se concluait entre la
République française et le gouvernement sarde.
Il ne pouvait être question de rentrer en possession
d'es objets qui avaient été vendus ; le prix seul en
était exigible par les légataires : Charles-Emmanuel
de Savoie-Carignan, neveu de Madame de Lamballe;
Charlotte de Savoie-Carignan, sa sœur ; Joseph-
Marie de Savoie-Carignan, mineur. Les deux premiers,
résidant à Turin, étaient sujets du roi de Sardaigne;
le troisième, âgé de 12 à 13 ans, ayant continuelle-
ment séjourné en France, ne pouvait être atteint par
les lois sur l'émigration. Ce n'est que dans les pre-
miers mois de 1797 que les héritiers de la princesse
rentrèrent en possession de ce qui avait appartenu
MADAME DE LAMBALLE A PASSY 353
à cette dernière. Ne pouvant habiter ce domaine,
le prince de Carignan l'avait cédé, le 21 thermidor
an V, au citoyen Baguenault, dans la famille duquel
il resta jusque vers 1845 *.
L'année de la vente, la maison avait ••té louée, à
partir du le*" avril, à un sieur Capron, « au prix de
4.000 livres, plus 200 livres de gages d'une année
au portier actuel ». Capron l'avait sous-louée à Blan-
chard, qui y établit un Wauschaal d'été, livi*ant au
public « cent cinquante pieds d'appartements ornés
de glaces 5 ».
Mais ce n'était pas encore le dernier avatar de
cette demeure historique.
En 1846, le docteur Esprit Blanche, qui avait
dirigé jusque-là une maison de santé pour aliénés
à Montmartre ^ transportait son établissement dans
l'ancienne propriété de la princesse de Lamballe,
dont les vastes bâtiments et le parc en bordure de
la Seine étaient merveilleusement appropriés à leur
nouvelle destination. C'est là que furent soignées
maintes personnalités de la littérature, de la poli-
tique et du théâtre, qui vinrent s'y faire traiter de
fatigue nerveuse, de surmenage cérébral, ou de trou-
bles mentaux confirmés, allant de la simple neuras-
thénie à la folie démentielle. Il nous suffira de
rappeler les noms d'Antony Deschamps, le délicat
poète ; Lassailly, l'auteur des Roueries de Trialph, le
patito de Balzac ; Monrose, l'acteur impeccable, si
gai à la scène, si mélancolique à la ville. « Dès qu'un
écrivain tombait frappé, on le conduisait chez le
docteur Blanche ; dès que la mort en abattait un,
on le voyait rendre le dernier soupir entre les bras
du docteur Blanche ^ »
23
354 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Gérard de Nerval, le doux illuminé, n'eut pas cette
consolation suprême ; on sait que son corps fut
trouvé pendu rue de la Vieille-Lanterne, et l'opinion
se demanda s'il y avait eu crime ou suicide : cette
dernière hypothèse est la plus vraisemblable, étant
donné son état mental. Gérard avait été interné à
plusieurs reprises chez Blanche, et en dernier lieu
à Passy ; l'établissement était alors dirigé par le
docteur Emile Blanche. Esprit Blanche, le fondateur
de la dynastie avait succombé en 1852, regretté de
tout le monde littéraire de l'époque ; on pleura l'ami
autant que le médecin.
Émrle Blanche resta jusqu'en 1872 à la tête de la
maison de Passy. Qu'il nous soit permis d'évoquer,
dans un lointain passé, la physionomie de ce beau
vieillard, l'œil pétillant de malice, resté fidèle aux
modes du temps de Louis-PhiHppe, le col cravaté
haut, la longue redingote et le chapeau haut de forme
à bords plats. La valeur de ses travaux et, plus en-
core, la notoriété qu'il avait acquise, l'avaient dtsigné
au choix de l'Académie de Médecine.
Son successeur, le docteur Meuriot, était la droi-
ture même. Nous nous souvenons de la visite que
nous lui rendîmes, à la suite de la très aimable lettre
que nous en avions reçue quelques jours auparavant.
Nous avions demandé à voir le pavillon de Madame
de Lamballe, qu'on nous avait dit exister encore
dans un parfait état de conservation. Voici ce
qu'à notre requête répondait le sympathique
docteur Meuriot : sa lettre contient des détails
que l'historiographe n'a pas le droit de négliger ;
quelques-uns sont connus, d'autres sont dévoilés
ici pour la première fois.
Fl<;. 'JÔ. — liOCIII It KMILK HI-ANCIII.
> MADAME DE LAMBALLE A PASSY 357
Paris- Passy, 17, rue Derlon.
Très honoré Confrère,
L'établissement qiic je dirige, et à la tête duquel se
trouvait prcecdeniment mon regrette maître le docteur
Blanche, a été, en elTet, la propriété de Madame la
princesse de Lamballe, l'amie de Marie-Anloinette.
Elle avait acheté cette propriété de la famille de Luynes,
qui la tenait de la marquise de Chcvreuse. Le premier
propriétaire est Antoine Nompar de Caumont de Lau-
zun, qui s'y est retiré à l'époque de sa vieillesse, et l'on
raconte qu'il se servait des souterrains qui existent
encore dans la propriété et qui proviennent d'anciennes
carrières, pour se soustraire à ses créanciers par la fuite.
Pour en revenir à la princesse de Lamballe, celle-ci
aimait énormément cette propriété et les Mémoires du
temps rapportent qu'elle l'avait achetée à cause des
trois terrasses garnies de lilas qui dominaient la Seine.
Aujourd'hui, il n'y a plus que deux de ces terrasses,
la plus basse ayant été détruite lors de la création du
quai de Passy, qui n'existait pas alors, la propriété
allant jusqu'à la Seine. La partie centrale du principal
bâtiment est encore décorée d'un écusson portant les
initiales A. C. et la légende faisait dire que c'était les
initiales de la princesse, que l'on appelait à tort Adé-
laïde. Ces initiales sont celles du premier propriétaire,
Antoine Caumont. Le seul reste certain de cette époque
est un perron monumental en fer forgé Louis XV, qui
est admirablement conservé.
S'il vous était agréable de venir voir cette propriété,
dont vous êtes appelé à parler, je suis, très honoré con-
Tère, et je me mets à voire disposition tous les jours
de cette semaine, même le dimanche, de 1 h. 1/2 à
3 h. 1/2.
Veuillez, etc.
Signé : D' Meuriot,
ce 7 février 1896.
7358 LA PRINCESSE DE LAM BALLE INTIME
Notre curiosité était trop excitée, pour que nous
ne déférions pas à une aussi gracieuse invite.
Nous ne saurions dire quelle émotion nous
étreignit,. à parcourir ces immenses jardins, ce parc
soigneusement entretenu, où flottait encore l'ombre
charmante de l'exquise créature qui, victime du
sort inique, subit le plus horrible des martyrs, pour
rester fidèle à la plus désintéressée des amitiés.
NOTKS DU CHAPITRE XV
1. Celte propriélé avait été achetée, nous le rappelons,
avec les économies de la princesse; elle fut, après sa mort,
confisquée comme propriété de l'État; une partie fut ven-
due au profit du Trésor, l'aulre fut rachetée par le neveu
de Mme de Lamballe.
2. Danton était président de la Convention à cette date;
François Chabot, P.-J. Audouin et Dartigoyte, secrétaires de
l'Assemblée.
3. Archives Nationales, collection Rondonneau, carton X, 18.
4. G. Caix, Nouvelles Promenades dans Paris, note de la
page 340.
5. E. et J. de Goncourt, Hist. de la Société Française pendant
le Directoire {Paris, 1880), 209.
6. Celte maison était située, 4, rue Traînée ; c'est aujour-
d'hui le 22 de la rue de Norvins. Elle est occupée par un
Institut normal de jeunes filles {la Maison du docteur Blanche,
par E. DE Crauzat; Chron. méd., \" seplembre 1908, 655).
7. Chr. inéd., loc. cit.
CHAPITRE XVI
LA VERTU DE MA RIE- ANTOINETTE
Il est de ces problèmes que l'historien psychologue
se doit d'aborder résolument, sans fausse pruderie,
quelles que soient les difTicultés auxquelles il se heurte,
en raison de la qualité du personnage mis en cause.
Celui de la vertu, de Marie-Antoinette, de ses rela-
tions masculines ou féminines, est de ce nombre ; il
importe, pour ne rien sacrifier à la vérité historique,
de ne pas se dérober et d'en poursuivre, sans souci
des répercussions, la solution en toute bonne foi.
Sainte-Beuve S l'homme de la mesure en tout, et
dont le bon sens judicieux nous a si souvent servi
de guide, a bien fait le départ entre ceux qui, dans
un sentiment chevaleresque, et animés des plus droites
intentions, se sont montrés déterminés à innocenter
malgré tout cette « reine brillante et infortunée »,
à propos de laquelle ils se montrent « délicats et
chatouilleux à tous les endroits », n'admettant
« aucune tache ni ombre à cette figure » ; et ceux qui
cherchent à se faire une opinion basée sur des faits
incontestés, résolus à « ne se décider qu'après
M \IU1
Il<;. '.)G. — MAUlE-ANTOINETTi:
(Par M"* Boizot)
LA VERTU DE MARIE-.\NTOI>'ETTE 363
examen et toutes pièces vues, toutes parties enten-
dues ^ ».
A coup sûr, c'est jouer un rôle ingrat que de porter
une main irrévérencieuse sur une femme nimbée de
l'auréole du martyre, qui a gravi le plus rude des
calvaires, a épuisé jusqu'à la lie tous les calices ;
mais pourquoi serait-il interdit de « considérer la
vie et le caractère de cette noble victime avec une
attention respectueuse » ? Avec un jugement
ferme et dépourvu de toute sentimentalité, ne
saurait-on éviter de « heurter tout ce qui est
culte », sans imiter ces apologistes quand même,
qui se portent garants, « avec une confiance in-
trépide », de la vertu de Marie-Antoinette, alors
que tant de témoignages, tant de documents con-
cordent, se juxtaposent et se multiplient pour
leur donner tort ?
A trop exalter la souveraine, ne risque-t-on pas de
diminuer la femme ; et si l'on veut à tout prix
chercher une atlénualion à ses fautes, ne la trou-
vera-t-on pas plutôt à la rapprocher de l'huma-
nité, dont on connaît les faiblesses, que de la hausser
à une hauteur inaccessible, où elle n'aurait même
pas pour excuse le vertige du pouvoir suprême,
puisque, si celui-ci confère des droits, il impose
aussi des devoirs ?
« C*est des ménagements malheureux d'une bien-
veillance peu adroite que sa mémoire a eu le plus
à souffrir », écrit de Marie-Antoinette quelqu'un ^
à qui on ne saurait reprocher qu'une trop stricte
objectivité. Nous ferons, quant à nous, la part de
la calomnie, mais nous entendons faire aussi celle
de la vérité.
364
I.A PniNCKSSR DE LAM BALLE INTIMK
On a tôt fait de mettre sur le compte de la frivolité,
de la jeunesse et de l'inexpérience qu'elle entraîne
avec elle, la légèreté de conduite d'une souveraine
qui, précisément parce qu'elle était exposée à tous
les regards et soumise à toutes les critiques, devait
davantage s'ob-
-^ i__— -^ server, se sur-
veiller, ne se re-
lâcher en rien.
Marie - Antoi-
nette avait reçu,
de sa mère Marie-
Thérèse, des aver-
tissements, des
conseils d'un ca-
ractère à la fois
maternel et royal
dont on ne peut
que reconnaître
la perspicacité. «Il
faut savoir jouer
FIG. 97. — l'impératrice MARIE-THÉRÈSE SOU rÔlC, SÎ OU
veut être reine » ;
quelle profonde leçon de sagesse, et combien
d'écarts celle à qui elle s'adressait eût évités,
de combien d'imprudences elle se fût gardée,
si elle eût obéi à un aussi raisonnable avis !
« Je vous vois aller avec une certaine sûrctô
et nonchalance à grands pas à vous perdre, au
moins à vous égarer 4. » Que n'a-t-elle écouté ceux
qui lui criaient casse-cou, mais les sermonneurs sont
toujours si ennuyeux, qu'on se bouche les oreilles
pour ne les point entendre. Et pourtant. les tendres
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE 365
mercuriales d'une mère alîectueuse et de sens droit,
ne sont-elles pas assez désintéressées pour qu'on en
reconnaisse le bien-fondé ? Lorsque Marie-Thérèse
écrit à sa fille que son avenir « la fait trembler », c'est
qu'elle prévoit déjà les catastrophes futures, qu'elle
pressent les dangers que court sa fille à ne vouloir
point se réformer. Ses alarmes et ses anxiétés
n'avaient rien d'exagéré, sa sollicitude inquiète n'était
que trop justifiée.
Disons, dès l'abord, ou répétons que Marie-Antoi-
nette peut invoquer des circonstances atténuantes,
et une entre autres ne lui sera pas refusée. Cette
archiduchesse, que la nature avait comblée de ses
séductions, s'était trouvée alliée à l'homme le plus
incapable de la comprendre, de la guider dans ce
labyrinthe de la Cour, où les chausse-trapes étaient
semées à chaque pas pour la faire trébucher. A la fois
sans volonté et brutal, disgracieux et grossier, ce
lourdaud 5, pourvu d'instruction, et d'un rigorisme
de mœurs inattaquable, n'avait aucune des qualités
requises ^our conquérir cette jeune princesse, « ai-
mable, gftie et innocemment railleuse ^ », que le
destin lui avait réservée pour épouse. Cela dit, sera-
t-il permis d'ajouter que si Marie-Antoinette a eu toutes
les grâces de la jolie femme, elle en eut aussi toutes
les faiblesses. Encore eût-on compris que, de premier
mouvement expansive, voire même un peu impé-
tueuse de sentiments, elle se fût abandonnée à quel-
que excès de coquetterie, excusable à son âge sinon
à son rang: « défauts de bourgeoise, crimes de reine »;
encore s'en fût-elle toujours tenue là I
Avant de dresser un réquisitoire, il convient de
s'entourer des précautions indispensables pour ne
366 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
s'appuyer que sur d'irrécusables témoignages, et de
se rappeler, « lorsqu'il s'agit de ces particularités
intimes et secrètes, sur lesquelles il est si aisé d'avoir
maints propos et si difficile d'acquérir une certitude 7»,'
de se rappeler le mot qu'on prête à une fille
naturelle d'un Condé, Madame de Lassay, laquelle,
entendant quelqu'un se prononcer avec assurance
sur les écarts de conduite de Madame de Maintenon,
ne put s'empêcher de s'écrier : « Comment faites-
vous, Monsieur, pour être aussi sûr de ces choses-là ! »
A quelle époque a-t-on commencé à jaser dans le
public sur Marie-Antoinette ? De quelle officine sont
sortis les premiers libelles ? Ce n'est pas, comme on
pourrait le penser, du camp révolutionnaire que sont
parties les premières accusations contre la reine ;
c'est de la Cour même, et de la Cour elles sont parve-
nues à la ville, de la ville elles sont descendues vers
le peuple.
Sans doute, Louis XVI, par sa déplorable faiblesse,
enhardissait à l'insulte ^ ; mais la tourbe des courti-
sans qui vivait des bienfaits de la royauté, com-
ment la qualifier, à la voir marquer sa gratitude
par tant de sarcasmes, tant d'épigrammes, qui
allaient ouvrir la voie aux pamphlets obscènes, aux
anecdotes scandaleuses ?
Au début, ce n'est pas le Palais-Royal, ce n'est
point Philippe d'Orléans qui ouvre le feu, c'est dans
l'entourage le plus direct de la reine et du roi qu'on
s'attache à les salir. « Monsieur composait des noëls
et des chansons contre le roi son frère, dont il était
le premier sujet ; le duc de Lauzun, le comte de Lau-
raguais, le chevalier de Boufflers, le chevalier de
Coigny, le soi-disant marquis de Champcenetz, fils
vie. OH. — MONSIEUR, FRKRE DU ROI
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE 869
du gouverneur des Tuileries, se répandaient en quoli-
bets, en bons mots, en chansons contre le trône,
la magistrature et les lois. // était devenu de bon Ion,
à ta Cour, de se moquer de Louis XVI 9. » C'est un
contemporain, un observateur bien placé pour juger,
qui formule cette appréciation, que nous pouvons
conséquemment tenir pour exacte.
Sur Monsieur, le futur Louis XVIII, l'opinion
est unanime. Tout empressé qu'il voulût paraître
auprès de la reine, celle-ci n'a pas été longtemps
à reconnaître son penchant à l'intrigue et son carac-
tère tortueux. Généralement on convient que le
comte de Provence est spirituel mais fourbe, galant
mais renfermé, et avec cela une pointe de pédanterie
tout à fait déplaisante. « M. de Provence, tout jeune
qu'il est (écrivait avec une verve malicieuse la dau-
phine à sa mère), est un homme qui se livre très peu
et se tient dans sa cravate. Je n'ose pas parler devant
lui, depuis que je l'ai entendu à un cercle rei)rendre
déjà pour une petite faute de langue la pauvre Clo-
tilde, qui ne savait où se cacher. » Incontestablement,
il avait de l'esprit et de la mémoire : il apprenait
tous ses rôles par cœur et savait aussi ceux des
autres ; quand on représentait quelque comédie à
la Cour, il suppléait à merveille au souflleur ; mais
pour « la bassesse et la fausseté ^°», il n'avait pas
son pareil
Tout dilïércnt de son frère et bien autrement
sMuisant, le galant comte d'Artois. « Le comte
d'Artois — c'est toujours Marie-Antoinette qui nous
livre ses impressions, d'une fraîcheur et d'une sin-
cérité qui en doublent le prix — le comte d'Artois
est léger roiiimc un page et s'inquiète moins de la
24
370 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
grammaire ni de quoi que ce soit... Le comte d'Artois
hasarde pendant les repas des folies que le comte de
Provence appelle des entremets... Il y a des jours
qu'il fait éclater d'un si gros rire M. le Dauphin,
qu'il nous en fait tous éclater en larmes. M. de Pro-
vence dit que mon mari a le rire homérique... » On
voit cette scène de famille ; elle est peinte de maî-
tresse main.
Jusqu'alors ce sont « plaisirs de pensionnaires »,
selon l'expression de la jeune écervelée, mais la
pente est glissante et douce. Viendra le jour où
l'on s'abandonnera davantage, où le comte d'Artois
jouera les amoureux, avec sa belle-sœur pour parte-
naire, sur la petite scène de Versailles ou de Trianon,
avant de les jouer au naturel.
Autant Marie-Antoinette se sentait d'éloignement
pour le personnage cauteleux, dissimulé, qu'était son
beau-frère Provence, autant elle se trouvait en con-
formité de goûts avec le pétulant mais compromet-
tant d'Artois. Aux objurgations de sa mère, qui la
met en garde contre cette inclination, dont on com-
mence à s'entretenir tout haut : « Il est vrai, lui
répond-elle sans rien feindre, que le comte d'Artois
est turbulent et n'a pas toujours la continence qu'il
faudrait, mais ma chère maman peut être assurée
que je sais l'arrêter dès qu'il commence ses polis-
sonneries (sic) ; et loin de me prêter à ses familia-
rités, je lui ai fait plus d'une> fois des leçons morti-
fiantes, en présence de ses frères et de ses sœurs. »
Cette lettre porte la date de novembre 1774; le
11 juillet précédent, l'auteur d'une Chronique secrète
de Paris sous Louis XVI, un défenseur de la mo-
narchie, l'abbé Bandeau, mentionnait sur ses
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE
871
tablettes: « On tire à boulets rouges sur la reine; il
n'y a tas d'horreurs qu'on ne débite, et les plus con-
FIG. 99. — LE COiMTE D'aHTOIS
tradictoires sont admises par certaines gens. » Mais
la reine restait sourde à ces bruits, dans J'étourdis-
sement de son existence de plaisirs ; elle ne prenait
372 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
pas davantage souci des reproches que lui adressait
sa mère, sur ses courses continuelles avec le comte
d'Artois, au bois de Boulogne et ailleurs. « Une
princesse, lui disait-elle sensément, doit se faire
estimer dans ses moindres actions, et point faire
la petite maîtresse, ni en parure, ni dans ses amuse-
ments. On nous épluche trop pour ne pas être toujours
sur ses gardes ". » C'était la sagesse même, mais la
légèreté et l'insouciance de la jeune reine n'en avaient
cure.
Elle allait aux bals de l'Opéra, un jour travestie en
amazone ; un autre jour, dans le domino vulgaire
qui chasse le respect et attire l'indiscrétion ^^. Qui
l'accompagnait ou qui retrouvait-elle certain jour
qu'elle s'y était rendue en compagnie de sa surinten-
dante et de la comtesse de Provence ? Le comte
d'Artois !
Un nouvelliste bavard, au lendemain d'une de ces
aventures, rapportait ce qui suit. La reine, aperce-
vant uii masque « fort leste », s'avance vers lui :
« Qui es-tu ? lui demande-t-elle. — Ton sujet, belle
amazone I » Quel masque était assez osé... ? On l'a
deviné : d'Artois ! Il était, dira-t-on, de la famille '3,
mais voici plus grave ; l'anecdote est tirée des
Mémoires secrets, dont il faut assurément se défier,
mais si Bachaumont brode quelquefois, le plus sou-
vent il n'invente pas de toutes pièces. Entendons
Bachaumont.
Un masque fort extraordinaire qui, la nuit du jeudi
gras, a beaucoup parlé à la reine durant le temps qu'elle
a été dans sa loge au bal de l'Opéra, qui a singulière-
ment réjoui Sa Majesté, au point d'être observé de
tous les spectateurs et de les avoir intrigués, est encore
LA VEIITU DE MARIE-ANTOINETTE
373
un problème à résoudre. Ce masque était vêtu comme
une poissarde, avec une coiiïure déchirée sur la tête
et le reste de l'habillement à proportion. Dès que la
VÏC. 100.
MARIE-ANTOINETTE
icinc a paru, il est venu au bas de sa loge, et l'a cntre-
l)risc avec une famiharité singulière, l'appelant Antoi-
nette et la gourrnaridant de n'être pas couchée auprès
de son mari, qui ronflait en ce moment. Il a soutenu
374 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
la conversation, que tout le monde entendait, sur ce
ton de liberté ; il y a mis tant de gaieté et d'intérêt,
que Sa Majesté, pour mieux causer avec lui, se baissait
vers lui et lui laissait presque toucher sa gorge. Après
plus d'une demi-heure de propos, elle l'a quitté en
convenant qu'elle ne s'était jamais tant amusée, et
sur ce qu'il lui reprochait de s'en aller, elle lui a promis
de revenir, ce qu'elle a fait. Le second entretien a
été aussi long et aussi public et cette farce a fini par
l'honneur qu'eut l'inconnu de baiser la main de la
reine, familiarité qu'il a prise sans qu'elle s'en soit
offensée.
Quel audacieux s'était permis ce manque de res-
pect, qu'on avait, il faut bien le dire, encouragé ?
On l'ignora un certain temps, mais on sut plus tard
que c'était Dugazon, l'acteur de la Comédie-Fran-
çaise. La rumeur publique l'avait désigné, mais on
se refusait à y ajouLcr foi.
Les plus déterminés panégyristes de la reine en
conviennent : elle ne regardait pas .à ne point ménager
sa santé « pour le plaisir de danser, par exemple, à
l'Opéra '4, jusqu'à cinq heures du matin, de rentrer
à Versailles à six heures et demie, et d'en repartir
à dix, pour aller aux courses ^5 ».
C'est le comte d'Artois — toujours lui ! — qui
l'avait mise en goût de ces courses à l'anglaise, où
elle se mêlait à la foule, « au milieu des paris bruyants
et des propos indécents des jeunes gentilshommes ».
C'est d'Artois encore qui l'avait entraînée à chasser
le daim au bois de Boulogne, et s'il restait à dîner
dans les petites maisons du Bois en trop joyeuse
compagnie, la miéchanceté pouvait sans effort per-
suader au public que la reine y était restée aussi.
On ne se faisait pas faute, dans l'entourage direct
TA VERTU DE MARIE-ÂNTOINETTE
375
de Marie-Antoinette, d'opposer la dissipation de
celle-ci à la sagesse de Madame, sa belle-sœur, la
comtesse de Provence. La comtesse de Lamarck,
passant en revue la Cour de France, dans une lettre
FIG. 101. — MADAMK, I KMMK DE LOUIS XVIII
qu'elle adressait au roi de Suède, disait, parlant de
la reine : « La reine va sans cesse à l'Opéra et à la
Comédie, fait des dettes, sollicite des procès, s'aiTublc
de plumes et de pompons, et se moque de tout. »
Le comte de La Marck se montre plus explicite,
tout en tenant un langage plus mesuré. « C'est dans
376 LA PRINCESSE DE LAMI3ALLE INTIME
les méchancetés et les mensonges répandus, de 1785
à 1788, par la Cour contre la reine, qu'il faut aller
chercher les prétextes des accusations au tribunal
révolutionnaire, en 1793, contre Marie-Antoinette. »
Les biographes les plus indulgents ne peuvent s'em-
pêcher de reconnaître que ce sont les refrains des
gens de cour qui accompagneront à la guillotine les
époux royaux. « Les immondices que remuera la
Révolution, les allusions à Messaline et à Frédégonde,
s'étalent en couplets piquants, aux rimes élégantes
et poudrées, et les grandes dames les chantent sur
les airs à la mode, dans l'intimité des fins soupers.
Mais les fenêtres sont ouvertes ; les passants de la
rue écoutent, répètent, et du salon la chanson des-
cend au cabaret ; le peuple, à qui l'on enseigne le
mépris des reines, des femmes et des mères, n'ou-
bliera aucune des leçons qu'il a reçues '^. »
Sans doute, les noëls railleurs, leâ épigrammes satiri-
ques, les couplets frondeurs, c'est à Versailles autant
qu'au Palais-Royal qu'ils ont pris naissance : leurs au-
teurs en furent Maurepas, le comte de Provence, le
duc d'Orléans, les uns mortifiés, les autres déçus. Les
Lauzun, les Galonné en profitèrent pour donner
libre cours à leurs rancunes propres, ou à celles de
femmes de qualité qui leur étaient plus ou moins
attachées ; tous et toutes, y compris les tantes du
roi, grondeuses et peu bienveillantes, ont acheminé
la jeune reine vers le couperet de Sanson ; mais
combien elle les a secondés elle-même, nous ne dirons
pas seulement par ses imprudences, mais par des
bravades ou des moqueries plus ou moins mali-
cieuses 1
Lors des premiers déchaînements de la médisance
f -K
IK,. 102. — LAHCIIIDUC MAXIMILIKN FHANÇOI- \A\ II,
FRÈRE DE MARIE-ANTOINiniL.
•ii-,ii:an.
LA. VERTU DE MARIE-ANTOINETTE 879
contre Marie-Antoinette, la princesse de Marsan
s'était permis de lui dire : « Madame, si, dans ce
moment que tant de bruits désavantageux courent
sur votre compte, vous deveniez grosse, que pense-
rait-on? — On dirait, répliqua la reine, que j'ac-
coucherai au bout de neuf mois. »
Les méchants commentaires allaient leur train;
Marie-Antoinette ne faisait rien ou presque rien
pour imposer silence à la malveillance.
Dans les bals où elle paraissait, elle affectait de
rire à gorge déployée avec le comte d'Artois et
l'archiduc son frère, quand celui-ci vint à Paris;
et elle signalait à ce dernier, en accompagnant
leur nom d'épithètes qui n'étaient rien moins que
louangeuses, les principales dames de la Cour;
ses propos transpiraient autour d'elle et lui alié-
naient ceux ou celles sur qui elle avait daubé.
C'est dans un de ces bals que la reine jeta ses
regards sur un jeune seigneur, qui n'était « ni le
plus aimable, ni le plus spirituel, ni le plus beau
danseur de ceux de son rang », mais qui fut en tout
cas celui « qui plut davantage à la reine » : c'élail
le comte de Dillon, celui qu'on appelait le beau Dillon.
Un moment, toutes les préférences furent pour lui.
On marquait de l'inquiétude quand il ne paraissait
pas et le visage se reprintanisait lorsqu'il arrivait.
Il fut comme déclaré le chevalier de la reine. La
reine obtint pour lui, du roi, de légères faveurs,
mais qui à Paris lui donnèrent un air de triom-
phe. Elle voulut que M. de Muy, alors ministre
de la Guerre, le dispensât d'aller à son régiment, sous
prétexte qu'on aurait besoin de lui pour les bals de
Tété. Le ministre répondit qu'il ne pouvait accorder
38o LA PRINGi:SSE DE LAMBALLE INTIME
â M. de Dillon une grâce qui pourrait nuire à la « sévé-
rité de la discipline militaire ^' ». On reconnaît h\
l'imprudence de cette jeune reine, qui ne craignait
pas de se compromettre, en affichant ses sentiments
pour un bel officier en faveur duquel elle sollicitait un
passe-droit et qui ne s'interdisait pas de proclamer
en tous lieux sa bonne fortune. La chronique ajoute
que la princesse de Rohan-Guéméné succéda au
comte Dillon dans les bonnes grâces de la reine, mais
que sa faveur fut de courte durée : « cet attachement
suivit les progrès des chaleurs de l'été et s'éteignit
entièrement avec les premiers froids de l'automne,
qui ramena M. le comte de Dillon à son régiment ».
Le roi aurait, paraît-il, été au courant de cette liai-
son et, au dire de certain pamphlétaire ^^ — tenons-
nous en garde contre une assertion quiijpeut être
hasardée! — ^. Louis XVI fournissait l'argent néces-
saire au comte pour faire la partie de la reine;
c'est dire qu'il ne voyait pas d'un trop mauvais œil
cette préférence, nous allions dire ce flirt de la reine,
jusqu'au jour où une imprudencç perdit les deux
jeunes gens. « La reine, à un des bals qu'elle donnait
au château, et pendant lesquels elle ne dansait
presque plus qu'avec Dillon, prétendit avoir une
palpitation de cœur eff^royable; elle fit mettre la
main sur son cœur à son auguste époux, et après lui,
au cher comte, qui eut la hardiesse de s'y prêter
en la présence de son maître. Le roi prit mal la plai-
santerie; on craignait déjà pour Dillon, mais l'hu-
meur ne tarda pas à disparaître. L'addroite (sic)
Antoinette apaisa tout avec une caresse et quelques
mots tendres; l'amant reprit la confiance avec la
faveur et le nigaud de mari rentra dans son insou-
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE
38 1
ciance et sa nullité ». C'est alors que Dillon, comme
nous l'avons dit plus haut, fut envoyé dans un régi-
MADAME CAMPAN
ment, et que Madame de Guéméné fut chargée de
sécher les pleurs de la belle souveraine. Quand le
beau militaire revint de l'armée, la favorite intéri-
mîure s'empressa de lui céder la place.
382 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Nous sommes loin de tenir pour articles de foi
les accusations des libellistes; mais comment ne
pas prendre au sérieux des allégations émanant de
serviteurs dévoués, de témoins impartiaux comme
Mercy-Argenteau, l'ambassadeur d'Autriche à la
Cour de France, qui établit ses rapports de ni'^u,
avec l'unique préoccupation de renseigner en toute
sincérité celle qui lui a accordé sa confiance ? Or,
que dit Mercy à la date d'août 1777, c'est-à-dire
dès les premiers temps du règne ? Qu'il « s'est établi
un nouveau genre d'amusement peu convenable,
mais qui heureusement doit cesser avec la belle
saison ». Et quel est ce divertissement de mauvais
goût ? Vers dix heures du soir, il y a concert sur la
grande terrasse de Versailles, auquel participent
« les bandes de musique de la garde française et suisse.
Une foule de monde se rendait sur cette terrasse,
et la famille royale se promenait au milieu de cette
cohue, sans suite et presque déguisée... Surtout pour
la reine, de pareilles promenades peuvent produire
de grands inconvénients ; parmi cette nation, où
la jeunesse est si étourdie et si inconsidérée, on ne
saurait être trop en garde contre les occasions d'être
méconnue. C'est toujours M. le comte d'Artois qui
est un des principaux promoteurs de ces sories d'amu-
sements ^9 »,
Ces concerts cessèrent quand vint l'hiver, mais
ils reprirent les années suivantes, pendant l'été. De
nouveau, l'avisé diplomate déplore que le public ait
la liberté de s'y rendre r, « mais on a pris un peu plus
de mesures que dans les années précédentes, pour
écarter la mauvaise compagnie et l'empêcher de
s'approcher de trop près des princesses royales />.
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE 383
Un mois plus tard, le vigilant Mercy signale à son
impériale correspondante, que « ces promenades
(de S. M. et des princesses, ses belles-sœurs) ont
excité beaucoup de critiques à Paris ». Ne conte-
t-on pas que la reine y a noué une intrigue avec « un
jeune commis des bureaux de la guerre » ? Ma-
dame Campan, dont les dires en cette circonstance
ne sauraient être suspectés ^o, prétend qu'il était
« assez spirituel et de fort bon ton ». Admettons,
avec la femme de chambre de la reine ^S que l'aven-
ture n'eut pas de suites fâcheuses, bien que les
pamphlétaires aient autrement raconté l'épisode,
mais quelle singulière tenue, pour une reine de France,
que d'aller engager la conversation, sur un banc de
jardin, avec le premier passant qui s'offre, fût-il poli
de manières et du nicilleur ton !
Il semble que la reine ait pris un plaisir particulier
à ces promenades nocturnes, qu'on lui a si durement
et justement reprochées. Il y eut surtout « ces fa-
meuses parties des quatre coins, où le Veto royal
(Louis XVI) était toujours « le pot de chambre" »,
et qui prêtaient à une trop facile critique.
C'était une sorte de cohn-maillard, où les femmes
de la Cour, les femmes de chambre, les femmes des
premiers commis, des bourgeois, des valets du châ-
teau et même les grisettes se mêlaient et se prome-
naient ensemble dans l'obscurité. On finit par se dé-
guiser. La reine, Monsieur et le comte d'Artoisettdeurs
singes «couraient la terrasse et même les bosquets :
les femmes avec des capotes et les hommes avec des
redingotes et de grands chapeaux rabattus sur le
nez. On se perdait, on se retrouvait et tout était
^ au mieux dans le meilleur des mondes possible *^
384 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Ces nochirnoles, comme quelqu'un les baptisa d'un
expression assez imagée, durèrent pendant tout l'été.
On finit par interdire au public les promenades du
parc après souper, mais on fit illuminer une partie
des bosquets : c'est dans l'un de ces bosquets qu'on
installa un trône de fougères, et là on se mit à jouer
à un jeu qui nous est décrit en termes qui ne
laissent malheureusement aucune place à l'équi-
voque.
« On élisoit un roi... Il donnoit ses audiences,
tcnoit sa cour et rendoit justice sur les plaintes qui
lui étoient adressées par son peuple représenté par
les gens de la Cour..., par le roi et la reine, qui
venoient se dépouiller de leur grandeur au pied de
ce trône factice. On faisoit au nouveau roi les plaintes
plus originales les unes que les autres : les peines et
les récompenses ne l'étoient pas moins. Mais au bout
de ces plaisanteries, qui ne pouvoient faire qu'un
bon effet. Sa Majesté, qui étoit presque toujours
V'judreuil, prenoit fantaisie de faire des mariages;
il marioit le roi avec une femme de la Cour, la reine,
avec un des hommes (on a remarqué qu'il se l'appro-
prioit presque toujours). Il en faisoit de même pour
les autres hommes et femmes de la société ; il les
faisoit approcher par couples au pied du trône,
ordonnoit que chacun se prît par la main, et là...
on attendoit le mot sacramentel, qui étoit décam-
pa!ivr>s. Aussitôt prononcé, chacun avec sa chacune
fuyoit à toutes jambes vers un des bosquets qu'il
choisissoit ; défense, de par le roi des Fougères,
de rentrer avant deux heures dans la salle du Trône ;
défense d'aller plus d'un couple ensemble... défense
de se voir, d^ se rencontrer, de se nuire, de se cher-
LA VERTU DE MARIE-ANTOI.NETTE
385
cher, ni de se parler. On assure que ce jeu plaisait
fort au roi, qui trouvait fort plaisant de se voir ainsi
détrôné sur l'herbe par Vaudrcuil ^4. »
FIG. 104.
LE COMTE DE VAI'DHKIJIL
L'opinion publique faisait fausse route : Vaudrcuil
aimait ailleurs. Le comte Rigault de Vaudrcuil, qui
régnait dans le salon de la comtesse Jules de Poli-
25
386 LA PRINCEîsSE DE LAMBALLE INTIME
gnac, était un des hommes les plus séduisants de
la Cour. Il avait fait la guerre de Sept ans et s'y
était distingué par sa bravoure. « Grand, bien fait,
élégant », il était, « dans la conversation, sérieux ou
plaisant à propos ; il avait le mot juste, contait à
ravir et savait écouter ». La comtesse d'Hénin disait
qu'à sa connaissance, il n'y avait que deux hommes
qui sussent parler aux femmes : l'acteur tragique
Lekain et Vaudreuil. Mais il gâtait ces heureuses
qualités par ses emportements coléreux. « Personne
n'a jamais poussé la violence si loin, écrit de lui Besen-
val, la moindre contrariété le mettait hors de lui. »
Il n'avait ni un jugement profond, ni des vues éle-
vées, mais on lui prêtait des goûts littéraires et artis-
•tiques ; il se plaisait dans la société des écrivains,
des peintres et des musiciens, chantait lui-même
agréablement et passait pour le meilleur auteur mon-
dain qu'il y eût à Paris. Poète à ses heures, nul n'ai-
guisait mieux l'épigramme. Marie-Antoinette se
montra un jour à son bras, « en déshabillé blanc, les
cheveux en désordre » ; ce qui, on le devine, produisit
le plus déplorable eflet sur celui qui en eut la
vision 25.
C'est avec Vaudreuil que Marie-Antoinette joua
le Barbier de Sévdle, au Petit-Trianon, la reine tenant
le rôle de Rosine, Vaudreuil celui d'Almaviva. Vau-
dreuil joua si bien que « le bruit se répandit que
le personnage d'amoureux de la reine ne se bornait
pas pour lui au théâtre ». On prétend cependant
qu'il ne lui plaisait guère et que, si elle le combla
de faveurs — il avait été nommé gouverneur de la
citadelle de Lille, grand fauconnier, etc. — c'est
à Madame de Polignac qu'il le dut. Toujours est-il
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE
387
que, lorsqu'il se mit sur les rangs pour être gouver-
neur du dauphin, le roi et [la reine furent d'accord
FIG. 105, — MADAME DE POLIGNAG
»ur récarter, à cause de la violence de son carac-
re. Il était arrivé à fatiguer ceux qui lui témoi-
I aient le plus d'intérêt par ses exigences et ses al-
388 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
lures impérieuses. Madame Campan a relaté qu'à
Trianon, en 1786, il s'oublia jusqu'à casser, dans un
accès dé colère, la queue de billard de la reine, objet
d'art d'un grand prix : taillée dans une dent d'élé-
phant, la crosse en était d'or et travaillée avec
infiniment de goût.
Amant en titre de Madame de Polignac, dont nous
aurons à dire le rôle auprès de Marie-Antoinette,
Vaudreuil, par cette entremise, Maîfetîsait autant
la reine que s'il l'eût eue à sôri èÀtîèfè dévotion;
Vange, comme on appelait dans ï'înÉimi'té Mme de
Polignac, « plus avide que tendre » (disait d'elle
Ma;"ie-Thérèse), s'entendait mieux que personne au
monde à faire la fortune de ceux qui lui étaient atta-
chés, soit par une liaison régulière, comme son mari,
qu'elle fit nommer sans retard grand-officier de la
couronne, soit par des liens plus doux; èômnie Vau-
dreuil, Adhémar ou Besenval, mais Vaudreiiil avant
tous les autres. « En tout cela, la jolie fèmrriè (la
Polignac) était menée par deux dèmoiis : Dîàriè;
sa belle-sœur, bossue, galante, d'esprit malin, ^èf-
vers ; et son ami Vaudreuil, un violent créole, colère,
emporté ^^, provocant. Voilà les tnaîttès ctë là
reine ^7. » C'est à Diane de Polignac que ïa rèînè,
émue de certains propos scandaleux qui lui étaient
revenus aux oreilles, dit un jour : « Est-il vrai que
le bruit court que j'ai des amants ? — On tîertt
i)îéri ^'autres propos sur Votre Majesté, répondît
la comtesse. — Lesquels ? — On dit que le beau
Fersen est le père du dauphin ; M. de Coigny, de
Madame Royale ; le comte d'Artois, de M. de
Normandie. — Et la reine d'interrompre avec
vivacité . l'énumération, pour demander : « Et la
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE
389
fausse couche ? » Commérages de l'Œil-de-Bœuf,
dit en guise de commentaire celui qui repro-
FKi. 100.
DIANE DE rOLrC.NAC
duit cctU' conversation *^ ; mais est-il confirmation
meilleure de ce que nous avons déjà montré, que
c'est dans son entourage môme que la reine a compté
ses pires ennemis ; comment eût-il pu en être autre-
390
LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
•ment, alors qu'elle favorisait les uns au détriment
des autres ? Passons donc rapidement en revue ceux
qui ont reçu les marques ostensibles d'une préférence
qui éclatait à tous les yeux, au point que les défen-
seurs les plus obstinés de Marie-Antoinette n'osent
y contredire.
^r^
NOTES DU CHAPITRE XVI
1. « La chevalerie et le roman sont contrariés, qu'y
faire ? Les pièces originales sont là telles quelles ; elles
parlent ou elles se taisent, elles font foi. Les conditions
modernes de l'histoire sont à ce prix. » Nouveaux Lundis, X,
355.
2. Nouveaux Lundis (Paris, Michel Lévy, 1867), t. VIIL
3. Bévue rétrospective, de Taschereau (1833).
4. Lettre de Marie-Thérèse à Marie-Antoinetle, 31 octobre
1771 (Correspondance publiée par Geffroy et d'Arneth).
5. L'ambassadeur Mercy-Argenteau note que la reine « se
formait une trop mince idée du caractère et des facultéK
morales de son époux ». Et celui qui rapporte ce jugement
d'un des conseillers les plus clairvoyants de Marie-Antoi-
netle, brosse, en manière de corollaire, ce portrait fort bien
venu de Louis XVI : « Dévoué au bien public, économe jus-
qu'à la minutie, réglé dans ses habitudes, laborieux et
appliqué, sérieusement instruit, ses qualités mêmes n'étaient
pas de nature à être appréciées par une petite tète frivole
et dissipée... Gauche dans ses manières, avec une dé-
marche lourde et comme titubante, d'un embonpoint pré-
coce, d'ailleurs irrésolu, débonnaire jusqu'à la faiblesse,
malgré des coups de boutoir parfois désobligeants, absolu-
ment nul alors au point de vue conjugal, il n'avait rien qui
pût inspirer à une jeune femme lamour ou le respect.
Marie-Antoinette l'appelait le pauvre homme dans le cercle de
ses intimes où, quand il jouait, on avançait la pendule
pour le faire aller coucher plus tôt. » Ce portrait psycholo-
gique est de tous points exact et, pour le composer,
M. Gustave Desjardins (Cf. le Petit Trianon, histoire et des-
cription; Versailles, 1885) n'a eu qu'à s'insp'irer des divers
Mémoires du temps ; n'est-ce pas dans un de ces Mémoire»,
qu'on lit qu'à Versailles, après son déjeuner, le roi mon-
tait, pour se distraire, dans les combles du palais, et de là>
avec une lorgnette, épiait les rares carrosses qui faisaient
392 LR PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
leur apparition dans l'immensiLé vide de l'avenue de Pans?
{Souvenirs (Tun page, par le comie F. d'IlEZECQUEs; Paris»
1878,160). On sait que le jeu favori du roi, à Trianon, était
le loto : cela peint le bonhomme.
6. C.-A. Sainte-Bbuve, Causeries du Lundi, t. IV (nouvelle
édition); Paris, Garnier frères, 252.
7. Id., 255.
8. Il avait cependant, parfois, des sursauts d'humeur,
comme le jour où, parlant de Saint-Cloud, il dit que le
séjour de celte ville lui répugnait, parce quil n'y voyait « ()ue
des croquants et des câlins ». M. de Lescuhe, Corresp. secrète,
I, 595) ; mais ces manifestations de virilité étaient passa-
gères; le plus souvent, il fermait les yeux et ne sortait pas
de sa torpeur.
9. Le Nouveau Paris, de Séb. Mercieb, nouvelle édition,
35-6.
10. Lettre de Marie-Antoinette, du 15 décembre 1775.
11. Lettre de Marie-Thérèse, du 2 juin 1775.
12. P. de Nolhac, la Peine Marie-Antoinette, onzième édition
(1899), 30.
13. L'auteur du Portefeuille d'un talon rouge, qui est resté
inconnu (Cf. Marie-Antoinette devant l'histoire, par M. Tourneux;
2' édition, 1901, 38), fait ce portrait du comte d'Artois : « Le
comte d'Artois, frère du Roi, était le seul parmi les hommes
dont elle parut être occupée. Leur état, leur âge et leur ca-
ractère les rapprochaient trop, pour qu'entre eux deux il ne
s'établit pas une grande familiarité. Leurs goûts pour les
plaisirs bruyants, pour les courses, pour les fêtes et les
spectacles, étaient les mêmes. Leurs amu^ments étaient
certainement ceux de l'innocence et leurs jeux ressem-
blaient aux espiègleries de l'enfance, quoique déjà, l'un et
l'autre, dans un âge où la nature a des besoins urgens et
. Continuels, et où un mauvais coup est bientôt tait, surtout
quand on a la facilité de le faire. Le comte d'Artois, partout
où il se trouvait, se mettait à son aise. La reine, de son
côté, se délivrait, autant qu'elle pouvait, de toute étiquette
de cour, qu'alors elle regardait comme très inutile à son
rang et dont les souveraines ne croient avoir besoin que
quand elles commencent à vieillir. Le chàleaude Maries lui
plaisait infiniment. Les bosquets de Cithère n'eurent rien de
si délicieux que les jardins et le parc de cette maison de
plaisance. En 1774, la Cour y établit son séjour. Les prome-
nades nocturnes étaient un des grands plaisirs de la reine.
Dans les belles nuits de Tété, elle aimait, tantôt avec un petit
LA VERTU DE MARIE-ANTOINETTE 393
cortège, tantôt p<^ule, tantôt avec le comte d'Artoii^, à courir
et à s'égarer dans les sombres et fraîches allées de ce
pnrc... » Bien autrement violents se montreront les pam-
phlétaires. Dans les Amours de Chariot et de Toinette (p. 105,
(lu tome II (\u Momas redivivus ou les Saturnales françaises, etc.,
A Latipolis, 2496 : Enfer de la Bibliothèque nationale.
Y 71H-714), il est question des amours, tout à fait charnels,
du comte d'Artois et de la Reine : c'est une poésie très li-
cencieuse, par endroits assez spirituelle, mais dont on ne
■çeut tirer aucune induction. La note en est trop violente, trop
>itrancière, pour qu'on y attache une valeur quelconque.
Cette pièce parut en 1789; c'est à peu près l'époque où a
commencé le débordement de libelles qui ont assailli la
malheureuse reine et contre lesquels elle se défendit si
maladroitement.
14. Ce fut à un bal donné par M. de Viry, qu'elle «e plut à
intriguer un jeune seigneur étranger, le marquis Carnccioli,
ambassadeur de Naples, et lui laissa prendre cert.iines li-
bertés, au moins de langage. Le gentilhomme fut confus,
quand il sut qu'il avait eu alïaire à la reine, qu'il n'avait pas
reconnue. *
15. NoLHAC, op. cit., 31.
16. Id., loc. cit. y 78.
17. Le Portefeuille d'un Talon rouge (Bibl. nationale, Lb 39).
18. Essai historique sur la vie de Marie-Antoinette d'Autriche,
Reine de France, pour servir à l'histoire de cette princesse.
Il en existe plusieurs éditions, qui sont minutieusement dé-
crites, au point de vue bibliographique, par Maurice Touu-
NEUX, op. cit., 39-45.
19. (iEi-KROY et d'Arneth, Corr. secrète, t. III.
20. On sait que les Mémoires de Madame Campan furent
« écrits de mémoire et bien longtemps après que s'étaient
passés les événements qui y sont racontés ». II faut donc se
défier de certaines de ses assertions; mais, en ce qui con-
cerne la Ueine, elle aurait eu plutôt de la tendance à pré-
senter tous ses actes sous le jour le plus innocent, étant
« sous la préoccupation constante de faire de Marie-Antoi-
nette le plus grand éloge possible, afin d'effacer les accu-
sations d'infidélité portées rrr.xire elle, et d'échapper aux
reproches d ingratitude qi:: '.ai avaient été prodigués ».
V. les Observations de J. ("i.ammeumoîjt, sur les Mémoires de
)ladame Campan (liibl. nat., L 29 a 41).
21. Mme Campan s'est donné beaucoup plus de crédit
qu'elle n'en avait en, réalité; elle n'était qu'une des douze
394 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
femmes de chambre atlachées au service de In reine. Elle
Ta, du reste, reconnu elle-même : « Les douze femmes
ordinaires servaient quatre par semaine et deux par jour;
ainsi, les quatre femmes qui avaient servi une semaine
avaient quinze jours de repos, à moins qu'on eût besoin
d'une remplaçante; et, dans la semaine de service, elles
avcjient encore deux ou trois jours d'intervalle. » Mme Cam-
pan n'était donc de service qu'une semaine sur trois et, en
outre, dans cette semaine, elle jouissait de deux jours de
repos : on peut calculer le temps qu'elle passait auprès de
la reine; encore doit-on ajouter que ses fonctions étaient
subalternes et d'ordre purement privé; ceci dit pour ne pas
ac: order une créance absolue à tout ce que relate celle
mér.iorialisto en jupons.
22. Description de la Ménagerie royale d'animaux vivants, etc.,
cité pur H. F'leischmann, les Pamphlets libertins contre Marie-
Antoivelle. Paris, s. d. (1901)).
23. iiist. de Madame du Barry, par Ch. Vatel, t. III,
383 et suiv.
24. Essais historiques sur la vie de Marie-Antoinette, 48.
25. (Joyiversations recueillies à Londres, pour servir à l'histoire
d'une grande reine. Paris, 1807, in-8".
26. « Celui-ci, écrit M. de Nolhac, en parlant de Vaudreuil,
le meilleur ami du comte d'Artois, est aussi le véritable
maître du salon de la favorite. Il y affirme un despotisme
maladif, qu'expliquent ses langueurs, ses vapeurs, ses
crachements de sang. Il est d'ailleups, quand il le veut, la
séduction même... Lorsqu'il parle, son visage, détruit par
la petite vérole, s'embellit et rayonne... A la moindre con-
trariété, il s'emporte en fugitives colères. » Hist. de Marie-
Antoinette, 211-2.
27. MicHELET, Histoire de France, t. XIX, chap. xv.
28. M. DE Lescuue, Correspondance secrète, etc., t. 11,483.
CHAPITRE XVII
LES AMOUREUX DE LA REINE
Parmi les gentilshommes qui papillonnaient autour
de Ja jeune souveraine, il en est un qui « a eu un
moment assez de crédit pour combattre Madame de
Polignac, pas assez pour la renverser ^ ». Il s'agit de
Coigny, un fidèle de Chanteloup, que les Choiseul
avaient placé auprès de la reine, pour y maintenir
leur influence. Il faut supposer, pour le moins, que
celle-ci s'est compromise publiquement avec « ce
seigneur aimable, d'une belle figure... et la tournure
la plus satisfaisante », pour qu'on ait pu dire, à la
naissance du dauphin, que l'enfant était de Coigny.
«Je n'obéirai pas à un fils de Coigny », s'était écrié
insolemment le duc d'Orléans. Nous sommes sur ce
point de l'avis de Michelet ^ : l'imputation, malgré
les apparences, était injuste ; la reine, au moment
où l'enfant royal fut conçu, venait de chasser un ami
de Coigny ; eût-elle accompli cet acte, si elle avait
redouté des représailles ? Et cependant, il n'est pas
de fumée sans feu. Il n'est pas douteux que Coigny
occupait à la Cour une position considérable. Il était,
SgÔ LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
au dire de Madame Campan elle-même, aussi bien vu
par le roi que par la reine ; et Mercy l'accuse, sans
réticences, d'abuser de son influence, pour « extor-
quer de cette princesse des grâces qui occasionnent
des plaintes continuelles dans le public ». Le Li^re
louge porte à son nom, en 1783, des sommes im-
portantes. Il avait, de plus, obtenu la survivance
de la charge de premier écuyer du roi pour son fils.
Plus tard, lorsqu'on voulut lui retirer certaines
des faveurs dont on l'avait comblé, il eut une expli-
cation très vive avec le roi, qui ne sut que répon-
dre, à quelqu'un qui s'étonnait qu'il ait pu tolé-
rer pareille attitude : « Nous sommes véritable-
ment fâchés, le duc de Coigny et moi ; je crois
qu'il m'aurait battu, que je le lui aurais passé ! »
Cette exclamation en dit long sur la liberté qu'étaient
arrivés à prendre les favoris de la reine. Quant aux
pamphlétaires, nous le répétons une fois encore,
on n'est pas tenu de les croire sur parole ; aussi ne
retiendrons-nous ce qui suit qu'à titre d'indice,
de présomption tout au plus : « Chacun raisonne
sur cette grossesse (lorsque la reine était enceinte,
en 1781)... on chercha le héros, il fut aisé à trouver :
on nomma le duc de Coigny, et toutes les conjec-
tures se réunirent en sa faveur. Ce seigneur aimable,
d'une belle figure, ayant les mœurs les plus douces
et la tournure la plus satisfaisante, des yeux qui
parlent beaucoup et une santé en tous points diffé-
rente de l'aspirant Dilon (sic) y avoit depuis quelque
temps fixé les regards de la reine ; il s'étoit conduit
avec la plus grande circonspection et l'auroit ménagée,
si elle n'eût pas elle-même cherché la publicité par
ses imprudences. On calcula l'heure, le moment et
FIG. 107. — Ll: DUC DE COIGNY
398 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
le lieu où la grossesse s*étoit opérée. On rappela un
bal de l'Opéra, où la reine s'étoit masquée en ca-
potte grise et a voit fait masquer de même plusieurs
femmes de sa suite ; le duc étoit seul dans une loge
aux secondes : à la faveur du déguisement, Antoi-
nette se perd parmi ses compagnes, se glisse dans la
foule et vole à la loge. Quelques minutes après, la
suite, inquiète, cherche la princesse ; on la trouve
sortant de la loge, et si agitée de l'acte qu'elle venoit
de faire, qu'elle tomba presque évanouie sur l'esca-
lier... Madame de Guéméné, dont l'outrage étoit le
plus récent, fut celle qui se contint le moins dans ses
propos ; elle fut disgraciée avec dureté, renvoyée
de la Cour et remplacée dans sa charge de gouver-
nante par Madame de Marsan, malgré son sermon
si infructueusement et si maladroitement fait K »
Du parti Choiseul comme Coigny, le duc de Guines
paraît s'en être tenu à des tentatives malheureuses.
Sentant une résistance inexpHquée, Guines a voulu
brusquer les choses, achever sa victoire, trancher du
mentor. Mais Marie-Antoinette, qu'on mène si faci-
lement tant qu'elle l'ignore, ne veut même pas ad-
mettre d'être conseillée. A un voyage de Marly,
Guines est si mal reçu qu'il quitte la Cour brusque-
ment, sous le prétexte d'une attaque de goutte, re-
tourne à Paris, et, huit jours durant, fait défendre
sa porte. Quand il revient, il doit s'estimer content
de n'être pas exilé de cette société qu'il avait rêvé
de diriger ^.
Guines avait joui, pendant un certain temps,
d'un réel ascendant sur Marie-Antoinette. Nommé
ambassadeur en Angleterre, il avait profité de ses
hautes fonctions pour faire de la contrebande, jouer
LES AMOUREUX DE LA REINE 899
sur les fonds publics, et faire des paris illicites par
la divulgation de secrets d'État ; sans l'intervention
de la reine, qui s'était déclarée pour lui contre les
ministres, contre l'opinion, contre le roi lui-même,
il risquait de perdre une situation à laquelle il tenait
fort. Son train de vie fastueux l'avait fait surnom-
mer, à Londres, Guines le MagnifiQue. Très coquet
de sa personne et sentant l'obésité le gagner, il com-
mandait pour chaque habit une culotte où il fût à
l'aise et une autre plus étroite. Lorsqu'il s'habillait,
son valet de chambre lui demandait gravement :
« Monsieur le Duc s'asseoit-il aujourd'hui ? » S'il
devait rester debout, il montait sur deux chaises et
descendait dans la culotte étroite tenue par deux
de ses gens. Il aimait le persiflage, qu'il pratiquait
tout en gardant une gravité imperturbable. Il était
amateur de musique, ce par quoi il avait beaucoup
plu à Marie-Antoinette, très musicienne comme on
sait. Il excellait à jouer de la flûte, ce qui l'avait
fait admettre dans l'intimité du grand Frédéric,
qui se piquait d'être très fort sur cet instrument.
Jusqu'à présent, nous n'avons relevé que des griefs
assez mal définis à la charge de Marie-Antoinette ;
et cependant, peut-on dire que l'on soit autorisé à
incriminer tout au plus la fragilité de la femme,
la coquetterie d'une « personne affectueuse et vive,
tout entière à ses impressions, amie des manières
élégantes et des formes chevaleresques, ayant besoin
tout simplement aussi d'épanchement et de protec-
tion 5 » ? N'oublions pas qu'il y a autre chose que
des apparences, il y a eu des insinuations, plus ou
moins perfides, et qu'il faut prendre corps à corps
pour les confirmer ou en avoir raison.
400 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
« Aujourd'hui encore, écrit Sainte Beuve, lors-
qu'on veut citer quelque témoignag-i qui donne à
penser contre Marie-Antoinette, le ténîoignage de
quelqu'un qui compte, c'est dans les Ménioiies du
baron de Besenval qu'on va le chercher. i> Ce T>om
de Besenval se retrouve dans une de ces mïV.r, et
une épigrammes qui couraient les salons et la rue:
La reine dit imprudemment
A Besenval, son confident :
« Mon mari est un pauvre sire » ;
L'autre répond, d'un ton léger :
« Chacun le pense sans le dire,
Vous le dites sans y penser ».
Besenval avait été un des quatre garde-malades —
des trois autres, deux nous sont connus: les ducs de
Coigny et de Guines ; le troisième est un étranger,
dont nous reparlerons, le comte Esterhazy — qui
avaient été chargés de veiller Marie-Antoinette ^,
à Versailles d'abord, puisàTiianon, lorsque la reine,
après la naissance de Madame Royale, fut atteinte
de la rougeole. On pense s' on murmura de cette
familiarité insolite! Les femmes en charge protes-
tèrent contre leur exclusion au profit des courtisans
d'une réputation trop bien établie, et quelqu'un se
serait malicieusement écrié à cette nouvelle: « Qeulles
seraient, au cas où le roi tomberait, malade les quatre
dames chargées de le garder ? »
C'est Besenval lui-même qui a laissé entendre
qu'il aurait été le héros d'une aventure qu'on s'est
plu malignement à exploiter contre l'honneur de la
reine et qui, véritablement, ne résiste pas à l'ana-
lyse. Voici les faits.
LES AMOUREUX DE LA REINE
4oi
Au mois de mars 1778, on apprenait qu'un duel
allait mettre aux prises le comte d'Artois et le duc
de Bourbon. La dispute, cause première du duel,
était venue d'un point d'étiquette, sur lequel les
FiG. 108. — Le comte V'uleiitiii E^sterhazy
(D'après une miniature api>ariennnt 6 son polit fils;
l'Ion et C'% éditeurs)
deux personnages n'avaient pu se mettre d'accord.
Futile prétexte, on l'avouera. Le baron de Iksenval
devait servir de second à l'un des deux adversaires ;
la reine, qui ne dissimulait pas son inquiétude à
l'endroit de son beau-frère, demaruln (uroii lui .-mift-
26
402 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
nât Bescnval, qu'elle voulait entretenir en particu-
lier, afin de tâcher d'amener une réconciliation et
d'empêcher, si possible, la rencontre. Mais elle tenait
à ce que le roi ne fût nullement instruit de la dé-
marche, et que celle-ci eût lieu dans le plus strict
secret. Elle envoya, en conséquence, chercher en
grand mystère, par son bibliothécaire, M. Campan
(beau-père de la femmedechambre, à laquelle on doit
de connaître l'incident), Besenval, qu'il conduisit
avec un luxe de précautions que sa fatuité crut
devoir favorablement interpréter, auprès de Marie-
Antoinette. Avant d'entendre le récit de l'expé-
dition de la bouche du baron, n'oublions pas de
dire qu'il était alors un galant quelque peu défraf-
chi, étant âgé de plus de soixante ans à l'époque
où le fait se serait passé. Maintenant, cédons-lui la
parole.
« A peine étais-je dans le cabinet du roi, conte Be-
senval, que j'aperçus Campan, secrétaire du cabinet
de la reine, qui me fit un signe de tête ; j'allai à lui ;
il me dit, n'ayant pas l'air de me parler : « Suivez-
« moi, mais de loin, pour qu'on ne s'en aperçoive pas».
11 me fit passer par plusieurs portes et plusieurs esca-
liers, qui m'étaient entièrement inconnus, et lorsque
nous fûmes hors d'état d'être vus ni entendus :
« Monsieur, me dit-il, convenez que ceci a bon air ;
« mais ce n'est pas tout à fait cels?, car le mari est
« dans la confidence. — Mon cher Campan, lui ré-
« pondis-je, ce n'est pas quand on a des cheveux gris
« ou des rides, qu'on s'attend qu'une jeune et jolie
« reine de vingt ans vous fasse passer par des chemins
w aussi détournés, pour autre chose que pour des af-
« faires. — Elle vous attend, reprit-il, avec beau-
LES AMOUREUX DE LA REINE ^o3
ft coup d'impatience. » Il achevait à peine de parler,
que nous nous trouvâmes à hauteur des toits, dans
un corridor fort sale, vis-à-vis d'une vilaine petite
porte... Campan m'introduisit, par une issue dé-
tournée, dans une chambre où il y avait un bil-
lard, que je connaissais pour y avoir souvent joué
avec la reine, ensuite dans une autre que je ne
connaissais point, simplement mais commodément
meublée. Je fus étonné non pas que la reine eût
désiré tant de facilités, mais qu'elle eût osé se les
procurer. » C'est contre ce passage de Besenval que
Madame Campan s'est indignée, en des termes
tels qu'on a pu dire que Marie-Antoinette, loin
d'être innocentée, a été compromise par sa trop
zélée femme de chambre. Madame Campan s'emporte
jusqu'au point d'écrire : « Dix feuillets imprimés de
la femme Lamotte (celle de V Affaire du collier),
dans ses impurs libelles, ne contiennent rien d'aussi
nuisible au caractère de Marie-Antoinette que ces
lignes écrites par un homme qu'elle honorait d'une
bienveillance aussi peu méritée. » Et plus maladroi-
tement encore, elle relate que le baron, aussi fat
que présomptueux, avait osé faire une déclaration
d'amour à la reine, ce qui était la cause du refroi-
dissement dont Besenval feignait d'ignorer le motif.
Or Besenval s'était borné à faire à la reine une décla-
ration d'attachement à ses intérêts, et il lui avait
déplu en voulant lui arracher son secret et en mani-
festant l'intention de la gouverner. Tout concourt
à le prouver 7. Comment la Reine l'aurait-elle,
en effet, admis plus tard dans son intimité, au
point de le choisir comme un de ses quatre
Azardes du corps, dans les circonstances que nous
4o4 hA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
avons rappelées plus haut, s'il lui avait manqué de
respect ?
Mercy dit de Besenval qu'il était « avantageux,
fat et léger », et il s'étonne que la reine ait pu s'enti-
cher d'un pareil personnage ; mais « il avait une belle
taille, une figure agréable, de l'esprit, de l'audace » ;
toutefois, « ses manières étaient trop libres et sa
galanterie de mauvais ton ; même entre hommes,
sa conversation était plus cynique que piquante et
sa gaieté plus railleuse qu'enjouée ». C'était, à véri-
tablement parler, un intrigant « d'autant plus
dangereux , qu'il cachait son astuce sous les
dehors de rondeur et de franchise d'un bon et brave
Suisse ».
A propos de Besenval, il nous revient en mémoire
un mot que nous dit, un jour, l'ancien conser-
vateur du Musée de Versailles, le très distingué M. de
Nolhac, à qui nous demandions son opinion sur Marie-
Antoinette: — « Aurait-elle voulu trahir la foi conju-
gale, nous répondit notre aimable interlocuteur,
qu'elle ne l'aurait pu ; la topo'jraphie des lieux s'y
opposait. » Cependant, à lire la relation de Besenval,
et à s'en rapporter à d'autres documents^, cet argu-
ment n'est rien moins que convaincant.
N'est-ce pas un des pages de Marie-Antoinette,
le comte Félix d'Hézecques, qui raconte que, visi-
tant les cabinets de la reine après le 6 octobre, il
parcourut un labyrinthe de passages qui lui étaient
inconnus, et dont plusieurs étaient encore matelassés
et dans le désordre oii les avait laissés le départ de
la reine ? « Je pénétrai ainsi, dit-il, dans une foule
de petits appartements dépendants de celui de la
reine et dont je ne soupçonnais pas même l'existence ;
LES AMOUREUX DE LA REINE 4o5
la plupart étaient sombres, n'ayant de jour que sur
de petites cours ; ils étaient simplement meublés,
FIO. 109. — M. DE nEBENVAL
(Un des favoris de MorU-AntolneiPt
presque tous en glaces et en boiseries. Je n*y vis de
remarquable qu'un tableau de Madame Lebrun :
c'était M. le Dauphin accompagné de sa sœur, don-
4o6 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
nant une grappe de raisin à une chèvre. » Cette multi-
plicité de pièces de service, qui n'étaient pas connues
hors de « l'intérieur » de Marie-Antoinette, est bien
propre à donner de la consistance aux injurieux soup-
çons auxquels a donné lieu l'aventure de Besenval,
et c'est pourquoi Madame Campan, en ayant l'air
de défendre sa maîtresse contre ces insinuations,
J'accable davantage quand elle écrit : « Il (Besenval)
n'avait pas pu avoir occasion de connaître l'exis-
tence de cet appartement, composé d'une très
petite antichambre, d'une chambre à coucher et d'un
cabinet ; depuis que la reine occupait le sien, il était
destiné à loger la dame d'honneur de S. M. dans le
cas de couches ou de maladies, et servait à cet usage
lorsque la reine faisait ses couches. // élaii si important
que personne ne sût que la reine eût parlé au baron
avant le combat, qu'elle avait imaginé de se rendre,
par son intérieur, dans le petit appartement où
M. Campan devait le conduire. » C'est, on peut le
dire, le pavé de l'ours bien asséné.
Madame Campan n'était pas, autant qu'elle l'a
prétendu, dans les bonnes grâces de la reine, qui
éprouvait à son endroit non pas seulement de la dé-
fiance, mais de la terreur 9. Elle la soupçonnait
d'être en relations suivies avec les pires ennemis de
la monarchie, comme Brissot de Warville, Latouche-
Tréville et autres ; n'était-ce pas assez pour justi-
fier sa défiance ?
Accumulant maladresses sur maladresses. Ma-
dame Campan, toujours dans le dessein de prendre
la défense de Marie-Antoinette, garantit intacte
la vertu de cette princesse, en lui accordant le mérite
d'avoir eu à se défendre contre de téméraires entre-
LES AMOUREUX DE LA REINE /jCJ
prises ; n'est-ce pas déjà trop parler ? C'est ainsi
qu'à propos de Lauzun, un des soupirants de la reine,
elle relate qu'il s'attira un jour, à la suite d'un tête-
à-tête avec celle-ci, un : Sortez, Monsieur I bien
courroucé, qui nous éclairj suffisamment sur l'atti-
tude que Lauzun avait dû prendre pour s'attirer
une telle injonction.
On a récemment ^° reconstitué la scène de l'ex-
pulsion de Lauzun, en la replaçant dans la pièce
où l'on suppose qu'elle s'est passée. Lauzun entre
par la première antichambre et la petite chambre
noire qui conduit aux cabinets de la reine, dans la
pièce qui nous occupe, et où, selon Madame Campan,
se tenaient « les femmes qui annoncent dans Vinlé-
rieur de la reine ». Le duc est introduit dans une pièce
attenante, celle qu'on appelle le cabinet doré. Peu
de temps après, la reine ouvre la porte et dit le :
Sortez, Monsieur ! que l'on connaît. Madame Cam-
pan, qui est dans la pièce des femmes de chamhte,
voit Lauzun s'inchner profondément et disparaître,
et Marie-Antoinette dit, au seuil de son cabinet :
« Jamais cet homme n'entrera chez moi ! » La scène
devient fort claire... et la narration de Madame
Campan équivaut ici à un témoignage direct.
S'il faut en croire Talleyrand, Lauzun avait tous
les genres de séduction : il était « beau, brave, géné-
reux, spirituel », menant de front dix intrigues amou-
reuses. N'ayant jamais connu de cruelles, il avait été
(le bonne heure remarqué par la reine, (pii le voyait
sans cesse à la chasse ou dans les salons de Madame
(le Guéméné. En ayant entendu parler par celle
dernière et par Madame Dillon, Marie-Antoinette eut
bientôt l'ardent désir de le connaître de plus près.
4o8 LA. PRLNCESSE DE LAMBALLE INTIME
A s'en rapporter au dire du principal intéressé,
il serait devenu en moins de deux mois une espèce
de favori. Lorsque le moment fut venu pour Lauzun
de rejoindre son régiment, la reine manifesta le
désir qu'il ne s'éloignât pas ; il ne crut pas « (devoir)
consentir ». Voyez-vous le fat I « Elle (la reine) en
parut véritablement afiligée et vint, dans l'après-
dîner du même jour, à Montreuil, chez Madame de
Guéméné, pour lui dire adieu et lui offrir de demander
au roi la permission de le faire revenir à l'époque du
sacre, ce qu'il avait refusé I Mais la reine donna des
ordres, et le départ du galantin fut retardé. Alors,
sa faveur remonta au plus haut degré. La reine ne
croyait pouvoir trop faire pour un homme qui
voulait tout faire pour elle. »
Lauzun se montra au Bois de Boulogne avec la
reine, qui sortait rarement sans lui, le faisait placer
près d'elle au jeu, « marquait de l'humeur, lorsqu'il
y avait assez de monde pour gêner l'occupation où elle
était presque toujours de lui ». Marie- Antoinette, en le
présentant à sa confidente la plus intime, la princesse
de Lamballe : « Je vous demande, dit-elle à son amie,
d'aimer comme votre frère l'homme du monde que
j'aime le mieux, et à qui je dois le plus ; que votre
confiance en lui soit sans bornes comme la mienne. »
Lauzun conte ensuite que les attentions qu'on lui
prodiguait, l'intérêt qu'on ne craignait pas de lui té-
moigner, même en public, lui attirèrent des inimitiés
et donnèrent l'essor à la médisance ; pour y couper
court, il résolut de s'éloigner de la Cour pendant
quelque temps et de passer en Russie, où la tsarine
lui faisait les offres les plus avantageuses, s'il consen-
tait à entrera son service. Mais la reine l'ayant con-
LE.i AMOUREUX DE LA REINE 4^9
juré de ne pas l'abandonner, les yeux tout remplis
de larmes, il aurait cédé à ses instances, touché lui-
même « jusqu'au fond du cœur ». Ici, il convient
de citer le texte, car il est significatif : << Elle me
tendit la main ; je la baisai plusieurs fois avec ar-
deur, sans changer de posture. Elle se pencha vers
moi avec beaucoup de tendresse ; elle était dans mes
bras lorsque je me levai ; je la serrai contre mon
cœur, qui était fortement ému. Elle rougit, mais je
ne vis point de colère dans ses yeux. — « Eh bien !
(' reprit-elle en s'éloignant un peu, n'obtiendrai-je
« rien ? — Le croyez-vous, répondis-je, avec beau-
« coup de chaleur ? Suis-je à moi, n'êtes-vous pas
« tout pour moi ? C'est vous seule que je veux ser-
« vir, vous êtes mon unique souveraine. Oui, conti-
« nuai-je plus tranquillement, vous êtes ma reine,
« vous êtes la reine de France. » Ses regards sem-
blaient me demander encore un autre titre. Je fus
lenié de jouir du bonheur qui paraissait s'offrir. Deux
réflexions nie retinrent : je n'ai jamais voulu devoir
une femme à un instant dont elle pût se repentir, et
je n'eusse pu supporter l'idée que Madame Czarto-
liska se crût sacrifiée à l'ambition. Je me remis donc
assez promptement. » Ne ressort-il pas, à l'évidence,
des phrases soulignées, la preuve que, s'il y a eu
lutte, lutte morale s'entend, au moins chez l'un des
partenaires, la chute ne s'est pas produite ?
Il y a certaine histoire d'une plume de héron blanc,
que Lauzun avait portée à son casque, et que Marie-
Antoinette mourait d'envie de posséder. Madame de
Guéméné s'empressa de la porter à la reine qui, dès
le lendemain, l'arborait. « Jamais, dit-elle au dona-
wur, je ne me suis trouvée si parée ; il me semble que
^lO LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
je possède des trésors inestimables. » Une autre
fois, voyant Lauzun jouer une forte somme contre
le duc de Chartres, Marie-Antoinette lui dit : « J'ai
tant de peur que, si je vous perds, je crois que
je pleurerai. » Nous passons bien des détails ", mais
n'avons-nous pas produit assez de preuves de l'étour-
derie, de la légèreté, des imprudences d'une souve-
raine encourageant un de ses sujets à aller aussi
loin dans la voie de la familiarité ? Qu'on parle,
après cela, « d'une amitié émue, une de ces affections
intermédiaires aux nuances indéfinies, perdues
comme les couleurs de l'arc-en-ciel », d'un de « ces
sentiments délicats qui font le désespoir des psycho-
logues'^ »; qu'il s'agisse d'amour ou d'amitié amou-
reuse, une épouse, une mère, une reine aurait dû,
dans une Cour aussi corrompue que celle de Ver-
sailles, se tenir à l'abri des tentations contre les-
quelles l'avaient mise en garde ses plus sincères et
désintéressés conseillers ^^.
Parmi ces conseillers, il en est un dont la conduite
et le rôle auprès de la reine ont été diversement jugés:
c'est l'abbé de Vermond. L'abbé de Vermond était
un des hommes de confiance de Marie-Thérèse, que
l'impératrice avait placé auprès de sa fille pour diri-
ger son éducation et la conseiller. A entendre l'am-
bassadeur Mercy-Argenteau, « personne ne connaît
mieux la reine que le digne et vertueux ecclésias-
tique qui est son lecteur. Cet homme, qui est un
exemple unique de probité, de zèle et de lumières,
ne respire que pour le service et la gloire de son au-
guste maîtresse ^'^». Admettons que ce soit là une
opinion empreinte de partialité. Mercy, étant un des
agents de Marie-Thérèse auprès de Marie-Antoinette,
LES AMOUREUX DE LA REINE
4ii
devait prendre nécessairement la défense d'un de
ses collègues, mais nous pouvons puiser à une autre
Fin. 110. — DinON, DIT LAUZUN
source d'informations. Voici un porlrail, dû à la
plume du comte de La Marck, qui donne l'impres-
4l2 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
sion d'être croqué d'après nature et écrit sans pré-
vention :
C'était, dit l'ami de Mirabeau, en pariant de Ver-
mond, un esprit médiocre, mais avec les qualités d'un
bon homme de cœur reconnaissant. Il était attaché à
la reine avec passion, très bavard, sans être indiscret
cependant. Marie-Antoinette le regardait comme un
homme fort ordinaire d'esprit, et comptait plus sur son
dévouement que sur ses lumières. Elle ne l'écoutait
avec attention que lorsqu'il lui transmettait quelque
message de Mercy, et alors elle ne prenait de ces mes-
sages que ce qui lui paraissait convenir, sans jamais
permettre à l'abbé d'insister et de revenir à la charge ^^
La note malveillante, c'est naturellement Madame
Campan qui, emportée par son zèle maladroit, nous
l'apporte. Tous ceux que cette femme de service
soupçonnait de contrecarrer son inlluence, elle leur
découvrait de l'ambition, elle les déclarait possédés
du génie de l'intrigue. Au début, Vermond était tenu
en suspicion à la Cour, parce qu'on savait qu'il avait
collaboré à V Encyclopédie de d'Alembert et Dide-
rot, et qu'il s'était par là même enrôlé sous la ban-
nière de la philosophie. Louis XVI lui en avait
gardé rancune, et il serait resté dix ans sans lui
adresser la parole ^^ Mais l'abbé devait plus tard
acquérir a^viez de crédit, grâce à la reine qui le sou-
tenait en toute occasion, pour faire nommer jusqu'à
un archevêque. A partir de ce jour, « il demanda à
la reine qu'elle voulût bien ordonner que son appar-
tement au grand commun fût agrandi, lui disant
•qu'étant obligé de donner des audiences à des évê-
ques, à des cardinaux, à des ministres, il lui fallait
un logement convenable à sa position. La reine le
m. — FRONTISPICE DE LIVUE PROVENANT DE LA IMUI.IOTHKOUI,
DE MARIE-ANTOINETTE, DAUPHINE
(Extrait de» Archive^ de» collectionneur a iVex-Ubrit)
4l4 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
traitait toujours comme avant l'arrivée de l'arche-
vêque à la Cour ; l'intérieur remarqua une seule
nuance qui indiquait plus d'égards : le mot Monsieur
précéda celui J.'abbé ; et l'influence de la faveur fut
telle que, dès .':et instant, et par un mouvement
spontané, non seulement la livrée, mais les gens des
diverses antichambres se levèrent au passage de
Monsieur VAbbé^^)).
La vindicative femme de chambre a perfidement
insinué que l'abbé de Vermond « venait chez la reine
tous les jours, mais évitait de prendre le ton imposant
d'un instituteur, et ne voulait pas même, comme lec-
teur, conseiller l'utile lecture de l'histone ^^ ». Si la
reine eut, toute sa vie, de l'éloignement pour les
livres sérieux, c'est parce que l'abbé n'aurait pas lu
à son auguste élève un seul volume rentrant dans
cette catégorie. D'autres ^^ ont dit que labbé avait
indiqué le choix des ouvrages que devait lire la
jeune reine, qu'il avait pour tout dire constitué
une bibliothèque à son usage.
Le premier chef d'accusation peut être aisément
écarté. Vermond — la correspondance de Mercy- .
Argenteau avec l'impératrice ^° en témoigne — a
multiplié au contraire ses instances auprès de la
reine, pour qu'elle abandonnât les lectures frivoles.
L'abbé parvint même à faire lire à sa royale élève,
si distraite et légère, les Mémoires de VEstoile,
l'Histoire romaine de Laurent Echard, VHistoire
d'Angleterre, de Hume, et quelques autres livres du
même genre. Mais l'abbé avait à lutter sans cesse
contre l'influence de Madame Campan et de son
beau-père, dont les affaires se seraient mal accom-
modées d'une reine sérieuse et occupée de ses de-
LES AMOUREUX DE LA REINE 4^5
voirs 2^ Il paraît avéré que l'abbé de Vermond a
tenté de vains efforts pour fixer l'attention de la
reine sur des sujets de piété, d'histoire et de morale,
et que Marie-Antoinette a plutôt prêté l'oreille aux
suggestions de son
bibliothécaire en titre,
lequel était précisé-
ment M. Campan ^^
qui nous est repré-
senté comme « un
homme de plaisir, let-
tré, aimable, complai-
sant surtout... Il dut
y avoir, à ce sujet,
entre l'abbé et les
Campan, des querel-
les dont la première ^«^es de m^r/e-antoinette
femme de chambre
lui garda rancune, car elle le drape de belle façon
di'v^ s(^s Mémoires 23».
Il est établi aujourd'hui que c'est
M. Campan qui a composé les biblio-
thèques de Versailles et de Trianon,
destinées à la reine, et dont l'inventaire
ofFicicl a été fait pendant la Révolu-
m ^^^^ ' quant aux livres trouvés aux
niKFRE DES Tuileries, on les transporta en bloc à
LA miiLiô- Ï3 Bibliothèque nationale. Un publi-
TiiÈouE DE çjg|-g contemporain ^* a relaté l'événe-
ment en ces termes: «Les difTércntes
collections de livres qui existaient au château
des Thuileries (sic) viennent drlic transportées
à la Bibliothèque nationale ^^. La plus consi-
4l6 LA. PRINCESSE DE LAMBALLE INTIMB
dérable était celle de la reine : elle consistait prin-
cipalement en un grand nombre d'ouvrages de lit-
térature française, anglaise et italienne. Les livres
étaient reliés en maroquin, avec l'écusson de France
et le sien propre, à l'exception des ouvrages an-
glais, qui ont une reliure anglaise. On y remarque...
beaucoup de beaux exemplaires d'ouvrages sur
difîérentes parties des sciences, qui lui avaient
été offerts par leurs auteurs ^^, ou qui lui venaient
des souscriptions faites par la Cour ; une collec-
tion considérable de pièces de théâtre ; une suite
très curieuse de partitions d'opéras des grands
maîtres italiens, et principalement la collection com-
plète des ouvrages de Gluck. Les ouvrages de Lavater
et d'autres écrits singuliers se trouvent dans cette
bibliothèque, qui annoncent un esprit curieux et
cultivé. Ce qui nous a étonnés, c'a été de n'y voir
que très peu de livres écrits en allemand, langue du
pays de Marie-Antoinette. »
La composition de cette bibliothèque, à laquelle
avait veillé l'historiographe Moreau, sous la sur-
veillance du roi, atteste qu'outre la théologie et le
théâtre, les belles-lettres, la littérature étrangère
et l'histoire y occupent une large place. Par contre,
dans la collection du Petit Trianon, dont le cata-
logue a été pubhé =^^ « les sujets amusants domi-
nent 2^ ».
Comme livres de science proprement dite, nous
n'avons relevé que lo Dictionnaire raisonné universel
d'histoire naturelle, ce Valmont de Bomare (édition
de 1776) ; les Mémoires pour servir à Vhistoire des
insectes, de Réaumur (1784) ; le Nouveau Diction-
naire universel et résumé de médecine, de chirurgie
LES AMOUREUX DE LA REINE 4^7
et de Vart vétérinaire, etc. (1772) ; le Dictionnaire
portatif de santé, de Vandermonde {\112-\111), et
V Encyclopédie, dont l'exemplaire se trouve à la bi-
bliothèque du Lycée de Versailles. C'est tout, comme
ouvrages scientifiques; et c'est bien peu, en compa-
raison de tous les livres, frivoles ou pires, comme
— pour ne citer que quelques titres — les Galan-
teries des rois de France, les Contemporaines, de Restif
'•P:K 'Al'-PAB.TÎ S
"" * I ^ ., % .î^^ 4--V. l'^i
Llkcj: -
'•L:^MBAXL h
'•iirrl^ «a? awBWRf jKSrij»,
FIG. 114. — EX-LIBRIS DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
de la Bretonne, et les Contes, de La Fontaine! La
bibliothèque de Trianon était, il est vrai, la biblio-
thèque de campagne ; aux Tuileries, le clioix avait
été plus sévère.
Le roi empruntait souvent les livres de cette bi-
bhotlièquc =^^ ; sans doute fut-il le seul à consulter
les Leçons de physique expérimentale, les Recherches
sur les causes particulières de l'électricité, etc., du
savant abbé Nollel ; le Spectacle de la nature, de
l'abbé Pluchc ; le Dictionnaire botanique et pharma-
ccutique, du bénédictin dom Nicolas Alexandre :
V Abrégé de V histoire des plantes usuelles^ de Chomcl ;
27
4l8 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
VAvis au peuple sur sa santé, de Tissot ; les Œu-
vres physiques et anatomiques, de Jamain, bien que
Louis XVI n'ait jamais montré une inclination mar-
quée pour la physique ou l'histoire naturelle ; peut-
être a-t-il été plus intéressé par la Dissertation sur
r inoculation de la petite vérolle (sic), lorsqu'il se fut
résolu à faire inoculer les enfants royaux ^°.
Quant à la reine, on sait, de source certaine, qu'où
tre qu'elle lisait très peu, elle n'avait aucun goût 3'
pour les lectures sérieuses. Le baron de Besenval,
un de ses familiers, prétend qu' « elle n'a jamais ou-
vert un livre ». C'est, évidemment, exagérer. On
n'ignore plus qu'elle avait fait mettre à part, pour
les disposer dans un cabinet séparé, un certain
nombre d'ouvrages, dont l'ensemble constituait ce
qu'on a appelé les LiVes de boudoir de Marie- Antoi-
nette. N'y cherchez pas Y Imitation de Jésus-Christ,
pas davantage le Petit Carême, de Massillon, ni Mon-
tesquieu, ni Bossuet, ni Pascal. Ce qu'on lui donnait
à lire, à cette princesse d'esprit futile, ou ce qu'elle
aimait lire, c'était Faublas, ou la Paysanne per-
vertie 32, le Vice et la Faiblesse, les Suites d'un moment
d'erreur, les Rendez-vous du parc de Saint-Cloud,
les Confidences d'une jolie femme, les Confessions
d'une courtisane, le théâtre du licencieux Collé,
ou les fantaisies non moins polissonnes de Crébillon
et de l'abbé de Voiscnon. Inutile de chercher dés
boucs émissaires — Campan ou Vermond — pour
leur faire endosser une responsabilité qui incombe
presque entièrement à la jeune reine. Si on lui avait
connu des goûts différents, se serait-on hasardé à
peupler les rayons de sa bibliothèque intime d'aussi
misérables productions ? La vérité est qu'on savait
LES AMOUREUX DE LA REINE
419
lui plaire en flattant ses préférences. Qu'on
dise, après cela, qu'il n'y a pas grand dommage à ce
qu' « une femme de trente-cinq ans, peu dévote, très
mondaine, feuillette sans grand scrupule, pour se dis-
traire, les livres à la mode, en prenant la précaution
de les faire enfermer à part », c'est une explication,
ce ne saurait être une justification.
Il convient de faire observer qu'on retrouve
nombre d'ouvrages du
même genre dans la
bibliothèque de Ma-
dame de Lamballe.
Comme Marie -Antoi-
nette, et l'on peut dire
comme toutes les gran-
des dames de son
temps. Madame de
Lamballe avait une
bibliothèque où, sans
prédominer, les livres
galants tenaient une fig. ij5. — armoiries de la
place. A côté d'une princesse de lamballe
collection considérable
de Mémoires historiques ; d'Épistolaires, comme
les Recueils des lettres de Madame de Sévigné,
de Madame de Grignan ; de§ Manuels de piété
et des Recueils de prières, attestant les senti-
ments religieux de la princesse ; un certain nombre
de volumes consacrés à l'histoire naturelle, aux
belles-lettres et h la mythologie, nous relevons, sur
ce catalogue bibliographique, des livres plus que
légers, comme le Paysan perverti, de Restif de la
Bretonne ; les Œuvres badines complètes de M. de
^20 LA PRINCESSE DE LAM BALLE INTIME
Caylus ; Daphnis et Chloé, avec les figures d'Audran,
d'après le Régent ; les Œuvres complètes de Crébilicn
le fils, etc.
Doit-on en conclure que cette rencontre « d'ou-
vrages de littérature légère, et même plus que lé-
gère », dans la bibliothèque de la princesse, est pour
donner créance aux insinuations outrageantes dirigées
contre leur détentrice, nous n'irons pas jusqu'à le pré-
tendre ; outre qu'il n'est pas sûr qu'elle ait seule-
ment lu la plupart de ces livres, le large éclectisme
qui a présidé au choix des exemplaires composant
cette collection, où l'on relève, au demeurant, une
assez forte proportion d'ouvrages sérieux, les riches
reliures dont la plupart sont habillés, plaident en
faveur du goût de l'amie de la reine, et, n'apportent
aucun argument probant contre ses mœurs, qui
n'étaient ni meilleures ni pires que celles de son temps.
Pour Marie-Antoinette, nous nous sentons moins
disposé à l'indulgence. N'oublions pas que c'est la
reine, et non la femme que nous avons à juger, et de
ce point de vue, nous sommes moins porté à l'inno-
center.
Ce qu'on reproche, au surplus, à Marie-Antoinette,
ce n'est pas tant ses lectures que d'avoir témoigné
un peu trop ouvertement ses préférences à tel ou
tel de ses adorateurs ; c'est d'avoir groupé autour
d'elle « une société dont les membres commencèrent
par désirer d'accaparer toutes les grâces ^^ et finirent
par se mêler de toutes les affaires de l'État 34 ». Et
le plus grave, c'est que, dans le nombre, il y eut
pas mal d'étrangers. L'un d'entre eux mérite une
mention particulière.
Le comte Valentin Esterhazy, qui commandait
FIG. 116. — RELIURE ARMORIÉE D*UN LIVRE AYANT APPARTF-NU
A LA PRINCESSE DE LAMBALLE
LES AMOUREUX DE LA REINE 423
un régiment de hussards, était Hongrois ; la reine
avait reporté sur lui l'amitié qu'elle avait jusqu'alors
témoignée au baron de Besenval. Elle entretenait
avec le « freluquet Esterhazy », comme l'appelle
Mercy, une correspondance que le sévère Mentor
jugeait « bien humiliante ». La reine avait désigné
Esterhazy pour porter à Vienne la nouvelle de la
naissance de Madame Royale. Marie-Thérèse, qui
avait marqué son mécontentement de ce qli' « un
jeune homme, sans rang distingué, ait le moyen de
s'approcher de sa fille », fit sentir l'inconvenance
qu'il y avait à charger un étranger d'une mission
qui revenait de droit à un Français, et son auguste
fille dut, quoique à regret, se soumettre aux volontés
de l'impératrice. Elle dédommagea son favori, en
le faisant nommer chevalier du Saint-Esprit, et en
lui accordant un don de plus de cent mille livres,
qui aurait, croit-on, servi à payer les dettes du bel
officier.
Le prince de Ligne, seigneur aimable et spirituel,
bien que né dans les États de Marîe-Thérèsc, n'ins-
pirait pas à celle-ci plus de sympathie que le comte
Esterhazy. L'impératrice le savait galant et quelque
peu familier avec la reine, mais elle s'alarmait
à tort sur le compte du prince, qui reconnaît
lui-même qu' « on n'osait pas risquer devant elle
(Marie-Antoinette) un propos trop libre, unehistorictte
trop gaie ou une grosse méchanceté ». Il existe,
du prince de Ligne, une page qu'on ne cite jamais 35,
et qui est un des i)ortraits psychologiques les plus
achevés qu'on ait faits de la reine de France. Il y
a là des remarques qui dénotent une rare finesse
d'observation, et qui nous aideront à mieux
424 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
connaître le personnage auquel elles s'appliquent
On a fait grief à Marie-Antoinette d'avoir blessé
bien des gens par sa fierté, à quoi son panégyriste
répond que « l'éclat de sa figure a fait tort à l'éclat
de son règne; les femmes qu'elle écrasait par la
beauté de son teint et par son port de tête, voulant
par jalousie lui faire tort dans la société, lui en firent
comme reine. Frédégonde, Brunehaut, les Catherine
et Marie de Médicis, les Anne et Thérèse d'Autriche
n'avaient jamais ri ; Marie-Antoinette, à quinze ans,
riait beaucoup : on la déclara moqueuse. Elle se
défendit de deux grandes intrigues, de deux partis
qui voulaient chacun lui donner un amant : on la
déclara ennemie des Français, d'autant plus qu'elle
traitait bien les étrangers, dont elle n'avait aucune
importunité ni pièges à craindre. Une malheureuse
dispute de visite de son frère, l'Électeur de Cologne,
avec les princes du sang, ignorée par elle, déplaît
à l'étiquette de la Cour : on la déclare fière. Elle
dîne chez une de ses amies, et vient quelquefois
chez l'autre après souper : on la déclare familière.
C'est ce que ne diront pas le peu de personnes qui
vivaient dans sa familiarité. Son tact en imposait
autant que sa majesté. Il était aussi impossible de
l'oublier que de s'oubher soi-même.
« Elle est sensible à l'amitié de quelques personnes
qui lui sont le plifs dévouées, on la déclare amoureuse ;
elle en exigeait trop quelquefois pour leur famille,
on la déclare inconséquente. Elle donne des petites
fêtes et fait travailler à son Petit Trianon, on trouve
tout cela bien bourgeois. Elle fait acheter Saint-
Cloud, pour la santé de ses enfants et pour écarter
le mauvais air de Versailles, on la déclare prodigue.
.;";\vT.'.. ^.r/H-V /'
I !(,. 11 r. 11. ri;lN(;i. I>1. LIGNE
LES AMOUREUX DE LA REINE
427
«Ses promenades le soir, sur la terrasse, à cheval 3^
au Bois de Boulogne, quelquefois de la. musique à
FIO. 118. — MAHIE LF.CZINSKA
l'Orangerie, paraissent suspectes. Ses plaisirs les plus
innocents paraissent criminels.
«Elle a une bienveillance générale, on la déclare
coquette. Elle craint de gagner en jouant, lorsqu'elle
428 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
y est obligée, et je ne l'ai jamais vu perdre plus de
mille louis (une bagatelle, quoi I). Elle dépense les
trésors de l'État, elle en fait donner à l'empereur
son frère; c'est-à-dire que, pour arrêter une guerre
prête à s'allumer entre le roi et lui, elle engage
M. de Vergennes à prêter dix millions aux Hollan-
dais qui en étaient le sujet : on la déclare traître à la
France et plus sœur qu'épouse. » (Avouez, prince,
que le reproche n'était pas sans fondement.)
Emporté par son zèle d'apologiste, Ligne va quel-
quefois un peu loin, mais écoutons le plaidoyer jus-
qu'au bout.
« Il n'y a pas de femme de chambre favorite, de
maîtresse de roi, qui ne fil plus de dépenses ('singu-
lière comparaison Ij.hR reine recevait 600 louis le
premier du mois et, à la vérité, les employait si bien
à donner que, quinze jours après, souvent elle n'avait
pas le sou ; et je l'ai vue emprunter vingt-cinq louis
un jour dans son antichambre, pour une pauvre
malheureuse qui était venue se jeter à ses pieds. »
Tant qu'elle riait, chantait, dansait, on la décla-
rait frivole ; quand elle ne s'amusa plus, on la déclara
intrigante. Vient ensuite un parallèle, assez imprévu,
avec la vertueuse épouse de Louis XV.
Marie- Antoinette, « prisonnière d'État dans son
château de Versailles, prenait quelquefois la liberté
d'en traverser à pied, suivie d'un heyduck, une des
galeries, pour aller chez Madame de Lamballe, ou
Madame de Polignac : quel scandale affreux I La
feue reine Leczinska se rendait en chaise à porteur
chez Madame de Talmont, sa cousine, où elle trouvait
assez mauvaise compagnie de jeunes Polonais, pa-
rents ou qui se disaient l'être des Leczinsky ».
' — ;...'.---.
.4 P.^.\. ,-h<-'
f r„^,,ir ../ NjpJlij . rut S. JaCifUéj j In Villii Jt ùiutaflt»^
.i.p. D. n.
FIG. llî'. - I.'EMPEnEUn JOSI.IM M
LES AMOUREUX DE LA REINE 4^1
Marie-Antoinette, sauf les jours d'étiquette, qui
réglait sa toilette d'apparat, ne craignait pas de
se montrer en cheveux, ce qui faisait chuchoter.
Mais on ne disait rien de Marie Leczinska, « vieille
de bonne heure, assez laide », toujours coiffée de
bonnet ou « papillon », lorsqu'elle se rendait au spec-
tacle où l'on représentait « des pièces un peu fortes ».
L'argument est, on l'avouera, assez mal choisi, et
l'avocat compromet sa cause à la vouloir trop dé-
fendre. Courtisan supérieur, enfant gâté de l'art
de plaire 37, le prince de Ligne parle de la reine comme
d'une femme qui lui a témoigné des attentions aux-
quelles il est resté sensible, et dont il a conservé le
souvenir reconnaissant. Ce cavalier servant était un
galant homme.
Ligne avait, du reste, en matière d'amour, des
idées arrêtées; « car c'était, sous sa légèreté, une tête
fort raisonnable et même réfléchie ». Quand Marie-
Antoinette lui dit : « Ma mère trouve mauvais que
vous soyez si longtemps à Versailles ; allez passer
quelques jours à votre commandement ; écrivez des
lettres à Vienne, pour qu'on sache que vous y êtes
et revenez », il versa d'abord des larmes, mais il ne
tarda pas à se ressaisir. « Comme je ne crois pas,
écrit-il, aux passions qu'on sait ne pouvoir jamais
devenir réciproques, quinze jours me guérirent de
ce que je m*avoue ici à moi-même pour la première
fois, et que je n'aurais jamais avoué à personne, de
peur qu'on se moquât de moi. »
Sceptique sentimental, tel nous apparaît le prince,
1)1(11 (lue ces deux mots jurent d'être accouplés.
On no lui a connu qu'une afTection : son fils, dont la
mort le laissa ineonsolé. Marie-Antoinette exerça
432 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
sur lui, comme sur bien d'autres, son magnétisme ;
elle ne le conquit pas, du moins, complètement.
On n'en saurait dire autant du Suédois Fersen.
Pour celui-là, le procès est plaidé et définitivement
jugé. Par une sorte de pudeur qui n'est plus de saison
dans un siècle où la vérité, quelque obscurcie qu'elle
soit par les préjugés de caste ou par des considé-
rations extérieures, finit toujours par se laisser décou-
vrir, on a longtemps hésité à imputer à la reine, dont
le martyre fut si héroïquement supporté, une passion
qui ternit dans quelque mesure son honneur, quel que
soit le mobile qui l'ait inspiré : ce mobile, ce fut un
amour sincère, réel, et qu'on a tout heu de croire avoir
été partagé.
Si nous nous en rapportons à une femme dont les
parents avaient été à portée de voir et de savoir ce
qui se passait à la Cour, « la reine n'a eu qu'un grand
sentiment et peut-être une faiblesse : M. le comte
de Fersen ». Quand ce « Suédois, beau comme un
ange et fort distingué sous tous les rapports, vint à
la Cour de France, la reine fut coquette pour lui,
comme pour tous les étrangers, car ils étaient à
la mode ; il devint sincèrement et passionnément
amoureux, elle en fut certainement touchée, mais
résista à son goût et le força à s'éloigner. Il partit
pour l'Amérique, y resta deux années, pendant les-
quelles il fut si malade qu'il revint à Versailles, vieihi
de dix ans et ayant presque perdu la beauté de sa
figure. On croit que ce changement toucha la reine ;
quelle qu'en fut la raison, il n'était guère douteux
pour les intimes qu'elle n'eût cédé à la passion de
M. de Fersen 3».
Madame Campan, qui avait été fort avant dans les
OINKI ii
l)E IHiNCi
FK;. llO — MAMl. AM.^IM 1 I I.
(D'après Fkedou)
38
LES AMOUREUX DE LA REINE
435
confidences de Marie-Antoinette, s'est montrée sur
ce chapitre très réservée, du moins dans ses Mémoires;
elle a été moins discrète dans ses conversations que
dans ses écrits. Par elle nous savons que Fersen était,
FIG. 121. — M. DE PERSEN
dans le boudoir ou la chambre à coucher de la reine,
en tête à tête avec S. M., pendant la fameuse nuit du
6 octobre. Il aurait échappé à grand'peine au danger
d*ètre découvert, grâce à un déguisement que Ma-
dame Campan lui procura ^'^. Un diplomate anglais <•
alfirme qu'il tenait cette particularité du prince de
436 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Talleyrand, auquel il répugnait généralement « de rap-
porter des anecdotes défavorables à la famille royale
de France ». Talleyrand assurait tenir lui-même le
fait de la bouche de Madame Campan. Voilà une
affirmation d'une précision troublante. On sait,
d'autre part, que l'un des descendants de Fersen a
publié la plus grande partie de la correspondance
de Marie-Antoinette et de son adorateur ; malheu-
reusement, les originaux ont été brûlés. Il est, ce-
pendant, un billet qui a échappé à cet autodafé et,
au regard de la critique historique, il a une impor-
tance qu'il serait superflu de souligner. Il ne porte
pas de date, mais il est vraisemblablement de sep-
tembre 1791 (ou 1792 ?). Il est, on va tout de suite
en juger, terriblement explicite ^i
...Je peux vous dire que je vous aime, et je n'ai même
le temps que de cela. Je me porte bien, ne soyez pas
'* inquiet de moi. Je voudrais bien vous savoir de même.
Écrivez-moi un chiiïre par la poste ; l'adresse à M. de
Brouvne, une double enveloppe à M. Gougeno. Faites
mettre les adresses par votre valet de chambre. Mandez-
moi à qui je dois adresser celles que je pourrai vous
écrire, car je ne peux plus vivre sans cela. Adieu, l'e
plus aimé et le plus aimant des hommes. Je vous em-
brasse de tout mon cœur.
On a souvent reproduit la lettre que le comte de
Creutz, ambassadeur de Suède, adressait à son sou-
verain, et dont nous rappelons l'extrait principal :
« Je dois confier à V. M. que le comte de Fersen a
été si bien vu de la reine, que cela a donné des om-
brages à plusieurs personnes. J'avoue que je ne puis
m'empêcher de croire qu'elle avait un penchant
LES AMOUREUX DE LA REINE
/Î37
pour lui, j'en ai vu des indices trop sûrs pour en
douter. » On sait aussi la part prise par Fersen à la
préparation de l'évasion de la famille royale : ce fut
FKi. 122.
LE CIlANCLLILIt l'ASoUIlCH
lui qui conduisit, déguisé en cocher, la fameuse ber-
line jusqu'à Bondy ; il revint en France au mois de
février 1792, époqii< :i hnjiK II» il vit la reine pour la
dernière fois, mais il entretint avec elle une corres-
pondance suivie, par la suite. Cette correspondance,
438 LA PRIiNGESSE DE LAMBALLE liNTIME
on vient de l'apprendre, était chiffrée. En outre,
Fersen, pour plus de précaution, employait de l'encre
sympathique. Marie-Antoinette, de, son côté, pour
faire revivre les caractères, avait recours à un ingré-
dient chimique, qui lui était fourni par son « apo-
thicaire », vraisemblablement le savant Bernard-
Derosne '^^ dont la pharmacie n'a disparu qu'en ces
dernières années ; la reine se plaint parfois qu'elle
n'a pu déchiffrer l'écriture avec l'eau dont elle s'était
servie, sans doute parce qu'elle s'était éventée et
avait perdu sa vertu.
On a le droit de s'étonner que, dans les lettres
qui ont été livrées à la publicité, maints passages
aient été laissés en blanc, ce qui a pu donner lieu
aux suppositions les plus désavantageuses pour la
mémoire de la reine : on ne songe pas à expurger
une correspondance qui n'olïre rien de suspect.
Est-ce Fersen qui « a tiré un voile d'encre sur les
sentiments et les aveux que nous ne devions point
connaître » ? Sont-ce les héritiers de ses papiers ?
Il n'importe. Il est bien d'autres preuves de la con-
fiance affectueuse, pour ne pas dire plus, que la reine
ne cessa de témoigner à celui qui, seul peut-être, à
été l'élu de son cœur.
Au moment de la fuite de Varennes, c'est à Fersen
que Marie-Antoinette confia le portefeuille qui ren-
fermait ses plus précieux papiers ; dans ce porte-
feuille, il y avait, au dire de quelqu'un qui l'avait eu
entre les mains, un compartiment secret, contenant
des choses... inexpressibles 43. La reine avait donné à
son amant, dans une autre circonstance, un médaillon
contenant de ses cheveux ^4. Parlera-t-on encore
après cela, de « simple et chaste idylle » ?
FIG. 123. — MADAME DE DOIGNE
LES AMOUREUX DE LA RELNE 4^|1
Quant au désintéressement de l'ami de la
reine, il y a un document bien gênant pour ceux qui
s'en portent garants. Quelqu'un a eu l'idée d'ouvrir
le Livre rouge (ou liste des pensions secrettes (sic)
sur le Trésor public, contenant les noms et qualités
des pensionnaires, l'état de leurs services et des ob-
servations sur les motifs qui leur ont mérité ce trai-
tement +5)^ or qu'a-t-on relevé à la page 18 ? Le
comte de Fersen, mestre de camp, propriétaire du
régiment de Royal-Suédois, est porté pour la somme
de 150.000 livres : !« lOO.GOO livres, à la recomman-
dation de la reine ; 2» 50.000 livres, en considération
de la distinction de ses services. Le rédacteur n'y a
certainementpas mis d'ironie, elle ressort du libellé
même, rédigé en toute ingénuité.
Les contemporains ont su, d'ailleurs, à quoi s'en
tenir ; et, à ce sujet, il nous revient une anecdote,
rapportée par Sainte-Beuve ^^y et que nous croyons
peu connue.
Un soir, on avait parlé, chez l'ancien chancelier
Pasquier, de Marie-Antoinette ; la question de ses
amants avait été mise sur le tapis. M. Pasquier,
âgé de quatre-vingt-dix ans, était parti à ce pro-
pos, vif, brillant, comme un jeune ancien roya-
liste, comme un chevalier de la reine en 89. Après
le dîner et dans la même soirée, M. Giraud, de l'Ins-
titut, alla faire visite à Madame de Boigne, qu'il
trouva seule, et il se fit un plaisir de lui raconter la
belle vivacité du chancelier et sa défense de l'imma-
culée Marie-Antoinette. Là-dessus, Madame de
i^oignc, née au sein de l'ancienne Cour, élevée sur
les genoux de Mesdames, filles de Louis XV, et au
fait, par la tradition directe, de tout cet intérieur
442 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
de Versailles et de Trianon, n'y put tenir, et dans un
beau mouvement d'impatience, reprenant le ton
d'une grande dame vis-à-vis de l'ancien robin qui
parlait de ces choses avec tant d'assurance, elle
s'écria d'un accent que rien ne saurait rendre :
« Et qu'en sait-il, Pasquier ? »
Il y a quelques années, dans un salon parisien,
quelqu'un mit en discussion si l'historien avait le
droit de tout dire, ou s'il y avait des « points réservés »
auxquels il lui était interdit de toucher. JM. de
Nolhac, le très érudit conservateur de Versailles à
cette époque, et qu'on peut considérer comme un
des meilleurs historiens de Marie- Antoinette, avait
jusque-là gardé le silence ; il le rompit tout à coup
pour s'écrier : « J'ai dans mes tiroirs les preuves
irrécusables que Marie-Antoinette n'était pas fidèle
à Louis XVI... » A quelqu'un qui lui demandait
s'il possédait des documents sur le manque de
foi conjugale de la reine, il répondit qu'il n'ai-
derait point, pour sa part, à résoudre la question
qu'on venait de soulever, n'ayant pas dans ses ti-
roirs les pièces qui lui avaient été communiquéer,
mais il ajoutait : « Dans l'état actuel de mes re-
cherches, je crois que la reine a aimé seulement
M. de Fersen ^'^. » C'était répondre avec autant de
tact que de prudence; mais combien une pareille
déclaration a de poids, émanée d'une bouche aussi
discrète qu'autorisée 1
NOTES DU CHAPITRE XVII
1. M. DE NoLHAC, la Reine Marie- Antoinette, 205
2. Hist. de France, loc. cit.
3. Essai historique sur la vie de Marie-Antoinette.
4. Op. cit., 206.
5. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. IV, 254.
6. Ces messieurs suivaient Marie-Antoinette en qualité
d' « externes «, suivant l'expression de Mercy ; ils étaient
autorisés à passer la journée à Trianon, sans y avoir de
logement cependant. L'ambassadeur craignait que l'excès
de leur faveur ne les portât à quelque démarche compro-
mettante pour cette princesse. (Cf. (î. Desjardijis, le Petit
Trianon, chap. VI).
7. V. les Observations sur les Mémoires de Madame Campan,
par Flammermont, 85 et suiv.
8. Notamment, les Mém. de la Société des sciences morales, des
lettres et des arts de Seine-et-Oise, t. XVI, 57 et suiv.
9. Du moins le prétend Mme de Créquy (Souvenirs,
lome VI, 11] et suiv.), et l'éditeur des Mémoires de la mar-
fiuise ajoute que « l'opinion de Mme de Créquy a toujours été
celle de la famille royale et celles de toutes les femmes at-
tachées à la maison de la Reine- ». C'est au point que la
duchesse d'Angouléme aurait toujours refusé de lui accor-
der une audience. Sans doute, pardonnait-on diflicilement
h Mme Campan, qui avait dirigé la niaison d'Ecouen sous
le premier Empire, après avoir été comblée de faveurs par
la Royauté, d'avoir accepté les faveurs de l'Usurpateur.
10. Cf. Mémoires de la Société des sciences morales, etc., de
Seine-et-Oise, tome cité, 54.
11. Pour qui sera curieux de les connaître, nous renvoyons
à la lievue rétrospective (de Taschereau), octobre-décembre
1883, !'• série, t. I, 85101.
12. Jtevue des Deux Mondes, t. XCV (1889), 673 et 8.; article
de M. V. Pu Bi.BD : Un amour platonique au xviir siècle.
444 ^^ PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
13. Dès 177G (le 18 décembre), Mercy-Argenleau écrivait à
Marie-Thérèse : « Parmi le nombre des étourdis auxquels la
reine donne un accès beaucoup trop libre, il en est un fort
dangereux par son esprit remuant et par l'assemblage de
toutes sortes de mauvaises qualités : c'est le duc de
Lauzun... »
14. Mercy, t. II, 1G5.
15. ID., t. I, 39.
16. Mém. de Madame Campan, I, 211; Mercy, t. III, 285.
17. Campan, t. II, 27.
18. Id., t. I, 73.
19. Louis Lacour, Catalogue des livres du boudoir de Marie-An-
toinette.
20. Correspondance (édition d'ARNETH et Geffrot), t. I, 73 et
passim; t. II, 4.53; t. Ill, 114.
21. FlamxiermoiNT, op. cit., 16 et s.
22. Le beau-père de l'auteur des Mémoires.
23. G. Desjardins, le Petit Trianon, 137, 138.
24. Magasin encyclopédique, de Millin, année 1792, 169.
25. Une partie de ces livres fut transportée dans une ville
de province, à Périgueux, lors de la création des Écoles
centrales du département, c'est-à-dire en 1795. « A cette
époque, écrit M. Charles Daubige, le Directeur de l'Ecole
centrale de la Dordogne fut invité à envoyer à Paris une
pcr.-onne chaigée de choisir et de soumettre à l'agrément
de l'autorité supérieure les ouvrages destinés à former les
premiers éléments de la bibliothèque dont il s'agissait de
doter l'établissement nouvellement fondé. Arrivé à Paris,
le délégué s'en alla trouver le conventionnel Pinet, qui
élait de la Dordogne, lequel, désireux de favoriser son
compatriote, obtint pour lui qu'il fût mis en présence des
débris de la bibliothèque du tyran et des volumes qui
avaient appartenu aux princes et aux princesses de sa fa-
mille. » Le citoyen délégué jeta son dévolu sur les livres
qui faisaient partie de la bibliothèque réservée à Marie-
Antoinette et qui, à la suppression de l'École centrale, furent
versés à la bibliothèque municipale de Périgueux, où ils
doivent encore se trouver. A part quelques livres futiles,
comme la Paysanne parvenue, du clievalier de Mouy, ce
sont en général des ouvrages classiques, comme les Géor-
giques de Virgile, les Œuvres de Fontenelle, le théâtre de
Regnard, etc. « Ces volumes, de formats différents, sont
uniformément reliés en veau rouge sombre, granités de
points noirs... reliure dite porphyre; sur les plats, on voit,im-
LES AMOUREUX DE LA REINE 44^
primées en or, les armes de France et de la maison d'An-
triche ; sur le dos, le litre de l'ouvrage ; et au bas, les let-
tres Ç. T. (château des Tuileries), surmontées de la
couronne royale; les tranches ne sont pas dorées. »
26. Entre autres, un exemplaire des Découvertes sur le feu,
l'électricité et la lumière, offert à Marie-Antoinette par le
démagogue Marat, alors « médecin des gardes du corps dn
comte d'Artois ». Cf. nos Indiscrétions de Vhistoire, t. I
27. Par G. lïESJARDiNs, op. cit., 411-'I61.
28. Id., ibid., 13(5.
29. Cf. Bibliothèque de Marie-Antoinette aux Tuileries, par E. Q.
B. (Ernest Quentin-Beaughart), p. V.
30. Voir nos Légendes et Curiosités de l'histoire, t. I.
31. Mercy-Argenteau, Correspondance, t. III (au mot Lectures).
82. Desjardins, op. cit., 136.
33. Déjà les mômes abus s'étaient manifestés dans la so-
ciété de la princesse de Lamballe, à qui on avait fait un
revenu de plus de 300.000 livres. La charge inutile de sur-
inLendante de la Maison de la Reine, qui rapportait au
moins 150.000 livres, avait été rétablie pour la pr4ncesse;
son frère avait obtenu 40.000 livres de pension et un régi-
ment, avec 14.000 livres d'appointements au lieu des
4.(100 livres réglementaires. On avait donné à la comtesse
de la Marche, amie de Mme de Lamballe, après sa sépara-
tion d'avec son mari, une pension de 60.000 livres. Il y
avait une rivalité continuelle entre Mme de Polignac et
Mme de Lamballe, celle-ci fatiguant constamment la
reine de ses réclamations, pour elle ou pour les mem-
bres de sa famille; celle-là s'y prenant plus adroitement,
mais non moins avide, sinon pour elle, au moins pour
ceux qui lui tenaient au cœur.
J4. Mémoires du Prince de Montbarey, t. III, 264.
55, Elle a été recueillie par Malte-Brun {Le Spectateur^
t. 1, 67 et s.)
36. « C'est au cours d'une de ces promenades à cheval,
qu'il faisait tout seul avec la reine, que celle-ci apprenait à
.son cavalier tous les pièges qu'on lui avait tendus pour lui
donner des amants. Tantôt, c'était la Maison de Noailles,
(jui voulait qu'elle en prit le vicomte; tantôt la cabale
Choiseul, qui lui destinait Biron (Lauzun) qui depuis...
mais alors, il était vertueux. » S\MK-IiEUVB, cité par DussiBUX»
le Château de Versailles, t. II. L'I.
37. Cf. la Revue critique des idées et des livret, 26 juillet 1914
(Anecdotes du Prince de Ligne, par Pierre Sildert).
(4^ LA PRINCE6SE DE LAMBALLE INTIME
38. Mémoires de Madame de Boigne, t. I, 32.
39. « Lorsque la calastrophe arriva, que le palais fut
forcé, la reine se sauva dans les appartements du roi; mais
son confident courut les plus grands dangers et n échappa qu'en
sautant par une fenêtre. » Ceci est rapporté au t, VI, pp. 395
et s., de la première édition du Mémorial de Sainte-Hélène, du
comte de Las Cases, Paris, 1823. C'est au mois d'octobre
1816 que Napoléon tint ce propos, et il dit, à ce sujet, à
ses compagnons de captivité, que « Madame Campan
l'avait souvent entretenu des plus petits détails de la vie
privée de la reine », ajoutant que Madame Campan « méri-
tait d'être considérée comme une bonne autorité ». Inter-
médiaire des chercheurs et curieux, 30 mars 1908, col. 458-9.
40. Souvenirs diplomatiques de lord Holland, publiés par son
fîls; traduits de l'anglais par H. de Chonski; Paris, 1851,
p. 14, note.
41. Nous en devons la connaissance à M. Lucien Maurt,
qui l'a reproduit dans la Bévue bleue, du 8 octobre 1910.
42. Modes et usages au temps de Marie-Antoinette, par le comte
de Reiset, t. II, 274.
43. Hippolyte Castille, Portraits politiques au dix-neuvième
siècle : Michelet ; Paris, 1856, in-32, p. 32-4.
44. Elle lui avait fait tenir un anneau, « juste à sa me-
sure », et qu'elle avait»' porté deux jours avant de l'em-
baller »,par l'entremise du comte Eslerhazy, en l'accompa-
gnant de mots très affectueux à l'adresse de Fersen (Cf.
Mémoires du comte Valentin Eslerhazy, par Ernest Daudet; Pa-
ris, Pion, 1905).
45. De l'Imprimerie royale, 1790; prix : quatre livres.
46. Elle se trouve dans les Cahiers de Sainte-Beuve (Paris,
1876), p. 136.
47. Lettre particulière, à nous adressée le 25 août 1905,
CHAPITRE XVIII
LES LIAISONS FEMININES DE MARIE-ANTOINETTE
Les auteurs des libelles où la reine de France
est traînée dans la fange se sont montrés beaucoup
plus indulgents à l'endroit de ses amitiés mascu-
lines que de ses liaisons féminines. L'écrivain ano-
nyme du Portefeuille d'un talon rouge, dans le lan-
gage perfide et plein de sous-entendus qui lui est
propre, accuse Marie-Antoinette de s'enfermer avec
la duchesse de Polastron ; mais, s'empresse-t-il
d'ajouter, Madame de Balbi s'enferme bien avec
Madame (l'épouse du comte de Provence), et cela
ne fait point jaser \ Le pamphlétaire parle ensuite
de la faveur qu'accorde la reine à la duchesse de
Péquigny, devenue duchesse de Chaulnes ; mais
celle-ci est une femme d'esprit; sa conversation,
toujours enjouée, est assaisonnée de divertissantes
plaisanteries : ne va-t-elle pas jusqu'à railler son
époux, qui s*est avisé de vouloir un jour « disséquer,
anatomiser », et qui, après avoir renoncé aux avan-
tages de l'homme de cour, s'est déterminé à se faire,
simplement, philosophe, chimiste et physicien ?
448 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
C'est la duchesse de Chaulnes, ci-devant Péquigny,
qui disait un jour à la dauphine : « Je ne sais, Ma-
dame, ce que c'est que le saiil de V anguille ; je ne l'ai
jamais fait ; il demande, dit-on, beaucoup de sou-
plesse dans les reins ; mais quel qu'il soit, le plus
beau saut que j'aye jamais vu, le plus grand et le
plus merveilleux, est celui de la Du Barry qui, des
bras des laquais, est sautée dans ceux du roi. »
Et Marie-Antoinette, à ces mots, de rire aux larmes,
et de répéter à son entourage les saillies de sa dame
d'atours. Voilà, semble-t-il, des jeux bien innocents,
mais à laisser prendre cette familiarité on court le
risque d'être un jour soi-même l'objet des railleries
et des sarcasmes. La duchesse de Péquigny, dont on
convoitait la place, ne tarda pas à être sacrifiée et
remplacée par Madame de Saint-Mégrin, qui occupa
peu de temps ce poste envié et obtenu par Madame
de Cossé. Pendant le règne de ces trois dames, on
avait remarqué que la reine n'avait jeté les yeux sur
aucun des jeunes gentilshommes qui gravitaient au-
tour d'elle, à part le comte d'Artois. Un moment,
elle s'attachait à la comtesse de Dillon, mais cet
engouement fut de courte durée ^.
La reine avait pris et renvoyé au bout de peu de temps
Madame de Noailles, celle qu'elle avait surnommée
Madame VÉliqvei'e, puis elle s'était attaché Madame
de Lamballe, pour qui elle ne tarda pas à se prendre
d'une très tendre affection.
Les courses en traîneaux avaient été l'occasion des
débuts de la faveur de la princesse. Belle, rose et
blanche, enveloppée de riches fourrures, cette der-
nière frappait tous les regards et réunissait tous les
suffrages. La reine jusque-là n'y avait guère fait
LES LIAISONS FÉMINLNES DE MARIE-ANTOINETTE 4^|9
attention, mais tout changea lors des courses en
traîneaux. La princesse de Lamballe parut avec une
gaieté si naïve, avec tant de grâce, que Marie-Antoi-
i4^
FIG. 124. — MADAME DE UALU
nette commença à désirer qu'elle fît partie de sa
société intime \
C'était alors la mode qu'une femme n'allât à
Versailles, à l'Opéra, ou dans le monde, qu'accom-
29
/|5o LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
pagnée d'une amie, d'une inséparable, « à laquelle
on écrivait au moins un billet chaque matin, et avec
laquelle on courait le reste de la journée ». C'est ainsi
que Marie-Antoinette fit choix de la princesse, dont
on lui avait vanté la bonté de cœur et la douceur
de caractère, et que son rang, sa parenté avec la
famille royale, désignaient plus que toute autre. On
ne lui prêtait pas beaucoup d'esprit, mais elle jouis-
sait d'une réputation intacte. Jusque-là, du moins,
la calomnie n'avait pas mordu sur elle.
On a retrouvé, aux archives de Vienne, le récit
d'une conversation entre l'abbé de Vermond et la
reine, doublement curieuse par la liberté de repro-
ches que se permettait l'abbé, et par le peu de souci
que prenait la reine de ses trop justes observations.
Il était question d'un prêtre qui avait été le con-
fesseur, à Vienne, de la jeûne archiduchesse. « Il eût
voulu, dit-elle à Vermond, me rendre dévote. —
Comment eût-il fait ? répliqua l'abbé ; je n'ai pu,
moi, vous rendre raisonnable... Par exemple, vous
êtes devenue fort indulgente sur les mœurs et la
réputation de vos amis et amies. Je pourrais prouver
qu'à votre âge, cette indulgence, surtout pour les
femmes, fait un mauvais effet ; mais enfin, je passe
que, si vous ne prenez garde ni aux mœurs ni à la ré-
putation d'une femme, vous en fassiez votre
société, votre amie, uniquement parce qu'elle est
aimable. Certes, ce n'est pas la morale d'un prêtre;
mais que Tinconduite en tout genre, les mauvaises
mœurs, les réputations tarées et perdues soient un
titre pour être admis dans votre société, voilà ce qui
vous fait un tort infini. Depuis quelque temps, vf)us
n'avez pas même la prudence de conserver hoison
I K.. 125. ^ MARIE-ANTOINETTE, DAUPHINE
(Pantel de Ducbbux)
^|52 LA P::INCESSE DE LAMBALLE INTIME
avec quelques femmes qui aient réputation de raison
et de bonne conduite. » Vermond ajoute, pour finir,
que « la rdne a éeout^ avec un sourire et un© sorte
d'applaudissement et d'aveu tout le sermon,,, elle
n'a relevé que le dernier article, en citant, comme
jonne réputation, la seule Madan^e ele Lamballe ».
Cette amitié de la reine pour la princesse fut-elle
équivoque ? Madame Gampan croyait, avons-nous
dit, à l'innocence de leurs relations ; il est, teute^
fois, une phrase du comte de Merçy-Argenteau, qui
serait matière à doutes ; parlant de la disgrâce que
Madame de Lamballe s'était attirée par ses exlgence§
continuelles, pour faire obte^ùr toutes sortes de la-
veurs à ses proches, le rude censeur est d'avis qu(
son discrédit vint surtout « des importunités en-
nuyeuses de sa jalousie ». Qu'est^ce k dire ? Ce qu-
est certain, c'est que, dès 1776, courait un couplet
obscène, où la surintendante était mise en cause
d'une façon assez fâcheuse et, au dire du libraire
Hardy, qui l'a consigné dans son Journal^ cette chan-
son, c'étaient les dames de la Cour qui l'avaient mise
en circulation ; contentons-nous, faute de preuves,
de répéter ce qu'en disent les Mémoires sccf^l^ i,
qu' « elle travestit criminellement l'amitié de h
reine pour Madame la princesse de Lamballe »,
Les Mémnres secnU SOUt comme i le reflet... de
l'Œil-de-Bœuf et des antichambres de Versailles ? ^^
la gazette indiscrète, mais souvent véridlque, de
ce qui se passe à la Cour. Or, qu'y lit-on ? Que
« Sa Majesté fait souvent des parties avec elle (Ma-
dame de Lamballe) au Petit Trianon, ou Petit Vienne,
et qu'elle n'y admet que quelques dames de sa suite,
sans aucun homme ». Lorsque 'a reine voulait se
LES LIAISONS FEMININES DE MAHIE-ANtOINETTE 4^3
libérer de toute étiquette, c'était chez la surinteii-
dante qu'elle Conviait ses invités, c'était chez
Madame de Lamballe que se donnaient les bals où
n'étaient admis que quelques privilégiés.
La princesse occupait alors à Versailles un loge-
ment de douze pièces et onze entre-sols, au premier
étage (deuxième sur la rue), à l'angle de railê du midi,
donnant sur la cour de Monsieur et sur la rue de la
Surintendance. Cet appartement, précédemment oc-
cupé par son beau-père, le duc de Penthièvre, avait
été abandonné par Celui-ci à sa bclle-fille. L'installation
de celle-ci au palais date de la fin de 1775 ; l'année
suivante, elle y apporta de grandes modifications.
La princesse quitta son premier appartement en
1778 ; lorsqu'eBedutle céder pour le petit duc d'An-
goulôme, fils du comte d'Artois, elle descendit dans
celui qui était situé immédiatement au-dessous et
qui comprenait le même nombre de pièces ^,
Marie-Antoinette n'avait plus, à cette époque, ses
habitudes chez la surintendante ; néanmoins, on ne
manquera pas de faire observer malignement que,
certain jour, *« la reine a soupe chez Madame la
princesse de Lamballe, où elles étaient douze
femmes, sans aucun homme, apparemment par
étiquette ». Le venin si' faisait déjà sentir.
La retraite de Madame de Noailles déchaîna
de nouveaux libelles; les insinuations se firent plus
précises. (< Embrassades, courses, signes, gestes, vi-
sites, confidences, conversations, privautés, tout
était mal interprété. L'œil malin du courtisan obser-
vait tout et supposait à tout un but criminel vl Ul
que Juvénal et saint Paul en parlent, en décrivant
les mœurs infâmes et les inclinations perverses des
454 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
dames de Rome 7. » La reine, avertie, crut donner
le change et dissiper la calomnie en accordant ses
préférences au chevalier de Coigny ; l'inspiration
n'était pas heureuse, car les courtisans s'empressèren"
d'accourir en poste de Versailles au foyer de l'Opéra
pour confier à des chanteuses, leurs maîtresses, la
bonne fortune du chevalier.
La reine devint enceinte ; dès que la grossesse
fut déclarée. Madame de Lamballe reprit faveur.
Durant les couches, l'amie dévouée ne quitta pas sa
souveraine, mais vint une distribution de béné-
fices, ce furent encore les protégés de Coigny qui
participèrent à la curée.
Après les relevailles, les parties de plaisir reprirent ;
les bruits calomnieux recommencèrent à circuler, ils
visaient cette fois la nouvelle favorite, Madame de
Polignac. Madame de Polastron, mariée à un comte
de Polignac, était le type des intrigantes de Cour.
« La nouvelle favorite, par la tournure de son esprit
et par la douceur de son caractère, a su plaire au
roi comme à la reine ; elle a profité de sa faveur pour
faire entrer, dit-on, près de deux millions de revenus
dans les différentes branches de la maison de Poli-
gnac et, par là même, cette comtesse Jule est devenue
en Cour un objet d'adoration publique et d'envie se-
crète. »
Sur la princesse de Lamballe, aucune articulation
nette, rien que de vagues on-dil ; on l'effleure en pas-
sant : à ronger la lime s'usent les dents du ser-
pent ; on avait plus de prise sur Madame de Poli-
gnac, la séduisante comtesse Jvle ^. Longtemps avant
que le titre de gouvernante des enfants de France
l'eût rendue le point de mire de l'envie et de la calom-
LES LIAISOxNS FEMLNLNES DE MARIE-ANTOINKTTE ^^D:^
nie, elle était déjà l'objet de gravures, de caricatures,
de chansons et de pamphlets de toute espèce ^.
Comment avait débuté la liaison de la reine et de
la favorite ? C'est à un de ses bals d'été, que Marie-
Antoinette, pour la première fois, avait remarqué Ma-
dame de Polignac. Celle qui deviendra la dépositaire
de toutes ses pensées, la conquit dès l'abord et main-
tiendra sur elle son empire pendant près de quinze
ans ^^
L'ambassadeur d'Autriche en France mandait à
son impériale correspondante, que la reine se pro-
mène dans les antichambres avec son amie, en la
tenant sous le bras, « ce qui produisait le plus mauvais
efTet ». Une autre fois, il rapporte que Marie-Antoi-
nette est allée chez la favorite en petit déshabillé,
ce qui a fortement choqué notre diplomate. Elle
s'enferme plusieurs heures dans son appartement
avec Madame de Polignac ; cette intimité transpire
bientôt hors de la Cour, et les mémorialistes vont h
leur tour s'en étonner et en informer le ])ublic. Ils
impriment, dans leurs gazettes, qu'un « dimanche,
à une heure, la reine s'est rendue rue de Bourbon,
chez sa favorite, et y a dîné en tête à tête avec elle ;
elle est restée enfermée jusqu'à cinq heures qu'elle
est repartie. Madame la princesse de Chimay, dame
d'honneur de S. M., qui l'avait accompagnée, n'a
pas même assisté à l'entrevue et, après avoir pris
des ordres pour le départ, a dû se retirer. On forme
mille conjectures sur le tête-à-tôtc et sur les augustes
secrets que la souveraine y a déposés dans le sein
de l'amitié ».
Madame de Polignac, devenue enceinte, se retire
à Passy : il est décidé que la Cour viendra passer
LA PRINCESSE DE LAMHALLE INTIME
'à-'m
neuf jours à la Muette, pour que la Reine, lors
de raccouchement, soit à portée de son amie. On se
demande si l'enfant qui va naître est du marquis
de Vaudreuil, puisque le comte de Polignac est en
province depuis un an. Quoi qu'il en soit, les fa-
veurs pleuvent sur la comtesse ; celle-ci coûte à
l'État des sommes immenses, et l'on évoque le sou-
venir de Madame
de Pompadour. Suit
un parallèle, qui se-
rait plutôt à l'avan-
tage de cette der-
nière. « Madame de
Pompadour avoit des
amans, Jule vit
publiquement avec
M. de Vaudreuil, et
ce qu'il y a de plai-
sant, c'est qu'il est
aussi bien avec la
reine et le roi qu'a-
vec la comtesse Jule.
Madame de Pom-
padour vendoit des
emplois, des bénéfices, des charges, des évêchés,
etc., etc. Madame Jule vend pareillement évê-
chés, bénéfices, emplois, charges, etc. Madame
de Pompadour enrichit sa famille et mit son
frère Poisson au bleu, celle-ci en fait autant ; au
moins commence-t-elle par son mari, qu'elle a fait
duc... Cela est actuellement à un point d'indécence
tel que la famille des Polignac et celle des Grammont
envahissent tout, demandent tout, et que l'on ne
FIG. 126. — MADAME DE POLIGNAC
LES LIAISONS FEMININES DE MARIE-ANTOINETTE 457
peut faire un pas sans les trouver dans son chemin
en opposition '^ »
La comtesse Jule accouciie, Marie-Antoinette
accourt à son chevet. On trouve singulier que la
p,(. 127. _ MAIME-CAROLINF. DE NAPLÊ6, SffeUft
Dt: MAhtË-ANTOlNfeTTE
comtesse, au lieu de s'installôr chez son amant. n*ait
pas lait ses couches au château de Versaine<^, afin
d'éviter un dérangement à sa royale amie. On laisse
parler les méchantes langues et, bravant roplnion.
la reine donne à Madame de Polignac une layette
458 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME \
de 80.000 livres; le roi y joint un présent en argent
de pareille somme.
On s'est demandé quelle créance il fallait ajouter
aux imputations portées contre la comtesse, quelle
a été la nature de ses relations avec Marie-Antoi-
nette. Ce qui est sûr, c'est que si la plupart des
pamphlets — à peine en peut-on citer deux ou
trois qui font exception — épargnent la princesse
de Lamballe, aucun ne fait grâce à Madame de
Polignac.
On a prétendu que des lettres échangées entre la
reine et la favorite et qui auraient donné peut-être
la clé du mystère, les unes ont été égarées dans
l'exil, les autres ont été brûlées par prudence. Nous
pouvoiis, à cet égard, apporter une révélation, dont
le hasard nous fit, il y a quelques années, le confi-
dent aussi surpris qu'intéressé.
Un gentilhomme de Vienne (Autriche), que le
hasard nous fit rencontrer dans une maison amie,
sachant que nous poursuivions des recherches sur
Madame de Lamballe, nous dévoila qu'il appar-
tenait à une famille où l'on avait longtemps con-
servé une correspondance de la duchesse de Poli-
gnac avec Marie- Antoinette; il l'avait parcourue
dans son entier, et sur ma foi de royaliste, nous dit-
il avec conviction — nous croyons encore l'en-
tendre — je puis vous affirmer qu'il n'y a aucun doute
à conservr.T sur la nature intime de cette liaison ".
Nous Jie conclurons pas, notre opinion se dégage
suffisamment des documents que nous avons pro-
duits. Si nous ajoutons — ici le physiologiste re-
prend son rôle — que les filles de Marie-Thérèse,
pour employer une expression chère à notre toujours
LES LIAISONS FÉML\L\ES DE MARIE-ANTOINETTE ^{SQ
regretté V. Sardou, n'avaient pas la vertu dans le
sang ; que l'une des sœurs de Marie-Antoinette,
Marie-Caroline, a mérité d'être surnommée la Messa-
line de Naples, appellation que lui avait valu son in-
timité plus que suspecte avec lady Hamilton, on
sera moins étonné, si l'atavisme n'est pas un vain
mot, des accusations portées contre l'infortunée
souveraine, qui a payé trop chèrement ses légè-
retés et ses écarts de conduite, pour que nous
ayons la cruauté de l'accabler.
Fie 128. — SOULIER PERDU PAR MARIE-ANTOINETTE
EN MONTANT SUR L'ÉCHAFAUD
NOTES DU CHAPITIRE XVlIl
3. « Madame... était intelligente et sérieuse. Sa conduite
prudente, réservée, contrastait avec les allures plus tapa-
geuses de la Reine ». Le Petit Trianon, par G. DeSjardins,
60.
2. G. Desjardins, op. cit., 75.
3. Comte de t^eisEx, op. cit., t. I, 172.
4. A la date du 21 février l77fi.
5. H. FiLfiisctiMÀtili, les Pàmphtéh libertins contre Marie-An-
toinette. Paris, s. d^
6. Mémoires de la Société des sciences morales, des lettres et
des Arts de Seine et^Olse, t. XVI, 81 et s.
7. Le Portefeuille d'un Talon rouge.
8. V. entre autres libelles dlingés contre Madame de Lam-
balle, la Correspondance secreltê {sic) de plusieurs grands person-
nages illustres, dans laquelle on découvre les causes qui didisèrent
les membres de la famille royale, pendant les dernières années du
règne de Louis XVI, et de l'intimité qui existait entre la reine et
Philippe d'Orléans. Londres et Paris, Lerouge, 1802, 62-4.
9. Mémoires relatifs à la famille royale de France, t. I, 178
et suiv.
10. Mme de Créquy fait de la comtesse Jule un portrait
des plus séduisants : « Elle était, dit-elle, une personne
admirablement jolie, affectueusement polie, décente, obli-
geante et d'une exquise aménité... Elle avait toute la peau
de la blancheur dun narcisse, avec des yeux délicieuse-
ment doux; et ses lèvres charmantes, ainsi que le bout de
ses jolis doigts, étaient naturellement d'un incarnat et d'un
éclat aussi vif que du satin ponceau. » Souvenirs, t. VI, 9.
11. En quelques années, les Polignac eurent près de
cinq cent mille livres de revenus. Le beau-père de la com-
tesse Jule avait obtenu l'ambassade de Suisse, pour être
éloigné de la Cour, « où sa présence gênait ses enfants ».
La comtesse Diane de Polignac, sœur de la favorite, avait
été nommée chanoinesse et dame d'honneur de la vertueuse
LES LIAISONS FÉMININES DE MARIE-ANTOINETTE 4^1
Madame Elisabeth, ce qui était une véritable bravade, car
elle avait une conduite libre jusqu'au scandale ». Quant à
la comtesse Jule, elle avait obtenu de la reine, en 1780,
400.000 livres pour payer ses dettes, une dot de 800.000 livres
pour sa fille, avec le brevet de duc pour son gendre, une
grasse sinécure pour son amant, la charge de gouvernante
des Enfants de France avec survivance. On sait qu'elle ne
paya sa bienfaitrice que d'ingratitude : alors que la prin-
cesse de Lamballe accourait d'Angleterre, quand elle sut
sa royale amie en danger, la Polignac restait à Vienne, où
elle s'abstenait de parler de Celle à qui elle devait tout.
Cette attitude suffit à la juger.
12. Encore une présomption, si l'on veut, pour ne pas
dire plus : les Mémoires secrets rapportent, à la date du 9 no-
vembre 1777, que « Mlle lUucourt, l'actrice célèbre (tribade
notoire), est protégée par la reine, qui n'est, pas éloignée
de payer absolument ses dettes, se montant à 200.000 li
vres ». T. XIV, 199, 200, 235-238
APPENDICE
MARIE-ANTOINETTE ETAIT-ELLE JOLIE
Pour avoir entraîné dans son sillage un pareil cortège
d'adorateurs, il fallait que Marie-Antoinette fût sinon
jolie, dans le sens le plus compréhensif qu'on donne
d'ordinaire à cette épithète, du moins qu'elle eût
un indéniable charme ; sur ce point, tous les contem-
porains sont d'accord. Elle exerçait une sorte de
fascination, qui se manifesta, dans une circonstance,
sous une forme assez déplaisante pour celle qui en
était l'objet.
Durant quelques années, la reine inspira un amour
insensé à un ancien conseiller au Parlement de Bor-
deaux, M. de Castelnaux, qui, pour la voir, la sui-
vait partout, à la chapelle, au jeu public, au spec-
tacle. Il était au fait de ses moindres déplacements
et ne lardait pas à la rejoindre à Fontainebleau, à
Saint-Cloud ; on le trouvait sur les pas de la reine,
sans que jamais il osât lui adresser la parole.
A Trianon, la passion de ce malheureux homme
devenait encore plus importune. Il mangeait à la hâte
un morceau chez quelque Suisse et passait le jour
MARIE-ANTOINETTE ÉTAIT-ELLE JOLIE ? 4^3
entier, même par la pluie, à faire le tour du jardin,
marchant toujours au bord des fossés. La reine le
rencontrait souvent, quand elle se promenait seule
ou avec ses enfants. Cependant, elle ne voulait per-
mettre aucun moyen de violence, pour la soustraire
à cette insoutenable importunité.
On fit entendre à ce doux maniaque, avec toutes
sortes de précautions de langage, que son insistance
était déplacée, pour ne point dire injurieuse, et que
la reine en était très offensée. Il promit de se retirer
dans sa province, mais une demi-heure après il re-
paraissait, se déclarant incapable, par le seul effet
de sa volonté, de cesser de voir la reine aussi souvent
que cela était possible. — « Eh bien, répliqua Marie-
Antoinette, quand on lui porta la réponse du mal-
heureux fou, qu'il m'ennuie, mais qu'on ne lui ravisse
pas le bonheur d'être libre ^ î »
On aimerait à connaître l'appréciation de quel-
qu'un qui ait pu voir la reine de près et nous resti-
tuerait son impression, sans souci de flatterie ou
d'obséquiosité. Henri Bouchot, qui fut le plus ai-
mable et le plus obligeant des conservateurs de bi-
bliothèque, a recueilli, comme à point nommé, pour
satisfaire notre curiosité, le récit d'un témoin ocu-
laire, un de ses grands-oncles, consul de Sardaigne à
Bordeaux, lequel se rappelait parfaitement la reine,
pour l'avoir entrevue, en 1789, dans les jardins de Ver-
sailles. Il la dépeignait* comme une personne plus
grande que lui — il mesurait lui-môme un peu plus
de cinq pieds — blonde plutôt que brune, « encore
que la poudre empêchât de bien juger son cheveu,
et marchant, comme il disait, en poule, c'est-à-dire
en secouant à chaque pas la tête ^ ». Elle ne lui avait
464 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
pas, à tout prendre, paru jolie, mais imposante et
pleine de majesté.
Les peintres ont eu de la peine à rendre les grâces
et les agréments du visage ; aussi, lorsqu'on considère
les portraits de Marie- Antoinette dans le détail,
ou l'on trouve le modèle exagérément flatté, ou
s'il se rapproche de la ressemblance, on constate
qu'il s'éloigne sensiblement de l'idée qu'on aime à
s'en faire i'après la tradition.
Au dire de sa femme de chambre, il n'est de por-
trait exact de Marie- Antoinette qu'une toile de
1785, où elle est représentée avec le dauphin et
Madame Royale, Le roi de Suède, à qui cette toile
était destinée, disait qu'il ne lui ressemblait pas en
beau, mais il la retrouvait telle qu'il en avait
gardé la vision.
« Ce n'était pas sûr que son nez fût celui de son
visage », dit plaisamment un de ses soupirants *.
« Sa bouche était décidément désagréable : cette
lèvre épaisse, avancée et quelquefois tombante (la
lippe autrichienne), a été citée comme donnant à sa
physionomie un signe noble et distinctif ; elle n'eût
pu servir qu'à peindre la colère et l'indignation, et
ce n'est pas là l'expression habituelle de la beauté.
Le caractère étranger de son visage avait frappé bien
des gens : ce type ne se rencontre, en efîet, que rare-
ment dans notre pays ; aussi les Parisiens avaient-
ils coutume de dire, en allant à Saint-Cloud, les
jours de grandes réjouissances : « Nous allons vûir
les eaux et l'Autrichienne. »
Celle-ci était la vivante reproduction des traits
de son père, l'empereur François ; de sa mère, Marie-
Thérèse, elle tenait seulement 1«^ regard perçant et
MARIE-ANTOINETTE ÉTAIT-ELLE JOLIE ? 465
parfois dur, la précocité d'un embonpoint qui lui
faisait la taille « un peu pleine ».
Elle avait une carnation merveilleuse, un teint
m;. \2'J. — WAiUL-ANKJi.NLiii;
(par PonpORATi, 1796)
éblouissant de fraîcheur : « sa peau était admirable ».
Tilly convient qu'il n'a jamais revu d'aussi beaux
bras et d'aussi belles mains.
30
^|06 , LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Un heureux hasard nous permit, il y a quelques
années, de découvrir, dans un magazine s où nous
ne songions guère à l'aller chercher, un portrait de
Marie-Antoinette, moins flatté ou moins flatteur
que la plupart de ceux qu'ont donnés ses thurifé-
raires et qui pourrait, mieux que ces derniers, offrir
les caractères de la ressemblance. Il avait été trouvé,
au cours d'un inventaire de papiers de famille, « au
milieu d'une espèce de journal de cour, rédigé par
celui qui eut un emploi actif auprès du roi Louis XVI».
Le morceau vaut d'être transcrit, sans y rien modi-
fier ; il présente, dans l'ensemble, un grand air de
vérité. Voici comment s'exprime le gentilhomme
qui avait dû certainement approcher la reine, pour
en reproduire aussi fidèlement les traits :
...Je n'ai jamais partagé l'opinion assez générale-
ment répandue sur la, beauté de la reine. Elle avait
ce qui vaut mieux sur le trône que la beauté parfaite :
elle avait la figure d'une souveraine ; et cela, même dans
les instants où elle cherchait le plus à'ne paraître qu'une
joHe femme. Ses yeux n'étaient pas beaux, niais ils
prenaient toutes les expressions : la bienveillance ou
l'aversion se peignaient aisément dans son regard,
comme la tendresse ou le mépris, la noblesse ou la fami-
liarité...
Elle avait deux espèces de démarches : l'une ferme,
un peu pressée, et toujours noble ; l'autre plus molle
et plus balancée, je dirai presque caressante, mais
n'inspirant pourtant pas l'oubli du respect.
On n'a jamais fait la révérence avec tant de grâce,
saluant dix personnes en se ployant en une seule fois,
et donnant, de la tête et du regard, à chacun ce qui lui
revenait. En un mot, si je ne me trompe, comme on
offre une chaise aux autres femmes, on aurait presque
toujours voulu lui approcher un trône»
FIG. 130. _ MAHIE-ANTOINEITH ET »Ëb FRERES
(Musée de Versullle»)
^68 LV PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Ils peuvent se compter, les artistes que les préoc-
cupations courtisanesques ne touchent pas, surtout
quand il s'agit d'une souveraine jeune, universellement
adulée . Ceux « dont le talent est tout de dithy-
rambes » se gardent de souligner les imperfections.
Tandis que Madame Vigée-Lebrun, qui a peint son
modèle dans différentes attitudes, donne à Marie-
Antoinette un nez aquilin aux lignes impeccables,
fait disparaître son menton et rapetisse ses yeux,
des artistes plus sincères nous montrent ces derniers
pas très grands, mais saillants hors des paupières,
avec un brin de myopie, ce qui la faisait juger inso-
lente et moqueuse, parce qu'elle reconnaissait mal ;
et, sans y prendre malice, elle paraissait avoir du
dédain, alors qu'elle avait seulement la vue basse.
Son front était haut, trop haut, et elle ne se faisait
à cet égard aucune illusion : « N'allez pas, dit-elle
un jour à Madame Lebrun, me coilïer bas ; on dirait
que c'est pour cacher mon vilain front. » La reine
aurait voulu dissimuler cette « place d'armes », la
cacher sous des frisottis ou sous des bandeaux, mais
la mode, comme pour la contrarier, s'obstinait à
relever les coifïures jusqu'à l'absurde. Aussi, dans
un pastel peint en 1771, l'artiste a-t-il eu l'idée gra-
cieuse de placer, au sommet de la tête de la jeune dau-
phine, un petit bouquet de boutons de roses, destiné
à masquer les lourdes nattes enroulées en forme de
chignon ; mais ce qu'il ne put dissimuler, c'est l'épais-
seur de la lèvre inférieure et la rondeur du menton.
Nous avons parlé de son cou, une pure merveille :
un « cou grec », afïïrme Madame Vigée-Lebrun ; ses
épaules étaient éblouissantes. On a dit qu'elle avait
un sein marmoréen : il fut un temps où la poitrine
MARIE- ANTOINETTE ÉTAIT-ELLI- JOLIE ? 4^9
de la reine répondait à ce signalement, mais avec
rage elle prit de l'ampleur ; de même les hanches
se développèrent, pour servir de fortes assises aux
extravagants paniers qui furent en vogue durant son
règne.
Des innombrables effigies qui nous ont été conser-
vées de Marie-Antoinette, on s'est demandé quelles
sont celles qui nous donnent « une image, vraie et
ressemblante », de cette princesse. Un chercheur dont
la mort fut une grande perte pour l'érudition, et qui
avait eu la bonne fortune d'être admis à voir tous les
tableaux conservés dans les palais et les châteaux
impériaux de Vienne et des environs de cette capi-
tale, s'est livré à un travail de critique dont il a
consigné les résultats dans une de ces revues d'art
où l'historien ne songe pas assez souvent à prendre
ses informations ^.
La petite archiduchesse n'avait guère plus de deux
ans la première fois qu'on l'a représentée dans un
groupe familial, au milieu de ses frères et sœurs,
entre l'empereur et l'impératrice.
A dix ans. Ma rie- Antoinette figure dans un ballet
dansé au château de Schœnbrunn, à l'occasion du
second mariage de son frère Joseph II ; dans sa robe
à paniers, elle ne manque pas de grâce, mais ses
traits n'ont rien de caractérisé.
Elle avait douze ans, lorsqu'elle posa pour la pre-
mière fois, seule, devant un peintre de la Cour. On
lui voit, sur cette toile, des joues rebondies, le nez
fort et les yeux gros, la taille courte et grêle.
11 fut un moment question, à la mort de Marie
Leczinska, d'un projet de mariage entre Louis XV
et Mûrie-Antoinette. Comme ses filles pressaient le
470 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
vieux roi de se remarier, espérant ainsi le détacher
de la Du Barry, il parut y consentir, « pourvu que
sa figure (celle de Marie-Antoinette) se trouvât
telle qu'elle ne lui déplût pas ». Sur quoi, il fut décidé
d'envoyer à Vienne un peintre français, pour faire
le portrait de la jeune princesse. On avait d'abord
désigné Drouais ; devant ses exigences, on fit choix
de Ducreux, qui affichait moins de prétentions. Il
fut donc décidé que ce dernier partirait en compagnie
d'un coiffeur, ou plutôt d'un friseur, « pour accom-
moder les cheveux de la future dauphine ». Celle-ci
avait le front un peu haut et les cheveux assez mal
plantés ; on pouvait espérer qu'un homme « parfait
dans le métier » réussirait à « corriger ou du moins
à couvrir ce petit défaut, soit par la coupe des che-
veux, soit par l'usage de quelque remède innocent,
qui avance la croissance des cheveux, dont le front
est dégarni, soit enfin par le soin qu'il prendrait
d'arranger sa chevelure, telle qu'elle existe, à l'air
du visage, en sorte que le front paraisse mieux
garni et que les cheveux prennent dès à présent
le pli le plus propre à couvrir cette petite imper-
fection, qui ne laisserait pas de paraître consi-
dérable dans un temps où les fronts élevés ne
sont plus à la mode ». Le friseur paraît s'être
acquitté en conscience de sa tâche ; quant au
peintre, il échoua complètement : la ressemblance
fut manquée et une seconde tentative de l'artiste ne
fut pas plus heureuse.
Beaucoup plus réussi le portrait peint, à Vienne 7,
en 1770. L'artiste n'a pas cherché à embellir son mo-
dèle ; on y retrouve « le défaut du front et celui de
la lèvre inférieure ; le grand et long cou est à peine
MARIli-ANTOINETTC ÉTAÎT-EI LE JOLIE ?
471
dissimulé par une gorgerette de deux ruches de den-
telles ».
En regard des œuvres peintes, il n'est pas sans
Fir; i;n. — MArui:-AM()iM:ri F, knfant
intérêt de placer les descriptions de visu dues à la
plume de contemporains ; voici le portrait qu'a
liMcé, de Marie-Antoinette, une dame qui avait été
admise à présenter ses h()inm:ii>('s à la dMUpliinc,
4/2 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
au mois de mai 1770, lors de son passage à Stras-
bourg.
Madame la Daiiphine, écrit la baronne d'Oberkirch,
était, à cette époque, grande et bien faite, quoiqu'un
peu milice. Elle n'a que très peu changé depuis : c'est
toujours ce même visage allongé et régulier, ce nez
aquilin, bien que pointu du bout, ce front haut, ces
yeux bleus et vifs. Sa bouche, très petite, semblait déjà
légèrement dédaigneuse. Elle avait la lèvre autrichienne
plus prononcée que ceux de son illustre maison. Rien
ne peut donner une idée de l'éclat de son teint, mêlé,
bien à la lettre, de lys et de roses ; ses cheveux, d'un
blond cendré, n'avaient alors qu'un petit œil de poudre.
Son port de tête, la majesté de sa taille, l'élégance et
la grâce de toute sa personne étaient ce qu'ils sont au-
jourd'hui. Enfin, tout en elle respirait la grandeur de
sa race, la douceur et la noblesse de son ûme...
Bien que ce croquis ait été tracé de mémoire, il
est tenu généralement pour exact. Les chroniqueurs,
d'ailleurs, confirment l'exactitude de cette esquisse,
vantent la blancheur éblouissante de son teint et
les couleurs naturelles qui peuvent la dispenser
de mettre du rouge. Ils ajoutent qu' « elle est d'une
taille proportionnée à son âge, maigre sans être dé-
charnée, et telle que l'est une jeune personne qui
n'est pas encore formée >>.
L'année suivante (1771), le directeur des bâtiments
du roi, le marquis de Marigny, commandait le por-
trait de la Dauphine à deux des plus grands artistes
du temps, le sculpteur J.-B. Lemoyne et le peintre
Michel Van Loo. Ce dernier a manifestement sacrifié
au désir de plaire son médiocre souci de la vérité.
C'est alors qu'il fut question de faire appel au sieur
MARIE-ANTOINETTE ETAIT-ELLE JOLIE
473
Liotard, très vain de ses talents, mais poussant le
réalisme jusqu'à l'exagérntion des moindres défauts.
FIG. 132. — MARIE-ANTOINETTE, EN UÉUÉ
(Pnr Dhoi;ais)
Liolard a fait de la Dauphine un pastel qui n'est
pas sans mérite : la princesse y paraît droite et raide
474 LA PRINCESSE DE LAMBAI.LE INTIME
comme un piquet, mais dans l'ensemble elle est assez
ressemblante. Dans un autre portrait, également un
pastel, datant à peu près de la même époque, Marie-
Antoinette, en habit de cheval, a une physionomie
bien autrement agréable que dans le précédent, mais
n'est-ce pas aux dépens de la vérité ?
On doit à Lemoyne un des bustes, les meilleurs
qu'on connaisse, de Marie-Antoinette : un connais-
seur disait que l'artiste avait fait « de la chair de son
marbre ».
L'année suivante (1772), Drouais, alors à l'apogée
de sa gloire, peignait Marie-Antoinette en Hébé et
sa belle-sœur, la comtesse de Provence, en Diane.
On a porté sur ces deux portraits un jugement sévère,
mais justifié : « Ils n'ont, a-t-on écrit, aucun relief,
et les étoffes ne font aujcune illusion ».
Moreau le jeune a peint un ravissant portrait de
la reine, un profil où sont bien indiqués le front,
d'une hauteur insolite et fortem.ent bombé, son œil à
fleur de tête et la lèvre forte, mais il s'en dégage un
charme exquis, qu'on ne retrouve pas, par exemple,
dans le portrait de Duplessis, fait au printemps de
1775, et dont Marie-Thérèse fut, à bon droit, médio-
crement satisfaite.
L'air dédaigneux de la reine se trouve admira-
blement rendu dans le buste de Boizot, exposé au
Salon en cette même année 1775, et plus accentué
encore dans la gravure faite par Mademoiselle M. L.
A. Boizot, d'après un dessin de son frère, L. S.
Boizot. « Le profil, un peu dur, est bien celui que
le maître sculpteur a dû saisir dans un de ces
jours, déjà fréquents, où la reine était de mauvaise
humeur. » Elle était assez sujette à ces colères, qui
MARIE-ANTOINliTTE ETAIT-ELLE JOLIE ? 47'^
faisaient dire, par son benêt d'époux, les jours où
sévissait l'ouragan dont il avait peine, à se garan-
tir : « Il n'y fait pas encore bon aujourd'hui ^. »
Nous ne parlerons des compositions de Madame
Lebrun, dont la première date de 1779, que pour
dire, avec le critique qui nous sert de guide, qu'elle
n'est parvenue qu'à créer « ce visage idéal de Marie-
Antoinette, cette séduisante figure, toute de conven-
tion, qui est aujourd'hui considérée généralement
comme étant l'image la plus vraie de cette malheu-
reuse reine ». Flatterie manifestement voulue, car,
dans ses Mémoires, Madame Vigée-Lebrun représente
la souveraine qu'elle avait approchée tout autre-
ment qu'elle ne l'a reproduite en peinture.
De cette étude comparative de portraits à la-
quelle nous nous sommes livré, il ressort que
l'épouse de Louis XVI n'a jamais été positive-
ment joUe, ni régulièrement belle. Mais sa figure
était charmante, sauf lorsqu'un mouvement d'hu-
meur ou une fatigue passagère altérait ses traits.
Son port était altier, excepté quand rcniuii d'une
longue représentation la faisait se relâcher d'une
application trop soutenue. Mais ces défaillances
étaient rares, et dans toutes les circonstances où la
reine fut appelée à tenir un rôle, nulle ne donna mieux
nn'elle l'impression de la majesté, alliée à la grâce.
NOTES DE L'APPENDICE
1. Mémoires de Madame Campan, t. I, 251
2. Centenaire de Marie-Antoinette {la Vie contemporaine ^
l" octobre 1893).
3. Mémoires de Tilly, t. I, cli. vi.
4. Marie Antoinette était-elle blonde ou rousse, s'est-on
demandé. « Ses cheveux, écrivent les Concourt, étaient
d'un blond rare et charmant, plus tendre que le châtain
cendré. » Mais, d'autre part, ne désignait-on pas Mario-
Antoinette dans un certain clan, hostile, il est vrai, à 1 1
jeune Dauphine, sous le nom de la petite rousse ? Ce qu'expli-
querait le teint nacré, éclatant de blancheur, qu'ami»
comme ennemis de Marie-Antoinette s'accordent à lui
reconnaître.
5. Le Monde illustré, 18 mai 1861,
6. Les portraits de Marie-Antoinette, par Jules Flammer-
MONT {Gazette des Beaux-Arts, 1" juillet et 1" octobre 1897,
1" mars et 1" mai 1898),
7. Par Waguenschoen, gravé par C. F. Fritzch.
8. Lettre de Mercy à Kaunitz, 17 juillet 1775 {Archives
impériales de Vienne"^
PIÈCES JUSTIFICATIVES
Testament de Mad^ de Lambai.ie^
Cecy est mon Testament
Au Nom du Père et du fils et du St-Esprit ainsi
s oit-il {mots omis dans Lescure) 2.
Je fais et institue mon hentieret Légataire universel
Le Prince de Savoye Carignan mon Neveu de tous mes
Mens tant mobiliers qu'autres et à son défaut a Mon-
sieur le Duc d'Enghien mon Cousin du côté de ma
mère. Je prie "Monsieur de La Vaupailler et Monsieur
de Clermont Gallerande d'être exécuteurs testamen-
laires.
Je supplie La Reine de recevoir une marque de re-
connaissance de celle à qui Elle avait donné le ritre
de son amie ; Titre précieux qui a fait le Bonheur de
ma vie et dont je n'ay jamais abusé que pour luy don-
ner des témoignages d'attachement et des preuves
(le mon sentiment pour sa Personne que j'ay toujours
aimée et chérie jusqu'à mon dernier soupir. Je Luy de-
iriande donc pour dernierre grâce d'accepter une montre
' réveil pour Luy rappcller L'heure de notre séparation
1. Toutes les pitres qui vont suivre ont élé copiées sur
les originaux par M. Orro KniKORiciis, qui a bien vouhi nous
rornmufiquer ces do(:um«*nls, dont le premier seul (A) a
«•l<^ en partie publi<^ par M. de Lkscihu:.
2. hans «or: ouvrat^e sur la Princfsxc de Lnmhalle
48o LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
et celles que nous avons passé (sic) ensemble, en outre
une Madelaine peinte en émail de Tounon.
Je donne et Lègue à Monsieur le Duc de Penthievre
mon beau père Le portrait de la Reine avec celuy de
Louis XIV peint également en émail avec une Bague
de Turcoise garnie de Diamant, Bague que je luy
demande de porter souvent pour luy rappeler mon
union dans sa famille et ma tendresse filiale.
Je donne et Lègue a Madame La Duchesse d'Orléans
ma belle sœur un déjeuné avec la Cassette en laque
qui le renferme, présent qui m'a été fait par testament
de Madame La Comtesse de Toulouse, plus une boite
ou sont les portraits de ses enfans, Messieurs de Chartres
et de Montpensier. Je me flate qu'Elle voudra bien
regarder ces deux Legs comme une marque d'amitié
de ma part.
Je donne et Lègue a la Princesse de Carignan ma
belle sœur des Glands de Diamant et une Bague de
saphir garnie de Diamant qui lui rappellera notre
amitié et confiance réciproque.
Je donne et Lègue a Madame Li Princesse de Conty
ma tante connaissant son Goût pour la peinture, un
Petit tableau peint en émail représentât un Paysant.
Je la suplie d'accepter cette marque de ma tendresse
pour Elle.
Je donne et Lègue a Madame de Kercado une grande
ecritoire verte et la Pendule qui est dans ma chambre.
Je demande a cette tendre amie que cette pendule soit
déposée dans La chambre qu'elle occupera le plus ce
qui me rappellera toutes les heures a son souvenir.
Je donne et Lègue a Madame de Brenois deux ta-
bleaux L'un représentant La mélancolie et L'autre
Le Bonheur. Je désire que ce dernier luy rappelle celuy
que j'éprouvais d'être aimé par Elle.
Je donne et Lègue a Madame de Vaubant mon Grand
secrétaire en Bois Jeanne.
Je donne et Lègue a Madame de Luines tous mes
Livres de Limprimerie de Didot et reliés par Derome.
Je donne et Lègue a Monsieur de Choiseul GoufTier
mes Cassettes anglaises entourées d'acier, je veux
PIÈCES JUSTIFICATIVES ^gj
qu' Elles lui soient remises sans être ouvertes comme
une marque de mon amitié et confiance en luy.
Je donne et Lègue a Monsieur de La Vaupailler et a
Monsieur de Clermont Gallerande mes deux exécu-
teurs Testamentaires toutes mes Boetes.
Je donne et Lègue a Monsieur de Segur L'ainé les
voyages de Naples et des deux Seciles reliés en maro-
. quin par Derome.
Je donne et Lègue au chevalier de Durfort mon Ency-
clopédie.
Je donne et Lègue a la Baronne de Montboissier
un Coffre de Laque avec des tiroirs ou étoient renfer-
més mes Boetes.
Je donne et Lègue a Madame de Denissant une table
que la Reine m'a donnée en bois précieux avec des
camées montés en or moulu me venant (Lcscuredit:
mais venant) d'une main chère je ne puis mieux en
disposer qu'en La transmettant a mon amie intime.
Je donne et Lègue a Madame de Lascases nia Dame
d'honneur mon déjeuné a thé, table et tout ce qui le
compose et la moitié de ses appointemens en Pension
viagère.
Je donne et Lègue a Madame Delage Volude la moi-
tié de ses appointemens en Pension viagère.
Je donne et Lègue a Madame de Ginestous mon ser-
vice de Porcelaine de Sevré et La moitié de ses appoin-
temens en Pension viagère.
Je donne et Lègue a Madame de Brunois mon Grand
Canapé en bois d'acajou avec Le Paravent.
Je donne et Lègue a Monsieur Dyauville mon ecuver
douze cent francs de Pension viagère avec deux che-
vaux et ma belle voiture.
Je donne et Lègue a mes trois femmes de chambre
ma garderobe a partage égal entre Elles plus une
Pension viagère de huit cent francs a chacune.
Je donne et Lègue a Mademoiselle Mertens {tint
d'après Lescurc) ma première femme, mes robes en
Pièces et mes d^n folles a partager avec Madame Geste
iria troisième fcniriK;,
Je donne et Lègue a ma femme de Garderobe unt
31
482 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Pension viagers de six cent francs et partage avec mes
femmes dans mes grands habits de Cour.
Je donne et Legi e a ma sous femme de Garderobe
si Elle [est encore am d'après Lescure] a cinq ans de
service trois cent francs de Pension viagère, sinon
une année de ses Gages et nouriture en gratification
[au sieur ? d'après L.)
Je donne et Lègue a Chevalier mon valet de chambre
une Pension viagère de huit cent francs.
Je donne et Lègue a Magnath huit cent francs de
Pension viagère.
Je donne et Lègue a mes autres valets de chambre
une année de leurs Gages en Gratification.
Je donne et Lègue a mes Gens de livrée une année de
Gages en Gratification et a ceux qui auront dix
années de service une Pension viagère de quatre cent
francs.
Je donne et Lègue a Aza six cent francs de Pension
viagère et une année de ses gages et nouriture plus
cent cinquante livres de Pension viagère pour avoir
soin de mes chiens, cette Pension a finir a la mort des
chiens.
Je donne et Lègue aux Gens de ma Bouche une Pen-
sion viagère de cinq cent livres s'ils ont les années de
service aux Chefs et aux inférieurs trois cent et Ceux
qui n'auront pas, chef et autres, les années pour avoir
la Pension, une gratification proportionée au tems
qu'ils auront servi.
Je donne et Lègue a mon trésorier une Pension via-
gère de mille Livres.
Toutes Pensions faites de mon vivant aux Person-
nels de ma maison, comme mon médecin Monsieur
Seffert et autres mon intention est que les dites Pen-
sions leur soient conservées.
Je donne et Lègue a Lhôtel de Dieu trois mille francs
une fois payée.
Je donne et Lègue deux mille francs une fois payée
pour délivrer des mois de nourice (interversion et rédac-
tion différente dans Lescure).
Je veux être enterée dans la plus grande simplicité
PIl^CES JUSTIFICATIVES ^S't
et point par des Prêtres Sermentaires ni dans une
paroisse intru.
Je veux être gardée trois jours et que mon médecin
ou chirurgien m'examine pendant ces trois jours.
Comme je laisse des Biens fonds je prétends qu'ils
soient vendus et Largent placé de manière que ce soit
les intérêts qui payent les Pensions et a mesure que
les Pensionnaires s'éteindront alors les héritiers joui-
ront des fonds.
Fait a Aix La Chapelle Le Présent Testament aujour-
d'huy ce quinze octobre année mil sept cent quatre
vingt onze, signé Marie- Louise Thérèse de Savoye.
Il est ainsi a L'original dud. Testament Duement enre-
gistré par Lezan et Déposé à M^ Thion de la Chaume
l'un des Notaires soussignés par procès verbal du pré-
sident du tribunal du deux® arrondissement du dépar-
tement de paris en date du dix septembre mil sept
cent quatre vingt douze duement enregistré.
Thion.
Succession de la Princesse de Lamballb,
Décret N^ 1324
de la
Convention Nationale,
Du 3 Août 1793, l'an second de la République Fran-
çaise, Qui ordonne la saisie, le séquestre et l'inventaire
de la Succession de la ci-devant Princesse Lamballe,
et la déclare réversible au Trésor national.
La Convention nationale décrète que la succession
de la ci-devant princesse LamMle sera saisie et séques-
trée, qu'inventaire en sera faié, rt (jir» lie sn.i <li clarée
réversible au Trésor national.
Visé par l'inspecteur.
Signé: J. C. Battellibr.
484 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Collalionné à l'original, par nous président et secré-
taires de la Convention nationale de Paris, les jour et
an que dessus. Signé Danton, président ; François
Chakot, p. J. Audouin & Dartigoeyte, secrétaires.
Au nom de la République, le Conseil exécutif pro-
visoire mande & ordonne à tous les Corps administra-
tifs & Tribunaux, que la présente loi ils fassent consigner
dans leurs registres, lire, publier ^ afticher, & exécuter
dans leurs départemens «& ressorts respectifs : en foi
de quoi nous y avons apposé notre signature & le sceau
de la République.
A Paris, le quatrième jour du mois d'août mil sept
cent quatre-vingt-treize, l'an second de la République
Française. Signé Bouchotte, Contresigné Gohier. Et
scellée du sceau de la République.
Certifié conforme à l'original.
A Paris
de l'imprimerie nationale executive du Louvre.
An 11^ de la République.
DIVISION
Section LIBERTÉ ÉGALITÉ
Nota. Mettre en marge
de la réponse les mots
ci-dessus.
Bureau du Domaine National
DU Département de la Seine
Vu 1° le Mémoire présenté par les Ç"""^ Colin et Cour-
tois au nom des héritiers de Marie Thérèse Louise de
Savoye Carignan Veuve Lamballe tendant a obtenir
en exécution du traité de paix fait avec le roi de Sar-
daigne la restitution des biens meubles et immeubles
dépendants de la succession veuve Lamballe.
2° Copie d'un traité du Directoire exécutif en datte
du vingt quatre frimaire an Cinquième portant qu'at-
tendu que le Séquestre apposé sur les biens de la Veuve
PIÈCES JUSTIF.'CATIVES ^85
Lambaile par décret du trois Aoust 1793 (V. S.) pro-
vient de la Guerre qui a existé entre le Gouvernement
Sarde et la République française ; que D'après l'article
neuf du traité de Paix et D'alliance entre les deux
Etats du trente floréal an 4 ce Séquestre a du cesser,
que des trois héritiers deux sont résidents a Turin
et sujets du roi de Sardaigne et le troisième étant âgé
de douze a treize ans et ayant continuellement résidé
en france ne peut être atteint par les lois sur L'émigra- "
tion, 1° il est donné Main Levée du Séquestre apposé
sur les biens dépendants de la Succession de Marie
Thérèse Louise de Savoye Carignan Veuve du ci-de-
vant Prince Lambaile.
2® Que les ventes qui auroient été faites d'aucun ?
des objets dépendants de la succession sont Maintenues
et que le prix seul en sera exigible parles héritiers, ainsi
que la restitution des frais perçus a la déduction des
frais de Séquestre et D'administration.
3® L'intitulé de L'inventaire fait après Le décès de
la dame Marie Thérèse Louise de Savoye Carignan
V® Lambaile par Arutat et son Collègue notaire a
paris le dix sept janvier 1793 (V. S.) et jours suivants,
1° a la requête de charles george Clermont Gallerand
au non) et comme Exécuteur testamentaire de Lad.
V® Lambaile, 2° a celle de charles Emmanuel de Sa-
voye Carignan au nom et comme habile a se dire et
porter héritier pour un tiers dans la succession de
lad. V® Lambaile par représentation de son père
Victor de Savoye Carignan et encore comme son Léga-
taire universe', 3*' a celle de charlotte de Savoye Cari-
gnan fille au I om et comme habile a se dire et porter
héritierre pour in tiers deladitle V® Lambaile sa sœur,
4"^ enfin a la recjvete de jean Baptiste Magon La Ballue
au nom et comme tuteur de Joseph marie de Savoye
Carignan Mineur» élu à celte qualité par Lettres Pa-
tentes rendues a Versailles le huit mars 1788, led. mi-
neur habile a se dire et porter héritier pour le dernier
tiers de laditte V^ Lambaiie sa tante paternelle par
représentation de feu £ugeiie Savoye Carignan son
père.
/|86 !,A PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
4° copie d'un Jugement rendu par le tribunal civil
du Dep^ de la Seine quatrième Section, le vingt huit
frimaire an quatre duement enregistré, duquel résulte
que ledit Jugement est homologatif d'une Sentence
rendue par le juge de paix de la Section de la Butte
des moulins le treize frimaire an quatre par Laquelle
le C*^" Nicolas Louis magon Gervaisais demeurant
rue honore N^ 86, a été nommé D'après Lavis de pa-
rents et amis tuteur dud. mineur Joseph marie Savoye
Carignan aux lieu et place dudit J. B. magon de la
Ballue ci dessus nommé et qu'il a accepté laditte charge
après avoir prêté le serment ordinaire et que le c*^"
Colin a été confirmé dans la nomination de Conseil de
la tutelle.
50 un Procès Verbal de Vente d'un mobilier de la
cidevant Princesse Lamballe en son Domicile a passy
près paris fait par le c'" Delassus membre du Direc-
toire du District de franciade et Commissaire nommé
a cet effet en datte au commencement du trois Germi-
nal an deux, duquel il resuite que la vente dudit mobi-
lier a produit la somme de quatre vingt Douze mille
quatre cent quatre vingt sept livres dix sols assignats,
suivant récépissé du c^" Thibault alors receveur a
Neuilly le vingt sept Germinal an deux.
Le Bureau du Domaine National du Département
de la Seine considérant que par L'arrêté du Directoire
Exécutif ci dessus il est donné Main Levée du Séquestre
apposé sur les Biens de la dame Marie Thérèse louise
de Savoye Carignan V^ du cidevant Prince Lamballe,
qu'il est ordonné par le même arrêté de restituer aux
héritiers de La veuve Lamballe les biens dépendant
deladitte Succession, en maintenant néanmoins les
Ventes qui auront été faites dont le prix seul sera
exigible, ainsi que la restitution des frais perçus a la
déduction des frais de Séquestre et D'administration,
considérant qu'il appert par L'intitulé de L'inventaire
ci dessus visé 1° que le citoyen charles Georges Cler-
mont Gallerand est Exécuteur testamentaire de lad.
V^ Lamballe, 2° qu'elle a laissé pour héritier Chacun
pour un tiers 1° charles Emmanuel de Savoye Cari-
PIÈCES JUSTIFICATIVES 4^7
gnnn son neveu par représentation de son père victor
de Savoye Carignan, led. neveu se disant en outre
Légataire universel de lad. V^ Lamballe 2° charlotte
de Savoye Carignan sa sœur 3® Joseph marie Savoye
Carignan mineur par représentation de feu son père
Eugène Savoye Carignan frère de lad. V® Lamballe,
considérant qu'il a été vendu a passy un mobilier pro-
venant de lad. V^ Lamballe lequel a Produit La somme
de quatre vingt onze mille quatre cent quatre vingt
sept livres dix sept sols assignats ; que cette somme
peut repondre d^s frais de Séquestre et D'administra-
tion a la Charge des héritiers Lamballe, conformé-
ment a L'arrêté du Directoire, considérant enfin qu'il
ne s'est présenté aucun créancier qui Prétendit avoir
des recours a exercer contre laditte succession.
Le Commissaire du Directoire Exécutif entendu
Arrête 1° qu'en Execution de L'arrêté du Directoire
Executif cidessus énoncé le Séquestre et les Scellés
apposés sur les biens de laditte V^ Lamballe seront
levés, qu'a cet elFet le C*'" Girardin son Commissaire,
se transportera sur le Champ dans le domicile de lad.
V^ Lamballe et partout au Besoin sera accompagné
d'un Commissaire de la municipalité du Canton et
d'un Commissaire de toute autre autorité constituée
qui auroit apposé les scellés a l'elîet de requérir la.
reconnaissance et la levée desd. scellés, 2° qu'il remettra
auxdits citoyens Charles Emmanuel de Savoye Cari-
gnan, a la citoyenne charlotte de Savoye Carignan,
au C*'" Nicolas louis marie Magon Gervaisais, tuteur
du mineur Joseph marie Savoye Carignan, en présence
du C" Charles Georges Clermont Gallerand Exécuteur
testamentaire deladitte V® Lamballe et du C*^" Cohn
Conseil de la tutelle, tous les meubles et effets provenant
de lad. V® Lamballe après avoir en présence des sus-
noinniés procédé au recollement desdils efTets sur
L'inventaire qui en a été fait a la Charge par les He-
clamantsdeiUiimer au j)ied dudit procès verbal recefiissé
(les objets qui leur seront remis et encore sous la Con-
dition expresse que la somme de quatre vingt onze
mille rjiiatre cent quatre \iiigi sept livres dix sept
488 LA PRINCESSE DE LAM MALLE INTIME
sols produit de la vente du mobilier deladitte Veuve
Lamballe a Passy repondra des frais à la Charge des
héritiers lesquels frais seront par eux supportés lors
du remboursement delad. somme, 3® que tous déposi-
taires de titres papiers et contrats dépendants de lad,
succession est autorisé a en faire la remise auxdits
reclamants sous Bonne et valable décharge.
4° que relativement aux objets qui auroient pu être
transportés dans diverses maisons nationales qui ne
sont pas sous la surveillance immédiate du Bureau,
lesdits héritiers Lamballe sont renvoyés pour en obte-
nir la remise devant le Ministre des finances fait et
arrêté a paris le quinze nivôse cinquième année répu-
blicaine. Signé GuiLLOTiN et Letourneur.
Pour copie conforme délivré par nous Membres du
Bureau du Domaine National du Département de la
seine ce vingt trois Nivôse cinquième année Républi-
caine.
Bureau du Domaine
Natioqal de Paris.
Le Tourneur. Guillotin,
Procuration générale, du 23 avril 1793, faite à Turin,
au sieur jacque courtois feu pierre de la ville de chan-
bery en savoïe demeurant a paris auquel donne ample
pouvoir de pour lui et en son nom faire faire continuer
de procéder à la levée des scellés inventaires, descrip-
tion, et prisées de tous les meubles et effets dépendants
de la succession demad. dame de Lamballe et à l'inven-
taire des titres et papiers dépendants de lad. succession,
si ledit inventaire n'est point encore achevé, faire éga-
lement procéder a la vente desd. effets mobiliers, si
elle n'est pas encore commencée, ou qu'elle ne soit
point achevée, nommer et convenir de tous officiers
gardiens et dépositaires faire tous dires, réquisitions,
protestations et déclarations et auquel il donne pou-
voir de prendre communication de l'inventaire après
le décès de lad. dame de Lamballe, ainsi que des
papiers de la succession de prendre également connais-
PIÈCES JUSTIFICATIVES ^89
sance de son testament de déterminer la qualité
qui sera le plus convenable à ses intérêts d'accepter
par le bénéfice d'inventaire, ou simplement lad. suc-
cession cumuler les titres d'héritier, et de légataire
universel, et dans ce cas de consentire à l'exécution
dud. testament, et de faire délivrance de tous les legs
y portés, ou bien renoncera la qualité d'héritier de mad.
tlame de Lamballe pour' s'en tenir a celle de son léga-
taire universel et dans ce cas demander et requérir
contre qu'il appartiendra la délivrance dudit legs
universel.
Agir dans la qualité qui aura été déterminée et en-
tendue débattre, et arretter les comptes d'exécution
tostam,ntaire de vente du mobilier et de tous créan-
ciers, ou débiteurs de la succession, en toucher ou payer
les reliquats, recevoir toutes sommes principales et
accessoires ainsi que tous arrérages et revenus quel-
conques échus et à échoir.
Vendre les immeubles de la succession, soit par adju-
dication sur enchère soit de gré à gré régler les prix
charges et conditions de la vente, toucher le prix de
ces allienations, en donner quittance de mettre les titres,
consentir toutes mentions et subrogations, déléguer
sur le prix desd. ventes entre les mains des acquéreurs
dcsd. immeubles toutes les Rentes, et pensions via-
gères que madite dame de Lamballe a légué par son
testament ou qu'elle a accordée par des actes parti-
culiers, ou bien traiter, composer et transiger à fortfait
avec les créanciers et pensionnaires de mad. dame pour
le remboursement et estimation de leurs pensions via-
gères aux prix et conditions que le procureur constitué
jugera convenable, etc., etc.
Pièce signée Blanchard en date du « hui avrille mil
sept cent quatre vingt dix sept » contenant en 4 p.
l'inventaiie de tout ce qui se trouvait dans la maison
de Passy dont Blanchard était principal locataire comme
il résulte de la pièce suivante datée du 7 germinal an V.
Courtois loue par acte du 18 février l'an V au sieur
Capron pour une année à partir du l^'avrilan V(1791)
la maiso»' de Passy au prix de 4.100 livres plus 200 livres
/'|90 LA PRINCESSE DE LAMRALLE INTIME
de gages d'une année au « porlier acluel », et c'est
Capron, principal locataire, qui loue à Blanchard,
(Suivent d'autres pièces de location pour l'apparte-
tnent du Dremier."*
Titres de .propriétk de la maison
AYANT APPARTENU A LA PRINCESSE DE LaMUALLS
Résultat de l'cxainen des Titres de Propriété de la
maison à Passy dépendante de la succession de M''*^ De
lamballe vendiie par M. Courtois comme fondé de pro-
curation de M. Le Prince de Carignan à M. Doniol.
1^ Cette maison a été acquise par M'^' De lamballe
de M. De luynes par contrat passé devant Belargey
no^e à Paris le l^r février 1783. Elle consistait 1° en
une grande maison, orangerie, Terrasses, Jardin, bâti-
ment de voûtes et autres objets indépendants, avec
deux potagers séparés du jardin par une ruelle ; le
tout contenant ensemble 12 arper. :i t /2 environ: 2*^ une
portion de terrain non employée au chemin de Paris à
Versailles, de 2 arpens 1/2 environ, tant en prez que
gravieres 3° Et les droits de toute nature y apparte-
nant.
2° Les Lettres de ratilTication prises par M^'" de
Lamballe, sur son acquisition ont été scellées le 15 7 ^^""^
1783 à la charge d'oppositions qui suivant L'extrait
délivré par Moimos Conservateur des hypothèques le
17 dud. mois de 7 ^^^ ont été formées savoir.
La 1^^ par marie Thérèse d'harencourt de Phalaris
créancière viagère, est morte.
La 2^ par Jean Perroud. / ont donné
La 3® par Antoine Delamotte ) consentement,
La4^parclaudeBricele Chauve, esi mort, ne lui était
rien dû.
La 5® par marie angelique charlotte henrielte Dumon-
cel V^® de Claude de Bec de Lièvre de Quevilly, a
Reçu et donné mainlevée.
P[;kGE5 JUSTIFICATIVES 49*
La 6® par Pauline Sophie D'albert de Luynes, a
consenti le Payement.
La 7® p£fr Jean Joseph Delaborde, a été remboursé
de son capital.
La 8^ et d^® par marie Thérèse Laurence Coupard,
V® de Jean Louis Guillemain de Kercadon d'Igny,
était créancière viagère, est morte.
3® Le prix de la vente faitte à M*^" Delamballe est
de 110.000 fr. dont 30.000 fr. pour les meubles qui
ont été payés comptant par le contrat, Et 80.000 pour
l'Immeuble qui ont été payées, par 3 quittances ensuitte
de ce contrat à M"^*^ de Quevilly en l'acquit de M. De
Luynes comme héritier pour moitié, quant aux propres
paternels de M*^*^ de Pecquigny de chaulnes sa sœur
et comme héritier aussi pour moitié de Mad*^ de Luynes
sa mère qui étoit seule héritière de Mad. d^ De chaulnes
sa fdle, quant aux meubles et acquits, pour le rembour-
sement d'une rente de 3.200 fr. au principal de
80.000 fr. constituée par lad. d^ de Chaulnes au profit
de i\r'" de foûilleux qui avoit léguée cette rente à
M'**' de Quevilly ; et ce payement a été fait en vertu
des consentements donnés par MM''^'^ Perorud, Dcla-
motte. Le chauve et delaborde, par Mad^ De Kerca-
don d'Igny et par M^*' de Luynes suivant les actes
dont expéditions sont jointes aux pièces : Tous lesquels
susnommés avec lad. d® de Quevilly et M*^" de Pha-
laris étoient les seuls créancières opposant au sceau des
lettres de ratilfication prises par Mad® de Lamballe.
M'*" de Quevilly a donné mainlevée de son opposition
par la quittance dud^ payement de son remboursement
mais il subsiste toujours l'opposition de M''" de Pha-
laris.
Il auroit été possible de faire opérer la radiation
des oppositions de M. Delaborde et de M***^ de Que-
villy par ce que le consentement du 1®' et la mainlevée
pure et simple de la d*"" en contiennent les moyens ;
mais quant aux autres ce ne sont que des Consentemens
purs et simples afin de payement, insullisans dans leur
forme pour opérer une radiation, qu'il faut garder
avec grand soin et il conviendrait à cet égard que
492 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIM
M. Doniol pril des lettres de ratiffication pour purger
déffînitivement de la maison dont il s'agit des hypo-
thèques anciennes dont elle étoit grevée et'qui ont été
conservées par l'elTet des oppositions subsistantes
et non rayées.
La nation se trouverra opposante en sous ordre a
cause de M. Delaborde, mais heureusement son consen-
tement décharge les lettres de ratiffication de l'eiiet de
son opposition et est suffisant pour la radiation qu'il
faut faire opérer avant que M. Doniol prenne lui-même
des lettres afin d'éviter les prétentions et chicannes
du Domaine et il faut en faire autant pour l'opposition
de M ^ de Quevilly.
L'opposition de M'^® De Phalaris subsistant toujours
ainsi que celles des cinq autres créanciers nonobstant
leur consentement afin de payement et d'un autre
coté y ayant aussi les créanciers de la succession de
M^® de Lamballe à craindre sans compter ceux du ven-
deur, il ne seroit pas prudent à M. Doniol de rien payer
sur son acquisition avant le sceau des lettres de ratiffi-
cation que sa sûreté l'obHge à prendre, il pourroit même
y avoir des Inconvénients.
Enfin la propriété est bien établie jusques et compris
M^^ de saissac, par des pièces conférées ; mais elle ne
l'est pas et il manque toutes les pièces qui doivent
l'établir dans les personnes de Mad. de Cheveuse et
de Luynes, le l®'" comme légataire universel de lad. d®
Saissac sa grand-tante, et M. Deluynes tant comme hé-
ritier de M. De chevreuse son père qu'aux termes de la
Transaction et pacte de famille passé entre lui et ses
sœurs datte et énoncé dans le contrat d'acquisition
de M^*^ Delamballe.
Il manque aussi aux pièces celles établissant le droit
de M"^^ de Quevilly à la rente de 3.200 fr. au principal
de 80.000 fr. qui lui a été remboursée du Consentement
des créanciers cidevant nommés avec le prix de l'ac-
quisition de M '*^ de Lamballe : ces pièces sont néces-
saires non seulement a cause de la subrogation opérée
par les quittances du Remboursement de cette rente
et vu que les oppositions de ces créanciers sont subsis»
PIÈCES JUSTIFICATIVES ^<j3
tantes, mais parce que les consentements sont donnés
en partie à la charge expresse par M'^^ de Lamballe
de se faire justifier de ce droit.
Et il manque encore les pièces qui établissent non
seulement la qualité de M. le Prince de Carignan comme
seul héritier ou légataire universel de M^** de Lam-
balle 5 mais sa réintégration dans les biens de sa suc-
cession qui avoient été déclarés confisqués et acquis au
profit de la République.
Inventaire du wohilier.
Cuisine
un fourneau a douze réchaux une poissonnière onze
grille forgée garnie avec bandes de fer nécessaire une
paillasse a cotés un Cabinet ou sont la table et tablettes
pour faire la pâtisserie un tuyau de plomb avec son
robinet de cuivre, venant d'un réservoir dans la Cour,
éclairé par deux croisée vitrée et férées, six potence de
fer sept chevilles de bois, six potence en fer dans le
lavoir, une table portée par deux barres de fer le tout
scellé, a la cheminée de la cuisine deux landier en fer
pour trois broches une grande plaque de fonte et deux
meritié, trois barreaux de fer scellés, de quatre pieds
six pouces de long une potence de fer tournant et cré-
maillère, un four avec deux ceinture une bouche de
four, sur la descente de la cave et une trape en deux
feuille et une grande feuille en fer avec barres d'ar-
boutans, toute la croisée dépendante de la cuisine bien
vitrée, il y a cuiriq careaux fêllés et les portes garnies
de leur ferrures, ferures, et clefs.
Salle a coté du passage éclairée sur les deux cours.
Le» Croisée terés et vitrée, trois careaux scellés
boisés, tout le lambris en mauvais Etat il y manque
trois pannaux de Carlage en très mauvais état.
Salle n coté donnant sur les deux escaliers.
Trois Croisée une porte vitrée fcréc et vitrée une
croisée éclairant le grand Escalier fcrée et vitrée un
careau f elles.
Antichambre.
Boisée Eclairée par une porte vitrée et une Croisée
49^ LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
vitrée a grand careaii il y a quatre petit careau fêles,
une grille de fer fermant sur la porte vitrée.
Partie d'office a coté de la salle à Manger.
Levier et table devant la fenêtre en marbre casse,
une armoire garnie de tablettes et un dressoir garnis
de cuinq tablettes dans deux paneaux il y manque dix
neuf careaux de fayance blanche.
Salle a Manger.
Chambranle de cheminée de Marbre cassé a difTe-
rens endroits et la plaque de la cheminée, cariée en
careaux noirs et blancs les croisées vitrées et ferées
le tout en grands careaux et en bon état
Couloir donnant sur la Cour.
Un poêle de fayance avec son tuyau et un buffet de
bois tous deux a dessus de marbre les Croisée en bon
Etat ainsi que la porte vitrée.
Salon.
Chambranle de Cheminée de marbre blanc monté de
sept pierres de marbre agatisés. Le dit Salon garnis de
papier arabesque les croisées en grands careaux et la
porte vitrée, le tout garni de leur ferures et en bon Etat.
Un Cabinet a coté orné de papier Chinois.
Une Croisée garnie de sa ferure en grands careaux,
Et en bon Etat.
Chambre suivante.
Une Cheminée de marbre rouge ornée de papier
éclairée par deux Croisée a Grands Careaux et ferés.
Chambre a Coucher.
Une Cheminée de Marbre sera colin les Cotés du
Chambranle Cavee, une alcôve ornée de sculture en
bois papier chinois, deux Croisée et une porte vitrée
le tout a grands Careaux et ferés en dehor et une grille
en fer pareille a Celle susditte il y a un trou dans une
des feuille du parquet et un Careau de fayence a la
Cheminée.
Cabinet a Coté.
Une Cheminée de Marbre blanc deux armoires dans
le mur garnies de leur tablettes et une sans tablettes
deux Croisée garnies de leur ferures et vitrées.
PlèCES JUSTIFICATIVES 495
Autre Cabinet.
Cheminée de Marbre rouge la tablette écornée deux
armoires garnies de leur tablettes la Croisée en bon Etal.
Deux autre Cabinet dont un Communique a l'Es-
calier de Dégagement avec armoire et tablette.
A la Suite est un autre Cabinet sur la Cour a deux
Croisée et une porte vitrée a deux vantaux ferée et
vitrée en bon état il y a un trou dans une des feuille
du parquet, dans un Cabinet a coté fermé par une porte
a deux vantaux et ferés Cuinq tablettes avec potence
de bois.
Dans leait appartement Cuinq ferures de cuivre, les
Croisées ornées de volets et persiennes les dittes pièces
parquetées en bon Etat il y a des plaques et des Crois-
sant dans les Cheminées il y a un Escalier a double ran^
en fer Conduisant du Salon au jardin et une tringle de
fer et poulies sur le balcon pour recevoir une tante.
NO 1-2-3.
Deux armoires dans le passage garnies de tablettes
Cuisine Cheminée de pierre et plaque, pierre à Côté
la Cheminée de pierre deux Croissant et plaque Cloison
en bois, deux porte vitrées imposte dessus, aussi vitrée,
deux Croisée sur la Cour vitrées a grands Careaux la
pièce ornée de papier fond blanc. Pièce ensuite avec
distribution Cloison en bois trois portes vitrées deux
impostes vitrées, une armoire dans le mur garnie de
tableltes N"^ autre pièce sur le Jardin Cheminée de
piere dessus de marbre et plaque, deux Cabinet a Côté
avec distribution quatre portes vitrées et des Cloison
en bois le tout orné de papier de volet vitré et ferés,
deux armoires dans le mur garnie de tablettes deux per-
siennes.
Cheminée de pierre plaque et Croissant une alcôve,
doux Cabinets avec les portes, dans un des cabinet trois
.'irinoires dans le mur garnies de leur tablettes, deux
('roisécs avec grands Careaux en bon Etat et toute leur
ferures. Autre Chambre a côte, plaque en plate <»t Crois-
496 LA PRINCESSE DE LAMBAl.LE INTIME
sant, la pièce ornée de papier et baguette dorée volets
et Persienne vitrés et fercs,
NO 7
Une armoire a mettre un Lit, un Buiïet en bois
quatre Croisée vitrées et ferées, sept Careaux fêlts
une Cheminée de Marbre dont la tablette est cassée et
la traverse trois armoires dans le mur les dittes pièces
sont ornées de papier, les Corridor bien carié deux
grandes Croisée et trois evantail vitrés et ferrés trois
Careaux fêlés.
Nû 8
Une Cheminée de pierre une plaque de fonte une al-
côve, la pièce tendue de papier fond blanc avec lambris
d'apui en Menuiserie, éclairée sur le jardin par une
Croisée, Pièce ensuite avec distribution porte vitrée
imposte, deux armoires dont une a quatre vantaux le
tout carié vitré et férés.
N^9
Cheminée de pierre, plaque un Croissant, éclairée
par deux Croisée vitrée et ferée en tout le logement,
a coté est une pièce et deux Cabinet avec porte vitrée
imposte en vitraux au dessus une armoire férée et trois
tablettes le tout carié.
NO 10
Cheminée a dessus de marbre Cassée une plaque ae
fonte, une alcôve et trois cabinet une armoire garnie
de quatre tablettes, le tout orné de papier et carié deux
Croisée vitrée et ferée.
NO 11
Une alcôve un petit Cabinet une armoire dans le
mur garnie de tablettes une Cheminée en pierre une
plaque une Croisée vitrée et ferée la pièce est cariée,
NO 12
Une Cheminée de marbre rouge la tablette est cassée
PIÈCES JUSTIFICATIVES 497
et la traverse en deux une plaque et careaux de
fayance, une alcôve et un cabinet, six armoires dans
le mur garnies de leur tablettes deux Croisée ferrées
et vitrées, la pièce cariée.
NO 13
Première pièce, trois armoires garnies de leur ta*
blettes une cheminée de marbre et deux apui de croisée
aussi de marbre les deux appui cassé la pièce tendue en
papier serin, pièce suivante, un cabinet orné de papier
Chiné fermé d'une Cloison vitrée, autre pièce avec
Cheminée de marbre garnie de sa plaque et careaux
de fayance sur le jambage ornée de papier avec armoire
garnie de tablettes, autre Cabinet orné de papier avec
armoire et quatre tablettes, une autre chambre îiv.'ri
vue sur le jardin Anglais une cheminée et deux tablette?
de marbre aux Croisée dont une cassée en deux, une
plaque et jambage de careaux de fayance, deux petites
armoire, le papier serin très f'^ais, deux serrures de
cuivre aux portes, il y a une Espagnolette d'une croisée
cassée par le bas, et un careau fêlé a un second châssis
de la croisée la parquetée. Chambre a coucher. Cheminée
de marbre traverse cassée au milieu, papier Chiné très
frais, deux armoires dans les portes et deux petites
encoignures trois parquet sans glace ni baguette, un
grand careau fêlé toutes les Croisée vitrée et ferés.
Grand Corridor deux Mansard sur la Cour, il y a
Cuinq Bai trois Careaux fêles et un écorné toutes les
Croisée vitrée et ferés.
Petit Escalier de dégagement, une rampe de fer
avec Ecuyer au bas, et une porte vitrée et ferée en bon
Etat,
Commodités a L'anglaise, une petite table de marbre
un petit réservoir en plomb et des petits tuyaux de
j)lomb,
Dana la Cour rustique se trouve un réservoir en
plomb pour recevoir L'eau de la [)ompe.
Dans laditie Cour une Ecurie fermée pour cuinq
chevaux avec Mangeoire et ratclicr, plus deux remises
avec auvent ferme e.
82
498 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Sous le passage allant a L'orangerie a droite est une
Ecurie de quatre Chevaux avec mangeoire et râtelier
et a gauche une de douze avec mangerie et râtelier la
grille en fer tenant au dit passage ouvrant a deux van-
taux cassée à la traverse et en mauvais état.
Orangerie
Le toit garnie de huit Croisée simple et une porte
a deux vantaux tout vitré et ferrés il y a trente careaux
tant fêles que de deux pièce.
Pavillon au bout de L'allée de la terrasse éclairé
par sept croisée vitrée et ferrée il y a dix carreaux fêles
au dessous et une serre parquetée en planches et au
pourtour de larges planches portée par des barres de
fer scellée.
Office six Croisée vitrée et ferrée trois Careaux fcles
une armoire garnie de huit tablettes a Coulisse et une
autre de quatre, une cheminée un fourneau a trois
trous garnis de fer, Manteau de four.
NO 15
Une Croisée et un imposte garnis de leur careaux.
Cy devant Chapelle Cariée Croisée ferée et vitrée.
( No 14 une Croisée ferée et vitrée
Conciergerie une pierre a laver dans la première
pièce une petite cuisine a côté fermée par une Cloison
en bois et des imposte vitrée au dessus un fourneau
a deux trous une cheminée de pierre et une plaque
Cassée. Autre pièce Cheminée de pierre, deux armoires
dans le mur une alcôve toutes les Croisées vitrée et
ferrée trois Careaux fêlés et tout carié. Huit chambre
au dessus fermées les Croisée vitrée et ferrée huit Ca'
reaux fêlés.
Il y a des planches dans les deux Souterrain sous le
jardin anglais
fait double a passi le hui avrille mil sept cent quatre
vingt dix sept
Blanchard.
PIÈCES JUSTIFICATIVES 499
Note du 21 thermidor an V, par lequel Jacques
Courtois, « comme fondé de la procuration spéciale à
l'eiïet des présentes de Charles Emmanuel de Savoie
Carignan », vend la propriété à Charles Joseph Ba2;ue-
nault pour le prix de 60.000 livres « espèces métal-
liques francs deniers » en déduction de laquelle somme
Courtois déclare avoir reçu 12.000 livres, « et pour
sacquitter des quarante huit mille livres de surplus
le S^ Baguenault s'oblige à titre de composition et
forfait de servir et payer en l'acquit de M^ Carignan
en sad. qualité et tant qu'elles auront tous les arrérages
cchus à compter du premier Juillet mil sept cent
quatre vingt dix sept vieux style, treize Messidor
dernier et à échoir pendant la vie et jusqu'au jour du
décès de chacun des rentiers y après nommés des rentes
et pensions viagères que vont être énoncées dues par
la succession de M™® de Lamballe savoir :
l^^^ à... SeiiïerL Médecin deux mille livres, telle
qu'elle est due par lad. succession
etc.
D
Pièces relatives au décès et a la succession
DU D"" Saiffert
Paris, le 31 Août 1850.
Roquebert, Notaire
Rue Ste Anna, No 69.
Mon cher ami
Guénin vient de m'envoyer une masse de pièces»
desquelles il résulte :
1° Que Jean Geoffroy Seiffert est mort le 26 Avril
1811 ; il était docteur en médecine, et demeurait à
Paris, me St Dominique, N® 25.
Je vais faire lever son acte de décès.
(Le reste concerne M'^® Mertons, M^ Lefournier
d'Yanviile et M^ Loques.)
500 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Je vois qu'avec cela nous avons satisfaction & que
vous pourrez payer..
Rien à vous
ROQUEBERT,
Monsieur
Monsieur Rouoo
Avoué
Je soussigné Rodolphe Emmanuel Holler propr.
demeurant à Paris, créancier de la succession du s^ Jean
Geoffroy Saiffert & autorisé à faire le recouvrement
de toutes les créances actives de lad. succession suivant
l'ordonnance rendue par le Président du tribunal de
première Instance de la seine, en référé, le onze Août
mil huit cent dix, enreg® et à donner quittance recon-
nais avoir reçu de M^ Baguenaud Banquier la somme
de six cent trente six francs trente centimes pour
trois mois vingt six jours échu le vingt six as^ril der-
nier jour du décès du sr Saiffert de la rente viagère de
Deux mille francs par année que devait M^ BaguenauU
à M^ Saiiïert.
Dont quittance à Paris, le vingt neuf février mil
huit cent douze.
approuvé l'écriture
signé HALLEY.
Vu bon à payer pour solde de tous arrérages de la
rente Saiffert.
Paris le trois Mars 1812
Signé Daleux.
Je certifie que la signature ci-contre est celle de
M^ halley & qu'il est autorisé à toucher.
S. Masson.
(Au crayon : n'est-ce pas Valton, avoué, qui fesait les aff"' de M. Ba-
guenault (mots illisibles).
(La signature à Moignat rassemble en effet autant à Valton qu'à Da-
leux). Il faut lire Valton.
PIÈCES JUSTIFICATIVES 5oi
Paris, le 6 Mars 1852.
Rquebert, Notaire
Rue Ste Anne, No 69.
Mon cher confrère,
Dans la quittance passée devant moi & devant vous,
le 6 T^""® 1850, du prix moyennant lequel M' Roubo
Avoué a acquis la propriété de la famille Sanlot Ba-
guenault à Passy, il a été déclaré que M. SeifTert, Ren-
tierviager, subrogé dans le temps dans les droits des
auteurs de M. Sanlot Baguenault, était décédé à Paris,
le 26 avril 1810. Les recherches que j'ai fait faire à la
ville, n'ont pu faire découvrir l'acte de décès à la date
indiquée. L'erreur doit être retrouvée sur les anciens
livres de la maison Sanlot Baguenault. Je vous prie
de demander qu'une recherche soit faite. M"" Roubo
est menacé en ce moment d'une expropriation pour
l'Elargissement de la R^^ute, et toute perte, qui
résulterait du défaut de production de cet acte de décès,
retomberait sur ses vendeurs, qu'il serait obligé de
mettre en demeure de la lui fournir.
Votre dévoué confrère
ROQUEBERT.
Monsieur
Monsieur Guénin
Notaire
Lettre de M. Roquebert à M. Roubo, avoué, datée
du 13 Mars 1852 envoyant la réponse de l'Étude de
M. Guénin que voici :
Recherche faite dans les archives de la Maison Ba»
guenault il en résulte
1° Que le dernier semestre complet (1000 fr. ou 987...)
de la rente Saiffert est celui échu au 1" J®' 1810, et
payé le 1®' jour dudit mois.
20 Et que le prorata d'arréragei couru delà jusqu'au
502
LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
décès, n'a été payé que le 6 mars 1812 (636 fr. 30 cm.
aux mains de M. Masson)
Il n'y a pour ce dernier pay*, dans les pièces comp-
tables, qu'une note au bon à payer de M. Baguenaull
sur son caissier, disant fai la quittance.
Cette quittance par lui conservée, a pu être comprise
lors de l'inv''^ fait après son décès le 27 fév. 1817,
soit dans la cotte 43 (anciens titres de prop^" de M''"
de Passy) soit dans la cotte 49 (quitt^®"* & décharges).
Cette quittance que M^ Roubo a peut-être dans les
titres à lui remis, fournirait, on le présume, des rensei
gnements sur le décès de M^ Seifîert.
On peut au surplus remarquer comme confirmation
de l'énoncé de la date de ce décès (26 avril 1810) que
3 mois 26 j. donnent en efîet les 636 fr. 30 (ou 644 fr.
9 sols) payés à sa succession.
L. M. Masson qui a donné la quitt*^® est l'ancien
avoué, ne pourrait-on pas aller aux renseig*^ auprès
de lui ?
M. Delacroix avoué qui a rédigé l'enchère pourrait
dire aussi où il a puisé cette indication de date, et
vérifier si le document qui l'a fournie a été bien lu,
et s'il mentionne le domicile où est arrivé le décès.
Roubo
Avoué de 1^^ Instance
45, Rue Richelieu
Mon cher Roqueberx,
J'ai effectivement la quittance du 29 février 1821
pour solde des arrérages de la rente Seyffert et je vous
en envoie copie.
Mais c'est précisément cette quittance qui nous a
induits en erreur à cause de la fausse enonciaticn
qu'elle contient.
Ainsi datée de 1812, elle porte que c'est le solde des
arrérages au 26 avril c?ernier, c'est-à-dire 1811 jour du
décès de M'* Seyffert.
Et dans l'Intitulé de cette même quittance on dit
PIÈCES JUSTIFICATIVES 5o3
que Tordonnance de référé qui nomme un adminis-
trateur à l'effet de faire Id recouvrement de la succes-
sion, est du 11 août 1810. Il est donc évident que le
décès ne peut pas être du 26 avril 1811.
Mais nous avons cherché aux deux dates, 26 avril
1810 et 26 avril 1811, et nous n'avons rien trouvé.
Il est évident que M^ Seyiïert est décédé, mais le
difficile est d'en rapporter la preuve par la justification
de son acte de décès, et c'est la représentation de cet
acte que je demande aux héritiers Sanlot Baguenault.
Votre bien affectionné
ROUBO.
15 mars 1852.
Paris 21 mars 1852.
Monsieur,
Je n'ai aucun renseignement sur l'époque de la mort
du Docteur Saifîert auquel Mad® la Princesse Lam-
balle avait légué une rente viagère dont M. Bague-
nault avait été chargé par son contrat d'acquisition
de Passy, et comme je n'étais pas encore marié, il
ne peut m'en rester aucun souvenir. Mais il me semble
d'après le libellé de la quittance que l'on pourrait re-
trouver la date de cette mort dans l'ord^*^ de référé
y relatée, si comme je le suppose, cette ord*''^ doit rester
au Greffe.
La main levée a du être donnée chez M. Colin alors
ïiotaire de M. Baguenault, et doit mentionner la date
du décès, elle doit se trouver chez le successeur de
M. Colin. Ne pourrait-on pas aussi trouver cette main
levée au B"*" des hypothèques de St Denis ?
La quittance est certifiée par M. Masson qui étail
sans doute avoué de la succession de M. Saiffert, elle
est visée pour être payée par ur\ nom qui m'est inconnu,
et qui est sans doute mal copié, je suppose que celle
signature est celle de M. Vallon, avoué de M. Bague-
nault et qui fesait alors toutes ses affaires.
Ne pourrait-on pas trouver la trace de cette vici!!:'
affaire dans l'une de ces deux études ?
M' Saiffert était un médecin fort en vogue, et il
5o4 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
serait possible qu'on lui eut consacré un article dans
la Biographie Universelle, quoique ou peut-être parce
qu'il passait pour un peu charlatan, autant que mes
souvenirs peuvent me le rappeler.
SanlotBAGUENAULT,
Paris, le 24 Mars 1852.
RoQCEBEHT, Notaire
Rue Ste Anne, N» 69.
Mon cher ami.
Je suis allé ce matin chez M^* Ducloux Notaire,
successeur de M. Colin ; la lettre de M'^ Sanlot Bague-
nault me laissait espérer que je trouverais là quelques
Renseignements.
Mais mes recherches ont été inutiles, et sans aucun
Résultat. — Avez-vous dans les pièces l'Enonciation
soit de l'Inscription de M'' Saiffert, soit de l'Inscrip-
tion d'Office contre M. Baguenault. — Si ouh en allant
aux hypothèques, on trouverait peut-être en marge
quelque Renseignement ; sinon je désespère d'arriver.
Bien à vous
ROQUEBERT,
Dossier portant ( ^ ^' Seiffert
cette < Rente éteinte en 1811
suscription: ( p^^ j^ ^^^,^ ^^ ^j, SeiiïeTU
(Timbre de 25 c. de l'Empire Français).
Je soussigné reconnais avoir reçu de Monsieur Ba-
guenault a l'acquit de la succession Lamballe et en
espèces métalliques la somme de mille Livres tournois
pour le 2® semestre de l'an dix huit cent neuf, échue
le 1^^ janvier présent mois, a moi due par laditte suc-
cession Lamballe, sans préjudice a mes droits sur la
ditle succession, ni des années antérieures qui me se-
ront dues sur ma pension.
A Paris ce 17 janvier dix huit cent dix.
PIÈCES JUSTIFICATIVES 5o5
k approuver Lecriture Saiffert MD
delà main de Saifiert) ^^. ,
I Cl dessus
(Une lettre de Valton [du 10 juillet 18091 ^ M. Ba-
fTuenault, banquier, dit que M. SaifTre (sic) demande
le payement du semestre échu le 1®^ courant, qu'il lui a
remis la main levée de l'opposition de M. Masson»
celle de M. Haller et le Consentement de M. Paillard
Brunet. On peut donc valablement le payer à moins
d'autres oppositions.)
Il y a une vingtaine de quittances presque toutes
entièrement de la main de Saiiïert.
Le vingt quatre ventôse an 8 il y a une opposition
signifiée au citoyen Baguenault par Lafrété relative
« au C®" Schifer (sic), officier de santé a paris y dem^ Rue
de Lille ». Annulation de cette opposition par lettre de
Lafrété datée de Paris le 5 ventôse an 9 à M. « Bague-
naut », Banquier.
. i A Lausane ce 27 vendémiaire l'an 8
de î au Citoyen Bague* Saiiïert Médecin
^''"■"'■^ ' Salut et fraternité
Vous voudrez bien Citoyen pour [Féchu de mes
rentes sur quittance de mon chargé de piiuvoir les dé-
livrer au Citoyen Brunet Paillard. Je vous serais infini-
iMCiil obligé.
Mille et Mille bonjours Saiffert.
au Citoyen Baguenault
rue Montmartre N^ 5
près le boulevard
a Paris.
Je soussigné, fondé de la procuration du D^'"" Saif-
fert, reconnois que Le C. Baguenaud ma cejourd'hui
payé, entre les mains du C. Brunet, homme de con*
(lance du Docteur, La somme de Mille francs pour les
six mois échus le neuf vendémiaire, an 8, de la pension
due au D*^'"" par la succession Lamballe attestant
on outre qu'il est a ma connaissance que led. Docteur
Saifiert est existant.
Paris le 12 Brumaire an 8. Real.
5o6
LA PRINCKSSE DE LAMBALLE INTIME
(De la main de SaifTerl).
A Lausane en helvelie ce 3 floréal l'an 7 de la répu-
bl. franc., SaifTert Médecin au Citoyen Baguenault
Salut et fraternité,
Vous m'obligerai Citoyen de vouloir bien remettre
au Citoyen Real sur quittance en forme de celles que
j'ai signé jusqua ce jour, la somme de la pension échu ;
je lui ai laissée plein pouvoir en règle, avant mon départ
de paris ; vous m'avez dit de vous écrire j'observerai
ce devoir a chaque terme tant que je serai absent de
paris ; si je peus vous être bon a quelque chose dans
ce pais ci, je vous prie de m'en charger sans autre
forme que celle de me faire savoir en quoi, je m'en
'^erai un vrai plaisir.
Saiffert MD»
(extrait d'acte passé devant le notaire Oudinot
d'où il appert que Saiffert a donné pouvoir au C*'"
Pierre françois Real de recevoir de tous débiteurs,
fermiers. Locataires et comptables qu'il appartiendra
tous arrérages de rente, loyers et fermages échus
O' à echeoir et toutes sommes Mobiliaires qui peuvent
être dues au Constituant à tels titres et pour quelque
cause que ce soit, de tous reçus donner quittances
valables.)
Le premier reçu de Saiffert est libellé comme suit :
De la main de SsifTort.
Je sousigné créancier de la Succession de Marie
Louise Thérèse de Savoye Carignan V^® de Louis
Bourbon Lamballe de deux mille livres de rente viagère
exempte de toute imposition ou retenue et payable par
quartier suivant le Brevet reconnois avoir reçu du
Citoyen Bagnoulte (sic) en l'acquit du Prince de savoye
Carignan héritier de la susditte succession cinq cent
livres pour un quartier échu le premier avril (vieux
stile) ou 12 germinal de la présente année dont quit-
tance sans préjudice à tous mes droits sur la totalité
de la dite succession a paris le quinze germinal an six
ie la republique. Saiffert Médecin.
TABLE DES GRAVURES
Images
1. Anacharsis Cloots ^
2. Intérieur d'un Comité révolutionnaire. .... ^
3. Un mandat d'arrêt sous la Terreur 8-9
4. Louis-Philippe-Jo&eph d'Orléans 15
5. Le duc d'Orléans, grand-maître de la Maçon-
nerie, sous les traits de Minerve 19
6. Le docteur Sailîert. . 27
7. La princesse de Talleyiand 29
8. Saint-Just 31
9. Chabot 39
10. Maral 41
11. Le duc d'Orléans '*•'>
12. Souberbielle 47
13. Madame de Genlis 55
14. Madame de Lamballc 57
15. Marie-Antoinette, d'après Janinet (1777) .... 59
16. Le duc de Chartres et sa famille «3
17. Mesmer ^^
18. Le Baquet de Mesmer 71
19. La princesse de Condé, mère du duc d Ln-lufii. 73
20. Comte Dufort de Gheverny 77
21. Caricature contre Mesmer 81
22. Court de Gébelin 85
23. Contrat de Mesmer avec La laycUe 87
•ii4. Autographe de Mesmer 91
25. Lavoisier ^5
26. La princesse de Lamballe (Musée de Meîz). 101
27. La famille de Bourbon-Penthièvre n i lor>
28. L.-P. d'Orléans, duc de Chartres lu?
5o8 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Pages.
29. Le duc de Penthièvre 114
30. Mort du prince de Lainballe 115
31. Autographe du prince de Lamballe 115
32. Comte de Mercy-Argenteau 121
33. Madame de Polignac 123
34. La princesse de Lamballe, surintendante de la
Reine 127
35. Madame de Lamballe 131
36. La princesse de Lamballe (gravure anglaise de 1793) 136
37. Marie-Antoinette 139
38. Marie-Antoinette, d'après Boze 145
39. La princesse de Lamballe (miniature de Canet) . 149
40. Le duc d'Orléans (peinture d'A. Kauffmann) . . 153
41. Madame de Polignac (d'après Mme Vigée-Lebrun). 157
42. M. de Maurepas . . . . ^ 159
43. Marie-Antoinette (d'après Bernard) l(îl
44. Résidence de la princesse de Lamballe à Passy. li)3
45. La princesse de Lamballe (peinture de Bornet). 165
46. Princesse de Lamballe (médaillon) 167
47. Lady Fitzherbert, favorite de George IV. . , . 173
48. Philippe d'Orléans, dit Ééca/f/é 175
49. Mirabeau 179
50. Le Palais-Royal, à l'époque de la Révolution . 184 185
51. Madame de Buffon 188
62. Choderlos de Laclos 189
63. Philippe-Égalité, en Roi de Pique 191
64. La duchesse d'Orléans, épouse de Philippe-
Égalité ...... 195
65. Fête de la Fédération (1790) . 200-201
56. Madame de Norenval 207
67. La princesse de Lamballe (estampe hoUardiise) 209
68. Bol-sein de Marie-Antoinette 213
69. Le retour de Varennes ^^16-217
60. Camille Desmoulins 221
61. Pétion 223
62. Le Club des Jacobins 225
63. Robespierre 227
64. Un épisode des Journées de Prairial .... 232-233
65. Danton 235
66. La duchesse de Choiseul 239
67. Barnave 243
68. Robespierre (croquis à la plume) 247
6». Louis XVII (gravure italienne) 249
»
TABLE DES GRAVURES 5of)
Pages.
70. M. T. L. de Savoie-Carignan (princesse de Lam-
balle) 253
71. Attaque des Tuileries (10 août 1792) 266
72. Manuel 269
7;i. Madame de Tourzel 271
74. Madame de Lamballe à la Force (Musée Ciirnovalet) 273
75. Le duc d'Orléans à la tête de ses partisans . . 275
76. Marat 279
77. Héléna Williams 283
78. Sergent, dit Sergent-Marceau 285
79. Madame de Lamballe (époque révolutionnaire) . 289
80. Un épisode des massacres de Septembre ... 291
81. Madame de Lamballe (collection Victorien Sar-
dou ; peinture de Danloux, 1791) 293
82. Stanislas Maillard 297
83. Bon de vin pour les massacreurs 299
84. Bon de vin et de pain, pour les assassins de Sep-
tembre .... ao3
85. La princesse de Lamballe (dessin attribué à Ga-
briel) 307
86. M. Dupin, auteur dramatique, un des témoin?
de la promenade macabre 311
87. Promenade des restes mutilés de la princesse
de Lamballe 812-313
88. Quittances des massacreurs de Septembre (1792) 316
89. Procès-verbal de l'inhumation de la tête de la
princesse de Lamballe 824-325
90. Massacre des prisonniers de l'Abbaye (septem-
bre 1792) 328-32'
91. Autographe, signé, de Maillard 331
92. Lettre autographe de L. A. T. B. d'Orléans, à la
princesse de Lamballe 336
93. Acte de décès du docteur SaifTert 343
94. Maison de campagne de la princesse de Lam-
balle, à Passy 349
95. Docteur Emile Blanche 855
96. Marie-Antoinette (par Mlle Boi^ot) 861
97. L'impératrice Marie-Thérèse 864
98. Monsieur, frère du Roi 367
99. Le comte d'Artois 371
100. Marie-Antoinette 873
101. Madame, femme de Louis XN'III 875
102. L'archiduc Maximilien-François-Xavior-Jo8e['li-
Jenn. frère de Marie-Antoinette 377
5lO LA PRINCESSE DE LAM HALLE INTIME
Pages.
103. Madame Campan , . • 381
104. Le comte de Vaudreuil • . . •'^85
10.'). Madame de Polignac -^87
106. Diane de Polignac 389
107. Duc de Coigny 397
105. Le comte Esterhazy 401
109. Le baron de Besenval 406
110. Biron, dit Lauzun 4U
111. Frontispice de livre, provenant de la Bibliothè-
que de Marie-Antoinette, Daupliinë 413
112. Armes de Marie-Antoinette. ........ 415
113. Chitîre des livres de la Bibliothèque de Trianon. 415
114. Ex-libris de la princesse de Lamballe 4l7
115. Armoii-ies de la princesse de Lamballe .... 419
116. Keliure armoriée d'un livre provenant de la bi-
bliothèque de la princesse de Lamballe. . . 421
117. Le prince de Ligne 425
lis. Marie Leczinska 427
119. L'empereur Joseph IL irôre de Marie-Antoi-
nette 429
120. Marie-Antoinette, par Fredou (collection Pniil
Prouté) 433
121. M. de Fersen 436
122. Le chancelier Pasquier 437
123. Madame de Boigne, 439
124. Madame de Balbi 449
125. Marie-Antoinette, dauphine (d'après Ducreux). . 451
126. Madame de Polignac 456
127. Marie-Caroline de Naples, sœur de Marie-Antoi-
nette 457
128. Soulier de Marie-Antoinette. ...-.,.. 459
129. Marie-Antoinette, par Porporati (1796) 465
130. Marie-Antoinette et ses frères (Musée de Ver-
sailles) 467
13x. Marie-Antoinette, enfant 471
132. Marie-Antoinelte, en Hébé (par Drouais). . . . 473
TABLE DES CHAPITRES
Pages.
CiiAriTREs I. Les tribulations d'un sans-culotte
sous le règne de la Terreur . . 1
II. La clientèle d'un praticien étranger
pendant la Révolution 25
— III. Les relations politiques e^V littéraires
du docteur Saiffert ...... 37
— IV. Le médecin de la princesse de Lam-
balle et de Philippe-Égalité ... 53
— V. Une religion nouvelle : Mesmer,
Dieu, et d'Eslon, son prophète . . 66
— VI. La maladie et la mort du prince de
Lamballe 100
— VIL La névropathie de la princesse de
Lamballe T-'O
— \lll. Le retour de la princesse de Lam-
balle en France; la mission du duc
d'Orléans à Londres 177
— IX. La fuite delà famille royale; le d»'-
part de la princesse pour l'étran-
ger 206
— X. Le retour en PYance de madame de
Lamballe; les négociations delà
Cour avec les chefs du parti jaco-
bin 218
— XL Un récit de la journée du 10 Août;
l'incarcération de la princesse de
Lamballe; la genèse des massacreu
de Septembre i6^
5 12 LA PRINCESSE DE LAMBALLE INTIME
Page»
Chapitres XII. Le meurtre de la princesse de Lam-
balle ; récits de témoins oculaires. 30iî
— Xin. La psychologie des massacres de
Septembre; la part de la peur et
du sadisme 323
— XIV. Le testament de la princessede Lam-
balle ; la mort du docteur Saiffert. 338
— XV. Madame de Lamballe à Passy . . . 351
— XVI. La vertu de Marie-Antoinette . . . 360
— XVII. Les Amoureux de la Reine. . . . 3'J5
— XVIII. Les liaisons féminines de Marie-
Antoinette 447
Appendice : Marie-Antoinette était-elle jolie ? . . . 462
Pièces justificatives 477
Table des gravures 607
6001-9 26. — Tours, imprimerie^ Arrault et C".
■INDING SECT.JUL 11 1968
I
! DC Cabanes, Augustin
H6 La princesse de Lamballe
L32C3
I
i
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i
I
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY